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Version finale

32e législature, 5e session
(16 octobre 1984 au 10 octobre 1985)

Le mardi 6 août 1985 - Vol. 28 N° 4

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la distribution des services de soutien et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté


Journal des débats

 

(Dix heures sept minutes)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À l'ordre, s'il vous plaît!

La sous-commission des affaires sociales reprend ses travaux pour entendre les différents groupes, établissements ou intervenants impliqués dans la distribution des services de soutien et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté.

Sont membres de la sous-commission: Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Laplante (Bourassa), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Pratt (Marie-Victorin).

Le premier groupe que nous devons entendre ce matin, c'est le Comité de la santé mentale du Québec, représenté par son président, le Dr Harnois. Je vous invite, Dr Harnois, à faire les présentations d'usage pour les fins du Journal des débats.

CSMQ

M. Harnois (Gaston): Merci, Mme la Présidente. J'allais dire à nouveau, personnellement, il me fait plaisir, au nom du Comité de la santé mentale, de comparaître devant vous ce matin. Tout simplement pour le Journal des débats, je me plais à redire l'importance que le sujet que nous traitons a pour le Comité de la santé mentale et, je crois aussi, pour toute la population québécoise.

J'aimerais, brièvement, vous présenter mes collègues autour de la table et vous donner quelques mots d'explication sur le Comité de la santé mentale du Québec. À ma droite, M. Roger Paquet, travailleur social, vice-président du Comité de la santé mentale et directeur général du centre d'accueil Les jeunes de l'Outaouais; à ma gauche, le Dr Ellen Corin, psychologue, membre du Comité de la santé mentale et directeur de l'Unité de recherche psychosociale au Centre de recherche de l'hôpital Douglas; à sa gauche, Mme Lise Tessier, travailleuse sociale, membre du comité et conseillère-cadre au service de la programmation et du développement au Centre de services sociaux du Montréal métropolitain; à sa gauche, Mme Christine Gourgue, membre du comité, ex-présidente du groupe Auto-Psy et ex-porte-parole du Comité des bénéficiaires du centre hospitalier Robert-Giffard; à sa gauche, Mme Michelle Fitzgerald, membre du comité et vice-présidente de l'Association lavalloise de parents pour le bien-être mental; à mon extrême droite, le professeur Frédéric Grunberg, psychiatre, membre du comité, coordonnateur de l'enseignement à l'hôpital Louis-Il. Lafontaine et président élu de l'Association des psychiatres du Canada; enfin moi-même, le Dr Gaston Harnois, président du Comité de la santé mentale et directeur général du centre hospitalier Douglas, à Montréal.

La façon dont nous aimerions procéder, Mme la Présidente, c'est que j'aimerais faire part au comité d'une brève présentation des réalisations récentes du CSMQ et demander à trois de mes collègues de vous faire un court exposé sur les sujets qui nous apparaissent pertinents à la question dont nous traitons aujourd'hui.

Nous vous avons fait parvenir un court mémoire en mai, mais depuis ce temps, les travaux du Comité de la santé mentale ont passablement évolué, de sorte que nos travaux sont plus avancés que ce qui est contenu, ce qui transparait dans le document dont nous vous avons fait part.

Le Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ) est un organisme de planification qui est rattaché directement au ministère des Affaires sociales, au ministère de la Santé et des Services sociaux. En m'entendant vous donner le nouveau nom du ministère, je m'interroge hautement, à savoir si, au niveau de la santé mentale, cette nouvelle appellation facilite les choses. J'espère que cela ne se traduira pas par deux solitudes, le côté santé et le côté social ayant un peu tendance à cheminer chacun de son côté. S'il y a un domaine qui ne se prête absolument pas à une séparation entre santé et social, je pense bien que c'est celui de la santé mentale.

Le CSMQ a pour mandat général de coopérer à la réalisation des activités de planification du ministère et a la responsabilité particulière dans le champ de la santé mentale. Je pense qu'on peut facilement dire que le CSMQ est le conseiller privilégié ou devrait être le conseiller privilégié du ministre des Affaires sociales dans le champ de la santé mentale.

Les membres de notre comité proviennent des établissements de santé et de services sociaux du Québec de même que des universités, et comprennent des représentants des utilisateurs de services de santé mentale et de leurs familles. Ils sont nommés par le gouvernement du Québec. Le comité reçoit ses mandats spécifiquement du ministre de la Santé et des Services sociaux.

Le CSMQ a participé aux premières discussions qui devaient amener le ministère de la Santé et des Services sociaux à adopter l'objectif de doter le Québec d'une politique de santé mentale. Depuis plus de deux ans maintenant, il contribue de plus d'une façon toute particulière è la réalisation de ce projet en achevant de produire, avec l'appui des Québécois, cinq importants documents pouvant tous servir à la mise au point de cette politique. Deux de ces documents ont été lancés le 26 juin, à Montréal. Il s'agit de: "La santé mentale: de la biologie à la culture" ou, si on veut, l'avis du Comité de la santé mentale du Québec sur la notion de santé mentale, et, deuxièmement, la "Santé mentale: prévenir, traiter et réadapter efficacement", l'avis du comité sur l'efficacité des interventions en santé mentale.

Le comité a aussi achevé deux autres importants documents qui seront également lancés dans les prochaines semaines. Ce sont: "La santé mentale des enfants et des adolescents - vers une approche plus globale" ou, si on veut, l'avis du comité sur la protection et le développement de la santé mentale des jeunes", et "La santé mentale: rôles et place des ressources alternatives", l'avis du Comité de la santé mentale sur les ressources alternatives.

Enfin, le comité est à achever un autre document qui portera le titre "Sortir de l'asile: des politiques et des pratiques en pays étrangers" ou, si on veut, l'avis du Comité de la santé mentale sur les expériences étrangères en santé mentale. Comme les précédents, il sera publié et diffusé par l'Éditeur officiel du Québec.

Nous avons remis ce matin aux membres de la commission copie de chacun des avis qui sont déjà disponibles. Puisqu'on vous les avait envoyés à vous directement, Mme la Présidente, et qu'il ne nous en restait que six copies, on les a distribuées à vos collègues. Trois des avis que j'ai mentionnés ont des liens directs avec la question qu'entend étudier la sous-commission. Nous avons donc jugé opportun de vous en parler aujourd'hui.

Mme Lise Tessier, qui est un des principaux auteurs de l'avis du comité sur l'efficacité des interventions en santé mentale, vous entretiendra d'abord des parties de cet avis qui sont les plus pertinentes pour tous. Deuxièmement, M. Roger Paquet, qui a présidé le groupe de travail du comité sur les ressources alternatives, vous présentera des données de ce document qui sont aussi pertinentes pour vous et le Dr Ellen Corin, responsable du groupe de travail du CSMQ qui a mis au point l'avis sur la notion de santé mentale et qui achève actuellement la préparation de l'avis sur les expériences étrangères en santé mentale, vous présentera enfin un certain nombre d'informations tirées de ce dernier avis en préparation qui pourront être utiles è la sous-commission.

Avec eux et avec mesdames Gourgue et Fitzgerald ainsi qu'avec le professeur Grunberg, je tenterai de répondre ensuite aux questions que ces exposés pourront vous inspirer. Je voudrais demander à Mme Lise Tessier d'y aller de sa présentation. Mme Tessier.

Mme Tessier (Lise): La présentation que je vais faire ce matin est basée sur l'avis qui vient de vous être déposé sur l'efficacité des interventions en santé mentale, la partie sur la réadaptation et les supports de la communauté.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vous pourriez rapprocher votre micro un petit peu, s'il vous plaît?

Mme Tessier: Je m'excuse. Ce travail a été fait pour essayer de déterminer s'il existait un certain nombre de balises fiables, sur le plan des alternatives, à l'hospitalisation ou aux cliniques externes traditionnelles. La façon de procéder a été de faire une recension des projets de recherche qui ont évalué, avec un schème expérimental ou quasi expérimental, des alternatives à l'hospitalisation traditionnelle ou aux cliniques externes actuelles. Cette façon de procéder a l'avantage de permettre d'identifier des résultats qui sont assez solides, mais a l'inconvénient de donner des résultats uniquement sur ce qui a été évalué. Donc, cela ne couvre pas l'ensemble des questions posées par la désinstitutionnalisation. Une expérience peut être intéressante et efficace et ne pas avoir été évaluée selon le schème expérimental. Elle ne se retrouvera donc pas dans cette recension des études.

Les recherches recensées ont eu des programmes très différents, mais les résultats sont très consistants. On a comparé les projets expérimentaux avec l'hospitalisation traditionnelle et on a trouvé qu'il n'y avait pas de différence entre les programmes alternatifs et le traitement à l'interne en termes de diminution des symptômes, du fardeau sur la famille, et il y avait une différence minimale en termes d'ajustement global des patients qui bénéficient d'un programme expérimental.

Par contre, en termes de taux de

réhospitalisation, de jours passés à l'hôpital et de résultats au niveau du travail...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse de vous interrompre, Mme Tessier. Ce que vous nous présentez n'est pas dans le mémoire que vous nous avez transmis au mois de mai?

Mme Tessier: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est textuel ici. Bon, d'accord.

Une voix: À quel endroit?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Étant donné que le Dr Harnois avait dit:

Cela, c'est dépassé... C'est à quelle page du mémoire?

Mme Tessier: C'est un résumé, alors je pige un peu partout.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est ça, c'est ce que je pensais, d'accord. Parfait, si vous pouvez parler juste un peu plus lentement, étant donné qu'on ne suit pas et qu'on ne peut pas suivre vos textes, ce serait plus facile pour nous d'intégrer tout ça.

Mme Tessier: Est-ce que je dois reprendre?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse, d'ailleurs, de vous avoir interrompue.

Mme Tessier: On a des résultats très intéressants quand on compare des projets à domicile et les traitements hospitaliers. Cependant - c'est là qu'on arrive aux réserves - il y a des études qui ont été faites au-delà de la période expérimentale et on se rend compte que, quand les projets ont cessé, les résultats cessent aussi et, deux ans, trois ans, quatre ans après, on revient au point initial et les résultats ne sont pas maintenus.

Une autre chose qu'il faut prendre en considération, c'est que ces études avaient quand même des critères d'exclusion et ils sont à peu près tous les mêmes: des patients qui n'ont pas de famille ou qui n'ont pas de personne significative dans leur vie, des patients qui sont homicidaires, suicidaires, alcooliques, toxicomanes, qui ont une maladie physique grave, qui ont un handicap intellectuel, qui résident hors secteur. D'aussi bons résultats ne s'appliquent pas à cette clientèle.

Il a aussi, évidemment, un pourcentage d'échecs qui est minimal, mais cela implique quand même que certains patients ont besoin d'autres types de services. Par contre, dans ces projets expérimentaux, il y avait des constantes qu'on retrouve partout, comme de l'intervention de crise, de l'intervention familiale, une médication appropriée, une continuité des services. Ces facteurs-là sont considérés comme des facteurs de succès.

Une autre chose, il y a une autre série de programmes qui ne sont pas des alternatives à l'hospitalisation, mais qui sont des alternatives à la clinique externe. Ce sont des programmes surtout de nature sociale, un peu comme Fountain House à New York ou Thresholds à Chicago, des programmes comme ceux-là qui sont des genres de clubs sociaux qui ont des programmes de réadaptation et aussi d'intervention familiale et qui gardent des liens très serrés avec l'hôpital. Ces programmes-là ont aussi des résultats très intéressants pour diminuer le taux de réhospitalisation, de même qu'au niveau des symptômes, etc.

L'inconvénient de ces programmes, c'est qu'ils sont pour des patients qui veulent bien y participer. Ceux qui n'y participent pas... Il y a un programme particulier, celui de Fairweather, qui a misé, contrairement aux autres, sur la capacité de leadership des patients psychiatriques et qui a travaillé dans ce sens-là. Cela donne des résultats très intéressants.

En bref, on veut dire qu'il est possible de traiter dans la communauté beaucoup plus qu'on ne le fait présentement, mais à certaines conditions et entre certaines limites. Ce n'est pas pour demain la fermeture des hôpitaux psychiatriques.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord, merci.

M. Harnois: M. Paquet.

M. Paquet (Roger): Mme la Présidente, je voudrais d'abord déposer officiellement le rapport de la consultation publique que nous avons menée sur la question des ressources alternatives en santé mentale et sur le système de distribution de soins en santé mentale. Ce rapport nous a largement servi pour la préparation de l'avis que nous publierons bientôt sur le sujet.

Avant d'aborder spécifiquement la question des ressources alternatives, il nous semble important de dresser un bilan sommaire des principales carences du système de distribution de soins, d'énoncer quelques orientations souhaitables et de proposer certaines priorités. Nous examinerons ensuite comment les ressources alternatives peuvent y contribuer et de quelle façon elles peuvent le faire.

Si on examine très rapidement les carences, la consultation publique que nous avons menée en identifie quatre majeures. Premièrement, un manque de diversification des ressources, spécialement la faiblesse des

services et des structures entre le milieu de vie de la personne et l'institution.

Deuxièmement, une accessibilité problématique en raison du manque de disponibilité, spécialement en dehors des heures habituelles de travail, et d'une répartition inégale des ressources entre les différentes régions.

Troisièmement, un faible niveau de complémentarité résultant d'un manque de concertation et de collaboration à différents niveaux du système.

En dernier lieu, un manque d'information et de sensibilisation au niveau de la population, problème qui nous paraît majeur.

Il est plutôt illusoire de penser que les gens des communautés locales accepteront que des personnes ayant éprouvé ou éprouvant des difficultés de santé mentale puissent demeurer ou retourner dans leur milieu s'ils ne sont pas mieux informés et davantage sensibilisés à l'égard de la santé mentale. Bon nombre de personnes considèrent ces gens comme dangereux. Il est compréhensible qu'ils résistent à les voir habiter sur leur rue, côtoyer leurs enfants et travailler è côté d'eux.

Il y a un manque d'information aussi au niveau des familles et de l'entourage des personnes en difficulté. Les enquêtes de besoins réalisées à ce niveau sont éloquentes. Les parents et les proches veulent connaître la nature des difficultés que vit la personne. Ils veulent aussi savoir quelle attitude adopter, quels moyens utiliser. Cet aspect pourra être longuement développé par Mme Fitzgerald, lors de la période de questions, si vous le désirez.

À cela, il faut ajouter un certain nombre de carences qui sont identifiées plus spécifiquement par les ressources alternatives. Je me limiterai tout simplement à les énumérer brièvement. D'abord, les ressources alternatives considèrent que les intervenants professionnels et les institutions exercent une trop grande prise en charge des personnes en difficulté. Cette attitude empêche la personne de prendre une part active à l'analyse de sa situation, à l'identification de ses besoins et au choix des réponses à apporter.

Deuxièmement, les dimensions sociales et environnementales de la santé mentale et de la maladie mentale sont peu ou pas prises en considération. Plusieurs catégories de besoins ne reçoivent pas de réponse adéquate et le système produit trop souvent des attitudes de dominance de la part des intervenants.

Quel que soit l'angle d'analyse, le système de santé mentale présente des failles importantes qui compromettent sérieusement le maintien et la réinsertion dans la communauté, dans des conditions acceptables, des personnes éprouvant ou ayant éprouvé des difficultés de santé mentale.

Pour y remédier il nous semble» en tout premier lieu, qu'une correction de trajectoire dans l'approche de la problématique de santé mentale s'impose. Après avoir connu une phase de développement et de croissance des services, nous croyons qu'il faut maintenant se diriger vers une approche favorisant une participation active de la personne à toute action susceptible de développer, maintenir et restaurer sa santé mentale; une approche encourageant et suscitant chez les membres et les organismes de chaque communauté leur participation et leur contribution; une approche associant le soutien de l'État, des établissements et des services publics à l'effort des personnes et des communautés.

La santé mentale concerne d'abord chacun des citoyens évoluant quelque part sur le continuum santé mentale, maladie mentale. L'État ne doit plus se substituer è la personne dans la satisfaction de ses besoins, mais plutôt s'y associer dans le respect des compétences de l'individu et de l'environnement.

En plus de modifier l'approche, certaines actions nous apparaissent prioritaires, spécialement à l'égard de toute la question du maintien en communauté. On souligne trois types d'actions plus particulièrement: d'abord, la mise en place de programmes d'information pour démystifier cette réalité, mais aussi sensibiliser les personnes et les communautés à l'importance de leur implication et de leur contribution; deuxièmement, des services d'intervention en situation de crise par le biais d'une approche intégrée. Ces services devront être en mesure de s'adresser à un ensemble de situations de crise reliées aux difficultés personnelles, familiales ou sociales et ce, en tout temps. Leur action devra pouvoir s'actualiser autant dans le milieu de vie de la personne qu'à l'intérieur de lieux désignés à cet effet.

Troisièmement, des programmes de maintien en milieu naturel comprenant un premier volet visant à permettre aux personnes de recevoir dans leur milieu les services que requiert leur état.

Le second volet devra s'adresser aux personnes ayant vécu des difficultés telles qu'elles ont dû temporairement être retirées de leur milieu, ce qui pose tout le défi de (a réinsertion. Nos efforts devront surtout porter, à ce niveau sur le développement, dans la communauté et avec les membres de la communauté, d'une expertise de réadaptation venant appuyer et poursuivre l'intervention entreprise au niveau des traitements spécialisés dispensés en établissement.

Si cet ensemble d'actions venait s'ajouter aux efforts déjà consentis, le Comité de la santé mentale considère que

les personnes éprouvant ou ayant éprouvé des difficultés de santé mentale recevraient un service mieux adapté à leurs besoins et pourraient prendre une part plus active à la communauté.

Si on examine maintenant de façon plus spécifique la contribution des ressources alternatives, nous pouvons voir que ces ressources peuvent avoir une influence positive sur la situation des personnes en difficulté. Précisons tout d'abord que nous parlons de ressources alternatives dans le sens d'organismes, que ce soient des groupes ou des corporations à but non lucratif, autonomes, qui proposent à la personne, dans son milieu de vie et avec sa participation, un soutien particulier pour acquérir et maîtriser les moyens requis pour répondre à ses besoins, Elles se distinguent nettement des structures intermédiaires, qui sont de petites ressources qui, elles, relèvent des établissements. (10 h 30)

En raison de leurs caractéristiques, les ressources alternatives peuvent apporter la contribution suivante: d'abord, elles rendent des services concrets répondant è des besoins identifiés chez des personnes. Deuxièmement, elles le font en sollicitant la participation de ces personnes et de leur milieu. Elles ont développé des façons de rejoindre les gens et d'associer l'environnement. De dimensions restreintes et personnalisées, ces ressources peuvent se modifier plus rapidement, compte tenu de l'évolution des besoins et elles accordent une importance particulière au respect des droits de la personne.

Par rapport aux services publics, leur action s'exerce ailleurs et autrement. Quel que soit leur objectif, soit de répondre à un besoin non comblé, d'expérimenter de nouvelles façons ou parfois même de contester les services en place, les ressources alternatives viennent enrichir la gamme de services en offrant une possibilité de choix et en mettant à contribution les aidants naturels trop souvent négligés par les services publics.

En conséquence, il apparaît au Comité de la santé mentale qu'il faille reconnaître l'existence et respecter l'identité des ressources alternatives, leur fournir des moyens adéquats pour exercer leur action, leur permettre de participer à la réflexion en santé mentale et les associer à la planification et à la dispensation des services tout en s'assurant de leur fournir les moyens requis pour évaluer leur action. À l'heure actuelle, leur survie est souvent précaire et leur existence très marginale.

Sans chercher à les intégrer et sans tenter d'en faire un système capable de répondre à tous les besoins, il faut mettre à contribution leur expertise au profit de l'objectif fondamental que nous poursuivons tous, soit l'amélioration du niveau de santé mentale de chaque citoyen.

Une voix: Merci, M. Paquet. Dr Corin.

Mme Corin (Ellen): Merci. L'avis sur les expériences étrangères est en cours de réalisation. Pour cette raison, la présentation de son contenu va se centrer sur la démarche que nous avons suivie, sur la manière dont nous sommes en train d'organiser le matériel et déjà sur certains points qui nous paraissent ressortir des expériences que nous avons examinées.

Pour réaliser cet avis, nous avons sélectionné un certain nombre de pays en fonction de deux critères: d'une part, une proximité socioculturelle par rapport à la société québécoise et, d'autre part, leur intérêt en ce qui concerne les modèles de services qu'ils avaient mis en place. Notre document repose ainsi principalement sur l'analyse de données concernant la France, la Grande-Bretagne et l'Italie. Il intègre également d'autres données concernant New York, le Massachusetts, la Suède et l'Ontario.

Notre travail repose sur le présupposé suivant lequel aucun modèle de service n'est directement transposable d'une société à une autre. C'est en comprenant mieux les différences et les spécificités des autres systèmes qu'on a le plus de chance d'en tirer profit.

Pour effectuer l'analyse de nos données, nous sommes partis de quelques questions qui nous paraissent d'une importance cruciale en s' interrogeant sur une réforme des services psychiatriques.

En comparant les systèmes les uns avec les autres par rapport aux questions que nous posions, nous voulons faire ressortir trois ordres de faits: d'une part, la diversité des options prises par rapport à chacun des points traités; deuxièmement, les facteurs de contrainte et les barrières qui font obstacle à la réalisation des modèles ou à l'atteinte des objectifs et, troisièmement, les conditions ou les éléments de contextes qui ont permis le développement d'un système particulier.

La première des questions examinées est celle du degré de désinstitutionnalisation apparent dans le système, ainsi que celle des modalités concrètes de cette désinstitutionnalisation, c'est-à-dire les moyens que se sont donnés les gens pour la réaliser, et cette question générale demande que l'on s'interroge en premier lieu sur la place qui est faite dans les différents systèmes à l'hôpital psychiatrique. Les pays peuvent être rangés ici sur un continuum. À un extrême, on trouve une position qui vise essentiellement le démantèlement de l'hôpital psychiatrique; à l'autre extrême, on parle plutôt de réformer l'asile, de le réinsérer dans un système plus global de soins où les patients pourraient circuler aisément entre

l'interne et l'externe. Entre les deux, se trouve, par exemple, la position de la Grande-Bretagne qui, s'étant donné comme objectif, en 1961, de fermer l'hôpital psychiatrique, a dû s'orienter par la suite vers des options moins radicales qui mettent l'accent, dans son cas, sur le développement d'ensembles intégrés et complets de services psychiatriques dans les hôpitaux généraux.

Trois points particuliers doivent être relevés ici, à partir des expériences que nous avons examinées. Premièrement, c'est que le succès de la désinstitutionnalisation des patients psychiatriques dépend essentiellement de la quantité et de la qualité des services que l'on a mis en place dans la communauté. Ces services doivent être diversifiés et gradués afin de pouvoir accueillir des patients eux-mêmes très différents les uns des autres.

Il faut que des mécanismes permettent le passage des patients d'un type de service à l'autre, suivant une trajectoire qui n'est pas toujours rectiligne. Il faut également prévoir des mécanismes de continuité qui permettent à un projet de thérapie ou de réinsertion de se prolonger lorsque le patient change de structure. Les mécanismes concrets que privilégient ici les pays diffèrent d'un cas à l'autre.

Deuxièmement, il faut tenir compte des fonctions que remplissait l'hôpital psychiatrique et se demander qui va pouvoir assumer ces fonctions si on supprime cet hôpital psychiatrique. Il n'est pas sûr que des ressources du milieu puissent assumer l'ensemble de ces fonctions.

Troisièmement, et cela apparaît de façon très générale, c'est que la désinstitutionnalisation n'est pas seulement une question de structure, mais peut être aussi et peut être essentiellement une question d'esprit ou de philosophie de base par rapport à la maladie mentale, à la réinsertion et au traitement. Même si les options varient très fort, ici, d'un pays à l'autre, on remarque que l'adhésion des intervenants à cet esprit a un pouvoir de mobilisation important par rapport à l'action.

Une seconde question concrète qui découle de la désinstitutionnalisation est celle des rapports que l'on établit entre les secteurs de la santé et du social. Les différents pays ont expérimenté toute une série de formules qu'il est intéressant de comparer et il est évident qu'un des défis qui se posent est celui de pouvoir effectuer une certaine coordination entre les deux champs au niveau de la définition des priorités, au niveau de l'attribution des fonds et à celui de la répartition du personnel notamment.

Dans les cas où la priorité a été donnée exclusivement ou majoritairement au secteur social, par exemple, il y a toujours risque d'un encapsulement des services spécialisés et ceux-ci tendent alors à développer leur propre structure parallèle avec les risques de dédoublement qu'implique ce développement.

La troisième question liée à la désinstitutionnalisation des services est celle du rapport entre les services psychiatriques et un territoire déterminé. Une forme ou l'autre de sectorisation se retrouve en effet partout, au sens où un découpage territorial sert de base à l'administration des services. Ce principe répond à trois grands objectifs: permettre une meilleure intégration des ressources, rapprocher les équipes du milieu et faciliter la réintégration des patients psychiatriques dans leur milieu.

Deux points particuliers méritent cependant ici notre attention. Le premier, c'est que les pays diffèrent fortement au niveau du degré de souplesse ou de rigidité qui est lié à la sectorisation. Un des points qu'on a fait ressortir dans plusieurs contextes et qui nous semble intéressant à souligner est que la sectorisation jouerait davantage un rôle de pression auprès des Intervenants pour les obliger à ne pas rejeter certains des patients qui viennent de leur territoire, puis un rôle de pression auprès des patients qui, théoriquement, seraient libres d'une certaine façon de s'adresser à d'autres intervenants.

Le second point, qui est également important, concerne le manque de correspondance que l'on note partout et au Québec également, je pense, entre les découpages sectoriels qui relèvent de différents champs: le sanitaire, le social, le scolaire, etc. Cette absence de concordance rend beaucoup plus difficile la création d'optiques d'intervention intégrée entre les différents secteurs. Le second grand thème à partir duquel nous effectuons l'analyse de nos données est celui du degré de centralisation ou de décentralisation apparent dans les différents systèmes ainsi que les structures politico-administratives qui y correspondent.

Nous examinons plus particulièrement trois questions ici. La première concerne les facteurs clefs qui ont été impliqués dans la conception puis la mise en acte de la réforme. Il est frappant de constater que, partout, l'impulsion de base de la réforme des services psychiatriques est née de l'intérieur du système psychiatrique lui-même. En un second temps, on observe parfois des alliances avec des forces extérieures, comme des groupes de pression dans la communauté ou des groupes syndicaux, par exemple.

Les penseurs de la réforme attachent au début beaucoup d'importance à l'élaboration de la philosophie de soins que j'ai mentionnée plus haut, mais lorsque les administrateurs prennent le relais, comme c'est arrivé dans beaucoup d'endroits, on observe généralement un glissement dans les objectifs de base, et sortir les patients

psychiatriques de l'hôpital prend alors souvent le pas sur la mise au point de modèles d'intervention novateurs. La seconde question est celle des partenaires impliqués dans le système des services psychiatriques. Les pays diffèrent fortement entre eux par la place qu'ils accordent au système privé. Ce dernier est parfois présenté comme le garant d'un certain pluralisme. En Grande-Bretagne, il faut mentionner ici le rôle très important que jouent les associations privées. Certaines sont organisées à l'échelon national, ce qui leur donne une force beaucoup plus grande de pression et leur permet de faire de la planification à plus long terme.

Enfin, la troisième question touchée par cette question de la centralisation est celle des mécanismes de planification à court, moyen et long terme. Nous considérons particulièrement le degré de flexibilité de cette planification, les partenaires impliqués dans la planification et les mécanismes de soutien à la mise en place d'initiatives et peut-être surtout le statut que le système fait à la diversité.

Le troisième thème, sur lequel je ne m'étendrai pas ici, auquel nous accordons l'attention, est celui du degré d'implication des communautés locales et des mécanismes qui permettent de renforcer cette implication. On observe que ces mécanismes jouent, d'une part, sur le plan politico-administratif au niveau d'une série de processus qui donnent de l'influence, un pouvoir de décision et de financement parfois, à des communautés locales, à des municipalités.

Une des contraintes qui apparaît lorsque l'on cherche à évaluer l'impact de cet effet d'implication de communautés locales dans la planification et le financement des services, une des barrières réside dans les attitudes négatives qui continuent souvent à se manifester au sein des communautés de base par rapport aux patients psychiatriques. On veut bien de la réinsertion des patients, mais pas dans son quartier, pas dans sa rue. Quand il faut dégager des fonds pour le faire, à ce moment, c'est souvent plus difficile.

C'est pour cela que, autant il est important de pouvoir trouver des mécanismes pour impliquer des communautés locales, leur donner des responsabilités, les faire participer aux décisions, autant il ne faut pas être utopique et il faut en même temps essayer de prévoir des mécanismes mobilisateurs qui soient plus que de simples campagnes de diffusion de l'information.

Alors, les comparaisons entre les données recueillies permettent également de faire ressortir un certain nombre de facteurs de contrainte qui jouent partout ou d'autres qui sont plus spécifiques au niveau des facteurs de contrainte à portée générale. On note, bien sûr, des contraintes budgétaires particulièrement évidentes à l'époque actuelle. Ce qui apparaît partout, c'est que la désinstitutionnalisation ne coûte pas moins cher que le traitement des patients en hôpital psychiatrique, au moins, à court ou moyen terme.

Un second type de contrainte est lié au système lui-même et notamment au rôle croissant d'une logique gestionnaire qui peut aller contre le développement d'initiatives créatrices dans différents domaines. On peut aussi rappeler ici les contraintes liées aux attitudes communautaires dont je viens de parler et, enfin, il faut rappeler les contraintes liées à la maladie mentale elle-même et à sa résistance à des modèles de pratique qui espéraient faire disparaître la chronicisation.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci beaucoup.

M. Harnois: Mme la Présidente, est-ce que vous me permettrez de corriger une erreur que j'ai faite un peu plus tôt. J'ai oublié de présenter le secrétaire du Comité de la santé mentale, qui est dans la salle, M. Pierre Vendette, qui est à ma droite. M. Vendette est au Comité de la santé mentale depuis déjà plusieurs années et il ne fait pas de doute à nous tous qui sommes des gens qui viennent et qui passent au comité que M. Vendette est la cheville ouvrière du Comité de la santé mentale. Il occupe ce rôle de façon humble, mais je m'en serais voulu de ne pas souligner sa présence. Il y a aussi avec nous, dans l'auditoire, le Dr Marc Grenier, qui est psychiatre et qui est rattaché, pour l'instant, au Comité de la santé mentale lui aussi. Je voulais faire cette correction. (10 h 45)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Nous leur souhaitons la bienvenue. D'abord, je veux remercier le Comité de la santé mentale du Québec d'avoir décidé de venir devant la commission. Nous croyons que c'est une contribution très impartante. Les objectifs modestes de la sous-commission, qui se penche sur le problème de la distribution des services de soutien aux personnes ayant des troubles mentaux, étaient d'abord de sensibiliser le pouvoir politique - et je le dis d'une façon absolument non partisane, le pouvoir politique étant un gouvernement ou un autre - aux problèmes que vivent les personnes dans la communauté. Je pense que cette occasion que vous avez de venir vous exprimer en public, même si vous l'avez déjà fait à maintes occasions, a peut-être une chance d'avoir un plus grand rayonnement.

Notre deuxième objectif, c'est évidemment de sensibiliser la population à tout ce problème de la santé mentale. Trop souvent, on en entend parler d'une façon sporadique à l'occasion de crises ou de pré-

tendus scandales ou pas ou d'événements plus dramatiques, mais, tout de suite, comme société - et d'après ce que vous dites, je pense qu'on ne fait pas exception - on est porté à déposer la couverte sur un problème qui, finalement, nous fait peur et pour lequel il est clair que, même si on recherche des solutions, on ne les a pas encore trouvées, et on n'est pas sûr que la société soit prête non plus à faire les investissements qu'exigeraient des solutions appropriées.

Le troisième objectif est peut-être encore plus modeste, c'est finalement, de colliger les données qui nous sont apportées ici, d'y ajouter notre réflexion personnelle et peut-être, si le temps nous le permet, d'élargir à l'extérieur de l'enceinte de l'Assemblée nationale les initiatives que la commission pourrait prendre et, finalement, de faire des recommandations qui seraient déposées à l'Assemblée nationale avec l'espoir que, peut-être, l'action deviendra un peu plus rapide dans ce domaine de la santé mentale et plus particulièrement de la réadaptation des malades mentaux.

J'ai lu avec intérêt votre mémoire, auquel vous avez fait référence au point de départ. J'ai également - là, je dois vous dire que c'est en diagonale - revu au moins deux ou trois de vos avis, parce que je venais de les avoir. Par exemple, on retrouve une bonne partie du tome I, Synthèse et recommandations, dans le mémoire écrit que vous nous aviez envoyé au mois de mai. Je trouve très intéressant que vous ayez pu faire ce survol de toute la littérature, analyser les effets positifs, ou ceux qui le sont moins, de toutes les expériences qui ont été menées dans la majorité des cas, il me semble, aux États-Unis. Enfin, tous les noms étant anglais, j'ai décidé qu'ils étaient tous aux États-Unis; il y en a peut-être en Angleterre aussi, mais je pense que c'est surtout américain, comme survol de littérature.

Quand j'ai lu cela, cela m'a appelée à beaucoup de modestie et je me suis dit: Ce ne sera pas facile pour la commission de faire des recommandations. Je pense que c'est un sentiment que, déjà, vous-mêmes vous partagez, comme groupe travaillant depuis déjà quelques années, je pense, à l'intérieur du Comité de la santé mentale. Vous réalisez bien que si on peut diagnostiquer d'une certaine façon les problèmes, grossièrement et, d'une façon générale, assez facilement, il y a aussi un consensus sur la nécessité de trouver de nouvelles avenues, de trouver des solutions nouvelles et de faire de nouveaux types d'expérience. On sait quand même que toutes ces choses ont leur limite, comme Mme Tessier le mentionnait tout à l'heure, quand elle a résumé ces études. Mais il reste que, pour nous, nous n'aurions ni le temps ni le moyen ni l'expertise pour faire ce travail de défrichage qui m'apparaît extrêmement important et qui, peut-être, remet dans un contexte plus réaliste les ambitions ou les désirs que chacun d'entre nous peut avoir, eu égard à cette problématique.

Pour revenir à Mme Tessier sur la question des études qui ont été faites, vous avez parlé des limites de ces études-là; d'abord, l'exclusion de certaines personnes, des expériences évidemment qui variaient d'un endroit à l'autre et dont - et c'est ce qui m'a peut-être le plus frappée, je l'avais vu ailleurs aussi - les résultats sont, somme toute, assez positifs dans le cas des alternatives au traitement traditionnel quand on recourt aux mesures intermédiaires ou à d'autres types de mesures dans les années ou les quelques mois qui suivent. Quand les expériences sont arrêtées, les résultats s'annulent d'une certaine façon. Je veux vous poser deux questions. La première s'adresse autant au Dr Harnois qu'à vous: Est-ce qu'il se fait ici d'une façon systématique - au Québec - certaines expériences de ce type-là? Je sais qu'il y a eu des expériences de faites, par exemple des initiatives de prises -on en a parlé un peu hier soir - ce qui m'apparaît plus être des mesures concrètes pour sortir la personne de l'institution et la mettre dans un autre milieu de vie, mais peut-être pas de véritables expériences intégrées dont il est question dans votre document ou dans les recherches que vous avez évaluées. Est-ce qu'il s'en fait? Deuxièmement, quelles sont vos réactions à l'endroit de ce qui apparaîtrait, après un certain temps, en dépit des efforts qui y sont mis, comme un certain échec finalement de la réadaptation de ces personnes?

Mme Tessier: J'aimerais mieux répondre à la deuxième question avant de répondre à la première.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord, à votre goût.

Mme Tessier: Je ne suis pas certaine qu'on peut parler d'échec de la réadaption. Je ne le vois pas exactement dans cette perspective-là dans le sens qu'il faut considérer le malade mental comme une personne qui a une vulnérabilité à long terme. Â ce moment-là, la réadaptation se fait dans un moment précis et, à court terme par certains apprentissages, etc. Mais le patient psychiatrique, c'est quelqu'un qui est vulnérable à long terme. Le point principal que ces études ont démontré, c'est que c'est l'intervention de crise qui est majeure et qu'il faut assurer à long terme une intervention de crise. Il faut que quelqu'un connaisse ce patient, sache qui il est et fournisse une intervention au moment où il se passe quelque chose. On ne peut pas parler d'échec. C'est lié à la nature de la

maladie mentale.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans une perspective de chronicité.

Mme Tessier: Dans une perspective de chronicité. Je parle plus de la chronicité à ce moment-ci là-dedans.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ah oui. Sur les études au Québec, se fait-il...

M. Harnois: De mes collègues, des chercheurs qui sont ici avec moi en connaissent peut-être plus long là-dessus. Il ne semble pas y avoir d'étude systématique qui comparerait différents types de ressources alternatives les unes avec les autres quant à leur degré de satisfaction et de réponse à des besoins de la clientèle.

L'organisation mondiale de la santé est en train de mettre sur pied une étude comparative qui va impliquer six pays et là, c'est plus de l'hôpital Douglas dont je parle puisqu'on agit comme centre de la collaboration de l'OMS. On nous a invités à participer à cette étude qui va essayer justement de faire une comparaison entre différents types de ressources alternatives à l'hospitalisation dans six pays. Nous allons participer à cette étude qui devrait s'enclencher vers la fin de l'année. Je ne sais pas s'il existe des études rigoureuses et systématiques. Mais j'ai des collègues ici autour de la table dont le Dr Grunberg...

M. Grunberg (Frederic): Si vous permettez, il y a une étude à laquelle d'ailleurs Mme Tessier a participé il y a quelques années au Montreal General Hospital, avec le Dr Fenton, où on a comparé les prises en charge hospitalières pour des malades psychiatriques aigus et les prises en charge domiciliaires. C'est une étude qui a une renommée absolument internationale. Malheureusement, comme partout ailleurs, nul n'est prophète en son pays. Peut-être que Mme Tessier pourrait la commenter elle-même.

Mme Tessier: Je pense que oui. Cette recherche est d'ailleurs dans la bibliographie du mémoire. C'est la seule recherche québécoise qui est dans la bibliographie. Il y a aussi une étude canadienne qui a été faite à Vancouver et qui a posé un certain nombre de problèmes méthodologiques. Ce sont les deux études de ce style au pays. Ce sont des projets qui n'étaient pas intégrés à un service. Cela a été fait avec un budget de recherche conçu par des chercheurs et cela a été fait un peu en marge du système existant. On a créé de toutes pièces une équipe de service à domicile et on a comparé avec les services hospitaliers existants, en assignant au hasard les clients, soit au groupe à domicile, soit au groupe hospitalier, selon les autres types de recherche dont j'ai parlé tout à l'heure et avec les mêmes résultats. C'étaient des moyens très modestes mais qui ont quand même permis d'éviter l'hospitalisation dans ce qu'on a estimé à 55 % des cas à peu près, 55 % d'un hôpital général. C'était une équipe composée d'un psychiatre, d'un travailleur social, d'une infirmière et qui avait comme caractéristique d'aller faire des visites à domicile, de répondre aux crises, d'avoir un service d'urgence 24 heures sur 24, qui n'était d'ailleurs pas utilisé. Les gens l'utilisaient la première semaine pour voir si le système fonctionnait, mais ne l'utilisaient pas par la suite. C'est un système qui, en fin de compte, ne conduit pas à plus de visites à domicile que des gens qui vont en clinique externe à l'hôpital. Il n'y a pas eu, non plus, plus de médicaments donnés parce que les médicaments étaient suivis de très près. Il n'a pas fallu augmenter la dose de médicaments pour maintenir les patients à domicile. C'est un projet qui a été fait en 1972. On n'avait pas, à ce moment-là, de ressources alternatives d'hébergement et de choses semblables. Mais, même sans ces moyens, on considère qu'on pouvait maintenir à domicile 55 % de l'ensemble des patients hospitalisés dans un département d'hôpital général dans la communauté au lieu de les hospitaliser. On a fait des présentations un peu partout, ici et à l'étranger, et on a rencontré beaucoup de résistance pour généraliser cette expérience. Les gens nous disaient presque: Vous ne l'avez pas fait, parce que cela demande trop de moyens, cela demande trop de changements de mentalité. Les gens ne voulaient pas généraliser cette expérience. Il y a beaucoup de résistance à cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Dans le domaine de la recherche au Québec, évidemment, il y a de la recherche qui se fait au plan clinique, au plan du traitement psychiatrique médical, mais dans les domaines qui intégreraient ou changeraient l'approche de réinsertion sociale des malades mentaux, où mettriez-vous vos priorités? D'abord, y a-t-il des sommes qui sont dégagées pour cela'' Cela reste quand même marginal, sans vouloir minimiser, cela semble une exception, ce type de recherche faite au Québec. Est-ce que...

M. Harnois: Mme la Présidente, je n'ai peut-être pas la réponse complète à cette question. Les subventions de recherche au Québec pour ce genre de choses se font surtout à partir du Conseil québécois de la recherche sociale qui, justement, subventionne un certain nombre de projets qui traitent de réinsertion sociale. Au niveau des organismes de recherche, des centres de

recherche en santé mentale, il y en a relativement peu. Il y en a un à l'hôpital Louis-H. -Lafontaine et il y en a un au centre hospitalier Douglas. Je vais demander, si vous le permettez, au Dr Ellen Corin, à ma gauche, qui est directeur de la recherche psychosociale chez nous... On s'éloigne un peu du Comité de la santé mentale du Québec, mais je pense qu'elle est plus capable que moi de répondre à votre question. (11 heures)

Mme Corin: Je pourrais peut-être juste dire quelques mots sur le type de recherche que nous essayons de faire depuis deux ans. C'est une recherche qui essaie, précisément, de répartir des patients, des personnes elles-mêmes, de répartir des milieux et d'essayer de saisir ce qui s'y passe en termes de dynamique. Il y a, par exemple, un important projet de recherche qui porte sur des patients qui ont été diagnostiqués comme schizophrènes. Nous pensons qu'il est essentiel de comprendre ce qui se passe entre la personne et son milieu lorsqu'elle retourne dans la communauté, lorsqu'elle y est, pour savoir comment pouvoir épauler ce que nous appelons des stratégies positives de réinsertion et comment pouvoir essayer de contrer certains obstacles à cette réinsertion. C'est une très grosse recherche qui est subventionnée effectivement par le Conseil québécois de la recherche sociale.

Nous avons d'autres recherches aussi qui voient comment on peut tenir compte des attitudes des communautés dont nous parlions tout à l'heure dans une planification de services psychiatriques, particulièrement dans les régions périphériques qui sont caractérisées par une pénurie de ressources spécialisées.

Enfin, nous essayons de mettre en place une dimension d'évaluation qui essaie justement de voir comment on peut mettre au point des plans d'évaluation qui tiennent compte de la perspective des patients, de l'impact des interventions sur la qualité de vie, etc.

Donc, il y a une série de pistes qui commencent à se mettre en place, qui sont financées par les organismes fédéraux et provinciaux, qui devraient donner des pistes concrètes pour l'action.

Du côté du centre de Louis-Il. Lafontaine, je pense que les gens se centrent plutôt sur des recherches qui évaluent certaines formes particulières d'interventions, comme des thérapies comportementales ou des choses comme ça et qui prévoient également un moyen à plus long terme de développer des recherches portant sur la réinsertion. Donc, le courant est en train de se mettre en place, mais en est relativement à son début.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci beaucoup. Oui?

Mme Tessier: Je voudrais juste faire un autre commentaire sur un autre niveau de recherche. Je pense que cette semaine on cherchait au niveau du comité sur les expériences étrangères à comparer le niveau de désinstitutionnalisation dans chacun des pays. Par exemple, au niveau des statistiques ici, on ne les a pas. Quant aux données de base à l'évaluation, cela n'existe pas et je pense qu'il y a des questions à se poser là-dessus.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Vous apportez la question des statistiques. Il y a une chose qui me frappe. À moins que... Non, j'ai posé la question, je pense, hier soir, au Dr Harnois et lui-même a fait une approximation d'à peu près... Je ne sais pas si c'est vous ou le Dr Aird, mais un des deux qui, pour l'ensemble du Québec en ce qui touche la santé mentale... J'ai l'impression, je ne sais pas si vous en connaissez la cause, qu'on est devant un manque de statistiques... On peut connaître le nombre de jours d'hospitalisation, le nombre de patients qui ont été hospitalisés, etc., pour des traitements en maladie mentale, mais on est vraiment assez dans l'inconnu quant à des statistiques un peu plus précises. Par exemple, les statistiques que vous avez sont sur les gens qui viennent è l'hôpital ou qui viennent demander des services. Je pense que c'est Mme Tessier qui faisait allusion tout à l'heure au fait qu'on n'a pas les statistiques de ceux qui ne se présentent pas aux services. On sait souvent que la question de la motivation est un problème important chez les malades mentaux pour avoir les soins dont ils ont besoin. Ce qui ne nous donne pas non plus de statistiques un peu précises, sauf sur une estimation assez grossière, sur ce qu'on appelle les itinérants qui seraient des gens qui ont des difficultés - appelons-les ainsi pour le moment - d'adaptation affective et sociale sérieuses.

Je ne sais pas si c'est ma perception qui est mauvaise là-dessus ou si on est vraiment devant une réalité à laquelle on devra aussi un peu s'attaquer pogr faire une planification qui soit un peu organisée, sans tomber dans de la rigidité, mais quand même savoir ce que cela implique comme coût, qui on veut servir, qui on veut réinsérer et même quelle est notre définition de la réinsertion sociale.

Parmi tous les groupes qu'on a entendus jusqu'ici et, encore une fois, c'est avec mes préjugés et je le fais pour l'échange de propos, on a l'impression qu'il y a une volonté de dire: II faut désinstitutionnaliser, il faut les mettre dans la communauté mais on a l'impression qu'on ne sait pas jusqu'où ce cheminement de réinsertion sociale va

véritablement. Est-ce qu'une fois sorti de l'institution on dit: C'est déjà une forme, un pas vers la réinsertion sociale? J'ai l'impression qu'il y a beaucoup d'autres étapes sur lesquelles on ne s'est pas penché et qui m'apparaissent aussi des conditions indispensables pour une véritable réinsertion sociale.

M. Harnais: Un commentaire rapide, Mme la Présidente, au sujet des statistiques. On n'a effectivement pas au Québec de données à l'échelon de la province qui seraient tout à fait valables. Cependant, l'enquête santé-Québec qui s'amorce nous révèle, dans les deux zones pilotes où elle a été faite, à savoir Rimouski et Verdun, que si elle est faite à l'échelon de la province de Québec, on va avoir des données très valables sur ce qu'on pourrait appeler de façon un peu grandiose l'état de santé et de santé mentale de notre population.

Justement, il est possible que l'enquête se fasse. Je pense que c'est prévu qu'elle doit se faire. La commission ferait un très bon geste en appuyant cette enquête. On va aller voir systématiquement à partir des zones de départements de santé communautaire à l'échelon de la province ce qui se passe là-dedans à partir d'échantillonnage. On va s'assurer précisément que les chambreurs, par exemple, les itinérants... On va essayer d'aller voir systématiquement ces genres de population pour ne pas les exclure.

On pourrait présumer que si l'enquête est faite et qu'elle est bien faite, elle devrait permettre aux législateurs et aux planificateurs d'obtenir des données très valables, peut-être assez uniques même au Canada, sur - comme on le dit encore -l'état de santé et l'état de santé mentale de notre population puisque, comme on le faisait remarquer hier, l'enquête santé-Québec au niveau santé mentale est axée sur la fonctionnalité, sur le fait de savoir de quelle façon ce qu'on pourrait appeler maladie mentale empêche les gens d'accomplir les rôles qu'ils se sont donnés dans la vie.

Donc, je pense que ce serait très utile. Cela déborde simplement le caractère de morbidité, à savoir si les gens souffrent ou ne souffrent pas de dépression. On va plutôt aborder la chose de façon fonctionnelle qui pourrait, à assez court terme, être plus facile et nous permettre de déboucher sur des programmes de planification intéressants.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme

Tessier et le Dr Corin.

Mme Tessier: Je voudrais seulement faire un commentaire au sujet des itinérants. Je pense que c'est effectivement un phénomène qui prend de l'ampleur et sur lequel il faudrait avoir des données, pas simplement en termes de volume mais aussi en termes culturels parce que cela présente de nouveaux problèmes. Ce sont des types de personnes qu'on ne connaît pas. C'est une autre culture. C'est un autre type de patients psychiatriques. Je pense que, en termes de recherche et en termes de connaissance de cette clientèle, cela pose des problèmes, par exemple, la maladie mentale associée à l'alcoolisme et à la drogue qui n'est pas la maladie mentale pure. Alors, qu'est-ce qu'on fait avec cela? Ce sont des nouvelles choses et on fonctionne encore avec nos anciens schèmes, la psychose, etc., alors qu'il faut aller s'intéresser à découvrir quelle est cette culture et qu'est-ce qui se passe pour préparer l'avenir.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord. Docteur...

Mme Corin: Oui. Je voulais simplement faire un commentaire en ce qui concerne la réinsertion. Je pense qu'effectivement un des obstacles auxquels se heurtent les programmes de réadaptation, c'est qu'on se bat souvent sur une conception trop normative de la réinsertion, de ce qu'est une bonne insertion dans la société. C'est pour cela que je pense qu'il est extrêmement important d'essayer de voir comment des patients psychiatriques se renégocient une place dans la société et quels sont les points forts qui leur servent de soutien à une réinsertion qui tient compte des difficultés qu'ils vivent dans leurs rapports avec les autres.

 ce moment, on se rend compte que les modèles de réinsertion à privilégier ne doivent peut-être pas toujours faire autant de place à des rôles sociaux centraux dans notre société comme le travail ou des choses comme cela. Je pense qu'il y a toute une souplesse à acquérir qui est extrêmement importante mais qui n'est pas donnée, parce qu'il faut d'abord essayer de comprendre comment des patients vivent leurs rapports avec ceux qui les entourent.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord. Une dernière question avant de passer la parole à mon collègue de Bourassa. Il y a actuellement au Québec, c'est-à-dire de la part du ministère des Affaires sociales et même si vous êtes associés très étroitement au ministère des Affaires sociales, une orientation vers la désinstitu-tionnalisation. D'ailleurs, cela devient de plus en plus le débat du jour. Je pense que, compte tenu justement de cette commission que nous tenons, cela va peut-être encore plus le mettre dans l'actualité.

Maintenant, sur l'orientation qu'on semble vouloir prendre au Québec dans nos politiques de tentative de désinstitutionnali-sation à l'heure actuelle. Je sais qu'à l'Assemblée nationale on ne pose pas aux

députés ou aux ministres des questions sur lesquelles ils doivent exprimer un jugement de valeur. Peut-être qu'à vous on pourrait demander: Est-ce que, au point où nous en sommes, il y a un jugement que vous pourriez porter, soit que ce dont on a besoin pour soutenir cette désinstitutionnalisation est suffisant, insuffisant, qu'on y va trop rapidement? Enfin, tout autre critère que vous voudriez apporter. Ce qui m'amène un peu à cette question, c'est que Mme Tessier, tout à l'heure, a dit: Dans les études que j'ai examinées ou que vous avez examinées comme comité on ne répond pas à toutes les questions reliées au phénomène de la désinstitutionnalisation.

M. Harnois: Ce n'est pas facile. J'ai répondu un peu indirectement à cette question, hier soir. Je pense que je vais passer la parole à mes collègues afin de les laisser s'exprimer. Premièrement, le professeur Grunberg.

M. Grunberg: II y a un point que j'aimerais souligner pour les membres de la commission. C'est que la désinstitutionnalisation ne pourra pas se faire au Québec sans ajouter des ressources additionnelles. À l'heure actuelle, il y a un mythe qui existe - il existe peut-être même en ce qui concerne le ministère - celui qu'il y a beaucoup de gras dans les institutions qui coûtent extrêmement cher et qu'on pourrait prendre des fonds des institutions et les mettre dans des services institutionnels. Pour vraiment réussir une désinstitutionnalisation qui n'aboutira pas à ce qui se passe aux Etats-Unis, surtout à New York avec ses sans-abri, ses "homeless", il faudra ajouter des ressources additionnelles. C'est l'un des points que je veux vous faire remarquer. De même, l'humanisation des services institutionnels ne pourra pas se faire sans ressources additionnelles.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Quelqu'un d'autre veut-il ajouter à cela?

M. Harnois: Mme Gourgue.

Mme Gourgue (Christine): Oui, en ce qui concerne la désinstitutionnalisation au Québec, effectivement, il reste de grands pas à faire, mais je considère personnellement que ce qu'il reste à faire, c'est peut-être de mettre en application et de concrétiser différentes théories ou philosophies qui existent actuellement dans le réseau des affaires sociales. Je pense que ce qui est important, c'est que, avec les ressources alternatives qui existent actuellement et qui, malgré vents et marées, ont essayé de démontrer leur nécessité d'être, leur raison d'être, cette lutte ou ces revendications des ressources alternatives ont aussi amené l'émergence de tout ce questionnement qu'on fait actuellement en ce qui concerne les traitements traditionnels et les centres hospitaliers de soins prolongés.

Concernant la recherche, une forme de recherche que j'ai hâte de voir appliquer au Québec, c'est ce que je peux appeler une recherche active, soit qu'il soit adjoint un chercheur aux ressources alternatives qui existent actuellement et qui ont des idées novatrices, avec leur consentement à ce moment-là, au fur et à mesure de l'expérience, afin qu'une évaluation se fasse, mais que cette recherche ne soit pas strictement théorique, mais qu'elle devienne à ce moment-là beaucoup plus réaliste par rapport aux expériences qui existent actuellement au Québec.

L'autre point de vue, lorsqu'on parle de personnes itinérantes, je considère que, à la suite de cette forme de "chronicisation" et de dépendance que les institutions ont créée, un individu qui est en réinsertion, mais à qui on n'a pas expliqué ses droits, doit connaître les ressources et les services existant dans la communauté. 11 ne faut pas oublier que le système actuel prend en charge quasi globalement l'individu. À ce moment-là, il lui enlève,. si vous voulez, le droit de faire un choix. On a parlé d'information auprès de la population, mais je crois aussi qu'il ne faut pas oublier d'informer aussi l'individu concerné des différents services qui lui sont offerts et qui sont autres que les services traditionnels fournis par les hôpitaux psychiatriques.

En gros, je pense que c'est ce que je voulais mentionner.

M. Harnois: Mme la Présidente, l'ayant entendue plusieurs fois exprimer un point de vue très particulier, j'aimerais demander à Mme Fitzgerald, qui représente un peu la perspective de la famille et des parents, de nous dire quelques mots là-dessus. Je pense que Mme Fitzgerald est intervenue moult fois au Comité de la santé mentale. Elle aurait certainement quelque chose à dire en ce qui concerne l'appui à apporter aux gens dans la communauté. (11 h 15)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. Harnois, je voudrais, avant de passer la parole à Mme Fitzgerald, dire quelques mots. Si je ne m'abuse, je pense que Mme Fitzgerald est la personne qui a consenti à faire profiter de son expérience la population dans le vidéo que nous avons eu l'occasion de visionner hier matin. Je pense que les autres membres et peut-être Mme Fitzgerald n'étaient pas ici non plus hier matin. Je voudrais la remercier, parce que je pense que c'est une contribution importante. Cela a été une contribution importante pour nous et je pense que son interprétation pourrait être

une contribution importante aussi pour la communauté et la population. Je vous cède la parole, Mme Fitzgerald.

Mme Fitzgerald (Michelle): Merci beaucoup. Je reviens toujours au concret. Je trouve qu'ici au Québec on tend à oublier beaucoup les familles dans tout cela. Derrière chaque patient psychiatrique au Québec, il y a une famille et il y a une famille qui souffre beaucoup parce qu'elle n'a pas sa place dans le système psychiatrique. Elle se sent très exclue, elle est impuissante, elle ne peut pas avoir d'information quant à la nature de la maladie, des comportements à adopter et puis, à cause de tout cela, elle ne joue pas le rôle qu'elle devrait jouer. Pourtant, Dieu sait s'il y a des familles de bonne volonté qui voudraient aider à la réinsertion sociale.

Moi, je connais plus la clientèle des jeunes patients, la nouvelle génération des jeunes patients, les jeunes adultes, comme on les appelle, et qui sont une clientèle bien spéciale. Ce sont des jeunes qui n'ont pas été institutionnalisés, qui ne sont pas comme les patients étaient il y a vingt ou vingt-cinq ans, qui ne sont pas du tout soumis, qui sont réfractaires à la psychiatrie, et qui, à part cela, posent, je crois, un dilemme aux psychiatres et aux intervenants parce qu'ils ne peuvent pas poser de diagnostic juste dans le cas de ces jeunes parce que souvent ils ne suivent pas le traitement, ils font abus de drogue ou d'alcool, ce qui n'aide pas, car ils alimentent des symptômes et ils ont de gros problèmes émotionnels.

Ce que je vois dans ces jeunes-là, ce sont des jeunes qui ont une vision angoissée de la société et qui ne veulent pas du tout entrer dans cette société. Ils ne veulent pas en faire partie, alors, ils se cachent derrière toutes sortes de raisons. Je trouve que c'est bien dommage parce que la famille pourrait tellement aider si elle savait quel comportement adopter, comment faire. C'est ce que je remarque le plus et je trouve qu'on devrait être un peu plus souple, pas du côté du diagnostic, pas du côté de ce qui se passe en thérapie entre le patient et l'intervenant, ça, il ne le faudrait pas du tout, cela appartient à chacun, mais, il pourrait y avoir quelqu'un dans les équipes qui pourrait faire le lien avec la famille pour lui dire dans quel sens on voit le traitement du jeune, le plan de traitement, associer les gens au traitement pour que la famille ne défasse pas tout à la maison, par bonne volonté, ne sachant pas ce qui arrive. Je trouve que c'est un grand manque actuellement.

Je connais beaucoup de ces familles-là, car j'appartiens à un groupe d'entraide de parents et je trouve que ce sont des gens extraordinaires, très courageux, qui souffrent en silence - c'est un courage très, très effacé - qui voudraient donc aider et qui se sentent frustrés de n'avoir pas accès à l'équipe qui soigne leur jeune. Ils se sentent extrêmement démunis. Je crois que les groupes d'entraide de parents, cela peut aider beaucoup parce qu'à ce moment-là on va chercher de l'information et surtout le soutien dont on a bien besoin.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci beaucoup, Mme Fitzgerald. Mme Tessier et Mme Bourque ou Gourgue?

Mme Gourgue: Mme Gourgue. Nous allons renforcer ce que Mme Fitzgerald vient de dire parce que tous les résultats de la recherche vont aussi dans ce sens-là. Il y a plusieurs années, les professionnels avaient l'habitude de voir la famille comme cause de la maladie. Dans les années récentes, il y a des approches qui ont été développées, entre autres par Carol Anderson, aux États-Unis, où on a une approche psychoéducative à la famille et où on lui donne de l'information, des moyens de résoudre des problèmes concrets et justement l'entraide. Cela a été démontré comme une des conditions essentielles de succès.

Je pense qu'il y a une expérience qui a été intéressante en Angleterre où une équipe psychiatrique a développé tous les services pour les patients, toute la gamme de soins auxquels on peut penser et a fait une recherche évaluative en pensant qu'elle avait très bien réussi parce qu'elle avait investi beaucoup. Elle s'est aperçue qu'elle avait de très mauvais résultats après tout ce bel effort. Le facteur d'échec c'était qu'elle avait oublié d'intervenir auprès de la famille. Effectivement, si on fait tout le reste et qu'on ne fait pas cela, c'est un facteur d'échec important.

Pour répondre à votre question de tantôt sur ce qu'on devrait faire au Québec en général, je pense que la première chose, c'est un consensus des orientations. La désinstitutionnalisation, c'est un phénomène complexe qui a beaucoup de variables. Chacun part avec une petite partie et on ne la fait pas en même temps, c'est-à-dire que les politiciens en parlent, les technocrates en parlent entre eux, les professionnels en parlent entre eux, les professionnels de la santé, ceux du social, les groupes communautaires en parlent entre eux. Le jour où on réussira à s'entendre, à tous ces paliers sur des orientations... J'espère que les travaux de votre commission, de même que ceux du Comité de la santé mentale, vont aider à faire un pas dans ce sens-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa. J'y reviendrai s'il reste du temps.

M. Laplante: C'est pas mal vrai, ce que

madame dit. Vous avez fourni du travail, juste en documentation juste en lecture, peut-être pour un mois et on l'apprécie énormément. Vous parlez aussi, dans votre document de consultation, du développement des services d'urgence psychiatrique. Pouvez-vous dire à peu près quelle sorte de développement vous voulez faire dans le domaine de l'urgence?

M. Harnois: Je ne sais pas qui, Dr Grunberg ou M. Paquet... Voulez-vous nous dire...

M. Paquet (Roger): Disons que je voudrais préciser, en ce qui a trait à la consultation publique, qu'il ne s'agit pas d'une consultation scientifique, mais bien du recueil de l'ensemble des opinions qu'on a reçues dans toute la province et qui étaient, elles aussi, très volumineuses. On s'est particulièrement attaché, nous, à examiner la question des situations de crise qui sont très étroitement liées à la question de l'urgence.

Ce qu'on constate actuellement, c'est qu'il y a une foule de personnes qui sont dirigées vers les urgences psychiatriques, parce qu'il n'existe pas d'autres formes de services ou d'autres lieux de services pour les aider. Ces personnes éprouvent souvent des difficultés qui ne sont pas nécessairement à caractère strictement psychiatrique. Il y a une foule de situations de crise que les personnes vivent quotidiennement en termes de conflit avec leur environnement, en termes d'angoisse, en termes de mal de vivre. Ces personnes, si elles veulent recevoir de l'aide, doivent aller à l'urgence psychiatrique spécialement en dehors des heures habituelles de travail.

Cela crée à l'urgence psychiatrique - je pense que le Dr Grunberg pourra en témoigner - un ensemble de situations où l'urgence se trouve aux prises avec toute une série de choses pour lesquelles elle ne dispose pas de moyens. Elle se trouve face à des problèmes d'hébergement. Elle se trouve face à des problèmes de relations. Elle se trouve face à des problèmes qui devraient trouver réponse ailleurs.

Tout le champ des difficultés psychosociales est très mal desservi dans les situations de crise, si on fait exception des services d'urgence qui sont disponibles pour les enfants. Pour le reste de la population, il y a là un manquement majeur. C'est intéressant de voir la relation qui existe avec la recheche, parce que c'est une des constatations que Mme Tessier nous a livrées, avoir des services de crise efficaces et disponibles en tout temps.

M. Laplante: On nous a dit, hier soir, qu'il y avait 75 % des malades psychiatriques qui passaient par les hôpitaux généraux. Est-ce que, dans votre esprit à vous, l'urgence d'un hôpital psychiatrique s'arrête là ou si cela englobe aussi les hôpitaux généraux?

M. Paquet (Roger): Effectivement, cela englobe les hôpitaux généraux et je vous parlerai peut-être plus d'une région qui n'est pas celle de Québec ou de Montréal. Là, je pense que c'est encore plus évident, parce que dans la plupart de ces régions il y a très peu de services d'urgence strictement psychiatriques. C'est intégré à l'urgence des hôpitaux généraux, lorsqu'il y en a.

Dans d'autres cas, d'abord, dans les régions un peu plus éloignées, on se retrouve presque sans service d'urgence. C'est particulièrement inquiétant et c'est un des volets qui apparaît des plus problématiques en santé mentale actuellement.

M. Laplante: Iriez-vous jusqu'à créer un service d'urgence spécialisé?

M Paquet (Roger): Je pense qu'il y a une chose à laquelle il faut faire bien attention, c'est de standardiser dans toute la province une réponse à l'urgence. Je sais qu'il y a actuellement des régions qui sont en train -pas encore d'expérimenter - à tout le moins, de réfléchir sérieusement sur -différentes formules. Dans certains cas, il y aurait peut-être moyen, à l'intérieur de l'urgence d'un hôpital général, de jumeler des équipes qui ont une vocation plus médicale avec des intervenants sociaux.

Dans des milieux à plus forte concentration de population, on aurait peut-être besoin de centres de crise plus spécialisés, plus distincts qui s'adressent à ces volets. Mais dans les deux cas, quelle que soit la formule que l'on retienne, ce qui apparaît fondamental c'est d'être capable d'avoir la disponibilité pour intervenir non seulement pour recevoir les gens, mais au besoin, pour se rendre chez les gens en situation de crise.

Il y a plusieurs ressources qui sont peut-être mal exploitées à ce niveau. Actuellement, ce sont les policiers, la plupart du temps, qui doivent intervenir dans ce genre de situation. Et ils ne se disent pas aptes à le faire, et leur mandat se prête mal à le faire. Il faut trouver d'autres formules et il faut que chaque région s'interroge là-dessus. Cela m'apparaît fondamental de ne pas avoir une réponse standardisée pour le Québec; il y a trop de différences entre les différents milieux qu'on a à desservir.

M. Laplante: Dans l'accessibilité des services, on préconise d'avoir plus de psychiatres encore. Par contre, si, d'un coup d'oeil rapide, on regarde tous les services qui peuvent être donnés comme complément, ou de première ligne, si vous voulez, à partir

des psychologues, des travailleurs sociaux -et on peut aller même jusqu'à des orienteurs, aussi, qui peuvent être assez spécialisés pour rencontrer ce genre de malades - qu'est-ce qui vous dit qu'il y aurait un plus grand besoin de psychiatres? J'aimerais que vous compariez la population du Québec avec celles dont vous avez parlé tout à l'heure, soit de la France, de l'Angleterre, de l'Italie et des États-Unis, au prorata des populations.

M. Paquet (Roger): Je voudrais juste, d'abord, souligner que nous n'avons pas abordé spécifiquement cette question. Dans le cadre de la consultation, il y a des répondants qui nous ont indiqué qu'il y avait un manque de psychiatres; dans d'autres cas, on n'a pas souligné cette question. Maintenant, il y a peut-être quelqu'un qui est plus compétent que moi au niveau du Comité de la santé mentale pour répondre, peut-être, M. le président.

M. Harnois: Écoutez, vous m'avez posé la même question hier soir, et il semblerait qu'effectivement, si on se fie, par exemple, è la région de Montréal et qu'on essaie de trouver la disponibilité d'un psychiatre, c'est excessivement difficile. Les gens m'appellent, j'en connais un bon nombre, et ce n'est pas facile de mettre la main sur un psychiatre. Pour les services de diagnostic faisant appel à un psychiatre, on est repoussé dans le temps. Mes collègues qui étaient avec moi hier soir ont fait un peu le même commentaire.

Est-ce que c'est exclusivement une affaire de psychiatre? J'oserais croire que, si tout le monde qui a une responsabilité vis-à-vis du genre de problématique - appelons-la santé mentale - faisait tout le boulot qu'il est supposé faire, peut-être que les choses iraient mieux. Je demeure encore convaincu que bon nombre de nos établissements ont tendance à repousser, à refouler le malade mental, surtout le malade mental lourd un peu, vers le secteur plus exclusivement psychiatrique, alors que peut-être ils pourraient contribuer à alléger de beaucoup le fardeau.

Peut-être que les CLSC, qui doivent être la porte d'entrée de notre système, les omnipraticiens, s'il y en avait plus... Il y en a quelques-uns, quelques CLSC, un certain nombre d'omnipraticiens qui vont plus loin et qui s'occupent de la problématique santé mentale, mais je pense qu'on ne doit pas généraliser et dire que tous le font. Peut-être que s'il s'en faisait un peu plus, on ferait un peu moins appel systématiquement aux ressources de la psychiatrie et de la santé mentale.

Encore une fois, quand on parle de psychiatrie, du moins dans le contexte que j'évoquais hier soir, c'est une équipe multidisciplinaire où il y a tous les genres de professionnels que l'on connaît. Je ne sais pas si Mme Tessier ou le Dr Corin... Dr Grunberg?

M. Grunberg: II y a un point qu'il faut souligner, c'est que la psychiatrie est une pratique qui a une spécificité qui lui est propre, qui en fait ne peut pas être remplacée dans beaucoup de cas par d'autres professions. C'est le seul membre de l'équipe multidisciplinaire qui, de par sa formation médicale, puis plus tard par sa formation psychiatrique, arrive à intégrer les trois grands axes de la santé mentale, les axes biologique, psychologique et contextuel. C'est le seul qui peut le faire. Le psychiatre peut faire des interventions psychosociales et peut prescrire aussi des médicaments. (11 h 30)

II y a un groupe d'individus, surtout ceux qui souffrent de maladie mentale grave, qui ont besoin de ces trois interventions. Cela peut se faire en équipe, mais on a besoin aussi d'une intervention ponctuelle des psychiatres. Toutes les études qui ont été faites, et une en particulier qui a été faite par le Dr Amyot et le Dr Aird, démontrent qu'au Québec il y a pénurie de psychiatres. Effectivement, il y a des pays qui ont plus de psychiatres qu'au Québec. La France, par exemple, a beaucoup plus de psychiatres per capita que le Québec. Nous ne sommes pas pires que les États-Unis, mais qu'il y ait une pénurie de psychiatres, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. D'ailleurs, le ministre des Affaires sociales a reconnu ce fait et c'est l'une des spécialités où le contingentement, du moins théoriquement, a été levé.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, madame.

Mme Corin: Je voudrais ajouter deux commentaires à ce qui a été dit. Le premier commentaire, c'est que je voudrais quand même m'élever contre l'idée que les interventions sociales et psychologiques ne sont pas spécialisées. Je pense que, pour faire une bonne intervention sociale, il faut beaucoup de formation, mais cela s'acquiert difficilement. Effectivement, le psychiatre peut en connaître un peu. Il y a encore une spécialisation aussi du psychologique et du social dans l'intervention.

L'autre point, pour revenir à votre question, c'est que la notion de pénurie de psychiatres est toujours quelque chose de relativement relatif...

Des voix: Ha! Ha!

Mme Corin:... dans ce sens que le nombre de psychiatres qui est exigé d'une société et vous avez demandé de comparer un peu avec ce qui se passait ailleurs, cela

dépend toujours du type d'organisation des services. Par exemple» en Grande-Bretagne, ou la porte d'entrée dans le système est constituée par les médecins généralistes -Mme Tellier pourrait en parler mieux que moi - où les médecins généralistes ont une très grande place dans toute la réception, le traitement des patients, avant et après, le nombre de psychiatres spécialistes nécessaires est inférieur à un système comme celui de la France où l'essentiel des services psychiatriques repose effectivement sur le psychiatre. Quand on s'interroge sur le fait qu'il y a pénurie ou pas de psychiatres, il est toujours très difficile de comparer directement des chiffres d'un pays à l'autre, il faut s'interroger sur le mode d'organisation qu'on a au Québec et il faut se demander si le nombre de psychiatres disponibles ici permet ou pas de répondre aux besoins dans le domaine.

Le second point, je voudrais aussi mentionner qu'au niveau de l'expérience de la France, j'ai remarqué énormément d'énergie et de temps mis par les équipes de secteurs et par les psychiatres pour justement créer des ponts et des liens avec toute une série, notamment les médecins généralistes, avec d'autres départements dans les hôpitaux que des départements psychiatriques, et il y a tout ce qu'on appelle une pratique de psychiatrie de liaison qui est en place et qui me semble extrêmement intéressante. Il y a toute une réflexion à faire et une pratique à faire autour de la notion de consultation, où il y a des intervenants qui agissent chacun à son niveau dans des structures différentes et qui, parfois, peuvent faire appel à un psychiatre pour des cas bien particuliers et dans des moments particuliers sans que le psychiatre doive nécessairement tout prendre en charge.

M. Laplante: J'ai une dernière question, pour laisser un peu de temps aux autres. J'aimerais avoir votre opinion sur la création des centres de travail adapté. Vous savez qu'il y a actuellement au Québec une tendance à vouloir intégrer tout de suite la personne handicapée, soit ex-psychiatrisée ou handicapée physique, dans les industries, sur le marché du travail. Vu que des suggestions ont été faites à ce sujet, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, sur la création et la continuité de nouveaux centres de travail adapté.

M. Harnois: Je peux commencer à répondre. Au Québec, il y a quelques expériences qui fonctionnent bien, mais, en général, la "facilitation" que l'on offre aux malades de retourner sur le marché du travail laisse beaucoup à désirer et je pense qu'on a beaucoup à faire. Des pays sont carrément en avance sur nous: l'Angleterre, l'Italie, la Pologne font des choses qui facilitent le retour de gens qui sont plus ou moins lourdement handicapés sur le milieu du travail. Au Québec, l'Office des personnes handicapées, qui était ici hier, fait un certain nombre de choses. Ses efforts ont surtout porté sur les handicapés physiques plutôt que sur les malades mentaux jusqu'à maintenant. C'est un domaine qu'il faudrait repenser, je crois.

Je partage cependant l'opinion exprimée par la Dr Corin plus tôt qu'il faut faire attention dans nos concepts trop normalisants à ce qu'on attend de quelqu'un qui aurait souffert d'une maladie mentale pendant cinq à dix ans. Il se peut que cette personne-là ne soit pas apte à retourner au travail, mais il faut lui en donner la chance. Il y a passablement de gens qui peuvent retourner de façon plus ou moins partielle ou plus ou moins à temps plein sur le marché du travail, on pourrait aller beaucoup plus loin. Bon nombre de ces individus, à mon sens, ont besoin d'un milieu le moins protégé possible, mais, à l'occasion, quand même encore protégé. Et de s'imaginer que les gens vont avoir un épisode assez long d'une maladie psychotique et vont être facilement capables de réintégrer la compagnie Bell Canada ou d'aller travailler chez Eaton, quelquefois, on se leurre. Il faut qu'il y ait des étapes qui nous permettent de fournir à ces gens un retour graduel à une capacité de travailler, tout en reconnaissant que bon nombre d'entre eux n'iront jamais jusqu'au bout, ne retourneront pas sur le marché du travail. C'est une opinion personnelle que je donne plutôt que celle du Comité de la santé mentale du Québec.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme Gourgue.

Mme Gourgue: J'aimerais ajouter un élément à propos des Centres de travail adapté et des personnes psychiatrisées. On constate un non-respect de leur rythme pour se réinsérer è tous les niveaux de la société. Au niveau du travail, pour reprendre le terme de normalisation, beaucoup de gens croient que pour qu'une personne se réinsère socialement elle se doit d'avoir un travail, justement pour avoir une reconnaissance sociale. D'autant plus que, dans ces centres, majoritairement, il y a des questions de production et de financement qui entrent en jeu. Au départ, il s'agit de donner ou de redonner un travail, une motivation et une valorisation à la personne. Par contre, lorsque arrive le temps des statistiques à la fin de l'année et la comparaison de productivité, arrivent les difficultés. Bien souvent, des personnes, si on leur avait laissé le temps de se réadapter à un travail, à un horaire normal de travail, auraient eu la possibilité de poursuivre leur travail mais, è cause de la productivité, on les retire pour

les remplacer par d'autres personnes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Marie-Victorin.

M. Pratt: Pour commencer, je voudrais poser une question à Mme Corin. Vous avez parlé des fonctions de l'hôpital qui devraient être reprises dans la communauté. J'aimerais vous entendre donner des précisions à ce sujet.

Mme Corin: Les fonctions de l'hôpital ont été décrites de façons bien diversifiées par bien des auteurs. Je pense, par exemple, aux fonctions d'abri, de soutien qui sont certainement des fonctions qui peuvent être assumées facilement, et sans doute mieux que par l'hôpital, par des ressources alternatives. Il y a quand même toujours également des fonctions au niveau de la garde, du contrôle du traitement où, là, le transfert de fonctions est plus compliqué. Souvent, on ne peut pas tout simplement décider qu'une fonction n'est pas intéressante pour qu'elle cesse d'exister. Par exemple, au Massachusetts, je pense, on a mis en place une gamme extrêmement diversifiée de services de réinsertion qui permettent vraiment de réintroduire énormément de gens avec beaucoup de personnel et toute une flexibilité des ressources. Ils se sont rendu compte là-bas qu'il y a une sorte de petit noyau qui demeure et qui demeure non réintégrable, parce que ce sont des personnes qui, soit sont beaucoup trop violentes, soit ont une série de problèmes qui font que la réinsertion dans un milieu ordinaire est quelque chose de difficile.

Ce genre de fonctions qu'assume, pour le moment, l'hôpital psychiatrique, on peut décider que l'hôpital psychiatrique n'est pas le meilleur lieu pour les assumer, mais il faut alors se demander qui peut les assumer à sa place. Et on se rend compte, à ce moment-là, que le développement de ressources alternatives ne permet pas toujours ou pas suffisamment de prendre en charge ces patients les plus difficiles. Cela, c'étaient les fonctions les plus instrumentales, les plus manifestes. Â côté, il y a la fonction primordiale de l'asile qui permet de mettre à l'écart ce qui dérange et fait peur. Là, on en revient à la question des attitudes communautaires.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, M. le député de Marie-Victorin.

M. Pratt: J'aurais une autre question. J'écoutais tout à l'heure Mme Corin et M. Paquet mentionner que, dans ce travail de réinsertion en milieu naturel, il y a quand même une barrière de la part du voisinage. Vous avez dit qu'il y a bien des gens qui disaient: On est en faveur de la réinsertion dans le milieu, mais pas dans notre rue, pas dans notre quartier. Est-ce exact? J'ai entendu cela. C'est une réaction que je déplore et que je trouve malheureuse. On souhaiterait quand même que les sociétés, que les communautés soient plus accueillantes. Avez-vous des exemples de cas où cela s'est bien passé et qu'on pourrait donner en modèle à d'autres coins pour qu'on perce vraiment ce mur-là?

M. Paquet (Roger): Je pense que si on veut des exemples concrets il y en a quand même plusieurs. Ce qui m'apparaît le plus important de souligner c'est de quelle façon on peut s'y prendre pour y parvenir. Il y a des choses qui ont été faites qui sont intéressantes. Je vais citer un exemple qui s'est passé en Ontario, où on a mis sur pied un programme fort intéressant de sensibilisation de la communauté à toute la problématique de santé mentale. On l'a fait avec les gens du milieu et avec les associations de chacune des communautés. On a bâti des groupes de conférenciers, spécialement des gens influents dans leur communauté, pour aller s'adresser à la population sur la question de la santé mentale et se faire le porte-parole de toute l'information requise. C'est un exemple concret.

J'ai personnellement participé à la mise en place de différentes ressources à l'intérieur de la communauté, par exemple, une ressource alternative dans la région de Hull qui s'appelle la Maison Réalité. Je pense qu'à partir du moment où on est honnête avec les gens, où on leur explique clairement ce qu'on souhaite faire, avec qui on veut le faire et quelle forme de garantie on est capable de fournir, il y a une foule de mentalités qui, tranquillement, se modifient.

Le drame c'est qu'on se croit tous immunisés contre la maladie mentale. À partir du moment où quelque chose ne peut pas nous atteindre et à partir du moment où ceux qui en sont atteints sont dangereux, il est évident qu'on est, au départ, réticents; mais il y a des choses à faire pour changer cela, il y a une foule de moyens concrets qui sont disponibles et qu'on utilise malheureusement trop peu.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le

Dr Grunberg voulait ajouter quelque chose.

M. Grunberg: II y a un point que je voudrais faire remarquer. Un des obstacles majeurs à la réinsertion sociale ou à la réinsertion communautaire pour certains individus c'est la maladie mentale elle-même. Il y a certains malades mentaux qui ont beaucoup de difficultés à se réinsérer. D'ailleurs, la majorité à l'heure actuelle se trouve au sein des familles. Mme Fitzgerald

vous a peut-être fait part combien c'est difficile et combien de souffrances cela cause. Il ne faut pas perdre de vue que tout n'est pas une question de bonne volonté; c'est aussi un manque de connaissances pour arriver à bout de certaines pathologies qui rendent certains individus absolument pas insérables dans un milieu normal. Ce sont des individus qui ne peuvent pas tolérer les vicissitudes de la vie quotidienne et, pour reprendre aussi ce que Mme Corin disait plus tût, ont besoin de certains espaces asilaires, soit transitoires, soit même définitifs dans l'état actuel de l'art dans le traitement des maladies mentales.

M. Pratt: Je maintiens ce souhait qu'on puisse colliger toutes les expériences heureuses qui ont été vécues soit dans notre milieu, soit ailleurs, afin qu'on puisse, à partir de cela, faire des percées dans notre milieu pour que chacune des villes, que ce soit par le truchement d'un CLSC, des municipalités, des groupes sociaux, puisse avancer dans ce domaine-là. Sans cela, comme vous le dites, il y a bien des choses qui ont été dites et écrites mais cela va pénétrer plus lentement.

Comme vous avez souhaité qu'il y ait justement une participation des communautés du milieu, il faudra aider ces milieux en disant à ceux qui vont nous présenter toutes sortes d'objections, "on n'en veut pas", "c'est difficile", en leur disant: Cela a été tenté ailleurs et on a eu du succès, voici les faits. Je pense que c'est comme cela qu'on pourra avancer à ce chapitre-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, Dr Harnois.

M. Harnois: Les intervenants dans ce débat-là qui, malheureusement, à mon sens, sont trop absents au Québec, ce sont les municipalités. En Italie, par exemple, je connais des municipalités qui, d'office, mettent à la disposition des malades mentaux ou de leurs représentants, 1% à 2% de tous les nouveaux appartements qui sont construits. On fait cela à Arezzo et on le fait aussi en Pologne. En Italie c'est plus facile parce que, par la loi, la municipalité est impliquée dans la prise en charge du malade mental. Chez nous, les municipalités sont à peu près carrément absentes de ce débat. Je me demande s'il ne faudrait pas s'interroger sur des façons d'impliquer les corps municipaux dûment constitués parce que cela faciliterait énormément ceci. (11 h 45)

Ce qui arrive dans la pratique c'est que, quand il y a un pépin, on se retrouve chez l'échevin, chez M. le maire qui, là, doit un peu réagir à cela et à ses concitoyens qui protestent qu'on a voulu développer une ressource alternative sur telle rue ou telle autre rue. Les municipalités sont toujours sur la défensive. Il faudrait trouver des moyens de les impliquer dans ce processus de désinstitutionnalisation qui ne devrait pas n'être que la chose du ministère des Affaires sociales et des intervenants des familles. Je pense qu'il faudrait trouver une façon d'impliquer les municipalités. Là où on l'a fait en Italie, cela semble donner de bons succès.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Avez-vous fini? Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: Ce qui m'intéresse particulièrement, ce sont les foyers de groupe pour les jeunes. J'aimerais savoir un peu de votre part si les résultats sont bons. Je pense que les jeunes qui sont là y restent pour un certain temps, peut-être une période d'à peu près deux ans et apprennent à devenir autonomes avant de s'en aller ou de voler de leurs propres ailes ou peut-être rester dans des appartements supervisés.

Ce que je déplore, en tout cas pour ce qui est de Montréal, je me demande tout d'abord combien on a de foyers comme cela et pourquoi, à certaines périodes de l'année, il y a un seul patient ou une seule personne parfois qui occupe la place qui, habituellement, est retenue par cinq, six personnes. Les psycho-éducateurs, le personnel est là dans l'attente. Est-ce que c'est un manque, je ne sais pas, d'évaluation des dossiers ou si c'est simplement qu'il n'y a pas de patients qui sont prêts à aller vivre comme cela dans ces foyers?

Une voix: M. Paquet.

M. Paquet (Roger): Disons que je ne sais pas si vous faites référence à des foyers de groupe qui s'adressent aux jeunes ayant des difficultés à caractère psychiatrique ou à des foyers de groupe qui s'adressent à ce qu'on appelle plus communément le champ de la mésadaptation sociale. Essentiellement, les deux problématiques se rejoignent souvent et sont traitées un petit peu de la même façon.

Je voudrais d'abord dire qu'il y a très peu de ressources de ce genre, malheureusement. L'articulation des services est parfois problématique parce qu'il y a plus d'un niveau d'intervention à l'égard des jeunes. Il faut essayer de concilier les contraintes de nos nouvelles lois à l'égard des jeunes qui sont beaucoup plus claires et beaucoup plus encadrées en termes de types de services qu'on peut offrir lorsqu'un jeune est placé sous telle forme de mesure de garde. Par exemple, certains services sont moins accessibles parce qu'ils ne répondent pas aux exigences de supervision ou de contrôle que cela requiert. Dans d'autres cas, le processus administratif qui fait qu'un enfant va pouvoir rapidement être orienté

vers le lieu le plus adapté à ses besoins est parfois complexe, spécialement dans les régions à grande densité de population, pour plusieurs raisons, parce qu'il y a plusieurs établissements impliqués, parce qu'il y a plusieurs intervenants impliqués et qu'il y a là un délai important entre le moment où on identifie la réponse souhaitée et le moment où elle s'actualise.

Je pense, sans connaître le cas précis auquel vous pouvez peut-être faire référence, que ce sont certainement des difficultés de cette nature qui empêchent une utilisation optimale des ressources en place.

Mme Lachapelle: Est-ce que les résultats sont bons de ceux qui ont passé le temps en foyer comme cela? Vous n'avez peut-être pas des statistiques précises, mais au moins certains résultats.

M. Paquet (Roger): Je pense qu'à ce niveau là je vais plus m'exprimer sur le plan personnel parce que je dirige un centre qui, effectivement, est entièrement aménagé sous forme de structure intégrée dans la communauté, sous forme de foyer de groupes implanté dans le milieu et à très petite dimension. Je peux vous dire que, personnellement, je ne suis pas capable de démontrer que c'est plus efficace que des formules plus conventionnelles, plus habituelles.

Je sais, par exemple, que sur certains aspects du travail les gains sont majeurs. Le gains sont majeurs particulièrement au niveau de l'humanisation. Le fait que des personnes en difficulté puissent vivre et évoluer dans un milieu à dimension humaine, où ils sont en mesure de transiger avec les composantes de ce milieu, c'est un élément majeur.

Le deuxième élément, c'est la permanence de ce qu'ils acquièrent comme compétence. Quand un enfant est capable, dans la communauté, d'apprendre à transiger avec l'autorité qu'est l'école, d'apprendre à transiger avec le citoyen qui est son voisin, d'apprendre à transiger avec les règles qui nous régissent, s'il est capable de le faire dans la rue avec les gens qui sont ses concitoyens, lorsqu'il quittera le foyer, il sera encore capable de le faire. Il est sûr que ce type d'apprentissage peut être fait aussi en milieu institutionnel mais, à ce moment, ce qui est acquis dans le milieu institutionnel devient peut-être moins permanent le jour où on a à être réinséré. Cela me paraît une formule efficace, parce que la distance entre le lieu de services et le lieu de vie est diminuée et la réinsertion est forcément facilitée, de par mon expérience personnelle.

Mme Lachapelle: Automatiquement aussi, lorsqu'on connaît ce genre de foyers dans les quartiers, les gens autour, les voisins apprennent à vivre et à mieux connaître ces gens qui ont eu des difficultés. J'y crois beaucoup.

Deuxièmement, j'aimerais savoir ce qu'on appelle une famille d'accueil. Pour être reconnue comme une famille d'accueil, quels sont les critères? J'imagine que cela demande des qualités un peu plus spéciales. Est-ce que ce sont simplement des gens informés sur la maladie en tant que telle ou sur la médication à donner aux personnes qui demeurent dans ces familles? Comment choisit-on les familles?

M. Harnois: Encore une fois, c'est l'expérience personnelle de notre centre hospitalier. Il faut qu'il y ait un vouloir de la part d'une famille de faire ce genre de boulot et, a priori, ce n'est pas facile. Deuxièmement, ce que nous faisons, nous avons des entrevues assez systématisées avec les familles qui veulent recevoir des malades. Nous essayons de voir quelle est leur motivation; deuxièmement, quelle est leur capacité de le faire et, troisièmement, de négocier des règles du jeu avec ces familles. C'est un peu la façon dont cela se fait. Il y a toujours un élément économique, parce que, évidemment, la famille essaie de gagner quelques sous avec cela. Il y a très souvent aussi un élément humain. Les gens sont intéressés pour une foule de raisons à recevoir des malades. Troisièmement, comme je le mentionnais hier soir, les familles sont intéressées à pouvoir compter systématiquement sur l'appui de notre hôpital dans le vécu que cela va représenter pour elles. Effectivement, il y a ce genre de processus de sélection.

Il y a lieu de croire que cela ne se fait peut-être pas systématiquement ainsi partout. Il y a peut-être des familles d'accueil qui n'ont pas eu une évaluation rigoureuse. On n'a peut-être pas tenu compte de la capacité de la famille à prendre en charge un handicapé au départ, mais je ne peux pas dire jusqu'à quel point on peut généraliser.

Mme Lachapelle: Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je voudrais vous poser deux dernières questions; on pourrait vous en poser longtemps. Je n'ai pas la référence exacte, parce que je ne sais pas si je l'ai lue dans votre mémoire ou dans les fascicules que vous nous avez remis. À un moment donné, vous suggérez qu'il y ait des modifications au plan législatif pour mieux répondre aux besoins des malades mentaux. Pourriez-vous préciser là-dessus? Par exemple, faisiez-vous allusion à la Loi sur la protection du malade mental? Dans quelle mesure cette loi est-elle un atout ou une contrainte à la réinsertion sociale? De quel ordre de modifications parliez-vous?

M. Harnois: On s'interroge tous un peu là-dessus. Je sais qu'on a fait des recommandations en ce qui concerne les ressources alternatives en disant que la loi devrait permettre une reconnaissance officielle de ces ressources, Dr Corin, est-ce qu'on a fait des recommandations en ce qui concerne la cure fermée ou le traitement involontaire?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): De toute façon, que vous en ayez fait ou non, vous avez dû vous pencher sur la Loi sur la protection du malade mental. Ma question précise est dans quelle mesure, telle qu'elle existe et telles que les mesures d'internement sont prévues par un ordre de la cour, etc., notre loi favorise-t-elle ou défavorise-t-elle la réadaptation de ces personnes?

M. Harnois: Avant de passer la parole au Dr Grunberg, je ne crois pas que, comme comité, nous nous soyons penchés systématiquement là-dessus, parce que, parallèlement à nous, un effort de révision de la Loi sur la protection du malade mental se faisait au ministère. Donc, on n'a pas considéré...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais cela fait six ans. Voyez-vous, ce serait peut-être opportun aussi que vous examiniez cela.

M. Harnois: Cela fait si longtemps que cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

M. Harnois: Ah oui! c'est par les modifications au Code civil. De toute façon, je pense-La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais le Code civil y touche d'une façon un peu marginale. Il faut que la loi soit revue.

M. Grunberg: Je pourrais faire quelques commentaires plutôt à titre personnel.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, d'accord.

M. Grunberg: Je suis un psychiatre traitant. La Loi sur la protection du malade mental en elle-même, à mon avis, ne pose pas un très gros problème, mais il y a une loi qui en pose un, c'est la Loi sur la curatelle publique...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon!

M. Grunberg:... non pas tellement en ce qui concerne l'administration des biens, mais surtout en ce qui concerne l'administration de la personne. À l'heure actuelle, c'est vraiment extrêmement lourd, extrêmement dur pour le malade qui ne peut pas donner son consentement et surtout qui ne peut pas donner un consentement éclairé. Avec la législation actuelle, on demande au curateur de donner l'autorisation. Moi, il me semble d'ailleurs - je parle strictement à titre personnel - que peut-être il pourrait y avoir un rôle surtout pour le majeur incompétent: donner quand même une place plus importante aux proches et à la famille plutôt qu'au curateur.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord. Mme Gourgue.

Mme Gourgue: Je voudrais rapidement ajouter, en accord avec le Dr Grunberg, surtout par rapport à la Loi sur la Curatelle publique... Comme on le sait, lorsqu'une personne est jugée inapte à gérer ses biens, elle perd aussi tout contrôle et tout droit sur sa personne. Qu'il y ait une séparation de ces deux volets, pour moi, c'est très important. Ce n'est pas parce qu'une personne est jugée inapte à gérer ses biens qu'elle est aussi inapte à décider pour elle-même versus certains traitements.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans ce sens-là, on a au moins touché ce débat-là, que les limites ne soient pas globales, mais soient sur une partie du fonctionnement, sur la gestion des biens ou autre.

Maintenant - je pense que Mme Fitzgerald en a parlé hier dans le film que nous avons visionné - sur la question des dispositions prévues pour l'internement. Je sais que ça été une expérience très difficile pour vous, Mme Fitzgerald, mais est-ce que vous-même ou d'autres croyez que cette façon de procéder est très efficace? Parce que l'expérience que j'ai vécue moi-même il n'y a pas longtemps, c'est que finalement on fait appel à la police. Il y a des cas où l'on va chercher l'ordonnance de la cour, il y a d'autres cas où on fait appel à la police. La police l'amène à la Cour municipale - je pense que c'est à la Cour municipale, en tout cas - la personne est gardée une ou deux journées. Évidemment, la police ne sait pas trop quoi faire avec parce qu'il n'y a pas eu de délit de commis, C'est simplement un dysfonctionnement social important qui fait que des voisins appellent, etc. Je me demande si tout ce domaine, somme toute, de la protection à la fois de la société et de la personne elle-même, s'il est vraiment un mode de fonctionnement encore adapté aujourd'hui à l'évolution de notre société et est-ce que c'est un problème qui a été examiné?

M. Harnois: Le commentaire que j'aimerais faire, Mme la Présidente, c'est que la loi telle qu'on la vit en ce moment -

et probablement, à mon sens, la loi de la cure fermée, si on parle de celle-là - va dans le sens du malade. Ni plus, ni moins, elle rend la cure fermée plus difficile et la prescription en est plus compliquée, ce qui veut dire en définitive qu'il y a des étapes à suivre qui, dans le fond, protègent le malade. En contrepartie de cela, il semble que certaines familles nous disent justement que ces difficultés-là, ces procédures-là compliquent un peu la vie des familles. Il y a des familles qui hésitent avant de suivre les démarches puisque la famille doit se présenter chez un représentant de la justice pour faire une déposition, la plupart du temps contre un membre de sa famille; c'est vécu souvent comme quelque chose de très pénible et souvent les gens vont hésiter avant de le faire. D'un autre côté, le fait que cela doive se faire de cette façon-là protège le malade lui-même. Donc, il y a un peu un genre de tandem entre les droits du malade et les difficultés qu'éprouve la famille. Les commentaires nous viennent un peu des deux côtés.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

M. Grunberg: II y a peut-être un autre problème qui est en rapport avec la désinstitutionnalisation et surtout la désinstitutionnalisation sauvage qui a lieu. Il y a des gens qu'on sort des établissements sans aucune préparation, qui sont plus ou moins abandonnés et qui éprouvent dans une certaine mesure pas mal de difficultés à retourner dans le service psychiatrique. Vous savez, on parle beaucoup des difficultés à sortir des hôpitaux psychiatriques, mais moi, j'aimerais dire un petit mot sur la rentrée à l'hôpital psychiatrique: beaucoup de patients essaient de rentrer à l'hôpital psychiatrique et ont pas mal de difficultés. Ce qui se passe, c'est que finalement le système judiciaire les prend en charge. On judiciarise la maladie. Pour beaucoup de juges, moi, je suis d'accord avec eux et je n'ai pas de... ce sont des patients qui ont besoin d'aide, qui dérangent. Alors, on passe à une accusation. Souvent, c'est une accusation. Souvent, c'est une accusation évidente, tapage, etc. (12 heures)

Alors, c'est uniquement par le système judiciaire que le malade revient dans le système psychiatrique et cela, c'est vraiment à déplorer, parce que, quelques fois, il y a des malades très perturbés et très handicapés qui passent quelques jours en prison et leur place n'est certainement pas en prison. C'est un problème qui, dans une certaine mesure... Moi, je le perçois plus comme un symptôme de la carence du système de services psychiatriques que comme une mauvaise volonté de la part du système judiciaire.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord. Oui, Mme Fitzgerald.

Mme Fitzgerald: Je crois qu'on pourrait éviter d'avoir recours à la police le plus possible, parce que c'est très traumatisant pour tout le monde et cela n'apporte rien. Ce qui manque beaucoup ici, ce sont des équipes psychiatriques, des équipes volantes qui pourraient aller à la maison lors de crises, sept jours par semaine, vingt-quatre heures par jour. Je crois que cela aiderait beaucoup et pourrait même désamorcer la bombe, et qu'il n'y aurait même pas d'hospitalisation. C'est parce que les parents, les familles d'accueil - ou qui que ce soit -qui sont pris avec un patient plus agité, naturellement, paniquent, ne se sentent pas appuyés, se sentent seuls dans tout cela, c'est le dernier recours. Ils ne peuvent pas faire d'autre chose, parce que n'oubliez pas que si le patient ne veut pas se faire traiter, il n'y a rien qu'on peut faire, absolument rien. Le seul recours qu'on a, c'est l'ordonnance de la cour.

Si, par exemple, quelqu'un venait à domicile le voir, lui parler, je crois que, souvent, on éviterait l'hospitalisation dans certains cas, parce que déjà ils sont tellement désemparés, ils commencent eux-mêmes à paniquer; ils ont peur il arrive quelqu'un. Même, ce pourrait être un aidant naturel à qui on a donné une petite formation qui pourrait lui parler et désamorcer la bombe, et on n'aurait peut-être même pas besoin d'hospitalisation. C'est cela que je trouve dommage. Il n'y a aucune équipe comme cela. En tout cas, il n'y en a pas dans notre région, je ne sais pas s'il y en a ailleurs en province, des équipes psychiatriques qui pourraient aller à domicile en cas de crise. Je crois on y regagnerait beaucoup.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux}:

D'accord. Ma dernière question, Dr Corin. Quand vous avez fait un survol de ce qui se passe dans les autres pays, vous avez parlé d'associations bénévoles en Grande-Bretagne de parents, d'ex-malades et ainsi de suite. Je sais qu'il y a des tentatives qui sont faites dans ce sens au Québec. Vous avez parlé de la force de pression de ces groupes. J'ai l'impression, qu'au Québec, à tort ou à raison, ces initiatives demeurent encore assez marginales. Il y a les amis des malades mentaux; il y a des groupes d'ex-psychiatrisés et il y en a peut-être d'autres que j'oublie.

Mais est-ce qu'il y a, au Québec, de la même façon qu'on a eu - elle existe encore - du côté de la déficience mentale, une association bien structurée qui, elle, a fait énormément de pression pour faire évoluer les services? De fait, ils ont eu des résultats, même si on peut parler des carences, c'est exact. Mais du côté de la maladie mentale, est-ce qu'il y a quelque

chose de similaire, et dans quelle mesure ce qui existe à l'état d'embryon ou d'une façon embryonnaire ici et là pourrait être davantage épaulé pour justement... Je pense qu'ils ont un rôle important à jouer au point de vue sensibilisation de la population, de la défense de ces personnes, etc. Est-ce que vous pouvez me dire, au Québec, quel portrait vous dresseriez de ces associations? (12 heures)

Mme Corin: Je pense qu'il faut aussi tenir compte partiellement de facteurs culturels, c'est-à-dire que l'importance du mouvement associatif en Grande-Bretagne -Lise pourra en parler mieux que moi, c'est elle qui a vraiment travaillé sur la Grande-Bretagne - est quelque chose qui est vraiment inscrit dans le fonctionnement de la société depuis très longtemps. Il y a longtemps déjà que les associations ont servi comme forces de pression pour demander certains changements sur le plan législatif en plus de faire du bénévolat.

On a l'impression qu'ici, le mouvement est en train de se mettre en place, mais qu'il n'y a pas beaucoup d'enracinement ou beaucoup de profondeur. Je pense que Christine serait sans doute d'accord si on suggérait que, dans la mesure du possible, on essaie de faire tout ce qu'on peut pour soutenir le dynamisme de ces associations.

Ce qu'il y a simplement, c'est que la décision de soutenir une dynamique, elle ne peut jamais être que partielle, parce que l'essentiel, c'est que la dynamique vienne du milieu. Donc, cela demande un degré de sensibilisation, c'est un peu la question de la poule et de l'oeuf. Si le milieu est plus sensibilisé, il y aura plus d'associations, et il s'il y a plus d'associations, on va sensibiliser davantage le milieu.

À ce niveau, je pense que ce qui est en train de se discuter maintenant au niveau de la santé mentale, des problèmes psychiatriques, est quelque chose d'important à exposer à l'attention populaire ou aux gens qui essaient de s'organiser dans leur milieu, pour leur montrer la santé mentale comme un des champs sur lesquels il vaut la peine de se pencher et dans lesquels il vaut la peine d'investir. L'impression que j'ai, c'est que c'est quelque chose qui commence à se mettre en place et, depuis une dizaine d'années, il y a un certain nombre de partenaires, mais c'est loin, je crois, d'avoir l'ampleur de ce qui peut se faire en Grande-Bretagne. Lise, est-ce que tu as un commentaire?

Mme Tessier: Pas vraiment mais, tantôt, Mme Fitzgerald a dit combien les parents avaient de la difficulté à avoir du soutien des professionnels et, tant qu'ils se débattent dans ce phénomène, ils ont beaucoup de problèmes à régler, ils ne réussissent pas à prendre le dessus et à s'organiser. C'est un peu vrai. Alors, avant qu'ils puissent émerger, on est vraiment au début. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose, Mme Gourgue?

Mme Gourgue: Surtout à titre personnel et d'expérience personnelle - de toute façon, je ne veux pas empiéter sur ce que l'association dira un peu plus tard aujourd'hui - je considère que pour les associations la grosse difficulté, effectivement, émerge depuis les dix dernières années qu'on remet en question un peu ce qui se passe en santé mentale. Le gros problème est aussi l'aspect, comme vous le mentionniez, du bénévolat. Sachant qu'au Québec toute la revendication qui est faite exige énormément des individus qui adhèrent à ces types d'associations, ça devient aussi un militantisme parce que ce n'est pas rémunéré. L'autre difficulté qu'on éprouve, c'est la résistance du milieu institutionnel.

Majoritairement, ces associations, tout ce qu'elles ont, c'est leur vécu personnel; que ce soit au niveau d'ex-personnes psychiatrisées ou encore au niveau des familles, c'est notre vécu, le côté théorique. C'est peut-être rattaché à un diplôme quelconque, mais on remet en question un peu ce qu'on avance parce qu'on n'a pas de recherche pour appuyer ça. A ce moment-là, on est repoussé. Il devient très difficile pour un individu qui adhère à ce groupe d'y rester pendant plusieurs années, parce qu'en termes d'énergies individuelles ça gruge énormément, d'autant plus du côté financier, en termes d'assurer une survie à cette association. Ne serait-ce qu'en termes de local ou de permanence, c'est une survie constante. Pour obtenir ce type de subvention, on doit remplir beaucoup de formulaires, rencontrer beaucoup de gens.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci. M. le député de Marie-Victorin a une question supplémentaire.

M. Pratt: Je sens que c'est la fin de cette rencontre. Je voudrais qu'on retienne la suggestion de Mme Fitzgerald tout à l'heure, je parle de services à domicile qui seraient comme un genre d'Urgences-santé. Pour un territoire vaste comme ' celui de l'agglomération de Montréal, je trouve que ce serait une recommandation très intéressante à poursuivre et à retenir. Je tiens à le rappeler parce que je ne veux pas que ça tombe à l'eau comme ça. Je pense que c'est quelque chose de très intéressant que vous nous avez apporté et c'est pour ça que j'insiste pour qu'on retienne cette idée, qu'on l'approfondisse et qu'on puisse en faire une réalité. Je pense que c'est un pas dans la bonne direction.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci, M. le député. Je voudrais simplement faire remarquer que tout ce qui est présenté ici est enregistré, que ce sera revu soigneusement et qu'à l'occasion on se permettra de recontacter des gens de qui on voudrait obtenir des précisions. Nous aussi, il nous faut intégrer ce matériel et il nous faut essayer de tirer les principes directeurs.

Je voudrais, en terminant, remercier le Comité de la santé mentale du Québec non seulement de sa présentation, mais de sa participation à l'échange que nous avons eu. Nous attendrons avec intérêt - j'espère que ça ne tardera pas trop - la publication de votre dernière recherche touchant la comparaison entre les différents pays. Encore une fois, nous nous permettrons, si c'est nécessaire, de vous. recontacter. Merci beaucoup.

Nous allons suspendre deux secondes, comme je le dis toujours.

(Suspension de la séance à 12 h 10)

(Reprise à 12 h 20)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Mesdames, messieurs, nous reprenons nos travaux. J'invite l'Association des centres d'accueil du Québec - ils sont déjà rendus à la table - à faire les présentations d'usage de l'équipe qui doit faire des représentations à la commission.

Association des centres d'accueil du Québec

M. Pednault (Roger): Mme la Présidente, madame et messieurs les députés membres de cette sous-commission, nous admirons votre courage de demeurer assis à cette table pour nous entendre alors que le soleil brille dehors et que les heures sont longues. Nous allons tenter de maintenir votre intérêt et de vous communiquer l'essentiel de ce mémoire que nous avons déposé de façon que vous puissiez discuter également avec les membres de l'association qui m'entourent.

Je suis accompagné à cette table, à ma gauche immédiate, de M. Marcellin Dallaire, ex-président de l'Association des centres d'accueil du Québec - c'est tout récent, il en était encore le président au mois de juin - qui est également directeur du Centre d'accueil Butters à Austin. M. Dallaire a procédé dans son établissement, depuis les cinq dernières années, à une expérience approfondie de désinstitutionnalisation de plus de 140 bénéficiaires dans les milieux ruraux, une expérience très concluante, chez une clientèle qui avait plus de quatorze ans en moyenne d'institutionnalisation. Ajoutez à cela, avec presque les mêmes ressources, certains services supplémentaires dont il sera certainement heureux de vous parler par la suite.

À sa gauche, Mme Sylvie Gladu, directrice des services professionnels d'un centre d'accueil bien connu, Anne-LeSeigneur, à Chambly. Mme Gladu est également l'inspiratrice et l'instigatrice de la désinstitutionnalisation importante à ce centre d'accueil. Actuellement, leur phase de désinstitutionnalisation porte sur une soixantaine de bénéficiaires. Ils se dirigent, sur un plan de un an à un an et demi, vers une désinstitutionnalisation qui va laisser à peine 25 bénéficiaires en internat sur les 200 actuels. C'est donc dire que, là aussi, il y a une expérience plus récente, mais aussi intensive de réinsertion sociale et de ressources alternatives.

M. Gilles Servant, qui est à mon extrême gauche, est directeur général du Centre de réadaptation Estrie, à Sherbrooke. M. Servant a également fait une expérience de réinsertion sociale de ses bénéficiaires et de services alternatifs sur une période de quatre à cinq ans. Actuellement, à peine 80 bénéficiaires sont en internat et on dessert plus de 550 bénéficiaires à l'externe, avec environ le même budget qu'on avait pendant cette période-là. Alors, lui aussi pourrait communiquer aux membres de cette sous-commission les résultats et les constatations de cette expérience.

À ma droite, il y a M. Gilles Proulx, directeur général du Centre d'accueil Mont Saint-Aubert ici à Québec. Il a également une forte expérience en désinstitutionnalisation et en réinsertion sociale. Sur 125 personnes en internat, sur une période d'environ cinq ans également, il en reste actuellement 24. On dessert une population d'environ 300 bénéficiaires.

À sa droite, personnage connu, M. le directeur général de l'Association des centres d'accueil du Québec, qui est évidemment le grand coordonnateur de l'association et qui participe activement à titre de gestionnaire supérieur aux mouvements à l'intérieur de l'association, accompagné, à sa droite, de M. Gilles Langelier, directeur des services professionnels de l'association et qui est, évidemment, le professionnel instigateur et inspirateur de ces philosophies et qui y travaille avec ardeur et activement. Alors, vous voyez, je suis accompagné de gens qui vont certainement, dans la mesure du possible, appuyer et apporter des témoignages concrets et vivants de ce que peut être la philosophie de l'association dans la désinstitutionnalisation et dans la réinsertion sociale des handicapés intellectuels.

De l'ACAQ je ne ferai pas une longue présentation. Vous savez qu'elle regroupe 384 centres d'accueil divisés en 6 familles principales: les personnes âgées, les personnes mésadaptées socio-affectives, les handicapés au plan physique, les toxicomanes, les mères en difficulté et enfin, celles qui nous

intéressent aujourd'hui, les personnes déficientes au plan intellectuel. Il y a 63 des 384 centres d'accueil qui sont voués à la réadaptation et à la réinsertion sociale des personnes déficientes au plan intellectuel.

Je voudrais noter immédiatement que nous sommes conscients que le mandat précis de votre sous-commission concerne peut-être davantage les personnes qui ont des troubles mentaux. Nous avons cependant cru primordial de nous intéresser à la question qui vous préoccupe, parce que les répercussions que pourraient avoir les travaux de la présente sous-commission sur nos membres et sur les bénéficiaires de nos membres, les personnes déficientes au plan intellectuel, sont considérables et sont exactement de même nature. Les conclusions que vous pourriez tirer concernant les personnes atteintes de troubles mentaux ne pourraient pas être différentes fondamentalement de celles qu'on devrait tirer pour la réinsertion sociale et la désinstitutionnalisa-tion des personnes déficientes au plan intellectuel. Nous axons donc éminemment nos propos sur ces personnes déficientes au plan intellectuel. Cependant, nous pensons que les préoccupations qui les intéressent sont de même nature et de même ordre.

Il est peut-être nécessaire de vous faire part un peu de notions de base concernant, par exemple, la clientèle déficiente au plan intellectuel, quelques notions fondamentales qui, au départ, rendent le vocabulaire plus facile et la compréhension des notions plus claire. J'ai également l'intention de vous donner rapidement la conception des centres d'accueil de réadaptation de l'intervention auprès de cette clientèle et, enfin, de vous exposer brièvement les programmes et les services qu'on offre pour en arriver, finalement, à l'objet principal de ce mémoire qui est les difficultés éprouvées dans la désinstitutionnalisation, les ordres de difficulté qu'on éprouve et les recommandations qu'on croit appropriées dans les circonstances pour la favoriser.

Quelles sont les caractéristiques de la clientèle déficiente au plan intellectuel? Évidemment, depuis quelques années, la science et la technologie ont permis de développer certaines idéologies et les choix sociaux qu'elles ont provoqués. On a une compréhension beaucoup plus fidèle de la réalité de ces personnes. Il n'y a pas longtemps, on se souvient que les handicapés au plan intellectuel étaient considérés... Le fou du village était considéré comme dangereux dans certains milieux. Enfin, la notion qu'on avait là-dessus était très primaire. À l'époque, on accueillait les malades dans un établissement et on essayait de les guérir. Si ce n'était pas possible, on les gardait. La déficience intellectuelle n'est pas une maladie, c'est un état. L'American Association of Mental Deficiency la définit comme "un état qui se manifeste par un fonctionnement intellectuel global significativement inférieur à la moyenne, accompagné de difficultés d'adaptation et se manifestant simultanément pendant la période de développement. " (12 h 30)

La déficience mentale fait référence à un niveau de fonctionnement qui demande de la part de la société qu'elle mette en oeuvre des procédés de formation plus importants que pour la moyenne des individus et qu'elle mise dans une plus large mesure sur les comportements d'adaptation tels que manifestés tout au long de la vie. Cette définition est de Marc Gold dans un ouvrage intitulé "Try Another Way", publié dans Research Press en 1980.

Si je cite ces notions de base, c'est parce qu'elles sous-tendent toute la conception et toute la philosophie qui justifient la réinsertion sociale, la désinstitutionnalisation et les moyens alternatifs qu'il faut mettre en oeuvre pour arriver à leur donner un traitement adéquat.

Avec cette notion, on a les objectifs des centres de réadaptation selon leur conception de l'intervention. Les centres de réadaptation qui font partie, dans l'ensemble, de l'Association des centres d'accueil ont une approche qu'on appelle développementale. Cette approche donne lieu à une conception de l'intervention qui met l'accent sur le potentiel de développement et les capacités d'apprentissage de la personne déficiente intellectuellement et sur les procédés de formation et d'encadrement qui doivent être mis en oeuvre afin de permettre la réinsertion sociale de ces personnes.

Dans leur pratique de la réadaptation, les centres de réadaptation prônent l'utilisation de moyens culturels aussi valorisés que possible afin de déterminer, de développer et de maintenir chez la personne déficiente intellectuellement les comportements se rapprochant le plus des normes habituelles.

C'est dans ce cadre-là que s'inscrit la désinstitutionnalisation dans le sens qu'il est important de ne pas viser à recréer la société dans une institution, mais d'essayer de trouver les moyens de traiter et de réadapter la personne déficiente intellectuellement dans la société dite normale.

Cela signifie qu'afin d'acquérir les comportements sociaux nécessaires à son bon fonctionnement en société la personne qui a une déficience intellectuelle doit pouvoir se référer à des modèles d'apprentissage variés. Cela signifie aussi que la personne déficiente vit dans une maison "normale" - entre guillemets - située dans un environnement habituel, que sa journée est occupée d'activités stimulantes et intéressantes et se déroule à un rythme qui s'apparente à celui

d'une personne normale.

Ce principe qu'on a appelé de normalisation a, ces dernières années, été modifié, L'auteur de ce principe de normalisation - j'avais promis de ne pas le dire parce que je ne voulais pas me barrer dans le nom - s'appelle Wolfensberger et lui-même a modifié son principe de façon à l'appeler maintenant principe de valorisation du rôle social de la personne déficiente intellectuellement. Vous voyez qu'on passe d'un langage de désinstitutionnalisation, un mot qu'on utilise mais qui est un peu abandonné par les techniciens et les spécialistes. On a utilisé pendant ces dernières années le terme et la notion de normalisation. Dans un pas un peu plus en avant, un peu plus positif encore, on parle maintenant, pour la personne déficiente au niveau intellectuel, de valorisation de son rôle social, ce qui s'intègre bien dans l'optique et dans la philosophie d'intégration et de réinsertion du traitement dans la société.

L'Association des centres d'accueil du Québec a endossé cette approche de la valorisation du rôle social et, depuis, il s'est amorcé un irrésistible mouvement de désinstitutionnalisation. Nous pouvons faire état, à partir des chiffres fournis par le ministère des Affaires sociales lui-même, d'une réduction de 18 % des admissions pour l'hébergement des personnes ayant une déficience intellectuelle. Entre 1980 et 1984, le nombre est passé d'environ 5150 à 4190 personnes admises au 31 mars 1984. On n'a pas encore les chiffres pour 1984-1985.

Les services externes en parallèle, incluant les services d'apprentissage aux habitudes de travail connus sous le nom de SAHT, ont connu une croissance de 70 %, près de 71 % durant cette même période. Les services externes ont couvert, au 31 mars 1984, 7202 personnes par rapport à 4213 en 1980.

Ces quelques chiffres reflètent bien le mouvement de désinstitutionnalisation dans lequel les centres de réadaptation se sont engagés. Alors, quels sont les programmes et quels sont les services que les centres de réadaptation ont voulu mettre sur pied pour arriver à réaliser ce mouvement de désinstitutionnalisation? Je les énumère. Pour ne pas détailler - le mémoire est beaucoup plus complet à ce sujet en donnant des détails sur chacun des programmes et des services offerts - souvenons-nous tout simplement qu'autrefois on définissait un centre d'accueil comme une immobilisation et un bâtiment. Même la loi le définit comme cela. Au fond, un centre d'accueil c'est un établissement, c'est un bâtiment, c'est un immeuble.

Aujourd'hui, cette réalité est complètement dépassée. Lorsqu'on doit donner la définition d'un centre d'accueil, on ne doit surtout pas commencer par le définir par ses quatre murs physiques et la masse de brique et de béton qui le compose. Mais cela devient aujourd'hui une panoplie de services externes diversifiés qui sont dispensés à partir de multiples points de services répartis dans les principales localités d'un territoire donné qu'il couvre. La partie internat, la partie immeuble, qui était la définition du centre d'accueil, est de moins en moins importante.

Énumérons tout simplement les services d'appui à la famille et le développement à la petite enfance. Ce service a pour but de favoriser le maintien de la personne déficiente au plan intellectuel dans son milieu naturel. On pense à des centres de jour qui existent déjà, on pense à de l'aide à domicile que certains centres d'accueil fournissent, des services de dépannage et des services de garderie.

Il y a aussi les services d'assistance éducative en milieu scolaire. Cela se résume facilement en disant que c'est la fourniture de personnes, de ressources professionnelles de la réadaptation pour venir en appui au milieu scolaire et à l'éducateur.

Il y a les services d'intégration socioprofessionnels. Ce sont les services, particulièrement ceux qu'on vient d'énumérer, dont le SAHT - service d'apprentissage aux habitudes de travail - qui vise à donner à la personne déficiente au plan intellectuel son autonomie personnelle, sociale et, autant que possible, professionnelle dans le milieu du travail.

On a évidemment aussi les services plus concrets, plus faciles à définir, des services résidentiels. On pense aux foyers de groupe, aux appartements de transition, aux appartements surveillés, aux appartements supervisés, aux familles d'accueil qui sont une des principales ressources. Toutes ces notions sont un peu plus détaillées dans notre mémoire de façon que vous puissiez, si nécessaire, y faire référence.

Enfin, les services d'assistance éducative de réinsertion peuvent être fournis à la famille naturelle ou à la famille d'accueil, qui sont sous forme d'aide ponctuelle, temporaire ou palliative.

Tout cela ne peut servir qu'à vous démontrer que l'orientation, la conception des centres d'accueil de réadaptation qui font partie de l'Association des centres d'accueil du Québec sont engagées assez profondément dans un mouvement probablement et certainement irréversible de désinstitutionnalisation. Or, la discussion ici pour une association comme les centres d'accueil ne peut pas porter un seul instant sur la nécessité de faire ou de ne pas faire de ta réinsertion sociale, de participer ou de ne pas participer à la désinstitutionnalisation. D'ailleurs, dans la société québécoise actuelle, je pense que le consensus sur le concept, sur l'idée même, sur la valorisation

de cette nouvelle notion est quand même passablement acquis. Là où les consensus sont loin d'être faits, c'est évidemment sur les moyens et face aux obstacles que l'on rencontre pour l'accélérer ou la favoriser.

Les difficultés rencontrées et les pistes de solution que notre mémoire et ses recommandations peuvent suggérer. Les difficultés rencontrées sont nombreuses. Je vous les énumère. Elles sont d'ordre budgétaire. Évidemment, c'est le nerf de la guerre. Il y a la difficulté de trouver les familles d'accueil nécessaires. II y a les difficultés considérables d'intégration scolaire. Il y a les nombreuses réticences des intervenants. Il y a un manque de collaboration fréquent et un manque ce concertation par les différentes instances. Il y a certains obstacles juridiques, certaines carences législatives. Il y a un manque de recherche et aussi un danger dans le rythme en ce qui concerne la désinstitutionnalisation qu'on veut imposer.

Je reviens un peu sur chacune de ces choses. Les aspects budgétaires et financiers. On a, au début de la désinstitutionnalisation, devant la nouveauté de l'idée et l'intérêt de la chose, accordé à certains établissements des budgets intéressants pour la lancer et la faire. Cependant, au fur et à mesure que les fonds sont moins élevés, dans le contexte économique actuel de restrictions généralisées, il est évident qu'on trouve moins facilement les fonds nécessaires pour cela. On nous dit que cela devrait coûter moins cher et de le faire avec les mêmes budgets et les mêmes ressources. Cela est sans doute un prérequis vrai à moyen ou à long terme. C'est probablement plus économique pour une clientèle égale, de donner des soins alternatifs, des soins plus légers que l'institutionnalisation. Encore là, les opinions sont partagées.

Cependant, en tout état de cause, un établissement comme un centre d'accueil actuel ne peut pas faire des activités doubles, soit celle de maintenir son service d'internat et, en même temps, mettre sur pied des ressources supplémentaires, parce qu'au début et pendant une certaine période de temps, ce sont essentiellement des ressources supplémentaires qu'il faut ajouter aux ressources déjà existantes. On donne un exemple très simple. Que vous ayez 100 lits en internat ou que vous ayez 50 bénéficiaires en réinsertion sociale, le coût de chauffage de votre établissement ne baissera pas pour autant; les coûts fixes de votre gestion de l'immeuble ne seront pas diminués et même le coût du personnel nécessaire ne sera pas diminué dans une proportion de 50 %. Il vous faudra, en plus, avoir des spécialités extérieures, trouver de nouveaux moyens. Donc, vous oeuvrez assurément avec des déficits considérables si vous puisez à même le budget d'exploitation et vous voulez en même temps ajouter des services externes dans la même période pendant une période donnée. Le transfert ne peut pas se faire automatiquement.

Ainsi, l'ACAQ suggère que des marges de manoeuvre soient accordées aux établissements qui donneront un service externe de façon que les prêts soient remboursables si les fonds ne sont pas disponibles, qu'un déficit budgétaire permis soit récupérable sur un certain nombre d'années, selon un plan d'action logique et rationnel étudié.

On a dit qu'une des difficultés était celle de recruter les familles d'accueil afin qu'il y ait un instrument évidemment privilégié, la famille étant souvent déficiente pour toutes sortes de raisons, la famille est le premier et peut-être le meilleur palliatif qu'on peut trouver à la famille naturelle pour permettre un traitement dans la communauté.

Il y a un manque flagrant et effarant de familles d'accueil. On pense que des mesures devraient être prises afin de pallier cette carence très grave. Ces mesures peuvent être d'ordre varié: l'encouragement gouvernemental, les subventions, la simplification surtout des formalités et de la technocratie qui peuvent accompagner la création et le maintien des familles d'accueil. Certains spécialistes vous parleront, par exemple, de cette fameuse catégorisation des familles d'accueil qui empêche le recrutement facile, etc. On a une tendance actuellement à catégoriser et à réglementer cette ressource qui rend encore plus difficile la tâche naturelle de les trouver et lorsqu'on les a trouvées, on leur met tellement de réglementation dans les jambes que finalement elles ne sont pas admissibles ou elles ne sont pas conformes aux règles qu'on multiplie de plus en plus. (12 h 45)

L'intégration scolaire. L'intégration scolaire nous semble le noeud, un peu, du début de la réinsertion sociale et de la désinstitutionnalisation. On va demander dans la recherche ou les interventions l'information à des gens ordinaires, à du monde, à des parents, à des maires de municipalité, à des gens qui ne sont pas dans le domaine de la santé mentale, de comprendre et d'accepter que les déficients intellectuels soient dans leur rue ou soient dans leur foyer ou soient un peu partout dans la communauté. On va demander cela à du monde qui n'est pas dans le domaine ou du monde ordinaire. On n'a pas encore réussi à traverser le milieu scolaire qui, pourtant, devrait être plus éveillé à la notion d'éducation, de réinsertion sociale, de réadaptation.

Il y a du côté scolaire de nombreux énoncés de principe faits par le ministère de l'Éducation du Québec. Le réseau scolaire a

offert plusieurs programmes, mais dans la pratique, le réseau scolaire n'offre à peu près pas de facilité d'intégration au milieu scolaire. Si on veut commencer, continuer ou accélérer un mouvement de désinstitutionnafisation, tous les enfants, qu'ils soient handicapés au plan intellectuel ou qu'ils soient normaux, doivent passer par le milieu scolaire et doivent passer par l'école. Si on ne réussit pas à créer dans notre réseau scolaire un milieu qui accepte et qui intègre les enfants handicapés, les déficients intellectuels, comment voulez-vous qu'on demande au reste de la société de les recevoir et de les intégrer?

Il est malheureux que le ministère de l'Éducation, le monde de l'éducation, que les universités, les cégeps, les polyvalentes n'aient pas réussi encore à faire autre chose, finalement - à quelques exceptions près -que d'énoncer des programmes et dans la réalité concrète à ne donner à peu près aucun résultat valable - je dis aucun, j'exagère, je devrais dire peu de résultat valable - de réinsertion et d'intégration au milieu scolaire. C'est une très lourde carence dans le mouvement de désinstitutionnalisa-tion.

Le milieu scolaire n'est pas hélas! le seul à avoir des réticences et des difficultés à accepter l'intégration. Il y a le manque de collaboration et le manque de coordination des différentes instances. Même sur le plan des associations ou des intervenants des Affaires sociales, on a de ces anomalies où, par exemple, sans nommer précisément personne, les centres d'accueil vont subir des pressions pour remettre quelqu'un en internat qui a été intégré par le centre d'accueil dans une ressource alternative. On connaît constamment de ces pressions. Que cela vienne d'organismes, d'établissements ou de professionnels, elles sont encore existantes et elles sont persistantes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela ne vient jamais des politiciens.

Une voix: Au fédéral.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Excusez-moi.

M. Pednault: Évidemment, je parlerai un peu plus loin des autres intervenants. Mais c'est peut-être là que nous situons une de nos principales recommandations, c'est la création. Cette suggestion ou cette recommandation avait été faite lors de la conférence À part... égale et elle visait à mettre de l'avant une politique nationale en matière de désinstitutionnalisation, une politique nationale qui pourrait se créer ou commencer à se créer dans une conférence ou dans un organisme - appelons cela plutôt un mécanisme - national qui regrouperait les principaux intervenants sociaux qui peuvent être concernés par la désinstitutionnalisation: le ministère des Affaires sociales, l'Office des personnes handicapées - cela va de soi -l'Association des hôpitaux, celle des centres d'accueil, les CRSSS qui sont les organismes régionaux, les CSS, les Centres de services sociaux, les CLSC, évidemment, des organismes de promotion communautaire ou les clubs sociaux, etc., évidemment, les syndicats qui ne sont pas les moindres intervenants dans cette panoplie.

On pense à des intervenants comme l'Union des municipalités qui sont évidemment impliqués - le règlement de zonage, l'acceptation dans une communauté donnée - les médias d'information qui devraient être sensibilisés à l'ensemble de l'opération, le ministère de l'Éducation du Québec, et nous en oublions certainement.

Ce mécanisme national serait un mécanisme de consultation et de concertation et deviendrait un instrument d'information, de sensibilisation et de concertation. On ne pense pas à un mécanisme ou à un organisme décisionnel qui chapeauterait tous les différents organismes actuellement responsables, mais un organisme dans lequel on pourrait s'asseoir et se sensibiliser les uns les autres aux effets interactifs de chacun des gestes dans un ensemble de désinstitutionnalisation.

Cette espèce de mécanisme existe ou a existé aux États-Unis qui a été une espèce de mécanisme national de concertation et qui a donné des résultats.

Je vous ai mentionné quelques considérations légales. Vous avez posé des questions là-dessus dans le mémoire précédent, mais on aura l'occasion de vous donner plus de précisions.

Nos préoccupations sont aussi tournées sur la curatelle. En particulier, on n'a pas encore inventé, au Québec, ou peut-être pas pensé à des notions de parrainage civique qui sont un peu l'inverse de la curatelle, si vous voulez. Au lieu d'enlever les droits, on favorise leur exercice avec le parrainage. Ce sont des notions qu'on n'a à peu près pas développées dans notre société encore, qui commencent à poindre, qui sont expérimentées ailleurs et qui pourraient être très intéressantes.

Lorsqu'on parle de considérations légales ou de petits embêtements législatifs, c'est plutôt, sans aller dans les détails, dans les diverses réglementations qu'elles peuvent se retrouver, plus que dans les gros changements législatifs, les grands cadres législatifs actuels. Il y aura peut-être une foule de réglementations qui peuvent devenir des barrières au mouvement de désinstitutionnalisation.

Les réticences des intervenants, la communauté. On a détaillé dans le mémoire précédent. Je pense qu'il est assez facile de

comprendre. On a eu des exemples frappants de certaines municipalités qui ont fait des guerres saintes contre l'arrivée d'un foyer de groupe, d'une prison ou d'une institution parmi leur bungalow, dans leur banlieue cossue et correcte. Cela va exister encore, dans la mesure où on ne peut pas arriver avec des résultats au premier coup. La crainte des parents, la fréquentation des enfants, la fréquentation des milieux scolaires, je pense que tout cela est bien, je ne dirai pas compréhensible, on comprend que ça existe; la tristesse, c'est qu'on n'a pas réussi encore à éliminer au moins le début des préjugés émotifs et le manque de rationnel de certaines oppositions. Dans certains coins, il y a très peu, sinon pas du tout de travail de fait à ce niveau.

Évidemment, il y a les syndicats, actuellement, avec leurs conventions collectives chromées qui, au-delà de leurs réticences naturelles aux changements - on comprend que, en général, les gens sont réticents aux changements, les syndicats comme les autres - au-delà de la protection légitime de leurs membres, ont, à bien des égards et à bien des endroits, opposé un refus catégorique et irrationnel à des modifications ou des changements. Ils ont refusé, je pense, souvent, d'établir des priorités dans les droits; ils ont tenu à ce que leurs droits soient prioritaires à ceux de tous les autres.

À bien des endroits encore, on ne considérait même pas le recyclage ou la reformulation des tâches, par exemple, des gens impliqués dans les centres d'accueil, même pas au niveau d'un changement technologique normal qui est implicite dans toute la société et qu'à peu près tous les métiers, toutes les entreprises, tous les corps de professionnels ont subi un jour ou l'autre, et qui nécessite un recyclage, une reformulation des tâches, un adoucissement sur les principes de sécurité d'emploi - 50 kilomètres, etc. Il y a un travail énorme là-dedans et il nous semblerait que les syndicats sont d'abord et avant tout des organismes conscients, progressifs et même révolutionnaires dans certains cas, qui voudraient que la société change. Il faudrait peut-être les convaincre que, si la société doit changer, et nous en sommes, il n'y a pas qu'eux qui doivent rester assis sur leurs chaises et tout le monde tourner autour d'eux. C'est un aspect très important de la question; c'est même un aspect primordial qui peut, comme cela s'est déjà produit, bloquer ou bousiller de A à Z tout un processus de réinsertion sociale ou de renouvellement des concepts de soins dans l'espace d'une grève illégale.

Les journaux ont-ils collaboré comme intervenants sociaux? Les journaux, jusqu'à maintenant, à part quelques excellents journalistes spécialisés, n'ont-ils pas plutôt tablé leur intervention sur le sensationnalisme et les quelques malheureux événements qu'on peut qualifier de scandaleux pour certains, qui se sont produits. Les journaux n'ont peut-être pas aidé encore là. C'est pour cela qu'on les mettait dans la grande concertation sociale, dans le grand mécanisme où ils devraient apprendre à interpréter les risques que doivent prendre les professionnels, que doivent prendre les établissements, lorsqu'on veut faire la désinstitutionnalisation de la réinsertion sociale, et accepter que les risques qui doivent être pris vont comporter une marge d'erreur inévitable et ne pas en faire la loi du plus petit dénominateur commun. Lorsqu'il y en a un qui rate, on devrait abolir tous les autres.

Enfin, on prend souvent comme exemple, pour s'opposer à la désinstitutionnalisation de la réinsertion sociale, les cas lourds, les cas les plus difficiles. Les opinions sont partagées à savoir si la désinstitutionnalisation devrait être totale ou partielle. Je sais qu'il y a des tenants de la thèse pour qui l'idéal est d'arriver à avoir une désinstitutionnalisation totale où l'on ferait disparaître les institutions telles que nous les connaissons. D'autres, pour le moment, ne sont pas convaincus que c'est un absolu et qu'il ne devra pas rester une clientèle d'internat, une clientèle d'institution. Cela, de toute façon, n'est pas pour le moment le coeur du problème, parce qu'il faut respecter un rythme de désinstitutionnalisation qui tienne compte des capacités des professionnels, de l'organisation du milieu, de l'organisation des ressources, des ressources budgétaires disponibles, etc. On a parlé précédemment du rythme "sauvage" de désinstitutionnalisation. C'est une erreur de penser qu'on puisse y arriver demain matin, tout à coup, parce qu'on n'a pas encore tous les mécanismes en place. Est-ce qu'elle devra être poussée à l'extrême, à l'absolu? Est-ce qu'on devra arriver à la désinstitutionnalisation totale? Peut-être que les prochaines années nous indiqueront quelle voie suivre et jusqu'où on peut aller dans ce domaine.

Je ne vous répéterai pas, Mme la Présidente, les douze recommandations de notre mémoire. Je pense que j'ai donné, dans le contenu, l'essentiel des souhaits et des recommandations que l'association fait. Ils sont bien précisés dans le mémoire. Je ne me suis pas étendu sur l'absence de recherche, parce que le groupe précédent vous a parlé longuement de la recherche. Ce n'est pas l'absence de recherche. Je pense qu'ils sont bien placés pour en témoigner; ils font de la recherche et ils avouent que nous sommes au tout début de la recherche à ce sujet. Les praticiens qui m'entourent souffrent dans une grande mesure du manque de recherche. Ils sont obligés, dans une

grande proportion, de la faire eux-mêmes et ils sont dans l'action en même temps. Ils n'ont pas toujours les ressources et les moyens de faire leur bilan, leurs constatations, de procéder à leurs comparaisons de façon que leur expérience puisse être réalignée, poursuivie ou réorientée. (13 heures)

En conclusion, les centres de réadaptation qui font partie de l'Association des centres d'accueil du Québec souscrivent d'emblée, comme vous le voyez, je pense, au principe de valorisation du rôle social de toute personne qui présente des difficultés entravant son adaptation sociale et, plus particulièrement, de celle qui présente une déficience intellectuelle.

Mme la Présidente, si vous et vos collègues à la table êtes intéressés, les miens sont très intéressés à vous fournir, dans la mesure du possible, les réponses qui vous sembleraient intéressantes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci, M. Pednault. Avant de procéder j'aimerais demander à mes collègues s'ils seraient d'accord pour qu'on poursuive jusqu'à 13 h 30 pour tenir la période des questions afin de pouvoir libérer le groupe par la suite. Cela va?

Je veux d'abord remercier l'Association des centres d'accueil du Québec d'être venue devant la commission. C'est évident que le mandat que la commission s'est donné touchait davantage les personnes atteintes de troubles mentaux, quoique, dans notre esprit, je dois vous le dire, j'ai eu l'occasion de le dire hier, on avait accepté d'ailleurs d'autres mémoires venant de groupes porte-parole de la déficience mentale. Comme vous l'avez dit, ces populations, par un développement historique, si on peut dire, se sont retrouvées souvent dans les mêmes institutions, ont connu ou connaissent les mêmes problèmes de réinsertion sociale. Il y a en plus, également, au point de vue de diagnostic différentiel, des cas qui sont quand même des cas frontière entre la maladie mentale et la déficience mentale ou vous avez des cas de déficience mentale auxquels s'ajoutent des problèmes de comportement aigus qui évoluent souvent dans la mesure où la psychiatrie est capable de préciser certains comportements de type psychotique à l'occasion. Il y a toute cette zone grise. De toute façon, nous étions certainement soucieux de permettre à ces personnes qui vivent dans la communauté et qui ont un handicap mental, qu'il soit de la nature de la déficience mentale ou le résultat de la maladie mentale ou de problèmes psychiques, d'essayer de voir les moyens qui pouvaient être mis à leur disposition pour les soutenir et ne pas aggraver souvent leurs conditions de vie personnelle ou sociale.

Je suis particulièrement heureuse de voir ici le représentant de Butters. Comment l'appelle-t-on aujourd'hui? Tout cela a été francisé.

Une voix: Cela s'appelle Butters.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le centre d'accueil Butters. Je pense que c'était Cecil Butters dans le temps.

M. Dallaire (Marcellin): Cecil Butters Memorial Hospital.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela. Avec lequel je suis particulièrement familière mais avec un recul assez considérable quand même et sur lequel d'ailleurs j'avais interrogé le ministre des Affaires sociales, lors de l'étude des crédits, parce qu'on avait parlé de l'expérience que vous meniez là. Cela m'intéressait beaucoup parce qu'à moins que la population se soit modifiée beaucoup dans les quinze dernières années, c'était une population qui, traditionnellement, pour la majorité, était diagnostiquée comme étant des cas d'arriération mentale "sévère", entre guillemets. Je suis heureuse, également, de voir la directrice des services professionnels du centre d'accueil Anne-LeSeigneur où on sait que la transition ne se fait pas sans heurts, et, également, les autres qui sont membres ici.

Avant de passer au contenu de votre mémoire lui-même, j'aimerais poser une question générale. Est-ce que les centres d'accueil, mis à part la population déficiente mentale dont vous vous occupez, n'ont pas aussi des préoccupations de réinsertion sociale dont l'extension peut être différente d'un individu à l'autre dans d'autres centres d'accueil, par exemple, eu égard à des personnes âgées qu'on considère séniles pour lesquelles, possiblement, il pourrait y avoir des préoccupations de retour dans la communauté et également à d'autres types de clientèles qui se retrouvent dans vos centres de réadaptation?

M. Cloutier (Pierre): C'est effectivement un mode de pensée important, notamment à l'association, mais aussi dans le réseau des centres d'accueil. Il est bien sûr qu'à cause des influences américaines principalement, les centres d'accueil pour handicapés intellectuels ont subi des courants d'idée plus importants là-dessus au cours des dix dernières années.

Par contre, en mésadaptation, on peut aussi dire, qu'à compter du rapport Batshaw, en 1976, il s'est fait un travail fort important de désinstitutionnalisation en ce sens et de développement d'autres moyens d'intervention qu'on appelle aussi palliatifs à l'occasion, mais d'autres ressources que la

formule institutionnelle formelle qu'on a toujours connue. Là-dessus, il n'y a pas de limite à la création. On parlait de foyers de groupe. Il existe 153 possibilités d'outils à utiliser. Je pense que l'essentiel qu'il faut retenir de cela, c'est d'essayer de construire un continuum de services, un coffre d'outils suffisamment large afin qu'on puisse avoir le bon outil en réponse aux besoins des gens. Ce n'est ni le foyer de groupe, ni l'institution, ni la famille d'accueil qui est parfaitement la réponse aux besoins de tout le monde, et il faut essayer de détailler la gamme des services en question. En ce sens, c'est là qu'on peut atteindre des objectifs de réinsertion sociale plus importants.

Plus récemment, on a commencé aussi à se poser des questions importantes sur, par exemple, le placement des gens du troisième âge. On a trouvé, dans les vingt dernières années au Québec, que les personnes âgées devraient être placées en centre d'accueil d'hébergement. C'est l'exercice qu'on a fait. Il fallait créer ces établissements, les structurer, les organiser, etc. On commence maintenant à s'interroger sur notre action d'institutionnaliser, d'une certaine façon, au sens large de votre question, son résultat à long terme, par exemple, la mise en place des pavillons greffés au centre d'accueil, etc.

J'ai l'impression que, dans les prochaines années, ce mouvement de remise en question de l'institution avec toutes ses formules apparentées, plus ou moins grosses, etc. Est-elle toujours la réponse à tout le monde finalement? De ce côté, vous pouvez être assuré qu'à l'Association des centres d'accueil, il y a un souci de regarder cela de très près, c'est-à-dire que le maintien dans le milieu naturel doit demeurer la priorité la plus essentielle. C'est bon un centre d'accueil, mais lorsque tu en as besoin, et seulement à ce moment-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pour la population déjà dans les centres d'accueil, compte tenu de l'âge des personnes, à l'heure actuelle, même si elles n'en ont pas strictement besoin, si elles peuvent fonctionner et si elles ont conservé une certaine autonomie, pensez-vous à un retour à la communauté?

M. Cloutier: Si vous pensez au secteur des personnes âgées principalement, l'alourdissement de la clientèle, terme qu'on n'aime pas beaucoup, a provoqué plutôt la pression inverse dans les dernières années, et, en ce qui a trait aux clientèles relativement légères qu'on recevait dans les années soixante-dix, qui maintenant ont des besoins minimaux par rapport au coffre d'outils qu'on a développé en centre d'accueil, il y a globalement peu de réinsertion sociale. Cela pose des problèmes importants aux clients concernés. C'est devenu le milieu de vie, l'établissement dont on parle. Je ne vous dis pas qu'il ne s'en fait pas. On faisait des évaluations qui tournaient autour de 3 % ou 4 % des clientèles. C'est relativement minime, mais la tendance a été de créer une pression d'augmentation de services plutôt que l'inverse. Lorsque vous avez placé, en 1970 ou 1972, une dame de 72 ans, par exemple, qui, à l'époque devait être en bonne santé pour entrer en centre d'accueil, vous retrouvez, 12 ou 14 ans plus tard, une dame qui peut avoir 86 ans et qui est encore en relative bonne santé, toute comparaison gardée avec certains clients qui sont sur une liste d'attente, par exemple, comment faites-vous pour la déplacer par le retour à domicile ou dans un appartement surveillé, etc. ? Ce n'est pas très simple; c'est relativement difficile à faire, ne serait-ce que du point de vue du respect humain, de la planification qu'on n'a peut-être pas faite, des prévisions dont on ne connaissait pas les enjeux. On n'est pas sûr, en tout cas, qu'il faut que ce soit le client qui en subisse la conséquence en disant: Ce n'est pas l'outil qu'il vous faut, madame; vous retournez à domicile.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accdrd.

M. Cloutier: II y a un problème d'humanisation des services là-dedans qui nous pose des questions importantes. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, cela répond à ma question. C'est parce que je voulais simplement souligner qu'il y avait toute cette dimension aussi de réinsertion sociale.

M. Cloutier: Vous avez tout à fait raison.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, on va revenir à la déficience mentale puisque c'est l'objet principal de votre mémoire. J'aimerais demander à M. Dallaire - on va partir de cas concrets - de mémoire, je pense que, tout à l'heure, on a dit que vous aviez désinstitutionnalisé environ 160 personnes?

M. Dallaire: Oui, 140 personnes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): 140 personnes.

M. Dallaire: D'ailleurs, les chiffres sont arrondis pour simplifier.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Donc, 140 personnes. C'était une institution de combien d'enfants?

M. Dallaire: Peut-être qu'on va simplifier les étapes. En 1974, quand l'établissement est devenu public au sens de la loi, il y avait 425 personnes, mais il y a eu tout un mouvement qui a été fait en collaboration avec le ministère des Affaires sociales de replacement dans les régions. Première étape. Alors, si on revient, après cela, à une seconde étape, en 1977, où il y avait 269 personnes, ce qu'on pourrait peut-être simplifier et caricaturer sur une période de temps d'à peu près cinq ans, 40 personnes ont été placées en famille d'accueil, famille d'accueil simple, famille d'accueil de la première classification régulière en collaboration avec le CSS. C'est peut-être une première étape sur une période de cinq ans. Ces personnes sont effectivement ce que vous avez retenu de votre expérience antérieure. Ce sont des personnes avec un handicap souvent sévère et profond et d'autres handicaps, d'autres difficultés associées.

Cependant, pour rendre ce travail possible, nous assurons aux familles d'accueil un soutien en collaboration avec le CSS et nous assurons à toutes ces personnes un soutien sous forme d'atelier ou de type centre de jour pour conserver la stimulation, conserver l'appui, conserver l'encadrement, ce qui revient à dire que ces personnes demeurent en famille d'accueil. Le centre d'accueil leur fournit le transport et les amène, pendant le jour, soit dans un SAHT -service d'apprentissage aux habitudes de travail - ou dans un milieu où on continue leur stimulation de façon à conserver leur acquis, sinon le développer. C'est un premier type qui a été expérimenté.

Un deuxième type d'intégration de 20 personnes, dans une situation un peu spéciale à cause de l'exiguïté des locaux, il a fallu tout à coup, à cause de la difficulté des locaux, faire une intégration forcée dans les familles de nos employés où nous avons placé deux bénéficiaires avec un employé, dans sa maison, en lui donnant un soutien complet de supervision. L'employé demeure chez lui, demeure un employé du centre, mais il est supervisé par une infirmière et par un éducateur pour qu'il y ait continuellement une stimulation au niveau de la maison. Et les personnes qui sont là sont véritablement des bénéficiaires déficients profonds, sévères, dont les capacités de mobilité sont très minimes. Cependant, ils ont un encadrement professionnel tel qu'à l'heure actuelle, les études qu'on a faites sur leur évolution sur une période de cinq ans nous permettent d'affirmer qu'ils développent leur potentiel malgré leurs difficultés et leurs handicaps.

Bien entendu, nous avons créé ce qui est peut-être fait un peu partout, les foyers de groupe. Nous avons développé cinq ou six, des appartements, mais avec un concept un peu particulier qu'on pourrait appeler le foyer de groupe pivot qui est d'inspiration anglophone, le Core Group Home, c'est-à-dire que le foyer de groupe demeure la ressource dans un milieu où les personnes qui sont capables d'intégration en appartement vont aller en appartement, mais si elles ont une difficulté, elles téléphonent au foyer de groupe pour avoir un support, pour avoir de l'assistance, ce qui fait qu'un foyer de groupe qui peut accueillir facilement huit personnes, tout à coup, va donner des services à dix personnes qui sont en appartement, qui ont développé une certaine autonomie, mais qui ont besoin de supervision et qu'il y a ainsi une multiplication, des services résidentiels à partir de cet élément.

Il est entendu, à partir du moment où on parle de foyer de groupe, que les personnes sont d'une autonomie un peu plus grande. Je ne parle plus du tout du type de personnes dont je parlais tout à l'heure, mais, tout de même, ce sont des déficients moyens ou moyens vers le sévère et le profond à certains moments. (13 h 15)

On peut ajouter à ceci certaines expériences qui s'apparentent beaucoup à des familles d'accueil, mais que nous n'avons pas appelées, dans notre jargon, familles d'accueil, mais c'est plutôt un mini-pavillon, c'est-à-dire quelqu'un qui a vraiment stabilisé ses acquis, qui n'a plus besoin d'être stimulé périodiquement ou régulièrement et qui peut aller dans une famille. Il a tout de même besoin d'un encadrement assez sévère. A ce niveau-là, nous avons signé avec un certain nombre de familles un contrat où la famille doit maintenir des acquis et faire rapport au centre d'accueil et autoriser la visite du centre d'accueil à cette famille-là, ce qui nous permet, encore une fois, d'avoir un maintien des acquis et non pas que la personne soit laissée dans un milieu sans aucun maintien des acquis.

J'aimerais noter que toute cette démarche a été faite en général avec très peu de professionnels, c'est-à-dire que les personnes ont reçu de la part du centre d'accueil une formation de base ou concept, la capacité de développement, la capacité d'adaptation et après cela, quelques technologies qui en général s'inspirent du béhaviorisme: Comment on fait pour renforcer positivement le bon comportement et essayer d'éviter les comportements qui sont peut-être un peu difficiles?

Je pense que cette démarche a nécessité beaucoup d'encadrement, mais un encadrement simple, un encadrement de support et a fait en sorte que d'un établissement - je reprends les chiffres de 1977 - où il y avait 269 personnes qui étaient véritablement à l'interne à ce moment-là, à l'heure actuelle, il reste à peine 70 personnes qui sont encore à l'interne dans un encadrement institutionnel,

peut-être à cause de deux critères: une condition médicale non stabilisée - il est difficile d'intégrer dans une famille, dans une communauté, dans un appartement, une personne qui a des problèmes d'adaptation, mais en plus une condition médicale où il y a des variations imprévisibles deuxièmement, le critère de comportement non prévisible ou avec une variation dans les comportements qui fait que c'est assez difficile de prévoir quel comportement difficile aura lieu à tel jour. Je pense que ce sont, à l'heure actuelle, les personnes qui sont encore en institution. Malgré cela, le plan continue, ce qui fait que probablement, d'ici aux trois ou quatre prochaines années, à peine une trentaine de personnes seront encore en institution. Je parle de projection.

Les autres sont toujours encadrées et supportées par le centre d'accueil. Le plan d'intervention est défini pour chaque personne en collaboration avec tous les intervenants et les intervenants comprennent les parents, s'ils sont là, puisque la clientèle des quatre ou cinq dernières années tient compte de la population locale alors qu'antérieurement on avait une population qui venait d'à peu près partout au Canada. Maintenant, depuis les quatre ou cinq dernières années, on tient compte de la population locale. Les parents, quand ils peuvent être impliqués, sont impliqués; le travailleur social, les intervenants directs que ce soit à l'école ou ailleurs et l'ensemble des personnes a son plan d'intervention pour son développement.

Cette démarche a été très progressive malgré les difficultés, c'est-à-dire qu'il y a eu des blocages, mais en général, elle a réussi. Je pense qu'à l'heure actuelle, il demeure encore des étapes è franchir mais cela se fait dans un contexte de centre qui offre des services et non plus qu'une boîte à encadrement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Pourriez-vous me dire quelle est la stabilité de vos familles d'accueil? Je peux poser ma question d'une autre façon: Quelle a été la persévérance des enfants dans leur famille d'accueil?

M. Dallaire: Si je prends ce que j'appelle dans le jargon du centre d'accueil Butters, les familles suivies qui sont des employés du centre, le projet dure depuis près de six ans à l'heure actuelle.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ils sont payés comme employés, cela fait partie de leur tâche?

M. Dallaire: Ils sont payés comme employés, oui...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je parle des familles d'accueil ordinaires.

M. Dallaire: Les familles d'accueil, à l'heure actuelle, ont plus de trois ans de maintien dans la même famille.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Pouvez-vous me donner le taux de déplacement des enfants qui ont été placés dans les familles d'accueil ordinaires durant les cinq dernières années?

M. Dallaire: Ce serait une approximation. Je pourrais peut-être...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est un autre facteur du point de vue de la stabilité des enfants. Ces enfants qui maintenant s'en vont vers l'âge adulte - ou il y a peut-être des jeunes adultes dans ceux que vous ave2 placés, j'imagine - qu'est-ce que vous prévoyez pour eux quand ils arriveront vers l'âge de 35 ou 40 ans?

M. Dallaire: L'âge moyen des personnes est de 30 ans, Mme la Présidente; déjà ce sont des personnes assez âgées. C'est une approximation et si je me trompe... D'abord, c'est une expérience de cinq ans dans les familles d'accueil. Trois ans, c'est certainement une très bonne moyenne et il y a eu assez peu de replacements. Je pense que je ne dépasserais pas beaucoup les 10 % à 15 % de replacements dans l'expérience tout de même relativement courte quand on regarde l'évolution d'un système.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vous avez fait une projection sur le nombre? Vous avez dit qu'un de vos problèmes, c'est évidemment le recrutement des familles d'accueil et vous dites: Je vois quelque part que les CSS devraient recruter plus de familles d'accueil. C'est un petit peu, d'une certaine façon, un voeu pieux, parce que je pense bien que tout le monde veut en recruter plus. Le problème, c'est d'en recruter qui soient capables, qui soient bonnes.

Quelle est votre projection, compte tenu des populations que vous servez présentement dans ces centres et aussi la projection générale dans la population atteinte de déficience mentale? Comme vous le disiez tout à l'heure, il y en a qui vont rester plus près de leur famille, parce que les familles vont avoir plus d'appui. Quelles sont vos projections de besoins en famille d'accueil?

M. Cloutier: On n'a malheureusement pas de chiffres sur cette question.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Même si on se limite à la population qui est actuellement dans vos centres d'accueil et

que vous voudriez sortir?

M. Cloutier: On n'a pas ce chiffre aujourd'hui, malheureusement. Ce qui nous inquiète, en ce moment, par rapport à la question des familles d'accueil, ce sont les effets de la catégorisation qu'on vient d'adopter dans les dernières modifications législatives: la division et la mécanique qui va s'installer alentour de certains projets qu'on a vus jusqu'à ce jour de la part du ministère des Affaires sociales; les contrats que cela va imposer et la responsabilité de réadaptation et d'appui à ces familles.

C'est un document, en ce moment, en débat avec le ministère des Affaires sociales, mais notre perception pour les prochains mois et années par rapport à cela n'est pas très rassurante en raison de ce qui est proposé à ce jour. D'ailleurs, on a fait des représentations sur cette question et on attend les résultats, bien sûr. Si la commission avait intérêt à connaître un chiffre semblable pour appuyer certaines données, on serait disponible...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Tout à l'heure, vous nous avez glissé dans votre présentation: Respecter le rythme de possibilité de la désinstitutionnalisation, ne pas en imposer un. Enfin, c'était un peu voilé, mais on a quand même ce sentiment comme citoyens ordinaires, puisqu'on entend des parents; on entend la résistance des parents - peut-être pas de ceux qui ont encore leur enfant à la maison, mais de ceux dont l'enfant a été placé - de voir changer son mode, parce que, pour ces parents, le placement dans une institution d'État est peut-être une forme de sécurité à long terme; quoi qu'il leur arrive, ils n'avaient pas à s'inquiéter de leur enfant et cela disparaît avec la désinstitutionnalisation. Quelles sont les solutions de rechange que vous offrez aux parents dans ce sens?

M. Proulx (Gilles): Dans la mesure où la désinstitutionnalisation se fait vers différents mécanismes, on a toujours dit aux parents, nous, que la désinstitutionnalisation d'un bénéficiaire, ce n'est pas nécessairement le retour chez lui. Ce que les parents ont de la difficulté à concevoir - je les comprends -c'est que quand on prend un bénéficiaire et qu'on le place dans une famille d'accueil, on vient peut-être de créer chez le parent un sentiment de culpabilité en ce sens que si une famille d'accueil est capable de le prendre et que lui n'est pas capable de le prendre... C'est cela qu'il faut discuter avec les parents.

Il faut faire comprendre aux parents, dans le fond, que, pour nous, la famille d'accueil devient un moyen de désinstitutionnalisation. C'est un moyen comme tel parmi différents autres. L'appartement va devenir un moyen, l'internat, le semi-internat ou le foyer de groupe aussi. La famille d'accueil devient un moyen.

Si on fait la désinstitutionnalisation en prenant un bénéficiaire et en le déplaçant, sans lui apporter tout soutien, je pense qu'on crée chez les parents un sentiment d'insécurité, et ils se disent: Un jour, cela ira mal en famille d'accueil, ils vont nous le ramener chez nous.

Ce qu'il faut dire aux parents quand on désinstitutionnalise, c'est que les moyens qu'on prend, le centre d'accueil aussi donne tout le support à ces différents moyens, autant dans des foyers de groupe, que dans les appartements, que dans les familles d'accueil.

Ce qu'il faut trouver maintenant, ce sont les mécanismes qui vont faire en sorte de savoir à quel endroit le centre d'accueil va intervenir. La journée où on aura placé un bénéficiaire dans un appartement et qu'on aura jugé ce bénéficiaire assez autonome, est-ce qu'on va intervenir tous les jours, à toutes les heures ou n'interviendra-t-on pas juste à quelques occasions pour faire en sorte de maintenir les acquis du bénéficiaire ou, du moins, comme Marcellin disait tantôt, de les développer?

Peut-être que dans une famille d'accueil où on place un bénéficiaire qui a besoin de plus d'encadrement, le centre d'accueil interviendra beaucoup plus souvent. Mais ce que Pierre disait tout à l'heure, c'est que quand vous regardez tout le mécanisme qui s'en vient par rapport à la catégorisation des familles d'accueil, quel va être le rôle des centres d'accueil et celui du CSS? Est-ce qu'on est en train d'engager une chicane de juridiction?

Les familles d'accueil, pour nous, c'est un moyen...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Pouvez-vous nous expliquer votre problème de catégorisation? Je sais que dans les règlements de la loi 27, on a catégorisé les familles d'accueil, mais je n'en comprends pas les répercussions.

M. Langelier (Gilles): Justement, les règlements de la loi 27 amènent maintenant trois types de familles d'accueil.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord, oui.

M. Langelier: Dans l'opérationnalisation de ce règlement, le ministère des Affaires sociales a émis un document de travail, en consultation, où on cherche à donner une certaine forme à ce règlement et comment, sur le terrain, les gens vont pouvoir travailler avec cela. On amène donc trois types de familles d'accueil, et concernant plus spécifiquement les familles d'accueil de

réadaptation, on se trouve placé devant un mécanisme administratif fort compliqué, lourd: contrat de services, double plan d'intervention. Évidemment, ce sont toutes des propositions, on n'a pas vu la version finale, il y a des décisions qui doivent se prendre prochainement là-dessus. Tel que présenté dans une proposition, c'est fort complexe à utiliser, à opérationnaliser.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Même avant la catégorisation, n'aviez-vous pas les mêmes problèmes sur le plan administratif? Les foyers d'accueil, les familles d'accueil relevaient des CSS?

M. Langelier: C'est ça.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Là, je comprends qu'il y en a une pour les mésadaptés socio-affectifs et l'autre pour... C'est dans ce sens qu'on a des familles d'accueil simples, des familles d'accueil plus spécialisées, etc. Au plan fonctionnel, quelle est la difficulté supplémentaire que ça vous apporte?

M. Langelier: Ce sont des difficultés strictement administratives; avant, c'étaient strictement les CSS, et là, on parle d'une espèce de système de double gestion autour de cela. Il y a cette espèce de tendance qu'on a sentie à travers ça aussi de vouloir tout chapeauter ce qu'on appelle le secteur des ressources alternatives par la nouvelle appellation de familles d'accueil. On parle par hypothèses parce qu'on n'a pas vu de version finale, on n'a pas connu encore les décisions qui ont été prises là-dessus, mais dans le contexte actuel, tel qu'émis dans la proposition qui a été soumise à notre étude, ce serait fort compliqué à opérationnaliser.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Je vais devancer un peu un mémoire qui est supposé être présenté demain, mais vu que ça concerne le centre Anne-LeSeigneur... Au mois de mars 1985, lors d'un colloque régional dans la Montérégie, vous avez présenté un document qui vantait les mérites du foyer à des gens à la recherche d'un appartement. Au début, les gens étaient réticents, mais par la suite, vous donniez une foule de qualités, de choses positives qui se sont faites, peut-être en bons voisins qui se préoccupent d'être bien. Le grand plaisir, c'est, de temps en temps, d'aller boire un café avec les gens en appartement.

Je ne vous lirai pas tout cela, mais il y a une réponse, ici, en date du 22 février 1985, où on demande: Est-ce améliorer les conditions de vie de ces gens-là? Cela me préoccupe un peu, et je vous pose la question pour que, demain, j'aie des éléments de défense. Est-ce que vous améliorez les conditions de vie lorsqu'un bénéficiaire se lève à 5 h 30 pour aller travailler au SHAT - je ne sais pas où c'est - et revient au centre à 18 heures, alors qu'il faisait la même chose de 9 heures à 16 heures au gymnase du centre? J'en aurais pas mal long à vous lire. Lorsqu'un bénéficiaire prend seulement un Seven-Up pour déjeuner, car personne n'est là pour l'influencer sur son hygiène alimentaire? Lorsque les bénéficiaires règlent leurs différends à coups de botte à lunch parce qu'ils sont laissés sans supervision? Lorsqu'un bénéficiaire va à la piscine municipale, même si c'est contre-indiqué? Lorsqu'un bénéficiaire décide de ne pas aller travailler, sans que personne ne le sache, qu'il ne reçoit pas sa médication? Lorsqu'un bénéficiaire externe, maintenant, se fait battre à la brasserie, après avoir ingurgité quelques bières et bavé quelques clients? Lorsqu'un bénéficiaire externe ne mange que des pâtes alimentaires s'il ne sait pas faire autre chose? Lorsqu'un bénéficiaire circule en manteau de printemps non attaché à -15 parce qu'il n'a pas de couturière au foyer pour réparer son manteau? Lorsqu'un bénéficiaire externe doit faire poser des plastiques à ses fenêtres parce qu'il fait froid dans son appartement, que l'eau courante ne circule pas, qu'elle est presque gelée? La personne est toujours habillée 24 heures par jour dans son appartement. (13 h 30)

Est-ce améliorer leur sécurité lorsqu'un bénéficiaire prend neuf dilantin 100 mg, une dose de trois jours - c'est arrivé un dimanche et on en a été informé le mardi suivant - qu'un bénéficiaire trop travaillant déblaie la neige sur la voie ferrée de Chambly? Qu'un bénéficiaire en diarrhée prend trois doses de lait de magnésie? Qu'on fournit les Gravol à nos bénéficiaires externes qui en prennent quatre aux trois heures au lieu d'une aux trois ou quatre heures parce qu'il a mal saisi la consigne? Qu'un bénéficiaire a été retourné chez lui à son appartement le vendredi midi parce qu'il avait vomi à son travail et le dimanche après-midi, celui-ci appelle l'infirmier au centre... Pardon?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député, on a assez d'exemples pour qu'il vous réponde, je pense.

M. Laplante: Oui, c'est tout cela.

Mme Gladu (Sylvie): Vous avez lu une lettre qui avait été envoyée...

M. Laplante: C'est la lettre que vous auriez reçue à votre centre; c'est un extrait d'une lettre d'un infirmier...

Mme Gladu: C'est cela.

M. Laplante:... de ce même centre d'accueil en date du 22 février 1985. Ils sont contre le fait que les malades aillent en appartement.

Mme Gladu: D'accord. Vous voulez que je réponde à la question...

M. Laplante: Oui, j'aimerais dire là-dessus...

Mme Gladu:... est-ce améliorer les conditions de vie?

M. Laplante: Vous donnez les avantages, les bienfaits pour ces malades...

Mme Gladu: Oui.

M. Laplante:... l'acceptation du milieu, mais celui-ci donne, par contre, le côté négatif d'un placement semblable en appartement.

Mme Gladu: Peut-être puis-je faire seulement une correction. Plusieurs des exemples qui sont inscrits dans cette lettre concernent des bénéficiaires alors qu'ils étaient encore à l'interne. Ce ne sont pas uniquement des exemples de personnes qui sont désinstitutionnalisées. Ce sont souvent des exemples qui sont apportés par du personnel pour empêcher qu'on procède à la désinstitutionnalisation. Or, si on questionne le personnel qui travaille effectivement dans les services externes depuis bientôt un an ou un an et demi, personne parmi ce personnel ne voudrait revenir à l'interne pour travailler. Les commentaires qu'on peut observer, les évaluations qu'on peut faire à chaque année et qui portent vraiment sur des comportements très spécifiques dans chacun des domaines de la vie montrent quand même qu'il y a des acquisitions très importantes qui ont été faites.

Plutôt que de reprendre chacun des exemples, ce serait long et je n'aurais pas en mémoire toutes les réponses, peut-être que je peux expliquer un peu la façon dont on procède. Cela est intéressant dans l'optique de la désinstitutionnalisation et de l'intégration à la communauté. Avant, on avait une structure qui était quand même relativement rigide et qui ne permettait pas facilement de répondre de façon individuelle aux besoins de chaque personne. Ce qui arrive en procédant à l'intégration à la communauté des personnes, cela donne un peu plus de flexibilité à ce niveau-là. Tantôt, on parlait justement des familles d'accueil. J'ai failli répondre à savoir qu'il était difficile a priori d'identifier le nombre de familles requis. Pourquoi? Parce que toute la démarche de l'intégration à la communauté est basée sur les besoins de la personne; c'est cette personne qui doit être le point central de la démarche. Si on ne part pas de cette manière-là, on risque de faire une erreur. La façon dont on procède: on fait une évaluation complète de la personne. Le personnel éducateur, le personnel infirmier et tous les intervenants qui sont concernés, qui connaissent cette personne, vont participer à l'évaluation de telle sorte qu'on va pouvoir avoir un portrait de la situation personnelle de chacune des personnes que l'on dessert.

Une fois cela fait, cela nous permet d'établir les forces et les besoins spécifiques de chaque individu et de déterminer à partir de ses forces et besoins, les objectifs qui vont être à travailler au cours de la prochaine année. On se base sur ces objectifs et on détermine des priorités tout d'abord pour identifier le type de ressources résidentielles ou alternatives nécessaires qui pourraient vraiment répondre à ses besoins et identifier également les plans de programmation individualisés qui vont devoir être mis en place durant la prochaine année. Il y a tout un système de suivi qui est fait vraiment sur une base individuelle et qui permet de suivre chacune des personnes.

C'est la façon dont on procède. C'est finalement ni plus ni moins comme le plan de service qui a été proposé par l'OPHQ dans sa proposition de politique "À part... égale".

En plus, on s'est doté d'un système de croisement. Donc, cela a demandé un réaménagement de la structure de telle sorte qu'un coordonnateur, par exemple, qui, de façon "line", était responsable de différents services et d'environ une cinquantaine de bénéficiaires va également tenir le rôle de coordonnateur du plan de service, donc de vérificateur non pas pour ses clients, mais pour les 50 clients d'un autre coordonnateur. Donc, le système de croisement permet de se doter d'un système pour s'assurer de la qualité des services. C'est un peu de cette manière qu'on procède pour identifier les besoins et les services à donner à chacune des personnes qu'on dessert.

M. Laplante: Mais est-ce que les services se donnent chez vous, de 9 heures à 17 heures, du lundi au vendredi?

Mme Gladu: En fait...

M. Laplante: Est-ce exact?

Mme Gladu:... cela se réfère à des ateliers qui étaient anciennement situés dans le gymnase de la bâtisse. J'aimerais rappeler ici les principes de normalisation sur lesquels on s'appuie. En fait, si on regarde comment chacun vit dans la vie, on a une maison où on habite, où on va prendre un repas. On se lève à une certaine heure pour quitter cet

endroit et se rendre dans un autre endroit où on va aller à l'école, où on va aller travailler, etc. Cela fait partie du rythme de vie quotidien qui est considéré comme normal. On va travailler durant un certain nombre d'heures pour ensuite revenir à ce même endroit qui est notre lieu d'habitation. On va avoir également des loisirs qui vont être ailleurs. Donc, cela nous demande de nous déplacer, d'entrer en contact avec d'autres personnes. L'exemple qui a été apporté tout à l'heure, c'est que les ateliers étaient auparavant situés dans la grosse bâtisse, dans le centre d'accueil. Donc, la personne vivait dans une unité avec douze ou seize autres bénéficiaires. Il y avait une espèce de grande salle d'activité encore dans le même environnement physique. Lorsqu'ils allaient travailler, ils n'avaient pas besoin de s'habiller, de se vêtir d'un manteau ou de quoi que ce soit. Il suffisait de descendre un escalier et de se rendre au gymnase dans un simili-atelier de travail à cause du contexte physique. Les loisirs étaient des loisirs institutionnels. Quand on parle d'intégration à la communauté, je pense que c'est vraiment important de bien comprendre ce que cela peut impliquer en termes... Quand on parlait de collaboration et de concertation de la part des différents intervenants impliqués, c'est ce que cela veut dire. Cela veut dire que la personne va habiter dans une résidence X, Y, Z, qui va être dans la communauté. Lorsqu'elle va manger, elle va acheter sa nourriture dans un établissement près de chez elle, elle va aller acheter des choses pour revenir ensuite chez elle pour les préparer et les manger. Cela signifie également qu'elle va devoir partir le matin, prendre l'autobus, se rendre à un lieu de travail qui est le service d'apprentissage aux habitudes de travail. Cela signifie qu'elle va reprendre l'autobus, le soir, après ses heures de travail, pour retourner chez elle. Si elle a des loisirs, elle va devoir prendre un moyen de transport pour se rendre au cinéma ou à une activité quelconque. C'est cela. La personne qui vit avec une déficience intellectuelle va pouvoir être intégrée à cette communauté qui est la sienne. Si elle entre en interaction avec les gens de cette communauté...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse de vous interrompre.

Mme Gladu: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce qu'il s'agit de débiles légers...

Mme Gladu: En fait, au centre d'accueil...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... ou profonds, comme ceux dont parlait M.

Dallaire?

Mme Gladu: Les personnes dont il s'agit sont des personnes qui... On a des exemples. Cela dépend des exemples également. On dessert actuellement une clientèle déficiente légère, moyenne, sévère et profonde. On a vraiment toutes les catégories. Par contre, actuellement, ce sont uniquement les personnes qui vivent avec une déficience plutôt légère ou moyenne légère qui sont désinstitutionnalisées.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord.

Mme Gladu: Cela, c'est le portrait actuel.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, M. Dallaire. Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Dallaire: J'aurais peut-être le goût d'ajouter, M. le député, que je pense qu'on doit accepter dans tous ces mouvements de désinstitutionnalisation qu'il y a un changement. Ce changement est tout à fait important et l'objectif qu'on poursuit, c'est de mettre ces personnes dans une situation, dans des conditions où elles pourront exercer leurs droits. Donc, on améliore leur condition. Mais quand on fait cela, c'est un changement. Le changement exige des transitions et des apprentissages. Je peux dire que je ne connaissais pas la lettre, mais ce sont peut-être des erreurs de parcours. Cela ne veut pas dire que dans cela, il n'y a pas d'apprentissage, il n'y a pas de nouvelles situations. Un exemple concret: dans un foyer de groupe, on a appris à un bénéficiaire à traverser la rue. C'est un risque qu'il faut prendre. Il faut d'abord le surveiller, le voir faire, le laisser aller seul, regarder derrière une fenêtre. Mais le risque, comme établissement, comme institution, on doit le prendre. C'est cela, le risque de la désinstitutionnalisation, le risque qu'il y ait quelques erreurs.

Si on veut faire un blocage, on n'a qu'à faire un catalogue des erreurs et je peux vous dire que je pourrais allonger celui-là parce que j'en ai vu d'autres. Là-dessus, je pense qu'ensemble on doit assumer cette démarche, aussi bien les travailleurs que les administrateurs, de façon qu'on soit en meilleure situation pour que ces personnes puissent exercer leurs droits. Je pense que nous, comme aspect politique et comme gestionnaires, nous devons accepter un risque et l'assumer ensemble. La police va nous aider. Je peux vous dire que, dans une municipalité que je ne nommerai pas, on a eu un appui fantastique des policiers pour traverser les rues. C'est extraordinaire, mais on a eu l'appui de la municipalité, des

parents pour nous aider à faire le transport public. On a eu des erreurs aussi. Donc, il faut ensemble passer par-dessus ces quelques éléments parce qu'on améliore la condition d'exercice des droits des personnes, mais on va avoir des erreurs.

Mme Gladu: J'aimerais peut-être juste ajouter aussi, concernant ce point-là, que je pense que M. Dallaire a tout à fait raison quand il parle de risques. De songer à l'intégration à la communauté des personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle, effectivement, cela comporte des risques. Par contre, si on considère ce qu'une personne doit faire dans le cadre de son développement, de la naissance jusqu'à l'âge adulte et plus tard, cela implique nécessairement des risques. Quelqu'un qui n'en prend pas ne peut pas se réaliser, ne peut pas s'actualiser. Le problème fondamental qu'on a vu jusqu'à présent, c'est justement l'institution qui, surprotégeant, a éliminé tout risque de la vie de ces personnes-là.

Ces personnes-là étant protégées, surprotégées, brimées de toutes leurs responsabilités et de tous leurs droits en ce sens qu'elles n'avaient pas de risques à prendre, cela devient aujourd'hui difficile pour des parents, pour des intervenants qui vont peut-être se sentir responsables, à savoir: Est-ce qu'il y a une assurance qui me couvre s'il arrive telle chose? C'est facile de le comprendre et on le comprend. C'est normal qu'on reçoive des lettres comme celle-là, mais ça fait partie de cela, on ne peut pas s'en sortir sans cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord.

M. Pednault: M. le député et Mme la Présidente, si vous me permettez, si vous avez élevé des adolescents, vous leur avez nécessairement laissé une grande part d'autonomie dans la vie. Si, dans les deux ou trois dernières années, vous aviez fait le catalogue de leurs erreurs et de leurs bêtises, vous passeriez sans doute pour un mauvais éducateur. On a le choix entre ne jamais laisser une personne s'exprimer, quelle soit déficiente intellectuellement, et donc, théoriquement, ne jamais faire d'erreur, ou bien laisser une part de développement raisonnable, mesurée, rationnelle, en assumant...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II y a toute une dynamique derrière le fonctionnement d'un parent qui a un enfant qui souffre d'une déficience profonde par rapport à celle d'un parent qui a un enfant dit, entre guillemets, "normal".

M. Pednault: Ce n'est pas réservé aux déficients intellectuels d'aller à la taverne et de se chicaner avec un...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, mais quand vous parlez de nous qui sommes capables de laisser assumer des risques par nos adolescents, je pense que la comparaison va jusqu'à un certain point. C'est un point de vue.

M. Laplante: Remarquez que je ne voulais pas vous mettre sur la défensive mais je cherche, dans des écrits qu'on a, des réponses des deux côtés.

M. Proulx (Gilles): Juste un petit commentaire. On a deux choix, aujourd'hui, comme société. Soit qu'on désinstitutionnalise parce qu'on pense que c'est plus normalisant. Je me suis posé la question comme professionnel aussi. Est-ce que je ne pense pas à leur place en disant: Je pense qu'ils vont être heureux à telle place? Je me suis posé la question: Est-ce qu'ils vont être vraiment heureux ailleurs? Comme je vous le dis, il y a deux choix. Soit qu'on désinstitutionnalise parce que nous, les professionnels, on pense qu'ils sont mieux dans la société et qu'effectivement ils se développeront davantage, ou qu'on institutionnalise. Mais, aujourd'hui, on va institutionnaliser les déficients, (es vieux et, un jour, tout le monde va être en institution.

Je pense que le Québec va faire un choix social, à un moment donné. Je ne suis pas sûr si le choix n'est pas fait, qu'on s'en va beaucoup plus vers la désinstitutionnalisation avec tous les risques que peut apporter une désinstitutionnalisation.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce qu'il y a d'autres questions? Je vous remercie de votre mémoire. Ce n'est pas qu'il n'y aurait pas d'autres questions, car j'en aurais plusieurs autres, mais, comme je l'ai dit à ceux qui vous ont précédés, si, à un moment donné, on a besoin de précisions, on se sentira à l'aise, en tout cas, on prendra l'initiative de vous contacter. Je pense que l'expérience est intéressante, mais quand même, comme personnes politiques qui feront des recommandations, il faut aussi tenir compte du rythme de l'évolution de l'opinion publique, de celui du développement des ressources. Qu'on les appelle ressources alternatives, intermédiaires ou ce que vous voulez, je pense qu'on sait ce dont on parle. 11 faut aussi tenir compte - vous l'avez signalé - des contingences d'ordre syndical.

Vous mentionnez - c'est ma dernière question - à la page ii de votre introduction: "Une législation ne s'inscrivant pas dans un contexte de réinsertion sociale vient compliquer le quotidien des intervenants. " J'aimerais que vous me disiez à quoi vous faites référence précisément.

M. Pednault: Je pense que les deux grands thèmes... C'est la Loi sur la curatelle publique qui démunit, si vous voulez. Le curateur, en pratique - je pense que M. Dallaire pourrait vous en parler - il est à Montréal. C'est un curateur. Il ne peut pas s'occuper d'une personne, parrainer une personne qui est à Coaticook ou à Sherbrooke et qui est sous la curatelle, qui n'a pas du tout l'exercice de ses droits.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est dans le sens que vous parliez peut-être...

M. Pednault: De trouver une...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... de recourir au parrainage civique plutôt que trop facilement à la curatelle.

M. Dallaire: Je pense que, d'abord, comme professionnels, on tente de développer au maximum toutes les capacités de la personne, même si elle a des handicaps. C'est la première perspective. Or, à cause de nos lois, présentement, dès que la personne a 18 ans, elle est soit sous la curatelle privée ou sous la curatelle publique. À ce moment-là, on veut faire de l'intégration. En appartement, elle a une certaine capacité avec un certain encadrement. Déjà là, on a de la difficulté à lui faire signer un bail pour son appartement. Elle ne peut pas le signer. On veut faire une intervention chirurgicale, il y a la même difficulté, parce que la loi lui enlève la possibilité d'exercer ses droits. Nous disons qu'il faudrait trouver une variation qui permette de protéger la personne, mais en lui laissant, si possible, la capacité d'exercer ses droits, mais avec quelqu'un qui la supervise. Le concept n'est pas clairement identifié au Québec. À l'heure actuelle, il y a des expériences qu'il faudrait pousser plus loin, mais on pense qu'une des avenues, c'est le parrainage civique. Il faudrait aller un peu plus loin. Je pense que d'autres organismes vont vous en parler.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Il y a un groupe qui doit venir nous en parler d'ici à la fin de la semaine.

M. Dallaire: C'est un des points, je pense, très importants à développer. L'autre point, c'est l'aide sociale. Je pense que M. Proulx pourrait vous donner un exemple concret, rapidement, sur la difficulté que l'aide sociale peut créer à cause des contraintes législatives présentement.

M. Proulx (Gilles): Je vais seulement vous donner un exemple. Il y a quelques années, le ministère des Affaires sociales a obtenu des budgets pour la création d'emplois. Je me rappelle que, dans la région de Québec, on avait obtenu cinquante possibilités de création d'emplois, ce qui veut dire qu'on a distribué ces emplois dans différents centres d'accueil. Seulement chez nous, il y a eu six postes pour vingt semaines, c'est-à-dire que six bénéficiaires ont obtenu un emploi de vingt semaines. Après vingt semaines, ils ont reçu l'assurance-chômage, parce qu'ils devaient travailler vingt semaines pour pouvoir obtenir l'assurance-chômage. Compte tenu qu'ils avaient déjà travaillé et qu'ils avaient touché l'assurance-chômage, ils sont devenus aptes au travail, ce qui veut dire qu'ils ont perdu leur aide sociale et qu'ils sont devenus des jeunes assistés sociaux de trente ans et moins qui gagnent 150 $ par mois.

Vous me disiez tantôt que les parents sont très insécures. On n'est même pas capable aujourd'hui de prendre un bénéficiaire et de lui trouver un emploi rémunéré au salaire minimum, les parents s'y opposent. On a de la difficulté à envoyer un bénéficiaire dans un centre de travail adapté, parce que les parents disent: Écoutez, il a actuellement l'aide sociale au maximum et il va tomber au salaire minimum. Lorsqu'on parle d'incongruité de certaines lois, c'est de cela. L'incongruité de certains programmes, c'est cela aussi. Cela a fait que six bénéficiaires ont été déclarés aptes au travail. Cela leur fut impossible de retourner à l'assurance-chômage. Ils sont revenus par la porte arrière, à cause des problèmes de comportement. Ils ont été réinstitutionnalisés, redésinstitutionnalisés et cette histoire dure depuis deux ans pour ces mêmes six bénéficiaires.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci beaucoup. Je pense que c'est clair. À la prochaine. Merci infiniment.

Nous allons suspendre jusqu'à 14 h 45 quand même. Qu'on ait une heure, je pense que ce n'est pas un excès.

(Suspension de la séance à 13 h 50)

(Reprise à 14 h 57)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je ne sais pas si je peux ramener l'ex-ministre à l'ordre.

À l'ordre, s'il vous plaît! La sous-commission des affaires sociales poursuit ses travaux sur la distribution des services de soutien et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté.

Département de psychiatrie de l'hôpital du Sacré-Coeur

Le groupe qui est devant nous représente le département de psychiatrie de

l'hôpital du Sacré-Coeur, le pavillon Albert-Prévost. Il nous fait particulièrement plaisir d'accueillir le Dr Laurin, ex-ministre des Affaires sociales, qui, j'en suis certaine, a déjà dû, dans ses moments libres à l'intérieur du ministère, avoir quelques réflexions sur cet épineux problème qui, dans le fond, nous préoccupe tous. Les efforts de la commission vont dans le sens d'essayer, avec d'autres, peut-être de mettre de l'avant certaines solutions ou au moins certaines orientations. Dr Laurin, je vous laisse présenter votre collègue et vous pouvez procéder.

M. Laurin (Camille): Merci, Mme la Présidente. J'ai effectivement les meilleurs souvenirs des longues sessions que nous avons passées ensemble. Effectivement, en tant que ministre, je m'étais penché sur le problème de la politique de santé mentale. J'avais même profité de mon passage au ministère pour demander à mes sous-ministres de préparer un énoncé de politique de santé mentale qui, je pense, est en préparation à ce moment-ci. J'ai le plaisir de vous présenter, aujourd'hui, le mémoire du département de psychiatrie de l'hôpital du Sacré-Coeur conjointement avec mon collègue, le Dr Jean-Guy Lavoie.

Le département de psychiatrie de l'hôpital du Sacré-Coeur est connu aussi sous le nom de pavillon Albert-Prévost. Le pavillon Albert-Prévost dessert une population de 300 000 habitants à peu près, composée de 180 000 personnes adultes et de 140 000 enfants ou adolescents. C'est un département de psychiatrie d'hôpital général, donc qui fait partie de l'hôpital, mais il est quand même situé à un mille du pavillon principal. Pour desservir cette population, il compte huit cliniques de secteur pour les adultes et cinq cliniques de secteur pour les enfants.

Prévost a été le premier, je crois, à lancer ce qu'on appelle maintenant la psychiatrie communautaire en 1972. Avec ses 134 lits et ses 15 cliniques de secteur, il restait donc à instaurer et à pratiquer ce qu'on appelle maintenant la psychiatrie communautaire.

Le budget de ce département est d'environ 8 000 000 $ par année sur un budget total annuel de 80 000 000 $ pour l'hôpital. Même si nous savons que les maladies mentales coûtent 18 % du budget total de la santé au Québec, il reste cependant que 60 % de ce budget va actuellement aux hôpitaux psychiatriques proprement dits qui desservent à peu près 30 % de la population, alors qu'avec une desserte de 70 % de la population les hôpitaux généraux de la région de Montréal desservent à peu près 70 % des besoins en psychiatrie, quand on se réfère à ce qu'on appelle les cas nouveaux.

En même temps, le pavillon Albert-Prévost a toujours joué, depuis 25 ans, un rôle important dans la formation, à tous les niveaux, du personnel psychiatrique, qu'il s'agisse des étudiants en médecine, qu'il s'agisse des internes, qu'il s'agisse des résidents, qu'il s'agisse aussi des professionnels associés dans les équipes pluridisciplinaires à la dispensation des services psychiatriques, c'est-à-dire les travailleurs sociaux, les psychologues, les ergothéra-peutes, les infirmières.

C'est donc une mission très importante que nous avons à assumer avec des moyens que nous estimons insuffisants puisque, malgré ce que je viens de dire, 134 lits, 15 équipes de secteur, nous savons que pour la pratique de la psychiatrie communautaire il nous faut maintenant toute une gamme de dispositifs, qu'il s'agisse de foyers protégés, de maisons à mi-chemin, de foyers de groupe, d'appartements supervisés, de lieux d'hébergement, de lieux de loisirs que nous ne possédons pas à l'heure actuelle.

Pour voua en parler plus longuement, je demanderais à mon collègue, M. Jean-Guy Lavoie, de vous faire part de l'essentiel de notre mémoire.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M.

Lavoie.

M. Lavoie (Jean-Guy): La maladie mentale, on le sait, a cette particularité de provoquer deux mouvements contraires: rejeter le malade et le secourir. D'une part, la maladie creuse un fossé entre le sujet malade et le sujet sain. Elle oppose l'individu atteint à son entourage. Le malade devient ignoré, rejeté, on le fuit, on le rejette.

D'autre part, le sujet malade est atteint dans sa personnalité. Il arrive qu'il ne puisse même pas assumer de responsabilité envers lui-même à l'occasion. Il nie ses propres besoins, il ne peut se faire reconnaître comme sujet. Son état provoque alors la compassion, l'envie de le secourir. Alors, il s'agit d'une ambivalence des attitudes que les Arabes semblaient avoir réussi à résoudre au Moyen-Âge en créant des asiles où le patient recevait secours et protection, mais en étant exclu de la communauté.

Dans la seconde moitié du siècle dernier, cette façon de voir a obtenu une grande faveur surtout aux États-Unis, où l'on développa ces asiles. Cette approche participait d'une conception scientifique assez pessimiste. La maladie mentale, croyait-on, était attribuable à une tare organique qui offrait peu de chances d'amélioration et le meilleur était d'assurer une vie décente aux pensionnaires.

Mais les décennies ultérieures nous ont permis de modifier quelque peu cette perspective, notamment parce que des facteurs à la fois négatifs et positifs ont obligé à réviser les positions de départ.

D'abord, les asiles se sont avérés incapables de remplir leur mission. Ils sont devenus une néo-réalité qui s'est développée à l'intérieur même de ces institutions qui se sont mises à fonctionner comme des microsociétés fermées. La pathologie institutionnelle est venue aggraver la maladie mentale. Les patients n'étaient plus traités selon les besoins de base fondamentaux qui sont d'être reconnus dans la dignité et le respect en tant que personne. L'asile au complet se repliait sur lui-même, s'isolait de la communauté, se refermait sur les soignés et les soignants.

Les facteurs positifs de l'évolution sociale ont obligé aussi de remettre en question l'approche asilaire. Le développement des sciences psychologiques a permis de comprendre le discours du malade en apprenant à le décoder. La maladie pourrait ainsi être perçue comme un dérèglement du fonctionnement psychique et, donc, accessible à un certain traitement. À côté des développements des sciences psychologiques, il y a eu le développement des approches biologiques, ce qui a permis de contrôler davantage les comportements aberrants et excessifs, ce qui ne rendait plus indispensable la réclusion plus ou moins absolue du sujet.

Enfin, les connaissances sur le corps social, comme tel, se sont accrues avec le développement des sciences sociales où il devient possible de comprendre le fonctionnement de la société dans son ensemble et aussi dans les sous-ensembles, dont te sous-ensemble asilaire. De cette approche, on a pu développer des techniques d'intervention pour le traitement du malade mental également.

Des tentatives ont d'abord été faites au début, pour essayer de modifier l'asile, le rendre meilleur. Ce fut le but de la psychothérapie institutionnelle et les résultats se sont révélés décevants. Certains psychiatres ont jugé que l'asile était incapable de répondre aux besoins fondamentaux du malade mental.

La psychiatrie communautaire a pris le défi à la suite, en proposant de désinstitu-tionnaliser le malade pour lui permettre de retourner dans sa communauté et d'y oeuvrer à sa réinsertion.

Donc, la libération des idées sociales, la prise de conscience par la société du sort qu'elle réservait à une partie des siens, la démocratisation de l'information et des débats sur la problématique sociale ont permis à ce projet de s'imposer. La désins-titutionnalisation du malade mental n'est donc pas un accident de parcours. Elle est l'aboutissement de changements progressifs qui sont survenus dans son développement.

Mais en ramenant le malade dans sa communauté, tout n'était pas réglé pour autant. Même si l'amplitude des émotions et des sentiments difficiles à vivre était atténuée à la faveur du traitement, le malade mental n'en continue pas moins a se singulariser parmi les autres.

Alors, l'organisation des soins dans la communauté doit prendre en considération les particularités du malade. Les dérèglements du fonctionnement continueront à faire problème à des degrés divers. On aura certains cas où la pathologie active sera éteinte et le sujet pourra vivre de façon assez paisible, mais dans d'autres cas, le malade doit présenter une perte fonctionnelle stable qui va autoriser un plan d'action axé sur l'actualisation du potentiel résiduel. Mais dans la majorité des cas, l'évolution sera plus aléatoire, avec des possibilités de rechute ou de récurrence significative du disfonctionnement et où il sera nécessaire d'intervenir par des mesures thérapeutiques actives.

Enfin, on sait que certains sujets présenteront un état sans accalmie et pour eux, un soutien institutionnel permanent devra être offert. Alors, la désinstitutionnalisation des pensionnaires permanents des centres asilaires doit constituer actuellement une préoccupation importante, mais il est aussi impérieux d'empêcher que les malades versent dans la chronicité par un manque dans la disponibilité des soins. Il est difficile de réparer le lien qui a été rompu une première fois entre le malade lorsqu'il a été retourné ou placé dans l'asile. La prévention sera plus rentable si on peut assurer un traitement qui évitera cette rupture initiale.

Les soins psychiatriques actuels, nous semble-t-il, peuvent offrir une gamme de thérapies et de services, mais leur accessibilité n'est pas toujours garantie, comme l'a démontré le Dr Laurin tantôt. Cette accessibilité nous permettrait d'espérer de réduire sensiblement le recours massif à l'institution.

On sait que, depuis les premières expériences, toutes sortes d'innovations ont été réussies pour réinsérer le malade dans la communauté. Elles pourraient être généralisées davantage en concertant le soutien et la coordination pour favoriser un accès plus large à toute la population de patients traités en psychiatrie. Le département de psychiatrie d'un hôpital général, nous semble-t-il, est encore trop souvent réduit à ne compter que sur les lits d'hospitalisation pour du service interne, pour le traitement.

On sait bien que l'hospitalisation est une nécessité, mais elle doit être complétée par des structures soignantes plus légères et l'hospitalisation n'apparaît qu'un des temps parmi le développement du traitement. En externe, pour sa part, l'équipe psychiatrique de secteur assure le traitement du malade ambulatoire, mais on sait que là aussi, souvent, le nombre d'équipes est insuffisant pour un secteur déterminé et que, même à

l'intérieur de chacune des équipes, le nombre de professionnels est parfois aussi déficitaire. Le service d'urgence, dans ces situations, peut servir temporairement de tampon, mais rapidement, on sait qu'il peut être débordé et provoquer un engorgement des urgences, situation qui est aussi bien connue, semble-t-il.

L'insuffisance quantitative des ressources que l'on vient de voir s'additionne aussi à une insuffisance qualitative parce qu'une maladie ambulatoire se présente avec des besoins variés et nombreux qui sont inhérents à la nature de la psychopathologie, qui sont inhérents aussi à la nature des conflits en cause. Tout cela peut être très différent d'un malade à l'autre. Ils sont aussi différents selon la qualité du soutien social qui est encore possible pour le malade ou des ressources matérielles dont il dispose.

L'équipe de ce secteur doit donc compter sur des ressources spécifiques pour maintenir le malade dans son milieu de vie, et deux types de ressources ne peuvent être définies. Les unes, sont majoritairement ou principalement à portée thérapeutique et visent à assurer des soins aux malades ambulatoires; ce sont les ressources intermédiaires. Les autres visent à cerner la problématique d'adaptation sociale concrète; ce sont ici les ressources complémentaires ou alternatives. Comme il s'agit d'un malade qui doit être inséré dans son milieu, on voit qu'il y a une double facette à définir dans le dispositif de soins, et ces deux facettes participent d'une même structure de soins planifiés. Les unes ne vont pas sans les autres.

L'expérience américaine, d'ailleurs, nous a semblé avoir oublié les ressources intermédiaires en mettant l'accent davantage sur les ressources communautaires ou complémentaires, avec la difficulté que le malade, une fois retourné dans la communauté, demeurait malade et n'a pas pu être contenu par les institutions chargées de le maintenir, si bien que ces ressources ont été rapidement débordées et le malade emporté à la dérive.

Il nous semble que pour accepter de vivre avec ce psychotique, le malade mental fortement perturbé, il faut apprendre à le connaître et à se connaître aussi afin de survivre aux embûches qu'il crée dans ses relations. Les soignants, dans ce cas, doivent être pourvus des différentes ressources de la science pour accomplir leurs tâches, sinon ils risquent d'être rapidement dépassés et de se retirer ou de rejeter le malade.

Les ressources intermédiaires assurent le suivi thérapeutique au malade ambulatoire. Le séjour à l'hôpital étant de plus en plus abrégé et limité à des indications précises, la thérapeutique emprunte d'autres formes au cours du soin actif extra-hospitalier.

Ainsi, je vais donner quelques exemples de ce que nous entendons par des ressources intermédiaires. Par exemple un centre de jour, qui nous semblerait aller de soi maintenant, dont tout le service de psychiatrie devrait être pourvu afin de répondre aux patients qui n'ont plus besoin de soins continus avec hébergement, qui est l'hospitalisation, mais qui ont quand même une pathologie importante, partiellement résorbée et qui pourrait répondre à un traitement de type centre de jour.

Le malade qui traverse une crise intense, mais qui est quand même limité, avec un bon réseau de soutien autour de lui, ou avec des ressources internes encore assez bien conservées, pourrait parfois s'en tirer avec un court séjour dans une unité de traitement transitoire, qui va l'accueillir pour peu de temps.

Dans d'autres cas, on sait que les ressources du milieu, on peut compter sur leur collaboration effective, et une unité d'intervention de crise, à ce moment-là, pourrait intervenir pour colmater la crise et aider à traverser une période difficile. D'autre part, un malade qui a compromis ses possibilités d'emploi par une perte partielle de son fonctionnement, soit par son inconstance au travail, dans son rendement, soit par son irrégularité, pourra être assisté par un conseiller spécialisé en main-d'oeuvre, par exemple, ou prendre un certain entraînement dans un centre de travail adapté.

D'autre part, on sait toute la charge que représente pour la famille le soutien d'un malade mental. Et, à ce moment-là, des modules axés sur la problématique des familles nous apparaîtraient pouvoir limiter l'impact désorganisant de la maladie mentale sur le milieu. Il permettrait de maintenir le lien important du malade avec son milieu naturel. (15 h 15)

Mentionnons comme ressources intermédiaires tous les différents milieux d'accueil et d'hébergement - il serait onéreux de définir toutes les caractéristiques de chacune des catégories - mais disons que l'éventail doit être le plus large possible afin de s'assurer le maximum de chances de répondre aux besoins du patient avec une ressource adéquate, sinon on sait par expérience que la tentative est vouée à l'échec.

Nous arrêterons ici cette énumération. Les ressources intermédiaires sont suffisamment illustrées pour justifier leur place dans un dispositif psychiatrique. Ces ressources sont intermédiaires en ce qu'elles sont posées entre l'hôpital et la communauté. Elles offrent une approche intermédiaire entre la thérapie de milieu que l'on retrouve à l'hôpital et le soutien thérapeutique léger du malade ambulatoire qui se fait en externe. Elles répondent à la

phase intermédiaire de l'évolution de la maladie entre la phase aiguë grave et l'état de rémission stable.

Les ressources alternatives ou ressources complémentaires. On a vu que les ressources intermédiaires viennent prolonger les ressources hospitalières mais elles ne sauraient garantir à elles seules l'insertion du malade dans sa communauté, il faut davantage un appel de la communauté pour maintenir et conserver le lien du malade avec sa communauté. L'ancrage dans le milieu ne va pas de soi même si on retourne le malade. On sait que la pathologie de la maladie mentale a comme caractéristique de compromettre les relations du malade avec les autres; en le retournant dans le milieu, on n'a pas nécessairement trouvé encore une solution à cette problématique. Il faudrait agir au niveau même où se pose le problème qui correspond à une sorte de handicap pour le malade.

On pourrait agir à deux niveaux: du côté du malade en lui offrant différentes ressources comme des centres de loisir, des milieux de jour ou de soir, des groupes d'entraide d'ex-patients psychiatriques. Ce sont des choses qui, généralement, existent mais, comme je le disais tantôt, de façon parcellaire, isolée ou locale sans que ce soit suffisamment généralisé.

Donc, ces organismes ont le mérite essentiel de tisser constamment un réseau de relations pour le malade, de s'offrir à lui continuellement pour pallier cette incapacité qu'il a d'établir et de renforcer lui-même ses propres liens avec les autres.

D'autre part, du côté de la communauté, une forme d'animation communautaire sous quelque forme que ce soit pourrait viser à réduire les préjugés tenaces, à favoriser la rencontre - avec les institutions de la communauté pour ouvrir davantage les portes des ressources ordinaires, des ressources de la communauté aux individus qui sont identifiés comme malades mentaux.

Il y a une forme de sensibilisation du milieu qui pourrait être entreprise pour régulariser les rapports entre les organismes de la communauté et le malade mental. Parmi ces organismes, nous pensons ici principalement aux institutions publiques comme les CLSC qui nous apparaissent avoir la responsabilité du traitement de première ligne de la maladie mentale, mais dont la mission gagnerait à être davantage précisée et définie. 11 y a un effort soutenu aussi qui devrait être consenti par les DSC, qui ont fait preuve d'excellence dans différents domaines et qui nous sembleraient pouvoir utiliser leurs ressources dans le domaine de la santé mentale comme dans les autres domaines de la médecine. Nous pensons également aux omnipraticiens qui pourraient être davantage appelés à assumer une partie du traitement des patients, même si actuellement leur collaboration est déjà commencée.

Enfin, il y a peu de justification pour que les organismes n'ouvrent pas davantage leur porte au malade mental parce que, même si le mouvement de rejet peut être inévitable à l'occasion dans un rapport interpersonnel, on peut difficilement accepter qu'il en soit de même entre un individu malade mental et un organisme où il est toujours possible de trouver une alternative au rejet.

Du côté des adolescents qui souffrent de troubles mentaux et qui vivent dans la communauté, il faut parler hélas de beaucoup de pénurie. Les ressources existantes concernent surtout la déficience mentale et les troubles socio-affectifs. Or, pour l'adolescent psychotique, on sait les impacts que cela peut avoir sur son entourage. Mentionnons les problèmes qui sont liés à la scolarisation et à la fréquentation scolaire qui ont pour effet d'exclure le patient psychotique des systèmes réguliers et même spécialisés d'éducation. Il y a une insuffisance également pour le malade psychotique au niveau des soins de jour adaptés, en ressources éducatives par exemple. Il y a également une absence de ressources intermédiaires ou alternatives à l'hospitalisation, une absence de milieux de vie extra-hospitalier, tels que des foyers de groupe, des foyers de transition. Enfin, l'absence de ressources qui visent à pallier les impacts de la psychose d'un adolescent sur sa famille. Donc, on retrouve en bonne partie l'insuffisance que nous avons déterminée pour les patients adultes tout à l'heure. Il faut ajouter que les hospitalisations sont parfois prolongées parce qu'il manque de ces ressources en externe, ce qui diminue l'accessibilité d'autres patients qui en auraient bien besoin, en plus d'offrir des soins de qualité douteuse pour les patients en les maintenant dans une hospitalisation, faute d'autres ressources. Il y aurait donc lieu d'instaurer un travail de concertation afin de faire un bilan qui dégagerait de la situation actuelle les besoins ainsi que les moyens qui doivent être mis en oeuvre pour permettre l'accès des adolescents psychotiques à des ressources qui respectent leurs caractéristiques, à la fois au niveau développemental et au niveau de leur psychopathologie.

En conclusion, le malade mental, qu'on avait isolé dans le passé, se révèle aujourd'hui, selon notre conception, un sujet qui est capable de vivre dans sa communauté, à condition qu'on dépasse le conflit que suscite son contact dans lequel il éveille alternativement des mouvements d'assistance et de rejet. Mais le malade mental, par ailleurs, on le sait, est un

malade souffrant, qui accepte mal l'idée qu'on veut lui apporter de l'aide dans la mesure où le secours est ressenti comme une humiliation. La tâche se trouve donc délicate, parce que l'aide psychiatrique n'est pas nécessairement désirée et il faudra que le couple soignant-soigné soit armé des meilleures ressources pour garantir le succès. Le processus est complexe, les valeurs fondamentales sont en jeu. Cet enjeu s'étend parfois sur de longues périodes puisque, on le sait, les thérapeutiques ne sont à peu près jamais définitives. Les crises sont donc susceptibles de se reproduire et chaque situation nouvelle précipitera fréquemment de nouvelles crises où l'individu n'a pas toujours les ressources en lui-même pour faire face à cette difficulté temporaire que lui commande une situation nouvelle.

L'institutionnalisation nous avait dispensés de cette assistance exigeante au malade mental, mais on s'est aperçu que c'était au prix de la dévitalisation du sujet soigné. Les possibilités thérapeutiques permettent aujourd'hui de traiter un sujet vivant et intégré à son milieu... Les ressources nécessaires à cette fin auront à s'élaborer selon trois facettes essentielles au niveau thérapeutique, soit les ressources hospitalières, les ressources intermédiaires et les resssources complémentaires. Ces ressources devront s'échelonner le long de la route, autrefois, déserte qui menait de la communauté à l'asile.

Le défi est grand, mais il nous semble se situer dans le prolongement naturel des choses.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci beaucoup, Dr Lavoie. Merci, Dr Laurin. J'ai lu avec intérêt votre mémoire. Je pense que c'est peut-être la première fois que l'on fait aussi clairement la différence entre les différents types de ressources. Les ressources hospitalières, tout le monde les connaissait, mais la façon dont vous les catégorisez, c'est-à-dire les ressources intermédiaires et les ressources alternatives... Je pense que même dans l'esprit des gens, il y a beaucoup de confusion entre les ressources intermédiaires et les ressources alternatives.

Vous soulevez également un problème que nous n'avons pas touché jusqu'à maintenant, celui des adolescents et des jeunes adultes. J'y reviendrai tout à l'heure avec des questions un peu plus précises.

La première question que j'aimerais vous poser, compte tenu de votre expérience comme psychiatre, c'est: Dans la connaissance des choses qu'on a présentement ou dans la connaissance de la problématique de la maladie mentale, quelle est l'extension qu'il faut donner au concept de réinsertion sociale?

M. Laurin: Quand on parle de maladie mentale, on ne peut sûrement pas exclure le substratum biologique. La preuve en est que l'intervention des psychotropes, en 1950, a été le premier pas vers la désinstitutionnalisation, en ce sens que ces médicaments ont permis de résoudre en grande partie les crises, de stabiliser l'état des malades et a permis un retour dans la communauté. Encore aujourd'hui, on se rend compte qu'on ne pourrait pas aller bien loin sans cet apport biologique que constituent les médicaments, ce qui signifie qu'il doit y avoir encore de la recherche sur les causes adjuvantes ou essentielles de la maladie mentale ou de certaines maladies mentales.

Par ailleurs, il est également évident que la maladie mentale comporte une très grande importance sur le plan de la psychologie. Cette maladie dérègle le moi, les relations de la personne avec son entourage, altère la perception que l'individu peut avoir de ces milieux divers où il est appelé à intervenir et, en ce sens, il est absolument essentiel de recourir à toutes les connaissances que la psychologie, soit cognitive soit psychanalitique, nous a apportées à cet égard.

Par ailleurs, il est tout aussi important de dire que la composante sociale est extrêmement importante car, sous l'effet combiné de ces altérations biologiques et psychologiques, c'est tout le tissu relationnel qui est affecté à un stade plus ou moins précoce quand il s'agit d'enfants, quand il s'agit d'adolescents et aussi quand il s'agit d'adultes. La maladie mentale dérègle, par le fait même, le tissu relationnel avec la famille, avec la société, avec le milieu de travail. Il n'est pas suffisant, donc, de guérir une maladie mentale même si cela était possible. Une fois qu'on a guéri la maladie mentale, il faut aussi réparer les effets de la maladie mentale sur le plan de l'organisation de la personnalité, sur le plan de l'organisation des relations multiples que l'individu entretient avec son entourage. D'où l'importance des mesures sociales.

C'est donc à une approche biopsychosociale qu'il faut viser. Ceci ne nous amène pas du tout à sous-estimer l'importance de la réinsertion sociale, bien au contraire, puisqu'une fois nos devoirs faits, si vous me permettez cette expression, sur le plan de la biologie, sur le plan de la psychothérapie, il nous reste ensuite à réinsérer ce malade dans son tissu relationnel, que ce soit le milieu familial, que ce soit le milieu du travail, que ce soit le milieu social. Étant donné, parfois, l'ampleur des déficits à cet égard, il faut recourir à une gamme très variée de mécanismes qui se situent à plusieurs niveaux: sur le plan, par exemple, de l'hébergement, du domicile, puisque beaucoup de ces malades ont été rejetés par leur famille ou par leur milieu

social et doivent désormais vivre une vie autonome; sur le plan des habitudes sociales ordinaires comme faire un budget, utiliser les moyens de transport, apprendre à se récréer, à donner suite à leurs besoins naturels sur le plan du loisir, de la récréation; ensuite, sur le plan du travail, ils doivent réapprendre à devenir des membres utiles de la communauté et à actualiser les talents, le potentiel qu'ils continuent de posséder à l'intérieur d'eux-mêmes.

Donc, il s'agit de mettre en place toute une série de dispositifs, les uns appartenant à l'hébergement, les autres à la réadaption sociale, les autres à la réadaption au travail, les autres à la création ou à la créativité. Je pense que nous sommes loin de posséder, actuellement, tous ces dispositifs. Nous en avons peu ou prou selon certains milieux. Certains milieux sont plus favorisés que d'autres, mais dans beaucoup de cas, je dirais dans la totalité des cas, ces ressources sont insuffisantes. Il faudra beaucoup de recherche et de créativité pour aboutir à mettre en place tous les dispositifs dont nous avons besoin. (15 h 30)

Deuxièmement, il faudra également sensibiliser toute la communauté pour qu'elle nous aide à procéder à cette mise en place. Ce n'est pas la seule responsabilité des hôpitaux ni des médecins, ni des psychiatres, ni même des CLSC ou des DSC - des j départements de santé communautaire. C'est également la responsabilité des citoyens, c'est également la responsabilité des groupes volontaires, quels qu'ils soient: groupes d'ex-patients, parents de malades mentaux, organismes bénévoles ou organismes d'entraide. Il s'agit aussi de l'apport des municipalités, qu'on oublie trop dans le débat et qui ont aussi une responsabilité à cet égard et qui se déchargent trop facilement, à cet égard sur les gouvernements supérieurs, qu'il s'agisse du gouvernement provincial ou du gouvernement fédéral ou sur certaines associations telles que les hôpitaux.

Il s'agit donc d'un effort concerté où chacun doit trouver sa place, sa créativité et qui, en conséquence, doit lutter et annuler les préjugés dont a parlé le Dr Lavoie, avec le support de l'État cependant, qui doit apporter son leadership sur le plan des idées, sur le plan de la motivation et aussi son coup de pouce sur le plan financier.

J'ai toujours été frappé par le fait que 500 000 $ par exemple, placés dans un foyer de groupe, dans des appartements protégés ou dans un organisme d'entraide, peuvent apporter des résultats incalculables par rapport aux 18 % que coûte la maladie mentale au trésor provincial chaque année.

Évidemment, pour un bout de temps, il va falloir mener de front les deux tentatives puisque, comme je le disais au début, les hôpitaux généraux traitent actuellement 70 % des nouveaux cas avec des ressources largement insuffisantes et puisque, également, les cliniques de secteur dont nous parlons se sont vu imposer le fardeau de la psychose, il faut bien le dire. La maladie mentale bénigne, légère, peut être traitée en bureau privé ou en CLSC ou par les omnipraticiens, mais quand il s'agit de la psychose, avec ce que cela implique de gravité, avec ce que cela implique de violence parfois, de dérangement social, il y a une réaction de la part ou des CLSC ou des omnipraticiens ou des organismes d'entraide qui amène ces patients à se retrouver tôt ou tard dans les cliniques de secteur. Donc, les cliniques de secteur se retrouvent avec les patients les plus lourds, les plus handicapés, avec des ressources insuffisantes.

Il faudra donc mener de front les deux tentatives: premièrement, aider les cliniques de secteur ou les hôpitaux a assumer leur tâche mieux qu'ils ne peuvent le faire actuellement, en augmentant leur personnel, en leur donnant ces ressources intermédiaires dont nous parlions, mais, en même temps, pousser beaucoup plus que nous ne le faisons actuellement dans le sens de la réinsertion sociale en mettant sur place tous ces organismes que le Dr Lavoie a mentionnés. Qu'il s'agisse d'animation communautaire, d'organismes d'entraide, de foyers de groupe, de clubs de loisirs, de centres de travail adapté, pour quelques années il faudra mener de front les deux tâches, quitte à ce que cela coûte plus cher puisque nous savons que si nous réussissons l'opération d'ici à une dizaine d'années nous parviendrons de cette façon à couper la maladie mentale davantage à sa racine, à diminuer le nombre d'hospitalisations, à éviter la durée des hospitalisations, à éviter l'encombrement des unités psychiatriques dans les hôpitaux généraux, à éviter l'encombrement dans les urgences et à traiter la maladie mentale en première ligne, là où elle devrait être traitée.

Donc, c'est un effort considérable qui devra être fait et qui devra être assumé par la collectivité tout entière.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dr Laurin, j'aimerais vous demander ceci, en fonction de Prévost: Vous desservez un bassin de population de 300 000, quel est le pourcentage de cette population qui, selon vous, requiert à des degrés différents si on veut, de l'aide psychiatrique de la part de votre établissement?

M. Laurin: C'est difficile à dire, parce qu'une certaine partie de cette population de 320 000 personnes pourrait être traitée aux CLSC, par exemple. Mais comme les CLSC n'ont pas encore assumé cette mission, ce sont les cliniques de secteur qui sont

obligées de l'assumer ou les bureaux privés, les bureaux privés de médecins, d'omnipraticiens, de psychiatres, de psychologues ou de travailleurs sociaux. Je suis sûr qu'il y a une bonne partie qui est soignée en bureau privé surtout, mais il y a une bonne partie que nous devons traiter.

Quant aux psychoses ou quant aux états limites, c'est-à-dire ce qu'on appelle les "border lines", qui ne sont pas des psychoses, mais qui sont des cas très graves, je dirais que la quasi-totalité de ces gens, de ces personnes finit par aboutir dans nos cliniques de secteur, que celles-ci soient rattachées à l'hôpital psychiatrique ou à l'hôpital général.

Donc, je dirais que la charge qu'ont à assumer les cliniques de secteur actuellement est extrêmement lourde.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vos cliniques de secteur - vous en avez 13, je pense, ou 15 - offrent des services à domicile ou si les gens se rendent à la clinique? La raison pour laquelle je vous pose la question, c'est que, depuis la deuxième journée, nous avons entendu plusieurs groupes et plusieurs ont fait référence au fait que si - vous parlez, à un moment donné, d'unités d'intervention de crise - ces interventions se faisaient à domicile, elles éviteraient, probablement dans plusieurs cas, des hospitalisations. Est-ce que les équipes de secteur... Hier soir, Douglas nous a parlé aussi de ces équipes de secteur...

M. Laurin: II faut d'abord répéter que la demande dépasse l'offre. Par exemple, une clinique de secteur comportant un psychologue, un travailleur social, un médecin, un ergothérapeute ne peut guère assumer la prise en charge de plus de 20D patients par mois. Dans toutes nos cliniques, c'est 250, c'est 300, c'est 350. Donc, quand l'offre est en deçà de la demande, le résultat est presque toujours le même, c'est que la demande arrive, déborde les cliniques de secteur et il reste peu de temps pour aller à domicile, puisque déjà nous sommes amplement occupés par ce qui vient naturellement.

Malgré cela, nous allons à domicile toutes les fois que cela est possible. Par exemple, au service d'urgence, à cette unité de traitements transitoires dont nous parlons, il y a des visites à domicile qui se font. Nos cliniques de secteur vont aussi parfois à domicile, mais je voudrais aussi vous dire quelque chose; c'est qu'avant d'aller à domicile, il faut que ce soit indiqué également. Ce n'est pas toujours indiqué d'aller à domicile. Parfois, c'est vu comme une intrusion par la famille. Si la famille n'est pas préparée à une visite à domicile, on peut causer plus de dommages qu'on en ferait en donnant rendez-vous à la famille, par exemple, qui viendrait à la clinique. Ce n'est pas une panacée, la visite à domicile.

Par ailleurs, nous pensons que la visite à domicile, de préférence, devrait se faire par l'intermédiaire du CLSC dans la mesure où le CLSC n'aurait pas peur de la maladie mentale ou se sentirait préparé à l'assumer ou, par exemple, s'il pouvait compter sur l'appui, sur l'encadrement professionnel que pourrait fournir une clinique de secteur au CLSC. II y aura donc une coordination, une jonction nécessaire à opérer, à effectuer entre la clinique de secteur et le CLSC, ou avec l'omnipraticien, ou avec certains organismes d'entraide.

C'est une des formules, évidemment, qui est importante, qu'il nous faut considérer, que nous pratiquons, mais que nous pratiquerions beaucoup mieux si nous n'étions pas débordés comme nous le sommes par une demande excessive et qui a tendance à augmenter.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous avez un pavillon de psychiatrie de 134 lits. Dans votre mémoire, vous dites: II y a des cas qui requièrent des services permanents ou une institution permanente, enfin une institutionnalisation permanente. Dans quelle mesure vos lits sont-ils occupés par ce qu'on pourrait appeler des cas chroniques qui devraient peut-être être dans un hôpital psychiatrique?

M. Laurin: D'après l'étude la plus récente que nous avons faite il y a deux mois, nous pourrions dire que le tiers de nos 134 lits sont occupés par des malades permanents ou chroniques, qu'il s'agisse de schizophrènes jeunes en carrière - si vous me pardonnez cette expression - où la maladie est en train d'étendre ses ravages, désorganisant l'intérieur du moi et qui, malgré tous les efforts thérapeutiques, continuent d'être gravement atteints à l'intérieur d'eux-mêmes, dans ces cas-là, on peut les garder à l'hôpital un mois, deux mois et les renvoyer, mais ils nous reviennent presque immédiatement après. C'est une catégorie, qui compte dans ces malades - je n'oserais pas les appeler "chroniques" - à long terme, que nous avons.

Il y a une autre catégorie de malades qui compte parmi ces effectifs. Il s'agit d'autres psychotiques, il s'agit de maniacodépressifs qui avancent en âge et où des crises, soit dépressives ou maniaques, se succèdent à un rythme plus accéléré et qui, à cause de l'âge également, à cause du tissu social ou familial qui se disloque, ont des ressources intérieures appauvries et qui ont besoin davantage du support et de l'encadrement institutionnel.

Il y a aussi certains syndromes organiques en croissance, des démences, par exemple les psychoses d'Alzheimer ou des

démences préséniles où, bien sûr, l'origine est organique, mais où les effets sont sociaux et qui amènent des problèmes de comportement que les familles ne peuvent plus prendre à leur charge, que même les centres d'accueil ne peuvent plus prendre à leur charge et que même les centres hospitaliers de soins prolongés ne veulent pas prendre à leur charge puisqu'ils ne sont pas organisés pour cette catégorie de clientèle.

Comme personne ne veut de ces patients et comme les hôpitaux psychiatriques ne les acceptent plus, qu'il s'agisse du centre hospitalier Douglas ou Louis-H. -Lafontaine, nous sommes obligés de les garder dans nos services de psychiatrie d'hôpitaux généraux.

C'est la raison pour laquelle il faudrait ajouter à la gamme de ressources dont parlait le Dr Lavoie, des services de troisième ligne disséminés dans la région de Montréal pour ces catégories de patients afin que nous puissions pousser le traitement thérapeutique pour les jeunes schizophrènes, par exemple, puisque nous savons qu'après cinq ou six ans, si la thérapie est bien menée, nous pouvons les retourner à la communauté, pour ces maniaco-dépressifs qui ont besoin d'un support plus prolongé et accentué et aussi pour ces démences organiques en progression qui, elles, ont besoin plutôt d'un programme de réadaptation axé sur l'insertion sociale et le travail qui demandent une approche spécifique.

C'est une autre ressource dont nous aurions besoin. Si elle n'est pas mise à notre disposition, il est évident que le nombre de patients permanents ou à long terme dans nos unités de courte durée vont augmenter. Il est du tiers actuellement, il va passer sûrement bientôt à 38 %, bientôt à 40 % et nous ne pourrons même plus accueillir les patients de courte durée pour lesquels nous sommes faits et pour lesquels nous avons les ressources. Donc, cela va être un gaspillage dans le sens que cela va coûter de plus en plus cher à l'Etat et nous allons devenir de moins en moins efficaces.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dr

Laurin, si j'additionne cette clientèle d'une quarantaine de personnes chez vous, je parle de la région de Montréal, parce qu'hier soir on a eu un mémoire sur la région de Montréal, incidemment, qui donnait suite à un mandat que vous aviez donné, ce même phénomène, probablement, sur une moins grande échelle parce qu'il y a moins de lits dans ces hôpitaux de courte durée pour les malades psychiatriques, mais ils ont aussi, selon ce qu'ils nous ont dit, un certain nombre de malades chroniques qui doivent rester là, qui paralysent des lits dans d'autres hôpitaux généraux dont une partie... est-ce que s'ils ont 28 lits, c'est A, 6 ou 8 lits? Je l'ignore, mais ils ont probablement, j'imagine, le tiers comme vous autres au moment où l'on se parle, parce que j'ai l'impression que le modèle, le pattern doit être assez semblable. Est-ce que ceci... On a, à côté de cela, quand même, des hôpitaux psychiatriques, d'où on essaie de sortir les gens, parce qu'il y a la vieille histoire dont vous nous avez brossé un tableau en quelques lignes tout à l'heure... (15 h 45)

Est-ce que vous favoriseriez que plus d'ouverture soit faite pour votre clientèle à long terme, dans ces hôpitaux ou, est-ce que vous suggérez plutôt des unités ou, enfin, des petits centres qui seraient, je ne sais pas, disons, que cela en prendrait trois ou quatre à Montréal? Ce serait absolument arbitraire. Qu'est-ce que c'est comme formule? Parce que j'ai l'impression qu'on entre un peu dans le même cercle vicieux que les hôpitaux généraux de courte durée pour la maladie en général où, finalement, les uns poussent sur les autres et on se retrouve avec les problèmes de salles d'urgence, parce que vous êtes aussi au courant que moi. Mais du côté de la psychiatrie, comment est-ce que vous verriez les solutions? Parce que c'est une réaction à la chaîne, finalement.

M. Laurin: Pour ces patients, il est sûr qu'il faudrait un centre de troisième ligne, si on peut l'appeler ainsi. Mais il ne faudrait pas que ce soit concentré dans une seule institution comme cela a été fait dans le passé, d'abord, parce qu'on sait que plus l'institution est grosse, plus elle secrète des germes nocifs qui s'ajoutent à la maladie mentale elle-même.

Donc, il ne faudrait pas que le centre soit trop gros. Il faudrait que ce soit même le plus petit possible, parce que plus un centre est petit, plus la surveillance est facile, plus le contrôle est mieux exercé, plus le traitement est intensif. Ces centres de troisième ligne doivent être des centres de traitement intensif approprié pendant à la pathologie, mais cela doit être des centres de traitement, donc, des centres petits et, de préférence, dans les régions de Montréal et, de préférence, selon les territoires de santé communautaire. Il y en a huit à Montréal. Donc, on pourrait en avoir six et huit qui pourraient desservir chacun deux ou trois unités psychiatriques d'hôpitaux généraux.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pour laisser la chance à mes collègues, j'ai deux autres questions à vous poser. Vous avez dressé un tableau des différentes ressources et je voudrais parler des ressources intermédiaires que vous avez énumérées et des ressources alternatives. Je comprends que les ressources alternatives sont dans la communauté; elles originent des initiatives supportées, si on veut, par l'État jusqu'à un

certain point, mais cela origine vraiment du milieu, des municipalités, etc.

Dans le cas des ressources intermédiaires, est-ce que vous les voyez -je les prends toutes, même les ressources d'hébergement, les familles d'accueil, les foyers de groupe, etc., - rattachées à votre unité psychiatrique ou si vous les voyez comme relevant d'une autre...

M. Laurin: Cela n'a pas tellement d'importance. L'important, c'est la coordination. C'est le fonctionnement réseau. Si ce sont les hôpitaux qui les ont, on va les accuser d'hospitalocentrisme. Si c'est uniquement dans la communauté, sans rapport avec les institutions hospitalières, on va dire que c'est de l'utopie et du romantisme. Pour obvier à ces deux reproches, je pense que la localisation n'est pas tellement importante, mais qu'il faut mettre l'accent sur la coordination.

Si un centre de jour et de soir est organisé sur une base autonome avec un conseil d'administration, mais qui se met en relation avec tous les centres hospitaliers à desservir, cela va très bien. Si, par ailleurs, l'hôpital ayant les fonds nécessaires - point d'interrogation - met sur pied ce centre de jour et de soir, mais le met à la disposition des autres hôpitaux ou des autres institutions analogues, cela irait très bien aussi. Mais je pense qu'il faut éviter les querelles d'école, les querelles de pensée et qu'il faut viser à l'efficacité. En ce sens, je ne voudrais pas que l'on mette l'accent sur la localisation, mais plutôt sur la coordination qui, elle, est absolument nécessaire.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le rattachement, pour vous, est indifférent?

M. Laurin: Indifférent.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ma deuxième question, c'est: Quand on lit votre mémoire, on a l'impression que, finalement, les solutions sont simples dans le sens que vous avez identifié... Enfin, pour faire le circuit complet et accorder...

M. Laurin: Elles sont simples, mais je dirais qu'elles font quasi-consensus. Ce qui manque, c'est une voie commune - c'est exprimé - un leadership, les sources de financement et la volonté politique. Par politique, j'entends plus que politique au niveau gouvernemental, mais politique municipale, politique de l'Association des hôpitaux, des corps intermédiaires. Je pense que ce sont les ingrédfents qu'il nous faut qu'on pourrait peut-être regrouper sous le nom de leadership moral.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Alors, on est d'accord là-dessus, les éléments sont là. Je suis d'accord avec vous, aussi, qu'il y a un consensus parce qu'on a à peu près les mêmes propositions qui nous parviennent des différents groupes. Ce qui semble manquer, je suis d'accord avec vous parce qu'on a parlé de manque de concertation, de rivalité de clocher, etc., mais il y a aussi la question du financement. Je ne veux pas vous mettre dans une situation embarrassante, Dr Laurin, mais c'est vraiment parce qu'on essaie de voir, pratiquement, ce qui peut être fait. Vous avez dit presque au tout début: Les hôpitaux de soins prolongés servent presque 30 % avec 60 % du budget; nous, on sert 70 % avec 40 % du budget. J'ai cru déceler là-dedans, dans le fond, un constat qu'il y avait une mauvaise allocation des ressources.

M. Laurin: Non.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Non, ce n'est pas cela.

M. Laurin: Non. Ce n'est pas une critique parce que les hôpitaux psychiatriques, certains en tout cas, desservent déjà, comme les hôpitaux généraux, la clientèle nouvelle, mais ils ont une autre obligation, c'est de donner l'hébergement, la nourriture et les soins de base à une population qui est hospitalisée là depuis 10 ans, 15 ans, 20 ans, et ces patients coûtent cher aussi. Donc, ce n'est pas du tout dans mon intention de reprocher à l'État d'accorder des fonds pour prendre soin de ces patients qui sont là depuis 15, 20, 30 ans et qu'on pourrait peut-être réinsérer dans la communauté en y mettant la compétence, l'énergie, l'effort et les fonds.

C'était simplement pour dire que dans ces 18 % consacrés aux maladies mentales, les unités psychiatriques des hôpitaux généraux se trouvaient dans une situation très difficile. C'était pour démontrer que les fonds sont insuffisants. Je vous en donnerais une autre preuve. On a créé beaucoup d'unités psychiatriques dans les hôpitaux généraux au cours des 20 dernières années, mais plus on en crée, plus il faut en créer d'autres, et plus on crée d'unités, par exemple, avec dix lits, quinze lits, deux ans, trois ans après, on est obligé d'ajouter cinq lits, dix lits, quinze lits, vingt lits, et malgré tous nos efforts, le pourcentage d'occupation de ces lits dans les unités psychiatriques d'hôpitaux généraux est toujours le plus élevé de tous le départements de l'hôpital et dépasse même le 100 %, atteint souvent 102 %, 103 %, 104 %, c'est-à-dire qu'on est obligé de mettre des patients dans les corridors parce que la demande dépasse l'offre.

Il faut faire ces constatations et en tirer toutes les conséquences qu'il faut.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que je dois comprendre de ce que vous dites que, finalement, en dépit des efforts qui sont faits - il y a probablement des efforts supplémentaires qui pourraient être faits, un réaménagement, etc., - il va falloir que l'État, à un moment donné, concentre des efforts supplémentaires, des investissements supplémentaires si on ne veut pas, ensemble, refaire la même discussion dans trois ans, quatre ans ou cinq ans?

M. Laurin: Et avec le support de la collectivité, parce que si la collectivité n'est pas convaincue qu'il faut faire cet effort, elle va renâcler contre les dépenses additionnelles que cela va nécessairement comporter.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

D'accord. Alors, M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Dr Laurin, on parle beaucoup de réinsertion dans le milieu naturel de ces patients psychiatriques. On n'a pas parlé encore de prévention. Le début d'une maladie mentale, ça se manifeste comment? Comment peut-on la percevoir? Comment peut-on aider ces gens avant, au lieu de les aider après?

M. Lavoie: Quand on parle de maladie mentale, c'est un terme général qui implique de multiples formes. Il y en a où le terrain biologique est prédominant. On sait, par exemple, que dans tout le domaine des psychoses, que ce soit notamment la schizophrénie ou la maladie maniacodépressive, il y a un terrain biologique qui est un facteur essentiel pour qu'apparaisse et que se manifeste la maladie. Ensuite, les facteurs sociaux viendront compromettre un équilibre psychologique qui s'est établi sur un terrain biologique déjà chancelant si bien que, généralement, on va parler de concordance de trois facteurs, comme le Dr Laurin l'a mentionné tantôt. Dans le traitement, on abordait par l'approche biopsychosociale, donc, on aura une incidence biologique, une incidence psychologique, c'est-à-dire que l'individu se sera développé une personnalité avec une prédisposition particulière à développer des maladies mentales. Finalement, il y aura aussi les stress sociaux qui viendront intervenir comme facteurs déclenchants. Si bien que pour la schizophrénie, par exemple, malgré les prédispositions de départ que sont les terrains biologiques et la fragilité de la personnalité, on verra la manifestation surtout vers la vingtaine au moment où les stress sociaux deviennent de plus en plus importants pour l'individu, à la fin de l'adolescence, comme le choix de l'orientation de sa carrière, le choix de la vie maritale ou non, l'orientation sexuelle. Il y a toute une série de choix qui sont demandés et qui font que ce sera stressant.

Quand on parle de prévention, on peut essayer de prévoir le ou l'autre de ces différents domaines sur lesquels on pense pouvoir agir. Mais là encore, ce n'est pas encore très rentable, si on peut dire, parce qu'au niveau biologique, il s'agit d'une difficulté pour laquelle on n'a pas de traitement. Au niveau psychologique, on peut faire quelque chose par un dépistage plus précoce. Déjà, à l'adolescence, on peut orienter ces enfants vers des thérapies éventuellement et, au niveau des facteurs sociaux, aider ces individus à risque à les renforcer pour traverser ce qui, pour d'autres, serait des crises de croissance et, pour eux, ce serait des crises précipitantes dans une maladie. On peut envisager de leur accorder une aide supplémentaire à différents moments pour les aider à passer à travers ces phases difficiles.

C'est une prévention qui se fait selon trois volets, si on peut dire. Encore qu'au niveau biologique, par les médicaments, à l'occasion, lorsque la situation s'avère suffisamment grave, on peut déjà entreprendre de réduire l'angoisse, par exemple, pour éviter une décompensation encore plus importante.

C'est donc un concept sur lequel on peut faire quelque chose. Mais quand on parle de prévention au niveau des névroses, où ce sont principalement les facteurs psychologiques qui sont en cause, il s'agit généralement de définir des populations à risque et d'intervenir le plus précocement possible par une intervention du type soit de traitement de groupe ou individuel. Mais c'est un concept qui est difficilement rentabilisable encore. Aux États-Unis, ils ont mis beaucoup d'emphase sur cet aspect-là dans leur expérience des années soixante. Il y a eu toute une orientation qui a été faite, mais c'est difficile de mesurer la rentabilité des investissements dans ce domaine-là.

M. Laplante: Comme cela, il n'y a pas plus d'espoir pour cela, si on prend le cas dont vous parliez tout à l'heure, un schizophrène, si on découvre vers l'âge de 12, 13 ans qu'il a un comportement qui n'est pas normal, il n'y a pas plus de chance de guérison pour ce jeune à 20 ans qu'il n'y en a à 14. Les réussites ne sont pas meilleures, même si vous le prenez dès le début.

M. Lavoie: C'est-à-dire que je pense qu'elles sont meilleures. Plus il sera dépisté précocement plus il sera possible de l'intégrer dans un programme thérapeutique précoce... Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. (16 heures)

M. Laplante: Vous la comprenez bien, c'est moi qui... Quelles sont les chances de

guérison lorsqu'on découvre une maladie mentale dès le début...

M. Lavoie: Oui.

M. Laplante:... dans un milieu familial? Il y a un dicton qui dit qu'on ne voit pas nos enfants; on ne les voit pas. À un moment donné, il y a des gens qui nous font observer un comportement quelquefois bizarre chez un de nos enfants. Ils veulent nous rendre service, comme on dit. Qu'est-ce qu'on doit faire? C'est de cette prévention dont je veux parler. S'il se développe une schizophrénie, qu'est-ce qu'on fait? A-t-il des chances de guérison dès cet âge ou s'il a seulement une chance d'être classé dans un milieu naturel plus tard une réinsertion sociale?

M. Laurîn: C'est un problème à multiples facettes. Si on réussit à bien traiter et à guérir les malades mentaux adultes qui ont des névroses ou des psychoses, on va sûrement diminuer le nombre de maladies mentales dans l'avenir, parce qu'on sait qu'une cause de l'incidence accrue des maladies mentales, c'est souvent les névroses et les psychoses des parents non traitées ou qui ont duré trop longtemps et qui ont des effets nocifs sur l'éducation des enfants. Donc, déjà en traitant mieux les névroses et les psychoses des parents, cela va se trouver à avoir un effet préventif sur les générations futures.

Un deuxième angle, c'est celui que Mme Blanchet soulignait dans son rapport Objectif: Santé, c'est-à-dire qu'il faut accélérer les études sur le développement psycho-affectif des enfants de façon que ce développement se fasse le mieux possible. Pour cela, il faut qu'on complète nos recherches parce que les recherches ne sont pas encore suffisantes dans ce domaine. Mais même si la recherche nous permet de mettre le doigt sur des facteurs importants, il faut que ces facteurs importants soient répercutés par l'éducation, par la télévision, par les livres auprès des familles qui pourraient en bénéficier. C'est un autre angle.

Un troisième angle, c'est le problème de la santé mentale au travail. Il est bien sûr que les conditions de travail dans nos entreprises peuvent amener des stress qui peuvent déboucher, eux aussi, sur des maladies mentales. Là aussi, si on peut prévenir l'incidence des maladies mentales par un meilleur aménagement des conditions et des relations du travail, on va se trouver à diminuer aussi l'incidence des névroses et des psychoses.

Il y a donc des voies qui sont déjà claires actuellement, qu'on pourrait prendre et auxquelles devraient participer non seulement le ministère des Affaires sociales, mais le ministère de l'Éducation et d'autres ministères - celui des Affaires culturelles, par exemple - par le truchement de la télévision, par l'imprimé, par toutes les autres méthodes que nous avons d'éduquer et de sensibiliser la population. Nous ne sommes pas dépourvus à cet égard mais, là encore, je pense que, dans la politique de santé mentale, un chapitre important devrait être consacré à cet aspect de la prévention pour qu'on puisse tirer parti des connaissances que nous avons déjà accumulées et qui, tout incomplètes et imparfaites qu'elles soient, nous indiquent déjà quand même des pistes certaines que nous pourrions suivre avec des résultats qui seraient sûrement intéressants.

M. Laplante: D'accord. Maintenant, la drogue. Depuis les dix ou quinze dernières années, est-ce que cela a été un facteur dominant dans l'accroissement des maladies mentales?

M. Laurin: Je dirais que c'est plutôt un effet. Quand nous voyons, par exemple, une maladie mentale insipiens, en progression, on constate que la prise de drogue peut être un des symptômes d'une maladie en marche, en ce sens que la drogue est souvent perçue par l'individu comme un moyen d'évasion, comme une sorte de paradis artificiel, comme une sorte de remède à l'angoisse dont parlait le Dr Lavoie tout à l'heure. La prise de drogue est souvent davantage une conséquence de ce dérèglement des relations familiales et sociales qui amène l'individu ou le sujet à faire un abus de ces faux remèdes contre l'anxiété ou la perte du sens de soi-même. Évidemment, c'est un cercle vicieux. Quelqu'un qui commence à prendre de la drogue et qui en abuse s'expose à subir les effets biologiques, psychologiques et sociaux que la drague prise à dose exagérée peut engendrer. Là, ce cercle vicieux devient très difficile à rompre. Il faut probablement, dans nos efforts thérapeutiques, viser les deux approches: l'approche curative, il le faut, mais aussi l'approche préventive. L'idéal, c'est de faire en sorte que ces adolescents, par exemple, aient moins besoin de recourir à ces paradis artificiels que constitue la prise de drogue. Mais une fois que le mal est avancé on ne peut pas éviter d'avoir à traiter, de la façon la plus énergique et la plus cohérente qui soit, ces maladies qui sont dues à la drogue.

M. Laplante: D'accord. Juste pour revenir à l'hôpital du Sacré-Coeur, les plus vieux patients hospitalisés, ceux que vous avez actuellement dans les 134 lits occupés, le plus vieux patient, non pas en âge, mais par la durée, combien cela fait-il de temps qu'il est hospitalisé?

M. Laurin: Nous avons des adolescents, à notre centre des adolescents, qui sont

hospitalisés là depuis quatre ans parce que aucun centre d'accueil au Québec n'a voulu les accepter. Ce sont des cas d'autisme et de psychose infantile. Dans le département adulte, nous avons un petit nombre de cas, quatre ou cinq, qui sont là depuis deux ans parce que aucun centre hospitalier de soins prolongés, aucun centre d'accueil n'a voulu ou ne peut les accepter en raison d'un comportement qui est inacceptable ou non négociable par les autorités des centres d'accueil, et je les comprends. J'aurais probablement pris la même décision qu'eux. Comme, par ailleurs, on ne peut les hospitaliser à l'hôpital psychiatrique Louis-Hippolyte-Lafontaine en vertu de la nouvelle politique qui y prévaut depuis une dizaine d'années, nous sommes obligés de les garder à 300 $ par jour alors que nous savons que, si nous avions à notre disposition un service de troisième ligne, nous pourrions leur donner le traitement qui leur convient pour une somme beaucoup moindre que ces 300 $ par jour, tout en leur donnant le traitement approprié.

M. Laplante: Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Marie-Victorin.

M. Pratt: Dr Lavoie, dans cet effort de réinsertion des malades dans la société, on souhaite la mise en place de ressources en externe. Vous notez à la page 4, à la suite de l'expérience américaine, qu'il est important que les soignants soient pourvus de différentes ressources de la science pour accomplir leur tâche. Alors, mon interrogation est de cet ordre: Pour devenir directeur ou personne accueillante soit dans un centre d'hébergement, soit dans un foyer, soit dans une maison d'accueil, premièrement, est-ce que ces gens doivent avoir certaines qualités requises que vous contrôlez, que vous évaluez? Ensuite, est-ce qu'il y a une évaluation sporadique qui est faite, c'est-à-dire...

M. Lavoie: Je pense, généralement, que ces ressources relèvent du service social dans un département de psychiatrie qui veille à recruter et à évaluer des ressources en foyer avant d'accepter d'insérer des malades. Par la suite, chez nous, par exemple, il y a un encadrement qui se fait par des praticiens sociaux pour s'assurer du suivi du malade, de l'insertion, des rapports du malade avec le milieu d'accueil.

M. Pratt; Sous l'autorité de l'hôpital, actuellement?

M. Lavoie: Du service social parce que le service social relève...

M. Pratt: Oui.

M. Lavoie:... du CRSSS, du CSS. Il y a un lien, un contrat de services, quand même, avec l'hôpital. Enfin, oui, je pense, que cela relève... Il y a une question de formalité, mais cela devrait être sous la responsabilité de l'hôpital.

M. Pratt: C'est cela. Mon interrogation était là-dessus parce que je trouverais très regrettable qu'un malade ayant été accueilli dans une de ces institutions soit rejeté, justement parce que le soignant se sent dépassé. S'il y a des ressources qui doivent être apportées à ces soignants, je pense qu'il est très important que l'on y voie et qu'on assure un suivi là aussi.

M. Lavoie: Je pense, d'ailleurs, que c'est toute la différence qui est faite entre les ressources autorisées et les ressources clandestines qui, elles, ne sont pas pourvues de cet encadrement et qui donnent parfois des résultats plus ou moins heureux.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député d'Ungava.

M. Lafrenière: Merci, Mme la Présidente. Est-ce que vous croyez qu'il y aurait une tendance des médecins à surhospitaliser les malades? Est-ce que cela pourrait expliquer l'encombrement des salles d'urgence des hôpitaux?

M. Laurin: Nous sommes en train de faire actuellement à Prévost une étude sur tous les patients qui se présentent à l'urgence. Nous avons interviewé systématiquement tous les patients qui se sont présentés à l'urgence au cours du mois de juillet. J'ai en main les résultats préliminaires. Sur 275 patients, il y en a une forte proportion qui viennent à l'urgence et qui sont, finalement, hospitalisés pour des raisons autres que médicales, parce qu'ils n'ont pas d'abri, parce qu'ils n'ont pas de logement, parce qu'ils sont dans un état de pauvreté extrême et continue et qu'ils ne peuvent pas se payer les repas dont ils ont besoin pour vivre, parce qu'ils sont rejetés par leur famille qui en a marre de la maladie mentale et qui ne veut plus les recevoir et qu'ils sont condamnés à une vie d'errance, sinon de délinquance, ou parce que les CLSC ne sont pas ouverts en fin de semaine. C'est pour toutes sortes de raisons qui sont sociales, au fond, mais, comme ces institutions ou organismes ou ressources dont nous parlons manquent, ils viennent à l'urgence parce que c'est la ressource connue, la ressource accessible, la ressource disponible.

Je connais un bon nombre de mes collègues qui hospitalisent des malades à

l'urgence pour des raisons humanitaires. Donc, si nous pouvions mettre à la disposition de ces personnes les ressources sociales d'entraide, de loisir, de travail ou d'hébergement qui répondraient à leurs besoins, je suis sûr que les urgences ne seraient pas aussi encombrées qu'elles le sont et que les hospitalisations diminueraient en nombre et en durée.

M. Lafrenière: Docteur, serait-ce possible que la commission puisse avoir cette étude que vous avez faite?

M. Laurin: Quand elle sera complétée, cela me fera un très grand plaisir de vous la soumettre.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une dernière question que je voulais vous poser. Est-ce qu'à votre connaissance, à la suite de l'insuffisance de ressources dans le domaine de la psychiatrie, il y a particulièrement chez les jeunes - cela peut être aussi chez les hommes et chez les femmes - des personnes qui se retrouvent dans les institutions carcérales, pas nécessairement des pénitenciers, comme détenus parce que les ressources, par exemple d'ordre hospitalier, sont insuffisantes? En fait, ce sont des patients qui souffrent de troubles mentaux, mais qui se trouvent dans ces situations-là.

M. Laurin: II est sûr que, si nous laissons libre cours à un processus psychotique en évolution sans lui apporter au moment voulu l'aide appropriée et efficace, le processus psychotique va suivre son cours, le désespoir de la personne va s'accentuer. Sur le plan symptomatique, nous assistons à des explosions d'agression, à des accès de violence qui sont comme une sorte d'appel au secours, qui sont comme une sorte de manifestation externe de l'angoisse intérieure de façon à forcer l'entourage à intervenir. Dans l'entourage, j'inclus les voisins qui n'aiment pas être dérangés, j'inclus les policiers qui sont forcés d'intervenir et qui, souvent, ne peuvent pas, en raison de la surabondance ou de l'encombrement des urgences, trouver à faire traiter ces patients comme il le faudrait et qui, souvent, comme dernier recours, sont obligés de les amener dans des cellules de la prison ou de les référer à des organismes carcéraux.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci, Dr Laurin. L'autre question touche les jeunes. Vous avez dit: Chez nous, il y a quatre ou cinq cas de jeunes, qui souffrent de schizophrénie, qui devraient se trouver dans un autre type de ressources de troisième ligne. On n'a pas, là encore, j'imagine, de statistiques un peu plus précises sur ce phénomène de la schizophrénie chez les adolescents.

M. Laurin: Oui, nous en avons.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On en a.

M. Laurin: Oui, il y a une étude américaine, qui a été faite dans l'État du Massachusetts par Gudeman and Shore - un État très bien organisé, par ailleurs, qui possède beaucoup plus de ressources que nous n'en possédons au Québec - qui a conclu que, sur 100 000 de population, il y a, d'après les études de suivi faites, un pourcentage défini de ces cas de jeunes schizophrènes. Donc, nous savons assez l'incidence de ces maladies, ce qui nous permettrait de planifier le type d'institution dont on aurait besoin, ainsi que le nombre de places qu'il faudrait prévoir, autant que le type de traitement également qu'il faudrait instituer. Nous avons les renseignements qu'il faut à cet égard.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pourriez-vous nous donner l'ordre de grandeur? L'autre chose, c'est que - cela conduisait à ma question additionnelle lorsque vous parliez de cette ressource de troisième ligne, vous ne la conceviez pas à l'intérieur de votre ressource de troisième ligne pour répondre aux besoins des cas à plus long terme. Conceviez-vous une ressource à part arbitrairement pour les 18-25 ans ou les 18-30 ans? Qu'avez-vous à l'esprit?

M. Laurin: Je pense, par exemple, que, pour une population de 300 000 personnes du genre de celle que nous desservons, il faudrait un centre de troisième ligne de 60 places à peu près qui pourrait recueillir, d'une part, pour la moitié, les cas où la maladie est en évolution comme ces jeunes schizophrènes ou ces maniaco-dépressifs et, pour l'autre moitié, des cas où l'atteinte organique existe et amène des troubles de comportement de plus en plus marqués. Là-dessus, aussi les études sont faites et nous savons le genre de ressources dont nous aurions besoin et le nombre de ressources dont nous aurions besoin.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous estimez pour un bassin d'environ 300 000 personnes...

M. Laurin: 60 places.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... 60 places. D'accord. Je vous remercie beaucoup, Dr Laurin, et je vous souhaite bonne chance. Je pense que vous avez retrouvé des amours d'antan.

M. Laurin: En effet.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que c'est bon pour la psychiatrie, c'est bon pour la population. Je remercie le Dr Lavoie. Je suis certaine que votre contribution sera utile aux travaux. Si modestes qu'ils soient, je pense que cela nous sera très utile et je vous en remercie.

M. Laurin: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le deuxième groupe, Terre des jeunes.

Une voix: Suspendez-vous pour quelques minutes?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On peut bien suspendre pour quelques secondes.

(Suspension de la séance à 16 h 19)

(Reprise à 16 h 22)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Nous sommes heureux maintenant d'accueillir le groupe Terre des jeunes et je vais demander à M. Séguin, qui est président de la corporation, de bien vouloir présenter ses collègues avant d'aborder son mémoire.

Terre des jeunes

M. Séguin (Pierre): Mme la Présidente, je vous présente, à ma droite, M. Maurice Morin, président de la fondation Terre des jeunes et, à ma gauche, M. Justin. Bournival, directeur général de Terre des jeunes.

Si vous me le permettez, je demanderais à notre directeur général, M. Bournival, de procéder à la lecture du mémoire que nous avons présenté.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord.

M. Séguin: Merci.

M. Bournival (Justin): Je tiens pour acquis que les membres de la commission ont jeté un coup d'oeil sur le mémoire et, comme je suis mauvais lecteur, vous allez m'excusez, j'aimerais faire une présentation peut-être une peu plus vivante.

Il y a quelques années, des parents ont placé leur enfant dans un camp de vacances. Il s'agissait d'un garçon psychotique qui avait de la difficulté à établir des relations avec les objets, avec ses amis, qui bougeait un peu, toujours sans trouver d'intérêt à quoi que ce soit. Quinze jours après l'avoir placé au camp, les parents viennent le voir. En arrivant, ils disent: Mon fils, comment cela va? Bien, justement, il est là, sur l'île des lapins. La mère, l'apercevant, dit: Est-ce que cela a du bon sens, regarde-le donc avec son gros gilet de laine par une chaleur pareille et ses bottes de caoutchouc! Il ne pourrait pas être comme tout le monde, mettre son maillot de bain et être en train de se baigner? Je dis: Oui, mais madame, regardez, il a un lapin dans les mains. Il a l'air bien, il a l'air heureux, ce qu'on n'avait pas vu. On pourrait se servir de cette histoire pour dire la différence entre les valeurs des parents et les valeurs de l'enfant qui est malade. Mais j'ai voulu me servir de cet exemple peut-être, plutôt, pour éviter les incidents qui arrivent souvent à Terre des jeunes où les gens sont bloqués parce qu'il y a un papier qui traîne sur le terrain, parce qu'un jeune, ses souliers ne sont pas attachés ou parce qu'il est mal vêtu.

Comme je n'ai pas l'habitude des présentations dans une enceinte aussi vaste où on manipule aussi bien le verbe, j'espère, messieurs et mesdames les députés, vous être agréable, qu'il n'y ait pas de paroles qui vous choquent, qu'il n'y ait pas d'attitudes ou de valeurs véhiculées qui vous empêchent de voir au-delà et que l'expérience de Terre des jeunes puisse vous servir è élaborer de bonnes politiques dans l'avenir.

J'étais content d'écouter le Dr, Laurin tantôt, l'ex-ministre des Affaires sociales, parce qu'étant à Terre des jeunes je me suis toujours senti au bout de la chaîne, un maillon au bout de la ligne pendant que les législateurs, les décideurs sont à l'autre bout de la chaîne et à un autre maillon beaucoup plus haut, qu'on ne voit pas souvent. Je me disais: On poursuit quand même les mêmes objectifs, c'est-à-dire qu'on veut offrir des services de qualité, on voudrait que ce soit à des coûts acceptables et on voudrait aussi changer les mentalités, amener la population à être plus tolérante face à nos personnes.

Dans notre introduction - je pense que cela a été dit beaucoup mieux par d'autres -on dit que la maladie mentale est dérangeante, qu'on éloigne ces malades, qu'on les place. Comme le Dr Lavoie l'a dit -c'est là une de nos contradictions - en même temps qu'on les éloigne, qu'on s'en débarrasse un peu on veut qu'ils soient bien soignés, bien traités. Selon mon expérience, malheureusement, on juge trop souvent les valeurs de l'hospitalisation selon nos propres valeurs. Est-ce que c'est propre? Est-ce qu'ils sont bien traités? Est-ce qu'ils mangent bien? Est-ce qu'ils sont bien logés? Est-ce qu'ils ont chaud? Peut-être que le malade n'a pas de place pour bouger, à l'intérieur de cela. Il est contraint - c'est ce que j'appelle un boulet doré - à vivre avec des valeurs imposées par l'adulte.

Le malade hospitalisé n'a pas de marge de manoeuvre. À mon avis, il lui faut une marge de manoeuvre pour pouvoir agir et lui aussi se réaliser. Je donne des exemples dans

l'introduction. Ayant vécu longtemps dans un hôpital psychiatrique en tant que directeur de l'éducation physique, je caricature et je dis que, parfois, le malade mental ne peut même pas prendre un verre d'eau seul. Donc, il y a peu de gestes qui lui permettent de se réaliser lui-même, ce qui est important.

La pression sociale nous apparaît le point majeur sur lequel nous devons travailler afin de permettre aux handicapés de réintégrer la société. L'intégration sociale à Terre des jeunes a été possible grâce à cette compréhension, è cette tolérance, à ce climat de confiance de la corporation Terre des jeunes, du centre hospitalier Rivière-des-Prairies, des clubs de services dont certains représentants sont ici (M. Séguin est représentant et ex-président des Lions de Laval, M. Morin est représentant du club Kiwanis de Laval et il en est aussi le commandeur au Canada) et aussi des parents et de la population de Sainte-Julienne, en général. M. Séguin est un représentant et aussi un parent.

Incorporée en 1971, Terre des jeunes s'est donné une vocation d'innover dans le domaine de l'éducation, du bien-être et de la santé. Préoccupée par l'apprentissage, Terre des jeunes s'est dotée d'une philosophie permettant à l'être de se réaliser - quand je dis "à l'être de se réaliser", je veux dire l'éducateur, le directeur général, pour permettre à l'enfant, finalement, lui aussi de se réaliser - d'expérimenter, de pouvoir se corriger afin d'atteindre un niveau de maîtrise.

C'est ainsi que nous avons accepté de relever plusieurs défis, soit avec des caractériels, des socio-affectifs, des délinquants, des déficients mentaux légers, moyens ou profonds, des psychotiques et des personnes psychiatrisées qui voulaient se prendre en charge. Ces contacts avec la réalité quotidienne, dans le contexte social du village de Sainte-Julienne, nous ont sensibilisés aux difficultés de ceux qui ne savent pas, de ceux qui ont de la difficulté à vivre dans la communauté. Nous croyons avoir une expérience valable et nous vous la communiquons.

Terre des jeunes est une ferme éducative, c'est-à-dire qu'il y a divers animaux, une grange et 140 arpents de terre, aménagée pour que les enfants normaux des écoles, les élèves, puissent la visiter. Il y a le mâle, la femelle, les petits, comme dans la ferme d'autrefois, des vaches, des moutons, etc.

Autour de cette ferme éducative, il y a quatre maisons où les jeunes vivent toute l'année. Durant l'année scolaire, les élèves normaux viennent visiter la ferme et, ce qui apporte une rentabilité, ils paient 4 $ par jour pour visiter la ferme. On reçoit de 150 à 200 élèves, dont plusieurs sont de la région de Montréal. Durant l'été, nous avons un camp de vacances qui est divisé en deux parties. Nous recevons 25 adolescents qui vont travailler dans les fermes et qui sont des adolescents socio-affectifs. Nous recevons aussi 25 personnes handicapées. Tous vivent sous la tente.

Je passe les principes directeurs. En 1975, nous avons vécu un projet expérimental, en accord avec le centre hospitalier Rivière-des-Prairies- Nous avons reçu sept jeunes adultes, déficients mentaux profonds ou de déficience mentale sévère, si vous voulez. Nous avons essayé avec eux de relever le défi de trouver des activités qui ont du sens pour eux. Par exemple, on fait des activités comme faire marcher un déficient mental sur une poutre d'équilibre de deux pouces de largeur, à quatre pouces du sol. Il met son pied à côté. On lui dit: Recommence, tu as manqué. Il ne comprend pas, cela n'a pas de sens pour lui; il a seulement mis le pied à côté et il ne s'est rien passé. On a aménagé, à Terre des jeunes, un billot qui est au-dessus de l'eau. Ceux qui passent dessus et qui manquent leur coup, on n'a pas besoin de leur dire qu'ils ont manqué leur coup. Ils se ramassent à l'eau. C'est un peu cette pédagogie, si vous voulez, qu'on a essayé de mettre en place, c'est-à-dire trouver des activités qui ont du sens pour eux et, en même temps, qu'ils puissent eux-mêmes s'évaluer et non pas que l'intervenant soit toujours obligé de dire: C'est bon ou ce n'est pas bon, tu as manqué ton coup. (16 h 30)

Ce programme avec les déficients mentaux sévères a donné des résultats. À très court terme, on s'est rendu compte qu'ils pouvaient se prendre en charge, qu'ils pouvaient préparer des repas. Puisque manger a du sens pour eux, pourquoi ne pas profiter de la situation "manger" pour les amener à aller se servir eux-mêmes, à préparer des repas?

Cette expérience a donné naissance à plusieurs vidéos tournés par le centre hospitalier Rivière-des-Prairies et aussi à un volume qui s'intitule "Le droit d'être" et qui raconte cette expérience.

Nous avons aussi, à la suite de cette première expérience, rencontré des parents qui avaient leurs enfants à l'hôpital Rivière-des-Prairies et qui souhaitaient voir leurs enfants vivre dans un autre milieu à Terre des jeunes espérant obtenir plus de succès.

L'hôpital Rivière-des-Prairies en a fait un projet de recherche. Comme le premier projet était expérimental, on dit: On ne sait pas trop ce qui s'est passé. Il y a eu des bonnes choses, mais on ne sait pas trop comment c'est arrivé, comment cela s'est passé. Dans le deuxième projet, on a fait un groupe contrôle à l'hôpital; on l'a suivi avec un vidéo. On a mis sur place sept disciplines: psychiatrie, travail social, ergothérapie, physiothérapie, éducation physique, etc. Il y

avait sept disciplines qui ont évalué notre clientèle et évalué ceux qui restaient là-bas pour conclure, après un an d'observation avec vidéo, que le projet était rentable et que nos jeunes avaient fait du progrès, autant que le groupe contrôle, mais sans médicaments.

Nous avons dernièrement mis sur pied des ateliers parce que notre clientèle avait évolué à un tel point que le couple éducateur en place ne suffisait pas à occuper les jeunes toute la journée. Donc, les ateliers sont en place pour répondre à cette clientèle.

Il y a les camps de vacances pour les adolescents, j'en ai glissé un mot rapidement tantôt, et le camp pour les personnes handicapées. Je compte beaucoup sur vos questions pour compléter, si vous voulez, ce mémoire.

En ce qui a trait au mode de fonctionnement, chez nous, les éducateurs vivent 24 heures par jour, cinq jours par semaine avec la clientèle. Si vous voulez, c'est fait pour répondre à un problème vécu en institution où moi, je trouvais que les jeunes étaient morcelés à cause des disciplines, des spécialités. En éducation physique, on a une perception d'eux. Tu vas en pédagogie, tu vas en psychiatrie, chacun les voit un peu selon sa spécialité. Et l'enfant, lui, dans ce sens-là, je le trouve morcelé, en même temps qu'il est uniformisé, c'est-à-dire qu'il se couche à la même heure, qu'il se lève à la même heure, qu'il mange les mêmes choses. C'était pour remédier à ce problème de morcellement qu'on a dit: S'il y avait quelqu'un qui faisait une approche globale et qui vivait 24 heures par jour avec eux, on pourrait résoudre ce problème.

Avec nos trois maisons, on est arrivé à vivre aussi un milieu thérapeutique, c'est-à-dire que le résident est pris en charge par l'ensemble des éducateurs, mais il n'est pas sous la responsabilité d'un seul éducateur. Il est libre de circuler. On a institué une surveillance de type parental plutôt qu'une surveillance de tous les instants du genre institutionnel.

Les parents jouent un rôle important dans la conduite de Terre des jeunes. Je disais tantôt qu'on a besoin d'une marge de manoeuvre pour fonctionner et je pense que ce sont les parents qui nous la donnent, cette marge de manoeuvre-là, ou qui nous en privent par leurs exigences. Ce sont les risques calculés dont on a parlé ce matin. C'est la population qui, finalement, nous permet de laisser les enfants libres de circuler sur le terrain ou de marcher les souliers détachés. Il faut qu'il apprenne lui-même à attacher ses souliers, mais qu'on ne le surprotège pas.

Il y a le rôle du village qui est très important aussi. On a voulu démystifier ce qui était le Kiwanis Laval, de Montréal, la

Terre des jeunes. Pour cela, on a commencé à faire des achats dans le village. On compte aujourd'hui 18 marchands qui nous font crédit et où l'on peut acheter. On a procédé aussi à la création d'emplois. On avait dernièrement 23 emplois, surtout des gens qui sont aux alentours et qui viennent pour les classes-promenades. Par exemple, nos jeunes adolescents qui vont travailler chez les horticulteurs sont aussi comme des racines qui s'étendent, qui font connaître Terre des jeunes, et les cultivateurs viennent chez nous rencontrer les jeunes. On a essayé de pénétrer dans la communauté. Notre vice-président, qui n'est pas ici aujourd'hui, M. Lesage, joue un rôle de premier plan. Il est vice-président et restaurateur dans Sainte-Julienne. Dans ce sens-là, il est un tampon entre ce que les gens pensent au village et ce qui se passe chez nous. S'il entend une critique, il nous la sert. Il joue un rôle tampon entre la communauté et ce qu'on fait chez nous. Il reçoit les jeunes au restaurant. Par exemple, il est en mesure d'expliquer à sa clientèle ce que sont les jeunes chez nous. C'est un travail que je considère fantastique.

Le bénévolat. Il y a des gens qui travaillent, comme M. Morin, depuis quinze ans, soit à la corporation ou encore à la fondation Terre des jeunes. M. Julien Plouffe fait la même chose. Le bénévolat joue aussi un rôle très important. On mentionne les clubs Lions qui ont financé ce projet et qui viennent faire leur pique-nique annuel, de même que les clubs Kiwanis.

En conclusion, le spécialiste, le Dr André Blanchet, qui supervisait le programme chez nous, disait - je rapporte la statistique, elle vaut ce qu'elle vaut - que 99 % des psychotiques qui étaient en institution en vue d'une intégration sociale "y retournent pour mourir. Ce qui veut dire que nous n'avons pas trouvé le remède efficace dans la société pour les personnes atteintes de psychose. Il faut chercher. Votre expérience est intéressante et vous avez toute notre collaboration". C'est dans ce cadre-là qu'on inscrit Terre des jeunes, comme un milieu d'expérimentation, un milieu de recherche, un milieu de vie, un milieu où on va essayer de découvrir les valeurs réelles du malade mental et de voir comment, après avoir découvert ces valeurs, on peut les ajuster aux nôtres.

Mme la Présidente, j'ai terminé; j'attends vos questions avec impatience.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie beaucoup, M. Bournival, de votre présentation. Je pense que Terre des jeunes a voulu venir déposer un témoignage quant aux diverses formes qui peuvent être adoptées pour, justement, apporter de l'aide, du soutien ou permettre une meilleure intégration des malades mentaux et aussi,

dans votre cas, des déficients mentaux. Je vous en remercie.

J'aurais quelques questions d'ordre pratique à vous poser pour bien me situer. Terre des jeunes remonte à 1975 si je ne m'abuse. Elle a été créée en 1975, n'est-ce pas?

M. Bournival: La corporation, en 1971.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): La corporation. D'où vient le projet? Qu'est-ce qui a motivé le projet au départ? C'est une question. Deuxièmement, d'après les chiffres qui sont là, je crois comprendre que vous avez en permanence un groupe de sept personnes psychotiques et de six personnes déficientes mentales qui viennent de Rivière-des-Prairies. Quel a été le roulement de ces personnes-la? Après cela, vous avez vos groupes plus temporaires, soit ceux qui viennent sur une base quotidienne pour visiter la ferme; vous avez votre camp de vacances pour deux catégories. Ceux qui sont là d'une façon permanente, dois-je conclure qu'ils sont au nombre de treize?

M. Bournival: Actuellement, ils sont 19. Il y a une catégorie qui n'est pas là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Quelle catégorie est-ce?

M. Boumival: Déficients mentaux légers, jeunes adultes...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Jeunes adultes légers.

M. Boumival:... regroupés autour des parents.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On va reprendre au départ. D'où vient le projet? Qu'est-ce qui a motivé le départ du projet?

M. Morin (Maurice): Le départ du projet, c'est ce club Kiwanis Laval de Montréal qui, à un moment donné, comme organisation bénévole et de service à la population, travaillait avec l'hôpital Rivière-des-Prairies depuis plusieurs années et voyait des nécessités qu'elle ne pouvait pas se donner. Le club Kiwanis achetait une terre à Sainte-Julienne en 1968-1969, qui était exploitée par les membres du club Kiwanis. À un moment donné, nous avons constaté que cette tâche demandée aux membres qui faisaient du bénévolat était un peu trop ingrate et trop difficile. Nous avons travaillé étroitement avec M. Bournival de l'hôpital Rivière-des-Prairies, lui demandant ce qu'on pourrait faire avec cette terre qui était disponible pour plusieurs organismes. Il nous a suggéré de nous servir de la terre pour faire un camp de vacances pour les enfants de l'hôpital Rivière-des-Prairies. C'est à partir de ce moment-là que l'expérience a commencé. Je pense que c'était, si je ne me trompe pas, l'une des premières fois que les enfants sortaient de l'hôpital pour aller en pique-nique ou passer une couple de jours et retourner à l'hôpital. À partir de 1971, l'organisation du club Kiwanis s'est mise en contact avec M. Bournival pour voir s'il y aurait possibilité de fonder un genre de camp de vacances plus prolongé. C'est à partir de ce moment-là que le club Kiwanis s'est mis à l'oeuvre et...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Alors, si je comprends bien, cela a toujours été en collaboration avec l'hôpital Rivière-des-Prairies?

M. Morin: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M.

Bournival était éducateur physique à Rivière-des-Prairies. C'est ce que je crois saisir.

M. Morin: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous êtes financés, d'abord, par le per diem, du moins par l'allocation de bien-être social et aussi par Rivière-des-Prairies, jusqu'à un certain point. Quel est le personnel affecté à ces enfants? Vous dites qu'il y a des éducateurs avec eux 24 heures par jour. J'aimerais voir un peu comment ce programme est organisé sur le plan de l'encadrement des ressources humaines.

M. Séguin: M. Bournival va vous donner l'information exacte.

M. Bournival: Vous avez parlé des coûts...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pas nécessairement des coûts...

M. Boumival:... et de l'encadrement? La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. M. Séguin: Le genre de personnel.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

C'est-à-dire pas tellement des coûts, mais d'où origine le soutien financier. D'une part, des allocations de bien-être social, un peu de Rivière-des-Prairies et, je pense, aussi des fonds ramassés par le club Kiwanis.

M. Morin: Les subventions viennent des clubs de services, pas seulement du club Kiwanis, mais de plusieurs organismes tels que les clubs Lions, etc. Il y a eu des années, je me souviens, où il a fallu faire une campagne publique. Un jour, la grange a

passé au feu et, vu que c'était une terre éducative et qu'il n'y avait plus de ferme pour faire l'éducation des enfants, il a fallu faire une souscription publique. En général, je pense que c'est l'argent qui vient de l'hôpital Rivière-des-Prairies.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, Du point de vue du personnel qui est à la disposition des enfants, qui est le nombre de personnes? Je voudrais que vous vous en teniez strictement à vos 19 enfants qui sont là d'une façon permanente. Oubliez le personnel pour les visites d'écoles ou les camps de vacances.

M. Bournival: D'accord. Au niveau d'un foyer de six personnes, soit des déficients mentaux légers, profonds, sévères ou psychotiques, c'est un couple qui est responsable de la maison, cinq jours par semaine, 24 heures par jour. Il y a un remplaçant qui vient les deux autres journées. Le budget est organisé de façon qu'on souhaite que les gens restent en présence le plus longtemps possible, c'est-à-dire que le montant du gardiennage est inclus dans la pension de façon que, s'ils veulent travailler six ou sept jours, ils peuvent le faire et garder le montant du gardiennage. Selon l'esprit, c'est que le personnel soit présent...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais ce personnel est payé à même les revenus dont on vient de parler...

M. Bournival: Généralement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... et qui peuvent venir, soit de l'hôpital Rivière-des-Prairies...

M. Bournival: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... ou généralement du bien-être social, des centres de services sociaux, etc., de tous ceux qui contribuent financièrement de quelque façon que ce soit.

M. Morin: Au début de l'année, nous préparons un budget et...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Quel est le montant total de votre budget?

M. Séguin: Pour les foyers seulement?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, pour les foyers.

M. Séguin: Vous ne parlez pas de l'ensemble de la terre. Le montant est de 216 000 $...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est 216 000 $.

M. Séguin:... pour trois foyers.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Quelle est la durée de séjour des enfants qui sont toujours dans les foyers?

M. Séguin: C'est permanent.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ils sont là de façon permanente?

M. Séguin: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce qu'il y a eu beaucoup de roulement ou s'il reste...

M. Séguin: Jusqu'ici, il n'y a eu aucun roulement. Il y a eu des changements; dans une couple de cas, il a fallu retourner l'enfant dans le milieu hospitalier pour des raisons absolument incontrôlables chez nous.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Des raisons de santé, oui. (16 h 45)

M. Séguin: Mais jusqu'ici, il n'y a pas eu de déplacements d'enfants et on ne pense pas qu'à court terme ce soit possible. L'intention n'était pas de les envoyer là en stage. Ce n'était pas un stage qu'ils faisaient, ce n'était pas une étape.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est devenu leur foyer permanent, finalement.

M. Séguin: C'est devenu leur foyer permanent. Ils contrôlent leur propre foyer, en fait, avec l'aide des éducateurs qu'il y a là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Maintenant, du point de vue des coûts, pour garder ces 19 personnes en foyer d'une façon permanente et les garder en institution, est-ce qu'il y a eu des comparaisons d'établies?

M. Séguin: Oui, quand on pense qu'en éducation permanente on nous a fourni des chiffres, à un moment donné, d'environ 114 $ par jour par enfant, chez nous, actuellement, on fonctionne à environ 37 $ alors qu'on devrait, en toute logique, fonctionner à environ 45 $. Il y a des rajustements qui doivent venir très prochainement, surtout du côté des salaires quand on y pense. Actuellement, on fonctionne à 37 $, mais on devrait fonctionner à 45 $ comparativement à 114 $.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela, c'est quand vous comparez des pommes avec

des pommes.

M. Séguin: Des pommes avec des pommes.

M. Morin: C'est peut-être meilleur.

M. Séguin: Si on compare, si vous voulez, en chiffres donnés pour des foyers semblables et non pas similaires, un foyer a un budget, actuellement, pour quatre enfants, à Montréal, d'environ 100 000 $ et chez nous, pour six, on nous alloue 72 500 $.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Enfin, il ne peut pas être considérable pour 19 personnes, mais est-ce qu'il y a un roulement de personnel assez fréquent?

M. Séguin: Oui, effectivement, il y a un assez bon roulement de personnel. Il faut comprendre, surtout pour le foyer que je connais principalement dans mon cas, le deuxième foyer où les parents sont impliqués, qu'il y a une période de temps où les enfants, en arrivant de l'hôpital, doivent être ce qu'on a appelé désinstitutionnalisés. Ils doivent perdre cette notion de discipline, de se coucher à telle heure, etc. Cela a été très difficile pour les éducateurs qui étaient 24 heures par jour avec ces enfants qui étaient privés de médicaments dès l'arrivée. Les médicaments étaient coupés immédiatement. Il y a des cas assez difficiles. Si vous voulez en entendre parler, M. Bournival pourra vous en glisser un mot. Cela a été très difficile.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Voulez-vous m'expliquer une chose? Pourquoi dites-vous qu'on a coupé les médicaments à ces enfants? Est-ce que vous voulez dire que dans l'institution on leur donnait tous des médicaments et que, rendus là, on ne leur en donne plus?

M. Séguin: Mme la Présidente, les médicaments, dans les milieux hospitaliers, je pense que c'est un outil.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que tous les enfants que vous avez reçus recevaient des médicaments?

M. Séguin: Ah, bien oui. Tous nos enfants avaient...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Même les déficients mentaux?

M. Séguin: Même les déficients mentaux, oui. Je dirais même...

M. Bournival: Dans les déficients mentaux profonds, il y en a trois sur sept qui recevaient des médicaments.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux}:

Pourriez-vous le dire un peu plus...

M. Bournival: Trois sur sept recevaient des médicaments dans les déficients mentaux profonds.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Alors, ils n'en recevaient pas tous, trois sur sept.

M. Séguin: Dans les profonds.

M. Bournival: C'est parce qu'il y a deux foyers. Le foyer dont parle M. Séguin...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, oui, les enfants psychotiques, ils en avaient tous.

M. Séguin: Les psychotiques, ils en avaient tous. On est porté - les parents - à dire qu'ils reçoivent cela en quantité industrielle. C'est peut-être pousser un peu, mais ils recevaient une bonne dose de médicaments, tellement que, lorsqu'on a fait la comparaison entre le groupe de Terre des jeunes et le groupe qu'on appelait groupe pilote qui était de maladie semblable, de sexe semblable, d'âge semblable, on a gardé les médicaments dans le milieu hospitalier et, chez nous, les médicaments ont été éliminés. Dans les six, il y en a un qui a dû reprendre des médicaments, mais pour des questions d'épilepsie. C'est la seule raison pour laquelle les médicaments lui ont été remis. Les autres n'ont plus de médicaments et leur progrès a été...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Sensible?

M. Séguin:... semblable, sinon supérieur à ceux qui étaient dans le milieu hospitalier. Cela a été évalué et cela a été trouvé très rentable. La difficulté, à l'origine, pour revenir à ce que je vous expliquais tout à l'heure, c'est que les employés, les éducateurs étant pris avec ces enfants dans une maison, 24 heures par jour, avaient beaucoup de difficulté à rattraper leur sommeil. Ils avaient beaucoup de difficulté à prendre un repas normal. Ils ont eu à traverser une période absolument indescriptible. On ne peut pas décrire ce qu'ils ont vécu. Donc, ils ont laissé. Une première a laissé après six mois. Elle est partie six mois et elle est revenue. Un deuxième est resté un an et il est parti. Là, il y a eu quelques changements. Il y a beaucoup de raisons à cela, mais, entre autres, cette difficulté. Maintenant, on pense que cela s'est stabilisé. Le personnel en place est dans un milieu un peu plus normal, quoiqu'il y ait encore de grosses difficultés. C'est particulièrement difficile, mais c'est

assez stabilisé. Il reste, comme on l'a dit tout à l'heure, la question des salaires qui, chez nous, est peut-être la question primordiale parce que, nos budgets étant ce qu'ils sont, on doit couper les coins ronds et on en est là maintenant.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Merci bien. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Vous allez me permettre, M. Morin, de vous féliciter. Je vous connais depuis assez longtemps et je découvre chez vous une nouvelle conception du bénévolat. Je tiens personnellement à vous en féliciter parce que ce que vous nous apportez aujourd'hui, cela me touche beaucoup, qu'il y ait des gens de chez nous qui puissent avoir des idées nouvelles, qui y consacrent leur argent, leur temps. M. Morin est probablement trop modeste pour dire que son argent va là-dedans aussi.

Avez-vous l'idée de donner de l'ampleur à ce projet? C'est une terre que vous avez là, c'est grand. Cela me fascine, en tout cas, ce que vous avez comme projet.

M. Morin: Notre idée première, ce n'est de ne pas devenir un institut...

M. Laplante: Non.

M. Morin:... qui passerait automatiquement sous les ordres du gouvernement.

M. Laplante: Ha!. Ha! Ha!

M. Morin: On est,. je pense, indépendants. Nous avons un groupe de bénévoles qui travaillent depuis quinze ans sur cette terre. Dans les rapports qu'on s'est fait sortir sur notre emplacement, on disait qu'on était un peu à la limite du genre de personnes qu'on devrait avoir sur la terre. Pour moi, la terre a été un de mes petits bébés, parce que j'ai commencé, dans les premiers temps, avec l'achat de la terre. Cette terre était quelque chose pour étendre les services que la population ne pouvait pas avoir, comme l'âge d'or, les gens de Saint-Henri, qui n'ont jamais de place pour aller passer une semaine ou trois jours de vacances, former des camps comme cela ou même aller jusqu'à bâtir une maison pour le troisième âge.

Mais notre premier but, vu que c'est fait pour les gens de l'hôpital Rivière-des-Prairies, c'est de leur donner le plus de confort possible. Avec la grandeur de la terre, ils ont ce confort. Le Dr Laurin parlait de foyers. Je pense que le premier exemple, c'est que ces gens devraient aller visiter notre ferme. Ils verraient que ce n'est peut-être pas une maison traditionnelle; à six heures, il faut souper et, à sept heures, il faut se lever pour le déjeuner, mais les enfants sont libres. S'ils veulent aller chercher du lait pour leurs céréales, ils peuvent aller voir les vaches et prendre leur lait. Ils sont complètement libres. Ils vivent en plein air. Je pense que c'est là qu'est toute la différence dans un foyer comme le nôtre, appartenir à une terre éducative et, en même temps, c'est très bon pour les enfants.

Vous demandiez tantôt - j'avais remarqué cette question - si nos idées sont que les enfants retournent, c'est sûrement que si on les a sortis de l'hôpital Rivière-des-Prairies, c'est qu'on aimerait les mettre dans la société. En disant qu'on les met dans la société, ce serait les mettre peut-être dans un foyer avec une ou deux personnes puis les mettre sur le marché du travail. Notre but premier, c'est cela. Mais c'est une tâche assez difficile à accomplir. Il y a peut-être l'histoire de Gilles. Notre directeur général, M. Bournival, pourrait nous en parler. C'est un exemple qu'on a pris de l'hôpital Rivière-des-Prairies. C'est un garçon qui ne parlait pas, qui ne faisait rien de lui-même. Aujourd'hui, c'est un de nos premiers. Il dirige des groupes de personnes, des jeunes. C'est difficile de le comprendre, mais il est toujours là, il travaille sur la terre. Je pense que c'est possible. Si on en sortait seulement un ou deux en dix ans, on serait très content.

M. Laplante: Merci. Maintenant, est-ce que vous avez plusieurs animaux de ferme? Faites-vous des récoltes de lapin? Non, non, j'appelle cela des récoltes de lapin, mais c'est l'élevage du lapin, ces choses-là. C'est parce qu'il y avait un projet à Rivière-des-Prairies. J'ai rencontré des travailleurs de Rivière-des-Prairies à mon bureau. J'ai donné une petite subvention personnelle justement pour un projet d'élevage. Je ne sais pas s'ils sont allés vous voir à ce sujet. Ils voulaient élever du lapin avec des déficients. Ils voulaient essayer de les intégrer dans la société ou, du moins, leur faire apprendre autre chose. Depuis un an, je n'ai pas eu de nouvelles de ce projet. Je ne sais pas si vous en avez eu de votre part.

M. Morin: Ce n'est pourtant pas très loin de votre comté!

M. Laplante: Pardon?

M. Morin: Ce n'est pourtant pas très loin de votre comté!

M. Laplante: Non, mais ce n'est quand même pas dans mon comté. Il y a des citoyens de mon comté qui sont des patients à Rivière-des-Prairies.

M. Séguin: Si vous parlez d'élevage,

jusqu'ici, il n'en a pas été plus question que cela. On a des animaux pour une ferme éducative. Autrement dit, c'est pour intéresser les visiteurs, leur apprendre le fonctionnement d'une ferme. Pour la plupart des animaux, nous avons le couple, mais ce n'est pas notre intention de faire de l'élevage. Mais, quand même, nous sommes réceptifs à toutes sortes de suggestions qui pourraient nous être faites et qui pourraient nous permettre d'améliorer notre situation financière constamment. Si un projet est valable, s'il se présente bien et qu'il y a une possibilité de le mettre en application en fonction des déficients qu'on garde sur la terre, c'est évident que c'est intéressant et qu'on est réceptifs à la suggestion. Jusqu'ici, je n'ai pas entendu parler du projet dont vous parlez. C'est quelque chose à regarder, mais Terre des jeunes, jusqu'ici, n'a pas été une terre "opérante", si vous voulez. On n'est pas là pour faire de la culture en grande quantité. On fait le strict minimum pour les besoins de la terre et pour montrer aux jeunes qui viennent nous visiter ce qui se passe sur une terre.

La relation entre les deux, c'est qu'on a tous les services à un endroit où les déficients profitent du village, mais aussi de tout ce qu'il y a autour. Lorsqu'ils partent de la maison, ils ne s'en vont pas seulement sur le trottoir au coin de la rue, chez le dépanneur ou jouer à la machine à boules au coin de la rue. Ils ont autre chose à faire. Ils se rendent chez un voisin. Ils vont frapper à la porte du voisin. Ils y sont reçus. Ils s'en vont à la cafétéria, ce qu'on appelle la cabane à sucre, ils sont chez eux. Ils vont à la ferme, ils sont chez eux. Pourtant, ils sont encore à une grande distance de la résidence. Ils peuvent circuler librement. C'est dans cet esprit. L'élevage, jusqu'ici, n'a pas été une fonction première. Cela n'a pas été un but ni un objectif, mais nous sommes réceptifs à toute suggestion.

M. Laplante: Merci. Continuez.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Y a-t-il d'autres questions? Je veux vous remercier de votre présentation. Il n'y a pas d'autres questions. Je pense que vous faites la démonstration qu'il y a d'autres formules. Quelqu'un me faisait remarquer, et avec justesse, que, comme cela a été l'initiative d'un club social, d'un club de services où, quand même, il y a beaucoup de gens, j'imagine, ou un certain nombre de personnes, c'est aussi un moyen de sensibilisation auprès de la population qui, autrement, n'en entendrait jamais parler ou continuerait d'avoir ce réflexe de crainte ou de rejet vis-à-vis de personnes qui, dans le fond, lorsqu'on leur accorde l'attention dont elles ont besoin, réagissent d'une façon très positive. Vous faisiez remarquer particulièrement que le travail auprès du groupe d'enfants ou même de ceux qui souffrent de déficiences profondes est un travail très difficile, qui exige beaucoup de dévouement et de dynanisme en même temps et de créativité pour, justement, sortir les enfants d'un mode de fonctionnement qui devient tellement routinier et stéréotypé si personne autour d'eux ne suscite d'initiatives. Je vous remercie. Je m'excuse, on vient de me dire que M. Lafrenière avait une question à poser, mais je ne l'avais pas vu. Allez-y, M. le député d'Ungava, pardon!

M. Lafrenière: Merci. Seulement une petite question. On a sauvent entendu dire, depuis les derniers jours, que des choses comme cela sont difficiles à faire accepter à une population. J'aimerais que vous nous disiez comment vous avez fait afin que la population accepte cela et vive le projet avec vous. Cela pourrait peut-être être utile pour nous dans les jours qui vont venir, parce qu'on sait qu'il y a des mémoires qui traitent spécifiquement de cela. J'aimerais savoir comment vous avez fonctionné pour embarquer la population dans votre projet. (17 heures)

M. Séguin: Je pense que celui qui est le plus qualifié, ayant vécu dans le milieu continuellement depuis quatorze ans, c'est M. Bournival qui va certainement se faire un plaisir de vous le dire.

M. Boumival: Je pense qu'il y a plusieurs éléments pour amener la population à participer. Je vous raconte encore une histoire de gens qui voulaient aller au restaurant parce qu'il y avait une exposition au village. Cela se passait à Joliette. Ils appellent le restaurateur et demandent: Est-ce qu'on peut aller manger chez vous parce qu'on a une exposition? Le gars dit: Venez vers 15 heures parce qu'à midi j'ai bien du monde. Là, ça ne faisait pas l'affaire. Je lisais ça et je me disais: Si ta clientèle peut aller manger au restaurant, tu n'as pas de permission à demander, mais tu as le devoir de rendre ta clientèle acceptable à la population. Tu n'envoies pas ta clientèle dans un restaurant où le restaurateur va perdre sa clientèle. Si ta clientèle n'est pas prête à aller au restaurant, commande-toi des sandwichs, fais-en ou va-t'en ailleurs. Je trouve qu'il y a ce jeu entre les deux. Notre rôle à nous est de rendre notre clientèle acceptable et on demande aussi un bout de chemin à la population, soit de réagir comme il faut et d'accepter d'être gentille et polie avec nos gens.

Pour faire ça, ce qu'on a fait chez nous, j'en ai parlé un petit peu tantôt, on a commencé par acheter chez les marchands du coin. Quand nos jeunes y vont et qu'on a déjà un compte d'ouvert là... Il y a Marc, par exemple, qui fait le tour des

distributrices. Il va chez le quincaillier parce qu'il y a une distributrice là aussi. Il ne va pas faire autre chose. Les gens le connaissent et me connaissent et, si quelque chose de pas correct se passe, ils m'en parlent. L'achat chez nous est important même si, des fois, on paie un petit peu plus cher.

Ensuite la création d'emplois. On reçoit des classes-promenades, 150 ou 200 élèves par jour. Cela veut dire qu'on engage de cinq à dix personnes, qui sont la plupart des mères de famille qui envoient leurs enfants à l'école. Elles viennent chez nous à 9 heures et travaillent jusqu'à 14 heures ou 14 h 30 et retournent à la maison pour recevoir les enfants qui reviennent de l'école. Ces gens-là viennent chez nous et côtoient notre clientèle. Ils s'occupent de notre clientèle qui est normale. Les enfants qui viennent sont de l'élémentaire. Comme nos jeunes sont libres de circuler sur le terrain, à un moment donné, il y en a un qui monte dans la voiture avec les chevaux, avec les autres, il va glisser avec les autres, il se promène sur la poutre d'équilibre avec les autres, il est à la cabane à sucre. Les enfants normaux posent des questions. Ils disent: Aie! Qu'est-ce qu'il a, lui, il est bien drôle, il fait des signes? À ce moment-là, le moniteur explique. Je trouve que c'est une façon de sensibiliser très jeunes les enfants et les professeurs, de sensibiliser notre population qui vient là aussi. Ils ont peur. Cet été, j'ai engagé une cuisinière qui a toujours été à Sainte-Julienne. Elle a fait les sucres et elle les a faits très bien. J'ai dit: Viens donc travailler au camp d'été. Elle n'avait pas confiance, elle avait peur des malades. Elle a dit: Quand on était jeune, dans le village, on nous disait: Fais attention aux malades, cache-toi, ils sont dangereux. Là, à les cotoyer trois jours, quatre jours, cinq jours, une semaine, elle est à l'aise, elle se promène partout. Elle n'en revient pas comment c'est facile.

Je trouve que la création d'emplois fait cela, elle démystifie le mouvement. Elle fait connaître le malade et le fait voir sous un autre jour. Donc, achats, création d'emplois et les contacts d'une façon générale.

Dans le village, par exemple, je fais partie de la chambre de commerce, j'ai lancé le festival du poêle à bois. Comme directeur général m'occupant des malades, je suis un drôle de bonhomme, je suis un peu spécial. Mais si, à un moment donné, je m'occupe du festival du poêle à bois et que je suis comme une espèce d'administrateur autre et que je mène ça à bien, je projette une image autre que d'être juste une espèce de travaillant "avec". Là aussi, je pense qu'il y a un travail pour sensibiliser la population.

Je trouve aussi admirable ce que font les membres, soit du Kiwanis ou d'autres clubs, le rôle, par exemple, que joue Fernand

Lesage dans le village. Il fait partie de la corporation, il a fait la campagne de financement. Il est au restaurant, la clientèle va là et ses serveurs et serveuses sont sensibilisés. Ils donnent des cigarettes aux gars, ils leur donnent des cafés, ils leur font payer meilleur marché, ils leur donnent des becs de l'autre côté du comptoir. Ensuite cela se transmet. Il y a une grande table. C'est la table des notables. Quand tu es admis au village, tu peux aller t'asseoir à cette table-là. Nos gars vont s'asseoir là. Ce sont des clients qui disent: Ne mets pas trop de sucre. Fais attention à ta tasse. C'est comme une boule de neige qui grossit dans le village.

Il est arrivé un incident à un moment donné. Un de nos bonshommes s'en allait au village seul. Il est tombé, on a pensé qu'il avait été renversé par une automobile. Vite, on appelle à Terre des jeunes. On m'envoie chercher; je suis en forêt. Je reviens: Vite, va-t'en au village, François s'est fait frapper. En m'en allant, je rencontre un automobiliste qui arrête au milieu du chemin et qui me dit: Ton gars est rendu à la clinique. Ce qui s'est passé, le temps qu'on m'a envoyé chercher en forêt, c'est qu'on a téléphoné chez Fernand, qui a demandé à des clients: Allez donc voir, François s'est fait renverser devant la buanderie. Ils l'ont pris en charge, ils ont appelé les policiers et ils l'ont amené à la clinique; tout était fait quand je suis arrivé. C'est une prise en charge du village.

Je pourrais vous donner d'autres exemples semblables. Un dimanche matin, un bonhomme casse une vitre dans un garage. C'est mon bonhomme qui fait le tour des distributrices. Il a cassé une grande vitre de porte de garage et il est entré. Le monsieur des portes et châssis, en face, a téléphoné; je le connais, il ne savait pas qui c'était. Il téléphone à M. Pinard pour dire: II y a un gars qui est entré dans ton garage. M. Pinard vient voir, il ne reconnaît pas mon bonhomme tout de suite et il appelle les policiers. Fernand y pense, il dit: Woup! Cela doit être un de mes gars - il les appelle ses gars - j'appelle Justin. Il m'appelle, j'arrive là, je vois Jean-Guy Pinard et il me dit: Je ne savais pas que c'était un de tes gars. Maudit! Cela me fait de quoi, j'ai appelé les policiers. Prends-le et va-t'en tout de suite, il n'y a pas de problème, tout est arrangé.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Bournival: J'ai dit: Non, il y a un problème. La vitre 'est cassée. Le gars va ramasser ses sous, il va venir te la payer et on va s'arranger. C'est comme cela, voyez-vous? Le lien entre M. Pinard, le gars du restaurant...

Le gars a de la neige dans ses bottes. On prend le fusil à air pour enlever la neige.

Le gars a peur, il se sauve et les bottes restent là!

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Bournival: Ha! Ha! Il y a une prise en charge du village, de la communauté. Cela répond-il à votre question?

M. Morin: Ce n'est pas facile, non plus. Je me souviens, quand on commencé, au village de Sainte-Julienne, les gens nous appelaient la Terre des fous, il faut bien employer le vrai mot. Il nous fallait des sous. À ce moment-là, on n'avait pas de subvention, c'était l'argent des membres du club Kiwanis qui nous faisait fonctionner. Les marchands ne nous faisaient pas crédit. À chaque fois, on disait: Est-ce que cela va durer? Est-ce que cela va rester longtemps près de chez nous? On entendait des réactions quand nous faisions nos organisations nous-mêmes. Ils nous disaient: Quand allez-vous arrêter d'amener des fous à Sainte-Julienne? Nous disions: Ce ne sont pas des fous, pas plus que nous. Dans la société, il y en a peut-être 90 % plus fous que ceux qui sont sur la terre. J'ai dit: Ce sont des gens qui ont des besoins autant que vous et on est là pour les aider. Je peux vous dire qu'il faut faire beaucoup de contacts. Il faut admettre que Justin a travaillé très fort et, si Terre des jeunes fonctionne aujourd'hui, c'est grâce à lui. Il a invité les maires et les échevins des environs. On faisait des épluchettes de blé d'Inde. Il invitait la chambre de commerce, les marchands. On essayait de les impliquer pour leur montrer que les gens qui étaient avec nous, les enfants malades qui étaient là n'étaient pas plus fous que les autres et qu'ils aimaient avoir du plaisir.

Comme c'est la semaine du bénévolat, je pense que le message "adonne" très bien aujourd'hui. Si les gens donnaient plus de leur temps, je pense qu'il y aurait moins de problèmes dans les gros organismes comme l'hôpital Rivière-des-Prairies. Ce serait mieux que de voir une personne jalouse d'une autre. Ce qui manque un peu, c'est la charité. Terre des jeunes a fonctionné selon le système du bénévolat. Justin demandait: Penses-tu que je vais être capable d'avoir mon salaire? On le payait tous les quinze jours; chaque semaine, c'était trop vite. Il disait: Penses-tu qu'au bout de quinze jours, je vais avoir mon salaire? Il faut que je lève mon chapeau devant Justin, il a fait un travail de bénévolat en étant payé. Les gens disent souvent: Ils sont payés. Il faut payer pour faire du bénévolat. Même si les personnes sont payées, elles font quand même du bénévolat.

Nous vous remercions, Mme la Présidente, d'avoir su nous entendre. N'importe quand, si les membres de la commission veulent visiter Terre des jeunes, Justin vous recevra sûrement.

Mme Lavoie-Roux: On en prend note et nous vous remercions beaucoup de votre contribution.

M. Bournival: Je dois vous dire avant de partir que j'ai beaucoup d'admiration pour vous qui cherchez à savoir et qui prenez autant de temps pour écouter. Je vous admire beaucoup.

Mme Lavoie-Roux: Vous êtes bien gentil, merci. Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 10)

(Reprise à 17 h 12)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'invite maintenant Mme Gaétane Grenier à se présenter. Je pense que Mme Grenier veut faire un témoignage personnel. Vous êtes la bienvenue, Mme Grenier. Si vous voulez, tout le monde peut venir, je n'ai pas d'objection.

Mme Gaétane Grenier et M. Jean-Claude Gaudreau

Mme Grenier (Gaétane): Est-ce que je dois les présenter?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Présentez ces personnes, au cas où elles prendraient la parole, pour les fins du Journal des débats. Vous ne prendrez pas la parole? Alors, assoyez-vous, vous êtes les bienvenus.

Mme Grenier: J'ai cru bon d'amener ma soeur, parce qu'elle a été un support extraordinaire. Je suis peut-être émotive, mais je suis tellement contente d'être ici. Mme Roux, comme je vous admire, moi aussi! J'ai pensé l'amener, parce qu'elle a été un support extraordinaire durant les six mois d'hospitalisation de mon conjoint et j'ai pensé vous amener à vous, chère commission, l'agent du dossier de réadaptation à la Régie de l'assurance automobile du Québec qui, depuis six ans, a le dossier en main. Cela veut dire que s'il y a des questions que vous me posez et que je ne peux pas y répondre, il y a une personne-ressource avec moi.

Je trouve cela tellement important que je me dis: II faut que j'apporte tous les éléments possibles pour venir en aide à la commission.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous êtes monsieur?

M. Gaudreau (Jean-Claude): Jean-Claude

Gaudreau.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Jean-Claude Gaudreau. Parfait. Alors, allez-y, Mme Grenier.

Mme Grenier: On y va. J'ai des papiers, j'ai bien des papiers.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous voyez que ce n'est pas formel.

Mme Grenier: Bonjour à Mme la Présidente et aux membres de la commission. Permettez-moi de témoigner ma reconnaissance à l'Assemblée nationale pour avoir institué une commission d'enquête sur la distribution des services de soutien et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté. De plus, merci à Mme la Présidente et aux membres de cette commission d'avoir pris en considération mon humble mémoire.

Dans mon mémoire, je donne un bref historique des événements qui marquent ma vie depuis l'accident d'automobile survenu le 15 mai 1979 et dont la victime est mon conjoint. Diagnostic médical: polytraumatisé, handicap permanent, traumatisme crânien.

Je cite dans mon mémoire que ces événements ont perturbé notre vie dans tous les domaines, familial, culturel, économique et social. Aussi, je note les services de soutien que j'ai reçus à l'époque et ceux qui continuent d'exister.

Pour ce qui est de la réinsertion sociale, nul doute que j'y crois. J'ai en main un document que j'ai écrit à la Régie de l'assurance automobile en 1983, démontrant les raisons pour lesquelles je m'oppose si farouchement au placement. Par contre, je tiens à vous citer au moins une raison pour laquelle je suis pour le maintien à domicile du traumatisé crânien. Ce n'est pas facile, mais cela va aller.

Je sens que mon conjoint est submergé dans le déluge de la civilisation. Seul son milieu naturel de vie peut l'empêcher de couler, car il reçoit les services adéquats pour améliorer sa qualité de vie. J'avais présenté à la régie un document qui peut aider la commission. Dans ce document, je fais toute la chronologie majeure des événements que j'ai vécus pendant les quatre premières années. Dans cela, on voit très bien les services que notre famille a reçus. Il est entré chez moi en 1979; j'ai eu les services en 1980. On voit tout le cheminement, quels services une famille qui reçoit un malade à la maison peut avoir. Ce document le montre très bien. Si la commission veut l'avoir après, c'est très bien expliqué. Cela peut aider la commission. >

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est- ce différent...

Mme Grenier: C'est complètement différent.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... du mémoire qu'on a?

Mme Grenier: Oui, c'est un mémoire après six ans et celui-ci...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon, d'accord.

Mme Grenier:... est pour les quatre premières années. Tout est en détail. Il y a même des lettres de neurochirurgiens; le Dr Alain Godon, qui est une sommité, dit être pour le maintien à domicile à 150 %, mais avec des services.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): 5i vous voulez le remettre à la secrétaire de la commission, elle va en faire tirer des photocopies pour les membres de la commission.

Mme Grenier: Cela va, merci. Je peux vous affirmer, Mme la Présidente et membres de la commission, que mon conjoint, avec les services reçus et ceux que j'ai créés tout en le gardant à domicile, reçoit le respect et l'affection et, en retour, il contribue à créer une atmosphère de joie et de tendresse dont notre monde a tant besoin. Vous pouvez nous poser des questions. Après cela, je vais vous dire de quelle façon il crée une atmosphère de joie et de tendresse.

En conclusion, après six ans de vécu quotidien auprès d'un traumatisé crânien, je suis apte à connaître le besoin des deux parties: personne malade et personne aidante. Je considère que je suis une personne habilitée pour vous aider dans votre étude, à savoir les services dont les familles ont besoin: un centre de jour pour handicapés en vue d'aider à la réinsertion de la personne atteinte d'un traumatisme crânien; créer un service pour venir en aide à la personne aidante. En aidant la personne aidante, celle-ci se sent revalorisée, s'"énergise" et retourne auprès de sa victime, consciente du rôle qu'elle exerce. En aidant la personne aidante, celle-ci découvre la beauté cachée derrière la faiblesse du handicapé. Seule, sans services, laissée à elle-même, la personne aidante ne peut entrer dans une alliance avec sa personne handicapée.

Je termine cet exposé en vous remerciant au nom des traumatisés crâniens et au nom des personnes aidantes. Je suis heureuse de constater que l'Assemblée nationale se penche sur la cause des personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté. Elle les

considère comme des personnes à part entière. Je suis assurée, Mme la Présidente, que la commission veillera à améliorer la qualité de ces personnes dont notre communauté a besoin.

Dans mon mémoire, je fais des recommandations à la fin; naturellement, c'est à la suite de ce que j'ai vécu. Je recommande que le ministère sensibilise la population entière sur les caractéristiques et les besoins de la clientèle traumatisée crânienne, soit à l'aide de brochures publicitaires ou de vidéos. N'ayant rien, j'ai dû faire dans mon entourage de la sensibilisation pour faire accepter ma personne malade dans cet entourage. J'ai dû leur expliquer ce que c'était. Ce n'était pas un phénomène si extraordinaire; c'était une personne à part entière. Mais c'est de l'inconnu. Les gens sont mal à l'aise devant un traumatisé crânien, parce que c'est de l'inconnu.

Je recommande que le ministère garde sa politique de réinsertion sociale, mais développe des services de soutien. Le traumatisé crânien a une meilleure qualité de vie dans le milieu familial.

Je recommande que le ministère développe des mécanismes pour venir en aide à la personne aidante, soit en subventionnant des groupes d'entraide, des centres de jour ou un réseau téléphonique.

Je recommande que le ministère dote les institutions de réadaptation de spécialistes en traumatismes crâniens. Je ne sais pas si cela existe; sinon, qu'il demande aux universités d'organiser des cours à cet effet.

Je recommande que le ministère facilite l'ouverture des centres de jour pour les handicapés physiques en vue de donner une chance aux traumatisés crâniens.

Je recommande que le ministère des Affaires sociales du Québec travaille en collaboration avec le ministère fédéral pour sensibiliser les fonctionnaires à la problématique.

Je recommande que le ministère porte une attention spéciale aux fonctionnaires des bureaux pour l'obtention du permis de conduire.

Je recommande que le ministère crée une politique protectionniste pour le traumatisé crânien, à l'instar de celle qui existe à l'égard de la déficience mentale.

Je recommande que le ministère sensibilise les services sociaux hospitaliers, qu'il développe des mécanismes lors de l'hospitalisation du malade pour préparer la famille à la réinsertion sociale du malade. Présentement, il n'existe aucune préparation. Pour nous, c'est un vrai coup de matraque. On nous oblige à prendre notre malade sans avertissement, un malade tout confus. On ne sait pas quoi faire avec cela. Je dis qu'il faudrait un mécanisme pour faciliter la réinsertion dans la famille.

Je recommande que, lorsque le malade réintègre son foyer, immédiatement la famille puisse compter sur des services de soutien.

Je recommande d'alléger la bureaucratie quand une famille demande de l'aide.

La famille étant censée se soutenir mutuellement, les politiques gouvernementales sont conçues en fonction de cette définition. Vu que cette définition n'est plus exacte -depuis 1970 au moins - je recommande au ministère de repenser ses politiques sociales et économiques.

Je vous transmets beaucoup de recommandations, Mme la Présidente, mais j'ai six ans de vécu et c'est ce qui en découle. C'est vrai qu'il est difficile de vivre avec un traumatisé crânien. Comment ai-je fait pour m'en sortir? J'ai créé des projets à caractère humanitaire. Le dernier projet que j'ai créé, c'est un projet pour venir en aide aux personnes aidantes, à ceux qui gardent des malades à la maison, quelle que soit la maladie. Il y a beaucoup de cas de la maladie d'Alzheimer, de schizophrènes, de... Je ne peux pas la nommer, parce que je ne suis pas médecin, mais il s'agit de personnes qui ont des accidents cardiaques et dont le cerveau se trouve atteint.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

Mme Grenier: D'accord? Il y a des cas de cancer, de sclérose en plaques, enfin... Mon projet, c'est qu'on libère les personnes aidantes une demi-journée et qu'un membre de mon personnel aille remplacer la personne aidante. La personne aidante peut aller s"'énergiser", peut aller se ressourcer. Si elle veut aller faire ses courses, elle peut y aller en toute quiétude. De plus, aux quinze jours, je fais des activités mixtes, c'est-à-dire qui incluent la personne aidante et le malade: pique-nique en autobus pour tout le monde, visite au Jardin botanique, présentation de vidéos. Il se produit une complicité entre la personne aidante et la personne malade. Il s'est développé un mouvement d'entraide entre toutes ces personnes. Je dis qu'il est possible de garder une personne ayant un handicap mental dans la société. L'aide que j'ai présentement, en plus de l'aide que j'ai créée moi-même, c'est le réseau téléphonique. Avec la collaboration de la Régie de l'assurance automobile du Québec, les services de réadaptation, lorsque cela ne va pas ou qu'il se passe des phénomènes que je ne comprends pas, car je n'ai pas toujours les connaissances techniques, je communique avec M. Gaudreau qui, lui, me rassure, me dit: Ce n'est pas grave, c'est ceci ou cela.

Je tiens à noter qu'il n'a aucune médication. Je n'y crois pas. En décembre 1979, il prenait beaucoup de médicaments et, en février 1980, lorsque j'ai décidé de le

prendre en main et de l'aider à se réadapter, j'ai jeté tous ses médicaments dans les toilettes. J'ai appelé le neurologue et il m'a dit: Je n'en prends pas la responsabilité. J'ai dit: J'ai confiance, je vais le réadapter. Et il a fait un sacré bon bout de chemin depuis ce temps, M. Gaudreau peut le prouver. Je suis réaliste, je sais qu'il ne peut pas revenir à 100 %, mais, au moins, il est heureux et il fonctionne. Ce qui est plus malheureux chez un traumatisé crânien, c'est que le sentiment du traumatisé crânien n'est pas altéré du tout. Il ne capte pas le présent, mais tous ses sentiments restent purs. C'est cela qui est dur à vivre avec le malade. Quand on est humain un peu, on voit cela; mais cela vaut le coup.

Si on peut avoir des services de soutien comme celui que j'ai créé... J'ai créé un service de soutien, je le trouve super. J'ai ici un rapport détaillé des quatre mois de fonctionnement du service et j'ai des résultats positifs des madames qui ont reçu l'aide du service que j'ai créé et c'est vraiment fantastique. C'est le projet Joie de vivre. J'ai fait une demande, naturellement, en vertu du programme Canada au travail. J'ai obtenu une subvention, j'ai créé le projet. Cela fonctionne très bien et les résultats sont positifs, fantastiques.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, si vous n'avez rien d'autre à ajouter, Mme Grenier, je voudrais vous remercier. Remarquez bien qu'on a retenu votre mémoire parce que, évidemment, vous avez fait face à une expérience où les symptômes que présentait votre conjoint sont les mêmes que ceux qui sont associés à certains désordres du comportement humain qui imposent à la personne ou aux personnes qui doivent vivre avec ces malades des difficultés difficiles à surmonter. Un grand nombre de gens tentent de les surmonter en confiant leurs malades à l'extérieur parce qu'eux-mêmes ne peuvent peut-être pas faire face à la réalité. Il s'agit aussi des ressources personnelles, de l'énergie qu'on a; enfin, tout dépend des circonstances qui nous entourent. Dans ce sens, on n'est peut-être pas habitué à considérer les désordres psychiques à partir d'une problématique comme celle de votre conjoint, qui souffre d'un traumatisme crânien.

Je dois vous avouer là-dessus, Mme Grenier, que je suis moi-même totalement dans l'ignorance quant à l'incidence de personnes souffrant de traumatismes crâniens. Je crois comprendre que c'est à la suite d'un accident.

Mme Grenier: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bien oui, c'est la Régie de l'assurance automobile. Je ne sais pas si M. Gaudreau peut nous dire ce qui arrive, habituellement, dans ce genre de situation, parce que des accidents d'automobile, il y en a trop souvent, malheureusement.

M. Gaudreau: D'accord. J'aimerais que vous précisiez votre question, à savoir "ce qui arrive"...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'abord, l'incidence de cas semblables.

M. Gaudreau: D'accord.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que c'est élevé ou exceptionnel, une situation où le comportement d'un individu est aussi, comment dirais-je, hypothéqué que celui de la personne dont nous parlons?

M. Gaudreau: D'accord. Je n'ai pas de chiffres, disons, pour la province ou quoi que ce soit sur le nombre de victimes de traumatismes crâniens ou cérébraux. Ce que je peux dire, c'est que ce n'est pas un nombre élevé par rapport à l'ensemble de la population qui pourrait être victime d'autres sortes de maladies ou de limitations physiques. J'estime peut-être que, pour la province, cela peut donner 400 cas en ce qui concerne l'assurance automobile. Là encore, on ne couvre pas tous les cas d'accidents d'automobile parce que la Régie de l'assurance automobile n'existe que depuis 1978.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Les 400 cas s'échelonneraient depuis 1978, ceux que la Régie de l'assurance automobile aurait. (17 h 30)

M. Gaudreau: Grosso modo, les cas qui restent ouverts comme dossiers. Concernant les traumatismes crâniens ou cérébraux, il peut y avoir des cas d'atteinte légère où il y a, à plus ou moins longue échéance, une forme de réintégration sociale assez complète. À ce moment-là, c'est difficile, surtout que nous ne sommes pas un organisme qui est là pour faire des statistiques, mais pour donner directement un service à la clientèle. Disons que je n'ai pas les détails à ce niveau.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Sur vos 400, il y en a un certain nombre qui seraient réintégrés petit à petit dans leur fonctionnement habituel. Mais dans des cas similaires - on n'a peut-être pas une idée du nombre - est-ce qu'en général les familles ont recours au placement plutôt qu'à la garde dans le milieu naturel, si on veut?

M. Gaudreau: D'accord. Il y a un certain pourcentage de placement, mais je dirais qu'il est assez limité parce que

l'entourage prend, quand même, conscience que ce sont des personnes qui, généralement, ont des capacités de fonctionner en société. Par contre, ce n'est pas nécessairement la famille qui va prendre en charge ces personnes. Il y a beaucoup de cas où cela va être plutôt l'entourage autre que la famille. Cela peut être une famille plus éloignée, cela peut être quelqu'un du quartier, ainsi de suite, qui peut prendre en charge. Il faut dire aussi que le niveau de demandes, en termes de services ou d'assistance, varie beaucoup d'un cas à l'autre. On a beaucoup de cas qui demandent carrément une surveillance constante. On a aussi des cas où, lorsque la personne reçoit des instructions ou une certaine supervision, si on peut dire, elle peut fonctionner au moins un certain nombre d'heures consécutives sans supervision immédiate. Alors, cela peut varier beaucoup d'un cas à l'autre.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce que je comprends, Mme Grenier, c'est que pour vous, il y a eu le choc de l'accident, il y a eu le choc de la récupération quand votre conjoint est revenu à domicile et tout cela. Mais une fois revenu à domicile, ce qui vous a semblé être les carences les plus importantes, ce sont les services à domicile sur une base régulière...

Mme Grenier: Oui, il n'y en avait pas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... sur une base qui soit satisfaisante pour vous permettre de continuer de fonctionner - vous avez un fils - de continuer de remplir vos responsabilités, etc.

Mme Grenier: C'est cela. Je n'avais pas les services; donc, je me suis prise en main. Quand je vais en clinique neurologique, je rencontre des dames qui ont soin de leur traumatisé crânien et ces dames fonctionnent avec des valiums, des libriums, avec tout ce que vos voudrez. Il ne faut pas leur en vouloir: elles n'ont pas de services.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Est-ce qu'il y a d'autres questions?

M. Laplante: Un mot, Mme la Présidente, pour remercier, à notre tour, cette dame de la patience qu'elle a mise à nous préparer un petit document qui est un témoignage personnel. Aussi, ce qui arrive très peu souvent - je crois que c'est la première fois au cours de mes neuf ans comme député - c'est qu'un fonctionnaire d'un ministère accompagne un citoyen pour un tel mémoire. Je veux le féliciter du geste qu'il a posé. Je pense que le gouvernement veut, aujourd'hui, une approche beaucoup plus humaine avec les citoyens. Le ministère des Relations avec les citoyens actuellement prouve que, déjà, il porte ses fruits en vous accompagnant. J'espère que cela se répétera à d'autres niveaux aussi pour faciliter aux citoyens l'accès à leur Assemblée nationale, car le gouvernement, ce n'est pas nous autres qui l'élisons, c'est vous autres. C'est à vous autres, les briques qu'il y a autour de cette boîte-là. Vous êtes, en somme, nos patrons. Vous avez utilisé les moyens, comme patrons, que vous aviez à utiliser, que vous payez tous les jours par vos taxes. Je vous félicite, M. Gaudreau, et je vous remercie, madame.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense, Mme Grenier... Vous voulez ajouter quelque chose? Je vous en prie.

M. Gaudreau: Je vous remercie. Par la même occasion, je voudrais transmettre mes remerciements à la commission pour avoir accepté de m'inviter et, également, à la direction de la Régie de l'assurance automobile qui a bien voulu me libérer pour que je puisse accompagner Mme Grenier.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, vous vous sentez un peu moins loin des ressources, Mme Grenier. Je pense que mes collègues reçoivent votre témoignage comme un témoignage personnel, un témoignage vécu. Je dois dire qu'à ce moment-ci, même s'il n'y a pas de grande notions théoriques, et ce n'est, d'ailleurs, pas le but d'un témoignage personnel, on apprécie que des personnes fassent les efforts que vous faites, parce que, dans le fond, on a un peu tendance à décider pour tous les autres.

M. Gaudreau: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, on entend trop peu souvent les personnes directement touchées ou concernées, non pas parce qu'elles ne seraient pas bien accueillies à ces commissions parlementaires, mais à cause des ressources qu'elles ont, à cause du fait que les autres organismes ont plus l'habitude de venir et de ces choses-là. Je pense qu'il y en a peut-être quelques autres qui vont venir rendre des témoignages d'ici vendredi et je veux vous dire que nous l'apprécions. Je vous remercie de vous être déplacés. J'espère que vous pourrez rester avec nous encore un bout de temps.

Mme Grenier: Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Avez-vous des questions particulières à nous poser, Mme Grenier.

Mme Grenier: Je n'ai qu'un merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord, merci.

J'invite maintenant le groupe Auto-Psy et le Comité des résidents du centre hospitalier Robert-Giffard à se présenter.

Vous avez exprimé le désir de présenter un vidéo.

Groupe Auto-Psy et Comité

des résidents du centre hospitalier Robert-Giffard

Une voix: Oui, c'est cela, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Afin de ne pas mêler les choses, je vais demander è votre président de faire les présentations habituelles. Je pense que vous avez été ici une partie de la journée. Vous connaissez le rituel.

M. Sauvageau (Gaétan): Mme la Présidente, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter les personnes. Â mon extrême gauche, Mme Edith Vallières, du comité des résidents; M. Benoit Côté, du groupe Auto-Psy et, à ma droite, Mme Sonia Charland, du comité des résidents.

Le dossier qu'on vous a présenté, c'est simplement pour vous donner un aperçu de ce que le groupe Auto-Psy a réalisé et aussi de ce que le comité des résidents a réalisé tout denièrement. Vous avez le texte de la conférence de presse qui a eu lieu hier concernant les conditions de vie du centre hospitalier Robert-Giffard. À l'intérieur, je pense qu'il y a des choses qui disent ce qu'on a fait.

Le groupe Autonomie psychiatrisée et le Comité des résidents et résidentes du centre hospitalier Robert-Giffard, deux associations impliquées dans la défense des droits et intérêts des personnes psychiatrisées sont heureux de participer aux travaux de la commission des affaires sociales.

Nous vous présenterons nos perspectives d'action d'une façon dynamique.

Mme Vallières (Edith): Notre mémoire propose des avenues pour une véritable politique de désinstitutionnalisation. Nous y avons abordé plusieurs spécificités: la démystification de la folie, la désinstitutionnalisation telle que vécue par les personnes psychiatrisées, la mise sur pied d'un réseau intégré de ressources de travail et de formation professionnelle et la promotion des droits sociaux des personnes psyschiatrisées. Trente-quatre propositions concrètes concernant cette problématique.

Afin d'illustrer cette démarche, nous vous présentons les deux derniers vidéos du groupe Auto-Psy et nous vous proposons, si vous le désirez, de les déposer afin que vous puissiez les visionner complètement.

Comme "Les gens qui doutent" et "Salaire de rien" donnent la parole aux personnes psychiatrisées et que c'est cette parole que nous nous efforçons de représenter, nous avons cru bon de présenter nos thèmes de cette façon: D'abord, "Les gens qui doutent", qui montre des personnes qui s'en sont sorties malgré vents et marées. Quoiqu'en disent les professionnels de la santé, la maladie mentale, cela se guérit lorsqu'on respecte les choix et le rythme de chaque individu.

Présentations audiovisuelles

(Nous reproduisons ci-dessous une transcription aussi fidèle que possible de la trame sonore de la présentation audiovisuelle faite devant la commission) "Imagine-toi que la première fois que j'ai été hospitalisé, il y a douze ans, dans un hôpital où on donnait des médicaments, c'était effrayant. Puis des électrochocs: tous les jours des patients partaient en civière pour se faire donner des électrochocs.

La première fois que tu rentres dans un milieu psychiatrique - que t'as jamais vu cela, que t'en as jamais entendu parler, disons que t'as jamais fait de dépression -c'est effrayant, l'effet que cela te fait. Tu te demandes où est-ce que t'es rendu. Es-tu sur une autre planète? Tout le monde avec qui t'es, c'est-y du monde, c'est-y des hommes? C'est-y un homme? C'est-y une femme? Tu te poses des questions.

Vivre une dépression, c'est humiliant. De toute façon, la maladie en soi est humiliante. N'importe quelle maladie est humiliante. Quand tu vois que t'es plus capable de faire ce que tu as à faire, c'est "plate", c'est humiliant. Par contre, la maladie mentale a un effet purgatif dans le sens que, souvent, seulement la souffrance de la maladie mentale, de la dépression, va venir te débarrasser, va venir dénouer des noeuds qui t'étranglent depuis longtemps, qui t'étranglent peut-être depuis ta toute enfance. C'est ça.

Si j'arrivais dans un milieu qui comprenne ces phénomènes-là d'évolution, ces phénomènes évolutifs de la maladie mentale cela pourrait m'aider, comprends-tu? Tandis que là, si j'arrive en maladie psychiatrique qu'on m'étiquette tout de suite "malade mental", qu'on me donne des médicaments qu'on me force à les prendre - t'as pas le choix, déjà, en soi, c'est difficile.

Si t'arrivais dans un milieu qui comprenne que la souffrance que t'es en train de vivre, c'est une souffrance d'accouchement, c'est un accouchement que tu vis. C'est comme si... La femme qui est en train d'avoir un enfant, cela lui fait mal bien gros. Accoucher de soi-même, cela peut faire mal. Je pense que cela fait tout le

temps mal. C'était impossible pour mot de relever de la dépression et de relever le défi que me causait la dépression. C'était impossible de le relever, ce défi là, avec des médicaments qui m'endormaient, qui m'ébêtaient, qui m'enlevaient mes facultés. J'avais besoin de toutes mes facultés, justement, pour m'en sortir.

Quand t'as connu le fossé, bien t'es capable d'aider quelqu'un qui tombe dans le même fossé que toi, t'es capable de lui tendre la main, t'as quelque chose à lui offrir. T'as au moins tes moyens, tu peux comprendre, t'es beaucoup plus compréhensif, t'es très compréhensif. C'est ça que je disais aussi, le contact avec les autres patients... J'ai remarqué quand j'étais à l'hôpital, les patients étaient... Je rencontrais assez du monde merveilleux, vraiment du beau monde. Je trouvais que c'était du beau monde qui était en psychiatrie, des gens très sensibles, par exemple, très sensibles. Ils ont peut-être des consciences, justement, très exigeantes. Ils peuvent avoir tendance à exagérer. C'est pour cela que tu te ramasses dans des états, comme cela, extrêmes. C'est peut-être parce que t'es bien exigeant.

Je reviens tout le temps à mon fameux jardinage. J'ai appris un peu à jardiner avec la vie, c'est-à-dire qu'il faut que je fasse attention à mes tendances négatives qui sont les mauvaises herbes qui peuvent faire étouffer la plante que je veux faire pousser, qui est moi-même. C'est vrai, je peux être une belle plante si je veux et même porter des fruits, on ne sait jamais. J'y crois vraiment.

Sarcler, ça veut dire qu'il faut que je fasse attention à mes tendances négatives. J'en ai nommé une, la culpabilité. Je ne nommerai pas toutes les autres, ce serait assez gênant, mais il faut que je fasse attention à mes tendances négatives. Il faut tout le temps que je sois vigilante. Il faut que je sois capable de repousser un mouvement de culpabilité qui peut me conduire à une angoisse trop forte et peut-être engendrer une dépression petit à petit. Il faut que je sois capable à un moment donné de l'enlever, cette mauvaise herbe. Je vais y répondre à ce défi-là. Disons que je l'ai fait un peu naturellement. Je le dis, c'est facile, je parle, mais disons que c'est naturel. Je pense que j'avais soif de vivre vraiment même si je trouvais cela difficile de vivre. Là, j'ai dit: T'as un travail à faire et tu vas le faire. Tu vas lâcher complètement toute médication, tu n'en as plus besoin. Je savais que je n'en avais plus besoin.

Je suis allée voir mon médecin de famille. Il était d'accord avec moi, très compréhensif, il m'a donné quelques conseils. Je pensais que ça prendrait beaucoup plus de temps. Maintenant, ça fait même plusieurs mois, je n'en prends plus du tout. Je suis assez contente! Ce n'est pas beaucoup, mais je suis contente. Si, par exemple, on me parle du jardin, j'ai tendance aux médicaments, c'est évident, mais je fais attention, justement. (17 h 45) — On était quatre, trois garçons, une fille. Vu que j'étais la dernière, mes frères étaient pensionnaires durant toute l'année scolaire et moi, je restais avec ma mère. Ma mère, franchement, il y avait des secousses que ce n'était pas bien vivable avec. Mais là! — Les relations avec ta mère étaient difficiles? Penses-tu qu'elle te faisait confiance vraiment? ~ Non. J'étais l'aide-cuisinière. La cuisinière est partie et ils m'ont mise la première à la cuisine. Il fallait que je prenne les intérêts du manoir. Ils trouvaient tout le temps que ça coûtait cher et je faisais de mon mieux. — À la suite de ça... ~ J'ai commencé à tomber sur le grabat. — Qu'est-ce que t'entends par "tomber sur le grabat"? — Tomber malade. Il n'y avait pas de contacts avec ma famille où je pouvais parler, m'ouvrir et dire ma façon de penser à ma mère. Elle ne voulait rien comprendre. J'ai demandé un dialogue avec elle et je n'en ai jamais eu. — Ça ne t'aidait pas beaucoup de retourner dans ta famille après une hospitalisation. ~ Non, non, ça ne m'aidait pas du tout.

Tu connais bien, Francine, les traitements qu'on donne en psychiatrie pour les avoir subis. Qu'est-ce qu'on ressent quand on se fait faire une lobotomie et qu'on n'a pas donné son consentement? — Une lobotomie, c'est une chose que... Ils ne m'ont même pas demandé la permission. Ils ont demandé la permission de ma mère et de mon frère qui est religieux. Il fallait que mon frère qui est religieux et ma mère viennent signer à la clinique Roy-Rousseau comme quoi ils donnent leur consentement. Ils sont allés à la clinique Roy-Rousseau et ils ne sont même pas venus me voir. Ils étaient dans la bâtisse pour venir signer, ils auraient bien pu venir me voir. Pensez-vous que ce n'était pas frustrant pour moi?

— Si la personne en question est sur le bord de la crise - je vous donne mon avis - le centre hospitalier Robert-Giffard, ce n'est pas une place pour nous rétablir, loin de là; c'est une place pour nous abaisser. Entre autres, on se couche le soir dans des dortoirs. À entendre ronfler l'un, à entendre ronfler l'autre, la bagarre prend dans le dortoir. La bagarre s'est tranquillisée, là on est couché et on essaie de dormir. Là le préposé nous allume la lumière: Dors-tu? Il nous réveille direct. Je ne suis pas capable de redormir après. Les préposés sont bons pour nous réveiller, mais pas pour d'autre chose. J'ai connu la vie à l'extérieur et la vie en dedans. Je te dis que la vie à l'extérieur, ce n'est pas à comparer avec la vie en dedans. C'est vrai qu'il y a certains bénéficiaires qui n'ont pas goûté à mieux. La moindre petite fête qu'il y a à Robert-Giffard, mon doux, ils sont heureux! C'est comme s'ils seraient au paradis. C'est bien normal, mais eux, ils se contentent de peu.

(Fin de la présentation audiovisuelle)

M. Côté (Benoît): Avant de vous présenter l'extrait de l'autre vidéo, je vais poursuivre en vous présentant la problématique qui est contenue dans notre mémoire.

Pour nous, une politique de désinstitu-tionnalisation en santé mentale qui néglige, dans les faits, la construction d'un réseau intégré de ressources de travail alliant la formation professionnelle au processus d'intégration au travail est vouée à l'échec. Ceci implique la construction d'un réseau intégré de ressources-travail. Cela impose l'amélioration des formules de travail adapté actuelles. Qu'on pense, par exemple, aux services d'apprentissage aux habitudes de travail, les SAHT, aux centres de travail adapté, les CTA, et à la création de formules alternatives de travail pour les personnes psychiatrisées. On vous en propose quelques-unes ici: les coopératives de travail contrôlées par les personnes psychiatrisées, la reconnaissance de nouveaux statuts d'emploi pour les personnes psychiatrisées; que ce soit le temps partiel, le temps partagé, l'adaptation des postes de travail aux besoins spécifiques des personnes psychiatrisées.

En ce qui a trait au volet de la formation professionnelle, nous sommes heureux que le projet gouvernemental d'éducation permanente se rapportant à la formation des adultes handicapés, conjugué à l'application de la loi 3, rende possible la création de services d'accueil et de référence - ce qu'on appelle les SAR -relevant des commissions scolaires, qui devront tout mettre en oeuvre pour accueillir et rencontrer toutes les demandes spécifiques des personnes psychiatrisées inscrites dans un processus éducatif, soit en fournissant le service, soit en référant à un organisme approprié. On se réjouit aussi et on souhaite que les services et les organismes québécois de préparation et d'intégration à l'emploi pour les ex-patients psychiatriques collent dans la pratique à certains principes d'intervention. On aura l'occasion d'en parler un peu plus lors de la période des questions.

On veut aussi travailler à la promotion des droits sociaux des personnes psychiatrisées pour garantir ce fameux droit au travail des personnes psychiatrisées. Le droit au travail est reconnu pour les travailleurs, en général, mais lorsqu'on essaie de l'appliquer aux personnes psychiatrisées, c'est autre chose.

La discrimination au travail et les préjugés sociaux qui entourent la maladie mentale, plusieurs l'ont dit, touchent durement la personne psychiatrisée. L'État devrait intervenir et accorder des ressources, des nouveaux budgets pour endiguer cette discrimination. L'OPHQ a le mandat de défendre les droits de la personne handicapée et, donc, de la personne psychiatrisée. Toutefois, il ne dispose pas de mécanismes concrets qui, dans la pratique, permettent d'assurer la défense des droits des personnes psychiatrisées. II n'a ni les mécanismes ni le personnel. De même que la Commission des droits de la personne - on en parlera tout à l'heure - il ne dispose pas d'outils efficaces à ce niveau-là.

Des débats publics, de la sensibilisation, de l'information, il faut démystifier la folie. Toutes ces étapes, qui ont une importance vitale pour le Comité des résidents du centre hospitalier Robert-Giffard et Auto-Psy, permettront peut-être aux personnes psychiatrisées de reprendre leur place comme citoyens dans la société québécoise, de perdre ce fameux statut de citoyens de seconde zone.

Pour nous, il est important, pour que de véritables changements de mentalités dans la société s'opèrent, que des luttes soient gagnées sur le terrain pour que la reconnaissance des droits sociaux des personnes psychiatrisées soit effective. Comment? Premièrement, il faut briser l'isolement social et la vision négative qu'ont les personnes psychiatrisées d'elles-mêmes. Deuxièmement, il faut apprendre aux personnes psychiatrisées à se défendre personnellement et collectivement. Nous disons qu'il faut passer du "psychiatrique" au "politique", entre guillemets, de l'individuel au collectif.

Mme Vallières: Nous vous présentons maintenant un extrait d'un autre vidéo réalisé par le groupe "Salaire de rien" qui jette un éclairage direct sur les problèmes d'intégration au marché du travail vécus par les personnes psychiatrisées.

(Nous reproduisons ci-dessous une transcription aussi fidèle que possible de la trame sonore de la présentation audiovisuelle faite devant la commission) — Quand j'ai commencé en aide en alimentation, j'ai dit à l'équipe avec qui je travaillais: J'ai affaire à vous autres. Je leur ai dit de A à Z quoi c'est qu'il en était à mon sujet. J'ai dit: Je suis ex-bénéficiaire et je ne veux pas qu'aucun des gens normals parle des ex-bénéficiaires parce que là vous allez me toucher. Ce n'est pas à cause que je suis ex-bénéficiaire que je n'ai pas le droit de gagner ma vie. Non. Le monde a été très gentil, il n'y en a aucun qui m'a dit ex-bénéficiaire.

Dans mon curriculum vitae, sacrement, bien sûr que je n'ai pas marqué: Gilles Simard, etc., électrochoqué, insulinisé, etc., alleluia! Non, absolument pas, c'est bien certain. Ce que je mettais, c'était: année sabbatique, voyage au Maroc. J'en ai bien eu, des voyages de même. Il est évident que la façon dont la société fonctionne au niveau de ces formulaires d'emploi, par exemple -ce serait la même chose pour un exprisonnier ou une ex-prisonnière - il y a des préjugés qui sont très forts, qui sont institutionnalisés, qui sont vécus dans le quotidien. On en souffre de cela, c'est bien certain. C'est ce qui fait que tu dois le cacher. Pour travailler comme journaliste ou encore comme éducateur, à un moment donné, au centre d'accueil l'Horizon imagine-toi, je travaillais avec ce qu'on appelle ou ce que la société appelle des jeunes délinquants - il n'était surtout pas question d'arriver là en leur disant: J'ai fait une dépression. ~ Je ne leur disais pas que j'avais été à l'hôpital du tout, que je prenais autant de médicaments, parce que je savais que, si je leur disais, ils ne m'engageraient pas par rapport qu'ils étaient pour dire: Lui, il est fou, on ne l'engage pas. — Quand tu parles d'hospitalisation en psychiatrie, il y a encore beaucoup de préjugés face à cela. J'ai un exemple: Une fois, j'avais été engagée dans un hôpital pour personnes âgées et quand j'ai dit au médecin... 11 y avait un médecin qui faisait une évaluation, un examen sommaire. Il m'avait demandé si j'avais déjà été hospitalisée, une grosse hospitalisation, et j'avais dit oui. J'avais dit que j'avais été en dépression et que j'avais perdu mon emploi. — Avant d'entrer à l'hôpital, j'ai été dans la sécurité un an et demi. J'ai travaillé au Château Frontenac dans la vaisselle, dans la cuisine, un peu partout. J'ai été cinq ans laitier. J'ai travaillé au Saint-Hubert Bar-B-Q, j'ai ramassé les vidanges pour la ville de Montréal. J'ai travaillé un peu partout.

Comment cela s'est passé? Le dernier coup, v'là deux ans, j'étais allé au centre de la main-d'oeuvre pour trouver de l'ouvrage. La fille m'a dit - je ne sais pas si c'est le fait que j'aie été hospitalisé icite-monsieur, ne revenez plus icite, c'est pas votre place. Je ne trouve pas cela correct. Ce n'est pas à cause que quelqu'un a été hospitalisé à l'hôpital Robert-Giffard qu'on est obligé de l'ignorer complètement. Il y en a ben, que j'aie été hospitalisé à l'hôpital Saint-Sacrement ou n'importe où, ils m'auraient repris, ils ne m'auraient pas dit non. Vu que j'étais allé à l'hôpital Robert-Giffard, ils me disent non. Je ne trouve pas cela correct pan toute.

À l'ouvrage, il a été une secousse, moi pis le "boss", c'était le feu pis l'eau. On a eu... Elle avait affaire à me parler. Pourquoi qu'elle ne m'a pas fait demander à son bureau pour me parler? Non, elle m'a parlé devant les autres travaillants. Elle m'a traitée d'ex-bénéficiaire, elle m'a traitée de schizophrène, elle m'a traitée de paranoïaque. Je vous dis que c'est dur à prendre. Cela faisait deux semaines que j'étais hospitalisée. J'ai demandé au docteur un travail. Il dit: Va è Dominion Corset - je lui en avais parlé que je travaillais là - te chercher de l'ouvrage. J'y ai été et j'ai dit cela à M. Moreau que j'étais à Saint-Michel-Archange, à Robert-Giffard. Il m'a dit: On ne prend pas de fous de Robert-Giffard; il m'a dit cela de même. J'ai dit: Vous n'êtes pas gêné, je ne suis pas une folle. J'ai fait une dépression, je suis maligne aussi, mais je ne suis pas une folle.

(Fin de la présentation audiovisuelle) (18 heures)

M. Sauvageau: Voilà. Nous nous excusons de la manière un peu abrupte de la fin, mais, compte tenu de la durée des deux vidéos qui font une heure ensemble, nous avons considéré que c'était peut-être une façon un peu plus dynamique de vous présenter seulement quelques extraits de ces deux vidéos. Peut-être que nous pouvons entrer plus dans la discussion par rapport à notre mémoire ou par rapport aux vidéos.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'ai perdu vos dernières phrases, sauf que vous avez dit que vous arrêtiez d'une façon abrupte. Est-ce que vous avez un autre bout de présentation après?

M. Sauvageau: Non, cela va, c'est terminé, Mme la Présidente. C'est à vous.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'abord, je veux vous remercier d'être venus devant la commission. Je trouve extrêmement intéressant qu'une commission, qui a

comme mandat d'examiner les besoins de soutien dans la communauté pour la réinsertion sociale, puisse rencontrer des groupes qui fonctionnent à l'extérieur des groupes conventionnels - je ne le dis pas dans un sens péjoratif - et qui ont une approche des choses différente qui, parfois, vient peut-être en conflit avec les théories plus officielles, mais qui, d'un autre côté, permet aux uns et aux autres de se remettre en question aussi. Qu'on soit d'un côté ou de l'autre, je pense que c'est nécessaire qu'il y ait cette complémentarité entre, d'une part, les professionnels et, d'autre part, ceux qui vivent peut-être de plus près les problèmes.

Comme groupe, vous ne m'êtes pas inconnu. Excusez-moi» on me fait dire qu'il faut que je demande le consentement pour poursuivre au-delà de 18 heures. Cela va? Bon.

J'aimerais connaître exactement la relation entre le groupe Auto-Psy et le Comité des résidents du centre hospitalier Robert-Giffard. J'aimerais que vous me situiez cela. Avant de répondre à cela, vous êtes le groupe qui a donné une conférence de presse hier et c'est probablement cela -non, ce n'est pas cela - que vous venez de nous remettre dans la chemise rouge.

M. Sauvageau: Entre autres.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, entre autres. D'accord.

M. Côté (Benoît): Le comité des résidents est une entité distincte du groupe Auto-Psy. Il est évident qu'avec un comité de bénéficiaires, tel que prévu par la loi 27, qui a pour mandat principal de défendre les droits des bénéficiaires soit d'une manière individuelle ou d'une manière collective, on a des intérêts communs. Il arrive ainsi qu'on travaille ensemble pour présenter un mémoire ou qu'on intervienne dans des situations très précises. Ce qui est arrivé hier, c'est que le comité des résidents, comme tel, de son propre chef, a convoqué une conférence de presse. Vous avez peut-être entendu dire qu'il a parlé des conditions de vie des résidents de Robert-Giffard.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le groupe Auto-Psy est né de quelle initiative?

M. Côté (Benoît): C'est un regroupement de personnes qui ont été psychiatrisées, c'est-à-dire qui ont reçu des soins dans le système. Il y a aussi des sympatisants, des personnes qui n'ont peut-être pas nécessairement reçu des soins directs en psychiatrie, mais qui, pour une série de raisons, à la fois personnelles ou sur le plan de leurs affinités, ont décidé de travailler avec les personnes qui sont directement concernées par le sujet.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans le fond, cela pourrait être associé à un organisme volontaire ou à un groupe d'entraide, un groupe alternatif.

M. Côté (Benoît): Exactement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que c'est dans ce sens qu'il faut l'identifier.

M. Côté (Benoît): Exactement. On a beaucoup de liens avec le regroupement des alternatives. Il y en a un à Québec et un à Montréal. Pour nous, même s'il y a une spécificité pour les droits, il n'y a pas de différence entre les buts et les objectifs de notre démarche et ceux d'une ressource dite alternative.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. J'ai lu votre mémoire dans lequel, surtout dans votre présentation et aussi dans le vidéo, vous avez insisté sur... En passant, je dois vous dire que je trouve vos vidéos intéressants. Je pense que ce sont des témoignages qui pourraient peut-être être visionnés plus souvent. Peut-être que vous le faites, mais nous ne le savons pas. Est-ce que vous auriez des recommandations précises à nous faire sur les orientations touchant une politique de la santé mentale?

M. Côté (Benoît): Sûrement. Il y a des gens qui sont plus familiers avec tel ou tel aspect. Quand on parle d'une politique de désinstitutionnalisation, on l'a découpée dans notre mémoire. Naturellement, il y a le volet travail. On trouve très important qu'une politique de désinstitutionnalisation véritable soit assortie de propositions concrètes qui permettent à une personne qui est allée en psychiatrie de retourner sur le marché du travail. Le travail n'est pas une panacée. Il est évident qu'il y a des personnes psychiatrisées qui soit, ne veulent pas avoir de travail, soit, pour plusieurs raisons, ne sont pas capables de travailler. On respecte cela. Mais on pense que, si on veut retourner les personnes psychiatrisées à la communauté, il faut qu'il y ait des ressources en place pour les accueillir.

Dans le vidéo, vous avez entendu parler des personnes qui se plaignent de discrimination subtile et pas subtile du tout, selon le cas, à cause de leur histoire d'hospitalisation. C'est une triste réalité, mais c'est une réalité avec laquelle nous, comme groupe, sommes appelés à travailler. Je vous assure que ce n'est pas facile quand on parle de discrimination au travail dans le concret. La connaissance d'un passé d'hospitalisation par un employeur équivaut à voir sa formule mise dans la filière Y. Quelqu'un qui, par exemple, en toute honnêteté, voudrait dire: J'ai passé un an, deux ans ou six mois en

psychiatrie, c'est presque se condamner à ne pas avoir le travail.

Cela place aussi les personnes dans des situations critiques. Une étude, qui avait été commandée par la Commission des droits de la personne, une étude de Hébert et Garon, a déterminé que, oui, il y a des préjugés à l'embauche, mais qu'en plus, quand vous avez un suivi à l'externe, le fait que vous devez vous absenter pour un suivi à l'externe, cela a pour effet que les compagnons de travail se rendent compte que vous allez chez le médecin, etc., et tout cela pointe du doigt le stigmate de l'hospitalisation. Ce n'est pas simple pour une personne qui prend des médicaments et qui a à aller voir son médecin de façon plus ou moins régulière de ne pas le dire à son employeur et d'essayer d'avoir des rendez-vous en dehors du 9 à 5. C'est un problème qui est vécu concrètement par les personnes. J'entrerai peut-être tantôt dans le détail.

Quand on parle de formules de travail, il en existe et on en est heureux. Il y a les CTA, par exemple. On a parlé des SAHT tout à l'heure. Les CTA, ce sont des centres de travail adapté. Sauf qu'il y a beaucoup de problèmes dans les CTA. Cela fait, quand même, quelques années que les CTA existent. Ils ont maintenant un objectif d'autofinancement. Les CTA doivent, maintenant, s'autofinancer au bout de trois ans. Un CTA, c'est une corporation sans but lucratif. L'office paie soit pour les machines ou pour l'équipement de base; il paie des salaires pour le directeur, etc. Quand je parle de l'office, c'est l'Office des personnes handicapées du Québec. Face à la mission sociale qu'ils ont, c'est-à-dire pour un temps, de prendre des personnes psychiatrisées qui ne sont pas capables de réintégrer le marché régulier du travail - c'est comme un plateau de travail pour elles pour se refaire un peu -on se rend compte que, dans les CTA, il y a vraiment des tensions. Est-ce qu'on privilégie la mission économique plutôt que la mission sociale? On n'est pas capable, si l'on veut que les CTA produisent et s'autofinancent, d'avoir des candidats qui sont plus lents que les autres. On privilégie les travailleurs qui sont plus rapides, qui n'ont presque pas de difficulté avec leurs médicaments, etc.

Nous demandons qu'il y ait, à tout le moins, une évaluation du volet réinsertion sociale et professionnelle qui est offert dans les CTA. On dit qu'on offre dans les CTA tout un volet sur la réadaptation, sur la formation professionnelle, mais ce n'est pas évident. Il n'y a aucun mécanisme qui permet d'évaluer quelqu'un. A-t-il avancé dans le CTA? Pourrait-il réintégrer le marché régulier du travail? Avec cette contradiction qu'on veuille autofinancer les CTA et, en même temps, faire de la réinsertion sociale, ce qui arrive, c'est qu'il y a des gens qui ont développé des habiletés de base, mais qu'on ne veut plus laisser partir parce qu'ils fonctionnent très bien. Si on les remplace par des gens à qui on a à donner tout un plan d'action pour les remettre sur pied, c'est moins rentable. Donc, on privilégie les travailleurs les moins lourdement handicapés, naturellement, au mépris des autres qui pourraient bénéficier du CTA. Je ne veux pas prendre toute la période des questions pour cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Excusez-moi de vous interrompre.

M. Côté (Benoît): Ce n'est rien.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je le dis de mémoire: Peut-être il y a un an ou six mois, sûrement plus que six mois, il y avait eu une série d'articles dans le Soleil, qui touchaient les CTA. Évidemment, par la suite, il y a eu des mises au point qui ont été faites, il y a eu une contrepartie. Est-ce que les problèmes qui avaient été évoqués à ce moment-là rejoignent une partie des problèmes dont vous venez de parler?

M. Côté (Benoît): Actuellement, il y a un comité que l'Office des personnes handicapées du Québec veut faire travailler, qui devra, avec des groupes qui travaillent directement auprès des personnes handicapées, faire des recommandations, se pencher sur le dossier des CTA. C'est aussi une des suites d"'À part... égale". Effectivement, du côté de l'office, on veut réévaluer certaines choses. Nous demandons, effectivement, dans le mémoire qu'on réévalue la politique qui enjoint les CTA de s'autofinancer. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il y a des directeurs de CTA qui disent: On ne fait pas du tout de formation. Ils le disaient eux-mêmes dans l'article. Puisque nous sommes obligés de nous autofinancer, on privilégie les travailleurs qui sont le moins lourdement handicapés et on veut les garder. Ce qui arrive, c'est que, comme je le disais tantôt, il y a des personnes qui seraient prêtes à réintégrer le marché régulier du travail, mais qu'on garde là parce qu'elles sont efficaces, parce qu'elles connaissent la chaîne de montage, etc.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je ne sais pas combien de membres regroupe Auto-Psy. Ne me répondez pas que vous ne tenez pas de statistiques, même si elles sont grossières, cela ne me dérange pas. Évidemment, c'est dans la région de Québec. Je ne sais pas quelle est la population que vous rejoignez. Je n'en ai aucune idée. Du point de vue de la réintégration au travail, parce qu'on en a discuté un peu ici, quand je demande dans quelle mesure on peut parler de réinsertion sociale, quelle est l'extension

que vous donnez à la réinsertion? Est-ce simplement de changer de gîte? Est-ce d'aller plus loin dans le cheminement pour se rendre jusqu'à la réintégration sur le marché du travail? Je vais parler d'un travail régulier. S'il passe par un CTA, d'accord, mais je parle là d'une réintégration sur le marché du travail régulier. Dans quelle mesure cela vous apparaît-il possible, avec l'expérience que vous avez, dans le cas des ex-psychiatrisés?

M. Côté (Benoît): Cela varie toujours selon la conjoncture. Il est évident qu'il y a des personnes qui, parce qu'elles sont plus habiles à développer des attitudes, vont s'adapter facilement à un nouveau milieu de travail. Sauf que le problème est qu'après un passé d'hospitalisation qui est de plus d'un an, c'est difficile pour les personnes parce qu'elles ont acquis des comportements dits institutionnels ou, en tout cas, elles ont de la difficulté à prendre des décisions pour elles-mêmes, etc. Mais, il y en a qui vont pouvoir, facilement, se réintégrer. D'autres, non. Il y a des personnes qui sont actuellement en SAHT, les services d'apprentissage aux habitudes de travail, ce qui est différent d'un CTA, qui pourraient carrément, s'il y avait des mécanismes d'évaluation, passer des SAHT au marché régulier du travail.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Au marché régulier.

M. Côté (Benoît): Habituellement, la filière est de passer du SAHT aux CTA. Mais, maintenant, les CTA sont complètement engorgés avec, justement, des travailleurs qui sont très efficaces et aussi du fait que les directeurs de CTA veulent s'autofinancer. Alors, les gens stagnent en SAHT, attendent une place en CTA. Comme c'est bloqué aux CTA, ils restent longtemps dans le SAHT a une philosophie d'intervention qui est plus près de l'approche institutionnelle, cela se rapproche des ateliers de réadaptation d'il y a vingt ans. Ces gens pourraient facilement, s'il y avait un plan personnel d'intervention prévu pour eux, retourner au marché régulier, mais cela demanderait des budgets et cela demanderait qu'on se penche aussi sur le système. Je pense qu'il y a une amorce de discussion avec l'Office des personnes handicapées concernant le dossier des CTA et on espère que des recommandations précises seront apportées pour permettre ce déblocage et, peut-être, penser à d'autres formules aussi. Parce que les CTA ont leur efficacité, mais il y aurait peut-être lieu de se pencher sur d'autres formules. (18 h 15)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que vous travaillez à la promotion des droits sociaux des personnes psychiatrisées, mais parlons des autres ressources qui vous paraissent prioritaires pour cette démarche de réinsertion sociale. Oublions pour un moment l'aspect travail, on en a discuté auparavant. Les gens nous ont dit que ce n'était pas toujours facile d'établir des ponts avec les centres de main-d'oeuvre, mais, enfin, je pense qu'on connaît un peu cette partie. Quelles sont les autres mesures? Quand quelqu'un sort de Robert-Giffard, qu'est-ce qui lui arrive? Nous avons entendu parler des chambreurs de la basse ville, mais je suis sûre que ce n'est pas ce qui arrive à tout le monde. Même dans ces cas-là, que faudrait-il? Quels sont les outils de soutien qui vous paraissent prioritaires?

Mme Charland (Sonia): D'accord. Je vais commencer en disant qu'avant qu'une personne sorte elle est en dedans et il faudrait peut-être aussi commencer par l'intérieur. Il faut préparer la personne à sortir. C'est de lui donner des habitudes de vie quotidienne, si elle ne les a pas. Si cela fait longtemps qu'elle est à l'intérieur, elle ne les a plus. Il faut lui donner de l'aide pour qu'elle reprenne confiance en elle. Je pense que c'est tout un processus qu'il faut commencer à l'intérieur d'un hôpital, d'une institution.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela ne se fait pas à l'intérieur d'une institution pour ceux qu'on projette de désinstitution-naliser?

Mme Charland: Non. Cela se fait minoritairement. Je dis que donner des cours de cuisine à dix personnes par semaine, ce n'est pas comme cela qu'on va y arriver. Ce n'est pas juste cela, aider quelqu'un à sortir. Il faut aussi changer une attitude du personnel qui est ancrée depuis tellement longtemps. Les gens sortent et rentrent, ils sortent et rentrent. Le personnel ne croit plus que ces gens sont capables de vivre à l'extérieur. Il faut que ce personnel change d'attitude et ait confiance. Quand il aura changé d'attitude et qu'il aura confiance, les personnes psychiatrisées pourront s'aider et commencer une vraie amorce. Il faut que cela se fasse aussi avec le personnel qui est en dedans. Quand la personne est sortie, c'est sûr qu'il y a des hébergements - on en parlait dans notre mémoire - des chambres ghettos. On critique aussi les ressources intermédiaires où on dit: Qu'est-ce que cela donne de sortir 10, 15 ou 20 personnes et de les mettre dans une maison où on reproduit le même schème institutionnel, où tout le monde les pointe du doigt et dit: Ce sont des fous? À notre avis, ce n'est pas l'idéal; c'est même à dénoncer.

Ce qu'on aimerait par rapport aux lieux, c'est plutôt des chambres, oui, si c'est un besoin. Cela peut être un besoin de la

personne, c'est le choix aussi de chaque personne. Celle-ci peut vouloir aller en chambre ou en chambre et pension. Il faudrait qu'il y ait un processus, quelque chose d'établi, où il y a des chambres et des chambres et pension qui sont premièrement listées, où on sait qu'il y a une qualité de vie, où les gens ne seront pas exploités, où les gens n'auront pas de problèmes, parce que les gens qui tiennent cette maison sont corrects. Il faudrait qu'il y ait un processus, pas d'enquête, mais de révision chaque année, car il y aurait lieu de faire une enquête tous les ans pour aller vérifier ce qui se passe là-dedans.

Par rapport aux familles d'accueil, on dit que c'est beau. Il y en a beaucoup, sauf qu'on les critique en disant: Une famille d'accueil, cela ne donne pas nécessairement un soutien. C'est là, mais tu n'as pas nécessairement le soutien psychologique dont tu aurais besoin. Donc, une famille spécialisée, comme on l'appelle, pourrait être beaucoup plus efficace. Je suis du comité des résidents et j'entends des gens me dire: Oui, je suis allé en famille d'accueil, je reviens. Je vais te dire quelque chose: Ce n'était pas drôle là; je pense que j'aime mieux rester ici; au moins, je peux manger avec tout le monde. Ou bien tu te fais exploiter financièrement. Ou bien une personne fait faire son ménage par quelqu'un et lui dit: Je m'en vais à une entrevue aujourd'hui pour un emploi et là, on répond: Si tu vas à une entrevue, je vais dire à la travailleuse sociale que tu n'es pas correcte et elle va te réprimander. C'est de l'enfantillage, mais c'est comme cela que cela se passe souvent.

On voudrait aussi, pour les gens qui n'ont pas nécessairement besoin ou qui n'ont pas envie, non plus, d'être dans ces milieux-là, familles d'accueil ou chambres, chambres et pension, des genres de coopératives d'habitation, pas des coopératives d'habitation où on dit: Bah! Là, on fait 50 appartements et on va y mettre des personnes psychiatrisées. Il y en a des coopératives d'habitation un peu partout. Les gens pourraient avoir une aide pour s'intégrer à différentes coopératives d'habitation et il y aurait une aide financière. Ils pourraient vivre dans un milieu de vie qui est ordinaire, qui n'est pas un mini-ghetto.

Ce qui est important aussi à la sortie, c'est qu'il y a des gens qui pourraient sortir demain de l'hôpital, mais qui auraient besoin d'un soutien, d'un accompagnement, qui auraient besoin d'être aidés là-dedans.

Je m'excuse, j'ai oublié aussi de dire que, dans ce qu'on préconise, le milieu naturel peut être chez toi, dans ta famille. Je ne sais pas où tu demeures, tu peux retourner vivre seul, mais le milieu naturel peut aussi être ta famille, tes enfants, ton mari. Peut-être qu'il y a des gens autour et que tu auras besoin d'être soutenu et accompagné dans cette démarche. Cela ne devrait pas être toi qui ailles dans une institution chaque semaine chercher tes pilules chez le psychiatre ou parler avec quelqu'un; ce qu'on préconise, c'est que les personnes aidantes se déplacent, aillent dans le milieu, qu'elles aident non seulement la personne, mais aussi son entourage, s'il y a lieu.

Ce qu'on préconise, c'est que ce soutien et cet accompagnement soient spécifiques et individuels. Tu ne peux pas donner de l'aide à quelqu'un et dire: Je prépare un service d'aide, je vais soutenir les personnes psychiatrisées et je vais faire tout cela avec le même barème. On n'a pas tous les mêmes besoins, on n'a pas tous aussi les mêmes difficultés. Cela devrait être selon les besoins de la personne. Pour une personne, ce peut être de lui montrer à faire la cuisine; pour une autre, cela peut être tout simplement de jaser, parce qu'elle a envie de jaser de ce qu'elle vit, parce qu'elle trouve cela difficile d'être à l'extérieur. Il faut que ce soit spécifique, qu'il y ait une diversité de soutiens, d'accompagnements et de services. Ce que nous voudrions, c'est que ce ne soit pas le milieu standard ou intermédiaire qui le donne, mais du parrainage civique, des groupes d'entraide, des choses comme cela, qui ne reproduiront pas le même portrait, la même attitude que l'institution fait de materniser et de paterniser la personne. C'est un peu dans ce sens qu'on aimerait que cela se passe.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous demanderais de spécifier un peu ceci. Prenons le cas de Robert-Gtffard, par exemple. Lorsque quelqu'un a son congé ou qu'on se propose de le retourner dans la communauté, est-ce qu'il n'y a pas, à l'intérieur de Robert-Giffard - vous avez dit que, du point de vue de la préparation, cela laisse à désirer - quelqu'un du service social ou d'ailleurs qui s'assure que la personne a un endroit pour vivre? Surtout si elle est passablement fragile, on ne la lance pas dans la rue, on l'aide à trouver un foyer, un foyer de groupe, un hébergement quelconque. 5i je comprends bien, vous voudriez que, lorsque la personne reçoit son congé, elle soit dirigée vers un organisme alternatif qui est dans la communauté et qui n'a pas de lien avec l'institution. Je voudrais bien comprendre exactement à quel moment vous voulez que la brisure, si on peut en parler ainsi, se fasse avec l'institution dans ce processus d'intégration à la communauté.

Mme Charland: II y a plusieurs questions là-dedans. Par rapport à l'aide que la personne pourrait trouver lorsqu'elle sort, il y a des travailleurs sociaux à Robert-

Giffard, mais il y aussi une liste d'attente pour avoir des travailleurs sociaux et cela peut prendre un an avant d'en avoir un. Si cela fait dix ans que tu es là, attendre un an, ce n'est plus drôle, et même lorsque cela fait un mois et que tu veux sortir. Par contre, dans la loi, on dit: Oui, d'accord, tu as droit à un travailleur social. Dans le concret, à Robert-Giffard, il y a une liste d'attente et tu n'as pas nécessairement ton travailleur social. À un moment donné, tu sors, tu dis: Je vais me débrouiller. Tu te ramasses peut-être à Saint-Roch, tu te trouves une chambre, et que se passe-t-il? C'est plate, cela ne va pas, tu te fais exploiter. Tes conditions de vie sont minables. Tu te retrouves encore en dedans. C'est par rapport à la première question et j'ai oublié les autres.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Voici la deuxième: à un moment donné, vous avez laissé entendre que la personne devrait être appuyée davantage par des organismes volontaires ou enfin des organismes non gouvernementaux, comme on le dit, dans la communauté plutôt que de garder des liens avec l'institution.

Mme Charland: Naturellement, c'est un choix - je pense que c'est important de le souligner - de la personne. Je ne sais pas, dans une institution ou dans un hôpital, on peut dire: Oui, il y a cela, il y a cela; si tu veux, tu as une liste de chambres, on peut suggérer des coopératives; on a cela à t'offrir; on a eux qui peuvent aller t'aider; il y a cela, il y a cela, il y a cela. Mais c'est le choix de chaque individu de dire: oui, je sors tout seul, je n'ai besoin de personne ou d'accord, je vais peut-être aller visiter les chambres que tu me suggères, je vais peut-être appeler le parrainage civique, je vais peut-être appeler ce réseau d'aide.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. C'est parce que, tout à l'heure, vous avez dit: On nous laisse, on ne sait pas où on va être et si on va trouver; mais, d'un autre côté, par contre, vous voulez avoir le choix, que ce soit comme cela ou pas?

Mme Charland: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela.

Mme Charland: Je pense que, si les gens avaient ces suggestions, peut-être qu'ils ne se ramasseraient pas dehors comme cela. Écoutez, il faut faire confiance aux gens aussi. Des conditions de vie respectables, je pense...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela.

Mme Charland:... qu'ils y tiennent, eux aussi.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous vouliez ajouter quelque chose, je pense.

M. Côté (Benoit): Oui. Il y a une chose qu'il faut dire. Actuellement, il y a un certain nombre de bénéficiaires à Robert-Giffard, selon une grille d'évaluation qui a été passée récemment - on parle de centaines de personnes - qui seraient aptes à sortir avec un soutien léger ou assez lourd, mais il n'y a pas dehors, présentement... On parle de ressources alternatives, mais il faut faire attention, les ressources alternatives sont capables d'absorber un certain nombre de demandes. Mais, actuellement, dans la région de Québec, si vous preniez ces personnes et si vous les sortiez du jour au lendemain pour aller vivre dans le milieu naturel, ce serait catastrophique. On demande qu'il y ait une reconnaissance des ressources alternatives, pas juste simplement de fait comme une école qui est différente de l'école traditionnelle et institutionnelle, etc., mais qu'on leur accorde des budgets qui vont faire en sorte que ces ressources puissent se développer. Des maisons alternatives pour accueillir, pour héberger des gens, soit pour une courte période, pour une personne qui fait une crise ou à plus long terme, soit six ou huit mois ou un an, il n'y en a presque pas. Il n'y en a presque pas dans la région de Québec. Il faut être conscient de ce qu'on dit: Oui, oui...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans la région de Montréal non plus.

M. Côté (Benoît): Dans la région de Montréal non plus?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Non.

M. Côté (Benoît): Donc, il faut être conscient que oui, c'est efficace, oui, de les retourner à la communauté, dans le milieu de vie naturel; cela fait en sorte que la personne se retrouve appuyée, elle se reconstruit un réseau social, etc. Sauf que là, il faut être conscient que, si on n'accorde pas des ressources nouvelles à ces groupes, c'est du folklore de penser que, demain matin, une politique de désinstitutionnalisation pourra se faire avec toute la qualité qu'un tel exercice commande, parce que le réseau naturel, dit alternatif, n'est pas capable d'absorber ces personnes actuellement. Mais nous, on veut faire des représentations pour que les ressources alternatives, qui font soit de l'hébergement, de la défense des droits et de l'aide naturelle, etc., puissent avoir des budgets de fonctionnement.

Mme Lachapelle: Mme la Présidente...

M. Laplante: Allez-y, je vais parler après.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, d'accord.

M. Laplante: C'est une suite.

Mme Lachapelle: Tout è l'heure, vous parliez de la préparation à la sortie d'un patient. J'y crois beaucoup; je pense que c'est un peu comme on prépare les gens âgés à la préretraite, on les prépare è sortir tranquillement du milieu du travail. Alors, ces gens ont besoin de préparation, je suis d'accord avec vous.

Maintenant, il y a une phrase surtout qui m'a frappée dans ce que vous avez dit, c'est que "le personnel, il faudrait qu'il change". J'aimerais vous entendre un peu là-dessus. Est-ce qu'il est prêt à changer? Pourquoi faut-il qu'il change?

Mme Vallières: Quand on parle d'un changement d'attitude, c'est dans le sens suivant: quand les gens sont à l'intérieur, d'accord, si on regarde le centre hospitalier, c'est un service de soins, mais je trouve que, là-bas, comme attitude globale, on donne des soins, mais plutôt à des malades. La notion de santé, je trouve qu'elle est mise de côté, dans le sens qu'en ce qui concerne l'attitude, pas juste celle du personnel, mais celle de tous les gens qui se véhiculent à l'intérieur de l'institution, ils devraient regarder les gens surtout du côté de leurs lignes de force et non des déficiences qu'ils peuvent avoir. C'est sûr que la personne qui est là a besoin de quelque chose, mais si on ne fait que regarder ce qu'elle fait... Elle est peut-être entrée là parce qu'elle a trop fourni à la société ou elle a peut-être été rejetée, elle n'était pas dans un environnement qui facilitait son épanouissement. C'est sûr qu'elle a des problèmes, mais elle a des lignes de force à l'intérieur d'elle-même. Si l'attitude ne change pas de façon à toujours grossir ses lignes de force, on n'arrivera jamais nulle part. (18 h 30)

Mme Lachapelle: Finalement, le personnel oublie un peu le dossier...

Mme Vallières: Oui, c'est cela.

Mme Lachapelle:... pour voir à la personne.

Mme Vallières: C'est peut-être le diagnostic, c'est cela.

M. Laplante: Ce que je trouve, c'est que vous être très sévère pour les familles d'accueil, les 103 familles d'accueil. Par contre, vous vous rachetez un petit peu plus loin. Vous dites: On est contre les familles d'accueil, mais on serait pour cela, si elles étaient mieux préparées à recevoir ces psychiatrisés. Maintenant, il y a des chiffres que vous donnez aussi là-dessus. Vous dites qu'il y a environ 57 %, 55 %, 53 % des gens qui sont en famille d'accueil qui retournent à Robert-Giffard. Cela ne répond-il pas à une moyenne générale, en chiffres, actuellement, qui est logique, en somme?

Mme Charland: Je vais m'expliquer. Cela a été sorti d'un autre mémoire dont vous avez le résumé en communiqué de presse et cette moyenne de 53, 4 % ressort de 60 personnes qui ont été interviewées. C'est ce pourcentage qui en ressort. Quant à comparer à ce qui se passe ailleurs, je ne peux pas le dire. Ce que je peux dire peut-être, c'est que, quand vous dites qu'on se rachète, on se rachète aussi à certaines conditions. On dit: Bon, il faut que le CSS joue son rôle de chien de garde et fasse attention aux familles d'accueil. Il y a des choses dont j'entends parler des fois: J'ai été exploité, j'ai été ceci, j'ai été cela. Je pense que, si le CSS et certains travailleurs sociaux avaient fait leur "job", on n'en entendrait pas parler, parce que cela n'arriverait pas, des choses comme cela.

M. Laplante: C'est parce que j'ai des cas de familles d'accueil très ouvertes et qui ont fait énormément, qui ont fait leur possible, mais il reste qu'il y a des "ratoureux" aussi, même dans ces cas de psychiatrie, qui sont très intelligents et on serait prêt à jurer que ce ne sont pas des cas psychiatriques. À un moment donné, ils se sont ramassés à la cour et on s'est aperçu que ce n'était pas vrai du tout. Ils ont perdu, par exemple tout ce temps, car même le ministère croyait à ce moment avoir affaire à une mauvaise famille d'accueil.

Mme Charland: II ne faudrait pas, non plus, mal interpréter mes paroles. Je n'ai pas dit que chaque fois que quelqu'un qui était en famille d'accueil retournait à l'hôpital, c'était à cause de la famille d'accueil. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas cela.

M. Laplante: II ne le faudrait pas et je ne le voudrais pas. Sur l'histoire des policiers que vous racontez, vous avez, je crois, 100 % raison, parce qu'on connaît des cas, nous aussi, dans notre entourage, où ils arrêtent des gens ni plus, ni moins, mais, lorsque le cas est connu, par exemple, des policiers, ils le prennent sous leur protection et, dès le lendemain, après qu'il a bien dormi, ils le relâchent. Mais ils ne sont pas tous sensibilisés de cette façon et je croîs qu'il y a un travail à faire là-dedans afin de

sensibiliser les corps policiers et les municipalités, tel que le Dr Laurin le disait.

M. Sauvageau: Je peux enchaîner là-dessus. Le principal problème concernant l'interaction entre la justice et les personnes psychiatrisées, c'est justement qu'il y a trop de personnes psychiatrisées qui se ramassent dans le processus carcéral, ce qui fait que les deux ont le double stigma. C'est un problème, de toute façon, qui est commun à Québec et à Montréal et peut-être encore plus particulièrement à Montréal à cause d'une dégradation plus grave encore du climat social. Par exemple, le nombre de personnes qui se sont ramassées à l'Institut Louis-Philippe-Pinel a fortement augmenté.

Ce qu'on dit, c'est qu'il n'y a pas de raison, parce que quelqu'un brise une vitre, qu'il se ramasse là. On porte une accusation contre cette personne. La personne est trouvée inapte à subir son procès ou est envoyée pour 30 à 60 jours à Parthenais ou à Pinel, qui sont deux institutions à sécurité maximale. Enfin, Pinel est un hôpital, mais, quand même, la personne n'est pas obligée... Comment cela se fait-il qu'elle se ramasse dans une place à sécurité maximale comme Pinel pour subir un examen psychiatrique pour voir si elle est apte ou non à subir son procès? Dans le fond, ce qu'il faudrait faire, c'est déjudiciariser ce processus. Même dans la région de Québec, on a rencontré récemment M. Chandonnet, qui est le directeur général du service de réadaptation sociale, et le problème est exactement le même. Dans la région de Québec, il y a trop de gens qui se ramassent à la centrale du parc Victoria ou qui vont aboutir, à la prison d'Orsainville pour voir s'ils sont aptes ou non à subir leur procès. Ce qu'il faut comprendre, en plus, c'est que cela renforce, dans l'esprit de la population, l'idée que folie égale dangérosité. En plus, présentement, le climat social - il y a quand même eu différents incidents ces dernières années - et toute la question de l'aliénation mentale renforcent cela. Ce qu'il est important de souligner, c'est que les dernières recherches scientifiques démontrent clairement que les personnes psychiatrisées ne sont pas plus dangereuses que la moyenne des gens. Pourtant, les gens ont de plus en plus l'idée que folie égale dangerosité. Quand on parle de prévention et de démystification de la folie, c'est justement un point extrêmement important.

On se leurre si on pense désinstitution-naliser si on ne fait pas de débat public. Justement, la sous-commission contribue à instaurer un débat public, mais qui ne fait que commencer au Québec. Il faut se rendre compte qu'il y a 25 ans, quand on a laïcisé les hôpitaux psychiatriques, on pensait qu'on aurait une belle révolution, mais, aujourd'hui, on se rend compte, 25 ans plus tard, qu'on est à peu près au même point. Il faut quand même se poser des questions.

M. Laplante: C'est un point très important, je suis d'accord avec vous. Le dernier point, c'est que vous avez 34 recommandations; vous avez fait un diable de bon travail. On va avoir de quoi regarder cela de près. Là-dessus, il y en a une qui me laisse sceptique. Ce n'est pas une recommandation comme un sondage que vous avez fait. J'aimerais savoir comment a été fait ce sondage, les problématiques du sondage. Vous posez ta question à 1200 citoyens québécois: "Accepteriez-vous de recevoir chez vous, pour un après-midi ou un repas, une personne inadaptée, physique ou mentale?" Plus de 80 % d'un échantillonnage scientifique de 1200 Québécois ont répondu non. Ils refuseraient même un repas à une de ces personnes. Ce qui est encore plus surprenant, c'est que 89, 8 % le refuseraient à des criminels; en allant jusqu'aux personnes handicapées de surdité - les sourds - on constate que 85, 6 % refuseraient de leur donner un repas.

Je ne sais pas sur quoi vous avez travaillé, à l'intérieur du mémoire, pour un tel sondage. Là, je ne peux pas le prendre actuellement.

M. Côté (Benoît): Ce n'est pas nous qui avons fait le sondage.

M. Laplante: On ne reconnaît pas le peuple québécois là-dedans.

M. Côté (Benoît): Oui, c'est un visage du peuple québécois qu'on aimerait ne pas voir, mais c'est une réalité.

M. Laplante: Oui.

M. Côté (Benoît): Ce sondage a été effectué par un professeur d'université. C'est tiré d'un article du Journal de Québec. C'est un professeur de l'Université de Rimouski qui a effectué le sondage. Ce n'est pas nous qui avons fait ce sondage. L'étude de Melançon-Ouellet, il y a quelques années, avait démontré - cela avait été commandé par le MAS - des attitudes semblables, ségrégatives, des Québécois en général vis-à-vis de la personne qui est "malade mentale", entre guillemets. On ne le dira jamais assez: Le rejet de la personne psychiatrisée par la population, c'est souvent une des conséquences de son retour à l'hôpital.

M. Laplante: Et cela va jusqu'aux sourds. Cela, ce n'est pas des...

M. Côté (Benoît): Oui, alors, c'est vous montrer...

M. Laplante: C'est un handicap

physique.

M. Côté (Benoit): Oui, mais il existe une...

M. Laplante: II n'y a pas de danger.

M. Côté (Benoît): Oui, c'est pour vous montrer jusqu'à quel point les gens pensent...

M. Laplante: Souvenez-vous du temps où les quêteux passaient de maison en maison et on les gardait à dîner, on les gardait à souper.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'était dans le Bas-du-Fleuve!

M. Laplante: On a connu cela. Je vous remercie.

Mme Valiières: Est-ce que je pourrais...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, madame.

Mme Valiières: Quand on parle de désinstitutionnalisation - le ministère travaille là-dessus et les groupes communautaires travaillent à la venue des gens qui vont être désinstitutionnalisés - je trouve que le gros travail qu'il y a à faire, c'est au niveau de la démystification. Si la soi-disant maladie mentale n'est pas démystifiée, je ne pense pas que l'attitude, ni de la population, ni des gens qui travaillent avec eux, va changer. Ce qui me fait cheminer dans cela, ce sont des témoignages. À un moment donné, on a fait une réunion à Rogert-Giffard et tous les résidents étaient ensemble. On est allé au fond de: Pourquoi est-ce que je vais dehors et que j'ai toujours l'impression d'un doigt qui me pointe en disant: Lui, c'est un fou? La personne va peut-être être seulement en train de marcher dans un centre commercial. Quand on est allé au fond des choses, on s'est aperçu que c'était le tabou que la personne avait elle-même de la maladie mentale, avant d'entrer, qui faisait que, quand elle sortait, elle pouvait aller jusqu'à s'autostigmatiser.

Je ne veux pas dire que tout le personnel n'est pas correct parce que cela ne serait pas vrai. Il y en a qui travaillent avec les bénéficiaires qui sont là et qui sont souvent navrés de l'attitude des autres autour d'eux. Le personnel qui a une attitude négative avec les résidents, c'est celui qui a un tabou quelque part et c'est peut-être parce qu'il ne sait pas vraiment ce que la personne vit. En dessous du chapeau de la maladie mentale, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas reliées à la maladie mentale.

Tantôt, j'entendais M. Laurin dire que, souvent, des gens entraient là-bas à cause d'un problème qui était social. À Robert-Giffard, il y en a aussi qui vivent là par choix. Us vont prendre leur médicament, mais ce n'est pas parce qu'ils en ont besoin, c'est parce qu'ils n'ont pas d'autre lieu pour vivre. Ils choisissent Robert-Giffard pour s'installer. Je me dis que c'est un débat public et un débat de société qu'il faut. Ce serait comme se remettre en question. Pourquoi est-ce qu'on marginalise des gens qui, s'ils étaient plus écoutés ou s'ils étaient peut-être... J'irais jusqu'à dire que, quand on est jeune et qu'on va à l'école, même au primaire, on devrait déjà être sensibilisé à sa santé mentale. Il y a quelques écoles à Québec où les enseignants ont pris une initiative que je trouve très positive. Quand les enfants entrent à l'école le matin, ils s'assoient ensemble et se demandent: Hier, est-ce qu'il s'est passé quelque chose qui me reste sur le coeur? Si oui, ils le débattent tout de suite et c'est fini, la journée recommence. Je trouve que c'est une façon de les sensibiliser à leur santé émotive, psychique et globale à quelque part.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je veux vous remercier, encore une fois, pour votre mémoire. Je m'excuse de vous avoir posé des questions sur la formation; c'est que je n'avais pas vu exactement qui vous représentiez. À part la défense des droits dont on a parlé tout à l'heure, je vois que c'est un travail de sensibilisation que vous voulez faire. Je comprends que, dans ce sens-là, cela dérange des gens quelquefois. 11 faut continuer la même chose. Je dois vous dire que l'un des objectifs de la commission - je ne sais pas dans quelle mesure on va l'atteindre - c'est que ce soit aussi un exercice de sensibilisation; c'est d'amener la question un peu plus sur la place publique qu'elle ne l'était, quoique les gens ont de plus en plus de misère à garder le problème sous te couvercle. Je pense que, justement, les jeunes en particulier, comme certains l'ont signalé, ne réagissent pas de la même façon; ils n'ont pas été institutionnalisés d'une façon permanente comme leurs aînés. Cela aide aussi à faire évoluer les choses et, dans ce sens-là, le travail que vous faites est extrêmement important. Si nos travaux, votre contribution et celle des autres qui sont venus ici permettent... Vous savez, il ne faut pas s'attendre à la révolution demain matin parce que c'est une lente évolution. On pourrait être un peu plus Imaginatif. Vous parliez tout à l'heure du personnel ou d'une partie du personnel dans les institutions qui, finalement, n'y croit pas tellement ou a la tentation de croire que les gens reviendront, que la réinsertion n'est pas possible.

Vous aviez un peu ce même phénomène dans le domaine de l'éducation vis-à-vis des enfants des quartiers pauvres - je parle de Montréal, cela doit être la même chose à

Québec - où, finalement, on ne croyait pas que ces enfants-là avaient un potentiel. Ce n'est pas que les professeurs n'étaient pas dévoués et ainsi de suite, mais c'est que, finalement, il y a une espèce de fatalisme qui s'inscrit, qui se développe. Ce que vous dites touche certainement une bonne part du personnel.

Dans ce sens-là, je me demande aussi dans quelle mesure il serait réaliste, dans les institutions où les malades sont gardés à long terme, où le travail est exigeant quand même, parce qu'au plan émotif cela exige énormément, de penser à des formules de rotation un peu plus souples. Si on ne peut pas se payer des congés sabbatiques, qu'on puisse se permettre une rotation dans un hôpital général, d'un département de psychiatrie à un autre, dans un hôpital psychiatrique, dans un centre d'accueil. Je ne sais pas quel est le nombre moyen d'années de services du personnel de Robert-Giffard -on pourrait prendre Louis-Hippolyte-Lafontaine, à Montréal - mais je pense qu'à un moment donné il faut permettre aux gens de se ressourcer. Ce sont tous des facteurs qui, probablement à l'insu des gens eux-mêmes, en dépit de leurs meilleures intentions, je pense, finissent par jouer d'une façon peut-être un peu négative sur les services qu'on veut rendre aux bénéficiaires qu'on veut servir. Ce sont tous des points qui devraient retenir la réflexion.

Je m'écarte un peu de notre mandat, puisqu'il porte plutôt sur les services de réinsertion sociale. C'est difficile, aussi, de détacher tout cela. La réinsertion sociale, vous l'avez bien dit, commence en institution et c'est un travail qui se poursuit par la suite. Si on a une attitude défaitiste au point de départ, même si la personne sort physiquement, c'est une influence qui va jouer contre sa réinsertion une fois qu'elle est rendue dans la communauté.

Je ne sais pas si vous avez autre chose à ajouter, mais je veux vous remercier au nom des autres membres de la commission.

Je suspends les travaux jusqu'à 19 h 45.

(Suspension de la séance à 18 h 47)

(Reprise à 19 h 53)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À l'ordre, s'il vous plaît!. La sous-commission des affaires sociales reprend ses travaux. Le premier mémoire que nous entendrons ce soir est le mémoire présenté par le Conseil régional de la santé et des services sociaux de la Montérégie.

Je voudrais d'abord nous excuser de notre retard, mais on a fini de siéger un peu en retard. Finalement, cela s'explique. On a devant nous un projet volumineux. J'imagine que vous n'avez pas l'intention de le lire, mais d'en faire un résumé. Oui?

M. Guindon (Jean-Bernard): Exactement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. Guindon, je vous demanderais de présenter vos collègues.

Conseil régional de la santé et des services sociaux de la Montérégie

M. Guindon: Merci, Mme la Présidente. Je vous présente d'abord Mme Louise Landry-Balas, qui est l'auteure du rapport intitulé "Les Ressources alternatives en santé mentale dans la Montérégie" et qui était, a l'époque où elle a rédigé ce rapport pour le conseil régional, conseillère en santé mentale au conseil régional, prêtée par le centre hospitalier Charles-LeMoyne, auquel elle est maintenant retournée.

Nous l'avons quand même invitée à venir avec nous ce soir, d'ailleurs en lui laissant ce que son statut actuel lui confère par rapport au conseil régional, c'est-à-dire la liberté complète de parole sans se sentir nécessairement obligée de défendre - ou d'y être liée - la position du conseil régional, ne serait-ce que pour être bien sûr que la sous-commission dispose du maximum d'information de la part de la personne fort compétente qu'est Mme Louise Landry-Balas. Mme Mireille Tremblay est la nouvelle conseillère en santé mentale au conseil régional. Elle a pris la relève de Mme Louise Landry-Balas. C'est elle qui assure évidemment, de façon très concrète actuellement, la coordination de ce qu'on appelle les ressources alternatives en santé mentale.

Avant d'aborder le résumé du mémoire, j'aimerais, Mme la Présidente, vous signaler d'abord que nous vous avons fait parvenir le rapport qui s'intitule "Les Ressources alternatives en santé mentale dans la Montérégie" moins à titre de mémoire à la sous-commission qu'à titre de document d'information. Dans la région de la Montérégie, compte tenu des orientations du conseil régional - orientations pour la période 1981-1986 - qui sont axées sur le développement de ressources communautaires dans tous les secteurs d'activité, non pas seulement en santé mentale, mais pour les personnes âgées, pour les jeunes, pour les femmes en difficulté, pour les personnes déficientes mentales, nous avons toujours soutenu fortement toutes les initiatives de la région dans le domaine des ressources dites communautaires de toute nature.

Cependant, c'est le seul secteur, la santé mentale, où un travail systématique a été fait d'inventaires, de bilans et, je dirais, de tentatives de ramasser les idées autour des expériences vécues dans notre région.

C'est la raison pour laquelle nous nous en sommes tenus à ce secteur, et je vais continuer de le faire ce soir. Cependant, vous serez libres, bien sûr, de nous poser des questions sur tout autre secteur d'activité des ressources communautaires dans la région de la Montérégie.

Avant de commencer à lire le résumé de notre mémoire, je dépose deux nouvelles copies officielles du document qui s'intitule "Les Ressources alternatives en santé mentale dans la Montérégie". La première copie qu'on vous a fait parvenir, c'est la seule dont on disposait, mais elle ne comportait pas toutes les corrections. Vous allez avoir les deux copies définitives et aussi plusieurs copies du mémoire que je vais vous lire à l'instant même.

Nous désirons, aujourd'hui, vous faire part, Mme la Présidente, de la situation particulière de la Montérégie concernant les services de soutien et de réinsertion sociale en santé mentale. Au préalable, je vous soumettrai certains commentaires concernant la problématique de la réinsertion sociale en santé mentale.

Entre la santé mentale et la maladie mentale, il existe une multiplicité d'états, de malaises ou de souffrances profondes affectant la capacité et la volonté d'un individu à vivre en société. Dans l'état actuel des connaissances médicales, il n'est pas possible de diagnostiquer de façon précise et indiscutable les troubles psychiques, d'en connaître les causes exactes et d'en prédire l'évolution et la récurrence des symptômes. Le niveau de santé mentale d'un même individu varie au cours de son existence et peut nécessiter à certains moments un soutien particulier pour lui assurer un ajustement social satisfaisant et une qualité de vie décente.

Compte tenu de la multiciplicité des facteurs affectant la santé mentale et de la variabilité des besoins, il est difficile de justifier un système de soins en santé mentale normalisé, standardisé et structuré de façon rigide pour l'ensemble d'une population. Les recherches actuelles s'entendent pour conclure qu'il n'y a pas d'approche clinique privilégiée ni de programme miracle. Les services doivent être adaptés aux besoins de chaque individu, diversifiés, flexibles et doivent respecter le contexte culturel.

Parlons de réinsertion sociale. La réinsertion sociale s'inscrit plus particulièrement dans un effort concerté de maintenir l'ajustement harmonieux de l'individu è son environnement naturel et vise à favoriser son autonomie et sa liberté d'action. Les troubles en santé mentale qui affectent la capacité de s'ajuster è l'environnement social suscitent de la part du milieu naturel un phénomène de rejet et d'exclusion qui s'intensifie proportionnel- lement à la gravité des symptômes manifestés et au danger perçu par les personnes vivant dans l'environnement. Parallèlement au rejet, la prise en charge du problème va se déplacer progressivement de l'individu et de la famille vers un système de services communautaire et public de plus en plus structuré. Cette prise en charge par un service public a eu souvent - hélas! -pour effet d'isoler le patient de plus en plus du milieu naturel, de réduire ses échanges et ses communications avec ce qui devient pour lui l'extérieur et de diminuer son autonomie.

Il y a donc, parallèlement au processus inadéquat de socialisation lié aux troubles psychiques, un processus d'exclusion sociale de la communauté. Consciente de ce double processus, une politique de réinsertion sociale devra considérer quatre cibles d'intervention. Au niveau individuel, favoriser l'autonomie et l'ajustement social des individus souffrant de troubles en santé mentale. Au niveau de la famille, offrir des services de soutien lorsque le fardeau devient trop lourd et accroître la compréhension. Au niveau des services, développer des services adaptés aux besoins individuels soucieux de préserver l'autonomie et ouverts sur la communauté. Au niveau communautaire, accroître la tolérance, la capacité d'accueil et la participation de l'ensemble de la communauté.

Les ressources alternatives. La Montérégie a vu éclore au cours de la dernière décennie une nouvelle catégorie de ressources en santé mentale particulièrement soucieuses de favoriser l'autonomie et la réinsertion sociale de ses bénéficiaires. Ces ressources sont nées et sont issues directement de la communauté et de ses besoins spécifiques. Elles sont collées à la réalité communautaire locale et elles sont bien intégrées au tissu social et culturel.

Dans son rapport, que vous avez en pièces déposées ce soir, élaboré conjointement avec lesdites ressources, Mme Louise Landry-Balas les définit comme suit: "Les ressources alternatives en santé mentale de la Montérégie peuvent donc se définir régionalement comme des corporations autonomes, sans but lucratif, qui proposent un milieu de vie petit, situé dans la communauté, aussi semblable que possible au milieu naturel afin de répondre de façon souple, variée et individuelle aux besoins de soutien, d'accompagnement, d'hébergement et de réinsertion sociale de personnes rencontrant ou pouvant rencontrer des difficultés psychosociales ou psychiatriques. "

Chacune des onze ressources a été mise sur pied à partir des besoins d'une clientèle particulière que Mme Landry-Balas identifie comme suit: 1. Après l'hospitalisation, auprès d'une clientèle psychiatrique, souvent diagnostiquée de psychotique, avec une ou plusieurs hospitalisations à son compte et marquée

d'un grand manque d'autonomie, un séjour assez long est prévu pour cette clientèle pour permettre l'apprentissage ou le réapprentissage de compétences essentielles au fonctionnement en société. 2.. À la place d'une hospitalisation, pour la prévenir, lors d'un épisode de dépression ou dans des situations de stress qui rendent nécessaire un retrait plus ou moins long du milieu de vie ou qui exigent soutien et accompagnement par des activités de jour. 3. Comme dépannage pour quelques jours dans les moments de crise ou de désorganisation. 4. Comme intervention ponctuelle en réponse à un besoin précis dans une situation de crise aiguë, par exemple un centre de prévention du suicide.

Ces ressources ont des approches diversifiées mais sont toutes soucieuses de favoriser l'autonomie et la prise en charge par l'individu de ses problèmes et de le supporter dans son milieu naturel. Cependant, les ressources alternatives sont toujours confrontées à un ensemble de problèmes qui menacent leur survie. En explorant de nouvelles avenues en santé mentale, elles ont eu à lutter sans cesse pour être reconnues et obtenir un soutien moral et financier. Leurs subventions ne sont pas encore toutes récurrentes et les sommes accordées sont très en deçà des besoins réels. La charge de travail demeure très lourde. Les heures sont souvent trop longues et les salaires nettement inférieurs au marché. Plusieurs intervenants sont victimes de "burn-out" et le taux de rotation des employés est élevé, ce qui peut avoir un effet négatif sur la continuité des services aux bénéficiaires. Malgré ces problèmes, les ressources alternatives ont réussi à maintenir la qualité de leur intervention en réinsertion sociale et la Montérégie est fière de leur dynamisme et de leur créativité.

Au cours de la dernière année, le Conseil de la santé et des services sociaux de la Montérégie a concerté ses efforts pour tenter de consolider les ressources déjà existantes. Dans cette optique, le conseil d'administration du conseil régional a adopté une résolution pour que, conformément au décret 317979, le conseil régional soit l'organisme de planification et de distribution du financement au moyen d'une enveloppe régionale basée sur une évaluation des services. Dans le but de respecter l'autonomie et la créativité de chaque ressource, il a également été adopté que soit formé un comité des ressources alternatives pour préparer des recommandations sur un contrat de services type entre le Conseil de la santé et des services sociaux de la Montérégie et les ressources ainsi qu'un instrument d'évaluation.

J'ouvre une petite parenthèse pour parler de ce contrat de services dans la mesure où le conseil régional est un peu forcé de faire cette proposition en rapport avec lui-même. S'il y avait, comme dans un autre secteur, et je vais vous donner un exemple pour les services des alcooliques et des toxicomanes, comme dans la région, un seul établissement coordonnateur régional, c'est à ce moment-là, entre cet établissement coordonnateur régional et les ressources, que pourrait se situer le contrat de services. Je fais cette distinction parce que, dans le domaine des ressources psychiatriques, il y a une multiplicité de ressources, ce qui ne permettrait pas de faire un contrat de services uniforme entre les ressources communautaires et les hôpitaux.

À juste titre, les ressources alternatives défendent farouchement leur autonomie, garante de l'adéquation des services aux besoins communautaires, mais il est indispensable d'élaborer conjointement des modalités d'évaluation de la qualité des programmes et des critères des répartitions des ressources financières.

Je vais vous parler maintenant du problème des lits de soins prolongés dans notre région, qui est intimement relié aussi à la situation des ressources alternatives.

Outre la nécessité de promouvoir la consolidation, le développement et l'implantation de ressources alternatives insérées dans la communauté, la Montérégie doit également se doter de services destinés à une clientèle nécessitant des soins plus intensifs pour une période plus longue. Plusieurs intervenants de la région ont manifesté leur inquiétude concernant la carence de ressources lourdes offrant un abri et un encadrement plus grand à long terme. Les individus atteints de troubles sévères ou chroniques sont trop souvent hébergés dans des ressources communautaires trop légères ou inadéquates par rapport à leurs besoins et qu'ils épuisent les unes après les autres. Ils accomplissent un parcours chaotique d'hospitalisation en famille d'accueil, de ressources de transition en réhospitalisation ou sont trop souvent laissés sans soutien dans la communauté, ce qui contribue au syndrome de la porte tournante. Pour que les ressources communautaires jouent leur véritable rôle et favorisent la réinsertion sociale, elle doivent être complétées par des ressources institutionnelles plus lourdes, de courte durée, lors de crises aiguës et de longue durée pour une clientèle chronique sévèrement atteinte, à défaut de quoi elles ne joueront qu'un rôle de suppléance pour lequel elles n'auront ni la compétence, ni les ressources, ni le soutien de la communauté environnante. II est toutefois essentiel que les ressources de longue durée offrent un environnement humain, des soins actifs et encourageant progressivement l'ouverture sur la communauté, l'autonomie et la réinsertion

sociale.

La Montérégie, comme tout le Québec, doit s'assurer d'une gamme de services variés, complets, intégrés harmonieusement et adaptés aux besoins individuels. Ce réseau de services, pour être complet, doit comporter des programmes de soutien dans la communauté, des programmes de soins aigus et des programmes d'hébergement plus ou moins encadrés. Ces programmes doivent être souples afin de pouvoir s'adapter à une évolution constante des besoins d'une société. Pour s'assurer de l'adéquation des services aux besoins spécifiques, la gestion doit se faire le plus près possible de la communauté.

La famille et la communauté. Si la communauté continue à exclure et à rejeter les personnes souffrant de problèmes en santé mentale, les efforts demeuront vains, quelle que soit la qualité des services de soutien et leur réinsertion sociale. Les services de soutien destinés à la famille jouent un rôle déterminant dans le maintien à domicile en allégeant leur fardeau et en améliorant ses compétences. Ces services doivent être accessibles autant à la famille naturelle qu'à la famille d'accueil.

Un certain nombre d'associations de parents, de patients ex-psychiatrisés, de déprimés anonymes ont heureusement vu le jour ces dernières années et témoignent du désir de la communauté de se donner les moyens nécessaires à la promotion de la santé mentale. Le Conseil régional de la santé et des services sociaux de la Montérégie doit pouvoir tout mettre en oeuvre pour soutenir ces associations, appui moral, soutien à la formation, appui financier, lorsque nécessaire, et surtout doit se mettre à l'écoute de leurs besoins. L'apprivoisement mutuel du patient psy-chiatrisé et de la communauté est oeuvre de patience. Toutes les ressources ouvertes sur la communauté, familles d'accueil, associations, ressources alternatives, possèdent la clé de la modification des attitudes sociales envers la maladie mentale. Plus on en parlera sur la place publique, plus la communauté sera encouragée à s'impliquer et plus les centres de décision seront près des besoins locaux, plus la communauté deviendra favorable à la réinsertion sociale. Donc, une politique d'État en santé mentale doit développer des programmes de services ouverts sur la communauté, variés, adaptés aux besoins individuels. Afin de favoriser l'adéquation des besoins de la communauté aux services offerts, la coordination et la planification doivent se faire le plus près possible de la communauté. De plus, l'état de santé mentale d'une population étant en constante évolution, les services doivent également être souples, flexibles et capables d'ajustement. La véritable préoccupation de la réinsertion sociale n'est pas de savoir où l'on traite les problèmes de santé mentale, mais comment on traite les individus réclamant de l'aide. Leur procurerons-nous le soutien nécessaire à une qualité de vie décente dans un environnement sain ou continuerons-nous à les exclure? Dans le contexte actuel où une politique en santé mentale est attendue impatiemment, j'espère que cet exposé contribuera à votre réflexion et alimentera constructivement les débats. Merci, madame.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci, M. Guindon. Je veux d'ailleurs remercier d'une façon particulière le Conseil régional de la santé et des services sociaux de la Montérégie, qui est le seul CRSSS, à ma connaissance, à moins que je ne me trompe, qui soit venu devant la commission; je fais exception pour le CRSSS de Montréal, qui est venu présenter son plan d'action touchant la déficience mentale. Je dois vous dire que j'ai été un peu étonnée de l'absence des CRSSS, parce que vous avez quand même, à l'intérieur des CRSSS, je pense, comment dit-on? un comité de la psychiatrie - un comité, ce n'est pas exact, quel est le nom?

M. Guindon: Une commission des services de santé mentale.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une commission, c'est cela, une commission de la santé mentale. Je suis un peu étonnée que ces gens qui ont la responsabilité de la planification des ressources et la responsabilité de répondre aux besoins localement, enfin sur une base territoriale, soient demeurés absents de la commission, alors qu'à peu près tous les autres organismes, fédérations ou autres groupes, se sont présentés.

Mais, ceci étant dit, je voudrais vous poser quelques questions. Il est évident que vous avez fait un effort dans les dernières années ou que la communauté a fait un effort que vous avez appuyé dans le sens de développer des ressources alternatives qui soient autonomes et qui répondent aux besoins de la population. Mais, avant de poser des questions précises là-dessus, quel est votre bassin de population au conseil régional de la Montérégie?

M. Guindon: II est de 1 100 000 de population, répartie dans 254 municipalités.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): De 1 100 000 de population. Quel est le nombre de lits dans les hôpitaux de courte durée, vous mentionnez que vous n'en avez pas de longue durée, qui sont alloués à la psychiatrie? Par exemple, à Pierre-Boucher, à Charles-LeMoyne, à Granby, à Saint-Hyacinthe? Est-ce que vous avez...

M. Guindon: II y a six départements de psychiatrie dans la région, ou sept, avec une moyenne, à part Charles-LeMoyne, de l'ordre de 85; dans les autres, c'est de l'ordre de la trentaine, si ma mémoire est bonne.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, cela voudrait dire que vous auriez environ...

M. Guindon: Environ 200 lits.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... 200 lits de psychiatrie dans les centres hospitaliers de courte durée.

M. Guindon: Exact.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela fait beaucoup de monde à servir. Est-ce que les 91 lits qui ont été développés en ressources alternatives vous apparaissent répondre aux besoins d'un bassin de population aussi considérable que le vôtre?

M. Guindon: Louise Landry-Balas va répondre à votre question.

Mme Landry-Balas (Louise): Ils ne répondent certainement pas aux besoins de la population et les ressources alternatives se sont spécialisées de par leurs propres intérêts. On a, par exemple, à Longueuil, une ressource qui est particulièrement pour les femmes déprimées, où il y a 18 lits; cette ressource comble le besoin, semble-t-il, pour ce type de clientèle.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais dans la région?

Mme Landry-Balas: Pour la région, généralement, certainement pas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, pour Longueuil, où elle se trouve.

Mme Landry-Balas: Ah bon! Excusez, oui, l'Entre-Deux, cette maison pour les femmes déprimées, comble le besoin pour la région de Longueuil.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. (20 h 15)

Mme Landry-Balas: On n'a pas d'autres ressources pour femmes déprimées du même genre à d'autres endroits. C'est sûr que le besoin criant est cependant pour les malades psychiatriques chroniques pour lesquels plusieurs de ces ressources ont été mises sur pied. Il y en a une, qui est la plus grosse, qui a quinze appartements individuels, les autres sont des maisons unifamiliales qui ont entre cinq, sept et neuf patients. Là-dedans, on pourrait voir des développements importants surtout que, ces ressources étant limitées, elles limitent la période de séjour. Quelques-unes de nos ressources ont six ans et il arrive que l'on découvre qu'il y a d'autres choses à faire, c'est-à-dire qu'on ne peut pas les renvoyer tout de suite dans la communauté. On aurait peut-être besoin d'appartements supervisés avec certaines activités, mais moins de suivi. Ce qui manque principalement est une coordination de plusieurs ressources de ce genre dans chaque sous-région.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous n'avez pas un modèle pour chaque sous-région de votre territoire dans le moment? Avez-vous un réseau intégré des ressources diversifiées dont vous auriez besoin dans chacune des sous-régions?

Mme Landry-Balas: Non. Elles ne se sont pas développées non plus d'après un modèle. Elles se sont développées de façon tout à fait spontanée parce que le besoin était tellement criant. Les gens qui les ont développées sont partiellement des patients psychiatriques eux-mêmes qui, après une réadaptation ici et là, ont vu que les besoins étaient absolument criants. D'autres sont des gens qui ont été impliqués dans les services psychiatriques en hôpital ou en clinique externe des hôpitaux, à l'interne ou à l'externe, et, généralement, les conseils d'administration de ces corporations, parce que ce sont des corporations autonomes sans but lucratif, sont un mélange de ces différents types de personnes. De plus en plus, la communauté s'intègre aussi dans les conseils d'administration. Mais il n'y a pas de planification comme telle. Dans le moment, on en est à être heureux de ce qui se passe, qu'il y ait des choses qui se passent. On n'a pas assez de distance, non plus, pour voir si c'est vraiment efficace à long terme ou non. On voit que cela aide beaucoup de patients à trouver une place qu'ils n'auraient pas autrement. Mais on a encore des besoins criants.

M. Guindon: J'aimerais revenir pendant une petite seconde sur la question du modèle que vous avez soulevée pour vous dire que tout le paradoxe, pour nous, de la question des ressources communautaires en santé mentale, comme d'ailleurs dans d'autres secteurs, en termes de planification, est d'une part qu'il y ait effectivement une certaine planification et une coordination et d'autre part qu'il y ait aussi, en même temps, le maximum de spontanéité et d'initiative de la communauté. C'est tout le paradoxe de la discussion qu'on peut avoir ce soir.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. D'ailleurs, ce que je voulais dire; quand je

parlais d'un modèle pour chaque sous-région, je ne parlais pas d'un modèle identique parce que, là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je voulais dire que chaque sous-région de votre grande région soit couverte avec une gamme de services qui répondent aux besoins de la clientèle.

Mme Landry-Balas: Je croîs que c'est une chose vers laquelle on doit tendre. En ce qui me concerne, je demeure convaincue que, dans la planification des services, on doit retourner non seulement aux régions, mais aux sous-régions et qu'on doit penser à impliquer - quand on parle de communauté, c'est un peu vague peut-être - d'abord et avant tout les gens qui, dans la communauté, sont le plus près de ces besoins, c'est-à-dire les gens qui oeuvrent déjà avec les patients psychiatriques, ceux qui en ont dans leur famille. Quand je pense à une planification sous-régionale, je pense que la coordination doit se faire pour développer un système intégré de services à ce niveau par un groupe qui existe à cet effet pour planifier et coordonner un système intégré sous-régional de services qui respecte les caractéristiques de cette sous-région.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous avez peut-être répondu en partie à la prochaine question que je vais vous poser. Quel est le rôle que le CRSSS de la Montérégie se voit appelé à jouer? Les services alternatifs que vous avez décrits sont des services où il semble que l'initiative soit venue de la communauté; que vous les avez soutenus et vous tentez d'assurer non seulement leur survie, mais, en tout cas, qu'ils fassent les ajustements qu'ils ont besoin de faire, etc.

À part cela, est-ce que, comme CRSSS, vous voyez cette responsabilité d'abord de concertation, de planification au niveau sous-régional? Où en êtes-vous dans cette planification?

M. Guindon: Je crois que lorsqu'on parle de planification d'un organisme comme le conseil régional, pour des ressources dites publiques par opposition à des ressources communautaires, notre attitude à nous doit être très différente. Quand on parle de ressources publiques, on assoit les membres des établissements autour d'une table, on discute entre nous et, à un moment donné, il faut arriver à un consensus ou, faute de consensus, à une décision ou à une orientation. Dans le cas des ressources communautaires, on peut dire que l'approche privilégiée, c'est de fournir aux ressources communautaires des assises, du soutien et des instruments pour que, entre elles, elles soient les plus actives et les plus dynamiques possible à la propre définition de cette planification qui devient de plus en plus importante, compte tenu des besoins très criants. Je pense que c'est le premier point, donc un instrument de concertation, une espèce de comité régional des ressources alternatives qu'on veut mettre sur pied.

Le deuxième instrument que le conseil régional peut privilégier aussi, question, encore une fois, d'assurer un lien crédible entre elles et nous, c'est de s'assurer qu'elles sont des corporations en bonne et due forme avec un conseil d'administration bien constitué, représentatif de leur communauté et qui puisse offrir certaines garanties que ce qui se passe dans les ressources communautaires a une assise aussi dans la communauté et un peu de sérieux.

D'autre part aussi, on a une idée du contrat de services dont je vous ai parlé tout à l'heure qui n'est pas vraiment dans le sens habituel où on dirait: On vous donne un contrat et vous allez exécuter ce qu'on exige, mais c'est beaucoup plus une question d'établir un rapport décent d'affaires avec une ressource à qui on donne des fonds et qui doit rendre un certain nombre de comptes.

Finalement, le quatrième instrument, c'est l'évaluation, celle-ci étant moins faîte de façon, encore une fois, autoritaire et du haut, je dirais du trône du conseil régional, que faite avec l' input que peuvent apporter les ressources alternatives en termes de nous fournir des critères, des bases, ce qui nous laisse quand même toujours la possibilité de rationaliser ces critères et de les pousser plus loin, si nécessaire- Essentiellement, ce seraient les principaux instruments. Peut-être que Mme Landry-Balas veut ajouter quelque chose là-dessus.

Mme Landry-Balas: Ce qui me touche principalement dans cette discussion, c'est comment voir à la continuité des services en regardant le point de vue de la trajectoire du patient psychiatrique. À la Montérégie, on a toujours préconisé et encouragé beaucoup l'individualité des ressources alternatives. Il y a eu un temps où c'était institution ou non-institution et les mots "ressources alternatives" était peut-être anti-institution. On en vient de plus en plus dans les ressources elles-mêmes à réaliser qu'il faut qu'il y ait un flot... On doit aller d'une à l'autre assez librement, parce qu'il y a des réhospitalisations qui sont nécessaires chez les patients psychiatriques chroniques.

Quand je parle de planification sous-régionale, en ce qui me concerne, je ne peux pas dissocier ce qui existe en institution, c'est-à-dire que ce n'est pas juste une planification de ce qui se fait à l'extérieur, mais la planification doit toujours se faire en tenant compte de la trajectoire du patient lui-même. Donc, c'est en pensant à lui qu'on doit dans chaque sous-région planifier des services.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce que je réalise, c'est que le CRSSS est fort conscient des besoins et qu'il y a un effort de planification, etc. Mais, dans le moment, sur la rive sud, si on prend les statistiques un peu officielles de la maladie mentale, si on prend 1 % sur 1 200 000, vous auriez à peu près 12 000 personnes qui pourraient avoir besoin, dans ce cheminement de réintégration ou de réinsertion sociale, d'un type de ressources ou l'autre. Ce que je voudrais savoir, c'est dans quelle mesure vous vous sentez démunis dans l'état actuel des choses. Je comprends que les 91 %, ce n'est pas du monde fixe, c'est du monde qui roule aussi. Alors, peut-être qu'au cours d'une année ce n'est pas 91 %, mais que ça représente un nombre X de personnes. Cela laisse passablement de personnes qui n'ont pas beaucoup d'autres choix que l'hôpital de courte durée et de retourner avec le plus de soutien possible que l'hôpital peut lui donner soit par son service social ou autrement comme appui pour la réinsertion sociale. Je me demande jusqu'à quel point cela vous crée des problèmes.

Mme Tremblay (Mireille): Je trouve que c'est difficile de savoir actuellement de façon exacte quels sont les besoins en termes de nombre de lits ou de nombre de places. Les normes ont changé. On parlait de 0, 3 pour 1000. Quand on se penche sur la réinsertion sociale, la problématique devient toute différente parce que, si on parle de 0, 3 pour 1000 cas de courte durée, c'est pour trois mois, c'est-à-dire que c'est en période de crise pour une période...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je ne vous entends presque pas.

Mme Tremblay: D'accord. C'est difficile d'avoir des normes fixes. Antérieurement on avait des normes de 0, 3 pour 1000. Si on considérait ça dans la Montérégie, compte tenu des quelques lits de longue durée, ça répondait à peu près au nombre de places comme tel dont on avait besoin. Ce qu'on constate dans les faits, c'est qu'il n'y a pas encore assez de places. Si on parle de réinsertion sociale, le mode d'intervention devient très différent. On ne parle plus de...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous parlais de ces 12 000 en fonction de la réinsertion sociale et non plus en fonction de leur hospitalisation.

Mme Tremblay: C'est ça et c'est plus difficile parce que ça va se faire à ce moment-là à plus long terme, comme les ressources alternatives vont souvent avoir des moyennes de séjour de six mois à neuf mois facilement, selon qu'elles font de l'intervention en temps de crise ou travaillent plus sur la réinsertion sociale. Or, si on se base sur des normes qui étaient de 0, 3, on se rend compte qu'on ne s'y retrouve pas avec ça. Les ressources se sont développées - des modèles et des structures étaient déjà en place - à partir de besoins locaux criants. Dans certaines régions, des programmes de jour vont se développer, dans d'autres régions, ce sera pour femmes déprimées ou des programmes d'hébergement. Des ressources vont intégrer ces différents modes d'intervention mais il n'y a pas une région qui est complète en termes de complémentarité ou en termes de services complets. Par exemple, il y aura dans une sous-région beaucoup trop de lits de longue durée mais aucun dans les autres sous-régions de la Montérégie. Ce qui manque, c'est vraiment ce qui serait facilité par une coordination locale, c'est vraiment un système continu, harmonieux et complémentaire. Comme Louise le disait de la trajectoire ou du parcours du patient, on voit souvent qu'à défaut de ressources adéquates à un moment donné le patient va aller d'une à l'autre tout le temps. C'est ce qui manque, l'harmonisation de ces différentes ressources, parce qu'on se rend compte que chacune a son rôle.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela m'amène à vous poser la question suivante: devant ce nombre de personnes, disons qu'on l'estime à 10 000 ou à 12 000, en dépit des efforts qui sont faits, et de la planification que vous tentez de faire etc., est-ce que vous avez sur la rive sud un phénomène semblable à ce qui se passe par exemple dans la région 06A où vous avez dans Montréal le phénomène d'itinérance de gens perdus dans la brume parce qu'à un moment donné on les a perdus de vue? C'est le sens que je donne à mes paroles quand je dis qu'ils sont perdus dans la brume. Il y a aussi sur la rive sud cet autre... Est-ce parce qu'on en a parlé plus? Je le dis sous toutes réserves, si on prend par exemple le cas des personnes âgées, on sait qu'à un moment donné sur la rive sud il y avait beaucoup de foyers illicites pour les personnes âgées et il y en a peut-être encore, je n'ai pas de chiffres, je ne pourrais pas en donner.

M. Guindon: II y a plus de ressources communautaires pour les personnes âgées'.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ouais! Ouais! Je ne voudrais pas que ce soit le même genre de ressources communautaires pour vos ex-psychiatrisés, parce qu'on les a justement dénoncées et le ministère s'efforce... Il en ferme un et il s'en ouvre un autre. Enfin, on n'est pas pour entrer dans ces détails-là. C'est pour ça que je trouve votre approche bonne, parce que c'est une approche optimiste, une approche

constructive. Vous avez un problème, vous essayez de le résoudre. D'un autre côté, j'ai l'impression que, quand on examine ça d'un peu plus près, il y a beaucoup de besoins ou est-ce moi qui fais une mauvaise évaluation des choses? (20 h 30)

M. Guindon: La nécessité étant la mère de l'invention - c'est le cas chez nous - ce qui a justifié ce à quoi je faisais allusion, au début de mon exposé, les orientations de 1981 à 1986 du conseil régional en termes de ressources légères, c'était le pari que nous avions lancé au ministère de dire ceci: Étant donné que nous avons - et je globalise pour aller vite - environ 60 % des ressources requises dans la région de la Montérégie par rapport à la moyenne provinciale et pour l'ensemble des services, nous ne pouvons pas réclamer 333 000 000 $ du gouvernement dans les cinq prochaines années, en parlant de 1981 à 1986, ce qui nous mettrait au niveau de la moyenne provinciale. Ce serait indécent. Donc, on a dit: Élaborons une stratégie en vertu de laquelle on va compter sur d'autres types de ressources, sur d'autres approches, sur une approche, comme vous dites, peut-être plus dynamique, plus créative et peut-être moins coûteuse aussi tout en comptant sur les ressources de la communauté.

Dans le secteur de la santé mentale, le pari était à relever de façon aussi importante que dans les autres secteurs, notamment étayé par le fait suivant, c'est que nous avons un manque de ressources important dans le secteur de la santé mentale. D'abord, il y a les psychiatres, je pense que ce n'est un phénomène différent pour aucune des régions du Québec, sauf Montréal et la région de Québec, et les autres types de professions reliées à la réadaptation. Alors, dans l'ensemble, on peut dire que, dans notre région, on souffre d'une carence de services dits institutionnels traditionnels qui est très grande. Ajoutez a cela la sectorisation en psychiatrie et vous avez l'étanchéïté entre la région de la Montérégie et celle de Montréal ou toutes les autres à côté, que nous ne ne retrouvons pas dans les services de soins physiques de courte durée, par exemple.

Cela, c'est un préjugé, en passant, qui est largement répandu que la rive sud peut toujours compter sur Montréal pour tous ces services. Ce n'est vrai que pour les services de soins physiques de courte durée, ce n'est pas vrai pour l'ensemble de tous les autres services, de telle sorte que notre carence de ressources, cela s'interinfluence d'un secteur à l'autre parce que ce n'est pas une étanchéïté absolue non plus, la santé mentale étant influencée par le fait des familles monoparentales, par les problèmes de drogue, par les problèmes de jeunes, par les problèmes de familles en difficulté, etc., tout s'interinfluençant. Je vous promets d'ailleurs, soit dit en passant, des orientations en 1986-1991 où nous allons tenter un peu de faire une analyse sociologique de tout ce phénomène dans la région chez nous, l'effet que produit cette absence de ressources coordonnées et cette incapacité que nous avons de le faire à cause du manque de ressources.

Donc, les ressources communautaires sont venues comme une espèce de sauve-qui-peut général. Cela a été criant dans la communauté; donc, les groupes, les organisations se sont mis sur pied et nous, à un moment donné, on est en demande parce qu'ils veulent de l'argent et l'argent, le financement ne vient pas parce que cela ne marche pas selon les règles officielles et administratives du gouvernement, selon les règles de l'art. Alors, il faut faire toutes sortes d'entourloupettes comme celle de faire du financement par les centres hospitaliers comme pour les ressources en santé mentale. Cela, c'est une des choses qu'on voudrait aussi voir clarifier. Ces ressources survivent de peine et de misère avec des gens qui travaillent animés par un bénévolat exceptionnel dans bien des cas, parce que j'appelle cela du bénévolat que de travailler à des salaires incroyables. Il y a des directeurs généraux de ressources alternatives qui gagnent le même salaire qu'une secrétaire dans la fonction publique. C'est une figure, mais cela donne un aperçu.

Je pense que, pour l'ensemble de la situation, même si on peut dire qu'elle est optimiste, qu'elle est intéressante, si on veut que cela progresse, il faut qu'il y a des pas en avant qui soient faits, des pas significatifs dans le sens d'une politique qui clarifie les choses, les liens, et qui permette que ces ressources puissent avoir le goût de travailler avec les autres et de travailler ensemble.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux); C'est pourquoi je vous ai interrogés d'un petit peu plus près pour aborder d'une certaine façon les problèmes plus réels que ceux que vous nous présentez dans votre plan d'action. C'est que, par un hasard des choses, un concours de circonstances plutôt, j'ai rencontré quelqu'un de la rive sud qui me disait que, dans un de vos grands centres hospitaliers où il y a un département de psychiatrie important, il y a un peu une espèce de sentiment... il y a eu des efforts extraordinaires, des équipes fantastiques qui ont été mises sur pied, mais où on ne fait que commencer, justement à cause de cette lourdeur, parce que c'est un peu, comme vous le disiez, la porte tournante qui revient, le soutien est tellement considérable à donner d'une façon presque constante qu'il y a un peu une démoralisation et une démotivation du personnel... Alors, c'est un

peu cela qui m'a fait - comme je vous le dis, c'est le jeu de circonstances - vous interroger un peu sur ce qui apparaissait, à prime abord, comme quelque chose signifiant: On n'a plus de problème, on a des ressources alternatives. Mais je pense plutôt que le message que vous avez voulu nous donner, c'est qu'il y a moyen d'obtenir que la communauté se mobilise pour en créer, mais ce n'est pas la réponse globale aux problèmes de la rive sud dans ce domaine. Je ne sais pas si c'est bien cela.

Mme Landry-Balas: Vous touchez un point très important, celui de la démoralisation des gens qui travaillent en santé mentale et qui sont aux prises avec la porte tournante, toujours le retour des mêmes patients et qui savent que, très souvent, en les voyant sortir, ils n'auront pas la ressource pour les aider ou le suivi. Ce ne devrait pas être nécessairement une ressource d'hébergement, mais un suivi très proche qui devrait se faire. C'est dans ce sens. La démoralisation est due aussi au sentiment qu'on n'a pas de pouvoir là-dessus, qu'on ne peut rien changer. Ce pouvoir que chacun pourrait avoir dans sa petite région ou dans sa petite sous-région serait celui qui donnerait l'espoir, celui qui permettrait d'avoir une instance de discussion sur ce qu'on fait maintenant. Je peux vous parler du centre hospitalier où j'oeuvre et où, justement, il y a une démoralisation du personnel à l'interne et même des psychiatres qui voient qu'on ne peut pas hospitaliser à court terme des gens qu'on pourrait réellement aider, parce que des lits sont pris depuis bien des mois et même jusqu'à un an. Je pense que la démoralisation est toujours intimement reliée à l'espoir qu'on peut avoir et à l'espoir qu'on peut avoir un certain pouvoir de changer des choses. Le pouvoir est relié justement à la possibilité d'instaurer, de mettre sur pied, de participer à...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Y a-t-il des questions?

M. Laplante: D'accord, mais vous avez posé les trois questions que je devais poser.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mon Dieu!

M. Laplante: Je peux en poser une autre.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Marie-Victorin.

Mme Tremblay: À la question, j'aimerais ajouter ici...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, Mme Tremblay.

Mme Tremblay: Un impact important de l'émergence des ressources alternatives ou de la discussion sur la réinsertion sociale, c'est l'amélioration de la qualité de vie pour le patient. Comme les services disponibles sont limités à un type de soins particuliers et spécifiques, le patient est souvent laissé sans recours, comme on l'a déjà souligné - vous l'avez souligné pour les personnes âgées aussi - et il va vivre dans des conditions parfois lamentables, sans vie sociale, sans capacité de s'intégrer, par exemple, au marché du travail, en étant rejeté et exclu partout. Je pense que les ressources alternatives ont fait un effort notable en ce sens et que cela a vraiment, dans les faits, amélioré la qualité de vie des patients et des gens concernés. Je pense que le problème, c'est qu'ils sont trop souvent ballottés d'un type de services à un autre et qu'à un moment donné ils doivent crier au secours pour avoir de l'aide. C'est seulement lorsque la situation est critique qu'ils obtiennent du secours, faute de ressources, faute de continuité. C'est très difficile aussi, compte tenu que ce sont quand même des troubles variables. Ils vont essayer une ressource. Ils vont essayer un autre type d'intervention. Ils vont essayer quelque chose à l'externe, è l'interne et, chaque fois, une coupure se fait. La personne qui obtient du soutien va l'obtenir avec des personnes X, pendant trois mois, point. 5i elle passe au service externe de la même institution, souvent cela va être une autre équipe. Si elle va dans une famille d'accueil ou dans une ressource alternative, ce sera encore une autre équipe. Ces personnes ont déjà des difficultés à s'insérer socialement. Chaque fois, on leur demande de s'adapter à un nouveau milieu social, à un nouvel environnement. Je trouve que cela empire déjà leur isolement. D'une part, elles sont plus isolées, parce qu'elles sont déplacées d'une ressource à une autre et, souvent, elles sont sans appui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce qui m'étonne, c'est que vous me dites que, de l'interne à l'externe, l'équipe, en totalité, doit être changée, mais est-ce inévitable? Faut-il qu'il en soit ainsi?

Mme Tremblay: Veux-tu répondre?

Mme Landry-Balas: Cela arrive. Cela dépend de l'organisation des services dans un hôpital donné. Il y a une nouvelle notion ou, en tout cas, un nouveau terme qu'on emploie beaucoup maintenant, en ce qui concerne les soins des malades psychiatriques chroniques, les "young chronics" qu'on appelle, qui est le "case manager". C'est la personne qui aide l'individu à passer de l'un à l'autre. Malheureusement, cela ne se fait pas. Qui

devrait le faire? Est-ce que ce doit être la personne en charge aux services internes ou externes? Ce n'est pas clarifié. En tout cas, nous l'employons très peu. Il n'y a pas cette personne qui accompagne, à travers toutes les allées et venues., Je pense que cela pourrait aider beaucoup.

Pour répondre à votre question, c'est vraiment très variable. Il y a des hôpitaux où c'est vraiment toute une autre équipe qui suit à l'externe. Il y a des hôpitaux où il y a quand même une continuité entre l'interne et l'externe.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord, merci.

M. Pratt: Le cas du "case manager", pour revenir è Mme Balas, nous a été soumis, hier soir, par te directeur de Douglas. Je trouve que c'est une idée très intéressante. Le sens de mon intervention est celui-ci. Je constate que dans notre région, malheureusement, comme dans bien d'autres aussi, il y a le rejet du malade mental et qu'on a de la difficulté à insérer des ressources alternatives. Alors, vous proposez, je pense bien, comme processus d'intervention, d'accroître la tolérance et la capacité d'accueil, la participation de l'ensemble de la communauté, je note cela ici. Est-ce qu'il y aurait des organismes, sur le terrain, chez nous, comme - je ne sais pas - l'Ami du malade mental ou la Maison d'intégration Coteau rouge, est-ce qu'on pourrait faire appel à différents groupes pour que vous soyez aidés dans cette tâche? Il va falloir vraiment percer ce mûr - je ne dirais pas de... C'est pire que de l'indifférence, c'est du rejet. Franchement, il y aurait un travail à faire dans ce sens. Je me dis que tout doit être mis en oeuvre pour essayer de faire comprendre aux gens que, si c'était un des leurs qui était dans cette situation, ils seraient bien heureux de trouver une résidence qui, justement, accepterait un cas semblable. Il devrait y avoir une conscientisation de la population et je pense que le milieu devrait être assez prêt à cela.

Mme Landry-Balas: C'est ce qu'on appelle l'apprivoisement. On a eu à vivre avec différentes ressources alternatives. Il y en a une, tout dernièrement, dans une de nos villes, qui a dû quitter la place qui lui avait été louée à très bas prix parce qu'il semble que les gens étaient dérangeants. D'autre part, il y a d'autres expériences beaucoup plus positives. Je pense à la ressource où j'étais membre du conseil d'administration, qui s'appelle Espoir. Au début, il y avait beaucoup de résistance dans l'environnement. C'est très près de Longueuil.

M. Pratt: Sur Saint-Georges? Mme Landry-Balas: Oui.

M. Pratt: D'accord.

Mme Landry-Balas: On a consciemment été voir la mairesse et les échevins parce que c'est par eux qu'on devait être explusés à un moment donné. La population réagissait. On les a invités, quand on a fait l'inauguration ils étaient présents. On a été voir les voisins. Maintenant, le marchand du coin est très impliqué parce que les gens vont acheter là. Petit à petit... Il y avait une école qui n'était pas très loin et un comité d'école qui était inquiet aussi pour les enfants parce que les patients psychiatriques se promenaient et que cela semblait être dangereux. C'est étonnant, les efforts qui ont été faits, comme il y a eu une sensibilisation de la population et même certaines personnes sont maintenant membres de l'assemblée générale et il y a des gens de la communauté au conseil d'administration. Cela demande un apprivoisement.

L'autre, il existe, à Longueuil, Les Parents et Amis du malade mental. C'est un organisme qui s'active de plus en plus, mais qui a aussi beaucoup besoin du soutien des intervenants parce qu'ils sont très démunis. Les parents et amis aussi. Cela va dans les deux sens. On a besoin de s'apprivoiser les uns les autres. (20 h 45)

M. Guindon: De toute façon, malgré les efforts que tout organisme peut faire - je pense que Mireille et moi, nous nous sommes posé la question bien honnêtement, on peut tous se la poser: Comment vivrions-nous, chacun, individuellement, le fait que, dans notre voisinage, dans la maison d'à côté, chez le voisin d'en face, ce soit une ressource alternative en santé mentale, qu'il y ait des patients psychiatriques qui soient là et qui puissent, à nos yeux, soit déranger notre environnement, soit diminuer la valeur de notre propriété, soit créer des problèmes avec nos enfants ou des choses comme cela? Il faut aussi se poser la question à savoir quelle sorte d'attitude on peut développer dans une petite microcommunauté comme celle-là pour faire en sorte que l'implication du voisinage soit la plus positive possible. Je pense que la réponse de Mme Louise Landry-Balas était un exemple de cela. C'est toujours dans le plus immédiat des ressources et de leur fonctionnement que les plus graves problèmes se posent. On a eu aussi cette difficulté dans le secteur de la déficience mentale parce qu'il y a des comportements de ces personnes qui, vu extérieurement en tout cas, sont un peu apeurants pour l'environnement et pour les enfants ou autres. C'est quelquefois aussi concret et pratique que cela, la situation d'amalgame avec les personnes qui sont dans les ressources communautaires et leur environnement immédiat.

Mme Tremblay: La peur est aussi faite d'ignorance et d'un tas de stéréotypes et de préjugés. C'est par l'exposition, c'est-à-dire que si dans la communauté immédiate il y a une ressource alternative et qu'effectivement il n'y a pas de problème majeur, à ce moment-là, tranquillement, la communauté s'apprivoise et elle se rend compte que le reste, ce sont des préjugés.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une dernière question que je voulais poser. La population de la rive sud est identifiée comme étant une population jeune, enfin comparativement à Montréal, à moins que ce ne soit modifié. On nous a rapporté après-midi le problème du manque de ressources psychiatriques pour les adolescents - je parle de 16 ans en montant - chez vous - je voudrais mettre de côté tout le problème de la protection de la jeunesse, c'est une autre chose - comment composez-vous avec cette situation qui, peut-être, risque d'être plus aiguë chez vous que dans le DSC Sacré-Coeur dont on parlait cet après-midi, qui garde une population beaucoup plus âgée que chez vous, il n'y a aucun doute là-dessus?

M. Guindon: Je dois vous dire que c'est l'une de mes souffrances morales principales, comme directeur général du CRSSS, de ne pas voir à l'horizon de solution pratique qui ferait que nos services en pédopsychiatrie soient plus intimement intégrés et reliés aux services qui se donnent d'autre part pour les jeunes dans la région, notamment ceux qui se donnent dans les centres d'accueil de réadaptation pour mésadaptés socio-affectifs. C'est une situation qui, à mon point de vue, est difficile parce qu'il y a effectivement chez cette clientèle, dans les centres d'accueil ou dans leurs ressources, des jeunes qui ont des problèmes de comportement, des jeunes qui ont des problèmes sur le plan de la maladie mentale et qui ont certainement besoin de soutien, de ressources de type psychiatrique. Cela est un problème qui est loin d'être résolu et on fait des efforts assez considérables pour que les ressources se parlent là-dessus et tentent de fonctionner ensemble.

Par ailleurs, évidemment, quand on se fait répondre qu'on a tout juste le temps et la capacité de répondre aux besoins les plus pressants et qu'on ne peut pas en prendre plus parce que cela déborde de partout, que, pour les nouveaux besoins qui arrivent, on y répondra quand on aura la possibilité de le faire... Ce n'est peut-être pas la meilleure des raisons, mais cela reste une situation de fait assez écrasante comme réalité. En gros, on va continuer nos efforts. Je peux vous dire que cela se continue aussi fort. D'ailleurs, après demain matin on a une rencontre avec le centre hospitalier Charles-LeMoyne sur cette question et nous allons tenter encore une fois d'amener la meilleure conciliation possible pour qu'il y ait une collaboration plus intense qu'actuellement.

Mme Tremblay: Actuellement, en Montérégie, il n'y a qu'un point de service qui offre une clinique externe et la possibilité d'une hospitalisation, c'est à l'hôpital Charles-LeMoyne.

Dans les faits, il y a cinq lits pour les jeunes jusqu'à douze ans environ. Il y a une clinique externe qui compte onze pédopsychiatres, mais c'est très récent, et elle dessert toute la région. Pour ce qui est des adolescents, c'est-à-dire douze ans en montant, ils sont admis; il y a une possibilité de quinze lits, mais c'est avec les adultes. Ils n'ont aucun service à eux. Ils ont un programme de jour. Mais, encore là, le programme de jour peut desservir seulement Longueuil, parce qu'ils doivent se déplacer. Or, tous les autres doivent partir de Sorel, de Saint-Hyacinthe ou de Granby pour venir à Longueuil. C'est beaucoup trop loin, ou, au pis aller, à Sainte-Justine.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie encore une fois, au nom des membres de la commission. Je pense que c'est un échange qui nous a beaucoup intéressés.

M. Guindon: Cela nous a fait grandement plaisir.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci. Le prochain groupe est le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec. Si vous voulez vous approcher.

On est rendu au 22. M. Auclair, je crois.

M. Côté (Réjean): M. Michel Auclair est là. Je m'appelle Réjean Côté, je suis agent de développement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon.

Regroupement des ressources

alternatives en santé mentale

du Québec Inc. et PAL Inc.

M. Côté (Réjean): J'aimerais vous préciser que le groupe PAL ainsi que le regroupement ont décidé de faire une présentation ensemble à partir de leur mémoire respectif. En ce sens-là, nous avons un texte, peut-être pas en copies suffisantes pour l'ensemble des gens ici, qui pourrait résumer un peu les deux mémoires, le synthétiser et peut-être permettre un échange plus en profondeur par la suite.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Alors, pourriez-vous simplement

présenter les gens qui sont autour de la table pour le Journal des débats?

M. Côté (Réjean): Étant donné la composition de notre présentation, je vais laisser les gens se présenter eux-mêmes.

M. Auclair (Michel): Michel Auclair. Je suis président du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec. Je suis président de Solidarité-Psychiatrie, qui est un organisme de base. Je suis membre du comité de coordination du Regroupement des ressources alternatives et communautaires en santé mentale de l'île de Montréal. Je suis aussi représentant communautaire à un comité aviseur pour la région centre-est de l'île de Montréal.

M. Châteauneuf (Guy): Je suis Guy Châteauneuf, coordonnateur du Réseau d'aide Le Tremplin, à Drummondville, qui est un organisme communautaire en santé mentale de cette localité et aussi...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le réseau d'aide?

M. Châteauneuf: Le Réseau d'aide Le Tremplin.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le Tremplin. D'accord.

M. Châteauneuf: C'est un organisme communautaire qui est né de l'implication de la collectivité locale de Drummondville. Je suis aussi vice-président du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec.

M. Dore (Daniel): Daniel Dore. Je viens de Drummondville. Je suis membre du conseil d'administration du Réseau d'aide Le Tremplin. Je suis membre du Regroupement des alternatives en santé mentale et je travaille à la permanence, dans ma sous-région, d'une table de concertation des organismes communautaires et bénévoles.

Mme Ménard (Louise): Louise Ménard. Je suis secrétaire au projet PAL et je suis aussi ex-patiente psychiatrique.

M. Nadeau (Pierre): Je suis Pierre Nadeau. Je suis membre du conseil d'administration du projet PAL et aussi résident de la Maison de transition du projet PAL.

Mme Blanchard (Michèle): Je suis Michèle Blanchard, coordonnatrice du projet PAL et aussi porte-parole siégeant à la table provinciale du regroupement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci.

M. Auclair: Mme la Présidente, c'est avec plaisir que nous soumettons ce mémoire à la commission des affaires sociales. Comme nous considérons importante la consultation que vous faites maintenant, nous sommes heureux d'y participer en vous faisant part de notre réflexion sur un aspect ou l'autre du dossier de la santé mentale. Nous profitons de l'occasion pour vous souhaiter un franc succès dans vos travaux. Merci.

Parler de ressources alternatives au Québec, c'est d'emblée faire référence à un effort concerté d'individus désirant développer les ressources légères en santé mentale près du milieu naturel de ceux et celles qui en font usage. Ces ressources sont redevables auprès du milieu de tous les aspects de leur intervention.

Parler de ressources alternatives, c'est aussi faire référence aux besoins fondamentaux des personnes. Elles offrent d'abord écoute, chaleur humaine et entraide et visent comme finalité la prise en charge par les personnes elles-mêmes.

De plus, ces ressources alternatives sont issues du milieu, facilement accessibles, et leur approche s'appuie sur une relation d'entraide personnalisée. Cette approche se veut globale en tenant compte de tous les aspects de la vie d'un individu par rapport à un contexte social donné et vise son intégration à cette société dans le respect des désirs et des aspirations des gens concernés. Ces ressources alternatives, en possédant leur couleur locale, en offrant un certain nombre de services souples et diversifiés selon les besoins et les aspirations des individus, constituent une alternative à l'hospitalisation et à la médication et répondent à des lacunes importantes du réseau actuel des services. C'est à partir de cette définition générale que le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec Inc. fonde sa réalité et son intervention, notamment en travaillant à développer dans le Québec un réseau de haltes-crises dans un contexte alternatif, en travaillant à la promotion et à la défense des droits et des recours possibles pour les personnes traitées en psychiatrie, en travaillant à sensibiliser la population à l'existence des ressources alternatives en santé mentale et à développer de telles ressources tant dans les grands centres urbains qu'en région, en travaillant sur le dossier santé mentale et jeunesse - d'ailleurs, un forum aura lieu cet automne è Drummondville - etc.

M. Côté (Réjean): Mmes et MM. les députés, vous n'êtes pas sans savoir que l'implantation d'un modèle alternatif ne se fait pas sans soulever certaines questions qui

ont une incidence directe ou indirecte sur une nouvelle politique en santé mentale, à savoir: Est-ce que cette nouvelle politique permettra une réelle actualisation des principes de participation des gens concernés, des principes d'accessibilité des services ainsi que des principes touchant la globalité d'intervention dans le milieu naturel? Cette nouvelle politique mettra-t-elle au premier plan l'information et favorisera-t-elle un travail dans et avec la communauté? S'assurera-t-on de sa participation aux prises de décision? Permet-elle, cette politique, de mettre en évidence les valeurs, les attitudes qui caractérisent l'intervention en alternative? Vise-t-elle à créer des structures dont la base est intimement liée à la communauté environnante? Cette politique en santé mentale dénonce-t-elle fortement toutes les pratiques aliénantes en santé mentale et, conséquemment, leur disparition? Met-elle assez l'accent sur la responsabilité et la complicité des personnes, des proches de la communauté? Insiste-t-elle assez sur les conditions de travail dans les ressources et l'incidence de ces dernières sur les interventions? Cette politique est-elle assez vigilante sur les différents aspects qu'implique une gestion décentralisée? Insiste-t-elle assez sur le travail multidisciplinaire? Cette politique précise-telle assez les modalités de fonctionnement et d'accès aux ressources communautaires locales de crise, de soutien, de réinsertion et d'hébergement? Est-ce que ces modalités s'adapteront aux besoins changeants des usagers/usagères? Pense-t-elle suffisamment la problématique de la santé mentale à l'intérieur d'un projet de société? Cette politique rend-elle compte suffisamment de notre volonté d'atteindre une gestion autonome et en fonction des besoins de développement des ressources alternatives?

Ces questions et d'autres sont pour nous, du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, fondamentales. Nous aimerions que la nouvelle politique en santé mentale en tienne compte.

M. Châteauneuf: En ce qui concerne les éléments de réflexion, justement pour une politique en santé mentale, au sujet de l'autonomie de la personne, nous aimerions que l'accent soit mis sur la personne, sur son autonomie, sur sa capacité à prendre des décisions, à faire des choix, à juger de l'étendue des restrictions à l'exercice de ses activités habituelles, la personne elle-même. Cette personne doit donc s'attendre à ce que le savoir qu'elle possède sur sa souffrance soit reconnu, ainsi que sa capacité à avancer elle-même des solutions è ses propres problèmes. (21 heures)

Concernant une approche personnalisée et centrée sur les besoins, nous aimerions que toute intervention se fasse à partir d'une approche personnalisée, justement, reposant sur des efforts concertés qui mettent au premier plan ce que nous appelons l'option milieu, C'est ce qu'on pourrait appeler une intervention graduée, qui partirait dans un premier temps des ressources personnelles de la personne intéressée, elle-même, qui irait ensuite aux amis, à la famille, ensuite à ce qui existe et qu'on appelle des groupes informels, loisirs, activités culturelles, voisinage et quartier. Qu'on tienne aussi compte, dans une graduation d'interventions quand un problème se pose, des groupes communautaires formels, que ce soit les associations de locataires, les coopératives, les groupes de femmes ou les associations de personnes divorcées, qu'on tienne compte de ces réalités-là. Aussi, lorsque le problème demeure, à ce moment-là, dans une intervention graduée, qu'on développe des ressources alternatives en santé mentale, c'est-à-dire des ressources bénévoles et communautaires dont l'action première est en santé mentale. Ensuite, lorsque le problème demeure, il y a lieu de faire appel au réseau public et parapublic, que ce soit le CLSC, le CSS, la famille d'accueil, d'autres ressources comme les services externes de main-d'oeuvre ou l'Office des personnes handicapées, dans un tel dossier. Enfin, l'établissement public en tant que tel, l'institution où on parle d'hospitalisation. Pour nous, cet aspect milieu est très important. Depuis une quinzaine d'années, s'est développée, un peu sans politique réelle, toute une démarche qu'on appelle aujourd'hui une approche communautaire qui s'est créée depuis les années soixante-dix, tout au moins, à coups de projets de création d'emplois, et tout cela s'est développé dans différents domaines, soit celui des jeunes, celui des personnes âgées ou celui des personnes handicapées, toute cette réalité qu'on appelle aujourd'hui les organismes communautaires.

Je pense que, dans un premier temps, le gouvernement a beaucoup suscité le bénévolat durant un bon nombre d'années. Je pense que cela a beaucoup ajouté à la qualité des services et à la qualité de vie d'un milieu. On a établi beaucoup de rapports, on a beaucoup essayé d'imbriquer ensemble le bénévolat, d'une part, et les services publics, d'autre part. Mais, je pense qu'aujourd'hui il faut reconnaître qu'il y a une réalité autre que le secteur public et le bénévolat, c'est l'approche communautaire. On se dit qu'en santé mentale cette approche ou cette réalité doit être prise en compte. Dans une option milieu où on favorise l'implication de la personne elle-même, de la famille, du quartier et des collectivités locales, où il y a émergence de groupes en santé mentale qui sont spécifiquement voués à venir en aide aux

personnes, je pense que c'est important de tenir compte de cela, dans une approche graduée, et ensuite de faire appel à des ressources du secteur public qui interviennent lorsque, vraiment, il y a lieu de procéder à une hospitalisation ou à un séjour de longue durée, mais en dernier recours.

Concernant les ressources du milieu, justement, nous demandons que soit reconnue, au préalable, l'implication des ressources alternatives, puisque cette implication est le reflet des besoins de la communauté, et que soit intensifiée l'implication des autres ressources du milieu, centres de bénévolat, groupes de femmes, maisons de jeunes, coopératives d'habitation. Quand on décrit les ressources bénévoles ou communautaires en santé mentale, on demande souvent si ces ressources sont complémentaires aux établissements publics, aux départements de psychiatrie. Nous disons que, dans la réalité quotidienne qu'on vit, notre complémentarité est beaucoup plus avec les autres ressources du milieu, avec les groupes de femmes, avec les associations de personnes divorcées ou séparées, avec les associations de locataires ou les coopératives d'hébergement. Notre complémentarité et notre travail sont beaucoup plus à ce niveau. C'est une complémentarité qui est beaucoup plus horizontale. Pour nous, c'est extrêmement important, si on veut que la collectivité possède un tissu social qui permette de contenir un peu des manifestations et de résoudre des problèmes de santé mentale dans sa population.

En ce qui concerne les programmes d'information et de sensibilisation, nous aimerions que les intervenants et intervenantes en ressources alternatives, les personnes ayant vécu des problèmes émotionnels et psychologiques ou ceux qui ont bénéficié de services psychiatriques soient les agents d'information auprès du public et que, conséquernment, on leur fournisse de l'argent pour cela. Que les agents du milieu naturel, les curés dans les presbytères, les épiciers, les barbiers ou les policiers, soient aussi adjoints à tout programme d'information et de sensibilisation. Que les ressources alternatives assument efficacement, à leur niveau et dans leur région, toute la sensibilisation d'un milieu par des programmes d'information conséquents et adaptés.

En ce qui concerne l'autonomie des ressources alternatives, nous aimerions que soit reconnue aux ressources communautaires et aux ressources alternatives une place prépondérante par rapport à certains services, à leur responsabilité quant à certaines activités et à leur rôle d'initiateurs de programmes d'information. Que les ressources alternatives bénéficient d'une autonomie qui leur soit reconnue par le ministère des Affaires sociales, les CRSSS, les CSS et autres établissements publics.

Concernant les droits de la personne, sur un point précis, nous aimerions que des comités d'admission en institution - cela s'inscrit un peu dans certaines politiques de développement, dans un projet de repenser la politique de santé mentale - possèdent une formule de fonctionnement qui assure le respect des droits des gens.

Concernant le plan de services, nous aimerions que dans l'élaboration d'un plan de services la personne puisse y participer, ainsi que la famille et que, dans le cas d'une compensation économique, celle-ci soit donnée à la personne même plutôt qu'à la famille, afin de favoriser l'autonomie de cette personne, et que soient précisées les modalités permettant cette implication.

Concernant la formation des intervenants et intervenantes, nous aimerions qu'on donne aux ressources alternatives le soutien - financier et autres - pour développer les moyens d'informer les usagers et usagères et aidants et aidantes, conformément à la réalité des ressources alternatives, afin de favoriser l'autonomie et la prise en charge, de se ressourcer et de partager les expériences.

Concernant la recherche, nous aimerions que la recherche soit en accord avec les besoins exprimés par la population elle-même et les intervenants et intervenantes; qu'un budget soit mis en place pour soutenir adéquatement ces recherches et qu'un budget spécial puisse être accordé aux ressources alternatives pour effectuer leurs propres recherches.

M. Dore: Ce que j'aurais dû préciser au cours de ma présentation tout à l'heure, c'est que c'est mon passé psychiatrique qui m'a amené à m'impliquer au niveau des organismes communautaires.

Au niveau de l'aide et de l'intervention non spécialisées, nous aimerions qu'une allocation des ressources privilégie les ressources alternatives afin de renforcer le réseau social des personnes ayant des problèmes de santé mentale, car ce réseau leur apporte une aide naturelle intégrée dans leur milieu de vie.

Par rapport au démantèlement des milieux asilaires, nous aimerions qu'on procède au démantèlement des milieux asilaires avec hébergement de longue durée, peu professionnalisés et qu'on se tourne vers le développement de petits pavillons gérés par des organismes sans but lucratif qui ont une approche positive de la santé.

Le suivi de l'intervention. Nous aimerions que, selon le type de ressources, une réévaluation périodique des besoins des personnes à risque soit faite.

Au niveau de la cure fermée et de la curatelle, nous aimerions qu'une révision périodique de la curatelle soit faite de façon

à permettre à la personne d'avoir la possibilité de juger par elle-même de cette nécessité et d'y adhérer ou non et ce, dans le respect de ses droits.

Au niveau de l'organisation des services, nous aimerions que soit précisée, au préalable, la distinction entre soins et services aux malades mentaux et services liés à la santé mentale. Les premiers devraient relever de la compétence du réseau des institutions quand l'urgence de la situation le nécessite. Les derniers devraient être sous la responsabilité de la communauté qui, elle, voit à mettre sur pied des services communautaires, notamment des ressources alternatives locales, des haltes-crises, des services de soutien et d'entraide, des associations de promotion et de défense de droits. Cette distinction, toutefois, s'inscrit dans une démarche où l'intervention est graduée.

Les références aux établissements. Il est recommandé qu'une bonne partie des références aux établissements se fasse par l'intermédiaire des ressources alternatives et communautaires.

L'équipe professionnelle. L'intervention de l'équipe professionnelle de santé mentale ne devrait avoir lieu que consécutivement et, dans la plupart des cas, à la demande de l'une ou l'autre des ressources communautaires ou des ressources alternatives, notamment lorsqu'une intervention graduée l'exige (intervention lourde).

Il est recommandé que l'équipe professionnelle considère que les ressources alternatives du milieu puissent disposer des moyens pour travailler étroitement avec les professionnels en cabinet privé pour autant que la santé mentale de leur clientèle, celle des ressources alternatives, est concernée.

Concernant le réseau de haltes-crises, il est recommandé que les haltes-crises et les centres de répit soient planifiés localement, sous-régionalement et régionalement par des personnes représentatives de la communauté et en fonction de leurs besoins.

Au niveau des centres de santé, il est recommandé que l'équipe locale des centres de santé s'adjoigne des intervenants du milieu, des personnes ayant des problèmes émotionnels et psychologiques et des agents du milieu naturel, etc.

Au niveau du travail, il est recommandé que l'on se penche sur la problématique de réinsertion à l'emploi pour les personnes ayant des problèmes d'ordre émotionnel et psychologique et qu'un soutien financier leur soit assuré.

Au niveau de la condition féminine, il est recommandé qu'une attention particulière soit accordée à la réalité spécifique des femmes.

Au niveau des commissions administratives régionales, il est recommandé qu'à ces commissions administratives régionales siègent en nombre égal les représentants de la communauté et des établissements du réseau.

Partenaire valable. Il est recommandé que le regroupement participe à toute révision des lois et règlements touchant de près ou de loin la santé mentale et participe à l'implantation d'une nouvelle politique en santé mentale dans la mesure où celle-ci s'inscrit dans les buts et objectifs du regroupement.

Au niveau des pouvoirs du ministère des Affaires sociales, il est recommandé que celui-ci accorde un mandat spécifique, basé sur une décennie, pour développer l'approche écologique par le développement des ressources alternatives.

M. Côté (Réjean): Maintenant, nous voulons céder la parole aux intervenants et intervenantes de PAL pour qu'ils ou qu'elles fassent part de leur réalité, notamment sur la question de l'hébergement et de la nécessité d'établir des tables de concertation dans chaque région ou sous-région.

Mme Ménard: Quelques données. Ces données sur PAL ne sont qu'un palier des difficultés que vivent les ex-patients psychiatriques, mais nous avons choisi de parler de celles-ci. Avant d'apporter quelques éléments de réflexion au sujet de la réinsertion sociale, nous aimerions rappeler quelques données.

On estime à plus de 20 000 le nombre de personnes ayant des problèmes émotionnels au Québec, dont la plupart vivent seules et sans soutien adéquat. Depuis 1955, le nombre de patients et patientes des hôpitaux psychiatriques en Amérique du Nord a diminué de près de 70 %. À titre d'exemple, l'hôpital Louis-Hyppolyte-

Lafontaine a réduit le nombre d'internés de 6000 à 2300 patients et patientes. Selon des chiffres officiels de l'hôpital Douglas, il y a 3323 suivis à l'externe (rapport annuel, 31 mars 1984) pour les régions de LaSalle, Verdun Est, Verdun Ouest, Côte Saint-Paul, Ville Émard et Pointe Saint-Charles, ce qui signifie qu'une équipe multidisciplinaire travaille auprès de 550 patients et patientes, alors qu'il y a douze ans elle travaillait auprès de 150 à 175 patients et patientes. De plus, pour 1983-1984, à l'hôpital Douglas, il y a eu 1323 admissions en psychiatrie et, pour la même année, 1330 congés.

Verdun Est et Pointe Saint-Charles sont les régions où le niveau des revenus est plus bas et où la situation du logement est la plus dégradée. Verdun Est regroupe la population la plus dense à l'intérieur du carré géographique 06A, à savoir 68 000 personnes, dont 10 % - chiffres officiels -sont bénéficiaires de l'aide sociale et 14 % sont chômeurs. Croyez-nous, il faut les

côtoyer pour voir comment s'installe, chez les personnes ayant des problèmes émotionnels, un niveau d'anxiété dès la mi-mois, sinon avant. Il nous faut ajuster notre intervention en conséquence.

C'est à Verdun Est que l'on retrouve un plus grand nombre de maisons de chambres. De plus, comme au centre-ville de Montréal, la disparition des logements à prix modique a entraîné une situation critique. Les gens "émigrent" de plus en plus en périphérie. À titre d'exemple, une étude démontrait que dans le quartier Saint-Jean-Baptiste les facilités d'hébergement des maisons de chambres ont diminué de 44 % de 1979 à 1982. Bon nombre de ces "emigrants" viennent à Verdun Est à cause des prix moins élevés des chambres. Cela laisse présager une situation critique dans un avenir très rapproché.

Il faut ajouter è cette situation que la plupart des membres - plus de 300 - de PAL vivent seuls en chambre ou dans un appartement d'une pièce et demie; qu'ils ont pour revenus 440 $ par mois ou 160 $ pour les moins de 30 ans sans certificat médical. Alors que, plus on se déplace vers l'ouest de la région 06A, plus les personnes ayant des problèmes émotionnels demeurent dans leur famille, ce qui signifie qu'à Verdun Est et à Pointe Saint-Charles les ressources familiales sont inexistantes et cela a une forte incidence sur la situation du logement.

Il existe 300 familles d'accueil qui ont des résidents et résidentes ayant des problèmes émotionnels dans la région sud-ouest. Nous avons dénombré un minimum de treize propriétaires de maisons de chambres, ce qui permet d'établir qu'il y a un minimum de 153 chambres.

M. Nadeau: Nos recommandations sont des tables de concertation ouvertes sur le milieu. Afin de s'assurer que ces tables de concertation réelle, ouvertes sur le milieu, sont formées de OSBL, pourraient, à titre d'exemple, y siéger des personnes ayant des problèmes émotionnels, des citoyens et citoyennes, des professionnels, des gens du milieu des affaires, du milieu du travail, du milieu communautaire ainsi que du milieu des ressources alternatives, etc., et autres personnes issues de groupes actifs concernés par la santé mentale. 2. Ce comité aurait comme principal rôle de planifier le processus de réinsertion sociale sur une base régionale ou sous-régionale, selon le cas, tout en s'appuyant sur une stratégie d'intervention afin que les démarches de réinsertion ne se fassent pas de façon anarchique, arbitraire, etc. (21 h 15)

Troisième point, ce comité pourrait s'interroger: a) sur ce qu'on entend par réinsertion sociale, sur les ressources à mettre en place, les responsabilités, etc.; b) sur la capacité du milieu à vivre et à assumer cette réinsertion; c) sur ce que signifie la décentralisation; d) sur les attitudes è éviter et d'autres à favoriser pour assurer un bon climat social; e) sur la réinsertion sociale à l'emploi, par exemple, la création d'une entreprise à but lucratif pour les gens concernés, etc., afin que par un processus de valorisation individuelle on puisse, dans la mesure du possible, viser è des retombées pour la communauté; f) sur un programme d'information et de sensibilisation qui a fait l'objet d'une réflexion concertée et qui s'appuie sur les caractéristiques propres du milieu. Cette information et cette sensibilisation devraient être adaptées selon les catégories de gens comme, par exemple, une association de propriétaires, de locataires, d'industriels, de commerçants, etc.; g) sur des études pertinentes à effectuer pour consolider, développer, analyser ce processus de réinsertion sociale sous tous ses aspects. Le comité verrait à assurer une collaboration entre les chercheurs (et les chercheuses) et la communauté et à soutenir leurs recherches; h) sur la mise sur pied d'équipes de travailleurs et de travailleuses de rue qui auraient un lien direct avec le milieu, le quartier. Ces équipes multicisciplinaires verraient à offrir des services de soutien, de surveillance appropriée afin que les personnes ayant des problèmes émotionnels atteignent une certaine stabilité dans leur vie. Ces équipes verraient aussi à offrir un soutien à la famille et è accomplir un important travail de prévention, de sensibilisation dans le quartier. Bref, ces équipes issues du milieu et travaillant dans le milieu feraient un lien entre les personnes ayant des problèmes émotionnels, le milieu hospitalier, la communauté, tout en prenant racine dans les ressources alternatives en santé mentale.

Mme Blanchard: Nous croyons aussi que le comité pourrait s'interroger sur la nécessité de reconnaître, d'une part, le travail des ressources alternatives en santé mentale, lequel travail s'appuie sur l'option du milieu et sur l'intervention graduée dont on parlait un peu plus haut et, d'autre part, le financer adéquatement, c'est-à-dire en parlant de budget de consolidation, budget de formation et budget de recherche.

On aimerait aussi que le comité se penche sur la préservation et l'amélioration des services communautaires favorisant la réinsertion sociale des personnes ayant des problèmes émotionnels, c'est-à-dire, par exemple, les services d'éducation, de formation, de loisirs, etc., et qu'une liste de tous les services offerts soit largement

diffusée dans le milieu. Afin de garantir l'accès è ces services, à ces activités aux personnes ayant des problèmes émotionnels, on aimerait que ces services soient gratuits et effectués dans la communauté. Les activités ayant des coûts quelque peu élevés se trouvent à exclure ipso facto les intéressés à cause de leur situation financière, par exemple, pour l'éducation populaire. Le comité devrait voir à donner aux services communautaires un caractère permanent afin de ne pas susciter de faux espoirs. C'est une des critiques qu'on reçoit beaucoup chez nous.

Sur la situation de l'hébergement, on aimerait, dans un premier temps, une étude pour préciser ce que recoupent concrètement les maisons de chambres, c'est-à-dire les données socio-économiques, les conditions de vie, etc., pour connaître réellement la situation des logements à prix modique et les besoins immédiats et futurs, pour faire des recommandations spécifiques. Ce comité devrait voir à ce que des programmes soient mis à la disposition de propriétaires de maisons de chambres pour les encourager à procéder à l'entretien des lieux. Le comité, en s'associant à d'autres intervenants, verrait à ce que les propriétaires de maisons, après rénovation, n'abusent pas de la situation par une hausse de loyer, ni qu'ils privilégient uniquement les personnes n'ayant pas de problème émotif. Enfin, le comité devrait s'assurer que la présente réserve de logements à prix modique soit préservée et améliorée.

Enfin, le comité pourrait se pencher sur la nécessité de faire des représentations auprès des différents gouvernements, provincial et fédéral, pour augmenter substantiellement les allocations de logements à prix modique pour personnes à faible revenu.

De plus, considérant que le coût approximatif pour l'hospitalisation d'un ou d'une patiente est de 100 000 $ par année et que les cas de retour en institution sont de 90 % dans certaines régions, nous aimerions qu'une partie de ces montants soit affectée à des comités de réinsertion sociale, comme défini plus haut, et que des budgets soient accordés pour consolider et développer les ressources alternatives et bien d'autres.

M. Auclair: Nous voulons donc réitérer notre désir d'engager, de continuer ou de reprendre les dialogues sur les divers aspects de la problématique de la réinsertion sociale pour les personnes ayant des problèmes émotionnels et psychologiques avec l'ensemble des participants décideurs, partenaires et intervenants préoccupés par la santé mentale. Chacun a une contribution nécessaire à apporter dont, principalement, les concernés et les usagers.

Merci de votre attention, en espérant que ces quelques éléments de réflexion seront utiles pour les travaux de la sous-commission. Nous attendrons avec intérêt les résultats de votre commission. Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je veux remercier à la fois le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec et le groupe PAL (Alternance en santé mentale) pour leurs mémoires et d'être venus se présenter devant la sous-commission.

Vous dites espérer que ces quelques réflexions vont alimenter nos discussions. Il y a beaucoup de matériel, même dans ce qui maintenant est un résumé de votre premier mémoire qui était encore plus détaillé quant aux exemples qui étaient apportés. Inutile de vous dire que, dans ce sens, vous nous avez apporté beaucoup de matériel.

Ceci étant dit, il est évident que votre approche, dans votre première partie, c'est-à-dire les questions que vous posez, cela s'adresse à ceux qui vont définir la politique de la santé mentale. Je pense qu'il y en a qui sont ici, comme fonctionnaires de l'État, qui doivent faire ce boulot. Vous leur posez passablement de questions et je suis sûre qu'ils vont en tenir compte.

Je passerai plutôt à la page 6. Avant de poser une question précise, je dirais que vous faites un cheminement à l'inverse, ou presque, de la pratique psychiatrique traditionnelle. Par exemple, si je me réfère à vos éléments de réflexion pour une politique en santé mentale, sur l'approche personnalisée et centrée sur les besoins, par exemple, on parle des ressources personnelles de l'individu, on va vers son milieu, on va vers la communauté et, progressivement, en dernière étape, on va vers l'institution interne, alors que ce qu'on observe d'une façon générale, je pense, c'est qu'on va vers l'institution. Peut-être qu'on fait non pas nécessairement exactement la démarche inverse, parce qu'on s'occupe quand même de la famille avant, la communauté ou ces choses-là, mais, lorsque vous dites de faire un peu ce cheminement inverse, ne pensez-vous pas que le patient lui-même, le bénéficiaire ou la personne qui est à la recherche d'aide fait lui-même appel à l'institution, que ce soit l'hôpital ou une institution du réseau? Je voudrais quand même que vous explicitiez là-dessus. Voulez-vous dire qu'il faut faire appel à l'hôpital ou à l'institution du réseau, mais que l'institution, dans les solutions offertes, doit faire le cheminement un, deux, trois, quatre, cinq, six? Voulez-vous dire cela?

J'ai l'impression que c'est une démarche renversée. Je pense que c'est bon dans le sens qu'on doit toujours recourir à l'institution, particulièrement à l'institution en fonction de ses services internes, en dernier ressort, mais il reste aussi qu'il y a

des réalités qui font que le processus ne se met pas nécessairement en marche de la façon dont vous le souhaiteriez.

M. Châteauneuf: C'est une question intéressante, Mme la Présidente. J'aimerais y répondre, vu que j'ai abordé un peu cet aspect dans notre texte. Effectivement, je pense qu'on parle beaucoup de désinstitutionnalisation ces jours-ci, ces années-ci. Pour reprendre une parole qui a déjà été dite, le problème majeur, ce n'est pas de sortir les gens des hôpitaux, mais c'est d'éviter d'y entrer.

Quand on fait - je pense que le ministère va un peu dans le même sens - le bilan des services actuellement disponibles, on constate que la majorité des services est de type médico-hospitalier qui sont loin de répondre a l'ensemble des besoins de la population. Il y a une absence de filet préventif. La population a été un peu habituée, peut-être avec le démantèlement du tissu urbain, à se décharger un peu des problèmes auxquels elle est confrontée, pour faire appel à des spécialistes.

Il y a évidemment - je pense que cela ne changera pas du jour au lendemain - une demande, chez une bonne partie de la population, de faire appel à des spécialistes, à des gens savants, à des gens comme des médecins ou des psychiatres, souvent. Par contre, il faut rappeler que ces gens sont frustrés dans leurs attentes aussi. Souvent, le médecin, le psychiatre est peu disponible sur l'étage. Il ne faut pas se leurrer sur ce type de demande, mais il y a bel et bien une demande comme celle-là et je pense qu'il faut un changement de mentalité qui va se faire de façon progressive.

Ce que nous voulons souligner, c'est que l'implication de la communauté, en santé mentale, est possible. Elle s'est développée, de toute façon, dans différents secteurs, dans ce que j'appelais tantôt l'approche communautaire. En santé mentale, il faut que ce type d'approche soit suscité. Cela va développer - je parlais tout à l'heure d'une complémentarité qui se veut d'abord horizontale - des tissus qui vont éviter des hospitalisations et je pense que c'est là que l'accent doit être mis. Il y a le problème de sortir les gens de l'hôpital, mais aussi une réflexion à faire sur la façon d'éviter que ces gens soient hospitalisés.

À Drummondville, l'expérience concrète qu'on en a - je pense que, dans d'autres ressources alternatives, c'est pareil - c'est que la communauté est ouverte au fait de venir en aide à des gens qui sont confrontés à des problèmes de santé mentale. Quand on parle de programmes de création d'emplois temporaires, les organismes communautaires sont ouverts à engager des gens qui ont des problèmes de santé mentale pour leur offrir des emplois. La communauté a des possibilités et c'est cela qu'il faut réhausser, qu'il faut stimuler. La présentation du CRSSS de Montérégie a été très intéressante, dans ce sens. Ils ont fait un effort dans ce domaine et je pense qu'ils sont très satisfaits du cheminement qu'ils ont entrepris. C'est un peu ce qu'on veut souligner quand on parle d'une option de milieu, intensifier ce tissu social.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans votre esprit, vous dites qu'il faudrait que les mentalités évoluent. Est-ce que la personne qui a un problème de santé mentale, en admettant que les mentalités évolueraient, possiblement - je parle de quelqu'un qui n'a jamais été impliqué dans les organismes alternatifs ou communautaires, mais quelqu'un, chez lui - irait d'abord frapper chez vous avant d'aller frapper à l'hôpital? Est-ce que c'est cela que vous souhaitez?

Mme Blanchard: Je ne sais pas si vous m'entendez. Une des réalités, à PAL, touche exactement ce que vous nous dites. Je crois qu'on a presque 400 membres réguliers, chez nous. Il existe, en effet, une population longtemps habituée à se rendre directement chez le psychiatre ou chez le thérapeute, avec beaucoup de frustrations; c'est une habitude qui est là, je pense. Il existe de plus en plus - et nous en souffrons - chez nous, de jeunes qui n'ont pas eu cette habitude et qui demandent à tout prix de trouver d'autres solutions que celle de se rendre à l'hôpital. À cause du manque de ressources, nous nous retrouvons avec des situations de crise aiguë et dans un "double bind", si on peut dire, une ambiguïté, parce qu'on essaie d'éviter de frustrer la personne en lui disant: Le seul recours, dans ta vie de crise, est actuellement l'urgence de l'hôpital, mais il n'y a rien d'autre. Je dois vous avouer que, chez nous, de plus en plus, la demande est clairement là. Quand la personne est en crise, c'est le soir ou la fin de semaine et c'est chez nous que cela vient se vivre. La dernière chose qu'on veut faire, c'est se rendre à l'hôpital. C'est une des réalités. (21 h 30)

Je pense que vous avez raison de dire qu'il y a comme une habitude qui est là depuis longtemps, il ne faut pas se leurrer, chez les gens, de se rendre directement à l'institution, mais, pour d'autres, c'est de maximiser les ressources chez la famille qui s'épuisent très rapidement. Quand la famille ne veut plus, ce sont les amis qui, eux aussi, finissent par fermer les portes et, ensuite, c'est beaucoup les ressources alternatives qui, à un moment donné, débordent de ce genre de demandes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On sait fort bien que les organismes sans but

lucratif ou communautaires sont insuffisants, mais, oublions cet aspect de leur insuffisance, en connaissez-vous qui pourraient - justement vous parlez beaucoup de la réponse aux crises que les organismes volontaires peuvent apporter... - Prenons les mieux structurés, ceux qui fonctionnent de la façon la plus souhaitable, sont-ils capables de répondre véritablement à ce qu'on appelle l'intervention de crise à laquelle, présentement, la clinique externe, l'urgence ou quelqu'un d'autre répond? Est-ce cela que vous me dites: Que vous croyez qu'un organisme volontaire pourrait lui-même répondre à ce qu'on appelle l'intervention de crise chez une personne présentant des symptômes de comportement aigu?

Mme Blanchard: Je ne sais pas si d'autres veulent répondre après moi, mais ce que je répondrai à cela, c'est que nous sommes limités jusqu'à un certain point. Chez nous, on est un centre de jour, soir et fin de semaine. Évidemment, quand quelqu'un vit une situation difficile, cela demande à ne pas avoir à attendre dans une salle d'attente comme il le fait toujours avec son thérapeute. Chez nous, il y a cette disponibilité d'écoute qu'on peut offrir et aussi une grande affectivité qui se vit parce que la personne est habituée de venir le jour. Donc, si cela répond à votre question: Jusqu'à un certain point, oui. Mais à cause de la demande qui augmente, si deux animateurs sont en train d'animer un groupe et qu'une personne s'adonne à vivre une situation de crise, cela mobilise quand même beaucoup. Plus le temps avance, plus on s'aperçoit, quant à nous, que non. Si notre mandat vise les activités d'un centre de jour, il faudrait soit créer des équipes de rue, comme on disait, qui seraient disponibles à ce moment-là pour aller voir la personne chez elle quand elle nous appelle et que ça ne va pas, soit essayer de mobiliser les personnes autour de cet individu-là au lieu de tout de suite penser à la police, l'Urgence-santé, l'hôpital. Je pense que non, comme vous dites, parce qu'il y a des ressources qui pourraient se vouer à ce mandat-là. Mais les ressources alternatives ne peuvent pas tout. Nous, on se sent bien limité à ce sujet. Quand cela arrive une fois de temps en temps, c'est certain qu'on y répond, mais cela augmente trop.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vais être très honnête avec vous autres -c'est ma réaction personnelle, ce n'est pas la réaction de la commission, mes collègues pourront réagir par la suite - je vais vous dire spontanément comment... Je suis non seulement très sympathique, mais je souhaite que les organismes alternatifs provenant de la communauté se développent et remplissent des fonctions complémentaires et, probablement si l'on creuse davantage, que se développent davantage des fonctions qui pourraient être des fonctions de base dans le domaine de la santé mentale.

Ce que je perçois de votre mémoire, c'est qu'il semble qu'il n'y aurait presque pas de limite aux possibilités que les organismes alternatifs ou communautaires puissent finalement presque remplacer la partie de l'approche qui est biologique et l'autre partie qui est psychologique: psychothérapie, etc. J'ai l'impression que... ou je perçois mal. Dans ce sens-là, si c'est ce que vous voulez dire, je ne suis pas prête à dire qu'il faut faire ce saut-là ou qu'il faut aller jusque-là. C'est sur cela que j'aimerais - si vous avez compris ma question - que vous tentiez de me répondre.

Mme Ménard: Pour avoir vécu deux séjours psychiatriques, le premier en 1979 et un autre l'été dernier, je peux dire que ce qui est pénible quand on chavire, parce qu'il n'y a pas d'autre mot, et qu'on ne communique plus à ce moment-là avec les gens, c'est de se retrouver avec des étrangers, des gens qu'on ne connaît pas, de subir tout ce que tout le monde veut bien parce qu'on n'est plus en un état de communiquer. J'ai vécu l'expérience, l'été dernier, d'une amie qui travaille en psycho et elle a passé trois jours avant une hospitalisation. On a essayé de voir ce que cela donnerait. Elle disait que le seul problème, c'est qu'elle s'épuisait physiquement. Je ne suis pas violente. Si on ne me pose pas de gestes de violence, je n'ai jamais été violente. Mais, j'avoue que, lorsque j'ai été hospitalisée en 1979, j'ai été violente avec des gens qui me prenaient, qui me mettaient, qui m'obligeaient à être à des endroits où je n'avais pas le goût d'être. Quelle est pour moi la différence d'être couchée dans un cachot, seule avec un matelas, pas de toilette, rien, toute une nuit et d'être couchée... Moi, en tout cas, je préférerais être entourée de gens avec qui je me sens bien dans des conditions de vie digne. Et pour moi, une toilette, c'est être digne. En tout cas, il reste que, pour moi, me faire déshabiller devant cinq infirmiers parce qu'on me l'imposait, cela n'est pas être digne. Je ne sais pas, en quelque part, j'ai accroché la première fois où j'ai été hospitalisée, et j'avoue que j'ai déménagé trois fois avec tout ce que cela implique et le peu d'argent que j'avais pour me trouver un hôpital où j'étais certaine d'avoir de bons soins. Ce qui est arrivé la dernière fois, j'ai été hospitalisée à Charles-LeMoyne. Mais toute la démarche que j'ai faite entre-temps pour aller me chercher des soins... Et je suis ici, parce que dans le fond je souhaite que la prochaine fois que je serai hospitalisée, parce que je sais qu'un jour je vais y aller encore, parce que j'ai la maladie, je l'ai

jusqu'à ce que... Même si je fais attention, même si... Pour moi, c'est important d'aller me chercher une ressource qui va m'accorder un soin et de l'affection un peu. Quand je chavire, j'ai besoin qu'on m'aime. Cela fait un an que je suis hospitalisée et je ne suis pas encore capable d'embrasser quelqu'un, à tel point que, dans un hôpital, c'est comme... Je ne peux pas expliquer. Il y a, en quelque part, qu'on m'enlève ce vouloir de rejoindre un autre être humain. C'est cela, je pense qui, pour moi, est important.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Et vous ne retrouvez pas...

Mme Ménard: J'avoue que - je vais nommer l'hôpital - quand j'ai été hospitalisée à Douglas, j'ai retrouvé un infirmier qui m'offrait cette chaleur, qui m'a sortie, qui m'a promenée sur le terrain de l'hôpital. Mais j'avoue qu'il y en a d'autres qui ne m'ont pas offert cette qualité. Me traiter de grosse folle... Je veux dire: je suis "capotée", mais ma mémoire a quand même emmagasiné même si, pour eux, je n'étais pas là, je n'étais pas présente. C'est cela qui est pénible parce qu'on se souvient de ces détails et on ne veut plus jamais retourner. C'est clair. Alors, on fait un paquet de démarches incroyables. Il reste qu'à travers les ressources alternatives, ce que je déplore actuellement, c'est qu'ils n'ont pas... Quand je suis en pleine crise, en folie furieuse, ils ne peuvent pas malheureusement, ils n'ont pas le personnel qu'il faut pour... Finalement, j'aboutis dans un hôpital psychiatrique. Mais j'avoue qu'à Charles-LeMoyne c'était beaucoup mieux, c'était humain.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous dites, en opposition, que, dans un. e ressource alternative, vous retrouvez cette chaleur ou cet environnement qui favorise la relation, le contact et...

Mme Ménard: C'est qu'au lieu de vouloir passer six semaines ou prolonger ma maladie parce que, quand on est malade, il y a un côté où on s'écoeure, on se décourage, alors on veut prolonger notre séjour... C'est dommage à dire, mais c'est cela. Ce qui arrive, c'est que, s'il y a des gens qui sont autour, qui t'aiment et qui te disent: II faut que tu reviennes, cela va bien se passer. Alors, ta démarche de revenir en santé mentale est beaucoup plus accélérée parce que, quelque part, il y a quelqu'un qui te fait confiance. S'il y a quelqu'un qui me confie un emploi, me fait confiance, me dit: Bon... C'est un des problèmes que les psychiatrisés vivent. C'est cela, c'est ce manque de confiance. J'ai sombré trois semaines la première fois, trois semaines la deuxième fois en cinq ans. Finalement, tout ce que je demande, c'est que ces trois semaines soient humaines. Je les veux...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans le fond, je me demande si ce que vous venez de nous dire, c'est peut-être davantage critiquer - enfin, je ne mets pas un sens péjoratif - mais l'atmosphère du département de psychiatrie ou de l'hôpital psychiatrique tel qu'il existe présentement, plutôt que votre désir d'aller dans un autre milieu... Si le milieu psychiatrique était amélioré pour répondre aux besoins que vous avez, vous n'auriez plus les mêmes objections à y aller.

Mme Ménard: À la limite, oui, parce que, finalement, si tout le monde te dit folle et tout le monde te traîne avec un paquet de policiers, tu dis: Je dois être "capotée" vrai. Tandis que si cela se fait - ça l'air drôle de dire cela - dans un contexte où c'est plus doux, où c'est plus humanisant, bien, c'est comme avoir, je ne sais pas, une maladie ordinaire, avoir une crise de foie ou être hospitalisé dans un climat normal et puis récupérer graduellement au lieu d'être une espèce de bombe qui éclate, où tout chavire. C'est cela, finalement, qui est pénible et c'est ce qui fait que les gens n'ont pas... Plus la bombe a éclaté fort, plus cela prend du temps à bouger après, à réorganiser.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon! Écoutez, j'ai déjà pris... Je reviendrai plutôt, je vais donner la parole à... Ah! II y a M. le député... Alors, M. le député de Bou-rassa.

M. Laplante: Je trouve cela admirable, votre témoignage. Que vous puissiez en parler ouvertement, je souhaiterais qu'ils fassent tous comme cela, afin que l'on puisse encore mieux, comme individus qui n'avons pas passé par cela, on a peut-être eu d'autres maladies dans les hôpitaux et on parle ouvertement de ces dernières... Là, ce par où vous avez passé, de la façon dont vous en parlez, je vous admire énormément. Cela me fait comprendre encore plus le problème de la réinsertation dans la société, comme on le vit aujourd'hui.

C'est que les 18 organismes que vous représentez, c'est beaucoup d'organismes. Votre organisme seul avec 300 membres, avec un conseil d'administration dont huit de ses membres, ce sont des "ex", bravo! C'est cela se prendre - je le crois - en charge et s'occuper de quelque chose d'utile où on peut prévoir un demain, un après-demain et tout cela.

Cela m'amène à vous poser des questions sur les obstacles que l'on trouve à pouvoir réintégrer les ex-malades dans la société. On a le problème syndical aussi et, actuellement, il n'y a personne qui a pu en parler d'une façon ouverte dans les

mémoires, ainsi que les problèmes qui peuvent se rencontrer, à part l'hôpital Douglas qui en a parlé un petit peu, à savoir des subventions de 200 000 $ qu'ils ont perdues, pour essayer d'avoir des programmes d'étudiants, des programmes du fédéral qu'ils avaient pour deux ans; cela a été refusé au point de vue syndical. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Qu'est-ce que vous pensez d'un appel que vous pourriez faire, à un moment donné, aux syndiqués, d'être aussi humanisés dans ce secteur qui fait partie de l'intégration de ces malades?

Je voudrais avoir votre avis sur le fait d'aller en appartement. On nous a signalé, dans un mémoire qu'on aura demain, les dangers pour les patients d'aller en appartement. Ils disent qu'ils ne se font pas à manger, ils se lèvent des fois à des heures trop tôt pour aller au travail si ce n'est pas contrôlé, ils s'habillent moins. En tout cas, peut-être une vingtaine d'arguments qu'on apporte là-dessus. J'aimerais avoir votre point de vue, ce que vous pensez du problème des appartements, si vous êtes pour cela, pour une réinsertion. Cela fait plusieurs choses!

M. Côté (Réjean): Dans un premier temps, vous avez parlé de la dimension syndicale.

M. Laplante: Oui.

M. Côté (Réjean): Ce ne sera peut-être pas nécessairement une réponse précise que je peux vous fournir, sauf que ce qu'on peut vous dire, c'est que, au regroupement, nous sommes très conscients qu'il y a des choses qui se passent à ce niveau. Nous sommes assis à une table qu'on appelle un front populaire dans le domaine de la santé, qui regroupe les instances syndicales, FTQ, CSN, FAS, et nous travaillons à résoudre des problèmes. Cette démarche, elle est lente. Vous pouvez voir qu'on est des fois très loin et des fois plus proche, mais, en même temps, on accepte de s'asseoir ensemble, de poser les problèmes et de tenter d'y répondre. Je pense que, en ce qui concerne le problème de la désinstitutionnalisation, certains se dirigent vers un moratoire. Nous, nous pensons, à la suite d'autres avis très sérieux, que beaucoup de choses ont été dites là-dessus et qu'il est temps de procéder à des choses. Mais, présentement, nous sommes rendus là, sauf que nous avons certaines positions dans lesquelles nous avançons avec eux. Je ne sais pas, Guy, si tu veux peut-être y aller. (21 h 45)

M. Châteauneuf: Disons que c'est vraiment au niveau des discussions qu'on établit et qu'on maintient encore cette semaine, par notre présence à Québec, avec entre autres la Fédération des affaires sociales, où on est bien conscient qu'une désinstitutionnalisation, cela implique... On parle du démantèlement des hôpitaux psychiatriques, c'est beaucoup d'emplois, de syndiqués... Donc, le syndicat est directement concerné. D'autre part, je pense qu'ils ont un préjugé favorable - en tout cas la Fédération des affaires sociales et la CSN - pour un mouvement de société ou pour repenser un projet de société où il y aurait peut-être une meilleure qualité de vie, entre autres pour les bénéficiaires ou les personnes hospitalisées en psychiatrie.

Dans une des recommandations qu'on fait, par exemple, on dit que, lorsqu'il sera question de démanteler des hôpitaux psychiatriques, on forme des organismes sans but lucratif sous forme de pavillons, si vous voulez, mais de petite dimension, où l'implication de la communauté serait vraiment réelle pour que ces petits pavilions soient intégrés dans la communauté, que cela ne soit pas du parachutage de résidants de milieux asilaires dans des quartiers ou dans des villes. Si c'est encore néoinstitutionnel, à ce moment-là, je pense qu'il peut facilement y avoir un rejet du quartier ou de la communauté. Je pense que les gens du CRSSS de la Montérégie le soulignaient, il faut que la communauté praticipe au conseil d'administration et à l'assemblée générale, avec les maires et les échevins; c'est tout cet aspect-là. Je pense que la communauté doit être bien présente.

Du côté syndical, je pense que le milieu syndical a des défis auxquels il doit faire face. Je pense que, quand on parle de démantèlement, le syndicalisme ne se vivra pas de la même façon que !e syndicalisme où il y avait 1000 employés dans la même boîte. Si on parle de petite boîte, le syndicalisme doit être pensé différemment. C'est à ces sujets qu'on essaie d'échanger avec le milieu syndical.

M. Laplante: Sur les appartements?

M. Châteauneuf: Entre autres les pavillons et les gros milieux asilaires.

M. Nadeau: Sur les appartements en tant que tels, par exemple dans la région sud-ouest, la région 6A, les gens, après avoir vécu une hospitalisation et qui se retrouvent tout seuls dans un appartement d'une pièce et demie ou dans une chambre, se voient, si vous voulez le terme, "capoter", en train de, littéralement, avoir des hallucinations, de s'imaginer qu'il se passe des affaires qui ne sont pas réelles parce qu'elles sont tellement en train de voir le mur qu'elles ne savent plus quoi faire. Étant donné qu'il y a des gens qui n'ont pas de certificat médical, en bas de 30 ans, sans certificat médical, qui vivent avec 160 $, ils vivent dans une chambre qui coûte 150 $ par mois, vivent

très peu, et même comment font-ils? Je connais une personne en particulier. Ces gens-là ne fonctionnent pas bien, ne font pas quoi que ce soit en tant que tel, si vous voulez, et ce qui arrive à la fin, c'est qu'ils veulent retourner à l'hôpital parce qu'ils savent qu'il vont avoir la nourriture, ils vont avoir quelque part où rester. Aussi, parmi les effets de demeurer dans un appartement d'une pièce et demie, semi-meublé ou meublé, les gens ne vivent pas pas comme... Ils sont dans l'isolement total par rapport à eux et la société. Personne ne veut savoir qu'ils sont là, les parents sont "tannés" de les voir après un certain temps, les amis sont épuisés. Les ressources alternatives, dont nous faisons partie, dans la région de Verdun, répondent aux besoins des gens. Mais, la situation de crise est très difficile pour nous. Je suis moi-même bénévole là-bas et, durant le temps où les animateurs sont en train de travailler, les situations de crise proviennent premièrement du fait qu'ils sont tout seuls toute la journée et toute la soirée dans l'appartement. Pendant trois ou quatre jours, ils ont très peu mangé, ils ne savent pas du tout ce qu'ils vont faire. Ils viennent donc au centre communautaire et ils font une crise.

M. Laplante: Dans ce cas-là, vous favoriseriez beaucoup plus les foyers de groupe, quatre ou cinq personnes ensemble, ou les foyers familiaux, trouver une bonne famille qui pourrait les aimer et s'occuper d'eux.

M. Nadeau: Oui. Présentement, à Verdun, nous avons une bonne maison de transition. J'y habite moi-même. Nous sommes sept è y habiter, c'est une résidence pour huit. Mais c'est une maison de transition pour toute la région sud-ouest qui comprend LaSalle, Côte Saint-Paul, Ville Émard, Verdun et la Pointe Saint-Charles. Avec la population des ex-patients qui sortent de l'hôpital, il y a une liste d'attente...

M. Laplante: Est-ce que vous auriez vécu cette expérience en appartement?

M. Nadeau: Oui, j'ai vécu... L'an dernier, j'étais à la maison de transition au moment où c'était six mois de résidence. On m'a demandé par la suite, parce que les six mois étaient écoulés, d'aller habiter ailleurs. Je suis allé dans un appartement d'une pièce et demie dont le poêle ne fonctionnait pas. J'ai demandé plusieurs fois au concierge de l'arranger et il n'a pas voulu. J'ai payé un montant exorbitant. Je vivais avec 145 $ par mois. J'ai presque inexisté moi-même. J'avais un peu de fonds, mais j'ai vraiment... Je suis déménagé, je suis allé en chambre où j'étais capable de calculer les petits points sur le mur, sur le plafond, littéralement! J'étais trop angoissé. Je me suis dit: Je vais retourner à l'hôpital. Mais une des choses que je m'étais promise, c'était que je n'y retournerais pas. Il n'y a aucun endroit où les gens peuvent nous donner du soutien dans une situation de crise d'une personne, soit que ce soit calme ou une situation de crise physique... Moi, par exemple, depuis que je suis au projet PAL... S'il n'y avait pas eu le projet PAL et la maison de transition, je ne serais pas ici. J'étais dans une situation où j'étais suicidaire, il y a deux ans. Je ne voulais plus vivre et les gens au projet PAL sont venus tranquillement. Je suis allé les voir et, tranquillement pas vite, je me suis intégré à eux. Après un certain temps, je me suis habitué à eux, j'ai commencé à me familiariser, à me faire des amis et à vouloir être avec eux, à tel point que j'ai voulu faire du bénévolat pour eux, j'ai voulu aller à des congrès pour eux et soutenir le projet PAL, les résidents de la maison de transition, les ex-patients proprement dits.

Mme Ménard: Je voudrais ajouter une problématique...

M. Laplante: Oui, vas-y.

Mme Ménard: Ce qui arrive, c'est que les gens qui font des séjours en psychiatrie, assez régulièrement, ne s'engagent pas dans un bail parce que cela implique toutes sortes de complications. Souvent, ils perdent leurs meubles. Durant leur hospitalisation, personne n'entreprend la démarche de maintenir leur logement. Quand tu es à l'hôpital, tu ne reçois plus de chèque du BS. C'est ce qui arrive. Donc, plusieurs ayant perdu plusieurs fois des meubles, c'est pour cela qu'ils s'en vont dans des chambres finalement. C'est à cause d'une partie de cette problématique.

M. Laplante: D'accord. Au sujet des centres de jour et de la fréquence des usagers, comment faites-vous, d'abord, pour le recrutement pour le centre de jour? Celui qui commence à y aller, est-ce qu'il persiste à y aller?

M. Nadeau: Les usagers? M. Laplante: Oui.

M. Nadeau: La plupart des gens viennent d'eux-mêmes, c'est-à-dire qu'on fait les communications auprès du journal Le Messager - c'est un journal local - aussi par la clinique externe de Verdun de même que l'hôpital psychiatrique Douglas qui nous permet d'afficher sur les murs. On fait affaires avec le CPC, qui est le centre psychiatrique communautaire, avec les infirmières et les bénéficiaires. La plupart des membres viennent de l'hôpital Douglas,

et cela a commencé en 1975, parce qu'il n'y avait pas de place pour ces gens-là, lorsque quelques membres ont insisté pour avoir un endroit pour eux. Cela a commencé par là. Quelques membres de la communauté ont formé un centre communautaire, dont le centre de jour du projet PAL. De là, cela a été tranquillement. Au fur et à mesure des années, les gens sont venus s'intégrer au projet. Moi-même, je suis venu parce que j'étais à l'hôpital Douglas. On m'a amené à la maison de transition. Pendant quelques mois, je ne voulais pas aller au centre communautaire. Plus tard, quand je me suis retrouvé en chambre, je n'avais pas d'autre endroit où aller. Je suis allé de moi-même. Après cela... La plupart des membres viennent de l'hôpital Douglas, par exemple. Ils viennent d'eux-mêmes.

M. Laplante: Je vous remercie. Mme Ménard: Je voulais ajouter...

M. Auclair: Je pourrais peut-être vous donner un autre exemple d'un centre de jour, qui s'appelle Solidarité-Psychiatrie, sur la persistance justement. Cela devient à un moment donné un peu un lieu d'appartenance. La personne va venir un bout de temps, va se retirer et ça va devenir un lieu où elle a une confiance. Donc, elle va revenir dans le besoin quand elle va se sentir un peu dépassée par les événements de la vie. Elle va se représenter au centre et elle peut éviter ainsi l'hospitalisation.

M. Laplante: Je vous remercie. Oui, allez-y.

Mme Ménard: Je voulais juste ajouter que ce qui est important dans un centre communautaire, c'est que les usagers prennent soin d'eux-mêmes dans le sens que, s'il y en a un qui est malade, ils l'ont vu sur la rue, on ne l'a pas vu, ils nous le disent. Ce n'est pas juste l'intervenant vis-à-vis de la clientèle, mais une interaction dans la clientèle elle-même qui veille sur les autres qui sont comme son monde. Finalement, c'est un peu une grande famille.

M. Châteauneuf: M. le député, je voudrais ajouter, par l'expérience dont vous font part PAL et Solidarité-Psychiatrie à Montréal, que la commission parlementaire devra faire un débat de fond et répondre à la situation suivante. Des gens ont des besoins de vivre en appartement. Certains, par dignité humaine - je pense que c'est un élément bien important - désirent vivre seuls en appartement, avoir leur propre appartement. D'autres aiment vivre en groupe. À ce moment-là la question de foyer de groupe répond très bien à leurs besoins. D'autres vivent encore dans leur famille et désirent avoir un appartement, etc. Tous ces types de besoins - on parle juste d'hébergement - qui va y répondre? Est-ce que la nouvelle politique de santé mentale va mettre l'accent en disant... D'accord, l'hospitalisation et la médication, on a mi9 beaucoup l'accent là-dessus au cours des 30 dernières années. La médication de l'après-guerre a eu des succès mais, aujourd'hui, pourquoi la commission se réunit-elle? Est-ce que les médicaments ont été une solution miracle? Je pense qu'il y a des limites. Il y a certaines efficacités et, dans certains cas, c'est même nocif une médication.

On revient à dire que maintenant l'hôpital est prêt à s'ouvrir à la communauté, à éclater dans la communauté. Je pense que vous avez eu sûrement beaucoup de mémoires qui favorisent l'éclatement de l'hôpital dans la communauté. Est-ce que ce sera une infirmière baladeuse qui va aller voir la personne chez elle pour l'aider à faire ses repas, à établir sa liste et faire son épicerie ou si cela va susciter une plus grande implication de la communauté en santé mentale? Que la santé mentale cesse d'être un milieu clos, que la population puisse jouer un rôle, que les groupes d'entraide puissent se développer, se visiter. Je pense que le regroupement des ressources alternatives et l'ensemble des expériences des ressources alternatives vont dans ce sens-là. On vous dit vers quoi doit aller l'accent quand on parle d'une nouvelle politique en santé mentale. Est-ce qu'on doit stimuler le milieu à participer à la santé mentale comme le milieu participe aux problèmes des jeunes, aux problèmes des femmes ou des personnes âgées? En santé mentale, est-ce que le milieu peut jouer un rôle ou si c'est un gang d'incompétents et il faut redonner un mandat aux infirmières, aux psychiatres d'aller à domicile, de s'éclater dans la communauté?

Je pense que c'est une réflexion que vous devez amorcer et c'est ce qu'on veut un peu souligner.

M. Laplante: Oui. Je pense que c'est une réflexion qui est amorcée depuis deux jours. On sait d'avance que la fermeture de l'institut psychiatrique n'est pas pour demain. Il ne faut pas se leurrer, on le sait. Il reste l'alternative de tout ça aussi et il y a une population aussi qui a été mal préparée depuis quelques années à l'accepter. Il va falloir trouver des moyens de publicité, je ne sais pas comment on pourra trouver ça. On va en discuter sûrement dans nos comités ici.

Vu qu'il est déjà près de 22 heures et que d'autres ont des questions à poser, je peux vous dire que durant les deux jours on a eu des mémoires très intéressants, mais, ouvert et enrichissant comme celui qu'on a eu ce soir, c'est le premier. C'est tout à

votre honneur et je vous en remercie beaucoup.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Marie-Victorin.

M. Pratt: Une petite question à M. Auclair. Je ne peux pas résister au préalable à remercier madame pour son témoignage. Cela me fait grand plaisir de l'entendre parce que j'ai été pendant huit ans président du conseil d'administration à Charles-LeMoyne. C'est sous ces années de présidence qu'on a bâti le pavillon. (22 heures)

Je reviens en page 8 de votre mémoire. M. Auclair, vous dites - c'est une série de recommandations - que le comité d'admission en institution possède une formule de fonctionnement qui assure le respect des droits des gens. J'aimerais que vous me précisiez un peu ce qu'il y a dans votre pensée. C'est à la page 8.

M. Côté (Réjean): Je pense que dans l'ensemble c'est d'avoir une formule qui va vraiment s'appliquer à protéger les droits des personnes, dans ce sens. Cette formule, il faut qu'elle soit discutée, il faut qu'elle soit en vigueur, il faut qu'elle soit fonctionnelle et non pas arriver sans trop savoir ce qui arrive, être baladé à gauche et à droite, faire signer toutes sortes de choses sans trop pouvoir avoir une maîtrise sur les choses qui se font. Donc, en ayant un comité d'admission par lequel on s'assure que tous les aspects qui amènent une admission, tout en protégeant dans le respect les droits des personnes, vont être assurés à travers toutes les démarches, toutes les décisions. Je pourrais peut-être passer à Daniel.

M. Dore: À ce sujet aussi, il y a le comité des bénéficiaires de l'hôpital Louis-Il. -Lafontaine qui a réussi un bon coup dernièrement, dans le sens qu'il avait demandé à l'aide juridique d'avoir deux avocats consultants pour acheminer les plaintes qu'il pouvait avoir des bénéficiaires par rapport à l'institution. Il a fallu qu'il se batte pour obtenir le mandat. Il est allé jusque devant une commission. Il l'a obtenu. Je pense que c'est le seul moyen d'en arriver à ce que des personnes qui vivent une admission en psychiatrie ou dans n'importe quelle ressource puissent être protégées, qu'il y ait une place quelque part où elles peuvent acheminer une plainte et qu'il y ait des personnes qui soient là pour prendre la plainte et les défendre contre n'importe quel système, et qui ne sont pas rattachées à un système en particulier. C'est dans ce sens que des initiatives comme cela sont importantes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je voudrais revenir un peu sur le débat qu'on avait entrepris tout à l'heure. Je vais vous reporter à la page 10 concernant les références aux établissements, qu'une bonne partie des références se fasse par l'intermédiaire des ressources alternatives et communautaires. Sur ce point particulier, je voudrais aussi que vous précisiez. Je pense qu'il n'y a pas d'objection à ce que les ressources alternatives et communautaires -et elles le font déjà - réfèrent aux établissements. Je pense que je soulève là un problème que vous ne pouvez pas... C'est ce que vous faites, mais j'ai l'impression que vous voulez y donner une extension que je ne saisis pas tout à fait.

La deuxième question: L'intervention de l'équipe professionnelle de santé mentale ne doit avoir lieu que consécutivement et, dans la plupart des cas, à la demande de l'une ou l'autre des ressources communautaires. Cela aussi représente pour moi... Si je le lis littéralement, je sais ce que cela veut dire, mais, à ce moment, est-ce que les gens vont aller vous voir avant d'aller ailleurs? On revient au débat de tantôt, mais c'était simplement pour appuyer les questions que cela soulevait dans mon esprit.

Si on se réfère au troisième point, le réseau de haltes-crises - on en a parlé un peu tout à l'heure - vous voudriez que les haltes-crises et les centres de répit soient planifiés localement, sous-régionalement, régionalement, par des personnes représentatives de la communauté en fonction de leurs besoins. Maintenant, cela ne veut pas dire que ces haltes-crises seraient nécessairement, comment dirais-je? sous l'égide d'organismes volontaires. Cela pourrait être du personnel professionnel, c'est ce que je dois comprendre. Alors, j'aimerais, si vous le pouviez, que vous clarifiiez ces trois points, d'abord le premier.

M. Dore: Concernant la référence, pour avoir travaillé auprès d'autres associations dans ma région, auprès des associations d'alcooliques, qui ont une démarche assez similaire à la nôtre, c'est que les institutions, à un moment donné, tiennent peu compte des organismes communautaires dans la communauté. Le problème de référence qu'ils vivent c'est que souvent ils ont une des personnes qu'ils connaissent personnellement dans leurs ressources, qui participe déjà à une démarche de prise en charge par rapport à ses problèmes, qui est hospitalisée par rapport à une situation de crise et, souvent, les institutions hospitalières, vu que ce sont des milieux clos, ne permettent pas au patient d'aller visiter ou ne permettent pas aux personnes qui connaissent le patient d'aller visiter et, à l'inverse, quand la personne sort de l'institution, à un moment donné, on ne fait pas le suivi dans les ressources qui existent

dans le milieu pour les aviser que la personne vient de sortir. Je pense, à ce sujet, qu'il y aurait de bonnes discussions à faire entre le communautaire et les ressources du réseau pour établir des bases, justement, qui permettraient que la personne ne soit plus laissée seule dans la communauté quand elle sort d'une situation de crise.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je comprends que vous puissiez avoir des difficultés, par exemple, si vous avez développé votre propre réseau d'entraide, pour qu'à un moment donné un représentant puisse aller visiter un de vos membres, etc. Je comprends cela. Mais vous dites ici qu'une bonne partie des références aux établissements doit se faire par l'intermédiaire des ressources alternatives et communautaires. Dans les faits, cela peut se faire, parce que, si vous avez quelqu'un en état de crise, vous pouvez le référer. On a su hier, je pense, les étapes. On nous a dit: Nous autres, on garde des liens. S'il arrive un moment de crise, on est en contact avec l'hôpital auquel on peut se référer, et il y avait une liste d'hôpitaux. C'est la raison pour laquelle je ne comprenais pas exactement. Cela ne veut pas dire que, désormais, c'est vous autres qui, en partie, allez référer la personne. Ce n'est pas ce que cela veut dire.

M. Dore: Non, pas nécessairement. Cela veut surtout dire, quant à la référence, qu'il y a un long travail à faire à un moment donné afin que, justement, les ressources communautaires puissent continuer le suivi des personnes autant en institution que lorsqu'elles en sortent, parce que, souvent, elles ne sont pas avisées lorsque la personne sort.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ah bon! je comprends cela.

M. Dore: Aller encore plus là-dedans, je pense que cela peut aider. On parlait, à un moment donné, d'une personne qu'on suivait partout, non pas qu'on suivait, mais d'une personne qui a fait une démarche de réinsertion dans la communauté. Tous les organismes savaient qu'elle était dans une démarche de réinsertion. Ils savaient ce qu'elle faisait. Si une personne vit un découragement et que les ressources alternatives ne sont pas avisées, elle va se pointer à nouveau à l'hôpital plutôt que de revoir quelqu'un qui pourrait l'aider à aller plus loin dans sa démarche de réinsertion.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, dans le deuxième paragraphe, vous dites que "l'intervention de l'équipe professionnelle de santé mentale ne devrait avoir lieu que consécutivement et, dans la plupart des cas, à la demande de l'une ou l'autre des ressources communautaires et/ou des ressources alternatives, notamment lorsqu'une intervention graduée l'exige. " Selon moi, cela aussi rejoint la même préoccupation que le premier paragraphe qu'on vient de discuter. Cela ne me paraît pas tout à fait clair.

M. Châteauneuf: Je pense, Mme la Présidente, que cela découle de toute une logique dont on fait part au début du mémoire qui parle d'une intervention graduée, d'une option milieu. Nous disions que la carence la plus importante qu'on souligne en ce qui concerne les ressources alternatives, c'est l'absence dans la communauté de filets de prévention, de mécanismes qui vont faire en sorte qu'on va éviter les hospitalisations. C'est ce tissu, ce filet qu'on voudrait débloquer. Si ce filet joue son rôle, normalement il devrait éviter des hospitalisations, et, dans le cas où cela en nécessiterait, il utiliserait les ressources plus lourdes, plus professionnalisées.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est dans la mesure où les organismes seraient développés sur une base provinciale, si on veut, où vous en trouveriez au moins dans chaque sous-région...

M. Châteauneuf: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... presque dans chaque municipalité d'une importance relative.

M. Châteauneuf: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À ce moment, on peut se demander aussi, dans cette responsabilité qui, éventuellement, serait la vôtre, quelle est la continuité et la permanence que vous pourriez assurer comme organisme volontaire et bénévole. Je pense que madame y a touché un peu tout à l'heure dans le cadre de ses propos.

M. Dore: Si on regarde la communauté chez nous, pour 71 000 de population, il y a 95 associations à but non lucratif qui travaillent à différentes problématiques. En santé mentale, il y en a déjà 9 qui travaillent. Elles ont déjà des mandats proches de la santé mentale. Je pense que, lorqu'on parle de suivi dans la communauté, c'est que ces associations sont toutes des milieux d'entraide, ce sont toutes des personnes qui déjà favorisent d'aider émotivement une personne à vivre sa crise et à s'en sortir. Le problème que ces ressources vivent, même dans le travail de recherche qu'on a fait, l'an passé, dans notre localité, un des gros problèmes, dis-je, c'est l'aspect de la référence, c'est que déjà toute

une démarche est amorcée pendant six mois de soutien à une personne et, d'une journée à une autre, pour une raison ou pour une autre, soit que les policiers interviennent ou quoi que ce soit, la personne disparaît. Personne ne sait où elle est. Pouf! on apprend qu'elle a été hospitalisée et on ne sait même pas quand elle est sortie. On la rencontre à nouveau sur la rue. Elle est vraiment "poquée" et elle est en situation d'échec. Tout ce problème de référence, pour nous autres, c'est fondamental dans toutes les associations communautaires. On a beaucoup de difficulté à établir des liens solides avec les institutions et cela doit être reconnu dans notre approche aussi.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense qu'on peut comprendre que vos réseaux d'entraide existent, que c'est une nécessité que vous ayez cette solidarité, mais le problème que vous soulevez, finalement, si je vous comprends bien, c'est un peu celui qui l'a été à l'inverse ou peut-être de la même façon que vous autres. C'est un peu les difficultés de relations. Je pense que c'est le porte-parole de la Corporation des psychologues qui l'a soulevé. C'est le problème des relations ou du contrôle du pouvoir par différents groupes qui, finalement, au lieu de travailler ensemble, finissent par empêcher parfois le fonctionnement des uns et des autres parce qu'il y a des luttes de pouvoir. Je pense que c'est peut-être cela, le problème que vous venez de soulever.

M. Dore: Sur le plan de la complémentarité qu'on développe auprès des associations qui travaillent en santé mentale, c'est que le tissu communautaire est déjà composé d'un paquet de choses, ce qui fait qu'on reçoit une personne qui a des besoins, on connaît les vestiaires. On peut lui dire: Si tu as besoin de vêtements à un moment donné, on connaît un bon vestiaire; il y a des bons vêtements, tu peux aller là. Déjà, cela améliore sa conditions de vie. On connaît des ressources qui créent des coopératives d'habitation. On peut insérer une personne dans une coopérative d'habitation. On n'a pas de difficulté aussi à faire de la référence. À la Rose des vents, on développe surtout les cas des femmes qui vivent des situations de violence. Souvent, ils vont être aussi confrontés à des problèmes psychiatriques qui les amènent à prendre un détachement par rapport à la famille. Donc, déjà, ils assurent un suivi et même ils nous réfèrent des personnes, dans nos ressources, à qui on aide à passer cette période émotive. Je pense qu'on n'a pas de problème entre nous; c'est à d'autres niveaux. C'est comme le développement du secteur communautaire. Les associations d'alcooliques disent la même chose, à un moment donné.

Elles ont une expertise de travail de plusieurs années au Québec, mais quand c'est le temps d'intervenir dans un plan de soins, par rapport à une personne, elles n'ont pas un mot à dire. Si la personne entre à l'hôpital pour se faire désintoxiquer et qu'elle sort de là droguée, le médecin a fait son job; elle ne prend plus d'alcool, mais elle prend des valiums. Elles ne sont pas d'accord avec des attitudes comme celle-là. Elles voudraient bien plus avoir des médecins qui travaillent dans leurs organismes et qui comprennent la problématique des personnes qui ont un passé d'alcoolique et qui interviennent dans les différentes rencontres pour aider les personnes à s'en sortir. C'est le même problème en santé mentale. Ce que nous soulignons, c'est qu'on n'est pas contre les intervenants, mais on aimerait bien gros que les intervenants viennent s'asseoir avec nous, à un moment donné, et qu'ils aient un peu de vécu par rapport à ces personnes; il y en a qui le font, d'ailleurs. À Pointe Saint-Charles, ils le font.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député d'Ungava, qui a été bien patient.

M. Lafrenière: Merci, Mme la Présidente. Depuis deux jours qu'on voit des mémoires, je pense que, si je ne me trompe pas, votre mémoire est le seul où on parle de condition féminine. Je trouve que c'est un bien petit paragraphe et j'aimerais qu'on me donne un peu plus d'explication sur la réalité spécifique des femmes. Il va nous falloir réfléchir à cela et je pense que, si on avait des idées, cela nous aiderait.

Mme Blanchard: Vous me faites tellement plaisirl

Une voix: Ha! Ha! Ha!

Mme Blanchard: Je veux vous parler à titre personnel parce que j'ai été travailleuse sociale à la clinique externe de l'hôpital Douglas pendant quatre ans, avant de travailler au projet PAL. Une des choses que j'ai apprise le plus à l'hôpital, cela a été de pouvoir travailler avec des équipes de féministes qui ont élaboré des modes d'intervention qui s'interrogent sur les rôles chez les femmes. En fait, dans les statistiques - je ne les ai pas, malheureusement; je vous les donnerais - il y a un nombre énorme de femmes que les cliniques externes reçoivent comme clientes. Je pense que c'est rendu à plus de 81 %; ce sont les derniers chiffres que j'ai entendus.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est le double, au point de vue du traitement psychiatrique.

Mme Blanchard: Oui, absolument. Je

pense que je peux faire une dichotomie là-dedans. À PAL, nous avons plus d'hommes que de femmes. C'est pour vous dire rapidement que les femmes, en plus de se faire dire folles, ne sortent pas; elles n'ont pas cette poussée à aller parler à d'autres. Souvent, elles boivent seules et se droguent seules. Je pense que, malheureusement, on a de la difficulté à rejoindre les femmes, à les recruter, à leur trouver une activité et des moyens de se rejoindre, souvent parce que le milieu des psychiatrisés est très cru. Évidemment, par manque de moyens, souvent, on favorise ce qu'on peut, mais c'est un problème très aigu, dans la psychiatrie, pour les femmes. Chez nous, à PAL, je pense qu'il y a environ un tiers de nos membres qui sont des femmes. Malheureusement, dans les cliniques externes, ce qu'on nous dit, c'est que la majorité de leur clientèle est composée de femmes.

M. Lafrenière: La majorité de la clientèle est composée de femmes?

Mme Blanchard: Oui.

M. Dore: Vous avez demandé au début, lors des questions, pourquoi les personnes ont tellement confiance en l'hospitalisation. Il y a cette réflexion que quelqu'un m'avait faite et qui m'avait bien éclairé là-dessus: c'est le seul service qui est gratuit.

Si la société développe autre chose dans la communauté, les gens auront plus de choix. S'il y a un milieu de vie qui est rassurant et qui procure de bons échanges, ils n'auront pas de difficulté à faire le choix entre cela et un département de psychiatrie.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): S'il n'y a pas d'autres questions, je vais vous remercier. Comme vous voyez, cela suscite beaucoup de questions, et je suis sûre qu'on n'est pas passé à travers le débat, on l'a à peine amorcé. Votre contribution est certainement une contribution originale par rapport à la majorité des autres mémoires qui est peut-être plus représentative des institutions plus traditionnelles. Cela vient rétablir un certain équilibre et cela propose, comme vous dites, des questionnements chez les membres de la commission. Alors, je vous remercie beaucoup.

M. Dore: C'est moi qui vous remercie.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II faut ajourner à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 17)

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