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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le mardi 8 novembre 1977 - Vol. 19 N° 227

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 45 — Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre


Journal des débats

 

Etude du projet de loi no 45 Loi modifiant le Code du travail

et la Loi du ministère du Travail de la Main-d'Oeuvre

(Dix heures quarante-trois minutes)

Le Président (M. Clair): A l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration est réunie pour procéder à l'étude article par article du projet de loi no 45 intitulé Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministère du travail et de la main-d'oeuvre.

Les membres de la commission sont les suivants: M. Bellemare (Johnson), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Brochu (Richmond), M. Picotte (Maskinongé) en remplacement de M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Couture (Saint-Henri), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Forget (Saint-Laurent), M. Gosselin (Sherbrooke), M. Johnson (D'Anjou), M. Jolivet (Laviolette), M. Lacoste (Sainte-Anne), M. Laplante (Bourassa), M. Lavigne (Beauharnois), M. Raynauld (Outremont) en remplacement de M. Mackasey (Notre-Dame-de-Grâce); M. Marois (Laporte); M. O'Gallagher (Robert Baldwin) en remplacement de M. Pagé (Portneuf); M. Roy (Beauce-Sud). Y a-t-il d'autres remplacements? M. Mercier (Berthier) remplace M. Marois (Laporte).

Il y aurait maintenant lieu de désigner immédiatement un rapporteur pour cette commission. Quelqu'un aurait-il une suggestion à faire? M. Mercier, député de Berthier, accepte-t-il d'agir comme rapporteur?

M. Mercier: Oui.

Remarques préliminaires

Le Président (M. Clair): Merci. Cela va. Tout d'abord, je tiens à nous excuser auprès de nos invités à cause d'une erreur de communication, d'une part. Les gens se sont présentés pour 10 heures alors que les députés avaient été appelés pour cette commission à 10 h 30. D'autre part, on a d'autres minutes de retard qui sont accumulées à cause d'un malencontreux accident sur le pont Pierre Laporte, qui semble en avoir retardé plus d'un.

Le mandat de la commission est de procéder à l'étude article par article du projet de loi. Cependant, je suis en mesure d'annoncer qu'une entente est intervenue entre les différents partis politiques représentés dans cette commission, en vertu de l'article 154 de notre règlement. En vertu de cette entente, le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre a été appelé à se faire entendre. Les deux composantes de ce conseil, soit les représentants du patronat et les représentants des syndicats, auront donc droit à deux périodes éga- les, à toutes fins pratiques, d'audition et de questions. Nous commençons aujourd'hui en entendant les représentants du patronat.

Je demanderai à nos invités de tenir compte de cette entente, qui comporte une répartition du temps indicative et qui, je pense, est dans votre intérêt, soit celle de prendre environ une heure ou une heure et demie au maximum pour la présentation du mémoire afin de laisser une heure, et demie ou peut-être même deux heures pour la discussion, suivant le temps que vous prendrez pour la présentation du mémoire.

D'autre part, il y a également entente au niveau de cette commission, si les travaux ne sont pas terminés en ce qui concerne les représentants patronaux d'aujourd'hui, pour qu'après la période des questions de cet après-midi, soit vers seize heures et demie la commission puisse siéger à nouveau pour terminer l'audition des représentants patronaux, qui seront les seuls à être entendus aujourd'hui.

L'entente prévoit à peu près la même chose pour jeudi prochain, au moment où nous entendrons les représentants syndicaux. S'il y a des membres qui désireraient avoir immédiatement des précisions sur cette entente, ils auraient avantage à poser immédiatement leurs questions au président. Il serait dans l'intérêt de tout le monde que le plus rapidement possible et avec le moins de débat, d'interférence ou de procédure on puisse commencer à entendre les représentants du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Y a-t-il des questions?

M. Forget: M. le Président, je voudrais être bien sûr que tous nos invités comprennent le sens de ce que vous venez de dire. Si je comprends bien, il y a plusieurs groupes qui appartiennent au grand groupe patronal. La même chose sera vraie jeudi. Il y a plusieurs groupes syndicaux qui représentent également la partie syndicale du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. A l'intérieur des limites de temps que vous avez indiquées, je crois comprendre et les groupes aussi doivent comprendre — c'est là ma question — qu'ils sont libres de répartir le temps entre les différentes composantes tel qu'ils le jugent opportun.

Le Président (M. Clair): Effectivement. A titre de président de la commission, j'ai eu des indications quant à la répartition du temps qu'entendaient faire les représentants des patrons et ceux des syndicats. Cependant, libre à ces deux parties de se répartir le temps entre elles, entre les différentes composantes syndicales et patronales comme elles en jugeront. L'important c'est qu'on comprenne bien qu'il serait sûrement souhaitable pour la bonne marche de nos travaux que, dans les deux cas, on ne prenne pas plus qu'une heure ou une heure et demie pour la présentation du

mémoire afin d'avoir le plus de temps possible pour discuter.

Y a-t-il d'autres questions?

Je donne donc immédiatement la parole au ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Pierre-Marc Johnson

M. Johnson: M. le Président, il me fait plaisir, au nom du gouvernement, d'accueillir aujourd'hui, parmi nous, les membres du Conseil du patronat ainsi que les groupements qui s'y sont adjoints dont la Chambre de commerce du Québec, et, certains représentants, à titre individuel, de l'Association des manufacturiers canadiens, et quelques autres groupements patronaux.

Le Conseil du patronat, à titre de membre participant du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre va nous présenter aujourd'hui le sommaire d'un mémoire qu'il m'a fait parvenir par écrit, tout récemment, et dont j'ai fait parvenir copie à tous les membres de cette commission la semaine dernière.

J'aimerais remercier ces représentants du patronat de s'être déplacés aujourd'hui; il s'agit d'une commission parlementaire d'une nature un peu spéciale, que l'on a appelée une minicommission parlementaire. Je crois qu'il sera possible, aujourd'hui, par le bref exposé et cette période de questions, grâce à la qualité du mémoire qui nous a été soumis, de faire le tour de façon concise et précise des sujets qui préoccupent le patronat face au projet de loi no 45.

En terminant, je désire m'excuser, au nom du secrétariat des commissions, d'être obligé de vous entendre dans cette salle 81 qui a une longue histoire, qui est considérée comme la salle des commissions parlementaires, mais qui a cet inconvénient majeur de vous mettre derrière une balustrade, contrairement au salon rouge, qui, lui, dégage peut-être une atmosphère un peu plus détendue parfois.

Je vous souhaite la bienvenue, et, quant à moi, je suis prêt à entendre les représentants de l'Opposition à ces propos.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Claude Forget

M. Forget: M. le Président, j'aimerais, tout d'abord, souligner en la précisant une des remarques que vous avez faites tout à l'heure, à savoir qu'il y avait une entente au niveau de la commission quant à la bonne marche de nos travaux. Je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendu quant à la nature de l'entente qui existe effectivement relativement à la procédure pour l'étude des mémoires. Il faut souligner qu'on peut se souvenir avec encore passablement de vivacité des efforts qu'ont déployés différents groupes au mois d'août dernier ainsi que les porte-parole de l'Opposition, de tous les partis de l'Opposition à l'Assemblée nationale pour obtenir une maxi-commission, une véritable commission parlementaire avant la deuxième lecture.

Ce voeu, qui était exprimé alors par un grand nombre de personnes et par les partis de l'Opposition, n'a cependant pas été entendu par le ministre et par le gouvernement. C'est ce qui nous amène aujourd'hui à une mini-commission parlementaire. Je ne voudrais pas être méchant, M. le Président, mais on pourrait dire qu'il s'agit d'une petite commission sur un petit projet. Effectivement, une des lignes d'argumentation qu'a développées le ministre sur plusieurs aspects de ce projet de loi, c'était qu'il ne faisait que consacrer une réalité établie ou qu'il ne modifiait que peu de choses. C'est peut-être ce qui explique son attitude de ne vouloir en faire l'objet que d'une mini-commission parlementaire.

Nous ne sommes pas d'accord avec lui sur la portée du projet, non plus que sur la décision relative à la commission parlementaire qui vient seulement après la deuxième lecture. Mais il nous faut bien accepter la force du nombre, n'est-ce pas, et nous plier devant la volonté du ministre là-dessus. Cependant, j'aimerais vous exprimer le souhait, M. le Président, que vous ne serez pas trop rigoureux dans l'interprétation du mandat de cette commission. Parce qu'elle intervient après la deuxième lecture, il serait possible d'argumenter que le principe a été adopté et que, le principe étant adopté, un grand nombre des propos qui seront inévitablement tenus en commission parlementaire seront irréguliers en quelque sorte, puisqu'il est assez difficile de tracer la ligne de démarcation entre des principes et des modalités d'application lorsqu'on en vient à une législation comme le Code du travail.

Je préfère croire — et ceci est tout à l'avantage, de toute façon, du gouvernement — que le seul principe véritable que nous avons adopté en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, avec la dissension du seul groupe parlementaire que je représente, c'était l'intention de bien faire, manifeste d'ailleurs, du ministre et que, quant au reste, tout est modalité, ce qui nous permettra d'aborder tous les sujets avec un minimum d'ennuis de nature procédurière.

D'autre part, M. le Président, je crois qu'il serait exact, historiquement au moins, de rappeler que ce projet est un ramassis en quelque sorte de fonds de tiroir. Il y a des occasions, particulièrement cette année, où nous sommes, en tant que membres de la formation politique à laquelle j'appartiens, plus fiers de voir le gouvernement assumer notre héritage.

Dans ce cas, notre fierté est beaucoup moins manifeste. Il est clair que même si, effectivement, un grand nombre, peut-être 80% des articles qui se retrouvent dans ce projet et qu'on retrouvait anciennement dans le projet de loi no 24 sont, mot pour mot, des fonds de tiroir littéralement de l'ancien gouvernement, ils seraient peut-être restés encore plus longtemps dans cet état si certains changements n'étaient pas intervenus. Ce n'est donc pas avec une fierté remarquable que l'on peut rappeler au gouvernement actuel qu'au lieu

de reprendre l'ensemble de la législation du travail, comme il l'avait laissé soupçonner, il s'est contenté en quelque sorte de brocher dans un seul recueil un certain nombre de feuilles éparses qu'il a trouvées en arrivant.

Le ministre a fait allusion, lors de conférences de presse, et très peu souvent au Parlement, à une commission Parent sur le travail. C'est là les propos les plus clairvoyants qu'il ait tenus. Ce ne sont pas les seuls propos clairvoyants qu'il ait tenus mais ce sont sans doute les plus clairvoyants parmi ceux qu'il a tenus sur le sujet. Cependant, après avoir évoqué cette possibilité de façon peut-être un peu théorique, il n'en a pas reparlé beaucoup récemment, et il semble qu'on devra se contenter de ce que l'ancienne Opposition appelait les cataplasmes plutôt que d'une vision globale — toujours en utilisant le vocabulaire de l'époque — des problèmes du travail et de leurs solutions possibles. On devra se contenter, cette fois-ci, semble-t-il, d'un cataplasme. Je suis le premier à le regretter.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent, je voudrais juste vous souligner qu'effectivement l'entente porte sur le fait d'entendre le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Personnellement, et sans vouloir restreindre d'aucune façon le droit d'expression de tous les députés, je souhaiterais que, le plus tôt possible, on commence à entendre le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuyre. On aura tout le loisir, au début de l'étude article par article véritablement du projet de loi, de défendre les positions respectives. Je vous invite à faire le plus brièvement possible, s'il vous plaît, dans le but d'avoir le plus de temps qu'on pourra pour discuter avec nos invités du projet de loi no 45, et surtout de leur mémoire.

M. Forget: Sans doute, M. le Président, je ne veux pas commencer un débat de procédure là-dessus. Je crois que les ententes n'éliminent en rien le droit de parole normal des membres de la commission, ententes partout essentiellement sur le temps alloué à ceux qui viennent témoigner devant nous.

De toute façon, je n'ai pas l'intention de m'étendre longuement là-dessus parce que c'est soit trop tard, malheureusement, ou trop tôt relativement à l'étude article par article. J'aimerais, malgré tout, terminer en suggérant que c'est peut-être injuste pour le ministre actuel. C'est peut-être une injustice qu'il s'impose à lui-même ou que les circonstances lui imposent d'assumer à 100% la paternité, le parrainage de ce projet de loi qui est un projet de loi controversé, un projet de loi qu'il a présenté à peine trois semaines après avoir été nommé à ce poste et dont on peut penser, sans lui faire injure, qu'il n'a pas pensé à cela tout seul et qui risque de lui coller longtemps à la peau et à la réputation, à moins qu'il envisage de le reconsidérer.

Je n'ai pas eu de la part du ministre, les autres membres de la commission parlementaire non plus, pas plus que de nos invités, des indications précises sur les modifications qui, semble-t-il, seraient envisagées de sa part. C'est peut-être malheureux puisqu'un certain nombre des propos qui seront tenus par nos invités risquent de porter à faux. Peut-être lui sera-t-il possible de nous donner là-dessus des précisions très bientôt.

Au-delà de cela, au-delà des modifications de détail dans la formulation de certains articles que le ministre pourrait décider d'introduire, il me semble que l'occasion est excellente, s'il accepte de la saisir, pour aborder le sujet sur un plan différent de celui sur lequel on s'apprête à l'aborder. Avant même qu'on s'engage sur des discussions de caractère partisan en commission parlementaire, autour de la formulation précise de chacune des clauses de ce projet de loi, avant même qu'on entende la partie patronale et la partie syndicale nous délivrer des points de vue sans aucun doute divergents sur le problème des relations de travail au Québec, ne serait-il pas opportun qu'on saisisse l'occasion, encore une fois, pour désamorcer ces antagonismes qui sont peut-être inutiles étant donné le caractère partiel des réformes au Code du travail qu'on nous suggère pour aborder la question dans son ensemble?

Dans cette optique, M. le Président, j'aimerais formuler un voeu et j'aimerais inviter la commission parlementaire à formuler un voeu de manière, encore une fois, que le débat ne s'embourbe pas dans des détails, dans des oppositions qui vont grossir les problèmes qui existent dans le domaine des relations de travail et de leur réforme souhaitable mais, au contraire, qui nous amène plus près d'une solution qui, autrement, risque fort d'être compromise pour longtemps, si même elle demeure possible dans le mandat actuel du gouvernement.

Demande d'une commission

qui étudierait l'ensemble des

relations de travail

La nature de ce voeu, M. le Président, est concluse dans un projet de résolution que je vais vous distribuer et qui se lit de la façon suivante: Que cette commission parlementaire formule le voeu que l'Assemblée nationale constitue une commission parlementaire ad hoc, avec le mandat d'étudier l'ensemble de la législation québécoise en matière de relations de travail, et de formuler toutes les propositions pertinentes relatives à la refonte du Code du travail et à l'élaboration d'un nouveau régime de relations de travail dans le secteur public et parapublic;

Qu'une telle commission soit formée selon l'usage établi de représentants de tous les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale;

Qu'une telle commission ait le pouvoir d'inviter ou de convoquer toute personne ou tout groupe susceptible de l'aider a remplir son mandat et de s'adjoindre tout le personnel expert ou de soutien nécessaire à l'accomplissement de sa tâche;

Qu'une telle commission puisse tenir des séances publiques ou à huis clos et qu'elle puisse siéger à Québec et au besoin dans toutes les régions du Québec;

Qu'une telle commission soit dotée d'un budget adéquat et qu'elle puisse se constituer un secrétariat ad hoc pour toute la durée de son mandat;

Qu'une telle commission puisse siéger durant et en dehors des sessions de l'Assemblée nationale et qu'elle ait l'obligation de faire rapport à l'Assemblée, avant le 30 juin 1978.

Il s'agit, M. le Président, de suggérer que dans cette question extrêmement délicate, extrêmement controversée des relations de travail, les parlementaires eux-mêmes, pour une fois, comme il a été suggéré dans bien des contextes par les membres même de la formation ministérielle majoritaire, constituent un comité de parlementaires, avec une tâche et un mandat spécifique, savoir, celui d'étudier le problème des relations de travail et l'ensemble des dispositions du Code du travail en vue de leur réforme. Il s'agirait d'une commission parlementaire prélégislative, qui devrait déboucher sur des constatations et des recommandations, laissant à l'initiative gouvernementale le soin d'agir ou de ne pas agir pour traduire ces recommandations dans un projet de loi d'une réforme d'ensemble du Code du travail.

Mais il demeure que c'est un problème qui peut être fait par des parlementaires, pourvu qu'ils aient l'assistance d'experts. Ils sont peut-être les mieux préparés à avoir toutes les difficultés, la nécessité de concilier tous les points de vue opposés dans cette question. Il me semble que si le ministre acceptait de prendre à son compte une telle résolution, nous pourrions faire un progrès sensible, peut-être avec un retard de quelques mois, quant à certaines mesures particulières; mais, comme le ministre le plaidera devant nous, sans aucun doute, ces mesures sont déjà soit inscrites dans les faits, soit de faible importance, etc.

Quel mal y aurait-il à les retarder de six mois ou même d'un an pour permettre une vision d'ensemble des problèmes? Cela permettrait également aux parlementaires de prendre connaissance de tous les points de vue pertinents et de se développer une vision d'ensemble de la question du travail, du Code du travail et de sa réforme.

M. le Président, je termine ici en invitant le ministre en particulier, mais tous les membres de la commission parlementaire à se joindre à moi dans ce jeu qui, je pense, se situe tout à fait dans le prolongement des considérations relatives au domaine propre du travail, mais des considérations aussi que nous partageons, des deux côtés de l'Assemblée nationale, quant à l'évolution du rôle du parlementarisme et du rôle des députés dans la formulation d'orientations gouvernementales, d'orientations législatives.

M. Johnson: M. le Président...

Le Président (M. Clair): M. le ministre.

M. Johnson: ... si vous le permettez, je pense que le critique officiel de l'Opposition officielle en matière de relations de travail vient d'émettre un voeu; si je comprends bien, il ne s'agit pas d'une motion devant cette commission. Etant donné qu'il s'agit d'un voeu et qu'il y a, d'ailleurs, des précédents au niveau des commissions lors de cette session, je prends bonne note du voeu, et je me ferai un plaisir, dans les semaines qui viennent, de faire une déclaration substantielle sur les mécanismes, sur l'opportunité, le contenu et l'échéancier d'une étude en profondeur de l'ensemble des relations de travail au Québec.

M. Forget: M. le Président, voyant l'attitude sympathique du ministre vis-à-vis de ce voeu, je me demande s'il serait possible de franchir un pas de plus et de considérer que ce voeu puisse s'incorporer dans une motion formelle à laquelle pourraient souscrire les membres de la commission.

M. Chevrette: Sur la recevabilité.

Le Président (M. Clair): Premièrement, je tiens à préciser que je considère ce qui est présenté par le député de Saint-Laurent comme constituant une motion non annoncée en commission parlementaire. Je vous indique que je n'ai pas l'intention d'entendre indéfiniment des gens sur la recevabilité de la motion. Je permets, cependant, immédiatement au député de Joliette-Montcalm de s'exprimer sur ce sujet.

M. Guy Chevrette

M. Chevrette: D'abord, M. le Président, nous siégeons ici en vertu d'un mandat bien précis de l'Assemblée nationale, qui est d'étudier, article par article, le projet de loi no 45. C'est un mandat bien précis et on n'a pas le droit de déroger à cette règle.

Deuxièmement, dans la motion même du député de Saint-Laurent, il y a une dimension qui irait à rencontre déjà de mesures administratives et de décisions gouvernementales. Par exemple, sur les relations de travail dans le secteur public et parapublic, déjà, il y a une commission formée, la commission Martin. Il touche à cette dimension dans cette motion.

Troisièmement, on dit aussi à l'article 154 qu'en deuxième lecture il ne s'agit pas de discuter du fond du projet de loi, mais bien des détails du projet de loi. La proposition vise essentiellement à discuter du fond même des relations de travail, ce qui va à l'encontre du mandat premier donné par l'Assemblée nationale. Si le député de Saint-Laurent voulait vraiment en faire un voeu, il devrait faire une motion pour que... Je vous demanderais de vous baser sur le précédent créé à la commission parlementaire qui a étudié le projet de loi 53 qui demande de discuter de ces motions à la fin des travaux de la présente commission.

Pour ces raisons, je vous demande de rejeter cette motion afin qu'on commence à passer à travers le véritable mandat pour lequel on est ici.

Le Président (M. Clair): M. le député de Sainte-Marie.

M. Guy Bisaillon

M. Bisaillon: Rapidement, M. le Président. Je pense que cette motion n'est pas recevable, quant à moi, pour la seule et unique raison qu'elle engage des fonds. On prévoit un budget. On dit que cette commission devrait engager ou s'adjoindre du personnel expert. C'est une motion qui doit être présentée seulement par un ministre selon la loi de la Législature et notre règlement. Elle doit donc venir de l'Assemblée nationale. En me prononçant sur la non-recevabilité de la motion je ne rejette pas, cependant, le fond qui est défendu par le député. C'est un mécanisme qu'on aurait avantage à étudier, mais ultérieurement au niveau de l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Clair): M. le député d'Outremont.

M. André Raynauld

M. Raynauld: Très brièvement, M. le Président, sur la recevabilité. Il n'y a rien qui interdise à une commission parlementaire d'examiner une proposition qui est faite à son mérite. La raison pour laquelle c'est un voeu, c'est justement pour répondre à l'objection qui vient d'être faite. C'est vrai qu'une commission comme celle-ci engagerait des fonds, par conséquent on n'a pas le droit d'en faire une proposition en bonne et due forme. C'est pour cela que c'est exprimé sous forme de voeu. En fait, cela accentue son acceptabilité plutôt que le contraire. Ensuite, ce n'est pas un voeu ou une résolution sous forme de voeu qui porte sur le fond du projet de loi. Cela porte sur le fond du problème, cependant, mais ce n'est pas sur le fond du projet de loi. A cet égard, je ne pense pas que cela puisse être relié de près ou de loin à une modification dans la procédure qui est prévue à l'heure actuelle pour cette commission parlementaire.

Le Président (M. Clair): M. le député de Robert-Baldwin.

M. John O'Gallagher

M. O'Gallagher: M. le Président, le ministre a indiqué qu'il était en faveur des principes émis dans notre...

Le Président (M. Clair): Vous n'avez à parler que sur la recevabilité de la motion, M. le député de Robert-Baldwin.

M. O'Gallagher: Vu que les principes sont appuyés par le ministre, on devrait retourner à l'Assemblée nationale pour demander la permission de changer le mandat.

Le Président (M. Clair): Sur la recevabilité de la motion, M. le député de Richmond; j'ai également l'intention de vous reconnaître plus tard sur des propos préliminaires avant d'entendre nos invités. M. le député de Richmond.

M. Yvon Brochu

M. Brochu: D'accord. Merci beaucoup, M. le Président. Pour ma part, je crois que la motion est tout à fait recevable. Ce n'est pas la première fois qu'une telle motion est présentée dans le cadre d'une commission parlementaire, même avec le mandat restreint que nous avons aujourd'hui. De ce côté, M. le Président, vous pouvez vous référer aussi aux traditions qui ont pu être établies dans le passé. La motion vise essentiellement à soumettre un voeu au bon vouloir de l'Assemblée nationale. Il serait souhaitable que, dans ce sens, elle puisse peut-être, si c'est le désir du ministre, devenir éventuellement un ordre de la Chambre. En ce qui nous concerne, il y a une raison peut-être plus particulière qui peut militer en faveur de cela, c'est que l'Union Nationale a également inscrit au feuilleton une motion exactement dans le même sens et visant les mêmes objectifs. Il y a deux ans, d'ailleurs, M. Bellemare en avait également inscrit une dans le même sens où on devait aborder la question de façon globale. M. le Président, c'étaient les commentaires que je voulais vous émettre brièvement en faveur de la recevabilité de cette motion.

Le Président (M. Clair): J'entendrai encore deux personnes sur la recevabilité de la motion. Le député de Beauce-Sud et le député de Saint-Henri.

M. Fabien Roy

M. Roy: Merci, M. le Président. Pour ce qui a trait à la recevabilité de la motion, je pense qu'on ne trouve aucun article, dans le nouveau règlement de l'Assemblée nationale, qui nous permet de ne pas accepter ce genre de motion en commission parlementaire. J'aimerais, si on trouve certains articles, qu'on nous éclaire de ce côté. Je pense que cela va apporter une contribution aux travaux de la commission parlementaire. A la page 85 de notre règlement — et je cite l'article 163 — on dit: "A moins de dispositions contraires, les règles relatives à l'Assemblée s'appliquent aux commissions".

Je pense qu'en vertu de cet article c'est clairement établi, d'autant plus que cette motion ne va pas à l'encontre du mandat qu'a reçu la commission parlementaire. Je comprends que nous siégeons après une deuxième lecture et qu'habituellement, après une deuxième lecture, la commission parlementaire siège pour étudier les articles un par un. Lorsque nous avons des groupes qui se présentent devant nous, lorsque nous avons des invités, normalement — je dis bien — cela se fait après la première lecture et avant la deuxième lecture. Alors, le mandat de la commission, à ce moment-ci, si j'ai bien compris le mandat qui a été

donné par l'Assemblée nationale, il ne s'agit pas d'étudier la loi article par article; le mandat qu'a reçu la commission, c'est d'entendre des groupes, les invités qui sont actuellement devant nous. Il faudra une deuxième motion devant l'Assemblée nationale pour que nous puissions procéder à l'étude de cette loi article par article. Cette motion, à mon avis et selon ce que j'ai entendu à l'Assemblée nationale, ne nous autorise pas à procéder à ce moment-ci puisque, effectivement, nous avons des groupes qui sont devant nous.

Le Président (M. Clair): M. le député de Beauce-Sud, je vous interromps immédiatement parce que le mandat de la commission est, effectivement, d'étudier, article par article, le projet de loi. Ce matin même, entre les partis représentés ici, en commission — vous étiez absent, je m'en excuse — une entente est intervenue afin d'entendre le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Le mandat de la commission est d'étudier, article par article, le projet de loi.

M. Roy: S'il y a une entente qui est intervenue ce matin, je n'en étais pas au courant parce que je suis arrivé en retard à la commission, et je m'en excuse, à cause des accidents qui sont arrivés au pont de Québec. J'ai dû attendre, j'ai été pris dans les embouteillages qui ont eu lieu là, je n'étais pas au courant et je m'en excuse. Mais, même là, cela n'empêche pas les membres de la commission parlementaire de présenter la motion qui est actuellement devant nous; au contraire, je dis que cette motion doit être reçue.

Troisième point, M. le Président, on a dit tout à l'heure que c'est une motion qui engage des fonds; c'est un argument qu'on nous amène souvent lorsqu'il y a des motions qui sont présentées par les députés de l'Opposition. Il est bien dit dans la motion, et je l'ai bien noté, que cette commission formule le voeu que l'Assemblée nationale constitue une commission parlementaire; c'est un voeu qu'on émet. Si on s'applique à interpréter le règlement à la lettre, comme on semble vouloir l'interpréter, à savoir que cela peut impliquer des dépenses du gouvernement, je dois dire qu'à ce moment-là je ne vois pas quel genre de motion on pourrait présenter à la commission parlementaire, pas plus que je ne verrais quel genre de motion on peut présenter à l'Assemblée nationale lors de la journée des députés, le mercredi.

Il y a une tradition d'établie, il y a toute une jurisprudence parlementaire qui est établie de ce côté, et c'est permis. Je me réfère aux traditions établies, à notre règlement de l'Assemblée nationale, également aux dispositions précises qu'on retrouve à l'article 163 de notre règlement qui dit, et je répète encore une fois: "A moins de dispositions contraires, les règles relatives à l'Assemblée s'appliquent aux commissions." Même si la motion présentée par les représentants de l'Opposition officielle était acceptée, je ne vois pas en quoi cela mettrait le mandat de la commission de côté.

Le Président (M. Clair): Un dernier intervenant rapidement, M. le député de Saint-Henri.

M. Jacques Couture

M. Couture: M. le Président, je ne veux pas reprendre les arguments, je veux simplement souligner qu'il y a ordre de la Chambre d'étudier un projet de loi article par article; il y a une entente entre les parties pour écouter les représentants du comité consultatif; enfin, un voeu a été émis dont le ministre a pris bonne note. Cela me paraît, à ce moment-ci, suffisant pour déclarer qu'il faut procéder à l'étude, tel que le demande l'Assemblée nationale, article par article d'après l'entente, en suivant les recommandations qu'il a eu entre les parties. C'est l'ordre de l'Assemblée nationale de procéder à ladite étude.

Recevabilité prise en délibéré

Le Président (M. Clair): Je tiens à préciser immédiatement que l'entente, contrairement à l'interprétation qu'en a fait le député de Saint-Laurent, quant à mon rôle de président, m'appa-raît porter non seulement sur la répartition du temps, mais également sur le fait d'entendre le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Dans les circonstances, dans le but de permettre au président, d'une part, de rendre la décision la plus éclairée possible et, d'autre part, de rendre efficace autant que faire se peut cette entente, à savoir, d'entendre les représentants du Conseil consultatif et de la main-d'eouvre le plus complètement possible, dans les meilleurs délais possible, je prends donc en délibéré la question de la recevabilité de cette motion et je m'engage à rendre une décision au plus tard au début de l'étude article par article du projet de loi no 45, puisqu'il m'apparaît qu'au début d'une commission, comme celle-ci, il n'y a pas avantage à prendre trop de temps pour recevoir des motions, les débattre et également pour rendre des décisions sur la recevabilité de ces motions.

Je donne immédiatement la parole au député de Richmond quant à ses commentaires préalables avant d'entendre les représentants du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. M. le député de Richmond.

M. Forget: M. le Président, juste une parenthèse très brève avant de donner la parole, avec sa permission, au député de Richmond.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Vous avez mentionné la question de l'entente. Je ne veux pas ouvrir un débat là-dessus, mais nous avons reçu, comme tous les membres de cette commission, un certain nombre de mémoires qui, je pense, ne peuvent pas s'inscrire dans le cadre des parties au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Je pense.

par exemple, au mémoire du Barreau, et, il y en a deux ou trois autres du même genre. Je ne voudrais pas que vous impliquiez par vos remarques qu'on a consenti à ce que ces gens ne puissent pas apparaître devant nous. Dans le fond, je ne veux pas soulever ce point, je crois que c'est assez bien connu. J'aimerais demander au ministre si le fait d'avoir reçu ces mémoires l'amène à envisager la possibilité d'entendre le Barreau et deux ou trois autres groupes qui se sont exprimés.

Le Président (M. Clair): Quant à mon interprétation, M. le député de Saint-Laurent, l'entente est limitative, mais non exclusive. J'interprète restrictivement l'entente qui est intervenue. Cependant, s'il survenait d'autres ententes, il appartiendra au président d'en déterminer les modalités.

M. le ministre.

M. Johnson: Non, le ministre n'a pas l'intention de demander au Barreau, à l'Association canadienne du Barreau qui a soumis un mémoire ainsi qu'à deux ou trois autres groupements ou personnes qui ont soumis des mémoires au ministre, et non pas à la commission... J'ai cru, cependant, qu'il était normal, nécessaire et souhaitable pour le moins que l'ensemble des membres de cette commission soit renseigné sur certains des paramètres qui guideront le ministre lors de l'étude article par article et qui permettront, je pense, pour la meilleure clarté de cette discussion et pour le meilleur contexte possible de législation, aux membres de cette commission de s'inspirer des critiques qui sont venues d'individus ou d'organismes.

Le Président (M. Clair): M. le député de Richmond.

M. Yvon Brochu

M. Brochu: Merci, M. le Président. Après ce petit détour, très brièvement, j'aimerais, au nom de l'Union Nationale, souhaiter la bienvenue à toutes les personnes qui se sont déplacées ce matin, au Conseil du patronat du Québec, ainsi qu'à tous les groupements qui se sont associés à lui pour venir présenter ce mémoire aujourd'hui. Dans ce sens-là, il nous a fait plaisir de collaborer pour donner notre consentement afin que, cet après-midi, puisse siéger plus d'une commission parlementaire pour vider la question avec le Conseil du patronat et les organismes qui s'y sont associés sur l'importante question du projet de loi no 45.

Il m'a fait d'autant plus plaisir de le faire que nous avions insisté sur le fait que nous devions tenir cette commission parlementaire. Au début, en ce qui concerne l'Union Nationale — je m'étais fait, à ce moment, le promoteur d'une motion — nous voulions que la Commission parlementaire puisse avoir un mandat beaucoup plus large, qu'on puisse étudier toute la question des relations dans le monde du travail et également qu'on puisse entendre les différentes personnes intéressées, mais sur une base beaucoup plus large. Nous avions même utilisé ce qu'on peut appeler nos cartouches de rechange à l'Assemblée nationale, en ce qui concerne les motions spéciales du mercredi. Cela a donné lieu à une certaine discussion qui a été quand même fructueuse. En effet, le ministre a, à ce moment, démontré une ouverture d'esprit en acceptant finalement, à la suite de ces discussions que nous avons eues à l'Assemblée nationale, de tenir cette commission parlementaire aujourd'hui, où, tout au moins, on peut aborder la question avec les principaux organismes intéressés et déjà entrer dans le vif du sujet.

Si cela ne répond pas entièrement au voeu que nous avions exprimé à ce moment, à tout le moins on peut déjà aborder la question et, en ce qui concerne, on en est fort heureux. C'est un premier pas. Nous aurions souhaité évidemment, plutôt que le projet de loi no 45, qu'on aborde le problème dans le sens d'une réforme globale qui a été souhaitée, je pense, par tous les partis politique, y compris par le parti ministériel qui forme maintenant le gouvernement. Nous aurions souhaité qu'on aborde la question de plein front, qu'on vide cette question, une fois pour toutes. Maintenant, le projet de loi qu'on nous présente, tout en étant une réforme partielle, modifie quand même en profondeur les règles du jeu dans le secteur concerné. Ce qui crée également la difficulté un peu de la présente commission parlementaire, c'est qu'en ayant un mandat restreint; en aborde le problème des relations de travail d'une façon partielle plutôt qu'en s'attaquant à la réforme globale. De l'autre côté, on doit s'en ternir à certaines réserves, tout en voyant le problème et les besoins qui existent de ce côté, et en modifiant, comme je le disais, les règles du jeu de façon assez profonde.

Sur l'ensemble du projet de loi no 45, comme j'ai eu déjà l'occasion de l'exprimer, nous sommes d'accord sur les grands objectifs. Il y a énormément à faire dans ce secteur. Cependant, comme je l'ai également souligné, à différents autres endroits, nous maintenons beaucoup de réserves sur différents points, sur différentes modalités. Nous aurons, d'ailleurs, l'occasion d'en discuter plus profondément, ici à cette commission parlementaire, avec le ministre. Nous aurons également l'occasion d'avoir les commentaires des principaux intéressés. J'espère — je crois bien que c'est le voeu de l'ensemble des membres de cette commission parlementaire, comme de ceux qui se déplacent pour y venir aujourd'hui — que le ministre, à la toute fin de la course, à la lumière des discussions qui seront les nôtres à partir de maintenant, modifiera certaines positions qui, à ce stade-ci, du moins avec l'éclairage qu'il nous est possible d'avoir maintenant, nous semblent douteuses et assez risquées. Nous demandons au ministre de bien regarder avant de faire son lit définitivement en ce qui concerne les modifications profondes qu'apporte le projet de loi no 45.

Je veux, en terminant, aussi remercier le ministre de nous avoir fait parvenir, vendredi dernier, toute la documentation et des informations perti-

nentes aux discussions que nous allons tenir. Sur ce, je remercie nos invités et j'espère que cette commission parlementaire fera la lumière en vue — je pense que c'est l'objectif qu'on doit d'abord viser — d'établir vraiment un équilibre des forces dans le monde du travail.

Le Président (M. Clair): Le député de Beauce-Sud.

M. Fabien Roy

M. Roy: Merci, M. le Président. A mon tour, je veux souhaiter la bienvenue à nos invités, à ceux qui se sont dérangés ce matin pour venir nous apporter leur point de vue sur le projet de loi qui est actuellement devant nous.

J'espère que, tous ensemble, nous pourrons travailler afin que ce projet de loi no 45 puisse répondre aux aspirations et aux besoins du monde de l'économie québécoise. Cependant, je suis un peu déçu d'avoir entendu le ministre, tout à l'heure, dire de façon catégorique, en mettant de côté une suggestion qui lui était faite par un collègue, qu'on ne permettra pas au Barreau, ni aux autres groupes qui l'ont demandé, de se faire entendre sur ce projet de loi.

Lorsque le gouvernement annonce des grands projets de réforme... Je me rappelle très bien, pour avoir siégé à plusieurs séances de commissions parlementaires sur des réformes de grands projets de loi, du temps de l'ancien gouvernement, que, par la force des choses, dans les circonstances, je devais faire équipe avec le parti qui forme aujourd'hui le gouvernement. Je ne voudrais pas rappeler les propos qui ont été tenus à l'époque, mais on a toujours soutenu que pour qu'il y ait une véritable réforme et que la réforme, quelle qu'elle soit, réponde aux objectifs recherchés, il fallait travailler avec les gens concernés par la réforme. J'ai été très déçu qu'on ne permette même pas des séances de commission parlementaire avant même qu'on commence l'étude en deuxième lecture du projet de loi no 45. Je n'en fais pas de reproche a l'actuel ministre parce que je pense que le projet de loi no 45 était passablement prêt au moment où il a accepté le poste de ministre du Travail; c'est une distinction que je tenais à faire à ce moment-ci. Je me demande sérieusement comment on peut faire une véritable réforme dans le monde du travail alors qu'un projet de loi comme celui qui porte le no 45 a suscité énormément d'inquiétude dans le Québec; je ne parle pas des grandes sociétés, je parle du milieu québécois, le milieu de l'entreprise canadienne-française, dans la petite et la moyenne entreprise.

Les mémoires et les lettres que j'ai reçus sont très nombreux sur les inquiétudes des intéressés. Il y a des demandes faites aux députés, des demandes faites au ministre et des demandes faites au gouvernement de revoir certaines dispositions de cette loi. Compte tenu des inquiétudes qu'il suscite dans le milieu des affaires, compte tenu des inquiétudes qu'il suscite dans tous les milieux de l'économie québécoise, je m'étonne sérieusement sur les intentions véritables du gouverne- ment. En ce qui me concerne, je ne suis aucunement lié par certains engagements électoraux. On me comprendra, je ne suis aucunement lié. Si le gouvernement veut travailler à améliorer les relations de travail des travailleurs du Québec, il ne faudrait pas oublier que pour avoir du travail, il faut des entreprises, c'est élémentaire. Que le gouvernement remarque bien que dans le monde de l'économie, dans le milieu des affaires, pour ce qui est des projets annoncés mais qui retardent encore, cela n'est pas dû au référendum ou encore à la question de la loi 101; je pense que le projet de loi no 45 y est pour quelque chose.

Je dis bien sincèrement ce matin que le gouvernement devrait réviser sa position pour permettre à ceux qui ont quelque chose à dire dans ce dossier, dans cette réforme de le faire afin que ce soit une réforme véritable et non pas une réforme qui découle, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'un engagement politique. C'est élémentaire! On demande aux représentants des partis de l'Opposition, on demande aux membres de la commission parlementaire, des deux côtés de la table, de travailler en toute objectivité, de travailler à faire en sorte que ce projet de loi rencontre les objectifs recherchés, alors, qu'on permette aussi aux membres de la commission d'avoir tout l'éclairage nécessaire et qu'on permette aux groupes d'être entendus. C'est le voeu que je formule.

En terminant, que cette commission parlementaire prenne tout le temps nécessaire et s'il s'avère utile, à un moment donné, de convoquer des groupes devant la commission parlementaire, qu'on le fasse. Ce projet de réforme ne pourra apporter les correctifs et les objectifs recherchés; ce projet de loi devra faire l'objet d'énormément d'amendements pour qu'il puisse conserver un équilibre entre le monde patronal et le monde syndical.

En terminant, je ne sache pas que le monde syndical et le syndicalisme au Québec soient en danger au point de leur donner les pouvoirs qu'ils réclament et les pouvoirs qu'on retrouve dans ce projet de loi.

Je pense que nous devons, non seulement nous inquiéter pour ce qui regarde l'avenir du syndicalisme au Québec, mais il va falloir qu'on commence à s'inquiéter bientôt sur les droits des travailleurs qui ont de moins en moins leur mot à dire dans ce domaine. Je termine là-dessus, M. le Président.

Le Président (M. Clair): Je vous remercie, M. le député de Beauce-Sud. M. DesMarais, je vous invite à présenter les gens qui vous accompagnent et à procéder immédiatement à la présentation de votre mémoire.

Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre

Conseil du patronat du Québec

M. Des Marais (Pierre): M. le Président, MM. les membres de la commission, nous vous remercions de nous avoir reçus ce matin. Je suis ac-

compagné de représentants d'associations patronales à deux niveaux, soit présidents ou représentants élus des associations et aussi permanents d'associations patronales, de façon à pouvoir répondre, s'il y a lieu, aux questions des membres de la commission.

La présentation que nous voulons vous faire, M. le Président, c'est d'exposer le mémoire du Conseil du patronat et ensuite de demander à quatre représentants d'associations importantes d'indiquer leur position rapidement, d'indiquer la position de leur association respective sur la question. Alors, sans plus, je voudrais vous présenter, M. le Président, le premier au bout de la table ici, à ma gauche, M. Arthur P. Earle, qui est vice-président de la Dominion Textile, qui représente le Montreal Board of Trade et qui est membre du CPQ. A ses côtés, M. Richard Laplante, qui est vice-président de la société Laplante et Langevin, qui est président du Centre des dirigeants d'entreprise, qui est membre du CPQ. Le suivant, M. Guy-H. Laurin, qui est directeur général, région de l'Est, de Steel Company of Canada Limitée, vice-président de l'Association des manufacturiers canadiens, section Québec, membre du CPQ. Et à ma gauche, M. James-N. Doyle, qui est vice-président exécutif de Steinberg Limitée et qui est le président de la Chambre de commerce de la province de Québec. Sa société est un membre corporatif du Conseil du patronat du Québec.

A ma droite, on retrouve M. Jerry Giles, directeur des relations de travail de l'Union des municipalités du Québec et membre du CPQ. Le suivant, M. Jean Massicotte, spécialiste en droit de travail et président du comité des relations de travail de la Chambre de commerce de la province de Québec. Le suivant, Me Edmund E. Tobin, membre du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre et représentant au CPQ de l'Association des quotidiens du Québec. M. Roger Martin, membre du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, représentant au CPQ de l'Association des industries forestières. A ma gauche, parce qu'il manquait de place, M. Bob Nuth, directeur général de l'Association de la construction de Montréal et du Québec et membre du CPQ et, à ma droite, la cheville ouvrière du CPQ, le vice-président exécutif, M. Ghislain Dufour.

M. le Président, au milieu du mois dernier, le CPQ a remis à tous les membres de l'Assemblée nationale un exposé aussi explicite et aussi cohérent que possible de ses opinions sur le projet de loi no 45. Ce document n'était pas le fruit de l'improvisation. Dès la publication du projet de loi, de nombreux groupes ont participé au débat qui s'ensuivit.

Nous avons analysé, jour après jour, tous les éléments apportés par ce débat. D'autre part, plusieurs dirigeants d'entreprise ont communiqué directement avec le ministre du Travail pour lui faire part de leurs expériences et plusieurs d'entre eux nous ont fait tenir copies de leurs lettres au ministre. De plus, naturellement, bon nombre d'associations et d'entreprises membres du CPQ ont communiqué avec nous pour nous signaler les points qui selon leur expérience paraissaient les plus importants.

A partir de l'analyse de ces divers matériaux, analyse rendue d'autant plus facile que, malgré la diversité des sources, on pouvait en dégager les lignes directrices, claires et cohérentes, le CPQ a d'abord préparé un document de consultation qui a été soumis à toutes les associations membres du CPQ. Nous étions alors au début de septembre. Ensuite le CPQ a rédigé un premier projet de mémoire qui a été de nouveau soumis à tous les membres du CPQ et qui a été l'objet d'une réunion spéciale de consultation à la fin de septembre.

A cette réunion ont assisté une soixantaine de spécialistes de relations de travail venus non seulement de l'entreprise privée, mais aussi de certaines entreprises d'Etat, des commissions scolaires, des hôpitaux et des municipalités. Notre projet de mémoire a alors été étudié ligne par ligne puis récrit entièrement. Depuis lors, nous n'avons pas cessé de suivre avec attention tout ce qui s'est dit sur le projet de loi. Nous avons constaté avec satisfaction que nul porte-parole du milieu des affaires québécois, qui est pourtant un milieu fort diversifié, n'a essayé de démontrer la fausseté de l'un ou de l'autre de nos arguments. Bien au contraire, même les hommes d'affaires qui se disent tout à fait extérieurs au CTQ, quand ils ont voulu mettre en lumière leur position particulière, revenaient inévitablement à des sujets déjà traités dans notre mémoire. Dans ces cas, il s'est agit à peu près toujours des effets du projet de loi 45 sur la petite ou la moyenne entreprise, ce que notre mémoire souligne déjà.

Tant au point de vue des principes en cause dans le projet de loi 45 qu'au point de vue des effets prévisibles de ce projet sur le climat des relations de travail et sur la vie économique en général, nous n'avons guère de thèmes à aborder en dehors de ceux que nous avons déjà soumis à l'attention des membres de l'Assemblée nationale. Comme les membres de la présente commission parlementaire ont dû s'intéresser particulièrement à ce projet de loi, il n'y a aucun doute qu'ils ont déjà pris connaissance de ce mémoire. Il serait donc inutilement fastidieux d'en faire la lecture complète aujourd'hui.

Vous nous permettrez donc, M. le Président, de remplacer cette trop longue lecture par un résumé de nos principales positions enrichies à l'occasion de quelques réflexions suggérées par l'état présent du débat sur ce projet de loi en général, et, en général, sur une révision souhaitée du Code du travail.

Sur la loi "antiscabs": Nous avons déjà profité de toutes les occasions que nous avons eues depuis trois mois pour expliquer publiquement en quoi les mesures interdisant de substituer d'autres travailleurs à des grévistes, telles qu'elles sont proposées dans le projet de loi actuel, nous paraissent inacceptables et au plan des principes et à cause de leurs effets prévisibles. Le mémoire que nous avons remis à l'Assemblée nationale est, je crois, suffisamment explicite à ce sujet.

En résumé, au plan des principes en cause,

nous rappelons la position d'une autorité dont la bonne foi et l'indépendance ne font pas de doute. Il s'agit du rapport du groupe de travail sur les relations de travail, connu sous le titre de rapport Woods, et voici quelle est sa position: "Pour l'employeur, la sanction économique équivalente à la grève n'est que rarement le lock-out. C'est plutôt sa capacité de faire face à la grève. Il est important de noter que la capacité d'un employeur d'encaisser une grève dépend pour une large part de sa possibilité de stocker des marchandises en prévision d'une grève et de son' droit de faire appel à d'autres employés et à un personnel suppléant pour accomplir le travail normalement dévolu aux grévistes. Ce droit, joint au lock-out, constitue pour l'employeur l'équivalent du droit de grève des travailleurs. Il nous semble que les choses sont comme elles doivent être".

Ajoutons que rien, dans les circonstances actuelles, ne nous permet de croire que nous pouvons remplacer "la sanction économique équivalente à la grève" dont parle le rapport Woods, par quelque chose d'autre. Interdire aux grévistes de travailler pour un autre employeur serait peut-être une mesure juste, mais les contrôles qu'elle supposerait la rendent inapplicable.

D'autre part, il est faux de croire que les mesures à propos des scabs changeront de façon significative la situation de la violence dans les conflits ouvriers puisque, selon les chiffres cités par le ministre de la Justice, le 22 août dernier: "Seulement 2% des conventions collectives donnent lieu à des grèves ou lock-out, et que 3% de ce 2%, c'est-à-dire seulement 0.6% de l'ensemble, donnent lieu à l'utilisation de briseurs de grèves." La cause importante de la violence dans les relations de travail n'est certainement pas là. Par contre, on connaît l'usage abusif et indéfiniment extensible que les syndicats ont du mot "scab". Une fois acquis, une manière de légalité dans leur volonté d'interdire toute forme d'activité à une entreprise en cas de grève, ce sont les cadres de l'entreprise, les fournisseurs et les clients, de même que les membres des autres syndicats de la même entreprise, qui seront affublés de l'étiquette "scab". En somme, et comme nos syndicats, n'ont pas l'habitude de s'embarrasser des nuances d'un texte de loi, les mêmes appels à la violence contre les scabs continueront a être répétés à tort et à travers comme auparavant.

Comment peut-on même penser qu'un texte de loi, s'appliquant dans 0,6% des cas de relations de travail, amènera les syndicats à changer leur propagande dans tous les cas? Le mot "scab" dans la propagande syndicale n'a qu'un lien très lointain avec le "scab" dont parle le projet de loi.

Qu'arrivera-t-il quand un syndicat transformera une ligne de piquetage en barrage physique, empêchera par la force la libre circulation des cadres d'une entreprise en grève et que l'opération sera accompagnée de la conférence de presse habituelle pour dénoncer les "scabs"?

Qu'arrivera-t-il quand le mot d'ordre sera donné de bloquer le passage des "scabs" et que des piqueteurs expérimentés se lanceront sur le camion d'un fournisseur ou d'un client pour le démolir, ou sur le camionneur lui-même pour lui donner une leçon de solidarité?

Qu'arrivera-t-il encore dans une grève affectant les hôpitaux quand, après une bonne guerre de communiqués de presse pour dénoncer les "scabs", la force physique sera utilisée pour empêcher le personnel nécessaire au maintien des services essentiels de santé de se rendre à son travail?

Un "scab" dans la philosophie syndicale, c'est toute personne qui ne se soumet pas au mot d'ordre d'un syndicat de cesser son travail au moment où le juge à propos ledit syndicat. Telle est la thèse clairement énoncée par l'ex-président de la CSN devant le 47e congrès de cet organisme, le 27 juin 1976, il y a à peine un an.

Peut-on oublier, pour comprendre l'extension que la propagande peut donner au mot "scab", que selon un certain syndicalisme le droit de grève et son exercice ne doivent pas être réglementés? Ce droit de grève doit être permanent et, lorsque le mot d'ordre de grève est lancé n'importe où et n'importe quand, toute production doit cesser. Quiconque refuserait, dans ces circonstances, de se soumettre à ce mot d'ordre serait un "scab".

Qui peut croire sérieusement qu'en acceptant en partie la thèse syndicale sur les "scabs" on jouira demain d'une plus grande paix sociale? Si dans les faits, au Québec, il existait un réseau d'organisation professionnelle réussissant à faire fonctionner n'importe quelle usine ou service en cas de grève, on pourrait dire que la situation des relations patronales-syndicales est changée et qu'il faut maintenant trouver un nouveau principe d'équilibre.

Or, un tel réseau n'existe pas au Québec et rien ne permet de croire qu'il est même possible d'en construire un. Vaut-il la peine que le législateur se prémunisse dès maintenant contre une telle éventualité? Ce n'est pas certain, mais ce ne serait pas absurde de le soutenir. Dans cette perspective, le législateur serait conduit à mettre au point une loi interdisant l'emploi de briseurs de grève professionnels, comme celle de la Colombie-Britannique, ce qui est tout autre chose que l'actuel projet de loi. Notre mémoire, en citant la jurisprudence de la Colombie-Britannique, le démontre largement à la page treize.

Résumons donc nos conclusions à ce sujet. Premièrement, les mesures antibriseurs de grève, telles qu'elles sont conçues dans l'actuel projet de loi, favorisent indûment l'organisation syndicale au détriment d'un équilibre fragile que le législateur a le devoir de préserver.

Deuxièmement, nous ne nous opposons pas, en principe, à ce que, dans une législation bien pondérée, le recours à des briseurs de grève professionnels soit interdit.

Troisièmement, une législation pondérée dont l'objectif serait vraiment la recherche de la paix sociale supposerait d'autres mesures s'appliquant, cette fois, à l'activité syndicale en temps de grève, principalement à propos du piquetage et du boycottage secondaire, de même que sur les normes

à respecter par ceux qui sont chargés de la protection de la propriété privée.

Quant au précompte syndical obligatoire, qu'on appelle aussi, mais faussement, la formule Rand, la vraie formule Rand, la plupart des employeurs l'acceptent. D'ailleurs, historiquement, cette formule a vu le jour par un accord entre un employeur privé, la Ford Motor, et un syndicat à partir d'une proposition d'un juge de la Cour suprême du Canada, le juge Ivan C. Rand.

Ce que le projet de loi retient, ce n'est pas la formule Rand, mais un seul élément tiré de cette formule sans considération pour les libertés individuelles et sans mesure de contrôle contre les abus de pouvoir. Notre position de principe est la suivante: la cotisation syndicale obligatoire pour tous déduite à la source à la façon d'un impôt, si elle n'est pas accompagnée de conditions qui garantissent les libertés individuelles et précisent les responsabilités syndicales, est un privilège contraire aux règles les plus élémentaires de la démocratie.

Quelles conditions rendraient un tel privilège acceptable dans une société fondée sur les libertés individuelles et sur la responsabilité publique des pouvoirs? En nous inspirant de la formule Rand, la vraie formule Rand, et en y ajoutant des conditions s'adaptant à la situation actuelle, nous en avons énuméré sept, dans notre mémoire, et elles sont toutes importantes:

Premièrement, l'obligation, pour tout syndicat, de tenir un vote de grève au scrutin secret de tous les travailleurs de l'unité de négociation avant le déclenchement de toute grève générale ou partielle, un tel vote devant se tenir sous la surveillance d'un fonctionnaire du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

Deuxièmement, l'obligation, pour le syndicat, de répudier toute grève ou cessation de travail concertée qui n'a pas été autorisée et déclarée par le syndicat. Obligation, également, de déclarer illégal et n'engageant aucunement les membres du syndicat tout piquet de grève établi à l'occasion de cette grève.

Troisièmement, en plus des mesures disciplinaires que la compagnie peut légitimement prendre, amende individuelle quotidienne pour tout travailleur participant à un arrêt de travail illégal, et perte d'une année d'ancienneté par semaine de grève illégale.

Quatrièmement, perte du privilège de la retenue des cotisations à la source pour au moins deux mois, et, au plus, six mois lorsque le syndicat n'aura pas dénoncé une grève illégale.

Cinquièmement, définition précise de la cotisation syndicale, ce qui suppose la description exacte et limitative de tous les usages légaux du produit d'une telle cotisation.

Sixièmement, imposition de procédure et de contrôle garantissant que la décision de hausser la cotisation syndicale ne peut être prise que par la majorité des cotisants.

Septièmement, le droit des non-syndiqués, pour raison de convictions religeuses ou politiques, objection de conscience, die faire verser le montant déduit de leur paie à titre de cotisation syndicale à une organisation charitable.

Parlons maintenant et brièvement de la démocratie syndicale que le projet de loi 45 prétend servir en obligeant les syndicat à prévoir, dans leur statut, le vote secret pour les décisions importantes, notamment pour décider du déclenchement d'une grève. Par rapport aux problèmes concrets qu'oppose l'instauration d'un climat démocratique dans la vie interne des syndicats, une telle proposition est dérisoire. L'amendement proposé, en effet, ne fait aucune référence à la surveillance du vote de grève par une autorité extérieure au syndicat, limite le vote aux seuls membres de l'association de salariés, attribue un pouvoir de décision à la majorité des seuls membres participant au vote sans tenir compte de la majorité des personnes impliquées, ne prévoit aucune disposition quant à l'information préalable à la tenue du scrutin, à l'endroit et à la date du scrutin, à la nécessité de reprendre un vote de grève après que la grève ait eu cours durant une certaine période.

Notons, en particulier, le silence absolu du projet de loi à propos de l'information préalable à la tenue d'un scrutin. Que vaut un vote même secret, si les votants n'ont pas d'autres données pour juger d'une situation que les discours passionnés d'une seule des parties en cause? Que vaut un vote même secret s'il termine une réunion de pure propagande?

Le silence du projet de loi, à ce sujet, revient à confier au syndicat seul la responsabilité de fournir une information objective et complète à tous les employés présents ou non à une assemblée non seulement sur ses propres positions mais aussi sur celle de l'employeur. Les membres du gouvernement auraient profit à relire certains passages du rapport Cliche afin de comprendre le rapport mystérieux qui peut exister entre une réunion syndicale, fiers-à-bras et vote de grève. Mais, pour la paix sociale, nous croyons qu'il faut établir un rapport entre information, jugement libre et décision démocratique.

Notons enfin que le projet de loi ne confirme même pas le droit élémentaire, pour un employeur, de communiquer directement avec ses employés à un moment utile avant que ne se prennent des décisions importantes. Quant à ces prétentions syndicales selon lesquelles toute législation imposant des règles démocratiques dans la gestion interne des syndicats serait une intrusion contraire au principe de la totale liberté d'action des syndicats, elle représente, à notre avis, un véritable sophisme. En effet, les mêmes personnes considèrent comme tout à fait légitime que les législateurs interviennent pour déterminer le mode de financement des syndicats pour limiter, en faveur d'un syndicat majoritaire, la liberté d'association des individus ou pour limiter aussi la liberté d'action d'un syndicat rival et restreindre ses moyens de maraudage.

C'est absurde d'affirmer, d'une part, que le législateur a le droit d'intervenir pour donner des pouvoirs et des privilèges aux syndicats et, d'autre part, que le même législateur n'ait pas le droit d'in-

tervenir pour définir les devoirs et les responsabilités des syndicats ou pour s'assurer que ces devoirs et responsabilités sont pleinement assumés.

Autres questions sur lesquelles nous désirons attirer l'attention de la commission. Malgré que le projet de loi 45 soulève d'autres difficultés majeures, nous allons éviter de décrire une à une ces difficultés, comptant sur le fait que notre mémoire pourra servir de guide pour la suite de notre discussion. Nous nous contenterons donc de noter brièvement les sujets sur lesquels l'analyse contenue dans notre mémoire devrait être reprise par cette commission, puis soumise à l'attention de l'Assemblée nationale. Premièrement, la formule proposée pour faciliter la négociation d'une première négociation collective, à savoir le recours à un arbitre dont la décision serait exécutoire, n'atteindra pas son objectif puisqu'elle encourage un syndicat à ne négocier que pour la frime en attendant l'intervention de l'arbitre. De plus, nous attirons votre attention sur le fait que le poids de cette mesure sera presque tout entier porté par la petite et moyenne entreprise.

Deuxièmement, il nous apparaît tout à fait illusoire de vouloir assurer aux grévistes un retour inconditionnel à leur emploi à la fin de la grève. Notre position est la suivante: A certaines conditions précises que nous énumérons dans notre mémoire, le CPQ est d'accord avec la règle générale qu'un gréviste ou un lock-outé retrouve son emploi à la fin de la grève ou du lock-out de préférence à toute autre personne.

Mais, dans aucun cas, cette règle générale ne justifie, à notre point de vue, qu'un protocole de retour au travail ait pour effet d'empêcher ou de mettre un terme à des poursuites judiciaires normales pour des gestes posés pendant le conflit de travail. Une révision sérieuse du Code du travail devrait trouver les moyens de rendre inopérante toute entente entre les parties privées dont le but serait d'empêcher l'action normale de la justice. Troisièmement, le CPQ s'est déclaré disposé à essayer la formule proposée par le projet de loi 45 permettant la tenue d'un vote de représentation syndicale dès le moment où un syndicat peut faire la preuve que ses membres représentent au moins 35% des salariés de l'unité de négociation.

Le CPQ est quand même étonné qu'au moment où le législateur québécois prend cette orientation le législateur de la Colombie-Britannique, quant à lui, ayant déjà fait une telle expérience, propose de hausser de 35% à 45% le nombre de cartes de membres nécessaires pour déclencher un vote d'accréditation. Quatrièmement, contrairement à l'amendement proposé par le projet de loi 45, l'article 2, à la page 45 de notre mémoire, nous croyons que la personne élue par les salariés au conseil d'administration d'une institution publique ne devrait pas agir à ce conseil à titre de délégué syndical et ne devrait pas avoir le droit d'être en même temps officier de son syndicat.

Cinquièmement, nous trouvons abusif de pouvoir accorder à un syndicat d'exiger le congédiement d'un salarié qui aurait agi contre l'intérêt de son syndicat sous l'instigation de son employeur. Article 38, page 52 de notre mémoire. C'est un pouvoir de règlement de compte par lequel le syndicat pourrait, sans distinction, écraser aussi bien un mercenaire qu'un adversaire de bonne foi exerçant son droit strict d'opposition. Sixièmement, nous considérons comme une restriction inutile des droits du citoyen de lui interdire d'avoir recours lui-même à la procédure d'arbitrage des griefs tel que prévu à l'article 46 de la page 55 de notre mémoire.

Quant à la portée générale du projet de loi 45, à travers son analyse détaillée, on découvre une philosophie sociale qui privilégie des droits collectifs au détriment des libertés individuelles et qui privilégie parmi les parties en cause dans les relations de travail, à savoir les travailleurs, les employeurs, les syndicats et l'ensemble des citoyens, la seule organisation syndicale. En mettant tout son poids d'un seul côté de la balance, le législateur déséquilibre les forces en présence dans les relations de travail au lieu de travailler à conduire les parties vers un consensus minimum, ce qui apparaît manifestement comme une mauvaise manière de concevoir le rôle du législateur dans les relations de travail.

Nous croyons que cette façon de traiter les problèmes actuels du travail, bien loin de servir la cause de la paix sociale, aura des conséquences sociales négatives et, de ce fait, nuira au développement économique du Québec.

Nous croyons que cette opinion du CPQ rejoint, non seulement celle de l'immense majorité des cadres, tant du secteur public que du secteur privé, mais aussi celle de la plupart des citoyens du Québec. Cette conviction nous permettait d'écrire dans le mémoire remis à l'Assemblée nationale: "Depuis dix ans, les citoyens du Québec ont été témoins et souvent les victimes impuissantes d'actions syndicales qui leur sont apparues comme le résultat d'un usage abusif des pouvoirs que la loi a conférés aux syndicats, surtout après que les syndicats eurent fermé des écoles et des hôpitaux et coupé l'électricité, ces citoyens ont été portés à croire que les syndicats sont trop puissants. Le gouvernement ne peut pas prétendre satisfaire à un voeu de la majorité des citoyens quand il propose d'augmenter les pouvoirs de l'organisation syndicale".

Après la rédaction de ce texte que je viens de citer, nous avons quand même voulu vérifier si, à partir de quelques questions clés très significatives, notre appréciation de l'opinion majoritaire des citoyens pouvait être confirmée, ou si, au contraire, elle devait être infirmée. C'est pourquoi nous avons commandé à une société indépendante, CROP, un sondage auprès d'un échantillon représentatif de l'ensemble de la population du Québec.

Disons, en un mot, le sens des résultats obtenus. Non seulement ces résultats ont confirmé notre appréciation antérieure, mais encore, les opinions que nous avions attribuées sur une base empirique à la population se sont révélées partagées par un nombre de citoyens beaucoup plus

grand que nous avions cru au départ. Par exemple, il n'y a même pas un Québécois sur cinq, suivant cette enquête, c'est-à-dire exactement 17% qui croient que les employeurs ont trop de pouvoirs. C'est également une minorité, à savoir un sur quatre, exactement 24%, qui croit que c'est le gouvernement qui en a trop. Quand il s'agit des syndicats, c'est la majorité absolue, à savoir 54%, qui déclare qu'ils ont trop de pouvoirs.

Précisons ce tableau. Parmi les personnes interrogées par CROP, il y a seulement un citoyen sur dix qui déclare que les syndicats n'ont pas assez de pouvoirs, alors qu'il y a près d'un tiers, 30%, des répondants qui portent ce jugement à propos du gouvernement et même un peu plus d'un tiers, 35%, quand il s'agit des employeurs. Il nous paraît donc évident que le projet de loi qui, pour l'essentiel, ajoute des pouvoirs nouveaux aux syndicats, diminue la marge des libertés des citoyens, ne donne aucun pouvoir nouveau aux employeurs, ne donne enfin aucun pouvoir nouveau de contrôle et de surveillance à l'Etat, est tout le contraire de ce que la population du Québec attend déjà depuis plusieurs années.

Il n'y a certes pas de sujet autre que celui des pouvoirs des syndicats sur lesquels la volonté populaire s'est exprimée depuis plus longtemps et avec plus de clarté. Cette volonté est de ramener l'activité syndicale dans les cadres stricts de la légalité, en imposant aux syndicats des contrôles plus sévères et plus efficaces. Nous admettons difficilement qu'un gouvernement se permette d'ignorer tout à fait une donnée aussi fondamentale en démocratie.

Il n'est pas nécessaire de s'appuyer sur un sondage pour soutenir ces positions. Une observation honnête de la vie publique au Québec, surtout depuis le début des années soixante-dix, conduit à des conclusions claires en ce sens. Puisque les chiffres ont leur magie particulière, regardons d'autres données qui précisent en quel sens la population du Québec désire que le Code du travail soit amendé.

Sur le vote de grève, il y a presque l'unanimité sur ce que doit être un vote de grève. En effet, 91% de la population dit que ce vote doit être secret et 86%, qui doit être surveillé par une autorité extérieure aux syndicats. Sur la grève dans le public, c'est également une majorité écrasante qui désire l'interdiction de la grève dans les hôpitaux, 84%; dans les services d'électricité et gaz, 84% encore; dans les écoles 78%; et même, dans les services publics en général, 70%. Nous sommes loin du droit de grève permanent sans loi et sans réglementation que cherchent à imposer certains syndicalistes. En tout cas, il est assuré que si des syndicalistes doivent compter sur l'appui de la population pour atteindre leurs fins, ils n'y parviendront jamais. Est-il possible qu'ils puissent compter par ailleurs sur la complicité du législateur?

En conclusion, M. le Président, il y a beaucoup de facettes du projet de loi no 45 qui n'ont pas été examinées dans ces propos. Nous espérons pourtant qu'il n'est pas nécessaire d'aller plus loin pour vous permettre de tirer au moins une première conclusion applicable à l'ensemble du projet de loi. Cette conclusion générale, elle doit être la suivante:

II y a de bonnes raisons de douter du bien-fondé ou, tout au moins, de l'à-propos des amendements au Code du travail proposés par le projet de loi no 45. Nous savons bien que, dans un dossier aussi complexe que celui des relations de travail, il est impossible d'arriver à des propositions si évidentes qu'elles conduiraient à la certitude et à l'unanimité. Nous espérons seulement qu'en considérant avec attention les diverses données que nous avons présentées il se crée au moins un doute sur l'à-propos des réformes proposées.

Nous ne demandons pas que tous les membres de cette commission fassent leur la totalité des opinions du CPQ. Pour justifier notre dernière proposition, il nous suffit de savoir que l'analyse de nos opinions peut conduire à un doute raisonnable. Puisque nous avons des raisons de croire — c'est le moins qu'on puisse dire — qu'il subsiste des doutes sérieux sur l'à-propos des réformes proposées par le projet de loi no 45, il nous paraît logique de demander au gouvernement de se donner encore un temps de réflexion. Le gouvernement lui-même a déjà mis de l'avant le projet d'une commission de révision des lois ouvrières. Ne serait-il pas alors plus cohérent d'attendre les conclusions d'une telle commission avant de faire une révision partielle des lois ouvrières? Cette conclusion ne paraît-elle pas évidemment la plus sage quand il existe un doute sérieux à propos des principes mêmes de cette révision partielle? Voilà notre conclusion générale, quant à nous.

Même si nous sommes profondément convaincus qu'il y a des erreurs fondamentales dans l'orientation proposée par le projet de loi no 45, nous sommes prêts à admettre qu'il s'agit seulement d'une orientation douteuse exigeant une étude plus approfondie. D'ailleurs, comme le démontre notre mémoire, dans le Code du travail, tous les éléments sont liés et le résultat recherché doit être finalement un équilibre. C'est pourquoi une proposition inacceptable dans certaines conditions pourrait devenir utile dans le cadre d'une révision générale où d'autres éléments serviraient de contrepoids.

M. le Président, messieurs les membres de la commission, c'est le mémoire du Conseil du patronat du Québec.

Le Président (M. Clair): Y a-t-il d'autres représentants qui désirent se faire entendre? En effet, tel que convenu, vous disposez de toute la matinée jusqu'à 13 heures pour vous faire entendre, la période de discussion pouvant avoir lieu, puisqu'il y a consentement au niveau de la commission, à compter de la fin de la période des questions jusqu'à 18 heures ce soir. M. Des Marais.

M. Des Marais: M. le Président, je demanderais au président de la Chambre de commerce de la province de Québec d'exprimer son point de vue.

Le Président (M. Clair): Allez-y.

Chambre de commerce de la province de Québec

M. Doyle (James): M. le Président, messieurs les membres de la commission, la Chambre compte un "membership" réparti sur l'ensemble du territoire québécois dans près de 200 chambres et "boards of trade" locaux, groupant ainsi au-delà de 31 500 membres auxquels s'ajoutent plus de 2500 entreprises de toutes tailles. Puisque la Chambre n'est pas membre du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, il nous fait plaisir d'avoir été invités à participer aux travaux de cette commission comme d'habitude, sans aucune par-tinerie et dans l'intérêt de nos membres.

Tout d'abord, je dois vous faire part que jamais un projet de loi n'a provoqué autant de réactions chez nos membres. Ils nous ont communiqué leur opposition unanime de tous les coins de la province par des centaines de lettres et d'appels téléphoniques. C'était surtout la réaction de propriétaires et de dirigeants de petites et moyennes entreprises. La chambre appuie entièrement la position de principe du CPQ et elle est d'avis que les problèmes soulevés dans le mémoire du patronat ne peuvent être résolus qu'après une étude en profondeur et par des experts, tout en prenant en considération ce qui se dit aujourd'hui, ce qui se dira plus tard cette semaine devant cette commission, et ce qui a déjà été dit au gouvernement par nous-mêmes, par d'autres associations et par les media d'information.

Permettez-nous donc, dans ce contexte, de vous rappeler pourquoi nous ne pouvons accepter ce projet de loi. Premièrement, il n'atteint pas, à sa face même l'objectif visé de l'amélioration du climat social par la réduction du degré de violence entourant les conflits de travail.

Dans plusieurs cas, on se propose de réglementer, voire de proscrire des exceptions, sans modifier les comportements généraux beaucoup plus nocifs. Deuxièmement, il confère aux associations de salariés une sécurité à toute épreuve et des droits accrus au détriment des salariés et, à un moindre degré, des employeurs, sans imposer, en contrepartie, des responsabilités équivalentes.

Troisièmement, sa rédaction souffre de plusieurs inexactitudes et d'ambiguïtés, lesquelles seront source de litiges et occasionneront les délais dans le règlement de conflits. Finalement, M. le Président, comme tous les membres de cette commission, la violence dans les relations de travail nous préoccupe au plus haut point. Le ministre a proposé la création d'une commission d'enquête sur les vraies causes de la violence. Nous appuyons cette proposition et nous espérons que le gouvernement y donnera suite plutôt que de croire que les dispositions du bill 45 apporteront une solution à ce problème.

Merci, M. le Président.

M. Des Marais: M. le Président, je demanderais maintenant, avec votre permission, à M. Guy Laurin, qui est vice-président de l'Association des manufacturiers canadiens, d'exprimer la position de son groupe.

Le Président (M. Clair): M. Laurin.

Association des manufacturiers canadiens

M. Laurin (Guy): M. le Président, membres de la commission, la division du Québec de l'Association des manufacturiers canadiens est une de sept divisions à l'intérieur du pays qui forment l'Association des manufacturiers canadiens. A son tour, la division du Québec se divise en huit sections, à savoir: Montréal, Québec, Drummondville, Saint-Hyacinthe, Saint-Jean, Granby, Sherbrooke et la Mauricie.

Dans son ensemble, ces huit sections québécoises représentent 1700 membres, 1700 entreprises manufacturières dont 70% sont de la petite et moyenne entreprise de 200 employés ou moins et, par conséquent, très affectées par ce projet de loi. Toutes nos sections ont été consultées directement, en réunion, par l'entremise des comités de relations de travail respectifs et notre mémoire représente une synthèse des préoccupations majeures de notre membership.

Ce mémoire de l'AMC a déjà été soumis à l'attention du ministre du Travail, et je vous dispenserai d'une répétition superflue. Je me dois de souligner que nos commentaires épousent étroitement ceux que l'on retrouve dans le témoignage du Conseil du patronat. En qualité de membre du Conseil du patronat, l'Association des manufacturiers canadiens, division du Québec, endosse sans réserve le mémoire qui vous est soumis par le Conseil du patronat, soulignant autant les priorités que les conséquences néfastes des retombées économiques, si le projet de loi 45 est adopté tel que soumis.

Le Code du travail est une élucubration dans laquelle on retrouve une entité et une continuité de pensée. Vouloir y changer certains principes fondamentaux par le projet de loi 45 sans les relier à l'ensemble de la philosophie, c'est risquer sérieusement d'en affecter sa valeur intrinsèque et d'engendrer une détérioration du climat ouvrier au Québec et de l'économie de la province.

Nous retenons, M. le Président, l'intention qu'aurait manifestée le ministre du Travail il n'y a pas longtemps et qui a été répétée sous une autre formule par M. Forget, d'instituer, en quelque sorte, une commission Parent qui se pencherait sur tous les problèmes relatifs à l'application du Code du travail. Une des premières tâches de cette commission pourrait être l'étude des retombées probables du projet de loi 45 en fonction des revendications et témoignages précités.

A cet effet, M. le Président, nous désirons réitérer encore une fois l'entière collaboration de l'Association des manufacturiers canadiens. Merci, M. le Président.

M. Des Marais: M. le Président, avec votre permission, je demanderais à M. Richard Laplante,

le président du Centre des dirigeants d'entreprise, d'exprimer l'opinion de son groupe.

Le Président (M. Clair): M. Laplante, allez-y.

Centre des dirigeants d'entreprise

M. Laplante (Richard): Merci. Le Centre des dirigeants d'entreprise est composé d'environ 450 entreprises qui nous délèguent 900 individus; 80% du membership sont composés de petites et moyennes entreprises.

Nous avons réuni nos membres au sujet du bill 45 pour discuter de ce projet de loi, et nous avons été surpris de l'agressivité que le projet de loi a suscitée chez les représentants des PME, non pas qu'ils ne reconnaissent pas le rôle qu'ils doivent jouer pour assainir le climat des relations de travail, mais ils croient que le projet de loi 45 déséquilibre les forces entre le monde patronal et le monde syndical, et ils sont convaincus que c'est la PME qui devra en payer la facture.

Nous avons participé à toutes les consultations du CPQ sur le sujet. Je peux vous assurer que le document qui vous est présenté ce matin reflète les préoccupations et les demandes des petites et moyennes entreprises.

Vendredi dernier, le Centre des dirigeants d'entreprise a tenu son congrès, qui était axé sur les relations de travail. Les membres présents n'ont fait que confirmer leur opposition au projet de loi 45 et leur désir de le voir déféré à une commission qui étudierait l'ensemble des relations de travail au Québec. Merci.

M. Des Marais: M. le Président, avec votre permission, je demanderais à M. Arthur P. Earle, représentant du Montreal Board of Trade, d'exprimer l'opinion de ses membres.

Le Président (M. Clair): Allez-y, M. Earle. Montreal Board of Trade

M. Earle (Arthur P.): Merci, M. le Président. M. le ministre et membres de la commission, je suis représentant du Montreal Board of Trade. Les membres de notre organisation sont des entreprises commerciales et industrielles dans la région de Montréal. Il y a 2800 sociétés qui sont membres de notre "board".

Notre politique est de ne pas accepter des individus comme membres; ceux qui remplissent des fonctions au "board" sont représentants des organismes membres de notre organisation. Le "board" est, de son côté, membre du Conseil du patronat du Québec. Nous sommes complètement en accord avec les deux mémoires que vous avez dans vos mains maintenant, celui qui a été soumis à tous les membres de l'Assemblée le mois dernier et celui que M. Des Marais vient de présenter devant cette commission ce matin. Notre "board" pense que les différentes clauses de ce projet de loi auront un effet très sérieux sur l'équilibre fragile entre le côté patronal et le côté syndical.

M. Des Marais: M. le Président, nous avions limité volontairement le nombre des interventions pour qu'il n'y ait pas de répétition. A toutes fins pratiques, cela termine notre présentation devant votre commission.

Le Président (M. Clair): Nous pouvons commencer immédiatement la période de discussion. A la suite de l'exposé que vous avez fait, messieurs les invités, je pense qu'il serait normal et d'usage de donner la parole au ministre, aux représentants de l'Opposition officielle, de l'Union Nationale et au député de Beauce-Sud, dans l'ordre. M. le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. Johnson: D'abord, M. le Président, j'aimerais, encore une fois, remercier les représentants au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, c'est-à-dire le Conseil du patronat, ainsi que les groupements qui les accompagnaient, pour leurs présentations.

Je crois que nous pouvons nous entendre là-dessus. Cet après-midi, à moins vraiment que la Chambre s'y oppose, en principe, nous devrions reprendre les auditions vers environ 4 h 30, après la période de questions, et les questions selon l'article 34, pour venir terminer cette discussion pendant environ 1 h 30.

J'aurais une série de questions assez spécifiques à poser. J'aimerais, M. le Président, si vous permettez, me réserver la possibilité de revenir. J'irai brièvement, sur certaines questions, immédiatement, quitte à revenir en cours de route si vous n'avez pas d'objections.

Le Président (M. Clair): Sûrement, allez-y.

Réplique du ministre

M. Johnson: II me semble y avoir, de la part des représentants que nous avons entendus, une inquiétude, particulièrement en ce qui a trait à la petite et la moyenne entreprise, inquiétude que j'ai vu partagée, il est vrai, par des représentants de cette industrie lors de différents colloques auxquels j'ai assisté depuis un mois et demi. Cependant, il y a une question sur laquelle j'aimerais qu'on m'éclaire. Il est évident, au moment où on se parle, qu'une petite entreprise fait, en général, face, de façon plus difficile, à une grève, qu'une très grande entreprise, et on se réfère ici en particulier aux multinationales et aux entreprises de 500 employés et plus.

Je me demande dans quelle mesure on invoque le fait du projet de loi no 45 pour affirmer que ce déséquilibre, entre les grandes et les petites entreprises, est accentué. Ce déséquilibre, au moment où l'on se parle, existe. Je me permettrai de citer un exemple. General Motors, je crois, peut faire face à une grève de façon beaucoup plus facile que ne peut le faire le propriétaire d'une entreprise qui a 25 employés. Je ne vois pas en quoi vraiment le projet de loi no 45 modifie cette situation. J'aimerais peut-être entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Des Marais: M. le Président, nous pensons que dans une situation de grève, une société comme celle qu'a mentionnée le ministre peut très bien subir les effets d'une fermeture plus ou moins longue, continuer à produire, s'il le faut, ailleurs, prévoir des stocks étant donné les capacités financières de ces sociétés beaucoup mieux que la PME de 25 employés qui n'a pas cette capacité financière, qui n'a pas ce choix d'aller produire ailleurs. Si elle est soumise au projet de loi no 45 tel qu'il est devant nous, cela veut dire qu'au moment où il y a une situation conflictuelle dans cette entreprise, elle n'a d'autre choix que de fermer. A notre avis, cela ne peut être que mortel pour cette petite entreprise. Elle ne pourra peut-être pas survivre. Souvent, une entreprise de 25 ou 50 employés qui se trouve en situation de grève ou lock-out peut possiblement continuer à produire juste assez ou écouler ses stocks juste assez pour se rendre jusqu'à la fin de la grève, mais compte tenu des dispositions soit disant "antiscabs" que nous retrouvons dans le projet de loi no 45, on lui enlève exactement tous les moyens. Je répète que contrairement à la grande entreprise qui, elle, a des possibilités très grandes et des solutions qui lui permettent de survivre pendant une période indéterminée.

M. Johnson: Pourtant, M. le Président, si on se réfère à la réalité statistique, des 755 conflits au Québec qui, depuis 1972, ont donné lieu à l'engagement de briseurs de grève ou de "scabs" au sens de personnes remplaçantes d'autres sur la ligne de production, on se rend compte qu'il y en a eu 27. Je ne vois pas en quoi, encore une fois, le projet de loi no 45 modifie cette situation. Au moment où on se parle, s'il y a une entreprise, de taille moyenne ou petite, qui subit une grève, elle est, effectivement, beaucoup plus vulnérable qu'une très grande entreprise. Or, l'expérience nous démontre que moins de 3% des conflits dans lesquels on retrouvait une grève ou un lock-out, ont donné lieu à l'engagement de briseurs de grève. Je me dis, dans le reste, cette situation, même si elle est plus difficile, a quand même été tolérée par la petite et moyenne entreprise. Je ne vois pas en quoi le projet de loi no 45 modifie cette situation, sauf pour les 3% de ces entreprises dont la majorité — c'est vrai — était des petites et moyennes entreprises, qui utilisaient déjà des briseurs de grève.

M. Des Marais: M. le Président, il faut bien comprendre que si le syndicat possède, après l'adoption du projet de loi, la capacité de fermer à toutes fins pratiques de façon sûre, claire, nette et précise l'entreprise qui est en grève, c'est un effet psychologique absolument extraordinaire. Vous avez raison en disant que les statistiques ne semblent peut-être pas indiquer un très grand nombre. Nous avons d'ailleurs utilisé ces statistiques. Je demanderais, avec votre permission, M. le Président, à M. Ghislain Dufour d'expliciter cette réponse.

Le Président (M. Clair): M. Dufour.

M. Dufour (Ghislain): La réponse est là. Finalement, vous donnez maintenant un outil qui n'existait pas dans la loi. Vous ajoutez dans la loi un autre outil dont vous ne parlez pas. C'est l'arbitrage obligatoire dorénavant du premier différend. C'est bien évident qu'en termes de stratégie syndicale, on va attendre l'arbitrage qui va probablement donner plus que la dernière offre patronale. A ce moment, par la disposition "antiscab" vous fermez l'entreprise. Vous placez la PME dans une situation impossible parce que ce n'est pas la grande entreprise aujourd'hui qui n'est pas accréditée, c'est la PME.

Alors, c'est vers la PME que vous dirigez finalement votre arbitrage du premier différend. Vous donnez un outil additionnel au syndicalisme, en disant: Dorénavant, tu fermes! Vous faites une distinction dans la loi en disant: Les cadres pourront assumer la production. Il faut avoir ce qu'est une petite entreprise, finalement, ou une PME. Le cadre, c'est le gérant de production, c'est le chef d'entreprise, finalement. Alors, le voyez-vous utiliser son équipement pour faire de la production? Ce n'est pas possible. Alors, vous la fermez automatiquement.

Maintenant, je souligne, M. le ministre — vous avez bel et bien indiqué vous-même, que c'était une inquiétude; c'est un mot qui revient souvent — qu'on n'a pas fait d'affirmation. C'est l'inverse; on dit: C'est le gouvernement qui légifère, à ce moment-ci, dans ce domaine. Est-ce que, lui, a évalué la retombée sur les PME, retombée qui n'est pas celle du contexte actuel, parce que vous donnez maintenant aux structures syndicales des pouvoirs qu'elles n'avaient pas avant. Ce serait se leurrer de penser qu'elles ne les utiliseront pas.

M. Johnson: Puisque vous semblez relier ceci, en fait, à ce qu'on appelle parfois la grève de reconnaissance syndicale ou le lock-out de reconnaissance syndicale dans le contexte d'une première convention collective, ne croyez-vous pas qu'un arbitrage, sur décision du ministre, en vertu du projet de loi tel qu'il est rédigé ou tel qu'il pourrait être modifié, exercerait une pression considérable sur les parties de conclure une entente, si cet arbitrage était assorti, par exemple, de l'obligation de retourner au travail ou de mettre fin au lock-out à partir du moment où l'arbitre inter-veint? Ne croyez-vous pas qu'il s'agit là d'un moyen de pression considérable et sur le syndicat et sur l'entreprise pour en arriver à une entente qui soit une entente librement, mais dans un contexte de pression, consentie par les deux parties?

M. Dufour: M. le ministre, je voudrais vous faire préciser, parce que ce que vous dites dans la deuxième partie de votre intervention, c'est neuf. Imposer le retour au travail tant et aussi longtemps que la sentence arbitrale n'est pas rendue, c'est nouveau, cela.

M. Johnson: Je le pose comme hypothèse.

M. Dufour: Est-ce qu'on doit aussi considérer l'hypothèse en réponse?

M. Johnson: Oui.

M. Dufour: En fait, l'objection majeure du patronat sur cette orientation tient à l'intervention pure et simple de l'Etat dans le domaine des relations de travail. On considère que les relations de travail, c'est la loi des parties patronales-syndicales et que le moins l'Etat interviendra, le mieux c'est. En acceptant le principe, on donne ouverture à une intervention accrue de l'Etat. Aujourd'hui, pour le premier contrat de travail, demain pour le deuxième. Si la sentence arbitrale, finalement, a été assez favorable au syndicat, qu'est-ce qui va se passer la deuxième fois? On va faire la même revendication pour dorénavant régler par arbitrage à peu près tous les conflits.

Le système d'arbitrage même est mis en question au Québec et, comme gouvernement — vous devriez le savoir aussi — vos préoccupations vis-à-vis du régime d'arbitrage au Québec. Il est sûr que le syndicat va normalement attendre la sentence arbitrale parce que cela va l'avantager. Je ne connais pas d'arbitre, au Québec, qui ne donne pas un petit peu plus que la dernière offre patronale. Vous allez tout simplement accentuer le phénomène des grèves à ce moment-là.

Quant à la deuxième hypothèse que vous émettez, à savoir si on exigeait le retour au travail en attendant la sentence arbitrale, nous avons fait une proposition qui est tout à fait différente, c'est une commission de médiation qui devrait rendre public son rapport. On a l'impression que la pression du public sur les parties serait suffisante pour déclencher le mécanisme d'un règlement sans que l'Etat intervienne.

M. Johnson: J'aimerais peut-être entendre M. Massicotte sur cette question.

M. Massicotte (Jean): Sur votre hypothèse, M. le ministre?

M. Johnson: De façon générale, sur la question de la première convention collective.

M. Massicotte: D'abord, M. le Président et M. le ministre, je crois que c'est une erreur de faire deux conditions pour le déclenchement de ce mécanisme de la première convention collective.

Premièrement, de la façon dont le texte est rédigé, on dit: La première condition, il faut que l'intervention du conciliateur ait été infructueuse. On sait que dans le projet de loi 45, la conciliation est maintenant devenue optionnelle. S'il n'y a pas de demande, ni d'une partie, ni de l'autre, pour un conciliateur, la première condition ne peut pas être remplie. Elle ne pourra être remplie que si vous, M. le ministre, vous décidez proprio motu de faire intervenir un conciliateur dans le conflit.

Deuxièmement, la deuxième condition, c'est qu'avant qu'entre en jeu le mécanisme, il faut qu'il y ait grève. Je pense qu'au point de vue strictement psychologique, le fait que ce soit dans la loi, vous allez augmenter les grèves parce que les syndicats vont s'en servir. Il y a une loi, comme tout le monde le sait, en Colombie-Britannique, qui a trait à la première convention collective. Disons, sans être tout à fait d'accord avec la législation de la Colombie-Britannique, qu'au moins il y a des aspects qu'évidemment on ne touche pas dans la loi 45, comme par exemple, on confie, en Colombie-Britannique, le soin de déterminer le comportement des parties à la table de négociations à la Commission des relations de travail.

Dans la loi 45, le ministre va confier cela à un enquêteur. Quel enquêteur? On ne le sait pas. Sur quels critères il va se baser pour déterminer que l'une ou l'autre des parties n'a pas négocié de bonne foi? On ne le sait pas. En Colombie-Britannique, évidemment, les plaintes, en ce qui concerne le caractère de bonne foi des négociations, font partie de la juridiction de la Commission des relations de travail. Ils ont leur jurisprudence, ils ont tout cela. En Colombie-Britannique, le ministre peut décider de confier à la Commission des relations de travail: 1) de déterminer si d'abord il y a eu mauvaise foi dans les négociations; 2) de décider si la commission doit intervenir.

Ici, c'est le rapport de l'enquêteur qui va déclencher la commission d'arbitrage dont parle la loi 45. Un rapport d'enquêteur que, je suppose, nous ne verrons jamais. Une enquête sur laquelle l'employeur ne pourra pas faire valoir les preuves qu'il pourrait avoir à l'encontre des accusations qu'on porte contre lui. Ce qui veut dire que dès que votre commission d'arbitrage va être formée, l'employeur va être présumé coupable d'avoir négocié de mauvaise foi. Je pense que la commission d'arbitrage, du moment que vous lui donnerez un mandat, ne pourra pas ne pas penser: Voici un employeur qui a négocié de mauvaise foi. Et l'employeur n'aura pas...

M. Johnson: Et le syndicat.

M. Massicotte: Oui, et le syndicat, sauf, encore là, si on parle du syndicat, le code actuel ne reconnaît même pas que lui puisse négocier de mauvaise foi. Si vous regardez au chapitre des pénalités, il y a une pénalité spéciale simplement contre l'employeur qui négocie de mauvaise foi. Il n'y en a pas pour les syndicats. Voyez-vous la philosophie de votre projet de loi, c'est que l'employeur c'est un méchant. On avait déjà les articles 14, 15 et 16 où on est présumé coupable. On en ajoute d'autres où on est encore présumé coupable. Et en plus de tout cela, par exemple, à l'article, je pense, 58, en plus de mélanger le droit civil, le droit pénal, on dit à un employeur, par exemple: Si on trouve que tu as congédié quelqu'un illégalement, tu vas le réembaucher, tu vas payer tout ce qu'il a perdu jusqu'au moment où tu le réembaucheras. Si tu ne paies pas, si tu ne le réembauches pas, en plus de cela, on t'impose une amende de $500 par jour.

Dans la petite et moyenne entreprise, si on veut en parler, une amende de $500 par jour, pendant une dizaine de jours, c'est à peu près le plus

qu'elle va endurer. Votre projet ne prévoit pas non plus, par exemple, s'il y a un appel.

Supposons qu'il y ait une décision d'un commissaire du travail qui dit: Cet employeur a congédié illégalement. J'ordonne la réinstallation. Le code prévoit dix jours pour faire un appel au tribunal du travail. Voici la question que je me pose. D'abord cela peut prendre du temps avant que la permission d'appeler soit accordée. Est-ce simplement au moment où la permission d'en appeler est accordée que l'ordonnance du commissaire-enquête devient exécutoire? Si tout est suspendu, qu'arrive-t-il entre les deux? Cela va nous coûter $500 par jour.

M. Johnson: Une dernière, puisque je veux quand même laisser aux représentants de l'Opposition l'occasion de prendre la parole avant que nous suspendions ce matin. D'abord, vous me permettrez de considérer, M. Massicotte, que vous avez un peu élargi ma question; je ne peux pas vous en blâmer. Il y a cependant, a mon avis, une chose que je peux relever, la présomption de mauvaise foi; non pas la présomption de mauvaise foi, mais l'orientation du code, historiquement, était là puisqu'il existait — et le législateur, à l'époque, l'a constaté — une série de mécanismes, si on se reporte historiquement à il y a une quinzaine d'années, utilisés par la partie patronale pour finalement asseoir un pouvoir arbitraire face à des tentatives de syndicalisation. De la même façon que la Commission du salaire minimum a été créée, de la même façon dans ce code on a reconnu une réalité qui était celle de la force absolument arbitraire et incontrôlée de l'employeur dans les relations de travail.

On se reporte historiquement à une période où le syndicalisme n'avait peut-être pas les moyens qu'il a aujourd'hui de façon générale pour défendre l'intérêt des salariés.

En second lieu, je voudrais qu'on se comprenne bien, il n'est pas — et je ne pense pas qu'on puisse parler de l'intention du législateur — de l'intention du ministre de considérer que seuls les employeurs peuvent être de mauvaise foi. Je pense que le code, à son article 41, impose une obligation de négociation, de diligence et de bonne foi aux deux parties et qu'il prévoit par ailleurs, à l'article 126, des pénalités qui sont des pénalités générales s'appliquant à tout le monde. Finalement quant à la peine de $500, il s'agit bel et bien d'un maximum de $500. Il faudrait se rappeler qu'il s'agit d'une question, par les tribunaux compétents, d'application de ces peines.

Une dernière question que j'adresserais de façon générale, c'est celle qui touche cette notion de l'équilibre et de recherche difficile dans une société des droits exprimés collectivement et des droits des individus. J'aimerais peut-être entendre — puisque je sais que c'est une préoccupation particulièrement de M. Dufour avec qui, d'ailleurs, j'envisage d'acheter une roulotte bientôt puisque, chaque fois que je me promène dans les colloques au Québec il est tout le temps là — élabore un peu ce point de vue de la difficulté de réconciliation des intérêts à travers des structures et des intérêts de l'individu par lui-même, en ce qui a trait surtout aux griefs et à l'exercice du droit d'appel à l'arbitrage.

M. Dufour: C'est-à-dire que dans votre intervention, M. le ministre, il y a quand même plusieurs mots qui sont sortis: le mot "équilibre", par exemple. Au départ, je pense que notre attaque vis-à-vis du bill 45 tient d'abord dans ce mot. On dit que vous ne créez pas d'équilibre. On devrait peut-être vous rappeler que, depuis des années, le monde patronal demande aussi des amendements au code — on pourrait en énumérer toute une série — d'ailleurs ils sont dans le mémoire.

Nous arrive le bill 45 et je vous cite les grands thèmes de ce projet de loi. La formule Rand, ce n'est sûrement pas à l'avantage des employeurs. La loi "antiscabs", ce n'est sûrement pas à l'avantage des employeurs. L'arbitrage du premier différend non plus, le simulacre de vote de grève au scrutin secret, ce n'est à l'avantage des employeurs.

Donc, dans la loi, on défait l'équilibre traditionnel en donnant à peu près le paquet, je ne dis pas aux travailleurs, mais aux structures syndicales. On le fait souvent au détriment des droits individuels. Je ne vous en cite que quatre ou cinq. La loi "antiscabs"; évidemment, on peut en discuter sur une base économique, mais c'est une question de principe, c'est un droit individuel, un droit de propriété qui est mis en cause. C'est drôle de voir comment sur certaines autres tribunes on peut défendre certaines libertés individuelles; ici, on en a une qui est fondamentale dans notre système, qui est le droit de propriété, et on la balance: Le droit, pour un travailleur qui paie une cotisation syndicale, d'avoir son mot à dire dans une décision qui l'embarque drôlement, la grève. Vous faites disparaître, dans votre projet de loi no 45, la possibilité pour un travailleur individuel, dorénavant, de soumettre lui-même un grief à l'arbitrage; il devra passer par le syndicat.

Vous demandez à un employeur de ne pas conserver à son emploi un travailleur qui, au moment d'une campagne de maraudage syndical, par exemple, travaillerait pour un autre syndicat. Si le syndicat décide de l'expulser, l'employeur n'a pas le choix.

Voici quatre ou cinq libertés individuelles qui sont transférées vis-à-vis du syndicalisme et vis-à-vis des droits collectifs. Ce n'est pas le rôle de l'Etat de faire un tel transfert compte tenu des pouvoirs actuels des structures syndicales. S'il y avait au moins certains avantages conférés aux travailleurs, notamment, sur le plan des libertés individuelles, on pourrait peut-être, mais il n'y en a aucun. Quant à nous, on serait heureux de se faire identifier une seule de ces libertés individuelles confirmée dans le projet de loi no 45.

M. Johnson: Je ferai peut-être une dernière remarque, non pas poser une question. D'abord, je voudrais vous faire remarquer qu'au Québec, depuis 12 ans, il y a eu une douzaine de lois spé-

ciales, des lois qui, toutes, ordonnaient le retour au travail avec un tribunal d'arbitrage ou la fixation de conditions dans la loi elle-même, ou encore la nomination d'un médiateur spécial dont la décision devait être considérée comme finale et nomination d'un médiateur spécial dont la décision devait être considérée comme finale et définitive.

Ces lois spéciales, si on les prend individuellement, au niveau de l'opinion publique, pouvaient peut-être sembler justifiées; je pense, entre autres, à des secteurs aussi névralgiques que les hôpitaux. Cependant, si on fait le cumul de cette législation depuis quelques années, je pense que les salariés au Québec ont appris à développer une certaine appréhension face à l'Etat qui pouvait sembler être d'abord et avant tout le bras politique d'une vision patronale de la réalité des relations de travail. En ce sens, le projet de loi no 45, avec toutes ses imperfections et avec toutes celles qui demeureront possiblement après des amendements, est fondamentalement différent au niveau de ce que j'appellerais la crédibilité de l'Etat en matière de relations de travail.

Pour revenir brièvement sur cette question des droits collectifs et des droits individuels, je vous ferai remarquer que le "closed shop" est une chose qui a été négociée. Je vous ferai remarquer que des employeurs ont signé des conventions collectives incluant des dispositions qui donnaient un pouvoir de vie ou de mort sur le travail par les syndicats; par exemple, pour continuer à travailler dans une entreprise, il faut appartenir au syndicat. D'autre part, on sait que dans certains secteurs — je ne donnerai pas d'exemples, mais il y en a — le syndicat pouvait utiliser ce pouvoir de retrait de la carte de façon également tout à fait arbitraire.

Pourtant, le projet de loi 45 met fin, par un article, à ce type de dispositions. D'autre part — et cela je peux vous l'annoncer comme un amendement, car effectivement il y a une ambiguïté de rédaction — quand on parle d'activités contre son syndicat, on parle, évidemment, d'une activité qui est reliée à la notion de collusion avec l'employeur. Il ne s'agit pas, par définition, d'empêcher les travailleurs de choisir librement leur syndicat. Ce n'est pas parce qu'un syndicat est dans une entreprise qu'il doit y rester à jamais. C'est vrai que le texte est ambigu, mais il sera modifié en ce sens.

Finalement je pourrais peut-être commenter le fait que le vote secret, à mon avis, je ne vois pas en quoi, par définition il favorise la structure syndicale. Je pense qu'il est fondamental. Peut-être avez-vous quelques réserves sur la mécanique lourde, complexe qui sera également l'objet de certains amendements, mais je crois fondamental la notion du vote secret qui, d'ailleurs, existe dans 90% des cas, qui est prévu dans l'immense majorité des syndicats et qui fait partie de la pratique courante dans la majorité des syndicats.

Par exemple, dans le cas de certains syndicats dans le secteur public, une grève ne peut pas être déclenchée sans un scrutin secret de 66%. C'est la même chose, si je ne m'abuse, pour les métallos; c'est la même chose pour le syndicat des professeurs de l'Université de Montréal; c'est le cas dans plusieurs secteurs. En ce sens, le vote secret est introduit dans cette loi comme obligatoire, même si nous savons qu'il est exercé dans la majorité des cas. Il y a là une valeur de message dans cette notion de l'obligation du vote secret que nous introduisons. Je pense que c'est là, d'abord et avant tout, pour permettre aux humains, aux êtres individuels d'exercer dans leur conscience, avec leurs responsabilités, ce choix de prendre une décision aussi importante que celle d'avoir recours à la grève ou pas.

En ce sens, je pense qu'il s'agit là d'une chose fondamentale au niveau de cette notion du respect des droits des travailleurs comme individus, indépendamment des structures auxquelles ils appartiennent.

M. Dufour: M. le ministre, dans votre première intervention, vous avez référé à onze ou douze lois spéciales connues au cours des dernières années. Je partage entièrement votre point de vue à l'effet qu'il y en a eu trop. Mais on devrait probablement vous rappeler que c'est purement ou à peu près dans les secteurs public et parapublic. Il y a eu la construction. Or, le défaut fondamental du projet de loi 45, c'est de n'apporter rien de neuf, justement, dans les mécanismes de négociation dans la fonction publique et parapublique.

Vous allez me répondre: II y a la commission Martin. Quand même, les vrais problèmes de relations de travail au Québec, ils existent dans les secteurs qui relèvent de l'autorité gouvernementale et, finalement, vous n'apportez rien comme réponse dans le projet de loi 45.

Quant à l'article 38, et le "closed shop", je vous signale qu'on n'est pas en désaccord avec la première partie de l'article. On l'a toujours appuyé et on l'appuie dans le mémoire. Ce à quoi on en a dans cet article, c'est lorsque vous faites référence après aux activités directes, indirectes, etc. Quand les centrales syndicales disent que finalement ce sont des nids pour du juridique, vous en avez un exemple ici. Comment voulez-vous décrire une activité directe ou indirecte ou même la collusion? Quant au vote de grève, je vais demander à un autre collègue d'en parler. Quand on dit, nous, que c'est un simulacre, c'est que ce que vous faites — vous venez de l'exprimer — c'est confirmer ce que les centrales syndicales nous disent depuis trois mois sur la place publique.

Cela existe déjà, c'est déjà dans nos statuts, c'est déjà dans nos règlements. Mais vous n'entourez pas tout le vote de grève au scrutin secret des dispositions que vous recommande notamment le Barreau, que vous recommande l'ensemble des gens qui sont préoccupés de cette question. Surtout, vous ne pouvez pas parler d'assurer la liberté individuelle quand vous acceptez que le vote de grève, même s'il est au scrutin secret, ne soit pas surveillé par une instance extérieure au syndicat, quand, deuxièmement, dans une situation de formule Rand, vous empêchez les gens qui ne sont pas membres du syndicat de participer à ce qui les engage drôlement, et quand, surtout,

vous ne mettez même pas de pourcentage obligatoire. Vous allez revivre exactement les mêmes situations où 200 gars décident pour 5000 travailleurs.

M. Johnson: On a élu des commissaires scolaires sur l'île de Montréal avec moins de 17% de la population.

M. Dufour: Oui, mais ils ne sont pas obligés de payer une formule Rand.

M. Johnson: Ils payent des impôts scolaires, par exemple.

M. Chevrette: Ils peuvent entamer des budgets.

M. Johnson: On pourra peut-être revenir là-dessus cet après-midi.

M. Dufour: On reviendra.

M. Johnson: M. le Président, je veux bien permettre à l'Opposition d'amorcer une première série de questions.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: J'aimerais, en premier lieu, remercier nos invités pour non seulement un excellent mémoire, une excellente présentation, mais aussi pour les réponses qui, dans certains cas au moins, ont ajouté des éléments nouveaux, du moins pour votre humble serviteur, à l'ensemble du débat sur les questions touchées par la loi 45.

J'aimerais aborder un certain nombre de questions. Je n'aurai pas le temps de le faire entièrement d'ici 13 heures mais, en premier, j'aimerais apporter certaines questions sur la question de la partie antiscabs ou antibriseurs de grève, et la question de la violence dans les relations de travail. Avant de poser ma question, je peux à peine résister à l'occasion que le mémoire nous offre de démontrer — et ce sera peut-être la seule fois — que des parlementaires savent mieux compter que le Conseil du patronat. Il y a peut-être une erreur de frappe, à la page 6, où vous avez un pourcentage qui est dix fois trop gros, puisque 3% de 2% fait .06% et non pas .6%. Votre argument est d'autant plus fort pour cela. Vous reconnaîtrez que la tentation était trop grande.

Sur cette question, et pour revenir à des choses sérieuses, de l'importance des briseurs de grèves dans le sens technique dans lequel la loi aborde la définition de briseurs de grève, ce ne sont certainement pas des briseurs de jambes. Il y a une certaine confusion dans le public entre la violence et les briseurs de grève. Je crois que c'est une confusion qui doit être clarifiée. Pour ce qui est des pourcentages que vous citez, est-ce qu'à votre connaissance ces choses sont contestées par qui que ce soit ou si c'est un terrain commun, qu'on admet, autrement dit, en autant que vous le sachiez, de tous côtés, qu'effectivement le phé- nomène des briseurs de grèves en est un très minoritaire comme pratique actuelle?

M. Des Marais: Je pense qu'on ne peut que répéter que, si on élimine des services publics où il y a eu beaucoup de grèves, on ne retrouve habituellement pas des briseurs de grève là, dans le sens large du mot. Dans les grandes entreprises, pas très souvent. Dans la petite entreprise, peut-être un peu plus souvent, mais pas beaucoup. Ces chiffres ne sont pas nos chiffres. Ils sont peut-être mal interprétés. Ce sont les chiffres qu'a émis le ministre de la Justice. La base de notre argument n'est pas tellement dans le nombre, quoique le nombre nous dise que ce n'est peut-être pas un si grand problème que cela, mais c'est d'appliquer une mesure tel que le prévoit la loi no 45 sur les briseurs de grève. Cela n'enlèvera pas le but que nous poursuivons, sans doute, tous ensemble, d'éliminer la violence dans les conflits. D'ailleurs nous avons une très longue liste de conflits que vous connaissez où il n'y avait pas un seul "scab", un seul briseur de grève et où, à partir du moment où a été déclenchée la grève, il a commencé à y avoir de la violence, du vandalisme. Nous avons eu de nombreux exemples au cours des quatre ou cinq dernières années, autant dans le domaine public que dans le domaine privé.

M. Forget: Autrement dit, on pourrait dire qu'il peut y avoir des briseurs de grève sans violence et il peut y avoir la violence sans briseurs de grève. Il n'y a pas de lien nécessaire entre les deux. La violence c'est un phénomène plus répandu que le phénomène de briseurs de grève.

M. Des Marais: M. le Président, sans l'ombre d'un doute. Reprenons des cas dans le domaine public. Au moment où les pompiers de Montréal se sont mis illégalement en grève, est-ce qu'il y avait des "scabs"? Il n'y en avait pas de "scabs". Il y a eu de la violence. Au moment où les policiers ont posé des gestes certainement répréhensibles, il n'y avait pas de "scabs". Il y a eu de la violence. Au moment où plus près — je ne peux manquer d'utiliser cet exemple — de moi, dans une grève absolument légale à ville d'Outremont, l'été dernier, où il n'y avait pas de "scabs", il n'y avait pas de briseurs de grève, où c'était bien entendu avec le syndicat que, du moment que la grève était déclenchée, il n'y avait aucun effort de fait de la part de l'employeur pour tenter de continuer aucun des services donnés à la population, dans les premières minutes qui ont suivi le déclenchement de la grève, cela a été du vandalisme, de la violence pendant sept semaines.

M. Forget: Pour cette question de la violence qui, sans aucun doute, préoccupe tous les observateurs de la scène des relations de travail — dans votre mémoire il y a un certain nombre de suggestions — est-ce qu'il y a eu des tentatives faites soit par les membres du Conseil consultatif du travail, soit par le Conseil du patronat ou d'autres organismes patronaux en conjonction avec des organismes syndicaux pour essayer de définir en

quelque sorte un certain code d'éthique relativement à un certain nombre de pratiques qui engendrent la violence ou qui peuvent engendrer à certains moments de la violence? On parle, d'un côté, des agences de sécurité; d'autre part, des problèmes allant alentour du piquetage, de l'interprétation du piquetage, de sa portée, etc. Est-ce qu'il y a eu des tentatives qui ont été faites entre les parties en présence sur le marché du travail par leur porte-parole officiel pour en venir à des règles du jeu qui seraient acceptées par les deux côtés?

M. Des Marais: M. le Président, la réponse est non. C'est certainement un projet qui devrait être étudié par les membres qui siègent au CCTM.

Vous pourrez — je vous le suggère respectueusement — poser la question à la partie syndicale qui sera ici jeudi. Au moment où on en parle de façon informelle, ces gens nous répondent que ce ne sont pas eux qui créent la violence, c'est un état de frustration qui est amené chez leurs membres pour toutes sortes de bonnes raisons qui crée un climat propice à la violence, ce sont les mauvais agents de sécurité — et il y en a sans doute mais, de façon générale — qui provoquent les employés ou les ouvriers sur la ligne de piquetage.

Cela va beaucoup plus loin, c'est un état d'esprit où, au Québec, depuis plusieurs années, on tient pour acquis qu'au moment où il y a un conflit ouvrier, les lois habituellement en vigueur ne s'appliquent plus, c'est-à-dire qu'on peut casser la gueule de son voisin durant une grève et s'en tirer, on peut collectivement briser des choses, endommager la propriété privée et s'en tirer. D'ailleurs, dans ce domaine, il y a aussi tellement d'exemples de gestes qui seraient posés hors d'une grève qui amèneraient automatiquement quelqu'un en cour, où les policiers procéderaient à une poursuite: par contre, en situation de grève ou de lock-out, tout est permis. C'est beaucoup plus un état d'esprit, effectivement, de déterminer les droits et les responsabilités de chacun, l'employeur ayant sans doute des droits et les employés membres d'une unité de négociation ayant sans doute aussi le droit d'informer le public — comme c'est la base du principe de piquetage — qu'il y a là un conflit de travail et non d'établir une barrière physique pour empêcher toute suite dans les opérations.

M. Forget: Est-ce qu'on pourrait affirmer, à la suite de votre réponse, que le Conseil du patronat serait disposé à entreprendre de pareilles discussions avec le mouvement syndical si, d'autre part — et on va le lui demander sûrement — il y avait, de ce côté-là, le désir de régler cela peut-être même sans qu'il soit nécessaire de légiférer? Je pense que, dans ces domaines, les lois suivent plus facilement les moeurs que le contraire. Il est clair qu'il y a un problème réel qui préoccupe tout le monde. Sans savoir qui a apporté le microbe, on peut s'entendre pour guérir la maladie ensemble. A ce point de vue, je pense que ce serait peut-être un élément très positif à part les travaux qui se déroulent à l'Assemblée nationale qui, eux, ne sont pas toujours positifs, qui essaient de l'être, ce serait un élément positif de la part des deux partenaires, sur le marché du travail, d'essayer d'établir des règles du jeu; mais ce n'est qu'une suggestion. On reposera certainement la question à vos contreparties.

Vous avez parlé des premières négociations. J'aimerais bien que M. Des Marais ou M. Massi-cotte, qui a fait quelques remarques fort intéressantes sur le mécanisme prévu par la loi à ce sujet, nous expliquent la signification qu'a cette première convention selon eux. C'est une question d'appréciation, bien sûr. Si le ministre a décidé d'introduire cette mesure dans un projet de loi, c'est qu'il envisage qu'il existe un problème particulier. Du côté patronal, j'aimerais savoir quelle est la signification que vous attachez à cette première étape, à ce premier contact en quelque sorte entre un syndicat et l'employeur.

M. Des Marais: Je demanderais peut-être à Me Massicotte de répondre.

M. Massicotte: M. le Président, je pense que la première réaction, c'est celle que le Conseil du patronat vous a donnée, c'est l'ingérence de l'Etat dans ce domaine. La première convention collective, à mon sens et selon l'expérience que j'ai un peu de la négociation, n'est pas plus difficile à négocier que la deuxième ou la troisième ou la quatrième. Je ne connais pas d'exemple ou, du moins, je ne connais pas, si vous voulez, les faits qui amènent le gouvernement à suggérer que, lors d'une première convention collective, si les parties sont en grève, son contenu soit imposé par un conseil d'arbitrage.

D'abord, il y a une chose certaine, du moins du côté patronal, c'est qu'on considère que peut-être on veut substituer les décisions d'un conseil d'arbitrage aux décisions qui appartiennent en propre à un employeur. Je vois mal un conseil d'arbitrage, surtout avec le genre de composition que la loi prévoit, déterminer pendant un an les clauses d'ancienneté, par exemple.

Le conseil d'arbitrage peut être complètement ignorant du fonctionnement pratique de l'entreprise, de la relation ou de la non-relation entre les différentes occupations à l'intérieur d'une entreprise; un conseil d'arbitrage pourrait, par exemple, parce qu'il a confiance dans le principe de l'ancienneté, déclarer que dans la convention collective de la compagnie X et du syndicat Y, il y aura une ancienneté stricte en matière de promotion, en matière de mise à pied, en matière de transfert, etc., sans avoir tenu compte des faits ou des particularités de l'entreprise. Je pense que les praticiens dans ce domaine savent qu'une clause d'ancienneté peut mettre une entreprise, particulièrement une petite entreprise, en faillite, si vous avez une clause d'ancienneté stricte.

Le ministre a suggéré tout à l'heure la possibilité que, dès que la commission d'arbitrage est formée, la grève ou le "lock-out" se termine, selon ce qu'on l'a appelé dans certains milieux, et que la commission d'arbitrage rende une décision intérimaire. Dire: Retournez au travail, on se penche sur votre problème et on va vous décider ce qu'il doit y avoir dans la convention collective.

Si je reviens à la Colombie-Britannique, au moins dans la législation de la Colombie-Britannique, on a donné à la commission des relations de travail certains critères pour déterminer quel serait le contenu de la première convention collective. On a dit: Vous ferez des comparaisons avec des secteurs comparables. Vous ferez telle et telle chose. Ici, nous n'avons rien de cela. Cela va être laissé, jusqu'à un certain point, de la façon que je comprends le bill 45, à l'arbitraire du conseil d'arbitrage. C'est un conseil d'arbitrage à trois membres, ce sera la décision du président et cela dépendra évidemment de la valeur des personnes que l'employeur et le syndicat auront nommées au conseil d'arbitrage. C'est tout cela qui nous pousse à avoir des inquiétudes.

Ce qui nous pousse surtout à avoir des inquiétudes, moi personnellement, c'est l'enquêteur, avec tous les pouvoirs de la loi sur les commissions d'enquête, c'est-à-dire l'enquêteur qui est accusateur, qui est procureur, qui est juge, qui est tout ce que vous voulez, et à qui on ne pourra pas faire valoir si on est de mauvaise foi ou si on n'est pas de mauvaise foi. Il va faire son rapport au ministre, cela finit là. La commission d'arbitrage ne pourra même pas savoir si l'employeur ou le syndicat a agi de mauvaise foi dans ces négociations. C'est tout cela qui nous inquiète.

Le Président (M. Clair): Messieurs, il est treize heures, nous devrions reprendre nos travaux vers seize heures trente, mais pour l'instant, nous ajournons nos travaux sine die, en attendant un ordre de la Chambre, cet après-midi. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 58)

Reprise de la séance à 16 h 40

Le Président (M. Clair): A l'ordre, messieurs!

La commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration est réunie pour procéder à l'étude article par article du projet de loi no 45 intitulé: Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre. Conformément à une entente intervenue entre les partis représentés à l'Assemblée nationale, nous entendrons les membres du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Les membres de la commission, s'il n'y a pas de changement, seront les mêmes que lors de la séance de ce matin.

M. Forget: Oui. M. Ciaccia...

Le Président (M. Clair): Alors allons-y. M. Bellemare (Johnson), M. Bisaillon (Sainte-Marie), et M. Brochu (Richmond), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Couture (Saint-Henri), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Forget (Saint-Laurent), M. Gosselin (Sherbrooke), M. Johnson (Anjou), M. Jolivet (Laviolette), M. Lacoste (Sainte-Anne), M. Laplante (Bourassa), M. Lavigne (Beauharnois), M. Raynauld (Outremont) remplace M. Mackasey (Notre-Dame-de-Grâce); c'est bien cela? M. Mercier (Berthier) remplace M. Marois (Laporte); M. O'Gallagher (Robert Baldwin) remplace M. Pagé (Portneuf); M. Roy (Beauce-Sud).

Au moment où nous avons ajourné nos travaux, plus tôt dans la journée, la parole était au député de Saint-Laurent. Avant d'accorder la parole au député de Saint-Laurent, je voudrais inviter tous les intervenants à être le plus brefs possible dans leurs questions. Nous aurons largement l'occasion de faire des commentaires sur chacun des articles au moment de faire l'étude article par article du projet de loi.

M. le député de Saint-Laurent, vous aviez déjà pris une quinzaine de minutes. Juste à titre indicatif, je pense qu'une dizaine d'autres minutes, avant d'entamer la liste des députés qui ont manifesté le désir d'intervenir, serait convenable.

M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci, M. le Président.

M. Couture: Vous n'êtes pas obligé de prendre vos quinze minutes.

M. Forget: Je ne suis pas obligé. Je vais essayer de m'y restreindre, M. le Président. J'avais commencé une question sur la première convention et on a donné, à ce moment-là, une réponse qui peut paraître surprenante pour les non-initiés du moins, réponse selon laquelle la première convention n'est pas nécessairement plus difficile que la deuxième ou la troisième. C'est peut-être le cas dans un certain nombre de situations concrètes. Le Conseil du patronat, ou un autre des organismes qui sont devant nous, pourrait-il nous dire comment, dans les faits, on peut évaluer la difficulté de la conclusion d'une première convention

collective? Par exemple, est-ce qu'une proportion relativement plus forte des conflits, des grèves, des lock-out se produit à l'occasion d'une première convention collective? Parce que, encore une fois, pour les non-initiés, on a souvent l'impression qu'il y a là un problème. Et je suis un peu surpris qu'on nous dise: Non, il n'en est rien, c'est un problème comme les autres, c'est une négociation comme les autres. Pourriez-vous nous éclairer là-dessus?

M. Dufour: Je vais demander à M. Massicotte de répondre. En tout cas, je pense que la question est bien posée. Il faudrait probablement demander au ministre du Travail qui a glissé cette proposition dans le projet de loi 45 de nous le dire, mais il faut sûrement faire une distinction entre les grandes entreprises et les petites et moyennes entreprises. Dans les grandes, il y a déjà ce qu'on appelle un "pattern Bargaining" qui est déjà établi. C'est bien sûr que l'employeur, à moins de lutter pour un certain nombre de principes, si c'est purement au niveau des clauses salariales par exemple, on va éviter les grèves; c'est évident.

Au niveau des PME, je ne pense d'ailleurs pas qu'il y ait des chiffres au niveau du ministère qui existent là-dessus, en tout cas, le ministre pourra y répondre; mais je pense que cela revient à ce qu'on disait ce matin. Ce n'est pas tellement la situation actuelle qu'il faut envisager, c'est la situation à venir, considérant que, dorénavant, comme on l'exprimait ce matin, le syndicalisme n'aura jamais rien à perdre à faire la grève. Il peut demander n'importe quoi et finalement, à ce moment-là, il sait que ce sera un arbitre qui réglera éventuellement le problème. On a souvent dit dans notre mémoire que toutes les propositions sont intégrées. Il ne faut pas oublier non plus que vous avez une autre disposition dans le projet de loi 45 qui prévoit que, dorénavant, on pourra déclencher un vote d'accréditation lorsqu'on aura 35% des cartes de membres signées au lieu de 50%. C'est présenté par le syndicalisme... par le gouvernement, comme devant accentuer le syndicalisme. Lapsus qui n'était peut-être pas tellement discutable.

Mais vous avez là une autre ouveture qui permettra des accréditations additionnelles et qui amplifiera, éventuellement, le problème des grèves possibles. C'est sur le plan purement théorique. Au plan pratique, dans le concret, Me Massicotte, qui est un praticien, pourra compléter.

M. Massicotte: M. le Président, je peux simplement me baser sur mon expérience personnelle dans les négociations. J'oserais m'aventurer à dire qu'il y a moins de conflits — sans avoir de statistiques précises mais en me basant sur mon expérience de quelques années — qu'il y a moins de conflits à l'occasion de la première convention collective qu'il y en a à l'occasion des renouvellements. On dirait que les syndicats et les employeurs font face à la première convention collective. Ils ont envie d'en finir le plus tôt possible. Les négociations sont évidemment peut-être un peu plus dures à l'occasion d'une première convention collective parce que c'est tout nouveau pour l'employeur et aussi pour les employés, pas pour les représentants des employés. A ce moment-là, l'expérience semble indiquer, même s'il n'y a pas de statistiques disponibles à ce sujet, qu'il y a moins de conflits à l'occasion d'une première convention qu'à l'occasion de ces renouvellements.

M. Forget: Dans le contexte de vos remarques sur les mécanismes envisagés pour la loi lors de la conclusion ou de la non-conclusion d'une première convention collective, et l'intervention du ministre... Sans vous demander d'accepter ce que vous jugez en principe inacceptable, il reste que, pour explorer avec vous différentes possibilités, le ministre a indiqué ce matin qu'il pouvait envisager que cette règle soit assortie d'une condition de retour au travail. Vous avez souligné que, malgré tout et malgré cette disposition, il restait que, pour le syndicat, c'était pile je gagne, et face le patron perd. Ceci dans une certaine mesure puisqu'il y a toujours une possibilité de gain par l'arbitrage. Pour éviter que ce soit utilisé à des fins stratégiques parce que, dans le fond, c'est ce que vous disiez, si la formule de l'arbitrage devait être maintenue, ne serait-il pas plus acceptable d'envisager que l'arbitre ait le choix entre deux possibilités seulement? C'est-à-dire soit de prendre l'une ou l'autre des dernières offres ou des dernières demandes de l'une ou l'autre des parties.

M. Dufour: On a déjà eu l'occasion, au conseil, de se prononcer sur cette formule qu'on appelle le "final offer selection" ou le choix de la dernière offre, et on l'a refusée. Parce qu'à ce moment-là, comme on le mentionnait ce matin, vous pouvez mélanger des clauses monétaires avec des clauses d'ancienneté et pour l'employeur cela peut justement être les clauses d'ancienneté où la procédure d'arbitrage de grief est importante. Alors que cela peut être le monétaire pour le syndicat. Comment vont se faire les stratégies?

Cette formule qui existe aux Etats-Unis a d'ailleurs été très peu utilisée jusqu'à maintenant. Cela pourrait être un objet d'étude, si vous permettez, M. le député, mais la réaction rapide du conseil a été de refuser le choix de la dernière offre. Je ne pense pas que, même au niveau gouvernemental, on se prêterait à ce genre de formule d'arbitrage des différends dans le contexte de la formule actuelle.

M. Forget: Un autre sujet. Le Conseil du patronat, dans son mémoire, suggère, exhorte même, le gouvernement et le ministre, à différer l'adoption finale de ce projet de loi, de manière à se donner une meilleure vue d'ensemble des réformes sur l'ensemble du droit de travail qui devrait être introduit. J'aimerais savoir si c'est... Je vais y aller très directement mais c'est délibérément que je le fais pour vous provoquer là-dessus... Mais on pourrait facilement dire que c'est une mesure dilatoire, les mêmes problèmes se poseront dans quelques mois. Dans le fond, on ne gagnerait rien, ni l'ensemble de la population, ni le gouvernement, par un délai additionnel.

Croyez-vous vraiment que, d'une part, en considérant le problème dans son ensemble, les possibilités — d'une façon réaliste — d'en arriver à des solutions qui soient les moins contestables possible — je pense bien qu'on n'aura jamais l'accord complet — mais des chances d'arriver à quelque chose qui soit une solution d'ensemble, pour autant qu'on peut trouver une solution d'ensemble, mais une réforme en profondeur de l'ensemble du droit du travail, que ce serait plus probable d'obtenir cette espèce de consensus que de procéder d'abord, comme semble le vouloir le ministre, par une réforme partielle et, après cela, la faire suivre d'une réforme de plus d'envergure? J'aimerais que vous répondiez à cela, non pas seulement théoriquement, mais quant à votre propre attitude, comme Conseil du patronat en face de ces deux options, parce qu'il est clair qu'il y aurait aussi des problèmes de conscience lors d'une révision d'ensemble du Code du travail, et est-ce que vous croyez sincèrement qu'il vous serait plus facile d'accepter une révision d'ensemble qu'une révision partielle?

M. Des Marais: M. le Président, la réponse est non. Nous ne cherchons d'aucune façon un délai pour le délai, il faut se rappeler que, quand nous avons répondu à l'invitation du gouvernement au sommet économique, il a été question de ces choses. Nous avions demandé très clairement au premier ministre un moratoire d'un an de façon à pouvoir revoir cette question. La réponse du premier ministre a été très claire à ce moment, c'était non! Cependant, nous avions compris, en quittant le sommet économique, qu'il n'y aurait pas de changement majeur dans un court délai et ce fut à notre grande surprise en effet que nous avons appris la présentation du projet de loi 45. En conséquence, on peut se poser la question. Quels seraient les dangers d'un délai additionnel pour d'abord raffiner le projet de loi tel qu'il est présenté? Je le répète, sur certains des aspects du projet, nous n'avons pas d'objection de principe, c'est plutôt dans l'application qu'on se pose des questions. Mais quelles seraient les pénalités d'un délai de quelques mois ou même de six mois encore d'aujourd'hui, alors que, de façon générale, le climat des relations de travail est meilleur et qu'on peut prévoir qu'il n'y n'y a pas de convention qui vient à échéance, de façon normale, dans les mois qui viennent, qui puisse nous amener dans une période conflictuelle? En conséquence, c'est non au délai et c'est beaucoup basé sur l'attitude absolument unanime du monde patronal quant à notre réaction à ce projet de loi que nous disons: Veuillez, s'il vous plaît, messieurs, revoir toute cette question, passer par le chemin, que ce soit comme nous le proposons, une commission de révision des lois ouvrières ou, comme il a été proposé ce matin par le député de Saint-Laurent une commission de l'Assemblée, ou encore, comme on le voit dans le Star d'aujourd'hui, une espèce de commission royale d'enquête, qui d'ailleurs a déjà été annoncée par le ministre il y a quelques semaines, sinon un mois. Nous pensons qu'il n'y a pas de danger au délai et qu'il y a un avantage pour tout le monde. Les parties seront sensibilisées, la partie patronale de tous les milieux, de la grande entreprise à la très petite entreprise, quelles que soient les différentes tendances idéologiques à l'intérieur des associations patronales, est absolument unanime. Nous, nous sommes prêts, comme nous l'avons fait, je pense, à faire valoir chacun de nos arguments, quel que soit le genre de commission qui serait mise sur pied, elle n'aurait pas à travailler, à notre avis, très longtemps et on pourrait en arriver — on ne serait peut-être pas complètement satisfait du résultat éventuel — à un meilleur consensus que celui auquel on veut nous faire face aujourd'hui.

M. Forget: Une dernière question, M. le Président. Devant cete argumentation, je crois ne pas faire de fausse représentation en disant: Le gouvernement, le ministre vous disent que le climat sera encore meilleur si on adopte ce projet de loi qui est de nature à accorder certaines choses, à consacrer dans la loi certaines choses qui vont de soi et à diminuer les possibilités de violence dans les conflits; alors, avec un meilleur climat, on va pouvoir faire une revue de l'ensemble des lois du travail, dans des conditions optimales. Croyez-vous qu'effectivement ce projet de loi peut contribuer à améliorer le climat des négociations, peut diminuer la violence et ainsi rendre plus facile la réalisation du but que tout le monde souhaite?

M. Dufour: M. le Président, ce matin, M. le député de Saint-Laurent a lui-même corrigé le chiffre de notre mémoire pour dire que c'était 0.03, ce qui veut dire que, finalement, par la loi antiscabs, on ne réglera pas beaucoup de problèmes; ce n'est pas là qu'est la violence. Ce qu'on n'a pas tellement exploré ce matin, c'est qu'on semble rattacher la notion de violence à grève. Ce n'est absolument pas le cas dans le domaine des relations du travail au Québec. C'est bien avant la grève qu'il y a de la violence au Québec, dans le domaine des relations du travail. Il faut quand même se rappeler toutes les méthodes de harcèlement qui ne sont pas propres au secteur privé; vous connaissez ce problème dans le secteur public et parapublic. On peut énumérer et on énumérera tantôt toute une série de cas qui ont appelé de la violence avant même que la grève soit déclenchée et, on l'a dit ce matin, cela n'avait souvent rien à voir avec des cas éventuels où on embaucherait des scabs. Ce qu'on dit là-dessus, c'est que l'ensemble de la loi est peut-être bon, finalement, et on n'a peut-être pas à rechercher une nouvelle loi pour régler le problème de la violence dans le domaine des relations du travail.

Notre problème fondamental au Québec, c'est que les lois du travail ne sont pas observées; elles ne sont souvent pas observées par l'Etat employeur et cela a souvent été dit. On peut rappeler ce qui s'est passé dans certains secteurs comme celui de la construction et on a assisté récemment, il y a huit mois, à la décision gouvernementale de balayer d'un revers de la main toutes les poursuites qui avaient finalement été entreprises à l'occasion de gestes illégaux commis dans certaines

grèves qu'on connaît bien. Donc, on sait, on a créé au Québec une espèce de climat où la législation, quand on est dans le domaine des relations du travail, cela n'existe plus, alors que, dans tous les autres secteurs, comme citoyen, cela existe. Ce que l'on dit, c'est que, finalement, au lieu de modifier, d'additionner, de demander aux partenaires de s'intégrer dans le nouveau concept, il y a peut-être lieu, au départ, d'appliquer la loi — parce que, tous les employeurs sont d'accord pour le dire, la loi n'est pas appliquée — et de peut-être définir les principes de relations du travail qu'on a déjà et qui ne sont vraiment pas conçus de la même façon par les petites. On parlait du piquetage, ce matin; il est bien évident que, tant et aussi longtemps que le piquetage sera interprété, par le syndicalisme, comme étant de bloquer l'entrée à l'entreprise, on va avoir de la violence, mais ce n'est pas cela le piquetage, ce n'est vraiment pas cela. Même chose avec le boycottage secondaire, il n'y a pas de législation là-dessus, mais pourtant, ce sont des concepts avec lesquels on vit à longueur d'année dans le domaine des relations du travail.

Tout cela pour dire, M. le Président, que la violence, telle qu'on semble vouloir la régler dans le projet de loi 45, c'est-à-dire exclusivement par la disposition antiscabs, ne règle absolument rien.

Le Président (M. Clair): M. le député de Richmond.

M. Brochu: Je pense que monsieur avait une réponse additionnelle à donner.

Le Président (M. Clair): M. Doyle.

M. Doyle: Juste un mot, M. le Président. Il me semble que, si on procède à l'adoption d'une telle loi et qu'un peu plus tard, on procède à la révision ou à la réforme du Code du travail que, déjà, on aura consacré, dans la loi, un autre groupe de soi-disant droits acquis et on doit reconsidérer l'effet mutuel de ces différentes lois. A ce moment, il faut reconsidérer ce qu'on va adopter dans ce projet de loi parce que les deux sont intimement liés.

Le Président (M. Clair): M. le député de Richmond.

M. Brochu: Merci, M. le Président. Dans le mémoire qui nous a été présenté ce matin, on a fait état de trois points majeurs — à part d'autres aussi — qui semblaient présenter des effets possiblement désastreux pour la PME; on a parlé, à certains égards, de la loi antiscabs; on a parlé de la formule Rand; on a parlé des dispositions relatives à la première convention collective et je pense — on me corrigera si je suis dans l'erreur à ce sujet — que c'est là le principal point, le point majeur d'où certains problèmes naissent. Ceci pour dire que vous avez, à un moment donné, fait état aussi de toute la question de la définition de la bonne foi. Je pense qu'on touche à un aspect assez important et en même temps difficile à cerner.

J'aimerais, à ce stade-ci, si c'était possible, que vous nous donniez davantage votre point de vue sur cette question de la bonne foi qu'il est souhaitable de déceler chez les parties en cause et de quelle façon. Avez-vous prévu une façon de l'incorporer dans une législation? De quelle façon tracer la ligne — autrement dit — dans cette question de bonne foi, parce que ce sentier n'est pas facile à explorer. Où commence-t-on, où arrête-ton, de quelle façon peut-on se doter d'un mécanisme qui nous permette de juger de cette fameuse bonne foi? Là, on y fait appel, mais selon une notion très générale. Je comprends que ce soit un objectif très louable, mais lorsqu'on pense en termes d'application, est-ce que, dans vos discussions, vous êtes allés plus loin de ce côté et avez-vous certaines indications à nous donner?

M. Dufour: Je vais demander à Me Tobin de renchérir, mais on a déjà discuté de cette question avec le ministre du Travail lui-même, toute cette question de bonne foi dans certains conflits qu'on a connus au cours de l'été. Finalement, on en est arrivé à conclure que le Code du travail actuel, qui est basé sur la négociation de bonne foi, est inapplicable parce qu'on ne réussit pas à cerner ce qu'est la bonne foi. C'est cela qui nous pose un problème vis-à-vis de l'arbitrage du premier différend. Actuellement, on ne peut poursuivre un employeur ou un syndicat parce qu'on n'est pas tout à fait capable d'affirmer qu'il a négocié de mauvaise foi. On garde les mêmes termes dans le projet de loi 45, on dit: Dorénavant ce sera le ministre qui décidera, par l'intermédiaire de son enquêteur, s'il y a eu négociation de bonne foi, de part et d'autre.

On ne voit pas pourquoi, aujourd'hui, la loi ne serait pas applicable. Sans redéfinir les termes, elle le serait plus dans le cadre du projet de loi 45... Effectivement, dans notre mémoire, on demande au ministère du Travail ou au ministre de mieux définir ce que peut être la bonne foi, mais tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas certains critères là-dessus, vous avez parfaitement raison, on n'aura rien changé à la situation actuelle.

M. Tobin (Edmund E.): M. le Président, pour ce qui est de cette question de bonne foi, je pense que la notion de bonne foi pourrait d'abord se comparer, très rapidement, à la simple question d'unité de négociation appropriée. Si on regarde dans le Code du travail, on constate que l'accréditation est accordée selon des règles touchant l'unité de négociation appropriée. Il y a très peu qui soit mentionné dans le Code du travail concernant l'unité de négociation appropriée. Ce sont presque des cas d'espèce. Avec le temps, la jurisprudence a fait en sorte que, dans tel genre d'industrie, l'unité de négociation, normalement, colle à une certaine réalité.

On voit que cela varie d'une entreprise à l'autre, d'un secteur industriel à l'autre. Il y a une gamme de décisions prises par nos commissaires-enquêteurs, ici au Québec, qui font les distinctions qui s'imposent, chaque jour, selon l'entreprise qui est à l'étude à ce moment-là.

Pour ce qui est de la notion de bonne foi dans une négociation, Me Massiootte en parlait tantôt lorsqu'on parlait d'arbitrage dans le cas d'un premier différend, cette notion de bonne foi est, par la force des choses, une question très subjective qu'on laisserait à la détermination de quelqu'un qui serait mandaté par le ministre selon des paramètres qui, pour le moment du moins, seraient nécessairement assez personnels; ils ne sont pas du tout définis dans la loi.

Lorsqu'il y a eu des décisions sur la bonne foi dans les négociations, il y en a eu quelques-unes — je pense surtout à certaines décisions à l'extérieur du Québec — on a été obligé de scruter le déroulement de la négociation presque au pas pour décider si, dans une certaine négociation, l'employeur a démontré la bonne foi requise par cette loi ou, selon le cas, le syndicat.

A la longue, on est presque obligé de constater qu'il serait très difficile de donner tous les détails voulus des paramètres de la bonne foi. Je donnerai comme exemple le cas des unités de négociation appropriées qui sont aussi mentionnées au Code du travail. A la suite d'une certaine évolution collée à une certaine réalité industrielle, on en est venu à tirer certains paramètres.

Mais c'est très difficile de marquer bonne foi ici, et je pense encore à ce que disait Me Massi-cotte, ce matin, lorsqu'on donnerait comme seul critère de bonne foi, à un représentant, si on veut, du ministère, sans en même temps lui donner quelques autres paramètres, parce que sa décision est nécessairement très importante et les retombées de son rapport au ministre sont nécessairement d'un intérêt capital pour les parties à longue échéance.

M. Brochu: Oui, parce qu'étant difficilement cernable, il ne faudrait pas qu'elle prête flanc non plus à une critique, si on veut l'inclure, à un moment donné, dans un projet de loi et qu'on ne peut pas suffisamment l'étayer. Je comprends qu'en soi, la notion est difficile à établir.

On aura l'occasion, de toute façon, de revenir sur ce sujet; je vais me conformer pour le moment aux directives du président et faire peut-être un premier tour de table pour revenir. On a beaucoup parlé de la question des contrôles financiers à l'égard des syndicats. A vos yeux, qu'est-ce que cela devrait être et de quelle façon le législateur devrait-il aborder cette question épineuse du contrôle financier de nos syndicats?

M. Dufour: Vous parlez de la formule Rand; avant même de parler de formule Rand, nous disons que les syndicats devraient être au Québec des entités juridiques, au moins au même titre que le sont les entreprises. Etant des entités juridiques au même titre que le sont les entreprises, à ce moment, ils seraient assujettis à un certain nombre de contraintes auxquelles sont assujetties les entreprises en vertu de la première partie ou de la troisième partie de la Loi des compagnies; il y aurait donc au départ une certaine structuration qui éviterait peut-être certains problèmes dans l'application éventuelle de la formule Rand. Ceci étant, au niveau du syndicat, comme entité juridique, quand on arrive à la formule Rand, et cela nous permet de préciser, parce que, souvent peut-être pas nous, mais certains ont voulu donner l'impression qu'on s'opposait à la formule Rand, on ne s'oppose pas aux principes de la formule Rand et je pense que cela doit être très clair, le principe comme tel est achetable, mais à condition qu'il y ait des contrôles. Ces contrôles, on les énumère dans notre mémoire, on est inspiré, si vous voulez, de son auteur, le juge Rand, qui en énonçait cinq ou six, mais il y a certaines particularités, à l'époque des relations du travail qu'on vit, qui exigent qu'il y ait des contrôles, notamment sur l'utilisation des fonds, à titre d'exemple, est-ce que cet argent va servir à la défense des intérêts socioprofessionnels des travailleurs ou s'il va servir à des fins politiques? C'est carrément une question qu'on doit se poser.

M. Brochu: En somme, vous voulez, dans l'ensemble, que la question des privilèges, à ce niveau, soit contrebalancée directement par des responsabilités équivalentes. Là on parle en termes de l'équilibre de force que vous mentionnez dans l'ensemble de votre mémoire.

M. Dufour: Si c'est le législateur qui l'impose, si ce n'est pas le syndicat qui va le chercher chez un employeur par la négociation, cela devient un impôt. Or, il n'y a pas une situation d'imposition par l'Etat d'une taxe, parce que c'en est une, qui ne s'accompagne pas d'un contrôle. Il n'est pas possible qu'on délègue carrément comme cela des pouvoirs sans les accompagner de responsabilités. Au moment où le législateur dit: Vous aurez la possibilité dorénavant — et ce sera automatique, sous peine de congédiement — de prélever des cotisations syndicales, à ce moment, il doit absolument donner la contrepartie et la contrepartie n'est pas purement sur l'utilisation des sommes comme telles, mais elle oscille sur les responsabilités qu'on est prêt à consentir aux travailleurs non syndiqués qui paieront dorénavant une cotisation syndicale. Cette question a quand même deux volets, l'utilisation des sommes, la détermination des cotisations syndicales — actuellement les syndicats sont libres de déterminer les cotisations comme ils veulent, mais, dans une structure Rand, cela devient excessivement différent, alors qu'est-ce qu'on impose, à ce moment, comme contrôle de cet impôt ou de cette taxe que décrète le gouvernement?

Le Président (M. Clair): M. le ministre de l'Immigration.

M. Couture: M. le Président, seulement quelques petits points pour éclaircir des déclarations.

Vous avez parlé du libre jeu des relations du travail et j'ai cru comprendre que vous souhaitiez finalement qu'on laisse les parties établir leur rapport de force au moins au maximum, sans intervenir comme Etat, au moins dans la philosophie générale des relations du travail.

J'aimerais que vous précisiez au moins si vous

pouvez évaluer la responsabilité de l'Etat face à des situations pourries. C'est qu'on se rend compte que, quand l'Etat légifère, c'est souvent pour réparer des situations, y rémédier. Ce n'est pas toujours de gaieté de coeur que l'Etat intervient, ce serait peut-être préférable — tout le monde est pour la vertu — souhaitable que les parties elles-mêmes négocient de bonne foi et arrivent à un contrat sans heurt et sans difficulté.

Mais comment pouvez-vous dire en même temps que vous êtes pour le libre jeu des relations du travail et nous laisser croire que, face à des situations pourries, l'Etat n'aurait pas cette responsabilité de chercher remède à ces situations pourries? Je crois, sans donner d'exemples précis, qu'il y en a eu plusieurs au Québec et la législation que nous apportons, dans l'ensemble, chercher à apporter des éléments de solution à certaines causes qui engendrent ces situations pourries. Est-ce que vous y voyez quand même vous-mêmes un rôle pour l'Etat?

Si vous permettez, je vais donner un deuxième volet, c'est que je vois un peu une contradiction dans vos déclarations. Vous disiez souhaiter que l'Etat intervienne le moins possible dans les relations du travail et, par ailleurs, quand il s'agit de vote secret chez les syndicats, vous nous avez apporté une série de conditions que vous aimeriez voir établir et, à ce moment-là, vous cherchez à ce que l'Etat soit présent et intervienne. Moi, j'y voyais une contradiction, est-ce que vous pourriez nous éclairer là-dessus?

M. Desmarais: M. le Président, je ne sais trop où le ministre trouve exactement ce semblant de contradiction. Nous partageons les mêmes objectifs que le gouvernement, d'avoir les relations du travail les plus harmonieuses possible. Nous ne demandons pas que l'Etat se retire complètement, c'est une responsabilité, l'Etat est au-dessus des deux groupes en présence et surtout au-dessus des citoyens. Je ne pense pas que nous ayons — et si cela a été perçu comme ça, c'est une perception pas très exacte — demandé au gouvernement de se retirer ou à l'Etat de se retirer complètement. En conséquence, je ne vois aucune contradiction quand, au moment où on parle du vote de grève et compte tenu des événements qui se sont produits ou de la façon dont ça fonctionne aujourd'hui, à ce qu'il y ait de la part du ministère ou d'un organisme gouvernemental quelconque, une surveillance de ces votes de grève.

Je ne vois pas exactement, M. le Président, comment M. le ministre a pu interpréter les choses de cette façon. Une fois dit que nous partageons les objectifs, nous croyons bien sincèrement que les méthodes proposées par le projet de loi 45 ne résoudront pas les problèmes sur lesquels nous nous entendons, nous sommes d'accord.

M. Couture: Je prends donc acte que vous acceptez que l'Etat, lors de situations pourries, qu'on...

M. Dufour: C'est quoi une situation pourrie?

M. Couture: Prenons une situation comme celle de Pierreville ou celle du Trust général, qui ont duré quand même de longs mois.

M. Dufour: C'est pourri.

M. Couture: ... On y sentait que les parties n'avaient pas l'instrument nécessaire pour en arriver à dépasser le rapport de force et parvenir à une solution. Je prends note que vous acceptez que l'Etat intervienne. J'aurais une autre...

M. Desmarais: M. le Président, si le ministre me le permettait, il ne faudrait quand même pas nous imputer des volontés qui ne sont pas les nôtres. J'ai dit, au nom des gens que je représente, admettre que l'Etat doive intervenir occasionnellement, mais, quand on nous fait dire que, dans des cas particuliers comme ceux mentionnés...

M. Couture: Je voudrais parler en termes de loi, c'est-à-dire que si, par la pratique, par l'usage, certaines situations difficiles, je pense qu'au Québec, nous en avons vécu un certain nombre. C'est la même chose dans le secteur public. C'est la responsabilité de l'Etat de bonifier et d'améliorer ses instruments au service des parties.

Je voulais quand même être sûr que c'était votre position là-dessus. Autre point, puis je vais arrêter là. J'ai cru comprendre aussi que vous faisiez une distinction entre le syndicat et les travailleurs, dans le sens que vous reprochiez, au gouvernement, dans le projet de loi, de privilégier les syndicats sans tellement apporter quelque chose aux travailleurs.

Pourriez-vous admettre que le syndicalisme, étant l'instrument des travailleurs, si la pratique du syndicalisme peut, dans certains cas, laisser à désirer — on peut faire des évaluations différentes — dans des conditions idéales, où les travailleurs prennent leurs responsabilités, se mobilisent quand il y a une possibilité de conflit, quand ils ont à se prononcer sur une convention collective, sont responsables, possèdent leur syndicat, l'Etat, en favorisant le syndicalisme comme instrument des travailleurs et en l'aidant à assumer ses responsabilités, ne privilégie pas les "establishments" syndicaux, comme on peut peut-être le laisser entendre, mais simplement, privilégie l'instrument des travailleurs, qu'est le syndicalisme, et c'est la responsabilité des travailleurs de contrôler ou d'être des responsables à l'intérieur de ces structures?

M. Doyle: M. le ministre, il me semble que l'Etat peut et doit légiférer sur les règles du jeu, mais des règles du jeu qui seront justes et équitables pour tout le monde. Ces règles du jeu doivent être perçues comme étant justes et équitables pour tout le monde, pour les employés, pour les employeurs, pour les syndicats. Et si la législation qu'on propose d'adopter est perçue comme favorisant indûment les intérêts des syndicats et ne rend pas justice à tout le monde, une telle législation ne sera pas acceptée, ni par les travailleurs, ni

par les employeurs. Elle pourra peut-être être acceptée par des syndicats, mais je suppose que même là, un bon nombre de bons syndicats ne seront pas satisfaits non plus.

M. Couture: Un dernier petit point.

M. Dufour: Si vous le permettez, M. le Président, sur votre question précise d'avantager les structures syndicales plutôt que les travailleurs, si on a bien compris, vous dites finalement que le projet de loi avantage aussi les travailleurs. Nous disons que non. Nous disons que vraiment, c'est un projet de loi qui défait les forces en présence, ou l'équilibre des forces. Cela nous gêne de parler de l'équilibre, parce qu'on a déjà l'impression qu'il est défait, l'équilibre, qu'on ne l'a plus.

Mais prenez simplement la question du vote de grève au scrutin secret. Comment pouvez-vous dire que cette partie du bill 45 avantage les travailleurs? Ce que vous faites finalement, c'est d'imposer purement le vote au scrutin secret. Mais l'enquête CROP dont on parlait ce matin, avec les chiffres si importants qu'on a mentionnés, révèle que 85% de la population interrogée, et c'est le même pourcentage pour les travailleurs syndiqués déclare: II faut que ce vote soit surveillé par le ministère du Travail.

Cela devient drôlement important. Donc, ils ne se sentent pas protégés, par définition, par la loi 45, parce que cela n'y est pas.

Le Président (M. Clair): M. le ministre de l'Immigration.

M. Couture: Je vais terminer, mais on fera nos commentaires à l'étude, article par article, cela donnerait lieu à un long débat. Au sujet de la loi antiscabs, vous apportiez des considérations sur la violence en disant que,finalement, ce n'est pas la présence des scabs qui constitue le point central de la violence sur les lignes de piquetage. Je veux simplement savoir si vous admettez quand même, parce qu'on se rend compte, même si le conflit n'est pas important au point de vue du nombre... C'est pour cela que votre 00.3 n'est pas énorme. Souvent, il s'agit de douze, quinze, vingt ou trente travailleurs. Cependant le conflit est mal perçu par l'opinion publique et les étapes du conflit font mal parfois. L'espèce de perception globale de ce qui se passe peut durer des mois, cela ne se règle pas. Il y a des voleurs de "jobs" à l'intérieur. Ils ne sont pas nombreux, mais parfois cela a un effet sur toute une région. Cela a un effet psychologique sur l'ensemble du climat de travail.

Je veux simplement vous demander si vous admettez quand même, même si le nombre n'est pas important, que le fait de diminuer, au moins dans ces cas précis où la présence de briseurs de grèves engendre la violence; le fait au moins d'éliminer ce facteur, cela n'a pas comme conséquence de rendre plus sain le climat social, même si ce n'est pas important au niveau du nombre.

M. Des Marais: M. le Président, je pense qu'il faudrait prendre des exemples mais cela peut nous engager dans un long débat. Cependant, étant donné que le ministre a mentionné deux cas, je voudrais en retenir un, celui de Pierreville pour lequel on peut se poser la question: Est-ce que cela a nui à la région? Les renseignements que nous avions — je suis convaincu que le ministre le savait quand il occupait ce poste — indiquaient clairement qu'il y avait, à un moment donné, plus d'employés qui travaillaient à l'intérieur de l'usine pendant la grève qu'il n'y en avait avant que la grève ne soit déclenchée ou que la situation ne s'envenime. Cela veut dire qu'au niveau économique, il y a des gens qui souffraient sans doute, mais c'était une minorité. En conséquence, il faut procéder un peu cas par cas, et indiquer, c'est notre très profonde opinion, qu'en adoptant un projet de loi de ce genre, cela ne réglera pas ce dont on parle, c'est-à-dire la violence dans le cas des conflits de travail.

Les conflits, comme le mot l'indique très bien, M. le Président... Bien sûr que quelqu'un doit prendre ses responsabilités. Si les employés décident d'aller en grève, c'est un geste que nous allons présumer avoir été pris de façon claire, nette, précise et décidé démocratiquement. Mais grève, cela ne veut pas dire... On entend trop souvent les rumeurs qui nous parviennent des assemblées au cours desquelles cela est décidé: On va voter la grève et cela ne durera pas longtemps. Une grève, on sait quand cela commence, mais on ne sait pas, ni d'un côté ni de l'autre, quand cela va se terminer. La même chose pour le lock-out quand l'employeur l'utilise. Il sait très bien — il joue avec le feu — quand cela commence, mais lui non plus ne sait pas quand cela va finir.

Encore une fois, M. le Président, nous sommes convaincus que les objectifs qui sont exprimés par le minisrtre, et que nous partageons, ne seront pas atteints en adoptant ce projet de loi tel que présenté.

Le Président (M. Clair): J'ai en lice les députés de Joliette-Montcalm, Robert Baldwin, Laviolette, de même que le ministre qui désirent intervenir pendant les dix ou quinze dernières minutes. Je vous invite, tant dans vos questions que dans vos réponses, à être brefs. M. le député de Joliette-Montcalm.

M. Chevrette: M. le Président, ma question s'adresse à qui que ce soit de ce côté. Je voudrais tout d'abord, au sujet de la loi antiscabs ou antibriseurs de grèves, vous donner certains chiffres que nous avons — par la suite, vous pourrez les commenter — pour démontrer l'importance des scabs dans les conflits où il y en a vraiment eu, au sens propre du terme, pendant la période 1972-1975. Il y a eu 755 conflits dont 27 ont eu des scabs. La moyenne des jours de grève des 755 conflits a été de 36,4 jours, alors que, dans ces 27, il y a eu en moyenne 171 jours de conflit. Déjà, ces chiffres dénotent que, dans les conflits où il y a eu utilisation de scabs, les grèves ont été beaucoup plus longues.

Comment ne pas faire un lien, à ce moment-là, avec certaines connotations de violence, celles

dont on parle depuis le début, quand la grève persiste depuis aussi longtemps? La moyenne parle d'elle-même. Si vous regardez les conflits où il y a eu violence, c'est souvent là où il y a eu des scabs. Exemples: United Aircraft, Canadian Gypsum à Joliette. Je pourrais en donner d'autres que vous connaissez autant que nous autres.

Je me demande pourquoi vous vous refusez carrément à reconnaître cette évidence à partir de ces chiffres-là.

M. Dufour: Si vous vous rappelez, M. le député, au tout début, ce matin, on a établi d'abord que c'était une question de principe, la question de liberté pour l'entreprise de tenter de fonctionner au mieux, même avec une grève. C'est la situation nord-américaine du "bargaining power". Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, c'est celle-là. On vous a cité le rapport Woods, ce matin, qui établissait cette notion, cette économie de base dans les relations du travail. Si vous regardez la littérature, en Colombie-Britannique, si vous regardez les sentences de la Cour supérieure dans le cas que vous venez de citer, Canadian Gypsum, on vous confirme toujours ce droit fondamental de l'entreprise de tenter de fonctionner.

Au départ, c'est bien évident que, pour nous, c'est une question de principe. Après cela, quand vous arrivez et vous dites: On va agir, parce qu'il y a eu 27 cas sur 700. Nous, on va retourner la question, on va dire: Qu'est-ce que vous faites dans le cas des deux grèves des hôpitaux, en 1972 et en 1975? Ce sont finalement des cas ad hoc que l'on va chercher dans le domaine des relations du travail. Nous, on dit: Cela ne nous satisfait pas, parce que, quand vous aurez réglé cela, non seulement vous n'aurez rien réglé, mais vous allez avoir plus de problèmes, parce que la définition de scab, comme on la faisait ce matin, va s'étendre. Ce seront des cadres, ce seront des fournisseurs. Essayez donc de faire appliquer cela, éventuellement vous ne serez pas capable.

M. Chevrette: Quelles sont les solutions que vous suggérez dans le cas d'une grève où il y a utilisation de scabs? A partir des expériences concrètes, vous voyez que les grèves sont de beaucoup plus longues. Dans votre mémoire, vous ne suggérez aucune solution pour ce qui regarde les conflits où il y a utilisation de scabs.

M. Dufour: II faudrait vous retourner la question. C'est quoi pour vous un scab?

M. Chevrette: C'est quelqu'un qui prend la place d'un autre travailleur qui, légalement, est en grève ou en lock-out. Pour moi, c'est cela un scab.

M. Dufour: En fait, cela veut dire qu'à ce moment-là, le cadre qui va aller sur une ligne de production devrait être, dans votre définition, un scab?

M. Chevrette: Non, pas au sens de la loi 45, vous le savez très bien, M. Dufour.

M. Dufour: Vous l'éliminez, mais on peut définir le scab selon 56 façons. Ce que l'on dit, comme suggestion très pratique, c'est la loi de la Colombie-Britannique et celle de quatre états américains a prévu le genre de situation de briseurs professionnels de grèves. A ce moment-là, on dit: On est d'accord à 100% pour une loi sur le briseur professionnel de grève, mais, là où il faut agir — on est d'accord là-dessus — c'est de...

M. Bisaillon: C'est quoi un briseur de grève professionnel?

M. Dufour: Le briseur de grève professionnel?

M. Jolivet: C'est quoi, professionnel, à vos yeux?

M. Dufour: C'est défini par la jurisprudence de Colombie-Britannique. C'est vraiment un bonhomme qui est au service d'agences spécialisées dans le domaine... On appelle cela des fiers-à-bras ou, selon le vocabulaire... Il y a des agences qui sont spécialisées dans certaines provinces. C'est cela un briseur de grève professionnel.

Mais ce qui est important, dans notre thèse à nous, c'est de protéger le travail du gréviste ou du "lock-outé". C'est là qu'on est prêt à agir. En termes de proposition, d'ailleurs, on accepte cette dimension du bill 45 où on dit, si tu protèges la "job" du gars et qu'à la fin de la grève tu l'assures qu'il va la reprendre sous certaines réserves qu'on énumère, à ce moment-là, le travailleur est protégé et vous conservez le principe de l'économie des relations du travail.

M. Couture: Je vais changer de sujet. Concernant le grief...

M. Brochu: M. le Président, je m'excuse. Je pense que Me Massicotte avait quelques-autres petites réponses à donner.

M. Massicotte: Je voudrais simplement ajouter une chose à ce que M. Dufour vient de dire. C'est que non seulement, à la fin d'une grève... Même si les gens ont travaillé pendant la grève, si, selon le bill 45, on leur donne préférence d'emploi, on conserve leur emploi. Je pense qu'il faut aller encore un peu plus loin que cela.

Quand on peut travailler pendant une grève, ceux qui veulent travailler — il y en a qui ne le veulent pas — assurent le maintien d'une "job" à ces gars, parce que ce qui se produit dans les cas où vous allez fermer toutes les usines, ce qui va se produire pour les emplois, c'est évidemment que l'employeur ou la compagnie n'est plus capable de respecter ses obligations vis-à-vis de ses clients, n'est plus capable de livrer la marchandise, perd ses clients et, au bout de la grève, vous avez une perte d'emplois.

Prenons, par exemple, le phénomène, même si c'est de juridiction fédérale, de la grève des minoteries. Les minoteries ont été obligées de s'approvisionner de farine des Etats-Unis. Les Améri-

cains savaient qu'elles étaient en très grande difficulté. Alors, ils ont dit: On va vous fournir de la farine, mais on va vous en fournir pendant une période X de temps. C'est notre condition pour vous en fournir. Avec le résultat qu'à la fin de la grève des minoteries, elles sont encore prises à acheter de la farine américaine et celles qui la fabriquent actuellement... Tout le monde sait qu'il y a eu des pertes d'emplois dans les minoteries à la suite du règlement de la grève, des pertes d'emplois pour la province de Québec, ce qui veut dire une création d'emplois aux Etats-Unis. C'est pour cela qu'il faut penser que... Il y a des employeurs qui ne veulent pas produire, c'est leur droit, mais s'il y en a qui veulent essayer de continuer, ils ont l'obligation vis-à-vis de leurs actionnaires, par exemple, de minimiser leurs pertes, peut-être pas de faire des profits, mais de minimiser au moins leurs pertes. Ils ont l'obligation vis-à-vis de leurs actionnaires d'essayer de garder la clientèle pour que l'entreprise survive après la grève. Ils ont peut-être aussi l'obligation, si on veut bien leur prêter de bonnes intentions, de garder des emplois pour les gens qui sont en grève. Je pense qu'on devrait leur laisser cette liberté, à ceux qui veulent l'exercer.

Le Président (M. Clair): Le député de Joliette-Montcalm.

M. Chevrette: Je vais quand même changer de sujet. Je pourrais argumenter dans le sens contraire, mais je pense que ce n'est pas le temps. Je voudrais passer aux griefs. Au niveau des griefs, vous semblez vous opposer à ce que le syndicat ait un droit exclusif de faire un grief, de déposer un grief. Tout d'abord, il y a des contradictions qui m'apparaissent évidentes dans votre résumé du mémoire là-dessus. Premièrement, il me semble qu'au CCTMO, c'est-à-dire au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, vous aviez eu un accord là-dessus, selon les rapports que j'ai pu en lire antérieurement. Deuxièmement, si je regarde les conventions collectives du secteur privé, c'est un droit qui a été concédé très largement par le patronat dans les conventions collectives, le droit exclusif au syndicat de faire des griefs. Vous arrivez, au niveau du mémoire, en défendant des droits individuels. Pourriez-vous me justifier cela?

M. Dufour: M. Martin.

M. Martin (Roger): M. le Président, la position qui a été défendue par la députation patronale à l'intérieur du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre était en vue de maintenir au salarié le privilège de pouvoir conduire son grief ou de forcer son syndicat à débattre son grief à l'intérieur de la procédure de grief, sous l'empire de la convention collective de travail. Si ma mémoire m'est fidèle — mon collègue ici est en train d'essayer de trouver nos notes — nous étions d'accord, lorsque le moment était venu de référer le grief à l'étape de l'arbitrage, que le syndicat, à ce moment, étant donné les montants que cela impli- quait, pouvait avoir une décision à prendre. Cette distinction, à l'intérieur des conventions collectives, prévoit que le salarié peut piloter ou obliger son syndicat à débattre son grief, d'une part, et aussi que le syndicat — d'ailleurs, dans la plupart des conventions collectives, vous avez des dispositions qui prévoient que, s'il y a lieu d'un grief collectif, le syndicat pourra amorcer le grief lui-même.

M. Chevrette: Est-ce que c'est au principe fondamental que vous vous attaquez ou si c'est parce que vous craignez la discrimination? Parce que vous avez dit, ce matin, que c'est un droit inaliénable, une liberté individuelle. Est-ce au principe fondamental ou si c'est parce que vous avez été témoin de discrimination flagrante? C'est face à certaines discriminations que vous argumentez dans le sens de laisser à l'individu le soin de pousser sur son grief jusqu'à l'époque de l'arbitrage, par exemple?

M. Martin: Non, personnellement, je ne peux pas me référer à des expériences ou à des connaissances de cas où il y aurait eu abus de la part du syndicat. Peut-être qu'il y en a déjà eu; personnellement, selon mon expérience, je ne peux pas y référer. Mais je crois que, du moins au moment de la discussion à l'intérieur du CCTM, c'est une question de principe voulant que le grief soit la propriété du salarié.

M. Chevrette: Je fais une hypothèse. Advenant qu'on assure qu'il ne peut y avoir discrimination au niveau de la poursuite d'un grief, est-ce que vous seriez d'accord pour laisser au syndicat le soin de piloter le grief?

M. Martin: A l'intérieur d'une convention collective, c'est le syndicat ou les représentants syndicaux qui pilotent le grief que l'employé a décidé de soulever. Dans ce sens, le syndicat agit comme agent.

M. Tobin: M. le Président, j'aimerais ajouter un facteur d'expérience cependant à ce que Roger Martin vient de soulever au niveau de nos discussions au CCTM, et ce que je dis là à propos du 88, je pense, s'applique dans bien d'autres domaines aussi. On nous dit que l'expérience démontre, dans la plupart des cas, que telle et telle chose se voient, que ce soit dans le domaine du pilotage d'un grief en arbitrage par le syndicat ou d'autres domaines. Je pense qu'il faut quand même se souvenir d'un fait précis, c'est que tout ce qui se trouve dans une convention collective, si ça ne fait pas l'affaire, vu l'expérience qu'on aura vécue avec cet article de la convention, est sujet à renégociation. J'insiste là-dessus, parce que, dans bien des cas, j'ai sûrement négocié des conventions collectives où j'étais d'accord, parce que la compagnie que je représentais avait une expérience favorable dans ce sens, que ce soit le syndicat qui pilote le grief en arbitrage, mais, en même temps, je dois dire que si, lors de la renégociation de cette convention collective, l'expérience

était devenue défavorable, soyez certains que cela aurait été une de nos demandes pour modifier ça la prochaine fois. C'est ce qui, probablement, est le plus frappant dans ce projet de loi, autant à 88 qu'ailleurs. Même si on dit que c'est basé sur l'expérience vécue, la minute qu'on le met dans un projet de loi, ce n'est plus renégociable la prochaine fois, si l'expérience est défavorable. C'est dans ce domaine-là, je pense, que ce soit à 88 ou à d'autres articles, on nous lie les mains pour renégocier des changements si l'expérience avait été défavorable à la suite de la convention collective qu'on vient de vivre.

Le Président (M. Clair): M. le député de...

M. Massicotte: M. le Président?

Le Président (M. Clair): Oui, monsieur, allez-y!

M. Massicotte: Dans la législation américaine, au niveau fédéral, il y a — si on me permet, dans cette enceinte, des mots anglais— la notion de "duty of fair representation", c'est-à -dire l'obligation pour le syndicat de représenter équitablement, sans discrimination, tous les employés, à cause du monopole qu'on lui a donné de représenter tous les employés. C'est dans la loi américaine. C'est peut-être une notion dont le gouvernement pourrait tenir compte.

M. Chevrette: Dernière petite question. Vous semblez — je dis bien: Vous semblez — présumer que l'arbitrage, lors d'une première convention collective, à toutes fins pratiques, c'est de la foutaise. Je me demande sur quoi vous pouvez vous baser. Parce que vous niez, à toutes fins pratiques, la forme même d'arbitrage actuelle. Je me demande comment vous pouvez rejeter du revers de la main, un système d'arbitrage dans le cas d'une première convention collective, quand on sait que les arbitres n'ont jamais été contestés comme tels.

On dirait que vous tenez pour acquis que vous serez toujours les grands perdants, dans le cas d'un arbitrage obligatoire, lors d'une première convention collective. Si vous étiez les grands gagnants, vous seriez heureux?

Vous présumez donc automatiquement au départ, que les arbitres qui sont appelés à rendre une sentence dans le cas d'une première convention collective donneront raison aux syndicats?

M. Massicotte: Cela a été l'expérience, il y a quelques années, quand les arbitres se promenaient dans les secteurs municipaux, dans les secteurs hospitaliers, dans les secteurs scolaires. Cela a été la grande expérience.

M. Chevrette: Dans le temps, M. Massicotte, ne croyez-vous pas qu'on en était à des débuts de syndicalisation? Les gens ne pouvaient pas se référer à des secteurs similaires ou des cas semblables pour juger. C'est vrai qu'il y avait peut-être des différences énormes d'une sentence arbitrale à une autre.

Mais, dans un contexte où la syndicalisation s'est accrue, ne croyez-vous pas que cela a des chances d'être beaucoup plus équitable qu'anciennement?

M. Massicotte: Si vous le permettez, j'aimerais vous répondre par les extraits de décisions de la Commission des relations du travail de la Colombie-Britannique, à son article 70, qui correspond à ce qui est suggéré dans le bill 45, en principe. Je traduis.

On dit: Ordinairement, l'arbitrage obligatoire est institué dans un cas spécial. Il y a eu impasse dans les négociations, une grève s'est ensuivie et cela cause des difficultés sérieuses au public.

L'arbitrage est imposé par le gouvernement comme un substitut à la grève, de façon à en arriver à un règlement sans qu'il y ait d'autres dommages pour le public. Mais cela n'est pas le but dé l'intervention, en vertu de l'article 70, de la "section" 70. Les critères suggérés dans la législation de la Colombie-Britannique, en vertu de l'article 71, c'est jusqu'à quel point il y a eu bonne foi dans la négociation et la comparabilité des conditions d'emploi plutôt que le caractère public du litige.

On peut résumer la portée de l'article 70 en disant que son objectif est de promouvoir la négociation collective libre et non pas de s'y substituer. Il ne devrait servir que dans les cas où cet objectif particulier demande cette méthode inhabituelle. Le but n'est pas de donner une réponse standard à une impasse dans les négociations, même dans le cas d'une première négociation. Même les parties qui veulent s'entendre sur les termes de la convention peuvent ne pas pouvoir le faire. D'un côté, l'union peut être tellement engagée sur des standards de base qu'elle a négociés ailleurs et ne pas vouloir prendre le risque d'accepter les conditions et de diluer des standards en acceptant moins dans l'unité.

L'employeur, de son côté, peut considérer et croire que les mêmes conditions ne sont pas appropriées aux circonstances économiques spéciales dans lesquelles il opère. Les deux parties sont sincèrement et honnêtement préparées à signer une convention collective, mais ni l'une ni l'autre ne veut bouger de sa position qu'elle considère raisonnable, à son point de vue.

Dans notre jugement, ce n'est pas le genre de cas pour lequel l'article 70 a été fait. Quand on parle, comme le ministre Couture en parlait, des conflits qui pourrit...

M. Bisaillon: Qui pourrissent.

M. Massicotte: ... excusez-moi, des conflits qui pourrissent, il faudrait peut-être se demander et faire la preuve qu'on exige qu'il y a eu en Colombie-Britannique, des négociations de mauvaise foi.

M. Chevrette: M. le Président, je terminerai par un simple commentaire, parce que je sais qu'il y a plusieurs personnes sur la liste. Vous avez dit que nos relations du travail se situaient dans un cadre nord-américain, vous avez semblé scandalisé du fait que le ministre du Travail présente,

dans le projet de loi 45, un pourcentage de 35% pour loger une demande d'accréditation, vous seriez scandalisé de savoir que le président Carter en demande 30%.

M. Dufour: M. le Président, non seulement on n'est pas scandalisé, mais c'est une des dimensions qu'on appuie. On a seulement interrogé, on a dit: Qu'est-ce qui se passe en Colombie-Britannique? Ils avaient 35% et ils montent à 45%. Alors, on dit qu'il faudrait peut-être se préoccuper de ça.

M. Johnson: Ils avaient 50%, ils demandent 30% maintenant.

M. Couture: Ce n'est pas le même gouvernement en Colombie-Britannique.

M. Dufour: Sur la question du principe, on ne le débat pas.

Le Président (M. Clair): Au risque d'être taxé de favoriser le non-respect de nos propres règlements, messieurs, il est 17 h 45, j'ai encore sur ma liste, les députés de Robert Baldwin, de Laviolette, de Sainte-Marie et de Berthier. Puis-je vous proposer que ces' quatre députés soient les quatre derniers à intervenir avant le ministre et que tous et chacun le fassent avant 18 heures, de sorte que nous terminions nos travaux à 18 h 45, avec le consentement unanime? Cela va?

M. le député de Robert Baldwin, je vous indique qu'il y a trois noms sur ma liste après vous.

M. O'Gallagher: Merci, M. le Président, ça ne sera pas long, car je pense que la question d'accréditation à propos des 35% au lieu de 45% a été éclaircie.

Pourquoi la Colombie-Britannique a décidé de porter à 45% le nombre de travailleurs pour l'accréditation?

M. Dufour: Vous nous demandez quelle est la raison?

M. O'Gallagher: Oui.

M. Dufour: C'est un projet de loi qui vient tout juste d'être déposé en Colombie-Britannique. On l'a appris au moment de la rédaction du mémoire, alors on n'avait pas le temps de vérifier, mais on a transposé la question au ministre.

M. Johnson: D'après ce que j'ai cru comprendre, c'est à cause d'un passage de Barrett à Bennett.

Le Président (M. Clair): Le député de Robert Baldwin.

M. O'Gallagher: L'autre question que j'avais, M. le Président, messieurs, seriez-vous d'accord qu'en matière d'accréditation, le Code du travail exige une formule d'adhésion type comprenant certains détails sur la date d'adhésion, le montant d'accréditation que l'adhérent s'engage à payer?

M. Dufour: Oui.

M. O'Gallagher: Je n'ai pas d'autres questions.

Le Président (M. Clair): Le député de Laviolette.

M. Jolivet: A la page 6 de votre rapport sur la question d'utilisation des briseurs de grève, vous dites que 0,06% des grèves et des lock-out amènent l'utilisation des briseurs de grève. Vous dites que ce n'est pas ça qui changerait, de façon significative la situation de la violence, sauf que l'on sait que dans l'ensemble de la situation des briseurs de grève, il y a de la violence.

La question à laquelle je me réfère a été posée à deux occasions, à ma connaissance, il n'y a pas de réponse précise. Même si, d'après vous, ce n'est pas l'essentiel de la violence, il y en a à l'intérieur de ces utilisations, pourquoi vous opposez-vous à une loi qui empêcherait l'utilisation des briseurs de grève?

M. Dufour: M. le Président, je pense qu'on a donné assez d'exemples pour dire que la violence n'existait pas seulement dans ces conflits. Je tiens à souligner que ce ne sont pas nos chiffres, ce sont les chiffres...

M. Jolivet: J'ai bien compris, mais je vous demande pourquoi, même s'il y a de la violence, vous vous opposez à ce qu'on adopte une loi par laquelle on empêcherait les briseurs de grève.

M. Desmarais: M. le Président, il y a une question de principe là-dedans, on a mentionné aussi ce matin...

M. Jolivet: Le rapport Woods, 1968.

M. Desmarais: ... que ça nous amenait tranquillement à des conflits à chaque fois, et la grève, pratiquement à toute négociation.

M. Jolivet: Qu'est-ce que c'est le rapport Woods?

M. Doyle: Je crois également que nous avons suggéré, c'était également la suggestion du ministre, qu'il y ait une entente sur la question des causes de la violence. Est-ce qu'on sait que dans ces circonstances, l'utilisation des scabs était l'unique cause de cette violence? Je doute fort que vous ayez les données sur cela.

M. Jolivet: J'ai fait une présomption au départ en disant que ce n'était pas une affirmation.

M. Doyle: Une présomption.

M. Dufour: Le rapport Woods est un rapport

sur les relations du travail qui a été fait pour l'ensemble canadien vers les années soixante-huit et qui était présidé par le doyen de l'Université McGill, M. Woods, qui a donné son nom à la commission. Cette commission comportait dans ses rangs un spécialiste des relations du travail, un Québécois, l'abbé Gérard Dion, dont on a lu un bon nombre de ses écrits au cours des derniers jours et qui n'a pas changé d'idée, en 1977 par rapport à ce qu'il écrivait en 1968.

M. Jolivet: Sauf qu'entre 1969 et 1976, il y a eu des événements qui n'étaient pas prévus au moment de la rédaction du rapport.

M. Dufour: Non, mais lui n'a pas changé d'idée. Si vous avez lu ses articles, il est beaucoup plus contraignant aujourd'hui qu'il ne l'était dans le rapport Woods.

M. Jolivet: C'est son droit. L'autre question que je veux vous poser concerne la page 11 dans laquelle vous dites que la formule Rand telle que proposée deviendrait en quelque sorte une forme d'impôt. A partir de ce moment, vous dites que vous vous opposez à l'utilisation de ces sommes d'argent parce qu'on ne garantit pas les libertés individuelles ni les responsabilités syndicales.

Comment faites-vous le joint entre les réunions syndicales où on détermine la cotisation syndicale à être prélevée et le phénomène que vous dites être un impôt? Je veux avoir votre impression sur cette question.

M. Dufour: C'est purement une question de terminologie.

M. Jolivet: Oui, mais c'est une chose importante. Un impôt et une cotisation syndicale, ce sont deux choses.

M. Dufour: On ne dit pas que la cotisation syndicale est un impôt. On dit que le législateur, en instituant cette disposition dans le projet de loi 45, donne un droit d'impôt.

M. Jolivet: ... que les syndiqués, dans leurs règlements, par l'intermédiaire de leur budget, peuvent vérifier. Ils peuvent décider du montant de la cotisation.

M. Dufour: Si vous n'êtes pas membre du syndicat, bien sûr, c'est celui-là qui est visé par la formule Rand. Pour ceux qui paient déjà une cotisation syndicale, il n'y a pas de problème. Ce sont ceux qui ne sont pas membres du syndicat qui, dorénavant, devront payer l'équivalent d'une cotisation syndicale. Ce n'est pas une cotisation syndicale, parce qu'ils ne sont pas membres. Le fait de poser ce geste pour l'Etat, c'est un impôt.

M. Jolivet: G'est justement le but de ma question. Je veux savoir pourquoi vous dites que l'individu qui, à l'intérieur du syndicat, le détermine par ses formules d'assemblée, etc., au niveau du budget... Par la suite, pour celui qui profite des retom- bées de l'organisation syndicale, vous appelez cela un impôt. Pourquoi vous opposez-vous à ce que lui bénéficie des retombées de son action syndicale?

M. Dufour: Au contraire. On accepte le principe de la formule Rand. On dit que le fait qu'il y ait un syndicat dans une boîte, cela a des retombées heureuses pour tout le monde. Donc, cela nous permet d'acheter le principe de la formule Rand et de faire payer le gars qui n'est pas membre du syndicat. En principe, on accepte cela, mais une fois qu'on a dit cela, comme c'est un impôt décrété pour les non-membres par l'Etat, à ce moment, on dit: Cela ne brimera pas les libertés individuelles si on prévoit que ce gars aura la possibilité de se prononcer sur des questions qui l'engagent drôlement, comme la détermination de la cotisation parce que, si, on augmente la cotisation de $8 à $15 et qu'il n'est pas impliqué en aucune façon, à ce moment, comme législateurs, vous aurez joué un rôle...

M. Jolivet: Ce que je comprends difficilement, c'est que vous dites: Parce que c'est donné par législation, cela devient un impôt. Quand vous-même, les patrons, acceptez de l'accorder dans une convention collective, vous n'appelez pas cela un impôt.

M. Dufour: C'est parce que les employeurs n'ont pas le système de taxation ou d'impôt. Au Québec, c'est le gouvernement...

M. Jolivet: Vous jouez sur les mots...

M. Dufour: Non. Je ne joue pas sur les mots. Le fait que le gouvernement décrète une taxe de ce genre, c'est un impôt pour les non-membres. Comprenons-nous bien. Pour les membres, c'est une cotisation syndicale.

Le Président (M. Clair): M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: Merci, M. le Président. M. Des Marais, dans la présentation de votre mémoire, il y a un de vos collègues qui a parlé de la présentation sans partisanerie. Je dois vous avouer que j'ai un certain nombre de préjugés sur les questions qu'on étudie actuellement.

Le Président (M. Clair): Voulez-vous parler plus près de votre micro, s'il vous plaît?

M. Bisaillon: ... loin, M. le Président. Je dois avouer que j'ai un certain nombre de préjugés quant au point qu'on discute actuellement. Je voudrais seulement comparer votre objectivité avec mes préjugés sur la question, par exemple, de la cotisation syndicale obligatoire.

Dans une de ses interventions, M. Dufour a mentionné que c'était une des mesures du projet de loi 45 qui faisait mal à l'employeur et je dois vous avouer que ce sont les mots textuels et que cela a été dit en matinée. Vous avez donné un cer-

tain nombre de points de vue, d'aspects du projet de loi 45 qui visaient l'employeur, qui atteignaient l'employeur et vous avez utilisé l'expression: Cela fait mal à l'employeur.

Je voudrais savoir en quoi la cotisation syndicale obligatoire peut faire mal à l'employeur.

M. Des Marais: Ce n'est pas ma perception. Si vous le permettez, je vais demander à M. Dufour de répondre, mais je n'ai pas compris ces mots.

M. Dufour: II faudra lire ensemble le journal des Débats, mais ce n'est sûrement pas cela que je voulais exprimer.

Quand on a énuméré une série de grandes préoccupations, on a parlé d'équilibre total. Dans ce sens-là, l'équilibre total faisait mal aux employeurs. C'est bien sûr que si, par la formule Rand, vous donnez des millions de plus aux centrales syndicales, c'est bien évident qu'à ce moment-là, en termes de structures, d'équilibre des forces, vous faites mal aux employeurs.

M. Bisaillon: Est-ce qu'on pourrait s'entendre pour dire que cela ne représente pas beaucoup de millions de plus puisque déjà 85% des conventions collectives, d'après les dernières statistiques, comportent, au minimum, la cotisation syndicale obligatoire quand ce n'est pas pire? Je pense que le ministre a souligné ce matin que l'atelier fermé, entre autres, est assez fréquent dans un certain nombre de conventions collectives, l'atelier parfait ou l'atelier imparfait. La cotisation obligatoire est déjà comprise dans un bon nombre de conventions collectives. Alors, cela ne représente pas beaucoup comme sommes additionnelles. Comment pouvez-vous, à ce moment-là, défendre le pourcentage qui reste, étant donné que celles qui ont déjà été accordées ou le principe qui a déjà été accordé par 85% des employeurs, c'est déjà celui de reconnaître la cotisation syndicale obligatoire?

M. Demarais: M. le Président, on ne se chicanera pas sur les millions, mais un des buts de ce projet de loi, ce que nous avons compris, c'est de prévoir une plus grande syndicalisation des employés. En conséquence, on peut prévoir qu'il y a plus que les 85% actuels...

M. Bisaillon: Oubliez le million. Prenez l'ensemble des conventions collectives actuelles. Si 85% des conventions collectives — donc des employeurs qui ont déjà négocié de gré à gré avec leurs employés une convention collective — si 85% des employeurs ont déjà, au moment où on se parle, reconnu la possibilité d'accorder la cotisation syndicale obligatoire, comment, aujourd'hui, pouvez-vous dire que c'est une question de principe, que c'est un principe qui n'a pas été reconnu par au moins 85% des employeurs jusqu'à maintenant, à ce que je sache?

M. Dufour: On ne remet pas en cause la formule Rand au niveau du principe, mais dans tous les cas, dans les 85 cas, cela a été négocié et, étant négocié, vous le savez, M. le député, à ce moment-là, cela a été des échanges et cela a été le libre jeu de la négociation de la convention collective. Parce qu'inversement, on pourrait retourner la question et dire: C'est vrai que c'est dans les conventions collectives, pourquoi, dans le bill 45, n'y a-t-il pas une clause qui affirme les droits de gérance? On l'a aussi dans nos conventions collectives. On ne pourrait pas avoir cela dans le bill 45? Pardon?

M. Bisaillon: Le droit de gérance existe tout le temps. C'est un principe suprême.

M. Dufour: Ah oui?

M. Bisaillon: Sauf quand il est limité par une convention collective. C'est sûr, c'est évident. On part d'un droit de gérance à 100% et on le limite par des conventions collectives. C'est le jeu de la négociation. Je ne pense pas que vous deviez vous préoccuper de cela. C'est bien sûr que, quand on est en demande... De la même façon que vous n'avez pas à vous préoccuper de la bonne foi du syndicat quand il négocie, il est en demande, c'est bien sûr que c'est son intérêt d'aller en chercher le plus vite possible et le maximum possible. C'est l'employeur qui a intérêt à ne pas négocier de bonne foi parce que lui n'est pas en demande. Il est en réponse. C'est à lui à en donner le moins possible. Il me semble que cela se fait de la même façon.

Je reviens à la cotisation syndicale obligatoire parce que je ne peux pas oublier la grève de la United Aircraft qui a duré 22 mois et je pense qu'il y a un certain nombre d'employeurs qui ne peuvent pas se permettre de l'oublier non plus. A la base de cette grève, il y avait quand même la cotisation syndicale obligatoire. On a fait une grève de 22 mois, entre autres choses, là-dessus. Comment pouvez-vous essayer de défendre — je ne qualifierai pas la façon dont vous essayez de le faire — ceux qui, par un libre choix qu'on leur reconnaît, ont décidé de ne pas être membres d'un syndicat? Vous voulez les défendre du fait qu'on les oblige, par ailleurs, à payer un montant d'argent qui correspond aux services que, de toute façon, même s'ils ne sont pas membres, ils reçoivent d'une convention collective parce que l'employeur l'applique à tout le monde, mais, par ailleurs, vous voudriez, dans la loi, nous demander de leur donner ce droit strict qui appartient à des membres, au moment où on prend une décision, de voter au moment de la grève. Vous voulez, d'une part, ne pas forcer la loi à accorder la cotisation syndicale obligatoire pour préserver ceux qui ne sont pas membres, mais, lorsque arrive le droit de grève, vous dites: Tous les employés, même ceux qui ne sont pas membres du syndicat, devraient voter pour ou contre la grève. Je ne comprends pas votre position à ce moment-là.

M. Des Marais: M. le Président, avec tout le respect que je dois au député de Sainte-Marie, il nous a bien expliqué que c'était un préjugé ou des préjugés et il les explique très bien.

M. Bisaillon: Mais j'aurais aimé que vous ayez la même franchise.

M. Des Marais: Quant à avoir, M. le Président, la franchise, nous disons ce que nous croyons avec les yeux de la réalité de tous les jours. Vous avez raison sur des conflits et, encore une fois, quand on prend des exemples précis, c'est sûr qu'on peut... Il est difficile de déterminer les torts de chacun.

Mais je tiens à répéter ce que M. Dufour a d'ailleurs indiqué. Je voudrais bien qu'on comprenne que nous ne sommes pas, en principe, contre le précompte obligatoire, la formule Rand — on l'appelle la formule Rand — nous ne sommes pas contre ça. On demande que ce soit assorti... De s'assurer que les gens qui ne sont pas membres du syndicat soient aussi protégés, mais ce n'est pas notre rôle. Jeudi prochain, peut-être que d'autres personnes ici le feront.

Le Président (M. Clair): Je permettrai deux dernières questions au député de Berthier, puisqu'il est déjà près de 18 heures. M. le député de Berthier.

M. Mercier: Merci, M. le Président. Notre Code du travail a pour objet d'arbitrer les conflits entre le capital et le travail. Rassurez-vous, je ne veux pas faire d'analyse marxiste-léniniste. Bref, il y a là-dedans tout un ensemble de recettes pour prévoir un rapprochement entre les parties. Il y a différents niveaux, je pense, de conflits. Dans l'esprit du code, normalement, s'il survient un conflit et si l'écart est mineur, cela peut être sur les conditions de travail, sur les mauvaises relations patronales-ouvrières, ou autre chose, si l'écart est mineur, normalement, ça devrait se régler par les mécanismes ordinaires de conciliations d'arbitrage. Dès qu'on arrive avec des conflits beaucoup plus agressifs, c'est-à-dire avec des écarts plus considérables entre les aspirations des travailleurs et les positions patronales, ce que le patronat est prêt à consentir, à ce moment-là, naît le phénomène de la grève qui peut devenir de plus en plus agressif.

Je pense que le projet de loi no 45 veut couvrir un certain nombre... Veut apporter d'autres mécanismes à un type de conflit qui se trouvait peu couvert par des situations qui n'étaient pas couvertes par notre Code du travail. C'est le cas de conflits vraiment très sérieux, des conflits de fond, des affrontements très graves où chaque partie est dressée contre l'autre et des situations qui peuvent dégénérer en des conflits très violents.

Maintenant, je pense bien qu'on sera tous d'accord là-dessus que depuis plusieurs années, les parties patronales ou ouvrières se sont organisées chacune de leur côté. Enfin, il y a des façons, pour de très grandes compagnies, d'éviter les inconvénients de grève, c'est de faire partie de groupes financiers plus importants. Les multinationales, d'ailleurs, peuvent échapper à peu près totalement aux inconvénients qu'un conflit de travail peut leur apporter dans un secteur donné.

D'autre part, du côté syndical, il y a également des stratégies, c'est-à-dire qu'on peut, à un moment donné, dans une région, attaquer un employeur un peu plus faible, lui créer une situation absolument impossible, le mettre hors du marché complètement en espérant pouvoir ajuster dans d'autres...

Le Président (M. Clair): M. le député...

M. Mercier: Oui, j'arrive. ... en espérant pouvoir créer des précédents dont on se servira ailleurs.

Bref, toutes ces stratégies, d'une part patronales et d'autre part syndicales, rendent beaucoup plus difficile l'application d'un code du travail qui était prévu pour des conflits propres dans une entreprise donnée.

La question que je me pose, c'est: Est-ce qu'il est possible de concevoir un code de travail uniforme pour la fonction publique, pour la très grande entreprise, pour la petite et la moyenne entreprise? Est-ce qu'il ne faudrait pas envisager des ensembles de règles du jeu pour différents niveaux?

Le Président (M. Clair): II y a une réponse du côté de nos invités?

M. Dufour: Devant la commission Martin, on va faire un type de proposition comme celle-là, distinguer les mécanismes de négociation dans le secteur public, parapublic et dans le secteur privé.

M. Mercier: Mais dans le secteur privé... Je m'excuse, il y a différents niveaux. Je pense que la distinction n'est pas superflue, selon qu'on ait une entreprise de 50 employés isolés et une entreprise multinationale de 500 employés qui fait partie d'un groupe immense.

M. Dufour: C'est justement le type de problèmes qu'on voudrait voir abordé par la Commission de réforme des lois du travail.

Le Président (M. Clair): M. le député de Berthier, je considère que vos deux questions sont posées et je donne immédiatement la parole au ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

M. le ministre.

M. Johnson: Messieurs, avant de vous remercier formellement, j'aimerais simplement évoquer quelques-uns des éléments que vous avez portés devant nous aujourd'hui et terminer sur une note, j'espère, très positive, en vous demandant votre opinion sur deux autres éléments.

En ce qui a trait aux briseurs de grèves, aux prétendus scabs, je ferais remarquer, pour les besoins de la galerie et de nos amis de la presse, qu'en aucune façon, le projet de loi ne les définit.

Ce que le projet de loi fait, c'est qu'il pose une interdiction à l'employeur d'utiliser les services de certaines catégories, ce qui veut dire que, par définition, ceux qui ne sont pas visés par cette interdiction ont — et, à mon avis, c'est le pendant d'un

respect des droits de tous en matière de relations du travail — accès au lieu de travail où sévit une grève.

En ce qui a trait à la formule Rand, vous semblez insister sur cette notion, en employant par exemple l'expression "taxation" ou des expressions analogues, et sur le fait qu'il devrait y avoir un pendant à ce précompte syndical. Sur le vote secret, vous avez exprimé des réserves que j'ai moi-même exprimées publiquement depuis quelque temps quant à la qualité de ce texte pour assurer, dans ces rares cas où le vote secret n'est pas pris librement, que les dispositions ne soient pas caduques à cause d'un processus beaucoup trop lourd.

Tout cela me semble quand même sous-tendu par une conception au sujet de laquelle je ne peux pas porter vraiment de jugement quant à ce qui a amené cette conception qu'il y a des phénomènes de contrôle et de violence dans la vie syndicale. Je pense que l'expérience concrète des dernières années et particulièrement ce qui aura fait l'objet des manchettes, ce qui aura fait l'objet d'une sensibilisation du public, nous met dans une situation où on ne peut pas nier que nous vivons dans une société qui est violente et que cette violence se manifeste également au niveau des relations du travail. Le projet de loi 45, je pense, est un effort — encore une fois, c'est ma conviction — en vue d'un ensemble à travers le genre d'impasses sociales, de conflits irréductibles, inévitables et en cul-de-sac, que nous vivons, pour qu'on passe à travers tout cela ensemble.

Je pense que le projet de loi est loin de vouloir consacrer ce que vous jugez être certaines pratiques inadmissibles de la part de ce que vous appelez des "establishments syndicaux"; c'est un projet de loi qui reconnaît effectivement l'importance du syndicalisme. Je me permettrai simplement de faire appel à l'histoire du syndicalisme en Amérique du Nord, en vous disant que s'il n'y avait pas eu de syndicalisme, il y aurait probablement encore des enfants de douze ans dans les mines. S'il n'y avait pas eu de syndicalisme, il y aurait probablement encore de larges secteurs de la population qui seraient exploités. Je ne prétends pas que nous vivons en 1977 un climat qui ressemble à celui des premiers moments de la révolution industrielle. Je pense cependant qu'en 75 ans, le syndicalisme a démontré qu'il pouvait être une force positive dans une société. C'est une force positive qui doit d'abord et avant tout être au service de ceux qui sont les officiers et les élus du syndicalisme qu'ils représentent.

Je terminerai en vous demandant votre opinion rapidement sur la notion de conciliation volontaire et sur la notion qu'on retrouve à l'avant-dernier article du projet de loi 45 et qui touche ce que j'appellerais une mesure préventive ou l'amorce d'une prévention en matière de relations du travail. Malgré la discrétion qui a pu entourer le débat, la discrétion dont on a fait montre face à ces deux éléments, je pense qu'il s'agit de deux éléments fondamentaux de ce projet de loi qui auront des répercussions très concrètes au niveau des relations du travail au Québec. J'aimerais peut-être vous entendre parler quelques minutes de chacun de ces deux éléments.

M. Dufour: Sur la question de la conciliation, M. le ministre, notre mémoire indique qu'on est prêt à en faire un essai loyal. On pense qu'il peut y avoir un certain nombre de problèmes, mais on est prêt à en faire l'essai. Je pense que c'est très clair. Sur les pouvoirs du ministre, à l'article 68, on s'interroge sur la portée exacte de l'amendement qui est proposé, c'est très large, cela pourrait donner ouverture à bon nombre d'interventions non pas du ministre, mais de ses enquêteurs, de ses délégués. Même si, pour nous, cela peut être très utile, si cela peut être un objectif tout à fait louable, il faudrait probablement le cadrer davantage, parce qu'on ne voudrait pas que ce soit finalement une loi-cadre qui donne, par cet article, tous les pouvoirs au ministre. Je pense que ce n'est pas purement du côté patronal, c'est aussi du côté syndical. C'est un peu omnibus, l'objectif est louable, mais on demande vraiment de la cadrer davantage.

M. Johnson: Cela répond à mes questions. Je vous remercie, M. Dufour.

Je voudrais, en terminant, vous remercier, d'abord pour la qualité de la présentation que vous avez faite aujourd'hui ainsi que pour la qualité du mémoire. Celui-ci reflète, je pense, de façon générale un climat qui a été, depuis un mois sûrement, extrêmement sain autour des discussions quant au projet de loi 45; je souhaite et je suis assuré que nous aurons une discussion de même niveau jeudi prochain avec vos collègues d'en face, aux tables de négociation.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, je voudrais m'associer aux remerciements que le ministre a exprimés au groupe qui est devant nous aujourd'hui. Je n'ai pas l'intention d'ajouter quoi que ce soit puisque la période des débats à la fois précède et suit cet exercice de consultation. Probablement que le meilleur remerciement que le ministre pourrait effectivement faire à ceux qui se présentent devant nous c'est non seulement de les entendre, mais aussi, au moins un certain nombre de fois, de les écouter.

Le Président (M. Clair): M. le député de Richmond.

M. Brochu: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier nos invités qui sont venus amorcer je dis bien amorcer, parce que j'ai fortement l'impression, à la suite de cette journée, qu'on ne fait qu'ouvrir l'enveloppe, à toutes fins pratiques, et que le vrai fond du débat reste encore à venir. Je le vois, à ce moment, dans le sens d'une première, étant donné qu'on doit se limiter à la portée de cette commission parlementaire. Je pense qu'on devra se donner comme travail d'avenir d'aborder cette réforme globale du Code du travail qu'on

veut atteindre et de revoir toute cette question en profondeur. Les discussions, en ce qui me concerne, ne m'ont pas convaincu jusqu'à présent; du moins, je maintiens certaines réserves, comme je l'avais d'ailleurs exprimé en deuxième lecture au ministre, en ce qui concerne plusieurs des aspects de son projet de loi. J'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir sur le sujet, mais je pense qu'aujourd'hui nous avons vu le dessus de l'iceberg et on doit maintenant s'attaquer par la suite à tout ce qui reste.

M. le Président, au nom de l'Union Nationale, merci à tous les invités qui nous ont apporté leurs lumières sur la question.

Le Président (M. Clair): M. Des Marais.

M. Des Marais: M. le Président, je voudrais remercier ceux qui ont rendu possible cette rencontre aujourd'hui. Nous savons combien c'était compliqué, pour toutes sortes de bonnes raisons, qu'elle puisse se tenir et nous avons été très heureux que vous preniez le temps de nous entendre. Je voudrais souligner, en terminant, que d'aucune façon la partie patronale n'a voulu remettre en cause, directement ou indirectement, le syndicalisme au Québec. Le ministre a conclu, peut-être à tort, qu'on reculait de 40 ans; au contraire, je pense que les discussions que nous avons eues aujourd'hui sont des discussions extrêmement positives; nous avons tenté, avec les yeux qui sont les nôtres, de projeter la position qui est la nôtre, mais dans le meilleur intérêt de la population du Québec et des gens que nous représentons. En conséquence, nous vous remercions à nouveau d'avoir pris le temps de nous entendre.

Le Président (M. Clair): M. le ministre.

M. Johnson: Une dernière remarque tout simplement pour relever les propos de M. Des Marais.

En aucune façon, je ne voudrais que mes propos soient interprétés comme étant de vous affubler d'un vocable comme celui d'antisyndical. Cependant, je voudrais simplement souligner qu'il semble, à travers ce débat, se dégager, non pas une remise en cause du syndicalisme, mais vraiment une anxiété face au phénomène de la syndicalisation et même si le Conseil du patronat a démontré dans le passé et particulièrement lors du débat public sur le projet de loi 45 qu'il est extrêmement apte et équipé pour articuler sa position dans ce domaine, je me réfère peut-être plus à des perceptions que j'ai eu l'occasion de connaître dans différents colloques, depuis quelques temps.

Le Président (M. Clair): Messieurs, je remercie tant les invités que les membres de cette commission de leur collaboration, ce qui a facilité mon travail.

La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 18 h 10)

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