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(Dix heures sept minutes)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À l'ordre, s'il
vous plaît!
La sous-commission des affaires sociales reprend ses travaux pour
entendre les différents groupes, établissements ou intervenants
impliqués dans la distribution des services de soutien et de
réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux
et vivant dans la communauté.
Sont membres de la sous-commission: Mme Lachapelle (Dorion), M.
Lafrenière (Ungava), M. Laplante (Bourassa), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie),
M. Pratt (Marie-Victorin).
Le premier groupe que nous devons entendre ce matin, c'est le
Comité de la santé mentale du Québec,
représenté par son président, le Dr Harnois. Je vous
invite, Dr Harnois, à faire les présentations d'usage pour les
fins du Journal des débats.
CSMQ
M. Harnois (Gaston): Merci, Mme la Présidente. J'allais
dire à nouveau, personnellement, il me fait plaisir, au nom du
Comité de la santé mentale, de comparaître devant vous ce
matin. Tout simplement pour le Journal des débats, je me plais à
redire l'importance que le sujet que nous traitons a pour le Comité de
la santé mentale et, je crois aussi, pour toute la population
québécoise.
J'aimerais, brièvement, vous présenter mes
collègues autour de la table et vous donner quelques mots d'explication
sur le Comité de la santé mentale du Québec. À ma
droite, M. Roger Paquet, travailleur social, vice-président du
Comité de la santé mentale et directeur général du
centre d'accueil Les jeunes de l'Outaouais; à ma gauche, le Dr Ellen
Corin, psychologue, membre du Comité de la santé mentale et
directeur de l'Unité de recherche psychosociale au Centre de recherche
de l'hôpital Douglas; à sa gauche, Mme Lise Tessier, travailleuse
sociale, membre du comité et conseillère-cadre au service de la
programmation et du développement au Centre de services sociaux du
Montréal métropolitain; à sa gauche, Mme Christine
Gourgue, membre du comité, ex-présidente du groupe Auto-Psy et
ex-porte-parole du Comité des bénéficiaires du centre
hospitalier Robert-Giffard; à sa gauche, Mme Michelle Fitzgerald, membre
du comité et vice-présidente de l'Association lavalloise de
parents pour le bien-être mental; à mon extrême droite, le
professeur Frédéric Grunberg, psychiatre, membre du
comité, coordonnateur de l'enseignement à l'hôpital
Louis-Il. Lafontaine et président élu de l'Association des
psychiatres du Canada; enfin moi-même, le Dr Gaston Harnois,
président du Comité de la santé mentale et directeur
général du centre hospitalier Douglas, à
Montréal.
La façon dont nous aimerions procéder, Mme la
Présidente, c'est que j'aimerais faire part au comité d'une
brève présentation des réalisations récentes du
CSMQ et demander à trois de mes collègues de vous faire un court
exposé sur les sujets qui nous apparaissent pertinents à la
question dont nous traitons aujourd'hui.
Nous vous avons fait parvenir un court mémoire en mai, mais
depuis ce temps, les travaux du Comité de la santé mentale ont
passablement évolué, de sorte que nos travaux sont plus
avancés que ce qui est contenu, ce qui transparait dans le document dont
nous vous avons fait part.
Le Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ) est
un organisme de planification qui est rattaché directement au
ministère des Affaires sociales, au ministère de la Santé
et des Services sociaux. En m'entendant vous donner le nouveau nom du
ministère, je m'interroge hautement, à savoir si, au niveau de la
santé mentale, cette nouvelle appellation facilite les choses.
J'espère que cela ne se traduira pas par deux solitudes, le
côté santé et le côté social ayant un peu
tendance à cheminer chacun de son côté. S'il y a un domaine
qui ne se prête absolument pas à une séparation entre
santé et social, je pense bien que c'est celui de la santé
mentale.
Le CSMQ a pour mandat général de coopérer à
la réalisation des activités de planification du ministère
et a la responsabilité particulière dans le champ de la
santé mentale. Je pense qu'on peut facilement dire que le CSMQ est le
conseiller privilégié ou devrait être le conseiller
privilégié du ministre des Affaires sociales dans le champ de la
santé mentale.
Les membres de notre comité proviennent des établissements
de santé et de services sociaux du Québec de même que des
universités, et comprennent des représentants des utilisateurs de
services de santé mentale et de leurs familles. Ils sont nommés
par le gouvernement du Québec. Le comité reçoit ses
mandats spécifiquement du ministre de la Santé et des Services
sociaux.
Le CSMQ a participé aux premières discussions qui devaient
amener le ministère de la Santé et des Services sociaux à
adopter l'objectif de doter le Québec d'une politique de santé
mentale. Depuis plus de deux ans maintenant, il contribue de plus d'une
façon toute particulière è la réalisation de ce
projet en achevant de produire, avec l'appui des Québécois, cinq
importants documents pouvant tous servir à la mise au point de cette
politique. Deux de ces documents ont été lancés le 26
juin, à Montréal. Il s'agit de: "La santé mentale: de la
biologie à la culture" ou, si on veut, l'avis du Comité de la
santé mentale du Québec sur la notion de santé mentale,
et, deuxièmement, la "Santé mentale: prévenir, traiter et
réadapter efficacement", l'avis du comité sur l'efficacité
des interventions en santé mentale.
Le comité a aussi achevé deux autres importants documents
qui seront également lancés dans les prochaines semaines. Ce
sont: "La santé mentale des enfants et des adolescents - vers une
approche plus globale" ou, si on veut, l'avis du comité sur la
protection et le développement de la santé mentale des jeunes",
et "La santé mentale: rôles et place des ressources alternatives",
l'avis du Comité de la santé mentale sur les ressources
alternatives.
Enfin, le comité est à achever un autre document qui
portera le titre "Sortir de l'asile: des politiques et des pratiques en pays
étrangers" ou, si on veut, l'avis du Comité de la santé
mentale sur les expériences étrangères en santé
mentale. Comme les précédents, il sera publié et
diffusé par l'Éditeur officiel du Québec.
Nous avons remis ce matin aux membres de la commission copie de chacun
des avis qui sont déjà disponibles. Puisqu'on vous les avait
envoyés à vous directement, Mme la Présidente, et qu'il ne
nous en restait que six copies, on les a distribuées à vos
collègues. Trois des avis que j'ai mentionnés ont des liens
directs avec la question qu'entend étudier la sous-commission. Nous
avons donc jugé opportun de vous en parler aujourd'hui.
Mme Lise Tessier, qui est un des principaux auteurs de l'avis du
comité sur l'efficacité des interventions en santé
mentale, vous entretiendra d'abord des parties de cet avis qui sont les plus
pertinentes pour tous. Deuxièmement, M. Roger Paquet, qui a
présidé le groupe de travail du comité sur les ressources
alternatives, vous présentera des données de ce document qui sont
aussi pertinentes pour vous et le Dr Ellen Corin, responsable du groupe de
travail du CSMQ qui a mis au point l'avis sur la notion de santé mentale
et qui achève actuellement la préparation de l'avis sur les
expériences étrangères en santé mentale, vous
présentera enfin un certain nombre d'informations tirées de ce
dernier avis en préparation qui pourront être utiles è la
sous-commission.
Avec eux et avec mesdames Gourgue et Fitzgerald ainsi qu'avec le
professeur Grunberg, je tenterai de répondre ensuite aux questions que
ces exposés pourront vous inspirer. Je voudrais demander à Mme
Lise Tessier d'y aller de sa présentation. Mme Tessier.
Mme Tessier (Lise): La présentation que je vais faire ce
matin est basée sur l'avis qui vient de vous être
déposé sur l'efficacité des interventions en santé
mentale, la partie sur la réadaptation et les supports de la
communauté.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vous pourriez
rapprocher votre micro un petit peu, s'il vous plaît?
Mme Tessier: Je m'excuse. Ce travail a été fait
pour essayer de déterminer s'il existait un certain nombre de balises
fiables, sur le plan des alternatives, à l'hospitalisation ou aux
cliniques externes traditionnelles. La façon de procéder a
été de faire une recension des projets de recherche qui ont
évalué, avec un schème expérimental ou quasi
expérimental, des alternatives à l'hospitalisation traditionnelle
ou aux cliniques externes actuelles. Cette façon de procéder a
l'avantage de permettre d'identifier des résultats qui sont assez
solides, mais a l'inconvénient de donner des résultats uniquement
sur ce qui a été évalué. Donc, cela ne couvre pas
l'ensemble des questions posées par la désinstitutionnalisation.
Une expérience peut être intéressante et efficace et ne pas
avoir été évaluée selon le schème
expérimental. Elle ne se retrouvera donc pas dans cette recension des
études.
Les recherches recensées ont eu des programmes très
différents, mais les résultats sont très consistants. On a
comparé les projets expérimentaux avec l'hospitalisation
traditionnelle et on a trouvé qu'il n'y avait pas de différence
entre les programmes alternatifs et le traitement à l'interne en termes
de diminution des symptômes, du fardeau sur la famille, et il y avait une
différence minimale en termes d'ajustement global des patients qui
bénéficient d'un programme expérimental.
Par contre, en termes de taux de
réhospitalisation, de jours passés à
l'hôpital et de résultats au niveau du travail...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse de vous
interrompre, Mme Tessier. Ce que vous nous présentez n'est pas dans le
mémoire que vous nous avez transmis au mois de mai?
Mme Tessier: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est textuel ici. Bon,
d'accord.
Une voix: À quel endroit?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Étant donné que le Dr Harnois avait dit:
Cela, c'est dépassé... C'est à quelle page du
mémoire?
Mme Tessier: C'est un résumé, alors je pige un peu
partout.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est ça, c'est ce
que je pensais, d'accord. Parfait, si vous pouvez parler juste un peu plus
lentement, étant donné qu'on ne suit pas et qu'on ne peut pas
suivre vos textes, ce serait plus facile pour nous d'intégrer tout
ça.
Mme Tessier: Est-ce que je dois reprendre?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse, d'ailleurs,
de vous avoir interrompue.
Mme Tessier: On a des résultats très
intéressants quand on compare des projets à domicile et les
traitements hospitaliers. Cependant - c'est là qu'on arrive aux
réserves - il y a des études qui ont été faites
au-delà de la période expérimentale et on se rend compte
que, quand les projets ont cessé, les résultats cessent aussi et,
deux ans, trois ans, quatre ans après, on revient au point initial et
les résultats ne sont pas maintenus.
Une autre chose qu'il faut prendre en considération, c'est que
ces études avaient quand même des critères d'exclusion et
ils sont à peu près tous les mêmes: des patients qui n'ont
pas de famille ou qui n'ont pas de personne significative dans leur vie, des
patients qui sont homicidaires, suicidaires, alcooliques, toxicomanes, qui ont
une maladie physique grave, qui ont un handicap intellectuel, qui
résident hors secteur. D'aussi bons résultats ne s'appliquent pas
à cette clientèle.
Il a aussi, évidemment, un pourcentage d'échecs qui est
minimal, mais cela implique quand même que certains patients ont besoin
d'autres types de services. Par contre, dans ces projets expérimentaux,
il y avait des constantes qu'on retrouve partout, comme de l'intervention de
crise, de l'intervention familiale, une médication appropriée,
une continuité des services. Ces facteurs-là sont
considérés comme des facteurs de succès.
Une autre chose, il y a une autre série de programmes qui ne sont
pas des alternatives à l'hospitalisation, mais qui sont des alternatives
à la clinique externe. Ce sont des programmes surtout de nature sociale,
un peu comme Fountain House à New York ou Thresholds à Chicago,
des programmes comme ceux-là qui sont des genres de clubs sociaux qui
ont des programmes de réadaptation et aussi d'intervention familiale et
qui gardent des liens très serrés avec l'hôpital. Ces
programmes-là ont aussi des résultats très
intéressants pour diminuer le taux de réhospitalisation, de
même qu'au niveau des symptômes, etc.
L'inconvénient de ces programmes, c'est qu'ils sont pour des
patients qui veulent bien y participer. Ceux qui n'y participent pas... Il y a
un programme particulier, celui de Fairweather, qui a misé,
contrairement aux autres, sur la capacité de leadership des patients
psychiatriques et qui a travaillé dans ce sens-là. Cela donne des
résultats très intéressants.
En bref, on veut dire qu'il est possible de traiter dans la
communauté beaucoup plus qu'on ne le fait présentement, mais
à certaines conditions et entre certaines limites. Ce n'est pas pour
demain la fermeture des hôpitaux psychiatriques.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord, merci.
M. Harnois: M. Paquet.
M. Paquet (Roger): Mme la Présidente, je voudrais d'abord
déposer officiellement le rapport de la consultation publique que nous
avons menée sur la question des ressources alternatives en santé
mentale et sur le système de distribution de soins en santé
mentale. Ce rapport nous a largement servi pour la préparation de l'avis
que nous publierons bientôt sur le sujet.
Avant d'aborder spécifiquement la question des ressources
alternatives, il nous semble important de dresser un bilan sommaire des
principales carences du système de distribution de soins,
d'énoncer quelques orientations souhaitables et de proposer certaines
priorités. Nous examinerons ensuite comment les ressources alternatives
peuvent y contribuer et de quelle façon elles peuvent le faire.
Si on examine très rapidement les carences, la consultation
publique que nous avons menée en identifie quatre majeures.
Premièrement, un manque de diversification des ressources,
spécialement la faiblesse des
services et des structures entre le milieu de vie de la personne et
l'institution.
Deuxièmement, une accessibilité problématique en
raison du manque de disponibilité, spécialement en dehors des
heures habituelles de travail, et d'une répartition inégale des
ressources entre les différentes régions.
Troisièmement, un faible niveau de complémentarité
résultant d'un manque de concertation et de collaboration à
différents niveaux du système.
En dernier lieu, un manque d'information et de sensibilisation au niveau
de la population, problème qui nous paraît majeur.
Il est plutôt illusoire de penser que les gens des
communautés locales accepteront que des personnes ayant
éprouvé ou éprouvant des difficultés de
santé mentale puissent demeurer ou retourner dans leur milieu s'ils ne
sont pas mieux informés et davantage sensibilisés à
l'égard de la santé mentale. Bon nombre de personnes
considèrent ces gens comme dangereux. Il est compréhensible
qu'ils résistent à les voir habiter sur leur rue, côtoyer
leurs enfants et travailler è côté d'eux.
Il y a un manque d'information aussi au niveau des familles et de
l'entourage des personnes en difficulté. Les enquêtes de besoins
réalisées à ce niveau sont éloquentes. Les parents
et les proches veulent connaître la nature des difficultés que vit
la personne. Ils veulent aussi savoir quelle attitude adopter, quels moyens
utiliser. Cet aspect pourra être longuement développé par
Mme Fitzgerald, lors de la période de questions, si vous le
désirez.
À cela, il faut ajouter un certain nombre de carences qui sont
identifiées plus spécifiquement par les ressources alternatives.
Je me limiterai tout simplement à les énumérer
brièvement. D'abord, les ressources alternatives considèrent que
les intervenants professionnels et les institutions exercent une trop grande
prise en charge des personnes en difficulté. Cette attitude
empêche la personne de prendre une part active à l'analyse de sa
situation, à l'identification de ses besoins et au choix des
réponses à apporter.
Deuxièmement, les dimensions sociales et environnementales de la
santé mentale et de la maladie mentale sont peu ou pas prises en
considération. Plusieurs catégories de besoins ne
reçoivent pas de réponse adéquate et le système
produit trop souvent des attitudes de dominance de la part des
intervenants.
Quel que soit l'angle d'analyse, le système de santé
mentale présente des failles importantes qui compromettent
sérieusement le maintien et la réinsertion dans la
communauté, dans des conditions acceptables, des personnes
éprouvant ou ayant éprouvé des difficultés de
santé mentale.
Pour y remédier il nous semble» en tout premier lieu,
qu'une correction de trajectoire dans l'approche de la problématique de
santé mentale s'impose. Après avoir connu une phase de
développement et de croissance des services, nous croyons qu'il faut
maintenant se diriger vers une approche favorisant une participation active de
la personne à toute action susceptible de développer, maintenir
et restaurer sa santé mentale; une approche encourageant et suscitant
chez les membres et les organismes de chaque communauté leur
participation et leur contribution; une approche associant le soutien de
l'État, des établissements et des services publics à
l'effort des personnes et des communautés.
La santé mentale concerne d'abord chacun des citoyens
évoluant quelque part sur le continuum santé mentale, maladie
mentale. L'État ne doit plus se substituer è la personne dans la
satisfaction de ses besoins, mais plutôt s'y associer dans le respect des
compétences de l'individu et de l'environnement.
En plus de modifier l'approche, certaines actions nous apparaissent
prioritaires, spécialement à l'égard de toute la question
du maintien en communauté. On souligne trois types d'actions plus
particulièrement: d'abord, la mise en place de programmes d'information
pour démystifier cette réalité, mais aussi sensibiliser
les personnes et les communautés à l'importance de leur
implication et de leur contribution; deuxièmement, des services
d'intervention en situation de crise par le biais d'une approche
intégrée. Ces services devront être en mesure de s'adresser
à un ensemble de situations de crise reliées aux
difficultés personnelles, familiales ou sociales et ce, en tout temps.
Leur action devra pouvoir s'actualiser autant dans le milieu de vie de la
personne qu'à l'intérieur de lieux désignés
à cet effet.
Troisièmement, des programmes de maintien en milieu naturel
comprenant un premier volet visant à permettre aux personnes de recevoir
dans leur milieu les services que requiert leur état.
Le second volet devra s'adresser aux personnes ayant vécu des
difficultés telles qu'elles ont dû temporairement être
retirées de leur milieu, ce qui pose tout le défi de (a
réinsertion. Nos efforts devront surtout porter, à ce niveau sur
le développement, dans la communauté et avec les membres de la
communauté, d'une expertise de réadaptation venant appuyer et
poursuivre l'intervention entreprise au niveau des traitements
spécialisés dispensés en établissement.
Si cet ensemble d'actions venait s'ajouter aux efforts
déjà consentis, le Comité de la santé mentale
considère que
les personnes éprouvant ou ayant éprouvé des
difficultés de santé mentale recevraient un service mieux
adapté à leurs besoins et pourraient prendre une part plus active
à la communauté.
Si on examine maintenant de façon plus spécifique la
contribution des ressources alternatives, nous pouvons voir que ces ressources
peuvent avoir une influence positive sur la situation des personnes en
difficulté. Précisons tout d'abord que nous parlons de ressources
alternatives dans le sens d'organismes, que ce soient des groupes ou des
corporations à but non lucratif, autonomes, qui proposent à la
personne, dans son milieu de vie et avec sa participation, un soutien
particulier pour acquérir et maîtriser les moyens requis pour
répondre à ses besoins, Elles se distinguent nettement des
structures intermédiaires, qui sont de petites ressources qui, elles,
relèvent des établissements. (10 h 30)
En raison de leurs caractéristiques, les ressources alternatives
peuvent apporter la contribution suivante: d'abord, elles rendent des services
concrets répondant è des besoins identifiés chez des
personnes. Deuxièmement, elles le font en sollicitant la participation
de ces personnes et de leur milieu. Elles ont développé des
façons de rejoindre les gens et d'associer l'environnement. De
dimensions restreintes et personnalisées, ces ressources peuvent se
modifier plus rapidement, compte tenu de l'évolution des besoins et
elles accordent une importance particulière au respect des droits de la
personne.
Par rapport aux services publics, leur action s'exerce ailleurs et
autrement. Quel que soit leur objectif, soit de répondre à un
besoin non comblé, d'expérimenter de nouvelles façons ou
parfois même de contester les services en place, les ressources
alternatives viennent enrichir la gamme de services en offrant une
possibilité de choix et en mettant à contribution les aidants
naturels trop souvent négligés par les services publics.
En conséquence, il apparaît au Comité de la
santé mentale qu'il faille reconnaître l'existence et respecter
l'identité des ressources alternatives, leur fournir des moyens
adéquats pour exercer leur action, leur permettre de participer à
la réflexion en santé mentale et les associer à la
planification et à la dispensation des services tout en s'assurant de
leur fournir les moyens requis pour évaluer leur action. À
l'heure actuelle, leur survie est souvent précaire et leur existence
très marginale.
Sans chercher à les intégrer et sans tenter d'en faire un
système capable de répondre à tous les besoins, il faut
mettre à contribution leur expertise au profit de l'objectif fondamental
que nous poursuivons tous, soit l'amélioration du niveau de santé
mentale de chaque citoyen.
Une voix: Merci, M. Paquet. Dr Corin.
Mme Corin (Ellen): Merci. L'avis sur les expériences
étrangères est en cours de réalisation. Pour cette raison,
la présentation de son contenu va se centrer sur la démarche que
nous avons suivie, sur la manière dont nous sommes en train d'organiser
le matériel et déjà sur certains points qui nous
paraissent ressortir des expériences que nous avons
examinées.
Pour réaliser cet avis, nous avons sélectionné un
certain nombre de pays en fonction de deux critères: d'une part, une
proximité socioculturelle par rapport à la société
québécoise et, d'autre part, leur intérêt en ce qui
concerne les modèles de services qu'ils avaient mis en place. Notre
document repose ainsi principalement sur l'analyse de données concernant
la France, la Grande-Bretagne et l'Italie. Il intègre également
d'autres données concernant New York, le Massachusetts, la Suède
et l'Ontario.
Notre travail repose sur le présupposé suivant lequel
aucun modèle de service n'est directement transposable d'une
société à une autre. C'est en comprenant mieux les
différences et les spécificités des autres systèmes
qu'on a le plus de chance d'en tirer profit.
Pour effectuer l'analyse de nos données, nous sommes partis de
quelques questions qui nous paraissent d'une importance cruciale en s'
interrogeant sur une réforme des services psychiatriques.
En comparant les systèmes les uns avec les autres par rapport aux
questions que nous posions, nous voulons faire ressortir trois ordres de faits:
d'une part, la diversité des options prises par rapport à chacun
des points traités; deuxièmement, les facteurs de contrainte et
les barrières qui font obstacle à la réalisation des
modèles ou à l'atteinte des objectifs et, troisièmement,
les conditions ou les éléments de contextes qui ont permis le
développement d'un système particulier.
La première des questions examinées est celle du
degré de désinstitutionnalisation apparent dans le
système, ainsi que celle des modalités concrètes de cette
désinstitutionnalisation, c'est-à-dire les moyens que se sont
donnés les gens pour la réaliser, et cette question
générale demande que l'on s'interroge en premier lieu sur la
place qui est faite dans les différents systèmes à
l'hôpital psychiatrique. Les pays peuvent être rangés ici
sur un continuum. À un extrême, on trouve une position qui vise
essentiellement le démantèlement de l'hôpital
psychiatrique; à l'autre extrême, on parle plutôt de
réformer l'asile, de le réinsérer dans un système
plus global de soins où les patients pourraient circuler aisément
entre
l'interne et l'externe. Entre les deux, se trouve, par exemple, la
position de la Grande-Bretagne qui, s'étant donné comme objectif,
en 1961, de fermer l'hôpital psychiatrique, a dû s'orienter par la
suite vers des options moins radicales qui mettent l'accent, dans son cas, sur
le développement d'ensembles intégrés et complets de
services psychiatriques dans les hôpitaux généraux.
Trois points particuliers doivent être relevés ici,
à partir des expériences que nous avons examinées.
Premièrement, c'est que le succès de la
désinstitutionnalisation des patients psychiatriques dépend
essentiellement de la quantité et de la qualité des services que
l'on a mis en place dans la communauté. Ces services doivent être
diversifiés et gradués afin de pouvoir accueillir des patients
eux-mêmes très différents les uns des autres.
Il faut que des mécanismes permettent le passage des patients
d'un type de service à l'autre, suivant une trajectoire qui n'est pas
toujours rectiligne. Il faut également prévoir des
mécanismes de continuité qui permettent à un projet de
thérapie ou de réinsertion de se prolonger lorsque le patient
change de structure. Les mécanismes concrets que privilégient ici
les pays diffèrent d'un cas à l'autre.
Deuxièmement, il faut tenir compte des fonctions que remplissait
l'hôpital psychiatrique et se demander qui va pouvoir assumer ces
fonctions si on supprime cet hôpital psychiatrique. Il n'est pas
sûr que des ressources du milieu puissent assumer l'ensemble de ces
fonctions.
Troisièmement, et cela apparaît de façon très
générale, c'est que la désinstitutionnalisation n'est pas
seulement une question de structure, mais peut être aussi et peut
être essentiellement une question d'esprit ou de philosophie de base par
rapport à la maladie mentale, à la réinsertion et au
traitement. Même si les options varient très fort, ici, d'un pays
à l'autre, on remarque que l'adhésion des intervenants à
cet esprit a un pouvoir de mobilisation important par rapport à
l'action.
Une seconde question concrète qui découle de la
désinstitutionnalisation est celle des rapports que l'on établit
entre les secteurs de la santé et du social. Les différents pays
ont expérimenté toute une série de formules qu'il est
intéressant de comparer et il est évident qu'un des défis
qui se posent est celui de pouvoir effectuer une certaine coordination entre
les deux champs au niveau de la définition des priorités, au
niveau de l'attribution des fonds et à celui de la répartition du
personnel notamment.
Dans les cas où la priorité a été
donnée exclusivement ou majoritairement au secteur social, par exemple,
il y a toujours risque d'un encapsulement des services
spécialisés et ceux-ci tendent alors à développer
leur propre structure parallèle avec les risques de dédoublement
qu'implique ce développement.
La troisième question liée à la
désinstitutionnalisation des services est celle du rapport entre les
services psychiatriques et un territoire déterminé. Une forme ou
l'autre de sectorisation se retrouve en effet partout, au sens où un
découpage territorial sert de base à l'administration des
services. Ce principe répond à trois grands objectifs: permettre
une meilleure intégration des ressources, rapprocher les équipes
du milieu et faciliter la réintégration des patients
psychiatriques dans leur milieu.
Deux points particuliers méritent cependant ici notre attention.
Le premier, c'est que les pays diffèrent fortement au niveau du
degré de souplesse ou de rigidité qui est lié à la
sectorisation. Un des points qu'on a fait ressortir dans plusieurs contextes et
qui nous semble intéressant à souligner est que la sectorisation
jouerait davantage un rôle de pression auprès des Intervenants
pour les obliger à ne pas rejeter certains des patients qui viennent de
leur territoire, puis un rôle de pression auprès des patients qui,
théoriquement, seraient libres d'une certaine façon de s'adresser
à d'autres intervenants.
Le second point, qui est également important, concerne le manque
de correspondance que l'on note partout et au Québec également,
je pense, entre les découpages sectoriels qui relèvent de
différents champs: le sanitaire, le social, le scolaire, etc. Cette
absence de concordance rend beaucoup plus difficile la création
d'optiques d'intervention intégrée entre les différents
secteurs. Le second grand thème à partir duquel nous effectuons
l'analyse de nos données est celui du degré de centralisation ou
de décentralisation apparent dans les différents systèmes
ainsi que les structures politico-administratives qui y correspondent.
Nous examinons plus particulièrement trois questions ici. La
première concerne les facteurs clefs qui ont été
impliqués dans la conception puis la mise en acte de la réforme.
Il est frappant de constater que, partout, l'impulsion de base de la
réforme des services psychiatriques est née de l'intérieur
du système psychiatrique lui-même. En un second temps, on observe
parfois des alliances avec des forces extérieures, comme des groupes de
pression dans la communauté ou des groupes syndicaux, par exemple.
Les penseurs de la réforme attachent au début beaucoup
d'importance à l'élaboration de la philosophie de soins que j'ai
mentionnée plus haut, mais lorsque les administrateurs prennent le
relais, comme c'est arrivé dans beaucoup d'endroits, on observe
généralement un glissement dans les objectifs de base, et sortir
les patients
psychiatriques de l'hôpital prend alors souvent le pas sur la mise
au point de modèles d'intervention novateurs. La seconde question est
celle des partenaires impliqués dans le système des services
psychiatriques. Les pays diffèrent fortement entre eux par la place
qu'ils accordent au système privé. Ce dernier est parfois
présenté comme le garant d'un certain pluralisme. En
Grande-Bretagne, il faut mentionner ici le rôle très important que
jouent les associations privées. Certaines sont organisées
à l'échelon national, ce qui leur donne une force beaucoup plus
grande de pression et leur permet de faire de la planification à plus
long terme.
Enfin, la troisième question touchée par cette question de
la centralisation est celle des mécanismes de planification à
court, moyen et long terme. Nous considérons particulièrement le
degré de flexibilité de cette planification, les partenaires
impliqués dans la planification et les mécanismes de soutien
à la mise en place d'initiatives et peut-être surtout le statut
que le système fait à la diversité.
Le troisième thème, sur lequel je ne m'étendrai pas
ici, auquel nous accordons l'attention, est celui du degré d'implication
des communautés locales et des mécanismes qui permettent de
renforcer cette implication. On observe que ces mécanismes jouent, d'une
part, sur le plan politico-administratif au niveau d'une série de
processus qui donnent de l'influence, un pouvoir de décision et de
financement parfois, à des communautés locales, à des
municipalités.
Une des contraintes qui apparaît lorsque l'on cherche à
évaluer l'impact de cet effet d'implication de communautés
locales dans la planification et le financement des services, une des
barrières réside dans les attitudes négatives qui
continuent souvent à se manifester au sein des communautés de
base par rapport aux patients psychiatriques. On veut bien de la
réinsertion des patients, mais pas dans son quartier, pas dans sa rue.
Quand il faut dégager des fonds pour le faire, à ce moment, c'est
souvent plus difficile.
C'est pour cela que, autant il est important de pouvoir trouver des
mécanismes pour impliquer des communautés locales, leur donner
des responsabilités, les faire participer aux décisions, autant
il ne faut pas être utopique et il faut en même temps essayer de
prévoir des mécanismes mobilisateurs qui soient plus que de
simples campagnes de diffusion de l'information.
Alors, les comparaisons entre les données recueillies permettent
également de faire ressortir un certain nombre de facteurs de contrainte
qui jouent partout ou d'autres qui sont plus spécifiques au niveau des
facteurs de contrainte à portée générale. On note,
bien sûr, des contraintes budgétaires particulièrement
évidentes à l'époque actuelle. Ce qui apparaît
partout, c'est que la désinstitutionnalisation ne coûte pas moins
cher que le traitement des patients en hôpital psychiatrique, au moins,
à court ou moyen terme.
Un second type de contrainte est lié au système
lui-même et notamment au rôle croissant d'une logique gestionnaire
qui peut aller contre le développement d'initiatives créatrices
dans différents domaines. On peut aussi rappeler ici les contraintes
liées aux attitudes communautaires dont je viens de parler et, enfin, il
faut rappeler les contraintes liées à la maladie mentale
elle-même et à sa résistance à des modèles de
pratique qui espéraient faire disparaître la chronicisation.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci beaucoup.
M. Harnois: Mme la Présidente, est-ce que vous me
permettrez de corriger une erreur que j'ai faite un peu plus tôt. J'ai
oublié de présenter le secrétaire du Comité de la
santé mentale, qui est dans la salle, M. Pierre Vendette, qui est
à ma droite. M. Vendette est au Comité de la santé mentale
depuis déjà plusieurs années et il ne fait pas de doute
à nous tous qui sommes des gens qui viennent et qui passent au
comité que M. Vendette est la cheville ouvrière du Comité
de la santé mentale. Il occupe ce rôle de façon humble,
mais je m'en serais voulu de ne pas souligner sa présence. Il y a aussi
avec nous, dans l'auditoire, le Dr Marc Grenier, qui est psychiatre et qui est
rattaché, pour l'instant, au Comité de la santé mentale
lui aussi. Je voulais faire cette correction. (10 h 45)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Nous leur souhaitons la
bienvenue. D'abord, je veux remercier le Comité de la santé
mentale du Québec d'avoir décidé de venir devant la
commission. Nous croyons que c'est une contribution très impartante. Les
objectifs modestes de la sous-commission, qui se penche sur le problème
de la distribution des services de soutien aux personnes ayant des troubles
mentaux, étaient d'abord de sensibiliser le pouvoir politique - et je le
dis d'une façon absolument non partisane, le pouvoir politique
étant un gouvernement ou un autre - aux problèmes que vivent les
personnes dans la communauté. Je pense que cette occasion que vous avez
de venir vous exprimer en public, même si vous l'avez déjà
fait à maintes occasions, a peut-être une chance d'avoir un plus
grand rayonnement.
Notre deuxième objectif, c'est évidemment de sensibiliser
la population à tout ce problème de la santé mentale. Trop
souvent, on en entend parler d'une façon sporadique à l'occasion
de crises ou de pré-
tendus scandales ou pas ou d'événements plus dramatiques,
mais, tout de suite, comme société - et d'après ce que
vous dites, je pense qu'on ne fait pas exception - on est porté à
déposer la couverte sur un problème qui, finalement, nous fait
peur et pour lequel il est clair que, même si on recherche des solutions,
on ne les a pas encore trouvées, et on n'est pas sûr que la
société soit prête non plus à faire les
investissements qu'exigeraient des solutions appropriées.
Le troisième objectif est peut-être encore plus modeste,
c'est finalement, de colliger les données qui nous sont apportées
ici, d'y ajouter notre réflexion personnelle et peut-être, si le
temps nous le permet, d'élargir à l'extérieur de
l'enceinte de l'Assemblée nationale les initiatives que la commission
pourrait prendre et, finalement, de faire des recommandations qui seraient
déposées à l'Assemblée nationale avec l'espoir que,
peut-être, l'action deviendra un peu plus rapide dans ce domaine de la
santé mentale et plus particulièrement de la réadaptation
des malades mentaux.
J'ai lu avec intérêt votre mémoire, auquel vous avez
fait référence au point de départ. J'ai également -
là, je dois vous dire que c'est en diagonale - revu au moins deux ou
trois de vos avis, parce que je venais de les avoir. Par exemple, on retrouve
une bonne partie du tome I, Synthèse et recommandations, dans le
mémoire écrit que vous nous aviez envoyé au mois de mai.
Je trouve très intéressant que vous ayez pu faire ce survol de
toute la littérature, analyser les effets positifs, ou ceux qui le sont
moins, de toutes les expériences qui ont été menées
dans la majorité des cas, il me semble, aux États-Unis. Enfin,
tous les noms étant anglais, j'ai décidé qu'ils
étaient tous aux États-Unis; il y en a peut-être en
Angleterre aussi, mais je pense que c'est surtout américain, comme
survol de littérature.
Quand j'ai lu cela, cela m'a appelée à beaucoup de
modestie et je me suis dit: Ce ne sera pas facile pour la commission de faire
des recommandations. Je pense que c'est un sentiment que, déjà,
vous-mêmes vous partagez, comme groupe travaillant depuis
déjà quelques années, je pense, à
l'intérieur du Comité de la santé mentale. Vous
réalisez bien que si on peut diagnostiquer d'une certaine façon
les problèmes, grossièrement et, d'une façon
générale, assez facilement, il y a aussi un consensus sur la
nécessité de trouver de nouvelles avenues, de trouver des
solutions nouvelles et de faire de nouveaux types d'expérience. On sait
quand même que toutes ces choses ont leur limite, comme Mme Tessier le
mentionnait tout à l'heure, quand elle a résumé ces
études. Mais il reste que, pour nous, nous n'aurions ni le temps ni le
moyen ni l'expertise pour faire ce travail de défrichage qui
m'apparaît extrêmement important et qui, peut-être, remet
dans un contexte plus réaliste les ambitions ou les désirs que
chacun d'entre nous peut avoir, eu égard à cette
problématique.
Pour revenir à Mme Tessier sur la question des études qui
ont été faites, vous avez parlé des limites de ces
études-là; d'abord, l'exclusion de certaines personnes, des
expériences évidemment qui variaient d'un endroit à
l'autre et dont - et c'est ce qui m'a peut-être le plus frappée,
je l'avais vu ailleurs aussi - les résultats sont, somme toute, assez
positifs dans le cas des alternatives au traitement traditionnel quand on
recourt aux mesures intermédiaires ou à d'autres types de mesures
dans les années ou les quelques mois qui suivent. Quand les
expériences sont arrêtées, les résultats s'annulent
d'une certaine façon. Je veux vous poser deux questions. La
première s'adresse autant au Dr Harnois qu'à vous: Est-ce qu'il
se fait ici d'une façon systématique - au Québec -
certaines expériences de ce type-là? Je sais qu'il y a eu des
expériences de faites, par exemple des initiatives de prises -on en a
parlé un peu hier soir - ce qui m'apparaît plus être des
mesures concrètes pour sortir la personne de l'institution et la mettre
dans un autre milieu de vie, mais peut-être pas de véritables
expériences intégrées dont il est question dans votre
document ou dans les recherches que vous avez évaluées. Est-ce
qu'il s'en fait? Deuxièmement, quelles sont vos réactions
à l'endroit de ce qui apparaîtrait, après un certain temps,
en dépit des efforts qui y sont mis, comme un certain échec
finalement de la réadaptation de ces personnes?
Mme Tessier: J'aimerais mieux répondre à la
deuxième question avant de répondre à la
première.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord, à votre goût.
Mme Tessier: Je ne suis pas certaine qu'on peut parler
d'échec de la réadaption. Je ne le vois pas exactement dans cette
perspective-là dans le sens qu'il faut considérer le malade
mental comme une personne qui a une vulnérabilité à long
terme. Â ce moment-là, la réadaptation se fait dans un
moment précis et, à court terme par certains apprentissages, etc.
Mais le patient psychiatrique, c'est quelqu'un qui est vulnérable
à long terme. Le point principal que ces études ont
démontré, c'est que c'est l'intervention de crise qui est majeure
et qu'il faut assurer à long terme une intervention de crise. Il faut
que quelqu'un connaisse ce patient, sache qui il est et fournisse une
intervention au moment où il se passe quelque chose. On ne peut pas
parler d'échec. C'est lié à la nature de la
maladie mentale.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans une perspective de
chronicité.
Mme Tessier: Dans une perspective de chronicité. Je parle
plus de la chronicité à ce moment-ci là-dedans.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ah oui. Sur les
études au Québec, se fait-il...
M. Harnois: De mes collègues, des chercheurs qui sont ici
avec moi en connaissent peut-être plus long là-dessus. Il ne
semble pas y avoir d'étude systématique qui comparerait
différents types de ressources alternatives les unes avec les autres
quant à leur degré de satisfaction et de réponse à
des besoins de la clientèle.
L'organisation mondiale de la santé est en train de mettre sur
pied une étude comparative qui va impliquer six pays et là, c'est
plus de l'hôpital Douglas dont je parle puisqu'on agit comme centre de la
collaboration de l'OMS. On nous a invités à participer à
cette étude qui va essayer justement de faire une comparaison entre
différents types de ressources alternatives à l'hospitalisation
dans six pays. Nous allons participer à cette étude qui devrait
s'enclencher vers la fin de l'année. Je ne sais pas s'il existe des
études rigoureuses et systématiques. Mais j'ai des
collègues ici autour de la table dont le Dr Grunberg...
M. Grunberg (Frederic): Si vous permettez, il y a une
étude à laquelle d'ailleurs Mme Tessier a participé il y a
quelques années au Montreal General Hospital, avec le Dr Fenton,
où on a comparé les prises en charge hospitalières pour
des malades psychiatriques aigus et les prises en charge domiciliaires. C'est
une étude qui a une renommée absolument internationale.
Malheureusement, comme partout ailleurs, nul n'est prophète en son pays.
Peut-être que Mme Tessier pourrait la commenter elle-même.
Mme Tessier: Je pense que oui. Cette recherche est d'ailleurs
dans la bibliographie du mémoire. C'est la seule recherche
québécoise qui est dans la bibliographie. Il y a aussi une
étude canadienne qui a été faite à Vancouver et qui
a posé un certain nombre de problèmes méthodologiques. Ce
sont les deux études de ce style au pays. Ce sont des projets qui
n'étaient pas intégrés à un service. Cela a
été fait avec un budget de recherche conçu par des
chercheurs et cela a été fait un peu en marge du système
existant. On a créé de toutes pièces une équipe de
service à domicile et on a comparé avec les services hospitaliers
existants, en assignant au hasard les clients, soit au groupe à
domicile, soit au groupe hospitalier, selon les autres types de recherche dont
j'ai parlé tout à l'heure et avec les mêmes
résultats. C'étaient des moyens très modestes mais qui ont
quand même permis d'éviter l'hospitalisation dans ce qu'on a
estimé à 55 % des cas à peu près, 55 % d'un
hôpital général. C'était une équipe
composée d'un psychiatre, d'un travailleur social, d'une
infirmière et qui avait comme caractéristique d'aller faire des
visites à domicile, de répondre aux crises, d'avoir un service
d'urgence 24 heures sur 24, qui n'était d'ailleurs pas utilisé.
Les gens l'utilisaient la première semaine pour voir si le
système fonctionnait, mais ne l'utilisaient pas par la suite. C'est un
système qui, en fin de compte, ne conduit pas à plus de visites
à domicile que des gens qui vont en clinique externe à
l'hôpital. Il n'y a pas eu, non plus, plus de médicaments
donnés parce que les médicaments étaient suivis de
très près. Il n'a pas fallu augmenter la dose de
médicaments pour maintenir les patients à domicile. C'est un
projet qui a été fait en 1972. On n'avait pas, à ce
moment-là, de ressources alternatives d'hébergement et de choses
semblables. Mais, même sans ces moyens, on considère qu'on pouvait
maintenir à domicile 55 % de l'ensemble des patients hospitalisés
dans un département d'hôpital général dans la
communauté au lieu de les hospitaliser. On a fait des
présentations un peu partout, ici et à l'étranger, et on a
rencontré beaucoup de résistance pour généraliser
cette expérience. Les gens nous disaient presque: Vous ne l'avez pas
fait, parce que cela demande trop de moyens, cela demande trop de changements
de mentalité. Les gens ne voulaient pas généraliser cette
expérience. Il y a beaucoup de résistance à cela.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Dans le domaine de
la recherche au Québec, évidemment, il y a de la recherche qui se
fait au plan clinique, au plan du traitement psychiatrique médical, mais
dans les domaines qui intégreraient ou changeraient l'approche de
réinsertion sociale des malades mentaux, où mettriez-vous vos
priorités? D'abord, y a-t-il des sommes qui sont dégagées
pour cela'' Cela reste quand même marginal, sans vouloir minimiser, cela
semble une exception, ce type de recherche faite au Québec. Est-ce
que...
M. Harnois: Mme la Présidente, je n'ai peut-être pas
la réponse complète à cette question. Les subventions de
recherche au Québec pour ce genre de choses se font surtout à
partir du Conseil québécois de la recherche sociale qui,
justement, subventionne un certain nombre de projets qui traitent de
réinsertion sociale. Au niveau des organismes de recherche, des centres
de
recherche en santé mentale, il y en a relativement peu. Il y en a
un à l'hôpital Louis-H. -Lafontaine et il y en a un au centre
hospitalier Douglas. Je vais demander, si vous le permettez, au Dr Ellen Corin,
à ma gauche, qui est directeur de la recherche psychosociale chez
nous... On s'éloigne un peu du Comité de la santé mentale
du Québec, mais je pense qu'elle est plus capable que moi de
répondre à votre question. (11 heures)
Mme Corin: Je pourrais peut-être juste dire quelques mots
sur le type de recherche que nous essayons de faire depuis deux ans. C'est une
recherche qui essaie, précisément, de répartir des
patients, des personnes elles-mêmes, de répartir des milieux et
d'essayer de saisir ce qui s'y passe en termes de dynamique. Il y a, par
exemple, un important projet de recherche qui porte sur des patients qui ont
été diagnostiqués comme schizophrènes. Nous pensons
qu'il est essentiel de comprendre ce qui se passe entre la personne et son
milieu lorsqu'elle retourne dans la communauté, lorsqu'elle y est, pour
savoir comment pouvoir épauler ce que nous appelons des
stratégies positives de réinsertion et comment pouvoir essayer de
contrer certains obstacles à cette réinsertion. C'est une
très grosse recherche qui est subventionnée effectivement par le
Conseil québécois de la recherche sociale.
Nous avons d'autres recherches aussi qui voient comment on peut tenir
compte des attitudes des communautés dont nous parlions tout à
l'heure dans une planification de services psychiatriques,
particulièrement dans les régions périphériques qui
sont caractérisées par une pénurie de ressources
spécialisées.
Enfin, nous essayons de mettre en place une dimension
d'évaluation qui essaie justement de voir comment on peut mettre au
point des plans d'évaluation qui tiennent compte de la perspective des
patients, de l'impact des interventions sur la qualité de vie, etc.
Donc, il y a une série de pistes qui commencent à se
mettre en place, qui sont financées par les organismes
fédéraux et provinciaux, qui devraient donner des pistes
concrètes pour l'action.
Du côté du centre de Louis-Il. Lafontaine, je pense que les
gens se centrent plutôt sur des recherches qui évaluent certaines
formes particulières d'interventions, comme des thérapies
comportementales ou des choses comme ça et qui prévoient
également un moyen à plus long terme de développer des
recherches portant sur la réinsertion. Donc, le courant est en train de
se mettre en place, mais en est relativement à son début.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci beaucoup. Oui?
Mme Tessier: Je voudrais juste faire un autre commentaire sur un
autre niveau de recherche. Je pense que cette semaine on cherchait au niveau du
comité sur les expériences étrangères à
comparer le niveau de désinstitutionnalisation dans chacun des pays. Par
exemple, au niveau des statistiques ici, on ne les a pas. Quant aux
données de base à l'évaluation, cela n'existe pas et je
pense qu'il y a des questions à se poser là-dessus.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Vous apportez la
question des statistiques. Il y a une chose qui me frappe. À moins
que... Non, j'ai posé la question, je pense, hier soir, au Dr Harnois et
lui-même a fait une approximation d'à peu près... Je ne
sais pas si c'est vous ou le Dr Aird, mais un des deux qui, pour l'ensemble du
Québec en ce qui touche la santé mentale... J'ai l'impression, je
ne sais pas si vous en connaissez la cause, qu'on est devant un manque de
statistiques... On peut connaître le nombre de jours d'hospitalisation,
le nombre de patients qui ont été hospitalisés, etc., pour
des traitements en maladie mentale, mais on est vraiment assez dans l'inconnu
quant à des statistiques un peu plus précises. Par exemple, les
statistiques que vous avez sont sur les gens qui viennent è
l'hôpital ou qui viennent demander des services. Je pense que c'est Mme
Tessier qui faisait allusion tout à l'heure au fait qu'on n'a pas les
statistiques de ceux qui ne se présentent pas aux services. On sait
souvent que la question de la motivation est un problème important chez
les malades mentaux pour avoir les soins dont ils ont besoin. Ce qui ne nous
donne pas non plus de statistiques un peu précises, sauf sur une
estimation assez grossière, sur ce qu'on appelle les itinérants
qui seraient des gens qui ont des difficultés - appelons-les ainsi pour
le moment - d'adaptation affective et sociale sérieuses.
Je ne sais pas si c'est ma perception qui est mauvaise là-dessus
ou si on est vraiment devant une réalité à laquelle on
devra aussi un peu s'attaquer pogr faire une planification qui soit un peu
organisée, sans tomber dans de la rigidité, mais quand même
savoir ce que cela implique comme coût, qui on veut servir, qui on veut
réinsérer et même quelle est notre définition de la
réinsertion sociale.
Parmi tous les groupes qu'on a entendus jusqu'ici et, encore une fois,
c'est avec mes préjugés et je le fais pour l'échange de
propos, on a l'impression qu'il y a une volonté de dire: II faut
désinstitutionnaliser, il faut les mettre dans la communauté mais
on a l'impression qu'on ne sait pas jusqu'où ce cheminement de
réinsertion sociale va
véritablement. Est-ce qu'une fois sorti de l'institution on dit:
C'est déjà une forme, un pas vers la réinsertion sociale?
J'ai l'impression qu'il y a beaucoup d'autres étapes sur lesquelles on
ne s'est pas penché et qui m'apparaissent aussi des conditions
indispensables pour une véritable réinsertion sociale.
M. Harnais: Un commentaire rapide, Mme la Présidente, au
sujet des statistiques. On n'a effectivement pas au Québec de
données à l'échelon de la province qui seraient tout
à fait valables. Cependant, l'enquête santé-Québec
qui s'amorce nous révèle, dans les deux zones pilotes où
elle a été faite, à savoir Rimouski et Verdun, que si elle
est faite à l'échelon de la province de Québec, on va
avoir des données très valables sur ce qu'on pourrait appeler de
façon un peu grandiose l'état de santé et de santé
mentale de notre population.
Justement, il est possible que l'enquête se fasse. Je pense que
c'est prévu qu'elle doit se faire. La commission ferait un très
bon geste en appuyant cette enquête. On va aller voir
systématiquement à partir des zones de départements de
santé communautaire à l'échelon de la province ce qui se
passe là-dedans à partir d'échantillonnage. On va
s'assurer précisément que les chambreurs, par exemple, les
itinérants... On va essayer d'aller voir systématiquement ces
genres de population pour ne pas les exclure.
On pourrait présumer que si l'enquête est faite et qu'elle
est bien faite, elle devrait permettre aux législateurs et aux
planificateurs d'obtenir des données très valables,
peut-être assez uniques même au Canada, sur - comme on le dit
encore -l'état de santé et l'état de santé mentale
de notre population puisque, comme on le faisait remarquer hier,
l'enquête santé-Québec au niveau santé mentale est
axée sur la fonctionnalité, sur le fait de savoir de quelle
façon ce qu'on pourrait appeler maladie mentale empêche les gens
d'accomplir les rôles qu'ils se sont donnés dans la vie.
Donc, je pense que ce serait très utile. Cela déborde
simplement le caractère de morbidité, à savoir si les gens
souffrent ou ne souffrent pas de dépression. On va plutôt aborder
la chose de façon fonctionnelle qui pourrait, à assez court
terme, être plus facile et nous permettre de déboucher sur des
programmes de planification intéressants.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme
Tessier et le Dr Corin.
Mme Tessier: Je voudrais seulement faire un commentaire au sujet
des itinérants. Je pense que c'est effectivement un
phénomène qui prend de l'ampleur et sur lequel il faudrait avoir
des données, pas simplement en termes de volume mais aussi en termes
culturels parce que cela présente de nouveaux problèmes. Ce sont
des types de personnes qu'on ne connaît pas. C'est une autre culture.
C'est un autre type de patients psychiatriques. Je pense que, en termes de
recherche et en termes de connaissance de cette clientèle, cela pose des
problèmes, par exemple, la maladie mentale associée à
l'alcoolisme et à la drogue qui n'est pas la maladie mentale pure.
Alors, qu'est-ce qu'on fait avec cela? Ce sont des nouvelles choses et on
fonctionne encore avec nos anciens schèmes, la psychose, etc., alors
qu'il faut aller s'intéresser à découvrir quelle est cette
culture et qu'est-ce qui se passe pour préparer l'avenir.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord. Docteur...
Mme Corin: Oui. Je voulais simplement faire un commentaire en ce
qui concerne la réinsertion. Je pense qu'effectivement un des obstacles
auxquels se heurtent les programmes de réadaptation, c'est qu'on se bat
souvent sur une conception trop normative de la réinsertion, de ce
qu'est une bonne insertion dans la société. C'est pour cela que
je pense qu'il est extrêmement important d'essayer de voir comment des
patients psychiatriques se renégocient une place dans la
société et quels sont les points forts qui leur servent de
soutien à une réinsertion qui tient compte des difficultés
qu'ils vivent dans leurs rapports avec les autres.
 ce moment, on se rend compte que les modèles de
réinsertion à privilégier ne doivent peut-être pas
toujours faire autant de place à des rôles sociaux centraux dans
notre société comme le travail ou des choses comme cela. Je pense
qu'il y a toute une souplesse à acquérir qui est
extrêmement importante mais qui n'est pas donnée, parce qu'il faut
d'abord essayer de comprendre comment des patients vivent leurs rapports avec
ceux qui les entourent.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord. Une dernière question avant de passer la parole
à mon collègue de Bourassa. Il y a actuellement au Québec,
c'est-à-dire de la part du ministère des Affaires sociales et
même si vous êtes associés très étroitement au
ministère des Affaires sociales, une orientation vers la
désinstitu-tionnalisation. D'ailleurs, cela devient de plus en plus le
débat du jour. Je pense que, compte tenu justement de cette commission
que nous tenons, cela va peut-être encore plus le mettre dans
l'actualité.
Maintenant, sur l'orientation qu'on semble vouloir prendre au
Québec dans nos politiques de tentative de
désinstitutionnali-sation à l'heure actuelle. Je sais qu'à
l'Assemblée nationale on ne pose pas aux
députés ou aux ministres des questions sur lesquelles ils
doivent exprimer un jugement de valeur. Peut-être qu'à vous on
pourrait demander: Est-ce que, au point où nous en sommes, il y a un
jugement que vous pourriez porter, soit que ce dont on a besoin pour soutenir
cette désinstitutionnalisation est suffisant, insuffisant, qu'on y va
trop rapidement? Enfin, tout autre critère que vous voudriez apporter.
Ce qui m'amène un peu à cette question, c'est que Mme Tessier,
tout à l'heure, a dit: Dans les études que j'ai examinées
ou que vous avez examinées comme comité on ne répond pas
à toutes les questions reliées au phénomène de la
désinstitutionnalisation.
M. Harnois: Ce n'est pas facile. J'ai répondu un peu
indirectement à cette question, hier soir. Je pense que je vais passer
la parole à mes collègues afin de les laisser s'exprimer.
Premièrement, le professeur Grunberg.
M. Grunberg: II y a un point que j'aimerais souligner pour les
membres de la commission. C'est que la désinstitutionnalisation ne
pourra pas se faire au Québec sans ajouter des ressources
additionnelles. À l'heure actuelle, il y a un mythe qui existe - il
existe peut-être même en ce qui concerne le ministère -
celui qu'il y a beaucoup de gras dans les institutions qui coûtent
extrêmement cher et qu'on pourrait prendre des fonds des institutions et
les mettre dans des services institutionnels. Pour vraiment réussir une
désinstitutionnalisation qui n'aboutira pas à ce qui se passe aux
Etats-Unis, surtout à New York avec ses sans-abri, ses "homeless", il
faudra ajouter des ressources additionnelles. C'est l'un des points que je veux
vous faire remarquer. De même, l'humanisation des services
institutionnels ne pourra pas se faire sans ressources additionnelles.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Quelqu'un d'autre veut-il ajouter à cela?
M. Harnois: Mme Gourgue.
Mme Gourgue (Christine): Oui, en ce qui concerne la
désinstitutionnalisation au Québec, effectivement, il reste de
grands pas à faire, mais je considère personnellement que ce
qu'il reste à faire, c'est peut-être de mettre en application et
de concrétiser différentes théories ou philosophies qui
existent actuellement dans le réseau des affaires sociales. Je pense que
ce qui est important, c'est que, avec les ressources alternatives qui existent
actuellement et qui, malgré vents et marées, ont essayé de
démontrer leur nécessité d'être, leur raison
d'être, cette lutte ou ces revendications des ressources alternatives ont
aussi amené l'émergence de tout ce questionnement qu'on fait
actuellement en ce qui concerne les traitements traditionnels et les centres
hospitaliers de soins prolongés.
Concernant la recherche, une forme de recherche que j'ai hâte de
voir appliquer au Québec, c'est ce que je peux appeler une recherche
active, soit qu'il soit adjoint un chercheur aux ressources alternatives qui
existent actuellement et qui ont des idées novatrices, avec leur
consentement à ce moment-là, au fur et à mesure de
l'expérience, afin qu'une évaluation se fasse, mais que cette
recherche ne soit pas strictement théorique, mais qu'elle devienne
à ce moment-là beaucoup plus réaliste par rapport aux
expériences qui existent actuellement au Québec.
L'autre point de vue, lorsqu'on parle de personnes itinérantes,
je considère que, à la suite de cette forme de "chronicisation"
et de dépendance que les institutions ont créée, un
individu qui est en réinsertion, mais à qui on n'a pas
expliqué ses droits, doit connaître les ressources et les services
existant dans la communauté. 11 ne faut pas oublier que le
système actuel prend en charge quasi globalement l'individu. À ce
moment-là, il lui enlève,. si vous voulez, le droit de faire un
choix. On a parlé d'information auprès de la population, mais je
crois aussi qu'il ne faut pas oublier d'informer aussi l'individu
concerné des différents services qui lui sont offerts et qui sont
autres que les services traditionnels fournis par les hôpitaux
psychiatriques.
En gros, je pense que c'est ce que je voulais mentionner.
M. Harnois: Mme la Présidente, l'ayant entendue plusieurs
fois exprimer un point de vue très particulier, j'aimerais demander
à Mme Fitzgerald, qui représente un peu la perspective de la
famille et des parents, de nous dire quelques mots là-dessus. Je pense
que Mme Fitzgerald est intervenue moult fois au Comité de la
santé mentale. Elle aurait certainement quelque chose à dire en
ce qui concerne l'appui à apporter aux gens dans la communauté.
(11 h 15)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. Harnois, je voudrais,
avant de passer la parole à Mme Fitzgerald, dire quelques mots. Si je ne
m'abuse, je pense que Mme Fitzgerald est la personne qui a consenti à
faire profiter de son expérience la population dans le vidéo que
nous avons eu l'occasion de visionner hier matin. Je pense que les autres
membres et peut-être Mme Fitzgerald n'étaient pas ici non plus
hier matin. Je voudrais la remercier, parce que je pense que c'est une
contribution importante. Cela a été une contribution importante
pour nous et je pense que son interprétation pourrait être
une contribution importante aussi pour la communauté et la
population. Je vous cède la parole, Mme Fitzgerald.
Mme Fitzgerald (Michelle): Merci beaucoup. Je reviens toujours au
concret. Je trouve qu'ici au Québec on tend à oublier beaucoup
les familles dans tout cela. Derrière chaque patient psychiatrique au
Québec, il y a une famille et il y a une famille qui souffre beaucoup
parce qu'elle n'a pas sa place dans le système psychiatrique. Elle se
sent très exclue, elle est impuissante, elle ne peut pas avoir
d'information quant à la nature de la maladie, des comportements
à adopter et puis, à cause de tout cela, elle ne joue pas le
rôle qu'elle devrait jouer. Pourtant, Dieu sait s'il y a des familles de
bonne volonté qui voudraient aider à la réinsertion
sociale.
Moi, je connais plus la clientèle des jeunes patients, la
nouvelle génération des jeunes patients, les jeunes adultes,
comme on les appelle, et qui sont une clientèle bien spéciale. Ce
sont des jeunes qui n'ont pas été institutionnalisés, qui
ne sont pas comme les patients étaient il y a vingt ou vingt-cinq ans,
qui ne sont pas du tout soumis, qui sont réfractaires à la
psychiatrie, et qui, à part cela, posent, je crois, un dilemme aux
psychiatres et aux intervenants parce qu'ils ne peuvent pas poser de diagnostic
juste dans le cas de ces jeunes parce que souvent ils ne suivent pas le
traitement, ils font abus de drogue ou d'alcool, ce qui n'aide pas, car ils
alimentent des symptômes et ils ont de gros problèmes
émotionnels.
Ce que je vois dans ces jeunes-là, ce sont des jeunes qui ont une
vision angoissée de la société et qui ne veulent pas du
tout entrer dans cette société. Ils ne veulent pas en faire
partie, alors, ils se cachent derrière toutes sortes de raisons. Je
trouve que c'est bien dommage parce que la famille pourrait tellement aider si
elle savait quel comportement adopter, comment faire. C'est ce que je remarque
le plus et je trouve qu'on devrait être un peu plus souple, pas du
côté du diagnostic, pas du côté de ce qui se passe en
thérapie entre le patient et l'intervenant, ça, il ne le faudrait
pas du tout, cela appartient à chacun, mais, il pourrait y avoir
quelqu'un dans les équipes qui pourrait faire le lien avec la famille
pour lui dire dans quel sens on voit le traitement du jeune, le plan de
traitement, associer les gens au traitement pour que la famille ne
défasse pas tout à la maison, par bonne volonté, ne
sachant pas ce qui arrive. Je trouve que c'est un grand manque
actuellement.
Je connais beaucoup de ces familles-là, car j'appartiens à
un groupe d'entraide de parents et je trouve que ce sont des gens
extraordinaires, très courageux, qui souffrent en silence - c'est un
courage très, très effacé - qui voudraient donc aider et
qui se sentent frustrés de n'avoir pas accès à
l'équipe qui soigne leur jeune. Ils se sentent extrêmement
démunis. Je crois que les groupes d'entraide de parents, cela peut aider
beaucoup parce qu'à ce moment-là on va chercher de l'information
et surtout le soutien dont on a bien besoin.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci beaucoup, Mme Fitzgerald. Mme Tessier et Mme Bourque ou
Gourgue?
Mme Gourgue: Mme Gourgue. Nous allons renforcer ce que Mme
Fitzgerald vient de dire parce que tous les résultats de la recherche
vont aussi dans ce sens-là. Il y a plusieurs années, les
professionnels avaient l'habitude de voir la famille comme cause de la maladie.
Dans les années récentes, il y a des approches qui ont
été développées, entre autres par Carol Anderson,
aux États-Unis, où on a une approche psychoéducative
à la famille et où on lui donne de l'information, des moyens de
résoudre des problèmes concrets et justement l'entraide. Cela a
été démontré comme une des conditions essentielles
de succès.
Je pense qu'il y a une expérience qui a été
intéressante en Angleterre où une équipe psychiatrique a
développé tous les services pour les patients, toute la gamme de
soins auxquels on peut penser et a fait une recherche évaluative en
pensant qu'elle avait très bien réussi parce qu'elle avait
investi beaucoup. Elle s'est aperçue qu'elle avait de très
mauvais résultats après tout ce bel effort. Le facteur
d'échec c'était qu'elle avait oublié d'intervenir
auprès de la famille. Effectivement, si on fait tout le reste et qu'on
ne fait pas cela, c'est un facteur d'échec important.
Pour répondre à votre question de tantôt sur ce
qu'on devrait faire au Québec en général, je pense que la
première chose, c'est un consensus des orientations. La
désinstitutionnalisation, c'est un phénomène complexe qui
a beaucoup de variables. Chacun part avec une petite partie et on ne la fait
pas en même temps, c'est-à-dire que les politiciens en parlent,
les technocrates en parlent entre eux, les professionnels en parlent entre eux,
les professionnels de la santé, ceux du social, les groupes
communautaires en parlent entre eux. Le jour où on réussira
à s'entendre, à tous ces paliers sur des orientations...
J'espère que les travaux de votre commission, de même que ceux du
Comité de la santé mentale, vont aider à faire un pas dans
ce sens-là.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député de Bourassa. J'y reviendrai s'il reste du temps.
M. Laplante: C'est pas mal vrai, ce que
madame dit. Vous avez fourni du travail, juste en documentation juste en
lecture, peut-être pour un mois et on l'apprécie
énormément. Vous parlez aussi, dans votre document de
consultation, du développement des services d'urgence psychiatrique.
Pouvez-vous dire à peu près quelle sorte de développement
vous voulez faire dans le domaine de l'urgence?
M. Harnois: Je ne sais pas qui, Dr Grunberg ou M. Paquet...
Voulez-vous nous dire...
M. Paquet (Roger): Disons que je voudrais préciser, en ce
qui a trait à la consultation publique, qu'il ne s'agit pas d'une
consultation scientifique, mais bien du recueil de l'ensemble des opinions
qu'on a reçues dans toute la province et qui étaient, elles
aussi, très volumineuses. On s'est particulièrement
attaché, nous, à examiner la question des situations de crise qui
sont très étroitement liées à la question de
l'urgence.
Ce qu'on constate actuellement, c'est qu'il y a une foule de personnes
qui sont dirigées vers les urgences psychiatriques, parce qu'il n'existe
pas d'autres formes de services ou d'autres lieux de services pour les aider.
Ces personnes éprouvent souvent des difficultés qui ne sont pas
nécessairement à caractère strictement psychiatrique. Il y
a une foule de situations de crise que les personnes vivent quotidiennement en
termes de conflit avec leur environnement, en termes d'angoisse, en termes de
mal de vivre. Ces personnes, si elles veulent recevoir de l'aide, doivent aller
à l'urgence psychiatrique spécialement en dehors des heures
habituelles de travail.
Cela crée à l'urgence psychiatrique - je pense que le Dr
Grunberg pourra en témoigner - un ensemble de situations où
l'urgence se trouve aux prises avec toute une série de choses pour
lesquelles elle ne dispose pas de moyens. Elle se trouve face à des
problèmes d'hébergement. Elle se trouve face à des
problèmes de relations. Elle se trouve face à des
problèmes qui devraient trouver réponse ailleurs.
Tout le champ des difficultés psychosociales est très mal
desservi dans les situations de crise, si on fait exception des services
d'urgence qui sont disponibles pour les enfants. Pour le reste de la
population, il y a là un manquement majeur. C'est intéressant de
voir la relation qui existe avec la recheche, parce que c'est une des
constatations que Mme Tessier nous a livrées, avoir des services de
crise efficaces et disponibles en tout temps.
M. Laplante: On nous a dit, hier soir, qu'il y avait 75 % des
malades psychiatriques qui passaient par les hôpitaux
généraux. Est-ce que, dans votre esprit à vous, l'urgence
d'un hôpital psychiatrique s'arrête là ou si cela englobe
aussi les hôpitaux généraux?
M. Paquet (Roger): Effectivement, cela englobe les hôpitaux
généraux et je vous parlerai peut-être plus d'une
région qui n'est pas celle de Québec ou de Montréal.
Là, je pense que c'est encore plus évident, parce que dans la
plupart de ces régions il y a très peu de services d'urgence
strictement psychiatriques. C'est intégré à l'urgence des
hôpitaux généraux, lorsqu'il y en a.
Dans d'autres cas, d'abord, dans les régions un peu plus
éloignées, on se retrouve presque sans service d'urgence. C'est
particulièrement inquiétant et c'est un des volets qui
apparaît des plus problématiques en santé mentale
actuellement.
M. Laplante: Iriez-vous jusqu'à créer un service
d'urgence spécialisé?
M Paquet (Roger): Je pense qu'il y a une chose à laquelle
il faut faire bien attention, c'est de standardiser dans toute la province une
réponse à l'urgence. Je sais qu'il y a actuellement des
régions qui sont en train -pas encore d'expérimenter - à
tout le moins, de réfléchir sérieusement sur
-différentes formules. Dans certains cas, il y aurait peut-être
moyen, à l'intérieur de l'urgence d'un hôpital
général, de jumeler des équipes qui ont une vocation plus
médicale avec des intervenants sociaux.
Dans des milieux à plus forte concentration de population, on
aurait peut-être besoin de centres de crise plus
spécialisés, plus distincts qui s'adressent à ces volets.
Mais dans les deux cas, quelle que soit la formule que l'on retienne, ce qui
apparaît fondamental c'est d'être capable d'avoir la
disponibilité pour intervenir non seulement pour recevoir les gens, mais
au besoin, pour se rendre chez les gens en situation de crise.
Il y a plusieurs ressources qui sont peut-être mal
exploitées à ce niveau. Actuellement, ce sont les policiers, la
plupart du temps, qui doivent intervenir dans ce genre de situation. Et ils ne
se disent pas aptes à le faire, et leur mandat se prête mal
à le faire. Il faut trouver d'autres formules et il faut que chaque
région s'interroge là-dessus. Cela m'apparaît fondamental
de ne pas avoir une réponse standardisée pour le Québec;
il y a trop de différences entre les différents milieux qu'on a
à desservir.
M. Laplante: Dans l'accessibilité des services, on
préconise d'avoir plus de psychiatres encore. Par contre, si, d'un coup
d'oeil rapide, on regarde tous les services qui peuvent être
donnés comme complément, ou de première ligne, si vous
voulez, à partir
des psychologues, des travailleurs sociaux -et on peut aller même
jusqu'à des orienteurs, aussi, qui peuvent être assez
spécialisés pour rencontrer ce genre de malades - qu'est-ce qui
vous dit qu'il y aurait un plus grand besoin de psychiatres? J'aimerais que
vous compariez la population du Québec avec celles dont vous avez
parlé tout à l'heure, soit de la France, de l'Angleterre, de
l'Italie et des États-Unis, au prorata des populations.
M. Paquet (Roger): Je voudrais juste, d'abord, souligner que nous
n'avons pas abordé spécifiquement cette question. Dans le cadre
de la consultation, il y a des répondants qui nous ont indiqué
qu'il y avait un manque de psychiatres; dans d'autres cas, on n'a pas
souligné cette question. Maintenant, il y a peut-être quelqu'un
qui est plus compétent que moi au niveau du Comité de la
santé mentale pour répondre, peut-être, M. le
président.
M. Harnois: Écoutez, vous m'avez posé la même
question hier soir, et il semblerait qu'effectivement, si on se fie, par
exemple, è la région de Montréal et qu'on essaie de
trouver la disponibilité d'un psychiatre, c'est excessivement difficile.
Les gens m'appellent, j'en connais un bon nombre, et ce n'est pas facile de
mettre la main sur un psychiatre. Pour les services de diagnostic faisant appel
à un psychiatre, on est repoussé dans le temps. Mes
collègues qui étaient avec moi hier soir ont fait un peu le
même commentaire.
Est-ce que c'est exclusivement une affaire de psychiatre? J'oserais
croire que, si tout le monde qui a une responsabilité vis-à-vis
du genre de problématique - appelons-la santé mentale - faisait
tout le boulot qu'il est supposé faire, peut-être que les choses
iraient mieux. Je demeure encore convaincu que bon nombre de nos
établissements ont tendance à repousser, à refouler le
malade mental, surtout le malade mental lourd un peu, vers le secteur plus
exclusivement psychiatrique, alors que peut-être ils pourraient
contribuer à alléger de beaucoup le fardeau.
Peut-être que les CLSC, qui doivent être la porte
d'entrée de notre système, les omnipraticiens, s'il y en avait
plus... Il y en a quelques-uns, quelques CLSC, un certain nombre
d'omnipraticiens qui vont plus loin et qui s'occupent de la
problématique santé mentale, mais je pense qu'on ne doit pas
généraliser et dire que tous le font. Peut-être que s'il
s'en faisait un peu plus, on ferait un peu moins appel systématiquement
aux ressources de la psychiatrie et de la santé mentale.
Encore une fois, quand on parle de psychiatrie, du moins dans le
contexte que j'évoquais hier soir, c'est une équipe
multidisciplinaire où il y a tous les genres de professionnels que l'on
connaît. Je ne sais pas si Mme Tessier ou le Dr Corin... Dr Grunberg?
M. Grunberg: II y a un point qu'il faut souligner, c'est que la
psychiatrie est une pratique qui a une spécificité qui lui est
propre, qui en fait ne peut pas être remplacée dans beaucoup de
cas par d'autres professions. C'est le seul membre de l'équipe
multidisciplinaire qui, de par sa formation médicale, puis plus tard par
sa formation psychiatrique, arrive à intégrer les trois grands
axes de la santé mentale, les axes biologique, psychologique et
contextuel. C'est le seul qui peut le faire. Le psychiatre peut faire des
interventions psychosociales et peut prescrire aussi des médicaments.
(11 h 30)
II y a un groupe d'individus, surtout ceux qui souffrent de maladie
mentale grave, qui ont besoin de ces trois interventions. Cela peut se faire en
équipe, mais on a besoin aussi d'une intervention ponctuelle des
psychiatres. Toutes les études qui ont été faites, et une
en particulier qui a été faite par le Dr Amyot et le Dr Aird,
démontrent qu'au Québec il y a pénurie de psychiatres.
Effectivement, il y a des pays qui ont plus de psychiatres qu'au Québec.
La France, par exemple, a beaucoup plus de psychiatres per capita que le
Québec. Nous ne sommes pas pires que les États-Unis, mais qu'il y
ait une pénurie de psychiatres, cela ne fait pas l'ombre d'un doute.
D'ailleurs, le ministre des Affaires sociales a reconnu ce fait et c'est l'une
des spécialités où le contingentement, du moins
théoriquement, a été levé.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, madame.
Mme Corin: Je voudrais ajouter deux commentaires à ce qui
a été dit. Le premier commentaire, c'est que je voudrais quand
même m'élever contre l'idée que les interventions sociales
et psychologiques ne sont pas spécialisées. Je pense que, pour
faire une bonne intervention sociale, il faut beaucoup de formation, mais cela
s'acquiert difficilement. Effectivement, le psychiatre peut en connaître
un peu. Il y a encore une spécialisation aussi du psychologique et du
social dans l'intervention.
L'autre point, pour revenir à votre question, c'est que la notion
de pénurie de psychiatres est toujours quelque chose de relativement
relatif...
Des voix: Ha! Ha!
Mme Corin:... dans ce sens que le nombre de psychiatres qui est
exigé d'une société et vous avez demandé de
comparer un peu avec ce qui se passait ailleurs, cela
dépend toujours du type d'organisation des services. Par
exemple» en Grande-Bretagne, ou la porte d'entrée dans le
système est constituée par les médecins
généralistes -Mme Tellier pourrait en parler mieux que moi -
où les médecins généralistes ont une très
grande place dans toute la réception, le traitement des patients, avant
et après, le nombre de psychiatres spécialistes
nécessaires est inférieur à un système comme celui
de la France où l'essentiel des services psychiatriques repose
effectivement sur le psychiatre. Quand on s'interroge sur le fait qu'il y a
pénurie ou pas de psychiatres, il est toujours très difficile de
comparer directement des chiffres d'un pays à l'autre, il faut
s'interroger sur le mode d'organisation qu'on a au Québec et il faut se
demander si le nombre de psychiatres disponibles ici permet ou pas de
répondre aux besoins dans le domaine.
Le second point, je voudrais aussi mentionner qu'au niveau de
l'expérience de la France, j'ai remarqué énormément
d'énergie et de temps mis par les équipes de secteurs et par les
psychiatres pour justement créer des ponts et des liens avec toute une
série, notamment les médecins généralistes, avec
d'autres départements dans les hôpitaux que des
départements psychiatriques, et il y a tout ce qu'on appelle une
pratique de psychiatrie de liaison qui est en place et qui me semble
extrêmement intéressante. Il y a toute une réflexion
à faire et une pratique à faire autour de la notion de
consultation, où il y a des intervenants qui agissent chacun à
son niveau dans des structures différentes et qui, parfois, peuvent
faire appel à un psychiatre pour des cas bien particuliers et dans des
moments particuliers sans que le psychiatre doive nécessairement tout
prendre en charge.
M. Laplante: J'ai une dernière question, pour laisser un
peu de temps aux autres. J'aimerais avoir votre opinion sur la création
des centres de travail adapté. Vous savez qu'il y a actuellement au
Québec une tendance à vouloir intégrer tout de suite la
personne handicapée, soit ex-psychiatrisée ou handicapée
physique, dans les industries, sur le marché du travail. Vu que des
suggestions ont été faites à ce sujet, j'aimerais avoir
votre opinion là-dessus, sur la création et la continuité
de nouveaux centres de travail adapté.
M. Harnois: Je peux commencer à répondre. Au
Québec, il y a quelques expériences qui fonctionnent bien, mais,
en général, la "facilitation" que l'on offre aux malades de
retourner sur le marché du travail laisse beaucoup à
désirer et je pense qu'on a beaucoup à faire. Des pays sont
carrément en avance sur nous: l'Angleterre, l'Italie, la Pologne font
des choses qui facilitent le retour de gens qui sont plus ou moins lourdement
handicapés sur le milieu du travail. Au Québec, l'Office des
personnes handicapées, qui était ici hier, fait un certain nombre
de choses. Ses efforts ont surtout porté sur les handicapés
physiques plutôt que sur les malades mentaux jusqu'à maintenant.
C'est un domaine qu'il faudrait repenser, je crois.
Je partage cependant l'opinion exprimée par la Dr Corin plus
tôt qu'il faut faire attention dans nos concepts trop normalisants
à ce qu'on attend de quelqu'un qui aurait souffert d'une maladie mentale
pendant cinq à dix ans. Il se peut que cette personne-là ne soit
pas apte à retourner au travail, mais il faut lui en donner la chance.
Il y a passablement de gens qui peuvent retourner de façon plus ou moins
partielle ou plus ou moins à temps plein sur le marché du
travail, on pourrait aller beaucoup plus loin. Bon nombre de ces individus,
à mon sens, ont besoin d'un milieu le moins protégé
possible, mais, à l'occasion, quand même encore
protégé. Et de s'imaginer que les gens vont avoir un
épisode assez long d'une maladie psychotique et vont être
facilement capables de réintégrer la compagnie Bell Canada ou
d'aller travailler chez Eaton, quelquefois, on se leurre. Il faut qu'il y ait
des étapes qui nous permettent de fournir à ces gens un retour
graduel à une capacité de travailler, tout en reconnaissant que
bon nombre d'entre eux n'iront jamais jusqu'au bout, ne retourneront pas sur le
marché du travail. C'est une opinion personnelle que je donne
plutôt que celle du Comité de la santé mentale du
Québec.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme Gourgue.
Mme Gourgue: J'aimerais ajouter un élément à
propos des Centres de travail adapté et des personnes
psychiatrisées. On constate un non-respect de leur rythme pour se
réinsérer è tous les niveaux de la société.
Au niveau du travail, pour reprendre le terme de normalisation, beaucoup de
gens croient que pour qu'une personne se réinsère socialement
elle se doit d'avoir un travail, justement pour avoir une reconnaissance
sociale. D'autant plus que, dans ces centres, majoritairement, il y a des
questions de production et de financement qui entrent en jeu. Au départ,
il s'agit de donner ou de redonner un travail, une motivation et une
valorisation à la personne. Par contre, lorsque arrive le temps des
statistiques à la fin de l'année et la comparaison de
productivité, arrivent les difficultés. Bien souvent, des
personnes, si on leur avait laissé le temps de se réadapter
à un travail, à un horaire normal de travail, auraient eu la
possibilité de poursuivre leur travail mais, è cause de la
productivité, on les retire pour
les remplacer par d'autres personnes.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député de Marie-Victorin.
M. Pratt: Pour commencer, je voudrais poser une question à
Mme Corin. Vous avez parlé des fonctions de l'hôpital qui
devraient être reprises dans la communauté. J'aimerais vous
entendre donner des précisions à ce sujet.
Mme Corin: Les fonctions de l'hôpital ont été
décrites de façons bien diversifiées par bien des auteurs.
Je pense, par exemple, aux fonctions d'abri, de soutien qui sont certainement
des fonctions qui peuvent être assumées facilement, et sans doute
mieux que par l'hôpital, par des ressources alternatives. Il y a quand
même toujours également des fonctions au niveau de la garde, du
contrôle du traitement où, là, le transfert de fonctions
est plus compliqué. Souvent, on ne peut pas tout simplement
décider qu'une fonction n'est pas intéressante pour qu'elle cesse
d'exister. Par exemple, au Massachusetts, je pense, on a mis en place une gamme
extrêmement diversifiée de services de réinsertion qui
permettent vraiment de réintroduire énormément de gens
avec beaucoup de personnel et toute une flexibilité des ressources. Ils
se sont rendu compte là-bas qu'il y a une sorte de petit noyau qui
demeure et qui demeure non réintégrable, parce que ce sont des
personnes qui, soit sont beaucoup trop violentes, soit ont une série de
problèmes qui font que la réinsertion dans un milieu ordinaire
est quelque chose de difficile.
Ce genre de fonctions qu'assume, pour le moment, l'hôpital
psychiatrique, on peut décider que l'hôpital psychiatrique n'est
pas le meilleur lieu pour les assumer, mais il faut alors se demander qui peut
les assumer à sa place. Et on se rend compte, à ce
moment-là, que le développement de ressources alternatives ne
permet pas toujours ou pas suffisamment de prendre en charge ces patients les
plus difficiles. Cela, c'étaient les fonctions les plus instrumentales,
les plus manifestes. Â côté, il y a la fonction primordiale
de l'asile qui permet de mettre à l'écart ce qui dérange
et fait peur. Là, on en revient à la question des attitudes
communautaires.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, M. le
député de Marie-Victorin.
M. Pratt: J'aurais une autre question. J'écoutais tout
à l'heure Mme Corin et M. Paquet mentionner que, dans ce travail de
réinsertion en milieu naturel, il y a quand même une
barrière de la part du voisinage. Vous avez dit qu'il y a bien des gens
qui disaient: On est en faveur de la réinsertion dans le milieu, mais
pas dans notre rue, pas dans notre quartier. Est-ce exact? J'ai entendu cela.
C'est une réaction que je déplore et que je trouve malheureuse.
On souhaiterait quand même que les sociétés, que les
communautés soient plus accueillantes. Avez-vous des exemples de cas
où cela s'est bien passé et qu'on pourrait donner en
modèle à d'autres coins pour qu'on perce vraiment ce
mur-là?
M. Paquet (Roger): Je pense que si on veut des exemples concrets
il y en a quand même plusieurs. Ce qui m'apparaît le plus important
de souligner c'est de quelle façon on peut s'y prendre pour y parvenir.
Il y a des choses qui ont été faites qui sont
intéressantes. Je vais citer un exemple qui s'est passé en
Ontario, où on a mis sur pied un programme fort intéressant de
sensibilisation de la communauté à toute la problématique
de santé mentale. On l'a fait avec les gens du milieu et avec les
associations de chacune des communautés. On a bâti des groupes de
conférenciers, spécialement des gens influents dans leur
communauté, pour aller s'adresser à la population sur la question
de la santé mentale et se faire le porte-parole de toute l'information
requise. C'est un exemple concret.
J'ai personnellement participé à la mise en place de
différentes ressources à l'intérieur de la
communauté, par exemple, une ressource alternative dans la région
de Hull qui s'appelle la Maison Réalité. Je pense qu'à
partir du moment où on est honnête avec les gens, où on
leur explique clairement ce qu'on souhaite faire, avec qui on veut le faire et
quelle forme de garantie on est capable de fournir, il y a une foule de
mentalités qui, tranquillement, se modifient.
Le drame c'est qu'on se croit tous immunisés contre la maladie
mentale. À partir du moment où quelque chose ne peut pas nous
atteindre et à partir du moment où ceux qui en sont atteints sont
dangereux, il est évident qu'on est, au départ, réticents;
mais il y a des choses à faire pour changer cela, il y a une foule de
moyens concrets qui sont disponibles et qu'on utilise malheureusement trop
peu.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le
Dr Grunberg voulait ajouter quelque chose.
M. Grunberg: II y a un point que je voudrais faire remarquer. Un
des obstacles majeurs à la réinsertion sociale ou à la
réinsertion communautaire pour certains individus c'est la maladie
mentale elle-même. Il y a certains malades mentaux qui ont beaucoup de
difficultés à se réinsérer. D'ailleurs, la
majorité à l'heure actuelle se trouve au sein des familles. Mme
Fitzgerald
vous a peut-être fait part combien c'est difficile et combien de
souffrances cela cause. Il ne faut pas perdre de vue que tout n'est pas une
question de bonne volonté; c'est aussi un manque de connaissances pour
arriver à bout de certaines pathologies qui rendent certains individus
absolument pas insérables dans un milieu normal. Ce sont des individus
qui ne peuvent pas tolérer les vicissitudes de la vie quotidienne et,
pour reprendre aussi ce que Mme Corin disait plus tût, ont besoin de
certains espaces asilaires, soit transitoires, soit même
définitifs dans l'état actuel de l'art dans le traitement des
maladies mentales.
M. Pratt: Je maintiens ce souhait qu'on puisse colliger toutes
les expériences heureuses qui ont été vécues soit
dans notre milieu, soit ailleurs, afin qu'on puisse, à partir de cela,
faire des percées dans notre milieu pour que chacune des villes, que ce
soit par le truchement d'un CLSC, des municipalités, des groupes
sociaux, puisse avancer dans ce domaine-là. Sans cela, comme vous le
dites, il y a bien des choses qui ont été dites et écrites
mais cela va pénétrer plus lentement.
Comme vous avez souhaité qu'il y ait justement une participation
des communautés du milieu, il faudra aider ces milieux en disant
à ceux qui vont nous présenter toutes sortes d'objections, "on
n'en veut pas", "c'est difficile", en leur disant: Cela a été
tenté ailleurs et on a eu du succès, voici les faits. Je pense
que c'est comme cela qu'on pourra avancer à ce chapitre-là.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, Dr Harnois.
M. Harnois: Les intervenants dans ce débat-là qui,
malheureusement, à mon sens, sont trop absents au Québec, ce sont
les municipalités. En Italie, par exemple, je connais des
municipalités qui, d'office, mettent à la disposition des malades
mentaux ou de leurs représentants, 1% à 2% de tous les nouveaux
appartements qui sont construits. On fait cela à Arezzo et on le fait
aussi en Pologne. En Italie c'est plus facile parce que, par la loi, la
municipalité est impliquée dans la prise en charge du malade
mental. Chez nous, les municipalités sont à peu près
carrément absentes de ce débat. Je me demande s'il ne faudrait
pas s'interroger sur des façons d'impliquer les corps municipaux
dûment constitués parce que cela faciliterait
énormément ceci. (11 h 45)
Ce qui arrive dans la pratique c'est que, quand il y a un pépin,
on se retrouve chez l'échevin, chez M. le maire qui, là, doit un
peu réagir à cela et à ses concitoyens qui protestent
qu'on a voulu développer une ressource alternative sur telle rue ou
telle autre rue. Les municipalités sont toujours sur la
défensive. Il faudrait trouver des moyens de les impliquer dans ce
processus de désinstitutionnalisation qui ne devrait pas n'être
que la chose du ministère des Affaires sociales et des intervenants des
familles. Je pense qu'il faudrait trouver une façon d'impliquer les
municipalités. Là où on l'a fait en Italie, cela semble
donner de bons succès.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Avez-vous fini? Mme la députée de Dorion.
Mme Lachapelle: Ce qui m'intéresse
particulièrement, ce sont les foyers de groupe pour les jeunes.
J'aimerais savoir un peu de votre part si les résultats sont bons. Je
pense que les jeunes qui sont là y restent pour un certain temps,
peut-être une période d'à peu près deux ans et
apprennent à devenir autonomes avant de s'en aller ou de voler de leurs
propres ailes ou peut-être rester dans des appartements
supervisés.
Ce que je déplore, en tout cas pour ce qui est de
Montréal, je me demande tout d'abord combien on a de foyers comme cela
et pourquoi, à certaines périodes de l'année, il y a un
seul patient ou une seule personne parfois qui occupe la place qui,
habituellement, est retenue par cinq, six personnes. Les
psycho-éducateurs, le personnel est là dans l'attente. Est-ce que
c'est un manque, je ne sais pas, d'évaluation des dossiers ou si c'est
simplement qu'il n'y a pas de patients qui sont prêts à aller
vivre comme cela dans ces foyers?
Une voix: M. Paquet.
M. Paquet (Roger): Disons que je ne sais pas si vous faites
référence à des foyers de groupe qui s'adressent aux
jeunes ayant des difficultés à caractère psychiatrique ou
à des foyers de groupe qui s'adressent à ce qu'on appelle plus
communément le champ de la mésadaptation sociale.
Essentiellement, les deux problématiques se rejoignent souvent et sont
traitées un petit peu de la même façon.
Je voudrais d'abord dire qu'il y a très peu de ressources de ce
genre, malheureusement. L'articulation des services est parfois
problématique parce qu'il y a plus d'un niveau d'intervention à
l'égard des jeunes. Il faut essayer de concilier les contraintes de nos
nouvelles lois à l'égard des jeunes qui sont beaucoup plus
claires et beaucoup plus encadrées en termes de types de services qu'on
peut offrir lorsqu'un jeune est placé sous telle forme de mesure de
garde. Par exemple, certains services sont moins accessibles parce qu'ils ne
répondent pas aux exigences de supervision ou de contrôle que cela
requiert. Dans d'autres cas, le processus administratif qui fait qu'un enfant
va pouvoir rapidement être orienté
vers le lieu le plus adapté à ses besoins est parfois
complexe, spécialement dans les régions à grande
densité de population, pour plusieurs raisons, parce qu'il y a plusieurs
établissements impliqués, parce qu'il y a plusieurs intervenants
impliqués et qu'il y a là un délai important entre le
moment où on identifie la réponse souhaitée et le moment
où elle s'actualise.
Je pense, sans connaître le cas précis auquel vous pouvez
peut-être faire référence, que ce sont certainement des
difficultés de cette nature qui empêchent une utilisation optimale
des ressources en place.
Mme Lachapelle: Est-ce que les résultats sont bons de ceux
qui ont passé le temps en foyer comme cela? Vous n'avez peut-être
pas des statistiques précises, mais au moins certains
résultats.
M. Paquet (Roger): Je pense qu'à ce niveau là je
vais plus m'exprimer sur le plan personnel parce que je dirige un centre qui,
effectivement, est entièrement aménagé sous forme de
structure intégrée dans la communauté, sous forme de foyer
de groupes implanté dans le milieu et à très petite
dimension. Je peux vous dire que, personnellement, je ne suis pas capable de
démontrer que c'est plus efficace que des formules plus
conventionnelles, plus habituelles.
Je sais, par exemple, que sur certains aspects du travail les gains sont
majeurs. Le gains sont majeurs particulièrement au niveau de
l'humanisation. Le fait que des personnes en difficulté puissent vivre
et évoluer dans un milieu à dimension humaine, où ils sont
en mesure de transiger avec les composantes de ce milieu, c'est un
élément majeur.
Le deuxième élément, c'est la permanence de ce
qu'ils acquièrent comme compétence. Quand un enfant est capable,
dans la communauté, d'apprendre à transiger avec
l'autorité qu'est l'école, d'apprendre à transiger avec le
citoyen qui est son voisin, d'apprendre à transiger avec les
règles qui nous régissent, s'il est capable de le faire dans la
rue avec les gens qui sont ses concitoyens, lorsqu'il quittera le foyer, il
sera encore capable de le faire. Il est sûr que ce type d'apprentissage
peut être fait aussi en milieu institutionnel mais, à ce moment,
ce qui est acquis dans le milieu institutionnel devient peut-être moins
permanent le jour où on a à être
réinséré. Cela me paraît une formule efficace, parce
que la distance entre le lieu de services et le lieu de vie est diminuée
et la réinsertion est forcément facilitée, de par mon
expérience personnelle.
Mme Lachapelle: Automatiquement aussi, lorsqu'on connaît ce
genre de foyers dans les quartiers, les gens autour, les voisins apprennent
à vivre et à mieux connaître ces gens qui ont eu des
difficultés. J'y crois beaucoup.
Deuxièmement, j'aimerais savoir ce qu'on appelle une famille
d'accueil. Pour être reconnue comme une famille d'accueil, quels sont les
critères? J'imagine que cela demande des qualités un peu plus
spéciales. Est-ce que ce sont simplement des gens informés sur la
maladie en tant que telle ou sur la médication à donner aux
personnes qui demeurent dans ces familles? Comment choisit-on les familles?
M. Harnois: Encore une fois, c'est l'expérience
personnelle de notre centre hospitalier. Il faut qu'il y ait un vouloir de la
part d'une famille de faire ce genre de boulot et, a priori, ce n'est pas
facile. Deuxièmement, ce que nous faisons, nous avons des entrevues
assez systématisées avec les familles qui veulent recevoir des
malades. Nous essayons de voir quelle est leur motivation; deuxièmement,
quelle est leur capacité de le faire et, troisièmement, de
négocier des règles du jeu avec ces familles. C'est un peu la
façon dont cela se fait. Il y a toujours un élément
économique, parce que, évidemment, la famille essaie de gagner
quelques sous avec cela. Il y a très souvent aussi un
élément humain. Les gens sont intéressés pour une
foule de raisons à recevoir des malades. Troisièmement, comme je
le mentionnais hier soir, les familles sont intéressées à
pouvoir compter systématiquement sur l'appui de notre hôpital dans
le vécu que cela va représenter pour elles. Effectivement, il y a
ce genre de processus de sélection.
Il y a lieu de croire que cela ne se fait peut-être pas
systématiquement ainsi partout. Il y a peut-être des familles
d'accueil qui n'ont pas eu une évaluation rigoureuse. On n'a
peut-être pas tenu compte de la capacité de la famille à
prendre en charge un handicapé au départ, mais je ne peux pas
dire jusqu'à quel point on peut généraliser.
Mme Lachapelle: Merci.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je voudrais vous poser
deux dernières questions; on pourrait vous en poser longtemps. Je n'ai
pas la référence exacte, parce que je ne sais pas si je l'ai lue
dans votre mémoire ou dans les fascicules que vous nous avez remis.
À un moment donné, vous suggérez qu'il y ait des
modifications au plan législatif pour mieux répondre aux besoins
des malades mentaux. Pourriez-vous préciser là-dessus? Par
exemple, faisiez-vous allusion à la Loi sur la protection du malade
mental? Dans quelle mesure cette loi est-elle un atout ou une contrainte
à la réinsertion sociale? De quel ordre de modifications
parliez-vous?
M. Harnois: On s'interroge tous un peu là-dessus. Je sais
qu'on a fait des recommandations en ce qui concerne les ressources alternatives
en disant que la loi devrait permettre une reconnaissance officielle de ces
ressources, Dr Corin, est-ce qu'on a fait des recommandations en ce qui
concerne la cure fermée ou le traitement involontaire?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): De toute façon,
que vous en ayez fait ou non, vous avez dû vous pencher sur la Loi sur la
protection du malade mental. Ma question précise est dans quelle mesure,
telle qu'elle existe et telles que les mesures d'internement sont
prévues par un ordre de la cour, etc., notre loi favorise-t-elle ou
défavorise-t-elle la réadaptation de ces personnes?
M. Harnois: Avant de passer la parole au Dr Grunberg, je ne crois
pas que, comme comité, nous nous soyons penchés
systématiquement là-dessus, parce que, parallèlement
à nous, un effort de révision de la Loi sur la protection du
malade mental se faisait au ministère. Donc, on n'a pas
considéré...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais cela fait six ans.
Voyez-vous, ce serait peut-être opportun aussi que vous examiniez
cela.
M. Harnois: Cela fait si longtemps que cela.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.
M. Harnois: Ah oui! c'est par les modifications au Code civil. De
toute façon, je pense-La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Mais le Code civil y touche d'une façon un peu marginale. Il faut
que la loi soit revue.
M. Grunberg: Je pourrais faire quelques commentaires plutôt
à titre personnel.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, d'accord.
M. Grunberg: Je suis un psychiatre traitant. La Loi sur la
protection du malade mental en elle-même, à mon avis, ne pose pas
un très gros problème, mais il y a une loi qui en pose un, c'est
la Loi sur la curatelle publique...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon!
M. Grunberg:... non pas tellement en ce qui concerne
l'administration des biens, mais surtout en ce qui concerne l'administration de
la personne. À l'heure actuelle, c'est vraiment extrêmement lourd,
extrêmement dur pour le malade qui ne peut pas donner son consentement et
surtout qui ne peut pas donner un consentement éclairé. Avec la
législation actuelle, on demande au curateur de donner l'autorisation.
Moi, il me semble d'ailleurs - je parle strictement à titre personnel -
que peut-être il pourrait y avoir un rôle surtout pour le majeur
incompétent: donner quand même une place plus importante aux
proches et à la famille plutôt qu'au curateur.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord. Mme Gourgue.
Mme Gourgue: Je voudrais rapidement ajouter, en accord avec le Dr
Grunberg, surtout par rapport à la Loi sur la Curatelle publique...
Comme on le sait, lorsqu'une personne est jugée inapte à
gérer ses biens, elle perd aussi tout contrôle et tout droit sur
sa personne. Qu'il y ait une séparation de ces deux volets, pour moi,
c'est très important. Ce n'est pas parce qu'une personne est
jugée inapte à gérer ses biens qu'elle est aussi inapte
à décider pour elle-même versus certains traitements.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans ce sens-là,
on a au moins touché ce débat-là, que les limites ne
soient pas globales, mais soient sur une partie du fonctionnement, sur la
gestion des biens ou autre.
Maintenant - je pense que Mme Fitzgerald en a parlé hier dans le
film que nous avons visionné - sur la question des dispositions
prévues pour l'internement. Je sais que ça été une
expérience très difficile pour vous, Mme Fitzgerald, mais est-ce
que vous-même ou d'autres croyez que cette façon de
procéder est très efficace? Parce que l'expérience que
j'ai vécue moi-même il n'y a pas longtemps, c'est que finalement
on fait appel à la police. Il y a des cas où l'on va chercher
l'ordonnance de la cour, il y a d'autres cas où on fait appel à
la police. La police l'amène à la Cour municipale - je pense que
c'est à la Cour municipale, en tout cas - la personne est gardée
une ou deux journées. Évidemment, la police ne sait pas trop quoi
faire avec parce qu'il n'y a pas eu de délit de commis, C'est simplement
un dysfonctionnement social important qui fait que des voisins appellent, etc.
Je me demande si tout ce domaine, somme toute, de la protection à la
fois de la société et de la personne elle-même, s'il est
vraiment un mode de fonctionnement encore adapté aujourd'hui à
l'évolution de notre société et est-ce que c'est un
problème qui a été examiné?
M. Harnois: Le commentaire que j'aimerais faire, Mme la
Présidente, c'est que la loi telle qu'on la vit en ce moment -
et probablement, à mon sens, la loi de la cure fermée, si
on parle de celle-là - va dans le sens du malade. Ni plus, ni moins,
elle rend la cure fermée plus difficile et la prescription en est plus
compliquée, ce qui veut dire en définitive qu'il y a des
étapes à suivre qui, dans le fond, protègent le malade. En
contrepartie de cela, il semble que certaines familles nous disent justement
que ces difficultés-là, ces procédures-là
compliquent un peu la vie des familles. Il y a des familles qui hésitent
avant de suivre les démarches puisque la famille doit se
présenter chez un représentant de la justice pour faire une
déposition, la plupart du temps contre un membre de sa famille; c'est
vécu souvent comme quelque chose de très pénible et
souvent les gens vont hésiter avant de le faire. D'un autre
côté, le fait que cela doive se faire de cette
façon-là protège le malade lui-même. Donc, il y a un
peu un genre de tandem entre les droits du malade et les difficultés
qu'éprouve la famille. Les commentaires nous viennent un peu des deux
côtés.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.
M. Grunberg: II y a peut-être un autre problème qui
est en rapport avec la désinstitutionnalisation et surtout la
désinstitutionnalisation sauvage qui a lieu. Il y a des gens qu'on sort
des établissements sans aucune préparation, qui sont plus ou
moins abandonnés et qui éprouvent dans une certaine mesure pas
mal de difficultés à retourner dans le service psychiatrique.
Vous savez, on parle beaucoup des difficultés à sortir des
hôpitaux psychiatriques, mais moi, j'aimerais dire un petit mot sur la
rentrée à l'hôpital psychiatrique: beaucoup de patients
essaient de rentrer à l'hôpital psychiatrique et ont pas mal de
difficultés. Ce qui se passe, c'est que finalement le système
judiciaire les prend en charge. On judiciarise la maladie. Pour beaucoup de
juges, moi, je suis d'accord avec eux et je n'ai pas de... ce sont des patients
qui ont besoin d'aide, qui dérangent. Alors, on passe à une
accusation. Souvent, c'est une accusation. Souvent, c'est une accusation
évidente, tapage, etc. (12 heures)
Alors, c'est uniquement par le système judiciaire que le malade
revient dans le système psychiatrique et cela, c'est vraiment à
déplorer, parce que, quelques fois, il y a des malades très
perturbés et très handicapés qui passent quelques jours en
prison et leur place n'est certainement pas en prison. C'est un problème
qui, dans une certaine mesure... Moi, je le perçois plus comme un
symptôme de la carence du système de services psychiatriques que
comme une mauvaise volonté de la part du système judiciaire.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord. Oui, Mme Fitzgerald.
Mme Fitzgerald: Je crois qu'on pourrait éviter d'avoir
recours à la police le plus possible, parce que c'est très
traumatisant pour tout le monde et cela n'apporte rien. Ce qui manque beaucoup
ici, ce sont des équipes psychiatriques, des équipes volantes qui
pourraient aller à la maison lors de crises, sept jours par semaine,
vingt-quatre heures par jour. Je crois que cela aiderait beaucoup et pourrait
même désamorcer la bombe, et qu'il n'y aurait même pas
d'hospitalisation. C'est parce que les parents, les familles d'accueil - ou qui
que ce soit -qui sont pris avec un patient plus agité, naturellement,
paniquent, ne se sentent pas appuyés, se sentent seuls dans tout cela,
c'est le dernier recours. Ils ne peuvent pas faire d'autre chose, parce que
n'oubliez pas que si le patient ne veut pas se faire traiter, il n'y a rien
qu'on peut faire, absolument rien. Le seul recours qu'on a, c'est l'ordonnance
de la cour.
Si, par exemple, quelqu'un venait à domicile le voir, lui parler,
je crois que, souvent, on éviterait l'hospitalisation dans certains cas,
parce que déjà ils sont tellement désemparés, ils
commencent eux-mêmes à paniquer; ils ont peur il arrive quelqu'un.
Même, ce pourrait être un aidant naturel à qui on a
donné une petite formation qui pourrait lui parler et désamorcer
la bombe, et on n'aurait peut-être même pas besoin
d'hospitalisation. C'est cela que je trouve dommage. Il n'y a aucune
équipe comme cela. En tout cas, il n'y en a pas dans notre
région, je ne sais pas s'il y en a ailleurs en province, des
équipes psychiatriques qui pourraient aller à domicile en cas de
crise. Je crois on y regagnerait beaucoup.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux}:
D'accord. Ma dernière question, Dr Corin. Quand vous avez fait un
survol de ce qui se passe dans les autres pays, vous avez parlé
d'associations bénévoles en Grande-Bretagne de parents,
d'ex-malades et ainsi de suite. Je sais qu'il y a des tentatives qui sont
faites dans ce sens au Québec. Vous avez parlé de la force de
pression de ces groupes. J'ai l'impression, qu'au Québec, à tort
ou à raison, ces initiatives demeurent encore assez marginales. Il y a
les amis des malades mentaux; il y a des groupes d'ex-psychiatrisés et
il y en a peut-être d'autres que j'oublie.
Mais est-ce qu'il y a, au Québec, de la même façon
qu'on a eu - elle existe encore - du côté de la déficience
mentale, une association bien structurée qui, elle, a fait
énormément de pression pour faire évoluer les services? De
fait, ils ont eu des résultats, même si on peut parler des
carences, c'est exact. Mais du côté de la maladie mentale, est-ce
qu'il y a quelque
chose de similaire, et dans quelle mesure ce qui existe à
l'état d'embryon ou d'une façon embryonnaire ici et là
pourrait être davantage épaulé pour justement... Je pense
qu'ils ont un rôle important à jouer au point de vue
sensibilisation de la population, de la défense de ces personnes, etc.
Est-ce que vous pouvez me dire, au Québec, quel portrait vous dresseriez
de ces associations? (12 heures)
Mme Corin: Je pense qu'il faut aussi tenir compte partiellement
de facteurs culturels, c'est-à-dire que l'importance du mouvement
associatif en Grande-Bretagne -Lise pourra en parler mieux que moi, c'est elle
qui a vraiment travaillé sur la Grande-Bretagne - est quelque chose qui
est vraiment inscrit dans le fonctionnement de la société depuis
très longtemps. Il y a longtemps déjà que les associations
ont servi comme forces de pression pour demander certains changements sur le
plan législatif en plus de faire du bénévolat.
On a l'impression qu'ici, le mouvement est en train de se mettre en
place, mais qu'il n'y a pas beaucoup d'enracinement ou beaucoup de profondeur.
Je pense que Christine serait sans doute d'accord si on suggérait que,
dans la mesure du possible, on essaie de faire tout ce qu'on peut pour soutenir
le dynamisme de ces associations.
Ce qu'il y a simplement, c'est que la décision de soutenir une
dynamique, elle ne peut jamais être que partielle, parce que l'essentiel,
c'est que la dynamique vienne du milieu. Donc, cela demande un degré de
sensibilisation, c'est un peu la question de la poule et de l'oeuf. Si le
milieu est plus sensibilisé, il y aura plus d'associations, et il s'il y
a plus d'associations, on va sensibiliser davantage le milieu.
À ce niveau, je pense que ce qui est en train de se discuter
maintenant au niveau de la santé mentale, des problèmes
psychiatriques, est quelque chose d'important à exposer à
l'attention populaire ou aux gens qui essaient de s'organiser dans leur milieu,
pour leur montrer la santé mentale comme un des champs sur lesquels il
vaut la peine de se pencher et dans lesquels il vaut la peine d'investir.
L'impression que j'ai, c'est que c'est quelque chose qui commence à se
mettre en place et, depuis une dizaine d'années, il y a un certain
nombre de partenaires, mais c'est loin, je crois, d'avoir l'ampleur de ce qui
peut se faire en Grande-Bretagne. Lise, est-ce que tu as un commentaire?
Mme Tessier: Pas vraiment mais, tantôt, Mme Fitzgerald a
dit combien les parents avaient de la difficulté à avoir du
soutien des professionnels et, tant qu'ils se débattent dans ce
phénomène, ils ont beaucoup de problèmes à
régler, ils ne réussissent pas à prendre le dessus et
à s'organiser. C'est un peu vrai. Alors, avant qu'ils puissent
émerger, on est vraiment au début. Est-ce que vous voulez ajouter
quelque chose, Mme Gourgue?
Mme Gourgue: Surtout à titre personnel et
d'expérience personnelle - de toute façon, je ne veux pas
empiéter sur ce que l'association dira un peu plus tard aujourd'hui - je
considère que pour les associations la grosse difficulté,
effectivement, émerge depuis les dix dernières années
qu'on remet en question un peu ce qui se passe en santé mentale. Le gros
problème est aussi l'aspect, comme vous le mentionniez, du
bénévolat. Sachant qu'au Québec toute la revendication qui
est faite exige énormément des individus qui adhèrent
à ces types d'associations, ça devient aussi un militantisme
parce que ce n'est pas rémunéré. L'autre difficulté
qu'on éprouve, c'est la résistance du milieu institutionnel.
Majoritairement, ces associations, tout ce qu'elles ont, c'est leur
vécu personnel; que ce soit au niveau d'ex-personnes
psychiatrisées ou encore au niveau des familles, c'est notre
vécu, le côté théorique. C'est peut-être
rattaché à un diplôme quelconque, mais on remet en question
un peu ce qu'on avance parce qu'on n'a pas de recherche pour appuyer ça.
A ce moment-là, on est repoussé. Il devient très difficile
pour un individu qui adhère à ce groupe d'y rester pendant
plusieurs années, parce qu'en termes d'énergies individuelles
ça gruge énormément, d'autant plus du côté
financier, en termes d'assurer une survie à cette association. Ne
serait-ce qu'en termes de local ou de permanence, c'est une survie constante.
Pour obtenir ce type de subvention, on doit remplir beaucoup de formulaires,
rencontrer beaucoup de gens.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci. M. le député de Marie-Victorin a une question
supplémentaire.
M. Pratt: Je sens que c'est la fin de cette rencontre. Je
voudrais qu'on retienne la suggestion de Mme Fitzgerald tout à l'heure,
je parle de services à domicile qui seraient comme un genre
d'Urgences-santé. Pour un territoire vaste comme ' celui de
l'agglomération de Montréal, je trouve que ce serait une
recommandation très intéressante à poursuivre et à
retenir. Je tiens à le rappeler parce que je ne veux pas que ça
tombe à l'eau comme ça. Je pense que c'est quelque chose de
très intéressant que vous nous avez apporté et c'est pour
ça que j'insiste pour qu'on retienne cette idée, qu'on
l'approfondisse et qu'on puisse en faire une réalité. Je pense
que c'est un pas dans la bonne direction.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci, M. le député. Je voudrais simplement faire
remarquer que tout ce qui est présenté ici est enregistré,
que ce sera revu soigneusement et qu'à l'occasion on se permettra de
recontacter des gens de qui on voudrait obtenir des précisions. Nous
aussi, il nous faut intégrer ce matériel et il nous faut essayer
de tirer les principes directeurs.
Je voudrais, en terminant, remercier le Comité de la santé
mentale du Québec non seulement de sa présentation, mais de sa
participation à l'échange que nous avons eu. Nous attendrons avec
intérêt - j'espère que ça ne tardera pas trop - la
publication de votre dernière recherche touchant la comparaison entre
les différents pays. Encore une fois, nous nous permettrons, si c'est
nécessaire, de vous. recontacter. Merci beaucoup.
Nous allons suspendre deux secondes, comme je le dis toujours.
(Suspension de la séance à 12 h 10)
(Reprise à 12 h 20)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Mesdames, messieurs, nous reprenons nos travaux. J'invite l'Association
des centres d'accueil du Québec - ils sont déjà rendus
à la table - à faire les présentations d'usage de
l'équipe qui doit faire des représentations à la
commission.
Association des centres d'accueil du
Québec
M. Pednault (Roger): Mme la Présidente, madame et
messieurs les députés membres de cette sous-commission, nous
admirons votre courage de demeurer assis à cette table pour nous
entendre alors que le soleil brille dehors et que les heures sont longues. Nous
allons tenter de maintenir votre intérêt et de vous communiquer
l'essentiel de ce mémoire que nous avons déposé de
façon que vous puissiez discuter également avec les membres de
l'association qui m'entourent.
Je suis accompagné à cette table, à ma gauche
immédiate, de M. Marcellin Dallaire, ex-président de
l'Association des centres d'accueil du Québec - c'est tout
récent, il en était encore le président au mois de juin -
qui est également directeur du Centre d'accueil Butters à Austin.
M. Dallaire a procédé dans son établissement, depuis les
cinq dernières années, à une expérience approfondie
de désinstitutionnalisation de plus de 140 bénéficiaires
dans les milieux ruraux, une expérience très concluante, chez une
clientèle qui avait plus de quatorze ans en moyenne
d'institutionnalisation. Ajoutez à cela, avec presque les mêmes
ressources, certains services supplémentaires dont il sera certainement
heureux de vous parler par la suite.
À sa gauche, Mme Sylvie Gladu, directrice des services
professionnels d'un centre d'accueil bien connu, Anne-LeSeigneur, à
Chambly. Mme Gladu est également l'inspiratrice et l'instigatrice de la
désinstitutionnalisation importante à ce centre d'accueil.
Actuellement, leur phase de désinstitutionnalisation porte sur une
soixantaine de bénéficiaires. Ils se dirigent, sur un plan de un
an à un an et demi, vers une désinstitutionnalisation qui va
laisser à peine 25 bénéficiaires en internat sur les 200
actuels. C'est donc dire que, là aussi, il y a une expérience
plus récente, mais aussi intensive de réinsertion sociale et de
ressources alternatives.
M. Gilles Servant, qui est à mon extrême gauche, est
directeur général du Centre de réadaptation Estrie,
à Sherbrooke. M. Servant a également fait une expérience
de réinsertion sociale de ses bénéficiaires et de services
alternatifs sur une période de quatre à cinq ans. Actuellement,
à peine 80 bénéficiaires sont en internat et on dessert
plus de 550 bénéficiaires à l'externe, avec environ le
même budget qu'on avait pendant cette période-là. Alors,
lui aussi pourrait communiquer aux membres de cette sous-commission les
résultats et les constatations de cette expérience.
À ma droite, il y a M. Gilles Proulx, directeur
général du Centre d'accueil Mont Saint-Aubert ici à
Québec. Il a également une forte expérience en
désinstitutionnalisation et en réinsertion sociale. Sur 125
personnes en internat, sur une période d'environ cinq ans
également, il en reste actuellement 24. On dessert une population
d'environ 300 bénéficiaires.
À sa droite, personnage connu, M. le directeur
général de l'Association des centres d'accueil du Québec,
qui est évidemment le grand coordonnateur de l'association et qui
participe activement à titre de gestionnaire supérieur aux
mouvements à l'intérieur de l'association, accompagné,
à sa droite, de M. Gilles Langelier, directeur des services
professionnels de l'association et qui est, évidemment, le professionnel
instigateur et inspirateur de ces philosophies et qui y travaille avec ardeur
et activement. Alors, vous voyez, je suis accompagné de gens qui vont
certainement, dans la mesure du possible, appuyer et apporter des
témoignages concrets et vivants de ce que peut être la philosophie
de l'association dans la désinstitutionnalisation et dans la
réinsertion sociale des handicapés intellectuels.
De l'ACAQ je ne ferai pas une longue présentation. Vous savez
qu'elle regroupe 384 centres d'accueil divisés en 6 familles
principales: les personnes âgées, les personnes
mésadaptées socio-affectives, les handicapés au plan
physique, les toxicomanes, les mères en difficulté et enfin,
celles qui nous
intéressent aujourd'hui, les personnes déficientes au plan
intellectuel. Il y a 63 des 384 centres d'accueil qui sont voués
à la réadaptation et à la réinsertion sociale des
personnes déficientes au plan intellectuel.
Je voudrais noter immédiatement que nous sommes conscients que le
mandat précis de votre sous-commission concerne peut-être
davantage les personnes qui ont des troubles mentaux. Nous avons cependant cru
primordial de nous intéresser à la question qui vous
préoccupe, parce que les répercussions que pourraient avoir les
travaux de la présente sous-commission sur nos membres et sur les
bénéficiaires de nos membres, les personnes déficientes au
plan intellectuel, sont considérables et sont exactement de même
nature. Les conclusions que vous pourriez tirer concernant les personnes
atteintes de troubles mentaux ne pourraient pas être différentes
fondamentalement de celles qu'on devrait tirer pour la réinsertion
sociale et la désinstitutionnalisa-tion des personnes déficientes
au plan intellectuel. Nous axons donc éminemment nos propos sur ces
personnes déficientes au plan intellectuel. Cependant, nous pensons que
les préoccupations qui les intéressent sont de même nature
et de même ordre.
Il est peut-être nécessaire de vous faire part un peu de
notions de base concernant, par exemple, la clientèle déficiente
au plan intellectuel, quelques notions fondamentales qui, au départ,
rendent le vocabulaire plus facile et la compréhension des notions plus
claire. J'ai également l'intention de vous donner rapidement la
conception des centres d'accueil de réadaptation de l'intervention
auprès de cette clientèle et, enfin, de vous exposer
brièvement les programmes et les services qu'on offre pour en arriver,
finalement, à l'objet principal de ce mémoire qui est les
difficultés éprouvées dans la
désinstitutionnalisation, les ordres de difficulté qu'on
éprouve et les recommandations qu'on croit appropriées dans les
circonstances pour la favoriser.
Quelles sont les caractéristiques de la clientèle
déficiente au plan intellectuel? Évidemment, depuis quelques
années, la science et la technologie ont permis de développer
certaines idéologies et les choix sociaux qu'elles ont provoqués.
On a une compréhension beaucoup plus fidèle de la
réalité de ces personnes. Il n'y a pas longtemps, on se souvient
que les handicapés au plan intellectuel étaient
considérés... Le fou du village était
considéré comme dangereux dans certains milieux. Enfin, la notion
qu'on avait là-dessus était très primaire. À
l'époque, on accueillait les malades dans un établissement et on
essayait de les guérir. Si ce n'était pas possible, on les
gardait. La déficience intellectuelle n'est pas une maladie, c'est un
état. L'American Association of Mental Deficiency la définit
comme "un état qui se manifeste par un fonctionnement intellectuel
global significativement inférieur à la moyenne,
accompagné de difficultés d'adaptation et se manifestant
simultanément pendant la période de développement. " (12 h
30)
La déficience mentale fait référence à un
niveau de fonctionnement qui demande de la part de la société
qu'elle mette en oeuvre des procédés de formation plus importants
que pour la moyenne des individus et qu'elle mise dans une plus large mesure
sur les comportements d'adaptation tels que manifestés tout au long de
la vie. Cette définition est de Marc Gold dans un ouvrage
intitulé "Try Another Way", publié dans Research Press en
1980.
Si je cite ces notions de base, c'est parce qu'elles sous-tendent toute
la conception et toute la philosophie qui justifient la réinsertion
sociale, la désinstitutionnalisation et les moyens alternatifs qu'il
faut mettre en oeuvre pour arriver à leur donner un traitement
adéquat.
Avec cette notion, on a les objectifs des centres de réadaptation
selon leur conception de l'intervention. Les centres de réadaptation qui
font partie, dans l'ensemble, de l'Association des centres d'accueil ont une
approche qu'on appelle développementale. Cette approche donne lieu
à une conception de l'intervention qui met l'accent sur le potentiel de
développement et les capacités d'apprentissage de la personne
déficiente intellectuellement et sur les procédés de
formation et d'encadrement qui doivent être mis en oeuvre afin de
permettre la réinsertion sociale de ces personnes.
Dans leur pratique de la réadaptation, les centres de
réadaptation prônent l'utilisation de moyens culturels aussi
valorisés que possible afin de déterminer, de développer
et de maintenir chez la personne déficiente intellectuellement les
comportements se rapprochant le plus des normes habituelles.
C'est dans ce cadre-là que s'inscrit la
désinstitutionnalisation dans le sens qu'il est important de ne pas
viser à recréer la société dans une institution,
mais d'essayer de trouver les moyens de traiter et de réadapter la
personne déficiente intellectuellement dans la société
dite normale.
Cela signifie qu'afin d'acquérir les comportements sociaux
nécessaires à son bon fonctionnement en société la
personne qui a une déficience intellectuelle doit pouvoir se
référer à des modèles d'apprentissage
variés. Cela signifie aussi que la personne déficiente vit dans
une maison "normale" - entre guillemets - située dans un environnement
habituel, que sa journée est occupée d'activités
stimulantes et intéressantes et se déroule à un rythme qui
s'apparente à celui
d'une personne normale.
Ce principe qu'on a appelé de normalisation a, ces
dernières années, été modifié, L'auteur de
ce principe de normalisation - j'avais promis de ne pas le dire parce que je ne
voulais pas me barrer dans le nom - s'appelle Wolfensberger et lui-même a
modifié son principe de façon à l'appeler maintenant
principe de valorisation du rôle social de la personne déficiente
intellectuellement. Vous voyez qu'on passe d'un langage de
désinstitutionnalisation, un mot qu'on utilise mais qui est un peu
abandonné par les techniciens et les spécialistes. On a
utilisé pendant ces dernières années le terme et la notion
de normalisation. Dans un pas un peu plus en avant, un peu plus positif encore,
on parle maintenant, pour la personne déficiente au niveau intellectuel,
de valorisation de son rôle social, ce qui s'intègre bien dans
l'optique et dans la philosophie d'intégration et de réinsertion
du traitement dans la société.
L'Association des centres d'accueil du Québec a endossé
cette approche de la valorisation du rôle social et, depuis, il s'est
amorcé un irrésistible mouvement de
désinstitutionnalisation. Nous pouvons faire état, à
partir des chiffres fournis par le ministère des Affaires sociales
lui-même, d'une réduction de 18 % des admissions pour
l'hébergement des personnes ayant une déficience intellectuelle.
Entre 1980 et 1984, le nombre est passé d'environ 5150 à 4190
personnes admises au 31 mars 1984. On n'a pas encore les chiffres pour
1984-1985.
Les services externes en parallèle, incluant les services
d'apprentissage aux habitudes de travail connus sous le nom de SAHT, ont connu
une croissance de 70 %, près de 71 % durant cette même
période. Les services externes ont couvert, au 31 mars 1984, 7202
personnes par rapport à 4213 en 1980.
Ces quelques chiffres reflètent bien le mouvement de
désinstitutionnalisation dans lequel les centres de réadaptation
se sont engagés. Alors, quels sont les programmes et quels sont les
services que les centres de réadaptation ont voulu mettre sur pied pour
arriver à réaliser ce mouvement de
désinstitutionnalisation? Je les énumère. Pour ne pas
détailler - le mémoire est beaucoup plus complet à ce
sujet en donnant des détails sur chacun des programmes et des services
offerts - souvenons-nous tout simplement qu'autrefois on définissait un
centre d'accueil comme une immobilisation et un bâtiment. Même la
loi le définit comme cela. Au fond, un centre d'accueil c'est un
établissement, c'est un bâtiment, c'est un immeuble.
Aujourd'hui, cette réalité est complètement
dépassée. Lorsqu'on doit donner la définition d'un centre
d'accueil, on ne doit surtout pas commencer par le définir par ses
quatre murs physiques et la masse de brique et de béton qui le compose.
Mais cela devient aujourd'hui une panoplie de services externes
diversifiés qui sont dispensés à partir de multiples
points de services répartis dans les principales localités d'un
territoire donné qu'il couvre. La partie internat, la partie immeuble,
qui était la définition du centre d'accueil, est de moins en
moins importante.
Énumérons tout simplement les services d'appui à la
famille et le développement à la petite enfance. Ce service a
pour but de favoriser le maintien de la personne déficiente au plan
intellectuel dans son milieu naturel. On pense à des centres de jour qui
existent déjà, on pense à de l'aide à domicile que
certains centres d'accueil fournissent, des services de dépannage et des
services de garderie.
Il y a aussi les services d'assistance éducative en milieu
scolaire. Cela se résume facilement en disant que c'est la fourniture de
personnes, de ressources professionnelles de la réadaptation pour venir
en appui au milieu scolaire et à l'éducateur.
Il y a les services d'intégration socioprofessionnels. Ce sont
les services, particulièrement ceux qu'on vient
d'énumérer, dont le SAHT - service d'apprentissage aux habitudes
de travail - qui vise à donner à la personne déficiente au
plan intellectuel son autonomie personnelle, sociale et, autant que possible,
professionnelle dans le milieu du travail.
On a évidemment aussi les services plus concrets, plus faciles
à définir, des services résidentiels. On pense aux foyers
de groupe, aux appartements de transition, aux appartements surveillés,
aux appartements supervisés, aux familles d'accueil qui sont une des
principales ressources. Toutes ces notions sont un peu plus
détaillées dans notre mémoire de façon que vous
puissiez, si nécessaire, y faire référence.
Enfin, les services d'assistance éducative de réinsertion
peuvent être fournis à la famille naturelle ou à la famille
d'accueil, qui sont sous forme d'aide ponctuelle, temporaire ou palliative.
Tout cela ne peut servir qu'à vous démontrer que
l'orientation, la conception des centres d'accueil de réadaptation qui
font partie de l'Association des centres d'accueil du Québec sont
engagées assez profondément dans un mouvement probablement et
certainement irréversible de désinstitutionnalisation. Or, la
discussion ici pour une association comme les centres d'accueil ne peut pas
porter un seul instant sur la nécessité de faire ou de ne pas
faire de ta réinsertion sociale, de participer ou de ne pas participer
à la désinstitutionnalisation. D'ailleurs, dans la
société québécoise actuelle, je pense que le
consensus sur le concept, sur l'idée même, sur la valorisation
de cette nouvelle notion est quand même passablement acquis.
Là où les consensus sont loin d'être faits, c'est
évidemment sur les moyens et face aux obstacles que l'on rencontre pour
l'accélérer ou la favoriser.
Les difficultés rencontrées et les pistes de solution que
notre mémoire et ses recommandations peuvent suggérer. Les
difficultés rencontrées sont nombreuses. Je vous les
énumère. Elles sont d'ordre budgétaire. Évidemment,
c'est le nerf de la guerre. Il y a la difficulté de trouver les familles
d'accueil nécessaires. II y a les difficultés
considérables d'intégration scolaire. Il y a les nombreuses
réticences des intervenants. Il y a un manque de collaboration
fréquent et un manque ce concertation par les différentes
instances. Il y a certains obstacles juridiques, certaines carences
législatives. Il y a un manque de recherche et aussi un danger dans le
rythme en ce qui concerne la désinstitutionnalisation qu'on veut
imposer.
Je reviens un peu sur chacune de ces choses. Les aspects
budgétaires et financiers. On a, au début de la
désinstitutionnalisation, devant la nouveauté de l'idée et
l'intérêt de la chose, accordé à certains
établissements des budgets intéressants pour la lancer et la
faire. Cependant, au fur et à mesure que les fonds sont moins
élevés, dans le contexte économique actuel de restrictions
généralisées, il est évident qu'on trouve moins
facilement les fonds nécessaires pour cela. On nous dit que cela devrait
coûter moins cher et de le faire avec les mêmes budgets et les
mêmes ressources. Cela est sans doute un prérequis vrai à
moyen ou à long terme. C'est probablement plus économique pour
une clientèle égale, de donner des soins alternatifs, des soins
plus légers que l'institutionnalisation. Encore là, les opinions
sont partagées.
Cependant, en tout état de cause, un établissement comme
un centre d'accueil actuel ne peut pas faire des activités doubles, soit
celle de maintenir son service d'internat et, en même temps, mettre sur
pied des ressources supplémentaires, parce qu'au début et pendant
une certaine période de temps, ce sont essentiellement des ressources
supplémentaires qu'il faut ajouter aux ressources déjà
existantes. On donne un exemple très simple. Que vous ayez 100 lits en
internat ou que vous ayez 50 bénéficiaires en réinsertion
sociale, le coût de chauffage de votre établissement ne baissera
pas pour autant; les coûts fixes de votre gestion de l'immeuble ne seront
pas diminués et même le coût du personnel nécessaire
ne sera pas diminué dans une proportion de 50 %. Il vous faudra, en
plus, avoir des spécialités extérieures, trouver de
nouveaux moyens. Donc, vous oeuvrez assurément avec des déficits
considérables si vous puisez à même le budget
d'exploitation et vous voulez en même temps ajouter des services externes
dans la même période pendant une période donnée. Le
transfert ne peut pas se faire automatiquement.
Ainsi, l'ACAQ suggère que des marges de manoeuvre soient
accordées aux établissements qui donneront un service externe de
façon que les prêts soient remboursables si les fonds ne sont pas
disponibles, qu'un déficit budgétaire permis soit
récupérable sur un certain nombre d'années, selon un plan
d'action logique et rationnel étudié.
On a dit qu'une des difficultés était celle de recruter
les familles d'accueil afin qu'il y ait un instrument évidemment
privilégié, la famille étant souvent déficiente
pour toutes sortes de raisons, la famille est le premier et peut-être le
meilleur palliatif qu'on peut trouver à la famille naturelle pour
permettre un traitement dans la communauté.
Il y a un manque flagrant et effarant de familles d'accueil. On pense
que des mesures devraient être prises afin de pallier cette carence
très grave. Ces mesures peuvent être d'ordre varié:
l'encouragement gouvernemental, les subventions, la simplification surtout des
formalités et de la technocratie qui peuvent accompagner la
création et le maintien des familles d'accueil. Certains
spécialistes vous parleront, par exemple, de cette fameuse
catégorisation des familles d'accueil qui empêche le recrutement
facile, etc. On a une tendance actuellement à catégoriser et
à réglementer cette ressource qui rend encore plus difficile la
tâche naturelle de les trouver et lorsqu'on les a trouvées, on
leur met tellement de réglementation dans les jambes que finalement
elles ne sont pas admissibles ou elles ne sont pas conformes aux règles
qu'on multiplie de plus en plus. (12 h 45)
L'intégration scolaire. L'intégration scolaire nous semble
le noeud, un peu, du début de la réinsertion sociale et de la
désinstitutionnalisation. On va demander dans la recherche ou les
interventions l'information à des gens ordinaires, à du monde,
à des parents, à des maires de municipalité, à des
gens qui ne sont pas dans le domaine de la santé mentale, de comprendre
et d'accepter que les déficients intellectuels soient dans leur rue ou
soient dans leur foyer ou soient un peu partout dans la communauté. On
va demander cela à du monde qui n'est pas dans le domaine ou du monde
ordinaire. On n'a pas encore réussi à traverser le milieu
scolaire qui, pourtant, devrait être plus éveillé à
la notion d'éducation, de réinsertion sociale, de
réadaptation.
Il y a du côté scolaire de nombreux énoncés
de principe faits par le ministère de l'Éducation du
Québec. Le réseau scolaire a
offert plusieurs programmes, mais dans la pratique, le réseau
scolaire n'offre à peu près pas de facilité
d'intégration au milieu scolaire. Si on veut commencer, continuer ou
accélérer un mouvement de désinstitutionnafisation, tous
les enfants, qu'ils soient handicapés au plan intellectuel ou qu'ils
soient normaux, doivent passer par le milieu scolaire et doivent passer par
l'école. Si on ne réussit pas à créer dans notre
réseau scolaire un milieu qui accepte et qui intègre les enfants
handicapés, les déficients intellectuels, comment voulez-vous
qu'on demande au reste de la société de les recevoir et de les
intégrer?
Il est malheureux que le ministère de l'Éducation, le
monde de l'éducation, que les universités, les cégeps, les
polyvalentes n'aient pas réussi encore à faire autre chose,
finalement - à quelques exceptions près -que d'énoncer des
programmes et dans la réalité concrète à ne donner
à peu près aucun résultat valable - je dis aucun,
j'exagère, je devrais dire peu de résultat valable - de
réinsertion et d'intégration au milieu scolaire. C'est une
très lourde carence dans le mouvement de
désinstitutionnalisa-tion.
Le milieu scolaire n'est pas hélas! le seul à avoir des
réticences et des difficultés à accepter
l'intégration. Il y a le manque de collaboration et le manque de
coordination des différentes instances. Même sur le plan des
associations ou des intervenants des Affaires sociales, on a de ces anomalies
où, par exemple, sans nommer précisément personne, les
centres d'accueil vont subir des pressions pour remettre quelqu'un en internat
qui a été intégré par le centre d'accueil dans une
ressource alternative. On connaît constamment de ces pressions. Que cela
vienne d'organismes, d'établissements ou de professionnels, elles sont
encore existantes et elles sont persistantes.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela ne vient jamais des
politiciens.
Une voix: Au fédéral.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Excusez-moi.
M. Pednault: Évidemment, je parlerai un peu plus loin des
autres intervenants. Mais c'est peut-être là que nous situons une
de nos principales recommandations, c'est la création. Cette suggestion
ou cette recommandation avait été faite lors de la
conférence À part... égale et elle visait à mettre
de l'avant une politique nationale en matière de
désinstitutionnalisation, une politique nationale qui pourrait se
créer ou commencer à se créer dans une conférence
ou dans un organisme - appelons cela plutôt un mécanisme -
national qui regrouperait les principaux intervenants sociaux qui peuvent
être concernés par la désinstitutionnalisation: le
ministère des Affaires sociales, l'Office des personnes
handicapées - cela va de soi -l'Association des hôpitaux, celle
des centres d'accueil, les CRSSS qui sont les organismes régionaux, les
CSS, les Centres de services sociaux, les CLSC, évidemment, des
organismes de promotion communautaire ou les clubs sociaux, etc.,
évidemment, les syndicats qui ne sont pas les moindres intervenants dans
cette panoplie.
On pense à des intervenants comme l'Union des
municipalités qui sont évidemment impliqués - le
règlement de zonage, l'acceptation dans une communauté
donnée - les médias d'information qui devraient être
sensibilisés à l'ensemble de l'opération, le
ministère de l'Éducation du Québec, et nous en oublions
certainement.
Ce mécanisme national serait un mécanisme de consultation
et de concertation et deviendrait un instrument d'information, de
sensibilisation et de concertation. On ne pense pas à un
mécanisme ou à un organisme décisionnel qui chapeauterait
tous les différents organismes actuellement responsables, mais un
organisme dans lequel on pourrait s'asseoir et se sensibiliser les uns les
autres aux effets interactifs de chacun des gestes dans un ensemble de
désinstitutionnalisation.
Cette espèce de mécanisme existe ou a existé aux
États-Unis qui a été une espèce de mécanisme
national de concertation et qui a donné des résultats.
Je vous ai mentionné quelques considérations
légales. Vous avez posé des questions là-dessus dans le
mémoire précédent, mais on aura l'occasion de vous donner
plus de précisions.
Nos préoccupations sont aussi tournées sur la curatelle.
En particulier, on n'a pas encore inventé, au Québec, ou
peut-être pas pensé à des notions de parrainage civique qui
sont un peu l'inverse de la curatelle, si vous voulez. Au lieu d'enlever les
droits, on favorise leur exercice avec le parrainage. Ce sont des notions qu'on
n'a à peu près pas développées dans notre
société encore, qui commencent à poindre, qui sont
expérimentées ailleurs et qui pourraient être très
intéressantes.
Lorsqu'on parle de considérations légales ou de petits
embêtements législatifs, c'est plutôt, sans aller dans les
détails, dans les diverses réglementations qu'elles peuvent se
retrouver, plus que dans les gros changements législatifs, les grands
cadres législatifs actuels. Il y aura peut-être une foule de
réglementations qui peuvent devenir des barrières au mouvement de
désinstitutionnalisation.
Les réticences des intervenants, la communauté. On a
détaillé dans le mémoire précédent. Je pense
qu'il est assez facile de
comprendre. On a eu des exemples frappants de certaines
municipalités qui ont fait des guerres saintes contre l'arrivée
d'un foyer de groupe, d'une prison ou d'une institution parmi leur bungalow,
dans leur banlieue cossue et correcte. Cela va exister encore, dans la mesure
où on ne peut pas arriver avec des résultats au premier coup. La
crainte des parents, la fréquentation des enfants, la
fréquentation des milieux scolaires, je pense que tout cela est bien, je
ne dirai pas compréhensible, on comprend que ça existe; la
tristesse, c'est qu'on n'a pas réussi encore à éliminer au
moins le début des préjugés émotifs et le manque de
rationnel de certaines oppositions. Dans certains coins, il y a très
peu, sinon pas du tout de travail de fait à ce niveau.
Évidemment, il y a les syndicats, actuellement, avec leurs
conventions collectives chromées qui, au-delà de leurs
réticences naturelles aux changements - on comprend que, en
général, les gens sont réticents aux changements, les
syndicats comme les autres - au-delà de la protection légitime de
leurs membres, ont, à bien des égards et à bien des
endroits, opposé un refus catégorique et irrationnel à des
modifications ou des changements. Ils ont refusé, je pense, souvent,
d'établir des priorités dans les droits; ils ont tenu à ce
que leurs droits soient prioritaires à ceux de tous les autres.
À bien des endroits encore, on ne considérait même
pas le recyclage ou la reformulation des tâches, par exemple, des gens
impliqués dans les centres d'accueil, même pas au niveau d'un
changement technologique normal qui est implicite dans toute la
société et qu'à peu près tous les métiers,
toutes les entreprises, tous les corps de professionnels ont subi un jour ou
l'autre, et qui nécessite un recyclage, une reformulation des
tâches, un adoucissement sur les principes de sécurité
d'emploi - 50 kilomètres, etc. Il y a un travail énorme
là-dedans et il nous semblerait que les syndicats sont d'abord et avant
tout des organismes conscients, progressifs et même
révolutionnaires dans certains cas, qui voudraient que la
société change. Il faudrait peut-être les convaincre que,
si la société doit changer, et nous en sommes, il n'y a pas
qu'eux qui doivent rester assis sur leurs chaises et tout le monde tourner
autour d'eux. C'est un aspect très important de la question; c'est
même un aspect primordial qui peut, comme cela s'est déjà
produit, bloquer ou bousiller de A à Z tout un processus de
réinsertion sociale ou de renouvellement des concepts de soins dans
l'espace d'une grève illégale.
Les journaux ont-ils collaboré comme intervenants sociaux? Les
journaux, jusqu'à maintenant, à part quelques excellents
journalistes spécialisés, n'ont-ils pas plutôt tablé
leur intervention sur le sensationnalisme et les quelques malheureux
événements qu'on peut qualifier de scandaleux pour certains, qui
se sont produits. Les journaux n'ont peut-être pas aidé encore
là. C'est pour cela qu'on les mettait dans la grande concertation
sociale, dans le grand mécanisme où ils devraient apprendre
à interpréter les risques que doivent prendre les professionnels,
que doivent prendre les établissements, lorsqu'on veut faire la
désinstitutionnalisation de la réinsertion sociale, et accepter
que les risques qui doivent être pris vont comporter une marge d'erreur
inévitable et ne pas en faire la loi du plus petit dénominateur
commun. Lorsqu'il y en a un qui rate, on devrait abolir tous les autres.
Enfin, on prend souvent comme exemple, pour s'opposer à la
désinstitutionnalisation de la réinsertion sociale, les cas
lourds, les cas les plus difficiles. Les opinions sont partagées
à savoir si la désinstitutionnalisation devrait être totale
ou partielle. Je sais qu'il y a des tenants de la thèse pour qui
l'idéal est d'arriver à avoir une désinstitutionnalisation
totale où l'on ferait disparaître les institutions telles que nous
les connaissons. D'autres, pour le moment, ne sont pas convaincus que c'est un
absolu et qu'il ne devra pas rester une clientèle d'internat, une
clientèle d'institution. Cela, de toute façon, n'est pas pour le
moment le coeur du problème, parce qu'il faut respecter un rythme de
désinstitutionnalisation qui tienne compte des capacités des
professionnels, de l'organisation du milieu, de l'organisation des ressources,
des ressources budgétaires disponibles, etc. On a parlé
précédemment du rythme "sauvage" de
désinstitutionnalisation. C'est une erreur de penser qu'on puisse y
arriver demain matin, tout à coup, parce qu'on n'a pas encore tous les
mécanismes en place. Est-ce qu'elle devra être poussée
à l'extrême, à l'absolu? Est-ce qu'on devra arriver
à la désinstitutionnalisation totale? Peut-être que les
prochaines années nous indiqueront quelle voie suivre et jusqu'où
on peut aller dans ce domaine.
Je ne vous répéterai pas, Mme la Présidente, les
douze recommandations de notre mémoire. Je pense que j'ai donné,
dans le contenu, l'essentiel des souhaits et des recommandations que
l'association fait. Ils sont bien précisés dans le
mémoire. Je ne me suis pas étendu sur l'absence de recherche,
parce que le groupe précédent vous a parlé longuement de
la recherche. Ce n'est pas l'absence de recherche. Je pense qu'ils sont bien
placés pour en témoigner; ils font de la recherche et ils avouent
que nous sommes au tout début de la recherche à ce sujet. Les
praticiens qui m'entourent souffrent dans une grande mesure du manque de
recherche. Ils sont obligés, dans une
grande proportion, de la faire eux-mêmes et ils sont dans l'action
en même temps. Ils n'ont pas toujours les ressources et les moyens de
faire leur bilan, leurs constatations, de procéder à leurs
comparaisons de façon que leur expérience puisse être
réalignée, poursuivie ou réorientée. (13
heures)
En conclusion, les centres de réadaptation qui font partie de
l'Association des centres d'accueil du Québec souscrivent
d'emblée, comme vous le voyez, je pense, au principe de valorisation du
rôle social de toute personne qui présente des difficultés
entravant son adaptation sociale et, plus particulièrement, de celle qui
présente une déficience intellectuelle.
Mme la Présidente, si vous et vos collègues à la
table êtes intéressés, les miens sont très
intéressés à vous fournir, dans la mesure du possible, les
réponses qui vous sembleraient intéressantes.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci, M. Pednault. Avant de procéder j'aimerais demander
à mes collègues s'ils seraient d'accord pour qu'on poursuive
jusqu'à 13 h 30 pour tenir la période des questions afin de
pouvoir libérer le groupe par la suite. Cela va?
Je veux d'abord remercier l'Association des centres d'accueil du
Québec d'être venue devant la commission. C'est évident que
le mandat que la commission s'est donné touchait davantage les personnes
atteintes de troubles mentaux, quoique, dans notre esprit, je dois vous le
dire, j'ai eu l'occasion de le dire hier, on avait accepté d'ailleurs
d'autres mémoires venant de groupes porte-parole de la déficience
mentale. Comme vous l'avez dit, ces populations, par un développement
historique, si on peut dire, se sont retrouvées souvent dans les
mêmes institutions, ont connu ou connaissent les mêmes
problèmes de réinsertion sociale. Il y a en plus,
également, au point de vue de diagnostic différentiel, des cas
qui sont quand même des cas frontière entre la maladie mentale et
la déficience mentale ou vous avez des cas de déficience mentale
auxquels s'ajoutent des problèmes de comportement aigus qui
évoluent souvent dans la mesure où la psychiatrie est capable de
préciser certains comportements de type psychotique à l'occasion.
Il y a toute cette zone grise. De toute façon, nous étions
certainement soucieux de permettre à ces personnes qui vivent dans la
communauté et qui ont un handicap mental, qu'il soit de la nature de la
déficience mentale ou le résultat de la maladie mentale ou de
problèmes psychiques, d'essayer de voir les moyens qui pouvaient
être mis à leur disposition pour les soutenir et ne pas aggraver
souvent leurs conditions de vie personnelle ou sociale.
Je suis particulièrement heureuse de voir ici le
représentant de Butters. Comment l'appelle-t-on aujourd'hui? Tout cela a
été francisé.
Une voix: Cela s'appelle Butters.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le centre d'accueil
Butters. Je pense que c'était Cecil Butters dans le temps.
M. Dallaire (Marcellin): Cecil Butters Memorial Hospital.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela. Avec lequel
je suis particulièrement familière mais avec un recul assez
considérable quand même et sur lequel d'ailleurs j'avais
interrogé le ministre des Affaires sociales, lors de l'étude des
crédits, parce qu'on avait parlé de l'expérience que vous
meniez là. Cela m'intéressait beaucoup parce qu'à moins
que la population se soit modifiée beaucoup dans les quinze
dernières années, c'était une population qui,
traditionnellement, pour la majorité, était diagnostiquée
comme étant des cas d'arriération mentale "sévère",
entre guillemets. Je suis heureuse, également, de voir la directrice des
services professionnels du centre d'accueil Anne-LeSeigneur où on sait
que la transition ne se fait pas sans heurts, et, également, les autres
qui sont membres ici.
Avant de passer au contenu de votre mémoire lui-même,
j'aimerais poser une question générale. Est-ce que les centres
d'accueil, mis à part la population déficiente mentale dont vous
vous occupez, n'ont pas aussi des préoccupations de réinsertion
sociale dont l'extension peut être différente d'un individu
à l'autre dans d'autres centres d'accueil, par exemple, eu égard
à des personnes âgées qu'on considère séniles
pour lesquelles, possiblement, il pourrait y avoir des préoccupations de
retour dans la communauté et également à d'autres types de
clientèles qui se retrouvent dans vos centres de
réadaptation?
M. Cloutier (Pierre): C'est effectivement un mode de
pensée important, notamment à l'association, mais aussi dans le
réseau des centres d'accueil. Il est bien sûr qu'à cause
des influences américaines principalement, les centres d'accueil pour
handicapés intellectuels ont subi des courants d'idée plus
importants là-dessus au cours des dix dernières
années.
Par contre, en mésadaptation, on peut aussi dire, qu'à
compter du rapport Batshaw, en 1976, il s'est fait un travail fort important de
désinstitutionnalisation en ce sens et de développement d'autres
moyens d'intervention qu'on appelle aussi palliatifs à l'occasion, mais
d'autres ressources que la
formule institutionnelle formelle qu'on a toujours connue.
Là-dessus, il n'y a pas de limite à la création. On
parlait de foyers de groupe. Il existe 153 possibilités d'outils
à utiliser. Je pense que l'essentiel qu'il faut retenir de cela, c'est
d'essayer de construire un continuum de services, un coffre d'outils
suffisamment large afin qu'on puisse avoir le bon outil en réponse aux
besoins des gens. Ce n'est ni le foyer de groupe, ni l'institution, ni la
famille d'accueil qui est parfaitement la réponse aux besoins de tout le
monde, et il faut essayer de détailler la gamme des services en
question. En ce sens, c'est là qu'on peut atteindre des objectifs de
réinsertion sociale plus importants.
Plus récemment, on a commencé aussi à se poser des
questions importantes sur, par exemple, le placement des gens du
troisième âge. On a trouvé, dans les vingt dernières
années au Québec, que les personnes âgées devraient
être placées en centre d'accueil d'hébergement. C'est
l'exercice qu'on a fait. Il fallait créer ces établissements, les
structurer, les organiser, etc. On commence maintenant à s'interroger
sur notre action d'institutionnaliser, d'une certaine façon, au sens
large de votre question, son résultat à long terme, par exemple,
la mise en place des pavillons greffés au centre d'accueil, etc.
J'ai l'impression que, dans les prochaines années, ce mouvement
de remise en question de l'institution avec toutes ses formules
apparentées, plus ou moins grosses, etc. Est-elle toujours la
réponse à tout le monde finalement? De ce côté, vous
pouvez être assuré qu'à l'Association des centres
d'accueil, il y a un souci de regarder cela de très près,
c'est-à-dire que le maintien dans le milieu naturel doit demeurer la
priorité la plus essentielle. C'est bon un centre d'accueil, mais
lorsque tu en as besoin, et seulement à ce moment-là.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pour la population
déjà dans les centres d'accueil, compte tenu de l'âge des
personnes, à l'heure actuelle, même si elles n'en ont pas
strictement besoin, si elles peuvent fonctionner et si elles ont
conservé une certaine autonomie, pensez-vous à un retour à
la communauté?
M. Cloutier: Si vous pensez au secteur des personnes
âgées principalement, l'alourdissement de la clientèle,
terme qu'on n'aime pas beaucoup, a provoqué plutôt la pression
inverse dans les dernières années, et, en ce qui a trait aux
clientèles relativement légères qu'on recevait dans les
années soixante-dix, qui maintenant ont des besoins minimaux par rapport
au coffre d'outils qu'on a développé en centre d'accueil, il y a
globalement peu de réinsertion sociale. Cela pose des problèmes
importants aux clients concernés. C'est devenu le milieu de vie,
l'établissement dont on parle. Je ne vous dis pas qu'il ne s'en fait
pas. On faisait des évaluations qui tournaient autour de 3 % ou 4 % des
clientèles. C'est relativement minime, mais la tendance a
été de créer une pression d'augmentation de services
plutôt que l'inverse. Lorsque vous avez placé, en 1970 ou 1972,
une dame de 72 ans, par exemple, qui, à l'époque devait
être en bonne santé pour entrer en centre d'accueil, vous
retrouvez, 12 ou 14 ans plus tard, une dame qui peut avoir 86 ans et qui est
encore en relative bonne santé, toute comparaison gardée avec
certains clients qui sont sur une liste d'attente, par exemple, comment
faites-vous pour la déplacer par le retour à domicile ou dans un
appartement surveillé, etc. ? Ce n'est pas très simple; c'est
relativement difficile à faire, ne serait-ce que du point de vue du
respect humain, de la planification qu'on n'a peut-être pas faite, des
prévisions dont on ne connaissait pas les enjeux. On n'est pas
sûr, en tout cas, qu'il faut que ce soit le client qui en subisse la
conséquence en disant: Ce n'est pas l'outil qu'il vous faut, madame;
vous retournez à domicile.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accdrd.
M. Cloutier: II y a un problème d'humanisation des
services là-dedans qui nous pose des questions importantes. Je ne sais
pas si cela répond à votre question.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, cela répond
à ma question. C'est parce que je voulais simplement souligner qu'il y
avait toute cette dimension aussi de réinsertion sociale.
M. Cloutier: Vous avez tout à fait raison.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, on va revenir
à la déficience mentale puisque c'est l'objet principal de votre
mémoire. J'aimerais demander à M. Dallaire - on va partir de cas
concrets - de mémoire, je pense que, tout à l'heure, on a dit que
vous aviez désinstitutionnalisé environ 160 personnes?
M. Dallaire: Oui, 140 personnes.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): 140 personnes.
M. Dallaire: D'ailleurs, les chiffres sont arrondis pour
simplifier.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Donc, 140 personnes.
C'était une institution de combien d'enfants?
M. Dallaire: Peut-être qu'on va simplifier les
étapes. En 1974, quand l'établissement est devenu public au sens
de la loi, il y avait 425 personnes, mais il y a eu tout un mouvement qui a
été fait en collaboration avec le ministère des Affaires
sociales de replacement dans les régions. Première étape.
Alors, si on revient, après cela, à une seconde étape, en
1977, où il y avait 269 personnes, ce qu'on pourrait peut-être
simplifier et caricaturer sur une période de temps d'à peu
près cinq ans, 40 personnes ont été placées en
famille d'accueil, famille d'accueil simple, famille d'accueil de la
première classification régulière en collaboration avec le
CSS. C'est peut-être une première étape sur une
période de cinq ans. Ces personnes sont effectivement ce que vous avez
retenu de votre expérience antérieure. Ce sont des personnes avec
un handicap souvent sévère et profond et d'autres handicaps,
d'autres difficultés associées.
Cependant, pour rendre ce travail possible, nous assurons aux familles
d'accueil un soutien en collaboration avec le CSS et nous assurons à
toutes ces personnes un soutien sous forme d'atelier ou de type centre de jour
pour conserver la stimulation, conserver l'appui, conserver l'encadrement, ce
qui revient à dire que ces personnes demeurent en famille d'accueil. Le
centre d'accueil leur fournit le transport et les amène, pendant le
jour, soit dans un SAHT -service d'apprentissage aux habitudes de travail - ou
dans un milieu où on continue leur stimulation de façon à
conserver leur acquis, sinon le développer. C'est un premier type qui a
été expérimenté.
Un deuxième type d'intégration de 20 personnes, dans une
situation un peu spéciale à cause de l'exiguïté des
locaux, il a fallu tout à coup, à cause de la difficulté
des locaux, faire une intégration forcée dans les familles de nos
employés où nous avons placé deux
bénéficiaires avec un employé, dans sa maison, en lui
donnant un soutien complet de supervision. L'employé demeure chez lui,
demeure un employé du centre, mais il est supervisé par une
infirmière et par un éducateur pour qu'il y ait continuellement
une stimulation au niveau de la maison. Et les personnes qui sont là
sont véritablement des bénéficiaires déficients
profonds, sévères, dont les capacités de mobilité
sont très minimes. Cependant, ils ont un encadrement professionnel tel
qu'à l'heure actuelle, les études qu'on a faites sur leur
évolution sur une période de cinq ans nous permettent d'affirmer
qu'ils développent leur potentiel malgré leurs difficultés
et leurs handicaps.
Bien entendu, nous avons créé ce qui est peut-être
fait un peu partout, les foyers de groupe. Nous avons développé
cinq ou six, des appartements, mais avec un concept un peu particulier qu'on
pourrait appeler le foyer de groupe pivot qui est d'inspiration anglophone, le
Core Group Home, c'est-à-dire que le foyer de groupe demeure la
ressource dans un milieu où les personnes qui sont capables
d'intégration en appartement vont aller en appartement, mais si elles
ont une difficulté, elles téléphonent au foyer de groupe
pour avoir un support, pour avoir de l'assistance, ce qui fait qu'un foyer de
groupe qui peut accueillir facilement huit personnes, tout à coup, va
donner des services à dix personnes qui sont en appartement, qui ont
développé une certaine autonomie, mais qui ont besoin de
supervision et qu'il y a ainsi une multiplication, des services
résidentiels à partir de cet élément.
Il est entendu, à partir du moment où on parle de foyer de
groupe, que les personnes sont d'une autonomie un peu plus grande. Je ne parle
plus du tout du type de personnes dont je parlais tout à l'heure, mais,
tout de même, ce sont des déficients moyens ou moyens vers le
sévère et le profond à certains moments. (13 h 15)
On peut ajouter à ceci certaines expériences qui
s'apparentent beaucoup à des familles d'accueil, mais que nous n'avons
pas appelées, dans notre jargon, familles d'accueil, mais c'est
plutôt un mini-pavillon, c'est-à-dire quelqu'un qui a vraiment
stabilisé ses acquis, qui n'a plus besoin d'être stimulé
périodiquement ou régulièrement et qui peut aller dans une
famille. Il a tout de même besoin d'un encadrement assez
sévère. A ce niveau-là, nous avons signé avec un
certain nombre de familles un contrat où la famille doit maintenir des
acquis et faire rapport au centre d'accueil et autoriser la visite du centre
d'accueil à cette famille-là, ce qui nous permet, encore une
fois, d'avoir un maintien des acquis et non pas que la personne soit
laissée dans un milieu sans aucun maintien des acquis.
J'aimerais noter que toute cette démarche a été
faite en général avec très peu de professionnels,
c'est-à-dire que les personnes ont reçu de la part du centre
d'accueil une formation de base ou concept, la capacité de
développement, la capacité d'adaptation et après cela,
quelques technologies qui en général s'inspirent du
béhaviorisme: Comment on fait pour renforcer positivement le bon
comportement et essayer d'éviter les comportements qui sont
peut-être un peu difficiles?
Je pense que cette démarche a nécessité beaucoup
d'encadrement, mais un encadrement simple, un encadrement de support et a fait
en sorte que d'un établissement - je reprends les chiffres de 1977 -
où il y avait 269 personnes qui étaient véritablement
à l'interne à ce moment-là, à l'heure actuelle, il
reste à peine 70 personnes qui sont encore à l'interne dans un
encadrement institutionnel,
peut-être à cause de deux critères: une condition
médicale non stabilisée - il est difficile d'intégrer dans
une famille, dans une communauté, dans un appartement, une personne qui
a des problèmes d'adaptation, mais en plus une condition médicale
où il y a des variations imprévisibles deuxièmement, le
critère de comportement non prévisible ou avec une variation dans
les comportements qui fait que c'est assez difficile de prévoir quel
comportement difficile aura lieu à tel jour. Je pense que ce sont,
à l'heure actuelle, les personnes qui sont encore en institution.
Malgré cela, le plan continue, ce qui fait que probablement, d'ici aux
trois ou quatre prochaines années, à peine une trentaine de
personnes seront encore en institution. Je parle de projection.
Les autres sont toujours encadrées et supportées par le
centre d'accueil. Le plan d'intervention est défini pour chaque personne
en collaboration avec tous les intervenants et les intervenants comprennent les
parents, s'ils sont là, puisque la clientèle des quatre ou cinq
dernières années tient compte de la population locale alors
qu'antérieurement on avait une population qui venait d'à peu
près partout au Canada. Maintenant, depuis les quatre ou cinq
dernières années, on tient compte de la population locale. Les
parents, quand ils peuvent être impliqués, sont impliqués;
le travailleur social, les intervenants directs que ce soit à
l'école ou ailleurs et l'ensemble des personnes a son plan
d'intervention pour son développement.
Cette démarche a été très progressive
malgré les difficultés, c'est-à-dire qu'il y a eu des
blocages, mais en général, elle a réussi. Je pense
qu'à l'heure actuelle, il demeure encore des étapes è
franchir mais cela se fait dans un contexte de centre qui offre des services et
non plus qu'une boîte à encadrement.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Pourriez-vous me dire quelle est la stabilité de vos familles
d'accueil? Je peux poser ma question d'une autre façon: Quelle a
été la persévérance des enfants dans leur famille
d'accueil?
M. Dallaire: Si je prends ce que j'appelle dans le jargon du
centre d'accueil Butters, les familles suivies qui sont des employés du
centre, le projet dure depuis près de six ans à l'heure
actuelle.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ils sont payés
comme employés, cela fait partie de leur tâche?
M. Dallaire: Ils sont payés comme employés,
oui...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je parle des familles
d'accueil ordinaires.
M. Dallaire: Les familles d'accueil, à l'heure actuelle,
ont plus de trois ans de maintien dans la même famille.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Pouvez-vous me donner le taux de déplacement des enfants qui ont
été placés dans les familles d'accueil ordinaires durant
les cinq dernières années?
M. Dallaire: Ce serait une approximation. Je pourrais
peut-être...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est un autre facteur du
point de vue de la stabilité des enfants. Ces enfants qui maintenant
s'en vont vers l'âge adulte - ou il y a peut-être des jeunes
adultes dans ceux que vous ave2 placés, j'imagine - qu'est-ce que vous
prévoyez pour eux quand ils arriveront vers l'âge de 35 ou 40
ans?
M. Dallaire: L'âge moyen des personnes est de 30 ans, Mme
la Présidente; déjà ce sont des personnes assez
âgées. C'est une approximation et si je me trompe... D'abord,
c'est une expérience de cinq ans dans les familles d'accueil. Trois ans,
c'est certainement une très bonne moyenne et il y a eu assez peu de
replacements. Je pense que je ne dépasserais pas beaucoup les 10 %
à 15 % de replacements dans l'expérience tout de même
relativement courte quand on regarde l'évolution d'un
système.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vous avez fait
une projection sur le nombre? Vous avez dit qu'un de vos problèmes,
c'est évidemment le recrutement des familles d'accueil et vous dites: Je
vois quelque part que les CSS devraient recruter plus de familles d'accueil.
C'est un petit peu, d'une certaine façon, un voeu pieux, parce que je
pense bien que tout le monde veut en recruter plus. Le problème, c'est
d'en recruter qui soient capables, qui soient bonnes.
Quelle est votre projection, compte tenu des populations que vous servez
présentement dans ces centres et aussi la projection
générale dans la population atteinte de déficience
mentale? Comme vous le disiez tout à l'heure, il y en a qui vont rester
plus près de leur famille, parce que les familles vont avoir plus
d'appui. Quelles sont vos projections de besoins en famille d'accueil?
M. Cloutier: On n'a malheureusement pas de chiffres sur cette
question.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Même si on se limite à la population qui est actuellement
dans vos centres d'accueil et
que vous voudriez sortir?
M. Cloutier: On n'a pas ce chiffre aujourd'hui, malheureusement.
Ce qui nous inquiète, en ce moment, par rapport à la question des
familles d'accueil, ce sont les effets de la catégorisation qu'on vient
d'adopter dans les dernières modifications législatives: la
division et la mécanique qui va s'installer alentour de certains projets
qu'on a vus jusqu'à ce jour de la part du ministère des Affaires
sociales; les contrats que cela va imposer et la responsabilité de
réadaptation et d'appui à ces familles.
C'est un document, en ce moment, en débat avec le
ministère des Affaires sociales, mais notre perception pour les
prochains mois et années par rapport à cela n'est pas très
rassurante en raison de ce qui est proposé à ce jour. D'ailleurs,
on a fait des représentations sur cette question et on attend les
résultats, bien sûr. Si la commission avait intérêt
à connaître un chiffre semblable pour appuyer certaines
données, on serait disponible...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Tout à l'heure,
vous nous avez glissé dans votre présentation: Respecter le
rythme de possibilité de la désinstitutionnalisation, ne pas en
imposer un. Enfin, c'était un peu voilé, mais on a quand
même ce sentiment comme citoyens ordinaires, puisqu'on entend des
parents; on entend la résistance des parents - peut-être pas de
ceux qui ont encore leur enfant à la maison, mais de ceux dont l'enfant
a été placé - de voir changer son mode, parce que, pour
ces parents, le placement dans une institution d'État est
peut-être une forme de sécurité à long terme; quoi
qu'il leur arrive, ils n'avaient pas à s'inquiéter de leur enfant
et cela disparaît avec la désinstitutionnalisation. Quelles sont
les solutions de rechange que vous offrez aux parents dans ce sens?
M. Proulx (Gilles): Dans la mesure où la
désinstitutionnalisation se fait vers différents
mécanismes, on a toujours dit aux parents, nous, que la
désinstitutionnalisation d'un bénéficiaire, ce n'est pas
nécessairement le retour chez lui. Ce que les parents ont de la
difficulté à concevoir - je les comprends -c'est que quand on
prend un bénéficiaire et qu'on le place dans une famille
d'accueil, on vient peut-être de créer chez le parent un sentiment
de culpabilité en ce sens que si une famille d'accueil est capable de le
prendre et que lui n'est pas capable de le prendre... C'est cela qu'il faut
discuter avec les parents.
Il faut faire comprendre aux parents, dans le fond, que, pour nous, la
famille d'accueil devient un moyen de désinstitutionnalisation. C'est un
moyen comme tel parmi différents autres. L'appartement va devenir un
moyen, l'internat, le semi-internat ou le foyer de groupe aussi. La famille
d'accueil devient un moyen.
Si on fait la désinstitutionnalisation en prenant un
bénéficiaire et en le déplaçant, sans lui apporter
tout soutien, je pense qu'on crée chez les parents un sentiment
d'insécurité, et ils se disent: Un jour, cela ira mal en famille
d'accueil, ils vont nous le ramener chez nous.
Ce qu'il faut dire aux parents quand on désinstitutionnalise,
c'est que les moyens qu'on prend, le centre d'accueil aussi donne tout le
support à ces différents moyens, autant dans des foyers de
groupe, que dans les appartements, que dans les familles d'accueil.
Ce qu'il faut trouver maintenant, ce sont les mécanismes qui vont
faire en sorte de savoir à quel endroit le centre d'accueil va
intervenir. La journée où on aura placé un
bénéficiaire dans un appartement et qu'on aura jugé ce
bénéficiaire assez autonome, est-ce qu'on va intervenir tous les
jours, à toutes les heures ou n'interviendra-t-on pas juste à
quelques occasions pour faire en sorte de maintenir les acquis du
bénéficiaire ou, du moins, comme Marcellin disait tantôt,
de les développer?
Peut-être que dans une famille d'accueil où on place un
bénéficiaire qui a besoin de plus d'encadrement, le centre
d'accueil interviendra beaucoup plus souvent. Mais ce que Pierre disait tout
à l'heure, c'est que quand vous regardez tout le mécanisme qui
s'en vient par rapport à la catégorisation des familles
d'accueil, quel va être le rôle des centres d'accueil et celui du
CSS? Est-ce qu'on est en train d'engager une chicane de juridiction?
Les familles d'accueil, pour nous, c'est un moyen...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Pouvez-vous nous expliquer votre problème de
catégorisation? Je sais que dans les règlements de la loi 27, on
a catégorisé les familles d'accueil, mais je n'en comprends pas
les répercussions.
M. Langelier (Gilles): Justement, les règlements de la loi
27 amènent maintenant trois types de familles d'accueil.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord, oui.
M. Langelier: Dans l'opérationnalisation de ce
règlement, le ministère des Affaires sociales a émis un
document de travail, en consultation, où on cherche à donner une
certaine forme à ce règlement et comment, sur le terrain, les
gens vont pouvoir travailler avec cela. On amène donc trois types de
familles d'accueil, et concernant plus spécifiquement les familles
d'accueil de
réadaptation, on se trouve placé devant un
mécanisme administratif fort compliqué, lourd: contrat de
services, double plan d'intervention. Évidemment, ce sont toutes des
propositions, on n'a pas vu la version finale, il y a des décisions qui
doivent se prendre prochainement là-dessus. Tel que
présenté dans une proposition, c'est fort complexe à
utiliser, à opérationnaliser.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Même avant la catégorisation, n'aviez-vous pas les
mêmes problèmes sur le plan administratif? Les foyers d'accueil,
les familles d'accueil relevaient des CSS?
M. Langelier: C'est ça.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Là, je comprends
qu'il y en a une pour les mésadaptés socio-affectifs et l'autre
pour... C'est dans ce sens qu'on a des familles d'accueil simples, des familles
d'accueil plus spécialisées, etc. Au plan fonctionnel, quelle est
la difficulté supplémentaire que ça vous apporte?
M. Langelier: Ce sont des difficultés strictement
administratives; avant, c'étaient strictement les CSS, et là, on
parle d'une espèce de système de double gestion autour de cela.
Il y a cette espèce de tendance qu'on a sentie à travers
ça aussi de vouloir tout chapeauter ce qu'on appelle le secteur des
ressources alternatives par la nouvelle appellation de familles d'accueil. On
parle par hypothèses parce qu'on n'a pas vu de version finale, on n'a
pas connu encore les décisions qui ont été prises
là-dessus, mais dans le contexte actuel, tel qu'émis dans la
proposition qui a été soumise à notre étude, ce
serait fort compliqué à opérationnaliser.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député de Bourassa.
M. Laplante: Je vais devancer un peu un mémoire qui est
supposé être présenté demain, mais vu que ça
concerne le centre Anne-LeSeigneur... Au mois de mars 1985, lors d'un colloque
régional dans la Montérégie, vous avez
présenté un document qui vantait les mérites du foyer
à des gens à la recherche d'un appartement. Au début, les
gens étaient réticents, mais par la suite, vous donniez une foule
de qualités, de choses positives qui se sont faites, peut-être en
bons voisins qui se préoccupent d'être bien. Le grand plaisir,
c'est, de temps en temps, d'aller boire un café avec les gens en
appartement.
Je ne vous lirai pas tout cela, mais il y a une réponse, ici, en
date du 22 février 1985, où on demande: Est-ce améliorer
les conditions de vie de ces gens-là? Cela me préoccupe un peu,
et je vous pose la question pour que, demain, j'aie des éléments
de défense. Est-ce que vous améliorez les conditions de vie
lorsqu'un bénéficiaire se lève à 5 h 30 pour aller
travailler au SHAT - je ne sais pas où c'est - et revient au centre
à 18 heures, alors qu'il faisait la même chose de 9 heures
à 16 heures au gymnase du centre? J'en aurais pas mal long à vous
lire. Lorsqu'un bénéficiaire prend seulement un Seven-Up pour
déjeuner, car personne n'est là pour l'influencer sur son
hygiène alimentaire? Lorsque les bénéficiaires
règlent leurs différends à coups de botte à lunch
parce qu'ils sont laissés sans supervision? Lorsqu'un
bénéficiaire va à la piscine municipale, même si
c'est contre-indiqué? Lorsqu'un bénéficiaire décide
de ne pas aller travailler, sans que personne ne le sache, qu'il ne
reçoit pas sa médication? Lorsqu'un bénéficiaire
externe, maintenant, se fait battre à la brasserie, après avoir
ingurgité quelques bières et bavé quelques clients?
Lorsqu'un bénéficiaire externe ne mange que des pâtes
alimentaires s'il ne sait pas faire autre chose? Lorsqu'un
bénéficiaire circule en manteau de printemps non attaché
à -15 parce qu'il n'a pas de couturière au foyer pour
réparer son manteau? Lorsqu'un bénéficiaire externe doit
faire poser des plastiques à ses fenêtres parce qu'il fait froid
dans son appartement, que l'eau courante ne circule pas, qu'elle est presque
gelée? La personne est toujours habillée 24 heures par jour dans
son appartement. (13 h 30)
Est-ce améliorer leur sécurité lorsqu'un
bénéficiaire prend neuf dilantin 100 mg, une dose de trois jours
- c'est arrivé un dimanche et on en a été informé
le mardi suivant - qu'un bénéficiaire trop travaillant
déblaie la neige sur la voie ferrée de Chambly? Qu'un
bénéficiaire en diarrhée prend trois doses de lait de
magnésie? Qu'on fournit les Gravol à nos
bénéficiaires externes qui en prennent quatre aux trois heures au
lieu d'une aux trois ou quatre heures parce qu'il a mal saisi la consigne?
Qu'un bénéficiaire a été retourné chez lui
à son appartement le vendredi midi parce qu'il avait vomi à son
travail et le dimanche après-midi, celui-ci appelle l'infirmier au
centre... Pardon?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député, on a assez d'exemples pour qu'il vous réponde, je
pense.
M. Laplante: Oui, c'est tout cela.
Mme Gladu (Sylvie): Vous avez lu une lettre qui avait
été envoyée...
M. Laplante: C'est la lettre que vous auriez reçue
à votre centre; c'est un extrait d'une lettre d'un infirmier...
Mme Gladu: C'est cela.
M. Laplante:... de ce même centre d'accueil en date du 22
février 1985. Ils sont contre le fait que les malades aillent en
appartement.
Mme Gladu: D'accord. Vous voulez que je réponde à
la question...
M. Laplante: Oui, j'aimerais dire là-dessus...
Mme Gladu:... est-ce améliorer les conditions de vie?
M. Laplante: Vous donnez les avantages, les bienfaits pour ces
malades...
Mme Gladu: Oui.
M. Laplante:... l'acceptation du milieu, mais celui-ci donne, par
contre, le côté négatif d'un placement semblable en
appartement.
Mme Gladu: Peut-être puis-je faire seulement une
correction. Plusieurs des exemples qui sont inscrits dans cette lettre
concernent des bénéficiaires alors qu'ils étaient encore
à l'interne. Ce ne sont pas uniquement des exemples de personnes qui
sont désinstitutionnalisées. Ce sont souvent des exemples qui
sont apportés par du personnel pour empêcher qu'on procède
à la désinstitutionnalisation. Or, si on questionne le personnel
qui travaille effectivement dans les services externes depuis bientôt un
an ou un an et demi, personne parmi ce personnel ne voudrait revenir à
l'interne pour travailler. Les commentaires qu'on peut observer, les
évaluations qu'on peut faire à chaque année et qui portent
vraiment sur des comportements très spécifiques dans chacun des
domaines de la vie montrent quand même qu'il y a des acquisitions
très importantes qui ont été faites.
Plutôt que de reprendre chacun des exemples, ce serait long et je
n'aurais pas en mémoire toutes les réponses, peut-être que
je peux expliquer un peu la façon dont on procède. Cela est
intéressant dans l'optique de la désinstitutionnalisation et de
l'intégration à la communauté. Avant, on avait une
structure qui était quand même relativement rigide et qui ne
permettait pas facilement de répondre de façon individuelle aux
besoins de chaque personne. Ce qui arrive en procédant à
l'intégration à la communauté des personnes, cela donne un
peu plus de flexibilité à ce niveau-là. Tantôt, on
parlait justement des familles d'accueil. J'ai failli répondre à
savoir qu'il était difficile a priori d'identifier le nombre de familles
requis. Pourquoi? Parce que toute la démarche de l'intégration
à la communauté est basée sur les besoins de la personne;
c'est cette personne qui doit être le point central de la
démarche. Si on ne part pas de cette manière-là, on risque
de faire une erreur. La façon dont on procède: on fait une
évaluation complète de la personne. Le personnel
éducateur, le personnel infirmier et tous les intervenants qui sont
concernés, qui connaissent cette personne, vont participer à
l'évaluation de telle sorte qu'on va pouvoir avoir un portrait de la
situation personnelle de chacune des personnes que l'on dessert.
Une fois cela fait, cela nous permet d'établir les forces et les
besoins spécifiques de chaque individu et de déterminer à
partir de ses forces et besoins, les objectifs qui vont être à
travailler au cours de la prochaine année. On se base sur ces objectifs
et on détermine des priorités tout d'abord pour identifier le
type de ressources résidentielles ou alternatives nécessaires qui
pourraient vraiment répondre à ses besoins et identifier
également les plans de programmation individualisés qui vont
devoir être mis en place durant la prochaine année. Il y a tout un
système de suivi qui est fait vraiment sur une base individuelle et qui
permet de suivre chacune des personnes.
C'est la façon dont on procède. C'est finalement ni plus
ni moins comme le plan de service qui a été proposé par
l'OPHQ dans sa proposition de politique "À part... égale".
En plus, on s'est doté d'un système de croisement. Donc,
cela a demandé un réaménagement de la structure de telle
sorte qu'un coordonnateur, par exemple, qui, de façon "line",
était responsable de différents services et d'environ une
cinquantaine de bénéficiaires va également tenir le
rôle de coordonnateur du plan de service, donc de vérificateur non
pas pour ses clients, mais pour les 50 clients d'un autre coordonnateur. Donc,
le système de croisement permet de se doter d'un système pour
s'assurer de la qualité des services. C'est un peu de cette
manière qu'on procède pour identifier les besoins et les services
à donner à chacune des personnes qu'on dessert.
M. Laplante: Mais est-ce que les services se donnent chez vous,
de 9 heures à 17 heures, du lundi au vendredi?
Mme Gladu: En fait...
M. Laplante: Est-ce exact?
Mme Gladu:... cela se réfère à des ateliers
qui étaient anciennement situés dans le gymnase de la
bâtisse. J'aimerais rappeler ici les principes de normalisation sur
lesquels on s'appuie. En fait, si on regarde comment chacun vit dans la vie, on
a une maison où on habite, où on va prendre un repas. On se
lève à une certaine heure pour quitter cet
endroit et se rendre dans un autre endroit où on va aller
à l'école, où on va aller travailler, etc. Cela fait
partie du rythme de vie quotidien qui est considéré comme normal.
On va travailler durant un certain nombre d'heures pour ensuite revenir
à ce même endroit qui est notre lieu d'habitation. On va avoir
également des loisirs qui vont être ailleurs. Donc, cela nous
demande de nous déplacer, d'entrer en contact avec d'autres personnes.
L'exemple qui a été apporté tout à l'heure, c'est
que les ateliers étaient auparavant situés dans la grosse
bâtisse, dans le centre d'accueil. Donc, la personne vivait dans une
unité avec douze ou seize autres bénéficiaires. Il y avait
une espèce de grande salle d'activité encore dans le même
environnement physique. Lorsqu'ils allaient travailler, ils n'avaient pas
besoin de s'habiller, de se vêtir d'un manteau ou de quoi que ce soit. Il
suffisait de descendre un escalier et de se rendre au gymnase dans un
simili-atelier de travail à cause du contexte physique. Les loisirs
étaient des loisirs institutionnels. Quand on parle d'intégration
à la communauté, je pense que c'est vraiment important de bien
comprendre ce que cela peut impliquer en termes... Quand on parlait de
collaboration et de concertation de la part des différents intervenants
impliqués, c'est ce que cela veut dire. Cela veut dire que la personne
va habiter dans une résidence X, Y, Z, qui va être dans la
communauté. Lorsqu'elle va manger, elle va acheter sa nourriture dans un
établissement près de chez elle, elle va aller acheter des choses
pour revenir ensuite chez elle pour les préparer et les manger. Cela
signifie également qu'elle va devoir partir le matin, prendre l'autobus,
se rendre à un lieu de travail qui est le service d'apprentissage aux
habitudes de travail. Cela signifie qu'elle va reprendre l'autobus, le soir,
après ses heures de travail, pour retourner chez elle. Si elle a des
loisirs, elle va devoir prendre un moyen de transport pour se rendre au
cinéma ou à une activité quelconque. C'est cela. La
personne qui vit avec une déficience intellectuelle va pouvoir
être intégrée à cette communauté qui est la
sienne. Si elle entre en interaction avec les gens de cette
communauté...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse de vous
interrompre.
Mme Gladu: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce qu'il s'agit de
débiles légers...
Mme Gladu: En fait, au centre d'accueil...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... ou profonds, comme
ceux dont parlait M.
Dallaire?
Mme Gladu: Les personnes dont il s'agit sont des personnes qui...
On a des exemples. Cela dépend des exemples également. On dessert
actuellement une clientèle déficiente légère,
moyenne, sévère et profonde. On a vraiment toutes les
catégories. Par contre, actuellement, ce sont uniquement les personnes
qui vivent avec une déficience plutôt légère ou
moyenne légère qui sont désinstitutionnalisées.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord.
Mme Gladu: Cela, c'est le portrait actuel.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, M. Dallaire.
Voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Dallaire: J'aurais peut-être le goût d'ajouter, M.
le député, que je pense qu'on doit accepter dans tous ces
mouvements de désinstitutionnalisation qu'il y a un changement. Ce
changement est tout à fait important et l'objectif qu'on poursuit, c'est
de mettre ces personnes dans une situation, dans des conditions où elles
pourront exercer leurs droits. Donc, on améliore leur condition. Mais
quand on fait cela, c'est un changement. Le changement exige des transitions et
des apprentissages. Je peux dire que je ne connaissais pas la lettre, mais ce
sont peut-être des erreurs de parcours. Cela ne veut pas dire que dans
cela, il n'y a pas d'apprentissage, il n'y a pas de nouvelles situations. Un
exemple concret: dans un foyer de groupe, on a appris à un
bénéficiaire à traverser la rue. C'est un risque qu'il
faut prendre. Il faut d'abord le surveiller, le voir faire, le laisser aller
seul, regarder derrière une fenêtre. Mais le risque, comme
établissement, comme institution, on doit le prendre. C'est cela, le
risque de la désinstitutionnalisation, le risque qu'il y ait quelques
erreurs.
Si on veut faire un blocage, on n'a qu'à faire un catalogue des
erreurs et je peux vous dire que je pourrais allonger celui-là parce que
j'en ai vu d'autres. Là-dessus, je pense qu'ensemble on doit assumer
cette démarche, aussi bien les travailleurs que les administrateurs, de
façon qu'on soit en meilleure situation pour que ces personnes puissent
exercer leurs droits. Je pense que nous, comme aspect politique et comme
gestionnaires, nous devons accepter un risque et l'assumer ensemble. La police
va nous aider. Je peux vous dire que, dans une municipalité que je ne
nommerai pas, on a eu un appui fantastique des policiers pour traverser les
rues. C'est extraordinaire, mais on a eu l'appui de la municipalité,
des
parents pour nous aider à faire le transport public. On a eu des
erreurs aussi. Donc, il faut ensemble passer par-dessus ces quelques
éléments parce qu'on améliore la condition d'exercice des
droits des personnes, mais on va avoir des erreurs.
Mme Gladu: J'aimerais peut-être juste ajouter aussi,
concernant ce point-là, que je pense que M. Dallaire a tout à
fait raison quand il parle de risques. De songer à l'intégration
à la communauté des personnes qui vivent avec une
déficience intellectuelle, effectivement, cela comporte des risques. Par
contre, si on considère ce qu'une personne doit faire dans le cadre de
son développement, de la naissance jusqu'à l'âge adulte et
plus tard, cela implique nécessairement des risques. Quelqu'un qui n'en
prend pas ne peut pas se réaliser, ne peut pas s'actualiser. Le
problème fondamental qu'on a vu jusqu'à présent, c'est
justement l'institution qui, surprotégeant, a éliminé tout
risque de la vie de ces personnes-là.
Ces personnes-là étant protégées,
surprotégées, brimées de toutes leurs
responsabilités et de tous leurs droits en ce sens qu'elles n'avaient
pas de risques à prendre, cela devient aujourd'hui difficile pour des
parents, pour des intervenants qui vont peut-être se sentir responsables,
à savoir: Est-ce qu'il y a une assurance qui me couvre s'il arrive telle
chose? C'est facile de le comprendre et on le comprend. C'est normal qu'on
reçoive des lettres comme celle-là, mais ça fait partie de
cela, on ne peut pas s'en sortir sans cela.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord.
M. Pednault: M. le député et Mme la
Présidente, si vous me permettez, si vous avez élevé des
adolescents, vous leur avez nécessairement laissé une grande part
d'autonomie dans la vie. Si, dans les deux ou trois dernières
années, vous aviez fait le catalogue de leurs erreurs et de leurs
bêtises, vous passeriez sans doute pour un mauvais éducateur. On a
le choix entre ne jamais laisser une personne s'exprimer, quelle soit
déficiente intellectuellement, et donc, théoriquement, ne jamais
faire d'erreur, ou bien laisser une part de développement raisonnable,
mesurée, rationnelle, en assumant...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II y a toute une
dynamique derrière le fonctionnement d'un parent qui a un enfant qui
souffre d'une déficience profonde par rapport à celle d'un parent
qui a un enfant dit, entre guillemets, "normal".
M. Pednault: Ce n'est pas réservé aux
déficients intellectuels d'aller à la taverne et de se chicaner
avec un...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, mais quand vous
parlez de nous qui sommes capables de laisser assumer des risques par nos
adolescents, je pense que la comparaison va jusqu'à un certain point.
C'est un point de vue.
M. Laplante: Remarquez que je ne voulais pas vous mettre sur la
défensive mais je cherche, dans des écrits qu'on a, des
réponses des deux côtés.
M. Proulx (Gilles): Juste un petit commentaire. On a deux choix,
aujourd'hui, comme société. Soit qu'on
désinstitutionnalise parce qu'on pense que c'est plus normalisant. Je me
suis posé la question comme professionnel aussi. Est-ce que je ne pense
pas à leur place en disant: Je pense qu'ils vont être heureux
à telle place? Je me suis posé la question: Est-ce qu'ils vont
être vraiment heureux ailleurs? Comme je vous le dis, il y a deux choix.
Soit qu'on désinstitutionnalise parce que nous, les professionnels, on
pense qu'ils sont mieux dans la société et qu'effectivement ils
se développeront davantage, ou qu'on institutionnalise. Mais,
aujourd'hui, on va institutionnaliser les déficients, (es vieux et, un
jour, tout le monde va être en institution.
Je pense que le Québec va faire un choix social, à un
moment donné. Je ne suis pas sûr si le choix n'est pas fait, qu'on
s'en va beaucoup plus vers la désinstitutionnalisation avec tous les
risques que peut apporter une désinstitutionnalisation.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce qu'il y a d'autres
questions? Je vous remercie de votre mémoire. Ce n'est pas qu'il n'y
aurait pas d'autres questions, car j'en aurais plusieurs autres, mais, comme je
l'ai dit à ceux qui vous ont précédés, si, à
un moment donné, on a besoin de précisions, on se sentira
à l'aise, en tout cas, on prendra l'initiative de vous contacter. Je
pense que l'expérience est intéressante, mais quand même,
comme personnes politiques qui feront des recommandations, il faut aussi tenir
compte du rythme de l'évolution de l'opinion publique, de celui du
développement des ressources. Qu'on les appelle ressources alternatives,
intermédiaires ou ce que vous voulez, je pense qu'on sait ce dont on
parle. 11 faut aussi tenir compte - vous l'avez signalé - des
contingences d'ordre syndical.
Vous mentionnez - c'est ma dernière question - à la page
ii de votre introduction: "Une législation ne s'inscrivant pas dans un
contexte de réinsertion sociale vient compliquer le quotidien des
intervenants. " J'aimerais que vous me disiez à quoi vous faites
référence précisément.
M. Pednault: Je pense que les deux grands thèmes... C'est
la Loi sur la curatelle publique qui démunit, si vous voulez. Le
curateur, en pratique - je pense que M. Dallaire pourrait vous en parler - il
est à Montréal. C'est un curateur. Il ne peut pas s'occuper d'une
personne, parrainer une personne qui est à Coaticook ou à
Sherbrooke et qui est sous la curatelle, qui n'a pas du tout l'exercice de ses
droits.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est dans le sens que
vous parliez peut-être...
M. Pednault: De trouver une...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... de recourir au
parrainage civique plutôt que trop facilement à la curatelle.
M. Dallaire: Je pense que, d'abord, comme professionnels, on
tente de développer au maximum toutes les capacités de la
personne, même si elle a des handicaps. C'est la première
perspective. Or, à cause de nos lois, présentement, dès
que la personne a 18 ans, elle est soit sous la curatelle privée ou sous
la curatelle publique. À ce moment-là, on veut faire de
l'intégration. En appartement, elle a une certaine capacité avec
un certain encadrement. Déjà là, on a de la
difficulté à lui faire signer un bail pour son appartement. Elle
ne peut pas le signer. On veut faire une intervention chirurgicale, il y a la
même difficulté, parce que la loi lui enlève la
possibilité d'exercer ses droits. Nous disons qu'il faudrait trouver une
variation qui permette de protéger la personne, mais en lui laissant, si
possible, la capacité d'exercer ses droits, mais avec quelqu'un qui la
supervise. Le concept n'est pas clairement identifié au Québec.
À l'heure actuelle, il y a des expériences qu'il faudrait pousser
plus loin, mais on pense qu'une des avenues, c'est le parrainage civique. Il
faudrait aller un peu plus loin. Je pense que d'autres organismes vont vous en
parler.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Il y a un groupe qui doit
venir nous en parler d'ici à la fin de la semaine.
M. Dallaire: C'est un des points, je pense, très
importants à développer. L'autre point, c'est l'aide sociale. Je
pense que M. Proulx pourrait vous donner un exemple concret, rapidement, sur la
difficulté que l'aide sociale peut créer à cause des
contraintes législatives présentement.
M. Proulx (Gilles): Je vais seulement vous donner un exemple. Il
y a quelques années, le ministère des Affaires sociales a obtenu
des budgets pour la création d'emplois. Je me rappelle que, dans la
région de Québec, on avait obtenu cinquante possibilités
de création d'emplois, ce qui veut dire qu'on a distribué ces
emplois dans différents centres d'accueil. Seulement chez nous, il y a
eu six postes pour vingt semaines, c'est-à-dire que six
bénéficiaires ont obtenu un emploi de vingt semaines.
Après vingt semaines, ils ont reçu l'assurance-chômage,
parce qu'ils devaient travailler vingt semaines pour pouvoir obtenir
l'assurance-chômage. Compte tenu qu'ils avaient déjà
travaillé et qu'ils avaient touché l'assurance-chômage, ils
sont devenus aptes au travail, ce qui veut dire qu'ils ont perdu leur aide
sociale et qu'ils sont devenus des jeunes assistés sociaux de trente ans
et moins qui gagnent 150 $ par mois.
Vous me disiez tantôt que les parents sont très
insécures. On n'est même pas capable aujourd'hui de prendre un
bénéficiaire et de lui trouver un emploi
rémunéré au salaire minimum, les parents s'y opposent. On
a de la difficulté à envoyer un bénéficiaire dans
un centre de travail adapté, parce que les parents disent:
Écoutez, il a actuellement l'aide sociale au maximum et il va tomber au
salaire minimum. Lorsqu'on parle d'incongruité de certaines lois, c'est
de cela. L'incongruité de certains programmes, c'est cela aussi. Cela a
fait que six bénéficiaires ont été
déclarés aptes au travail. Cela leur fut impossible de retourner
à l'assurance-chômage. Ils sont revenus par la porte
arrière, à cause des problèmes de comportement. Ils ont
été réinstitutionnalisés,
redésinstitutionnalisés et cette histoire dure depuis deux ans
pour ces mêmes six bénéficiaires.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci beaucoup. Je pense que c'est clair. À la prochaine. Merci
infiniment.
Nous allons suspendre jusqu'à 14 h 45 quand même. Qu'on ait
une heure, je pense que ce n'est pas un excès.
(Suspension de la séance à 13 h 50)
(Reprise à 14 h 57)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je ne sais pas si je peux
ramener l'ex-ministre à l'ordre.
À l'ordre, s'il vous plaît! La sous-commission des affaires
sociales poursuit ses travaux sur la distribution des services de soutien et de
réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux
et vivant dans la communauté.
Département de psychiatrie de l'hôpital
du Sacré-Coeur
Le groupe qui est devant nous représente le département de
psychiatrie de
l'hôpital du Sacré-Coeur, le pavillon
Albert-Prévost. Il nous fait particulièrement plaisir
d'accueillir le Dr Laurin, ex-ministre des Affaires sociales, qui, j'en suis
certaine, a déjà dû, dans ses moments libres à
l'intérieur du ministère, avoir quelques réflexions sur
cet épineux problème qui, dans le fond, nous préoccupe
tous. Les efforts de la commission vont dans le sens d'essayer, avec d'autres,
peut-être de mettre de l'avant certaines solutions ou au moins certaines
orientations. Dr Laurin, je vous laisse présenter votre collègue
et vous pouvez procéder.
M. Laurin (Camille): Merci, Mme la Présidente. J'ai
effectivement les meilleurs souvenirs des longues sessions que nous avons
passées ensemble. Effectivement, en tant que ministre, je m'étais
penché sur le problème de la politique de santé mentale.
J'avais même profité de mon passage au ministère pour
demander à mes sous-ministres de préparer un énoncé
de politique de santé mentale qui, je pense, est en préparation
à ce moment-ci. J'ai le plaisir de vous présenter, aujourd'hui,
le mémoire du département de psychiatrie de l'hôpital du
Sacré-Coeur conjointement avec mon collègue, le Dr Jean-Guy
Lavoie.
Le département de psychiatrie de l'hôpital du
Sacré-Coeur est connu aussi sous le nom de pavillon
Albert-Prévost. Le pavillon Albert-Prévost dessert une population
de 300 000 habitants à peu près, composée de 180 000
personnes adultes et de 140 000 enfants ou adolescents. C'est un
département de psychiatrie d'hôpital général, donc
qui fait partie de l'hôpital, mais il est quand même situé
à un mille du pavillon principal. Pour desservir cette population, il
compte huit cliniques de secteur pour les adultes et cinq cliniques de secteur
pour les enfants.
Prévost a été le premier, je crois, à lancer
ce qu'on appelle maintenant la psychiatrie communautaire en 1972. Avec ses 134
lits et ses 15 cliniques de secteur, il restait donc à instaurer et
à pratiquer ce qu'on appelle maintenant la psychiatrie
communautaire.
Le budget de ce département est d'environ 8 000 000 $ par
année sur un budget total annuel de 80 000 000 $ pour l'hôpital.
Même si nous savons que les maladies mentales coûtent 18 % du
budget total de la santé au Québec, il reste cependant que 60 %
de ce budget va actuellement aux hôpitaux psychiatriques proprement dits
qui desservent à peu près 30 % de la population, alors qu'avec
une desserte de 70 % de la population les hôpitaux généraux
de la région de Montréal desservent à peu près 70 %
des besoins en psychiatrie, quand on se réfère à ce qu'on
appelle les cas nouveaux.
En même temps, le pavillon Albert-Prévost a toujours
joué, depuis 25 ans, un rôle important dans la formation, à
tous les niveaux, du personnel psychiatrique, qu'il s'agisse des
étudiants en médecine, qu'il s'agisse des internes, qu'il
s'agisse des résidents, qu'il s'agisse aussi des professionnels
associés dans les équipes pluridisciplinaires à la
dispensation des services psychiatriques, c'est-à-dire les travailleurs
sociaux, les psychologues, les ergothéra-peutes, les
infirmières.
C'est donc une mission très importante que nous avons à
assumer avec des moyens que nous estimons insuffisants puisque, malgré
ce que je viens de dire, 134 lits, 15 équipes de secteur, nous savons
que pour la pratique de la psychiatrie communautaire il nous faut maintenant
toute une gamme de dispositifs, qu'il s'agisse de foyers
protégés, de maisons à mi-chemin, de foyers de groupe,
d'appartements supervisés, de lieux d'hébergement, de lieux de
loisirs que nous ne possédons pas à l'heure actuelle.
Pour voua en parler plus longuement, je demanderais à mon
collègue, M. Jean-Guy Lavoie, de vous faire part de l'essentiel de notre
mémoire.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M.
Lavoie.
M. Lavoie (Jean-Guy): La maladie mentale, on le sait, a cette
particularité de provoquer deux mouvements contraires: rejeter le malade
et le secourir. D'une part, la maladie creuse un fossé entre le sujet
malade et le sujet sain. Elle oppose l'individu atteint à son entourage.
Le malade devient ignoré, rejeté, on le fuit, on le rejette.
D'autre part, le sujet malade est atteint dans sa personnalité.
Il arrive qu'il ne puisse même pas assumer de responsabilité
envers lui-même à l'occasion. Il nie ses propres besoins, il ne
peut se faire reconnaître comme sujet. Son état provoque alors la
compassion, l'envie de le secourir. Alors, il s'agit d'une ambivalence des
attitudes que les Arabes semblaient avoir réussi à
résoudre au Moyen-Âge en créant des asiles où le
patient recevait secours et protection, mais en étant exclu de la
communauté.
Dans la seconde moitié du siècle dernier, cette
façon de voir a obtenu une grande faveur surtout aux États-Unis,
où l'on développa ces asiles. Cette approche participait d'une
conception scientifique assez pessimiste. La maladie mentale, croyait-on,
était attribuable à une tare organique qui offrait peu de chances
d'amélioration et le meilleur était d'assurer une vie
décente aux pensionnaires.
Mais les décennies ultérieures nous ont permis de modifier
quelque peu cette perspective, notamment parce que des facteurs à la
fois négatifs et positifs ont obligé à réviser les
positions de départ.
D'abord, les asiles se sont avérés incapables de remplir
leur mission. Ils sont devenus une néo-réalité qui s'est
développée à l'intérieur même de ces
institutions qui se sont mises à fonctionner comme des
microsociétés fermées. La pathologie institutionnelle est
venue aggraver la maladie mentale. Les patients n'étaient plus
traités selon les besoins de base fondamentaux qui sont d'être
reconnus dans la dignité et le respect en tant que personne. L'asile au
complet se repliait sur lui-même, s'isolait de la communauté, se
refermait sur les soignés et les soignants.
Les facteurs positifs de l'évolution sociale ont obligé
aussi de remettre en question l'approche asilaire. Le développement des
sciences psychologiques a permis de comprendre le discours du malade en
apprenant à le décoder. La maladie pourrait ainsi être
perçue comme un dérèglement du fonctionnement psychique
et, donc, accessible à un certain traitement. À côté
des développements des sciences psychologiques, il y a eu le
développement des approches biologiques, ce qui a permis de
contrôler davantage les comportements aberrants et excessifs, ce qui ne
rendait plus indispensable la réclusion plus ou moins absolue du
sujet.
Enfin, les connaissances sur le corps social, comme tel, se sont accrues
avec le développement des sciences sociales où il devient
possible de comprendre le fonctionnement de la société dans son
ensemble et aussi dans les sous-ensembles, dont te sous-ensemble asilaire. De
cette approche, on a pu développer des techniques d'intervention pour le
traitement du malade mental également.
Des tentatives ont d'abord été faites au début,
pour essayer de modifier l'asile, le rendre meilleur. Ce fut le but de la
psychothérapie institutionnelle et les résultats se sont
révélés décevants. Certains psychiatres ont
jugé que l'asile était incapable de répondre aux besoins
fondamentaux du malade mental.
La psychiatrie communautaire a pris le défi à la suite, en
proposant de désinstitu-tionnaliser le malade pour lui permettre de
retourner dans sa communauté et d'y oeuvrer à sa
réinsertion.
Donc, la libération des idées sociales, la prise de
conscience par la société du sort qu'elle réservait
à une partie des siens, la démocratisation de l'information et
des débats sur la problématique sociale ont permis à ce
projet de s'imposer. La désins-titutionnalisation du malade mental n'est
donc pas un accident de parcours. Elle est l'aboutissement de changements
progressifs qui sont survenus dans son développement.
Mais en ramenant le malade dans sa communauté, tout
n'était pas réglé pour autant. Même si l'amplitude
des émotions et des sentiments difficiles à vivre était
atténuée à la faveur du traitement, le malade mental n'en
continue pas moins a se singulariser parmi les autres.
Alors, l'organisation des soins dans la communauté doit prendre
en considération les particularités du malade. Les
dérèglements du fonctionnement continueront à faire
problème à des degrés divers. On aura certains cas
où la pathologie active sera éteinte et le sujet pourra vivre de
façon assez paisible, mais dans d'autres cas, le malade doit
présenter une perte fonctionnelle stable qui va autoriser un plan
d'action axé sur l'actualisation du potentiel résiduel. Mais dans
la majorité des cas, l'évolution sera plus aléatoire, avec
des possibilités de rechute ou de récurrence significative du
disfonctionnement et où il sera nécessaire d'intervenir par des
mesures thérapeutiques actives.
Enfin, on sait que certains sujets présenteront un état
sans accalmie et pour eux, un soutien institutionnel permanent devra être
offert. Alors, la désinstitutionnalisation des pensionnaires permanents
des centres asilaires doit constituer actuellement une préoccupation
importante, mais il est aussi impérieux d'empêcher que les malades
versent dans la chronicité par un manque dans la disponibilité
des soins. Il est difficile de réparer le lien qui a été
rompu une première fois entre le malade lorsqu'il a été
retourné ou placé dans l'asile. La prévention sera plus
rentable si on peut assurer un traitement qui évitera cette rupture
initiale.
Les soins psychiatriques actuels, nous semble-t-il, peuvent offrir une
gamme de thérapies et de services, mais leur accessibilité n'est
pas toujours garantie, comme l'a démontré le Dr Laurin
tantôt. Cette accessibilité nous permettrait d'espérer de
réduire sensiblement le recours massif à l'institution.
On sait que, depuis les premières expériences, toutes
sortes d'innovations ont été réussies pour
réinsérer le malade dans la communauté. Elles pourraient
être généralisées davantage en concertant le soutien
et la coordination pour favoriser un accès plus large à toute la
population de patients traités en psychiatrie. Le département de
psychiatrie d'un hôpital général, nous semble-t-il, est
encore trop souvent réduit à ne compter que sur les lits
d'hospitalisation pour du service interne, pour le traitement.
On sait bien que l'hospitalisation est une nécessité, mais
elle doit être complétée par des structures soignantes plus
légères et l'hospitalisation n'apparaît qu'un des temps
parmi le développement du traitement. En externe, pour sa part,
l'équipe psychiatrique de secteur assure le traitement du malade
ambulatoire, mais on sait que là aussi, souvent, le nombre
d'équipes est insuffisant pour un secteur déterminé et
que, même à
l'intérieur de chacune des équipes, le nombre de
professionnels est parfois aussi déficitaire. Le service d'urgence, dans
ces situations, peut servir temporairement de tampon, mais rapidement, on sait
qu'il peut être débordé et provoquer un engorgement des
urgences, situation qui est aussi bien connue, semble-t-il.
L'insuffisance quantitative des ressources que l'on vient de voir
s'additionne aussi à une insuffisance qualitative parce qu'une maladie
ambulatoire se présente avec des besoins variés et nombreux qui
sont inhérents à la nature de la psychopathologie, qui sont
inhérents aussi à la nature des conflits en cause. Tout cela peut
être très différent d'un malade à l'autre. Ils sont
aussi différents selon la qualité du soutien social qui est
encore possible pour le malade ou des ressources matérielles dont il
dispose.
L'équipe de ce secteur doit donc compter sur des ressources
spécifiques pour maintenir le malade dans son milieu de vie, et deux
types de ressources ne peuvent être définies. Les unes, sont
majoritairement ou principalement à portée thérapeutique
et visent à assurer des soins aux malades ambulatoires; ce sont les
ressources intermédiaires. Les autres visent à cerner la
problématique d'adaptation sociale concrète; ce sont ici les
ressources complémentaires ou alternatives. Comme il s'agit d'un malade
qui doit être inséré dans son milieu, on voit qu'il y a une
double facette à définir dans le dispositif de soins, et ces deux
facettes participent d'une même structure de soins planifiés. Les
unes ne vont pas sans les autres.
L'expérience américaine, d'ailleurs, nous a semblé
avoir oublié les ressources intermédiaires en mettant l'accent
davantage sur les ressources communautaires ou complémentaires, avec la
difficulté que le malade, une fois retourné dans la
communauté, demeurait malade et n'a pas pu être contenu par les
institutions chargées de le maintenir, si bien que ces ressources ont
été rapidement débordées et le malade
emporté à la dérive.
Il nous semble que pour accepter de vivre avec ce psychotique, le malade
mental fortement perturbé, il faut apprendre à le connaître
et à se connaître aussi afin de survivre aux embûches qu'il
crée dans ses relations. Les soignants, dans ce cas, doivent être
pourvus des différentes ressources de la science pour accomplir leurs
tâches, sinon ils risquent d'être rapidement dépassés
et de se retirer ou de rejeter le malade.
Les ressources intermédiaires assurent le suivi
thérapeutique au malade ambulatoire. Le séjour à
l'hôpital étant de plus en plus abrégé et
limité à des indications précises, la thérapeutique
emprunte d'autres formes au cours du soin actif extra-hospitalier.
Ainsi, je vais donner quelques exemples de ce que nous entendons par des
ressources intermédiaires. Par exemple un centre de jour, qui nous
semblerait aller de soi maintenant, dont tout le service de psychiatrie devrait
être pourvu afin de répondre aux patients qui n'ont plus besoin de
soins continus avec hébergement, qui est l'hospitalisation, mais qui ont
quand même une pathologie importante, partiellement
résorbée et qui pourrait répondre à un traitement
de type centre de jour.
Le malade qui traverse une crise intense, mais qui est quand même
limité, avec un bon réseau de soutien autour de lui, ou avec des
ressources internes encore assez bien conservées, pourrait parfois s'en
tirer avec un court séjour dans une unité de traitement
transitoire, qui va l'accueillir pour peu de temps.
Dans d'autres cas, on sait que les ressources du milieu, on peut compter
sur leur collaboration effective, et une unité d'intervention de crise,
à ce moment-là, pourrait intervenir pour colmater la crise et
aider à traverser une période difficile. D'autre part, un malade
qui a compromis ses possibilités d'emploi par une perte partielle de son
fonctionnement, soit par son inconstance au travail, dans son rendement, soit
par son irrégularité, pourra être assisté par un
conseiller spécialisé en main-d'oeuvre, par exemple, ou prendre
un certain entraînement dans un centre de travail adapté.
D'autre part, on sait toute la charge que représente pour la
famille le soutien d'un malade mental. Et, à ce moment-là, des
modules axés sur la problématique des familles nous
apparaîtraient pouvoir limiter l'impact désorganisant de la
maladie mentale sur le milieu. Il permettrait de maintenir le lien important du
malade avec son milieu naturel. (15 h 15)
Mentionnons comme ressources intermédiaires tous les
différents milieux d'accueil et d'hébergement - il serait
onéreux de définir toutes les caractéristiques de chacune
des catégories - mais disons que l'éventail doit être le
plus large possible afin de s'assurer le maximum de chances de répondre
aux besoins du patient avec une ressource adéquate, sinon on sait par
expérience que la tentative est vouée à
l'échec.
Nous arrêterons ici cette énumération. Les
ressources intermédiaires sont suffisamment illustrées pour
justifier leur place dans un dispositif psychiatrique. Ces ressources sont
intermédiaires en ce qu'elles sont posées entre l'hôpital
et la communauté. Elles offrent une approche intermédiaire entre
la thérapie de milieu que l'on retrouve à l'hôpital et le
soutien thérapeutique léger du malade ambulatoire qui se fait en
externe. Elles répondent à la
phase intermédiaire de l'évolution de la maladie entre la
phase aiguë grave et l'état de rémission stable.
Les ressources alternatives ou ressources complémentaires. On a
vu que les ressources intermédiaires viennent prolonger les ressources
hospitalières mais elles ne sauraient garantir à elles seules
l'insertion du malade dans sa communauté, il faut davantage un appel de
la communauté pour maintenir et conserver le lien du malade avec sa
communauté. L'ancrage dans le milieu ne va pas de soi même si on
retourne le malade. On sait que la pathologie de la maladie mentale a comme
caractéristique de compromettre les relations du malade avec les autres;
en le retournant dans le milieu, on n'a pas nécessairement trouvé
encore une solution à cette problématique. Il faudrait agir au
niveau même où se pose le problème qui correspond à
une sorte de handicap pour le malade.
On pourrait agir à deux niveaux: du côté du malade
en lui offrant différentes ressources comme des centres de loisir, des
milieux de jour ou de soir, des groupes d'entraide d'ex-patients
psychiatriques. Ce sont des choses qui, généralement, existent
mais, comme je le disais tantôt, de façon parcellaire,
isolée ou locale sans que ce soit suffisamment
généralisé.
Donc, ces organismes ont le mérite essentiel de tisser
constamment un réseau de relations pour le malade, de s'offrir à
lui continuellement pour pallier cette incapacité qu'il a
d'établir et de renforcer lui-même ses propres liens avec les
autres.
D'autre part, du côté de la communauté, une forme
d'animation communautaire sous quelque forme que ce soit pourrait viser
à réduire les préjugés tenaces, à favoriser
la rencontre - avec les institutions de la communauté pour ouvrir
davantage les portes des ressources ordinaires, des ressources de la
communauté aux individus qui sont identifiés comme malades
mentaux.
Il y a une forme de sensibilisation du milieu qui pourrait être
entreprise pour régulariser les rapports entre les organismes de la
communauté et le malade mental. Parmi ces organismes, nous pensons ici
principalement aux institutions publiques comme les CLSC qui nous apparaissent
avoir la responsabilité du traitement de première ligne de la
maladie mentale, mais dont la mission gagnerait à être davantage
précisée et définie. 11 y a un effort soutenu aussi qui
devrait être consenti par les DSC, qui ont fait preuve d'excellence dans
différents domaines et qui nous sembleraient pouvoir utiliser leurs
ressources dans le domaine de la santé mentale comme dans les autres
domaines de la médecine. Nous pensons également aux
omnipraticiens qui pourraient être davantage appelés à
assumer une partie du traitement des patients, même si actuellement leur
collaboration est déjà commencée.
Enfin, il y a peu de justification pour que les organismes n'ouvrent pas
davantage leur porte au malade mental parce que, même si le mouvement de
rejet peut être inévitable à l'occasion dans un rapport
interpersonnel, on peut difficilement accepter qu'il en soit de même
entre un individu malade mental et un organisme où il est toujours
possible de trouver une alternative au rejet.
Du côté des adolescents qui souffrent de troubles mentaux
et qui vivent dans la communauté, il faut parler hélas de
beaucoup de pénurie. Les ressources existantes concernent surtout la
déficience mentale et les troubles socio-affectifs. Or, pour
l'adolescent psychotique, on sait les impacts que cela peut avoir sur son
entourage. Mentionnons les problèmes qui sont liés à la
scolarisation et à la fréquentation scolaire qui ont pour effet
d'exclure le patient psychotique des systèmes réguliers et
même spécialisés d'éducation. Il y a une
insuffisance également pour le malade psychotique au niveau des soins de
jour adaptés, en ressources éducatives par exemple. Il y a
également une absence de ressources intermédiaires ou
alternatives à l'hospitalisation, une absence de milieux de vie
extra-hospitalier, tels que des foyers de groupe, des foyers de transition.
Enfin, l'absence de ressources qui visent à pallier les impacts de la
psychose d'un adolescent sur sa famille. Donc, on retrouve en bonne partie
l'insuffisance que nous avons déterminée pour les patients
adultes tout à l'heure. Il faut ajouter que les hospitalisations sont
parfois prolongées parce qu'il manque de ces ressources en externe, ce
qui diminue l'accessibilité d'autres patients qui en auraient bien
besoin, en plus d'offrir des soins de qualité douteuse pour les patients
en les maintenant dans une hospitalisation, faute d'autres ressources. Il y
aurait donc lieu d'instaurer un travail de concertation afin de faire un bilan
qui dégagerait de la situation actuelle les besoins ainsi que les moyens
qui doivent être mis en oeuvre pour permettre l'accès des
adolescents psychotiques à des ressources qui respectent leurs
caractéristiques, à la fois au niveau développemental et
au niveau de leur psychopathologie.
En conclusion, le malade mental, qu'on avait isolé dans le
passé, se révèle aujourd'hui, selon notre conception, un
sujet qui est capable de vivre dans sa communauté, à condition
qu'on dépasse le conflit que suscite son contact dans lequel il
éveille alternativement des mouvements d'assistance et de rejet. Mais le
malade mental, par ailleurs, on le sait, est un
malade souffrant, qui accepte mal l'idée qu'on veut lui apporter
de l'aide dans la mesure où le secours est ressenti comme une
humiliation. La tâche se trouve donc délicate, parce que l'aide
psychiatrique n'est pas nécessairement désirée et il
faudra que le couple soignant-soigné soit armé des meilleures
ressources pour garantir le succès. Le processus est complexe, les
valeurs fondamentales sont en jeu. Cet enjeu s'étend parfois sur de
longues périodes puisque, on le sait, les thérapeutiques ne sont
à peu près jamais définitives. Les crises sont donc
susceptibles de se reproduire et chaque situation nouvelle précipitera
fréquemment de nouvelles crises où l'individu n'a pas toujours
les ressources en lui-même pour faire face à cette
difficulté temporaire que lui commande une situation nouvelle.
L'institutionnalisation nous avait dispensés de cette assistance
exigeante au malade mental, mais on s'est aperçu que c'était au
prix de la dévitalisation du sujet soigné. Les
possibilités thérapeutiques permettent aujourd'hui de traiter un
sujet vivant et intégré à son milieu... Les ressources
nécessaires à cette fin auront à s'élaborer selon
trois facettes essentielles au niveau thérapeutique, soit les ressources
hospitalières, les ressources intermédiaires et les resssources
complémentaires. Ces ressources devront s'échelonner le long de
la route, autrefois, déserte qui menait de la communauté à
l'asile.
Le défi est grand, mais il nous semble se situer dans le
prolongement naturel des choses.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci beaucoup, Dr Lavoie. Merci, Dr Laurin. J'ai lu avec
intérêt votre mémoire. Je pense que c'est peut-être
la première fois que l'on fait aussi clairement la différence
entre les différents types de ressources. Les ressources
hospitalières, tout le monde les connaissait, mais la façon dont
vous les catégorisez, c'est-à-dire les ressources
intermédiaires et les ressources alternatives... Je pense que même
dans l'esprit des gens, il y a beaucoup de confusion entre les ressources
intermédiaires et les ressources alternatives.
Vous soulevez également un problème que nous n'avons pas
touché jusqu'à maintenant, celui des adolescents et des jeunes
adultes. J'y reviendrai tout à l'heure avec des questions un peu plus
précises.
La première question que j'aimerais vous poser, compte tenu de
votre expérience comme psychiatre, c'est: Dans la connaissance des
choses qu'on a présentement ou dans la connaissance de la
problématique de la maladie mentale, quelle est l'extension qu'il faut
donner au concept de réinsertion sociale?
M. Laurin: Quand on parle de maladie mentale, on ne peut
sûrement pas exclure le substratum biologique. La preuve en est que
l'intervention des psychotropes, en 1950, a été le premier pas
vers la désinstitutionnalisation, en ce sens que ces médicaments
ont permis de résoudre en grande partie les crises, de stabiliser
l'état des malades et a permis un retour dans la communauté.
Encore aujourd'hui, on se rend compte qu'on ne pourrait pas aller bien loin
sans cet apport biologique que constituent les médicaments, ce qui
signifie qu'il doit y avoir encore de la recherche sur les causes adjuvantes ou
essentielles de la maladie mentale ou de certaines maladies mentales.
Par ailleurs, il est également évident que la maladie
mentale comporte une très grande importance sur le plan de la
psychologie. Cette maladie dérègle le moi, les relations de la
personne avec son entourage, altère la perception que l'individu peut
avoir de ces milieux divers où il est appelé à intervenir
et, en ce sens, il est absolument essentiel de recourir à toutes les
connaissances que la psychologie, soit cognitive soit psychanalitique, nous a
apportées à cet égard.
Par ailleurs, il est tout aussi important de dire que la composante
sociale est extrêmement importante car, sous l'effet combiné de
ces altérations biologiques et psychologiques, c'est tout le tissu
relationnel qui est affecté à un stade plus ou moins
précoce quand il s'agit d'enfants, quand il s'agit d'adolescents et
aussi quand il s'agit d'adultes. La maladie mentale dérègle, par
le fait même, le tissu relationnel avec la famille, avec la
société, avec le milieu de travail. Il n'est pas suffisant, donc,
de guérir une maladie mentale même si cela était possible.
Une fois qu'on a guéri la maladie mentale, il faut aussi réparer
les effets de la maladie mentale sur le plan de l'organisation de la
personnalité, sur le plan de l'organisation des relations multiples que
l'individu entretient avec son entourage. D'où l'importance des mesures
sociales.
C'est donc à une approche biopsychosociale qu'il faut viser. Ceci
ne nous amène pas du tout à sous-estimer l'importance de la
réinsertion sociale, bien au contraire, puisqu'une fois nos devoirs
faits, si vous me permettez cette expression, sur le plan de la biologie, sur
le plan de la psychothérapie, il nous reste ensuite à
réinsérer ce malade dans son tissu relationnel, que ce soit le
milieu familial, que ce soit le milieu du travail, que ce soit le milieu
social. Étant donné, parfois, l'ampleur des déficits
à cet égard, il faut recourir à une gamme très
variée de mécanismes qui se situent à plusieurs niveaux:
sur le plan, par exemple, de l'hébergement, du domicile, puisque
beaucoup de ces malades ont été rejetés par leur famille
ou par leur milieu
social et doivent désormais vivre une vie autonome; sur le plan
des habitudes sociales ordinaires comme faire un budget, utiliser les moyens de
transport, apprendre à se récréer, à donner suite
à leurs besoins naturels sur le plan du loisir, de la
récréation; ensuite, sur le plan du travail, ils doivent
réapprendre à devenir des membres utiles de la communauté
et à actualiser les talents, le potentiel qu'ils continuent de
posséder à l'intérieur d'eux-mêmes.
Donc, il s'agit de mettre en place toute une série de
dispositifs, les uns appartenant à l'hébergement, les autres
à la réadaption sociale, les autres à la réadaption
au travail, les autres à la création ou à la
créativité. Je pense que nous sommes loin de posséder,
actuellement, tous ces dispositifs. Nous en avons peu ou prou selon certains
milieux. Certains milieux sont plus favorisés que d'autres, mais dans
beaucoup de cas, je dirais dans la totalité des cas, ces ressources sont
insuffisantes. Il faudra beaucoup de recherche et de créativité
pour aboutir à mettre en place tous les dispositifs dont nous avons
besoin. (15 h 30)
Deuxièmement, il faudra également sensibiliser toute la
communauté pour qu'elle nous aide à procéder à
cette mise en place. Ce n'est pas la seule responsabilité des
hôpitaux ni des médecins, ni des psychiatres, ni même des
CLSC ou des DSC - des j départements de santé communautaire.
C'est également la responsabilité des citoyens, c'est
également la responsabilité des groupes volontaires, quels qu'ils
soient: groupes d'ex-patients, parents de malades mentaux, organismes
bénévoles ou organismes d'entraide. Il s'agit aussi de l'apport
des municipalités, qu'on oublie trop dans le débat et qui ont
aussi une responsabilité à cet égard et qui se
déchargent trop facilement, à cet égard sur les
gouvernements supérieurs, qu'il s'agisse du gouvernement provincial ou
du gouvernement fédéral ou sur certaines associations telles que
les hôpitaux.
Il s'agit donc d'un effort concerté où chacun doit trouver
sa place, sa créativité et qui, en conséquence, doit
lutter et annuler les préjugés dont a parlé le Dr Lavoie,
avec le support de l'État cependant, qui doit apporter son leadership
sur le plan des idées, sur le plan de la motivation et aussi son coup de
pouce sur le plan financier.
J'ai toujours été frappé par le fait que 500 000 $
par exemple, placés dans un foyer de groupe, dans des appartements
protégés ou dans un organisme d'entraide, peuvent apporter des
résultats incalculables par rapport aux 18 % que coûte la maladie
mentale au trésor provincial chaque année.
Évidemment, pour un bout de temps, il va falloir mener de front
les deux tentatives puisque, comme je le disais au début, les
hôpitaux généraux traitent actuellement 70 % des nouveaux
cas avec des ressources largement insuffisantes et puisque, également,
les cliniques de secteur dont nous parlons se sont vu imposer le fardeau de la
psychose, il faut bien le dire. La maladie mentale bénigne,
légère, peut être traitée en bureau privé ou
en CLSC ou par les omnipraticiens, mais quand il s'agit de la psychose, avec ce
que cela implique de gravité, avec ce que cela implique de violence
parfois, de dérangement social, il y a une réaction de la part ou
des CLSC ou des omnipraticiens ou des organismes d'entraide qui amène
ces patients à se retrouver tôt ou tard dans les cliniques de
secteur. Donc, les cliniques de secteur se retrouvent avec les patients les
plus lourds, les plus handicapés, avec des ressources insuffisantes.
Il faudra donc mener de front les deux tentatives: premièrement,
aider les cliniques de secteur ou les hôpitaux a assumer leur tâche
mieux qu'ils ne peuvent le faire actuellement, en augmentant leur personnel, en
leur donnant ces ressources intermédiaires dont nous parlions, mais, en
même temps, pousser beaucoup plus que nous ne le faisons actuellement
dans le sens de la réinsertion sociale en mettant sur place tous ces
organismes que le Dr Lavoie a mentionnés. Qu'il s'agisse d'animation
communautaire, d'organismes d'entraide, de foyers de groupe, de clubs de
loisirs, de centres de travail adapté, pour quelques années il
faudra mener de front les deux tâches, quitte à ce que cela
coûte plus cher puisque nous savons que si nous réussissons
l'opération d'ici à une dizaine d'années nous parviendrons
de cette façon à couper la maladie mentale davantage à sa
racine, à diminuer le nombre d'hospitalisations, à éviter
la durée des hospitalisations, à éviter l'encombrement des
unités psychiatriques dans les hôpitaux généraux,
à éviter l'encombrement dans les urgences et à traiter la
maladie mentale en première ligne, là où elle devrait
être traitée.
Donc, c'est un effort considérable qui devra être fait et
qui devra être assumé par la collectivité tout
entière.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dr Laurin, j'aimerais
vous demander ceci, en fonction de Prévost: Vous desservez un bassin de
population de 300 000, quel est le pourcentage de cette population qui, selon
vous, requiert à des degrés différents si on veut, de
l'aide psychiatrique de la part de votre établissement?
M. Laurin: C'est difficile à dire, parce qu'une certaine
partie de cette population de 320 000 personnes pourrait être
traitée aux CLSC, par exemple. Mais comme les CLSC n'ont pas encore
assumé cette mission, ce sont les cliniques de secteur qui sont
obligées de l'assumer ou les bureaux privés, les bureaux
privés de médecins, d'omnipraticiens, de psychiatres, de
psychologues ou de travailleurs sociaux. Je suis sûr qu'il y a une bonne
partie qui est soignée en bureau privé surtout, mais il y a une
bonne partie que nous devons traiter.
Quant aux psychoses ou quant aux états limites,
c'est-à-dire ce qu'on appelle les "border lines", qui ne sont pas des
psychoses, mais qui sont des cas très graves, je dirais que la
quasi-totalité de ces gens, de ces personnes finit par aboutir dans nos
cliniques de secteur, que celles-ci soient rattachées à
l'hôpital psychiatrique ou à l'hôpital
général.
Donc, je dirais que la charge qu'ont à assumer les cliniques de
secteur actuellement est extrêmement lourde.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vos cliniques
de secteur - vous en avez 13, je pense, ou 15 - offrent des services à
domicile ou si les gens se rendent à la clinique? La raison pour
laquelle je vous pose la question, c'est que, depuis la deuxième
journée, nous avons entendu plusieurs groupes et plusieurs ont fait
référence au fait que si - vous parlez, à un moment
donné, d'unités d'intervention de crise - ces interventions se
faisaient à domicile, elles éviteraient, probablement dans
plusieurs cas, des hospitalisations. Est-ce que les équipes de
secteur... Hier soir, Douglas nous a parlé aussi de ces équipes
de secteur...
M. Laurin: II faut d'abord répéter que la demande
dépasse l'offre. Par exemple, une clinique de secteur comportant un
psychologue, un travailleur social, un médecin, un ergothérapeute
ne peut guère assumer la prise en charge de plus de 20D patients par
mois. Dans toutes nos cliniques, c'est 250, c'est 300, c'est 350. Donc, quand
l'offre est en deçà de la demande, le résultat est presque
toujours le même, c'est que la demande arrive, déborde les
cliniques de secteur et il reste peu de temps pour aller à domicile,
puisque déjà nous sommes amplement occupés par ce qui
vient naturellement.
Malgré cela, nous allons à domicile toutes les fois que
cela est possible. Par exemple, au service d'urgence, à cette
unité de traitements transitoires dont nous parlons, il y a des visites
à domicile qui se font. Nos cliniques de secteur vont aussi parfois
à domicile, mais je voudrais aussi vous dire quelque chose; c'est
qu'avant d'aller à domicile, il faut que ce soit indiqué
également. Ce n'est pas toujours indiqué d'aller à
domicile. Parfois, c'est vu comme une intrusion par la famille. Si la famille
n'est pas préparée à une visite à domicile, on peut
causer plus de dommages qu'on en ferait en donnant rendez-vous à la
famille, par exemple, qui viendrait à la clinique. Ce n'est pas une
panacée, la visite à domicile.
Par ailleurs, nous pensons que la visite à domicile, de
préférence, devrait se faire par l'intermédiaire du CLSC
dans la mesure où le CLSC n'aurait pas peur de la maladie mentale ou se
sentirait préparé à l'assumer ou, par exemple, s'il
pouvait compter sur l'appui, sur l'encadrement professionnel que pourrait
fournir une clinique de secteur au CLSC. II y aura donc une coordination, une
jonction nécessaire à opérer, à effectuer entre la
clinique de secteur et le CLSC, ou avec l'omnipraticien, ou avec certains
organismes d'entraide.
C'est une des formules, évidemment, qui est importante, qu'il
nous faut considérer, que nous pratiquons, mais que nous pratiquerions
beaucoup mieux si nous n'étions pas débordés comme nous le
sommes par une demande excessive et qui a tendance à augmenter.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous avez un pavillon de
psychiatrie de 134 lits. Dans votre mémoire, vous dites: II y a des cas
qui requièrent des services permanents ou une institution permanente,
enfin une institutionnalisation permanente. Dans quelle mesure vos lits
sont-ils occupés par ce qu'on pourrait appeler des cas chroniques qui
devraient peut-être être dans un hôpital psychiatrique?
M. Laurin: D'après l'étude la plus récente
que nous avons faite il y a deux mois, nous pourrions dire que le tiers de nos
134 lits sont occupés par des malades permanents ou chroniques, qu'il
s'agisse de schizophrènes jeunes en carrière - si vous me
pardonnez cette expression - où la maladie est en train d'étendre
ses ravages, désorganisant l'intérieur du moi et qui,
malgré tous les efforts thérapeutiques, continuent d'être
gravement atteints à l'intérieur d'eux-mêmes, dans ces
cas-là, on peut les garder à l'hôpital un mois, deux mois
et les renvoyer, mais ils nous reviennent presque immédiatement
après. C'est une catégorie, qui compte dans ces malades - je
n'oserais pas les appeler "chroniques" - à long terme, que nous
avons.
Il y a une autre catégorie de malades qui compte parmi ces
effectifs. Il s'agit d'autres psychotiques, il s'agit de
maniacodépressifs qui avancent en âge et où des crises,
soit dépressives ou maniaques, se succèdent à un rythme
plus accéléré et qui, à cause de l'âge
également, à cause du tissu social ou familial qui se disloque,
ont des ressources intérieures appauvries et qui ont besoin davantage du
support et de l'encadrement institutionnel.
Il y a aussi certains syndromes organiques en croissance, des
démences, par exemple les psychoses d'Alzheimer ou des
démences préséniles où, bien sûr,
l'origine est organique, mais où les effets sont sociaux et qui
amènent des problèmes de comportement que les familles ne peuvent
plus prendre à leur charge, que même les centres d'accueil ne
peuvent plus prendre à leur charge et que même les centres
hospitaliers de soins prolongés ne veulent pas prendre à leur
charge puisqu'ils ne sont pas organisés pour cette catégorie de
clientèle.
Comme personne ne veut de ces patients et comme les hôpitaux
psychiatriques ne les acceptent plus, qu'il s'agisse du centre hospitalier
Douglas ou Louis-H. -Lafontaine, nous sommes obligés de les garder dans
nos services de psychiatrie d'hôpitaux généraux.
C'est la raison pour laquelle il faudrait ajouter à la gamme de
ressources dont parlait le Dr Lavoie, des services de troisième ligne
disséminés dans la région de Montréal pour ces
catégories de patients afin que nous puissions pousser le traitement
thérapeutique pour les jeunes schizophrènes, par exemple, puisque
nous savons qu'après cinq ou six ans, si la thérapie est bien
menée, nous pouvons les retourner à la communauté, pour
ces maniaco-dépressifs qui ont besoin d'un support plus prolongé
et accentué et aussi pour ces démences organiques en progression
qui, elles, ont besoin plutôt d'un programme de réadaptation
axé sur l'insertion sociale et le travail qui demandent une approche
spécifique.
C'est une autre ressource dont nous aurions besoin. Si elle n'est pas
mise à notre disposition, il est évident que le nombre de
patients permanents ou à long terme dans nos unités de courte
durée vont augmenter. Il est du tiers actuellement, il va passer
sûrement bientôt à 38 %, bientôt à 40 % et nous
ne pourrons même plus accueillir les patients de courte durée pour
lesquels nous sommes faits et pour lesquels nous avons les ressources. Donc,
cela va être un gaspillage dans le sens que cela va coûter de plus
en plus cher à l'Etat et nous allons devenir de moins en moins
efficaces.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dr
Laurin, si j'additionne cette clientèle d'une quarantaine de
personnes chez vous, je parle de la région de Montréal, parce
qu'hier soir on a eu un mémoire sur la région de Montréal,
incidemment, qui donnait suite à un mandat que vous aviez donné,
ce même phénomène, probablement, sur une moins grande
échelle parce qu'il y a moins de lits dans ces hôpitaux de courte
durée pour les malades psychiatriques, mais ils ont aussi, selon ce
qu'ils nous ont dit, un certain nombre de malades chroniques qui doivent rester
là, qui paralysent des lits dans d'autres hôpitaux
généraux dont une partie... est-ce que s'ils ont 28 lits, c'est
A, 6 ou 8 lits? Je l'ignore, mais ils ont probablement, j'imagine, le tiers
comme vous autres au moment où l'on se parle, parce que j'ai
l'impression que le modèle, le pattern doit être assez semblable.
Est-ce que ceci... On a, à côté de cela, quand même,
des hôpitaux psychiatriques, d'où on essaie de sortir les gens,
parce qu'il y a la vieille histoire dont vous nous avez brossé un
tableau en quelques lignes tout à l'heure... (15 h 45)
Est-ce que vous favoriseriez que plus d'ouverture soit faite pour votre
clientèle à long terme, dans ces hôpitaux ou, est-ce que
vous suggérez plutôt des unités ou, enfin, des petits
centres qui seraient, je ne sais pas, disons, que cela en prendrait trois ou
quatre à Montréal? Ce serait absolument arbitraire. Qu'est-ce que
c'est comme formule? Parce que j'ai l'impression qu'on entre un peu dans le
même cercle vicieux que les hôpitaux généraux de
courte durée pour la maladie en général où,
finalement, les uns poussent sur les autres et on se retrouve avec les
problèmes de salles d'urgence, parce que vous êtes aussi au
courant que moi. Mais du côté de la psychiatrie, comment est-ce
que vous verriez les solutions? Parce que c'est une réaction à la
chaîne, finalement.
M. Laurin: Pour ces patients, il est sûr qu'il faudrait un
centre de troisième ligne, si on peut l'appeler ainsi. Mais il ne
faudrait pas que ce soit concentré dans une seule institution comme cela
a été fait dans le passé, d'abord, parce qu'on sait que
plus l'institution est grosse, plus elle secrète des germes nocifs qui
s'ajoutent à la maladie mentale elle-même.
Donc, il ne faudrait pas que le centre soit trop gros. Il faudrait que
ce soit même le plus petit possible, parce que plus un centre est petit,
plus la surveillance est facile, plus le contrôle est mieux
exercé, plus le traitement est intensif. Ces centres de troisième
ligne doivent être des centres de traitement intensif approprié
pendant à la pathologie, mais cela doit être des centres de
traitement, donc, des centres petits et, de préférence, dans les
régions de Montréal et, de préférence, selon les
territoires de santé communautaire. Il y en a huit à
Montréal. Donc, on pourrait en avoir six et huit qui pourraient
desservir chacun deux ou trois unités psychiatriques d'hôpitaux
généraux.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pour laisser la chance
à mes collègues, j'ai deux autres questions à vous poser.
Vous avez dressé un tableau des différentes ressources et je
voudrais parler des ressources intermédiaires que vous avez
énumérées et des ressources alternatives. Je comprends que
les ressources alternatives sont dans la communauté; elles originent des
initiatives supportées, si on veut, par l'État jusqu'à
un
certain point, mais cela origine vraiment du milieu, des
municipalités, etc.
Dans le cas des ressources intermédiaires, est-ce que vous les
voyez -je les prends toutes, même les ressources d'hébergement,
les familles d'accueil, les foyers de groupe, etc., - rattachées
à votre unité psychiatrique ou si vous les voyez comme relevant
d'une autre...
M. Laurin: Cela n'a pas tellement d'importance. L'important,
c'est la coordination. C'est le fonctionnement réseau. Si ce sont les
hôpitaux qui les ont, on va les accuser d'hospitalocentrisme. Si c'est
uniquement dans la communauté, sans rapport avec les institutions
hospitalières, on va dire que c'est de l'utopie et du romantisme. Pour
obvier à ces deux reproches, je pense que la localisation n'est pas
tellement importante, mais qu'il faut mettre l'accent sur la coordination.
Si un centre de jour et de soir est organisé sur une base
autonome avec un conseil d'administration, mais qui se met en relation avec
tous les centres hospitaliers à desservir, cela va très bien. Si,
par ailleurs, l'hôpital ayant les fonds nécessaires - point
d'interrogation - met sur pied ce centre de jour et de soir, mais le met
à la disposition des autres hôpitaux ou des autres institutions
analogues, cela irait très bien aussi. Mais je pense qu'il faut
éviter les querelles d'école, les querelles de pensée et
qu'il faut viser à l'efficacité. En ce sens, je ne voudrais pas
que l'on mette l'accent sur la localisation, mais plutôt sur la
coordination qui, elle, est absolument nécessaire.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le rattachement, pour
vous, est indifférent?
M. Laurin: Indifférent.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ma deuxième
question, c'est: Quand on lit votre mémoire, on a l'impression que,
finalement, les solutions sont simples dans le sens que vous avez
identifié... Enfin, pour faire le circuit complet et accorder...
M. Laurin: Elles sont simples, mais je dirais qu'elles font
quasi-consensus. Ce qui manque, c'est une voie commune - c'est exprimé -
un leadership, les sources de financement et la volonté politique. Par
politique, j'entends plus que politique au niveau gouvernemental, mais
politique municipale, politique de l'Association des hôpitaux, des corps
intermédiaires. Je pense que ce sont les ingrédfents qu'il nous
faut qu'on pourrait peut-être regrouper sous le nom de leadership
moral.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Alors, on est d'accord là-dessus, les éléments sont
là. Je suis d'accord avec vous, aussi, qu'il y a un consensus parce
qu'on a à peu près les mêmes propositions qui nous
parviennent des différents groupes. Ce qui semble manquer, je suis
d'accord avec vous parce qu'on a parlé de manque de concertation, de
rivalité de clocher, etc., mais il y a aussi la question du financement.
Je ne veux pas vous mettre dans une situation embarrassante, Dr Laurin, mais
c'est vraiment parce qu'on essaie de voir, pratiquement, ce qui peut être
fait. Vous avez dit presque au tout début: Les hôpitaux de soins
prolongés servent presque 30 % avec 60 % du budget; nous, on sert 70 %
avec 40 % du budget. J'ai cru déceler là-dedans, dans le fond, un
constat qu'il y avait une mauvaise allocation des ressources.
M. Laurin: Non.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Non, ce n'est pas
cela.
M. Laurin: Non. Ce n'est pas une critique parce que les
hôpitaux psychiatriques, certains en tout cas, desservent
déjà, comme les hôpitaux généraux, la
clientèle nouvelle, mais ils ont une autre obligation, c'est de donner
l'hébergement, la nourriture et les soins de base à une
population qui est hospitalisée là depuis 10 ans, 15 ans, 20 ans,
et ces patients coûtent cher aussi. Donc, ce n'est pas du tout dans mon
intention de reprocher à l'État d'accorder des fonds pour prendre
soin de ces patients qui sont là depuis 15, 20, 30 ans et qu'on pourrait
peut-être réinsérer dans la communauté en y mettant
la compétence, l'énergie, l'effort et les fonds.
C'était simplement pour dire que dans ces 18 % consacrés
aux maladies mentales, les unités psychiatriques des hôpitaux
généraux se trouvaient dans une situation très difficile.
C'était pour démontrer que les fonds sont insuffisants. Je vous
en donnerais une autre preuve. On a créé beaucoup d'unités
psychiatriques dans les hôpitaux généraux au cours des 20
dernières années, mais plus on en crée, plus il faut en
créer d'autres, et plus on crée d'unités, par exemple,
avec dix lits, quinze lits, deux ans, trois ans après, on est
obligé d'ajouter cinq lits, dix lits, quinze lits, vingt lits, et
malgré tous nos efforts, le pourcentage d'occupation de ces lits dans
les unités psychiatriques d'hôpitaux généraux est
toujours le plus élevé de tous le départements de
l'hôpital et dépasse même le 100 %, atteint souvent 102 %,
103 %, 104 %, c'est-à-dire qu'on est obligé de mettre des
patients dans les corridors parce que la demande dépasse l'offre.
Il faut faire ces constatations et en tirer toutes les
conséquences qu'il faut.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que je dois
comprendre de ce que vous dites que, finalement, en dépit des efforts
qui sont faits - il y a probablement des efforts supplémentaires qui
pourraient être faits, un réaménagement, etc., - il va
falloir que l'État, à un moment donné, concentre des
efforts supplémentaires, des investissements supplémentaires si
on ne veut pas, ensemble, refaire la même discussion dans trois ans,
quatre ans ou cinq ans?
M. Laurin: Et avec le support de la collectivité, parce
que si la collectivité n'est pas convaincue qu'il faut faire cet effort,
elle va renâcler contre les dépenses additionnelles que cela va
nécessairement comporter.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
D'accord. Alors, M. le député de Bourassa.
M. Laplante: Dr Laurin, on parle beaucoup de réinsertion
dans le milieu naturel de ces patients psychiatriques. On n'a pas parlé
encore de prévention. Le début d'une maladie mentale, ça
se manifeste comment? Comment peut-on la percevoir? Comment peut-on aider ces
gens avant, au lieu de les aider après?
M. Lavoie: Quand on parle de maladie mentale, c'est un terme
général qui implique de multiples formes. Il y en a où le
terrain biologique est prédominant. On sait, par exemple, que dans tout
le domaine des psychoses, que ce soit notamment la schizophrénie ou la
maladie maniacodépressive, il y a un terrain biologique qui est un
facteur essentiel pour qu'apparaisse et que se manifeste la maladie. Ensuite,
les facteurs sociaux viendront compromettre un équilibre psychologique
qui s'est établi sur un terrain biologique déjà chancelant
si bien que, généralement, on va parler de concordance de trois
facteurs, comme le Dr Laurin l'a mentionné tantôt. Dans le
traitement, on abordait par l'approche biopsychosociale, donc, on aura une
incidence biologique, une incidence psychologique, c'est-à-dire que
l'individu se sera développé une personnalité avec une
prédisposition particulière à développer des
maladies mentales. Finalement, il y aura aussi les stress sociaux qui viendront
intervenir comme facteurs déclenchants. Si bien que pour la
schizophrénie, par exemple, malgré les prédispositions de
départ que sont les terrains biologiques et la fragilité de la
personnalité, on verra la manifestation surtout vers la vingtaine au
moment où les stress sociaux deviennent de plus en plus importants pour
l'individu, à la fin de l'adolescence, comme le choix de l'orientation
de sa carrière, le choix de la vie maritale ou non, l'orientation
sexuelle. Il y a toute une série de choix qui sont demandés et
qui font que ce sera stressant.
Quand on parle de prévention, on peut essayer de prévoir
le ou l'autre de ces différents domaines sur lesquels on pense pouvoir
agir. Mais là encore, ce n'est pas encore très rentable, si on
peut dire, parce qu'au niveau biologique, il s'agit d'une difficulté
pour laquelle on n'a pas de traitement. Au niveau psychologique, on peut faire
quelque chose par un dépistage plus précoce. Déjà,
à l'adolescence, on peut orienter ces enfants vers des thérapies
éventuellement et, au niveau des facteurs sociaux, aider ces individus
à risque à les renforcer pour traverser ce qui, pour d'autres,
serait des crises de croissance et, pour eux, ce serait des crises
précipitantes dans une maladie. On peut envisager de leur accorder une
aide supplémentaire à différents moments pour les aider
à passer à travers ces phases difficiles.
C'est une prévention qui se fait selon trois volets, si on peut
dire. Encore qu'au niveau biologique, par les médicaments, à
l'occasion, lorsque la situation s'avère suffisamment grave, on peut
déjà entreprendre de réduire l'angoisse, par exemple, pour
éviter une décompensation encore plus importante.
C'est donc un concept sur lequel on peut faire quelque chose. Mais quand
on parle de prévention au niveau des névroses, où ce sont
principalement les facteurs psychologiques qui sont en cause, il s'agit
généralement de définir des populations à risque et
d'intervenir le plus précocement possible par une intervention du type
soit de traitement de groupe ou individuel. Mais c'est un concept qui est
difficilement rentabilisable encore. Aux États-Unis, ils ont mis
beaucoup d'emphase sur cet aspect-là dans leur expérience des
années soixante. Il y a eu toute une orientation qui a été
faite, mais c'est difficile de mesurer la rentabilité des
investissements dans ce domaine-là.
M. Laplante: Comme cela, il n'y a pas plus d'espoir pour cela, si
on prend le cas dont vous parliez tout à l'heure, un
schizophrène, si on découvre vers l'âge de 12, 13 ans qu'il
a un comportement qui n'est pas normal, il n'y a pas plus de chance de
guérison pour ce jeune à 20 ans qu'il n'y en a à 14. Les
réussites ne sont pas meilleures, même si vous le prenez
dès le début.
M. Lavoie: C'est-à-dire que je pense qu'elles sont
meilleures. Plus il sera dépisté précocement plus il sera
possible de l'intégrer dans un programme thérapeutique
précoce... Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. (16
heures)
M. Laplante: Vous la comprenez bien, c'est moi qui... Quelles
sont les chances de
guérison lorsqu'on découvre une maladie mentale dès
le début...
M. Lavoie: Oui.
M. Laplante:... dans un milieu familial? Il y a un dicton qui dit
qu'on ne voit pas nos enfants; on ne les voit pas. À un moment
donné, il y a des gens qui nous font observer un comportement
quelquefois bizarre chez un de nos enfants. Ils veulent nous rendre service,
comme on dit. Qu'est-ce qu'on doit faire? C'est de cette prévention dont
je veux parler. S'il se développe une schizophrénie, qu'est-ce
qu'on fait? A-t-il des chances de guérison dès cet âge ou
s'il a seulement une chance d'être classé dans un milieu naturel
plus tard une réinsertion sociale?
M. Laurîn: C'est un problème à multiples
facettes. Si on réussit à bien traiter et à guérir
les malades mentaux adultes qui ont des névroses ou des psychoses, on va
sûrement diminuer le nombre de maladies mentales dans l'avenir, parce
qu'on sait qu'une cause de l'incidence accrue des maladies mentales, c'est
souvent les névroses et les psychoses des parents non traitées ou
qui ont duré trop longtemps et qui ont des effets nocifs sur
l'éducation des enfants. Donc, déjà en traitant mieux les
névroses et les psychoses des parents, cela va se trouver à avoir
un effet préventif sur les générations futures.
Un deuxième angle, c'est celui que Mme Blanchet soulignait dans
son rapport Objectif: Santé, c'est-à-dire qu'il faut
accélérer les études sur le développement
psycho-affectif des enfants de façon que ce développement se
fasse le mieux possible. Pour cela, il faut qu'on complète nos
recherches parce que les recherches ne sont pas encore suffisantes dans ce
domaine. Mais même si la recherche nous permet de mettre le doigt sur des
facteurs importants, il faut que ces facteurs importants soient
répercutés par l'éducation, par la
télévision, par les livres auprès des familles qui
pourraient en bénéficier. C'est un autre angle.
Un troisième angle, c'est le problème de la santé
mentale au travail. Il est bien sûr que les conditions de travail dans
nos entreprises peuvent amener des stress qui peuvent déboucher, eux
aussi, sur des maladies mentales. Là aussi, si on peut prévenir
l'incidence des maladies mentales par un meilleur aménagement des
conditions et des relations du travail, on va se trouver à diminuer
aussi l'incidence des névroses et des psychoses.
Il y a donc des voies qui sont déjà claires actuellement,
qu'on pourrait prendre et auxquelles devraient participer non seulement le
ministère des Affaires sociales, mais le ministère de
l'Éducation et d'autres ministères - celui des Affaires
culturelles, par exemple - par le truchement de la télévision,
par l'imprimé, par toutes les autres méthodes que nous avons
d'éduquer et de sensibiliser la population. Nous ne sommes pas
dépourvus à cet égard mais, là encore, je pense
que, dans la politique de santé mentale, un chapitre important devrait
être consacré à cet aspect de la prévention pour
qu'on puisse tirer parti des connaissances que nous avons déjà
accumulées et qui, tout incomplètes et imparfaites qu'elles
soient, nous indiquent déjà quand même des pistes certaines
que nous pourrions suivre avec des résultats qui seraient sûrement
intéressants.
M. Laplante: D'accord. Maintenant, la drogue. Depuis les dix ou
quinze dernières années, est-ce que cela a été un
facteur dominant dans l'accroissement des maladies mentales?
M. Laurin: Je dirais que c'est plutôt un effet. Quand nous
voyons, par exemple, une maladie mentale insipiens, en progression, on constate
que la prise de drogue peut être un des symptômes d'une maladie en
marche, en ce sens que la drogue est souvent perçue par l'individu comme
un moyen d'évasion, comme une sorte de paradis artificiel, comme une
sorte de remède à l'angoisse dont parlait le Dr Lavoie tout
à l'heure. La prise de drogue est souvent davantage une
conséquence de ce dérèglement des relations familiales et
sociales qui amène l'individu ou le sujet à faire un abus de ces
faux remèdes contre l'anxiété ou la perte du sens de
soi-même. Évidemment, c'est un cercle vicieux. Quelqu'un qui
commence à prendre de la drogue et qui en abuse s'expose à subir
les effets biologiques, psychologiques et sociaux que la drague prise à
dose exagérée peut engendrer. Là, ce cercle vicieux
devient très difficile à rompre. Il faut probablement, dans nos
efforts thérapeutiques, viser les deux approches: l'approche curative,
il le faut, mais aussi l'approche préventive. L'idéal, c'est de
faire en sorte que ces adolescents, par exemple, aient moins besoin de recourir
à ces paradis artificiels que constitue la prise de drogue. Mais une
fois que le mal est avancé on ne peut pas éviter d'avoir à
traiter, de la façon la plus énergique et la plus
cohérente qui soit, ces maladies qui sont dues à la drogue.
M. Laplante: D'accord. Juste pour revenir à
l'hôpital du Sacré-Coeur, les plus vieux patients
hospitalisés, ceux que vous avez actuellement dans les 134 lits
occupés, le plus vieux patient, non pas en âge, mais par la
durée, combien cela fait-il de temps qu'il est hospitalisé?
M. Laurin: Nous avons des adolescents, à notre centre des
adolescents, qui sont
hospitalisés là depuis quatre ans parce que aucun centre
d'accueil au Québec n'a voulu les accepter. Ce sont des cas d'autisme et
de psychose infantile. Dans le département adulte, nous avons un petit
nombre de cas, quatre ou cinq, qui sont là depuis deux ans parce que
aucun centre hospitalier de soins prolongés, aucun centre d'accueil n'a
voulu ou ne peut les accepter en raison d'un comportement qui est inacceptable
ou non négociable par les autorités des centres d'accueil, et je
les comprends. J'aurais probablement pris la même décision qu'eux.
Comme, par ailleurs, on ne peut les hospitaliser à l'hôpital
psychiatrique Louis-Hippolyte-Lafontaine en vertu de la nouvelle politique qui
y prévaut depuis une dizaine d'années, nous sommes obligés
de les garder à 300 $ par jour alors que nous savons que, si nous avions
à notre disposition un service de troisième ligne, nous pourrions
leur donner le traitement qui leur convient pour une somme beaucoup moindre que
ces 300 $ par jour, tout en leur donnant le traitement approprié.
M. Laplante: Merci.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député de Marie-Victorin.
M. Pratt: Dr Lavoie, dans cet effort de réinsertion des
malades dans la société, on souhaite la mise en place de
ressources en externe. Vous notez à la page 4, à la suite de
l'expérience américaine, qu'il est important que les soignants
soient pourvus de différentes ressources de la science pour accomplir
leur tâche. Alors, mon interrogation est de cet ordre: Pour devenir
directeur ou personne accueillante soit dans un centre d'hébergement,
soit dans un foyer, soit dans une maison d'accueil, premièrement, est-ce
que ces gens doivent avoir certaines qualités requises que vous
contrôlez, que vous évaluez? Ensuite, est-ce qu'il y a une
évaluation sporadique qui est faite, c'est-à-dire...
M. Lavoie: Je pense, généralement, que ces
ressources relèvent du service social dans un département de
psychiatrie qui veille à recruter et à évaluer des
ressources en foyer avant d'accepter d'insérer des malades. Par la
suite, chez nous, par exemple, il y a un encadrement qui se fait par des
praticiens sociaux pour s'assurer du suivi du malade, de l'insertion, des
rapports du malade avec le milieu d'accueil.
M. Pratt; Sous l'autorité de l'hôpital,
actuellement?
M. Lavoie: Du service social parce que le service social
relève...
M. Pratt: Oui.
M. Lavoie:... du CRSSS, du CSS. Il y a un lien, un contrat de
services, quand même, avec l'hôpital. Enfin, oui, je pense, que
cela relève... Il y a une question de formalité, mais cela
devrait être sous la responsabilité de l'hôpital.
M. Pratt: C'est cela. Mon interrogation était
là-dessus parce que je trouverais très regrettable qu'un malade
ayant été accueilli dans une de ces institutions soit
rejeté, justement parce que le soignant se sent dépassé.
S'il y a des ressources qui doivent être apportées à ces
soignants, je pense qu'il est très important que l'on y voie et qu'on
assure un suivi là aussi.
M. Lavoie: Je pense, d'ailleurs, que c'est toute la
différence qui est faite entre les ressources autorisées et les
ressources clandestines qui, elles, ne sont pas pourvues de cet encadrement et
qui donnent parfois des résultats plus ou moins heureux.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député d'Ungava.
M. Lafrenière: Merci, Mme la Présidente. Est-ce que
vous croyez qu'il y aurait une tendance des médecins à
surhospitaliser les malades? Est-ce que cela pourrait expliquer l'encombrement
des salles d'urgence des hôpitaux?
M. Laurin: Nous sommes en train de faire actuellement à
Prévost une étude sur tous les patients qui se présentent
à l'urgence. Nous avons interviewé systématiquement tous
les patients qui se sont présentés à l'urgence au cours du
mois de juillet. J'ai en main les résultats préliminaires. Sur
275 patients, il y en a une forte proportion qui viennent à l'urgence et
qui sont, finalement, hospitalisés pour des raisons autres que
médicales, parce qu'ils n'ont pas d'abri, parce qu'ils n'ont pas de
logement, parce qu'ils sont dans un état de pauvreté
extrême et continue et qu'ils ne peuvent pas se payer les repas dont ils
ont besoin pour vivre, parce qu'ils sont rejetés par leur famille qui en
a marre de la maladie mentale et qui ne veut plus les recevoir et qu'ils sont
condamnés à une vie d'errance, sinon de délinquance, ou
parce que les CLSC ne sont pas ouverts en fin de semaine. C'est pour toutes
sortes de raisons qui sont sociales, au fond, mais, comme ces institutions ou
organismes ou ressources dont nous parlons manquent, ils viennent à
l'urgence parce que c'est la ressource connue, la ressource accessible, la
ressource disponible.
Je connais un bon nombre de mes collègues qui hospitalisent des
malades à
l'urgence pour des raisons humanitaires. Donc, si nous pouvions mettre
à la disposition de ces personnes les ressources sociales d'entraide, de
loisir, de travail ou d'hébergement qui répondraient à
leurs besoins, je suis sûr que les urgences ne seraient pas aussi
encombrées qu'elles le sont et que les hospitalisations diminueraient en
nombre et en durée.
M. Lafrenière: Docteur, serait-ce possible que la
commission puisse avoir cette étude que vous avez faite?
M. Laurin: Quand elle sera complétée, cela me fera
un très grand plaisir de vous la soumettre.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une dernière
question que je voulais vous poser. Est-ce qu'à votre connaissance,
à la suite de l'insuffisance de ressources dans le domaine de la
psychiatrie, il y a particulièrement chez les jeunes - cela peut
être aussi chez les hommes et chez les femmes - des personnes qui se
retrouvent dans les institutions carcérales, pas nécessairement
des pénitenciers, comme détenus parce que les ressources, par
exemple d'ordre hospitalier, sont insuffisantes? En fait, ce sont des patients
qui souffrent de troubles mentaux, mais qui se trouvent dans ces
situations-là.
M. Laurin: II est sûr que, si nous laissons libre cours
à un processus psychotique en évolution sans lui apporter au
moment voulu l'aide appropriée et efficace, le processus psychotique va
suivre son cours, le désespoir de la personne va s'accentuer. Sur le
plan symptomatique, nous assistons à des explosions d'agression,
à des accès de violence qui sont comme une sorte d'appel au
secours, qui sont comme une sorte de manifestation externe de l'angoisse
intérieure de façon à forcer l'entourage à
intervenir. Dans l'entourage, j'inclus les voisins qui n'aiment pas être
dérangés, j'inclus les policiers qui sont forcés
d'intervenir et qui, souvent, ne peuvent pas, en raison de la surabondance ou
de l'encombrement des urgences, trouver à faire traiter ces patients
comme il le faudrait et qui, souvent, comme dernier recours, sont
obligés de les amener dans des cellules de la prison ou de les
référer à des organismes carcéraux.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci, Dr Laurin. L'autre
question touche les jeunes. Vous avez dit: Chez nous, il y a quatre ou cinq cas
de jeunes, qui souffrent de schizophrénie, qui devraient se trouver dans
un autre type de ressources de troisième ligne. On n'a pas, là
encore, j'imagine, de statistiques un peu plus précises sur ce
phénomène de la schizophrénie chez les adolescents.
M. Laurin: Oui, nous en avons.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On en a.
M. Laurin: Oui, il y a une étude américaine, qui a
été faite dans l'État du Massachusetts par Gudeman and
Shore - un État très bien organisé, par ailleurs, qui
possède beaucoup plus de ressources que nous n'en possédons au
Québec - qui a conclu que, sur 100 000 de population, il y a,
d'après les études de suivi faites, un pourcentage défini
de ces cas de jeunes schizophrènes. Donc, nous savons assez l'incidence
de ces maladies, ce qui nous permettrait de planifier le type d'institution
dont on aurait besoin, ainsi que le nombre de places qu'il faudrait
prévoir, autant que le type de traitement également qu'il
faudrait instituer. Nous avons les renseignements qu'il faut à cet
égard.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pourriez-vous nous donner
l'ordre de grandeur? L'autre chose, c'est que - cela conduisait à ma
question additionnelle lorsque vous parliez de cette ressource de
troisième ligne, vous ne la conceviez pas à l'intérieur de
votre ressource de troisième ligne pour répondre aux besoins des
cas à plus long terme. Conceviez-vous une ressource à part
arbitrairement pour les 18-25 ans ou les 18-30 ans? Qu'avez-vous à
l'esprit?
M. Laurin: Je pense, par exemple, que, pour une population de 300
000 personnes du genre de celle que nous desservons, il faudrait un centre de
troisième ligne de 60 places à peu près qui pourrait
recueillir, d'une part, pour la moitié, les cas où la maladie est
en évolution comme ces jeunes schizophrènes ou ces
maniaco-dépressifs et, pour l'autre moitié, des cas où
l'atteinte organique existe et amène des troubles de comportement de
plus en plus marqués. Là-dessus, aussi les études sont
faites et nous savons le genre de ressources dont nous aurions besoin et le
nombre de ressources dont nous aurions besoin.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous estimez pour un
bassin d'environ 300 000 personnes...
M. Laurin: 60 places.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... 60 places. D'accord.
Je vous remercie beaucoup, Dr Laurin, et je vous souhaite bonne chance. Je
pense que vous avez retrouvé des amours d'antan.
M. Laurin: En effet.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que c'est bon
pour la psychiatrie, c'est bon pour la population. Je remercie le Dr Lavoie. Je
suis certaine que votre contribution sera utile aux travaux. Si modestes qu'ils
soient, je pense que cela nous sera très utile et je vous en
remercie.
M. Laurin: Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le deuxième
groupe, Terre des jeunes.
Une voix: Suspendez-vous pour quelques minutes?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On peut bien suspendre
pour quelques secondes.
(Suspension de la séance à 16 h 19)
(Reprise à 16 h 22)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Nous sommes heureux
maintenant d'accueillir le groupe Terre des jeunes et je vais demander à
M. Séguin, qui est président de la corporation, de bien vouloir
présenter ses collègues avant d'aborder son mémoire.
Terre des jeunes
M. Séguin (Pierre): Mme la Présidente, je vous
présente, à ma droite, M. Maurice Morin, président de la
fondation Terre des jeunes et, à ma gauche, M. Justin. Bournival,
directeur général de Terre des jeunes.
Si vous me le permettez, je demanderais à notre directeur
général, M. Bournival, de procéder à la lecture du
mémoire que nous avons présenté.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord.
M. Séguin: Merci.
M. Bournival (Justin): Je tiens pour acquis que les membres de la
commission ont jeté un coup d'oeil sur le mémoire et, comme je
suis mauvais lecteur, vous allez m'excusez, j'aimerais faire une
présentation peut-être une peu plus vivante.
Il y a quelques années, des parents ont placé leur enfant
dans un camp de vacances. Il s'agissait d'un garçon psychotique qui
avait de la difficulté à établir des relations avec les
objets, avec ses amis, qui bougeait un peu, toujours sans trouver
d'intérêt à quoi que ce soit. Quinze jours après
l'avoir placé au camp, les parents viennent le voir. En arrivant, ils
disent: Mon fils, comment cela va? Bien, justement, il est là, sur
l'île des lapins. La mère, l'apercevant, dit: Est-ce que cela a du
bon sens, regarde-le donc avec son gros gilet de laine par une chaleur pareille
et ses bottes de caoutchouc! Il ne pourrait pas être comme tout le monde,
mettre son maillot de bain et être en train de se baigner? Je dis: Oui,
mais madame, regardez, il a un lapin dans les mains. Il a l'air bien, il a
l'air heureux, ce qu'on n'avait pas vu. On pourrait se servir de cette histoire
pour dire la différence entre les valeurs des parents et les valeurs de
l'enfant qui est malade. Mais j'ai voulu me servir de cet exemple
peut-être, plutôt, pour éviter les incidents qui arrivent
souvent à Terre des jeunes où les gens sont bloqués parce
qu'il y a un papier qui traîne sur le terrain, parce qu'un jeune, ses
souliers ne sont pas attachés ou parce qu'il est mal vêtu.
Comme je n'ai pas l'habitude des présentations dans une enceinte
aussi vaste où on manipule aussi bien le verbe, j'espère,
messieurs et mesdames les députés, vous être
agréable, qu'il n'y ait pas de paroles qui vous choquent, qu'il n'y ait
pas d'attitudes ou de valeurs véhiculées qui vous empêchent
de voir au-delà et que l'expérience de Terre des jeunes puisse
vous servir è élaborer de bonnes politiques dans l'avenir.
J'étais content d'écouter le Dr, Laurin tantôt,
l'ex-ministre des Affaires sociales, parce qu'étant à Terre des
jeunes je me suis toujours senti au bout de la chaîne, un maillon au bout
de la ligne pendant que les législateurs, les décideurs sont
à l'autre bout de la chaîne et à un autre maillon beaucoup
plus haut, qu'on ne voit pas souvent. Je me disais: On poursuit quand
même les mêmes objectifs, c'est-à-dire qu'on veut offrir des
services de qualité, on voudrait que ce soit à des coûts
acceptables et on voudrait aussi changer les mentalités, amener la
population à être plus tolérante face à nos
personnes.
Dans notre introduction - je pense que cela a été dit
beaucoup mieux par d'autres -on dit que la maladie mentale est
dérangeante, qu'on éloigne ces malades, qu'on les place. Comme le
Dr Lavoie l'a dit -c'est là une de nos contradictions - en même
temps qu'on les éloigne, qu'on s'en débarrasse un peu on veut
qu'ils soient bien soignés, bien traités. Selon mon
expérience, malheureusement, on juge trop souvent les valeurs de
l'hospitalisation selon nos propres valeurs. Est-ce que c'est propre? Est-ce
qu'ils sont bien traités? Est-ce qu'ils mangent bien? Est-ce qu'ils sont
bien logés? Est-ce qu'ils ont chaud? Peut-être que le malade n'a
pas de place pour bouger, à l'intérieur de cela. Il est contraint
- c'est ce que j'appelle un boulet doré - à vivre avec des
valeurs imposées par l'adulte.
Le malade hospitalisé n'a pas de marge de manoeuvre. À mon
avis, il lui faut une marge de manoeuvre pour pouvoir agir et lui aussi se
réaliser. Je donne des exemples dans
l'introduction. Ayant vécu longtemps dans un hôpital
psychiatrique en tant que directeur de l'éducation physique, je
caricature et je dis que, parfois, le malade mental ne peut même pas
prendre un verre d'eau seul. Donc, il y a peu de gestes qui lui permettent de
se réaliser lui-même, ce qui est important.
La pression sociale nous apparaît le point majeur sur lequel nous
devons travailler afin de permettre aux handicapés de
réintégrer la société. L'intégration sociale
à Terre des jeunes a été possible grâce à
cette compréhension, è cette tolérance, à ce climat
de confiance de la corporation Terre des jeunes, du centre hospitalier
Rivière-des-Prairies, des clubs de services dont certains
représentants sont ici (M. Séguin est représentant et
ex-président des Lions de Laval, M. Morin est représentant du
club Kiwanis de Laval et il en est aussi le commandeur au Canada) et aussi des
parents et de la population de Sainte-Julienne, en général. M.
Séguin est un représentant et aussi un parent.
Incorporée en 1971, Terre des jeunes s'est donné une
vocation d'innover dans le domaine de l'éducation, du bien-être et
de la santé. Préoccupée par l'apprentissage, Terre des
jeunes s'est dotée d'une philosophie permettant à l'être de
se réaliser - quand je dis "à l'être de se
réaliser", je veux dire l'éducateur, le directeur
général, pour permettre à l'enfant, finalement, lui aussi
de se réaliser - d'expérimenter, de pouvoir se corriger afin
d'atteindre un niveau de maîtrise.
C'est ainsi que nous avons accepté de relever plusieurs
défis, soit avec des caractériels, des socio-affectifs, des
délinquants, des déficients mentaux légers, moyens ou
profonds, des psychotiques et des personnes psychiatrisées qui voulaient
se prendre en charge. Ces contacts avec la réalité quotidienne,
dans le contexte social du village de Sainte-Julienne, nous ont
sensibilisés aux difficultés de ceux qui ne savent pas, de ceux
qui ont de la difficulté à vivre dans la communauté. Nous
croyons avoir une expérience valable et nous vous la communiquons.
Terre des jeunes est une ferme éducative, c'est-à-dire
qu'il y a divers animaux, une grange et 140 arpents de terre,
aménagée pour que les enfants normaux des écoles, les
élèves, puissent la visiter. Il y a le mâle, la femelle,
les petits, comme dans la ferme d'autrefois, des vaches, des moutons, etc.
Autour de cette ferme éducative, il y a quatre maisons où
les jeunes vivent toute l'année. Durant l'année scolaire, les
élèves normaux viennent visiter la ferme et, ce qui apporte une
rentabilité, ils paient 4 $ par jour pour visiter la ferme. On
reçoit de 150 à 200 élèves, dont plusieurs sont de
la région de Montréal. Durant l'été, nous avons un
camp de vacances qui est divisé en deux parties. Nous recevons 25
adolescents qui vont travailler dans les fermes et qui sont des adolescents
socio-affectifs. Nous recevons aussi 25 personnes handicapées. Tous
vivent sous la tente.
Je passe les principes directeurs. En 1975, nous avons vécu un
projet expérimental, en accord avec le centre hospitalier
Rivière-des-Prairies- Nous avons reçu sept jeunes adultes,
déficients mentaux profonds ou de déficience mentale
sévère, si vous voulez. Nous avons essayé avec eux de
relever le défi de trouver des activités qui ont du sens pour
eux. Par exemple, on fait des activités comme faire marcher un
déficient mental sur une poutre d'équilibre de deux pouces de
largeur, à quatre pouces du sol. Il met son pied à
côté. On lui dit: Recommence, tu as manqué. Il ne comprend
pas, cela n'a pas de sens pour lui; il a seulement mis le pied à
côté et il ne s'est rien passé. On a aménagé,
à Terre des jeunes, un billot qui est au-dessus de l'eau. Ceux qui
passent dessus et qui manquent leur coup, on n'a pas besoin de leur dire qu'ils
ont manqué leur coup. Ils se ramassent à l'eau. C'est un peu
cette pédagogie, si vous voulez, qu'on a essayé de mettre en
place, c'est-à-dire trouver des activités qui ont du sens pour
eux et, en même temps, qu'ils puissent eux-mêmes s'évaluer
et non pas que l'intervenant soit toujours obligé de dire: C'est bon ou
ce n'est pas bon, tu as manqué ton coup. (16 h 30)
Ce programme avec les déficients mentaux sévères a
donné des résultats. À très court terme, on s'est
rendu compte qu'ils pouvaient se prendre en charge, qu'ils pouvaient
préparer des repas. Puisque manger a du sens pour eux, pourquoi ne pas
profiter de la situation "manger" pour les amener à aller se servir
eux-mêmes, à préparer des repas?
Cette expérience a donné naissance à plusieurs
vidéos tournés par le centre hospitalier
Rivière-des-Prairies et aussi à un volume qui s'intitule "Le
droit d'être" et qui raconte cette expérience.
Nous avons aussi, à la suite de cette première
expérience, rencontré des parents qui avaient leurs enfants
à l'hôpital Rivière-des-Prairies et qui souhaitaient voir
leurs enfants vivre dans un autre milieu à Terre des jeunes
espérant obtenir plus de succès.
L'hôpital Rivière-des-Prairies en a fait un projet de
recherche. Comme le premier projet était expérimental, on dit: On
ne sait pas trop ce qui s'est passé. Il y a eu des bonnes choses, mais
on ne sait pas trop comment c'est arrivé, comment cela s'est
passé. Dans le deuxième projet, on a fait un groupe
contrôle à l'hôpital; on l'a suivi avec un vidéo. On
a mis sur place sept disciplines: psychiatrie, travail social,
ergothérapie, physiothérapie, éducation physique, etc. Il
y
avait sept disciplines qui ont évalué notre
clientèle et évalué ceux qui restaient là-bas pour
conclure, après un an d'observation avec vidéo, que le projet
était rentable et que nos jeunes avaient fait du progrès, autant
que le groupe contrôle, mais sans médicaments.
Nous avons dernièrement mis sur pied des ateliers parce que notre
clientèle avait évolué à un tel point que le couple
éducateur en place ne suffisait pas à occuper les jeunes toute la
journée. Donc, les ateliers sont en place pour répondre à
cette clientèle.
Il y a les camps de vacances pour les adolescents, j'en ai glissé
un mot rapidement tantôt, et le camp pour les personnes
handicapées. Je compte beaucoup sur vos questions pour compléter,
si vous voulez, ce mémoire.
En ce qui a trait au mode de fonctionnement, chez nous, les
éducateurs vivent 24 heures par jour, cinq jours par semaine avec la
clientèle. Si vous voulez, c'est fait pour répondre à un
problème vécu en institution où moi, je trouvais que les
jeunes étaient morcelés à cause des disciplines, des
spécialités. En éducation physique, on a une perception
d'eux. Tu vas en pédagogie, tu vas en psychiatrie, chacun les voit un
peu selon sa spécialité. Et l'enfant, lui, dans ce
sens-là, je le trouve morcelé, en même temps qu'il est
uniformisé, c'est-à-dire qu'il se couche à la même
heure, qu'il se lève à la même heure, qu'il mange les
mêmes choses. C'était pour remédier à ce
problème de morcellement qu'on a dit: S'il y avait quelqu'un qui faisait
une approche globale et qui vivait 24 heures par jour avec eux, on pourrait
résoudre ce problème.
Avec nos trois maisons, on est arrivé à vivre aussi un
milieu thérapeutique, c'est-à-dire que le résident est
pris en charge par l'ensemble des éducateurs, mais il n'est pas sous la
responsabilité d'un seul éducateur. Il est libre de circuler. On
a institué une surveillance de type parental plutôt qu'une
surveillance de tous les instants du genre institutionnel.
Les parents jouent un rôle important dans la conduite de Terre des
jeunes. Je disais tantôt qu'on a besoin d'une marge de manoeuvre pour
fonctionner et je pense que ce sont les parents qui nous la donnent, cette
marge de manoeuvre-là, ou qui nous en privent par leurs exigences. Ce
sont les risques calculés dont on a parlé ce matin. C'est la
population qui, finalement, nous permet de laisser les enfants libres de
circuler sur le terrain ou de marcher les souliers détachés. Il
faut qu'il apprenne lui-même à attacher ses souliers, mais qu'on
ne le surprotège pas.
Il y a le rôle du village qui est très important aussi. On
a voulu démystifier ce qui était le Kiwanis Laval, de
Montréal, la
Terre des jeunes. Pour cela, on a commencé à faire des
achats dans le village. On compte aujourd'hui 18 marchands qui nous font
crédit et où l'on peut acheter. On a procédé aussi
à la création d'emplois. On avait dernièrement 23 emplois,
surtout des gens qui sont aux alentours et qui viennent pour les
classes-promenades. Par exemple, nos jeunes adolescents qui vont travailler
chez les horticulteurs sont aussi comme des racines qui s'étendent, qui
font connaître Terre des jeunes, et les cultivateurs viennent chez nous
rencontrer les jeunes. On a essayé de pénétrer dans la
communauté. Notre vice-président, qui n'est pas ici aujourd'hui,
M. Lesage, joue un rôle de premier plan. Il est vice-président et
restaurateur dans Sainte-Julienne. Dans ce sens-là, il est un tampon
entre ce que les gens pensent au village et ce qui se passe chez nous. S'il
entend une critique, il nous la sert. Il joue un rôle tampon entre la
communauté et ce qu'on fait chez nous. Il reçoit les jeunes au
restaurant. Par exemple, il est en mesure d'expliquer à sa
clientèle ce que sont les jeunes chez nous. C'est un travail que je
considère fantastique.
Le bénévolat. Il y a des gens qui travaillent, comme M.
Morin, depuis quinze ans, soit à la corporation ou encore à la
fondation Terre des jeunes. M. Julien Plouffe fait la même chose. Le
bénévolat joue aussi un rôle très important. On
mentionne les clubs Lions qui ont financé ce projet et qui viennent
faire leur pique-nique annuel, de même que les clubs Kiwanis.
En conclusion, le spécialiste, le Dr André Blanchet, qui
supervisait le programme chez nous, disait - je rapporte la statistique, elle
vaut ce qu'elle vaut - que 99 % des psychotiques qui étaient en
institution en vue d'une intégration sociale "y retournent pour mourir.
Ce qui veut dire que nous n'avons pas trouvé le remède efficace
dans la société pour les personnes atteintes de psychose. Il faut
chercher. Votre expérience est intéressante et vous avez toute
notre collaboration". C'est dans ce cadre-là qu'on inscrit Terre des
jeunes, comme un milieu d'expérimentation, un milieu de recherche, un
milieu de vie, un milieu où on va essayer de découvrir les
valeurs réelles du malade mental et de voir comment, après avoir
découvert ces valeurs, on peut les ajuster aux nôtres.
Mme la Présidente, j'ai terminé; j'attends vos questions
avec impatience.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie
beaucoup, M. Bournival, de votre présentation. Je pense que Terre des
jeunes a voulu venir déposer un témoignage quant aux diverses
formes qui peuvent être adoptées pour, justement, apporter de
l'aide, du soutien ou permettre une meilleure intégration des malades
mentaux et aussi,
dans votre cas, des déficients mentaux. Je vous en remercie.
J'aurais quelques questions d'ordre pratique à vous poser pour
bien me situer. Terre des jeunes remonte à 1975 si je ne m'abuse. Elle a
été créée en 1975, n'est-ce pas?
M. Bournival: La corporation, en 1971.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): La corporation.
D'où vient le projet? Qu'est-ce qui a motivé le projet au
départ? C'est une question. Deuxièmement, d'après les
chiffres qui sont là, je crois comprendre que vous avez en permanence un
groupe de sept personnes psychotiques et de six personnes déficientes
mentales qui viennent de Rivière-des-Prairies. Quel a été
le roulement de ces personnes-la? Après cela, vous avez vos groupes plus
temporaires, soit ceux qui viennent sur une base quotidienne pour visiter la
ferme; vous avez votre camp de vacances pour deux catégories. Ceux qui
sont là d'une façon permanente, dois-je conclure qu'ils sont au
nombre de treize?
M. Bournival: Actuellement, ils sont 19. Il y a une
catégorie qui n'est pas là.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Quelle catégorie est-ce?
M. Boumival: Déficients mentaux légers, jeunes
adultes...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Jeunes adultes
légers.
M. Boumival:... regroupés autour des parents.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On va reprendre au
départ. D'où vient le projet? Qu'est-ce qui a motivé le
départ du projet?
M. Morin (Maurice): Le départ du projet, c'est ce club
Kiwanis Laval de Montréal qui, à un moment donné, comme
organisation bénévole et de service à la population,
travaillait avec l'hôpital Rivière-des-Prairies depuis plusieurs
années et voyait des nécessités qu'elle ne pouvait pas se
donner. Le club Kiwanis achetait une terre à Sainte-Julienne en
1968-1969, qui était exploitée par les membres du club Kiwanis.
À un moment donné, nous avons constaté que cette
tâche demandée aux membres qui faisaient du
bénévolat était un peu trop ingrate et trop difficile.
Nous avons travaillé étroitement avec M. Bournival de
l'hôpital Rivière-des-Prairies, lui demandant ce qu'on pourrait
faire avec cette terre qui était disponible pour plusieurs organismes.
Il nous a suggéré de nous servir de la terre pour faire un camp
de vacances pour les enfants de l'hôpital Rivière-des-Prairies.
C'est à partir de ce moment-là que l'expérience a
commencé. Je pense que c'était, si je ne me trompe pas, l'une des
premières fois que les enfants sortaient de l'hôpital pour aller
en pique-nique ou passer une couple de jours et retourner à
l'hôpital. À partir de 1971, l'organisation du club Kiwanis s'est
mise en contact avec M. Bournival pour voir s'il y aurait possibilité de
fonder un genre de camp de vacances plus prolongé. C'est à partir
de ce moment-là que le club Kiwanis s'est mis à l'oeuvre
et...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Alors, si je
comprends bien, cela a toujours été en collaboration avec
l'hôpital Rivière-des-Prairies?
M. Morin: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M.
Bournival était éducateur physique à
Rivière-des-Prairies. C'est ce que je crois saisir.
M. Morin: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous êtes
financés, d'abord, par le per diem, du moins par l'allocation de
bien-être social et aussi par Rivière-des-Prairies, jusqu'à
un certain point. Quel est le personnel affecté à ces enfants?
Vous dites qu'il y a des éducateurs avec eux 24 heures par jour.
J'aimerais voir un peu comment ce programme est organisé sur le plan de
l'encadrement des ressources humaines.
M. Séguin: M. Bournival va vous donner l'information
exacte.
M. Bournival: Vous avez parlé des coûts...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pas nécessairement
des coûts...
M. Boumival:... et de l'encadrement? La Présidente (Mme
Lavoie-Roux): Oui. M. Séguin: Le genre de personnel.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
C'est-à-dire pas tellement des coûts, mais d'où
origine le soutien financier. D'une part, des allocations de bien-être
social, un peu de Rivière-des-Prairies et, je pense, aussi des fonds
ramassés par le club Kiwanis.
M. Morin: Les subventions viennent des clubs de services, pas
seulement du club Kiwanis, mais de plusieurs organismes tels que les clubs
Lions, etc. Il y a eu des années, je me souviens, où il a fallu
faire une campagne publique. Un jour, la grange a
passé au feu et, vu que c'était une terre éducative
et qu'il n'y avait plus de ferme pour faire l'éducation des enfants, il
a fallu faire une souscription publique. En général, je pense que
c'est l'argent qui vient de l'hôpital Rivière-des-Prairies.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, Du point de vue du
personnel qui est à la disposition des enfants, qui est le nombre de
personnes? Je voudrais que vous vous en teniez strictement à vos 19
enfants qui sont là d'une façon permanente. Oubliez le personnel
pour les visites d'écoles ou les camps de vacances.
M. Bournival: D'accord. Au niveau d'un foyer de six personnes,
soit des déficients mentaux légers, profonds,
sévères ou psychotiques, c'est un couple qui est responsable de
la maison, cinq jours par semaine, 24 heures par jour. Il y a un
remplaçant qui vient les deux autres journées. Le budget est
organisé de façon qu'on souhaite que les gens restent en
présence le plus longtemps possible, c'est-à-dire que le montant
du gardiennage est inclus dans la pension de façon que, s'ils veulent
travailler six ou sept jours, ils peuvent le faire et garder le montant du
gardiennage. Selon l'esprit, c'est que le personnel soit présent...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais ce personnel est
payé à même les revenus dont on vient de parler...
M. Bournival: Généralement.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... et qui peuvent venir,
soit de l'hôpital Rivière-des-Prairies...
M. Bournival: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... ou
généralement du bien-être social, des centres de services
sociaux, etc., de tous ceux qui contribuent financièrement de quelque
façon que ce soit.
M. Morin: Au début de l'année, nous
préparons un budget et...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Quel est le montant total
de votre budget?
M. Séguin: Pour les foyers seulement?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, pour les foyers.
M. Séguin: Vous ne parlez pas de l'ensemble de la terre.
Le montant est de 216 000 $...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est 216 000 $.
M. Séguin:... pour trois foyers.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Quelle est la
durée de séjour des enfants qui sont toujours dans les
foyers?
M. Séguin: C'est permanent.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ils sont là de
façon permanente?
M. Séguin: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce qu'il y a eu
beaucoup de roulement ou s'il reste...
M. Séguin: Jusqu'ici, il n'y a eu aucun roulement. Il y a
eu des changements; dans une couple de cas, il a fallu retourner l'enfant dans
le milieu hospitalier pour des raisons absolument incontrôlables chez
nous.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Des raisons de
santé, oui. (16 h 45)
M. Séguin: Mais jusqu'ici, il n'y a pas eu de
déplacements d'enfants et on ne pense pas qu'à court terme ce
soit possible. L'intention n'était pas de les envoyer là en
stage. Ce n'était pas un stage qu'ils faisaient, ce n'était pas
une étape.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est devenu leur foyer
permanent, finalement.
M. Séguin: C'est devenu leur foyer permanent. Ils
contrôlent leur propre foyer, en fait, avec l'aide des éducateurs
qu'il y a là.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Maintenant, du point de vue des coûts, pour garder ces 19
personnes en foyer d'une façon permanente et les garder en institution,
est-ce qu'il y a eu des comparaisons d'établies?
M. Séguin: Oui, quand on pense qu'en éducation
permanente on nous a fourni des chiffres, à un moment donné,
d'environ 114 $ par jour par enfant, chez nous, actuellement, on fonctionne
à environ 37 $ alors qu'on devrait, en toute logique, fonctionner
à environ 45 $. Il y a des rajustements qui doivent venir très
prochainement, surtout du côté des salaires quand on y pense.
Actuellement, on fonctionne à 37 $, mais on devrait fonctionner à
45 $ comparativement à 114 $.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela, c'est quand vous
comparez des pommes avec
des pommes.
M. Séguin: Des pommes avec des pommes.
M. Morin: C'est peut-être meilleur.
M. Séguin: Si on compare, si vous voulez, en chiffres
donnés pour des foyers semblables et non pas similaires, un foyer a un
budget, actuellement, pour quatre enfants, à Montréal, d'environ
100 000 $ et chez nous, pour six, on nous alloue 72 500 $.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Enfin, il ne peut pas
être considérable pour 19 personnes, mais est-ce qu'il y a un
roulement de personnel assez fréquent?
M. Séguin: Oui, effectivement, il y a un assez bon
roulement de personnel. Il faut comprendre, surtout pour le foyer que je
connais principalement dans mon cas, le deuxième foyer où les
parents sont impliqués, qu'il y a une période de temps où
les enfants, en arrivant de l'hôpital, doivent être ce qu'on a
appelé désinstitutionnalisés. Ils doivent perdre cette
notion de discipline, de se coucher à telle heure, etc. Cela a
été très difficile pour les éducateurs qui
étaient 24 heures par jour avec ces enfants qui étaient
privés de médicaments dès l'arrivée. Les
médicaments étaient coupés immédiatement. Il y a
des cas assez difficiles. Si vous voulez en entendre parler, M. Bournival
pourra vous en glisser un mot. Cela a été très
difficile.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Voulez-vous m'expliquer une chose? Pourquoi dites-vous qu'on a
coupé les médicaments à ces enfants? Est-ce que vous
voulez dire que dans l'institution on leur donnait tous des médicaments
et que, rendus là, on ne leur en donne plus?
M. Séguin: Mme la Présidente, les
médicaments, dans les milieux hospitaliers, je pense que c'est un
outil.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que tous les
enfants que vous avez reçus recevaient des médicaments?
M. Séguin: Ah, bien oui. Tous nos enfants avaient...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Même les déficients mentaux?
M. Séguin: Même les déficients mentaux, oui.
Je dirais même...
M. Bournival: Dans les déficients mentaux profonds, il y
en a trois sur sept qui recevaient des médicaments.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux}:
Pourriez-vous le dire un peu plus...
M. Bournival: Trois sur sept recevaient des médicaments
dans les déficients mentaux profonds.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Alors, ils n'en recevaient pas tous, trois sur sept.
M. Séguin: Dans les profonds.
M. Bournival: C'est parce qu'il y a deux foyers. Le foyer dont
parle M. Séguin...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, oui, les enfants
psychotiques, ils en avaient tous.
M. Séguin: Les psychotiques, ils en avaient tous. On est
porté - les parents - à dire qu'ils reçoivent cela en
quantité industrielle. C'est peut-être pousser un peu, mais ils
recevaient une bonne dose de médicaments, tellement que, lorsqu'on a
fait la comparaison entre le groupe de Terre des jeunes et le groupe qu'on
appelait groupe pilote qui était de maladie semblable, de sexe
semblable, d'âge semblable, on a gardé les médicaments dans
le milieu hospitalier et, chez nous, les médicaments ont
été éliminés. Dans les six, il y en a un qui a
dû reprendre des médicaments, mais pour des questions
d'épilepsie. C'est la seule raison pour laquelle les médicaments
lui ont été remis. Les autres n'ont plus de médicaments et
leur progrès a été...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Sensible?
M. Séguin:... semblable, sinon supérieur à
ceux qui étaient dans le milieu hospitalier. Cela a été
évalué et cela a été trouvé très
rentable. La difficulté, à l'origine, pour revenir à ce
que je vous expliquais tout à l'heure, c'est que les employés,
les éducateurs étant pris avec ces enfants dans une maison, 24
heures par jour, avaient beaucoup de difficulté à rattraper leur
sommeil. Ils avaient beaucoup de difficulté à prendre un repas
normal. Ils ont eu à traverser une période absolument
indescriptible. On ne peut pas décrire ce qu'ils ont vécu. Donc,
ils ont laissé. Une première a laissé après six
mois. Elle est partie six mois et elle est revenue. Un deuxième est
resté un an et il est parti. Là, il y a eu quelques changements.
Il y a beaucoup de raisons à cela, mais, entre autres, cette
difficulté. Maintenant, on pense que cela s'est stabilisé. Le
personnel en place est dans un milieu un peu plus normal, quoiqu'il y ait
encore de grosses difficultés. C'est particulièrement difficile,
mais c'est
assez stabilisé. Il reste, comme on l'a dit tout à
l'heure, la question des salaires qui, chez nous, est peut-être la
question primordiale parce que, nos budgets étant ce qu'ils sont, on
doit couper les coins ronds et on en est là maintenant.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):
Merci bien. M. le député de Bourassa.
M. Laplante: Vous allez me permettre, M. Morin, de vous
féliciter. Je vous connais depuis assez longtemps et je découvre
chez vous une nouvelle conception du bénévolat. Je tiens
personnellement à vous en féliciter parce que ce que vous nous
apportez aujourd'hui, cela me touche beaucoup, qu'il y ait des gens de chez
nous qui puissent avoir des idées nouvelles, qui y consacrent leur
argent, leur temps. M. Morin est probablement trop modeste pour dire que son
argent va là-dedans aussi.
Avez-vous l'idée de donner de l'ampleur à ce projet? C'est
une terre que vous avez là, c'est grand. Cela me fascine, en tout cas,
ce que vous avez comme projet.
M. Morin: Notre idée première, ce n'est de ne pas
devenir un institut...
M. Laplante: Non.
M. Morin:... qui passerait automatiquement sous les ordres du
gouvernement.
M. Laplante: Ha!. Ha! Ha!
M. Morin: On est,. je pense, indépendants. Nous avons un
groupe de bénévoles qui travaillent depuis quinze ans sur cette
terre. Dans les rapports qu'on s'est fait sortir sur notre emplacement, on
disait qu'on était un peu à la limite du genre de personnes qu'on
devrait avoir sur la terre. Pour moi, la terre a été un de mes
petits bébés, parce que j'ai commencé, dans les premiers
temps, avec l'achat de la terre. Cette terre était quelque chose pour
étendre les services que la population ne pouvait pas avoir, comme
l'âge d'or, les gens de Saint-Henri, qui n'ont jamais de place pour aller
passer une semaine ou trois jours de vacances, former des camps comme cela ou
même aller jusqu'à bâtir une maison pour le troisième
âge.
Mais notre premier but, vu que c'est fait pour les gens de
l'hôpital Rivière-des-Prairies, c'est de leur donner le plus de
confort possible. Avec la grandeur de la terre, ils ont ce confort. Le Dr
Laurin parlait de foyers. Je pense que le premier exemple, c'est que ces gens
devraient aller visiter notre ferme. Ils verraient que ce n'est peut-être
pas une maison traditionnelle; à six heures, il faut souper et, à
sept heures, il faut se lever pour le déjeuner, mais les enfants sont
libres. S'ils veulent aller chercher du lait pour leurs céréales,
ils peuvent aller voir les vaches et prendre leur lait. Ils sont
complètement libres. Ils vivent en plein air. Je pense que c'est
là qu'est toute la différence dans un foyer comme le nôtre,
appartenir à une terre éducative et, en même temps, c'est
très bon pour les enfants.
Vous demandiez tantôt - j'avais remarqué cette question -
si nos idées sont que les enfants retournent, c'est sûrement que
si on les a sortis de l'hôpital Rivière-des-Prairies, c'est qu'on
aimerait les mettre dans la société. En disant qu'on les met dans
la société, ce serait les mettre peut-être dans un foyer
avec une ou deux personnes puis les mettre sur le marché du travail.
Notre but premier, c'est cela. Mais c'est une tâche assez difficile
à accomplir. Il y a peut-être l'histoire de Gilles. Notre
directeur général, M. Bournival, pourrait nous en parler. C'est
un exemple qu'on a pris de l'hôpital Rivière-des-Prairies. C'est
un garçon qui ne parlait pas, qui ne faisait rien de lui-même.
Aujourd'hui, c'est un de nos premiers. Il dirige des groupes de personnes, des
jeunes. C'est difficile de le comprendre, mais il est toujours là, il
travaille sur la terre. Je pense que c'est possible. Si on en sortait seulement
un ou deux en dix ans, on serait très content.
M. Laplante: Merci. Maintenant, est-ce que vous avez plusieurs
animaux de ferme? Faites-vous des récoltes de lapin? Non, non, j'appelle
cela des récoltes de lapin, mais c'est l'élevage du lapin, ces
choses-là. C'est parce qu'il y avait un projet à
Rivière-des-Prairies. J'ai rencontré des travailleurs de
Rivière-des-Prairies à mon bureau. J'ai donné une petite
subvention personnelle justement pour un projet d'élevage. Je ne sais
pas s'ils sont allés vous voir à ce sujet. Ils voulaient
élever du lapin avec des déficients. Ils voulaient essayer de les
intégrer dans la société ou, du moins, leur faire
apprendre autre chose. Depuis un an, je n'ai pas eu de nouvelles de ce projet.
Je ne sais pas si vous en avez eu de votre part.
M. Morin: Ce n'est pourtant pas très loin de votre
comté!
M. Laplante: Pardon?
M. Morin: Ce n'est pourtant pas très loin de votre
comté!
M. Laplante: Non, mais ce n'est quand même pas dans mon
comté. Il y a des citoyens de mon comté qui sont des patients
à Rivière-des-Prairies.
M. Séguin: Si vous parlez d'élevage,
jusqu'ici, il n'en a pas été plus question que cela. On a
des animaux pour une ferme éducative. Autrement dit, c'est pour
intéresser les visiteurs, leur apprendre le fonctionnement d'une ferme.
Pour la plupart des animaux, nous avons le couple, mais ce n'est pas notre
intention de faire de l'élevage. Mais, quand même, nous sommes
réceptifs à toutes sortes de suggestions qui pourraient nous
être faites et qui pourraient nous permettre d'améliorer notre
situation financière constamment. Si un projet est valable, s'il se
présente bien et qu'il y a une possibilité de le mettre en
application en fonction des déficients qu'on garde sur la terre, c'est
évident que c'est intéressant et qu'on est réceptifs
à la suggestion. Jusqu'ici, je n'ai pas entendu parler du projet dont
vous parlez. C'est quelque chose à regarder, mais Terre des jeunes,
jusqu'ici, n'a pas été une terre "opérante", si vous
voulez. On n'est pas là pour faire de la culture en grande
quantité. On fait le strict minimum pour les besoins de la terre et pour
montrer aux jeunes qui viennent nous visiter ce qui se passe sur une terre.
La relation entre les deux, c'est qu'on a tous les services à un
endroit où les déficients profitent du village, mais aussi de
tout ce qu'il y a autour. Lorsqu'ils partent de la maison, ils ne s'en vont pas
seulement sur le trottoir au coin de la rue, chez le dépanneur ou jouer
à la machine à boules au coin de la rue. Ils ont autre chose
à faire. Ils se rendent chez un voisin. Ils vont frapper à la
porte du voisin. Ils y sont reçus. Ils s'en vont à la
cafétéria, ce qu'on appelle la cabane à sucre, ils sont
chez eux. Ils vont à la ferme, ils sont chez eux. Pourtant, ils sont
encore à une grande distance de la résidence. Ils peuvent
circuler librement. C'est dans cet esprit. L'élevage, jusqu'ici, n'a pas
été une fonction première. Cela n'a pas été
un but ni un objectif, mais nous sommes réceptifs à toute
suggestion.
M. Laplante: Merci. Continuez.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Y a-t-il d'autres
questions? Je veux vous remercier de votre présentation. Il n'y a pas
d'autres questions. Je pense que vous faites la démonstration qu'il y a
d'autres formules. Quelqu'un me faisait remarquer, et avec justesse, que, comme
cela a été l'initiative d'un club social, d'un club de services
où, quand même, il y a beaucoup de gens, j'imagine, ou un certain
nombre de personnes, c'est aussi un moyen de sensibilisation auprès de
la population qui, autrement, n'en entendrait jamais parler ou continuerait
d'avoir ce réflexe de crainte ou de rejet vis-à-vis de personnes
qui, dans le fond, lorsqu'on leur accorde l'attention dont elles ont besoin,
réagissent d'une façon très positive. Vous faisiez
remarquer particulièrement que le travail auprès du groupe
d'enfants ou même de ceux qui souffrent de déficiences profondes
est un travail très difficile, qui exige beaucoup de dévouement
et de dynanisme en même temps et de créativité pour,
justement, sortir les enfants d'un mode de fonctionnement qui devient tellement
routinier et stéréotypé si personne autour d'eux ne
suscite d'initiatives. Je vous remercie. Je m'excuse, on vient de me dire que
M. Lafrenière avait une question à poser, mais je ne l'avais pas
vu. Allez-y, M. le député d'Ungava, pardon!
M. Lafrenière: Merci. Seulement une petite question. On a
sauvent entendu dire, depuis les derniers jours, que des choses comme cela sont
difficiles à faire accepter à une population. J'aimerais que vous
nous disiez comment vous avez fait afin que la population accepte cela et vive
le projet avec vous. Cela pourrait peut-être être utile pour nous
dans les jours qui vont venir, parce qu'on sait qu'il y a des mémoires
qui traitent spécifiquement de cela. J'aimerais savoir comment vous avez
fonctionné pour embarquer la population dans votre projet. (17
heures)
M. Séguin: Je pense que celui qui est le plus
qualifié, ayant vécu dans le milieu continuellement depuis
quatorze ans, c'est M. Bournival qui va certainement se faire un plaisir de
vous le dire.
M. Boumival: Je pense qu'il y a plusieurs éléments
pour amener la population à participer. Je vous raconte encore une
histoire de gens qui voulaient aller au restaurant parce qu'il y avait une
exposition au village. Cela se passait à Joliette. Ils appellent le
restaurateur et demandent: Est-ce qu'on peut aller manger chez vous parce qu'on
a une exposition? Le gars dit: Venez vers 15 heures parce qu'à midi j'ai
bien du monde. Là, ça ne faisait pas l'affaire. Je lisais
ça et je me disais: Si ta clientèle peut aller manger au
restaurant, tu n'as pas de permission à demander, mais tu as le devoir
de rendre ta clientèle acceptable à la population. Tu n'envoies
pas ta clientèle dans un restaurant où le restaurateur va perdre
sa clientèle. Si ta clientèle n'est pas prête à
aller au restaurant, commande-toi des sandwichs, fais-en ou va-t'en ailleurs.
Je trouve qu'il y a ce jeu entre les deux. Notre rôle à nous est
de rendre notre clientèle acceptable et on demande aussi un bout de
chemin à la population, soit de réagir comme il faut et
d'accepter d'être gentille et polie avec nos gens.
Pour faire ça, ce qu'on a fait chez nous, j'en ai parlé un
petit peu tantôt, on a commencé par acheter chez les marchands du
coin. Quand nos jeunes y vont et qu'on a déjà un compte d'ouvert
là... Il y a Marc, par exemple, qui fait le tour des
distributrices. Il va chez le quincaillier parce qu'il y a une
distributrice là aussi. Il ne va pas faire autre chose. Les gens le
connaissent et me connaissent et, si quelque chose de pas correct se passe, ils
m'en parlent. L'achat chez nous est important même si, des fois, on paie
un petit peu plus cher.
Ensuite la création d'emplois. On reçoit des
classes-promenades, 150 ou 200 élèves par jour. Cela veut dire
qu'on engage de cinq à dix personnes, qui sont la plupart des
mères de famille qui envoient leurs enfants à l'école.
Elles viennent chez nous à 9 heures et travaillent jusqu'à 14
heures ou 14 h 30 et retournent à la maison pour recevoir les enfants
qui reviennent de l'école. Ces gens-là viennent chez nous et
côtoient notre clientèle. Ils s'occupent de notre clientèle
qui est normale. Les enfants qui viennent sont de l'élémentaire.
Comme nos jeunes sont libres de circuler sur le terrain, à un moment
donné, il y en a un qui monte dans la voiture avec les chevaux, avec les
autres, il va glisser avec les autres, il se promène sur la poutre
d'équilibre avec les autres, il est à la cabane à sucre.
Les enfants normaux posent des questions. Ils disent: Aie! Qu'est-ce qu'il a,
lui, il est bien drôle, il fait des signes? À ce moment-là,
le moniteur explique. Je trouve que c'est une façon de sensibiliser
très jeunes les enfants et les professeurs, de sensibiliser notre
population qui vient là aussi. Ils ont peur. Cet été, j'ai
engagé une cuisinière qui a toujours été à
Sainte-Julienne. Elle a fait les sucres et elle les a faits très bien.
J'ai dit: Viens donc travailler au camp d'été. Elle n'avait pas
confiance, elle avait peur des malades. Elle a dit: Quand on était
jeune, dans le village, on nous disait: Fais attention aux malades, cache-toi,
ils sont dangereux. Là, à les cotoyer trois jours, quatre jours,
cinq jours, une semaine, elle est à l'aise, elle se promène
partout. Elle n'en revient pas comment c'est facile.
Je trouve que la création d'emplois fait cela, elle
démystifie le mouvement. Elle fait connaître le malade et le fait
voir sous un autre jour. Donc, achats, création d'emplois et les
contacts d'une façon générale.
Dans le village, par exemple, je fais partie de la chambre de commerce,
j'ai lancé le festival du poêle à bois. Comme directeur
général m'occupant des malades, je suis un drôle de
bonhomme, je suis un peu spécial. Mais si, à un moment
donné, je m'occupe du festival du poêle à bois et que je
suis comme une espèce d'administrateur autre et que je mène
ça à bien, je projette une image autre que d'être juste une
espèce de travaillant "avec". Là aussi, je pense qu'il y a un
travail pour sensibiliser la population.
Je trouve aussi admirable ce que font les membres, soit du Kiwanis ou
d'autres clubs, le rôle, par exemple, que joue Fernand
Lesage dans le village. Il fait partie de la corporation, il a fait la
campagne de financement. Il est au restaurant, la clientèle va là
et ses serveurs et serveuses sont sensibilisés. Ils donnent des
cigarettes aux gars, ils leur donnent des cafés, ils leur font payer
meilleur marché, ils leur donnent des becs de l'autre côté
du comptoir. Ensuite cela se transmet. Il y a une grande table. C'est la table
des notables. Quand tu es admis au village, tu peux aller t'asseoir à
cette table-là. Nos gars vont s'asseoir là. Ce sont des clients
qui disent: Ne mets pas trop de sucre. Fais attention à ta tasse. C'est
comme une boule de neige qui grossit dans le village.
Il est arrivé un incident à un moment donné. Un de
nos bonshommes s'en allait au village seul. Il est tombé, on a
pensé qu'il avait été renversé par une automobile.
Vite, on appelle à Terre des jeunes. On m'envoie chercher; je suis en
forêt. Je reviens: Vite, va-t'en au village, François s'est fait
frapper. En m'en allant, je rencontre un automobiliste qui arrête au
milieu du chemin et qui me dit: Ton gars est rendu à la clinique. Ce qui
s'est passé, le temps qu'on m'a envoyé chercher en forêt,
c'est qu'on a téléphoné chez Fernand, qui a demandé
à des clients: Allez donc voir, François s'est fait renverser
devant la buanderie. Ils l'ont pris en charge, ils ont appelé les
policiers et ils l'ont amené à la clinique; tout était
fait quand je suis arrivé. C'est une prise en charge du village.
Je pourrais vous donner d'autres exemples semblables. Un dimanche matin,
un bonhomme casse une vitre dans un garage. C'est mon bonhomme qui fait le tour
des distributrices. Il a cassé une grande vitre de porte de garage et il
est entré. Le monsieur des portes et châssis, en face, a
téléphoné; je le connais, il ne savait pas qui
c'était. Il téléphone à M. Pinard pour dire: II y a
un gars qui est entré dans ton garage. M. Pinard vient voir, il ne
reconnaît pas mon bonhomme tout de suite et il appelle les policiers.
Fernand y pense, il dit: Woup! Cela doit être un de mes gars - il les
appelle ses gars - j'appelle Justin. Il m'appelle, j'arrive là, je vois
Jean-Guy Pinard et il me dit: Je ne savais pas que c'était un de tes
gars. Maudit! Cela me fait de quoi, j'ai appelé les policiers. Prends-le
et va-t'en tout de suite, il n'y a pas de problème, tout est
arrangé.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Bournival: J'ai dit: Non, il y a un problème. La vitre
'est cassée. Le gars va ramasser ses sous, il va venir te la payer et on
va s'arranger. C'est comme cela, voyez-vous? Le lien entre M. Pinard, le gars
du restaurant...
Le gars a de la neige dans ses bottes. On prend le fusil à air
pour enlever la neige.
Le gars a peur, il se sauve et les bottes restent là!
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Bournival: Ha! Ha! Il y a une prise en charge du village, de
la communauté. Cela répond-il à votre question?
M. Morin: Ce n'est pas facile, non plus. Je me souviens, quand on
commencé, au village de Sainte-Julienne, les gens nous appelaient la
Terre des fous, il faut bien employer le vrai mot. Il nous fallait des sous.
À ce moment-là, on n'avait pas de subvention, c'était
l'argent des membres du club Kiwanis qui nous faisait fonctionner. Les
marchands ne nous faisaient pas crédit. À chaque fois, on disait:
Est-ce que cela va durer? Est-ce que cela va rester longtemps près de
chez nous? On entendait des réactions quand nous faisions nos
organisations nous-mêmes. Ils nous disaient: Quand allez-vous
arrêter d'amener des fous à Sainte-Julienne? Nous disions: Ce ne
sont pas des fous, pas plus que nous. Dans la société, il y en a
peut-être 90 % plus fous que ceux qui sont sur la terre. J'ai dit: Ce
sont des gens qui ont des besoins autant que vous et on est là pour les
aider. Je peux vous dire qu'il faut faire beaucoup de contacts. Il faut
admettre que Justin a travaillé très fort et, si Terre des jeunes
fonctionne aujourd'hui, c'est grâce à lui. Il a invité les
maires et les échevins des environs. On faisait des épluchettes
de blé d'Inde. Il invitait la chambre de commerce, les marchands. On
essayait de les impliquer pour leur montrer que les gens qui étaient
avec nous, les enfants malades qui étaient là n'étaient
pas plus fous que les autres et qu'ils aimaient avoir du plaisir.
Comme c'est la semaine du bénévolat, je pense que le
message "adonne" très bien aujourd'hui. Si les gens donnaient plus de
leur temps, je pense qu'il y aurait moins de problèmes dans les gros
organismes comme l'hôpital Rivière-des-Prairies. Ce serait mieux
que de voir une personne jalouse d'une autre. Ce qui manque un peu, c'est la
charité. Terre des jeunes a fonctionné selon le système du
bénévolat. Justin demandait: Penses-tu que je vais être
capable d'avoir mon salaire? On le payait tous les quinze jours; chaque
semaine, c'était trop vite. Il disait: Penses-tu qu'au bout de quinze
jours, je vais avoir mon salaire? Il faut que je lève mon chapeau devant
Justin, il a fait un travail de bénévolat en étant
payé. Les gens disent souvent: Ils sont payés. Il faut payer pour
faire du bénévolat. Même si les personnes sont
payées, elles font quand même du bénévolat.
Nous vous remercions, Mme la Présidente, d'avoir su nous
entendre. N'importe quand, si les membres de la commission veulent visiter
Terre des jeunes, Justin vous recevra sûrement.
Mme Lavoie-Roux: On en prend note et nous vous remercions
beaucoup de votre contribution.
M. Bournival: Je dois vous dire avant de partir que j'ai beaucoup
d'admiration pour vous qui cherchez à savoir et qui prenez autant de
temps pour écouter. Je vous admire beaucoup.
Mme Lavoie-Roux: Vous êtes bien gentil, merci. Nos travaux
sont suspendus pour quelques minutes.
(Suspension de la séance à 17 h 10)
(Reprise à 17 h 12)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'invite maintenant Mme
Gaétane Grenier à se présenter. Je pense que Mme Grenier
veut faire un témoignage personnel. Vous êtes la bienvenue, Mme
Grenier. Si vous voulez, tout le monde peut venir, je n'ai pas d'objection.
Mme Gaétane Grenier et M. Jean-Claude
Gaudreau
Mme Grenier (Gaétane): Est-ce que je dois les
présenter?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Présentez ces
personnes, au cas où elles prendraient la parole, pour les fins du
Journal des débats. Vous ne prendrez pas la parole? Alors, assoyez-vous,
vous êtes les bienvenus.
Mme Grenier: J'ai cru bon d'amener ma soeur, parce qu'elle a
été un support extraordinaire. Je suis peut-être
émotive, mais je suis tellement contente d'être ici. Mme Roux,
comme je vous admire, moi aussi! J'ai pensé l'amener, parce qu'elle a
été un support extraordinaire durant les six mois
d'hospitalisation de mon conjoint et j'ai pensé vous amener à
vous, chère commission, l'agent du dossier de réadaptation
à la Régie de l'assurance automobile du Québec qui, depuis
six ans, a le dossier en main. Cela veut dire que s'il y a des questions que
vous me posez et que je ne peux pas y répondre, il y a une
personne-ressource avec moi.
Je trouve cela tellement important que je me dis: II faut que j'apporte
tous les éléments possibles pour venir en aide à la
commission.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous êtes
monsieur?
M. Gaudreau (Jean-Claude): Jean-Claude
Gaudreau.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Jean-Claude Gaudreau.
Parfait. Alors, allez-y, Mme Grenier.
Mme Grenier: On y va. J'ai des papiers, j'ai bien des
papiers.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous voyez que ce n'est
pas formel.
Mme Grenier: Bonjour à Mme la Présidente et aux
membres de la commission. Permettez-moi de témoigner ma reconnaissance
à l'Assemblée nationale pour avoir institué une commission
d'enquête sur la distribution des services de soutien et de
réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux
et vivant dans la communauté. De plus, merci à Mme la
Présidente et aux membres de cette commission d'avoir pris en
considération mon humble mémoire.
Dans mon mémoire, je donne un bref historique des
événements qui marquent ma vie depuis l'accident d'automobile
survenu le 15 mai 1979 et dont la victime est mon conjoint. Diagnostic
médical: polytraumatisé, handicap permanent, traumatisme
crânien.
Je cite dans mon mémoire que ces événements ont
perturbé notre vie dans tous les domaines, familial, culturel,
économique et social. Aussi, je note les services de soutien que j'ai
reçus à l'époque et ceux qui continuent d'exister.
Pour ce qui est de la réinsertion sociale, nul doute que j'y
crois. J'ai en main un document que j'ai écrit à la Régie
de l'assurance automobile en 1983, démontrant les raisons pour
lesquelles je m'oppose si farouchement au placement. Par contre, je tiens
à vous citer au moins une raison pour laquelle je suis pour le maintien
à domicile du traumatisé crânien. Ce n'est pas facile, mais
cela va aller.
Je sens que mon conjoint est submergé dans le déluge de la
civilisation. Seul son milieu naturel de vie peut l'empêcher de couler,
car il reçoit les services adéquats pour améliorer sa
qualité de vie. J'avais présenté à la régie
un document qui peut aider la commission. Dans ce document, je fais toute la
chronologie majeure des événements que j'ai vécus pendant
les quatre premières années. Dans cela, on voit très bien
les services que notre famille a reçus. Il est entré chez moi en
1979; j'ai eu les services en 1980. On voit tout le cheminement, quels services
une famille qui reçoit un malade à la maison peut avoir. Ce
document le montre très bien. Si la commission veut l'avoir
après, c'est très bien expliqué. Cela peut aider la
commission. >
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est- ce
différent...
Mme Grenier: C'est complètement différent.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... du mémoire
qu'on a?
Mme Grenier: Oui, c'est un mémoire après six ans et
celui-ci...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon, d'accord.
Mme Grenier:... est pour les quatre premières
années. Tout est en détail. Il y a même des lettres de
neurochirurgiens; le Dr Alain Godon, qui est une sommité, dit être
pour le maintien à domicile à 150 %, mais avec des services.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): 5i vous voulez le
remettre à la secrétaire de la commission, elle va en faire tirer
des photocopies pour les membres de la commission.
Mme Grenier: Cela va, merci. Je peux vous affirmer, Mme la
Présidente et membres de la commission, que mon conjoint, avec les
services reçus et ceux que j'ai créés tout en le gardant
à domicile, reçoit le respect et l'affection et, en retour, il
contribue à créer une atmosphère de joie et de tendresse
dont notre monde a tant besoin. Vous pouvez nous poser des questions.
Après cela, je vais vous dire de quelle façon il crée une
atmosphère de joie et de tendresse.
En conclusion, après six ans de vécu quotidien
auprès d'un traumatisé crânien, je suis apte à
connaître le besoin des deux parties: personne malade et personne
aidante. Je considère que je suis une personne habilitée pour
vous aider dans votre étude, à savoir les services dont les
familles ont besoin: un centre de jour pour handicapés en vue d'aider
à la réinsertion de la personne atteinte d'un traumatisme
crânien; créer un service pour venir en aide à la personne
aidante. En aidant la personne aidante, celle-ci se sent revalorisée,
s'"énergise" et retourne auprès de sa victime, consciente du
rôle qu'elle exerce. En aidant la personne aidante, celle-ci
découvre la beauté cachée derrière la faiblesse du
handicapé. Seule, sans services, laissée à
elle-même, la personne aidante ne peut entrer dans une alliance avec sa
personne handicapée.
Je termine cet exposé en vous remerciant au nom des
traumatisés crâniens et au nom des personnes aidantes. Je suis
heureuse de constater que l'Assemblée nationale se penche sur la cause
des personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la
communauté. Elle les
considère comme des personnes à part entière. Je
suis assurée, Mme la Présidente, que la commission veillera
à améliorer la qualité de ces personnes dont notre
communauté a besoin.
Dans mon mémoire, je fais des recommandations à la fin;
naturellement, c'est à la suite de ce que j'ai vécu. Je
recommande que le ministère sensibilise la population entière sur
les caractéristiques et les besoins de la clientèle
traumatisée crânienne, soit à l'aide de brochures
publicitaires ou de vidéos. N'ayant rien, j'ai dû faire dans mon
entourage de la sensibilisation pour faire accepter ma personne malade dans cet
entourage. J'ai dû leur expliquer ce que c'était. Ce
n'était pas un phénomène si extraordinaire; c'était
une personne à part entière. Mais c'est de l'inconnu. Les gens
sont mal à l'aise devant un traumatisé crânien, parce que
c'est de l'inconnu.
Je recommande que le ministère garde sa politique de
réinsertion sociale, mais développe des services de soutien. Le
traumatisé crânien a une meilleure qualité de vie dans le
milieu familial.
Je recommande que le ministère développe des
mécanismes pour venir en aide à la personne aidante, soit en
subventionnant des groupes d'entraide, des centres de jour ou un réseau
téléphonique.
Je recommande que le ministère dote les institutions de
réadaptation de spécialistes en traumatismes crâniens. Je
ne sais pas si cela existe; sinon, qu'il demande aux universités
d'organiser des cours à cet effet.
Je recommande que le ministère facilite l'ouverture des centres
de jour pour les handicapés physiques en vue de donner une chance aux
traumatisés crâniens.
Je recommande que le ministère des Affaires sociales du
Québec travaille en collaboration avec le ministère
fédéral pour sensibiliser les fonctionnaires à la
problématique.
Je recommande que le ministère porte une attention
spéciale aux fonctionnaires des bureaux pour l'obtention du permis de
conduire.
Je recommande que le ministère crée une politique
protectionniste pour le traumatisé crânien, à l'instar de
celle qui existe à l'égard de la déficience mentale.
Je recommande que le ministère sensibilise les services sociaux
hospitaliers, qu'il développe des mécanismes lors de
l'hospitalisation du malade pour préparer la famille à la
réinsertion sociale du malade. Présentement, il n'existe aucune
préparation. Pour nous, c'est un vrai coup de matraque. On nous oblige
à prendre notre malade sans avertissement, un malade tout confus. On ne
sait pas quoi faire avec cela. Je dis qu'il faudrait un mécanisme pour
faciliter la réinsertion dans la famille.
Je recommande que, lorsque le malade réintègre son foyer,
immédiatement la famille puisse compter sur des services de soutien.
Je recommande d'alléger la bureaucratie quand une famille demande
de l'aide.
La famille étant censée se soutenir mutuellement, les
politiques gouvernementales sont conçues en fonction de cette
définition. Vu que cette définition n'est plus exacte -depuis
1970 au moins - je recommande au ministère de repenser ses politiques
sociales et économiques.
Je vous transmets beaucoup de recommandations, Mme la Présidente,
mais j'ai six ans de vécu et c'est ce qui en découle. C'est vrai
qu'il est difficile de vivre avec un traumatisé crânien. Comment
ai-je fait pour m'en sortir? J'ai créé des projets à
caractère humanitaire. Le dernier projet que j'ai créé,
c'est un projet pour venir en aide aux personnes aidantes, à ceux qui
gardent des malades à la maison, quelle que soit la maladie. Il y a
beaucoup de cas de la maladie d'Alzheimer, de schizophrènes, de... Je ne
peux pas la nommer, parce que je ne suis pas médecin, mais il s'agit de
personnes qui ont des accidents cardiaques et dont le cerveau se trouve
atteint.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.
Mme Grenier: D'accord? Il y a des cas de cancer, de
sclérose en plaques, enfin... Mon projet, c'est qu'on libère les
personnes aidantes une demi-journée et qu'un membre de mon personnel
aille remplacer la personne aidante. La personne aidante peut aller
s"'énergiser", peut aller se ressourcer. Si elle veut aller faire ses
courses, elle peut y aller en toute quiétude. De plus, aux quinze jours,
je fais des activités mixtes, c'est-à-dire qui incluent la
personne aidante et le malade: pique-nique en autobus pour tout le monde,
visite au Jardin botanique, présentation de vidéos. Il se produit
une complicité entre la personne aidante et la personne malade. Il s'est
développé un mouvement d'entraide entre toutes ces personnes. Je
dis qu'il est possible de garder une personne ayant un handicap mental dans la
société. L'aide que j'ai présentement, en plus de l'aide
que j'ai créée moi-même, c'est le réseau
téléphonique. Avec la collaboration de la Régie de
l'assurance automobile du Québec, les services de réadaptation,
lorsque cela ne va pas ou qu'il se passe des phénomènes que je ne
comprends pas, car je n'ai pas toujours les connaissances techniques, je
communique avec M. Gaudreau qui, lui, me rassure, me dit: Ce n'est pas grave,
c'est ceci ou cela.
Je tiens à noter qu'il n'a aucune médication. Je n'y crois
pas. En décembre 1979, il prenait beaucoup de médicaments et, en
février 1980, lorsque j'ai décidé de le
prendre en main et de l'aider à se réadapter, j'ai
jeté tous ses médicaments dans les toilettes. J'ai appelé
le neurologue et il m'a dit: Je n'en prends pas la responsabilité. J'ai
dit: J'ai confiance, je vais le réadapter. Et il a fait un sacré
bon bout de chemin depuis ce temps, M. Gaudreau peut le prouver. Je suis
réaliste, je sais qu'il ne peut pas revenir à 100 %, mais, au
moins, il est heureux et il fonctionne. Ce qui est plus malheureux chez un
traumatisé crânien, c'est que le sentiment du traumatisé
crânien n'est pas altéré du tout. Il ne capte pas le
présent, mais tous ses sentiments restent purs. C'est cela qui est dur
à vivre avec le malade. Quand on est humain un peu, on voit cela; mais
cela vaut le coup.
Si on peut avoir des services de soutien comme celui que j'ai
créé... J'ai créé un service de soutien, je le
trouve super. J'ai ici un rapport détaillé des quatre mois de
fonctionnement du service et j'ai des résultats positifs des madames qui
ont reçu l'aide du service que j'ai créé et c'est vraiment
fantastique. C'est le projet Joie de vivre. J'ai fait une demande,
naturellement, en vertu du programme Canada au travail. J'ai obtenu une
subvention, j'ai créé le projet. Cela fonctionne très bien
et les résultats sont positifs, fantastiques.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, si vous n'avez
rien d'autre à ajouter, Mme Grenier, je voudrais vous remercier.
Remarquez bien qu'on a retenu votre mémoire parce que,
évidemment, vous avez fait face à une expérience où
les symptômes que présentait votre conjoint sont les mêmes
que ceux qui sont associés à certains désordres du
comportement humain qui imposent à la personne ou aux personnes qui
doivent vivre avec ces malades des difficultés difficiles à
surmonter. Un grand nombre de gens tentent de les surmonter en confiant leurs
malades à l'extérieur parce qu'eux-mêmes ne peuvent
peut-être pas faire face à la réalité. Il s'agit
aussi des ressources personnelles, de l'énergie qu'on a; enfin, tout
dépend des circonstances qui nous entourent. Dans ce sens, on n'est
peut-être pas habitué à considérer les
désordres psychiques à partir d'une problématique comme
celle de votre conjoint, qui souffre d'un traumatisme crânien.
Je dois vous avouer là-dessus, Mme Grenier, que je suis
moi-même totalement dans l'ignorance quant à l'incidence de
personnes souffrant de traumatismes crâniens. Je crois comprendre que
c'est à la suite d'un accident.
Mme Grenier: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bien oui, c'est la
Régie de l'assurance automobile. Je ne sais pas si M. Gaudreau peut nous
dire ce qui arrive, habituellement, dans ce genre de situation, parce que des
accidents d'automobile, il y en a trop souvent, malheureusement.
M. Gaudreau: D'accord. J'aimerais que vous précisiez votre
question, à savoir "ce qui arrive"...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'abord, l'incidence de
cas semblables.
M. Gaudreau: D'accord.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que c'est
élevé ou exceptionnel, une situation où le comportement
d'un individu est aussi, comment dirais-je, hypothéqué que celui
de la personne dont nous parlons?
M. Gaudreau: D'accord. Je n'ai pas de chiffres, disons, pour la
province ou quoi que ce soit sur le nombre de victimes de traumatismes
crâniens ou cérébraux. Ce que je peux dire, c'est que ce
n'est pas un nombre élevé par rapport à l'ensemble de la
population qui pourrait être victime d'autres sortes de maladies ou de
limitations physiques. J'estime peut-être que, pour la province, cela
peut donner 400 cas en ce qui concerne l'assurance automobile. Là
encore, on ne couvre pas tous les cas d'accidents d'automobile parce que la
Régie de l'assurance automobile n'existe que depuis 1978.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Les 400 cas
s'échelonneraient depuis 1978, ceux que la Régie de l'assurance
automobile aurait. (17 h 30)
M. Gaudreau: Grosso modo, les cas qui restent ouverts comme
dossiers. Concernant les traumatismes crâniens ou
cérébraux, il peut y avoir des cas d'atteinte
légère où il y a, à plus ou moins longue
échéance, une forme de réintégration sociale assez
complète. À ce moment-là, c'est difficile, surtout que
nous ne sommes pas un organisme qui est là pour faire des statistiques,
mais pour donner directement un service à la clientèle. Disons
que je n'ai pas les détails à ce niveau.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Sur vos 400, il y en a un
certain nombre qui seraient réintégrés petit à
petit dans leur fonctionnement habituel. Mais dans des cas similaires - on n'a
peut-être pas une idée du nombre - est-ce qu'en
général les familles ont recours au placement plutôt
qu'à la garde dans le milieu naturel, si on veut?
M. Gaudreau: D'accord. Il y a un certain pourcentage de
placement, mais je dirais qu'il est assez limité parce que
l'entourage prend, quand même, conscience que ce sont des
personnes qui, généralement, ont des capacités de
fonctionner en société. Par contre, ce n'est pas
nécessairement la famille qui va prendre en charge ces personnes. Il y a
beaucoup de cas où cela va être plutôt l'entourage autre que
la famille. Cela peut être une famille plus éloignée, cela
peut être quelqu'un du quartier, ainsi de suite, qui peut prendre en
charge. Il faut dire aussi que le niveau de demandes, en termes de services ou
d'assistance, varie beaucoup d'un cas à l'autre. On a beaucoup de cas
qui demandent carrément une surveillance constante. On a aussi des cas
où, lorsque la personne reçoit des instructions ou une certaine
supervision, si on peut dire, elle peut fonctionner au moins un certain nombre
d'heures consécutives sans supervision immédiate. Alors, cela
peut varier beaucoup d'un cas à l'autre.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce que je comprends, Mme
Grenier, c'est que pour vous, il y a eu le choc de l'accident, il y a eu le
choc de la récupération quand votre conjoint est revenu à
domicile et tout cela. Mais une fois revenu à domicile, ce qui vous a
semblé être les carences les plus importantes, ce sont les
services à domicile sur une base régulière...
Mme Grenier: Oui, il n'y en avait pas.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... sur une base qui soit
satisfaisante pour vous permettre de continuer de fonctionner - vous avez un
fils - de continuer de remplir vos responsabilités, etc.
Mme Grenier: C'est cela. Je n'avais pas les services; donc, je me
suis prise en main. Quand je vais en clinique neurologique, je rencontre des
dames qui ont soin de leur traumatisé crânien et ces dames
fonctionnent avec des valiums, des libriums, avec tout ce que vos voudrez. Il
ne faut pas leur en vouloir: elles n'ont pas de services.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Est-ce qu'il y
a d'autres questions?
M. Laplante: Un mot, Mme la Présidente, pour remercier,
à notre tour, cette dame de la patience qu'elle a mise à nous
préparer un petit document qui est un témoignage personnel.
Aussi, ce qui arrive très peu souvent - je crois que c'est la
première fois au cours de mes neuf ans comme député -
c'est qu'un fonctionnaire d'un ministère accompagne un citoyen pour un
tel mémoire. Je veux le féliciter du geste qu'il a posé.
Je pense que le gouvernement veut, aujourd'hui, une approche beaucoup plus
humaine avec les citoyens. Le ministère des Relations avec les citoyens
actuellement prouve que, déjà, il porte ses fruits en vous
accompagnant. J'espère que cela se répétera à
d'autres niveaux aussi pour faciliter aux citoyens l'accès à leur
Assemblée nationale, car le gouvernement, ce n'est pas nous autres qui
l'élisons, c'est vous autres. C'est à vous autres, les briques
qu'il y a autour de cette boîte-là. Vous êtes, en somme, nos
patrons. Vous avez utilisé les moyens, comme patrons, que vous aviez
à utiliser, que vous payez tous les jours par vos taxes. Je vous
félicite, M. Gaudreau, et je vous remercie, madame.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense, Mme Grenier...
Vous voulez ajouter quelque chose? Je vous en prie.
M. Gaudreau: Je vous remercie. Par la même occasion, je
voudrais transmettre mes remerciements à la commission pour avoir
accepté de m'inviter et, également, à la direction de la
Régie de l'assurance automobile qui a bien voulu me libérer pour
que je puisse accompagner Mme Grenier.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, vous vous sentez
un peu moins loin des ressources, Mme Grenier. Je pense que mes
collègues reçoivent votre témoignage comme un
témoignage personnel, un témoignage vécu. Je dois dire
qu'à ce moment-ci, même s'il n'y a pas de grande notions
théoriques, et ce n'est, d'ailleurs, pas le but d'un témoignage
personnel, on apprécie que des personnes fassent les efforts que vous
faites, parce que, dans le fond, on a un peu tendance à décider
pour tous les autres.
M. Gaudreau: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, on entend trop peu
souvent les personnes directement touchées ou concernées, non pas
parce qu'elles ne seraient pas bien accueillies à ces commissions
parlementaires, mais à cause des ressources qu'elles ont, à cause
du fait que les autres organismes ont plus l'habitude de venir et de ces
choses-là. Je pense qu'il y en a peut-être quelques autres qui
vont venir rendre des témoignages d'ici vendredi et je veux vous dire
que nous l'apprécions. Je vous remercie de vous être
déplacés. J'espère que vous pourrez rester avec nous
encore un bout de temps.
Mme Grenier: Merci.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Avez-vous des questions
particulières à nous poser, Mme Grenier.
Mme Grenier: Je n'ai qu'un merci.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord, merci.
J'invite maintenant le groupe Auto-Psy et le Comité des
résidents du centre hospitalier Robert-Giffard à se
présenter.
Vous avez exprimé le désir de présenter un
vidéo.
Groupe Auto-Psy et Comité
des résidents du centre hospitalier
Robert-Giffard
Une voix: Oui, c'est cela, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Afin de ne pas
mêler les choses, je vais demander è votre président de
faire les présentations habituelles. Je pense que vous avez
été ici une partie de la journée. Vous connaissez le
rituel.
M. Sauvageau (Gaétan): Mme la Présidente, mesdames
et messieurs les députés, je vais vous présenter les
personnes. Â mon extrême gauche, Mme Edith Vallières, du
comité des résidents; M. Benoit Côté, du groupe
Auto-Psy et, à ma droite, Mme Sonia Charland, du comité des
résidents.
Le dossier qu'on vous a présenté, c'est simplement pour
vous donner un aperçu de ce que le groupe Auto-Psy a
réalisé et aussi de ce que le comité des résidents
a réalisé tout denièrement. Vous avez le texte de la
conférence de presse qui a eu lieu hier concernant les conditions de vie
du centre hospitalier Robert-Giffard. À l'intérieur, je pense
qu'il y a des choses qui disent ce qu'on a fait.
Le groupe Autonomie psychiatrisée et le Comité des
résidents et résidentes du centre hospitalier Robert-Giffard,
deux associations impliquées dans la défense des droits et
intérêts des personnes psychiatrisées sont heureux de
participer aux travaux de la commission des affaires sociales.
Nous vous présenterons nos perspectives d'action d'une
façon dynamique.
Mme Vallières (Edith): Notre mémoire propose des
avenues pour une véritable politique de désinstitutionnalisation.
Nous y avons abordé plusieurs spécificités: la
démystification de la folie, la désinstitutionnalisation telle
que vécue par les personnes psychiatrisées, la mise sur pied d'un
réseau intégré de ressources de travail et de formation
professionnelle et la promotion des droits sociaux des personnes
psyschiatrisées. Trente-quatre propositions concrètes concernant
cette problématique.
Afin d'illustrer cette démarche, nous vous présentons les
deux derniers vidéos du groupe Auto-Psy et nous vous proposons, si vous
le désirez, de les déposer afin que vous puissiez les visionner
complètement.
Comme "Les gens qui doutent" et "Salaire de rien" donnent la parole aux
personnes psychiatrisées et que c'est cette parole que nous nous
efforçons de représenter, nous avons cru bon de présenter
nos thèmes de cette façon: D'abord, "Les gens qui doutent", qui
montre des personnes qui s'en sont sorties malgré vents et
marées. Quoiqu'en disent les professionnels de la santé, la
maladie mentale, cela se guérit lorsqu'on respecte les choix et le
rythme de chaque individu.
Présentations audiovisuelles
(Nous reproduisons ci-dessous une transcription aussi fidèle que
possible de la trame sonore de la présentation audiovisuelle faite
devant la commission) "Imagine-toi que la première fois que j'ai
été hospitalisé, il y a douze ans, dans un hôpital
où on donnait des médicaments, c'était effrayant. Puis des
électrochocs: tous les jours des patients partaient en civière
pour se faire donner des électrochocs.
La première fois que tu rentres dans un milieu psychiatrique -
que t'as jamais vu cela, que t'en as jamais entendu parler, disons que t'as
jamais fait de dépression -c'est effrayant, l'effet que cela te fait. Tu
te demandes où est-ce que t'es rendu. Es-tu sur une autre
planète? Tout le monde avec qui t'es, c'est-y du monde, c'est-y des
hommes? C'est-y un homme? C'est-y une femme? Tu te poses des questions.
Vivre une dépression, c'est humiliant. De toute façon, la
maladie en soi est humiliante. N'importe quelle maladie est humiliante. Quand
tu vois que t'es plus capable de faire ce que tu as à faire, c'est
"plate", c'est humiliant. Par contre, la maladie mentale a un effet purgatif
dans le sens que, souvent, seulement la souffrance de la maladie mentale, de la
dépression, va venir te débarrasser, va venir dénouer des
noeuds qui t'étranglent depuis longtemps, qui t'étranglent
peut-être depuis ta toute enfance. C'est ça.
Si j'arrivais dans un milieu qui comprenne ces
phénomènes-là d'évolution, ces
phénomènes évolutifs de la maladie mentale cela pourrait
m'aider, comprends-tu? Tandis que là, si j'arrive en maladie
psychiatrique qu'on m'étiquette tout de suite "malade mental", qu'on me
donne des médicaments qu'on me force à les prendre - t'as pas le
choix, déjà, en soi, c'est difficile.
Si t'arrivais dans un milieu qui comprenne que la souffrance que t'es en
train de vivre, c'est une souffrance d'accouchement, c'est un accouchement que
tu vis. C'est comme si... La femme qui est en train d'avoir un enfant, cela lui
fait mal bien gros. Accoucher de soi-même, cela peut faire mal. Je pense
que cela fait tout le
temps mal. C'était impossible pour mot de relever de la
dépression et de relever le défi que me causait la
dépression. C'était impossible de le relever, ce défi
là, avec des médicaments qui m'endormaient, qui
m'ébêtaient, qui m'enlevaient mes facultés. J'avais besoin
de toutes mes facultés, justement, pour m'en sortir.
Quand t'as connu le fossé, bien t'es capable d'aider quelqu'un
qui tombe dans le même fossé que toi, t'es capable de lui tendre
la main, t'as quelque chose à lui offrir. T'as au moins tes moyens, tu
peux comprendre, t'es beaucoup plus compréhensif, t'es très
compréhensif. C'est ça que je disais aussi, le contact avec les
autres patients... J'ai remarqué quand j'étais à
l'hôpital, les patients étaient... Je rencontrais assez du monde
merveilleux, vraiment du beau monde. Je trouvais que c'était du beau
monde qui était en psychiatrie, des gens très sensibles, par
exemple, très sensibles. Ils ont peut-être des consciences,
justement, très exigeantes. Ils peuvent avoir tendance à
exagérer. C'est pour cela que tu te ramasses dans des états,
comme cela, extrêmes. C'est peut-être parce que t'es bien
exigeant.
Je reviens tout le temps à mon fameux jardinage. J'ai appris un
peu à jardiner avec la vie, c'est-à-dire qu'il faut que je fasse
attention à mes tendances négatives qui sont les mauvaises herbes
qui peuvent faire étouffer la plante que je veux faire pousser, qui est
moi-même. C'est vrai, je peux être une belle plante si je veux et
même porter des fruits, on ne sait jamais. J'y crois vraiment.
Sarcler, ça veut dire qu'il faut que je fasse attention à
mes tendances négatives. J'en ai nommé une, la
culpabilité. Je ne nommerai pas toutes les autres, ce serait assez
gênant, mais il faut que je fasse attention à mes tendances
négatives. Il faut tout le temps que je sois vigilante. Il faut que je
sois capable de repousser un mouvement de culpabilité qui peut me
conduire à une angoisse trop forte et peut-être engendrer une
dépression petit à petit. Il faut que je sois capable à un
moment donné de l'enlever, cette mauvaise herbe. Je vais y
répondre à ce défi-là. Disons que je l'ai fait un
peu naturellement. Je le dis, c'est facile, je parle, mais disons que c'est
naturel. Je pense que j'avais soif de vivre vraiment même si je trouvais
cela difficile de vivre. Là, j'ai dit: T'as un travail à faire et
tu vas le faire. Tu vas lâcher complètement toute
médication, tu n'en as plus besoin. Je savais que je n'en avais plus
besoin.
Je suis allée voir mon médecin de famille. Il était
d'accord avec moi, très compréhensif, il m'a donné
quelques conseils. Je pensais que ça prendrait beaucoup plus de temps.
Maintenant, ça fait même plusieurs mois, je n'en prends plus du
tout. Je suis assez contente! Ce n'est pas beaucoup, mais je suis contente. Si,
par exemple, on me parle du jardin, j'ai tendance aux médicaments, c'est
évident, mais je fais attention, justement. (17 h 45) On
était quatre, trois garçons, une fille. Vu que j'étais la
dernière, mes frères étaient pensionnaires durant toute
l'année scolaire et moi, je restais avec ma mère. Ma mère,
franchement, il y avait des secousses que ce n'était pas bien vivable
avec. Mais là! Les relations avec ta mère étaient
difficiles? Penses-tu qu'elle te faisait confiance vraiment? ~ Non.
J'étais l'aide-cuisinière. La cuisinière est partie et ils
m'ont mise la première à la cuisine. Il fallait que je prenne les
intérêts du manoir. Ils trouvaient tout le temps que ça
coûtait cher et je faisais de mon mieux. À la suite de
ça... ~ J'ai commencé à tomber sur le grabat.
Qu'est-ce que t'entends par "tomber sur le grabat"? Tomber malade. Il
n'y avait pas de contacts avec ma famille où je pouvais parler, m'ouvrir
et dire ma façon de penser à ma mère. Elle ne voulait rien
comprendre. J'ai demandé un dialogue avec elle et je n'en ai jamais eu.
Ça ne t'aidait pas beaucoup de retourner dans ta famille
après une hospitalisation. ~ Non, non, ça ne m'aidait pas du
tout.
Tu connais bien, Francine, les traitements qu'on donne en psychiatrie
pour les avoir subis. Qu'est-ce qu'on ressent quand on se fait faire une
lobotomie et qu'on n'a pas donné son consentement? Une lobotomie,
c'est une chose que... Ils ne m'ont même pas demandé la
permission. Ils ont demandé la permission de ma mère et de mon
frère qui est religieux. Il fallait que mon frère qui est
religieux et ma mère viennent signer à la clinique Roy-Rousseau
comme quoi ils donnent leur consentement. Ils sont allés à la
clinique Roy-Rousseau et ils ne sont même pas venus me voir. Ils
étaient dans la bâtisse pour venir signer, ils auraient bien pu
venir me voir. Pensez-vous que ce n'était pas frustrant pour moi?
Si la personne en question est sur le bord de la crise - je vous
donne mon avis - le centre hospitalier Robert-Giffard, ce n'est pas une place
pour nous rétablir, loin de là; c'est une place pour nous
abaisser. Entre autres, on se couche le soir dans des dortoirs. À
entendre ronfler l'un, à entendre ronfler l'autre, la bagarre prend dans
le dortoir. La bagarre s'est tranquillisée, là on est
couché et on essaie de dormir. Là le préposé nous
allume la lumière: Dors-tu? Il nous réveille direct. Je ne suis
pas capable de redormir après. Les préposés sont bons pour
nous réveiller, mais pas pour d'autre chose. J'ai connu la vie à
l'extérieur et la vie en dedans. Je te dis que la vie à
l'extérieur, ce n'est pas à comparer avec la vie en dedans. C'est
vrai qu'il y a certains bénéficiaires qui n'ont pas
goûté à mieux. La moindre petite fête qu'il y a
à Robert-Giffard, mon doux, ils sont heureux! C'est comme s'ils seraient
au paradis. C'est bien normal, mais eux, ils se contentent de peu.
(Fin de la présentation audiovisuelle)
M. Côté (Benoît): Avant de vous
présenter l'extrait de l'autre vidéo, je vais poursuivre en vous
présentant la problématique qui est contenue dans notre
mémoire.
Pour nous, une politique de désinstitu-tionnalisation en
santé mentale qui néglige, dans les faits, la construction d'un
réseau intégré de ressources de travail alliant la
formation professionnelle au processus d'intégration au travail est
vouée à l'échec. Ceci implique la construction d'un
réseau intégré de ressources-travail. Cela impose
l'amélioration des formules de travail adapté actuelles. Qu'on
pense, par exemple, aux services d'apprentissage aux habitudes de travail, les
SAHT, aux centres de travail adapté, les CTA, et à la
création de formules alternatives de travail pour les personnes
psychiatrisées. On vous en propose quelques-unes ici: les
coopératives de travail contrôlées par les personnes
psychiatrisées, la reconnaissance de nouveaux statuts d'emploi pour les
personnes psychiatrisées; que ce soit le temps partiel, le temps
partagé, l'adaptation des postes de travail aux besoins
spécifiques des personnes psychiatrisées.
En ce qui a trait au volet de la formation professionnelle, nous sommes
heureux que le projet gouvernemental d'éducation permanente se
rapportant à la formation des adultes handicapés, conjugué
à l'application de la loi 3, rende possible la création de
services d'accueil et de référence - ce qu'on appelle les SAR
-relevant des commissions scolaires, qui devront tout mettre en oeuvre pour
accueillir et rencontrer toutes les demandes spécifiques des personnes
psychiatrisées inscrites dans un processus éducatif, soit en
fournissant le service, soit en référant à un organisme
approprié. On se réjouit aussi et on souhaite que les services et
les organismes québécois de préparation et
d'intégration à l'emploi pour les ex-patients psychiatriques
collent dans la pratique à certains principes d'intervention. On aura
l'occasion d'en parler un peu plus lors de la période des questions.
On veut aussi travailler à la promotion des droits sociaux des
personnes psychiatrisées pour garantir ce fameux droit au travail des
personnes psychiatrisées. Le droit au travail est reconnu pour les
travailleurs, en général, mais lorsqu'on essaie de l'appliquer
aux personnes psychiatrisées, c'est autre chose.
La discrimination au travail et les préjugés sociaux qui
entourent la maladie mentale, plusieurs l'ont dit, touchent durement la
personne psychiatrisée. L'État devrait intervenir et accorder des
ressources, des nouveaux budgets pour endiguer cette discrimination. L'OPHQ a
le mandat de défendre les droits de la personne handicapée et,
donc, de la personne psychiatrisée. Toutefois, il ne dispose pas de
mécanismes concrets qui, dans la pratique, permettent d'assurer la
défense des droits des personnes psychiatrisées. II n'a ni les
mécanismes ni le personnel. De même que la Commission des droits
de la personne - on en parlera tout à l'heure - il ne dispose pas
d'outils efficaces à ce niveau-là.
Des débats publics, de la sensibilisation, de l'information, il
faut démystifier la folie. Toutes ces étapes, qui ont une
importance vitale pour le Comité des résidents du centre
hospitalier Robert-Giffard et Auto-Psy, permettront peut-être aux
personnes psychiatrisées de reprendre leur place comme citoyens dans la
société québécoise, de perdre ce fameux statut de
citoyens de seconde zone.
Pour nous, il est important, pour que de véritables changements
de mentalités dans la société s'opèrent, que des
luttes soient gagnées sur le terrain pour que la reconnaissance des
droits sociaux des personnes psychiatrisées soit effective. Comment?
Premièrement, il faut briser l'isolement social et la vision
négative qu'ont les personnes psychiatrisées d'elles-mêmes.
Deuxièmement, il faut apprendre aux personnes psychiatrisées
à se défendre personnellement et collectivement. Nous disons
qu'il faut passer du "psychiatrique" au "politique", entre guillemets, de
l'individuel au collectif.
Mme Vallières: Nous vous présentons maintenant un
extrait d'un autre vidéo réalisé par le groupe "Salaire de
rien" qui jette un éclairage direct sur les problèmes
d'intégration au marché du travail vécus par les personnes
psychiatrisées.
(Nous reproduisons ci-dessous une transcription aussi fidèle que
possible de la trame sonore de la présentation audiovisuelle faite
devant la commission) Quand j'ai commencé en aide en
alimentation, j'ai dit à l'équipe avec qui je travaillais: J'ai
affaire à vous autres. Je leur ai dit de A à Z quoi c'est qu'il
en était à mon sujet. J'ai dit: Je suis
ex-bénéficiaire et je ne veux pas qu'aucun des gens normals parle
des ex-bénéficiaires parce que là vous allez me toucher.
Ce n'est pas à cause que je suis ex-bénéficiaire que je
n'ai pas le droit de gagner ma vie. Non. Le monde a été
très gentil, il n'y en a aucun qui m'a dit
ex-bénéficiaire.
Dans mon curriculum vitae, sacrement, bien sûr que je n'ai pas
marqué: Gilles Simard, etc., électrochoqué,
insulinisé, etc., alleluia! Non, absolument pas, c'est bien certain. Ce
que je mettais, c'était: année sabbatique, voyage au Maroc. J'en
ai bien eu, des voyages de même. Il est évident que la
façon dont la société fonctionne au niveau de ces
formulaires d'emploi, par exemple -ce serait la même chose pour un
exprisonnier ou une ex-prisonnière - il y a des préjugés
qui sont très forts, qui sont institutionnalisés, qui sont
vécus dans le quotidien. On en souffre de cela, c'est bien certain.
C'est ce qui fait que tu dois le cacher. Pour travailler comme journaliste ou
encore comme éducateur, à un moment donné, au centre
d'accueil l'Horizon imagine-toi, je travaillais avec ce qu'on appelle ou ce que
la société appelle des jeunes délinquants - il
n'était surtout pas question d'arriver là en leur disant: J'ai
fait une dépression. ~ Je ne leur disais pas que j'avais
été à l'hôpital du tout, que je prenais autant de
médicaments, parce que je savais que, si je leur disais, ils ne
m'engageraient pas par rapport qu'ils étaient pour dire: Lui, il est
fou, on ne l'engage pas. Quand tu parles d'hospitalisation en
psychiatrie, il y a encore beaucoup de préjugés face à
cela. J'ai un exemple: Une fois, j'avais été engagée dans
un hôpital pour personnes âgées et quand j'ai dit au
médecin... 11 y avait un médecin qui faisait une
évaluation, un examen sommaire. Il m'avait demandé si j'avais
déjà été hospitalisée, une grosse
hospitalisation, et j'avais dit oui. J'avais dit que j'avais été
en dépression et que j'avais perdu mon emploi. Avant d'entrer
à l'hôpital, j'ai été dans la sécurité
un an et demi. J'ai travaillé au Château Frontenac dans la
vaisselle, dans la cuisine, un peu partout. J'ai été cinq ans
laitier. J'ai travaillé au Saint-Hubert Bar-B-Q, j'ai ramassé les
vidanges pour la ville de Montréal. J'ai travaillé un peu
partout.
Comment cela s'est passé? Le dernier coup, v'là deux ans,
j'étais allé au centre de la main-d'oeuvre pour trouver de
l'ouvrage. La fille m'a dit - je ne sais pas si c'est le fait que j'aie
été hospitalisé icite-monsieur, ne revenez plus icite,
c'est pas votre place. Je ne trouve pas cela correct. Ce n'est pas à
cause que quelqu'un a été hospitalisé à
l'hôpital Robert-Giffard qu'on est obligé de l'ignorer
complètement. Il y en a ben, que j'aie été
hospitalisé à l'hôpital Saint-Sacrement ou n'importe
où, ils m'auraient repris, ils ne m'auraient pas dit non. Vu que
j'étais allé à l'hôpital Robert-Giffard, ils me
disent non. Je ne trouve pas cela correct pan toute.
À l'ouvrage, il a été une secousse, moi pis le
"boss", c'était le feu pis l'eau. On a eu... Elle avait affaire à
me parler. Pourquoi qu'elle ne m'a pas fait demander à son bureau pour
me parler? Non, elle m'a parlé devant les autres travaillants. Elle m'a
traitée d'ex-bénéficiaire, elle m'a traitée de
schizophrène, elle m'a traitée de paranoïaque. Je vous dis
que c'est dur à prendre. Cela faisait deux semaines que j'étais
hospitalisée. J'ai demandé au docteur un travail. Il dit: Va
è Dominion Corset - je lui en avais parlé que je travaillais
là - te chercher de l'ouvrage. J'y ai été et j'ai dit cela
à M. Moreau que j'étais à Saint-Michel-Archange, à
Robert-Giffard. Il m'a dit: On ne prend pas de fous de Robert-Giffard; il m'a
dit cela de même. J'ai dit: Vous n'êtes pas gêné, je
ne suis pas une folle. J'ai fait une dépression, je suis maligne aussi,
mais je ne suis pas une folle.
(Fin de la présentation audiovisuelle) (18 heures)
M. Sauvageau: Voilà. Nous nous excusons de la
manière un peu abrupte de la fin, mais, compte tenu de la durée
des deux vidéos qui font une heure ensemble, nous avons
considéré que c'était peut-être une façon un
peu plus dynamique de vous présenter seulement quelques extraits de ces
deux vidéos. Peut-être que nous pouvons entrer plus dans la
discussion par rapport à notre mémoire ou par rapport aux
vidéos.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'ai perdu vos
dernières phrases, sauf que vous avez dit que vous arrêtiez d'une
façon abrupte. Est-ce que vous avez un autre bout de présentation
après?
M. Sauvageau: Non, cela va, c'est terminé, Mme la
Présidente. C'est à vous.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'abord, je veux vous
remercier d'être venus devant la commission. Je trouve extrêmement
intéressant qu'une commission, qui a
comme mandat d'examiner les besoins de soutien dans la communauté
pour la réinsertion sociale, puisse rencontrer des groupes qui
fonctionnent à l'extérieur des groupes conventionnels - je ne le
dis pas dans un sens péjoratif - et qui ont une approche des choses
différente qui, parfois, vient peut-être en conflit avec les
théories plus officielles, mais qui, d'un autre côté,
permet aux uns et aux autres de se remettre en question aussi. Qu'on soit d'un
côté ou de l'autre, je pense que c'est nécessaire qu'il y
ait cette complémentarité entre, d'une part, les professionnels
et, d'autre part, ceux qui vivent peut-être de plus près les
problèmes.
Comme groupe, vous ne m'êtes pas inconnu. Excusez-moi» on me
fait dire qu'il faut que je demande le consentement pour poursuivre
au-delà de 18 heures. Cela va? Bon.
J'aimerais connaître exactement la relation entre le groupe
Auto-Psy et le Comité des résidents du centre hospitalier
Robert-Giffard. J'aimerais que vous me situiez cela. Avant de répondre
à cela, vous êtes le groupe qui a donné une
conférence de presse hier et c'est probablement cela -non, ce n'est pas
cela - que vous venez de nous remettre dans la chemise rouge.
M. Sauvageau: Entre autres.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, entre autres.
D'accord.
M. Côté (Benoît): Le comité des
résidents est une entité distincte du groupe Auto-Psy. Il est
évident qu'avec un comité de bénéficiaires, tel que
prévu par la loi 27, qui a pour mandat principal de défendre les
droits des bénéficiaires soit d'une manière individuelle
ou d'une manière collective, on a des intérêts communs. Il
arrive ainsi qu'on travaille ensemble pour présenter un mémoire
ou qu'on intervienne dans des situations très précises. Ce qui
est arrivé hier, c'est que le comité des résidents, comme
tel, de son propre chef, a convoqué une conférence de presse.
Vous avez peut-être entendu dire qu'il a parlé des conditions de
vie des résidents de Robert-Giffard.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le groupe Auto-Psy est
né de quelle initiative?
M. Côté (Benoît): C'est un regroupement de
personnes qui ont été psychiatrisées, c'est-à-dire
qui ont reçu des soins dans le système. Il y a aussi des
sympatisants, des personnes qui n'ont peut-être pas nécessairement
reçu des soins directs en psychiatrie, mais qui, pour une série
de raisons, à la fois personnelles ou sur le plan de leurs
affinités, ont décidé de travailler avec les personnes qui
sont directement concernées par le sujet.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans le fond, cela
pourrait être associé à un organisme volontaire ou à
un groupe d'entraide, un groupe alternatif.
M. Côté (Benoît): Exactement.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que c'est dans
ce sens qu'il faut l'identifier.
M. Côté (Benoît): Exactement. On a beaucoup de
liens avec le regroupement des alternatives. Il y en a un à
Québec et un à Montréal. Pour nous, même s'il y a
une spécificité pour les droits, il n'y a pas de
différence entre les buts et les objectifs de notre démarche et
ceux d'une ressource dite alternative.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. J'ai lu votre
mémoire dans lequel, surtout dans votre présentation et aussi
dans le vidéo, vous avez insisté sur... En passant, je dois vous
dire que je trouve vos vidéos intéressants. Je pense que ce sont
des témoignages qui pourraient peut-être être
visionnés plus souvent. Peut-être que vous le faites, mais nous ne
le savons pas. Est-ce que vous auriez des recommandations précises
à nous faire sur les orientations touchant une politique de la
santé mentale?
M. Côté (Benoît): Sûrement. Il y a des
gens qui sont plus familiers avec tel ou tel aspect. Quand on parle d'une
politique de désinstitutionnalisation, on l'a découpée
dans notre mémoire. Naturellement, il y a le volet travail. On trouve
très important qu'une politique de désinstitutionnalisation
véritable soit assortie de propositions concrètes qui permettent
à une personne qui est allée en psychiatrie de retourner sur le
marché du travail. Le travail n'est pas une panacée. Il est
évident qu'il y a des personnes psychiatrisées qui soit, ne
veulent pas avoir de travail, soit, pour plusieurs raisons, ne sont pas
capables de travailler. On respecte cela. Mais on pense que, si on veut
retourner les personnes psychiatrisées à la communauté, il
faut qu'il y ait des ressources en place pour les accueillir.
Dans le vidéo, vous avez entendu parler des personnes qui se
plaignent de discrimination subtile et pas subtile du tout, selon le cas,
à cause de leur histoire d'hospitalisation. C'est une triste
réalité, mais c'est une réalité avec laquelle nous,
comme groupe, sommes appelés à travailler. Je vous assure que ce
n'est pas facile quand on parle de discrimination au travail dans le concret.
La connaissance d'un passé d'hospitalisation par un employeur
équivaut à voir sa formule mise dans la filière Y.
Quelqu'un qui, par exemple, en toute honnêteté, voudrait dire:
J'ai passé un an, deux ans ou six mois en
psychiatrie, c'est presque se condamner à ne pas avoir le
travail.
Cela place aussi les personnes dans des situations critiques. Une
étude, qui avait été commandée par la Commission
des droits de la personne, une étude de Hébert et Garon, a
déterminé que, oui, il y a des préjugés à
l'embauche, mais qu'en plus, quand vous avez un suivi à l'externe, le
fait que vous devez vous absenter pour un suivi à l'externe, cela a pour
effet que les compagnons de travail se rendent compte que vous allez chez le
médecin, etc., et tout cela pointe du doigt le stigmate de
l'hospitalisation. Ce n'est pas simple pour une personne qui prend des
médicaments et qui a à aller voir son médecin de
façon plus ou moins régulière de ne pas le dire à
son employeur et d'essayer d'avoir des rendez-vous en dehors du 9 à 5.
C'est un problème qui est vécu concrètement par les
personnes. J'entrerai peut-être tantôt dans le détail.
Quand on parle de formules de travail, il en existe et on en est
heureux. Il y a les CTA, par exemple. On a parlé des SAHT tout à
l'heure. Les CTA, ce sont des centres de travail adapté. Sauf qu'il y a
beaucoup de problèmes dans les CTA. Cela fait, quand même,
quelques années que les CTA existent. Ils ont maintenant un objectif
d'autofinancement. Les CTA doivent, maintenant, s'autofinancer au bout de trois
ans. Un CTA, c'est une corporation sans but lucratif. L'office paie soit pour
les machines ou pour l'équipement de base; il paie des salaires pour le
directeur, etc. Quand je parle de l'office, c'est l'Office des personnes
handicapées du Québec. Face à la mission sociale qu'ils
ont, c'est-à-dire pour un temps, de prendre des personnes
psychiatrisées qui ne sont pas capables de réintégrer le
marché régulier du travail - c'est comme un plateau de travail
pour elles pour se refaire un peu -on se rend compte que, dans les CTA, il y a
vraiment des tensions. Est-ce qu'on privilégie la mission
économique plutôt que la mission sociale? On n'est pas capable, si
l'on veut que les CTA produisent et s'autofinancent, d'avoir des candidats qui
sont plus lents que les autres. On privilégie les travailleurs qui sont
plus rapides, qui n'ont presque pas de difficulté avec leurs
médicaments, etc.
Nous demandons qu'il y ait, à tout le moins, une
évaluation du volet réinsertion sociale et professionnelle qui
est offert dans les CTA. On dit qu'on offre dans les CTA tout un volet sur la
réadaptation, sur la formation professionnelle, mais ce n'est pas
évident. Il n'y a aucun mécanisme qui permet d'évaluer
quelqu'un. A-t-il avancé dans le CTA? Pourrait-il
réintégrer le marché régulier du travail? Avec
cette contradiction qu'on veuille autofinancer les CTA et, en même temps,
faire de la réinsertion sociale, ce qui arrive, c'est qu'il y a des gens
qui ont développé des habiletés de base, mais qu'on ne
veut plus laisser partir parce qu'ils fonctionnent très bien. Si on les
remplace par des gens à qui on a à donner tout un plan d'action
pour les remettre sur pied, c'est moins rentable. Donc, on privilégie
les travailleurs les moins lourdement handicapés, naturellement, au
mépris des autres qui pourraient bénéficier du CTA. Je ne
veux pas prendre toute la période des questions pour cela.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Excusez-moi de vous
interrompre.
M. Côté (Benoît): Ce n'est rien.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je le dis de
mémoire: Peut-être il y a un an ou six mois, sûrement plus
que six mois, il y avait eu une série d'articles dans le Soleil, qui
touchaient les CTA. Évidemment, par la suite, il y a eu des mises au
point qui ont été faites, il y a eu une contrepartie. Est-ce que
les problèmes qui avaient été évoqués
à ce moment-là rejoignent une partie des problèmes dont
vous venez de parler?
M. Côté (Benoît): Actuellement, il y a un
comité que l'Office des personnes handicapées du Québec
veut faire travailler, qui devra, avec des groupes qui travaillent directement
auprès des personnes handicapées, faire des recommandations, se
pencher sur le dossier des CTA. C'est aussi une des suites d"'À part...
égale". Effectivement, du côté de l'office, on veut
réévaluer certaines choses. Nous demandons, effectivement, dans
le mémoire qu'on réévalue la politique qui enjoint les CTA
de s'autofinancer. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il y a des
directeurs de CTA qui disent: On ne fait pas du tout de formation. Ils le
disaient eux-mêmes dans l'article. Puisque nous sommes obligés de
nous autofinancer, on privilégie les travailleurs qui sont le moins
lourdement handicapés et on veut les garder. Ce qui arrive, c'est que,
comme je le disais tantôt, il y a des personnes qui seraient prêtes
à réintégrer le marché régulier du travail,
mais qu'on garde là parce qu'elles sont efficaces, parce qu'elles
connaissent la chaîne de montage, etc.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je ne sais pas combien de
membres regroupe Auto-Psy. Ne me répondez pas que vous ne tenez pas de
statistiques, même si elles sont grossières, cela ne me
dérange pas. Évidemment, c'est dans la région de
Québec. Je ne sais pas quelle est la population que vous rejoignez. Je
n'en ai aucune idée. Du point de vue de la réintégration
au travail, parce qu'on en a discuté un peu ici, quand je demande dans
quelle mesure on peut parler de réinsertion sociale, quelle est
l'extension
que vous donnez à la réinsertion? Est-ce simplement de
changer de gîte? Est-ce d'aller plus loin dans le cheminement pour se
rendre jusqu'à la réintégration sur le marché du
travail? Je vais parler d'un travail régulier. S'il passe par un CTA,
d'accord, mais je parle là d'une réintégration sur le
marché du travail régulier. Dans quelle mesure cela vous
apparaît-il possible, avec l'expérience que vous avez, dans le cas
des ex-psychiatrisés?
M. Côté (Benoît): Cela varie toujours selon la
conjoncture. Il est évident qu'il y a des personnes qui, parce qu'elles
sont plus habiles à développer des attitudes, vont s'adapter
facilement à un nouveau milieu de travail. Sauf que le problème
est qu'après un passé d'hospitalisation qui est de plus d'un an,
c'est difficile pour les personnes parce qu'elles ont acquis des comportements
dits institutionnels ou, en tout cas, elles ont de la difficulté
à prendre des décisions pour elles-mêmes, etc. Mais, il y
en a qui vont pouvoir, facilement, se réintégrer. D'autres, non.
Il y a des personnes qui sont actuellement en SAHT, les services
d'apprentissage aux habitudes de travail, ce qui est différent d'un CTA,
qui pourraient carrément, s'il y avait des mécanismes
d'évaluation, passer des SAHT au marché régulier du
travail.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Au marché
régulier.
M. Côté (Benoît): Habituellement, la
filière est de passer du SAHT aux CTA. Mais, maintenant, les CTA sont
complètement engorgés avec, justement, des travailleurs qui sont
très efficaces et aussi du fait que les directeurs de CTA veulent
s'autofinancer. Alors, les gens stagnent en SAHT, attendent une place en CTA.
Comme c'est bloqué aux CTA, ils restent longtemps dans le SAHT a une
philosophie d'intervention qui est plus près de l'approche
institutionnelle, cela se rapproche des ateliers de réadaptation d'il y
a vingt ans. Ces gens pourraient facilement, s'il y avait un plan personnel
d'intervention prévu pour eux, retourner au marché
régulier, mais cela demanderait des budgets et cela demanderait qu'on se
penche aussi sur le système. Je pense qu'il y a une amorce de discussion
avec l'Office des personnes handicapées concernant le dossier des CTA et
on espère que des recommandations précises seront
apportées pour permettre ce déblocage et, peut-être, penser
à d'autres formules aussi. Parce que les CTA ont leur efficacité,
mais il y aurait peut-être lieu de se pencher sur d'autres formules. (18
h 15)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que vous
travaillez à la promotion des droits sociaux des personnes
psychiatrisées, mais parlons des autres ressources qui vous paraissent
prioritaires pour cette démarche de réinsertion sociale. Oublions
pour un moment l'aspect travail, on en a discuté auparavant. Les gens
nous ont dit que ce n'était pas toujours facile d'établir des
ponts avec les centres de main-d'oeuvre, mais, enfin, je pense qu'on
connaît un peu cette partie. Quelles sont les autres mesures? Quand
quelqu'un sort de Robert-Giffard, qu'est-ce qui lui arrive? Nous avons entendu
parler des chambreurs de la basse ville, mais je suis sûre que ce n'est
pas ce qui arrive à tout le monde. Même dans ces cas-là,
que faudrait-il? Quels sont les outils de soutien qui vous paraissent
prioritaires?
Mme Charland (Sonia): D'accord. Je vais commencer en disant
qu'avant qu'une personne sorte elle est en dedans et il faudrait
peut-être aussi commencer par l'intérieur. Il faut préparer
la personne à sortir. C'est de lui donner des habitudes de vie
quotidienne, si elle ne les a pas. Si cela fait longtemps qu'elle est à
l'intérieur, elle ne les a plus. Il faut lui donner de l'aide pour
qu'elle reprenne confiance en elle. Je pense que c'est tout un processus qu'il
faut commencer à l'intérieur d'un hôpital, d'une
institution.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela ne se fait pas
à l'intérieur d'une institution pour ceux qu'on projette de
désinstitution-naliser?
Mme Charland: Non. Cela se fait minoritairement. Je dis que
donner des cours de cuisine à dix personnes par semaine, ce n'est pas
comme cela qu'on va y arriver. Ce n'est pas juste cela, aider quelqu'un
à sortir. Il faut aussi changer une attitude du personnel qui est
ancrée depuis tellement longtemps. Les gens sortent et rentrent, ils
sortent et rentrent. Le personnel ne croit plus que ces gens sont capables de
vivre à l'extérieur. Il faut que ce personnel change d'attitude
et ait confiance. Quand il aura changé d'attitude et qu'il aura
confiance, les personnes psychiatrisées pourront s'aider et commencer
une vraie amorce. Il faut que cela se fasse aussi avec le personnel qui est en
dedans. Quand la personne est sortie, c'est sûr qu'il y a des
hébergements - on en parlait dans notre mémoire - des chambres
ghettos. On critique aussi les ressources intermédiaires où on
dit: Qu'est-ce que cela donne de sortir 10, 15 ou 20 personnes et de les mettre
dans une maison où on reproduit le même schème
institutionnel, où tout le monde les pointe du doigt et dit: Ce sont des
fous? À notre avis, ce n'est pas l'idéal; c'est même
à dénoncer.
Ce qu'on aimerait par rapport aux lieux, c'est plutôt des
chambres, oui, si c'est un besoin. Cela peut être un besoin de la
personne, c'est le choix aussi de chaque personne. Celle-ci peut vouloir
aller en chambre ou en chambre et pension. Il faudrait qu'il y ait un
processus, quelque chose d'établi, où il y a des chambres et des
chambres et pension qui sont premièrement listées, où on
sait qu'il y a une qualité de vie, où les gens ne seront pas
exploités, où les gens n'auront pas de problèmes, parce
que les gens qui tiennent cette maison sont corrects. Il faudrait qu'il y ait
un processus, pas d'enquête, mais de révision chaque année,
car il y aurait lieu de faire une enquête tous les ans pour aller
vérifier ce qui se passe là-dedans.
Par rapport aux familles d'accueil, on dit que c'est beau. Il y en a
beaucoup, sauf qu'on les critique en disant: Une famille d'accueil, cela ne
donne pas nécessairement un soutien. C'est là, mais tu n'as pas
nécessairement le soutien psychologique dont tu aurais besoin. Donc, une
famille spécialisée, comme on l'appelle, pourrait être
beaucoup plus efficace. Je suis du comité des résidents et
j'entends des gens me dire: Oui, je suis allé en famille d'accueil, je
reviens. Je vais te dire quelque chose: Ce n'était pas drôle
là; je pense que j'aime mieux rester ici; au moins, je peux manger avec
tout le monde. Ou bien tu te fais exploiter financièrement. Ou bien une
personne fait faire son ménage par quelqu'un et lui dit: Je m'en vais
à une entrevue aujourd'hui pour un emploi et là, on
répond: Si tu vas à une entrevue, je vais dire à la
travailleuse sociale que tu n'es pas correcte et elle va te réprimander.
C'est de l'enfantillage, mais c'est comme cela que cela se passe souvent.
On voudrait aussi, pour les gens qui n'ont pas nécessairement
besoin ou qui n'ont pas envie, non plus, d'être dans ces
milieux-là, familles d'accueil ou chambres, chambres et pension, des
genres de coopératives d'habitation, pas des coopératives
d'habitation où on dit: Bah! Là, on fait 50 appartements et on va
y mettre des personnes psychiatrisées. Il y en a des coopératives
d'habitation un peu partout. Les gens pourraient avoir une aide pour
s'intégrer à différentes coopératives d'habitation
et il y aurait une aide financière. Ils pourraient vivre dans un milieu
de vie qui est ordinaire, qui n'est pas un mini-ghetto.
Ce qui est important aussi à la sortie, c'est qu'il y a des gens
qui pourraient sortir demain de l'hôpital, mais qui auraient besoin d'un
soutien, d'un accompagnement, qui auraient besoin d'être aidés
là-dedans.
Je m'excuse, j'ai oublié aussi de dire que, dans ce qu'on
préconise, le milieu naturel peut être chez toi, dans ta famille.
Je ne sais pas où tu demeures, tu peux retourner vivre seul, mais le
milieu naturel peut aussi être ta famille, tes enfants, ton mari.
Peut-être qu'il y a des gens autour et que tu auras besoin d'être
soutenu et accompagné dans cette démarche. Cela ne devrait pas
être toi qui ailles dans une institution chaque semaine chercher tes
pilules chez le psychiatre ou parler avec quelqu'un; ce qu'on préconise,
c'est que les personnes aidantes se déplacent, aillent dans le milieu,
qu'elles aident non seulement la personne, mais aussi son entourage, s'il y a
lieu.
Ce qu'on préconise, c'est que ce soutien et cet accompagnement
soient spécifiques et individuels. Tu ne peux pas donner de l'aide
à quelqu'un et dire: Je prépare un service d'aide, je vais
soutenir les personnes psychiatrisées et je vais faire tout cela avec le
même barème. On n'a pas tous les mêmes besoins, on n'a pas
tous aussi les mêmes difficultés. Cela devrait être selon
les besoins de la personne. Pour une personne, ce peut être de lui
montrer à faire la cuisine; pour une autre, cela peut être tout
simplement de jaser, parce qu'elle a envie de jaser de ce qu'elle vit, parce
qu'elle trouve cela difficile d'être à l'extérieur. Il faut
que ce soit spécifique, qu'il y ait une diversité de soutiens,
d'accompagnements et de services. Ce que nous voudrions, c'est que ce ne soit
pas le milieu standard ou intermédiaire qui le donne, mais du parrainage
civique, des groupes d'entraide, des choses comme cela, qui ne reproduiront pas
le même portrait, la même attitude que l'institution fait de
materniser et de paterniser la personne. C'est un peu dans ce sens qu'on
aimerait que cela se passe.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous demanderais de
spécifier un peu ceci. Prenons le cas de Robert-Gtffard, par exemple.
Lorsque quelqu'un a son congé ou qu'on se propose de le retourner dans
la communauté, est-ce qu'il n'y a pas, à l'intérieur de
Robert-Giffard - vous avez dit que, du point de vue de la préparation,
cela laisse à désirer - quelqu'un du service social ou d'ailleurs
qui s'assure que la personne a un endroit pour vivre? Surtout si elle est
passablement fragile, on ne la lance pas dans la rue, on l'aide à
trouver un foyer, un foyer de groupe, un hébergement quelconque. 5i je
comprends bien, vous voudriez que, lorsque la personne reçoit son
congé, elle soit dirigée vers un organisme alternatif qui est
dans la communauté et qui n'a pas de lien avec l'institution. Je
voudrais bien comprendre exactement à quel moment vous voulez que la
brisure, si on peut en parler ainsi, se fasse avec l'institution dans ce
processus d'intégration à la communauté.
Mme Charland: II y a plusieurs questions là-dedans. Par
rapport à l'aide que la personne pourrait trouver lorsqu'elle sort, il y
a des travailleurs sociaux à Robert-
Giffard, mais il y aussi une liste d'attente pour avoir des travailleurs
sociaux et cela peut prendre un an avant d'en avoir un. Si cela fait dix ans
que tu es là, attendre un an, ce n'est plus drôle, et même
lorsque cela fait un mois et que tu veux sortir. Par contre, dans la loi, on
dit: Oui, d'accord, tu as droit à un travailleur social. Dans le
concret, à Robert-Giffard, il y a une liste d'attente et tu n'as pas
nécessairement ton travailleur social. À un moment donné,
tu sors, tu dis: Je vais me débrouiller. Tu te ramasses peut-être
à Saint-Roch, tu te trouves une chambre, et que se passe-t-il? C'est
plate, cela ne va pas, tu te fais exploiter. Tes conditions de vie sont
minables. Tu te retrouves encore en dedans. C'est par rapport à la
première question et j'ai oublié les autres.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Voici la deuxième:
à un moment donné, vous avez laissé entendre que la
personne devrait être appuyée davantage par des organismes
volontaires ou enfin des organismes non gouvernementaux, comme on le dit, dans
la communauté plutôt que de garder des liens avec
l'institution.
Mme Charland: Naturellement, c'est un choix - je pense que c'est
important de le souligner - de la personne. Je ne sais pas, dans une
institution ou dans un hôpital, on peut dire: Oui, il y a cela, il y a
cela; si tu veux, tu as une liste de chambres, on peut suggérer des
coopératives; on a cela à t'offrir; on a eux qui peuvent aller
t'aider; il y a cela, il y a cela, il y a cela. Mais c'est le choix de chaque
individu de dire: oui, je sors tout seul, je n'ai besoin de personne ou
d'accord, je vais peut-être aller visiter les chambres que tu me
suggères, je vais peut-être appeler le parrainage civique, je vais
peut-être appeler ce réseau d'aide.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. C'est parce que,
tout à l'heure, vous avez dit: On nous laisse, on ne sait pas où
on va être et si on va trouver; mais, d'un autre côté, par
contre, vous voulez avoir le choix, que ce soit comme cela ou pas?
Mme Charland: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela.
Mme Charland: Je pense que, si les gens avaient ces suggestions,
peut-être qu'ils ne se ramasseraient pas dehors comme cela.
Écoutez, il faut faire confiance aux gens aussi. Des conditions de vie
respectables, je pense...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela.
Mme Charland:... qu'ils y tiennent, eux aussi.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous vouliez ajouter
quelque chose, je pense.
M. Côté (Benoit): Oui. Il y a une chose qu'il faut
dire. Actuellement, il y a un certain nombre de bénéficiaires
à Robert-Giffard, selon une grille d'évaluation qui a
été passée récemment - on parle de centaines de
personnes - qui seraient aptes à sortir avec un soutien léger ou
assez lourd, mais il n'y a pas dehors, présentement... On parle de
ressources alternatives, mais il faut faire attention, les ressources
alternatives sont capables d'absorber un certain nombre de demandes. Mais,
actuellement, dans la région de Québec, si vous preniez ces
personnes et si vous les sortiez du jour au lendemain pour aller vivre dans le
milieu naturel, ce serait catastrophique. On demande qu'il y ait une
reconnaissance des ressources alternatives, pas juste simplement de fait comme
une école qui est différente de l'école traditionnelle et
institutionnelle, etc., mais qu'on leur accorde des budgets qui vont faire en
sorte que ces ressources puissent se développer. Des maisons
alternatives pour accueillir, pour héberger des gens, soit pour une
courte période, pour une personne qui fait une crise ou à plus
long terme, soit six ou huit mois ou un an, il n'y en a presque pas. Il n'y en
a presque pas dans la région de Québec. Il faut être
conscient de ce qu'on dit: Oui, oui...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans la région de
Montréal non plus.
M. Côté (Benoît): Dans la région de
Montréal non plus?
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Non.
M. Côté (Benoît): Donc, il faut être
conscient que oui, c'est efficace, oui, de les retourner à la
communauté, dans le milieu de vie naturel; cela fait en sorte que la
personne se retrouve appuyée, elle se reconstruit un réseau
social, etc. Sauf que là, il faut être conscient que, si on
n'accorde pas des ressources nouvelles à ces groupes, c'est du folklore
de penser que, demain matin, une politique de désinstitutionnalisation
pourra se faire avec toute la qualité qu'un tel exercice commande, parce
que le réseau naturel, dit alternatif, n'est pas capable d'absorber ces
personnes actuellement. Mais nous, on veut faire des représentations
pour que les ressources alternatives, qui font soit de l'hébergement, de
la défense des droits et de l'aide naturelle, etc., puissent avoir des
budgets de fonctionnement.
Mme Lachapelle: Mme la Présidente...
M. Laplante: Allez-y, je vais parler après.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, d'accord.
M. Laplante: C'est une suite.
Mme Lachapelle: Tout è l'heure, vous parliez de la
préparation à la sortie d'un patient. J'y crois beaucoup; je
pense que c'est un peu comme on prépare les gens âgés
à la préretraite, on les prépare è sortir
tranquillement du milieu du travail. Alors, ces gens ont besoin de
préparation, je suis d'accord avec vous.
Maintenant, il y a une phrase surtout qui m'a frappée dans ce que
vous avez dit, c'est que "le personnel, il faudrait qu'il change". J'aimerais
vous entendre un peu là-dessus. Est-ce qu'il est prêt à
changer? Pourquoi faut-il qu'il change?
Mme Vallières: Quand on parle d'un changement d'attitude,
c'est dans le sens suivant: quand les gens sont à l'intérieur,
d'accord, si on regarde le centre hospitalier, c'est un service de soins, mais
je trouve que, là-bas, comme attitude globale, on donne des soins, mais
plutôt à des malades. La notion de santé, je trouve qu'elle
est mise de côté, dans le sens qu'en ce qui concerne l'attitude,
pas juste celle du personnel, mais celle de tous les gens qui se
véhiculent à l'intérieur de l'institution, ils devraient
regarder les gens surtout du côté de leurs lignes de force et non
des déficiences qu'ils peuvent avoir. C'est sûr que la personne
qui est là a besoin de quelque chose, mais si on ne fait que regarder ce
qu'elle fait... Elle est peut-être entrée là parce qu'elle
a trop fourni à la société ou elle a peut-être
été rejetée, elle n'était pas dans un environnement
qui facilitait son épanouissement. C'est sûr qu'elle a des
problèmes, mais elle a des lignes de force à l'intérieur
d'elle-même. Si l'attitude ne change pas de façon à
toujours grossir ses lignes de force, on n'arrivera jamais nulle part. (18 h
30)
Mme Lachapelle: Finalement, le personnel oublie un peu le
dossier...
Mme Vallières: Oui, c'est cela.
Mme Lachapelle:... pour voir à la personne.
Mme Vallières: C'est peut-être le diagnostic, c'est
cela.
M. Laplante: Ce que je trouve, c'est que vous être
très sévère pour les familles d'accueil, les 103 familles
d'accueil. Par contre, vous vous rachetez un petit peu plus loin. Vous dites:
On est contre les familles d'accueil, mais on serait pour cela, si elles
étaient mieux préparées à recevoir ces
psychiatrisés. Maintenant, il y a des chiffres que vous donnez aussi
là-dessus. Vous dites qu'il y a environ 57 %, 55 %, 53 % des gens qui
sont en famille d'accueil qui retournent à Robert-Giffard. Cela ne
répond-il pas à une moyenne générale, en chiffres,
actuellement, qui est logique, en somme?
Mme Charland: Je vais m'expliquer. Cela a été sorti
d'un autre mémoire dont vous avez le résumé en
communiqué de presse et cette moyenne de 53, 4 % ressort de 60 personnes
qui ont été interviewées. C'est ce pourcentage qui en
ressort. Quant à comparer à ce qui se passe ailleurs, je ne peux
pas le dire. Ce que je peux dire peut-être, c'est que, quand vous dites
qu'on se rachète, on se rachète aussi à certaines
conditions. On dit: Bon, il faut que le CSS joue son rôle de chien de
garde et fasse attention aux familles d'accueil. Il y a des choses dont
j'entends parler des fois: J'ai été exploité, j'ai
été ceci, j'ai été cela. Je pense que, si le CSS et
certains travailleurs sociaux avaient fait leur "job", on n'en entendrait pas
parler, parce que cela n'arriverait pas, des choses comme cela.
M. Laplante: C'est parce que j'ai des cas de familles d'accueil
très ouvertes et qui ont fait énormément, qui ont fait
leur possible, mais il reste qu'il y a des "ratoureux" aussi, même dans
ces cas de psychiatrie, qui sont très intelligents et on serait
prêt à jurer que ce ne sont pas des cas psychiatriques. À
un moment donné, ils se sont ramassés à la cour et on
s'est aperçu que ce n'était pas vrai du tout. Ils ont perdu, par
exemple tout ce temps, car même le ministère croyait à ce
moment avoir affaire à une mauvaise famille d'accueil.
Mme Charland: II ne faudrait pas, non plus, mal
interpréter mes paroles. Je n'ai pas dit que chaque fois que quelqu'un
qui était en famille d'accueil retournait à l'hôpital,
c'était à cause de la famille d'accueil. Ce n'est pas vrai, ce
n'est pas cela.
M. Laplante: II ne le faudrait pas et je ne le voudrais pas. Sur
l'histoire des policiers que vous racontez, vous avez, je crois, 100 % raison,
parce qu'on connaît des cas, nous aussi, dans notre entourage, où
ils arrêtent des gens ni plus, ni moins, mais, lorsque le cas est connu,
par exemple, des policiers, ils le prennent sous leur protection et, dès
le lendemain, après qu'il a bien dormi, ils le relâchent. Mais ils
ne sont pas tous sensibilisés de cette façon et je croîs
qu'il y a un travail à faire là-dedans afin de
sensibiliser les corps policiers et les municipalités, tel que le
Dr Laurin le disait.
M. Sauvageau: Je peux enchaîner là-dessus. Le
principal problème concernant l'interaction entre la justice et les
personnes psychiatrisées, c'est justement qu'il y a trop de personnes
psychiatrisées qui se ramassent dans le processus carcéral, ce
qui fait que les deux ont le double stigma. C'est un problème, de toute
façon, qui est commun à Québec et à Montréal
et peut-être encore plus particulièrement à Montréal
à cause d'une dégradation plus grave encore du climat social. Par
exemple, le nombre de personnes qui se sont ramassées à
l'Institut Louis-Philippe-Pinel a fortement augmenté.
Ce qu'on dit, c'est qu'il n'y a pas de raison, parce que quelqu'un brise
une vitre, qu'il se ramasse là. On porte une accusation contre cette
personne. La personne est trouvée inapte à subir son
procès ou est envoyée pour 30 à 60 jours à
Parthenais ou à Pinel, qui sont deux institutions à
sécurité maximale. Enfin, Pinel est un hôpital, mais, quand
même, la personne n'est pas obligée... Comment cela se fait-il
qu'elle se ramasse dans une place à sécurité maximale
comme Pinel pour subir un examen psychiatrique pour voir si elle est apte ou
non à subir son procès? Dans le fond, ce qu'il faudrait faire,
c'est déjudiciariser ce processus. Même dans la région de
Québec, on a rencontré récemment M. Chandonnet, qui est le
directeur général du service de réadaptation sociale, et
le problème est exactement le même. Dans la région de
Québec, il y a trop de gens qui se ramassent à la centrale du
parc Victoria ou qui vont aboutir, à la prison d'Orsainville pour voir
s'ils sont aptes ou non à subir leur procès. Ce qu'il faut
comprendre, en plus, c'est que cela renforce, dans l'esprit de la population,
l'idée que folie égale dangérosité. En plus,
présentement, le climat social - il y a quand même eu
différents incidents ces dernières années - et toute la
question de l'aliénation mentale renforcent cela. Ce qu'il est important
de souligner, c'est que les dernières recherches scientifiques
démontrent clairement que les personnes psychiatrisées ne sont
pas plus dangereuses que la moyenne des gens. Pourtant, les gens ont de plus en
plus l'idée que folie égale dangerosité. Quand on parle de
prévention et de démystification de la folie, c'est justement un
point extrêmement important.
On se leurre si on pense désinstitution-naliser si on ne fait pas
de débat public. Justement, la sous-commission contribue à
instaurer un débat public, mais qui ne fait que commencer au
Québec. Il faut se rendre compte qu'il y a 25 ans, quand on a
laïcisé les hôpitaux psychiatriques, on pensait qu'on aurait
une belle révolution, mais, aujourd'hui, on se rend compte, 25 ans plus
tard, qu'on est à peu près au même point. Il faut quand
même se poser des questions.
M. Laplante: C'est un point très important, je suis
d'accord avec vous. Le dernier point, c'est que vous avez 34 recommandations;
vous avez fait un diable de bon travail. On va avoir de quoi regarder cela de
près. Là-dessus, il y en a une qui me laisse sceptique. Ce n'est
pas une recommandation comme un sondage que vous avez fait. J'aimerais savoir
comment a été fait ce sondage, les problématiques du
sondage. Vous posez ta question à 1200 citoyens québécois:
"Accepteriez-vous de recevoir chez vous, pour un après-midi ou un repas,
une personne inadaptée, physique ou mentale?" Plus de 80 % d'un
échantillonnage scientifique de 1200 Québécois ont
répondu non. Ils refuseraient même un repas à une de ces
personnes. Ce qui est encore plus surprenant, c'est que 89, 8 % le refuseraient
à des criminels; en allant jusqu'aux personnes handicapées de
surdité - les sourds - on constate que 85, 6 % refuseraient de leur
donner un repas.
Je ne sais pas sur quoi vous avez travaillé, à
l'intérieur du mémoire, pour un tel sondage. Là, je ne
peux pas le prendre actuellement.
M. Côté (Benoît): Ce n'est pas nous qui avons
fait le sondage.
M. Laplante: On ne reconnaît pas le peuple
québécois là-dedans.
M. Côté (Benoît): Oui, c'est un visage du
peuple québécois qu'on aimerait ne pas voir, mais c'est une
réalité.
M. Laplante: Oui.
M. Côté (Benoît): Ce sondage a
été effectué par un professeur d'université. C'est
tiré d'un article du Journal de Québec. C'est un professeur de
l'Université de Rimouski qui a effectué le sondage. Ce n'est pas
nous qui avons fait ce sondage. L'étude de Melançon-Ouellet, il y
a quelques années, avait démontré - cela avait
été commandé par le MAS - des attitudes semblables,
ségrégatives, des Québécois en
général vis-à-vis de la personne qui est "malade mentale",
entre guillemets. On ne le dira jamais assez: Le rejet de la personne
psychiatrisée par la population, c'est souvent une des
conséquences de son retour à l'hôpital.
M. Laplante: Et cela va jusqu'aux sourds. Cela, ce n'est pas
des...
M. Côté (Benoît): Oui, alors, c'est vous
montrer...
M. Laplante: C'est un handicap
physique.
M. Côté (Benoit): Oui, mais il existe une...
M. Laplante: II n'y a pas de danger.
M. Côté (Benoît): Oui, c'est pour vous montrer
jusqu'à quel point les gens pensent...
M. Laplante: Souvenez-vous du temps où les quêteux
passaient de maison en maison et on les gardait à dîner, on les
gardait à souper.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'était dans le
Bas-du-Fleuve!
M. Laplante: On a connu cela. Je vous remercie.
Mme Valiières: Est-ce que je pourrais...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, madame.
Mme Valiières: Quand on parle de
désinstitutionnalisation - le ministère travaille
là-dessus et les groupes communautaires travaillent à la venue
des gens qui vont être désinstitutionnalisés - je trouve
que le gros travail qu'il y a à faire, c'est au niveau de la
démystification. Si la soi-disant maladie mentale n'est pas
démystifiée, je ne pense pas que l'attitude, ni de la population,
ni des gens qui travaillent avec eux, va changer. Ce qui me fait cheminer dans
cela, ce sont des témoignages. À un moment donné, on a
fait une réunion à Rogert-Giffard et tous les résidents
étaient ensemble. On est allé au fond de: Pourquoi est-ce que je
vais dehors et que j'ai toujours l'impression d'un doigt qui me pointe en
disant: Lui, c'est un fou? La personne va peut-être être seulement
en train de marcher dans un centre commercial. Quand on est allé au fond
des choses, on s'est aperçu que c'était le tabou que la personne
avait elle-même de la maladie mentale, avant d'entrer, qui faisait que,
quand elle sortait, elle pouvait aller jusqu'à s'autostigmatiser.
Je ne veux pas dire que tout le personnel n'est pas correct parce que
cela ne serait pas vrai. Il y en a qui travaillent avec les
bénéficiaires qui sont là et qui sont souvent
navrés de l'attitude des autres autour d'eux. Le personnel qui a une
attitude négative avec les résidents, c'est celui qui a un tabou
quelque part et c'est peut-être parce qu'il ne sait pas vraiment ce que
la personne vit. En dessous du chapeau de la maladie mentale, il y a beaucoup
de choses qui ne sont pas reliées à la maladie mentale.
Tantôt, j'entendais M. Laurin dire que, souvent, des gens
entraient là-bas à cause d'un problème qui était
social. À Robert-Giffard, il y en a aussi qui vivent là par
choix. Us vont prendre leur médicament, mais ce n'est pas parce qu'ils
en ont besoin, c'est parce qu'ils n'ont pas d'autre lieu pour vivre. Ils
choisissent Robert-Giffard pour s'installer. Je me dis que c'est un
débat public et un débat de société qu'il faut. Ce
serait comme se remettre en question. Pourquoi est-ce qu'on marginalise des
gens qui, s'ils étaient plus écoutés ou s'ils
étaient peut-être... J'irais jusqu'à dire que, quand on est
jeune et qu'on va à l'école, même au primaire, on devrait
déjà être sensibilisé à sa santé
mentale. Il y a quelques écoles à Québec où les
enseignants ont pris une initiative que je trouve très positive. Quand
les enfants entrent à l'école le matin, ils s'assoient ensemble
et se demandent: Hier, est-ce qu'il s'est passé quelque chose qui me
reste sur le coeur? Si oui, ils le débattent tout de suite et c'est
fini, la journée recommence. Je trouve que c'est une façon de les
sensibiliser à leur santé émotive, psychique et globale
à quelque part.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je veux vous remercier,
encore une fois, pour votre mémoire. Je m'excuse de vous avoir
posé des questions sur la formation; c'est que je n'avais pas vu
exactement qui vous représentiez. À part la défense des
droits dont on a parlé tout à l'heure, je vois que c'est un
travail de sensibilisation que vous voulez faire. Je comprends que, dans ce
sens-là, cela dérange des gens quelquefois. 11 faut continuer la
même chose. Je dois vous dire que l'un des objectifs de la commission -
je ne sais pas dans quelle mesure on va l'atteindre - c'est que ce soit aussi
un exercice de sensibilisation; c'est d'amener la question un peu plus sur la
place publique qu'elle ne l'était, quoique les gens ont de plus en plus
de misère à garder le problème sous te couvercle. Je pense
que, justement, les jeunes en particulier, comme certains l'ont signalé,
ne réagissent pas de la même façon; ils n'ont pas
été institutionnalisés d'une façon permanente comme
leurs aînés. Cela aide aussi à faire évoluer les
choses et, dans ce sens-là, le travail que vous faites est
extrêmement important. Si nos travaux, votre contribution et celle des
autres qui sont venus ici permettent... Vous savez, il ne faut pas s'attendre
à la révolution demain matin parce que c'est une lente
évolution. On pourrait être un peu plus Imaginatif. Vous parliez
tout à l'heure du personnel ou d'une partie du personnel dans les
institutions qui, finalement, n'y croit pas tellement ou a la tentation de
croire que les gens reviendront, que la réinsertion n'est pas
possible.
Vous aviez un peu ce même phénomène dans le domaine
de l'éducation vis-à-vis des enfants des quartiers pauvres - je
parle de Montréal, cela doit être la même chose à
Québec - où, finalement, on ne croyait pas que ces
enfants-là avaient un potentiel. Ce n'est pas que les professeurs
n'étaient pas dévoués et ainsi de suite, mais c'est que,
finalement, il y a une espèce de fatalisme qui s'inscrit, qui se
développe. Ce que vous dites touche certainement une bonne part du
personnel.
Dans ce sens-là, je me demande aussi dans quelle mesure il serait
réaliste, dans les institutions où les malades sont gardés
à long terme, où le travail est exigeant quand même, parce
qu'au plan émotif cela exige énormément, de penser
à des formules de rotation un peu plus souples. Si on ne peut pas se
payer des congés sabbatiques, qu'on puisse se permettre une rotation
dans un hôpital général, d'un département de
psychiatrie à un autre, dans un hôpital psychiatrique, dans un
centre d'accueil. Je ne sais pas quel est le nombre moyen d'années de
services du personnel de Robert-Giffard -on pourrait prendre
Louis-Hippolyte-Lafontaine, à Montréal - mais je pense
qu'à un moment donné il faut permettre aux gens de se ressourcer.
Ce sont tous des facteurs qui, probablement à l'insu des gens
eux-mêmes, en dépit de leurs meilleures intentions, je pense,
finissent par jouer d'une façon peut-être un peu négative
sur les services qu'on veut rendre aux bénéficiaires qu'on veut
servir. Ce sont tous des points qui devraient retenir la réflexion.
Je m'écarte un peu de notre mandat, puisqu'il porte plutôt
sur les services de réinsertion sociale. C'est difficile, aussi, de
détacher tout cela. La réinsertion sociale, vous l'avez bien dit,
commence en institution et c'est un travail qui se poursuit par la suite. Si on
a une attitude défaitiste au point de départ, même si la
personne sort physiquement, c'est une influence qui va jouer contre sa
réinsertion une fois qu'elle est rendue dans la communauté.
Je ne sais pas si vous avez autre chose à ajouter, mais je veux
vous remercier au nom des autres membres de la commission.
Je suspends les travaux jusqu'à 19 h 45.
(Suspension de la séance à 18 h 47)
(Reprise à 19 h 53)
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À l'ordre, s'il
vous plaît!. La sous-commission des affaires sociales reprend ses
travaux. Le premier mémoire que nous entendrons ce soir est le
mémoire présenté par le Conseil régional de la
santé et des services sociaux de la Montérégie.
Je voudrais d'abord nous excuser de notre retard, mais on a fini de
siéger un peu en retard. Finalement, cela s'explique. On a devant nous
un projet volumineux. J'imagine que vous n'avez pas l'intention de le lire,
mais d'en faire un résumé. Oui?
M. Guindon (Jean-Bernard): Exactement.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. Guindon, je vous
demanderais de présenter vos collègues.
Conseil régional de la santé et des
services sociaux de la Montérégie
M. Guindon: Merci, Mme la Présidente. Je vous
présente d'abord Mme Louise Landry-Balas, qui est l'auteure du rapport
intitulé "Les Ressources alternatives en santé mentale dans la
Montérégie" et qui était, a l'époque où elle
a rédigé ce rapport pour le conseil régional,
conseillère en santé mentale au conseil régional,
prêtée par le centre hospitalier Charles-LeMoyne, auquel elle est
maintenant retournée.
Nous l'avons quand même invitée à venir avec nous ce
soir, d'ailleurs en lui laissant ce que son statut actuel lui confère
par rapport au conseil régional, c'est-à-dire la liberté
complète de parole sans se sentir nécessairement obligée
de défendre - ou d'y être liée - la position du conseil
régional, ne serait-ce que pour être bien sûr que la
sous-commission dispose du maximum d'information de la part de la personne fort
compétente qu'est Mme Louise Landry-Balas. Mme Mireille Tremblay est la
nouvelle conseillère en santé mentale au conseil régional.
Elle a pris la relève de Mme Louise Landry-Balas. C'est elle qui assure
évidemment, de façon très concrète actuellement, la
coordination de ce qu'on appelle les ressources alternatives en santé
mentale.
Avant d'aborder le résumé du mémoire, j'aimerais,
Mme la Présidente, vous signaler d'abord que nous vous avons fait
parvenir le rapport qui s'intitule "Les Ressources alternatives en santé
mentale dans la Montérégie" moins à titre de
mémoire à la sous-commission qu'à titre de document
d'information. Dans la région de la Montérégie, compte
tenu des orientations du conseil régional - orientations pour la
période 1981-1986 - qui sont axées sur le développement de
ressources communautaires dans tous les secteurs d'activité, non pas
seulement en santé mentale, mais pour les personnes âgées,
pour les jeunes, pour les femmes en difficulté, pour les personnes
déficientes mentales, nous avons toujours soutenu fortement toutes les
initiatives de la région dans le domaine des ressources dites
communautaires de toute nature.
Cependant, c'est le seul secteur, la santé mentale, où un
travail systématique a été fait d'inventaires, de bilans
et, je dirais, de tentatives de ramasser les idées autour des
expériences vécues dans notre région.
C'est la raison pour laquelle nous nous en sommes tenus à ce
secteur, et je vais continuer de le faire ce soir. Cependant, vous serez
libres, bien sûr, de nous poser des questions sur tout autre secteur
d'activité des ressources communautaires dans la région de la
Montérégie.
Avant de commencer à lire le résumé de notre
mémoire, je dépose deux nouvelles copies officielles du document
qui s'intitule "Les Ressources alternatives en santé mentale dans la
Montérégie". La première copie qu'on vous a fait parvenir,
c'est la seule dont on disposait, mais elle ne comportait pas toutes les
corrections. Vous allez avoir les deux copies définitives et aussi
plusieurs copies du mémoire que je vais vous lire à l'instant
même.
Nous désirons, aujourd'hui, vous faire part, Mme la
Présidente, de la situation particulière de la
Montérégie concernant les services de soutien et de
réinsertion sociale en santé mentale. Au préalable, je
vous soumettrai certains commentaires concernant la problématique de la
réinsertion sociale en santé mentale.
Entre la santé mentale et la maladie mentale, il existe une
multiplicité d'états, de malaises ou de souffrances profondes
affectant la capacité et la volonté d'un individu à vivre
en société. Dans l'état actuel des connaissances
médicales, il n'est pas possible de diagnostiquer de façon
précise et indiscutable les troubles psychiques, d'en connaître
les causes exactes et d'en prédire l'évolution et la
récurrence des symptômes. Le niveau de santé mentale d'un
même individu varie au cours de son existence et peut nécessiter
à certains moments un soutien particulier pour lui assurer un ajustement
social satisfaisant et une qualité de vie décente.
Compte tenu de la multiciplicité des facteurs affectant la
santé mentale et de la variabilité des besoins, il est difficile
de justifier un système de soins en santé mentale
normalisé, standardisé et structuré de façon rigide
pour l'ensemble d'une population. Les recherches actuelles s'entendent pour
conclure qu'il n'y a pas d'approche clinique privilégiée ni de
programme miracle. Les services doivent être adaptés aux besoins
de chaque individu, diversifiés, flexibles et doivent respecter le
contexte culturel.
Parlons de réinsertion sociale. La réinsertion sociale
s'inscrit plus particulièrement dans un effort concerté de
maintenir l'ajustement harmonieux de l'individu è son environnement
naturel et vise à favoriser son autonomie et sa liberté d'action.
Les troubles en santé mentale qui affectent la capacité de
s'ajuster è l'environnement social suscitent de la part du milieu
naturel un phénomène de rejet et d'exclusion qui s'intensifie
proportionnel- lement à la gravité des symptômes
manifestés et au danger perçu par les personnes vivant dans
l'environnement. Parallèlement au rejet, la prise en charge du
problème va se déplacer progressivement de l'individu et de la
famille vers un système de services communautaire et public de plus en
plus structuré. Cette prise en charge par un service public a eu souvent
- hélas! -pour effet d'isoler le patient de plus en plus du milieu
naturel, de réduire ses échanges et ses communications avec ce
qui devient pour lui l'extérieur et de diminuer son autonomie.
Il y a donc, parallèlement au processus inadéquat de
socialisation lié aux troubles psychiques, un processus d'exclusion
sociale de la communauté. Consciente de ce double processus, une
politique de réinsertion sociale devra considérer quatre cibles
d'intervention. Au niveau individuel, favoriser l'autonomie et l'ajustement
social des individus souffrant de troubles en santé mentale. Au niveau
de la famille, offrir des services de soutien lorsque le fardeau devient trop
lourd et accroître la compréhension. Au niveau des services,
développer des services adaptés aux besoins individuels soucieux
de préserver l'autonomie et ouverts sur la communauté. Au niveau
communautaire, accroître la tolérance, la capacité
d'accueil et la participation de l'ensemble de la communauté.
Les ressources alternatives. La Montérégie a vu
éclore au cours de la dernière décennie une nouvelle
catégorie de ressources en santé mentale particulièrement
soucieuses de favoriser l'autonomie et la réinsertion sociale de ses
bénéficiaires. Ces ressources sont nées et sont issues
directement de la communauté et de ses besoins spécifiques. Elles
sont collées à la réalité communautaire locale et
elles sont bien intégrées au tissu social et culturel.
Dans son rapport, que vous avez en pièces déposées
ce soir, élaboré conjointement avec lesdites ressources, Mme
Louise Landry-Balas les définit comme suit: "Les ressources alternatives
en santé mentale de la Montérégie peuvent donc se
définir régionalement comme des corporations autonomes, sans but
lucratif, qui proposent un milieu de vie petit, situé dans la
communauté, aussi semblable que possible au milieu naturel afin de
répondre de façon souple, variée et individuelle aux
besoins de soutien, d'accompagnement, d'hébergement et de
réinsertion sociale de personnes rencontrant ou pouvant rencontrer des
difficultés psychosociales ou psychiatriques. "
Chacune des onze ressources a été mise sur pied à
partir des besoins d'une clientèle particulière que Mme
Landry-Balas identifie comme suit: 1. Après l'hospitalisation,
auprès d'une clientèle psychiatrique, souvent
diagnostiquée de psychotique, avec une ou plusieurs hospitalisations
à son compte et marquée
d'un grand manque d'autonomie, un séjour assez long est
prévu pour cette clientèle pour permettre l'apprentissage ou le
réapprentissage de compétences essentielles au fonctionnement en
société. 2.. À la place d'une hospitalisation, pour la
prévenir, lors d'un épisode de dépression ou dans des
situations de stress qui rendent nécessaire un retrait plus ou moins
long du milieu de vie ou qui exigent soutien et accompagnement par des
activités de jour. 3. Comme dépannage pour quelques jours dans
les moments de crise ou de désorganisation. 4. Comme intervention
ponctuelle en réponse à un besoin précis dans une
situation de crise aiguë, par exemple un centre de prévention du
suicide.
Ces ressources ont des approches diversifiées mais sont toutes
soucieuses de favoriser l'autonomie et la prise en charge par l'individu de ses
problèmes et de le supporter dans son milieu naturel. Cependant, les
ressources alternatives sont toujours confrontées à un ensemble
de problèmes qui menacent leur survie. En explorant de nouvelles avenues
en santé mentale, elles ont eu à lutter sans cesse pour
être reconnues et obtenir un soutien moral et financier. Leurs
subventions ne sont pas encore toutes récurrentes et les sommes
accordées sont très en deçà des besoins
réels. La charge de travail demeure très lourde. Les heures sont
souvent trop longues et les salaires nettement inférieurs au
marché. Plusieurs intervenants sont victimes de "burn-out" et le taux de
rotation des employés est élevé, ce qui peut avoir un
effet négatif sur la continuité des services aux
bénéficiaires. Malgré ces problèmes, les ressources
alternatives ont réussi à maintenir la qualité de leur
intervention en réinsertion sociale et la Montérégie est
fière de leur dynamisme et de leur créativité.
Au cours de la dernière année, le Conseil de la
santé et des services sociaux de la Montérégie a
concerté ses efforts pour tenter de consolider les ressources
déjà existantes. Dans cette optique, le conseil d'administration
du conseil régional a adopté une résolution pour que,
conformément au décret 317979, le conseil régional soit
l'organisme de planification et de distribution du financement au moyen d'une
enveloppe régionale basée sur une évaluation des services.
Dans le but de respecter l'autonomie et la créativité de chaque
ressource, il a également été adopté que soit
formé un comité des ressources alternatives pour préparer
des recommandations sur un contrat de services type entre le Conseil de la
santé et des services sociaux de la Montérégie et les
ressources ainsi qu'un instrument d'évaluation.
J'ouvre une petite parenthèse pour parler de ce contrat de
services dans la mesure où le conseil régional est un peu
forcé de faire cette proposition en rapport avec lui-même. S'il y
avait, comme dans un autre secteur, et je vais vous donner un exemple pour les
services des alcooliques et des toxicomanes, comme dans la région, un
seul établissement coordonnateur régional, c'est à ce
moment-là, entre cet établissement coordonnateur régional
et les ressources, que pourrait se situer le contrat de services. Je fais cette
distinction parce que, dans le domaine des ressources psychiatriques, il y a
une multiplicité de ressources, ce qui ne permettrait pas de faire un
contrat de services uniforme entre les ressources communautaires et les
hôpitaux.
À juste titre, les ressources alternatives défendent
farouchement leur autonomie, garante de l'adéquation des services aux
besoins communautaires, mais il est indispensable d'élaborer
conjointement des modalités d'évaluation de la qualité des
programmes et des critères des répartitions des ressources
financières.
Je vais vous parler maintenant du problème des lits de soins
prolongés dans notre région, qui est intimement relié
aussi à la situation des ressources alternatives.
Outre la nécessité de promouvoir la consolidation, le
développement et l'implantation de ressources alternatives
insérées dans la communauté, la Montérégie
doit également se doter de services destinés à une
clientèle nécessitant des soins plus intensifs pour une
période plus longue. Plusieurs intervenants de la région ont
manifesté leur inquiétude concernant la carence de ressources
lourdes offrant un abri et un encadrement plus grand à long terme. Les
individus atteints de troubles sévères ou chroniques sont trop
souvent hébergés dans des ressources communautaires trop
légères ou inadéquates par rapport à leurs besoins
et qu'ils épuisent les unes après les autres. Ils accomplissent
un parcours chaotique d'hospitalisation en famille d'accueil, de ressources de
transition en réhospitalisation ou sont trop souvent laissés sans
soutien dans la communauté, ce qui contribue au syndrome de la porte
tournante. Pour que les ressources communautaires jouent leur véritable
rôle et favorisent la réinsertion sociale, elle doivent être
complétées par des ressources institutionnelles plus lourdes, de
courte durée, lors de crises aiguës et de longue durée pour
une clientèle chronique sévèrement atteinte, à
défaut de quoi elles ne joueront qu'un rôle de suppléance
pour lequel elles n'auront ni la compétence, ni les ressources, ni le
soutien de la communauté environnante. II est toutefois essentiel que
les ressources de longue durée offrent un environnement humain, des
soins actifs et encourageant progressivement l'ouverture sur la
communauté, l'autonomie et la réinsertion
sociale.
La Montérégie, comme tout le Québec, doit s'assurer
d'une gamme de services variés, complets, intégrés
harmonieusement et adaptés aux besoins individuels. Ce réseau de
services, pour être complet, doit comporter des programmes de soutien
dans la communauté, des programmes de soins aigus et des programmes
d'hébergement plus ou moins encadrés. Ces programmes doivent
être souples afin de pouvoir s'adapter à une évolution
constante des besoins d'une société. Pour s'assurer de
l'adéquation des services aux besoins spécifiques, la gestion
doit se faire le plus près possible de la communauté.
La famille et la communauté. Si la communauté continue
à exclure et à rejeter les personnes souffrant de
problèmes en santé mentale, les efforts demeuront vains, quelle
que soit la qualité des services de soutien et leur réinsertion
sociale. Les services de soutien destinés à la famille jouent un
rôle déterminant dans le maintien à domicile en
allégeant leur fardeau et en améliorant ses compétences.
Ces services doivent être accessibles autant à la famille
naturelle qu'à la famille d'accueil.
Un certain nombre d'associations de parents, de patients
ex-psychiatrisés, de déprimés anonymes ont heureusement vu
le jour ces dernières années et témoignent du désir
de la communauté de se donner les moyens nécessaires à la
promotion de la santé mentale. Le Conseil régional de la
santé et des services sociaux de la Montérégie doit
pouvoir tout mettre en oeuvre pour soutenir ces associations, appui moral,
soutien à la formation, appui financier, lorsque nécessaire, et
surtout doit se mettre à l'écoute de leurs besoins.
L'apprivoisement mutuel du patient psy-chiatrisé et de la
communauté est oeuvre de patience. Toutes les ressources ouvertes sur la
communauté, familles d'accueil, associations, ressources alternatives,
possèdent la clé de la modification des attitudes sociales envers
la maladie mentale. Plus on en parlera sur la place publique, plus la
communauté sera encouragée à s'impliquer et plus les
centres de décision seront près des besoins locaux, plus la
communauté deviendra favorable à la réinsertion sociale.
Donc, une politique d'État en santé mentale doit
développer des programmes de services ouverts sur la communauté,
variés, adaptés aux besoins individuels. Afin de favoriser
l'adéquation des besoins de la communauté aux services offerts,
la coordination et la planification doivent se faire le plus près
possible de la communauté. De plus, l'état de santé
mentale d'une population étant en constante évolution, les
services doivent également être souples, flexibles et capables
d'ajustement. La véritable préoccupation de la réinsertion
sociale n'est pas de savoir où l'on traite les problèmes de
santé mentale, mais comment on traite les individus réclamant de
l'aide. Leur procurerons-nous le soutien nécessaire à une
qualité de vie décente dans un environnement sain ou
continuerons-nous à les exclure? Dans le contexte actuel où une
politique en santé mentale est attendue impatiemment, j'espère
que cet exposé contribuera à votre réflexion et alimentera
constructivement les débats. Merci, madame.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci, M. Guindon. Je
veux d'ailleurs remercier d'une façon particulière le Conseil
régional de la santé et des services sociaux de la
Montérégie, qui est le seul CRSSS, à ma connaissance,
à moins que je ne me trompe, qui soit venu devant la commission; je fais
exception pour le CRSSS de Montréal, qui est venu présenter son
plan d'action touchant la déficience mentale. Je dois vous dire que j'ai
été un peu étonnée de l'absence des CRSSS, parce
que vous avez quand même, à l'intérieur des CRSSS, je
pense, comment dit-on? un comité de la psychiatrie - un comité,
ce n'est pas exact, quel est le nom?
M. Guindon: Une commission des services de santé
mentale.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une commission, c'est
cela, une commission de la santé mentale. Je suis un peu
étonnée que ces gens qui ont la responsabilité de la
planification des ressources et la responsabilité de répondre aux
besoins localement, enfin sur une base territoriale, soient demeurés
absents de la commission, alors qu'à peu près tous les autres
organismes, fédérations ou autres groupes, se sont
présentés.
Mais, ceci étant dit, je voudrais vous poser quelques questions.
Il est évident que vous avez fait un effort dans les dernières
années ou que la communauté a fait un effort que vous avez
appuyé dans le sens de développer des ressources alternatives qui
soient autonomes et qui répondent aux besoins de la population. Mais,
avant de poser des questions précises là-dessus, quel est votre
bassin de population au conseil régional de la
Montérégie?
M. Guindon: II est de 1 100 000 de population, répartie
dans 254 municipalités.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): De 1 100 000 de
population. Quel est le nombre de lits dans les hôpitaux de courte
durée, vous mentionnez que vous n'en avez pas de longue durée,
qui sont alloués à la psychiatrie? Par exemple, à
Pierre-Boucher, à Charles-LeMoyne, à Granby, à
Saint-Hyacinthe? Est-ce que vous avez...
M. Guindon: II y a six départements de psychiatrie dans la
région, ou sept, avec une moyenne, à part Charles-LeMoyne, de
l'ordre de 85; dans les autres, c'est de l'ordre de la trentaine, si ma
mémoire est bonne.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, cela voudrait dire
que vous auriez environ...
M. Guindon: Environ 200 lits.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... 200 lits de
psychiatrie dans les centres hospitaliers de courte durée.
M. Guindon: Exact.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela fait beaucoup de
monde à servir. Est-ce que les 91 lits qui ont été
développés en ressources alternatives vous apparaissent
répondre aux besoins d'un bassin de population aussi considérable
que le vôtre?
M. Guindon: Louise Landry-Balas va répondre à votre
question.
Mme Landry-Balas (Louise): Ils ne répondent certainement
pas aux besoins de la population et les ressources alternatives se sont
spécialisées de par leurs propres intérêts. On a,
par exemple, à Longueuil, une ressource qui est particulièrement
pour les femmes déprimées, où il y a 18 lits; cette
ressource comble le besoin, semble-t-il, pour ce type de clientèle.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais dans la
région?
Mme Landry-Balas: Pour la région,
généralement, certainement pas.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, pour Longueuil,
où elle se trouve.
Mme Landry-Balas: Ah bon! Excusez, oui, l'Entre-Deux, cette
maison pour les femmes déprimées, comble le besoin pour la
région de Longueuil.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. (20 h 15)
Mme Landry-Balas: On n'a pas d'autres ressources pour femmes
déprimées du même genre à d'autres endroits. C'est
sûr que le besoin criant est cependant pour les malades psychiatriques
chroniques pour lesquels plusieurs de ces ressources ont été
mises sur pied. Il y en a une, qui est la plus grosse, qui a quinze
appartements individuels, les autres sont des maisons unifamiliales qui ont
entre cinq, sept et neuf patients. Là-dedans, on pourrait voir des
développements importants surtout que, ces ressources étant
limitées, elles limitent la période de séjour.
Quelques-unes de nos ressources ont six ans et il arrive que l'on
découvre qu'il y a d'autres choses à faire, c'est-à-dire
qu'on ne peut pas les renvoyer tout de suite dans la communauté. On
aurait peut-être besoin d'appartements supervisés avec certaines
activités, mais moins de suivi. Ce qui manque principalement est une
coordination de plusieurs ressources de ce genre dans chaque
sous-région.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous n'avez pas un
modèle pour chaque sous-région de votre territoire dans le
moment? Avez-vous un réseau intégré des ressources
diversifiées dont vous auriez besoin dans chacune des
sous-régions?
Mme Landry-Balas: Non. Elles ne se sont pas
développées non plus d'après un modèle. Elles se
sont développées de façon tout à fait
spontanée parce que le besoin était tellement criant. Les gens
qui les ont développées sont partiellement des patients
psychiatriques eux-mêmes qui, après une réadaptation ici et
là, ont vu que les besoins étaient absolument criants. D'autres
sont des gens qui ont été impliqués dans les services
psychiatriques en hôpital ou en clinique externe des hôpitaux,
à l'interne ou à l'externe, et, généralement, les
conseils d'administration de ces corporations, parce que ce sont des
corporations autonomes sans but lucratif, sont un mélange de ces
différents types de personnes. De plus en plus, la communauté
s'intègre aussi dans les conseils d'administration. Mais il n'y a pas de
planification comme telle. Dans le moment, on en est à être
heureux de ce qui se passe, qu'il y ait des choses qui se passent. On n'a pas
assez de distance, non plus, pour voir si c'est vraiment efficace à long
terme ou non. On voit que cela aide beaucoup de patients à trouver une
place qu'ils n'auraient pas autrement. Mais on a encore des besoins
criants.
M. Guindon: J'aimerais revenir pendant une petite seconde sur la
question du modèle que vous avez soulevée pour vous dire que tout
le paradoxe, pour nous, de la question des ressources communautaires en
santé mentale, comme d'ailleurs dans d'autres secteurs, en termes de
planification, est d'une part qu'il y ait effectivement une certaine
planification et une coordination et d'autre part qu'il y ait aussi, en
même temps, le maximum de spontanéité et d'initiative de la
communauté. C'est tout le paradoxe de la discussion qu'on peut avoir ce
soir.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. D'ailleurs, ce que
je voulais dire; quand je
parlais d'un modèle pour chaque sous-région, je ne parlais
pas d'un modèle identique parce que, là-dessus, je suis tout
à fait d'accord avec vous. Je voulais dire que chaque sous-région
de votre grande région soit couverte avec une gamme de services qui
répondent aux besoins de la clientèle.
Mme Landry-Balas: Je croîs que c'est une chose vers
laquelle on doit tendre. En ce qui me concerne, je demeure convaincue que, dans
la planification des services, on doit retourner non seulement aux
régions, mais aux sous-régions et qu'on doit penser à
impliquer - quand on parle de communauté, c'est un peu vague
peut-être - d'abord et avant tout les gens qui, dans la
communauté, sont le plus près de ces besoins, c'est-à-dire
les gens qui oeuvrent déjà avec les patients psychiatriques, ceux
qui en ont dans leur famille. Quand je pense à une planification
sous-régionale, je pense que la coordination doit se faire pour
développer un système intégré de services à
ce niveau par un groupe qui existe à cet effet pour planifier et
coordonner un système intégré sous-régional de
services qui respecte les caractéristiques de cette
sous-région.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous avez peut-être
répondu en partie à la prochaine question que je vais vous poser.
Quel est le rôle que le CRSSS de la Montérégie se voit
appelé à jouer? Les services alternatifs que vous avez
décrits sont des services où il semble que l'initiative soit
venue de la communauté; que vous les avez soutenus et vous tentez
d'assurer non seulement leur survie, mais, en tout cas, qu'ils fassent les
ajustements qu'ils ont besoin de faire, etc.
À part cela, est-ce que, comme CRSSS, vous voyez cette
responsabilité d'abord de concertation, de planification au niveau
sous-régional? Où en êtes-vous dans cette
planification?
M. Guindon: Je crois que lorsqu'on parle de planification d'un
organisme comme le conseil régional, pour des ressources dites publiques
par opposition à des ressources communautaires, notre attitude à
nous doit être très différente. Quand on parle de
ressources publiques, on assoit les membres des établissements autour
d'une table, on discute entre nous et, à un moment donné, il faut
arriver à un consensus ou, faute de consensus, à une
décision ou à une orientation. Dans le cas des ressources
communautaires, on peut dire que l'approche privilégiée, c'est de
fournir aux ressources communautaires des assises, du soutien et des
instruments pour que, entre elles, elles soient les plus actives et les plus
dynamiques possible à la propre définition de cette planification
qui devient de plus en plus importante, compte tenu des besoins très
criants. Je pense que c'est le premier point, donc un instrument de
concertation, une espèce de comité régional des ressources
alternatives qu'on veut mettre sur pied.
Le deuxième instrument que le conseil régional peut
privilégier aussi, question, encore une fois, d'assurer un lien
crédible entre elles et nous, c'est de s'assurer qu'elles sont des
corporations en bonne et due forme avec un conseil d'administration bien
constitué, représentatif de leur communauté et qui puisse
offrir certaines garanties que ce qui se passe dans les ressources
communautaires a une assise aussi dans la communauté et un peu de
sérieux.
D'autre part aussi, on a une idée du contrat de services dont je
vous ai parlé tout à l'heure qui n'est pas vraiment dans le sens
habituel où on dirait: On vous donne un contrat et vous allez
exécuter ce qu'on exige, mais c'est beaucoup plus une question
d'établir un rapport décent d'affaires avec une ressource
à qui on donne des fonds et qui doit rendre un certain nombre de
comptes.
Finalement, le quatrième instrument, c'est l'évaluation,
celle-ci étant moins faîte de façon, encore une fois,
autoritaire et du haut, je dirais du trône du conseil régional,
que faite avec l' input que peuvent apporter les ressources alternatives en
termes de nous fournir des critères, des bases, ce qui nous laisse quand
même toujours la possibilité de rationaliser ces critères
et de les pousser plus loin, si nécessaire- Essentiellement, ce seraient
les principaux instruments. Peut-être que Mme Landry-Balas veut ajouter
quelque chose là-dessus.
Mme Landry-Balas: Ce qui me touche principalement dans cette
discussion, c'est comment voir à la continuité des services en
regardant le point de vue de la trajectoire du patient psychiatrique. À
la Montérégie, on a toujours préconisé et
encouragé beaucoup l'individualité des ressources alternatives.
Il y a eu un temps où c'était institution ou non-institution et
les mots "ressources alternatives" était peut-être
anti-institution. On en vient de plus en plus dans les ressources
elles-mêmes à réaliser qu'il faut qu'il y ait un flot... On
doit aller d'une à l'autre assez librement, parce qu'il y a des
réhospitalisations qui sont nécessaires chez les patients
psychiatriques chroniques.
Quand je parle de planification sous-régionale, en ce qui me
concerne, je ne peux pas dissocier ce qui existe en institution,
c'est-à-dire que ce n'est pas juste une planification de ce qui se fait
à l'extérieur, mais la planification doit toujours se faire en
tenant compte de la trajectoire du patient lui-même. Donc, c'est en
pensant à lui qu'on doit dans chaque sous-région planifier des
services.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce que je réalise,
c'est que le CRSSS est fort conscient des besoins et qu'il y a un effort de
planification, etc. Mais, dans le moment, sur la rive sud, si on prend les
statistiques un peu officielles de la maladie mentale, si on prend 1 % sur 1
200 000, vous auriez à peu près 12 000 personnes qui pourraient
avoir besoin, dans ce cheminement de réintégration ou de
réinsertion sociale, d'un type de ressources ou l'autre. Ce que je
voudrais savoir, c'est dans quelle mesure vous vous sentez démunis dans
l'état actuel des choses. Je comprends que les 91 %, ce n'est pas du
monde fixe, c'est du monde qui roule aussi. Alors, peut-être qu'au cours
d'une année ce n'est pas 91 %, mais que ça représente un
nombre X de personnes. Cela laisse passablement de personnes qui n'ont pas
beaucoup d'autres choix que l'hôpital de courte durée et de
retourner avec le plus de soutien possible que l'hôpital peut lui donner
soit par son service social ou autrement comme appui pour la réinsertion
sociale. Je me demande jusqu'à quel point cela vous crée des
problèmes.
Mme Tremblay (Mireille): Je trouve que c'est difficile de savoir
actuellement de façon exacte quels sont les besoins en termes de nombre
de lits ou de nombre de places. Les normes ont changé. On parlait de 0,
3 pour 1000. Quand on se penche sur la réinsertion sociale, la
problématique devient toute différente parce que, si on parle de
0, 3 pour 1000 cas de courte durée, c'est pour trois mois,
c'est-à-dire que c'est en période de crise pour une
période...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je ne vous entends
presque pas.
Mme Tremblay: D'accord. C'est difficile d'avoir des normes fixes.
Antérieurement on avait des normes de 0, 3 pour 1000. Si on
considérait ça dans la Montérégie, compte tenu des
quelques lits de longue durée, ça répondait à peu
près au nombre de places comme tel dont on avait besoin. Ce qu'on
constate dans les faits, c'est qu'il n'y a pas encore assez de places. Si on
parle de réinsertion sociale, le mode d'intervention devient très
différent. On ne parle plus de...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous parlais de ces 12
000 en fonction de la réinsertion sociale et non plus en fonction de
leur hospitalisation.
Mme Tremblay: C'est ça et c'est plus difficile parce que
ça va se faire à ce moment-là à plus long terme,
comme les ressources alternatives vont souvent avoir des moyennes de
séjour de six mois à neuf mois facilement, selon qu'elles font de
l'intervention en temps de crise ou travaillent plus sur la réinsertion
sociale. Or, si on se base sur des normes qui étaient de 0, 3, on se
rend compte qu'on ne s'y retrouve pas avec ça. Les ressources se sont
développées - des modèles et des structures étaient
déjà en place - à partir de besoins locaux criants. Dans
certaines régions, des programmes de jour vont se développer,
dans d'autres régions, ce sera pour femmes déprimées ou
des programmes d'hébergement. Des ressources vont intégrer ces
différents modes d'intervention mais il n'y a pas une région qui
est complète en termes de complémentarité ou en termes de
services complets. Par exemple, il y aura dans une sous-région beaucoup
trop de lits de longue durée mais aucun dans les autres
sous-régions de la Montérégie. Ce qui manque, c'est
vraiment ce qui serait facilité par une coordination locale, c'est
vraiment un système continu, harmonieux et complémentaire. Comme
Louise le disait de la trajectoire ou du parcours du patient, on voit souvent
qu'à défaut de ressources adéquates à un moment
donné le patient va aller d'une à l'autre tout le temps. C'est ce
qui manque, l'harmonisation de ces différentes ressources, parce qu'on
se rend compte que chacune a son rôle.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela m'amène
à vous poser la question suivante: devant ce nombre de personnes, disons
qu'on l'estime à 10 000 ou à 12 000, en dépit des efforts
qui sont faits, et de la planification que vous tentez de faire etc., est-ce
que vous avez sur la rive sud un phénomène semblable à ce
qui se passe par exemple dans la région 06A où vous avez dans
Montréal le phénomène d'itinérance de gens perdus
dans la brume parce qu'à un moment donné on les a perdus de vue?
C'est le sens que je donne à mes paroles quand je dis qu'ils sont perdus
dans la brume. Il y a aussi sur la rive sud cet autre... Est-ce parce qu'on en
a parlé plus? Je le dis sous toutes réserves, si on prend par
exemple le cas des personnes âgées, on sait qu'à un moment
donné sur la rive sud il y avait beaucoup de foyers illicites pour les
personnes âgées et il y en a peut-être encore, je n'ai pas
de chiffres, je ne pourrais pas en donner.
M. Guindon: II y a plus de ressources communautaires pour les
personnes âgées'.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ouais! Ouais! Je ne
voudrais pas que ce soit le même genre de ressources communautaires pour
vos ex-psychiatrisés, parce qu'on les a justement
dénoncées et le ministère s'efforce... Il en ferme un et
il s'en ouvre un autre. Enfin, on n'est pas pour entrer dans ces
détails-là. C'est pour ça que je trouve votre approche
bonne, parce que c'est une approche optimiste, une approche
constructive. Vous avez un problème, vous essayez de le
résoudre. D'un autre côté, j'ai l'impression que, quand on
examine ça d'un peu plus près, il y a beaucoup de besoins ou
est-ce moi qui fais une mauvaise évaluation des choses? (20 h 30)
M. Guindon: La nécessité étant la
mère de l'invention - c'est le cas chez nous - ce qui a justifié
ce à quoi je faisais allusion, au début de mon exposé, les
orientations de 1981 à 1986 du conseil régional en termes de
ressources légères, c'était le pari que nous avions
lancé au ministère de dire ceci: Étant donné que
nous avons - et je globalise pour aller vite - environ 60 % des ressources
requises dans la région de la Montérégie par rapport
à la moyenne provinciale et pour l'ensemble des services, nous ne
pouvons pas réclamer 333 000 000 $ du gouvernement dans les cinq
prochaines années, en parlant de 1981 à 1986, ce qui nous
mettrait au niveau de la moyenne provinciale. Ce serait indécent. Donc,
on a dit: Élaborons une stratégie en vertu de laquelle on va
compter sur d'autres types de ressources, sur d'autres approches, sur une
approche, comme vous dites, peut-être plus dynamique, plus
créative et peut-être moins coûteuse aussi tout en comptant
sur les ressources de la communauté.
Dans le secteur de la santé mentale, le pari était
à relever de façon aussi importante que dans les autres secteurs,
notamment étayé par le fait suivant, c'est que nous avons un
manque de ressources important dans le secteur de la santé mentale.
D'abord, il y a les psychiatres, je pense que ce n'est un
phénomène différent pour aucune des régions du
Québec, sauf Montréal et la région de Québec, et
les autres types de professions reliées à la réadaptation.
Alors, dans l'ensemble, on peut dire que, dans notre région, on souffre
d'une carence de services dits institutionnels traditionnels qui est
très grande. Ajoutez a cela la sectorisation en psychiatrie et vous avez
l'étanchéïté entre la région de la
Montérégie et celle de Montréal ou toutes les autres
à côté, que nous ne ne retrouvons pas dans les services de
soins physiques de courte durée, par exemple.
Cela, c'est un préjugé, en passant, qui est largement
répandu que la rive sud peut toujours compter sur Montréal pour
tous ces services. Ce n'est vrai que pour les services de soins physiques de
courte durée, ce n'est pas vrai pour l'ensemble de tous les autres
services, de telle sorte que notre carence de ressources, cela s'interinfluence
d'un secteur à l'autre parce que ce n'est pas une
étanchéïté absolue non plus, la santé mentale
étant influencée par le fait des familles monoparentales, par les
problèmes de drogue, par les problèmes de jeunes, par les
problèmes de familles en difficulté, etc., tout
s'interinfluençant. Je vous promets d'ailleurs, soit dit en passant, des
orientations en 1986-1991 où nous allons tenter un peu de faire une
analyse sociologique de tout ce phénomène dans la région
chez nous, l'effet que produit cette absence de ressources coordonnées
et cette incapacité que nous avons de le faire à cause du manque
de ressources.
Donc, les ressources communautaires sont venues comme une espèce
de sauve-qui-peut général. Cela a été criant dans
la communauté; donc, les groupes, les organisations se sont mis sur pied
et nous, à un moment donné, on est en demande parce qu'ils
veulent de l'argent et l'argent, le financement ne vient pas parce que cela ne
marche pas selon les règles officielles et administratives du
gouvernement, selon les règles de l'art. Alors, il faut faire toutes
sortes d'entourloupettes comme celle de faire du financement par les centres
hospitaliers comme pour les ressources en santé mentale. Cela, c'est une
des choses qu'on voudrait aussi voir clarifier. Ces ressources survivent de
peine et de misère avec des gens qui travaillent animés par un
bénévolat exceptionnel dans bien des cas, parce que j'appelle
cela du bénévolat que de travailler à des salaires
incroyables. Il y a des directeurs généraux de ressources
alternatives qui gagnent le même salaire qu'une secrétaire dans la
fonction publique. C'est une figure, mais cela donne un aperçu.
Je pense que, pour l'ensemble de la situation, même si on peut
dire qu'elle est optimiste, qu'elle est intéressante, si on veut que
cela progresse, il faut qu'il y a des pas en avant qui soient faits, des pas
significatifs dans le sens d'une politique qui clarifie les choses, les liens,
et qui permette que ces ressources puissent avoir le goût de travailler
avec les autres et de travailler ensemble.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux); C'est pourquoi je vous ai
interrogés d'un petit peu plus près pour aborder d'une certaine
façon les problèmes plus réels que ceux que vous nous
présentez dans votre plan d'action. C'est que, par un hasard des choses,
un concours de circonstances plutôt, j'ai rencontré quelqu'un de
la rive sud qui me disait que, dans un de vos grands centres hospitaliers
où il y a un département de psychiatrie important, il y a un peu
une espèce de sentiment... il y a eu des efforts extraordinaires, des
équipes fantastiques qui ont été mises sur pied, mais
où on ne fait que commencer, justement à cause de cette lourdeur,
parce que c'est un peu, comme vous le disiez, la porte tournante qui revient,
le soutien est tellement considérable à donner d'une façon
presque constante qu'il y a un peu une démoralisation et une
démotivation du personnel... Alors, c'est un
peu cela qui m'a fait - comme je vous le dis, c'est le jeu de
circonstances - vous interroger un peu sur ce qui apparaissait, à prime
abord, comme quelque chose signifiant: On n'a plus de problème, on a des
ressources alternatives. Mais je pense plutôt que le message que vous
avez voulu nous donner, c'est qu'il y a moyen d'obtenir que la
communauté se mobilise pour en créer, mais ce n'est pas la
réponse globale aux problèmes de la rive sud dans ce domaine. Je
ne sais pas si c'est bien cela.
Mme Landry-Balas: Vous touchez un point très important,
celui de la démoralisation des gens qui travaillent en santé
mentale et qui sont aux prises avec la porte tournante, toujours le retour des
mêmes patients et qui savent que, très souvent, en les voyant
sortir, ils n'auront pas la ressource pour les aider ou le suivi. Ce ne devrait
pas être nécessairement une ressource d'hébergement, mais
un suivi très proche qui devrait se faire. C'est dans ce sens. La
démoralisation est due aussi au sentiment qu'on n'a pas de pouvoir
là-dessus, qu'on ne peut rien changer. Ce pouvoir que chacun pourrait
avoir dans sa petite région ou dans sa petite sous-région serait
celui qui donnerait l'espoir, celui qui permettrait d'avoir une instance de
discussion sur ce qu'on fait maintenant. Je peux vous parler du centre
hospitalier où j'oeuvre et où, justement, il y a une
démoralisation du personnel à l'interne et même des
psychiatres qui voient qu'on ne peut pas hospitaliser à court terme des
gens qu'on pourrait réellement aider, parce que des lits sont pris
depuis bien des mois et même jusqu'à un an. Je pense que la
démoralisation est toujours intimement reliée à l'espoir
qu'on peut avoir et à l'espoir qu'on peut avoir un certain pouvoir de
changer des choses. Le pouvoir est relié justement à la
possibilité d'instaurer, de mettre sur pied, de participer
à...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Y a-t-il des
questions?
M. Laplante: D'accord, mais vous avez posé les trois
questions que je devais poser.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mon Dieu!
M. Laplante: Je peux en poser une autre.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député de Marie-Victorin.
Mme Tremblay: À la question, j'aimerais ajouter ici...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, Mme Tremblay.
Mme Tremblay: Un impact important de l'émergence des
ressources alternatives ou de la discussion sur la réinsertion sociale,
c'est l'amélioration de la qualité de vie pour le patient. Comme
les services disponibles sont limités à un type de soins
particuliers et spécifiques, le patient est souvent laissé sans
recours, comme on l'a déjà souligné - vous l'avez
souligné pour les personnes âgées aussi - et il va vivre
dans des conditions parfois lamentables, sans vie sociale, sans capacité
de s'intégrer, par exemple, au marché du travail, en étant
rejeté et exclu partout. Je pense que les ressources alternatives ont
fait un effort notable en ce sens et que cela a vraiment, dans les faits,
amélioré la qualité de vie des patients et des gens
concernés. Je pense que le problème, c'est qu'ils sont trop
souvent ballottés d'un type de services à un autre et qu'à
un moment donné ils doivent crier au secours pour avoir de l'aide. C'est
seulement lorsque la situation est critique qu'ils obtiennent du secours, faute
de ressources, faute de continuité. C'est très difficile aussi,
compte tenu que ce sont quand même des troubles variables. Ils vont
essayer une ressource. Ils vont essayer un autre type d'intervention. Ils vont
essayer quelque chose à l'externe, è l'interne et, chaque fois,
une coupure se fait. La personne qui obtient du soutien va l'obtenir avec des
personnes X, pendant trois mois, point. 5i elle passe au service externe de la
même institution, souvent cela va être une autre équipe. Si
elle va dans une famille d'accueil ou dans une ressource alternative, ce sera
encore une autre équipe. Ces personnes ont déjà des
difficultés à s'insérer socialement. Chaque fois, on leur
demande de s'adapter à un nouveau milieu social, à un nouvel
environnement. Je trouve que cela empire déjà leur isolement.
D'une part, elles sont plus isolées, parce qu'elles sont
déplacées d'une ressource à une autre et, souvent, elles
sont sans appui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce qui m'étonne,
c'est que vous me dites que, de l'interne à l'externe, l'équipe,
en totalité, doit être changée, mais est-ce
inévitable? Faut-il qu'il en soit ainsi?
Mme Tremblay: Veux-tu répondre?
Mme Landry-Balas: Cela arrive. Cela dépend de
l'organisation des services dans un hôpital donné. Il y a une
nouvelle notion ou, en tout cas, un nouveau terme qu'on emploie beaucoup
maintenant, en ce qui concerne les soins des malades psychiatriques chroniques,
les "young chronics" qu'on appelle, qui est le "case manager". C'est la
personne qui aide l'individu à passer de l'un à l'autre.
Malheureusement, cela ne se fait pas. Qui
devrait le faire? Est-ce que ce doit être la personne en charge
aux services internes ou externes? Ce n'est pas clarifié. En tout cas,
nous l'employons très peu. Il n'y a pas cette personne qui accompagne,
à travers toutes les allées et venues., Je pense que cela
pourrait aider beaucoup.
Pour répondre à votre question, c'est vraiment très
variable. Il y a des hôpitaux où c'est vraiment toute une autre
équipe qui suit à l'externe. Il y a des hôpitaux où
il y a quand même une continuité entre l'interne et l'externe.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord, merci.
M. Pratt: Le cas du "case manager", pour revenir è Mme
Balas, nous a été soumis, hier soir, par te directeur de Douglas.
Je trouve que c'est une idée très intéressante. Le sens de
mon intervention est celui-ci. Je constate que dans notre région,
malheureusement, comme dans bien d'autres aussi, il y a le rejet du malade
mental et qu'on a de la difficulté à insérer des
ressources alternatives. Alors, vous proposez, je pense bien, comme processus
d'intervention, d'accroître la tolérance et la capacité
d'accueil, la participation de l'ensemble de la communauté, je note cela
ici. Est-ce qu'il y aurait des organismes, sur le terrain, chez nous, comme -
je ne sais pas - l'Ami du malade mental ou la Maison d'intégration
Coteau rouge, est-ce qu'on pourrait faire appel à différents
groupes pour que vous soyez aidés dans cette tâche? Il va falloir
vraiment percer ce mûr - je ne dirais pas de... C'est pire que de
l'indifférence, c'est du rejet. Franchement, il y aurait un travail
à faire dans ce sens. Je me dis que tout doit être mis en oeuvre
pour essayer de faire comprendre aux gens que, si c'était un des leurs
qui était dans cette situation, ils seraient bien heureux de trouver une
résidence qui, justement, accepterait un cas semblable. Il devrait y
avoir une conscientisation de la population et je pense que le milieu devrait
être assez prêt à cela.
Mme Landry-Balas: C'est ce qu'on appelle l'apprivoisement. On a
eu à vivre avec différentes ressources alternatives. Il y en a
une, tout dernièrement, dans une de nos villes, qui a dû quitter
la place qui lui avait été louée à très bas
prix parce qu'il semble que les gens étaient dérangeants. D'autre
part, il y a d'autres expériences beaucoup plus positives. Je pense
à la ressource où j'étais membre du conseil
d'administration, qui s'appelle Espoir. Au début, il y avait beaucoup de
résistance dans l'environnement. C'est très près de
Longueuil.
M. Pratt: Sur Saint-Georges? Mme Landry-Balas: Oui.
M. Pratt: D'accord.
Mme Landry-Balas: On a consciemment été voir la
mairesse et les échevins parce que c'est par eux qu'on devait être
explusés à un moment donné. La population
réagissait. On les a invités, quand on a fait l'inauguration ils
étaient présents. On a été voir les voisins.
Maintenant, le marchand du coin est très impliqué parce que les
gens vont acheter là. Petit à petit... Il y avait une
école qui n'était pas très loin et un comité
d'école qui était inquiet aussi pour les enfants parce que les
patients psychiatriques se promenaient et que cela semblait être
dangereux. C'est étonnant, les efforts qui ont été faits,
comme il y a eu une sensibilisation de la population et même certaines
personnes sont maintenant membres de l'assemblée générale
et il y a des gens de la communauté au conseil d'administration. Cela
demande un apprivoisement.
L'autre, il existe, à Longueuil, Les Parents et Amis du malade
mental. C'est un organisme qui s'active de plus en plus, mais qui a aussi
beaucoup besoin du soutien des intervenants parce qu'ils sont très
démunis. Les parents et amis aussi. Cela va dans les deux sens. On a
besoin de s'apprivoiser les uns les autres. (20 h 45)
M. Guindon: De toute façon, malgré les efforts que
tout organisme peut faire - je pense que Mireille et moi, nous nous sommes
posé la question bien honnêtement, on peut tous se la poser:
Comment vivrions-nous, chacun, individuellement, le fait que, dans notre
voisinage, dans la maison d'à côté, chez le voisin d'en
face, ce soit une ressource alternative en santé mentale, qu'il y ait
des patients psychiatriques qui soient là et qui puissent, à nos
yeux, soit déranger notre environnement, soit diminuer la valeur de
notre propriété, soit créer des problèmes avec nos
enfants ou des choses comme cela? Il faut aussi se poser la question à
savoir quelle sorte d'attitude on peut développer dans une petite
microcommunauté comme celle-là pour faire en sorte que
l'implication du voisinage soit la plus positive possible. Je pense que la
réponse de Mme Louise Landry-Balas était un exemple de cela.
C'est toujours dans le plus immédiat des ressources et de leur
fonctionnement que les plus graves problèmes se posent. On a eu aussi
cette difficulté dans le secteur de la déficience mentale parce
qu'il y a des comportements de ces personnes qui, vu extérieurement en
tout cas, sont un peu apeurants pour l'environnement et pour les enfants ou
autres. C'est quelquefois aussi concret et pratique que cela, la situation
d'amalgame avec les personnes qui sont dans les ressources communautaires et
leur environnement immédiat.
Mme Tremblay: La peur est aussi faite d'ignorance et d'un tas de
stéréotypes et de préjugés. C'est par l'exposition,
c'est-à-dire que si dans la communauté immédiate il y a
une ressource alternative et qu'effectivement il n'y a pas de problème
majeur, à ce moment-là, tranquillement, la communauté
s'apprivoise et elle se rend compte que le reste, ce sont des
préjugés.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une dernière
question que je voulais poser. La population de la rive sud est
identifiée comme étant une population jeune, enfin
comparativement à Montréal, à moins que ce ne soit
modifié. On nous a rapporté après-midi le problème
du manque de ressources psychiatriques pour les adolescents - je parle de 16
ans en montant - chez vous - je voudrais mettre de côté tout le
problème de la protection de la jeunesse, c'est une autre chose -
comment composez-vous avec cette situation qui, peut-être, risque
d'être plus aiguë chez vous que dans le DSC Sacré-Coeur dont
on parlait cet après-midi, qui garde une population beaucoup plus
âgée que chez vous, il n'y a aucun doute là-dessus?
M. Guindon: Je dois vous dire que c'est l'une de mes souffrances
morales principales, comme directeur général du CRSSS, de ne pas
voir à l'horizon de solution pratique qui ferait que nos services en
pédopsychiatrie soient plus intimement intégrés et
reliés aux services qui se donnent d'autre part pour les jeunes dans la
région, notamment ceux qui se donnent dans les centres d'accueil de
réadaptation pour mésadaptés socio-affectifs. C'est une
situation qui, à mon point de vue, est difficile parce qu'il y a
effectivement chez cette clientèle, dans les centres d'accueil ou dans
leurs ressources, des jeunes qui ont des problèmes de comportement, des
jeunes qui ont des problèmes sur le plan de la maladie mentale et qui
ont certainement besoin de soutien, de ressources de type psychiatrique. Cela
est un problème qui est loin d'être résolu et on fait des
efforts assez considérables pour que les ressources se parlent
là-dessus et tentent de fonctionner ensemble.
Par ailleurs, évidemment, quand on se fait répondre
qu'on a tout juste le temps et la capacité de répondre aux
besoins les plus pressants et qu'on ne peut pas en prendre plus parce que cela
déborde de partout, que, pour les nouveaux besoins qui arrivent, on y
répondra quand on aura la possibilité de le faire... Ce n'est
peut-être pas la meilleure des raisons, mais cela reste une situation de
fait assez écrasante comme réalité. En gros, on va
continuer nos efforts. Je peux vous dire que cela se continue aussi fort.
D'ailleurs, après demain matin on a une rencontre avec le centre
hospitalier Charles-LeMoyne sur cette question et nous allons tenter encore une
fois d'amener la meilleure conciliation possible pour qu'il y ait une
collaboration plus intense qu'actuellement.
Mme Tremblay: Actuellement, en Montérégie, il n'y a
qu'un point de service qui offre une clinique externe et la possibilité
d'une hospitalisation, c'est à l'hôpital Charles-LeMoyne.
Dans les faits, il y a cinq lits pour les jeunes jusqu'à douze
ans environ. Il y a une clinique externe qui compte onze
pédopsychiatres, mais c'est très récent, et elle dessert
toute la région. Pour ce qui est des adolescents, c'est-à-dire
douze ans en montant, ils sont admis; il y a une possibilité de quinze
lits, mais c'est avec les adultes. Ils n'ont aucun service à eux. Ils
ont un programme de jour. Mais, encore là, le programme de jour peut
desservir seulement Longueuil, parce qu'ils doivent se déplacer. Or,
tous les autres doivent partir de Sorel, de Saint-Hyacinthe ou de Granby pour
venir à Longueuil. C'est beaucoup trop loin, ou, au pis aller, à
Sainte-Justine.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie encore
une fois, au nom des membres de la commission. Je pense que c'est un
échange qui nous a beaucoup intéressés.
M. Guindon: Cela nous a fait grandement plaisir.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci. Le prochain groupe
est le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du
Québec. Si vous voulez vous approcher.
On est rendu au 22. M. Auclair, je crois.
M. Côté (Réjean): M. Michel Auclair est
là. Je m'appelle Réjean Côté, je suis agent de
développement.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon.
Regroupement des ressources
alternatives en santé mentale
du Québec Inc. et PAL Inc.
M. Côté (Réjean): J'aimerais vous
préciser que le groupe PAL ainsi que le regroupement ont
décidé de faire une présentation ensemble à partir
de leur mémoire respectif. En ce sens-là, nous avons un texte,
peut-être pas en copies suffisantes pour l'ensemble des gens ici, qui
pourrait résumer un peu les deux mémoires, le synthétiser
et peut-être permettre un échange plus en profondeur par la
suite.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Alors,
pourriez-vous simplement
présenter les gens qui sont autour de la table pour le Journal
des débats?
M. Côté (Réjean): Étant donné
la composition de notre présentation, je vais laisser les gens se
présenter eux-mêmes.
M. Auclair (Michel): Michel Auclair. Je suis président du
Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du
Québec. Je suis président de Solidarité-Psychiatrie, qui
est un organisme de base. Je suis membre du comité de coordination du
Regroupement des ressources alternatives et communautaires en santé
mentale de l'île de Montréal. Je suis aussi représentant
communautaire à un comité aviseur pour la région
centre-est de l'île de Montréal.
M. Châteauneuf (Guy): Je suis Guy Châteauneuf,
coordonnateur du Réseau d'aide Le Tremplin, à Drummondville, qui
est un organisme communautaire en santé mentale de cette localité
et aussi...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le réseau
d'aide?
M. Châteauneuf: Le Réseau d'aide Le Tremplin.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le Tremplin.
D'accord.
M. Châteauneuf: C'est un organisme communautaire qui est
né de l'implication de la collectivité locale de Drummondville.
Je suis aussi vice-président du Regroupement des ressources alternatives
en santé mentale du Québec.
M. Dore (Daniel): Daniel Dore. Je viens de Drummondville. Je suis
membre du conseil d'administration du Réseau d'aide Le Tremplin. Je suis
membre du Regroupement des alternatives en santé mentale et je travaille
à la permanence, dans ma sous-région, d'une table de concertation
des organismes communautaires et bénévoles.
Mme Ménard (Louise): Louise Ménard. Je suis
secrétaire au projet PAL et je suis aussi ex-patiente psychiatrique.
M. Nadeau (Pierre): Je suis Pierre Nadeau. Je suis membre du
conseil d'administration du projet PAL et aussi résident de la Maison de
transition du projet PAL.
Mme Blanchard (Michèle): Je suis Michèle
Blanchard, coordonnatrice du projet PAL et aussi porte-parole siégeant
à la table provinciale du regroupement.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci.
M. Auclair: Mme la Présidente, c'est avec plaisir que nous
soumettons ce mémoire à la commission des affaires sociales.
Comme nous considérons importante la consultation que vous faites
maintenant, nous sommes heureux d'y participer en vous faisant part de notre
réflexion sur un aspect ou l'autre du dossier de la santé
mentale. Nous profitons de l'occasion pour vous souhaiter un franc
succès dans vos travaux. Merci.
Parler de ressources alternatives au Québec, c'est
d'emblée faire référence à un effort
concerté d'individus désirant développer les ressources
légères en santé mentale près du milieu naturel de
ceux et celles qui en font usage. Ces ressources sont redevables auprès
du milieu de tous les aspects de leur intervention.
Parler de ressources alternatives, c'est aussi faire
référence aux besoins fondamentaux des personnes. Elles offrent
d'abord écoute, chaleur humaine et entraide et visent comme
finalité la prise en charge par les personnes elles-mêmes.
De plus, ces ressources alternatives sont issues du milieu, facilement
accessibles, et leur approche s'appuie sur une relation d'entraide
personnalisée. Cette approche se veut globale en tenant compte de tous
les aspects de la vie d'un individu par rapport à un contexte social
donné et vise son intégration à cette
société dans le respect des désirs et des aspirations des
gens concernés. Ces ressources alternatives, en possédant leur
couleur locale, en offrant un certain nombre de services souples et
diversifiés selon les besoins et les aspirations des individus,
constituent une alternative à l'hospitalisation et à la
médication et répondent à des lacunes importantes du
réseau actuel des services. C'est à partir de cette
définition générale que le Regroupement des ressources
alternatives en santé mentale du Québec Inc. fonde sa
réalité et son intervention, notamment en travaillant à
développer dans le Québec un réseau de haltes-crises dans
un contexte alternatif, en travaillant à la promotion et à la
défense des droits et des recours possibles pour les personnes
traitées en psychiatrie, en travaillant à sensibiliser la
population à l'existence des ressources alternatives en santé
mentale et à développer de telles ressources tant dans les grands
centres urbains qu'en région, en travaillant sur le dossier santé
mentale et jeunesse - d'ailleurs, un forum aura lieu cet automne è
Drummondville - etc.
M. Côté (Réjean): Mmes et MM. les
députés, vous n'êtes pas sans savoir que l'implantation
d'un modèle alternatif ne se fait pas sans soulever certaines questions
qui
ont une incidence directe ou indirecte sur une nouvelle politique en
santé mentale, à savoir: Est-ce que cette nouvelle politique
permettra une réelle actualisation des principes de participation des
gens concernés, des principes d'accessibilité des services ainsi
que des principes touchant la globalité d'intervention dans le milieu
naturel? Cette nouvelle politique mettra-t-elle au premier plan l'information
et favorisera-t-elle un travail dans et avec la communauté?
S'assurera-t-on de sa participation aux prises de décision? Permet-elle,
cette politique, de mettre en évidence les valeurs, les attitudes qui
caractérisent l'intervention en alternative? Vise-t-elle à
créer des structures dont la base est intimement liée à la
communauté environnante? Cette politique en santé mentale
dénonce-t-elle fortement toutes les pratiques aliénantes en
santé mentale et, conséquemment, leur disparition? Met-elle assez
l'accent sur la responsabilité et la complicité des personnes,
des proches de la communauté? Insiste-t-elle assez sur les conditions de
travail dans les ressources et l'incidence de ces dernières sur les
interventions? Cette politique est-elle assez vigilante sur les
différents aspects qu'implique une gestion décentralisée?
Insiste-t-elle assez sur le travail multidisciplinaire? Cette politique
précise-telle assez les modalités de fonctionnement et
d'accès aux ressources communautaires locales de crise, de soutien, de
réinsertion et d'hébergement? Est-ce que ces modalités
s'adapteront aux besoins changeants des usagers/usagères? Pense-t-elle
suffisamment la problématique de la santé mentale à
l'intérieur d'un projet de société? Cette politique
rend-elle compte suffisamment de notre volonté d'atteindre une gestion
autonome et en fonction des besoins de développement des ressources
alternatives?
Ces questions et d'autres sont pour nous, du Regroupement des ressources
alternatives en santé mentale du Québec, fondamentales. Nous
aimerions que la nouvelle politique en santé mentale en tienne
compte.
M. Châteauneuf: En ce qui concerne les
éléments de réflexion, justement pour une politique en
santé mentale, au sujet de l'autonomie de la personne, nous aimerions
que l'accent soit mis sur la personne, sur son autonomie, sur sa
capacité à prendre des décisions, à faire des
choix, à juger de l'étendue des restrictions à l'exercice
de ses activités habituelles, la personne elle-même. Cette
personne doit donc s'attendre à ce que le savoir qu'elle possède
sur sa souffrance soit reconnu, ainsi que sa capacité à avancer
elle-même des solutions è ses propres problèmes. (21
heures)
Concernant une approche personnalisée et centrée sur les
besoins, nous aimerions que toute intervention se fasse à partir d'une
approche personnalisée, justement, reposant sur des efforts
concertés qui mettent au premier plan ce que nous appelons l'option
milieu, C'est ce qu'on pourrait appeler une intervention graduée, qui
partirait dans un premier temps des ressources personnelles de la personne
intéressée, elle-même, qui irait ensuite aux amis, à
la famille, ensuite à ce qui existe et qu'on appelle des groupes
informels, loisirs, activités culturelles, voisinage et quartier. Qu'on
tienne aussi compte, dans une graduation d'interventions quand un
problème se pose, des groupes communautaires formels, que ce soit les
associations de locataires, les coopératives, les groupes de femmes ou
les associations de personnes divorcées, qu'on tienne compte de ces
réalités-là. Aussi, lorsque le problème demeure,
à ce moment-là, dans une intervention graduée, qu'on
développe des ressources alternatives en santé mentale,
c'est-à-dire des ressources bénévoles et communautaires
dont l'action première est en santé mentale. Ensuite, lorsque le
problème demeure, il y a lieu de faire appel au réseau public et
parapublic, que ce soit le CLSC, le CSS, la famille d'accueil, d'autres
ressources comme les services externes de main-d'oeuvre ou l'Office des
personnes handicapées, dans un tel dossier. Enfin,
l'établissement public en tant que tel, l'institution où on parle
d'hospitalisation. Pour nous, cet aspect milieu est très important.
Depuis une quinzaine d'années, s'est développée, un peu
sans politique réelle, toute une démarche qu'on appelle
aujourd'hui une approche communautaire qui s'est créée depuis les
années soixante-dix, tout au moins, à coups de projets de
création d'emplois, et tout cela s'est développé dans
différents domaines, soit celui des jeunes, celui des personnes
âgées ou celui des personnes handicapées, toute cette
réalité qu'on appelle aujourd'hui les organismes
communautaires.
Je pense que, dans un premier temps, le gouvernement a beaucoup
suscité le bénévolat durant un bon nombre d'années.
Je pense que cela a beaucoup ajouté à la qualité des
services et à la qualité de vie d'un milieu. On a établi
beaucoup de rapports, on a beaucoup essayé d'imbriquer ensemble le
bénévolat, d'une part, et les services publics, d'autre part.
Mais, je pense qu'aujourd'hui il faut reconnaître qu'il y a une
réalité autre que le secteur public et le
bénévolat, c'est l'approche communautaire. On se dit qu'en
santé mentale cette approche ou cette réalité doit
être prise en compte. Dans une option milieu où on favorise
l'implication de la personne elle-même, de la famille, du quartier et des
collectivités locales, où il y a émergence de groupes en
santé mentale qui sont spécifiquement voués à venir
en aide aux
personnes, je pense que c'est important de tenir compte de cela, dans
une approche graduée, et ensuite de faire appel à des ressources
du secteur public qui interviennent lorsque, vraiment, il y a lieu de
procéder à une hospitalisation ou à un séjour de
longue durée, mais en dernier recours.
Concernant les ressources du milieu, justement, nous demandons que soit
reconnue, au préalable, l'implication des ressources alternatives,
puisque cette implication est le reflet des besoins de la communauté, et
que soit intensifiée l'implication des autres ressources du milieu,
centres de bénévolat, groupes de femmes, maisons de jeunes,
coopératives d'habitation. Quand on décrit les ressources
bénévoles ou communautaires en santé mentale, on demande
souvent si ces ressources sont complémentaires aux établissements
publics, aux départements de psychiatrie. Nous disons que, dans la
réalité quotidienne qu'on vit, notre
complémentarité est beaucoup plus avec les autres ressources du
milieu, avec les groupes de femmes, avec les associations de personnes
divorcées ou séparées, avec les associations de locataires
ou les coopératives d'hébergement. Notre
complémentarité et notre travail sont beaucoup plus à ce
niveau. C'est une complémentarité qui est beaucoup plus
horizontale. Pour nous, c'est extrêmement important, si on veut que la
collectivité possède un tissu social qui permette de contenir un
peu des manifestations et de résoudre des problèmes de
santé mentale dans sa population.
En ce qui concerne les programmes d'information et de sensibilisation,
nous aimerions que les intervenants et intervenantes en ressources
alternatives, les personnes ayant vécu des problèmes
émotionnels et psychologiques ou ceux qui ont
bénéficié de services psychiatriques soient les agents
d'information auprès du public et que, conséquernment, on leur
fournisse de l'argent pour cela. Que les agents du milieu naturel, les
curés dans les presbytères, les épiciers, les barbiers ou
les policiers, soient aussi adjoints à tout programme d'information et
de sensibilisation. Que les ressources alternatives assument efficacement,
à leur niveau et dans leur région, toute la sensibilisation d'un
milieu par des programmes d'information conséquents et
adaptés.
En ce qui concerne l'autonomie des ressources alternatives, nous
aimerions que soit reconnue aux ressources communautaires et aux ressources
alternatives une place prépondérante par rapport à
certains services, à leur responsabilité quant à certaines
activités et à leur rôle d'initiateurs de programmes
d'information. Que les ressources alternatives bénéficient d'une
autonomie qui leur soit reconnue par le ministère des Affaires sociales,
les CRSSS, les CSS et autres établissements publics.
Concernant les droits de la personne, sur un point précis, nous
aimerions que des comités d'admission en institution - cela s'inscrit un
peu dans certaines politiques de développement, dans un projet de
repenser la politique de santé mentale - possèdent une formule de
fonctionnement qui assure le respect des droits des gens.
Concernant le plan de services, nous aimerions que dans
l'élaboration d'un plan de services la personne puisse y participer,
ainsi que la famille et que, dans le cas d'une compensation économique,
celle-ci soit donnée à la personne même plutôt
qu'à la famille, afin de favoriser l'autonomie de cette personne, et que
soient précisées les modalités permettant cette
implication.
Concernant la formation des intervenants et intervenantes, nous
aimerions qu'on donne aux ressources alternatives le soutien - financier et
autres - pour développer les moyens d'informer les usagers et
usagères et aidants et aidantes, conformément à la
réalité des ressources alternatives, afin de favoriser
l'autonomie et la prise en charge, de se ressourcer et de partager les
expériences.
Concernant la recherche, nous aimerions que la recherche soit en accord
avec les besoins exprimés par la population elle-même et les
intervenants et intervenantes; qu'un budget soit mis en place pour soutenir
adéquatement ces recherches et qu'un budget spécial puisse
être accordé aux ressources alternatives pour effectuer leurs
propres recherches.
M. Dore: Ce que j'aurais dû préciser au cours de ma
présentation tout à l'heure, c'est que c'est mon passé
psychiatrique qui m'a amené à m'impliquer au niveau des
organismes communautaires.
Au niveau de l'aide et de l'intervention non spécialisées,
nous aimerions qu'une allocation des ressources privilégie les
ressources alternatives afin de renforcer le réseau social des personnes
ayant des problèmes de santé mentale, car ce réseau leur
apporte une aide naturelle intégrée dans leur milieu de vie.
Par rapport au démantèlement des milieux asilaires, nous
aimerions qu'on procède au démantèlement des milieux
asilaires avec hébergement de longue durée, peu
professionnalisés et qu'on se tourne vers le développement de
petits pavillons gérés par des organismes sans but lucratif qui
ont une approche positive de la santé.
Le suivi de l'intervention. Nous aimerions que, selon le type de
ressources, une réévaluation périodique des besoins des
personnes à risque soit faite.
Au niveau de la cure fermée et de la curatelle, nous aimerions
qu'une révision périodique de la curatelle soit faite de
façon
à permettre à la personne d'avoir la possibilité de
juger par elle-même de cette nécessité et d'y
adhérer ou non et ce, dans le respect de ses droits.
Au niveau de l'organisation des services, nous aimerions que soit
précisée, au préalable, la distinction entre soins et
services aux malades mentaux et services liés à la santé
mentale. Les premiers devraient relever de la compétence du
réseau des institutions quand l'urgence de la situation le
nécessite. Les derniers devraient être sous la
responsabilité de la communauté qui, elle, voit à mettre
sur pied des services communautaires, notamment des ressources alternatives
locales, des haltes-crises, des services de soutien et d'entraide, des
associations de promotion et de défense de droits. Cette distinction,
toutefois, s'inscrit dans une démarche où l'intervention est
graduée.
Les références aux établissements. Il est
recommandé qu'une bonne partie des références aux
établissements se fasse par l'intermédiaire des ressources
alternatives et communautaires.
L'équipe professionnelle. L'intervention de l'équipe
professionnelle de santé mentale ne devrait avoir lieu que
consécutivement et, dans la plupart des cas, à la demande de
l'une ou l'autre des ressources communautaires ou des ressources alternatives,
notamment lorsqu'une intervention graduée l'exige (intervention
lourde).
Il est recommandé que l'équipe professionnelle
considère que les ressources alternatives du milieu puissent disposer
des moyens pour travailler étroitement avec les professionnels en
cabinet privé pour autant que la santé mentale de leur
clientèle, celle des ressources alternatives, est concernée.
Concernant le réseau de haltes-crises, il est recommandé
que les haltes-crises et les centres de répit soient planifiés
localement, sous-régionalement et régionalement par des personnes
représentatives de la communauté et en fonction de leurs
besoins.
Au niveau des centres de santé, il est recommandé que
l'équipe locale des centres de santé s'adjoigne des intervenants
du milieu, des personnes ayant des problèmes émotionnels et
psychologiques et des agents du milieu naturel, etc.
Au niveau du travail, il est recommandé que l'on se penche sur la
problématique de réinsertion à l'emploi pour les personnes
ayant des problèmes d'ordre émotionnel et psychologique et qu'un
soutien financier leur soit assuré.
Au niveau de la condition féminine, il est recommandé
qu'une attention particulière soit accordée à la
réalité spécifique des femmes.
Au niveau des commissions administratives régionales, il est
recommandé qu'à ces commissions administratives régionales
siègent en nombre égal les représentants de la
communauté et des établissements du réseau.
Partenaire valable. Il est recommandé que le regroupement
participe à toute révision des lois et règlements touchant
de près ou de loin la santé mentale et participe à
l'implantation d'une nouvelle politique en santé mentale dans la mesure
où celle-ci s'inscrit dans les buts et objectifs du regroupement.
Au niveau des pouvoirs du ministère des Affaires sociales, il est
recommandé que celui-ci accorde un mandat spécifique, basé
sur une décennie, pour développer l'approche écologique
par le développement des ressources alternatives.
M. Côté (Réjean): Maintenant, nous voulons
céder la parole aux intervenants et intervenantes de PAL pour qu'ils ou
qu'elles fassent part de leur réalité, notamment sur la question
de l'hébergement et de la nécessité d'établir des
tables de concertation dans chaque région ou sous-région.
Mme Ménard: Quelques données. Ces données
sur PAL ne sont qu'un palier des difficultés que vivent les ex-patients
psychiatriques, mais nous avons choisi de parler de celles-ci. Avant d'apporter
quelques éléments de réflexion au sujet de la
réinsertion sociale, nous aimerions rappeler quelques
données.
On estime à plus de 20 000 le nombre de personnes ayant des
problèmes émotionnels au Québec, dont la plupart vivent
seules et sans soutien adéquat. Depuis 1955, le nombre de patients et
patientes des hôpitaux psychiatriques en Amérique du Nord a
diminué de près de 70 %. À titre d'exemple,
l'hôpital Louis-Hyppolyte-
Lafontaine a réduit le nombre d'internés de 6000 à
2300 patients et patientes. Selon des chiffres officiels de l'hôpital
Douglas, il y a 3323 suivis à l'externe (rapport annuel, 31 mars 1984)
pour les régions de LaSalle, Verdun Est, Verdun Ouest, Côte
Saint-Paul, Ville Émard et Pointe Saint-Charles, ce qui signifie qu'une
équipe multidisciplinaire travaille auprès de 550 patients et
patientes, alors qu'il y a douze ans elle travaillait auprès de 150
à 175 patients et patientes. De plus, pour 1983-1984, à
l'hôpital Douglas, il y a eu 1323 admissions en psychiatrie et, pour la
même année, 1330 congés.
Verdun Est et Pointe Saint-Charles sont les régions où le
niveau des revenus est plus bas et où la situation du logement est la
plus dégradée. Verdun Est regroupe la population la plus dense
à l'intérieur du carré géographique 06A, à
savoir 68 000 personnes, dont 10 % - chiffres officiels -sont
bénéficiaires de l'aide sociale et 14 % sont chômeurs.
Croyez-nous, il faut les
côtoyer pour voir comment s'installe, chez les personnes ayant des
problèmes émotionnels, un niveau d'anxiété
dès la mi-mois, sinon avant. Il nous faut ajuster notre intervention en
conséquence.
C'est à Verdun Est que l'on retrouve un plus grand nombre de
maisons de chambres. De plus, comme au centre-ville de Montréal, la
disparition des logements à prix modique a entraîné une
situation critique. Les gens "émigrent" de plus en plus en
périphérie. À titre d'exemple, une étude
démontrait que dans le quartier Saint-Jean-Baptiste les facilités
d'hébergement des maisons de chambres ont diminué de 44 % de 1979
à 1982. Bon nombre de ces "emigrants" viennent à Verdun Est
à cause des prix moins élevés des chambres. Cela laisse
présager une situation critique dans un avenir très
rapproché.
Il faut ajouter è cette situation que la plupart des membres -
plus de 300 - de PAL vivent seuls en chambre ou dans un appartement d'une
pièce et demie; qu'ils ont pour revenus 440 $ par mois ou 160 $ pour les
moins de 30 ans sans certificat médical. Alors que, plus on se
déplace vers l'ouest de la région 06A, plus les personnes ayant
des problèmes émotionnels demeurent dans leur famille, ce qui
signifie qu'à Verdun Est et à Pointe Saint-Charles les ressources
familiales sont inexistantes et cela a une forte incidence sur la situation du
logement.
Il existe 300 familles d'accueil qui ont des résidents et
résidentes ayant des problèmes émotionnels dans la
région sud-ouest. Nous avons dénombré un minimum de treize
propriétaires de maisons de chambres, ce qui permet d'établir
qu'il y a un minimum de 153 chambres.
M. Nadeau: Nos recommandations sont des tables de concertation
ouvertes sur le milieu. Afin de s'assurer que ces tables de concertation
réelle, ouvertes sur le milieu, sont formées de OSBL, pourraient,
à titre d'exemple, y siéger des personnes ayant des
problèmes émotionnels, des citoyens et citoyennes, des
professionnels, des gens du milieu des affaires, du milieu du travail, du
milieu communautaire ainsi que du milieu des ressources alternatives, etc., et
autres personnes issues de groupes actifs concernés par la santé
mentale. 2. Ce comité aurait comme principal rôle de planifier le
processus de réinsertion sociale sur une base régionale ou
sous-régionale, selon le cas, tout en s'appuyant sur une
stratégie d'intervention afin que les démarches de
réinsertion ne se fassent pas de façon anarchique, arbitraire,
etc. (21 h 15)
Troisième point, ce comité pourrait s'interroger: a) sur
ce qu'on entend par réinsertion sociale, sur les ressources à
mettre en place, les responsabilités, etc.; b) sur la capacité du
milieu à vivre et à assumer cette réinsertion; c) sur ce
que signifie la décentralisation; d) sur les attitudes è
éviter et d'autres à favoriser pour assurer un bon climat social;
e) sur la réinsertion sociale à l'emploi, par exemple, la
création d'une entreprise à but lucratif pour les gens
concernés, etc., afin que par un processus de valorisation individuelle
on puisse, dans la mesure du possible, viser è des retombées pour
la communauté; f) sur un programme d'information et de sensibilisation
qui a fait l'objet d'une réflexion concertée et qui s'appuie sur
les caractéristiques propres du milieu. Cette information et cette
sensibilisation devraient être adaptées selon les
catégories de gens comme, par exemple, une association de
propriétaires, de locataires, d'industriels, de commerçants,
etc.; g) sur des études pertinentes à effectuer pour consolider,
développer, analyser ce processus de réinsertion sociale sous
tous ses aspects. Le comité verrait à assurer une collaboration
entre les chercheurs (et les chercheuses) et la communauté et à
soutenir leurs recherches; h) sur la mise sur pied d'équipes de
travailleurs et de travailleuses de rue qui auraient un lien direct avec le
milieu, le quartier. Ces équipes multicisciplinaires verraient à
offrir des services de soutien, de surveillance appropriée afin que les
personnes ayant des problèmes émotionnels atteignent une certaine
stabilité dans leur vie. Ces équipes verraient aussi à
offrir un soutien à la famille et è accomplir un important
travail de prévention, de sensibilisation dans le quartier. Bref, ces
équipes issues du milieu et travaillant dans le milieu feraient un lien
entre les personnes ayant des problèmes émotionnels, le milieu
hospitalier, la communauté, tout en prenant racine dans les ressources
alternatives en santé mentale.
Mme Blanchard: Nous croyons aussi que le comité pourrait
s'interroger sur la nécessité de reconnaître, d'une part,
le travail des ressources alternatives en santé mentale, lequel travail
s'appuie sur l'option du milieu et sur l'intervention graduée dont on
parlait un peu plus haut et, d'autre part, le financer adéquatement,
c'est-à-dire en parlant de budget de consolidation, budget de formation
et budget de recherche.
On aimerait aussi que le comité se penche sur la
préservation et l'amélioration des services communautaires
favorisant la réinsertion sociale des personnes ayant des
problèmes émotionnels, c'est-à-dire, par exemple, les
services d'éducation, de formation, de loisirs, etc., et qu'une liste de
tous les services offerts soit largement
diffusée dans le milieu. Afin de garantir l'accès è
ces services, à ces activités aux personnes ayant des
problèmes émotionnels, on aimerait que ces services soient
gratuits et effectués dans la communauté. Les activités
ayant des coûts quelque peu élevés se trouvent à
exclure ipso facto les intéressés à cause de leur
situation financière, par exemple, pour l'éducation populaire. Le
comité devrait voir à donner aux services communautaires un
caractère permanent afin de ne pas susciter de faux espoirs. C'est une
des critiques qu'on reçoit beaucoup chez nous.
Sur la situation de l'hébergement, on aimerait, dans un premier
temps, une étude pour préciser ce que recoupent
concrètement les maisons de chambres, c'est-à-dire les
données socio-économiques, les conditions de vie, etc., pour
connaître réellement la situation des logements à prix
modique et les besoins immédiats et futurs, pour faire des
recommandations spécifiques. Ce comité devrait voir à ce
que des programmes soient mis à la disposition de propriétaires
de maisons de chambres pour les encourager à procéder à
l'entretien des lieux. Le comité, en s'associant à d'autres
intervenants, verrait à ce que les propriétaires de maisons,
après rénovation, n'abusent pas de la situation par une hausse de
loyer, ni qu'ils privilégient uniquement les personnes n'ayant pas de
problème émotif. Enfin, le comité devrait s'assurer que la
présente réserve de logements à prix modique soit
préservée et améliorée.
Enfin, le comité pourrait se pencher sur la
nécessité de faire des représentations auprès des
différents gouvernements, provincial et fédéral, pour
augmenter substantiellement les allocations de logements à prix modique
pour personnes à faible revenu.
De plus, considérant que le coût approximatif pour
l'hospitalisation d'un ou d'une patiente est de 100 000 $ par année et
que les cas de retour en institution sont de 90 % dans certaines
régions, nous aimerions qu'une partie de ces montants soit
affectée à des comités de réinsertion sociale,
comme défini plus haut, et que des budgets soient accordés pour
consolider et développer les ressources alternatives et bien
d'autres.
M. Auclair: Nous voulons donc réitérer notre
désir d'engager, de continuer ou de reprendre les dialogues sur les
divers aspects de la problématique de la réinsertion sociale pour
les personnes ayant des problèmes émotionnels et psychologiques
avec l'ensemble des participants décideurs, partenaires et intervenants
préoccupés par la santé mentale. Chacun a une contribution
nécessaire à apporter dont, principalement, les concernés
et les usagers.
Merci de votre attention, en espérant que ces quelques
éléments de réflexion seront utiles pour les travaux de la
sous-commission. Nous attendrons avec intérêt les résultats
de votre commission. Merci.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je veux remercier
à la fois le Regroupement des ressources alternatives en santé
mentale du Québec et le groupe PAL (Alternance en santé mentale)
pour leurs mémoires et d'être venus se présenter devant la
sous-commission.
Vous dites espérer que ces quelques réflexions vont
alimenter nos discussions. Il y a beaucoup de matériel, même dans
ce qui maintenant est un résumé de votre premier mémoire
qui était encore plus détaillé quant aux exemples qui
étaient apportés. Inutile de vous dire que, dans ce sens, vous
nous avez apporté beaucoup de matériel.
Ceci étant dit, il est évident que votre approche, dans
votre première partie, c'est-à-dire les questions que vous posez,
cela s'adresse à ceux qui vont définir la politique de la
santé mentale. Je pense qu'il y en a qui sont ici, comme fonctionnaires
de l'État, qui doivent faire ce boulot. Vous leur posez passablement de
questions et je suis sûre qu'ils vont en tenir compte.
Je passerai plutôt à la page 6. Avant de poser une question
précise, je dirais que vous faites un cheminement à l'inverse, ou
presque, de la pratique psychiatrique traditionnelle. Par exemple, si je me
réfère à vos éléments de réflexion
pour une politique en santé mentale, sur l'approche personnalisée
et centrée sur les besoins, par exemple, on parle des ressources
personnelles de l'individu, on va vers son milieu, on va vers la
communauté et, progressivement, en dernière étape, on va
vers l'institution interne, alors que ce qu'on observe d'une façon
générale, je pense, c'est qu'on va vers l'institution.
Peut-être qu'on fait non pas nécessairement exactement la
démarche inverse, parce qu'on s'occupe quand même de la famille
avant, la communauté ou ces choses-là, mais, lorsque vous dites
de faire un peu ce cheminement inverse, ne pensez-vous pas que le patient
lui-même, le bénéficiaire ou la personne qui est à
la recherche d'aide fait lui-même appel à l'institution, que ce
soit l'hôpital ou une institution du réseau? Je voudrais quand
même que vous explicitiez là-dessus. Voulez-vous dire qu'il faut
faire appel à l'hôpital ou à l'institution du
réseau, mais que l'institution, dans les solutions offertes, doit faire
le cheminement un, deux, trois, quatre, cinq, six? Voulez-vous dire cela?
J'ai l'impression que c'est une démarche renversée. Je
pense que c'est bon dans le sens qu'on doit toujours recourir à
l'institution, particulièrement à l'institution en fonction de
ses services internes, en dernier ressort, mais il reste aussi qu'il y a
des réalités qui font que le processus ne se met pas
nécessairement en marche de la façon dont vous le
souhaiteriez.
M. Châteauneuf: C'est une question intéressante, Mme
la Présidente. J'aimerais y répondre, vu que j'ai abordé
un peu cet aspect dans notre texte. Effectivement, je pense qu'on parle
beaucoup de désinstitutionnalisation ces jours-ci, ces années-ci.
Pour reprendre une parole qui a déjà été dite, le
problème majeur, ce n'est pas de sortir les gens des hôpitaux,
mais c'est d'éviter d'y entrer.
Quand on fait - je pense que le ministère va un peu dans le
même sens - le bilan des services actuellement disponibles, on constate
que la majorité des services est de type médico-hospitalier qui
sont loin de répondre a l'ensemble des besoins de la population. Il y a
une absence de filet préventif. La population a été un peu
habituée, peut-être avec le démantèlement du tissu
urbain, à se décharger un peu des problèmes auxquels elle
est confrontée, pour faire appel à des spécialistes.
Il y a évidemment - je pense que cela ne changera pas du jour au
lendemain - une demande, chez une bonne partie de la population, de faire appel
à des spécialistes, à des gens savants, à des gens
comme des médecins ou des psychiatres, souvent. Par contre, il faut
rappeler que ces gens sont frustrés dans leurs attentes aussi. Souvent,
le médecin, le psychiatre est peu disponible sur l'étage. Il ne
faut pas se leurrer sur ce type de demande, mais il y a bel et bien une demande
comme celle-là et je pense qu'il faut un changement de mentalité
qui va se faire de façon progressive.
Ce que nous voulons souligner, c'est que l'implication de la
communauté, en santé mentale, est possible. Elle s'est
développée, de toute façon, dans différents
secteurs, dans ce que j'appelais tantôt l'approche communautaire. En
santé mentale, il faut que ce type d'approche soit suscité. Cela
va développer - je parlais tout à l'heure d'une
complémentarité qui se veut d'abord horizontale - des tissus qui
vont éviter des hospitalisations et je pense que c'est là que
l'accent doit être mis. Il y a le problème de sortir les gens de
l'hôpital, mais aussi une réflexion à faire sur la
façon d'éviter que ces gens soient hospitalisés.
À Drummondville, l'expérience concrète qu'on en a -
je pense que, dans d'autres ressources alternatives, c'est pareil - c'est que
la communauté est ouverte au fait de venir en aide à des gens qui
sont confrontés à des problèmes de santé mentale.
Quand on parle de programmes de création d'emplois temporaires, les
organismes communautaires sont ouverts à engager des gens qui ont des
problèmes de santé mentale pour leur offrir des emplois. La
communauté a des possibilités et c'est cela qu'il faut
réhausser, qu'il faut stimuler. La présentation du CRSSS de
Montérégie a été très intéressante,
dans ce sens. Ils ont fait un effort dans ce domaine et je pense qu'ils sont
très satisfaits du cheminement qu'ils ont entrepris. C'est un peu ce
qu'on veut souligner quand on parle d'une option de milieu, intensifier ce
tissu social.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans votre esprit, vous
dites qu'il faudrait que les mentalités évoluent. Est-ce que la
personne qui a un problème de santé mentale, en admettant que les
mentalités évolueraient, possiblement - je parle de quelqu'un qui
n'a jamais été impliqué dans les organismes alternatifs ou
communautaires, mais quelqu'un, chez lui - irait d'abord frapper chez vous
avant d'aller frapper à l'hôpital? Est-ce que c'est cela que vous
souhaitez?
Mme Blanchard: Je ne sais pas si vous m'entendez. Une des
réalités, à PAL, touche exactement ce que vous nous dites.
Je crois qu'on a presque 400 membres réguliers, chez nous. Il existe, en
effet, une population longtemps habituée à se rendre directement
chez le psychiatre ou chez le thérapeute, avec beaucoup de frustrations;
c'est une habitude qui est là, je pense. Il existe de plus en plus - et
nous en souffrons - chez nous, de jeunes qui n'ont pas eu cette habitude et qui
demandent à tout prix de trouver d'autres solutions que celle de se
rendre à l'hôpital. À cause du manque de ressources, nous
nous retrouvons avec des situations de crise aiguë et dans un "double
bind", si on peut dire, une ambiguïté, parce qu'on essaie
d'éviter de frustrer la personne en lui disant: Le seul recours, dans ta
vie de crise, est actuellement l'urgence de l'hôpital, mais il n'y a rien
d'autre. Je dois vous avouer que, chez nous, de plus en plus, la demande est
clairement là. Quand la personne est en crise, c'est le soir ou la fin
de semaine et c'est chez nous que cela vient se vivre. La dernière chose
qu'on veut faire, c'est se rendre à l'hôpital. C'est une des
réalités. (21 h 30)
Je pense que vous avez raison de dire qu'il y a comme une habitude qui
est là depuis longtemps, il ne faut pas se leurrer, chez les gens, de se
rendre directement à l'institution, mais, pour d'autres, c'est de
maximiser les ressources chez la famille qui s'épuisent très
rapidement. Quand la famille ne veut plus, ce sont les amis qui, eux aussi,
finissent par fermer les portes et, ensuite, c'est beaucoup les ressources
alternatives qui, à un moment donné, débordent de ce genre
de demandes.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On sait fort bien que les
organismes sans but
lucratif ou communautaires sont insuffisants, mais, oublions cet aspect
de leur insuffisance, en connaissez-vous qui pourraient - justement vous parlez
beaucoup de la réponse aux crises que les organismes volontaires peuvent
apporter... - Prenons les mieux structurés, ceux qui fonctionnent de la
façon la plus souhaitable, sont-ils capables de répondre
véritablement à ce qu'on appelle l'intervention de crise à
laquelle, présentement, la clinique externe, l'urgence ou quelqu'un
d'autre répond? Est-ce cela que vous me dites: Que vous croyez qu'un
organisme volontaire pourrait lui-même répondre à ce qu'on
appelle l'intervention de crise chez une personne présentant des
symptômes de comportement aigu?
Mme Blanchard: Je ne sais pas si d'autres veulent répondre
après moi, mais ce que je répondrai à cela, c'est que nous
sommes limités jusqu'à un certain point. Chez nous, on est un
centre de jour, soir et fin de semaine. Évidemment, quand quelqu'un vit
une situation difficile, cela demande à ne pas avoir à attendre
dans une salle d'attente comme il le fait toujours avec son thérapeute.
Chez nous, il y a cette disponibilité d'écoute qu'on peut offrir
et aussi une grande affectivité qui se vit parce que la personne est
habituée de venir le jour. Donc, si cela répond à votre
question: Jusqu'à un certain point, oui. Mais à cause de la
demande qui augmente, si deux animateurs sont en train d'animer un groupe et
qu'une personne s'adonne à vivre une situation de crise, cela mobilise
quand même beaucoup. Plus le temps avance, plus on s'aperçoit,
quant à nous, que non. Si notre mandat vise les activités d'un
centre de jour, il faudrait soit créer des équipes de rue, comme
on disait, qui seraient disponibles à ce moment-là pour aller
voir la personne chez elle quand elle nous appelle et que ça ne va pas,
soit essayer de mobiliser les personnes autour de cet individu-là au
lieu de tout de suite penser à la police, l'Urgence-santé,
l'hôpital. Je pense que non, comme vous dites, parce qu'il y a des
ressources qui pourraient se vouer à ce mandat-là. Mais les
ressources alternatives ne peuvent pas tout. Nous, on se sent bien
limité à ce sujet. Quand cela arrive une fois de temps en temps,
c'est certain qu'on y répond, mais cela augmente trop.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vais être
très honnête avec vous autres -c'est ma réaction
personnelle, ce n'est pas la réaction de la commission, mes
collègues pourront réagir par la suite - je vais vous dire
spontanément comment... Je suis non seulement très sympathique,
mais je souhaite que les organismes alternatifs provenant de la
communauté se développent et remplissent des fonctions
complémentaires et, probablement si l'on creuse davantage, que se
développent davantage des fonctions qui pourraient être des
fonctions de base dans le domaine de la santé mentale.
Ce que je perçois de votre mémoire, c'est qu'il semble
qu'il n'y aurait presque pas de limite aux possibilités que les
organismes alternatifs ou communautaires puissent finalement presque remplacer
la partie de l'approche qui est biologique et l'autre partie qui est
psychologique: psychothérapie, etc. J'ai l'impression que... ou je
perçois mal. Dans ce sens-là, si c'est ce que vous voulez dire,
je ne suis pas prête à dire qu'il faut faire ce saut-là ou
qu'il faut aller jusque-là. C'est sur cela que j'aimerais - si vous avez
compris ma question - que vous tentiez de me répondre.
Mme Ménard: Pour avoir vécu deux séjours
psychiatriques, le premier en 1979 et un autre l'été dernier, je
peux dire que ce qui est pénible quand on chavire, parce qu'il n'y a pas
d'autre mot, et qu'on ne communique plus à ce moment-là avec les
gens, c'est de se retrouver avec des étrangers, des gens qu'on ne
connaît pas, de subir tout ce que tout le monde veut bien parce qu'on
n'est plus en un état de communiquer. J'ai vécu
l'expérience, l'été dernier, d'une amie qui travaille en
psycho et elle a passé trois jours avant une hospitalisation. On a
essayé de voir ce que cela donnerait. Elle disait que le seul
problème, c'est qu'elle s'épuisait physiquement. Je ne suis pas
violente. Si on ne me pose pas de gestes de violence, je n'ai jamais
été violente. Mais, j'avoue que, lorsque j'ai été
hospitalisée en 1979, j'ai été violente avec des gens qui
me prenaient, qui me mettaient, qui m'obligeaient à être à
des endroits où je n'avais pas le goût d'être. Quelle est
pour moi la différence d'être couchée dans un cachot, seule
avec un matelas, pas de toilette, rien, toute une nuit et d'être
couchée... Moi, en tout cas, je préférerais être
entourée de gens avec qui je me sens bien dans des conditions de vie
digne. Et pour moi, une toilette, c'est être digne. En tout cas, il reste
que, pour moi, me faire déshabiller devant cinq infirmiers parce qu'on
me l'imposait, cela n'est pas être digne. Je ne sais pas, en quelque
part, j'ai accroché la première fois où j'ai
été hospitalisée, et j'avoue que j'ai
déménagé trois fois avec tout ce que cela implique et le
peu d'argent que j'avais pour me trouver un hôpital où
j'étais certaine d'avoir de bons soins. Ce qui est arrivé la
dernière fois, j'ai été hospitalisée à
Charles-LeMoyne. Mais toute la démarche que j'ai faite entre-temps pour
aller me chercher des soins... Et je suis ici, parce que dans le fond je
souhaite que la prochaine fois que je serai hospitalisée, parce que je
sais qu'un jour je vais y aller encore, parce que j'ai la maladie, je l'ai
jusqu'à ce que... Même si je fais attention, même
si... Pour moi, c'est important d'aller me chercher une ressource qui va
m'accorder un soin et de l'affection un peu. Quand je chavire, j'ai besoin
qu'on m'aime. Cela fait un an que je suis hospitalisée et je ne suis pas
encore capable d'embrasser quelqu'un, à tel point que, dans un
hôpital, c'est comme... Je ne peux pas expliquer. Il y a, en quelque
part, qu'on m'enlève ce vouloir de rejoindre un autre être humain.
C'est cela, je pense qui, pour moi, est important.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Et vous ne retrouvez
pas...
Mme Ménard: J'avoue que - je vais nommer l'hôpital -
quand j'ai été hospitalisée à Douglas, j'ai
retrouvé un infirmier qui m'offrait cette chaleur, qui m'a sortie, qui
m'a promenée sur le terrain de l'hôpital. Mais j'avoue qu'il y en
a d'autres qui ne m'ont pas offert cette qualité. Me traiter de grosse
folle... Je veux dire: je suis "capotée", mais ma mémoire a quand
même emmagasiné même si, pour eux, je n'étais pas
là, je n'étais pas présente. C'est cela qui est
pénible parce qu'on se souvient de ces détails et on ne veut plus
jamais retourner. C'est clair. Alors, on fait un paquet de démarches
incroyables. Il reste qu'à travers les ressources alternatives, ce que
je déplore actuellement, c'est qu'ils n'ont pas... Quand je suis en
pleine crise, en folie furieuse, ils ne peuvent pas malheureusement, ils n'ont
pas le personnel qu'il faut pour... Finalement, j'aboutis dans un hôpital
psychiatrique. Mais j'avoue qu'à Charles-LeMoyne c'était beaucoup
mieux, c'était humain.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous dites, en
opposition, que, dans un. e ressource alternative, vous retrouvez cette chaleur
ou cet environnement qui favorise la relation, le contact et...
Mme Ménard: C'est qu'au lieu de vouloir passer six
semaines ou prolonger ma maladie parce que, quand on est malade, il y a un
côté où on s'écoeure, on se décourage, alors
on veut prolonger notre séjour... C'est dommage à dire, mais
c'est cela. Ce qui arrive, c'est que, s'il y a des gens qui sont autour, qui
t'aiment et qui te disent: II faut que tu reviennes, cela va bien se passer.
Alors, ta démarche de revenir en santé mentale est beaucoup plus
accélérée parce que, quelque part, il y a quelqu'un qui te
fait confiance. S'il y a quelqu'un qui me confie un emploi, me fait confiance,
me dit: Bon... C'est un des problèmes que les psychiatrisés
vivent. C'est cela, c'est ce manque de confiance. J'ai sombré trois
semaines la première fois, trois semaines la deuxième fois en
cinq ans. Finalement, tout ce que je demande, c'est que ces trois semaines
soient humaines. Je les veux...
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans le fond, je me
demande si ce que vous venez de nous dire, c'est peut-être davantage
critiquer - enfin, je ne mets pas un sens péjoratif - mais
l'atmosphère du département de psychiatrie ou de l'hôpital
psychiatrique tel qu'il existe présentement, plutôt que votre
désir d'aller dans un autre milieu... Si le milieu psychiatrique
était amélioré pour répondre aux besoins que vous
avez, vous n'auriez plus les mêmes objections à y aller.
Mme Ménard: À la limite, oui, parce que,
finalement, si tout le monde te dit folle et tout le monde te traîne avec
un paquet de policiers, tu dis: Je dois être "capotée" vrai.
Tandis que si cela se fait - ça l'air drôle de dire cela - dans un
contexte où c'est plus doux, où c'est plus humanisant, bien,
c'est comme avoir, je ne sais pas, une maladie ordinaire, avoir une crise de
foie ou être hospitalisé dans un climat normal et puis
récupérer graduellement au lieu d'être une espèce de
bombe qui éclate, où tout chavire. C'est cela, finalement, qui
est pénible et c'est ce qui fait que les gens n'ont pas... Plus la bombe
a éclaté fort, plus cela prend du temps à bouger
après, à réorganiser.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon! Écoutez, j'ai
déjà pris... Je reviendrai plutôt, je vais donner la parole
à... Ah! II y a M. le député... Alors, M. le
député de Bou-rassa.
M. Laplante: Je trouve cela admirable, votre témoignage.
Que vous puissiez en parler ouvertement, je souhaiterais qu'ils fassent tous
comme cela, afin que l'on puisse encore mieux, comme individus qui n'avons pas
passé par cela, on a peut-être eu d'autres maladies dans les
hôpitaux et on parle ouvertement de ces dernières... Là, ce
par où vous avez passé, de la façon dont vous en parlez,
je vous admire énormément. Cela me fait comprendre encore plus le
problème de la réinsertation dans la société, comme
on le vit aujourd'hui.
C'est que les 18 organismes que vous représentez, c'est beaucoup
d'organismes. Votre organisme seul avec 300 membres, avec un conseil
d'administration dont huit de ses membres, ce sont des "ex", bravo! C'est cela
se prendre - je le crois - en charge et s'occuper de quelque chose d'utile
où on peut prévoir un demain, un après-demain et tout
cela.
Cela m'amène à vous poser des questions sur les obstacles
que l'on trouve à pouvoir réintégrer les ex-malades dans
la société. On a le problème syndical aussi et,
actuellement, il n'y a personne qui a pu en parler d'une façon ouverte
dans les
mémoires, ainsi que les problèmes qui peuvent se
rencontrer, à part l'hôpital Douglas qui en a parlé un
petit peu, à savoir des subventions de 200 000 $ qu'ils ont perdues,
pour essayer d'avoir des programmes d'étudiants, des programmes du
fédéral qu'ils avaient pour deux ans; cela a été
refusé au point de vue syndical. J'aimerais avoir votre opinion
là-dessus. Qu'est-ce que vous pensez d'un appel que vous pourriez faire,
à un moment donné, aux syndiqués, d'être aussi
humanisés dans ce secteur qui fait partie de l'intégration de ces
malades?
Je voudrais avoir votre avis sur le fait d'aller en appartement. On nous
a signalé, dans un mémoire qu'on aura demain, les dangers pour
les patients d'aller en appartement. Ils disent qu'ils ne se font pas à
manger, ils se lèvent des fois à des heures trop tôt pour
aller au travail si ce n'est pas contrôlé, ils s'habillent moins.
En tout cas, peut-être une vingtaine d'arguments qu'on apporte
là-dessus. J'aimerais avoir votre point de vue, ce que vous pensez du
problème des appartements, si vous êtes pour cela, pour une
réinsertion. Cela fait plusieurs choses!
M. Côté (Réjean): Dans un premier temps, vous
avez parlé de la dimension syndicale.
M. Laplante: Oui.
M. Côté (Réjean): Ce ne sera peut-être
pas nécessairement une réponse précise que je peux vous
fournir, sauf que ce qu'on peut vous dire, c'est que, au regroupement, nous
sommes très conscients qu'il y a des choses qui se passent à ce
niveau. Nous sommes assis à une table qu'on appelle un front populaire
dans le domaine de la santé, qui regroupe les instances syndicales, FTQ,
CSN, FAS, et nous travaillons à résoudre des problèmes.
Cette démarche, elle est lente. Vous pouvez voir qu'on est des fois
très loin et des fois plus proche, mais, en même temps, on accepte
de s'asseoir ensemble, de poser les problèmes et de tenter d'y
répondre. Je pense que, en ce qui concerne le problème de la
désinstitutionnalisation, certains se dirigent vers un moratoire. Nous,
nous pensons, à la suite d'autres avis très sérieux, que
beaucoup de choses ont été dites là-dessus et qu'il est
temps de procéder à des choses. Mais, présentement, nous
sommes rendus là, sauf que nous avons certaines positions dans
lesquelles nous avançons avec eux. Je ne sais pas, Guy, si tu veux
peut-être y aller. (21 h 45)
M. Châteauneuf: Disons que c'est vraiment au niveau des
discussions qu'on établit et qu'on maintient encore cette semaine, par
notre présence à Québec, avec entre autres la
Fédération des affaires sociales, où on est bien conscient
qu'une désinstitutionnalisation, cela implique... On parle du
démantèlement des hôpitaux psychiatriques, c'est beaucoup
d'emplois, de syndiqués... Donc, le syndicat est directement
concerné. D'autre part, je pense qu'ils ont un préjugé
favorable - en tout cas la Fédération des affaires sociales et la
CSN - pour un mouvement de société ou pour repenser un projet de
société où il y aurait peut-être une meilleure
qualité de vie, entre autres pour les bénéficiaires ou les
personnes hospitalisées en psychiatrie.
Dans une des recommandations qu'on fait, par exemple, on dit que,
lorsqu'il sera question de démanteler des hôpitaux psychiatriques,
on forme des organismes sans but lucratif sous forme de pavillons, si vous
voulez, mais de petite dimension, où l'implication de la
communauté serait vraiment réelle pour que ces petits pavilions
soient intégrés dans la communauté, que cela ne soit pas
du parachutage de résidants de milieux asilaires dans des quartiers ou
dans des villes. Si c'est encore néoinstitutionnel, à ce
moment-là, je pense qu'il peut facilement y avoir un rejet du quartier
ou de la communauté. Je pense que les gens du CRSSS de la
Montérégie le soulignaient, il faut que la communauté
praticipe au conseil d'administration et à l'assemblée
générale, avec les maires et les échevins; c'est tout cet
aspect-là. Je pense que la communauté doit être bien
présente.
Du côté syndical, je pense que le milieu syndical a des
défis auxquels il doit faire face. Je pense que, quand on parle de
démantèlement, le syndicalisme ne se vivra pas de la même
façon que !e syndicalisme où il y avait 1000 employés dans
la même boîte. Si on parle de petite boîte, le syndicalisme
doit être pensé différemment. C'est à ces sujets
qu'on essaie d'échanger avec le milieu syndical.
M. Laplante: Sur les appartements?
M. Châteauneuf: Entre autres les pavillons et les gros
milieux asilaires.
M. Nadeau: Sur les appartements en tant que tels, par exemple
dans la région sud-ouest, la région 6A, les gens, après
avoir vécu une hospitalisation et qui se retrouvent tout seuls dans un
appartement d'une pièce et demie ou dans une chambre, se voient, si vous
voulez le terme, "capoter", en train de, littéralement, avoir des
hallucinations, de s'imaginer qu'il se passe des affaires qui ne sont pas
réelles parce qu'elles sont tellement en train de voir le mur qu'elles
ne savent plus quoi faire. Étant donné qu'il y a des gens qui
n'ont pas de certificat médical, en bas de 30 ans, sans certificat
médical, qui vivent avec 160 $, ils vivent dans une chambre qui
coûte 150 $ par mois, vivent
très peu, et même comment font-ils? Je connais une personne
en particulier. Ces gens-là ne fonctionnent pas bien, ne font pas quoi
que ce soit en tant que tel, si vous voulez, et ce qui arrive à la fin,
c'est qu'ils veulent retourner à l'hôpital parce qu'ils savent
qu'il vont avoir la nourriture, ils vont avoir quelque part où rester.
Aussi, parmi les effets de demeurer dans un appartement d'une pièce et
demie, semi-meublé ou meublé, les gens ne vivent pas pas comme...
Ils sont dans l'isolement total par rapport à eux et la
société. Personne ne veut savoir qu'ils sont là, les
parents sont "tannés" de les voir après un certain temps, les
amis sont épuisés. Les ressources alternatives, dont nous faisons
partie, dans la région de Verdun, répondent aux besoins des gens.
Mais, la situation de crise est très difficile pour nous. Je suis
moi-même bénévole là-bas et, durant le temps
où les animateurs sont en train de travailler, les situations de crise
proviennent premièrement du fait qu'ils sont tout seuls toute la
journée et toute la soirée dans l'appartement. Pendant trois ou
quatre jours, ils ont très peu mangé, ils ne savent pas du tout
ce qu'ils vont faire. Ils viennent donc au centre communautaire et ils font une
crise.
M. Laplante: Dans ce cas-là, vous favoriseriez beaucoup
plus les foyers de groupe, quatre ou cinq personnes ensemble, ou les foyers
familiaux, trouver une bonne famille qui pourrait les aimer et s'occuper
d'eux.
M. Nadeau: Oui. Présentement, à Verdun, nous avons
une bonne maison de transition. J'y habite moi-même. Nous sommes sept
è y habiter, c'est une résidence pour huit. Mais c'est une maison
de transition pour toute la région sud-ouest qui comprend LaSalle,
Côte Saint-Paul, Ville Émard, Verdun et la Pointe Saint-Charles.
Avec la population des ex-patients qui sortent de l'hôpital, il y a une
liste d'attente...
M. Laplante: Est-ce que vous auriez vécu cette
expérience en appartement?
M. Nadeau: Oui, j'ai vécu... L'an dernier, j'étais
à la maison de transition au moment où c'était six mois de
résidence. On m'a demandé par la suite, parce que les six mois
étaient écoulés, d'aller habiter ailleurs. Je suis
allé dans un appartement d'une pièce et demie dont le poêle
ne fonctionnait pas. J'ai demandé plusieurs fois au concierge de
l'arranger et il n'a pas voulu. J'ai payé un montant exorbitant. Je
vivais avec 145 $ par mois. J'ai presque inexisté moi-même.
J'avais un peu de fonds, mais j'ai vraiment... Je suis
déménagé, je suis allé en chambre où
j'étais capable de calculer les petits points sur le mur, sur le
plafond, littéralement! J'étais trop angoissé. Je me suis
dit: Je vais retourner à l'hôpital. Mais une des choses que je
m'étais promise, c'était que je n'y retournerais pas. Il n'y a
aucun endroit où les gens peuvent nous donner du soutien dans une
situation de crise d'une personne, soit que ce soit calme ou une situation de
crise physique... Moi, par exemple, depuis que je suis au projet PAL... S'il
n'y avait pas eu le projet PAL et la maison de transition, je ne serais pas
ici. J'étais dans une situation où j'étais suicidaire, il
y a deux ans. Je ne voulais plus vivre et les gens au projet PAL sont venus
tranquillement. Je suis allé les voir et, tranquillement pas vite, je me
suis intégré à eux. Après un certain temps, je me
suis habitué à eux, j'ai commencé à me
familiariser, à me faire des amis et à vouloir être avec
eux, à tel point que j'ai voulu faire du bénévolat pour
eux, j'ai voulu aller à des congrès pour eux et soutenir le
projet PAL, les résidents de la maison de transition, les ex-patients
proprement dits.
Mme Ménard: Je voudrais ajouter une
problématique...
M. Laplante: Oui, vas-y.
Mme Ménard: Ce qui arrive, c'est que les gens qui font des
séjours en psychiatrie, assez régulièrement, ne s'engagent
pas dans un bail parce que cela implique toutes sortes de complications.
Souvent, ils perdent leurs meubles. Durant leur hospitalisation, personne
n'entreprend la démarche de maintenir leur logement. Quand tu es
à l'hôpital, tu ne reçois plus de chèque du BS.
C'est ce qui arrive. Donc, plusieurs ayant perdu plusieurs fois des meubles,
c'est pour cela qu'ils s'en vont dans des chambres finalement. C'est à
cause d'une partie de cette problématique.
M. Laplante: D'accord. Au sujet des centres de jour et de la
fréquence des usagers, comment faites-vous, d'abord, pour le recrutement
pour le centre de jour? Celui qui commence à y aller, est-ce qu'il
persiste à y aller?
M. Nadeau: Les usagers? M. Laplante: Oui.
M. Nadeau: La plupart des gens viennent d'eux-mêmes,
c'est-à-dire qu'on fait les communications auprès du journal Le
Messager - c'est un journal local - aussi par la clinique externe de Verdun de
même que l'hôpital psychiatrique Douglas qui nous permet d'afficher
sur les murs. On fait affaires avec le CPC, qui est le centre psychiatrique
communautaire, avec les infirmières et les bénéficiaires.
La plupart des membres viennent de l'hôpital Douglas,
et cela a commencé en 1975, parce qu'il n'y avait pas de place
pour ces gens-là, lorsque quelques membres ont insisté pour avoir
un endroit pour eux. Cela a commencé par là. Quelques membres de
la communauté ont formé un centre communautaire, dont le centre
de jour du projet PAL. De là, cela a été tranquillement.
Au fur et à mesure des années, les gens sont venus
s'intégrer au projet. Moi-même, je suis venu parce que
j'étais à l'hôpital Douglas. On m'a amené à
la maison de transition. Pendant quelques mois, je ne voulais pas aller au
centre communautaire. Plus tard, quand je me suis retrouvé en chambre,
je n'avais pas d'autre endroit où aller. Je suis allé de
moi-même. Après cela... La plupart des membres viennent de
l'hôpital Douglas, par exemple. Ils viennent d'eux-mêmes.
M. Laplante: Je vous remercie. Mme Ménard: Je
voulais ajouter...
M. Auclair: Je pourrais peut-être vous donner un autre
exemple d'un centre de jour, qui s'appelle Solidarité-Psychiatrie, sur
la persistance justement. Cela devient à un moment donné un peu
un lieu d'appartenance. La personne va venir un bout de temps, va se retirer et
ça va devenir un lieu où elle a une confiance. Donc, elle va
revenir dans le besoin quand elle va se sentir un peu dépassée
par les événements de la vie. Elle va se représenter au
centre et elle peut éviter ainsi l'hospitalisation.
M. Laplante: Je vous remercie. Oui, allez-y.
Mme Ménard: Je voulais juste ajouter que ce qui est
important dans un centre communautaire, c'est que les usagers prennent soin
d'eux-mêmes dans le sens que, s'il y en a un qui est malade, ils l'ont vu
sur la rue, on ne l'a pas vu, ils nous le disent. Ce n'est pas juste
l'intervenant vis-à-vis de la clientèle, mais une interaction
dans la clientèle elle-même qui veille sur les autres qui sont
comme son monde. Finalement, c'est un peu une grande famille.
M. Châteauneuf: M. le député, je voudrais
ajouter, par l'expérience dont vous font part PAL et
Solidarité-Psychiatrie à Montréal, que la commission
parlementaire devra faire un débat de fond et répondre à
la situation suivante. Des gens ont des besoins de vivre en appartement.
Certains, par dignité humaine - je pense que c'est un
élément bien important - désirent vivre seuls en
appartement, avoir leur propre appartement. D'autres aiment vivre en groupe.
À ce moment-là la question de foyer de groupe répond
très bien à leurs besoins. D'autres vivent encore dans leur
famille et désirent avoir un appartement, etc. Tous ces types de besoins
- on parle juste d'hébergement - qui va y répondre? Est-ce que la
nouvelle politique de santé mentale va mettre l'accent en disant...
D'accord, l'hospitalisation et la médication, on a mi9 beaucoup l'accent
là-dessus au cours des 30 dernières années. La
médication de l'après-guerre a eu des succès mais,
aujourd'hui, pourquoi la commission se réunit-elle? Est-ce que les
médicaments ont été une solution miracle? Je pense qu'il y
a des limites. Il y a certaines efficacités et, dans certains cas, c'est
même nocif une médication.
On revient à dire que maintenant l'hôpital est prêt
à s'ouvrir à la communauté, à éclater dans
la communauté. Je pense que vous avez eu sûrement beaucoup de
mémoires qui favorisent l'éclatement de l'hôpital dans la
communauté. Est-ce que ce sera une infirmière baladeuse qui va
aller voir la personne chez elle pour l'aider à faire ses repas,
à établir sa liste et faire son épicerie ou si cela va
susciter une plus grande implication de la communauté en santé
mentale? Que la santé mentale cesse d'être un milieu clos, que la
population puisse jouer un rôle, que les groupes d'entraide puissent se
développer, se visiter. Je pense que le regroupement des ressources
alternatives et l'ensemble des expériences des ressources alternatives
vont dans ce sens-là. On vous dit vers quoi doit aller l'accent quand on
parle d'une nouvelle politique en santé mentale. Est-ce qu'on doit
stimuler le milieu à participer à la santé mentale comme
le milieu participe aux problèmes des jeunes, aux problèmes des
femmes ou des personnes âgées? En santé mentale, est-ce que
le milieu peut jouer un rôle ou si c'est un gang d'incompétents et
il faut redonner un mandat aux infirmières, aux psychiatres d'aller
à domicile, de s'éclater dans la communauté?
Je pense que c'est une réflexion que vous devez amorcer et c'est
ce qu'on veut un peu souligner.
M. Laplante: Oui. Je pense que c'est une réflexion qui est
amorcée depuis deux jours. On sait d'avance que la fermeture de
l'institut psychiatrique n'est pas pour demain. Il ne faut pas se leurrer, on
le sait. Il reste l'alternative de tout ça aussi et il y a une
population aussi qui a été mal préparée depuis
quelques années à l'accepter. Il va falloir trouver des moyens de
publicité, je ne sais pas comment on pourra trouver ça. On va en
discuter sûrement dans nos comités ici.
Vu qu'il est déjà près de 22 heures et que d'autres
ont des questions à poser, je peux vous dire que durant les deux jours
on a eu des mémoires très intéressants, mais, ouvert et
enrichissant comme celui qu'on a eu ce soir, c'est le premier. C'est tout
à
votre honneur et je vous en remercie beaucoup.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député de Marie-Victorin.
M. Pratt: Une petite question à M. Auclair. Je ne peux pas
résister au préalable à remercier madame pour son
témoignage. Cela me fait grand plaisir de l'entendre parce que j'ai
été pendant huit ans président du conseil d'administration
à Charles-LeMoyne. C'est sous ces années de présidence
qu'on a bâti le pavillon. (22 heures)
Je reviens en page 8 de votre mémoire. M. Auclair, vous dites -
c'est une série de recommandations - que le comité d'admission en
institution possède une formule de fonctionnement qui assure le respect
des droits des gens. J'aimerais que vous me précisiez un peu ce qu'il y
a dans votre pensée. C'est à la page 8.
M. Côté (Réjean): Je pense que dans
l'ensemble c'est d'avoir une formule qui va vraiment s'appliquer à
protéger les droits des personnes, dans ce sens. Cette formule, il faut
qu'elle soit discutée, il faut qu'elle soit en vigueur, il faut qu'elle
soit fonctionnelle et non pas arriver sans trop savoir ce qui arrive,
être baladé à gauche et à droite, faire signer
toutes sortes de choses sans trop pouvoir avoir une maîtrise sur les
choses qui se font. Donc, en ayant un comité d'admission par lequel on
s'assure que tous les aspects qui amènent une admission, tout en
protégeant dans le respect les droits des personnes, vont être
assurés à travers toutes les démarches, toutes les
décisions. Je pourrais peut-être passer à Daniel.
M. Dore: À ce sujet aussi, il y a le comité des
bénéficiaires de l'hôpital Louis-Il. -Lafontaine qui a
réussi un bon coup dernièrement, dans le sens qu'il avait
demandé à l'aide juridique d'avoir deux avocats consultants pour
acheminer les plaintes qu'il pouvait avoir des bénéficiaires par
rapport à l'institution. Il a fallu qu'il se batte pour obtenir le
mandat. Il est allé jusque devant une commission. Il l'a obtenu. Je
pense que c'est le seul moyen d'en arriver à ce que des personnes qui
vivent une admission en psychiatrie ou dans n'importe quelle ressource puissent
être protégées, qu'il y ait une place quelque part
où elles peuvent acheminer une plainte et qu'il y ait des personnes qui
soient là pour prendre la plainte et les défendre contre
n'importe quel système, et qui ne sont pas rattachées à un
système en particulier. C'est dans ce sens que des initiatives comme
cela sont importantes.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je voudrais revenir un
peu sur le débat qu'on avait entrepris tout à l'heure. Je vais
vous reporter à la page 10 concernant les références aux
établissements, qu'une bonne partie des références se
fasse par l'intermédiaire des ressources alternatives et communautaires.
Sur ce point particulier, je voudrais aussi que vous précisiez. Je pense
qu'il n'y a pas d'objection à ce que les ressources alternatives et
communautaires -et elles le font déjà - réfèrent
aux établissements. Je pense que je soulève là un
problème que vous ne pouvez pas... C'est ce que vous faites, mais j'ai
l'impression que vous voulez y donner une extension que je ne saisis pas tout
à fait.
La deuxième question: L'intervention de l'équipe
professionnelle de santé mentale ne doit avoir lieu que
consécutivement et, dans la plupart des cas, à la demande de
l'une ou l'autre des ressources communautaires. Cela aussi représente
pour moi... Si je le lis littéralement, je sais ce que cela veut dire,
mais, à ce moment, est-ce que les gens vont aller vous voir avant
d'aller ailleurs? On revient au débat de tantôt, mais
c'était simplement pour appuyer les questions que cela soulevait dans
mon esprit.
Si on se réfère au troisième point, le
réseau de haltes-crises - on en a parlé un peu tout à
l'heure - vous voudriez que les haltes-crises et les centres de répit
soient planifiés localement, sous-régionalement,
régionalement, par des personnes représentatives de la
communauté en fonction de leurs besoins. Maintenant, cela ne veut pas
dire que ces haltes-crises seraient nécessairement, comment dirais-je?
sous l'égide d'organismes volontaires. Cela pourrait être du
personnel professionnel, c'est ce que je dois comprendre. Alors, j'aimerais, si
vous le pouviez, que vous clarifiiez ces trois points, d'abord le premier.
M. Dore: Concernant la référence, pour avoir
travaillé auprès d'autres associations dans ma région,
auprès des associations d'alcooliques, qui ont une démarche assez
similaire à la nôtre, c'est que les institutions, à un
moment donné, tiennent peu compte des organismes communautaires dans la
communauté. Le problème de référence qu'ils vivent
c'est que souvent ils ont une des personnes qu'ils connaissent personnellement
dans leurs ressources, qui participe déjà à une
démarche de prise en charge par rapport à ses problèmes,
qui est hospitalisée par rapport à une situation de crise et,
souvent, les institutions hospitalières, vu que ce sont des milieux
clos, ne permettent pas au patient d'aller visiter ou ne permettent pas aux
personnes qui connaissent le patient d'aller visiter et, à l'inverse,
quand la personne sort de l'institution, à un moment donné, on ne
fait pas le suivi dans les ressources qui existent
dans le milieu pour les aviser que la personne vient de sortir. Je
pense, à ce sujet, qu'il y aurait de bonnes discussions à faire
entre le communautaire et les ressources du réseau pour établir
des bases, justement, qui permettraient que la personne ne soit plus
laissée seule dans la communauté quand elle sort d'une situation
de crise.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je comprends que vous
puissiez avoir des difficultés, par exemple, si vous avez
développé votre propre réseau d'entraide, pour qu'à
un moment donné un représentant puisse aller visiter un de vos
membres, etc. Je comprends cela. Mais vous dites ici qu'une bonne partie des
références aux établissements doit se faire par
l'intermédiaire des ressources alternatives et communautaires. Dans les
faits, cela peut se faire, parce que, si vous avez quelqu'un en état de
crise, vous pouvez le référer. On a su hier, je pense, les
étapes. On nous a dit: Nous autres, on garde des liens. S'il arrive un
moment de crise, on est en contact avec l'hôpital auquel on peut se
référer, et il y avait une liste d'hôpitaux. C'est la
raison pour laquelle je ne comprenais pas exactement. Cela ne veut pas dire
que, désormais, c'est vous autres qui, en partie, allez
référer la personne. Ce n'est pas ce que cela veut dire.
M. Dore: Non, pas nécessairement. Cela veut surtout dire,
quant à la référence, qu'il y a un long travail à
faire à un moment donné afin que, justement, les ressources
communautaires puissent continuer le suivi des personnes autant en institution
que lorsqu'elles en sortent, parce que, souvent, elles ne sont pas
avisées lorsque la personne sort.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ah bon! je comprends
cela.
M. Dore: Aller encore plus là-dedans, je pense que cela
peut aider. On parlait, à un moment donné, d'une personne qu'on
suivait partout, non pas qu'on suivait, mais d'une personne qui a fait une
démarche de réinsertion dans la communauté. Tous les
organismes savaient qu'elle était dans une démarche de
réinsertion. Ils savaient ce qu'elle faisait. Si une personne vit un
découragement et que les ressources alternatives ne sont pas
avisées, elle va se pointer à nouveau à l'hôpital
plutôt que de revoir quelqu'un qui pourrait l'aider à aller plus
loin dans sa démarche de réinsertion.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, dans le
deuxième paragraphe, vous dites que "l'intervention de l'équipe
professionnelle de santé mentale ne devrait avoir lieu que
consécutivement et, dans la plupart des cas, à la demande de
l'une ou l'autre des ressources communautaires et/ou des ressources
alternatives, notamment lorsqu'une intervention graduée l'exige. " Selon
moi, cela aussi rejoint la même préoccupation que le premier
paragraphe qu'on vient de discuter. Cela ne me paraît pas tout à
fait clair.
M. Châteauneuf: Je pense, Mme la Présidente, que
cela découle de toute une logique dont on fait part au début du
mémoire qui parle d'une intervention graduée, d'une option
milieu. Nous disions que la carence la plus importante qu'on souligne en ce qui
concerne les ressources alternatives, c'est l'absence dans la communauté
de filets de prévention, de mécanismes qui vont faire en sorte
qu'on va éviter les hospitalisations. C'est ce tissu, ce filet qu'on
voudrait débloquer. Si ce filet joue son rôle, normalement il
devrait éviter des hospitalisations, et, dans le cas où cela en
nécessiterait, il utiliserait les ressources plus lourdes, plus
professionnalisées.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est dans la mesure
où les organismes seraient développés sur une base
provinciale, si on veut, où vous en trouveriez au moins dans chaque
sous-région...
M. Châteauneuf: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... presque dans chaque
municipalité d'une importance relative.
M. Châteauneuf: Oui.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À ce moment, on
peut se demander aussi, dans cette responsabilité qui,
éventuellement, serait la vôtre, quelle est la continuité
et la permanence que vous pourriez assurer comme organisme volontaire et
bénévole. Je pense que madame y a touché un peu tout
à l'heure dans le cadre de ses propos.
M. Dore: Si on regarde la communauté chez nous, pour 71
000 de population, il y a 95 associations à but non lucratif qui
travaillent à différentes problématiques. En santé
mentale, il y en a déjà 9 qui travaillent. Elles ont
déjà des mandats proches de la santé mentale. Je pense
que, lorqu'on parle de suivi dans la communauté, c'est que ces
associations sont toutes des milieux d'entraide, ce sont toutes des personnes
qui déjà favorisent d'aider émotivement une personne
à vivre sa crise et à s'en sortir. Le problème que ces
ressources vivent, même dans le travail de recherche qu'on a fait, l'an
passé, dans notre localité, un des gros problèmes, dis-je,
c'est l'aspect de la référence, c'est que déjà
toute
une démarche est amorcée pendant six mois de soutien
à une personne et, d'une journée à une autre, pour une
raison ou pour une autre, soit que les policiers interviennent ou quoi que ce
soit, la personne disparaît. Personne ne sait où elle est. Pouf!
on apprend qu'elle a été hospitalisée et on ne sait
même pas quand elle est sortie. On la rencontre à nouveau sur la
rue. Elle est vraiment "poquée" et elle est en situation d'échec.
Tout ce problème de référence, pour nous autres, c'est
fondamental dans toutes les associations communautaires. On a beaucoup de
difficulté à établir des liens solides avec les
institutions et cela doit être reconnu dans notre approche aussi.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense qu'on peut
comprendre que vos réseaux d'entraide existent, que c'est une
nécessité que vous ayez cette solidarité, mais le
problème que vous soulevez, finalement, si je vous comprends bien, c'est
un peu celui qui l'a été à l'inverse ou peut-être de
la même façon que vous autres. C'est un peu les difficultés
de relations. Je pense que c'est le porte-parole de la Corporation des
psychologues qui l'a soulevé. C'est le problème des relations ou
du contrôle du pouvoir par différents groupes qui, finalement, au
lieu de travailler ensemble, finissent par empêcher parfois le
fonctionnement des uns et des autres parce qu'il y a des luttes de pouvoir. Je
pense que c'est peut-être cela, le problème que vous venez de
soulever.
M. Dore: Sur le plan de la complémentarité qu'on
développe auprès des associations qui travaillent en santé
mentale, c'est que le tissu communautaire est déjà composé
d'un paquet de choses, ce qui fait qu'on reçoit une personne qui a des
besoins, on connaît les vestiaires. On peut lui dire: Si tu as besoin de
vêtements à un moment donné, on connaît un bon
vestiaire; il y a des bons vêtements, tu peux aller là.
Déjà, cela améliore sa conditions de vie. On connaît
des ressources qui créent des coopératives d'habitation. On peut
insérer une personne dans une coopérative d'habitation. On n'a
pas de difficulté aussi à faire de la référence.
À la Rose des vents, on développe surtout les cas des femmes qui
vivent des situations de violence. Souvent, ils vont être aussi
confrontés à des problèmes psychiatriques qui les
amènent à prendre un détachement par rapport à la
famille. Donc, déjà, ils assurent un suivi et même ils nous
réfèrent des personnes, dans nos ressources, à qui on aide
à passer cette période émotive. Je pense qu'on n'a pas de
problème entre nous; c'est à d'autres niveaux. C'est comme le
développement du secteur communautaire. Les associations d'alcooliques
disent la même chose, à un moment donné.
Elles ont une expertise de travail de plusieurs années au
Québec, mais quand c'est le temps d'intervenir dans un plan de soins,
par rapport à une personne, elles n'ont pas un mot à dire. Si la
personne entre à l'hôpital pour se faire désintoxiquer et
qu'elle sort de là droguée, le médecin a fait son job;
elle ne prend plus d'alcool, mais elle prend des valiums. Elles ne sont pas
d'accord avec des attitudes comme celle-là. Elles voudraient bien plus
avoir des médecins qui travaillent dans leurs organismes et qui
comprennent la problématique des personnes qui ont un passé
d'alcoolique et qui interviennent dans les différentes rencontres pour
aider les personnes à s'en sortir. C'est le même problème
en santé mentale. Ce que nous soulignons, c'est qu'on n'est pas contre
les intervenants, mais on aimerait bien gros que les intervenants viennent
s'asseoir avec nous, à un moment donné, et qu'ils aient un peu de
vécu par rapport à ces personnes; il y en a qui le font,
d'ailleurs. À Pointe Saint-Charles, ils le font.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le
député d'Ungava, qui a été bien patient.
M. Lafrenière: Merci, Mme la Présidente. Depuis
deux jours qu'on voit des mémoires, je pense que, si je ne me trompe
pas, votre mémoire est le seul où on parle de condition
féminine. Je trouve que c'est un bien petit paragraphe et j'aimerais
qu'on me donne un peu plus d'explication sur la réalité
spécifique des femmes. Il va nous falloir réfléchir
à cela et je pense que, si on avait des idées, cela nous
aiderait.
Mme Blanchard: Vous me faites tellement plaisirl
Une voix: Ha! Ha! Ha!
Mme Blanchard: Je veux vous parler à titre personnel parce
que j'ai été travailleuse sociale à la clinique externe de
l'hôpital Douglas pendant quatre ans, avant de travailler au projet PAL.
Une des choses que j'ai apprise le plus à l'hôpital, cela a
été de pouvoir travailler avec des équipes de
féministes qui ont élaboré des modes d'intervention qui
s'interrogent sur les rôles chez les femmes. En fait, dans les
statistiques - je ne les ai pas, malheureusement; je vous les donnerais - il y
a un nombre énorme de femmes que les cliniques externes reçoivent
comme clientes. Je pense que c'est rendu à plus de 81 %; ce sont les
derniers chiffres que j'ai entendus.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est le double, au point
de vue du traitement psychiatrique.
Mme Blanchard: Oui, absolument. Je
pense que je peux faire une dichotomie là-dedans. À PAL,
nous avons plus d'hommes que de femmes. C'est pour vous dire rapidement que les
femmes, en plus de se faire dire folles, ne sortent pas; elles n'ont pas cette
poussée à aller parler à d'autres. Souvent, elles boivent
seules et se droguent seules. Je pense que, malheureusement, on a de la
difficulté à rejoindre les femmes, à les recruter,
à leur trouver une activité et des moyens de se rejoindre,
souvent parce que le milieu des psychiatrisés est très cru.
Évidemment, par manque de moyens, souvent, on favorise ce qu'on peut,
mais c'est un problème très aigu, dans la psychiatrie, pour les
femmes. Chez nous, à PAL, je pense qu'il y a environ un tiers de nos
membres qui sont des femmes. Malheureusement, dans les cliniques externes, ce
qu'on nous dit, c'est que la majorité de leur clientèle est
composée de femmes.
M. Lafrenière: La majorité de la clientèle
est composée de femmes?
Mme Blanchard: Oui.
M. Dore: Vous avez demandé au début, lors des
questions, pourquoi les personnes ont tellement confiance en l'hospitalisation.
Il y a cette réflexion que quelqu'un m'avait faite et qui m'avait bien
éclairé là-dessus: c'est le seul service qui est
gratuit.
Si la société développe autre chose dans la
communauté, les gens auront plus de choix. S'il y a un milieu de vie qui
est rassurant et qui procure de bons échanges, ils n'auront pas de
difficulté à faire le choix entre cela et un département
de psychiatrie.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): S'il n'y a pas d'autres
questions, je vais vous remercier. Comme vous voyez, cela suscite beaucoup de
questions, et je suis sûre qu'on n'est pas passé à travers
le débat, on l'a à peine amorcé. Votre contribution est
certainement une contribution originale par rapport à la majorité
des autres mémoires qui est peut-être plus représentative
des institutions plus traditionnelles. Cela vient rétablir un certain
équilibre et cela propose, comme vous dites, des questionnements chez
les membres de la commission. Alors, je vous remercie beaucoup.
M. Dore: C'est moi qui vous remercie.
La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II faut ajourner à
demain 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 17)