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Version finale

32e législature, 5e session
(16 octobre 1984 au 10 octobre 1985)

Le lundi 5 août 1985 - Vol. 28 N° 3

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la distribution des services de soutien et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): À l'ordre, s'il vous plaît! La sous-commission des affaires sociales commence ses travaux pour entendre les différents groupes, établissements ou intervenants impliqués dans la distribution des services de soutien et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté.

Les membres de la sous-commission sont Mme Lachapelle (Dorlon), M. Lafrenière (Ungava), M. Laplante (Bourassa), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Pratt (Marie-Victorin).

Une sous-commission avait été formée parce que les audiences devaient être tenues durant la session, ce qui n'a pas eu lieu. Pour permettre la tenue de ces séances, on avait décidé de tenir une sous-commission. Étant donné que cela se passe durant l'été, nous avons réinvité les membres de la commission des affaires sociales qui pouvaient être intéressés. Je sais que quelques-uns viendront à tour de rôle durant les cinq jours que va durer la commission. Ce matin, le député de Jeanne-Mance, M. Bissonnet, est avec nous.

Évidemment, c'est une sous-commission et il ne peut pas y avoir de changement ou de remplacement, alors le problème ne se pose pas, Mme la secrétaire.

Remarques préliminaires Mme Thérèse Lavoie-Roux

Je voudrais rappeler au point de départ qu'il s'agit d'un mandat d'initiative de la commission des affaires sociales à la suite de la réforme parlementaire qui permet aux différentes commissions parlementaires de prendre l'initiative d'un mandat. Ceci veut dire qu'il ne s'agit pas ici de répondre ou de remplir un mandat qui nous est confié par l'Assemblée nationale ou encore qui émane d'un des ministères qui sont couverts par la commission des affaires sociales, que ce soit le ministère des Affaires sociales, le ministère de l'Habitation et de la Protection du consommateur ou du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu. Il s'agit vraiment d'une décision que les membres de la commission des affaires sociales ont prise. Dans ce sens-là, la commission fonctionne indépendamment des ministères. En l'occurrence, le ministère le plus directement touché est celui des Affaires sociales. Je sais que nous avons ici quelques représentants du ministère qui, par intérêt, suivent nos débats, mais le rapport de la commission ne sera pas un rapport qui émanera du ministère des Affaires sociales; ce sera un rapport qui émanera de la commission elle-même et sera approuvé par les membres de la sous-commission.

Nous avons eu l'occasion de nous adjoindre pour nos travaux Mme Rivard-Leduc, qui est une travailleuse sociale oeuvrant dans le domaine de la psychiatrie depuis un bon nombre d'années qui a acquis passablement d'expérience et qui coordonne et agit aussi à titre d'analyste et de recherchiste.

L'intérêt de la question qui nous réunit ce matin, je pense, n'est pas à démontrer. C'est une question qui, à peu près chaque année revient, au cours des débats, bien que trop brièvement, soit à l'occasion du débat sur le discours sur le budget ou en d'autres circonstances, c'est toute la question de la psychiatrie. Aujourd'hui je voudrais quand même dire que cette commission n'est pas, par exempte, une suite à certains mandats d'enquête ou autres qui ont été donnés eu égard à certains établissements psychiatriques ou n'a pas été créée en parallèle avec ces mandats. Ce n'est strictement que pure coïncidence et je voudrais vous dire que le mandat que nous assumons aujourd'hui a été soumis à la commission des affaires sociales presque immédiatement après la création des nouvelles commissions parlementaires, soit en mai 1984.

Évidemment, il y avait d'autres mandats sur la table, un autre a eu priorité, même s'il n'a pas été exécuté, et il a aussi fallu finalement, compte tenu du temps qui nous était donné, restreindre passablement le mandat original qui avait été soumis à la commission et qui touchait non seulement les ressources de la communauté ou la distribution des services dans la communauté, mais aussi les services dans les établissements et l'articulation entre les deux. Compte tenu, comme je le disais tout à l'heure, du temps que nous avions à notre disposition, des retards qui ont été pris pour une foule de circonstances hors de notre

contrôle, nous avons finalement opté pour un mandat beaucoup plus restreint touchant la distribution des services mis à la disposition des personnes souffrant de troubles mentaux et vivant dans la communauté.

On pourrait aussi penser qu'il y a une espèce de travail parallèle avec toute la discussion qui entoure le problème de la désinstitutionnalisation. Là encore» c'est pure coïncidence. Évidemment, on aurait peut-être pu nous donner un mandat sur la question de la désinstitutionnalisation, mais tel n'était pas notre objectif et c'est évident que les discussions ou les mémoires qui nous seront présentés ici toucheront d'une façon directe ou indirecte tout ce problème de la désinstitutionnalisation qui prend de plus en plus d'ampleur.

Le processus de désinstitutionnalisation des personnes atteintes de troubles mentaux n'est pas récent au Québec. Dès le début des années soixante, les grands établissements psychiatriques ont remis aux familles et à la société en général la responsabilité de supporter ces personnes. En 1960, il y avait quelque 15 00Û pensionnaires dans ces établissements. Il en reste aujourd'hui environ 6000 mais, dans les mois à venir, des hôpitaux et des centres d'accueil et de réadaptation s'apprêtent encore à libérer massivement d'autres bénéficiaires.

Qu'en est-il du sort de ces concitoyens qu'on a rendus à une vie soi-disant normalisante? Quel est le lot des plus jeunes qui n'ont pas connu le modèle asilaire, mais dont le nombre croît sans cesse et qui ne semblent pas disposer des habiletés sociales pour s'intégrer à une société qui, trop souvent, les rejette et les marginalise? Il faut garder en mémoire que l'asile d'autrefois remplissait une double fonction: celle de protéger la société contre des comportements déviants, mais aussi celle de mettre à l'abri et de protéger les bénéficiaires. Nous nous demandons, aujourd'hui comment nous avons suppléé à ces fonctions de l'établissement asilaire et quels services de soutien et de réinsertion sont présentement disponibles à nos concitoyens atteints de troubles mentaux.

Depuis quelques années, ce sont des cris d'alarme que nous entendons fuser de toutes parts. Il semble que les familles, les groupes de citoyens, les organismes communautaires, les établissements soient débordés par la demande. Les services de soutien à la réinsertion sociale sont inadéquats ou carrément inexistants dans certaines régions du Québec. On estime à 20 000 personnes le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux qui sont errantes et exploitées dans le seul centre-ville de Montréal.

C'est afin de connaître l'ensemble d'une situation qui paraît se détériorer constamment que la sous-commission des affaires sociales a lancé cette consultation populaire. Qui sont ces personnes? Où se retrouvent-elles? Quels services reçoivent-elles? Que nous apprennent l'expérience et la recherche sur des interventions efficaces à leur endroit? Quel plan générai d'aménagement serait souhaitable pour le Québec afin de répondre plus adéquatement aux besoins de ces personnes. D'où viendront le leadership et la volonté politique en cette matière?

Par la quarantaine de mémoires déposés devant elle, la sous-commission tentera de répondre à ces questions. Nous voulons, par cette consultation, connaître les consensus sociaux et les lignes directrices qui se dégagent au niveau de la population du Québec face à cette problématique. Nous voulons en même temps, par la diffusion de ces travaux, faire oeuvre de sensibilisation populaire.

Il ne faut pas oublier, je pense, que toutes les personnes qui se sont déplacées et qui se déplaceront durant la semaine pour se faire entendre, ainsi que les personnes qui sont autour de la table et même les collègues qui n'y sont pas, sont très conscients que les personnes souffrant de troubles mentaux sont probablement parmi les groupes de personnes qui ont le moins de voix au chapitre, en ce sens que cela a toujours été difficile, même s'il y a eu des efforts, au cours des dernières années, pour les parents de se regrouper. Surtout, ces personnes elles-mêmes trouvent difficilement moyen de se regrouper entre elles, si bien que, contrairement à d'autres personnes handicapées, avec un autre type de handicap, ces personnes sont beaucoup plus isolées et ne trouvent pas facilement à exprimer leur voix dans le grand public.

Nous nous sommes dit, compte tenu, par exemple, des problèmes dont on entend parler assez souvent, de cohabitation entre les ex-patients psychiatrisés et les citoyens, des réactions qui émergent de certains quartiers lorsque, par exemple, il est question de foyer de groupe, que ce travail de la commission est un élément ou un effort qui veut tenter de sensibiliser la population et de normaliser d'une certaine façon le phénomène de ces personnes qui sont désinstitutionalisées et qui vivent dans la communauté.

En fait, est-ce que le Québec et nos concitoyens et concitoyennes sont prêts à s'ouvrir d'une façon beaucoup plus grande à ce problème pour tenter que tous ensemble on puisse trouver des solutions?

Au cours de cette semaine, nous entendrons des organismes publics et parapublics, des syndicats, des groupes populaires et d'entraide, des corporations professionnelles et de simples citoyens nous apporter témoignages, expertises et recommandations.

Nous espérons tirer de ce matériel des priorités de développement réalistes et efficaces. Nous croyons en outre que toute élaboration pour Je Québec doit clairement distinguer entre la promotion de la santé mentale et les services multiples nécessités par les personnes souffrant de troubles mentaux.

Évidemment, toute la question du problème d'une politique de la santé mentale nous intéresse énormément, mais, faute de temps et surtout pour ne pas disperser nos efforts, nous voulons vraiment nous concentrer sur les ressources mises en disponibilité pour ces personnes qui vivent dans la communauté et, à cet égard, même si l'autre partie est tout aussi importante et même plus importante à maints égards, nous voulons vraiment nous concentrer sur la distribution des services offerts dans la communauté à ces personnes.

Certaines personnes se sont inquiétées, particulièrement quelques représentants de la presse, du fait que nous sommes à la veille d'une élection. Peu importe qu'elle ait lieu en novembre ou au printemps, nous sommes à la toute veille d'une élection et ce travail qui est fait, et surtout cette contribution que les groupes vont nous apporter, se perdront-ils et aurons-nous simplement mobilisé des énergies qui n'auront pas de suite?

Je tiens à rappeler que, lorsqu'une commission se donne un mandat d'initiative et particulièrement ce type de mandat, c'est un mandat que la commission veut remplir sans partisanerie. Il ne s'agit pas ici de voir les députés qui sont autour de la table comme des députés de l'Opposition, comme des députés du parti ministériel. Je pense qu'il s'agit vraiment ici de personnes qui sont intéressées par le problème et qui, un peu à l'exemple de la commission parlementaire sur la protection de la jeunesse, ont réussi à faire des consensus et à discuter beaucoup plus ouvertement de ce qui était leur préoccupation et celle des intervenants pour finalement arriver à faire des recommandations qui deviennent plus facilement applicables.

Compte tenu du caractère non partisan de cette commission, quoi qu'il advienne dans les trois, six ou neuf mois à venir - je pense que ce n'est même pas neuf mois - si les recommandations que la commission fait sont sérieusement rédigées, aucun gouvernement, quel que soit le parti qui le forme, ne pourra ignorer, je le crois, ces recommandations et ne pas donner suite à ce type de recommandations.

Je ne voudrais pas prendre plus de temps pour mes notes d'ouverture. Je voudrais simplement, en terminant, bien indiquer que ce problème de réinsertion sociale de personnes désinstitutionnatisées et qui se retrouvent sans soutien dans la communauté n'est pas unique au Québec. Si on regarde la littérature américaine, la littérature anglaise, et si j'avais eu le temps de me pencher sur d'autres documents, c'est un phénomène - compte tenu des grands mouvements de désinstitutionnalisation des bénéficiaires des asiles psychiatriques - qui est répandu particulièrement dans les grandes villes, mais on le retrouve partout en Amérique du Nord, en Europe, et probablement dans d'autres pays d'autres continents. Ce phénomène est devenu si aigu...

Je voudrais simplement rappeler ici une observation qui avait été faite lors du colloque international sur la psychiatrie tenu à Montréal l'été dernier. Des conférenciers étrangers se disaient étonnés de voir des individus bizarres se promener en toute liberté dans les rues du centre-ville de Montréal. Il ne s'agissait pas de clochards et le Dr Leblanc, directeur du département psychiatrique au pavillon Albert-Prévost, qui était coprésident de ce colloque international, affirmait à cette occasion et je le cite: "Le Québec ne possède pas les équipements nécessaires et les services psychiatriques du Québec ne peuvent répondre à la demande de soins. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas nécessairement de lits d'hôpitaux supplémentaires ou de personnel additionnel. Il faut créer une structure intermédiaire qui nous permettrait de mieux suivre les désordres psychiques chroniques et faciliter, j'ajouterais, une véritable réinsertion sociale de ces personnes vivant dans la communauté. "

J'arrête ici mes remarques. Nous avons pensé pour débuter - étant donné que c'est une sous-commission, on peut se permettre des petites latitudes, on n'est pas obligé de suivre nécessairement le format habituel - de commencer par la présentation d'un vidéo qui est intitulé: "Si y'avait quelqu'un pour me dire. " J'avais exprimé le désir, en causant avec la présidente de la Commission de la famille, le Dr Blanchet, de procéder de cette façon. Elle avait justement à sa disposition un vidéo touchant la désinstitutionnalisation d'un adolescent. Évidemment, on aurait peut-être préféré avoir un adulte, mais, pour vraiment entrer dans le bain et vraiment saisir la dimension extrêmement humaine, les difficultés et les problèmes auxquels ont à faire face, ces personnes qui retournent dans la communauté et leur famille, je pense que ce vidéo devrait vous intéresser et nous permettre de vraiment aborder toute la discussion pour les jours qui vont suivre.

M. Patrice Laplante

M. Laplante: Avant de commencer, Mme la Présidente, on voudrait nous aussi souhaiter la bienvenue à tous les groupes et

remercier à l'avance ceux qui viendront devant cette commission. Nous sommes sensibles aux problèmes que posent actuellement les personnes atteintes de troubles mentaux au Québec. Le cri d'alarme, c'est un cri d'alarme, je crois, qui n'a jamais cessé d'être lancé, même dans le passé, par les institutions où on internait à peu près tous ceux qui étaient atteints de troubles mentaux, un temps. Aujourd'hui, on les a placés en foyers de groupe ou les familles en gardent de plus en plus. 11 reste que c'est un problème très aigu que notre société vit aujourd'hui et je fais le voeu que cette commission puisse nous éclairer et nous donner des idées nouvelles, afin qu'on puisse faire des recommandations qui pourront guider le gouvernement qui sera ici dans les mois à venir, quel qu'il soit.

C'est à cette tâche que, de notre côté, on s'appliquera à contribuer. On écoutera religieusement, on posera les questions qu'on jugera bon de poser aux groupes pour essayer de nous éclairer le plus possible. Sans plus tarder, vous pouvez aller, Mme la Présidente, au diaporama qu'on est impatients de voir nous aussi. (10 h 30)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, cela va.

Présentation audiovisuelle

(Nous reproduisons ci-dessous la transcription la plus fidèle possible des témoignages contenus dans la présentation audiovisuelle faite à la sous-commission) -- "C'était toujours le repli sur lui-même; il ne voulait pas voir personne. Il ne voulait pas sortir avec des amis. En fait, il n'en avait plus d'amis. C'était toujours cette fameuse musique, toujours se réfugier dans cette musique de Pink Floyd, "I don't need no education". Cela, on a entendu cela pendant un été durant.

On ne pouvait pas communiquer avec lui, on ne pouvait pas l'atteindre. Il se sentait toujours, si je peux dire, traqué. — "Il s'était aussi accaparé d'une partie de la maison et il en avait fait son domaine, à un tel point qu'il était difficile pour nous, la salle de jeux étant au sous-sol où j'ai un petit atelier, il était assez difficile, souvent, d'aller chercher des outils pour faire des réparations en haut parce que c'était son domaine et je n'avais pas d'affaire là. Il y avait un manque total de communication. Il y a eu aussi des incidents de violence verbale, au départ. À quelques occasions, des objets, des cendriers, des choses comme ça, commençaient à voler dans la maison. Il était très difficile de recevoir des amis qui comprendraient mal, qui ne comprendraient pas ou qui comprendraient trop. Alors, notre vie sociale a été affectée beaucoup, beaucoup. Les sorties se résumaient è aller souper ensemble et puis on revient vite à la maison. Les vacances se faisaient à tour de rôle. On ne pouvait pas laisser Éric seul à la maison. J'avais peur, effectivement, qu'il se produise un drame, que ça aille plus loin. C'était devenu très difficile pour Michelle et moi de vivre. C'est là qu'on a mis des ultimatums; finalement, il s'agissait de se faire soigner, de savoir, de se faire aider, parce que, nous, on ne pouvait plus continuer à vivre cet enfer. ~ "Alors, il est allé pour commencer, voir un psychologue de pratique privée. Il l'a vu deux fois, il a été extrêmement à l'aise, il m'a rappelée et il a dit: Cela va devoir être un traitement è long terme, je ne prends pas les traitements à long terme, mais je peux essayer de motiver Eric pour aller à la clinique psychiatrique du secteur. Alors, il l'a revu encore une fois ou deux mais Éric ne voulait pas du tout; il a fallu encore mettre des limites et dire: Si tu n'y vas pas, tu ne pourras pas rester ici. On se sentait mal à l'aise de faire cela parce que, en fait, c'est comme si c'était du chantage. Mais on voyait qu'il sombrait et qu'il fallait faire quelque chose. Il est allé à la clinique. Moi, je me disais, à ce moment-là: Non, je ne me sens pas coupable, parce que je sais qu'on l'a vraiment aimé, tout ça, mais, au fond, je me sentais très coupable, parce que j'essayais de penser à ce que j'ai fait, quand il était petit; peut-être qu'au lieu de laver un plancher, il aurait fallu que je le distraie, j'aurais dû jouer avec. Je cherchais où c'avait pu mal fonctionner. Je me suis sentie très coupable, en fait. C'est là que je me dis qu'on avait peut-être été un cas privilégié, parce que ça n'arrive pas à beaucoup de parents.

La première fois qu'il est allé à la clinique, après sa première visite, j'ai eu un appel d'une infirmière qui m'a demandé si, mon mari et moi, on désirait être invités, être assistés, que quelqu'un pourrait nous aider là. Cela faisait déjà bien des moments que je faisais des appels partout pour essayer de trouver de l'aide, et personne ne pouvait m' aider. Quand on a vu ça, j'ai dit: Si j'ai besoin d'être assistée, ah, mon Dieu! certain! Alors, elle a dit: Si vous voulez venir nous rencontrer. Elle nous a dit par exemple: Si vous voulez nous rencontrer tel jour - ce sont les paroles de la thérapeute - il y aura une travailleuse sociale pour vous recevoir, et je serai là aussi. C'est une infirmière qui avait une très bonne formation, qui était très, très bien, elle a remis les choses en perspective pour nous. Elle voulait qu'on s'occupe de nous comme personnes, de nous comme couple. Éric était un adulte à ce moment-là, 19 ans, s'il voulait vivre sa vie comme ça, c'était son affaire, mais nous, on avait le droit de vivre notre vie comme on voulait.

-- D'accord, c'est un adulte, mais qui ne pouvait pas prendre les décisions en toute connaissance de cause, dans son cas. On s'est senti à ce moment-là à plusieurs reprises bien isolés, face au problème. — Il continuait encore de plus en plus jusqu'à la fin janvier où là, avec l'aide de la thérapeute - parce qu'on lui a dit: On ne sait plus quoi faire - alors elle nous a dit: La seule façon, pour vous, c'est d'aller chercher une ordonnance à la cour et de le faire hospitaliser parce qu'il a besoin d'être calmé. Il était "surtendu" si on peut dire. C'est cela qu'on a fait. Cela, c'est très, très, très pénible. Surtout qu'on nous avait dit: N'en parlez pas à votre fils parce que si vous lui en parlez, c'est sûr qu'il ne restera pas chez vous. Quand la police a un mandat - ce sont les agents de la paix qui viennent le chercher - ce mandat-là dure 24 heures. Alors s'il est parti au centre d'achats ou à la patinoire, ils vont aller le chercher là et cela, c'est encore plus pénible.

Je suis revenue. Éric s'est levé, il a déjeuné. J'étais assise dans la dinette et je n'ai pas été capable de lui parler. Je n'étais même pas capable de le regarder parce que je savais ce qui s'en venait et je me sentais extrêmement hypocrite de ne pas pouvoir lui dire. — Vous aviez sûrement un sentiment de le trahir à ce moment-là. -- Ah! je... -- Une parenthèse que je voudrais faire, Miche... Là où on a eu une difficulté pour l'obtention du mandat d'arrêt c'est avec le psychiatre. Il a refusé carrément. — Le nouveau psychiatre. -- La première fois. Cela a ajouté au sentiment qu'on avait, qu'on ne nous faisait pas confiance, comme parents, pour analyser une situation que, bon Dieu, on vivait depuis six mois, un an. Il a refusé carrément. Ce n'est qu'après une conversation, le lendemain, avec le psychiatre et l'ergothérapeute qui s'occupaient d'Éric à la clinique, conversation assez orageuse de ma part, et aussi après une conversation entre Éric et un intervenant de la même clinique, qu'il a été décidé, la semaine suivante, d'obtenir cette injonction. — Alors Éric est monté. Le travailleur social lui a dit: Bon, écoute, j'entends parler que tu ne te rends pas toujours à tes rendez-vous.... aimerait te voir, veux-tu venir avec moi? Il a dit: Non. Il ne s'est pas fâché par exemple; il a dit: Non, je ne suis pas intéressé du tout. Alors, il a dit: Écoute, si tu ne veux pas venir, on va peut-être être obligé de te forcer à venir. Il lui a dit: Non. Et il est redescendu.

Alors, il a fait signe aux policiers d'entrer. Les policiers sont extrêmement délicats dans ces choses-là, extrêmement gentils. Ils sont descendus et ils ont dit: Éric, viens donc avec nous. Ce serait plus facile. J'étais restée dans le salon et Eric est monté et il était blanc comme un mort. Il faisait vraiment pitié. Cela a été le choc de sa vie de s'apercevoir qu'il était amené. Ils m'ont demandé de les suivre dans mon automobile. Cela aussi n'a pas été tellement drôle, parce que lorsque je suis arrivée à l'urgence, Éric était déjà là, encadré des deux policiers. Il était - je le voyais - sous l'effet du choc. On a attendu un bout de temps. Les policiers sont restés là jusqu'à 4 heures. Eux finissaient de travailler, à ce moment-là, ils nous ont laissé.

Le psychiatre a vu Éric seul. Le travailleur social de la ville est parti lui aussi. Après cela, il m'a fait venir avec Éric pour voir ce qui ne marchait pas. Je lui ai dit ce qui se passait chez nous, en compagnie d'Éric. Il nous a dit - c'est ce que j'ai trouvé le plus difficile à l'hôpital: Si vous voulez attendre dans la salle d'attente, ce ne sera pas tellement long. Je suis retournée seule avec Éric dans la salle d'attente avec tous les autres patients qui attendaient là. Et cela, je crois que c'est un manque en psychiatrie. Peut-être qu'on devrait avoir une autre formule à l'hôpital.

Il était déjà environ 4 heures et quart, je voyais Éric qui devenait très nerveux et je ne le blâme pas parce qu'il avait très peur. Je m'en suis aperçu parce qu'une garde-malade est passée un moment donné avec un appareil pour prendre les pressions. Éric me regarde et me dit: Je suppose que c'est pour me faire des chocs électriques. Il s'imaginait qu'en allant à l'hôpital, on lui ferait des chocs électriques parce qu'il avait vu des films et des choses comme ça. Alors, on sentait sa grosse peur. Cela me faisait tellement de peine et je ne pouvais pas lui dire: Non il n'y en a pas ici, parce que je n'étais pas sûre à cette période s'il y en avait ou non, mais ce que je lui ai dit c'est: Écoute Éric, on ne fait pas des chocs électriques à tout le monde puis avant de faire un choc électrique on demande la permission. Si tu ne veux pas tu n'en auras pas, inquiète-toi pas. Je voulais essayer de le calmer, mais je le sentais de plus en plus tendu. Alors, à un moment donné je suis allée dans le corridor et j'ai dit à un jeune infirmier: Voulez-vous aller chercher le médecin et lui dire de se presser parce que là je vois les rides plisser et il va éclater si cela continue. Il n'en peut plus tellement il est nerveux. Juste par la manière qu'il respirait, je sentais la tension, puis il y avait tout de même beaucoup de gens autour de nous autres dans la salle d'attente. Alors, ce

jeune infirmier m'a dit: Je ne le sais pas, si je vois le docteur je vais lui dire.

Je suis revenue me rasseoir. À 5 h 20 on était encore là. Alors là, on était assis pas loin de la jeune secrétaire et Éric a demandé: Ton docteur s'en vient-il? Il n'avait pas le goût d'être poigne du tout. La jeune fille malheureusement, si elle lui avait répondu: sais-tu ce ne sera pas long. Un instant, je vais aller voir. Mais, elle ne lui a pas répondu. Elle lui a seulement fait un petit air dédaigneux parce qu'elle était en train de faire son dossier et elle voyait bien ce que c'était. Elle avait peut-être elle-même peur parce qu'il y a tellement de tabous. C'est ce qui a fait déborder le vase. Éric s'est levé, il était assez fâché, il y avait une chaise roulante à côté de lui, la chaise roulante a pris le bord. Vous pouvez vous imaginer: Tous les gens dans la salle d'attente se sont levés et ont eu bien peur. Là Éric s'est en allé dans un coin et respirait très fort. Je sentais que c'était la panique totale. Il avait les deux mains sur le mur et il respirait très fort. Là il est sorti un psychiatre qui a dit: Mon Dieu, qui est ce jeune homme-là? Deux infirmiers sont venus le mater, si on peut dire, lui prendre les deux bras et le jeter à terre.

Là, Éric était à terre et a crié: Maman, maman. Ce moment-là, je pense que je ne l'oublierai jamais. J'étais tellement impuissante. J'étais tellement fâchée en-dedans et heureusement cela a sorti. J'ai dit même si c'était seulement au jeune infirmier qui était là: Mais je vous l'ai dit qu'il n'en pouvait plus. Il ne veut pas être hospitalisé cet enfant-là. Il est venu ici de force puis on le fait attendre trois heures et demie puis quand il demande une question parce qu'il commence à être impatient... Alors je trouvais donc que c'était... En tout cas, à ce moment-là cela a été le pire moment à passer, mais ce sont des choses qui auraient pu être évitées. Ils l'ont gardé et ils lui ont donné une piqûre puis ils m'ont dit de retourner chez nous. Puis quand je suis revenue chez nous, Denis arrivait du bureau et là cela a été le moment le plus dramatique de notre vie de se retrouver tous les deux tout seuls avec ce fils-là qu'on était obligés de laisser puis quand je lui ai raconté ce qui était arrivé à la salle d'urgence, franchement on pleurait comme deux enfants.

Je pense qu'on ne devrait pas mélanger les urgences psychiatriques et les urgences courantes, si vous voulez. On devrait sûrement dans tous les hôpitaux qui s'occupent de ces cas-là avoir des locaux spécialisés réservés à cela. Cela pourrait épargner énormément de souffrance à la clientèle et aux parents et faciliter aussi la tâche du personnel. — Au bout d'un mois et demi, la thérapeute familiale nous a dit: - parce qu'on pouvait aller la voir, nous - Éric est prêt à la sortie. On commence à parler de sa sortie. Elle voulait savoir: êtes-vous prêts à le recevoir chez vous? Si elle ne nous avait pas dit cela, c'est sûr qu'Éric revenait chez nous. Alors, Denis a commencé par dire: oui si c'est pour bien fonctionner et s'il veut se reprendre en main. Alors, moi je ne parlais pas et la thérapeute m'a demandé: Vous, qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce qu'il pousse sur la porte ou si vous ouvrez la porte? Il a fallu que je sois bien franche et j'ai dit: II pousse sur la porte parce que je vois bien qu'on l'a calmé, on l'a ce qu'on appelle stabilisé, mais il ne veut pas plus. II ne voulait pas se prendre en main. Il n'était pas habitué à la médication, alors il ressemblait plutôt à un zombie que d'autre chose. J'ai dit: S'il revient chez nous et qu'il recommence cela, est-ce qu'il faut retourner chercher une ordonnance? C'est là qu'elle nous a dit et ce n'est pas dit à beaucoup de parents dans les hôpitaux: S'il revient chez vous, c'est sûr que vous en reprenez la pleine responsabilité. Si cela recommence il faut, pour le réhospitaliser s'il ne veut pas, une autre ordonnance de cour. Maintenant, s'il ne revient pas chez vous, c'est l'hôpital qui en reste responsable et qui va lui trouver une famille d'accueil parce que c'est la seule chose qu'on a chez nous, on n'a pas d'appartement supervisé ou des foyers de groupe, rien comme cela. Si cela ne va pas dans sa famille d'accueil, c'est l'hôpital qui reste responsable de le ramener. C'est cela qui nous a décidé à dire: Non, on ne le reprend pas chez nous, parce qu'on ne voulait pas reprendre ce fardeau de l'avoir et de rester seuls avec cela, de n'avoir personne qui puisse nous aider. La seule chose, c'est que ce qu'on ne nous a pas dit et ce qu'eux-mêmes ne savaient pas à l'hôpital, c'est qu'il n'y avait pas de travailleuses sociales à ce moment-là qui travaillaient pour faire ces placements-là. Alors, nous, on avait pris notre décision, d'accord, mais eux n'avaient personne pour lui trouver un endroit. C'est pour cela qu'on l'a gardé. C'est au mois de février ou au début de mars qu'on a dit qu'il rre revenait pas. La travailleuse sociale est entrée à l'hôpital, je crois, au mois de juin ou juillet. Il est resté à l'hôpital, avant qu'elle ne lui ait trouvé un foyer, jusqu'à la fin de semaine de la Fête du travail. II a été huit mois à l'hôpital. Mais nous, entre-temps, il sortait toutes les fins de semaine. ~ On l'avait à toutes les fins de semaine. — Oui, chez nous, à la maison. Il passait tout de même cinq jours par semaine en institution. Lorsqu'ils lui ont

trouvé une famille, il y avait une jeune travailleuse sociale bien dynamique qui l'aimait beaucoup, qui l'a amené voir et qui lui a dit: Ecoute, tu vas passer une fin de semaine là, tu vas voir si tu aimes cela - parce qu'on voulait lui laisser le choix aussi de trouver une famille qu'il aimait - et si tu n'aimes pas cela, on tâchera de faire d'autres arrangements. Il y est allé, et puis bon... Il aurait aimé n'importe quoi, parce qu'il ne voulait plus rester à l'hôpital. Ce n'était pas une mauvaise famille d'accueil, mais c'était une famille d'accueil spécialisée pour des personnes déficientes mentales. Éric s'est senti peut-être un petit peu dévalorisé à ce moment-là, parce qu'il s'est dit... En fait, c'étaient deux problématiques différentes. Ce n'était pas bon, je suis sûre, pour la personne qui était handicapée, de vivre avec une personne qui a des problèmes psychiatriques et vice-versa. Mais le système est fait comme cela. Ce sont des clientèles mélangées. Alors, Éric est resté là. La personne était très chaleureuse. Il continuait d'aller au centre de jour tous les jours. C'était assez loin de l'hôpital, mais il y allait tous les après-midis. Ce qui est arrivé au mois de novembre, c'est qu'il était encore malheureux, alors il a recommencé à se réfugier dans des paradis artificiels. Plus cela allait, plus le pansement était gros sur la blessure, parce qu'il était rendu à la cacaYne. Il recevait son chèque d'aide sociale et, en deux jours, c'était fini.

Cela c'était au mois de mai l'an dernier. Deux fois, il est venu chez nous et on ne s'en est pas aperçu. On ne s'est pas aperçu que, par le garage, il a sorti son appareil de son,... c'est-à-dire son bicycle et son tourne-disque et il est allé vendre ça pour s'acheter de la "coke". Quand on s'en est aperçu, on s'est dit: II y a quelque chose qui ne marche pas. À ce moment-là, j'ai appelé la directrice du centre de jour pour lui dire: Écoutez, il y a quelque chose. Pouvez-vous essayer de travailler cela avec Éric? Nous, vu qu'il ne reste plus chez nous, on ne peut pas commencer à lui faire la leçon. Je me suis dit: Peut-être qu'eux ne s'en sont pas aperçus. Je me sentais encore mère surprotectrice, mais il me semblait que quelqu'un devait l'aider. Elle m'a dit: Je vais en parier à son psychiatre et il va vous rappeler. Le psychiatre m'a rappelé. Moi, j'ai dit au psychiatre: Écoutez, cela ne marche pas du tout en famille d'accueil, il ne se retrouve pas, il est malheureux. J'ai dit: Je pense à une chose. Supposons qu'on ferait la famille d'accueil et qu'on aurait le soutien de la travailleuse sociale qui viendrait chez nous pour nous aider. Ce que je voulais dire, c'est que si on n'avait pas la pleine responsabilité, qu'on était supportés par l'hôpital, on la ferait, nous autres, la famille d'accueil. Au moins, il serait dans son milieu et peut-être, que de là il pourrait recommencer. Cela faisait presque deux ans qu'il était en famille d'accueil et rien ne fonctionnait. Alors, j'ai dit: Je vais en parler à la travailleuse sociale. En effet, je lui ai fait la demande. Elle a dit: D'accord, on va vous recevoir avec l'ergothérapeute d'Éric et on va en parler. J'ai peut-être mal compris. J'ai compris qu'elle était d'accord. Alors, j'en ai parlé à Eric. Je lui ai dit: Nous, on serait prêt à ce que tu reviennes ici, mais avec certaines conditions. Il faudrait signer un contrat avec la travailleuse sociale toi, daddy et mot, comme quoi si tu acceptes -on te l'offre, tu n'es pas obligé de l'accepter - si tu veux revenir ici, on est d'accord, excepté aucune drogue - ça, on ne l'acceptera pas du tout - et tu continueras à aller au centre de jour. Éric était prêt à tout signer pour revenir, c'est certain. On a rencontré la travailleuse sociale et elle a été un peu surprise de voir que j'avais pris les devants, parce qu'elle pensait qu'on allait là seulement pour en discuter, mais c'était déjà fait. Depuis qu'il est revenu, cela a fonctionné; cela a très bien fonctionné à part de cela - II a laissé le centre de jour au mois de décembre, parce que là, il avait pris tout ce qu'il avait à prendre. Il est arrivé une autre chose dans notre vie qui semble être pour le mieux aujourd'hui. Notre fils aîné de 27 ans, à cause de la situation économique, nous a demandé s'il pouvait revenir vivre chez nous. Depuis ce temps-là, il ne le sait pas mais il agit avec Eric comme un aidant naturel. Il lui passe un tas de messages sous le couvert de l'humour tout le temps. Il l'agace un petit peu et Eric commence à l'agacer lui aussi pas mal. Il se défend très bien. Eric n'avait aucun mécanisme de défense. Il ne voulait rien savoir. Il ne voulait pas accrocher. Il commence à se défendre lui-même et à faire des jeux de mots avec Marc pour lui pousser lui aussi ses petites pointes. Je trouve cela pas mal extraordinaire. Marc l'a persuadé -il a appuyé fortement - de retourner au cégep. Eric est retourné à la session du mois de janvier en cours du soir, des cours de dessin parce qu'il aime beaucoup la peinture. Il revient chez nous le soir et encore hier soir il avait l'air tellement heureux, parce que ça fonctionne bien et il se sent surtout comme les autres. Parce que lui-même, Eric, s'était étiqueté. Il nous a dit longtemps: Moi, je ne peux pas rien faire, j'ai été en psychiatrie et c'est fini.

Si on pouvait éviter l'hospitalisation à des jeunes. — Qui coûte cher en plus! ~ Qui coûte bien cher. Ah oui! Les jeunes sont tellement marqués, se sentent tellement dévalorisés de cette hospitalisation. C'est là où c'est difficile pour eux de

reprendre une estime de soi parce qu'il y a tellement de tabous autour de ça. Il y a beaucoup beaucoup de jeunes entre, je ne sais pas, 15 et 25 ou 30 ans qui ont de gros gros problèmes qui sont dus à la drogue, sûrement. En fait, c'est ça qui a déclenché. Ils sont traités en psychiatrie et sont réfractaires à tout traitement. On ne peut pas les rejoindre du tout.

Je pense qu'il faudrait trouver des méthodes non traditionnelles pour les atteindre, ces jeunes-là. S'il y avait eu quelqu'un pour me dire: Dans des cas comme ça, la meilleure façon d'agir avec des personnes qui ont des symptômes de ce genre-là... Je ne peux pas vous donner un diagnostic, mais dire qu'il y a peut-être des symtômes de telle chose... Parce qu'il y a une chose certaine, si notre fils avait été en cardiologie ou en oncologie, qu'il avait été bien malade, on serait allé le chercher et on nous aurait dit quoi faire avec lui en revenant chez nous. On nous aurait dit: II a besoin de beaucoup de repos, il a une diète spéciale. Même s'il avait été adulte, personne ne se serait fait de scrupules de nous dire ça.

Alors, je pense qu'on devrait, aussitôt qu'une personne est hospitalisée ou traitée en psychiatrie, associer la famille au traitement. Je lisais dans la Gazette, il y a deux semaines, qu'une jeune travailleuse sociale de Douglas, je crois, qui travaille dans une maison de transition ici à Montréal, disait qu'il y avait 80 % des personnes qui avaient été hospitalisées en psychiatrie qui étaient abandonnées par leur famille. Elle disait: On ne blâme pas les familles, elles ne savent pas quoi faire. Elles sont rendues à bout de souffle, se disent: On va couper les ponts. Les familles ne deviendraient pas comme ça si on leur disait quoi faire. C'est là où l'information est extrêmement importante.

(Reprise de la séance)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je pense que cela se passe de commentaires. Il y a tellement de messages transmis dans ce document.

Nous allons maintenant inviter notre premier groupe. J'espère que cela ne vous a pas semblé retarder les choses de vous présenter ce diaporama. Il s'agit de l'Office des personnes handicapées.

Mme Champigny-Robillard, si vous voulez présenter vos deux collègues.

Auditions

Office des personnes handicapées

Mme Champigny-Robillard (Laurette): Je vous présente, à ma droite, Paul Mercure qui est membre du conseil d'administration de l'Office des personnes handicapées, l'Office des personnes handicapées étant un organisme gouvernemental dont le conseil d'administration est composé de personnes handicapées ou de parents d'enfants handicapés. M. Mercure a de longs états de service dans la défense des droits des personnes qui vivent avec une déficience mentale. À ma gauche, Anne Hébert, recherchiste à l'Office des personnes handicapées et auteure du mémoire qui a été présenté à la commission.

En introduction, je voudrais reprendre et rappeler le mandat principal de l'Office des personnes handicapées, qui est de promouvoir les droits et les intérêts des personnes handicapées et d'assurer une meilleure coordination des services qui leur sont offerts.

Je pense qu'il importe de faire une mise au point et, un peu en réaction à la présentation qu'a faite la présidente de la commission, Mme Lavoie-Roux, de situer un peu l'intervention ou la portée de notre mémoire. Je pense qu'en faisant cela, je vais aussi rejoindre d'autres mémoires qui seront présentés dont j'ai eu connaissance.

Mme Lavoie-Roux a bien voulu distinguer le débat qui reste à faire sur la désinstitutionnalisation de l'organisation des services pour les personnes qui ont eu des épisodes ou des maladies psychiatriques et se retrouvent dans la communauté sans services. Nous pensons - pour situer notre mémoire, je me dois de faire cette mise au point - qu'il n'y aura pas beaucoup de personnes qui vivront en communauté et qu'il y en aura beaucoup trop qui vivront en institution tant qu'il n'y aura pas une organisation qui pourra répondre à leurs besoins, une organisation communautaire, une organisation de services dans leur milieu de vie naturel. C'est pour cela que vous allez probablement vous rendre compte que les mémoires présentés ne font pas toujours cette distinction que Mme Lavoie-Roux a voulu préciser.

Les personnes handicapées ayant des troubles mentaux - et je reprends l'expression de la commission qui est dans son mandat et qui nous cause quelques problèmes, j'y reviendrai - forment une partie importante de la population des personnes handicapées au Québec. Selon les évaluations les plus conservatrices, les personnes qui ont une déficience intellectuelle ou une déficience psychique comptent au Québec pour près de la moitié des personnes vivant avec une déficience, c'est-à-dire probablement beaucoup plus que 200 000, 250 000 personnes. L'office est donc directement concerné par la démarche d'étude de la sous-commission des affaires sociales sur la distribution des services offerts aux personnes ayant des troubles mentaux et vivant dans leur communauté; c'est une priorité d'action de l'office pour l'année qui vient. En déposant ce mémoire,

nous voulons nous assurer que le mouvement d'intégration sociale des personnes handicapées se fasse dans le respect des droits et des intérêts des personnes handicapées.

L'office a présenté une politique de prévention de la déficience et d'intégration sociale des personnes handicapées qui devrait servir de base à l'organisation des services qui permettent et qui rendent possible cette intégration sociale. Lors de la conférence "À part... égale" en février dernier, les orientations de cette politique sont devenues les orientations gouvernementales officielles en matière d'intégration sociale des personnes handicapées par décision, par décret du Conseil des ministres, arrêté 8538.

Nous résumons ici les deux grandes parties de notre mémoire. La première partie vise à décrire sommairement le modèle de processus d'apparition du handicap. Ce modèle, malgré son appellation un peu théorique, permet d'une part d'avoir une appellation plus conforme aux capacités des personnes et aux réalités sociales auxquelles elle sont confrontées; d'autre part il permet d'identifier les niveaux d'intervention correspondant aux besoins des personnes. Cela est extrêmement important dans l'organisation des services. Nous y reviendrons.

La deuxième partie vise à rappeler les grandes orientations de "À part... égale" qui doivent servir de guide à l'orientation, à l'organisation et " au développement des services. 1 Le cas du conceptuel. Les personnes ayant des "troubles mentaux", entre guillemets, peuvent-elles être considérées comme des personnes handicapées? Dans notre politique d'ensemble, "À part... égale" propose un modèle du processus d'apparition du handicap en vue d'une meilleure compréhension de ce qui amène une personne à devenir handicapée. Ce modèle s'inspire de la classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps préparée par l'Organisation mondiale de la santé et distingue quatre éléments, soit les causes, les déficiences, les incapacités et les handicaps.

Je reviens sur l'expression "troubles mentaux". Cette expression désigne, si on tient compte du modèle que nous vous proposons, l'ensemble des phénomènes qui peuvent entraîner une déficience intellectuelle ou une déficience du psychisme. D'après l'entrée en matière qui nous a été donnée ce matin, on semble retenir beaucoup plus le souci de la clientèle qui a une déficience du psychisme. (11 heures)

Par ailleurs, je pense qu'il faut souligner - nous y reviendrons - qu'on confond malheureusement trop souvent les personnes qui ont une déficience intellectuelle avec les personnes qui ont des maladies psychiatriques. C'est extrêmemement important dans l'organisation des services et des réponses aux besoins de ces personnes de distinguer les deux clientèles.

On définit habituellement une déficience comme étant une perte, une malformation ou une anomalie d'un organe, d'une structure ou d'une fonction mentale, psychologique, physiologique ou anatomique. Cette déficience est le résultat d'un état pathologique objectif, observable, mesurable et pouvant faire l'objet d'un diagnostic. Toutefois, il y a danger de confondre l'existence d'une déficience à la réalité individuelle et sociale de ses conséquences. Cette distinction est apportée par la notion de limitation fonctionnelle. On peut la définir comme étant toute réduction résultant d'une déficience partielle ou totale de la capacité d'accomplir une activité d'une façon ou dans les limites considérées comme normales. Ainsi, pour chaque personne, il faut considérer sa capacité d'accomplir certaines tâches et sa capacité de remplir des rôles sociaux.

En dernier lieu, la notion de handicap correspond au désavantage social qui résulte d'une déficience ou incapacité et qui limite ou interdit l'accomplissement de certains rôles sociaux. Dans le cas des déficiences intellectuelles, il est fréquent que la cause de la déficience ou de la dysfonction ne soit pas clairement identifiable à un facteur de risque précis.

Il faut par ailleurs souligner la diversité des causes associées à ces déficiences. Il est également généralisé pour ces personnes que l'altération en tant que telle ne soit pas physiquement localisable. On la déduit plutôt de ses manifestations particulières dans le fonctionnement, les capacités ou performances, ou encore dans le comportement de la personne dans ses activités. C'est donc par une évaluation globale des capacités qu'on en déduit la présence d'une déficience persistante et significative.

Les facteurs de risque ayant une influence sur l'apparition des déficiences psychiques sont aussi très diversifiées.

En ce qui concerne les incapacités qui sont les conséquences de ces déficiences lorsqu'elles deviennent significatives, elles affectent principalement le comportement, c'est-à-dire la conscience de soi et la capacité de se conduire de la manière qui est acceptée par la société dans les activités quotidiennes et dans les rapports avec les autres.

L'utilisation de la notion de déficience et de limitation fonctionnelle nous apparaît plus adéquate que l'expression "troubles mentaux" pour déterminer les caractéristiques et les besoins de ces personnes.

Nous proposons donc à la sous-commission qu'elle retienne le modèle cause, déficience, incapacité et handicap pour décrire la population dont elle se préoccupe et qui rejoindra, à ce moment-là, l'engage-

ment que le gouvernement lui-même a pris à cet effet.

Les différents niveaux d'intervention -c'est ici qu'on va se rapprocher le plus de l'organisation des services - nécessaires à une organisation des services favorisant l'intégration sociale des personnes handicapées. On vous demande maintenant de la considérer.

Le modèle du processus d'apparition du handicap que je vous ai présenté nous permet donc - c'est ça qui est le plus important -d'identifier les niveaux d'intervention. Il y a, premièrement, les interventions de prévention. Ce sont les interventions sur les causes; elles tentent d'empêcher que se créent les conditions de la déficience.

Deuxièmement, il s'agit des interventions de diagnostic-traitement. On agit sur les déficiences; on tente de les limiter ou de les réduire. À ce moment-là, cela peut justifier une hospitalisation dans un centre hospitalier de soins psychiatriques pour une personne qui a une maladie mentale, mais non pas nécessairement pour une personne qui a une déficience mentale.

En troisième lieu, il s'agit des activités d'adaptation et de réadaptation. On veut développer les capacités d'autonomie d'une personne ou compenser ses incapacités. Ici, pour les personnes qui ont des déficiences intellectuelles, il s'agit d'activités d'apprentissage, d'adaptation et non pas d'hospitalisation.

Il y a aussi les interventions se rapportant au handicap. Ce sont les interventions qui visent à éliminer les obstacles sociaux à l'intégration scolaire, au travail, aux loisirs. C'est l'adaptation de la société et non plus de la personne. Ces quatre niveaux d'intervention doivent être è la base d'une organisation des services pouvant favoriser l'intégration sociale.

Afin de favoriser une perspective d'ensemble sur les besoins de la personne et une coordination de ces différents niveaux d'intervention "À part... égale" - la politique d'ensemble que l'office a proposée et que le gouvernement a retenue - favorise l'utilisation élargie du plan de services. Le plan de services est un outil de planification et de coordination des services individuels nécessaires à la réalisation et au maintien de l'intégration sociale d'une personne handicapée.

On a vu dans ce que les journaux ont rapporté dernièrement, dans le cadre d'une commission d'enquête qui est malheureuse, qu'il n'y a pas dans l'hôpital qui est sous examen de plan de services ou de plan d'intervention individuel pour les personnes qui sont hospitalisées dans cette institution.

Le plan de services peut se décomposer en plan d'intervention dans chacun des domaines où la personne peut avoir besoin de services liés à sa déficience, à ses limitations fonctionnelles et aux handicaps auxquels elle fait face. À ce moment, il est possible de coordonner les réponses aux besoins, de prévoir un plan de traitement au moment d'une hospitalisation et, au moment d'un processus de désinstitutionnalisation, de réunir tous les besoins et de s'assurer que tous les programmes qui répondront aux besoins sont coordonnés. Je pense que le vidéo qu'on a vu tout à l'heure faisait justement état de ce manque de coordination. "À part... égale" soutient que la personne handicapée doit participer activement à l'élaboration de ce plan. Il propose même qu'elle puisse en assumer la coordination lorsqu'elle le souhaite et en est capable. Ses parents doivent également être associés à cette démarche et c'était aussi un des souhaits de la dame dont on a eu le témoignage tout à l'heure.

Dans les grandes orientations de "À part... égale", ces orientations doivent être retenues dans le développement et l'organisation des ressources. Il y a un objectif de maintien dans le milieu de vie naturel. L'intégration sociale de la personne handicapée est l'objectif principal de la politique d'ensemble "À part... égale". C'est la raison d'être de toutes les interventions de l'office. C'est pourquoi, dans l'organisation des services, "À part... égale" ' accorde la priorité aux ressources et services assurant le maintien dans le milieu de vie naturel.

Ainsi, nous favorisons l'accès à un milieu de vie naturel pour les personnes qui n'ont jamais connu d'autre cadre de vie que l'institution d'hébergement, le retour dans le milieu pour celles qui ont déjà une longue histoire institutionnelle, le maintien dans le milieu pour celles qui ont ou acquièrent une déficience et subissent une perte d'autonomie significative.

Depuis la fin des années cinquante, particulièrement en ce qui a trait aux déficiences psychiques et aux défiences intellectuelles, il existe un consensus de base sur ce principe de retour au milieu de vie.

Au Québec, l'ensemble de l'expérimentation de la désinstitutionnalisation est en fait peu connu. Le débat se fait beaucoup plus sur le plan théorique que pratique. La réalisation de l'objectif de maintien dans le milieu de vie implique des changements majeurs dans l'organisation actuelle des services. Les grandes orientations de "À part... égale" fournissent un cadre pour la réalisation de cet objectifs.

Dans les autres orientations proposées par "À part... égale", la réalisation de l'objectif de maintien dans le milieu exige aussi une autosuffisance régionale des ressources selon les besoins des personnes handicapées, une articulation effective des ressources locales, régionales et nationales, selon les nécessités, la coordination continue pour la gestion et la complémentarité des

ressources, la permanence des services et leur intégration maximale au réseau régulier, la participation active des personnes handicapées à la gestion des services qui les concernent.

Il est fondamental que l'organisation des services visant le retour au milieu soit respectueuse des droits de la personne et de la qualité de vie, quels que soient les besoins de la personne et les milieux de résidence. Cette préoccupation appelle les orientations suivantes, soit: le respect de la différence, différence de comportement, différence d'apparence; l'autonomie: libre choix et la responsabilisation des personnes; la participation des personnes handicapées aux décisions individuelle et collective, une qualité de vie décente pour les personnes handicapées, la reconnaissance d'une approche qui considère la personne handicapée dans son ensemble, le plus grand développement possible des capacités des personnes qui ont une déficience et une participation à part entière à la vie sociale.

La réalisation éventuelle de la politique que l'office a proposée amènera un changement social d'importance. D'abord, cette organisation concerne la population en général. La population doit être informée des objectifs et des principes soutenant le retour au milieu. Elle doit être sensibilisée aux capacités d'intégration sociale de ces personnes.

Ces orientations exigent également une modification de la mentalité et des pratiques professionnelles. Les intervenants impliqués doivent connaître le potentiel de développement des personnes handicapées. Ils doivent de plus accepter de travailler dans un esprit d'ensemble, en collaboration.

Troisièmement, nos orientations seraient compromises si les initiatives du milieu de vie et du milieu communautaire ne sont pas reconnues comme un élément important du processus d'intégration sociale. Les services de soutien qui proviennent le plus souvent du milieu communautaire, sont un apport essentiel au maintien de la personne dans son milieu de vie. Ces initiatives doivent donc être encouragées et être considérées comme essentielles, dans toute l'acceptation de ce terme.

En conclusion, dans ce mémoire, l'office a pour objectif de rappeler des orientations fondamentales, un cadre de référence général pouvant servir de guide à l'étude de l'organisation des services entreprise par la sous-commission des affaires sociales. De par sa mission de promotion des droits des personnes handicapées, l'office se doit d'exprimer son inquiétude de voir oublier ces principes clés dans l'analyse de situations locales et circonstanciées, de faits divers hauts en couleur ou bien de difficultés réelles éprouvées, mais trop vite généralisées.

À la conférence "À part... égale", en février de cette année, les participants des réseaux de services publics, parapublics et communautaires, des syndicats, des ministères et des organismes de promotion des droits et intérêts des personnes handicapées ont également exprimé leurs inquiétudes et l'urgence d'un débat public sur toute la question de la désinstitutionnalisation. Une concertation est indispensable à la définition de moyens concrets permettant le retour et le maintien dans leur milieu de vie des personnes handicapées. Peut-être que votre sous-commission aura été le point de départ de ce débat public. Il faut attendre, exiger une volonté formelle du gouvernement et de tous les partenaires pour que la désinstitutionnalisation se réalise. Pour que l'organisation des services puisse rendre possible ce maintien dans le milieu de vie naturel, il faut un engagement de cette nature.

Dans un contexte où les intérêts sont multiples, parfois contradictoires et appelant à des interrogations quant à leur lien avec l'objectif visé de bien-être des clientèles, l'office doit s'assurer que les modèles d'organisation des services soient respectueux des droits et de la qualité de vie des personnes ayant une déficience intellectuelle ou une déficience du psychisme. Au-delà de cette contribution - celle de l'office - qui, nous le savons, reste trop générale, l'office offre sa collaboration, sa disponibilité à l'ensemble des partenaires pour travailler à des projets concrets conçus en fonction des besoins réels des personnes handicapées concernées, des intérêts et réalités des collectivités et des partenaires impliqués.

Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, je vous remercie beaucoup, Mme la présidente. Évidemment, je ne m'étonne pas que vous ayez décidé de présenter un mémoire à la sous-commission, compte tenu des objectifs que l'office poursuit. Je voudrais dire au point de départ que la notion de personne ayant des troubles mentaux, pour nous aussi, ça présentait un problème. Dans le fond, on voulait toucher les personnes qui se retrouvent dans la communauté, parce qu'elles ne sont jamais allées en institution, mais ce sont quand même des personnes ayant une déficience ou souffrant d'un handicap psychique.

D'autre part, on savait fort bien, dans notre esprit, qu'il fallait faire la différence entre les gens atteints de troubles psychiques et les gens atteints de déficience mentale. On s'est arrêté à d'autres termes, ex-psychiatrisés, etc., mais c'est un peu comme dans toute cette terminologie qui touche le comportement humain. D'abord, on voulait que les gens comprennent ce dont on parlait et, d'un autre côté, il fallait aussi que ça corresponde à une réalité qui soit assez

large.

Vous dites: On a un peu de misère avec la notion de personne ayant des troubles mentaux. Je peux comprendre que ça a été un peu difficile pour vous. Je dois vous dire que la majorité des mémoires qui nous sont présentés touche les personnes atteintes d'un trouble psychique ou psychiatrisées, comme on dit dans le jargon, qui ont des déficiences mentales. Par contre, les représentants de groupes de déficience mentale ont demandé à être entendus. Il faut aussi prévoir pour ces personnes des services dans la communauté, services qui sont loin d'être existants. C'est peut-être plus facile dans les foyers d'accueil ou les familles d'accueil pour les personnes atteintes de troubles psychiques, mais il reste qu'il ne s'agit pas seulement de les placer en famille d'accueil, il faut aussi les réinsérer le plus possible dans la communauté. On a aussi quelques groupes qui viennent, mais la majorité des mémoires présentés touche les ex-psychiatrisés ou les personnes souffrant de troubles psychiques. (11 h 15)

L'autre chose, c'est qu'il y a aussi une marge de chevauchement, je pense, entre les deux. Vous avez des déficients mentaux qui, souvent, ont associé à cette déficience des comportements déviants au plan psychique, ce qui rend même difficile le diagnostic. Tout le monde est familier avec la notion de diagnostic différentiel qui fait qu'il n'est pas toujours facile de le déterminer. Vous avez évidemment les gens qui, ayant déjà été en institution pour déficience mentale, premièrement, sont entrés souvent en institution sous le titre de déficient mental. Ce sont peut-être aussi des personnes davantage touchées au plan de la personnalité qu'au plan de leur développement intellectuel.

Pour toutes ces raisons, on s'est dit: Si on se penche sur le problème des personnes qui vivent dans la communauté et ayant des troubles de fonctionnement au plan mental, il se peut qu'on couvre les deux et tant mieux! Parce qu'il faut aussi bien reconnaître que nos établissements ont intégré les deux groupes de personnes, un peu indifféremment, on le sait. D'ailleurs, vous faisiez allusion tout à l'heure à l'examen de l'hôpital de Rivière-des-Prairies où on sent bien qu'il y a deux types de clientèles, peut-être plus du côté de la déficience intellectuelle, mais aussi de l'autre côté. Alors, ce n'est pas toujours très simple à définir. Mais je comprends que vous ayez été un peu embêtés par les qualificatifs ou la nomenclature qu'on avait retenue.

J'aimerais vous poser une première question: Dans quelle mesure êtes-vous appelés à vous préoccuper de cette population handicapée au plan psychique? À tort ou à raison, l'Office des personnes handicapées projette l'image de s'être davantage occupé des personnes ayant un handicap physique, que ce soit moteur, auditif, etc., que des personnes atteintes de troubles psychiques. Du côté de la déficience mentale on a senti de la part de l'office une préoccupation, par exemple, pour les services d'éducation, les services de réadaptation et du côté des personnes atteintes de déficience intellectuelle, il y a également eu, je pense, passablement de travail de fait par l'office. Mais du côté des personnes souffrant de troubles psychiques on a l'impression ou qu'elles vous arrivent moins facilement ou que, jusqu'à maintenant, pour une foule de raisons que j'ignore, la perception que j'en ai de l'extérieur, c'est que cela a peut-être été une préoccupation, sauf au plan théorique -justement, vous en parlez dans votre mémoire et dans le document "À part... égale" - mais au plan concret et pratique, est-ce une population avec laquelle vous travaillez beaucoup?

Mme Champigny-Robillard: Je pense que votre diagnostic est assez juste, Mme la Présidente. Il faut penser que les programmes que l'office a développés pour répondre à des besoins individuels qui découlent du plan de services se sont développés sur des choses très concrètes au début. On a répondu à des besoins très immédiats et cela a donné un peu l'air d'aller à notre façon de développer nos programmes. Comme vous l'avez dit justement tout à l'heure, la personne qui peut exprimer ses besoins peut rejoindre l'office ou peut rejoindre des intervenants qui s'adressent è l'office plus facilement, tandis que la personne qui est sans voix ne nous vient pas naturellement. Peut-être qu'on n'a pas, non plus, habitué les intervenants à considérer l'office comme pouvant faciliter la coordination d'un plan de services. Peut-être bien aussi que la pratique du plan de services, autant chez les intervenants et par le fait même à l'office, ne s'est pas installée pour répondre à ces besoins. Je pense qu'on pourrait porter le jugement des deux côtés.

Par ailleurs, je pense qu'on a eu le souci d'une défense des droits plus collective-Nos actions se sont plus adressées à des collectivités, à un soutien des groupes qui défendent les psychiatrisés, en particulier, Auto-psy, qui présentera un mémoire, à une interaction avec eux et à une consultation avec eux.

Pour ce qui est de la déficience mentale, je pense que c'est un peu le même phénomène. Ce sont les parents qui ont fait appel à l'office et c'est ce qui nous a amenés à des interventions liées à l'intégration scolaire. Par ailleurs, pour toutes les raisons que vous avez vous-même situées et analysées, l'office a résolu d'en faire sa priorité de mieux répondre et de

mieux favoriser la réponse aux besoins de ces deux clientèles: déficience mentale et déficience intellectuelle et déficience psychique.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Le fait que l'office ait posé moins de gestes concrets à l'endroit des personnes atteintes d'un handicap psychique, vous l'avez signalé vous-même, ce sont des gens qui évidemment - on l'a vu d'ailleurs dans le diaporama - ne vont pas beaucoup d'eux-mêmes chercher de l'aide. On est même souvent obligés d'avoir recours à des méthodes plus coercitives. Mais est-ce attribuable au fait que dans les autres domaines il y avait davantage dans la communauté ou dans les établissements existants, que ce soit dans les hôpitaux ou dans les centres de réadaptation, de ressources pour ces personnes-là qu'il n'y en a pour les ex-psychiatrisés?

D'une façon plus concrète, je pense qu'on en reçoit tous dans nos bureaux, des personnes passablement atteintes au plan psychique, et si on vous les référait pour un plan de services, pensez-vous que la communauté est outillée ou que vous seriez outillés pour donner ce plan de services à une personne atteinte de troubles psychiques, une personne psychotique, par exemple? Parce qu'il y en a dans la communauté, ils ne sont pas tous en institution et c'est probablement là une des tragédies qui nous fait sentir de plus en plus la nécessité de se pencher sur ce problème.

Mme Champigny-Robillard: C'est une clientèle que l'on rejoint par l'emploi dans nos centres de travail adapté et aussi par les contrats d'intégration au travail de l'Office des personnes handicapées du Québec. Mais cela suppose qu'il y a eu une démarche qui les a soutenus pour avoir accès à ce programme qui n'est pas nécessairement de l'office, à ce moment-là.

Pour répondre plus directement à votre question, l'organisation de services pour une clientèle qui a eu des épisodes psychiatriques, à ma connaissance, demeure difficile. Ce sont encore les établissements qui, souvent timidement, dans la mesure de leurs moyens ont réussi des périodes de transition; dans certains cas, on les a assistés: foyer de transition, foyer de groupe, etc. Mais cela ne s'est pas fait avec la même envergure que pour une clientèle avec des limitations fonctionnelles attribuables à des déficiences physiques.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que l'office a tenté, parce qu'à plusieurs endroits dans votre mémoire vous parlez de plans de services... Enfin, comme vous le dites, il y a un cadre conceptuel d'actions, etc. Est-ce que, d'une façon concrète, vous avez fait un effort de définition des besoins concrets de services pour cette clientèle-là? On sait, par exemple, si on prend les enfants qui souffrent de déficience intellectuelle, qu'à un moment donné il y a une période de scolarité, une période d'aide aux parents, une période soit dans un centre de travail adapté, etc. On a quand même un tableau un peu plus complet de ce que peut être l'ensemble des services requis par cette clientèle. Est-ce que, dans le cas des personnes atteintes de troubles psychiques, vous avez fait cet effort de réflexion pour essayer... ? Tout le monde dit: II faut plus de services dans la communauté, mais quels sont ces services dans la communauté? Est-ce que, d'une façon concrète, on est un peu capable de les cerner, en dehors des foyers d'accueil, des familles d'accueil qui, dans le fond, sont là pour sortir les gens de l'institution qui ne peuvent pas retourner chez eux? On leur trouve un gîte. C'est un élément important de la vie, mais la partie plus importante de la réinsertion sociale, j'ai l'impression... Je ne sais pas s'il y a eu des efforts véritables de faits pour les définir.

Mme Champigny-Robillard: À partir du cadre conceptuel que vous avez cité et qu'on continue à croire valable comme point de départ, on est en train d'approfondir cette réflexion à l'interne à l'Office des personnes handicapées du Québec, justement dans le cadre des priorités que nous nous sommes données et que nous faisons aussi en collaboration avec, en particulier, un groupe de travail à Montréal et avec d'autres associations. C'est un cheminement qui est fait actuellement à notre bureau et qui nous permettra de pousser plus loin ce que propose la politique d'ensemble.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Avez-vous déjà quelques éléments que vous pouvez identifier?

Mme Hébert (Anne): Pas beaucoup, mais je pense qu'on va miser beaucoup sur les apports des ressources communautaires, des ressources de transition, des maisons de transition, des ressources d'accompagnement et de soutien et aussi sur la continuité des services pour que, dans les ressources d'accompagnement et de soutien, il y ait une continuité du suivi de la personne. Ce sont un peu les principes qui guident notre réflexion sur l'organisation des services. C'est sûr que c'est au tout début de la réflexion du travail qu'on voudrait faire. On attend beaucoup aussi de la politique de santé mentale. On fait notre réflexion un peu en collaboration avec tous les travaux liés à la préparation de la politique.

M. Pratt: Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui,

allez-y, M. le député de Marie-Victorin.

M. Pratt: Dans la préparation de ces plans de services, je pense bien que vous avez été assez sensibles au genre de services qui vous sont demandés. Vous offrez des services, il y a des groupes qui veulent offrir des services. Il y a L'ami du déficient mental et d'autres associations qui ont des préoccupations similaires. Je pense que, pour préparer une politique qui rende service, il faut faire un peu l'inventaire de tous ces services, de ce qui est demandé. Les clientèles qu'on a vues dans ce vidéo, des parents qui demandent de l'aide, c'est une aide bien spécifique. Est-ce qu'on procède tout d'abord à la mise en commun des services qui sont demandés? Il y a des points qui reviennent plus souvent. Est-ce que c'est en partant de là que vous organisez les services que vous rendez?

Mme Hébert: II y a un effort qui a été fait surtout à Montréal pour essayer d'identifier les besoins de cette clientèle. Il y a un groupe de travail, en collaboration avec d'autres organismes, dont ceux impliqués au niveau de la santé mentale, pour essayer d'identifier toutes les ressources qui existent, mais aussi d'identifier les besoins et de trouver une solution à la coordination du plan de services. Comment répondre aux besoins de cette clientèle? On est confronté un peu à des types de problèmes à savoir ce que la notion de réadaptation signifie pour cette clientèle. Par exemple, la notion d'orthèse ou de prothèse, est-ce qu'on peut associer l'accompagnement, le soutien, comme étant une mesure de réadaptation? Est-ce qu'on peut dire que c'est une forme de prothèse ou d'orthèse? On réfléchit à toutes ces questions et on va essayer d'identifier les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de ces clientèles. L'effort est surtout concentré à Montréal, mais cela commence dans d'autres régions où on essaie de stimuler l'identification des besoins.

M. Pratt: Je trouve que c'est très sain qu'on vise le maintien à domicile, qu'on vise la désinstitutionnalisation, mais est-ce que c'est une tendance qu'on note un peu partout dans les autres pays, dans les autres provinces aussi, ce passage du maintien en institution en allant davantage vers le maintien des personnes à domicile?

Mme Champigny-Robillard: Oui, je pense que c'est important de noter qu'il y a cette volonté, mais pas toujours pour les bonnes raisons et pas toujours de la bonne façon. Par ailleurs, il faut aussi... J'ai assisté l'an dernier à une conférence internationale où des pays défavorisés nous ont dit: L'institutionnalisation, c'est le drame des pays riches, puisque les pays pauvres n'ont pas eu les moyens de construire des services. Il faut donc se rendre compte qu'il y a tout un virement à faire. Il y a eu des expériences en Colombie britannique de désinstitutionnalisation qui n'ont pas été heureuses parce qu'elles se sont faites sans aucun service de support. Il faut éviter ce piège-là. Je pense que M. Mercure peut vous transmettre son expérience. (11 h 30)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. Mercure.

M. Mercure (Paul): Je pense que l'attitude de ségrégation et d'institutionnalisation que Mme Lavoie-Roux a peut-être associée, dans son exposé du début, à une attitude de protection de la société et de protection de l'individu lui-même depuis déjà 15 ou 20 ans, je pense que c'est bien connu que ça ne fait ni l'un ni l'autre. C'est vraiment mal protéger une société de faire de la ségrégation à quelque titre que ce soit. Je pense qu'une société qui refuse une minorité d'elle-même est vouée éventuellement, si cela ne se corrige pas, à une désintégration.

Je pense que ce qu'il faut faire, tant pour les patients en psychiatrie que pour la déficience mentale, la clientèle que je connais mieux, c'est de valoriser davantage le milieu naturel. Je pense que dans le vidéo on voyait quelque chose qui m'a frappé. Malgré qu'on avait affaire à quelqu'un de 19 ans on a forcé les parents à refuser, pour des raisons d'avoir un appui, de jouer le rôle qu'ils doivent normalement jouer dans la vie de leur enfant. On leur a bien fait sentir que s'ils reprenaient la personne chez eux l'aide directe cesserait. Je pense que c'est encore un relent de l'attitude d'isolation et d'institutionnalisation. C'est pour ça que je trouve très naturel que le mandat que vous vous êtes donné touche la désinstitutionnalisation. En touchant la désinstitutionnalisation, ça touche les deux clientèles.

Je comprends que vous voulez davantage vous concentrer sur les psychiatrisés mais comme traditionnellement dans nos sociétés les deux clientèles ont été institutionnalisées et comme le phénomène dont on parle maintenant est lié très directement à la désinstitutionnalisation, on touche les deux clientèles. Je dirais que même si on n'est pas très avancé dans le domaine psychiatrique en ce qui concerne les services dans le milieu, comme vous l'avez dit, on l'est beaucoup plus dans le domaine de la déficience mentale probablement parce qu'il y a eu des associations extrêmement fortes qui, depuis 20 ans, poussent les chercheurs très loin.

Je voudrais finir en disant que c'est une plaidoirie à la désinstitutionnalisation mais je vais donner trois raisons à savoir

pourquoi il faut être contre l'institution, pour une clientèle comme pour l'autre, bien que je reconnaisse la nécessité, à court terme, sûrement, dans le domaine des ex-patients psychiatriques, des hôpitaux psychiatriques et des services psychiatriques des hôpitaux généraux.

C'est sûr que quand on est contre les institutions pour la déficience mentale on n'est pas contre les hôpitaux et contre les écoles. On est contre les endroits où on regroupe un grand nombre de personnes ayant les mêmes caractéristiques pour leur offrir des services de différents niveaux comme les services résidentiels, les services de loisirs, de travail et médicaux.

Je pense qu'on est contre ça, tant è l'office que dans les associations; premièrement, parce que les institutions ne sont pas - je ne dirais pas l'endroit idéal -du tout maintenant, c'est vraiment démontré dans beaucoup de milieux, un endroit de réhabilitation. Ils sont même très souvent un endroit qui agrave la disfonction ou la différence de fonctionnement entre une personne dite normale et une personne handicapée; deuxièmement - j'aime beaucoup dire cela - une société qui fait de la ségrégation, que ce soit pour les patients psychiatriques ou les déficients mentaux - il y a d'ailleurs des psychologues américains qui ont frappé des phrases - une société qui ne trouve pas en elle-même des ressources, surtout bénévoles mais aussi des ressources professionnelles, pour réintégrer les groupes qu'elle a marginalisés, est vouée à sa perte parce que le processus de ségrégation est un processus de désintégration.

La troisième raison - je vais le prendre dans la législation québécoise - c'est que cela m'est arrivé souvent de lire la Charte des droits et libertés de la personne en termes de vie en institution. Je veux simplement signaler quelques phrases de la Charte des droits et libertés de la personne et voir ce que cela veut dire en institution.

Dans le tout premier article, on parle du droit à la vie, à la sûreté, à l'intégrité physique et à la liberté de sa personne. Évidemment, la liberté de sa personne dans les institutions est très limitée. Quand c'est très nécessaire, c'est peut-être valable.

Dans le quatrième article, on parle de la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Je pense que le travail que l'office a fait - et c'est un document qui est disponible - de visite des institutions, des centres d'accueil, lui a permis de se rendre bien compte que la dignité de la personne n'est pas sauvegardée dans les institutions.

Dans le point 5, on parle du respect de la vie privée d'une personne. Encore là, je pense qu'il n'y a pas de dessin à faire là. On pense aux activités privées et individuelles qui sont extrêmement rares dans les insti- tutions. La libre possession de ses biens. Dans les institutions, des milliers de personnes n'ont pratiquement aucun bien personnel. S'ils en ont quelques-uns, ils en ont rarement la libre disposition.

Finalement, l'article 7 dit que - c'est un article qui a seulement quatre mots - la demeure est inviolable. Je pense qu'en institution, cela n'a littéralement aucun sens.

Je pense que la troisième chose, c'est qu'il faut se rendre compte que les milliers de personnes qui vivent en institution voient leurs droits fondamentaux bafoués, même sans utiliser des cas publics où il y a parfois une responsabilité impliquée. Mais, même en toute bonne foi et même avec du personnel compétent, les droits de la personne en institution, c'est un problème de tous les jours.

En tout cas, je voulais faire un plaidoyer sur la désinstitutionnalisation parce qu'il ne faudrait pas, à cause des problèmes des personnes qui sont déjà dans la communauté, qui ne sont pas appuyées et qui doivent l'être, mettre en doute la valeur du processus de désinstitutionnalisation qui non seulement est important mais qui doit être accéléré et mené à bien dans une échéance très concrète qu'on devrait se donner.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Merci, Mme la Présidente. Le mandat de l'office comme tel est surtout sur les handicapés. Peuvent entrer là-dedans aussi les retardés mentaux. De là à aller jusqu'à s'occuper des troubles psychiques, psychiatriques - appelez-les comme vous voulez - ne trouvez-vous pas que c'est déborder un peu le mandat premier de l'office qui est justement autre chose que cela et que ce ne serait pas mieux de prendre ces cas lorsqu'ils arrivent et d'aller vers les organismes spécialisés, où ce sont leurs fonctions, pour essayer de donner le plus de chances possible à ces patients de réintégrer au plus vite une société ou autre chose?

Mme Champigny-Robillard: Je vais vous ramener à une loi que vous avez adoptée, M. Laplante. La définition dans la Loi sur la personne handicapée, la loi qui donne à l'office, un mandat, c'est toute personne limitée dans l'accomplissement d'activités normales à cause d'une déficience physique ou mentale, ou limitée dans l'accomplissement d'activités normales à cause d'une déficience physique ou mentale significative et persistante. Les personnes qui ont eu des épisodes psychiatriques sont donc des personnes handicapées aux termes de la loi.

Nos services ne sont pas directs. L'office - c'était l'axe important dans cette

loi qui a été votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale - c'est d'être en bout de ligne et de pallier l'absence de services. Notre façon de faire, c'est toujours de référer les gens, de les aider, de les supporter pour qu'ils obtiennent les services dans leur milieu de la part des fournisseurs de services qui ont la responsabilité de le faire; quant à nous, c'est d'intervenir à partir d'un soutien financier, parfois, en fin de compte quand les programmes existants ne répondent pas aux besoins individuels des personnes. Dans sa dimension programme, dans sa dimension services, l'office est un peu une voie d'échappement. C'est pour pallier, c'est pour compenser les absences, les absences de certains régimes universels à l'occasion.

Quand Anne a dit tout à l'heure qu'on s'interrogeait à l'office sur les façons de répondre aux besoins des personnes handicapées, si, par exemple, on devrait subventionner, soutenir financièrement la personne qui serait la personne accompagnatrice d'une démarche de maintien dans le milieu d'une personne psychiatrisée, c'est dans ce sens qu'on se pose la question. Cela reste toujours et je pense que c'est important dans l'administration gouvernementale, que l'approche de notre loi vise è ce que les services soient donnés. L'office conseille pour l'organisation des services, pour la façon de répondre aux besoins à partir des liens qu'elle a avec les associations de personnes handicapées et la connaissance qu'elle a des besoins par les demandes de plans de services. L'office n'intervient directement qu'à défaut de trouver une réponse dans le milieu.

M. Laplante: Lorsque vous dites que vous nous passez une loi, c'est vrai, à l'unanimité, en définissant le rôle de l'office. J'ai toujours cru que, pour moi, "mental" cela ne devait pas être des troubles psychiques, ces choses-là, c'était une continuité de troubles d'apprentissage. C'était relié à tout cela. Retardé mental, cela ne veut pas dire nécessairement qu'il y a un besoin psychiatrique. Moi, j'avais compris dans le sens physique, qu'il y a une continuité mentale. Si une personne de vingt ans a une mentalité d'un enfant de cinq ou six ans, cela faisait partie du handicap physique.

Je trouve, comme citoyen, que cela me donne matière à réflexion personnelle du moins; je ne parle pas au nom de ma formation politique, c'est tout à fait personnel comme vision. Je trouve que chaque organisme cherche trop à avoir du pouvoir étendu sur des besoins spécifiques au point de vue de ce genre de malade. Cela se rencontre dans différents organismes. Si on apprenait, dans nos organismes à nous, à se limiter à un moment donné à des besoins spécifiques, à centraliser mieux nos malades, dans ce sens-là, peut-être que les services seraient meilleurs, peut-être qu'on comprendrait mieux encore le besoin spécifique de ces gens-là. Si l'Office des personnes handicapées du Québec s'occupait seulement du rôle qui lui est dévolu - vous avez travaillé énormément fort, je pense qu'on figure bien comme province, ici, au niveau canadien, même au niveau américain, on a beaucoup de chemin de fait là-dedans -si votre organisme continuait dans ce sens avec les handicapés et laissait aux autres le soin de traiter réellement les soins nécessaires à ceux qui ont des troubles psychiques ou psychiatriques, peut-être que le but qu'on recherche ensemble se réaliserait plus vite. Il y aurait de grands pas qui se feraient plus vite. Que chacun oublie ce qu'il est actuellement, pour essayer d'étendre un peu ses pouvoirs ailleurs de ce qui lui est dévolu. (11 h 45)

C'est un peu ce que je vois toujours personnellement. C'est ce qu'on voit, pas seulement dans ce domaine, mais dans d'autres domaines aussi de chercher à prendre du pouvoir pour en donner ailleurs, parce que c'est toujours dans ce sens, de s'occuper de choses, en somme, dans lesquelles on n'est pas spécialisé. Je ne sais pas, c'est une réflexion tout haut que je vous dis là. Je ne sais pas si cela peut avoir des conséquences quelque part.

Mme Champigny-Robillard: Je vais vous ramener à la politique d'ensemble de l'office où, dans le dernier chapitre, l'office propose que les programmes qu'il administre qui sont les programmes qui ont des budgets de quelques millions... selon la nature du programme, l'office propose que ces programmes soient rapatriés par les vrais responsables, dans certains cas, le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu et, dans d'autres cas, le ministère de l'Industrie et du Commerce.

À ce moment, si au gouvernement, dans un organisme gouvernemental, l'argent, c'est le pouvoir, vous ne pouvez pas accuser l'office de vouloir plus de pouvoir, M. Laplante. Par ailleurs, Mme Lavoie-Roux reprochait tout à l'heure que l'office ne se soit pas suffisamment préoccupé...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'était plutôt une perception

Mme Champigny-Robillard:... de la clientèle dont on parle aujourd'hui. Je le reconnaissais, mais en voulant, nous, en faire une priorité, cela n'est pas pour nous substituer ni aux services, aux ressources alternatives dans le milieu qu'on supporte, par ailleurs, dans leurs activités, ni aux intervenants qui donnent des traitements.

L'office ne fait jamais cela. Encore une fois, on bouche les trous et on est très strict là-dessus. C'est vraiment la vocation qui nous est impartie par la loi et celle qu'on choisit de jouer.

J'ai de la misère à penser que l'office, malgré sa croissance, mais la croissance de l'office était pour répondre à des droits auxquels nos clients avaient droit qui leur étaient consacrés par cette loi. Mais c'est peut-être un procès qu'on peut faire ailleurs, M. Laplante.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: Moi, je me dis toujours que la publicité nous rejoint, surtout la publicité télévisée. Alors, je me dis souvent que ce soient des handicapés physiques, intellectuels ou mentaux, je pense que la meilleure façon, avant de faire quoi que ce soit, c'est de sensibiliser la population. On a souvent eu des petits vidéos courts ou des petits courts métrages sur les handicapés physiques. Je me souviens que cela avait attiré tout le monde, ce qui nous a permis de mieux les connaître, de mieux les comprendre, mieux les aimer aussi.

Alors, je me dis que souvent, on a pensé comme cela aux handicapés physiques, mais on a très peu fait dans le cas des handicapés intellectuels ou ceux souffrant de troubles psychiques. Je me demande si vous, les gens de l'office, vous êtes en mesure de faire des pressions pour axer...

Mme Champigny-Robillard: L'information et les communications.

Mme Lachapelle:... l'information. Est-ce que vous avez le choix? Est-ce que vous pouvez, vous, faire des pressions pour dire: II y a eu un bout de temps où on a fait plutôt de l'éducation pour ce qui est des handicapés physiques. Mais est-ce que vous pouvez demander, est-ce que vous pouvez faire des pressions pour qu'on change la clientèle, qu'on fasse connaître une autre clientèle de handicapés à la population?

Mme Champigny-Robillard: Chose certaine, toutes les recommandations comportent un aspect de communication, d'information et de sensibilisation. Je voulais éviter de revenir aux journaux, mais cet hiver on a vu, par exemple, comment des foyers de groupe avaient été refusés par le milieu, parce qu'on n'avait pas fait d'information. C'est certain qu'il va falloir beaucoup d'information pour que... Il n'y a pas seulement le gouvernement qui a des responsabilités à prendre là-dedans. Il y a le milieu, il y a tous les partenaires. C'est pour cela que je passe non seulement les messages les messages plus publicitaires sont importants - mais un débat public sur ces questions doit se faire où autant les syndicats que les corportions professionnelles, que les partenaires gouvernementaux pourront venir prendre des engagements pour, comme dit M. Mercure, qu'on soit une société intégrée plutôt que désintégrée et ségréguée.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux}: M. le député d'Ungava, je m'excuse.

M. Lafrenière: Merci, Mme la Présidente. Ma question visait les principales recommandations de votre mémoire; vous parlez de participation active des personnes handicapées - je présume qu'on parle de toutes les personnes handicapées, mentales et physiques - à la gestion des services. J'aimerais avoir un surplus d'explication là-dessus, et quelques exemples concrets et positifs de cela.

Mme Champigny-Robillard: II ne s'agit pas de cogestion, comme l'entendent généralement les syndicats. Pour être intégré socialement, il faut avoir des représentants partout. On a dit des femmes qu'elles étaient marginalisées, qu'elles n'étaient jamais dans les lieux de décision, dans les lieux de planification. Il faut associer - on a beaucoup de structures participatives pour le faire au Québec - les personnes handicapés ou leurs représentants et les associations dans les commissions administratives, par exemple, de nos conseils régionaux de santé et de services sociaux. À la Commission des affaires sociales sur la santé mentale, c'est seulement depuis un an, je pense, qu'il y a des personnes qui ont connu des problèmes psychiatriques qui ont été acceptées à cette commission. Cela, c'est pour les collectivités.

Pour les personnes individuellement, pour une personne qui a un plan de traitement, un plan d'intervention, un plan de services, il faut qu'elle soit centrale dans ce plan, autrement les intervenants, par-dessus elle, vont dire: II faut faire ci, il faut faire ça. Cela vous arrive, quand vous entrez à l'hôpital, vous entrez dans la machine à saucisse, mais vous ne savez pas ce qui vous arrive, si vous avez un trop bon caractère. Si vous êtes un peu difficile, vous allez peut-être exiger des réponses.

C'est d'autant plus important pour les personnes qu'on étiquette, qu'on préjuge, qu'on considère sans jugement, sans discernement, de les oublier, d'oublier que c'est la raison d'être des interventions, la raison d'être des actes professionnels. C'est dans ce sens qu'il faut que les personnes concernées, leurs familles et les gens qui sont près d'elles soient informés, soient participants. Comment voulez-vous exiger d'une personne, comme c'est le cas d'une personne qui a eu des troubles mentaux, qu'elle participe à sa réadaptation si elle

n'est pas informée du pourquoi des gestes et des traitements qu'on lui administre ou des engagements qu'elle doit prendre? Il faut la responsabiliser, cela fait partie de la santé mentale, cela aussi.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je voudrais revenir sur quelques petits points, étant donné qu'on a un peu de temps; il y a un groupe qui devait venir ce matin et qui s'est désisté et qui a été remis à vendredi. On n'a pas eu le temps de faire de remplacement; alors, cela nous permet de vous questionner un peu plus longtemps.

D'une façon concrète, pourriez-vous me dire combien d'organismes bénévoles touchant l'organisation psychiatrique vous financez.

Mme Champigny-Robillard: Je ne peux pas vous dire cela. L'office finance environ 250 associations bénévoles qui ne sont pas des associations de services, donc qu'il faut...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Des associations bénévoles.

Mme Champigny-Robillard:... bénévoles dans le sens de la promotion des droits et des intérêts, parce qu'il y a du parrainage civique qui est financé par le ministère des Affaires sociales. Ceux-là ne sont pas partie du programme de l'office.

Dans l'ensemble, nous subventionnons 250 associations locales, régionales et nationales.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Tout cela, strictement...

Mme Champigny-Robillard: Je ne peux pas vous donner de réponse en chiffres absolus aujourd'hui; ce que je peux faire, c'est vous envoyer la liste.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux}: Mais vous en financez.

Mme Champigny-Robillard: Ah oui, et il y a de petites associations locales, parents et amis de malades mentaux; dans les associations provinciales, nationales, c'est, en particulier, l'Association canadienne pour la santé mentale et Auto-psy. Sur la quinzaine d'associations nationales qu'on subventionne, je pense que ce sont peut-être les deux seules. Par ailleurs, dans les régionales, qui sont des regroupements d'associations de toute nature, ce n'est pas pertinent. Pour les associations locales, je pourrais certainement transmettre à la commission les chiffres et la liste, le répertoire.

Ce serait bon, je pense, que vous demandiez la liste au ministère des Affaires sociales.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, il pourrait nous le donner. Je trouve ça intéressant parce que, finalement, je rejoins la préoccupation de la députée de Dorion. C'est vrai que même si on faisait juste de la publicité sur les troubles psychiques ou les individus qui ont des troubles psychiques. Il reste qu'il faut que cela devienne quelque chose qui fasse moins peur aux gens, que cela devienne quelque chose de moins tabou. Si on ne réussit pas à franchir cela, on va encore retrouver, comme on en a présentement, des groupes isolés et pleins de dynamisme, qui travaillent très fort, bénévolement, mais qui ont des existences un peu chaotiques, compte tenu du manque de ressources dont ils souffrent, compte tenu des résistances qu'ils rencontrent, des obstacles qu'ils ont sur leur route, ce qui fait qu'on avance très peu. Je ne voudrais pas que vous le preniez comme un reproche, parce que c'est un reproche qu'on pourrait adresser à tout le monde.

J'entendais madame qui décrivait le travail que l'office fait dans un effort pour identifier des services ou des plans de services ou ce que pourrait comprendre un plan de services pour ce type de clientèle. À la fin, vous avez dit: On attend le rapport de la Commission de la santé mentale. Je dois vous dire qu'il a failli sortir et il va ressortir, mais cela fait longtemps qu'on attend le rapport de la Commission de la santé mentale, cela fait au moins... En tout cas, le ministère pourrait me renseigner pour donner l'information exacte, mais cela fait plusieurs années. Il reste que j'ai l'impression que, dans ce domaine-là, tout le monde attend les autres d'une certaine façon. On est devant une problématique qui est extrêmement difficile. À l'intérieur de cette problématique, il y a beaucoup de variables; les cas ne sont pas identiques, ni les situations familiales etc. Enfin, c'est très complexe. J'ai l'impression qu'on n'a pas beaucoup de chemin de fait. On connaît le psychiatre qui donne ses médicaments, le travailleur social qui supporte pendant une période donnée et, dans une certaine mesure, des foyers d'accueil ou des foyers de groupe ou...

Enfin, on identifie ces choses-là, mais pour ce qui doit sous-tendre tout cela, ce qui doit supporter cela, ce que cela nécessite comme démarche, pour cela, j'ai l'impression qu'on est encore beaucoup dans l'inconnu. Je pense que c'est simplement un reflet d'abord de nos propres préjugés et d'autres priorités qu'on a mises avant celle-là. Je parle d'une façon très générale. Le fait qu'on en discute, cela peut peut-être déjà faire démarrer des choses. Peut-être que l'office va partir en disant: On accélère un peu ce qu'on peut faire et l'influence qu'on peut exercer dans ce domaine-là. J'ai l'impression que c'est dans beaucoup de cas des solutions compartimentées qu'on a trouvées jusqu'à

maintenant et rien d'intégré comme services.

Je voudrais revenir sur la question de la désinstitutionnalisation. M. Mercure nous a fait un long plaidoyer pour la désinstitutionnalisation: "La société qui est pour la ségrégation est une société... " Bon, enfin, tous peuvent concourir à ce type de grands principes. Par contre, vous dites: Le débat de la désinstitutionnalisation n'a jamais été fait, "est, en fait, peu connu", si je vous cite au texte. "Le débat s'est fait beaucoup plus sur le plan théorique que sur le plan pratique. " Par contre, je vous entends faire ce grand plaidoyer, et vous le faites d'une façon si convaincue qu'à un moment donné, on se dit: II ne devrait plus y avoir d'institutions. Les institutions devraient disparaître puisque l'institution est synonyme de ségrégation. Je me demande si vous avez examiné de près cette pratique de la désinstitutionnalisation; par exemple, eu égard à la clientèle qui souffre de déficience mentale, parce que c'est à son endroit qu'elle s'est surtout exercée jusqu'à maintenant. Comme c'est un domaine dans lequel vous vous êtes aussi passablement impliqué, pouvez-vous nous en dire le pour et le contre? Il est vrai que - vous savez tout le monde est pour la vertu - tout le monde est pour que le jeune enfant vive dans sa famille naturelle, qu'il ait de bons parents et, évidemment, il va se développer bien mieux que s'il est soumis à un tas de contingences sociales, émotives ou autres. Mais puisque vous en parlez comme cela, êtes-vous vraiment capable d'établir le pour et le contre dans le cas de la déficience mentale, qui est plus près de vos préoccupations? Éventuellement, j'imagine qu'il pourrait y avoir une certaine analogie avec les patients psychiatriques. (12 heures)

M. Mercure: Des associations auxquelles je faisais allusion tout à l'heure, comme l'AQDM, qui viendra vous rencontrer plus tard cette semaine, l'Association québécoise pour les déficients mentaux, sont reliées à une association nationale que j'ai suivie de très près depuis dix ou douze ans, et qui sont des associations absolument vouées à la désinstitutionnalisation. Je veux dire qu'elles font de la désinstitutionnalisation leur activité première, mais pas dans un aspect négatif; elles font de la normalisation et de l'intégration sociale leur principe premier. Il y a eu beaucoup de recherche dans de nombreux pays parce que c'est un mouvement mondial. Aux États-Unis, il y a des cas très concrets d'anciens hôpitaux psychiatriques qui avaient une clientèle déficiente mentale très importante et qui ont été sur une période de temps complètement démantelés.

Quand on pense que l'institution n'est l'endroit pour personne, je crois qu'on pense même aux déficients profonds. Cela surprend peut-être un peu les gens qui n'ont pas suivi la spécialisation de réintégration des personnes déficientes, parce qu'on dit toujours: Ah, il y a une clientèle légère qui n'aurait jamais dû être là, qui ne devrait pas être là, mais il y a des gens qui ont besoin d'un cadre institutionnel.

Je pense qu'en termes de déficience mentale, je peux dire, après avoir entendu beaucoup de témoignages de gens beaucoup plus compétents que moi, que, maintenant, les spécialistes admettent presque unanimement que l'institution dans le sens d'un endroit où on fait vivre plus de cinq personnes regroupées à cause des besoins similaires n'est jamais indiquée dans le domaine de la déficience mentale. Autrement dit, il faut réintroduire les personnes dans les milieux résidentiels, et si elles ont besoin de support et si leur milieu naturel n'est pas capable de leur donner le support affectif et le support pour le fonctionnement de tous les jours, on cherche alors un milieu substitut qui ressemble le plus à un milieu naturel. On considère ce placement comme temporaire et on le réévalue constamment, de sorte qu'à l'âge adulte la majorité des personnes déficientes vivront en appartement protégé, parfois en groupe de deux ou trois personnes, et il y aura des professionnels qui superviseront ces endroits pour qu'il n'y ait pas d'exploitation.

Mais, encore, quand on mettra des moyens pour éliminer l'exploitation, on le fera tel qu'indiqué dans la Charte des Nations Unies sur la déficience mentale. Il y a un article qui est bien précis là-dessus: Si on doit faire une intervention pour arrêter l'exploitation, on doit le faire d'une façon à protéger au maximum les droits que la personne peut exercer. Alors, si, autrement dit, une personne n'est pas en mesure de faire son épicerie - dans le domaine de la déficience mentale, c'est souvent le cas - on engagera une personne compétente dans son milieu pour l'assister pour faire son épicerie, au lieu de dire...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vais vous interrompre un peu. Ce que je comprends des commentaires que vous faites sur la désinstitutionnalisation s'applique strictement aux personnes déficientes mentales et non pas aux personnes atteintes de troubles mentaux ou de troubles psychiques plus ou moins chroniques.

M. Mercure: Oui. Je dois admettre que vous avez raison, parce que mon expérience est de ce côté-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela clarifie une chose.

M. Mercure: Je vais ajouter quelques mots. Évidemment, la maladie mentale n'est pas nécessairement toujours reliée à un

handicap parce que, dans le cadre des références dont on a parlé tout à l'heure, il peut très bien y avoir des gens qui ont des problèmes de santé mentale mais qui n'en sont pas nécessairement handicapés. Le handicap provient d'une stigmatisation sociale causée par le fait qu'une personne a été pendant une longue période victime de troubles de fonctionnement. Je pense que, pour ce genre de patients, l'institutionnalisation est quand même le même problème. Évidemment, l'institution dans le sens d'un hôpital psychiatrique pour un court séjour, personnellement, je ne conteste pas cela comme besoin pour les personnes psychiatrisées.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Dans le cas de la désinstitutionnalisation et des besoins que vous identifiez, est-ce que vous avez des analyses de coût? Par exemple, vous dites que pour ces personnes handicapées qui seraient devenues adultes et qui auraient encore besoin de surveillance, d'appui ou de support - appelons cela comme on voudra - il faudrait qu'il y ait une personne qui les aide à accomplir certaines fonctions pour lesquelles elles ne sont pas aptes, compte tenu de leur handicap. Avez-vous des études de coût? Pouvez-vous nous référer à des sources où cela peut être établi?

M. Mercure: Je vais faire transmettre à la commission des documents de l'Association canadienne pour les déficients mentaux. Il y a plusieurs études de coût qui ont été faites. Disons que, substantiellement, les gens en arrivent à la conclusion qu'à court terme, il n'y a pas d'économie à l'intégration sociale, parce qu'on doit créer des services de toutes pièces. Mais je pense qu'il est facile aussi de démontrer que les personnes en "institution coûtent des montants qui sont variables mais qui sont estimés à 40 000 $, 50 000 $, 60 000 $ par année par personne. C'est extraordinaire, mais ce sont les budgets de fonctionnement des institutions qui, quand on les divise par le nombre de personnes présentes dans l'institution, donnent des chiffres astronomiques comme ceux-là, que la plupart des gens ne connaissent pas. Ce sont des chiffres considérables.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, madame.

Mme Hébert: Â l'Office des personnes handicapées du Québec, nous avons une étude qui a été faite par le Conseil canadien du développement social sur les coûts et bénéfices de la désinstitutionnalisation qu'on pourrait vous transmettre.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On l'apprécierait.

Mme Hébert: Mais, en résumé, ce qu'on peut dire, c'est qu'il y a peut-être peu de différence dans les coûts entre la méthode institutionnelle et la désinstitutionnalisation sauf que, pour des coûts équivalents, les formules non institutionnelles donnent plus de services directs à la personne. Donc, on suppose qu'ayant plus de services directs, les capacités d'apprentissage, de développement et d'autonomie sont favorisées.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Oui, Mme Robillard.

Mme Champigny-Robiilard: Et le retour aussi des investissements gouvernementaux, à ce moment-là, à long terme et à moyen terme, cela veut dire moins de réadmissions dans les hôpitaux, moins de consommation de services sociaux de tous ordres en plus. Dans le vidéo, le jeune homme dont on parlait est resté huit mois à l'hôpital de soins aigus, parce qu'il n'y avait pas de services pour le recevoir dans la société alors que deux ou trois mois auraient suffi. Là aussi, il y a des coûts dont il faut tenir compte. L'étude à laquelle Anne se référait peut vous être utile, mais il n'y a pas eu non plus, je pense, pour le Québec d'étude approfondie qui serait certainement un outil très utile, exhaustif.

Mme Hébert: Ce sont plutôt des résultats d'études américaines sur des expériences tentées aux États-Unis.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II y a un problème que la mère soulevait dans le vidéo et que, d'ailleurs, vous soulevez aussi à un moment donné dans la question des diagnostics, c'est-à-dire le mélange des clientèles. Oublions l'institution pour le moment. On sait qu'il y a un mélange de clientèles dans les institutions. Cela a toujours existé. Mais dans les foyers, elle parle du mélange de clientèles, que ce soit dans un foyer de groupe ou dans une famille d'accueil. Est-ce que vous êtes sensibilisés à ce problème? Quelles sortes de représentations avez-vous faites au ministère à ce sujet?

Mme Champigny-Robiilard: Je ne pense pas qu'il y ait eu de représentations faites au ministère. Ce qu'il faut toujours considérer, c'est qu'on revient au plan de services individuels pour la personne. Alors, il faut trouver ce qui lui convient à elle. Peut-être qu'une famille peut offrir... Dans une famille, il y a des individus différents. Il faut s'assurer que ces gens-là sont compatibles et peuvent s'aider les uns les autres que la famille d'accueil va pouvoir leur offrir et qu'ils auront dans le milieu d'autres services qui répondront à leurs besoins. C'est difficile de porter un

jugement. Je vous ramène à ce que Paul Mercure préconise, une facilité, un service de transition où une famille d'accueil, c'est une institution, s'il y a plus de cinq personnes par exemple, un foyer de groupe aussi. Je pense qu'il faut toujours revenir aux besoins individuels de la personne et voir comment la ressource trouvée répond à ces besoins-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Une dernière question qui est plus d'ordre théorique. À la page 9, dans les orientations fondamentales ou les principes que vous soumettez dans ces orientations, vous parlez de l'autonomie, du libre choix et de la responsabilité. Quelle réflexion faites-vous sur l'équilibre entre ce respect de l'autonomie et les besoins de protection de la personne?

Mme Champigny-Robillard: Je pense que Paul Mercure a répondu tout à l'heure. Les besoins de protection, de contrer les dangers d'exploitation, l'autonomie, c'est une chose qui va se développer. La personne en institution n'a pas d'autonomie. Si elle prend des responsabilités et qu'elle est participante à l'élaboration de son plan de services, on va lui faire confiance, on va l'amener à pouvoir assumer de plus en plus de responsabilités. Par ailleurs, dans le cas de la déficience mentale, il reste généralement une nécessité de surveillance.

Dans le cas de personnes qui ont eu des épisodes psychiatriques, des services de parrainage civique se développent. C'est donc une notion d'accompagnement, de soutien mais pour encourager toujours dans ces interventions-là l'autonomie de la personne qui se développe. Quand on lui reconnaît une valeur personnelle, on commence à lui permettre d'exercer son autonomie.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord.

M. Laplante: Une dernière question.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

M. Laplante: Je ne sais pas si vous allez pouvoir me répondre là-dessus, par exemple. On dit que la maladie mentale est en progression depuis les quinze dernières années. Â quel pourcentage pouvez-vous attribuer la progression de maladies mentales dues à la drogue? On sait que ça coïncide à peu près avec la drogue.

Mme Champigny-Robillard: Je pense que c'est souvent plus la société qui est malade. C'est un peu une vérité de La Palice de dire ça. Vous me demandez des choses qui dépassent largement ma compétence. Je n'ai pas en tête un tiroir qui pourrait vous donner une réponse juste là-dessus. D'un autre côté, c'est la drogue aujourd'hui. Ce n'est pas parce qu'elle est plus facilement commercialisée ou plus facile à consommer. La drogue a toujours existé quand même, ce n'est pas un phénomène si récent. Il y a eu aussi d'autres problèmes qui ont favorisé la maladie mentale pendant d'autres époques.

Je ne sais pas si on peut toujours faire ces corrélations mais, encore une fois, je ne suis pas une scientifique.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député.

M. Pratt: Après avoir lu et relu votre mémoire, je trouve que vous identifiez très bien les problèmes et les solutions aussi. Il reste une question qui n'est pas claire pour moi. Qui voyez-vous comme maître d'oeuvre pour réaliser ça? Vous parlez de coordination, de travail d'ensemble au niveau des régions, au niveau local. Il est important que quelqu'un ou un organisme soit le maître d'oeuvre de tout ça. On vient de parler de l'AQDM, on parle d'une autre association. Pour le public, il s'agit de voir à qui on va s'adresser pour obtenir des services.

Je vous demande qui vous voyez pour réaliser ça. Un organisme existant, que ce soit un CRSSS... C'est ma première préoccupation.

Mme Champigny-Robillard: Je me sens très mal à l'aise, je parle à des législateurs. Il me semble qu'on a de très bannes lois au Québec et qu'il y a des responsabilités bien situées. M. Laplante a parlé de gens qui souvent agrandissent leurs pouvoirs. Parfois, c'est aux dépens des autres. Nous visons toujours à ce que les personnes responsables de donner des services aux citoyens ordinaires donnent les services adaptés, mieux compris, mieux articulés, à toutes les personnes. Il y a donc une place pour le traitement dans un hôpital pour tous les citoyens. Il y a des hôpitaux qui sont spécialisés, il y a des écoles pour tous les citoyens, il y a des services psychosociaux pour tous les citoyens. Encore une fois, l'office et le ministère, avec sa Commission de la santé mentale, sont là pour aider les vrais responsables, les vrais intervenants à développer les meilleurs outils, les meilleures réponses.

La coordination à parts égales propose un modèle de coordination parce qu'elle propose un modèle à penser et des principes qui vont être communs à tout le monde, cadre dans lequel on va prendre des décisions qui vont être compatibles, qui vont mieux se coordonner. Â moins de mal comprendre votre question, l'office ne proposerait pas des mesures marginales différentes. Il y a des outils de coordination qui sont les conseils régionaux de services de santé et de

services sociaux. Je pense qu'on a besoin de mieux exploiter les ressources qu'on a.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon! Alors, s'il n'y a pas d'autre question, je vous remercie. J'ai oublié de le faire au point de départ, je voulais vous demander d'excuser la commission qui vous a remis de deux mois au moins, mais c'étaient vraiment des circonstances indépendantes de notre volonté. Nos excuses vont à tous les autres groupes qui ne sont pas ici mais qui ont aussi été déplacés, compte tenu de l'horaire chargé du Parlement en fin de session.

Merci beaucoup. Ah oui! On attend vos données. S'il y a lieu, on se permettra de recommuniquer avec vous au moment de la rédaction du rapport. Merci.

M. Mercure: Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Nous allons suspendre les travaux jusqu'à 14 h 30.

(Suspension de la séance à 12 h 18)

(Reprise à 14 h 35)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): La sous-commission des affaires sociales reprend ses travaux. Le premier groupe que nous entendrons cet après-midi, c'est le Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain. Je vous invite à vous présenter, s'il vous plaît.

CSSSRMM

Mme Taylor-Thibodeau (Win): Bonjour, mesdames, messieurs.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Un instant, Mme Taylor-Thibodeau. Je voulais simplement vous demander de vous identifier et d'identifier celui qui vous accompagne. Allez-y.

Mme Taylor-Thibodeau: Bonjour! Je suis Mme Taylor-Thibodeau, présidente de la commission administrative du conseil régional de la région 06A pour les personnes ayant un handicap intellectuel. J'aimerais vous présenter le coordinateur de notre commission, M. Ronald McNeil.

M. McNeil Ronald: Bonjour.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous pouvez procéder à la présentation de votre mémoire.

Mme Taylor-Thibodeau: Premièrement, au nom du conseil d'administration du conseil de la région de Montréal métropolitain, nous tenons à vous remercier de nous recevoir aujourd'hui afin que nous puissions vous présenter et discuter avec vous notre plan d'aménagement régional de ressources pour les handicapés intellectuels.

Il y a déjà quasiment quatre ans que les membres de la commission, de pair avec notre coordinateur, M. McNeil, travaillent sur le contenu, l'esprit, le principe et la philosophie de notre plan. Nous croyons que ceci offrira aux handicapés intellectuels de notre région le meilleur format en vue d'assurer que les services soient disponibles d'une façon humaine, "normalisante", d'une façon rationnelle, en ce qui concerne les bassins de population.

Pour ceux qui ont eu l'occasion de lire notre document ou peut-être seulement la synthèse - parce que je comprends qu'il est assez lourd - vous allez voir quand même que notre population à Montréal est plus vaste que les autres régions économiques de notre province. Donc, le fond de notre plan, c'est de diviser notre système de services sur une base sous-régionale qui suit la découpure de nos départements de santé communautaire.

Nous avons des bassins de population, dans ces DSC, à partir de quasiment 400 000 personnes jusqu'au plus petit, soit 160 000 personnes environ. Donc, vous pouvez préconiser que, peut-être avec l'exception de Trois-Rivières, un de nos DSC représente la population des autres régions économiques.

Alors, pour nous, nous voulons assurer aux handicapés mentaux, premièrement, à la suite d'un des principes d'abord inclus dans le chapitre V de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, que les services soient disponibles à tout individu sur une base au moins régionale. Pour nous, nous tenons à aller encore plus loin, afin que les services soient disponibles dans la communauté, autant que possible, sur une base sous-régionale. Seuls les programmes très spécialisés devraient se retrouver à une planification régionale.

Avant d'aller plus loin, j'aimerais passer la parole à M. McNeil, qui a vraiment travaillé énormément pour développer ce plan avec nous et je tiens à vous dire que c'est un plan, mais c'est un plan qui est déjà au niveau de l'actualisation. M. McNeil.

M. McNeil: Merci. Pour commencer, je pense qu'il est important de préciser que le plan régional à Montréal est fondé d'abord et avant tout sur la reconnaissance des droits de la personne handicapée: le droit d'avoir accès à des services proches de son lieu de demeure, dans un milieu non institutionnel autant que possible, respectant sa langue et sa religion, des services adaptés à ses besoins particuliers et contenus dans son plan de services.

Le premier chapitre de notre document, "Plan régional", traite précisément de la

question de la reconnaissance des droits des personnes handicapées et des personnes ayant une déficience intellectuelle. En extension à la reconnaissance des droits, il y a une série de principes qui nous guident dans l'élaboration des divers programmes et dans l'organisation de services dans la région de Montréal. Le premier de ces principes est celui de la normalisation, c'est-à-dire l'utilisation de moyens qui sont culturellement normatifs et valorisants pour la personne, afin qu'on puisse atteindre des objectifs de programmation qui sont contenus dans les plans de services de tous et chacun.

On demande également que les plans élaborés tant au niveau de la région qu'au niveau de nos sous-régions et au niveau individuel prévoient la participation de la personne, de son représentant ou des représentants de sa famille. On demande également que les services prévoient ce qu'on pourrait appeler l'intervention précoce, une intervention rapide afin de prévenir l'institutionnalisation ou le besoin d'institutionnalisation. On demande également que le tout fasse l'objet de planification.

Quand on parle plus précisément de projets de désinstitutionnalisation, ce n'est pas quelque chose qui s'improvise, ça doit faire l'objet de planification. Et cela, pour nous, encore, c'est à l'échelle de chaque individu dans son plan de services, à l'échelle d'une sous-région ou des établissements d'une sous-région et à l'échelle régionale.

Notre deuxième chapitre traite plus précisément d'une définition de la population cible. Là, je crois qu'il est important de préciser que les personnes qui ont une déficience intellectuelle ne sont pas forcément des personnes qui ont des problèmes d'ordre psychiatrique. Ils ont une déficience au niveau intellectuel et ils doivent avoir accès à des services qui répondent à leurs besoins spécifiques. Cela ne veut pas dire, cependant, s'ils ont un problème psychiatrique, qu'ils ne doivent pas avoir accès à ces services également. Mais, d'abord, une personne qui a une déficience intellectuelle doit avoir accès à des services qui correspondent à ses besoins. Il n'y a pas très longtemps, les services offerts dans la région de Montréal, du moins, étaient offerts tantôt pour des personnes de tel âge à tel âge ou avec des caractéristiques particulières. Aujourd'hui, la définition que nous donnons à la population cible vise essentiellement à éliminer des critères d'exclusion et à assurer que tous et chacun ont accès à des services et font partie de la population cible.

Notre troisième chapitre touche précisément la question de la sous-régionalisation. La sous-régionalisation, quant à nous, n'est pas un objectif; c'est un moyen dont la région veut se doter pour faciliter l'accès à des services sans discrimination, en prévoyant une gamme complète de services organisés pour répondre à des besoins identifiés. On veut aussi faciliter la participation de la personne, de son représentant à la vie des établissements, à la structure de planification, autour des questions qui lui sont proches. La participation, par exemple, d'une association de parents située à l'ouest de l'île prend son sens dans la mesure où cette association se penche sur les questions de l'ouest de l'île. Ils sont peut-être moins habilités à se pencher sur des questions à Rivière-des-Prairies ou à Pointe-aux-Trembles. On croit qu'on peut accentuer la participation des personnes en les situant dans les milieux qu'elles connaissent bien.

On veut également faciliter l'intégration sociale de la personne ayant une déficience intellectuelle en favorisant chez elle la sensation d'appartenance à son milieu, dans son quartier, en développant chez elle la connaissance des ressources génériques dans son milieu: le magasin du coin, son trajet d'autobus qu'elle va prendre à tous les jours. En circonscrivant les milieux, on peut augmenter son autonomie. {14 h 45)

L'un de nos objectifs, c'est d'assurer que la personne puisse développer le maximum d'autonomie dans un milieu identifié. On croit également, et cela, conformément aux droits que l'on a reconnus aux personnes handicapées, qu'elles ont le droit au support du milieu familial. Si on ne tente pas de maintenir la personne au moins à proximité de son milieu familial, les liens avec la famille deviennent de plus en plus difficiles à maintenir. Pour nous, cela est fondamental.

Sur une échelle administrative, il est bien sûr que la sous-régionalisation nous fournit aussi certains paramètres pour mieux répartir lès ressources sur l'ensemble de la région. On vise à ce que chaque sous-région ait sa quote-part des ressources disponibles dans la région. Nous n'avons aucune raison de croire à ce stade-ci que le taux de "prévalence" serait nécessairement plus élevé dans certains milieux plutôt que dans d'autres. Les statistiques que nous avons actuellement nous laissent croire que le taux d'incidence à Verdun ou à Laval est presque le même pour ces bassins de population.

Cela nous permet aussi d'éviter qu'il y ait des dédoublements dans l'organisation de services communautaires. Si, à l'insu des unes et des autres, chaque corporation devait implanter des foyers de groupe dans le même quartier ou sur la même rue, on dépasserait très rapidement des taux de saturation et on s'attendrait, à ce moment-là, qu'il y ait un mouvement de protestation des personnes non handicapées dans les mêmes quartiers. En s'assurant que chaque quartier intègre ses propres personnes handicapées, les arguments

contre les projets de désinstitutionnalisation ou le maintien des personnes handicapées dans leur milieu seront beaucoup beaucoup moins grands en tout cas. Pour nous, la sous-régionalisation est un moyen qui nous permet d'atteindre ces objectifs.

Dans une région comme Montréal, il est aussi très important de ne pas créer des citoyens de deuxième classe. La loi dit que les services doivent être offerts sans distinction de langue ni de religion. Cela s'applique autant, quant à nous, aux clientèles francophones qui habitent les quartiers anglophones qu'aux anglophones qui vivent dans des quartiers francophones. Cela s'applique également à l'ensemble de nos communautés culturelles. On vise à respecter la langue et la religion de tous et chacun et que les services tendent à respecter les traditions familiales. À ce moment-là, chaque individu a le droit de recevoir des services qui sont situés à proximité de son Heu de demeure, dans sa langue et autant que possible même dans son milieu naturel.

Cela veut aussi dire que nous devons désigner des responsabilités. Si on veut que les services dans une sous-région donnée répondent aux besoins de cette sous-région, il faut responsabiliser les corporations présentes dans ces sous-régions afin qu'elles rendent les services qui correspondent aux besoins de la population. Pour ces raisons, le plan régional à Montréal prévoit la sous-régionalisation de notre territoire. Comme Mme Thibodeau l'a mentionné, les populations de nos sous-régions sont équivalentes aux populations des régions administratives ailleurs au Québec.

Dans le chapitre IV nous parlons d'une gamme de services quant au maintien d'une personne handicapée dans la communauté. La désinstitutionnalisation des personnes qui vivent présentement en milieu institutionnel, que ce soient les centres d'accueil ou les hôpitaux psychiatriques, dépend de l'implantation d'une gamme de services offerts à la personne handicapée et à sa famille dans leur milieu naturel de vie. Sans vouloir être exclusif nous avons, au chapitre IV, détaillé la gamme de services d'adaptation que nous entendons implanter dans chacune des huit sous-régions de Montréal.

Il est bien sûr que l'accent est sur les services non institutionnels. On tient pour acquis qu'avec une gamme de services offerts à la personne dans la communauté le recours au milieu institutionnel s'adressera, évidemment, à un nombre plus restreint de personnes.

Au chapitre V, nous avons désigné des responsabilités à des centres d'accueil publics dans chacune des huit sous-régions et ce, en fonction d'une double gamme de services. Nous avions, il y a quelque temps, des ateliers protégés, financés par l'État du

Québec, qui n'étaient pas des établissements. Aujourd'hui, la majorité de nos ateliers sont devenus des centres d'accueil et ils visent la préparation d'une gamme complète de services pour une intégration au marché du travail. Pour certains individus, évidemment, ces activités vont être à plus long terme. Pour d'autres, ce sera à court terme. Mais il y a toute une gamme de services qui sont très pertinents pour ce type d'intégration. Nous avons une autre corporation qui comprend les centres d'accueil plus traditionnels qui offrent une gamme complète de services visant à l'autonomie de la personne dans les activités de la vie quotidienne. Pour une personne adulte, c'est la complémentarité de ces deux types de centre d'accueil qui assure la mise sur pied d'une gamme complète de services qui permettent son intégration sociale.

Au chapitre V, la désignation des responsabilités touche à la fois les établissements responsables des activités de la vie quotidienne et les activités de travail proprement dites.

Au chapitre VI - et c'est peut-être le point fondamental, quant è nous - tout tourne autour des plans de services qui seront organisés pour chaque individu. On peut vouloir se doter de règles ou de paramètres, mais c'est vraiment autour des plans individualisés de services que l'avenir d'une personne peut être planifié en respectant ses droits et ses volontés ainsi que ceux de sa famille.

La deuxième partie de notre plan touche les structures que nous voulons mettre sur pied. Ces structures de base sont des structures qui viseraient à nous assurer que nous sommes en mesure de fournir une certaine coordination des plans de services et des plans d'intervention pour chaque individu. À ce stade-ci, nous voyons un rôle assez privilégié pour les centres de services sociaux. Nous comprenons que c'est une position qui diverge peut-être de celle d'autres régions administratives où les CLSC sont peut-être plus en mesure d'assurer rapidement ce rôle-là. Quant à nous, nous croyons que c'est un rôle qui devrait être joué par les centres de services sociaux è une échelle sous-régionale encore pour quelque temps.

Le chapitre VIII traite de la commission administrative. Par la commission administrative, nous voulons maintenant dépasser les centres d'accueil de réadaptation et les centres hospitaliers et rejoindre d'autres secteurs. Nous voulons élargir la composition de notre commission actuelle pour rejoindre des personnes provenant du service de première ligne, des services de l'éducation, la main-d'oeuvre, tous les secteurs qui ont une importance première et, il faut le dire, l'intégration sociale des personnes handicapées n'est pas la

responsabilité du seul ministère des Affaires sociales et de ses établissements. C'est vraiment une responsabilité collective. Il faut s'assurer que les services des Affaires sociales puissent soutenir les démarches et les efforts faits dans d'autres secteurs pour faciliter l'intégration sociale des personnes handicapées intellectuellement.

Évidemment, si on s'oriente vers une structure sous-régionale, nous devons prévoir une structure de planification sous-régionale. Nous avons prévu des tables de concertation sous-régionales qui auront, d'abord et avant tout, à identifier les besoins spécifiques d'une sous-région et à proposer, par leurs établissements, des moyens pour répondre à ces besoins. Cela fournit aussi un lieu de sensibilisation de l'ensemble des intervenants dans une sous-région donnée aux problématiques de l'intégration sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle. Cela peut servir aussi de lieu de concertation de ces diverses instances.

Mme la Présidente, cela complète le tour d'horizon de notre plan régional. On vous a transmis également certaines annexes. La planification dans la région de Montréal se fait de concert avec l'ensemble de nos établissements concernés. Il y a une série de critères minimaux à respecter dans l'implantation des services que nous demandons à chacun de nos établissements. Nous avons prévu que chaque établissement ne déposera sa planification pour les trois prochaines années que s'il se situe dans le cadre du plan régional qui est maintenant adopté par notre conseil d'administration.

Vous avez également une copie d'une brève synthèse de la situation actuelle pour chacun des chapitres que je viens de vous présenter. C'est vraiment très bref. Cela ne rend peut-être pas justice à la problématique dans la région de Montréal. Vous avez également, à la fin, une politique régionale visant le rapprochement de la personne ayant une déficience intellectuelle de son milieu naturel de vie et ce, en fin de compte, pour s'assurer qu'on respecte le droit des personnes, leurs désirs, le choix des adultes, l'entourage et les amitiés que les adultes ont pu contracter lors de leur séjour en milieu institutionnel, par exemple.

On vise à ce que le tout soit mis en application d'une façon humaine et vraiment en ramenant le tout à l'intérieur du plan de services de chaque individu. C'est à cela que nous voulons être sensibles dans la région de Montréal.

Comme tel, je pense qu'on ne vous fait pas de recommandation précise autre que de vous dire que le conseil régional de Montréal et les conseils régionaux à l'échelle du Québec ont une responsabilité quant à la planification des services. La désinstitutionnalisation et le maintien des personnes ayant une déficience intellectuelle dans la communauté devraient faire l'objet d'une qualification régionale. On vous offre notre plan pour vous montrer que, dans la région de Montréal du moins, nous sommes prêts à revoir l'intégration sociale des personnes en respectant leurs droits et à l'intérieur d'un cadre qui vise essentiellement à respecter ces droits.

Nous voulons également nous assurer qu'avec les fonds disponibles - cela ne veut pas dire qu'on croit que les fonds sont adéquats, mais cela veut dire qu'avec les fonds déjà disponibles dans la région de Montréal, que nous pouvons estimer actuellement à près de 100 000 000 $, il y a moyen de faire des réaménagements de ressources de façon à prévoir la désinstitu-tionnalisation des personnes et à ce qu'elles aient accès à des services de soutien dans la communauté qui correspondent à leurs besoins.

Déjà, depuis dix ans, je peux vous dire qu'il y a eu dans la région de Montréal une réduction substantielle dans nos centres d'accueil des places institutionnelles. Nous desservons plus de personnes aujourd'hui sans budget de développement que nous n'en desservions il y a cinq ans et ce, essentiellement dans des services non institutionnels. C'est une démarche que nous entendons poursuivre au cours des prochaines années. Je pense que je vais m'arrêter là pour l'instant.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci beaucoup, M. McNeil. D'abord, je veux remercier la commission administrative du Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain, la commission administrative sur la déficience mentale. Vous ne touchez pas... Si je comprends bien, il y a une autre commission administrative pour la psychiatrie, n'est-ce pas?

M. McNeil: C'est bien cela. Oui. (15 heures)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Et qui, elle, ne vient pas, je pense.

M. McNeil: II y a une question de lien, cependant, avec les personnes ayant une déficience intellectuelle en milieu psychiatrique que nous allons revoir prochainement. Pour nous, cela se situe è l'intérieur du dossier de l'hôpital Louis-Il. -Lafontaine,. où il y a déjà eu une enquête, un tuteur qui est en place et qui a formulé des recommandations qui nous permettraient - pour ce qui est de l'hôpital Louis-Il. -Lafontaine du moins - de prévoir au cours des cinq prochaines années la prise en charge des personnes ayant une déficience intellectuelle par les centres d'accueil qui ont un mandat pour desservir cette population et d'amorcer avec ce réseau l'intégration sociale des personnes ayant une

déficience intellectuelle, mais qui résident présentement en milieu psychiatrique.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Je vous remercie de votre mémoire. Évidemment, c'est un plan d'action qui a été formulé par la commission administrative. La première question que j'aimerais peut-être vous poser, c'est: Où en êtes-vous? Ce plan a été adopté par le conseil régional. C'était dans la lettre d'introduction, de mémoire je pense que c'était en mai ou juin 1985. Je pense que ce plan-là a été adopté par le conseil régional comme étant la politique d'action à l'endroit des personnes atteintes de déficience mentale pour l'agglomération de Montréal. Est-ce bien cela?

M. McNeil: C'est ça.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'aimerais savoir dans quelle mesure l'implantation de ce plan est déjà en voie de réalisation. Pour vraiment donner tous les services - parce que j'ai vraiment lu votre mémoire - que vous décrivez, quels sont les moyens financiers que ceci va requérir? Je vais vous donner un exemple. Vous dites dans le plan que l'enfant qui a une déficience mentale en bas âge, au préscolaire, au scolaire, etc., doit recevoir tel ou tel service. Par exemple, on sait qu'au préscolaire il n'y a pas de disposition dans la Loi sur le ministère de l'Éducation à l'endroit de ces enfants comme pour les enfants réguliers à partir de cinq ans, mais pas pour les années antérieures où l'enfant est en très bas âge et où on juge que c'est important d'agir le plus tôt possible pour cette catégorie d'enfants, ces services-là, je pense, sont pratiquement inexistants, sur une base générale, en tout cas.

M. McNeil: Je peux vous dire qu'il existe...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Laissez-moi finir ma question! Ma question précise est, tenant compte de cette personne déficiente mentale et de tous les services que vous demandez, quels sont les coûts que vous prévoyez à la réalisation de ce plan d'action et dans quelle mesure il est déjà réalisé. Je sais que vous avez donné des chiffres. Vous avez dit: Si on prenait les 100 000 000 $ et qu'on les répartissait autrement, on arriverait à la même chose. On sert plus de gens hors des institutions que dans les institutions pour le même montant d'argent, etc. Mais, quand il s'agit de formuler cela d'une façon concrète, cela implique quoi comme déboursés?

Mme Taylor-Thibodeau: Est-ce que vous désirez que nous commencions par la fin de votre question ou par le début?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Comme vous voudrez.

Mme Taylor-Thibodeau: Je vais laisser les cents à M. McNeil.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord.

Mme Taylor-Thibodeau: J'aimerais peut-être mieux, Mme la Présidente, répondre à la première partie de votre question, aux termes de "Où en sommes-nous à ce moment?" Vous savez, nous avons passé par des étapes assez difficiles avec le développement de ce plan, car le plan même, pour beaucoup de nos établissements qui sont maintenant, je dirais, quasiment à 100 % derrière l'esprit et les principes de ce plan, impliquait quand même au début certaines prises en charge par le conseil régional, par la commission, de certaines libertés acquises par leur conseil d'administration, leurs cadres, etc., qu'ils voyaient comme leur budget, ce qu'ils voyaient comme leurs responsabilités, comme leurs droits, etc.

Mais, vous savez, au cours des années, en discutant ensemble, en travaillant ensemble, nous avons fait du progrès. À un certain moment, il y a quasiment deux ans, il y a eu fermeture d'une de nos institutions avec la mise en disponibilité de quasiment 1 800 000 $ qui ont été utilisés pas nécessairement par la corporation qui avait fait cet argent en libérant et en fermant une institution, mais plutôt par le réseau entier, car, ensemble, nous avons pu établir les priorités et les besoins. C'est devenu très important pour nous, cette capacité de travailler ensemble et de nous sentir responsables comme directeurs d'établissements publics et de réaliser que ce n'était pas notre boutique qui était l'important, que ce qui était important, c'était que nos boutiques, ensemble, répondraient de la façon la plus saine aux besoins de la population.

Nous avons demandé, pendant les trois dernières années, la présentation d'un plan d'aménagement qui répondait - comme M. McNeil l'a dit tantôt - de l'apport de chacun de nos établissements. Nous avons reçu ce genre de plan de quasiment chacun d'eux. C'est un plan qui vise la continuation, qui vise des pourparlers entre établissements, qui vise une rationalisation des services.

Pour en venir peut-être, Mme la Présidente, à un de vos derniers points, les demandes de lits institutionnels ont beaucoup baissé en ce qui concerne la population de zéro à quasiment douze ans. Ceci est à cause de la prise en charge par nos centres d'accueil de la responsabilité de programmes de stimulation précoce et de programmes de

soutien à la famille.

Vous avez raison quand vous dites que nous n'avions pas tous ces aspects d'une programmation nécessaire. Nous croyons, vis-à-vis de la stimulation précoce qu'on répond quand même d'une façon assez adéquate dans notre propre région. C'est peut-être plutôt pour les programmes spécialisés et les programmes de soutien à la famille du jeune handicapé mental qu'il y a vraiment encore des lacunes.

Mais nos centres d'accueil préconisent que, de plus en plus, ils veulent aller et doivent aller vers les services doux. Ils sont aussi très conscients que, depuis quelques années, les fonds de développement ne sont pas les mêmes que dans les années de vaches grasses. Ils l'acceptent et savent qu'il faut, de plus en plus, qu'on regarde ce qui est disponible et que nous devenions de plus en plus innovateurs dans le système de services que nous développons.

Je vais laisser la parole à Ron, parce qu'il est toujours à la fine pointe des cents, parce qu'on l'achale tout le temps. Naturellement, pour l'application de notre plan, il y a des coûts et je ne dirai pas que desservir une population de personnes ayant un handicap intellectuel va coûter beaucoup moins cher sur une base communautaire que sur une base institutionnelle. Mais nous pouvons vous assurer que cela ne coûtera pas plus cher et que cela nous donnera la capacité comme société collective de répondre à ces besoins de la façon - comme on vous l'a dit et comme on le dit dans notre document - la plus "normalisante" et la plus valorisante possible pour ces personnes. Ron, les budgets.

M. McNeil: Je vais vous donner des chiffres très arrondis. Le gouvernement du Québec dépense environ 50 000 000 $ dans les centres d'accueil de réadaptation.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Pour la région de Montréal.

M. McNeil: Pour la région de Montréal. La plus grande partie - on remonte à 1975 -de cet argent était presque exclusivement dépensée dans les milieux institutionnels. Aujourd'hui encore, la majorité des dollars est là. Nous sommes en mesure, avec les fonds disponibles, d'assurer qu'on implante au moins des embryons de services dans chacun des secteurs ou chacun des services qui sont énumérés dans notre document. Il y a actuellement au moins cinq centres de services de stimulation précoce sur le territoire de Montréal. On vient d'implanter un service au centre d'accueil Le Relais Laval, pour le territoire de Laval.

On a généré des fonds par la fermeture d'installations institutionnelles. On a généré, dans la région de Montréal, nos propres fonds de développement, si on veut. Mais, comme l'a mentionné Mme Thibodeau, c'est toute une démarche de demander à un établissement d'entreprendre la fermeture d'une installation, tout ce que ça implique au niveau des relations du travail et du respect des droits des travailleurs - il ne faut pas qu'on oublie les travailleurs du réseau des Affaires sociales - de réorienter les personnes qui résidaient dans ces milieux vers des ressources encore plus appropriées à leurs besoins et, finalement, de voir à ce que cet argent soit transféré à d'autres corporations.

C'est effectivement ce que nous avons réussi dans la région de Montréal, en responsabilisant les centres d'accueil qui sont, dans le fond, des gestionnaires de fonds publics et qui ont toute une responsabilité collective pour l'ensemble de la population. Mais on leur donne en même temps des responsabilités particulières pour l'ensemble des populations des huit sous-régions. Nous croyons, avec les fonds actuels... Je vais dépasser les 50 000 000 $ au niveau des centres d'accueil de réadaptation, et nous pourrons parler de 100 000 000 $ quand on regarde les fonds dépensés pour des personnes ayant une déficience intellectuelle en milieu psychiatrique, On pourrait amorcer un réaménagement des ressources actuelles dans l'ensemble des services actuellement disponibles pour les personnes ayant une déficience intellectuelle.

Nous avons prévu un plan peut-être un peu plus détaillé, par exemple, en ce qui a trait à l'hôpital Louis-H. -Lafontaine pour prévoir la sortie des personnes dans le réseau des centres d'accueil et un transfert des fonds pour accompagner ces personnes, par l'organisation de services adaptés pour répondre à leurs besoins spécifiques.

Cela voudrait dire qu'on pourrait réaménager à Montréal des services d'adaptation ou de réadaptation équivalents aux sommes que l'État dépense actuellement. Bien sûr, on ne répond pas à 100 % des besoins. Il y a à Montréal, actuellement, plus de 700 personnes qui attendent leur entrée aux ateliers des services d'apprentissage aux habitudes de travail. Ce n'est pas un petit problème. On a investi beaucoup dans ces personnes, on a investi au niveau des services de la stimulation précoce en milieu scolaire et, à l'âge de 21 ans, où, normalement, il devrait y avoir une suite, il n'y en a pas. Ce n'est pas parce que les services n'existent pas; les services adaptés à leurs besoins existent, mais pas en quantité suffisante, et je dirais que peut-être la crise économique nous a coupé les jambes, dans le sens où ce fut encore plus difficile, l'intégration au marché du travail pour les personnes handicapées durant cette période.

Mais on voudrait cependant, avec la reprise économique, bien former nos jeunes

pour qu'ils soient capables d'accéder à certains postes auxquels ils seraient capables d'aspirer dans les prochaines années. Cela aussi, ça veut dire que les ateliers, les services d'apprentissage aux habitudes de travail adaptent les apprentissages aux types d'emplois disponibles dans leur région et aux types d'emplois que les personnes handicapées vont être susceptibles d'occuper; ça demande toute une réorganisation au niveau du contenu des programmes. (15 h 15)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce que vous dites, M. McNeil - le temps passe -c'est que, si on pouvait réaliser un plan de désinstitutionnalisation de la part des centres d'accueil et également des institutions psychiatriques, on pourrait dégager des sommes suffisantes pour, au moins, réaliser en grande partie le plan d'action qui est ici.

M. McNeil: Je pense que oui. La réponse est oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la réalisation de ces objectifs? Mme Thibodeau y a touché un peu du point de vue de travailler avec les conseils d'administration qui, à juste titre, ont monté leurs centres d'accueil parce qu'ils étaient identifiés à leurs centres d'accueil ou à leurs boutiques, comme vous disiez... Est-ce que les difficultés du côté de Louis-Il. -Lafontaine, où vous semblez avoir amorcé un certain travail d'après ce que j'ai cru comprendre, peuvent être surmontées éventuellement?

M. McNeil: Dans le fond, le plan régional, il est bien sûr qu'il ne va pas dans les détails des projets individuels de désinstitutionnalisation pour chacun des centres d'accueil, par exemple. On croit que c'est un cadre, une assise sur laquelle chaque centre d'accueil peut se fier pour amorcer son propre plan de désinstitutionnalisation. Nous, au conseil régional, allons être très vigilants pour nous assurer que chaque établissement prépare ses plans et que ceux-ci soient conformes au plan régional. Dans le fond, c'est un cadre de référence dans lequel on s'assure que les droits de chaque individu seront respectés.

Dans ce sens-là, les problèmes que nous avons rencontrés jusqu'à maintenant par rapport aux principes semblent... Enfin, les gens qui se sont attardés au contenu de notre plan... Je lis des reportages dans les journaux sur notre plan et je peux vous dire que les gens ne l'ont pas lu ou bien on n'a jamais rapporté ce que je vois dans les reportages. Il est bien sûr qu'il y a peut-être certains groupes qui, dans le contexte actuel, voudraient voir un aménagement qui soit autre que celui-ci. Dans la mesure où on arrive à créer dans la région un certain consensus, il est bien sûr que chacun va mettre un peu d'eau dans son vin. C'est le bien-être de l'ensemble. Il y a des revendications, par exemple, d'un groupe comme Alliance Québec qui verrait plutôt à ce qu'un établissement, le centre d'accueil Promotions sociales Taylor-Thibodeau, ait un mandat particulier.

À ce moment-là, ce qui est problématique quant à nous, c'est de créer jusqu'à un certain point du non-respect des droits de la communauté anglophone, qui va se retrouver en milieu... Je parle par exemple de Pointe-aux-Trembles. Des familles anglophones habitent à Pointe-aux-Trembles qui ont un enfant avec un déficience intellectuelle et elles ont également droit à des services facilement accessibles dans la communauté qui vont faciliter l'apprentissage chez le jeune de l'utilisation des infrastructures accessibles dans sa communauté. Ce n'est pas notre objectif de maintenir une entité corporative qui ne répond pas à cet objectif.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous écoute parler sur cette question-là, puisque c'est vous qui l'abordez, vous traitez de votre plan d'action en page 33 de votre mémoire. J'ai l'impression à vous écouter parler - d'ailleurs, vous parlez au bas de la page et cela m'a un peu surprise comme expression: "Des services destinés pour l'une ou l'autre communauté approchant un modèle d'apartheid ne semblent pas le meilleur garant des objectifs poursuivis. " Évidemment, on réagit toujours au mot "apartheid" et c'est pour cela que ça m'a un peu surprise lorsque j'ai vu cela. Par exemple, une communauté dit vouloir réclamer des services dans sa langue et la préservation des institutions; on sait fort bien que, dans le domaine de la déficience mentale, la communauté anglophone a une tradition encore plus longue que celle des institutions francophones. Mme Taylor va certainement s'en souvenir, on se connaît depuis longtemps.

Vous semblez blâmer un peu Alliance Québec. Dans le fond, est-ce que ce n'est pas non plus quelque chose de légitime? N'est-ce pas quelque chose qui, dans une certaine mesure, peut répondre mieux aux besoins des enfants d'une autre culture ou d'une autre langue? Peut-être pas l'amalgamation que vous proposez, mais je n'étais pas sûre de votre point de vue, et vous dites - je pense que c'est dans votre résumé" La situation actuelle et les impacts prévisibles" - qu'il faudrait que Taylor-Thibodeau change un peu sa perception des choses. Je ne cite pas le texte, mais c'est un peu cela que vous dites. Maintenant je ne veux pas entrer dans le fond du problème vis-à-vis de Taylor-Thibodeau. Oublions-le

pour le moment, mais je veux vraiment le traiter au point de vue d'une minorité ou de plusieurs minorités voulant être servies adéquatement dans leur langue, à qui on veut assurer que les professeurs ou, enfin, les moniteurs, ou appelons-les comme on le voudra, soient des gens qui aient des affinités culturelles avec eux, particulièrement au point de vue linguistique.

Mme Taylor-Thibodeau: Mme la Présidente, vous allez voir que dans le mémoire, pour plusieurs de nos centres d'accueil, incluant les Promotions sociales, nous avons donné un rôle supplétif, à savoir que nous savons fort bien que toutes nos corporations, qu'elles soient d'origine francophone ou anglophone ou juive, ne seront pas en mesure d'une journée à l'autre d'offrir des services adéquats qui répondent et qui suivent le plan de programme et le plan d'intervention individuelle d'un individu. Nous le savons. Ceci est surtout vrai des services dits institutionnels. D'autre part, nous avons l'exemple concret depuis cinq, six ou sept ans que le besoin institutionnel a baissé énormément. Nous croyons que des services moins structurés et communautaires peuvent être donnés dans les deux langues par une corporation anglophone ou par une corporation francophone. Le milieu de vie institutionnel ne nous demande donc pas d'une journée è l'autre des changements radicaux, mais pour une famille anglophone ou francophone qui se voit minoritaire dans une de nos sous-régions nous ne croyons pas qu'ils devraient avoir la nécessité de traverser la ville pour recevoir des services soit en anglais ou en français. Le point de vue...

Une voix: Les parents.

Mme Taylor-Thibodeau: Si les parents le désirent, c'est dans la loi. Nous avons le droit de nous adresser où l'on veut, n'est-ce pas? On ne peut pas forcer quelqu'un à aller à l'hôpital Saint-Luc parce qu'il demeure dans le bassin de la population de l'hôpital Saint-Luc. Il a le droit de s'adresser à n'importe quel établissement public. C'est un droit inhérent qui va demeurer. Ce n'est pas un mémoire qui va changer les principes de la loi. Cela va de soi. Mais, entre faire le choix et être obligé de faire ce choix-là, il y a une grande différence pour la population, parce qu'on ne vise pas les droits des corporations comme tels. Ce n'est pas notre rôle. On vise les droits des bénéficiaires. C'est un fait, notre province n'est pas une province comme les autres et c'est magnifique. Nous voulons une véritable intégration sociale pour nos bénéficiaires. C'est nécessaire que nos bénéficiaires comme tout le monde ici aient l'habileté de parler, sinon les deux langues, du moins la langue de la majorité de notre province. Et ce n'est pas dans le meilleur intérêt de nos handicapés intellectuels de les garder dans... J'espère que je m'exprime bien. Je suis anglophone et j'ai beaucoup travaillé, comme vous l'avez dit. Mais je n'ai jamais travaillé pour des corporations comme telles et pour le maintien d'idéologies, qui changent avec les années et qui doivent changer avec le temps et répondre aux besoins du temps. Notre plan régional a été adopté à l'unanimité par les commissaires de notre commission qui représentent également les deux secteurs, francophone et anglophone. De plus, il a été accepté en principe par tous les conseils d'administration de nos établissements publics dans la région 6A. Naturellement, des changements imposent des ajustements difficiles à accepter quelquefois, mais nous croyons que cela va venir, que cela va se faire.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Comme je l'ai dit, je ne veux pas faire une longue digression sur ce problème, mais vous savez que se discute présentement toute la question de la "survie" - entre guillemets -des institutions anglophones et des institutions juives. Vous arrivez avec votre mémoire et vous relativisez - vous pouvez avoir raison - ce problème en disant: C'est mieux et on pense que, tout en permettant que les gens puissent être servis dans leur langue, on doit aller vers une intégration linguistique ou culturelle qui... Il faut toujours penser que le fonctionnement du conseil régional est différent de celui des corporations. On peut bien accuser les corporations d'avoir des intérêts pro domo, mais il reste qu'elles sont aussi près de leur population. Ce sont souvent les gens eux-mêmes qui les ont construites, etc. Enfin, ce n'est peut-être pas nécessaire d'aller plus au fond, mais je veux vous indiquer que c'est une attitude qui peut créer des problèmes, en tout cas, dans la décision qui a été endossée par le CRSSS. Vous avez pris soin de dire qu'il y a - comment dirais-je? - une approbation de principe des établissements. Une approbation de principe, ce n'est peut-être pas une approbation formelle, pratique et concrète des établissements. J'ai eu l'impression que vous vouliez la situer à un autre niveau.

M. McNeil: Nous avons reçu dernièrement un plan qui nous a été proposé par le centre d'accueil Les Promotions sociales Taylor-Thibodeau et qui a été entériné par son conseil d'administration dans lequel on nous dit qu'il est tout à fait prêt et disposé à offrir des services aux populations francophones des sous-régions telles que désignées dans le plan régional. Il est bien sûr qu'avant qu'on puisse organiser des services institutionnels, si besoin en est,

dans les sous-régions pour la population francophone, cela nous demanderait encore un peu de travail et il faudrait peut-être envisager des modalités particulières. Nous avions recommandé au ministère des Affaires sociales - je pense que cela fait trois ans -l'intégration, par exemple, de Château Pierrefonds, qui est situé à l'ouest de l'île, aux Promotions sociales Taylor-Thibodeau. Le conseil d'administration des Promotions sociales Taylor-Thibodeau a accepté le mandat. Cependant, à l'époque, le ministre avait décidé qu'il était plus approprié que cette institution soit intégrée au centre d'accueil Jean-Olivier-Chénier. Cependant, le ministre, tout en acceptant de l'intégrer à Jean-Oliver-Chénier demandait que les dispositions soient prises pour que cette corporation se resitue dans les orientations que nous étions en train de préparer à l'époque. Nous prévoyons quand même l'intégration du centre Château Pierrefonds au centre d'accueil Les Promotions sociales Taylor-Thibodeau à un moment qui serait propice et qui serait agréé par les deux corporations. Donc, il y a des moyens très concrets qui nous permettent que les deux communautés aient accès à des services le plus localement possible. Cela, c'est pour la clientèle francophone dans l'ouest de l'île de Montréal et à Montreal General. (15 h 30)

II y a aussi les clientèles anglophones dans les autres sous-régions. Tant et aussi longtemps que les centres d'accueil francophones n'avaient pas accepté les mandats sous-régionaux, cela voulait dire à ce moment-là que personne n'était responsable pour la dispensation des services à la population anglophone hors des territoires des Promotions sociales Taylor-Thibodeau. Aujourd'hui, on peut vous dire que les conseils d'administration de ces établissements sont prêts. Ils acceptent le mandat au même moment où on regarde la grosseur des résidences. On va vers l'organisation de résidences beaucoup plus petites. C'est beaucoup plus facile de voir à respecter des traditions culturelles dans des résidences où on regroupe quatre, cinq ou six personnes. On ne requiert plus maintenant des centaines de personnes pour l'implantation d'institutions proprement dites.

Cela nous donne aussi un moyen et je vous donne un exemple. Il y a à peine un an j'ai eu à intervenir pour faire admettre quelqu'un dans un centre d'accueil sur la rive sud de Montréal. On nous disait qu'il n'y avait pas de services en anglais pour un jeune homme. Finalement on avait dit: Oui, la personne peut être admise à Montréal, pour autant que cela respecte des objectifs de programmation et qu'on ait prévu les modalités de réintégration de cette personne dans sa sous-région ou dans sa région aussitôt qu'on aura atteint les objectifs pour la référence. Finalement, ce qui s'est passé, c'est que c'était trop loin pour la famille. Les visites, qui étaient mensuelles au début, il n'y en a presque plus aujourd'hui. L'enfant est plus ou moins abandonné dans un centre d'accueil institutionnel parce que les distances sont grandes et on demande beaucoup aux parents dans ce temps-là.

Il faut donc qu'on se donne des moyens pour s'assurer que ce jeune homme et les autres aient accès à l'appui de leur famille, qu'on les favorise et qu'on les implique. Quand on regarde de grandes distances cela devient très difficile et, quand on parle de l'intégration dans le milieu naturel, je vais peut-être encore caricaturer un petit peu mais c'est difficile à Beaconsfield de prévoir qu'une personne développe l'autonomie d'utiliser des services à Trois-Rivières si c'est son milieu naturel et que c'est là où se trouve sa famille, ses frères et soeurs, etc. On dit cependant que, pour des raisons exceptionnelles, si c'est vraiment la ressource appropriée, qu'il est démontré que la personne doit être institutionnalisée et qu'on peut réaliser les objectifs dans un plan d'intervention, on va respecter évidemment les désirs des familles.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est quand même un petit peu marginal et c'est un peu ma faute. Vous m'avez tendu une perche et je suis revenue là-dessus. Je voudrais vous poser une autre question précise - je n'ai pas la page de mémoire - à savoir, quand vous catégorisez les différents niveaux de déficience mentale - Ah! je l'ai, la page 17 - et que vous faites quatre groupes, la déficience mentale profonde, sévère, moyenne, etc., dans le cas de la déficience mentale profonde, qui correspond au groupe le plus atteint, comme vous le dites, est-ce que la désinstitutionnalisation est possible et dans quelles conditions?

M. McNeil: Vas-y, je compléterai.

Mme Taylor-Thibodeau: Nous croyons que oui. Il y a déjà de tels exercices qui ont été réussis aux Etats-Unis et dans d'autres provinces du Canada. Naturellement cela prend une planification très poussée. Les coûts pour cette population sont naturellement plus dispendieux. Nous croyons que c'est possible. Nous n'avons quand même pas tellement d'expérience jusqu'à maintenant. On peut peut-être, avec les années, voir que pour certains besoins on aurait encore la nécessité de regrouper une vingtaine ou une trentaine de personnes. Nous ne le croyons pas présentement. D'abord nous avons assez d'expérience pour reconnaître le syndrome institutionnel. Nous savons que plus nous regroupons de ce genre de personnes ensemble moins ils vont profiter de n'importe quel programme qu'on va mettre à leur

disponibilité. Alors, pour nous, c'est surtout une intégration de ces personnes, pas trop élevée, dans chacun des services communautaires qui serait la réponse. Mais je ne serais pas en mesure de dire aujourd'hui noir et blanc parce qu'il faut vraiment en faire l'expérience.

La Présidente (Mme La voie-Roux): Pour ma part, il y a une dernière question que je vais vous poser. Avec tout ce phénomène de la désinstitutionnalisation ou cette approche de la désinstitutionnalisation, qu'est-ce que vous prévoyez pour les déficients mentaux adultes qui perdent leur parents? Évidemment, il y a la question du parrainage civique - cela est une chose. Mais, du point de vue de la continuité, l'un des problèmes aigus des familles de ces enfants c'est ce qui arrive à leurs enfants après leur disparition. Est-ce qu'il y a des formules vraiment étanches qui ont fait leurs preuves pour remplacer ce qui, jusqu'à aujourd'hui, a été le régime institutionnel et qui soit vraiment étanche au point de vue de la protection des individus et de l'assurance à donner aux parents?

M. McNeil: Je pense qu'une des meilleures garanties qu'on peut offrir aux parents à ce stade-ci c'est de développer au maximum l'autonomie et l'habileté de leurs jeunes.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais cela est un peu théorique, n'est-ce pas?

M. McNeil: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Quand vous avez quelqu'un qui fonctionne comme un enfant de six ans et qu'il a 32 ans, et que ses parents disparaissent, je suis bien d'accord pour qu'on développe l'autonomie, mais...

M. McNeil: Bon. Je vais être plus concret.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je veux dire au plan concret pour les parents qui savent qu'ils vont partir, qui ont un enfant qui est dépendant dans certaines de ses fonctions et dans une certaine mesure, je n'en disconviens pas, qu'est-ce que vous avez à offrir aux parents dans votre plan d'action?

M. McNeil: Dans le plan d'action, le processus de désinstitutionnalisation, je vais vous donner l'exemple de l'ex-réseau Anbar qui était intégré au réseau public, où il y avait un grand nombre de personnes avec des handicaps très prononcés. On a pu, avec de l'aide de la communauté, implanter, par exemple, des résidences communautaires où vivent un certain nombre d'adultes qui provenaient du milieu institutionnel et ceux qui proviennent de la communauté.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce n'est pas ma question, M. McNeil.

M. McNeil: Nous voulons assurer une gamme de services d'appartements supervisés à programme de jour...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce n'est pas là ma question, M. McNeil.

M. McNeil:... pour que...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse. Ce n'est pas là ma question, McNeil. Je sais quelles sont les mesures de désinstitutionnalisation qu'on peut prendre. Je dis: Qu'est-ce que vous avez à offrir aux parents d'adultes retardés ou qui ont une déficience mentale - on peut s'exprimer là comme on veut - et qui sont rendus à 75, 76 ans? Vous savez que c'est l'inquiétude profonde des parents.

M. McNeil: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Les parents vont collaborer tout au long de leur vie pour tous ces mécanismes de désinstitutionnalisation. Ils peuvent le faire, il n'y a pas de problème pour cela. Mais quelle est la garantie, non seulement morale mais juridique et psychologique, que vous pouvez donner aux parents de ces adultes?

Mme Taylor-Thibodeau: Je crois que le point le plus important dans le plan pour donner l'assurance c'est le facteur responsabilité qu'on donne à nos institutions publiques, à nos établissements publics dans chacune de nos sous-régions pour chacun des bénéficiaires qui demeurent sur leur territoire. Je comprends très bien le sens de votre question. Il y a même beaucoup de parents aujourd'hui qui revendiquent le fait qu'ils ont gardé leur fille ou leur garçon dans leur milieu naturel. Puis, ils viennent de plus en plus âgés, il n'y a pas de foyers de groupe. Les foyers de groupe sont plutôt pour la clientèle des institutions, qu'on est dans le processus de "desinstitutionalize". I cannot say... Je ne peux pas dire ce mot en français. Mais en tous les cas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Désinstitutionnaliser.

Mme Taylor-Thibodeau: Mais, madame, c'est là les sous, n'est-ce pas? Vous avez demandé, tantôt, l'argent, combien en avons-nous besoin? Cela revient toujours à ce point-là. Mais, en termes de prise en charge de l'individu, on voit que cette responsabilité

est la responsabilité de nos établissements publics. Un plan de services, un plan d'intervention...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II n'y a pas d'établissements publics dans ce cas-là parce que vos institutions sont disparues.

Mme Taylor-Thibodeau: Nos établissements publics, ce sont nos centres d'accueil et ils ne sont pas disparus.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Non, mais...

Mme Taylor-Thibodeau: Madame, on peut changer le genre de services qu'ils donnent et, parce qu'ils ferment des lits dits "institutionnels", ils ont la même responsabilité, en termes de permis de fonctionnement, de donner ces services. Au lieu de les donner dans une boîte de 100 personnes, ils les donnent dans une série de foyers de groupe, d'appartements supervisés, de résidences communautaires. Le facteur responsabilité est le facteur de l'institution. Mais, contrairement au passé, nous ne voulons pas que des parents, pour s'assurer que, lorsqu'ils vont avoir 75 ans, leur jeune, qui ne sera plus si jeune, va avoir une place adéquate pour vivre, qui réponde à ses besoins, placent le jeune quand il aura six, sept ou huit ans. Nous voulons une approche où le système est conscient et connaît chacun des bénéficiaires, où le système connaît les besoins des bénéficiaires sur une base sous-régionale et qu'une planification se fait. Qu'on n'attende pas qu'on ait une série de 100 individus âgés de 35 ans, tout à coup, et qu'on dise: Oh, misère! Qu'est-ce qu'on fait avec eux? C'était vraiment le cas dans le passé, mais, en offrant des services plus doux, en offrant des services d'appui, nous espérons que les sous, au moment où ils seront vraiment requis, vont être disponibles.

Si on avait demain - d'abord pas juste nous, mais tous les organismes qui travaillent pour différents regroupements - tout l'argent nécessaire, les services seraient mis sur pied dans un avenir très rapproché. Nous voulons changer la fabrique qu'on avait antérieurement, mais on veut donner quand même aux parents la même assurance que le milieu public; l'institution, l'établissement public est là, mais pas pour l'incarcération pendant une vingtaine d'années dans une institution pour quelqu'un qui ne le requiert pas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela, je le comprends bien.

Mme Taylor-Thibodeau: Vous comprenez?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

Je vais laisser la parole au député de Marie-Victorin.

M. Pratt: À ce moment-là, ce serait comme une prise en charge de ce jeune de 35 ou 40 ans, peu importe, et la société ou le groupement se charge de le placer après le départ des parents. Ou encore, advenant une incapacité totale des parents d'y voir, il y a un regroupement qui prend la responsabilité de le placer, soit de l'envoyer dans une famille d'accueil ou dans un centre de ce genre, si je comprends bien. C'est une forme de tutelle que vous prenez. C'est ça?

M. McNeil: Dans un centre d'accueil public, normalement ce jeune, même s'il habite dans sa famille, aurait aussi son plan de services. On pourrait prévoir ou envisager le moment où il doit quitter son milieu familial parce que ses parents deviennent malades et incapables de subvenir à ses besoins spécifiques. On planifierait et prendrait la relève via le centre d'accueil qui, pour nous, est une entité juridique. Il aurait des liens institutionnels s'il en a besoin, il aurait aussi la gamme de services qu'on décrit dans notre plan. Je pense qu'on ne va pas jusqu'à dire qu'on abolit, qu'on élimine complètement les services institutionnels. On voudrait cependant qu'ils prennent une part moins grande dans la gamme des services actuels.

Alors, le centre d'accueil avec le plan de services pour le jeune, une activité peut-être de jour... Pour ce jeune-là, le moment où il nécessiterait un placement, on pourrait le planifier. Il y a une structure aussi qui est prévue pour la coordination de son plan de services.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa. Il me reproche d'avoir été trop longue, mais je ne vous ai pas vu lever la main. Je m'excuse.

M. Laplante: Cela fait longtemps.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je m'excuse, M. le député. (15 h 45)

M. Laplante: J'aime bien votre mémoire. D'abord, il est structurel, cela nous donne beaucoup d'idées pour l'avenir. Il y a des choses que je comprends mal, en 1985 dans le domaine des personnes âgées. Une personne est dans un milieu psychiatrique tel que le centre Louis-Il. -Lafontaine, ou un autre que j'ai en mémoire, ici et le médecin lui dit: Vous n'avez plus besoin de soins psychiatriques ici. Quand c'est le temps de le sortir, les familles font appel aux services sociaux du Montréal métropolitain et on dit: Eux, ce n'est pas de notre ressort; c'est du ressort du Louis-Il. -Lafontaine. Il n'y a pas de continuité dans les services qui se

donnent; cela, je le comprends mal. Cela a pris un petit peu plus d'un an pour sortir ce patient de 83 ans de là où il séjournait, dans une salle où il y avait environ 40 malades psychiatriques, où il était le seul qui était correct, dans nos termes à nous, aucune communication avec personne.

Cela nous a pris au-dessus d'un an pour pouvoir le sortir de là. Le Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain renvoyait la balle au centre Hippolyte-Lafontaine et Hippolyte-Lafontaine renvoyait la balle au Centre de services sociaux du Montréal métropolitain. J'ai eu de la misère à accepter cette chose. Cela ne prend pas d'argent pour ça. Cela ne prend pas d'encadrement. Cela prend juste une volonté saine d'esprit, il me semble, pour pouvoir essayer de prendre un malade du troisième âge, comme cela, et de le placer dans un milieu naturel où il voulait aller.

Maintenant, il y a tout le problème des chambreurs que vous ne touchez pas ici, les ex-psychiatriques, comme on les appelle. Qu'est-ce que vous avez comme programme dans tout ce secteur? Qu'est-ce que vous avancez comme projet de suivi pour ces gens?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa, je m'excuse. À la commission administrative, ils sont intéressés, si je peux dire, à la déficience mentale. Le CRSSS du grand Montréal n'est pas venu présenter quoi que ce soit touchant les expsychiatriques. S'ils veulent répondre, ils en ont bien le loisir, mais...

M. Laplante: Si cela ne leur fait rien de répondre, la réponse vient de là. S'ils avaient des choses à nous dire...

M. McNeil: On pourra peut-être vous parler un peu des personnes ayant une déficience intellectuelle à Louis-H. -Lafontaine. C'est une problématique qui n'est pas étrangère à la situation que vous avez décrite. Jusqu'à fort récemment, Louis-H. -Lafontaine était un centre hospitalier qui fonctionnait en vase clos. Il avait peu de liens avec d'autres établissements dans la région de Montréal. Quand on regarde la déficience mentale, il n'y avait aucun contact entre ce secteur et la commission administrative chez nous au conseil régional. Là, il y a une question de diagnostic. Il y a une foule de questions qui ne sont pas tranchables. Les personnes qui sortaient de Louis-Il. -Lafontaine allaient bien souvent dans les pavillons, quelquefois, dans des familles d'accueil recrutées par le CSSSRMM et, parfois, ils sortaient avec des ressources clandestines qui n'ont pas de permis et dont on ne connaît pas nécessairement les adresses, ni le nombre de personnes qui se retrouvent dans ces réseaux.

Pour ce qui est des déficients mentaux, ce que je peux vous dire, c'est qu'on souhaiterait que le cadre de notre plan régional serve à planifier avec Louis-Il. -Lafontaine la conversion d'une partie de leurs ressources pour qu'on puisse les remettre à des ressources appropriées à leurs besoins. Au niveau du troisième âge, il y a également un plan de prévu avec le secteur d'hébergement en soins prolongés du conseil régional par lequel il y aurait également une réorientation de toutes les personnes gériatriques ou psychogériatriques qui sont présentement à Louis-Il. -Lafontaine. Encore là, on est en train de créer les liens et aussi de regarder, à partir de là, quelle est la vocation d'un centre hospitalier comme Louis-Il. -Lafontaine, quels seront dorénavant les critères d'admissibilité à ce centre et quels sont les mécanismes de sortie à prévoir.

C'est la même chose dans nos centres d'accueil. Dès l'entrée de quelqu'un en milieu institutionnel, il faut le faire en fonction d'objectifs précis de programmation et il faut déjà avoir prévu les mécanismes pour sa sortie. Autrement, la personne est piégée dans le système et elle va demeurer en milieu institutionnel, même si elle ne le requiert pas.

Je peux vous dire que, dans les centres que je connais dans la région de Montréal, il y a encore des bénéficiaires qui résident dans des milieux institutionnels à qui le milieu institutionnel n'apporte plus rien. Mais il faut pousser sur le système pour qu'on change nos habitudes. La personne qui ne requiert plus le milieu institutionnel et qui coûte, disons, 31 000 $ par année dans un centre d'accueil de réadaptation, s'il n'en coûte que 26 000 $ dans un foyer, une résidence communautaire - on peut faire ça pour plusieurs personnes - c'est une personne de plus de la communauté qu'on peut également desservir. C'est par ces restructurations de nos ressources qu'on pense en arriver peut-être pas à répondre à 100 % des besoins, mais...

Il y a aussi un phénomène dont il faut être conscient. Les praticiens, les personnes qui travaillent en déficience mentale orientent les personnes vers des services existants. Quand on n'avait pas de ressources pour la petite enfance, on n'avait pas de liste d'attente, il n'y avait pas de demande d'acheminée. Des centres d'accueil de Montréal me disaient: Écoutez, on n'a pas à implanter un centre de stimulation précoce dans notre territoire, il n'y a pas de demande. On les a forcés à implanter le service et, deux ans après, il y avait des listes d'attente, il fallait l'agrandir.

Nos habitudes sont toujours d'orienter des personnes vers les ressources qui existent. Au fur et à mesure, on a implanté

des appartements supervisés. Le besoin que le parent va manifester, c'est qu'il ne peut plus garder son enfant à domicile, mais que son enfant aille en institution, en résidence communautaire ou en foyer de groupe, selon le besoin de son enfant, cela va dépendre de l'existence de ce type de ressource. Je pense qu'on pourra connaître le désir de la famille de ne plus continuer, mais ça ne veut pas dire que l'enfant ou le jeune adulte doit aboutir en milieu institutionnel pour autant.

Tous ces mécanismes doivent être prévus dès l'entrée de la personne en milieu institutionnel et dès qu'on le retire de son milieu naturel.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa, avez-vous...

M. Laplante:...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): L'un ou l'autre. M. le député d'Ungava et, par la suite, madame...

M. Lafrenière: Merci, Mme la Présidente. Étant le seul député ici qui ne soit pas de la grande région de Montréal, j'ai regardé attentivement votre plan, et j'ai deux questions, peut-être une troisième. La première, c'est: Est-ce que les autres CSS régionaux de la province ont vu ou ont discuté de votre plan d'organisation dans l'agglomération de Montréal? L'autre question serait: Si un tel plan était adopté dans chaque région, est-ce que ça pourrait décentraliser les soins à ces personnes? On sait que, dans les régions éloignées de Montréal et de Québec, c'est pratiquement inexistant.

Mme Taylor-Thibodeau: Nous sommes en mesure de savoir que quelques conseils régionaux ont pris connaissance de notre plan et ils se sont montrés intéressés.

M. McNeil: Depuis le mois de mai, dès l'adoption de la deuxième partie de notre plan, les régions périphériques de Montréal en ont reçu des copies. Je sais que, à ce moment-ci, le CRSSS de la rive sud de Montréal travaille à l'élaboration d'un plan. Il y a un plan qui existe déjà dans la région de la Gaspésie-Bas-Saint-Laurent. Il y a un autre plan en voie d'élaboration, je crois, dans la région de Laurentides-Lanaudière.

La problématique est cependant un peu différente. Les bassins de population ne sont pas les mêmes, il y a des distances que nous n'avons pas à Montréal. Il y a sûrement des éléments de notre plan qui intéresseraient les régions. Évidemment, si on veut maintenir les personnes dans leur milieu naturel respectif, ça veut dire que chaque région se dote de moyens pour répondre aux besoins de sa population et, à ce moment-là, les conseils régionaux ont un devoir, par la loi, de prévoir l'organisation du service sur leur territoire.

M. Lafrenière: Au sujet de la décentralisation, pensez-vous qu'un tel plan en région éloignée pourrait aider à avoir plus de services dans ces régions? Je pense aux régions défavorisées comme l'Abttibi, le Nouveau-Québec...

M. McNeil: Je vais peut-être vous surprendre, mais dans notre plan, si on regarde les dépenses per capita... Quant aux centres d'accueil de réadaptation, pour toutes sortes de raisons, la région de Montréal est une des régions les plus pauvres du Québec. Le per capita dépensé à Montréal est 24 $ et quelques cents. À l'échelle de la province, c'est 27 $. Il y a quelques régions périphériques de Montréal qui ont jusqu'à 32 $ ou 36 $. En termes de ressources, on ne peut pas dire que ce sont les régions périphériques qui n'ont pas le per capita adéquat pour répondre à leurs besoins. Si on investit 500 000 $ dans une région périphérique, c'est bien sûr que ça paraît. Si on investit 500 000 $ dans la région de Montréal, c'est une goutte d'eau et cela ne paraît presque pas. Si chaque région regardait la masse budgétaire qui est dépensée et prévoyait des plans pour réutiliser ses propres ressources, chaque région serait en mesure, encore là peut-être pas de répondre à 100 % aux besoins de son territoire, mais au moins de s'assurer qu'il y a un éventail complet de services et, par la suite, on pourrait voir à développer davantage les secteurs de pointe où il y a le plus de demandes. Tant qu'il n'y a pas un éventail de services, la demande ne se manifeste pas.

M. Lafrenière: Dans un autre ordre d'idées, vous avez parlé de la transformation de certains ateliers de travail en centres d'accueil; ce n'est pas rétrograder, cela?

M. McNeil: C'est-à-dire qu'avant 1980 des ateliers protégés existaient dans la province; ils étaient financés comme s'ils étaient des établissements du réseau des Affaires sociales sauf qu'ils avaient des conseils d'administration privés et ils n'avaient pas nécessairement des comptes à rendre comme pour un établissement public. Pour prévoir l'apprentissage au travail dans la région de Montréal, ces centres ont conservé une vocation précise, mais, comme ils étaient financés à 100 % par l'État, ils sont devenus des centres d'accueil publics. Ils ont cependant un rôle à jouer complémentaire à des centres de travail adapté et avec les entreprises de leur milieu. Ils visent à ce moment-là l'acquisition d'une habileté qui mènerait un jour un jeune à l'intégration

sur le marché du travail. Pour d'autres, c'est de fournir des activités dans un milieu semblable à un milieu de travail pour valoriser la personne et diversifier l'ensemble des activités de sa journée.

Il n'y a pas longtemps, les personnes qui vivaient en institution descendaient de leur unité 3, au troisième étage, au sous-sol pour leurs activités de jour; ils ne sortaient même pas dehors durant la journée. Ce qu'on a fait jusque-là, c'est au moins d'assurer qu'il y ait une certaine normalisation dans le quotidien de la personne et on la force au moins à sortir de sa résidence le jour. Il est bien sûr que c'est un ensemble de mesures qui vont varier d'une région administrative à l'autre, mais qui sont possibles dans l'ensemble.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: J'ai parlé récemment à une famille qui avait un enfant handicapé intellectuel et j'ai compris comment la charge était grande, parce qu'en plus d'avoir un handicap intellectuel c'est souvent accompagné d'un handicap physique. On me disait que c'est coûteux d'avoir autant de handicaps à la fois et les familles se décourageaient souvent d'avoir peu de services à leur disposition et aussi souvent un manque de ressources financières. On me disait que la plupart de ceux-là - je ne sais pas si je me trompe, peut-être que vous pourriez me donner une meilleure vue sur cela - sont issus de familles monoparentales, c'est-à-dire des hommes ou des femmes seuls qui prennent la charge de l'enfant, qui voient même à arriver dans les CLSC avec des projets. C'est la famille, ce sont les proches finalement qui arrivent toujours avec des projets pour aider non seulement leur enfant, mais aussi venir en aide aux autres pris avec le même problème. Cela revient toujours aux mêmes personnes finalement; ce sont elles qui organisent les loisirs; ce sont elles qui vont garder l'enfant handicapé; il y a des échanges de services. Je me dis que c'est parce que cela manque dans les quartiers. Soit que le CLSC ne voit pas à fournir des services à cette clientèle ou qu'il attend toujours des initiatives des gens concernés.

Est-il vrai que, quant aux sommes d'argent que les gouvernements donnent directement à ces familles, les parents des handicapés physiques reçoivent de plus gros montants que ceux des handicapés intellectuels?

Mme Taylor-Thibodeau: Nous savons que, pour les familles qui ont un enfant où le coût est plus vaste que pour un enfant dit "normal", il y a une différence de quelques dollars par mois en termes d'allocations familiales.

(16 heures)

Mais c'est un très bon point que vous soulevez. C'est très drôle; si l'adulte demeure seul, il va recevoir X dollars d'aide sociale et, s'il demeure avec sa famille, il en reçoit moins. Par contre, il est adulte. L'enfant a passé ses années d'enfance, il est adulte et les parents comme parents d'enfants normaux devraient un jour être capables de mettre fin aux dépenses, mais ce n'est pas le cas. Si nous avons un enfant multi-handicapé dans les services d'un établissement public, cela coûte des sous. D'autre part, nous ne donnons pas l'équivalent ou même un quart de l'équivalent aux parents s'ils gardent l'enfant. C'est toute l'idée de notre société. Où est la responsabilité parentale, où est la responsabilité de l'État? Selon Wolsenberger, pour ceux qui parmi vous connaissez ses philosophies et ses approches, cela a toujours été son point que, si on donnait les mêmes ressources aux familles pour venir en aide à leur enfant, cela coûterait à l'État une goutte d'eau en comparaison avec tes taux actuels. C'est vrai. Personnellement, je crois que les parents de ce type d'enfant ne reçoivent pas suffisamment d'aide financière.

Mme Lachapelle: Est-il vrai qu'il coûte à l'État environ 38 000 $ par année pour garder un enfant en institution?

Mme Taylor-Thibodeau: Oui. Absolument. Et s'il sort à l'extérieur pour des services comme on le décrivait dans les SAHT, cela va coûter 9000 $ de surplus.

M. McNeil: Cela veut dire en plus du supplément aux allocations familiales que reçoit une famille et qui n'est vraiment pas suffisant pour répondre à l'ensemble des besoins d'un enfant handicapé. Via nos établissements, ce que l'on tente à développer davantage, ce sont les services de répit pour accorder une fin de semaine de temps en temps, peut-être des services pendant les vacances pour que les parents puissent prendre congé en été ou en hiver, prévoir peut-être un support éducatif dans la famille pour donner des instruments aux parents qui veulent jouer leur rôle.

Ce n'est pas toujours facile et on ne sait pas toujours comment faire. Il y a des moyens avec des éducateurs dans les centres d'accueil pour aider les parents à assumer leur rôle. Encore là, il faut être près des familles et être capables d'intervenir sans qu'il y ait des grandes distances. Il faut avoir un plan pour l'enfant et travailler avec ses parents. Son plan est à long terme. On révisera des étapes, mais on a des visées à long terme pour son enfant. On peut prévoir certaines choses pour alléger un peu le fardeau, tout en aidant les parents à assumer pleinement leur rôle, que ce soit une famille

monoparentale ou non. Il y a des moyens de faire. Il y a aussi des sessions avec les frères et soeurs. Il faut changer nos habitudes. Il faut être capable de travailler le soir et la fin de semaine aussi avec les familles quand elles sont disponibles. C'est tout cela.

Mme Lachapelle: Ce matin, je disais que c'était nécessaire et urgent que l'on sensibilise aussi la population aux différents types de handicap. Cela devrait même faire partie de l'éducation scolaire pour que nos enfants apprennent à vivre avec les handicapés et à les accepter.

M. McNeil: Particulièrement dans la région de Montréal, il faut dire encore que l'intégration sociale ou le maintien d'une personne handicapée dans son milieu est une responsabilité collective. Il faut voir maintenant dans quelle mesure on peut parler de maintien à domicile pour des enfants ayant des handicaps multiples, par les services d'un CLSC, comment on peut amener d'autres catégories d'établissements à assumer aussi leur rôle, etc. Ce n'est pas juste aux centres d'accueil de tout assumer. Mais ces centres qui n'ont pas l'expertise, qui n'ont pas de directeurs de services professionnels qui se concentrent sur la déficience mentale doivent avoir accès aux professionnels de nos centres d'accueil. II faut que le centre d'accueil se voie comme une espèce de lieu d'expertise pour soutenir la personne et l'ensemble des ressources du CLSC et des centres hospitaliers, toutes les ressources de son territoire.

Mme Lachapelle:... si je peux m'exprimer ainsi, parce que, tout à l'heure, je parlais de ressources financières, j'ai entendu dire - et c'est vrai, j'ai vérifié -qu'à un moment donné il y avait une forme de discrimination parmi les ressources financières des parents, c'est-à-dire que certains handicapés avaient droit à un certain montant pour un repas chaud le midi - je pense que c'étaient les handicapés physiques - tandis que les handicapés intellectuels n'avaient pas droit à ces 2 $ par jour. Est-ce que j'ai reçu de bonnes informations? Cela a été corrigé par la suite, c'est-à-dire que, maintenant, c'est tout le monde?

M. McNeil: Oui, je pense que c'était cela.

Mme Lachapelle: Cela ne devrait pas exister. Si des handicapés physiques ont un droit, je pense que tous les handicapés devraient avoir le même droit. Ils devraient recevoir des services égaux.

M. McNeil: Je pense qu'il y a un domaine où c'était similaire, c'est-à-dire le transport adapté. Au début, le transport adapté a été conçu uniquement pour les handicapés moteurs. Mais celui dont le handicap intellectuel menait à un autre type de handicap et qui appelait une autre réponse passait inaperçu. Cela nous a pris du temps à sensibiliser les commissions de transport de notre région aux besoins spécifiques des personnes ayant un handicap intellectuel.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je voulais simplement dire à la députée de Dorion qu'il y a une allocation familiale spéciale pour les enfants handicapés. Ce qui arrive, c'est que la définition ou l'extension qu'on donne au mot "handicapé" peut varier pour ceux qui en sont bénéficiaires et ceux qui ne le sont pas. En tout cas, aux dernières nouvelles, il faut, pour être considéré comme un handicapé - quoique cela semblait être le cas de l'enfant dont vous parliez - qu'il fasse l'objet de services particuliers, à l'école ou autrement. Souvent un enfant qui a une déficience mentale légère, même s'il est en bas âge, peut requérir plus de surveillance ou plus d'attention, mais je pense qu'il ne serait probablement pas considéré. Mais on essaiera d'avoir du ministère des Affaires sociales la notion exacte du handicapé, quant à ceux qui touchent ou ne touchent pas une allocation familiale particulière.

Mme Lachapelle: Je ne sais pas si c'est exact. On m'a dit que ceux qui étaient alités...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela va plus loin que cela quand même.

Mme Lachapelle: Ah! cela va plus loin que cela? Ah oui?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II y a des enfants dans les écoles qui sont l'objet de programmes spéciaux dans les écoles...

Mme Lachapelle: Ah bon!

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... à cause d'un handicap.

Mme Lachapelle: On pourra aller voir.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela a été élargi depuis la première année. Je pense bien qu'il doit y avoir une zone un peu grise dans cette définition, mais on essaiera d'avoir l'information exacte. Une chose est certaine, c'est que, particulièrement pour une famille monoparentale ayant un enfant avec des handicaps multiples, la société n'est pas encore prête à lui donner tous les services dont elle a besoin. J'entendais M. McNeil

parler d'essayer de donner des services de répit. Je serais curieuse de savoir, compte tenu du nombre d'enfants et de jeunes adultes souffrant de déficience mentale, ce qui existe comme ressources de répit quantifiées. Ce n'est pas encore très élevé. C'est loin d'être suffisant.

Alors, on vous remercie et on vous souhaite bonne chance dans la réalisation de votre plan d'action. On souhaite que les autres conseils régionaux emboîtent le pas selon leurs besoins. Je pense qu'il y a des problèmes ailleurs qu'à Montréal dans ce domaine. Merci beaucoup.

Mme Taylor-Thibodeau: On vous remercie également.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci.

J'invite la Corporation professionnelle des psychologues du Québec.

Bonjour, M. Sabourin. Je vais vous demander de nous présenter vos compagnons et compagnes.

Corporation professionnelle des psychologues du Québec

M. Sabourin (Michel): Oui. D'abord, à ma gauche, Mme Jocelyne Taillon, qui est la vice-présidente de la corporation, qui a une expérience d'une quinzaine d'années en milieu institutionnel, plus précisément au centre hospitalier Robert-Giffard. À ma droite, M. David Bélanger, qui est un membre de l'exécutif de la corporation et qui a travaillé également à la rédaction de ce mémoire.

Mme la Présidente, mesdames et messieurs les membres de cette sous-commission, tout d'abord, je vous remercie de l'occasion qui nous est offerte de participer aux travaux de votre sous-commission. Comme vous vous en doutez bien, le sujet de vos débats touche de très près aux préoccupations de notre corporation et de ses membres. C'est pourquoi nous avons cru utile de vous soumettre bien respectueusement quelques commentaires et réflexions qui, nous osons l'espérer, vont contribuer à faire avancer le débat et à améliorer les conditions de vie, je devrais dire la qualité de vie de nos concitoyens qui sont affligés de difficultés d'adaptation sociale ou de dysfonctionnement.

Nous n'avons pas eu beaucoup de temps, comme vous pouvez en juger à l'épaisseur du mémoire qui vous a été soumis, d'approfondir le sujet. Par ailleurs, nous pensons qu'étant donné notre expérience et, si j'ose dire, notre expertise du domaine il va de soi qu'un certain nombre des questions qui ne sont pas soulevées dans le mémoire comme tel pourront l'être au cours de la période d'échanges qui va suivre notre présentation.

Pour terminer l'introduction, j'aimerais simplement signaler que nous pensons que tout le débat de la réinsertion sociale et, en fait, de la désinstitutionnalisation doit s'insérer dans le débat élargi qui doit se faire autour d'une véritable politique de la santé mentale. Nous pensons que l'un ne va pas sans l'autre et qu'il est très important d'en tenir compte au moins dans l'arrière de notre pensée quand on discute de réinsertion sociale ou de désinstitutionnalisation.

La façon dont nous allons procéder est très simple. Mme Taillon va succinctement présenter le mémoire de notre corporation, après quoi, nous pourrons échanger avec vous et répondre aux questions qui seront posées. Mme Taillon.

Mme Taillon (Jocelyne): Mme la Présidente, messieurs et madame les commissaires, comme vient de le dire notre président, le mémoire est axé sur quelques réflexions qui ont, d'une part, essayé de sortir des grands principes que, je pense, vous connaissez aussi bien que nous et qui circulent dans le monde de la psychiatrie -maintenant, de la santé mentale parce qu'on essaie de s'orienter de plus en plus vers la santé mentale - depuis de nombreuses années et, aussi, de recouper, en les résumant beaucoup et en essayant de les regarder à une certaine distance, les interventions qui se font sur le terrain, donc, dans la pratique journalière, quotidienne de la part de multiples intervenants de toute allégeance auprès d'une population qui est très vaste.

D'ailleurs, une des premières choses que nous pourrions remettre en question, c'est le libellé. Vous parlez de personnes ayant souffert de troubles mentaux. Dans notre perspective, c'était encore plus élargi que cela, à savoir des gens qui ont du mal à s'adapter socialement ou qui ont un mal à vivre ou un malaise - enfin, il y a plusieurs dénominations qui circulent maintenant donc des gens qui n'arrivent pas à répandre aux demandes non seulement de la société en général, mais de la société plus restreinte que peut constituer leur famille ou leur milieu de vie, incluant le travail, lorsque c'est possible, ou le milieu scolaire, etc.

Nous croyons précisément que cette tentative de faire venir à votre sous-commission des gens qui travaillent à la base, c'est une façon de remettre en question les grandes politiques ou les grands débats qui sont maintenant en place depuis longtemps, de les confronter aussi avec les tentatives qui ont émergé et qui ont donné certains résultats dans des milieux très diversifiés, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural, ce qui nous permettrait finalement d'arriver à des solutions plus réalistes au sens réel du terme, c'est-à-dire qui répondraient mieux aux besoins d'une population, comme nous le disions tout à

l'heure, qui, finalement est très polymorphe et difficile à circonscrire. (16 h 15)

En ce qui concerne le phénomène lui-même de la désinstitutionnalisation, nous soulignons comment tout le monde est d'accord sur les principes de fond, à savoir de sortir ce que nous appelions anciennement les patients, ce qui, par la suite, a été dénommé les bénéficiaires - enfin, on ne sait plus très bien comment les appeler - de l'exclusion sociale où ils se trouvaient. Bien sûr, ici, à Québec, une expression courante était de dire qu'ils étaient derrière des murs de trois pieds de largeur. Si vous pensez à Robert-Giffard, c'est vrai, au sens strict aussi, ce n'est pas seulement une figure de style. Il s'agit de leur permettre donc de vivre dans un milieu plus humain, plus significatif sur le plan psychologique et, autant que possible, de leur donner accès à un statut de citoyen ou de citoyenne, comme le porte-parole du groupe précédent le disait, ajoutant qu'ils n'étaient pas des citoyens de deuxième classe, mais bien des citoyens et des citoyennes, autant que possible, à part entière, en tout cas le plus près possible de cet idéal.

Afin de parvenir précisément à cet objectif, il y a diverses tentatives qui ont été mises sur pied. Mme la Présidente, vous me disiez, tout à l'heure, je pense, à juste titre, que vous connaissez bien les diverses approches qui ont été tentées quant aux mesures concrètes pour assurer le gîte, les loisirs, les apprentissages, etc., de ces gens-là. Nous ne nous attarderons pas là-dessus. Cela pourrait revenir dans les questions après.

On a même, d'ailleurs, changé des dénominations dans les dernières années. Je me souviens qu'il y a une quinzaine d'années on parlait des foyers de transition, des ressources extérieures. Maintenant, on parle des ressources intermédiaires. On parle même des ressources alternatives. Il y a une espèce de courant actuellement qui est assez général, pas seulement au Québec, mais même en Europe aussi, pour réinsérer le plus possible les ex-psychiatrisés dans leur milieu de vie significatif, le plus près possible de leur milieu naturel. C'est tout le phénomène actuel de parler des ressources alternatives avec ce que cela comporte aussi de dangereux que nous allons souligner par la suite.

Dans le fond, ces moyens ont permis à un bon nombre de personnes d'arriver à une adaptation sociale relative. Beaucoup de gens qui auparavant étaient condamnés à vivre en institution psychiatrique, puisqu'on cerne d'assez près l'objectif même de votre sous-commission, peuvent maintenant vivre dans des foyers communautaires ou des choses comme cela, donc à l'extérieur, vraiment parmi les gens, un peu plus comme tout le monde. Ils peuvent aller faire leurs achats eux-mêmes, etc. Ils sont donc sortis de la prise en charge intégrale que constituait l'institution psychiatrique.

Je crois qu'à ce titre il y a beaucoup de progrès qui ont été faits. Par ailleurs, il y a toute une autre tranche de la population ayant déjà été psychiatrisée particulièrement qui n'a pas pu faire face de façon satisfaisante à ce retour à la vie pour vrai et qui s'est vue, dans le fond, confinée à une exclusion encore plus subtile que celle qui existait auparavant. Par exemple connaissant bien le phénomène, je vais prendre des exemples de Québec, puisque je suis de la région ici - tout le giron psychiatrique qui est autour de Robert-Giffard et, géographiquement et idéologiquement: les gens sont restés très près de l'hôpital mère si on veut, on pourrait même dire de la maison mère, avec ce que cela comporte de difficile, tenant compte des objectifs premiers qui étaient de permettre à ces gens d'adhérer aux normes sociales et d'y trouver un intérêt, non seulement de se ranger et de se soumettre, mais d'être actifs par rapport à la société dans laquelle ils retournaient. Donc, pour beaucoup de ces personnes, cela a été au-delà de leurs forces et ils se voient confinés, à toutes fins utiles, à une exclusion différente, mais qui est peut-être plus cruelle au fond.

Par rapport à ces limites, finalement, c'est bien sûr qu'on pourrait invoquer la maladie mentale elle-même. On a parlé de troubles mentaux dans la dénomination qui a été acceptée, mais il reste que cela a encore un subtil relent de maladie mentale. C'est sûr que la folie, si on veut l'appeler selon la dénomination ancienne, a toujours fait peur, a toujours fait l'objet d'une certaine exclusion. Je trouve que ce mot rend bien la situation à travers les âges. On pourrait bien appeler ce phénomène ainsi pour dire que c'est très difficile. De fait, il y a peut-être des gens qui n'y arriveront jamais, parce qu'ils sont dans un autre monde, leur système de valeurs est possiblement coupé du nôtre, etc., mais je pense qu'on peut interroger - c'est ce que nous avons tenté de faire - les ressources existantes de façon à voir sur quelles lacunes nous pourrions approfondir notre réflexion et soumettre des avenues de solutions.

Nous allons en dégager cinq. Elles sont expliquées très succinctement ici. Je vais simplement les rappeler pour peut-être stimuler les questions après. Un premier point que nous touchons, après avoir souligné comment les ressources actuelles sont - tout le monde le reconnaît - trop peu nombreuses d'une part, c'est que, très souvent, pour ne pas dire généralement, elles sont d'origine urbaine. Même quand il y a des foyers communautaires en milieu rural ils dépendent généralement d'un centre qui est urbain. Ils

ont été conçus souvent à l'intérieur de grandes institutions psychiatriques qui étaient en ville. On a essayé, avec une espèce de mentalité de retour à la terre, avec ce que cela comporte de rythme naturel, etc., de leur favoriser une meilleure intégration, mais plusieurs de ces personnes se sont souvent trouvées déracinées complètement par rapport à leur système de valeurs. Pensons à des gens qui ont été élevés dans la paroisse Saint-Roch, ici, à Québec, qui se retrouvent à vivre à Sainte-Croix de Lotbinière, c'est bien différent en termes de mentalité, de système de valeurs, etc. Cela accentue, s'il y a quelque chose, la difficulté de faire face aux normes du milieu environnant. Même si c'est un village, cela a ses exigences. Il s'agit de voir, particulièrement en milieu rural, comment le tissu est souvent plus étroit et ces gens-là ont d'autant plus de difficulté à y faire face.

Donc, des ressources trop peu nombreuses, trop souvent urbaines et qui sont - je l'ai souligné un peu précédemment - la plupart du temps encore, très, très reliées, non seulement sur le plan idéologique, mais sur le plan financier, sur le plan de la structure des soins, etc., aux institutions psychiatriques dont elles ont émergé. Cela a pour effet, si on peut dire, qu'il y a une espèce de scénario assez fréquent, dans un premier temps, où il y a une coupure réelle avec l'institution mère, à savoir qu'on vise vraiment une autonomie maximale.

Il y a un processus d'apprentissage ou de réapprentissage aux habitudes quotidiennes qui est mis en place avec un résultat bénéfique. Donc, il y a une désinstitutionnalisation au sens strict qui s'opère, mais à assez court terme, tenant compte de ce que je viens de préciser, il y a une réinstauration du modèle médical ou institutionnel à plus petite échelle. On retrouve un plus petit hôpital, bien sûr, avec des connotations plus humanitaires, mais qui, dans le fond, recrée le schéma traditionnel avec ce que cela comporte d'antiautonomie si on veut, puisque c'est encore la dépendance, peut-être moins grande, mais une dépendance réelle qui y est inscrite.

Cela fait trop souvent contrepoids non seulement aux intentions, mais à l'action immédiate des intervenants qui, eux, très fréquemment, optent pour une intervention qui est dépsychiatrisée. Cela fait contrepoids à cette tentative d'autonomiser les personnes ayant souffert de troubles mentaux puisque c'est toujours possible d'avoir recours très facilement à l'institution si vraiment il y a une recrudescence de l'angoisse ou que les symptômes deviennent plus graves. Cela place donc les bénéficiaires dans une situation éminemment ambigue où eux-mêmes ne savent plus où se tirer. Ils peuvent être très séduits par une autonomie plus grande et, d'autre part, lorsque la soupe devient trop chaude ou que la tension devient trop forte, cela glisse vers la réinstitutionnalisation parce que, dans le fond, c'est le recours le plus facile qu'ils connaissent vers une certaine sécurité.

Le deuxième point que nous soulignons est un peu à l'inverse. Donc, les ressources qui ont émergé de la communauté, qui très fréquemment ont fait appel aux aidants dits "naturels", au milieu de vie, que ce soit aux familles des patients qui avaient déjà été hospitalisés ou bien à des ex-psychiatrisés eux-mêmes ou à des bénévoles ou à des gens en sciences humaines qui désirent vraiment non seulement conceptualiser, mais opérationnaliser des modes d'intervention qui sont résolument anti-institutionnels. Cela a eu des effets heureux, en ce sens qu'il y a des lieux de partage, des lieux de vie qui ont été créés, assez polyvalents dans certains cas. Mais là, la limite à laquelle on s'est heurté a été à l'inverse de la première, à savoir que les gens qui peut-être avaient une ouverture plus réelle vers une meilleure autonomie des gens ayant souffert de troubles mentaux se voient limités par leur formation, d'une part, moins grande - là, je n'entends pas la formation uniquement professionnelle, mais une formation au niveau de la connaissance de ce qu'est la pathologie, par exemple, comment cela évolue, les limites des interventions, comment une personne peut composer avec son angoisse, etc, ce qui fait que, souvent, ils ne voient pas venir assez vite, si on veut, des compensations psychotiques ou, en tout cas, une détérioration de l'état mental, avec le résultat que vous vous retrouvez devant un état de crise. Le seul recours que ces gens-là ont dans une situation de fait qui est imminente, c'est de faire appel à l'hôpital en urgence, où la personne est immédiatement hospitalisée puisque là, elle est délirante, etc. On ne peut à peu près plus la rejoindre. Il y a dans le fond deux modalités de mise en place avec deux conceptions de structures très différentes, mais qui se voient confrontées aussi aux limites tout à fait contraires.

Dans le deuxième point, je voudrais souligner que cette tentative, qui est directement issue de l'antipsychiatrie, d'avoir des ressources vraiment communautaires, cela a eu pour effet de faire percevoir l'hôpital comme étant le mauvais hôpital, les professionnels comme étant à bannir, en particulier, bien sûr, les psychiatres, souvent à juste titre. Il y a des choses à remettre en question là-dedans. Il y a eu des abus, etc., mais cela a amené une position très dure en ce sens que nous ne voulons rien savoir des professionnels.

Je soulignais tout à l'heure qu'à un moment donné le milieu des bénévoles, par exemple, ou des aidants naturels, qui est confronté à un bénéficiaire en crise et qui

ne sait pas quoi faire, n'ira pas consulter un professionnel qui ne serait pas nécessairement médecin, d'ailleurs, parce que la crainte sous-jacente est de se faire récupérer par un pouvoir qui va discréditer ce qui se faisait dans la communauté. Alors, je crois que nous sommes devant une impasse à ce moment, où, dans le fond, les grandes notions de continuité de soins, de complémentarité, de normalisation, etc., perdent tout leur sens parce que les positions se durcissent et chacun essaie de sauver son territoire. Il y a un jeu de pouvoir qui est à mettre en doute sérieusement.

Dans un troisième point, nous soulignons le cas particulier des patients qui retournent dans leur famille - cela a été mentionné par les gens du CRSSS précédent - à savoir le manque de préparation et de support très général de ces familles qui sont généralement désireuses de collaborer, veulent bien reprendre l'ex-bénéficiaire qui était à l'hôpital et qui montre un souci réel de se réintégrer dans la société, mais qui, une fois en présence de cette personne qui souffre encore de difficultés à vivre, se votent confrontées avec toute une histoire familiale où souvent il y a eu beaucoup de choses qui sont restées non dites, beaucoup de rejets plus ou moins conscients et une crainte aussi, sinon une peur panique, qui va émerger dès que la personne va manifester des indices que cela va moins bien et qu'elle est perçue comme dangereuse.

Alors, on retrouve ce que nous disions en introduction, à savoir la folie inquiétante et cela, on n'en sort pas. Je crois que personne n'est à l'abri, même nous tous qui sommes ici, de ce que cela peut représenter d'excès et d'inconnu, alors, la famille aussi et d'autant plus, justement, que l'histoire, à partir de la petite enfance jusqu'à l'âge adulte, a construit toute une zone grise à laquelle personne n'ose directement toucher, surtout quand il n'y a pas de tierce personne, soit d'un milieu institutionnel nettement hospitalier ou autre, qui aide à ce que les personnes dans la famille se parlent.

Nous soulignons, à la fin du troisième point, qu'à peu de différences près nous retrouvons les mêmes lacunes chez les familles d'accueil qui, encore là, sur papier ou dans les discours officiels, ont un encadrement meilleur, mais qui, dans la réalité, sont souvent absolument dépourvues, surtout lorsqu'il y a plusieurs ex-psychiatrisés dans la même famille, devant la demande aussi très intense de ces personnes au plan affectif, au plan de l'appui concret par rapport à des démarches très élémentaires, si on pense à des patients plus perturbés, d'aller au magasin du coin acheter quelque chose alors qu'on est inquiet pour payer, etc. Donc, il y a là des lacunes importantes, selon notre lecture.

Quatrièmement, nous soulignons un aspect qui nous semble éminemment important et qui est peut-être rarement touché à savoir que, jusqu'à maintenant, il semble y avoir eu des ressources qui ont été élaborées, qui ont été "opérationnalisées" pour deux types de bénéficiaires. Il y a eu ce que nous pourrions appeler les beaux patients, c'est-à-dire les personnes qui ont été atteintes de troubles même mentaux importants à certains moments de leur vie, mais qui manifestent tant sur le plan intellectuel qu'affectif que sur le plan de la créativité un désir de faire quelque chose dans la vie, de se rendre significatives pour la société. Pour ces gens, il y a eu des ressources qui ont été mises sur pied avec des succès relatifs, bien sûr, mais avec quand même un certain taux de réussite.

Il y a eu, à l'autre extrême, des ressources qui ont été mises sur pied encore beaucoup plus tôt pour ce que nous pourrions qualifier des bénéficiaires tranquilles, c'est-à-dire ces personnes qui étaient nettement institutionnalisées, pour ne pas dire "chronicisées", qui n'étaient pas dérangeantes. Alors, on a pensé à des foyers d'accueil avec des mesures très humanitaires, avec des mesures de réapprentissage, etc., là encore, avec un certain succès, mais c'est peut-être à ce sujet qu'il y a eu le plus de petits hôpitaux qui se sont recréés à l'intérieur du milieu de vie.

Ce sur quoi nous nous interrogeons beaucoup, c'est sur toute cette gamme de personnes ayant d'énormes difficultés à faire face aux normes sociales et qui sont dérangeantes. Par leur conduite manifeste, elles sont inquiétantes pour le milieu environnant ou par leur comportement ou par leur simple attitude, elles insécurisent les gens qui les côtoient, de par leur niveau de dangerosité possible, les gens à un haut taux d'impulsivité, par exemple, etc., pour ces personnes, il y a vraiment une zone grise. Elles sont un peu comme la balle de tennis que toutes les institutions se renvoient, que tous les milieux plus ou moins communautaires se renvoient.

Quand je parle des institutions, je parle aussi bien des centres de traitement de première ligne que de deuxième ou troisième ligne. Les centres de troisième ligne, qui sont les grands hôpitaux psychiatriques, sont bien obligés d'accueillir ces gens à un moment donné parce qu'ils sont en crise et que personne ne peut plus rien en faire. On est alors obligé de les prendre, parce qu'ils sont dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres. (16 h 30)

Alors, pour tous ces patients, dans la mesure où cette situation est réelle, cela nous amène à penser que la société en général et même les structures existantes de soins, tout en voulant être les plus efficaces possible, ne veulent pas être dérangées, tout

au moins, être dérangées au minimum.

On soulignait, entre autres, tout à l'heure, dans l'autre groupe, qu'on veut avoir des centres d'intervention de crise par rapport à ces bénéficiaires. C'est absolument étonnant qu'il n'y ait à peu près pas de centres d'intervention de crise au Québec. C'est pour le moins surprenant. Cela nous amène à penser que, pour qu'il y ait vraiment des centres d'intervention de crise fonctionnels et même pour qu'il y ait des milieux de vie qui soient vraiment pertinents pour ces personnes, cela demande une vigilance et un mode de vie des intervenants qui est tout à fait différent du 8 à 4 ou du 4 à minuit qu'on connaît dans les institutions, ce qui, somme toute, permet un aménagement de vie plus facile pour les divers intervenants. Donc, peut-être que, aussi, les intervennants, à divers titres, ne veulent pas être trop dérangés.

C'est bien humain. Quand nous disons cela, nous ne sommes pas en train de critiquer ou de juger sévèrement. C'est vrai que c'est difficile de faire cela. J'ai en mémoire certaines tentatives, en Ontario, par exemple, vis-à-vis des adolescents ayant des problèmes d'agressivité, des hyperagités ou des gens très impulsifs, une expérience à partir de laquelle un film avait été fait il y a quelques années - il y a de nombreuses années maintenant - qui s'appelait "Warrendale". L'expérience a duré très exactement un an et deux mois. Nous avions rencontré le directeur de cette expérience; nous sommes allés le voir à Toronto et il avait été très honnête. Officiellement, il n'y avait plus de crédits; il y avait eu une histoire au niveau économique; bien sûr, il y a toujours une question de sous. II avait reconnu que tous les intervennants - quand je dis "intervenants", cela recouvre vraiment tous les gens qui sont près de la vie quotidienne de bénéficiaires, qu'ils soient professionnels ou non - étaient littéralement usés après un an. C'est dire que cela exige énormément. Dans le réalité, lorsqu'on sort des grands principes, c'est excessivement exigeant pour ceux qui veulent vraiment arriver à permettre une désinstitutionnalisation maximale.

Enfin, il y a un cinquième point en termes de failles qu'il pourrait y avoir dans les ressources existantes - nous allons recouper certaines sources dont a parlé le groupe précédent - soit des lacunes dans l'éducation populaire du milieu immédiat. Nous pensions non seulement aux familles d'accueil et aux familles naturelles, mais bien aux quartiers environnants et peut-être tout particulièrement aux éventuels employeurs des personnes qui cherchent à se réinsérer socialement. Si on leur laisse miroiter la possibilité de devenir un peu plus de vrais citoyens ou citoyennes, encore faut-il leur donner accès à autre chose qu'au

BES, comme c'est le cas trop souvent. Je pense que tout le monde sait combien les milieux de travail sont très hésitants à engager des gens, avec toute la stigmatisation que comporte le fait d'avoir été, de près ou de loin, lié au système psychiatrique. Il y aurait toute une éducation populaire à faire, les préjugés sont encore éminemment tenaces. Nous relevions que, si vous leur parlez de cela, bien des gens vont dire: Oui, nous sommes entièrement d'accord, mais dans la mesure où c'est loin de chez nous. Même pour ouvrir une maison d'accueil, beaucoup de gens, dans leur salon, étaient tout à fait d'accord, mais si cela se fait dans la troisième maison d'où ils habitent, il va y avoir un tollé de protestation parce qu'on est d'accord dans la mesure où ce n'est pas trop près. Cela pourrait conclure ce que nous avons pu relever comme carences dans les ressources existantes.

En termes d'avenues de solutions - ce sont, bien sûr, plutôt des pistes - nous n'avons pas de mesures concrètes à apporter, du moins dans notre mémoire, mais nous pourrions en entrevoir certaines au niveau des questions. La première piste que nous entrevoyons, c'est, au point de vue tant de l'évaluation des besoins des bénéficiaires que de la conceptualisation en ce qui a trait aux ressources et dans la réalisation de ces nouveaux modes d'intervention, de vraiment arriver à sortir des modèles institutionnels tels qu'ils existent et des modèles urbains aussi, toujours en tenant compte des systèmes de valeur très divers en milieu provincial, ou en province - comme les gens des grandes villes vont dire - avec ce qui existe dans les grandes villes. En ce sens, il ne faut pas remettre en question seulement les structures à mettre sur pied ou à corriger, dans le mesure où on considère celles qui sont existantes, mais bien les modes d'action concrets qui sont préconisés et qui sont aussi réalisés dans la vie quotidienne. Le deuxième point consiste à trouver des moyens pour établir et assurer une relative indépendance non seulement idéologique, mais bien économique et aussi au niveau de l'intervention en ce qui concerne les services hors des réseaux institutionnels et ceux existant dans les institutions.

Notre propos nous amène à conclure que vouloir dire: À bas l'asile... Depuis l'antipsyehiatrie, vous savez qu'en Italie, il s'est fait des tentatives absolument avant-gardistes par rapport à cela. Mais maintenant, les Italiens ont le contrecoup d'avoir aboli les asiles, à savoir que les personnes trop fragiles ou qui sont absolument incapables de répondre aux normes sociales telles qu'elles existent, avec leurs grandeurs et misères, se retrouvent dans une espèce de "no man's land". Ils sont vraiment coincés pour trouver de nouvelles

mesures. De près ou de loin, ils devront encore penser à une certaine prise en charge, peut-être différente et plus humanitaire que celle des grandes institutions telles qu'on pouvait les connaître si on pense à Robert-Giffard ou à l'ancien Saint-Jean-de-Dieu, Louis-Hippolyte-Lafontaine, mais quand même à une mentalité nettement institutionnelle.

Donc, d'une part, il ne faudrait pas, non plus, exclure le retour en traitement hospitalier lorsque l'état de la personne l'exige. Par ailleurs, il faudrait vraiment être pertinent par rapport à l'idéologie que l'on propose, à savoir une réinsertion sociale et, à ce moment-là, encore là non seulement proposer, mais définir de façon éminemment concrète les modes d'intervention qui pourraient s'appliquer vraiment à l'extérieur des institutions. Évidemment, cela pose la question de l'encadrement de ces nouvelles structures ou de ces nouvelles modalités d'interventions dites intermédiaires ou alternatives. Actuellement, la situation qui existe à ce niveau-là est assez floue; il en existe un certain nombre, mais jusqu'à maintenant les tentatives de regroupements n'ont pas été très concluantes.

En troisième point, favoriser le rapprochement et assurer une complémentarité véritable, donc dans la réalité, encore là, quotidienne, entre les agents communautaires naturels et professionnels dans l'exploitation des ressources du milieu et, bien sûr, encourager la participation des ex-psychiatrisés à ce processus-là.

À ce moment-ci, c'est peut-être là que nous retrouvons le plus les problèmes du pouvoir ou de la circulation du pouvoir entre les institutions existantes et entre les nouveaux professionnels, comme on a pu les appeler, et aussi les aidants naturels. Alors, cela devient vraiment des impasses ou des culs-de-sac absolument infranchissables dans la mesure où, par exemple, une ressource communautaire qui fonctionne relativement bien n'est jamais à l'abri de la détérioration mentale des participants à cette ressource et aura toujours besoin d'un certain recours à des professionnels, qu'ils soient médicaux ou autres, de façon à pouvoir intervenir suffisamment tôt pour rendre non nécessaire l'hospitalisation ou là, c'est vraiment l'institutionnalisation radicale.

En quatrième point, offrir un encadrement et un suivi systématique aux familles (réelles ou d'accueil) des personnes qui souffrent de troubles mentaux, y compris l'information essentielle et le support psychologique. Dans l'information essentielle, nous pensions, entre autres, au fait - et là, je prends à dessein le terme de diagnostic pour souligner encore la mentalité très médicale qui existe dans le circuit ou dans les réseaux d'intervention auprès des personnes souffrant de troubles mentaux - qu'il y avait un réel tabou autour des diagnostics, au niveau de pathologies dont souffraient les personnes. J'ai rencontré à de multiples reprises non seulement des patients qui, eux-mêmes - à l'époque, on les appelait encore des patients - n'avaient jamais pu savoir de quelle maladie ils souffraient dans la mesure où on la dénommait maladie, mais des familles qui n'avaient aucune espèce d'idée, sinon que leur enfant ou que leur père ou leur mère était bizarre, perdait la carte, enfin, un certain nombre de métaphores populaires, mais qui étaient d'autant plus inquiétantes qu'il n'y avait pas de balises au niveau "scientifique", entre guillemets.

On a quand même maintenant des critères; on est loin de savoir exactement ce qui se passe dans ce qu'on a pu appeler la folie ou ce qu'on appelle maintenant les troubles d'adaptation sociale ou psychobiosociale; enfin, on ne sait plus, comme on le disait, comment les nommer. Mais, on pourrait, tout au moins, communiquer ces critères-là aux personnes, leur donner une idée de l'évolution de ces problèmes, de ces troubles, leur dire que les périodes de rémission peuvent donner lieu à des périodes de recrudescence de l'angoisse, des symptômes etc., ce qui diminuerait l'angoisse des milieux d'intervention et d'accueil au moment où cela se passe. Donc, une éducation populaire qui impliquerait ce qu'on pourrait appeler une vulgarisation des données "scientifiques", entre guillemets, comportant tous les aspects, à la fois médicaux, psychologiques, sociaux, culturels, etc., autour des troubles mentaux ou psychiatriques.

Enfin, en cinquième point, accentuer les efforts d'éducation populaire au sens large en prêtant une attention particulière aux agents du milieu de réinsertion et aux employeurs éventuels. Là, nous voulons parler peut-être plus précisément des intervenants non professionnels, donc des aidants naturels, des bénévoles, des ex-psychiatrisés eux-mêmes qui, de façon surprenante - parce qu'à première vue on pourrait penser qu'ils connaissent très bien de quoi il ressort - ils manquent d'information, encore là, sur des données élémentaires concernant, justement, les diverses problématiques vécues par les personnes ayant souffert de troubles mentaux. C'est encore pareil pour les employeurs, question d'alléger les préjugés, sinon les tabous qui existent autour de cette population.

Enfin, en guise de conclusion, nous voulons attirer l'attention sur le leurre de la notion de la santé mentale pour tous que peut véhiculer la prégnance ou l'importance que l'on donne actuellement à la reprise en charge ou au retour au milieu de vie naturel le plus possible pour les gens atteints de troubles mentaux. C'est très facile de

tomber dans ce piège, de leur dire: Vous savez, vous êtes maintenant accueillis, vous avez votre place au soleil comme tout le monde. Donc, vous n'avez pas de problèmes majeurs. Je croîs qu'à plus d'un titre, à ce moment-là, c'est peut-être encore plus cruel que de les stigmatiser comme étant des fous, comme il existait il y a 20 ans, ou comme étant des ex-psychiatrisés, parce que, pour bien des gens, cela a une connotation encore de folie ou d'hôpital psychiatrique. C'est encore plus cruel de leur laisser entendre qu'on leur ouvre une porte sur quelque chose de possible, alors qu'on va la leur refermer aussi rapidement dès qu'ils vont montrer une certaine incapacité à répondre aux attentes qu'on a à leur égard. Alors, en arriver à nier les troubles mentaux importants ou les handicaps sérieux est probablement plus inquiétant que d'en rester à une attitude tout à fait conformiste et marginalisante par rapport à ces personnes.

Nous parlions d'un enfer de solitude et d'exclusion et j'avais en tête de multiples exemples de personnes qui vivent à l'extérieur de l'hôpital psychiatrique depuis maintenant cinq à dix ans, mais à quel prix. Au prix d'une solitude absolument... Plusieurs de ces personnes vont dire qu'elles sont comme dans un trou, qu'elles sont comme dans une boîte, vous savez, de privations sensorielles ou qu'elles sont dans un tunnel où il n'y a pas de fin, alors qu'elles se sentent pourtant entourées. Beaucoup de ces personnes sont très lucides et disent: Nous avons un tas de personnes qui s'occupent de nous, mais, finalement, nous sommes constamment seules parce qu'on s'occupe de nous dans la mesure où nous fonctionnons bien. Si nous fonctionnons mal, on s'occupe de nous, mais à ce moment-là comme étant des gens qui ne sont pas capables de pourvoir à leurs besoins fondamentaux.

Alors, nous devons donc composer avec cette réalité. C'est, selon nous, un point essentiel pour arriver à l'établissement de mesures à la fois réalistes et efficaces par rapport aux besoins, comme nous le disions, polymorphes de toute une tranche de la population qui, maintenant, formule mieux ses demandes qu'avant. Ils ont droit de parole: ils se sont regroupés de différentes façons et ils nous demandent de répondre à leurs besoins. Mais encore faut-il reconnaître et leur aider à reconnaître aussi qu'il y a des déficits sérieux et, dans la mesure où on fait comme s'ils n'existaient pas, à un moment donné, on se frappe le nez sur un mur qui est vraiment infranchissable.

Enfin, la présente sous-commission nous apparaît un moyen tout à fait heureux, du moins c'est ce qu'on espère, de faire le grand ménage dans ce qui existe depuis tout au moins les dix ou vingt dernières années, de repérer les tentatives ou les expériences isolées, dont certaines ont été très fructueuses et dont on pourrait s'inspirer, et d'éviter cette espèce de trop fréquent redépart à zéro ou de duplication de services qui existent déjà dans des régions différentes, mais aussi parfois dans un département d'une institution qui est contigu à un autre. (16 h 45)

Nous soulignions tout à l'heure les querelles de pouvoir ou le manque de distribution du pouvoir qui existe chez les multiples intervenants. Mais cela mène à des situations absolument impensables telles que, comme je viens de le mentionner, dans une même institution, deux départements contigus ne se révéleront pas l'expérience qu'ils mènent de crainte de s'en faire enlever le profit. Chacun veut qu'on lui reconnaisse la paternité de ce bébé qu'il défend à tout prix plutôt que de le partager. Cet autre aspect de la distribution du pouvoir nous paraît un aspect fondamental sur lequel les différents intervenants doivent s'arrêter, parce que, sans vraiment les remettre en question, tous les concepts de multidisciplinarité, de complémentarité des services entre les CLSC, les centres de première ligne, ceux de deuxième ligne, de troisième ligne, ainsi que les aidants naturels ou les services dans la communauté vont être absolument impossibles, parce que le leadership va toujours être envié, convoité, mais discrédité aussi dans la mesure où certains intervenants vont avoir l'impression de ne jamais l'avoir.

Voilà. Nous attendons à vos questions.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie. Votre mémoire avait environ sept pages, mais il contient énormément de matériel et je pense que vous avez soulevé des aspects extrêmement intéressants.

On aura peut-être l'occasion tout à l'heure de faire la jonction entre votre organisme et l'autre groupe, puisqu'il s'agit d'une fédération d'organismes bénévoles. Votre organisme apporte davantage la préoccupation des professionnels, quoique je pense que vous semblez croire beaucoup à des efforts du côté de la réinsertion sociale des gens et vous proposez des moyens concrets pour y arriver, pour que ce soit fructueux.

Dans un premier temps, il y a deux questions que je voudrais vous poser. La première - vous dites qu'il en existe très peu au Québec - c'est: Comment voyez-vous les centres d'intervention de crise? Où se situent-ils? Comment fonctionnent-ils? Vous avez parlé brièvement des horaires. Je vois à quel type de besoins ils répondent, mais j'aimerais savoir exactement... Je pense que vous aviez en tête une ressource qui manque dans l'ensemble des ressources. Je mettrais peut-être celle-ci davantage comme une deuxième question. Ma première question serait celle-ci: Avec votre expérience dans le

milieu de Robert-Giffard - je veux vraiment faire exclusion de l'institution comme telle -est-ce que vous êtes capable de mesurer, est-ce que l'institution est capable de mesurer le niveau de réinsertion sociale véritable qui a été accompli avec des personnes qu'on a tenté de renvoyer dans la communauté? J'ai souvent l'impression que l'on confond réinsertion sociale avec déplacement des individus. Par exemple, si on les sort de l'institution et qu'on les met dans un foyer d'accueil ou un foyer de groupe, on va parler de réinsertion sociale. Je pense que c'est - comment dirais-je? - un pas vers la réinsertion sociale, mais j'ai l'impression que, dans bon nombre de cas, la réinsertion sociale finit là. On les a changés de toit, mais je ne suis pas sûre qu'on procède davantage à la réinsertion sociale. Selon votre expérience, de quelle façon avez-vous pu mesurer le succès de la réinsertion sociale des bénéficiaires de Robert-Giffard, par exemple?

Mme Taillon: Vous me posez la question personnellement?

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

Mme Taillons Bon. Je ne peux pas vous dire très explicitement comment l'institution, globalement, a cherché à la mesurer comme telle. Je puis vous répondre à titre d'intervenante et connaissant assez bien ce que les travailleurs sociaux ont essayé de faire par rapport à ce problème-là. Je peux vous donner certaines pistes par rapport à des possibilités de mesurer cela. Par exemple, il y a les personnes qui vont fréquenter un centre de jour ou, en tout cas, une structure qui a tout d'un centre de jour - je sais qu'à Robert-Giffard il y a une structure existante - qui reçoit donc des bénéficiaires - on va les appeler comme cela si on peut s'entendre sur une dénomination -dans une espèce de centre d'activités thérapeutiques de groupe polyvalentes. Donc, selon le nombre de personnes qui habitent à l'extérieur qui fréquentent régulièrement ce centre de jour, on peut, je pense, identifier qu'il y a un minimum de réinsertion sociale qui se fait là, c'est-à-dire que l'autonomie est renforcée, favorisée et supportée par des intervenants de différents types, d'ailleurs. La même chose vaut, bien sûr, pour tous ces bénéficiaires qui fréquentent les cliniques externes et qui, de ce fait, sont hospitalisés moins souvent, disons, quoique la réinsertion sociale recherchée depuis tout au moins les dix dernières années de façon accélérée a fait hausser le taux de réadmission dans un certain sens, parce que plus on sort de gens de l'institution, plus il y en a qui sont à l'extérieur et plus il y en a aussi qui font des rechutes et qui sont hospitalisés. C'est bien sûr que, si vous gardez tous les gens à l'intérieur, votre taux de réadmission est inférieur. Donc, il y a différents paramètres, comme cela, qui pourraient être entrevus.

Ce sur quoi j'aimerais plutôt insister pour répondre à votre première constatation qui est en partie vraie, mais je crois qu'elle a tendance à l'être moins - j'espère que ma perception est juste, quoique mon regard est quand même partiel par rapport à cela -c'est que les travailleurs sociaux en particulier et aussi les éducateurs communautaires - je ne sais plus très bien comment on les appelle - ou les travailleurs communautaires, qui sont comme volants et qui sont dans certains quartiers où habitent beaucoup d'ex-bénéficiaires, ont assuré et tentent d'assurer un suivi vraiment pertinent par rapport aux besoins de ces personnes-là, incluant une espèce de disponibilité beaucoup plus grande que le 8 à 4, comme je le disais tout à l'heure, ou que le "shift" de soirée, avec tout ce que cela a d'exigences, bien sûr. Il y a, cependant, un réel effort pour que ce ne soit pas uniquement un déplacement de lieu de vie et que ce ne soit pas, non plus, une espèce de leurre, à savoir que, maintenant que vous vivez dans telle paroisse, vous n'êtes plus à l'hôpital. Il y a un travail tant individuel que de groupe à ce niveau-là.

Je crois qu'il y a un travail qui se veut préventif aussi, un peu axé sur l'éducation populaire dont nous parlions tout à l'heure. Des familles hébergent ces personnes-là ou, dans la mesure où ces personnes sont de plus en plus en appartement surveillé - je n'aime pas beaucoup le terme - ou en appartement protégé, donc, qu'il y ait une espèce de support aussi et de regroupement.

Il y a aussi une autre chose que je voulais souligner, qui n'est pas un paramètre, mais une tentative qui me paraît heureuse de permettre aux gens de se réinsérer vraiment de façon plus significative; je pensais à des centres comme la Croix blanche - je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler - sur la rue Dessane, ici à Québec, qui existe depuis de nombreuses années d'ailleurs, qui est une espèce de lieu de rencontre offert à tous les exbénéficiaires de soins psychiatriques pas seulement dans un hôpital psychiatrique reconnu comme tel, mais qui peuvent avoir été hospitalisés dans un département de psychiatrie d'un hôpital général. Un centre comme celui-ci se veut donc un lieu de partage, mais aussi un lieu où on propose des loisirs, où on essaie de stimuler vraiment l'autonomie des bénéficiaires. Je crois qu'il y a beaucoup d'efforts qui ont été mis sur la mise en place de structures comme celle-là, sur leur survie aussi parce qu'à un moment donné cela a été pas mal remis en cause.

Je reviens donc au travail qui se fait en institution comme à Robert-Giffard, de faire connaître ces ressources aux patients

lorsqu'ils sont hospitalisés, de les rendre intéressantes, si on veut, de les inciter à aller voir, tout au moins, ce qui s'y passe. Une des grandes hantises de la personne qui quitte le milieu psychiatrique est souvent celle de se retrouver complètement stigmatisée, comme nous le disions tout à l'heure, à savoir: Je suis la folle ou le fou. Souvent, eux se nomment comme cela. Nous avons essayé d'éliminer ces mots-là, mais eux se perçoivent encore comme cela, surtout quand ce sont des premiers accès, des premiers séjours à l'hôpital psychiatrique. Donc, ils se voient seuls et complètement marginalisés.

Savoir qu'il existe des ressources où ils pourront rencontrer des gens qui ont vécu la même expérience qu'eux et qui ne sont pas là pour parler de leurs misères, mais bien pour essayer d'être plus dans la vraie vie, comme tout le monde, c'est, je crois, une façon très réelle de favoriser une meilleure réinsertion sociale.

Donc, je connais des tentatives qui ont été faites. Il y a sûrement au niveau administratif aussi des points de repère beaucoup plus clairs et des statistiques qui ont été compilées pour mieux circonscrire dans quelle mesure... Par ailleurs, l'élément statistique, je crois que cela a une réelle importance, mais il ne faut jamais, non plus, oublier l'aspect qualitatif et je crois que c'est ce que vous vouliez souligner. Que l'on sorte ou qu'on permette à tant de personnes de sortir du milieu asilaire, c'est une chose. Mais, maintenant, à quelle qualité de vie ont-ils droit ou quelle qualité de vie va-t-on leur procurer vraiment à leur sortie c'est une autre chose. C'est là qu'on est le plus mal placé pour pondérer cela.

Je pense que c'est plus dans de réelles interventions de partage ou de cheminement avec ces divers bénéficiaires qu'on peut voir et mesurer ce qui a été fait. À ce que je peux constater, dans les quinze dernières années, il y a eu un réel progrès par rapport à cela. Par ailleurs, il y a des lacunes énormes. Beaucoup de ces centres de partage qui ont émergé à un moment donné ont fermé à court terme parce qu'ils ont été absolument court-circuités par l'ampleur du problème du fait, comme on le disait tout à l'heure, qu'il n'y avait pas assez d'information. Ils se sont butés à des oppositions des milieux institutionnels, et c'est là qu'on retrouve une difficile concertation entre les milieux institutionnels et les milieux communautaires. Je pense que cela est connu de tout le monde. Mais il y a quand même des tentatives heureuses et, à l'intérieur même de toutes ces difficultés, je crois qu'il y a des progrès qui se marquent. Mais la plupart des intervenants - j'en ai contacté un certain nombre depuis juin, que j'avais un peu perdus de vue depuis un bout de temps - dénoncent tous la même chose, c'est qu'ils se sentent démunis.

Et la psychose en soi, c'est, dans la mesure où on parle de problèmes aigus, qu'à un moment donné il faut envisager des troubles désorganisateurs de la personnalité, donc des troubles psychotiques. C'est absolument désarmant. Déjà, c'est énorme comme impact non seulement pour les intervenants, mais pour la communauté. Alors, c'est assez difficile. Mais il se fait des choses.

M. Sabourin: Je voudrais simplement...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, M. Sabourin.

M. Sabourin:... apporter quelques éléments supplémentaires à la réponse de Mme Taillon. Par rapport à votre première question sur les centres d'intervention de crise, je dois dire qu'il se fait actuellement au plan bénévole au Québec des choses extrêmement intéressantes. Je pense, entre autres, à des choses comme Suicide-Action à Montréal, ou à des groupes comme Déprimés anonymes qui offrent, comme cela, bénévolement, à des gens des services immédiats, des services ponctuels pour des problèmes précis. Ce sont des bénévoles qui n'ont pas de formation professionnelle, mais qui offrent quand même des services pour des cas qu'on a souvent par le passé jugés comme étant extrêmement graves et nécessitant absolument des ressources professionnelles.

Là où je veux en venir, c'est simplement de mentionner que, tant qu'on va maintenir une certaine notion, un certain modèle de la médicalisation à tout prix de tout ce qui est problème de mésadaptation, bien sûr que tout le processus très lourd qu'on connaît - on en a déjà parlé dans une autre commission parlementaire - tout le processus d"'intake", qui doit être absolument médical, de sortie et tout cela, qui est très lourd et qui, dans bien des cas, n'a rien a voir avec le problème qui est présenté, tant que cela va être maintenu, il va être difficile de mettre sur pied des choses qui vont convenir davantage aux besoins de la population et y convenir d'une façon plus rapide.

À un moment donné, il y a cinq ou six ans, peut-être même plus, cela a été la mode, que la maladie mentale était une maladie comme les autres. C'était là la chose qui était dite sur tous les toits, mais pas dans les hôpitaux généraux à Montréal. Quand il y a eu des problèmes dans les urgences, allez interroger ces gens, on va vous dire que la maladie mentale n'est pas une maladie comme les autres, parce qu'on n'avait pas les ressources pour s'en occuper. On était complètement démuni.

Un autre élément que je peux peut-être ajouter à ce niveau, c'est que chaque fois

qu'on parle de désinstitutionnalisation, on a toujours en arrière-pensée la notion qu'il faut quand même maintenir les institutions. C'est certain. On a, en fait, un double système, un système mixte qui, de fait, devrait bien fonctionner parce qu'on se dit que l'institution n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour le patient, ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour le réinsérer socialement éventuellement, mais, par ailleurs, on maintient toujours ces ressources et on coupe très, très peu. Avec des surplus de budget ou avec des sommes d'argent qui viennent comme cela, on ne sait pas trop comment, on essaie d'offrir autre chose, mais on maintient toujours les mêmes services. Alors, quand il arrive une crise, un état de crise, comme le mentionnait Mme Taillon tantôt, on revient à ce qu'on connaît déjà, à ce qu'on possède déjà. À ce moment, avec un pareil système, on tourne en rond.

Je pense qu'éventuellement nos législateurs vont devoir prendre des décisions courageuses à ce niveau. Si on veut vraiment mettre l'accent sur une désinstitutionnalisation, il va falloir qu'on le fasse en enlevant énormément de choses institutionnelles. Je ne dis pas, non plus, qu'il faut abolir complètement les institutions. Je pense qu'il y a des cas lourds, des cas sérieux qui vont toujours nécessiter une prise en charge beaucoup plus institutionnelle qu'autrement. Par ailleurs, il faut quand même être conscient qu'on ne peut pas avoir les deux choses, que si on se met toujours à poursuivre parallèlement ces deux notions, l'inertie du système fait en sorte que la notion d'institution est celle qui va se maintenir et avec cela on ne s'en sort pas. (17 heures)

Par rapport à votre deuxième question, Mme la Présidente, concernant les expériences de réinsertion sociale, je veux simplement rapporter brièvement l'expérience que j'en ai, qui remonte à peu près à une vingtaine d'années, à l'époque où j'étais anciennement à Saint-Jean-de-Dieu, pour un stage de quatre ans en tant que professionnel, bien sûr. C'était l'époque où on commençait - c'est vers l'année 1967; donc, cela remonte à pas mal de temps - à placer les gens dans des familles d'accueil, des foyers privés. À l'époque, les foyers privés étaient quand même très répandus, ils le sont quand même assez aujourd'hui, mais à l'époque il n'y avait pas beaucoup de foyers publics, c'étaient surtout des foyers privés. Évidemment, dans le giron immédiat de Louis-Hippolyte-Lafontaine, qui s'appelait Saint-Jean-de-Dieu à l'époque, il y avait énormément de ces foyers-là.

J'avais un certain nombre de patients à l'époque qui, sans trop savoir pourquoi, étaient passés du jour au lendemain en foyer d'accueil. On ne leur avait pas expliqué ce qui se passait. On les mettait là en voulant - de bonne foi, j'en suis certain - les aider à se réinsérer socialement, sauf que, pour eux, c'était vécu comme une punition parce qu'on ne leur avait pas expliqué de quoi il s'agissait exactement. Ces gens-là, ceux que je voyais en assurant un suivi en dehors du centre hospitalier, me demandaient à tout prix comment faire pour revenir à l'hôpital. Qu'est-ce que j'ai fait? Il y en avait un, entre autres, qui m'avait beaucoup touché. C'était un boulanger qui travaillait à la boulangerie de l'hôpital et qui là était complètement dans un délire paranoïaque. Il disait: Pourtant, je fais mon pain, je le fais comme il faut. Il me semble que je n'ai pas fait d'erreur à ce niveau-là. C'était vraiment vécu comme une punition.

Je raconte cette petite anecdote pour souligner la nécessité de l'information, qu'on a mentionnée dans notre mémoire. Il ne faut pas qu'on passe au-dessus de la tête des gens, en disant: Nous, on connaît ce qu'il y a de mieux pour eux et on leur donne exactement ce qu'il y a de mieux sans les impliquer dans le processus. C'est pour cela qu'un autre aspect de notre mémoire consistait à dire et à répéter - je pense que c'est important de le faire - que les ex-psychiatrisés ou les psychiatrisés ont quand même un mot important à dire au -niveau des traitements, au niveau de ce qu'on fait avec eux. Je m'arrête ici.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Merci. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Au point de vue de la réinsertion sociale, vous dites aussi qu'ils ont plus de chances dans le milieu urbain que dans le milieu rural en fait de services. Je serais tenté de dire le contraire, je vais vous expliquer pourquoi. Dans une grande ville, un ex-psychiatrisé, ce n'est pas connu. S'il est en crise, ou n'importe quoi, qu'à un moment donné il fait une rechute, les gens vont penser qu'il est drogué, les gens ne s'en occupent pas, le laissent sur le trottoir, ou un autre va lui flanquer une volée, parce qu'il pense qu'il veut se battre tandis que, dans le milieu rural, les gens vont être portés à l'aider, ils vont être portés beaucoup plus à l'intégrer dans la société que dans une grande ville.

Deuxième approche. On reçoit les gens à nos bureaux. Je pense que c'est connu à peu près de tout le monde, qu'on a remplacé à peu près tout ce qu'il peut y avoir de curés ou de ce que vous voudrez. Les gens sentent un besoin, à un moment donné, de rencontrer des gens à qui parler. J'en ai reçu plusieurs au bureau. J'en ai au moins quatre actuellement qui viennent à mon bureau, peut-être une fois par quinze jours et qui ne veulent rien savoir des professionnels. Il y a une personne là-dedans qui, à un moment donné, quand elle entre en

crise m'appelle. C'est instinctif pour elle. Là, je l'envoie à l'hôpital. Je lui dis quoi faire, j'avertis l'hôpital et elle fait tout ce que je lui dis.

N'y a-t-il pas dans le système une place, à un moment donné, qu'on pourrait avoir pour ces gens-là, pour qu'ils puissent aller parler? Lorsqu'ils viennent à mon bureau, je prends le temps de les recevoir, cela prend une demi-heure. Je peux parler de n'importe quoi avec eux quand ils sortent du bureau, ils sont contents, Ils me racontent leur histoire à partir de la famille et ces choses-là.

Je me demande si, actuellement, il n'y a pas trop de professionnels qui accaparent le monopole de la vérité autour de ces gens. N'y aurait-il pas possibilité d'ouvrir d'autres sortes de secteurs? Que ce soit une bonne mère de famille ou un bon père de famille qui parle de la réalité quotidienne avec eux, de ce qu'ils sont, de leurs pouvoirs. J'en ai retourné un au cégep et actuellement il est là. On s'y est pris à deux reprises. Le premier cégep l'a refusé, à cause de son état psychiatrique antécédent, mais un deuxième cégep l'a accepté. Je me demande s'il n'y a pas des failles dans notre système actuellement à trop se concentrer sur le professionnel dans certains cas. Je ne parle pas en général, mais ce sont des questions que je vous pose actuellement à vous deux.

M. Sabourin: Je pense, M. Laplante, que vous soulignez un problème important dont on parle déjà depuis plusieurs années, c'est la question de l'accès aux services. Je pense qu'il y a des gens qui ont des besoins particuliers. Ce ne sont pas nécessairement des besoins en termes de traitements immédiats, mais ce sont par personnes qui ont besoin de parler avec des gens de leurs problèmes conjugaux, de toutes sortes de problèmes, le problème de l'éducation de leurs enfants et tout cela. Le système actuel est ainsi fait qu'il médicalise les problèmes dans le sens que quelqu'un, pour avoir accès à notre magnifique système, doit d'abord faire face à un "screening" au niveau médical. Vous connaissez l'état des bonnes relations interprofessionnelles à ce sujet. Ce qui se passe, c'est que, bien souvent, cela s'arrête là. On renvoie la personne chez elle avec un médicament quelconque pour faire diminuer ses angoisses. Il n'y a pas de possibilité présentement, sauf peut-être à l'état vraiment embryonnaire sur le plan des CLCS, mais là encore, c'est en plein développement, on n'a pas suffisamment de recul pour pouvoir en juger, il n'y a pas de possibilité pour quelqu'un d'avoir accès à des services non médicaux par le système étatique.

Tant qu'on va conserver cette notion que les problèmes, cela entraîne des maladies, bien sûr qu'il y a une catégorie énorme de ta population qui va être frustrée, qui va être déçue et qui ne recevra pas les services auxquels, je pense, elle a droit. Je pense qu'il faudrait, à ce sujet, qu'on définisse très clairement ce qu'est la maladie mentale. Je pense que c'est une partie du concept de la santé mentale, mais ce n'est vraiment pas l'entité du concept. Pour tout le reste, qu'on mette sur pied des services ou qu'on donne la possibilité à la population d'avoir accès à ces services de façon qu'elle dérange le député le moins souvent possible.

M. Laplante: Remarquez que cela ne me dérange pas. D'ailleurs, j'ai le cas, actuellement, d'un jeune homme qui a aujourd'hui 28 ans. Il mesure six pieds et un pouce et il est pris comme un pan. Il est très sympathique. Lorsqu'il vient en crise, c'est rendu que c'est la famille qui m'appelle. J'y vais, je prends cela comme une action complètement en dehors. Il est pris de schizophrénie et, quand il a une crise, il n'a pas besoin d'aller à l'hôpital. C'est cela que je ne comprends pas. Je vais rester avec lui 20 ou 25 minutes et, en parlant avec ses parents, en parlant de lui, en parlant de toutes sortes de choses, à un moment donné, il s'apaise. Il n'a pas besoin d'aller à l'hôpital. Auparavant, ils faisaient venir la police. On lui mettait la camisole de force et tout ce que vous voulez et il était rendu "boum" à l'hôpital, hospitalisé pour quatre semaines. C'est vrai que je n'ai pas le temps de faire toutes ces choses, mais on le fait, à un moment donné, cela fait partie un peu de nos mandats d'écoute de la population. Quand on se dit le serviteur de la population, ce sont nos patrons, en somme. Cela entre un peu dans nos actions. Je le fais par acquis de conscience. Mais il me semble qu'il y a quelque chose qui manque dans vos professions ou dans une société organisée.

Mme Taillon: Oui, j'aimerais peut-être compléter la réponse de Michel. Ce que vous mentionnez, de très nombreuses personnes dans la population vivent la même situation que vous, c'est-à-dire que beaucoup de personnes qui, précisément, souffrent de troubles très sérieux d'adaptation personnelle se sont trouvé des confidents, des personnes en qui elles ont confiance, avec lesquelles parler est suffisamment apaisant pour, justement, éviter des crises qui les amèneraient à l'hospitalisation. C'est très heureux et, en ce sens, Mme la Présidente soulignait tout à l'heure que nous avions mentionné que nous étions très favorables à l'émergence de lieux de partage, d'écoute, etc., qui ne seraient pas professionnels, qui seraient même issus des ex-psychiatrisés eux-mêmes. Cela existe déjà. Ces personnes ont cherché, même entre elles, à se créer des groupes où, effectivement, elles peuvent

avoir une oreille attentive de façon suffisante, en tout cas, afin de leur permettre un modus vivendi beaucoup plus acceptable.

Quand vous dites qu'il y a sûrement des failles dans notre système qui font que ces personnes aboutissent à votre bureau et que, par ailleurs, il y a une surprofessionnalisation, je crois que nous sommes entièrement d'accord avec cela. C'est une des choses que nous dénoncions dans les ressources existantes, à savoir qu'il s'est créé une espèce d'antiprofessionnalisme parce que je crois précisément - comme Michel, d'ailleurs, vient de l'expliquer un peu avant - qu'il y a un surprofessionnalisme par rapport à la maladie mentale. En ce sens, la médicalisation me semble aussi être un problème majeur. Historiquement, qu'est-ce que vous voulez, la folie a été du domaine médical, avec le résultat que c'est une maladie pour les médecins; même les personnes qui souffrent de ces troubles ont énormément de difficulté à se défaire de cette idée. Quand elles vont bien, cela va; elles vont nier la maladie. Quand cela ne va plus bien, elles ont tendance à recourir à la notion de maladie.

Je compléterais ce que vous avez dit du jeune homme de vingt-huit ans qui va se confier à vous et qui réussit à éviter la crise. Pour un cas comme celui-là, il y en a probablement 90 qui n'ont pas les mêmes possiblités de trouver quelqu'un qui va les écouter. Qui plus est, ils ont tellement peur de ce qui les attend dans la réalité, ils se sentent tellement démunis par rapport à cette réalité qu'ils font presque appel à la maladie. Je me souviens d'un grand professeur, un psychiatre anglais, qui disait que peut-être la période la plus difficile pour une personne ayant souffert de psychose, c'est le moment où elle ne peut plus tomber en psychose. Curieusement, la maladie, c'est aussi un refuge. En ce sens, il y a beaucoup de personnes ayant déjà été hospitalisées qui, même en ayant trouvé des confidents - tant mieux si ce ne sont pas des professionnels, si ce sont des gens entre eux - gardent une espèce de nostalgie de la période hospitalière, si je peux l'appeler ainsi, parce qu'il y avait une sécurité maximale et qu'ils étaient entièrement pris en charge. C'est une espèce de sécurisation très primaire, mais elle est là et on ne peut pas la nier.

Il y a un autre aspect sur lequel j'aimerais réagir. Votre premier commentaire disait: Comment pouvions-nous dire que les gens du milieu rural avaient moins de possibilités que les gens de la ville? C'est par rapport aux ressources existantes ou institutionnelles ou parainstitutionnelles que nous mentionnions cela. Par ailleurs, je serais tentée de dire personnellement, par rapport à votre exemple à savoir que le village va mieux accepter la déviance ou la personne un peu plus bizarre, que c'est un peu folklorique, le fou du village, comme le disait Félix Leclerc, qui est accepté par l'ensemble de la population. Ces personnes sont aussi de plus en plus marquées. Les gens sont quand même mieux informés. Tout le monde dénonce le manque d'éducation populaire, mais ils sont mieux informés et, quand on sait qu'une personne est déjà allée soit à Robert-Giffard, pour prendre l'endroit le plus évident, ou à Louis-Hippolyte-Lafontaine, c'est quelqu'un qui est dangereux. Les milieux, en province en tout cas, sont beaucoup moins imperméables à cela qu'ils l'étaient avant, en tout cas si je pense à un périmètre de peut-être 70 milles autour d'ici. C'est peut-être moins facile que cela ne l'était avant, je crois. Il y a pas mal plus de rejets, du fait que les gens sont mieux informés. C'est un couteau à double tranchant; un peu d'information, cela peut aussi rendre plus inquiet. Une information suffisante peut rassurer. Dans la mesure où on donne des fragments d'information, souvent cela inquiète plus que cela ne rassure.

Il y a quand même eu des tentatives réelles d'éducation populaire dans les dernières années. Pensons à ce qu'il y a pu y avoir à la télévision autour de différents types de mésadaptation sociale, " que ce soit en termes de panels, que ce soit en termes de lignes ouvertes, etc. Les gens ont quand même plus d'information, mais cette information, je crois, est souvent lacunaire. Elle s'en tient à de grands principes, ce qui fait que, curieusement, cela peut devenir plus inquiétant. Je ne nie pas, par ailleurs, que, dans certaines circonstances, cela peut être facilitant; cela existe sûrement encore. Mais, dans beaucoup de cas, ce que j'ai pu constater, c'est que ce n'était pas tellement bien reçu dans les villages. Souvent, c'était la personne du rang qui disait: Écoutez, cela ne va plus, je regrette, il est temps que vous fassiez quelque chose avec lui. On faisait comme en ville, on faisait venir le curé ou le médecin et cela y était, on l'envoyait à l'hôpital, parce que ce n'était plus acceptable par la communauté. Enfin, j'aimais quand même apporter ce point.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Y a- t-il d'autres questions, M. le député de Bourassa?

M. Laplante: II y en aurait beaucoup, mais le temps nous presse. (17 h 15)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vais juste vous en poser une, si vous pouvez me répondre brièvement. Je voudrais que vous me parliez - brièvement, ce n'est peut-être pas facile - de l'expérience qui se vît en Italie. On a beaucoup entendu parler de l'expérience de Trieste, etc. Vous n'avez pas

été très claire. De votre côté, au bas de la page 5, vous dites: On risque quelquefois de transformer ce qu'on voulait appeler une réinsertion sociale "en un enfer de solitude et d'exclusion". Selon vous, y aura-t-il toujours un certain pourcentage de la population des psychiatrisés qui aura besoin de l'institution d'une façon chronique?

Mme Taillon: Personnellement, je crois que oui, si on définit l'institution comme un lieu qui vraiment prend en charge des gens qui ne sont pas capables de se prendre en charge eux-mêmes. Vous disiez cela et cela me rappelait le cas d'un bénéficiaire, dont je parlais è mes collègues tout à l'heure avant de venir ici, qui disait: Vous savez, c'est épouvantable, les lumières au coin de la rue changent trop vite; je n'arrive jamais à traverser; elles changent trop vite. De fait, il y aura toujours des gens pour lesquels les lumières, les feux lumineux au coin de la rue changeront trop vite. Ou bien ils vont se tirer devant les voitures ou vont risquer de s'y tirer un jour ou l'autre ou bien, effectivement, on va accepter qu'il y ait des gens qui sont incapables de voir par eux-mêmes. De toute façon, il y a des gens qui sont psychotiques de façon chronique et pour lesquels même la médication, ce que l'on connaît actuellement comme chimiothérapie et de psychothérapie au sens très large, dans la mesure où ils ne sont à peu près pas accessibles, demeurent délirants, demeurent dans un autre monde, et ils ont besoin d'un encadrement géographique très constant pour arriver, dans un département de quatre ou cinq pièces, à s'y situer de façon pertinente, c'est-à-dire pour manger à l'heure qu'il faut, de la façon qu'il faut et dormir au bon endroit et aux heures de tout le monde; je crois que oui.

Par ailleurs, si on entend institution dans le sens uniquement péjoratif, à savoir la grosse institution déshumanisante, cela est une autre chose. Je crois que, dans l'histoire de l'Italie - dans la poussée antipsychiatrique, ces groupes-là sont allés beaucoup plus loin qu'ailleurs, en tout cas, c'est mieux connu - c'est avec cela qu'on s'est retrouvé. En France aussi, même si elle est allée moins loin. Je me souviens que, dans le treizième arrondissement de Paris où il y a eu les premières tentatives desquelles on s'était inspiré au Québec - de psychiatrie communautaire on s'est retrouvé avec des gens qui n'arrivaient pas, j'allais dire les mots "to fit", comme on dit en anglais...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... à s'adapter.

Mme Taillon: À s'adapter, si vous voulez, à la vie du quartier ou de l'arrondissement et les intervenants, tout communautaires qu'ils étaient, se sont retrouvés absolument désarmés devant ces gens-là et se sont demandé: Qu'est-ce qu'on fait? Les retourne-t-on à l'institution ou si on entreprend des processus d'apprentissage pour les instrumenter de façon adéquate pour qu'ils arrivent à répondre aux normes? Mais en Italie actuellement, on en est, je crois -je n'ai pas lu les dernières choses là-dessus, mais j'arrive d'un voyage en Italie et j'en ai entendu parler - à la recherche de nouvelles structures ou de nouveaux moyens de répondre aux besoins de gens fortement perturbés. Si on pense à ces gens-là pour lesquels une prise en charge quelconque est nécessaire, nous avons trouvé des moyens plus humanitaires.

Que l'on dise - je pense que cela fait au moins dix ans qu'on le dit au Québec -que les structures telles que Robert-Giffard ou Louis-Hippolyte-Lafontaine ne devraient assurément plus exister, j'en suis entièrement. Que l'on ait des ressources plus à l'échelle humaine et plus humanitaires aussi dans des types d'interventions que l'on fait. Anciennement, les gens disaient qu'on parquait les patients dans les départements. "Parquer", c'était épouvantable, mais c'était comme cela. Je me souviens - mes premiers stages en psychiatrie datent de 20 ans -lorsqu'on arrivait dans un département où il y avait 60 personnes assises dans leur chaise berceuse et c'était comme cela. C'était, comme on le dit dans la littérature, l'intertie totale: on sonnait la cloche pour le repas et cela y est, tout le monde retournait à sa chaise berceuse. Nous sommes loin de cela.

Entre une prise en charge aussi déshumanisante que celle-là et une prise en charge plus autonomisante, si on peut l'appeler comme cela tout au moins par rapport à ce que ces gens-là peuvent faire -s'ils sont capables de faire leur lit, c'est au moins cela de pris. Mais il a été une époque où l'on ne se questionnait même pas à savoir si ces gens étaient capables de faire leur lit, on le faisait à leur place. C'était pareil pour les servir au réfectoire; on les servait. Maintenant, il y a des gens qui sont capables de se servir eux-mêmes, même s'ils sont incapables de vivre comme tout le monde dans le quartier Saint-Roch, pour prendre cet exemple-là - il y a toute une échelle, un gradient d'autonomie qui est à évaluer au départ pour savoir quels sont les besoins réels de ces personnes.

C'est bien connu en psychiatrie depuis longtemps; il me semble que c'est Malinovsky qui disait qu'il y avait un tiers des patients psychiatriques qui évoluaient avec des traitements pertinents; qu'il y en avait un tiers qui restaient à peu près stables et pour lesquels cela se maintenait, il n'y avait pas de détérioration manifeste, mais qu'il y en avait un tiers qui, de toute façon,

évolueraient selon le processus habituel de la maladie, que l'on intervienne ou pas et ceci, dans le sens positif ou dans le sens négatif. C'est la loi des tiers souvent que l'on a retenue. Il y a peut-être 30 % de gens, du moins, identifiés comme psychiatrisés au départ, pour lesquels les perspectives d'autonomie sont beaucoup plus limitées que ce qu'on voudrait bien pour eux.

Peut-être qu'un de nos problèmes comme intervenants et comme concepteurs de nouvelles solutions, c'est, à quelque part, d'être emprisonnés dans des désirs qui sont les nôtres. On voudrait qu'ils en arrivent à vivre comme nous, pour toutes sortes de raisons, d'ailleurs, qu'il serait trop long d'aborder; à vivre comme nous alors qu'ils n'ont peut-être pas les ressources pour vivre selon les objectifs que nous voulons bien leur donner. M. Sabourin disait tout à l'heure qu'il y a quinze ans on ne leur donnait pas la parole. Je crois que cela a bien changé. On les informe et on leur donne aussi la parole pour faire valoir, en tout cas, pour dire, tout au moins, dans quel milieu ils se verraient. Je me souviens encore récemment de personnes qui sortaient de l'hôpital psychiatrique et qui avaient la chance de dire: Vous savez, aller vivre dans Saint-Pascal, je ne veux plus rien savoir parce qu'à telle place il y a telle personne et je ne veux pas la voir, car je ne m'entends pas avec elle. J'aimerais mieux aller vivre quelque part dans Limoilou, è Saint-Charles de Limoilou, par exemple. Donc, les gens ont tenu compte de cela et ils l'ont aidée à trouver un appartement dans ce coin-là. Donc, c'est déjà plus humain, si on veut, et on donne plus de chances aux intervenants et à la personne de s'adapter si on suit cela. Mais il y a des gens qui ne sont pas capables de vous dire cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, écoutez, il y a d'autres problèmes que vous avez soulevés. On les retient même si je ne vous pose pas de questions, soit toute la question du partage du pouvoir qui, d'ailleurs, est notée dans la littérature américaine de la même façon. Vous n'avez pas offert de solution. Je pense que la solution est peut-être difficile, mais il va falloir essayer de la rechercher ensemble; sans cela, on n'évoluera pas beaucoup.

Je voulais simplement ajouter une remarque du président, à savoir qu'il va falloir répartir les fonds autrement. Je voyais dans votre information que le budget consacré aux ressources alternatives visant la réinsertion sociale constituait, en 1983-1984, 0, 4 % du budget des soins de maladie mentale et, en 1984-1985, 0, 9 %. Je ne l'ai pas pour 1985-1986. Peut-être que quelqu'un me répliquerait. Oui, mais vous n'avez pas ajouté ce qu'on donne pour les associations bénévoles. Je pense que cela ne fera pas bouger beaucoup le pourcentage, ce qui veut dire que c'est minime en fonction des choses qu'on discute aujourd'hui.

Alors, je vous remercie infiniment. Je pense que votre présentation était très, très intéressante. On commence peut-être à toucher un peu plus à la nature des problèmes qu'on veut aborder dans le travail de la sous-commission. Alors, merci beaucoup.

Mme Taillon: Merci également.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On va suspendre les travaux pour quelques secondes.

(Suspension de la séance à 17 h 23)

(Reprise à 17 h 25)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): La sous-commission des affaires sociales reprend ses travaux. J'invite la Fédération des centres d'action bénévole du Québec à venir présenter son mémoire.

Fédération des centres d'action bénévole du Québec

Mme Catellier (Raymonde): Mme la Présidente, permettez-moi de me présenter. Je suis Raymonde Cateilier, présidente de la Fédération des centres d'action bénévole du Québec et directrice générale du Centre de bénévolat du Trois-Rivières métropolitain. Les personnes qui m'accompagnent sont Mme Carmel Desrosiers, travailleuse bénévole et psychothérapeute de profession. Elle est travailleuse bénévole à la Fédération des centres d'action bénévole du Québec; à ma droite, Mme Pierrette Rondeau, directrice intérimaire à la fédération.

La Fédération des centres d'action bénévole du Québec est un organisme à caractère provincial qui regroupe 56 centres d'action bénévole répartis dans la province de Québec. Dans ces centres d'action bénévole travaillent plus de 100 permanents et plus de 12 000 travailleurs bénévoles. Le rôle de la Fédération des centres d'action bénévole du Québec est de promouvoir et développer l'action bénévole dans la province, mais la fédération a aussi comme mandat de représenter ses membres sur tout sujet d'intérêt commun. C'est la raison qui nous amène aujourd'hui devant la commission.

Permettez-moi de vous lire le mémoire que nous avons fait parvenir à la commission. La Fédération des centres d'action bénévole du Québec a pris en considération les projets gouvernementaux vis-à-vis des malades mentaux et tient à souligner sa position en ce qui a trait aux projets de distribution des services de soutien

et de réinsertion sociale offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux et vivant dans la communauté.

Ainsi, dès maintenant, la Fédération des centres d'action bénévole du Québec souligne qu'elle met l'accent non sur une désinstitutionnalisation, mais sur les services de soutien liés à la réinsertion sociale. De ce fait, il ne pourrait être question de collaborer avec le gouvernement sur un ou des projets visant de fait à se décharger d'une partie de ses responsabilités dans le domaine de la santé mentale afin de faire des économies budgétaires en reportant les tâches sur l'action bénévole et le milieu naturel.

Cette position, qui est pour la fédération une mise au point, doit clairement servir de préalable à son orientation dans ce dossier.

S'il est vrai que l'évolution de la psychiatrie invite à développer des méthodes nouvelles de traitement sur la base de réseaux de réinsertion en milieu naturel, il n'en demeure pas moins que cette nouvelle politique ne peut concerner qu'une partie de la population psychiatrisée, demande du temps pour la mise en place de réseaux et de services de soutien, demande un nombre élevé de personnes-ressources ayant une compétence et une formation différente liée à l'orientation nouvelle se démarquant du système traditionnel, demande la création de mécanismes de transition du fait du peu d'autonomie acquise par le malade psychtatrtsé et longtemps isolé de son milieu naturel par la durée de son séjour en institution, demande des structures d'encadrement différentes à mettre en place au fur et à mesure de l'étape transitoire tant sur le plan des ressources humaines que des budgets à consentir afin qu'à l'inverse de la tendance actuelle à des coupures budgétaires de l'État on puisse appuyer les initiatives pour atteindre à plus long terme une réduction des coûts et de meilleurs résultats thérapeutiques, demande une approche de réinsertion qui soit orientée vers un plan de service plus individualisé, demande une plus grande sensibilisation du milieu aux problèmes que posent la santé mentale, la réinsertion sociale et la part active que peut jouer le milieu sur la prévention comme sur la responsabilité à l'égard de la santé mentale.

Bien que la politique de désinstitutionnalisation puisse souhaiter ouvrir le milieu naturel à un éventail très large de la population psychiatrique, on sait que tous les malades mentaux ne pourront être, de fait, élargis. Pour ceux qui pourront l'être, on verra à tenir compte de nombreux facteurs qui assureront le succès de la transition. Ainsi en est-il de l'encadrement pour le mieux-être des sujets les plus perturbateurs pour l'ordre social qui, malgré un traitement approprié, devront trouver un type de rapport aux personnes-ressources tenant compte des besoins de contacts plus personnalisés et plus adaptés aux buts de réinsertion poursuivi. Pour ce faire, il faudra évaluer les possibilités réelles des individus et du milieu social impliqué dans le mouvement de transformation. Capacité du malade mental, capacité du milieu à s'ouvrir à des solutions d'hébergement et de suivi en milieu ouvert.

Placées dans une orientation de soutien des équipes soignantes, les associations bénévoles souhaitent participer à l'humanisation des soins tout en assurant une concertation permanente entre les groupes professionnels comme les groupes de ressources alternatives.

La Fédération des centres d'action bénévole du Québec veut déjà indiquer son refus de porter le poids des services assurés par les professionnels de la santé mentale comme le poids de la gestion de services techniques thérapeutiques qui échappent à sa compétence. Toutefois, la spontanéité des aidants naturels liée à une structure d'encadrement plus fluide que pourront fournir les groupes bénévoles de par l'apport de compétences inédites et même franchement marginales demeure une des qualités que veut promouvoir la Fédération des centres d'action bénévole du Québec.

À cet effet, on demande que la période de transition ne soit pas définie par un temps limite afin que la mise en route se fasse graduellement. On sait déjà, pour l'avoir évalué dans des pays où s'est effectué le changement, que l'établissement de nouvelles pratiques, de mécanismes inédits à expérimenter cela se construit lentement.

Quand la pression du renouveau s'exerce avec trop d'insistance, on assiste à des turbulences et à des phénomènes de résistance vécus autrement dans l'acceptation de la prise en compte du lent cheminement des mentalités à s'adapter au développement d'un changement.

La Fédération des centres d'action bénévole du Québec tient à s'inscrire comme partenaire et comme bassin de personnes-ressources dans une perspective de ressources alternatives en santé mentale. Malgré cette position d'ouverture, il ne saurait être question de récupérer le travail des professionnels. À cet égard, nous appuyons l'analyse de nombreux spécialistes des sciences sociales qui voient dans la nouvelle politique une possibilité de récupération des travailleurs bénévoles pour pallier le manque économique à fournir de l'État-providence.

Perçue et voulue comme partie d'une solution de mouvement permanent et régulier oscillant entre l'institution et la collectivité, la Fédération des centres d'action bénévole du Québec souhaite échanger de l'information, collaborer au regroupement des

acteurs des formations alternatives et initier ou participer à une concertation permanente entre les groupes.

Cela suppose donc comme préalable que le gouvernement reconnaisse comme partenaires décisionnels les organismes déjà existants sur lesquels il s'appuie de fait dans ses projets, telle la Fédération des centres d'action bénévole du Québec. Cela suppose aussi qu'il leur donne les moyens financiers d'assumer ces nouvelles charges et qu'il mette en place les systèmes de subventions et de contrôle financier nécessaires.

La Fédération des centres d'action bénévole du Québec attire l'attention du gouvernement sur ces préalables nécessaires à tout partenariat dans le domaine et le met en garde vis-à-vis de toute politique de coupure budgétaire et de décharge de responsabilité qui pourrait s'avancer masquée derrière le discours positif de la réinsertion sociale des malades.

Les membres de la Fédération des centres d'action bénévole du Québec qui sont les centres de bénévolat ont comme mission d'être le carrefour de l'action bénévole et de l'entraide communautaire sur son territoire. Ils ont comme orientation de favoriser par l'action bénévole la prise en charge des individus, des groupes et de la communauté par eux-mêmes. Les objectifs des centres d'action bénévole sont de promouvoir l'action bénévole dans les différents champs de l'activité humaine et de susciter une réponse aux besoins du milieu par l'action bénévole. Cela veut dire qu'on vise à favoriser la mise en place de services individuels et collectifs par l'intermédiaire des bénévoles dans différents champs d'activité, tels que santé et bien-être, justice, éducation, etc., mais ce qui nous préoccupe aujourd'hui, ce sont surtout les services de santé.

Je peux vous parler des services qui sont présentement offerts à la clientèle dont on parle aujourd'hui. Les centres de bénévolat ont aujourd'hui des services structurés pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Je vais vous en énumérer quelques-uns. Il y a le parrainage civique, l'accompagnement, le service d'aide téléphonique des centres de jour bénévoles. Il y a aussi des services qu'on offre aux familles qui sont les services de gardiennage.

Il y a aussi tous les liens que les centres d'action bénévole développent avec les organismes qui s'occupent des personnes atteintes de troubles mentaux. Les services qu'on peut offrir par les liens que nous avons tissés avec ces organismes sont des services de support technique et aussi de référence de bénévoles.

Il y a aussi tout le volet des bénévoles qui forment les centres d'action bénévole du Québec. Qui sont-ils, ces bénévoles? La plupart des gens qui viennent offrir leurs services bénévoles dans nos bureaux y viennent spontanément. Mais il y en a aussi qui nous sont dirigés par des médecins ou des travailleurs sociaux. Parmi ces gens qui nous sont référés par les médecins et les travailleurs sociaux, il y a des personnes qui sont atteintes de troubles mentaux. Alors, le pas qu'ils font en venant s'offrir comme bénévoles est déjà un premier pas vers la réinsertion sociale. Mais nous n'avons aucun encadrement, aucun suivi prévu pour ces personnes. Elles sont bénévoles au même titre que les autres. Si on parle de désinsti-tutionnalisation massive, je me demande de quelle façon notre milieu pourra réagir à cela. Est-ce qu'on aura l'infrastructure nécessaire pour accueillir et soutenir ces individus qui seront désinstitutionnalisés?

Les centres d'action bénévole étant autonomes, chacun voit à assumer ses moyens de financement. Si on devait offrir des services supplémentaires, si on devait mettre en place d'autres services quand les gens atteints de troubles mentaux viendront s'offrir comme bénévoles, avec le peu de budgets, les budgets restreints que les organismes ont présentement, on se demande si on va être capables de mettre en place de nouveaux encadrements.

Il s'agirait peut-être de penser, si vous devez continuer dans cette action, à débloquer des budgets supplémentaires pour aider les organismes bénévoles pour qu'ils puissent mettre en place ou mettre en route des services appropriés issus des demandes et des initiatives du milieu et aussi pour faire toute la sensibilisation qui devrait être faite auprès des gens pour les inciter à s'impliquer socialement.

Il y a aussi tous ces bénévoles qui ne sont pas des spécialistes auxquels il faudra donner une formation et qui auront besoin d'un encadrement. Je pense qu'en fin de compte ces initiatives bénévoles, issues de la spontanéité, apporteront un renouveau axé non sur la thérapie, mais sur l'entraide. En fin de compte, je pense que tout le monde sera gagnant.

Est-ce que tu veux ajouter quelque chose, Carmel?

Mme Desrosiers (Carmel): Oui. Je voudrais, d'abord, souligner l'excellence de l'exposé de la Corporation des psychologues, tout à l'heure, qui campait très bien le problème, à mon avis. Comme supplément, je veux souligner que l'action bénévole, grâce au travail qui est fait non seulement par la Fédération des centres d'action bénévole mais par d'autres groupes qui sont dans le milieu, a déjà contribué à la désinstitution-nalisation d'une façon spontanée, a déjà aidé les gens qui ont été retournés dans leur milieu.

Dans l'esprit qui fonde le besoin de la désinstitutionnalisation et de la démédicalisation, il y a cette connaissance du profil de

l'institution qu'on juge comme étant non satisfaisante à beaucoup d'égards. D'autre part, il faut tenir compte de la dimension sociologique, à savoir que le milieu est très mouvant; la mouvance des valeurs, la transformation de la famille ont fait que d'une certaine façon ce n'est pas seulement l'institution qui est remise en cause, mais toute notre société. Il faut tenir compte aussi des besoins des malades, des besoins des familles et des problèmes que rencontrent les familles. Au niveau de l'action bénévole, on axe les services sur les failles du système, sur les failles au niveau de l'approche par rapport aux malades, mais aussi sur l'approche par rapport non seulement à la solitude des individus et des malades mentaux, mais à la solitude des familles qui se retrouvent avec des problèmes énormes.

Pour revenir à ce que M. Laplante donnait tout à l'heure comme réponse à quelqu'un qui venait le rencontrer, vous avez agi, en fait, comme un aidant naturel, tel que le vivent aussi les gens dans les centres d'action bénévole qui sont là comme écoutants et qui sont là comme aidants naturels d'une façon peut-être non structurée, d'une façon qui n'est pas inscrite dans un cadre rigide, mais qui répond aux besoins du milieu de façon naturelle et de façon spontanée.

Donc, ces ressources qui sont apportées, ces ressources humaines, sont bonnes aussi parce qu'on apporte une alternance dans les soins et c'est une énergie nouvelle qui est assurée. On sait, dans les institutions, que très souvent la difficulté est apportée par l'épuisement que ressentent les équipes. Du fait de l'alternance des ressources, on a un ressourcement et c'est excellent. On voit qu'il y a une action qui se développe dans une responsabilisation sociale.

Ce qu'on veut souligner aussi au niveau de la fédération, c'est qu'on ouvre la porte à une certaine forme d'implication, mais on demande une collaboration avec les équipes parce qu'on n'est pas d'accord qu'on peut apporter toutes les réponses. Pas plus que les autres groupes on n'a des réponses définitives. Dans tous les pays, on cherche des réponses, on ne les a pas trouvées. C'est une des façons d'aborder le problème, à savoir que la communauté prenne ses responsabilités en collaboration avec des professionnels. C'est donc ce que je voulais souligner et aussi que les petites équipes des groupes bénévoles prennent en charge des petits groupes qui sont différents et amènent cette humanisation des soins.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie pour votre mémoire et votre présence devant la commission. Je pense que le rôle qui est de plus en plus dévolu aux aidants naturels ou aux organismes bénévoles va grandissant.

Je voudrais, avant de faire d'autres commentaires, vous rassurer sur les intentions de la commission quant à l'utilisation des bénévoles comme moyen de récupération des professionnels ou main-d'oeuvre à bon marché. Je dois vous dire que - je ne veux pas sonder les reins et le coeur du ministère - nous fonctionnons, comme commission, à l'extérieur du ministère dans l'examen de cette question-là.

Notre attention a été retenue par les gens, justement, qui ont des troubles mentaux. On aurait pu l'étendre aussi à tous les groupes d'itinérants: les alcooliques, les femmes battues, les prostituées, etc. On a retenu ce groupe-là auquel se sont adjointes, finalement, les personnes atteintes de déficience mentale, parce qu'à maints égards elles ont un problème de réinsertion sociale. Elles ont connu un peu les mêmes cheminements institutionnels, etc.

Nous, en tout cas, dans nos intentions, on n'a pas ce type de dessein caché. Je pense que cela a été signalé tout à l'heure lors de la présentation qui vous a précédés: il y a dans la communauté des personnes qui sont des bénévoles qui, parce qu'elles fonctionnent d'une façon différente, parce qu'elles sont un peu plus imperméables à toute l'approche professionnelle, comme vous l'avez mentionné vous-même vis-à-vis de certains cas de psychiatrisés, je pense, ont une réponse - je pense que c'est ce que mon collègue de Bourassa essayait de traduire tout à l'heure - qui correspond à des besoins particuliers. L'approche peut être plus directive, par exemple. Cela dépend aussi du type d'identification que le psychiatrisé fait avec une personne qu'il identifie comme étant son père, étant sa mère, enfin, ou pouvant lui servir de figure parentale. Il y a toutes sortes... Puisque vous êtes psychothérapeute, vous connaissez tous ces phénomènes de transfert qui peuvent jouer, qui font que cela peut être beaucoup plus efficace qu'une longue relation thérapeutique professionnelle.

Pour nous, c'est vrai qu'évidemment, tout ceci coïncidant avec la crise économique, les coupures budgétaires, il est facile de faire le lien de cause à effet entre les deux, mais je pense que la renaissance ou la naissance, dans certains cas, des organismes bénévoles remonte bien avant la crise économique et, Dieu merci, même avant les coupures budgétaires. Je pense, enfin, que c'est un sentiment de solidarité humaine qui s'exprime à travers les mouvements des organismes bénévoles. Je pense que cela demeure une assise importante dans notre société.

Mais pour revenir d'une façon plus concrète à votre mémoire, une fois cette mise au point faite, j'aimerais que vous me disiez quels sont les problèmes, comme

bénévoles, que vous rencontrez à servir cette partie de la population dont nous discutons aujourd'hui. Est-ce qu'il y a des problèmes de nature particulière qui vous rendent la tâche plus difficile? (17 h 45)

Mme Rondeau (Pierrette): Comme bénévole ou comme professionnelle travaillant avec des bénévoles, je pense que les problèmes les plus difficiles qu'on puisse rencontrer, c'est souvent l'inexpérience face à cette clientèle. On parlait tantôt de l'inconnu, l'inconnu étant souvent source de peur. On réalise que trop souvent les gens, la population, les citoyens veulent faire quelque chose pour cette clientèle, mais ne savent pas comment s'y prendre ou ont peur de cet inconnu qui leur semble astronomique. Alors, on se dit qu'une formation élémentaire... Il ne s'agit pas de faire des aidants naturels des professionnels, mais de leur donner l'information suffisante pour alimenter leurs gestes, aider leurs actions. C'est un moyen, un petit moyen susceptible de favoriser l'engagement des citoyens. Je me promène au Québec, à l'intérieur de mon travail, et je réalise que les gens sont préoccupés par la santé mentale, chacun ne se sentant absolument pas à l'abri de cette maladie, si on me permet de l'appeler ainsi, de sorte que les gens sont prêts à s'engager bénévolement ou à faire quelque chose pour un parent, pour un voisin ou quelqu'un de plus anonyme. La difficulté est toujours reliée au manque d'information que ceux-ci ont face à la maladie. Donc, par le biais de la formation, de cours ou de techniques d'entrevue, on peut réaliser que ces instruments vont favoriser l'engagement des gens.

On a parlé tout au cours de la journée des difficultés qu'éprouve la population à accueillir cette clientèle, mais nous, à la fédération, on considère que c'est beaucoup relié au manque d'information et de connaissances. C'est un premier élément qui fait que les difficultés peuvent être grandes à ce sujet.

Les difficultés qu'on peut rencontrer, c'est toujours en termes d'information. L'étendue de la problématique de la santé mentale a tellement d'aspects différents. Tantôt, on faisait mention des différents services qui existent. On parlait de Suicide-Action à Montréal, il y a l'équivalent a Québec; il y a les centres d'écoute, les face-à-face téléphoniques, les parrainages civiques qui se font aussi d'individu à individu. Tous ces services partent d'une bonne volonté de relations interpersonnelles mais demandent, selon la problématique rencontrée, des approches un peu différentes. L'intervention auprès des suicidaires est tout à fait différente de celle, je pense, entre autres, auprès de jeunes déficients mentaux. Alors, je pense que cette éducation est à faire et on sent que les travailleurs bénévoles veulent en connaître plus. Ils sont très soucieux d'en connaître plus sur la santé mentale, mais n'ont pas nécessairement la collaboration des professionnels. Tantôt, on parlait des champs d'intervention qui étaient des chasses gardées de chacun des organismes. On le vit énormément sur le terrain. Je ne culpabiliserai pas un côté ou l'autre; ce sont peut-être les bénévoles dans certains cas, ce sont peut-être les professionnels dans d'autres, mais, une chose est certaine, c'est difficile pour ces deux entités de se rencontrer et de se parler. Il y a des méfiances de part et d'autre. Cette difficulté est aussi un grand obstacle pour les travailleurs bénévoles. Donc, manque d'information et difficulté d'échange et de partage entre les différents intervenants au point de vue de la santé mentale.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): La prise de conscience, je pense qu'elle a été faite de la part de la Corporation professionnelle des psychologues, si on veut prendre un groupe professionnel. Vous faites la même observation du côté des bénévoles. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a là un début de rapprochement, peut-être? Une fois qu'on admet cela, de part et d'autre -peu importe qui est le coupable, je pense qu'on ne veut pas chercher de coupable; dans le fond, c'est plutôt de l'insécurité que de la culpabilité - est-ce qu'il n'y a pas un espoir que, finalement, des efforts de concertation soient faits, qu'un modus vivendi soit trouvé ou que des tables soient formées pour discuter de part et d'autre de ce problème qui, en fin de compte, pénalise ceux qu'on veut aider?

Mme Rondeau: Je pense que c'est effectivement un premier pas qui peut nous permettre beaucoup d'espoirs. Par ailleurs, je crois aussi qu'il est important de mettre des structures, des mécanismes favorisant cet échange, ce partage. Il y a des expériences, par exemple, dans le cadre du maintien à domicile qui s'adresse plus spécifiquement aux personnes âgées, qui sont vécues dans les centres de bénévolat où on réalise que des professionnels de la santé, en concertation avec des groupes bénévoles, peuvent en arriver à étudier des problématiques reliées à des individus et à apporter des solutions collectives qui visent le mieux-être de l'individu. Ces expériences se développent de plus en plus dans le cadre du maintien à domicile. Il me semble que ce serait peut-être possible de faire les mêmes tables de concertation, d'échange et de recherche de solutions concernant la santé mentale. Je pense qu'il s'agirait peut-être de favoriser, par contre, ces occasions de rencontre. L'intention étant déjà amorcée, je pense qu'il y a des espoirs sur lesquels on peut compter.

Mme Desrosiers: Mme Lavoie-Roux, pour répondre à votre question, il y a un autre aspect que j'aimerais souligner. Il arrive aussi que dans certains centres on ait des demandes de bénévoles qui ont des difficultés d'adaptation. Le problème rencontré par les centres d'action bénévole est de ne pas déséquilibrer les équipes de bénévoles par trop de cas-problèmes. Pourtant, si on avait un peu de soutien pour l'encadrement de ces personnes, il y aurait peut-être lieu d'en intégrer davantage. On ne peut pas prendre que des cas-problèmes dans les équipes bénévoles, sinon, l'action est faussée d'une certaine façon. C'est un des problèmes qui arrivent dans certains centres; il faudrait peut-être qu'on se penche sur ce problème.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vais donner la parole à mes collègues immédiatement après parce que je vais me faire gronder, et avec raison. Est-ce que c'est un problème qui se retrouve uniquement lorsque vous faites du travail bénévole auprès de ce groupe de personnes?

Mme Desrosiers: C'est auprès de la communauté en générai.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Auprès de la communauté en général, vous retrouvez ce type de problème.

Mme Desrosiers: Oui. Les gens cherchent un lieu d'action, mais un lieu d'écoute, un lieu d'échange. Ils ont besoin d'être utiles. Il y a beaucoup de choses qui entrent en ligne de compte; les objectifs, les motifs de chacun sont multiples. Il reste quand même qu'on a des offres de services de gens qui ont de multiples problèmes, qui veulent sortir de leur isolement. Pour d'autres, c'est après avoir été atteints d'une maladie ou d'une autre. Ce n'est pas uniquement lié aux gens qui sortent des institutions. Êtes-vous d'accord?

Une voix: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: Tout à l'heure, vous parliez de certains services offerts par la fédération, par les organismes bénévoles. Vous avez parlé du service de gardiennage. Cela m'intéresse beaucoup. On disait qu'il était difficile de sortir certains handicapés, entre autres les handicapés intellectuels, de leur milieu familial. Comment organisez-vous cela? Allez-vous offrir vos services à domicile ou si vous les amenez dans un centre quelconque? Comment cela s'organise-t-il?

Mme Catellier: Quand j'ai parlé du service de soutien aux familles qu'est le gardiennage, c'est pour permettre aux gens qui s'occupent de personnes atteintes de troubles mentaux à domicile, c'est pour leur donner la chance, à eux, de sortir, d'aller prendre l'air et d'aller respirer ailleurs. Un bénévole se rend à la maison pour garder la personne atteinte de troubles mentaux pendant que ses gardiens habituels prennent quelques heures de liberté. C'est de cette façon-là qu'on procède.

Mme Lachapelle: Ah bon, merci. Je me demandais si elles étaient gardées à la résidence même, dans le milieu familial.

Mme Catellien Elles sont gardées à la résidence, oui.

Mme Lachapelle: Ah bon, merci.

Mme Rondeau: II est important de se rappeler que le service bénévole est un service d'appoint; c'est un service de qualité de vie. Le souci des travailleurs bénévoles est souvent d'apporter un réconfort ou un peu d'espace aux familles, entre autres, qui ont des enfants ou des adultes ayant ces difficultés-là ou ces handicaps.

Il est bien évident que - vous demandez comment on procédait et on vous a répondu - il y a aussi tout l'aspect du recrutement des travailleurs bénévoles. Cet aspect n'est pas nécessairement simple. Le service va se faire à partir des besoins du milieu, bien sûr, mais aussi des disponibilités des travailleurs bénévoles à offrir ce service-là. C'est vraiment un service d'appoint et un service de qualité de vie qui se fait et qui est assez répandu dans tout le Québec.

Mme Lachapelle: La personne doit posséder certaines qualités, j'imagine, pour remplir un service de gardiennage chez un handicapé intellectuel, mais qui a souvent aussi des handicaps physiques. Cela demande, d'après moi, quelqu'un de compétent. Avez-vous une période de formation pour ces bénévoles-là?

Mme Rondeau: C'est la spécificité des centres d'action bénévole. Chez nous, dans les centres de bénévolat ou d'action bénévole, entre autres ceux affiliés à la fédération, nous insistons beaucoup sur la formation des travailleurs bénévoles. Comme je le disais tantôt, il ne s'agit pas d'en faire des intervenants professionnels, mais de fournir aux travailleurs bénévoles les instruments, les outils susceptibles de les amener à avoir une intervention la plus pertinente possible.

Dans les cas de gardiennage, comme celui dont on parle actuellement, on va donner une formation minimale ou de

l'information. Je préfère l'appeler de l'information parce que c'est souvent quelques heures qui sont données aux travailleurs bénévoles intéressés à intervenir dans ce champ pour les habiliter à ne pas avoir peur, par exemple, dans les cas d'intervention auprès de personnes handicapées mentalement ou à savoir comment déplacer une personne handicapée physiquement. Alors, c'est de l'information de ce genre qui est donnée en termes de support aux travailleurs bénévoles.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: En premier lieu, je voudrais, par la voix de votre fédération, remercier tous ces bénévoles. Je sais que cela ne se compte pas en argent, parce que cela serait très difficile à évaluer, mais cela se calcule au point de vue du bien-être social que cela peut apporter à cette société de malades.

Maintenant, vous ne dites pas combien de cas vous avez pu avoir dans une année, combien vous en avez actuellement. Est-ce que vous êtes saturé actuellement? Est-ce que les médecins, les professionnels hésitent à vous envoyer des cas? Vous parlez très peu ou vous ne parlez pas de ces problèmes que vous envisagez. Pouvez-vous me répondre à ces trois courtes questions?

Mme Rondeau: Oui. Vous avez une question tout à fait pertinente, qui nous revient toujours aux groupes bénévoles dans le sens qu'on nous demande des statistiques. Mais on n'a pas les moyens de monter des statistiques. On voudrait bien vous les fournir, mais nous n'avons pas les ressources pour le faire. À la fédération, nous sommes trois permanents: trois permanents qui couvrent le Québec au complet, qui essaient de donner beaucoup de services. Enfin, la cour des miracles, on connaît assez bien cela. Donc, on aurait de la difficulté à vous donner des chiffres.

Par contre, je peux vous dire qu'au Québec, dans nos centres de bénévolat, il y en a actuellement 56 affiliés. Dans la grande majorité - peut-être que je pourrais avancer un chiffre de 50 sur 56 - on intervient au niveau de la clientèle - je ne sais plus comment l'appeler - de personnes handicapées mentales, d'une façon ou d'une autre, ou par du gardiennage ou par de la prévention, ou par des visites en institution, ou par des visites en centre d'accueil. Enfin, il y a différents genres de services qui se donnent, mais dans les 50 centres on peut dire qu'on touche cette clientèle.

Cela me serait très difficile d'avancer d'autres chiffres concernant nos services et la quantité de services rendus. On parle beaucoup plus du genre d'intervention ou de la qualité de l'intervention que de quantité chez nous. Les bénévoles en général répugnent à quantifier le nombre d'heures qu'ils vont faire dans une visite d'amitié, par exemple. Dans le cadre du parrainage civique, c'est très difficile aux travailleurs bénévoles de quantifier le nombre d'heures qu'ils vont donner. Ils le font parce qu'ils ont le goût de le faire, parce que cela leur plaît, mais ils nous amèneront très rarement des chiffres. Alors, pour nous, l'ensemble des groupes bénévoles, ce sont des demandes qui nous arrivent constamment, autant de la part d'organismes gouvernementaux que de bailleurs de fonds, mais ce sont des choses auxquelles on a beaucoup de difficulté à répondre.

Mme Desrosiers: II y a une chose qu'il faudrait ajouter et qui nous manque, c'est que, parfois, au niveau de l'action qu'on pose, concernant les budgets de recherche, on est vraiment sous-équipés. C'est une chose qu'on souhaiterait parfois obtenir qui nous permettrait d'aller plus loin. Mais, comme le souligne Mme Rondeau, en ce qui concerne les heures, cela ne fait pas partie de l'esprit de l'action bénévole de compter ces heures comme si on était des fonctionnaires. Les gens ne sont pas des fonctionnaires d'action bénévole, heureusement! D'autre part, on réalise bien qu'il faut avoir une certaine part d'appoint des professionnels pour nous aider à poursuivre.

M. Laplante: S'il y avait élargissement de ces malades, s'il y en avait moins dans les institutions, est-ce que votre groupe est saturé de bénévoles ou s'il est prêt à prendre ce surplus?

Mme Rondeau: Je pense qu'il y a des initiatives intéressantes qui se sont prises en région pour accueillir des ex-psychiatrisés. Par exemple, à Rimouski, on a monté un groupe bénévole qu'on pourrait appeler un centre de jour. Ce sont des travailleurs bénévoles qui ont organisé cette ressource avec l'aide du centre pour aider les ex-psychiatrisés à s'occuper. C'est de l'occupationnel pur et simple, mais je pense que cela rend quand même énormément service. Les groupes vont créer des ressources en fonction du temps disponible et, très souvent, en fonction de l'urgence dans le milieu.

Compte tenu du fait que les centres de bénévolat ont plusieurs champs d'intervention, la santé mentale n'est pas notre champ prioritaire et unique, de sorte que, dans les centres de bénévolat, selon les besoins de la population, on va développer des services répondant à ces besoins. Des travailleurs bénévoles, il y en a - je l'ai dit tout à l'heure - qui sont prêts à intervenir dans ce champ d'intervention avec un minimum d'aide

et de soutien. La fédération est prête à outiller dans la mesure du possible, à apporter le soutien et l'aide aux organismes du milieu qui sont prêts à développer ce type de services, mais il est évident qu'avec les ressources actuelles nos réponses sont aussi limitées. C'est incontestable.

Vous demandiez tout à l'heure, lors de l'énoncé de votre question, si les médecins ou les psychiatres nous faisaient confiance et nous envoyaient des gens. Cela n'est pas le problème, on en a plus qu'il n'en faut, Cela semble même être une ressource qu'ils apprécient beaucoup. Il y a des centres qui, à un moment donné, ont dû intervenir en disant: Trop, c'est trop. On n'est plus capable d'en prendre parce que c'était presque la thérapie idéale: Allez faire du bénévolat, cela va vous aider à vous réinsérer socialement! C'était, dans certains milieux, ce qu'on entendait beaucoup. Je pense que, sans encadrement plus que ce qui existe actuellement dans les centres de bénévolat, il nous est difficile d'en donner plus. Les centres de bénévolat fonctionnent avec un ou deux permanents qui ont à gérer plusieurs dossiers dans plusieurs champs d'intervention et c'est assez difficile. Je pense que l'intérêt est là, l'intérêt des centres, l'intérêt de la fédération et l'intérêt de la population. Il s'agit, à ce moment-là, de faciliter cet intérêt.

M. Laplante: D'accord. Merci encore une fois pour ce que vous faites.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Quel serait dans vos bénévoles - ça, non plus, vous ne devez pas être capable de le donner, ça peut être juste une estimation grossière -le pourcentage, justement, des personnes éprouvant elles-mêmes certaines difficultés? C'est peut-être une question injuste à vous poser.

Mme Rondeau: C'est très difficile effectivement. Je pense que la courbe suit la densité de population. Je sais, par exemple, que sur la rive sud de Montréal, qu'on connaît bien parce que la fédération est située à Montréal, les centres d'action bénévole en périphérie de Montréal sont beaucoup sollicités par ce type d'individus, c'est-à-dire que beaucoup d'ex-psychiatrisés vont se présenter au centre pour offrir leurs services ou seront référés par des médecins. Je pense que cela suit beaucoup la courbe de la population.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ma dernière question est la suivante: Quel est -c'est peut-être un peu plus facile - le taux de persévérance et aussi la longueur, la moyenne en temps, de persévérance des bénévoles? C'est aussi un facteur important, surtout quand on travaille avec ce type de bénéficiaires. Je pense qu'un changement trop fréquent a plus d'importance qu'avec un autre type de bénéficiaires. Est-ce que vous avez une idée de ça?

Mme Rondeau: Cela dépend beaucoup du type de services offerts. Par exemple, dans les services de parrainage civique, on réalise que les gens sont intéressés à poursuivre parce qu'il y a vraiment une relation individuelle. Le bénévole peut avoir la satisfaction de voir des progrès dans la réinsertion de son aidé. Par ailleurs, dans d'autres services, je pense aux services d'aide téléphonique, c'est plus difficile. Les gens auront une rotation plus grande parce qu'on n'a pas un suivi avec un individu et les résultats ne sont pas très concrets, c'est difficilement mesurable. Donc, l'intérêt, la motivation ou la continuité des travailleurs bénévoles est très reliée à la satisfaction qu'ils retirent de leur engagement. Ceci vaut dans tous les champs d'intervention.

Les centres de bénévolat qui ont pour clientèle, si vous me permettez l'expression, les travailleurs bénévoles se soucient énormément de la motivation des travailleurs bénévoles et tentent de fournir à ceux-ci des instruments, des outils, des objets de satisfaction au niveau de leur motivation. Pour nous, c'est très important de pouvoir fournir au travailleur bénévole un lieu, un service ou des éléments facilitant son engagement et poussant du fait même sa motivation et sa persévérance.

J'ai des groupes qui me disent pouvoir conserver leurs bénévoles pendant deux, trois ans. C'est quand même assez rare. Mais, dépendant des motivations des travailleurs bénévoles, on va avoir une continuité plus ou moins grande. Mais cela se situe facilement entre un an, un an et demi en général.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bon. Il n'y a pas d'autres questions. Je vous remercie beaucoup. On tentera de poursuivre notre réflexion sur tout l'apport du bénévolat, évidemment, dans ce problème de la réinsertion sociale. Merci beaucoup.

Nous allons suspendre les travaux jusqu'à 19 h 30. Les travaux sont suspendus.

(Suspension de la séance à 18 h 6)

(Reprise à 19 h 40)

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): La sous-commission des affaires sociales poursuit ses travaux. Le premier groupe que nous entendrons ce soir, ce sont les représentants du Centre hospitalier Douglas. Je vous inviterais - ils sont, d'ailleurs, déjà rendus -à vous présenter, ainsi que vos collègues, Dr Harnois.

Centre hospitalier Douglas

M. Harnois (Gaston): Merci, Mme la Présidente. Je suis le Dr Harnois, psychiatre et directeur général du Centre hospitalier Douglas, à Montréal. J'occupe ces fonctions de D. G. depuis 1971. À ma droite, Mme Yvette Ouellet, travailleuse sociale, responsable du secteur du service social pour le programme de santé communautaire à notre centre hospitalier. Â ma gauche, le Dr Bernard Jean, psychiatre, qui pratique aussi au programme de psychiatrie communautaire chez nous et qui est président du conseil des médecins du Centre hospitalier Douglas.

Vous avez reçu, Mme la Présidente, copie de notre mémoire. Donc, on me dit qu'il n'est pas nécessaire de vous le résumer. J'ai quand même cru bon, pour faciliter la discussion, de situer un peu, pour les membres de la commission, le Centre hospitalier Douglas puisqu'il me semble peut-être un peu moins connu que certains de nos hôpitaux frères. C'est un hôpital psychiatrique fondé en 1861. C'est un hôpital enseignant affilié à l'Université McGill et on y retrouve un triple mandat, L'hôpital a, dans un premier temps, une responsabilité dite de secteur pour un secteur de l'île de Montréal qui se dénomme secteur A, qui comprend les villes de Verdun, LaSalIe, Ville-Émard, Pointe-Saint-Charles. Est-ce que j'en oublie?

Une voix: Côte-Saint-Paul.

M. Harnois: Côte-Saint-Paul, justement. Un secteur d'environ 190 000 habitants, pour lequel nous avons la responsabilité d'offrir des services aussi complets que possible dans le domaine de la psychiatrie. À ce premier mandat se rajoute une responsabilité de deuxième ligne qui est articulée avec celle de six hôpitaux généraux affiliés à l'Université McGill, chacun de ces hôpitaux ayant lui-même son propre secteur de prise en charge. Donc, c'est une responsabilité de deuxième ligne vis-à-vis de ces hôpitaux généraux de l'île de Montréal.

Et, troisièmement, de façon traditionnelle, l'hôpital a eu la charge de citoyens québécois anglophones qui ne pouvaient pas recevoir ou qui ne peuvent pas recevoir de services dans leur langue, puisque celle-ci est un outil, évidemment, essentiel de communication dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale. Ceux qui demeurent au Québec et qui ne peuvent pas recevoir de services dans leur langue sont acheminés chez nous, lorsque demande nous est faite.

Pour situer encore l'envergure des services que nous offrons, en ce moment nous offrons des soins actifs à 3500 malades, dont 2800 sont dans la communauté. Donc, la problématique de la socialisation, du suivi des malades mentaux dans la communauté nous est très chère; 890 de nos malades sont à l'hôpital. Un fait intéressant aussi, 300 malades viennent tous les jours dans nos secteurs autres que ceux de la clinique externe. Ni plus ni moins, il y a 300 malades qui viennent surtout è l'hôpital, mais aussi dans des structures intermédiaires ou des ressources alternatives - on pourra en parler plus tard - rattachées à l'hôpital. Nous admettons chaque année environ 1500 malades. Nous donnons aussi congé au même nombre de malades environ, même peut-être à un petit peu plus, puisque le nombre de lits de l'hôpital, traditionnellement, a tendance à baisser. Nous avons connu, disons, un nombre de lits qui allait chercher dans les 1700 en 1960, alors qu'en ce moment nous en avons 890. La liste des ressources intermédiaires est identifiée dans le mémoire que nous vous avons soumis.

Je voudrais aussi mentionner une chose importante pour nous dans notre rôle d'hôpital psychiatrique, c'est que nous pouvons compter sur environ 300 bénévoles, lesquels déjà, depuis une quinzaine d'années, travaillent tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'hôpital pour supporter les efforts de nos équipes soignantes pour traiter des malades tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du centre.

Dans le mémoire que nous vous avons soumis, nous essayons de tracer ce qui, selon nous, pourrait représenter une certaine organisation des services de santé mentale pour permettre une meilleure réinsertion sociale, si vous voulez, un meilleur traitement des malades. Comme il est mentionné, après avoir décrit la problématique, nous mettons l'accent sur les malades mentaux lourds, les cas lourds. Ceux qui viennent chez nous ne sont certainement pas des cas légers, ce ne sont pas des gens qui ne présentent que de petits problèmes; ce sont des gens que, traditionnellement, on a tendance à identifier à la psychiatrie assez lourde, du moins pour ce qui est des malades hospitalisés, un peu moins, si vous voulez, pour un bon nombre de malades qui sont suivis à l'externe.

Nous avons aussi une particularité en ce sens que nous offrons des soins à toute la gamme de la population, des enfants aux adultes. Je crois que nous sommes le seul centre hospitalier psychiatrique au Canada à le faire. Nous avons une population d'enfants, d'adolescents, d'adultes, évidemment, et de personnes âgées.

Les recommandations ou, du moins, les idées que nous avons sont décrites après avoir énoncé, évidemment, la description de nos propres services qui sont, quand même, passablement étayés, assez bien développés.

Fait intéressant aussi, parce qu'on a tellement tendance à vouloir conceptualiser les choses en blanc et en noir, l'hôpital psychiatrique, par les temps qui courent,

ayant un peu plus tendance à se retrouver dans le pôle noir que dans le pôle blanc, j'aimerais souligner à la commission qu'en tant qu'hôpital psychiatrique nous avons commencé à développer des ressources hors hôpital en 1948 en faisant un centre de jour à l'extérieur de l'hôpital et, depuis ce temps, comme vous pouvez le voir, nous avons une foule de services résidentiels que nous offrons à nos bénéficiaires.

En résumé, ce que nous avançons, c'est que la prise en charge des malades mentaux lourds demeure toujours excessivement difficile. Nous croyons qu'elle exige aujourd'hui et va continuer d'exiger toute une gamme de services et que, dans le fond, personne n'a tout à fait le monopole du savoir là-dessus, mais que cela exige un fort degré de compétence. Nous croyons qu'il y a toute une fouie de malades - et nous les décrivons dans notre mémoire - qui vont continuer à avoir besoin de services institutionnels, de services hospitaliers. Nous espérons que leur nombre ira en diminuant. Il y a une foule d'autres malades qui, eux, pourront et devront continuer à cheminer dans la communauté avec, quand même, un respect pour un certain nombre de principes qui ressortent aussi de la description que nous faisons dans notre mémoire.

Dans un deuxième temps, après avoir souligné l'importance que devront, selon nous, continuer à avoir les services institutionnels, nous faisons une large description de ce qu'on appelle aujourd'hui des structures intermédiaires, c'est-à-dire des ressources communautaires qui dépendent de près ou de loin des services institutionnels. Comme je vous le mentionnais tout à l'heure, nous avons une forte expérience là-dedans.

On a, à la page 10 du mémoire, la liste des services résidentiels dont on fait mention: pavillons, familles d'accueil, maisons de transition, foyers de groupe, appartements supervisés et "hostels", on n'a pas de mot français facile pour celui-là. II y a de ces ressources qui sont meilleures que d'autres, selon nous, et le danger qu'il faut toujours éviter, évidemment, puisque, jusqu'à un certain point, le but de sortir ces malades de l'hôpital est d'éviter l'institutionnalisation, c'est de recréer l'institutionnalisation dans une ressource intermédiaire ou dans une ressource alternative. C'est plus facile à dire qu'à faire. Ni plus ni moins, ce n'est pas facile à éviter. Il faudrait que la commission se penche longuement là-dessus.

À la page 11, à 2. 2, nous avons toute une liste de services de support. Je pense qu'il faut beaucoup insister sur la notion de la prise en charge. C'est un mot dont bon nombre de collègues me disent qu'on ne devrait pas se servir, parce que c'est trop possessif, comme s'il y avait une connotation de trop grande dépendance. Cependant, je continue à dire que bon nombre de grands malades mentaux ont exactement besoin d'une prise en charge, qu'on les aide à cheminer dans la communauté. C'est, à mon sens, absolument impensable de les laisser faire seuls le genre de cheminement qu'ils devraient faire. On fait donc la liste, à 2. 2, des genres de services de support que tout bon service de psychiatrie et probablement tout bon service de santé mentale devrait offrir à sa population: cliniques externes, centres de jour, hôpitaux de jour, milieux de soir et de fin de semaine, centres de travail adapté, centres de réadaptation par l'art, associations de proches (parents, conjoints et amis du malade), regroupements de patients, scolarisation et éducation aux adultes.

Je mentionne simplement ce dernier point parce qu'on a tendance à l'ignorer et qu'il pose ce problème encore. On a, dans le milieu psychiatrique, une foule d'individus adultes et, lorsqu'on les évalue d'un peu plus près, on se rend compte qu'une des choses qu'ils n'ont pas, c'est la capacité de lire et d'écrire. Cela pose un problème vis-à-vis de la couverture de ce genre de services, parce que, dès que les individus ont dépassé l'âge de 21 ou de 22 ans, ce n'est pas facile à faire même en milieu institutionnel. Alors, bon nombre de malades devraient peut-être bénéficier de ce genre de service lorsqu'ils séjournent en milieu institutionnel. On a déjà mis sur pied une école pour les enfants. On a mis sur pied des services pour la population adulte et ce n'est pas du tout facile d'obtenir le financement par le ministère de l'Éducation qui a un peu tendance à tout schématiser en termes d'âge et qui n'accepte pas facilement les dépassements d'âge, même si la clientèle que l'on a a tout à fait besoin de tels services. C'est donc un problème que je souligne en passant.

En page 12, nous faisons mention des "case managers", des gérants de problèmes. C'est un concept qui n'est pas tout à fait nouveau. mais qui vise précisément à faciliter une prise en charge ou un suivi de beaucoup amélioré dans la communauté. Des "case managers", cela peut être un nombre d'individus différents, des gens qui doivent avoir la compétence pour faire ce travail et qui agissent un peu comme une plaque tournante pour essayer de répondre dans la mesure du possible à la majorité des besoins que les gens peuvent rencontrer et qu'ils n'ont peut-être pas la capacité de satisfaire eux-mêmes.

Il y a plusieurs exemples. On en a quelques-uns au Québec. Cela existe un peu plus en Angleterre. J'ai eu l'occasion, par exemple, aussi de voir cela à l'oeuvre en Israël où cela donne des résultats assez surprenants, parce qu'une des choses que nos grands malades mentaux font assez mal, c'est lorsqu'ils ont à faire du "shopping" d'une instance à l'autre. Je pense qu'au

Québec on n'est pas le meilleur exemple, en ce sens qu'il y a une multiplicité de ressources et souvent les malades se débrouillent assez mal à l'intérieur de ces ressources et ne sont pas tout à fait certains de la porte à laquelle il faut aller frapper. Lorsqu'il y a un "case manager" dans la communauté, c'est le genre de personne qui peut faciliter beaucoup l'orientation du malade ou de la personne è problèmes, si on ne veut pas l'appeler "malade", lorsqu'on essaie de faire la réinsertion sociale.

On mentionne, troisièmement, les ressources alternatives. Je pense que demain on aura l'occasion d'en parler un peu plus longuement au Comité de la santé mentale. Il s'agit de ressources, évidemment, qui germent de la communauté de la part soit d'ex-malades ou d'individus concernés de la communauté et qui veulent, dans une certaine mesure, faire un peu compétition aux structures du réseau. Je pense qu'il faut en faciliter la création et aussi le maintien. Selon nous, ces ressources continuent à jouer un rôle important dans le maintien de ces malades dans la communauté.

En terminant, Mme la Présidente, j'aimerais simplement mentionner quelques grands principes qui, selon nous, doivent s'appliquer dans le suivi des malades chroniques et je continue encore à les appeler malades à dessein parce que c'est de ceux-là que nous parlons à l'hôpital. Donc, pour ces malades, il y a un certain nombre de choses dont on doit absolument se souvenir.

Dans un premier temps vient la question de la continuité des soins. Je viens de faire allusion à la fragmentation des services et je pense que nos malades, nos grands schizophrènes, nos grands psychotiques et même ceux qui ne le sont pas se démêlent très mal lorsque la fragmentation est trop grande. Par exemple, on pourrait se poser la question aujourd'hui: Où est la première ligne? Est-ce que, avec les cas lourds, la première ligne, c'est le CLSC?Est-ce que la première ligne, c'est i'omnipraticien qui est en cabinet? Est-ce que la première ligne, c'est la clinique externe d'un hôpital psychiatrique? Est-ce que c'est un cabinet de psychologue? Est-ce que c'est autre chose? Je pense qu'à un moment donné il faudrait un peu tirer cela au clair: qui a la responsabilité de faire quoi dans notre système. Ce n'est pas tout à fait clair.

Le deuxième point que j'aimerais souligner, c'est l'hétérogénéité des malades eux-mêmes. Je pense que c'est tout à fait errer que de croire qu'on peut parler des malades chroniques. Je pense qu'il s'agit d'individus qui ont toutes sortes de problèmes, toutes sortes de diagnostics même. Je pense que ces malades requièrent des programmes individuels, des programmes qui doivent, si vous voulez, être faits un peu sur mesure pour eux. Donc, cela va être des programmes diversifiés. Je pense que ce serait encore errer que de penser qu'on peut tout faire pour une catégorie de malades et faire cela facilement.

Troisièmement, l'autre chose, soit l'insuffisance des ressources, je pense, oblige très souvent les malades à se battre constamment pour essayer de trouver ce qu'il leur faut dans la communauté.

Quatrièmement, une chose qui continue toujours à nous impressionner, c'est que le malade mental lourd continue de déranger et je crois que la société n'a pas encore appris à s'y ajuster. On a des problèmes énormes lorsqu'on vient pour sortir nos grands malades de l'hôpital. On connaît les cas très bien rapportés par la presse, dans les journaux tout dernièrement. Nous venons de vivre un épisode difficile à l'hôpital, où on voulait simplement relocaliser des services éducatifs dans une école et la réaction de la population a été très très forte contre ce projet. Il a même été question de voter Sà-dessus. Est-ce qu'on peut voter ou est-ce qu'on ne peut pas voter? L'idée était tout simplement non pas de voter mais d'informer la population.

Cinquièmement, je pense qu'encore trop souvent les plus démunis même parmi les malades mentaux sont laissés pour compte. C'est un genre de plaidoyer que je fais pour qu'il y ait encore cette coordination des ressources. Je pense qu'on a un réseau qui, somme toute, n'est pas mauvais du tout. Il y a toutes sortes de ressources, il y a toutes sortes de choses disponibles, mais, pour ce qui est du malade mental qui n'a pas souvent la capacité nécessaire de faire le genre de choix que les individus qui ne sont pas malades mentaux peuvent avoir, je pense qu'il se trouve face à un très fort handicap lorsqu'il s'agit de savoir où il va, à quelle porte il s'adresse. Si on parle de l'île de Montréal, on peut tamiser l'île et voir que, quand même, il y a passablement de ressources, mais souvent chacun fait son petit bonhomme de chemin, chacun travaille isolément de l'autre. La coordination des ressources en ce qui a trait au malade mental est assez mal faite, selon moi.

Sixièmement, je pense que les malades chroniques genre dont nous nous occupons à l'hôpital Douglas - et je m'arrête après cela - peuvent, pour un bon nombre, bénéficier de réinsertion sociale, de réadaptation. Selon nous, la réinsertion sociale et la réadaptation, cela exige de l'expertise, cela ne peut pas être fait par n'importe qui. Nous nous servons de nos équipes multidisciplinaires pour essayer de faciliter cela, mais les équipes ne sont pas assez nombreuses ou, plutôt, elles sont peut-être suffisantes en nombre, mais le personnel dont elles disposent, qui était adéquat en 1972

lorsqu'on les a mises sur pied, n'est absolument plus adéquat, de sorte que la majorité de nos dix équipes de secteurs - je veux souligner aux membres de la commission que les dix équipes sont dans la communauté, elles ne sont pas à l'hôpital, donc tous les malades externes sont vus à l'extérieur, à Verdun et à LaSalle - ont des listes d'attente pour suivi et même pour observation. En ce qui concerne l'équipe du Dr Jean - il pourra vous le dire - il y a peut-être une cinquante ou une soixantaine de malades qui attendent d'êtres vus. Il n'y a tout simplement pas le personnel suffisant, dans cette équipe, pour assurer le suivi des nouveaux malades et de ceux qui sont déjà inscrits chez nous.

J'ai deux derniers commentaires à faire. Je vais arrêter de dire que je m'arrête et je vais m'arrêter. Simplement un mot de l'hôpital psychiatrique que nous sommes. Vous savez que, encore aujourd'hui, les budgets des hôpitaux psychiatriques sont largement fonction de la grosseur de l'hôpital et du nombre de journées d'hospitalisation. Nous comprenons très bien le message qui voudrait que, dans la mesure du possible, on déplace l'axe de l'intervention vers la communauté, mais le fait demeure que le budget de mon hôpital est encore fonction du nombre de lits; cela pose énormément de problèmes. (20 heures)

Deuxièmement, sur le plan du financement, la pondération des activités ambulatoires, des activités en communauté, même pour l'hôpital psychiatrique, à mon avis, n'est pas tout à fait équitable en ce sens que, si je parle seulement à mes gestionnaires qui font des colonnes de chiffres, ils vont me dire que c'est plus payant pour l'hôpital de voir ses lits remplis que de faire des activités dans la communauté. Donc, il y a un genre de contradiction dans la façon dont les budgets sont conçus, du moins pour les hôpitaux psychiatriques qui essaient d'emboîter le pas vers la désinstitutionnalisation et vers la réinsertion sociale des malades qui peuvent être réinsérés, selon nous. Il y a comme un genre de contradiction dans les termes. On nous dit: Faites ceci, mais le financement de l'hôpital va un peu en sens inverse. Il y a une légère caricature dans mes propos, mais pas tout à fait; c'est à peu près vrai, ce que je dis.

Je m'arrête là, Mme la Présidente. Peut-être devrais-je demander à Mme Ouellet ou au Dr Jean d'intervenir, à moins que vous ne vouliez leur adresser des questions. J'aimerais que les questions ne soient pas adressées qu'à moi, s'il y en a. Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Désirez-vous ajouter quelque chose tout de suite?

M. Jean (Bernard): Non, Mme la Présidente, nous allons attendre les questions.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je veux vous remercier, Dr Harnois et votre équipe, pour votre mémoire. J'ai l'impression, en le lisant, que finalement on aurait presque toutes les réponses aux questions qu'on se pose dans le sens que vous identifiez bien les ressources qui devraient exister. Il semble y avoir des problèmes à les mettre en place, mais c'est autre chose.

Je voudrais d'abord vous poser certaines questions d'ordre général et qu'on n'a pas eu l'occasion d'aborder jusqu'à maintenant. Selon vous, est-ce que l'incidence de la maladie mentale et de l'hospitalisation - peut-être pas à long terme - va en augmentant?

M. Harnois: C'est une question difficile. Je n'ai pas d'information à savoir que cela diminue. L'incidence de la maladie mentale, selon toutes les études que j'ai lues, ne semble pas diminuer. On a à notre disposition de meilleurs outils d'évaluation, de sorte qu'il se peut qu'on soit capables d'évaluer les gens de façon un peu plus serrée qu'on ne le faisait même il y a dix ans, ce qui peut nous laisser croire que l'incidence augmente. Il y a une étude américaine, qui résume à peu près quinze autres études, qui laisse suggérer - les chiffres sont tout à fait effarants, évidemment - qu'une personne sur cinq, 20 % de la population, à un moment donné de sa vie, présente des troubles que nous, psychiatres, si on les avait devant nous, on aurait tendance à diagnostiquer comme une maladie mentale.

On sait fort bien que tout ce monde-là ne se présente pas, évidemment, chez les psychiatres et chez les professionnels de la santé mentale. À peu près simplement le quart aboutissent dans les équipes de santé mentale. Les autres 75 % vont ailleurs. Donc, je pourrais même vous dire où ils vont. Ils vont chez l'omnipraticien, évidemment, qui est le plus souvent la porte d'entrée dans le système. Ils peuvent aller chez l'éducateur. Ils peuvent aller chez les gens de la justice. Ils vont même, à l'occasion, chez les politiciens.

Donc, vous avez un peu toute cette gamme d'individus qui ont des problèmes. Pour répondre plus spécifiquement à votre question, cela ne diminue certainement pas. Quelques-uns disent que cela augmente, mais je n'ai pas personnellement de données disant que cela augmente.

L'enquête Santé-Québec - je ne veux pas préjuger de la discussion de demain -nous révèle que, si on prend une optique un peu différente d'une optique de maladie et qu'on essaie de voir de quelle façon les gens sont gênés dans l'accomplissement des rôles qu'ils se sont donnés eux-mêmes, une

secrétaire, une femme à la maison, un menuisier, que sais-je - chose sur laquelle on n'avait pas de données auparavant - les gênes que l'on pourrait relier à des problèmes de santé mentale et, à l'occasion, à des problèmes de maladie mentale semblent être assez présentes dans une forte partie de la population.

Autre chose, puisque vous m'en donnez la chance, ce qui nous surprend aussi chez nos malades, c'est que l'incidence de l'alcoolisme augmente comme diagnostic secondaire. Le Dr Jean me faisait remarquer dans l'avion tout à l'heure que, dans le secteur qui est le sien, 40 % des malades ont un diagnostic principal ou secondaire d'alcoolisme. À la largeur de l'hôpital, on a l'impression que c'est de l'ordre de 15 % à 18 %. On sait aussi que les services pour alcooliques laissent beaucoup à désirer dans toute la province.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ma deuxième question est celle-ci: Le rôle de votre hôpital comparativement à celui du département de psychiatrie d'un hôpital général? Vous avez à peu près 900 personnes hospitalisées, dont un bon nombre sont des chroniques depuis assez longtemps; d'autres peuvent être, j'imagine, hospitalisées pour des périodes plus ou moins longues ou même devenir des chroniques selon l'âge, etc. Vos quelque 2000 qui sont des patients externes, est-ce que c'est une clientèle dont les problèmes sont assez similaires, finalement, à ceux de la clientèle qui se retrouve dans les départements de psychiatrie des hôpitaux généraux et qui est le résultat de la sectorisation des hôpitaux?

M. Harnois: II y a les deux. Je vois mon collègue, le Dr Aird, qui est dans l'auditoire, qui est un chef de service d'un hôpital général. Donc, il voudra certainement intervenir s'il n'est pas d'accord avec ce que je dis. Mais le secteur de psychiatrie communautaire où mes deux collègues travaillent fonctionne un peu, si vous voulez, comme un hôpital général, à cette distinction près, quand même, qu'il a plus de lits à sa disposition, ni plus, ni moins. La psychiatrie communautaire, chez nous, a environ 95 lits et, si on voulait, par exemple, que cela ressemble au département de psychiatrie d'un hôpital général, il n'y a pas beaucoup de départements sectorisés au Québec qui ont un si grand nombre de lits. 11 y a nombre de raisons pour cela, mais la deuxième raison pour laquelle on a 900 lits, c'est qu'en plus de faire de la première ligne on fait aussi de la deuxième et de la troisième ligne, si vous voulez, et on retrouve dans nos autres programmes de l'hôpital des malades qui viennent d'endroits qui ne sont pas sectorisés, ni plus, ni moins. Dans les services de réadaption, l'entrée ne respecte pas les lignes de secteur, mais respecte simplement les lignes d'affiliation avec six autres hôpitaux généraux. Donc, c'est la façon dont cela se passe.

Ce qui mêle un peu les cartes, évidemment, c'est que les grands malades chroniques qui sortent de l'hôpital ont plutôt tendance, lorsqu'ils n'ont pas de chez soi, à venir s'établir aux alentours de l'hôpital même, puisqu'ils connaissent l'hôpital depuis longtemps et savent qu'ils vont trouver là réponse à bon nombre de leurs besoins. Donc, cela fait qu'on a un secteur A, le fameux secteur de psychiatrie communautaire, qui est peut-être, au niveau global, plus lourd qu'un secteur équivalent d'un hôpital général où il n'y aurait pas un hôpital psychiatrique qui existe là depuis 100 ans. Donc, on retrouve, je pense, proportionnellement un plus grand nombre de malades peut-être dans la population qui s'adonne à habiter Verdun et LaSalle parce que l'hôpital est là, l'hôpital est à Verdun. Au cours des années, il y a des malades qui ont reçu leur congé et qui préfèrent demeurer dans ce coin. Donc, c'est ce qui fait, si vous voulez, qu'on a peut-être un plus grand nombre de lits en psychiatrie communautaire, mais, en deuxième et en troisième ligne, on a tendance à avoir des cas très lourds. Quand un hôpital comme Allan Memorial, pour prendre celui qu'on connaît, avec qui on travaille, ou quand l'Hôpital Général de Montréal dit qu'il a essayé de traiter quelqu'un, que cela ne fonctionne pas et qu'on nous demande d'admettre le malade, on peut présumer qu'il s'agit d'un malade très difficile, qu'il s'agit d'un cas pour lequel il n'y a pas de solution tout à fait facile, de sorte que l'acceptation du traitement de ce genre de malade entraîne toujours des hospitalisations qui ne sont pas de deux semaines. La plupart du temps, c'est six mois, un an ou deux ans, avec des pathologies très lourdes et des exigences thérapeutiques très fortes aussi. C'est ce qui explique ce que l'on a en deuxième et en troisième ligne.

C'est la même chose pour la gériatrie et pour la pédopsychiatrie. En gériatrie, on ne prend certainement pas les cas les plus faciles. On a des équipes d'évaluation. Justement, on demande à la population de venir très tôt pour qu'on n'attende pas à la dernière minute, mais ceux qui sont hospitalisés sont en général des cas passablement lourds que l'hôpital général ne peut pas garder aussi longtemps qu'il le voudrait à cause de l'achalandage de ses lits ou parce qu'on possède une ressource de réadaption qui n'existe pas à l'hôpital général. Donc, compte tenu du nombre et compte tenu de la spécialité unique de l'hôpital, nous disposons d'un certain nombre de services que l'on ne retrouve pas à l'hôpital général, surtout en ce qui concerne

la réadaptation, les ateliers de travail et des choses du genre. Ce ne serait pas tout à fait réaliste d'exiger le même genre de choses à l'Hôpital Général de Montréal, cela ne pourrait pas fonctionner.

C'est ce qui explique un peu, si vous voulez, les quatre types de clientèle que nous avons: le fait que la réadaptation et peut-être l'hospitalisation un peu plus à long terme se font chez nous par rapport à ce que l'on a tendance à retrouver à l'hôpital général, quoiqu'il y ait des exceptions notoires. Il y a des hôpitaux généraux qui vont certainement venir vous dires On a un malade chez nous depuis deux ans et on n'a pas été capables de le sortir de là. Cela existe aussi.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Maintenant, vous faites une énumération de ce qui devrait être ou de ce qui est peut-être aussi, actuellement, des ressources alternatives pour permettre la réinsertion sociale. J'aimerais vous demander si c'est l'hôpital lui-même qui a développé ces services ou si ce sont des ressources qui sont mises à la disposition de l'hôpital, enfin, par les autres établissements de services sociaux.

M. Harnois: Si je me permettais juste une légère boutade, Mme la Présidente, je serais tenté de vous dire que, s'il avait fallu que l'hôpital attende après quelqu'un d'autre pour développer ces ressources, on aurait attendu très longtemps. Donc, depuis déjà très longtemps, l'hôpital, parce qu'il y croyait aussi, s'est embarqué dans le développement des ressources intermédiaires. On ne les appellera pas "alternatives", pour ne pas mélanger un peu les choses dans le vocabulaire, parce que, de plus en plus -c'est ce que le Comité de la santé mentale va vous dire demain - on voudrait réserver le terme "alternatives" pour des ressources qui viennent du milieu et qui ne dépendent pas officiellement du réseau, par opposition à celles qui dépendent de notre hôpital et qui ont été mises sur pied par nous et qui sont carrément identifiées dans notre esprit; souvent, pas dans l'esprit de la population qui ne sait pas que la ressource a quelque chose à faire avec nous; mais nous le savons parce qu'on la gère, on la maintient et on la supporte.

Donc, dans la majorité des cas, les ressources que nous identifions comme intermédiaires ont été développées par nous, de façon souvent pas facile pour les raisons que je vous ai expliquées tout à l'heure. Cependant, il faut quand même être juste. Depuis une année, au conseil régional de Montréal, il y a là une infrastructure nouvelle qui existe pour la mise sur pied d'autres types de ressources alternatives ou Intermédiaires qui sont gérées par un groupe auquel nous participons, mais qui ne dépend pas exclusivement de nous. Il y a un budget identifié pour l'Île de Montréal, environ 2 000 000 $ annuellement, pour supporter ce genre de ressources. C'est fait par comités sous-régionaux. Donc, nous appartenons à la région sud-ouest et nous sommes membres de ce comité de la région sud-ouest des ressources alternatives - c'est comme cela qu'on l'appelle - qui relève du conseil régional et du CSS Ville-Marie et, jusqu'à un certain point, de l'hôpital aussi. C'est un genre d'entente tripartite, mais tous les intervenants ont leur mot à dire et peuvent choisir le type de ressources qu'ils veulent suggérer et mettre de l'avant. Donc, cela est un peu nouveau. Cela démarre lentement à Montréal, mais il va y avoir de nouvelles ressources qui ne dépendront plus directement de l'hôpital, mais auxquelles les malades de l'hôpital vont avoir accès.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vous aviez développé votre propre service de familles d'accueil, de foyers de groupe, de foyers supervisés...

M. Harnais: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):... ou d'appartements supervisés? Je ne sais pas au juste comment on les appelle.

M. Harnois: C'est cela, oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous aviez les vôtres qui relevaient de vos services.

M. Harnois: Mme Ouellet.

Mme Ouellet (Yvette): Si vous voulez me permettre un commentaire. En ce qui concerne les appartements supervisés, cela n'a pas été expérimenté. Ce qui a été expérimenté, c'est la formule d'appartements communautaires, c'est-à-dire qu'à partir de situations de groupes vécues entre les malades dans différents lieux de l'hôpital il se faisait une espèce de jumelage où les gens se choisissaient et, ensemble, parrainés par un travailleur social et les équipes soignantes, on les aidait, on les habilitait a se trouver un logement, on supervisait cedit logement; c'est-à-dire qu'on restait toujours un peu, à la façon des "cases manager", présents dans ces logements. Malheureusement, malencontreusement, une coupure budgétaire a fait qu'on a perdu l'effectif et le programme a pris un peu le fond parce qu'on a dû affecter la personne ailleurs. Mais on pense que la formule d'appartements supervisés serait à développer; elle aurait une place pour complementer les familles d'accueil où, dans ces dernières, les exusagers de l'hôpital sont encore très médicamentés; ils sont encore malades. Donc,

c'est un milieu protégé qu'il faut maintenir, mais auquel doivent s'ajouter aussi des ressources plus légères, mais activement très légères, qui nécessitent énormément de supervision et d'accompagnement.

M. Harnois: Si je peux faire un commentaire, Mme la Présidente, en ce qui concerne les appartements, on a un peu plus de difficulté en ce moment; mais quand on en a eu, on en a eu jusqu'à six ou sept. Et pour être capable de les faire fonctionner, il a fallu que l'hôpital signe le bail, parce que le propriétaire refusait que ce soit le malade qui signe le bail. On n'avait pas tout à fait le droit comme hôpital de le faire, mais on l'a fait quand même; c'était la seule façon dont on pouvait le faire. On a dit au propriétaire: Si le malade ne paie pas, on va vous payer. C'est la seule façon dont les propriétaires signaient les baux. En dix ans de fonctionnement, je pense qu'il y a un malade qui nous a laissés tomber une fois pour un mois de loyer. Donc, on n'avait aucune difficulté du point de vue pécuniaire à assumer ce genre de responsabilité. On le faisait parce que c'était la façon dont il fallait procéder. (20 h 15)

Autre chose. Notre réseau de familles d'accueil nous est assez fidèle, si je puis dire, parce que, depuis de nombreuses années qu'il existe, on a une entente avec elles; c'est une entente que l'on respecte à la lettre dans la mesure du possible. C'est que si cela ne va pas dans la famille d'accueil, l'hôpital s'engage à reprendre le malade, C'est donc ce genre d'assurance que l'on peut donner à nos familles d'accueil et qui leur semble, à elles, très précieuse. Quand on leur dira qu'il est possible qu'à compter de telle date les families d'accueil ne relèvent plus de nous, elles ont une grande peur de cela parce qu'elles craignent que l'accès éventuel à l'hôpital en cas de besoin ne soit pas aussi assuré. J'imagine qu'on pourrait le faire, mais c'est plus facile si la famille d'accueil relève de l'hôpital. On leur donne cette assurance-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela m'amène à vous poser une autre question. Compte tenu de l'expérience de désinstitutionnalisation que vous avez connue et que vous connaissez, il me semble que la tendance actuelle est davantage d'éloigner des institutions les ressources communautaires, alors que vous avez un modèle différent, d'après ce que vous venez de décrire. Ce n'est peut-être pas tout à fait juste ou "fair", en bon français, de vous poser cette question-là. Selon le dernier exemple que vous venez de donner, je dirais qu'il est préférable de garder les ressources communautaires près de l'institution, alors que la tendance actuelle est vraiment de les éloigner de l'institution compte tenu, justement, de tout le discours entourant la désinstitutionnalisation, la démécanisation et ainsi de suite. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus, si vous pensez que vous pouvez la donner.

M. Harnois: Oui, oui. Ce n'est pas facilement tranchable au couteau, cette affaire-là. Ce qui me vient à l'esprit en entendant votre question, c'est le modèle italien dont quelqu'un vous parlera peut-être. Il y en a certainement dans cette salle qui peuvent en parler. Je vois Mme Plante là-bas qui le connaît très bien et moi aussi, j'ai eu l'occasion de l'étudier un peu à fond. Ce qui semble être prédominant là-dedans, c'est d'assurer un suivi étoffé de la part de gens qui connaissent le malade et qui savent ce qu'ils font. Les malades aussi reconnaissent cela. Dans le modèle italien qui est le modèle le plus désinstitutionnalisé qu'on puisse penser en ce moment, le suivi est assuré par des professionnels dans la communauté, à domicile, mais par des équipes qui sont là presque matin, midi et soir. Ce sont des gens qui ne dépendent plus de l'institution parce qu'elle n'existe plus, mais qui dépendent des structures qui ont remplacé l'institution. Ce sont à peu près les mêmes personnes qui suivent cela. Donc, elles insistent sur la nécessité avant quoi que ce soit du suivi, de la présence et de ne pas laisser cela un peu en plan, en disant aux malades: Vous trouverez bien un endroit quelque part où aller quand vous serez malades. Il faut que ce soit clair et précis. Il faut que ce genre de malades sachent où ils vont aller quand les problèmes se présentent et Dieu sait si des problèmes se présentent, surtout le vendredi soir et le samedi!

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je reviendrai. Je vais laisser la parole à mon collègue de Bourassa.

M. Laplante: Merci, Mme la Présidente. Ce qu'on entend le plus, nous autres, c'est les pilules. On trouve qu'il y a trop de pilules qui se donnent, trop de médicaments. C'est une plainte continuelle qu'on reçoit de ceux qui sont obligés de se faire soigner, soit par l'urgence ou en continuité. J'ai un exemple en tête et je vais vous poser la question en même temps. Quel suivi faites-vous du malade qui prend le même médicament depuis 30 ans? Est-ce normal aussi qu'à un patient qui commence à faire des phlébites et qui, un moment donné, est hospitalisé dans un milieu psychiatrique, on dise: Ah, ce n'est pas grave? Ils le sortent de là en disant que ce malade-là est bien. Il retourne voir son omnipraticien qui lui dit: Tes phlébites sont rendues dans les bras. Il n'y a plus moyen de rien faire pour cela; tes

veines sont très dures et cela va te jouer des tours. Il retourne voir son psychiatre encore une fois; celui-ci lui dit: Je t'ai dit de prendre des médicaments, prends-en. Il retourne chez son omnipraticien, il ne "feelait" pas; il lui dit: Je suis obligé de te dire de lâcher tes pilules, tu vas mourir. Le patient lâche les pilules, deux jours après, il est mort.

Je me demande si c'est quelque chose d'habituel chez les psychiatres. Je me demande aussi - je pose la question; je ne porte pas d'accusation, ce sont des cas qui nous sont rapportés - ce que vous faites pour le suivi médical de ces patients. Comment pouvez-vous détecter qu'il y a des symptômes, après trente ans avec les mêmes pilules pour dormir?

M. Harnois: Dr Jean, je vais vous demander de répondre, si vous le voulez bien.

M. Jean: M. le député, je pense qu'il faut retenir ceci à propos de la maladie mentale. Nous n'en connaissons pas l'origine. Nous n'en connaissons pas la cause. La seule chose que nous connaissons, ce sont ses manifestations. Nous connaissons aussi certains comportements. Depuis les années cinquante, il y a quelques médicaments qui sont apparus qui ont pu nous aider à calmer et à soulager la douleur de ces patients. On les a appelés les antidépresseurs pour les gens qui souffraient de dépression, les antipsychotiques pour ceux qui souffraient de psychose, et certains médicaments sont des tranquillisants. Il est bien entendu qu'il y a eu des abus de la part des médecins dont c'était le seul outil pour traiter la maladie mentale et, éventuellement, nos patients mêmes qui en ont abusé.

Dans un hôpital comme le nôtre, que faisons-nous présentement pour voir à ce qu'il n'y ait pas d'abus? Nous voyons, d'une part, à ce que tout patient qui reçoit des médicaments ait un diagnostic de posé. Parce que nous croyons qu'à tel type de maladie peut correspondre tel médicament. Il y a des vérifications qui sont faites de façon périodique des dossiers des patients qui reçoivent ces médicaments. Si un médicament est mal utilisé à l'intérieur de l'hôpital ou dans une de nos cliniques, le médecin qui le prescrit est simplement rappelé à l'ordre. Ceci est fait par un comité d'évaluation de la pratique médicale. Il y a, de plus, un comité de pharmacologie qui étudie certaines politiques de prescription ou d'ordonnance des médecins de l'hôpital et aussi du corps médical dans son ensemble. Finalement, au Centre hospitalier Douglas, nous avons un centre de recherche qui est préoccupé par l'utilisation que nous faisons des médicaments et qui croit aussi pouvoir nous aider à trouver quelle est l'origine de la maladie mentale pour la mieux traiter. Je vous remercie, Mme la Présidente.

M. Laplante: Quelqu'un qui entre chez vous et qui vous dit: Je prends le même médicament depuis trente ans, cela fait trente ans que j'essaie de me débarrasser du médicament, qu'est-ce que vous faites comme examen général de ce patient? Parce qu'il y en a d'autres chez qui le sang devient très clair même si le durcissement des artères est là. Il vous dit en même temps: Je viens de subir une opération, ils ont été obligés de faire des choses spéciales à cause de mon sang qui est trop clair et on m'a dit que cela pouvait dépendre des médicaments. Si cette personne entrait chez vous et vous disait tout cela, que feriez-vous?

M. Jean: Mme la Présidente, au Centre hospitalier Douglas, tout patient qui est hospitalisé ou même qui est en clinique externe est sous la responsabilité d'un tandem, c'est-à-dire qu'il y a un médecin généraliste et un psychiatre qui sont responsables de ce patient. Ce patient, lorsqu'il arrive à l'hôpital, subit des examens. Il y a des contrôles qui sont faits à son arrivée. M. le député, je dois vous dire que trente ans sur la même pilule, c'est fort.

M. Laplante: C'est la vérité que je vous dis là.

M. Jean: Je ne mets pas en doute votre...

M. Harnois: II faut répondre, M. le député, que c'est de la très mauvaise médecine.

M. Jean: Oui.

M. Harnois: II faut le dire hautement et clairement. C'est impensable en 1985, cela ne devrait pas exister, surtout avec le type de médicament dont, je pense, vous parlez. Cela exige des contrôles périodiques. C'est clair que, si quelqu'un venait me voir après trente ans, peut-être que je ne discontinuerais pas demain matin, parce que j'aurais, justement, peur qu'il ne tombe mort s'il en a pris pendant 30 ans. Je commencerais à me poser la question: Qu'est-ce qu'il fait avec le même médicament? C'est un peu comme si quelqu'un prend de l'héroïne et que vous la lui enlevez demain matin. Il va peut-être tomber mort aussi. Ce que vous racontez là est tellement grossier que cela me chagrine. Remarquez que je ne vous dis pas que ce n'est pas vrai.

M. Laplante: Non, non.

M. Harnois: Mais je le déplore autant que vous.

M. Laplante: C'est ce qui est arrivé. Je vous l'affirme ici.

M. Harnois: Oui.

M. Laplante: Mais que pouvez-vous faire pour l'opinion publique actuellement qui dit que les patients qui entrent dans les hôpitaux vont voir les psychiatres qui ont la prescription facile? Qu'est-ce que vous avez à leur dire, qu'est-ce que vous voulez qu'on réponde à ces gens-là qui viennent, à un moment donné, nous montrer cela dans nos bureaux? On voit aussi des rangées de pilules quand on entre dans ces appartements.

M. Harnois: Écoutez, le Dr Jean vous a dit qu'on essayait de prescrire en fonction de diagnostics et de symptomatologies que nous connaissons. Un des problèmes que l'on a beaucoup au niveau de la réadaptation et qui peut expliquer d'une certaine façon le phénomène de la porte tournante, les gens sortent, les gens rentrent, c'est qu'on n'a, évidemment, aucun contrôle sur la façon dont les malades prennent ou ne prennent pas la médication lorsqu'ils sont sortis de l'hôpital. On a tendance è croire qu'assez souvent les malades ne la prennent pas ou la prennent mal et que souvent le manque au suivi d'une saine prescription - je dis bien une saine prescription - peut occasionner des rechutes.

Est-ce que les médecins prescrivent trop? Il se peut que les médecins prescrivent trop. Je pense qu'ils ne devraient pas prescrire trop. Ils devraient prescrire en connaissance de cause et pour des temps limités et non indéfiniment. On ne doit pas donner à des gens une prescription et dire: C'est bon pour un an, va-t'en, prends cela. Je pense qu'il ne faut pas traiter le monde comme cela, c'est évident, surtout avec de la médication qui est autre chose que de l'aspirine. Il ne faut même pas faire cela avec de l'aspirine.

Donc, cela demande à être suivi. Cela demande à être évalué. Il devrait y avoir des examens de laboratoire, surtout si c'est de la médication la moindrement lourde, la moindrement sérieuse. Je pense qu'il faut que cela se fasse comme cela. Il n'y a pas d'autre façon. Il n'y a pas trente-six façons.

M. Laplante: Quant à l'approche qui est faite aux malades, aux patients, soit en clinique externe ou au moment subit des crises, est-ce qu'il y a un manque de psychiatres actuellement au Québec pour pouvoir soigner ces gens ou s'ils sont soignés d'une façon qui revient à dire: J'ai trop d'ouvrage, je suis obligé de donner cette médication pour en passer un autre?

Comment pouvez-vous analyser cela?

M. Harnois: Dr Jean, voulez-vous répondre è cela?

M. Jean: Oui.

M. Harnois: J'ai des idées mais...

M. Jean: Oui. Bon. On dit qu'il manque 300 psychiatres dans la province de Québec présentement. Je ne sais pas si... Il y a une chose que je sais, par exemple. J'espère qu'avec le développement de ces ressources alternatives on pourra peut-être s'occuper un peu plus de nos patients. Les équipes de secteurs, les équipes de soins - nous en avons dix dans notre secteur - ont à s'occuper de beaucoup de choses qui ne relèveraient peut-être pas nécessairement de leur compétence si on avait les ressources nécessaires.

Exemple. La population de l'hôpital diminue, les demandes d'hospitalisation de l'hôpital diminuent. Par contre, il y a un accroissement des services è l'urgence. Le rendement de nos cliniques externes est stable. Il semble - je ne sais pas si c'est parce qu'il n'y a pas de croissance au sein du personnel - qu'il y a une certaine stabilité là, tout en ne répondant pas à la demande de la population. Il en faut. Nous avons des listes d'attente de 40 à 50, comme le mentionnait le Dr Deschamps. Ceci me fait dire qu'il y aurait possibilité présentement de répartir le travail que comporte le soin aux malades mentaux non plus uniquement chez les psychiatres, mais parmi d'autres personnes qualifiées pour le faire.

M. Laplante: À cause du manque de psychiatres - il en manque 300 - vous ne niez pas la surmédication aux patients. (20 h 30)

M. Jean: Je dois vous avouer franchement que je trouve que c'est un problème qui est un peu... C'est entendu que cela donne mauvaise presse à la psychiatrie, mais qu'est-ce que vous voulez, la médication psychiatrique... Vous n'allez pas dire à un cardiologue qu'il prescrit trop d'Indéral, qu'il prescrit trop de bêta-bloquants pour l'hypertension. C'est tout ce qu'on a. Si on pouvait de d'autres genres d'interventions, on les ferait. Mais il arrive que les médicaments utilisés en psychiatrie ont mauvaise presse, ont des effets qui sont...

M. Laplante: Je vous le dis, quand on parle privément à un psychiatre, il nous l'avoue à ce moment-là: J'ai trop d'ouvrage. Je ne suis pas capable. Je suis obligé de leur donner des pilules. Ce sont les faits que je vous rapporte là.

M. Jean: On n'a peut-être pas fait le relevé...

M. Laplante: Ce n'est pas une dénonciation. Ce n'est rien de cela.

M. Jean: Oui.

M. Laplante: Je ne veux pas que vous le preniez de cette façon. Ce que je veux, c'est que cette commission essaie d'aider ces malades. Si on est capable, par le biais de cette commission, on veut trouver des solutions pour vous aider a mieux soigner le malade. Je ne veux pas que vous le preniez comme un reproche. Ce n'est pas cela que je veux, mais comme une aide pour ces gens qui crient au secours à cause d'une surmédication.

M. Harnois: Un commentaire que j'aimerais faire, c'est qu'il est certain que, si tous ceux qui aboutissent dans le réseau de la psychiatrie et qui n'en ont pas besoin pouvaient aller ailleurs, cela faciliterait énormément notre boulot et peut-être que les médecins auraient des fardeaux de tâche qui se tiendraient un peu plus. Comme je vous le disais tout à l'heure, en 1972, on a mis sur pied dix équipes pour notre secteur qui avait alors 200 000 habitants. Cela fonctionnait relativement bien, mais dès 1976 on s'est rendu compte que les gens entraient et ne sortaient pas beaucoup. Les prises en charge, les "case-loads" de nos équipes de secteurs allaient en augmentant. Pour une équipe qui peut avoir quatre personnes, si vous avez 175 à 200 malades actifs, le rendement commence à diminuer. Étant donné qu'en psychiatrie de secteurs vous n'êtes pas censés dire non, vous êtes supposés prendre tout le monde, si vous avez un "case-load" qui augmente, augmente, augmente, est-ce que cela donne lieu à un peu plus de prescriptions? Je crois que cela peut se penser. Je ne vous contredirai certainement pas là-dessus. On pourrait penser que, justement, s'il y avait un peu moins de monde, les gens auraient peut-être un peu plus de temps à donner à chaque cas. Peut-être que la prescription serait plus judicieuse. On pourrait penser qu'avec un peu plus de temps cela pourrait avoir cet effet.

M. Laplante: J'aime votre réponse. Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Marie-Victorin.

M. Pratt: Dr Harnois, j'ai lu avec grande attention votre mémoire. Je le trouve très bien fait. Je trouve admirable que, malgré tous les cas lourds que vous avez à assumer à Douglas, vous vous occupiez de réinsertion des malades dans la société. Je note aussi, en passant, une idée très intéressante, c'est le cas des "case managers". Cela m'apparaît un peu comme un grand frère pour le psychiatrisé. Je pense que cela serait une idée à poursuivre et à développer, si on peut le faire. Je vois que vous ne négligez aucune des avenues qui nous sont présentées ici en page 11. Je trouve cela très bien.

J'ai seulement une question à vous poser. C'est une interrogation que vous vous êtes posée vous-même. Qui, d'après vous, devrait assurer la coordination de toutes ces ressources, étant donné que vous trouvez qu'il y a là-dedans un peu de flou?

M. Harnois: Vous savez, ce serait trop facile de vous dire que cela devrait être juste la psychiatrie. Mais je pense que vous ne devriez pas - ce serait une erreur - en exclure la psychiatrie. Je pense que pour le genre de clientèle que nous avons, disons les cas les plus lourds... Il y en a aussi qui fréquentent nos cliniques externes. Je ne voudrais quand même pas vous laisser croire que nos 3500 noms sont tous des psychotiques. Il y a des gens qui ont des problèmes et il y en a qui sont peut-être de nos frères et de nos soeurs. Ne l'ignorons pas. Il ne faut pas oublier qu'en maladie mentale on peut aller de l'avant, on peut reculer, on chemine. Ce n'est pas une affaire unidirectionnelle. Donc, pour un bon nombre de ces malades, je pense qu'ils ont encore avantage à être suivis de très près par le genre d'organisme qui les connaît, qui les supporte, qui peut intervenir rapidement.

Une des choses qui nous aident, évidemment, à fonctionner, c'est justement parce qu'on est un hôpital et qu'on fonctionne 24 heures par jour. Je ne vous dis pas qu'on a des équipes. On n'est pas encore rendu là. L'idéal serait que, même au moment où on se parle ce soir, je puisse vous dire qu'il y a une équipe qui est là, qui attend et qui est capable d'intervenir dans la communauté. Ce n'est pas vrai, il n'y en a pas. S'il y a des problèmes qui se posent au moment où on se parle, les chances sont que les gens vont aboutir à l'urgence, encore une fois.

Je pense que nous avons une expertise là-dedans. On connaît la maladie mentale. On a déjà, depuis 1948, travaillé là-dedans. Allez voir - j'invite les gens de la commission à le faire - le réseau de ressources intermédiaires que nous avons mis sur pied. Je ne dis pas que c'est le meilleur, mais il se tient. Il y a l'avantage que c'est un réseau assez intégré et que le malade sait exactement à qui il a affaire. Ce qui semble faire défaut souvent dans le réseau c'est que les gens ont l'impression qu'ils ne savent pas où aller. Est-ce qu'ils vont aller au DSC? Est-ce qu'ils vont aller au CLSC? Est-ce qu'ils vont aller à la clinique externe

de psychiatrie? Est-ce qu'ils vont aller chez l'omnipraticien ou chez le curé? Il faudrait qu'il y ait une sensibilisation beaucoup plus grande de tout ce monde-là à la problématique de la santé mentale et du malade mental. Même dans notre réseau il y a des critères d'exclusion. Il y a pas mal de gens qui ne passent pas dans notre réseau. Il y a des institutions de notre réseau qui ne veulent pas des malades mentaux, c'est aussi simple que cela - des cas lourds - même si, peut-être, en loi c'est leur responsabilité. Donc, cela ne passe pas partout. Pour nous, il y a au moins cela que le malade sait, c'est qu'il va passer et qu'il n'aura pas de questions à se poser, à savoir si on va le prendre ou si on ne le prendra pas.

Il y a des malades qui reviennent à l'hôpital, je ne vous le cacherai pas. Il y a peut-être 50 malades qui reviennent à l'hôpital le jour, sur les 300, qui n'ont peut-être pas besoin de revenir, mais ils ont un repas le midi et aussi ils ont un réseau d'amis; ils vont vous le dire. Ils vont dire: Écoutez, je viens parce que je peux parler au monde et les gens me comprennent; j'ai essayé de faire la même chose "out there" et cela ne marche pas. Donc, que voulez-vous qu'on dise aux gens? On va dire: Non, tu n'as pas affaire ici; ne viens pas ici parce qu'on te donne un repas. Vous me direz: Ce n'est pas la "job" d'un hôpital de donner un repas à un malade. Peut-être que ce l'est aussi; je ne sais pas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'autres questions?

M. Pratt: À ce sujet, vous dites que les psychiatres devraient sûrement être consultés ou avoir un rôle important à jouer là-dedans. Il n'y a pas de doute parce que, parmi les cas lourds que vous avez, comme c'est la majorité, avant que quelqu'un soit admis pour une résinsertion, il faut qu'il y ait un placet qui vienne de vous, un semi-congé.

M. Harnois: M. le député, je m'empresse de répondre que je ne parle pas que des psychiatres. Quand je parle de l'hôpital Douglas, je parle de gens qui appartiennent à un foule de disciplines. Dans l'hôpital que j'ai le plaisir de diriger, je pense qu'on a 20 psychologues, on a environ 500 à 600 infimières, on a des travailleuses sociales: tous ces gens-là travaillent ensemble, chacun dans la limite de son expertise, mais de façon complémentaire. Cela ne fonctionne pas toujours aussi bien que je vous le dis, mais c'est ce qu'on essaie de faire. Dans la communauté, le "case manager", je ne vous dis pas que ça doit être un psychiatre. Les plus beaux exemples que j'ai vus en Angleterre, ce sont des infirmières qui jouent ce rôle, des infirmières vraiment communautaires qui se sont mérité le respect de tout un réseau auquel elles peuvent faire appel et dont elles ont appris à ne pas abuser; j'ai vu cela en opération. Il y a des travailleurs sociaux qui vont le faire, toutes sortes de gens. Ce que je veux dire, c'est que dire à un hôpital psychiatrique comme le nôtre: À compter de demain matin, vous n'avez plus rien à faire dans le domaine de la réinsertion sociale, vous allez vous limiter à rester à l'intérieur de vos quatre murs, je pense que ce serait une erreur monumentale.

M. Pratt: D'accord.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: Je vous remercie. Sur les 890 patients hospitalisés à Douglas, pourriez-vous me dire quelle est la fréquence de l'étude d'un dossier ou de l'examen médical pour ni plus ni moins réévaluer leur état mental avant de prendre une décision concernant leur réinsertion sociale?

M. Harnois: Cela varie d'un programme à l'autre. Ce n'est pas la même chose chez les enfants, chez les adultes et chez les vieillards. Il y a quatre programmes qui fonctionnent à l'hôpital et cela varie. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on a quatre programmes; on pense que l'expertise est différente d'un endroit à l'autre. En psychiatrie communautaire, je pense que, évidemment, c'est tout è fait autre chose, parce que, par définition, les séjours sont assez courts: les gens viennent et ils ressortent. D'ailleurs, c'est la porte d'entrée et de sortie principale, à l'hôpital. On essaie de faire en sorte que le problème de la chronicité et de l'hospitalisation à long terme ne se pose pas trop.

Pour ceux qui sont en deuxième ligne, dans nos services de réadaptation et de traitement à plus long terme, c'est là que la question se pose et la plus aiguë, si l'on veut. On a une série de programmes gradués. D'ailleurs, on est en train de mettre sur pied un nouveau pavillon de réadaptation qui va essayer, dans la mesure du possible, d'offrir un programme de réadaptation et d'évaluation de fonctionnement. Ce qui importe le plus quand on retourne dans la communauté, ce n'est peut-être même pas le symptôme, mais la fonctionnalité de l'individu. Est-ce qu'il est capable de prendre l'autobus, d'aller à la banque? Comment se comporte-t-il quand il va chez Eaton ou chez McDonald's? C'est cela qui compte dans la vie des individus, comment ils saluent les gens, etc. On essaie donc de regarder cela un peu et de pallier cela. Â l'intérieur de l'hôpital, il y a une série de programmes gradués où on peut aller d'un endroit à l'autre. Encore une fois, je vous décris cela

comme un peu plus beau que ce l'est. Ce n'est pas tout à fait aussi beau que ce que je vous dis, cela ne marche pas tout à fait aussi bien non plus, mais on a tendance à dire le plus de bien qu'on peut de son établissement, j'imagine, quand on paraît devant une commission comme la vôtre. C'est un peu ce qu'on essaie de faire, c'est ce vers quoi on tend avec les moyens du bord.

Par exemple, on a une unité de présortie où on essaie, justement, de polir les coins, de savoir où cela cloche et de le corriger au plus vite avant que les gens sortent. Ceux qui sont plus lourdement handicapés, on essaie de leur faire un apprentissage un peu plus primaire, donc enseigner à lire et à écrire à ceux qui ne le savent pas, même s'ils ont 35 ou 50 ans. Il y a des choses du genre.

Il y en a pour qui les chances de progression ne nous paraissent pas au départ mirobolantes, mais on ose encore donner la chance au coureur. Personne n'est irrémédiablement voué è ne pas progresser un petit peu. Des fois, il faut se satisfaire de très petits pas dans le genre de boulot qui est le nôtre, surtout avec des malades chroniques, mais cela nous apparaît encore valable.

On fait la même chose au niveau des personnes âgées. C'est encore plus difficile parce que la société se questionne des fois un petit peu plus sur la réadaptation d'une petite madame qui a 85 ans. Les gens vont dire: Pourquoi faites-vous des efforts là-dessus? Qu'est-ce que cela vaut, cette affaire-là? Vous êtes sûrs que vous mettez l'argent à la bonne place? Ils ne vous le disent pas comme cela, mais c'est ce que cela veut dire. On pense, qu'améliorer peut-être un peu le sort de la petite madame, ça peut encore vouloir dire quelque chose et on essaie de le faire.

Mme Lachapelle: Concernant la prévention, vous allez excuser mon ignorance. Quelqu'un qui fait une première dépression très forte, est-ce un trouble mental passager, une maladie mentale à court terme? Est-ce que je peux qualifier cela comme cela?

M. Harnois: Écoutez! Si vous avez été en bonne santé toute votre vie et que, lors d'un incident malheureux, disons que vous perdez votre mari ou votre fils, vous faites un épisode dépressif, cela se comprend très bien et c'est très passager. Pour une foule d'autres maladies, à un moment donné cela arrive sans qu'on ait aucune idée pourquoi cela nous tombe dessus et ce n'est pas facile à prévenir. Dans le domaine de la psychiatrie, je pense qu'il faut se pencher beaucoup plus sur le secteur de la prévention. Si quelqu'un me demande ce qu'on fait comme prévention en psychiatrie, il y a deux recettes faciles qui me viennent à l'esprit. Une c'est de naître avec un cerveau intact et, deuxièmement, d'être doté de parents qui ont un peu appris ce que sont l'affection et l'amour. Ce sont à peu près les deux meilleures recettes que j'aurais à vous donner pour prévenir des choses même à l'âge de 35 ou 40 ans. Ce n'est peut-être pas encore tout à fait spécifique. Il y en a peut-être d'autres dont on pourrait vous parler, mais ce serait peut-être aller beaucoup plus loin. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question tant bien que mal, madame.

Mme Lachapelle: Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'aurais juste une couple de questions à vous poser en terminant. Vous dites - je ne retrouverai pas la page, je vais vous le dire de mémoire - que, pour penser à vraiment réussir le nouveau modèle ou enfin un modèle de réinsertion que vous préconisez, il faudrait un assouplissement dans les règles budgétaires et syndicales. Enfin, l'esprit est à peu près ceci. Est-ce que vous pourriez élaborer? Vous avez touché aux règles budgétaires. Relativement au budget, je voulais vous demander ceci: Vous n'avez aucune marge de manoeuvre de transfert d'argent? Ce n'est peut-être pas, non plus, honnête de vous demander cela en pleine commission parlementaire.

M. Harnois: Ah non! C'est très honnête. On n'a pas beaucoup de marge parce que, évidemment, la totalité du budget qui, comme vous le savez, a été pas mal grugé...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): En fonction des lits.

M. Harnois: On a fait un petit exercice, Mme la Présidente, que l'on a, d'ailleurs, présenté au ministère il y a à peu près un mois, dans l'opération de budget en cours qui tendait à prouver au ministère qu'en prenant les normes du ministère et l'évaluation de la clientèle du ministère, deux outils du ministère, donc pas les nôtres, on était sous-budgétisés de l'ordre de 5 800 000 $. Donc, on a été accueillis avec un large sourire par nos collègues du ministère, mais cela a quand même été une discussion honnête. (20 h 45)

Je vois que vous voulez me poser une question au niveau des relations avec les syndicats. C'est "touchy", il n'y a pas de doute. Il y a un exemple, quand même, déplorable qui me vient à l'esprit et je vous le mentionne parce qu'il me tient particulièrement à coeur. Vous allez me dire: Qu'est-ce qu'on fait, à l'Assemblée nationale, de dire cela? Mais il existe des programmes

de subventions fédérales pour des trucs d'été, et il y a un nouveau critère qui veut qu'avant que le fédéral donne ces subventions, il exige l'accord du syndicat. Et c'est pour faire accomplir des travaux, si vous vouiez, par des gens auprès des malades psychiatriques pendant l'été. Depuis deux ans, le syndicat de notre établissement a refusé parce qu'il voit cela comme étant en concurrence avec des postes éventuels qui pourraient être occupés par des employés syndiqués, et on a perdu deux subventions. On en a encore perdu une cette année. On a déploré cela, parce que c'était pour engager des moniteurs soit pour aider les malades pendant le temps des vacances du personnel, soit pour amener les gens en camping ou des trucs du genre. Cela ne nous a pas aidés et on s'interroge longuement. On en a parlé au syndicat, mais ils nous disent que c'est cela qui est leur point de vue.

Le problème, évidemment, qui va peut-être un peu plus se poser, c'est dans les définitions de postes. Si vous voulez tendre encore un peu vers l'extérieur et sortir de l'hôpital, l'évaluation de la clientèle dont je vous parlais tout à l'heure révèle que, pour notre centre hospitalier, il y aurait à peu près 90 malades sur les 900 qui, si la bonne ressource existait à l'extérieur, seraient aptes à sortir. On peut penser que le ministère des Affaires sociales ne nous dira pas: Voici, hôpital Douglas, donnez-nous vos 90 malades, on va les prendre et gardez votre budget. Ce n'est probablement pas ainsi que cela va se jouer. Je ne suis pas naVf à ce point pour le penser.

Donc, il va être question, à un moment donné, de transfert de l'hôpital vers la communauté. Il va falloir qu'il y ait des gens qui suivent les malades si on veut faire une réinsertion sociale qui tienne debout. Comment va-t-on faire cela? 5elon quels critères? Comment cela va-t-il aller avec les conventions collectives qui sont les nôtres? Ce n'est pas encore tout à fait évident. Il va y avoir des coups de coudes là-dedans, j'en ai l'impression. Donc, ce n'est pas facile. Je n'ai pas la solution.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Mais vous n'auriez pas d'objection, comme directeur d'un établissement important, à ce qu'à un moment donné un transfert de budget soit fait de l'institution vers des ressources extérieures?

M. Harnois: J'aurais beaucoup moins d'objection si le transfert était fait selon les règles que l'on respecte et en lesquelles on croit et s'il nous impliquait. Si demain matin vous me disiez: On a un budget de 42 000 000 $, on prend 2 000 000 $ de votre budget, Dr Harnois, on vous l'enlève et on le donne à des ressources communautaires et c'est fini, là, on regimberait un petit peu parce qu'on se poserait des questions sur ce qui est en train de se faire. Mais on n'a absolument aucune objection à être associé à cette démarche et on a, d'ailleurs, beaucoup d'idées au sujet de la démarche, de la façon dont elle devrait se faire. On vous en a parlé un peu ce soir. Je pense bien qu'on va encore avoir besoin de services hospitaliers et il faut aussi continuer à regarder les normes. Combien y a-t-il de gens dans nos hôpitaux psychiatriques? Quel type de gens? Quelles normes devrait-on respecter pour les soigner? Ce sont des problèmes difficiles. Je reconnais que la commission va avoir passablement de difficultés à trancher dans le vif et il va peut-être falloir que vous le fassiez.

Par exemple, s'il est vrai que dans l'hôpital que je dirige il manque, selon les normes du ministère, 5 800 000 $, comment peut-on penser que demain matin le ministère va prendre 2 000 000 $ de mon budget pour l'envoyer dans la communauté, si vous voulez? Donc, il va y avoir des difficultés. Il va falloir qu'il y ait des transferts, je le reconnais, mais cela va demander beaucoup de discussions et il va falloir savoir comment on fait cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que je me trompe en croyant - d'ailleurs, vous l'avez dit vous-même au départ - que, s'il y avait plus de flexibilité dans le budget, cela permettrait de créer les ressources dont on a besoin pour la réinsertion sociale, mais que ce serait plus facile si ceci se faisait comme une extension de l'institution plutôt que comme une création - enfin, il ne faudrait pas que ces mots soient pris péjorativement - parallèle dans la communauté?

M. Harnois: L'autre chose qu'on pourrait envisager, c'est un certain nombre d'expériences pilotes. Je pense encore que c'est difficile de dire, d'imaginer qu'on fait la même chose partout dans toute la province. Cela m'apparaît difficile au départ. Il y en a qui sont plus prêts que d'autres, il y en a qui pensent à cela plus que d'autres, il y en a qui veulent plus que d'autres. Mais s'il était permis facilement, par exemple, même selon les règles budgétaires du ministère et aussi selon les conventions collectives qui nous régissent, de dire: On a 25 malades, on peut les sortir, on a des idées comment cela pourrait aller... Je ne peux pas envoyer le personnel avec les malades, cela va à l'encontre de la convention collective, si vous voulez. Dans cette convention, ils ont une unité de travail qui est ce poste; si, demain matin, je veux envoyer ce monde-là à l'extérieur, cela va regimber, cela ne se fera pas facilement. Je pense que, dans le fond de tout cela, c'est

peut-être que les gens ont peur; ils ont peur à leur poste, à leur salaire, à leur sécurité d'emploi, etc. Je pense qu'il ne faut pas ignorer quoi que ce soit. Aux États-Unis, dans l'État de New York, une des causes de l'échec de la désinstitutionnalisation, c'est, justement, parce qu'ils n'ont pas été capables de prendre cela en charge. Ils ont eu des faillites monumentales. Ils se sont retrouvés avec des hôpitaux à moitié vides et avec plein de personnel dedans, parce que les gens jouaient le jeu de la convention collective. En fait, dans l'État de New York, les employés des hôpitaux, ce sont des employés de l'État et non pas les employés de l'hôpital. C'est donc une distinction supplémentaire. Donc, je pense qu'il va falloir se pencher là-dessus aussi et peut-être aborder cela avec les syndicats un peu carrément; parce que je pense que, si on le fait juste par la bande, cela va demeurer difficile.

Plutôt que de faire cette scission qui est si forte entre l'interne et l'externe, si, par exemple, on me disait: Vous êtes directeur général non pas d'un hôpital qui a B90 lits - c'est le chiffre qui accroche tout le monde - mais d'un hôpital qui, en ce moment, traite 3500 malades, dont la majorité sont à l'extérieur et d'autres à l'intérieur, dans le fond, le budget que j'ai, ce serait pour traiter mes 3500 malades, c'est cela. Mais, dans les règles du jeu, ce n'est pas ainsi que cela se joue. Ce qui prédomine encore, c'est l'interne, le lit d'hospitalisation, la journée d'hospitalisation et aussi la notion de poste pour le syndicat. Ce n'est pas facile de déplacer des gens de l'intérieur vers l'extérieur.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Une dernière question, Dr Harnois. Selon vous, il y aura toujours nécessité pour un pourcentage X, que je ne suis pas capable d'évaluer, de vie en institution, si je me réfère à vos trois types de services: institutionnel, intermédiaire et résidentiel; il faut continuer de voir l'institution pour un certain nombre de personnes comme étant une nécessité.

M. Harnois: Dans l'état actuel des choses et pour...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Et des connaissances.

M. Harnois:... un bon bout de temps, je le crois, Mme la Présidente. À Québec, avec la mentalité et les lois qu'on a, avec la façon dont on pense, avec la façon dont on aborde cela, je ne pense pas que l'on puisse à court terme ou même à moyen terme dire: On va faire table rase dans nos institutions. Je pense que ce serait une erreur.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Maintenant, vous avez dit "compte tenu de nos lois et de nos mentalités", peut-être compte tenu d'autres choses? Ce sont des choses qui peuvent évoluer. Il y a peut-être aussi compte tenu de nos connaissances. Mais, compte tenu de la condition des bénéficiaires eux-mêmes...

M. Harnois: Oui, oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... est-ce qu'on pourrait penser...

M. Harnois: Écoutez, encore une fois, je serais tenté de suggérer à la commission: Vous devriez aller passer une journée dans un hôpital psychiatrique, juste faire le tour, cela vous serait très bon. Je vous inviterais à venir dans le mien, si vous voulez, cela me ferait grand plaisir. Mais il y a des gens, dans l'état actuel des choses, qu'il serait tout simplement indécent de sortir de l'établissement; c'est aussi simple que cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Et ce serait qu'elle proportion?

M. Harnois: Bon! Idéalement parlant, je suis le premier à reconnaître qu'un hôpital de 2500 lits et même de 890, c'est très gros; si on avait le choix, si c'était à refaire, peut-être qu'on ne referait pas cela comme cela. Je pense que tout le monde le sait. Mais si on a besoin d'institutions, avec le financement dont on dispose, je pense qu'on n'est pas pour dire: On va mettre le bulldozer dedans et en reconstruire trois de 250 lits chacun, ce qui serait sans doute une meilleure solution. Je suis le premier à reconnaître que ce serait plus facile, plus près des besoins des gens. On a la chance, nous, à l'hôpital, d'avoir une structure pavillonnaire, il y a 26 pavillons; déjà cela, on pense que c'est un atout. Par exemple, nos pavillons pour enfants, ce sont de petites unités; donc, les enfants ne se retrouvent pas pris dans d'immenses affaires avec lesquelles ils ne s'identifient à peu près pas, si vous voulez. C'est déjà mieux. Cela demeure que cela fait partie d'un grand tout qui a 890 lits. Ce n'est pas l'idéal. Mais je ne vois pas comment, à court terme, on va pouvoir pallier cela. Je pense que, tranquillement, on va continuer à réduire les lits. Je pense qu'il faut tendre à faire sortir de l'hôpital tous ceux qui peuvent être capables d'en sortir honnêtement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Sur vos 890, combien pourraient sortir?

M. Harnois: En ce moment, on s'entend avec le ministère des Affaires sociales pour dire qu'environ 100 pourraient sortir.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela

veut dire qu'il y a un besoin pour environ 700 malades chroniques.

M. Harnois: Oui, mais, encore une fois, on ne vous dit pas qu'avec les 700 autres c'est bloqué; on continue à travailler avec ces gens-là. Donc, si on pouvait trouver une place pour ces 100 personnes, dans trois ans, on pourrait en sortir peut-être pas 100 autres, mais une cinquantaine d'autres, je ne sais pas. Cela devient...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela.

M. Harnois:... un peu plus hypothétique, ma réponse.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, d'accord. Je vous remercie beaucoup, Dr Harnois, Mme Ouellet et Dr Jean. J'aurais eu des questions à vous poser sur la recherche, mais je vous garde cela pour demain matin.

M. Harnois: Ah! Merci, madame.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): On revient avec le Comité de la santé mentale.

Je vais inviter le groupe suivant: le Comité d'étude sur les services psychiatriques de la région 06A. Dr Aird, je vais vous demander de présenter vos collègues.

Comité d'étude sur les services psychiatriques de la région 06A

M. Aird (Georges): Je vous remercie de nous avoir invités, Mme la Présidente. Mes collègues sont, à ma droite, Mme Lucienne Robillard, qui est directrice du service social à l'hôpital Pierre-Boucher et à l'hôpital Charles-LeMoyne et qui est aussi présidente de la Commission de la santé mentale pour la région de la Montérégie, la rive sud de Montréal; à ma gauche, Mme Céline Charland, qui est infirmière psychiatrique, coordonnatrice des soins infirmiers psychiatriques à l'hôpital de Granby et qui est aussi adjointe administrative au chef du département de psychiatrie de l'hôpital de Granby.

Notre groupe comporte un quatrième membre qui est malheureusement absent ce soir parce qu'il est en dehors du pays. Il s'agit du Dr Arthur Amyot, qui est directeur du département de psychiatrie à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal et qui a aussi été chef du département de psychiatrie au pavillon Albert-Prévost de l'hôpital du Sacré-Coeur pendant de nombreuses années.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord.

M. Aird: Je m'appelle Georges Aird. J'ai été pendant douze ans, jusqu'au mois de juin dernier, chef du département de psychiatrie de l'hôpital Saint-Luc à Montréal, en plein centre-ville de Montréal.

On se présente à vous ce soir comme un groupe de travail, un groupe pluridisciplinaire qui a eu le privilège d'exécuter deux mandats importants au cours des quinze derniers mois. Le premier a été celui de la commission d'enquête concernant l'hôpital Louis-H. -Lafontaine, un travail qui a été fait par Mme Charland, le Dr Amyot et moi, un mandat du Conseil des ministres. Le deuxième mandat venait du ministre des Affaires sociales et consistait en une étude de l'organisation des services psychiatriques pour la région de Montréal portant principalement sur les problèmes de la sectorisation des travailleurs sociaux et de la coordination des établissements entre eux.

Cela nous met, croyons-nous, dans une position privilégiée dans le sens où on ne représente aucun établissement, aucun organisme, aucune corporation professionnelle, mais un groupe de travail qui a eu l'occasion de voir les choses de façon globale, surtout dans la région de Montréal.

On a rédigé un petit mémoire que je vais tenter de résumer rapidement. Au début, on fait un historique que vous connaissez sans doute très bien de l'évolution des services psychiatriques surtout en Amérique du Nord, qui est aussi l'histoire de l'évolution de la désinstitutionnalisation. On fait état du fait que beaucoup de documents nous montrent combien la psychiatrie des hôpitaux psychiatriques en Amérique du Nord était, semble-t-il, plus intéressante, plus vivante au XIXe siècle, à l'époque de la psychiatrie morale où les soignants, les psychiatres vivaient sur les campus des hôpitaux psychiatriques avec leur famille. Il semble que la période de plus grande noirceur des hôpitaux psychiatriques en Amérique du Nord ait été la première moitié du XXe siècle, alors que tous les champs de la médecine ont avancé à pas de géant et que la psychiatrie est restée stagnante dans ses progès scientifiques. (21 heures)

Par ailleurs, depuis les années cinquante - le Dr Harnois y a fait allusion tantôt - il y a eu des changements majeurs qui ont été surtout dus à l'arrivée de médicaments, à l'arrivée aussi d'une attitude de la société qui était différente vis-à-vis des malades mentaux et des maladies mentales. Ces deux facteurs, joints à des grands scandales de l'opinion publique en France, aux États-Unis et au Canada, ont amené le mouvement de désinstitutionnalisation. On l'a connu au Québec. Cela a été "Les fous crient au secours", cela a été la commission Bédard. Ces phénomènes ont été suivis d'un mouvement important de

désinstitutionnalisation dans nos hôpitaux psychiatriques.

Parallèlement, les hôpitaux psychiatriques ont créé, dès les années soixante, un réseau de structures extrahospitalières qu'on appelait des foyers affiliés où, littéralement, des milliers de malades ont été dirigés, des malades qui, jusque-là, étaient hospitalisés de façon chronique dans les hôpitaux psychiatriques. Ce sont ces foyers affiliés qui sont devenus, alors que M. Forget était ministre des Affaires sociales, des familles d'accueil ou des pavillons, selon, essentiellement, le nombre de bénéficiaires qui y étaient gardés.

J'abrège cet historique, encore une fois, que vous connaissez, pour essayer de faire un petit topo de la situation présente, telle qu'on a pu l'observer, surtout dans la région de Montréal. Il y a dix points que nous avons énumérés. Premièrement, dans les hôpitaux psychiatriques, il y a encore, à notre avis, des malades psychiatriques qui pourraient recevoir leur congé et être orientés vers des ressources plus légères. On y reviendra tout à l'heure. Ceci ne signifie pas du tout qu'on ne croit pas au rôle des hôpitaux psychiatriques dans notre société, mais on pense que si les malades psychiatriques étaient tous bien évalués on se rendrait compte qu'il y en a peut-être un certain nombre qui peuvent sortir.

Deuxièmement, dans un coin que j'ai bien connu pour y avoir travaillé longtemps, le centre-ville de Montréal - c'est d'ailleurs un phénomène qui est vrai de tous les centres-villes des grandes villes d'Amérique du Nord - on observe de nombreux patients psychiatriques qui sont laissés presque entièrement à eux-mêmes, qui mènent une sorte de vie de clochard, qui vivent tantôt dans des maisons de chambres, tantôt sur les bouches de métro, dans des conditions d'exploitation et de grande pauvreté.

On fait état, toujours dans ce tableau un peu impressionniste - cela fait un peu coq-à-l'âne - du fait que, comme l'ont dit tantôt le Dr Jean et le Dr Harnois, les techniques de soins en psychiatrie n'ont pas évolué de façon spectaculaire. On essaie de traiter de façon plus humaine, plus personnelle, les grands malades atteints d'une maladie, essentiellement la schizophrénie dont on ne connaît toujours pas les causes et dont on ne connaît pas le traitement, et on se rend compte qu'une certaine proportion de ces malades, une proportion qui revient, dans presque toutes les études, dans tous les documents, à 5 % ou à 10 %, malgré la technique de soins qu'on utilise, malgré la politique de la porte tournante, malgré tous les efforts qu'on fait pour les garder dans la société, deviennent très vite ce qu'on appelle des grands malades. C'est ce que les Britanniques appellent des "new long-term patients", des gens qui ont presque le même tableau clinique que celui qu'on observait des malades qui passaient leur vie à l'asile autrefois. C'est-à-dire des gens qui sont très symptomatiques, les symptômes sont très évidents, sont très handicapants et, surtout, l'autonomie et la capacité d'exercer les fonctions sociales de base sont très, très atteintes. Comme je le disais tantôt, la politique de la porte tournante ne fonctionne pas auprès de ces malades-là.

Le quatrième point d'observation: les hôpitaux psychiatriques, à Montréal, n'assument plus de rôle de deuxième ligne, c'est-à-dire que les départements de psychiatrie des hôpitaux généraux doivent assumer toute la gamme des soins psychiatriques. Je dis cela parce qu'on répète encore souvent que les hôpitaux généraux envoient vers les hôpitaux psychiatriques les cas qu'ils jugent trop lourds. Cela n'est pas vrai depuis de nombreuses années.

Le cinquième point, je parle des départements de psychiatrie des hôpitaux généraux qui, rapidement, au cours des années, sont devenus souvent des mini-asiles, c'est-à-dire qu'on y traite des patients qui sont aussi malades que ceux qu'on voyait autrefois dans les grands hôpitaux psychiatriques dans des milieux physiques qui n'ont pas été créés pour cela. Un hôpital général n'a pas été fait pour traiter des malades psychiatriques. On essaie de trouver toutes sortes de formules. Très souvent, dans à peu près la moitié des hôpitaux du Québec, les départements de psychiatrie sont logés dans des anciennes écoles d'infirmières derrière l'hôpital, avec des corridors exigus, des lieux de séjour insuffisants, pour des durées d'hospitalisation qui sont très longues, qui sont en général de 40, 50, 60 jours alors que, comme vous le savez, la durée moyenne de séjour dans les hôpitaux généraux est à peu près de huit à dix jours. On a aussi des malades qui y séjournent des années entières. Tous les départements de psychiatrie ont des malades qui y séjournent depuis deux, trois, quatre ans parce qu'on n'arrive pas à trouver des ressources pour les sortir, ce qui fait que le climat des unités de psychiatrie dans les hôpitaux généraux est de plus en plus lourd, de plus en plus pénible, de plus en plus étouffant pour les malades et pour les soignants.

On observe aussi des débordements dans les salles d'urgence. Je pense que les journaux en font état souvent. Le rapport Spitzer, que je n'ai pas lu mais dont j'ai lu les comptes rendus dans les journaux, faisait état, d'après ce qu'on nous en a dit, du fait que 40 % de l'achaladange des urgences était constitué de malades psychiatriques et de personnes âgées. C'est un fait d'observation que, très souvent, les débordements dans les salles d'urgence à Montréal sont constitués en bonne partie de malades psychiatriques. Beaucoup d'hôpitaux généraux ont en

permanence quatre, cinq, six, sept, huit, dix civières psychiatriques à l'urgence qui sont constamment occupées pour des séjours allant de quelques jours à quelques semaines parfois.

Il y a débordement au niveau des cliniques externes des hôpitaux généraux. Ce n'est pas rare d'avoir des listes d'attente de quelques mois, ce qui est tout à fait aberrant quand on sait qu'il est important d'agir rapidement dans le cas d'une crise psychiatrique. C'est ce qu'on nous apprend, c'est ce qu'on apprend aux étudiants des diverses disciplines qui oeuvrent dans les hôpitaux, mais ce n'est pas toujours ce qu'on est capable de pratiquer.

On parle beaucoup de ressources intermédiaires. On en parle depuis quelques années. C'est un sujet qui est devenu d'actualité, qui est devenu à la mode, heureusement. Il y en a encore un manque flagrant. Elles ne sont pas assez nombreuses. Je parlais tantôt des malades psychiatriques qui se clochardisent dans les centres-villes, faute de ressources. Les ressources intermédiaires - c'est un point qu'on a développé pas mal dans notre rapport - doivent être tantôt des ressources thérapeutiques axées surtout sur le traitement, tantôt des ressources sociales axées surtout sur la qualité de l'hébergement. Nous croyons fortement à la nécessité de développer ces deux types de ressources.

On observe aussi, de temps en temps dans les articles de journaux, très souvent dans les lettres des lecteurs dans les journaux, des réactions de l'opinion publique - on voit cela aussi dans des panels à la télévision - concernant ce que j'appelais tantôt la politique de la porte tournante, c'est-à-dire le fait de tenter de réinsérer des malades mentaux. Ce qu'on nous dit souvent, c'est qu'il y a trop de fous en liberté. Pourquoi les laissez-vous sur la rue? Pourquoi ne retournez-vous pas les malades mentaux à l'asile? On nous accuse de faire trop de pressions sur la société et surtout sur les familles en tentant de réinsérer socialement les malades mentaux.

Il y a d'autres milieux aussi qui se plaignent de la pression créée par les malades psychiatriques. Je pense ici surtout aux milieux policiers et judiciaires. Je ne sais pas s'il y a de ces milieux qui seront entendus par votre commission. Nous avons entendu à Montréal des représentants des divers groupes policiers. Ce sont ceux qui sont les plus agressifs à l'égard de tout le réseau psychiatrique. Ils sont souvent aux prises, dans les postes de police et dans les cours municipales, avec des malades qui comparaissent fréquemment sans qu'on arrive à trouver des solutions. Il y a des organismes religieux, il y a de nombreux organismes religieux à Montréal qui s'occupent de certaines clientèles. Je pense ici à la Maison du Père, du côté francophone, qui est une maison financée par l'archidiocèse de Montréal, à la Old Brewery Mission qui est financée par le clergé anglican de Montréal, qui sont des ressources destinées d'abord et avant tout aux alcooliques mais qui reçoivent un grand nombre de malades psychiatriques avec lesquels souvent ils sont tout seuls, ils n'arrivent pas à se débrouiller.

Ces ressources sont d'ailleurs regroupées à Montréal dans un réseau qui s'appelle le réseau d'aide, qui est un réseau qui nous est apparu, lors de nos travaux, comme un réseau extrêmement valable, extrêmement précieux, un réseau à appuyer, à encourager, un réseau qui mériterait d'être mieux articulé à celui des services psychiatriques.

À la suite de ce tableau à vol d'oiseau, il y a un certain nombre de recommandations qu'on apporte ici et qui rejoignent des recommandations qu'on a faites à d'autres niveaux.

Premièrement, on propose de repenser l'organisation des services de psychiatrie et de santé mentale à Montréal en créant huit territoires qui sont tout simplement les huit territoires des départements de santé communautaire qui existent présentement à Montréal. Pourquoi? Parce que Montréal nous est apparu comme une région beaucoup trop grosse, beaucoup trop complexe, présentant des problématiques beaucoup trop nombreuses pour qu'on puisse imaginer qu'elle soit bien coordonnée d'en haut. Il nous est apparu que, dans l'état actuel des choses, il y a très peu de connaissance du réseau qui existe au niveau du conseil régional à Montréal.

Quelqu'un demandait tantôt qui coordonnerait les divers intervenants du milieu hospitalier ou du milieu extrahospitalier s'occupant d'un même malade, tantôt à l'hôpital, tantôt dans une ressource intermédiaire. On pense qu'avant de coordonner à la base, au niveau des professionnels, il faudrait qu'il y ait un peu plus de coordination en haut, que les établissements, que les organismes, que les gens qui s'occupent de la gestion de ces diverses ressources aient l'occasion, au niveau d'un même territoire, d'établir des politiques communes. On pense que cela pourrait se faire idéalement au niveau d'un département de santé communautaire qui regroupe quand même des populations importantes. C'est environ 300 000 personnes, je pense, par territoire. Mais c'est moins gros qu'une ville de 2 000 000 avec toutes ses complexités ethniques, religieuses, etc.

Il nous a semblé extrêmement important - je pense ici à la deuxième recommandation - qu'il y ait une première ligne de soins qui soit plus développée concernant les problèmes de psychiatrie et de santé mentale. Je parlais tantôt du

débordement du réseau psychiatrique. Celui-ci a peut-être créé lui-même ce débordement en s'imaginant qu'il était seul capable de s'occuper des problèmes psychiatriques de la société. Je pense qu'on a la preuve bien concrète devant les yeux que c'est illusoire de s'imaginer cela et que le réseau qui est constitué au Québec prévoit une première ligne de soins et que cette première ligne de soins devrait exister aussi pour les problèmes de psychiatrie et de santé mentale. Je fais allusion ici spécifiquement aux CLSC dont beaucoup sont en voie d'implantation actuellement à Montréal, aux cabinets d'omnipraticiens et aussi aux cabinets d'autres professionnels de la santé mentale qui peuvent résoudre un bon nombre de problèmes à condition, souvent, de recevoir de l'encadrement, de la consultation, de l'enseignement. Dans notre travail, on s'est rendu compte que cette hypothèse était loin d'être illusoire, que beaucoup d'omnipraticiens, que beaucoup de CLSC sont prêts à jouer ce rôle à condition encore une fois, comme je le disais, d'être encadrés,

Troisième recommandation. Consolider les services psychiatriques existants. On pense qu'il y a un besoin d'un peu d'accroissement de budget et de moyens techniques dans les départements de psychiatrie à Montréal actuellement. Peut-être pas énormément, mais il y aurait moyen de faire en sorte d'éponger ces débordements cliniques. On pense qu'il y aurait un besoin de lits de courte durée, ce qui pourrait, croyons-nous, faire disparaître ces antichambres de psychiatrie dans les salles d'urgence à Montréal.

Nous croyons à la nécessité d'une deuxième ligne de soins psychiatriques pour traiter ce que j'appelais tantôt les malades psychiatriques lourds, les chroniques, les 5 % à 10 % de "new long-term patients" qu'il nous est difficile de traiter dans les départements de psychiatrie des hôpitaux généraux. Nous pensons à des unités de deuxième ligne qui pourraient être, soit dans les hôpitaux psychiatriques, soit ailleurs, reliées à des hôpitaux généraux, mais qu'il y ait un deuxième réseau de soins spécifiques pour cette clientèle, quelque chose qui ne serait pas un nouvel asile, qui ne serait pas un lieu où les malades entrent et ne sortent jamais, mais un lieu qui serait simplement mieux adapté que nos petits départements de psychiatrie à des traitements plus prolongés, à des traitements qui pourraient être d'un an, un an et demi, deux ans, avec des plans de soins bien faits.

J'ai parlé tantôt des ressources intermédiaires; on y revient ici, dans les recommandations. Il y a la nécessité de créer des ressources intermédiaires, des ressources qui pourraient être tantôt une véritable alternative à l'hospitalisation, par exemple, des centres de crise ou des hôpitaux de jour; des ressources qui pourraient augmenter l'efficacité de nos cliniques externes, par exemple, des centres de jour et des ressources d'hébergement, comme je le disais tantôt, des ressources qui s'occupent plus de l'aspect social de la vie des patients et des ressources qui soient plus diversifiées que celles qu'on a à notre disposition actuellement, c'est-à-dire les familles d'accueil et les pavillons. (21 h 15)

II y a des expériences qui ont été mises sur pied, dont celle des appartements supervisés, qui nous apparaissent extrêmement intéressantes. Cependant, ces expériences ne sont pas nécessairement valables pour toutes les clientèles et pour toutes les régions. Je pense qu'il faut tenir compte de la diversité des clientèles, des caractéristiques de chaque région et de chaque hôpital, qu'il y ait un peu de liberté dans le développement de ces ressources, qu'on n'impose pas un modèle ou quelques modèles identiques dans toute la province, comme on l'a déjà fait dans d'autres domaines.

Il nous est apparu qu'il y avait une disproportion dans les fonds psychiatriques, à Montréal. Les quatre grands hôpitaux psychiatriques de Montréal se voient affecter un budget d'environ 200 000 000 $, alors que les 16 ou 18 départements de psychiatrie des hôpitaux généraux reçoivent une trentaine de millions de dollars. Cela donne comme résultat qu'aux yeux du ministère des Affaires sociales la psychiatrie, à Montréal, ce sont les quatre grands hôpitaux psychiatriques, alors que, comme je vous le disais, en première ligne, les hôpitaux généraux assument 75 % de la psychiatrie, en ce qui concerne les adultes, pour les soins psychiatriques aux malades.

Nous croyons, et nous l'avons dit dans nos rapports, qu'il faut sortir des hôpitaux psychiatriques deux clientèles qui, à notre avis, n'appartiennent pas à ces hôpitaux, c'est-à-dire celle des déficients mentaux et celle des personnes âgées. On ne veut pas dire par là qu'il ne devrait pas y avoir de personnes âgées dans les hôpitaux psychiatriques, mais on ne croit pas que les hôpitaux psychiatriques devraient avoir des centres d'accueil pour personnes âgées très bien organisés. On pense que les personnes âgées devraient être hébergées et traitées dans d'autres lieux, d'autant plus que pour ces personnes l'expérience montre que les problèmes sont rarement d'ordre uniquement psychologique. Les problèmes sont souvent de trois ordres: psychologique, médical et social. Il faut traiter ces trois composantes de façon parallèle.

Quant aux déficients mentaux, je pense que cela se passe de commentaire. On observe que les hôpitaux psychiatriques sont souvent des lieux un peu oubliés. Les

patients qui sont les plus oubliés, dans les hôpitaux psychiatriques, ce sont les déficients. Il semble bien que les déficients mentaux soient mieux traités dans des ressources qui sont organisées, qui sont programmées spécifiquement pour cette clientèle, plutôt que dans les hôpitaux psychiatriques.

Huitièmement, nous proposons de continuer la désinstitutionnalisation des patients psychiatriques, les vrais patients psychiatriques qui sont présentement dans les hôpitaux psychiatriques, de le faire progressivement, prudemment, pour ne pas rééditer les expériences pénibles qui ont été connues dans d'autres pays où on clochardise littéralement des milliers de patients, tout simplement parce qu'on les sort sans se préoccuper de savoir où ils vont. Parallèlement au développement de ressources appropriées, qu'on continue la désinsertion de la façon, je pense, dont le décrivait le Dr Harnois tout à l'heure, qui est une façon avec laquelle on est certainement tout à fait d'accord.

Je voudrais terminer en disant que, si la problématique de désinstitutionnalisation est importante, elle ne nous apparaît pas représenter toute la problématique psychiatrique au Québec, actuellement. Beaucoup de patients psychiatriques traités dans les services de psychiatrie des hôpitaux généraux ne sont jamais allés à l'hôpital psychiatrique ou en sont sortis depuis longtemps. Donc, cela concerne certainement quelques centaines de patients qu'on pourrait sortir des hôpitaux psychiatriques, mais il y a beaucoup plus de malades psychiatriques que cela au Québec. Si on se fie à des statistiques qui ont cours dans à peu près tous les pays, on peut compter qu'il y a au moins 100 000 patients psychiatriques importants au Québec, alors que des patients psychiatriques présentement hébergés dans les hôpitaux psychiatriques, il y en a à peine quelques milliers. On pense que, parallèlement à la désinstitutionnalisation, il est important de consolider les services en place présentement dans les hôpitaux généraux et il est important de développer des ressources intermédiaires appropriées pour la clientèle traitée dans les hôpitaux généraux.

On pense aussi que la désinstitutionnalisation, la création des ressources intermédiaires et l'amélioration globale des services aux patients psychiatriques ne peuvent se réaliser sans la concertation et la collaboration de toutes les instances concernées. Les patients psychiatriques ont besoin de soins, ils ont aussi besoin de services et ceci ne peut se réaliser dans un contexte de querelles de clocher. Dans un domaine où il y a autant d'incertitude que celui de la psychiatrie, personne ne peut prétendre détenir la vérité absolue.

Je voudrais m'arrêter ici. Je ne sais pas si mes collègues ont quelque chose à ajouter.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Voulez-vous ajouter quelque chose? Vous allez attendre les questions? D'accord.

Dr Aird et votre équipe, je désire vous remercier de vous être présentés devant la commission. Au point de départ je pensais que vous représentiez le point de vue du CRSSS de Montréal, mais je réalise que j'étais tout à fait dans l'erreur. C'est parce que j'ai vu 06A et j'ai dit... Je pense que vous avez bien expliqué... Vous ne l'avez pas dit ouvertement, mais j'ai eu l'impression que le CRSSS de Montréal avait peut-être trop de responsabilités pour planifier la psychiatrie, que cela devait être fait à une échelle moins considérable. Enfin, c'est ce que j'ai déduit de ce que vous avez glissé dans vos propos.

Je vais revenir par la suite. Je vais d'abord donner la parole à mon collègue de Marie-Victorin et à mes autres collègues et je reviendrai à la fin.

M. Pratt: Je remercie le Dr Aird pour son survol des problèmes psychiatriques dans la grande région de Montréal. Vous me permettrez un point de vue intéressé. Je vais poser une question à Mme Robillard qui s'occupe plus spécialement de la région qui me concerne. Elle est travailleuse sociale et chef du service social des hôpitaux Charles-LeMoyne et Pierre-Boucher. Je voudrais savoir si la situation décrite par le Dr Aird correspond assez bien à ce que nous connaissons sur la rive sud. Deuxièmement, où en sommes-nous dans l'implantation des ressources intermédiaires sur la rive sud? Je voudrais le tableau à l'heure où je vous parle.

Mme Robillard (Lucienne): Permettez-moi d'abord de vous dire qu'il y a une grande distinction entre le territoire de la Montérégie et le territoire de Montréal en ce qui regarde les soins prolongés en psychiatrie. On parle beaucoup de désinstitutionnalisation à Montréal ou dans les grands centres. Ces hôpitaux sont surtout en territoire urbain. En Montérégie, comme vous le savez sans doute, on n'a pas de lits de soins prolongés en psychiatrie, à l'exception de deux sous-régions, Sorel et Saint-Hyacinthe.

Pour la sous-région qui vous concerne, je pense, dans le coin de Longueuil, si je prends la sous-région de Longueuil, on n'a aucun lit de soins prolongés. C'est bien sûr que ce n'est pas un problème de désinstitutionnalisation, mais les mêmes problèmes que le Dr Aird a décrits, à savoir le traitement et les soins à des malades

mentaux chroniques. Dans ce sens-là, cela ressemble beaucoup à la problématique de Montréal, à l'exception, comme je vous le dis, du phénomène de la désinstitutionnalisation.

Deuxièmement, je peux vous dire que nous sommes fiers, en Montérégie, d'avoir eu depuis quelques années le développement de ressources que je qualifierais non pas d'intermédiaires, mais d'alternatives en santé mentale. Sur l'ensemble du territoire, on a maintenant des ressources alternatives en santé mentale qui sont des ressources différentes, autonomes, fournies par le réseau des Affaires sociales. On privilégie d'ailleurs que toutes ces ressources soient sous forme de ce qu'on appelle OSBL ou organisme sans but lucratif, ce qui n'empêche absolument pas que les services donnés par ces ressources le soient en complémentarité et en collaboration avec les ressources de nos départements de psychiatrie.

Si vous connaissez notre sous-région et nos ressources, on peut citer l'exemple d'Espoir, avec lequel nos deux départements de psychiatrie dans les sous-régions de Charles-LeMoyne et Pierre-Boucher ont des liens très étroits; de même, l'Entre-Deux, chez nous, aussi est une ressource alternative en santé mentale qui a des liens avec le département de psychiatrie. Tout cela pour vous dire que cela revient un peu à ce que le Dr Aird disait tantôt, quand tous les intervenants d'une sous-région décident de s'asseoir à la même table et de travailler ensemble au même objectif commun, peu importe qui assume le leadership, la coordination peut se faire pour ce qui est du traitement des malades et je pense qu'on en est un exemple sur la rive sud. Par ailleurs, le réseau des ressources intermédiaires, celles que je qualifierais plus, tel qu'on l'a décrit dans notre rapport, de ressources qui aideraient à développer encore plus la réadaptation chez nos malades, autant que les appartements supervisés, ce sont des ressources à mettre sur pied sur la rive sud et qui n'existent pas encore à l'échelle de la région. Je ne sais pas si je réponds bien à votre question.

M. Pratt: Oui, très bien. Est-ce que les deux hôpitaux travaillent dans une assez grande complémentarité?

Mme Robillard: En ce qui regarde la pédopsychiatrie, comme vous le savez, c'est l'hôpital Charles-LeMoyne qui dessert toute la sous-région de Longueuil. En ce qui regarde la psychiatrie adulte, les territoires ont été divisés selon les CLSC. Je peux vous assurer, en travaillant dans les deux hôpitaux, qu'il y a sûrement une certaine complémentarité et une collaboration entre les deux départements de psychiatrie.

M. Pratt: Merci.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Pour continuer dans le sens de M. le député de Marie-Victorin, vous disiez tout à l'heure que, pour les ressources en appartements ou en foyers d'accueil... N'y a-t-il pas eu une tentative qui a été faite soit à Beloeil ou à Saint-Bruno, quelque chose qui a apporté une contestation d'une partie de la population?

Mme Robillard: Je regrette, cela n'a pas été porté à ma connaissance.

M. Laplante: Mais c'est fait, cela.

Mme Robillard: Cela n'a pas été porté à notre connaissance, en tout cas, à la commission sur la santé mentale.

M. Laplante: II n'y a pas...

M. Pratt: Le pavillon Anne-Leseigneur, à Chambly.

Mme Robillard: Ah! peut-être. Remarquez que je ne m'y connais pas dans la problématique de la déficience mentale et si on parle d'Anne-LeSeigneur, qui est à Chambly, présentement, où il est question de désinstitutionnalisation, il y a eu des réactions très fortes de la population et des municipalités et tout, mais ce n'est vraiment pas dans mon champ d'expertise.

M. Laplante: Ce n'est pas dans votre champ.

Mme Robillard: C'étaient des déficients mentaux.

M. Laplante: Je m'excuse. Je savais qu'il y avait quelque chose dans ce coin.

Mme Robillard: C'est peut-être cela.

M. Laplante: Les clientèles que vous avez chez vous au point de vue de la richesse, si vous voulez, les citoyens qui sont là sont plus à l'aise, votre communauté est beaucoup plus à l'aise que la communauté du centre-ville où le Dr Aird pratique actuellement. Je pense que les disponibilités sont plus grandes au point de vue social que dans le milieu où vous êtes, docteur, à Saint-Luc.

Maintenant, 75 % des patients sont traités dans les hôpitaux généraux. Là, vous nous sensibilisez énormément à votre première réaction que vous avez donnée, au début, sur les urgences, lorsque vous dites, à un moment donné, que 40 % des salles d'urgence sont occupées par des cas

psychiatriques et des cas de personnes du troisième âge. Dans ce cas, vous seriez probablement en faveur de centraliser è deux ou trois endroits, dans l'agglomération de Montréal, ce genre d'urgence additionné de vos lits, dont vous parliez, de courte durée, qui peuvent être pour des traitements d'une, deux ou trois semaines. Est-ce que vous seriez en faveur, à ce moment, de sortir des hôpitaux les lits que vous avez actuellement en permanence en psychiatrie?

M. Aird: Vous parlez des civières à l'urgence ou des lits de courte durée dans les hôpitaux?

M. Laplante: Vous parliez tout à l'heure d'essayer de sortir de l'urgence les lits qui sont occupés, justement, par les cas psychiatriques. Est-ce que vous seriez en faveur, à ce moment, en sortant ces lits, de centraliser cela dans deux ou trois endroits spécifiques, soit des constructions nouvelles ou ailleurs, spécialement consacrés aux cas psychiatriques? En même temps, vous disiez aussi qu'on devrait avoir un certain nombre de lits. Vous avez parlé d'un an et demi tout à l'heure, mais les lits que vous avez actuellement en psychiatrie dans vos hôpitaux, je suis surpris que la plupart de ces cas durent deux, trois et quatre ans, parce qu'on en a vu jusqu'à quatre ans. Â Fleury, on a même sorti un patient, cela faisait tout près de cinq ans qu'il était là, dans un hôpital 06 il y a 28 lits consacrés à la psychiatrie pour un bassin de 200 000 personnes. Seriez-vous favorable à une centralisation dans des hôpitaux spéciaux pour cela ou dans des salles d'urgence? (21 h 30)

M. Aird: La situation du département des urgences, elle se voit surtout dans le milieu francophone à Montréal; elle se voit dans à peu près tous les grands hôpitaux francophones à Montréal et je pense qu'elle traduit un nombre insuffisant de lits psychiatriques de courte durée dans les hôpitaux francophones. Je ne vois pas comment arriver à un nombre très grand, c'est une question de quelques dizaines de lits, mais je pense que quelques dizaines de lits de courte durée de plus répartis dans les hôpitaux généraux francophones de Montréal pourraient faire disparaître ce phénomène de la salle d'urgence qui constitue une antichambre à l'hospitalisation dans beaucoup de départements.

Maintenant, c'est certain qu'il y a l'autre extrême du problème, qui est celui des patients qui séjournent très longtemps, qui sont une minorité de patients, mais qui sont une minorité dont on parle tout le temps, parce qu'elle est assez spectaculaire, ceux qui séjournent et qui ne sortent pas parce qu'on n'a pas de ressources pour eux. Si on en trouvait pour ceux-ci, si le temps de latence entre le moment où la sortie d'un patient est décidée et le moment où il sort effectivement parce qu'on lui a trouvé une ressource était rétréci, il est possible qu'à ce moment-là on libérerait le nombre suffisant de lits de courte durée auquel je pensais sans qu'on ait à en créer de nouveaux. La mode n'est certainement pas à créer des lits en psychiatrie à Montréal; en disant cela, je sais que je dis des choses qui font rebrousser le poil de bien des gens mais je pense qu'il faut régler le problème des urgences. Je pense que ce problème est assez scandaleux. Il faut le régler. Il faut cesser ces attentes prolongées de patients psychiatriques dans les salles d'urgence à Montréal.

M. Laplante: Je suis complètement d'accord avec vous et je vous suis très bien là-dessus. Mais il y a un problème qui existe aussi, à savoir que c'est cyclique; mars et avril, on dit que ce sont deux gros mois en psychiatrie, ainsi que les mois de novembre et décembre, et qu'il y a alors débordement de cas psychiatriques dans les urgences des hôpitaux. Est-ce que cela est exact?

M. Aird: C'est vrai que c'est plus prononcé à certaines périodes de l'année et que cela l'est moins à d'autres. - Mais je peux vous assurer que le phénomène est chronique à longueur d'année; le phénomène dont je vous parlais est chronique à longueur d'année à Montréal.

M. Laplante: Mais si on consacre des lits additionnels dans les hôpitaux, tels que Saint-Luc ou d'autres, et qu'on augmente... Je ne sais pas combien vous en avez?

M. Aird: Quarante.

M. Laplante: Quarante. Qu'on augmente cela de dix lits, disons, chez vous, dix autres lits à...

Mme Robillard: Jean-Talon?

M. Laplante:... Jean-Talon, dix autres lits à Fleury, suivant les centres qui sont là, est-ce qu'il faudrait dire que ces lits, on les prend ailleurs dans l'hôpital?

M. Aird: Ah!. Je n'ai pas d'objection. Mais si les directeurs généraux étaient ici autour de la table... Quand ils les donnent à la psychiatrie, ils les enlèvent à la chirurgie ou à la médecine de courte durée, c'est enlever à Pierre pour donner à Jean; ce n'est pas très populaire dans les hôpitaux...

M. Laplante: Mais est-ce que cela changerait? Ecoutez...

M. Aird:... d'autant plus...

M. Laplante:... si on parle du débordement des urgences, déjà ii y a un manque de places. Si on accorde dix lits additionnels à chacun de ces hôpitaux, les autres cas électifs ou appelez-les comme vous voudrez, qu'est-ce qui arrive de ceux-ci quand l'hôpital est plein?

Mme Charland (Céline): II faut peut-être ajouter que le problème dans les urgences est complexe. Ce n'est pas seulement un manque de lits; il y a un manque de lits, mais il y a aussi des fois un manque d'hébergement, un manque de fin de mois, de gens qui n'ont pas d'argent pour manger. En ce qui concerne la prise en charge dans les cliniques externes, ces dernières sont souvent débordées. Cela veut dire que cela peut prendre deux mois avant que la personne ait un rendez-vous en clinique externe. C'est multiple comme problème, le débordement des urgences. Il y a une question de lits, mais ce n'est pas le seul problème; cela touche toute la complémentarité des services aussi.

M. Aird: C'est très juste. Et pour juste reprendre un mot que vous aviez dit à la fin de votre intervention, il n'y a rien d'électif en psychiatrie; c'est ce qui fait la différence entre nos services et la plupart des autres services hospitaliers dans un hôpital général. La présence d'une certaine marge de cas électifs permet à la plupart des autres services de l'hôpital d'éponger, de faire en sorte qu'il n'y ait pas de séjours trop longs à l'urgence. En psychiatrie, cela n'existe plus des cas électifs. Tous les cas sont admis de façon urgente et il n'y a aucune façon de rétrécir les...

M. Laplante: En étudiant votre rapport, après avoir entendu chacun des mémoires ici, ce que vous avez dit tout à l'heure m'a beaucoup sensibilisé. Ce dont je voudrais être sûr avant de dire qu'on peut octroyer des lits additionnels en psychiatrie aux dépens d'autres services dans un même hôpital... Vous avez dit aussi qu'il n'est pas nécessaire de construire ou d'agrandir des hôpitaux pour faire ces choses-là. Il reste que j'ai en tête un cas spécifique, celui de l'hôpital Fleury, un hôpital de 250 lits, dont 28 en psychiatrie. Au moment où je vous parle, il y a 96 personnes âgées, dont 88 sont des cas psychiatriques, alors, il ne reste plus beaucoup de lits pour des cas électifs, comme je vous disais tout à l'heure, ou d'autres lits pour les urgences qui arrivent pour avoir justement des soins professionnels adéquats dans cet hôpital, pour que les médecins spécialistes soient intéressés à cet hôpital à partir de l'anesthésiste jusqu'au chirurgien de la spécialité que vous voudrez. Cela aussi m'inquiète beaucoup dans ce milieu. Comment ferait-on pour... ? D'une manière ou de l'autre, il va falloir construire quelque chose pour placer les personnes du troisième âge qui sont là et qui sont des cas qu'on ne peut pas placer actuellement.

M. Aird: La situation que vous décrivez est réelle et juste. Je suis très sensible à cela. Quand j'ai été président de la Commission des services psychiatriques, le dossier de l'hôpital Fleury est l'un des premiers dont on s'est occupé, parce que c'est un hôpital qui est assez fragile et qui a longtemps été en crise. On avait recommandé, d'ailleurs, du développement psychiatrique pour l'hôpital Fleury. Je pense qu'il y a eu en cours de route un certain développement de la part du ministère. C'est un...

M. Laplante: Oui, il y a eu la clinique externe qui a aidé.

M. Aird:... hôpital dont les besoins ont été jugés prioritaires et qui a bénéficié d'un certain développement.

Quand je parlais de développement tantôt, de consolidation des choses en place, il n'y a effectivement pas surtout, peut-être même pas principalement, le nombre de lits, il y a aussi les cliniques externes. Mme Charland a bien souligné tantôt que, souvent, le débordement à l'urgence vient aussi du fait que les équipes externes sont débordées et ne peuvent pas jouer un rôle d'intervention de crise. Souvent, si on voit un patient à l'urgence et si on lui dit, en sachant que c'est vrai, qu'il sera vu en clinique externe dans trois jours, la clinique externe peut fort bien s'occuper de cette crise. Mais, si on sait qu'il ne sera pas vu avant quinze jours, on le met sur une liste d'attente pour être hospitalisé et pour une hospitalisation qu'on aurait peut-être pu éviter si on avait eu suffisamment d'outils disponibles pour s'occuper de cette crise-là sur une base ambulatoire, sur une base externe.

M. Laplante: Je vous remercie, monsieur.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'ai lu votre mémoire avec beaucoup d'attention. Je ne sais pas dans quelle mesure c'est un résumé fidèle du mémoire que vous avez remis au ministre des Affaires sociales, M. Chevrette. Il reste que vous décrivez l'état de la psychiatrie ou des services de psychiatrie à Montréal d'une façon assez pessimiste finalement ou c'est moi qui l'interprète comme cela. Pour nous, évidemment, la discussion dévie - je ne devrais pas dire dévie - porte plutôt en partie sur la désinstitutionnalisation. Mais notre préoccupation, ce sont ceux qui sont déjà dans la communauté. On sait fort bien

que les 0-30 ans ou les 0-35 ans n'ont probablement jamais été institutionnalisés pour de longues périodes parce qu'ils n'ont pas connu les grandes institutions comme vous le mentionnez; les hôpitaux psychiatriques ne les reçoivent plus de toute façon. S'ils deviennent chroniques, ils le sont dans les départements, les unités psychiatriques des hôpitaux généraux. Il reste qu'il y a des questions que je me pose et auxquelles je n'ai pas de réponse.

Dans votre historique, vous exposez tout le phénomène de la désinstitutionnatisation qui est survenue au début des années soixante et qui s'est poursuivie comme une étape importante dans l'évolution de la psychiatrie. En même temps, c'est vrai qu'on a eu des foyers d'accueil, des pavillons ou des choses comme cela qui, dans le fond, étaient simplement un déplacement, j'ai l'impression, de l'institution. Si je me trompe, vous me corrigerez par la suite.

Est-ce que je dois conclure qu'entre -mes dates sont approximatives - 1972 ou 1975 et aujourd'hui finalement, il y a eu des efforts, des tentatives de développer de véritables ressources alternatives ou de véritables éléments d'appui pour la réinsertion sociale, mais qu'on n'y réussit pas beaucoup, qu'on n'a pas les moyens d'y réussir? C'est qu'on se trouve maintenant devant une situation où vous avez les engorgements dans les salles d'urgence; vous avez cette population ambulante que vous avez appelée une population clocharde et qui, en fait, est cela et vous avez tous ceux, finalement, qui disparaissent dans la brume et qui sont là et qu'on voit ressortir, je pense à un drame ou des choses comme cela. Votre première recommandation est de repenser l'organisation des services de psychiatrie et de santé mentale à Montréal. J'avais l'impression que cela faisait déjà plusieurs années qu'on était censé travailler à cette réorganisation des services de santé et de psychiatrie à Montréal. Il y a des éléments qui m'échappent parce que, à moins que je lise votre rapport d'une façon pessimiste, j'ai l'impression qu'il est pessimiste. Pas dans le sens qu'il n'y a pas d'espoir, mais dans le sens qu'il y a des problèmes qui sont devenus stagnants, finalement, des problèmes qui ne semblent pas se résoudre. Est-ce que je me trompe dans ma perception des choses?

M. Aird: Je vais vous livrer quelques réflexions. Peut-être que mes collègues pourront les compléter. Je pense que c'est vrai que la situation des services psychiatriques est moins bonne à Montréal que dans l'ensemble de la province. C'est sûr que, quand on regarde la distribution des effectifs, si je parle de ma profession, des psychiatres, on dit qu'ils sont tous concentrés à Montréal et à Québec, un peu à Sherbrooke et qu'il n'y en a pas en dehors. Les services sont donc sûrement bien meilleurs à Montréal. Mais si on regarde dans le concret, si on fait le tour des établissements, comme le suggérait le Dr Harnois tantôt, si on regarde ce qui se passe concrètement, je pense que les services sont beaucoup plus débordés, en tout cas dans le milieu que je connais bien, soit celui des hôpitaux francophones à Montréal, que dans la plupart des autres établissements partout ailleurs en province.

Vous demandiez s'il s'est fait quelque chose au niveau régional à Montréal. Le discours sur les ressources alternatives, sur les structures intermédiaires est assez récent à Montréal. Il date d'à peine deux ou trois ans et les budgets aussi, les budgets de développement. Cela ne sert à rien d'en parler s'il n'y a pas d'argent pour les développer. C'est très récent. Il y a eu des expériences antérieures à cela qui ont été des expériences locales dues essentiellement au dynamisme et à la bonne volonté de certaines personnes. Le Dr Harnois en a décrit tout à l'heure. Il y a celle de Mme Letourneux à Maisonneuve-Rosemont, qui a développé des appartements supervisés et qui est une expérience, je pense, remarquable, mais ce sont des expériences isolées. Dans l'ensemble de la région de Montréal, il n'y a eu aucun développement jusqu'à tout récemment, à part le réseau de familles d'accueil et le réseau de pavillons qui sont des réseaux qui datent de l'histoire du passé, comme vous l'avez bien dit vous aussi, qui datent de la désinstitutionnalisation. Les pavillons sont des structures lourdes, effectivement, où la qualité de la vie n'est pas tellement différente de ce qu'elle était à l'hôpital psychiatrique - c'est un genre de ressource qui est là, il est possiblement bien pour les patients qui y sont, mais je ne pense pas que cela soit un réseau à développer - et il y a le réseau des familles d'accueil. Ce qu'on a vécu, nous, à Montréal, surtout à Saint-Luc, ces dernières années, c'est un réseau qui est trop "léger" pour les patients psychiatriques qu'on y dirige. La plupart du temps, les familles d'accueil étaient débordées par la complexité des problèmes ce qui fait que, très souvent, il n'y avait pas de ressources disponibles. L'autre chose est que les familles d'accueil disponibles sont devenues de plus en plus périphériques. Ces dernières années, les patients qui ont été placés en famille d'accueil à partir de Saint-Luc l'étaient à Laval, à Lachine, dans des endroits aussi éloignés que cela, où on déracine complètement un patient de son milieu de vie et où c'est tout un problème aussi pour les soignants de suivre un patient qui reste à l'autre bout du monde, qui reste à des milles de distance.

(21 h 45)

Donc, si le tableau qu'on dresse est un peu pessimiste, je ne pense pas que ce soit outrancier. Du côté optimiste, il y a eu l'immense développement de la psychiatrie en hôpital général à Montréal. Il y a eu surtout, de ta part des administrateurs d'hôpitaux, une ouverture, une compréhension de la chose psychiatrique qui est nettement meilleure. Je pense qu'on a vécu, il y a dix, quinze ans, beaucoup d'expériences où les départements de psychiatrie étaient en guerre avec les administrations hospitalières. On ne voit à peu près plus cela. Je pense qu'on bénéficie la plupart du temps d'une bonne collaboration, d'un bon appui de la part des directeurs généraux et des autres directeurs des hôpitaux généraux, qui, peut-être à travers les crises qu'on a vécues, les crises des urgences, les crises de débordement, se sont beaucoup familiarisés avec la chose psychiatrique.

Il reste que l'existence de cette psychiatrie lourde demeure toujours problématique dans les hôpitaux généraux, qui n'ont pas été faits pour cela, qui ne sont pas programmés pour traiter des malades psychiatriques, qui sont essentiellement programmés pour traiter des patients médicaux et chirurgicaux de façon brève, à courte durée. Cela demeure problématique. Il y a un bon bout de chemin de fait et je crois à cette sorte de psychiatrie. J'y crois beaucoup. C'est la seule que j'aie pratiquée durant ma carrière mais je pense qu'il faut la consolider et il faut voir que la psychiatrie au Québec et à Montréal n'est pas seulement ce qui se passe dans les hôpitaux psychiatriques. C'est beaucoup ce qui se passe dans les hôpitaux généraux.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux):

Comme deuxième recommandation, vous dites que les CLSC et les cabinets d'omnipraticiens sont une porte d'entrée reconnue pour des problèmes de psychiatrie. Vous dites, c'est peut-être vous, Dr Harnois, qui avez dit: II y a des CLSC qui sont à se développer ou ont été implantés, etc. Mais on demande déjà aux CLSC qui se disent incapables d'y répondre et, dans les faits, à un bon nombre d'entre eux, particulièrement les derniers-nés, si on veut, de s'occuper des personnes âgées comme étant la priorité. Dans quelle mesure croyez-vous qu'une recommandation comme celle-ci puisse être efficace quand ils ne répondent même pas à un besoin sur lequel il y a un consensus quant au caractère prioritaire qui doit lui être accordé?

M. Aird: Ce que vous dites est juste. Je pense que, si on est d'accord avec le fait que la première ligne de soins de psychiatrie et de santé mentale doit aussi exister dans les CLSC, il faut aussi en faire une priorité et il faut prévoir des budgets à cet effet. On sait que cela peut se faire. Il y a des CLSC à Montréal où cela se fait. Il y a des CLSC de la première génération qui ont développé d'excellents services de santé mentale. Je pense au CLSC de Rivière-des-Prairies, je pense aux deux CLSC avec lesquels nous collaborions à Saint-Luc, centre-ville et centre-sud, qui, sans programme spécifique dans le domaine de la santé mentale, acceptaient de prendre en charge un bon nombre de patients psychiatriques avec un excellent degré de collaboration avec le département de psychiatrie de l'hôpital.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui, mais c'est par contre dans ce même district ou quartier de Montréal que vous retrouvez, et vous en identifiez même, je pense, le quadrilatère, le grand nombre des patients psychiatriques qui sont pratiquement laissés pour compte. Vous dites que les CLSC ont lancé des initiatives. Je ne doute pas qu'ils aient pris des initiatives mais probablement insuffisantes pour répondre aux besoins de ces personnes parce que c'est là qu'on les retrouve en grand nombre également, particulièrement dans le DSC Saint-Luc.

M. Aird: Et parce qu'aussi tous les problèmes d'ordre plus social de ces patients n'ont pas de réponse ou n'ont à peu près pas de réponse. Ils vivent dans les maisons de chambre du centre-ville, Saint-Denis, Saint-Hubert, Saint-André. Le client typique d'une maison de chambres de ce quartier est un homme de 40 ans et plus qui est soit un alcoolique, soit un grand malade mental et qui...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Maintenant, vous suggérez, dans votre première recommandation, que l'organisation des services de psychiatrie se fasse à partir des DSC. Je comprends que c'est plus attrayant parce que, comme vous le dites, cela divise les territoires. Montréal étant si grand, avec sa multiplicité culturelle, linguistique ou autre, a des problèmes particuliers. Mais, actuellement, on a réduit la vocation des DSC, si je ne m'abuse. Est-ce que vous pensez qu'ils peuvent reprendre cette responsabilité et que, finalement, on ne déplacerait pas tout simplement le problème?

Mme Robillard: Si vous me le permettez, Mme la Présidente, quand le Dr Aird a apporté cet exemple, ce qu'on suggère par rapport aux DSC, c'est vraiment d'utiliser la base territoriale du DSC et non pas confier au DSC le leadership de ce mode d'organisation. C'est plus la base territoriale déjà existante sur laquelle, d'ailleurs, sont modelés aussi nos CLSC; c'est le même territoire habituellement. C'est sur cette

base territoriale qu'on retrouve un ensemble de ressources de santé mentale et qu'on dit: II doit exister un comité sous-régional de santé mentale. Alors, c'est la base territoriale et non pas confier au D5C comme tel le leadership. Ce n'est pas dans ce sens-là.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Est-ce que vous avez fait une estimation des coûts de développement de ressources alternatives qui favoriseraient la réinsertion sociale? Est-ce que... Là, on dit: Cela prendrait plus d'argent au CLSC. C'est évident qu'il y a un manque de ressources parce qu'il y a des gens qui sont laissés pour compte. Enfin, on a un peu fait le tour, en résumé, des problèmes. Mais qu'est-ce que cela veut dire? Vous parlez d'une redistribution de l'argent entre les hôpitaux psychiatriques et peut-être l'acheminement de ces ressources financières vers d'autres genres de ressources, mais est-ce que vous avez une idée de ce que cela peut représenter? C'est évident qu'il y a un consensus, qu'il manque des ressources alternatives, qu'il manque des moyens de soutien, mais ce qu'on ne sait pas exactement, c'est ce que cela représente comme coût pour que cela soit, disons, satisfaisant. Ne parlons pas de grand luxe, mais...

M. Aird: Honnêtement, nous n'avons pas d'idée parce qu'on n'avait pas les moyens de l'évaluer, je pense que c'est difficile à évaluer. Je pense que le genre de ressources dont telle région, tel territoire a besoin est bien différent de tel autre genre. Il y a un certain budget - le Dr Harnois y a fait allusion tantôt - qui a été développé...

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): 2 000 000 $.

M. Aird: Un budget de 2 000 000 $ qui a été pris à même les budgets des quatre hôpitaux psychiatriques à Montréal, qui est un budget intéressant. Je pense que, plutôt de dire que cela prendrait 20 000 000 $ ou 30 000 000 $, c'est peut-être une approche prudente que d'y aller petit à petit comme cela, de voir avec un certain montant ce qu'on peut développer comme ressource, dans quelle direction cela s'en va, dans quelle mesure cela réalise les objectifs et, par la suite, continuer. Il y a certaines ressources qui nous apparaîtraient prioritaires. Premièrement, ce sont des centres de crise, surtout dans le centre-ville. S'il y avait des centres de crises qui pourraient, 24 heures par jour, sept jours par semaine, répondre au genre d'urgences souvent plus sociales que vraiment psychiatriques que décrivait Mme Céline Charland tantôt, on pense que cela pourrait aider. On a un besoin aussi de certaines ressources d'hébergement qui seraient un genre de foyer de groupe, à mi-chemin entre des familles d'accueil et des pavillons, avec un per diem plus élevé que ce qu'il y a dans les familles d'accueil. Cela nous apparaît pas mal comme des ressources prioritaires. Au lieu de regarder la région de Montréal dans son ensemble de 2 000 000, si on regardait cela petit territoire par petit territoire et si on laissait aux gens de chaque sous-région le soin de déterminer leur priorité, cela serait peut-être plus facile de chiffrer, en tout cas, pour un certain nombre d'années à venir, ce que cela peut coûter plutôt que d'imposer un modèle unique, tant de lits par territoire pour toute la région de Montréal.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Un autre point que vous soulevez, c'est celui de la non-accessibilité des hôpitaux psychiatriques dans le secteur francophone. Quelle en est la cause? Est-ce que c'est parce qu'ils sont surpeuplés eux-mêmes ou, enfin, est-ce que c'est une... Parce que, si vous avez mentionné le secteur francophone, j'ai l'impression que le même problème d'accessibilité n'existe pas ou existe moins, en tout cas, du côté anglophone.

M. Aird: C'est à peu près la même situation du côté anglophone, même si, le réseau étant un peu moins encombré, il est possible que les échanges soient un peu meilleurs. Si je parle de Louis-Il. -Lafontaine, l'hôpital que je connais le mieux parce que c'est le grand hôpital francophone de Montréal, c'est beaucoup les incendies, les grandes catastrophes qu'il a vécues qui l'ont obligé du jour au lendemain à relocaliser des centaines de patients. Je pense qu'il n'avait tout simplement pas la marge de manoeuvre. Il n'y avait pas de lits disponibles pour représenter une deuxième ligne de soins psychiatriques pour la région. Je pense que c'est le principal facteur. Il y en a possiblement d'autres, mais c'est celui que Louis-Il. -Lafontaine a principalement invoqué.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je dois vous dire qu'il manque un des quatre hôpitaux. Il y a Douglas, Louis-Il. -Lafontaine, Rivière-des-Pairies et quel est le quatrième?

M. Aird: Pinel.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ah bon! C'est cela. Maintenant, une dernière question qui a aussi été abordée par le Dr Harnois, c'est la question de l'évolution des connaissances en psychiatrie qui fait qu'il semble qu'on doive se tourner vers des solutions... c'est-à-dire que le traitement soit le plus humain possible, le plus respectueux possible, savoir respecter l'autonomie des gens, les rendre de plus en plus autonomes;

mais du côté de la psychiatrie, comme science, il semblerait qu'on a évolué du point de vue de la pharmacologie, mais on n'a peut-être pas tellement évolué du point de vue de l'étiologie de la maladie. Est-ce que le pronostic demeure réservé sur ce point particulier?

M. Aird: C'est un des domaines, dans le champ de la médecine, où il se fait le plus de recherche, celui de l'étiologie de ces grandes maladies. C'est exact que, au moment où on se parle, on n'a pas de connaissances suffisantes pour qu'elles soient utilisées sur le plan thérapeutique. Je dois vous dire que, parallèlement à la pharmacologie, aux médicaments, il y a d'autres outils de travail qu'on étudie, qu'on essaie de raffiner. Je pense que tout ce qui concerne l'aspect relationnel du travail avec un patient est un aspect où il se fait beaucoup de travail, de recherche et d'enseignement. Dans l'hôpital où je travaille et dans beaucoup d'hôpitaux aussi, on croit beaucoup à cet aspect, à l'aspect psychothérapique, à des formes de psychothérapie adaptées au traitement des psychotiques. On a appris, par exemple, qu'il faut plus qu'un psychothérapeute pour bien traiter un patient psychiatrique lourd; il en faut deux. Il faut qu'il y ait une sorte de triangle dans la relation pour éviter qu'il y ait une espèce d'enfermement qui devienne aussi fou que la maladie elle-même. Il y a des choses qu'on a apprises.

On a appris aussi - tout ce dont on discute ici ce soir - des modèles de soin et d'hébergement. Cela fait beaucoup partie de la documentation psychiatrique actuellement. Il y a beaucoup de choses qui s'écrivent et beaucoup d'études qui se font sur des modèles extrahospitaliers qui peuvent être adaptés au traitement des malades psychiatriques.

La psychopharmacologie, les médicaments sont un champ important de soins, mais c'est loin d'être le seul sur lequel il faut viser, à moins qu'on nous dise demain matin que tel médicament peut guérir la maladie, mais on est loin d'être rendu là.

L'aspect relationnel est extrêmement important. Ce qui fait, dans le fond, qu'un patient va aller à long terme dans une clinique psychiatrique, c'est beaucoup plus dû à la qualité de la relation qu'il va y trouver, à un peu de chaleur qu'il va y trouver une fois par semaine, une fois par quinze jours, une fois par mois. Il y a des patients, à Saint-Luc, qui nous disent: Vous êtes notre famille, vous êtes la seule famille qu'on a; il n'y a personne d'autre à qui on parle. On faisait des groupes, une fois par mois, de certains patients qui s'endimanchaient pour venir aux groupes, qui nous amenaient leurs voisins; c'était leur seule activité sociale dans le mois. Je pense qu'on peut développer des choses simples qui ne sont pas compliquées, mais qui créent, pour les malades psychiatriques, quelque chose de relationnel, alors qu'on sait que leur maladie, par définition, leur fait couper toutes les relations, les rend des gens très peu sociables, très peu aptes à se débrouiller en société. Je crois beaucoup au développement des techniques de ce côté aussi et on a fait un bout de chemin, dans ce domaine, chez nous.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie. On tiendra certainement compte de votre mémoire. Merci bien.

M. Aird: Merci, Mme la Présidente. (22 heures)

Maison Les Étapes Inc.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): J'invite la Maison Les Étapes Inc., à se présenter. M. MacFadden.

M. MacFadden (Christopher): Un instant, s'il vous plaît! Je fume trop. Il est tard et je vais essayer d'être le plus bref possible. J'espère que vous m'aiderez parce que j'ai beaucoup à dire, cela fait longtemps que je travaille dans le domaine.

Mon nom est Christopher MacFadden. Je suis directeur général de la Maison Les Étapes Inc., qui est un organisme à but non lucratif. On travaille avec des patients en psychiatrie, c'est-à-dire des adultes qui ont vécu plusieurs expériences en psychiatrie et qui ont été hospitalisés. Je suis aussi directeur général d'un organisme à but non lucratif qui s'appelle Pracom Inc., une division de la Maison Les Étapes Inc. C'est un centre communautaire de jour et de soir subventionné entièrement par l'Institut Pinel. Je suis aussi coordinateur-conseil pour une des cinq sous-régions de Montréal, c'est-à-dire la sous-région centre-ouest. Yvan Drouin, qui est avec moi, est un des animateurs chez nous.

Je veux parler de trois choses. Peut-être que de temps en temps je vais être obligé de parler en anglais parce que je suis anglophone et que je manque de mots.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Sentez-vous à l'aise.

M. MacFadden: Je vais parler de trois choses: les services qu'on donne à Pracom et à la Maison Les Étapes Inc., en partant, très brièvement parce que vous avez déjà en main le rapport annuel de l'année financière 1984-1985. Dans un deuxième temps je vais glisser certains mots sur les autres ressources alternatives à Montréal et, dans un dernier temps, je me sens obligé de dire un mot pour les patients eux-mêmes parce que, de toute façon, c'est pour eux que je

travaille.

Pour les services de la Maison Les Étapes Inc., on a deux centres communautaires, Pracom et celui sur la rue Girouard, où on offre le milieu de jour et le milieu de soir. Le milieu de jour, c'est le programme structuré basé sur l'éducation et le travail pour environ 25 à 30 personnes tous les jours. Le programme de soirée, c'est un genre de "drop-in centre" où on offre des services de loisirs, de récréation. Il y a environ 35 à 50 personnes qui le visitent chaque soirée.

On a aussi trois foyers de groupe qui totalisent 21 lits; il y a sept lits dans chaque maison, hommes et femmes, mixte. On a aussi un service de suivi à long terme, c'est-à-dire un genre de soutien dans la communauté pour les gens qui ont déjà passé dans un de nos programmes de jour ou dans un de nos foyers de groupe. C'est vraiment un service très souple et très flexible et notre attitude à ça c'est vraiment de répondre à leurs besoins dans les petites affaires qui arrivent dans la vie. Mais, pour nous autres, les petites affaires, ce n'est pas tout à fait les petites affaires pour eux.

On a aussi un service de placement, de retour au travail. C'est surtout du bénévolat, c'est-à-dire quelqu'un qui a vécu des expériences chez nous et qui est prêt à retourner dans quelque chose de structuré. D'habitude c'est un travail bénévole soit dans une garderie, une bibliothèque ou un dépanneur, mais c'est vraiment bénévole. C'est rare que quelqu'un part de chez nous et trouve un emploi à temps plein. C'est peut-être 10 % des cas. C'est, grosso modo, les services que nous donnons. Je vais laisser les questions face à cela à plus tard.

Le deuxième point que je veux mentionner, c'est que cela fait un bout de temps que les ressources alternatives ont été découvertes à Montréal. C'est drôle un peu parce que la Maison Les Étapes Inc., existe depuis 25 ans et je suis là depuis 13 ans. Je suis content d'être découvert, c'est le "fun", c'est intéressant pour nous autres. Il y en a d'autres, je ne suis pas le seul. Il y a le Projet PAL la Croix blanche, la Maison Saint-Jacques. 11 y a même un regroupement des ressources alternatives maintenant à Montréal. Je me demande pourquoi on a été caché aussi longtemps que cela.

Je pense aussi que c'est très important de souligner maintenant les éléments "what is happening in Montréal right now?" Les ressources qui existent déjà, on est très peu et on est petit. La Maison Les Étapes Inc., c'est la plus grosse en termes de budget. J'ai un budget d'à peu près 630 000 $. Les autres sont bien plus petits.

La question pour nous autres maintenant, c'est une question d'autonomie qui est très importante pour nous autres, surtout une autonomie dans la question de la gestion, c'est-à-dire qu'on est responsable de notre personnel et qu'on a le droit de décider les admissions et les sorties,

En plus de cela, je pense que c'est aussi une question d'être assuré, enfin, qu'il y aura de l'argent "récurre". On est tanné d'être obligé chaque année d'aller... We are tired of being on our knees. We would like to stand up. I think that it is time that alternative resources in Montreal, if not in the province, should be regarded as equal partners within the department of psychiatry. When I say I have a budget of 630 000 $ and the largest non-profit organization providing alternative resources in Montréal, I am ashamed to say it, I should be the smallest.

En comparaison des budgets qui sont disponibles dans les hôpitaux, c'est complètement ridicule. Une dernière chose pour les ressources alternatives, je pense que c'est très important, c'est que si on est reconnu comme des experts - parce qu'on est des experts, c'est nous qui faisons l'affaire dans la communauté - on devrait être reconnu comme partenaires égaux. Je pense que c'est accepté maintenant, c'est quasiment officiel qu'il y a cinq fois plus de patients dans ta communauté qu'il y en a dans les hôpitaux. À ce moment, je me pose la question: Pourquoi n'y a-t-il pas cinq fois plus d'argent dans la communauté qu'il y en a dans les hôpitaux?

Un dernier petit mot sur les patients eux-mêmes. Je pense que c'est très beau de parler d'une politique en santé mentale qui parle beaucoup de réinsertion sociale. J'ai de la misère avec cela, par exemple. Quand on regarde ces patients, la manière dont ils vivent dans la communauté, la plupart de ces gens vivent sur le bien-être social. Le bien-être social, c'est environ 440 $ par mois, c'est-à-dire qu'on vient de décider en partant, même avec nos beaux mots, que ces gens restent marginaux. Avec 440 $, on ne fait pas grand-chose. En plus de cela, si le patient comme tel veut travailler, s'il est capable... D'habitude, ces gens peuvent travailler à temps partiel, mais, s'ils gagnent plus qu'à peu près 20 $ par semaine, ils sont pénalisés, c'est-à-dire que leur bien-être est réduit. Je me pose la question: Est-ce qu'on veut vraiment aider ces gens ou si on veut qu'ils restent dans leur crasse?

La dernière chose que j'aimerais dire, c'est que cela fait pas mal d'années qu'on travaille dans le domaine. J'ai beaucoup à dire, mais je n'ai pas le sens de ce qu'est votre horaire. Je pense que vous avez un horaire. Moi, j'ai le mien, c'est sûr et certain, je viens de découvrir le mien et j'aimerais bien connaître le vôtre. C'est tout ce que j'ai à dire.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, je vous remercie, M. MacFadden, pour

votre présentation. Vous ne vous souvenez peut-être pas, mais je suis déjà allée vous visiter et visiter votre maison. Cela remonte à exactement trois ans. Vous aviez, à ce moment, des difficultés financières.

M. MacFadden: Cela faisait sept ans de cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Cela faisait sept ans.

M. MacFadden: C'était serré chez nous par exemple.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Voici les questions que je voudrais vous poser. Le type de clientèles à laquelle vous vous adressez, la lourdeur de la clientèle, c'est quoi exactement?

M. MacFadden: Dans un premier temps, je devrais expliquer que je n'ai aucune expertise avec des enfants, avec ces difficultés, je n'ai aucune expertise avec des déficients mentaux et je n'ai aucune expertise avec des personnes âgées en mémoire. Les gens avec qui on travaille, d'habitude ce sont des gens qui ont été diagnostiqués, j'aimerais mieux dire étiquetés comme schizophrènes, 80 % de ces gens sont des personnes qui ont logé chez moi, ce sont des gens qui ont vécu quatre, cinq, six hospitalisations et plus. Ce sont des gens qui vivent sur les médicaments donnés par les psychiatres depuis longtemps. Ce sont des gens qui n'ont pas travaillé depuis longtemps. Ce sont des gens qui sont serviteurs et unilingues. Tous nos services sont bilingues, mais eux sont unilingues. Ce sont des gens qui reçoivent le bien-être social et des gens qui sont serviteurs. Le niveau d'éducation est d'environ 11 ans et peut-être une année de cégep. Ce sont vraiment des cas lourds, chroniques dans les termes des hôpitaux.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Ces gens continuent d'être suivis par les hôpitaux. Enfin, c'est moi qui déduis cela, c'est peut-être une déduction trop facile. Vous donnez les sources de référence, les hôpitaux qui vous réfèrent les cas. Il y a une série d'hôpitaux, il y en a peut-être une dizaine. Est-ce que les hôpitaux qui vous réfèrent ces personnes continuent de garder des contacts avec vous autres ou avec les bénéficiaires?

M. MacFadden: D'accord. L'hôpital nous les réfère et, d'habitude, c'est le travailleur social qui fait les démarches pour cela. Après cela, on reste toujours en contact avec cette personne et, habituellement, la personne est toujours suivie soit en clinique externe ou par un psychiatre dans l'hôpital même. Cette personne a habituellement un certain contact avec son travailleur social, mais c'est un contact qui est d'une certaine distance.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous voulez dire qu'il n'est pas fréquent.

M. MacFadden: Oui. Nous, on travaille toujours en collaboration avec ces gens et on va continuer de le faire, cela c'est sûr.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

M. MacFadden: C'est absolument nécessaire de toute façon.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est cela. Maintenant, est-ce que ces bénéficiaires restent en contact avec vous autres longtemps? Est-ce qu'ils peuvent véritablement devenir autonomes?

M. MacFadden: L'autonomie, c'est une question de degré. Je pense qu'il n'y a personne ici qui est complètement autonome. On a tous nos amis, des gens autour de nous. Ces gens, avec les expériences qu'ils ont vécues, ont perdu l'habitude du contact avec leur famille; ils ont perdu leurs amis. Là, ils sont dans une situation où il se trouve que leurs amis sont d'autres patients 'ou des intervenants comme nous. C'est-à-dire que nous sommes prêts à rester en contact avec la personne, si cette dernière le veut; si elle ne veut rien savoir de nous, c'est clair avec environ 75 % des clients qui viennent chez nous, on garde un contact et pour longtemps.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Je veux dire: Dans quelle mesure ces personnes peuvent-elles réintégrer le marché du travail? Est-ce que ce sont des cas trop lourds pour, éventuellement le faire? Vous avez dit qu'elles faisaient du travail bénévole, d'une façon générale.

M. MacFadden: Encore là, cela dépend du genre de travail. Si on regarde le marché du travail qui existe actuellement, peut-être que 12 % à 15 % des gens qui sont chez nous pourront y retourner. Mais si c'était possible de donner à ces gens un travail en rotation, un "job sharing" ou d'avoir le droit au travail à temps partiel, assez bien payé, ils pourraient quasiment tous retourner sur le marché du travail. Les gens qu'on met en place dans le bénévolat, ce sont des gens qui peuvent faire quelque chose. C'est juste parce que, s'ils sont payés, ils sont pénalisés en même temps. Quand on regarde quelqu'un qui est bénéficiaire de l'aide sociale, qui est supposé payer son laissez-passer d'autobus, à Montréal, c'est 23 $...

Une voix: 26 $.

M. MacFadden:... 26 $. S'il paie sa nourriture, sa chambre et tout cela, s'il fume et d'habitude il fume, il ne reste pas grand-chose. lis sont pénalisés d'avance par nous, c'est cela que je veux dire.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Ce qui m'intéresse dans le rapport ou la présentation que vous nous faites, c'est que vous êtes le premier groupe qui parle, dans les mesures de réinsertion sociale, de réinsertion dans le milieu du travail. Mais même à cela, vous trouvez que pour ce type de clientèle, compte tenu du marché général...

M. MacFadden: Si on accepte le marché qui existe actuellement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... c'est difficile.

M. MacFadden: Très difficile, surtout à long terme.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. Maintenant, du point de vue du taux de réhospitalisation des personnes que vous desservez, quel est ce taux?

M. MacFadden: Sur une période de deux ou trois ans, à peu près 50 %, 40 % à 50 %. Ce qui a été prouvé, surtout aux États-Unis et dans l'Ouest du Canada, c'est qu'un organisme comme le mien réduit le nombre d'hospitalisations et le temps que la personne passe dans cet hôpital et que la qualité de vie s'élève. Mais dire que les interventions que je fais chez mai enlèvent la nécessité d'avoir un hôpital, ce n'est pas vrai.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, dans une proportion de 50 %, i!s vont être réhospitalisés.

M. MacFadden: Oui, mais des hospitalisations pour peut-être deux ou trois jours, une semaine, selon le cas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): En état de crise ou...

M. MacFadden: C'est cela. Mais en état de crise, ce n'est pas vraiment d'un hôpital qu'ils ont besoin. Ils ont besoin d'un traitement de 24 heures en 24 heures. On n'a pas besoin de dire que c'est un hôpital, cela pourrait être un centre de crise.

M. Drouin (Yvan): Par exemple, cela peut simplement être une crise suicidaire, où la personne sent le désir de mettre fin à ses jours. Cela peut durer, des fois, une semaine et on est obligé d'amener la personne à l'urgence de l'hôpital; passer une semaine dans une urgence d'un hôpital général pour une crise suicidaire, cela n'a pas tout à fait d'allure.

M. MacFadden: Le seul "back up" qu'on a, en fin de compte, c'est l'hôpital. Nous, la dernière chose qu'on fait, c'est de rentrer quelqu'un à l'hôpital. Mais on voit bien qu'une personne qui commence à être "décompensée", aurait vraiment besoin d'être sortie de son isolement et placée ailleurs où on pourrait avoir un certain contrôle sur elle et où elle se sentirait plus protégée. De cela, on en manque. Si on avait cela, je vous garantis que les services d'urgence ne seraient pas débordés comme ils le sont actuellement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): C'est parce que cela fait plusieurs qui parlent de la nécessité de ce qu'ils ont appelé centres de crise, je pense; cela correspond dans votre esprit à un milieu qui ne serait pas un milieu hospitalier, mais un milieu où, en cas de crise, les gens pourraient être hébergés pour une période limitée. Ce serait un milieu tout à fait différent d'un milieu hospitalier et d'un autre côté, un peu plus structuré pour...

M. MacFadden: Oui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... tenir compte de l'état de crise des gens. (22 h 15)

M. MacFadden: Un genre de petit foyer de groupe où il y a une équipe 24 heures sur 24, pour que ces gens-là puissent parler avec eux et passer leur crise avec eux, en fin de compte. Entrer quelqu'un à l'hôpital, cela devient un échec pour la personne. Ils pensent dans leur tête: Ah! Je ne vaux rien. Je suis encore malade; je suis fou. Ma vie, c'est bon à rien. Cela crée aussi, malheureusement, une dépendance négative.

Si quelqu'un commence à penser que l'hôpital, c'est vraiment son chez-lui, c'est une dépendance négative qui vient d'être créée. De toute façon, sur tout cela, les ressources alternatives, les CLSC et tous les services, c'est une question d'attitude de départ: Est-ce qu'on veut que ces gens-là aient le plus d'autonomie possible dans leur vie ou si on est prêt à dire que ce sont des malades et qu'il faut en prendre soin? Si on dit qu'ils sont malades, on va créer des services dans le genre gardienne de bébé. Si on dit que cette personne peut prendre de l'autonomie dans la vie, qu'elle peut faire des choses jusqu'à un certain degré, à ce moment-là on parle vraiment de ressources alternatives ou de ressources intermédiaires. Il y a plusieurs définitions qui circulent.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je vous remercie. Je ne sais pas s'il y a

d'autres questions.

M. Pratt: J'ai une question concernant vos sources de financement. Êtes-vous payés directement par le ministère des Affaires sociales ou s'il y a des hôpitaux qui patent è même leur budget?

M. MacFadden: L'Institut Pinel maintenant, pour une période de trois ans qui vient de se terminer, a payé pour le centre Pracom environ 150 000 $ par année.

M. Pratt: Est-ce le seul centre qui a fait cela ou s'il y en a d'autres?

M. MacFadden: C'est le seul centre, oui. Pour les autres, l'argent vient pour environ 72 % des ministères, du côté santé ou du côté services sociaux; le reste vient du loyer que les gens paient lorsqu'ils vivent dans des foyers, des campagnes de financement et tout cela.

I would like to thank publicly a woman who has worked for the Minister of Social Affairs, who helped us change our financial position which was as bad as it was three years ago. Had it not been for Marie Plante, we would not be here today. Thank you.

M. Laplante: Comment vos campagnes de financement sont-elles faites? Quel montant cela rapporte-t-il?

M. MacFadden: Cela rapporte environ 20 000 $ par année, mais ce n'est pas vraiment une campagne. Ce qui arrive, c'est que des gens donnent 10 $, 15 $ depuis des années; chaque année, on leur envoie une petite lettre en disant: S'il vous plaît, pour une autre année? Ils incluent leur chèque, nous le retournent chez nous et on leur envoie un reçu. On a seulement une "mailing list"; ce sont des gens qui nous connaissent depuis longtemps. C'est dur de faire une campagne pour ces gens-là parce qu'ils ne sont pas beaux!

M. Laplante: Vous avez un rapport annuel très intéressant, que je vais sûrement garder plusieurs mois.

La clientèle que vous recevez le soir, est-ce la même clientèle qui se présente le jour ou quoi?

M. MacFadden: Le soir, non. D'habitude, le soir, ce sont des gens qui viennent chez nous depuis pas mal longtemps. Ce sont des gens qui vivent sur le bien-être et ce sont des gens plus "poqués", plus chroniques, que les gens du programme de jour; ils sont plus âgés aussi.

M. Laplante: Ce qui est intéressant... M. MacFadden: II faut dire que, dans les foyers de groupe, dans les services de suivi à long terme et dans les milieux de soir, ce sont des gens différents; ce ne sont pas les mêmes gens. Ils sont tous différents.

M. Laplante: C'est le nombre de cas lourds que vous recevez dans vos centres qui m'étonne.

M. MacFadden: Environ 650 pour cette année-là, ou 636 quelque chose comme cela.

M. Laplante: 650, je pense.

M. MacFadden: C'est autour de cela.

M. Laplante: Oui.

M. MacFadden: Je ne veux pas dire qu'ils sont tous dans un état de crise lorsqu'ils viennent chez nous, ce n'est pas vrai...

M. Laplante: Non, non.

M. MacFadden:... parce qu'à ce moment-là, on va être un service d'urgence, mais cela arrive régulièrement chez nous.

M. Laplante: Les plus grandes difficultés que vous avez eu à rencontrer dans votre milieu, depuis treize ans que vous agissez pour l'insertion sociale de ces exmalades ou des malades qui sont encore là, quelles sont-elles?

M. MacFadden: Les plus grandes difficultés?

M. Laplante: Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez, soit d'acceptation du milieu ou...

M. MacFadden: C'est de l'argent. M. Laplante: C'est l'argent.

M. MacFadden: C'est simplement cela. Si on pose la même question à un autre organisme, il va dire exactement la même chose.

M. Laplante: On va enlever l'aspect pécuniaire pour aller dans l'établissement des programmes d'insertion.

M. MacFadden: Je ne comprends pas la question, excusez-moi.

M. Laplante: L'établissement... Il a fallu que vous établissiez des programmes pour le soir, le jour...

M. MacFadden: Le programme de soir... M. Laplante:... pour rejoindre ces gens-

là.

M. MacFadden:... existe depuis 25 ans. M. Laplante: Oui.

M. MacFadden: Le progamme de jour existe depuis 1967. On fait de l'hébergement depuis 1971.

M. Drouin: Pour illustrer votre question, demandez-vous si on a eu des problèmes pour que la communauté environnante accepte nos programmes de réinsertion?

M. Laplante: Oui, pour qu'elle accepte. Mais vous-mêmes aussi, vos difficultés personnelles à établir ces programmes-là vis-à-vis des usagers.

M. Drouin: Pour ce qui est de la communauté, je ne sais pas. D'autres mémoires disaient que la communauté avait eu certaines réticences à l'établissement de foyers de groupe; nous n'avons pas eu ce cas-là. On a ouvert un foyer de groupe il y a deux ans dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. On ne l'a pas fait publiquement, on n'a pas fait beaucoup de publicité, on a simplement ouvert tranquillement pas vite et les voisins autour se sont aperçus que c'était peut-être un foyer de groupe et tout cela. On n'a jamais eu de problèmes avec les voisins. Les relations se sont établies tranquillement, comme des relations de voisinage ordinaire. C'est sûr que, si on fait une annonce publique qu'il va s'ouvrir un foyer de groupe pour ex-psychiatrisés à telle adresse, non seulement les gens qui vont rester là vont être mal à l'aise, mais la communauté en général va réagir. Nous avons pour philosophie de prendre, cela plus tranquillement. Cela a bien été dans ce sens.

M. MacFadden: Avec le centre communautaire dans l'est de la ville qu'on avait mis là il y a plus de deux ans et demi, on n'a jamais eu de problème. De toute façon, c'est l'inverse. Parce qu'il y a un petit atelier, une petite "workshop" et il y a des voisins qui viennent demander: Est-ce que tu peux décaper cela, est-ce que tu peux réparer cela, est-ce que tu peux m'aider à peinturer cela? Et on fait cela tout le long. Il n'y a pas de problèmes du tout. On n'a jamais eu de problèmes avec nos voisins et le comité "at large", jamais.

M. Laplante: Merci. Félicitations.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): De combien était votre budget total?

M. MacFadden: Au total, si on inclut l'argent de l'Institut Pinel, c'est d'environ 630 000 $.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Alors, vous avez 150 000 $ venant de Pinei.

M. MacFadden: Oui. 254 000 $ du ministère des Affaires sociales, côté santé; 88 000 $ qui proviennent du côté social, des organismes bénévoles. Les loyers sont payés par les gens qui vivent dans les foyers.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux}: Ah oui! C'est cela. Plus un petit montant de...

M. MacFadden: Je reçois aussi un per diem des CSS pour mes trois foyers de groupe. J'ai aussi une campagne de financement.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui.

M. MacFadden: Quand tu es pauvre, tu cours après! C'est pour cela qu'il y plusieurs sources d'aide.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous avez l'air de bien connaître le réseau, quand même!

M. MacFadden: Même à cela, il y a trois ans, j'étais quasiment fini.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Je sais que vous n'aviez presque plus rienl

Écoutez, je vous remercie beaucoup. On va vous souhaiter bonne chance. Une dernière question. Quelles sont vos relations - ou si vous n'en avez pas du tout - avec les bureaux de placement, que ce soit fédéral ou provincial? Trouvez-vous que c'est inutile ou qu'ils ne s'intéressent pas à cette problématique?

M. MacFadden: Je pense qu'ils ont abordé certains cas. Je ne pense pas qu'ils connaissent la problématique assez bien pour répondre aux besoins des personnes. Nous enseignons aux personnes comment remplir un CV ou une demande d'emploi ou quelque chose comme cela, mais cela prend une certaine connaissance de la personne et cela prend une certaine expérience avec la personne avant que tu la places quelque part. Juste regarder son CV et dire: Cette personne peut faire X, cela ne marche pas. Nous travaillons avec des personnes, pas avec des diagnostics ou des numéros. Comme cela, si quelqu'un vient nous voir et nous dit qu'il veut être électricien, on dit: Un instant! On va voir. Peut-être qu'au bout de la ligne le gars va travailler dans un dépanneur, je ne le sais pas. Mais par les expériences qu'on a vécues avec les personnes, on s'aperçoit qu'il y a certains talents d'un côté et d'autres talents d'un autre côté et on fait quelque chose avec la personne. Comme cela, les centres de main-d'oeuvre n'ont pas vraiment cette expérience de base avec les personnes

que nous avons, parce qu'elles ont déjà passé soit par un foyer de groupe ou par un de nos programmes de jour.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Oui. C'est que vous disiez tout à l'heure que la situation économique faisait que c'était difficile de placer des gens. Que vous évaluiez vous-même la personne, que vous connaissiez ses forces et ses faiblesses, son potentiel, etc., cela va, mais une fois que ces choses ont été faites par vous, ne croyez-vous pas qu'il y ait...

M. MacFadden: Non. Je ne crois pas.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): II n'y a aucun bureau d'emploi qui puisse seconder vos efforts...

M. MacFadden: Non.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): ... dans la recherche d'un travail pour une personne donnée.

M. MacFadden: Non. De toute façon, c'est pour cette raison que nous avions créé un poste juste pour faire cela. Il y a six mois, nous avions créé un poste exactement pour cela, le retour au travail, parce qu'on trouvait que cela ne marchait pas avec les centres de main-d'oeuvre. Cela ne marchait pas, c'est tout. Cela fait longtemps qu'on dit cela.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Avec qui collaborez-vous, finalement?

M. MacFadden: Avec tout le monde. Tous les hôpitaux, tous les CSS, les CLSC, n'importe qui.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Vous trouvez que ça ne se parle pas beaucoup. Vous disiez tout à l'heure que, dans te suivi, les rapports étaient réservés. Là, vous dites que le centre de main-d'oeuvre...

M. MacFadden: Mais nous faisons vraiment un travail communautaire. Nous sommes vraiment dans la vie de la personne. Il y a d'autres partenaires autour de nous, mais c'est nous qui sommes là à long terme.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Est-ce que vous êtes conscient qu'il existe au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu des programmes d'Arrimage pour l'emploi qui pourraient peut-être faciliter...

M. MacFadden: Malheureusement, Arrimage est disponible maintenant seulement pour les hôpitaux francophones et celui de Douglas. Les six autres hôpitaux anglophones à Montréal ou qu'on retrouve dans la sous-région centre-ouest n'ont pas de travailleurs à Arrimage. J'aimerais bien qu'il y en ait, mais il n'y en a pas à ce jour. Puis, à Arrimage, ils sont coincés. Ils peuvent seulement prendre les gens qui viennent de tel hôpital. Comme cela les six hôpitaux anglophones n'en ont pas, c'est nous qui le faisons. Notre travailleur fait quasiment le même genre de travail qu'Arrimage.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): D'accord. Alors, je vous remercie beaucoup.

M. MacFadden: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Lavoie-Roux): Bonjour. La sous-commission des Affaires sociales ajourne ses travaux au mardi 6 août, à 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 26)

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