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Commission permanente
des transports, des travaux publics
et de l'approvisionnement
Projet de loi no 88 Loi de l'expropriation
Séance du mardi 13 février 1973
(Dix heures dix minutes)
M. LAFRANCE (président de la commission permanente des
transports, des travaux publics et de l'approvisionnement): A l'ordre,
messieurs!
Ce matin, la commission parlementaire permanente des transports, des
travaux publics et de l'approvisionnement prendra connaissance ou discutera du
projet de loi 88, c'est-à-dire la Loi de l'expropriation. Avant de
commencer, certains membres de la commission auraient des déclarations
à faire. Le ministre de la Voirie et des Travaux publics commencera par
sa déclaration.
Remarques préliminaires
M. PINARD: M. le Président, messieurs les membres de la
commission, chers amis, je voudrais d'abord vous souhaiter la plus cordiale
bienvenue à la commission parlementaire qui siège ce matin pour
entreprendre l'étude avec vous du projet de loi 88 relatif à la
Loi de l'expropriation.
Si vous me le permettez, je voudrais faire des remarques
préliminaires pour mieux situer le cadre de notre discussion et aussi
pour vous expliquer, en bref, les grands objectifs poursuivis par le
gouvernement au moment de la présentation de cette nouvelle Loi de
l'expropriation. Pour assurer le progrès social et économique de
notre collectivité, les corporations municipales, les commissions
scolaires, les cités et villes et les divers organismes du gouvernement
de cette province ont dépensé des milliards de dollars,
particulièrement au cours de cette dernière décennie.
A cette fin, pour construire les routes, les hôpitaux, les maisons
d'enseignement, les édifices publics de toute nature et raser les
taudis, ils ont dû, par centaines de millions de dollars, tailler dans le
domaine des particuliers par le truchement de l'expropriation. Qui dit
expropriation, chez nous, emploie un mot à caractère parfois
explosif car, qui que nous soyons dans l'Etat du Québec, nous sommes
chèrement attachés à notre petit ou grand patrimoine, quel
qu'il soit. Il nous est bien difficile de nous départir, même dans
l'intérêt du bien commun. Notre expérience, hélas,
nous a enseigné, au cours de ce vaste chantier, que l'expropriation
était encore plus douloureuse à supporter pour quiconque à
cause de centaines de lois existant dans ce domaine et, il faut bien le dire,
parce que le droit à l'indemnisation et la procédure
d'expropriation ne sont pas toujours les mêmes suivant qu'on est
exproprié par un corps municipal, par les cités et villes ou les
divers organismes ou ministères du gouvernement provincial.
Les négociations, il va sans dire, varient elles-mêmes d'un
expropriant à l'autre et, quand elles n'aboutissent pas, ce sont
même des tribunaux différents qui ont l'obligation de trancher le
litige. C'est ainsi qu'actuellement, si c'est une corporation municipale qui
exproprie, ce sont des arbitres qui auront charge de déterminer la juste
et équitable indemnité.
Si ce sont les cités et villes ou le gouvernement, ce sera la
Régie des services publics. Si c'est une expropriation pour fins
d'électricité, ce sera la Régie du gaz et de
l'électricité. Si c'est la ville de Montréal qui
exproprie, ce sera le Bureau des expropriations.
Dès mes premières années, comme ministre de la
Voirie, à l'époque de 1960, je me suis vite rendu compte de
certaines déficiences de notre système d'expropriation. C'est
à mon instigation que le gouvernement Lesage institua, en 1965, un
comité chargé de faire la lumière dans ce domaine. Ces
préoccupations que j'avais à l'époque étaient
également celles de tous les législateurs, de tous les membres
des partis d'Opposition.
Le comité Alary déposa alors, trois ans plus tard, soit en
1968, devant le cabinet, un rapport volumineux à la fois
élaboré et fort précieux sur le sujet. Je puis dire que
depuis cette date nombre de ses recommandations se sont traduites dans les
faits. Mais, dès ma reprise en main du ministère de la Voirie, en
1970, il me tardait de présenter une loi-cadre sur l'expropriation. Je
demandai à mes experts juridiques et techniques de se mettre à la
tâche à cet égard. Aussi suis-je des plus heureux et des
plus fiers de vous présenter aujourd'hui cette loi-cadre qui tient
à la fois compte des nombreuses recommandations du rapport Alary et des
données sociologiques de notre milieu.
Certes, cette loi n'est pas parfaite. Mais elle a le grand mérite
de réunir sous un seul toit tout ce qui touche à l'expropriation
et d'apporter nombre d'améliorations qui auront l'heur, je
l'espère, de plaire à l'ensemble de la population.
Permettez-moi de signaler à votre attention les réformes
les plus importantes qu'elle propose. En premier lieu, tout en respectant le
pouvoir d'exproprier de chaque palier de gouvernement car elle se veut
démocratique elle impose à chaque expropriant une
procédure uniforme d'expropriation. Ainsi une fois qu'elle sera
adoptée, les corporations municipales n'auront plus à exproprier
suivant les dispositions du code municipal; la ville de Montréal, selon
les prescriptions de sa charte; les cités et villes, le gouvernement et
les autres corps expropriants, en suivant les données du code de
procédure civile.
Mais tout expropriant quel qu'il soit devra, pour exproprier, suivre la
procédure énoncée dans cette unique loi.
En second lieu, cette loi-cadre uniformise le
droit à une indemnisation en ce sens qu'elle place tous les
expropriants et tous les expropriés sur un pie_d d'égalité
face à l'indemnité à donner ou à recevoir à
l'occasion d'une expropriation. A ce chapitre, elle apporte de nombreux
bénéfices pour les expropriés. Combien d'entre eux, en
effet, ont vu diminuer considérablement la valeur de leur
propriété par l'exhaussement d'une route sans pour autant
recevoir l'indemnité, vu les restrictions imposées à ce
sujet par l'article 97 b) de la Loi de la voirie.
Ceux-ci pourront dorénavant être compensés à
cet égard pour les dommages réels prouvés qu'ils auront
subis.
Combien d'expropriés se sont vu imposer une servitude de
non-accès sans pour autant recevoir de compensation vu la rigueur de
l'article 25 de la Loi de la voirie. Cet article disparaît, laissant aux
intéressés le soin de prouver les dommages directs qu'ils
auraient subi à cet égard et de recevoir une compensation, s'il y
a lieu.
Les expropriés n'obtiennent aujourd'hui que 5 p.c.
d'intérêt, soit le taux légal sur l'indemnité qui
leur est due, mais, grâce à cette nouvelle loi, ils pourront en
obtenir davantage.
Que de locataires, dans le passé, faute de bail
enregistré, n'ont pu être indemnisés pour des dommages
qu'ils avaient réellement subis à l'occasion d'une expropriation.
Cette nouvelle loi prévoit des correctifs à cet égard.
En troisième lieu, cette loi-cadre institue pour le gouvernement
un système d'imposition de réserve de terrains pour fins
d'utilité publique d'une durée de deux ans et de cinq ans, ce qui
aura pour effet de lui permettre de planifier ses travaux d'expropriation
à court et à long termes.
Enfin, cette loi-cadre substitue aux quatre organismes d'arbitrage
existant un unique tribunal d'expropriation à caractère
strictement judiciaire et décentralisé pour répondre plus
adéquatement aux problèmes du district d'appel de Montréal
et du district d'appel de Québec. Il comprendra en effet deux sections:
l'une pour le district d'appel de Montréal, comprenant trois divisions
de trois membres avec chacune à sa tête un juge de la cour
Provinciale et une autre pour le district d'appel de Québec,
composé de deux divisions de trois membres avec chacune à sa
tête un juge de la cour Provinciale. Cet unique tribunal aura certes pour
avantage de nous donner une jurisprudence uniforme dans le domaine de
l'expropriation.
En guise de conclusion, je puis affirmer, sans l'ombre d'un doute, que
cette loi-cadre fait franchir au Québec un pas considérable dans
le domaine de l'expropriation en le dotant d'une loi unique en ce domaine,
comportant un droit d'indemnisation égal pour tous, une procédure
uniforme pour tous les expropriants et un seul tribunal compétent
à disposer de tous les litiges.
Je suis donc assuré qu'elle recevra l'assentiment unanime, je
l'espère, de cette commission. Comme la commission parlementaire
siège pré- cisément pour permettre aux organismes à
caractère public ou privé de faire des représentations au
gouvernement, eh bien, vous avez aujourd'hui l'occasion de vous faire
entendre.
Je vous invite à le faire avec toute la franchise, la latitude et
la liberté que vous désirez obtenir, mais aussi en ayant toujours
à l'esprit ce grand souci d'objectivité qui vous a toujours
caractérisés par le passé, puisque vous avez
été associés directement ou indirectement à cette
grande réforme dans le domaine de l'expropriation.
M. le Président, je vous remercie.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PAUL: M. le Président, c'est avec plaisir que nous assistons
à cette première réunion de la commission parlementaire
chargée d'analyser toutes les implications de ce projet de loi no 88,
dit Loi de l'expropriation.
Il faut retenir, bien objectivement, qu'il s'agit d'un pas en avant car,
à l'avenir, nous n'aurons qu'un seul tribunal chargé de disposer
des différents problèmes d'expropriation sur tout le territoire
du Québec.
Je retiens les propos du ministre, alors qu'il a exprimé l'espoir
que ce projet de loi reçoive l'appui de tous les membres de cette
commission parlementaire et, par voie de conséquence, à
l'occasion du rapport, que la Chambre se prononce affirmativement au soutien du
principe de cette loi.
Il faut également retenir, cependant, que certaines
améliorations, certains amendements s'imposeront à cette loi. Je
suis certain que le ministre, comme il en a d'ailleurs fait preuve dans le
passé à l'occasion de l'étude de la loi 23, Loi des
transports, comme il en faisait preuve, encore récemment, au sujet de
l'étude du règlement no 6, concernant le problème du taxi,
restera ouvert à certains amendements qui nous viendront de l'autre
côté de la table ou des membres de la commission
elle-même.
Il faut retenir que M. Alary, qui avait été chargé
d'étudier tout ce problème de l'expropriation, au Québec,
a préparé un excellent mémoire, un excellent rapport. Il
est regrettable que nous ne puissions retrouver certains points importants de
son rapport dans ce texte de loi. N'ayant pas été consulté
lui-même quant à la rédaction de cette loi, pour des causes
que j'ignore totalement, que le ministre connaît sûrement et qu'il
n'est pas obligé de nous dévoiler, il reste que M. Alary va
beaucoup plus loin dans l'exposé de son rapport que certains textes
législatifs que nous retrouvons dans le projet de loi no 88.
Le ministre peut être assuré, ainsi que ceux qui
s'adresseront à nous que c'est avec une grande ouverture d'esprit que
nous sommes prêts à écouter toutes les suggestions,
amendements et mémoires qui nous seront présentés. Je suis
certain que, de cette discussion, de cette
période de questions qui suivra la présentation de chacun
des mémoires, nous nous orienterons vers un texte de loi qui puisse
satisfaire toutes les parties en cause et surtout le contribuable
québécois.
Il y a certains traitements de faveur qui sont accordés, par
exemple dans la loi à la ville de Montréal et au gouvernement,
plutôt qu'à d'autres organismes. Je m'interroge quant aux raisons
de telles préférences, mais ce sont là autant de questions
qui, j'en suis sûr, nous serons signalées par ceux qui ont des
mémoires à nous présenter.
Et avec cette ouverture d'esprit, cette collaboration qui a toujours
marqué les différents travaux des commissions parlementaires,
nous nous arrêtons sur un texte qui puisse répondre aux besoins et
surtout nous pourrons atteindre le grand principe visé par cette loi
dans le but d'établir une jurisprudence uniforme, de centraliser la
discussion de tous ces problèmes d'expropriation,
d'accélérer le mécanisme d'expropriation et de toucher
également au règlement de toutes les implications qui
résultent d'une expropriation.
A la lecture brève du projet de loi, j'ai constaté que la
loi était silencieuse quant aux conséquences indirectes d'une
expropriation, mais connaissant l'ouverture d'esprit, la
libéralité du ministre qui parraine ce projet de loi,
considérant que son séjour avec nous sera maintenant de courte
durée, si l'on tient compte des années de services données
à la population du Québec, je suis sûr que le ministre
chargé d'appliquer cette loi, en attendant peut-être les fonctions
lourdes de conséquences de l'interpréter, verra à recevoir
d'un bon oeil les recommandations qui nous seront faites.
Comme par le passé, le ministre peut compter sur ma collaboration
et sur celle des membres de mon parti pour que nous ayons un texte de loi qui
satisfasse aux besoins de la population et, en même temps, qui permette
de communier au progrès qu'imposent les différentes constructions
dans le domaine de la Voirie ou autres dans le Québec. C'est ainsi que
nous aurons la satisfaction de faire oeuvre utile pour la communauté
québécoise. Je vous remercie, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: II me fait plaisir à mon tour de saluer les
différents organismes qui viennent présenter des mémoires
ce matin concernant cette nouvelle loi 88. Il faut bien voir les
problèmes épineux et ambigus que présente cette nouvelle
loi qui tend à vouloir centraliser encore les pouvoirs qui auront
à faire de l'expropriation une loi acceptable. C'est une loi qui avait
besoin d'améliorations.
A la lecture des différents mémoires
présentés, nous pouvons constater qu'il y a passablement de
divergences d'opinions parmi les différents organismes qui viennent ici
ce matin. De toute façon, il y a de la place pour beaucoup d'opinions
qui seront très valables, je crois, pour orienter cette commission vers
la bonification de cette loi qui doit refléter réellement
l'idée de la population, satisfaire toutes les exigences de tous les
milieux. Je crois que votre témoignage ce matin sera fort
apprécié de la commission pour faire en sorte que ce projet de
loi soit très acceptable. Merci, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Bourget.
M. LAURIN: M. le Président, le problème de
l'expropriation, dans un pays qui aspire à se doter rapidement des
infrastructures dont il a besoin et qui vise à une modernisation la plus
cohérente et la plus rapide possible, a posé et pose encore des
problèmes difficiles qui, de l'avis de tous, n'ont jamais
été réglés à la pleine satisfaction des
intéressés et encore moins à la lumière du bien
public.
C'est la raison pour laquelle le gouvernement qui a
précédé celui que nous connaissons avait chargé une
commission d'enquête d'étudier le problème. Cette
commission d'enquête a très bien travaillé et a produit un
rapport qui comptera probablement parmi les meilleurs qui aient
été produits au Québec sur quelque sujet que ce soit au
cours des dix dernières années.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes beaucoup
étonnés, pour notre part, que le gouvernement n'ait jamais
pensé, manquant ainsi gravement à son devoir, à rendre ce
rapport public. Cependant, nous comprenons un peu mieux pourquoi le
gouvernement n'a pas rendu ce rapport public quand nous comparons le projet de
loi 88 avec l'essence des constatations, observations et recommandations de la
commission Alary et surtout quand nous comparons le projet de loi actuel avec
le projet de loi qui avait été suggéré dans le
corps même du rapport Alary.
Nous constatons, en effet, une telle divergence entre ces deux projets
de loi que nous nous rendons compte que le gouvernement, comme à son
habitude d'ailleurs, a reculé devant les mesures qui s'imposaient
absolument pour donner satisfaction aux intéressés et, en
même temps, préserver le bien public. Sur un très grand
nombre de points majeurs aussi bien que mineurs, le projet de loi ou
s'écarte sensiblement des recommandations du rapport Alary, ou les
atténue de façon à leur faire perdre toute substance ou
les met carrément de côté. Ce qui revient à dire que
nous nous trouvons, avec ce projet de loi, devant une autre de ces
"miniréformettes" qui, au lieu de régler les problèmes, va
susciter encore plus d'insatisfaction et va compliquer encore davantage le
règlement des litiges qui pourront survenir. C'est la raison pour
laquelle nous espérons beaucoup des audiences de cette commission
parlementaire.
Nous espérons que les corps publics qui se feront entendre nous
transmettront des observations ou des recommandations qui amèneront le
gouvernement à repenser complètement son projet de loi, à
le retirer, à en faire une nouvelle version qui répondra
davantage aux besoins et aux intérêts aussi bien du public que des
diverses parties concernées. Car, si le gouvernement persistait à
présenter à la Législature le projet de loi qu'il nous a
fait connaître sans le modifier, nous nous verrions obligés de
voter, et je l'annonce immédiatement, contre le principe même de
ce projet de loi.
Nous comptons cependant que le gouvernement aura la sagesse de faire
machine arrière et, s'inspirant des recommandations qui lui seront
faites, remettra sur la planche à dessin son projet de loi et nous en
présentera une version améliorée. Je résume ici
l'essentiel de nos positions, mais, pour ceux que la chose
intéresserait, je dépose devant la commission un document qu'a
préparé mon collègue le député de
Maisonneuve, M. Robert Burns. Nous espérons aussi qu'à l'aide de
ce mémoire, aussi bien que de tous ceux qui seront
présentés, le gouvernement trouvera des raisons au-dessus de
toute partisanerie politique, qui l'amèneront à
légiférer davantage dans le sens de l'intérêt
public.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Je demanderais aux différents
organismes qui ont été convoqués de présenter leur
mémoire ou le résumé de leur mémoire.
Habituellement, aux commissions parlementaires, on accorde plus ou moins vingt
minutes. Nous ne sommes pas trop stricts là-dessus mais nous vous
demandons d'essayer de vous en tenir à cela. Par la suite, il y aura une
période de questions, de la part des membres de la commission, d'une
durée d'environ 40 minutes. Si le sujet le requiert, on peut
considérer une certaine latitude de ce côté tout en vous
demandant, autant que possible, de vous limiter à ce temps.
Le premier organisme qui se fera entendre ce matin est l'Union des
conseils de comté. On vous demande de prendre place, s'il vous
plaît, messieurs. Pourriez-vous vous identifier?
Union des conseils de comté du
Québec
M. VIAU: M. le Président, mon nom est Pierre Viau, avocat, je
représente l'Union des conseils de comté du Québec et je
suis accompagné de M. Jean-Marie Moreau, président de l'Union des
conseils de comté et maire de Verchères. S'il plaît
à cette commission, nous pourrions peut-être lire rapidement le
mémoire qui n'est pas très long et ensuite fournir certains
renseignements ou répondre à vos questions.
Le projet de loi no 88 traite de deux sujets, malgré le titre; la
première partie concerne l'expropriation proprement dite, et la
deuxième concerne l'imposition de réserve pour fins publiques. La
première partie de ce projet de loi modifie substantiellement le code
municipal; par contre, la deuxième partie de la loi accorde de nouveaux
pouvoirs aux municipalités régies par le code municipal. Sans
vouloir critiquer le bien-fondé du contenu des règles et
procédures d'expropriation, prévues dans le projet de loi no 88,
nous croyons qu'avec une ou deux modifications au code municipal, le
résultat serait le même. De plus, les municipalités et les
contribuables conserveraient les avantages que leur accorde la procédure
du code municipal.
Parmi les avantages que nous voyons dans la procédure
prévue au code municipal par rapport à celle prévue dans
le projet de loi 88, mentionnons d'abord une économie
appréciable, et deuxièmement, une simplicité et une
rapidité d'exécution dans le cas d'expropriations. Sauf de
façon exceptionnelle et dans des cas bien particuliers, les tribunaux ou
organismes publics n'interviennent d'aucune façon dans les
expropriations faites en vertu du code municipal. Tout peut se faire avec le
concours des contribuables résidant dans les municipalités; par
contre, si on remplace les dispositions du code par celles du projet de loi 88,
les municipalités devront obligatoirement s'adresser aux tribunaux pour
exproprier. Tout le monde sait que dans ce cas celui qui exproprie comme celui
qui est exproprié doivent engager des experts: évaluateurs,
avocats, arpenteurs-géomètres et autres. En plus des frais
judiciaires, les parties doivent assumer les frais des experts ainsi que les
frais extrajudiciaires.
A moins qu'on nous démontre que la procédure prévue
au code municipal pour exproprier a causé des injustices ou encore ne
peut pas rendre justice, nous ne voyons pas l'utilité de remplacer cette
procédure par une autre qui coûte beaucoup plus cher. Suivant le
projet de loi no 88, les municipalités, comme les expropriés,
sont obligées de s'en remettre à des experts lorsqu'il s'agit
d'expropriation. Dans le contexte actuel, toutes les municipalités
cherchent à réduire les dépenses et à
réaliser des économies. Nous ne comprenons pas très bien
l'utilité de ce changement.
Dans la plupart des municipalités régies par le code
municipal, les biens, qui peuvent faire l'objet d'une expropriation, sont assez
connus pour que des évaluateurs locaux soient en mesure d'en fixer le
prix.
Le code prévoit même que, si une des parties ne croit pas
que les experts locaux ont la compétence suffisante, il peut en appeler
devant des arbitres qui, toujours selon la décision des parties, peuvent
être des experts.
Cette procédure nous semble beaucoup plus simple et moins
coûteuse que celle proposée dans le projet de loi no 88. En
comparant les dispositions du code municipal avec celles du projet de loi, nous
constatons que la procédure d'expropriation prévue au code peut
être beaucoup plus rapide que celle prévue dans le projet de loi.
En effet, il n'y a qu'à comparer les
dispositions concernant la façon et le délai exigés
pour qu'une municipalité obtienne la possession d'un immeuble
exproprié pour s'en convaincre.
Les procédures d'expropriation prévues au code existent
depuis 1916, date d'adoption du code. Même si, en 1973, beaucoup de
changements se sont opérés, nous croyons que les motifs
invoqués par les commissaires chargés de la réforme du
code municipal en 1916 sont encore valables aujourd'hui.
Les procédures d'expropriation prévues dans le projet de
loi sont à peu près semblables à celles prévues
dans le nouveau et dans l'ancien code de procédure civile. Il est
intéressant de remarquer que l'article 1066 a) de l'ancien code de
procédure civile ainsi que l'article 770 du nouveau code de
procédure civile excluent expressément les expropriations en
vertu du code municipal.
Les commissaires qui ont préparé le nouveau code de
procédure civile, entré en vigueur en 1965, n'ont trouvé
aucune raison justifiant l'abrogation des dispositions du code municipal
concernant les procédures d'expropriation. Dans leur rapport, ils se
contentent de dire que les textes proposés apportent peu de changements
au droit existant. A première vue, on pourrait dire la même chose
du projet de loi no 88 par rapport aux dispositions dans le code de
procédure civile.
La deuxième partie du projet de loi no 88 concerne l'imposition
de réserves pour fins publiques. Tel que mentionné
précédemment, il s'agit de pouvoirs nouveaux pour les
municipalités régies par le code municipal; en effet,
contrairement aux cités et villes, les municipalités rurales
n'avaient pas le pouvoir d'homologuer des terrains pour fins publiques.
Nous sommes heureux de constater que le législateur accorde de
nouveaux pouvoirs aux municipalités régies par le code municipal.
Cependant, la procédure prévue dans le projet de loi no 88 pour
l'exercice de ces pouvoirs nous semble lourde et onéreuse pour les
municipalités rurales.
N'y aurait-il pas lieu de simplifier la procédure pour une
municipalité qui voudrait imposer une réserve pour fins
publiques? On pourrait aussi avantageusement intégrer la
procédure pour la fixation d'une indemnité payable à la
suite de l'imposition d'une réserve avec celle déjà
prévue au code municipal pour l'expropriation.
En conclusion, nous soumettons qu'avant d'assujettir au projet de loi no
88 les municipalités régies par le code municipal, on devrait
examiner les effets de ces changements tant au plan financier qu'au plan
administratif. A première vue, nous croyons qu'une ou deux modifications
apportées au code municipal seraient suffisantes pour obtenir le
même résultat que celui prévu dans le projet de loi. Ceci
n'affecterait aucunement les droits des contribuables et permettrait aux
municipalités de faire des économies très
appréciables.
Si vous me permettez, M. le Président, je vais résumer un
peu la procédure que le code municipal prévoit et qui est souvent
mal connue, parce que ce chapitre existe depuis très longtemps. C'est
qu'on prévoit, dans le code municipal, lors d'une expropriation, que la
municipalité peut acquérir de gré à gré, si
on veut, par suite de conventions, comme c'est le cas dans la Loi des
cités et villes ou le code de procédure civile. On prévoit
ensuite que, si les parties ne s'entendent pas, elles nomment des estimateurs.
Trois estimateurs sont maintenant spécifiquement nommés pour fins
d'expropriation, à tous les deux ans, par les municipalités. Ce
ne sont plus les estimateurs qui font les rôles d'évaluation. Ce
sont trois estimateurs qui sont nommés à tous les deux ans par
les municipalités pour s'occuper de voir ce que vaut le bien
exproprié et rendre une décision.
Dans les trente jours du rapport fait par les estimateurs, si les
parties ne sont pas satisfaites, elles peuvent nommer trois arbitres: un par la
municipalité, un deuxième par l'exproprié et un
troisième par les deux arbitres. A ce niveau, si nous sentons le besoin
d'avoir des gens pour nous représenter ou des spécialistes, il
est facile d'en avoir et de présenter nos arguments devant les
arbitres.
Ces arbitres rendent ensuite une sentence. Cette sentence est finale. Je
dois souligner aussi que, dans les cas les plus importants d'expropriation
parce qu'il faut bien voir qu'en milieu rural, les cas d'expropriation
sont bien différents de ceux des centres urbains, c'est-à-dire
que l'on exproprie généralement pour des fins d'aqueducs,
d'égouts et de voirie pour les cas vraiment graves, disons,
où les montants sont importants, comme dans les cas d'aqueducs, et
d'égouts, on a prévu, à l'article 408 de la loi, que des
arbitres sont alors remplacés par la Régie des services publics
qui entend la demande.
Or, il nous semble que cette procédure est satisfaisante. Suivant
les vérifications que nous avons pu faire dans nos municipalités
rurales, il semble que les gens soient satisfaits, pour le moment, de cette
procédure, qu'elle répond à leurs besoins, bien que tout
le monde soit heureux, comme je l'ai mentionné tantôt, de voir
que, par le truchement d'une imposition, d'une réserve maintenant, les
municipalités rurales vont pouvoir procéder à ce qu'on
appelait une homologation antérieurement et qui est une procédure
vraiment utile lorsque l'on veut prévoir le développement d'une
municipalité.
En somme, nous croyons que, par des amendements au code municipal, nous
pourrions atteindre ce but de préciser peut-être certaines
procédures, mais que le principe ou la procédure prévue
présentement dans cette loi semble absolument satisfaisante. Comme cela
a été le cas lors de la réforme du code de
procédure civile, nous croyons que les municipalités
régies par le code municipal devraient être exclues.
D'ailleurs, si on voit le nombre d'expro-
priations, on s'apercevra que dans les municipalités rurales
où les propriétaires sont expropriés par une
municipalité et non pas par une autre autorité gouvernementale,
les cas ne sont pas très nombreux et qu'ils sont
généralement réglés à leur satisfaction.
Selon notre expérience, souvent les cas sont réglés
même avant qu'on se rende devant trois arbitres, les gens de l'endroit
connaissant bien le milieu et étant assez habiles pour déterminer
ce que vaut l'emplacement. Ce genre de procédure nous a rendu des
services jusqu'à maintenant et nous pensons qu'il peut nous en rendre
encore pendant plusieurs années.
Ajoutons à ceci que, dans les régions rurales, les
administrateurs locaux, comme les contribuables pour avoir
travaillé dans des milieux ruraux, vous savez aussi bien que moi que
c'est le cas connaissent bien leur code municipal qui est franchement
bien rédigé. Je vais admettre qu'il y a des choses à
changer dedans, mais les principes sont bien établis dans le code et
cette procédure est bien connue. Ils sont familiers avec cette
procédure; elle leur rend service et elle n'est pas coûteuse. Pour
cela, nous demandons à cette commission de bien vouloir
considérer notre représentation de façon que les
municipalités régies par le code municipal soient tout simplement
exclues de l'application de la Loi de l'expropriation, c'est-à-dire
qu'on maintienne les procédures. Nous visons à maintenir la
même procédure que nous avons présentement, quitte à
l'améliorer.
Nous sommes d'accord pour dire qu'il y a des améliorations
à y apporter. C'est la représentation que nous voudrions faire au
nom des 1,250 municipalités rurales de la province.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PAUL: M. Viau, ayant moi-même, en plusieurs circonstances, agi
comme conseiller des municipalités, je sais que l'exposé que vous
nous avez fait est conforme à la vérité. Les ruraux
restent extrêmement attachés aux procédures prévues
par le code municipal en matière d'expropriation. Les invitations que
vous faites au gouvernement sont excellentes. Mais il ne faut pas oublier que
le ministre des Affaires municipales a l'intention, suivant ses
déclarations, de présenter une législation qui
prévoirait un code unique régissant les municipalités
rurales et les cités et villes. Alors, il ne faut pas oublier ce
contexte éventuel futur, à mon point de vue, qui minimise les
représentations que vous faites ce matin, non pas quant à leur
valeur, mais quant à leur recevabilité de la part du ministre,
parrain de cette loi.
Cela m'invite à vous demander s'il y a eu consultation par vous,
ou par M. Moreau et les membres de l'Union des conseils de comté, avec
le ministre des Affaires municipales pour discuter des implications de la loi
88 et pour l'inviter à présenter, en attendant le code unique,
les amendements dont vous nous avez parlé.
M. VIAU: II n'y a pas eu de consultation.
M. PAUL: II n'y a pas eu de consultation. Est-ce que votre organisme
commence à réagir ou à exercer des pressions pour que les
municipalités rurales continuent d'être régies par un code
municipal, amendé, si vous voulez, et que les municipalités de
ville, les corporations des cités et villes, le soient par la Loi des
cités et villes?
M.VIAU: Si vous me le permettez, M. le député, sur cette
question, nous continuons c'est exactement l'exemple que nous apportons,
je pense, ce matin à demander plutôt une modification au
code municipal qu'une loi unique, pour la simple et bonne raison que, quant aux
municipalités rurales, ce code je dois le répéter
ici est bien conçu. C'est un code, contrairement à la Loi
des cités et villes, qui est un ensemble de dispositions.
Je comprends que nous sommes à l'étude de la Loi de
l'expropriation. Je ne voudrais excéder ni mon mandat, ni le
débat. Au niveau de la Loi de l'expropriation, nous demandons que les
dispositions du code municipal soient maintenues, quitte à être
améliorées. Que le gouvernement du Québec le fasse par le
truchement d'une loi ou d'une autre, cela ne nous importe pas beaucoup. Ce qui
nous tient à coeur, c'est que les dispositions du code municipal soient
maintenues, quitte à être rafraîchies, comme je le
soulignais tantôt, quant au pouvoir d'homologuer. Nous trouvons vraiment
que c'est un grand pas en avant, parce que cela va de pair avec les pouvoirs
qui ont été donnés, il y a déjà quelques
années, en matière d'urbanisme, par exemple, aux
municipalités rurales. Nous étions souvent entravés dans
la poursuite d'un plan d'aménagement par le fait que nous ne pouvions
pas homologuer.
C'est à cela que nous tenons. En matière d'expropriation,
nous croyons que nous avons une procédure relativement simple et peu
coûteuse. Comme je le mentionnais tantôt, que cela se fasse par le
truchement d'une loi ou d'une autre, ce à quoi nous tenons, c'est que
cela se fasse plutôt dans le code municipal que dans une autre loi, parce
que le travail, dans un milieu rural, est bien différent du travail dans
un centre urbain. Il y a moins de personnes, peut-être, autour des
conseils municipaux, pour les aviser. Ils connaissent bien ce code, ils sont
familiers avec la procédure. Si on prend la peine de lire les articles
du code municipal, au chapitre de l'expropriation, ils sont très clairs.
C'est la logique même.
M. PAUL: C'est également rapide.
M. VIAU: C'est rapide aussi. On évite des délais. Et
souvent, on en vient pratiquement à des ententes sans même se
rendre devant un tribunal. Alors, pourquoi imposer une procédure qui est
peut-être valable je ne parle pas pour les cités et villes,
je ne parle pas pour
d'autres organismes; je ne parle que pour les municipalités
rurales dans un centre urbain là, n'est pas la question,
quant à moi mais, dans un milieu rural, nous pensons que le code,
tel qu'il est considéré et rédigé, pourrait
être amélioré, d'accord, mais est bien, comme conception,
et est utile. Tout est dans le même livre et la procédure est
logique.
M. PAUL: M. Viau, je ne vous avais pas invité à
dépasser le mandat que vous avez reçu, mais nous, qui sommes
constamment dans la fournaise législative, avons entendu des
déclarations de l'honorable Tessier qui nous a prévenus qu'il y
aurait éventuellement présentation de lois fusionnant la Loi des
cités et villes et le code municipal. C'est sur ce point que j'ai voulu
attirer votre attention, ce matin, en vous disant que le mémoire, tel
que vous nous le présentez et les suggestions que vous nous faites sont
excellentes. D'un autre côté, nous, législateurs, à
qui vous vous adressez, nous sommes obligés de tenir compte d'autres
déclarations qui ont été faites par d'autres ministres,
qui auraient pour effet de minimiser et même de rendre tout à fait
inutile le mémoire que vous nous présentez ce matin.
C'est sur cet aspect que j'ai voulu attirer votre attention, tout en
appuyant grandement sur la logique de vos propos. Je suis sûr que le
ministre, une fois qu'il aura une déclaration officielle de la part de
son collègue, le ministre des Affaires municipales, pourra aller de
l'avant avec sa loi. Si, par hasard, le ministre des Affaires municipales avait
l'intention de maintenir encore durant quelques années le code municipal
qui régit les municipalités rurales, je suis certain que le
ministre, avec la libéralité qu'on lui connaît, l'ouverture
d'esprit qui le caractérise quelquefois, voudra bien retenir les propos
fort judicieux et appropriés que vous avez tenus ce matin.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre des Transports.
M. PINARD: J'ai écouté avec beaucoup
d'intérêt les remarques de Me Pierre Viau, qui défend bien
la cause qui lui a été confiée par l'Union des conseils de
comté du Québec, et je prends acte aussi des remarques et des
propos fort judicieux qui ont été faits par mon collègue
de Maskinongé. Cependant, la commission parlementaire chargée de
faire l'étude du projet de loi 88 n'est pas ici, je pense, pour mettre
en contradiction les ministres en ce qui regarde les pouvoirs qu'ils peuvent
avoir dans le domaine de l'expropriation.
Il faut, je pense, admettre que le comité de législation
est une entité spécifique. Il n'est attaché comme tel
à aucun des ministères, mais il fait le recoupement des lois
soumises par les ministères. Il est en mesure de faire la
synthèse des amendements qui doivent être apportés à
une loi ou à une autre dans un ministère ou dans un autre.
Je tiens pour acquis que ce travail de synthèse a
été fait. Mais comme je l'ai souligné dans mes
remarques préliminaires le projet de loi qui nous est soumis ce
matin est un document de travail susceptible de recevoir des amendements,
compte tenu de l'expression d'opinions qui sera faite par les organismes qui se
présentent devant nous et compte tenu aussi de l'évolution dans
le domaine de l'expropriation, en ce qui concerne les municipalités, en
particulier les municipalités rurales.
C'est entendu que pour ma part je ferai de nouvelles consultations
auprès de mon collègue, le ministre des Affaires municipales, et
nous transmettrons copie de votre mémoire au ministre et à ses
hauts fonctionnaires, ainsi qu'aux membres du comité de
législation. Ainsi, une fois les travaux de la commission parlementaire
terminés, nous pourrons faire la synthèse des propositions qui
nous auront été faites et nous pourrons en arriver à
rédiger des amendements qui tiendront compte des propositions des uns et
des autres.
Mais, je vous l'affirme, il faut en faire une loi cohérente,
efficace, capable véritablement de régler les problèmes
d'expropriation des années soixante-dix, quatre-vingt et
quatre-vingt-dix, sans pour cela défavoriser qui que ce soit. Il faut
mettre de l'ordre dans ce domaine de l'expropriation, qui jusqu'ici tout
le monde l'admet a manqué de contrôle, de coordination et
de barèmes précis.
Cela a été un peu un problème laissé
à tous et chacun. Malgré tout, il y a des expressions d'opinions
je les retiens qui disent que cela n'a pas été si
mal, même s'il y a matière à progrès. Il y en a qui
se surprennent du fait que les travaux de la commission Alary n'aient pas
été déposés de façon globale. Je suis un de
ceux qui ont obtenu le dépôt de ce fameux rapport Alary en 1968 ou
1969, mais c'est une étude qui est tellement globale,
considérable qu'il nous a paru difficile, dans un premier temps, de
coucher toutes ces recommandations du rapport Alary dans un seul texte de loi.
Il aurait fallu encore beaucoup plus de temps au gouvernement pour être
en mesure de rédiger un projet de loi qui aurait incorporé toutes
ces recommandations du rapport Alary, qui aurait permis en même temps de
rattraper le temps perdu et de donner certains mécanismes nouveaux pour
résoudre des problèmes de caractère urgent.
C'est la réponse que je fais aux remarques du
député de Bourget, qui se surprend de ne pas retrouver dans le
texte du projet de loi 88 toutes les recommandations du rapport Alary.
Je pourrais dire que j'ai reçu de M. Alary lui-même une
lettre qui exprime sa satisfaction relativement au projet de loi 88 et il dit:
"En ma qualité d'ex-président du comité d'étude que
vous avez parrainé, je retrouve en substance des recommandations du
rapport que nous avons par la suite soumis. Je considère que nous avons
enfin un instrument de travail efficace et simplifié pour faire valoir
les droits des expro-
priés et permettre en même temps aux expropriants une
meilleure efficacité administrative. Je note en particulier avec plaisir
l'attention du législateur accordée à l'indemnité
par suite de l'expropriation de fonds de commerce, de réserve pour fins
publiques et la reconnaissance officielle d'indemnité à tout
locataire. Je suis toutefois surpris d'une première exception à
la loi générale favorisant encore une fois la ville de
Montréal, à l'article 55. Je pourrais à cet effet vous
faire des commentaires additionnels fort opportuns." J'ai l'impression que ces
commentaires viendront soit dans le mémoire de la Chambre de commerce de
la province de Québec ou de la Chambre de commerce de Montréal.
C'était l'essence de...
M. LAURIN: Est-ce qu'il serait possible d'entendre M. Alary?
M. PINARD : II est invité à se faire entendre. Je ne sais
pas s'il viendra lui-même ou s'il le fera par personne interposée.
Enfin, toute liberté lui a été accordée. Je voulais
dire que, malgré tout ce qu'a dit le député de Bourget, il
semble bien que le président Alary, qui a été à la
tête de cette commission d'enquête sur les problèmes
d'expropriation, se déclare quand même satisfait du contenu du
bill 88, même si le gouvernement admet qu'il n'a pas été
capable d'incorporer dans les dispositions du bill 88 toutes les
recommandations. C'est un projet de loi qui pourrait être suivi
d'amendements au fur et à mesure que nous serons en mesure de faire face
à la situation sur le plan budgétaire, sur le plan
législatif bien entendu et sur le plan administratif. Il faut bien
admettre que des réformes globales, si elles sont mises en application
trop vite, sans période de transition, causent parfois des blocages qui
sont plus douloureux, plus désastreux sur le plan social, sur le plan
économique et sur le plan financier que des lois qui ont parfois un
caractère ancien et qui, tout de même, à cause de certaines
réformes d'ordre administratif, d'ordre interne, ont donné des
résultats satisfaisants.
C'est une espèce de mise au point et de mise en garde en
même temps parce que je sais que ce matin nous parlons en présence
de gens qui connaissent les problèmes de l'expropriation et qui
eux-mêmes ont des responsabilités à certains paliers de
gouvernement et qui savent aussi comment les choses se sont passées et
comment elles devraient se passer. Et quand on apporte des réformes qui
sont trop bouleversantes, parfois il y a ce qu'on appelle, dans le langage
technocratique ou sociologique savant, un phénomène de refus
plutôt qu'un phénomène d'acceptation. Je pense que c'est
bon parfois de réfléchir sur les conséquences profondes et
très diverses des réformes qui sont trop globales.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: M. le Président, j'entendais monsieur tout à
l'heure parler d'un code bien rédigé des municipalités et
en marge du renouveau que pourrait apporter le ministre des Affaires
municipales, comme le mentionnait le député de Maskinongé.
Seriez-vous plus enclin à accepter le bill 88 si une entente à
l'amiable était acceptée de la part, avant de diriger ces causes
au tribunal d'expropriation, des municipalités et des
expropriés?
M. VIAU: Cela existe déjà dans le code municipal. Il y a
déjà un chapitre sur l'expropriation, dans le code municipal, qui
prévoit tout cela déjà, qui prévoit que les parties
peuvent, par convention, régler le problème de l'acquisition d'un
bien, qui prévoit tout de suite après que, s'il n'y a pas de
convention ou que les parties sont en désaccord, les trois estimateurs
nommés par la municipalité fixent un montant et souvent
ça se règle et qui prévoit par la suite un
arbitrage, et dans les questions d'égoûts et d'aqueducs, où
c'est directement la Régie des services publics. Tout cela existe
déjà.
C'est pour ça que je disais tantôt que nous ne voyons pas
pourquoi une autre loi viendrait; ce serait simplement, je pense, compliquer
l'administration municipale des municipalités rurales. C'est notre
opinion.
M. AUDET: De toute façon...
M. VIAU: Quand on a déjà dans une loi une procédure
satisfaisante, avec des délais courts qui ne coûtent pas cher
à faire fonctionner, et qui satisfait les parties, pourquoi chercher une
autre procédure?
Par exemple, là où on parle de délai, ça se
comprend quand on parle de délai dans un centre urbain, parce qu'on sait
que les montants en jeu sont considérables et que souvent ce sont des
expropriations, quand on parle d'exproprier, par exemple, pour de la
rénovation urbaine. A ce moment-là ce sont des blocs, des
ensembles de propriétés souvent d'une valeur importante qu'on
exproprie et là on voit qu'il faut mettre plus de temps. Il suffit de
l'avoir vu de près pour savoir que cela a du bon sens de prévoir
d'autres genres de délais et un autre genre de procédure. A titre
d'exemple, on dit, dans le projet de loi sur l'expropriation c'est la
procédure prévue au code de procédure civile que
lorsque l'on exproprie, il faut enregistrer l'avis au bureau
d'enregistrement.
Cela a du bon sens et ç'a été un gros
progrès, à mon point de vue, lorsqu'on a amendé le code de
procédure civile et ça se retrouve ici. Mais si on regarde dans
le code municipal, on sait que, dans plusieurs municipalités rurales,
vous avez de la difficulté à décrire le bien à
cause de la situation même des lieux. Par contre, lorsqu'on arrive au
bout d'un arbitrage, là où on est allé plus loin qu'une
simple entente ou après que les estimateurs ont décidé, on
voit que les arbitres
sont obligés de déposer la description du lot.
Autrement dit, on avait prévu cette procédure dans le
temps, de sorte que, lorsqu'il y avait vraiment danger d'injustice ou d'erreur,
la procédure devenait plus serrée. Lorsqu'il n'y en a pas, la
procédure est plus souple. Alors, ça existe déjà,
c'est facile, on n'a qu'à le lire, tout le monde comprend ça.
C'est facile à comprendre cette procédure et c'est simple. C'est
pour ça que je ne vois pas pourquoi on changerait ça de loi,
c'est déjà dedans et je ne vois pas ce qu'on peut ajouter.
On peut certainement corriger, on l'a mentionné dans notre
mémoire, certains articles du code municipal. Mais est-ce qu'on devrait
ajouter un chapitre, dans une loi sur l'expropriation, retranscrivant le
chapitre du code municipal? Je vois mal ça. Il me semble que le code est
là, c'est là que ça va.
M. AUDET: Vous avez probablement raison de dire que peut-être les
lois que nous avons déjà sont bien faites et satisfont,
jusqu'à un certain point. Mais l'idée du ministre, je crois, ou
de la loi 88 est, en fait, une tendance à regrouper des forces
éparses, à centraliser jusqu'à un certain point
peut-être des choses qui sont un peu ici et là, à faciliter
ce regroupement. Sans vouloir tout le changement que prévoit la loi 88,
est-ce que vous accepteriez, par exemple, que la loi 88 soit
présentée, mais avec cette différence que les ententes
à l'amiable pourraient demeurer acceptables?
M. VIAU: Non, je pense qu'on ne peut pas accepter ça, parce qu'il
faudrait, à ce moment-là, entrer dans la loi 88 tout ce qu'on
retrouve dans le code municipal sur l'expropriation. Alors c'est faire du
double emploi, c'est-à-dire logiquement, puis sur le plan de la
technique de rédaction de loi; il me semble qu'on ne transfère
pas un chapitre d'un code dans une loi particulière et vice versa.
Je ne vois pas ce que ça donnerait de plus, d'autant plus qu'il y
a trois code, vraiment, qui ont de l'âge, dans la province de
Québec: le code civil, le code de procédure civile et le code
municipal.
M. PAUL: II y a le code criminel qu'il ne faut pas négliger.
M. VIAU: Le code criminel, je vous parle de lois provinciales.
M. PAUL: Oui, c'est très bien.
M. VIAU: Je parle de lois provinciales. Alors, pour avoir pondu un code
comme ça, il faut y avoir mis des années. On en est arrivé
à certaines notions de base et ensuite on a rédigé une
procédure qui collait à cette notion. Dans le code municipal,
quand on parle des définitions, par exemple, on se réfère
toujours aux définitions du début du code. Cela veut dire que,
quand on essaie de transférer un chapitre dans une autre loi, il faut
refaire tout le code, voir où on l'amende en cours de route, voir si les
définitions concordent. Voyez-vous, c'est beaucoup plus complexe que
c'en a l'air de transférer un chapitre d'un code dans une autre loi.
C'est pout ça que ce que nous trouvons plus simple, c'est tout
simplement d'exclure, comme ç'a été fait dans le code de
procédure civile en 1965. A ce moment-là, on a
décidé de l'exclure, parce que ce n'est pas le même
problème. En milieu rural l'expropriation est un problème tout
à fait différent.
M. AUDET: C'est clair que vous voyez dans ce projet de loi un
chambardement complet de...
M. VIAU: Au niveau des procédures d'expropriation rurale oui.
D'autre part, comme je l'ai mentionné précédemment, il
faut bien admettre qu'il y a des choses vraiment utiles dans ce projet de loi.
C'est pour ça que nous disons que, s'il y avait une couple d'amendements
au code municipal, cela nous aiderait beaucoup. Par exemple, dans le cas
d'homologation, c'est évident et nous l'avons souligné.
D'ailleurs et nous l'avions déjà demandé
depuis des années ce n'est peut-être pas la réponse
mais on voyait bien qu'il fallait faire quelque chose sur le terrain et
prévoir un parc, par exemple. On ne pouvait pas l'homologuer tout de
suite mais on savait qu'avec un développement ça prendrait un
parc. Ce pouvoir irait bien au niveau de l'article 392, qui parle d'urbanisme
dans le code municipal.
M. AUDET: Si je comprends bien, votre crainte vient surtout du fait que
vous croyez que le tribunal de l'expropriation que prévoit le projet de
loi 88 devienne surchargé si on lui confie toutes les causes
d'expropriation.
M. VIAU: Non, ce n'est pas tellement cela, ce n'est pas que le tribunal
va être surchargé.
M. AUDET: II pourrait devenir aussi inefficace.
M. VIAU: La procédure est simple, dans le code municipal, et
permet de régler les litiges en cours de route sans avoir
nécessairement recours au tribunal et, la plupart du temps, sans
même se rendre au tribunal.
M. PAUL: Vous ne voulez pas l'abolition ou la disparition de ce qui
existe dans le domaine de l'expropriation municipale et qui a donné
jusqu'ici de bons résultats, procédure qui est simple et qui
règle les différents problèmes de l'expropriation au
niveau des municipalités.
M. VIAU: C'est cela. Pour avoir vu fonctionner un milieu rural, je sais
que la loi la plus claire et la plus simple est souvent difficile
d'application souvent simplement à cause des distances. Si on
prévoit qu'on doit se rendre à une division d'expropriation pour
régler un litige qui se réglait autrefois au niveau de trois
arbitres, c'est simplement compliquer la situation pour pas grand-chose de
plus. Souvent, cela se réglait localement, à peu de frais et
â la satisfaction de tout le monde.
Si on regarde le code municipal, édition de Robert Tellier, et
qu'on cherche la jurisprudence dans le chapitre de l'expropriation, il y en a
mais souvent c'est de la jurisprudence qu'on est allé pêcher dans
les villes par comparaison avec la charte de Montréal ou dans d'autres
municipalités pour se faire des exemples. Des gros problèmes
d'expropriation en milieu rural, il n'y en a pas une quantité
considérable. Ce sont souvent nos municipalités qui font des
représentations là-dessus. Quand on a une procédure
simple, peu coûteuse et qui règle les litiges là où
il faut les régler, on ne voit pas ce que ça ajoute d'en trouver
une autre. C'est le but de notre intervention.
LE PRESIDENT: (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.
M. PINARD: Est-ce que je peux vous poser une question, Me Viau?
M.VIAU: Oui.
M. PINARD: Pourquoi, par exemple, une corporation municipale de 4,000
âmes aurait-elle une procédure différente d'expropriation
d'une municipalité de 5,000 âmes?
M. VIAU: Probablement parce que la corporation de la municipalité
de 4,000 âmes est allée chercher un statut de ville. Au-dessus de
2,000 âmes elle peut en avoir un, tandis que la corporation de 5,000
âmes peut bien être restée avec le code municipal parce
qu'elle y voit un avantage et elle suit sa procédure. C'est tout
simplement cela.
Cela ne veut pas dire qu'il y aura des injustices du fait que l'une suit
le code municipal et l'autre la Loi des cités et villes. Je ne pense
pas. La grosseur des municipalités au Québec est bien
élastique. Vous avez des municipalités de ville avec une
population de 2,500 et des municipalités régies par le code
municipal avec une population de 4,500 ou 5,000. Souvent, il y a des raisons
bien locales qui ont justifié les contribuables et les conseils
municipaux à demander une charte de ville. Je dois dire que ces
dernières années plusieurs amendements ont été
apportés au code municipal, ce qui fait que les municipalités
rurales ont souvent des pouvoirs qu'elles n'avaient pas autrefois. Les gens
voulaient avoir un statut de ville parce qu'ils n'avaient pas certains pouvoirs
concernant les règlements d'emprunt, par exemple, ou les questions
d'urbanisme. Cela a été inclus au code et ça satisfait
tout le monde.
M. PAUL: C'est aussi une question de subvention provinciale.
M. VIAU: II y a des raisons assez particulières dans plusieurs
cas.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Bourget.
M. LAURIN: M. le Président, avant de poser une question à
Me Viau, je voudrais répondre à mon tour brièvement
à la mise au point que le ministre a cru bon de faire à la suite
de ma déclaration liminaire. Je voudrais juste attirer l'attention du
ministre sur les points suivants. Les explications qu'il nous a données
ne justifient pas le fait que le gouvernement n'a pas rendu public le rapport
de la commission Alary; si un journal n'avait pas eu l'intelligence de trouver
ce rapport et de le soumettre à notre attention, il nous aurait
manqué un élément très important pour
étudier, d'une façon docte et appropriée, le projet de loi
88.
Deuxièmement, je suis bien content que le président de la
commission ait fait parvenir cette lettre au ministre.
Mais le ministre me permettra d'accorder plus d'attention au texte
même de la commission Alary, qu'à une lettre, de couverture
très générale, qui montre l'assentiment du
président de la commission sur certains points majeurs.
Je pense que, lorsqu'on étudie un projet de loi, il est mieux de
se référer au texte du rapport de la commission plutôt
qu'à une lettre générale.
Enfin, troisièmement, je suis bien d'accord avec le ministre que
le gradualisme ou la mentalité évolutive dont nous parle le
ministre Cloutier peut parfois s'avérer préférable en des
matières aussi ardues et complexes. Mais il reste que, lorsqu'un projet
de loi s'attaque à des éléments très précis
dans un domaine particulier et que, sur ces points particuliers et
précis, les conclusions ou les recommandations de la commission Alary ne
s'appliquent pas ou sont mises de côté, on n'a pas affaire
à un gradualisme, mais à un choix bien défini du
ministère qui préfère ne pas donner suite, pour des
raisons que nous pouvons discuter d'ailleurs, à l'une ou l'autre des
recommandations.
Après ces précisions, cette mise au point, je pose
maintenant mes questions à Me Viau. Vous vous êtes
félicité de ce que le législateur accorde aux
municipalités des pouvoirs nouveaux dont celui de l'homologation, mais
vous semblez être moins d'accord sur les modalités que
prévoit le législateur pour l'exercice de ces nouveaux pouvoirs
d'homologation.
Vous avez dit qu'avant de se rallier à telle ou telle formule ou
à telle modalité il faudrait apprécier les changements qui
vont en résulter sur le plan financier et sur le plan administratif.
Premièrement, pourriez-vous nous préciser les changements qui,
selon vous, vont en résulter sur le plan financier ou administratif?
Deuxiè-
mement, pour éviter la critique que vous faites d'une
procédure qui vous semble, à première vue, lourde et
onéreuse, est-ce que vous pourriez nous faire part des recommandations
ou amendements que vous soumettriez à l'attention de la commission afin
que cette procédure cesse d'être lourde et onéreuse et vous
permette d'exercer ces pouvoirs nouveaux à votre satisfaction?
M. VIAU: Nous n'avons pas fait évidemment de rédaction de
textes d'amendements à suggérer. Nous pourrions le faire
éventuellement. Ce que nous visons, c'est d'intégrer nous
l'avons mentionné un peu plus loin cette question d'homologation
au code municipal. Je pense que cela pourrait certainement avoir sa place
près des questions d'urbanisme et aussi au chapitre de l'expropriation
quant à la procédure. Nous pourrions en arriver à une
procédure à peu près semblable à celle
prévue maintenant, quand il s'agit d'expropriation.
Evidemment, nous n'avons pas étudié les modalités
de rédaction ou la façon dont cela pourrait s'intégrer
à tel article ou à tel chapitre exactement.
M. LAURIN: Vous préféreriez une procédure qui
ressemblerait à la procédure actuelle prévue pour fins
d'expropriation.
M. VIAU: Le début serait certainement différent puisque,
actuellement, on peut exproprier de gré à gré, tandis que
l'homologation est un acte d'autorité de la municipalité. Mais
certainement on peut trouver une façon de prévoir une
homologation simple et l'inclure dans le chapitre de l'expropriation. Nous
pouvons certainement faire cela. Cela existe dans la Loi des cités et
villes où il y a quelques articles qui concernent le pouvoir
d'homologuer. Nous pourrions procéder à peu près suivant
la même technique.
D'autre part, je pense, sans avoir approfondi la question, que ce n'est
peut-être pas une mauvaise chose qu'on doive maintenant prévoir
une indemnité en cas d'homologation, puisque, longtemps, on a vu des
homologations traîner indéfiniment, les gens étant
incapables de réparer même leur maison. Je pense que c'est un
grand progrès dans cette loi où l'on voit qu'on peut
prévoir une question d'indemnité là-dessus.
Pour ce qui est des municipalités rurales, cet aspect, surtout
à cause de la technique utilisée, nous semble plus coûteux
que sous le code municipal. Quant au fait d'indemniser des gens par suite d'une
homologation, je pense que cela aussi pourrait être inséré
dans un chapitre du code municipal et suivre une procédure qui
s'apparente à celle que nous connaissons actuellement.
M. LAURIN: Est-ce que vous avez pris connaissance du rapport Alary?
M. VIAU: Je n'ai pas pris connaissance du rapport Alary. J'ai lu ce que
l'on en a vu dans les journaux, mais je ne l'ai pas étudié.
M. LAURIN: Est-ce que vous êtes d'accord sur l'adoption d'une
procédure d'expropriation unique pour toutes les autorités
dotées d'un pouvoir d'expropriation?
M. VIAU: Nous ne sommes pas d'accord quant aux municipalités
régies par le code municipal. C'est le but de notre présentation
justement.
M. LAURIN: Donc, c'est une exception que vous voudriez que le
législateur...
M. VIAU: ... fasse pour les municipalités régies par le
code municipal. Oui.
M. PAUL: C'est déjà prévu dans le code de
procédure actuel.
M. VIAU: C'est déjà prévu dans le code de
procédure.
M. PAUL: De même que le Bureau des expropriations de la ville de
Montréal à l'article 753.
M. VIAU: C'est exact. Un chapitre du code de procédure
prévoit que les municipalités régies par le code municipal
sont exclues. C'est l'article 773, je pense, qui dit que les dispositions de ce
chapitre régissent toutes les expropriations permises par les lois de
cette province, sauf celles qui sont faites en vertu des dispositions du code
municipal, de la charte de la ville de Montréal ou en vertu des lois de
la province adoptées postérieurement au 30 mai 1940 prescrivant
une procédure différente en expropriation. C'est ce genre de
clause que nous cherchons à obtenir quitte à modifier le code
municipal, comme je le mentionnais tantôt, pour y apporter des
améliorations.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de l'Assomption.
M. PERREAULT: Me Viau, je pense bien que le principal point que vous
avez voulu faire ressortir ce sont les charges financières qui seraient
occasionnées aux municipalités si on leur appliquait la loi
88.
M. VIAU: Et la procédure. Les deux.
M. PERREAULT: Et la procédure qui occasionne de grands frais
devant les régies et ainsi de suite.
M. VIAU: Oui.
M. PERREAULT: Vous n'êtes pas sans savoir que même dans la
Loi des cités et villes il y a
plusieurs municipalités qui ont à peu près la
même population que certaines municipalités rurales. A la suite de
cela, ne croyez-vous pas qu'il serait opportun à ce moment-ci de penser
qu'on pourrait exclure, non pas les municipalités rurales, mais exclure
du domaine prescrit par le bill 88 toutes les expropriations qui ne
dépasseraient pas un montant donné d'expropriation à
l'évaluation municipale? Je donne un exemple: Si l'évaluation
municipale est fixée à $10,000 et qu'on veuille acquérir
un terrain, à ce moment-là on pourrait soustraire peut-être
cette expropriation du domaine du bill 88.
M. VIAU: A première vue, c'est un peu embêtant. C'est une
technique qui peut être étudiée, mais il me semble que
c'est un peu embêtant parce qu'il y a tellement de lois. Que va-t-on
faire avec les chartes à ce moment-là? Je ne sais pas comment
ça pourrait fonctionner. C'est une idée qui peut être
fouillée, mais je me demande comment on va faire pour appliquer
ça d'un statut à un autre dans une expropriation. Quelle
procédure suivraient les expropriations d'une ville importante comme
Montréal qui seraient d'un faible montant? Je me demande si on ne
compliquerait pas la vie à d'autres autorités, d'autres
organismes.
Quant à nous, ce que nous visons comme je l'ai
mentionné tantôt je ne veux pas excéder mon mandat ici
ce sont surtout les municipalités régies par le code
municipal. En ce qui nous concerne, nous ne voyons pas d'utilité
à employer ce nouveau procédé. Mais de là à
jouer par le truchement des montants, je me demande si on n'entraînerait
pas d'autres sortes de problèmes. Le code de procédure civile,
par cette clause, toujours l'article 773, semblait exclure certains cas
particuliers; il y en avait deux: la ville de Montréal et le code
municipal. Les autres, c'était parce que le législateur en votant
une loi après 1940 avait jugé à propos de les exclure.
Voyez-vous? Que l'on ramène ça à une même
procédure, ce n'est pas à moi de dire si c'est souhaitable ou
pas. A première vue, je trouve que c'est toujours utile d'avoir une
règle uniforme. D'un autre côté, y aller par le montant, je
ne sais pas ce que ça pourrait donner.
M. PERREAULT: Ce que je voulais faire valoir tout à l'heure,
c'est qu'il y a des villes sous l'empire de la Loi des cités et villes
qui ont à peu près la même population que certaines
municipalités rurales. Comme maire, j'ai vu des cas d'expropriation au
montant de $5,000 et qui, une fois expropriés, coûtaient
$10,000
M. VIAU: II serait peut-être utile d'avoir les dispositions du
code municipal à ce moment-là.
M. PERREAULT: Ce qui est le point, c'est de diminuer les charges pour
les municipalités.
M. VIAU: Je comprends.
M. PERREAULT: C'était le point, et aussi pour les villes qui
n'ont pas une forte population. Le montant de l'expropriation n'est pas
élevé et, quand on ajoute les frais de l'évaluateur, de
l'avocat et ainsi de suite, souvent on double et on triple le montant qu'on
pourrait donner.
M. PAUL: II ne faut pas oublier les frais d'ingénieur, là;
vous vous attaquez à un avocat, un instant.
M. PERREAULT: On sait que l'évaluation municipale va être
faite suivant la loi, suivant le même barème à
l'échelle de la province en vertu du bill 48. A ce moment-là on
pourra prendre un montant et dire toute...
M. VIAU: Je ne pense pas, à première vue, toujours. C'est
justement un des points qui sont soulevés lorsqu'une municipalité
rurale étudie la possibilité d'avoir un statut de ville. Elle
dira: Nous avons une procédure qui ne coûte pas cher, qui va bien
et là nous allons tomber sous le code de procédure civile. Cela
sera plus compliqué à régler qu'autrefois. C'est un des
points. C'est pour cela que les municipalités régies par le code
municipal disent : Ce que nous avons déjà et qui va bien, nous
voudrions bien le garder. Que l'on puisse améliorer la situation des
autres, d'accord.
M. PERREAULT: Il s'agit que vous regardiez un peu plus loin que votre
clôture.
M. VIAU: C'est que je n'ai pas de mandat passé ma clôture,
voyez-vous? Je suis bien prêt à regarder plus loin mais, pour le
moment, je suis limité à cela.
M.PAUL: Dans le cas des fusions, je vous promets qu'on procède
comme vous venez de le dire, qu'on est très très attentif
à toutes les conséquences des fusions, soit municipales ou
mixtes.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Viau et M. Moreau, ainsi que l'Union des
conseils de comté, nous vous remercions de votre
présentation.
M. VIAU: Nous vous remercions de l'attention que vous avez bien voulu
apporter à notre mémoire. Merci.
M. PAUL: M. Moreau, avant que vous ne quittiez cela n'a rien
à voir avec le projet de loi à l'étude quand
avez-vous votre rencontre avec l'honorable premier ministre, pour parler des
fusions?
M. MOREAU: On attend.
M.PAUL: Vous attendez encore. Très bien, merci.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le deuxième organisme que nous allons
entendre, ce matin, c'est les Chemins de fer nationaux. Si vous voulez vous
identifier, s'il vous plaît.
Chemins de fer nationaux et Air Canada
M. GAGNON (Edmond): Edmond Gagnon, avocat au contentieux de la province
de Québec de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et
d'Air Canada.
Nous avons soumis un court mémoire, dans lequel nous nous en
sommes tenus principalement à faire, en quelque sorte, de
l'exégèse de texte, je pourrais dire. Il peut sembler, à
première vue, surprenant que les deux entreprises de services sujettes
à juridiction fédérale se présentent devant cette
commission. Toutefois, nous faisons l'objet, régulièrement,
surtout de ce qu'on appelait autrefois des homologations. Nous avons un
intérêt dans ce sens. De plus, nous avons adopté, depuis un
certain temps, une politique de présence selon laquelle, d'ailleurs,
nous avons fait des représentations au moment de la présentation
du bill 48, entre autres. C'est pourquoi nous avons voulu soumettre quelques
considérations qui résultaient de l'analyse de textes
précis. Nous avons soumis un texte par écrit, il y a un certain
temps. J'en ai quelques exemplaires additionnels, s'il en manque.
Comme je l'ai signalé, le mémoire est soumis conjointement
au nom des Chemins de fer nationaux et d'Air Canada. Comme je l'ai aussi
signalé, notre intérêt réside dans le fait que nous
sommes l'objet de ce qu'on appelait autrefois des homologations, assez souvent.
De plus, nous avons adopté une politique de présence en vertu de
laquelle nous avons, depuis un certain nombre d'années, à maintes
reprises, fait des représentations devant les commissions
parlementaires. Nous avons procédé essentiellement à
l'analyse, à l'exégèse du texte. Notre mémoire, qui
est très succinct, ne discute à peu près pas des principes
de la loi mais plutôt du texte comme tel.
Par exemple, nous avons constaté, au sujet des articles 45 et 46,
qui établissent, en quelque sorte, la substance de la procédure,
qu'on procède à ce qui est l'équivalent, devant les
tribunaux de droit commun, de l'inscription pour enquête et audition,
c'est-à-dire qu'on demande à un tribunal de déterminer une
date d'audition avec toute la procédure que ceci implique.
A l'article 46, on prévoit même l'équivalent d'une
séance de conciliation, et tout ça à un moment où,
strictement selon les termes de la loi, les parties ne se sont pas encore
trouvées dans l'obligation de se faire part réciproquement de
leurs positions quant à l'indemnité.
Il nous semble ici qu'on devrait peut-être inverser l'ordre des
choses, tel qu'il est prévu dans la loi.
M. PAUL: Excusez-moi de vous déranger. Vous ne prévoyez
pas que ça peut être une espèce de pression exercée
sur les parties, sachant que la cause est inscrite, pour les presser et les
amener à une discussion, plutôt que de se rendre jusque devant le
tribunal?
M. GAGNON (Edmond): Ce qui nous semble hors de la procédure
ordinaire, c'est qu'on n'a pas prévu la solution à l'amiable du
litige, même la possibilité de connaître l'attitude
respective des parties, ce qui, dans la procédure de droit commun, se
fait dans les procédures écrites. On n'a rien prévu de
ça avant le moment où on inscrit la cause.
Autrement dit, on pourrait avoir 100 ou 150 procès de
fixés, alors que les parties sont susceptibles de s'entendre à
l'amiable. Or, elles n'en ont pas eu la chance, en tout cas, elles n'ont pas eu
l'obligation d'en discuter à l'amiable.
Cela pour ce qui est des articles 45 et 46, comme nous le mentionnons
dans notre court mémoire.
Au sujet de l'article 50 pour continuer l'exégèse
nous constatons que, lorsqu'il s'agit de proroger le délai de 90
jours, on inclut la possibilité de cette prorogation pour des motifs
graves. Dans le second paragraphe, lorsqu'on parle de réduire ce
délai, on ne retrouve plus cette notion de motif grave. Il nous semble
que ça devrait s'appliquer des deux côtés de la
médaille.
L'article 51 nous semble porter à confusion. Sur réception
du texte et après en avoir pris connaissance, dans les discussions que
nous avons eues en préparant ce mémoire, nous avons
communiqué avec un certain nombre de personnes. Les
interprétations quant à l'indemnité additionnelle
prévue à l'article 51 variaient de l'une à l'autre,
à savoir si l'indemnité additionnelle doit être
additionnée à celle d'un an de loyer ou si elle doit être
additionnée aux trois mois. C'est une question strictement de
rédaction, et nous croyons que le texte aurait intérêt
à être précisé.
Quant à l'article 56, qui fera sans doute l'objet de nombreux
commentaires, nous constatons, comme M. Alary le signalait dans la lettre que
le ministre a lue tantôt, que la ville de Montréal se voit
favorisée d'un statut particulier équivalant à celui du
ministère de la Voirie.
Evidemment, ce statut particulier selon les termes mêmes de
l'article 55 ne s'appliquerait que lorsqu'il s'agit d'exproprier plusieurs
immeubles. Nous nous permettons de croire que la philosophie qui sous-tend ce
statut particulier qui prévoit le paiement de 50 p.c. de
l'indemnité, ce doit être, vu que les montants payés sont
substantiels lorsqu'il s'agit d'exproprier plusieurs immeubles pour fins
d'élargissement de rues, de dire que la ville n'est pas obligée
de débourser intégralement dans l'immédiat ces sommes.
Par contre, la ville a les moyens, légalement,
de se protéger et de planifier à l'aide des
réserves pour fins publiques. Nous estimons donc que le statut
particulier est peut-être moins justifié eu égard à
la possibilité que la ville a d'instituer des réserves pour cinq
ans et de faire parallèlement ces réserves financières eu
égard aux expropriations à intervenir.
Ici encore, nous signalons ce qui nous semble un problème de
temps de procédure. C'est que l'article 55 prévoit l'obligation
pour la ville de payer la moitié de l'indemnité provisionnelle
prévue à l'article 49. Or, si on va à l'article 49, il
nous réfère à l'offre prévue à l'article 47.
Mais, dans le temps, la ville ne se sera pas encore trouvée dans
l'obligation de faire une telle offre.
La chaîne des événements est la suivante ou
des textes, si l'on veut c'est que l'article 55 nous
réfère à l'article 49; l'article 49 nous dit qu'il s'agit
de l'offre prévue à l'article 47; mais, si on regarde les
articles 60 et suivants, la ville de Montréal, au moment où on
lui demande de payer une indemnité égale à la
moitié de son offre, n'aura pas encore été dans
l'obligation de faire son offre. Il nous semble qu'il y aurait peut-être
lieu de faire une correction dans la chronologie, si l'on veut, du processus
d'expropriation.
Quant à l'article 68, nous notons qu'il fait
référence à une diminution possible du coût de
l'expropriation. Un peu plus haut, comme on l'a dit, la notion de motifs graves
se retrouve dans un sens, mais non à l'inverse, les deux
côtés de la médaille. Ici encore, à l'article 67, on
parle de l'avantage de l'exproprié et, à l'article 68, on ne
parle pas de ce critère de l'avantage de l'exproprié. Ces deux
articles s'appliquant dans des situations identiques, mais d'un
côté ou de l'autre de la médaille, il nous semble que la
notion d'avantage de l'exproprié devrait aussi se retrouver à
l'article 68.
A la lecture de l'article 79, à première vue, il y a
ambiguïté sur l'indemnité dont il est fait mention. On parle
de l'évaluation de l'indemnité qui doit être établie
sans tenir compte de la plus-value résultant de la réserve. S'il
s'agit de l'indemnité de réserve, à notre avis, il n'y a
pas de problème; mais, s'il s'agit de l'indemnité
d'expropriation, il y a un problème et, alors, si l'on ne tient pas
compte de la plus-value, on ne devrait pas tenir compte, non plus, de la
moins-value. Mais il nous semble bien que ce soit l'indemnité de
réserve. Dans ce cas, il n'y a pas de problème, sauf qu'il y
aurait peut-être lieu de préciser pour éviter la
confusion.
Au sujet de l'article 81, nous avouons devant la commission qu'il nous a
été impossible de trouver pourquoi l'exemption de taxes
s'appliquerait dans le cas d'une réserve de deux ans et ne
s'appliquerait pas dans le cas d'une réserve de cinq ans. Si on enlevait
les mots "deux ans", évidemment l'exemption de taxes s'appliquerait dans
tous les cas où il y a une réserve et où l'immeuble est
vacant et improductif, mais là on ne l'applique que dans le cas d'une
réserve de deux ans. Pourquoi pas dans la réserve de cinq
ans?
M. PAUL: En mettant un point après le mot "réserve", je
pense qu'on résout votre problème.
M. GAGNON (Edmond): Si on met un point après le mot
"réserve", exactement. En enlevant les mots "de deux ans". En fait, on
s'est demandé s'il y avait derrière cela, encore une fois, une
philosophie quelconque qui faisait qu'on ne voulait l'appliquer qu'aux
réserves de deux ans. Si on veut l'appliquer aux réserves de cinq
ans, comme il nous semble que ça devait être, il n'y a qu'à
enlever les mots "deux ans". Au sujet de l'article 86, c'est encore une
question d'interprétation ou de clarification. Les autorités
appropriées qui ont en main notre mémoire pourront
peut-être répondre à la question ou clarifier le texte.
L'article 86 prévoit la conversion en réserve de cinq ans de
toute réserve de deux ans. Or, la réserve de deux ans peut
être prolongée pour une autre période de deux ans. Ce que
nous demandons c'est si la réserve prolongée peut à son
tour être convertie. L'on se retrouve alors avec une réserve qui
n'a plus cinq ans, mais qui aura sept ans: deux ans, deux ans et trois autres
années. Le texte sur ce point ne nous semble pas clair. A la lecture de
l'article 96, nous comprenons que, lorsqu'une réserve est suivie
d'expropriation, on ne prévoit aucune indemnité quant à la
réserve elle-même. Or, l'article qui prévoit la nature de
l'indemnité au moment de l'expropriation parle des dommages
résultant directement de l'expropriation. Ceci ne nous semble pas
couvrir l'indemnité ou les dommages qui ont pu résulter de
l'existence de la réserve, de sorte que l'individu dont la
propriété ferait l'objet d'une réserve et serait
subséquemment exproprié par opposition à celui dont la
propriété ferait l'objet d'une réserve et qui ne serait
pas subséquemment exproprié, le premier ne serait pas
indemnisé pour les dommages résultant de l'existence de la
réserve durant un certain temps. Et on ne semble pas retrouver la
compensation de cette indemnisation incluse dans l'indemnité
d'expropriation.
Quant à l'article 97, nous constatons que là on impose au
propriétaire qui réclame une indemnité, au cas de
réserve, de faire reconnaf-tre, dans un premier temps, son droit
à l'indemnité. Or, il nous semble que, si le législateur
reconnaît que la réserve constitue une restriction ayant des
incidences financières, ce qui est reconnu à travers le texte de
loi, il semble qu'il est peut-être un peu onéreux d'imposer au
propriétaire le devoir de faire reconnaître son droit à
l'indemnité.
Le droit devrait être, à notre avis, automatiquement
existant, sujet à ce que le tribunal approprié détermine
si l'indemnité vaut $1, c'est-à-dire si les dommages sont
compensés adéquatement par $1 ou par $100. Là encore
c'est une question de principe qui semble reconnu à travers la
loi. Dans cet article-là en particulier, on impose un fardeau qui nous
semble plus lourd qu'il ne le devrait.
Enfin, au sujet de l'article 128, encore ici, nous soumettons
respectueusement que le tout s'explique peut-être autrement. On ne peut
peut-être pas le voir à la lecture du texte. L'article 128
prévoit un délai dans l'application de l'article 103, lequel
article 103 prévoit lui-même l'abrogation de la loi du Bureau des
expropriations de Montréal, de sorte que, si on a bien compris, le
Bureau des expropriations de Montréal demeurerait en fonction
subséquemment à l'entrée en vigueur des autres
dispositions de la loi. On parlait tantôt d'un tribunal unique, etc.; il
nous semble qu'ici encore on crée un statut particulier qui peut ne pas
cadrer dans l'ensemble des fins poursuivies par la loi.
Alors ce sont là les représentations de type
exégèse que nous voulions faire à la commission, en
mettant notre modeste contribution au travail du législateur. Nous
savons, comme on le mentionne au début de notre mémoire, que
messieurs les membres de la commission pourront en tenir compte
adéquatement. Nous vous remercions de nous avoir entendus.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.
M. PINARD: Vous avez fait des remarques relativement aux articles 45 et
46. Vous avez sans doute oublié les dispositions de l'article 279 du
code de procédure civile qui permettent au juge de convoquer les parties
avec leurs avocats et de provoquer lui-même une réconciliation des
points de vue pour en arriver, dans la mesure du possible, à un
règlement à l'amiable. Alors je pense que les articles 45 et 46
tels que libellés dans le projet de loi 88 permettent justement au
tribunal d'en arriver, après convocation des parties, à permettre
une proposition de règlement à l'amiable.
M. GAGNON (Edmond): Si vous me permettez, M. le ministre, nous sommes
bien d'accord sur cet aspect de la conciliation, si l'on veut, mais il ne faut
pas oublier qu'en procédure civile, par exemple, cette conciliation va
se faire à un moment où le débat a été
très bien délimité dans les procédures
écrites et où le débat oral, l'audition devant le tribunal
n'a pas été faite.
Nous trouvons surprenant que cette conciliation comme, à
l'article 45, la demande de fixation d'une date pour procès se
fait avant que l'une ou l'autre des parties ait été
obligée d'informer officiellement l'autre partie de sa position. La
conciliation, prévue au code de procédure civile, se fait
à un moment où les parties sont au courant de la position de
chacune.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PAUL: Me Gagnon, je voudrais attirer votre attention sur les
dispositions de l'article 18 de la loi en les reliant à vos commentaires
portant sur votre appréciation de l'article 96. A l'article 18, on lit
ceci je parle toujours du cas de l'indemnisation pour réserve.
"Le tribunal a pour fonction principale de fixer le montant des
indemnités qui découlent de l'imposition des réserves pour
fins publiques et de l'expropriation." Cela suppose que la réserve est
suivie de l'expropriation.
Si on avait "ou" plutôt que la conjonction "et", je crois que vous
auriez parfaitement raison d'attirer notre attention sur les dispositions de
l'article 96. Ce n'est pas un reproche que je fais, mais je me demande si le
cas que vous exposez à l'article 96 n'est pas couvert par l'article
18.
M. GAGNON (Edmond): Peut-être l'est-il, mais disons que, si
à l'article 18 on définit les fonctions du tribunal sur deux
points particuliers que vous reliez en disant que ça ne s'applique
qu'aux cas de réserve suivis d'expropriation, vous me permettrez de
croire que ce n'est peut-être pas l'interprétation qu'on a voulu
donner à cet article 18. Si on regarde l'article 96, il prévoit
qu'il y a lieu à indemnité, même s'il n'y a pas
d'expropriation; lorsque la réserve est annulée, par exemple.
L'article 96 va au-delà de l'article 18, à mon avis, parce qu'on
prévoit qu'il y aura lieu à indemnité.
M. PAUL: Lorsque la réserve n'est pas exercée.
M. GAGNON (Edmond): Lorsque la réserve n'est pas suivie de
l'expropriation.
M. PAUL: C'est cela.
M.GAGNON (Edmond): Mais, si la réserve est suivie de
l'expropriation, vous référant à l'article 18, vous dites
qu'on est couvert. L'article 96, en termes précis, créant une
exception, on se demande si on l'est. Il y aurait peut-être lieu de le
clarifier.
M. PAUL: A ce moment-là, il faudrait prendre les règles
d'interprétation 1013 et suivantes du code.
M. GAGNON (Edmond): Peut-être.
M. PAUL: C'est ce que vous voulez éviter. C'est une
précision de termes de la part du législateur pour éviter
une interprétation douteuse ou qui pourrait prêter à des
conflits.
M.GAGNON (Edmond): Surtout prêter à confusion sur un point
aussi important que l'existence ou non du droit à
l'indemnité.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): L'honorable ministre de la Voirie.
M. PINARD: Me Gagnon, pourriez-vous
nous dire quel est l'intérêt des Chemins de fer nationaux
du Canada de faire une présentation ce matin relativement aux
dispositions du bill 88?
M. GAGNON (Edmond): Entre autres, dans la seule ville de
Montréal, nous faisons actuellement l'objet de nombreuses homologations.
Je pense, par exemple, à une homologation existant sur la rue McGill
College, sur des propriétés de quelques centaines de milliers de
dollars. C'est surtout pour ce type de situation que nous avons un
intérêt.
Evidemment, nous ne sommes pas ici comme expropriants; nous ne sommes
peut-être même pas ici comme expropriés. Nous y sommes comme
faisant l'objet d'un type de réserve pour fins publiques.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: Je voudrais faire remarquer, après la question du
ministre des Transports, que les Chemins de fer nationaux et Air Canada sont
très soucieux du respect des droits de l'homme, des droits de
l'individu. C'est peut-être dans ce sens que le mémoire est
présenté.
En ce qui concerne l'article 97, ne croyez-vous pas que cet article
pourrait être amendé de façon à laisser la
liberté à l'exproprié de soumettre un prix ou une
évaluation personnelle de la réserve qui lui a été
faite?
M. GAGNON (Edmond): Je pense que l'article, dans sa teneur actuelle,
prévoit l'obligation pour l'exproprié ou celui faisant l'objet
d'une réserve de faire reconnaître son droit. Mais par la
même occasion, évidemment, on prévoit aussi, je
présume, qu'il devra faire reconnaître non seulement l'existence
de son droit, mais la valeur de ce droit, comme vous dites.
M. AUDET: Mais ne voyez-vous pas dans cet article une invitation
à cette personne d'évaluer elle-même ou de faire une offre
pour ce qu'elle prétend que la réserve lui a
coûté?
M. GAGNON (Edmond): Oui, je crois que cet article contient une telle
invitation, si vous voulez. Mais il va plus loin, parce qu'il ajoute à
l'invitation l'obligation d'abord de faire reconnaître qu'il a un droit
à l'indemnité avant d'évaluer son indemnité. Je
suis bien d'accord avec vous.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Gagnon, nous vous remercions de votre
présentation et soyez assuré que les membres de la commission
retiennent votre intervention.
Nous allons entendre le Barreau du Québec, s'il y a des
représentants. Etant donné que les membres du Barreau seront ici
seulement cet après-midi, nous allons passer immédiatement
à l'Hydro-Québec. Nous entendrons les représentants de
l'Hydro-Québec.
M. PAUL: Si je comprends bien, vous êtes un des 12,012?
Hydro-Québec
M. LEGAULT: M. le Président, messieurs les députés,
mon nom est Gilles Legault. Je suis avocat au contentieux de
l'Hydro-Québec. Je suis assisté, ce matin, de M. Lionel Lemay,
directeur des propriétés immobilières à
l'Hydro-Québec, M. Gaston Bertrand, chef du service des acquisitions
pour la direction des propriétés immobilières, M. Raymond
Fournier, directeur adjoint à la planification à la direction
générale génie, M. Jacques Saint-Cyr, chef du service des
relevés techniques à la même direction, M. Denis Lecomte,
administrateur de projets à la direction des projets de ligne de
transport génie, et M. Jules Saint-Pierre, directeur de la construction
de lignes de transport.
Nous avons fait parvenir un mémoire. Si vous me permettez, au
lieu de le lire, je voudrais simplement énoncer quelques points qui ont
invité l'Hydro-Québec à se présenter devant
vous.
Le ministre de la Voirie a exposé plusieurs avantages que le
projet de loi apporte à ce qui existe présentement. Nous croyons
qu'il est exact qu'il y a beaucoup d'avantages qui sont apportés par ce
projet de loi. Toutefois, il faut prendre garde, en améliorant certaines
choses, de ne pas oublier certaines autres qui peuvent avoir des
conséquences sérieuses sur l'économie provinciale pour
l'intérêt public.
Nous croyons que la modification apportée à la
procédure suivie jusqu'ici, pour l'Hydro-Québec, offre des
conséquences sérieuses dans l'intérêt même de
la population. Tout d'abord, il est inutile de vous rappeler que
l'Hydro-Québec est un agent de la couronne dont tous les biens sont la
propriété de la province de Québec. C'est l'organisme, le
moyen choisi par le législateur pour administrer de la meilleure
façon possible les ressources que nous avons au Québec en
matière d'énergie.
En conséquence, l'Hydro-Québec a dû faire face aux
besoins de cette province en énergie électrique. Elle l'a fait
malgré une demande de plus en plus accrue, malgré des besoins
extrêmement pressants, des besoins qui font qu'en
électricité la province double sa consommation à peu
près tous les huit ans. Ella a donc dû mettre sur pied des
équipes techniques, améliorer constamment ses moyens techniques
et hâter la réalisation de ses projets tant dans le domaine de la
production que du transport, que de la distribution d'énergie
électrique.
Nous croyons que tous, au Québec, nous pouvons être
très fiers de notre réussite. Nous croyons que les
réalisations de l'Hydro-Québec sont à l'avant-garde de ce
qui peut se faire.
Dans la réalisation des projets de l'Hydro-Québec, il y a
nécessité d'acquérir un grand nombre de
propriétés, mais surtout de droits réels,
c'est-à-dire de servitudes. La majorité des expropriations de
l'Hydro-Québec, soit 90 p.c,
sont des servitudes. Dans l'acquisition de ces droits par voie
d'expropriation, la loi actuelle a prévu que l'Hydro-Québec
bénéficierait des privilèges du ministre de la Voirie,
privilèges qui permettent d'acquérir des droits réels par
dépôt de plans au bureau d'enregistrement, la question de
l'indemnité se résolvant subséquemment. Nous croyons que
cette procédure, qui est maintenue par le projet de loi pour le ministre
de la Voirie, doit l'être au moins tout autant pour
l'Hydro-Québec. A l'heure actuelle, Hydro-Québec exproprie, et
c'est la prévision pour les cinq prochaines années, environ 2,000
à 2,500 propriétaires par année, et la construction de
lignes de transport couvre 600 milles par année, approximativement. Nous
croyons que les besoins de l'Hydro-Québec dans l'acquisition de ces
droits sont similaires à ceux du ministre de la Voirie.
Il est, en effet, impossible de penser commencer la construction d'une
ligne de transport, avec les postes de transformation qu'elle comporte, sans
avoir déjà acquis la totalité de la ligne. Il n'est pas
possible de procéder par partie. Il n'est pas possible de suspendre, en
cours de route, sans encourir des frais considérables. Il y a,
évidemment, des investissements appréciables, tant en hommes
qu'en appareillage, pour la construction de ces lignes. Et au moment où
la construction débute, il faut déjà que l'ensemble des
droits ait été acquis.
La planification d'Hydro-Québec se fait de façon
extrêmement suivie, mais malgré cette planification, il est
impossible de réaliser les constructions nécessaires aux besoins
de cette province dans les délais requis si nous ne pouvons
procéder par dépôt de plans pour acquérir le droit
exproprié. C'est impossible, parce que, à titre d'exemple, la
planification simplement normale, prévisible, à l'heure actuelle,
pour les cinq prochaines années, suppose qu'il y aura, dans ces cinq
années, 637 projets de construction, d'importance diverse
évidemment, mais quand même 637 projets de construction de lignes
et de postes de transformation.
Cette planification suppose également qu'il y a un rajustement
constant, à cause des priorités qui se dessinent, soit parce que
certaines municipalités ont des développements plus subits que
prévus, que certaines zones d'une même municipalité ont des
développements plus subits, qu'il y a des développements
industriels à certains endroits, alors que cela n'avait pas
été prévu. Il faut, de plus, un rajustement constant pour
faire face aux demandes particulières. Hydro-Québec se doit de
participer à la planification économique du Québec et
lorsqu'on vient lui demander de fournir à une industrie qui doit
s'implanter, par exemple, dans les 18 mois ou parfois dans l'année, ou
dans deux ans, et que les travaux requièrent normalement trois ans pour
être effectués, déjà il faut que
l'Hydro-Québec fasse presque des miracles pour réussir à
fournir en temps voulu aux industries qui s'implantent l'énergie
qu'elles requièrent.
Ce ne sont pas là des choses théoriques. Nous avons des
quantités d'exemples d'industries pour lesquelles il a fallu construire
des lignes dans des temps record. Il est apparu évident, à
l'étude du projet de loi qui est soumis, que si l'Hydro-Québec
perd le droit qu'elle possède actuellement d'agir comme le ministre de
la Voirie pour l'acquisition de ces droits, elle ne pourra plus faire face,
dans les délais requis, aux besoins essentiels de cette province. Que
l'on pense simplement aux lignes qui vont être construites pour la baie
James.
Il y a encore quantité d'autres lignes. Je vous en mentionne. Je
vous dis qu'il y a 637 projets pour les cinq prochaines années. Il est
évidemment impossible de pouvoir les faire à temps, les retards
pouvant aller facilement jusqu'à deux ans sur les besoins réels
de la province.
Maintenant, si l'Hydro-Québec a été consciente de
ses responsabilités sur le plan public en vue de la production, du
transport et de la distribution de l'énergie requise, elle a
été consciente également de son obligation d'éviter
de causer un préjudice aux personnes qu'elle exproprie.
Déjà, le préjudice est très atténué,
si l'on considère que, dans 90 p.c. des cas, il ne s'agit que de
servitude, servitude qui ne requiert absolument pas le déplacement du
propriétaire, servitude qui fait que, dans nombre de cas, il n'y a
même pas de pylônes sur le terrain, puisque sur une terre,
évidemment, les pylônes sont espacés et ne se retrouvent
pas même sur toutes les terres.
Il y a, de plus, le fait que les indemnités que
l'Hydro-Québec est appelée à payer sont minimes dans
l'ensemble, puisque ce ne sont que des servitudes sur de faibles parcelles de
terrain. Vous avez, à la page 4 du mémoire, au paragraphe 3,
l'indication des pourcentages de cas qui requièrent diverses
indemnités. On voit, par exemple, que 66 p.c. des expropriations
entrafnent une indemnité de moins de $500; 20 p.c, de $500 à
$1,000; 10 p.c., de $1,000 à $5,000, et 4 p.c, seulement, au-dessus de
$5,000. C'est donc dire que les affectations réelles des
propriétaires sont minimes. Nous ne leur causons pas de grands
problèmes par nos expropriations.
Vous avez, au paragraphe 2, l'indication de ce que l'Hydro-Québec
fait. Lorsque nous acquérons la propriété d'un immeuble,
si nous sommes obligés de déplacer, de déposséder
physiquement l'exproprié, nous l'indemnisons avant de l'obliger à
partir.
Ce sont là, nous pensons, des faits qui démontrent qu'il y
a, d'un côté, une nécessité, pour
l'Hydro-Québec, de pouvoir, comme, actuellement, le législateur
lui a reconnu le droit de le faire, continuer à procéder
conformément à ce que le ministre des Transports veut faire,
c'est-à-dire déposer un plan général
d'expropriation et acquérir ainsi la possession des droits qu'elle
exproprie, sans que, d'autre part, les expropriés ne subissent de
préjudices réels de la procédure qui est actuellement
suivie.
Nous croyons, de plus, que, si la procédure
régulière prévue par le projet de loi no 88 devait
s'imposer â l'Hydro-Québec, il y aurait, d'abord, des coûts
additionnels considérables et des complications inutiles pour les
expropriés. A l'heure actuelle, 99.5 p.c. des expropriations de
l'Hydro-Québec se règlent à l'amiable. Il n'y a donc qu'un
demi de 1 p.c. qui se rend devant les tribunaux. Les règlements de
l'Hydro-Qué-bec, en moyenne, n'exigent que six à huit mois entre
le début et le moment du paiement.
Si, effectivement, nous ne pouvions plus bénéficier de la
procédure attribuée au ministre des Transports, il faudrait que,
dans tous les cas, en pratique, un dossier soit ouvert à la cour
Supérieure et au tribunal du travail. Nous croyons que ce serait
là une procédure absolument inutile, des frais additionnels qui
encombreraient le tribunal, alors que nous avons pu voir que les montants des
indemnités sont tellement minimes.
Nous croyons, en conséquence, que les expropriés
eux-mêmes subiraient un préjudice de cette procédure,
puisqu'au lieu d'attendre simplement la visite du représentant de
l'Hydro-Québec, de s'entendre avec lui sur l'indemnité et de
recevoir le paiement, ils devraient, à ce moment-là, recevoir un
avis qui indiquerait qu'ils ont la possibilité d'aller devant la cour
Supérieure et que le dossier, effectivement, sera déposé,
quinze jours après, à la cour Supérieure Vous voyez
l'exproprié qui, pour une indemnité qui vaut $300, $400 ou $500,
dans la majorité des cas, se voit obligé d'aller devant le
tribunal. A ce moment-là, il recourra à des avocats. Il sera
obligé, même s'il est d'accord, de déclarer auprès
du tribunal qu'il est d'accord sur le montant de l'expropriation.
M. PAUL: Dans le cas d'une petite créance en bas de $300, il
n'aura pas le droit à un avocat?
M. LEGAULT: Je me demande si la Loi des petites créances
couvrirait ce cas. Je serais porté à penser il faudrait
que je regarde car je n'ai jamais regardé la Loi des petites
créances dans cette optique que son montant n'est pas
liquidé.
M. PAUL: Vous voulez dire que l'avocat peut toujours souffler la
réclamation.
M. LEGAULT: Non, mais...
M. PAUL: Vous voulez que l'avocat joue à l'inflation.
M. LEGAULT: Vous savez par expérience que lorsque nous sommes
dépossédés d'un bien, généralement nous
avons l'impression qu'on nous enlève un peu plus que la valeur
réelle. Alors, il est normal, lorsqu'un individu veut faire
vérifier la mesure exacte de son droit, de le situer à un niveau
un peu supérieur à ce que ça vaut réellement,
quitte à laisser le tribunal le fixer comme il le juge à
propos.
Par cette procédure même si chaque exproprié, n'est
exproprié que pour une petite lisière de $200 ou $300, du fait de
recevoir un avis comme quoi le dossier sera remis à la cour, il devra
subséquemment, de toute façon, pour pouvoir retirer son montant,
aller à la cour et faire valoir lui-même la valeur de ses droits
de propriété.
Nous croyons que cette procédure sera une surcharge inutile dans
les circonstances pour l'exproprié dans l'optique du genre
d'expropriation effectuée par l'Hydro-Québec, alors que, dans
99.5 p.c. des cas, les problèmes se règlent à l'amiable
sans qu'il y ait d'obligation pour l'exproprié d'aller devant le
tribunal, et sans qu'il y ait quelque déboursé à faire de
sa part. C'est l'Hydro-Québec qui paie à l'heure actuelle pour
l'étude des titres qui sont faits par le notaire choisi par
l'exproprié lui-même.
Nous croyons que la procédure actuellement suivie par
l'Hydro-Québec est une procédure qui est très saine pour
l'exproprié et qui est essentielle pour la réalisation du mandat
confié à l'Hydro-Québec. Et nous ne voyons pas, à
ce moment, d'inconvénient.
Nous mentionnons à la fin du rapport de notre mémoire que
la commission Alary a émis deux principes en partant. D'abord,
protéger l'exproprié et lui accorder sur un plan
d'égalité la compensation rapide du préjudice qui lui est
causé, une indemnité provisionnelle devant être
payée préalablement à la prise de possession; et
deuxièmement, en contrepartie, doter les pouvoirs publics des
instruments juridiques modernes indispensable à la réalisation
prompte et efficace des fins d'intérêt général qui
sont les leurs. Si l'Hydro-Québec perd le droit qu'elle possède
à l'heure actuelle, de procéder par dépôt de plan
général, comme le ministre de la Voirie, nous croyons qu'elle
perd un instrument juridique moderne qui lui est indispensable à la
réalisation prompte et efficace des fins d'intérêt
général qui sont les siennes.
Nous croyons, par contre, que même en maintenant à
l'Hydro-Québec le droit qu'elle possède actuellement, le premier
principe émis par la commission Alary de protéger
l'exproprié n'est pas enfreint, mais qu'au contraire l'exproprié
y trouve lui-même son crédit.
J'ai remarqué, dans la lettre de M. Alary que le ministre lisait
tantôt, qu'il semblait s'étonner de l'exception faite pour la
ville de Montréal, mais il ne mentionnait pas le ministre de la Voirie.
Je pense qu'effectivement on peut comprendre que, lorsqu'un ministère
comme celui de la Voirie a à exproprier sur de grandes quantités
de terrain pour un même projet, il est utile d'obtenir au point de
départ les droits requis.
Nous croyons que pour l'Hydro-Québec ce droit existe tout autant.
Il est peut-être même plus important, sans vouloir minimiser
l'impor-
tance que cela a pour le ministre de la Voirie. C'est que, pour
l'Hydro-Québec, lorsque, effectivement, on lui demande de fournir dans
tel délai de l'électricité à un endroit
donné, il lui faut absolument dans ce délai avoir construit cette
ligne.
Quelqu'un me mentionnait que les automobiles peuvent toujours ralentir,
mais que les électrons ne peuvent pas le faire. Ou ils passent ou ils ne
passent pas. Il paraît donc que perdre ce droit serait extrêmement
préjudiciable pour l'Hydro-Québec, et nous ne voyons pas
effectivement de motifs qui pourraient justifier qu'on enlève à
l'heure actuelle à l'Hydro-Québec les droits qu'elle
possède déjà.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.
M. PINARD: Me Legault, nous allons prendre en considération le
contenu de votre mémoire.
Vu l'importance des travaux réalisés et à
être réalisés par Hydro-Québec, je vais demander
à mes conseillers juridiques et techniques de vérifier
immédiatement s'il y a possibilité d'amender le projet de loi 88
dans le sens que vous demandez à l'article 104.
M. LEGAULT: Merci, M. le ministre.
M. PAUL: Vous avez tellement bien plaidé que je ne peux pas
concevoir que le ministre responsable du projet de loi ne se rendra pas
à vos représentations.
M. LEGAULT: Merci, M. le Président; merci, messieurs.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: M. Legault, ne croyez-vous pas que cette juridiction qu'on
voudrait vous enlever, qu'on semble vouloir laisser au ministère de la
Voirie serait le résultat de plaintes possibles à la suite de
l'acceptation trop rapide peut-être des expropriés vu que vous
payez rubis sur l'ongle? Peut-être sont-ils tentés d'accepter
immédiatement et, par la suite, ils peuvent faire des contestations
quelconques?
M. LEGAULT: Evidemment, c'est une question que l'on peut se poser. A ma
connaissance, il n'y a pas de plainte qui ait été formulée
de façon directe. Je ne pense pas que ce soit le cas parce que, dans les
expropriations qui sont mentionnées dans les règlements qui sont
faits, il y a d'abord les cas et plusieurs où il y a un
évaluateur qui intervient. Il y a, en plus, dans un très grand
nombre de cas, dans les milieux ruraux à peu près partout, une
consultation entre les dirigeants de la direction des propriétés
immobilières de l'Hydro-Québec et les représentants de
l'UCC afin de déterminer une catégorie de valeur pour les terres
dans ces régions.
Nous croyons que Hydro-Québec recherche vraiment la valeur
objective des terrains. Et nous ne pensons pas que jamais nous ayons
essayé de faire des règlements qui auraient pour but de causer un
préjudice aux individus. Nous essayons évidemment, dans
l'intérêt général, de maintenir nos
indemnités à une valeur adéquate sans exagération
mais nous tendons vraiment à compenser l'exproprié pour les
dommages réels qu'il subit.
M. AUDET: Est-ce que vous avez connu un certain pourcentage de cas qui
ont dû aller devant le bureau des expropriations, à
l'arbitrage?
M. LEGAULT: Oui, il y en a quelques-uns, il y a certains cas.
Evidemment, suivant les circonstances, il s'agit toujours d'une cause, mais
nous croyons en général et très fréquemment que la
marge était logique entre ce qui était offert et ce que les
organismes compétents ont jugé à propos de
déterminer comme indemnité.
M. AUDET: Est-ce que vous croyez que les expropriés, dans la
majeure partie des cas, sont satisfaits des règlements de
l'Hydro-Québec?
M. LEGAULT: Nous croyons vraiment qu'ils le sont. M. Lemay, qui est
directeur des propriétés immobilières, pourrait
peut-être ajouter quelque chose là-dessus. Mais il n'y a personne
qui force l'exproprié à régler son problème. Il y a
une offre qui lui est faite après étude avec lui de sa situation
particulière, après que nous avons écouté ce qu'il
a à dire sur les dommages qui lui sont causés; il y a à ce
moment-là une appréciation réelle qui est faite et une
offre en conséquence. Il sait très bien que s'il n'est pas
d'accord il peut toujours consulter un avocat et aller devant la
régie.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.
M. PERREAULT: Vous avez mentionné tout à l'heure que vous
aviez 2,000 à 2,500 cas d'expropriation par année; est-ce que
cela comprend les servitudes?
M. LEGAULT: Cela comprend les servitudes.
M. PERREAULT: A propos de dépôt de plans, est-ce que c'est
aussi nécessaire pour les lignes de transport que pour les stations?
M. LEGAULT: M. Saint-Pierre, qui est directeur des projets de
construction de lignes, pourrait peut-être le mentionner mais je pense
qu'effectivement c'est essentiel. Le poste de transformation fait partie de la
ligne; vous avez
beau construire 600 milles de lignes, si vous n'avez pas à
différents points les postes de transformation, ces lignes ne pourront
pas être utilisées. Lorsqu'on parle d'une ligne de transport
d'énergie électrique, les postes de transformation font partie
intégrante de ces lignes-là.
M. PERREAULT: Je le mentionnais parce que dans certains cas, pour les
lignes de transport, on a affaire à du terrain où il n'y a pas de
bâtisse d'érigée. Dans certains autres cas, pour les
stations, on doit exproprier des bâtisses pour avoir le terrain
nécessaire.
M. LEGAULT: C'est exact.
M. PERREAULT: C'est pour ça, je voyais une différence et
me demandais si...
M. LEMAY: Dans tous les cas d'expropriation où il y a des
bâtisses, il y a un plan qui est déposé et il y a prise de
possession préalable.
M. LEGAULT: Comme je le mentionnais tantôt, dans ces cas, les
inconvénients pour l'exproprié sont minimisés par le fait
que l'Hydro-Québec les indemnise avant d'exiger leur départ.
M. PERREAULT: Vous parliez de petites créances, tout à
l'heure, de l'ordre de $400 à $500. A combien, suivant votre point de
vue, estimez-vous que ça coûterait plus cher, suivant la loi
88?
M. LEGAULT: Si nous perdions les droits que nous avons à l'heure
actuelle, il est difficile de dire combien ça coûterait de plus,
mais il est possible de dire quelles graves conséquences la situation
aurait pour les citoyens du Québec. C'est en temps, surtout, que les
dommages se situent, parce qu'il ne serait plus possible de réaliser les
projets voulus dans le temps voulu.
En ce qui regarde les frais additionnels, je vous avoue que nous ne
l'avons pas apprécié de façon précise. Nous avons
pensé que les autres inconvénients étaient tellement
supérieurs encore à celui-là que nous ne nous sommes pas
arrêtés à le calculer, mais il est certain que la
préparation de causes devant la cour Supérieure pour chaque cas
d'expropriation supposerait des frais supérieurs à ce qui existe
à l'heure actuelle.
M. PERREAULT: Une dernière question. Est-ce qu'on pourrait avoir
une idée? M. Saint-Pierre, si les cas sont fréquents où
vous devez procéder rapidement? J'ai été témoin,
dans le passé, de certains cas, mais il semble que c'est assez
fréquent que de procéder rapidement pour bâtir une ligne
pour livrer l'énergie à un point donné pour l'implantation
d'une industrie.
M. SAINT-PIERRE: Je pense que certaines gens ici qui font de
l'acquisition ont beaucoup plus de problèmes, parce que pour construire
on peut mettre une pression, on peut mettre le volume qu'il faut, on peut
mettre l'organisation qu'il faut. Je pense que dans le cas de la voirie, ils
ont une certaine planification, par exemple on a les autoroutes à
Trois-Rivières, 7, 55, 40, dans le bout de Sorel on a une multitude de
demandes de déplacement. Ce ne sont pas des gros travaux, mais au point
de vue de la construction de lignes, le fait d'être obligé de les
relocaliser amène des acquisitions très rapides, et tout
ça ne vient qu'au moment où le projet d'autoroute est prêt
et au moment où on peut faire une étude de tracés qui
offrent le moins de résistance à la relocalisation. Alors c'est
un exemple de la rapidité avec laquelle on doit agir.
Dans les projets d'envergure, je pense que l'Hydro-Québec, et M.
Fournier pourrait répondre peut-être là-dessus, a tout
intérêt à retarder au maximum la réalisation, aux
dernières instances, de façon à prévoir les
industries qui pourraient venir se greffer et changer la planification de
l'Hydro. On a un exemple particulier, je pense à l'aéroport,
où il y avait une planification de lignes qu'on a été
obligé de relocaliser. Ces relocalisations sont extrêmement
coûteuses.
M. PERREAULT: Avant de passer à M. Fournier, on va attendre; on
pourrait conclure, à ce que vous dites, que si la voirie désire
procéder rapidement, pour l'aider vous devez pouvoir agir
rapidement.
M. SAINT-PIERRE: Si on pouvait avoir le projet deux ans plus tôt,
ça irait beaucoup mieux.
M. LEGAULT: En réponse à votre question, M. Perreault, on
pourrait arriver à la situation où le ministère de la
Voirie nous demanderait de nous déplacer, par exemple, pour pouvoir
élargir une route et que nous ne soyons pas en mesure de le faire, sauf
un an après le ministère de la Voirie, parce que nous n'aurions
pas eu le même droit pour acquérir les droits réels en
temps opportun.
M. PINARD: Mais la situation étant ce qu'elle est et les droits
ne vous ayant pas encore été enlevés, je me demande
pourquoi il y a tant de retard à déplacer certaines de vos lignes
alors que notre planification est retardée et l'exécution aussi.
Je connais l'exemple d'un pont dont le contrat a été
accordé il y a un an et quatre mois et on n'a pas pu procéder aux
travaux encore parce que l'Hydro-Québec n'a pas terminé ses
travaux.
M. PAUL: J'ai l'information que c'est le ministre qui tarde à
signer les documents nécessaires.
M. PERREAULT: J'aimerais entendre M. Lemay nous donner un
aperçu.
M. LEMAY: II arrive souvent qu'on ne l'apprend qu'à la
dernière minute. Dans certains projets, ça demande pour un
déplacement de lignes, quelle qu'en soit l'importance, un minimum de 18
à 20 mois.
M. PINARD: Je ne voudrais pas être malicieux mais...
M. LEMAY: Je comprends. On en a reçu justement cette semaine, sur
la ligne Tracy-Sorel, et on nous demande s'il n'y aurait pas possibilité
de leur donner une réponse pour hier. Lorsqu'on passera à nos
ingénieurs, en ce qui concerne la planification et les plans à
préparer pour le déplacement, parce que ce sont des lignes
à haute tension, on va demander un minimum de 12 à 14 mois.
M. PINARD: Plus on atteindra à une meilleure coordination avec le
bill 88, mieux ce sera pour tout le monde.
M. LEMAY: C'est exact. Nous sommes biens conscients de ce
problème parce que nous avons beaucoup plus de communications et de
réunions maintenant avec les représentants de la Voirie que nous
en avions autrefois.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Legault...
M. PERREAULT: Je lui avais demandé de donner un exemple.
M.FOURNIER: Pour parler de la planification, il y en a deux genres. Il y
a la planification normale, qui se fait pour alimenter les charges qui
augmentent graduellement partout dans la province; celle-là se fait
à long terme. Il ne faut pas oublier que 50 p.c. de toutes les charges
de la province de Québec sont des charges industrielles. Dans tous les
cas, à peu près sans exception, les grandes industries ne nous
donnent jamais le temps voulu pour les alimenter dans les délais
normaux.
Les industries je ne les blâme pas font leurs
études d'implantation, vont étudier plusieurs endroits, comme
Sept-Iles, Contrecoeur, Bécancour. Quand elles se décident
à faire une implantation, tous leurs plans sont faits. Bien des fois,
leur équipement est acheté. Elles viennent nous voir et elles
veulent être alimentées dans 21 mois et j'ai même des cas de
huit mois, douze mois, dix-neuf mois, treize mois pour des projets comportant
des délais normaux de 36 mois, 30 mois, 24 mois. C'est là la
moitié des charges de la province de Québec.
Est-ce qu'on peut se permettre de dire à une industrie, qui nous
demande de l'énergie dans 18 ou 24 mois: Non, c'est impossible,
ça va prendre quatre ans? On ne peut pas. Ce sont là 50 p.c. des
charges de l'Hydro-Québec. Je ne sais pas si cela répond à
votre question.
M. PERREAULT: Oui, ça répond à ma question.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous vous remercions, M. Legault et vos
compagnons de l'Hydro-Québec, pour la présentation de votre
mémoire.
M. LEGAULT: Nous vous remercions de votre accueil.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous passons à la
Société de développement de la baie James.
Société de développement de la
baie James
M. GAGNON (François-Michel): M. le Président, messieurs
les députés, mon nom est François-Michel Gagnon. Je
représente la Société de développement de la baie
James. Le secrétaire de la société, Me Jacques Duhamel,
devait m'accompagner ce matin, mais un contretemps l'en a empêché
à la dernière minute. Il vous prie de l'en excuser. Son absence
va m'empêcher de vous présenter des données techniques
aussi au point que celles que vous avez pu obtenir des représentants de
l'Hydro-Québec. Mais les arguments qui ont été
avancés au soutien de la thèse de l'Hydro-Québec militent
également, dans la même mesure et pour les mêmes raisons, en
faveur de la proposition que la Société de développement
vient présenter devant vous.
Il ressort de la loi organique de la société qu'elle
exerce, sur le territoire qui lui est assigné, les mêmes pouvoirs
que le ministre de la Voirie en ce qui a trait à la construction des
routes et à l'exploitation des voies de communication de tous genres. Il
ressort aussi de cette loi que c'est à elle, la société,
qu'il appartient de procéder aux expropriations requises pour la
construction des aménagements hydro-électriques, y compris les
lignes de transport d'énergie électrique.
Evidemment, la construction elle-même relève de la
Société de l'énergie, filiale de la Société
de développement. Mais le fait demeure que la Société de
l'énergie n'a pas en elle-même le pouvoir d'exproprier. Alors,
s'il est vrai que la société est appelée à
exproprier pour des fins de voirie, d'une part, et pour des fins
d'aménagement hydro-électrique, d'autre part, y compris le
transport de l'énergie hydro-électrique, il faut en conclure
qu'elle doit pouvoir exercer ses pouvoirs à cet égard en
l'absence de toute entrave et avec la même facilité avec laquelle
le ministre de la Voirie peut les exercer en vertu du projet de loi.
Le statut actuel de la société est celui d'un mandataire
du gouvernement. Elle a donc, d'après le code de procédure
civile, le pouvoir d'obtenir et la propriété et la possession
immé-
diate d'un immeuble par le simple dépôt d'un plan, d'une
description technique et d'une évaluation du bien à
exproprier.
Le projet a pour effet, même s'il ne le dit pas en toutes lettres
je pense que c'est une lacune qu'il y aurait lieu de corriger
d'affecter les droits de la couronne. La Loi d'interprétation stipule
qu'aucune loi n'affecte la couronne à moins que les droits de la
couronne n'y soient formellement mentionnés. Ce n'est pas le cas ici,
mais on peut le déduire du fait que les articles pertinents du code de
procédure civile qui traitent de l'expropriation par la couronne sont
abrogés ou remplacés.
Mais je pense qu'au point de vue de l'harmonie législative il
serait utile qu'une disposition mentionne que la loi vise la couronne et toutes
ses expropriations. Il ressort du contexte du projet de loi que l'on veut
retrancher la possession immédiate par dépôt d'un plan et
la faire devenir une prérogative particulière au ministère
de la Voirie.
Le premier point de la société, c'est que les besoins que
je dois satisfaire sont comparables sinon identiques à ceux pour
lesquels le projet reconnaît déjà qu'il faut une possession
immédiate par dépôt d'un plan. Deuxièmement, il y a
des raisons particulières qui font que le régime prévu
pour l'expropriation, du ministre de la Voirie et de la ville de
Montréal, soit modifié jusqu'à un certain point.
Je me réfère maintenant aux dispositions des articles 55
à 61 du projet. On y voit que par dérogation au régime
général le ministre et la ville de Montréal, lorsqu'il
s'agit d'une expropriation pour ses fins de voirie, peuvent déposer un
plan général pour plusieurs immeubles. Alors, le terme
"immeubles", le qualificatif de "plusieurs" et ensuite le pluriel tout au long
des articles 55 à 61 donnent à comprendre qu'il ne peut y avoir
expropriation avec possession préalable immédiate dans le cas
d'un immeuble en particulier. Ceci peut causer des difficultés
énormes dans le cas de la Société de développement
puisque, d'autre part, on n'a pas défini le terme "immeuble". On
pourrait prétendre, du côté d'un exproprié, qu'une
lisière de 200 pieds par 200 milles dans un territoire virtuellement
désertique est un seul immeuble et que, par conséquent, on ne
peut pas en avoir une possession préalable immédiate par
dépôt d'un plan général.
Alors, nous suggérons que les articles 55 à 61 soient
modifiés pour prévoir qu'il peut s'agir d'un seul immeuble, mais
il faut aussi prévoir qu'il peut s'agit d'autre chose qu'un immeuble.
L'article 18 du projet met en contraste les notions d'immeuble, d'une part, et
de droit réel autre que la propriété, d'autre part. On
pourrait en conclure, à la lecture de l'article 55, que même le
ministre de la Voirie puisqu'une servitude n'est pas un immeuble au sens
du texte ne peut pas acquérir cette servitude avec possession
préalable immédiate.
Evidemment, personne ne lui contestera le pouvoir de devenir
propriétaire de la servitude, mais toute la question sera de savoir s'il
peut exercer cette servitude de façon immédiate, contrairement au
régime général.
En plus, ceci serait justifié par certains termes de la loi
organique de la société, qui prévoit qu'elle peut
exproprier trois choses distinctes: un immeuble, un droit réel et une
force hydraulique. Alors si la société exerce son pouvoir
d'expropriation pour acquérir une servitude, on pourra lui dire: Vous ne
pouvez pas, en vertu de l'article 55, avoir une possession immédiate. Si
elle veut acquérir une force hydraulique, on pourra lui dire: Dommage,
mais il n'est pas question d'acquisition avec possession préalable au
cas d'une force hydraulique.
Tout ceci m'amène à suggérer et amène ma
cliente à suggérer que l'on modifie les articles 55 à 61,
de manière qu'on puisse acquérir la possession immédiate
par dépôt d'un plan d'un seul immeuble, d'un seul droit
réel ou d'une seule force hydraulique, soit que l'on insère, dans
la loi, une disposition particulière qui modifiera la loi organique de
la société, de manière à lui donner ces pouvoirs,
parce que les difficultés d'ordre exégétique que je viens
de mentionner sont beaucoup plus graves pour la société que pour
d'autres expropriants qui construisent des ouvrages dans des territoires
civilisés, cadastrés et domestiqués, où
l'identité des propriétaires est facile à établir
et où l'identité des immeubles est aussi facile à
déterminer.
Les arguments de caractère technique que l'on a mentionnés
tantôt, à savoir le fait que, dans le cas de la construction de
lignes de transport d'énergie électrique, les dommages à
l'exproprié sont minimes et n'entrafnent généralement pas
son éviction, militent de la même façon en faveur de la
proposition de la société, parce qu'elle sera appelée
à faire les mêmes travaux.
Nous suggérons ceci est en dernière page de notre
mémoire le texte suivant: L'article 29 de la Loi du
développement de la baie James est remplacé par le suivant: "Les
expropriations permises par la présente loi sont régies par la
Loi de l'expropriation, la société est substituée au
ministre de la Voirie pour les fins des articles 55 à 61 de ladite loi
et elle peut, avec le même effet, déposer le plan spécial
ou général d'un seul ou de plusieurs immeubles, droits
réels ou forces hydrauliques."
Ceci correspondrait aux distinctions qui sont effectuées, par
ailleurs, dans la loi organique de la société. Il est possible
que les représentations que je viens de faire amènent une
modification des dispositions de base qui traitent du régime
spécial fait au ministre de la Voirie et à la ville de
Montréal. Dans cette hypothèse, nous serions satisfaits que les
dispositions ainsi modifiées s'appliquent à la
société.
Je voudrais mentionner, en terminant, qu'il s'est glissé une
erreur dans la confection des
copies du mémoire de la société. La page 2 a
été omise. Mais je comprends qu'on l'a distribuée aux
membres de la commission.
J'en viens maintenant à des observations de détail. Je
vais les faire très rapidement. Certaines sont importantes. A l'article
34 j'en ai déjà parlé il y aurait
peut-être lieu d'ajouter que la présente loi s'applique à
la couronne, à cause de la Loi d'interprétation.
Ensuite, à l'article 38, le paragraphe b) parle d'une
évaluation. Nous ne voyons pas exactement le rôle que cette
évaluation remplit, puisque, par ailleurs, l'article 47 prévoit
une offre qui détermine, dans une certaine mesure, l'indemnité
provisionnelle à laquelle l'exproprié aura droit. Il serait
peut-être avantageux d'éliminer cette notion d'une
évaluation préalable qui ne semble pas jouer de rôle
précis maintenant. Evidemment, elle avait sa raison d'être sous
l'empire du code de procédure civile, mais je ne vois pas à quoi,
maintenant, elle pourrait servir.
De toute façon, si on retient la nécessité d'une
évaluation, elle pourrait avantageusement être incorporée
à l'avis d'expropriation qui est signifié à
l'exproprié, parce qu'il n'aurait pas besoin de se rendre au bureau
d'enregistrement pour savoir à quoi on évalue de façon
préliminaire son indemnité.
A l'article 40, il serait peut-être utile d'ajouter qu'il s'agit
du greffe de la cour Supérieure du district où est situé
l'immeuble. On l'a fait dans d'autres dispositions.
A l'article 41, on parle de notifier les locataires de
l'existence...
Dans plusieurs autres dispositions, on a préféré
employer l'expression "notifier les locataires". On notifie quelqu'un de
quelque chose et non pas quelque chose à quelqu'un. Alors, il faudrait
peut-être dire, pour être plus correct: "notifier les locataires
dont les baux ne sont pas enregistrés l'existence des procédures
d'expropriation..."
Il serait probablement préférable de prévoir une
signification aux locataires dont les baux ne sont pas enregistrés; il
ne semble pas y avoir, à première vue, de justification pour
distinguer entre le cas du locataire dont le bail est enregistré et
celui du locataire dont le bail ne l'est pas. Il y aurait avantage, pour la
clarté du texte, de ne pas faire varier la procédure. S'il
était question partout de signification, on pourrait dire que dans le
cas où on ne peut pas trouver l'exproprié, il y aura un mode
spécial de signification.
L'article 47 mentionne ceci: "...indiquant en détail le montant
que l'un offre et l'autre réclame..." Ceci est stipulé au sujet
d'une déclaration que l'expropriant et l'exproprié doivent faire.
On pourrait interpréter ce texte et je pense que c'est la seule
façon de l'envisager comme signifiant que l'exproprié doit
mentionner dans sa déclaration deux choses: ce qu'il offre et ce que
l'autre réclame. Or, ceci ne concorde pas, ne cadre pas avec l'inten-
tion implicite du texte. Il serait préférable de substituer aux
mots "que l'un offre et l'autre réclame", les mots "qu'il offre ou
réclame, selon le cas". Alors, l'exproprié n'aura qu'à
dire ce qu'il réclame et l'expropriant, ce qu'il offre.
On pourrait aussi, dans l'article 42, parler du loyer plutôt que
du prix du bail. On a parlé du prix de chaque bail.
Dans l'article 49, qui traite de l'indemnité provisionnelle, il
serait préférable d'employer l'expression "provisoire". On avait
autrefois, dans le code de procédure civile, un chapitre intitulé
"Des mesures provisionnelles".
Or, les codificateurs chargés de la refonte du code de
procédure ont remplacé cette expression, à la suite de
recherches dans les dictionnaires, par mesures provisoires.
M. PINARD: Nous nous sommes posé la question nous-mêmes et
nos linguistes nous ont fait revenir au mot "provisionnel". Alors, c'est un
débat de linguistes!
M. PAUL: La guerre va commencer entre Littré et Larousse.
M. GAGNON (François-Michel): Ce sont les remarques que je voulais
présenter. Je remercie les membres de la commission de leur attention et
je suis prêt à répondre aux questions qui me seront
posées, dans la mesure de mes moyens.
M. PINARD: Me Gagnon, je pense bien qu'à cause de l'importance
des travaux qui sont et qui devront être réalisés par votre
société il faudrait penser peut-être à vous donner
les mêmes pouvoirs que ceux qui ont été
réclamés par l'Hydro- Québec.
Maintenant, vous avez affirmé le caractère public de la
société que vous représentez. Vous dites même que
c'est une société de la couronne ou en tout point semblable.
Alors, je vous pose une question: Les routes que vous construisez en ce moment,
est-ce que vous leur réservez un caractère privé ou un
caractère public pendant le temps de la construction, pendant le temps
de leur utilisation et qu'éventuellement, après que les chantiers
seront terminés et que les travaux de la baie James auront
été mis en marche il y aurait un retour possiblement de ce
réseau routier dans le réseau général de la voirie?
Est-ce qu'il y aura toujours ce même caractère public ou bien si
on tient pour acquis qu'en ce moment il a un caractère privé?
C'est très important pour nous de le savoir.
M.GAGNON (François-Michel): Au stade où nous en sommes, je
comprends que les routes en voie de construction ou qui sont déjà
construites continuent de conserver un caractère privé, parce que
ce sont des routes de caractère municipal, la société
étant, de par sa loi organique, une municipalité. Le conseil
d'administration de la société, en tant que conseil municipal,
n'a pas décrété l'ouverture de ces routes.
Dans ce sens-là, on peut dire qu'elles conservent un
caractère privé, mais je comprends aussi qu'il y a de nombreux
accrocs à cette situation juridique, qui ne peuvent pas être
évités parce que les besoins du développement du
territoire l'exigent. Quant à la question précise de savoir si la
société fera, à un moment donné, l'acte de
dédier ces routes au public, je ne peux pas le dire, parce que je n'ai
pas de mandat là-dessus.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, Me Gagnon, nous vous remercions et la
commission suspend ses travaux jusqu'à deux heures trente. A deux heures
trente, on entendra le Barreau du Québec.
(Suspension de la séance à 12 h 37)
Reprise de la séance à 14 h 39
M. LAFRANCE (président de la commission permanente des
transports, des travaux publics et de l'approvisionnement): A l'ordre,
messieurs!
Cet après-midi, nous allons entendre le Barreau du Québec,
représenté par Mme Micheline Audette-Filion, je crois. Si vous
voulez bien nous présenter vos collègues, madame.
Barreau du Québec
MME AUDETTE-FILION: M. le Président, M. le ministre, messieurs
les membres de la commission parlementaire, mon nom est Micheline
Audette-Filion, recherchiste au Barreau du Québec. Je suis
accompagnée cet après-midi, à ma droite, de Me Gilles
Fafard, de Montréal, de Me Pierre Pinard, de Montréal, de Me
Jacques Marquis, de Québec. M. le juge Paul Trudeau a également
collaboré aux travaux de notre comité et en a assuré la
présidence. Il n'est malheureusement pas avec nous aujourd'hui, puisque,
semble-t-il, il a été nommé à des fonctions
incompatibles avec la profession d'avocat.
Le Barreau du Québec est très heureux que le
législateur ait présenté devant l'Assemblée
nationale un projet de loi de l'expropriation, d'autant plus que l'attente a
été longue, depuis 1965, alors que le gouvernement avait
jugé à propos, vu l'urgence de la situation, de constituer un
comité d'étude sur l'expropriation, comité qui a
été présidé par Me Alary. Le Barreau du
Québec est également généralement d'accord sur le
projet de loi comme tel et sur le principe du projet de loi.
En particulier, nous nous réjouissons du fait qu'un grand nombre
de recommandations que le Barreau du Québec ou le Barreau de
Montréal ont faites au cours des dernières années aient
été prises en considération. Nous sommes également
très heureux que le projet de loi suive, dans ce domaine, la ligne de
pensée du droit français, écartant des principes de droit
étrangers qui auraient pu l'influencer et qui ne seraient pas
restés dans la ligne de pensée de notre province.
Le projet de loi apporte au domaine judiciaire de l'expropriation des
améliorations considérables et ardemment souhaitées par
tous les avocats qui oeuvrent dans ce secteur depuis un certain nombre
d'années et conserve la procédure usuelle du code et du droit
substantif en la matière. Nous avons également de petites
réserves à faire sur des articles en particulier ou encore sur le
principe de l'exclusion des expropriations pour fins de voirie.
En général, nous sommes très heureux du projet de
loi. Je cède la parole à mon confrère, Me Pinard, qui vous
expliquera le mémoire plus en détail.
M. PIERRE PINARD: Comme ma consoeur,
Me Audette-Filion, le faisait remarquer, dans l'ensemble, le Barreau se
considère satisfait du projet de loi no 88. Nous trouvons qu'il va
constituer une nette amélioration sur la situation qui pouvait
prévaloir en matière d'expropriation dans cette province.
Une bonne partie de notre mémoire est constituée par des
corrections d'ordre technique, c'est-à-dire qu'on suggère
certains petits amendements, parce qu'on pense que l'article a une
rédaction fautive ou qui pourrait être clarifiée. Notre
mémoire est là pour être lu ceux qui le veulent.
Pour tout résumer, nous avons deux gros points sur lesquels nous
estimons que le législateur devrait apporter des modifications
importantes. Pour passer au vif du sujet immédiatement, il faut en
venir, d'après nous, aux articles 55 à 61, c'est-à-dire
certaines expropriations pour fins de voirie.
L'opinion du comité du Barreau à ce sujet est que ces
articles doivent être enlevés au complet du projet de loi. La
raison principale que nous avons pour appuyer cette affirmation qui, à
première vue, peut paraître un peu cavalière, c'est que,
dans le préambule du projet, on prend la peine d'affirmer que le but du
bill no 88 est d'uniformiser la procédure en matière
d'expropriation.
Or, suivant les chiffres et les données que nous
possédons, 80 p.c. des expropriations de cette province, et les plus
importantes également quant aux montants en litige, 80 p.c, dis-je, de
ces expropriations sont entreprises soit par le ministère de la Voirie
du Québec, soit par la ville de Montréal. De sorte que les
articles 55 à 61 enlèveraient, à toutes fins pratiques, le
but principal que cette loi se donne, soit d'uniformiser la
procédure.
En d'autres mots, on pense que le projet de loi n'aura pas pour effet de
modifier substantiellement la situation qui peut prévaloir en
matière d'expropriation, si on fait une exception aussi importante que
celle-là pour les deux plus gros corps expropriants de cette
province.
En d'autres mots, on trouve que c'est se donner beaucoup de peine pour
faire une procédure uniforme pour les municipalités, les
commissions scolaires et les villes régies par la Loi des cités
et villes, parce que dans notre opinion elles ne représentent pas plus
de 20 p.c, suivant les données statistiques qui nous ont
été fournies.
Enfin, si on regarde la chose d'un autre angle, de façon
pratique, on trouve cela paradoxal d'imposer, par exemple, aux
municipalités, aux commissions scolaires et aux autres corps publics une
procédure assez complète et assez rigide, alors qu'en fait ces
corps publics ne disposent pas d'un service d'expropriation complet et
compétent comme celui du ministère de la Voirie ou comme celui de
la ville de Montréal. La plupart des villes n'ont pas de contentieux, la
plupart des villes n'ont pas de service d'immeubles, la plupart des villes, au
point de vue du personnel technique, au point de vue de l'équipement, ne
sont peut-être pas aussi bien outillées pour mettre en oeuvre le
projet 88, que ne le sont les gros corps publics. Les gros corps publics, comme
la ville de Montréal, comme le ministère de la Voirie, disposent
d'un service des immeubles ou d'une division de l'expropriation, disposent en
outre d'un contentieux.
Alors on comprend mal comment les deux plus gros corps expropriants qui,
en théorie et en pratique, sont les mieux équipés pour
suivre les prescriptions du bill 88 se voient gratifiés d'une exception
qui, comme je le disais, enlève à toutes fins pratiques le but
principal du projet de loi, qui est d'uniformiser. Si on se fie à
l'expérience des praticiens dans notre profession qui ont l'habitude
d'aller devant les tribunaux d'expropriation, pour nous le problème des
expropriations, quoique d'une très grande envergure, a des racines qui
sont bien simples et fondamentalement c'est peu de chose. C'est qu'il y avait
un trop grand nombre de causes pour les tribunaux qui étaient
habilités à les entendre et en décider.
Mais il y avait peut-être aussi un problème plus profond et
qui n'est pas corrigé par le bill 88, c'est le problème qui
consiste pour les corps publics à exproprier, sans avoir les deniers
requis ou sans s'assurer à l'avance que le projet que l'on veut faire,
à la suite de cette expropriation, est bien couvert ou
représenté ou que le budget comporte des disponibilités
à cet effet. Je pense qu'en matière de travaux publics on a
toujours procédé suivant le principe de "travel now and pay
later", expropriez maintenant et payez plus tard.
Je pense qu'avec le bill 88, si on maintient les articles 55 à
61, tout cet aspect, qui est fondamental, dans le problème des
expropriations, va subsister. En d'autres mots, si on continue à donner
la bénédiction aux corps publics qui ont l'habitude d'exproprier
sans s'assurer qu'ils ont un budget convenable pour le faire, on
perpétuera le vice. Le vice, évidemment, pour les contribuables,
c'était d'attendre d'être payés, d'être
expropriés rapidement et d'attendre très longtemps pour
être payés. Si une entente n'intervenait pas avec le corps public
au sujet de l'indemnité, ils devaient encore attendre, parce que le
tribunal d'expropriation qui devait les entendre n'avait pas suffisamment de
membres.
De ce côté-ci, on constate qu'il y a une nette
amélioration dans le bill 88 mais, pour la première partie du
problème, qui consiste à exproprier sans avoir l'argent, je crois
que, sur ce point, le bill 88 n'apportera aucun correctif. Au contraire, il va
le perpétuer. Il donne sa bénédiction à cet
état de choses.
Si on se place d'un autre point de vue et qu'on se demande ce qui se
fait en Ontario et ce qui se fait dans le reste du Canada, ceux qui pratiquent
le droit d'expropriation savent que le fédéral a adopté
une loi en vertu de laquelle il
s'impose des exigences légales qui sont infiniment plus
sévères et complexes que celles que le bill 88 préconise.
On conçoit mal que le fédéral qui, finalement, au pays,
est le plus gros corps public doté de pouvoirs d'expropriation, se
doterait d'un mécanisme d'expropriation beaucoup plus complexe, beaucoup
plus rigide, qui avantage énormément l'exproprié, à
son détriment, que le gouvernement de l'Ontario en fasse ainsi et que
seule la province de Québec continue à perpétuer la
tradition qui a été jugée inacceptable par les
comités d'étude qui ont travaillé sur la loi
fédérale ainsi que par les comités d'étude qui ont
travaillé sur la Loi provinciale de l'Ontario. On comprend mal, si notre
voisin le plus important, l'Ontario, et si le gouvernement
fédéral se dotent d'un mécanisme d'expropriation qui est,
comme je le disais, infiniment plus sévère vis-à-vis de
lui-même et infiniment plus avantageux pour l'exproprié, que la
province de Québec, par le bill 88, continue à s'enliser dans le
problème qui est le plus fondamental, à savoir qu'on ne devrait
pas exproprier ou qu'on ne devrait pas dépenser des deniers publics sans
savoir combien cela va coûter.
Si vous maintenez le principe des articles 55 à 61 tel qu'il se
trouve, nous prétendons que vous n'avez rien réglé du
problème fondamental des expropriations.
Il est peut-être vrai que le tribunal d'expropriation
lui-même sera plus efficace que la Régie des services publics
actuellement, parce qu'évidemment il comporte plus de membres.
A ce sujet, la suggestion du Barreau est de ne pas forcer le tribunal
d'expropriation à siéger en division de trois membres. Nous
croyons que l'expérience actuelle de la régie qui siège
à deux membres est satisfaisante. Ceci permet, si besoin est, de faire
un plus grand nombre de divisions avec le même nombre de
régisseurs ou le même nombre de juges au tribunal.
Ce que nous vous suggérons dans notre mémoire, c'est de
modifier légèrement les articles qui ont trait à la
composition du tribunal, de façon qu'en théorie on puisse avoir
six divisions de deux membres qui siégeraient à Montréal
et deux divisions de deux membres qui siégeraient pour le district de
Québec.
Encore là, si les statistiques qu'on nous a soumises sont exactes
et si le sources qui nous ont révélé ces chiffres sont
fidèles, nous croyons qu'environ trois causes pour une seraient
entendues dans la région de Montréal par rapport à la
région de Québec, ceci en nombre de causes jugées et
décidées.
Nous croyons également, si les statistiques qu'on nous a
données sont exactes, que les montants en litige seraient
peut-être dix fois plus élevés dans la région de
Montréal que dans la région de Québec, d'où notre
suggestion qu'il faut aller là où le problème est le plus
aigu, dans la région de Montréal, et lui donner un plus grand
nombre de divisions et de régisseurs. Il faudrait avoir un tribunal qui
permet une composition de six divisions de deux membres et deux de deux,
à Québec, ce qui fait seize.
Nous suggérons une autre modification c'est là
l'opinion du Barreau qui voudrait que le président de chacune des
divisions soit un juge de la cour Provinciale, de façon que si,
après une période quelconque, pour un motif ou pour un autre, il
ne peut plus siéger au tribunal d'expropriation, il puisse retourner
à la cour Provinciale.
Nous sommes également d'opinion que ceci accorde une certaine
sécurité au président de chaque division, de façon
qu'il puisse se consacrer exclusivement et uniquement aux causes qu'il aura
à entendre et de façon que toute tentation qu'il pourrait avoir
de décider ou de penser autrement lui soit enlevée pour des
motifs de sécurité personnelle ou quoi que ce soit.
On pense que le fait que le président d'une division soit juge
serait de nature aussi à maintenir un peu de décorum dans les
séances de la régie et qu'une bonne partie des problèmes
que la régie aura à résoudre sont des problèmes de
droit.
Nous reconnaissons évidemment la nécessité que le
président d'une division, tout juge qu'il soit, soit assisté par
un assesseur ou un technicien, que ce soit un évaluateur, un comptable,
un agronome, suivant la nature des problèmes qui lui sont
présentés. On laisse au législateur le soin d'y voir mais
on pense que toute division devrait être présidée par un
juge de la cour Provinciale.
Ce sont donc, messieurs, en gros, les deux amendements ou changements
importants que nous vous suggérons d'apporter au bill 88. Même si,
dans son ensemble, nous approuvons parfaitement ce bill, et même si le
principe du bill est louable et qu'en théorie il veut mettre un terme
à de nombreuses injustices ceux qui sont dans le domaine de
l'expropriation en voient, depuis une dizaine d'années, chaque
jour nous pensons que le problème fondamental ne sera pas
réglé si on continue de faire une situation
privilégiée à la ville de Montréal et au
ministère de la Voirie. Evidemment, si on poursuit cette ligne de
pensée jusqu'au bout, aussi bien accorder les mêmes exceptions
à tous les autres corps publics et ne pas adopter le bill 88. Cessons de
parler d'uniformité. Si vraiment le but du bill est d'uniformiser et
d'assurer un minimum de protection à l'exproprié, je pense qu'on
ne peut pas, tels que rédigés, accepter que ces articles y
demeurent.
Donc, en substance, ce sont nos représentations et nous sommes
à votre disposition pour toute question que les membres de cette
commission pourraient avoir à poser au sujet des choses que nous venons
d'énoncer.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Est-ce que vous avez d'autres interventions
avant qu'on vous pose des questions?
M. PINARD (Pierre): Je n'ai pas d'autres interventions. La majeure
partie de notre mémoire, comme je le disais tout à l'heure,
comporte des corrections d'articles, soit à cause de leur formulation,
mais ce sont des problèmes mineurs. Nous venons d'exposer les deux gros
problèmes: ce sont les exceptions en faveur de la voirie et de la ville
de Montréal et la composition du tribunal.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.
M. PINARD: Me Pinard, vous dites qu'il ne sert à rien de voter le
bill 88, si, d'avance, le gouvernement ne donne pas l'assurance qu'il y aura un
fonds budgétaire ou des provisions budgétaires suffisantes pour
nous permettre de faire face à la situation. Je pense bien que ce fut un
problème très aigu dans le passé. Il y avait plusieurs
milliers de dossiers actifs en matière d'expropriation, ce qui faisait
que les expropriés étaient victimes de discrimination,
c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas payés en temps utile et
que les dispositions du code civil n'étaient pas respectées.
Je pense bien que, sans avoir d'amendements majeurs à la Loi de
la voirie, nous avons procédé quand même à des
réformes d'ordre interne, d'ordre administratif. Ceci a fait que le
ministère a amendé sa procédure, pour en venir à
payer pas tellement longtemps après le dépôt du plan, 50
p.c. et parfois davantage de la valeur municipale des biens expropriés.
Ceci pour permettre justement à l'exproprié de refaire sa
situation dans la mesure du possible, pour autant cependant que le
ministère de la Voirie ait eu l'assurance de ne pas être
obligé dans peu de temps, de retraire le plan général de
dépôt ou de le modifier, de telle sorte qu'il y aurait eu danger
pour le ministère d'avoir payé trop vite et inutilement et, dans
certains cas aussi, d'être obligé d'amender le remboursement de
l'argent, puisque, effectivement, dans certains cas, une fois le
dépôt de plan retrait du Bureau d'enregistrement, il n'y avait
plus d'expropriation, sauf à payer des dommages directs qui auraient pu
être causés premièrement à la personne
expropriée.
Je pense que là ç'a été une nette
amélioration et ç'a suivi l'évolution du ministère
de la Voirie qui est devenu, je pense bien, parmi tous les corps expropriants
du Québec, celui qui a fait le plus en volume, par année, aussi
bien au plan du montant global à dépenser qu'au plan du nombre de
dossiers actifs à administrer. Je pense que, cette année, nous
avons 6,500 dossiers actifs et, en 1972, quitte à faire des
vérifications plus spécifiques, je pense que le ministère
de la Voirie a dépensé tout près de $50 millions en
expropriation.
Cette année, on me dit qu'il y a entre $30 millions et $35
millions qui ont été payés aux expropriés, à
ce jour.
Cela signifie que, sans procéder à un amende- ment ou
à une réforme globale de la loi, le ministère a quand
même modernisé et rendu plus efficaces ses procédures de
paiement. Il reste quand même un problème fondamental, c'est celui
de payer encore plus rapidement l'exproprié pour lui permettre de
refaire rapidement sa situation. A ce point de vue-là je suis d'accord
avec ceux qui viennent devant nous exposer la situation parfois difficile et
douloureuse qui est faite à l'exproprié.
Je comprends mal, cependant, que le Barreau du Québec demande de
retraire du projet de loi 88 toute la section IV intitulée: Certaines
expropriations pour fins de voirie, c'est-à-dire les articles 55
à 62 inclusivement. Je ne vois pas comment le ministère pourrait
poursuivre une réforme en matière d'expropriation sans la
proposition d'une loi organique qui vraiment mettrait de l'ordre dans ce
domaine et qui pourrait aussi avoir comme objectif de mieux coordonner toutes
les activités des corps expropriants, la création d'un tribunal
unique, plutôt que d'avoir plusieurs tribunaux qui se chargent des
problèmes d'expropriation. Je me demande si le fait de faire
disparaître toute la section IV du bill 88 n'aurait pas pour effet de le
déséquilibrer à un point tel que la réforme
envisagée par le gouvernement et par tous ceux qui l'ont demandée
serait mise en péril. Je voudrais que le Barreau du Québec soit
plus spécifique là-dessus par l'entremise des procureurs qui sont
devant nous et nous dise pour quelle raison grave il demande de distraire du
bill 88 toute la section IV. Qu'est-ce qui pourrait être donné en
retour pour assurer que la réforme va se faire de la façon
qu'elle a été envisagée et qu'elle a été
demandée?
M. PINARD (Pierre): M. le ministre...
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Me Pinard.
M. PINARD (Pierre): Nous concevons le bill 88 comme une réforme
judiciaire, pas une réforme administrative. Evidemment, nous sommes au
fait qu'il y a eu énormément d'améliorations dans
l'administration de la voirie, en ce qui a trait au service de l'expropriation,
que les praticiens qui font souvent de l'expropriation connaissent bien. Il y a
eu depuis quelques années énormément
d'améliorations mais il n'en demeure pas moins qu'il subsiste encore
aujourd'hui des lacunes très graves.
Je ne veux pas donner d'exemple spécifique; on n'est pas ici pour
parler de cas précis, mais je puis vous assurer qu'il existe
actuellement un très grand nombre d'industries et de commerces sur la
route transcanadienne, secteur est-ouest, qui crient pour avoir de l'argent et
qui sont aux prises avec le problème de la réinstallation. Quel
que soit le montant de l'acompte que vous leur donnez, quand vous leur en
donnez, c'est totalement insuffisant pour couvrir les frais de la
réinstallation.
Là, on tombe dans le secteur administratif
qui ne nous concerne pas. Nous sommes prêts à admettre que
plus le service d'expropriation du ministère de la Voirie ou du
gouvernement provincial va s'améliorer, mieux ce sera; mais cela ne nous
regarde pas, c'est de la régie interne. Ce que nous voulons pour les
contribuables que nous représentons, c'est une garantie qu'on ne peut
plus faire ces abus. Fini. Nous pensons que, quand vous perpétuez le
système du dépôt des plans massifs, c'est là qu'est
créé le cercle vicieux dont on ne sort pas. C'est très
facile de déposer un tracé de 25 milles de long, d'affecter 5,000
personnes et de dire après: On s'est trompé, on devrait en
arranger deux milles, faire un rond-point plus grand que prévu ou
l'enlever. C'est facile lorsque tout ce qu'il suffit de faire, c'est partir
avec un grand rouleau, s'en aller au bureau d'enregistrement pour dire: Ces
5,000 lots sont affectés.
Nous pensons que ce n'est pas pour rien que le gouvernement
fédéral qui, en expropriation, dépense autant d'argent que
la province de Québec, s'est lui-même et à ses
services qui ont le droit d'exproprier imposé une
procédure qui est si rigide à son égard que ça ne
peut plus se produire. En Ontario, c'est la même chose. Avec la loi
fédérale aujourd'hui, même les expropriés, que ce
soit en groupe ou seuls, peuvent contester l'expropriation quant à
l'endroit où elle passe. C'est peut-être exagéré
mais, semble-t-il c'est là la conclusion des comités
d'étude qui ont finalement convaincu le gouvernement
fédéral de modifier sa loi c'est à la suite d'un
très grand nombre d'abus.
Nous pensons que, tant que les corps publics ont le pouvoir de
déposer une feuille de papier qui va massivement affecter 5,000 ou 6,000
personnes, c'est là que le cercle vicieux commence. Quand on
dépose une feuille de papier avec un long tracé qui affecte 5,000
lots ou familles, on ne sait pas combien ça va coûter et c'est
bien difficile de le mettre dans le budget. On ne sait pas les dommages qu'on
va causer, on ne sait pas jusqu'à quel point on va affecter tout un lot
ou la moitié. Si on prend seulement la devanture d'une usine, je pense
bien que l'arrière et le milieu de l'usine devront aussi être
déménagés. Si un gouvernement a un pouvoir aussi abusif
je ne dis pas que les gens de la voirie ou de la ville de
Montréal font exprès pour en abuser je dis que la
tentation est grande d'aller vite et de proposer au bureau d'enregistrement une
ligne qui affecte tout le monde sans savoir jusqu'à quel point.
On peut faire une ligne et ne pas toucher à l'usine, mais, si on
dépose la ligne et qu'on affecte l'usine, ça peut coûter $5
millions au lieu de coûter $5,000 parce qu'il faut déplacer toute
l'usine.
Nous disons que cela ne se peut pas que le gouvernement, finalement, qui
administre les deniers publics, ne soit pas mieux organisé que cela afin
d'éviter ces choses. Nous disons qu'il y a un bon moyen pour
empêcher cela et c'est de leur enlever le droit de déposer des
tracés qui peuvent affecter autant de personnes sans savoir ce que cela
va coûter. Je trouve ça inouï.
Si vous conservez le principe du tracé, conservez tout le reste,
parce que cela va ensemble. Il est évident qu'on ne peut pas demander au
service des expropriations, qui est, par ailleurs, très
compétent, avec lequel je fais affaire régulièrement
combien cela va coûter. Il ne sait même pas où la
ligne passe exactement. Il devrait le savoir. C'est un problème de
personnel, d'équipement. Ce n'est tout de même pas le Barreau qui
va aller dire au gouvernement comment administrer ces choses. Cela ne nous
regarde pas. Nous ne voulons plus que cela se produise. Pour que cela ne se
reproduise plus, nous demandons d'enlever ce droit-là. Ainsi, on
répondra: Oui, mais le gouvernement a tellement d'obligations ailleurs
créer des routes, etc. qu'il faut quand même qu'il garde un peu de
ce système.
A cela, nous répondons que la Voirie de l'Ontario doit être
aussi bonne que celle du Québec et que le ministère des
Transports fédéral doit avoir des problèmes aussi graves
que ceux de la province de Québec. Comment se fait-il qu'en Ontario on
accepte même la préenquête? En Ontario, un exproprié
peut dire: Je m'oppose à ce que le tracé de l'autoroute passe
ici. Comme contribuable, je trouve cela fou. J'aimerais mieux qu'il passe
là. On va l'entendre. Le tribunal qui va entendre cette
préenquête va rendre une décision. C'est peut-être
aller trop loin. On ne demande pas d'inclure la préenquête sur la
validité d'un tracé dans le bill no 88.
Tout ce qu'on demande, c'est que les corps publics, le ministère
de la Voirie, la ville de Montréal ou n'importe quel autre, soient
soumis à la même obligation d'envoyer, ce qui est
élémentaire, un avis d'expropriation et une évaluation
à l'exproprié. Nous, nous disons qu'il ne pourront pas envoyer un
avis d'expropriation à nos clients s'ils ne sont pas capables d'y
inclure une description technique qui dise exactement combien de pieds ils
prennent et s'ils prennent la maison ou non. Ils vont être obligés
de mettre une évaluation parce que c'est dans la loi. Alors, s'ils font
une évaluation, c'est plus facile, il me semble, de calculer un budget,
quand on a des évaluations détaillées et précises
dans chaque cas. On répondra à cela que cela n'a pas de bon sens.
Cela va prendre deux ans avant qu'on puisse exproprier. Je ne sais pas. On n'a
pas fait l'expérience.
Je me dis que, si c'est possible en Ontario, pourquoi cela ne serait-il
pas possible ici? Je ne suis pas partisan de ceux qui pensent qu'en Ontario les
gens sont plus fins. Je pense que nous sommes aussi fins que ceux de l'Ontario.
A ma connaissance, le service des expropriations du ministère de la
Voirie est aussi compétent, sinon plus, que celui des Transports
à Ottawa. En tout cas, le personnel est très nombreux
comparativement à celui du ministère des Transports.
Pourquoi, puisque le gouvernement du Canada et celui de l'Ontario
acceptent de renoncer au principe du tracé préliminaire, ne
pourrions-nous pas le faire? Nous allons plus loin. Nous disons que c'est le
tracé qui est la source des abus. Tant que vous allez endurer ce
tracé, acceptez le reste, parce que cela va suivre automatiquement. Si,
sur la foi d'un tracé sommaire, on prévoit que les expropriations
pour une section de l'autoroute vont coûter $100 millions, il peut
très bien arriver qu'elles coûtent $350 millions. Cela va retarder
forcément le paiement aux expropriés.
Côté paiement, disons, nous sommes très conscients
des efforts que le ministère de la Voirie a faits. Le ministère
de la Voirie n'est pas obligé de donner un acompte à un
exproprié tant que la cause n'est pas réglée et il le fait
dans tous les cas. C'est très louable. Il n'est même pas
obligé et il le donne. Mais cet acompte, nous répondons qu'il est
insuffisant. Il serait peut-être suffisant si l'évaluation qui
accompagne l'avis d'expropriation était faite au moment où les
expropriations sont décidées.
On n'a pas l'impression qu'on demande une chose impossible au
gouvernement, quand on lui dit: Faites certains sacrifices puis nous ferons les
autres. Le principe, c'est que nous ne voulons pas que le
bénéfice des travaux publics soit payé par une
minorité de citoyens qui s'appellent les expropriés. On peut nous
demander: Quelle est votre conclusion, vous les avocats qui pratiquez en droit
d'expropriation depuis une dizaine d'années? Notre conclusion, nous,
c'est qu'une minorité de citoyens a payé pour des travaux qui ont
bénéficié à toute la population et nous sommes
nettement contre. Ils ont payé soit parce que cela a pris trop de temps,
ils ont payé soit parce qu'ils n'ont pas reçu suffisamment
d'argent. Même s'ils en ont reçu suffisamment, ils l'ont
reçu en retard et quand ce n'était pas le temps ou ils ont
reçu un intérêt de 5 p.c.
Toutes ces choses ne se seraient pas produites si, dès le
début, les offres qui avaient été faites avaient
été réalistes et s'il y avait eu un avis d'expropriation
montrant exactement quelle était l'ampleur de cette expropriation. A ce
moment-là, je ne pense pas qu'on aurait pu arriver avec des projets qui
devaient coûter $100 millions et qui en ont coûté $200
millions. Nous disons: Ce n'est pas notre affaire, l'administration d'un
ministère, ce n'est pas notre domaine, nous n'avons pas à rentrer
là-dedans, nous allons directement à la source du bobo et c'est
judiciaire. Cela, par exemple, nous regarde. Nous disons: Nous voulons avoir un
bon tribunal et avec cela nous en aurons un. Nous vous suggérons
quelques amendements pour le rendre plus efficace. Nous disons que huit
divisions de deux, c'est plus pratique que cinq divisions de trois parce que
cela peut entendre beaucoup plus de causes, cela peut entendre presque deux
fois plus de causes. Nous sommes satisfaits du principe du tribunal uni- que,
mais nous disons: Vous ne réglerez jamais le problème des
expropriations tant que vous allez endurer le tracé. C'est notre
conclusion.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PAUL: Me Pinard, si j'ai bien compris, en résumé, votre
mémoire sur la portée des articles 55 à 61, vous vous
abstenez de porter jugement sur l'administration de l'expropriation du
ministère de la Voirie.
M. PINARD (Pierre): C'est ça.
M. PAUL: Vous nous avisez, en tant que légistes, de la
nécessité de créer une loi unique applicable à
tous. Vous désirez que tous soient traités sur le même
pied. Vous ne voulez pas qu'il y ait d'exception pour la ville de
Montréal et le ministère de la Voirie. Vous demandez qu'en
même temps que l'avis d'expropriation est envoyé il y ait
description technique de l'immeuble exproprié ou de la partie de
l'immeuble expropriée et dépôt de 100 p.c. de
l'indemnité proportionnelle.
M. PINARD (Pierre): C'est ça.
M. PAUL: C'est tout ce que vous demandez?
M. PINARD (Pierre): C'est tout ce qu'on demande.
M. PAUL: Merci.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maisonneuve.
M. BURNS: Je veux simplement remercier Me Pinard. Je suis heureux de
dire que c'est une des premières fois où je suis
entièrement d'accord sur les recommandations du Barreau. C'est vrai,
c'est déjà arrivé avant, une fois, je pense. Mais, de
toute façon, je suis entièrement d'accord sur ce que vous
proposez, soyez en certain. En ce qui concerne le parti que je
représente, c'est exactement la position que nous entendons
défendre. Nous espérons que votre homonyme Me Pinard comprendra
vos arguments et qu'il se rendra à ce désir, qui est d'ailleurs
exprimé très clairement dans le rapport de la commission
Alary.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): L'honorable ministre de la Voirie.
M. PINARD: Je voudrais bien être capable de faire avec vous un
débat dans l'absolu, mais je me demande à quelle place on
pourrait déboucher sur une solution à la fois efficace et
pratique.
Au plan de la conscience sociale, cela me fatigue, moi aussi, la
façon dont les choses vont,
dans le gouvernement, en particulier dans le ministère de la
Voirie, que j'ai la responsabilité de diriger. Je sais que tous les
jours, nos décisions affectent des citoyens, par milliers, dans le cours
d'une année. Par contre, il y a aussi d'autres besoins qui nous sont
exprimés par la majorité de la population, qui veut avoir des
autoroutes, aussi bien en territoire urbain qu'en territoire rural, qui veut
avoir des édifices publics, qui veut avoir des chemins de fer, qui veut
avoir des pistes d'avion, qui veut avoir des barrages hydro-électriques,
pour avoir plus d'électricité, pour mieux industrialiser le
territoire, et que sais-je encore.
Devant ces nécessités toujours démontrées de
façon plus péremptoire et plus spectaculaire par la population,
grâce aux nouveaux media d'information, comment le gouvernement
agira-t-il pour satisfaire à la fois les uns et les autres? Je ne dis
pas, comme vous l'avez souligné tantôt, que les expropriations
doivent se faire sur le dos de quelques milliers de citoyens dans la province.
Ce n'est pas là mon propos. Mais j'essaie de réconcilier le point
de vue du Barreau, qui demande ni plus ni moins que l'abolition de la section
IV, réservée à certaines expropriations pour fins de
voirie, par rapport à des besoins qui sont exprimés par
l'ensemble de la population. Celle-ci veut avoir de meilleures communications,
veut avoir une meilleure décentralisation des services publics dans le
territoire, veut avoir une plus grande décentralisation de l'industrie
sur le territoire du Québec, veut avoir plus de confort, veut avoir plus
facilement l'accès aux richesses naturelles et aux ressources de
loisirs. Nous nous en allons dans une civilisation de loisirs, mais comment
allons-nous l'atteindre? Comment allons-nous y arriver...
M. BURNS: Vous n'êtes pas capables de planifier un peu?
M. PINARD: ... si vous n'accordez pas au pouvoir public non seulement la
responsabilité mais le pouvoir d'exproprier?
M. PAUL: Ils ne veulent pas l'enlever au ministère de la Voirie,
ils veulent que le ministère de la Voirie et la ville de
Montréal, comme tout ordre d'organisme qui a le pouvoir d'expropriation,
soient sur le même pied. Pas de faveur pour le ministère de la
Voirie, pas de faveur pour la ville de Montréal. C'est tout ce qu'ils
demandent.
M. BURNS: Cela vous demande simplement de planifier un peu plus. C'est
ce que cela vous demande de faire.
M. PINARD: Non.
M. BURNS: Voyons donc! Par exemple, Me Pinard a parlé,
tantôt, des changements de tracés de l'autoroute est-ouest.
Imaginez-vous dans quel dilemme les propriétaires ou les locataires se
sont trouvés, que ce soient des commerces, des industries ou des simples
locataires si c'était leur habitation quand vous avez
passé de la rue Rouen à peut-être Notre-Dame et de
Notre-Dame peut-être à ailleurs. Imaginez-vous. C'est la situation
dans laquelle ils se trouvent.
Ils ne vous demandent pas de vous départir de votre pouvoir
d'expropriation. C'est parfaitement normal que le gouvernement ait ce droit. Je
serais un des premiers à dire que cela n'aurait aucun sens, si le
gouvernement voulait s'en départir. Ce qu'on demande, tout simplement,
c'est que cela se fasse décemment et que cela se fasse selon les
règles normales. Ce n'est pas parce que c'est le gouvernement, et raison
de plus si c'est le gouvernement qui a à le faire, il est
peut-être plus équipé que n'importe quel autre organisme,
n'importe quelle corporation de la couronne pour planifier à long terme.
C'est vrai qu'il y a des besoins et c'est vrai que lorsque vous expropriez,
très souvent, vous répondez à des besoins,
là-dessus, nous sommes entièrement d'accord. Mais nous vous
disons: Ne le faites pas sur le dos de l'individu, comme dirait le Ralliement
créditiste, le respect de la personne humaine et toute l'histoire. Je
suis d'accord là-dessus et je sais que M. Audet est d'accord avec nous
là-dessus.
C'est seulement cela que nous demandons. Ce n'est pas compliqué,
cette histoire. Il y a la ville de Montréal, l'Hydro-Québec, et
après cela, vous allez en trouver d'autres, vous avez entendu
l'Hydro-Québec ce matin, vous aurez la Société de la baie
James, qui vous dira la même chose.
M. PINARD : Elle est venue.
M. BURNS: Elle l'a dit. Effectivement, j'étais là,
d'ailleurs. Vous allez en trouver d'autres, qui vont dire: Nous sommes
pressés, nous autres. Nous avons des échéances et tout
cela. Planifiez et vous n'aurez pas de problème.
M. PINARD: Si le problème vous apparaît aussi simple que
cela...
M. BURNS: Cela se fait ailleurs.
M. PINARD: ... nous allons de nouveau consulter nos services techniques,
pour voir jusqu'à quel point cela peut se réconcilier mais dans
toutes les séances d'étude et d'information que nous avons
tenues, je pense que les problèmes se présentaient de
façon beaucoup moins simple qu'on veut bien l'expliquer cet
après-midi. Cela me surprend un peu de voir que des avocats qui ont du
métier dans le domaine des expropriations viennent nous simplifier le
problème de la façon qu'ils l'ont fait, alors que, parfois, ils
représentent le gouvernement et que parfois ils représentent la
partie expropriées. Je me demande s'il n'y a pas deux genres de
plaidoiries qui se font, à certains moments.
M. PAUL: Vos difficultés, M. le ministre, ne seront pas au niveau
des services techniques mais au niveau du ministre des Finances. C'est
là que se situe le problème.
M. PINARD: J'admets qu'il y a un problème de ce
côté-là. S'il y avait possibilité de constituer un
fonds en fidéicommis, comme je l'ai fait à une certaine
époque, des années 1960 à 1966 mais de façon
illégale, à ce qu'on m'a dit, parce que le vérificateur
général des comptes...
M. PAUL: C'est égal. Le gouvernement était quand
même plus fort dans ce temps-là qu'aujourd'hui.
M. PINARD: ... m'avait surpris dans cette façon de
procéder, sauf qu'il n'y a jamais eu de dépassement
budgétaire. On m'a dit que c'était illégal; j'ai admis que
c'était illégal. Mais j'ai dit: Devant autant de demandes de
paiement, que voulez-vous que je fasse? J'avais mis de l'argent de
côté et j'affectais une partie des fonds pour payer plus
rapidement les expropriés.
C'est vrai que tout le problème du paiement est posé de
façon fondamentale. S'il y a possibilité d'en venir à une
formule qui permettrait de constituer un fonds spécial qui ne pourrait
être touché par le ministère de la Voirie qu'en fonction
des paiements à faire aux expropriés, tant mieux.
Je vais en discuter de nouveau avec le ministre des Finances qui est
bien sensibilisé à ce problème et je vais lui remettre non
seulement le mémoire du Barreau de la province de Québec, mais
également les témoignages qui ont été entendus
devant la commission. Mais ça va prendre passablement d'argent.
Les 6,500 dossiers actifs représentent, en valeur, quel montant?
Au-delà de $100 millions? Il y a 12,000 dossiers actifs d'une valeur
globale de $120 millions, pour lesquels nous avons versé $40 millions.
Mais ce sont des dossiers qui ne sont pas tous rendus à terme, en ce
sens que toutes les négociations n'ont pas été poursuivies
pour en arriver effectivement à un règlement final.
Combien faudrait-il annuellement pour être capables de traiter le
plus grand nombre de dossiers de façon humaine, efficace et de
façon non discriminatoire? Je pense que les analystes en statistiques
peuvent nous faire cette étude au ministère et nous dire quel est
le montant minimum qui serait requis annuellement pour permettre au
ministère de payer rapidement.
Il reste l'autre problème, à savoir si le ministère
doit se donner ce pouvoir de déposer un plan général. Il
va y avoir des conséquences considérables si le ministère
n'a pas ce pouvoir de déposer un plan général. C'est
sûr que ça va affecter de façon très sensible, et
parfois de façon grave, sa planification à court terme. A long
terme, ça me paraît beaucoup plus facile d'atteindre les objectifs
visés par le Barreau et dont a parlé tantôt le
député de Maisonneuve.
Mais à court terme, et en vertu de la vitesse acquise
relativement aux projets déjà en cours et qui doivent se
terminer, est-ce qu'il y a possibilité de modifier notre course ou notre
procédure? C'est ce que je me demande.
M. BURNS : La simple suggestion que je vous fais en toute bonne foi,
c'est de ne pas faire l'erreur de juger une loi à venir en vertu des
problèmes actuels que vous avez, qui sont dans un cadre tout à
fait autre. Vous nous parlez des dossiers que vous avez en marche actuellement
qui vous posent un certain problème, et je le conçois. Il n'y a
aucune espèce de doute là-dessus.
Mais je pense que ce serait une grave erreur de juger de la loi à
venir, de l'imposition d'un nouveau mode ou d'une nouvelle structure en
matière d'expropriation en vous disant que ce n'est pas possible,
à cause des problèmes que vous avez actuellement.
Et je trouve que l'ensemble des citoyens du Québec n'y gagnerait
sûrement pas et c'est malheureusement un tic peut-être un
tic bien explicable, mais qu'on a en matière de législation
on se dit qu'on ne peut pas aller dans tel ou tel sens parce que:
Regardez le problème qu'on a. Alors que le problème qu'on a, on
en a hérité en vertu d'un autre système. Et c'est sur
ça qu'il est important qu'on se penche.
Comme disait le député de Maskinongé tantôt,
ça va être un problème pour le ministère des
Finances. Si ça en est un, on trouvera les moyens de le régler.
Mais il y a souvent des moments donnés, au moment d'une loi, où
il faut donner un coup de barre sérieux. Je pense que c'est un des coups
de barre à donner.
Vous allez me dire que c'est énorme, etc. Je comprends tous vos
problèmes. Mais de grâce, ne faites pas l'erreur de juger la
réforme que vous voulez faire à la lueur des problèmes que
vous avez actuellement.
M. PINARD: Je serais bien d'accord avec le député de
Maisonneuve, au plan hypothétique, et avec les représentants du
Barreau du Québec pour admettre tous ces faits dont vous parlez.
Si le ministère n'a pas le pouvoir d'homologuer pendant une
période assez longue qui lui permette vraiment de planifier pour
minimiser tous les effets néfastes dont vous avez parlé et que ce
pouvoir d'homologation n'est pas assorti de toutes les autres conditions dont
on a parlé tantôt: procédures d'analyse et
d'évaluation plus rapides, procédures de paiement plus efficaces
et plus rapides également, mise à la disposition du
ministère d'un budget minimum annuellement pour faire face aux exigences
en matière de paiement, je pense qu'à ce moment-là
ça ne serait pas possible pour le ministère d'arriver à la
réforme proposée. Je me demande aussi, sur la lancée
où nous nous trouvons, s'il ne faudrait pas arrêter purement et
simplement toute la machine pour faire le rattrapage, pour permettre de
régler les cas qui sont en suspens
et qui sont parfois très douloureux je l'admets
personnellement quitte à repartir avec une nouvelle
procédure.
M. PAUL: Voulez-vous dire que vous seriez dans l'obligation de suspendre
tous vos travaux d'expropriation pour une période d'un an ou deux?
M. PINARD: J'aimerais bien vérifier avec mes conseillers
juridiques, mais surtout avec les spécialistes de la planification et de
la construction pour savoir quelles sont les conséquences pratiques du
problème soulevé devant nous et qui pourrait être
réglé de la façon qu'on l'a envisagé.
M. BURNS: Vous avez le même problème que
l'Hydro-Québec, entre autres, a eu au moment de la nationalisation en
vertu d'une décision du gouvernement dont vous faisiez partie à
l'époque. Il n'a pas arrêté la construction des barrages
qui étaient en cours; au contraire, il y en a même d'autres qui se
sont additionnés. Cela demandait une injection financière assez
forte, mais c'était un geste nécessaire à l'époque.
C'est peut-être comme ça que ça doit être
envisagé. Remarquez que je ne vous dis pas comment aller chercher vos
fonds ou quoi que ce soit; c'est un problème à régler
à l'intérieur du cabinet, mais je pense qu'il n'y a aucune
hérésie à penser en ces termes. Je veux dire qu'on n'est
pas pour arrêter ce qui est en cours; il faudra trouver des moyens de
financement pour y faire face, c'est tout.
M. PINARD: C'est-à-dire que, dans le cas de
l'Hydro-Québec, 90 p.c. des dossiers d'expropriation sont relatifs
à des acquisitions de servitudes. En volume d'argent, c'est loin de
représenter le volume global des transactions d'expropriation faites au
ministère de la Voirie sur une base annuelle.
M. BURNS: Je vous parlais de la nationalisation en 1962...
M. PINARD: Oui.
M. BURNS: ... et l'année suivante par rapport aux travaux qui
étaient entrepris.
M. PINARD: C'est à cause de l'expropriation des actifs.
M. BURNS: Oui, d'accord, mais...
M. PINARD: Ce n'est pas du tout le même domaine.
M. BURNS: ... si on s'était dit à ce moment-là: II
ne faudra pas nationaliser parce qu'on va être obligé
d'arrêter les travaux ou on arrête les travaux parce qu'on
nationalise, j'ai l'impression qu'on aurait été dans la position
du chien qui se court après la queue, tout simplement.
M. PINARD: Ce n'est pas un problème de même nature, vous
l'admettrez. A ce moment-là, il y a eu...
M. BURNS: C'est un problème de financement.
M. PINARD: ... un emprunt qui a été fait. Cela a
coûté quelque $500 millions pour faire l'acquisition des
compagnies hydro-électriques et faire l'expropriation des actifs. A ce
moment-là, le gouvernement a pris les moyens qu'il fallait pour faire
tout d'un coup ce qu'il aurait pu faire par étapes. Cela a
été jugé plus économique de le faire de cette
façon. Alors, je n'ai pas à reprendre ces débats. On est
ici pour écouter, c'est pour ça que la commission parlementaire
siège. Vous avez devant vous un projet de loi, il est vrai, mais qui
sert de document de travail pour permettre à ceux qui ont demandé
d'être entendus de nous donner leur point de vue et de faire des
suggestions. Mais je pense que le Barreau du Québec devrait
peut-être approfondir davantage le problème pour aider le
ministère à trouver la solution la plus efficace, la plus humaine
en matière d'expropriation. C'est assez facile de venir dire ce qui ne
va pas dans la société, mais c'est plus difficile de venir dire
au gouvernement comment on pourrait corriger des choses qui ne vont pas et
comment on pourrait régler des situations qui sont douloureuses au plan
individuel et, parfois, au plan collectif. Je pense que le corps social comme
tel doit être solidaire. Il y a des législateurs, mais ceux-ci
représentent, jusqu'à preuve du contraire, un consensus
établi par la population qui décide d'accorder à un
gouvernement le pouvoir d'administrer en faveur du plus grand nombre, de
l'intérêt public, comme on le dit communément. A moins
qu'on ne soit en mesure de prouver que le gouvernement n'administre pas en
vertu du consensus établi par l'opinion publique ou par le plus grand
nombre.
Dans bien des domaines, que ce soit au niveau provincial,
fédéral ou municipal, vous aurez toujours le problème de
l'individu qui, lui, est brimé dans ses droits fondamentaux, par une
disposition quelconque, par une décision prise par un individu, par un
corps public ou par un gouvernement.
Est-ce qu'on peut trouver le régime idéal pour
empêcher que ces choses-là ne surviennent? Je pense que c'est le
temps d'y réfléchir tous ensemble pour ne pas paralyser quand
même toute une société qui se doit d'être
progressive.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): A la suite de cet échange entre les
membres de la commission, je crois que le Barreau aurait quelque chose à
ajouter. Alors, Me Pierre Pinard?
M. PINARD (Pierre): Oui, tout à l'heure on a dit qu'il y avait
beaucoup de bon dans le bill 88 et que dans son ensemble, on était
d'accord
et ce n'est pas pour rien qu'on a dit ça. Exemple, on pense que
le pouvoir d'homologuer ou d'imposer des réserves, ce qui est la
même chose, répond précisément à ce
problème et à cette question, c'est-à-dire que le
tracé qui est déposé de façon massive était
peut-être pas mal plus nécessaire auparavant, soit à
l'époque où il n'y avait pas de pouvoir de réserver. Mais
avec le bill 88, tout corps public peut réserver d'avance pour deux ans,
au moins, les immeubles dont il aura besoin, sujet à payer s'il y a lieu
certains dommages.
Pour ma part, je pense que ça répond aux problèmes
futurs, parce que le bill 88 ne concerne pas les 12,000 cas que vous pouvez
avoir en suspens dans vos services d'expropriation, il ne les affectera pas.
Les 12,000 cas sont là, il va falloir qu'on vive avec eux, ils sont
créés. Alors nous disons que le bill 88 s'applique seulement
à l'avenir. Donc, à l'avenir, si vous vous donniez le pouvoir
d'homologuer ou d'imposer des réserves, pour deux ans, de vous
réserver du terrain, c'est ça qui remplace avantageusement le
tracé. Nous sommes parfaitement et pleinement d'accord à tout
point de vue sur ça, mais nous n'aimerions pas que vous conserviez les
deux armes en même temps, soit celle d'imposer un tracé qui cause
pas mal de dommages, parce qu'il est fait vite et empêche de faire des
prévisions budgétaires, puis, en même temps, le pouvoir
d'imposer des réserves.
Nous disons que si vous avez le pouvoir d'imposer des réserves,
vous allez payer un peu plus de dommages, mais vous allez en éviter bien
plus, puis ça vous évite le problème de faire des
tracés massifs. On pense que la solution est déjà dans le
bill.
S'il faut accorder des délais de réserves plus longs
allongez-les de 2 à 3 ou de 3 à 5, pour autant qu'il y ait une
indemnité, nous ne nous y opposerons jamais. Nous nous opposions aux
réserves, aux lignes homologuées alors qu'il n'y avait pas
d'indemnité. Le bill 88 dit que dorénavant vous avez le droit
d'imposer des réserves moyennant indemnité, s'il y a des
dommages. On peut bien mettre cinq ans ou dix ans, ça ne me fait rien;
mais je pense que la solution est là. Si on comprend bien le principe du
tracé par lignes homologuées ou par réserves, pourvu qu'il
y ait indemnité, le problème se trouverait
réglé.
Quant à ce bill, je n'ai jamais compris que son but était
de régler les 12,000 cas en suspens. Le Barreau et moi avons compris que
ce bill était pour l'avenir. Alors nous disons: à l'avenir, ne
faites plus de choses comme ça, puis vivons avec les 12,000 cas que nous
avons. C'est ma conclusion. On ne veut plus que ça se fasse à
l'avenir; puis, quant aux réserves, aux lignes homologuées, tous
ceux qui ont eu des cas d'expropriation dans la ville de Montréal
notamment savent jusqu'à quel point ça peut avoir causé
des dommages, seulement pour une raison, c'est parce qu'on ne payait pas
d'indemnité.
Alors, avec le bill, on prévoit une indemnité quand il y a
des dommages. Alors quelle est l'utilité d'avoir un tracé
préliminaire, si on a, d'autre part, le droit de réserver pour
des années à venir les terrains dont on aura besoin? C'est
l'équivalent d'un tracé quant à moi, sans les
inconvénients. Je n'ai aucune objection, le Barreau n'a aucune objection
à ce que vous disiez. Nous réservons le tracé suivant qui
est une prochaine autoroute entre la ville de Trois-Rivières et
Montréal et voici le tracé probable. Et on réserve les
terrains à cette fin.
C'est parfait, vous l'avez votre tracé. Nous ne voulons plus de
tracé imposé indépendamment des réserves, par
surprise, sans qu'on sache qui ça affecte, jusqu'à quel point,
sans qu'on sache combien ça coûte. Nous pensons que le bill 88 a
été bien conçu de ce côté-là.
Si on accorde plus d'importance au système de réserve qui
est prévu dans ce bill-là, si on l'améliore un peu,
peut-être pour vous donner plus de pouvoirs, nous pensons que la
nécessité du tracé disparaît. Nous, personne ne nous
a démontré la nécessité du tracé contre les
arguments que nous apportons. Nous ne connaissons pas les arguments qui font
que le tracé est nécessaire, personne ne nous l'a jamais dit.
Tout ce que nous savons, c'est pour quelle raison ce n'est pas bon. Nous vous
disons pourquoi nous pensons que ce n'est pas bon mais j'aurais bien
aimé entendre quelqu'un m'expliquer pourquoi c'était
nécessaire d'avoir un tracé préliminaire, obligatoire.
Jamais personne ne l'a démontré. On me dit que ce matin l'Hydro a
fait un exposé qui était très bien à ce
sujet-là. C'est possible que l'Hydro ait des besoins particuliers, mais
cela deviendrait une exception qui confirmerait la règle. Nous pensons
qu'avec le principe des réserves le problème de l'Hydro, comme
celui de la voirie, serait réglé. La ville de Montréal,
dans le passé, a abondamment et je dirais presque à mauvais
escient utilisé le principe d'homologuer. Aujourd'hui, avec le bill 88,
cela ne nous fait plus rien parce que s'ils causent des dommages ils vont
être obligés de payer. C'est un outil extraordinaire, ce principe
de la réserve, si on sait s'en servir. C'est ce que je
prétends.
M. PINARD: Si vous enlevez au ministère de la Voirie, en vertu de
l'article 56, le pouvoir de déposer un plan général,
est-ce que vous ne croyez pas que cela va encourager la spéculation, qui
est déjà un fait bien connu et qui a pu coûter à la
province des sommes assez fantastiques?
M. PINARD (Pierre): La réserve, M. le ministre, répond
encore à cette question. Si le bien était réservé,
il ne pourrait plus y avoir de spéculation sur ce bien. Cela ne
coûte rien, pour le moment, au gouvernement d'imposer une réserve.
Je trouve cela bon. Cela garantit à l'individu qu'il va avoir une
indemnité s'il subit des dommages. Je trouve cela extraordinaire, cette
idée-là.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Je crois que Me Fafard a quelque chose
à ajouter.
M. FAFARD: C'était dans ce sens-là, M. le
Président.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Me Marquis.
M. MARQUIS: J'endosse, évidemment, toutes les remarques du
Barreau mais je voudrais attirer votre attention sur un point. Ce qui fait mal,
M. le ministre, ce n'est pas tellement le dépôt d'un plan
général. Je veux rejoindre une remarque que vous avez faite. Soit
cet après-midi, si M. le Président me le permet, ou demain, je
vais représenter le Bureau d'assainissement, où l'on
procède en vertu des lois de la voirie. Il n'y a pas
nécessairement contradiction entre le dépôt d'un plan
général ou l'autre. Mais où cela fait mal, c'est le
deuxième article, le paragraphe a) de 56. Lui fait mal, parce que vous
dites: Le ministère de la Voirie ou l'Hydro ou le Bureau
d'assainissement. Plus on est gros, plus on fait mal à
l'exproprié, moins on lui donne la chance de se reprendre. Plus il y a
de l'expropriation en volume, plus on les assomme. Vous excuserez la franchise
de mon langage, mais c'est cela. Si c'est une petite municipalité,
qu'elle a besoin d'un petit bout de chemin, elle ne fait pas mal au gars, on
dit: Elle va verser 100 p.c. de l'indemnité provisionnelle. Si c'est un
gros corps public qui en frappe 300 du coup, on dit: L'Etat n'a pas les moyens,
qu'il en donne seulement 50 p.c. C'est seulement cela qui fait mal. Ne vous
fatiguez pas, les règles d'exécution, les articles du code de
procédure civile qui pourraient nous permettre de saisir
l'indemnité après un jugement de la cour Supérieure ou de
la cour d'Appel ou de la cour Suprême ne s'appliquent pas à vos
ministères. Nous n'avons jamais été capables de vous
saisir, depuis 1960 que j'essaie! Je n'ai trouvé aucun moyen
d'exécution de jugement contre la couronne. Que vous soyez
condamnés par un juge de la cour Supérieure à payer 100
p.c. de l'indemnité provisionnelle ou 50 p.c, donnez donc au moins une
chance à l'exproprié d'avoir un jugement et une créance
pour aller convaincre son gérant de banque, si vous voulez bien
consentir à lui donner un taux d'intérêt normal, à
le financer, c'est-à-dire excusez-moi à financer le
gouvernement. C'est aussi simple que cela. C'est cela qui fait mal.
Ce qui fait mal, c'est le pauvre diable qui ferme son commerce, sa
boucherie, son épicerie, son salon de barbier et vous lui donnez 50 p.c.
de l'indemnité, quand vous voulez bien le lui donner parce que le
jugement n'est pas exécutoire. Vous dites au gars: Va à la
banque. Le gérant de la banque dit: Ecoute un peu. Des indemnités
d'expropriation on connaît cela. C'est payé quand on veut. Au
moins donnez-nous la chance que ce gars-là ait une créance dans
ses mains. Qu'il ait quelque chose pour repartir. Vous lui dites: Va-t-en, le
gouverne- ment n'a pas d'argent pour te payer, il t'avance seulement $0.50 dans
la piastre et va te débattre pour le reste. C'est là que cela
fait mal. Je vais vous faire des représentations au nom du Bureau
d'assainissement. Elles contredisent un peu celles du Barreau.
M. PINARD: Cela va disparaître. M. MARQUIS: Pardon?
M. PINARD: Cela va disparaître, la contradiction, parce que vous
plaidez bien.
M. MARQUIS: Je vais vous arranger cela. On a besoin du
dépôt général au Bureau d'assainissement. Je vais
consentir au nom de mes clients, le Bureau d'assainissement, si vous nous
passez l'indemnité provisionnelle, à la verser à 100 p.c.
même si on a des modes d'exécution contre nous. Je trouve que
c'est ce bout-là qui n'est pas équitable. Il n'est pas juste de
faire porter par l'exproprié ce que la couronne n'est pas capable de
payer. Ce n'est quand même pas le problème de Jos Bleau, le long
de la route, de financer l'Etat. Je comprends le problème de l'Etat,
mais Jos Bleau ne le comprend pas et le gérant de la caisse populaire ne
le comprend pas. C'est cela qui est difficile.
Je ne veux pas me dissocier du Barreau; le principe du
dépôt du plan général est parfait. Au niveau
pratique, je comprends parfaitement l'Hydro-Québec d'avoir fait ses
représentations. Je comprends parfaitement les officiers du
ministère de la Voirie qui sont chargés de l'exécution de
la loi au niveau de l'administration et qui disent: Cela nous prend absolument
cela. Je vais comprendre parfaitement cela pour le Bureau d'assainissement que
je représente. Cela me permet, si vous voulez, de comprendre cela.
M. PINARD: Vous préparez votre cause de demain.
M. MARQUIS: Presque. De toute façon, ce n'est pas là que
ça fait mal. Le dépôt général, qu'on en
dépose 300 ou 1 à la fois, ce qui fait mal, c'est de ne pas
reconnaître une indemnité ou de la reconnaître à 50
p.c. Ce qui fait mal, c'est de faire attendre un exproprié pendant deux
ou trois ans. Ce qui fait mal je vais me placer au point de vue de
l'exproprié et je vais exagérer un peu, je m'en excuse
c'est de le faire mettre à genoux pour aller chercher le reste de sa
galette. Cela arrive souvent, M. le ministre, de bonne foi ou de mauvaise
foi.
Il y a les lenteurs des tribunaux et l'exproprié attend ses $0.50
dans la piastre selon votre article 56. A un moment donné, il saute
dessus et il exige une quittance finale. Un tribunal, ça prend
quelquefois un an ou deux, pour un tas de raisons. Pour la galette, on le fait
mettre à genoux et ça, ça fait mal. J'ai vu gagner des
causes à quatre ou cinq fois l'offre. M. le
ministre, je ne veux pas faire de politique, mais ce n'est pas loin de
votre comté je n'ose pas dire dans votre comté et
c'est le syndic qui a touché l'indemnité. Cela faisait dur. Le
syndic a touché l'indemnité, pourquoi?
M. PAUL: Est-ce à cause du retard de la Voirie à
payer?
M. MARQUIS: A cause du manque d'acompte. Le gars s'est mis à
poser une série de faux gestes. On lui a dit : Déménage
ton restaurant. Il est parti et est allé voir un entrepreneur. Il a
dépensé $50,000 et il était pris de panique. Il y avait un
créancier hypothécaire qui lui poussait dans le dos. Les
corporations municipale et scolaire ne voulaient pas reconnaître que les
taxes étaient arrêtées et tout le monde lui poussait dans
le dos. Il avait une troisième hypothèque là-dessus. Il
venait de se bâtir de peine et de misère. Il avait investi une
centaine de mille dollars.
La Voirie, avec raison, contestait notre réclamation. Je ne
m'obstine pas là-dessus, c'était son droit. Ce n'était
cepandant pas avec raison car elle a eu tort dans le jugement. Elle
défendait les droits du gouvernement et disait que l'indemnité
réclamée n'avait pas de sens. Les créanciers
hypothécaires, à 10 p.c. et 12 p.c, ne nous laissaient pas la
paix. Mon gars a pris une décision. Il a engagé un autre
entrepreneur. Il a déménagé dans un mauvais endroit; il a
fait une très mauvaise affaire. Il a repris son restaurant, il est
revenu où il était. Il a dépensé $100,000, à
part les frais de finance, deux coups de $50,000 pour le déplacement.
L'offre de la Voirie, à cette époque, était de $100,000.
J'ai reçu le jugement de $225,000 et c'est une des plus belles causes
que j'ai jamais gagnée, mais c'est un syndic de Québec qui a
touché l'indemnité. C'est aussi simple que cela.
Mon gars, aujourd'hui, est cuisinier assistant, même pas premier
cuisinier dans un autre restaurant. Il avait une "business" en or. Un cas
d'exception?
M. PINARD: Non, ce n'est pas cela.
M. MARQUIS: Je ne veux pas vous ennuyer, M. le ministre.
M. PINARD: Je le connais bien, moi aussi, ce gars-là.
M. MARQUIS: Je pourrais vous en citer une partie de
l'après-midi.
M. PINARD: De mémoire, je pourrais vous donner le nom.
M. MARQUIS: D'accord.
M. PINARD: C'est le frère d'un autre.
M. MARQUIS: Oui. Je peux vous en citer une partie de
l'après-midi.
M. PAUL: Tous deux sont les fils de la même mère?
M. MARQUIS: II y a des opérateurs qui se sont retrouvés
épiciers-bouchers. Tous des gens dans le commerce.
M. GAGNON: Des propriétaires et d'autres individus, c'est vrai.
On pourrait en parler longtemps, je partage votre opinion.
M. MARQUIS: On pourrait en parler tout l'après-midi. J'ai pris un
cas facilement identifiable.
M. GAGNON: Ce sont les pouvoirs de la loi.
M. MARQUIS: Que la loi donne des pouvoirs, je suis pour cela, mais que
l'Etat se rende à ses obligations.
Vous savez, on part de l'article 407 du code de procédure civile,
qui n'était pas si bêtement rédigé. Il dit: "Nul
n'est tenu de céder sa propriété si ce n'est que pour fins
d'utilités publiques et moyennant juste et préalable
indemnité." Là, on en est rendu à des jugements non
exécutoires pour 50 p.c. de l'indemnité provisionnelle. On est
loin de là. Si on n'était pas si loin du code Napoléon,
peut-être que cela aurait plus de sens. C'est ce qui fait mal aux
expropriés.
M. GAGNON: Non, mais la Loi de l'expropriation avait été
amendée en 1964 ou 1965, je crois.
M. PINARD (Pierre): Pas dans cette optique, M. le
député.
M. GAGNON: Non, mais je me rappelle que M. Johnson avait fait une
critique dans le genre de celle de monsieur. Le ministre se donnait des
pouvoirs énormes. C'est incontestable. D'ailleurs, le rapport du
Protecteur du citoyen qui est sorti depuis deux mois, lisez-le donc! Vous allez
voir. Ce sont les officiers du gouvernement qui appliquent la loi, en vertu de
l'esprit de la loi. La loi est trop considérable et le Protecteur du
citoyen a été assez sévère envers le
ministère de la Voirie.
Allez voir en Gaspésie. Je peux donner des cas précis au
ministre. C'est épouvantable. On n'a pas fait de dépôt de
plans aux propriétaires. On a dit: On fera une élévation
de terrain. A 35 pieds de la propriété, on a élevé
des routes de 15 pieds au-dessus de la propriété. La
propriété du type ne vaut plus rien et le gouvernement ne veut
pas payer. J'ai dit à ce type: Voyez le Protecteur du citoyen. On a
envoyé un rapport sévère au ministère de la Voirie,
disant: Un instant!
M. PINARD: M. le Président, je soulève une question de
règlement. Je n'accuserai pas le député de faire ce qu'on
appelle de l'électoralisme, parce qu'il parle des cas de son
comté.
M. GAGNON: Un instant, M. le Président. Ce n'est pas de
l'électoralisme...
M. PINARD : II faudrait que le député regarde les
dispositions du bill no 88 qui vont mettre précisément fin
à cette situation.
M. PAUL: C'est le respect de la personne humaine.
M. PINARD: En cas d'exhaussement de terrain, il va y avoir une
indemnité qui va être prévue, qui ne l'était pas en
vertu des dispositions de la Loi de la voirie. Les fameux articles 25 et 97 b).
Si le député avait lu son projet de loi, il verrait qu'il ne peut
pas critiquer le projet de loi comme tel.
M.GAGNON: Non, mais le monsieur a dit tout à l'heure de
déposer les plans...
M. PINARD: II parle d'une situation passée par rapport au projet
de loi no 88.
M. GAGNON: Je l'ai lu et le ministre s'empresse évidemment
d'apporter une correction à la suite des demandes du Protecteur du
citoyen. Mais ce que je veux dire, c'est que, quand M. Pierre Pinard a
dit...
M. PINARD: Donc, il n'y a pas eu d'amendement à la loi, comme
vous l'avez dit, en 1964.
M. GAGNON: ... de déposer des plans, des copies de plans à
chaque propriétaire qui va être exproprié, je trouve cela
merveilleux. Je crois que vous allez éviter des problèmes qui
sont causés au ministère de la Voirie parce que vous ne l'avez
pas fait. Les problèmes sont peut-être plus gros que si vous
l'aviez fait, en déposant à chaque propriétaire un projet
de plan, la grandeur du terrain qui sera prise, l'élévation du
terrain et l'indemnité. Je crois que cela résoudrait des
problèmes énormes.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous allons entendre, si vous voulez, la
voix sage du député d'Abitibi-Ouest qui a demandé la
parole depuis un certain temps.
M. AUDET: Merci, M. le Président. Si je comprends bien,
après tous ces pourparlers, ce qui fait réellement mal aux
citoyens, c'est de ne pas être payé.
M. PINARD (Pierre): C'est ça. Une expropriation bien faite...
J'en fais pour le Bureau d'assainissement. J'ai 226 causes
réglées. On n'a pas fait de cadeau. Nous prétendons avoir
payé une juste et valable indemnité et nous n'avons pas une cause
de plaidée. Je suis convaincu que nous n'avons pas fait de cadeau.
M. AUDET: D'après ce que le ministre a dit tout à l'heure,
je crois que le fait de ne pas payer à temps, c'est plus à cause
du manque d'argent que du fait que la procédure est trop longue. Ne
concluez pas trop vite, ce n'est pas ce que je veux dire du tout. Tout à
l'heure, le ministre a dit lui-même qu'il s'était formé une
réserve, à l'insu de la loi probablement je ne suis pas au
courant mais vous aviez trouvé cela bien pratique pour payer des
cas qui nécessitaient d'être payés
immédiatement.
Ne serait-il pas possible de légaliser une façon de se
faire certaines réserves, afin d'avancer les paiements ou les retarder
le moins possible? Puisque c'est un cas de budget.
M. PINARD (Pierre): C'est payable à même le fonds
consolidé. C'est prévu dans la loi. Les indemnités
d'expropriation sont payables à même le fonds consolidé.
Temporairement. Si c'est pour coûter $50 millions et vous mettre à
jour sur 100 p.c. de l'indemnité provisionnelle, allez dans le fonds
consolidé et après, vous reviendrez dans le budget.
M. PAUL: La loi parle pour l'année 73/74, à l'article 127
de la loi...
M. PINARD (Pierre): Oui, mais les indemnités d'expropriation, en
vertu de la Loi de la voirie, sont payables à même le fonds
consolidé.
M. PAUL: Ah! Très bien.
M. PINARD (Pierre): C'est un grand mot qui a toujours voulu dire quelque
chose, mais qui n'a jamais servi pour ça, blague à part.
M. PINARD: C'est à même des allocations données
à chacun des ministères, une fois fait, le partage des budgets M.
Marquis. Vous avez une somme globale à être divisée entre
tant de ministères annuellement après une planification
budgétaire. C'est clair que le ministre de la Voirie demande toujours
beaucoup plus d'argent, et c'est toujours jugé un peu
déraisonnable ce qu'il demande.
M. MARQUIS: Alors l'expression "payable à même le fonds
consolidé" se confond avec "payable à même le budget du
ministère de la Voirie".
M. PINARD: Le fonds consolidé, c'est ce qu'on appelle le budget
général de la province, mais une fois qu'il est divisé
entre 24 ministères, vous avez chacun une tranche du budget.
M. MARQUIS: Et vous n'avez pas le droit de le défoncer et de
demander un douzième supplémentaire.
M. PINARD: Et chaque année le budget de la Voirie augmente
très sensiblement par rapport au budget des autres ministères,
sauf dans le cas du ministère des Affaires sociales et du
ministère de l'Education où il y a eu quand
même réduction sensible du budget afin d'accorder plus de
crédits en immobilisation, pour permettre au ministère de la
Voirie de rattraper les retards dans le domaine de l'expropriation, entre
autres. Mais ce n'est jamais suffisant pour en arriver à la situation
idéale que vous avez décrite tantôt où vous dites
que 50 p.c, c'est beaucoup mieux qu'autrefois puisqu'on ne l'avait même
pas, et que le ministère n'avait aucune obligation légale de
déposer les offres équivalant à 50 p.c. de la valeur. On
l'a fait simplement par une modification de notre procédure interne,
sans attendre la réforme législative.
M. MARQUIS: D'accord.
M. PINARD: Mais vous dites que ce n'est pas suffisant. Si c'est 100 p.c,
i faut calculer combien ça coûte annuellement. Ou bien
j'anéantis complètement mon programme de construction pour en
venir à payer tous les dossiers qui sont en suspens, quitte à
repartir avec un budget beaucoup plus considérable à une
époque donnée, je ne sais pas laquelle, et avec des nouvelles
prévisions budgétaires qui seront incorporées dans la
réforme de l'expropriation.
M. MARQUIS : Je ne veux pas engager un débat, M. le Ministre,
mais depuis quelques années vous avez versé dans un grand nombre
de dossiers des acomptes basés sur sensiblement l'évaluation
municipale ou 75 p.c. de l'indemnité offerte. Ce sont des cas
fréquents. Honnêtement, aller faire disparaître l'article 56
a), si les chiffres étaient vraiment tablés, des dossiers pour
lesquels vous avez des acomptes de versés déjà librement,
comme vous dites, parce que le ministère n'avait aucune espèce
d'obligation légale, ça s'est fait, et ça s'est fait, moi
du moins, je suis obligé de le dire, dans le cas de la majorité
des dossiers que j'ai à mon bureau. Je ne sais pas ailleurs, mais je
sais qu'il y a un grand nombre de dossiers pour lesquels cela s'est fait: soit
l'évaluation municipale, soit 75 p.c. de l'indemnité offerte. Je
ne pense pas que le trou que vous prévoyez pour faire le saut de 50 p.c.
à 100 p.c. soit si gros que ça, parce qu'à 50 p.c. ainsi
de l'évaluation municipale ou de l'indemnité provisionnelle, vous
allez avoir des notes de crédit. Je vais vous citer des cas
d'édifices sur Dufferin où on a eu la totalité de
l'évaluation municipale. Si je prends l'article 56 tel que
rédigé, je vais vous envoyer une note de crédit, M. le
ministre, dans ce cas-là. Ce sont des faits, ce n'est pas si gros que
cela cette affaire-là. Mais le principe serait sauvé et on ne
ferait pas porter à un individu les déficits de l'Etat. C'est
ça qui est malsain. C'est contre ça surtout qu'on en a. Ce sont
les conséquences.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: M. le Président, je crois que le grand malaise
fondamental et inévitable, c'est que, chaque année, le
gouvernement présente un budget déficitaire, et cela se
répercute d'année en année. Ces budgets doivent être
comblés par des emprunts qu'on ne remboursera jamais mais sur lesquels
on va toujours payer de l'intérêt. C'est clair, c'est vrai.
M. PAUL: Quelle est votre solution?
M. AUDET: Vous la savez. Ce serait beaucoup trop long à
expliquer.
M.PAUL: Je ne vous demande pas de l'expliquer, je vous demande juste de
nous la signaler une fois de plus.
M. AUDET: J'aurais une autre question, M. le Président.
M. PINARD (Pierre): La raison pour laquelle le Barreau pense que le
tracé déposé à l'avance doit être
abandonné, c'est précisément ça. On n'a
peut-être pas été assez clair, tout à l'heure, quand
on a dit que ce qui fait mal, c'est que l'individu ne se fait pas payer. Il ne
se fait pas payer, pas parce que les gens de la Voirie ne veulent pas, mais
parce qu'ils n'ont pas les disponibilités, il n'y a plus d'argent dans
le budget. Nous disons: II n'y a plus d'argent dans le budget parce que
l'autoroute qui, au point de vue de l'expropriation, devait coûter $100
millions, coûte $300 millions. Nous disons que c'est ça qui va
arriver chaque fois et tant et aussi longtemps que vous allez conserver le
tracé, parce que quand vous déposez un tracé, vous
n'êtes pas en mesure de dire combien cela va coûter, ce qui veut
dire que vous allez perpétuer à l'infini et pendant
l'éternité ce système tant que vous allez le conserver. Je
suis d'accord avec Me Marquis sur le point que c'est de ne pas se faire payer
qui fait mal.
Mais pourquoi les gens ne se font-ils pas payer? Ce n'est sûrement
pas parce que le gouvernement ne veut pas. C'est qu'il n'a pas les moyens. S'il
n'a pas les moyens, c'est que les expropriations coûtent plus cher que
prévu. Si elles coûtent plus cher que prévu, c'est qu'on ne
l'avait pas prévu. Si on ne l'avait pas prévu, c'est qu'on a
procédé par un tracé qui ne dit pas combien cela
coûte. Donc, conclusion: tant que vous aurez le tracé, vous allez
défoncer vos budgets; les gars ne seront pas payés et ils vont
attendre.
Même si vous disiez: On va payer 125 p.c. à l'article 56
b), vous ne les paierez pas plus que vous ne payez les 75 p.c. ou 50 p.c.
à temps parce que l'argent n'est pas là. L'argent n'est pas
là parce que, dès la première moitié des
règlements de causes, les budgets se trouvent défoncés. Je
pense que c'est le vice du système. Le tracé, c'est une
procédure facile. C'est facile de dire: On passe là. Combien cela
coûtera-t-il à peu près? Mais l'a peu près conduit
à tout coup à un budget défoncé, sans mauvaise foi
de la part de qui que ce soit.
Nous sommes conscients que le gouvernement veut payer les gens qu'il
affecte. Pourquoi ne les paie-t-il pas? C'est toujours la même histoire.
C'est que cela coûte plus cher que prévu. Il y a plus de cas que
prévu et ceux qui étaient prévus coûtent beaucoup
plus cher qu'on ne l'avait dit. Alors, tant qu'on endurera le tracé, on
se trouvera... En somme, pourquoi vivre plus haut que ses moyens? Ce n'est pas
à moi de faire de la politique. Le Barreau se dit: Nous ne ferons pas de
politique, mais nous voudrions avoir un mécanisme qui empêche
cela. Le mécanisme, c'est d'ôter le tracé. Vous avez la
procédure des réserves, là-dedans. On pense que la
solution au problème des prévisions de tracés, à
long et à court termes, se trouve dans les réserves. Si vous
appliquez bien vos réserves, vous n'aurez plus besoin de recourir
à des tracés surprises. Dès que vous arrêterez de
recourir à des tracés surprises, vous arrêterez de
défoncer les budgets, parce que vous saurez d'avance à peu de
choses près ce que cela coûtera.
C'est la seule raison pour laquelle nous nous opposons aux
tracés. Ce n'est pas parce qu'administrativement ce n'est pas bon. C'est
très bon. C'est l'affaire la plus efficace. C'est le blitzkrieg, c'est
la taxe surprise. Avec un tracé surprise, vous ne manquez jamais votre
coup. A tout coup, vous défoncez votre budget, cependant. C'est
seulement pour cela que nous sommes contre.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: Dans un autre ordre d'idées, pour faire en sorte que
tout ne s'éternise pas au niveau du tribunal d'expropriation, qu'il ne
se forme pas de listes d'attente de dossiers devant le tribunal,
accepteriez-vous que les cas d'entente à l'amiable puissent se faire
sans obligatoirement passer devant le tribunal?
M. PINARD (Pierre): En pratique, M. le Président, je pense que
c'est un peu ce qui se fait, c'est-à-dire que les causes sont
réglées. Celles qui ne sont pas réglées vont
à la Régie des services publics, actuellement, ou iront devant le
tribunal d'expropriation.
M. AUDET: Avec le bill 88, ce ne serait pas cela.
M. PINARD (Pierre): Nous disons qu'il ne devrait pas y avoir de longues
listes d'attente. La liste d'attente ne devrait pas durer longtemps. Cela
devrait venir rapidement à terme, si vous nommez un nombre suffisant de
gens compétents à ce tribunal. Nous prétendons qu'avec six
divisions de deux membres pour la région de Montréal et deux de
deux membres pour la région de Québec, le problème devrait
être sous contrôle. C'est ce que nous pensons, en nous basant sur
les statistiques actuelles de la
Régie des services publics, celles que nous possédons
nous-mêmes au Barreau. Je pense bien que la grande majorité des
causes sont réglées, de sorte que la régie n'absorbe que
le résidu, les 10 p.c. ou je ne sais combien qui ne se règlent
pas. Mais il y en a quand même un très grand nombre.
Telle que constituée, actuellement, la régie ne peut pas
suffire. C'est clair. Nous disons: Six divisions de deux, à
Montréal, avec possibilité de siéger à trois, s'ils
le veulent cela les regarde et deux de deux, à
Québec, devraient suffire. Il ne faut quand même pas créer
un tribunal trop gros, non plus. Nous pensons que seize membres,
répartis de la façon que nous le suggérons, devraient
normalement empêcher qu'un citoyen n'attende six mois, neuf mois ou un an
avant que sa cause puisse passer. Peut-être que, dans la première
ou deuxième année, à cause de l'accumulation des causes
déjà pendantes, cela prendra un petit peu de temps, mais nous
croyons que cela se régularisera sur une période d'un an ou deux,
si le tribunal est constitué un peu de la façon dont nous le
suggérons.
Nous pensons que l'obligation de siéger à trois, ce n'est
pas mauvais. Ce peut même être excellent dans certains cas. Mais
nous pensons qu'on peut faire plus de divisions avec deux membres qu'avec trois
membres.
M. AUDET: Croyez-vous que c'est nécessaire que tous les cas,
à 100 p.c, passent devant le tribunal?
M. PINARD (Pierre): Non.
M. MARQUIS: II faut s'entendre. Si l'exproprié n'est pas
satisfait de l'offre d'indemnité, la seule arme qu'il a pour faire
modifier son offre, c'est d'être devant le tribunal pour faire avancer sa
date d'enquête ou d'audition. N'enlevez jamais ce droit à un
contribuable exproprié. Je pense que ce serait atroce si on disait qu'on
enlève le recours aux tribunaux en expropriation. C'est la seule arme
qu'a l'individu. L'arme ne s'exerce pas simplement le matin de l'audition de la
cause.
M. AUDET: Mais s'il y a une entente à l'amiable, ce n'est pas
nécessaire d'aller au tribunal.
M. MARQUIS: II n'y a pas besoin d'aller en cour, comme pour un accident
d'automobile.
M. PINARD : La plupart se règlent à l'amiable.
M. MARQUIS: La plupart, mais n'enlevez jamais cette arme à
quelque citoyen que ce soit, exproprié ou pas. C'est la seule arme que
nous ayons.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de l'Assomption.
M. PERREAULT: Me Pinard, je crois que vous vous acharnez sur le plan
général d'un tracé, et de ce qui a été dit,
on peut comprendre que c'est plutôt le financement qui est en cause,
parce qu'aujourd'hui, avec le bill 48, sur l'évaluation foncière
on peut déterminer la valeur globale d'un tracé assez facilement,
car, dans toutes les municipalités, en vertu du bill 48, les terrains et
les édifices sont évalués à la valeur
réelle.
Il y a à ajouter un facteur de plus-value, si on veut. On peut
déterminer facilement je l'ai fait comme maire
précédemment en vertu des jugements de la régie,
établir combien va coûter un tracé. Ce n'est pas difficile
à faire. Le problème est d'avoir l'argent en réserve pour
le tracé. C'est un autre problème. Mais déterminer combien
coûte le tracé...
Parce que le tracé est un outil tout simplement et ça
évite la spéculation d'avoir un tracé d'avance. C'est
là qu'est le jeu de la spéculation.
M. MARQUIS: Je pense que l'évaluation municipale, si elle est
bien faite et ça reste à voir ne vous donnera quand
même pas le montant des dommages qui sont souvent beaucoup plus
considérables que la valeur même de la
propriété.
M. PERREAULT: C'est bien évident, mais comme premier versement,
j'ai fait plusieurs expropriations quand j'étais maire et le facteur de
conversion d'évaluation municipale...
M. PAUL: II paraît que cela coûtait très cher.
M. PERREAULT: Oui, ça coûtait très cher pour de
petites causes. J'en parlerai dans ma deuxième question tout à
l'heure. Ce que je voulais dire, c'est que le facteur moyen était
à peu près à 1.45 p.c. de l'évaluation municipale
dans ce temps-là. C'est facile à établir à ce
moment-là.
M. PINARD (Pierre): Radio-Canada à Montréal a
coûté 2.5 fois l'évaluation municipale.
M. PERREAULT: Oui, parce que l'évaluation municipale
n'était pas exacte.
M. PINARD (Pierre): Elle était à 85 p.c, de l'avis de M.
Godin, de la valeur réelle de la propriété.
M. PERREAULT: Oui, mais il y a maintenant une loi sur
l'évaluation municipale avec manuel d'évaluation. Je ne sais pas
si vous avez pris connaissance du bill 48, mais...
M. PAUL: Voulez-vous me dire où est appliqué le bill
48?
M. PERREAULT: II va être appliqué. Il est
sanctionné.
M. PAUL: Un instant. On ne l'a appliqué encore nulle part.
M. PERREAULT: Deuxième question, est-ce qu'il n'y aurait pas
possibilité, d'une manière similaire au tribunal de petites
créances, de créer à l'intérieur du tribunal
d'expropriation une section pour les petits montants d'expropriation, pour
éviter le tralala judiciaire et les frais encourus?
M. PAUL: Ainsi, les ingénieurs ne pourront jamais être
nommés arbitres ou experts.
M. PERREAULT: C'est la question que je vous pose. Ne voyez-vous pas la
possibilité qu'il puisse y avoir une section?
MME AUDETTE-FILION: Je crois qu'il n'y a aucun tribunal où une
partie ne peut pas se présenter elle-même, si elle le
désire.
M. PERREAULT: Je vous demande pardon, parce qu'on m'a refusé
déjà de comparaître à la Régie des eaux. Il a
fallu que j'aille chercher un avocat, pour moi-même.
M. PINARD (Pierre): Chose certaine, c'est que la majorité des
frais frais légaux ou d'expertise sont remboursés
et sont taxables contre la couronne. Les frais, d'après moi, ne posent
pas de problèmes s'ils sont taxables contre la couronne. Et comme
actuellement la majeure partie, pour ne pas dire la totalité des frais
d'expertise, sont remboursés par la couronne, suivant jugement, ainsi
que le mémoire de frais de l'avocat, il n'y a pas trop de
problèmes de ce côté-là.
Si le ministère de la Voirie et la ville de Montréal
prennent la peine de se munir d'un service juridique et d'experts pour faire
leurs causes, je trouve que le citoyen lui aussi devra avoir ce droit
élémentaire d'en avoir lui aussi, si ça lui tente, un
avocat ou un expert pour ne pas être dans une position
défavorable.
Je n'ai jamais vu jusqu'à maintenant un corps public qui ne se
faisait pas représenter par des batteries d'avocats et des batteries
d'évalua-teurs dans les causes d'expropriation. Pourquoi le simple
citoyen n'aurait-il pas ce droit? La question qui se pose c'est: Qui va payer
les frais? Si les frais sont payables par la couronne, il n'y a pas de
problème.
M. PERREAULT: S'ils sont payés par la couronne et si une partie
est payable par l'exproprié, ce sont des frais additionnels qu'il doit
payer.
M. MARQUIS: Monsieur, il faudra s'entendre sur ce que vous appelez frais
additionnels qu'il doit payer. Je travail à 10 p.c. sur la
différence et j'ai dit que la journée où je ne serais plus
capable de faire mes frais j'arrêterais de pratiquer sur cette base.
M. PERREAULT: Ce n'est pas la pratique de tous les avocats.
M. MARQUIS: En expropriation, monsieur, ça l'est.
M. PINARD (Pierre): C'est le tarif officiel du Barreau.
M. MARQUIS: C'est le tarif officiel du Barreau. Je ne prétends
pas que ce sont des frais additionnels; si on n'est pas capable de justifier
ses honoraires dans cette ligne, on n'en fait pas longtemps. Je parle en mon
nom personnel et au nom du Barreau.
C'est une des lignes dans lesquelles l'avocat, avec le tarif
recommandé par le Barreau, 10 p.c. de la différence entre l'offre
et le montant obtenu, gagne sa vie. Et tous les cents de 10 p.c!
M. PERREAULT: Je reviens à cette question, prenons le
témoignage de l'Hydro-Québec, lorsqu'il y a des centaines de
parties de lots et qu'on doive avoir tout le tralala judiciaire alentour de
chaque partie expropriée, c'est là où ça prend du
temps. Si on pouvait régler de manière plus simple ces
cas-là, on aurait plus de chances que les gens n'en souffrent pas.
M. MARQUIS: Je ne pense pas qu'il soit question pour l'Etat, en plus de
ne verser que 50 p.c. je tiens ça pour acquis de
l'indemnité provisionnelle, de dire aux expropriés: Vous allez
faire face à toute notre batterie d'avocats et d'experts sans avoir,
vous autres, la permission de venir établir cela. On est quand
même en droit immobilier, ce n'est pas un chèque sans provision de
$10, cette affaire-là. Le gars, c'est son bien que vous attaquez en
expropriation, ce n'est pas un chèque qu'il a donné la veille, ce
n'est pas une petite créance. Vous vous attaquez au droit immobilier,
n'allons pas trop loin!
M. PAUL: Me Marquis, pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage des
causes d'expropriation qui vont nécessairement devant la
régie?
M. MARQUIS: Un minime pourcentage.
M.PAUL: De quel ordre, 3 p.c, 4 p.c. 5 p.c?
M. MARQUIS: On n'a pas fait de statistiques mais ce n'est certainement
pas 10 p.c, quoi, 5 p.c C'est un ordre de grandeur mais il faut vous dire que
c'est à même ces causes qui atteignent la régie, que l'on
plaide en cour d'Appel, en cour Suprême, qu'on va régler dix,
quinze, vingt, trente cas d'expropriation.
M.PAUL: C'est ça.
M. MARQUIS: C'est ça l'idée du tribunal, c'est ça
l'idée de l'affaire. C'est en faisant inscrire ses causes à un
moment donné que l'on réussit à négocier des
indemnités valables, c'est élémentaire en droit. S'il
fallait que tous les accidents d'automobile se plaident, s'il fallait que
toutes les réclamations présentées devant les tribunaux se
plaident, mes confrères qui sont députés ici le savent, on
n'aurait même pas le temps d'être avocat, on serait juge tout le
monde en partant. Il n'y aurait pas de rouages pour suffire à cela. Mais
il y a l'impact du tribunal comme poste de confiance pour un contribuable qui
dit: Je vais aller en cour, "I'll see you in court" suivant l'expression
anglaise. Les contribuables se plaignent des délais des tribunaux; ce
n'est pas mauvais qu'il y ait un certain délai après la prise
d'action, la date d'expropriation je ne parle pas d'un délai
exagéré.
Mais s'il fallait que toute les causes d'accidents d'automobile ou
toutes les chicanes, tous les procès de bornage se plaident
forcément le lendemain que l'action est prise, vous ne seriez jamais
capable de bâtir des palais de justice assez grands.
M. PAUL: Cinq ans de retard.
M. MARQUIS: II y a une époque de négociation, vous savez,
nous restons des Canadiens français, des latins, c'est normal. Dans la
Beau-ce, on me dit que ça dure un petit peu plus longtemps cette
époque-là qu'ailleurs, ça aboutit moins souvent à
des règlements. Il y a la mentalité mais c'est nécessaire.
N'enlevez jamais cela aux individus et surtout aux expropriés, je pense
que c'est élémentaire. Je pense bien que ce n'est pas l'intention
du gouvernement de faire cela.
M. GAGNON: Si on vous a bien compris, Me Pinard et Me Marquis, ce sont
deux points importants que vous débattez: Premièrement, quand le
gouvernement fait de l'expropriation, qu'il paie dans des délais
raisonnables pour éviter qu'un type se finance à même une
institution financière à un taux d'intérêt de 10
p.c. et 12 p.c. et que le gouvernement applique son taux légal. Et, en
second lieu, que le bill 88 soit beaucoup plus inspiré de la loi
fédérale de l'expropriation, de façon à donner
peut-être plus de justice à l'exproprié.
M. MARQUIS: Pas de la totalité de la loi fédérale
de l'expropriation, si vous me permettez. Ils n'ont pas fait que des beaux
coups; j'aime mieux votre bill 88 dans l'ensemble, personnellement. Au Barreau,
nous n'avons pas vraiment fait une étude comparative des deux lois, ce
n'est pas notre rôle. Mais, dans ce sens, aller s'inspirer de la loi
fédérale, non!
Si vous me demandez sur le champ mon opinion, vous avez là un
outil grandement amélioré...
UNE VOIX: Le Barreau est d'accord là-dessus.
M.GAGNON: Mais ce dont M. Pinard a parlé tout à l'heure,
savoir que le gouvernement fédéral avait dans sa loi des
éléments qui le rendait presque toujours coupable face à
une critique... Je ne sais pas trop si j'ai bien saisi.
M. PINARD (Pierre): J'ai dit que dans la loi fédérale, et
dans la loi provinciale de l'Ontario, le gouvernement avait renoncé au
pouvoir qu'il avait auparavant, soit, justement, de déposer des
tracés préliminaires, et qu'il avait multiplié
peut-être trop les procédures qui permettaient à un citoyen
de contester soit le bien-fondé du tracé, soit le montant,
etc.
M. GAGNON: D'accord.
M. PINARD (Pierre): II y a beaucoup de lacunes dans la loi
fédérale parce que, notamment, on laisse assez peu de place au
juge pour décider de l'indemnité. C'est un catalogue qu'on lui
donne avec lequel il fixe des montants presque automatiquement. Mais du
côté de la protection accordée à l'exproprié
pour éviter des abus criants ou flagrants, ces deux lois ont
multiplié des mécanismes pour empêcher ça, notamment
elles ont fait disparaître le fameux tracé dont il a
été question beaucoup cet après-midi et, également,
elles ont prévu que des indemnités provisoires égales
à l'offre, enfin... On ne demande pas au gouvernement d'aller aussi
loin. Comme Me Marquis disait, on est très satisfait du bill 88 et c'est
pour ça qu'on a insisté seulement sur l'aspect qui,
d'après nous, demeurait en retard sur ce qui se faisait ailleurs.
On a simplement dit: Si ça peut se faire au ministère de
la Voirie de l'Ontario, si ça peut se faire au ministère des
Transports fédéral, pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire ici
aussi, sans aller dans les multiplications de légalismes qu'on a
introduits dans la loi fédérale et dans la loi de l'Ontario ou on
y perd son latin quelquefois?
MME AUDETTE-FILION: Ce qui plaît dans le projet de loi, c'est
qu'il est fidèle à la philosophie et à la procédure
générale qui était la nôtre dans le code de
procédure civile. Il reste aussi fidèle au principe de soumettre
la solution des litiges au judiciaire et à un tribunal ou à un
organisme présidé par un juge, par le judiciaire. Et cela est
très important.
LE PRESIDENT (M. Leduc): Alors Me Filion, Me Pinard, Me Fafard et Me
Marquis, les membres de la commission vous remercient de votre collaboration et
de vos suggestions.
J'inviterais maintenant M. Fernand Dostie, le président du Bureau
des expropriations de Montréal.
MME AUDETTE-FILION: Merci de nous avoir entendus.
M. PAUL: M. le Président, avant que Me
Marquis nous quitte, il a mentionné tout à l'heure qu'il
avait l'intention de présenter un mémoire demain, alors dois-je
comprendre que M. Marquis va se faire entendre?
M. PINARD: Bien j'ai remarqué que demain, la
société... comment l'appelez-vous votre cliente?
M. MARQUIS: Voici ce qui est arrivé...
M. PINARD: Elle n'est pas inscrite comme étant...
M. MARQUIS: Les trois corps que je représente relèvent
assez directement du ministère des Affaires municipales qui ont
contacté le sous-ministre des Affaires municipales pour faire certaines
représentations. Quant à moi, j'étais mandaté pour
ça et, cet après-midi, c'est par hasard que j'apprends que la
commission siège. Les remarques que j'ai à faire dureront trois
minutes, sur un point précis. Si vous ne m'arrêtez pas je vais
avoir le temps de les dire.
M. PAUL: Je comprends que les mémoires ont été
dirigés au ministère des Affaires municipales.
M. MARQUIS: Verbalement, le ministère des Affaires municipales a
dit qu'il s'en occupait. Et j'apprends aujourd'hui, par hasard, que la
commission siège.
M. PINARD: Oui, mais est-ce que les cas que vous avez à soumettre
éventuellement vont être réglés par le
ministère de la Voirie ou par le ministère des Affaires
municipales?
M. MARQUIS: Bien, le sous-ministre des Affaires municipales...
M. PINARD: A quelle instance vous adressez-vous pour avoir la solution
à vos problèmes?
M. MARQUIS: C'est parce qu'un article de la loi a pour effet de faire
perdre à la Commission de transport de l'Outaouais, et à la
Commission de transport de Québec, ses pouvoirs d'expropriation, et un
autre article a pour effet de faire perdre au Bureau d'assainissement des
privilèges et avantages du ministère de la Voirie puis de
l'envoyer sous la Loi des cités et villes. C'est un cas, le dernier, que
vous devez comprendre.
M. PINARD: Oui, mais c'est parce que vous nous demandez le droit de vous
laisser faire indirectement ce que vous ne pouvez pas faire directement.
M. MARQUIS: Je ne saisis pas.
M. PINARD: Bien oui, il y a eu des lois constitutives des
communautés urbaines de
Québec, de Montréal, et de l'Outaouais. Elles ont obtenu
certains pouvoirs.
M. MARQUIS: Oui.
M. PINARD: II y a eu des amendements qui ont été
apportés à ces lois-là lorsqu'il y a eu adoption du bill
23, Loi des transports. Vous n'êtes quand même pas pour nous
demander d'amender la loi 23 par le biais du bill 88.
M. MARQUIS: M. le ministre, je m'excuse, mais par cette loi-là
je vais être très clair vous m'enlevez le pouvoir
d'exproprier des autobus. Comment vais-je pouvoir continuer, dans la Commission
de transport de Québec et dans la Commission de transport de
l'Outaouais, à exproprier des autobus? Vous dites ici que les meubles ne
sont expropriables que s'ils sont des accessoires des immeubles. Or, moi,
complètement à l'inverse, j'ai des compagnies d'autobus dans
lesquelles il n'y a aucun immeuble. Au début de ce chapitre-là,
vous dites que cela amende toutes les lois inconciliables. Je n'ai plus de
pouvoirs à la Commission de transport de Québec pour exproprier
les autobus et je n'ai plus de pouvoirs à Hull pour exproprier les
autobus. Je ne représente pas Laval, ni la Rive-Sud, mais c'est le
même cas.
M. PAUL: Me Marquis, croyez-vous que dix minutes seraient...
M. MARQUIS: J'ai fini, je vous l'ai dit, si vous ne m'arrêtez
pas.
M. PAUL: J'y ai bien pensé, mais... C'est un problème.
M. PINARD: Me Marquis, voulez-vous me remettre votre mémoire?
M. MARQUIS: Si vous voulez, je vais retourner à mon bureau et je
vais vous faire cela proprement. Je parle vite...
M. PINARD (Bernard): II ne faudrait pas être injuste envers ceux
qui ont été convoqués. Aucune de vos clientes n'a
été convoquée pour audition demain. Alors, je ne pourrais
pas, en toute franchise, vous laisser venir devant la commission. Envoyez-moi
votre texte et nous allons l'étudier.
M. MARQUIS: D'accord. Merci.
M. PAUL: M. le Président, j'aimerais bien que le texte de M.
Marquis soit inscrit au journal des Débats.
M. PINARD (Bernard): D'accord, pas d'objection.
LE PRESIDENT: Merci, Me Marquis. M. Dostie.
Bureau des expropriations de Montréal
M. DOSTIE: M. le Président, messieurs les membres de la
commission, je vous remercie du privilège qui m'est accordé de
venir devant vous pour parler d'expropriation. Depuis ce matin, j'ai
assisté à toutes les séances. Nous avons entendu parler
jusqu'à maintenant de questions juridiques exclusivement, ce qui est
tout à fait normal lorsqu'on parle d'une loi, mais je crois qu'il y a un
aspect très important dans le domaine des expropriations dont il faut
tenir compte, c'est que c'est, tout d'abord, un problème de valeur de
terrains, de valeur de bâtisses, de dommages causés à
l'exproprié, ce qui implique beaucoup de choses.
Voici un historique très court du Bureau des expropriations de
Montréal qui a toujours semblé un point d'interrogation pour bien
du monde. On l'a pris, bien souvent, pour un sous-service de l'Hôtel de
ville de Montréal; d'autres ont demandé si ce n'était pas
une petite cour qui ramassait la monnaie qui était laissée par
les autres régies pour qu'on règle certains problèmes. Le
Bureau des expropriations de Montréal est un organisme, un tribunal
administratif qui avait plutôt le rôle d'un tribunal de
première instance dans le domaine des expropriations qui était
régi par la charte de la ville de Montréal. De par les causes
qu'il a entendues durant les dix dernières années, nous pouvons
affirmer sans crainte de nous tromper que c'est le tribunal le plus important
du genre au Canada, tant par le nombre et l'importance des causes. En effet, on
ne touche pas à une expropriation à Montréal sans
déplacer une maison et une maison de $10,000 à Montréal,
ce n'est rien. Lorsqu'on touche à l'élargissement de rues ou
à d'autres expropriations de cette nature, on touche à des
commerces. Par conséquent, on parle de finances, de déplacements,
de pertes. Ce n'est pas exclusivement une question juridique.
Je me base sur notre expérience et je parle avec beaucoup d'aise
du Bureau des expropriations de Montréal, parce que je parle avec toute
l'ardeur d'un jeune qui se prépare à prendre sa retraite. J'en
parle avec beaucoup d'aise aussi, parce que nous avons entendu à peu
près toutes sortes de causes, comme on n'en a pas vu souvent ailleurs.
Les avocats qui sont passés ce matin sont passés presque
régulièrement devant notre bureau parce que ce sont des experts
dans ce domaine.
La moyenne pour régler des causes au Bureau des expropriations se
situe à trois mois. Je ne connais pas personnellement une seule cause
sur les quelque 20,000 que nous avons entendues qui ait duré plus de six
mois. Ma conception d'un tribunal efficace, si vous voulez avoir mon opinion et
l'opinion de mes collègues, c'est, tout d'abord, un avocat, parce qu'il
faut regarder des textes de loi, il faut interpréter certains contrats.
Il faut également un estimateur, une personne qui connaît la
valeur d'un terrain, d'une bâtisse, un gars qui a fait des
études spécialisées là-dedans ou un administrateur
chevronné. N'oubliez pas, de grâce, messieurs, un comptable
agréé parce que, dans la majorité des expropriations, il
s'agit d'étudier des bilans financiers, des pertes de commerce et des
expertises qui ne se rapportent qu'à des chiffres. Il y a un aspect
humain. L'être humain, lorsqu'il est déplacé, est perdu
devant la masse juridique; il faut éviter cela le plus possible.
Si notre tribunal a été considéré comme un
tribunal de première instance, cela mettait peut-être les gens
plus à l'aise. Nous nous sommes efforcés d'enlever tout le
système protocolaire de procédure juridique qui fait peur
à tout le monde et qui empêche les gens de parler. Nous avons, par
expérience, réglé des causes à Montréal, qui
se situent, dans certains cas, jusqu'à $7 millions et $8 millions pour
un seul cas.
Nous avons réglé des milliers de causes de toute nature,
avec des gens de toute nationalité, des gens qui ne parlaient ni
anglais, ni français, des Néo-Canadiens en quantité. A
Rivière-des-Prairies, par exemple, nous en avons encore. Ce qui veut
dire que le problème créé là en était un
vrai, c'était une véritable cour des miracles. Avec la
collaboration d'experts, avocats ou estimateurs, et ceux de la ville, parce que
notre manuel de travail était la charte de la ville de Montréal,
je crois que nous nous sommes très bien acquittés de la
tâche qui nous a été confiée.
Quels sont les résultats jusqu'à présent? Je puis
vous dire, messieurs les membres de cette commission, qu'après dix ans
de fonctionnement, aucune cause n'est en suspens, excepté celles qui
sont inscrites au rôle présentement pour étude. De 65 p.c.
à 70 p.c. des causes qui sont venues devant nous et nous en avons
vu de toutes les couleurs se sont réglées par
conciliation, à discuter. On faisait une table ronde comme on le fait
ici et on discutait. Environ 25 p.c. des causes se sont réglées
par arbitrage de la part des membres de notre tribunal, de notre bureau, ce qui
laisse à peu près 10 p.c. par ordonnance, imposées. Sur ce
nombre les statistiques sont là et il nous fera toujours plaisir
de vous les fournir seulement 5 p.c. des expropriés n'ont pas
été satisfaits.
Quelles ont été les causes portées en appel? Il y
avait l'appel, mais c'était un grand mot parce que c'était
plutôt un procès de novo. La Régie des services publics,
qui était notre supposé tribunal d'appel, n'avait pas les
pouvoirs d'un tribunal d'appel. Elle ne faisait qu'entendre une nouvelle cause
en vertu des mêmes pouvoirs accordés par la charte de la ville de
Montréal. Nous avons 1 p.c. de toutes les causes passées au
Bureau d'expropriation de Montréal qui ont été
portées en appel. Lorsqu'on parle du secteur juridique, j'attire votre
attention, messieurs c'est évidemment essentiel et
nécessaire, car nous sommes ici pour parler d'une loi sur le fait
qu'il n'y a pas eu 1/4 de 1 p.c. des quelque 20,000 causes, depuis dix ans, qui
sont passées à Montréal, qui ont été
portées en appel sur un point de droit. Il ne faudrait pas
exagérer sur ce point.
Si vous me permettez, je répondrai à vos questions. Je
pense que la meilleure façon de vous fournir les renseignements que vous
désirez, c'est de répondre à vos questions. Je vais
repasser rapidement ce que nous avons entendu ce matin, en particulier l'Union
des municipalités, la présentation qui a été faite
par Me Viau et qui était très bien. Lorsqu'on parle de
règlement, de grâce, messieurs, un règlement ne devrait
jamais passer en dehors d'un tribunal et ce, pour plusieurs raisons. Je vais
vous en donner quelques-unes. D'abord, c'est dans l'intérêt de
l'exproprié. Les petites causes de $300 ou $400 peuvent se régler
très vite. Qu'on les fasse approuver par le tribunal pour qu'il puisse y
jeter un droit de regard. Ce tribunal, quel que soit le tribunal au monde, est
aussi bon que les membres que l'on nomme à ce tribunal.
Si vous nommez des personnes compétentes et conscienceuses,
surtout dans leur domaine, vos problèmes sont réglés. Si
vous voulez tout régler par une loi, vous allez en oublier des bouts;
c'est très difficile et très compliqué après. La
preuve: la charte de la ville de Montréal, qui est peut-être la
loi la plus généreuse au Canada, ou une des lois les plus
généreuses au Canada, quoi qu'on en dise, revient à tous
les ans devant la Législature nationale pour qu'on y apporte des
amendements, parce qu'il n'y a rien de parfait. Dans le cas d'un
règlement, que ce soit le cas de l'Hydro-Québec ou celui des
petites localités, quelle est la valeur réelle au
propriétaire? Un bonhomme va dire: J'ai payé ma
propriété $10,000 et on m'en offre $25,000; je fais une bonne
affaire. Non, monsieur, votre propriété vaut $100,000. Qui est-il
pour le savoir? Un règlement n'est pas toujours à l'avantage de
l'exproprié.
Quel organisme va pouvoir en déterminer la valeur? Justement, ce
tribunal qui est là pour cela. Entendons-nous. Que l'individu vienne
seul devant le tribunal, le tribunal est là pour prendre la part de
l'exproprié surtout, comme la part de l'expropriant. Le tribunal est
là pour conseiller le bonhomme qui est devant lui et lui dire: Acceptez
donc cela. Prenez notre conseil, nous pensons que l'affaire est correcte. Le
type accepte, s'il se sent appuyé. A l'exproprié, il faut faire
connaître là valeur réelle de sa propriété;
à l'expropriant, l'expérience des membres du tribunal est
à sa disposition. Vis-à-vis des contribuables, c'est la
satisfaction de savoir qu'il y a une régularité faite dans cette
transaction. Des dépenses? Il n'y a pas de dépenses.
Au bureau des expropriations de Montréal, nous approuvons
quelquefois de 50 à 70 ententes intervenues entre les autorités
de la ville de Montréal, ou plutôt ses représentants, et
des personnes ou des expropriés. Nous les regar-
dons, parce que, si on ne fait pas confirmer une entente par un
tribunal, la loi ne fera que répéter les abus qu'il y a eus un
peu partout, mais plus particulièrement dans des villes de banlieue de
l'îlede Montréal.
Un accord est fait entre deux groupes d'individus. Il faut que l'accord
soit présenté à des gens spécialisés pour
qu'ils puissent le disséquer et voir s'il est conforme à la
valeur réelle et également à l'intérêt des
contribuables.
J'entendais, ce matin, les représentants de
l'Hydro-Québec. Si tous les problèmes d'expropriation se
réglaient comme l'Hydro-Québec les règle, je pense que
nous n'aurions pas besoin de la loi que nous avons devant nous aujourd'hui.
Mais il y a une chose, cepandant, que l'on oublie là encore,
c'est la même chose lorsque ce sont des droits de servitude. On
dit que 90 p.c. des expropriations à l'Hydro-Québec concernant
des droits de servitude. Très bien. Mais n'oubliez pas que l'individu
grève son terrain de pilônes. Cela peut être autre chose que
des pilônes, mais son terrain est grevé, ce qui veut dire qu'il ne
peut l'utiliser qu'en surface. C'est très bien pour le fermier qui a des
bêtes à cornes qui vont manger de l'herbe, mais, si cela
s'approche des centres urbains, c'est un problème.
Vous allez dire: Qu'est-ce que le Bureau des expropriations vient faire
dans les questions de l'Hydro-Québec à l'extérieur? A
Montréal, nous avons des terres, des fermes, des rues, le métro,
du tréfonds, enfin, nous avons à peu près tout ce qui peut
se passer en expropriation. Par conséquent, lorsqu'un pilône ou
quelque servitude que ce soit est mise sur un terrain, on dévalue la
propriété de l'individu. Il peut être satisfait de
l'arrangement initial qui est fait. On dévalue sa
propriété pour des projets futurs. Alors, qui pourra
l'établir? Il s'agirait, évidemment, de faire approuver cette
entente par un tribunal pour protéger les deux. Si l'affaire est
normale, cela passe; juste le temps de deux ou trois signatures, c'est tout.
C'est confirmé par une ordonnance qui est homologuée ensuite par
un juge de la cour Supérieure. Cela devient un jugement de la cour
Supérieure.
Là encore, il faut protéger l'exproprié contre
lui-même, parce qu'il ne connaît pas la valeur de son bien. Tout
à l'heure, Me Pinard proposait, au nom du Barreau, deux membres
seulement. Basé sur l'expérience que nous avons depuis dix ans,
je crois qu'il serait peut-être opportun de reconnaître qu'une
division de ce tribunal proposé par le projet de loi no 88 peut
siéger à deux membres, mais pas dans tous les cas. Avec deux
membres, s'ils ne s'entendent pas l'un l'autre, qui va décider de la
question? On fera décider cela par un président, mais, si le
président n'a pas entendu la cause, il faudra qu'il révise le
tout. Il faut absolument trois membres dans toute cause, surtout si, à
un moment donné, l'expropriation concerne un commerce important. Je
parle de Montréal, c'est la région où l'on travaille, que
l'on connaît.
Si l'expropriation concerne un commerce important, il se peut fort bien
que, sur ce tribunal, vu qu'il s'agit seulement de questions
financières, l'on fasse siéger deux C.A., par exemple. S'il ne
s'agit que d'évaluer des terrains pour les fins d'une servitude, que ce
soit de routes, de métro ou autres, on fait siéger deux experts
en expropriation, qui connaissent la valeur des terrains. Si c'est une question
purement juridique, on fait siéger deux avocats et même trois,
avec un juge qui préside.
J'espère que ce tribunal sera maniable. S'il y a beaucoup de
travail à Québec, tout le monde viendra siéger à
Québec pendant quinze jours et le problème sera
réglé. Si c'est la même chose à Montréal,
vice versa. Que ce soit maniable, que le président du tribunal ou le
vice-président décide que, si c'est une cause qui ne concerne que
des chiffres, des études de bilan, la perte de commerces, ce sera deux
C.A., un avocat et un juge.
A mon avis, quinze membres, c'est très bien. Je ne veux pas
entrer dans les détails, mais je veux simplement dire que deux membres
sur un tribunal, quel que soit le tribunal, si le principe était bon, je
pense, messieurs, que dans le domaine du droit, à la cour d'Appel, ce
serait basé sur deux et, à la cour Suprême, ce serait
basé sur deux.
Il y a une remarque qui a été faite tout à l'heure.
On parlait de réserve et de droit de passage. Je ne veux pas parler
là-dessus, ce n'est pas mon domaine. Mais une remarque a
été faite établissant qu'une réserve
éliminait la spéculation. Au contraire! Une réserve
n'élimine jamais la spéculation. L'homologation ne fait pas
baisser la valeur d'un terrain. Tout ce que l'homologation fait, c'est
empêcher de faire des rénovations sur les bâtisses
existantes, qui ne sont pas reconnues dans les dommages attribués
à l'expropriation. Mais, encore une fois, une réserve
n'élimine pas la spéculation.
Si vous me le permettez, avant de vous demander de poser des questions,
si vous le jugez opportun, je vais vous proposer, à même le
document que j'ai devant moi, certains changements. Il faudrait, à notre
avis, et ce, pour éviter des situations ambiguës pour ne pas dire
plus, comme celle survenue je ne mentionne pas l'endroit, mais il y en a
plusieurs dans l'île de Montréal, par exemple, qu'aucune
entente, soit achat de terrains ou d'immeubles par un corps public ou
parapublic ne soit complétée sans que ladite entente soit
déposée et expliquée en détail devant le
tribunal.
Messieurs, je n'ai pas besoin de vous faire de dessins pour ce que je
vais dire. Les gens s'entendent et viennent devant un tribunal. S'ils ne sont
pas obligés, de venir devant un tribunal, évidemment, l'affaire
est un accord. Mais, quand on fouille un peu dans cet accord, on
s'aperçoit que des prix deux, trois ou quatre fois trop
élevés ont été accordés.
A l'article 66 de cette loi, on parle de la plus-value qui "doit
être compensée pour autant avec l'indemnité
d'expropriation". Il ne
faudrait pas généraliser cette plus-value, car les voisins
de l'individu exproprié, qui ne sont pas affectés directement par
l'expropriation, bénéficient de cette plus-value. Ils ne sont pas
pénalisés.
Laissez le soin au tribunal de déterminer la plus-value qui doit
être accordée pour une expropriation. Si on parle dans une loi de
plus-value, il faut également parler de la dévaluation d'une
propriété par une expropriation, parce qu'il y a des individus
qui se sont fait passer des murs dans le visage, des routes qui ont
coupé leur affaire, leur terrain ou leur propriété en deux
et qui ont été réellement dévalués. Il y a
même des personnes qui ne sont pas expropriées, je parle surtout
de celles-là, dont la propriété est dévaluée
par la suite d'une expropriation pour laquelle ils ne reçoivent aucune
indemnité.
Pour être vraiment juste et équitable, et je me base
surtout sur l'équité, on devrait, pour les locataires qui
exploitent un commerce je dirais que la catégorie de gens la plus
triste dans tout le domaine des expropriations, c'est le locataire-marchand,
celui qui exploite un commerce, qui n'a qu'un bail et qui est handicapé
vraiment on devrait, dans toute rénovation urbaine, dis-je, faire
ce qui se fait dans plusieurs pays, la Hollande en particulier, soit permettre
à la personne expropriée de venir se rétablir au
même endroit; sans privilège particulier, on lui donnerait la
préférence de se rétablir. Je parle par exemple, d'un
barbier, d'un coiffeur, d'un tabaconiste, d'un vendeur de journaux ou autre qui
vivait de son pécule et qui vivait très bien à cet
endroit-là. On le force à quitter ces lieux. Lorsque la
rénovation urbaine est faite, je parle de Place Desjardins et autres
endroits de Montréal, un individu aurait la priorité de se
rétablir là, s'il veut le faire, aux conditions que le nouveau
propriétaire lui imposera. Nous avons surtout constaté à
Montréal, dans un autre domaine, que des organismes publics et
parapublics, y compris les communautés religieuses, ont tendance
à se départir de terrains pour lesquels ils n'ont plus
d'utilité et ce parfois à des prix très bas, pour ne pas
dire ridicules, alors que, quelque temps après, ces mêmes terrains
sont expropriés pour des fins d'utilités publiques. Je me demande
si la chose est faisable, pendant qu'on est à étudier un nouveau
projet de loi. Je me demande si le tribunal en question ne devrait pas
être approché lorsqu'il s'agit de terrains publics et parapublics
avant qu'ils soient mis en vente. Ou encore, que cesdits terrains soient
d'abord offerts à la municipalité où ils sont ou à
la province qui peuvent dire: Nous sommes intéressés ou nous ne
sommes pas intéressés. Le tribunal pourrait donner son
assentiment à la vente des terrains par voie de soumissions. J'ai
à l'esprit des cas que je pourrais vous citer, mais je ne veux pas trop
vous retarder. J'ai vu le cas particulier d'un terrain qui a été
vendu à Montréal par le CPR, qui a été payé
$100,000. Trois semaines ou un mois après, la ville de Montréal
l'expropriait pour les fins d'un parc, mais à quel prix? Cela aurait pu
être évité.
Je pense qu'il est fait mention dans la loi, à l'article 128, je
crois, que le Bureau des expropriations cesserait d'exister sur un ordre en
conseil. Je comprends très bien la raison, je vous la donne. Je
présume que ce qui motive cet article, c'est que nous avons
présentement entre 200 et 250 dossiers ouverts. L'enquête
terminée, les audiences terminées ou en cours, nous sommes
à étudier pour une valeur de peut-être au-delà de
$10 millions en dossiers. C'est peut-être le but on est
obligé de tout recommencer que nous terminions ça. Mais si
on fait ça, et si au lieu de l'article 128, on mentionne l'article 123,
et si, pour tout ce qui touche les documents, arrêtés en conseil
ou autres des différents organismes qui doivent disparaître, on
met le Bureau des expropriations, je suggérerais si on veut continuer
cela encore quelque temps pour lui permettre de plier bagages et de terminer
ses causes, d'amender également cet article.
Maintenant, messieurs, je suis à votre entière
disposition, si vous jugez opportun de me poser certaines questions.
LE PRESIDENT (M. Leduc): M. le ministre.
M. PINARD: En moyenne, M. Dostie, le Bureau des expropriations de
Montréal fait annuellement pour quel montant global
d'expropriations?
M. DOSTIE: Actuellement, les expropriations, à Montréal,
M. le ministre, diminuent de plus en plus. Lorsque la Transcanadienne sera
finie, les tréfonds et le métro, je me demande réellement
ce que feront les trois tribunaux pour s'occuper. En moyenne, pour
répondre à votre question, les grosses années, avant
l'Expo, nous faisions peut-être 2,500 causes, 2,400 ou 2,000.
M. PINARD: Pour une valeur globale de combien?
M. DOSTIE: Je dirais, en moyenne, de $10,000 à $15,000 par cause,
pour un total de $20 millions à $25 millions environ.
M. PINARD: Comment procédiez-vous pour le paiement rapide des
expropriés? Est-ce qu'à la ville de Montréal il y avait un
budget spécifique, en fidéicommis ou autrement, dans lequel vous
pouviez puiser pour payer rapidement l'exproprié ou s'il devait
attendre, comme on l'a souligné tantôt dans le mémoire du
Barreau?
M. DOSTIE: Non. Je crois que la ville de Montréal a un
système qui est assez bon de ce côté. La ville de
Montréal se vote un montant, dans son budget annuel, pour les fins
d'expro-
priation. Ce montant est mis de côté. La loi
prévoyait que, lors du moment de la prise de possession,
l'évaluation municipale devait être faite et
déposée. Alors le type pouvait accepter tout de suite et
s'établir ailleurs. Il pouvait contester l'offre qui lui était
faite ou accepter. Il venait nous voir. Cela passait devant nous et on
décidait du montant à être accordé. Tout cela
était en dedans de trois mois. Je ne comprendrai jamais pourquoi une
cause peut aller au delà de six mois. Je n'ai jamais compris cela. Il y
en a qui datent de douze, treize et quatorze ans, ailleurs. Je n'ai jamais
compris cela.
Quand on faisait 2,500 causes, M. le ministre, on aurait pu en faire
5,000, si on s'était forcé un peu plus. C'est fantastique ce
qu'on peut régler par la conciliation, en expliquant aux gens ce qui se
passe et^en leur parlant ouvertement. Avec des rapports bien faits, c'est
facile à décider.
M. PINARD: Oui mais après consultation avec des avocats qui ont
plaidé devant votre Bureau des expropriations, à Montréal,
des experts qui ont aussi été appelés à
procéder à des expertises et à les défendre devant
votre bureau, j'ai appris que peut-être vous réussissiez tellement
bien et tellement vite parce que c'était toujours le plus haut prix qui
était le prix de l'entente.
M. DOSTIE: Oh non!
M. PINARD: A ce moment-là, tout le monde était d'accord.
Alors, pas tellement de questions de droits à discuter ou à faire
trancher par votre bureau ou par la cour. N'y aurait-il pas un peu de
vérité là-dedans?
M. DOSTIE: M. le ministre, cela voudrait dire que les autorités
de Montréal, la pléiade d'experts qu'elles ont à leur
emploi et les fameux avocats dans le domaine des expropriations qu'elles
avaient à leur emploi n'auraient pas fait leur devoir et auraient
accepté cela les yeux fermés. Je ne le pense pas. C'est qu'on
faisait un bon travail, qui donnait satisfaction â tout le monde. Je
pense que c'est cela.
Il y a certains avocats qui n'ont pas aimé la procédure,
chez nous. Evidemment, remarquez, nous tâchions de couper cela au
minimum. Nous coupions la procédure parce qu'en somme c'est une question
de payer l'individu le plus vite possible. C'est cela, l'expropriation:
Régler le plus vite possible. M. le ministre, j'ai vu qu'on
réglait 20 ou 25 causes, le matin, dans l'espace de deux heures. C'est
un peu le tribunal des petites créances, si vous voulez, mais les
montants sont plus gros.
C'est tout simplement une question de logique et de gros bon sens.
Combien demandes-tu pour ta maison? Je demande $22,000 pour ma maison. Nous
savons combien il l'a payée, nous avons étudié nos
dossiers avant. Vous l'avez payé $12,000. Combien y a-t-il
d'années? Cinq ans. Vous avez mis $5,000 dessus, cela fait $17,000.
Pourquoi? Le terrain a monté, d'accord. Cela pourrait facilement se
régler pour $19,000. On voit l'offre de l'autre, qui est à peu
près autour de $19,000. Donc, $19,000, pensez-vous que cela aurait du
bon sens? Nous savons parfaitement bien que, s'il était sur le
marché libre, il n'aurait peut-être pas eu ce montant. Il aurait
eu une couple de $1,000 de moins. Le type dit: Oui, je suis content.
Très bien, monsieur, bonjour. Next! Nous passons cela ainsi. Mais si on
commence à faire du charabia, qu'on dise: En vertu de tel article,
voulez-vous envoyer vos notes et vos factums, monsieur?
Cela dure longtemps, et là ça ne marche plus. Le tribunal
de première instance, c'est essentiel, d'après moi.
M. PINARD (Bernard): Vous trouvez qu'il y a trop de juridisme en
matière d'expropriation?
M. DOSTIE: J'en parle avec beaucoup d'aise, parce que mes meilleurs amis
sont des membres du Barreau, et il y en a ici dans cette Chambre, nous nous
connaissons, nous avons toujours été très francs.
Il y a une quantité de membres du Barreau qui viennent devant le
bureau des expropriations. C'est une spécialité. Vous pouvez vous
en rendre compte. Et ceux qui peuvent en parler avec beaucoup d'aise sont des
bonshommes qui connaissent ça, et ça va aller très vite
avec ceux qui connaissent ça.
Mais c'est avec celui qui n'est pas spécialisé
là-dedans que ça peut être plus long, pour la simple et
bonne raison que, lui, va soulever des points de droit ou va vouloir parler de
points de droit, alors que c'est une question de cents et de piastres, c'est
tout. On demande à un expert: C'est combien? Voulez-vous
présenter votre rapport? Monsieur, vous parlez pour rien, c'est
réglé. Il n'aime pas ça, le gars.
M. PINARD: Ils ne sont pas payés en vertu du temps qu'ils
dépensent pour plaider une cause. Ils seront payés comme
l'a dit Me Marquis sur la différence entre le montant offert et
le montant finalement accordé par le tribunal, ou accepté par
l'exproprié.
M. DOSTIE: C'est récent, ça. Excusez-moi, mais à
Montréal c'est fait en vertu de la charte de la ville de
Montréal. C'est un amendement récent qui a été
ajouté il y a un an ou deux où l'avocat et les experts sont
à la charge de l'expropriant. Avant, ça allait plus vite. Cela
retarde un peu depuis ce temps-là.
Mais nous continuons notre procédure. Evidemment, ça ne
fait pas l'affaire de tout le monde.
M. PINARD: Cela va moins vite depuis ce temps-là?
M. DOSTIE: Oui, parce que vous voyez des avocats partout. Vous me posez
la question, et j'en parle avec beaucoup d'aise. Vous les voyez partout et il y
en a qui prennent des clients dans la salle.
Ce n'est pas ce que je veux dire, mais laissez cela aux personnes
spécialisées dans ce domaine, il n'y a pas de problème. On
ne s'improvise pas juriste spécialisé dans le domaine des
expropriations, surtout si on ne s'en tient qu'à une valeur
intrinsèque des terrains, des bâtisses et des dommages, ce qui ne
concerne qu'un évaluateur, un comptable et un gars qui a une tête
sur les épaules. Cela n'exclut pas l'avocat, évidemment.
M. GAGNON: En somme, vous dites que vous acceptez les ententes verbales
(gentlemen agreement) quand vous jugez que l'offre que vous faites et ce qu'il
demande peut être raisonnable, sans vous attarder à dire: Le
terrain c'est $2,500 que vous l'auriez payé. Vous jugez ça dans
son ensemble. La propriété, c'est $12,000; vous demandez $22,000,
et vous accepteriez peut-être $19,000. Vous butez sur toutes sortes de
petits détails qui engendrent des discussions.
M. DOSTIE: Ce qui arrive, à un moment donné vous regardez
quelle est la nature de la propriété. Disons que c'est une
bâtisse sur la rue Berri, près de la rue Rachel, à
Montréal je ne sais pas si vous connaissez le quartier qui
peut se situer entre $9,000 et $14,000 pas plus. Cela dépend de la
nature et de l'entretien de la bâtisse. L'individu qui va aller
réclamer $30,000 tout de suite en partant, il est dans les nuages. On
lui dit en partant: Vous rêvez. Vous vous basez sur quoi?
Si le type dit: Moi, j'ai payé ça. Je suis content de
l'offre qu'on me fait. On vous fait une offre de $13,000. Si votre
propriété vaut $17,000, ne signez pas cette offre. Et c'est au
tribunal de prendre l'intérêt de l'individu qui est là.
Qu'est-ce que vous voulez? Cela fait dix ans que nous voyons passer les plus
grands experts au Canada, les meilleurs juristes en ce domaine, les plus
menteurs, les plus grands "schemers". Quand vous faites ça à
coeur de jour pendant dix ans, vous regardez un gars et vous savez à
quoi vous en tenir. Et certains individus reviennent. On a vu des grands
experts qui demandaient $600,000 dans une cause et qui ont réglé
pour $200,000, une demi-heure après.
M. GAGNON: Je vais vous poser une question directe: En supposant que
vous avez un expropriateur qui s'occupe d'un cas, qui s'entend avec
l'exproprié, qui fait signer une formule disant que c'est tel prix.
Lorsque la formule vient sur votre bureau, est-ce qu'il arrive assez
fréquemment que vous dites: Non, nous n'acceptons pas cela?
C'est-à-dire que vous refusez le travail de l'expert qui est allé
sur les lieux, qui a vu les lieux, qui a discuté avec
l'exproprié, qui a vu toutes les causes premières ou secondes et,
lorsque c'est rendu au siège social de l'expropriation, c'est tout
refusé. Cela arrive assez souvent au ministère de la Voirie.
M. DOSTIE: Ecoutez, je parle évidemment du Bureau des
expropriations de Montréal qui, comme je viens de l'expliquer, est un
tribunal administré en vertu de la charte de la ville de
Montréal; c'est un organisme provincial qui s'occupe des causes
d'expropriation faites en vertu de la charte de la ville de Montréal.
Lorsqu'un vérificateur, un expert vient devant le bureau des
expropriations, il est d'abord connu, il est membre d'un organisme reconnu, il
dépose son rapport et l'expose verbalement. A un certain moment, on dit:
C'est combien le pied, le terrain? C'est $4. Quand vous avez entendu à
peu près dix ou douze bons experts dont trois ou quatre sont des gars
solides, en qui vous avez confiance, dont le prix varie entre $4 et $8,
ça ne demande pas un génie pour juger que ça va être
autour de $6. Et là, on regarde ce que ça va donner. Le gars
vient nous demander $14. Il est hors de question tout de suite, mais c'est
très rare. Cela va vite chez nous et les gens qui viennent sont
habitués à cette procédure rapide, parce que le secret en
expropriation, c'est de régler la cause rapidement et de payer
rapidement. Et lorsque les causes s'en viennent, vous avez un rôle le
matin de cette longueur, si vous vous attardez sur des points juridiques ou
autres s'il y a des points juridiques, je ne les nie pas qui
n'ont pas de raison d'être discutés, vous bloquez l'entonnoir.
Tandis que si vous passez, vous mettez les causes qui vont être
discutées. Vous dites: Voulez-vous attendre, s'il vous plaît? Ce
ne sera pas long. Les autres, on les règle; ces gens partent et c'est
réglé. Vous commencez votre journée. Vous avez
peut-être dix, douze ou quinze causes à régler. Il en reste
deux ou trois à discuter et, quand c'est un jeune avocat qui
débute, on le laisse parler pendant une heure, surtout si son client est
là.
LE PRESIDENT (M. Leduc): Le député de l'Assomption.
M. PERREAULT: M. Dostie, je suis bien content d'avoir entendu parler de
votre tribunal de première instance. Vous avez mentionné que
c'était un peu l'équivalent du tribunal des petites
créances. Toute la journée, je crois que je l'ai mentionné
à plusieurs reprises, il y aurait lieu de débarrasser le tralala
juridique par un tribunal de première instance pour l'expropriation, en
particulier pour des causes dont la valeur n'est pas très grande, pour
les municipalités rurales et même urbaines dont la population ne
dépasse peut-être pas 5,000 ou 10,000, où les budgets
municipaux sont réduits. Je crois que votre exemple de fonctionnement du
bureau d'expropriation me satisfait pleinement.
LE PRESIDENT (M. Leduc): L'honorable député
d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: Je crois que votre façon de procéder est de ne
pas séparer les dollars en quatre; vous ne risquez pas de
dépenser $600 pour en épargner $200, de la façon que vous
procédiez, je crois que c'est de la bonne façon. Vous disiez tout
à l'heure que vous ne voyez pas d'avantage à ce que toutes les
causes passent devant le tribunal. Que dites-vous de l'Hydro-Québec par
exemple, qui, en cas de servitude, règle les cas à l'amiable dans
90 p.c. des cas?
M. DOSTIE: A l'Hydro-Québec, je dois vous dire que le travail est
très bien fait. Je crois que j'ai mentionné, au tout
début, que si tous les organismes publics manoeuvraient comme
l'Hydro-Québec, il n'y aurait pas tellement de problèmes. Mais je
tiens à vous dire que souvent, dans nos ordonnances, nous avons tenu
compte des prix accordés par l'Hydro-Québec, soit pour des achats
de terrain ou des servitudes quand ces prix concordent avec ceux de l'offre de
l'expropriante et que l'exproprié ne sait pas trop à quoi s'en
tenir, ne sait trop quelle est la valeur de son terrain, ne sait pas trop
surtout si c'est dans des endroits où il n'y a pas beaucoup
d'habitations et que ce n'est pas encore divisé par lots.
Par conséquent, nous accordons des taux. Si, par exemple, dans le
cas de l'Hydro-Québec, on dit bien le bonhomme est content, tant mieux
mais prenons un cultivateur, je présume qu'on en a sur l'île de
Montréal, c'est pour ça que j'en parle: il y a des servitudes de
l'Hydro-Québec sur l'île de Montréal, beaucoup même.
Donc, vous allez voir un cultivateur et vous dites: On va vous donner un
montant de x pour passer des pylônes ou enfin avoir un droit de servitude
sur votre terrain. Le type dit: Très bien, les vaches vont pouvoir
continuer à y aller, ça va bien, je n'ai pas de
problème.
N'oubliez pas ceci, je viens de le dire, je l'ai dit tout à
l'heure au début, il n'a plus qu'une valeur de surface, il ne peut plus
se servir de ça en hauteur ou quoi que ce soit, ne rien faire, il est
limité, mais il ne sait pas dans quelle proportion; surtout s'il est
près d'un centre urbain, il ne sait pas dans quelle proportion ça
peut affecter son affaire. C'est là que chaque entente devrait
être vérifiée par le tribunal, et ça ne retarderait
pas trop, pour savoir si le type a ce qu'il faut ou du moins s'il est au
courant de ce qu'il accepte.
M. AUDET: Parce que le grand secret, c'est de payer comptant. Le fait
d'essayer...
M. DOSTIE: C'est ça, l'expropriation, c'est du comptant.
M. AUDET: ... immédiatement, ça facilite beaucoup les
ententes et les négociations.
M. DOSTIE: C'est pour ça que, parfois, l'individu peut dire:
J'accepte ça tout de suite, parce que ça fait mon affaire,
autrement ça va tramer. Vous savez qu'on s'est servi de ça dans
bien des endroits. Si vous allez en cour, si vous allez devant telle ou telle
régie, ça va prendre trois ou quatre ans et ça va en
coûter. Vous allez dire: J'aime autant perdre $15,000 et l'accepter tout
de suite. Moi, j'appelle ça du chantage.
LE PRESIDENT (M. Leduc): Est-ce que les membres de la commission ont
d'autres questions à poser à M. Dostie?
M. PINARD: M. Dostie, êtes-vous familier avec la procédure
d'expropriation actuellement suivie par le ministère de la Voirie de
l'Ontario, Minister of Highways? Est-ce qu'il a une loi vraiment
différente de la nôtre, de celle qui prévaut actuellement
au Québec ou qui serait tellement différente de celle que propose
le bill 88?
M. DOSTIE: M. le ministre, dans le domaine de la voirie, je n'ai pas
tellement eu à regarder cela et je n'ai pas étudié la
question. Nous étudions les problèmes de voirie à
Montréal et dans les environs, mais, en dehors, je n'ai pas eu
l'occasion de les étudier.
M. PINARD: Est-ce qu'à Toronto il existe un bureau des
expropriations qui serait semblable au Bureau des expropriations de
Montréal pour régler les cas qui ont été soumis
depuis les dix dernières années?
M. DOSTIE: Le problème ne se pose pas de la même
façon. A Montréal, lorsque le Bureau des expropriations a
été créé, c'est à la demande des
autorités locales. Il y avait à peu près 10,000 causes en
suspens. Tout était bloqué, parce qu'à l'époque ces
causes-là passaient devant la régie. Je crois qu'un certain
montant était accordé aux commissaires qui écoutaient les
causes. Il y avait une formule qui ne semblait pas trop bien marcher et il y
avait des délais. Alors, on a organisé ce bureau. On a
demandé de couper au plus court tout le processus administratif et
juridique. Je me souviens, à l'époque, des instructions que
j'avais reçues de M. le premier ministre et de son conseiller juridique,
lorsque je suis parti à cet endroit-là. On m'avait dit: S'il
survient un point de droit, dites-leur que ce n'est pas l'endroit pour en
discuter. Qu'on aille ailleurs. On a nommé un avocat avec moi au bureau
et cela faisait bien. On a réglé les causes et, jusqu'à
maintenant, comme je vous le dis, je mets au défi qui que ce soit, et je
répète mon défi, qu'il n'y a pas eu un demi de 1 p.c,
depuis dix ans, dans toutes les causes en expropriation dans la ville de
Montréal qui a été porté en appel sur un point de
droit. Je pense que c'est la formule. Cette formule-là a
été trouvée par pur hasard et je pense que cela va
bien.
Je me plais à vous le répéter: A cette
régie
j'appelle cela un bureau, mais je crois que le terme est mauvais,
parce que cela l'identifie à un service ou à un sous-service de
l'Hôtel de ville de Montréal nous avons cinq
employés, trois commissaires, et notre budget est le même depuis
dix ans. Cela coûte $150,000 par année et on épargne des
millions de dollars aux contribuables.
M. PINARD (Bernard): Nous enregistrons votre témoignage avec
beaucoup d'intérêt.
M. DOSTIE: Je vous remercie, messieurs.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Dostie, nous vous remercions. La
commission suspend ses travaux jusqu'à demain 10 heures.
(Fin de la séance à 16 h 51 )
Séance du mercredi 14 février 1973
(Dix heures neuf minutes)
M. LAFRANCE (président de la commission permanente des
transports, des travaux publics et de l'approvisionnement): A l'ordre,
messieurs!
Pour la commission, ce matin, M. Jean Perreault, député de
l'Assomption, sera le rapporteur officiel. Le premier organisme qui se
présente devant la commission permanente des transports, des travaux
publics et de l'approvisionnement est la Chambre de commerce du district de
Montréal.
Messieurs de la Chambre de commerce du district de Montréal, on
vous demanderait de bien vouloir vous identifier.
Chambre de commerce du district de
Montréal
M. COTE: Merci, M. le Président. Tout d'abord, nous vous
remercions d'avoir accepté de nous rencontrer ce matin et de nous
entendre. J'aimerais vous présenter les membres et les directeurs de la
chambre qui sont ici avec moi. Mon nom est Bernard Côté,
président de la Chambre de commerce de Montréal. A ma gauche, M.
Robert Panet-Raymond, président de notre comité des affaires
municipales; à sa gauche, Me Marcel Bélanger, président de
notre comité des expropriations qui va se joindre à nous
dans quelques instants et Me Gilles Fafard, membre du comité qui
a dirigé nos travaux sur le projet de loi 88. A ma droite, M. Pierre
Shooner, directeur général de la chambre, et, à
l'extrême gauche, M. Jacques Tremblay, directeur général
adjoint.
La Chambre de commerce de Montréal, qui étudie les
problèmes de l'expropriation depuis près de dix ans avec l'aide
des meilleurs spécialistes en la matière, est capable,
croyons-nous, d'aider le législateur à améliorer son
projet de loi sur l'expropriation dont nous appuyons le principe.
En 1965, la Chambre de commerce de Montréal présentait un
mémoire au gouvernement à propos de l'indemnisation des
locataires expropriés. La même année, elle organisait un
colloque sur l'ensemble des problèmes causés par les
expropriations. C'est à la suite de ce colloque que le gouvernement
créait, en décembre 1965, son propre comité d'étude
sur le sujet. Nous reconnaissons avec plaisir que le projet de loi 88 s'inspire
de ces divers travaux quand il pose le principe d'une loi, d'un tribunal et
d'une procédure unique pour tout le Québec.
Cependant, une analyse détaillée du projet de loi nous
conduit à vous proposer un certain nombre de corrections que nous
jugeons importantes.
Je demanderai à M. Pf net-Raymond de vous présenter les
positions de la chambre de commerce, à ce sujet. Merci.
M. PANET-RAYMOND: M. le Président, messieurs les membres de la
commission, je serai relativement bref, parce que nous avons apporté
passablement de soin à préparer le mémoire qui vous a
été soumis et nous espérons recevoir de vous, tout
à l'heure, des questions sur les recommandations qu'il contient.
Je voudrais simplement insister sur l'esprit qui nous a animés
dans la préparation de ce document. Nous considérons, à la
Chambre de commerce de Montréal, que les expropriations sont un mal
nécessaire et parfois, même pas un mal, mais quelque chose qui est
nettement d'intérêt public.
Nous n'avons pas voulu approcher cette question avec le
préjugé que toute expropriation était une action de l'Etat
qui pouvait nuire aux citoyens. Bien au contraire, nous croyons que les
expropriations peuvent servir l'intérêt public tout autant que
celui de certains des citoyens.
Nous avons voulu, cependant, éviter que la nouvelle Loi de
l'expropriation ne crée des injustices. Par injustices, nous entendons
autant des gestes posés, comme des indemnités insuffisantes, que
des retards dans le versement de ces indemnités ou que l'absence de
compenser un exproprié pour des délais à recevoir ces
indemnités. Donc, c'est un premier souci: assurer que les
indemnités sont justes et rapides.
Un second souci c'est le principe qui sous-tend ce projet de loi
c'est celui d'une loi unique pour régir toutes les expropriations
au Québec. M. Côté vient de vous témoigner notre
appréciation de ce principe. Je tiens à revenir sur la question
pour vous dire que cela nous paraît fondamental qu'il y ait une loi, et
une seule, qui régisse toutes les procédures d'expropriation au
Québec. Nous vous félicitons, par le projet de loi no 88,
d'essayer d'implanter cette loi unique d'expropriation. Bien sûr, nous
allons revenir tout à l'heure sur des exceptions qui nous paraissent
peut-être pas justifiées.
Avant d'entrer, cependant, dans le corps du texte, je désirerais
souligner deux omissions qui nous paraissent sérieuses. D'abord, il n'y
a pas de pénalité prévue dans le cas où un
expropriant retarde indûment le paiement d'une indemnité. J'ai
insisté tout à l'heure sur ce principe de justice qui impliquait,
d'après nous, non seulement le paiement d'une juste indemnité,
mais le paiement d'une indemnité dans des délais
raisonnables.
Nous aimerions trouver dans le projet de loi une pénalité
pour le cas où l'expropriant tarde à verser cette
indemnité. Nous allons même jusqu'à suggérer que le
montant de cette pénalité pourrait être 5 p.c. au-dessus de
l'intérêt légal ajusté en fonction de la Loi du
ministère du Revenu. C'est là une première mesure qui nous
semble avoir été omise dans le projet de loi.
Une seconde concerne les normes d'indemnisation des fonds de commerce.
Bien sûr, nous attachons une attention particulière à cette
question puisque nous représentons énormé- ment de
commerçants et ces gens sont souvent les plus grandes victimes des
expropriations. Nous ne trouvons pas dans le projet de loi des normes
permettant d'indemniser convenablement les fonds de commerce. Nous aimerions
pouvoir en trouver ou, à défaut, à tout le moins qu'on
puisse assurer une audition par préférence aux fonds de commerce
qui sont expropriés.
Quant aux amendements que nous proposerions dans le corps même du
texte, je n'en relèverai que quatre pour l'instant. Je pense que nous ne
serons pas les seuls à vous souligner cette question, les articles 55
à 61 établissent des exceptions importantes dans le cas de la
ville de Montréal et du ministère de la Voirie. Nous sommes
beaucoup trop d'accord sur le principe général d'une loi unique
pour accepter à prime abord qu'on y soustraie deux organismes aussi
importants que la ville de Montréal et le ministère de la
Voirie.
Un second point que j'aimerais souligner, à l'article 42 on parle
des baux enregistrés. L'expérience des membres du comité
qui sont avec moi ce matin nous permet d'affirmer qu'il existe souvent des cas
d'occupants ne possédant pas des baux dûment enregistrés et
ces occupants doivent recevoir une indemnité, même s'ils n'ont pas
signé un bail en bonne et due forme. Ils devraient avoir droit aux
mêmes considérations que les autres locataires possédant un
bail enregistré.
Un troisième amendement que j'aimerais souligner touche l'article
77 et touche le principe général. Il nous parait illogique que
les montants dus par le gouvernement à des contribuables aient un
rendement moindre que les montants qui sont dus au gouvernement. En d'autres
termes, il faudrait utiliser l'intérêt fixé par la Loi du
ministère du Revenu pour compenser les délais à verser des
indemnités et ne pas utiliser l'intérêt légal comme
tel, majorer ou ajuster plutôt en fonction de l'intérêt du
ministère du Revenu.
Le dernier point que j'aimerais souligner j'y ai
déjà fait allusion est celui des fonds de commerce. Il
nous semble très important de trouver certaines normes pour
l'indemnisation des fonds de commerce et, à tout le moins, de s'assurer
d'une audition par préférence pour les commerces qui sont
expropriés.
Voilà, M. le Président, MM. les membres de la commission,
les quelques points sur lesquels je tenais à insister, avant que vous
n'entamiez l'étude de ce mémoire. Mes collègues et
moi-même sommes à votre disposition pour répondre aux
questions. J'espère qu'elles seront nombreuses. Merci.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. le ministre.
M. PINARD: M. Panet-Raymond, sur quoi étayez-vous votre demande
de faire disparaître la section IV du projet de loi no 88, contenant des
dispositions relatives à certaines expropria-
tions pour fins de voirie? Vous en faites la demande mais j'aimerais que
vous approfondissiez, devant nous, tout ce problème, pour savoir si
vraiment le ministère de la Voirie, en vertu de ses obligations, devrait
se départir de pareils pouvoirs.
M. PANET-RAYMOND: J'aimerais, pour répondre à cette
question, céder la parole à Me Bélanger. Mais cette
section IV compte deux exceptions, celle de la ville de Montréal et
celle du ministère de la Voirie. Je voudrais simplement souligner aux
membres de la commission qu'en ce qui a trait à la ville de
Montréal, ou bill de Montréal, il s'agit de
représentations faites depuis fort longtemps par la Chambre de commerce
du district de Montréal. Lorsque nous avions développé
toute l'argumentation, au printemps dernier, lors de l'audition des amendements
à la charte de la ville de Montréal, le comité qui
siégeait, à ce moment-là, nous avait dit: Vous savez,
c'est prématuré. Nous n'avons pas eu le temps d'étudier
les implications. Revenez l'an prochain, lorsque nous étudierons
à nouveau les amendements de la ville de Montréal.
Entre-temps survient ce projet de loi. Il nous paraît important de
ressortir tout de suite notre argumentation, avant que l'on consacre une
exception qui, forcément, aura force de loi et ira contre la charte de
Montréal.
Maintenant, pour ce qui est de la voirie proprement dite, je passerai la
parole à Me Bélanger, si vous me le permettez.
M. PINARD: Puisque nous sommes là-dessus, il y a également
la Société de développement de la baie James et l'Hydro-
Québec qui sont venues demander un régime d'exception.
Si le législateur accorde des pouvoirs d'exception à ces
deux sociétés pour leur permettre de déposer un plan
général, comment voulez-vous que le ministère de la
Voirie, qui est le plus grand expropriant pour fins d'utilité publique,
ne se donne pas les mêmes pouvoirs qu'il serait prêt à
consentir à d'autres?
Il y a quand même un problème de conciliation des
intérêts et des obligations dans tout ce domaine.
M. PANET-RAYMOND: Nous serions d'accord avec vous. Si vous donnez des
avantages à un, il va falloir en donner aux autres. Mais notre position,
c'est qu'il ne faut pas en donner à qui que ce soit.
M. PINARD: II y a des ententes beaucoup plus claires et précises
que dans le passé là-dessus.
M. BELANGER: A votre question, M. le ministre, je voudrais souligner
ceci: il y a, dans les corps publics que vous avez mentionnés, la ville
de Montréal, la Voirie, la Société de la baie James,
l'Hydro-Québec et d'autres. Le gros argument de tous ces corps publics,
c'est qu'ils ne peuvent pas procéder sans déposer un plan
général, sans risquer d'être appelés à payer
trop rapidement certaines choses.
Or, présentement, la ville de Montréal procède sans
cette exception. Elle dépose des plans parcellaires pour chaque cas et
elle est obligée de faire plus que ce que la loi lui permettrait de
faire. J'ai l'impression que la ville reculerait. La ville de Montréal
est aussi importante dans ce domaine que toutes les autres corporations dont on
a parlé. La ville de Montréal, dois-je vous dire, c'est
peut-être le corps public qui exproprie avec le plus de facilité
et avec le meilleur rendement dans la province.
On se félicite toujours d'avoir à négocier,
à faire affaires avec la ville de Montréal. Il y a eu, en 1970 ou
1971, certains amendements qui ont rendu sa position un peu plus
spéciale, mais la ville de Montréal présentement est
obligée de payer l'évaluation municipale, alors que, là,
on lui permettrait de n'en payer que 50 p.c. Il me semble que c'est vraiment
reculer.
Si la ville de Montréal peut le faire, je m'explique mal comment
tous les corps publics ne pourraient pas le faire. Cela peut évidemment
dépendre d'autres raisons de régie interne que nous ne sommes pas
en mesure de saisir. Il y a des choses que nous saisissons, il ne m'appartient
pas de mettre le doigt dessus. Mais il reste que, si un corps public aussi
important que la ville exproprie en aussi grande quantité depuis au
moins 25 ans, parce qu'elle a commencé vers 1950, je ne vois pas
pourquoi aujourd'hui on dirait: Votre système va trop bien, il
protège trop les expropriés, il faudrait reculer un peu pour nous
permettre, à nous les autres corporations, de nous situer au même
stade. J'ai l'impression que c'est un recul. C'est mon principal argument.
M. PINARD: Le pourcentage des sommes déposées par la ville
de Montréal peut-il équivaloir à 100 p.c. de la valeur
municipale?
M. BELANGER: A peu près, disons, oui.
M. PINARD: Alors, si c'est un régime qui a fait ses preuves et
qui a été jugé satisfaisant, je serais bien prêt
à amender la loi pour ne pas les obliger à nous payer 50 p.c.
alors que déjà ils paient 100 p.c.
M. BELANGER: Quand la ville de Montréal payait 100 p.c, elle
avait vraiment le sens de la justice. Je vois mal les autres qui ne
reconnaf-traient pas ce sens de la justice, ou qui se priveraient de l'occasion
d'être justes à leur tour, de ne payer que 50 p.c. Je voudrais que
tout le monde paie 100 p.c. de l'offre.
Présentement, M. le ministre, je fais pour environ une douzaine
de millions d'expropriations pour une université. Nous avons fait des
offres et nous avons déposé entièrement l'offre faite.
Parce que, enfin, si on revient au début,
c'est toute une question de délais, ce sont toujours les
délais qui privent l'exproprié de ce à quoi il a droit et
lui fait subir un préjudice absolument irréparable. Il est
évident, avec un 5 p.c. d'intérêt, vous comprendrez comme
moi qu'après dix ans d'attente, quelle que soit l'indemnité
à laquelle il aura droit, il aura perdu des sommes d'argent assez
considérables et même la cour ne peut venir à son secours.
Ce n'est que la loi qui doit essayer de prévoir une situation aussi
dangereuse.
M. PINARD: N'êtes-vous pas d'avis, Me Bélanger, que la
ville de Montréal a quand même un excellent instrument
d'évaluation entre ses mains qui lui permet fort probablement de payer
beaucoup plus rapidement qu'un autre corps expropriant, que le ministère
de la Voirie par exemple, parce que la valeur des propriétés
à Montréal est faite en vertu d'une évaluation
scientifique?
M. BELANGER: D'accord.
M. PINARD: Bon. Tout de suite, ils sont certains de ne pas se tromper,
pour autant qu'ils ont l'assurance qu'il n'y aura pas retrait du
dépôt du plan général ou qu'il n'y aura pas de
modifications à ce point importantes qu'elles pourraient en chambarder
totalement le projet d'expropriation.
Dans le cas du ministère de la Voirie, ce n'est pas toujours
cette situation qui prévaut parce qu'il y a différents
régimes d'évaluation municipale, et, le plus souvent, nos
expropriations sont faites en dehors du territoire des grandes
agglomérations urbaines, sauf pour l'autoroute est-ouest, par exemple.
Vous avez différents régimes d'évaluation. Alors il faut
que le ministère soit en mesure de procéder à une
expertise, à l'évaluation la plus scientifique et la plus
réaliste possible des biens à être expropriés. Et ce
sont des instruments qui ne sont pas toujours entre les mains du
ministère.
Pour concilier tous ces objectifs, est-ce que vous avez une solution,
une proposition à faire pour que le ministère ne se donne pas un
régime d'exception, comme vous l'avez souligné tantôt?
M. BELANGER: M. le ministre, tout d'abord vous avez paré de la
différence d'évaluation entre les diverses municipalités
que vous traversez. Je dois vous dire qu'avec le bill 48 c'est censé se
corriger. Le problème va surtout se présenter dans les cas de
fermes. Il est évident que, si vous déposez une évaluation
municipale, vous n'arriverez pas à payer une somme raisonnable à
l'exproprié parce qu'en fait son indemnité s'appliquera beaucoup
plus aux dommages qu'à la valeur réelle de l'immeuble.
Seulement avec des évaluateurs compétents et je
sais que la voirie en compte beaucoup il y a toujours possibilité
de faire une évaluation sommaire qui vous permet d'offrir dans un
délai raisonnable des sommes d'argent et de savoir à peu
près ce que ça va représenter. Je reviens à mon
exemple de tout à l'heure, quand nous avons fait des offres pour
l'Université du Québec, il est évident que les offres que
nous faisions étaient un peu conservatrices parce que, nous aussi, il a
fallu travailler un peu plus rapidement, et on reste évidemment sur le
côté sûr quitte à ajuster après.
Il est même arrivé des gens qui ont voulu régler sur
ma première offre. J'ai refusé puisque j'ai dit: Cela peut quand
même être un peu plus élevé. Il y a de ces personnes
inquiètes et timides qui n'osent pas aller voir un évaluateur ou
un avocat. Il y a possibilité de faire ça. Je vous avoue que pour
n'importe quel dossier, quand on a passé une heure, une heure et demie
dessus, on est en mesure de dire: Bien écoutez, on peut vous avancer
$10,000, $15,000, $20,0000, $50,000 ou $100,000 sans aucun risque.
Il y a une chose bien importante, c'est qu'actuellement
l'évolution est tellement rapide qu'on ne peut plus analyser les
dommages à un bien, non seulement à un bien meuble, mais à
un bien immeuble, comme on le faisait il y a 20 ans. Si vous m'enlevez
aujourd'hui mon usine, je ne peux pas tout construire avant une année.
Les coûts d'augmentation cette année vont être de 10 p.c.
à 15 p.c. Or si vous me payez l'an prochain pour ce que vous m'enlevez
cette année, je ne serai pas en mesure d'avoir ce que j'avais, c'est
évident. Le gouvernement ne peut pas lui dire qu'il va payer pour l'an
prochain; il va être obligé de refaire sa façon de penser
pour pouvoir aller jusqu'à dire: Est-ce qu'on ne devrait pas payer le
rétablissement de cette usine?
Et là je sors un peu du sujet en disant que le ministère
du Commerce, lui, ne sera pas intéressé à voir fermer
l'usine. Mais il reste que l'individu dont le pouvoir d'emprunt est
arrivé à son maximum, qui est exproprié dans les
circonstances actuelles ne peut pas repartir. Il est obligé de fermer,
à moins que quelqu'un d'autre, soit le gouvernement ou votre
ministère ou un autre ministère puisse intervenir pour dire:
Ecoutez, on va vous aider d'une façon ou de l'autre.
Je reviens au plan général dont vous avez parlé
tout à l'heure. Les plans généraux déposés,
il est évident qu'ils ont eu à être amendés
très souvent. Si vous vous en souvenez, M. le ministre, en 1956,
lorsqu'on a déposé le plan de l'autoroute
Montréal-Saint-Jérôme, c'était dans les premiers
grands plans qu'on déposait vraiment et, là, il y en a eu, des
amendements! Aujourd'hui, on n'est plus en 1956. Votre ministère, vos
gens savent beaucoup plus où ils vont, ce qui est normal. On a
corrigé beaucoup de ronds-points. Il y a des ronds-points qui
n'étaient pas acceptables il y a dix ans, mais on en fait de nouveaux
qui sont beaucoup plus faciles d'accès. Aujourd'hui, on a beaucoup
moins l'occasion d'amender les plans; on sait beaucoup mieux où
l'on s'en va.
M. PINARD : Et la planification est mieux faite qu'autrefois.
M. BELANGER: Mon Dieu, oui, M. le ministre!
M. PINARD : Hier, le contraire nous a été dit.
M. BELANGER: Ce que je ne voudrais pas, c'est que vous reculiez
après avoir fait un si beau pas.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PINARD : S'il vous plait.
M. PAUL: Excusez-moi, M. le ministre.
M. PINARD : Admettez-vous, Me Bélanger, que sans procéder
à une réforme globale du régime de l'expropriation au
Québec, surtout en matière de voirie, le ministère, voyant
les difficultés sur les plans technique, administratif et sociologique,
s'est efforcé de faire de la réforme interne, de réformer
ses procédures, de les rendre plus efficaces, plus rapides, de payer
plus rapidement sur la base de l'évaluation municipale connue? Cela a
même été jusqu'à 75 p.c. et même 100 p.c. du
paiement dans des cas, quitte à parfaire la différence qui
pouvait subsister entre l'offre et la réclamation de
l'exproprié.
Est-ce que cela vous a paru une procédure valable dans les
circonstances ou s'il faut en arriver quand même à ce
chambardement, à cette réforme globale proposée par le
bill 88?
M. BELANGER: La principale raison pour laquelle je pense qu'aujourd'hui
vous n'avez plus besoin de ce dont vous aviez besoin avant, c'est justement
cette clause de réserve à laquelle vous avez droit maintenant.
Quand on peut réserver pendant deux ans, on a quand même le temps
de regarder pour voir si le plan doit être amendé ou non. Avant,
il y avait l'urgence. Le gouvernement était dépassé par
des choses qui auraient dû être faites, mais qui ne l'ont pas
été. Aujourd'hui, il a repris le dessus, il est en avance un peu.
H ne travaille plus sous la même pression qu'il y a quelques
années.
Cette clause de réserve, on peut l'étudier lentement, on a
le temps d'y penser. Il n'y a pas de spéculation, il n'y a pas d'argent
en jeu. Il y a celui qui est assis et qui dit: Nous avons l'intention de passer
là. Nous allons l'étudier lentement et, quand nous serons
prêts, nous déposerons la clause de réserve. Là, je
pense que vous faites sauter toutes ces difficultés administratives
auxquelles vous avez eu à faire face, parce que vous ne les aurez
plus.
M. PINARD: Vous savez que, personnellement, j'ai toujours
été partisan d'avoir des pouvoirs d'homologation. Comme titulaire
du ministère de la Voirie, cela nous a toujours été
refusé, alors que c'était accordé à Montréal
et à d'autres municipalités, même à d'autres corps
expropriants. Je n'ai jamais compris pourquoi. J'ai donné mon opinion
là-dessus et je n'ai pas à reprendre ce que j'ai dit.
Par contre, des avocats plaidaient devant les tribunaux, parfois pour le
compte du ministère et parfois contre le ministère, parfois pour
le compte de la ville de Montréal et parfois contre la ville de
Montréal. Les évaluateurs, les expropriés venaient nous
dire que la ville de Montréal avait abusé de ses pouvoirs
d'homologation. Elle avait gelé des territoires complets sans avoir
indemnisé les personnes qui avaient à en souffrir. Qu'est-ce que
vous avez à dire là-dessus? Cela s'est quand même
passé dans la ville de Montréal.
M. BELANGER: Il y a eu d'abord des améliorations au point de vue
de l'homologation, lorsqu'en 1954 on a limité à cinq ans plus
cinq ans. Il est évident que la ville a abusé. Plus
particulièrement, les cités et villes ont abusé.
Présentement, au moins à la ville de Montréal, si vous
avez un terrain homologué, il n'est pas imposé. Dans la Loi des
cités et villes, il n'y a que le pouvoir qui est donné au conseil
d'exempter de taxes ces terrains, ce qu'il ne fait généralement
pas. De plus, les villes ont, dans leur règlement de zonage, dans leurs
projets et leurs plans directeurs, des districts ou des terrains qui sont
réservés pour fins communautaires pendant quinze ans et pour
lesquels ont exige des taxes. Il est évident que c'est une injustice
incroyable. D'ailleurs, les cours ont eu l'occasion de se prononcer. Mais
l'individu qui est pris avec ce problème, le temps de se rendre à
la fin d'un procès du genre, qui revient très souvent en appel,
il n'a plus son terrain. Je peux vous donner des exemples de centaines de
clients qui ont des terrains homologués depuis huit ans et rien ne se
fait. Ils paient en plus $10,000, $12,000 de taxes par année.
Il est évident que cette clause de réserve va être
énormément avantageuse. Seulement la clause de réserve est
faite pour protéger le gouvernement et non pour protéger
l'individu. Elle est faite pour protéger le gouvernement, pour
éviter que le développement soit trop intense pendant le temps
où le gouvernement veut prendre les dispositions nécessaires. Il
veut tout de même éviter les pots cassés. Par voie de
conséquence, évidemment, l'individu qui aurait eu l'intention de
se construire là est obligé, deux ans après, de faire
démolir sa construction. Lui aussi retire un intérêt, mais
c'est surtout le gouvernement.
Quand vous avez deux ans pour repenser votre plan de réserve, je
ne vois pas comment les amendements, au plan général, peuvent
être nombreux. J'ai raison quand je dis qu'il y en a
beaucoup moins. J'ai déjà vu 32 amendements sur un
même plan. Cela fait longtemps.
M. PINARD: Comment pensez-vous que le ministère peut être
capable de prévenir la spéculation éhontée qu'on a
connue dans le passé, si le ministère ne se donne pas le pouvoir
de déposer un plan général? Même avec toutes les
mesures de secret qui peuvent exister on sait que les secrets sont des choses
bien mal gardées. Je n'ai besoin de préciser aucun cas, de nommer
personne, mais vous avez assez d'expérience dans le domaine de
l'expropriation pour savoir à quoi je fais allusion et
particulièrement dans la région de Montréal. Il y a eu des
fortunes faites avec l'expropriation. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est
au détriment du bien commun et des mêmes personnes qu'on veut
absolument protéger, que ce soit sur l'autoroute est-ouest ou
ailleurs?
M. BELANGER: La réserve est justement une des faiblesses de
l'homologation. C'est qu'elle n'empêche pas les valeurs d'augmenter. En
expropriation, même si un terrain est réservé, comme il
était jusqu'à maintenant homologué, il était
paralysé, il souffrait en lui-même des dommages. Mais quand arrive
le temps de l'expropriation, on oublie qu'il est homologué et on lui
donne la même valeur que le terrain voisin. Or, l'homologation peut
évidemment déclencher une spéculation, parce que si vous
homologuez ou si vous faites une réserve sur un terrain pour l'ouverture
d'une rue ou pour l'expropriation d'un terrain pour un parc, pour la voirie ou
autres, il est évident qu'on va savoir qu'alentour il y aura
peut-être quelque chose à faire.
Je pense qu'on a exagéré cette spéculation
éhontée à l'occasion d'expropriations. Il y a eu des
spéculateurs qui ont fait de l'argent, mais pour ma part, avec
l'expérience que j'ai, j'en connais beaucoup qui ont perdu.
M. PINARD: Toutes proportions gardées, en valeur?
M. BELANGER: En valeur.
M. PINARD: Par rapport au gain?
M. BELANGER: Oui.
M. PINARD: Au gain spéculatif fait par ceux qui ont
profité du régime de l'expropriation.
M. BELANGER: Nous n'empêcherons quand même jamais quelqu'un
de profiter. Il y en a qui ont plus de flair que d'autres. Il y en a qui ont
plus de moyens que d'autres. Mais il reste que, dans l'ensemble, des
spéculateurs sur les fermes, les terrains, il y en a peu dans la
province de Québec, depuis 1955 environ. Je peux vous dire que vous avez
beaucoup de propriétaires de terrains qui sont en faillite et qui ne
peuvent pas récupérer. Je pense que la spéculation est un
peu comme le jeu. Quand on fait un profit, on le remet dedans en entier et,
à un moment donné, cela bloque. La spéculation ne peut pas
rester dix ans, quinze ans. Une spéculation vraiment heureuse, on peut
lui donner un maximum de cinq ans; autrement, ce n'est plus de la
spéculation, parce qu'on ne réalise pas qu'après dix ans
on n'a pas fait un sou, même si on pense avoir vendu à des prix
fabuleux. En soi, la spéculation est une bonne chose. C'est d'abord une
chose essentielle à l'économie d'un pays, d'une ville, de tout.
Les commerces font de la spéculation. Quand Eaton achète à
l'automne, il spécule pour le printemps, quand même! Même le
médecin spécule dans son diagnostic. Ce qui est important, c'est
la mauvaise spéculation.
M. PINARD: C'est une spéculation qui reste quand même
concurrentielle. Nous avons le choix d'aller acheter chez Dupuis ou chez Eaton
ou chez Holt Renfrew. Mais les spéculateurs dont je parle, il n'y a
personne qui peut les arrêter. Il n'y a pas de concurrence. Ils
transigent entre eux. Ils font monter les prix de façon artificielle
pour faire payer le montant le plus élevé possible aux corps
expropriants: le gouvernement, la ville de Montréal ou tout autre corps
public expropriant. Vous savez de qui je parle, à ce
moment-là.
Je dis, ce matin, que c'est le temps de mettre les cartes sur la table.
Cela fait tellement longtemps qu'on accuse le gouvernement de spolier ou de
défavoriser à toutes fins pratiques, le petit exproprié
surtout. A ce moment-là, je me dis: Le Barreau a une
responsabilité sociale. C'est son devoir de dire aux législateurs
de quelle façon la réforme peut être entreprise pour avoir
le régime le plus efficace, le moins discriminatoire possible. Ce n'est
pas seulement la responsabilité du législateur de voir à
ce problème. C'est à ceux qui se présentent devant nous de
venir nous le dire aussi et de ne pas cacher certaines cartes, de les jouer au
complet, comme nous essayons de les jouer devant vous. Je vous pose des
questions ce matin. Je pense que je ne prends pas beaucoup de
précautions; je ne me protège même pas.
M. BELANGER: D'accord.
M. PINARD: Je ne protège même pas mon ministère. Je
suis bien prêt à admettre qu'on a commis des erreurs dans le
passé. Vous qui êtes des experts en expropriation et qui voulez
tellement protéger vos clients, petits, gros et moyens, dites-nous donc
comment cela devrait marcher, une fois pour toutes, sans faire de restrictions
mentales.
M. BELANGER: Je m'excuse, M. le ministre. Je n'aurai pas de restrictions
mentales. Je pense que vous me connaissez assez pour cela. J'ai commencé
mes déclarations en vous disant
que la ville de Montréal avait un système qui était
applicable partout, n'importe où et avec les mêmes
résultats. La spéculation, dans la ville de Montréal,
c'est peut-être l'endroit où vous en aurez vu le moins. Et
pourtant, ils opèrent. Ils en ont fait. J'en ai fait pour la ville de
Montréal, des millions. Et j'en ai fait contre, aussi, des millions. Et
je sais que la spéculation n'est pas facile. N'oubliez pas une chose: de
1955 à 1965, il y a eu une spéculation qui était due un
peu à la situation économique, à l'après-guerre,
etc. Mais c'est pas mal arrêté depuis 1965. Il se fait beaucoup
moins de spéculation. C'est exceptionnel. Mais, M. le ministre, nous ne
les empêcherons quand même pas toujours. Il y en aura toujours un
certain nombre qui profiteront des circonstances pour s'enrichir aux
dépens des autres. Je suis bien d'accord avec vous. Actuellement, vous
n'avez pas tellement de spéculation.
Le système de la ville de Montréal, à mon avis, est
parfait. Et pourtant, on dépose un plan pour chaque immeuble. Quand la
ville de Montréal devient propriétaire, dans, je dirais
parce qu'il y a quand même des cas d'exception 95 p.c. des cas,
elle a en main son rapport d'expertise. Elle peut procéder
immédiatement.
Je vous donne un exemple, M. le Président. Prenez l'autoroute
est-ouest, disons la partie vraiment est, de Papineau. On a pu négocier
assez rapidement avec la Voirie, pour des cas, quand même, qui sont
considérables, des causes vraiment difficiles. On a pu procéder.
Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas toujours le faire.
Le cas le plus difficile, c'est plutôt la ferme, c'est
évident. Mais il y a moyen, en quelques heures, de passer à
travers. Lorsque vous expropriez dix fermes, cela ne prend pas quinze jours
pour savoir ce que cela peut représenter comme dommages, j'entends en
restant conservateur, de façon à permettre au bonhomme, qui est
mal pris temporairement, de voir ce qu'il peut faire. Mais des injustices, on
en commettra toujours en expropriation. Que voulez-vous, c'est une loi qui est
à l'encontre même de la démocratie, jusqu'à un
certain point. On en causera toujours, parce qu'on ne peut pas aller
jusqu'à l'individu. Vous expropriez deux cultivateurs. Il y en a un qui
a de l'initiative et se réinstalle le lendemain. L'autre, qui n'en a
pas, est fini pour la vie. Mais que peut-on faire là-dessus? Il est
évident qu'on ne peut pas aller jusque-là. Mais il reste qu'il
faut lui donner le maximum de protection pour qu'il arrive à se tirer
d'affaire.
M. PINARD: Ne penzes-vous pas que le gouvernement devrait se donner une
période de transition, qui lui permettrait de sortir du régime
actuel où il se trouve, avec 12,000 dossiers actifs qui sont
négociés avec la procédure que vous connaissez, pour, dans
une autre étape, passer carrément dans le cadre de la
réforme qui est proposée? Cela me paraît bien difficile,
pour le moment, d'obliger le gouvernement ou le ministère de la Voirie
à payer, disons, plus que 50 p.c. Il me semble que c'est un pas en avant
qui est fait et que, dans des étapes ultérieures, mais dans un
délai quand même assez rapproché, nous pourrions en arriver
au paiement de 100 p.c, quand nous aurons eu le temps de bien roder
l'établissement du régime de réserves pour fins
publiques.
Obliger, maintenant, le gouvernement ou le ministère de la Voirie
à ne pas déposer de plan général et à payer
100 p.c, je pense que cela risquerait de paralyser toute l'action du
ministère pour une période assez longue. A ce moment-là,
est-ce que les inconvénients ne seraient pas plus sérieux envers
le public en général que les dommages qui peuvent être
causés de façon occasionnelle et, quand même, de
façon exceptionnelle, à certaines personnes ou à certains
groupements de personnes?
Je pense que c'est le problème que nous devons nous poser ce
matin.
M. BELANGER: Quand vous parlez de 50 p.c, je comprends que vous mettez
dans la loi l'obligation de payer 50 p.c, mais est-ce que la Voirie ne le fait
pas déjà sans cette obligation? Elle n'avance pas, elle ne se
crée pas un problème avec les 50 p.c, elle fait depuis
certainement environ une dizaine d'années.
Elle avance dans à peu près tous les cas, sauf exception,
pour des périodes courtes, mais généralement elle avance.
Elle ne se crée pas un problème en s'obligeant à payer 50
p.c., elle le fait déjà.
Quand je dis 100 p.c, il s'agit d'une évaluation sommaire. Et un
jour, je communiquais avec un représentant qui me disait: J'ai un
rapport de $100,000, je serais prêt à vous en verser $50,000. Je
lui ai dit: Vous n'avez pas l'impression de vous décerner un certificat
d'incompétence en ne m'en offrant que $50,000 si vous avez $100,000. Que
vous me disiez $75,000, d'accord, parce qu'on va vite. Mais si après une
étude sommaire on arrive à un chiffre X, je trouve que les 50
p.c. ne sont pas suffisants. Et je répète que ça se fait
déjà. Nous avons eu même plus que 50 p.c. à ce jour
et nous l'avons apprécié grandement, même s'il n'y avait
aucune obligation légale de la part de la Voirie de le faire.
Quant au système de transition, il est évident que
ça ne pourrait pas se faire du jour au lendemain. Je le crois. Et je me
demande si on ne devrait pas continuer ce qui est commencé comme avant,
mais quitte, dans un avenir rapproché, à fonctionner d'une autre
façon. Je ne peux pas. Devant votre question sur cette petite
période de transition pour autant que ça reste une
période de transition je n'aurais pas personnellement d'objection
et la chambre non plus, parce qu'elle se rend bien compte des
difficultés.
Nous sommes ici pour vous dire ce que nous en pensons. Cela ne veut pas
dire que nous
pensons que vous pensez mal nécessairement. Vous pouvez ne pas
penser comme nous.
M. PINARD: Mais si vous pensiez mieux que nous, je voudrais bien que
vous soyez clair là-dessus et que vous nous le disiez.
M. BELANGER: Nous ne pensons pas mieux que vous, nous ne pensons pas de
la même façon. C'est tout. Parce que nous avons des
répercussions qui ne sont pas les vôtres. Nous essayons de mettre
devant vous, MM. les membres de la commission, nos réactions et le fruit
de nos expériences.
Il est une chose certaine qu'on doit admettre, en expropriation, depuis
plusieurs années, il y a eu des injustices commises. Quant au jeu de
l'intérêt, nous sommes obligés de régler quand nous
savons qu'il faut aller à la cour, à des sommes que nous croyons
inférieures à la valeur réelle, parce que, même si
nous gagnons à la cour, nous l'aurons perdue par le jeu des
intérêts. Et nous avons des cas semblables à longueur
d'année.
C'est pour ça que je dis: Si vous donnez un montant
supérieur, le jeu de l'intérêt est bien moins important.
Les 5 p.c. d'intérêt, quand ils ont été mis dans le
code, devaient bien représenter 15 p.c. par rapport à
aujourd'hui. C'était une pénalité, ce n'était pas
un cadeau. Aujourd'hui, c'est devenu un cadeau. Je comprends que ce n'est pas
facile de les changer, mais il faut essayer de les corriger, éviter que
des gens en souffrent au maximum.
Et si le paiement préliminaire est supérieur à ce
qu'il a été en reste dans la logique, le jeu de
l'intérêt jouera sur 15 p.c. ou 10 p.c. de l'indemnité.
C'est quand même plus raisonnable.
M. PINARD: A toutes fins pratiques, ce qui a été
demandé hier, en particulier par le Barreau du Québec, ne
laissait pas beaucoup le choix au gouvernement. Ou bien en vertu du partage
budgétaire qui est fait annuellement selon une planification,
après que les besoins des ministères ont été
établis, et que les allocations budgétaires ont été
déterminées et accordées, il reste que le ministère
de la Voirie est celui qui reçoit le plus.fort budget
d'immobilisation.
C'est une hausse constante du budget d'immobilisation en faveur du
ministère de la Voirie par rapport aux autres ministères, mais ce
n'est pas suffisant pour arriver à satisfaire les besoins
exprimés hier par le Barreau du Québec. Il faudrait arrêter
la machine du ministère de la Voirie pendant au moins deux ans pour
être capable de faire un nettoyage complet des dossiers actuellement en
voie de négociation et en voie de transaction. Si on ne prend pas cette
mesure, une autre pourrait s'offrir à nous mais ça me
paraît difficile d'y arriver. C'est la constitution d'un fonds
d'expropriation, d'un fonds d'indemnisation spécifique dans lequel le
ministère pourrait puiser au fur et à mesure des besoins pour
hâter la procédure de paiement; 12,000 dossiers actifs
représentent en valeur $125 millions à $130 millions.
M. PAUL: Vous avez déjà 50 p.c. de ce montant
déposé.
M. PINARD: Nous déposons déjà ce montant, ce qui
veut dire qu'en 1972 nous aurons fait probablement $35 millions à $40
millions d'expropriations payées. Cette année, nous aurons
dépensé sûrement $50 millions, peut-être davantage
parce que nous avons mieux rodé notre procédure et nous avons
insisté pour avoir une plus forte proportion du budget consacré
aux dépenses d'expropriation. La même chambre de commerce va nous
faire des représentations à un autre moment par son
mémoire annuel; elle va demander des autoroutes à tel endroit,
des infrastructures à tel autre endroit. Mais comment le gouvernement
va-t-il faire pour satisfaire tous ces besoins et procéder à tous
ces choix budgétaires tout en minimisant, dans la mesure du possible et
de la façon la plus idéale possible, les inconvénients qui
pourraient être causés aux individus ou groupements d'individus?
C'est le défi de l'administrateur public en ce moment face aux exigences
de la population. Je vous pose le problème, si vous avez une
réponse à me donner, cela me ferait plaisir de l'entendre.
M. BELANGER: M. le ministre, vous parlez des 12,000 dossiers qui
existent; je suis d'accord avec vous, cela peut représenter, disons $100
millions pour les besoins de la discussion. Seulement la loi ne s'applique pas
à ces 12,000 dossiers; elle va s'appliquer aux nouvelles causes
d'expropriation. Quand vous parlez de transition, c'est ce à quoi nous
pensons, nous. Si nous essayons d'éliminer ces dossiers comme on les a
toujours traités et qu'à l'avenir vous ayez un système qui
vous permette de faire disparaf-tre des difficultés, c'est dans ce sens
que nos remarques sont faites.
Je sais bien que depuis de nombreuses années le problème
du ministre de la Voirie est grave de ce côté parce qu'il se fait
beaucoup d'expropriations, il y a beaucoup de dossiers. Mais on pourrait, comme
vous disiez tout à l'heure, avoir un fonds pour prévoir les
dépenses pour au moins dans le futur. Ce qui est fait on ne peut
évidemment pas le défaire, et quand vous parlez de $100 millions
je le crois évidemment.
C'est pour l'avenir que nous y voyons un intérêt
additionnel et très important. Mon impression personnelle, c'est qu'avec
ces amendements le pire problème actuel du ministère de la Voirie
existera encore avec la nouvelle loi. C'est mon impression personnelle. Cela ne
changera pas, parce qu'il y a des problèmes à régler. Avec
la loi actuelle, je pense que la situation sera la même, sauf
peut-être les 50 p.c. qui pourraient être améliorés
mais prenons-les tels qu'ils sont. Les 50 p.c., au point de vue
légal, c'est une amélioration. En fait ce n'en est pas une
puisque cela existait; pour la ville de Montréal, ce n'en est pas une
parce que c'est moins que ce qui existait.
Ce qui est passé, réglons-le avec la loi qui existe mais
à l'avenir, tâchons d'éviter qu'on soit pris à payer
des sommes qu'on n'a pas.
M. PINARD: Je n'ai plus de questions.
M. PAUL: M. le Président, je vais faire plaisir au ministre
d'abord, je vais lui dire qu'il est un bon ministre de la Voirie. Partant du
compliment que je lui fais, je voudrais maintenant poser...
M. PINARD : Je suis mieux de me guetter.
M. PAUL: ... M. le Président, je vais décevoir le
ministre, parce que je ne lui tirerai pas le pot ce matin, je vais le garder en
réserve. Voici, M. Lefebvre, votre point de vue est le suivant: vous ne
mettez pas d'objection â ce que le ministre de la Voirie dépose
des plans d'expropriation, mais ce à quoi vous vous opposez, comme le
Barreau et d'autres que nous allons entendre ce matin, c'est ce traitement
privilégié que se donne le législateur ou le traitement
privilégié qu'il donne au ministre de la Voirie de ne payer que
50 p.c. du montant d'expropriation.
Vous aviez raison de venir ce matin, parce que votre mémoire, de
même que celui du Barreau, a ébranlé le ministre. Ce matin,
il parle d'une période transitoire, et il faut comprendre les
implications financières dont nous a parlé le ministre hier. Je
n'en fais pas une recommandation au ministre pour le moment, mais quelle serait
votre opinion à vous si la loi prévoyait que, d'ici cinq ans, le
ministre de la Voirie devra payer la totalité de l'indemnisation
provisionnelle d'expropriation?
M. BELANGER: Vous me posez une question qui demande une réponse
très réaliste.
M. PAUL: Oui, oui.
M. BELANGER: Je pense que le contraire est à peu près
impossible.
M. PAUL: Mais est-ce que ça atteindrait votre objectif, et
croyez-vous réellement que les gens auraient l'impression que le
ministre de la Voirie ne se donne pas un traitement de faveur, tout en tenant
compte des implications financières, et que ça pourrait permettre
au ministre de la Voirie de planifier la création d'un fonds de
réserve pour faire face aux indemnités d'expropriation?
M. BELANGER: Je pense que ce serait raisonnable aussi, M. le
député, pour autant que ce soit prévu dans la loi comme
ça, pour autant que ce soit prévu dans la loi. Je le sais bien,
je l'ai dit tout à l'heure, c'est impensable que demain matin, on
bouleverse tout, connaissant les obligations actuelles et celles à
venir. Mais une période de cinq ans, qu'il y ait une prévision
dans la loi de façon qu'on soit obligé de faire l'effort
nécessaire pour le matérialiser, je suis d'accord.
M. PAUL: Et par contre, vous ne verriez pas une telle mesure acceptable
en faveur de la ville de Montréal, qui, déjà, paye 100
p.c. de l'indemnité provisionnelle?
M. BELANGER: D'accord, et la ville est organisée dans ce sens,
d'autant plus que la ville, quand elle exproprie, c'est déjà
prévu par un règlement d'emprunt, est obligée d'avoir en
main l'argent avant d'exproprier.
M. PAUL: M. le Président, le ministre croyait que j'étais
pour lui lancer le pot, mais au contraire c'est avec un grand esprit de
collaboration que j'ai voulu poser des questions, vous êtes des experts
du métier, pour que nous, profanes que nous sommes, soyons en mesure
d'en connaître davantage.
Maintenant, M. Lefebvre ou quelqu'un de la délégation qui
est devant nous, j'aimerais vous poser une question qui n'a aucune relation
immédiate avec le mémoire que vous nous avez
présenté ce matin, mais qui résulte d'un mémoire
qui nous fut présenté hier par Me Viau, au nom de l'Union des
conseils de comté. Ceux qui pratiquent dans les milieux ruraux ont
été à même d'apprécier la valeur des
arguments que Me Viau nous a présentés selon lesquels, pour
l'expropriation basée sur le code municipal, on devrait faire une
exception et maintenir, avec un ou deux amendements, le système qui
prévaut actuellement, qui est un système économique, qui
est un système rapide et surtout en tenant compte du petit montant en
jeu dans maints cas d'expropriation.
Je comprends que vous évoluez dans une grande municipalité
vous autres, Montréal, mais vous, Me Lefebvre, avec toute
l'expérience que vous avez, est-ce que vous auriez objection à ce
que le législateur maintienne le mécanisme déjà en
place pour l'expropriation municipale, en l'améliorant quelque peu pour
ne pas créer un écart trop grand entre la loi
générale d'expropriation et les pouvoirs que l'on pourrait
maintenir, donner aux municipalités?
M. PANET-RAYMOND: Je me permettrais simplement de souligner à M.
le député que j'ai à ma gauche Me Marcel
Bélanger.
M. BELANGER: Je ne sais pas M. le député s'il y a un M.
Lefebvre ici, qui est un honorable individu, je suis prêt à
prendre son nom si vous...
M. PAUL: Ah vous savez, j'aime toujours mieux Bélanger parce que
ça me rappelle le rapport de la commission Bélanger.
M. BELANGER: Ah bon!
M. PAUL: Alors je sais que vous n'étiez pas ce même
Bélanger.
M. BELANGER: Non, non.
M. PAUL: D'ailleurs c'est heureux pour vous. Alors je m'excuse...
M. BELANGER: Je ne répondrai pas à cela.
M. PAUL: Vous êtes aussi bien. Nous nous en dirons un mot tous les
deux dans le particulier. Je m'excuse si je vous ai honoré du nom de
Lefebvre. Pour revenir à la réalité, vous vous appelez Me
Bélanger.
M. BELANGER: M. le député, vous me posez une
question...
M. PAUL: Pour votre information, je suis le député Paul,
en passant.
M. BELANGER: Moi, je le savais.
Vous me posez une question qui me prend un peu par surprise. Dois-je
vous dire que, malgré l'expérience que j'ai en expropriation, je
n'ai eu que quelques occasions de faire de l'expropriation d'après le
code municipal. Selon mon expérience je parle pour moi parce que
je n'ai pas pu consulter les membres du comité ni ceux de la chambre
ça devrait changer. Les quelques cas que j'ai eus m'ont
semblé créer des injustices; j'en ai eu cinq ou six tout au
plus.
On peut plus mal se défendre parce qu'on se trouve trop
près, les expropriants des expropriés, etc, comme vous dites, les
montants en jeu ne sont pas énormes, c'est vrai. Pour celui qui est
exproprié, le montant en jeu peut être énorme.
M. PAUL: II est important, du moins.
M. BELANGER: Le petit exproprié est généralement
celui qui souffre le plus d'une expropriation. Il faut partir du principe
fondamental que le petit exproprié est celui qui perd le plus à
la suite d'une expropriation, s'il y perd quelque chose, évidemment.
Celui qui doit retirer une indemnité de $1 million, s'il en retire
$25,000 de moins, ça ne changera pas sa façon de vivre; mais
celui qui doit retirer $5,000 et qui en retire $4,500, pour lui, ça peut
créer un problème.
M. PAUL: Quand vous parlez de $5,000, ce n'est plus une expropriation en
vertu du mécanisme prévu par le code municipal. Alors, c'est la
Régie des services publics qui intervient à cause d'une
référence faite à la Loi des cités et villes.
Je suis heureux d'avoir pu connaître votre opinion indiquant que
la loi devrait être unique et ne souffrir aucune exception.
M. BELANGER: Je suis parfaitement d'accord.
M. PAUL: Messieurs, je vous remercie des renseignements que vous nous
avez donnés. Continuez. Nous avons réussi à
ébranler le ministre et, comme il est près de son départ
du ministère, il verra sans doute à laisser une loi qui puisse
répondre aux aspirations ou aux désirs de la très grande
majorité de la population si ce n'est de toute la population.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je pense que le député de
Maskinongé se pense encore ministre de la Justice, vous le nommez juge
souvent.
M. PAUL: Je lui ai déjà offert d'être nommé
juge à la cour des Commissaires mais il m'a dit qu'elle avait
été abolie.
LE PRESIDENT (M. Ostiguy): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: M. le Président, j'ai cru voir, dans les propos du
ministre de la Voirie, tout à l'heure, que sa grande et principale
crainte réside dans les nombreuses demandes qui parviendront
probablement au cours des prochaines années pour des
améliorations de la voirie. Il se demandait surtout comment payer cela;
en somme, c'est ce qu'il voulait dire. De quelle façon va-t-on pouvoir
payer? Je pense que c'est sa crainte fondamentale de ne pas pouvoir payer la
somme nécessaire à la réalisation de ces demandes.
D'après le témoignage de M. Bélanger, je crois
réellement qu'à Montréal on paie suivant la
capacité de payer parce qu'on a l'argent disponible dès le moment
de l'expropriation. C'est peut-être justement le fait qui nous prouve que
c'est la facilité de payer qui améliore les négociations
et qui fait en sorte d'activer les négociations et l'expropriation.
Croyez-vous que le gouvernement, ou le nouvel organisme qui est en train de
prendre forme, devrait surtout s'appuyer sur le principe de vivre selon ses
moyens ou au moins selon ses possibilités d'emprunt puisque
nécessairement il sera obligé d'emprunter?
M. PANET-RAYMOND: II me semble de la plus élémentaire
justice que, si le gouvernement entame une expropriation, il soit prêt
à faire face aux frais que cela va causer et aux indemnités qu'il
y aura à verser. C'est tout à fait élémentaire.
Je pense que c'est un argument qui ne souffre aucune contradiction. Si
on veut instaurer quelque chose qui met en cause le bien commun, d'une part,
d'accord, mais qui met en cause aussi le bien de certains individus qui sont
touchés par cette mesure, il faut être en mesure de faire face
à ses responsabilités.
Tout à l'heure, on a fait allusion à des
volumes d'argent considérables et à des expropriations
à faire dans le futur. Pour ce qui est du futur, nous avons
déjà laissé entendre qu'une période de transition
nous serait acceptable pourvu que l'on sache dès maintenant quel genre
de régime va s'appliquer. Je comprends fort bien, étant
administrateur, qu'on ne peut pas, dès demain matin, changer
complètement le régime. Qu'il y ait une période de
transition, qu'on établisse graduellement cette transition et qu'on
prévoie les sommes d'argent nécessaires à ce moment,
soit.
M. AUDET: Admettez-vous, M. Panet-Raymond, que la grande
différence d'efficacité qui peut exister entre ce que la Voirie a
fait jusqu'ici dans ses expropriations et la ville de Montréal,
d'après le témoignage de M. Dostie, hier, témoignage
fabuleux, c'est justement cette impossibilité de payer
immédiatement de la part du ministère de la Voirie,
comparativement à la ville de Montréal qui payait
immédiatement?
L'accusation, actuellement, est qu'on voit des retards, allant
même jusqu'à douze et quatorze ans, de dossiers qui trament en
longueur et qui ne sont pas clarifiés. Je crois que la principale raison
est le fait de ne pas avoir eu l'argent pour payer immédiatement. C'est
la cause principale.
M. BELANGER: Vous me permettez de vous répondre. Tout d'abord,
à la ville de Montréal, on impose l'obligation d'avoir l'argent
avant d'exproprier. Cette obligation lui est imposée par le
gouvernement. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne s'imposerait pas la
même obligation. Ce qui est passé, évidemment, c'est
passé, mais on dit qu'au moins, à l'avenir, si vous
dépensez $10 millions, soyez en mesure de l'avoir entre les mains. Il se
produit un non-sens. Le gouvernement, présentement, se finance
partiellement avec des expropriés. C'est cette anomalie qu'il faut faire
disparaître.
M. AUDET: Justement, le gouvernement devrait être aussi bon payeur
que le contribuable lui-même.
M. BELANGER: II est évidemment en aussi bonne finance que la
ville de Montréal. Les problèmes financiers existent partout et
on oblige quand même la ville à avoir en main les montants
d'argent nécessaires avant de commencer.
M. PINARD: Le gouvernement est en mesure de payer ce que les
contribuables lui paient. Seulement, pour en arriver à la situation
idéale que vous proposez je n'ai rien contre; au contraire, j'y
serais fortement favorable il va falloir que les Québécois
apprennent à se discipliner et à ne pas demander au gouvernement
toutes sortes de choses en même temps. Il va falloir que les citoyens
apprennent à établir des priorités et permettent au
gouvernement d'établir ses priorités. Il va falloir que la
chambre de commerce, dans son mémoire annuel, ne vienne pas demander 150
projets prioritaires sans avoir fait elle-même des choix dans ses
priorités. Parce que demander, ce matin, au gouvernement de payer 100
p.c. des expropriations qu'il s'apprête à faire et demander, par
ailleurs, de lancer d'autres programmes d'infrastructure pour
décentraliser l'industrie, alors qu'il n'y aurait pas d'infrastructure
en place pour recevoir cette industrie, cela me parait inconciliable pour le
moment.
Je pense que nous sommes rendus à la minute de
vérité. Il va falloir que quelqu'un décide de se
discipliner quelque part et le gouvernement, en ayant ce
phénomène d'acceptation de la part de la population et des
organismes publics qui viennent présenter des mémoires, aura plus
de latitude et plus de liberté pour apporter des réformes dans
certains domaines.
M.PANET-RAYMOND: M. le ministre, je pense que c'est justement là
l'un des rôles les plus essentiels des administrateurs publics de faire
ces choix au nom de la population et en vertu des mandats qui leur ont
été confiés par cette population. Bien sûr, ce
matin, nous défendons ici un certain point de vue. Il est tout à
fait possible et même probable que vous entendiez des points de vue
différents venant d'autres organismes qui se présenteront. Mais
c'est votre responsabilité, ensuite, de trancher, comme c'est la
nôtre de souligner, dans notre optique, ce qui paraît devoir
être corrigé.
M. PINARD: Je voudrais que vous compreniez que c'est fait dans un bon
esprit. Parce qu'une commission parlementaire, comme vous le constatez, est
là, parfois, pour qu'on se dise certaines vérités. Mais
c'est un élément qui me paraît nouveau. Cela nous permet de
travailler ensemble à la solution de problèmes qui sont cruciaux
et qui présentent parfois des caractères très aigus.
M.PANET-RAYMOND: Nous en prenons bonne note et lors de la
présentation du mémoire, nous tâcherons d'avoir
déjà établi nos priorités.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: A la suite d'une question qui se dirigeait vers le ministre
probablement lorsqu'il a mentionné justement le moment de
vérité, je vais en profiter, on va parler de vérité
un peu. Au sujet de la discipline que le gouvernement devrait se donner
à l'avenir pour faire en sorte d'avoir de meilleurs résultats, ce
serait peut-être le temps de penser réellement que nous ne
devrions pas toujours emprunter à 100 p.c. du coût de nos
constructions. Pensez-y. C'est ça qui fait mal.
M. PINARD: Réservez votre débat pour le discours du budget
et on en parlera abondamment de ce problème.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.
M. PERREAULT: M. Bélanger, vous avez dit tout à l'heure,
dans votre exposé, que tous les corps expropriants devraient payer 100
p.c. de l'évaluation sommaire. Etant donné que nous avons
maintenant le bill 48, Loi sur l'évaluation foncière, qui va
s'appliquer dans tout le Québec, ne croyez-vous pas que l'on devrait
plutôt parler de l'évaluation municipale dans tout le
Québec plutôt que de l'évaluation sommaire?
M. BELANGER: Si nous employons le terme "sommaire", c'est que dans
certains cas l'évaluation municipale, même amendée par le
bill de l'an dernier, n'apportera pas de solution au problème. Je
signalais tout à l'heure le problème des fermes. Si vous passez
au milieu d'une ferme et vous prenez, je ne sais pas, trois ou quatre arpents,
si vous payez ce que ça vaut, si vous donnez comme dépôt
préliminaire, ce serait évidemment ridicule par rapport à
l'ensemble de l'indemnité, si vous sectionnez la ferme en deux et
qu'elle n'est plus utilisable ni d'un côté ni de l'autre... il
faut vraiment faire une étude de façon à donner à
l'exproprié plus qu'une somme d'argent fixée par la loi
générale. A ce moment-là, ça deviendrait
injuste.
Dans les centres urbains, il n'y a pas de problème. Et c'est
toujours eux, que voulez-vous, quand des fermes sont évaluées
à $100 l'arpent et que vous en prenez trois, bien vous allez lui donner
$300 de dépôt préliminaire et il peut y avoir $50,000 de
dommages. Le propriétaire peut perdre sa ferme parce que s'il a 75
arpents et que vous la sectionnez en deux, il est évident que les deux
côtés ne peuvent pas fonctionner comme ferme. C'est une perte
totale et plus le temps court, comme l'individu n'a rien en sa possession, il
ne peut pas acheter autre chose, il est vraiment pris dans une situation
intenable. C'est pour cela que l'on aime mieux dire "sommaire" en ce sens que
c'est plus près de la vérité dans les cas où on ne
pourra pas obtenir d'avance des chiffres comme ceux de l'évaluation
municipale.
M. PERREAULT: Vous parlez de fermes, mais j'avais en vue plutôt
des immeubles dans les centres urbains et ruraux.
M. BELANGER: Bien oui, lors d'une évaluation normale, et en vertu
de la nouvelle loi quand elle sera en vigueur, l'individu sera couvert par un
dépôt raisonnable.
M. PERREAULT: Merci.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PAUL: M. le Président, j'aurais une question additionnelle
à poser à Me Bélanger. Est-ce que vous avez pris
connaissance des textes de lois relatifs à l'expropriation
adoptées par la Législature de l'Ontario et par le Parlement
canadien? Est-ce que dans ces textes de lois il n'y a pas eu unanimité
ou traitement unique, même en faveur de l'Etat, en matière
d'expropriation? C'est-à-dire qu'on ne retrouve pas les clauses
d'exception dont vous avez parlé ce matin.
M. BELANGER: II n'y a aucune exception dans la loi de l'Ontario. Tout le
monde est traité sur le même pied, dans le sens de la question,
remarquez.
M.PAUL: Merci.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, messieurs de la Chambre de commerce
du district de Montréal...
M. COTE: Peut-être un mot de la fin. Nous voudrions remercier les
membres de la commission parlementaire d'avoir écouté notre
présentation et de s'être intéressés au point de
poser de nombreuses questions qui nous ont permis peut-être
d'éclairer nos prises de position. Elles vous permettront
peut-être aussi d'en retenir les points les plus saillants. J'aimerais
aussi, par la même occasion, remercier Me Bélanger, M. Robert
Panet-Raymond ainsi que Me Fafard d'avoir préparé ce rapport et
j'espère qu'il vous sera très utile lorsque vous
présenterez une loi.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, messieurs les membres de la
commission vous remercient de votre présentation.
Le deuxième organisme à être entendu est la Chambre
de commerce de l'a province de Québec.
Chambre de commerce de la province de
Québec
M. ALARY : Messieurs les membres, je voudrais d'abord me
présenter. Je suis président de la Chambre de commerce de la
province de Québec et je vous présente les deux messieurs qui
m'accompagnent, MM. Létourneau et Morin, qui sont les permanents de ce
même organisme. Evidemment, à travers les commentaires que j'aurai
à faire, je ferai certains commentaires personnels, puisque j'ai eu
l'immense avantage de travailler, il y a plusieurs années, à la
préparation d'un mémoire dont, je pense, on vit actuellement
l'aboutissement.
Dois-je commencer tout de suite, messieurs?
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Allez.
M. ALARY: En ce qui concerne la Fédération des chambres de
commerce, il faut peut-être insister sur deux points particuliers. Je
n'ai
pas l'intention de vous lire in extenso le mémoire que vous avez
déjà en votre possession depuis plusieurs jours mais je pense que
ce qui nous...
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Si vous voulez m'excuser quelques instants.
Quand vous avez présenté M. Létourneau et M. Morin, vous
avez omis de vous présenter vous-même. Pour le
bénéfice du journal des Débats, c'est Me René
Alary, président de la Chambre de commerce de la province de
Québec.
M. ALARY : Merci, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Je m'excuse de vous avoir
dérangé.
M. ALARY: II n'y a pas de faute. Il faut d'abord dire, en
résumé, que la fédération est satisfaite,
jusqu'à un certain point, du projet de loi no 88 tel que
présenté, dans une bonne proportion. Si nous sommes ici, c'est
pour tâcher de corriger ce que nous considérons comme certaines
lacunes, en particulier en ce qui concerne les fonds de commerces.
Rien dans la loi ne nous permet d'identifier un fonds de commerce et
d'établir que le fonds de commerce est une entité juridique qui
doit être traité tout simplement comme un immeuble, comme un
terrain vacant ou une bâtisse. Cela, c'est important. On sait que nos
commerces expropriés sont nombreux, maintenant, puisque les
expropriations se font surtout à l'intérieur des villes, la
majorité des expropriations, je dirais. Avec la rénovation
urbaine, on frappera davantage, je pense, des fonds de commerce. Ce n'est pas
toujours bon d'attendre la jurisprudence pour voir comment sera traité
un fonds de commerce. Il faudrait que la loi prévoie qu'un fonds de
commerce doit être traité comme un autre bien susceptible
d'expropriation.
Les lois auxquelles, tout à l'heure, on a fait allusion, ici,
soit la loi ontarienne et la loi fédérale, prévoient ces
cas de fonds de commerce et la façon dont ils doivent être
traités. Je ne dis pas qu'on doit imiter ces lois, qui sont
inspirées de la Common Law, alors que les nôtres sont plutôt
d'inspiration française, dans la façon de traiter notre droit, si
on veut. Mais je pense que le fonds de commerce doit être traité
comme une entité juridique et reconnu comme tel. C'est un premier point
que je voudrais faire ressortir devant les membres de cette commission.
Le détermination de l'indemnité, maintenant, suite
à la réserve pour fins publiques. On a discuté assez
longuement, tout à l'heure, des situations qui étaient
créées par le manque de prévision ou de planification. Je
pense que le législateur s'est donné, avec la réserve pour
fins publiques, le mécanisme parfait pour prévoir, pour
planifier.
On se demandait tout à l'heure comment le ministère de la
Voirie pouvait agir et pourquoi il devait avoir le pouvoir de déposer le
tracé d'une route. D a maintenant ce qu'il faut. Il peut y penser deux
ans d'avance et même quatre ans, si nécessaire. Je pense qu'on
répond à cette question.
Je voudrais maintenant revenir au transfert des fonds de commerce. La
plupart des commerces, dans les milieux urbains et même dans les
campagnes, souvent n'existent pas et ne sont pas établis dans
l'édifice du propriétaire. Ils sont traités comme
locataires.
Le projet de loi actuel prévoit une indemnité forfaitaire
préliminaire, provisionnelle, basée sur des mensualités,
des paiements de loyer mensuel. Je pense que ce n'est pas réaliste en ce
qui concerne les fonds de commerce. Parce que trois mois de loyer pour qu'un
fonds de commerce puisse déménager, c'est absolument
irréaliste.
La moindre petite entreprise prenons le cas d'un
électricien qui emploie cinq ou six personnes pour la
déménager, cela coûtera au moins $10,000 ou $12,000. On
voit que trois mois de loyer ne seraient absolument pas suffisants. Je pense
qu'en ce qui concerne les fonds de commerce il faut qu'il y ait des
critères absoluments distincts.
A l'article 20 de notre mémoire, nous traitions de
l'évaluation. On constate que le projet de loi ne définit pas
suffisamment, semble-t-il, des normes d'évaluation. De nombreux articles
font mention des expressions d'évaluation, je réfère aux
articles 38 et 64. De l'avis de la chambre provinciale, il est essentiel que
ces expressions aient la même définition dans le présent
projet de loi qu'elles ont dans la Loi sur l'évaluation foncière
et que le mot "valeur" soit la "valeur marchande" telle que définie dans
les autres lois.
Encore là, on pourrait dire qu'on va s'en remettre à la
jurisprudence qui l'a déjà reconnu. Mais de la jurisprudence,
ça change; une loi, ça change moins facilement.
Quand un exproprié est obligé d'attendre que la
jurisprudence soit faite ou varie pour que son cas soit réglé de
façon à lui rendre justice, il peut attendre très
longtemps. On se souviendra et le ministre va s'en souvenir du
cas Adler, un locataire commerçant, dans le cas de Décarie,
où on a dû attendre le jugement de la cour d'Appel, et cela a pris
trois ou quatre ans avant d'avoir la réponse définitive.
Pendant ce temps, tous les autres locataires commerçants
attendaient. Aujourd'hui, d'accord, on a une jurisprudence, mais cette
situation n'est pas parfaite. Il faut aller encore à la cour
Supérieure et ce n'étaient pas les mêmes juridictions, les
mêmes normes d'évaluation, en tous cas, pas les mêmes
personnages.
Le problème du droit d'appel. Je présume que le Barreau a
dû vous entretenir de ce problème. La chambre provinciale
considère qu'un jugement d'expropriation, souvent, comporte d'abord des
intérêts personnels et des
intérêts matériels très importants. Je ne
vois pas la nécessité d'aller demander la permission à la
cour d'Appel, qui pourrait nous être refusée, pour une somme
où il y aurait même une différence de $10,000, $20,000 ou
$50,000. Pourquoi demander cette permission à deux juges de la cour
d'Appel?
S'il y a un problème constitutionnel, gardons le régime
actuel où on n'avait pas besoin de le demander. Je pense qu'on pourrait
régler ce problème de cette façon. Aux termes de la loi
actuelle, on n'a pas besoin de demander la permission à la cour d'Appel;
cela a été déjà décidé.
Il y a un problème qui a préoccupé également
la Fédération des chambres de commerce même si nous
y reviendrons un peu plus tard dans la journée avec le mémoire de
l'UPA c'est la relocalisation des bâtiments, surtout des
bâtiments de ferme. Lorsqu'il s'agit de déplacer un garage ou un
hangar en milieu urbain, c'est relativement facile à apprécier.
Mais, lorsqu'il s'agit de déplacer ce qui constitue l'un des
bâtiments de l'ensemble d'une ferme, je pense qu'il y a un
problème majeur et que l'exproprié devrait être
consulté de façon immédiate. S'il n'y a pas d'entente, je
pense bien que c'est le tribunal qui devrait se prononcer. Parce que c'est le
cultivateur, en définitive, qui va vivre avec ces bâtiments et on
sait que, dans une ferme, la disposition des bâtiments est importante que
ce soit en ce qui concerne le vent, l'amoncellement de la neige, peu importent
les raisons.
Je pense que le cultivateur devrait être consulté. S'il est
d'accord, l'expropriant n'aura pas d'objection. Mais, s'il oppose une
résistance et si on croit qu'elle est mal fondée, qu'on
réfère au tribunal. Si on croit qu'elle est bien fondée et
qu'on peut s'entendre, tant mieux. Je pense que le cas des déplacements
de bâtiments est un problème majeur. Il est relativement facile
pour un fonctionnaire qui connaît peu ou presque pas, souvent, la
façon dont travaille ce cultivateur je ne dis pas à
l'Agriculture parce que la Voirie a à son service des gens qui
connaissent sûrement les différents domaines. On attribue des
spécialistes à diverses fonctions.
Quant à l'exploitation de cette ferme, je pense qu'on doit
consulter l'exproprié, et s'il n'y a pas d'entente, qu'on se fasse
entendre devant le tribunal, en priorité.
Dans la dernière partie de notre mémoire, nous soulignons
qu'il y avait peut-être lieu de tenir compte de certaines normes des lois
d'expropriation les plus récentes au pays, soit celle de l'Ontario et la
loi fédérale. Nous ne le faisons pas pour dire à cette
commission d'imiter ces lois, parce qu'il y a des choses
répréhen-sibles mais il y a d'excellentes choses, et nous
voudrions insister en particulier sur un problème bien spécifique
et nous en traitons à l'article 27 de notre mémoire
en ce qui concerne les milieux défavorisés surtout et les cas de
maisons unifamiliales.
La loi ontarienne prévoit une théorie qui n'est pas
reconnue au Québec et qui est la théorie de la
réinstallation, du "reinstatement", soit cette différence entre
la valeur dépréciée d'une propriété
et j'ai bien spécifié que ça se produisait surtout dans
les cas où des expropriations avaient Jieu dans des milieux
défavorisés la différence entre le prix que l'on
donne et le prix réel. On dit: Votre maison, monsieur, on regrette
infiniment mais elle ne vaut pas plus que $6,000. Mais qu'est-ce que cet
exproprié va pouvoir faire avec $6,000; il ne pourra
définitivement pas acheter une propriété semblable. Nous
avons eu le cas et M. le ministre va s'en souvenir probablement
d'une ancienne maison à Baie-Saint-Paul où on a construit un
pont. C'était une ancienne maison canadienne et, avec la meilleure
volonté du monde, les agents du ministère étaient
arrivés à une indemnité, je pense, de $7,000. Et
c'était payé pierre sur pierre parce que c'étaient des
murs de trois pieds de profondeur.
Mais, avec $7,000, que pouvait faire ce cultivateur pour
s'établir ailleurs? Il pouvait à peine s'acheter une roulotte et
on sait qu'il répugne surtout aux cultivateurs de s'installer dans des
roulottes. Evidemment, le ministère, après plusieurs
années d'hésitation, a réussi à trouver un moyen
pour indemniser convenablement l'individu, en ajoutant, je pense, quelques
milliers de dollars. Je le signale justement pour dire qu'on a corrigé
des situations comme celle-là, et les pratiques administratives du
ministère de la Voirie, depuis dix ans, se sont améliorées
-je dis dix ans, c'est peut-être sept ou huit mais encore
là, on est encore assujetti au bon vouloir d'un agent
négociateur, ou les recommandations qu'il fera, ou encore des
responsables.
Quand c'est dans une loi, je pense qu'il y a une sécurité
au départ. Alors, la théorie du "reinstatement" dans le cas des
maisons unifamiliales, je pense que ça devrait être inclus dans le
présent projet de loi. Il y a dix ans, on n'était pas
porté à regarder ces aspects parce que les expropriations se
faisaient surtout en dehors des grandes villes. Mais aujourd'hui, surtout
lorsqu'on fait de la rénovation urbaine, ce sont ces milieux qu'on
affecte. On a le cas justement de la ville de Hull et j'ai ici avec moi un
récent jugement de la Régie des services publics où on
fait de la rénovation urbaine, où on traitait d'une quarantaine
de causes, on avait fait une cause type. Le régisseur évidemment
a essayé de trouver le plus possible. On sait qu'à Hull, dans ce
milieu, c'étaient de petites maisons de bois à deux
étages, locataire au deuxième et propriétaire au premier.
Qu'est-ce qu'on pouvait donner à ces gens? Des indemnités de
$5,000 et $6,000. Comment s'installer ailleurs? Le régisseur a dit,
justement, s'en remettant au droit français mais encore
là, de la jurisprudence ou de la doctrine, cela ne mène pas loin
quand on est exproprié: II faut que l'exproprié soit mis à
même, autant que possible, de se procurer
au moyen de l'indemnité les mêmes droits et avantages que
ceux dont l'expropriation le prive.
Or, même s'il voulait, avec ces $5,000 ou $6,000 s'acheter une
petite maison de bois, c'est impossible de le faire. Il faut donc lui donner
cette petite différence qui va faire qu'il va pouvoir se
réinstaller.
M. PINARD: Me Alary, vous parlez de la loi de l'Ontario, je l'ai entre
les mains. Est-ce que vous avez les références des articles?
M. ALARY: Oui, je l'ai.
M. PINARD: Je vois à l'article 14, par exemple, qu'il en est
question, mais est-ce qu'il y a d'autres articles plus spécifiques
concernant la réinstallation?
M. ALARY: Je pense que la loi de l'Ontario ne considère que les
maisons d'habitation unifa-miliale. C'était un commencement. On sait
comment le ministère a fait des efforts pour tenter de rétablir
les expropriés, leur trouver des logements, des banques de logements ou
encore les aider.
Je pense que la meilleure façon de les aider ce serait
peut-être qu'ils aient le moyen de se réinstaller et que ce soit
prévu dans la loi.
Alors c'est la seule référence à la loi onta-rienne
qui considère la réinstallation quand il s'agit de maison
d'habitation unifamiliale.
M. PINARD: L'article 14?
M. ALARY: Evidemment l'article 13 et l'article 14 vont de pair. Dans
l'énumération des quatre critères d'indemnisation on
trouve ce qui est tranquillisant, rassurant pour un exproprié, je parle
du petit exproprié. La valeur marchande de sa maison, il n'y a pas de
difficulté, on le fait déjà ici. Le dommage attribuable au
déplacement, les inconvénients, nous ne l'avons pas dans la loi.
On nous le donne au ministère de la Voirie, mais vous savez je parle du
ministère de la Voirie comme critère, il y a bien d'autres corps
expropriants. On citera plus souvent le ministère de la Voirie parce que
c'est peut-être celui qui fait le plus d'expropriation dans la province,
mais dans tous les autres cas c'est la même chose.
On trouve également "damage for injurious affection". "Injurious
affection" en français ça se dit très mal, c'est cette
atteinte défavorable. Nous ne l'avons pas ici, ça se relie un peu
aux dommages indirects. Alors vous avez ce type qui est exproprié et son
voisin ne l'est pas, mais le voisin va souffrir des dommages de
l'expropriation. Chez nous on n'a jamais voulu payer de dommages indirects. Je
pense qu'on devrait peut-être ouvrir une petite porte aux dommages
indirects, peut-être pas l'ouvrir toute grande, ça viendra assez
vite, mais l'ouvrir parce qu'il y a des gens qui subissent des dommages dus
à l'expropriation mais ils n'ont aucun droit à l'indemnité
parce qu'ils ne sont pas touchés.
Enfin, au paragraphe d) de cet article 13, on parle des
difficultés spéciales de relocalisation. Le type qui est
obligé de consulter des agents d'immeuble, qui est obligé de
parcourir la ville le soir après le travail, c'est consolant pour lui de
savoir qu'il aura $300 ou $400, peut-être même $6,000. Il va
considérer qu'il n'a pas été frustré dans ses
droits par l'expropriation. Alors, relativement à la loi ontarienne,
c'était la relation que je faisais avec cette norme d'indemnisation.
La Fédération des chambres de commerce revient avec ce
principe qui a été abondamment discuté jusqu'à
maintenant, du moins ce matin, puisque j'ai entendu déjà mon
confrère en parler, à savoir la loi unique, sans exception. On se
souviendra, M. le ministre, que lorsqu'on a étudié la confection
du rapport de la commission que vous aviez créée c'était
ça le premier problème. Il y avait 300 lois d'expropriation
distinctes. Il y avait des exceptions partout, on n'en sortait pas et on
disait: Si on pouvait donc finir par avoir une loi unique. J'étais, le
premier, très heureux, dans les commentaires qu'on faisait sur le bill
88, de dire: Nous avons une loi unique. Mais quelle n'a pas été
ma surprise de trouver déjà une exception pour le
ministère et une exception pour la ville de Montréal.
Je pourrai commenter abondamment vos questions là-dessus. Alors
c'était là la position d'ensemble de la Fédération
des chambres de commerce. Nous sommes à votre disposition pour faire des
commentaires, s'il y a lieu.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre.
M. PINARD: Me Alary, si je comprends bien votre mémoire et les
remarques que vous avez faites au cours de sa présentation, vous
demandez vous aussi, pour le compte de la Chambre de commerce de la province,
la disparition de la section IV du projet de loi 88.
M. ALARY: C'est bien ça, M. le ministre. D'ailleurs j'entendais
une réflexion à l'effet qu'il pourrait peut-être y avoir
une période de transition. Je pense que nous la vivons, M. le ministre,
cette période de transition. Depuis quelques années, les
pratiques administratives de la Voirie se sont améliorées je
dirais à 500 p.c. On a déjà mis en application nombre des
recommandations que nous avions dans le mémoire et nombre des
prescriptions que nous retrouvons dans le présent projet de loi. Et je
pense que nous l'avons vécue cette période de transition.
Il y a un petit calcul que nous avions fait vers l'année 1967 ou
1968, en parlant du nombre de causes. A ce moment-là, on parlait de
20,000 ou 13,000, peu importe. On avait fait un calcul sommaire, si mon
souvenir est bon j'aurais pu apporter la statistique précise,
mais le ministère doit l'avoir à l'effet qu'il y
avait au moins 80 p.c. des cas dont la norme d'indemnité allait de
zéro à $5,000. Ce sont de petits cas d'expropriation; cela a
peut-être changé, remarquez bien. Mais, lorsqu'on parle de $50
millions, si on a déjà 20 cas qui vont chercher le million, pour
les autres, cela diminue sensiblement le montant.
Les gros expropriés, ce ne sont pas eux qui en souffrent, encore
une fois; ce sont les petits. Le ministre se souviendra d'un de mes cas
où on avait eu une indemnité de l'ordre de $1 million. Il nous
avait été demandé d'attendre, car on voulait payer de
petits expropriés. Le propriétaire, bénéficiaire de
cette indemnité de $1 million, avait convenu, malgré que
c'était 5 p.c. et que ça ne faisait pas trop son affaire,
d'attendre et d'être payé plus tard. Nous avions été
payés, malgré un jugement qui ordonnait le paiement, je pense,
six à douze mois plus tard que nous aurions pu l'être
normalement.
Je pense que ce sont les petits expropriés qui souffrent du
délai de paiement. Lorsque l'on vient avec les 50 p.c, c'est la
même chose qui se produit. Encore une fois, ce ne seront pas les gros
expropriés qui vont souffrir de la différence parce que, pour
eux, retirer $100,000 ou seulement $50,000, cela a moins d'importance.
Seulement, si c'est $5,000 et $2,500, ça, c'est plus difficile.
M. PINARD: Me Alary, vous savez fort bien, parce que vous êtes un
praticien de l'expropriation aussi bien pour le compte du gouvernement que pour
la partie privée, plus souvent pour la partie privée, que, sans
attendre la grande réforme du régime de l'expropriation, les
directives du ministre au service d'expropriation ont été de
payer de préférence les petits expropriés parce qu'il
n'ont pas le moyen de se financer, ils n'ont pas le moyen d'attendre pour se
relocaliser ou de repartir en affaires et de continuer à faire
fonctionner leur commerce, leur ferme, etc.
Nous avons voulu consacrer cela dans une réforme d'ordre
juridique. Peut-être n'avons-nous pas réussi de façon
idéale. Les questions ayant été posées et des
réponses ayant été données, nous allons relire les
mémoires, nous allons y réfléchir et nous verrons si
vraiment le ministère de la Voirie peut, face à ses
responsabilités de tous ordres, se dispenser du pouvoir de
déposer un plan général, compte tenu des autres objectifs
qu'il faut poursuivre et atteindre.
M. ALARY: M. le ministre, relativement à ce dépôt du
plan général, si vous me permettez, tout à l'heure,
l'objectif semblait être un problème de spéculation. Je
suis du même avis que mon confrère; j'ai agi pour les corps
expropriants; entre autres, j'ai fait le boulevard Métropolitain d'un
bout à l'autre de l'île de Montréal et j'agis actuellement
pour le compte du féféral à l'aéroport de
Sainte-Scho- lastique. A ma connaissance, des cas de pure spéculation
on met les cartes sur table j'en ai connu à peine trois ou
quatre qui ont été décelés par le tribunal en
quinze ans de pratique en expropriation et seulement en expropriation. Vous
déposez un plan, une réserve pour fins publiques et vous dites:
Ils vont savoir qu'on s'en va dans le milieu et cela va provoquer de la
spéculation. Des reventes, à l'intérieur de 24 heures,
d'une semaine ou de quelques mois, au double du prix payé, c'est
très facile à constater. Un tribunal alerté va les
définir tout de suite et ne donnera même pas la valeur du terrain
adjacent s'il n'y a que ces ventes comme critère. Cela s'est fait
à plusieurs reprises; nous avons eu le cas à Laval, nous avons eu
le cas dans l'île de Montréal. J'ai même agi pour le
ministère dans une cause à laquelle le ministre faisait allusion
tout à l'heure où il y a eu véritablement des prix fort
différents entre une année et l'année suivante, mais ce
sont des facteurs qu'on doit accepter à l'occasion.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de
Maskinongé.
M. PAUL: M. Lefebvre, je n'ai pas de question à poser. Pardon, M.
Alary.
M. ALARY: Merci, M. Paul.
M.PAUL: C'est parce que j'ai appris que mon prochain adversaire serait
un dénommé Lefebvre. Depuis ce temps-là, je suis heureux
et j'en n'ai pas dormi la nuit. Excusez-moi, M. Alary, parce que tous les
Alary, chez nous, sont de bonnes gens.
M. ALARY: C'est partout pareil dans la province.
M. PAUL: Je vous remercie de votre mémoire qui complète
les informations que nous avons reçues depuis le début de
l'audition de ces mémoires. Vos explications viennent confirmer
l'attitude que nous allons tâcher de tenir pour atteindre les objectifs
visés par les intéressés en matière
d'expropriation.
Ce qui m'a surtout intéressé, c'est le problème des
dommages indirects que vous avez soulevé, ce matin, et que vous avez
déjà détaillé dans les journaux.
Ce qui est regrettable, c'est qu'il semble qu'on ne vous ait pas
consulté avant la rédaction de la loi. Si on vous avait
consulté, je suis convaincu que les mémoires auraient
été beaucoup plus courts et peut-être que nous en aurions
eu moins, parce que la loi aurait été mieux faite, plus
complète. Cependant, je ne veux en aucune façon adresser de
reproches aux légistes qui y ont travaillé. Mais, n'ayant pas
votre expérience, il s'agit maintenant pour eux de se mettre au
même diapason que vous et, surtout, que le ministre comprenne la
nécessité et l'urgence de faire disparaître des clauses
restrictives ou d'exception que l'on trouve en faveur du
ministère de la Voirie et de la ville de Montréal. Ainsi, j'ai
l'impression que tout le monde sera heureux.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Me Alary.
M. ALARY: Merci, M. le député. M. le Président, si
vous me le permettez, relativement à l'allusion que le
député vient de faire, à savoir que je n'ai pas
été consulté. Je pense qu'on n'avait pas besoin de me
consulter, nous avions déjà tout dit dans le rapport que nous
avions remis. Il n'a jamais été dit que le projet de loi, en tout
cas, votre serviteur n'a jamais dit que le projet de loi actuel était
rétrograde. J'ai simplement dit je voyais qu'on montrait une
coupure qui faisait probablement allusion à cela qu'il y avait
des normes dans des lois plus récentes que le mémoire auquel on
pouvait référer, qui avaient été pensées et,
comme on cherche toujours l'idéal, je pense que le présent projet
de loi peut également chercher l'idéal.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.
M. PERREAULT: MM. Alary et Létourneau, je suis un peu surpris de
certains aspects du mémoire de la Chambre de commerce du Québec,
sachant qu'elle représente non seulement les grandes
municipalités, mais aussi les petites. Voici ce qui semble, sous
certains aspects, dans votre mémoire, nuire grandement. Je vous
réfère, par exemple, au paragraphe 17 de votre mémoire:
"La détermination de l'indemnité suite à l'annulation
d'une réserve devrait tenir compte de la différence entre la
valeur marchande telle qu'établie au paragraphe 15 vente libre
au moment de son imposition et la valeur marchande du même fonds
de commerce au moment de son annulation".
Je vais donner un exemple. Pendant dix ans, j'ai été maire
d'une petite ville que M. Létourneau connaît. C'est une ville
ancienne. Nous avons un centre-ville commercial qui souffre
d'étouffement. Nous avons voulu prévoir un futur
élargissement de ces rues. Alors, il y a des commerces qui ne sont pas
affectés. Ce changement peut avoir lieu d'ici quelques années,
mais s'il faut payer tout ce que décrit l'article 17, vous allez
supprimer cela complètement. Ainsi, les petites villes ne feront plus de
projets d'urbanisme, de rénovations dans leur centre-ville. Cela
deviendra une impossibilité.
M. ALARY: M. le député, à mon avis, c'est l'abus
des réserves pour fins publiques qui doit être corrigé.
Lorsque des villes homologuaient ou réservaient, pendant des
périodes de quinze ou vingt ans, et qu'on savait que c'était pour
quinze ou vingt ans, on ne s'en faisait pas. Cela continuait quand même.
La rue Mont-Royal et les autres rues de Montréal ont été
homologuées pendant trente et quarante ans et les gens continuaient
d'exploiter des commerces et ils continuaient d'être
prospères.
Mais avec la nouvelle loi, on sait maintenant que les réserves
pour fins publiques seront de l'ordre de cinq ans, au maximum. Alors, les gens
vont dire qu'il y a une expropriation qui s'en vient et vont commencer à
vider le quartier. On a l'exemple actuellement, dans les cas de
rénovations urbaines, de quartiers qui se vident, de commerces qui se
déprécient. Si on abandonnait la réserve, cet
exproprié éventuel qu'on a décidé de ne plus
exproprier, son commerce a pu baisser subitement et ensuite, il va se retrouver
avec un commerce qui n'aura plus de valeur.
M. PERREAULT: Oui, c'est un point de vue.
Le commerce peut prendre de la valeur à cause du marché ou
du dynamisme du propriétaire. Je crois que c'est très dangereux
de forcer les petites villes à s'embarquer dans votre article 17. Je
crois que vous tenez compte de grandes villes et non pas de petites
municipalités. Il est malheureux que votre mémoire soit
axé quasiment au complet sur celui de la Chambre de commerce de
Montréal. C'est une grande métropole. Il faudrait peut-être
tenir compte des problèmes dans les petites municipalités. Hier,
nous avons eu l'Union des conseils de comté. Vous demandez une loi
unique de même application pour tout le monde. Je crois que vous faites
fi des demandes de l'Union des conseils de comté.
M. ALARY: M. le député, si vous me le permettez, nous
faisions allusion, tout à l'heure, au fait que les expropriations, aux
termes du code municipal, en se référant aux conseils de
comté, avaient trait surtout à des petites indemnités. Or,
je pense qu'il se trouve des cas où les indemnités sont beaucoup
plus importantes qu'on peut le penser. Actuellement, dans des
municipalités, on a ce qu'on appelle des terrains de camping qui peuvent
valoir de $50,000 à $100,000. Ils sont expropriés aux termes du
code municipal actuel. Si nous gardons la loi actuelle pour les campagnes ou
les conseils de comté, l'indemnité d'un individu va être
arbitrée par trois personnes. Il y a un jugement qui n'a pas besoin
d'être motivé et il n'y a pas d'appel. Je pense bien que c'est une
question de vie ou de mort pour ces gens. Ils seraient mieux
protégés aux termes de la loi générale.
M. PERREAULT: M. Alary, lorsque je disais: Tenir compte des demandes,
cela ne veut pas dire conserver les choses actuelles. Tout de même, on
doit pouvoir trouver les solutions qui vont correspondre aux objectifs de ces
gens. Un objectif m'est venu à l'idée à la suite de
l'exposé qui nous a été fait hier, par M. Dostie je
ne sais pas si vous étiez ici du Bureau des expropriations de
Montréal, qui est un tribunal de première instance où les
causes se règlent
rapidement. Il nous a fait part d'une très grande
expérience hier. On peut régler les causes sans le tralala
juridique, rapidement et, la plupart du temps, d'une manière
adéquate et honnête envers l'exproprié. On diminue les
frais, à ce moment4à. On le fait pour la ville de Montréal
et les petites municipalités sont acculées à aller devant
le tribunal; elles sont exposées à de très gros frais
d'expropriation. Ce qu'on va voir à l'avenir je le dis ici
c'est que nous allons limiter le progrès de beaucoup de petites
municipalités qui vont laisser pourrir la situation plutôt que de
s'exposer à des frais, parce qu'elles sont prises devant des
électeurs qui sont beaucoup plus sensibles à des frais
d'expropriation pour moderniser. J'en parle en connaissance de cause. Je me
demande si, pour tenir compte de tout cela, il n'y aurait pas lieu de
considérer, à l'échelle de la province, un tribunal de
première instance pour ces cas. Non pas conserver le code municipal
actuel, mais créer un tribunal de première instance. J'aimerais
avoir votre avis là-dessus. N'y aurait-il pas possibilité, en
même temps, au lieu d'avoir un tribunal à Montréal et
à Québec, ce qui serait très loin pour certaines gens de
la province, de penser aux offices de révision du bill 48 pour agir
comme tribunal de première instance? Ces offices sont formés
d'évaluateurs, d'avocats, de comptables. Je me demande si nous ne
pourrions pas profiter de la création de ces offices pour en faire un
tribunal de première instance.
M. ALARY: M. le député, peut-être que votre
suggestion est fort valable, mais m'en tenant au projet de loi actuel, je
pense...
M. PERREAULT: Le projet de loi, M. Alary, est un document de travail.
C'est mon gouvernement, mais c'est un document de travail pour moi aussi.
M. ALARY: D'accord, mais il y a déjà dans cela une
ébauche de mécanisme qui ressemble étrangement à
celui que vous proposez. Le président du tribunal peut ordonner aux
parties de venir se présenter devant lui. Jusqu'à maintenant,
avec la loi actuelle, les parties viennent pour dire: On s'entend sur les
bâtisses, on s'entend sur ceci, on s'entend sur cela. Rien
n'empêche que ces gens, puisqu'ils sont à la même table...
En matière d'expropriation, le gros problème est de se rencontrer
et de se voir arbitrer. On l'a déjà dans le projet de loi actuel.
Si on voulait le raffiner un peu, cela répondrait exactement aux besoins
et on centraliserait en même temps les expropriations. Si on va porter
une partie des expropriations sur un autre territoire vous parlez du
champ de l'évaluation municipale on va avoir un problème
immense, parce qu'il y a souvent des conflits entre l'évaluation
municipale et l'indemnité qui intervient à la fin. C'est
frustrant, pour un évaluateur municipal qui est très près
de la négociation, de dire: Mon évaluation n'est pas bonne. Je
constate que j'ai fait erreur.
M. PERREAULT: L'office de révision n'est pas formé
d'évaluateurs municipaux. Je regrette, ce n'est pas cela qui est dans le
bill 48.
M. ALARY: Non, ce sont des gens qui ont droit de regard sur les
évaluations municipales.
M. PERREAULT: C'est cela.
M. ALARY: Lorsqu'on arrive en expropriation, on se rend compte que
l'évaluation n'est pas du tout faite sur la même base, pas du tout
de la même façon que pour les fins d'une évaluation
municipale.
M. PERREAULT: Vous êtes un expert, vous avez plaidé des
causes. J'y suis allé moi aussi. J'ai eu l'expérience d'aller
devant le tribunal de la Régie des services publics. Croyez-vous
réellement, sincèrement, qu'il faut garder ça sous la
présidence d'un juge, avec tout le tralala juridique qui s'impose?
Est-ce que ça diminue les embêtements?
M. ALARY: Oui, avec la façon qui est prévue ici de
convoquer les gens à l'avance. C'est un peu le travail du
commissaire-enquêteur. Il convoque les gens et dit: Quelle est la
différence? Où se situe le litige? Je pense qu'on joue exactement
le rôle que le Bureau des expropriations de Montréal a joué
au niveau de la ville de Montréal, mais avec des inconvénients.
Vous ne me demandez pas quels sont les inconvénients mais je vous dis
qu'il y avait des inconvénients, à avoir une juridiction
uniquement pour la ville de Montréal et selon la façon dont cela
se passait. Je pense qu'il faut rester dans le cadre du tribunal mais lui
permettre d'accélérer son travail en convoquant un seul membre.
Les parties en cause viendraient seules ou avec leur avocat et diraient:
Ecoutez, le litige porte uniquement sur le terrain. Et puis, encore une fois,
c'est l'occasion de se rencontrer qui fait qu'on règle des causes
d'expropriation.
M. PERREAULT: M. Dostie, hier, nous disait qu'il n'y avait pas 0.5 p.c.
des causes qui ont été appelées sur des points de
droit.
M. ALARY: Je n'ai pas fait de statistiques, M. le député,
mais quant à moi je conteste ce 0.5 p.c. C'est ce que je peux vous
dire.
M. PINARD: Quel pourcentage cela pourrait-il être, d'après
vous?
M. ALARY: Nous en avons Me Bélanger et moi-même
manipulé, mais selon qu'on parle en termes de dollars ou en
termes de causes il faut être prudent. Avec le Bureau des expropriations
de Montréal, vous avez une propriété subdivisée en
25 lots. Ce sont 25 points. Eux autres, ils appellent cela 25 causes. Ce ne
sont pas 25 causes mais une seule. Il faut donc être très prudent,
de ce côté, avec le
nombre de causes. Si on parle en termes de dollars, je pense bien que le
pourcentage sera extrêmement différent de celui qui est
mentionné, extrêmement supérieur à cela.
M. PERREAULT: II me fait plaisir de savoir cela. Nous aurons la ville de
Montréal, un peu plus tard. Je lui demanderai de nous donner les
chiffres. Mais j'aimerais bien que la chambre de commerce se penche sur les
problèmes soulevés mais non pas pour les résoudre, comme
les conseils de comté le veulent. Que la chambre de commerce, qui
représente l'ensemble des chambres de commerce de la province, regarde
de plus près les solutions et regarde ce qui vient de la base, soit les
chambres de commerce locales.
M. LETOURNEAU: M. le Président, les remarques du
député de L'Assomption semblent impliquer que nous n'avons pas
considéré les problèmes des petites municipalités
et que les municipalités, lorsqu'elles faisaient de l'expropriation, le
faisaient complètement à leurs frais. A moins que je ne me
trompe, la Société d'habitation du Québec, lorsqu'il est
question de rénovation urbaine, appuyée financièrement en
cela par la Société centrale d'hypothèques et de logement,
apporte une aide assez considérable aux municipalités qui veulent
faire de la rénovation urbaine.
Pour préciser la norme, j'aimerais que mon collègue, M.
Morin, qui a eu une certaine expérience dans ce domaine, nous apporte
les chiffres qu'il a en sa possession, concernant l'assistance qui est fournie
aux municipalités qui veulent faire de la rénovation urbaine.
M. PERREAULT: Je regrette, M. Létour-neau, mais ce que j'ai
mentionné tout à l'heure n'est applicable à aucun
programme de la Société centrale d'hypothèques et de
logement ou de la Société d'habitation du Québec. Ce n'est
applicable à aucun programme. Ce n'est pas acceptable. H n'y a pas
d'aide possible au sujet du cas que j'ai mentionné tout à
l'heure.
M. LETOURNEAU: Nous avons travaillé en collaboration avec des
chambres de commerce locales, dans la province. Nous le faisons, actuellement,
avec les gens de Thetford Mines et je pense qu'à Alma il y a eu des
travaux importants de faits dans ce coin, ainsi qu'à
Jonquière.
M. PERREAULT: Mais là vous tombez dans des villes moyennes. Je
parle de municipalités de 5,000, 6,000, 7,000, 8,000 ou 9,000 de
population. Ne m'amenez pas Jonquière, Chicoutimi, Montréal,
Sherbrooke ou Trois-Rivières. Ce n'est pas celles-là que je
vise.
M. LETOURNEAU: Je ne sais pas si, même en appliquant les normes
que nous proposons ici, cela causerait des problèmes d'une telle
envergure. Franchement, c'est une bonne question, que nous
apprécions.
Nous pourrons regarder comment ça peut être affecté.
Nous n'avions pas prévu que l'application des normes que nous
recommandons puisse causer un problème majeur ou aussi important que
celui que vous semblez nous souligner.
M. MORIN: En appliquant l'article 17 du mémoire, le
député, M. Perreault, a raison dans le cas de
municipalités de moins de 10,000 habitants qui, actuellement, ont
beaucoup de difficultés à faire adopter des programmes de
rénovation urbaine. Cependant, il faudrait noter que, d'une part,
ça s'inscrit dans le cadre d'une réforme de l'homologation comme
telle, création de réserves pour fins publiques, et d'autre part,
peut-être justement du fait que les réserves pour fins publiques
seraient appliquées à tout le territoire québécois
par tous les corps expropriants ou ayant le pouvoir d'exproprier. On pourrait
modifier les normes au ministère des Affaires municipales ou à la
Société d'habitation quant à l'assistance dont elle
pourrait bénéficier dans l'acquisition de fonds de terre pour
fins de rénovation publique ou urbaine. Ils ont, en fait, les
mêmes problèmes de rénovation urbaine que peuvent avoir de
plus grandes grandes municipalités.
Autre point qu'il serait important de souligner, c'est le lien qu'on a
pu tracer entre le bill 88 et la loi 48 déjà existante sur
l'évaluation, et surtout avec le document de travail qui a
été déposé sur l'urbanisme. A long terme, les
problèmes d'expropriation devraient être en bonne partie
résolus par la loi-cadre d'urbanisme, tant au niveau des réserves
pour fins publiques qu'au niveau des expropriations comme telles.
M. PERREAULT: II y a un autre point aussi que je veux souligner, le
droit d'appel. Dans l'article 22 de votre mémoire, vous dites: "... ne
devrait pas être obligé de demander la permission de deux juges de
la cour d'Appel". Dans votre esprit, est-ce que les frais inhérents
à ce droit d'appel seront toujours à la charge de
l'expropriant?
M. ALARY: C'est celui qui perd à la fin qui paie, c'est toujours
le même problème. Il y a un gagnant et un perdant en ce qui
concerne le droit d'appel et l'appel proprement dit. Dans la plupart des cas
il faut quand même dire toute la vérité la
partie expropriante paie ordinairement, et depuis quelques années
même il est arrivé que les tribunaux ont accordé comme
indemnité l'offre du ministère, par exemple, et ils ont quand
même condamné le ministère aux frais.
En ce qui concerne les frais, on y a fait allusion un peu plus
tôt, depuis quelques années même quelques mois en ce
qui concerne les évaluateurs les frais sont à peu
près entièrement payés par les corps expropriants. Les
expropriés n'ont presque plus à assumer de
frais, sauf dans des cas d'exception. Evidemment, si quelqu'un veut
contester le droit à l'expropriation c'est son privilège, mais il
est obligé d'assumer les frais.
M. PERREAULT: En conclusion, je vous demanderai d'y repenser parce que
je crois qu'on a trop fait de l'expropriation une affaire juridique et qu'on
n'a pas tenu compte des composantes de l'évaluation, qui est surtout
basée sur l'évolution technique, des facteurs de génie et
socio-économiques. Et on s'est appliqué surtout à en faire
une affaire juridique.
M. ALARY: II faut avoir quand même une base juridique pour
indemniser. Si on s'en tient uniquement au principe de l'article 407 du code
civil on ne va pas loin, parce que chaque cas d'expropriation est un cas
d'espèce. Il faut tâcher d'énumérer un certain
nombre de cas d'espèce pour avoir une bonne assise juridique pour
ensuite pouvoir, avec des techniques pratiques, établir des montants
d'indemnité.
C'est toujours là le problème. On va dire: On ne peut pas
t'indemniser, tu ne tombes pas dans cette catégorie, celle qu'on avait
l'habitude d'indemniser. Il est tout de suite à côté. C'est
toujours le même problème. Si la loi n'est pas assez explicite, et
qu'on est obligé d'attendre une jurisprudence, on attend cinq ou dix
ans. C'est là le problème.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous remercions la Chambre de commerce de la
province de Québec, Me Alary, M. Létoumeau, M. Morin de votre
mémoire et de sa présentation.
L'organisme suivant, la Corporation des éva-luateurs
agréés du Québec.
Corporation des évaluateurs
agréés du Québec
M. ALARY: M. le Président, malheureusement, vous m'avez encore.
Maintenant, il s'agit ici d'un organisme spécialisé où
nous traitons surtout de problèmes techniques. Je voudrais vous
présenter M. Simard, vice-président de la Corporation des
évaluateurs agréés du Québec; M. Dion,
administrateur de la même corporation, et M. Picard, directeur de cette
corporation et aussi président d'une corporation qui s'appelle l'APEEQ,
c'est-à-dire des évaluateurs spécialisés en
expropriation. Le présent mémoire a été
préparé en collaboration avec la Corporation des
évaluateurs et son association affiliée, si vous voulez, les
évaluateurs spécialisés en expropriation.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, Me Alary, vous êtes le
porte-parole du groupe.
M. ALARY: Je suis le porte-parole, encore une fois, du groupe. Merci, M.
le Président, de m'y faire penser. Cet après-midi, j'y penserai,
ou plus tard ce matin.
Je pense, M. le Président, si la commission est d'accord, qu'il
vaut la peine avec ce mémoire de reprendre le projet de loi article par
article, c'est-à-dire les articles que nous commentons, parce qu'il
s'agit de problèmes assez techniques, à moins que vous ne
préfériez procéder tout simplement par questions. Parce
que les évaluateurs ont cru bon, étant donné que c'est
leur métier d'évaluer, de s'en tenir surtout à des
articles qui étaient propres à leur pratique quotidienne.
M. PINARD: Me permettez-vous une suggestion, Me Alary?
M. ALARY: Oui, bien sûr.
M. PINARD: Si, par hasard, votre représentation regroupe
sensiblement les représentations déjà faites,
peut-être qu'on pourrait éviter la discussion là-dessus et
peut-être pourriez-vous vous en tenir seulement à des
éléments nouveaux de discussion ou à des
éléments de discussion qui pourraient avoir un caractère
plus technique et plus spécifique, vu qu'il ne s'agit pas des membres du
Barreau qui présentent un mémoire, mais de la Corporation des
évaluateurs agréés du Québec.
M. ALARY: Oui, M. le ministre, d'accord. Je prends, à titre
d'exemple, notre paragraphe 7 qui se rapporte à l'article 3 où
les évaluateurs, parce qu'ils sont quotidiennement devant les tribunaux
d'expropriation, souhaiteraient voir porté à 18 le nombre des
membres du tribunal siégeant dans la division de Montréal
où il y a, évidemment, le plus grand nombre de causes, afin de
faire en sorte qu'il n'y ait pas une période d'attente trop longue.
Cela, en passant, s'est considérablement amélioré depuis
quelques années, il faut le souligner.
M. PINARD: Ce ne sont pas nécessairement des juges qui devraient
être nommés ou des assesseurs qui auraient des connaissances
plutôt techniques, administratives et comptables?
M. ALARY: M. le Président, à l'article suivant, nous
précisons qu'il doit y avoir, parmi, en tout cas, les membres d'une
division, un évaluateur agréé. Que ce soit un juge qui
préside un tribunal, je pense que c'est souhaitable parce qu'à
l'intérieur de toute cause d'expropriation, qu'on le veuille ou non, il
se retrouve une référence à une base juridique. A-t-il
droit d'être indemnisé, oui ou non? Il faut interpréter. Je
pense bien que c'est essentiel, on n'en sortira jamais.
A l'article 37, notre paragraphe 9, on voudrait bien que la loi
précise que les biens meubles peuvent être l'objet de
l'expropriation. Parce que c'est toujours une bataille à finir. On
exproprie une maison de chambres; on a là un locataire, disons, qui
exploite une maison de chambres. On a un premier problème parce
qu'il s'agit d'un cas de locataire, il est couvert maintenant par le
projet de loi. L'entité juridique de son commerce, ce n'est pas couvert
par le projet de loi. Le deuxième problème qui va persister,
malgré le projet de loi actuel, c'est que les meubles qu'il y a
là, les lits, couvertures et tout le tralala, on dit: On n'exproprie pas
ça, on n'a jamais exproprié cela; tout ce qu'on exproprie, c'est
un immeuble. On a amélioré en disant: On expropriera les meubles
lorsqu'ils seront des accessoires de l'immeuble. Est-ce qu'on va
interpréter là, il va falloir attendre une jurisprudence,
probablement que les meubles qui garnissent les locaux occupés
par une maison de chambre, qui n'appartiennent pas au propriétaire, mais
appartiennent à une tierce personne, seront compris?
On voudrait bien, mais on sait que ça va faire l'objet d'un
procès. Il ne faudrait pas. On peut décider d'exproprier certains
biens meubles, il y en a qui doivent l'être. Il peut y avoir des actions,
des obligations. Il peut y avoir un nombre considérable de biens meubles
qui devraient faire l'objet d'expropriation et non pas faire l'objet de
dommages tirés par les cheveux, si on veut.
M. PINARD: II faudrait en arriver à faire des distinctions. On
n'est quand même pas pour exproprier un mobilier de chambre qui
éventuellement va servir à l'autre endroit où pourrait
être relocalisée cette maison de chambres.
M. ALARY: Alors on revient au problème des fonds de commerce. On
veut bien maintenir la règle qu'un fonds de commerce peut a priori
être déménagé ou relocalisé. Les autres lois,
M. le ministre, auxquelles nous faisons allusion, je ne dis pas qu'elles sont
meilleures que celles que nous avons et celles que nous aurons, mais on indique
au moins que ces commerces on les relocalisera si c'est possible, faisable
("feasible"). Nous, nous n'avons rien. Alors on pourra toujours dire à
un commerçant: Monsieur, vous auriez dû déménager,
pourquoi avez-vous fermé boutique? Vous auriez dû vous
déplacer.
On veut bien la maintenir cette règle du déplacement, de
la relocalisation mais il faudrait au moins donner la chance au locataire
commerçant cela peut s'appliquer également au
propriétaire de pouvoir faire la preuve que ce n'était pas
possible de déménager.
M. PINARD: Qu'est-ce que la loi de l'Ontario dit là-dessus?
Avez-vous l'article, la référence?
M. ALARY: "Feasible". Je pense que c'est l'article 13 encore une fois ou
14, les mêmes articles. Je m'excuse, c'est à l'article 19,
dernière phrase, "tourelocate", le mot "feasible" est employé.
Pour un locataire ou un commerçant c'est ça le critère.
Est-ce que c'est possible de me relocaliser? Si c'est un commerce local que
j'ai et qu'on exproprie la Petite
Bourgogne, la Place Radio-Canada, le commerce, il ne se relocalise pas.
Je sais bien qu'en pratique on finit toujours par faire reconnaître que
son commerce se relocalise ou ne se relocalise pas mais c'est un procès
à finir chaque fois. Il faudrait qu'il y ait plus de souplesse de ce
côté-là. J'en profite, puisqu'on est dans la loi
ontarienne, pour revenir sur un problème qui nous intéressera
plus tard en ce qui concerne les baux.
Il y a une certaine norme d'évaluation en ce qui concerne un bail
qui se termine. Il arrive souvent qu'un corps public va exproprier et c'est
toujours dans le cas de commerces que ça pose un problème. On
peut exproprier un commerce qui est à l'avant-dernière
année de l'expiration de son bail. Mais ça fait 40 ans que le
même commerce existe au même endroit, la possibilité est
excellente qu'il continue.
Or, récemment, nous avons eu un jugement d'un tribunal. Cela
faisait 40 ans qu'il y avait le même genre de commerce au même
endroit. On a dit: II ne vous reste plus qu'une seule année à
courir. On coupe l'indemnité en deux. La loi ontarienne
prévoyait, disait au juge: Vous allez tenir compte des
possibilités de renouvellement. Je me réfère à
l'article 18, section II, sous-paragraphe c): "Prospect of renewal". Encore
là il y a quelque chose qui se rattache au droit de ce type-là.
Il peut dire: Bien moi, j'avais une chance énorme de rester sur place.
Ce n'est pas facile.
L'article 42 traite exactement des cas de locataires, dont nous venons
de parler. Nous pensons qu'il y aurait eu intérêt à
améliorer la définition du mot "locataire" par occupant de bonne
foi. Locataire se réfère toujours soit à un bail
écrit, soit à un bail verbal, il n'y a pas d'erreur. Mais il y a
d'autres gens qui occupent des emplacements ou des logements et ils n'ont pas
de ces baux écrits; on ne peut même pas les relier à un
bail verbal. Je pense à l'article 1608 de notre code civil qui
prévoit exactement le cas de gens qui n'ont pas l'un ou l'autre.
Pensons par exemple à celui qui travaille dans une conciergerie.
Pensons également au fils qui habite un logement qui appartient à
son père. Il n'y a même pas un bail présumé. Il est
un occupant de bonne foi. Je pense qu'on devrait ajouter un mot "locataire" les
occupants de bonne foi si on veut couvrir l'ensemble de tous ceux qui occupent
sans qu'ils soient propriétaires. Cela se référait
à l'article 42 du projet de loi. L'article 51 revient sur le
problème imputable au déplacement, au déménagement
et sommairement je reviens sur ce que j'ai déjà dit en ce qui
concerne les fonds de commerce. L'indemnité forfaitaire de trois mois
n'est pas réaliste.
IL faut absolument la revoir pour autant que les commerçants sont
concernés et même pour les maisons d'habitation. Surtout dans les
quartiers défavorisés, où l'on paie $60 ou $75 de loyer
mensuel, trois fois $75, ça n'aide pas beaucoup à se reloger
ailleurs.
Evidemment, la corporation s'étonne des exceptions prévues
par le projet. En ce qui concerne la ville de Montréal et la Voirie, les
raisons ont déjà été abondamment citées et
je pense bien qu'on n'a pas à y revenir. L'article 77 le
paragraphe 16 de notre mémoire traite du taux
d'intérêt. Encore une fois, il n'y a pas lieu de
répéter que les 5 p.c. sont insuffisants; il faudrait
peut-être nous en remettre aux autres lois concurrentes. Sur notre
même territoire, le fédéral a osé, même si
c'est lui le grand patron de l'intérêt légal, dans son
récent texte de loi sur l'expropriation, dire qu'il y aura un
intérêt additionnel et qu'il paiera la différence entre les
5 p.c, le taux d'intérêt légal, et le taux de ce que
rapportent les bons du trésor. Le fédéral va plus loin, il
se pénalise même, par un taux d'intérêt
majoré, lorsqu'il y a retard à payer ce que nous appelons
l'indemnité provisionnelle ou encore à payer l'indemnité.
Je pense que c'est un exemple de magnanimité; peut-être n'a-t-on
pas les moyens, nous, d'être aussi magnanimes.
En ce qui concerne l'article 78 et les suivants relativement aux
réserves pour fins publiques, il y aurait ici â souligner deux cas
majeurs qui créent des injustices dans cette province il
faudrait, en tout cas, se référer au projet de loi si on veut
corriger cette situation c'est l'application de la Loi de la
Société de l'habitation du Québec qui prévoit des
programmes de rénovation urbaine sur certaines périodes de temps.
Cette période de temps équivaut à une réserve pour
fins publiques sans qu'on la nomme comme telle. Il se produit actuellement, on
le vit dans le cas de la Petite Bourgogne, que la ville va décider que
son opération va s'étendre sur cinq ans, elle va avertir les
gens, tout le monde sera au courant qu'on va libérer, qu'on va raser le
quartier. On se rend compte que les gens partent un à un, ça
commence par les locataires, les propriétaires hésitent parce
qu'ils sont toujours chez eux, les locaux se vident, les commerçants
résistent encore davantage parce que c'est toute leur vie qui est dans
leur commerce, et la première chose que l'on sait, le quartier est vide
et on n'est pas encore rendu au moment où on va exproprier les
commerçants.
Vous savez que, lorsqu'on exproprie un commerçant, ce qui
détermine l'indemnité, c'est la valeur du commerce au moment
où on la détermine. Parce qu'il n'y a pas de possession
préalable ici, ce commerce-là ne vaut plus rien, ou bien le gars
a déjà déguerpi et il se retrouve avec rien. On a
même vu le cas d'une usine où il y avait de la machinerie qui
valait plusieurs centaines de milliers de dollars, tout le monde avait
quitté, les employés n'étaient plus à
proximité comme c'était le cas dans le passé, ils
étaient seuls et sujets à des attaques de toute nature. Ils ont
dû déménager leur machinerie à leurs propres frais.
Quand la ville est arrivée, elle a dit: II n'y a plus rien dans cet
édifice, on ne paie pas de déménagement, vous êtes
partis.
Je pense qu'il faudrait que la loi fasse une référence
à la Loi de la Société d'habitation du Québec en ce
qui touche les plans de rénovation urbaine. La même chose existe
à la page 7 de notre mémoire, au paragraphe b)
là où les municipalités évidemment avec la
Loi sur l'urbanisme ont des règlements de zonage, le zonage pour
fins publiques ou l'utilisation publique. C'est une expropriation
déguisée, camouflée.
On a le cas de municipalités, actuellement on peut les
nommer : la ville de Laval, la ville de Longueuil qui ont ces zonages.
Les gens ne peuvent pas aménager leur terrain. Ils vont voir la ville et
la ville leur dit: Contestez notre règlement. On conteste le
règlement devant la cour Supérieure. Cela prend trois ans
à venir et, lorsque la cause vient, ils confessent jugement. Ils disent:
C'est vrai, nous avions tort, notre règlement est illégal. Je
pense qu'on a un jugement de la cour d'Appel, le jugement Soulat, qui dit qu'un
règlement de zonage pour fins publiques est une expropriation
déguisée, sans indemnité et est absolument illégal.
Mais les municipalités nous amènent jusqu'à la limite,
dans chaque cas. J'ai vu le cas d'une de ces municipalités qui a
confessé jugement sur la terre X et la terre Y, qui étaient
affectées du même zonage. Elle a dû intenter une
procédure en cour Supérieure et va attendre encore trois ans
avant qu'ils confessent jugement.
Je pense qu'on devrait relever ces anomalies et faire en sorte que ces
expropriations camouflées soient corrigées une fois pour
toutes.
A l'article 81, nous disions: Cet article "prévoit avec raison
qu'aucune taxe foncière, municipale ou scolaire, n'est payable, etc.
Toutefois, l'on ne se réfère, à la fin de cette partie,
qu'aux réserves de deux ans." Je pense qu'il y a peut-être
là une petite anomalie. On dit, dans la présentation du projet de
loi, que toutes les réserves pour fins publiques vont donner lieu
à une indemnité, évidemment s'il y a des dommages. Le
minimum est que celui qui est affecté de cette réserve pour fins
publiques doit prouver ses dommages. Mais on semble indiquer que c'est
seulement dans le cas où il y a une réserve pour fins publiques
de deux ans que l'on paiera des indemnités. Il y a peut-être lieu
de raffiner l'article pour couvrir tous les cas, en tout cas, pour ne pas
donner ouverture à des contestations sur le sujet.
La Corporation des évaluateurs est évidemment surprise,
jusqu'à un certain point, de voir que l'on permet au Bureau des
expropriations de Montréal de continuer de fonctionner parce qu'on
voulait centraliser, une fois pour toutes, connaître les mêmes
décisions administratives, la même jurisprudence. Il faut
peut-être comprendre que les causes qui sont en
délibéré devant ce même bureau doivent être
terminées. Je pense bien que c'est un minimum qu'on peut permettre.
Mais, s'il fallait que ce soit une situation qui se continue, on
connaîtrait l'imbroglio actuel, et qui persiste depuis toujours, à
savoir que, d'un côté, on juge blanc et que, de
l'autre, on juge noir et qu'on ne tient pas du tout compte des
décisions qui peuvent être rendues à la juridiction
supérieure. C'est vraiment embarrassant pour les expropriés.
Au niveau de ces tribunaux d'arbitrage, le député de
L'Assomption, tout à l'heure, à l'occasion de l'autre
mémoire, disait qu'il était plus facile de s'entendre lorsqu'on
fait cela en famille. Mais cela demande un minimum de décors. Je pense
bien que, si on est devant le tribunal, il existera quelqu'un qui
déterminera comment cela doit se passer. Il y aura des règles de
pratique, de procédure à suivre; sans quoi, on ne se retrouve pas
et on peut être traité de différentes façons.
Je reviens sur la norme de dommages indirects. Ce sont les mêmes
remarques que j'ai déjà faites dans le mémoire
précédent, à savoir qu'il y a des gens qui souffrent de
l'expropriation, de façon indirecte. Je vous cite un exemple, cette
fois: l'agent d'immeuble qui a une option sur une propriété. Elle
est déjà vendue, si on veut, et l'expropriation intervient. Ce
bonhomme-là a fait tout son travail et il n'a droit à rien. Je
pense qu'on devrait prévoir un cas comme celui-là. C'est
peut-être un des quatre ou cinq cas, qu'on avait suggérés
dans le rapport du comité autrefois, où il devrait y avoir
ouverture à indemnité.
Le retard dans le paiement de l'indemnité. Eh bien, on pourrait
commenter longuement. On sait que le ministère fait des efforts de ce
côté-là, mais à la fin, c'est l'exproprié qui
attend et on sait que les banques, les organismes qui prêtaient
facilement autrefois dans les cas d'expropriation parce qu'ils avaient
une certaine sécurité qu'ils seraient remboursés
aujourd'hui, refusent non pas parce qu'ils ne savent pas que l'argent viendra
un jour, mais parce qu'ils ne savent pas quand il viendra.
Je me demande si le législateur ne serait pas prêt à
aller aussi loin que le gouvernement fédéral et dire qu'il y a
des normes précises d'indemnisation et, si on ne les respecte pas, on se
pénalisera selon un taux d'intérêt majoré ou d'une
autre façon. Cela donnerait au moins satisfaction à celui qui
attend de dire: Bien, ce n'est plus 5 p.c. ou 6 p.c, c'est 7 p.c. ou 8 p.c. Ce
ne serait pas un facteur financier important pour le ministère, mais
l'exproprié en sortirait peut-être content.
M. PINARD : On peut peut-être fixer le moment où il y a
vraiment retard à payer.
M. ALARY: Je pense que 90 jours après un règlement ou
après un jugement, il n'y a pas de scandale, parce qu'il y a une machine
administrative à mettre en marche et on ne s'en surprend pas. Mais je
peux vous dire, par expérience, que même après des
jugements de la cour où il n'y avait pas d'appel, j'ai
déjà attendu une année le paiement d'un jugement,
après des représentations gentilles, etc. Et j'ai des cas
précis à l'esprit. Tout simplement parce qu'on arrivait à
la fin d'une année financière me disait-on, et il n'y avait plus
de fonds pour la région de Montréal ou, peu importe la raison,
mais j'ai déjà attendu une année.
Et il arrive actuellement que nous attendons souvent plus longtemps
à la suite d'une décision du tribunal pour n'être
payés que lorsque nous faisons un règlement à l'amiable
dans les bureaux du ministère ou ailleurs. Je ne pense pas que ce soit
normal, surtout dans le cas de jugements, il me semble qu'il devrait y avoir
une norme précise, soit 90 jours, même on peut aller à
quatre mois si on pense que ce n'est pas suffisant. Mais c'est le délai
qui vient après, qu'on ne peut pas supporter. Nous, comme procureurs ou
évaluateurs, nous le supportons bien, mais ce sont les expropriés
qui, à la fin, doivent supporter tout cela.
Les fameuses pénalités pour remboursement
d'hypothèques avant terme. A ce sujet, nous avons eu des
problèmes et ce sont surtout les expropriés, à la fin, qui
ont écopé. Le ministère a pris une bonne décision,
je pense bien, d'indemniser ce qu'on croyait être une honnête
indemnisation. C'est-à-dire qu'on remettait à un créancier
hypothécaire une somme, soit $25,000, deux ans plus tôt qu'il ne
l'attendait ou $50,000 et puis, il devait, lui, faire des démarches pour
la replacer quelque part.
Les gens, avec les retards des règlements des causes
d'expropriation, ont pris de l'expérience et en sont venus à
aller à l'extrême. Et nous avons retrouvé
dernièrement dans un contrat de ce genre, soit celui d'une
propriété expropriée, une clause indiquant qu'on devait
lui rembourser 18 mois de pénalité s'il y avait une
expropriation. C'était manifestement exagéré. Mais encore
une fois, c'est l'exproprié qui le paie parce que, lui, pour se faire
rembourser, il devra intenter une action en cour Supérieure et dire que
c'est vraiment exagéré aux termes d'une prescription du code de
procédure civile et dire qu'il a le droit d'être remboursé.
C'est lui, entre-temps, qui doit faire les démarches, qui doit subir les
frais et tout ce qu'on veut pour récupérer ce qu'on lui a
demandé en trop.
Si on dépose l'argent chez un protonotaire, comme cela devrait se
faire pour accélérer les choses, le protonotaire va retenir le
montant.
Il va dire: C'est dans le contrat. Cela lie les parties. Je retiens le
montant. Même le ministère, s'il paye directement
l'exproprié, sans tenir compte de la clause de pénalité,
pourrait être poursuivi. Pourquoi ne poursuivrait-on pas le
ministère pour avoir payé indûment? Ou on va poursuivre
l'exproprié. L'exproprié va mettre en cause ou appeler en
garantie le ministère. Mais où cela mènera-t-il? Cela va
mener à un autre procès. Il y aurait peut-être lieu de le
prévoir dans la loi. Ce ne serait pas une grosse difficulté et
cela ne frusterait personne d'aucun droit.
Messieurs de la commission, M. le Président,
c'est tout ce que nous avions à dire, pour autant que cette
corporation est concernée. Je vous remercie de votre attention.
M. PINARD:Me Alary, quand vous faites référence à
la loi de l'Ontario, est-ce que c'est le chapitre 154 intitulé "The
Expropriation Act"?
M. ALARY: De quelle année?
M. PINARD: Je n'ai pas l'année. J'ai seulement la
référence.
M. ALARY: M. le ministre, évidemment, j'ai obtenu ceci. C'est la
deuxième session, 28e Législature, 17 Elizabeth II, 1968-1969.
C'est le document final. C'est l'ancien bill 5. C'est en application
actuellement.
M. PINARD: Mais je veux savoir si nous parlons...
M. ALARY: De la même chose?
M. PINARD: ... de la même loi, oui. Moi, j'ai le texte qui est
intitulé "Chapter 154, The Expropriation Act".
M. ALARY: Quelle Elizabeth, s'il vous plaît, M. le ministre?
M. PINARD: Je ne l'ai pas.
M. ALARY: C'est ce qui nous situe.
M. PINARD: On me dit que ce sont les Statuts refondus de 1970. Alors,
c'est la loi la plus à jour.
M. ALARY: Oui, c'est la plus à jour. C'est d'ailleurs la
révision de fond en comble qui a fait suite à ce document
fondamental sur la révision des droits civils, en Ontario. Je ne me
souviens plus du nom du rapport. C'est la loi qui y a fait suite. La loi
fédérale, c'est celle qui a été adoptée en
1970, juste après Sainte-Scholastique.
M. PINARD: Oui. Et cela ne règle pas tout.
M. ALARY: Pas du tout, cela ne règle pas tout. Il y a des choses
qu'il ne faudrait pas que la loi provinciale adopte.
M. PINARD: II nous a été dit hier que le bill 88 avait
plus de portée sociale que la loi fédérale n'en
contient.
M. ALARY: C'est possible mais il y aurait encore moyen
d'améliorer, sous cet angle-là. Il y a des petits coins qu'il
faudrait arrondir.
M. PINARD: Je n'ai pas de questions, M. le Président. Je vous
remercie.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.
M. AUDET: Auriez-vous, par hasard, quelque chose à reprocher au
Bureau des expropriations de la ville de Montréal, tel qu'il est
actuellement ?
M. ALARY: Vous savez, adresser des reproches à un tribunal, M. le
député, c'est ce qu'il y a de plus dangereux au monde, parce
qu'un tribunal a toujours raison.
M. AUDET: Ce n'est pas un tribunal c'est un bureau.
M. ALARY: Non, je pense qu'il a la fonction d'un tribunal
d'arbitrage.
Il a fait un excellent boulot, parce que nous avions l'occasion de nous
rencontrer. Nous faisions de la négociation, et cela avec les membres du
tribunal.
Ce même privilège, nous l'avons avec le bill 88. Si on
permet au commissaire-enquêteur qui convoque les parties de dire :
Où est la difficulté, où se situe le problème? Nous
allons obtenir le même résultat.
M. AUDET: Croyez-vous pouvoir être aussi expéditifs que
l'organisme en place?
M. ALARY: Avec le nombre de commissaires qui est prévu pour la
structure du nouveau tribunal, je pense bien qu'on va pouvoir le faire. Faire
venir 50 causes le même jour devant un tribunal, cela s'est fait depuis
longtemps. Je me souviens qu'autrefois, lorsque la Régie des services
publics ne motivait pas ces jugements, on faisait des rôles de 50 causes
la même journée.
On décidait dans une cause et ça s'appliquait aux causes
suivantes. C'est la même chose devant toutes les cours. Vous avez un
tracé de route qui va couper dix fermes dans un même secteur
où on pratique le même genre d'agriculture. On va établir
une norme et je pense bien que la norme va s'appliquer. Ce qui va varier, c'est
le dommage à l'une par rapport aux dommages à l'autre.
Assurément, il va falloir en débattre. Mais, quant au reste,
ça va se décider facilement.
M. AUDET: A qui attribuez-vous la grande différence
d'efficacité entre ce qui existe à Montréal et ce qui
existe dans le domaine de la Voirie?
M. ALARY: Justement, on va donner les moyens au nouveau tribunal de
prendre cette accélération en convoquant les gens et en disant:
Où est-il, le problème? On peut convoquer dix expropriés
de la même section. C'est ce qui se produit avec le Bureau des
expropriations de Montréal.
On a un plan. Un plan, c'est ordinairement
localisé dans un même territoire bien
délimité. On convoque tous les expropriés la même
journée ou à peu près. Le nouveau tribunal d'expropriation
peut exactement faire la même chose avec son mécanisme du
commissaire-enquêteur qui va regarder le dossier, va demander où
est la différence. Je dis au législateur: Donnez donc ce petit
privilège au commissaire-enquêteur de pouvoir faire une
recommandation.
Les parties ne sont pas obligées de la suivre, comme nous ne
sommes pas obligés de suivre la recommandation du BEM, le Bureau des
expropriations de Montréal. Le fait, c'est qu'on s'en va devant la
Régie des services publics et qu'on commence à nouveau.
M. PINARD: M. Alary, seriez-vous d'accord pour que nous incluions dans
la loi l'obligation qui serait faite au tribunal des expropriations d'avoir
à se déplacer au besoin et d'aller visiter les lieux mêmes
d'une expropriation pour qu'il ait une image plus complète de la
situation, sans tenir pour acquis que tous les mémoires d'expertise qui
sont présentés représentent exactement la situation?
M. ALARY: M. le ministre, je pense que vous pourriez, avec raison,
l'inclure dans la loi mais chaque fois que nous plaidons, nous invitons le
tribunal ordinairement à visiter les lieux. Comme
procureur ou comme évalua-teur, on sait comment on peut se faire jouer
en ne visitant pas les lieux, en ne passant pas au moins dans le secteur. Mais
il faut quand même dire qu'à ce jour les tribunaux, sans que ce
soit peut-être une obligation formelle, l'ont ordinairement fait. Je
pense qu'ils l'ont ordinairement fait, c'est satisfaisant mais ce serait plus
sûr pour l'exproprié. Parce que l'exproprié s'imagine
toujours que sa propriété, on ne la connaît pas. Les
tribunaux français d'expropriation ont cette obligation d'aller sur
place.
Vous savez, quand on a dans le même secteur 50 ou 100 lots de
subdivision, il ne faut pas se déplacer 50 fois; on va se
déplacer une seule fois, il n'y a pas d'erreur. Est-ce qu'il y a lieu de
faire comme les Français ont fait et dire: Quand on va sur place, on
convoque tout le monde? On convoque l'exproprié, s'il y a un procureur,
il vient et, s'il y a un évaluateur, il vient. C'est une obligation
assez onéreuse. Et le débat ordinairement s'engage sur le champ,
les pieds dans l'eau, les pieds dans la neige, ce n'est peut-être pas
trop facile.
M. PINARD : On ne peut pas paralyser l'appareil administratif et
l'appareil judiciaire. En France, ils ont constitué
c'était bien idéal et c'était bien la chose la plus
fantastique ce qu'on a appelé le fonds des autoroutes
françaises et ils n'ont jamais dépensé plus de 30 p.c. de
ce fonds. Finalement, la France est le pays le plus arriéré en
matière d'autoroutes.
M. ALARY: Parfaitement d'accord.
M. PINARD: Pourquoi? Parce qu'ils se sont empêtrés
continuellement dans des procédures du genre que vous venez
d'expliquer.
M. ALARY: Ils se sont surtout empêtrés dans la
préenquête que vous avez évitée et ce que d'autres
législations n'ont pas évitée.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.
M. PERREAULT: J'aimerais soulever un petit point. Vous avez
mentionné un minimum de décor dans votre exposé; ne
croyez-vous pas qu'un avocat pourrait maintenir un minimum de décor
autant qu'un juge?
M. ALARY: Oui, évidemment, il n'a pas besoin d'être avocat
pour présider un tribunal comme tel, si on veut, au strict minimum. Mais
un phénomène se produit, si ce n'est pas un tribunal, au sens
strict du mot, tel qu'on le reconnaît chez nous, l'exproprié s'y
amène et n'est pas sûr de ce qui lui arrive. Il peut être
traité de bien des façons. J'ai vécu des situations de
petits expropriés qui ont été traités de
drôles de façons qui ne correspondaient pas aux règles de
procédure que nous connaissons ordinairement. C'est ce qu'il faut
éviter, parce qu'un exproprié est un être qui est
frappé dans sa personne avant d'être frappé dans ses biens.
C'est bien important.
Je ne pense pas évidemment à ces expropriés qui ne
se montrent jamais en cour, qui se font représenter par des procureurs,
qui ne savent même pas ce qu'est un tribunal de négociation ou
d'expropriation. Ce ne sont pas ceux-là. Je pense aux petits qui n'ont
qu'une petite propriété, qui n'ont qu'un locataire, qui viennent
là, qu'on convoque, parce qu'on leur envoie un avis de convocation,
puis, une fois rendu là, on va les traiter comme ceci ou comme cela. On
va les interpeler, on va leur dire: Cela marche comme ça, notre
décision est prise. Puis bonjour, c'est réglé!
Il y a un minimum de délicatesse à avoir avec des
expropriés, qui sont des gens d'abord frappés dans leur personne.
Je pense que les tribunaux, d'une façon générale, dans
cette province, ont toujours respecté ce fait, à savoir que les
gens qui viennent devant le tribunal ne sont pas d'avance dans telle situation
ou telle autre; c'est au tribunal de démontrer qu'ils ont un droit et
que c'est à cet endroit qu'ils peuvent l'exercer.
M. PERREAULT: Donc, la présence d'un avocat au sein d'une
commission de conciliation, d'expropriation, au tribunal de première
instance pourrait satisfaire le minimum de décor.
M. ALARY: Oui, si on relie ce tribunal, ou cet arbitrage, au vrai
tribunal d'expropriation, pour que tout le monde suive la même
filière, les mêmes règles de pratique, les mêmes
nor-
mes, qu'on sache qu'à la fin, si on doit plaider la cause parce
qu'on ne finit pas, parce qu'on ne s'entend pas, on sait ce qui va se produire,
on connaît la règle, on connaît les règles de
pratique, c'est ça qui est important. Il ne faut pas qu'il y en ait un
qui traite les gens d'une façon, et l'autre, de l'autre. Je ne dis pas
que le premier les traitait de mauvaise façon, mais je pense qu'il faut
avoir cette loi unique. Il faut qu'elle soit unique partout, tant dans les
normes d'évaluation que dans les procédures qui interviennent par
la suite.
M. PERREAULT: Dans le mémoire, vous parlez, vous recommandez 18
pour la région de Montréal, ces grandes régions; avec ce
nombre que vous recommandez, à combien de mois, en moyenne, estimez-vous
le règlement de cas d'expropriation?
M. ALARY: C'est difficile à dire et je pense bien...
M. PERREAULT: En moyenne, parce que moi j'ai une
référence, une maison unifamiliale, quand j'étais maire,
qui a pris sept ans.
M. ALARY: Ah oui! J'en connais, de douze ou quatorze ans.
M. PAUL: On serait mieux de changer de maire.
M. PERREAULT: J'aimerais savoir. On serait mieux de changer de
tribunal.
M. ALARY: M. le député, je pense bien que si le
mécanisme de conciliation...
M. PERREAULT: II y a quelqu'un à côté de vous qui
est bien au courant, surtout, parce que c'est lui qui était en
cause.
M. ALARY: En tout cas, je l'ai déjà eu comme adversaire.
Mais je pense bien qu'il serait souhaitable que toute cause d'expropriation se
termine dans les deux ans du temps où elle a pris naissance. Je pense
que ce serait souhaitable. On peut chercher l'idéal, il peut y avoir des
cas d'exception, les douze ans, les quatorze ans, ou les sept ans auxquels on
peut référer vous savez, ça s'est réglé
facilement à un moment donné.
C'est drôle, ces occasions de se rencontrer auxquelles on se
référait. Je me souviens qu'on a parlé ce matin de
l'autoroute des Laurentides. Je ne me souviens pas en quelle année, en
1970 peut-être, non, en 1965. On avait demandé à des gens
de reconvoquer tous ces expropriés pour voir où se situaient les
problèmes. Sur les 40 cas en suspens pour l'autoroute des Laurentides,
dix ans plus tard, il y en a au moins 80 p.c. qui étaient
réglés, tout simplement parce que les gens ont eu une nouvelle
occasion de se rencontrer. Je pense que c'est là le point fondamental en
matière de négociation. C'est l'occasion de se rencontrer, mais
de le faire dans un décor qui n'est pas partisan, un décor de
neutralité, si on veut.
Le comité de conciliation, pour autant qu'il est relié au
tribunal, je concède qu'il va faire un excellent boulot. Mais il
faudrait qu'il soit relié au tribunal de l'expropriation.
M. PERREAULT: Autre question. Il est question d'une indemnité
à un commerce qui, sans être exproprié directement, subit
des dommages. Est-ce qu'on pourrait parler aussi de maisons affectées de
la même façon?
M. ALARY: Oui, bien sûr.
M. PERREAULT: Je vais citer mon propre cas. En 1958, on a bâti un
nouveau pont et de nouvelles approches. On m'a mis dans un trou de six pieds et
ça m'a coûté $6,000 pour ramener mon terrain au niveau de
la nouvelle route. Je n'ai jamais reçu d'indemnité à ce
sujet.
M. PINARD: C'est l'article 97.
M. ALARY: L'article 97. En passant, on l'a amélioré, en
disant que les exhaussements vont disparaître. Il y a un petit
problème qu'on n'a pas réglé à cette occasion,
c'est le problème des détournements de chemin. Non pas en ce qui
concerne les fonds de commerce, parce que je ne suis pas partisan de dire que
la circulation appartient aux commerçants. Là n'est pas le
problème. Je pense que l'individu qu'on va laisser dans un cul-de-sac ou
celui qu'on va isoler de la voie publique alors qu'il pouvait y être
avant, subit un dommage.
M. PERREAULT: Et l'individu à qui on laisse une section, un petit
bout de route en face de chez lui.
M. ALARY : Exactement. Il y a une jurisprudence à cet
effet-là. Le cas Loiselle, à l'occasion de la construction de la
Voie maritime, où, aux termes de la loi fédérale qui
permettait les dommages indirects, de façon discrète c'est
l"'injuris affection" de la loi anglaise on a pu faire en sorte qu'on a
indemnisé ce M. Loiselle qui avait, lui, un garage. Je comprends que la
circulation ne lui appartient pas, mais on l'avait laissé dans un
cul-de-sac et il perdait tout du jour au lendemain. Il avait bâti sa vie
là-dessus. Par le biais de l"'injuris affection", on l'a
indemnisé.
Je pense qu'on devrait ouvrir une petite porte aux cas spéciaux
de dommages indirects qui relèvent du détournement de
chemins...
M. PINARD: Cela se ferait sur une base d'équité ou en
vertu d'une obligation légale de le faire?
M. ALARY : Je pense qu'il devrait y avoir une obligation légale,
M. le ministre.
M. PINARD: Parce que le ministère le fait sur la base d'un
règlement d'équité.
M. ALARY: Oui, le ministère l'a déjà fait. J'en ai
eu connaissance. Mais, vous savez, quand il faut attendre la recommandation
d'un agent négociateur, ce n'est pas toujours facile. Je ne dis pas en
ce qui concerne les fonds de commerce. Je n'irai pas jusque là. Mais
dans les dommages à la propriété en tout cas, on devrait
commencer par là. Concernant les fonds de commerce, cela viendra
peut-être plus tard, parce qu'on pourra peut-être s'en remettre
à l'équité.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): D'accord.
M. PERREAULT: Je voudrais poser une question à votre estimateur,
M. Picard. Je le reconnais comme un estimateur très compétent.
Vous connaissez les offices de révision de l'évaluation
foncière qui vont être créés? Vous êtes
familier avec cela? Dans votre esprit, est-ce que ces offices ne pourraient pas
avoir cette double tâche d'être le premier tribunal, la
première instance, le premier endroit pour faire la conciliation entre
les expropriés et surtout pour les municipalités de moindre
envergure?
M. PICARD (Jean): Je connais plusieurs personnes, parmi celles qui ont
été nommées. Il s'agit de personnes qui ont beaucoup
d'expérience dans le calcul de la valeur marchande d'une
propriété. Pour ce qui a trait au calcul des dommages à
l'occupant ou des dommages pour fonds de commerce, je me demande de quelle
façon on pourrait établir précisément cette partie
de l'indemnité.
M. PERREAULT: Si on nommait des gens qualifiés pour tenir compte
de cette double tâche?
M. PICARD (Jean): II est évident que, si on avait des gens
qualifiés, ce bureau pourrait le déterminer. Mais s'il existe
déjà un autre tribunal, pourquoi en nommer deux? Je ne sais
pas.
M. PAUL: II faudrait aussi établir des normes de
qualification?
M. PICARD (Jean): Oui.
M. PERREAULT: Dernière question. Ne croyez-vous pas, étant
donné le grand nombre de bureaux qui vont être
créés, que cela ne rendra pas service à la population des
différents districts de la province?
M. PICARD (Jean): Cela permettrait d'avoir des bureaux plus près
de la population dans chacun des secteurs. Mais si les tribunaux, les divisions
qui se forment actuellement à la faveur du projet de loi, peuvent se
déplacer pour aller rencontrer dans un milieu donné les
expropriés, je crois que l'alternative pourrait arriver aux mêmes
fins.
M. PERREAULT: Ne croyez-vous pas que les frais occasionnés par le
déplacement des tribunaux de Montréal et de Québec ne
seraient pas beaucoup plus grands?
M. PICARD (Jean): Peut-être. Je n'ai aucune idée de
l'envergure des frais.
M. PERREAULT: Un juge ne doit pas se déplacer au même prix
qu'un évaluateur, je pense.
M. PICARD (Jean): Cela me surprendrait beaucoup.
M. ALARY: Pour votre information, M. le député, je sais
qu'actuellement la Régie des services publics se déplace dans les
districts judiciaires, ce qui ne se faisait pas autrefois. Ordinairement, les
gens venaient à Montréal ou à Québec, maintenant,
ils vont à Saint-Jérôme, à Joliette ou ailleurs.
M. PAUL: A Trois-Rivières.
M. PINARD: De plus en plus, l'obligation sera faite aux tribunaux qui
seront susceptibles de réformes, de se déplacer et d'aller juger
sur les lieux ou dans la région où la cause prend naissance.
M. ALARY: Dans la région...
M. PINARD: Ce sera le cas de laCommission des transports, entre
autres.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous remercions la Corporation des
évaluateurs agréés du Québec. Le prochain
organisme, l'Union des producteurs agricoles. Me Alary, si vous voulez vous
présenter à nouveau.
Union des producteurs agricoles
M. ALARY: M. le Président, cette fois, je me présente.
M. PAUL: Cette fois, vous travaillez comme cultivateur.
M. ALARY: Je travaille pour les cultivateurs; c'est bien cela, M. le
député. Je présente les gens qui m'accompagnent: M.
Moreau, de l'Union des producteurs agricoles; M. Morisset, président de
la Fédération de Québec, et M. Fernand Morasse, de la
même fédération.
M. le Président, il fallait s'y attendre, le mémoire de
l'Union des producteurs agricoles va, évidemment, traiter plus
particulièrement du problème des expropriations de fermes. Je
n'annonce rien de bien sensationnel. Mais nous avons, à la page 2 du
mémoire, énuméré un peu
quelles sont ces normes particulières aux fermes, aux entreprises
agricoles en exploitation. Evidemment, nous n'avons pas attiré
l'attention de cette commission sur des fermes abandonnées ou sur des
terres vacantes. Ce sont surtout des fermes en exploitation, d'où les
gens tirent leur vie. Alors, nous souhaiterions que, dans les cas
d'expropriation, il soit fait un véritable relevé
économique de la ferme. En 1964, on avait demandé cela au
ministère de la Voirie, en particulier, qui était le grand
expropriateur du temps, et cela s'est fait en partie. Un relevé
économique d'une ferme ne se fait pas uniquement en
énumérant le nombre de bêtes à cornes ou la
quantité d'instruments ou le nom des machines qui existent, à ce
moment-là, mais cela va plus loin que cela. Le relevé
économique devrait comporter les informations de base, lorsqu'on
exproprie une ferme qui fonctionne dans le domaine de l'agriculture. Il devrait
aller jusqu'à savoir ce que cette ferme a produit dans les quelques
années qui ont précédé l'expropriation.
Le relevé économique, s'il se contente
d'énu-mérer le nombre de vaches en lactation au moment où
on le fait, le nombre de tracteurs ou la qualité de ces tracteurs, s'ils
sont en bonne condition ou pas, je pense que c'est incomplet parce qu'un
cultivateur opère ordinairement sur une période d'années
qui va de dix à cinquante ans ou de dix à vingt-cinq ans et il
est fort important de se demander ce que, dans cette entreprise agricole, on a
investi, soit en irrigation ou autrement. On le fait, mais on dit: Vous aviez
combien d'acres en irrigation? On ne s'informe pas à quel moment se sont
faits ces travaux d'irrigation, on ne s'informe pas des quantités
d'engrais chimiques qui ont pu être mis cinq ans auparavant. On a entendu
des experts dire, récemment, que pour amener un fonds de terre
particulier à produire, disons, du maïs-grain en quantité
maximum, cela pouvait prendre jusqu'à dix ou douze ans. Alors cela
commence loin, cela, dix ou douze ans.
Je pense que, lorsqu'on parle de relevé économique, on
devrait aller jusque là. Et là, évidemment, on s'en remet
à des pratiques administratives des corps expropriants. Comment
l'insérer dans une loi? Je pense bien que ce n'est pas facile. On dit
ici, parce que c'est une autre occasion de le répéter, que le
relevé économique doit s'effectuer de façon intensive et
pas superficielle.
Le deuxième point s'intitule "Politique de regroupement ou de
réaménagement des fermes". Combien de fois nous avons eu des cas
d'expropriation faits, en particulier, par le ministère de la Voirie,
qui sectionnait des fermes, avec des routes d'accès et des tentatives de
regroupement. Ce qu'un cultivateur demande c'est l'expérience de
l'UPA ce n'est ordinairement pas il y a des cas d'exception
de recevoir un montant d'argent mais de continuer à exploiter sa
ferme. Comme il ne le peut plus, il veut continuer à exploiter une ferme
à peu près semblable.
On sait que se trouver une ferme le problème de la
relocalisation va venir ce n'est pas aussi facile que de se reloger
lorsque l'on cherche un logement, même lorsque l'on cherche un site
commercial. Parce qu'une terre, cela fait partie d'un être qui est actif
pendant nombre d'années. Si on loue un local et qu'on n'en est pas
satisfait, on doit passer les trois ou les cinq ans et c'est fini. Mais
lorsqu'on s'installe sur une terre, c'est ordinairement pour y vivre pendant 25
ans ou même plus.
Je pense donc que dans chaque cas où il y a sectionnement de
ferme, le législateur devrait prévoir des possibilités de
réaménagement et devrait se faire l'initiateur de ce
réaménagement ou de ce regroupement.
L'indemnité provisionnelle. Je pense que, lorsqu'on touche une
entreprise agricole, c'est là que le problème de
l'indemnité provisionnelle est le plus sérieux. Si on s'en remet
à un terrain vacant en ville, on connaît l'évaluation
municipale, on peut faire l'évaluation sommaire très rapidement
de ce terrain. Si on sectionne une ferme, on lui enlève comme on
le disait plus tôt trois ou quatre arpents ou acres, il faudrait
s'interroger et établir non pas uniquement la valeur de la parcelle
expropriée, mais également les dommages que l'on cause à
cette entreprise.
Parce que l'indemnité provisionnelle sur trois ou quatre acres de
terre, mettons à $300 l'acre, qu'est-ce que ça donne au
cultivateur? Parce que sa ferme est sectionnée, il est obligé,
par exemple, d'abandonner de cultiver une partie de 40 ou de 50 acres. Ou parce
que sa ferme est sectionnée et que la partie enclavée rend sa
ferme non rentable. Je pense bien que l'indemnité provisionnelle devrait
le prévoir immédiatement. Parce que si un cultivateur doit
s'établir à nouveau, ce n'est pas avec une évaluation
municipale ou encore la norme de l'évaluation sommaire de l'emprise
qu'il va pouvoir faire un dépôt pour s'acheter une nouvelle ferme.
C'est impossible, impensable.
Et je pense que le législateur devrait prévoir
spécifiquement ou dire en tout cas au tribunal qu'il y a lieu
d'étudier en priorité les cas de fermes qui deviennent
débalancées. C'est-à-dire que si, à une ferme de
150 acres qui est à peu près un minimum de grandeur de
ferme pour fonctionner de façon rentable dans la province on en
enlève 50, je pense qu'elle est débalancée et que
l'exploitation est foutue. Il faudrait que l'indemnité provisionnelle le
prévoie et lui donne ce qu'il faut pour qu'il tente immédiatement
de se rétablir.
Il pourra bien patienter un an ou deux. Parce que ça lui prend
ordinairement un an ou deux à se trouver une nouvelle ferme. Et pendant
ce temps-là, il va subir un préjudice. Je pense qu'on devrait
aller jusque-là en ce qui concerne l'indemnité provisionnelle en
matière de ferme ou faire un cas de priorité à
déterminer si on a rendu non rentable l'entreprise agricole
concernée, par une requête spéciale qui pourrait être
faite à la cour en disant : L'indemnité provision-
nelle, dans notre cas, ça ne marche pas du tout. La ferme, qui
fonctionnait à la limite, va être marginale demain matin. Que
voulez-vous que nous fassions? Nous ne pouvons pas nous établir à
nouveau.
On devrait avoir ce privilège, pour autant que l'entreprise
agricole est concernée.
On demande, encore une fois, que les corps expropriants opèrent
de la même façon. Les fermes sont expropriées aujourd'hui
par le ministère du Tourisme, par le ministère de la Voirie et
par d'autres ministères.
Ce ne sont pas les mêmes normes, ce ne sont pas les mêmes
gens, ce n'est pas la même opération, ils sont traités
différemment. Ou elles sont expropriées par d'autres corps
publics on a parlé de l'Hydro-Québec hier ou ce matin
et je pense qu'ils doivent être traités de la même
façon et devant les mêmes tribunaux: un tribunal unique, une loi
unique.
Le projet de loi devrait prévoir, nous semble-t-il, en ce qui
concerne l'entreprise agricole, des normes de base, un minimum de normes de
base. C'est laissé actuellement au tribunal de dire: Cette
ferme-là, on va établir la valeur du terrain que l'on prend et on
va établir les dommages. Mais je pense qu'on devrait indiquer au
tribunal un peu comme le fait la loi ontarienne en ce qui concerne les
locataires ou les fonds de commerce que, lorsqu'il s'agit de fermes,
soyez prudents et voyez à ce qu'apparaisse dans le dossier un
véritable relevé économique. Voyez à ce que les
normes de base soient produites devant la cour. Cela devrait être dit au
tribunal. Ils le font probablement, mais tous les expropriés n'ont pas
les moyens de se payer les gens qui savent, qui peuvent le faire.
M. PAUL: Me Alary, excusez si je vous interromps. Dans la loi, il est
prévu que le tribunal peut adopter des règles de pratique. Est-ce
que l'on ne pourrait pas se fier à ce que, dans les règles de
pratique, il y ait peut-être ces normes dont vous parlez?
M. ALARY: Des règles de pratique, c'est fait pour être
changé assez facilement. On le fait en matière de
procédure. On dit, par exemple: Vous allez produire vos rapports quinze
jours avant la date fixée pour l'audition. On s'aperçoit que
quinze jours n'est pas suffisant; deux mois plus tard, on revient et on dit:
Non, un mois maintenant. En ce qui concerne les normes, je pense qu'il faut que
ce soit quelque chose de plus stable, comme les articles de la loi le sont. On
sait d'une année à l'autre que les articles de la loi sont
là pour être respectés et les indications que le
législateur donne sont là pour être suivies.
Je pense que les règles de pratique sont valables pour autant que
les normes de procédure sont concernées. Mais en ce qui concerne
la base...
M. PAUL: Pour la bonne marche du dossier, mais non pour en faire une
analyse de fond.
M. ALARY : Non, je ne verrais pas. M. PAUL: D'accord.
M. ALARY: Evidemment, la rapidité d'exécution,
c'est-à-dire cette façon de traiter l'entreprise agricole
rapidement, je pense que c'est encore là un cas de priorité. On
le disait dans le cas des commerçants. Evidemment, ce sont tous des cas
de priorité, mais vous avez là des gens qui exploitent des
entreprises. Lorsqu'on se référait à des
commerçants, encore une fois, ce n'est pas à la grande
entreprise. Ce ne sont pas des entreprises comme on en a vu au coin de
Décarie, Canada Dry ou d'autres, qui sont expropriées. Ce sont de
petites entreprises commerciales ou des entreprises agricoles moyennes.
Peut-être que les règles de pratique du nouveau tribunal
devraient le prévoir, mais ces cas de commerçants, de locataires,
d'entreprises agricoles, devraient, à notre avis tout au moins, si le
législateur décide de ne pas l'insérer dans la loi, avoir
priorité sur les autres causes, parce qu'on vit à même
cette entreprise qui est rentable ordinairement comme on l'indiquait plus
tôt à la limite.
Elle peut devenir marginale, tout simplement du fait qu'on a
enlevé 25 acres de terre, car, en soi, comme valeur, ce n'est pas
ça qui rétablit l'exproprié. Ce n'est pas ça qui va
lui permettre de vivre, mais il va devenir déficitaire à partir
de ce jour. Il ne pourra pas respecter son quota de lait, il ne pourra pas
respecter nombre d'autres obligations où il s'était
engagé.
Il faut bien soupçonner que nous demandons la même chose,
relativement au chapitre 4, étant donné que nous sommes
impliqués, il n'y a rien de neuf là-dessus. En ce qui concerne
l'article 72, nous avons choisi intentionnellement une expression pour
préciser ce qu'on a déjà dit. Il en est de même dans
le cas d'une ferme, si l'expropriation partielle comprenait le moindrement son
exploitation. C'est ça qui est important. C'est ça qu'il faut
analyser d'abord. Il faut savoir comment cette exploitation est frappée,
non pas par les trois acres de terre qu'on lui enlève, ou par le fait du
sectionnement de la terre, mais par l'effet général de
l'expropriation, par le dommage réel à la fin. Parce qu'enlever
trois acres, sectionner tout simplement en prenant trois acres au centre de la
terre, puis obliger le type à faire un détour comme on a vu dans
la région de Rigaud par exemple, faire un détour de huit ou dix
milles pour aller à l'autre bout, à l'autre
extrémité de sa terre, ou ce qui en était à peu
près la moitié, je pense que ça ça va
déséquilibrer, affecter son exploitation, c'est le moins qu'on
puisse dire, et il faut en tenir compte immédiatement.
M. PINARD: L'indemnité offerte au cultiva-
teur dont la terre est sectionnée de façon plus ou moins
grave, ne tient-elle pas lieu des dommages qui lui permettent de pallier les
difficultés qui sont posées, parce que l'indemnité est
faite pour ça finalement, pour payer des dommages?
M. ALARY: A la fin, M. le ministre, on va y arriver, mais par le biais
de l'indemnité provisionnelle, qu'est-ce qu'on fait ordinairement? On
dit: Ce sera ou bien l'évaluation municipale ou l'évaluation
sommaire qui sera faite, et la plus élevée des deux. Mais dans le
cas des entreprises agricoles, pour ce qui est de l'évaluation
municipale, tout d'abord, il n'y a pas lieu d'en tenir compte aux termes
mêmes de la nouvelle loi; quant à l'évaluation sommaire, on
évalue sommairement les dommages.
On dit: Ce type-là, est-ce qu'il est marginal maintenant ou non,
parce qu'on lui a enlevé 40 arpents de terre sur 140?
Je pense que cela mérite considération et ce n'est pas
facile à établir. Cela a une priorité parce que, du jour
au lendemain, il sera déficitaire. On sait qu'il vivait
déjà sur la limite. On a actuellement l'exemple de la
région de Sainte-Scholastique, les véritables entreprises
agricoles rentables qu'on peut établir en blanc et en noir avec un
comptable, on peut les compter. C'est là où je dis que
l'évaluation sommaire et l'indemnité provisionnelle doivent se
faire de façon immédiate et avec le plus de minutie possible. On
n'a pas besoin de faire cela en ce qui concerne une maison d'appartements, un
logement X construit depuis dix ou quinze ans, un terrain vacant dans une
ville.
M. PINARD: Oui, mais cette indemnité provisionnelle sera
estimée en vertu de quels critères? Il va quand même
falloir que le cultivateur qui sera exproprié de façon
sectorielle puisse produire des chiffres pour prouver qu'il avait une
exploitation agricole rentable sur le plan annuel. S'il n'a pas de
comptabilité?
M. ALARY: II faut qu'il y en ait un minimum, c'est bien sûr.
M. PINARD: II y a des terres de 150 acres qui restent marginales comme
exploitation agricole, soit que le cultivateur ne fasse pas la culture qui
vraiment devrait être faite sur cette ferme ou que lui-même
réside sur la ferme mais va travailler à la ville, et ne revient
que le soir. Il y a quelques vaches, etc. Il y a toute une série de cas
comme celui-là.
M. ALARY: Justement, M. le ministre, c'est le problème. Dans
cette section, vous allez retrouver des cultivateurs qui ont la même
superficie de terre, ce ne sera pas rentable, et ils vont d'ailleurs se foutre
de l'indemnité provisionnelle. Par ailleurs, le voisin qui a investi
dans son fonds de terre, qui a amélioré son fonds de terre, on ne
pourra pas le traiter de la même façon que l'individu X qui
travaille en ville, qui revient le soir et qui fait un peu de foin.
M. PINARD: C'est facilement décelable par quelqu'un qui
connaît cela. M. André Dionne, qui est un agronome
diplômé et qui est maintenant le directeur du service des
expropriations, est en mesure de reconnaître une ferme rentable par
rapport à une qui ne l'est pas, celui qui l'exploite de façon
permanente par rapport à celui qui l'exploite de façon marginale,
parce que sa principale source de revenus lui est donnée par son travail
dans une usine en ville et qu'il s'en va tout simplement demeurer sur la ferme
pour éviter un coût de la vie plus élevé. Ce sont
des choses que l'on connaît.
M. ALARY: Le problème est que cela ne se fait pas en
matière de ferme agricole de façon superficielle. Vous allez
même trouver des fermes dont les bâtiments ont l'air vieillots, ont
l'air moins entretenus que chez le voisin, par ailleurs, cette ferme va avoir
une meilleure rentabilité que la ferme voisine. Nous avons eu le cas du
parc industriel de Saint-Augustin où on avait 27 fermes voisines les
unes des autres et où très peu se ressemblaient.
Dans le cas d'entreprises agricoles, il faut aller au fond de la
rentabilité de la ferme, du moment qu'on s'aperçoit qu'on touche
à son fonctionnement.
M. PINARD: D'accord.
M. ALARY: Immédiatement, l'indemnité provisionnelle
devrait le prévoir. Le mécanisme que nous suggérons
devrait être, encore une fois, un peu plus raffiné en ce qui
concerne l'entreprise agricole en fonctionnement. Je ne veux pas que ce soit la
même chose que l'on fasse pour la terre qui appartient à un
citadin qui y va une fois par année ou qui n'y va même jamais. On
ne ferait pas ces recherches et on n'irait pas voir si le sol est capable de
produire 110 minots à l'acre pour autant que le mais-grain est
concerné. On ne ferait pas cela.
M. PINARD: Une réforme a été adoptée par le
ministère de la Voirie. Je m'excuse de vous interrompre, mais c'est pour
mieux préciser la situation qui prévaut en ce moment, à la
suite du très grand nombre d'expropriations qui ont eu lieu dans le
secteur rural, pour la construction de la route transcanadienne par exemple.
Lorsqu'il s'est agi de construire le tronçon de l'autoroute
transcanadienne entre la région de Québec et celle de
Drummondville en direction de Saint-Hyacinthe, on a fait du morcellement de
terres. L'emprise de la route 9 était déjà là.
Enfin, il y a eu des sectionnements de terres.
Nous avons eu des consultations avec les représentants de l'UCC.
C'est vrai qu'alors nos méthodes d'évaluation étaient
moins raffinées, le manuel d'évaluation était moins
à jour, etc. Nous avons constitué une espèce de
comité de
consultation et finalement nous en sommes arrivés à
bâtir ce que nous avons appelé un manuel d'évaluation dans
le cas des expropriations dans le secteur agricole.
Cela a donné de bons résultats, parce que, finalement, les
cultivateurs se sont aperçus que le ministère les traitait mieux
qu'autrefois. De moins en moins, il y a de cas où le ministère
n'est pas capable de s'entendre avec les cultivateurs lors de l'expropriation
totale de la ferme ou encore de l'expropriation partielle avec sectionnement de
la terre qui nécessite un réaménagement de la ferme. C'est
de plus en plus rare que le ministère soit obligé, par exemple,
d'acheter ou d'exproprier une autre ferme afin de refaire la situation du
cultivateur exproprié de façon sectorielle.
Je pense que ce sont des mécanismes que les cultivateurs
connaissent bien maintenant, que l'UPA, qui autrefois s'appelait l'UCC,
connaît bien. Nous en sommes venus à un modus vivendi qui est
beaucoup plus efficace et qui apporte de meilleurs résultats. Je ne dis
pas que la situation est parfaite. Enfin, je vois des représentants de
l'UPA qui peuvent nous dire ce qu'ils en pensent.
M. MORASSE: Je peux vous rendre ce témoignage qu'il y a eu une
amélioration. Mais ce que M. Alary vient de vous dire, c'est ce qu'il
faudrait que la loi prévoie lorsque l'exploitation agricole est le
moindrement affectée. Aujourd'hui, il n'y a rien qui précise dans
la loi à quel moment on va sensibiliser ou on va déterminer que
l'exploitation est affectée.
Vous faites allusion à la région de Saint-Apollinaire
où on a eu à travailler avec des représentants de votre
ministère. On s'est entendu sur des normes de valeur de terrains, de
valeur de bâtisses, de valeur de réorganisation de fermes. En
plus, il y a l'entreprise agricole comme telle qui apporte un certain revenu.
Un exploitant agricole, avec 100 arpents de terre, peut avoir un revenu
supérieur à son voisin qui en a 150. Alors, ce n'est pas la
grandeur qui détermine la rentabilité. C'est ce point de
rentabilité de la ferme.
M. PINARD : Puisque nous sommes là-dessus, il faudrait quand
même établir des critères d'ordre objectif et non pas
d'ordre subjectif. Vous vous souvenez de la difficulté que nous avons
eue à l'époque. Les cultivateurs procédaient en vertu de
critères qui étaient tout simplement d'ordre subjectif. Alors, il
n'y avait jamais possibilité de les satisfaire, parce que, eux, au plan
émotif, au plan strictement humain, ils évaluaient leur
exploitation agricole à tel montant. Tous les montants que nous pouvions
leur offrir en compensation, ils prouvaient que ça n'atteignait pas la
valeur qu'ils exprimaient.
Si vous vous en souvenez, cela avait fâché les dirigeants
de l'UCC. Nous avions laissé trop de liberté à
l'exploitant agricole de fixer lui-même la valeur de son exploitation.
Nous avions pris la peine d'envoyer sur place des personnes qui
n'étaient pas identifiées comme des représentants du
ministère, de façon que personne ne se sente brimé. Ces
personnes demandaient purement et simplement: Monsieur, si vous aviez à
vendre votre ferme demain, quel est le prix de vente? Alors, les gens
répondaient bien honnêtement: Ma ferme vaut tel montant. Bon,
seriez-vous prêt à établir ce montant en vertu d'un
document de façon qu'on puisse s'entendre? Personne ne se sentait
forcé, ils étaient absolument libres de rester sur leur ferme et
de ne pas la vendre. Là, tout simplement, de façon subjective, le
cultivateur établissait le prix de sa ferme. Mais, par la suite, quand
ils ont su que c'était le gouvernement du Québec qui expropriait,
le ministère de la Voirie, pour la construction de la route
transcanadienne, là, c'était complètement un monde
différent; cela a pris une valeur tout à fait
différente.
Voyez-vous comme c'est important d'établir des critères
d'ordre objectif et non pas subjectif.
Je ne le rappelle pas pour raviver des plaies on a connu cette
situation, j'étais au ministère à l'époque
mais c'est pour montrer que, quand même, on a fait du chemin en se
consultant davantage et en formant des comités bipartites et que nous en
sommes quand même arrivés à une procédure
d'expropriation, en territoire agricole, qui a rétabli passablement la
situation.
M. MORASSE: Evidemment, je ne veux pas engager un débat pour
revivre certaines luttes que nous avons eues dans le passé, surtout dans
le secteur de Lotbinière, où nous avons eu à travailler
à des réorganisations de fermes. Quant à l'aspect
émotif que vous soulignez, on trouve que, dans votre loi, il y a
beaucoup plus d'humanisme. Evidemment, on tente d'éviter cette
frustation, parce que, surtout dans le domaine agricole, le gars peut
être exproprié une fois dans sa vie, c'est un accident pour lui
et, au moment où cela arrive, c'est la grande misère et il ne
sait pas comment s'en sortir. Avec la nouvelle loi, on a pu déceler
qu'on tente une nouvelle procédure, qui fera qu'au moins le gars sera un
peu plus prévenu de ce qui s'en vient.
Pour en arriver à soulever un peu plus le phénomène
de l'exploitation affectée, il est bien sûr que vous faites
allusion à des normes qu'il y a déjà eues, bien entendu,
dans ces cas. Il n'en reste pas moins que le domaine agricole a changé
depuis ce temps. Cela fait déjà sept ou huit ans de cela.
M. PINARD: Et plus.
M. MORASSE: Oui, Avec la loi 48, on payait à 105,000 producteurs
le remboursement de la taxe scolaire et ce chiffre tombera à 51,160,
parce qu'on dit, dans la loi 48, qu'on
appliquera la définition du producteur prévue dans la loi
64. Nous sommes bien heureux de cela mais il faut, d'autre part, qu'on
évolue. S'il y a eu une sélection parmi les producteurs, la
sélection, ce n'est pas nous qui l'avons faite. Elle s'est faite par
elle-même. De plus en plus, on a, si vous voulez, à peu
près 50,000 producteurs dans la province. Ces producteurs sont des gars
qui veulent rester dans l'agriculture et qui exploitent des entreprises
rentables. C'est pour cela qu'il faut tendre, si vous voulez, à
évoluer dans ce domaine, et à évoluer avec des entreprises
rentables pour analyser le dommage qu'on cause à une exploitation qui
est sectionnée.
Il est sûr que, si on prend deux ou trois arpents à
l'extrémité d'une ferme, on vient juste lui enlever une partie de
terrain. On ne cause pas le même problème que si on svient le
sectionner.
M. ALARY: Brièvement, en ce qui concerne les cas de locataires,
il y a maintenant et ce sera plus fréquent à l'avenir
des locataires fermiers, des gens qui louent des terres pour les
exploiter. Je pense bien que les normes que prévoit le projet de loi no
88 ne seront pas suffisantes, en ce qui concerne celui qui exploite une ferme.
D'abord, les mensualités n'ont aucun rapport avec le coût de
déplacement de cet individu, et l'indemnité provisionnelle qu'on
prévoit devrait aller plus loin que cela.
M. PINARD: Me Alary, dans la loi de l'Ontario, parce que c'est quand
même une province à caractère agricole à
caractère industriel, bien entendu, mais à caractère
agricole aussi où il se fait beaucoup d'agriculture
maraîchère.
Il peut y avoir quand même des prévisions spéciales
faites par le législateur en cette matière.
M. ALARY: A mon souvenir, je présume que les affaires l'ont
emporté sur l'agriculture. On traite, sur ce plan, de façon plus
spécifique, en donnant des indications au tribunal sur la façon
dont on voudrait que ça se fasse, uniquement des baux et des
entreprises.
Est-ce qu'on peut assimiler à entreprise l'entreprise agricole?
Je pense que c'est possible. La question du déménagement, par
exemple, lorsque c'est faisable. Le type ferme boutique. Il dit: Ma terre n'est
plus rentable, je me décide. Ou bien j'obtiens du tribunal un ordre
à l'effet que je ferme boutique demain matin. Je ne trais plus de
vaches, j'attends mon indemnité ou je me fais donner une
indemnité provisionnelle suffisante et on va aller au bout de la
question.
On pourrait peut-être assimiler les dispositions qui s'appliquent
à l'entreprise ordinaire à l'entreprise agricole, mais je n'ai
rien retrouvé d'applicable à la ferme comme telle.
Un autre petit point, c'est le problème des déplacements
de bâtiments. Le législateur se dit que, pour diminuer le
coût de l'expropriation, il peut déplacer des bâtiments.
C'est normal et souhaitable dans certains cas, mais je pense que, le fermier
je l'ai indiqué plus tôt dans la position de la chambre de
commerce, de la fédération devrait être
consulté de façon directe. Je pense qu'on devrait requérir
son approbation, sinon en référer au tribunal.
Il y a peut-être des remarques à faire au tribunal qu'il
fera aux négociateurs et qui ne seront pas entendues. C'est tellement
important pour lui, l'agencement des bâtiments. Je pense que ça
devrait faire le cas d'une exception en ce qui concerne les fermes agricoles en
exploitation.
Je passe par-dessus toutes ces autres notions qui ne se rapportent pas
spécifiquement au problème agricole. Les prescriptions en ce qui
concerne les réserves pour fins publiques dans les milieux ruraux seront
peut-être plus difficiles d'application et affecteront de façon
sensible des exploitations agricoles. Mais est-ce que le législateur
doit aller jusqu'à faire une exception à ce chapitre? Je pense
que c'est déjà un grand pas de fait d'avoir introduit la
réserve pour fins publiques généralisée à
travers la province, qui va même bénéficier au
ministère, ce qu'il n'avait pas et ce qui va éviter, je pense
bien, de pouvoir déposer des plans généraux.
Je pense qu'on ne peut pas faire d'exception nécessairement pour
les fermes actuellement, mais l'avenir dira si ça mérite un
amendement ou pas.
Les dommages indirects. J'ai cité le cas Loiselle. Je pense bien
qu'il y a des fermes qui subissent des dommages à cause de
l'expropriation, mais de façon indirecte.
Quant à la notion d'affection difficile, de dommages qui
découlent indirectement de l'expropriation, la ferme agricole en
exploitation devrait faire l'objet d'une exception.
M. PINARD: Ces dommages indirects sont jugés par le
tribunal...
M. ALARY: Oui.
M. PINARD: ... et l'indemnité établie par lui.
M. ALARY: Bien sûr.
M. PINARD: Je ne sais pas s'il existe en Ontario un manuel
d'évaluation qui traite des dommages indirects.
M. ALARY: Non, c'est le tribunal. Mais, quand la base de la
législation existe dans la loi et qu'on connaît la jurisprudence
du tribunal, au niveau des négociations, c'est facile. Je pense bien que
90 p.c. des cas d'expropriation dans la province se règlent. Mais il
faut que le législateur ait indiqué au tribunal qu'il y a une
possibilité d'indemnisation. Est-ce qu'on mettrait "doit" ou "peut"? On
peut peut-être
commencer par "peut" mais je pense bien qu'on va se rendre compte
facilement...
M. PINARD: Le mieux que nous pourrions faire, ce serait d'avoir un
article de loi qui dirait que, dans le cas de dommages indirects que pourrait
réclamer une personne...
M. ALARY: Qui n'est pas affectée par l'expropriation.
M. PINARD: ... qui n'est pas affectée directement par
l'expropriation, il y a un recours devant le tribunal.
M. ALARY: D'accord, ce serait satisfaisant.
M. PINARD: Alors, sur une preuve qui serait faite devant le tribunal,
celui-ci jugerait.
M. ALARY: C'est une question de preuve et ça aurait
réglé le cas du député, tout à l'heure, qui
nous mentionnait sa maison.
M. PINARD: Mais ça ne peut pas être fait de façon
arbitraire ou discrétionnaire.
M. ALARY: Non, pas du tout.
M. PINARD: Autrement, cela va conduire à des abus, ce sera
inévitable.
M. ALARY: M. le ministre, on irait même jusqu'à dire:
Limitons le nombre de cas de dommages indirects dans la loi, si on veut, pour
commencer. J'ai cité le cas des agents d'immeubles qui avaient
déjà un profit de réalisé au terme.
M. PINARD: Cela, c'est la vieille méthode des compagnies
d'essence qui multiplient les options avec tout le monde...
M. ALARY: Possible.
M. PINARD: ... et qui nous imposent leurs bâtisses partout
à travers la province, en territoire urbain comme en territoire rural.
Je trouve que c'est le temps que ça cesse ces folies-là. C'est le
ministère de la Voirie qui devrait déterminer combien il doit y
avoir de stations d'essence en bordure des routes, pour le service des clients
et des automobilistes, et non les compagnies nous imposer leur présence
partout où on ne la désire pas.
M. PAUL: Ce n'est pas l'opinion du ministre des Richesses naturelles; il
dit que c'est lui qui doit déterminer cela, avec la loi 90 que nous
avons votée.
M. PINARD: A ce moment-là, je pense qu'il y a moyen de
s'entendre. Le ministre des Richesses naturelles, tout en poursuivant des
objectifs d'ordre économique, va admettre aussi qu'il y a d'autres
problèmes. En ville, on fait changer les règlements de zonage
à peu près n'importe quand, pour autant que la pression est
là.
M. ALARY: M. le ministre, un dernier point. Je m'excuse
immédiatement de m'être peut-être
répété à l'occasion de la présentation de
ces trois mémoires, je reviens encore une fois sur ce que j'ai
déjà dit en ce qui concerne l'exception pour le ministère
de la Voirie quant aux dépôts de plans et indemnités
provisionnelles.
Je pense bien qu'au sujet du monde agricole, il n'est pas facile
d'accepter que quand on a été exproprié par la voirie on
est traité de cette façon, et quand on l'est par
1'Hydro-Québec on l'est d'une autre façon, ou par n'importe
quelle autre entreprise ou corps public...
Ce n'est pas facile de faire accepter ça à nos clients,
comme avocat, ou comme êvaluateur, et ou à une
fédération comme l'UPA lorsqu'il s'agit de ses membres qui vont
la voir pour savoir comment il se fait que la voirie nous traite de cette
façon et l'autre, de l'autre façon. Alors je pense bien qu'on
revient avec la même norme, soit l'uniformité.
Alors, messieurs, je vous remercie de cet accueil et nous
espérons un projet de loi plus près de l'idéal.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de l'Assomption
aurait une question à vous poser.
M. PERREAULT: Je suis content, dans le mémoire à l'article
72, que vous disiez que, si l'expropriation partielle affecte le moindrement
son exploitation... J'ai en mémoire le cas d'un cultivateur qui est venu
me voir. On a exproprié une partie de sa ferme et cela a bloqué
tout son drainage souterrain. Alors il a fallu qu'il refasse les fossés
et le drainage pour pouvoir écouler l'eau sur la partie non
expropriée.
Je pense bien que ceci est important à considérer.
M. ALARY: Cela doit lui être payé au niveau de
l'indemnité provisionnelle parce qu'il doit faire les travaux pour que
le reste de son exploitation agricole fonctionne de même que son
drainage.
M. MORASSE : Vous devez ajouter aussi que les productions agricoles sont
soumises à des quotas de production. Et le gars qui se voit
freiné par une expropriation, qu'il ne peut pas prévoir maintenir
sa production parce qu'elle est soumise à un quota, il vient de subir un
préjudice et de plus en plus les productions sont
organisées...
M. PERREAULT: D'accord.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, messieurs de l'Union des producteurs
agricoles ainsi que Me Alary, nous vous remercions de votre
présentation.
UNE VOIX: Nous vous remercions au nom de l'Union des producteurs
agricoles.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): Cela met fin aux auditions des
mémoires sur le projet de loi 88. Je remercie tous les membres de la
commission de leur participation, ainsi que tous ceux qui ont voulu
présenter des mémoires afin de discuter avec le ninistre des
modifications à apporter au projet de loi.
M. PINARD: II n'y a qu'une seule exception, la ville de Montréal
n'était pas prête à présenter son mémoire.
Alors, j'ai donné l'assurance aux autorités de la ville de
Montréal que nous recevrions leur mémoire et çu'il ne sera
pas nécessaire de convoquer à nouveau la commission
parlementaire; mais je prends des dispositions pour que le mémoire soit
envoyé à chacun des membres de la commission. Nous pourrions en
faire une étude lors d'une réunion qui ne serait pas comme celle
d'aujourd'hui, de façon que nous puissions incorporer possiblement des
amendements à la loi.
Je ne voudrais pas que ce soit interprété, c'est pour cela
que je le dis publiquement. Je ne voudrais pas que la procédure que nous
avons évoquée soit interprétée comme étant
une procédure d'exception à l'endroit de la ville de
Montréal. Je pense qu'il y a vraiment matière à une
étude plus approfondie de leur part parce qu'ils m'ont fait valoir que,
face à certains besoins, qui pourraient être exprimés au
gouvernement lors de la présentation du projet de loi de la ville de
Montréal... Moi, je leur ai demandé d'agir plus vite, parce que
le bill 88 concerne l'expropriation. Cela ne concerne pas tous les autres
problèmes de la ville de Montréal.
Je leur ai demandé de séparer leurs mémoires afin
que les autorités compétentes soient saisies du mémoire
spécifique au domaine de l'expropriation. Si vous pensez que c'est un
régime d'exception qui vous paraît dangereux, en ce sens qu'il
pourrait mettre en danger vos propres intérêts je parle des
intérêts qui ont été défendus par les
différents organismes qui se sont présentés devant nous
j'aimerais entendre votre opinion là-dessus. Je pense que le
législateur est en tout point capable de prendre ses
responsabilités et qu'il ne créera pas de régime
d'exception sans avoir de bonnes raisons de le faire.
M. ALARY: M. le ministre, je suis parfaitement d'accord pour dire que le
législateur va traiter cela de façon très sérieuse,
mais cela me fait étrangement penser au fameux bill 100 qui se
répète annuellement. On nous arrive toujours à la
dernière minute avec de petites histoires que personne n'attendait.
Personnellement, j'aurais souhaité entendre ce que voulait la ville de
Montréal, parce que c'est encore un régime d'exception que l'on
va proposer. J'en suis sûr d'avance et j'en connais même les
détails. C'est pour cela que j'aurais bien aimé l'aborder.
M. PINARD: Là, vous...
M. ALARY: Je connais même certains détails.
M. PINARD: ... affirmez être déjà au courant de la
surprise qu'ils pourraient nous faire. Je vais reprendre mes propos et nous
allons les convoquer de la façon coutumière.
Mémoire retardé (Ville de
Montréal)
M. ALARY: M. le ministre, nous avons su, de façon informelle, que
la ville ne pouvait pas être prête. Le procureur nous a
indiqué qu'ils abandonnaient même certains privilèges que
les législateurs avaient pu leur donner, mais qu'ils demandaient
d'être traité d'une autre façon à cause du nombre
considérable... Mais attendons que le mémoire soit
présenté pour pouvoir en parler en connaissance de cause. Si
c'était cela, je dirais: On va traiter la Communauté urbaine de
Montréal d'une autre façon, de même la Communauté
urbaine de Québec, de même le ministère de la Voirie. C'est
le même principe qui est en jeu.
M. PINARD: Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'on ne peut quand
même pas laisser la commission parlementaire des transports, des travaux
publics et de l'approvisionnement ouverte indéfiniment pour attendre les
retardataires. C'est ce que j'ai voulu d'abord exprimer. J'ai bien fait savoir
mon opinion aux autorités de la ville de Montréal vendredi de la
semaine dernière. On m'a donné d'excellentes raisons qui
expliquaient le retard à préparer le mémoire.
M. PAUL: Est-ce que le ministre peut nous dire jusqu'à quel
délai la ville de Montréal...
M. PINARD: II semble qu'il a été question de la fin de
février. Je leur ai dit qu'il y aurait ouverture de la nouvelle session
de l'Assemblée nationale, le 10 mars.
M.PAUL: On vous remercie de nous communiquer cette nouvelle.
M. PINARD: Je ne sais pas. Enfin, il n'a pas été question
de cela?
M. PAUL: Bien non! Cela ne fait rien. Nous aimons cela avoir des petits
secrets de temps en temps.
M. PINARD: De toute façon, nous terminons, Je 20 février,
la session déjà en cours.
M. PAUL: Cela fait une bonne date pour des élections
générales en septembre. D'accord.
M. PINARD: Enfin, je leur ai dit que cela ne pouvait pas dépasser
la fin de février, parce qu'il
faut terminer la session qui est présentement en cours. C'est ce
qui est important. Comme notre projet de loi no 88 est déposé en
première lecture, il faudrait en disposer en temps utile.
M. PAUL: M. le Président, je suis heureux d'apprendre que, cette
année, le gouvernement va procéder à l'ouverture d'une
session un samedi. Il va falloir amender nos règlements
sessionnels...
M. PINARD: Cela prouve qu'il y a erreur sur les dates...
M. PAUL: ... parce qu'il est prévu qu'elle ne siège pas le
samedi.
De toute façon, je me demande si le secrétaire ou le
ministre ne devrait pas donner un avis officiel à la ville de
Montréal de déposer un mémoire au plus tard, disons, le 3
mars afin d'informer les principaux organismes, qui se sont fait entendre
depuis hier, de la date de notre prochaine séance pour qu'ils puissent
prendre connaissance des revendications ou des propositions de la ville de
Montréal.
Je pense bien que les membres de la commission seraient également
intéressés à connaître le point de vue particulier
ou privilégié que veut présenter la ville de
Montréal.
M. PINARD: J'ai la confirmation de Me Lemieux, le chef du contentieux du
ministère de la Voirie, que Me Normandin, le chef du contentieux de la
ville de Montréal, serait prêt à soumettre son
mémoire d'ici la fin de février.
LE PRESIDENT (M. Lafrance): La commission devait terminer, aujourd'hui,
ses travaux, mais à cause du cas d'exception et, comme on dirait dans le
langage populaire, étant donné qu'on joue souvent à tous
pour un, on va jouer encore une fois.
La commission parlementaire des transports, des travaux publics et des
approvisionnements est ajournée sine die.
(Fin de la séance à 13 h 22)