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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le jeudi 8 mars 1984 - Vol. 27 N° 261

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur le projet de loi 42 - Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, mesdames et messieurs. La commission élue permanente du travail reprend ses travaux dans le but d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Les membres de la commission sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Cusano (Viau), Dean (Prévost), Fréchette (Sherbrooke), Mme Harel (Maisonneuve), MM. Lafrenière (Ungava), Lavigne (Beauharnois), Maltais (Saguenay), Léger (Lafontaine), Polak (Sainte-Anne), Doyon (Louis-Hébert) et Baril (Arthabaska).

Les intervenants sont: MM. Marx (D'Arcy McGee), Champagne (Mille-Îles), Fortier (Outremont), Leduc (Fabre), Pagé (Portneuf), Payne (Vachon), Proulx (Saint-Jean) et Vaugeois (Trois-Rivières).

Le rapporteur à la commission est M. Lavigne (Beauharnois).

Aujourd'hui nous allons entendre dans l'ordre suivant: Cet avant-midi, la Société de criminologie du Québec et, ensuite, le Centre international de crimonologie comparée et l'École de criminologie. Cet après-midi, à partir de 15 heures: La Chambre des notaires du Québec, l'Association du camionnage du Québec Inc., Plaidoyer-Victimes, la Clinique juridique de Hull. Ce soir, à partir de 20 heures: Les Quotidiens du Québec Inc. et, en dernier lieu, la Fédération des accidentés (es) du travail de Rouyn-Noranda.

Donc, j'appelle immédiatement le premier groupe, soit la Société de criminologie du Québec à prendre place à l'avant, s'il vous plaît!

Bonjour, bienvenue à la commission. Je voudrais tout simplement vous demander de vous identifier, ainsi que la personne qui vous accompagne, et de nous faire la présentation de votre mémoire, s'il vous plaît!

Société de criminologie du Québec

M. Rizkalla (Samir): Je suis Samir Rizkalla, secrétaire général de la Société de criminologie du Québec, accompagné de Mme Michelle Tremblay, attachée de recherche à la même société.

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: M. le Président, est-ce que vous auriez l'amabilité, vu les événements qui se sont passés lors du passage de M. Harguindeguy qui se voit en butte à une poursuite de 300 000 $ pour avoir tenté d'informer cette commission de certains faits qui avaient été portés à son attention, de donner lecture de l'article du règlement pertinent qui accorde l'immunité parlementaire aux personnes qui sont devant nous présentement?

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci.

Le Président (M. Paré): Très rapidement, en rappelant ce qui a été dit hier et avant-hier, je crois. Deux choses: premièrement, le geste dont vous parlez s'est passé à l'extérieur de la commission et à l'intérieur de la commission, l'article 53 de la Loi de l'Assemblée nationale se lit comme suit:...

M. Doyon: M. le Président...

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: M. le Président, votre première remarque - je le soumets respectueusement - est une chose que le tribunal aura à apprécier. Cela peut être une défense de M. Harguindeguy. C'est une question de fond, à savoir où se sont prononcées ces paroles. C'est extrêmement important et il en va de la poursuite. Alors, M. le Président, je pense que vous devriez retirer cette phrase de façon à ne pas permettre que le tribunal croie que vous vous êtes déjà prononcé sur le fond de l'affaire. Je pense que c'est hors propos dans les circonstances.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert, je ne reprendrai pas sur toute la discussion et sur ce qui avait été dit relativement à votre demande de directive sur laquelle je ne m'étais pas prononcé. La première parole que j'ai prononcée faisait partie de la décision que j'ai rendue hier. Donc, je ne reviendrai pas là-dessus et je vais rappeler l'article 53 de la Loi sur

l'Assemblée nationale qui se lit comme suit: "Le témoignage d'une personne devant l'Assemblée, une commission ou une sous-commission ne peut être retenu contre elle devant un tribunal, sauf si elle est poursuivie pour parjure." Donc, ceci dit, je vous invite maintenant à nous faire valoir vos commentaires et à nous faire la présentation de votre mémoire. (10 h 15)

M. Rizkalla: Merci, M. le Président. M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs, lorsque la Société de criminologie du Québec s'est penchée sur l'analyse des dispositions de la Loi concernant l'indemnisation des victimes d'actes criminels, elle avait déjà à l'esprit trois principes fondamentaux qu'elle souhaitait y retrouver. Ces principes sont les suivants: premièrement, la reconnaissance officielle et légale du droit des victimes à la réparation du préjudice subi; deuxièmement, l'équité quant à la réparation accordée à toutes les victimes, quelle que soit la source de leur victimisation, cette équité revêtant une double signification: la première, toutes les victimes doivent avoir accès à un régime d'indemnisation et de réparation similaire et offrant une juste compensation pour le tort causé; la deuxième, chaque victime en particulier a des circonstances qui lui sont propres, circonstances qui doivent être prises en considération au moment du calcul des compensations. Troisièmement, la responsabilité de la collectivité face à la victime.

En effet, s'il incombe à tout citoyen de déployer un effort raisonnable pour se prémunir contre une éventuelle victimisation, il est du devoir de l'État d'assurer à la population la protection nécessaire et efficace contre les comportements délictueux. C'est en vertu de ce principe que des sommes considérables sont dépensées pour des services de police et pour tout l'appareil judiciaire et correctionnel.

Le Président (M. Paré): M. Rizkalla... M. Rizkalla: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Est-ce que je peux vous interrompre pour vous demander si vous faites la lecture du mémoire ou si c'est simplement un résumé?

M. Rizkalla: C'est un résumé du mémoire qui doit prendre environ huit à dix minutes au total.

M. Polak: M. le Président...

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: 3e pourrais peut-être suggérer à M. Rizkalla de nous référer de temps en temps à la page où il se trouve. Il est très difficile pour nous de suivre un résumé que nous n'avons pas entre les mains. Ainsi, si vous nous dites que vous êtes à la page 3, cela facilitera notre travail.

M. Rizkalla: Vous voulez dire de vous référer à une page du mémoire?

M. Polak: Oui.

Le Président (M. Paré): Ce serait peut-être possible...

M. RizkaUa: C'est vraiment une synthèse que je fais. 3e ne me réfère pas à des pages en particulier. Par contre, il y a effectivement des endroits où je me réfère à certains articles. Là, je pourrai peut-être faire le lien avec le mémoire.

M. Polak: Merci.

M. RizkaUa: D'accord. Merci, M. le Président.

La victime, pour sa part, n'obtient qu'une très faible portion de ses dépenses alors que c'est elle qui a subi le véritable préjudice comme conséquence du délit. Aussi, nous semble-t-il que la collectivité se doit d'assumer les coûts de la réparation d'un tel préjudice. C'étaient trois principes généraux que nous avions à l'esprit lorsque nous avons commencé à analyser le projet de loi.

J'en viens maintenant à cette sorte d'adéquation entre les principes et le projet de loi. La Société de criminologie cherchait dans le nouveau projet de loi une application de ces trois principes; application qui serait ou qui devait, à notre avis, être encore plus prononcée et plus efficace que celle qui se trouve dans la loi sur l'indemnisation actuellement en vigueur.

Cette recherche nous a conduits à quelques stipulations qui répondent effectivement à notre préoccupation et que nous appuyons volontiers. Par exemple, l'article 3a, qui est mentionné justement à la page 11 du mémoire, renvoie à une liste qui énumère pratiquement tous les délits contre la personne. 3e dis pratiquement parce que, effectivement, d'après nous, il y a une omission. C'est celle des victimes d'inceste qui s'exposent, à notre avis, à de très graves préjudices et qui doivent également être réparés en vertu du principe d'équité.

En ce qui concerne l'article 3d, en page 12 du mémoire, nous y trouvons un élargissement de la définition de la victime que nous considérons fort souhaitable. Enfin, l'article 3.1, toujours en page 12, étend l'application de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels aux Québécois victimisés hors de la province, ce qui, également, nous semblait fort souhaitable.

Pour le reste des dispositions de la nouvelle loi, la Société de criminologie demeure pratiquement sur son appétit. En plus, elle constate non sans étonnement un certain recul par rapport à ce qui est actuellement accordé aux victimes en vertu de l'IVAC.

Premièrement, le droit à la réparation pleine et entière n'y est absolument pas reconnu. Seules sont considérées les victimes de délit contre la personne, ce qui, dans l'état actuel des choses, est fort compréhensible. On réfère de nouveau à la page 11 du mémoire sur le commentaire que nous faisons sur le titre du projet de loi. Néanmoins, le titre du projet de loi devrait donc refléter fidèlement son contenu. L'intitulé devrait donc être: Loi d'indemnisation des victimes d'actes criminels contre la personne.

Par ailleurs, il nous semble essentiel que le projet de loi reconnaisse explicitement le droit des victimes à l'indemnisation au même titre qu'elle le fait pour les travailleurs accidentés. Ainsi, les délais de carence ne nous semblent pas justifiés - nous le mentionnons dans les commentaires à l'article 18, page 17 - et constituent une dénégation de ce droit. Il en est de même de la disposition fixant un âge minimal de 18 ans pour le versement de certaines indemnités.

Deuxièmement, quant à l'équité: Nous ne pouvons que constater qu'elle est loin d'être respectée, et ce, dans un certain nombre de dispositions. Premièrement, une discrimination - ce sont les commentaires de la page 15, le troisièmement sur les indemnités - est créée entre victimes d'accident du travail et victimes d'acte criminel. Ces dernières n'ont droit qu'aux 80% de ce qui est accordé aux premières, même si le préjudice subi par les deux est identique et même si la source du préjudice est similaire. L'exemple frappant est celui de l'employé et du client d'une banque, tous deux victimisés au cours d'un même hold-up.

Le deuxième aspect de cette discrimination est celui des délais de carence prévus dans certains cas de victimisation à la suite d'actes criminels. Troisième exemple: l'identité du traitement de victimes ayant des circonstances particulières est quelquefois considéré comme étant un objet de discrimination ou comme pouvant porter à la discrimination. Par exemple, les personnes sans emploi ayant droit à l'assurance chômage, ou jouissant d'une bourse d'étude, ou détenant un emploi sporadique, ne peuvent pas être traitées sur un pied d'égalité avec celles qui n'ont que les allocations du bien-être social. C'est là une égalité entre des types différents de victimes qui crée une discrimination puisqu'elle ne tient aucun compte des circonstances individuelles de chaque type de victimes.

Une autre discrimination inutile, nous semble-t-il, du moins pour le moment, est celle de l'exigence du rapport à la police. En effet - nous le mentionnons dans le texte en page 13 - seulement près de 3% des cas pourraient se voir appliquer cette disposition. Mais, il s'agit là, fort probablement, de 3% qui iraient jusqu'à renoncer à leur indemnité plutôt que d'être obligés d'avoir à se rapporter à la police. En effet, nombreuses peuvent être les contraintes sociales, morales ou psychologiques qui empêchent une personne de recourir au système pénal, sans compter, évidemment, la peur des représailles.

Enfin, quant au troisième et dernier principe, celui de la responsabilité collective, il nous semble avoir été sacrifié à des considérations purement financières. On y oppose le fait que, dans le domaine routier ou dans celui du travail, les victimes potentielles ou la source possible de victimisation payent une cotisation. Or, le risque de victimisation étant universel dans le domaine de la criminalité, il nous semble normal que tous les citoyens soient considérés comme des cotisants. Tels sont les principaux points que nous avons tenu à amener devant votre commission. Merci de votre écoute.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. Nous allons maintenant procéder à l'échange avec les membres de la commission.

M. Rizkalla: M. le Président... Le Président (M. Paré): Oui...

M. Rizkalla: Je pourrais peut-être vous suggérer que, étant donné qu'il y a beaucoup d'affinités entre les points de vue que nous soutenons et ceux que le CICC et l'École de criminologie soutiennent, il serait pertinent qu'ils fassent leur exposé et que la période de questions soit unifiée pour les deux groupes.

Le Président (M. Paré): S'il y a consentement des deux partis, il n'y a aucun problème.

Des voix: D'accord.

Le Président (M. Paré): Tout le monde est donc d'accord. J'inviterais donc maintenant le Centre international de criminologie comparée et l'École de criminologie à nous faire la présentation de leur mémoire.

Bienvenue. Si vous voulez bien vous identifier et, ensuite, faire la présentation de votre mémoire.

Centre international de criminologie comparée et École de criminologie

Mme Baril (Micheline): Merci, M. le

Président. M. le ministre, mesdames, messieurs, je suis Micheline Baril, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. L'École de criminologie présente un mémoire conjoint avec le Centre international de criminologie comparée. Ce mémoire porte spécifiquement, comme celui de nos collègues qui nous ont précédés, sur la partie du projet de loi 42 qui touche l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Mme Sylvie Durand, qui représente le Centre international de criminologie comparée, pourrait présenter le centre qui n'est peut-être pas connu ici.

Mme Durand (Sylvie): Bonjour. En deux ou trois minutes, je voudrais expliquer que le Centre international de criminologie comparée est un centre affilié à l'Université de Montréal; il a été créé en 1969. C'est un centre qui travaille en étroite collaboration avec l'École de criminologie. Le Centre international de criminologie ou le CICC poursuit deux missions. D'abord, une mission au plan international par des colloques et des échanges entre les pays et, aussi, par une collaboration à des revues internationales. Comme deuxième mission, une mission de recherche proprement dite aux niveaux québécois et canadien. À l'origine, ce centre a été créé avec l'objectif de favoriser des échanges réguliers avec les criminologues européens et nord-américains et aussi avec ceux du tiers monde. Le centre est associé à la Société internationale de criminologie -notre directeur est d'ailleurs le président de cette société - et le CICC collabore avec les Nations Unies et les organismes affiliés. C'est ainsi qu'il contribue activement à la diffusion des connaissances criminologiques à l'échelle internationale.

Depuis le début des années quatre-vingt, la mission de recherche aux niveaux québécois et canadien est finalement la vocation majeure du CICC. C'est le seul centre francophone en criminologie au Canada. Poursuivant des recherches tant fondamentales qu'appliquées, le CICC a surtout deux volets principaux de recherche: premièrement, le développement de la conduite déliquante et, deuxièmement, l'étude de la réaction sociale. La victimologie est un domaine qui constitue un centre de préoccupation important du CICC. Il y a d'ailleurs une équipe qui poursuit des travaux dans ce domaine depuis au-delà de deux ans. C'est donc principalement en regard de ce volet qui est la victimologie que le CICC a voulu réagir, conjointement avec l'École de criminologie, au projet de loi 42. Notre vocation internationale nous amène aussi à nous sentir d'autant plus concernés que la loi de l'IVAC du Québec est citée en exemple dans plusieurs pays d'Europe, aux États-Unis et aussi dans des provinces canadiennes. Si le projet de loi 42 était adopté, la loi de l'IVAC non seulement perdrait sa qualité de modèle qu'on commence à imiter ailleurs, mais aussi constituerait un recul par rapport à ce qui se fait précisément ailleurs. Comme on a décidé de soumettre un mémoire commun, je vais laisser la parole à Mme Baril.

Mme Baril: Notre mémoire comprend trois parties. Je ne le lirai pas. Je vais en faire un résumé. Dans une première partie, on critique l'orientation même du projet de loi, une orientation qui nous apparaît déplorable, sinon désastreuse. Dans une deuxième partie, on l'aborde de façon peut-être plus positive en proposant des orientations ou des guides qui, selon nous, devraient orienter le législateur et, dans un troisième temps, on a commenté certains articles précis du projet de loi.

Pour finir, on veut soumettre des propositions plus concrètes et on aurait aussi quelques questions à poser. En ce qui concerne les critiques, une première constatation qu'on a faite, c'est que, plus on étudiait le projet de loi, plus on commençait à le comprendre et plus on se rendait compte des changements en profondeur qu'il apportait, plus on était en désaccord avec cela aussi et moins on comprenait l'orientation ou la cohérence qu'il y a peut-être derrière le projet mais qu'on n'a pas pu saisir.

On a des critiques sur deux points fondamentaux. Le premier, c'est que c'est un projet de loi, projet d'indemnisation des victimes d'actes criminels, qui est nettement un retour en arrière. Le deuxième, c'est que c'est un projet qui introduit énormément de disparités dans le traitement des différents types de victimes.

D'abord, on fait marche arrière, je pense que c'est évident - nos collègues en ont parlé tout à l'heure - par rapport à la loi actuelle de l'IVAC. Juste pour résumer en gros, le projet propose de diminuer les indemnités, c'est-à-dire que, par exemple, en termes d'indemnités de remplacement du revenu, on chute de 90% du revenu net à 72% parce que 80% de 90%, ça fait 72%. On a vu aussi que le projet de loi introduit des délais de carence qui n'existaient pas, délais qui peuvent varier de huit jours à un an et qu'il obligerait dorénavant les victimes d'actes criminels à signaler le crime aux policiers. (10 h 30)

Cela veut dire que, si le projet de loi était adopté, les victimes de décembre 1984, selon la date d'acceptation, seraient traitées de façon tout à fait différente de celle des victimes actuelles, du mois de mars 1984.

Je pense que, déjà, c'est difficilement justifiable comme position mais, en plus, c'est un projet de loi qui va à contre-courant de toutes les tendances actuelles au

Québec et ailleurs dans le monde où on constate, depuis quelques années, une préoccupation à l'égard des victimes d'actes criminels. On se dit aussi qu'il était temps que cette préoccupation arrive parce que, pendant des siècles, on a oublié que, lorsqu'il y a un crime, un préjudice est causé, une personne est préjudiciée. Par exemple, la loi de l'IVAC, les lois de l'indemnisation aux victimes d'actes criminels, on a dû les réclamer pendant 100 ans avant qu'un premier régime soit établi, le premier en Nouvelle-Zélande. Au Québec, on a déjà notre régime depuis 1972. C'est vrai qu'on pourrait dire que le Québec y est allé en grande, c'est-à-dire que, dès le départ, il a proposé, il a voté une loi intéressante. C'est l'une des meilleures lois, l'un des meilleurs services d'indemnisation qui existent à travers le monde. Mais c'est à peu près la seule chose qu'on fait pour les victimes d'actes criminels présentement, chez nous.

Ma collègue tout à l'heure a mentionné les recherches et les comparaisons internationales qui ont été faites. Je pense que sa position allait dans ce sens-là.

Mme Durand: On disait que la loi de l'IVAC du Québec est reconnue comme l'une des meilleures au monde. Le rapport fédéral-provincial qui vient d'être fait pour la Justice sur les victimes d'actes criminels s'en est inspiré. Les provinces d'Ontario et du Manitoba sont en train de refaire leurs lois d'indemnisation des victimes d'actes criminels et elles s'inspirent de celle du Québec. Le Conseil de l'Europe a écrit un livre blanc sur l'indemnisation des victimes d'infractions et on y fait souvent référence au système d'indemnisation implanté au Québec. À l'automne 1983, une convention a été adoptée par le comité des ministres du Conseil de l'Europe et cette convention consacre le droit à la réparation et à l'indemnisation. Il y a un projet de déclaration universelle des droits des victimes qui va être présenté au congrès de l'ONU en 1985. C'est un projet qui inclut aussi le droit à la réparation et le Québec participe à l'élaboration de ce projet. C'est donc dire que, si le projet de déclaration était adopté au moment du congrès en 1985, les pays devraient adapter leur législation en conséquence.

C'est donc dire qu'il y a un mouvement international pour la reconnaissance des droits des victimes à la réparation. Mais, comme on l'a mentionné plus tôt, les Québécois n'ont jusqu'à présent rien à envier aux autres pays puisque ce droit est implicitement reconnu, en tout cas pour les victimes d'actes violents.

Le projet de loi 42 modifie considérablement cette reconnaissance implicite du droit à l'indemnisation. Les victimes continueraient à être indemnisées, s'il était adopté, mais à rabais.

Mme Baril: Finalement, je pense qu'on peut en conclure que, si les dispositions qui sont présentées dans le projet de loi 42 étaient acceptées, non seulement le Québec ne serait plus en tête de file, non seulement les victimes d'actes criminels au Québec en souffriraient, mais c'est aussi toute la question des victimes d'actes criminels à travers le monde qui risque de faire quelques pas en arrière. D'ailleurs, une question qu'on se pose aussi, nous, criminologues, c'est que notre démission par rapport aux victimes d'actes criminels ne réglera jamais le problème de la criminalité. Mais, ce qui est plus grave encore, si nous, comme société, comme gouvernement, on se dote de lois qui négligent, qui relèguent les victimes au deuxième rang, qui les mettent au rancart, est-ce qu'on peut s'attendre que les délinquants, eux, respectent les droits des victimes?

Une deuxième critique par rapport au projet de loi, ce sont les disparités de traitement des différentes victimes d'actes criminels. On le voit à l'intérieur du projet de loi 42 et on le voit en comparant également les victimes de différents types d'infortune.

La Société de criminologie du Québec a mentionné tout à l'heure que le projet prévoit un traitement différent lors de préjudices identiques. Par exemple, la loi de l'IVAC et la loi des accidentés du travail prévoient des dispositions différentes, ce qui veut dire que, par exemple, pour un acte exactement identique, pour des préjudices identiques, les indemnités seraient différentes. L'exemple qui a été mentionné, c'est celui du caissier et du témoin dans une caisse. Je pense qu'on peut même aller plus loin et présenter un exemple qui n'est pas du tout hypothétique parce que ce sont des cas qui se présentent.

On peut penser à deux personnes, deux clients de la banque qui se présentent en même temps pour faire leur transaction bancaire. Une personne fait la transaction bancaire pour la compagnie qu'elle représente ou pour son patron, l'autre personne la fait à son compte personnel. Les deux sont victimes d'un acte criminel. Disons qu'il y a une fusillade et que les personnes décèdent. Les ayants droit dans un cas, dans le cas de la victime d'un accident du travail, c'est-à-dire la personne qui faisait sa transaction au compte de sa compagnie - c'est un accident du travail - auront droit à une indemnité basée sur les 90% du salaire auquel la victime aurait eu droit, alors que l'autre, l'autre victime à ce moment, ses ayants droit ne recevront qu'un indemnité basée sur les 72%. Je pense que c'est assez difficilement justifiable.

On a remarqué aussi des traitements

différents pour des préjudices semblables, dans d'autres cas d'accidents du travail, des cas d'accidents de la route, par rapport aux préjudices subis par les victimes d'actes criminels. On le remarque à l'intérieur de la loi, dans ce sens que les personnes, par exemple, qui ne détiennent pas d'emploi ne sont pas toutes traitées de la même façon ou en vertu du même principe, du principe de remplacement du revenu. Certaines personnes n'ont pas de revenu dans ce groupe et certaines personnes, même si elles n'ont pas d'emploi, ont des revenus. Ici, il s'agit d'une différence dont il faudrait tenir compte en vertu d'un principe semblable.

Ce sont les principales critiques que nous apportons au projet de loi 42. En contrepartie nos suggestions seraient en premier lieu de définir explicitement un droit à la réparation des préjudices subis. Idéalement ce droit à la réparation devrait être un droit à la réparation intégrale des préjudices subis. On reconnaît qu'actuellement il n'y a peut-être pas possibilité de faire réparation intégrale. La loi antérieure de l'IVAC ne le prévoit pas, d'ailleurs, non plus. C'est la réparation des préjudices à l'atteinte à l'intégrité physique et psychologique qui est indemnisée et non pas les pertes encourues pour les dommages matériels. C'est peut-être un compromis qu'il faut continuer à faire.

Par ailleurs, je crois qu'en ce qui concerne la réparation pour les dommages à la personne il faut absolument maintenir ce droit qui n'était pas énoncé explicitement dans la loi, ce qui a peut-être permis qu'on le bafoue comme on le fait à l'heure actuelle. Je pense qu'il faut le définir et que c'est un droit qui doit être reconnu à toutes les victimes. D'ailleurs, la partie qui concerne les accidentés du travail définit de façon très claire un certain nombre de droits aux accidentés du travail. C'est toujours un guide pour les personnes qui ont à appliquer la loi, le fait de reconnaître au départ des droits et des principes.

Dans un deuxième temps, on propose l'harmonisation des mesures de réparation en se basant ici sur la notion d'équité qui veut que tous les citoyens semblablement lésés aient droit à un régime d'indemnisation similaire. Ce principe d'équité tient évidemment compte aussi des différences qui peuvent exister. Alors, si les personnes ne sont pas similairement lésées, il faut également en tenir compte. Ceci veut dire une harmonisation entre la Loi sur les accidents du travail, la loi concernant les accidents de la route et la loi sur l'IVAC. On pourrait évidemment mentionner la loi sur le civisme, mais je pense que, quand on parle de la loi sur l'IVAC, on inclut également la loi sur le civisme.

On propose également une politique criminelle renouvelée. Je pense qu'ici on est conscient qu'on s'adresse davantage au ministère de la Justice qu'au ministère du Travail. Non seulement il faut harmoniser les différentes mesures d'indemnisation, mais il faut également en arriver à une politique globale de réparation en matière d'actes criminels. Une politique globale de réparation en matière d'actes criminels veut dire qu'il faut reconnaître que les auteurs de préjudices, lorsqu'ils sont identifiés, sont également responsables de la réparation des dommages, mais que l'État assume la réparation pour les victimes dans tous les cas, qui sont fort plus nombreux, où l'auteur n'est pas identifié ou n'est pas solvable. L'État se substitue à ce moment.

En ce qui concerne les articles comme tels du projet de loi, il y a quelques ajouts ou quelques amendements qui nous apparaissent intéressants, notamment en ce qui concerne la juridiction territoriale. L'article 307 permettrait aux Québécois d'être indemnisés lorsqu'ils sont victimes à l'extérieur du Québec, quand la province ou le pays dans lequel ils subissent l'acte criminel n'a pas de régime d'indemnisation ou n'indemnise pas les étrangers. Alors, c'est un ajout intéressant. De même, la définition de la victime à l'article 306, paragraphe d, est également intéressante.

Par ailleurs, dans tous les articles qui concernent les indemnités, je pense que les articles à critiquer sont ceux où on aimerait voir revenir le statu quo ou la parité, l'harmonisation avec les articles qui concernent l'indemnité dans le projet de loi sur les accidents du travail.

En ce qui concerne l'obligation de rapporter à la police, nous n'en voyons vraiment pas l'utilité. De toute façon, je crois que l'indemnisation des victimes et la dénonciation à la police sont deux matières complètement séparées qu'on ne devrait pas confondre. De toute façon, c'est déjà écrit dans le mémoire déposé devant vous. On a j commenté certains autres articles, notamment, en ce qui concerne les personnes sans emploi et aussi la subrogation où l'on demande: Ne devrait-on pas le faire également à travers les articles 653 et 663 du Code criminel et non pas seulement avec le Code civil? On s'est posé des questions sur les raisons des délais de carence.

En conclusion, il nous manque évidemment un certain nombre d'informations. On ne sait pas ce qui a guidé le législateur dans la rédaction du projet de loi. Avec l'information dont on dispose actuellement, on considère que, dans l'ensemble, le projet de loi n'est pas acceptable par une société qui se veut juste à l'égard de tous les citoyens. En ce qui concerne les indemnités, on propose un retour à ce qui existe actuellement, à la loi sur l'IVAC, et une harmonisation avec les autres lois d'indemnisation. On a mentionné

que quelques articles étaient un progrès et on se dit aussi qu'il y aurait peut-être lieu, plutôt que de rétrécir notre vision à l'égard des victimes, d'élargir le mandat de l'IVAC et de lui demander d'assumer un rôle de leadership en tout ce qui concerne la réparation aux victimes d'actes criminels. (10 h 45)

Cette information qui nous manque, d'après ce qu'on nous a dit, il semble que ce soit le ministère de la Justice qui ait préparé cette partie du projet de loi. Je ne sais pas s'il y a des représentants du ministère de la Justice ici. On aimerait connaître les principes qui l'ont guidé. On aimerait connaître la raison de diminuer les indemnités. Pourquoi choisir les pourcentages de 80% et de 72%? Pourquoi tous ces pourcentages modifiés? Pourquoi demande-ton maintenant le signalement à la police? Pourquoi ne considère-t-on pas toutes les personnes sans revenu de la même façon? Pourquoi ne fait-on pas de distinction entre les personnes sans revenu et les personnes sans emploi?

Je vous remercie, M. le Président. Pour les questions que j'adresse au ministère de la Justice, je ne sais pas si on peut en obtenir les réponses.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup pour la présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant passer à la période des échanges. Probablement qu'au cours de cet échange, certaines remarques répondront à vos interrogations.

M. Doyon: M. le Président.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

Motion pour la convocation du ministre de la Justice

M. Réjean Doyon

M. Doyon: Merci, M. le Président. À la suite de la dernière remarque qu'on vient de nous faire concernant le ministre de la Justice, je pense qu'il serait intéressant que, dès maintenant, on puisse savoir si, oui ou non, le ministre de la Justice va nous faire l'honneur de se présenter à cette commission, compte tenu du fait que le ministre du Travail est probablement prêt à répondre aux questions qui relèvent de son autorité et dont il est responsable. Cependant, si on est tout simplement pour avoir des réponses vagues et nébuleuses qui n'engagent pas le ministre de la Justice, je suggérerais que cette commission suspende ses travaux et qu'on aille quérir le ministre de la Justice pour qu'on puisse l'entendre et savoir à quelle enseigne il loge. Autrement, je pense qu'on perd notre temps.

Si le ministre du Travail porte aussi le chapeau du ministre de la Justice, j'ai l'impression qu'il peut être ou trop grand ou trop petit et que cela ne lui fera pas belle figure. Il devrait se méfier et ne pas se prononcer au nom du ministre de la Justice qui, même s'il vient d'être nommé, voudra probablement rassurer les gens qui sont devant nous, ainsi que les victimes potentielles d'actes criminels qui aimeraient savoir ce que le gouvernement a l'intention de faire, à la suite des remarques fort pertinentes et fort à propos qui nous sont faites. La réponse ne peut venir de personne d'autre que du ministre de la Justice. Je ne crois pas que le ministre du Travail puisse donner ce genre de réponses. Il en a suffisamment sur le dos avec la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles sans s'occuper de l'indemnisation des victimes d'actes criminels.

Je ne voudrais pas que cette commission perde son temps à entendre des réponses qui, finalement, n'engageront pas le gouvernement et, encore moins, le ministre de la Justice.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert, je comprends très bien vos arguments, de même que votre demande, sauf que j'aimerais rappeler quelques points: Premièrement, cette discussion a déjà été soulevée dans le passé au cours d'une autre séance de cette même commission. On avait rendu la décision, qui est un peu le deuxième point de la réponse, à savoir que le projet de loi 42 relève du ministre du Travail qui est ici présentement. La troisième raison qui fait en sorte qu'on ne pourrait pas attendre la venue du ministre de la Justice est bien simple, c'est que le ministre de la Justice est à l'extérieur du Québec aujourd'hui. Donc, ce serait inutile, de toute façon.

M. Doyon: Oui, mais on pourrait peut-être se contenter de l'ancien ministre de la Justice, un coup mal pris. Il pourrait refiler des réponses.

Une voix: Ou l'adjoint parlementaire.

M. Doyon: M. le Président, l'explication... Ou, encore, l'adjoint parlementaire. Mais, quand même, la réponse que vous me donnez disant que le ministre de la Justice est en dehors est totalement insuffisante. Cela ne justifie pas du tout son absence. Il y a longtemps que ces séances de la commission sont prévues. Il y a un ordre du jour qui a été préparé. Les gens qui sont devant nous ont envoyé leur mémoire en temps utile. Nous les avons eus de ce côté-ci, nous, de l'Opposition. Nous en avons pris connaissance. Aujourd'hui, que vous me disiez que le ministre de la Justice a pris la

poudre d'escampette, c'est trop facile. Son travail et sa responsabilité ne sont pas d'être ailleurs dans le moment - c'est cela que je veux dire - mais d'être ici. Que vous me donniez comme réponse qu'il est ailleurs, donc qu'il ne peut pas être ici, cela ne me satisfait pas. Je suis convaincu que cela ne satisfait pas les gens qui sont partis de Montréal et d'ailleurs pour venir présenter un mémoire qui concerne spécifiquement le ministre de la Justice. Que cette discussion ait déjà eu lieu, là-dessus, M. le Président, je vous dirai que, parfois, il faut répéter les choses. Il faut insister de façon à tenter de convaincre. Je fais une motion formelle pour que nous suspendions les travaux jusqu'à ce que le ministre de la Justice se présente devant cette commission et réponde aux interrogations présentées par les intervenants qui sont devant nous. Ma motion est faite, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Je vais donc rendre une décision très rapide puisque j'en ai déjà rendu une similaire antérieurement. Pour les raisons évoquées tantôt, on ne suspendra pas les travaux de la commission. Vous dites que l'absence du ministre ne justifie pas son absence, si j'ai bien compris. Je dois dire que c'est une constatation que je fais. Il y a impossibilité et le fait que le ministre soit retenu dans une discussion fédérale-provinciale à Ottawa aujourd'hui n'est pas une décision de s'absenter, mais une obligation due à sa tâche. Donc, là-dessus, je crois que nous devons tout simplement constater les faits. Il y a impossibilité de répondre à votre demande.

M. Doyon: M. le Président, je demande le vote sur la motion que je viens de faire.

Le Président (M. Paré): Je m'excuse, M. le député de Louis-Hébert, j'ai pris la décision de ne pas recevoir votre motion pour les raisons que je suis en train de vous expliquer.

M. Doyon: On va parler de cela.

Le Président (M. Paré): Je m'excuse, M. le député de Louis-Hébert, vous pourrez contester ma décision si vous le voulez, mais vous devez la respecter. Vous pourrez la contester en d'autres lieux. Une décision étant rendue, on ne peut appeler le vote là-dessus.

M. Doyon: M. le Président.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: M. le Président, la décision que vous venez de rendre en est une sur l'acceptabilité de la motion. Je vous dis qu'avant que vous rendiez une décision là-dessus vous devez nous entendre sur - tous et chacun d'entre nous - ce qu'on a à dire, sur le fait que la motion doit être acceptée par vous et mise aux voix. Vous avez pris les devants en rendant votre décision sans nous avoir permis - je suis sûr que vous l'avez fait par inadvertance - de nous faire entendre sur la question d'acceptabilité de cette motion. Dans les circonstances, je vous demanderais de me donner la parole pour que je puisse vous expliquer pourquoi vous devriez rendre une décision qui permettrait de mettre aux voix la motion que je vous présente.

Le Président (M. Paré): Lorsqu'il y a présentation d'une motion, il est dit en fonction de notre règlement qu'évidemment chacune des parties peut se faire entendre et non pas tous et chacun. Vous avez effectivement le droit de vous faire entendre sauf que, là où j'ai apporté un refus, c'est au moment où vous demandiez un vote. Je ne peux accepter qu'il y ait vote alors que la motion apportée n'était pas reçue. Si je vous dis que j'ai rendu une décision et que je rends effectivement une décision, c'est que cette discussion a déjà eu lieu. Il est bien dit dans notre règlement qu'au moment où le président se sent suffisamment informé il peut prendre une décision, pour autant qu'il la justifie. À mon avis, c'est ce que j'ai fait.

M. Doyon: M. le Président, je vous soumets respectueusement que la discussion qui a eu lieu a eu lieu dans des circonstances qui sont autres que celle que nous avons présentement, dans des circonstances qui ne nous permettaient pas d'avoir les renseignements que les gens qui sont devant nous nous ont présentés. Dans les circonstances, nous n'étions pas en mesure d'apprécier à sa juste valeur la nécessité. Nous soupçonnions, nous pensions que ce serait nécessaire d'avoir la présence du ministre de la Justice. Devant les représentations qui nous sont faites, nous en venons à la conclusion évidente que toute discussion qui se tiendra en l'absence du ministre de la Justice est une discussion qui sera inutile, vide de sens et ne permettant pas de vider le fond du problème. Nous ne pouvions pas connaître d'avance les remarques et les représentations qui nous seraient faites. C'est devant la nature de ces remarques, devant le besoin de l'avoir pour répondre aux interrogations, aux questions et aux préoccupations des intervenants actuels, que nous nous rendons compte que la présence du ministre de la Justice - vous-même, M. le Président, vous devriez vous en rendre compte - est absolument nécessaire. Sinon, nous ne pourrons pas nous acquitter de nos fonctions. Il est de votre devoir, M. le

Président, de prendre les moyens pour que nous puissions nous acquitter de nos fonctions et, en l'absence du ministre de la Justice, il ressort clairement que cela est impossible dans les circonstances. Vous devriez prendre la décision de suspendre les travaux et de faire en sorte qu'ils soient repris en temps et lieu quand nous pourrons discuter, quand les gens qui sont devant nous pourront discuter avec le ministre de la Justice qui est responsable du texte qui est devant nous. Si le ministre du Travail nous dit qu'il s'agit de son texte, qu'il a été préparé par ses fonctionnaires, selon ses instructions, on pourra réviser notre position. Tant que j'aurai la conviction que c'est le texte du ministre de la Justice, que c'est le texte des experts du ministère de la Justice, des fonctionnaires sous les ordres du ministre de la Justice, je ne peux pas accepter que ce soit le ministre du Travail qui défende et qui réponde, au nom de ce ministre, à des questions aussi fondamentales et aussi importantes que celles qui sont soulevées par le mémoire qui est devant nous. C'est inadmissible et je m'élève avec la dernière vigueur vis-à-vis de ce mépris - parce que c'est du mépris - qu'on manifeste à l'égard des victimes de crimes et des gens qui veulent nous expliquer pourquoi il est important de mettre sur pied un système qui soit juste, équitable et qui traite tout le monde sur le même pied. Qu'on traite cette question avec un mépris semblable, je trouve cela tout à fait inadmissible et je le dénonce avec la dernière vigueur.

Le Président (M. Paré): Même si j'avais pris une décision, avant de trancher cette question, puisque je vous ai permis de donner votre version, je voudrais savoir si quelqu'un d'autre veut parler sur le sujet avant de rendre une décision finale.

M. Fréchette: Oui...

Le Président (M. Paré): M. le ministre du Travail.

M. Raynald Fréchette

M. Fréchette: M. le Président, si vous en étiez investi du pouvoir, il ne vous resterait qu'à procéder à l'émission d'un mandat d'amener et derechef, comme le dit le député de Louis-Hébert, faire immédiatement procéder à l'arrestation et à la venue du ministre de la Justice. Ce genre de situation n'est pas étonnant.

Sur le fond môme de la question, je rappelle que vous avez d'abord, dans une première démarche, déjà rendu une décision et que la discussion qu'on a actuellement tourne autour de la décision que vous avez déjà rendue ce matin. Deuxièmement, et vous l'avez rappelé, me semble-t-il, à très juste titre, une discussion de même nature s'est élevée lors de la première période des auditions de la commission, alors que le député de D'Arcy McGee était avec nous et qu'il avait soulevé exactement la même situation sur laquelle le député de Louis-Hébert attire actuellement notre attention. Après une discussion de part et d'autre, au cours de laquelle des représentants de chacune des deux formations politiques se sont exprimés, une décision a été rendue selon laquelle vous ne pouviez pas, ni suspendre, ni émettre quelque genre d'ordonnance que ce soit pour que le ministre de la Justice soit là.

Deuxièmement, M. le Président, je voudrais vous rappeler une chose que vous savez très certainement, c'est le mandat qui nous a été confié par l'Assemblée nationale. Au moment où il a été convenu que nous allions procéder à la tenue de cette commission parlementaire, l'Assemblée nationale nous a donné le mandat de procéder à l'audition des mémoires des groupes, des organismes ou des personnes qui manifesteraient le désir de se faire entendre. Je pense que, compte tenu de ce mandat, nous n'avons pas l'autorité de modifier, de quelque façon que ce soit, sans revenir devant l'Assemblée nationale. Compte tenu des termes de ce mandat, nous avons nos limites, nous avons nos normes et c'est à l'intérieur de ces balises qu'il nous faut travailler.

Une autre argumentation que je porte à votre attention, qui est également d'importance et aussi en relation avec l'autre argument que je viens d'invoquer: Le mandat qui est le nôtre, c'est de vous rappeler que nous n'en sommes qu'au début du processus législatif. La loi sera sans doute réécrite avec passablement d'amendements - je le signale dès maintenant - qui touchent le chapitre de l'indemnisation des victimes d'actes criminels et nous allons procéder à un débat de deuxième lecture. Nous devrions, toutes choses étant normales, procéder à la tenue d'une commission parlementaire au cours de laquelle nous allons procéder à l'étude du projet de loi article par article, de sorte qu'il est clair et évident qu'au moins à ce stade des procédures législatives, le ministre de la Justice sera très certainement impliqué dans la discussion. Vous avez vous-même indiqué, M. le Président, les motifs pour lesquels le ministre de la Justice n'était pas là. Il est dans l'exécution d'un autre mandat qui est fort important et il est à l'extérieur du Québec. C'est la raison pour laquelle il n'est pas là. (11 heures)

Je comprends fort bien les préoccupations du député de Louis-Hébert qui se demande si j'ai le mandat, l'autorité ou la latitude nécessaire pour parler pour et au

nom du ministre de la Justice. Je vous signale que le projet de loi est déposé en mon nom et qu'en conséquence je me sens suffisamment mandaté pour prendre des engagements et donner des indications au nom du gouvernement du Québec, autant en ce qui touche les chapitres sur les accidentés du travail que sur la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Je ne suis pas en train de vous dire que les réponses que je pourrais avoir à donner aux questions qui nous ont déjà été soumises et à d'autres qui sont sous-tendues par la discussion qui a été ouverte vont donner satisfaction à tout le monde, pas plus à nos invités qu'aux collègues de l'Opposition, mais je suis en mesure de vous dire qu'à plusieurs des questions qui nous ont été soumises, des réponses peuvent être données immédiatement. Mais, plusieurs autres préoccupations contenues autant dans le mémoire que dans l'argumentation verbale, je pense que nos invités vont comprendre qu'il va nous falloir les regarder d'un peu plus près. La commission parlementaire est faite très précisément dans cet objectif, à savoir d'entendre des observations et, ensuite, de les soumettre à la décision politique. Il me semble, en prenant en considération l'argumentation que je viens de vous soumettre et les motifs que je viens d'invoquer, qu'il nous serait possible de continuer nos travaux et d'atteindre les objectifs pour lesquels la commission est là, avec la possibilité dont je parlais tout à l'heure tout au cours du processus législatif qui va s'engager, à savoir d'aller plus à fond avec le ministre de la Justice, si on le souhaite. Pour tous ces motifs et compte tenu du précédent qui existe déjà, il me semble que la motion devrait être rejetée sans autre argumentation.

Le Président (M. Paré): M. le député de Sainte-Anne.

M. Maximilien Polak

M. Polak: M. le Président, pour essayer de résoudre ce problème, il n'y a pas de doute que ceux qui sont devant nous ont de très bonnes raisons de demander... On devrait vraiment avoir la présence du ministre de la Justice. Je comprends qu'il n'est pas ici, mais rien ne vous empêche de l'inviter. À la commission des engagements financiers, on invite des ministres pour nous expliquer certains dossiers et, ici, on pourrait peut-être dire qu'à la fin de nos travaux, à une date qui convient à tout le monde, on invite le ministre de la Justice à venir devant la commission en demandant peut-être à quelques représentants qui sont devant nous de venir également pour parler précisément de cet aspect parce que, selon ce qu'on nous a dit ce matin, c'est le ministère de la

Justice qui a rédigé la section en question. Je sais que cela relève du ministre du Travail, mais tout de même, ce serait peut-être mieux d'avoir une réponse directement du ministère de la Justice. Rien ne nous empêche de l'inviter.

Si vous décidez, M. le Président, que le député de Louis-Hébert n'a pas raison, je vous demande immédiatement, après votre décision que je présume parce que je ne peux pas dire ce que vous déciderez, d'inviter le ministre de la Justice à venir ici pour une demi-heure à la fin de nos travaux, à une date qui convient à tout le monde, d'abord parce que nous siégerons tous à ce moment-là à l'Assemblée nationale et on pourrait connaître les raisons. Il y a une différence entre un ministre qui répond devant une commission où les témoins sont présents et lors de l'étude article par article ou une deuxième lecture, ce n'est pas la même chose.

M. Fréchette: M. le Président...

Le Président (M. Paré): M. le ministre.

M. Fréchette: ...si vous me permettiez, je trouve intéressante la suggestion que le député de Sainte-Anne vient de mettre sur la table. J'y ferais la seule petite réserve suivante et on pourrait peut-être arriver au même objectif. Pourquoi ne procéderions-nous pas à nos travaux ce matin pour permettre à nos invités d'engager la discussion avec nous sur les dispositions de la loi 42 qui les concernent plus précisément et si, à la fin de nos discussions, autant les collègues de l'Opposition que nos invités ne sont pas satisfaits de la nature des discussions qu'on aura tenues ensemble, rien n'empêcherait à ce moment-là qu'on fasse la demande au ministre de la Justice, dans le sens que le député de Sainte-Anne le suggère. C'est une espèce de compromis entre les deux ou trois solutions devant lesquelles nous nous trouvons et je la mets sur la table uniquement dans le but de permettre à tout le monde d'avancer nos travaux et d'éviter à nos invités l'obligation de revenir à une époque ou à une date qu'on ne connaît pas. C'est la suggestion que je fais, M. le Président.

Le Président (M. Paré): M. le député de Viau.

M. William Cusano

M. Cusano: Premièrement, M. le Président, j'aimerais dire au ministre qu'il nous rappelle très souvent qu'il existe un processus législatif. On le connaît très bien. On sait qu'on ira en deuxième lecture, on sait fort bien qu'éventuellement on en arrivera à une commission où le projet de loi sera étudié article par article. Cela fait

deux ou trois fois qu'il nous le rappelle. On en est très conscient.

Notre préoccupation, lorsqu'il parle spécialement de la commission élue permanente qui étudiera le projet de loi article par article, c'est que cette commission se tient sans la présence d'invités. Ce qui nous inquiète, c'est justement de pouvoir écouter distinctement les gens concernés sur ce sujet.

On vous a déjà demandé de retirer du projet de loi tous ces chapitres et que le gouvernement ait le courage de présenter cette section du projet de loi 42 dans un autre projet de loi et de procéder à des consultations dans le milieu. On a tenté -c'est mon impression - dans le projet de loi 42 d'en faire un quasi-projet de loi omnibus où, tout à coup, on passe un autre chapitre d'une autre loi. Je trouve ça inacceptable, M. le Président.

La suggestion qui est faite, spécialement à la suite de ces remarques préliminaires où le ministre semble nous indiquer que la loi 42 sera réécrite... S'il nous donne l'assurance que les chapitres concernant l'indemnisation des victimes d'actes criminels seront retirés du projet de loi, qu'on procède au dépôt en première lecture d'un tel projet de loi et qu'il y ait des consultations parlementaires, je crois que ce serait la façon la plus logique de le faire. S'il n'est pas en position de répondre sur ce sujet, je ne peux rien y faire. Afin d'essayer de régler un problème qui est assez sérieux, j'accepterais la suggestion de mon collègue de Sainte-Anne, à savoir que... Si nos invités étaient disponibles pour revenir à la fin de nos travaux et que le ministre de la Justice pouvait être présent à ce moment-là, je n'y vois pas d'inconvénient.

M. Fréchette: M. le Président.

Le Président (M. Paré): M. le ministre.

M. Fréchette: J'avais cru percevoir des signes approbateurs à l'espèce de compromis que j'avais mis sur la table, c'est-à-dire amorcer nos travaux, faire nos discussions sous la réserve dont je parlais tout à l'heure, cette réserve étant de la nature suivante: ou bien nos collègues de l'Opposition ne sont pas satisfaits de la discussion qu'on a eue et on voit à ce moment-là les possibilités qui existent de répondre à leur demande, ou alors nos invités nous disent à la fin de notre discussion qu'ils ne sont pas satisfaits de l'exercice qu'on vient de faire et on souhaiterait pouvoir rencontrer le ministre de la Justice. Je ne peux pas m'engager pour d'autres, bien sûr, mais ce sont des choses qui sont tout à fait dans une optique de réalité concrète, pratique, pour nous permettre d'avancer. Moi, je réitère que je suis tout à fait disposé, à l'intérieur de cette réserve, à continuer nos travaux.

M. Cusano: Cela va, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Donc, j'aimerais rappeler aux membres de la commission que nous sommes régis par le règlement de l'Assemblée nationale du Québec. Ce règlement stipule, à l'article 65.1: "Le Président doit mettre en délibération toute motion mais dès qu'une motion lui paraît irrégulière, en elle-même ou par les buts qu'elle veut atteindre, il doit le signaler à l'Assemblée et il peut, après avoir motivé sa décision, refuser qu'on en délibère ou qu'on la mette aux voix."

À ce moment-ci, je veux justifier et réaffirmer la décision qui a déjà été prise. La justification se résume en quelques points. Premièrement, une décision semblable a déjà été rendue exactement dans le même sens pour une demande semblable lors d'une séance antérieure. Donc, on rapporte, finalement, une discussion qui a déjà eu lieu. On ne fait que rapporter une décision semblable pour une situation similaire. Deuxièmement, il ne faudrait pas oublier que le projet de loi comme tel, le projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, première lecture, a été présenté par M. Raynald Fréchette, ministre du Travail. C'est le ministre responsable de la loi. Troisièmement, la commission élue permanente a pour mandat -et je pense que cela vaut la peine de le relire - d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42. C'est le mandat qui nous est confié ici ce matin.

Je répète ce qui avait été dit lors de la première décision qui date déjà de plusieurs jours: l'impossibilité de la demande. Cela ne servirait à rien de suspendre les travaux. C'est impossible à cause d'une raison qui serait peut-être une autre raison s'il y avait eu une demande préalable. On se retrouve aujourd'hui avec une demande immédiate qui nous empêche de pouvoir y répondre.

Tel que les discussions - que j'ai quand même permises - se sont effectuées et le voeu exprimé des deux côtés, à savoir que si les membres de la commission ne se sentent pas suffisamment informés à la suite de la discussion qui aura lieu immédiatement, à la suite des échanges qui s'effectueront, il est toujours possible, au cours des autres étapes qui vont suivre avant que le projet de loi ne devienne loi, qu'un ministre ou l'autre, ou que les membres de la commission puissent aller chercher l'information nécessaire, pertinente auprès de gens intéressés.

En rappelant l'article 65, j'invite maintenant les membres de la commission à entreprendre les échanges avec nos invités. J'aimerais vous rappeler la teneur de

l'article 65, M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: M. le Président, avec tout le respect que j'ai pour votre décision, je voudrais porter à votre attention le fait qu'il existe de nombreux précédents lors de commissions parlementaires semblables qui ont entendu des intervenants et où d'autres ministres étaient impliqués, lesquels ont accepté d'emblée d'assister à la commission pour discuter la partie de la loi qui les concernait spécifiquement. En particulier en ce qui concerne la loi qui a aboli le ministère de la Fonction publique, confiant une bonne partie des responsabilités du ministère de la Fonction publique au Conseil du trésor. J'étais le porte-parole de l'Opposition à ce moment-là et j'avais déploré l'absence du président du Conseil du trésor, le député de Matane. Devant les représentations que j'ai faites, le président a accepté de demander la participation du président du Conseil du trésor, le député de Matane, qui a accepté de se rendre au désir de cette commission et de participer à la discussion sur les articles ou sur la partie de la loi qui le concernaient spécifiquement. Je voulais tout simplement porter cela à votre attention. Vous parlez de précédents et de décisions qui ont été prises. Il y a aussi des décisions prises par d'autres présidents dans d'autres commissions en ce sens que des ministres qui étaient touchés spécifiquement par une partie de loi qui était parrainée par un autre ministre ont accepté de venir à cette commission et de discuter avec les membres de la commission, de même qu'avec les intervenants, les points de la loi qui les touchaient d'une façon spécifique. (11 h 15)

Le Président (M. Paré): Je vous remercie, M. le député de Louis-Hébert.

En concluant très rapidement, je vous remercie de cette précision que vous apportez aux membres de la commission et aux intervenants. Je vous rappellerai qu'une des raisons qui justifient ma décision est l'impossibilité aujourd'hui, entre autres, d'avoir le ministre ici présent.

Donc, la parole est maintenant au ministre du Travail.

Auditions (suite)

Société de criminologie du Québec,

Centre international de criminologie

comparée, École de criminologie (suite)

M. Fréchette: Alors, M. le Président, avec l'un et l'autre de mes deux chapeaux nous allons amorcer cette période d'échanges, cette période d'évaluation de la loi et en particulier, bien sûr, le chapitre qui vous touche plus particulièrement.

Je voudrais d'abord, M. le Président, remercier la Société de criminologie du

Québec de même que le Centre international de criminologie comparée et l'École de criminologie de s'être imposé le travail qu'ils nous ont présenté ce matin.

M. le Président, si vous me permettiez une touche personnelle je vous dirais qu'il m'est très agréable d'entendre des représentants de la Société de criminologie. Cela me rappelle d'excellents souvenirs. Cela me rappelle, par exemple, que j'y ai travaillé un tout petit moment peut-être pour le mieux de la société elle-même et trop peu longtemps pour moi, mais je veux dire à M. Rizkalla que cela me rappelle d'excellents souvenirs. Encore une fois, dans mon évaluation à moi ces activités ont été trop courtes mais peut-être que pour vous c'était mieux comme cela. Quoi qu'il en soit je vous signale que ce simple fait me fait me départir un peu de l'objectivité que l'on doit avoir devant des représentants qui viennent nous soumettre des observations. En d'autres mots, je peux dès maintenant vous signaler que, sur plusieurs de vos représentations qui prennent la forme d'une revendication, je suis d'ores et déjà très sympathique aux argumentations que vous avez développées. On pourra aller un peu plus avant dans les détails tout à l'heure, mais retenons comme évaluation principale ce que je viens de vous dire.

Dans l'un et l'autre des deux mémoires on me semble retrouver des préoccupations de deux ordres. Il y a évidemment des préoccupations de principe, si vous me passez l'expression, et il y a aussi bien sûr, et c'est tout à fait normal que ce soit ainsi, des préoccupations d'ordre économique dans le sens le plus noble du terme. Je pense que ce sont là les deux grands volets de l'un et l'autre des deux mémoires.

Quant à la question de principe, vous l'articulez autour de trois énoncés très clairs également. Le premier étant la reconnaissance du droit à la réparation; le deuxième étant en relation avec la responsabilité collective comme société face à un phénomène de cette nature; le troisième, bien sûr, c'est le souci d'équité qui doit présider à une politique d'indemnisation en cette matière.

Quant à ces énoncés de principe, vous allez comprendre que nous allons devoir y regarder de près. Il y a des suggestions. J'en prends une à tout hasard qui doit être considérée très sérieusement comme, par exemple, l'obligation de se rendre quelque part pour déclarer un acte dont on aura été victime. Si vous le permettiez, M. le Président, quant à moi, quitte - on a passablement de temps devant nous - à élargir la discussion sur les principes dont je viens de parler, j'apprécierais pouvoir amorcer la discussion sur le deuxième volet de vos mémoires qui concerne l'aspect économique de la question.

Ai-je bien lu et bien compris le mémoire de la Société de criminologie du Québec quand elle nous suggère que l'harmonisation qui existe déjà dans la loi actuelle avec la Loi sur les accidents du travail devrait être continuée et ratifiée, en quelque sorte, dans le projet de loi 42? Cela, à tous égards, bien sûr. Je vous donne un exemple: Si vous nous dites: II faut effectivement harmoniser, eh bien, il faut tout de suite arriver à la conclusion qu'une victime d'acte criminel qui aurait rempli les conditions d'admissibilité au régime recevrait, par exemple, un montant forfaitaire plutôt que le régime actuel que l'on connaît. C'est un premier aspect sur lequel j'apprécierais vous entendre, M. Rizkalla.

M. Rizkalla: Votre compréhension est tout à fait bonne. En fait, on voudrait que le régime dont peuvent bénéficier les accidentés du travail, les accidentés de la route et les victimes d'actes criminels soit un régime similaire sur le plan économique de la chose.

M. Fréchette: Alors, on s'entend bien. Cela inclut évidemment l'aspect de la réparation ou de l'indemnisation, à proprement parler, et cela inclut évidemment tout le régime de la réadaptation également.

M. Rizkalla: De la réadaptation et également de la compensation pour les revenus, le manque à gagner.

M. Fréchette: Bon! Peut-être que je pourrais résumer plus spécifiquement ma pensée. Ce que je crois comprendre de vos représentations - et c'est pour l'un et l'autre groupe - c'est que vous souhaitez une harmonisation à tous égards des deux régimes: accidents du travail et indemnisation d'actes criminels. C'est le souhait que vous émettez?

Mme Baril: Chaque fois que les préjudices sont similaires.

M. Fréchette: Bien sûr! Toute chose étant normale, par ailleurs, c'est le souhait que vous formulez.

De plus, quand on parle de cette harmonisation, êtes-vous en mesure de faire une évaluation globale ou une espèce de bilan de ce qu'a donné la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels? Je ne vous demande pas d'y aller dans le détail, année par année, mais une appréciation globale de ce que cela a donné, autant en termes de réparation, effectivement, qu'en termes de réadaptation ou à tous autres égards. Je ne sais pas si...

M. Rizkalla: II y a eu une recherche...

Mme Baril: D'accord! Ici, il faut regarder sur - pour prendre votre terme - le plan économique et sur le plan de la réadaptation. Sur le plan économique, évidemment, il y a des rapports financiers annuels de l'IVAC qui nous tiennent informés des coûts du système. On sait que ce sont des coûts qui vont en croissant, mais c'est une infime portion à l'heure actuelle du budget du ministère de la Justice. On sait aussi, d'après une recherche évaluative qui a été faite du régime d'indemnisation au Québec, que sur le plan de la réparation monétaire, les victimes d'actes criminels sont satisfaites; elles reçoivent une indemnité qui ne compense pas complètement pour les préjudices subis, parce qu'il y a certains préjudices qui ne sont pas couverts par la loi de l'IVAC, mais c'est une indemnité qui leur permet, dans une certaine mesure, un retour à l'état antérieur. Par contre, ce qu'on souhaite, c'est de mettre l'accent - je pense que l'IVAC a déjà commencé - de plus en plus sur l'aspect réadaptation parce qu'il y a des problèmes, sur le plan psychologique et psychique, assez sérieux que vivent les victimes d'actes criminels. Ce sont des problèmes auxquels on ne fait pas suffisamment face à l'heure actuelle.

M. Fréchette: Cela va. Au risque de passer du coq à l'âne, je vais poser une question à M. Rizkalla. Quels sont les motifs pour lesquels vous souhaitez un changement au titre de la loi? Enfin, disons qu'à la seule lecture des deux titres, on devine assez facilement ce qui préside à une telle suggestion mais j'apprécierais vous entendre expliciter davantage là-dessus.

M. Rizkalla: Le motif principal est qu'on voudrait que le titre de la loi évoque et reflète de façon très fidèle son contenu. Il ne fait pas de doute que notre souhait serait d'universaliser pour toutes sortes de victimes les compensations et les réparations du préjudice subi. Néanmoins, nous comprenons fort bien que, dans le contexte actuel, on ne peut pas étendre l'application de la loi à toutes les sortes de victimes. Par conséquent, la loi actuelle concerne l'indemnisation aux victimes d'actes criminels contre la personne. Aussi, il nous semble pertinent que la loi soit dotée d'un titre qui reflète effectivement les indemnités qui sont couvertes par ces dispositions.

M. Fréchette: C'est très précis. Maintenant, M. le Président, je comprends que, sans doute, d'autres collègues vont vouloir pousser davantage la période d'échanges. Je voudrais, cependant, si vous me le permettiez, avant de laisser la parole à d'autres collègues de la commission, faire le résumé de l'appréciation des mémoires qui nous sont soumis, de même que le résumé de

la réception ou de la façon dont ils sont reçus.

Je voudrais vous signaler que l'un des objectifs du projet de loi 42 était et demeure toujours d'harmoniser partout où c'est possible et dans toute la mesure où c'est possible, avec les réserves dont vous venez de parler, par exemple, M. Rizkalla, les lois de réparation administrées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, dont, évidemment, la loi sur l'IVAC et la loi sur le civisme.

Par ailleurs, je pense que - là-dessus, on va facilement s'entendre - il faut tenir compte du fait que les clientèles de l'un et l'autre ou de tous ces régimes sont souvent différentes quand l'on va d'un régime à l'autre et que, tout en étant harmonisés, les régimes doivent tenir compte de ces différentes spécificités de clientèles dont je viens de vous parler.

L'on sait, par l'évaluation des bilans annuels, par les statistiques également, qu'à l'IVAC il y a près de 40% de la clientèle qui est constituée de personnes qui sont non salariées. Ce phénomène implique que le régime de remplacement du revenu prévu pour des salariés doit, évidemment, être adapté à la condition de cette clientèle. Par ailleurs, dans la mesure où la clientèle visée est la même que celle à qui s'adresse le projet de loi 42, je puis vous signaler dès maintenant que l'intention du gouvernement n'est pas de créer deux, trois ou quatre catégories de victimes et que l'harmonisation des régimes sur ce plan constitue une requête que je considère, quant à moi, tout à fait légitime et à laquelle je souscris sans aucune autre réserve que celles dont on vient de parler.

Quant aux victimes qui ne sont pas salariées, je crois aussi qu'il y a possibilité de ne pas rendre la situation de ces victimes plus déplorable qu'elle ne l'était avant l'agression et qu'une harmonisation des différentes prestations sociales qui leur sont payables en vue de leur fournir d'une seule source un revenu décent me paraît aussi possible et réalisable.

Dans tous les cas, quel que soit le statut de la victime, elle doit avoir - là-dessus, je vous signale que je suis tout à fait d'accord - droit à tous les services d'assistance médicale et de réadaptation prévus pour les victimes de lésions professionnelles. En outre, il me semble aussi aller de soi que des programmes spécifiques à la clientèle de ce régime soient accessibles dans le cadre prévu par les dispositions du projet de loi 42. (11 h 30)

Pour les personnes à charge des conjoints survivants, je souscris également, M. le Président, à la thèse de l'harmonisation - je crois d'ailleurs que c'est aussi la thèse que vous soutenez - sans par ailleurs ignorer que cette harmonisation ne peut se faire, à cause de la nature même du régime et de son mode de financement, qu'en tenant compte des autres prestations payables aux dépendants par d'autres régimes de sécurité sociale dont celui de la Régie des rentes du Québec.

Nous évaluons donc de nouveau tous ces aspects et nous recherchons dans cette opération d'harmonisation les formules qui respecteront cet objectif qui est essentiellement de maintenir, pour ces victimes, un niveau de revenu qui soit dans les limites de la décence et de l'acceptabilité. Je viens de vous faire part des intentions que j'ai. Je viens également de vous faire part de ma perception du dossier tel que vous nous le soumettez en relation avec les dispositions du projet de loi 42. J'ajouterai simplement en terminant, M. le Président, que les représentations qui nous ont été faites au cours des travaux de la commission parlementaire, ajoutées à celles que nous transmet ce matin autant la Société de criminologie du Québec que le Centre international de criminologie comparée de l'Université de Montréal, nous amènent effectivement à la conclusion, maintenant assez claire, qu'il faudra, dans la réécriture dont on parle, tenir compte des différents aspects dont je viens de parler. Encore une fois, cela ne concerne évidemment que l'aspect strictement économique du dossier. Il y a tout l'autre volet qu'il faudra regarder de plus près, bien sûr. Je voulais quand même prendre le temps de vous dire qu'elle est la perception du dossier à ce stade-ci quant à l'aspect économique.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci, M. le Président. La plus cordiale bienvenue aux membres de la Société de criminologie ainsi qu'aux représentants du Centre international de criminologie comparée, qui nous ont présenté chacun un mémoire qui éclaire considérablement la situation et qui nous permet - suite aux paroles que vient de prononcer le ministre - d'avoir une certaine lueur d'espoir. C'est là qu'on s'aperçoit combien il était important de faire la demande que j'ai faite. Le ministre est plein de bonnes intentions en parlant d'harmonisation, etc. Je ne sais pas jusqu'à quel point on peut considérer les sortes d'engagements qu'il est en train de prendre. Est-ce qu'ils vont véritablement lier les responsables de l'application et de la préparation de cette loi, c'est-à-dire le ministère de la Justice plus spécifiquement? Il aurait été beaucoup plus rassurant que nous puissions obtenir ce genre d'assurance de la part du ministre qui est responsable de

cette loi. Cela n'a pas été possible. Nous verrons à la fin de notre discussion et un peu plus tard s'il nous apparaîtra - ainsi qu'à vous - nécessaire d'entendre le même son de cloche de la part du ministre de la Justice. Vous faites ressortir clairement dans vos mémoires la disparité et, finalement, la discrimination qui existe entre la façon de traiter d'une part les victimes d'actes criminels violents contre la personne et la façon dont sont traités des travailleurs et des travailleuses qui sont victimes d'accidents ou de lésions corporelles.

Le ministre nous parle d'harmonisation, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Quand il parle d'harmonisation, il implique que le traitement qui sera assuré aux gens dont vous vous préoccupez actuellement sera, toute proportion gardée et dans des circonstances égales, le même que celui qui sera accordé aux victimes d'accidents du travail ou de lésions professionnelles. On parle donc d'harmonisation. Est-ce que cette harmonisation signifie, à votre avis, compte tenu de ce que contient le projet de loi 42 et compte tenu de ce qu'est la loi actuelle sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, ou constitue dans les faits une régression dans les indemnités, dans la façon dont seront indemnisées les victimes d'actes criminels? C'est bien beau de parler d'harmonisation, mais, si cette harmonisation a un effet à la baisse, j'aimerais qu'on puisse en être informé et j'aimerais avoir votre appréciation sur le sujet.

M. Rizkalla: II y a deux volets à la réponse. Le premier est que le projet de loi tel qu'il est actuellement constitue une régression par rapport à la loi de l'IVAC qui est actuellement en vigueur. C'est là que se situe la régression. Lorsqu'on demande une harmonisation, on ne demande pas une harmonisation à la baisse de ceux qui ont un meilleur traitement, mais une harmonisation à la hausse des victimes pour les amener au niveau de ceux qui ont une meilleure indemnisation.

M. Doyon: Le ministre nous dit qu'il y aura une harmonisation entre ce qu'on retrouvera pour les victimes d'accidents du travail et ce qu'on retrouvera comme indemnisation pour les victimes d'actes criminels. Si on considère que tout ce qui est donné aux victimes d'accidents du travail est donné aux victimes d'actes criminels violents contre la personne, est-ce que cette harmonisation constituera, oui ou non, une régression ou si vous serez en meilleure position après?

Mme Baril: Je pense que cette harmonisation rétablirait le statu quo par rapport à ce qui existe actuellement; à ce moment-là, ce n'est pas une régression. Il y a peut-être deux points qu'il faudra clarifier. La première chose, c'est que le ministre du Travail a mentionné la question des victimes d'actes criminels qui sont sans emploi -effectivement, il y en a environ 40% qui sont sans emploi. À l'heure actuelle, en vertu de la loi, ces personnes sont indemnisées selon le salaire minimum. La nouvelle loi prévoit une indemnité qui ne commence qu'un an après le début de l'incapacité, seulement la deuxième année, selon le salaire minimum. On a donc une régression de la loi. Par contre, il est effectivement impossible d'harmoniser cela à la lettre avec la Loi sur les accidents du travail, puisque ce sont des personnes qui n'ont pas de travail. On demande, selon le même principe de retour à l'état antérieur, de faire en sorte de distinguer parmi les personnes sans emploi celles qui ont un revenu et celles qui n'en n'ont pas. Par exemple, la personne qui reçoit des prestations d'assurance-chômage a un revenu qui sera coupé puisqu'elle n'est plus en mesure de travailler. Il faut essayer de retourner à l'état antérieur, de faire en sorte que les personnes reçoivent autant que possible ce qu'elles percevaient et, dans les cas où la personne reçoit des prestations d'aide sociale, je pense qu'on doit tenter de faire face aux dépenses encourues par la victimisation. Ici, il n'est pas question de faire en sorte que les victimes s'enrichissent du fait de l'acte criminel, mais qu'elles soient compensées pour le préjudice subi.

M. Doyon: Est-ce que vous êtes en mesure de dire à cette commission, si la loi était adoptée telle quelle, avec ce qui constitue, selon ce que vous dites, une régression, s'il y aurait diminution des coûts imputés qui sont assumés par le fonds d'indemnisation? Est-ce qu'il y a diminution du montant global? Est-ce que vous avez pu faire une projection? Par exemple, pour l'année 1983 - je ne sais pas combien d'argent a été versé - disons qu'on a versé 10 000 000 $ ou quelque chose comme cela. Ce montant de 10 000 000 $ aurait-il été le même si on avait appliqué le projet de loi 42 tel qu'il est actuellement?

Mme Baril: On n'a pas fait les calculs comme tels. C'est sûr, étant donné que toutes les indemnités, sauf quelques petits montants forfaitaires, sont diminuées qu'il y a des personnes qui sont maintenant admissibles dès le premier jour d'incapacité et qui, désormais, seront admissibles seulement le huitième jour, étant donné aussi ces 40% de victimes sans emploi qui ne seraient admissibles qu'un an plus tard, c'est sûr que la province ferait une économie. Cela demeure une économie qui m'apparaîtrait quand même minime, parce qu'il y a toutes les victimes des années

antérieures, depuis 1972, qu'on va devoir continuer à indemniser, je suppose, sur la même base que précédemment, dans le cas des rentes à vie, par exemple.

M. Doyon: J'étais particulièrement heureux de vous entendre dire que cette loi d'indemnisation, qui a été votée en 1972 sous un gouvernement libéral - doit-on le souligner? - est une loi qui a fait école et qui a servi de modèle pour plusieurs autres Etats qui s'en inspirent, tel qu'on l'a affirmé tout à l'heure. Pour autant que nous sommes concernés, nous, du parti de l'Opposition, allons sûrement nous battre pour éviter que ce qui a été fait par un gouvernement libéral soit défait par un gouvernement péquiste ou diminué de quelque façon. Je ne crois pas que le gouvernement ait le droit de faire supporter le fardeau de ce qui est finalement sa mauvaise administration par les victimes d'actes criminels. Il l'a fait supporter par les fonctionnaires. Il l'a fait supporter par les syndiqués de la fonction publique et parapublique et, dans le moment, il tente d'une manière détournée d'en faire supporter le fardeau par les victimes d'actes criminels. C'est une des raisons pour laquelle nous allons nous battre contre toute diminution qui pourrait affecter les indemnités qui sont versées aux victimes d'actes criminels. C'est une remarque que je voulais faire en passant.

J'aimerais savoir de votre part si vous avez envisagé la possibilité que les tribunaux mettent à contribution, quand la chose est possible, quand l'auteur du crime est solvable ou susceptible de le devenir, l'auteur du crime pour indemniser en partie la victime. II m'apparaît que la société a des obligations. Évidemment, nous le reconnaissons tous, mais ne devrait-on pas aussi - et je me demande si on retrouve quelque chose dans cette loi ou si cela pourrait s'y trouver - accorder par un article de loi un recours automatique ou une possibilité pour le juge qui est appelé à juger la commission d'un acte criminel, une indemnité de la part de l'auteur du crime, de la part de la personne qui a causé la lésion ou qui a causé la blessure? Avez-vous envisagé cette chose-là? Ce qui aurait, finalement, le double effet de servir en partie à pénaliser l'auteur du crime et à dédommager la victime et, en même temps, à soulager peut-être la société de l'obligation qu'elle a de voir à ce que les victimes d'actes criminels puissent continuer à vivre malgré le fait qu'elles aient été victimes d'un crime?

Mme Baril: Oui, je pense que cela fait l'objet de nos préoccupations, non seulement à l'école, mais aussi à la Société de criminologie. C'est une chose qu'on préconise. On aimerait voir un système de justice pénale qui se préoccupe beaucoup plus de la réparation des préjudices qu'il ne le fait maintenant. Le système actuel pourrait le faire. Par exemple, on a l'article 655 qui permet déjà au juge d'ordonner un dédommagement de la victime, mais c'est très peu utilisé à l'heure actuelle. Je pense que cela pourrait être intéressant qu'un régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels sensibilise les tribunaux et coordonne son action, précisément avec le tribunal, pour faire en sorte, aussi bien dans l'intérêt des victimes, comme vous le mentionnez, que de la société et de la réadaptation des délinquants, qu'on utilise beaucoup plus la réparation. De façon réaliste, il faut quand même voir que la majorité des auteurs de délits ne sont pas retrouvés et qu'une grande partie ne sont pas solvables. En termes économiques, ce ne sera quand même pas considérable, ce qu'on peut aller chercher comme indemnités. (11 h 45)

M. Doyon: Quand vous répondiez à une question du ministre et disiez que vous concevez que les circonstances ne sont actuellement pas propices pour dédommager les victimes de crimes autres que violents et contre la personne... Je pense aux personnes qui sont victimes de fraude, de vol sans violence. On peut nommer beaucoup de crimes qui ne s'attaquent pas à la personne physique, mais qui, finalement, ont très souvent des effets psychiques, des conséquences quand même au niveau psychologique, etc. Très souvent, ce sont des circonstances où les crimes sont commis par des personnes qui seraient, d'une façon générale, plus capables de dédommager leurs victimes. Est-ce que vous verriez qu'un premier pas dans la direction du dédommagement de ces victimes de crimes non violents, et non contre la personne, pourrait consister justement en une obligation de remboursement, de dédommagement, quand la chose est possible, parce qu'elle ne l'est pas toujours? Est-ce que cela ne vous paraîtrait pas un pas dans la bonne direction pour les victimes de ce genre de crime?

Mme Baril: Je pense que tout ce qui est réparation des préjudices par les auteurs des préjudices doit être encouragé. À l'heure actuelle, avec ce type de délinquants dont vous parlez, je pense qu'on considère surtout l'amende. C'est une somme qui est versée au fonds consolidé du revenu je suppose, dont les victimes ne profitent pas. Il serait peut-être beaucoup plus réaliste de canaliser ces sommes-là vers les personnes qui ont subi les dommages.

M. Rizkalla: II a été question, dans un des colloques de la Société de criminologie, de recommander que la victime puisse se constituer, en quelque sorte, en partie civile

et réclamer devant les tribunaux pénaux le dédommagement. Cette notion est quand même assez complexe et n'a pas vraiment fait l'unanimité au sein des membres de la société, d'autant plus que les recours au civil sont toujours possibles. Néanmoins, les compensations aux victimes peuvent également se faire à travers des sentences de travaux communautaires ou dans ce style-là. On aimerait voir se développer ces formules.

En réponse à une de vos questions de tantôt concernant les disparités, pour les personnes sans emploi, nous pensons qu'il est important d'essayer de substituer la notion de revenu à la notion d'emploi, c'est-à-dire que les dédommagements soient beaucoup plus calculés en fonction d'un revenu réel et d'un manque à gagner plutôt que d'un critère d'emploi ou de sans emploi. Une personne qui reçoit de l'assurance-chômage, une personne qui a une bourse d'études, ce sont des gens qui ont un revenu qu'ils n'ont plus la possibilité d'avoir s'ils sont victimisés, parce qu'ils ne répondent plus à certains critères. Donc, ce n'est pas nécessairement la notion d'emploi qui doit devenir la notion principale pour ces personnes-là, mais la notion de revenu et de manque à gagner, il est important de le préciser.

M. Doyon: À titre d'information, seriez-vous en mesure de nous dire la proportion des crimes violents qui sont causés par des armes à feu? Est-ce que la proportion est considérable de ce genre de crimes violents qui donnent ouverture à une indemnisation ou si vous n'avez pas d'idée là-dessus?

Mme Baril: On n'a pas de chiffres avec nous. Parmi les crimes violents, les deux plus fréquents sont les voies de fait et le vol qualifié, et la plupart des vols qualifiés sont commis avec une arme à feu. Je pense que c'est assez important, mais cela nous prendrait des statistiques qu'on n'a pas.

M. Doyon: C'est simplement une réflexion qui est beaucoup plus théorique qu'autre chose. Vous disiez que la responsabilité de l'indemnisation incombait à la collectivité. Je me disais que, si une bonne partie des crimes est causée par des armes à feu - il y a des gens qui en vendent, qui en font le commerce, qui en fabriquent - je me demande s'il n'y aurait pas lieu de mettre ces personnes à contribution d'une façon spéciale pour permettre, précisément, une indemnisation plus adéquate des victimes. C'est une idée que j'avance. Des armes à feu se vendent, circulent. Il y a des gens qui en font le commerce et qui en retirent un profit, et ces armes se retrouvent très souvent entre les mains des criminels qui s'en servent pour les braquer sur des innocents, les blesser, etc. On semble un peu trop facilement tenir pour acquis que c'est là une responsabilité qui n'appartient, finalement, à personne et qui doit forcément retomber sur l'ensemble de la collectivité. Je me dis qu'en l'occurrence, si on faisait des études de ce côté, on s'apercevrait peut-être que les armes à feu jouent un rôle important et qu'il y aurait peut-être lieu d'examiner cet aspect.

M. Rizkalla: On pourrait aussi, M. le député, partir de l'hypothèse contraire en disant: Qu'est-ce que peuvent constituer les armes à feu utilisées pour des crimes en tant que pourcentage par rapport au nombre considérable d'armes à feu qui sont vendues pour des motifs de chasse ou d'autres motifs et qui n'ont absolument rien à voir avec l'activité illégale ou illicite?

M. Doyon: Je possède plusieurs armes à feu pour la chasse et je m'en sers pour les canards et autres bestioles du genre, mais il arrive cependant que ces armes à feu... Je sais que les manufacturiers et les vendeurs ne vendent pas les armes dans ce but. Pas du tout. C'est pour cela qu'on se retrouve dans un dilemme où, finalement, la société réprouve la violence, tente de la contrôler, etc., mais les moyens que nous avons étant imparfaits, on doit se résoudre à indemniser ceux qui, malgré les efforts qu'on déploie, continuent d'être des victimes, d'être attaqués d'une façon ou d'une autre dans leur intégrité physique.

Tous ces renseignements nous ont été très utiles. J'espère que le ministre en aura pris bonne note et que les bonnes dispositions dont il a fait preuve se traduiront par des amendements qui répondront à vos attentes. Soyez assurés que, pour notre part, pour des raisons de justice et aussi parce qu'on ne veut pas que le gouvernement actuel défasse ce qu'on a fait, nous allons avoir l'oeil ouvert et nous allons nous assurer que le maximum sera fait pour vous donner satisfaction.

Le Président (M. Paré): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Je partage le point de vue qu'a exprimé le ministre du Travail sur la nécessité de revoir toute l'écriture des dispositions qui concernent les victimes d'actes criminels. J'étais heureuse d'entendre M. Rizkalla insister pour que cette harmonisation se fasse à la hausse plutôt qu'à la baisse. Une fois le principe d'harmonisation reçu, admis, encore faudra-t-il qu'il puisse se faire sans que cela représente une diminution pour les victimes d'actes criminels qui sont actuellement couvertes par la loi de l'IVAC.

Je voudrais bénéficier de votre

présence pour connaître un peu plus le fonctionnement concernant les victimes. Vous nous disiez notamment qu'il y a 40% - vous avez repris le ministre du Travail à propos de ce pourcentage - de non-salariés, donc de sans-emploi. Sans emploi, cela ne veut pas dire sans travail. J'imagine qu'il y a un bon pourcentage de femmes qui se retrouvent dans ces 40%. Quel est le pourcentage, la proportion de femmes victimes d'actes criminels par rapport à la proportion d'hommes? Ensuite, vous nous disiez qu'il serait préférable de remplacer le concept de l'emploi par celui du revenu pour les personnes sans emploi. Comment cela se passe-t-il dans le cas de conjointes qui sont au foyer? Ce n'est pas parce qu'elles n'ont pas d'ouvrage, mais elles n'ont pas d'emploi ou de revenu au sens qu'on l'entend habituellement. Est-ce que les événements qui se produisent sont fortuits, sont commis par des étrangers? Quel est le pourcentage des événements fortuits? On parle souvent et on pense toujours, par exemple, à une fusillade dans une caisse populaire ou dans une banque, mais est-ce que c'est le prototype, le cas type d'une victime? Est-ce que la victime est plus sujette à un événement fortuit, disons, fait par un étranger ou si cela se passe habituellement dans un circuit familial ou social plus rapproché?

Mme Baril: II y a beaucoup de questions. Je veux répondre à quelques-unes. Peut-être que mes collègues pourront continuer.

D'abord, en ce qui concerne les crimes de violence, contrairement à ce qu'on croyait avant, il y a plus d'hommes qui sont victimes que de femmes. Par contre, les femmes ne sont pas victimes exactement de la même chose. Elles sont tout d'abord plus souvent victimes de quelqu'un qu'elles connaissent. Effectivement, à ce moment, il ne s'agit pas d'un événement ponctuel, fortuit, mais c'est une victimisation qui peut se poursuivre pendant un certain temps. Aussi, lorsqu'elles sont victimes, elles ont tendance à subir des séquelles plus graves et à plus long terme. Pour l'ensemble des actes criminels, des victimisations qu'on connaît, il y a plus d'événements fortuits, qu'on pense aussi bien aux hommes qu'aux femmes, que d'événements prévisibles ou qui se passent dans le cadre d'une relation entre des personnes qui se connaissent. Par contre, ce qu'on soupçonne beaucoup, c'est qu'un grand nombre de ces violences qui se produisent, par exemple, dans la famille ne sont jamais dénoncées, et peut-être même pas aux enquêteurs qui font des sondages. Si on avait les chiffres véritables, les proportions changeraient peut-être.

Mme Harel: Quand vous demandiez, M.

Rizkalla, que l'inceste soit ajouté à la liste des crimes, est-ce dans la perspective d'une indemnisation? J'imagine que ce sont habituellement des victimes mineures qui sont prises en charge par d'autres lois, notamment la Loi sur la protection de la jeunesse. Dans quel sens? Est-ce pour leur reconnaître un droit à l'indemnisation?

Mme Baril: Je pense qu'il y a deux choses: il y a l'indemnisation, le côté économique. On peut très bien se retrouver avec une adolescente qui doit partir de chez elle, mais qui n'a pas besoin d'être placée, qui pourrait prendre un logement, subvenir à ses besoins et continuer ses études, si elle a les moyens de le faire. On peut avoir des cas comme cela, je pense qu'ils sont assez rares, mais on en a vu occasionnellement...

Mme Harel: Ils sont à ce moment couverts par les centres de services sociaux, à savoir qu'ils sont pris en charge, pas nécessairement par la loi 24 sur la protection de la jeunesse, mais les services sociaux, leur mandat général les amènent à intervenir dans des cas semblables, et pas nécessairement à proposer un placement. Pour toutes les personnes de moins de 18 ans, y a-t-il quand même un mandat général qui est attribué aux services sociaux?

Mme Baril: Oui. Un des avantages, en plus de l'autonomie pour la victime, ce serait qu'elle n'a à dénoncer à ce moment personne. Je pense que l'inceste, c'est souvent une violence dont on ne veut pas parler. En faisant une demande, par exemple, à l'IVAC, selon le régime actuel, si cet article qui parle du signalement à la police n'est pas accepté, l'IVAC peut très bien faire sa propre enquête et ne parler à personne, mais je pense qu'il y a quelque chose quand même qui est plus important que cela, auquel on a réfléchi. Deux choses: d'abord, il peut y avoir des enfants qui naissent à la suite de l'inceste. Alors, il y a l'entretien de ces enfants et il y a les services de réadaptation qui peuvent être offerts à la victime, que l'IVAC est déjà en mesure de donner et qui sont centrés sur la problématique de la victimisation. Ici, ce serait important de l'ouvrir quitte à faire comme on a fait pour la Loi sur les accidents du travail et sur la Loi sur l'assurance automobile. Les deux lois n'interviennent pas, il n'y a qu'une loi qui va intervenir.

Mme Harel: Ne pensez-vous pas qu'il peut y avoir duplication d'intervention, que, par exemple, on ajoute à l'article 308 qu'un enfant né par suite d'un inceste - parce que, déjà, il y a une disposition qui prévoit que l'enfant né par suite d'un viol, je pense, a droit à...

M. Rizkalla: Ce sont deux définitions. Ce sont deux délits différents, le viol et l'inceste.

Mme Harel: Oui, ce sont deux délits. (12 heures)

M. Rizkalla: D'autre part, que peut-il arriver à une fille qui a été victime d'inceste, dont le délit n'est connu qu'après l'âge de sa majorité? Elle n'est plus couverte à ce moment-là par la Loi sur la protection de la jeunesse.

Mme Harel: Mais les services sociaux donnent des services. Il y a de la référence qui se fait dans les services sociaux. Il y a de l'accueil, un support et un soutien qui se font autant pour les victimes de viol que pour les victimes de violence. Pourquoi faudrait-il multiplier les services mis à la disposition des victimes plutôt que de s'assurer de la qualité des services qui leur sont donnés et de la quantité des services, en termes d'accessibilité aux services? Mais pourquoi vouloir, parallèlement aux services dispensés dans les services sociaux qui couvrent tout le territoire, un service supplémentaire?

M. Rizkalla: Simplement pour donner le support législatif nécessaire. C'est bien important. Le service rendu demeure un service rendu et, à un moment donné, pour des raisons de réorganisation ou autre considération de type économique et financier, ce service peut être retiré, tandis que le support législatif fait que ce service doit être maintenu et doit être créé même s'il n'existe pas à ce moment-là. C'est très important que le cadre législatif soit là pour rassurer la victime potentielle de l'accessibilité du service.

Mme Harel: Enfin, vous ne réclamez pas que l'IVAC elle-même dispense le service? Vous dites simplement: Il faudrait, dans une loi, pouvoir proclamer par une disposition le droit au service. Est-ce que je vous comprends bien?

M. Rizkalla: C'est cela.

Mme Harel: Très bien. En terminant, vous avez insisté pour que soit retiré l'article 311 sur la nécessité de faire rapport à la police. Vous nous dites que bon nombre de victimes ne font pas ce rapport par crainte de représailles et, j'imagine, d'humiliation possible ou d'ennuis. Elles font directement le rapport à l'IVAC. Vous semble-t-il que, si un tel rapport est fait, cela conduit automatiquement à une plainte et que donc il y a une poursuite? Dernièrement - la semaine dernière, sinon il y a à peine quinze jours - le ministre de la

Justice de l'époque, Marc-André Bédard, a déposé un nouveau protocole à l'intention de tous les intervenants: policiers, juristes et tout l'appareil judiciaire, à l'intention des victimes de viol disant qu'il fallait l'accord de la victime avant d'entamer une poursuite. Par exemple, pourrait-on croire qu'il faudrait aussi tenter qu'une telle disposition, l'article 311, soit maintenue dans la loi, c'est-à-dire la nécessité de faire rapport à la police, qu'il devrait y avoir dans le cas des victimes d'actes criminels une disposition disant qu'avant qu'il y ait poursuite il faut qu'il y ait accord de la victime, comme pour les victimes de viol?

M. Rizkalla: Le point de vue que nous soutenons est le suivant: c'est prématuré tant qu'on n'aura pas offert à la victime toute la protection et le support dont elle a besoin et qui lui sont dus. Tant que ceci ne sera pas garanti, on ne peut pas exiger d'elle d'aller porter plainte à la police. Il ne fait aucun doute que ce protocole dont vous parlez est absolument un pas dans la bonne direction, mais il n'y a pas que la victime de viol qui est impliquée là-dedans.

Mme Harel: Je suis fort intéressée par ce que vous venez de dire. Dans le fond, vous concluez qu'en introduisant une disposition comme celle-là qui oblige un rapport de police, bon nombre de victimes vont tout simplement ne pas se présenter et donc ne pas bénéficier de la loi d'indemnisation...

M. Rizkalla: Exactement.

Mme Harel: ...pour ne pas avoir à faire le rapport de police.

M. Rizkalla: D'autant plus que l'IVAC a quand même une équipe d'enquêteurs capables d'aller vérifier le bien-fondé de la réclamation. Par conséquent, on n'a pas besoin de cette garantie supplémentaire de l'intervention policière pour vérifier l'admissibilité de la personne.

Mme Harel: Je vous remercie.

Mme Baril: Ici, on parle de bon nombre de personnes qui ne rapportent pas à la police. Dans le cas des clients de l'IVAC, ce n'est pas le cas. La plupart des clients de l'IVAC avaient déjà dénoncé à la police. Dans une étude, on a trouvé seulement 3% des personnes qui n'avaient pas dénoncé, mais on croit aussi que ces 3%, à cause de leur motivation, même si on leur avait offert l'indemnisation, ne seraient pas allées plus à la police.

Mme Harel: Très bien, je vous remercie.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: Merci, M. le Président. D'abord, je note, en cette Journée internationale de la femme, que votre groupement est représenté par trois femmes sur quatre représentants. Donc, c'est très bien. Je vous félicite.

J'aurais seulement deux ou trois questions. Vous avez parlé d'harmoniser les différents régimes et M. Rizkalla, ensuite, a parlé d'universaliser ces régimes. Vous savez qu'il y a différents régimes qui existent. Ils ne sont pas tous les mêmes et les bénéfices varient d'un système à l'autre. Quand vous demandez d'harmoniser, vous voulez que la victime d'un acte criminel soit harmonisée avec quel régime exactement? Avec le régime de ceux qui sont victimes d'accidents du travail?

M. Rizkalla: Non, c'est-à-dire que nous considérons que la victimisation de la route, la victimisation des accidents du travail et la victimisation par le fait d'un acte criminel sont trois types de victimisation qui mènent finalement à des préjudices semblables. Lorsque le préjudice est identique, il faudrait que le traitement soit aussi identique. C'est l'harmonisation que nous recherchons.

M. Polak: D'accord. Deuxième point. Mme Baril a fait un calcul en vertu de l'article 308. J'en ai été personnellement étonné quand je l'ai lu. On donne 80% de l'indemnité. Cela veut dire que 80% de 90% donne 72%. C'est clair, mais je n'ai pas compris la raison. Vous avez expliqué que c'est le ministère de la Justice qui a rédigé la section des articles 304 et suivants dans le projet de loi 42. Avez-vous eu des discussions avec des officiers du ministère de la Justice là-dessus? Pourquoi en sont-ils venus à cette formule? Pourquoi ont-ils utilisé tel texte et pas tel autre? Est-ce qu'il y a eu des discussions ou pas du tout?

Mme Baril: Non. Je crois, pour autant que je sache, que les personnes qui sont préoccupées par la question des victimes d'actes criminels n'ont pas été consultées.

M. Rizkalla: C'était le forum qu'on attendait pour pouvoir exprimer ces vues.

M. Polak: D'accord. Vous avez parlé au début de la situation que le gouvernement vous présente, à savoir que c'est un retour en arrière. Je ne connais pas exactement l'état actuel du point de vue des chiffres, mais ce qu'on suggère maintenant quant aux bénéfices qui vont être payés seront-ils moindres que le statu quo? Vous n'avez reçu aucune justification, à savoir comment on en est arrivé à cette recommandation?

Mme Baril: On ne sait pas pourquoi c'est moindre. On ne sait pas pourquoi c'est réduit. On ne sait pas pourquoi les 80%, 72% ou 56%, enfin, tous ces nouveaux pourcentages. Il y a peut-être eu des calculs en fonction de quelque chose, mais on ne le sait pas.

M. Polak: D'accord. Je ne voudrais pas poser une question pénible, mais je voudrais quand même savoir si vous croyez qu'il sera encore utile d'avoir le ministre de la Justice avec nous. Le ministre ici est bien gentil sur le plan personnel. Il a bien reçu vos commentaires. Il a donné ses idées personnelles et il est passablement éloigné de ce que vous réclamez, mais on ne sait jamais dans un cabinet ce qu'un autre va dire.

Personnellement, je crois qu'il serait utile d'inviter le ministre de la Justice. On peut même conjointement faire pression sur lui. Est-ce que vous seriez prêts, si le ministre nous faisait l'offre d'inviter le ministre de la Justice, à revenir pour une demi-heure, à une date qui conviendrait à tout le monde? Ce serait pour connaître justement la raison pour laquelle on nous propose quelque chose de moins bon que ce qui existe déjà dans l'harmonisation du système.

M. Rizkalla: Pour nous, je pense qu'il y a une chose essentielle, c'est qu'on soit de nouveau consulté, une fois que la nouvelle rédaction, dont a parlé le ministre, sera faite. À ce moment-là, nous serons tout disposés à mettre à votre disposition les commentaires que nous pourrions avoir. Quant à pouvoir se prononcer dès à présent, si, après la deuxième rédaction, nous jugeons essentiel de revenir faire des représentations devant le ministre de la Justice, je crois que, moi, personnellement - je ne me prononce pas au nom de mes consoeurs -j'aimerais d'abord voir le texte amendé avant de dire que oui, j'aimerais pouvoir venir verbalement faire les représentations ici.

M. Polak: Oui, mais il faut bien comprendre que, quand le projet de loi sera réécrit, il n'y aura plus d'audiences publiques. Ce stade est fini. On passe à la deuxième lecture. Le temps de convaincre le ministre de la Justice du bien-fondé de votre position serait de faire cela d'ici une ou deux semaines, avant que le tout se termine.

M. RizkaUa: Encore une fois, pour moi, personnellement, ce ne sera certainement pas une difficulté majeure que de venir une autre fois. J'invite mes consoeurs à se prononcer.

Mme Baril: Je pense la même chose pour moi et pour l'École de criminologie. J'étais heureuse d'apprendre les intentions et les propositions du ministre du Travail. Je pense que ce serait aussi important d'être consulté et d'être entendu par le ministre de la Justice. Peut-être que le centre international a la même position.

Mme Durand: Oui, exactement.

M. Fréchette: Alors, je m'excuse. Est-ce que vous avez terminé?

M. Polak: Non, quant à moi, M. le Président, cela me satisfait.

M. Fréchette: C'est juste un commentaire que je voulais ajouter, M. le Président, par rapport à la discussion qui se déroule actuellement. Si je comprends bien, cela rejoint en quelque sorte le compromis dont on a parlé au tout début de nos travaux, lorsque la discussion à laquelle vous avez assisté s'est engagée. Vous nous dites que vous souhaiteriez pouvoir rencontrer le ministre de la Justice sous la réserve dont on a parlé, c'est-à-dire que, si les décisions annoncées vous donnaient satisfaction, cela réglerait, me semble-t-il, une bonne partie du problème, sinon tout le problème. Si cela ne vous donne pas satisfaction, vous souhaitez pouvoir le rencontrer. C'est comme cela que j'interprète les désirs que vous manifestez.

M. Rizkalla: Certainement. M. Fréchette: Bien.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: Merci, M. le Président. Quand on arrive à la fin de la tournée, il reste peut-être moins de questions à poser puisque plusieurs ont déjà été posées. On a eu des réponses très satisfaisantes dans l'ensemble. Il y a une chose, par contre, que je voudrais vous dire. Le député de Sainte-Anne y a un peu ouvert la porte. Je voulais d'abord féliciter l'implication des femmes qui sont à la table. Vous êtes trois sur quatre et je pense que c'est une bonne moyenne, d'autant plus que cela correspond à la journée de la femme. Je vous invite, mesdames, à continuer à vous impliquer dans les différents niveaux de la société, que ce soit dans un organisme comme le vôtre, en politique municipale ou provinciale, peu importe. Dans la mesure où les femmes prendront de plus en plus de place, les lois refléteront les besoins des femmes.

M. Polak: ...

M. Lavigne: On sait... Pourquoi pas?

Mme Harel: Une petite remarque, M. le député.

M. Lavigne: Je ne veux pas ouvrir un débat...

Mme Harel: Une petite remarque pour dire que, si on peut les féliciter, je ne pense pas que nos invités puissent féliciter les formations politiques qui sont ici.

M. Lavigne: C'est pour cela que j'insiste pour que les gens qui seront en face de nous félicitent éventuellement les partis politiques qui auront un meilleur équilibre dans la représentation. Ceci dit, c'est d'autant plus important d'insister sur cette question que je suis convaincu, même si, à la suite d'une question de Mme la députée de Maisonneuve, vous avez répondu qu'il y avait plus de victimes chez les hommes que chez les femmes... Je ne suis pas un spécialiste de la question et j'ai été très étonné d'entendre la réponse. Je suis à peu près persuadé que, si on avait un juste portrait de la situation et qu'on connaissait tous les cas de victimes, cela changerait vos statistiques. J'ai le sentiment qu'il y a plus de femmes victimes d'actes criminels qu'il y a d'hommes. Si on additionnait tous les cas de viol, d'inceste et de femmes battues, je suis certain qu'on en arriverait à un revirement des chiffres. C'est une des raisons pour laquelle je suis content de voir qu'il y a quand même autant de femmes qui représentent les deux organismes que nous avons devant nous. Je suis d'accord avec l'ouverture faite par le ministre. Je voudrais vous rassurer, ainsi que les gens de l'Opposition, quant à la position qui devrait être prise par le gouvernement dans la réécriture de son projet de loi. J'ai commencé un lobbying très sérieux qui va dans ce sens-là. Je pense que, si le ministre a pu ouvrir un peu la porte, c'est peut-être à cause des sons de cloche que nous avons eus à partir du lobbying qui a déjà été entrepris auprès des membres du gouvernement. (12 h 15)

Je ne voudrais pas aller au-delà de ce que le ministre a dit, mais je peux vous assurer que nous nous dirigeons vers de tels amendements. Je peux aussi vous dire que l'ensemble de mes collègues du gouvernement, à la suite des représentations que j'ai faites auprès d'eux lors du dernier caucus, abondent dans le sens des modifications voulues par le ministre et selon vos recommandations. Si ces propos peuvent vous rassurer, j'en suis fier. Quant à moi, je ne lâcherai pas le morceau; je veux que cela aille dans ce sens. Je pense que l'indemnisation d'une victime d'acte criminel

est une responsabilité globale, c'est une responsabilité qui, dans une société qui se dit moderne, doit être prise et c'est un fardeau qui doit être assumé par l'ensemble de la collectivité. Je ne vois pas pourquoi on accepterait une non-harmonisation avec les victimes d'accidents d'automobile ou les victimes d'accidents du travail. Je tiens à ce que cette harmonisation se fasse.

Vous avez soulevé la question de l'article 311 sur l'obligation de se présenter à la police. Je vous laisse le soin d'évaluer -je sais que Mme la députée de Maisonneuve est intervenue sur cette question - si cela doit nuire, si on doit l'enlever. Si cela doit aider, il faut le laisser. Je ne suis pas assez renseigné, je n'ai pas assez de données pour me diriger vers une proposition qui l'enlèverait plutôt que de le laisser, parce que je ne suis pas assez certain de l'effet de l'article 311. Si vous étiez capable de me rassurer, on pourrait...

M. Rizkalla: Nul doute que dans l'état actuel des choses, cela ne peut que nuire. Cela ne peut absolument pas aider pour la simple raison que les victimes ne se sentent pas assez rassurées, ne sentent pas que l'État leur fournit la protection et le support dont elles ont besoin pendant leur démarche devant les tribunaux pour, sans hésiter dans le cas de certains délits particuliers, aller porter plainte à la police. Je me réfère encore à ce que Mme la députée disait tantôt: il y a un bon pas de fait dans la bonne direction par le protocole annoncé en ce qui concerne les victimes de viol, mais c'est strictement en ce qui concerne les victimes de viol. Ce n'est pas encore assez vaste pour permettre à tous les types de victimes qui peuvent avoir des craintes ou des réticences d'aller à la police. On n'a pas encore suffisamment développé de moyens de les protéger et de les appuyer pour les obliger, par une disposition législative, à aller porter plainte à la police dans tous les cas, pour pouvoir bénéficier de l'aide.

Mme Baril: On aurait voulu savoir, d'ailleurs, pourquoi cet article a été introduit dans la loi. Si on en connaissait la motivation, on serait plus en mesure d'évaluer.

M. Lavigne: On pourrait, madame, laisser le ministre répondre là-dessus.

M. Fréchette: J'étais préoccupé par autre chose, tout en ne vous perdant pas de vue, bien sûr. Vous nous parlez de la disposition qui oblige à aller chercher un rapport de police et, l'un des motifs qui a présidé à cette disposition, c'est sans doute d'être certain qu'il y a effectivement eu acte criminel et conséquences graves pour la victime et d'en informer les autorités compétentes pour que tous les renseignements pertinents au dossier puissent être connus de la part de ceux et celles qui auront à traiter le dossier. C'est sans doute un des éléments importants qui a motivé l'introduction dans la loi de cette disposition. Il y a peut-être d'autres considérations sur lesquelles on pourrait revenir à l'occasion d'une éventuelle rencontre ou qu'on pourrait approfondir, mais c'est sans doute un des aspects qui a été retenu pour cela.

M. Rizkalla, quand je vous entends plaider dans le sens que vous évaluez que cela va être, par rapport à l'état actuel des choses, nuisible plutôt qu'utile, que cela contribuerait, nous dites-vous, à dévaluer le système plutôt qu'à l'améliorer, pour le motif que vous nous avez indiqué, c'est-à-dire l'insécurité dans laquelle se trouvent les victimes d'aller devant un officier de police ou à une station de police pour effectivement faire cette espèce de confession, entre guillemets, vous avez toute l'expertise en cette matière et c'est la conclusion à laquelle vous en arrivez, c'est évidemment une conclusion ou une constatation dont il faut tenir compte.

M. Rizkalla: À noter que c'est un très faible pourcentage de victimes qui hésitent à aller à la police. Donc, pour essayer de récupérer 3% de plaintes à la police, on risque de porter un certain nombre de victimes à s'exclure d'elles-mêmes des bénéfices du système. C'est dans ce sens que je considère que cela porterait préjudice à, entre guillemets, l'universalité restreinte du système par rapport aux victimes actuellement admissibles.

M. Lavigne: Je conclus mes quelques commentaires sur la page 8 de votre document où, au point 2.2, on parle de l'équité et, effectivement, il y a plusieurs points d'interrogation dans cette page. Je l'ai lue avec attention et, quand vous dites: Comment justifier cette inéquité, je vous dis que cela ne se justifie pas, effectivement. Quand vous dites aussi: Les victimes d'actes criminels auraient-elles moins de droits et moins de besoins, je dis que non. Seraient-elles moins méritantes, je dis aussi que non. Donc, il y a effectivement une espèce de discrimination par rapport aux autres victimes, que ce soient des victimes de la route ou les victimes d'accidents du travail et, précisément, les dispositions que nous retrouvons dans cette partie de la loi ne se justifient pas. C'est à partir de ce point que j'ai entrepris de me battre pour égaliser ou harmoniser avec les autres genres de victimes, qui sont celles des accidents du travail et des accidents de la route. J'espère que vous aurez satisfaction ou une oreille attentive de la part du gouvernement. Merci beaucoup.

M. Rizkalla: M. le Président, avant qu'on nous donne congé, M. le ministre a eu l'obligeance tantôt de faire référence à son implication à la Société de criminologie; il l'a fait avec tellement de modestie que je ne peux me permettre de passer cela sous silence. Je voudrais tout simplement lui rappeler que, lors de son implication comme vice-président de la Société de criminologie pendant deux ans, nous avions eu le plaisir d'aller dans sa région faire un colloque sur l'implantation et l'évaluation de la nouvelle -à l'époque - Loi sur la protection de la jeunesse et que nous nous attendions à une participation d'environ 50 à 75 intervenants. C'est grâce à son enthousiasme et à son grand rayonnement dans sa région que nous avons eu presque 200 participants dans une salle pleine à craquer. M. le ministre, merci.

M. Fréchette: C'est pour ça, M. Rizkalla, que je vous parlais de bons souvenirs tout à l'heure.

Le Président (M. Paré): Je remercie les membres...

M. Polak: M. le Président...

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: On ne reçoit pas d'éloges quand on se donne des éloges nous-mêmes. Au nom de l'Opposition, on voudrait remercier ceux qui sont venus devant nous. Comme vous le savez, vous avez un très bon contact avec le ministre. Le député de D'Arcy McGee est un de vos professeurs à l'Université de Montréal, vous le connaissez très bien. Je vous remercie d'être venus ici et, si on a besoin de vous plus tard pour inviter le ministre de la Justice, vous aurez notre entière collaboration.

Le Président (M. Paré): Mesdames et monsieur, au nom de tous les membres de la commission, nous vous remercions d'avoir pris le temps de préparer un mémoire, de venir le soumettre et de répondre à nos interrogations. Merci beaucoup d'être venus.

Nous allons maintenant suspendre les travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 24)

(Reprise de la séance à 15 h 10)

Le Président (M. Paré): Bonjour, mesdames et messieurs. À l'ordre, s'il vous plaît! La commission élue permanente du travail reprend ses travaux dans le but d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42.

Nous entendrons cet après-midi les groupes suivants, qui vont se faire entendre dans l'ordre: la Chambre des notaires du Québec, l'Association du camionnage du Québec Inc., Plaidoyer-Victimes, la Clinique juridique de Hull.

J'inviterais immédiatement...

M. Cusano: M. le Président...

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Viau.

M. Cusano: Avant de demander à nos prochains invités de prendre place à la table, je suis convaincu que ces gens connaissent très bien la loi 90, Loi sur l'Assemblée nationale. Je laisse à votre bon jugement de décider si, oui ou non, il faut leur faire lecture de l'article 53.

M. Polak: II faut toujours le faire.

Le Président (M. Paré): Puisque j'ai une demande, je vais le faire. Ce sera plus rapide que d'avoir une discussion concernant la lecture ou la non-lecture. L'article 53 de la Loi sur l'Assemblée nationale se lit comme suit: "Le témoignage d'une personne devant l'Assemblée, une commission ou une sous-commission ne peut être retenu contre elle devant un tribunal, sauf si elle est poursuivie pour parjure." Ceci étant fait, j'inviterais immédiatement la Chambre des notaires du Québec à prendre place ici à l'avant, s'il vous plaît!

Bonjour, bienvenue à la commission. Je vous inviterais maintenant à vous présenter et, ensuite, à faire lecture de votre mémoire.

Chambre des notaires du Québec

M. Morency (Simon): M. le Président, je suis le président de la Chambre des notaires, Simon Morency. Je vous présente les membres de la délégation: Me Serge Binette, notaire, professeur à l'Université Laval; Me Denis-Claude Lamontagne, également notaire, travaillant à la Direction de la recherche et de l'information de la Chambre des notaires.

Comme j'ai la ferme conviction qu'il ne s'agit pas d'un tribunal et que nous sommes en matière non contentieuse, nous n'avons pas cru bon de requérir le ministère d'avocats et nous procédons nous-mêmes. Sans plus tarder, j'invite nos porte-parole à s'exécuter.

M. Binette (Serge): M. le Président, les représentations de la Chambre des notaires vont porter exclusivement sur l'article 213 du projet de loi qui prévoit l'existence d'un privilège en faveur de la commission portant sur les biens meubles et immeubles de l'employeur, prenant rang immédiatement après les frais de justice. Cet article est

semblable à l'ancien article 110 du chapitre A-3 de la loi actuelle; le texte est semblable, mais le texte de l'article 110 se terminait par les mots "sans enregistrement". Donc, aujourd'hui, l'article 213 est une amélioration sur l'ancienne loi. Par contre, à la lecture de l'article 213, on se pose la question: Le privilège doit-il être enregistré ou non enregistré? Nous avons la réponse à l'article 2015 du Code civil. En matière immobilière, les privilèges doivent être enregistrés suivant les règles prévues au chapitre de l'enregistrement. (15 h 15)

Or, au chapitre de l'enregistrement, nous avons l'article 2121 qui prévoit qu'un privilège en faveur de la couronne doit être enregistré au moyen d'un avis. Nous avons l'article 2086 qui stipule que, si un tel privilège qui doit être enregistré n'a pas été enregistré par un tel avis, il est inopposable à l'encontre de la couronne; donc, la couronne n'a pas de privilège si elle n'enregistre pas l'avis. Cependant, à l'article 2121, l'avis dont on parle, il s'agit d'un privilège de la couronne. Or, la commission, selon le projet de loi, est un agent de la couronne. Est-ce que la commission, agent de la couronne, doit suivre les mêmes formalités que pour le privilège de la couronne? Nous pourrions peut-être dire par analogie; Oui, la commission qui voudra invoquer son privilège devra l'enregistrer au moyen d'un avis conformément à l'article 2121, par analogie.

Dans les circonstances, nous voyons que la couronne aura un privilège et, en raison de l'article 2015, nous constatons que la couronne devra enregistrer le privilège, mais, à toutes fins utiles, selon les dispositions actuelles de la loi et du Code civil, nous ne savons pas comment sauf que, par analogie avec l'article 2121, on pourrait dire au moyen d'un avis.

Dans les circonstances, nous proposons l'une des deux choses suivantes, ou les deux: à l'article 2121 du Code civil où l'on mentionne comment la couronne peut enregistrer son privilège, que l'on ajoute à cet article: "La même règle s'applique aux créances de la couronne" les mots "ou d'un agent de la couronne..." Donc, si on ajoute les mots "d'un agent de la couronne" à l'article 2121, nous savons que la couronne, non seulement a un privilège, mais qu'elle devra l'enregistrer selon cet avis prescrit à l'article 2121. Toujours en parlant de l'article 2121, s'il était amendé ou modifié au Code civil en ajoutant les mots "d'un agent de la couronne", cela vaudrait pour tous les privilèges que la couronne voudrait dorénavant créer en faveur d'un agent de la couronne. On n'aurait pas besoin d'y revenir. Cela serait fait pour toujours.

La deuxième façon de procéder, ce serait d'ajouter à l'article 213 de votre projet: L'enregistrement de ce privilège, le cas échéant, se fait conformément à l'article 2121 du Code civil. Si vous l'ajoutez à l'article 213 de votre projet, la solution est toute indiquée: vous vous référez à l'article 2121 du Code civil. Par contre, il sera peut-être préférable de modifier l'article 2121, parce que cette modification vaudra pour tous les privilèges de la couronne et de ses agents. Ce sont les seules représentations de la Chambre des notaires.

Le Président (M. Paré): Je vous remercie beaucoup, messieurs. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous, M. le ministre.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Nous allons suivre l'exemple qui vient de nous être donné, quant à moi, en tout cas, et cela va être très bref. On aurait peut-être pu communiquer avec nos invités avant qu'ils viennent nous voir pour leur indiquer la position que nous allions adopter par rapport à leurs représentations. Mais, égoïstement, je ne voulais pas me priver du plaisir de revoir un de mes vieux confrères de classe venir plaider pour la Chambre des notaires. Si on était devant une instance judiciaire, notaire Binette et notaire Morency, je vous dirais tout simplement: Requête accordée.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Saguenay.

M. Maltais: M. le Président, devant la collaboration extraordinaire du ministre, je pense que cela coupe un peu nos discussions. Cependant, je pense que mes collègues de Louis-Hébert et de Sainte-Anne auraient de courtes questions à poser à la Chambre des notaires.

M. Doyon: Je veux simplement saluer les représentants de la Chambre des notaires et un quasi-voisin, Me Morency. Il me fait plaisir de le voir ici. Les deux suggestions qui nous sont faites visent le même but, sauf que la seule hésitation que j'ai vis-à-vis de la première, c'est: Est-ce que vous considérez comme opportun de modifier le Code civil au moyen d'une loi qui est une loi sur les accidents du travail? Quand on recherche l'état du droit - vous en savez quelque chose - c'est extrêmement difficile de savoir ce qui en est, compte tenu de la réforme du droit civil qui est enclenchée ou qui devrait s'enclencher. Je me demande s'il n'y aurait pas avantage, pour éviter ce méli-mélo qui est souvent celui de la législation par voie... Quelqu'un qui voudrait savoir comment est amendé l'article 2121 aurait besoin de chercher longtemps avant de penser d'emblée que cela pourrait être par la voie de ce projet de loi 42 sur l'indemnisation des victimes d'accidents du

travail. Peut-être que la deuxième suggestion de mettre une disposition dans cette loi qui y est spécifique, quitte à ce qu'on règle le cas des autres agents de la couronne plus tard, lors d'une refonte plus globale du Code civil... En tout cas, c'est la seule remarque qui me vient ici, mais les deux atteignent le même but, sauf qu'il y en a une qui est plus globale que les autres et qui peut perpétuer une façon de faire les choses qui n'est pas, à mon avis, la meilleure façon de légiférer. Je ne sais pas si vous avez des idées sur cela. D'une façon ou d'une autre, votre requête me paraît complètement fondée et on doit lui donner suite.

M. Morency: Nous abondons dans le même sens, M. Doyon. Je pense que vous avez tout à fait raison, c'est un fouillis après pour se retrouver. Alors, soit procéder à un amendement distinct pour le Code civil ultérieurement, qui serait de portée générale, et agir incessamment entre-temps.

Le Président (M. Paré): M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: Juste une question. On a eu la même discussion à peu près il y a un an, concernant le droit d'Hydro-Québec. Comme avocat, je m'oppose énormément au fait que, pour les créanciers ordinaires, il ne reste plus rien. L'État est tellement bien protégé, il vient avant tout le monde, tout le temps. Si un notaire vendait un immeuble dans les bons vieux jours, il appelait juste la municipalité et la commission scolaire pour savoir quelles étaient les taxes sur cela. Maintenant, il est obligé de vérifier si le compte d'Hydro-Québec est dû. Eux, ils sont protégés. Maintenant, on a la CSST qui a un privilège sur les biens de l'employeur. Qu'arrive-t-il du pauvre type qui vend, par exemple, des tapis? Il n'est pas protégé, lui. C'est un fournisseur ordinaire et un créancier ordinaire. Je m'oppose formellement à cela. J'aimerais avoir le soutien de la Chambre des notaires du Québec pour dire, un peu dans le même sens que le député de Louis-Hébert, que dans toutes ces lois spéciales on dérange tout le temps. À un moment donné, le beau système qu'on a dans le Code civil ne s'applique plus parce qu'on commence à élargir la grille tout le temps. Donc, êtes-vous d'accord que par toutes ces lois spéciales on commence à bouleverser le système de telle manière qu'il y a de moins en moins de protection pour un créancier ordinaire? Que doit-il faire pour se protéger? L'État vient avant tout le monde. Personnellement je ne vois pas de raison pour que la CSST vienne avant d'autres créanciers.

M. Binette: Nous abondons dans le même sens parce que, chaque fois que la couronne intervient par des statuts spéciaux, elle se place toujours au premier rang après les frais de justice. Quant à nous, nous jugeons que c'est purement arbitraire. Donc, nous ne pouvons pas faire tellement de représentations si ce n'est de vous dire ou vous répéter ce que vous venez de dire, qu'il n'y a pas nécessairement justice lorsque la couronne se place au premier rang. C'est sûr que tous les autres créanciers passent après, y compris le fournisseur de matériaux, le constructeur, l'architecte et ainsi de suite, qui ont tout payé et qui ont une créance privilégiée d'un rang inférieur. Alors, c'est lui qui perd tout et la couronne est toujours payée la première. C'est certain, c'est le résultat ni plus ni moins d'une décision arbitraire pour laquelle nous n'avons pas droit au chapitre; nous abondons dans votre sens.

M. Polak: M. le Président, je voudrais faire remarquer au ministre que ce matin je lui ai demandé de communiquer avec son collègue de la Justice concernant les victimes d'accidents et de crimes. Peut-être que vous pourriez en même temps parler de l'observation générale de la Chambre des notaires, dont le député de Sainte-Anne dit qu'il est à peu près temps qu'on commence à ne plus privilégier la couronne et qu'on pense au monde ordinaire des créanciers. Prenez-vous note de cela, M. le ministre?

M. Fréchette: Comme les demandes du député de Sainte-Anne sont irrésistibles, M. le Président, on va inclure cela dans le même mandat.

M. Polak: Merci. Parfait.

Le Président (M. Paré): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci. Je voudrais tout simplement remercier les membres de la Chambre des notaires d'avoir présenté un mémoire. Je les remercie particulièrement parce que le ministre vient de donner suite à votre requête qui, dans un sens, est une indication qu'il est prêt à porter beaucoup de changements au projet de loi 42. C'est une espèce d'affirmation à ce moment-ci. Alors, votre présence a beaucoup été appréciée. Merci.

Le Président (M. Paré): Messieurs de la Chambre des notaires du Québec, merci beaucoup de votre participation à la commission.

M. Morency: Nous aimerions être plus présents dans les instances gouvernementales. Je vous remercie de votre audition, vous avez été bien aimables.

M. Fréchette: Est-ce possible que vous soyez plus efficaces que des avocats?

M. Morency: Pourquoi pas?

M. Fréchette: Cela prend moins de temps, en tout cas.

M. Morency: Je demanderais que ce soit inscrit au procès-verbal.

M. Fréchette: Cela l'est. Une voix: Cela l'est, oui.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. J'inviterais immédiatement les représentants de l'Association du camionnage du Québec Inc., à prendre place à la table, s'il vous plaît! Bonjour, bienvenue.

M. Cusano: M. le Président.

Le Président (M. Paré): M. le député de Viau.

M. Cusano: Je suis sûr, enfin, il me semble que les deux personnes qui se sont approchées de la table étaient ici, dans le salon rouge, lorsque vous avez fait lecture de l'article 53. Si elles n'y étaient pas, peut-être serait-il nécessaire de le faire.

Le Président (M. Paré): Vous me demandez si je vais relire cet article. Effectivement, je crois que les gens étaient ici lorsque je l'ai lu et, comme cela ne fait pas tellement longtemps, je suis sûr que les gens ont non seulement bonne mémoire, mais ont compris ce que je voulais dire. Donc, je vous invite à vous nommer immédiatement et à nous présenter votre mémoire.

M. Cusano: M. le Président, je voulais seulement m'assurer qu'ils étaient ici.

Le Président (M. Paré): J'espère que vous l'êtes.

M. Lapalme (Jacques): Nous étions présents.

M. Cusano: Parfait!

Association du camionnage du Québec Inc.

M. Lapalme: Mon nom est Jacques Lapalme, président de l'Association du camionnage du Québec, et Jacques Alary, vice-président exécutif.

M. le Président, M. le ministre et les membres de la commission parlementaire, l'Association du camionnage du Québec est heureuse de pouvoir émettre ses commentaires sur le projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. L'Association du camionnage du Québec est le regroupement des transporteurs publics détenteurs des permis de la Commission des transports du Québec.

Notre association est formée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels du Québec et regroupe environ 800 membres. Elle est propriétaire de 41 000 véhicules, avec un chiffre d'affaires global d'environ 1 220 000 000 $ et près de 35 000 emplois directs au Québec.

L'Association du camionnage du Québec, l'ACQ, et, en particulier, ses membres, détenteurs de permis de transport ou transporteurs privés, est depuis longtemps intéressée par les questions qui touchent la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Avec des travailleurs dont le lieu de travail est une ville, une province et parfois même un continent, nous savons que le moyen d'action dont disposent les employeurs est avant tout la prévention par la formation et l'information des chauffeurs. À preuve, nous avons été un des tout premiers secteurs à former une association sectorielle paritaire en vertu des articles 98 et suivants de la loi 17. L'ACQ est également un des membres fondateurs du Centre patronal de santé et de sécurité du travail du Québec. Ces deux organismes ont pour objectif la formation et l'information de leurs membres dans les domaines de la santé et de la sécurité du travail.

Dans notre intervention, nous tenons à mettre l'accent sur ce qui nous paraît une lacune grave et sur un autre point qui nous touche directement. Il s'agit des artisans ou travailleurs autonomes. Cette emphase sur les travailleurs autonomes ne signifie pas que c'est là notre seul point de désaccord avec le projet de loi 42. Loin de là. Cependant, comme le mémoire du Conseil du patronat du Québec à la préparation duquel notre association a participé et qui traite déjà de façon globale ce projet de loi, nous nous limiterons à vous dire que notre association appuie le mémoire du CPQ dans son ensemble.

Les chauffeurs autonomes. Les articles 11 et 12 du projet de loi 42, en tentant de définir les relations qui peuvent exister entre travailleurs autonomes, ou artisans, et employeurs créent, à nos yeux, un imbroglio qui sera incontrôlable. De plus, ces chauffeurs autonomes seront pratiquement tenus à l'écart des programmes de formation et d'information qui sont les seuls moyens à notre disposition pour prévenir ou limiter les accidents ou maladies industrielles auxquelles les chauffeurs de camion sont exposés.

La loi 17 et ses règlements d'application ne prévoient que deux catégories d'intervenants: employés et employeurs. De plus, les syndicats sont

partout considérés comme les porte-parole des employés même si, dans l'industrie, 70% au moins des travailleurs ne sont pas syndiqués. Dans cette dualité, le projet de loi 42, aux articles 11 et 12, vient introduire une nouvelle catégorie de travailleurs, soit les travailleurs autonomes. Comme le mot autonome le dit bien, ils ne sont ni tout à fait indépendants ni tout à fait assujettis. Dans le cas qui nous concerne, les chauffeurs autonomes sont des personnes qui possèdent un camion ou un tracteur de semi-remorque et qui transportent, à court, moyen ou long terme, de la marchandise ou tirent des semi-remorques pour une entreprise de transport détentrice d'un permis de transport de la CTQ; ils sont, d'ailleurs, eux-mêmes détenteurs de permis de la CTQ.

L'article 12 précise qu'ils peuvent se faire remplacer ou s'adjoindre un ou des aides sans que l'employeur ait le moindre contrôle sur leur engagement et, par conséquent, sur leurs antécédents et la reconnaissance des normes ou règles de sécurité du métier. Ainsi, ces chauffeurs autonomes bénéficieraient d'un statut ambigu. En tant que chauffeurs, ils se retrouveraient classés dans l'unité de la CSST de leur employeur, unité qui pourrait varier quotidiennement selon leurs différents employeurs. En tant qu'autonomes, ils auraient la possibilité, par leur droit de se faire remplacer ou d'engager des aides, d'introduire dans l'unité précitée des individus sur lesquels l'employeur ignorerait tout sauf le nom. Or, la loi 17 oblige les employeurs à respecter de nombreuses règles et règlements de prévention, lesquels varient d'une entreprise à l'autre, pour tenir compte de la situation propre à chaque établissement. (15 h 30)

Comme nous avons affaire ici à des travailleurs qui, parfois, pourraient ne travailler que quelques jours pour un employeur donné, il est physiquement impossible pour celui-ci de s'assurer que ces travailleurs connaissent les normes de son entreprise ou établissement. En cas d'accident, le coût de celui-ci serait néanmoins imputé à son entreprise.

En cas de maladie professionnelle -dans notre cas, c'est plus fréquemment un mal de dos - l'article 233 dit: "Lorsqu'un travailleur atteint d'une maladie professionnelle a exercé plus d'un emploi correspondant à sa maladie, dont au moins un pour un employeur tenu personnellement au paiement des prestations, la Commission détermine par qui les prestations doivent être payées et établit la quote-part de chacun."

Avec des travailleurs qui passent fréquemment d'un employeur à l'autre comme les chauffeurs autonomes, il sera tout simplement impossible d'appliquer équitablement cet article. Par conséquent, nous demandons que les chauffeurs qui ont décidé de devenir indépendants en se procurant un camion ou un tracteur et un permis pour transporter la marchandise ou tirer les semi-remorques d'autrui soient considérés comme ce qu'ils sont effectivement, soit des entreprises indépendantes. Ainsi, la CSST pourra leur attribuer un numéro d'unité propre avec la tarification qui convient à leur expérience et à leur spécialité. Étant identifiés, plutôt que dilués à l'infini, il sera alors possible pour eux de mettre sur pied un système de formation et d'information adapté à leurs besoins. Voilà le point de vue de l'ACQ sur le cas des chauffeurs autonomes et nous vous prions instamment de le prendre en considération pour éviter de créer un nid de chicanes et de conflits sans fin.

Alors que pratiquement tout ce qui touche à la santé et à la sécurité du travail est abordé selon la formule du paritarisme, nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi cette formule deviendrait subitement inopérante dans le domaine des contributions financières. Si la formule du paritarisme est efficace au plan de la formation et de la prévention, elle devrait l'être tout autant au plan du financement. Est-ce la recherche de la facilité: percevoir que d'un seul partenaire plutôt que de deux? Est-ce la crainte d'innover ou la résistance au changement? Il ne s'agit pourtant pas d'une idée neuve. Les comités paritaires fonctionnent depuis longtemps, avec un financement paritaire. Jamais encore n'avons-nous entendu dire que ce mode était inadéquat. Bien au contraire, les deux contribuables sont également et directement intéressés à maintenir les coûts aussi bas que possible. Ils cherchent mutuellement des solutions pour les réduire ou les limiter.

Avec la formule proposée et utilisée par la CSST, un seul des partenaires est intéressé à limiter les coûts et toutes ses démarches paraissent a priori suspectes au partenaire non intéressé, lequel a alors tendance à se comporter en adversaire. On aboutit ainsi à du gaspillage parce qu'on se prive de l'apport inventif des employés dans la recherche de moyens ou de solutions économiques à des problèmes qu'ils connaissent bien. Ceci nous paraît une lacune grave. C'est pourquoi nous demandons qu'on adopte la formule paritaire également au plan du financement des programmes.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. M. le ministre.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je remercie M. Lapalme, le président de l'Association du camionnage du Québec. On a entrepris un après-midi qui a l'air de vouloir procéder rapidement. Les mémoires sont

courts; les questions se règlent vite. Je retiens comme première considération d'ordre général que vous appuyez essentiellement le contenu du mémoire que nous a présenté le Conseil du patronat du Québec, qui, lui, par ailleurs, est très étoffé et va dans tous les détails. Il procède même à une étude de la loi, article par article.

Cependant, il y a un aspect du mémoire du Conseil du patronat du Québec sur lequel vous revenez, mais vos représentations vont beaucoup plus loin que celles que le Conseil du patronat du Québec nous a soumises au moment où il est venu en audition. C'est ce qu'on retrouve à la page 7 de votre mémoire et que vous identifiez comme étant une lacune grave, la lacune grave, si je vous ai bien compris, étant le fait que les salariés ne sont pas impliqués dans le système de cotisation du système de santé et de sécurité. Au meilleur de mon souvenir, le Conseil du patronat nous avait indiqué qu'il lançait quant à lui l'idée d'une reconsidération de la situation pour engager un débat public sur cette question. Votre association, quant à elle, va plus directement au but et elle est d'opinion -cela me semble très clair dans le mémoire -qu'une décision devrait être prise et que la contribution ou la cotisation au régime de santé et de sécurité devrait être paritaire, dites-vous, ou on devrait demander aux salariés de cotiser pour la moitié du coût ou dans une autre proportion, peu importe.

Parlons du principe pour le moment, si vous n'avez pas d'objection. Je n'entreprendrai pas, bien sûr, de refaire tout l'historique des principes qui, au début des années trente, ont présidé à l'adoption de la Loi sur les accidents du travail, comme on la connaît actuellement, sauf, peut-être, pour rappeler que cette loi a été le fruit d'une espèce de compromis intervenu entre les employeurs et leurs salariés. Il semble évident, pour quiconque regarde un peu l'historique de cette loi, qu'à cette époque les employeurs ont constaté que cela devenait fort rigoureux financièrement que de se retrouver assez souvent devant les tribunaux de droit commun pour faire face à des actions en dommages que pouvaient leur intenter des salariés qui avaient subi des dommages dans l'entreprise.

Évidemment, quand on était en face d'accidents de nature mineure, cela avait moins d'impact. Vous savez, un employeur qui se retrouvait avec une poursuite en dommages, à l'époque, de 15 000 $, 20 000 $ ou 25 000 $, c'était considérable et si, par malheur, il en arrivait deux ou trois dans la même année de même nature, cela pouvait avoir des conséquences désastreuses et conduire même à de telles difficultés qu'il fallait envisager de discontinuer les opérations.

À partir de cette constatation, ce compromis dont je vous parlais tout à l'heure a été à peu près le suivant: les salariés ont renoncé à poursuivre devant les tribunaux pour des dommages qu'ils pouvaient encourir à l'occasion de l'exercice de leurs activités professionnelles. Par ailleurs, les employeurs acceptaient, de leur côté, de cotiser à ce régime de santé et de sécurité et acceptaient également que les accidents du travail, en termes stricts de compensation, soient compensés effectivement par les cotisations qu'ils avaient souscrites.

Ma question a un double volet: Est-ce que c'est ce principe, enfin, ce compromis, qui est intervenu au début de l'application de la loi, dans les premières années de la décennie de 1930, que vous remettez en question, et formellement? Deuxièmement, si c'est dans ce sens que votre représentation nous est faite, est-ce qu'il ne nous faudra pas considérer la possibilité qu'un travailleur, par exemple, ou une travailleuse qui prétendra ne pas avoir été correctement et justement compensé matériellement à la suite d'un accident du travail puisse exercer partiellement ou totalement un recours devant les tribunaux de droit commun? C'est une situation qui a un angle double. Vous comprenez où va ma préoccupation pour le moment et j'apprécierais vous entendre sur ces deux questions.

M. Alary (Jacques): M. le ministre, si vous me permettez. Il ne faut pas oublier que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est considérée comme une compagnie d'assurances. Une compagnie d'assurances a des bénéfices qu'elle donne si un travailleur se blesse ou si une personne y fait appel. Ce n'est pas nécessairement le principe qui a été retenu en 1930, le fait que le patronat disait: D'accord, on va accepter de payer les primes et, vous, vous allez accepter de limiter votre poursuite. Ce n'est pas nécessairement ce principe qu'on veut mettre en cause, mais c'est plus le fait que, plus on va dans l'administration de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, plus on voit des actions qui sont amenées sur une base paritaire. Toutes les décisions au niveau des comités de santé et de sécurité se font sur une base paritaire. La décision au niveau du conseil d'administration de la santé et de la sécurité se fait sur une base paritaire et on croit, nous, qu'en demandant aux employés une participation financière... parce que la cause des accidents n'est pas seulement la cause des employeurs. Dans bien des cas, cela peut être l'employé qui a commis une faute et qui a eu ou a subi un accident, ce qui l'a amené à faire une demande d'indemnisation ou de réparation à la commission de santé. On croit, nous, que, si les employés participent avec le patronat au financement, cela va leur faire prendre plus conscience du fait qu'il y a peut-être

lieu, lorsqu'on fait des demandes dans un sens... Si on en a à subir des coûts en tant qu'employés, les demandes vont peut-être se faire d'une façon différente et il va peut-être y avoir des pacotilles qui vont tomber. En fin de compte, ceux qui ont vraiment besoin des avantages du système de santé et de sécurité vont en bénéficier. Ce n'est pas du tout de remettre en cause le principe qui a été décidé en 1930. C'est plutôt une participation, à savoir qu'on a depuis ce temps-là fait participer les employés et, aujourd'hui, quant à les faire participer au niveau de tout pouvoir décisionnel, qu'ils participent aussi au niveau du pouvoir financier.

M. Fréchette: 0e comprends très bien votre argumentation, sauf que je peux difficilement la partager totalement, au moins sous un aspect que vous évoquez. Vous nous dites: C'est dans des termes de préoccupation de paritarisme et c'est à partir de ce principe que l'obligation devrait être faite aux salariés de participer au régime, mais, si on impose une obligation additionnelle aux salariés, il me semble qu'il va de soi que de nouveaux droits devraient être consécutifs à de nouvelles obligations qu'on impose.

M. Alary: C'est parce qu'on a tendance à oublier que la commission de santé et de sécurité est une compagnie d'assurances. C'est le fait de payer les primes d'assurance de manière paritariste, avec un bénéfice assuré. Si le bénéfice doit être changé, à ce moment-là, c'est en fonction de la compagnie d'assurances ou de l'assurance. Ce n'est pas en fonction de l'ensemble de la loi, parce que même la CSST se qualifie de compagnie d'assurances.

M. Fréchette: Bon, enfin! Non seulement vous souhaitez que le débat se fasse sur la place publique, mais vous prenez fermement position en faveur de ce principe que vous venez de décrire. C'est cela?

M. Alary: Oui, nous prenons position sur le...

M. Fréchette: Bien. L'autre aspect de votre mémoire est celui des travailleurs autonomes ou indépendants. Je comprends que vous avez 800 membres en règle dans votre association. Pouvez-vous nous indiquer si les membres de votre association, à ce que vous en savez, font souvent ou fréquemment appel à des travailleurs qui auraient le statut d'autonomes ou d'indépendants, tel qu'on le retrouve dans la loi 42? Est-ce fréquent que cela se produise chez vos membres?

M. Lapalme: De plus en plus, M. le ministre. L'ordonnance 4995, qui est l'ordonnance générale sur le camionnage, a été modifiée l'an dernier et amène une ouverture de ce côté-là sur le remorquage, ce qui ouvre la porte aux voituriers-remorqueurs et à cette catégorie d'employés ou de gens qu'on qualifie ici d'autonomes ou d'artisans. Dans le moment, si on parle au président de la Commission des transports qui émet les permis à cet effet, il est submergé par les demandes de voituriers-remorqueurs. Ce type de travailleurs autonomes ou d'artisans va être certainement beaucoup plus populaire à l'avenir qu'il ne l'a jamais été parce que l'ordonnance vient de le sanctifier, si on veut.

M. Alary: Si vous le permettez, M. le ministre, seulement un ajout. Notre position sur les travailleurs autonomes n'est pas le fait qu'on ne veut pas que ces gens-là soient protégés. C'est le fait qu'on ne voudrait pas ou qu'on ne veut pas les avoir sous notre expérience. Ce qu'on dit, nous, c'est que ces gens-là, qui sont des entreprises indépendantes, qui se présentent devant la Commission des transports du Québec et obtiennent des permis d'entreprise pour travailler sous contrat pour un entrepreneur, ont décidé d'ouvrir un commerce. Ils vont peut-être travailler cinq ou six jours. Ils vont peut-être travailler pour une compagnie donnée. Au bout de quinze jours ou trois semaines, ils vont peut-être aller travailler pour quelqu'un d'autre et, au bout d'un an ou deux, ces gens-là vont se promener. On dit qu'on devrait créer une classe d'artisans ou de travailleurs autonomes détenteurs de permis de la Commission des transports. Dans l'ancienne classification de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, on avait une classification qu'on appelait artisan ou voiturier-remorqueur. Ces gens-là avaient leur numéro de santé et de sécurité du travail, et leur expérience était dans leur dossier. (15 h 45)

M. Fréchette: Cela donne une première évaluation de l'ampleur du phénomène du travailleur autonome ou indépendant. Je vais essayer de vous poser une question que je sais à l'avance qu'il peut ne pas être simple d'y répondre. Vous est-il possible d'évaluer, ne serait-ce que très aproximativement, quelle est la moyenne d'heures qu'un travailleur autonome peut faire pendant une semaine de travail, par exemple, quand il va de place en place?

M. Alary: Si vous me permettez, cela dépend du genre de travailleur autonome. Si on prend des travailleurs qui effectuent le transport à l'intérieur d'une ville, c'est la même chose que nos salariés. Habituellement, ils font huit ou neuf heures, selon le travail. Si on parle des travailleurs qui partent avec des tracteurs pour de longues distances, il y

a des lois, que ce soit le Code de sécurité routière, qui les empêchent de faire plus de douze heures. Ils sont ensuite sur le code du travail fédéral qui empêche aussi plus de dix heures par jour. Ce n'est pas un problème d'abuser du nombre d'heures de travail, mais plutôt un problème au niveau de la responsabilité des accidents du travail.

M. Fréchette: Vous dites que la moyenne qu'un travailleur autonome peut faire par semaine, d'un employeur à l'autre, serait d'à peu près huit heures.

M. Alary: Huit heures par jour.

M. Fréchette: Par jour.

M. Alary: C'est 50 heures par semaine.

M. Fréchette: C'est 50 heures par semaine. On ne retrouve pas beaucoup de gens qui ont ce statut-là et qui font, chez le même employeur, moins de quinze heures par semaine, par exemple.

M. Lapalme: Cela dépend des situations économiques. Il faut se comprendre. Si, pour une raison ou une autre, une compagnie a un contrat pour une certaine période de temps et peut donner du travail à ce travailleur autonome pour la période du contrat qui est de trois mois, à ce moment-là, il travaillera pour le même, mais tous les aspects économiques de toute la province de Québec ne sont quand même pas identifiables de cette façon-là. On peut donc dire que le camionneur autonome peut, selon la demande, changer d'employeur.

D'ailleurs, de par la fonction même qui a été créée à la Commission des transports, il a son propre camion et il se doit de trouver du travail pour faire vivre sa compagnie. Il a un permis en vertu d'une compagnie qui l'a émis. D'ailleurs, il s'est engagé en conséquence, soit envers la banque ou envers une compagnie de finance.

M. Alary: On sait qu'il y a un problème au niveau de l'exploitation de la main-d'oeuvre artisanale dans certains secteurs, mais chez nous, lorsqu'une personne décide d'investir 70 000 $ dans un véhicule, ce n'est pas nécessairement pour se faire exploiter. C'est plutôt d'essayer de passer à travers et de vivre avec son véhicule. Avec un tel investissement, elle ne peut pas dire: D'accord, je m'attache à une compagnie avec des garanties d'un an, deux ans ou trois ans. Elle s'attachera peut-être à une compagnie, elle travaillera un mois pour un et un mois pour l'autre, suivant la demande. Il y a quand même une particularité au niveau du transport, nos unités de production sont mobiles. Une journée, on peut travailler dans une région et le lendemain dans une autre.

Lorsqu'on parle de travailleur autonome ou de sous-traitant, cela amène des problèmes. On n'est pas en mesure de contrôler ces gens-là qui ont la latitude d'engager des aides. Par exemple, dans le déménagement, les gens vont d'une ville à l'autre pour effectuer un déménagement et, rendus à Toronto, par exemple, ils vont engager de la main-d'oeuvre locale pour effectuer le déménagement, ou vice versa. Ils vont arriver à Montréal ou à Trois-Rivières et ils vont engager des gens pour les aider. On n'a aucun contrôle sur ces gens-là. On leur donne une pièce de travail à faire, on leur donne un montant pour la faire et, ensuite, on ne les voit plus, ils exécutent la pièce de travail. C'est pour ça que le lien au niveau de la responsabilité est vraiment difficile à établir. Avec la nouvelle modification réglementaire dans le domaine du transport, ce qu'on appelle le voiturage, ce qui amène des travailleurs autonomes, va se développer de plus en plus, parce qu'en raison de la concurrence des transporteurs illégaux qu'on doit subir et en raison de l'obligation qu'on a de servir nos clients à meilleur compte, il faut travailler avec ces gens-là et ils sont prêts à le faire. Comme je vous le disais tantôt, ce n'est pas la question que ces gens-là ne soient pas protégés. On dit qu'ils aient un numéro d'assurance à la commission, qu'ils aient les mêmes protections que les autres travailleurs, mais, concernant la responsabilité, étant donné qu'ils sont mobiles et que, dans cinq ans, on ne sait pas s'ils vont être encore chez nous, qu'ils aient leur expérience ou leurs propres dossiers.

M. Fréchette: II semble bien, d'après les explications que vous nous fournissez, que c'est un phénomène qui est déjà passablement répandu et qui va avoir tendance à se répandre davantage. Par ailleurs, vous avez indiqué, dans l'introduction de votre mémoire, que votre association est fort préoccupée par la prévention, qu'elle a été une des premières associations à entrer dans le jeu des comités de santé et de sécurité, après l'adoption de la loi 17. Vous aviez déjà une association patronale à cet égard. La question qui me vient à l'esprit: À partir de la préoccupation que vous avez en termes de prévention et à partir du phénomène que l'on constate, à savoir que le système du travailleur autonome prend de l'ampleur, quels sont les moyens à votre disposition pour faire de la prévention en termes de formation et d'information pour ces gens-là?

M. Alary: Comme on le disait tantôt, l'association sectorielle paritaire en santé et sécurité a été formée et cette association qui regroupe différentes associations, dont la nôtre, va s'efforcer de développer des programmes de formation qui vont peut-être

être dispensés par l'association elle-même ou par certains utilisateurs des services de ces gens-là. Ce qu'on ne sait pas, c'est qu'on ne pourra peut-être pas les rejoindre partout et dans toutes les entreprises. C'est pour cela que ce n'est pas la partie prévention et ce n'est pas la partie protection qu'on met en cause. C'est la partie responsabilité de ces travailleurs. Nous avons d'ailleurs, en tant qu'Association du camionnage du Québec Inc., développé des programmes de formation pour aider ces gens-là; pas de problème. Mais, concernant la responsabilité, c'est autre chose. Lorsqu'ils partent avec le camion, on ne sait pas ce qu'ils peuvent faire. Ils ont l'entière responsabilité de leurs gestes et de leurs actes. C'est peut-être facile dans une usine où on peut surveiller des gens, mais, lorsqu'ils sont à 300 ou 400 milles, c'est quasi impossible pour la compagnie de les contrôler. Ce n'est pas de dispenser des programmes et ce n'est pas de les protéger. C'est simplement la partie responsabilité.

M. Fréchette: Je vous pose une question simplement pour essayer de voir quelles seraient les ouvertures qui pourraient permettre de contourner les difficultés que vous nous soumettez. Est-ce que ce serait une avenue que de penser, par exemple, à la possibilité que celui qui est identifié comme travailleur autonome dans le projet de loi 42 qui est devant nous, qui ferait moins de quinze heures par semaine - je donne le chiffre à tout hasard, bien sûr; ce n'est pas analysé, ce n'est pas évalué - serait considéré comme un travailleur occasionnel et que seul celui-là serait autonome? Est-ce que c'est une avenue qui peut être envisagée, qui peut être étudiée, qui ouvre la voie à des possibilités de solutions?

M. Alary: Je voudrais bien saisir le sens de votre question. Lorsque vous dites moins de quinze heures, il ne serait pas considéré comme travailleur autonome. S'il était considéré comme travailleur autonome, il ne serait pas sous la responsabilité de la compagnie de transport.

M. Fréchette: C'est cela.

M. Alary: Plus de quinze heures, il pourrait l'être.

M. Fréchette: On parle de quinze heures...

M. Alary: Peu importe le barème... M. Fréchette: Oui.

M. Alary: Comme je vous le disais tantôt, étant donné que les transporteurs doivent répondre à des demandes qui sont parfois saisonnières, selon les différentes activités économiques, on peut engager quelqu'un pour trois mois, quatre mois. On peut l'engager pour quinze jours. On peut l'engager pour six mois et peut-être pour un an. C'est selon le besoin. Si on transporte des produits de la ferme, c'est lorsque les récoltes sont faites qu'on a besoin d'un surplus de sous-traitants. Si on exploite des produits de la forêt, c'est peut-être à un autre moment de l'année. Ce n'est jamais la même compagnie qui effectue ce genre de transport. À cause de cela, dire après un certain nombre d'heures ou de jours, ce n'est quasiment pas faisable. Ce qu'on pourrait suggérer, étant donné qu'on ne refuse pas de protéger les travailleurs, c'est qu'une particularité à la Loi sur la santé et la sécurité du travail pourrait être apportée qui dise que toute personne qui est détentrice d'un permis de la Commission des transports, parce que c'est le législateur qui décide de lui donner un permis pour son camion, comme il nous donne un permis de commerce, n'est pas sujette à l'article des travailleurs autonomes. Cette personne doit avoir son propre numéro à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

M. Lapalme: M. le ministre, si vous le permettez...

M. Fréchette: Oui, allez-y.

M. Lapalme: II faut quand même faire attention au principe. Je vois difficilement comment on peut dire qu'un travailleur est autonome lorsqu'il travaille quinze heures et moins par semaine et qu'il ne l'est pas s'il travaille plus de quinze heures. Au départ, ces travailleurs ont tous les deux une compagnie qui est enregistrée; ils ont tous les deux un permis de la Commission des transports qui leur donne le droit de fonctionner et, à cause du nombre d'heures, l'un serait travailleur autonome et l'autre ne le serait pas. Je vois difficilement cette division dans la responsabilité des personnes en titre. Dans la province de Québec, à cause de la complexité d'obtenir un permis à la Commission des transports, il y a dans certaines régions cinq ou six camionneurs, dans d'autres, d'autres camionneurs, et on sait que la roue économique n'est pas toujours fixe. Il y a eu pendant un bon bout de temps à la Baie-James - on ne parle pas dans le moment de ce que M. Alary parlait tout à l'heure - du travail saisonnier. On parle maintenant de Trois-Rivières ou de Bécancour qui se développent. À un moment donné, ce sera peut-être la Côte-Nord. C'est vraiment un critère qu'il faut garder en mémoire. Cette personne, le travailleur autonome, est appelée à changer fréquemment de lieu de travail.

M. Alary: Dans notre secteur, c'est

vraiment particulier. Peut-être que, dans un autre secteur, les travailleurs demeurent tout le temps au service du même employeur, mais chez nous, dans notre industrie, à cause du besoin économique du Québec, il sont appelés à changer souvent de compagnie.

M. Fréchette: Remarquez que je ne faisais que le mettre sur la table pour les fins de la discussion et pour connaître votre appréciation par rapport à cette suggestion ou, en tout cas, ce thème de la discussion. Je prends donc très sérieusement note du contenu de votre mémoire, de votre argumentation verbale. On va continuer de réfléchir à la question et de voir comment cela peut s'aligner. On va regarder cela de près. Merci.

Le Président (M. Paré): M. le député de Saguenay.

M. Maltais: Merci, M. le Président. Au nom de notre formation politique, je suis heureux de saluer les gens de l'Association du camionnage du Québec. Lorsque les gens du Conseil du patronat se sont présentés ici, on a questionné longuement M. Dufour, le vice-président. Il a fait une distinction entre votre association qui regroupe des compagnies de camionnage et le travailleur autonome. Celui qui a besoin de transport par camion avait les mêmes difficultés en ce sens que, lorsque la personne fait affaires avec une compagnie de transport, elle ne connaît pas ou connaît très peu l'employé qui arrivera avec son camion. Souvent, cela peut changer selon vos besoins. La même chose se produit avec le camionneur artisan qui, pour une raison ou une autre, est appelé à travailler chez tel entrepreneur qui a autre chose à faire et qui prend un substitut. Finalement, celui qui a la responsabilité ne connaît pas son employé au sens propre de la loi. L'entrepreneur ou l'entreprise qui requiert vos services est responsable de quelqu'un qu'elle ne connaît pas, c'est sa responsabilité au sens légal. Au sens pratique, peut-on imputer une responsabilité à quelqu'un qui a un employé qu'il ne connaît pas? Déjà, au départ, le système n'est pas parfait à ce niveau-là. (16 heures)

Dans votre cas, à partir du moment où vous demandez à un artisan de venir travailler dans votre compagnie, normalement, vous ne connaissez que le numéro de permis ou le camion. Vous ne connaissez pas l'individu qui est attaché au bout de cela, ou très peu, parce que vous faites affaires avec un poste d'affectation qui, lui, vous envoie habituellement un camionneur artisan. Est-ce que cela n'est pas une lacune dans la loi d'avoir des gens sous notre responsabilité qu'on ne connaît pas? Première question.

Deuxième question. Lorsque vous parlez du paritarisme vis-à-vis de l'artisan et de l'entrepreneur, ainsi que vous comme compagnie par rapport à celui qui a besoin de vos services, est-ce qu'à ce niveau ce ne serait pas plus simple d'inclure dans la tarification horaire, ou au mille, ou à la tonne, je ne sais pas, ces coûts qui seront des coûts additionnels pour vous autres, pour l'entrepreneur et pour l'artisan? Est-ce que ce ne serait pas une façon, lorsqu'eux autres deviendront des entrepreneurs au sens que vous voulez les faire reconnaître, de régler le problème dans la tarification? On sait que la tarification ne relève pas de vous non plus, elle relève de la Commission des transports. Une fois pour toutes, je pense qu'on devrait régler le problème en l'incluant dans la tarification du ministère des Transports. J'aimerais cela que vous nous disiez vos commentaires là-dessus.

M. Alary: Si vous me permettez, M. le député de Saguenay, lorsqu'on parle d'inclure dans la tarification qui est régie par la Commission des transports du Québec, un pourcentage qui pourrait financer la santé et la sécurité, cela pourrait être fait. Mais là où on a des problèmes, c'est que, lorsque ces gens, comme vous avez bien dit qu'on ne connaît pas, viennent travailler chez nous, sont accidentés et reviennent après cela sous notre expérience, comment pouvez-vous dire aujourd'hui que tel travailleur, qui a passé chez nous un mois, dans dix ans, va revenir et va nous réclamer parce qu'il a déjà été employé chez nous? À ce moment, dans une tarification, c'est impossible de visualiser cette chose.

Tantôt, vous faisiez référence au poste d'affectation. En tant qu'entrepreneurs, si on utilise ces gens, on ne les choisit pas. La loi nous oblige à prendre ces gens à tour de rôle. Même si on en a un qui fait vraiment notre affaire et avec lequel on voudrait établir un lien, la Loi sur le transport, le règlement 12 sur le vrac, nous empêche de le faire. En empêchant cela, la Loi sur la santé et la sécurité du travail nous dit: D'accord, vous allez être responsables pour celui que vous ne voulez pas ou responsables pour telle ou telle personne. Ce même exemple peut se transposer dans le transport général parce que nos gens font aussi du transport en vrac, du transport général.

C'est pour cela qu'on dit: On est peut-être prêt à assumer les coûts parce que, effectivement, si le travailleur autonome ou le travailleur indépendant qui vient travailler chez nous a une cotisation à payer à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, on va pouvoir le payer à travers les taux. Ce qu'on ne veut pas, c'est la responsabilité de ce travailleur au niveau des accidents du travail, parce qu'on n'a pas de contrôle sur cet individu.

M. Maltais: Si, au sens de la loi, il est reconnu comme travailleur autonome, alors, il a une responsabilité comme travailleur autonome.

M. Alary: C'est ce qu'on pense.

M. Maltais: On n'a pas eu l'occasion de voir, par exemple, des camionneurs artisans ici. J'aurais bien aimé les avoir pour en discuter avec eux autres. Si, véritablement, au sens de la loi, ce sont des entrepreneurs artisans... Je ne me souviens plus quel groupe parlait, par exemple, des menuisiers artisans qui vont de travail en travail, qui vont faire de petits travaux à gauche et à droite; ils ont le même problème. À partir de ce moment, est-ce que celui qui détient un permis ne devrait pas être, au sens de la loi, comme vous le suggérez, responsable de lui-même, étant donné que c'est un entrepreneur artisan? Par contre, au niveau du paritarisme, je pense que vous aussi vous avez une responsabilité, ainsi que l'employé pour qui vous travaillez, parce que vous êtes employés par quelqu'un à un moment donné. Ce serait plutôt un tripartite que véritablement du paritarisme, du dualisme, si on peut appeler cela comme cela. Il reste que, peu importe la façon dont la loi va englober tout ce monde, lui, cet artisan, doit être protégé. À l'heure actuelle, finalement, on remet à quelqu'un une responsabilité qu'il n'a pas.

M. Alary: Vous avez parfaitement raison.

M. Maltais: Mais est-ce que la formule du paritarisme, ce serait rendre justice à tout le monde?

M. Alary: Je pense que ce serait leur rendre justice. Ces gens, qui sont quand même des travailleurs indépendants - oh peut dire que c'est de la petite entreprise - n'ont pas les moyens ou le temps de déléguer des personnes à une association de santé et de sécurité pour établir des programmes de prévention et faire du travail. Nous, on va le faire. Bâtir des programmes de prévention pour nos employés à l'intérieur de nos compagnies pour qu'ils soient étendus à ces gens-là, cela nous fait plaisir parce que cela ne nous coûte rien; on le fait en même temps. Comme vous l'avez si bien dit, c'est la responsabilité des personnes sur lesquelles on n'a aucun contrôle. On ne dit pas qu'on ne veut pas les aider, ni les protéger, on dit qu'on ne veut pas de cette responsabilité.

M. Maltais: D'accord. Je suis sûr qu'on aurait eu avantage à entendre l'Association des camionneurs artisans qui aurait pu nous faire part de son point de vue. Malheureusement, elle n'a pas été convoquée.

Mais il y a un facteur que le Conseil du patronat a souligné, et vous l'avez souligné également: c'est tout à fait inadmissible d'avoir la responsabilité d'un employé qu'on ne connaît pas. Il n'y a pas une entreprise qui peut se permettre cela. Vous êtes déjà confinés par la loi au niveau des postes d'affectation et du "turnover" qui se fait chez les camionneurs. À partir de ce moment-là, je pense que, tant et aussi longtemps que le poste d'affectation... L'association devrait avoir une responsabilité en disant: On est des camionneurs artisans autonomes. À partir de ce moment-là, on prévoit que tous les bénéfices auxquels un travailleur normal a droit devraient être inclus dans nos conditions de travail ou dans notre tarification horaire, et je pense que vous auriez la paix quant à la responsabilité. L'artisan serait sécurisé, parce qu'il a déjà contribué à un régime d'assurance qu'on appelle la CSST et qu'il a payé ses primes. Donc, il est en droit de recevoir des indemnités en cas d'accident ou de lésion professionnelle. À partir de ce moment, le degré de responsabilité s'appliquerait uniquement à celui qui est considéré légalement comme un entrepreneur.

M. Alary: Il faut quand même faire une distinction. Lorsque vous faites allusion au domaine d'affectation, c'est un domaine qui représente peut-être 10% du transport routier au Québec. Même à l'intérieur de cette dimension, ce n'est pas tout le monde qui fait partie des postes d'affectation ou qui se regroupe autour de quelqu'un pour se placer. Il n'y a pas d'obligation d'utiliser strictement ces postes. L'entrepreneur peut utiliser aussi des travailleurs qui ne font pas partie de ces postes pour une partie du travail, s'il est en vrac. Dans notre cas, on n'a pas besoin de passer par ces gens-là. C'est pour cela qu'on ne peut pas transférer la responsabilité à ces postes, parce que, finalement, c'est un regroupement de personnes qui se forment en société pour trouver des pièces de travail à faire. On dit: Oublions cet intermédiaire et laissons ces gens-là qui ont décidé d'être entrepreneurs... Si, demain matin, je décide d'ouvrir un dépanneur, même si je suis seul, ce n'est pas le fournisseur qui a la responsabilité chez nous, c'est moi. C'est la même chose pour l'entrepreneur. Ce n'est pas un dépanneur qu'il achète, mais un véhicule. Il développe un commerce. Il vient travailler chez nous peut-être un mois. Il va peut-être aller travailler deux mois ailleurs ou cinq ans chez nous. On ne le sait pas. Ce qu'on dit, c'est qu'on lui donne un numéro d'assurance santé et sécurité. Il va payer. S'il paie un taux de 7 $ des 100 $, automatiquement, on l'aura facturé dans nos taux quand il nous présentera sa propre facture. À ce moment-là, on ne refuse pas de l'inclure dans ce taux. S'il engage quelqu'un, il va en

être responsable au niveau de la santé et de la sécurité. S'il survient un accident ailleurs parce qu'il n'a pas fait attention ou parce qu'il est arrivé certaines choses qui étaient hors de notre contrôle, il en a la responsabilité. Il est protégé. On le protège. Ce n'est pas qu'on ne veut pas le protéger, mais on ne veut pas avoir d'intermédiaire parce que dans notre domaine cela ne réglera pas le problème ni dans le domaine du vrac. Qu'on considère l'entrepreneur comme une entreprise. De l'autre côté, on va l'incorporer et on va régler notre problème aussi.

M. Maltais: Peut-être qu'on pourrait appliquer le même principe dont le ministre a parlé assez rapidement tout à l'heure aux représentants de la Chambre des notaires au sujet du droit de recours. Je pense que si la CSST est prête à laisser tomber son droit de recours... À partir du moment où elle inclurait ces travailleurs autonomes, elle perdrait son droit de recours vis-à-vis de l'employeur puisque c'est lui l'employeur. À partir de ce moment, vous vous serez délestés de cette responsabilité ultérieure. Par contre, la CSST, puisque l'employeur et l'employé ne font qu'un, perdrait son droit de recours aussi. C'est peut-être cela que le ministre a de la misère à digérer.

M. Alary: D'un autre côté, on le fait pour de petites entreprises.

M. Maltais: Oui.

M. Alary: II y a des entreprises qui ont un employé.

M. Maltais: Un employé, un dépanneur, comme vous dites.

M. Alary: Le droit de recours de la CSST n'est pas bien grand. Elle n'a peut-être même pas de mise de fonds. À ce moment, cela ne change absolument rien.

M. Maltais: D'accord, merci beaucoup.

M. Alary: Nous aussi, nous vous remercions.

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: Merci, M. le Président, c'est juste pour comprendre davantage, à la suite des propos du député qui m'a précédé. Si j'ai bien compris l'espèce d'organigramme ou de pyramide d'embauche, vous souhaitez la parité, mais il me semble y avoir trois personnes en cause au lieu de deux. Il y a la grande compagnie qui pourrait avoir, par exemple, un gros contrat à la Baie-James, qui pourrait engager un propriétaire de camion, qui, lui, occasionnellement, pourrait conduire son camion comme propriétaire et qui, comme propriétaire de camion, pourrait engager occasionnellement un employé. Donc, il y aurait trois paliers. Il y aurait la grande compagnie qui, dans un premier temps, pourrait être en parité avec le propriétaire du camion. Dans un deuxième temps, il y aurait le propriétaire du camion qui pourrait être en parité avec son employé. Quand il l'engage... Supposons que cela roule 24 heures par jour, sur des grands chantiers. Le camionneur propriétaire du camion pourrait s'arranger avec son employé et lui dire: Je vais faire douze heures et fais douze heures. Ce sont des choses qui se produisent dans le monde du camionnage. Tout le monde sait cela. Donc, dans un cas comme cela, comment la parité pourrait-elle s'établir? Qui paie et dans quel pourcentage? Qui est le patron? Qui est l'employé? Des fois, celui qui est propriétaire du camion pourrait être considéré comme employé vis-à-vis de la grande compagnie et, à d'autres moments, il pourrait être considéré comme patron vis-à-vis de son employé qui fait ses douze heures. Je ne sais pas si vous pouvez me démêler cela.

M. Lapalme: Si vous me permettez, si on parle de pyramide, il faut comprendre une chose: il y a deux compagnies d'impliquées.

M. Lavigne: II y a deux...

M. Lapalme: II y a deux compagnies d'impliquées.

M. Lavigne: Oui.

M. Lapalme: II y a la compagnie qui a le contrat à la Baie-James, pour retenir votre exemple...

M. Lavigne: D'accord.

M. Lapalme: II y a la compagnie qui soumet à cette compagnie, parmi beaucoup d'autres, des tarifs pour transporter et qui, éventuellement, est adjugée. Cette deuxième compagnie, celui que vous nommez le camionneur ou le transporteur, c'est une compagnie qui, elle, peut se permettre d'avoir des aides, d'avoir un deuxième chauffeur pour, comme vous dites, compléter les dix autres ou douze heures de conduite. Il faut bien comprendre qu'il y a deux compagnies d'impliquées parce que ces gens sont incorporés et ont un permis en conséquence. On ne parle pas d'individus, de salariés au titre d'employés. On parle de deux compagnies...

M. Alary: ...deux entreprises.

M. Lapalme: ...deux entreprises qui ont

un contrat ensemble. Éventuellement, la compagnie première peut avoir plusieurs employés, comme la compagnie deuxième peut en avoir d'autres aussi, selon le cas, mais avec un ensemble de grandeurs différentes. C'est ce qu'on appelle un camionneur autonome, mais qui peut avoir un deuxième chauffeur pour l'aider ou qui peut avoir un aide rendu à destination. Il faut faire attention.

M. Alary: Cela devient vraiment une entreprise, la deuxième. La seule différence, c'est peut-être que, lorsque cette entreprise est incorporée, elle a toute son entité au niveau de la santé et de la sécurité, la commission de santé. Lorsqu'elle n'est pas incorporée, lorsqu'elle appartient à un individu, elle est considérée comme un travailleur sous sa responsabilité. Ce sont les deux mêmes personnes. Elle a obtenu un permis pour effectuer du transport. Elle peut s'adjoindre des aides et c'est vraiment l'entreprise. Le lien entre la plus grande compagnie et cette deuxième entreprise n'est jamais un lien d'employeur-employé, c'est un lien de personne qui donne un sous-contrat à une entreprise pour être exécuté.

M. Lavigne: II n'y a pas de rapport entre la grande compagnie et le propriétaire du camion. Ce n'est pas là que s'établirait la parité. La parité s'établirait uniquement entre le propriétaire du camion et l'employé qu'il pourra engager pour compléter l'horaire de la semaine. C'est uniquement là.

Je vous remercie de la précision. Cela me vient à l'idée, en supposant que le propriétaire du camion - c'était cela mon interrogation - a un accident du travail. Il est défrayé, au même titre que son employé, par la CSST.

M. Alary: Je pense que toute entreprise ou tout individu qui se lance en affaires a le droit d'être protégé ou de ne pas être protégé. C'est une décision personnelle, cela. Si j'avais un dépanneur et que je voulais être protégé en tant que propriétaire, j'irais à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et je pourrais être protégé, mais j'ai le choix de le faire ou de ne pas le faire. (16 h 15)

M. Lavigne: D'accord. Je vous remercie.

Le Président (M. Paré): Messieurs les représentants de l'Association du camionnage du Québec Inc., nous vous remercions de votre participation à la commission. On a pris bonne note de vos commentaires.

M. Lapalme: Nous vous remercions.

Le Président (M. Paré): J'invite maintenant le groupe suivant à prendre place ici à l'avant. Il s'agit des représentants de Plaidoyer-Victimes.

Bonjour et bienvenue à la commission. J'invite la ou le représentant à s'identifier et à nous présenter les personnes qui l'accompagnent avant de faire la présentation du mémoire.

Plaidoyer-Victimes

M. Harnois (Gaston): Mon nom est

Gaston Harnois. Je suis médecin-psychiatre, directeur général de l'hôpital Douglas à Montréal et vice-président de l'association Plaidoyer-Victimes. À ma droite, Mme Suzanne Cusson, criminologue, et, à sa droite, Mme Nicole Kirouac, avocate.

Plaidoyer-Victimes est un jeune organisme sur la scène québécoise. C'est un organisme sans but lucratif et incorporé selon la troisième partie de la Loi sur les compagnies. Nous avons comme principal objectif d'éduquer et de sensibiliser les intervenants, le public et les victimes elles-mêmes aux besoins et aux ressources disponibles pour les victimes d'actes criminels. L'autre objectif que nous poursuivons est celui d'exercer des pressions, de développer des propositions et de faire des commentaires sur la situation actuelle, sur la protection des victimes d'actes de violence, sur l'indemnisation et le dédommagement auxquels elles ont droit, sur leurs droits en général, ainsi que sur les améliorations qu'on peut apporter à leur sort.

Pour vous donner une idée de ce qu'est ce jeune organisme, nous avons reçu nos lettres d'incorporation il y a à peine quelques semaines, même si, déjà, le groupe travaille depuis à peu près deux ans. Ce sont des bénévoles, à l'exception d'un membre qui fait fonctionner notre humble secrétariat. Ce sont des gens qui proviennent d'à peu près trois groupes de la société. Vous avez des représentants du réseau public, soit le ministère de la Justice, le ministère des Affaires sociales, le ministère lui-même, les centres hospitaliers, le conseil régional, les centres de services sociaux, le Solliciteur général du Canada, le ministère de la Justice du Canada, les universités, la Sûreté du Québec, le service de la police de la Communauté urbaine de Montréal; au niveau du secteur privé, la Banque de Montréal, le Mouvement Desjardins font partie du groupe et des organismes bénévoles, tels des regroupements de victimes, l'Association canadienne pour la santé mentale et la Société de criminologie du Québec que vous avez entendue ce matin et dont nous partageons le point de vue. Il y en a quelques autres qui ne me viennent pas à l'esprit en ce moment.

Pour donner une idée à la commission de l'envergure du problème en ce qui a trait aux victimes d'actes de violence, j'aimerais

vous mentionner quelques statistiques tout à fait conservatrices ou minimales, si vous voulez, que nous possédons en ce qui a trait au nombre de personnes victimisées sur les statistiques canadiennes, mais c'est pour l'année 1983. On est en mesure d'estimer qu'il y a eu, en 1983, 600 familles qui ont perdu un membre de leur famille par assassinat; il y a eu 2500 familles qui ont perdu un des leurs qui a été tué par un conducteur en état d'ivresse; il y a eu 20 000 agressions sexuelles graves; il y a 24 000 femmes battues et des 300 000 incidents d'introduction par effraction, on est en mesure d'estimer qu'au moins 20 000 personnes auront à subir des séquelles psychologiques graves.

M. le Président, notre intervention vise essentiellement à faire en sorte que le Québec qui, jusqu'à aujourd'hui, faisait figure de proue dans le traitement qu'il accorde aux victimes d'actes de violence ne fasse pas marche arrière en diminuant les indemnités auxquelles ont actuellement droit les victimes d'actes criminels. Il nous a semblé bon de vous indiquer aussi les répercussions que la loi actuelle du Québec a sur le plan international. Vous savez sans doute que les Nations Unies, pour la première fois, vont s'intéresser, l'an prochain, en 1985, lors de leur septième conférence sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, les Nations Unies, dis-je, ont accepté de considérer les victimes d'actes criminels comme étant une des cinq composantes de la conférence. De ce fait, elles ont demandé à certains groupes de les aider à préparer l'ordre du jour de cette même conférence.

Il y aura, à Ottawa, en juillet de cette année, une conférence préparatoire organisée par les Nations Unies. Un certain nombre d'entre nous avons eu l'occasion de participer et nous avons toujours l'occasion de participer aux travaux des Nations Unies qui préparent cette conférence. Lors de ces travaux préparatoires, il nous a été donné de faire part aux membres de la commission des Nations Unies qui étudient cette question du régime avantageux que le Québec offre aux victimes de violence. Donc, il nous semblerait pour le moins incongru, si vous voulez, qu'au moment où d'autres s'apprêtent à copier ce que nous faisons au Québec nous songions, ici, au Québec, de façon quelconque à faire marche arrière.

J'aimerais demander à mes collègues de dire quelques mots. Mme Cusson.

Mme Cusson (Suzanne): Je voudrais d'abord vous dire en quelques mots qui sont les victimes d'actes criminels qui sont touchées par la loi sur l'IVAC. En premier lieu, ce qu'il importe de souligner, c'est que ce sont des gens comme vous et moi, c'est-à-dire que ce n'est pas, contrairement à ce que certaines personnes pensent, des gens de la pègre, par exemple, qui essaieraient de s'enrichir aux frais des contribuables après s'être fait des mauvais coups les uns aux autres. Contrairement aux autres programmes de réparation de préjudices qui existent dans notre société, le "no fault" n'existe pas dans la loi sur l'IVAC, c'est-à-dire que le fait d'avoir contribué par sa faute lourde à sa propre victimisation exclut automatiquement une présumée victime des avantages de la loi. Le simple fait d'appartenir à un milieu criminel, d'avoir des accointances avec le crime organisé, fait déjà considérer une prétendue victime comme exclue des avantages de la loi sur l'IVAC Ces victimes sont aussi toujours des personnes blessées ou des héritiers, des ayants droit de personnes défuntes. Dans une étude sur les demandes faites en 1979 et en 1980 à l'IVAC, il y en avait 12% qui concernaient des victimes qui étaient décédées. Parmi les autres, il y en avait 40% qui avaient été hospitalisées. On entend par là des séjours qui se prolongent à l'hôpital. Donc, avoir été blessé physiquement ou psychologiquement est une condition essentielle pour avoir droit à une indemnisation de l'IVAC.

Il faut aussi souligner que les victimes d'actes criminels sont des gens qui ont toujours des réactions psychologiques dont l'intensité, bien entendu, varie. Parmi celles-là, il faut souligner la plus importante: c'est la peur qui reste toujours présente chez ces gens. La peur qui est parfois très précise parce que l'agresseur n'est pas loin et aussi une peur diffuse, généralisée qui gâche complètement l'existence de ces gens. Il y a aussi le repli sur soi. Il y a un absurde sentiment de culpabilité, par exemple, de s'être trouvé sur les lieux où on a été agressé, de ne pas avoir réussi à résister à son agresseur. Il y a aussi la haine qui se développe assez sournoisement chez les gens, qui devient obsédante chez certains, qui les empêche d'être sereins devant l'existence. Il y a souvent des dépressions. Il y a un sentiment d'être diminué personnellement, une sensibilité à fleur de peau. Il y a l'impression de sombrer dans la folie qui s'y ajoute souvent, l'obsession de la mort et, avec le temps, la certitude qu'on ne s'en sortira jamais.

Si on combine ces troubles avec la situation des victimes, qui est celle de l'isolement total, parce que les crimes de violence collectifs sont, somme toute, très rares, on se trouve à avoir affaire à un groupe qui est absolument incapable de prendre ses intérêts en main. Il faudrait que le législateur tienne compte de cela par une très grande ouverture à leur endroit.

L'actuelle Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels est une loi qui les traitait bien, qui, même s'ils n'avaient pas fait de revendications, de pressions, et tout cela, les traitait normalement, c'est-à-dire

comme les autres groupes de personnes lésées sont traités.

Maintenant, il y a les amendements du projet de loi 42. Quels sont les point majeurs de ceux-là? Le plus abasourdissant de cela est, bien entendu, la réduction à 80% d'à peu près toutes les catégories de prestations qui étaient versées selon l'ancienne loi. Pourquoi une coupure à 80%? Pourquoi 80%? Est-ce qu'on a constaté que les victimes d'acte criminel utilisaient mal ce qu'on leur versait jusqu'à aujourd'hui? On n'a pas eu du tout d'explications à cela. On suppose que, s'il y en avait une, ce serait qu'il faut couper dans les dépenses. Là-dessus, on a l'impression que cela ne réglera pas beaucoup le problème de budget du ministère de la Justice. Selon les chiffres tirés des comptes publics du Québec en 1982, l'IVAC représente 2% du budget du ministère de la Justice. Ce serait cette année 1,8% et, selon les prévisions budgétaires pour l'année qui vient, ce serait 1,7%. Ce n'est pas beaucoup. Il nous semble même que c'est extrêmement peu.

Après tout, pourquoi y a-t-il des ministères de la Justice dans le monde? Une base de notre droit et des systèmes de justice en général est - me semble-t-il - la réparation des torts faits aux personnes. On ne les laisse même pas se faire justice elles-mêmes. On leur dit: L'État va s'en occuper. On va vous protéger contre le crime. C'est la raison d'être de nos systèmes de justice, tout comme l'équité est une des bases philosophiques du droit. À ce moment-là, comment peut-on concevoir que ce soit très précisément sous l'instigation de ce ministère de la Justice que l'équité qui existait jusqu'à aujourd'hui soit rompue et qu'elle le soit très précisément aux dépends de la catégorie de victimes qui relèvent de la compétence du ministère de la Justice? C'est, nous semble-t-il, tout à fait troublant.

Un autre point majeur de ce que nous proposent les modifications qu'il y a maintenant, c'est que, pour cette catégorie de victimes, tout à coup, on va soustraire des prestations qu'on leur accorderait, ce qu'elles reçoivent, par ailleurs, de la Régie des rentes du Québec. C'est, bien entendu, dans le cas des gens qui sont décédés. Pourquoi ces victimes, encore une fois, alors que pour toutes les autres personnes qui meurent accidentellement on n'a jamais pensé soustraire de ce que le régime de réparation leur accordait les prestations en vertu de la Régie des rentes du Québec?

Il faut aussi souligner qu'il y a des changements intéressants dans ce qui nous est proposé. Par exemple, maintenant, tous les résidents québécois seront protégés, qu'ils soient victimes au Québec ou à l'extérieur du Québec. Il y a une autre chose qui est assez intéressante - même si cela a l'air drôle de le dire comme cela - c'est que l'IVAC ne défraie plus les soins médicaux et hospitaliers, parce qu'ils le sont déjà ailleurs. Pour le ministère de la Justice, ce serait une bonne chose. Pour le ministère des Affaires sociales, c'est une moins bonne chose. Pour les victimes, cela ne change rien. En général, pour les contribuables, cela nous semble une excellente chose puisqu'on sait ce que peuvent coûter à la fonction publique les changements, les transferts d'une poche à l'autre ou d'un ministère à l'autre. Nous sommes assez heureux de ces changements.

Il y a d'autres changements qui sont désavantageux pour des victimes, mais qui pourraient être acceptables dans une situation de très grande pénurie. Pour que nous les acceptions pour les victimes d'acte criminel, il faudrait qu'on nous prouve qu'on en est rendu dans une situation aussi lamentable que celle-là. Or, nous ne considérons pas qu'on nous a prouvé qu'on en est là, qu'on en est rendu au point où on doive couper le pain et le beurre des gens parce que vraiment tout le reste a été coupé. On n'est pas du tout convaincu de cela. Alors, on ne peut pas accepter qu'il y ait des délais de carence qui soient imposés dans le versement des prestations aux victimes d'acte criminel, c'est-à-dire huit jours dans les cas où les gens travaillaient ou pendant toute une année, pour les personnes qui n'avaient pas d'emploi. Cette deuxième période de carence est tout à fait désastreuse pour les gens qui recevaient des prestations d'assurance-châmage parce que, pour recevoir ces prestations, il faut être disponible tous les jours pour travailler et, si on ne signe pas un formulaire qui dit qu'on l'était, tout nous est retiré. Si on considère les gens qui reçoivent des prestations d'assurance-chômage comme étant des gens qui n'avaient pas de revenu d'emploi et qui doivent attendre un an, ils deviennent automatiquement des prestataires d'aide sociale parce qu'ils ne sont plus en état de travailler. (16 h 30)

Il y a un autre changement qui nous semble inacceptable et celui-là n'aurait pratiquement aucune répercussion sur le plan financier, c'est l'obligation de rapporter à la police le crime qui a été commis. Cela n'aurait pas de répercussion financière parce qu'il y a à peine 3% des cas qui ne sont pas rapportés à la police et, parmi ceux-là, quelles que soient les décisions prises, ils ne seraient pas plus rapportés à la police, non pas parce qu'il y a quelque chose de louche, mais parce que les victimes ne sont pas en état de rapporter le crime à la police. Elles ont extrêmement peur des représailles de leur agresseur. Ce serait un peu une double victimisation pour ces personnes parce qu'elles ne rapporteraient pas les choses à la police. Les crimes qui coûtent le plus à

l'État sont essentiellement des crimes tellement spectaculaires - ce sont des meurtres ou des choses semblables - et la police est toujours informée. On n'économiserait rien là-dessus.

En conclusion, on avait mis sur pied en 1972 un régime qui permettait aux victimes, non pas de s'enrichir - ce n'est pas que leur victimisation ne les touche pas - mais d'envisager dans l'avenir une vie qui ne serait pas radicalement différente de la vie qu'elles menaient avant. Par exemple, les enfants d'une victime d'incendie criminel pourraient continuer à poursuivre leurs études parce que la combinaison de l'indemnisation de l'IVAC et des prestations du régime des rentes du Québec le leur permettraient. Là-dessus, je voudrais rassurer l'Assemblée nationale: même en combinant ces deux formes de prestations il n'y aura jamais une victime d'acte criminel qui va s'enrichir du fait de sa victimisation.

Je crois maintenant que Mme Nicole Kirouac aurait des remarques à vous faire.

Mme Kirouac (Nicole): À la suite de l'exposé de nos deux collègues, le comité Plaidoyer-Victimes aurait eu, en guise de conclusion, quelques questions finales, des questions concernant le projet de loi 42, entre autres, concernant l'harmonisation des différents régimes d'indemnisation par rapport à la dénonciation obligatoire faite par les victimes en vertu de l'article 311; également, l'inceste qu'on a peut-être oublié dans l'article 318; le délai de carence pour les catégories de victimes. Cependant, à l'heure du dîner, les membres du comité Plaidoyer-Victimes, qui sont assez nombreux cet après-midi dans la salle, qui étaient également présents ce matin, en sont venus à un consensus. Le ministre du Travail nous a rassurés ce matin, quand il a parlé de modifications ou, du moins, d'une volonté évidente de modifier certains points qui ont été soulevés ce matin lors de la rédaction finale. On lui fera donc confiance; nous sommes rassurés et nous attendons de voir si ces éléments ont véritablement été modifiés lors de la rédaction finale.

Cependant, on ajouterait un voeu, un désir. En effet, à l'heure où les différents groupes et les individus au Québec commencent à s'intéresser au sort des victimes, à l'heure où les victimes de violence commencent elles-mêmes à prendre la parole, à l'heure où, justement, le gouvernement actuel, le gouvernement du Québec, adopte et se donne des politiques d'aide à des regroupements de victimes au Québec - je pense beaucoup, entre autres, aux victimes d'agression à caractère sexuel et aux femmes victimes de violence - à l'heure, aussi, où un mouvement international se dessine pour faire reconnaître par les Nations Unies et pour faire enchâsser dans une charte des droits de réparation, de protection et de justice aux victimes, on aurait souhaité, dans le cadre du projet de loi 42, que le gouvernement fasse un pas de plus en avant et donne une véritable loi aux victimes en enchâssant à l'intérieur une reconnaissance des droits de justice, réparation et protection. Cela, sans aucun doute, changerait, entre autres, à l'intérieur de l'appareil judiciaire ou d'autres types de ministères ou de services, le statut des victimes. C'était le souhait que les gens de Plaidoyer-Victimes manifestaient; ils auraient souhaité le voir en 1984 dans ses ajouts.

Est-ce qu'on peut savoir si l'idée a flotté dans l'air au ministère, au gouvernement? Et, dans la rédaction finale, si on ne peut pas retrouver véritablement une loi enchâssant les droits des victimes, est-ce qu'on pourrait au moins avoir dans un préambule des énoncés de principes par rapport à ces droits sur les victimes? Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska):

Merci pour votre présentation. Je laisse la parole au ministre pour ses commentaires.

M. Fréchette: Mesdames, M. Harnois. Je prends bonne note du fait que vous étiez présents ce matin au moment où la Société de criminologie a présenté son mémoire avec l'École de criminologie. Je prends également bonne note que vous nous avez essentiellement dit que les représentations que nous avons entendues ce matin, vous les faisiez vôtres, vous y concouriez. Je voudrais simplement vous demander à mon tour de prendre note ou de prendre acte de ce que j'ai signalé à nos invités de ce matin par rapport au principe général de l'harmonisation.

Quand la loi 42 a été déposée, après que beaucoup de réflexions ont été faites, beaucoup d'analyses de toute espèce ont été faites. Il était évident qu'à tout le moins, quant au niveau des principes, ce qu'il fallait viser à travers les six ou sept régimes d'indemnisation ou de réparation qui existent au Québec, c'était de réaliser une harmonisation quant aux principes, j'entends bien.

Dans le cas très précis de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels et de la Loi visant à favoriser le civisme, cet objectif est également présent quant aux principes mais je vous signale, sans aucune réserve, qu'au fur et à mesure que nous procédons à avancer dans nos travaux, au fur et à mesure que des représentations nous sont soumises par des organismes qui sont directement intéressés à ce phénomène des victimes d'actes criminels, nous réalisons bien qu'il y a un certain nombre de choses qu'il va falloir réaligner, réajuster.

Je vous signale aussi que plusieurs associations syndicales ont soulevé très

précisément les inquiétudes que vous nous soumettez; évidemment, et c'est facilement comprenable, avec peut-être un peu moins d'emphase puisque leur préoccupation principale va du côté des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, mais plusieurs ont quand même attiré notre attention là-dessus.

Il devient de plus en plus évident, au fur et à mesure que nos travaux progressent, qu'il va falloir, comme je le disais il y a un instant, réajuster un certain nombre de choses. Je ne veux pas répéter ce que j'ai dit ce matin sauf, peut-être, pour rappeler que l'harmonisation qui est visée doit par ailleurs tenir compte de certains phénomènes qui existent par rapport aux clientèles qui sont différentes et cela rejoint plus précisément le phénomène de la réadaptation, par exemple.

Est-ce que les politiques de réadaptation doivent être harmonisées à tous égards à l'endroit d'une victime d'acte criminel qui, au moment de la situation qui lui a créé son préjudice, se trouvait, par exemple, sans emploi, vivait d'aide sociale ou de n'importe quel autre genre d'allocations mais qui n'était pas sur le marché du travail? Est-ce qu'en termes d'harmonisation il faut accepter comme principe que la réadaptation va être la même pour cette victime que pour la victime d'accident du travail? Si c'est harmonisé à tous égards, cela voudrait dire que l'on impose - enfin, impose entre guillemets - à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de procéder à de la réadaptation physique et sociale ou à de la réadaptation de toute nature, vers une réintégration au marché du travail. C'est le genre de choses dont il faut évidemment tenir compte dans ces procédures d'harmonisation.

En termes strictement économiques, je vous réitère ce que j'ai dit ce matin, et à partir de l'observation faite par le secrétaire général de la Société de criminologie. Il nous disait que son organisme, en tout cas, serait satisfait que l'harmonisation qui existe actuellement dans la Loi sur les accidents du travail telle qu'on la connaît soit reconduite avec les modalités que l'on retrouve dans la loi 42; en d'autres mots, du moins en termes d'indemnisation, qu'une victime d'acte criminel soit traitée exactement sur le même pied qu'une victime d'accident du travail.

Sans entrer dans les détails, je vous réitère que la réflexion a déjà fait un bon bout à cet égard. Je pense pouvoir, dans les jours qui viennent, annoncer une décision ferme du gouvernement quant à la nécessité de procéder à des rajustements. Et je vous signale qu'on a là un exemple fort intéressant de la nécessité de tenir des auditions publiques avant de procéder à l'adoption de lois, qu'elles soient cadres ou autres, la nécessité de tenir des auditions publiques et de procéder à obtenir les observations ou les évaluations de ceux et celles qui vivent avec l'application de ces lois. On est plus souvent qu'autrement en dehors du terrain et on ne sait pas toujours ce que donne l'application pratique d'une loi dont on a participé à la préparation et à l'adoption. Ce sont des gens qui ont cette expertise quotidienne qui peuvent, de façon précise, nous faire voir quelles peuvent être les lacunes.

Il y a seulement un aspect de la question dont nous discutons sur lequel j'apprécierais qu'on puisse élaborer un peu plus, c'est cette nouvelle disposition que l'on retrouve dans le projet de loi 42 - et là, je ne suis pas en train de vous dire quel sort lui est réservé - relative à la dénonciation obligatoire. Il y a un très petit nombre de victimes qui ne font pas déjà la démarche dont on parle. On a abordé rapidement ce matin la question des motifs pour lesquels cela pouvait être là. Ce n'est pas limitatif, mais les uns et les autres y sont allés de leur appréciation. Après y avoir repensé ou réfléchi à nouveau, je me demandais s'il n'y avait pas lieu d'envisager la question sous un autre angle et je suis certain que vous avez déjà réfléchi à cela. Est-ce que cela ne pourrait pas aussi être, pour une victime d'acte criminel, une sécurité additionnelle que de se présenter, je ne sais pas, à un officier de police en autorité, pour procéder à cette dénonciation? C'est dans le sens suivant: Si, à un moment donné, l'agresseur se retrouve devant les tribunaux, plaide coupable ou est trouvé coupable à la suite d'un procès et que la personne en autorité à qui la dénonciation serait faite a été en contact immédiat avec la victime dans les heures qui ont suivi l'agression, est-ce que cet officier, quel qu'il soit, ne devient pas, pour les fins de la preuve devant les tribunaux, un témoin qui pourrait être intéressant?

Je pense, par exemple, à une victime de viol - je comprends, par ailleurs, tous les phénomènes dont vous nous avez parlé tout à l'heure, par exemple, la crainte, dont on a parlé très souvent - qui se présenterait chez un officier en autorité, pour laquelle l'officier en question pourrait déceler, au simple contact visuel de la personne qui est devant lui, qu'elle est dans une situation absolument désespérée de stress, de choc: des vêtements brisés, des blessures corporelles. Dans ces conditions-là, est-ce que cette personne ne peut pas devenir un auxiliaire intéressant, d'abord pour essayer de procéder à ce que justice soit faite, en termes strictement légaux, pour que les tribunaux fassent leur travail? (16 h 45)

Deuxièmement, pour les fins du dossier de l'indemnisation et des autres phénomènes de réparation, cet officier serait peut-être

en mesure de donner des renseignements qu'autrement les gens ne pourraient pas obtenir. Je pense que vous voyez dans quelle optique j'ai à nouveau réfléchi à la question dont on a parlé ce matin. Je me demande si je suis tout à fait farfelu en évaluant cela comme cela ou si c'est une chose qu'il est raisonnable de discuter.

M. Harnois: Mes deux collègues ont une bonne expertise là-dedans. Mme Cusson.

Mme Cusson: C'est tout à fait raisonnable de dire ce que vous dites et tout est beaucoup plus simple, évidemment, quand la personne se précipite au poste de police pour la preuve, pour l'efficacité devant les tribunaux et même pour l'IVAC parce que, lorsqu'on reçoit le rapport des policiers qui a été pris sur le vif, c'est entendu qu'on ne cherche pas de midi à quatorze heures pour savoir si ce que la victime nous raconte est vrai. C'est tout à fait idéal, ce que vous dites, mais il faut penser aux victimes qui ne peuvent pas le faire.

Prenons un exemple concret, la femme battue, les chicanes domestiques. C'est bien connu que les policiers n'osent pas poursuivre dans ces conditions-là. On entend la plainte, on l'enregistre à peine. En général, disons que les femmes n'ont pas envie de le faire et, au niveau de l'IVAC, cela peut amener des complications, bien entendu. Il faut dire au départ que l'IVAC est très mal connue de la population. À ce moment-là, une victime qui n'a pas confiance et qui a peur des policiers ne va pas les rencontrer et, huit mois après, elle apprend l'existence de l'IVAC. Cela fait longtemps qu'elle est troublée, elle ne peut plus travailler, elle pourrait profiter de l'IVAC. Elle apprend que cela existe et qu'elle a un an pour faire sa demande à l'IVAC. Maintenant, elle voit une raison. D'abord, elle peut parler à quelqu'un de l'IVAC et elle ne se serait jamais précipitée au bureau de l'IVAC, non plus, au moment où c'est arrivé. C'est inimaginable que quelqu'un n'aille pas dénoncer aux policiers mais parte tout de suite et aille dénoncer cela au bureau de l'IVAC. Il s'agit de gens qui ne sont pas en état de faire ces démarches-là. Tout ça, pour ne pas que des gens, qui apprennent un jour que l'IVAC existe, soient pénalisés parce qu'ils ne se sont pas précipités au poste de police au début.

Mme Kirouac: Je compléterai peut-être, travaillant quotidiennement depuis plusieurs années auprès de femmes victimes de violence et de viol. Il y a justement une catégorie de femmes, pour celles victimes de violence, qui ne vont pas au bureau de l'IVAC, pas parce qu'elles ne le connaissent pas et ne savent pas que cela existe, mais le pourquoi serait très long à expliquer. C'est peut-être à cause de tout le support ou des traumatismes qu'elles ont souvent dû subir ou affronter depuis la première plainte ou dénonciation aux policiers, depuis, d'abord, le fait de devoir quitter rapidement la maison, depuis tous les traumatismes qu'elles doivent vivre après le moment où elles décident de quitter, l'appareil judiciaire, etc. C'est comme trop demander à ce type de victimes, de devoir passer par un autre stade.

Si on nous assure, à la suggestion qu'on vient d'entendre et que je trouve intéressante dans la mesure où on ne lui donne plus tout le fardeau et on lui donne un soutien face à cela... Je pense que les victimes, même celles qui sont extrêmement traumatisées, peuvent endosser cela, à ce moment-là, mais en les soulageant et en leur apportant un soutien et une aide face à un article comme celui-là.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence. Je n'ai pas de questions à poser, seulement quelques commentaires pour dire qu'on a souvent entendu, soit le président-directeur général de la CSST, l'honorable juge Sauvé, soit le ministre - et ce, avant le dépôt du projet de loi - dire qu'un éventuel projet de loi aurait pour effet l'harmonisation du régime qu'il instaurerait avec d'autres régimes déjà en place au Québec. Je ne les ai pas personnellement entendus parler de modifications au régime d'indemnisation prévu dans la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels ou la Loi visant à favoriser le civisme. Je dois ajouter qu'en ce qui me concerne je trouve cela totalement inacceptable et, en apportant des changements par le biais de ce projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, c'est un peu passer par la porte d'en arrière. Je trouve cela totalement inacceptable.

D'autre part, je suis heureux que le ministre ait dit, tout à l'heure, qu'il va essayer d'harmoniser tout cela. J'ai bien hâte de voir comment il va le faire. J'aimerais bien qu'à un certain moment le ministre réponde à la question que vous posez dans votre mémoire et que d'autres ont posée, à savoir: Qui a-t-on vraiment consulté lorsqu'on a décidé d'inscrire ces modifications dans le projet de loi? J'ai plutôt l'impression que c'est la CSST qui s'est consultée en se regardant dans le miroir et qu'il n'y a pas eu consultation ailleurs.

Je tiens à vous assurer, au nom des collègues de ma formation politique, que nous tenterons, dans toute la rigueur possible, d'empêcher que ces deux projets de loi précis soient amendés sans qu'il y ait une consultation très large des personnes

impliquées et des porte-parole du milieu, après vous avoir entendus, dans le sens que la loi régissant l'IVAC est très peu connue et qu'il y a très peu de gens qui viennent vous voir.

Ce sont les commentaires que je voulais faire et je vous remercie des explications, en espérant que nous aurons l'occasion de nous rencontrer plus tard pour en discuter un peu plus à fond et non pour essayer de discuter d'un sujet qui est assez intéressant dans le cadre d'un autre projet de loi. Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska):

Merci, M. le député. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. J'aimerais revenir sur votre recommandation d'ajouter l'inceste à la liste des crimes. On en a un peu parlé ce matin. Ce n'était pas dans la loi antérieure. Je ne pense pas que l'IVAC couvre, même présentement, les cas d'inceste. Est-ce que je me trompe?

Mme Cusson: C'est exact. Elle ne les couvre pas présentement.

Mme Harel: C'est bien le cas. J'imagine que c'est peut-être lié à l'évolution de l'opinion publique à l'égard de l'inceste qui était, jusqu'à récemment, considéré quasi comme un problème familial privé et qui, maintenant, de plus en plus, est considéré comme un crime à la personne, donc susceptible de poursuite.

Je veux vous demander ce que, à votre point de vue, cela ajouterait si c'était introduit dans la liste des crimes. Il s'agit de personnes mineures. On parle donc essentiellement de personnes mineures qui sont à la charge de leurs parents ou qui sont couvertes par d'autres lois. Je pense à la Loi sur la protection de la jeunesse, mais je pense aussi au mandat plus large des services sociaux. Dans quel sens pourrait-il y avoir réclamation auprès de l'IVAC de la part de ces personnes mineures?

Mme Cusson: Ce n'est pas surtout la question financière qui entre en ligne de compte. C'est beaucoup plus la réadaptation. Dans la mesure où ces enfants vont continuer à habiter chez leurs parents ou, disons, avec leur père, dans le cas de l'inceste fille-père, la famille ne sera pas admissible aux indemnités de l'IVAC, parce qu'un agresseur ne peut pas profiter de ce qui est versé. Par contre, cet enfant a très souvent besoin de traitements au plan psychologique et l'IVAC pourrait payer pour ce traitement.

Mme Harel: Mais ce traitement est déjà offert dans le cadre des services sociaux.

Mme Cusson: C'est beaucoup plus difficile de l'obtenir lorsque les parents ont à aller chercher l'enfant. Si le service de réadaptation sociale de la CSST s'en occupe, il connaît des gens dans le milieu capables de traiter ce genre de traumatisme causé par des gestes de violence. Pour un enfant et ses parents - cela se passe parfois dans des milieux très reculés, dans des endroits où c'est très difficile d'obtenir ces services -l'IVAC pourrait orienter des personnes et payer, mais à ce moment-là, il faudrait que ce soit reconnu comme un crime qui peut être indemnisé par l'IVAC.

Mme Harel: Mais le service d'aide ou de réconfort, le service psychosocial est déjà offert dans le cadre d'un service public.

Mme Cusson: C'est difficile. On a des services de psychiatres. Dans le domaine psychologique, on peut avoir les services d'un psychiatre, si on en trouve un, qui seront gratuits, mais les services d'un psychologue, on doit les payer, toutes ces choses doivent être payées.

Mme Harel: Oui, mais c'est déjà offert dans le cadre du mandat général des services sociaux. Les centres de services sociaux ont déjà ce mandat et je pense qu'ils ont déjà, même, une pratique psychosociale pour ces victimes.

Mme Cusson: Pensez-vous que la mère d'un enfant qui est victime d'inceste puisse partir avec sa fille et l'amener au CSS? C'est à peu près impensable. Ce sont des choses qui n'existent pas dans la réalité. Une fois que les choses sont rendues devant l'IVAC, celle-ci va proposer à la mère de faire cela. La situation de la mère est souvent compliquée. Elle est aux prises avec son mari, son enfant et tout cela. Une instance comme l'IVAC, bien sûr, ne forcera rien dans ce domaine. On ne force rien. Elle va aider, proposer, suggérer, parce qu'elle a un souci de la réadaptation de cette victime, de cette enfant.

Mme Harel: Je comprends parfaitement votre point de vue de faire ajouter à la liste des crimes l'inceste. Je pense qu'il faudrait quand même une très grande harmonisation dans les services offerts, parce que, si on reprend votre exemple, la mère qui aurait de la difficulté à conduire sa fille dans un centre de services sociaux pourrait avoir la même difficulté à la conduire à l'IVAC.

Mme Cusson: Oui, mais cela pourrait être une autre personne. Amener la chose devant l'IVAC, c'est peut-être moins difficile que de trouver le service et le psychiatre.

Mme Harel: L'important du moins - en tout cas, on peut en conclure cela - c'est que la meilleure qualité de services soit offerte assez rapidement et dans les meilleurs délais.

Lorsque vous parliez du cumul de l'allocation de la Régie des rentes et de l'IVAC, en parliez-vous pour les moins de 60 ans ou de 65 ans? En parliez-vous simplement pour les retraités ou préretraités en faisant référence à l'aspect d'invalidité résultant d'un acte criminel?

Mme Cusson: Non, les familles des victimes d'actes criminels décédées. Par exemple, les familles des mineurs de Chapais. Lors de cet incendie criminel, les familles avait droit à l'IVAC et aussi au régime des rentes. Lorsque le père était décédé, le reste de la famille recevait les rentes. Parce que le travailleur a contribué au régime de rentes du Québec toute sa vie, sa famille reçoit cela et aussi l'IVAC, mais dans le projet de loi, l'IVAC dit: On te donne tel montant, mais on enlève de cela ce que tu recevras du régime de rentes. Personne d'autre n'a pensé de faire cela, dans ces projets, pour l'IVAC. Ce sont des choses qui n'ont pas tellement à voir entre elles et on ne voit pas pourquoi l'IVAC dirait: Comme le gars a contribué au régime de rentes pendant sa vie, que sa famille va recevoir tel montant, nous lui donnons cela, mais on ne lui en donne pas plus à cause de ce qu'elle recevra par ailleurs. Cela ne se fait dans aucun autre régime. C'est pour les dépendants des victimes qui sont décédées.

Mme Harel: Parlez-vous pour les ayants droit, les dépendants et, éventuellement, pour les victimes elles-mêmes qui pourraient obtenir une rente d'invalidité?

Mme Cusson: Je ne le sais pas, je n'ai pas étudié ce cas.

Mme Harel: D'accord. Merci. (17 heures)

M. Harnois: Un commentaire, madame. Ce que vous souleviez tout à l'heure en réponse à Mme Cusson nous laisse entrevoir que, dans le réseau des affaires sociales, la prise en charge des victimes de violence, c'est quand même quelque chose qui ne se fait pas facilement. Comme directeur d'un hôpital psychiatrique - on pourrait s'attendre que cela se fasse assez facilement chez nous - je peux vous dire que cela dérange toujours un peu et qu'il semblerait que cela passe à côté de l'expertise de beaucoup de monde, de sorte qu'on peut facilement s'imaginer que... Un cas d'inceste, par exemple, cela va un peu mieux, on est un peu plus à l'aise, dans le milieu psychiatrique, du moins; mais les victimes de violence, d'actes criminels, lorsque cela se présente un peu partout dans le réseau, cela va assez bien lorsqu'il y a des jambes cassées, mais lorsque cela commence à fonctionner moins bien au niveau psychologique, c'est là que les difficultés sont plus grandes et un peu plus difficiles de prise en charge.

Mme Cusson: J'aimerais répondre, si c'était possible, à l'interrogation de M. le ministre, tout à l'heure, concernant la réadaptation sociale. Selon le principe de l'harmonisation, il disait: Pour la réadaptation, cela semblerait curieux qu'on remette dans un état d'un travailleur habile une personne qui est un bénéficiaire de l'aide sociale. Je comprends très bien. Quand on parle d'harmonisation, c'est mutatis mutandis et je crois que le critère est assez facile à trouver, c'est l'état antérieur de la personne. Une fois qu'on définit cela comme cela, c'est assez clair, il me semble, ce qu'on peut faire.

M. Fréchette: Vous n'avez pas compris que j'entreprenais de nier la nécessité de la réadaptation pour une victime d'acte criminel qui n'avait pas d'emploi au moment où il a été la victime. Je n'ai peut-être pas été suffisamment clair, mais essentiellement, ce que je voulais dire, c'est que la réadaptation ne peut pas être de même nature et ne peut pas être faite de la même façon. C'était strictement dans ce sens que mon observation était faite.

M. le Président, je n'avais pas l'intention d'intervenir davantage. Cependant, je voudrais simplement remettre un certain nombre de choses dans leur vrai contexte. Mon collègue, le député de Viau, qui a bien fait son travail jusqu'à maintenant à l'intérieur de cette commission a sans doute tout à l'heure échappé quelque chose qui a dépassé sa pensée. Je ne peux assurément pas laisser passer cette observation sans au moins faire un commentaire. Le député de Viau a dit que, pour arriver à inscrire dans la loi 42 les dispositions qu'on y trouve par rapport à l'indemnisation des victimes d'actes criminels, la CSST s'était sans doute regardée dans le miroir et qu'à partir de l'image qui était perçue elle avait décidé un bon matin d'introduire dans la loi ces dispositions.

Au mois de décembre dernier, nous avons, pendant cinq jours, assisté à une commission parlementaire à l'intérieur de laquelle ceux et celles qui l'ont voulu sont venus faire leurs doléances à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, sont venus lui dire expressément quels étaient les reproches qu'ils avaient à faire quant au fonctionnement et à l'administration de la commission.

Nous sommes actuellement en commission depuis neuf jours - nous compléterons demain une dixième journée -

pendant lesquels, aussi, il y a eu des observations qui ont été faites à l'égard de la Commission de la santé et de la sécurité du travail qui étaient sans doute bien fondées, qui avaient leur raison d'être là et qu'on devait nous dire. C'est d'ailleurs à partir d'observations de ce genre que des changements ou des amendements vont être apportés à la loi 42. Quand on dit que la décision de préparer et de déposer un projet de loi avec le contenu qu'on lui connaît et qui est en relation avec l'IVAC, que cette décision a été prise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, je voudrais que l'on sache très expressément que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n'est pas, dans ce cas-ci, l'organisme qui a pris cette décision. Je rappellerai, pour les fins du dossier, M. le Président, que la Commission de la santé et de la sécurité du travail a été chargée par le législateur d'administrer le régime de l'indemnisation des victimes d'actes criminels et le régime de la loi sur le civisme. Ce n'est donc pas elle qui a pris ces décisions auxquelles le député de Viau vient de faire référence. Non seulement la CSST n'a-t-elle pas pris cette décision, mais je suis en mesure de vous dire, M. le Président, depuis le temps que je travaille à la préparation du projet de loi, que ce sont les officiers, les gens qui ont travaillé au projet de loi qui ont été les premiers à nous alerter sur les dispositions qu'on y retrouvait. Je veux bien que l'on fasse des procès sur la place publique, qu'on tente d'avoir des têtes, mais qu'on soit au moins objectif par rapport à des situations qui sont pourtant fort claires.

Cela dit - et cela va peut-être dans la même direction, dans le même sens - je voudrais pour un instant revenir sur la question de la dénonciation obligatoire. J'ai été impressionné ce matin par l'observation faite par le secrétaire de la Société de criminologie quand il nous a dit que, de toute manière, la disposition qu'on retrouvait quant à la dénonciation obligatoire ne contribuait en aucune espèce de façon à améliorer l'ensemble du régime et que, bien au contraire, il avait l'impression très nette, à partir de l'expérience qu'il a - et à partir de l'expérience que vous avez sans doute, vous pourrez confirmer ou infirmer cette impression - que cela ne pouvait que minimiser les aspects intéressants de l'ensemble de la loi. Alors, si c'est vraiment la dernière conclusion à laquelle il faut arriver, je vous dirai qu'à cet égard également nous prendrons très certainement, de ce côté-ci de la commission, les dispositions qui s'imposent pour ajouter à nos représentations, quant à l'aspect économique que vous avez soulevé, les argumentations que vous nous avez soumises quant à l'opportunité ou enfin, peut-être, la nécessité d'amender ou d'abroger cette disposition nouvelle qu'on retrouve dans la loi.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Viau.

M. Cusano: Je ferai un seul commentaire à la suite des remarques du ministre, parce que je ne veux pas retarder nos invités. Je sais fort bien que la CSST administre les lois en question. La raison pour laquelle j'ai fait les déclarations que je maintiens, c'est que, depuis ce matin, et même depuis presque le début de nos travaux on a demandé, en ce qui concerne les deux lois, qu'elles soient discutées séparément. Ce matin, nous avons demandé la présence du ministre de la Justice et l'ordre de convocation a été envoyé depuis longtemps. Et, même si le ministre de la Justice voyage quelque part, je pense qu'il aurait dû être ici pour nous expliquer sa position en tant que ministre de la Justice, à l'égard de ces deux lois. Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Cela dit, je remercie les représentants du groupe Plaidoyer-Victimes d'être venus nous présenter leur mémoire et j'inviterais les représentants de la Clinique juridique de Hull à venir nous présenter le leur.

Clinique juridique de Hull

M. Ménard (Louis): M. le Président, M. le ministre, Mme la députée, MM. les députés, j'aimerais souligner au départ, en cette journée du 8 mars, l'absence de la directrice qui est retenue dans l'Outaouais québécois pour les activités que vous savez.

Je me présente; je suis Louis Ménard de la Clinique juridique de Hull où je travaille comme avocat. À ma gauche, M. Yvon Gauthier, membre du conseil d'administration de cette clinique et qui est aussi président du Syndicat des ouvriers salariés de E.B. Eddy.

Ce qu'on va tenter de vous présenter et qui a été fait en quinze pages, avec quelques coquilles dont on s'excuse et qu'on va corriger, c'est un peu le reflet du travail, de nos expériences, comme, tantôt, quelqu'un parmi le groupe l'a souligné, le travail sur le terrain. Ce sont nos observations tout simplement qu'on va émettre.

Instituée depuis 1973 en vertu de la Loi sur l'aide juridique, la Clinique juridique de Hull qui rejoint l'ensemble de l'Outaouais, la région administrative no 7, tient lieu de contentieux juridique, principalement aux services des petits salariés, des chômeurs, des assistés sociaux et des accidentés du travail.

Depuis plus de dix ans, la Clinique juridique de Hull, en vertu de son mandat constitutif, informe sur leurs droits et représente auprès des instances

administratives et tribunaux judiciaires et quasi-judiciaires, les intérêts des hommes et des femmes ayant été victimes d'accidents du travail ou d'une maladie professionnelle.

Il est à noter que cette responsabilité, visant à informer et représenter les citoyens et citoyennes en matière d'accidents du travail, ne se limite pas uniquement à l'application de la Loi sur les accidents du travail du Québec ainsi qu'à nos relations avec la CSST. La réalité géographique de l'Outaouais fait que nous devons aussi prendre en considération la "Worker's Compensation Act of Ontario", étant donné que bon nombre de Québécois et Québécoises résidant au Québec mais travaillant du côté ontarien et qui sont victimes d'un accident du travail devront être représentés auprès des instances de révision et d'appel créées en vertu de la loi ontarienne.

C'est donc consciente de ses limites et, bien sûr, des limites ou des manques à la Loi sur les accidents du travail et ce, sans oublier les pouvoirs attribués à l'énorme appareil bureaucratique infligeant plus d'une tracasserie administrative à l'endroit non seulement des citoyennes et des citoyens victimes d'un accident, mais aussi à l'égard de leur médecin traitant, que la Clinique juridique de Hull décidait, conjointement avec le concours d'organismes tels que le diocèse de Hull-Gatineau et de la Saint-Vincent-de-Paul, de créer un fonds de dépannage pouvant, dans des situations d'urgence, venir en aide aux familles dont le gagne-pain se voyait refusé ou coupé des prestations d'indemnités. Ainsi, par exemple, avant d'avoir un nouveau rapport médical démontrant l'incapacité de travailler et ce, sans être vraiment sûr qu'il sera accepté, il fallait, dans certains cas, répondre à des besoins aussi élémentaires que ceux de la nourriture et du logement.

Je tiens à souligner, après sept ans de travail dans cette boîte qui est la Clinique juridique de Hull, que ces situations se sont produites plus d'une fois, c'est-à-dire des besoins urgents de nourriture, de paiement pour logements, et qu'on a utilisé cette caisse de premier secours indépendamment de l'aide sociale qui existe aussi comme politique ou comme organisme de premier secours.

Deuxièmement, nous avons contribué, avec la participation de travailleuses et de travailleurs, à la mise sur pied d'un comité de travailleurs accidentés qui est actif depuis 1977. Il est à remarquer que ce regroupement, qui sert à promouvoir les intérêts et les droits des victimes d'accidents du travail auprès des instances administratives et politiques, représente aussi un lieu d'échanges et de solidarité important pour des hommes ou des femmes qui sont brutalement écartés de leur milieu de travail à la suite d'un tel accident.

C'est donc en nous appuyant sur une expérience pratique qui repose, entre autres, sur le traitement de 324 dossiers assujettis à la Loi sur les accidents du travail que nous désirons exposer devant cette commission parlementaire nos observations relativement au projet de loi 42 qui propose l'instauration d'un nouveau régime de réparation des lésions professionnelles.

Tout d'abord, nous aimerions signaler à l'appui de cette expérience deux observations qui nous apparaissent fort inquiétantes et qui méritent que la présente commission y porte une attention rigoureuse tout au cours de sa réflexion sur le projet de loi.

Comme première observation: Même s'il s'agit d'un secret de polichinelle, nous devons signaler à cette commission que, dans le traitement des dossiers, nous avons dénoté chez l'ensemble des justiciables, accidentés du travail, une forte agressivité ainsi qu'une méfiance profonde vis-à-vis de l'organisme chargé d'administrer et d'appliquer la Loi sur les accidents du travail, soit la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Fait à remarquer, cette agressivité jumelée à la méfiance ne se sont pas réduites pour autant même après les modifications à la Loi sur les accidents du travail apportées en 1978 par le projet de loi 114. En réalité, seule la modification de 1977, issue du projet de loi 5, confiant à un tribunal administratif indépendant, la Commission des affaires sociales, une juridiction partielle afin de réviser en appel les décisions du bureau de révision de la CSST a connu des effets positifs, non seulement auprès des justiciables, mais aussi auprès des professionnels intéressés, tels qu'avocats et médecins traitants.

Ces symptômes inquiétants d'agressivité et de profonde méfiance nous semblent à l'heure actuelle sans égal à l'endroit d'un organisme détenteur, entre autres, d'une mission et d'une responsabilité sociale vis-à-vis de la population active du Québec. À ce chapitre, nous invitons les députés de la présente commission à vérifier eux-mêmes la teneur de ces symptômes en rencontrant dans leur circonscription respective les victimes d'accidents du travail aux prises avec la CSST. (17 h 15)

II demeure évident que ces symptômes ne sont pas le résultat du hasard et qu'il est possible d'en identifier certaines causes. Entre autres, signalons les pouvoirs discrétionnaires et arbitraires de la CSST d'émettre des directives, des politiques qui, tout en touchant de près les justiciables, échappent au pouvoir de révision et de surveillance d'un tribunal indépendant. Je ferai simplement remarquer la chose suivante à cet effet, à savoir qu'en soulignant le caractère ou le fait qu'un organisme tel que la CSST puisse émettre des politiques et des

directives pour l'ensemble de ce type d'entreprise, pour des fins de cohésion, d'efficacité et d'efficience, étant donné les exigences de gestion, ce n'est pas là que le problème se pose, mais bien l'incapacité par rapport à l'ensemble des décisions, ou des politiques, ou des directives qui ne peuvent faire l'objet d'appel ou d'être vérifiées par un organisme ou un tribunal indépendant. À mon avis, c'est là que se pose le véritable problème, quand on parle, entre autres, d'un appareil bureaucratique par rapport aux justiciables du Québec. Alors, face à cette inquiétude que nous avons décrite, nous estimons que la commission parlementaire se doit, dans la recherche de l'instauration d'un nouveau régime de réparation des lésions professionnelles, de tendre vers ce que nous pourrons appeler une normalisation des rapports entre l'organisme mandaté pour administrer et appliquer la loi et les justiciables.

Il est temps, à notre avis, que des mesures législatives concrètes soient adoptées afin de véritablement réduire ce climat d'agressivité démesurée et de forte méfiance qui risque tout simplement de s'étendre à d'autres institutions du Québec. Il est temps aussi de se demander quel type de Québécois ou de Québécoises ou de citoyens ou de citoyennes on prépare pour l'avenir par rapport à leurs expériences face à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. C'est un peu dans ce style qu'on fait cette remarque.

Une deuxième observation est certes une des plus tragiques, l'appauvrissement graduel des accidentés du travail. Parmi les dossiers traités, soit 324, par la Clinique juridique de Hull, nous avons identifié plus de 70 cas d'accidentés qui, en l'espace de trois à cinq ans, ont systématiquement subi une dégradation socio-économique, soit atteinte des conditions irrécupérables d'appauvrissement.

Alors, comment s'opère ce processus d'appauvrissement d'un travailleur accidenté ou d'une travailleuse accidentée? En réalité, le salarié manuel, le salarié non spécialisé ou le petit salarié parmi les plus démunis, victime d'un accident du travail perd rapidement sa capacité physique ou mentale de travail et, par conséquent, son revenu. Dès lors, l'appauvrissement graduel de ce salarié devient réalité. Quand un salarié, qui ne possède que sa force de travail pour gagner sa vie, voit sa capacité physique brusquement diminuée ou sa santé graduellement se détériorer, le pas à franchir avant d'être chômeur et assisté social est bien plus mince qu'on le pense, avec toutes les conséquences économiques et sociales que l'on sait, soit perte de maison, dépression, etc.

Il mérite de faire remarquer, de plus, le lien qui existe entre des conditions de travail propices aux accidents du travail et maladies professionnelles, d'une part, et le glissement vers le monde du chômage et l'assitance sociale, d'autre part. Cette remarque que nous faisons, nous l'avons aussi puisée dans une étude du CSSMM, de Astrid Lefebvre, qui soulignait cela ainsi: "Les conditions de travail, selon leur nature et leur intensité, sont susceptibles de provoquer un vieillissement rapide du travailleur, de porter atteinte à sa santé, d'user démesurément sa capacité et, par le fait même, le rendre tranquillement inapte au travail."

Alors, des salariés semi-spécialisés ou non spécialisés, peu ou pas scolarisés, assez souvent non syndiqués, se retrouvent, à la suite d'un accident du travail, victimes d'un handicap, isolés, incapables de travailler ou de trouver du travail et, donc, aussi aux prises avec une dégradation socio-économique. Leur seule valeur marchande, leur force de travail, ayant été dépréciée, ils ne représentent aucune rentabilité pour les employeurs et doivent, après avoir été coupés de leurs prestations de la CSST, se rabattre sur des prestations d'autres régimes sociaux. Cette remarque nous vient surtout des usines qui environnent, en fait, notre établissement, la clinique juridique, avec lesquelles nous avons passablement de relations, des usines telles que E.B. Eddy, CIP, MacLaren à Buckingham et Masonite. Lorsqu'une personne n'est plus capable de faire ce type de travail, cette personne qui a besoin de sa force de travail se voit -c'est le constat qu'on a fait - entre trois et cinq ans subir une dégradation socio-économique et arriver à un état véritablement d'appauvrissement.

Or, un autre aspect tragique. Certains salariés découragés, poussés par les mesures de la CSST ou tentant de mettre un terme à ce processus de dégradation, reprennent, contrairement à l'avis de leur médecin, un travail trop difficile et ce, au détriment de ce qui leur reste de santé. Nous avons remarqué que ces tentatives de retour au travail n'ont pour effet que d'aggraver la condition des salariés. Ces situations qui mènent pratiquement à un état d'appauvrissement représentent, à notre avis, des coûts sociaux énormes. Ainsi, cette détérioration s'opère petit à petit jusqu'au jour où le degré de pauvreté est atteint de façon irréversible. Vient alors le lot des problèmes familiaux, sociaux, financiers, humains et même psychologiques.

Pour la deuxième phase, je vais céder la parole à M. Gauthier.

M. Gauthier (Yvon): II y a deux principes fondamentaux. Nous aimerions, dans la présente partie de notre mémoire, toujours fondée sur notre expérience concrète, vous faire part de deux principes qui devraient

apparaître dans une véritable loi sur la réparation des lésions professionnelles. Premièrement, l'instauration d'un processus adéquat et généralisé de révision et d'appel de l'ensemble des décisions de la CSST.

À cet effet, nous croyons que la commission parlementaire devrait sérieusement revoir l'ensemble du projet de loi soumis et prendre les mesures à sa disposition afin d'amender les pouvoirs discrétionnaires et arbitraires détenus par la CSST.

Comment peut-on tolérer, même en faisant valoir les meilleurs arguments de gestion, que cet organisme ait besoin, dans des domaines qui touchent de près le justiciable, d'agir à titre de juge et de partie? Sous différentes sections du projet de loi 42 - vous avez une correction à faire là - telles que l'assistance médicale, à l'article 132, l'indemnité de remplacement du revenu, aux articles 79 et 80, la réadaptation, aux articles 141 et 144, le justiciable ne possède aucun droit de révision et d'appel relativement à ces questions qui le concernent au plus haut point.

Nous désirons soumettre à la présente commission que toute décision ou devoir déterminé par la CSST, pouvant affecter les droits et les intérêts des justiciables, devrait pouvoir être soumis à un double processus judiciaire indépendant de la CSST, soit pour fin de révision devant le bureau de révision et, en dernière instance, en appel devant la Commission des affaires sociales.

Toute décision rendue par la CSST pouvant affecter ou mettre en cause les droits ou les intérêts des justiciables devrait pouvoir faire l'objet d'une révision dans un premier temps et, dans un second, bénéficier d'un droit d'appel.

Croyez-nous. Si nous désirons normaliser un climat présentement inacceptable et mettre aussi un frein à l'arbitraire qui sévit à l'heure actuelle, il devient impérieux que les membres de la commission parlementaire reconnaissent à ces citoyens et citoyennes victimes d'un accident du travail et, donc, assujettis à la Loi sur les accidents du travail, le droit élémentaire de soumettre leur dossier auprès d'un tribunal indépendant et de s'y faire entendre par ce dernier.

N'est-ce pas là un droit judiciaire que l'on retrouve écrit en toutes lettres à l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne? D'ailleurs, nous mentionnons ici l'article 23. "Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle".

Ainsi, nonobstant toute mesure visant une reconsidération administrative interne par la CSST, tel qu'il apparaît au projet de loi 42, nous estimons élémentaire dans le présent contexte que le justiciable puisse en toute normalité bénéficier d'un droit de révision et d'appel de l'ensemble des décisions de la CSST devant des instances judiciaires ou quasi judiciaires indépendantes de l'organisme mandaté pour administrer et appliquer cette loi.

À notre avis, les membres de la commission doivent, dans leur réflexion sur le projet de loi 42, tenant compte des implications et des enjeux qu'il suscite auprès de la collectivité québécoise, chercher tout simplement à éliminer les situations où la CSST apparaît comme juge et partie, particulièrement là où les intérêts et les droits des justiciables sont mis en cause.

Nous estimons sur ce point qu'une des grandes responsabilités de la commission parlementaire vis-à-vis des justiciables du Québec consiste à leur reconnaître le droit à une instance de révision et d'appel indépendante et impartiale. Cette visibilité ou transparence de justice n'aura d'autre effet que d'amoindrir ce climat inquiétant d'agressivité et de méfiance.

Le deuxième point, reconnaître véritablement le rôle et le diagnostic du médecin traitant. Voilà, chers membres de la commission parlementaire, une des questions qui ont été soulevées qui soulève encore l'indignation, non seulement des victimes d'accident du travail, mais aussi d'un bon nombre de médecins spécialistes ou généralistes et qui consiste dans le fait que la CSST peut tout simplement bafouer ou écarter l'avis médical, les traitements à suivre, de même qu'une période pour incapacité totale temporaire provenant de la décision du médecin traitant choisi par le justiciable.

Plus d'une fois dans notre région nous avons été témoins que le bureau régional médical décidait unilatéralement de mettre un terme aux prestations et retournait l'accidenté au travail, et ce, contrairement aux avis et rapport médicaux du médecin traitant qui suivait de près l'accidenté. Je pourrais ajouter: dans 99% des cas, sans même voir l'accidenté. Outre le droit de révision et d'appel qui demande des délais variant d'un à deux ans avant d'être entendu, ce type de décision unilatérale, arbitraire, qui a, entre autres, comme triste conséquence d'écarter le rôle et la fonction du médecin traitant, laisse des séquelles sérieuses dans notre milieu. Ainsi, ce type de pratique abusive de la CSST a entraîné des effets néfastes dans la région de l'Outaouais au point où des médecins réputés oeuvrant du côté ontarien refusent, soit de traiter un cas d'accident du travail ou de produire un rapport médical en matière d'accidents du travail. Souvent, même, les victimes d'accidents du travail sont averties par la CSST que, si elles vont se faire traiter en

Ontario, la commission ne payera pas.

Nous estimons qu'une législation appropriée pourrait non seulement reconnaître le droit au médecin traitant, mais aussi aménager la Loi sur les accidents du travail de manière à lui reconnaître une place et le rôle prioritaire du médecin traitant dans l'évaluation de la période d'incapacité et des traitements nécessaires à sa pleine réhabilitation. À ce chapitre, nous estimons que le législateur pourrait, avec intelligence, aménager le texte d'une loi afin que le libre choix du professionnel de la santé se reflète aussi dans le respect intégral de son diagnostic, du suivi qu'il accorde à l'endroit de l'accidenté et des traitements prodigués. Libre à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec d'exercer une surveillance et, même, d'en appeler d'une décision du médecin traitant devant un tribunal de révision ou d'appel à cet effet.

De plus, si, de l'avis de la CSST, un professionnel de la santé, médecin traitant, manque à l'éthique médicale ou agit contrairement aux normes médicales en vigueur au Québec, nous sommes d'avis que c'est non seulement l'intérêt de la Commission de la santé et de la sécurité du travail mais son devoir de dénoncer le professionnel de la santé en cause.

Ce que nous ne pouvons accepter dans le présent contexte, c'est de vouloir faire le procès des médecins sur le dos des accidentés du travail. Encore une fois, nous disons que, s'il y a abus de la part du professionnel dans le diagnostic ou traitement accordé, votre cible n'est pas de pénaliser les victimes d'accidents du travail.

Point III, le projet de loi 42 et nos amendements. Nous prenons soin de vous rappeler comme toile de fond nos deux observations du début ainsi que nos deux principes, tels que l'instauration d'un processus indépendant de révision et d'appel de l'ensemble des décisions de la CSST et, surtout, le respect du rôle et du diagnostic du professionnel de la santé traitant comme étant les éléments clés d'un véritable régime de réparation des lésions professionnelles.

Dans ce troisième et dernier chapitre de notre mémoire, nous désirons faire connaître notre point de vue concernant quatre chapitres du projet de loi 42.

Indemnité de remplacement du revenu. Certaines dispositions du projet de loi en matière d'indemnité et de remplacement du revenu pour les travailleurs victimes d'un accident du travail nous inquiètent considérablement. Retenons principalement cette indemnité de remplacement du revenu égale à 90% du revenu net, dont la durée est limitée; elle pourra continuer tout en étant réduite selon les critères fixés par la loi mais évalués par la CSST. Cependant, ce qui caractérise le plus spécifiquement ce système de l'indemnité de remplacement du revenu prévu par ce projet de loi consiste en l'instauration de mesures dites punitives ou incitatives à l'endroit d'une victime d'un accident du travail. (17 h 30)

De plus, nous estimons que la CSST ne devrait être aucunement détentrice de pouvoirs discrétionnaires ou arbitraires en ce qui a trait à la capacité ou non pour un accidenté du travail de reprendre une activité rémunératrice. À ce chapitre, nous prétendons que si la commission parlementaire désirait conserver en faveur de la CSST un droit d'appréciation, qu'elle permette, en retour, en faveur du justiciable, un droit d'appel. Aussi, nous recommandons une indemnisation intégrale tant et aussi longtemps que le travailleur n'est pas réintégré à un emploi qui lui convient.

Outre le fait de réduire l'indemnité de 10% du salaire net et de nous faire perdre certains avantages reliés à l'emploi, ce nouveau régime permet, entre autres, à la CSST, dès qu'elle le jugera opportun, de réduire l'indemnité d'un montant égal au salaire qu'elle estime qu'il pourrait gagner si le travailleur occupait un emploi qu'elle le juge capable d'accomplir, et ce peu importe que l'accidenté soit rétabli et, bien sûr, peu importe si le médecin traitant prétend que cet accidenté en est incapable.

Nous tenons à faire remarquer à la commission parlementaire que l'ensemble des dispositions portant sur le système de l'indemnité de remplacement du revenu devrait être globalement réécrit de manière à dépouiller certaines dispositions de leur caractère punitif à l'endroit d'un accidenté du travail.

La réinsertion sociale et professionnelle du travailleur. Dans les dossiers traités, on ne peut nier que nombre de salariés voient quotidiennement diminuer leur santé ou leur capacité de travail; il importe de mettre en place un mécanisme pour que ceux qui ont déjà été pénalisés dans leur intégrité physique ne le soient pas doublement par un appauvrissement de leur condition de vie personnelle et familiale.

La réadaptation. La réadaptation dans notre région peut, avec sévérité, se résumer comme suit: soit que l'accidenté désireux de conserver pour un an ses prestations se cherche lui-même un emploi, et ce même si, de l'avis de son médecin traitant, il est incapable de reprendre un travail, ou bien que le service de réadaptation lui trouve un emploi de "gardien de sécurité" dans les édifices fédéraux. Voilà un bref portrait de la réadaptation.

En examinant le projet de loi 42, nous apprécions de voir que le travailleur a un droit à la réadaptation. Cependant, nous croyons que certaines corrections à cette

section de la réadaptation pourraient en faire un régime plus réaliste et humain vis-à-vis de ceux qui tentent de reprendre une activité rémunératrice.

Parmi les recommandations que nous désirons faire, il mérite de signaler ces dernières: - il ne doit pas y avoir de coupure d'indemnité au cours de la réadaptation et ce droit à des services ne devrait pas être limité à l'endroit d'un accidenté; - ce régime devrait être en mesure d'inciter le travailleur à collaborer à sa propre réadaptation; - ce régime doit assurer au travailleur le retour à un emploi qu'il peut véritablement faire et qui n'est pas contraire à l'avis du médecin traitant; - de plus, contrairement à ce que laisse entendre le projet de loi 42, nous estimons qu'un droit de révision et d'appel devrait exister en matière de réadaptation couvrant l'ensemble des décisions prises par la CSST dans ce domaine.

Le retour au travail. Ce droit de retour au travail à la suite d'un accident du travail est, à notre avis, élémentaire, particulièrement pour les non syndiqués dénués de véritable protection dans leur milieu de travail. Nous croyons que si on a vraiment l'intention que ce droit de retour au travail joue un rôle auprès des victimes d'accidents du travail, le projet de loi 42 devrait être modifié de la façon suivante: soit que les droits et obligations conférés par cette section, (droit de retour) ne s'éteignent pas en faveur d'un travailleur ayant été victime d'une lésion professionnelle, c'est-à-dire qu'il n'y ait aucune limite de temps au rétablissement de l'accidenté et que, par la suite, il puisse reprendre après deux ou trois ans son travail chez son employeur.

De plus, nous estimons que toutes les plaintes pouvant être faites en cas de non-respect de la section retour au travail devraient être adressées au bureau de révision et en appel devant la Commission des affaires sociales.

M. Ménard: En ce qui a trait à l'assistance médicale qu'on retrouve aux dispositions 125 et suivantes du projet de loi 42, nous avons les commentaires suivants à faire. Comme nous l'avons souvent mentionné concernant le régime actuel sous la présente Loi sur les accidents du travail, le diagnostic, le rapport médical et les traitements prescrits par le médecin traitant ne sont aucunement respectés par le bureau médical de la CSST qui, en fait, décide sans aucun examen du patient, ou après un examen sommaire du spécialiste de la CSST. De plus, bon nombre de traitements sont interrompus avant terme et de nombreux accidentés doivent reprendre prématurément leur travail tout en aggravant leurs conditions physique et psychique.

En réalité, la lecture du projet de loi 42, qui nous a été présenté par le ministre du Travail, nous enseigne tout simplement que ce régime, qui refuse véritablement le rôle et l'importance du diagnostic et du traitement du médecin traitant et qui donne au bureau médical des pouvoirs discrétionnaires, va se poursuivre comme auparavant. Il n'y a pas lieu de voir un changement entre le projet de loi 42 et la loi actuelle à cet effet.

Encore une fois, nous demandons aux membres de la commission parlementaire de bien réfléchir sur la portée et les conséquences négatives qu'un tel projet crée envers les victimes d'accidents du travail.

Quant à nous, si le projet de loi veut reconnaître ou reconnaît le droit du travailleur au professionnel de la santé de son choix, tel que stipulé à l'article 129, il serait normal que cette loi détermine que ce médecin traitant qui accorde un suivi à l'endroit de l'accidenté puisse décider de la nécessité, de la nature, de la suffisance ou de la durée de l'assistance médicale nécessaire à l'endroit de cet accidenté du travail.

À ce chapitre, nous admettons que la CSST pourrait demander au médecin traitant, dans les quinze jours de l'examen, un rapport sur l'état de santé du travailleur, la nature de la lésion professionnelle, la date prévue pour la consolidation ou la guérison de cette lésion, le pourcentage de l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique.

De plus, nous reconnaissons le droit à la CSST de juger si un rapport d'un médecin traitant généraliste ou spécialiste contient les éléments adéquats à une prise de décision.

Le quatrième et dernier élément concerne la compétence de la commission et les questions d'appel et de révision qui sont prévues aux dispositions, entre autres, 238 et suivantes du projet.

En principe, nous ne sommes pas en désaccord avec l'instauration d'une reconsidération administrative - qui, d'ailleurs, se fait depuis plus d'un an et demi ou deux ans au bureau régional dans l'Outaouais québécois - telle que prévue au projet de loi 42. En espérant, évidemment, que cette reconsidération administrative sera respectueuse des droits des accidentés et qu'elle pourra, avec efficacité, accélérer ou solutionner certains cas d'accidents devant attendre, bien souvent, les délais d'audition des instances de révision et d'appel.

Cependant - et voilà un des points qui, pour notre part, est très important - nous aimerions signaler avec vigueur que nous n'acceptons aucunement la perte du bureau de révision à titre d'instance de révision quasi-judiciaire. Nous estimons que ce

tribunal administratif devrait poursuivre ses activités de révision tout en s'assurant de son entière indépendance envers la CSST.

De plus, nous demandons que la juridiction allouée au bureau de révision et à la Commission des affaires sociales soit élargie de manière que toutes les décisions de la CSST concernant un accidenté puissent lui donner le droit à une révision ou, selon le cas, à un appel. Je vous remercie, messieurs, de nous avoir entendu.

Le Président (M. Paré): Messieurs, merci beaucoup pour la présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant en discuter. Le premier à passer des commentaires, à poser des questions, est le ministre du Travail.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je veux aussi remercier M. Ménard et M. Gauthier et entrer immédiatement dans le vif du sujet, si vous le permettez, M. le Président.

Dans la première partie du mémoire, M. Ménard a consacré une bonne partie de son temps à nous décrire une espèce de climat qui existe, une atmosphère à laquelle il a attaché les épithètes d'agressivité et de méfiance. Je vous signale qu'effectivement ces remarques nous ont été faites assez régulièrement tout au cours des travaux de la commission. Elles reviennent d'ailleurs avec passablement de constance et d'insistance. À ce point - et je vous dis les choses que je pense comme je les pense -qu'à y réfléchir sérieusement, il n'est pas exclus de se poser la question suivante: Est-ce que cela n'est pas essentiellement l'existence même, la vie de tout l'organisme qui est remise en question? Est-ce cela que l'on souhaite, comme quelques-uns l'ont fait ici en audition? Est-ce que l'on souhaite qu'à toutes fins utiles, l'organisme disparaisse purement et simplement et qu'on remette l'administration d'une semblable politique de sécurité et de santé aux employeurs, à d'autres genres d'organismes ou à d'autres entreprises et qu'on sorte complètement du système dans lequel on est actuellement? C'est une première question que je voudrais vous soumettre et sur laquelle j'apprécierais entendre vos commentaires.

M. Ménard: J'y vois plus qu'une question, en fait. J'y vois évidemment une remarque globale de votre part par rapport à cet organisme. Ayant travaillé depuis sept ans auprès et avec des hommes et des femmes victimes d'accidents du travail, l'idée de remettre complètement en question cette institution me vient souvent à l'esprit. Cependant, la réalité me rappelle un peu à l'ordre. Quand je dis "la réalité", je veux dire le contexte québécois, le contexte de la situation, à savoir que ces choses-là ne changeront pas du jour au lendemain. Et je vais vous expliquer mon point de vue.

Quand nous avons décidé de faire le présent rapport, on s'est dit qu'on allait le focaliser, l'orienter sur deux points qu'on trouve très importants pour améliorer ce qu'on appelle un climat d'agressivité, une forte méfiance. On les signale dans le rapport: c'est le droit, en fait, à une révision indépendante, le droit d'être entendu ou le droit d'appel par rapport à l'ensemble des décisions que prend cet organisme. J'admets qu'un organisme, qu'il soit public, péripublic ou parapublic comme tel, dans les types de sociétés dans lesquels on vit, ait des devoirs et des responsabilités de prendre des décisions, mais je n'admets pas - et c'est ce qu'on retrouve devant la CSST -évidemment, cette problématique où des citoyens et des citoyennes ne peuvent en appeler, ne peuvent faire réviser d'une façon visible des décisions qui sont prises par cet organisme. Quant au deuxième point - et je vais rapidement conclure - qu'on signale, je vous mets au défi, M. le ministre, de nous amener une politique en ce qui a trait au médecin traitant. Je vous mets au défi de nous préparer quelque chose, peu importe que ce soit avec les fonctionnaires, ceux qui sont payés avec des carrés à la CSST, de nous préparer une politique qui va réellement tenir compte du rôle, du diagnostic, en fait, je dirais plutôt du rôle global d'un médecin traitant en matière d'accident du travail.

Dans le projet de loi que vous nous avez soumis, je vous dis respectueusement que nous ne trouvons pas ce rôle-là. On trouve tout simplement - il faut l'avouer -une répétition un peu changée, mais une répétition des mêmes problématiques. Nous, quand on dit: On voudrait remettre en question cette institution, nous disons principalement que c'est la base même, et cette base on la retrouve, entre autres, dans le rôle qu'on ne veut pas accorder au médecin traitant, un rôle qu'une loi-cadre pourrait déterminer et définir, à mon avis, en y attribuant un pouvoir réglementaire pour définir, en fait, toute la quincaillerie, pour qu'un homme ou une femme accidentés et pour que l'institution au Québec, les différentes parties ou les différents intervenants puissent, une fois pour toutes, trouver une place véritable au médecin traitant qui accorde un suivi à l'accidenté.

Voilà pour nous, M. le ministre, deux éléments. Évidemment, sans chercher à remettre entièrement en question la CSST, parce que si on part avec des remises en question, ce ne sera pas uniquement la CSST qui devrait, au sein d'une société, être remise en question, et je ne suis pas ici pour cela... Mais cette question, savez-vous quand nous l'avons soulevée réellement? Je me rappelle avoir rencontré M. le juge Sauvé, en 1977 ou en 1978, lorsqu'il faisait le tour des

régions pour la régionalisation. C'était un mot clé à l'époque. On régionalisait. On estimait ou on croyait, à cette époque, non pas par naïveté, mais par espoir de voir des dossiers quitter Québec et Montréal, venir dans notre région et être traités dans notre région.

En fait, on a régionalisé des problématiques, des problèmes, des difficultés de gestion d'un appareil ou d'un empire bureaucratique. On n'a pas changé la racine même de l'institution ou de cette Loi sur les accidents du travail. C'est pour ça que nous croyons que si vous avez réellement une volonté d'instaurer un nouveau régime en matière de lésions, en matière d'accidents du travail, je suis conscient qu'il y a d'autres points, mais si vous êtes capable et en mesure de modifier les deux points que nous avons soulevés je pense que c'est un pas dans une direction qui fera en sorte de modifier des choses en profondeur, à mon avis. Je vous le dis comme ça. (17 h 45)

M. Fréchette: Je suis très heureux de le recevoir comme ça aussi. C'est très clairement exprimé et ça ne souffre pas de discussion. Je voudrais simplement vous dire, M. Ménard, que je suis disposé à relever votre défi. Vous me lancez un défi...

M. Ménard: Oui, je vous le lance.

M. Fréchette: Donnez-moi cinq minutes parce que j'ai quelques autres petites observations à vous faire et je vais vous mettre sur la table une proposition en termes d'assistance médicale. On ne pourra peut-être pas tous les deux aller dans tous les détails techniques et modalités mais je vais vous parler des principes qui sont envisagés.

Avant de le relever votre défi, cependant, je souhaiterais pouvoir vous faire une observation quant à votre préoccupation au niveau des pouvoirs discrétionnaires. Là-dessus je vais être d'accord avec vous sans aucune réserve. Dans l'actuelle Loi sur les accidents du travail il y a 26 champs de juridiction à travers lesquels la CSST peut intervenir par règlements. L'exercice que nous avons essayé de faire, avec succès ou pas mais je pense que la loi 42 reflète ça, c'est d'incorporer dans la loi tout ce qui est actuellement de la réglementation et de soustraire du champ de réglementation possible 20 des 26 champs d'application qui existaient auparavant.

Des gens nous ont souligné, là aussi avec raison, que c'était bien beau de réduire de 26 à 6 ou 5 mais que le dernier pouvoir de réglementation était à ce point large qu'il avait l'allure d'une clause omnibus et que, dans la pratique, ça ne changeait absolument rien. Nous avons dit essentiellement: Nous allons mettre dans la loi les règlements qui existent actuellement, réduire de 26 à 5 et faire disparaître la clause omnibus de façon à réduire considérablement nous semble-t-il, le pouvoir de réglementation.

Je pense qu'on va convenir tous les deux qu'il y a par ailleurs un danger là-dedans. Quand cela sera incorporé dans la loi, ce sera dans la loi et on devra vivre avec pour une bonne période de temps. Les intervenants nous disent cependant qu'ils préfèrent cette situation à l'autre et nous sommes tout à fait d'accord pour relever ensemble ce défi.

Il me semble qu'à cet égard vos préoccupations quant aux pouvoirs réglementaires, pouvoirs discrétionnaires, devraient pouvoir trouver une partie de solution tout au moins.

J'en arrive maintenant à essayer de relever votre défi. Je vous signale tout d'abord, comme première observation, que ce que vous plaidez devant nous cet après-midi nous a été aussi continuellement soumis par les groupes qui vous ont précédés. Que ce soit des représentants d'employeurs, de syndicats ou de travailleurs accidentés, ils ont tous mis beaucoup d'emphase sur le phénomène global de l'assistance médicale. On a attiré notre attention sur l'article 132 du projet de loi. On a attiré notre attention sur l'article 52, me semble-t-il, de mémoire, l'article relatif au diagnostic des comités de pneumoconiose. Le cheminement qui a été fait jusqu'à maintenant - demain après-midi, je serai en mesure d'annoncer, de façon plus précise, quelle est la direction qui est prise c'est essentiellement le suivant. Nous serions disposés à admettre que, règle générale, l'évaluation, le rapport du médecin traitant doit être celui dont on doit tenir compte de façon privilégiée. Cependant, est-ce que, sans aucune réserve et sans aucune balise, on va accepter qu'en tout état de cause le rapport du médecin traitant est celui qui doit établir la règle de l'indemnisation et des autres procédures d'indemnité? Il nous est apparu - plusieurs intervenants sont d'accord là-dessus - qu'il fallait au moins, après le dépôt du rapport du médecin traitant, que quelqu'un qui a une préparation appropriée, qui est un professionnel de la santé, puisse évaluer les conclusions du rapport du médecin traitant. On ne voit pas d'autres instances qu'un médecin qui serait, effectivement, à l'emploi de la commission. Lorsque, à partir des évaluations qui sont faites par les deux professionnels de la santé, on en arrive à la même conclusion dans le sens que, par exemple, le médecin de la commission confirme le diagnostic et l'évaluation du médecin traitant, nous tiendrions pour acquis que c'est à partir de cette évaluation que les mécanismes de réparation, de réadaptation, tous les mécanismes de la loi, doivent s'enclencher.

Vous avez une expérience des tribunaux, nous dites-vous, de sept ans. Vous savez fort bien, par ailleurs, qu'on va se retrouver souvent devant des situations où les deux évaluations médicales vont être tout à fait à l'opposé l'une de l'autre. Il n'est pas rare d'arriver devant des tribunaux de droit commun avec une expertise médicale qui accorde 50% à une personne qui a été blessée alors qu'en défense on va présenter une expertise médicale qui en accorde 25%. Il est tout à fait possible, même certain, qu'à un moment donné, on va se retrouver dans des conditions où il va y avoir une différence marquée entre le diagnostic, l'évaluation du médecin traitant et l'évaluation qu'aura faite le médecin de la commission. Dans ces cas-là, la direction que nous avons prise, la direction dans laquelle le projet de loi sera amendé très probablement, c'est la suivante: Demander aux corporations professionnelles concernées - Collège des médecins, Fédération des spécialistes, omnipraticiens - de fournir, après évaluation et également après renseignements auprès de leurs membres respectifs, une liste de leurs membres qui seraient disposés à "agir" - là j'utilise le terme avec toutes les réserves qu'il faut et je le mets entre guillemets -comme arbitres du litige qui vient de naître entre les deux professionnels de la santé. Les corporations médicales nous ont dit être disposées et prêtes, jusqu'ici en tout cas, à fonctionner dans ce processus. Lorsque nous aurons soumis ces listes dont je viens de vous parler, nous demanderons au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, qui est cet organisme à l'intérieur duquel sont représentées les parties patronales et syndicales - je comprends que tout le monde n'y est pas, que des gens souhaiteraient y être; peut-être que d'autres qui y sont souhaiteraient en sortir; enfin, c'est quand même, dans l'état actuel des choses, l'organisme habilité à conseiller et à donner des avis au ministre responsable de l'application de la loi dans une matière comme celle-là - de procéder à l'évaluation, d'analyser, de nous indiquer lesquels parmi les noms qui ont été suggérés devraient être retenus pour agir comme arbitres ad hoc, de la façon dont je viens de vous parler. Les suggestions qui seront faites par le Conseil consultatif du travail pourraient être des noms accrédités en quelque sorte et seraient ceux que le ministre responsable de l'application de la loi retiendrait, et c'est l'arbitrage qui serait fait par cette instance qui lierait toutes les parties et, bien sûr, la commission aussi. Cependant, je ne suis pas en train de vous dire que les droits d'appel de l'une ou l'autre des parties n'existeraient plus. C'est sûr que l'une ou l'autre des deux parties qui ne serait pas satisfaite du résultat de la décision que le comité ou l'institution d'arbitrage rendrait pourrait en appeler devant les instances qui seraient habilitées, qui auraient juridiction pour disposer de semblables litiges.

Je vous réitère que c'est dans ce sens que la réflexion se fait depuis que plusieurs représentants nous ont demandé de réfléchir là-dessus. Je vous réitère également que les modalités, les détails techniques ne sont pas complétés, que tout n'est pas attaché, mais qu'au moins, au plan du principe, c'est dans ce sens que sans doute nous allons arrêter des décisions.

Ma question, M. Ménard, après ces trop longues explications, est celle-ci: Est-ce que le défi est relevé? Est-il partiellement, totalement ou pas du tout relevé?

M. Ménard: Vouloir lui trouver une place, et je peux dire comme tel apporter une priorité au rôle du médecin traitant, en instaurant derrière lui, en y greffant en fait des mécanismes d'arbitrage, si j'ai bien compris, cela m'apparaît une avenue intéressante. De là à dire que ces paroles ne sont pas coulées dans une loi, que ce n'est pas vécu, je ne suis pas le porte-parole des hommes et des femmes qui sont victimes d'accidents du travail. Je suis en fait beaucoup plus un témoin, mais je dois reconnaître que cela change un peu des pistes qu'on nous a présentées jusqu'à maintenant en ce qui a trait au rôle, à la présence et à la fonction du médecin traitant. Je n'irai pas jusqu'à dire que ce défi... Je n'ai pas voulu dire cela par boutade et ce n'est pas mon style, mais je dis quand même et je maintiens que le jour où on verra dans une loi comme telle véritablement un rôle, et je comprends qu'il faut y ajouter un mécanisme ou des mécaniques pour être capable de l'identifier, je crois que ce sera un pas dans la bonne direction.

J'ai une petite question à vous poser. En fait, pour ma part, elle est très simple. J'y reviens. Je pense que vous avez cru y répondre en m'indiquant qu'en ce qui a trait à la législation déléguée qu'on retrouve dans ces types de loi, on est en train d'en écarter et d'en épousseter un grand nombre. Qu'adviendra-t-il du bureau de révision? Pourquoi cette intention d'écarter le bureau de révision pour couler cela dans une loi, dans une reconsidération administrative? J'avoue que cela m'inquiète. Je vous le dis sincèrement - parce que depuis le temps que les bureaux de révision, j'en rencontre et que bien d'autres en rencontrent aussi, je les ai vus évoluer: d'abord, cela n'existait pas, puis il en existait, il y en avait trois et il y en a eu deux. Présentement, il y en a un. Depuis un an, je dois le reconnaître, dans l'Outaouais québécois, les accidentés on commence un peu plus à se retrouver, à faire quelque chose, à avoir une visibilité, si mince soit-elle, de justice et d'apparence de

justice. Là, tout à coup, on voit ce projet de loi venir écarter encore ce qui me semble devenir une chose intéressante. J'avoue que cela m'inquiète, M. le ministre.

M. Fréchette: C'était précisément le deuxième volet de mes observations que je voulais entreprendre avec vous. Tout le mécanisme global du droit d'appel à l'intérieur duquel on doit discuter du bureau de révision, c'est évident. Vous avez deux préoccupations en cette matière. La première étant d'élargir les matières appelables. Cela m'a semblé être en tout cas préoccupant dans vos représentations.

M. Ménard: C'est exact.

M. Fréchette: Là-dessus, je peux vous dire très spontanément et sans aucune réserve que la décision est prise à cet égard.

M. Ménard: Je m'excuse. Je faisais allusion, entre autres, concrètement à la réadaptation, à la réinsertion.

M. Fréchette: Voilà. À cet égard, la décision est effectivement prise. Cela implique, bien sûr, que les employeurs auront droit aussi à en appeler de n'importe quelle des décisions que rendra la commission: avis de cotisation, classification, enfin tout cela. Mais cela est acquis. Là-dessus, je vous dis tout de suite que le projet sera amendé en conséquence.

Quant au deuxième aspect de la question, tout le mécanisme du droit d'appel comme on le connaît actuellement, il est vrai que le projet de loi 42 propose de faire disparaître les bureaux de révision tel qu'on les connaît actuellement, de remplacer la décision que ces gens-là rendaient par une décision administrative. Tout cela est vrai. Mais, encore là, les travaux de la commission nous ont permis de constater un certain nombre de choses. Et ce dont nous avons particulièrement discuté avec plusieurs organismes qui sont venus devant nous, c'est de la possibilité de la procédure suivante. Compte tenu du fait que l'on va procéder à élargir considérablement les champs de juridiction d'appel, qu'à peu près toutes les décisions de la commission deviendront sujettes à appel, ce à quoi nous avons pensé, bien qu'il n'y ait pas encore de décision finale - mais je suis content qu'on aborde le sujet, parce que je vais connaître votre opinion - c'est de procéder à l'institution d'une commission totalement indépendante, indépendante à tous égards, indépendante politiquement - en d'autres mots, aucun lien avec la commission - qui pourrait, malgré les réserves que vous avez soulevées quant à la régionalisation, être régionalisée aussi, à l'intérieur de laquelle on retrouverait des commissaires, bien sûr, qui pourraient s'adjoindre, par exemple, des assesseurs plus particulièrement habilités à entendre un litige d'une nature plutôt que d'une autre nature. Devant cette commission, on doit discuter, par exemple, d'un problème d'ordre médical. Un commissaire pourrait siéger avec un assesseur spécialisé en matière médicale. Si on doit siéger en appel d'une décision relative à un problème de retrait préventif, ce pourrait être un ingénieur en sécurité ou, enfin, un spécialiste en sécurité. Vous voyez un peu quelle direction cela pourrait prendre. Donc, un organisme régionalisé, indépendant de la commission, à l'intérieur duquel on retrouverait ces spécialistes dont je viens de vous parler, qui n'aurait pas de comptes à rendre à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et qui répondrait directement au ministre responsable de l'application de la loi. (18 heures)

Cela impliquerait par ailleurs la disparition à la fois du bureau de révision et de la Commission des affaires sociales. J'entendais M. Gauthier tout à l'heure indiquer que - je ne sais pas si c'est M. Gauthier ou vous - il suggérait que l'on puisse, par exemple, se retrouver en appel devant les instances judiciaires de droit commun. Vous pratiquez dans une région, M. Ménard, où vous devez être très souvent aigri par les longs délais que vous devez subir quand vous êtes ou devant la Cour provinciale ou devant la Cour supérieure. C'est la même chose, et plus cela avance, plus cela devient flagrant devant la Commission des affaires sociales. On est rendu à quoi? Trois ans ou à peu près.

M. Ménard: C'est cela.

M. Fréchette: Devant les bureaux de révision, c'est six ou huit mois. Alors, si cette commission était mise sur pied et qu'elle était exclusive aux matières de santé et de sécurité, qu'on lui indiquait dans la loi qu'elle serait les matières qu'elle devrait traiter de préférence ou en priorité et qu'on lui imposait même, à certains égards, des délais à l'intérieur desquels en certaines matières elle devrait rendre jugement, est-ce qu'il n'y aurait pas un certain bout de fait dans le sens que vous le suggérez aussi?

M. Ménard: Ce que vous me présentez exige une certaine réflexion. Je vous dirais au départ que de voir écarter, entre autres, la Commission des affaires sociales, nonobstant le fait que vous avez raison sur ces délais énormes qui sont choquants pour les personnes qui en subissent des conséquences, je dois reconnaître que ce tribunal a été capable de répondre à ce que j'appelle une visibilité de justice, une apparence de justice qui a été, à mon avis, un aspect positif par rapport aux hommes et

aux femmes qui ont été confrontés avec la CSST ou la Loi sur les accidents du travail. Ce que vous me proposez me fait penser en fait au mécanisme d'arbitrage qu'on trouve en droit du travail, à la limite, à un arbitre qui est indépendant, où évidemment les parties ensemble font valoir leur opinion aux parties patronale et syndicale dans le cadre d'une convention. Cela tiendrait lieu évidemment d'instance d'appel de dernière instance. Que cela remplace le bureau de révision dans cette perspective ne m'inquiète pas, mais que cela vienne écarter la Commission des affaires sociales, je vous dis: Bon, attention! J'estime que le boulot qui a été accompli, la formation que ces gens, les commissaires qu'ils ont eus, la pratique qu'ils ont eue et l'évolution en matière d'accidents du travail, à mon avis, ne s'écartent pas du revers de la main comme cela. Il y a quelque chose à retenir là, par expérience et par visibilité, par constat que j'ai pu faire par rapport à la Commission des affaires sociales, qui mérite d'être retenu. C'est mon seul commentaire.

Mais je ferai remarquer que ce sont des pistes que je trouve intéressantes. Si l'on y pense, si l'on verse dans ce sens, si l'on commence à réfléchir sérieusement et qu'on coule les choses intéressantes dans ce sens-là, j'estime que voilà des choses intéressantes.

M. Fréchette: M. Ménard, J'espère que vous n'avez pas compris que j'étais en train de remettre en question l'habilité, la compétence de la Commission des affaires sociales, pas du tout.

M. Ménard: Non, non, je n'ai jamais pensé cela.

M. Fréchette: C'est principalement en fonction de deux critères bien précis. D'abord, un critère bien terre à terre, d'ordre pratique, par ailleurs, les délais dont on parlait il y a un instant. De plus, n'est-il pas utile de penser à un organisme qui aurait la culture, si vous me passez l'expression, de la politique de la santé et de la sécurité et qui ne ferait exclusivement que cela? Enfin...

M. Ménard: Oui, c'est un peu dans cette perspective que je vous parlais de la Commission des affaires sociales qui, à mon avis, "développait entre guillemets, une culture", une pratique depuis quand? 1977.

M. Fréchette: Oui, il y en a d'autres...

M. Ménard: Je vous suis dans votre foulée.

M. Fréchette: ...qui ont suggéré que ce pourrait être une chambre spéciale de la Commission des affaires sociales.

Évidemment, il faudrait y ajouter le personnel...

M. Ménard: Et l'embourbement. Je crois qu'en termes de gestion de l'appareil judiciaire de ce tribunal, il y a possibilité de réduire cela. Je crois qu'on pourrait investir des efforts, des moyens humains ou techniques pour écarter ce temps-là, pour l'écouler. Je ne pense pas que là réside le point central "d'écarter" la Commission des affaires sociales au profit de ce que vous avancez. Sans prétendre, par exemple, que ce que vous avancez n'est pas en soi correct, je trouve que c'est une piste intéressante. C'était la réserve que je voulais faire par rapport à la Commission des affaires sociales.

M. Fréchette: Oui. Alors, j'ai une dernière observation, M. le Président, si vous le permettez. Le troisième volet de votre document est évidemment en fonction des dispositions d'ordre "économique" que l'on retrouve dans la loi. À cet égard, vous allez comprendre que beaucoup de représentations nous ont été faites et à l'égard de plusieurs chapitres du projet de loi 42. C'est sûr qu'il va nous falloir penser à certaines modifications, mais je ne serais pas responsable si cet après-midi je vous disais: Voici, cette représentation est bien fondée; il n'y a pas de problème. Il faut avoir l'honnêteté de vous dire qu'il va nous falloir évaluer toutes les représentations qui nous ont été faites. Je vous remercie infiniment.

M. Ménard: C'est moi qui vous remercie.

Le Président (M. Paré): Un instant! Ne quittez pas. M. le député de Saguenay aimerait bien vous poser des questions aussi.

M. Maltais: M. le Président, je serai très bref. Je présume que j'ai la permission d'aller au-delà de l'heure permise. J'aimerais d'abord faire quelques commentaires sur votre mémoire. J'ai lu et relu attentivement votre mémoire et cela m'a frappé beaucoup. Vous êtes un groupe qui, finalement, n'a pas d'intérêt particulier. Plusieurs groupes invités qui sont venus ici... Je suis très heureux que quelqu'un sur le terrain vienne nous dire ici à cette commission, selon des faits vécus dans le quotidien, comment fonctionne la CSST.

Depuis le commencement des auditions, de notre côté, nous avons souvent souligné au ministre de quelle façon la CSST traitait ses accidentés. On se demande s'il n'y a pas deux façons de traiter les accidentés du travail: ceux qui sont structurés et ceux qui ne le sont pas. Je suis particulièrement heureux que vous ayez traité dans votre mémoire de ceux qui ne sont pas structurés.

Vous faisiez allusion à ce qui se passait chez ces gens, chez ces "petits" comme vous les qualifiiez; dans nos bureaux de comté on est en mesure de réaliser combien ces gens sont en difficulté.

On se demandait à un moment donné si la CSST ne traitait pas ces gens d'une façon pire que certaines compagnies d'assurances privées décrites par des agents ou des inspecteurs qui vont les visiter. Souvent, ces gens signent des documents ou acceptent des conditions qui, en temps normal, ne seraient pas admis dans des organisations structurées. Vous le savez. Vous êtes avocat, Me Ménard. Vous avez certainement à faire face à ce genre de récriminations.

Dans vos observations, vous dites que les gens sont méfiants envers la CSST. Ils ont raison. Parce qu'il est à peu près impossible pour un travailleur ordinaire de connaître tout le fonctionnement de la boîte. Ce que je déplore le plus c'est - dans votre mémoire vous le dites et vous n'êtes pas les seuls à l'avoir dit - un peu l'arrogance de la CSST vis-à-vis de ces gens. Cela nous frappe sur le terrain à chaque jour.

Je pense que le ministre a démontré tout à l'heure une ouverture d'esprit qu'il n'avait peut-être pas au début mais à force de se le faire répéter, je pense qu'il est d'accord pour reconnaître que la boîte fonctionne très mal. Elle ne fonctionne certainement pas comme si c'était une entreprise privée. Je ne voudrais pas privatiser la CSST, loin de là. Sauf qu'il y a un ménage à faire. Vous parliez tout à l'heure de l'appauvrissement continuel de l'accidenté. Sachez que, pour l'employeur, les cotisations croissent d'année en année. Pourtant, il y a seulement 0,50 $ qui vont à la réparation. Les autres 0,50 $ s'en vont dans l'empire, comme vous l'avez qualifié, au service de l'empereur, si on peut l'appeler ainsi, et plus les cotisations augmentent, moins il y a d'argent qui va vers les réparations. C'est un phénomène qui devrait être inverse. Plus les cotisations augmentent, plus les accidentés devraient être en mesure de recevoir, en tout cas, un service adéquat. À l'heure actuelle, c'est l'administration qui augmente et la qualité du service diminue. Je pense, comme disait le ministre tout à l'heure, qu'il y a certainement possibilité d'améliorer la structure du service vis-à-vis de l'accidenté.

Il y a un amendement finalement - le ministre en a annoncé plusieurs aujourd'hui et je pense que cela répond aux désirs que les gens, ici, ont exprimé - au niveau du médecin traitant. On a rencontré plusieurs groupes de médecins et tout le monde prêche pour sa paroisse, mais on s'est aperçu que le médecin traitant est peut-être la personne qui est la moins écoutée. Pourtant, c'est celui qui, à mon avis, rencontre le plus souvent l'accidenté. Lorsque le ministre nous dit que, maintenant ou dans la réimpression du projet, le rapport du médecin traitant sera privilégié, je pense que nous pouvons tous nous en réjouir. À partir de ce moment, la personne qui en retirera les effets bénéfiques sera d'abord l'accidenté.

Au cours de cette commission, ce fut un point de discorde pour à peu près tout le monde, finalement, le spécialiste qui, souvent, ne voyait qu'une fois l'accidenté, parfois ne le voyait pas du tout. Hier, les gens de la Fédération des employés des alumineries nous disaient qu'on a même vu, à cause d'un rapport de médecin, quelqu'un subir 17 opérations. Il faut croire que cette personne n'a pas été vue souvent, mais il y a quelqu'un qui l'a défendue: son syndicat.

On a également vu des cas de gens qui ont eu des certificats de retour au travail qui étaient en béquilles. Ces gens-là n'étaient pas syndiqués; ils n'avaient personne pour les défendre. Je ne sais de quelle façon le spécialiste a jugé bon de les rendre aptes au travail, mais c'est certain que s'il les avait vues ou s'il avait vérifié le plâtre, il ne les aurait pas retournées.

Donc, c'est dans la qualité du service à l'accidenté que l'on déplore un manque et je pense qu'en amendant la loi 42 comme le ministre veut le faire, c'est déjà un pas en avant. Mais, également, améliorer la structure, non pas nécessairement en la grossissant mais en la rendant plus efficace, devrait être un autre objectif.

Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Paré): MM. de la clinique...

M. Gauthier (Yvon): M. le Président? Le Président (M. Paré): Oui?

M. Gauthier (Yvon): M. le Président, j'aurais quelque chose à discuter avec M. le ministre. Lorsque vous parlez du médecin de la CSST qui analyserait le rapport du médecin traitant, j'espère que le médecin de la CSST va rencontrer l'accidenté à ce moment-là.

M. Fréchette: C'est très certainement une chose à laquelle il faut attacher beaucoup d'importance, mais j'espère que vous n'êtes pas, de votre côté, en train de remettre en cause le droit pour la CSST de la faire cette évaluation. Qu'elle soit faite de la façon que vous le dites, c'est-à-dire après examen de l'accidenté, cela m'apparaît une chose, encore une fois, dont il faut tenir compte.

M. Gauthier (Yvon): Actuellement, ce qui se passe, c'est que les coupures sont faites sans que le médecin voie l'accidenté.

M. Fréchette: C'est justement la situation actuelle qu'on veut essayer d'améliorer, M. Gauthier.

M. Gauthier (Yvon): Merci.

Le Président (M. Paré): MM. de la

Clinique juridique de Hull, nous vous remercions des commentaires et des précisions que vous avez apportés aux membres de la commission. Je rappelle aux membres de la commission que les travaux reprennent à 20 heures ce soir. Donc, les travaux sont... M. le député de Rivière-du-Loup.

M. Boucher: Je vous demanderais de m'inscrire, si possible, avec le consentement des membres, comme membre pour remplacer Mme la député de Maisonneuve.

Le Président (M. Paré): Si vous le permettez, M. le député de Rivière-du-Loup, nous ferons cela lors de la reprise à 20 heures. Donc, les travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 15)

(Reprise de la séance à 20 h 12)

Le Président (M. Paré): Mesdames et messieurs, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission élue permanente du travail reprend ses travaux avec le mandat d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Avant d'entendre le premier mémoire, j'aimerais avoir l'autorisation des membres de la commission pour remplacer, comme membre de la commission, Mme Harel, Maisonneuve, par M. Boucher, Rivière-du-Loup.

M. Cusano: II y a consentement, M. le Président. Aucun problème.

Le Président (M. Paré): II n'y a aucun problème.

M. Cusano: Pas du tout.

Le Président (M. Paré): Merci. À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Cusano: On peut s'interroger sur cela, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Dans l'ordre, ce soir, nous allons entendre l'Association des quotidiens du Québec Inc., La Fédération des accidentés (es) du travail de Rouyn-Noranda. Il y a aussi un troisième mémoire, celui de l'Union des producteurs agricoles, mais il est pour dépôt seulement. Donc, j'inviterais immédiatement...

M. Cusano: M. le Président.

Le Président (M. Paré): Oui, M. le député de Viau.

M. Cusano: Avant de demander aux prochains invités de prendre place, je suis sûr qu'ils connaissent l'article 53 de la Loi sur l'Assemblée nationale, mais pour être sûr et certain qu'ils la connaissent, je vous demanderais d'en faire la lecture.

M. Baril (Arthabaska): M. le Président, est-ce qu'on peut faire une proposition? Pour satisfaire l'Opposition, on pourrait déposer sur la table en avant l'article 53.

M. Cusano: Si vous voulez, après que vous aurez fait la lecture, vous pourrez en déposer une copie.

M. Baril (Arthabaska): Je dis qu'il serait là pour tous les intervenants.

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît.

M. Doyon: M. le Président.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: C'est d'autant plus important que je pense qu'un des témoins aurait l'occasion de goûter à la médecine d'une poursuite judiciaire. Il serait bon qu'on le fasse connaître clairement, de façon que les choses soient très claires à ce sujet.

Le Président (M. Paré): Très bien, M. le député de Louis-Hébert, je ne veux pas qu'on entreprenne un autre débat là-dessus étant donné que le débat s'est fait sur plusieurs périodes déjà dans les jours antérieurs.

M. Doyon: Qu'est-ce que dit l'article, M. le Président?

Le Président (M. Paré): Je vais rappeler l'article 53 pour permettre à nos invités de répondre à nos questions librement et en toute confiance. L'article 53 de la Loi sur l'Assemblée nationale se lit comme suit: "Le témoignage d'une personne devant l'Assemblée, une commission ou une sous-commission ne peut être retenu contre elle devant un tribunal, sauf si elle est poursuivie pour parjure." Ceci étant dit, j'invite maintenant le premier groupe que nous allons entendre ce soir, les représentants de l'Association des quotidiens du Québec Inc., à prendre place ici à l'avant, s'il vous plaît!

(20 h 15)

Mesdames et messieurs, bienvenue à la commission. Je demanderais au porte-parole délégué de bien vouloir s'identifier et nous présenter les personnes qui l'accompagnent avant de nous présenter leur mémoire, s'il vous plaît!

Association des quotidiens du Québec Inc.

M. Landry (Roger D.): M. le Président, je voudrais en tout premier lieu vous remercier de nous accueillir à votre commission. Mon nom est Roger Landry, je suis le président du conseil d'administration des quotidiens du Québec et c'est à ce titre que je viens aujourd'hui vous présenter ce mémoire. M'accompagnent à cette table le vice-président de l'association, M. Robert Richardson, qui est l'adjoint à l'éditeur du journal The Gazette; la secrétaire de notre association, Me Lise Bertrand; notre conseiller juridique, M. Jean Beauvais, et notre conseiller technique, M. Mario Savard, qui est vice-président à la Presse. Il serait peut-être opportun que je vous fasse tenir la liste des gens qui font partie de l'Association des quotidiens du Québec. Tout d'abord, il y a le journal La Presse, la Tribune, la Voie de l'Est, le Droit, le Nouvelliste, le Quotidien, le Soleil, The Gazette, The Sherbrooke Record. J'ai aussi en ma possession une lettre qui nous parvient du Journal de Montréal et du Journal de Québec nous disant qu'ils se joignent à nous dans la présentation de ce mémoire quant à sa forme et à son contenu.

Tout d'abord, l'Association des quotidiens du Québec a soumis le présent mémoire dans le but de bien faire comprendre à tous ce que peut représenter pour nous le projet de loi 42 tel qu'il existe présentement et ce qu'il pourrait apporter, ne serait-ce que des amendements que nous aimerions voir ajouter. Donc, bien que le projet de loi 42 ne fasse que perpétuer une situation créée par la Loi sur les accidents du travail telle qu'elle existe présentement, notre organisme s'interroge aujourd'hui sur le problème que représente l'assujettissement des camelots à de telles dispositions. Nombreux sont les citoyens du Québec qui exercent présentement ou ont déjà exercé la fonction de camelot et qui seront à même de réaliser que le projet de loi 42, autant que la loi actuelle, crée des problèmes d'ordre administratif et juridique susceptibles de perturber l'harmonie des relations du travail qui a toujours existé entre les quotidiens et les camelots.

L'historique même de la Loi sur les accidents du travail du Québec, dont la première version fut éditée en 1909, permet d'établir une distinction entre une personne exerçant l'activité de camelot et les accidentés du travail traditionnels que l'on tentait de secourir par cette première loi. Ainsi, les risques qu'encourt le camelot à l'occasion de la distribution des journaux sont difficilement comparables à ceux du travailleur d'usine qui manipule, durant une journée complète de travail, une machinerie lourde et souventefois dangereuse. L'intention de la CSST d'y assujettir les camelots est tout à fait récente et ne s'inscrit absolument pas dans l'esprit de la loi.

En plus de l'illogisme que nous voyons à appliquer le même régime à ces deux groupes de personnes, l'on peut s'interroger sur l'opportunité que telle protection ait été ainsi étendue aux camelots sans même que le besoin de telle loi n'ait été ressenti. Nous n'avons d'ailleurs connaissance d'aucun abus ou injustice survenu à l'égard des camelots avant que la CSST ne décide d'intervenir. En effet, un tour d'horizon de la situation chez chacun des membres de notre association nous permet de constater que, dans les faits, très peu d'accidents surviennent aux camelots.

Il faut encore souligner que les jeunes camelots, envisagés comme possibles accidentés du travail en vertu du projet de loi 42, présenteront pour les tribunaux des problèmes pratiques, tant en raison de leur statut d'accidenté qu'en raison de leur statut de travailleur ou travailleur autonome. Le quotidien n'a aucun contrôle sur les activités d'un camelot (sports, école, déplacements, divertissements, travaux domestiques tels que tondre le gazon de voisins ou déblaiement de la neige, moyennant rémunération, dans le voisinage, distribution aussi de circulaires ou de journaux autres que le quotodien). Nous tenterons d'ailleurs d'identifier ces problèmes dans les pages qui suivent.

Le jeune camelot consacre - et c'est un point important - au plus une heure par jour à la distribution des journaux. La vente de journaux à domicile ne constitue donc qu'une faible partie de ses occupations journalières. De plus, le camelot peut organiser son mode de distribution, le trajet et son horaire à l'intérieur d'un territoire sous réserve d'avoir terminé la livraison à une heure déterminée. Il serait peut-être plus juste ou plus exact de dire que le camelot vaque à une occupation plutôt qu'à un travail, ses heures et ses conditions de travail relevant, en grande partie, de son initiative personnelle. Le camelot est, de fait, un entrepreneur et administre son entreprise. Il peut distribuer ou vendre d'autres produits tels que chocolats, calendriers pour financer une activité sportive ou autre.

De plus, la grande majorité des camelots est constituée d'étudiants. Du point de vue du camelot, l'école est sans doute la principale source de travail quotidien.

L'argent que le camelot reçoit est le

plus souvent qualifié d'argent de poche et non de gagne-pain. Cependant, en vertu de l'article 49 du projet de loi, le camelot accidenté peut recevoir une indemnité de remplacement de revenu de la commission. Quand nous considérons que le roulement des camelots peut atteindre jusqu'à 100% par année dans la métropole et que le camelot peut se faire remplacer, comme il l'entend, par un frère, une soeur, un ami, voire son père ou sa mère, le nombre potentiel de réclamants en vertu du projet de loi 42 est impossible à déterminer. De plus, le camelot n'informe généralement pas le représentant du quotidien du nom de son remplaçant.

Pour le quotidien assujetti au projet de loi 42, de nouveaux instruments de contrôle et de vérification des accidents du travail devront nécessairement être mis en place. Le coût administratif de ces contrôles s'avérera particulièrement onéreux pour les petits quotidiens. De plus, même si le projet de loi 42 prévoit que l'employeur peut contester le bien-fondé d'une réclamation en vertu des article 245 et 247, ce droit d'appel devient un droit fictif quand nous considérons que certains quotidiens ont à leur emploi jusqu'à 5000 camelots. De plus, certains quotidiens confient la distribution de leur journal à des sous-traitants qui livrent dans les dépôts avec leur camion et organisent la distribution à domicile par des camelots. Ces sous-traitants deviendraient des employeurs au sens de la loi; ils seraient alors obligés de tenir des registres pour les seules fins de l'administration du dossier de la CSST. Présentement, le quotidien qui décide de contester le bien-fondé d'une réclamation à la CSST doit attendre au moins trois ans avant d'être entendu par la Commission des affaires sociales, tribunal d'appel de dernière instance en cette matière. Le processus prévu dans le projet de loi 42 ne permet pas d'espérer quelque amélioration que ce soit à l'égard de ces délais. Par conséquent, le jeune camelot aura sans doute passé à une autre occupation au moment de sa convocation à l'audition.

Par conséquent, l'élargissement du régime des accidents du travail aux camelots implique le début de relations équivoques entre le camelot et le quotidien, compliquées par des procédures et, évidemment, de la paperasse.

Le camelot est généralement âgé de dix à quinze ans. Le choix des moyens de distribution des journaux qui lui sont confiés chaque jour est à son entière discrétion. Il peut donc livrer ses journaux à pied, à bicyclette, ou même en automobile conduite par un parent. Certains camelots distribuent plusieurs journaux en même temps. Exemple, à Québec, le Devoir, The Gazette et le Journal de Québec. Il serait alors difficile d'identifier l'employeur au moment de l'accident.

Selon le projet de loi 42, les camelots pourront être indemnisés pour tout accident du travail, quelle qu'en soit l'origine. Pourtant, le quotidien, cotisé par la CSST, n'a aucun contrôle sur la manière dont le camelot effectue son travail, ni sur les risques qui accompagnent cette manière de faire, laquelle ressort de toute façon du choix exclusif du camelot lui-même.

Dans les cas de contestation d'une réclamation par l'employeur, le jeune camelot devrait avoir recours à son père et, dans certains cas, à un procureur pour le représenter.

Interrogeons-nous, en fait, sur les difficultés qui se présenteront afin de déterminer si l'accident est réellement survenu alors que le camelot effectuait sa distribution de journaux et non à l'occasion de la pratique d'un sport, par exemple. En effet, le camelot n'ayant pas, comme les travailleurs, de collègues de travail susceptibles de donner leur version d'un accident, il pourra être difficile, voire impossible dans certains cas, de déterminer avec certitude l'origine de cet accident. Nous ne croyons pas que le fait d'imposer de lourdes cotisations aux quotidiens puisse contribuer, si c'était nécessaire, à améliorer la prudence des jeunes camelots, non plus qu'à faciliter les mesures préventives pour éviter d'autres accidents.

Nous croyons, en conclusion, que les simples exemples énumérés ci-dessus démontrent bien que les difficultés administratives et les coûts qu'entraîne l'implantation de ce régime aux camelots sont démesurés par rapport aux avantages que cette protection est susceptibe d'apporter à ces derniers. En effet, la nécessité d'une telle protection est plus apparente lorsqu'elle vise à remplacer le revenu d'un accidenté qui est soutien de famille que lorsqu'on examine le cas du jeune camelot sachant, par ailleurs, que la plupart de ces jeunes camelots disposent déjà d'une protection par le biais d'une assurance scolaire ou même d'un programme d'assurance offert par le quotidien.

Nous croyons que la protection donnée par une police d'assurance protège le camelot adéquatement dans le cas d'un accident survenu dans le cours de la distribution du journal alors qu'il n'encourt aucun risque supérieur à ceux qu'il encourt dans ses activités quotidiennes normales.

En conclusion à cet appel au bon sens, notre association ne peut que recommander qu'un amendement soit apporté à la définition de "travailleur" et "travailleur autonome", à l'article 2 du projet de loi 42 afin d'inclure les camelots dans la liste des exceptions énoncées par le législateur. Il faut noter que "la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenu", est déjà exclue de l'application du projet de

loi 42. Nous croyons que le jeune camelot pourrait facilement s'insérer dans cette liste d'exceptions, considérant le caractère unique de ses fonctions, lesquelles ne constituent qu'une partie infime et marginale de son emploi du temps.

Au sein d'une société qui se complexifie de jour en jour, est-il bien nécessaire de perdre l'image du jeune camelot effectuant sa tournée matinale pour se mériter un peu d'argent de poche? Vous me permettrez de souligner qu'aucun camelot des neuf autres provinces n'est assujetti à de telles dispositions. La province de l'Alberta a considéré cet état de fait, mais s'est vite désistée, faisant surtout appel au gros bon sens.

Je voudrais maintenant donner la parole à Me Beauvais, qui vous exemplifiera, si l'on veut, quel effet pourrait avoir le projet de loi 42. À titre d'exemple nous avons choisi le journal Le Soleil, ne voulant pas favoriser les uns et les autres et Le Soleil étant le journal de la ville de Québec. Nous avons demandé à Me Beauvais de ce faire.

M. Beauvais (Jean): M. le Président, strictement à titre d'illustration des quelques énoncées de principe que M. Landry vient de vous donner, je vais vous exposer en trois mots la situation au Soleil. Le Soleil a 4000 camelots qui distribuent quotidiennement le journal, mais dans une année, il en passe 8000, le taux de roulement étant de 100%. Le Soleil emploie 600 personnes. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, nous devrons inscrire dans nos registres 8600 personnes au lieu de 600. Nous devrons engager deux personnes pour tenir le registre. Nous devrons augmenter le travail de tous les agents de tirage. Nous avons onze sous-traitants dans les régions qui travaillent pour des sommes forfaitaires et qui ne tiennent pas de registre pour nous des camelots. Nous ignorons qui ils sont. Ces gens-là, peu familiers avec l'administration, devront augmenter leur charge de travail et, évidemment, être rémunérés en conséquence. (20 h 30)

Au moment où nous parlons, au Soleil, tous les camelots sont régis par une assurance. Cette assurance ne les couvre pas seulement pendant l'heure où ils distribuent le journal mais vingt-quatre heures par jour. Elle coûte 0,25 $ par semaine et est défrayée par le camelot. Nous considérons que c'est un apprentissage aux affaires que d'avoir une route. D'ailleurs, il y en a même qui se vendent les routes les uns aux autres. Très souvent, ce sont des entreprises familiales où deux ou trois enfants se la partagent de jour en jour et, parfois, le samedi, quand ils dorment, ce sont les parents qui y vont. D'ailleurs, j'ai un sous-ministre qui me livre le Soleil régulièrement.

Aller nous embarquer dans cette administration entraînerait des coûts. C'est la situation que nous allons vivre si la loi n'est pas changée. Il y a déjà un jugement à la direction financière qui a déclaré le camelot comme un travailleur. Si la situation persiste, nous calculons que les coûts au Soleil seront les suivants: 10 030 $ de cotisations. S'il devient un travailleur, nous devrons à ce moment-là payer des primes au gouvernement pour l'assurance-maladie pour un montant de 50 000 $; 4% de vacances, 66 000 $; autres cotisations gouvernementales, 2000 $. Cela fait un total de 130 000 $, plus 50 000 $ de frais d'administration. Nous en sommes rendus à 179 000 $ pour administrer le régime, sans tenir compte de ce que cela va coûter à la CSST, parce que cela va évidemment nécessiter un certain nombre de personnes.

Pour répondre à quels besoins? N'oubliez pas que notre assurance couvre les vingt-quatre heures par jour. Je vais vous donner l'historique des réclamations depuis quatre ans. Tout le monde est couvert. Si un jeune qui est camelot au Soleil a un accident en jouant au hockey, on le paie. Ils le savent tous. Ils ont les documents pour cela. En 1980, les réclamations nous ont coûté 6000 $; en 1981, 10 000 $; en 1982, 11 000 $; en 1983, 13 000 $. Nombre de réclamations moyennes: 190 par année. Le tout se fait sans recherche de responsabilité.

Ce que la loi va offrir aux camelots est une protection moindre, soit une heure par jour - alors que nous les protégeons pendant vingt-quatre heures - avec les risques de contestation. Cela va nous causer des frais d'administration de 200 000 $ pour répondre à des réclamations de l'ordre de 13 000 $ pour 24 heures par jour. Pour nous, c'est à n'y rien comprendre. Nous croyons que le jeune est totalement couvert au moment où l'on se parle et que tout ce que l'on fait par la loi, c'est d'augmenter l'administration à un coût effarant de 200 000 $ pour payer l'équivalent de 13 000 $ en donnant une protection moindre au camelot. Quel est l'avantage?

Le Président (M. Paré): Merci pour la présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant passer à la période d'échanges. La parole est au ministre du Travail.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier M. Landry et les membres de sa délégation d'être venus nous faire leurs représentations par rapport aux dispositions qu'on retrouve dans la loi 42. Il est facile de comprendre que le mémoire est court, clair et très explicite, parce que, effectivement, il a un but et un objectif principal qui est, à toutes fins utiles, unique: faire en sorte que les camelots soient purement et simplement exclus de l'application de la loi.

Évidemment, la discussion a déjà été engagée là-dessus. Je pense que tout le monde le sait et, jusqu'à maintenant, on n'a pas trouvé de terrain d'entente. J'espère que la discussion que nous allons engager va nous permettre d'avancer dans l'étude du dossier. Je voudrais, M. le Président, aussi brièvement que possible, essayer d'obtenir certains renseignements additionnels qui pourraient être utiles à la discussion et, bien sûr, aussi, à la réflexion qui devra suivre les échanges que nous aurons ce soir.

Me Beauvais vient de nous donner l'exemple du journal Le Soleil. À l'annexe A, il y a neuf membres dans votre association. Deux autres se sont joints, pour les fins de la présentation du mémoire et de son contenu, à votre association. Est-ce que, Me Beauvais ou M. Landry - et là, je ne veux pas créer d'émulation entre les différents journaux - la situation du journal Le Soleil, en termes de nombre de camelots, est celle que l'on retrouve au maximum de l'échelle du nombre d'emplois? Je vois M. Landry déjà faire des signes. Comment est-ce que cela se présente par rapport aux neuf membres de votre association, si vous avez ces renseignements?

M. Landry (Roger D.): Je vais essayer de vous répondre rapidement. Évidemment, la fluctuation du nombre est en parallèle avec le tirage du journal. On peut dire, si on prend, à Montréal, la Gazette, le Journal de Montréal et la Presse, que vous en avez là un nombre approximatif de 5000 en moyenne dans chacun des journaux. Il y a un autre facteur... C'est là où je comprends bien votre question, parce que chaque journal et chaque situation sont différents.

Si on prend Sherbrooke, un coin que vous connaissez bien, à ce moment-là, c'est encore là, en fonction de l'endroit où le journal est distribué. Il est possible que le territoire soit plus grand et que, dans la ville même de Sherbrooke, il y ait des camelots, mais, pour les autres secteurs, c'est distribué à des points de vente ou à des choses du genre. Il me serait difficile de vous donner une réponse parfaitement exacte mais ce que je peux dire c'est qu'il y a un parallèle facile à dresser et c'est toujours en fonction du tirage du journal.

M. Fréchette: Cela va. Je comprends aussi très facilement que ce n'est pas simple d'arriver à mettre des chiffres absolus en fonction de chacun des organismes qui sont identifiés dans l'annexe. Maintenant Me Beauvais nous a signalé que la situation qui existe au journal Le Soleil en termes de protection ou d'assurance est une protection à laquelle le camelot lui-même contribue. Il paie lui-même sa prime de 0,25 $ par semaine, nous avez-vous dit? Est-ce que vos renseignements vous permettent de nous dire si, dans chacune des entreprises qui sont énumérées à l'annexe A, il existe aussi ce genre de protection ou un autre genre? Enfin, comment est-ce que se présente la situation à cet égard-là?

M. Landry (Roger D.): Il existe, dans chacun des journaux, une protection mais ce n'est pas une protection uniforme dans le sens que, par exemple, nous, au journal La Presse, nous payons la protection pour le camelot mais sur la base de l'heure, de la période où il travaille. Dans le cas du journal Le Soleil, eux, ils ont décidé d'aller sur 24 heures et chacun des autres journaux a sa façon de faire.

Nous avons eu, et je pense que vous êtes au courant, des rencontres pour essayer de trouver une formule par laquelle on pourrait, si on veut, formaliser ou étendre le système. Mais, encore là, c'est toujours le même problème qui survient: c'est que nos entreprises de presse, si je fais exclusion des trois majeures - si on veut - à Montréal, fonctionnent par rapport à leur marché et au nombre qu'elles ont. C'est très difficile, je dirais, voire presque impossible, d'établir une norme qui saurait satisfaire chacun des quotidiens parce que leurs besoins ne sont pas les mêmes, sauf que tous s'accordent pour dire qu'il est essentiel, qu'il est même absolument majeur que les camelots soient protégés, et ils le sont dans le sens que chacun a une forme de protection, mais qui n'est pas exactement la même partout.

M. Fréchette: Toujours dans le même esprit et dans le seul but d'essayer d'avoir une image aussi claire que possible de la situation, je retiens le dernier paragraphe de la page 7 de votre mémoire dans lequel vous nous dites: "Nous croyons que la protection donnée par une police d'assurance protège le camelot adéquatement dans le cas d'un accident survenu dans le cours de la distribution du journal". Evidemment, je pense qu'on va tous convenir que le terme "adéquatement" est fort large et peut couvrir un grand nombre de situations. Est-ce qu'il . est possible, Me Beauvais, M. Landry ou quelqu'un de la table - je ne vous dis pas de nous donner à la lettre la situation qui existe dans chacune des entreprises d'essayer de résumer quelle est effectivement la couverture adéquate dont vous nous parlez dans votre mémoire? Cela couvre quoi précisément, dans l'une ou l'autre des situations qui peuvent se présenter, une incapacité partielle permanente, une incapacité totale permanente, une incapacité temporaire permanente? Quelles sont en gros...

M. Beauvais: La police d'assurance à laquelle le Soleil a souscrit est une police qui existe à travers les États-Unis et qui est

largement répandue. Elle comporte une assurance-vie de 4000 $ et, pour la perte de membres, des indemnités de 500 $ à 16 000 $. Pour un doigt, c'est tant, etc. Il y a une table, qui est à peu près dans la formule des assurances que les parents souscrivent habituellement pour des enfants qui vont à l'école. C'est à peu près calqué sur le caractère indemnitaire de ces polices.

Sur le plan de l'invalidité par cause d'accident, l'indemnité est de 15 $ par semaine, c'est la moyenne des revenus des camelots du Soleil. Le revenu hebdomadaire du camelot du Soleil varie entre 5 $ et 18 $ à 20 $. Dans tous les cas on donne 15 $ sans discussion.

M. Fréchette: Évidemment, quand on se réfère à ce chapitre de la couverture de la police, on en vient à la conclusion que l'on parle strictement en termes d'indemnisation et de réparation matérielle des inconvénients que peut créer un accident du travail.

Cela va un peu plus loin que cela, je vous le soumets pour discussion encore. Prenons le cas d'un camelot qui subit un accident grave et qui se retrouve avec une incapacité sérieuse de 20%, 25% ou 30% et qui est permanente. La loi 42, comme la loi actuelle sur les accidents du travail, prévoit aussi un processus de réadaptation. D'abord, la première question, ce serait peut-être une question qui serait en relation avec le principe. Est-ce que vous concourez au principe qu'il faille aider quelqu'un qui a un accident du travail en termes de réadaptation physique, sociale, enfin, toute espèce de réadaptation, d'une part, et, deuxièmement - c'est une affirmation que je vais risquer de faire - je suppose que dans les régimes d'assurance privés il n'y a pas de processus de réadaptation qui sont prévus?

M. Landry (Roger D.): Je vais apporter le commentaire suivant. En tout premier lieu, je vais accepter votre prémisse, j'y concours, je crois qu'il est très important d'avoir ce processus de réadaptation, etc.

La difficulté et peut-être le problème que nous avons eu à établir une formule, c'est que nous avons très peu d'incidences du genre. Dans le cas des camelots, c'est très rare. L'incidence d'accidents en comparaison du nombre de personnes, etc., est très basse. Ce qu'il est essentiel pour nous d'obtenir, et je pense que ce que vous demandez là est un point sur lequel nous serions très ouverts à engager une forme qui nous amènerait à trouver cette dimension... Lorsque vous parlez d'échanger à ce propos, je suis très ouvert pour le faire. (20 h 45)

Le danger que nous avons vu dans le cas de la loi 42 - vous me corrigerez si je me trompe - c'est que je crois qu'on disait que la somme était de 50 $ par jour - est- ce que c'était cela? par semaine, plutôt -alors que le petit bonhomme que nous avons était payé à ce moment-là... Disons qu'il gagnait... Dans notre cas à nous, la différence dont on parlait... Le Soleil dit 15 $ à 18 $; nous, c'est de 20 $ à 25 $ pour le petit gars. À Sherbrooke, peut-être...

M. Fréchette: Vous allez avoir des conflits de travail.

M. Landry (Roger D.): Non, non, pas vraiment. C'est précisément pour cette raison qu'on ne voudrait pas... Mais là-dessus, sur cette question - je donnerai la parole à Me Beauvais subséquemment - il va sûrement falloir trouver cette recette, on l'avoue, mais nous ne croyons pas - et c'est pour cela que nous avons décidé de venir vous rencontrer pour vous expliquer cela -qu'il serait opportun d'établir un principe par lequel, lorsque quelqu'un travaille pour une entreprise ou qu'il fait un geste à titre de travailleur autonome, pour la période où il est là, où il fait cela, il ait une responsabilité pour quelque chose, alors que cela arrive lorsqu'il est dans la cour d'école en train de jouer au hockey ou de faire quelque chose du genre. C'est là où c'est très difficile d'en arriver... Parce que le camelot c'est un peu, je pense, l'origine peut-être de l'entrepreneurship. Quand les jeunes font cela, ils le font aussi sur une base... Je vais aller me faire des sous. Je vais aller travailler et je vais... C'est ce que vous essayez d'obtenir et je pense que c'est très valide. Je tiens à vous dire que votre préoccupation là-dessus rejoint la nôtre aussi. Il n'y a personne qui s'oppose à cela. Il s'agit de trouver, par contre, la recette.

M. Fréchette: De trouver la formule. M. Landry (Roger D.): C'est cela.

M. Fréchette: C'est peut-être un peu plus compliqué de trouver la formule...

M. Landry (Roger D.): Oui.

M. Fréchette: ...mais je retiens, de toute façon, que sur le plan du principe, l'objectif qui est visé...

M. Landry (Roger D.): Oui.

M. Fréchette: ...c'est le genre de chose sur laquelle vous seriez disposé à élaborer davantage et à discuter davantage.

M. Landry (Roger D.): Oui, absolument. M. Fréchette: Bon!

M. Beauvais: M. le ministre, si vous le permettez.

M. Fréchette: Oui.

M. Beauvais: Nous avons examiné la grille des accidents au cours des années et je vous dirais que 90% sont des fractures mineures de la jambe ou du bras à l'occasion d'une chute dans un escalier, ou un pouce dans la porte. Il y a quelques accidents où on se fait mordre par un chien. Je pense que le recours que l'enfant peut prendre, du côté civil, avec l'aide de ses parents contre le voisin qui a le chien méchant pourrait répondre à ce besoin-là. Les autres - ce sont les plus graves et ils ont d'ailleurs déclenché tout le débat - ce sont les accidents causés par des automobiles et il y a un autre régime qui y voit.

La deuxième remarque là-dessus, c'est que l'expectative de gain de celui qui commence comme camelot au Soleil est, au total, en moyenne 360 $. Il se perd dans la brume et c'est un autre qui le remplace. Est-il juste de faire supporter par une entreprise, pour le restant de ses jours, la réadaptation, etc., alors que son lien avec l'entreprise ne durera que pendant quatre ou cinq mois à l'occasion d'une activité qui est moins dangereuse que quand il s'en va à l'école avec des patins et qu'il se met à jouer? Il fait une marche en distribuant les journaux le matin et il retourne chez lui. Ce serait peut-être des considérations.

M. Fréchette: Non, non. Je crois bien que vous avez des considérations qui doivent être appréciées sérieusement, évaluées à leur mérite et qui demandent de la réflexion, c'est sûr. Vous soulevez des questions de principe importantes. Il y a aussi - il me semble, en tout cas - des questions de principe qui pourraient être invoquées à l'appui de l'autre thèse. Par exemple, je comprends, quand vous m'expliquez toutes les conditions de travail, au sens très large du terme, du camelot, que vous n'avez pas beaucoup de contrôle sur ses décisions à lui quant à la façon de faire la distribution, quant à la possibilité qu'il demande à son frère, à sa soeur, à son père ou à sa mère de faire le travail pour lui, mais il reste toujours, au plan du principe, en tout cas, qu'il y a cette relation employeur-employé entre l'entreprise que vous êtes et lui-même. Si on accepte cette relation, on accepte aussi qu'un accident survenant pendant l'exécution de ses fonctions à votre service peut être considéré comme un accident du travail et traité en conséquence. Enfin! Je ne sais pas si mon évaluation est correcte. Je vous vois faire des signes de tête importants.

M. Landry (Roger D.): C'est parce que je comprends exactement... La position où nous sommes, c'est qu'on se rejoint sur l'idée, sur la dimension de protection. Je pense que là où on a peut-être de la difficulté, nous, c'est de voir que le type... En fait, c'est un peu comme le gars qui dit: Je veux acheter dix pommes à 0,10 $ et je vais aller les vendre 0,20 $, si vous voulez. C'est un petit peu le gars qui est entrepreneur, qui va acheter en vrac et qui dit: Je vais aller vendre mon affaire. Et cela revient toujours. Fondamentalement, la réflexion que vous, en tant que législateurs, avez à vraiment penser, c'est: Est-ce que, à ce moment-là, ce bonhomme, qui travaille une heure par jour à faire cela est un employé de l'entreprise ou est-ce que c'est un artisan, si on veut, ou un entrepreneur qui dit: Je vais aller chercher cela et je vais faire ce bout-là. Cela est une décision, bien qu'elle semble facile lorsqu'on échange comme cela, qui est assez profonde pour le législateur. Je conçois cela très bien. Je pense que tous les gens, à cette table, le conçoivent bien. Mais le danger - et c'est le point que j'aimerais soulever - c'est qu'il ne faudrait pas, je crois, passer de tout l'un à tout l'autre. Autrement dit, si on pouvait avoir l'artisan-employé, ce serait déjà... Vous savez, ce serait de trouver le moyen... Ce que le projet de loi indique, c'est que c'est tout un ou tout l'autre. C'est qu'il devient un employé; en réalité et dans le quotidien, on peut dire qu'il est employé, oui, mais pour une heure ou pour la durée de son affaire. C'est là M. le ministre que vous avez... C'est pour cela que vous êtes le législateur et que moi je ne le suis pas!

M. Fréchette: Évidemment, je comprends que l'argumentation que vous développez, M. Landry, mérite d'être considérée, comme je vous le disais il y a un instant. Vous semblez être d'accord avec moi pour convenir que le problème n'est pas très simple, finalement. Et il met en discussion plusieurs principes qui peuvent être invoqués au soutien de l'une et l'autre thèse. Il faut essayer de trouver dans tout cela le juste milieu.

Je voudrais simplement essayer d'obtenir de Me Beauvais un peu plus de précisions quant à cette décision dont il nous a parlé quand il a fait une impressionnante revue de l'aspect économique de la situation pour le journal Le Soleil, puisque c'est l'exemple qu'il a utilisé.

Vous avez parlé d'une décision rendue par une instance que je n'ai pas pu identifier, malheureusement...

M. Beauvais: C'est la direction financière de la CSST...

M. Fréchette: De la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

M. Beauvais: Oui. Et nous sommes en appel devant la Commission des affaires

sociales. L'appel est en suspens en attendant les travaux en cours.

M. Fréchette: En attendant de voir les résultats de ce qui se passe maintenant.

M. Beauvais: Oui. Et la décision, c'est que ce sont des travailleurs et non pas des artisans...

M. Fréchette: Bon.

M. Beauvais: ...ce qui impliquerait tout le restant.

M. Fréchette: Et c'est là-dessus que je souhaiterais que l'on puisse clarifier la situation. Parce que là, dans les informations que je possède quant à l'impact de la décision elle-même par rapport à ce que vous me soumettez, il y a des différences qui sont fondamentales. Et retenez, dès le départ, que je ne suis pas en train de contredire ce que vous m'avez dit. Je vais essayer qu'on mette les deux points de vue un à côté de l'autre, pour voir quel est, précisément, l'état de la situation. Je suis informé - je n'ai pas devant moi la décision, bien sûr - que cette décision à laquelle vous vous référez aurait, effectivement, reconnu les camelots comme des travailleurs au sens de la Loi sur les accidents du travail mais que la même décision ne les aurait pas reconnus travailleurs au sens de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec et au sens de la Loi sur les normes du travail.

M. Beauvais: C'est très exact que cette décision ne peut pas décider, ce n'était pas res gestae, cela ne faisait pas partie du litige.

M. Fréchette: Non, mais vous avez parlé tout à l'heure des implications que cela pouvait engendrer.

M. Beauvais: Oui.

M. Fréchette: Vous avez dit: Bon, il faudra maintenant que l'on cotise à la Régie de l'assurance-maladie du Québec; il faudra que l'on cotise à telle autre instance; il faudra que l'on cotise un peu partout.

M. Beauvais: La conclusion... M. Fréchette: Oui.

M. Beauvais: ...de la décision rendue le 2 décembre 1982, je vous en lis la dernière phrase concernant ce point en litige: "Mais comme nous l'expliquions au début, le camelot ne doit pas être considéré comme un artisan ou un petit entrepreneur au sens de la Loi sur les accidents du travail, il est un travailleur."

M. Fréchette: Au sens de la Loi sur les accidents du travail.

M. Beauvais: C'est cela. Mais une fois que son statut devient celui d'un travailleur, nous sommes cotisés, évidemment, pour lui, à la CSST, comme un travailleur. Il devient l'employé de l'entreprise et tout le restant s'ensuit.

M. Fréchette: Et c'est ce que vous portez en appel, actuellement?

M. Beauvais: Oui. Maintenant, dans votre recherche, M. le ministre, il y a une chose, je pense, qui est assez frappante, c'est que la structure de la loi, les mécanismes, les rapports, les prélèvements, etc., c'est fait dans un contexte d'entreprise avec des salariés, et on vient prendre ce grand contexte pour l'appliquer à un travail qui n'a rien à voir avec tous les autres travaux qui sont assujettis à la loi. C'est peut-être un élément à retenir. Si on a recours à une grosse machine pour un problème d'une heure par jour, un genre de bénévolat qui se fait à gauche et à droite, faire de l'argent de poche...

M. Fréchette: Cela rejoint un peu une observation qu'on retrouve dans les remarques préliminaires du mémoire que nous a lu M. Landry. Le mémoire dit qu'on ne peut pas comparer le travail du camelot à celui de l'opérateur de machinerie lourde, à celui de manoeuvre sur un chantier de construction, etc. Je comprends que vous faites la référence de comparabilité en termes des risques que cela représente. On pourrait peut-être faire la même comparaison entre l'opérateur de machinerie lourde et la téléphoniste ou la secrétaire d'un bureau. Les risques ne sont évidemment pas les mêmes. Par ailleurs, tous les deux sont couverts par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

M. Landry (Roger D.): Est-ce que vous me permettez de faire un commentaire?

M. Fréchette: Oui, bien sûr.

M. Landry (Roger D.): Ce que vous dites en ce qui concerne la téléphoniste et l'opérateur de machinerie lourde, j'y souscris, parce qu'ils sont effectivement des employés de l'entreprise, ils doivent être assujettis aux normes de l'entreprise, vivre à l'intérieur de cette entreprise et fonctionner comme tels. J'accepte cela. Je ne pense pas que personne mette cela en doute; enfin, je ne le crois pas. En fait, le vrai problème, "the crux of the problem", se situe par rapport au petit camelot qui arrive à... Je vous ai indiqué plus tôt qu'on avait un "turn-over", un remplacement de 100% sur 5000 camelots et

cela change à tous les trois mois. Il y en a qui restent, il y en a qui s'en vont. Dans son esprit, le petit gars va livrer ses journaux et gagne ses 15 $ ou ses 25 $. C'est tout. Il sert ses 18 ou 20 clients. Il n'a pas ce sens d'appartenance, si vous voulez, à l'entreprise. D'ailleurs, ce que vous touchez là, c'est le problème; c'est de vraiment définir le petit gars comme ce qu'il est. Est-ce que c'est un petit gars qui dit: Je suis un entrepreneur? S'il dit à son employeur, le lundi soir: Je suis tanné, j'ai sauté quatre bancs de neige ce matin pour livrer la Presse et je ne veux plus me lever à 6 heures le matin, je lâche... Une téléphoniste qui sauterait quatre bancs de neige et qui arriverait au bureau, on lui dirait: Écoutez! madame, il y a des considérations; vous avez telles obligations et nous avons des obligations. Mais ce n'est pas du tout cette relation-là. Si on pouvait trouver la recette par laquelle ce que la loi et ce que vous visez en tant que législateur soit d'assurer que s'il doit y avoir réhabilitation, s'il doit y avoir ces choses-là, il faudrait qu'on ait un moyen de protéger. Je pense que c'est cela que le législateur vise, plus que de déterminer si c'est un employé ou quel genre de chose... Je pense que c'est là-dessus...

M. Fréchette: II y a des points sur lesquels on se rejoint, M. Landry.

À la page 2 de votre mémoire, au dernier paragraphe, vous nous dites que le quotidien n'a aucun contrôle sur les activités d'un camelot. Cela m'amène à une considération et à une question. Quand la philosophie de la Loi sur la santé et la sécurité du travail a été élaborée, évidemment, il fallait penser en termes de réparation - c'est sûr - d'indemnité, etc., mais aussi en termes de prévention de l'accident. Les experts en la matière évaluent que plus la prévention sera intense, plus la prévention sera bien faite, plus elle sera structurée, adéquate, évidemment, plus les accidents vont diminuer dans la même proportion ou à peu près. Cela m'amène à la question suivante, quand vous dites que le quotidien n'a aucun contrôle sur les activités d'un camelot. Est-ce que cela va aussi loin que de dire: On n'est pas non plus en mesure, à cause de toutes ces circonstances, de faire de la formation, de l'information et de la prévention avec nos camelots? En d'autres mots, on retient leurs services; il y a des procédures qui sont faites pour l'engagement au tout début, après cela, il s'en va de sa propre initiative. (21 heures)

M. Landry (Roger D.): Si vous permettez, je vais demander à Roméo Savard - qui vit l'expérience avec les camelots parce qu'on en a près de 5000 à la Presse - de vous parler aussi de l'incidence parce qu'il y a un élément là-dedans qui est très drôle. Peut-être, Mario, pourriez-vous parler du volume, par exemple, de plaintes ou de réquisitions.

M. Savard (Mario): Une des choses ici qu'on prévoit, peut-être, et ce n'est souligné nulle part, c'est que le trajet du camelot, sa géographie, son parcours est fait de telle sorte qu'il ne doit pas traverser de rues, habituellement, sur les artères principales, la Grande-Allée par exemple. On s'assurerait, à Montréal sur un boulevard, qu'il va faire juste un côté du boulevard. Déjà, dans la planification du trajet d'un camelot, on est très conscient de cela. Il est évident que ce n'est pas communiqué aux jeunes à dix, douze ans. Mais sur les grandes artères, tous nos territoires sont délimités. Son trajet est fait en fonction d'éviter cette incidence de traverser les boulevards et ces choses là. Au trafic, c'est déjà planifié comme cela.

M. Fréchette: C'est vous autres qui lui délimitez cela et vous vous assurez qu'il n'ait pas, par exemple, à traverser une grande artère.

M. Savard: Habituellement, dans une rue à grand trafic, le porteur va travailler uniquement sur le côté pair ou impair pour éviter qu'il ait à traverser la rue. Les territoires sont montés comme cela. Je pense que cela a été souligné. Comme il y a peu ou pas de réclamations, il est évident que le besoin de formation en prévention est presque nul aussi. Je veux dire que souvent on corrige des situations. Le taux est tellement bas qu'on ne peut pas avoir des programmes pour des choses inexistantes non plus.

M. Fréchette: J'avais pris une note aussi pour obtenir un peu plus de renseignements sur la fréquence et les conséquences des accidents. Je pense que quelqu'un l'a déjà soulevé. Ne serait-ce que pour nous rafraîchir la mémoire, est-ce qu'on pourrait revenir là-dessus, pour l'ensemble des quotidiens ou à partir d'un organisme en particulier?

M. Landry (Roger D.): Me Bertrand va vous donner quelques détails à ce sujet.

Mme Bertrand (Lise): Pour la plupart de nos membres qui ont une assurance comme celle de la Presse, une assurance qui couvre le moment de l'accident de travail, ce sont des choses comme une réclamation en dix ans, ou aucune en dix ans, quelque chose comme cela. Pour les quotidiens qui ont une couverture d'assurance qui ressemble à celle du Soleil, c'est-à-dire 24 heures, là cela peut être de 50 à 100-150 par année, mais c'est 24 heures.

M. Fréchette: En termes de conséquences, Me Bertrand?

Mme Bertrand: De conséquences?

M. Fréchette: C'est-à-dire le genre d'accidents produits. La gravité, oui, précisément.

Mme Bertrand: On a des exemples pour le Soleil.

M. Beauvais: Au total, pendant toute l'année 1981 - j'ai des statistiques pour le Journal de Montréal, le Journal de Québec, la Gazette, le Devoir et le Soleil, tous ces journaux - c'est 474 réclamations au total et 433 en 1982. Au Soleil, on pense, je ne pourrais pas vous le prouver, on a l'impression qu'au moins 80% de nos réclamations résultent du hockey, du baseball et des sports. N'oubliez pas notre couverture. C'est 474 dans toute une année.

M. Landry (Roger D.): M. le ministre, un point qui est assez important, et là je veux dire que je ne veux pas sonner la cloche de la Presse plus qu'il ne le faut, c'est que nous avons eu une réclamation en dix ans.

M. Fréchette: Fracture d'une jambe?

M. Landry (Roger D.): Oui, fracture d'une jambe.

M. Fréchette: Comment se fait-il qu'il y en a eu une à la Presse en dix ans et quelque 400 par année au Soleil?

M. Beauvais: Non. Au Soleil, c'est 186 en 1982 et 195. Les 400 c'est pour tous les journaux que j'ai mentionnés.

M. Fréchette: Ah bon.

M. Beauvais: Et au Soleil, sur les 195, notre impression c'est qu'on en paie à peu près 175 pour les sports.

M. Fréchette: Maintenant, une dernière question quant à moi et là je prends un risque, M. Landry. Vous affirmez à la page 2 de votre mémoire, et je vous cite au texte: "Nous n'avons d'ailleurs connaissance d'aucun abus ou injustice survenu à l'égard des camelots avant que la CSST ne décide d'intervenir."

M. Landry (Roger D.): Je dirais que c'est peut-être dans la rédaction, M. le ministre, du document plus qu'autre chose. Ce que l'on veut dire, c'est que nous n'avions pas et nous n'avons pas reçu, dans le cas qui nous occupe à la Presse, parce que nous sommes une association, mais il faut dire que nous sommes aussi tous en concurrence, parce qu'il y a une concurrence très marquée dans les journaux... Il faut que ce soit comme cela. Je pense que c'est pour le bien de la démocratie. Je dirais que nous, dans notre cas, nous n'avions pas eu ce problème là et nous ne l'avons pas eu parce que nous avons eu une réclamation en dix ans. S'il y avait eu des choses, on serait sûrement venu nous voir. Alors, on se base sur l'expérience acquise. On a eu beaucoup d'échanges avec les représentants de la CSST. Nous avons essayé de trouver des moyens qui pourraient peut-être arriver... Je pense que là, et je ne voudrais pas engager de débat là-dessus, c'est plutôt une vision philosophique différente du contexte de l'entreprise privée et de l'entrepreneurship versus, si vous voulez, une option philosophique quant à l'objectif visé par la CSST. Alors, je voudrais qu'il soit très bien compris de votre part que cette remarque ne se voulait pas dérogatoire ou offensante.

M. Fréchette: Ce n'est pas sur cela non plus que je posais la question. Je voulais m'assurer qu'effectivement il n'y avait pas eu d'injustice depuis. J'ai complété ma période d'information. Je voudrais simplement terminer par un commentaire général. C'est un fait qu'il peut y avoir des conceptions philosophiques qui sont un peu différentes, comme vous venez de le dire. Cela m'apparaît même assez évident. De plus, il est aussi très clair que lorsque arrivent, par des lois ou autrement, des régimes de cette nature-là ou des régimes dont les objectifs sont de procéder à "couvrir" les risques possibles, c'est évident que cela crée toujours des embêtements, tant en termes d'administration qu'en termes de coûts. C'est bien sûr. Cela aussi c'est fort clair. Par ailleurs, il faut aussi faire l'évaluation des responsabilités de l'État, de l'employeur, des droits et obligations des employés ou des salariés. Il y a tout cela qui doit être pris en considération et en ligne de compte.

M. Landry, il y a une chose que je retiens, et je vous le dis comme je le pense sans aucune réserve. Je suis très heureux de l'ouverture que vous faites sur la question de la réadaptation. Je ne sais pas si c'est un élément nouveau dans toutes les discussions que vous avez déjà eues avec des représentants de la commission ou d'autres personnes, mais, pour ma part, je souhaiterais ardemment que nous puissions approfondir la discussion sur les autres angles et les autres chapitres, bien sûr, mais particulièrement là-dessus.

Je vous signale en conclusion que votre argumentation, encore une fois, doit être prise au sérieux. Vous allez comprendre que je ne serais pas responsable si je vous disais dès ce soir: Bon, le problème est réglé, on y va dans le sens que vous suggérez. Mais nous

allons retenir comme sujet de réflexion sérieuse ce que vous nous avez soumis et peut-être bien, dans les meilleurs délais, si vous le souhaitez, engager la discussion sur la question de la réadaptation.

M. Landry (Roger D.): Cela nous fera grand plaisir, M. le ministre.

Le Président (M. Paré): Alors, merci. M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci, M. le Président. D'abord un mot pour souhaiter la bienvenue à nos invités. L'exposé qu'ils nous font me semble, en tout cas à première vue, assez convaincant. J'ai l'impression que le projet de loi devant nous est, bien sûr, pavé de bonnes intentions, mais, finalement, qui trop embrasse mal étreint. On est en train de mettre sur pied un système qui peut, au niveau philosophique, probablement ou possiblement, se défendre au niveau théorique. Mais, pour avoir eu encore récemment deux garçons qui étaient camelots du Soleil et qui m'ont obligé, plus souvent qu'à mon tour, à prendre leur place parce qu'ils préféraient aller jouer au hockey ou des choses comme celle-là, je suis bien au fait de la relation qu'ils avaient avec le journal Le Soleil. Ils livraient le Soleil comme ils auraient livré autre chose. Ils se considéraient comme étant un peu à leur compte, à telle enseigne qu'ils devaient tenir leurs livres. Ils devaient savoir qui les avaient payés et qui avaient pour éternelle ritournelle: On n'a pas la monnaie qu'il faut, on a seulement dix dollars, on a seulement vingt dollars, la semaine prochaine on va vous régler cela. Ils devaient se souvenir de qui les avaient payés et qui ne les avaient pas payés. Ils devaient aussi supporter les mauvaises créances, parce qu'il y en avait. Ils devaient s'organiser pour, à la fin du mois ou à la fin de l'année, avoir fait quelques dollars. Je n'ai jamais eu l'impression qu'ils se soient, à quelque moment, considérés comme des employés ou des travailleurs du Soleil. C'était une manière de se faire des sous en même temps que cela leur permettait - je les encourageais à le faire - d'apprendre l'abc des affaires. C'est comme cela que les choses se passaient et cela ne me paraissait pas créer de complication. Que la CSST nous arrive avec une tentative de bureaucratisation pareille, pour ne rien vous cacher, cela m'étonne, cela me renverse. Cela me paraît être hors de proportion avec le problème qu'on veut régler. Vous manifestez une ouverture d'esprit qui me paraît de très bon aloi quand vous dites que s'il y a vraiment des cas de réhabilitation ou de réinsertion qui posent des problèmes, vous êtes prêts à mettre sur pied des mécanismes qui permettront d'éviter des préjudices trop sérieux ou qu'il n'y ait aucun préjudice finalement. De là à faire des enfants des travailleurs, finalement, je pense que si on veut discuter de philosophie, on pourrait fort bien répondre que les enfants ne sont pas faits pour travailler et que, par la voie d'une loi, que ce soit la CSST ou d'autres, on en fasse des travailleurs, on pourrait y voir le début de ce qu'on a dénoncé mais qui n'existe plus fort heureusement chez nous -en tout cas, espérons-le - je parle du travail des enfants.

Chez nous, nous avons des enfants qui font l'apprentissage de la vie. À mon avis, on fait l'apprentissage de la vie d'une part en allant à l'école, en jouant au hockey, au baseball, en étant guide ou scout et aussi, de temps à autre, en livrant des journaux. Tout cela fait partie de l'apprentissage de la vie. Mais on n'est pas travailleur pour autant, pas plus qu'on est, parce qu'on joue au baseball, un joueur de baseball, pas plus que parce qu'on joue au hockey on est un joueur de hockey. On n'a pas besoin de tout ce qui se greffe au hockey professionnel ou au baseball professionnel pour jouer au baseball et s'amuser. J'ai connu plusieurs camelots. J'en avais même deux dans ma famille. Si on leur avait présenté cela comme étant vraiment un travail, cela ne les aurait probablement pas intéressés. C'était une partie de leur apprentissage de vie de jeunes adolescents. Je ne sache pas que le fait d'en faire des travailleurs patentés, qualifiés ou tout ce que vous voudrez, et de les placer sous l'emprise de la CSST améliorera grand-chose. Si vous voulez avoir mon avis franc et net, ils y seront bien assez tôt sous l'emprise de la CSST. Cela viendra bien assez vite. Exemptons-les de cela aussi longtemps qu'on pourra. Ne les obligeons pas, à l'âge de douze ou treize ans, à être réglementés, jugés et évalués par la CSST. Cela me paraît être quelque chose de tellement énorme que je m'étonne qu'on en discute si longtemps. (21 h 15)

Dire que les camelots sont régis par la CSST, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, c'est comme si on parlait d'enfants mineurs travaillant au fond des mines. Il n'y a pas pour leur santé, leur bien-être, de danger inhérent aux fonctions qu'ils occupent. Il n'est pas plus dangereux finalement de passer les journaux que de se rendre à l'école le matin. On a entendu de longues démonstrations du ministre de l'Éducation, il n'y a pas si longtemps, sur le fait que, pour avoir droit de prendre l'autobus à l'âge de six ans, il faut rester au moins à un mille de l'école. Là, il faut traverser des rues et des artères principales. On lésine sur les brigadiers, on lésine sur ceci et on lésine sur cela en disant que cela fait partie de l'apprentissage de l'école que de savoir s'y rendre. Mais poursuivons le

raisonnement et soyons logiques. Ce n'est pas parce que la CSST a la chance, concernant seulement le cas du Soleil, de décupler et même plus le nombre d'employés qui dépendraient d'elle et qu'elle pourrait réglementer que nous n'avons tout simplement qu'à plier l'échiné devant tout cela. Je vous félicite d'agiter le drapeau, parce que, après les camelots, ce sera qui, hein? Ce sera qui fait des commissions pour un, qui rend service, qui fait... Il n'y a plus de limites à tout cela. Encore, si on était devant un problème réel, on dirait: On va explorer des avenues pour régler ce problème.

Mais on n'a pas fait la démonstration, d'aucune façon, loin de là, qu'un problème existe. J'ai l'impression qu'on veut nous apporter des solutions, par exemple. Problème, pas problème, voilà la solution. C'est mettre la charrue devant les boeufs, c'est l'envers du bon sens. Quand on me parle de coûts de 180 000 $, ou à peu près, pour enregistrer 8000 camelots qui vont passer dans le cours d'un an au service du Soleil, on peut bien s'imaginer que si le Soleil, qui est une entreprise privée, ne peut faire autrement que de dépenser 180 000 $, mettez-vous le dans la tête, la CSST va dépenser une couple de millions, telle qu'on la connaît. C'est certain. Si cela coûte 180 000 $ au Soleil, cela va en coûter au moins une couple de millions à la CSST.

Puis on va cotiser les employeurs pour cela, on va s'organiser pour grossir la machine et dire: II nous faut du monde, parce qu'on a 25 000 ou 30 000 nouveaux employés. Mais ce seront des employés qui travaillent une demi-heure ou trois quarts d'heure par jour, le matin, très souvent, quand il n'y a pas de circulation. C'est un travail que les parents sont intéressés à voir faire par leurs enfants, parce que cela les sort du lit, cela les oblige à se frotter les yeux un petit plus vite et cela leur inculque une certaine responsabilité. Quand le troisième voisin appelle et dit: il est 16 h 30 et le Soleil n'est pas arrivé; où est mon Soleil? Alors, réponds, mon Philippe, c'est ton job, réponds. Et je suis bien content quand il est obligé de répondre. C'est toi qui es responsable de cela. C'est cela avoir une responsabilité et organise-toi avec. Si tu n'es pas capable de la faire, laisse le job. Il y a plein de petits gars qui le veulent ce job et qui seraient bien contents de l'avoir.

Mais qu'on veuille bureaucratiser toute cette affaire, cela me paraît renversant et qu'on en fasse une montagne et qu'on veuille soupeser le pour et le contre, y songer sérieusement et voir s'il n'y aurait pas lieu de consulter et de fouiller l'affaire encore plus, quand on sait qu'il y a des problèmes bien plus sérieux et bien plus urgents qui existent ailleurs et pour lesquels on n'a pas de solution... Qu'on s'occupe donc des chômeurs et des assistés sociaux, ce sont des problèmes réels. Qu'on laisse les camelots livrer leurs journaux sans en faire des employés qui, possiblement, ... Si on pousse le raisonnement, ce sont des travailleurs; pourquoi ne les syndiquerions-nous pas? Pourquoi pas?

Une voix: ...des patrons...

M. Doyon: Pourquoi ne pas les syndiquer? Bien non, si on prétend, comme la CSST le dit, que ce sont des travailleurs. Ils ont besoin de protection, ils ont besoin d'être syndiqués, ils ont besoin de défendre leurs droits, ils ont besoin de négocier leurs conditions de travail, ils ont besoin de savoir que le journal, tel jour, n'aura pas plus de 64 pages, etc. Il va falloir en venir là.

Alors, est-ce qu'on veut vraiment se mettre le doigt dans cet engrenage? Moi, je calcule que ce n'est pas nécessaire et qu'on peut s'exempter ce trouble, que ce serait faire preuve de réalisme de dire: On a regardé cela et il y a des choses plus pressantes et plus urgentes que cela, mise à part, possiblement, la question de la réintégration, de la réinsertion et de la réhabilitation, le cas échéant.

Ce sont des remarques, plutôt, que je voulais faire. Je ne sais pas si vous avez des commentaires particuliers à ajouter à ce que j'ai dit, mais je serais prêt à les entendre.

M. Landry (Roger D.): Je voudrais simplement dire que, comme M. le ministre l'a mentionné et comme vous le mentionnez, je pense qu'il est important de se pencher sur la dimension que vous avez soulignée de part et d'autre, soit celle de s'assurer qu'on ait un ou des moyens pour assurer qu'il y ait réhabilitation, réadaptation, etc. Je puis vous assurer, au nom de l'association et au nom de tous ceux qui sont avec moi ici, que nous sommes non seulement ouverts à cette possibilité, mais que nous aimerions en discuter plus avant, à votre convenance, mais dans l'esprit quand même qu'on retiendrait que le camelot n'est pas un travailleur dans le sens propre du terme - si on veut - mais un patron, comme disait un de nos collègues, qui organise sa propre chose, tout en l'assurant que s'il lui arrivait un accident, cette dimension de réhabilitation et de réadaptation existerait. Sur ce, je peux vous assurer que vous pouvez compter sur notre entière collaboration. C'est non seulement un commentaire poli que l'on fait, mais c'est un engagement que je prends au nom de l'association que je représente. Merci.

Le Président (M. Paré): Mesdames et messieurs, vous ... Oui, M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président.

Suite à la présentation et spécialement aux observations de mon collègue, le député de Louis-Hébert, il y aurait seulement une couple de choses que j'aimerais ajouter. Premièrement, on sait fort bien que, comme le député de Louis-Hébert nous l'a dit, cet exercice justement de se débrouiller dans la vie et souvent, de la part de l'école, d'encourager... On sait combien de fois dans des écoles activistes des professeurs encouragent les jeunes, par exemple, à acheter des pommes pour aller les revendre plus cher, pour donner vraiment une expérience de la vie telle quelle et enseigner indirectement des choses qui, quelques fois, peuvent être très ennuyantes à faire dans une classe de 30 élèves. C'est un enrichissement pour ces jeunes qui partent travailler. Si la CSST commence à s'impliquer par un programme visant à contrôler - et on sait comment la CSST aime contrôler les choses - si le projet de loi est accepté tel quel, elle va venir vous dire sur quelle rue vous pourrez distribuer vos journaux. Je pense que ce devient un peu une espèce d'ingérence. C'est mon opinion mais pas nécessairement celle de la CSST et peut-être pas la vôtre, Messieurs.

Il y a des problèmes, comme vous l'avez souligné. En tant que personnes, individus, plusieurs centaines de milliers de Québécois reçoivent leurs journaux à la maison par l'entremise d'un camelot. C'est souvent un jeune qui fait aussi d'autres choses en même temps. Chez nous, chaque fois que - je peux mentionner le journal qui est livré chez nous, c'est The Gazette - le jeune vient se faire payer, il a toujours autre chose à me vendre. Je ne dis pas cela du côté négatif; même j'admire l'initiative.

Je crois que c'est quelque chose qui ne devrait pas disparaître de la société. Vous le dites dans votre mémoire. Je suis d'accord que ça devrait rester tel quel. Que la CSST tente d'embarquer dans un mécanisme qui va être énorme, il me semble que c'est concentrer certains efforts aux mauvaises places présentement.

Il y a une question que j'aimerais vous poser. On dit justement que vous considérez un programme de réadaptation qui serait relié à vos camelots. La chose qui m'intéresse est de savoir, à ce moment-ci, si vous avez l'information, si vous avez approché les compagnies d'assurances et si des investigations ont été faites afin de connaître les coûts pour une police d'assurance où il y aurait un programme de réadaptation comparable un peu à ce qui est offert dans le projet de loi.

M. Landry (Roger D.): Je vais vous répondre comme ceci. Il aurait été difficile, jusqu'au moment où nous avons eu l'occasion de venir présenter notre point de vue et d'entendre le point de vue que vous nous avez donné, de déterminer le genre d'enveloppe que l'on regardait. À cette fin, ce que j'aimerais mentionner, c'est que maintenant que nous avons, non pas comme a dit M. le ministre, une décision, mais une orientation qui nous est indiquée, ce qui serait important de faire pour nous maintenant, je pense que c'est d'aller faire nos devoirs et de choisir une forme où tous les journaux impliqués pourront établir un genre de programme qui assurera cette dimension sans pour autant englober toutes les autres. De cette façon, en étant, si vous voulez, solidaires de cette position, nous pourrons sûrement obtenir, nous l'espérons pour la satisfaction de ce que vous souhaitez, à des conditions avantageuses, si nous plaçons tout cela ensemble, sous un même chapeau, et que l'incidence des accidents est à ce point minime, nous pourrons sûrement en arriver, dis-je, à une entente intéressante tant pour la compagnie d'assurances que pour la satisfaction des administrateurs et sûrement pour le bien collectif des camelots.

En fait, je pense que tout ce qui est souhaité ici, c'est que les camelots conservent leur dimension d'entrepreneurship, mais qu'ils soient bien protégés s'il devait y avoir une dimension de réadaptation.

M. Cusano: Merci. J'espère que le gouvernement, si vous arrivez à conclure des ententes avec les compagnies d'assurances, qu'on vous donne la liberté de vous assurer dans l'entreprise privée, n'arrivera pas en disant: C'est absolument la CSST qui doit couvrir vos camelots.

L'autre question que j'avais, ce n'est pas une question, c'est une préoccupation qui pourrait être une question. Vous avez donné des chiffres pour ce que serait du coût de l'administration pour tenir une espèce de registre de ces camelots. Vous parlez, au Soleil, de 8000 personnes par année, est-ce bien cela? Et vous avez mentionné que cela coûterait en frais d'administration - si je vous ai bien compris - environ 200 000 $.

M. Beauvais: J'arrivais à 179 000 $.

M. Cusano: 179 000 $, c'est considérable. Cela est à part de la cotisation qu'il y aurait à la CSST et ainsi de suite.

M. Beauvais: Cela comprend ça.

M. Cusano: Cela comprend ça. D'accord.

Dans ce cas, vu les 179 000 $ et toutes les tracasseries qu'on peut connaître quand on a affaire avec la CSST, est-ce qu'il y aurait tendance de votre part à éliminer ce service de livraison à domicile par camelot? Avez-vous envisagé cela? Dans l'hypothèse où le projet de loi serait accepté

tel qu'il est écrit, s'il n'y avait aucun amendement en ce qui concerne les camelots, seriez-vous dans l'obligation d'abandonner le service de livraison par camelot à la maison?

M. Landry (Roger D.): M. le député, vous me permettrez d'agir comme un bon politicien - puisque souvent on m'attribue le sentiment de vouloir en devenir un - je vous répondrai que c'est une question hypothétique à laquelle j'aimerais autant ne pas avoir à répondre.

M. Fréchette: Vous faites un bon apprentissage, M. Landry.

M. Cusano: Oui! Sur ce, M. Landry, au nom de ma formation politique, je vous remercie de votre mémoire et de votre présence ainsi que de celle de vos collègues ici au salon rouge de l'Assemblée nationale. Merci. (21 h 30)

Le Président (M. Paré): Madame et messieurs, merci de la présentation de votre mémoire et du temps consacré aux membres de la commission pour répondre à nos questions. Merci beaucoup.

J'inviterais maintenant le second groupe à entendre ce soir à prendre place ici à l'avant. Il s'agit des représentants de la Fédération des accidentés (es) du travail de Rouyn-Noranda.

Bonsoir, messieurs. Bienvenue à la commission. Je demanderais maintenant au porte-parole de bien vouloir s'identifier et de nous présenter les personnes qui l'accompagnent.

Fédération des accidentés (es) du travail de Rouyn-Noranda

M. Charette (Jacques): Bonsoir. Mon nom est Jacques Charette, travailleur et membre de la Fédération des accidentés (es) du travail de Rouyn-Noranda et un accidenté du travail. À ma gauche, M. Jacques Bettey, président de la fédération et un accidenté du travail également; à sa gauche, M. Gaston Jubinville, membre de la fédération et accidenté également; à ma droite, M. Gérard Lemire, vice-président de la fédération.

Tout d'abord, nous aimerions vous remercier de nous recevoir ici ce soir afin de présenter nos revendications et je vous demanderais également, M. le Président, d'être indulgents envers nous qui sommes des travailleurs. Peut-être qu'à certains moments, il y aura des expressions qui sortiront de notre langage à nous, les travailleurs.

Premièrement, dans nos revendications, nous demandons la reconnaissance de la pleine responsabilité de l'employeur en matière d'accidents et de maladies du travail, le principe de la non-responsabilité pour les accidentés, également le plein salaire, 100% du revenu net du salaire gagné, les intérêts payables au travailleur à compter de la date de l'accident. Également, dans les conditions et la durée de la compensation, nous disons: Aussi longtemps que l'accidenté a besoin de soins pouvant améliorer son état, selon son médecin traitant, et également aussi longtemps qu'un autre emploi aux mêmes conditions, soit le salaire et les bénéfices, ne lui est pas assuré. Concernant le droit à l'assistance médicale, nous désirerions le choix de son médecin traitant, la reconnaissance du diagnostic du médecin traitant et de sa prescription de traitement; la reconnaissance de son évaluation de l'incapacité permanente et des restrictions médicales concernant le retour au travail; l'obligation de la part de l'employeur de fournir un rapport médical à l'employé; la disparition du comité d'experts de la CSST. Si vous me le permettez, nous reviendrons par la suite sur certains articles.

Quant au droit de retour au travail, nous demandons la réintégration au même travail et aux mêmes conditions; si impossible, selon le médecin traitant et non la CSST, un travail équivalent, les mêmes avantages ou une pleine compensation. Concernant les rentes pour séquelles permanentes, une rente à vie pour compenser la perte d'intégrité physique, les douleurs, le préjudice esthétique, la perte de capacité de travail, la perte de jouissance de la vie. Également, dans le droit à la réadaptation, nous demandons que toutes les mesures soient prises pour que le travailleur accidenté retrouve une situation au moins équivalente à celle qu'il aurait s'il n'avait pas été accidenté. Pour combler son handicap, qu'il reçoive son plein salaire pendant toute cette période, que le droit au recyclage ou à la formation soit reconnu à tous ceux et celles que leur accident a privé d'une partie de leurs capacités physiques. Réadaptation obligatoire selon le médecin traitant, avec droit d'appel.

Dans le droit d'appel, nous demandons le maintien de deux paliers d'appel avec audition, l'indépendance des bureaux de révision par rapport à la CSST et un délai d'appel de 90 jours, l'application des principes de justice naturelle: être entendu, représenté et impartialité des juges - on tient à bien préciser cela - que tous les frais soient remboursés et qu'il y ait des délais d'audition raisonnables: deux mois plus un mois pour décision. Dans le cas de décès, nous demandons la pleine compensation aux veuves, soit 100% du salaire à vie, plus le forfaitaire du Régime de rentes.

Le Président (M. Paré): M. Charette, merci pour la présentation du mémoire. Nous allons maintenant procéder à la période d'échanges avec les membres de la

commission. Nous allons commencer avec le ministre du Travail.

M. Fréchette: Alors, M. Charette, je vous remercie de la présentation que vous venez de nous faire. Je remercie également vos collègues confrères qui vous accompagnent. Je dois vous signaler, comme observation générale, que vous êtes allés directement aux points que vous vouliez soulever, c'est-à-dire que vous avez, en deux colonnes, identifié très précisément ce qui faisait l'objet de vos revendications par rapport à ce que contient le projet de loi 42. Vous avez ramassé cela en trois pages et cela nous permet de nous situer très clairement par rapport aux revendications que vous avez.

Si vous le voulez, on va essayer d'approfondir un tout petit peu la nature de vos demandes par une période d'échanges, de questions et de réponses, à partir de l'un ou l'autre des chapitres et des volets que chacun de ces chapitres contient. Je vais tout de suite à la première page de votre mémoire, sous le chapitre revendications. Par exemple, vous parlez de la possibilité de la pleine responsabilité de l'employeur en matière d'accidents et de maladies du travail et du principe de non-pénalité des accidentés.

D'autre part, quand vous vous référez au contenu de l'avant-projet, vous nous dites: Ce principe n'est même pas affirmé dans le projet de loi et l'application du principe de non-duplication le contredit expressément. Je présume qu'à cause de votre implication dans votre fédération, vous avez sans doute travaillé dans plusieurs dossiers; je souhaiterais, quant à moi, que vous soyez un peu plus précis en nous disant ce à quoi vous vous référez. Quand vous nous dites, par exemple: On revendique, on souhaite la reconnaissance de la pleine responsabilité de l'employeur en matière d'accidents et de maladies du travail, est-ce que vous voulez dire qu'actuellement et en fonction du projet de loi 42 ce principe n'est pas là? Est-ce que c'est votre appréciation?

M. Bettey (Jacques): Vous permettez? Cette chose-là relève de la chose que nous vivons dans la présente loi aujourd'hui. Peut-être que dans votre chose cela l'est, mais, quand on dit qu'il doit être reconnu, cela veut dire que, lorsque nous avons un accident ou une aggravation à la suite de quelque chose, qu'on a un médecin traitant qui nous soumet un rapport qui est remis à la CSST, au bureau régional, si vous voulez, qui est jeté dans le panier et qu'on ne s'en occupe pas, qu'on prend le médecin de la CSST qui est là, qui s'appelle Pierre-Paul Marcil, qui jette nos papiers à mesure... C'est ce que cette chose-là dit. On veut être reconnu immédiatement et non pas être pénalisé par un médecin de médecine générale, comme c'est le cas présentement. Qu'on dépose notre diagnostic; c'est ce que cela dit. C'est cela qu'on veut, être reconnu en partant, sans bavage ni écoeurage par ces gens-là qui sont dans les bureaux. Je parle peut-être un peu fort, mais en tout cas...

M. Fréchette: Non. Vous allez très bien, M. Bettey.

M. Bettey: ...je veux que vous me compreniez aussi, parce qu'on a vécu ce problème. Quand vous voyez quatre accidentés du travail qui sont traités de cette façon... On défend des cas depuis 1972. À partir de 1976, quand cet homme a été placé... Écoutez! II y a une limite à faire rejeter nos médecins traitants. J'y crois à mes médecins traitants et je vais me battre pour qu'ils soient respectés par un médecin malhonnête qui est engagé par la CSST pour venir nous... Je ne dirai pas le mot, mais je vais le penser, et pensez-le vous-même. C'est cela qu'on ne veut plus. C'est ce que cela dit. On va se battre jusqu'à la mort pour cela, monsieur, parce que cela n'a plus d'allure d'engager un médecin comme cela. Ce qu'on veut, c'est le respect. Lorsqu'un rapport sera fourni... parce que, dans la présente loi, si vous remarquez, lorsqu'il y a un accident du travail, on remplit une formule RE-1 signée par l'employé et l'employeur; ensuite, un examen est fait. Écoutez, on ne peut pas avoir d'accident et ne pas se faire soigner par un médecin; cela ne tient pas debout. Donc, on le soumet. C'est cela qu'on veut. Il faut que ce soit assez clair et ne pas jeter cela au panier et dire: On va s'en aller au bureau de révision où cela va traîner pendant des mois et des mois sans paie et rien dans le ventre. Nos enfants, nos femmes sont volés... Excusez le mot, mais c'est cela. Répondez, si vous avez autre chose à me dire.

M. Fréchette: M. Bettey, je vous comprends très bien et vous exprimez vos conditions en termes on ne peut plus clairs. J'ai peur cependant que, si on chevauche tous les sujets en même temps, on risque de se perdre dans la discussion qu'on veut faire. Ce que vous venez de soulever comme situation est effectivement une préoccupation de beaucoup de personnes qu'on a entendues, mais je voulais arriver à cet aspect un peu plus loin dans la discussion.

La précision que je voudrais tenter d'obtenir, si c'est possible, c'est de savoir quelle est ou quelles sont les dispositions actuelles du projet de loi 42 qui est devant nous qui font en sorte qu'il n'y aurait pas de reconnaissance de la responsabilité de l'employeur en matière d'accident du travail ou de maladie professionnelle, quand on parle, par exemple, de l'instauration d'un

régime de responsabilité sans faute, quand on parle de présomption, quand on parle de fardeau de la preuve. On parle de tout cela dans le projet de loi 42. Ce sont des dispositions qu'on ne retrouvait pas ou qu'on ne retrouve pas dans la loi actuelle. Alors, c'est de là que vient ma question. Peut-être que vous souhaiteriez regarder cela d'un peu plus près dans les jours qui viennent et nous fournir des informations à ce propos, mais je vous avoue très honnêtement que j'essaie d'identifier votre inquiétude et j'arrive difficilement à pouvoir le faire, mais je voudrais pouvoir le faire. Si vous me dites: Bon! On va regarder cela de plus près, on voudrait avoir le temps de scruter plus à fond la loi et on vous donnera notre appréciation dans les prochains jours, je suis tout à fait prêt à vivre avec cela. Cela ne présente aucune espèce d'embêtement pour personne non plus. Est-ce que je suis suffisamment clair?

M. Charette: D'accord. Vous êtes clair. Ce que j'aimerais préciser, c'est qu'on ne nie pas que c'est dans le nouveau projet de loi. Qu'est-ce qu'on conteste? Pourquoi a-t-on écrit cela? En vertu de la loi qui existe déjà et en vertu de votre projet de loi, les personnes en place - on parle de notre région - dans les bureaux de la CSST...

M. Fréchette: Je viens de comprendre.

M. Charette: Comprenez-vous ce qu'on dit?

M. Fréchette: Je viens de comprendre.

M. Charette: Bon!

M. Fréchette: Ce que vous êtes...

M. Charette: Ils ne mettent pas en application ce qui est déjà dans la loi existante et ce que vous apportez là, ils le mettront encore moins. Qui va manger la claque? C'est encore nous autres. (21 h 45)

M. Fréchette: D'une façon peut-être un peu plus simple, votre conclusion, c'est que, dans la loi, il y a ce qu'il faut, mais c'est l'application qu'on en fait qui crée des embêtements. En d'autres mots, encore plus simplement, vous dites: La loi n'est pas respectée par ceux qui doivent la faire appliquer.

M. Charette: Exactement, et si je m'en tiens à une parole que vous avez dite cet après-midi, qu'est-ce qu'il y aurait à faire? Est-ce que c'est bon que la CSST - excusez la manière dont je m'exprime - est-ce que la CSST a sa raison d'être? Moi, je vous dis qu'elle a sa raison d'être, mais bien administrée. Comme chez nous ma femme fait le ménage et qu'elle fait un grand ménage deux fois par année, je demande au gouvernement qu'il fasse un ménage dans ce bureau deux fois par année s'il le faut, parce qu'il y a des pas bons là-dedans et des maudits pas bons.

M. Fréchette: Cela devient très clair.

M. Charette: Cela devient très clair, c'est cela que je voulais.

M. Fréchette: Je pense qu'à se parler on va finir par s'entendre. Vous avez également dans votre mémoire... Remarquez que c'est impossible, compte tenu du temps mis à notre disposition, de prendre les chapitres un à un, chacun des articles qu'il y a là-dedans. On passerait une partie de la nuit ici. Je vais essayer, quant à moi, de m'en tenir à ce qui semble être vos préoccupations principales. Comme beaucoup d'autres, vous avez des inquiétudes, des préoccupations et vous nous les dites à propos de l'ensemble des règles de l'assistance médicale. Comme bien d'autres également, vous plaidez avec fermeté, avec conviction que tout le régime de l'assistance médicale devrait être repensé, l'objectif étant de deux ordres: premièrement, que l'évaluation médicale des séquelles d'un accident, d'une maladie professionnelle faite par le médecin traitant, que cette évaluation soit retenue; deuxièmement, que ce ne soit pas la commission qui, en dernière instance, décide. Cela m'a l'air d'être les deux vrais problèmes que vous identifiez.

Quant à l'assistance médicale, écoutez, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de suivre un peu les travaux depuis quelques jours, il y a effectivement des choses qui ont déjà été annoncées, à toutes fins utiles, pour arriver à pouvoir inclure dans la loi des dispositions qui feront que le rapport médical du médecin traitant devra être considéré de façon privilégiée et prioritaire. Maintenant, je pense qu'on va essayer de s'entendre. On va pouvoir s'entendre sur le fait que même le rapport du médecin traitant, avec toute la bonne foi du monde, avec toute la meilleure volonté du monde, n'est pas toujours et tout le temps conforme à la vraie réalité des choses. Allez, si vous pensez que...

M. Charette: Pour cela, M. le ministre, je suis d'accord avec vous, sur ce principe, sur ce point. Pourquoi ne pas mettre un comité de surveillance?

M. Fréchette: J'allais compléter mes remarques et on va se rejoindre. J'ai l'impression que ce ne sera pas tellement long. Vous me dites: Je suis d'accord d'accepter que le rapport du médecin traitant, malgré le fait qu'il a lui-même assuré les soins, qu'il s'est intéressé à la

réadaptation, qu'il est probablement celui qui est le plus habilité à déterminer les séquelles de l'accident, je suis d'accord quand même et il peut arriver qu'en toute bonne foi l'évaluation ne soit pas conforme à la réalité qui existe. À partir de cette constatation que l'on fait, il faudrait que quelqu'un soit habilité, qu'il soit possible à un autre expert de la médecine de pouvoir regarder l'évaluation du médecin traitant. Cela pourrait être, dans ce cas, un médecin de la CSST. Si le médecin de la CSST en vient à la même conclusion que le médecin traitant, deux professionnels de la santé s'entendent pour arriver à la même évaluation, cela m'apparaît de l'évidence même que c'est cette évaluation qui doit être retenue.

M. Charette: Je vous arrête, M. le ministre, parce que je ne le vois pas de la même façon que vous le voyez. On ne le voit pas de la même façon que vous le voyez pour la simple raison... On a mentionné un certain individu tout à l'heure qui est médecin de la CSST et qui nous charrie d'un bord et de l'autre. Tant qu'il n'a pas eu de bonnes claques à la bonne place, il ne réagit pas. Dans ces conditions, on n'en veut pas, on ne veut rien savoir de cela. C'est notre médecin traitant. Le gars qui est médecin pour la CSST, je n'irai pas faire d'affirmation pour dire que le gars... Je me comprends, mais tant qu'il n'a pas eu des bonnes claques sur la gueule ou, comme dernièrement, qu'il n'a pas mangé un bon coup de béquille en plein visage par un accidenté du travail parce qu'il refusait de lui signer un papier pour une machine à batteries qu'il connectait ici au nombril pour activer ses deux jambes et qu'il s'est obstiné pendant des heures dans le bureau pour ne pas donner à ce type-là la machine dont il avait besoin... Des types de même, on n'en veut plus.

M. Fréchette: C'est bien sûr que, s'il fallait mettre dans la loi des dispositions pour limiter des actions de toutes les personnes que l'on retrouve à l'intérieur des organismes de ce genre-là, ce ne serait pas simple de faire une loi. Cela deviendrait compliqué de faire une loi. Je voudrais simplement que vous me permettiez, monsieur, de compléter ma réflexion sur le sujet qu'on avait ensemble abordé. Vous m'avez interrompu pour me dire: Bon, on ne veut rien savoir du médecin de la CSST pour aucune considération, pour aucune espèce de motif et pour quelque travail que ce soit. À qui alors va-t-on demander de faire l'évaluation dont on parlait tout à l'heure puisqu'on s'entendait sur la possibilité, ne serait-elle que théorique, que même le médecin traitant, en toute bonne foi et en toute bonne volonté, puisse se tromper? À qui va-t-on demander de regarder l'évaluation et d'examiner l'accidenté pour faire une relation entre les deux expertises? À qui va-t-on demander cela?

M. Charette: À un comité de surveillance indépendant.

M. Bettey: À qui on va demander cela? Sûrement pas au médecin de la CSST, le présent ou celui que vous allez mettre. Vous allez me faire accroire, après l'expérience qu'on a vécue avec le comité d'experts qui était censé être indépendant... On se l'est fait dire à maintes reprises, parce que depuis quinze ans que je suis un accidenté du travail, monsieur, je sais ce qu'est la CSST. Depuis 1972 qu'on se bat avec ce comité d'experts qui est sur pied. Vous allez peut-être en former un autre qui va devenir exactement comme celui qu'on a présentement. Non, on ne veut rien savoir de la CSST pourrie, de la façon qu'elle nous a menés jusqu'à aujourd'hui. On veut l'ôter pour la remplacer par un autre. Dites-moi donc où vous nous amenez, M. le ministre!

M. Fréchette: Bien oui, c'est cela.

M. Bettey: Allez-vous améliorer mon sort?

M. Fréchette: Cela fait quinze minutes que j'essaie.

M. Bettey: Non, non, non, pas avec la confiance qu'on a et pas avec ce qu'on a vécu avec ces gens-là. On va revenir encore, puis il faut dire oui? Non, on dit non. On est prêt à se battre, monsieur, on dit non et on va gueuler, à part cela, parce que notre médecin traitant, c'est l'homme le mieux placé pour être capable de diagnostiquer, pour être capable de soigner un gars et pour être capable de l'orienter vers un travail. Pas le médecin de la CSST, qui en a envoyé sur des béquilles et dans le plâtre et qui dit: Tu es apte à travailler. C'est de même et vous venez nous dire qu'on doit avoir confiance au nouveau que vous nous proposez? Non, c'est en français. On se bat et c'est non. Notre médecin traitant en premier, parce que c'est le seul, monsieur. Même si j'allais me faire soigner par vous, vous ne seriez pas capable de me soigner, n'est-ce pas? Eh bien, c'est la même chose. Quand je pars de Rouyn-Noranda pour venir rencontrer un médecin qui ne m'a jamais vu ni connu, qui m'examine et qui me dit: Tu as une maudite belle colonne... Il n'a pas grouillé et je n'ai même pas ôté mon manteau. Comment vais-je me fier à un homme comme cela? Expliquez-moi cela.

M. Charette: Ou les fameux spécialistes de compagnies. À bord de l'avion pour venir ici, il y avait également un accidenté du

travail comme nous. Cela va coûter 800 $ et plus pour faire venir ce type à Québec rencontrer un soi-disant spécialiste. Le type a une incapacité à 68%. La CSST le paie, mais, après pratiquement un an, elle décide tout bonnement d'amener ce type-là rencontrer un spécialiste de la CSST ou de l'employeur. Pourquoi dépenser de l'argent comme cela pour faire venir un type dont ils savent mauditement bien qu'il a une batterie dans l'estomac pour marcher? Pourquoi dépenser de l'argent pour amener un type à Québec, payer les billets d'avion et la chambre de motel, et il va aller voir la partie des Nordiques samedi? Encore là, les médecins de compagnies, on en a plein notre casque. On ne veut plus les voir. Je vais vous donner des exemples, si vous en voulez. On en a de pleins dossiers. On n'en veut plus de ces spécialistes de la CSST, de ces médecins de compagnies, les soi-disant spécialistes des compagnies qui sont achetés. Je n'ai pas peur de le dire ici ce soir: ils sont achetés, ce sont des veaux.

M. Fréchette: Je vais faire une dernière tentative pour essayer de vous expliquer le fonctionnement du mécanisme auquel on pense. Je vais essayer de répondre aux questions que vous m'avez posées. Si je n'y parviens pas, je vais vous laisser toute liberté de continuer de faire vos représentations dans le sens que vous le souhaitez. Je ne vous interromprai plus, je ne vous poserai plus de questions. Je veux simplement essayer de mener à bien le raisonnement que j'étais en train d'essayer de développer devant vous. Si ma tentative ne réussit pas, encore une fois, je ne vous importunerai plus.

J'essayais simplement de savoir de vous si, en termes d'assistance médicale, vous acceptez que le rapport ou l'évaluation du médecin traitant puisse être vue par une autre personne qui est également un professionnel de la santé. Quand il arriverait que ces deux professionnels de la santé soient d'accord sur l'évaluation médicale - ce n'est pas parce qu'on a l'étiquette de la CSST dans le front, ou celle de médecin de compagnie, ou celle de spécialiste d'une discipline ou d'une autre qu'on n'a pas certaines connaissances, quand même - alors, si ces deux professionnels de la santé s'entendent pour dire tous les deux que le rapport du médecin traitant est correct, qu'il est conforme et qu'il répond aux conditions en termes d'incapacité et en toute autre espèce de termes, qu'il répond aux conditions qui ont été constatées par le médecin traitant, la commission de la santé serait liée par ce rapport. C'est ce que je veux vous dire.

M. Bettey: On comprend le français, vous savez.

M. Fréchette: Oui, je sais que vous comprenez le français et vous le parlez fort bien également.

L'autre volet de cette même situation serait le suivant: s'il n'y a pas entente entre les deux, qu'il y a une différence entre les deux, le litige serait soumis à une instance médicale indépendante de la commission qui abitrerait le litige survenu entre les deux médecins dont je vous parle. C'était le processus. Maintenant, vous pouvez, bien sûr, nous faire vos commentaires là-dessus et nous dire ce que vous en pensez.

M. Bettey: Je vous l'ai dit tantôt, je n'accepte pas que la CSST se nomme un médecin. On l'a présentement. On a des médecins qui sont des spécialistes à l'emploi de la CSST, ici, à Québec. On sait ce qu'ils ont fait dans le passé. On le sait. En tout cas, on s'imagine ce qui va nous arriver dans l'avenir. Nous pourrions proposer que, s'il y a un deuxième médecin à voir, cela soit recommandé par le médecin, avec le consentement de l'accidenté, d'aller en voir un autre, un spécialiste qui pourra soumettre un rapport à la commission. Cela pourrait se faire.

M. Charette: M. le ministre, on est d'accord...

M. Bettey: On est d'accord, là.

M. Charette: On est d'accord là-dessus pour autant que ce n'est pas un médecin, un spécialiste de la CSST. Qu'on rencontre un autre médecin, un autre spécialiste, on est d'accord là-dessus, pourvu que ce ne soit pas un spécialiste de la CSST.

M. Fréchette: Ah! C'est très clair. J'ai très bien compris.

M. Charette: Cela répond à votre question?

M. Fréchette: Cela répond à ma question, monsieur. (22 heures)

M. Charette: Également, à l'article 135 du projet de loi, il y a une phrase qui ne devrait pas paraître, selon nous. C'est la date prévue pour la consolidation ou la guérison de cette lésion. On ne trouve pas cette phrase acceptable du tout dans cet article. Nous avons noté qu'il s'agit de la première fois, à notre connaissance, que la loi québécoise exige une telle obligation. Comment un médecin ou quiconque, même l'accidenté, peut-il prévoir une date de guérison ou, encore, spécifier clairement qu'il va y avoir une guérison à une date bien établie? À ce que je sache, M. le ministre, cela n'a pas encore été prouvé. Ces gens n'ont pas encore été proclamés prophètes,

cela n'est pas vrai. On aimerait que cette phrase-là disparaisse de l'article 135.

M. Fréchette: Alors, cela va, quant à moi, M. le Président, j'ai complété. Je vous remercie.

Le Président (M. Paré): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. Je voudrais souhaiter la bienvenue à la Fédération des accidentés du travail de Rouyn-Noranda. Avant de poser mes questions, vous me permettrez de faire un très court commentaire. Le ministre devrait comprendre, je crois, une chose fondamentale: la frustration que nous venons de voir est due au fait qu'il existe une très grande différence, souvent, entre de beaux discours et de beaux projets de loi écrits et l'application des lois par un organisme, et, dans ce cas-ci, il s'agit de la CSST. Malheureusement, avec toute son expertise, avec tout le temps qu'elle prend pour faire des règlements, pour produire des documents et inventer toutes sortes de patentes, l'accidenté, lui, n'a pas ce même luxe de se créer toutes sortes de petits jouets pour s'amuser. Je crois que c'est très clair - on l'a déjà entendu à plusieurs occasions - les membres de la Fédération des accidentés du travail de Rouyn-Noranda viennent de témoigner et ils ajoutent leur témoignage à de nombreux autres.

Je voudrais poser une couple de questions. Premièrement, j'aimerais savoir, soit de M. Bettey ou de M. Charette, si votre organisme est un organisme de volontaires, de bénévoles accidentés. Je présume qu'il n'est pas financé, que ce soit par la CSST...

M. Bettey: Non, monsieur, il n'est pas financé par la CSST et on ne veut pas qu'elle nous finance, parce qu'on a terriblement peur de devenir pourri comme elle. C'est un point important. La fédération, ce sont tous des accidentés du travail qui en font partie. Ce sont tous des gens qui travaillent bénévolement, sans qu'aucun salaire ne soit payé, pour venir abattre devant des auditions, devant la CSST... On le fait tous bénévolement. Je pense que le ministre du Travail devrait nous donner une partie de son salaire, parce qu'il ne veut pas nous entendre, même pas nous entendre parler. Peut-être qu'il aurait aimé qu'on vienne avec un mouchoir, mais vivre ce qu'on a vécu comme accidentés du travail, le ministre du Travail ne veut rien entendre. Je n'ai pas de mouchoir à lui donner. On lui montrera cela dans un an et demi, le mouchoir, de quelle façon on va se moucher, parce qu'on sera sur la tribune pour l'expliquer au peuple.

Il y a toujours une limite, monsieur, de payer des gens comme cela, quand on vient s'installer pour essayer de démontrer des choses et qu'il dit: Je me retire. Il n'a même pas été capable de discuter, du moins la moitié du mémoire qui est là. Je vous remercie, M. le ministre, vous êtes un homme très charitable. Cela me fera plaisir de dire à mes concitoyens du Nord-Ouest québécois la grandeur du coeur que vous avez. Je pourrai dire qu'il n'est pas gros.

C'est pour cela, monsieur, que depuis 1972 nous nous sommes formés en association, en fédération, pour aller chercher des droits, nous faire respecter, parce que les accidentés du travail du Nord-Ouest québécois sont massacrés. Par qui? Par le comité d'experts de Montréal, de Québec aussi, par le docteur qu'ils ont engagé, qu'ils ont mis et qui s'appelle Pierre-Paul Marcil. Je vous le jure, le ministre du Travail, s'il veut être honnête, viendra faire enquête. Il viendra voir ce qu'est un médecin qui tord et qui casse le cou des travailleurs. S'il n'est pas capable de le "cleaner", nous, sous peu, on va vider le bureau. C'est nous et on est en train de s'organiser, M. le ministre, pour sortir votre pourri que vous avez engagé, lorsque le PQ a rentré en 1976, parce que c'est un citoyen péquiste. Il y a des limites!

M. le ministre, je ne m'attendais pas à cela de vous parce que je calculais de rencontrer un ministre qui pouvait entendre et parler avec des travailleurs accidentés. J'en suis un, un accidenté. J'en suis un qui a trotté. Le jour où l'accidenté du travail aura le salaire d'un ministre, sans en enlever 20% au voisin pour s'en redonner dans nos poches, nous aussi, on va être heureux, on va se bercer sur une belle chaise. Cela répond-il à un petit gars, monsieur, votre question? Bénévoles, là où on travaille, tout le monde est bénévole. On va continuer à être bénévoles parce que cela vaut vraiment la peine de se battre parce que nous allons chercher énormément d'argent.

M. le ministre, j'ai un dossier ici à vous montrer: un homme qui est reconnu silicosé en 1978 par le comité d'experts de la CSST de Montréal. On est rendu en 1984, le dossier est dans la voûte et le gars n'est pas encore payé; selon la loi 52, il devrait être payé à 90% du salaire. Il vient nous dire: Pourquoi vous parlez fort? Qu'il grimpe là et qu'il aille voir sur la table de cet accidenté ce qu'il a à manger. Je pense qu'il va venir à ma place et qu'il va parler fort. On dit à la CSST: Est-ce que vous avez payé le gars? Elle dit: Non. J'ai dit: Est-ce que vous avez lu le dossier? Réponse: II est dans la voûte. Le gars attend depuis 1978. Il est là le dossier, signé avec des lettres de la CSST qui disent: Oui, vous avez droit à 90% du salaire. Vous parlez trop fort, on va aller voir, on va continuer. Non, on ne continuera pas, M. le ministre. On va s'en occuper. On

est des travailleurs, on a l'exemple. On a du travail de fait, vous viendrez voir. D'ailleurs, vous le savez. C'est la raison pour laquelle vous ne voulez pas en discuter.

M. Cusano: Merci, M. Bettey. Vous avez absolument répondu à ma question, à savoir comment et qui composait votre fédération. Je comprends que vous êtes des bénévoles et qu'en même temps vous êtes devenus un peu des experts pour combattre cet organisme qu'est la CSST.

Ma prochaine question, M. Bettey ou un de vos collègues: On a eu ici, à cette commission, depuis le début, des témoignages de la part des employeurs et, auparavant, on avait entendu dire ici en commission parlementaire que la CSST fait beaucoup d'inspection et que les accidents diminuent. Je souhaite - et je pense que tout le monde le souhaite - que les accidents diminuent. Vous qui êtes dans le milieu, pouvez-vous me dire ou me donner une évaluation ou une appréciation de l'efficacité de l'inspection de la CSST en ce qui regarde la prévention des accidents?

M. Charette: Premièrement, M. le député, pour répondre à votre question, les inspecteurs de la CSST ne sont pas des travailleurs. Ce sont des bureaucrates. Ce sont, la plupart du temps, et je dirais pratiquement toujours et constamment, des petits gars qui sortent de l'université. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas instruits. Ils sont instruits pour nous amancher. Ils viennent dans les mines où on travaille, nous. On travaille dans le trou, en dessous. Ils viennent et quand ils arrivent à la mine pour faire une inspection, ce n'est pas nous quatre qu'ils viennent voir. Ils vont voir le patron, ils vont voir la personne qui est en charge de la sécurité à la mine, ils vont voir le surintendant, le capitaine. Ils ne vont pas voir le travailleur. Ils ne viennent pas demander au travailleur: Est-ce que c'est vrai que c'est dangereux, il y a un "lousse" de 300 tonnes là? Non, ils vont voir l'employeur. L'employeur, lui, est avisé un mois d'avance qu'il va venir. Là, il dit au petit gars ou au travailleur qui est là: Ce "stop" - en français, c'est un chantier d'abattage - tu vas me nettoyer cela, pas à la brosse à dents, mais presque, parce que c'est là qu'il va amener le représentant de la CSST. Il ne l'amènera pas où est le lousse de 300 tonnes, il va l'amener là parce que cela a été brossé, cela a été nettoyé; c'est propre, aussi propre qu'ici. L'inspecteur de la CSST, cela fait son bonheur, il a fait sa job. Il fait un rapport parfait, condition A-1, et il s'en retourne. Il ne vient pas nous voir pour nous demander s'il y a d'autres chantiers d'abattage, s'il y a d'autres endroits où cela pourrait être dangereux. Non. Il ne se préoccupe pas de cela. Il est avec les boss et il se promène avec eux sous terre. Il ne se promène pas avec les travailleurs parce que, s'il venait nous voir, les employeurs ne sont pas fous et ils savent qu'on l'amènerait à la première place où est le lousse de 300 tonnes quand cela fait des mois qu'on gueule après le patron pour mettre des poteaux ou dynamiter ce lousse pour que le travailleur ne se fasse pas estropier. C'est de cette façon que cela fonctionne. Cela ne fonctionne pas juste dans notre région. Je suis certain que d'autres travailleurs d'autres régions minières vous diraient la même chose. C'est de cette façon que cela fonctionne.

M. Cusano: Merci. C'est très clair. Ma prochaine question sera la suivante: C'est sûr que présentement nous faisons face à un projet de loi et nous avons la loi actuelle. À la suite de l'étude que vous avez faite du projet de loi 42 et de ce que vous avez déjà dans la loi actuelle sur les accidents du travail, si on vous donnait le choix ce soir et qu'on vous demandait: Que préférez-vous, ce qui existe présentement ou le projet de loi 42, qu'est-ce que vous préféreriez?

M. Bettey: Présentement, je garderais la vieille, je proposerais des améliorations parce que cette loi n'avance pas; pour un travailleur, elle recule. Ce que j'ai pu voir, un petit article, très petit à comparer avec tous les autres, où il est mentionné, où il est dit qu'une compagnie ou un employeur doit reprendre son accidenté. C'est le petit bout, le seul que je vois. Pour moi, comme accidenté du travail, après avoir vécu ce que j'ai vécu avec la vieille et que je reviens avec cela, je n'avance pas du tout. Je recule en 1931 quand ils ont fait la loi. Je ne peux pas accepter une loi comme celle-là. Moi, j'ai à me battre pour que cette loi ne passe pas à l'Assemblée nationale, comme l'Opposition vous demande de vous battre au nom des travailleurs pour qu'elle ne passe pas. Quand on parle des petits montants forfaitaires, c'est ridicule, c'est croche pardessus croche.

Je ne vous parle pas au travers de mon chapeau. Je suis un accidenté de travail évalué. Si j'étais évalué sur le montant forfaitaire que cette loi va maintenir, qu'est-ce que cela va me donner comme montant forfaitaire? Environ 3000 $, 5000 $; c'est à peu près tout ce qu'elle peut couvrir. Aujourd'hui, je suis pensionné à 80% reconnu médicalement. D'accord? Si on me donnait le petit montant forfaitaire, qu'est-ce que cela représenterait? Je vous le dis, rien! Tandis que là, du moins, je peux survivre. Je me situe un peu plus haut que le salaire minimum et les assistés sociaux. (22 h 15)

Si le ministre était honnête, il pourrait travailler demain matin parce que j'ai été

accidenté en 1967, basé sur le salaire de 1967 à 2,35 $ de l'heure, et mon métier était celui de mineur. Si, demain matin, j'allais travailler à la mine Noranda, sous terre, je gagnerais 14 $ l'heure. Il n'a pas pensé revenir me voir parce que je perds, je suis pénalisé par la vieille loi, et la nouvelle, c'est encore bien pire, elle m'ôte tout. Je ne peux pas accepter ces choses-là. Il ferait bien mieux, plutôt que de mettre des lois semblables, de commencer à travailler et de suivre le salaire de l'usine. Celui qui est accidenté ne peut pas y aller, il n'y a plus de job pour lui, lorsqu'il a un handicap assez fort. Même aujourd'hui, dans le contexte actuel, avec 5% de degré d'incapacité, vous essaierez de trouver une job. Je ne blâme pas la compagnie à côté qui va ramasser un handicapé avec 5%, 10%, 15%, 20% d'incapacité: Écoute, je vais te donner une chance. Non, non. La compagnie qui l'a estropié, qu'elle le prenne, et l'autre, elle n'a pas d'affaire à... D'accord? Écoutez un peu. Cela ne tient pas debout, la patente. Dans la loi actuelle, c'est ce que je vous demande, battez-vous et je pense qu'on va essayer de vous donner un coup de main pour vous appuyer, pour que la bataille soit bonne.

M. Charette: On est en 1984, M. le député. Aujourd'hui, en 1984, on n'a pas évolué, on a reculé et on recule toujours quand il s'agit de la CSST. Prenons la première loi qui est sortie en 1909. Selon les articles 1053 et 1056 du Code civil - la première loi du régime, les responsabilités civiles en général - à ce moment-là, l'employeur devait indemniser le travailleur financièrement pour un montant représentant la totalité de sa perte de salaire, sa perte de capacité physique, sa perte de jouissance de la vie, et le reste... Je ne commencerai pas à tout mentionner. On était en 1909. À ce moment-là, les bases de calcul des indemnités étaient la pleine compensation pour ses pertes réelles. On est en 1984 et on est obligé de se battre pour des affaires, des montants forfaitaires, pour 56 patentes, des amanchures. On n'évolue pas, on recule et le peuple est écoeuré. En bon Canadien français, le peuple est écoeuré. On en a plein notre casque de ces lois-là et de ces amanchures-là, parce que c'est toujours nous autres qui payons. C'est toujours le petit qui va payer. Comme vous allez le constater, dorénavant, le petit est en train de se réveiller et on n'a pas fini de se réveiller. On est ici ce soir et on va être ailleurs d'autres soirs aussi, à d'autres places. On va parler peut-être plus fort que cela dans quelque temps d'ici, parce que le peuple se réveille. Il en a plein son voyage. On est tanné de se faire exploiter. Si vous êtes là ici ce soir, c'est parce que c'est nous qui vous avons nommés là. C'est le peuple, mais pensez que le peuple, à un moment donné, va en avoir assez et vous pouvez peut-être bien tous débarquer de là.

M. Cusano: Merci. Cela répond à la question et j'apprécie vos commentaires. En ce qui regarde votre position, vous avez demandé si l'Opposition va se battre contre le projet de loi. Je dois vous dire que, s'il n'y a pas de changements d'apportés, en ce qui nous concerne, ce projet de loi n'est pas acceptable. Le projet de loi 42 n'est pas acceptable. Le ministre, tout le long... Je sais que vous n'avez pas l'occasion d'écouter ou d'être ici. Vous n'avez pas les moyens d'avoir été ici, comme d'autres, depuis le début de la commission parlementaire, mais le ministre a semblé être, dans le passé... Je ne sais pas. Peut-être qu'il a eu de la difficulté ce soir à son souper ou quelque chose de semblable, parce qu'il a été très ouvert jusqu'à maintenant à des amendements. Il nous a dit à plusieurs occasions qu'il va certainement y avoir des changements à certains articles du projet de loi. Ce soir, il semble, en tout cas, à la fin - peut-être parce qu'il est tard - il ne s'est pas avancé autant qu'il s'est avancé avec d'autres personnes à qui il a dit: II y aura certainement des articles du projet de loi qui vont être changés.

Comme je vous l'ai dit, en ce qui concerne le projet de loi 42, il n'y a pas de doute dans mon esprit qu'il n'est pas acceptable. Une fois que les amendements du ministre seront connus - et j'espère qu'ils seront connus très rapidement - on verra quels sont les amendements. Si les amendements ont du bon sens, on verra. J'espère en même temps, puisque je sais que vous êtes un peu loin et que vous n'avez peut-être pas accès à tous les amendements, j'espère que le ministre aura la gentillesse de faire parvenir à votre association une copie des amendements, une fois que ceux-ci seront connus. Je présume que vous n'avez pas les moyens financiers d'aller consulter des avocats ou d'autres personnes pour les avoir. C'est sur cela que je termine, en ce qui me concerne. Je ne sais pas si mon collègue a d'autres questions. Pour moi, c'est très clair et je vous remercie de votre participation.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci, M. le Président. Simplement une question. J'aimerais savoir si votre fédération, qui regroupe les accidentés de la région de Rouyn-Noranda, a des contacts avec d'autres groupements d'accidentés? Est-ce que vous avez des liens quelconques avec d'autres groupements qui poursuivraient des objectifs semblables, ailleurs en province?

M. Bettey: Oui, et vous en avez eu connaissance, il y en a qui ont passé ici. On a des contacts avec d'autres associations, on s'est rencontré. À un moment donné, on s'est assis à une même table, on a échangé pour voir si les problèmes n'étaient que dans le Nord-Ouest, ou dans le bout de la Gaspésie, ou bien à Rouyn-Noranda, ou bien Montréal, ou Québec. Je pense que partout, dans toutes les assemblées qu'on a faites avec ces gens-là, on trouve les mêmes bobos un peu partout. D'accord? Soit au bureau de révision, soit auprès de l'agent d'indemnisation, soit à la réadaptation sociale, peu importe quoi. Peu importe quoi. Vous trouvez les mêmes problèmes. Le comité d'experts à Québec, on s'en va discuter avec les accidentés de Montréal ou avec les accidentés de Sherbrooke, ils ont le même maudit problème. Ils ont le même problème avec un médecin qui est installé dans le bureau à Montréal, comme il est installé à Rouyn-Noranda ou n'importe où; même au Lac-Saint-Jean, on a des contacts, on rencontre des gens, on échange. On essaie de savoir si on est plus haïssable dans ce bout-là ou dans l'autre bout. En tout cas, c'est de cette façon qu'on essaie pour commencer. Tantôt, c'est sûr qu'il va y avoir un front qui va se former; cela ne fera pas plaisir à M. le ministre du Travail, on s'en fiche. Surtout sa position, ce soir, on la connaît très bien.

En tout cas, il est à notre avantage de continuer le travail pour que les travailleurs soient respectés et payés, selon ce qu'on peut aller chercher dans la loi actuelle. On va se battre. Tant qu'on peut, on le fait. Pour vous donner une idée de la façon dont on se bat, on a tout près d'une quarantaine de cas en liste au bureau de révision. On est "billé" pour le mois d'avril. Aujourd'hui, on est ici parce qu'on est bénévoles. C'est tout l'argent des accidentés qui ont de la misère à manger; ils ont payé nos dépenses parce que nous sommes aussi des accidentés du travail, on n'en a pas. On est ici ce soir; monsieur n'a pas voulu nous entendre, on s'en fiche, on continue notre travail. Lundi, qu'est-ce qu'on va faire? Trois auditions: à Val-d'Or; de Rouyn, 85 milles; ceci va être pris dans la poche des accidentés. On s'en va là bénévolement pour défendre ces gars-là. M. le ministre, il ne se déplace pas pour aller parler. Quand il se déplace, c'est l'État qui paie. Il me semble qu'il devrait avoir un petit peu plus de coeur, d'en donner un peu aux gars qui, du moins, essaient de travailler avec les malheureux pour en sortir de temps en temps. Parce qu'il y a une loi et elle n'est pas respectée par la "gang" qui nous administre présentement. Écoutez, 85 milles pour aller et 85 milles pour revenir, un repas là-dessus, c'est quoi, M. le ministre? On fait cela, tous ces gars-là, avec un comité pas mal plus gros encore qui nous appuie pour aller défendre. Ce sont des dépenses. Quand on part de Rouyn-Noranda, qu'on monte à Ville-Marie, 75 milles, on y va, encore avec tout l'argent... Je sais qu'on n'est pas intéressant, parce que c'est des travailleurs qui sont là. Il ne faut pas qu'ils revendiquent leurs droits face au régime actuel. On sait cela. Il ne faut pas parler. On est tanné de garder cela, la misère dans notre coeur; elle est causée par des croches engagés par la CSST. Peut-être que c'est le ministre du Travail qui les a engagés. Je ne le sais pas, mais, en tout cas, ce serait peut-être bon de fouiller cela un peu plus tard.

M. Charette: M. le député, vous nous avez demandé si on était groupés avec d'autres. On a des contacts avec d'autres organismes, c'est sûr et certain. Le nier serait mentir. Mais, par contre, on est un organisme seulement à Rouyn-Noranda, qui couvre Val-d'Or, Ville-Marie, toute la région de l'Abitibi-Témiscamingue. Nos moyens de subsistance: 10 $ par membre. On vit avec cela. On a à peu près 700 membres accidentés du travail, seulement pour notre coin. On vit avec les 10 $ de la carte de membre des accidentés et notre argent personnel, malgré qu'on n'en a pas, parce qu'il faut se battre pour venir à bout d'en avoir. On a quand même assez de coeur au ventre pour s'entraider. Cela revient à ce que je vous disais tout à l'heure, le peuple en a plein son voyage. On se regroupe et on n'a pas fini de se regrouper. On va se regrouper parce que cela déborde du vase. Cela déborde dans le sens que les gens qui sont établis, sur place, à la CSST... Je ne vous dis pas qu'ils sont tous mauvais. Je ne pourrais pas dire qu'ils sont tous mauvais, mais je pourrais, par contre, vous nommer une liste de gens qui sont là, et pourquoi? Pour le prestige? Pour les quotas? Pourquoi ces gens sont-ils là? Pour avoir une augmentation? Pour avoir une plus belle job au gouvernement? L'argent qu'ils nous doivent ne sort pas de leurs poches. Pourquoi prendre un dossier, le mettre dans une voûte et nous faire attendre, nous qui crevons de faim? Nous avons des enfants, des familles à faire vivre. On ne travaille pas parce que nous sommes des accidentés du travail et, pendant ce temps, il n'y a rien.

Je vais vous citer mon cas. La CSST ne veut pas me payer, cela traîne, elle me charrie d'un bord et de l'autre, d'un spécialiste à un autre. Encore là, j'ai un papier dans mes poches pour rencontrer, la semaine prochaine, un spécialiste à Montréal. L'employeur a annulé ma police d'assurance-groupe; donc, la compagnie d'assurances ne veut pas me payer. Depuis le 18 novembre, aucun sou n'est entré chez moi. Est-ce que c'est normal? Le monsieur en question, j'ai envie de le nommer, parce qu'il m'écoeure, monsieur. Je ne peux pas dire d'autre mot.

Pourquoi? Qu'est-ce que cela lui enlève? Il fait son jars quand il arrive devant nous autres, l'estomac gonflé, et il dit: I am the boss, c'est moi qui dirige le bureau ici. Quand cela me plaira, je te ferai faire un petit chèque; on verra. Des types comme celui-là, cela fait plusieurs qui se font organiser à Rouyn. Le type qui est en train de faire une dépression parce qu'il en a assez, il part et il va taper le gars.

Je vais vous démontrer un autre cas. Tout était approuvé, tout était accepté. L'accidenté appelle le monsieur en question, un certain monsieur, et lui dit: As-tu fait faire mon chèque? Il lui devait 12 000 $. C'était tout accepté. Le monsieur a répondu à l'accidenté en riant: C'est dommage, j'ai oublié de peser sur le piton de l'ordinateur pour te faire programmer ton chèque. Ce sont les réponses qu'on a. Ils nous rient dans la figure. Pour eux autres, nous ne sommes pas des êtres humains. Nous sommes plus bas que cela. Parce qu'on travaille dans des trous, ils voudraient nous retourner dans le même trou et, s'ils étaient capables, ils nous pileraient sur la tête.

M. Doyon: Ce qui me frappe dans les propos que vous tenez, c'est le manque de crédibilité et le manque de confiance total envers l'organisme qui, finalement, devrait avoir la confiance des travailleurs, parce que la CSST, cette commission, c'est le recours des travailleurs. On doit se rendre à l'évidence - le ministre est à même de le constater - malgré) toutes les poursuites qu'on pourra prendre contre qui que ce soit, contre des syndiqués et de quelque façon que ce soit, un fait demeure et il est inévitable: la CSST n'a pas la confiance dont elle aurait besoin de la part des gens avec qui elle fait affaires pour être efficace, pour rendre les services qu'elle a le devoir de rendre. Ce n'est pas un luxe, la CSST. C'est un besoin, c'est une nécessité. Il faut que cet organisme, pour fonctionner, puisse avoir une crédibilité, la confiance de toutes les parties. Vous êtes à même de le constater, pour des raisons qui sont différentes, mais, de toute façon, le fait est là, aussi bien du côté des employeurs que du côté des travailleurs: la CSST n'a plus la confiance de ces parties, elle n'est plus crédible. On aura beau prendre toutes les poursuites judiciaires qu'on voudra pour empêcher les gens de dire ce qu'ils pensent de la CSST, un fait demeurera: il faut que la situation change, il faut que le ménage dont vous avez parlé soit fait, qu'il donne des résultats, et notre système politique veut que ce soit là le travail du ministre du Travail. On n'y échappe pas. Il va falloir que ça en vienne là. Autrement, des sentiments comme ceux que vous exprimez ce soir sont probablement en train de se généraliser et cela va rendre totalement inopérant, impossible à faire fonctionner tout le système de protection, de rétribution et de paiement pour les préjudices subis. (22 h 30)

Je vous remercie d'avoir pris la peine de partir du Nord-Ouest de la province et d'être venus nous dire très clairement ce que vous ressentez, comment vous voyez les choses, comment vous vivez les choses. Cela est important parce qu'on n'en a pas eu des tonnes de gens qui, comme vous, ont l'expérience pratique du vécu, du quotidien, et c'est cela votre témoignage aujourd'hui que vous nous donnez. Bien que vous ayez pu déplorer l'attitude, peut-être, de sourde oreille de la part du ministre, quand même, il y a des bribes qui se sont rendues jusqu'à lui, j'en suis sûr, et qui vont lui permettre, en temps utile, de donner les remèdes, d'imposer les remèdes qui sont nécessaires pour que la situation se rétablisse. C'est absolument essentiel. De cela, moi, mon collègue et tous les membres de ma formation politique vous sommes reconnaissants.

M. Bettey: Vous avez cité des choses. Quand vous me parlez de la confiance, c'est réel ce que vous dites. Le ministre du Travail nous a proposé un médecin pour examiner notre médecin traitant. Pourquoi refuse-t-on le médecin traitant? C'est ça! Après X années de travail, qu'on travaille tous les jours là-dedans, ça rentre, ça vient te voir à ton bureau et ça rentre tout le monde est pris à peu près dans le même sens qu'on vient de vous expliquer, on ne peut plus avoir la confiance. Le ministre du travail aura beau proposer ce qu'il voudra, quand il se présentera devant les accidentés du travail, impossible d'accepter parce que même on a perdu confiance dans le ministre du Travail. Même l'ancien ministre qui était là avant lui, même lui, je n'ai plus confiance en lui par rapport à cet organisme parce qu'il faut penser que de cet organisme, c'est le ministre du Travail qui est le boss. Ce n'est pas le curé et la soeur. C'est le ministre qui est boss. C'est lui qui sait depuis nombre d'années... Est-ce qu'il a fait un effort? Loin d'en faire, il a tenu la roue. C'est pour cela que demain matin, ce projet de loi... Cela ne nous fait rien qu'il en présente un autre, monsieur, il a besoin d'être très clair parce qu'on ne peut plus se fier. On en a trop vu. J'ai fini.

M. Charette: Si vous le permettez, avant de terminer, M. le ministre, si, dans tout cela, dans ce qu'on a apporté ce soir, on vous a exprimé nos revendications, on vous a dit certains faits, on a dénoncé certains faits, je veux bien croire que de certains faits vous n'étiez pas au courant. Je peux le croire, mais je vous demande, ce soir, ici, si c'était possible de nous

rencontrer un peu plus tard; on aurait des dossiers à vous montrer à vous personnellement. Également, on aimerait que vous vous penchiez sur certains cas qui sont très réalistes dans notre coin pour justement faire ressortir des choses et, peut-être, faire un petit ménage du printemps qui serait dû à l'heure actuelle; en même temps, pour terminer, si bon vous semble et bon vous chante, une petite subvention pour nous aider, on ne dira pas non.

M. Fréchette: Oui, juste un mot.

Le Président (M. Paré): Oui, M. le ministre du Travail.

M. Fréchette: M. le Président, je veux aussi remercier nos invités d'être venus nous rencontrer. Je comprends qu'au premier contact qu'on a ensemble on me dit, très spontanément, très carrément et sans réserve, qu'on n'a plus confiance en moi. Je suis tout à fait disposé à accepter cette évaluation. À votre demande...

Le Président (M. Paré): M. Charette.

M. Fréchette: ...M. Charette, malgré le fait dont je viens de parler, je suis tout à fait disposé, quant à moi, dans les jours qui viendront à vous rencontrer, avec les représentants de votre organisme, pour discuter de l'ensemble des sujets qui vous préoccupent. Je ne veux pas, vous savez, essayer de procéder à une opération de rattrapage. Je veux simplement vous indiquer que j'aurais souhaité qu'on puisse discuter de la plupart des sujets que vous abordiez, mais votre enthousiasme était tel que je préférais vous laisser vous exprimer aussi spontanément que vous le souhaitiez et de la façon que vous le souhaitiez. C'est pour cela que je n'ai pas cru utile de continuer l'examen de chacune des suggestions que vous nous faisiez. D'ailleurs, ces suggestions, je vous l'ai dit au tout début de mes remarques, sont très clairement identifiées dans votre mémoire que vous avez soumis d'une façon très concise. À travers tous les mémoires qu'on a reçus, c'est le vôtre qui, effectivement, va aux points très précis qui sont les plus préoccupants pour vous. Alors, je vous le dis, ils sont identifiés ces problèmes.

Je vous dis également que plusieurs des cas que vous nous soumettez rejoignent plusieurs autres préoccupations qui nous ont été faites, autant par des associations de travailleurs accidentés que par des associations syndicales et, quand vous disiez tout à l'heure que les préoccupations que vous avez dans la région chez vous rejoignent les préoccupations qu'on retrouve dans d'autres associations qui sont vouées aux mêmes objectifs que la vôtre, c'est très vrai parce qu'on en a eu la preuve au cours de la dernière semaine, à partir, encore une fois, des représentations qui nous ont été faites et des demandes. Cela confirme essentiellement à cet égard l'évaluation que vous avez faite de l'action de votre association.

Je réitère que je suis tout à fait disposé à avoir une rencontre avec les représentants de votre organisme à une date que nous pourrions ensemble déterminer et qui vous conviendra le plus. On pourra à ce moment-là prendre tout le temps nécessaire pour discuter davantage, si vous le souhaitez. Je vous remercie encore.

M. Charette: On essaiera de moins s'emporter. C'est parce que là on s'est défoulé.

M. Cusano: Au moins, cela a fait comprendre quelque chose.

Le Président (M. Paré): Messieurs les représentants de la Fédération des accidentés (es) du travail de Rouyn-Noranda, au nom de tous les membres de la commission, on vous remercie d'avoir pris le temps de préparer un mémoire et d'être venus le présenter à cette même commission. Merci beaucoup.

Je veux maintenant rappeler aux membres de la commission qu'à nouveau, demain matin, les travaux reprennent à dix heures. Là-dessus, les travaux sont suspendus jusqu'à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 22 h 39)

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