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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le mercredi 29 octobre 2014 - Vol. 44 N° 13

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales


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Table des matières

Auditions (suite)

Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ)

Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ)

Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP)

M. Nico Trocmé et Mme Delphine Collin-Vézina

Conseil pour la protection des malades (CPM)

Autres intervenants

M. Marc Tanguay, président

Mme Marie Montpetit, présidente suppléante

M. Gaétan Barrette

M. Éric Caire

Mme Lucie Charlebois

Mme Diane Lamarre

M. Jean-François Lisée

M. François Paradis

Mme Françoise David

Mme Chantal Soucy 

*          M. Claude Leblond, OTSTCFQ

*          M. Pierre-Paul Malenfant, idem

*          Mme Lucie D'Anjou, idem

*          Mme Paule Bernier, OPDQ

*          Mme Annie Chapados, idem

*          Mme Joanie Bouchard, idem

*          M. Yvan Allaire, IGOPP

*          M. Michel Nadeau, idem

*          M. Gaston Bédard, idem

*          M. Gabriel Dupuis, CPM

*          M. Pierre Hurteau, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures seize minutes)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la santé et des services sociaux ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l'organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l'abolition des agences régionales.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Hivon (Joliette) est remplacée par M. LeBel (Rimouski); Mme Richard (Duplessis) est remplacée par M. Pagé (Labelle); M. Schneeberger (Drummond—Bois-Francs) est remplacé par M. Paradis (Lévis).

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Je demanderais le consentement des collègues pour pouvoir excéder l'heure qui était prévue, de la commission. Alors, nous avons le consentement pour excéder l'heure ce matin?

M. Caire : ...certaines petites contraintes. Consentement, mais il est possible que nous ayons à quitter.

Le Président (M. Tanguay) : Oui, O.K., pas de problème. Nous essaierons de nous faire une raison et de poursuivre sans vous.

M. Caire : Je sais que ça va vous attrister au plus haut point, M. le Président.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup de le mentionner, ça nous prépare. Alors, également, consentement. Alors, merci beaucoup.

Auditions (suite)

Ce matin, nous allons débuter avec l'Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec ainsi que, par la suite, l'Ordre professionnel des diététistes du Québec. Alors, je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec. Je vous demanderais, dans un premier temps, de bien vouloir vous présenter. Par la suite, vous disposerez d'une période de 10 minutes pour une présentation, après s'ensuivra un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes
conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ)

M. Leblond (Claude) : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, je suis Claude Leblond. Je suis travailleur social et président de l'Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec. Je suis accompagné, à ma gauche, de Mme Lucie D'Anjou, qui est travailleuse sociale, membre du conseil d'administration de l'ordre. Mme D'Anjou oeuvre depuis plus de 13 ans à l'Institut de réadaptation en déficience physique de Québec. Elle enseigne également à l'École de service social de l'Université Laval. À ma droite, M. Pierre-Paul Malenfant, également travailleur social, deuxième vice-président de l'ordre. M. Malenfant est coordonnateur régional à la qualité et à la sécurité civile de l'Agence de la santé et des services sociaux du Bas‑Saint‑Laurent. Il agit aussi en tant qu'expert en réponse psychosociale à l'échelle du Québec.

Je tiens également à souligner la présence avec nous de notre directeur général et secrétaire, M. Sylvio Rioux, là, qui est ici, dans la salle, et de M. Jacques Carl Morin, qui est membre de notre conseil d'administration, nommé par l'Office des professions à titre de représentant du public.

Alors, M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs, députés et membres de la commission, je tiens d'abord à vous remercier, au nom des 12 000 travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, de nous offrir cette opportunité de participer aux consultations en lien avec le projet de loi n° 10.

En tant qu'experts du domaine des services sociaux, c'est très largement sous l'angle de l'accessibilité et de la prestation des services sociaux généraux et spécialisés que nous souhaitons intervenir. Les travailleurs sociaux les plus expérimentés parmi nous, pour ne pas dire les plus âgés, ont vécu l'époque où les familles n'avaient pas accès à des services de santé gratuits et universels. Grâce aux politiques sociales que nous nous sommes collectivement offertes, nous vivons aujourd'hui au sein d'une société plus juste, plus équitable. Les travailleurs sociaux ont contribué à l'édification de cette société et entendent en préserver les acquis et en promouvoir la continuité.

• (11 h 20) •

Après réflexion quant à la façon d'aborder ce projet de loi, nous avons choisi la voie de la collaboration. C'est la voie que choisiraient, je le crois sincèrement, la grande majorité des travailleurs sociaux se retrouvant face à des enjeux complexes et déterminants. Cela dit, M. le ministre, je dois vous dire que nous sommes inquiets et préoccupés. D'abord, nous aurions cru que, sur un projet de loi de cette importance, le ministre aurait choisi la voie de la consultation préalable. Ce ne fut pas le cas. Nous sommes inquiets quant à l'accessibilité aux services sociaux généraux. Nous sommes surtout préoccupés pour les personnes et les groupes les plus vulnérables, qui, nous le craignons, subiront les contrecoups de cette réforme qui repose beaucoup trop largement sur une vision médicale et curative de la santé au détriment des services sociaux, et ce, même si nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée d'améliorer la structure et le fonctionnement. Tout est perfectible.

D'abord, entendons-nous sur une chose fondamentale, c'est la personne — la personne et non pas le patient — qui devrait être au coeur du système. Le réseau de la santé et des services sociaux doit non seulement soigner les personnes, il doit les aider à se maintenir en santé, à ne pas tomber malades et à poursuivre leur vie. Et une façon de prévenir la maladie, c'est de se préoccuper des déterminants sociaux, comme le soutenait d'ailleurs, à juste titre, le premier ministre, M. Couillard, dans son discours d'ouverture de la présente session parlementaire. Et je me permets de le citer au texte :

«Je donne à la santé — a-t-il dit — un sens plus large, bien au-delà des quatre murs d'un bloc opératoire[...].

«Le système de santé lui-même ne compte que pour 30 % de ces déterminants. Le reste est constitué des éléments suivants : l'âge, le sexe, le patrimoine biologique des individus, le niveau socioéconomique, l'emploi [...] les conditions de travail, l'éducation, les habitudes de vie, l'environnement physique, la petite enfance, le tissu et le soutien social, ce qui inclut l'expression culturelle. [...]Un État qui se préoccupe de la santé doit [...] conserver un horizon qui inclut [...] le système de soins mais aussi le dépasse largement.» Fin de la citation.

Au fond, ce que nous dit le premier ministre, c'est qu'il existe un lien direct entre les déterminants sociaux et la santé de la population. En d'autres termes, la performance du système de santé et de services sociaux, y compris le contrôle des coûts à moyen et long terme, dépend de sa capacité de prioriser la prévention et la lutte contre les inégalités sociales en agissant sur les déterminants sociaux de la santé. Or, ce sont les services sociaux, tant généraux que spécialisés, dispensés dans le réseau de la santé et des services sociaux et au sein des organismes communautaires qui agissent sur les déterminants sociaux. Et ce sont justement ces services sociaux que, malheureusement, le projet de loi n° 10 défend mal.

Nous avons élaboré un certain nombre de recommandations qui portent sur des principes qui, à notre avis, doivent être intégrés dans le projet de loi et sur des éléments structurels et de fonctionnement. Nous avons peu de temps pour revenir sur l'ensemble du mémoire, mais nous savons que vous en avez pris connaissance. Alors, toutes ces recommandations pointent cependant vers un seul et même objectif : consacrer et préserver le caractère essentiel de la mission sociale de l'État au sein du réseau de la santé et des services sociaux et garantir l'accessibilité, la quantité et la qualité des services sociaux dans tout leur continuum de façon à répondre aux attentes et aux besoins de la population.

Au niveau des grands principes, nous recommandons au ministre d'inclure au projet de loi une disposition visant à garantir l'accessibilité aux services sociaux conformément à l'article 5 de la Loi sur les services de santé et services sociaux, également de reconnaître l'importance des déterminants sociaux et d'en tenir compte, de réintégrer dans le projet de loi la représentation citoyenne au sein des conseils d'administration, de préserver le caractère unique et indépendant des organismes communautaires et de leur garantir un financement adéquat, de procéder à des consultations dans le but d'élaborer et d'adopter la politique nationale de prévention attendue depuis si longtemps.

Afin de lancer un signal clair quant à sa volonté de préserver la mission sociale du réseau de la santé et des services sociaux, nous demandons au ministre de s'engager à ce qu'une des personnes du duo président-directeur général et président-directeur général adjoint des futurs CISSS soit un travailleur social ou tout autre professionnel issu des services sociaux. Cette recommandation s'applique également à la constitution du comité d'experts chargé de conseiller le ministre quant au choix des administrateurs.

Dans ce même esprit, nous recommandons la création de directions des services sociaux au sein de chaque établissement pour assurer la prise en compte des besoins de la population en termes de services sociaux et d'en assurer une dispensation de qualité.

Enfin, nous recommandons la mise en place d'un comité consultatif chargé de mesurer les impacts de cette réforme sur la réponse aux besoins psychosociaux offerte aux personnes et aux groupes les plus vulnérables.

En terminant, nous réitérons au ministre, au gouvernement et à l'ensemble des parlementaires notre volonté de collaborer dans le but d'amender le projet de loi afin qu'il accorde aux services sociaux toute la place qu'ils devraient avoir dans une politique de santé globale. Au bout du processus, il n'y aura en effet qu'un seul gagnant ou un seul perdant : le citoyen. Nous ne devons jamais perdre cela de vue. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous allons débuter maintenant la période d'échange avec les parlementaires, et, à ce titre, pour un bloc de 22 minutes, je cède la parole au ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, M. Leblond, Mme D'Anjou et M. Malenfant, bienvenue. Je suis très intéressé aux commentaires que vous venez de faire puis je suis content que vous veniez nous donner un éclairage différent sur la structure... bien, peut-être pas la structure, mais sur le projet de loi comme tel. Donc, vous l'abordez sous l'angle, évidemment... — comme vous l'avez dit, d'une façon claire, nette et précise — sous l'angle des services sociaux.

Écoutez, d'entrée de jeu, j'aimerais ça revenir sur vos inquiétudes et vos préoccupations, puis j'aimerais ça que vous m'expliquiez où vous voyez... Je comprends les inquiétudes, parce que, fondamentalement, les gens qui viennent ici ont des inquiétudes, là, dans leurs domaines respectifs, mais où, dans le projet de loi, là, il y a des éléments qui suscitent chez vous cette inquiétude-là et ces préoccupations-là quant à l'atteinte aux services sociaux qui existent déjà dans notre système de santé? Et je vous pose cette question-là parce que, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, le projet de loi, sa finalité étant de faire en sorte qu'on arrive à intégrer les soins et services sociaux que l'on donne à la population, j'ai de la misère à voir comment — puis vous n'êtes pas le seul, là... les seuls, en passant — les gens puissent conclure, là, que, un, le projet de loi, il est dirigé vers l'hôpital, l'hôpital, l'hôpital, la vision médicale, alors que je m'évertue à dire le contraire, et en quoi, dans le projet de loi, vous voyez des dispositions qui menacent les services sociaux.

M. Leblond (Claude) : Je pense que nous avons répondu en bonne partie à ces questions-là, M. le ministre, là, dans le mémoire, là. On ne peut pas dire, effectivement, que le passé est garant de l'avenir, mais, au moment de la création des CSSS, j'avais, ici, dit, en commission parlementaire, que, bien qu'étant d'accord avec les objectifs visés par le projet de loi, nous demeurions inquiets, dans un regroupement de ce type, qu'effectivement la mission des services sociaux soit préservée. Le ministre m'avait rassuré, me disant qu'effectivement il n'y avait aucun problème là-dessus et qu'il y aurait non seulement préservation, mais développement. Dans les faits, ce n'est pas ce qui est constaté 10 ans plus tard. Il y a une pression — que nous considérons probablement comme étant légitime — effectivement, là, une pression liée, là, à toute la pression de la population, là, sur l'accessibilité aux soins médicaux et qui fait en sorte qu'effectivement ce qu'on a vu diminuer, c'est la quantité des services sociaux généraux dans les établissements. Ce qui a augmenté en termes budgétaires, les 10 dernières années, là, en termes de services sociaux, c'est dans... pour les populations les plus vulnérables et la vocation spécialisée, là. Alors, on peut penser, par exemple, au programme Jeunes en difficulté et à ces divers programmes clientèles là qui visent des populations plus spécifiques. Mais, sur l'ensemble de la réponse aux besoins psychosociaux des populations, il y a eu une diminution, là, des services.

Le projet de loi qui est déposé ne nous dit pas qu'on va s'orienter vers autre chose, mais ça ne prévient pas que, dans ces grandes structures, où la pression va demeurer quant au besoin d'accessibilité à des services médicaux, mais également à l'impact, là, effectivement, des coûts desdits services et des technologies, qu'effectivement ce qui restera comme possibilité de choix pour un conseil d'administration donné ou pour la gouvernance du système en lien avec les souhaits du législateur va permettre, effectivement, non seulement de maintenir des services sociaux, mais d'en s'assurer le développement, là, dans toute leur plénitude, là. Mais je peux laisser peut-être à mes collègues, là, le...

• (11 h 30) •

M. Malenfant(Pierre-Paul) : Si vous permettez, vous avez une bonne question, dans le sens qu'effectivement on ne lit pas, là, textuellement dans le projet de loi, exactement : Voici, nous allons diminuer les services sociaux, et tout ça. Cependant, quand on touche à la structure du réseau de la santé et des services sociaux, ça a un effet direct. On ne peut pas regarder les services, donc le contenu des services, qui sont rendus et le détacher de la structure dans laquelle ces services-là sont rendus. Et, dans le projet de loi, on touche, entre autres, au nombre d'établissements, ce qui veut dire que toute la notion de réseaux locaux de services... Prenons l'exemple du Bas-Saint-Laurent ou la région de Québec, par exemple, un réseau local de services pour tout le territoire de Québec, ce n'est plus très, très local. Au Bas-Saint-Laurent, la grandeur du territoire, ou bien donc sur la Côte-Nord, et tout ça... Donc, on comprend que les distances vont faire en sorte que les gens vont être moins près des prises de décision. Donc, le fait...

Vous avez des milliers de personnes, présentement, au Québec, qui sont impliquées dans les conseils d'administration, qui sont dans les comités des usagers et des résidents. Ces gens-là, c'est comme si on leur disait présentement : Écoutez, laissez faire, il y a maintenant une entité régionale centrale qui va s'en occuper, et, bien, merci pour ce que vous avez fait jusqu'ici. Maintenant, on sait que le réseau de la santé et des services sociaux a été bâti, au Québec, dans le ferment des mouvances sociales des années 60, qui revendiquaient d'avoir des services de santé et des services sociaux accessibles, transparents, à laquelle les citoyens seraient amenés à se prononcer dans le processus d'administration de ces réseaux-là. On a ça, et c'est une tendance qui est internationale. L'OMS va dans ce sens-là. En Europe, les meilleurs systèmes de santé au monde vont dans ce sens-là, de savoir que plus on est près des citoyens, plus le citoyen se sent concerné, plus il s'occupe de sa santé. Et on le fait comme travailleurs sociaux et travailleuses sociales, dans nos bureaux, comme cliniciens, on accompagne les gens vers ce processus, en anglais, qu'on appelle «empowerment», de se prendre en main, hein, l'autosoin, de s'occuper de ses affaires. On le fait sur une base clinique et on le fait sur base communautaire également. Et ici, bien, on vient dire, dans le projet de loi : Bien, laissez faire, hein, le ministre va s'en occuper, et les CISSS, je prends... qui va être à tel endroit, à un moment donné, dans les villes centres, vont s'en occuper. Alors, pour nous, on est en train d'aller en porte-à-faux avec ce qui se fait depuis toujours dans le réseau de la santé et ce qui se fait dans les meilleurs systèmes de santé au monde, pensons, entre autres, dans les pays scandinaves.

M. Barrette : Juste pour vous... peut-être rectifier le tir, le projet de loi ne vise pas à faire les choses tel que vous le décrivez, le projet de loi vise à faire en sorte, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, à faire en sorte que... Il y a un palier qui saute, qui est l'agence, vous n'en parlez pas, mais j'imagine que vous n'êtes pas contre le fait qu'on fasse disparaître l'agence, là. Vous ne l'avez pas abordé, mais vous l'aborderez. Et on veut avoir une relation de donneur d'ouvrage et de gens qui livrent la marchandise. Et ce n'est pas à Québec que les décisions vont se prendre, c'est sur le terrain, dans le CISSS.

À cet effet-là, j'aimerais ça vous poser une question, parce que c'est vrai que, comme, M. Leblond, vous l'avez dit tantôt, ça fait longtemps que vous êtes sur le terrain et que vous avez vécu un certain nombre de choses, là, en termes de réforme. Moi, puis là vous allez peut-être me corriger, mais j'ai toujours considéré que, dans la dernière réforme, les RLS, les CSSS, ça a eu du bon, quand même, ça. Il y a eu une intégration qui s'est faite. Et je suis surpris de votre commentaire à l'effet que... Bien, je ne suis pas surpris du fait qu'il n'y a pas eu de développement, parce que les périodes budgétaires, dans les dernières années, n'ont pas été très bonnes, surtout depuis 2007-2008, on se comprend, mais ça valait pour l'ensemble du système, là, ça. Mais n'est-il pas vrai — puis ça, je veux vous entendre, parce que je ne vis pas quotidiennement dans votre milieu — n'est-il pas vrai quand même que les RLS et les CSSS, en termes d'intégration des soins et services sociaux, ont eu des conséquences positives dans notre réseau, par rapport à ce qu'il y avait avant?

M. Leblond (Claude) : Le regroupement santé, services sociaux date d'avant la création, là, des réseaux locaux de services, hein, quand même, là, et c'était, à la base, en tout cas, de la pensée, en tout cas, des gens qui ont mis en place cette structure, qu'effectivement il y a une croyance profonde que les deux missions de l'État, à la fois sur la santé, mais sur, également, les services sociaux, feraient en sorte qu'on aurait des communautés, là, plus en santé, mais également plus heureuses, dans la définition plus large de la santé de l'OMS.

Ceci étant dit, oui, tout à fait, le regroupement à travers les CSSS a eu des impacts positifs, là. Pensons, entre autres, là, à toute la question des projets cliniques qui ont permis, effectivement, d'avoir des parcours clientèles intéressants et dans lesquels il y a des éléments très positifs. On n'est pas, à ce moment-ci, à recommander au ministre de revoir la possibilité de scinder le ministère pour que ce soient deux ministères différents qui prennent en charge ces deux missions fondamentales, ce n'est pas ce qu'on est en train de dire à ce moment-ci. Ce qu'on tente... ce sur quoi on tente d'éclairer le ministre, c'est sur le fait que, dans la gouvernance qui est prévue, des établissements, telle que définie dans la loi, il y a des risques importants que, devant le fait qu'il y ait un manque de sous, ou de dollars, ou de millions pour financer l'ensemble des besoins, la réponse aux besoins de la population, ce soient les services sociaux et les services aux plus vulnérables qui soient en péril. Et nos recommandations vont à l'effet de mettre en place, si le ministre souhaite toujours aller dans cette voie, des remblais qui feront en sorte qu'il y ait moins de risque d'effritement dans la réponse aux besoins des populations.

M. Barrette : Vous avez terminé? Excusez-moi, je pensais que... Alors, non, alors, je comprends bien votre point, parce que, pour moi, c'est important, la réponse que vous venez de me donner, parce que ce que vous nous dites, c'est que, appelons ça la première étape, l'étape de la dernière réforme, il y a quand même eu des impacts positifs, et ces impacts-là se sont faits dans un esprit d'intégration de soins de santé et de services sociaux, et aujourd'hui vous aimeriez avoir des garanties de divers ordres que ça ne sera pas possible de faire des choix qui iraient, sur une base budgétaire, à l'encontre des services sociaux. Je comprends très bien votre position, mais, juste pour vous éclairer à mon tour, le projet de loi, puis c'est une expression que j'ai utilisée beaucoup, beaucoup dans ma tournée récente avec des administrations de ces établissements-là, c'est la dernière étape qu'on fait. C'est-à-dire que le projet de loi, dans sa finalité, vient intégrer ce qui a déjà été intégré. Et vous, vous nous dites : Ce qui a été fait à date a eu des impacts positifs. Mais vous craignez que, pour des raisons budgétaires, à un moment donné, on vienne piger ou qu'on vienne déplacer des sommes d'argent et donc réduire les services sociaux au profit de l'hôpital. Je suis avec vous là-dessus, là. Je suis d'accord qu'il doit y avoir des garanties, mais je vous dis que la finalité n'est pas celle-là. Mais je comprends vos inquiétudes.

Ma collègue la ministre déléguée, Mme Charlebois, aura sûrement, maintenant, quelques questions et commentaires à vous faire, je vais lui passer la parole, si vous me permettez.

Le Président (M. Tanguay) : Oui, tout à fait. Merci, M. le ministre.

• (11 h 40) •

Mme Charlebois : Merci, M. le Président. Merci d'être là, vous trois, et de pouvoir faire part de vos préoccupations. J'ai pris note de vos recommandations. J'ai le goût de vous demander : Bien qu'il y a eu une amélioration, comme vous le mentionnait le ministre, est-ce que vous considérez qu'en ce moment, à travers les années, les services sociaux ont été bien protégés, à ce moment-ci? Et pourquoi nous ne pourrions pas essayer différemment? Parce qu'il y a déjà une clause qui dit que nous allons protéger les programmes-services, les budgets par programmes-services. Pourquoi on ne verrait pas un changement de culture? Et moi, je peux vous assurer que je rencontre tous les groupes sociaux, les groupes communautaires.

Vous savez, j'ai le goût de vous dire : On peut promettre plein de choses. J'ai vu ça dans le passé, notamment avec le communautaire, puis je me permets de vous le dire aujourd'hui parce que j'ai entendu le député, hier, de Rosemont faire part d'engagements qu'il avait pris, leur gouvernement, non budgétés. Alors, moi, plutôt que de parler et de ne pas agir, j'aime mieux qu'on agisse et qu'on parle moins.

Ceci étant, dans le projet de loi, moi, comme ministre qui est responsable des services sociaux — en fait, c'est Réadaptation, Protection de la jeunesse et Santé publique — quand vous parlez de première ligne, ça m'interpelle directement, parce que Santé publique est très, très, très branché là-dessus, je me suis assurée que les programmes-services seraient protégés. Ce que je veux m'assurer, c'est aussi que l'accessibilité aux soins soit améliorée. Puis je veux aussi m'assurer que tout le monde travaille ensemble. Parce que ce n'est pas le cas en ce moment.

Première question : Est-ce que vous considérez qu'en ce moment les budgets ont été protégés, à travers les dernières années, en services sociaux, en santé publique, etc., ou si on a juste fait du vent? La deuxième, c'est : Pourquoi ne pourrions pas faire différent en protégeant dans la loi? Puis comment vous voyez la protection que nous pourrions aborder davantage, mettre un cran supplémentaire à ce qu'on dit, nous autres : Protection des budgets par programmes-services?

M. Leblond (Claude) : Merci, Mme la ministre. Je vais reprendre certains aspects. Si j'en oublie, là, vous me le rappellerez. Mais je terminerai également mon intervention par rapport à la question du ministre de la Santé et Services sociaux, là.

Donc, quand on parle de protéger les budgets, c'est deux choses distinctes, me semble-t-il, que de protéger les budgets et de s'assurer que les dépenses soient réalisées dans le programme où elles sont budgétées. Parce qu'on peut protéger des budgets, ne pas dépenser dans ce poste budgétaire, transférer les sous dans un autre poste budgétaire, et ainsi le dépenser. Alors, ce qu'on vous suggère dans notre mémoire, c'est de s'assurer...

Mme Charlebois : M. le Président.

Le Président (M. Tanguay) : Oui.

Mme Charlebois : Juste une petite intervention courte de deux mots. Je vous entends, là, sur la protection des budgets dépensés, mais ce que je veux vous dire, c'est que les budgets qui sont à l'article 55 doivent être autorisés pour un transfert. Juste ça que je veux vous ajouter dans votre... Tu sais, le transfert ne pourra pas se faire de façon automatique. Continuez.

M. Leblond (Claude) : Tu sais, j'ai exercé pendant 36 ans dans le réseau de la santé et services sociaux au Québec. J'ai vu la mise en place de la Loi sur la protection de la jeunesse. Alors, je suis assez vieux pour avoir été là avant la Loi sur la protection de la jeunesse. J'ai vu les nombreuses structures de développement à travers les centres de services sociaux. Viennent ensuite les créations des CLSC, les transferts de mission d'un type d'établissement à un autre, les créations de structures, CLSC, CHSLD, les CSSS. Et là je quitterai sans doute avant la création des CISSS, là. Et, dans ce continuum, le grand perdant aura été les services sociaux généraux à la population du Québec.

Mme Charlebois : Dans le passé.

M. Leblond (Claude) : Jusqu'à maintenant. Ce qui s'est développé quant aux services sociaux et sur les... C'est clair, là, dans les dépenses, là, du ministère, là, c'est... Effectivement, on a augmenté les enveloppes budgétaires sur des clientèles vulnérables, la réponse aux besoins des clientèles très vulnérables, du type, là, jeune en difficulté. Mais savez-vous ce que ça prend pour devenir jeune en difficulté et ainsi recevoir des services et qu'est-ce que ça coûterait si, effectivement, on avait continué à offrir toute la gamme des services sociaux à la population au Québec? C'est des choix qui sont différents.

La création des CSSS n'a pas amené que des bénéfices, M. le ministre. Elle en a apporté quelques-uns, mais on n'a pas d'étude globale qui nous permet d'affirmer que, dans tous les territoires du Québec, les objectifs qui étaient visés par la loi qui a créé les CSSS ont été atteints. En tout cas, si vous les avez, vous nous les partagerez, parce que nous, nous n'avons pas vu ces évaluations globales qui nous permettent de mesurer qu'effectivement la réorganisation créant les CSSS a permis d'atteindre les objectifs visés par la loi.

Et, quant aux services sociaux, nous ne voyons pas, dans le projet de loi n° 10, d'éléments qui nous permettent de conclure qu'il y aura, quant aux services sociaux, une plus grande accessibilité, de meilleurs parcours et une plus grande offre de services.

Le Président (M. Tanguay) : Mme la ministre.

Mme Charlebois : Mais, déjà, si je vous parle de programmes-services, je vous entends parler sur les budgets dépensés, j'en prends note, mais, déjà, qu'il faille une autorisation pour faire un transfert de budget... par le ministre, là. C'est le ministre qui va les autoriser, les transferts de budget, ça fait qu'il va certainement être mis au fait, ce qui, en ce moment, est inexistant, et vous le savez bien.

Quant aux CSSS, je sais que ça s'adresse plus à mon collègue le ministre de la Santé, mais j'ai le goût de vous dire que je n'ai pas les études, moi, je ne sais pas si lui les a. Mais j'ai le goût de vous dire que, chez nous, là, Vaudreuil-Soulanges, là, avant, là, les hôpitaux libéraient les lits et ne discutaient même pas avec le CLSC. Ils libéraient les patients, avant la réforme, là, puis on se ramassait sur le terrain, puis le CLSC ne voyait même pas, puis, tout à coup, ils étaient mis devant les faits, puis ils n'avaient pas les ressources pour répondre. Maintenant, ce que je peux vous dire, c'est qu'ils se parlent, il y a toujours bien ça qui a été gagné. Il y a certains éléments comme ça.

Je suis d'accord avec vous que les enfants, nos enfants au Québec, et toute la société, je vous dirais... Moi, je ne suis plus une enfant, mais j'ai aussi besoin de services de première ligne, j'ai aussi besoin que je m'occupe de prévention pour moi-même, mais pour l'ensemble de la population. C'est ça, mon rôle.

Alors, vous comprenez bien que je vous entends me dire qu'il n'y a rien, dans le projet de loi, qui vous permet de croire que ça va aller mieux. Vous pensez qu'au contraire ça va continuer, la dilapidation des services sociaux. Mais qu'est-ce qui vous fait penser, au contraire, dans le projet de loi, que les services sociaux vont être dilapidés, quand je vous donne les éléments, notamment... J'ai entendu la représentation — on a pris note, les deux — je vous entends sur les dépenses. Mais il n'y a rien, dans ce projet de loi là — en tout cas, à mon avis, puis éclairez-moi, là — qui dit qu'on va dilapider les services sociaux. Moi, je peux comprendre que des changements dérangent, mais, de là à faire des affirmations comme ça, je ne l'ai pas vu, moi, dans le projet de loi. Dites-moi où vous avez vu ça.

Le Président (M. Tanguay) : M. Leblond, en vous indiquant qu'il reste 1 min 30 s pour l'échange.

M. Leblond (Claude) : Bien, peut-être rappeler que je ne dis pas ce que vous avez dit, Mme la ministre. Je n'ai pas dit que le projet de loi amènerait une dilapidation des services sociaux. Ce que j'ai dit, c'est que nous serions étonnés que, quant aux services sociaux, le projet de loi permette d'atteindre les objectifs visés par la loi et que nous sommes inquiets et craintifs quant au fait que, dans ces gros établissements, où la pression... Et, entre autres, la pression médiatique va faire en sorte qu'on va attirer le regard, entre autres, sur la réponse aux problèmes de santé, que le parent pauvre des choix des conseils d'administration seront les services sociaux. Alors, je n'ai pas affirmé que le projet de loi... et qu'il y avait un choix du ministre de dilapider les services sociaux, loin de moi cette analyse.

Mme Charlebois : C'est déjà plus clair.

M. Malenfant (Pierre-Paul) : Peut-être un complément de réponse. Peut-être se rappeler tous du fait qu'à l'époque, quand le réseau de la santé et services sociaux a été créé, il s'appelait le ministère des Affaires sociales, dans lequel il y avait la santé. Et, avec le temps, on a changé le nom pour appeler ça le ministère de la Santé et des Services sociaux. J'ai pratiqué pendant une vingtaine d'années en CLSC, sur le terrain, en milieu rural, avec les problèmes de base, à un moment donné. Et les services sociaux, c'est de la périnatalité, de l'enfance, jeunesse, famille, c'est la santé mentale, et tout ça. C'est là, ça existe, c'est présent, et il y a un arrimage très important avec les organismes communautaires qui offrent des services sur le terrain, eux autres aussi. Et l'expérience le démontre, au Québec, avec la création des CSSS, les RLS, on constate que, dans les petits établissements, les petits CSSS, hein, la qualité des RLS, elle est intéressante...

Le Président (M. Tanguay) : Merci.

M. Malenfant (Pierre-Paul) : ...alors que, dans les très gros établissements, on n'a pas encore commencé vraiment à asseoir tout le monde ensemble, là.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Désolé, M. Malenfant, de devoir vous couper la parole, c'est le rôle ingrat du président, qui doit tenir le temps. À la demande du parti de l'opposition officielle, de la députée de Taillon, je vous ai laissé poursuivre 30 secondes sur leur temps. Alors, pour un bloc de 13 minutes, M. le député de Taillon.

• (11 h 50) •

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, je peux vous permettre de terminer votre phrase, mais sinon... Ça va? Votre idée est complétée? Alors, bienvenue. Bienvenue à vous trois, M. Leblond, Mme D'Anjou.

Et je veux, d'entrée de jeu, répondre tout de suite, parce que les minutes nous sont comptées. Le ministre de la Santé se demande pourquoi on semble douter de la place adéquate des services sociaux dans le projet de loi n° 10. Je vous dirais que j'ai plusieurs, plusieurs motifs, moi, si j'étais à votre place, qui me permettraient de douter de... Le premier, c'est d'abord parce qu'on joue sur les mots, on appelle ce projet comme un projet qui abolit les agences, alors que tout le monde dit que ce qui a été aboli, ce sont les CSSS, qui ont été reconcentrés en méga-agences. C'est ça, il faut que le ministre l'entende, parce que c'est comme ça que c'est présenté, c'est comme ça que ça se reflète. Et les unités des CSSS qui sont proches des paliers des patients sont abolies et substituées. Donc, il y a déjà un jeu de mots, là, qui questionne par rapport à la transparence.

Un deuxième élément par rapport encore à la place qui serait maintenue ou qui serait perturbée et peut-être même particulièrement diminuée, c'est le nombre d'usagers qui, actuellement, à 3 100, participent, à des niveaux différents, aux décisions, qu'on réduit à 15. Quand même, de 3 100 à 15, là, ce n'est pas une petite chose.

Et je pourrais en énumérer plusieurs, mais, mettons, le troisième élément, et là ça fait référence vraiment, et vous l'évoquez, au droit des citoyens, au droit des Québécois, qui est le droit à l'accès à des soins et à des services sociaux, et ça, c'est dans la loi LSSSS, à l'article 5, où on dit : «Toute personne a le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée et sécuritaire.» Et là on ne sent pas du tout l'urgence du ministre de poser des gestes concrets pour améliorer tout ça.

Donc, moi, je comprends un petit peu votre hésitation. Je vois que vous avez quand même proposé certains éléments. Voudriez-vous nous en parler un peu, de vos mesures qui, peut-être, aideraient à avoir une... à assurer une présence et une conscience, je dirais, des préoccupations sociales des personnes qui ont un impact majeur sur la santé?

M. Leblond (Claude) : Merci, madame. Bien, si on regarde la recommandation n° 1, on a recommandé qu'on inscrive dans la loi le principe de la parité, là, au niveau des équipes, président-directeur général ou présidente-directeur générale adjointe, là, pour qu'effectivement il y ait minimalement une de ces deux personnes-là qui ait des compétences démontrées quant à sa capacité de prendre en compte, là, toute la perspective sociale, là. Donc, elle devrait être, une de ces personnes-là, soit un travailleur social ou un expert, là, issu des services sociaux afin que les deux missions soient prises en compte dans les choix et l'organisation de l'établissement.

On a recommandé au ministre, également, d'inclure un article qui garantit le maintien de l'accessibilité, dont vous parliez tout à l'heure, là, à l'article 5 de la Loi sur les services de santé et services sociaux. Nous pensons que... dans la gouverne également, dans le choix que le ministre fera, là quant aux experts qui devraient l'éclairer pour la nomination des membres du conseil d'administration, qu'il s'assure que ces experts-là prennent en compte non seulement le fait que le livrable ici, c'est la santé des personnes, là, mais qu'également ces experts aient une connaissance de ce que c'est, mettre en place un réseau de services sociaux, au Québec, dans toute sa globalité, là, dans tout son continuum.

Nous souhaitons également que le ministre puisse revoir le fait que, sur les conseils d'administration, il n'y ait qu'un citoyen. Bon, M. Malenfant, tantôt, a parlé, là, des expériences heureuses qu'il y avait dans certains RLS de plus petite taille, là où, effectivement, la prise en compte des besoins des populations se traduisait ensuite dans des ententes de services et des corridors de services, là.

Peut-être que, dans le fond, quant aux services sociaux, l'évaluation de la situation actuelle n'a pas... On a peut-être un remède qui s'applique, et là je ne suis pas un expert, là, au niveau des services médicaux, là, mais mettons que ce remède s'applique bien aux problèmes identifiés au secteur médical, il ne s'applique certainement pas bien au secteur social.

Mme Lamarre : Alors, ce que j'entends de votre réponse, c'est que... en réaction peut-être à la question qui a été posée tantôt par la ministre déléguée aux Services sociaux, qui dit : Il n'y a rien qui dit, dans le projet de loi n° 10, qu'on va dilapider les services sociaux. Il n'y a quand même rien qui vous confirme que ça va être laissé, et ça vous rassurerait d'avoir clairement, écrit noir sur blanc, des mesures qui vont confirmer la préservation et surtout le déploiement de services sociaux adéquats, parce qu'on connaît l'impact de ces services sociaux là sur la santé par la suite. Donc, je pense que c'est... votre demande m'apparaît tout à fait compréhensible, d'autant plus qu'un des seuls sujets où le ministre s'est impliqué au niveau des économies, le 220 millions qui y est associé, à part sauver des employés sur lesquels on n'est pas tout à fait sûrs que ça va se concrétiser... sur le 220 millions, le seul morceau qui a été pris clairement d'une dimension plus clinique, je vous dirais, c'est dans la santé publique. Alors, le ministre prévoit que, le 220 millions, il va y avoir un 20 millions qui va être pris à la santé publique. Alors, non seulement il ne vous confirme pas les garanties que vous vous attendez au niveau des services sociaux, mais le premier message qu'il envoie, il n'y en a pas beaucoup, là, des messages clairs, mais celui-là, c'est de retirer des sommes dans la santé publique, alors que c'est très proche de votre mission au niveau du travail social. Alors, je vais laisser la parole à mon collègue le député de Rosemont.

M. Lisée : Merci. Merci beaucoup d'être là, M. Leblond, M. Malenfant, Mme D'Anjou. Écoutez, ce que vous nous dites essentiellement, c'est la crainte que la médecine dure avale la médecine douce. Et puis le ministre vous dit : Mais où est-ce que c'est écrit, ça? Effectivement, ce n'est pas écrit, mais le passé est-il garant de l'avenir? C'est ce que vous avez dit. La Protectrice du citoyen est venue nous dire qu'effectivement, au cours des dernières années et pendant la réforme des CSSS, malgré les avancées, dans la plupart des cas, il y a eu une dérive budgétaire du social, des services sociaux, vers la médecine curative, et c'est ce que vous appelez le déséquilibre social. Et vous craignez que ça continue. Vous n'avez pas de raison de penser que ça ne continue pas. Et vous demandez au ministre... de dire : Bien, donnez-nous des garanties pour que ça ne continue pas.

Et, d'autre part, vous dites... Finalement, la réponse à une des questions que vous posez... Parce que le ministre répond à une commande du Conseil du trésor qui lui dit : Je veux 200 millions tout de suite, avec cette réforme-là, en plus du reste que je veux. Alors, je suis sûr qu'ils aimeraient mieux garder cet argent-là dans les services, je n'ai aucun doute là-dessus, mais il est membre de son gouvernement, il doit répondre à cette commande-là. Vous, vous dites : Bien, écoutez, si c'est 200 millions que vous voulez, bien, d'abord, on paie trop cher nos médicaments comparativement à la Colombie-Britannique, il y a au moins 200 millions par année à aller trouver là. Mais, pour ce qui vous concerne et votre compétence, vous dites : Bien, on sait qu'en ce moment 2 % du budget de la Santé va à la santé publique, donc à la prévention et à faire en sorte que les problèmes mineurs, s'ils sont utilisés en amont, ne deviennent pas des problèmes majeurs qui sont plus coûteux dans le curatif. Et vous dites : Bien, s'il y avait 5 % du budget de la santé qui était mis à la santé publique, bien, ce serait au moins 200 millions par année qu'on économiserait dans le curatif. Ça fait que vous répondez à cette question.

Et finalement ce n'est pas tant de... Vous avez non seulement la crainte que le glissement des services sociaux vers le curatif continue — il n'y a rien qui vous indique que ça ne continuera pas — mais, en plus, c'est le contraire qu'il faudrait faire. Si on investissait davantage... Et puis moi, je vous dis que nous allons porter cette revendication, que, dans le plan de développement du ministère de la Santé, il y ait un déplacement visible, constant de la proportion budgétaire qui soit envoyée à la santé publique et aux services sociaux par rapport à ça. Donc, là-dessus, je tenais à relever votre argument, qui est fait de façon assez claire.

Maintenant, vous dites, et ma collègue l'a dit : Bien, pour ne pas perdre l'expertise qui était à la source du rapport Castonguay-Nepveu sur la présence des usagers et des artisans, bien, au moins que les comités d'experts soient moitié-moitié, services sociaux, santé; qu'au moins le P.D.G. puis le P.D.G. adjoint soient constamment un binôme venant de chacun des deux secteurs. Et vous demandez que chaque réseau local de services soit représenté au conseil d'administration. Mais là vous ne faites que sauver les meubles par rapport à la situation antérieure de votre plus forte représentation.

Mais j'aimerais vous entendre sur quelque chose où vous dites : On craint beaucoup une perte d'expertise du fait de l'abolition pressentie des associations d'établissements dont le financement provient des établissements et organismes membres et dont l'existence remonte aux années 30. Et vous dites : «Il s'agit d'une lourde perte d'expertise pour mesurer la qualité et la quantité de soins et de services offerts...» Expliquez-moi en quoi ces associations-là... Parce que, dans le public ou quand la CAQ en parle, etc., ça, c'est du monde qui se réunissent aux frais des contribuables pour manger dans des bons restaurants puis ça ne sert à rien. Alors, en quoi est-ce que ça sert à quelque chose?

Le Président (M. Tanguay) : M. Leblond.

• (12 heures) •

M. Leblond (Claude) : Je sors — et Mme la ministre était là également hier, là — du congrès, du probablement dernier congrès, de l'Association des centres jeunesse du Québec. L'expertise développée par la mise en commun des expertises diverses, mais également de développement de projets novateurs d'intervention, la mesure de ces éléments-là et ensuite le partage aux 15 autres, mettons, centres jeunesse permettent effectivement de développer des services particuliers ou des façons de répondre aux besoins des jeunes de façon spécifique, d'en mesurer les impacts, de le partager avec les autres et ainsi de le distribuer un peu partout au Québec.

C'est la même chose dans les problématiques de dépendance, à travers les centres de réadaptation en dépendance, c'est la même chose — et notre collègue ici, là, qui est à l'IRDPQ pourra vous en parler également, sur des problématiques liées à la déficience physique. Mais ce n'est pas au sein du ministère et au sein de chacun des établissements qu'on doit reprendre la roue. Si on partage en commun le développement des expertises et qu'on en assure la diffusion, la mesure... c'est-à-dire la mesure avant et ensuite la diffusion, effectivement ces approches novatrices permettent d'atteindre des résultats. Et là-dessus je peux peut-être laisser la parole à Mme D'Anjou, là, si vous le souhaitez.

M. Lisée : ...question, puis il reste une minute.

Mme D'Anjou (Lucie) : Il reste une minute. Bon, rapidement. Alors, oui, effectivement, l'endroit où je travaille — alors, bien évidemment, je vais parler de quelque chose de très, très concret pour moi — on travaille avec des organismes du milieu, avec des associations qui sont très, très près de la population qui vivent des situations extrêmement difficiles dans leur fonctionnement social. Donc, ces organismes-là, j'y fais référence parce que, bon, je travaille aux programmes des lésions musculosquelettiques et des grands brûlés puis, cette clientèle-là, pour parler d'eux. Notre continuum de services qu'on a avec L'Enfant-Jésus et qu'on a avec l'institut le fait aussi avec l'Association des grands brûlés, le centre d'expertise des personnes traumatisées crâniennes, c'est la même chose. Les organismes du milieu, les associations qui sont là connaissent cette population-là depuis des années, ils ont un bagage de connaissances et d'expertises qui est tout à fait pertinent pour nous, pour permettre que ces personnes qui retournent dans leur milieu... fait en sorte qu'on puisse intervenir sur des déterminants sociaux pour leur permettre, justement, de retrouver un fonctionnement social optimal. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Merci beaucoup. Alors, je cède maintenant la parole au représentant du deuxième groupe d'opposition, le député de Lévis, pour un bloc de 8 min 30 s.

M. Paradis (Lévis) : Je vais être très concret, puis j'aime ça, le concret. J'ai eu la chance régulièrement, puis récemment, puis précédemment aussi, d'aborder des thèmes que vous avez abordés, notamment celui dont vous venez de parler, celui des grands brûlés, de ce qu'on peut faire pour ces gens-là. Vous avez parlé de clientèles vulnérables, vous avez parlé de l'inquiétude que vous aviez de devenir les parents pauvres, à travers la mise en place d'une réforme comme celle-là, de préserver le souci de prévention. Vous m'avez parlé de clientèles vulnérables dont on s'occupe beaucoup, mais il n'y a pas seulement les plus vulnérables, faudrait-il, peut-être, intervenir avant qu'on devienne, bon... et qu'on atteigne le fond du baril?

Restons dans le concret. Dans l'application de la réforme telle que proposée, permettez-moi de comprendre, au nom des citoyens, qui seront les grands perdants, nonobstant les budgets, la préservation de ceux-ci, l'organisation du travail. Mais, sur le terrain, quand vous parlez de grands brûlés, quand vous parlez de gens qui ont des déficiences, des différences, qui, dans l'application actuelle de cette réforme telle qu'on la connaît à travers votre vision, seraient les grands perdants dans votre vision de services sociaux, qui sont efficaces à l'ère de 2014?

M. Leblond (Claude) : Ça, c'est une question difficile, hein, parce que, la réponse, il faudrait la moduler selon les lieux. Quelle sera la décision que prendra le CISSS de la Montérégie quant à la priorisation de la réponse aux besoins, par exemple, des enfants sourds versus des besoins de chirurgie bariatrique? Et plus les réseaux seront grands, plus il sera difficile, me semble-t-il, à 13 personnes, de déterminer ou de faire... comment on dit ça, le mot ne me revient pas, là, mais de faire le choix, là...

M. Paradis (Lévis) : Si vous voulez, le choix, oui.

M. Leblond (Claude) : Est-ce que, dans la région de Québec, compte tenu de la conscience de... l'apport de l'IRDPQ aux réponses des personnes qui vivent des handicaps physiques importants et le statut qu'ils ont déjà fera en sorte que le conseil d'administration du futur établissement continuera à prioriser la réponse à ces besoins? Je ne le sais pas. Qu'est-ce que ça sera en Gaspésie—Les Îles? Je ne le sais pas non plus, là.

Donc, la réponse risque d'être modulée en fonction des besoins de chacune des communautés. C'est pour ça également que la structure à mettre en place pour répondre aux besoins d'une population devrait être modulée en fonction desdits besoins de la population.

M. Paradis (Lévis) : Vous me parlez d'uniformisation, d'harmonisation, de décisions région par région, en fonction de besoins évidents, c'est un diagnostic. Le traitement pour ça... Revenons là-dessus. Le traitement pour ça, justement, faire en sorte que chaque clientèle reçoive ce dont elle a besoin, vous le voyez comment, noir sur blanc, pour vous rassurer à ce chapitre-là?

M. Malenfant (Pierre-Paul) : Si vous permettez. Écoutez, il est démontré que, lorsqu'on travaille très proche du terrain, qu'on est dans les communautés... Tout le travail qui est fait par les travailleurs sociaux qui sont organisateurs communautaires, par exemple prenez des services offerts par Dr Julien en pédiatrie sociale, à un moment donné, donc, qui démontre... en santé mentale aussi, il y a toute une expertise qui est là afin d'aller faire... en anglais, on dit faire du «outreach» sur le terrain. Ceux qui seront pénalisés, ce seront ceux qui vont être dans les petites communautés qui sont déjà dévitalisées. Comment la personne du petit village qui reçoit des services à domicile... Une personne âgée, par exemple, qui se pose la question : Est-ce qu'on reste dans le village? On s'en va-tu? Qu'est-ce qu'on va faire? Ils ne savent pas trop, puis là, bien, woups! on a tel problème, un petit tour à l'hôpital, et tout ça, enfin, bien, est-ce que le gros CISSS qui est dans la ville centre... Prenons l'exemple de la Montérégie, qui était à Longueuil, à un moment donné... ou je prends comme dans le Bas-Saint-Laurent, à Rimouski, est-ce que le gros CISSS va avoir les yeux dans le petit village de Sainte-Rita, par exemple, pour nommer celui-là, qui est à 200 kilomètres, enfin? Bien, je pense que de poser la question, c'est d'y répondre. Ce n'est pas vrai que les gens appauvris, les gens qui sont vulnérables de par leur état de santé ou par leur condition socioéconomique, que ces gens-là vont avoir des représentants qui vont défendre leurs intérêts au méga-CISSS, avec des administrateurs qui sont des hyperspécialistes, à un moment donné.

On est contents qu'il y ait des services sociaux à l'intérieur de cette structure-là, mais — une petite parenthèse en passant — on a un 30 ans, présentement, là, à travailler énormément sur le phénomène du vieillissement de la population, et, ce qui est proposé dans le projet de loi, il n'y a pas de place, là, pour les personnes âgées. Alors, les petites communautés, les gens qui sont loin, les gens qui sont dans des quartiers qui sont loin des lieux de décision, bien, ils vont se sentir encore plus loin avec la structure qui est présentée là.

M. Paradis (Lévis) : Je ne sais pas s'il va rester du temps, mais, en quelques secondes, vous posez encore à nouveau le diagnostic, vous l'expliquez bien. Et le traitement que vous proposez pour éviter que ces plus vulnérables des vulnérables puissent perdre leurs acquis, dans une réforme idéale, ce serait quoi dans sa structure?

M. Malenfant (Pierre-Paul) : Bien, je pense...

• (12 h 10) •

M. Leblond (Claude) : Bien, on a identifié des éléments liés à la gouvernance, et à tous les niveaux, là, qui permettent d'avoir une cohérence à partir des orientations gouvernementales et du ministre, là, au niveau des équipes de... au niveau de la composition du conseil d'administration, où on souhaiterait que... C'est sûr que ça prend des gens compétents. Mais ces gens compétents là doivent provenir également des réseaux locaux de services, dans une structure qui est beaucoup plus grande. Ils doivent aussi amener la dimension des services sociaux et pas juste un sur 13, ou 14, ou 15, beaucoup plus nombreux, la réadaptation, les jeunes, pourquoi pas les aînés?

Alors, il y a beaucoup d'éléments, je pense, qui doivent être retravaillés à partir de la structure qui nous est proposée, si c'est celle-ci qu'ils doivent poursuivre. Mais il y a des éléments quant à la gouverne qui devraient assurer, effectivement, que les engagements du ministre vont se traduire par des actions qui vont faire en sorte que, nous concernant, l'accessibilité aux services sociaux, dans toute leur gamme, de la promotion de la santé à la prévention, là, des problèmes sociaux, qui fait partie de nos responsabilités que vous nous confiez comme législateurs... et tous les services sociaux de première ligne, deuxième ligne, troisième ligne puissent être offerts en quantité suffisante. C'est une mission de l'État. Et les services sociaux ne sont pas au service de la santé, ils sont en soi une responsabilité de l'État.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci termine le bloc pour le deuxième groupe d'opposition. Je cède maintenant la parole à la députée de Gouin pour un bloc de trois minutes.

Mme David (Gouin) : Merci, M. le Président. L'ancienne organisatrice communautaire en moi vous écoute avec une attention que vous ne pouvez pas imaginer, un plaisir encore plus important. En fait, moi, le sentiment que j'ai, c'est que vous nous dites : Il y a un problème de vision dans ce projet de loi là. Et la vision que vous nous proposez, c'est celle — c'est d'ailleurs votre recommandation 5 — de tenir compte, dans n'importe quelle réforme ou implantation de structure d'un système de santé et de services sociaux, hein, des déterminants sociaux de la santé. Si au moins on s'entendait là-dessus, là, que ça, c'était la base de quelque réforme que ce soit, on aurait quand même avancé, il me semble en tout cas. Moi, c'est votre... c'est la compréhension que j'ai de ce que vous dites. Vous nous dites, au fond : Le social détermine largement la santé, ce n'est pas l'inverse.

La question que je voudrais vous poser... Quand vous nous dites : Depuis plusieurs années — et je sais que c'est vrai — il y a eu des pertes, hein, au niveau des services sociaux, la santé a pris beaucoup de place, elle coûte très cher, tout le monde comprend pourquoi, mais, à travers tout ça, les services sociaux ont perdu de la place, et vous nous dites : Ce qui a perdu de la place, c'est souvent le secteur primaire, là, les services généraux à la population, moi, j'aimerais que vous expliquiez un petit peu plus concrètement. Est-ce que ça veut dire que vous trouvez qu'il y a moins de services sociaux qu'avant dans les CLSC? Est-ce que ça veut dire : Dans les centres jeunesse, qui sont déjà deuxième ligne, quand même, il n'y a pas autant de services qu'on voudrait? Est-ce que c'est ça que vous nous dites?

M. Leblond (Claude) : Ce qu'on dit... En partie, là, oui, effectivement, là, ce qu'on a vu, c'est effectivement... Et ça, c'est difficile pour nous, hein, nous ne sommes pas l'organisme qui ramasse les chiffres, hein, c'est-à-dire qui a accès à l'ensemble des chiffres pour pouvoir démontrer noir sur blanc : il y a eu une diminution des budgets sur les services sociaux généraux ou une diminution des activités liées à l'exercice des services sociaux généraux. Ce n'est pas nous qui avons ces bases de données là, hein, c'est ailleurs, là.

Ce qui est clair, c'est qu'effectivement les budgets des services spécialisés, entre autres, là, en protection de la jeunesse, ont augmenté, et c'est tant mieux. Ces budgets-là ont augmenté aussi parce qu'il y a des enfants qui sont morts au Québec, hein, quand même, là. On se souvient, là, des drames, également, qui ont été mis devant le public, là. On se souvient de l'affaire de Beaumont, ici, dans la région. Alors, il ne faudrait pas attendre encore de revenir devant des situations dramatiques pour corriger le tir.

Donc, il faut investir dans les services spécialisés au niveau des services sociaux. Mais, pour moins investir dans les services spécialisés — parce qu'on constate quand même une augmentation, là, des signalements — bien, il faudrait peut-être investir dans les services accessibles à l'ensemble de la population, et ça, c'est en diminution, ou ce n'est pas en augmentation, et, si ce n'est pas en augmentation, de soi, c'est en diminution.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, M. Leblond. Alors, ceci met fin à la période d'échange. Il nous reste à vous remercier, à vous, les représentants, représentantes de l'Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

J'invite maintenant le prochain groupe à prendre place et, ce faisant, je suspends nos travaux momentanément. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 14)

(Reprise à 12 h 18)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! J'invite tous les parlementaires à bien vouloir prendre place. Veuillez prendre place. Nous accueillons maintenant les représentantes de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec. Bienvenue à l'Assemblée nationale.

Pour des fins d'enregistrement, je vous demanderais, dans un premier temps, de bien vouloir vous identifier. Par la suite, vous aurez... vous disposerez d'une période de 10 minutes pour votre présentation, et ensuite, finalement, nous aurons un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ)

Mme Bernier (Paule) : Merci, M. le Président. Et merci de nous écouter, d'écouter les nutritionnistes à l'heure du lunch, on l'apprécie.

Alors, bonjour, mon nom est Paule Bernier. Je suis présidente de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec. Je suis accompagnée de Me Annie Chapados, qui est directrice générale de l'ordre, et de Mme Joanie Bouchard, qui est diététiste et directrice des affaires professionnelles à l'OPDQ.

Alors, M. le Président, Mmes et MM. les députés, tout d'abord, je voudrais vous remercier de nous permettre de vous présenter le résultat de nos réflexions et de nos appréhensions quant aux enjeux soulevés par le projet de loi n° 10. Vous comprendrez que notre analyse est faite sous l'angle de la protection du public et de la qualité de l'acte, tel que le veut la mission des ordres professionnels, mais également sous celui de la sécurité des soins. Nous comprenons aussi que le ministre apportera des précisions à cette réforme par voie réglementaire.

• (12 h 20) •

En commençant, j'aimerais rappeler ce que nous sommes et ce que nous faisons. L'OPDQ compte environ 3 000 membres, qui interviennent dans l'ensemble du continuum de soins, et ce, à tous les paliers. Plus de 80 % de nos membres exercent leur profession dans le secteur public de la santé, et ce, en nutrition clinique, en santé publique et en gestion des services d'alimentation. Ils sont présents dans tous les milieux, dont les centres hospitaliers de courte durée généraux et surspécialisés, les CLSC, les centres de réadaptation, les CHSLD, les agences régionales de la santé et des services sociaux et leurs directions de santé publique, divers organismes, dont l'INSPQ et l'INESSS, le Conseil québécois d'agrément et, bien sûr, les divers ministères.

Pour ce qui est du projet de loi, tout d'abord, nous réaffirmons que, dans l'ensemble, l'OPDQ est favorable à un projet de loi dont l'objectif est de favoriser et de simplifier l'accès aux services, contribuer à améliorer la qualité des soins et d'accroître l'efficience et l'efficacité du réseau.

Cela dit, nous pensons que nous ne pourrons pas atteindre ces nobles objectifs sans que certaines conditions soient respectées.

Il nous paraît important, ainsi, de vous décrire la situation actuelle en matière de services. Nous faisons le constat qu'il y a actuellement une inadéquation entre les besoins de la population en services nutritionnels, tels qu'ils sont définis par les données probantes, et l'offre disponible. Selon nous, cette situation compromet la qualité globale des soins et des services, la sécurité des individus, l'accès aux soins, l'efficacité et la fluidité.

Rappelons que la cause première contribuant au fardeau de la maladie, ce qu'on appelle «disease burden» en anglais, donc la cause première, au Canada, ce sont les facteurs liés à l'alimentation et à la nutrition. À titre d'exemple, nous avons choisi la dénutrition en soins de courte durée. La dénutrition, c'est un phénomène qui se produit quand on ne donne pas au corps assez de calories, de protéines, de vitamines, minéraux, donc il s'affaiblit. Vous conviendrez qu'un patient bien nourri guérit plus vite. Or, une étude pancanadienne récente, qui inclut des hôpitaux du Québec, confirme que 45 % des adultes qui sont admis aux unités, le jour de leur admission aux unités de médecine et de chirurgie, souffrent de dénutrition modérée ou sévère. À l'heure actuelle, les patients dénutris qui entrent dans le système ne sont pas identifiés et ne reçoivent donc pas les soins nutritionnels dont ils auraient besoin. Or, la dénutrition est un facteur indépendant qui augmente la durée de séjour. De plus, les patients dénutris présentent un taux de mortalité précoce plus élevé, et un patient sur cinq sera réadmis dans les 30 jours suivant son congé de l'hôpital. Tout cela exerce une pression supplémentaire et inutile sur le système de soins et contribue à son inefficacité.

Ce qui doit aussi retenir notre attention, c'est que la dénutrition augmente les coûts d'hospitalisation d'au moins 2 500 $ par jour, par patient, étude canadienne. Tout cela sans dire que la dénutrition est un facteur qui influence le développement de nombreuses complications. On peut citer ici, par exemple, les coûts associés aux plaies de pression, qui sont de l'ordre de 9 000 $ par patient, données canadiennes encore.

Ce qui est intéressant, c'est que nous ne sommes pas les seuls à faire le constat. Les médecins et les infirmières reconnaissent l'importance de la problématique de la dénutrition. 45 % des médecins déclarent qu'il existe une pénurie de nutritionnistes là où ils pratiquent.

Outre le fait qu'il doit y avoir un nombre suffisant de nutritionnistes pour prendre en charge ces patients, il faut aussi reconnaître le rôle essentiel et primordial des services alimentaires dans les établissements. Nous vous rappelons que, présentement, le budget moyen consenti à la préparation des repas est de l'ordre de 8 $ par patient, par jour, ce qui est même insuffisant pour combler les besoins d'un individu en santé.

Nous devons vous dire que les fusions et le mécanisme de centralisation annoncés par ce projet de loi provoquent beaucoup d'inquiétudes chez les nutritionnistes gestionnaires des services d'alimentation. Puisque les patients nous arrivent dénutris à l'hôpital, cela indique que les soins de première ligne ne sont pas assez efficaces et que les programmes de santé publique doivent être renforcés.

Notre inquiétude est aussi la suivante : Bien que le projet de loi souligne qu'une direction régionale de santé publique sera intégrée dans les futurs CISSS, il ne précise pas quelles modifications de responsabilités cela engendrera.

Dans le même ordre d'idées, il faudra s'assurer que les programmes existants de santé publique seront non seulement maintenus, mais également considérés comme transversaux à l'ensemble des divers programmes de soins cliniques dans les instances du CISSS.

Et je fais une petite parenthèse : La nutrition transcende la prise en charge et le continuum de soins à tous les niveaux, dans tous les secteurs confondus, mais la nutrition doit aussi transcender la structure d'une façon verticale et décisionnelle, et ce, afin d'assurer la fluidité.

Nous souhaitons donc que l'intégration des services et la réforme des structures administratives n'affectent en rien la santé publique et les programmes qui y sont reliés.

Bien que problématique, la dénutrition n'est pas la seule raison pour laquelle il faut accorder de l'importance à la nutrition dans le continuum de soins. Citons le fardeau de la prise en charge inadéquate des maladies chroniques, dont l'impact est majeur non seulement pour le système de la santé, mais pour l'économie générale de la province. Toutes les maladies chroniques identifiées par le ministère ont une composante nutritionnelle. L'OPDQ endosse la proposition antérieure du ministère, soit la prise en charge des maladies chroniques par une équipe interdisciplinaire de première ligne, mais l'inclusion du nutritionniste dans l'équipe interdisciplinaire n'est, encore à ce jour, qu'optionnelle.

Il ne faut pas oublier que les nutritionnistes de la première ligne s'occupent aussi des patients qui sortent de l'hôpital. Nous sommes convaincus que l'intégration proposée par le projet de loi pourrait permettre une meilleure prise en charge des usagers, mais à la condition d'affecter les ressources professionnelles adéquates et nécessaires. À titre d'exemple, dans l'éventualité où la prise en charge des maladies chroniques migrerait de la deuxième et troisième ligne vers la première ligne, vers les équipes interdisciplinaires, il faudrait qu'il y ait un transfert des professionnels vers la première ligne. C'est la condition pour optimiser les performances des équipes soignantes.

Vous aurez compris, M. le Président, que, malgré notre appui de principe, nous tenons à exprimer une vive inquiétude de voir s'effectuer deux coups de barre simultanément dans le réseau, soit des coupures massives de services afin d'atteindre un objectif budgétaire et la réforme à venir telle que décrite dans le projet de loi n° 10.

En ce qui concerne l'accès à l'information médicale des patients, nous craignons également que l'étendue des nouveaux territoires et la taille de certains centres empêchent la coordination et la fluidité de l'information entre les établissements, d'autant plus qu'actuellement les nutritionnistes n'ont pas accès au Dossier santé Québec, ce qu'on appelle le DSQ.

Par ailleurs, l'OPDQ s'attendrait à ce que les décisions des conseils d'administration des CISSS tiennent compte du fait que les services nutritionnels représentent un investissement rentable pour un établissement et qu'il faut leur allouer les ressources financières nécessaires.

En terminant, j'aimerais vous parler d'un aspect non négligeable. Nous sommes heureux de constater l'existence d'une commission multidisciplinaire régionale. Le Comité d'inspection professionnelle de l'OPDQ a observé que les projets découlant des fonctions du conseil multidisciplinaire ont un impact très favorable sur la qualité de l'acte professionnel, et ce, au niveau, par exemple, de la tenue de dossiers, de la priorisation de la clientèle et du continuum de soins. Ce soutien apporté par les établissements facilite le travail des ordres professionnels en ce qui a trait au contrôle de l'acte professionnel. Les conseils multidisciplinaires contribuent aussi à renforcer l'interdisciplinarité. Nous sommes donc très préoccupés par l'impact potentiel de la fusion de ces conseils multi et de leur éloignement dans des milieux de soins à la suite de la formation des mégacentres régionaux. Si la loi actuelle prévoit que les conseils multi peuvent constituer des comités de pairs seulement lorsque requis, nous croyons que les comités de pairs devraient dorénavant être prévus dans chacun des établissements actuels, et leur rôle, inscrit dans le projet de loi n° 10.

Je conclurai en vous parlant simplement de notre profession. Comme spécialistes de l'alimentation et de la nutrition humaine, nous accompagnons toutes les étapes de la vie, de la conception, même de la préconception aux soins de fin de vie. La nutrition est un facteur déterminant de la santé physique, de la santé mentale, du bien-être et aussi du succès des traitements médicaux, chirurgicaux et oncologiques, notamment. Nous souhaitons ardemment que les orientations ministérielles considèrent l'ensemble des besoins de la population. Nous sommes convaincus qu'il sera essentiel de mettre les nutritionnistes à contribution et de les consulter dans les nouveaux processus et mécanismes décisionnels, où elles pourront apporter leurs connaissances des besoins de la population. Je vous remercie.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup pour votre présentation. Avec la permission des députés de la banquette ministérielle, nous vous avons permis d'excéder d'une minute, c'est très bien, donc, ce qui fait en sorte que le ministre et ses collègues, Mme la ministre déléguée disposent d'une enveloppe de 22 min 30 s. La parole est à vous.

• (12 h 30) •

M. Barrette : Merci, M. le Président. Mme Bernier, Mme Chapados et Mme Bouchard, bienvenue. J'ai bien pris connaissance, évidemment, de votre mémoire, qui est très intéressant, je vous en remercie.

Vous abordez le sujet de différentes manières, et, en plus, dans une certaine manière, votre domaine d'expertise, et votre domaine opérationnel, est aussi multifacétaire, en ce sens que, comme vous l'avez bien dit, vous avez un impact, une implication, dans une certaine mesure et dans certains cas, auprès des patients. Vous avez un impact dans l'établissement, puis vous avez un impact en dehors de l'établissement.

Aujourd'hui, là, avant toute réforme, quelle lecture faites-vous de votre situation? Puis je veux un peu vous aiguiller, là. Il y a des mots qu'on ne veut pas utiliser, là, mais je vais l'utiliser, celui-là, puis vous allez comprendre pourquoi, là, ce n'est pas méchant : Est-ce que vos talents sont exploités à leur pleine capacité dans le réseau actuel, avant la réforme?

Mme Bernier (Paule) : Non. La réponse est non. Les talents ne sont pas exploités, parce que souvent qu'on finit à faire du rapiéçage, à essayer d'éteindre des feux, alors qu'on pourrait être aussi au niveau de la planification de services et s'assurer que tous les services sont couverts.

Maintenant, je prenais l'exemple de la dénutrition, par exemple, et je vous disais que les patients ne sont pas identifiés. Présentement, ce qui se passe, et c'est une étude pancanadienne qui le dénote et... Nous savons que les patients ne sont pas identifiés, parce que les nutritionnistes ne peuvent pas, suite à un dépistage qui se ferait, de la dénutrition, en centre hospitalier, ne peuvent pas répondre à la demande. Alors, au lieu d'instituer un dépistage de la dénutrition, qui se fait par deux questions vraiment simples, là, lors de l'admission... Donc, la prise en charge n'est pas faite. Donc, au risque de ne pas le faire, on ne le fait pas, parce qu'il n'est pas éthique de savoir qu'un patient est dénutri et, donc, de ne pas le traiter. Ça, c'est un des aspects.

L'autre aspect, c'est toute la gestion des services alimentaires, comment combler les besoins nutritionnels des patients. On sait qu'en centre hospitalier on a des gens très malades, surtout depuis les réformes — moi aussi, ça fait plusieurs années que je pratique. Donc, la population a changé dans les établissements. Avant, on admettait un patient pour une simple ablation de la vésicule biliaire, il restait 10 jours à l'hôpital. Maintenant, ça se fait par laparoscopie, ils ne sont même plus admis à l'hôpital. Alors, la population est très concentrée, le fardeau est très lourd. Les besoins nutritionnels des patients sont très élevés. Nous devrions avoir recours beaucoup plus souvent au soutien nutritionnel par sonde ou par voie parentérale, par veine. Ce n'est pas fait. Mais, même en amont de ça, on n'intervient pas assez rapidement auprès des patients.

M. Barrette : Et ça, je ne veux pas vous mettre sur la sellette, là, mais, dans votre lecture, c'est une question de ressources ou c'est une question d'intérêt, dans notre réseau, là?

Mme Bernier (Paule) : Ah non! une question de ressources, pas du tout d'intérêt. Au contraire, toutes les parties prenantes veulent avoir un dépistage systématique de la dénutrition. Je vous dirais qu'on travaille avec Agrément Canada aussi, parce que c'est l'organisme qui est mandaté pour faire l'agrément dans les hôpitaux, pour instaurer une sorte d'obligation. J'ai déjà fait part à la ministre Charlebois de notre désir d'avoir une orientation ministérielle dans ce sens-là. Ça fait depuis 1996 que l'ordre demande des actions concrètes en nutrition, d'une part, reliées à la malnutrition, mais aussi reliées à la gestion des pathologies et à la prévention, quand on pense à la santé publique.

M. Barrette : J'aimerais ça aborder maintenant... D'abord, c'est très intéressant ce que vous abordez. Je vais vous avouer que, dans la pratique médicale, ce n'est pas un élément qui est très, très connu, je veux dire, ce que vous abordez, là.

Mme Bernier (Paule) : D'ailleurs, une étude qu'on vient de terminer montre que les médecins canadiens pensent que la malnutrition est importante, mais ils n'ont pas les connaissances pour la prise en charge et se référeraient à des diététistes pour la prise en charge.

M. Barrette : J'ai tendance à être d'accord avec vous. Là, je vais aborder ce sujet-là, au sens large de la diététique, là, d'un autre angle, et ça, j'aimerais vous entendre là-dessus. Évidemment, là, le projet de loi n° 10, il vise une intégration. Bon, l'intégration, pour les soins et services, c'est peut-être un sujet qui est moins transposable à la diététique ou peut-être que ça peut l'être plus. Mais, spontanément, c'est moins évident, parce que les gens, spontanément, ne se réfèrent pas à vous, là. Si on demande à des patients : Est-ce que vous... Ce n'est pas tout le monde qui sait qu'il y a des diététistes, à l'hôpital, qui s'occupent d'eux autres.

Mme Bernier (Paule) : Mais ça, c'est un peu le phénomène de la saucisse Hygrade, hein?

M. Barrette : Je le sais.

Mme Bernier (Paule) : Plus on en mange, plus elles sont fraîches. Bon. Alors, moins on est présents, moins on a accès. Mais, encore cette semaine, j'avais une patiente, hier, qui quittait, qui avait son congé, il fallait faire un suivi avec le CLSC, demande de services interétablissements. Donc, ils le savent quand même, la couverture... Sinon, ils sont obligés d'aller en privé. Mais est-ce que c'est ça qu'on veut au Québec, ouvrir des brèches au privé? Ça, c'est une décision de société.

Mais l'intégration, par contre, je vous dirais... Je vous parlais tout à l'heure du transfert entre la troisième ligne et la première ligne pour la gestion des maladies chroniques. On a vu se produire, dans un hôpital, à Montréal, récemment, une intention de couper tous les services d'endocrinologie — donc, la gestion du diabète — pour transférer ça. Les médecins travailleraient soit de leurs bureaux privés. Mais, les nutritionnistes, elles, il n'y a pas de transfert dans la communauté, et présentement cette population-là qui est affectée n'aura plus de service, parce qu'il n'en existe pas dans la communauté, des services. Dans les CLSC auxquels est affilié le centre hospitalier, les nutritionnistes ne sont pas présentes.

M. Barrette : Bien, c'est là où je voulais aller précisément... bien, peut-être pas précisément pour cet exemple-là, mais dans le sens où votre secteur d'activité, dans le cadre d'une organisation de type CISSS comme celle qui est dans le projet de loi... Est-ce que vous voyez la possibilité d'une réorganisation de vos services en termes de... pour une partie de concentration puis une partie de distribution — bien, distribution au sens «distribution sur le territoire», là — de vos services ou non, ou vous voyez autre chose, ou vous voyez le statu quo, c'est-à-dire des diététistes par établissements comme maintenant?

Mme Bernier (Paule) : Si les services ambulatoires sont transférés en première ligne, il faudrait qu'il y ait un transfert. Mais, au-delà de ça, le nombre n'est pas là. Il y a du saupoudrage. Je vous disais qu'on est partout, comme la poudre de perlimpinpin, il y a des nutritionnistes un peu partout en quantité variable.

M. Barrette : Mais vous verriez... Est-ce que je dois comprendre que vous verriez d'un bon oeil une activité extra-institutionnelle? C'est vrai, là, vous avez raison, en endocrino, souvent on dit aux gens, pour toutes sortes de raisons, là, et évidemment, à prime abord, en général, budgétaires, on dit aux médecins : Vous pouvez faire — surtout pour le diabète de type 2 — vos cliniques et votre suivi de patients... pas vos cliniques, mais votre suivi à l'extérieur, dans vos cliniques.

Mme Bernier (Paule) : C'est ça.

M. Barrette : Et souvent on les pousse à l'extérieur de l'hôpital. Maintenant, mais vous avez tout à fait raison, les services d'appui, qui sont vous ou corollaires, si vous me permettez, bien là, ils ne suivent pas. Est-ce que vous verriez ça, vous ou...

Mme Bernier (Paule) : Bien, c'est ce que je vous dis. Oui, on verrait que, si, effectivement, il y a un transfert d'un à l'autre à l'intérieur d'un même établissement, ça pourrait permettre une certaine mobilité. Ce qu'il ne faut pas, parce qu'il faut penser aussi à la performance des équipes soignantes, ce qu'il ne faut pas, c'est avoir des professionnels qui se promènent d'une place à l'autre. Parce qu'il faut qu'ils se sentent intégrés, il faut qu'ils connaissent les procédures, les protocoles, et qu'ils développent une chimie qui permette un travail sécuritaire et aux fines pointes des données probantes.

M. Barrette : O.K. Merci. M. le Président, je vais passer la parole à ma collègue la ministre déléguée.

Le Président (M. Tanguay) : Oui, tout à fait. Mme la ministre.

Mme Charlebois : Merci. M. le Président, combien de temps il reste?

Le Président (M. Tanguay) : Il reste un peu plus de 13 minutes.

Mme Charlebois : D'accord. Alors, bonjour, merci d'être là. Et j'ai été fort intéressée par votre mémoire.

J'ai le goût de vous amener sur la piste santé publique, parlons donc prévention, parce que j'ai laissé la partie des hôpitaux, etc., mais prévention au niveau de la santé publique, et parlons donc de comment c'est constitué actuellement la santé publique au Québec. On a un directeur national, et c'est déployé sur le terrain. Est-ce que vous considérez que la santé publique, en ce moment, reflète bien les besoins en services de nutrition actuellement, mais les besoins pas au niveau curatif, là, mais au niveau prévention?

• (12 h 40) •

Mme Bernier (Paule) : ...de promotion, on parle aussi de prévention secondaire, maintenant, avec les maladies chroniques. Encore là, je ne me prononcerai pas sur la structure comme telle, parce que ce n'est pas la compétence d'un ordre professionnel de parler de structure comme telle, ce sont les gens en administration de la santé qui sont plus compétents que nous pour ça. Mais il y a énormément de talents dans le réseau de la santé, parmi nos membres nutritionnistes qui travaillent en santé publique. La question, encore, demeure : Est-ce qu'il y a assez d'activités, en santé publique, reliées à la promotion et à la prévention? Ce n'est pas certain. Ce n'est vraiment pas certain. C'est toujours une quantité qui... C'est la quantité plus que la qualité. La qualité est là.

Mme Charlebois : Ce que vous êtes en train de me dire, finalement, c'est les budgets qui permettent une campagne. Comment vous voyez, en prévention, parler de nutrition? En prévention, c'est des campagnes de publicité, c'est de l'information...

Mme Bernier (Paule) : Bien, il y a toutes sortes de programmes qui existent, là. Ça, c'est vrai, mais il y a aussi toutes sortes de programmes. Mais je voudrais juste mentionner qu'il n'y a pas de nutritionniste en santé publique, il n'y a pas de poste de nutritionniste, ce sont des agentes en promotion. Mais il n'y a pas de... Quand on essaie, nous, de repérer le nombre de nutritionnistes, là, on ne l'a pas par titre d'emploi.

Mme Charlebois : O.K. Dans les programmes cliniques actuels, vous avez parlé tantôt de la promotion de la santé. Puis je suis bien d'accord avec vous, puis pourtant je m'alimente bien, mais j'ai attrapé une grippe qui m'a été transmise par je ne dirai pas qui. Mais, farce à part, outre les structures, outre la prévention dans le système de santé publique, parlez-moi donc de la première ligne. Est-ce que vous considérez que les services intégrés vont faciliter le... Parce que moi, je pense que, de pouvoir faire les services première, deuxième, troisième ligne, puis que le dossier patient soit à un endroit, puis que, les gens, au lieu de toujours répéter leur histoire, tout le monde ait accès à ce dossier-là, moi, je pense que l'usager va être grandement aidé plutôt que de voir l'expertise se disperser.

Alors, dans une région donnée, dans un CISSS, est-ce que vous croyez que ça va être un plus? Est-ce que ça va améliorer le rendement? Est-ce que, compte tenu des ressources actuelles... J'entends que vous avez besoin de plus de ressources, ça, je l'ai entendu. Mais je veux vous entendre sur... Sans vous faire parler de la structure, je veux vous parler des services intégrés, vous comprenez? Parce qu'il y a un lien direct, selon moi, entre la santé et les services sociaux, entre la santé et la prévention puis entre la santé et comment bien s'alimenter avant l'opération, après l'opération, mais aussi dans notre vie de tous les jours.

Mme Bernier (Paule) : Exactement. Mais là vous me parlez surtout d'information, c'est ce que vous mentionnez. Et effectivement, présentement dans le système actuel, à l'intérieur d'un même centre hospitalier, il y a des dossiers papier distincts pour les admissions, quand les patients sont admis, et pour les services ambulatoires. C'est un fouillis, ça prend un temps fou pour faire une consultation qui prendrait 30, 40 minutes. Ça m'a pris deux heures, la semaine dernière, justement parce qu'il y avait un manque de coordination dans l'information.

Alors, effectivement, le déploiement, s'il inclut l'informatisation des dossiers, puis ça, en temps réel, et qu'il nous donne un accès libre et entier à l'information, pourra être perçu comme une amélioration.

Mme Charlebois : Good! Est-ce que vous croyez que, comment vous dire ça, dans toute l'intégration de ces structures-là dont vous venez de me faire mention... est-ce que vous avez des craintes, vous, par rapport à tout ça, là? Parce qu'on a entendu beaucoup de personnes parler de craintes, puis je sais que mes collègues de l'opposition, mes amis vont vous en parler, ils vont vous amener là-dessus. Mais est-ce que vous voyez des choses à améliorer, carrément? Parce que j'entends pour les budgets, j'entends pour le nombre de nutritionnistes, j'entends tout votre appel, puis on s'est déjà rencontrées à ce sujet-là. Mais, au niveau des dispositions de la loi, outre la représentation dont vous faites mention — j'en ai pris bonne note — est-ce que vous voyez des choses que nous pourrions parfaire, qui feraient en sorte que la partie nutrition serait mieux couverte?

Mme Bernier (Paule) : Je pense qu'un des gros points, c'est l'article 94 qui stipule que le ministre, annuellement, déterminera les budgets, fera part des budgets et des orientations ministérielles. Et, si on veut atteindre les objectifs, humblement nous vous soumettons que les nutritionnistes doivent faire part des personnes qui devraient être consultées ou qui pourraient apporter une information signifiante au ministre pour prendre des décisions éclairées à cet égard. Ça, c'est d'une part. Les...

Une voix : ...

Mme Bernier (Paule) : Pardon? L'autre chose, je n'irai pas dans les structures comme telles, mais je me réfère au modèle d'amélioration de Deming et Shewhart où on parle des changements. Chaque changement demande... chaque amélioration demande un changement, mais ce ne sont pas tous les changements qui mènent à une amélioration. Et il faut savoir mesurer ce qu'on fait. Et nous n'avons pas présentement d'indicateurs en nutrition clinique qui soient valables. Le seul indicateur que nous avons, c'est le coût-repas, qui, vraiment, nous donne une fausse idée de ce qui se passe. Si les gestionnaires dépensent moins pour les aliments, bien, ils sont plus performants, alors que... excuse-moi, là, mais, quand on est malade, si, normalement, on a besoin de 1 500 calories, on en a besoin de 2 300, puis l'appétit ne suit pas, d'où la dénutrition. Parce que les patients arrivent dénutris et ils se détériorent. Alors donc, effectivement, ça, ça serait, dans les orientations et... tu voulais continuer?

Mme Chapados (Annie) : Oui. Je voulais juste ajouter un petit élément. Au-delà des structures, au-delà du projet de loi, au-delà, bien, des ressources, des effectifs, parce qu'on s'entend que... moi, j'appelle ça — moi, je ne suis pas nutritionniste, alors, souvent, mes exemples sont un peu plus imagés — ma théorie du motton de spaghetti, là. On prend le spaghetti, on tire, puis le motton monte au grand complet. Au-delà de tout ça, est-ce qu'il y a une amélioration à apporter, dans le vaste contexte? Je pense que c'est que nous puissions obtenir un énoncé clair de principe à l'effet que la nutrition trouve la reconnaissance, pas une reconnaissance factice, mais la reconnaissance de sa plus-value dans l'ensemble du continuum de soins. Et, quand on mentionne... Et le ministre, M. le ministre, plus tôt, a parlé des appréhensions de tout un chacun, des inquiétudes de tout un chacun, et pourquoi il s'est... inquiet, parce qu'il répétait et répétait que, non, on ne veut pas mettre les services sociaux de côté, non, on ne veut pas... Probablement qu'on va se faire dire : Non, on ne veut pas mettre la nutrition de côté. Bon. Il n'y a rien qui le dit nulle part. Et je pense que, s'il y a une chose à améliorer... Et, certes, il y a un mécanisme qui est prévu, il y aura des orientations ministérielles, mais même là, en regard des orientations ministérielles, on dit : Oui, très bien, mais est-ce que vous aurez en tête ce rôle fondamental de la nutrition?

Alors, l'amélioration, là, je pense que c'est davantage une amélioration de la nature de communication, de fluidité des communications entre le gouvernement et les parties prenantes qui interviennent en action directe auprès des patients, des clientèles, des populations, etc. Et tout à l'heure, plus tôt, il a été mentionné : Oui, mais les médecins, oui, savent, connaissent l'apport que vous pouvez avoir. C'est clair qu'un endocrinologue sait très bien qu'il a besoin d'une nutritionniste dans son équipe. Ça, c'est clair. Mais je peux vous dire aussi que l'OPDQ a développé des partenariats de formation auprès d'associations médicales et qu'au départ je me faisais dire par des médecins : Bien là, en dermatologie, je ne vois pas ce que la nutritionniste, à part dire de boire moins de Coke puis manger moins de chips pour ne pas avoir de boutons, je ne vois pas ce qu'une nutritionniste pourrait faire. Et c'était moi, non-nutritionniste, qui disait : Bien, excusez, c'est parce que, les plaies de pression, là, il paraît que la nutrition est très, très, très importante.

Donc, on voit que la notion de qui fait quoi, quelle est la portée de l'intervention nutritionnelle, ce n'est pas avéré et ça n'est pas si connu que ça. Dans bien des cas, ça ne l'est pas, d'où l'importance qu'il y ait une orientation claire.

Mme Charlebois : Est-ce que vous croyez que cette orientation-là doit figurer au projet de loi? Votre axe de communication, est-ce que... mon Dieu! est-ce que vous la voyez dans le projet de loi? Et j'ai le goût de vous dire : Vous le savez, je travaille sur un plan en prévention... pas un plan, mais, en fait, une politique de prévention en santé. Est-ce que vous voyez votre connaissance... j'allais dire votre «know-how», là, mais votre connaissance dans ma politique de prévention en santé ou si vous voulez aller au-delà de cela, au-delà de la santé publique, au-delà de... Où vous voyez votre rôle?

• (12 h 50) •

Mme Bernier (Paule) : La nutrition, je l'ai dit tout à l'heure, ça transcende. Ça transcende de la préconception — pour éviter des maladies du tube neural, ça prend des suppléments en vitamines... en acide folique — jusqu'aux soins de fin de vie, mais il faut la hiérarchiser aussi dans le processus décisionnel. Vous me parlez de votre politique, oui, c'est une chose, c'est un morceau. Mais on ne peut pas regarder l'individu comme... quand on parlait... On parle souvent des silos. On ne peut pas regarder l'individu juste au moment de son épisode de soins ou juste en préhospitalisation, il faut le regarder dans sa globalité. C'est ça qui manque dans la vision sociétale qu'on a de nos patients.

Les patients, là, c'est vous, c'est moi, c'est mon mari, c'est votre épouse, c'est tous les gens qu'on aime. C'est ça, les patients, ce sont les gens dont on s'occupe. Ce n'est pas quelqu'un qui prend un rendez-vous pour venir passer la nuit à l'hôpital puis venir manger un bon petit repas, ce n'est pas ça, là. C'est un traitement, O.K.?

Alors, c'est extrêmement important de prévenir, oui, parce que ça coûte extrêmement cher, on veut sauver de l'argent. De rentabiliser les services... Combien de fois on est aux soins intensifs, on voit des patients postchirurgie cardiaque, intubés, ventilés, sous perfusion de vasopresseur, alors ils ne maintiennent pas leur hémodynamie, pendant des semaines, et ça coûte cher, et ils ne s'en sortent pas parce que leur biologie initiale n'était pas adéquate. Ça, c'est un exemple, parmi tant d'autres, qui coûtent une fortune.

Une voix : Ça va?

Le Président (M. Tanguay) : C'est beau, merci beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange. Je cède maintenant la parole à notre collègue députée de Taillon pour un bloc de 14 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, Mme Bernier, Mme Chapados, Mme Bouchard, bienvenue, merci pour votre présentation et aussi pour le rappel, vraiment, de la place des nutritionnistes, des diététistes dans la santé des gens. Donc, vraiment, je trouve que c'est quelque chose qui est méconnu.

Je trouve qu'on investit beaucoup, comme pharmacienne, dans les médicaments, par exemple, pour le traitement du diabète. Et je me suis toujours dit : Dès qu'un patient diabétique a le diagnostic, si on pouvait lui permettre d'avoir deux choses : une épicerie avec une nutritionniste et quelqu'un qui viendrait voir son garde-manger à la maison et qui ferait le ménage. Parce que je vois énormément de patients qui font de leur mieux, qui font des efforts, qui coupent sur des choses qu'ils n'ont pas besoin de couper puis qui ne mangent pas des choses auxquelles ils auraient droit. Et on n'a pas su positionner correctement les nutritionnistes dans leur contribution déterminante, là, ces mesures-là, elles auraient un impact pendant 10, 15, 20 ans.

Et je regarde un peu le projet de loi et je me dis : On n'a pas priorisé, peut-être, les choses qui apparaissent être prioritaires. Nous avions, au sein de notre gouvernement, une politique de prévention qui était tout près d'être déposée. J'entends que notre collègue va donner suite et j'en suis très contente, parce que je pense que ce que vous décrivez comme besoins s'inscrit dans des mesures préventives efficaces.

Mais, pour le commun des mortels, moi, il y a des statistiques qui me frappent dans ce que vous avez dit. Par exemple, une personne sur cinq est réadmise dans les 30 jours, donc elle est hospitalisée, ça nous coûte très cher, elle doit y retourner dans les 30 jours. Je vous dirais qu'il y a souvent des arrimages au niveau de la médication qui ne sont pas faits, mais aussi au niveau du statut nutritionnel, qui n'est pas bon, les gens sont mal alimentés, trop faibles, ne récupèrent pas, ne récupèrent pas bien à la maison en mangeant ce qu'ils pensent être bon mais qui ne l'est pas nécessairement, et donc des retours.

On a beaucoup parlé, donc, dans... Le ministre, dans le projet de loi n° 10, a parlé de Kaiser Permanente et de Cleveland Clinic. Ce matin, il y a un très bon article par Robert Perreault, qui est un médecin qui connaît très, très bien... parce qu'il est allé dans ces modèles-là, il les a vécus. Et il nous rappelle... Dans le fond, on pourrait recentrer ça en cinq grandes priorités, c'est : la prévention — vous y avez fait référence — la première ligne forte, un système d'information — et c'est vraiment ce que vous dites, un dossier partagé, quelqu'un... on peut avoir l'information — une participation citoyenne à leur santé — hein, il faut que les gens participent à leur santé en les faisant mieux comprendre — puis une gestion intelligente avec une reddition de comptes.

Moi, ce que j'entends de ces cinq mesures-là, là, c'est que ça, c'est du concret, c'est de la réalité, ce n'est pas jouer dans des structures et se redonner plus, moins ou moyen pouvoir, le déplacer des régions au centre, c'est vraiment agir sur... porter des actions pour les citoyens. Pour illustrer ça, pour que la population le comprenne bien, par rapport à des femmes enceintes, parce qu'on pense que vous vous inscrivez beaucoup dans la politique de la prévention, décrivez-moi l'ensemble des actions qu'une nutritionniste pourrait faire lorsqu'il y une femme qui prévoit être enceinte et qui l'est. Qu'est-ce qu'on peut faire quand on a accès à une nutritionniste?

Mme Bernier (Paule) : Bien, d'abord, déjà, les jeunes, je remarque qu'ils sont au courant, quand elles pensent vouloir avoir un enfant, commencent à s'alimenter mieux et prendre des suppléments en vitamines, en acide folique pour prévenir les anomalies du tube neural. C'est déjà une première chose.

Mais, si on exclut les gens qui ont besoin et peuvent bénéficier de programmes spéciaux, parce qu'ils sont à faibles revenus, donc à risque d'avoir des bébés de petit poids, où ils reçoivent des multivitamines, des suppléments alimentaires et des conseils d'une nutritionniste, il y a aussi toute la gestion... Il y a des grossesses qui vont très bien. Il y a des grossesses qui vont très bien où il y a une prise de poids qui est exagérée, qui, éventuellement, peut amener à des complications, tel le diabète, si ce n'est pas immédiatement, ça peut être plus tard dans la vie. Et il y a des grossesses qui ne vont pas bien, qui ont des complications, de tous ordres, là, et pour lesquelles les nutritionnistes interviennent, nommément lors de diagnostics de diabète gestationnel.

Alors, il est extrêmement important, pour la viabilité et pour le développement du foetus et du bébé, d'avoir un contrôle de la glycémie, donc du taux de sucre, le plus normal possible, d'éviter des variations en dents de scie au cours de la journée. Et une nutritionniste, par son approche, quand elle fait du counseling, elle évalue les habitudes alimentaires de la personne, les met en lien avec ses besoins nutritionnels et est capable, avec son mode de vie aussi, de lui faire changer ses habitudes justement pour arriver à une finalité de contrôle du taux de sucre.

Mme Lamarre : Vous diriez qu'actuellement vous réussissez à offrir ce genre de services là à quel pourcentage des femmes qui sont enceintes?

Mme Bernier (Paule) : Je n'ai pas les statistiques, mais il y a des nutritionnistes dans les cliniques de grossesse à risque élevé. Les heures sont limitées, ça, je le sais, mais je ne pourrais pas vous donner les statistiques quant à ça.

Mme Lamarre : En quoi vous voyez que le projet de loi n° 10 pourrait vous permettre d'offrir ça à plus de personnes? Il me semble que votre problème, c'est un problème plus de budget, de priorisation, de vision de votre rôle en prévention. Donc, le changement, là, des agences, des CSSS, en quoi ça pourrait vous aider ou...

Mme Bernier (Paule) : Bien, s'il y a une harmonisation des services entre les différents paliers, si on est capables de réaffecter les ressources aux bons endroits, lorsqu'on peut les enlever ailleurs, mais, honnêtement, là, dans le domaine de la nutrition, je ne vois pas où on peut en enlever... et ce serait là. La structure comme telle, je ne peux pas me prononcer si la structure comme telle va faire en sorte qu'il va y avoir une amélioration, mais, je répète, on a besoin d'indicateurs, on a besoin de mesurer. On ne peut pas savoir si un changement est une amélioration si on ne le mesure pas. Et, à cet égard, je répète, nous n'avons pas d'indicateur. Il y a des indicateurs reliés à la dénutrition et... Par exemple, aux Pays-Bas, ils ont choisi d'utiliser la prévalence de dénutrition comme un indicateur de qualité. Il y a aussi toute la question de la transparence des indicateurs qu'on pourrait utiliser.

Mme Lamarre : Donc, à ce moment-ci, vous n'avez pas aucune confirmation que le projet de loi n° 10 va améliorer la possibilité de vos interventions, là?

Mme Bernier (Paule) : Bien, je n'ai pas de confirmation ou le contraire.

Mme Lamarre : Ni d'infirmation. Mais il n'y a pas de réponse, en tout cas, à vos besoins, qui sont bien ressentis et bien pertinents.

Mme Bernier (Paule) : Non.

Mme Lamarre : Je vous dirais, dans les indicateurs de performance, je vous rejoins beaucoup. Est-ce qu'il y a des modèles où les indicateurs de performance sont mieux organisés et vous permettent d'avoir... Avez-vous des références qui sont...

• (13 heures) •

Mme Bernier (Paule) : Bien, brièvement, là, et, dans le mémoire, j'en fais mention, il y a les Pays-Bas. En fait, il y a eu une résolution du Conseil de l'Europe, en 2003, pour attaquer la problématique de la dénutrition — je prends la dénutrition parce que c'est un exemple qui me vient facilement, là, mais il y en a dans plein de domaines — et qui fait en sorte que maintenant plusieurs pays européens travaillent avec les mêmes indicateurs de qualité, qui ont d'abord été développés aux Pays-Bas, et ça fait en sorte qu'à l'intérieur de 10 ans la prévalence de la dénutrition a diminué. Parce qu'il y avait un retour... Quand on a un indicateur... C'est bien beau avoir un indicateur, mais, si on n'en fait rien, c'est totalement inutile. Il faut retourner au chevet du patient, auprès des soignants, pour leur dire : Bien là, on a fait une bonne job, on n'a pas bien fait notre travail, qu'est-ce qu'on peut améliorer? Et donc c'est un cycle, là, tout le temps dynamique.

Mme Lamarre : Votre commentaire est très pertinent, et ça m'amène à un reproche qui a été fait à la politique actuelle, au projet de loi, c'est de politiser beaucoup le système de santé. Et vous y faites référence, en nutrition, pour avoir des impacts, il faut très souvent maintenir une politique ou un soutien, un service pendant 10 ans, 15 ans, commencer avec des tout-petits, commencer avec des femmes enceintes pour pouvoir voir que les adolescents vont avoir une meilleure santé dentaire, physique, mentale. Et donc le fait de rendre notre système de santé très, très politisé... les P.D.G., tout ça, ça va être pour quatre ans, on n'est même pas sûrs qu'ils vont avoir un deuxième mandat. Toutes les décisions sont recentrées sur un ministre qui, on le sait bien... Et je l'ai déjà dit, quel que soit le parti politique, tous les partis veulent performer pendant les quatre années où ils sont au pouvoir, et donc tout ce qui est impact à plus long terme est moins favorisé. Tout ce qu'il va dire... bien, on va être capable de dire qu'on a passé tant de scans, on a opéré tant de cataractes, on a fait... Mais tout ce qui est porté et qui finit par nous rapporter énormément d'économies puis de bénéfices, parce qu'on a des gens plus en santé, le modèle scandinave a beaucoup, beaucoup misé là-dessus et apporte de très bons résultats.

Alors, ce que vous nous dites, dans le fond, c'est qu'en nutrition il y a plusieurs de vos mesures qui ont une portée mais à long terme, et le fait de politiser et de faire en sorte que les décisions sont concentrées sur un ministre, comme je le dis encore, quel que soit le parti, mais qui aura quatre ans pour avoir des résultats, la tentation... Est-ce que vous pensez que la tentation va être plus grande d'encourager des mesures qui ont un impact très, très vite que de celles qui ont un impact à moyen terme et des économies à long terme?

Mme Bernier (Paule) : D'abord, on va faire une distinction entre des politiques nutritionnelles ou des politiques alimentaires. C'est le même mot, là, la même racine, mais ce n'est pas la même chose que politiser un dossier, on s'entend. Mais effectivement il faut avoir des actions à très long terme, la vie durant, et d'où l'importance, et on l'a dit et on le répète, que le ministre soit entouré de gens qui peuvent lui donner les informations nécessaires quant aux besoins en services nutritionnels de la population qui est à desservir.

Mme Lamarre : Excellent. Je vous dirais que, comme dernière question, une des priorités, là, c'est d'améliorer l'accessibilité. Ce qu'on entend, c'est que, s'il n'y a pas vraiment de nouveau budget pour l'instant, vous, votre accessibilité, elle n'est pas optimale, et vous ne voyez pas comment elle peut s'améliorer. Est-ce que c'est une meilleure répartition sur les territoires qui pourrait changer ça?

Mme Bernier (Paule) : Écoutez, moi, ce que je vous dis aujourd'hui, à tout le monde, O.K., que vous soyez d'un côté ou de l'autre côté de la banquette une année ou l'autre année, le Québec se prive, depuis plusieurs années, des services des nutritionnistes. En n'ayant pas assez de monde, il y a des trous de service. C'est ce qui fait qu'aux États-Unis la dénutrition est un facteur de comorbidité qui ouvre la voie à un remboursement, à un paiement plus élevé, parce qu'ils savent que ça engendre des coûts supplémentaires. Et là on parle de coûts, O.K., mais, sous ce discours-là, là, j'ai toujours à l'esprit les souffrances, les pertes de revenus, les aidants naturels qui ne sont pas au travail parce qu'ils s'occupent de leurs proches à l'hôpital ou en réadaptation, O.K.? Alors, il faut regarder ça.

Et je vous dis que les nutritionnistes sont là pour aider le système. Utilisez-nous! Vous ne le faites pas, vous ne nous permettez pas d'agir adéquatement, d'avoir une portée sur l'efficacité, l'efficience, la réduction des coûts et la réduction des souffrances.

Mme Lamarre : Merci beaucoup. Merci de votre témoignage.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Je vais maintenant céder la parole au porte-parole du deuxième groupe d'opposition, le député de La Peltrie, pour une période de 9 min 30 s.

M. Caire : Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. Vous avez amené un élément très intéressant au niveau de la budgétisation. Vous dites : On souhaiterait avoir des budgets fixes, des budgets qui sont dédiés. C'est une revendication qu'on a entendue souvent par d'autres groupes. Ce que je comprends, c'est qu'actuellement, dans la structure actuelle, c'est compliqué, c'est compliqué aussi pour obtenir vos services, c'est un parcours du combattant, notamment chez les diabétiques, là, ça peut être assez long avant d'avoir accès à un nutritionniste.

Donc, il y a une opportunité, je pense, avec le projet de loi n° 10, la restructuration du réseau, mais de quelle façon peut-on saisir cette opportunité-là pour faire la place dont vous avez besoin?

Mme Bernier (Paule) : Il y a des budgets, il y a des enveloppes qui sont données par... Si on prend centre hospitalier, par exemple, là, on va prendre l'exemple du centre hospitalier, il y a des budgets qui sont assurés. C'est une enveloppe qui est donnée, qui est consentie aux services de diététique, qui peut être organisée, qui peut inclure la nutrition clinique, donc le soin direct aux patients. Il y a d'autres endroits où les budgets sont organisés par programmes, donc ça va être un programme en diabète ou en oncologie, médecine familiale, «whatever», et là il y aura un budget qui, des fois, va être par programmes, mais des fois va être par services. Alors, c'est à géométrie variable.

Je vous parlais tout à l'heure du coût-repas. Alors, un gestionnaire va être considéré comme étant performant s'il dépense moins, donc... Et l'enveloppe budgétaire, l'année d'avant, risque d'être moindre, mais, des fois, il y a des vases communicants entre les enveloppes de nutrition clinique et les enveloppes du budget d'alimentation. Donc, il faut préserver une certaine indépendance de ces enveloppes-là pour s'assurer que les fonds vont aux bons endroits.

M. Caire : Et comment on y arrive? Parce que je comprends ce que vous dites, là, mais comment, dans le...

Mme Bernier (Paule) : ...c'est des mécanismes de gestion, là, qui ne sont pas vraiment de notre ressort. C'est vraiment des règles administratives et... Oui, Mme Bouchard.

Mme Bouchard (Joanie) : Bien, peut-être à titre d'exemple, je ne dis pas que ça serait nécessairement notre recommandation, mais, en Ontario, le coût-repas est normé. Donc, c'est une directive ministérielle. On décide d'allouer une enveloppe pour le coût des aliments qui vont être offerts aux patients à chaque jour. À ce moment-là, l'établissement doit respecter ça, et on évite qu'à ce moment-là il y ait un peu cette image-là d'on tire la couverte pour qu'il y ait des sous, pour que les nutritionnistes voient les patients mais qu'en même temps on ait suffisamment d'argent pour produire et distribuer les repas. Donc, c'est des mesures qui existent, qui permettent, à ce moment-là, de standardiser l'offre à ce niveau-là.

M. Caire : Ça fait longtemps que cette mesure-là a été intégrée en Ontario?

Mme Bouchard (Joanie) : Ça fait quelques années. Il y a des normes aussi qui sont disponibles, en Ontario, dans le secteur des soins de longue durée, pour les effectifs en nutrition aussi, donc parallèlement ça a été fait. Mais ça fait quelques années que c'est fait, oui, dans les années 2000.

M. Caire : Vous dites que ça émane d'une directive ministérielle? C'est comme ça qu'ils l'ont fait?

Mme Bouchard (Joanie) : Oui.

M. Caire : O.K. Puis donc l'impact, c'est d'assurer un budget stable, prévisible pour tous les services de nutrition.

Mme Bouchard (Joanie) : Non compressibles, oui.

M. Caire : Non compressibles.

Mme Chapados (Annie) : Oui. Parce qu'on s'entend, les jeux de tirage de couverte, pour reprendre l'expression de Mme Bouchard, c'est un petit peu ce que ça vient faire. C'est que vous avez des budgets qui sont compressibles, et, dans un certain contexte budgétaire, financier donné, bien, la tentation va être là de venir comprimer, précisément. Il faut laisser une certaine indépendance entre les deux, mais l'un a un impact sur l'autre, inévitable, d'où l'importance de les préserver.

• (13 h 10) •

M. Caire : Tantôt, je vous entendais parler de votre expérience avec des médecins qui ne voyaient pas nécessairement l'intérêt de travailler avec les nutritionnistes...

Mme Chapados (Annie) : ...attention. Ce n'est pas qu'ils ne voyaient pas l'intérêt. Je ne pense pas que ce soit un manque d'intérêt, au contraire. On l'a, notre partenariat. On l'a, notre partenariat, précisément parce qu'ils ont dit : Oh, oui, d'accord. Puis, maintenant on agit ensemble en matière de formation continue. Alors, ce n'est pas un manque d'intérêt. Je pense que c'est peut-être par pure ignorance.

M. Caire : Mais on s'entend, vous et moi, que la raison importe peu. C'est le résultat qui compte.

Dans la nouvelle structure, telle qu'elle est proposée, comment on peut faire en sorte que les nutritionnistes aient une place à la hauteur du service que vous pouvez rendre? Parce que, dans le fond, ce que vous dites, c'est que nous travaillons en amont. Et le résultat, le fruit de notre travail, c'est des économies, qui sont un des objectifs visés par le projet de loi. Puis de quelle façon on peut s'assurer... Bon, je pense aux médecins, aux dentistes, aux pharmaciens qui ont un...

Mme Chapados (Annie) : Leur CMDP.

M. Caire : ...leur CMDP, qui ont des directions dans le cas...

Mme Chapados (Annie) : Nous, on a le conseil multidisciplinaire, et je vous suggérerais...

M. Caire : Quel rôle, justement, ce conseil-là pourrait jouer au sein de la grande structure?

Mme Chapados (Annie) : Alors, notre inspection professionnelle nous dit que c'est une structure qui est très importante, facilitante, aidante pour la qualité de l'acte professionnel. Donc, il faut le maintenir.

Le fait de rapatrier tous ces conseils multi là dans un seul endroit, donc une personne ou un conseil qui représente un grand nombre de besoins, éloigne du patient, éloigne des besoins. Et ce qui est important et ce que nous suggérons... La loi sur la santé actuelle prévoit que les conseils multidisciplinaires peuvent former des comités de pairs lorsque requis. Nous proposons qu'il y ait un mécanisme ou une structure intermédiaire qui pourrait être une permanence des comités de pairs permanents ou obligatoires encadrés par la loi qui est à venir. C'est une des choses qu'on voit, mais définitivement le... On dit que plus on s'éloigne... puis je ne répéterai pas ce que d'autres intervenants ont dit, mais c'est prouvé, là.

Alors, nous, on croit aussi à une approche top... je m'excuse, c'est «top-down, bottom-up». Alors, oui, ça prend des orientations ministérielles, mais il faut être capable, par exemple, via des représentants de l'ordre des diététistes ou des diététistes en général... pouvoir aller voir quels sont les besoins à la base, comment ça se passe sur le terrain. Encore là, je reviens aux indicateurs, la nécessité de mesurer. Si on mesurait les conséquences, par exemple, de la non-prise en charge... O.K.? On peut le calculer. Les coûts de la non-prise en charge — je reviens à la dénutrition — là, sur les plaies de pression, c'est comme 50 fois plus grand que si on traitait tout le monde, si on dépistait puis on traitait tout le monde.

M. Caire : Bien, en fait, vous m'amenez à une réflexion. Souvent, le ministre va nous dire : L'objectif du projet de loi, c'est d'avoir une meilleure intégration des services. J'oserais dire aussi, peut-être : Une meilleure communication de l'information, une plus grande clarté, une plus grande accessibilité de l'information. Donc, est-ce que ça, ça n'irait pas dans le sens de ce que vous venez dire? Si l'information est plus facile à obtenir, facile à colliger, on est plus en mesure de mesurer la performance et les conséquences directes des soins qui sont donnés ou qui ne sont pas donnés.

Mme Chapados (Annie) : Alors, d'ailleurs, nous l'avons mentionné que l'informatisation, et la disponibilité de l'information médicale, est primordiale et qu'un patient, par exemple, parte de l'hôpital ou arrive à l'hôpital, donc qui a peut-être déjà été vu en CLSC, a un épisode de soins et retourne, c'est primordial, ça. Pour nous, c'est très, très important, et, si c'est ce projet de loi qui permet cela, tant mieux. Si ce n'est pas ce projet de loi, il faut que ça se fasse de toute façon. Je ne me prononcerai pas à l'effet que, oui ou non, ce projet de loi répond à un besoin, ça peut, mais je vous dis que le problème comme tel de circulation d'information et de disponibilité doit exister, et, au-delà d'un... Parce qu'il y a des corridors de services suprarégionaux qui sont prévus justement pour... Pour nous, ça concernerait, par exemple, l'alimentation parentérale, par veine. Les patients qui ne peuvent pas s'alimenter par la bouche, parce qu'ils ne sont pas capables d'absorber, ils ont besoin d'un accès veineux pour recevoir des nutriments pour le reste de leur vie, et ça, présentement, ce sont des programmes qui existent. Alors, ce n'est pas juste à l'intérieur d'un CISSS, j'imagine que ça sera plusieurs... ce seront des corridors suprarégionaux. Alors là, l'information aussi devra être très importante, la dissémination de l'information.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à la période d'échange. Nous vous remercions, vous, les représentantes, donc, de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec.

Compte tenu de l'heure, je suspends les travaux de la commission jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 16)

(Reprise à 15 h 4)

La Présidente (Mme Montpetit) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l'organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l'abolition des agences régionales.

Je souhaite la bienvenue à nos invités, l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. Pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien vouloir vous présenter. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé et par la suite nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Institut sur la gouvernance d'organisations
privées et publiques (IGOPP)

M. Allaire (Yvan) : Merci, Mme la Présidente. MM. et Mmes les députés, mon nom est Yvan Allaire, je suis président exécutif du conseil d'administration de l'institut. À ma droite, Michel Nadeau, qui est directeur général de l'Institut sur la gouvernance; à ma gauche, M. Gaston Bédard, qui était président du groupe de travail, mis sur pied par l'IGOPP, sur les questions du système de santé québécois. M. Bédard est aussi président du conseil du CHUQ, Centre hospitalier universitaire de Québec.

C'est avec plaisir que nous venons devant vous présenter rapidement quelques observations sur le projet de loi n° 10. Le projet de loi propose une transformation radicale de l'organisation de la gouvernance du système de santé québécois. Cette transformation semble s'appuyer sur des constats que partage le groupe de travail sur la santé de l'IGOPP, qui a rendu son rapport le 17 septembre dans un document qui s'appelle Faire mieux autrement, qui a été rendu public à ce moment-là. Le mémoire reprend d'ailleurs, ici, les analyses contenues dans le rapport de ce groupe de travail.

Un constat important que nous faisons, c'est qu'un système de santé qui place le patient au coeur de son fonctionnement devra accorder suffisamment d'autonomie aux entités responsables de la prestation de soins et services, assurer une étroite coordination entre les diverses entités dans une même région, et s'appuyer sur d'abondantes et opportunes informations cliniques et financières disponibles pour ceux qui en ont le plus besoin : les professionnels soignants et les professionnels gestionnaires.

Le projet de loi n° 10 propose une série de changements de grande importance, entre autres l'abolition des 18 agences de santé et de services sociaux et la création de 20 centres intégrés de santé et de services sociaux, CISSS. Ceux-ci deviennent, et c'est important en notre perception du projet de loi, des centres opérationnels, des organismes d'exploitation et de coordination, et non pas des intermédiaires, des courroies de transmission bureaucratiques. Les CISSS seront dotés de conseils d'administration formés majoritairement de membres indépendants et, possiblement, rémunérés.

Il faut bien noter et comprendre que c'est en cela que le projet de loi n° 10 innove et tente de trancher les noeuds gordiens qui ont paralysé le système de santé québécois.

Dans ce modèle, le ministre et le ministère conservent le rôle de décideur ultime des priorités et des budgets mais ne gèrent pas le système de santé. À la gouvernance institutionnelle effectuée par les conseils d'administration des CISSS vient se greffer une démarche de gouvernance stratégique sous la responsabilité des dirigeants des CISSS. Dans ce système, les entités en contact direct avec les patients, usagers ne sont plus chapeautées par un conseil d'administration. La direction d'une entité jouit d'une autonomie réelle mais enchâssée dans un système de gouvernance stratégique géré par la direction du CISSS.

Cette gouvernance stratégique comporte des échanges sur le plan stratégique, le budget et les objectifs de performance de chaque entité tant d'un point de vue financier que de la qualité et la promptitude des services. C'est ainsi que le patient, usager devient au centre de toute cette organisation. L'approbation éventuelle des plans et budgets relève de la direction du CISSS. Il est de la plus haute importance que les dirigeants des CISSS soient perçus comme hautement légitimes et crédibles par les dirigeants des entités.

Plusieurs aspects du fonctionnement du système actuel devront être modifiés pour réaliser cette transformation. On en nomme plusieurs, j'en choisis quelques-uns. Par exemple, les dirigeants des CISSS auront-ils l'autorité pour nommer ou remplacer les directeurs généraux des entités de leur région? Auront-ils l'autorité d'établir leur rémunération? Il devrait en être ainsi.

Autre point : Dans le cadre d'une gouvernance stratégique, les dirigeants des entités opérationnelles et les dirigeants du CISSS doivent tenir des discussions sur leurs budgets, leurs plans stratégiques, leurs objectifs opérationnels, les mesures de leur performance. Or, le projet de loi n° 10 stipule, en son article 94, que cette information — quant à la dimension des budgets — ne sera divulguée aux CISSS qu'en début d'une année financière. Il faut absolument mettre en place des mécanismes qui permettent aux entités opérationnelles de préparer et de soumettre leurs plans et budgets et en obtenir l'approbation, avec ou sans modifications, en temps opportun pour élaborer et exécuter les plans d'action qui en découlent.

• (15 h 10) •

Au coeur, évidemment, de cette opération, il y a toute la notion d'autonomie versus centralisation et qui, évidemment, comporte un certain nombre de paradoxes. La transformation proposée comporte un mélange d'autonomie pour les CISSS et de centralisation accrue de pouvoirs pour le ministre et le ministère. Ce choix de centralisation ministérielle est peut-être la conséquence du jeu politique, de ses règles et de ses coutumes. Ce phénomène est-il incontournable? Est-ce une conséquence inévitable de notre système démocratique? Tant que l'on répond oui à ces questions, une propension à la centralisation ministérielle s'ensuit, mais il faut en baliser l'étendue.

Évidemment, un paradoxe s'ensuit également : Comment accorder une véritable autonomie à un conseil d'administration de CISSS mais lui retirer toute autorité sur l'embauche et le remplacement du P.D.G. et du président-directeur général adjoint ainsi que sur l'établissement de la rémunération? Ces rôles constituent la pierre d'assise d'une gouvernance efficace. Nous sommes sceptiques, toutefois, quant à la nécessité de prévoir dans la loi la nomination d'une président-directeur général adjoint.

On peut comprendre que, pour mettre en place de façon rapide et coordonnée, une si vaste réforme alors que les conseils d'administration des CISSS ne sont pas encore constitués, le ministre s'attribue la responsabilité de nommer les premiers P.D.G. des CISSS. Le projet de loi devrait refléter cette circonstance mais stipuler clairement que, par la suite, les conseils d'administration seront responsables de la nomination des P.D.G. et des P.D.G. adjoints, de leur évaluation et de leur remplacement, s'il y a lieu.

En son article 31, le projet de loi n° 10 élimine toute possibilité de rémunération variable et comporte même des amendes pour quiconque contrevient à cette disposition. Établir des règles universelles pour prévenir un certain type d'incident isolé dans le passé n'aboutit que rarement à une gouvernance de qualité.

La même motivation semble inspirer l'article 13 du projet de loi. Cet article stipule que les P.D.G. et le P.D.G. adjoint doivent travailler exclusivement pour l'établissement qui les emploie. Le conseil d'administration doit, dès qu'il constate une contravention à cette disposition, en aviser le ministre, mais le P.D.G. et le P.D.G. adjoint peuvent toutefois, avec le consentement du ministre, exercer des activités didactiques rémunérées et, auprès d'un organisme sans but lucratif, des activités non rémunérées. Ce genre de disposition infantilise le conseil d'administration.

Autres exemples. À l'article 130, le ministre se voit également octroyer des pouvoirs qui ne semblent pas nécessaires pour mener à bien sa mission mais qui risquent de banaliser l'autonomie dont devraient jouir les conseils des CISSS : le projet de loi accorde de nouveaux pouvoirs au ministre à l'égard des établissements régionaux et suprarégionaux, notamment le pouvoir de prescrire les règles relatives à la structure organisationnelle de la direction, à l'article 130.

À son article 59, alinéa 15°, on stipule que «le ministre doit développer des outils d'information et de gestion pour les établissements et les adapter aux particularités de ceux-ci». Il nous semble que les CISSS devraient aussi être capables d'établir les systèmes d'information qui leur sont nécessaires.

Les excès de centralisation du projet de loi peuvent et devraient être corrigés. Sinon, toute la démarche encourt deux risques : premièrement, les gens sérieux et compétents que l'on souhaiterait nommer aux conseils des CISSS pourront être rebutés par une autonomie de fonctionnement trop circonscrite, trop assujettie à la bureaucratie du ministère, même pour des décisions qui devraient, de toute évidence, relever du conseil; et, deuxièmement, quelle que soit la capacité de travail du ministre, les autorisations, approbations, nominations, interventions qui lui incombent dans le projet de loi sont si nombreuses qu'elles nécessiteraient que le ministre soit appuyé par un appareil bureaucratique encore plus considérable au ministère.

Point important, point 3 : la composition de conseils d'administration des CISSS. Le projet de loi comporte bon nombre de choix judicieux en ce qui concerne la composition et la nomination des membres des conseils, par exemple une représentation des parties prenantes, une nette majorité de membres indépendants, une démarche de nomination structurée pour identifier des candidats de qualité et imperméabiliser le processus, autant que faire se peut, à la partisanerie politique.

Le projet de loi propose aussi, en son article 11, des profils de compétence pour les membres indépendants. L'intention est louable, mais le projet de loi fait fausse route en attribuant un critère de compétence pour chaque administrateur indépendant. Ces profils de compétence et d'expérience, une norme de la gouvernance contemporaine, visent à rassembler au conseil des individus qui, collectivement, possèdent ces compétences recherchées. Il est inapproprié...

La Présidente (Mme Montpetit) : ...

M. Allaire (Yvan) : ...d'associer...

La Présidente (Mme Montpetit) : ...vous informer qu'il vous reste une minute.

M. Allaire (Yvan) : Ah! bien, parfait, c'est exactement ce qu'il me reste... ce dont j'ai besoin.

La Présidente (Mme Montpetit) : Merveilleux.

M. Allaire (Yvan) : Il est inapproprié d'associer une personne à une compétence.

De plus, alors que les compétences identifiées aux alinéas 1° à 5° de l'article 11 sont pertinentes et usuelles, vérification, risques, ressources humaines, gouvernance et éthique, il est difficile de comprendre à quelle compétence font référence les alinéas 6°, jeunesse, et 7°, services sociaux.

Une représentation équilibrée d'hommes et de femmes aux conseils des CISSS est un objectif incontournable que le ministre doit atteindre par ses nominations. Toutefois, exiger, comme le fait l'article 13, que toutes les listes de noms fournies en vue d'une nomination doivent être constituées à parts égales de femmes et d'hommes n'est pas souhaitable et inutilement contraignant. Ce qui compte, c'est que le ministre reçoive suffisamment de propositions de candidats et de candidates de haute compétence pour atteindre l'objectif souhaité.

Les membres des conseils des CISSS seraient nommés pour une période de trois ans, mais on ne précise pas le nombre de renouvellements de mandat qui seraient permissibles. Nous suggérons que la loi limite à deux renouvellements, soit neuf ans, le terme maximal d'un administrateur. Et nous ne voyons pas l'utilité, pour le conseil, d'élire parmi ses membres le secrétaire du conseil, maintenant un emploi plutôt spécialisé.

D'autres suggestions. En conclusion, le projet de loi n° 10 sur la réforme du système de santé au Québec constitue un grand pas vers un système qui place le patient au coeur de son fonctionnement et met les responsabilités au bon endroit. Nous souhaitons que les quelques suggestions fournies dans ce mémoire contribueront à bonifier cette réforme essentielle de notre système de santé. Merci.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie pour votre présentation. Nous allons donc débuter la période d'échange, et je donne la parole au député de la banquette ministérielle pour une durée de 21 minutes.

M. Barrette : Merci, Mme la Présidente. M. Allaire, M. Nadeau, M. Bédard, merci d'être venus aujourd'hui. Je dois vous avouer que votre comparution était, pour moi, attendue, compte tenu évidemment de ce que vous venez de présenter, qui va certainement à l'encontre de bien des positions qui sont véhiculées depuis le début des audiences parlementaires de cette commission.

Et, d'entrée de jeu, M. Allaire, j'aimerais ça vous dire une chose, et vous y avez fait allusion il y a quelques instants : Les pouvoirs qui sont critiqués — correctement, à mon avis — pour ce qui est du projet de loi n° 10, pour le ministre, en termes de nomination ne sont que des pouvoirs qui sont dans le cadre d'une loi de transition. Et normalement, comme vous l'avez évoqué tout à l'heure, dans la réécriture obligatoire d'une LSSSS qui doit suivre le projet de loi n° 10, les règles de nomination des individus ou des postes que vous avez énumérés tout à l'heure devront se standardiser, puis peut-être qu'on y reviendra dans la conversation que l'on aura dans quelques instants, parce que je vais vous poser la question : Comment verriez-vous ce processus de nomination là dans un mode plutôt standard, l'objectif ici, de ma part, étant de faire en sorte que le gouvernement, au départ, ait la possibilité d'avoir la capacité de s'assurer de la nomination optimale à la case départ? Et, comme je le dis depuis le début, cet aspect-là du projet de loi n° 10 est ouvert à modifications mais n'a certainement pas à être vu comme étant quelque chose de permanent.

Vous allez constater... et je vous dis ça parce que, quand vous allez entendre l'opposition officielle, on va vous amener exclusivement sur ce terrain-là — c'est le mode de démonisation qui existe, depuis le début, de tous les intervenants du projet de loi — les nominations, alors que les nominations font partie d'un projet de loi qui vise à mettre en place une nouvelle structure qui fera en sorte que le patient sera effectivement au centre des décisions, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Maintenant, j'aimerais vous entendre sur un ou deux éléments. L'autre élément qui fait en sorte qu'il y a un certain nombre de critiques de l'opposition et de d'autres vient du fait que... le fait de créer cette intégration-là est une hérésie. Ce n'est pas compliqué, là — vous allez l'entendre ou vous l'avez peut-être déjà entendu si vous avez suivi les audiences — faire un ensemble qui est plus grand que les ensembles individuels institutionnels actuellement est une hérésie, ça ne se peut pas. Un conseil d'administration, tel que proposé, et la structure d'intégration, telle que proposée, va mettre essentiellement le système à feu et à sang. Pourtant, vous, comme organisation, à l'IGOPP, je comprends que vous avez une assez, et pas mal, grande expérience dans le fonctionnement du réseau de la santé, parce que bien de vos clients... bon nombre de vos clients sont dans le réseau de la santé et ils vous consultent pour des questions de gouvernance, à un point tel que vous écrivez, à la page 4, qu'actuellement les règles de gouvernance actuelles mènent «à une gouvernance bric-à-brac faite de responsabilité sans autonomie et de membres de conseil qui n'ont pas une connaissance suffisante des enjeux du secteur pour gouverner efficacement».

Pouvez-vous nous éclairer sur le constat que vous faites actuellement, qui vous amène à tirer cette conclusion-là? Et comment — vous l'avez quand même bien dit dans le mémoire, là, dans votre exposé — on peut résoudre ces problèmes-là avec la solution proposée dans le projet de loi n° 10?

• (15 h 20) •

M. Allaire (Yvan) : Bien, je vais commencer et vais demander à Michel de compléter. D'abord, l'organisation du système de santé, c'est une entreprise, c'est une organisation, c'est un organisme extrêmement complexe, mais on a ailleurs des organismes complexes. On a des organismes complexes faits de multiples entités, avec des vocations différentes, parfois géographiquement dispersées, et on a appris ailleurs comment gouverner ces organismes-là.

Ce que nous reconnaissons dans le projet de loi — en tout cas, nous tentons et nous pensons y avoir vu — c'est une tentative d'apporter le genre de structure de gestion et de gouvernance que l'on retrouve dans le monde des organisations complexes, ailleurs que dans le système de santé québécois, il y en a dans le secteur privé, il y en dans le secteur parapublic, et que c'est, selon nous, la voie à prendre pour faire progresser notre système et aller dans le sens d'une efficacité de gestion et de gouvernance.

Une gouvernance bric-à-brac présentement — oui, c'est le terme que j'ai utilisé — parce que, d'abord, un grand nombre de conseils d'administration, c'est très difficile de trouver des membres indépendants, 200 fois huit personnes compétentes, capables de gouverner un hôpital ou un lieu, un établissement. Là, on en arrive à, finalement, un groupe beaucoup plus restreint parmi lesquels on devra choisir des gens vraiment compétents, qui connaissent le milieu, qui seront capables de gouverner efficacement ce système mais avec l'autonomie.

Et ce que je reprochais à cette gouvernance préalable, c'est que non seulement les conseils étaient ainsi constitués, mais on avait là une grande difficulté à vraiment gouverner, pour plusieurs raisons. Et, certainement — et ça, on y reviendra — les assemblées publiques... Donc, on formait des comités exécutifs, comités exécutifs où les vraies décisions se prenaient, les autres membres du conseil se disaient non impliqués dans les décisions prises par le comité exécutif, etc. Il y avait beaucoup de pathologies qu'on essaie d'éviter. J'étais content de constater qu'on ne parle pas de comités exécutifs, d'ailleurs, dans les conseils d'administration des CISSS.

M. Nadeau (Michel) : Notre expérience, depuis au moins sept ans... Nous avons visité à trois reprises la quasi-totalité des établissements de santé au Québec. Je suis allé dans toutes les régions du Québec, le soir, les fins de semaine, rencontrer les membres de conseils d'administration, et nous les avons visités, presque les 200, et nous avons visité à au moins deux reprises. Et évidemment, pour nous, nous sommes un organisme à but non lucratif, nous ne cherchons pas des revenus, mais, après six ans, dire que ces 200 organismes là ont de la difficulté à faire le travail, c'est difficile, mais on le fait. On le fait parce qu'on pense que... Malheureusement, je vois des conseils d'administration, de bonnes personnes bien intentionnées, mais gérer des systèmes complexes comme le sont les hôpitaux, ils n'avaient pas toujours la matière. Évidemment, les médecins n'étaient pas là. En plus, c'étaient des assemblées publiques, donc tous les groupes intéressés étaient dans les tribunes, et là, bien, c'était un spectacle, chacun tirait de son bord pour plaire à son public.

Or, dans ce contexte-là, on voit qu'il faut améliorer la gouvernance du système de santé par un nombre plus réduit d'institutions. Et nous en avons proposé 10, vous en proposez 20, alors je pense qu'on peut régler là-dessus, là. Mais l'important, c'est que ces gens-là soient nommés à partir d'un profil, d'une expertise, qu'ils soient un petit peu rémunérés, compensation modeste, disons-nous, et qu'il y ait de vraies assemblées publiques. Des vraies assemblées publiques à tous les six mois, tout le conseil d'administration, les cadres de l'hôpital reçoivent le public, et là, le public, c'est une soirée pour eux — ce n'est pas un spectacle où ils viennent assister — soirée pour eux, on répond à toutes leurs questions, les médias sont là, et c'est ça, la vraie démocratie.

M. Barrette : Et, si je comprends bien votre propos, il y a des parties publiques dans la gestion actuellement, mais ce n'est pas à ça que vous faites référence, là. Quand vous dites «des vraies séances publiques», ce n'est pas essentiellement... c'est totalement différent de ce qu'on voit actuellement dans notre réseau.

M. Nadeau (Michel) : Ce qu'on voit actuellement, c'est une... bien, beaucoup de présidents de conseil... je ne demanderai pas à M. Bédard de parler pour le CHUQ, mais on se réunit avant, en caucus, là, et là on prend toutes les décisions, et là on répète. Le vrai conseil se tient à huis clos, et là, ensuite, on arrive devant le public, là, où là les différents groupes intéressés, les parties prenantes de l'hôpital viennent intervenir, et là, bien, chacun joue sa partition. Mais le vrai débat... La démocratie, c'est des débats à coeur ouvert où les gens disent vraiment ce qu'ils pensent dans l'intérêt de l'hôpital, ou de l'établissement, ou de la région. Et ça ne se produit pas parce que les séances sont publiques actuellement. Or, donnons donc à la démocratie la chance de s'exprimer dans de vraies séances publiques. Or donc, nous, on pense que, ce faisant, on va ouvrir la porte à une vraie gouvernance.

Et le processus de nomination des membres, comme vous le souhaitez, une fois qu'on aura nommé la première génération, comment on va faire... Je pense qu'Yvan...

M. Allaire (Yvan) : On pourra y revenir, mais je pense que, dans le sens de ce que dit Michel, c'est très important que ces assemblées publiques là soient alimentées par une qualité d'information de haut niveau sur la performance de l'établissement, sur le niveau de satisfaction de la clientèle. Enfin, on suggère une série d'indicateurs véritables qui soient à la portée et soient accessibles, qui soient présentés durant ces assemblées, de sorte qu'on ait une vraie discussion sur les points forts et les points faibles de l'établissement face à sa mission.

M. Barrette : Ça m'amène à aborder un autre aspect qui, dans l'esprit du projet de loi n° 10 et dans mon esprit, est très important. Vous l'abordez aussi, votre mémoire, sous l'angle de l'autonomie, et moi, je l'aborde aussi sous l'angle de l'imputabilité, ça se rejoint d'une certaine manière, l'objectif est de faire en sorte que... Là, j'aimerais vous entendre là-dessus, je pense que le gouvernement ne peut pas se retirer complètement du réseau de la santé, il doit quand même être en mesure de donner des orientations, et, dans notre vision, puis là je veux vous entendre là-dessus, les CISSS ont l'autonomie pour livrer les livrables, et c'est un peu cette relation-là... En fait, c'est exactement cette relation-là qu'on vise : le donneur d'ouvrage est quelqu'un qui livre. Jusqu'où doit aller l'imputabilité et jusqu'où doit aller l'autonomie aussi? Parce que ces CISSS là ne vont pas avoir un pouvoir de lever des fonds. À un moment donné, les budgets doivent arriver. Je vous ai entendu puis je comprends très bien ce que vous me dites en ce qui concerne la présentation d'un budget éventuel. Les délais, vous avez raison, effectivement, ça devrait avoir une période plus grande pour pouvoir faire ça. Comment vous voyez cette relation-là? Quand vous parlez d'autonomie, jusqu'où ça va? L'imputabilité, jusqu'où peut-elle aller?

M. Allaire (Yvan) : Il n'y a pas d'autonomie totale dans un système. Il n'y a pas d'autonomie absolue, c'est une autonomie... C'est pour ça qu'on réfère continuellement à autonomie enchâssée. Une autonomie enchâssée, dans un système de gouvernance, ça veut dire qu'il y a... les Anglais diraient «checks and balances» : j'ai de l'autonomie, mais j'ai des comptes à rendre, et j'ai des comptes à rendre sur des indicateurs de performance véritables et, en face de moi, j'ai quelqu'un qui a l'autorité pour me changer comme dirigeant si je ne livre pas la marchandise. Donc, il y a cette tension qui est saine, mais en même temps, une fois qu'on a établi le budget, les objectifs, le plan stratégique, à partir de ce moment-là je suis autonome dans l'exécution. C'est à moi d'exécuter... enfin, c'est à moi, étant le responsable d'une entité opérationnelle, c'est-à-dire qu'à chaque fois qu'il y a une décision à prendre je ne dois pas appeler pour me faire donner des instructions sur qu'est-ce que je dois faire. Je rends compte, je rends compte périodiquement, pas nécessairement seulement qu'annuellement.

Parce que c'est ça, l'espèce de dialogue continu dont on parle. Rendre compte, il va y avoir de l'information continue. S'il y a déviation, qu'on s'en rende compte rapidement et non pas attendre à la fin de l'année pour se rendre compte qu'effectivement on a manqué complètement les objectifs budgétaires qu'on s'était donnés, etc. Donc, c'est enchâssé et enveloppé dans un système d'information, là, bilatéral, entre les CISSS et les entités opérationnelles. Entre le ministère, le ministre et les CISSS, oui, bien sûr budget global, bien sûr budget réparti, bien sûr priorités au Québec, mais après ça, une fois qu'on a dit ça aux CISSS, c'est à elles à prendre le relais... c'est à eux — ce sont des centres — à eux à prendre...

M. Nadeau (Michel) : C'est vraiment la distinction entre gouvernance et gestion. Or, le ministre ne se retire pas, le ministre occupe les pleins pouvoirs de la gouvernance. Il est choisi par la population, il a l'autorité politique de gérer le système de santé. En termes de gouvernance, il occupe les pleins pouvoirs de la gouvernance de l'ensemble du système. Ensuite, il bâtit des priorités, des budgets que le CISSS... Ça veut dire que, s'il y a un problème à l'hôpital de La Pocatière, le ministre ne devrait pas répondre à l'Assemblée nationale d'une critique de l'opposition, disant : C'est le CISSS qui doit y répondre. Moi, je leur ai donné des priorités, s'il y a des problèmes là-bas, bien, adressez-vous à eux.

M. Bédard (Gaston) : Si vous me permettez...

M. Barrette : Oui.

M. Bédard (Gaston) : ...j'ajouterais juste, effectivement : Mais, même dans le rapport du comité de travail, pour nous c'était fondamental qu'il y ait des redditions de comptes. Ça, c'est certain, on responsabilise les régions. On y tenait, aux régions, qu'ils se coordonnent, qu'il y ait de l'autonomie de travail à l'intérieur des balises, mais il y a des redditions de comptes à avoir. Puis ça, il faut que ça se fasse à tous les niveaux, au niveau des centres, mais à l'ensemble des prestateurs de services, des redditions de comptes.

• (15 h 30) •

M. Barrette : Si je peux vous éclairer aussi sur le projet de loi n° 10, le pouvoir d'intervention du ministre dans les organisations, il n'est pas là, essentiellement, pour être exercé. Idéalement, il ne devrait jamais être exercé. C'est un peu comme une sécurité. S'il advenait, comme on l'a vu dans certains exemples qui ont été grandement publicisés dans les trois, quatre dernières années au Québec, de grands centres hospitaliers qui ont, au niveau de la direction, pris, on va dire, de mauvaises décisions, à un moment donné le ministre, je pense, doit avoir la capacité de voir que ça se passe mal et d'intervenir. Mais je suis d'accord avec vous que ce... bien, vous ne l'avez pas dit comme ça, mais, moi, la manière que je le dis, c'est que le ministre devrait avoir ce pouvoir-là de sécurité mais ne l'utiliser jamais, idéalement.

M. Allaire (Yvan) : En effet, mais en même temps, dans la structure que vous proposez, un problème comme celui auquel vous faites référence, il y aurait un CISSS en quelque part dont relève cette entité.

M. Barrette : Bien, moi, je parle au niveau du CISSS, là, parce que, statistiquement, il est toujours possible qu'il y ait un CISSS déviant.

M. Allaire (Yvan) : Ah! bien là, oui, mais, à ce niveau-là, bien sûr le grand patron...

M. Barrette : C'est à ce niveau-là que le...

M. Allaire (Yvan) : ...le grand patron reste le ministre.

M. Barrette : Voilà. C'est à ce niveau-là que vise cette clause-là, là.

M. Nadeau (Michel) : Oui, mais n'oubliez pas, M. le ministre, qu'il y a un conseil d'administration. Le problème qu'on a eu avec le CHUM, c'est que le ministre congédiait le directeur général, faisant fi du conseil d'administration. Ça, c'est arrivé dans le passé.

M. Barrette : C'est vrai.

M. Nadeau (Michel) : Le conseil d'administration existe, là. Il faut que ce soit lui qui détermine les conditions du D.G. et que ce ne soit pas négocié entre le D.G. puis le ministère.

M. Barrette : O.K. Ça, vous avez raison, tout à fait.

Un élément, M. Allaire, bien, vous trois, qui m'étonne beaucoup dans votre commentaire, c'est que vous remettez en cause la nécessité d'avoir des gens qui ont une compétence, par exemple, dans la jeunesse et les services sociaux.

M. Allaire (Yvan) : Ce n'est pas qu'on... On ne remet pas en cause, mais un profil de compétence... D'abord, un, ce qu'on commence par dire, c'est : Au point de vue de la compétence, c'est un profil collectif, c'est l'ensemble du conseil. On retrouve un ensemble de compétences et non pas monsieur X a telle compétence, madame Y a telle compétence. On peut avoir des gens qui ont des compétences multiples et, globalement, on a donc l'ensemble des compétences dont on a besoin. Ce n'est pas de remettre... C'est juste une incompréhension, parce qu'on a... Le reste, c'est facile : «vérification», «risques», «éthique», «gouvernance», «ressources humaines», tout ça est clair. Tout à coup, on arrive à «jeunesse». Jeunesse, jeunesse. Ça veut dire quoi, un «profil de compétence jeunesse» ou un profil... Tu sais, il faudra le préciser, parce que ce n'était pas clair pour nous.

M. Barrette : Bien. Mais vous êtes d'accord... Je comprends que vous êtes d'accord avec le fait que le conseil d'administration doit être compétent dans tous les secteurs des activités qu'il gère.

M. Allaire (Yvan) : Absolument, il doit avoir une compétence collective pertinente aux enjeux de l'organisation.

M. Nadeau (Michel) : C'est-à-dire une compétence diversifiée, c'est-à-dire des gens qui viennent de différents milieux, qui s'enrichissent, qui ne sont pas des clones des «old boys' network», autrefois, qui étaient tous identiques. Là, ce qu'on dit : Idéalement, essayons d'avoir des groupes qui représentent les... ethnoculturels, les groupes linguistiques, tout ça. Il faut chercher à avoir le conseil le plus riche possible. Mais on ne doit pas se donner trop de contraintes, parce que, souvent, si vous avez trop de contraintes, ça va être difficile, des fois, de trouver des candidats compétents.

M. Barrette : Je comprends votre point puis je suis assez d'accord avec ce que vous dites. Il ne me reste pas beaucoup de temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Montpetit) : Trois minutes.

M. Barrette : Trois minutes. Il faut absolument que j'aborde avec vous l'élément suivant. Évidemment, j'ai expliqué la raison pour laquelle, dans le projet de loi n° 10, au départ il y avait mon intention de pouvoir avoir une influence sur les nominations, pour m'assurer que ça soit les bonnes personnes. O.K., parfait, on le critique, puis c'est d'ailleurs la critique sempiternelle, là, qui permet de perdre bien du temps dans la discussion et ne pas s'adresser à la vraie problématique.

Je réécris la LSSSS demain matin, là, et là je normalise, entre guillemets, je standardise les nominations. On les prend où, les candidats? Quel est le chemin, le mode de sélection, le mode de recherche d'individus qu'on doit mettre sur ces conseils d'administration là pour que le ministre, là, il ne soit pas là? Et les six sont indépendants, là, on les...

Puis la question que je vous pose est simple : On est dans cinq ans, on est dans six ans, là, tout le monde a fait deux mandats, là, mettons, et là on renouvelle, alors qu'est-ce que vous proposez comme mécanique pour s'assurer qu'au renouvellement, là, un coup que j'aurai pu voir et m'assurer que... O.K.? Puis, encore là, je ne suis pas parfait, mais je ne suis plus là, là, puis il y a un autre gouvernement, il y a un autre parti politique, et on veut s'assurer de l'indépendance mais aussi de la performance et la qualité de ces conseils-là et de ces dirigeants-là. Qu'est-ce que vous me suggérez, vous qui êtes des experts en gouvernance, à mettre comme mécanique en place?

M. Allaire (Yvan) : Bien, d'abord, on l'a dit, on est assez favorables à la mécanique de départ qui est dans le projet de loi n° 10, c'est-à-dire qu'il y ait un groupe d'experts qui proposent des noms au ministre, parmi lesquels ils choisissent les membres... les premiers conseils, là, pour les former. Par la suite, pour les membres du conseil, il y a un comité de gouvernance, comme ça se fait ailleurs. Le comité de gouvernance, il y a une vacance — habituellement, ça arrive par vacance — il y a une vacance, les membres du conseil regardent le profil qui a été établi, regardent cette vacance-là crée quelle absence de compétence au conseil, ou souhaite-t-on une compétence additionnelle. Donc, on définit quelle personne on cherche, et le comité de gouvernance propose au conseil, le conseil propose au ministre qui, lui, nomme. Le ministre peut être en désaccord et ne pas nommer la personne qu'on lui propose, mais au moins il y a une démarche structurée qui a été faite pour arriver à proposer au ministre un candidat.

Pour le P.D.G., le président-directeur général, le conseil fait la même démarche : propose de nommer une personne. Le ministre a cependant un droit de veto sur ça. Le ministre peut rejeter la candidature. Il faut quand même que le ministre se garde des leviers, étant le patron ultime, n'est-ce pas, du système. Mais il reste que c'est une... l'exercice veto, c'est quand même un geste politiquement important. Il y a quand même une démarche pour choisir la personne. Il y a eu peut-être, même, des recherches de faites par des spécialistes de la recherche. On propose un candidat ou une candidate.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie, M. Allaire.

M. Allaire (Yvan) : Merci.

La Présidente (Mme Montpetit) : Alors, je cède la parole à l'opposition pour une durée de 13 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Allaire, M. Nadeau, M. Bédard, merci de votre présentation. Merci aussi de mettre votre expertise au service de la commission.

J'ai posé une question assez régulièrement à plusieurs groupes et je vais vous la poser aussi : Est-ce que vous avez été consultés pour le projet de loi n° 10?

M. Allaire (Yvan) : Est-ce qu'on a été...

Mme Lamarre : Vous n'avez pas participé aux travaux qui ont conduit au projet de loi n° 10.

M. Allaire (Yvan) : Non.

Mme Lamarre : D'accord. Maintenant, est-ce que... Donc, je vais aller dans vos commentaires plus... de contenu. Au niveau de la gouvernance, je suis vraiment très en accord avec l'importance de réajuster les conseils d'administration et les organisations, avec de meilleures règles de gouvernance. Et il me semble par contre qu'il y a, dans un contexte de réseau complet de la santé qui est en crise... Parce qu'il faut aussi voir qu'on introduit des règles de gouvernance mais pas dans un contexte où on est sur une eau tranquille, mais où on est vraiment en crise, en déficit d'accès — 2 millions de Québécois qui n'ont pas accès à un médecin de famille sur 8 millions — et là on voit qu'on canalise beaucoup, beaucoup d'énergie sur des structures de gouvernance qui sont souhaitables, et j'en suis, d'accord? Il y a un élément, dans le fond, sur lequel je ne veux pas passer beaucoup de temps, même si le ministre a évoqué qu'on pourrait en passer beaucoup, les règles de nomination. Je pense que c'est très, très sain, puis on a juste à écrire, dans le projet de loi, qu'après le premier mandat ce ne sera plus le ministre qui va nommer, puis on trouvera des options. Alors, moi, je pense que, si on est sûrs que c'est ça qu'on veut, on a juste à l'écrire. Et, si ça avait été écrit, je pense qu'on n'en aurait pas parlé de cette façon-là. Et, si l'intention, c'est vraiment de remettre l'autonomie et la responsabilité aux différents CISSS, eh bien, il y a une façon très claire de rassurer tout le monde, et ça ne sera pas long. Alors, j'arrêterai mes commentaires là-dessus, mais le message est très, très clair à ce niveau-là.

Maintenant, vous avez fait référence à vos visites dans différents établissements tout au long de l'année, et l'accompagnement, et c'est tout à votre honneur, parce que je pense qu'il y a peu de gens qui ont eu... qui se sont fait un devoir d'accompagner et de devenir témoins de ça. Et on peut concevoir que, pour les différents conseils d'administration, c'est complexe de gérer des hôpitaux. Maintenant, vous avez fait référence, très souvent justement, au fait que c'était la gestion de l'hôpital, et c'est sûr que, quand on pense à notre système de santé et au conseil d'administration, la première grande référence à laquelle on pense, c'est l'hôpital, c'est notre morceau principal.

• (15 h 40) •

Or, ce qu'on entend depuis deux semaines ici, c'est qu'un réseau de santé, c'est beaucoup plus que ça. Et ça devrait être de moins en moins l'hôpital, puisque la durée de séjour devrait être de plus en plus courte. Et l'hôpital, sur lequel on a toujours centré nos modèles de gouvernance, ou, en tout cas, de direction, ou de gestion, n'est plus la référence. Il devrait être au contraire un parcours, un incident dans le parcours de vie d'un patient et un parcours de santé d'un patient, où on commence par anticiper la prévention, les mesures de santé publique, un soutien dans les cas de déficience physique, intellectuelle, une récupération de tout ce qui est récupérable. On a eu les orthophonistes qui sont venus nous dire que nos petits-enfants de trois ans étaient sur une liste d'attente de trois ans avant d'avoir accès à des services. On se rend compte de comment on les pénalise et comment on alourdit notre système de santé très rapidement lorsqu'on n'intervient pas au bon moment à cet endroit-là.

Donc, moi, quand je vois vos cinq éléments, je reconnais, pour avoir fait des exercices de gouvernance à l'Ordre des pharmaciens, au Conseil interprofessionnel du Québec, à l'Office des professions, les grands thèmes et les grandes qualités qu'on doit retrouver au sein d'un conseil d'administration avec une gouvernance. Mais comment s'assurer qu'à travers toute cette diversité et tous ces niveaux d'intervention on ait, à travers 15 personnes, la sensibilité nécessaire pour bien comprendre et attribuer les bons budgets? Parce qu'on est vraiment dans ça, là : les bons budgets, les bonnes priorités pour un ensemble de population qui a des caractéristiques et des besoins fort différents.

M. Allaire (Yvan) : Bien, écoutez, je pense que ce que vous venez d'exprimer et de décrire devrait faire partie, justement, du mandat et des objectifs que l'on donne à un CISSS. Je veux dire, ce n'est pas que l'hôpital, le CISSS, c'est la responsabilité pour l'ensemble des établissements d'une région, incluant des activités de prévention. Et donc, ce que vous décrivez, si vous étiez membre du conseil CISSS, vous pourriez faire état de ça et dire : Voilà, il faut s'occuper de ça et en faire une priorité, et que ça soit ainsi, et que l'on coordonne les activités des différents établissements pertinents pour atteindre ces objectifs-là.

Et je pense qu'on donne là un mécanisme et un moyen pour atteindre des objectifs comme ceux-là, qui sont très difficiles à atteindre dans le système actuellement, vous avez raison. Mais je pense que, là, avec ce qui est proposé, notre compréhension de ce qui est proposé, c'est un mécanisme qui pourrait fort bien aller dans le sens de ce que vous proposez et la recherche d'une amélioration et d'une coordination de soins au-delà de l'hôpital, avec, bien sûr, les soins aigus à ce moment-là.

Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose, M. Bédard?

M. Bédard (Gaston) : Bien, en fait, il faut se rappeler que, c'est sûr, le conseil d'administration est à un niveau d'orientation stratégique. Et puis ce qu'on propose autant dans notre comité de travail, c'étaient des régions qui étaient davantage coordonnées dans les activités vers le patient, vers la patiente. C'est ça qui était le coeur de notre mémoire, puis c'est un peu ça qu'on commente dans le projet de loi n° 10, pour s'assurer que ça, ça se vive par région. Le conseil verra à s'assurer que ça, c'est fluide, dans ses décisions. Je ne pense pas que le conseil doit rentrer dans les activités quotidiennes. S'assurer que les liens sont faits et puis que l'équipe médicale est aussi en lien avec les priorités de la région ou d'un centre en particulier, parce que ça peut être un centre jeunesse ou un autre centre... puis ça, c'est majeur.

Rappelez-vous, notre rapport tient compte de la région puis le patient au coeur de cette région-là. Ça, c'est vraiment très, très important pour nous. Donc, ce n'est pas, selon nous, un défi d'avoir 50 personnes autour de la table, ou 15. Je pense que 15 personnes avec les profils nécessaires qu'on a de besoin, complémentaires, comme M. Allaire l'a mentionné tantôt, qui fait qu'on a une compétence collective dans son rôle, puis encadrés dans des grandes orientations ministérielles qui sont assez précises, qui sont claires, qui ont été négociées, avec des redditions de comptes, ça devrait bien aller. Je ne vois pas de difficulté en termes d'orientation.

Mais, je rappelle, on l'a dit tantôt dans la présentation de M. Allaire, c'est important que les régions aient l'imputabilité... l'autonomie, l'imputabilité nécessaires, bien sûr sujettes à des redditions de comptes, puis en complicité ou, bien, en synchronisation avec les grandes orientations ministérielles.

M. Nadeau (Michel) : La force, la force de ces 15 personnes là, c'est la connaissance du patient. Actuellement, on a des comités d'usagers, qui sont très sympathiques, mais ce n'est pas suffisant. On ne connaît pas suffisamment les besoins des patients, des usagers. Et ça, les conseils d'administration, c'est peut-être le seul endroit où, peut-être, on prévoirait, nous... on proposerait une augmentation du budget, la connaissance des besoins des usagers, pour être certains qu'on couvre tous les besoins des usagers dans une région donnée.

Vous avez raison, l'usager doit être capable de se déplacer dans un rayon de 50 kilomètres pour avoir des soins optimaux, pour empêcher les rivalités entre deux établissements qui sont à un kilomètre l'un de l'autre, là. Mais, dans ce contexte-là, si le conseil se donne de bons outils pour bien connaître les besoins du patient, des usagers, il y aura là un outil pour voir à ce que les joueurs soient bien servis.

Mme Lamarre : Parce que je regarde... En fait, je reviens, là, sur la gestion de risques et qualité, par exemple, et je vois des extrêmes énormes, et je me dis : Qui, dans le monde, a une compétence pour être en même temps compétent en gestion de risques et qualité, quand on parle d'un traitement de chimiothérapie pour un patient ou un traitement expérimental, et quand on parle de populations ou de jeunes qui sont excessivement vulnérables, parce qu'ils sont dans un contexte social où il y a de la violence, où il y a de l'inceste, alors qui aura les compétences de gestion de risques et de qualité? Et, si j'ajoute le contrôle des médicaments à travers ça, je vous avoue qu'autant je suis tout à fait... je comprends très bien la pertinence d'avoir ça, autant je me dis... je ne vois pas... il me semble qu'il manque quelque chose.

Et juste... je vais passer la parole à mon collègue le député de Rosemont, mais il y a une dimension aussi un peu magique dans les économies qui sont prévues par le projet. On dit qu'on aura des économies de 220 millions. Déjà, on prend un 20 millions de santé publique qu'on recentralise et, de façon réaliste... Vous qui avez déjà fait, donc, ce genre d'opération là, est-ce que c'est réaliste de penser que, sur les 1 300 postes, en en rapatriant 112 à Québec, parce que c'est le projet qu'on a, ça va fonctionner?

M. Allaire (Yvan) : M. Bédard.

M. Bédard (Gaston) : Si vous me permettez. En fait, le coeur de notre travail qu'on a fait en matière de gouvernance la dernière année n'est pas tellement centré sur les économies. Si ça adonne, des économies, comme on peut facilement le voir, ce n'était pas ça qui est le coeur de notre réflexion, c'était la coordination des soins pour assurer une meilleure fluidité par région. Ça, c'était ça qui était notre point de départ puis, même, notre point d'arrivée. Dans les recommandations du comité, dont ils sont repris en partie dans le rapport, c'est d'assurer une meilleure coordination de l'ensemble des soins vers le patient, de différents niveaux, de différents secteurs, ce qui n'empêche pas de tenir compte des particularités.

Puis je vous le rappelle : Selon nous, le comité... C'est sûr que le conseil d'administration est à un autre niveau, il ne peut pas tout gérer, là. Pourvu que ce soit bien encadré dans des pratiques, des politiques qui sont bien définies en fonction des priorités d'une région donnée, donc, quand on réfère à des données qu'on a de besoin, le conseil, pour s'assurer que les décisions sont bien prises, les argents ou les budgets qu'on a sont bien partagés en fonction de ça, je pense que c'est ça qui est prioritaire. Donc, dans notre rapport, M. Allaire, je pense qu'on faisait davantage référence à une gouvernance qui nous porte davantage vers le patient et patiente. Ça, c'était important de se le rappeler, mais, pour nous, tout au moins.

Mme Lamarre : Merci.

La Présidente (Mme Montpetit) : M. le député de Rosemont, il vous reste deux minutes.

M. Lisée : Très bien. Alors, je vais poser mes questions rapidement, et je vais solliciter votre esprit de synthèse aussi. Sur les questions de gouvernance, on nous a rappelé, ici, la règle des 500 000. C'est-à-dire qu'au-delà de 500 000 salariés ou... pas de 500 000 salariés...

Mme Lamarre : Habitants.

M. Lisée : ...mais 500 000 habitants dans une zone, c'était illusoire de penser qu'on pouvait gérer correctement. Or, dans certains cas, par exemple en Montérégie, la CISSS proposée aurait 1 500 000 citoyens à traiter. Donc, c'est trois fois la norme. Qu'est-ce que vous en pensez?

Sur vos quatre piliers... La gouvernance stratégique, vous avez, quatrième pilier, motivation, reconnaissance, récompense, rémunération et vous parlez de la rétroaction avec les groupes clés. Alors, motivation et rétroaction, là on abolit un grand nombre de conseils d'administration, vous dites : C'est un genre de bric-à-brac. D'accord? Mais il y avait quand même des gens, des bénévoles, des artisans, des usagers qui donnaient de leur temps, qui étaient engagés, qui étaient consultés, puis qui trouvaient qu'ils ne faisaient quand même pas une mauvaise job, et qui, ce faisant, donnaient une valeur ajoutée — leur temps, leurs connaissances — et parfois participaient à des fondations, lever des fonds, et là, maintenant, ils ne seront plus mobilisés ainsi. D'ailleurs, on leur dit : On n'a pas besoin de vous, on abolit vos conseils d'administration. Alors, comment est-ce qu'on va faire à la fois la rétroaction et la mobilisation si, d'un seul coup, on dit à tous ces gens-là : Savez-vous, vous avez tellement mal travaillé qu'on ne vous réunit plus, puis on n'a aucune instance où vous réunir, valoriser votre participation et vous inciter à nous faire de la rétroaction et à participer au succès de votre institution?

• (15 h 50) •

M. Allaire (Yvan) : Oui. Bien, écoutez, d'abord, chaque établissement, qui s'appelle maintenant des entités de service, a toute latitude, dans ce système, de mettre en place les groupes de consultation, les groupes de bénévoles : vous participez à l'opération. Il y a une différence entre être membre d'un conseil avec les responsabilités décisionnelles pour l'ensemble et être un bénévole qui veut vraiment contribuer à améliorer le système, à recruter des fonds, à recruter... à travailler pour ça. Je pense qu'une entité quelconque...

La Présidente (Mme Montpetit) : M. Allaire, je vais devoir vous interrompre encore.

M. Allaire (Yvan) : ...On reprendra...

La Présidente (Mme Montpetit) : Donc, je cède la parole au deuxième groupe de l'opposition pour 8 min 30 s.

M. Caire : Bonjour à vous trois, merci de votre présentation. J'aurais, d'entrée de jeu, pour M. Bédard, une question. Parce que vous nous avez amenés sur un terrain qui m'a interpellé en disant que le ministre ne devrait pas avoir à répondre à des questions de gestion au niveau des CISSS, puis j'aimerais ça que vous développiez là-dessus, parce que je vous avoue que ça heurte plusieurs de nos principes démocratiques. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus, peut-être vous permettre de préciser votre pensée.

M. Nadeau (Michel) : Bien, je pense qu'il faut... chaque... Il faut avoir un système imputable, mais, lorsqu'il arrive un incident — les infections nosocomiales à Saint-Hyacinthe — et le problème rebondit à l'Assemblée nationale parce qu'un membre de la Tribune de la presse ou quelqu'un a publié un article dans Le Journal de Montréal, et là, à ce moment-là, ça devient un enjeu national, moi, je pense qu'il importe de dire : On a une région, on a des sociétés d'État au Québec, on a des organismes où il y a des gens intelligents qui sont capables de gérer ça, ils ont la responsabilité, ils ont accès à des cadres. Alors, ça, dans la réponse de la députée tout à l'heure — la députée de Taillon — les cadres sont là, hein? Les membres du conseil ne sont pas des experts, les experts sont les cadres. Donc, le conseil d'administration répond aux préoccupations des gens. Et, s'il y a des incidents dans une région, ce n'est pas au ministre à répondre, il doit envoyer les intéressés au niveau de la région. Si c'était une question de politique, là, évidemment, il peut changer la politique...

M. Caire : Oui. C'est parce que...

M. Nadeau (Michel) : Mais, si c'est un incident...

M. Caire : Mais je...

M. Nadeau (Michel) : ...si c'était un incident, c'est la région... les gestionnaires de la région...

M. Caire : M. Bédard, je... Monsieur...

Une voix : M. Nadeau.

M. Caire : ...je vous arrête 30 secondes, là. Vous dites : Si ce n'est pas une question de politique. Mais, vous êtes d'accord avec moi, l'Assemblée nationale, nous sommes les responsables et les gardiens des deniers publics. Ce n'est pas le gouvernement, là, on s'entend là-dessus? Le gouvernement présente un budget, et, sous approbation ou non de ce budget-là, l'Assemblée nationale octroie des crédits au gouvernement pour qu'il puisse mettre en oeuvre son budget, on s'entend?

M. Nadeau (Michel) : Et ce gouvernement nomme des fonctionnaires responsables.

M. Caire : Tout à fait. Sauf que, ces fonctionnaires-là, au mieux, je vais les rencontrer une fois par année puis je vais être capable de leur poser peut-être pour 10 minutes de questions. Vous et moi, on va échanger pendant huit minutes, là. Puis ça, c'est comme ça continuellement. Donc, comment puis-je, moi, comme député, m'assurer que les deniers publics sont bien dépensés, efficacement, que la structure qui est en place répond aux exigences du public, comme c'est mon devoir et mon travail, prescrit par la loi, les trois fonctions d'un député, comment je peux faire ça autrement qu'en questionnant le ministre?

Moi, je veux bien ce que vous me dites, là, mais ce que ça implique, c'est qu'à volonté on va demander à un gestionnaire de CISSS de venir à l'Assemblée nationale répondre à nos questions. On va demander aux cadres de venir s'asseoir ici pendant des heures et des heures, le temps qu'on puisse les questionner adéquatement sur la façon qu'ils ont non seulement de dépenser les deniers publics, mais de gérer le réseau de la santé. Je ne suis pas sûr que ça serait une façon efficace de faire.

Il m'apparaît que le ministre, et c'est le principe de la responsabilité ministérielle, le ministre est la personne qui doit répondre de l'administration que font les gens qu'il mandate et qui sont sous sa responsabilité. Vous ne pensez pas que ça, ça serait une saine gouvernance?

M. Nadeau (Michel) : Non.

M. Caire : Bien, écoutez, on a un profond désaccord.

M. Nadeau (Michel) : Non. Moi, je pense qu'il y a des assemblées publiques... S'il y a un problème dans un hôpital dans votre comté, évidemment les gens pourront, lors de l'assemblée régionale, s'exprimer. Le problème doit rebondir...

M. Caire : Non, mais, monsieur...

M. Nadeau (Michel) : ...c'est une question de politique nationale.

M. Caire : ...la question n'est pas de s'exprimer, la question est de demander une reddition de comptes. Bon, vous êtes d'accord avec moi que les fonctionnaires du réseau de la santé, comme tous les fonctionnaires, de toute façon, sont au service de leur ministre? Est-ce qu'on s'entend là-dessus?

M. Nadeau (Michel) : Oui, mais, si on nomme une structure régionale CISSS, là, cette structure-là doit être imputable de quelque chose.

M. Caire : Non, mais ça, c'est le problème du ministre.

M. Nadeau (Michel) : Le ministre ne peut pas être imputable de tout.

M. Caire : L'organisation que le ministre fait dans sa responsabilité qu'il a d'organiser les soins, ça, c'est son problème. Hein, ce n'est pas le mien. Si lui décide de créer les CISSS, bon, il propose un projet de loi, il le fait adopter. S'il décide de faire des CSSS, il fait des... L'organisation ne relève pas de ma préoccupation. La performance, l'efficacité et la bonne administration des deniers publics, oui.

Ce que je comprends, là, c'est que les fonctionnaires devraient avoir toute autorité pour régler les problèmes au quotidien, puis le ministre ne répond à aucune question. C'est de la saine gouvernance, pour vous, ça?

M. Allaire (Yvan) : Alors, peut-être que je peux essayer de clarifier la position.

M. Caire : Oui, ça serait une bonne idée.

M. Allaire (Yvan) : Oui? Bon, voilà. Toute question où il y a un problème dans le système peut être légitimement, bien sûr, adressée au ministre. Il aura reçu des gens responsables, peu importe où ils sont, quel est le problème, quelle est la nature, quelles sont les mesures qui ont été prises, et bien sûr répondra en fonction de cela à la question qui est posée.

Ce envers quoi on met en garde, c'est que le ministre ensuite dise : Bien là, maintenant, pour régler ça, je vais, moi, décider que je dois changer le directeur de l'hôpital, de l'établissement là-bas...

M. Caire : On s'entend.

M. Allaire (Yvan) : ...alors qu'il y a un conseil d'administration, il y a des gens qui sont responsables de régler le problème, mais que la pression ne soit pas telle que la seule solution, c'est que le ministre lui-même décide que monsieur X ou madame Y vont être mis à la porte parce il y a ci et cela. C'est la différence. Mais bien sûr que les questions sont adressées, il a toutes les ressources pour y répondre.

M. Caire : M. Allaire, on s'entend très bien. Et ce que je comprenais de l'intervention... Et, vous savez, moi, je ne peux pas appeler dans un CSSS X, Y, exiger de parler au P.D.G. et lui demander : Qu'est-ce qui s'est passé? Je ne peux pas. Il ne me répondra pas puis il va dire : Écoutez, la seule autorité que je reconnais, c'est celle du ministre. Donc, cette reddition de comptes là, directe, elle est impossible, la seule reddition de comptes possible, elle est indirecte par la voix du ministre. Donc, je voulais être sûr qu'on s'entend là-dessus.

M. Allaire (Yvan) : C'est ça, oui.

M. Caire : Ceci étant dit, vous avez fait des propositions que je trouve extrêmement intéressantes et vous nous avez mis en garde sur un certain nombre de choses. Vous dites que le ministre nomme les gens d'un conseil d'administration sur des profils de compétence, c'est une excellente chose, j'en suis. Il y a par contre, dans la loi, une possibilité, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, c'est celle que le ministre a de discarter la liste qui lui est proposée et de ne pas en tenir compte dans ses nominations. Ce qui nous fait craindre que le profil politique devienne un profil dont on tient compte au moment de faire des nominations, ce qui nous apparaît un peu contraire à la saine gouvernance, et j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Allaire (Yvan) : Écoutez, ce genre de clause, je ne vous dirais pas qu'elle est inhabituelle, mais il y a toujours une espèce de clause de réserve de placée au cas où le processus aboutirait à des conclusions qui ne sont pas acceptables. Je pense que le véritable garde-fou à cela, c'est qu'une telle démarche qui aboutit à des propositions de noms de personnes et que systématiquement on en fait fi, il y aurait un prix politique élevé à payer à cela. Il y aurait un prix politique à payer à cela.

Moi, écoutez, c'est la même chose que... bien, pas la même chose, mais enfin, aux sociétés d'État, si on nomme des gens qui ne sont pas selon un profil proposé par l'institution, par l'organisme lui-même, par la société... Ces profils-là devraient être publics, et on doit, les partis d'opposition comme les médias, interroger et dire comment la personne qui vient d'être nommée répond-elle au profil qu'on a établi pour ce conseil. Et évidemment, parfois, c'est peut-être un peu difficile d'y répondre, mais ça ne peut pas être systématiquement cela. Sinon, là, on a un problème de démocratie.

La Présidente (Mme Montpetit) : Il vous reste 30 secondes.

M. Caire : Une dernière question. Bien, écoutez, je regardais les profils de compétence, et, de notre avis, il y a un profil qui manquait, c'est le profil d'un gestionnaire au sens vraiment large du terme. Parce qu'il y a toutes sortes de compétences très précises, mais il m'apparaissait que, sur les candidats indépendants, il aurait été souhaitable d'avoir un profil de gestionnaire. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

M. Allaire (Yvan) : Ah! écoutez, il serait bien étonnant que, parmi les profils, parce qu'on parle d'un profil collectif et non pas personne par personne comme c'est dans le projet présentement, il serait bien étonnant qu'il n'y ait pas là des gestionnaires. C'est bien difficile, je veux dire, d'avoir une expertise comme en gestion de risques, en vérification sans avoir géré quelque chose en quelque part, à un moment donné.

Maintenant, aussi, je dirais qu'au niveau du président du conseil on devrait tenir compte de votre préoccupation. Le président du conseil en particulier, il est difficile d'être un bon président de conseil si on n'a pas l'expérience de gestionnaire.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie, M. Allaire. Mme la députée de Gouin, pour trois minutes.

• (16 heures) •

Mme David (Gouin) : Oui. Merci, Mme la Présidente. Messieurs, j'ai trois minutes, je vais aller vite, en commençant d'abord par dire ceci clairement —vous ne serez pas surpris : Pour la formation politique que je représente, le réseau public des services sociaux et de santé n'est pas une entreprise et ne peut être géré comme une entreprise. Ce n'est pas Bombardier, ce n'est pas Wal-Mart, ce n'est pas McDo, ce n'est pas Tim Hortons, c'est le réseau public, multiforme, complexe, implanté partout au Québec, y compris dans le moindre village, de services sociaux et de santé. Et donc le débat que nous avons, en fait, c'est intéressant parce que c'est la tension dans ce système entre différents éléments. D'une part, la démocratie. Il faut qu'il y ait de la démocratie dans ce système-là, il faut que les citoyennes, les citoyens se sentent représentés et pas seulement à l'Assemblée nationale. Et c'est pour ça que leur participation, quant à nous, est importante. La prise en compte des particularités locales, sous-régionales — moi, j'ai beaucoup de difficultés avec les CISSS parce que je me demande vraiment comment ils vont faire pour prendre vraiment en compte, là, les besoins des gens dans le moindre village du Québec — la prise en compte aussi des besoins des travailleuses du réseau, et je fais exprès de le dire au féminin, ce qui nous amènera... On n'aura pas le temps, mais je veux affirmer, évidemment, mon parfait désaccord avec votre propos sur la parité qui serait une contrainte. Mais il faut prendre en compte les besoins de ces travailleuses-là aussi, elles sont l'armature du réseau, bien au-delà des gestionnaires.

Alors, il y a, d'un côté, tout ça puis, de l'autre côté, bien, évidemment, la nécessité d'une gestion efficace. Tout le monde est d'accord avec ça. Mais ce que vous proposez, c'est une sorte de modèle unique, formaté, uniforme, un CISSS par région qui va être capable de résoudre toutes ces tensions. J'ai de la difficulté à vous comprendre.

M. Allaire (Yvan) : D'abord, juste pour un point important, nous avons dit que la parité hommes-femmes est incontournable. Là, ce qui n'est pas souhaitable, c'est qu'à chaque fois qu'on fait une liste on soit obligés d'avoir 2-2, 2-2, 2-2. Ce qui compte, c'est que le résultat soit la parité.

Mme David (Gouin) : Mais, si on ne fait pas des listes contraignantes...

M. Allaire (Yvan) : Bien, ça peut être...

Mme David (Gouin) : ...le résultat ne sera pas la parité, vous le savez très bien.

M. Allaire (Yvan) : Bien, le ministre... On l'a dans les sociétés d'État puis on n'a jamais fait cette démarche. On a une parité hommes-femmes dans les sociétés d'État parce que c'est la loi, parce qu'on a dit que c'est ça.

Mme David (Gouin) : Parce que c'est la loi, voilà!

M. Allaire (Yvan) : Mais oui, mais là on s'engage à la parité... La loi n° 10 dit : La parité...

Mme David (Gouin) : Voilà!

M. Allaire (Yvan) : ...donc on va l'avoir, la parité, mais pas nécessairement... On n'a pas dit, dans les sociétés d'État : À chaque fois qu'il y a une candidature, il faut qu'il y ait le même nombre de candidats hommes, femmes proposés. Ce qu'on fait, on regarde le conseil puis, avoir trois hommes, une femme, on choisit la femme parce que c'est ainsi qu'on va atteindre la parité. Ou il peut y avoir trois femmes, un homme, ce qui est souvent le cas maintenant, d'ailleurs. On a de la difficulté à trouver un homme pour faire... En tout cas, disons que c'est la... Nous avons dit clairement : La parité est incontournable.

Mme David (Gouin) : J'espère bien!

M. Allaire (Yvan) : Bien oui! Mais c'est...

M. Nadeau (Michel) : Je vais... Votre question, moi... la question... Le vrai débat que vous posez : Est-ce que ça doit être des fonctionnaires ou des citoyens qui gèrent le réseau de la santé?

Mme David (Gouin) : Mais, franchement, est-ce que ça peut être un mélange?

M. Nadeau (Michel) : Bien, nous, c'est pour ça qu'on croit...

Mme David (Gouin) : Je ne dis pas : Que des citoyens, non plus, là.

M. Nadeau (Michel) : Si on veut que les citoyens... donnons-leur de l'information...

Mme David (Gouin) : Bien voilà!

M. Nadeau (Michel) : ...donnons-leur une participation dans des conseils d'administration efficaces.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie. Ceci met fin à nos échanges. Je remercie beaucoup nos invités de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.

Je vais suspendre les travaux quelques instants et j'invite le prochain groupe à prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 3)

(Reprise à 16 h 6)

La Présidente (Mme Montpetit) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons donc reprendre nos travaux. Merci à nos invités. Je vous souhaite la bienvenue. Pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien vouloir vous présenter. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé, et par la suite nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

M. Nico Trocmé et Mme Delphine Collin-Vézina

Mme Collin-Vézina (Delphine) : Bonjour. Je suis Delphine Collin-Vézina, directrice du centre de recherche sur l'enfance et la famille de l'Université McGill, Chaire de recherche du Canada en aide sociale à l'enfance et professeure agrégée à l'École de service social de l'Université McGill.

M. Trocmé (Nico) : Je suis Nico Trocmé. Je suis directeur de l'École de service social à McGill.

Mme Collin-Vézina (Delphine) : Alors, bonjour. Merci d'abord de nous recevoir. C'est un très grand privilège d'avoir l'occasion de venir partager avec vous notamment nos préoccupations entourant le projet de loi n° 10, au sujet plus spécifiquement... Aujourd'hui, nous allons discuter de nos préoccupations en lien avec l'intégration des services de protection de la jeunesse à travers, donc, les mégastructures des nouveaux établissements régionaux. Et c'est en tant que chercheurs, partenaires des centres jeunesse, mais aussi de nombreux établissements de santé et d'organismes communautaires que nous avons déposé un mémoire afin de partager nos craintes envers des impacts négatifs potentiels de la perte d'une indépendance structurelle des centres jeunesse.

Cette inquiétude concerne principalement la perte d'expertise clinique essentielle au déploiement de services de qualité pour les jeunes et les familles. Le Centre de recherche sur les enfants et la famille de l'Université McGill, que je dirige, est riche d'une tradition de travaux cliniques et de recherche auprès des enfants et des familles depuis 30 ans. Ce groupe regroupe une centaine de chercheurs réguliers, chercheurs associés, étudiants gradués et partenaires qui collaborent étroitement pour développer des recherches portant sur les trajectoires de services des jeunes et des familles suivis en protection de la jeunesse ainsi que sur l'implantation, l'efficacité et le coût-bénéfice des programmes de prévention et d'intervention en matière de protection de l'enfance.

Ces collaborations nous permettent d'apprécier toute la complexité du travail mené en protection de la jeunesse, tant en milieux urbains que ruraux, pour les francophones, anglophones et allophones du Québec de même qu'auprès des communautés autochtones. Il nous apparaît clairement que ce travail se distingue des interventions dans d'autres contextes liés à la santé et aux services sociaux. Alors que le modèle médical vise l'établissement de diagnostics à partir de tests précis et de la détermination d'un traitement spécifique qui permettra d'éradiquer un problème, les intervenants en protection de la jeunesse naviguent dans des situations ambiguës où la notion d'évaluation du risque comporte de multiples déterminants.

On n'a qu'à penser, à titre d'exemple, à la mère dépressive, isolée, qui fait face à plusieurs conditions d'adversité, qui donne naissance à un enfant et pour lequel le corps médical s'inquiète au sujet du milieu familial dans lequel il grandira. Ces craintes sont probablement justifiées, mais sur la base de quelle évidence et à partir de quel niveau de gravité jugerons-nous nécessaire de placer ce bébé en famille d'accueil, au risque de le priver de sa mère? De la même façon, comment peut-on discerner la punition corporelle de la maltraitance physique, les conditions de pauvreté de la négligence, les paroles inadéquates de la violence psychologique? Toutes ces évaluations requièrent une expertise pointue de la part des intervenants en protection de la jeunesse de même qu'un encadrement et un soutien important de la part des gestionnaires de ce réseau.

Nous craignons que la perte de l'indépendance structurelle des centres jeunesse modifie significativement l'évaluation et la prise en charge des dossiers signalés à la protection de la jeunesse, ce que suggèrent nos analyses comparatives avec les autres provinces canadiennes, tel que mon collègue Nico Trocmé vous présentera à l'instant.

• (16 h 10) •

M. Trocmé (Nico) : En effet, ce qui nous inquiète, c'est que le Québec a le système de service de protection de la jeunesse le plus efficace du Canada. Je crois que vous avez avec vous le mémoire qu'on a déposé. Vous verrez tout de suite que, par rapport aux autres provinces pour lesquelles nous avons des données, le taux d'investigation au Québec est le plus bas, il est à 13 pour 1 000 par rapport à l'Ontario, par exemple, qui se compare à beaucoup de niveaux par rapport aux besoins de la population. Le taux est haut en Ontario, il est à 54 pour 1 000. On a un système, au Québec, qui est particulièrement bien développé, à la fois autour de services de première ligne, de prévention, mais également un système de triage où la moitié des signalements ne sont pas retenus suite à un triage particulièrement efficace.

Si on pense en fonction d'efficacité, justement, si on compare de nouveau le Québec aux autres provinces — nos comparaisons sont entre le Québec, la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan et l'Ontario — si on compare le Québec aux autres provinces, on voit que le Québec a également le taux de dossiers fermés sans que l'on fasse suite à des services le plus bas. On ferme à un taux de neuf pour 1 000 par rapport à 40 pour 1 000, parlant de nouveau de l'efficacité particulière du système québécois où les centres jeunesse sont déjà particulièrement bien intégrés à l'intérieur du réseau des services et ont un système de gestion du risque qui est très particulier à leurs fonctions. Ce qui nous inquiète, c'est que cette fonction de gestion du risque soit compromise dans un processus de réorganisation où l'Ontario... où le Québec n'aurait plus nécessairement accès au même soutien, à la même expertise.

Ça fait depuis 15 ans que je travaille avec un nombre de provinces sur, justement, cette question. J'étais impliqué, en Ontario pendant les années 90, dans la révision de la loi en Ontario, où, en particulier, on avait fait face à cette question de la réorganisation des services ou pas. Et, suite à une analyse assez approfondie, la décision avait été faite de ne pas intégrer les services de protection. On est revenus à cette question de nouveau, en Ontario, une seconde fois, dans les années 2000, et ma collègue Mme Thompson, il y a deux ans, a été impliquée au niveau de l'Ontario également une troisième fois. Toujours cette même question revue. Toujours la même décision de garder les services structurés de façon à la fois régionale, mais à l'intérieur de centres jeunesse spécialisés.

En Alberta, ce qui est intéressant... J'ai été également impliqué de ce côté-là deux différentes fois dans des revues de système. Là, la difficulté, c'est que l'Alberta a essayé justement de s'approcher du modèle québécois et a essayé d'introduire une approche plus régionalisée avec une direction plus régionalisée, avec des conseils d'administration au niveau des centres jeunesse. Ça n'a jamais bien fonctionné. Ils n'ont jamais été capables de bien mettre ça en place. Suite à une analyse de la situation, ils ont décidé de retourner à un système centralisé et se retrouvent avec un taux à la fois d'investigation et de placement qui est beaucoup plus élevé que le Québec.

On a, pour le moment, un système qui est particulièrement bien équilibré de ce côté-là. C'est des décisions très complexes. Notre crainte, c'est que, l'intégration de ces services à l'intérieur d'un système de services plus élargi, il y ait une perte de cette expertise, et que l'évaluation du risque, qui est assez complexe, sera comprise, et que l'on finisse par voir, comme on a vu en Alberta et en Ontario — en Ontario, on a finalement vu un doublement dans le nombre d'enquêtes et un accroissement de plus de 40 % dans le placement des enfants — que l'on finisse par voir une expansion similaire si on ne protège pas bien ce système décisionnel qui repose sur une infrastructure où la direction, le conseil d'administration et l'administration, de façon générale, encadrent ces décisions particulièrement complexes. Donc, ça, c'est notre inquiétude. Notre recommandation, naturellement, serait que les centres jeunesse soient gardés à part de la fusion proposée par la loi n° 10. Merci.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie pour votre présentation. Donc, je donne donc la parole à la banquette ministérielle pour une durée de 22 minutes.

M. Barrette : Merci, Mme la Présidente. Alors, Mme Collin-Vézina et Dr Trocmé, merci d'être venus.

D'entrée de jeu, écoutez, je vais vous dire qu'on a beaucoup hésité avant d'inclure les centres jeunesse dans notre projet de loi. Et peut-être que ce que je vais vous dire maintenant va vous rassurer, peut-être que non, et peut-être qu'on va trouver quelque chose entre les deux, qui serait convenable pour les deux parties. Puis je vous explique pourquoi.

Évidemment, la raison pour laquelle on a hésité à les mettre, les centres jeunesse, c'est pour toutes les raisons que vous venez d'expliquer. On comprend bien que la clientèle, et la pratique, que vous avez dans ce secteur-là est particulière. Elle est unique en ce sens qu'il n'y a rien d'autre, là, qui correspond à ça, ou même de près, là, dans le réseau, compte tenu du spectre des choses que vous avez à faire avec votre clientèle. Alors, ça nous a fait hésiter.

Mais la raison pour laquelle... Donc, vous comprenez qu'on est dans la même pensée que vous, là, je vous rejoins sur la nécessité de ne pas altérer ce que vous faites, qui est meilleur qu'au Canada, vous m'en convainquez, là. Je n'avais pas ces statistiques-là, mais, manifestement, on est effectivement meilleurs. C'est la rumeur qui circulait, vous me le confirmez de façon documentaire, vous documentez ce fait-là.

Maintenant, la clientèle jeunesse a aussi, régulièrement, des interfaces avec le système de santé classique, on va dire : La santé mentale, la santé physique, et ainsi de suite. Et la raison pour laquelle on a voulu l'intégrer, c'est pour faire en sorte que, justement, l'intégration entre ce que vous faites à la base et les besoins que vous avez, subséquents, ponctuellement, souvent, soit facilitée. C'était ça qui était l'objectif, non pas de défaire ce que vous faites ou de faire en sorte que ça soit négligé, perturbé, altéré, mais bien de s'assurer que l'arrimage, quand c'est nécessaire, entre ce que vous faites dans votre milieu et le système de santé, entre guillemets, classique — parce que vous me le permettez encore une fois — se fasse d'une façon plus fluide. Moi, on me raconte régulièrement les difficultés que vous avez parfois lorsque vous frappez à la porte du système de santé plus classique. Et l'objectif était ça.

Et là j'aurais comme envie de vous demander : Sachant ce que je vous dis aujourd'hui, là, est-ce que vous auriez spontanément... Parce que peut-être que vous n'y avez pas réfléchi sous cet angle-là. Est-ce que, spontanément, vous avez des choses à nous proposer qui résoudraient les problèmes que vous avez au quotidien en termes d'accès à l'autre côté de la montagne du système de santé? Alors, nous, notre objectif était, en toutes circonstances, de préserver ce qu'on peut considérer comme des acquis au Québec, c'est-à-dire ce que vous faites, mais en même temps de vous assurer de l'intégration avec tout le reste du système de santé, peu importe son aspect, cette intégration-là, parfois, qui était difficile. C'est uniquement dans ce sens-là qu'on voyait les choses.

Et, ceci dit, maintenant que vous le savez plus clairement, est-ce que ça vous inquiète moins? Et, le cas échéant, est-ce que, dans ce cadre-là, il y aurait des choses que vous pourriez nous suggérer de faire pour arriver à l'objectif que moi, personnellement, et avec ma collègue la ministre déléguée, on s'était fixé? Elle aussi, là, spontanément, à la case départ... On avait, l'un et l'autre, là, le sentiment de vous garder tel quel dans votre finalité jeunesse qui est celle que vous évaluez ou présentez par rapport au reste du Canada, mais en même temps on voulait encore une fois vous ouvrir les portes ou vous assurer des couloirs, des corridors, des financements, et ainsi de suite. C'était ça, la finalité, et non de vous noyer dans un grand ensemble.

Mme Collin-Vézina (Delphine) : Si je peux simplement ajouter un élément à ce que vous mentionnez, il y a eu, dans la révision de la Loi de la protection de la jeunesse en 2007, déjà un effort de s'assurer que la concertation entre la protection de la jeunesse et les autres services soit davantage valorisée et facilitée et, une mise en valeur de la nécessité pour la protection de la jeunesse, dans des dossiers où elle n'était pas requise, de faire le pont avec les services en santé et services sociaux courants, là, comme vous les appelez. Et j'ai des exemples, dans mon sujet d'expertise, où ce changement de loi a amené vraiment des changements très importants, où beaucoup moins de dossiers sont pris en charge par la protection de la jeunesse lorsque la sécurité et le développement de l'enfant ne sont pas compromis, et les enfants vont être transférés vers des services qui vont être plus adaptés à leurs besoins.

Donc, je vous donne juste cet exemple chez des enfants qui, malheureusement, vivent des agressions sexuelles et qui, aujourd'hui, ont une porte qui s'appelle des centres spécialisés pour le traitement des victimes. Et ce sont des dossiers qui ne sont plus vus en protection de la jeunesse parce que les parents prennent des mesures pour protéger les enfants, et les familles sont référées vers d'autres ressources qui sont beaucoup plus adaptées à leurs besoins. Alors, ces corridors, ils existent — ils ne sont pas parfaits, là, très certainement, mais ils existent — et la révision de la loi, en 2007, favorisait de tels corridors.

• (16 h 20) •

M. Trocmé (Nico) : Si je peux ajouter un peu par rapport à mon expérience actuelle en Alberta, où ils sont de nouveau en train de revoir la structure de leurs services et où ils examinent avec une certaine envie le modèle québécois, justement, la difficulté... Parce que la question de la collaboration à l'accès aux services, c'est une question partout. C'est une question à l'intérieur des organisations, entre les organisations, et absolument tout ce qu'on peut faire pour améliorer l'accès aux services et la collaboration est essentiel. La difficulté qu'ils sont en train de vivre maintenant en Alberta, c'est qu'ils ont essayé d'intégrer certains services à l'intérieur d'organisations plus globales. Et là où ça commence à poser des défis, c'est au niveau de qui a le mandat pour le dossier.

Quand il est question de gestion de risques... Personne n'aime la gestion du risque dans les questions de protection de la jeunesse, une gestion très complexe. Et le partage de cette responsabilité finit souvent par créer une certaine confusion, dans le cas de l'Alberta, où les responsables protection de la jeunesse, les responsables plus santé mentale finissent par jouer une espèce de jeu entre eux pour voir, bon, bien, qui va prendre responsabilité. Dans cette situation, il y a tendance à essayer d'éviter le risque, d'où intervenir plus souvent, placer en famille d'accueil plus souvent, mener à des enquêtes plus souvent. Donc, c'est ça un peu.

La difficulté, c'est que, quand c'est un mandat qui devient partagé entre trop de services... mon expérience, en tout cas, en Alberta et, de façon un peu différente, en Ontario, est que la tendance, de nouveau du côté des intervenants et des gestionnaires, est de minimiser le risque, de ne pas prendre les décisions plus difficiles et de prendre la décision la plus facile, qui est d'ouvrir le dossier et éventuellement de placer l'enfant. Et c'est ça qui nous inquiète, c'est qu'il y a un équilibre particulièrement efficace, qu'on a mis au point au Québec, qui pourrait être déstabilisé, c'est : la question de la responsabilité du mandat n'est pas très nette et très claire, et si l'organisation ne le soutient pas.

Ce étant dit, votre question par rapport à l'accès aux services est absolument essentielle. Il n'y a aucun doute que c'est toujours un jeu entre les deux, mais on s'inquiète particulièrement pour ce dossier pour ces raisons.

M. Barrette : Écoutez, moi, vraiment, c'est le coeur du sujet pour nous, parce qu'encore une fois c'était la raison. On comprend et on s'est fait dire, et vous me le confirmez, qu'il y a une problématique, qui n'est peut-être pas la fin du monde mais qui est réelle, entre ce que vous faites pour votre clientèle jeunesse au sens plus, mettons, juridique, là — ce n'est peut-être pas le bon terme, là — et l'accès aux services. À ce moment-là, comment le faciliter, là? L'objectif, là, ici, là, ça demeure, là, vraiment, pour nous, de vous donner les moyens d'avoir accès plus facilement. Je comprends très bien ce que vous me dites pour la santé mentale avec les risques. Puis là je vois très bien le jeu, là, de pas dans ma cour, parce qu'essentiellement c'est ça, là, ou le jeu de O.K., c'est dans ma cour, mais on va le traiter facilement, on va l'envoyer en placement.

Bon, ça, c'est simple à comprendre. Du côté de la santé physique, par exemple, est-ce que vous vivez des problèmes aussi significatifs?

M. Trocmé (Nico) : Écoutez, ce qui est intéressant, c'est que, dans un certain sens, la proposition de la loi n° 10 résout beaucoup ces difficultés. Bon, pour un centre jeunesse, si le centre jeunesse est gardé à l'extérieur de cette transformation, les centres jeunesse, comme la population générale, auront finalement un accès amélioré à une panoplie de services. Donc, l'idée d'intégrer les services dans des organisations régionales a beaucoup de bon sens par rapport à la population générale, par rapport aux besoins des familles, mais également par rapport aux besoins des centres jeunesse qui essaient d'accéder à ces services. Que ce soient des services de santé, des services de santé mentale ou des services de soutien à la scolarité, il n'y a aucun doute que ces jeunes et ces enfants qui sont servis soit par la protection de la jeunesse ou sont simplement les enfants des parents cherchant des services font face un peu aux mêmes problématiques, et on est très contents de voir cet effort de mieux intégrer les services de ce côté-là.

La question qu'on se pose, vraiment spécifiquement, c'est au niveau des centres jeunesse. Et, juste pour être très clair, M. le ministre, par rapport à notre position, parce que je crois que... Je ne sais pas si l'Association des centres jeunesse a présenté ou va présenter, mais, juste pour être très clair, notre position, c'est vraiment une position de chercheurs extérieurs au système. Donc, je ne sais pas si on ne représente pas vraiment nécessairement la position des centres jeunesse, mais c'est plutôt nos observations par rapport à ce qu'on a vu à la fois au Québec et dans d'autres juridictions, de façon internationale, donc une espèce d'appel à faire attention à ce dossier très particulier, comme vous l'avez noté d'emblée, une inquiétude que le mandat centre jeunesse a des particularités qui doivent être traitées avec beaucoup de délicatesse pour toute restructuration, et en vue des restructurations qui ont mené, je prends le cas de l'Ontario, vraiment à un doublement de dossiers sur cinq ans.

M. Barrette : Qu'est-ce qui s'est passé en Ontario, à ce moment-là, pour arriver à ça? Est-ce que le doublement est venu du fait du versant risque ou d'autres choses?

M. Trocmé (Nico) : Le doublement est venu de trois ou quatre différentes choses. D'un côté, il y avait eu des coupures dans les services de première ligne. Donc, ça, forcément, c'est une partie du problème. C'était au temps du gouvernement Harris, qui, maintenant, est le gouvernement qu'on a au niveau fédéral. C'est des coupures qui ont été très dures au niveau de la première ligne, et, du coup, des services plus spécialisés ont du prendre une partie de cette responsabilité.

Il y a eu l'introduction de façon centralisée d'un système de gestion de risques, qui, en principe, est un système qui avait beaucoup de bon sens mais qui a fini par être vécu par les intervenants comme non pas un soutien à leur processus décisionnel, mais un remplacement à leur situation... au processus décisionnel. Et on a vu très rapidement que leur évaluation du risque a commencé à changer avec l'introduction de ce nouveau système. Donc, c'est, dans un certain sens, un clash entre les pratiques et le soutien, qui étaient très régionalisés, et un nouveau système de gestion de risques que le ministère avait introduit pour toute la province.

Donc, c'était une série de différents événements. La troisième chose, il y a eu des changements de la loi, une expansion de la loi qui a produit des effets auxquels les législateurs n'avaient pas... Ce n'était pas nécessairement leur intention, mais il y a eu... Pour certains types de mauvais traitements, particulièrement l'exposition à la violence conjugale, le nombre de signalements a quadruplé, sur une période de cinq ans, suite à un changement qui avait l'air assez minime dans la législation. Donc, il y avait plusieurs choses, en effet, mais ce qu'on a vu surtout, c'est ce changement culturel, au niveau de la première ligne, par rapport à la responsabilisation et la gestion de ce risque.

Donc, c'est ça qui nous inquiète. Ça peut être un changement subtil, parfois, qui peut mener à des conséquences qui sont... Et c'est ce qu'on voit maintenant en Alberta, c'est très difficile de retourner en arrière. Ils ont essayé de repasser un modèle un peu plus style québécois et ils ont été obligés de l'abandonner parce qu'ils n'arrivaient plus à reresponsabiliser des équipes plus régionales suite à des changements qui s'étaient fait il y a pratiquement 10 ans maintenant.

M. Barrette : Je vais essayer de synthétiser un peu notre conversation. Vous me confirmez qu'il y a une plus-value à vous donner accès plus facilement à certains autres services dans le système de santé, ce qui était notre intention initiale, mais en même temps vous nous demandez de préserver une façon de faire qui est propre aux centres jeunesse du Québec. Alors, pour protéger ça dans le cadre du projet de loi n° 10, quel est... Parce que vous avez l'avantage d'être, à toutes fins utiles, neutres, presque. Vous n'êtes pas impliqués dans la gestion officielle, et ainsi de suite, là. Alors, qu'est-ce que vous nous suggéreriez pour réussir à faire les deux choses en même temps?

• (16 h 30) •

Mme Collin-Vézina (Delphine) : Si je peux me permettre, à tout le moins, les centres jeunesse peuvent conserver un statut séparé, indépendant, où la gestion de risques va être évaluée par des personnes qualifiées, où il va y avoir une prise en charge qui va être particulière. Mais vous avez raison de mentionner que les corridors de référence, la possibilité de pouvoir connecter ces familles soit parce qu'elles ne sont pas retenues en protection de la jeunesse... Ce sont, comme mon collègue disait, seulement 50 % des dossiers qui sont retenus. Alors, qu'est-ce qui arrive à ce 50 % non retenu? Ce sont quand même des familles à risque, ce sont des familles dont on a soupçonné qu'il y avait des événements de maltraitance. Alors, c'est ce corridor de référence sur lequel on pourrait travailler plus spécifiquement, plutôt que de vouloir amalgamer la protection de la jeunesse dans les mégastructures, et ça pourrait être une option, à tout le moins, à évaluer.

M. Barrette : Bien, je ne sais pas, ça, c'est... Peut-être y a-t-il eu un problème de lecture du projet de loi. Le projet de loi ne vise pas à dénaturer les centres jeunesse et le projet de loi ne vise pas à faire en sorte qu'une autorité quelconque ou une tierce partie vienne vous dire : À partir de maintenant, vous allez faire les choses différemment. Donc, je comprends que ce n'est pas...

Les gens, à chaque fois que les gens viennent ici, voudraient que, pour leur secteur d'activité, le projet de loi ait un article. C'est un projet de loi d'intégration administrative, alors il ne peut pas y avoir un article pour tout. Et c'est la raison pour laquelle on a ces commissions parlementaires là, pour qu'on puisse échanger. Mais je peux vous confirmer une chose : L'objectif, au contraire, n'est pas de venir changer vos façons de faire. Au contraire, si j'avais à mettre un article supplémentaire, ce serait pour réaffirmer et protéger ce que vous faites. Ça, c'est clair. Mais en même temps, comme je l'ai dit tantôt et à quelques reprises, tout le lien avec le reste, ça, il faut qu'il soit facilité. Maintenant, quand vous dites ce que vous venez de dire, de la manière que vous venez de le dire, moi, je peux vous dire que ça ne peut pas arriver dans ce que l'on veut faire.

Maintenant, vous nous dites en même temps que vous voulez protéger ça et que ça doit continuer comme c'était. Parfait, moi, je suis bien d'accord avec ça. Mais, dans le cadre du projet de loi n° 10, donc, ce qu'il vous faut, c'est des garanties. Est-ce que... puis je vais vous poser la question plus directement : Avez-vous besoin d'une autonomie institutionnelle pour continuer à faire ce que vous faites, par exemple?

M. Trocmé (Nico) : Je ne sais pas si je peux répondre complètement à la question, parce que ça passe un peu au-delà de notre expertise. Disons qu'il y a un point où... Est-ce que c'est possible d'avoir une certaine autorité et indépendance institutionnelle à l'intérieur de d'autres organismes? Bien, ça dépend toujours un peu de comment tout ça s'organise.

Mais je crois que la façon la plus simple d'y penser, et c'est malheureusement, peut-être... c'est l'exemple le plus tragique, mais je crois que c'est là où on voit l'importance de cet encadrement institutionnel et de cette indépendance relative, c'est dans la situation où il y a une tragédie, où il y a, par exemple, la mort d'un enfant qui était en train de recevoir des services de la protection de la jeunesse. Le grand défi, dans ce genre de situation, c'est à savoir, bon, qui va prendre responsabilité. Et c'est le problème, par exemple, qui se pose, pour le moment, en Alberta. C'est que ce n'est pas clair qui prend responsabilité, et, du coup, les intervenants de première ligne se sentent souvent rapidement ciblés par rapport à leurs processus décisionnels et finissent par passer à ce mode beaucoup plus réactif dans leurs interventions. Le comité avec lequel je travaille en Alberta inclut le chef de police de la ville de Calgary, et lui, il est très clair, ça, je... quand il y a une tragédie, quand il y a un problème à l'intérieur de la police, c'est lui qui prend responsabilité. Il a un mécanisme indépendant d'évaluation de la situation, une enquête qui se fasse de façon indépendante, mais c'est lui vraiment le porte-parole pour l'organisation pour faire face à ce genre de situation. Donc, c'est vraiment ça qu'il faut pouvoir maintenir. Pour le moment, c'est le D.G., le conseil d'administration et le directeur de la protection de la jeunesse, dans un certain sens, dans le modèle québécois, qui peuvent jouer ce rôle.

Est-ce qu'il y a une façon différente de le structurer? Ça, je ne sais pas. Sans voir vraiment les détails, je ne peux pas vous le dire. Tout ce que je sais, c'est que c'est essentiel qu'il y ait une personne qui ait cette autorité, de façon très indépendante, de pouvoir prendre responsabilité pour s'assurer qu'à la première ligne les gens se sentent soutenus dans leur processus décisionnel et pour que le public ait vraiment confiance dans cette décision. Donc, si on peut se servir un peu de la tragédie comme étant le test de toute réorganisation, c'est là vraiment, je crois, qu'il faut se poser la question.

L'autre chose, de façon générale, est que ça, ça s'applique partout, personne n'aime le changement, ça mène toujours à des difficultés. Ça mène à des avantages, il n'y a aucun doute, mais ce qu'on voit, dans le cas de la protection de la jeunesse en tout cas, c'est que les changements importants qui ont eu lieu — et là je peux penser à une troisième province, qui est le Manitoba — peuvent mener à un déboussolement des intervenants. Et là, pour le moment, on a, au Manitoba, maintenant... Le Manitoba a le taux de placement le plus élevé, non pas seulement du Canada, mais on a, je crois... Il y a un article qui est sorti récemment aux États-Unis, qui a dit : On a identifié le Manitoba comme ayant le taux de placement le plus élevé de tous les pays et de toutes les régions où on suit le placement des enfants.

Donc, ces changements peuvent mener à des changements de pratique qui sont très difficiles de... Tu sais, une fois que les gens ne sont plus prêts à gérer le risque de la même façon, c'est très difficile de les faire retourner en arrière. Donc, c'est à la fois l'impact de ce genre de changements sur la pratique qui nous inquiète, mais c'est tout particulièrement d'assurer qu'il y ait une personne en autorité qui a vraiment le mandat, qui est bien reconnue par le public, par les intervenants comme étant la personne qui est responsable pour la gestion de ces centres.

Donc, je sais que je ne réponds pas directement à votre question, mais c'est un peu ça, la limite par rapport... Je peux vous dire que ça fonctionne bien pour le moment, je ne peux pas vraiment vous dire comment ça fonctionnera si on fait certains changements et pas d'autres.

La Présidente (Mme Montpetit) : M. le ministre, il vous reste 15 secondes.

M. Barrette : 15 secondes. Vous me rassurez beaucoup. Au contraire, c'est très clair, ce que vous me dites. Ce que vous me dites, c'est essentiellement : Ne changez pas ce qui fonctionne actuellement au quotidien, mais aidez-nous pour, à côté, les corridors de services. Mais ne changez pas votre quotidien. C'est clair. Merci.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie. Alors, je donne la parole aux députés de l'opposition pour une durée de 13 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup. Alors, Dr Trocmé, Mme Collin-Vézina, merci. Merci de nous apporter cette bonne nouvelle que, dans notre société québécoise, les services de la protection de la jeunesse, à tout le moins dans l'évaluation que vous en faites, fonctionnent relativement bien et assurent une protection, en tout cas fonctionnent mieux que dans les autres provinces, et ça fait du bien parce qu'on n'a pas eu beaucoup de bonnes nouvelles où on se positionnait mieux qu'ailleurs. Alors, c'est très, très bien.

J'entends la pertinence, là, de développer des corridors de services. Je me demande juste... Là, vous venez, vous, nous parler, mais, si on avait, par exemple, des organismes qui s'occupent de femmes victimes de violence ou d'abus aux personnes âgées, est-ce qu'on ne pourrait pas avoir aussi cette même préoccupation, c'est-à-dire les doubles volets? C'est sûr qu'il y a une sensibilité plus grande avec la jeunesse, mais, quand même, il reste qu'on entend des femmes qui sont vraiment dans des situations très difficiles, où la confidentialité est également importante.

Est-ce qu'à votre connaissance, et peut-être dans vos sphères de recherche ou avec des collaborateurs, il y a le même problème pour d'autres groupes de citoyens du Québec?

M. Trocmé (Nico) : Je suis persuadé qu'il y a des retombées auxquelles il faut faire très attention par rapport à ces services également. Une différence importante, c'est que, dans le dossier protection de la jeunesse, il y a une décision qui est en train d'être prise au niveau de l'intervenant, pour lequel on n'a pas vraiment l'équivalent dans les autres situations. Une femme qui est victime de violence, c'est elle, en fin de compte, qui prend la décision. Donc, ce n'est pas la même situation.

Ce qui nous inquiète ici, c'est que, dans un certain sens, l'enfant n'a pas de pouvoir décisionnel. Ce n'est pas un client qui est en train de décider : Je prendrai ce service, je ne le prendrai pas. C'est l'État qui est en train de prendre cette décision pour l'enfant. Donc, c'est dans ces circonstances-là où c'est particulièrement important de faire attention à ce processus décisionnel et aux forces qui mènent des intervenants à décider d'intervenir pour protéger ou ne pas intervenir.

Mme Collin-Vézina (Delphine) : Et, très certainement, la collaboration entre les acteurs qui sont impliqués tant auprès de l'enfant que de la mère victime, par exemple, de violence conjugale serait excessivement importante. Et donc notre intervention, encore une fois, n'est pas du tout... ne vient pas critiquer l'importance ou le souci que chacun peut exprimer sur la nécessité de développer une plus grande collaboration, mais la spécificité de l'évaluation pour cet enfant demeure unique.

Mme Lamarre : D'accord. Je vais laisser la suite à mon collègue député de Rosemont.

• (16 h 40) •

M. Lisée : Merci, Mme la députée de Taillon. Dr Trocmé, Mme Collin-Vézina, merci beaucoup d'être là tous les deux. Je veux noter, pour ceux qui nous écoutent, que votre mémoire est déposé et cosigné par 11 autres de vos collègues qui forment, d'après ma petite connaissance de l'enjeu, l'essentiel des chercheurs québécois dans le domaine — je ne me trompe pas? Voilà — alors donc, l'essentiel des chercheurs québécois dans le domaine, qui ont une certaine neutralité, comme disait le ministre, parce qu'ils ne sont pas à l'emploi des centres de protection de la jeunesse ni du ministère. Ils font des études, parfois ils sont très critiques, parfois ils sont très laudatifs. Et là, vous, ce que vous dites : Écoutez... Et je m'autorise la présence de la collègue de McGill pour dire : «If it ain't broken, don't fix it.» Et ce que vous nous dites, c'est : Non seulement ce n'est pas brisé, ce qu'on a réalisé au Québec ces dernières années, non seulement ça fonctionne, mais ça fonctionne mieux qu'ailleurs. Et ça ne fonctionne pas un peu mieux qu'ailleurs au Canada, ça fonctionne beaucoup mieux qu'ailleurs au Canada, et les endroits où on a essayé de faire ce que le projet de loi n° 10 pourrait tenter de faire ici, ça a été un recul, et ils ont essayé de fixer ce qui était «not broken». En fait, ils l'ont brisé et ils l'ont brisé tellement, maintenant ils essaient de le réparer puis ils ont de la difficulté.

Alors, moi, je suis très content d'avoir entendu le ministre, ici, nous dire qu'il avait hésité avant de vous mettre... avant de mettre les centres jeunesse dans le grand bain de cette réforme, de cette réforme colossale, et qu'il est ouvert, justement, à cause de cette hésitation et celle de la ministre déléguée, très ouvert à vous entendre dire : Écoutez, gardez notre... enfin, l'autonomie des centres... Je dis la vôtre parce que je sens que vous êtes bien engagé là-dedans et que vous sentez aussi une solidarité avec... Donc, gardez cette autonomie, faites en sorte que cela fonctionne, mais évidemment le ministre et chacun d'entre nous... Et vous-même, au premier chef, avez identifié que, dans les interactions entre les centres de protection de la jeunesse et le reste du réseau de la santé, il y a des barrages, il y a des obstacles, et c'est là-dessus qu'il faut se concentrer. Et c'est pourquoi effectivement vos suggestions sur la façon d'aplanir ces difficultés sont bienvenues.

Maintenant, si on devait appliquer le projet de loi tel qu'il est — et effectivement, là, il y a des zones d'ombre — il y a un problème qui se pose, et je pose cette question-là : À supposer que finalement ça soit le projet de loi... On sait que le directeur de la protection de la jeunesse a un pouvoir considérable. Vous l'avez nommé, ce sont des enfants, et donc il a un pouvoir quasi de fiduciaire. Qui, d'après vous, dans cette nouvelle structure, nommerait le directeur et aurait-il l'autorité nécessaire pour accomplir les tâches particulières qui lui sont données par la loi?

Mme Collin-Vézina (Delphine) : C'est une grande question que vous posez. En fait, ma réponse, puis elle va être partielle très certainement, mais c'est que les personnes qui sont présentement à la direction générale, dans tous les niveaux de décision de gestion en protection de la jeunesse, sont des gens qui ont une expertise, et une expérience, remarquable, qui est unique et qui n'est pas celle équivalente à ceux qui sont des dirigeants de la santé, et il serait certainement dommage de perdre la qualité de cette expertise au profit de structures plus englobantes. Et c'est simplement ma réponse à votre question au sujet.

Qui nommerait? Je n'en sais rien comme chercheure. Par contre, il serait très important de nommer à la tête de ces institutions des personnes tout aussi qualifiées qu'elles le sont présentement.

M. Lisée : Mais on les a, là. En ce moment, on les a.

Mme Collin-Vézina (Delphine) : On les a présentement.

M. Lisée : Alors, pourquoi changer?

L'autre question, c'est... Bon, évidemment, dans votre mémoire, vous êtes très pessimistes, vous dites : «Le modèle québécois actuel repose sur des travailleurs sociaux de première ligne encadrés par des gestionnaires qui savent user d'un jugement complexe et délicat pour distinguer les situations où une intervention de la protection de la jeunesse est absolument nécessaire...» Et vous dites : Puisque c'est ça, le projet de loi «risque fortement de déstructurer le modèle de protection de la jeunesse du Québec» et «de mener à un accroissement dramatique du nombre d'évaluations des situations signalées, sans pour autant bonifier les services...»

Et je trouve qu'il y a un lien. Ce pessimisme-là — corrigez-moi si j'ai une mauvaise lecture — est-il tinté par le fait que les directions régionales des centres jeunesse, en ce moment, comme les organisations syndicales, sont elles-mêmes très, très inquiétées, au-delà de la réforme, sans même la réforme du projet de loi n° 10, par la réduction des budgets qui est historiquement élevée — c'est la plus grosse coupure de l'histoire cette année, 50 millions — additionnée aux autres coupures, enfin à l'appauvrissement de certains organismes communautaires, qui fait que le continuum, en amont, de prévention pour l'identification des enfants à risque est en train de se réduire et la capacité des centres de protection de la jeunesse de répondre à la demande malheureuse est en train de s'amenuiser aussi? Est-ce que ces inquiétudes-là s'empilent dans votre esprit?

M. Trocmé (Nico) : Autour de la réduction des budgets, notre mémoire, et notre argument, tient avec ou sans réduction. Je reprends la situation ontarienne où les budgets des centres jeunesse, entre 2003 et 2008, ont doublé. D'autres services ont été coupés, mais les budgets des centres jeunesse ont doublé, et le nombre d'enfants placés a augmenté de 40 %, et le nombre de signalements retenus a augmenté, a doublé également.

Donc, à l'intérieur de la logique interne des centres jeunesse, la question de comment les budgets jouent par rapport aux services est complexe, parce que, jusqu'à un certain point, à partir du moment où un enfant est placé, c'est une enveloppe budgétaire qui, à long terme, augmente, qu'on le veuille ou pas. On a pris une certaine responsabilité par rapport à cet enfant. Donc là, ce qui nous inquiète, ce n'est pas spécifiquement autour de l'impact de ces changements sur les budgets des centres jeunesse, mais c'est vraiment au niveau de la structure décisionnelle et du soutien autour de cette structure décisionnelle.

Je veux également noter autre chose, et c'est : Notre argument n'est pas nécessairement que, dans toutes les circonstances, ce modèle est le modèle idéal. De nouveau, je retourne à la situation en Alberta, où ils ont essayé de faire un retour dans cette direction, et j'ai codirigé ensuite une enquête sur l'impact de ce retour, et notre recommandation finale était de retourner au système centralisé, d'éliminer les conseils d'administration et de retourner à un système centralisé décisionnel à partir du ministère, donc une recommandation qui est très différente de celle qu'on est en train de faire ici. La raison pour cela, c'est que la pire des situations, c'est la situation où les gens ne sont pas clairs par rapport à qui va prendre la décision finale et qui a la responsabilité finale. Donc, quand on a un système à moitié décentralisé, à moitié régional, où l'autorité du centre jeunesse est à moitié dans les mains du directeur de la protection de la jeunesse, mais ce directeur répond à deux différentes personnes, au ministère et au directeur régional par exemple, on commence à avoir une situation où la clarté n'est pas là pour soutenir ces décisions complexes. Il faut vraiment des situations où c'est très clair qui répond à qui et qu'il n'y ait pas deux responsables possibles.

Je retourne de nouveau à l'Alberta. Les personnes qui prennent les décisions sur l'embauche des directeurs sont différentes des personnes auxquelles les directeurs répondent au niveau légal. Donc, le directeur de la protection de la jeunesse pour la province n'est pas la personne qui prend la décision sur l'embauche des directeurs régionaux, et ça crée, en fin de jour, une situation où personne n'est vraiment responsabilisé, et la responsabilité finit par retomber sur l'intervenant, qui réagit comme on le pense en se disant : Bien, je ne vais pas prendre trop de risques ici.

M. Lisée : Je comprends. Donc, la chaîne d'imputabilité doit être claire, et le sort de l'enfant en dépend, parce que des décisions rapides, délicates, complexes doivent être prises, et chacun doit savoir quelle est son autorité et de qui elle relève.

Mais, Mme Collin-Vézina, je ne sais pas si vous l'avez vu, récemment Jacques Frémont, qui est le président de la commission des droits et libertés de la personne et de la jeunesse, a émis un avis disant — et là je reviens aux compressions budgétaires — qu'il y a un point au-delà duquel les ressources ne sont plus disponibles pour protéger le droit de l'enfant tel qu'il est défini dans la Loi de protection de la jeunesse. Est-ce que vous partagez sa préoccupation?

Mme Collin-Vézina (Delphine) : Bien, écoutez, je partage très certainement sa préoccupation qui repose sur le fait que des ressources sont nécessaires pour pouvoir aider des enfants et des familles qui sont dans des conditions extrêmes. On parle de familles qui ont vraiment à faire face à un niveau d'adversité que bien peu d'entre nous avons à faire face au quotidien. Alors, je partage certainement, là, dans sa lignée d'esprit, que les ressources doivent être mises en place pour pouvoir répondre à leurs difficultés et que, sinon, on passe à un niveau où on va simplement pallier à des difficultés très, très ponctuelles, un enfant qui fugue, un enfant qui s'implique dans des gangs de rue, sans toutefois offrir à cette famille ou à cet enfant des services qui vont réellement lui permettre de reprendre une trajectoire développementale plus optimale et qui va simplement, là, pallier un symptôme très rapidement.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie. Donc, je vais céder la parole au deuxième groupe de l'opposition pour 8 min 30 s.

• (16 h 50) •

M. Caire : Merci, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux. Ce que je comprends, c'est que vous dites que l'autonomie institutionnelle des centres jeunesse, c'est absolument fondamental au maintien de la qualité de la prestation de services. Je pense que le ministre a entendu votre message. Par contre, dans la foulée, vous avez aussi apporté le problème des corridors de services, et j'aimerais ça vous entendre élaborer un peu plus sur cette question-là.

Donc, quels sont les problèmes auxquels vous faites face dans le contexte actuel? Et, bon, le projet de loi n° 10 amène quand même une refonte assez majeure de nos systèmes avec un objectif d'une meilleure intégration, et, Dr Trocmé, corrigez-moi si je me trompe, mais vous avez quand même amené l'élément que ça pouvait effectivement favoriser l'intégration des services et améliorer l'accessibilité aux différents corridors de services. Donc, j'aimerais ça vous entendre élaborer peut-être un peu plus sur cette question-là.

M. Trocmé (Nico) : Je crois qu'il y a deux endroits spécifiquement où la question de l'accès aux services est particulièrement problématique. La première, comme le Dr Collin-Vézina a noté, c'est pour le 50 % des familles qui sont signalées et pas retenues. Donc, il faut s'assurer qu'il y ait un système en place ou des services, et, pour le moment, il y a des accords de plus en plus clairs entre les CSSS, par exemple, et les centres jeunesse pour s'assurer que les familles qui ont des besoins, mais pas nécessairement par le biais de la protection, reçoivent des services. Si la loi n° 10 a l'impact qui est voulu par rapport à l'accès aux services, nous présumons que ça ira dans le bon sens, de donner encore plus accès à des services à ces familles haut risque, tant qu'il y a un mécanisme en place, pour bien s'assurer que les familles haut risque sont bien reconnues par les nouveaux centres. Donc, ça, c'est un premier niveau. C'est, dans un sens, les familles qui ne reçoivent pas les services de la protection de la jeunesse, s'assurer que ce n'est pas des familles qui tombent entre deux systèmes.

L'autre défi, c'est : à partir du moment où la protection de la jeunesse commence à fournir des services, la protection de la jeunesse a accès à une panoplie d'outils assez limités. Ils ont des services de placement, il y a des services de soutien à la famille, des services d'aide à la famille par rapport à leur façon de s'organiser avec leurs enfants, etc., mais, si, par exemple, il y a des problèmes de toxicomanie ou des problèmes de santé mentale au niveau des parents, le centre jeunesse a besoin de s'assurer que ces services sont disponibles par le biais d'autres systèmes. Donc, ils n'ont pas leur service interne de toxicomanie, de santé mentale, etc. Donc, c'est par rapport à l'accès aux services pour les clients des centres jeunesse que la question se pose.

Là, pour le moment, chaque centre jeunesse est obligé de développer des protocoles d'entente avec chaque système de façon différente. Ce que nous espérons, c'est qu'avec la loi n° 10 il y aura un accès protocolaire un peu plus simple. Au lieu de devoir passer par 15 différentes portes d'entrée, les centres jeunesse auront un protocole à développer avec un système.

M. Caire : ...il y a nécessairement matière à procéder à une certaine intégration des centres jeunesse avec le réseau de la santé, ne serait-ce que pour ces accès-là dont vous parlez, d'accès privilégiés à ces services-là qui ne peuvent pas être donnés aux centres jeunesse, qui ont leurs services spécialisés, leur expertise, on le comprend tous, mais qui ne peuvent pas développer, effectivement, des expertises. Vous parliez de toxicomanie, santé mentale, probablement santé physique aussi.

Donc, il faut aussi réfléchir en termes d'intégration des centres jeunesse dans le continuum de services. Ce que je comprends, c'est qu'il faut préserver l'autonomie mais que, quand même, cette intégration-là, vous la voyez d'un oeil favorable.

M. Trocmé (Nico) : Une intégration qui se fait, pour le moment... bien, qui peut se faire par des protocoles d'entente, justement, mais il faut qu'il y ait un système absolument pour qu'on puisse s'assurer, par exemple, qu'une famille qui est déjà en train de recevoir des services au niveau d'un centre jeunesse ne doive pas passer par trois autres nouvelles évaluations en passant à un autre système. Donc, il faut absolument qu'il y ait des paliers ou des corridors de services qui permettent d'accélérer l'accès aux services pour ces familles.

M. Caire : Quand vous parlez de protocoles d'entente, vous parlez d'établissement à établissement ou est-ce que vous ne voyez pas plutôt une politique ministérielle qui pourrait favoriser une meilleure intégration? J'essaie de voir, dans l'opérationnalité, là, comment on pourrait le faire pour s'assurer que ça se fasse sans nécessairement, puis le ministre y faisait référence, sans nécessairement modifier un article de loi très précis ou faire en sorte qu'il y ait... c'est plus facile, après ça, dans le quotidien, de modifier un protocole d'entente que de modifier une législation, là, vous comprendrez.

M. Trocmé (Nico) : Bien, oui, je crois que, ça, on peut toujours débattre de cette question. Je ne crois pas qu'il y aura... Il n'y a jamais une réponse simple à cette question : Est-ce qu'il vaut mieux passer par des protocoles une intégration des... Ce qui est très clair, c'est qu'il y a quand même des variations régionales par rapport aux besoins des communautés et des familles, et il se peut très bien qu'un protocole qui est développé dans une grande ville, par exemple, va être très différent du protocole d'entente qui sera développé dans les régions.

M. Caire : Vous parlez de régions, mais est-ce qu'on peut aller aussi loin que des localités très précises, ou vraiment vous dites : Au niveau régional, je pense que c'est un palier qui respecte l'expertise de chacun?

M. Trocmé (Nico) : Par rapport à ce qu'on voit, par exemple, avec les centres jeunesse plus éloignés — on travaille de près, par exemple, avec les centres jeunesse de Côte-Nord et d'Abitibi — ils ont chacun développé des modèles très différents de collaboration avec les communautés autochtones. Le Centre jeunesse de Côte-Nord a développé des protocoles d'entente avec des services qui sont gérés par les Premières Nations, tandis que le Centre jeunesse d'Abitibi fournit ces services pour les Premières Nations. Donc là, c'est un bon exemple de — en principe — deux centres jeunesse qui ont à peu près la même taille, qui ont des régions qui se ressemblent de beaucoup de façons, qui ont fini par développer des protocoles très différents.

M. Caire : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Montpetit) : Donc, je vous remercie pour votre présentation et pour les échanges.

Je vais donc suspendre les travaux quelques instants et j'invite le prochain groupe à prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 57)

(Reprise à 17 heures)

La Présidente (Mme Montpetit) : À l'ordre, s'il vous plaît! Je vous souhaite la bienvenue. Je tiens simplement à vous informer, avant que nous ne débutions les travaux, qu'il est possible que nous soyons appelés pour un vote dans les prochaines minutes. Donc, ne soyez pas surpris si je dois vous interrompre.

Donc, pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien vouloir vous présenter et je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite, nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. Donc, à vous la parole.

Conseil pour la protection des malades (CPM)

M. Dupuis (Gabriel) : Gabriel Dupuis, avocat en droit de la santé et conseiller pour le Conseil pour la protection des malades.

M. Hurteau (Pierre) : Alors, je suis Pierre Hurteau, coprésident du comité des usagers du Centre universitaire de santé McGill.

La Présidente (Mme Montpetit) : Alors, ne soyez pas surpris, je vous interromps. Les cloches nous appellent au vote, et nous reprendrons plus tard.

Je suspends donc la commission.

(Suspension de la séance à 17 h 1)

(Reprise à 17 h 24)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons poursuivre nos travaux. Nous en étions à la présentation des représentants du Conseil pour la protection des malades.

Juste avant de vous permettre de débuter, et on va vous permettre, évidemment, de repartir du début et avec le 15 secondes de passées, j'aimerais recevoir, et je le demande, le consentement des collègues pour pouvoir terminer un peu plus tard aujourd'hui.

Des voix : ...

Le Président (M. Tanguay) : Alors, consentement. Merci beaucoup. Alors, la parole est à vous pour 10 minutes. Merci.

M. Dupuis (Gabriel) : Bonjour. Tout d'abord, je tiens à remercier la commission, donc M. son président, M. le ministre de la Santé, les représentants des oppositions, de nous recevoir aujourd'hui pour entendre nos commentaires sur le projet de loi n° 10, projet de loi qui, comme vous le savez, est l'une des plus grandes réformes que le réseau de la santé n'a jamais connues. Donc, on est bien contents, évidemment, d'être présents ici pour vous livrer nos observations.

Je vais me permettre de glisser un mot sur le Conseil pour la protection des malades. C'est un organisme qui a été fondé au tout début des années 70 par M. Claude Brunet, un véritable pionnier de la défense des droits des usagers. Il faut comprendre que Claude Brunet était une personne hébergée dans un CHSLD nommé Saint-Charles-Borromée, à Montréal, qui vivait de graves problématiques de maltraitance, de soins qui n'étaient pas offerts aux usagers, et il a été un des premiers à dire : Bien, nous, les usagers, nous devons nous regrouper. Et c'est à ce moment qu'il a fondé ce qu'on appelait à l'époque Le Comité provincial des malades, l'ancêtre du CPM. Et c'est justement à partir des revendications de Claude Brunet et de ses complices de l'époque que nous avons maintenant les comités des usagers et de résidents reconnus formellement dans la loi, dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Donc, si ces comités ont une assise légale, c'est grâce aux revendications de Claude Brunet.

Donc, bien sûr, au CPM, on continue de travailler avec les comités de partout au Québec, et nous travaillons également avec le grand public. C'est-à-dire que toute personne qui vit un problème avec le réseau de la santé peut nous contacter au CPM, et notre équipe tentera d'aider cette personne à s'y trouver, à comprendre quels sont ses recours et à voir comment elle peut résoudre son problème en pratique. Donc, notre approche est à la fois un peu légale, en expliquant à la personne quels sont ses droits, mais également très terrain, en amenant la personne à déposer le bon formulaire, à cogner à la bonne porte.

Je vous dirais, de façon générale, que nos commentaires par rapport au projet de loi n° 10 s'inscrivent en continuité avec le concert d'organismes qui sont venus jusqu'à présent à cette commission pour vous exposer leurs réserves par rapport à cette réforme.

Sommairement, on reconnaît que les objectifs du ministre sont tout à fait louables. On dirait même plus... on dirait que la volonté de changement, elle est rafraîchissante, elle est bienvenue. Cependant, nous pensons que ce n'est pas la réforme que les usagers désirent. Donc, je vous dirais que, quand on parle de quelle est la vraie réforme, dans ce cas, que les usagers désirent, on pense que l'obsession de toute réforme du réseau de la santé devrait, en premier lieu, s'adresser à la première ligne de soins, qui connaît des dysfonctionnements qui sont documentés année après année par les experts du domaine, comme le Commissaire à la santé et au bien-être. Donc, à l'échelle internationale, le Québec fait souvent pâle figure au niveau de l'organisation de sa première ligne, et nous pensons que c'est le domaine auquel il faut s'attaquer en premier lieu, et nous invitons fortement le ministre de la Santé à retourner à sa table de dessin pour offrir cette réforme qui est méritée par les usagers du réseau de la santé.

Ça ne veut pas dire que le CPM est une force du statu quo. Comme je vous le disais, on a maintes fois demandé que des changements concrets soient appliqués. On est en faveur d'une abolition des agences. On pense qu'il peut y avoir là une simplification, une meilleure imputabilité, mais on apprécierait que ce soit fait autrement.

On s'est énormément questionnés sur le processus consultatif qui a mené à la présentation du projet de loi n° 10. On ne comprend pas comment un projet de loi d'une telle importance... Et, comme tout le monde le sait ici, le réseau de la santé au Québec, c'est quand même 30 milliards d'argent public, ce n'est pas rien. Et donc de changer d'une façon aussi radicale un réseau comme celui-là sans consulter les acteurs qui, comme nous, sont depuis 40 ans avec les usagers, en amont, c'est-à-dire avant de présenter un projet de loi, nous a paru très étonnant, d'autant plus qu'on a l'habitude d'être consultés par le ministère de la Santé.

Et je vous donne une anecdote. On a déjà reçu une demande pour être consultés par rapport à un projet qui visait à étudier, là, le nom des différents établissements. Alors, on a jugé que ce n'était pas exactement notre priorité. On a poliment décliné l'invitation. Donc, si on nous demande d'être consultés lorsqu'il est le temps de parler de la dénomination des établissements, est-ce qu'on met un trait d'union ou pas dans le nom de l'établissement, on comprend mal qu'on n'a pas été consultés en amont sur un projet comme celui-là.

On est inquiets également concernant plusieurs problématiques qui concernent les usagers. Et mon collègue pourra également vous parler de plusieurs problèmes plus spécifiques à l'île de Montréal. Tout d'abord, on craint que les promesses d'économie se traduisent plutôt en effets pervers, en effets indésirés qui vont au contraire amener une moins grande qualité de services, notamment par le fait que le réseau va être très mobilisé par l'absorption de cette réforme-là. Et on l'a déjà vécu par le passé avec les CSSS, on a vu que ça a quand même pris une énergie considérable pour absorber cette réforme.

• (17 h 30) •

On craint aussi que les processus de coordination ne se traduisent pas dans la réalité clinique. C'est-à-dire que, le modèle en soi, il est intéressant de dire : On va avoir des organes de santé qui sont intégrés de façon structurelle, mais, à notre avis, il faut faire la distinction entre l'intégration administrative et l'intégration clinique. Toute personne qui déjà eu affaire à une grande organisation, à une grande entreprise, que ce soit dans le domaine de la santé ou autres, sait que, parfois, le département A ne sait pas ce qui se passe dans le département B. Alors, le fait d'avoir la même immatriculation au registre des entreprises n'est pas garant de succès, là.

En fait, on craint que la spécificité de certains établissements soit un peu perdue, notamment dans le domaine de la santé mentale, où il est très important que les établissements puissent maintenir leurs spécialités. Aussi, bien sûr qu'il va y avoir une certaine harmonisation de l'offre de services des CISSS. Donc, on craint qu'il y ait un nivellement vers le bas, notamment dans le domaine des soins à domicile. Et bien sûr, lorsqu'on regarde la taille des CISSS, il y a lieu de se questionner, comme l'ont fait le Collège des médecins et d'autres fédérations professionnelles, sur la fonctionnalité des mécanismes d'assurance qualité que la LSSSS prévoit. À titre d'exemple, un peu comme le mentionnait l'association médicale québécoise, pourquoi ne pas scinder le CISSS de la Montérégie? Pourquoi faut-il absolument un CISSS par région administrative, alors qu'on a certains CISSS qui vont avoir des tailles complètement inédites?

Plus spécifiquement, sur la question des comités des usagers, on voudrait mentionner qu'il y a un comité des usagers dans chaque établissement, c'est un principe qui est prévu à la LSSSS. Avec le projet de loi n° 10, et on a l'impression que ça a échappé à la vigilance du législateur, les comités d'usagers vont se voir fusionner au même titre que les autres instances administratives de l'établissement. Pour nous, les membres des comités des usagers, ce ne sont pas, en quelque sorte, des bureaucrates dont il faut abolir les postes par attrition, là. Il ne faut pas réduire le nombre de citoyens impliqués dans le réseau de la santé. Alors, on demande que, si le projet de loi n° 10 devait être adopté malgré tout, il y ait des aménagements pour que les comités des usagers puissent conserver leur assise locale et continuer d'agir à l'échelle locale.

De même, on vous invite à prendre en considération la problématique d'un effet de la loi qui est que chaque comité des résidents dans un CHSLD peut déléguer une personne à son comité des usagers, en fait elle doit le faire, et ça risque donc d'amener une disproportion, un surnombre de gens issus des CHSLD dans les comités des usagers par le simple effet de la loi.

Enfin, quelques mots sur la gouvernance et l'imputabilité. Pour nous, un bon système de gouvernance et d'imputabilité a quatre composantes : un mandat, un pouvoir, une évaluation et une reddition de comptes. On ne retrouve pas ces éléments dans le projet de loi actuel, qui, selon nous, correspond à une vision de l'imputabilité qui est différente de ce qui est actuellement prôné par les études en management. Pour nous, on est en train de remplacer le système actuel par un système de menace d'intervention à tout moment du ministre et on pense que ça va introduire une culture, dans le réseau de la santé, qui ne sera pas dans l'intérêt des usagers.

Et il y a aussi, comme plusieurs acteurs l'ont mentionné, un risque de politisation, en raison des nominations du ministre, du système de santé. On ne veut pas que les décisions soient prises sur la base de ce qui est favorable à un député dans un comté X, on veut que les décisions soient prises sur la base des besoins cliniques des populations.

Je vais céder la parole à mon collègue, qui va pouvoir vous entretenir des problématiques montréalaises.

M. Hurteau (Pierre) : Bon, alors, bonsoir. J'aimerais vous apporter une perspective patient usager, une perspective terrain, celle du patient que je suis au CUSM, celle des patients que je représente, les patients du CUSM, à titre de coprésident du comité des usagers, et aussi celle de nombreux patients usagers qui se sont organisés dans une coalition montréalaise des comités d'usagers. Et ça, je tiens à dire que ça s'est produit, cette coalition, avant la présentation du projet de loi.

Je vais vous aborder la question de deux angles. D'abord, l'accès aux soins. Les usagers sont inquiets des grands bouleversements que peut entraîner cette réorganisation administrative sur l'accessibilité aux soins au lendemain de son entrée en vigueur. Quand on a besoin de services, c'est souvent dans l'immédiat, les ennuis de santé ne se planifient pas. Or, il existe déjà d'importants problèmes d'accès aux soins dans un délai acceptable, que ce soit pour un médecin de famille, une consultation avec un spécialiste en santé mentale ou pour une intervention chirurgicale. Le vieillissement de la population augmente l'incidence des maladies chroniques, souvent multiples, ce qui exige une plus grande coordination des soins. Nos craintes sont à l'effet que des objectifs nobles à cet égard — je les salue — ne puissent être rencontrés adéquatement à court terme.

Montréal vit une situation particulière en ce qui concerne l'accès aux soins, et c'est pourquoi les comités d'usagers de Montréal se sont coalisés afin de travailler ensemble à l'amélioration de cette situation. Le problème sera, sans l'ombre d'un doute, accentué par l'ouverture du mégahôpital du CUSM dans six mois. Plusieurs usagers sont inquiets parce qu'ils devront chercher des soins ailleurs à cause de l'accent mis sur la vocation tertiaire et quaternaire du nouvel hôpital. Mais où? Dans bien des cas, ils attendent dans l'anxiété réponse à leurs questions, comme par exemple plusieurs patients hémodyalisés qui ne savent toujours pas où ils recevront ce service lors de la fermeture du Royal Victoria Hospital dans à peu près six mois au maximum.

Deuxième aspect, le patient partenaire. Il existe une littérature abondante démontrant les effets bénéfiques à considérer le patient comme un acteur partenaire dans la dispensation des soins. Le patient veut contribuer à la façon dont les services sont offerts. Il est démontré que cela a des effets bénéfiques sur la santé de l'usager et contribue également à la réduction des coûts.

Le patient fait partie de la solution dans le réseau de la santé, ce qui est différent que de dire que le réseau est là pour lui. Il est au centre non pas comme un objet, mais comme un sujet. Or, le projet de loi réduit énormément le nombre d'usagers impliqués par la réduction du nombre de comités et l'affaiblissement de sa participation dans la gouvernance. Cela n'est guère rassurant pour la consolidation du patient partenaire à laquelle une institution comme le CUSM et bien d'autres que je connais se vouent entièrement.

Les usagers demandent donc au ministre qu'il revoie sérieusement toute cette question et que non seulement il consolide nos acquis, mais qu'il voie, dans son projet, à améliorer la participation des usagers dans la gouvernance. Les membres des comités des usagers se dévouent bénévolement à l'amélioration des soins, mais il faut comprendre qu'il ne s'agit pas d'un job pour eux, qu'ils sont souvent âgés, dans bien des cas, et parfois affaiblis par la maladie. Dans ce contexte, il ne faut pas... et je pense à des personnes, actuellement, excusez. Dans ce contexte, il ne faut pas ajouter à leur mandat en créant des structures trop grandes et comportant des missions variées et souvent très spécialisées. La tâche risque de devenir impossible pour eux.

M. le ministre, aidez-nous à vous aider. C'est l'occasion rêvée de mettre en pratique la philosophie du patient partenaire. Les comités des usagers et des résidents font une différence dans les établissements à tous les jours, et ça, je peux vous le garantir, et c'est à un coût franchement minime. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous allons maintenant enchaîner avec une période d'échange avec les parlementaires. Votre présentation de 10 minutes a duré 14 minutes, donc, à la demande du ministre, nous amputerons son temps, donc il passera de 20 minutes à 16 minutes pour échanger avec vous. Parole au ministre.

• (17 h 40) •

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, Me Dupuis, M. Hurteau, bienvenue. Il est très important pour nous d'entendre et de comprendre vos commentaires qui, vraiment, sont très constructifs et viennent des usagers. Et je vais aborder... Bien, je vais faire deux, trois commentaires, quand même, au départ, pour vous rassurer sur un certain nombre d'éléments.

Vous avez, Me Dupuis, dans votre présentation, vous vous êtes interrogé sur la capacité d'avoir une intégration clinique. Le projet de loi, là, il vise à faire ça, essentiellement. Alors, si on n'arrive pas, dans ce projet de loi là, à faire l'intégration clinique réelle que l'on recherche, bien, on n'aura pas réussi un des objectifs fondamentaux du projet de loi.

Et je vous ferai la remarque suivante, générale, là, je ne vous vise pas particulièrement : Les gens qui viennent nous faire part de leurs inquiétudes — puis c'est ça, le but, évidemment, de ces commissions parlementaires là — et aussi de leurs suggestions — ça aussi, c'est le but — bien, les gens viennent avec des inquiétudes, en même temps disent que le statu quo, essentiellement, n'est pas idéal, mais en même temps voudraient... craignent le futur, là. C'est parce que ce discours-là, ça mène au statu quo exclusivement. On ne peut pas être insatisfait d'aujourd'hui puis arriver et dire : Bien, ne changeons rien, là parce qu'il y a un risque que ça ne se réalise pas.

L'exercice que l'on fait, c'est pour le bénéfice de vous, les gens que vous représentez, les usagers. Et, si on considère que le risque que ce qui vienne au bout soit imparfait, alors, à ce moment-là, on va rester tel quel, là. Et puis, tel quel, il me semble que ce n'est pas l'idéal, vous l'avez dit vous-même. Vous me suggérez... Vous me recommandez de retourner à ma planche à dessin pour m'adresser à la première ligne, mais en même temps — et vous, M. Hurteau, vous y faites référence — quand on y arrive, à la deuxième, à la troisième ligne et à la quatrième ligne, ce n'est pas nécessairement idéal dans le système dans lequel on vit aujourd'hui.

M. Hurteau, je vais quand même répondre à certains éléments que vous avez soulevés, là. Le CUSM, malheureusement ou heureusement, c'est selon, là, ça dépend de quel point de vue on se place, le CUSM a été dessiné pour avoir une capacité inférieure à celle d'aujourd'hui. Et votre perception ou les commentaires que vous avez faits sont justifiés, et vous avez tout à fait raison, sauf que la raison pour laquelle ça a été fait comme ça, c'est que, comme vous dites, c'est vrai, le CUSM doit avoir une mission tertiaire et quaternaire, d'une part, et la capacité qui est diminuée, elle est faite, et ça a été voulu par tous les gouvernements précédents, pour faire en sorte que les soins qui étaient donnés à une clientèle qui venait de l'extérieur de l'île de Montréal et qui, normalement, étaient des soins de proximité, comme l'hémodialyse, puissent être transférés, déplacés près de chez eux.

En français, là, plus direct, les gens qui viennent du 450 devraient avoir leur chaise de dialyse près de chez eux plutôt que de traverser un pont trois fois par semaine. Puis c'est la philosophie qui est derrière. Et, la philosophie, je pense qu'elle est saine puisqu'elle est dirigée vers le patient, la conséquence étant que le CUSM, évidemment, a une diminution de sa capacité. Mais, normalement, si les choses sont faites correctement, le patient ne devrait pas être pénalisé par ça. Au contraire, ça devrait être favorisé... ça devrait le favoriser, puisqu'il trouvera ses services à proximité de chez lui ou de chez elle.

Maintenant, je vais aller dans la direction des usagers. Dans les différentes représentations qui ont été faites à date, je ne sais pas si vous avez suivi les audiences de façon continue ou non, il y a des gens, comme hier, qui sont venus nous faire part d'une proposition ou de propositions suggérant la possibilité d'avoir un comité national d'usagers pour faire un peu le contrepoids à toute cette restructuration-là. Vu que vous représentez, vous aussi, globalement les usagers de la province, que pensez-vous de ça?

M. Dupuis (Gabriel) : Oui. Tout d'abord, merci, M. le ministre, de nous avoir accordé une partie de votre temps de parole pour terminer notre exposé.

Pour répondre à votre question très précisément, en premier lieu, sur le comité national, c'est une sortie que nous avons faite conjointement avec la Coalition Priorité Cancer et l'Alliance des patients. Donc, nous avions approuvé cette idée. Mais, pour nous, c'est un comité qui va principalement travailler avec le ministère de la Santé au niveau national. Et il reste qu'au niveau local il est important d'avoir des acteurs qui agissent dans vraiment les endroits où sont donnés les soins, auprès des populations. Et c'est pour cette raison-là que nous sommes revenus, dans nos recommandations, sur l'importance que les comités des usagers ne subissent pas le même sort que les autres structures des établissements, c'est-à-dire CMDP, C.A., etc., et puissent, eux, conserver leurs assises locales, étant donné la valeur toute particulière des comités des usagers.

Enfin, aussi, je voudrais vous dire, par rapport à l'argument du changement : Comme on le disait, on est en faveur du changement et on est bien conscients que des réformes peuvent et doivent être entreprises dans le réseau de la santé. Et une expression que vous avez employée dans les travaux parlementaires, que j'ai bien aimée, c'était de dire : Ça n'arrivera pas par génération spontanée. On est tout à fait d'accord avec ça. Par contre, on trouve que le réseau de la santé a une capacité d'absorption limitée des réformes. Et, lorsqu'on décide d'y aller avec une réforme, il faut s'assurer d'avoir une réforme qui a le soutien, et qui va être en mesure de mobiliser les gens du réseau de la santé, et qui répond aux besoins qui sont documentés, connus et les plus urgents, donc d'où notre remarque sur la nécessité de travailler d'abord sur la première ligne.

M. Barrette : O.K. Je reçois ça très favorablement, là, ne pensez pas que je ne suis pas d'accord avec vous. Au contraire, je pense qu'il y a quelque chose à faire en première ligne. Puis, puisque vous abordez le sujet... ou peut-être, avant d'aborder le sujet, parce que je vais demander d'élaborer là-dessus, ça m'intéresse vu de l'angle des usagers, si on peut revenir au comité national des usagers. Donc, je comprends que c'est une espèce de position commune avec la Coalition Priorité Cancer. Donc, vous êtes en faveur de ça?

M. Dupuis (Gabriel) : Tout à fait.

M. Barrette : Maintenant, le rôle de ce comité national là, vous le voyez comment? Vous le voyez... Hier, la Coalition Priorité Cancer, là, voyait... après discussion, là, après la séance à laquelle ils avaient participé, ils m'expliquaient qu'ils voyaient ça de façon plutôt temporaire, pour la transition. Est-ce que c'est la même chose pour vous?

M. Dupuis (Gabriel) : C'est une...

M. Barrette : Et, je m'excuse, je me suis peut-être mal exprimé. Eux autres me disaient qu'ils voyaient le mandat ou la mission d'un tel comité comme étant consultatif pour bien faire la transition entre maintenant et ce vers quoi on se dirige avec le projet de loi n° 10. Est-ce que vous partagez cette opinion-là?

M. Dupuis (Gabriel) : Je vous dirais que le comité national, l'idée derrière ça, c'est qu'au niveau national on puisse avoir une diversité des points de vue, une diversité des... parce que chaque organisme en défense des droits des patients a quand même une spécificité qui est la sienne, un regard qui est le sien. Et nous, au CPM, on est là depuis 40 ans, on a développé un regard qui est quand même très, très ouvert, très, très grand, mais en même temps on est conscients qu'il y a d'autres organisations, puis on est très à l'aise avec ça. Et le comité national peut certainement jouer un rôle dans la transition si jamais adoption du projet de loi il y a, mais ça ne change rien à notre position de principe. C'est un peu comme un argument principal versus un argument subsidiaire. Donc, à titre principal, nous, on vous conseille, avec égard, de retourner, comme on dit, à la table à dessin et de mobiliser les acteurs du réseau sur une nouvelle réforme. Mais, si le projet de loi devait être adopté malgré tout, à titre subsidiaire, oui, un comité national, pour au moins faire entendre la voix des patients, peut être souhaitable.

M. Barrette : O.K. Non, mais, moi, la question que je vous posais, c'était sur la finalité et la durée de vie d'un tel comité. Vous, vous le voyez à long terme, là.

M. Dupuis (Gabriel) : Ça peut être utile à long terme. Ça, je vous dirais que c'est des détails dont on pourrait toujours rediscuter, là. C'est peut-être un niveau de détail qui n'est pas exactement là où je veux aller. Mais, comme je dis, nous, on a une position qui est claire sur le projet de loi n° 10, qui est qu'on aurait préféré qu'une autre étude de réforme soit apportée.

M. Barrette : Oui. Mais, une autre remarque, je pense que vous avez raison, il y a un élément qui nous a échappé qui est celui du surnombre pour les représentants des résidents. Ça, c'est vrai, on en prend bonne note puis on va faire une correction à cet effet-là.

Si je reviens maintenant... Écoutez, je ne peux pas faire autrement que vous poser la question puis vous demander d'élaborer là-dessus, là, puisque vous me le demandez. Et, je vous le dis tout de suite, là, je veux bien retourner sur ma planche à dessin, mais il y a des éléments, sur la planche, qui sont déjà dessinés et qui ne vont pas disparaître, si vous me le permettez, là, de le dire comme ça. Mais j'aimerais ça que vous élaboriez aussi librement que vous le vouliez sur ce que vous considérez comme étant plus pressant. Vous avez fait référence à la première ligne, je pense que c'est ça, d'abord et avant tout, que vous visez. Pouvez-vous être plus spécifique? En fait, si vous aviez à mettre les points sur le dessin pour que je puisse peinturer aux numéros, là... Faites-moi donc le dessin.

M. Dupuis (Gabriel) : Oui. Je pense que le grand absent de la réforme, si on parle aussi de générer des économies pour redonner l'argent aux usagers, c'est tout le mode de rémunération des médecins. Le mode de rémunération des médecins ne les incite pas, au niveau de la première ligne, à avoir un travail qui est réellement interdisciplinaire à offrir.

Au fond, les usagers nous disent tous la même chose. On se promène partout, on parle à tout le monde, on fait... On va, par exemple, demander à des conférenciers réputés de venir animer nos événements, et, à chaque fois, la même recommandation est émise : Ça nous prend des cliniques ouvertes à des heures qui sont élargies, où une personne peut se présenter avec un problème de santé relativement mineur et obtenir des soins, de la multidisciplinarité, qu'on ait des infirmières, des nutritionnistes, toutes sortes de gens, et que ce soit à l'échelle locale, à l'échelle de la proximité pour qu'on puisse libérer les établissements hospitaliers de ce type de demandes qui n'est pas de leur mission première, et ça serait... c'est ce que les usagers désirent.

Donc, selon l'orientation politique, on peut dire qu'il faut que ça soit les CLSC, on peut dire qu'il faut que ça soit les GMF, mais, à la base, d'avoir un lieu de soins qui est local, qui est ouvert à des heures élargies et où on peut rencontrer une diversité de professionnels du réseau de la santé, là. Ça, c'est la base de ce qu'on veut en première ligne. Et le projet de loi, dans mon interprétation, ne nous amène pas à avoir ça dans l'immédiat, là.

• (17 h 50) •

M. Barrette : Je comprends bien ce que vous dites, mais les usagers ne doivent pas vous dire que c'est lié au mode de rémunération des médecins, par exemple.

M. Dupuis (Gabriel) : Non, je vous dirais que ça, c'est tous les experts qu'on a consultés afin de nous outiller et d'outiller nos membres, comme membres de comités des usagers, à comprendre un peu ce qui se passe dans le réseau de la santé. Donc, bien sûr, on travaille avec les proches aidants, avec les usagers directs, mais on s'entoure de gens aussi qui étudient le système de santé et qui sont en mesure d'émettre un jugement sur le système.

M. Barrette : Et je ne peux pas m'empêcher de vous poser cette question-là, qui est vraiment une question biaisée, mais je ne peux pas m'empêcher : Est-ce que les usagers perçoivent qu'il y a assez de médecins au Québec?

M. Dupuis (Gabriel) : Je vous dirais que ce n'est pas une thématique que les usagers abordent directement avec nous. Quand les usagers nous contactent, puis je reviens encore à mon exemple de la clinique où on peut obtenir des soins dans un lieu de proximité, ça va être : Écoutez, mon médecin a pris sa retraite. Là, je ne comprends pas, j'étais persuadé que les médecins du GMF me prendraient. Ils ne veulent pas me prendre. Là, j'appelle au GACO — et le GACO nous montre, justement, comment mettre en place un processus, ce n'est pas un gage de qualité — je n'arrive pas à avoir la ligne, c'est toujours engagé. Donc, c'est de cette façon-là que les usagers vont nous amener la problématique du médecin.

Quand on va parler plutôt du nombre de médecins, etc., c'est plus qu'on consulte les universitaires, bien sûr.

M. Barrette : O.K. Toujours de la perspective des usagers, et je l'ai dit à plusieurs reprises, et je l'ai même, évidemment, vécu, là, je l'ai vu des deux bords de la lorgnette, là, vous n'avez pas abordé la problématique du cheminement du patient dans le système de santé. En général, les usagers considèrent que les soins qu'ils reçoivent, quand ils le reçoivent, sont satisfaisants, même très bons. Je n'ai jamais vu un sondage qui critiquait la qualité des soins au Québec, je n'ai jamais vu ça. On voit des gens qui ne sont pas satisfaits quand il y a des complications, des choses comme ça, là. Je ne vous dis pas que c'est parfait, mais je vous dis qu'en général les gens semblent satisfaits des soins quand ils les ont, mais, dans le cheminement dans le système de santé, c'est plus laborieux. J'aimerais ça que vous nous éclairiez là-dessus, vu de la perspective des usagers. Vous avez abordé l'accès, mais après l'accès.

M. Dupuis (Gabriel) : Oui. Sur la question de la qualité de soins, je ne peux pas m'empêcher de quand même mentionner que le secteur des CHSLD a dû quand même faire l'objet d'un sérieux coup de barre avec les années pour être en mesure d'améliorer la qualité qui est offerte. On est contents de voir que des améliorations sont faites, mais il reste encore du chemin à parcourir au niveau des milieux d'hébergement, aussi au niveau des ressources intermédiaires.

Donc, quand on parle que l'usager est content des soins, on le voit souvent dans une perspective hospitalière, mais les soins, c'est plus large que ça. Alors, je vous dirais que c'est sûr qu'une chose qui préoccupe tout le monde, c'est les corridors de services, la continuité, le fait de ne jamais être échappé à quelque part dans le processus. Ce qu'on soumet, c'est que l'appartenance à une même entité juridique, à une même immatriculation, à la limite au registre des entreprises, n'est pas gage du fait que les gens vont forcément travailler en étroite collaboration. On le voit dans certains CSSS où, si on essaie d'obtenir des soins à domicile plutôt qu'être hébergé en CHSLD — normalement, ces gens-là travaillent ensemble, le CLSC, le CHSLD — c'est difficile d'avoir une coordination. Donc, comme on dit, on pense qu'il ne faut pas faire une association directe entre intégration administrative et intégration clinique.

M. Barrette : Bien, moi, je vous répondrais le contraire. Je vous répondrais qu'actuellement le mode d'organisation du Québec a fait la démonstration qu'il n'était pas capable de faire ce que vous venez de dire et que, si la construction actuelle ne le permet pas, il est raisonnable de penser qu'une entité où il y a une intégration administrative, à qui on donne la mission et donc l'obligation de faire ça, et que ceux qui ont à gérer sont imputables de le faire, il y a bien plus de chances, avec un système comme ça, qu'on ait les résultats que vous recherchez qu'actuellement, où ça n'arrive pas. Vous ne trouvez pas?

M. Dupuis (Gabriel) : Je vous dirais, et vraiment avec les plus grands égards, que j'entends de votre part un cri du coeur, une tentative de la dernière chance d'enfin nous donner ce qu'on veut, au Québec, de notre réseau de la santé. Mais, si c'est notre dernière chance, si c'est notre dernière tentative, et d'y aller de la façon forte, avec une grosse structure, faisons-le d'une façon qui va mobiliser les acteurs, parce qu'on ne peut pas se permettre de se tromper.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange. Je vous remercie et je cède maintenant la parole à notre collègue députée de Taillon pour un bloc de 12 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Me Dupuis, M. Hurteau, merci d'être présents. Le Conseil pour la protection des malades est reconnu — moi, je le connais depuis plusieurs années — pour son franc-parler, pour, vraiment, sa capacité à témoigner de ce que les malades, les usagers, les citoyens vivent au niveau du système de santé, et, dans ce contexte, je trouve que votre intervention est très courageuse, elle précise bien les choses.

Je demande toujours aux gens s'ils ont été consultés. Est-ce que vous avez été consultés par le ministre avant la rédaction du projet de loi n° 10 ou dans les travaux?

M. Dupuis (Gabriel) : Non, on l'a appris lorsqu'il y a eu la fuite par Radio-Canada.

Mme Lamarre : D'accord. Alors, je veux juste aussi vous confirmer que je ne vous ai pas consultés et que vous ne m'avez pas consultée, mais que je constate, à la lecture de vos recommandations, qu'on arrive aux mêmes priorités, et je les lis. Vous avez : priorité première ligne, accès, continuité, interdisciplinarité, au travail d'équipe. Alors, il y a un moment donné où on est nombreux à dire au ministre que c'est ça qui préoccupe la personne qui est à la maison actuellement puis qui nous regarde et qu'il faut qu'il se passe quelque chose.

Parallèlement à ça, si le ministre veut faire d'autres types de réformes, ça peut être son choix, mais la priorité prioritaire, c'est celle d'améliorer ça. Il ne nous a pas fait la démonstration encore que le grand réaménagement auquel il nous expose va nous donner la moindre garantie qu'on va avoir une amélioration de l'accès. Au contraire, les experts viennent nous dire : Quand on rebrasse toutes ces structures, on paralyse le système pour encore trois ou cinq ans. Et vous nous dites que, déjà, on en a assez d'attendre.

Et on pense qu'on est capables d'avoir mieux. Et moi aussi, je pense qu'on est capables, même dans notre structure, d'avoir mieux, et ce que ça prend, ça prend l'imputabilité dont le ministre parle et ça prend le courage de demander de la reddition de comptes, par exemple, aux GMF, par exemple, dans l'organisation des structures, au niveau de la collaboration. Alors, moi, je pense qu'il y a beaucoup encore de possibilités dans notre système, mais ça nous prend vraiment quelqu'un qui va donner l'autorité. Et vous êtes le premier à aborder certains enjeux au niveau du mode de rémunération. Vous avez parlé de celui des médecins, mais probablement aussi de tous les professionnels de la santé, des façons de créer des incitatifs et des désincitatifs qui font en sorte qu'on obtient de meilleurs résultats. Mais, dans le contexte actuel, c'est sûr que le ministre a une autorité, a une capacité, certainement, de demander et d'obtenir mieux.

Vous êtes les premiers à aborder peut-être plus les problématiques de Montréal. Parce qu'étonnamment on a eu beaucoup de gens qui sont passés, on a parlé des régions, on a parlé de Québec, Sherbrooke, mais, Montréal, vous êtes les premiers. Et je dois vous dire quand même que, pour avoir été proche de Montréal — je suis en Montérégie, mais quand même — on doit reconnaître que, du côté de l'agence, du modèle de l'agence, ce n'était pas optimal. Est-ce que vous avez des suggestions? On a eu des experts qui sont venus nous dire qu'il y avait un volume d'habitants, autour de 500 000, par exemple, qui faisait en sorte que ça, ça nous donnait une meilleure capacité à faire une intégration verticale, là, comme ce qui est proposé. Avez-vous d'autres problématiques ou d'autres suggestions particulières? Puis vous évoquez aussi les problèmes du CUSM et du CHUM. Alors, vous pouvez répondre à tout ça en même temps, si ça vous convient.

M. Hurteau (Pierre) : Bien, je répondrais d'abord... je voudrais en profiter pour répondre au ministre en disant que les patients, les usagers, nous ne sommes pas vraiment intéressés par les statistiques, à savoir : Est-ce que, du point de vue populationnel, il y a assez de médecins ou pas? Ce que nous constatons dans la vie de tous les jours, c'est qu'il y a des problèmes et que nos usagers rencontrent des problèmes à avoir accès à des soins de première ligne et même, souvent, de spécialistes. Alors, ça demeure un problème.

Et c'est sûr que, pour aborder la question de Montréal, ce que j'ai dit, c'est vrai, ce que le ministre a dit, c'est vrai aussi, mais là ce qu'il n'a peut-être pas tout à fait dit, c'est que, bien sûr, en 2007, les parties se sont entendues sur un plan clinique qui supposait la livraison de certaines marchandises qui n'ont pas été livrées, hein? Alors, c'est pour ça que, quand on parle d'anxiété, là, ce n'est pas quelque chose qu'on imagine. Il y a un de nos usagers qui a passé à l'émission de Bazzo, là, cette semaine, qui est un jeune hémodialysé, il est vraiment préoccupé, lui, là, parce que lui, il n'est pas intéressé d'aller à Lachine. On parle de proximité, le ministre a parlé lui-même de rendre ça proche de son domicile, mais, quand on reste au centre-ville puis qu'on va à Lachine, on est loin du compte, là, hein?

Et, pour revenir au plan clinique, là, je pourrais en parler pendant des heures, là, mais c'est sûr que le ministre le sait, il est au courant, je ne lui apprends rien, qu'il y a une réduction des volumes cliniques. Et les usagers et nous, là — je ne crois pas que le ministre a compris ça dans ce sens-là, mais je veux le dire clairement — nous ne nous opposons pas à la mission tertiaire et quaternaire, sauf qu'attachez les fils. Si on ne peut plus être reçus là — la question que j'ai posée tantôt, elle n'est toujours pas résolue, on est à six mois — et je ne parle pas rien que des cas d'hémodialyse, où va-t-on? On n'a pas l'impression... Comme on dit au CUSM : «Where is the plan?», tu sais, où est le plan? On ne le sait pas. On arrive avec des solutions ici, un bout de ci, un bout de ça, et on n'a pas l'impression, là... d'où le sentiment d'inquiétude, parce qu'on sent que, je ne sais pas, là, c'est comme pas organisé comme il le faut, là, je ne sais pas si... Peut-être ce l'est, mais, si ce l'est, on aimerait ça être informés, ça nous sécuriserait. Je ne sais pas si ça répond entièrement à votre question.

• (18 heures) •

Mme Lamarre : Oui. Je voulais juste voir si...

M. Hurteau (Pierre) : Mais, c'est ça, moi, je ne suis pas un spécialiste de ça, là, mais vous savez que les problèmes de santé mentale sont particulièrement aigus à Montréal, ce n'est pas, je ne sais pas, moi, dans une région plus éloignée qu'on aura la même problématique d'itinérance, etc. Or, il y a des problèmes d'organisation de la première ligne et ensuite de coordination des soins de la première ligne avec la deuxième ligne en psychiatrie, là. Alors, tout ça, c'est ça qui fait que, comme j'ai dit tantôt, nous, là...

Écoutez, là, moi, ça fait sept ans ou huit ans que je travaille, là... bien, je travaille, entre guillemets, je suis bénévole, mais dans cette organisation-là, et, comment que je dirais, ce n'est pas moi qui va ici dire que, la paperasse, il n'y en a pas de trop, et que, des structures, il n'y en a pas de trop, et qu'il y en a certaines qui peut-être méritent de disparaître, parce qu'en sept ans on a voulu se faire entendre, on n'a pas été entendus comme usagers, dans bien des cas, par ces structures-là qui sont appelées à disparaître. D'accord, mais je reviens à ce que j'ai dit tantôt, et c'est pour ça qu'on a formé la coalition à Montréal, c'est que nous, on croit qu'on fait partie de la solution. Ce n'est pas les soins centrés sur le patient, c'est le patient en partenariat avec le réseau qui va trouver des solutions. Et, quotidiennement, dans notre participation à de multiples comités, que ce soit celui de la qualité, que ce soit celui de vigilance, que ce soit celui de soins de fin de vie, on a des comités de transition pour les soins ambulatoires, mais on participe à tout ça, et on fait partie de la solution. Mais ça, il ne faut pas le diminuer, il faut le cultiver, il faut l'engraisser, l'enrichir.

Mme Lamarre : Si j'essaie de vous résumer, vous dites que vous n'êtes pas parfaitement satisfaits, mais vous trouvez qu'il y a d'autres options que celle que le ministre propose, qui pourraient peut-être être des voies également qui donnent des résultats rapidement sans être nécessairement un bouleversement structurel où vous dites : On a déjà donné, on a déjà fait des tests puis on n'a pas eu le résultat. Là, on est rendus à avoir... Donnez-nous l'impact des services et des soins, après on vous laissera faire des petites choses si ça vous tente de vous amuser avec les structures. Alors, ça, je vous entends bien. Donc, vous voulez une garantie urgente d'accessibilité aux soins et vous voulez qu'on puisse vous le dire clairement, et ça, ça devrait pouvoir se faire, normalement.

Vous savez que la proposition, c'est une proposition qui est basée sur des règles de gouvernance. Et, dans la gouvernance, il y a différents éléments, et on les retrouve, là, à l'article 11 de la page 9 du projet de loi. Mais il y a une dimension qui est très importante dans tous les exercices de gouvernance, et je pense qu'on se rejoint très bien là-dessus, c'est la dimension de l'appropriation. Quel que soit le modèle de gouvernance qu'on propose, s'il n'y a pas une appropriation des gens, ça ne fonctionnera pas. Et ce que vous nous dites, c'est : L'appropriation par les usagers, elle est importante, par les partenaires... Moi, j'aime beaucoup, effectivement, le projet patient partenaire de l'Université de Montréal, mais... c'est une dimension qui traverse partout dans les pays du monde où on veut faire des gains d'efficience, hein? Il y a des gains cliniques, mais il y a aussi des gains d'efficience. Je veux dire, si vous êtes 100 patients qui travaillez dans le bon sens, c'est bien plus facile que si on est 10 professionnels à essayer de vous amener dans la direction. Alors, cette contribution du patient qui participe... mais il faut qu'il ait confiance, dans le fond, et c'est ce que vous dites : Là, on n'a pas confiance, on n'est pas sûrs et on ne comprend pas le mécanisme qui nous est proposé.

L'appropriation, elle est aussi importante, je vous dirais, au niveau des travailleurs du réseau de la santé, au niveau des professionnels de la santé, au niveau des gestionnaires. Et là on se rend compte qu'il n'y pas de démarche qui a été faite, et, au contraire, on est dans un mode précipité où on impose des mesures. Alors, toute la dimension d'appropriation ou de non-appropriation, elle génère une résistance, et je pense qu'avec les expériences antérieures, peut-être que vous la soupçonnez... ou, en tout cas, je crois que vous voyez qu'il n'y a pas cette énergie ou cette volonté, là, du système et des professionnels de vous accompagner dans votre démarche comme vous en avez besoin.

M. Dupuis (Gabriel) : Oui. Et je pourrais vous donner un exemple très précis...

Le Président (M. Tanguay) : Pour un dernier 10 secondes.

M. Dupuis (Gabriel) : Moins précis! Oui, vous avez raison dans ce que vous décrivez. Et ce qui est très inquiétant, c'est qu'à quelque part le réseau se gèle durant deux, trois ans où les gestionnaires vont dessiner des organigrammes, engager des consultants, créer des comités provisoires, mais là-dedans, là, les besoins, là, qu'on doit régler maintenant, quand ils vont être réglés, on ne le sait pas.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Je dois maintenant avoir... obtenir le consentement des collègues pour permettre à notre collègue de Saint-Hyacinthe de pouvoir, j'imagine, je le présume, poser des questions et échanger. Alors, est-ce que nous avons le consentement? Consentement. Alors, je vous prie, chère collègue de Saint-Hyacinthe, pour un bloc de huit minutes, d'échanger. Merci.

Mme Soucy : Merci. Alors, bonjour. J'ai lu votre rapport avec intérêt. Je constate que vous êtes très critiques envers le projet de loi, vous avez des préoccupations qui sont très compréhensibles, et que certaines de vos préoccupations, que je partage, alors... Mais, au-delà des structures, on doit se préoccuper — puis je pense que tout le monde, ici... — de l'accessibilité et de la qualité des soins qui sont administrés aux patients. Pour votre préoccupation en ce qui a trait avec les pouvoirs que le ministre s'attribue, effectivement, je suis d'accord avec vous, avec votre préoccupation, parce que le ministre s'accorde beaucoup de pouvoirs. Alors, je suis dans la même lignée que vous.

Je suis... J'aimerais ça vous entendre sur un des aspects que vous apportez, sur le fait que vous dites : Les... Votre préoccupation, en fait, c'est qu'il y ait l'apanage des personnes qui résident à proximité des centres administratifs et que les autres ne puissent pas se déplacer. Alors, qu'est-ce que vous proposez à ce problème-là?

M. Dupuis (Gabriel) : Oui, bien, je vous dirais que c'est un drapeau qu'on lève pour amener les parlementaires à se questionner sur cette question. C'est qu'en fait il faut comprendre que, dans les régions administratives comme par exemple l'Abitibi-Témiscamingue, en termes de kilomètres, le territoire du CISSS va être absolument énorme. Et, même si on maintient, d'un point de vue strictement formel, les mécanismes de participation citoyenne dans la LSSSS, allant des forums des populations jusqu'aux comités des usagers, il reste que, si les réunions se tiennent au centre administratif, comment on va pouvoir s'attendre à ce que les usagers, qui, typiquement, sont souvent atteints de maladies chroniques ou peuvent avoir une mobilité qui est réduite, vont accepter de faire des centaines de kilomètres? Si vous partez, par exemple, de La Sarre pour aller dans le secteur du Témiscamingue... Évidemment, ce qui va arriver en pratique, c'est que ce sont les usagers qui sont proches du centre administratif qui vont tenter leur chance pour être membres du C.A. ou pour être membres du comité des usagers, et les gens qui sont des secteurs plus éloignés vont, fort probablement, décider que c'est trop difficile, c'est trop de déplacements. Dans la prise de décision, on craint que ça fasse en sorte que les intérêts des régions plus en périphérie du centre administratif soient un peu négligés.

• (18 h 10) •

Mme Soucy : O.K. Mais vous n'avez pas une proposition... Qu'est-ce qu'on fait avec ça? Est-ce que vous avez une proposition à nous...

M. Dupuis (Gabriel) : Bien, notre proposition, c'est que... Premièrement, les CISSS, on s'y oppose. L'ensemble de la réforme qui est proposée par le projet de loi n° 10, on s'y oppose. On est d'accord avec les objectifs, mais on pense que cette réforme-là est partie sur de mauvaises bases et qu'il y a lieu de la revoir de A à Z. Donc, on est opposés au projet de loi.

Maintenant, un des éléments qu'on a apportés — puis on n'a pas été le seul groupe à l'apporter — c'est, premièrement, de réfléchir, bien, c'est quoi, la taille idéale d'un CISSS. Est-ce que nos CISSS sont trop gros? Est-ce qu'on n'aurait pas pu faire 50 CISSS au lieu de 20 quelques? Donc, on peut avoir des centres intégrés, mais de cette taille-là, c'est discutable. Mais, comme je vous dis encore, nous, on maintient une opposition de principe au projet de loi n° 10.

Mme Soucy : Le ministre a dit, depuis le début du projet de loi, que c'est une mesure qui est transitoire. Alors, est-ce que cela vous rassure ou est-ce que vous exigez des modifications pour que, dès maintenant, on mette fin au risque de politisation tel que mentionné par plusieurs autres intervenants qui sont venus préalablement?

M. Dupuis (Gabriel) : Je vous dirais que l'avocat en moi ne voit pas, à la fin du projet de loi, les dispositions transitoires qu'on retrouve normalement dans un projet de loi qui est de nature transitoire. Donc, au simple point de vue formel, si le projet de loi est transitoire, bien, il faudrait que le projet de loi le dise, qu'il est transitoire. Parce que, là, pour l'instant, on ne voit rien de transitoire là-dedans. Au contraire, on voit un projet de loi qui doit être implanté à toute vitesse.

Aussi, s'il est transitoire, bien, transitoire pour aller vers quoi? Encore là, comme les acteurs du milieu n'ont pas été mobilisés, sollicités, consultés, on ne sait pas non plus quelle serait la prochaine étape. Alors, comme on le dit d'entrée de jeu, là, dans les premières pages du mémoire, on est un peu contraints à se prononcer sur ce qui est devant nous, on ne peut pas se prononcer sur des projets de loi hypothétiques.

Mme Soucy : Les risques de politisation, lesquels que vous voyez? Donnez-nous un exemple.

M. Dupuis (Gabriel) : Ça peut être de deux ordres, un premier ordre de politisation, c'est-à-dire que les postes du réseau de la santé deviennent un nid à nominations partisanes, où on pourrait donner une carrière confortable à des gens qui ont rendu service aux partis, là, comme ça s'est déjà vu dans d'autres secteurs de l'État. Et le problème que cela amène, comme vous le savez, c'est la question de la compétence. On pourrait avoir des gestionnaires qui gèrent de grands budgets, de grandes organisations, qui n'ont pas toute la compétence pour le faire.

Aussi, la politisation peut se manifester dans, par exemple, les choix difficiles, lorsque des problématiques budgétaires se présenteront, que devra faire le CISSS. Donc, on ne veut pas que les choix que le CISSS fasse en termes d'investissement ou de coupures soient dictés par des besoins politiques, là, c'est-à-dire d'aller chercher le nombre de votes qu'il nous manquait dans telle boîte de vote à tel endroit, là. Alors ça, on dit ça de façon complètement non partisane. On pense que ce n'est pas forcément un parti plus qu'un autre. Mais, quand on regarde la nature même du CISSS et de sa gouvernance, c'est un risque qu'on identifie.

Mme Soucy : O.K., merci. Pour revenir aux CISSS, vous dites, bon : On n'est pas d'accord, les entités sont trop grosses. Vous donnez l'exemple dans ça que les CISSS de la Montérégie devraient être scindés. En fait, c'est une recommandation qu'on amène sur la Montérégie, bon, vu la taille, le nombre de la population. Alors, je suis d'accord avec vous dans ce cas-là.

Je voulais vous ramener au fait que vous dites, d'entrée de jeu : L'objectif est louable, mais on n'est pas d'accord avec le projet de loi actuel. Vous êtes d'accord avec moi qu'actuellement on n'a pas un système... un réseau de la santé qui est très efficient et qui est accessible, en ce moment. Alors, on ne peut pas faire le statu quo, il faut faire des modifications. Alors, j'aimerais ça vous entendre un petit peu. Qu'est-ce qui vous rassurerait? Parce que vous parlez de consultations. Je pense que c'est ce qu'on fait, l'exercice qu'on fait présentement, ça en est, de la consultation. Qu'est-ce que vous vous attendez? Qu'est-ce qui vous rassurerait par rapport à ça?

M. Dupuis (Gabriel) : Je vous dirais : L'occasion actuelle, elle est presque historique. On parle enfin de rebrasser tout le système de santé, d'envisager toutes les possibilités. Et, à cet égard, on aurait aimé trouver quelque chose de différent comme proposition, quelque chose qui, au lieu de nous amener sur des terrains de pure réforme de structures, de pure appropriation de l'autorité en centralisant vers le ministère, nous emmène vraiment, comme je l'ai mentionné, vers un vrai développement de la première ligne. Et, nous, la solution doit être centrée sur la première ligne. Et ça implique donc... et c'est des mesures concrètes que je nomme, par exemple de revoir le mode de rémunération des médecins, de se donner enfin des cliniques où on pourrait être traité à proximité, à des heures d'ouverture élargies et par une équipe multidisciplinaire. Ça, on ne le voit pas.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Merci beaucoup. Alors, c'est tout le temps dont nous disposons. Nous remercions donc les deux représentants du Conseil pour la protection des malades.

Compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux jusqu'à demain matin, après les affaires courantes, afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n° 10. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 18 h 16)

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