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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le jeudi 18 février 2010 - Vol. 41 N° 29

Consultations particulières et auditions publiques dans le cadre du mandat sur la question du droit de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Onze heures cinquante minutes)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je constate quorum des membres de la Commission de la santé et des services sociaux. Donc, je déclare la séance ouverte, en rappelant le mandat de la commission: la commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président: M. Ouimet (Marquette) remplace M. Lehouillier (Lévis); Mme Charbonneau (Mille-Îles) remplace Mme Rotiroti (Jeanne-Mance-- Viger); M. Reid (Orford) remplace Mme St-Amand (Trois-Rivières); Mme Hivon (Joliette) remplace Mme Beaudoin (Rosemont); Mme Richard (Marguerite-D'Youville) remplace M. Gauvreau (Groulx); Mme Lapointe (Crémazie) remplace Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve); M. Charette (Deux-Montagnes) remplace M. Turcotte (Saint-Jean); et Mme Roy (Lotbinière) remplace M. Deltell (Chauveau).

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Alors, bienvenue tout le monde. On a encore une fois un petit problème de gestion de temps, parce qu'on a dépassé de beaucoup notre période de questions de 45 minutes. Alors, je propose deux blocs de 50 minutes qui vont nous amener vers 13 h 30 pour terminer le tout, alors 20 minutes de présentation, 15, 15. Est-ce que ça va comme organisation de nos travaux? Avant tout, le président va en tout temps préserver les 20 minutes pour les présentations des témoins, Je pense, ça, c'est très important.

Auditions (suite)

Alors, sur ça, je vais passer la parole à notre prochain témoin, qui est le Dr Yvon Beauchamp, qui est le chef du Service des soins palliatifs à l'Hôpital du Sacré-Coeur à Montréal. Et il est accompagné par quelqu'un que nous avons rencontré hier, Mme Jocelyne Saint-Arnaud. Alors, sans plus tarder, Dr Beauchamp, la parole est à vous.

M. Yvon Beauchamp

M. Beauchamp (Yvon): Merci beaucoup, M. le Président. Je vais essayer de vous rendre la vie facile, alors ma langue va s'autodétruire dans 20 minutes.

Le Président (M. Kelley): On en a besoin pour les réponses aussi, après.

M. Beauchamp (Yvon): Alors, comme je suis médecin, j'ai pensé m'adjoindre une collaboratrice des 40 dernières années, parce que nous travaillons étroitement ensemble. Si jamais il y avait des questions qui sont pointues en éthique, je ne voudrais pas entrer sur le sujet pointu, si ça ne vous fait rien.

Et je vous dirai d'emblée qu'hier j'ai assisté, et ça a été très formateur. Parce que je me suis rendu compte que c'est comme si les gens étaient des fameux joueurs de scrabble: ils connaissent les mots, mais ils ne savent pas ce que ça veut dire. Alors donc, il y a beaucoup de questions que vous avez posées qui sont les bonnes questions. Et c'est sûr qu'après quatre jours de délibérations, bien, je ne voudrais pas être redondant. Il y a beaucoup de choses que je vais vous dire qui ont déjà été dites avec lesquelles j'étais d'accord, mais vous allez voir que finalement j'ai une position un petit peu intermédiaire qui pourrait être interprétée comme mi-figue et mi-raisin, je vous dirai.

Je vous dirai aussi que, dans le temps, ça vaudrait la peine que vous reteniez que les soins palliatifs comme domaine de la santé, c'est très jeune, et dans le monde et ici au Canada, alors on parle de 35 ans, 36 ans. Mais je veux vous dire aussi que la bioéthique est très jeune et correspond exactement dans le temps à peu près avec l'arrivée des soins palliatifs, mais la bioéthique n'est pas arrivée à cause des soins palliatifs, mais à cause du développement des technologies. Et que finalement les Pays-Bas, qui ont commencé à parler d'euthanasie et à en faire dans les années 1984, ce qui donne aussi à peu près 35, 36 ans, que finalement ils ont peut-être été prématurés dans l'application ou dans le passage à ces actes. Alors, vous pouvez partir le sablier maintenant.

Alors, vous m'avez convoqué à titre de médecin d'abord et ensuite comme médecin de soins palliatifs pour exprimer mes vues sur le sujet en titre. Alors, ce sujet est lourd de conséquences et est perçu comme tel par mes collègues médecins et infirmières qui sont confrontés régulièrement avec des prises de décision hautement difficiles. Lorsque je dis «collègues», je parle de ceux et celles qui sont vraiment appelés à débattre ce sujet avec les malades et leurs familles et qui sont aux prises avec des situations réelles, désastreuses souvent.

Les opinions que j'exprimerai sont au regard de personnes très gravement malades et dont l'espérance de vie est limitée grandement par une maladie cancéreuse ou par des maladies terminales qui impliquent des défaillances de certains systèmes tels cardiaque, pulmonaire, rénal, neurologique ou neurodégénératif. Et c'est ce genre de pathologie que nous retrouvons dans nos unités de soins palliatifs, fussent-elles situées en CHSLD, en centre hospitalier de soins généraux, au domicile ou en maison de soins palliatifs.

Alors donc, je voudrais que vous compreniez aussi que les soins palliatifs regroupent un vaste choix de services, mais aussi que ces services se rendent dans des endroits qui sont multiples et qui sont très variables d'un endroit à l'autre.

Alors, hier, j'étais là quand le Dr L'Heureux, que je connais bien, est venu vous parler, mais La Maison Michel-Sarrazin, c'est un cinq étoiles, et je vous jure que nous n'avons pas tous un cinq étoiles. Alors, je vous parlerai comme prolétaire un peu des soins palliatifs aujourd'hui.

Alors, pour cet exercice, j'ai demandé l'opinion de neuf collègues de mon service. J'ai aussi animé des ateliers médicaux et de nursing pour prendre note des vécus de mes collègues de soins palliatifs de d'autres milieux que le mien et pour connaître leur avis professionnel sur le sujet de l'euthanasie.

Alors, opinions multiples et surtout ignorance. Alors, quelle n'est pas ma surprise de constater qu'une grande majorité de médecins et d'infirmières qui travaillent en soins palliatifs que j'ai contactés ont un langage qui est beaucoup plus nuancé sur le rejet du principe de l'euthanasie que les porte-parole de nos associations officielles de soins palliatifs, comme le Réseau québécois de soins palliatifs et l'Association canadienne de soins palliatifs qui, à mon avis, trop souvent, sinon toujours, rejettent d'emblée l'euthanasie en laissant planer l'idée que, s'il n'y avait pas de soins palliatifs dans tous les milieux... pardon, que, s'il y avait des soins palliatifs dans tous les milieux de soins, nous n'aurions pas besoin de parler et de légiférer sur l'euthanasie. Alors, comme s'il fallait mettre en confrontation continuellement les soins palliatifs et l'euthanasie, alors que ce sont deux sujets différents avec parfois des enjeux divergents, mais parfois aussi des enjeux complémentaires.

Plus humblement, plusieurs de mes collègues et moi, nous ne pensons pas réussir à soulager physiquement et moralement 100 % des patients qui nous sont confiés, et nous avons tous vécu des situations extrêmes dans lesquelles nous aurions voulu pratiquer l'euthanasie, si nous ne l'avons pas déjà fait. Doit-on légiférer pour cela?

Autre son de cloche. Les médecins des deux fédérations médicales, FMOQ et FMSQ, ont répondu à un sondage, et une tendance très forte se dessinait en faveur de la légalisation de l'euthanasie, et ce, à plus de 75 % des répondants, médecins spécialistes et omnipraticiens, ce qui représentait un peu moins de 25 % des médecins de la province. Une quantité importante de réponses dans un sens sur un sujet donné n'en assure pas obligatoirement la justesse et ne peut devenir la normalité, même si légitimée par le nombre. Le titre de médecin ne fait pas de nous des experts en ce sujet, ce serait plutôt le contraire.

Je renverrais cette Assemblée à une interview du journal Le Devoir du 14 octobre 2009, sous la plume de Louise-Maude Rioux, entrevue réalisée avec le président de la FMSQ. Celui-ci, s'appuyant sur ce sondage, affirme que 81 % de ses membres ayant répondu au sondage ont confirmé que l'euthanasie est bel et bien pratiquée dans le réseau québécois de la santé.

Alors, pour moi, pour pratiquer dans un hôpital universitaire de Montréal, ce n'est pas ma perception que les médecins spécialistes savent ce qu'est l'euthanasie au sens de la loi. Ils sont portés à confondre une cessation de traitement ou une non-initiation de traitement avec euthanasie, qu'on subdivise ensuite à tort en euthanasie passive ou en euthanasie active. La réponse me semblait plutôt teintée d'ignorance et de confusion sur les termes mêmes du débat.

Je vois beaucoup plus d'acharnement thérapeutique déraisonnable dans nos hôpitaux que je ne vois d'euthanasie. Même confusion de la part du porte-parole des spécialistes, quand il fait une analogie avec les manoeuvres de réanimation ou non à être discutées avec les familles, comme si le fait de ne pas en discuter et de ne pas la pratiquer relevait de l'euthanasie, alors qu'une manoeuvre de réanimation cardiorespiratoire est un traitement pour une condition précise et ne pas entreprendre ces manoeuvres si la situation clinique n'est pas appropriée ne relève absolument pas de l'euthanasie mais plutôt d'une bonne pratique médicale, qui doit s'abstenir de poser des gestes qui sont non indiqués, même si la mort est l'échéance. Penser autrement, c'est consacrer l'acharnement déraisonnable thérapeutique.

**(12 heures)**

Comble du paradoxe et de l'ignorance, le président nous relève... nous révèle, pardon, que 95 % des répondants à la FMSQ pensent que la sédation palliative doit être considérée comme faisant partie des soins appropriés de fin de vie tout en pensant, pour 48 % d'entre eux, qu'il s'agit d'une forme d'euthanasie contre 46 % qui pensent le contraire. Et de surenchérir le président, et je le cite: «Il n'y a pas d'ambiguïté, la sédation palliative est non seulement une forme d'euthanasie, elle est aussi la forme d'euthanasie la plus courante au Québec.»

Au niveau de la logique, le raisonnement est fautif, car, en associant sédation palliative et euthanasie, on normalise le concept d'euthanasie en le définissant par un geste médical qui est perçu comme approprié en fin de vie. Si euthanasie égale sédation palliative profonde continue, pourquoi alors légiférer sur quelque chose qui est déjà légalement accepté? Il y a au moins la moitié de ses membres qui ne partagent pas son avis. C'est le danger d'avoir une trop grande tribune.

Première question: Si une grande partie des médecins qui ne sont pas associés aux soins palliatifs et à la sédation palliative sont aussi ignorants des enjeux discutés, qu'en est-il de la population en général qui lit ces entrevues pour se faire une idée? Le Collège des médecins du Québec, quant à lui, n'a pas affiché une grande certitude ni une fin de non-recevoir lorsqu'il s'est prononcé sur le sujet de l'euthanasie. Il s'est plutôt employé à rediriger le débat vers des soins appropriés en fin de vie, décrivant abondamment le besoin de communication entre l'équipe soignante, les patients et leurs familles. Pour le Collège, le processus de décision devient aussi important que la décision elle-même. La question est donc plus que pertinente dans le monde médical et est loin de faire l'unanimité.

J'exposerai donc mon argumentation sur le sujet demandé, soit le principe d'un droit à mourir dans la dignité, les conditions de fin de vie et les soins de fin de vie, le droit à l'euthanasie et les modalités à l'euthanasie. Votre demande n'incluait pas le suicide médicalement assisté, mais je crois qu'on ne peut pas ne pas en parler.

Je vous dirai que mon argumentation est la conclusion d'un vécu de 40 ans de médecine, dont 15 en médecine d'urgence, cinq en milieu de soins intensifs, 12 en CHSLD, et 20 années en milieu de soins palliatifs, sans passer sous silence du travail avec des équipes de maintien à domicile pour cancéreux, tant en CLSC qu'avec l'Entraide Ville-Marie, le tout assaisonné de deux, trois ministériels sur l'état des soins palliatifs sous une douzaine de ministres de la Santé de gouvernements différents. Mon opinion et argumentation se veut médicale, et je refuse, dans mon argumentation, d'invoquer des raisons religieuses ou personnelles.

Le médecin-avocat-philosophe et le droit de mourir dans la dignité. Cet énoncé est impossible à récuser pour un médecin. Comme telle, une pratique médicale obéit à des principes et à des règles qui sont incluses dans un code de déontologie. Le code de déontologie médicale du Québec stipule, dans une série d'articles, que «le médecin doit ignorer toute intervention qui ne respecte sa liberté professionnelle»; c'est l'article 7. «Le médecin doit agir de telle sorte que le décès d'un patient qui lui paraît inévitable survienne dans la dignité. Il doit assurer à ce patient le soulagement et le soutien [nécessaires]»; l'article 58. «Le médecin ne doit pas diminuer les capacités physiques, mentales ou affectives d'un patient, sauf si cette diminution est requise pour des motifs préventifs, diagnostiques ou thérapeutiques»; l'article 55. «Le médecin doit collaborer avec les proches du patient ou toute autre personne qui en démontre un intérêt significatif...» Et finalement, «le médecin doit refuser sa collaboration ou sa participation à tout acte médical qui irait à l'encontre de l'intérêt du patient, eu égard à sa santé»; l'article 60.

Ces énoncés sont dans la pure tradition médicale existant depuis 2 500 ans et dont je suis dépositaire. Le serment d'office d'Hippocrate stipulait que, «comme médecin, je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion». Semblablement, «je ne remettrai jamais à aucune femme un pessaire abortif».

Deuxième question: Est-ce que je suis prêt à briser la tradition et le code de déontologie et un serment qui fixe un cadre très rigide? On ne peut jamais dire jamais.

Conflit assuré entre des règles de l'art du médecin et des règles de droit d'une société avec ses lois et chartes. Jusqu'à maintenant, je ne peux dire que ce conflit existait vraiment avant la décriminalisation de l'avortement dans les années soixante-dix. La société avance avec différents groupes de pression qui ont leur propre agenda. Avant d'être médecin, est-ce que je dois être citoyen ou, vice versa, avant d'être citoyen, est-ce que je dois être médecin? Dois-je absolument militer pour une cause? Moi, je dis que, pour les patients, ma neutralité est leur meilleur gage de sécurité.

Comme médecin, je demeure donc dans une dialectique obligée de traitement et de soutien physique et psychologique. Ces articles du code sont importants, puisqu'ils consacrent l'essence même du devoir médical, qui est de traiter un malade, et non pas seulement sa maladie, en plus d'en fixer une limite. Ces énoncés devraient donc nous guider dans le choix des patients à qui pourraient s'adresser des gestes comme l'euthanasie ou le suicide assisté et ne devraient pas être offerts ou acceptés pour d'autres raisons que de traitement à prodiguer pour un problème médical physique ou psychologique.

Ma troisième question: Est-ce que l'euthanasie et le suicide assisté sont des traitements? Nous y reviendrons. La limite du traitement évoqué dans le code d'éthique peut, de façon déontologiquement acceptable, aller jusqu'à diminuer les capacités physiques et mentales du patient, ce qui peut impliquer une sédation profonde palliative continue. Dans le cadre actuel, le médecin ne peut aller au-delà de cette limite, tant comme collaborateur que comme acteur, d'un acte qui irait à l'encontre de l'intérêt du patient.

La dignité maintenant, et c'est ma quatrième question: Qu'est-ce que la dignité? La notion de dignité humaine n'est pas définie dans les articles du code de déontologie, et, si je demandais au Collège des médecins de clarifier et définir la notion de dignité, je doute qu'ils puissent trouver une définition universelle qui satisfasse les philosophes, les juristes et les théologiens.

La notion de dignité est souvent très équivoque et doit faire appel à des dimensions multiples qui sont philosophiques, religieuses et juridiques. Déjà mon intention de m'en tenir à des dimensions purement médicales est irréaliste et toute ma pratique est encadrée par la loi civile et criminelle, par la religion ou l'absence de religion des patients ou du médecin, par la liberté de choix du patient, cette liberté qui s'exprime dans la possibilité du refus d'un traitement, mais qui ne peut s'exprimer par l'exigence d'un traitement non approprié médicalement.

Les règles philosophiques et les règles éthiques toutefois vont teinter ma pratique médicale, tout en sachant très bien que la loi n'est pas l'éthique, et les religions ou la théologie ne sont pas l'éthique. Les prises de décision deviennent parfois difficiles lors de conflits d'enjeux d'une discipline à l'autre.

Alors, utilisée en particulier dans le champ de la bioéthique, la notion de dignité fait référence, pour certains, à une qualité qui serait liée à l'essence même de chaque homme, ce qui expliquerait qu'elle soit la même pour tous et qu'elle n'admette pas de degré. Donc, ce n'est pas une valeur que nous accueillerons et n'est donc pas fonction de la vision ou de l'évaluation que les autres se font de nous.

**(12 h 10)**

Alors, la dignité est-elle un absolu intrinsèque à l'homme ou une valeur relative que nous acquérons en fonction de critères relatifs? Alors, selon certains philosophes comme Ricoeur, cette notion renvoie à l'idée que «quelque chose est dû à l'être humain du fait qu'il est humain». Alors, prise en ce sens, cela signifie que tout homme mérite un respect inconditionnel, quel que soit l'âge, le sexe, la religion, la condition sociale ou l'origine ethnique de l'individu en question ou encore son état de délabrement physiologique ou psychologique. Si c'est ainsi, on ne peut perdre sa dignité humaine même dans la pire maladie ou dans les pires conditions de vie, et par conséquent il devient difficile d'invoquer la perte de dignité ou la diminution de dignité pour justifier un suicide assisté ou une euthanasie.

L'équivocité de la notion de dignité conduit à d'importants débats théologiques, philosophiques et juridiques, car, pour d'autres philosophes, pour plusieurs philosophes, la notion de dignité est une notion fourre-tout employée selon les besoins de l'argumentation. Alors, si on parle de la dignité kantienne, elle se distingue par le respect de la liberté humaine. Par contre, d'autres philosophes vont conseiller de substituer dans le champ de la bioéthique la notion de dignité pour celle de respect pour l'autonomie, ce qui est à peu près la règle ici, en médecine québécoise.

Comme tout est histoire de droit et de charte, certains diront que le droit déborde dans un champ de la philosophie, comme il déborde dans le champ de la médecine. Pour d'autres auteurs, ils ont émis l'hypothèse que ce sont en majorité les sources religieuses, en particulier les écrits de l'Église catholique au sujet de la dignité humaine, qui expliquent que la dignité soit si souvent interprétée comme ayant une valeur prépondérante au respect des personnes et de leur libre arbitre.

Le Président (M. Kelley): Je dois juste vous conseiller qu'il manque... il commence à manquer des graines dans le sablier, alors...

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): On arrive à pas loin de 20 minutes, alors...

M. Beauchamp (Yvon): Elle va s'autodétruire. Alors donc, avec des critères religieux, nous entrons dans un monde de croyances qui sont non rationnelles.

Alors, une partie de mon questionnement revient à me demander s'il y a prépondérance des volontés du patient sur les codes de loi des sociétés et sur les codes de loi professionnels. Si la réponse est positive, le problème est vite résolu et la loi devra changer pour accorder l'euthanasie sur demande. Si la réponse est négative et que la loi a prépondérance sur les volontés exprimées du patient, lorsque celles-ci outrepassent les balises juridiques en vigueur, la loi pourrait quand même changer si un très grand nombre de personnes le demandent. Le nombre fait-il office de normalisateur? À mon avis, c'est dangereux, et parfois il vaut mieux s'abstenir d'agir. Avec l'ère des droits pour tout et pour tous, la notion de responsabilité individuelle envers les autres s'est faite toute petite.

Comme je pratique dans un contexte médical et social dans lequel le droit est présent et qu'une définition universelle de la dignité ne semble pas faire consensus, je pencherai donc vers la notion du respect à la fois de l'individu et de son autonomie comme base de relation et de décision avec le patient, puisque cette notion est celle sur laquelle nous basons notre pratique médicale, tout en étant contrebalancé par des règles éthiques de bienfaisance et non malfaisance et aussi par les règles juridiques, civiles, criminelles ou déontologiques selon lesquelles nul ne peut subir un traitement sans son consentement libre et éclairé.

Le Président (M. Kelley): Je vous invite, honnêtement, parce que je veux laisser le temps pour les échanges avec les membres de la commission. Je pense que les points qui restent dans votre présentation peut-être vont sortir dans la période d'échange. Alors, peut-être en 30 secondes une conclusion, et on va passer à la période d'échange avec les membres de la commission.

M. Beauchamp (Yvon): Bien, c'est impossible, vous lirez mon... mon mémoire.

Le Président (M. Kelley): Oui, c'est ça, les parlementaires ont également copie papier du mémoire. Alors, excusez-moi d'interrompre, mais je dois gérer le temps. On a un autre témoin après vous, alors j'essaie de rendre tout le monde le plus heureux possible. M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bienvenue, Dr Beauchamp, Mme Saint-Arnaud. Je mettais un peu de pression sur le président, moi, j'ai lu votre mémoire, donc j'avais hâte de pouvoir échanger avec vous et d'avoir un temps suffisant pour le faire, parce que votre mémoire, il est solide, il est très étoffé. On suit votre réflexion, vous posez les questions, vous apportez des réponses, un certain nombre de réponses. À un moment donné, je ne me souviens plus à quelle page, là, vous dites que vous n'êtes plus en mesure de fournir de réponses, mais vous poursuivez.

J'ai senti une tendance en faveur... un plaidoyer, dans le fond, pour une plus grande accessibilité pour les soins palliatifs. Vous ouvrez un peu une porte par rapport aux cas exceptionnels où l'euthanasie serait comme justifiable; j'aurai l'occasion de vous questionner là-dessus.

Mais je veux revenir à la condition du patient. Je ne veux pas revenir sur le débat par rapport au Dr... au Dr Barrette; ça, je pense que vous clarifiez très bien les choses et je vous dis merci. Je veux revenir sur la condition du patient et la thèse, là, qu'on devrait abréger ses jours parce qu'il vit une douleur intense, insupportable.

On a fait en commission des nuances entre douleur et souffrance, douleur étant davantage d'ordre physique, alors que souffrance faisant appel davantage a une souffrance qui est d'ordre moral ou psychologique, en fin de vie. L'Association médicale du Québec nous dit dans leur mémoire que, et je vais citer, «les situations où les malades en soins palliatifs endurent une douleur insupportable qui ne peut être soulagée par l'arsenal thérapeutique et pharmacologique à la disposition des médecins sont rares».

Je ne sais pas si vous partagez ce point de vue là, mais c'est important que j'aie une bonne compréhension. À partir de votre expérience, est-il vrai que l'arsenal de médicaments où un patient ne peut pas être soulagé de ses douleurs est tout à fait rare?

M. Beauchamp (Yvon): Sur 1 500 patients que nous voyons, nous sommes 10 médecins, nous avons des unités de 22 lits, nous avons une clinique externe cinq jours par semaine, nous faisons les consultations à domicile et sur les étages, et nous avons en moyenne trois demandes par année.

M. Ouimet: Et est-ce qu'on est dans un contexte, là, au moment où la douleur devient vraiment insupportable, est-ce que c'est à ce moment-là qu'on arrive au niveau de la sédation terminale? Je veux vous amener à la page 13 de votre mémoire. J'ai trouvé très intéressant lorsque vous dites, lorsqu'on est rendu à la sédation terminale, vous dites: «Ce sont dans ces moments qu'il devient facile de penser à l'euthanasie et [...] donner des doses qui tueront le patient sans son accord mais pour des raisons de compassion, à mon avis plus pour les familles et le médecin que pour les patients.»

Le patient qui est dans un état d'inconscience, est-ce qu'il a de la douleur physique?

M. Beauchamp (Yvon): Absolument pas.

M. Ouimet: Bon.

M. Beauchamp (Yvon): Et tout est là. Quand je vous ai dit, en pré-préambule, que... mauvaise définition, même des médecins, parce que la sédation terminale, on a plutôt tendance à maintenant l'appeler la sédation palliative profonde, continue, parce qu'il y a plusieurs types de sédation.

Alors, si vous allez vers votre dictionnaire Larousse, vous verrez que «sédation», ça veut tout simplement dire: Apaiser les souffrances physiques et psychologiques. Alors, si vous prenez un Valium, vous vous faites de la sédation qui n'est pas profonde, qui est très temporaire. Si on vous opère en salle d'opération, on vous fait une sédation qui est très profonde, qui est très temporaire, vous allez vous réveiller. Mais, quand on parle de la vraie sédation palliative profonde et continue, à ce moment-là, oui, nous rendons le patient inconscient. Et, quand je dis que les médecins, même les médecins de soins palliatifs, ont une mauvaise définition, une mauvaise vision... parce que je vous ai dit, dans ces pages-là, la définition du sénat, de la commission sénatoriale, mais je vous ai donné la définition des écrits palliatifs dans lesquels on regarde. Et vous voyez deux auteurs qui ont revisité le concept, depuis 2000, 2004, jusqu'à 2004, trois fois. Et où c'est spécifié que nous prenons des patients qui sont conscients, qui sont capables de parler avec leurs membres, et nous les rendons inconscients, ce qui élimine tous les autres cas de pseudo, finalement, sédation où, à cause de la maladie qui est très avancée, les patients deviennent de toute façon inconscients, ou que la médication qu'on a donnée les rend aussi inconscients. Mais le but était de soulager la douleur à ce moment-là. Mais parce que la maladie a continué d'évoluer, bien, ils deviennent inconscients tant par l'évolution de la maladie que par les médicaments que nous donnons. Et...

M. Ouimet: Quand l'Association médicale nous dit qu'il n'y a que de rares cas où on ne peut soulager la douleur des patients, pourriez-vous me dire quels sont ces cas?

M. Beauchamp (Yvon): Oui.

M. Ouimet: Si dans tous les cas on peut soulager la douleur...

M. Beauchamp (Yvon): Non, non. J'ai dit oui, puis vous m'avez demandé combien. Je vous ai dit: J'en ai trois par année.

M. Ouimet: O.K.

M. Beauchamp (Yvon): Et ça m'est arrivé personnellement. Quel genre de cas... Si je vous dis des douleurs neuro... à ce moment-là vous ne comprendrez pas, hein? Alors, ce sont des types de douleurs qui sont atroces, qui sont à l'occasion absolument impossibles à soulager. Et j'ai des cas dans la tête, avec un arsenal où les doses étaient poussées à 10 fois le maximum. Ces gens-là étaient éveillés et souffraient terriblement. Et, ces cas-là, j'ai fait de la sédation profonde continue. J'ai choisi un anesthésique dont on se sert à la salle d'opération, et je l'ai endormi en l'espace de 30 secondes, et il est mort au bout de cinq jours.

J'ai fait de la sédation profonde continue pour un symptôme qui est réfractaire, qui est la définition même que vous avez, là, dans ces pages-là. Et c'est la définition d'un symptôme réfractaire. Bon. Est-ce qu'il est vraiment réfractaire? Bien là, ça va dépendre du médecin qui est en cause.

**(12 h 20)**

M. Ouimet:...le dosage, le médicament, j'ai en tête... le Dr Lapointe hier, de l'Université McGill, qui nous disait qu'il y a des médicaments qui sont extrêmement puissants, qui font le travail avec une rapidité incroyable, mais qui sont très, très coûteux.

La question que je pose, et la réponse que vous semblez me donner, c'est que, dans tous les cas, on peut soulager la douleur même insupportable.

M. Beauchamp (Yvon): Si on accepte que la sédation profonde continue palliative... là, je vais vous répondre: 100%. Je les soulage, mais sont très rares les moments où je dois arriver jusque-là, un, ce qui est différent d'une demande d'euthanasie. Parce que, si vous me demandez aussi combien j'en ai par année, je vais vous dire: Pas beaucoup.

M. Ouimet: Je veux maintenant... Vous ouvrez la porte maintenant par rapport à d'autres situations -- j'essaie de retrouver le passage dans votre mémoire -- vous faites référence, à la page 13, au cas de Sue Rodriguez et vous émettez une opinion à la page 14, vous dites: «Il y aura toujours des cas de souffrance», et là vous ne parlez pas de douleur, vous parlez de «souffrance exceptionnelle qui mériteront des gestes d'exception qui ne sont pas permis légalement actuellement mais qui demeurent tout à fait moraux et justifiés, si on fait abstraction des religions», et j'ajouterais: si on fait abstraction du Code criminel.

Pourriez-vous élaborer un peu sur «les cas tout à fait moraux et justifiés»?

M. Beauchamp (Yvon): Bon, écoutez. Moi, je ne fais pas de différence. Moi, je travaille aussi en douleur non cancéreuse dans une clinique de douleur chronique. Bon. Ces gens-là souffrent terriblement, mais ils vont vivre 30 ans avec. C'est beaucoup plus difficile que mes cancéreux qui vont mourir et c'est une délivrance.

La définition médicale de la douleur, c'est une «perception». Alors, ce que vous percevez, je ne le perçois pas, puis cette perception-là est toujours sensorielle et émotionnelle. Alors, c'est pour ça qu'on ne peut pas faire une différence puis dichotomiser. C'est toujours une émotion puis c'est toujours une sensation, et on est obligés toujours de s'occuper des deux. On n'a pas le choix.

Alors, la souffrance, c'est quand on parle de la douleur globale. Parce qu'une douleur physique pure, ça n'existe pratiquement pas, à part d'un coup de marteau sur un doigt, mais on ne parle pas de ces douleurs-là en soins palliatifs. Alors donc, il y a toujours une émotion qui vient avec, et la souffrance, chez nous en soins palliatifs, c'est la douleur physique, la douleur morale, psychologique, la douleur spirituelle, et aussi la douleur sociale.

C'est ça qu'on appelle «la douleur» en soins palliatifs, c'est un tout, là. Moi, je ne suis pas capable de faire la différence, là, entre tout ça, là. Et la partie émotionnelle, souvent elle va être prépondérante sur la partie physique, mais ce sont tous des modulateurs. L'oeuf avant la poule ou la poule avant l'oeuf? On ne le sait pas. Alors, quand vous avez mal, vous devenez déprimé quand ça dure trop longtemps, puis, quand vous êtes déprimé, ça augmente votre douleur. Mais c'est toujours comme ça, alors on n'a pas le choix que de traiter les deux.

M. Ouimet: Et... et pour l'état... je vous pose une grande question...

M. Beauchamp (Yvon): Et, si vous voulez, je peux... Écoutez, si vous m'amenez sur ce sujet-là, je vous dirai qu'on a à l'occasion plus de raisons qui ne sont pas purement de la douleur physique pour faire de la sédation profonde, là, d'après les études, les... qui sont... qu'on lit, il y a plus de raisons qui sont autres que la douleur: les delirium, les dépressions profondes, les crises de panique majeures qu'il n'y a rien à faire avec ça. Alors, c'est.. c'est prépondérant à la douleur.

En soins palliatifs, la douleur, c'est le troisième symptôme en importance. Ce n'est pas le plus fréquent, mais c'est le plus mal soigné puis c'est le moins bien connu. Et c'est pour ça que je vous dis: À un moment donné, un médecin qui ne sait pas comment traiter la douleur, bien, pour lui, il peut bien être rendu à dire: Je vais employer la sédation profonde palliative continue, mais il n'a pas vraiment essayé tous les autres. Parce que c'est faux de penser que tous les docteurs savent comment traiter la douleur et sont à point là-dessus.

M. Ouimet: Il va me manquer de temps pour vous... vous questionner, là, sur la porte que vous ouvrez, mais je ne sais pas jusqu'où elle est ouverte, la porte des cas exceptionnels. Mais vous faites état, dans votre mémoire à la page 16, des dérives possibles, où vous parlez des options administrativement justifiables pour ceux qui sont chargés d'aligner des colonnes de chiffres pour arriver à équilibrer les dépenses et les revenus, qui est un peu la théorie de la pente... de la pente glissante.

M. Beauchamp (Yvon): La première fois que je parle d'une dérive, je parle de mon moi-même. Parce que je... Quand je vous dis que tout ce qui est légal n'est pas nécessairement moral et qu'il y a des choses qui sont morales mais qui ne sont pas légales, c'est comme si je vous disais: Finalement, en haut de tout ça, il y aura ma propre conscience.

M. Ouimet: Ah! Ça, vous l'avez bien exposé dans votre document, là...

M. Beauchamp (Yvon): Oui.

M. Ouimet: ...le contexte dans lequel le médecin doit pratiquer.

M. Beauchamp (Yvon): Et, pour ce qui est... pour ce qui sont des dérives, bien je pense qu'on en a parlé hier avec Mme Somerville, avec ma collègue ici aussi, les gens qui vont mettre de la pression sur leurs proches pour dire: Regarde, là, tu ne voudrais pas être euthanasié ou... C'est les pressions administratives dans ce sens-là, là, hein?

M. Ouimet: Mais vous posez à la page 17 de votre mémoire un certain nombre de balises et de remparts, vous en avez, je pense, sept, et, en lisant les sept, je me disais: Si nous avions bonne conscience, et qu'on allait aussi loin que permettre le droit à l'euthanasie, et que là on encadrait ça avec les sept balises... La question que je vous pose, c'est: Est-ce réaliste de penser que les sept balises seraient respectées?

M. Beauchamp (Yvon): Seraient...

M. Ouimet: Est-ce réaliste de penser que les...

M. Beauchamp (Yvon): Respectées?

M. Ouimet: ...les sept balises seraient respectées?

M. Beauchamp (Yvon): Écoutez, quand il y a des règles, là, on est supposé les suivre. Le seront-elles? Si on écoute ce qu'hier les mentions... en comparant avec la Hollande, les médecins font à peu près n'importe quoi pour classer leurs cas dans des cas où ils ne risqueraient pas de se faire poursuivre, puis, deuxièmement, les règles, habituellement, sont peu suivies. C'était à peu près la conclusion générale, à moins que je ne me trompe.

M. Ouimet: Donc, vous tirez une conclusion, dans le fond, si je fais... Vers la fin de votre mémoire, je pense que vous manifestez votre option pour développer l'option palliative, ayant fait la thèse et l'antithèse de toutes les questions que vous avez explorées dans votre mémoire.

M. Beauchamp (Yvon): Je dois être conséquent avec moi-même, aussi, hein?

M. Ouimet: Oui.

M. Beauchamp (Yvon): Alors donc, pour moi, c'est inutile de légiférer si on peut offrir une deuxième option.

Deuxièmement, pour moi, l'euthanasie, ça représente peu de cas. Si on a une autre option qui est valable et, si vous me lisez, je vous dis qu'elle n'est pas valable actuellement, même si hier on a entendu qu'on était passés de 10 % à 40 %, bien non, ce n'est pas vrai, ça. On peut mettre une étiquette à 40 % parce que tel endroit offre des soins palliatifs, mais quel genre de soins palliatifs.

Alors, je vous dis aussi que c'est très inégal. Je vous dis que les médecins, ils ne connaissent pas grand-chose là-dedans. Ça commencerait par l'université. Je ne sais pas si les universités sont invitées dans votre débat. Moi, je sais que je suis impliqué avec l'université. On essaie de faire changer les choses. J'ai été sur des comités nationaux où il y a eu... avec l'Ontario, on a produit un mémoire pour EFPPEC, mais il n'est pas en fonction. Il va falloir que le collège royal oblige toutes les écoles de médecine à le mettre en fonction.

Alors, ma position, c'est qu'actuellement cette option-là n'est pas très valable parce qu'il n'y a pas beaucoup de monde qui peuvent en bénéficier. À ce moment-là, c'est leur donner des munitions, à ceux qui veulent l'euthanasie. C'est ça que je dis dans mon mémoire.

M. Ouimet: Merci. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup aussi. La qualité d'un mémoire se mesure au nombre de questions qu'il suscite. Je peux vous dire que le vôtre est vraiment excellent, et c'est pour ça que c'est si frustrant d'avoir juste 15 minutes. Alors, je vais commencer tout de suite.

Moi aussi, je vous amène à la page 13. Je pense que c'est vraiment le noeud un peu de la pratique de la fin de vie, et c'est quelque chose qui nous habite beaucoup depuis le début: c'est toute la question de la ligne mince entre la sédation palliative ou terminale et les demandes d'euthanasie. Et ce que je trouve intéressant, c'est peut-être... vous nous amenez pour dire...

En fait, moi, ce que je veux savoir c'est: Quand une personne demande de manière répétée de mourir en fin de vie, est-ce que l'offre... la proposition pour soulager sa souffrance, c'est la sédation palliative? Et la sous-question, c'est: Qu'est-ce que ça crée chez cette personne-là qui demande de manière répétée à mourir, qu'on lui dise: La solution, puisqu'on ne peut pas malheureusement légalement répondre à votre demande, c'est de vous endormir pendant une période plus ou moins longue, et on ne peut pas vous dire exactement, qu'est-ce que ça crée chez la personne, ça?

M. Beauchamp (Yvon): Je me suis mis dans une dialectique d'un médecin: un problème, essayons de trouver une solution. Donc, s'il y a un problème qui soit physique, organique ou psychologique, il faut que j'aie quelque chose à soigner; c'est là-dessus que je vais travailler. Alors, d'emblée...

Et il y a deux écoles de pensée, même en soins palliatifs, parce qu'il y en a qui vont dire: Toutes les causes existentielles, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Bon. Alors, il y en a qui vont dire: Oui, oui, on devrait, ceux-là. Ce n'est pas ma position. Je veux rester un médecin. Un médecin, quelqu'un vient le voir avec un problème, et je veux essayer de régler son problème. De ne pas trouver la vie agréable, bien, oui, c'est son problème, mais c'est plutôt l'accompagnement, la solution. Ce n'est pas des soins médicaux, c'est d'autres choses. Alors donc, je ne sais pas si je réponds à votre question, mais je veux rester un médecin. Un médecin, c'est fait pour soigner. Et j'ai besoin de soigner des symptômes ou des maladies.

**(12 h 30)**

Mme Hivon: Mais je pense que vous l'exprimiez bien dans votre mémoire quand vous dites que, vous, vous intervenez à partir du moment où il y a une condition clinique, qu'elle soit physique ou psychologique.

Moi, je dis: Si on estime que la personne en fin de vie... bien, pas «on estime», mais la personne, elle, elle a une telle souffrance subjective qu'elle demande de manière... je comprends que c'est exceptionnel, mais, nous, on est dans ça, là. Et elle demande de manière répétée. Ce que vous faites, là, cliniquement, à cette personne-là, vous lui proposez la sédation palliative. Et je voulais savoir qu'est-ce qu'elle exprime, cette personne-là, quand on lui propose la sédation palliative.

M. Beauchamp (Yvon): Bien, d'abord, si je suis rendu là, c'est parce que... si c'est une cause qui est purement psychologique, elle va sûrement avoir vu le psychiatre, elle va sûrement avoir été visitée à plusieurs reprises, si la demande, elle est répétée. Dans les études, il y a plus de raisons psychologiques pour faire de la sédation profonde que de raisons purement physiques.

Alors, je vous dirai que, oui, ça pourrait aller jusque-là, en étant conséquent avec moi. Et, quand je vous dis mi-figue, mi-raisin, c'est que... Et M. L'Heureux hier en a parlé: dans les études, c'est vrai que la sédation profonde, c'est entre un et six jours, avec une médiane à quatre jours. Mais, moi, j'ai des records Guinness, hein, à 17 puis de 20 jours, là. Et c'est là que j'ai dit: C'est là que je commence à penser à l'euthanasie, parce que ce serait quoi pour moi? Il est déjà endormi. Là, je donnerais des doses de médicaments qui ne sont pas justifiables médicalement. Puis là, bien, ma raison, dans mon cerveau, elle vient de changer. Ce n'est pas plus pour le soulager, là, c'est pour que ça finisse. Et la ligne est mince.

Demandez-moi pas si j'en ai déjà fait, vous êtes sûrs que je ne vous répondrai pas.

Mme Hivon: O.K. À la page 14 maintenant, je pense que vous amenez... vous dites au deuxième paragraphe: «C'est une erreur des faits et c'est une interprétation erronée...» Enfin: «Dire que -- quatrième ligne -- "si les soins palliatifs existaient dans tous les milieux de soins nous n'aurions pas besoin de légiférer pour décriminaliser euthanasie et suicide assisté" est à mon avis erroné. Il y aura toujours des cas de souffrance exceptionnelle qui mériteront des gestes d'exception...» O.K.?

Et ça, là, je vous le soumets, parce que, nous, c'est une question qu'on a à se demander, si on va soumettre ça à la population, c'est-à-dire la dichotomie absence de soins palliatifs partout et effets que ça peut avoir sur une demande accrue d'euthanasie, par exemple, parce qu'il y a des gens, du fait qu'ils sont laissés dans leurs douleurs, c'est leur seul remède. Mais d'autres nous ont dit, et dès le début, la première journée, il y en a qui nous ont dit: Faites très attention à ça, c'est deux débats: il y a un débat d'allocation des ressources versus un débat éthique profond, à savoir si, comme société, on veut légaliser l'euthanasie.

Quand vous nous dites ça, est-ce que vous... c'est-à-dire que vous pensez que cette question-là ne devrait pas être soumise parce qu'elle risque d'entraîner des glissements?

M. Beauchamp (Yvon): Bien, je vous dirai, des glissements, je n'en sais rien, mais des pensées qu'on pourrait se servir de l'euthanasie pour régler des problèmes qui pourraient se régler autrement mais qui seraient du ressort de l'allocation de ressources. On revient toujours à la même chose, hein?

Parce qu'une fois qu'on a formé les médecins puis les infirmières avec les connaissances scientifiques, parce que c'est de la médecine de fin de vie, là, hein, et humaine, à ce moment-là, s'ils n'ont pas plus d'endroits pour appliquer ces connaissances-là, on va avoir accompli la moitié du chemin à peu près, là. Alors, dans le sens d'administrativement, ça pourrait devenir effectivement... mais je pense que les gens pourraient le voir comme ça. Et déjà on l'a exprimé, ça, hier, là.

L'exemple de l'Oregon, que, quand ils ne peuvent pas payer un médicament qui coûte cher à un patient, ils lui envoient une petite lettre en même temps pour dire: As-tu pensé à l'euthanasie, là, tu sais?

Mme Hivon: Mais vous, ce que vous nous dites, c'est que -- pour comprendre -- même dans le meilleur des cas, les meilleurs soins palliatifs, puis tout ça, il reste quelques demandes très, très exceptionnelles, vous nous avez dit. Et est-ce que je comprends que c'est de ce fait-là que vous dites qu'on ne peut pas faire l'adéquation entre les deux, là?

M. Beauchamp (Yvon): Ce ne serait même pas des demandes, ces cas exceptionnels là, parce que, quand il est déjà endormi, puis que ça fait 17 jours que ça dure, puis que c'est moi qui pousse la dose, là, je viens de prendre une décision, là. Il ne m'a pas demandé, là. O.K.

Mme Hivon: Quand je dis «cas exceptionnels», je veux dire, les demandes des gens répétées, vous avez dit tantôt trois, par exemple, par année. Donc...

M. Beauchamp (Yvon): Trois par année pour me demander...

Mme Hivon: ...de mourir.

M. Beauchamp (Yvon): Oui, mais ils ne sont pas rendus au bout de leur vie, là, au bout de leur vie de maladie.

Mme Hivon: Oui, oui. C'est ça.

M. Beauchamp (Yvon): O.K.? Et Sue Rodriguez, si elle avait eu ses deux bras puis ses deux jambes, elle aurait pu se suicider ou être assistée. Mais, comme elle ne les avait pas, celui qui l'a fait, c'était de l'euthanasie. On peut bien dire... On joue sur les mots, mais c'est comme ça en droit, hein?

Mme Hivon: O.K.

M. Beauchamp (Yvon): C'est donner la mort à quelqu'un de façon volontaire, puis ce n'est pas lui qui l'a fait. Alors, c'est pour ça que les gens voient plus le suicide assisté comme plus facile, parce que ça dégagerait le médecin. Bien là, ça ne me tente pas d'être juste un moyen, moi, là, pour que quelqu'un «se» tue, là, alors que je ne pense pas qu'il est rendu au bout de sa maladie, que je pense que je peux encore faire quelque chose pour lui.

Puis, je vous l'ai dit: Moi, là, ils peuvent refuser mes traitements; ils ne peuvent pas m'obliger à en faire que je ne veux pas faire.

Mme Hivon: Ça, c'est vous, de votre perspective de médecin, puis je pense qu'on la comprend tous. Il y a votre...

M. Beauchamp (Yvon): C'est l'article 7 du code de déontologie. Je vais toujours me cacher vers ça. Puis, nonobstant que vous passeriez la loi, je vais toujours revenir. À moins que le Collège des médecins refasse son code de déontologie en s'enlignant sur le vôtre, là.

Mme Hivon: C'est ça. Ça, c'est la liberté aussi de conscience ultime de la personne. Donc, personne n'est obligé de... Parfait. J'aurais deux -- j'espère que je vais avoir le temps -- deux questions.

Dans vos balises donc suggérées si on devait aller de l'avant avec une législation concernant l'euthanasie, page 17, le point n° 5, vous dites: «Une évaluation par une travailleuse sociale devra également se faire pour rechercher dans l'entourage du patient une possible raison inappropriée à la demande...» O.K. Ça, ça m'interpelle beaucoup et c'est assez...

Juste pour vous dire, j'ai reçu hier un courriel -- il y a des gens qui nous écrivent -- une travailleuse sociale qui m'a dit: Ce serait une bonne question à poser aux gens de soins palliatifs, le fait que, pour la médecine, c'est tellement incongru, une demande de mourir... Parce qu'elle avait un cas précis d'une femme qui est en fin de vie, on estimait qu'il restait une semaine, 10 jours. Elle et son mari voulaient en finir à ce moment-là. Ils s'étaient tout dit, tout ça. Et semble-t-il que l'équipe soignante et la travailleuse sociale ont été mandatées pour, auprès du mari, chercher s'il y avait un conflit non résolu entre les deux, parce qu'ils ne comprenaient pas comment un couple pouvait en arriver à cette décision-là tout à fait, je dirais, rationnellement. Donc, ils se disaient: Il y a un problème. Et semble-t-il que le mari a été dans tous ses états et a très mal vécu le deuil. Je suis sûre que c'est très exceptionnel, mais on est dans l'exception.

Alors, je veux juste savoir: Est-ce qu'on en est à se questionner... quand vous dites: La travailleuse sociale doit intervenir pour s'assurer qu'il n'y a pas de biais, comment on juge ça par rapport à l'autonomie de la personne?

M. Beauchamp (Yvon): Écoutez, les gens... Théoriquement, la relation médecin-patient, c'est comme un contrat bona fide, hein? C'est un contrat tacite. Les patients peuvent nous mentir aussi. Ça ne fait pas partie du contrat; ils brisent le contrat, mais on ne le sait pas toujours.

Alors, lui a très mal vécu ça parce que ça devait être vrai et c'était de bonne foi, mais j'ai vécu exactement la même chose il y a un mois. Parce que, là, il y a la madame puis les deux fils qui décident que leur père est rendu en soins palliatifs, là, dans un état pour être aux soins palliatifs, et finalement, à cette rencontre de famille là, je leur explique beaucoup de choses, mais je les confronte aussi. Parce que les arguments qu'ils m'apportaient, il y avait des contre-arguments, et finalement un des fils a été obligé de me dire: Regarde, c'est pour l'argent. S'il vient en soins palliatifs, ça nous coûtera rien, mais, s'ils le relocalisent dans un CHSLD, il va falloir que ça coûte, je ne sais pas, 1 200 $, 1 500 $ par mois, puis là ma mère ne pourra pas vivre. Alors, pour moi, c'est comme irrecevable, hein, ça, là.

Mme Hivon: Je comprends.

M. Beauchamp (Yvon): Alors, il y a toujours deux côtés à une médaille.

Mme Hivon: C'est ça. Mais je pense que, nous, il faut voir jusqu'où -- c'est ça -- jusqu'où le rôle du médecin va, dans l'évaluation de l'expression de la volonté de la personne. Et...

M. Beauchamp (Yvon): ...d'euthanasie, ici, là.

Mme Hivon: Oui, oui. Non, mais la personne...

M. Beauchamp (Yvon): Des balises d'euthanasie, là.

**(12 h 40)**

Mme Hivon: Oui, oui. C'est sûr. Puis ça m'amène au rôle des proches. Parce que je sais, en soins palliatifs, à quel point c'est vu globalement, et les proches sont évidemment accompagnés, eux aussi, et consultés beaucoup, et la personne elle-même consulte énormément ses proches.

Et hier j'ai entendu quelque chose qui m'a un peu inquiétée. C'est-à-dire que, même quand la personne est encore apte, parce qu'elle a des moments de lucidité, et tout ça, même si elle est en fin de vie, on nous a dit que, souvent, on se tournait beaucoup plus vers les proches pour apprécier son consentement à des soins, et on sait combien c'est complexe en fin de vie, tous les consentements, et tout ça.

Est-ce que c'est votre expérience ou est-ce qu'on peut être rassurés et penser que la personne est encore considérée pleinement dans son autonomie?

M. Beauchamp (Yvon): Vous pouvez être rassurée avec moi, pas avec les autres. Et, oui, je le vois, mais ils ne connaissent tout simplement pas la loi. C'est ça, le problème.

Quand je me suis adjoint ma collègue, là, c'est parce que, s'il y avait des questions auxquelles je ne peux pas répondre, elle, elle est capable de répondre, là, dans les faits, là, pointus. Mais oui. Et c'est pour ça qu'il y a tellement de confusion dans tout ça. Et là je vous dirai: Il y a toujours deux côtés à une médaille.

Les médecins ne sont pas portés souvent à dire: C'est lui, mon patient, il est apte. Mais là on vit dans une société pluraliste, on l'a dit hier, hein? Pluraliste, ça veut dire «il y a toutes sortes de cultures», mais tout le monde, il ne pense pas comme nous autres. Et il y a des cultures où le malade n'a pas le droit de parole. Le clan, là, il fait un mur autour du lit, puis c'est la conspiration du silence. On n'est jamais tout seul avec lui pour lui demander ce qu'il veut. Puis, des fois, ça va plus loin que ça. Si on n'a pas d'interprète, on n'est pas sûr, là, qu'il nous traduit la bonne question puis on n'est pas sûrs d'avoir la bonne réponse non plus. C'est notre vécu quotidien, hein, ça, là.

Mme Hivon: Et c'est d'une complexité inouïe. Alors, je pense qu'on a toute... vous avez toute notre admiration.

Ma dernière question, si j'ai le temps, c'est... du fait de votre expérience en CHSLD, aussi, je pense que c'est très précieux. et une des questions qu'on a à se poser, c'est sur les personnes inaptes. Et, encore une fois, moi, on m'a fait part d'un cas pathétique, là, d'une personne qui avait tellement des pertes cognitives profondes, elle était aveugle mais elle ne savait plus rationnellement qu'elle était aveugle, ce qui faisait en sorte, par exemple, qu'elle fonçait dans les murs. Il fallait l'attacher, bon, des choses comme ça. Plus des souffrances morales, bon, tout ça.

Qu'est-ce qu'on fait dans des cas de personnes inaptes dont on doute qu'on est capable de soulager les souffrances. Comment... comment on aborde ça, que ce soit en CHSLD ou ailleurs, là?

M. Beauchamp (Yvon): Écoutez, c'est très inégal d'un CHSLD à l'autre, là. Moi, j'ai eu la chance de travailler dans un CHSLD, là, où c'était, je dirais, bien. J'ai même été directeur des services professionnels pendant quatre ans dans ma vie, ça fait que l'administration, là, je pourrais vous en parler aussi. Quand c'est bien organisé, il y a des unités prothétiques aussi. Hein? Où c'est justement ce genre de malades là qui peuvent être fugueurs, qui peuvent... Ils sont encadrés dans un environnement différent. Bon, le cas exact, je ne le connais pas, mais je ne pourrais même pas penser que, parce qu'il est aveugle, parce qu'il est dément, que la solution, c'est l'euthanasie. Surtout si ce n'est pas lui qui me l'a demandée.

Alors, quand je parlais des balises avec les gens qui sont inaptes, avant d'être inaptes, ils ont été aptes. Alors, s'ils l'ont mentionné, puis que c'est digne de foi, puis etc., tu sais, un alzheimer, là, ça vit 20 ans, hein? La maladie, avant qu'elle soit rendue au bout, des fois ça prend beaucoup de temps. Et je vous dirai ceci: C'est qu'il y a d'autres options. Ces gens-là qui sont rendus à ce point-là, là, à un moment donné, ils font tous une infection urinaire. Ils font tous une pneumonie. Là, le problème, c'est quand les docteurs, ils sautent sur eux autres pour absolument les traiter, aussi. Hein?

Alors la question: Qu'est-ce que je peux faire puis qu'est-ce qu'il est souhaitable de faire, c'est deux choses différentes. Puis là, on rentre dans l'éthique, là. Hein? Bienfaisance, non-malfaisance et qualité de vie... Si j'avais eu le temps de vous en parler, là, je vous l'aurais dit, hein, ça, que ça a été défini, là. Mais vous voyez que, depuis 1983, c'est la danse des petits pas, hein, on avance tranquillement. Puis, moi, dans un congrès de soins palliatifs, je leur ai déjà dit: Écoutez, là, vous pouvez être pour ou contre, si ça s'en vient, ça va arriver. Ça fait depuis 1983, là, que ça avance tranquillement. Ça fait que là, qu'est-ce qu'on va faire quand ça va être là?

C'est à peu près ça, mon message, aujourd'hui. Et la fin du message, C'est: Regardez, il n'y en a pas gros, peut-être que c'est inutile de tout chambarder. Surtout, ne pas se fier à la Hollande parce qu'eux autres, leur loi, ils l'ont faite avant et ça commençait à peine, les soins palliatifs; donc, si ça avait eu le temps de se développer, peut-être qu'il n'y aurait pas cette loi-là aujourd'hui, mais je dis qu'en dernier recours ma conscience va prévaloir.

Et, moi, je me souviens avoir assisté à une conférence du juge Beaudoin, et le juge Beaudoin, il avait dit devant tout le monde: On a fait le tour des greffes du Canada, puis il n'y a jamais un docteur qui a été poursuivi pour euthanasie, puis qu'est-ce qui se passe dans le secret de l'alcôve entre son docteur puis son malade, on ne veut pas le savoir.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire merci beaucoup à la fois pour la qualité de votre mémoire et le partage de vos 40 ans d'expérience, Dr Beauchamp, Mme Saint-Arnaud aussi. Je vais suspendre très rapidement et inviter M. Bérard Riverin de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 12 h 46)

 

(Reprise à 12 h 47)

Le Président (M. Kelley): S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Notre deuxième témoin, c'est supposé d'être cet avant-midi, mais c'est déjà cet après-midi, c'est M. Bérard Riverin qui est le directeur général de l'Association d'entraide Ville-Marie. La parole est à vous, M. Riverin.

M. Bérard Riverin

M. Riverin (Bérard): Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, parlementaires membres de cette commission. Je vais vous présenter également ma directrice des soins palliatifs, qui va intervenir également particulièrement sur le domaine clinique des soins palliatifs, parce qu'en ce domaine-là je ne suis qu'un laïc, moi, et je l'ai amenée pour m'épauler très sérieusement dans cette partie de notre exposé ou de notre réflexion. Alors, Mme Elsie Monereau m'accompagne aujourd'hui et elle présentera la partie des soins palliatifs plus concrètement que, moi, je le ferai.

Alors, je vous remercie encore une fois de nous interpeller, de nous accueillir pour présenter notre réflexion dans le cadre de cette vaste réflexion que vous avez entreprise. Je pense que c'est tout à l'honneur du gouvernement et des parlementaires de s'associer la population, les experts et autres personnes directement interpellées par la question fort complexe et fort médiatisée actuellement également du droit de mourir dans la dignité.

Alors, nos propos... mes appréhensions d'ailleurs s'avèrent tout à fait fondées. Je me disais qu'une fois que le Dr Beauchamp aurait passé, il n'y aurait plus rien à dire en cette matière, et c'est à peu près ce qui va arriver. On va faire notre possible quand même parce qu'après une éminence comme le Dr Beauchamp et la liste d'épicerie en question que vous lui avez adressée il ne reste sans doute pas beaucoup de choses à requestionner de votre part, mais je vous fais confiance quand même.

Je peux... je peux vous dire qu'à titre de citoyen -- ce n'est pas pour vous lancer des fleurs -- je suis fier que cette réflexion-là que vous avez mis en branle se fasse en ayant occulté systématiquement la partisanerie politique. Et ça, comme citoyen du Québec, j'en suis touché et je vous en remercie, puis je vous en félicite. Donc, on va faire notre possible.

**(12 h 50)**

Notre organisme, qui s'appelle maintenant Société de soins palliatifs à domicile du Grand Montréal, appellation qui colle davantage à notre réalité quotidienne et à notre mission qu'Association d'entraide Ville-Marie, a été créée en 1973 et a été créée justement par des personnes qui soignaient des gens atteints de cancer à domicile et qui voulaient très justement les accompagner à mourir dans la plus grande dignité possible. Alors donc, nous avons été fondés sous ce mandat-là et nous avons développé notre expertise à partir de 1973, depuis 35, 36 ans, dans cette question, dans le domaine des soins palliatifs à domicile et, en ce sens, nous sommes également fiers d'être pionniers de ce genre de pratique à domicile.

Donc, nous avons soigné jusqu'à présent autour de 36 000 personnes et nous les avons accompagnées, pour une grande partie, jusqu'à la fin à domicile. Une de nos fiertés, c'est justement d'accompagner, sur les deux territoires que nous desservons, Montréal et Laval, nos patients, nos malades et leur famille jusqu'à la fin, dans des proportions qui s'établissent entre 30 % et 45 %, et nous en sommes très fiers.

Pour nous autres, partager un projet de mourir à domicile avec des proches et avec des malades qui le souhaitent, c'est quelque chose d'extraordinaire et c'est quelque chose d'extrêmement accomplissant que de les rendre jusqu'à la fin, avec évidemment les moyens thérapeutiques qui nous sont proposés dans la vaste gamme des moyens thérapeutiques qui sont actuellement disponibles, et en collaboration avec des médecins aussi chevronnés que le Dr Beauchamp qui nous a précédés.

Alors, on travaille avec une équipe de médecins également très compétents qui nous supportent quotidiennement, nous, comme, je dirais -- là je parle pour ma directrice de soins -- nous, comme personnel infirmier, je ne suis pas... je n'ai pas la chance d'être de ce genre de praticien, alors ils nous accompagnent d'une façon exceptionnelle, extraordinaire, pour nous aider à soulager nos malades.

Comment la Société des soins palliatifs à domicile se place par rapport à la problématique? D'abord, je viens de vous dire que nous avons une expérience de 35 ans et plus. Nous savons que, selon les valeurs, les croyances sociales, humaines, culturelles de chacun, il y a quelques façons de respecter le droit de mourir à domicile. Je pense que le Dr Beauchamp vous en a fait état tout à l'heure, on ne reviendra pas là-dessus; on n'a pas la qualité et la compétence de ce praticien-là. Toutefois, on est persuadés, et on l'était, on l'est et on le demeurera, persuadés que les soins palliatifs, quand ils sont bien faits, quand ils sont bien pratiqués, quand ils ont un support adéquat, constituent une des options pour permettre au patient d'être accompagné vers la mort dans toute la dignité qu'il souhaite.

Encore une fois, comme le disait aussi Dr Beauchamp, ce n'est pas tous les patients qui peuvent se rendre jusque-là. On est obligés évidemment d'en transférer, lorsque la limite s'impose, dans les centres hospitaliers, couramment.

Il faut trouver les moyens pour en augmenter l'accès, de ces soins palliatifs là. Et là on ne vient pas interpeller, on ne vient pas s'inscrire dans le débat concernant les ressources, mais je pense qu'il faut augmenter l'accès. Avec les ressources actuelles, il y a moyen de le faire sur tout le territoire du Québec, et je pense qu'il faut agir en équité par rapport à l'ensemble de nos concitoyens, nos concitoyennes du Québec.

Vous savez, par notre expérience, on constate régulièrement que c'est très inégal, la façon d'attribuer, ou d'allouer, ou même de prodiguer les soins palliatifs à domicile, ou même les soins palliatifs en général, sur tout le territoire du Québec. Il y a... Dans les régions, il y a des difficultés importantes d'avoir accès à ces soins-là. Même sur l'île de Montréal, et sur l'île de Laval, et en Montérégie, il n'y a à peu près pas un CLSC qui distribue le même niveau... excusez-moi, CSSS maintenant, qui distribue le même niveau de soins palliatifs; donc, c'est donné à des degrés divers. Il n'y a pas toujours non plus, et très peu souvent même, des ressources complémentaires auxquelles les établissements publics peuvent faire appel, comme nous, qui agissons dans ce domaine depuis 35 ans. On est, encore une fois, localisés sur les deux grandes îles de Montréal et de Laval.

Donc, on aime vous préciser qu'à cet égard les agences de santé, les hôpitaux, les CSSS, tous les établissements publics, les groupes communautaires également qui supportent les gens qui donnent des soins palliatifs ou qui assistent le mourir dans la dignité, les maisons de soins palliatifs devraient être aussi interpellés et solidaires dans une démarche collective qui permettrait d'améliorer ce genre de services là partout au Québec et de le rendre encore plus accessible et plus, comme je le disais tout à l'heure, équitable. Et il y a un mot, probablement que le député de Mercier -- je pensais d'ailleurs qu'il ferait partie de cette commission-là -- aimerait: la solidarité. Je pense que c'est important d'être solidaire au niveau de cette mission clinique que nous avons tous au Québec.

Nous ne surprendrons donc personne en déclarant devant la commission que l'intervention de notre Société de soins palliatifs à domicile ne vient pas se placer dans l'axe du débat pour ou contre l'euthanasie ou le suicide assisté, pas plus que dans l'axe du débat sur... l'acharnement thérapeutique. C'est plutôt dans le sens d'une représentation des soins palliatifs en vue d'une meilleure connaissance de ceux-ci, comme un des moyens qu'il faut consolider dans le réseau des soins pour accompagner encore plus adéquatement une personne en fin de vie dans la dignité.

Cette brève mais importante mise au point vous permet sans doute déjà, auditeurs attentifs et influents, même si vous avez extrêmement faim, de voir clairement comment nos conclusions vont se placer dans le cadre de cette réflexion. Nous ne surprendrons donc personne en déclarant devant la commission que l'intervention de notre Société de soins palliatifs ne vient pas se placer encore une fois dans l'axe du débat, mais c'est plutôt dans le sens d'une présentation. Cette brève -- oups! là, je me répète, il vaut mieux se répéter que se contredire, mais il ne faut pas en mettre davantage que le client en demande non plus.

Faut-il ajouter qu'en privilégiant l'accompagnement de la phase palliative et de la fin de vie, nos interventions ne visent pas à précipiter le décès, mais à utiliser les moyens et les soins les plus appropriés pour accompagner la personne malade dans un climat de confiance et de compassion plutôt que de peur et de douleur.

Notre fameux Dr Beauchamp vous a parlé beaucoup de douleur tout à l'heure et de la façon de la traiter, et, si vous avez d'autres questions à lui poser, je pense qu'il est derrière moi et il va certainement se faire un plaisir de vous transmettre d'autres réponses complémentaires.

En partant du prérequis que l'autonomie de la personne malade est un droit sacré qui doit être respecté et exercé jusqu'à la fin, le soignant doit aussi assurer le transfert des informations et des connaissances afin que ce droit s'exerce dans le cadre d'un consentement éclairé.

Les soins à domicile en fin de vie, là-dessus je laisse la parole à Mme Monereau.

M. le Président, vous nous indiquerez si jamais on est fautif quant au temps alloué, on procédera plus rapidement.

Le Président (M. Kelley): Oui. Oui, bien vous êtes à mi-temps, maintenant. Vous avez fait à peu près 10 minutes.

M. Riverin (Bérard): Bon, merci beaucoup.

Mme Monereau (Elsie): D'accord, merci. Alors, je vais continuer. Alors, je vous demanderais d'être indulgents, c'est la première fois que je m'adresse à une commission. Je vais essayer de faire de mon mieux et surtout parler des choses qui me tiennent beaucoup à coeur.

Alors, nous, à l'Association d'entraide Ville-Marie, maintenant on s'appelle la Société des soins palliatifs, nous nous sommes basés, depuis plus de 35 ans maintenant, sur la définition de l'Organisation mondiale de la santé qui définissait les soins palliatifs comme l'ensemble des soins actifs... et globaux dispensés aux personnes atteintes -- merci -- d'une maladie avec pronostic réservé. Et l'OMS continuait en disant que l'atténuation de la douleur, le contrôle des autres symptômes et de tout problème psychologique, social et spirituel deviennent essentiels au cours de cette période de vie.

Les services offerts par notre organisme s'intercalent dans un large continuum de soins. Plusieurs de nos malades ont d'abord bénéficié de traitements qui visaient soit à guérir ou tout au moins à ralentir la progression de leurs maladies. Durant la trajectoire de soins, les malades et leurs proches sont donc souvent passés à travers toute une gamme d'émotions, allant du désarroi à l'espoir, à la résignation. Le malade et ses proches sont ainsi touchés dans toutes les dimensions de leur être et également dans toutes les facettes de leur vie.

Plusieurs questions peuvent se poser sous de multiples formes: Pourquoi la maladie? Pourquoi la souffrance? Pourquoi la mort? Y a-t-il vraiment un au-delà? Pourquoi des séparations aussi brutales? Qu'est-ce qui donne un sens à ma vie? Est-ce que ma vie conserve encore un sens? Ce sont des pourquoi qui reviennent souvent et auxquels on n'a pas nécessairement de réponse, mais que l'on se doit absolument d'accueillir.

Le malade aura non seulement besoin d'être soigné, mais lui et ses proches devront être soutenus et guidés par des personnes compétentes, sensibles et disponibles. Dès la première visite à domicile, l'infirmière doit être prête ou l'infirmier doit être prêt à répondre aux besoins de la personne malade, c'est-à-dire soulager la douleur, l'anxiété, rassurer le malade et les proches, créer la base d'une relation de confiance.

**(13 heures)**

Cette relation de confiance et de respect mutuel est essentielle pour encourager une discussion saine autour d'enjeux très importants, et qui, dans plusieurs cas, n'auront pas nécessairement été abordés à ce jour. Quelles sont les valeurs et les croyances partagées par le malade et ses proches? Qu'est-ce qui constitue pour le malade et ses proches des soins appropriés de fin de vie? Fort de son expérience dans le domaine, l'infirmière à domicile peut faciliter et faire progresser cette réflexion.

Une des constances en soins palliatifs est le changement. Aucun soignant ne peut établir un plan d'intervention définitif. Non seulement la situation physique du malade et de ses proches va se modifier au cours des jours ou des semaines, mais également leur évaluation de leur situation, leur capacité à s'impliquer, leur perception par rapport à une mort éventuelle et celle d'y accompagner un proche. Nous avons donc le devoir, en tant que soignants, d'être toujours prêts à s'adapter à une nouvelle dynamique et à répondre aux interrogations et aux besoins qui ont pu se modifier. C'est ce que nous faisons, et nous nous efforçons de bien le faire depuis des années.

Les soins palliatifs, certes, ont connus un essor et un développement important, mais ne rencontrent pas encore les besoins et la demande de la population. Il faut donc continuer à déployer tous les moyens pour qu'ils soient accessibles.

Avant de venir vous parler ici, j'ai rencontré les infirmières et les préposés et les bénévoles qui font des soins palliatifs à domicile. Comme M. Riverin vous a dit, nous ne nous situons pas du tout dans l'axe du débat euthanasie ou non-euthanasie parce que nous n'en faisons pas, en tout cas pas officiellement, comme dit le Dr Beauchamp. Cependant, nous pouvons vous dire que nous n'avons pas foule à la porte qui demande de mourir; c'est le contraire. Les malades qui sont accompagnés, qui sont écoutés, qui sont accueillis dans ce qu'ils vivent, généralement avec beaucoup de paix, vont arriver vers ce chemin-là sans nous en demander.

Les infirmières qui ont beaucoup d'expérience, je leur ai demandé: Vous en avez tellement vu, dites-moi combien de malades... Moi, ça fait 10 ans presque que je suis là, et on a eu un cas. Alors, il y a une infirmière qui a 25 ans à l'entraide Ville-Marie et c'est de ce même cas qu'ils parlent, qu'un malade avait demandé d'être euthanasié.

Alors, partant de la prémisse que notre expertise se situe auprès des personnes en phase palliative et avancée de cancer, notre réflexion sur le droit de mourir dans la dignité ne porte que sur les soins de fin de vie et n'aborde pas la question de suicide assisté. Qui plus est, nous n'avons même pas la prétention d'être représentatifs de l'ensemble des intervenants dans ce domaine, même si nous sommes conscients d'être un témoin privilégié du vécu de plusieurs malades et de leurs proches. Nous espérons simplement apporter notre point de vue et une réflexion sur l'éventail des soins appropriés possibles à offrir aux personnes et malades en fin de vie.

La mort, au sens large du mot, est une notion universelle. La nôtre est quelque chose de tout à fait personnel, et chacun voudrait réclamer le droit de choisir où, quand, comment mourir. Si aujourd'hui l'on s'interroge sur le droit de mourir dans la dignité, c'est sans doute que, comme société, nous convenons que bon nombre d'individus n'ont pas eu ou n'ont pas ce choix. D'ailleurs, on peut s'interroger si l'expérience de deuil difficile, entre autres, peut contribuer à ce que des personnes veuillent davantage contrôler l'environnement et le contexte entourant leur propre fin de vie. Nous sommes tous persuadés que le droit de mourir est indéniable. Cela... de mourir dans la dignité. Cela implique le droit au respect, le droit d'être accompagné et la possibilité de faire certains choix de fin de vie selon nos valeurs, nos croyances.

Nous vivons dans une société pluraliste, on le dit souvent, différentes valeurs et croyances cohabitent. Des notions de dignité, de qualité de vie sont très personnelles, et, comme soignants, nous ne pouvons nous substituer aux malades et à leurs proches. Tout en étant bien attentionnés, nous nous demandons: Est-ce qu'il n'y a pas un risque, dans certaines situations, de dérive et d'acharnement moral en soins palliatifs? Il ne faudrait surtout pas, comme soignants, que nous nous imposions... que nous imposions nos perceptions personnelles, tenter de donner un sens à des situations de fin de vie qui ne pourraient pas faire de sens aux yeux d'autres personnes.

Nous devons souligner que, malgré le fait que nous n'avons jamais documenté de façon rigoureuse la question d'euthanasie auprès des malades atteints d'une maladie terminale, puisque nous soignons seulement des malades atteints de cancer, la plupart des soignants s'entendent pour dire qu'ils n'en n'ont pas eu souvent, des demandes formelles. Par contre, en s'inspirant des réflexions des soignants, il faut reconnaître qu'il existe des limites aux soins palliatifs. Même avec des soins palliatifs personnalisés et de grande qualité, il existe toujours des fins de vie complexes, c'est-à-dire des symptômes réfractaires nécessitant une sédation palliative pour lesquels on peut s'interroger si le niveau de confort qu'on a pu assurer a été optimal et a répondu aux attentes, aux valeurs du malade et de ses proches. Nous sommes là à nous demander: Pourrions-nous faire mieux, même si nous sommes conscients de la haute qualité de soins et services que nous donnons?

Dans une perspective sociétale, nous devions mieux documenter les perceptions des malades et des proches qui les accompagnent en regard d'une fin de vie qu'ils considèrent digne et acceptable, et mieux documenter comment ces perceptions évoluent tout au long du continuum de soins.

Est-ce que je peux continuer, M. le Président?

Le Président (M. Kelley): On arrive, c'est 19 minutes, alors je vous invite à tirer une conclusion rapidement pour...

Mme Monereau (Elsie): D'accord, une conclusion. Alors, je peux vous dire que la fin de vie est un moment d'intense activité psychique et de grande demande relationnelle. Cet événement unique revêt une importance capitale. Alors, il est donc important, voire urgent de donner un sens à ce qui reste à vivre en créant les conditions d'une communication significative. Les raisons de continuer à vivre se retrouvent souvent dans les relations avec autrui. Tout prend d'autant plus d'importance quand l'univers se rétrécit. Créer un espace pour communiquer devient de plus en plus fondamental et urgent en fin de vie. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je pense, je vais passer à la période d'échange avec les membres, et je n'aime pas toujours bousculer nos témoins, et tout le reste, mais je dois essayer de respecter le temps de parole de tout le monde. Alors, merci beaucoup, Mme Monereau. Et je vais céder la parole au député de Marquette.

M. Ouimet: Oui, merci, M. le Président. Ma question serait très courte, merci de votre participation et de votre contribution. J'ai une seule question. Vous avez parlé des limites des soins palliatifs. La question est la suivante: Quelles sont les limites des soins palliatifs qui justifieraient recours à l'euthanasie, au suicide assisté?

Mme Monereau (Elsie): Comme je vous dis, nous, on n'a pas été... si on était pour ou contre l'euthanasie. Nous étions plutôt à dire qu'une des options pour répondre à cette question-là, on croit que c'est la qualité des soins palliatifs. Oui, il y a des limites, il y a peut-être 1 % de nos malades qu'on n'arrive pas à soulager à domicile et qu'on dirige vers le milieu hospitalier généralement. Et ces malades-là ne demandent pas nécessairement d'en finir.

Comme je vous dis, nous, notre expérience à nous, je parle vraiment de notre expérience de malades à domicile, on en voit 1 400 à 1 500 par année, et on en a eu un en 10 ans qui a demandé ça.

Les situations complexes, c'est le non-soulagement, pas nécessairement le non-soulagement de la douleur physique, ça peut être le non-soulagement de la douleur... une douleur existentielle, c'est la douleur de fin de vie. Ce n'est peut-être pas nécessairement une sédation qui va régler le problème. C'est-à-dire la sédation va régler le problème parce que le malade va décéder dans les sept, 10 jours, mais peut-être qu'il y a une autre option, il y a d'autres choses à faire. Et la sédation palliative demeure toujours... ça relève du médecin. Moi, je n'ai pas la compétence pour dire qu'il faut, mais on sait que presque tous nos patients ont droit à une sédation palliative, mais une sédation palliative que j'appelle normale et non pas une dose létale, une dose qui tue, qui va tuer absolument le malade.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

**(13 h 10)**

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Une question un peu en continuité avec ce que vous avez mentionné.

Depuis lundi, depuis le début de cette commission, on a entendu plusieurs intervenants qui sont venus nous parler et un peu... en faveur ou contre l'euthanasie. Est-ce qu'on pourrait, pour aider les membres de la commission, est-ce qu'on peut aborder cette question-là autrement en se disant: Est-ce que ça pourrait être complémentaire?

Avec les soins palliatifs, bien entendu, mais que, dans certaines circonstances, compte tenu que vous mentionnez qu'il y arrive des cas, quelques cas, où il y a peu de solutions possibles, est-ce qu'on pourrait penser, pour les membres de la commission, de trouver, je dirais, une solution, entre guillemets, qui irait dans le sens d'une approche complémentaire aux soins appropriés de fin de vie?

Mme Monereau (Elsie): O.K. Même si, nous, nous nous collons beaucoup aux soins appropriés de fin de vie, nous... il ne faut pas non plus se mentir. On a un petit pourcentage de malades que nous n'arrivons pas à soulager. Ils ne sont pas nombreux, les cas sont... ce n'est vraiment pas... je... vraiment, je peux dire, les cas ne sont pas nombreux. Est-ce qu'à ce moment-là il faut encadrer ça? Il faut qu'il y ait une loi qui dit: L'euthanasie, il faut penser à l'euthanasie?

Non, je pense qu'il peut y avoir autre chose en complémentarité justement, qui permet aux cliniciens, aux médecins de dire: Bien, on en est là, ce pourcentage de... ce malade-là ne peut pas continuer comme ça, et l'évaluation a été faite, et c'est vraiment de la grande souffrance qu'on ne peut pas soulager. Est-ce qu'il y a autre chose qu'on peut faire? Moi, je pense qu'il faut laisser cette ouverture-là.

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford.

M. Riverin (Bérard): ...M. le député des îles, on mentionne, nous, que, dans l'éventail de l'ensemble des options qui peuvent être présentées pour assurer un mourir dans la dignité, le législateur quel qu'il soit, de quelque palier qu'il soit, devra assumer pleinement ses responsabilités, si c'est en matière juridique, oui. Maintenant, il a aussi ses responsabilités en matière sociale, en matière d'éthique, en matière clinique.

On sait que la santé relève des provinces, donc il y a des responsabilités cliniques. Il y a des responsabilités déontologiques que les corporations, et en particulier celle des médecins, doivent suivre. Et ce qui est important là-dedans, c'est de respecter à la fois l'ensemble des valeurs, que ce soit les valeurs des professionnels, que ce soit les valeurs des familles, que ce soit les valeurs des malades pour que, finalement, le mourir s'assume dans la meilleure dignité possible.

Ça sera toujours mourir, et quand je... Je vais terminer mon intervention là-dessus, vous pourrez continuer vos questions. Mais, quand je vois que, je ne sais pas, 70 % ou 78 % de la population dit: On voudrait avoir l'euthanasie, est-ce que les gens comprennent bien c'est quoi, l'euthanasie, première des choses? Deuxièmement, c'est facile de souhaiter l'euthanasie quand ce n'est pas notre tour, parce que, quand vient le temps de choisir notre propre frein... notre propre fin, pardon, il y a tout un dilemme.

C'est notre affaire à nous autres, rendu là, et je ne suis pas sûr que ça ne ressemble pas un petit peu, puis là je ne veux pas discréditer les sondages, ce qui a été sorti comme intention, mais c'est un petit peu comme quand on répond à un sondage téléphonique, puis quand on vote. Il y a tout le temps une différence entre comment on répond au téléphone pour un sondage qui concerne tout le monde et qui concerne à peu près personne et quand on arrive pour le temps de voter, c'est vraiment notre choix unique et personnel qu'on fait. L'analogie est peut-être boiteuse, mais...

Le Président (M. Kelley): On l'a compris. M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. Moi, je voudrais vous dire d'abord que vous atteignez bien votre objectif de nous présenter... mieux nous faire comprendre, avec d'autres intervenants, les soins palliatifs, à quel point c'est important, le rôle que ça joue. Et surtout que c'est effectivement un moyen pour beaucoup de monde et pour certains, la presque totalité du monde, pour avoir une bonne chance de mourir dans la dignité.

Maintenant, je sais que vous... vous ne voulez pas prendre position pour et contre. Nous, par contre, on va devoir se brancher un jour sur certaines choses à faire ou ne pas faire, et j'aimerais ça poser des questions très, très précises et concrètes parce qu'on a devant nous des gens qui représentent un organisme qui a plusieurs décennies d'expérience dans le domaine.

Alors, permettez-moi de vous poser des questions bien concrètes. Si vous pensez que je vous pousse dans les câbles, bien vous... dites-le, puis je n'insisterai pas sur mes questions.

Premièrement, quand on parle de mettre fin prématurément à ses jours par un acte, est-ce que vous qui êtes vraiment, disons, impliqués dans les soins à domicile, vous avez des demandes ou vous avez des discussions sur des demandes qu'il pourrait y avoir de personnes qui disent -- je simplifie un peu, là: Mais j'aimerais ça mourir pendant le temps que je suis encore en santé, relativement conscient en tout cas, pour être capable de profiter au maximum des miens, dans ma maison, et de pouvoir donc, autrement dit, planifier le moment du départ pour être sûr que je profite au maximum des adieux que je voudrais faire avec les miens.

Est-ce que ça, ça existe? Ou si c'est des choses qu'on... qui sont inventées, là? Et, si oui, qu'est-ce que vous faites quand vous avez des demandes comme ça?

Mme Monereau (Elsie): Les demandes de dire: Bon, je vais planifier ma mort mais... oui, tous les jours on a ça. Les gens vont magasiner leur linge, ils vont magasiner leur salon funéraire, ils en parlent ouvertement aux infirmières et aux préposés. Ils disent: Écoutez, saviez-vous, je fais tout ça, mais, si je suis encore capable d'attendre ma fille qui va accoucher dans neuf mois, je souhaite ça. Et, pendant ce temps-là, on dit: Mon Dieu, la douleur, elle est terrible, mais elle souhaite quand même être là quand sa fille va accoucher, donc...

M. Reid: À l'inverse...

Mme Monereau (Elsie): À l'inverse...

M. Reid: ...de précipiter, autrement dit, la mort, là.

Mme Monereau (Elsie): De précipiter. Est-ce que les gens pourraient... Comment d'ailleurs précipiter sa mort si c'est seulement par une dose, une dose létale qu'on peut précipiter sa mort? C'est la seule façon: c'est d'avoir une médication qui est 10 fois, 20 fois supérieure à la dose normale.

Mais, moi, ce que je dis, dans notre pratique, j'ai rencontré les médecins, les infirmières, beaucoup de monde depuis trois semaines, depuis qu'on sait qu'on doit venir ici, et je vous dirais que, les gens, je pense, oui, qu'ils veulent avoir une alternative, une solution complémentaire aux soins palliatifs dans les cas où le 1 % n'est pas soulagé, mais ce n'est pas défini clairement. Ce n'est pas défini clairement.

Les gens à domicile généralement... Premièrement, il y a beaucoup, 30 % à 40 % de nos malades sont en colère, ils sont en maudit parce qu'ils vont mourir. Ils vont mourir. Alors, ce n'est pas quelque chose de très simple. 30 % à 40 % de malades sont en maudit parce qu'on ne trouve pas la solution pour les guérir. L'autre pourcentage espère toujours que ça va aller mieux. Donc, le peu qui reste qui va demander de mourir... Il y en a qui disent à l'infirmière: Je veux en finir, là. Tout est fait, tout est planifié. Il faut que ça... il faut que je décolle. Mais ce n'est pas beaucoup. Ce n'est pas beaucoup.

M. Riverin (Bérard): Je voudrais juste compléter, M. le député...

Le Président (M. Kelley): M. Riverin.

M. Riverin (Bérard): ...en vous disant que, quand ces questions-là interviennent, moi, je les entends de loin, là, parce que je ne suis pas près de la clinique, quoique je m'en... je le suis régulièrement... je suis la clinique régulièrement, comment ça se passe chez nous. Quand ces questions-là arrivent, les infirmières se questionnent entre elles, elles questionnent les préposés qui prennent soin du malade en question, elles questionnent les médecins, les travailleurs sociaux aussi qui sont autour du malade pour essayer de trouver une solution à cette problématique-là pour le malade.

Généralement, ils en trouvent une, soit que ce soit un meilleur accompagnement, soit que ce soit dédramatiser des choses qui se sont passées dans son existence, soit que ce soit faciliter des contacts, des communications ou d'autres événements qui peuvent amener le patient à évoluer dans son choix. C'est toujours excessivement compliqué, mais c'est ce qu'on fait comme ça, nous.

Je me souviens, entre autres, puis je peux m'en confesser devant votre commission, ça ne me dérage pas du tout, d'un cas qui, c'était clair, il n'était pas près de mourir, mais, lui, il avait choisi qu'il mourrait le 2 avril. Elsie m'en a parlé, les infirmières m'en ont parlé, elles ont dit: M. Riverin, qu'est-ce qu'on fait avec ça? Il veut mourir le 2 avril. Bien, j'ai dit: Écoutez, il est sous médication, il est suivi cliniquement par des médecins, et tout. S'il veut mourir le 2 avril, probablement qu'il va mourir le 2 avril. Alors, effectivement, il est mort le 2 avril. Puis on s'est retirés de l'endroit, on s'est retirés du domicile en disant: Monsieur, c'est votre choix. Nous ne vous aiderons pas à mourir le 2 avril. Nous allons vous accompagner dans les limites de nos capacités, de nos compétences et de notre mission puis de nos croyances et nos valeurs. Mais, si vous voulez mourir, vous avez fait le choix de mourir le 2 avril, on va se retirer de chez vous, puis vous mourrez le 2 avril. Et c'est effectivement ce qui s'est passé.

Ça ne répond peut-être pas à votre question, mais c'est un exemple qui me vient en tête quand vous posez ladite question, M. le député d'Orford.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question.

M. Reid: Ça apporte des éléments de réponse. Et, si je peux poser une autre question précise pour profiter de votre expérience. On connaît, en tout cas, moi, je connais des gens qui ramassent des pilules, qui ramassent des bouteilles de pilules dans le but de s'enlever la vie, le moment... pour avoir cette option-là autrement dit, parce que ça ne leur est pas donné par la loi. Je connais des gens qui me disent aussi qu'ils ont des amis qui le font.

Est-ce que ça, c'est un... c'est quelque chose de répandu ou si c'est quelque chose qui est anecdotique, une fois de temps en temps? Savez-vous ce qui se passe? Et, si vous avez des cas comme ceux-là, comment ça évolue? Est-ce que les gens changent d'avis parce que c'était uniquement un élément de se protéger contre quelque chose qui n'existait pas ou?

**(13 h 20)**

Mme Monereau (Elsie): Je peux vous dire que oui, c'est un petit peu anecdotique, hein? C'est comme les gens disent: Je ramasse les pilules puis je sais qu'est-ce que je ferai à la fin, etc. Ça, ça existe encore, et c'est là. On vit avec ça, les infirmières voient ça à domicile, le malade qui va dire ça. Mais nous n'avons jamais eu un cas de toxicité médicamenteuse où le malade avait décidé de ramasser ses pilules puis de plutôt prendre ça et en finir.

Pour la simple et bonne raison, je crois beaucoup, je le disais à M. Châteauneuf tout à l'heure, je crois sincèrement, sincèrement que l'accompagnement du malade, les valeurs de compassion, d'humanité tout simplement dans la maladie enlèvent beaucoup de pression et sur le malade et sur les familles.

Je pense que l'être... Les gens veulent vivre. Les gens veulent vivre. Peu de malades ne veulent pas continuer. Le malade peut décider d'arrêter sa chimiothérapie, peut décider d'arrêter sa radio. Il y en a même qui disent: Je n'en veux pas. Je sais que je vais mourir dans six mois, je vais prendre mes six mois, je veux que ce soit un bon six mois. J'ai refusé. Et, une fois que le malade dit au médecin: Je ne veux pas de votre chimio, je ne veux pas de votre radio, il a le droit de le dire. C'est un droit de choisir ça. Mais, une fois qu'il choisit ça, il rentre chez lui. Là, il dit: Je veux avoir... Je ne veux pas souffrir, je veux être bien. Je veux être entouré des miens, etc., et ça se passe comme ça. Il n'y a pas tant... En tout cas, je ne sais pas. Le Dr Beauchamp, est-ce qu'il est là?

Vous avez 1 500 aussi, mais on en a beaucoup de malades, mais je... C'est difficile à dire. Les infirmières, moi, je les ai fait venir, parce que je me dis, elles sont... ils sont sur le terrain, parce qu'il y a des garçons aussi, ils sont sur le terrain tous les jours, puis c'est des dizaines et des dizaines qu'on en voit par semaine. Tout ce qu'on sait, oui, la souffrance, il y en a, de la souffrance psychique, il y en a, et c'est pour ça que je parle beaucoup de compassion, d'accompagnement, parce qu'on a l'impression que les soins palliatifs, c'est juste la souffrance physique, mais, non, c'est la souffrance psychologique, sociale, environnementale. C'est tout.

La dignité, la dignité du malade, c'est quoi? C'est sûr que le malade que vous laissez mouillé tout la journée, tout croche, l'environnement tout sale, c'est sûr... Moi, pour moi, c'est ça, le manque de dignité.

Le manque de dignité, ce n'est pas le malade qui est dans son lit, qui est décharné et puis qui est là, qui ne peut rien faire. S'il a de l'aide, s'il a du support, s'il a de l'amour, c'est de la dignité, ça. L'indignité, c'est quand on ne s'occupe pas de l'autre. C'est ça, l'indignité. Quand on s'occupe de l'autre, tout est là, tout est là. Moi, de toute façon, je pense qu'à l'entraide Ville-Marie, Société de soins palliatifs, on ne serait pas encore là après 36 ans si on n'avait pas compris et si on n'avait pas évolué aussi avec la population.

Parce qu'on a même fait venir un juge, parce que justement, quand le cas nous a été demandé, je veux mourir le 2 avril, c'était la première fois qu'on avait une question et un malade, puis c'était un jeune malade de 52 ans qui dit: Je vais mourir le 2 avril. Et son épouse m'a appelée à 1 heure du matin à la maison, chez moi, pour me dire, parce que l'infirmière qui était de garde ne savait pas... elle ne savait pas exactement quoi répondre. L'épouse a dit: Je veux parler à la directrice de soins. Et, quand elle m'a parlé, elle me dit: Il veut mourir le 2 avril, mais, moi, je ne suis plus capable de continuer à donner les doses, parce qu'il avait des doses de Dilaudid à la maison. Donc, elle donnait ça de manière anarchique, mais elle n'avait pas le choix, parce que le bonhomme lui dit: Je veux mourir le 2 avril.

Mais c'est un cas spécial, mais c'est un cas difficile pour des membres de la famille et puis des enfants autour. Donc, si on est capables d'éviter ce genre de choses là, moi, je crois ça, ça nous a été vraiment un moment pour nous difficile à passer à l'entraide Ville-Marie, et Dieu seul sait, mon Dieu! qu'on en a, des cas. Et c'est ce qu'on fait, on accompagne... Les gens disent: Les soins palliatifs, ce n'est pas la mort qu'on accompagne, c'est la vie. Les gens sont pleins de vie. Ils ont toute leur tête.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je pense qu'on a trouvé notre définition pour la dignité. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup, beaucoup. C'est vraiment enrichissant, puis je vous dirais que c'est très rassurant de voir qu'il y a des ressources comme les vôtres qui existent. Puis tantôt Dr Beauchamp disant Maison Michel-Sarrazin, c'est un peu le cinq étoiles. Je pense que vous êtes clairement le cinq étoiles, si vous n'êtes pas les seuls, d'ailleurs, du type, en soins à domicile. Et je pense que c'est rassurant de voir... et c'est probablement normal de voir qu'il y a peu de demandes quand les gens sont si bien accompagnés. Il en reste quelques-unes, et puis ca, c'est rassurant. Ça veut dire que ça marche, les soins palliatifs, et effectivement il faut vraiment se tourner vers ça. Donc ça, je pense que le message passe très bien.

Moi, je voudrais savoir, j'ai comme deux... je veux juste comprendre. Quand vous dites: Il y a un 30 %, 40 % en colère, ils sont en colère. Ensuite, il y a une partie qui, eux, pense qu'on va... on va peut-être les sauver, ils sont un petit peu dans le déni encore. Ensuite, j'imagine qu'il y en a une partie qui vit relativement sereinement, une fois toutes les étapes faites.

Mais est-ce que vous diriez que ceux qui demandent, par exemple, à mourir -- là, je comprends que c'est exceptionnel -- ou qui expriment des pensées: Je veux... Tu sais, en fait, les gens qui sont très, très lucides, ou... ou des gens qui ont été, comme, dans leur vie très -- je ne le sais pas -- rationnels, organisés puis que finalement ce sont ces gens-là qui ne sont pas capables un peu de laisser aller, à la fin de la vie?

Mme Monereau (Elsie): Non. Vous seriez bien surprise si je vous dis le contraire...

Mme Hivon: Ah! Oui?

Mme Monereau (Elsie): ..que ce n'est pas les plus... ce n'est pas les universitaires généralement qui... Non, non, je ne pense pas qu'on peut catégoriser ça. Je pense, un, il y a ceux qui ont vécu des deuils difficiles, par exemple un proche, un conjoint, un enfant, etc., un environnement comme ça. On va retrouver ces gens-là qui disent: Savez-vous, je n'ai plus le goût de vivre; tout mon entourage, mon tissu social est parti. Puis là je... non, il faut que ça finisse, il faut que ça finisse.

D'autres... Parce que le déni, en soins... le déni ne veut pas dire que le malade ne sait pas qu'il est très malade et qu'il va mourir. Tout simplement, il est là pour le moment, et on est... et on vit avec ça, le déni du malade. Et il a son espérance, le malade a son espérance aussi, c'est... L'espérance, ce n'est pas l'espoir, hein? L'espérance, c'est l'espérance, et il pense toujours que demain sera meilleur. Et c'est ce demain-là qu'on essaie d'assurer au malade avec le plus de compassion, de confiance et... et, en tout cas, le prendre-soin. Ah! Ça, je peux vous le dire, le prendre-soin. Je pense à l'Association d'entraide Ville-Marie, Société des soins palliatifs, c'est ce que nous faisons. Nous prenons soin de nos malades en soins palliatifs.

Mme Hivon: J'ai une petite question avant de céder la parole à ma collègue de Crémazie: Quand, à la fin... Ces gens-là évidemment sont accompagnés à la maison, c'est extraordinaire tout ça. Quand ils ont... quand ils doivent, par exemple parce qu'on n'est plus capables à la maison, c'est trop complexe pour l'entourage, transférer à l'hôpital, ou tout ça, en fin de vie, est-ce qu'il y a un sentiment d'échec? Est-ce... est-ce qu'on vous exprime ça? Ça, j'aimerais ça vous entendre.

Puis le deuxième volet, c'est: Est-ce que, du fait qu'ils sont à la maison, il y a plus de latitude parce que c'est les proches qui administrent les doses, et tout ça? Est-ce qu'il y a plus de latitude et est-ce qu'on peut se demander si, par exemple... un proche lance un cri du coeur à son proche, qu'on va augmenter un petit peu le Dilaudid, et est-ce... Comment ça se vit, ça, ce contrôle-là?

Mme Monereau (Elsie): Probablement, c'est possible parce que, comme vous dites si bien, la médication est à la disposition des familles, et le malade peut, à un moment donné, ne plus être conscient de recevoir une dose x. Ça, on ne le saura... presque jamais parce que, même si les médecins quand même prescrivent tant de doses à la fois, on ne va pas livrer au malade 50 doses à la maison. On va dire... On va prescrire 50 doses, on va dire: Livrez 15 doses à la fois, par exemple. C'est possible.

Mais c'est une bonne question parce que, nous aussi, quelquefois, on se le demande. On dit: Est-ce que... Même si on fait beaucoup d'information, d'enseignement. Puis ces malades-là, il faut dire aussi, on les visite tous les jours quand c'est rendu là, des fois même deux fois par jour. On vérifie les doses avec les familles, mais tout ce que je vous dis là n'empêche pas l'autre côté aussi, que... que le malade puisse recevoir des doses peut-être inadéquates.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe: Merci beaucoup. Merci pour votre présentation et merci d'exister. On en a parlé hier que c'est un... ça devrait être un choix, hein, pour la personne de pouvoir rester chez elle, parce qu'il y a des personnes qui finalement peuvent rester à la maison jusqu'à la fin de leurs jours et même avoir ce choix de terminer entre des bonnes mains comme les vôtres.

**(13 h 30)**

Alors, ma question, elle est assez simple, mais c'est pour mieux comprendre. Comment c'est organisé exactement? Vous avez un nouveau patient qui... qui arrive sous vos soins, alors comment ça fonctionne? Vous avez évidemment toutes sortes de... bien, infirmières, bon, préposés, travailleurs sociaux. Comment ça se passe avec la famille? Comment... comment on va organiser tout ça?

Mme Monereau (Elsie): Je vais essayer d'être très brève. Alors, le malade nous arrive, un malade du Dr Beauchamp nous arrive, ce malade-là est en palliatifs et décide tout simplement de continuer à la maison. Il peut décider... le malade peut décider de faire un bout de chemin à la maison et de retourner par la suite chez... à Sacré-Coeur, mourir dans l'unité palliative. C'est le choix du malade.

Il peut changer aussi. Il peut changer d'idée, il peut rentrer à la maison et, une semaine après, il dit: Non, je veux retourner à l'hôpital, je ne veux plus que la fin de vie se passe à la maison. Alors, nous, on reçoit ce dossier-là nous disant que ce malade est rendu à cette étape de sa vie, et donc il y a une infirmière qui va aller à domicile, une infirmière ou un infirmer. Généralement, ce qui fait notre force, c'est la rapidité de l'exécution. On peut recevoir un dossier ce matin, l'après-midi... on n'a pas de liste d'attente chez nous. Donc, ça peut être l'après-midi, si on nous dit que c'est un cas urgent, qui a besoin d'un support, ou, des fois, les gens arrivent à domicile, puis c'est un petit peu, pas la panique, mais l'inconfort, il y a des enfants, il y a tout ça, donc on peut aller le soir même ou on peut aller le lendemain, disons. Généralement, ça se passe dans les 24, 48 heures.

On arrive à la maison, l'infirmière revoit avec le malade toutes les dimensions, qu'est-ce qu'elle veut, qu'est-ce que cette personne-là veut pour le domicile, à quelle fréquence que ce malade aimerait que nous intervenons, quels types de services. On offre toute la panoplie de services que nous avons.

C'est possible que le malade dit à l'infirmière: Je ne suis pas rendu là. 25 % de nos malades, à peu près, vont dire: Je ne suis pas encore en palliatifs, je ne suis pas rendu là, je pense que ça va aller mieux pour moi. Ils vont dire à l'infirmière: Je vous appellerai, je vous appellerai. Et donc l'infirmière reste à la maison, discute avec les gens, laisse les options, tout est là, mais c'est à vous à décider. Quand vous serez prêt, vous nous ferez signe.

Dans 99 % des cas, le lendemain, l'infirmière reçoit un appel dans sa boîte vocale disant qu'ils ont bien aimé ça, le contact, ce serait le fun de rappeler puis de venir. Alors, c'est comme ça qu'on met la table pour qu'un malade, à l'entraide Ville-Marie... il faut que l'infirmière, absolument, c'est l'infirmière qui ait le premier contact avec le malade.

Par la suite s'ajoutent les autres professionnels. C'est sûr, nous sommes une petite organisation. À l'intérieur de l'organisation, il y a les infirmières et infirmiers, les préposés, les bénévoles. Et on a quelques médecins qui travaillent dans les hôpitaux et qui font de la médecine palliative à domicile, qui nous accompagnent là-dedans, qui suivent les malades.

Donc, si on a besoin d'autres professionnels, on va tout simplement s'adresser au... à la... au CSSS d'origine du malade. Supposons qu'on a besoin d'un travailleur social ou qu'on a besoin, bien, d'une nutritionniste, moins, parce que nos malades ne mangent pas beaucoup quand ils sont rendus chez nous, mais, peu importe, un autre professionnel, on va faire la demande au CLSC. On va organiser le domicile aussi pour le malade, le malade qui est assez avancé. Parce que des fois on a des malades... 40 % de nos malades restent moins de un mois à l'entraide Ville-Marie; donc, ça veut dire que c'est un pourcentage assez... qui sont en phase avancée de cancer.

Donc, on va organiser le domicile et, tant et aussi longtemps que le malade se sent bien, on l'accompagne à domicile, et, le jour où il décide ou il dit, ou la famille aussi dit: Je n'en peux plus, il faudrait qu'on le retourne à l'hôpital. Alors, ce qui est intéressant de plus en plus avec les hôpitaux de Montréal, de plus en plus, on essaie... on a un couloir pour que le malade...

Parce que ça, l'échec, ce n'est pas de mourir; l'échec, c'est de mourir dans la salle d'urgence, isolé. C'est ça, l'échec des soins palliatifs. Quand on donne tout à domicile, on entoure le malade, on l'accompagne, et il arrive une crise, ça peut être une crise de la famille, ça peut être un épisode aigu du malade, que ça demande l'hôpital, et qu'on ne soit pas capables de trouver ce couloir pour que le malade se trouve dans une chambre en soins palliatifs, alors, dans le couloir de l'urgence, ça, c'est quelque chose qui nous touche profondément. Mais, quand même, il y a une amélioration.

Bien sûr, je ne suis pas la fille... je ne suis pas la négative, donc c'est sûr que je dis toujours qu'il y a de l'amélioration. Moi, pour... à nos yeux, en tout cas, à l'entraide Ville-Marie, il y a de l'amélioration, il y a les infirmières pivots qui sont là, qui suivent la trajectoire de soins des malades, et avec ça on est capables d'établir des liens avec les médecins. On va les appeler, puis de plus en plus il y en a qui sont passionnés par les soins palliatifs, les médecins. Donc, on a encore du chemin à faire. Bon, c'est correct, heureusement, c'est dynamique.

Mais je crois d'abord vraiment aux soins appropriés des malades en soins palliatifs et aux définitions aussi des choses, parce qu'on a comme l'impression que tout est mêlé: l'euthanasie, le suicide assisté, les soins palliatifs, la sédation palliative, la sédation de fin de vie. On a l'impression que ce serait intéressant que peut-être qu'il y ait quelque chose qui se passe au niveau de la définition avant d'aller voir le public et leur expliquer un petit peu ce qu'on fait, parce que sans quoi on a l'air fou.

Mme Lapointe: Je vous remercie.

M. Riverin (Bérard): Je voudrais juste ajouter...

Le Président (M. Kelley): M. Riverin, oui, oui.

M. Riverin (Bérard): Je voudrais juste ajouter, Mme la députée de Crémazie, que -- puis ça, bien le préciser -- il y a toujours... c'est une condition d'admission chez nous, il faut qu'il y ait un médecin au dossier. Il faut toujours qu'il y ait un médecin pour supporter notre personnel clinique, tant au niveau pharmacologique qu'au niveau de la clinique médicale, de la pratique médicale, il y a toujours un médecin.

Vous êtes en commission parlementaire, mais vous êtes aussi des gens qui allez discuter des crédits un de ces jours...

Le Président (M. Kelley): ...

M. Riverin (Bérard): Je ne fais pas de politique en disant ça. Il y a beaucoup... Il y a beaucoup...

Le Président (M. Kelley): ...temps de travail des membres de la commission.

M. Riverin (Bérard): On a parlé tantôt de considérations d'échec lorsque le patient ou les proches, par exemple, sont obligés de localiser le malade en milieu hospitalier, puis ce n'est pas qu'ils n'ont pas des bons soins en milieu hospitalier, mais parfois c'est l'échec du mourir à domicile, là, que les gens interprètent.

Il y a à peu près 50 % de nos patients qui retournent à l'hôpital parce qu'on ne finance pas les médicaments à domicile. On ne les finance pas à domicile, alors qu'on les finance en milieu hospitalier. Alors, quand les familles sont dans le besoin... On travaille beaucoup dans l'Est de Montréal, notamment, mais il n'y a pas rien que dans l'est de Montréal où il y a des gens qui ont des besoins financiers. Quand les familles sont rendues au bout du rouleau financier pour pouvoir s'acquitter des dépenses au niveau pharmaceutique, souvent -- je dirais un cas sur deux, pardon -- le malade s'en va à l'hôpital, parce que là la médication, parce que là l'équipement, tout ce qu'il a besoin autour de son domicile est payé.

Alors ça, je vous le livre comme message du commanditaire. C'est un gros handicap pour la poursuite des soins palliatifs jusqu'au décès à domicile, et peut-être que c'est un handicap aussi vers le mourir dans la dignité. Et la...

Le Président (M. Kelley): Dernière très courte...

M. Riverin (Bérard): Oui.

Mme Lapointe: Juste une dernière précision.

M. Riverin (Bérard): Oui, c'est vrai. Je m'excuse, je vous avais coupée, Mme Lapointe.

Mme Lapointe: Non, pas du tout.

Le Président (M. Kelley): Il reste deux minutes, alors...

Mme Lapointe: Pas du tout. Est-ce que généralement ces patients, ces malades vous sont référés par un médecin qui oeuvre en soins palliatifs? Donc, est-ce que ce malade-là a déjà généralement -- hein, vous me dites que ce n'est pas toujours -- son couloir de retour?

Mme Monereau (Elsie): Non. Je peux dire qu'il y a, en termes de pourcentage... Parce qu'il y a des malades qui nous sont référés par, par exemple, les pneumologues. Bon. On sait que le cancer du poumon est très, très... c'est notre premier, et les pneumologues peuvent référer, mais, nous, nous avons la possibilité de demander une consultation en soins palliatifs pour le malade si jamais ça n'a pas été fait à l'hôpital. Ça, oui, on reçoit des patients qui n'ont pas... Et c'est pour ça, même, certains patients nous disent: Mais on n'est pas rendus là, en palliatifs. Des fois, ils entendent ce mot-là la première fois de nous.

M. Riverin (Bérard): Vous savez qu'il y a des patients...

Le Président (M. Kelley): ...M. Riverin.

M. Riverin (Bérard): ...qui se refusent de savoir c'est quoi, des soins palliatifs. Il y a des gens qui ne le savent pas, bien qu'ils n'ont jamais été interpellés par la dénomination, et il y a des gens qui ne veulent rien savoir. Il y a des proches qui nous disent: Ne mentionnez pas le nom de «soins palliatifs» à notre malade, de grâce, à notre mère, à notre père, ne parlez pas de ça! Ne parlez pas non plus de cancer, même. Alors, on est là.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, malheureusement, je dois mettre fin. Mais merci beaucoup pour votre exposé, de mieux comprendre qu'est-ce que vous faites.

Mme Monereau, pour quelqu'un qui n'a jamais fait une commission parlementaire, vous avez très bien fait ça, mais c'était très, très intéressant. Mais il y aura un grief syndical des membres de la commission si je ne leur permets pas d'aller manger un petit peu.

Alors, sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures. Mais merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 40)

 

(Reprise à 15 h 7)

Le Président (M. Kelley): Alors, la Commission de la santé et des services sociaux reprend ses travaux. C'est une grande semaine fort chargée. Il nous reste deux témoins pour cet après-midi.

Je rappelle le mandat de la commission. La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité.

Notre prochain témoin, c'est le Dr Jana Havrankova, plus ou moins, pas pire? Alors, Dr Havrankova, la parole est à vous.

Mme Jana Havrankova

Mme Havrankova (Jana): M. le Président, mesdames et messieurs, je vous remercie de bien vouloir écouter ce que j'ai à dire concernant le droit de mourir dans la dignité.

Le droit à la vie digne est inscrit dans nos chartes des droits et libertés. La mort, qui après tout fait partie de la vie, ne bénéficie pas explicitement du droit à la dignité. Durant notre vie, nous jouissons de beaucoup de libertés garanties par les chartes. À la fin de notre vie, par contre, la liberté de choix de la façon dont nous voulons mourir se trouve restreinte.

J'estime que toute personne majeure, lucide et informée atteinte d'une maladie incurable devrait pouvoir choisir de mourir au moment et de la manière qui lui paraisse opportun. Le médecin, dont le rôle est de «guérir quelquefois, soulager souvent, consoler toujours», selon un aphorisme célèbre, ne peut pas abandonner le patient au seuil de la mort.

Je suis médecin endocrinologue en pratique depuis 30 ans. J'ai travaillé à l'Hôpital Saint-Luc du CHUM et j'ai enseigné à l'Université de Montréal pendant 25 ans, et je pratique en bureau sur la Rive-Sud de Montréal depuis maintenant quatre ans.

Comme endocrinologue, je ne soigne pas souvent les patients en phase terminale de leur maladie. Par conséquent, je ne prétends pas être une experte en soins de fin de vie. Tout de même, j'ai vu plusieurs patients mourir, certains péniblement.

**(15 h 10)**

Ainsi, je me souviens d'un patient de 75 ans souffrant d'un cancer de la thyroïde métastatique qui m'avait dit un jour: J'aimerais que cela cesse. J'ai présumé ou fait semblant de présumer qu'il parlait des examens et des traitements futurs. Je l'ai rassuré en disant que nous n'allions pas faire d'autres examens ni traitements. Il a rétorqué: Vous ne comprenez pas, docteur, je veux mourir. Il ne m'a pas demandé de l'aider à mourir. Il savait, comme tout le monde le sait, que l'aide au suicide et à l'euthanasie est illégale. Ainsi, comme vous le savez, l'aide au suicide est passible de 14 ans de pénitencier, alors que l'euthanasie est assimilée au meurtre prémédité.

J'ai alors promis à mon patient que j'allais faire tout ce que je pouvais pour que ses douleurs soient soulagées et qu'il meure de manière confortable. Il est décédé trois semaines plus tard, sans souffrance, soulagé et endormi par des narcotiques. Toutefois, ces trois semaines de survie étaient manifestement de trop pour lui. Il avait dit adieu à ses proches, ses affaires étaient en ordre. Il ne faisait qu'attendre la mort.

Cette expérience, entre autres, m'a fait songer à la façon souhaitable, la plus douce possible, de mourir pour mes patients, mes proches et moi-même. Après tout, mourir, c'est notre sort à nous tous. Donc, après m'être documentée et après avoir réfléchi, j'ai conclu que l'aide active à mourir devrait être permise et encadrée par une législation. Par l'aide active à mourir, j'entends l'euthanasie sur demande du patient ainsi que le suicide médicalement assisté réclamé par un malade atteint d'une maladie incurable. Bien entendu, ce malade a reçu au préalable l'information claire et complète sur toutes les autres possibilités de soulagement et de soutien autant physique que psychologique.

Ces réflexions m'ont amenée à publier des textes d'opinion au sujet de la mort digne dans le journal La Presse, dans Le Devoir et dans L'Actualité médicale. Je suis devenue membre du comité médical consultatif de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Cette association s'est donné pour mission d'oeuvrer pour qu'il soit permis à une personne atteinte d'une maladie en phase terminale ou vivant des douleurs ou des souffrances insupportables de demander et de recevoir une aide médicale active, nécessaire à une fin de vie paisible et sans souffrance. Je souscris entièrement à cette mission. À mon sens, le droit de mourir selon ses propres valeurs se base sur plusieurs principes médicaux et éthiques, et plus largement humanistes.

Quels sont ces principes? J'en ai élaboré 10. Premièrement, premier principe: le respect de l'autonomie de la personne. L'autonomie du patient constitue un des principes fondamentaux de l'éthique médicale. Nul ne peut imposer des examens ou des traitements à un malade sans son consentement. Toute personne jugée compétente pour consentir aux soins peut refuser tout examen et tout traitement, même s'il met sa survie en danger. Quel principe moral permet alors d'imposer la vie aux patients qui n'en peuvent plus? Hubert Reeves a dit: «Il devrait exister un droit fondamental à mourir.» Fin de la citation.

Par respect de l'autonomie, tout adulte atteint d'une maladie incurable informé des autres possibilités de soutien et de soulagement devrait avoir droit de recevoir de l'aide pour mourir au moment et de la manière qui lui paraissent opportuns. Bien entendu, cette demande d'aide à mourir doit être répétitive, et le malade ne doit pas souffrir de dépression importante. Dans ces conditions, la décision revient au premier intéressé, le malade. L'autonomie du mourant ne peut s'exercer que s'il est informé de manière claire et complète sur son état et sur les modalités de soulagement. Le soutien de l'équipe traitante bien formée et compatissante, capable de présenter des alternatives incluant les soins palliatifs, s'avère crucial. Le soutien des proches bien renseignés est également souhaitable. Le respect de l'autonomie ne signifie pas l'abandon du malade.

Deuxième principe: le droit de mourir avec sa propre dignité. De nombreuses personnes vivent dignement et courageusement avec des handicaps majeurs comme une tétraplégie. D'autres considéreront que divers degrés de dépendance entraînant l'impossibilité de jouir de la vie telle qu'ils l'envisagent constitue une indignité. Le concept de dignité, bien qu'universel à certains égards, devient alors très personnel. Le philosophe André Comte-Sponville a dit: «Nulle grille d'évaluation objective ne saurait juger ce que nous pouvons ou non supporter.» Fin de la citation. Cela ne signifie pas que l'équipe traitante et les proches ne doivent pas discuter avec le malade, lui faire voir les beautés de la vie qui demeurent, lui exprimer leur total soutien, quoi que le malade décide. Cependant, l'appréciation ultime de la qualité de l'existence devrait revenir au malade.

Troisième principe: une véritable compassion. Certains opposants à l'euthanasie sur demande et au suicide assisté craignent que les malades se considérant comme un fardeau pour leur entourage demandent de l'aide à mourir. C'est certainement une préoccupation valable, mais le défi n'est pas insurmontable. Une équipe bien outillée, incluant par exemple un psychologue ou un travailleur social, pourrait discerner les conflits d'intérêts potentiels et les pressions indues.

Par ailleurs, il ne faut pas empêcher des gens d'exercer leur libre arbitre sous prétexte que certaines personnes malveillantes pourraient profiter de la situation. Les demandes de l'aide à mourir émanent du malade. Les proches peuvent alors avoir des points de vue très variés, ce qui est attendu. La compassion envers le mourant devrait alors s'exprimer ainsi: Nous sommes tous là pour vous, et nous tous, la famille, l'équipe traitante, les amis ferons tout ce qui est possible pour vous soulager afin que vous puissiez bénéficier de tous les instants de la vie qui vous reste. Nous sommes là aussi pour vous accompagner au cours de votre voyage ultime, si, malgré notre amour, notre soutien et nos soins, vous décidez de partir. Forcer à vivre un agonisant n'est pas de la compassion mais de la cruauté.

D'autres opposants à l'aide à mourir disent que la majorité des personnes qui réclament la mort appellent au secours mais ne désirent pas mourir. Encore une fois, il faut être à l'écoute du malade, savoir déceler des signes de détresse. Toutefois, il convient de reconnaître que les personnes même les mieux entourées peuvent vouloir mourir.

Quatrième principe: le continuum des soins. Les critiques du droit au suicide assisté et à l'euthanasie craignent qu'en ouvrant la porte à l'aide à mourir, surtout dans le contexte des finances publiques précaires, les gouvernements décident de restreindre les investissements dans les soins palliatifs. Ces soins méritent l'encouragement, la gratitude et le soutien dans leur développement. Ils doivent être développés pour cette immense majorité de personnes qui désirent mourir de façon naturelle. Les soins palliatifs ont fait beaucoup de progrès dans les dernières années, en particulier pour le soulagement de la douleur chez les patients cancéreux. Cependant, ces soins ne répondent pas à tous les problèmes de fin de vie de manière satisfaisante. Parfois, la souffrance est si grande qu'on recourt à la sédation terminale dont on sait que la seule finalité est la mort. L'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation est également accepté en soins palliatifs. Si tel est le choix du malade, c'est une façon de mourir tout à fait honorable. Toutefois, le mourant devrait avoir l'option d'une mort plus rapide s'il le désire. À mon sens, les soins palliatifs et l'aide active à mourir ne s'opposent pas mais se complètent.

Par ailleurs, le traitement de la douleur n'est qu'un aspect d'une maladie incurable. Plus que la douleur, c'est la diminution des capacités de se mobiliser, de se vêtir, de prendre soin de soi-même, de voir son corps se détériorer sans perspective d'amélioration qui constitue une souffrance insoutenable pour certains. Cela est vrai notamment pour les maladies neurodégénératives telles la sclérose en plaques et la sclérose latérale amyotrophique et pour les maladies chroniques irréversibles telles que l'insuffisance pulmonaire et cardiaque. D'ailleurs, les cas les plus médiatisés des demandes de suicide assisté au Canada concernaient justement les maladies neurodégénératives.

Ces maladies, ainsi que les insuffisances pulmonaires ou cardiaques sévères, comportent un pronostic incertain en termes de durée de survie. C'est au patient, informé sur sa situation et sur les possibilités de traitement et de soulagement, de déterminer quand l'agonie a assez duré.

Récemment, comme vous savez, le Collège des médecins du Québec a pris une position qui est en accord avec ce principe de continuum de soins. Il plaide pour des soins appropriés en fin de vie qui, à certaines conditions, pourraient inclure l'euthanasie.

**(15 h 20)**

Cinquième principe: les devoirs du médecins. Le code de déontologie du Collège des médecins stipule que «le médecin doit exercer sa profession dans le respect de la vie, de la dignité et de la liberté de la personne [humaine]». Fin de la citation. Si le malade incurable juge que sa vie est indigne, comment le médecin peut-il lui refuser cette ultime liberté qu'est le suicide assisté ou l'euthanasie? Certains opposants affirment que, si le médecin consent à aider à mourir les malades incurables, les gens cesseront de faire confiance à ces médecins. Toutefois, les sondages révèlent qu'environ deux tiers de Québécois souhaiteraient qu'on les aide à mourir, le cas échéant.

Donc, au contraire, j'estime qu'un médecin qui se soucie du bien-être de ses patients, quoi qu'il advienne, qui privilégie les valeurs du patient au-delà des siennes propres serait digne de confiance.

Sixième principe: le droit d'une minorité. Certains opposants avancent que l'aide à mourir ne concerne qu'une toute petite minorité des mourants. C'est vrai. Seulement une infime minorité des malades en phase terminale se prévalent du droit au suicide assisté et à l'euthanasie tel qu'en témoignent les statistiques des pays et des États où cette pratique est légalisée.

Par exemple, en Oregon, en 2006, le suicide assisté comptait pour 0,15 % des décès. Aux Pays-Bas, en 2007, 1,7 % des morts relevaient de l'euthanasie. Mais quel principe moral ou légal permet ignorer le droit de cette minorité dans une société libre et démocratique?

Septième principe: un chemin balisé. Certains font valoir que l'euthanasie est déjà pratiquée et que sa légalisation ajouterait des obstacles bureaucratiques à une pratique existante. On présume alors que l'euthanasie, telle qu'appliquée actuellement, est sans reproche et que procéder en catimini est préférable à une pratique à visage découvert.

Je suis totalement en désaccord avec cette opinion. La situation actuelle des mourants n'est pas immunisée contre les dérives. L'absence du cadre législatif conduit vers une pente glissante non balisée.

Une préoccupation connexe concerne la crainte de l'euthanasie non volontaire. Les opposants disent que, si le suicide assisté et l'euthanasie étaient légalisés, les gens qui n'ont pas demandé à être euthanasiés le seraient. Pour cette raison, la pratique de l'aide à mourir est très encadrée: la demande répétitive du patient, une consultation auprès d'un autre médecin et auprès d'autres intervenants tels un psychologue ou un travailleur social.

Huitième principe: éviter l'hypocrisie. La sédation terminale utilisée pour le soulagement de la douleur par ailleurs incontrôlable jusqu'à ce que la personne décède de cause naturelle est jugée moralement acceptable. La cessation de l'hydratation et de l'alimentation est également acceptée en soins de fin de vie. Tous savent que la seule issue est la mort. On prolonge l'agonie. Ce sont des formes d'euthanasie qui n'osent pas dire leur nom.

Neuvième principe: résister aux dogmes religieux appliqués à tous. Une personne croyante peut remettre entre les mains de Dieu sa vie et sa mort. Toute personne croyante ou non croyante peut considérer que toute vie est préférable à la mort. Cela est tout à fait respectable. Par contre, nul n'a le droit d'imposer cette vision aux autres. «La religion des uns ne doit pas devenir la loi des autres» dit Francine Lalonde, députée du Bloc québécois. Comme vous le savez, elle a présenté aux Communes le projet de loi privé sur le suicide assisté et l'euthanasie.

Finalement, le dixième principe: lutter contre la dévalorisation de la loi. L'aide au suicide est passible de 14 ans de pénitencier. Personne n'a reçu une sentence aussi sévère. Par exemple, Mme Houle, qui a aidé au suicide de son fils atteint de sclérose en plaques, a été condamnée à 3 ans de probation. À quoi bon avoir une loi qui n'est pas respectée par les juges?

En conclusion, le respect de l'autonomie du malade, la compréhension du concept de la dignité de chacun, la compassion envers la personne mourante et le refus de l'hypocrisie justifient le combat pour la dépénalisation de l'euthanasie et du suicide assisté pour les patient souffrant de maladies incurables qui en font la demande. Ces pratiques devraient s'inscrire dans les soins appropriées de fin de vie de manière clairement définie au plan médical et juridique.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre attention.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Havrankova. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Environ 17 minutes les deux côtés de la table, en commençant avec M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bienvenue, Dr Havrankova. Merci infiniment pour votre mémoire, que j'ai trouvé extrêmement solide, bien argumenté dans le fond. Je pense que vous connaissez bien l'ensemble des arguments mis de l'avant par les gens qui sont contre l'euthanasie, et vous avez fait l'exercice de les déconstruire les uns après les autres. Et, dans le fond, le plaidoyer central de votre mémoire, c'est: Pourquoi imposer la vie aux patients qui n'en peuvent plus et qui n'en veulent plus?

Et un peu plus loin dans votre mémoire, à la page 5, vous dites: Tout «mourant devrait avoir l'option d'une mort plus rapide». Vous allez par la suite... il y a un argument cependant sur lequel, moi, j'aimerais m'entretenir avec vous, le droit d'une minorité. À la page 6, vous faites référence à l'expérience en Oregon, qui est quand même assez récente, je pense que ça a été permis en 2006, et vous dites: Il est vrai que seule «une infime minorité des malades en phase terminale se prévalent du droit au suicide».

Je ne sais pas si vous avez suivi nos débats hier lorsque nous avions le professeur Margaret Somerville de l'Université McGill, que vous connaissez sans doute très bien, qui est venue nous entretenir de sa vision basée sur ses 30 ans d'études sur le sujet.

Et votre plaidoyer est basé essentiellement sur la primauté des libertés individuelles, alors que son plaidoyer, à elle, est basé essentiellement sur la primauté des valeurs d'une société. Elle dit dans son mémoire, oui: «But how we die is never just a private matter, it necessarily involves society and what it allows or prohibits and some of society's most important values and institutions.» Elle parle de deux institutions fondamentales, le droit et la santé, la confiance envers les médecins.

Je sais que vous avez un désaccord là-dessus. Mais elle nous a présenté quand même les risques de ce que vous reconnaissez comme étant une pente glissante. Bon. Ceux qui sont pour l'euthanasie minimisent les risques, ceux qui sont contre peut-être exagèrent les risques, mais les risques qu'elle nous a montrés dans son document et le document du Comité national sur le vieillissement semblent être étoffés et semblent reposer sur des données empiriques assez solides.

Essentiellement, ce que le Dr Somerville nous dit, c'est qu'une fois qu'on légalise l'euthanasie on ne peut plus le contrôler sur une période de temps... Les premières années, comme dans les Pays-Bas, les raisons sont bien encadrées, bien balisées, c'est vraiment pour des cas exceptionnels et marginaux, mais, au fil du temps, ça prend sa propre vie et là ça vient heurter un peu les valeurs sociétales et les valeurs de nos différentes institutions.

Moi, j'essayais de comprendre comme législateur, quand je dois peser le pour et le contre et ce qu'on appelle la «balance des inconvénients», si vous dites que seule une minorité de personnes se prévalent de ce droit, est-ce qu'on ne doit pas donner plutôt primauté aux valeurs sociétales et aux valeurs de nos institutions? Je sais que vous êtes très équipée pour essayer de faire la déconstruction, mais j'ai besoin de l'entendre.

Mme Havrankova (Jana): Pour ce point, je pense qu'avec raison, au Canada, au Québec, on se préoccupe beaucoup des droits des minorités. Je vais donner comme exemple le mariage gai. Alors ça, c'est une infime minorité des gais qui vont se marier en réalité. Mais en quoi ça nuit à la société que les deux personnes soient en désaccord peut-être avec des valeurs fondamentales de cette société?

**(15 h 30)**

La liberté des uns s'arrête là où commence la liberté des autres. Alors, si une liberté qu'on acquiert, dans ce cas-ci le droit de se faire aider à mourir, essentiellement, ne nuit pas à la société... et je ne vois pas en quoi ça nuirait dans un encadrement. Bien sûr, je conçois qu'un encadrement est nécessaire pour protéger les gens qui pourraient se retrouver sur la pente glissante et être euthanasiés malgré eux, mais je ne crois pas que ce soit un problème insoluble.

Je pense qu'on peut donner... le législateur peut donner des balises. Ça prend une évaluation par le médecin traitant, ça prend une évaluation par un deuxième médecin, un travailleur social, un psychologue, un psychiatre, bien, une fois... et avec la consultation des proches, si possible, et, une fois que ces balises-là sont rencontrées et le malade incurable, de façon répétitive, a demandé de l'aide active à mourir, j'ai beaucoup de difficultés à voir ce que la société pourrait trouver de mal à ça.

Alors, il faut vraiment, je dirais, prendre du cas-par-cas, baliser en général, mais, après ça, vraiment regarder chaque cas individuellement. Parce que, si on prend, par exemple, le patient dont je vous ai parlé, ça ne faisait aucun doute que, si ce patient-là avait eu l'accès à l'aide active à mourir, il s'en serait prévalu. Et pourquoi pas? La famille l'entourait très bien, mais lui en avait assez de mourir. Et je suis sûre qu'après une discussion avec la famille la famille aurait consenti. Alors, je ne sais pas si ça répond à tout.

M. Ouimet: Bien, c'est un grand débat, bien sûr, là, mais je veux juste porter à votre attention ce qui a été porté à notre attention au niveau de l'encadrement qui est là au départ, d'un point de vue législatif, mais qui, par la suite, dans la pratique, s'estompe.

On nous rapportait que le Comité des droits de l'homme de l'ONU a mis en garde, en juillet 2009, les Pays-Bas pour le haut taux élevé des cas d'euthanasie. Et par rapport à ce que vous disiez, au niveau des médecins, la dynamique en Belgique, lorsqu'ils font état de leurs pratiques au cours des sept dernières années, ce qu'on nous dit, c'est que le médecin traitant et le second médecin qui doit être consulté et qui doit examiner le patient règlent parfois la question par téléphone, et le médecin traitant doit faire appel à des confrères qui partagent son opinion et ils se rendent ainsi mutuellement service. Il y a d'autres éléments, mais je pense que le risque de dérive, de pente glissante me semble bien documenté.

Mme Havrankova (Jana): On peut encadrer mieux au Québec.

M. Ouimet: On peut encadrer mieux au Québec, bien. Je vais laisser...

Mme Havrankova (Jana): Non, mais on peut s'inspirer des erreurs des autres, des errements des autres, certainement. On n'est pas obligés de réinventer la roue. On peut s'inspirer de la base, d'où ils sont partis, je pense qu'elle est juste. Mais, s'il y a eu des dérives, bien on les connaît, on peut mieux y voir à ce moment-là.

M. Ouimet: Dernière... dernier commentaire. L'argument que vous soulevez par rapport: Quel est le mal que nous faisons à la société lorsqu'un patient demande à mourir? J'ai posé la même question au Dr Somerville, donc on essaie de confronter les points de vue, là, pour que peut-être éventuellement la lumière jaillisse, mais je vais laisser la parole à mon collègue député de Laurier-Dorion. Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Dr Havrankova, merci pour votre présence, votre présentation. J'ai une couple de questions, je vais aller aussi rapidement que possible. Première question: Est-ce que vous voyez une différence claire entre l'omission, dans le cas d'une cessation de traitement, et une action positive d'euthanasie ou de suicide assisté, selon votre conception des choses?

Mme Havrankova (Jana): Certainement, la cessation de traitement qui s'oppose à l'acharnement thérapeutique, donc cesser des manoeuvres qui sont futiles, c'est bien accepté dans la pratique médicale actuellement. C'est éthique, c'est légal et c'est légitime. Cessation de traitement, aucun problème.

L'aide active à mourir, tout à fait illégale, comme vous savez. Le problème avec la cessation de traitement dans les maladies incurables, c'est que certaines maladies n'ont pas de traitement, il n'y a pas de traitement. Prenons l'exemple de la sclérose latérale amyotrophique, il n'y a aucun traitement, des traitements de soutien, on peut utiliser, ne pas utiliser le respirateur, mais c'est plutôt... le malade finit par mourir sans traitement aucun. Donc, il n'y a pas de cessation de traitement possible.

M. Sklavounos: Selon votre conception des choses, lorsqu'une personne fait face à une mort qui est inévitable mais qui n'est pas imminente, c'est-à-dire quelqu'un est diagnostiqué avec une maladie qui est terminale mais pour laquelle c'est difficile médicalement de situer le moment de la mort, ça peut être six mois, ça peut être un an, ça peut être un an et demi... Évidemment, dans des cas comme ça, généralement, il y a une progression des symptômes, etc., de la difficulté.

Est-ce que, dans ces cas-là, où la mort n'est pas imminente, vous êtes... selon votre conception des choses, vous serez en faveur d'un... ce qu'on peut appeler un suicide assisté, une euthanasie, comme vous voulez, là? Est-ce que vous serez d'accord pour qu'une personne qui ne fait pas face à une mort imminente obtienne de l'assistance pour mettre fin à ses jours lorsqu'on sait que la situation, la mort est inévitable mais pas imminente?

Mme Havrankova (Jana): Ça revient à ce que j'appelais le principe de dignité de chacun. Si le patient souffre d'une maladie incurable, je donne entre ses mains, ni plus ni moins, le pouvoir décisionnel à quel moment lui, personnellement, en a assez. Alors ça, ça peut varier beaucoup d'un individu à l'autre. Des gens qui sont contents de vivre très, très handicapés, c'est correct comme ça. C'est juste à la toute fin, par exemple, dans... et c'est là... je ne veux pas être intubé, alors on peut... au lieu d'être... de subir un respirateur, on offrirait une aide à mourir à ce moment-là.

M. Sklavounos: Alors, vous, si je comprends bien, corrigez-moi si je me trompe, votre seule vraie balise dans un... dans des cas de ce genre-là, ce serait qu'il y ait une mort qui est inévitable et c'est le seul... vrai balise. Par la suite, vous retournez ça à l'autonomie de l'individu, et ça prime au-dessus de toute autre considération.

Mme Havrankova (Jana): Ce serait peut-être beaucoup dire «au-dessus de toute autre considération» parce que je veux souligner que le patient doit être informé complètement de tout ce qui est possible comme alternative, en ce qui concerne des soins palliatifs. Ce n'est pas... un patient ne va pas décider un matin: Bien là, c'est fini, j'en ai assez, donnez-moi de l'aide active à mourir.

Non. On rediscute avec le patient, on regarde, à partir de ce moment-là, qu'est-ce qu'il y a à offrir, qu'est-ce qu'il y a dans... qu'est-ce qu'on a dans des cartes, qu'est-ce qu'il y a dans la gamme de soins. Si le patient dit: Bien là, moi, je suis rendu au bout de tout... de ce que je veux essayer comme soins, comme soulagement, comme soutien, bien à ce moment-là, oui.

M. Sklavounos: Et, selon votre conception des choses, le développement des soins palliatifs, si on était dans un monde idéal... et nous ne le sommes pas, nous avons entendu, malgré la bonne volonté qui existe, les investissements faits, la bonne volonté des gens qui sont sur le terrain, qu'il y a quand même des lacunes à ce niveau-là.

Mais, si on était pour dire qu'une emphase était mise sur le développement des soins palliatifs au point où on avait la gamme complète de mesures palliatives disponibles pour tout le monde qui en aurait besoin... la gamme complète, est-ce que ça changerait un petit peu votre conception des choses? Et est-ce que votre façon de voir les choses n'est pas, en quelque sorte aussi, en quelque sorte due un petit peu à ce qui existe sur le terrain au niveau des soins palliatifs, à ce qui existe en ce moment de disponible?

Mme Havrankova (Jana): Les soins palliatifs font énormément de bon travail pour les patients cancéreux en phase terminale. Il peut se développer davantage pour les maladies neurodégénératives, des insuffisances cardiaques et pulmonaires. Le problème, avec ces maladies-là, c'est que le pronostic est imprévisible et ça peut prendre des années et des années d'une vie, selon le patient, qui est invivable dans un cadre de soins palliatifs. Il n'y a pas tout le...

Il y a des gens qui seraient contents dans les soins palliatifs et qui sont contents dans les soins palliatifs, d'autres non. On peut prendre un autre exemple: un patient, par exemple, qui est tétraplégique, O.K., paralysé des quatre membres, lui peut survivre 25, 30 ans. Si la vie lui paraît indigne...

Je ne sais pas si vous avez vu l'incroyable film El mar adentro, La mer intérieure, d'Alejandro Amenábar, qui raconte l'histoire d'un tétraplégique espagnol qui cherchait à se faire aider à mourir? En tout cas, c'est... ça vaut la peine d'être vu, louez ça. Alors, lui a survécu pendant 25 ans et plus, et, vers la fin de cette période-là, il dit: C'est assez, je ne veux plus vivre comme ça, je n'en peux plus. Alors, les soins palliatifs, je ne vois pas tellement le rôle.

**(15 h 40)**

M. Sklavounos: ...dans un cas comme ça où la mort n'est même pas inévitable, mais les conditions de vie, on convient tous, sont difficiles, selon votre conception des choses, l'euthanasie ou le suicide assisté devraient être disponibles pour une personne pour qui la mort n'est pas inévitable.

Mme Havrankova (Jana): Sa maladie est incurable. J'utilisais plus tôt le mot maladie ou condition incurable, parce que la mort est inévitable éventuellement pour tous. À quel moment? Bien là, ça dépend de la maladie dite incurable. Ça va?

M. Sklavounos: Une dernière question, une dernière question. Nous avons eu un professeur d'université, un juriste qui est venu nous dire que légiférer à partir de rares exceptions est dangereux comme approche. Dans le sens qu'on a entendu des gens venir nous dire... qui travaillent en soins palliatifs, nous dire que la plupart, et vous l'avez dit vous-même, la plupart des cas, premièrement, il n'y a pas beaucoup de demandes autant qu'on penserait pour l'euthanasie ou un suicide assisté; deuxièmement, les cas sont très rares où nous ne pouvons pas soulager suffisamment.

Est-ce que vous êtes d'accord avec ce que le professeur a dit? Dans le sens que, si nous sommes à légiférer pour couvrir des cas rares et exceptionnels, que ce n'est pas ouvrir les portes dangereusement à ce que d'autres, comme on a entendu aux Pays-Bas, etc., essaient de rentrer leur cas dans les cas exceptionnels?

Mme Havrankova (Jana): Moi, je demeure en faveur des droits des minorités, et je donnais le mariage gai comme exemple, et là la législation a été faite pour une petite minorité de gens.

Je ne vois pas encore, dans un contexte encore plus dramatique qui est la vie ou la mort, la fin de vie, pourquoi cette minorité des gens devrait être négligée. Et aussi pourquoi il y a peu de demandes actuellement, c'est que les patients ne sont pas fous: ils savent que c'est illégal. Alors, ils ne sont pas méchants et, comment dire, harcelants vis-à-vis les médecins pour demander quelque chose qu'ils savent pertinemment qu'on ne peut pas leur offrir.

Mais la crainte, dans les autres pays, c'était qu'une fois qu'on ouvre la porte à l'euthanasie que ça va être la ruée vers l'euthanasie. Ce n'est pas vrai du tout. Et d'ailleurs les sondages démontrent que les gens sont prêts, la majorité des gens sont prêts à vivre avec des handicaps importants plutôt que mourir. Alors, la vie est très, très forte. Mais, en même temps, je ne vois pas pourquoi on ne se soucierait pas de cette minorité des gens. je ne comprends pas l'argument du juriste. En tout cas, c'est...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup, merci de votre mémoire qui est très pédagogique, je pense. En fait, pour poursuivre dans la même veine, l'argument, il a trait, je dirais, à l'évolution des moeurs.

On nous parlait beaucoup de la société aux Pays-Bas qui, oui, est partie d'un encadrement un peu comme celui auquel vous faites référence, mais tranquillement, ça, c'est l'argument qui nous a été présenté, aurait un peu banalisé les choses et que, donc, tranquillement on a dit: Mais, si on le fait pour les gens malades en phase terminale, pourquoi on ne le ferait pas, par exemple, pour des jeunes de 12 à 16 ans, là, semble-t-il, avec consentement des parents? Là, semble-t-il que maintenant il y a un autre mouvement pour dire: Pourquoi ce droit-là ne devrait pas peut-être être donné aux parents d'enfants nés avec des maladies congénitales épouvantables, et donc on peut penser avec aucune qualité de vie?

Donc, l'argument, c'était que socialement, à partir du moment où on légifère, il va y avoir une pression importante pour qu'on ouvre toujours plus législativement, mais qu'on ouvre toujours plus. Comment vous voyez ça? Comment vous répondez à ça?

Mme Havrankova (Jana): Comme j'ai dit: des balises claires, un patient majeur, plus de 18 ans, atteint d'une maladie incurable clairement diagnostiquée, évalué par une équipe soignante. Et comment se prémunir contre une dérive? Je vous dirais: S'il n'y a aucune législation, comment on se prémunit contre des dérives? Moi, je pense qu'une législation claire est préférable à un laisser-aller. Je ne...

Mme Hivon: Avez-vous le sentiment que -- je comprends qu'il peut y avoir des tabous autour de ça, là -- avez-vous le sentiment qu'il y a des -- c'est parce que vous y faites un peu allusion -- avez-vous le sentiment qu'il y a des dérives à l'heure actuelle?

Mme Havrankova (Jana): Dans le questionnaire auprès des médecins spécialistes, il y environ 80 % qui ont dit qu'ils étaient au courant qu'il y a eu des cas d'euthanasie. Là, le problème, c'est que les gens ne s'entendent pas pour dire: C'est la sédation terminale, et l'euthanasie, ça n'en n'est pas. Alors, on est un petit peu dans la sémantique, puis à cours de... à cours de définitions claires. Donc, oui, je pense que la porte est grande ouverte à beaucoup de dérives.

Mme Hivon: O.K. L'autre chose qu'on nous a dit aujourd'hui même, c'est qu'effectivement c'est exceptionnel, et donc que, dans les cas où vraiment on demande ça, souvent c'est de la douleur davantage psychologique, en tout cas, que quand quelqu'un a des bons... -- vous nuancerez si vous voulez -- que dans la mesure où quelqu'un a des bons soins palliatifs, là -- il y a tout le débat sur qui a accès, là, mais c'est autre chose -- qu'on soulage assez bien la douleur physique, donc c'est plus de la... douleur psychologique, morale ou existentielle, et que, dans ces cas-là, on peut toujours offrir la sédation terminale, et que donc il n'y a pas vraiment de cul-de-sac.

Qu'est-ce que vous dites à l'argument qu'en fait la sédation terminale vient un peu pallier au manque de possibilité de répondre à la demande de la personne?

Mme Havrankova (Jana): La sédation terminale s'applique très bien dans les soins palliatifs, mais pas pour des maladies neurodégénératives, par exemple. Ça, c'est vraiment des domaines qui sont... qui sont à part, parce que ces gens-là se détériorent chez eux de façon très lente parfois, donc la sédation terminale ne s'applique pas vraiment. Là, on parle, là, des douleurs insupportables où on utilise la sédation terminale que, moi, j'appelle, j'assimile plus ou moins à l'euthanasie, parce qu'on sait -- je le dis dans mon mémoire -- on sait que la seule issue est la mort. Alors, c'est quoi, la différence entre injecter une substance létale versus injecter des narcotiques à une dose qui escalade? Mais, bon, ça, c'est un grand débat.

Mme Hivon: Oui, effectivement, on a des grands débats devant nous. Et je voudrais juste vous entendre avant de passer la parole à ma collègue.

Suicide assisté et euthanasie, c'est... de ce que je comprends, puis le film La mer intérieure est très clair, lui, c'est plus une demande de suicide assisté, et c'est souvent ça pour les maladies... chroniques ou dégénératives, mais M. Ghislain Leblond que vous avez peut-être vu, là, qui est venu la première journée, lui, il est atteint d'une telle maladie, mais il demande vraiment plus l'euthanasie, c'est-à-dire... Et on a entendu cet argument-là: que le suicide assisté serait une... quelque chose de plus violent, parce que c'est un suicide ultimement, que le médecin a pu avoir... Beaucoup de médecins nous ont dit: Nous, on ne peut pas vraiment vous parler du suicide assisté, ce n'est pas quelque chose qu'on côtoie beaucoup, parce que ce n'est pas vraiment un soin ou quelque chose qu'on voit en fin de vie. C'est plus un geste...

Vous, vous parlez vraiment des deux. Vous pensez qu'on devrait... qu'on devrait considérer les deux?

**(15 h 50)**

Mme Havrankova (Jana): Moi, je parle de l'aide active à mourir qui englobe les deux, et le patient pourrait avoir le choix entre les deux. Il pourrait avoir le choix d'avoir une prescription, par exemple, de barbituriques qu'il ingérerait à sa guise au moment qui lui paraît opportun, entouré de sa famille chez lui, par exemple. Ça, ça pourrait être une... une construction de scénario.

Ce que je trouve intéressant dans le suicide médicalement... bon, en tout cas, suicide assisté, c'est que les gens en Oregon, en tout cas, qui ont reçu la prescription, il n'y a que 50 %, et dans d'autres contrées, c'était moins que ça, qui l'ont vraiment utilisée. Alors, ils s'en servent comme police d'assurance. Si jamais ça va vraiment mal, je peux utiliser ma potion. Alors ça, c'est... alors, c'est le patient vraiment qui prend son suicide entre ses mains, mais il est aidé.

Parce que se suicider, ce n'est pas évident. Et on en a vus, des suicides épouvantables, des gens qui se sont défenestrés, qui se sont pendus, en tout cas, tout ça, c'est épouvantable. Alors ça, c'est pour prévenir ça aussi, des histoires qui sont inhumaines en réalité donc.

Et l'euthanasie, mais, si le patient préfère, si je peux dire, d'avoir une injection par un professionnel de la santé, bien toujours dans le même cadre, maladie incurable, patient informé, demandes répétitives, etc., c'est une option.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, madame, pour ce rapport, ce mémoire clair et bien distingué dans chacune de ses facettes.

Moi, ce qui me préoccupe c'est qu'à l'intérieur des 10 points que vous avez développés il n'est jamais fait mention des personnes inaptes à prendre une décision. Vous vous référez beaucoup au malade, puis qu'on parle de continuum de soins, qu'on parle de sa discussion avec le médecin, et ainsi de suite, toujours va prendre la décision. Mais, pour ce qui est des personnes qui ne sont pas aptes à prendre la décision, vous voyez comment l'exercice d'un droit qu'ils ne sont plus à même de manifester? Et peut-être que je vous amènerais à vous positionner aussi sur la question du testament de vie sur lequel on a déjà eu l'occasion d'échanger ici.

Mme Havrankova (Jana): C'est ça. Je me suis lâchement concentrée sur des gens aptes parce que je trouve ça plus simple, plus facile et, je dirais, très clair. Pour moi, c'est très clair, je veux dire, mais pourquoi pas?

Alors là, on aborde des choses plus difficiles. Une personne inapte, qui va décider pour elle? Testament de vie, vous le mentionnez vous-même, alors je pense que ça, ça devrait devenir un outil absolument essentiel dans... on parlait beaucoup de la préoccupation de la société, je pense que c'est quelque chose que la société devrait se donner comme but que les gens fassent leur testament de vie, le révisent régulièrement, en informent leurs proches et qu'ils disent clairement ce qu'ils désirent dans telle ou telle condition et/ou qu'ils donnent le mandat à une personne de confiance, parce qu'on ne sait jamais qu'est-ce qui va nous arriver quand, et on n'a pas toujours le temps de le prévoir.

Alors, on peut donner des grandes balises dans notre testament de vie de... par exemple, je ne veux pas de réanimation, je ne sais pas, en tout cas, on peut donner des grandes balises, puis après ça donner le mandat à une personne de confiance pour... cette personne qui connaît nos valeurs, qui est capable de se mettre à notre place au moment opportun pour prendre des décisions comme si c'était nous.

Alors ça, c'est un manque. Je ne sais pas si quelqu'un vous a dit ici combien de gens font leur testament de vie, mais, moi, dans ma pratique, j'ai l'impression que c'est une petite minorité. Je ne sais pas s'il y a des statistiques là-dessus. Alors ça, c'est des choses encore plus délicates à... Mais commençons par quelque chose qui est clair.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Clair, c'est bien. Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. C'est ça, en fait, pour vous qui êtes témoin, c'est la beauté de votre rôle, c'est que vous pouvez vous prononcer sur ce que vous voulez et évidemment... Mais, nous, voyez-vous, il faut se poser cette question-là, à savoir... ne serait-ce que pour la consultation, est-ce qu'on soumet l'idée que... d'une aide à mourir pour des personnes inaptes, et, si oui, dans quel cadre, et, si oui, seulement pour des personnes qui auraient déjà manifesté, par exemple, des volontés ou désigné quelqu'un ou tout ça, là, mais c'est quand même très complexe parce qu'il y a des gens...

La première journée, je pense, le Collège des médecins, ou tout ça, lui, nous disait de ne pas évacuer cette question-là, en disant qu'il y a des gens qui peut-être peuvent mal exprimer leur souffrance, mais souffrent atrocement, qui sont... et qui sont inaptes. En tout cas...

Donc, pour nous, ce n'est pas simple. Mais je peux comprendre que les balises... puis, de ce que je comprends, aux Pays-Bas, ils sont vraiment partis dans la même... dans cette même logique là de personnes aptes. Moi, ça va.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull avant, vous avez manifesté un intérêt à une question. Il reste une couple de minutes. Alors, je vais en profiter pour...

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Je voulais juste vous entendre par rapport à... au mourir et au vivre. Lorsqu'on vit, on a des bonnes journées, des mauvaises journées. Dans la mort, ou les journées qui précèdent la mort ou les années, c'est la même chose. Vous dites dans votre... Je crois. Vous dites dans votre mémoire que cette demande à mourir devrait être répétitive et que le malade ne doit pas présenter de dépression importante. Or, il y a plusieurs personnes qui nous ont dit que c'est souvent la dépression qui motive les gens à demander à mourir. Alors, j'aimerais vous entendre par rapport à...

Une voix: ...

Mme Havrankova (Jana): C'est un... certainement un point valable. Comment distinguer si la personne est déprimée? Là, je ne suis pas du tout une experte et je suis certaine que des psychiatres bien, bien formés et compatissants devraient être en mesure de discerner cela.

Je dirais par contre qu'il ne faut pas confondre une tristesse bien normale de devoir quitter la vie. Je pense qu'il n'y a personne qui veut aller avec joie demander de l'aide à mourir. Donc, une tristesse versus une dépression clinique qui pourrait être traitable. Je pense que ça prend un expert pour évaluer ça. Et il n'y a rien qui empêche d'avoir cet expert-là dans le groupe décisionnel. On a dit: C'est une petite minorité des gens. Ces gens-là ne sont pas occupés huit heures par jour tous les jours.

Donc, on peut prendre du temps et on peut évaluer la personne qui demande l'aide à mourir de façon très exhaustive, justement pour voir s'il n'y a pas de dépression -- je le dis exprès -- dépression importante, pour la distinguer de la tristesse bien légitime et bien normale.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte, courte question, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: ...il m'en restait une. Ce matin, on ne l'a pas abordé avec Dr Beauchamp, mais c'était écrit dans son mémoire. Lui, il disait: Quand on est médecin, là, comment on va faire, dans le concret? Est-ce qu'on va offrir ça comme un soin comme un autre en fin de vie? Est-ce qu'on va attendre que la personne nous le demande? Parce qu'il y a quelque chose qui nous a été soumis qui, oui, donne peut-être un peu froid dans le dos, là, qu'en Oregon on envoie une petite lettre aux gens quand ils sont malades, très, très avancés, ou tout ça, en disant... bien, semble... voici... En tout cas, je ne sais pas le mythe et la réalité, là, vous comprenez? Nous, on va faire la part des choses, là, inquiétez-vous pas, mais qu'il y avait... qu'on faisait état de cette possibilité-là, de demander l'euthanasie.

Donc, comment ça se ferait, le rôle du médecin là-dedans? Est-ce que ce serait discuté quand, la personne, on sentirait qu'elle est à bout, et tout ça? Ou est-ce que ce serait offert ou... Et le conflit possible pour le médecin, lui, dans sa pratique?

Mme Havrankova (Jana): Moi, je n'ai évidemment jamais vécu cette situation-là, mais jamais... je ne me verrais pas offrir l'aide à mourir à un patient, je... vraiment pas. Si on me le demande, bien là je suis prête à discuter, admettons que c'est légal, puis discuter sérieusement, parce que, moi, je suis pour la vie, là. Peut-être que vous avez l'impression que je suis pour l'aide à mourir, mais, au contraire, moi, je suis pour une bonne vie, mais une bonne mort aussi, qui termine tout ça. Mais je ne vois pas l'offre, puis, si c'est vrai, en Oregon, c'est bien effrayant.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): Sur ce, il me reste à dire merci beaucoup, Dr Havrankova, pour votre contribution à notre réflexion.

Je vais suspendre quelques instants et je vais inviter Mme Danielle Minguy de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 16 heures)

 

(Reprise à 16 h 3)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. On a eu une bonne semaine de travail, on arrive à notre 20e témoin et pas le moindre. Alors, sans plus tarder, je vais céder la parole à Mme Danielle Minguy, qui est présidente de l'Alliance des maisons de soins palliatifs du Québec. Mme Minguy, la parole est à vous.

Mme Danielle Minguy

Mme Minguy (Danielle): Alors, mesdames, messieurs, bonjour. Merci beaucoup de me recevoir en audition et merci aussi pour toute l'attention, toute la bienveillance que vous portez pour les gens qui sont malades, les gens qui sont fragiles.

Je vais d'abord me présenter, oui, on a dit que j'étais la présidente de l'Alliance des maisons de soins palliatifs du Québec, mais je suis aussi une infirmière et une infirmière depuis le début des années soixante-dix. Donc, moi, ce que je vais vous parler, c'est mon expérience de proximité auprès des malades, auprès des malades de tout âge, hommes, femmes, enfants, dans différentes périodes de leur vie. Je vais vous parler aussi, ayant vécu... bon, alors, si vous faites le calcul, 30 ans de... 35 ans de pratique, alors, moi, j'ai connu, au début de ma pratique, la souffrance des gens, la souffrance non soulagée, les enfants atteints de cancer qui criaient, qui pleuraient dans les bras de leur mère, les gens qui criaient de douleur, les malades en fin de vie qu'on mettait dans le fond du corridor parce qu'on n'avait rien à leur offrir, et, si, à ce moment-là, vous m'aviez rencontrée, mon propos aurait été tout différent de celui d'aujourd'hui. Alors, 30 ans après... 35 ans -- bon, on dirait que je veux me rajeunir -- 35 ans après, mon expérience est toute différente puisque, dans les dernières 13 années, je suis la directrice d'une maison de soins palliatifs où j'oeuvre encore comme infirmière de façon très fréquente. Alors, voilà un petit peu ce qui va étoffer mon propos.

Vous avez reçu ou vous recevrez des théologiens, des philosophes, des médecins, des éthiciens qui vont vous parler de la mort, mais ces gens-là vont vous parler de la mort des autres, parce que personne n'a fait le grand pas. Donc, la mort, c'est un mystère.

La mort est un mystère auquel on est tous confrontés. C'est la plus grande crise de notre vie, puis, à ce moment-là, quand on vit une crise, nous, humains, on a besoin de sens. C'est ce qui nous différencie. Et les penseurs, les théoriciens vont nous dire comment on peut trouver du sens, mais ils ne peuvent pas donner du sens à la crise qu'on vit. Ils ne peuvent pas donner du sens à notre vie, à notre mort; c'est à chacun de nous de le construire. La mort est donc quelque chose de très individuel.

Il va de même pour la dignité. La dignité, c'est un sentiment qui appartient à chacun, qui est unique, et chacun, on a en soi le sentiment ou non d'être un être à part entière. Donc, mourir dans la dignité est une expérience qui est unique à chacun et où chacun est donc l'expert de son mourir dans la dignité.

C'est pour ça aujourd'hui que je suis devant vous sans la prétention d'être un expert ou d'être une experte, voyez-vous. Et c'est pour ça que ce que je vais vous apporter, c'est beaucoup de questionnement, quelques convictions et tout ce que j'ai recueilli comme héritage en donnant des soins, en prenant soin des hommes, des femmes, des enfants tout au long de mon expérience.

La mort, c'est inévitable, alors il faut donc faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider les gens à mourir dans la dignité. Steinhauser nous propose des éléments importants par rapport à la dignité: d'abord, d'être traitée comme une personne à part entière, de prendre des décisions concernant ses préférences thérapeutiques, d'être soulagé de ses douleurs et des symptômes, et de se préparer à mourir. Considérant que le malade est au centre de vos priorités, j'ai pensé, là, étoffer mon propos à partir de chacun de ces éléments-là.

D'abord, être traitée comme une personne à part entière. Mes questions: À partir de quand est-on une personne à part entière? Voilà, là, quelque chose qui a apporté beaucoup de débats éthiques. Le foetus l'est-il? La personne dans un coma profond l'est-elle encore? La personne handicapée l'est-elle? La personne vieillissante qui a une diminution de performance ou d'efficacité est-elle encore une personne à part entière? Comment peut-on parler enfin d'une personne humaine quand on n'a devant nous qu'un corps décharné qui n'est que plaies et douleurs?

La dignité, vous le voyez, et c'est un point que je trouve très important, ce n'est donc pas qu'une question de fin de vie. Donc, ce sur quoi on a à se prononcer maintenant, ce n'est pas qu'une question de fin de vie, c'est une question de vie. Il faut penser aussi que, même si la dignité est un élément... est un, je m'excuse, un sentiment qui nous appartient, la dignité, aussi, elle est beaucoup dans le regard que les autres ont sur nous, beaucoup dans le regard que la société donne, nous donne. Donc, si on dit, par exemple, que beaucoup de personnes âgées demandent l'euthanasie, demandent à mourir, il faut regarder un peu dans notre société quelle place on donne aux personnes âgées.

Alors, il est certain que me voyant casée dans une... je vais appeler ça un «parc à vieux», si vous voulez, peut-être que j'aurais espoir de jouir de la vie autrement et, si ce n'est pas possible, demander la seule chose qui peut m'arriver, soit de mourir. J'ai donc la conviction qu'il faut prendre le temps par rapport à la dignité des gens, par rapport au fait qu'ils soient traités comme une personne à part entière, qu'il faut prendre le temps de se requestionner comme société sur les soins, les services qu'on offre aux personnes malades puis aux personnes fragilisées.

**(16 h 10)**

Maintenant, un autre point important pour la personne par rapport à sa dignité, c'est d'être capable de prendre des décisions face à ses préférences thérapeutiques. On accorde aux malades le droit au consentement, à l'autodétermination, à la décision, mais dans quel contexte?

Mes questions: Est-ce que la personne prend toujours une décision éclairée? Est-ce qu'on lui propose des traitements disproportionnés ou superflus qui vont être difficiles à arrêter quand la mort va être imminente? Est-ce que, par contre, on lui propose des traitements appropriés? Est-ce qu'on l'abandonne quand la médecine ne peut plus rien faire pour eux ou est-ce qu'on le maintient par paternalisme bienveillant dans un état d'ignorance de sa situation?

Les malades et les proches ont besoin qu'on les informe, ont besoin, pour prendre leur processus de décision, qu'ils soient informés par la bonne personne au bon moment. Ceci ouvre la porte à deux faits: les professionnels, pour informer, doivent savoir dire et doivent savoir être, et ils doivent avoir le temps de le faire. Dans la réalité, les professionnels ne sont pas tous formés pour être capables de dire et pour être avec le malade, la personne gravement malade.

Encore beaucoup d'intervenants ont besoin d'être sensibilisés au caractère inéluctable de la mort. Ce qui fait que, parfois, leur malade ne sera pas préparé à ce qui va s'en venir. Et encore beaucoup ne connaissent pas les soins palliatifs. Souvent, on va associer les soins palliatifs uniquement à la fin de la vie, alors que la politique de soins palliatifs, celle de notre gouvernement, dit que les soins palliatifs peuvent se juxtaposer aux soins curatifs, et ça, dès l'annonce du diagnostic. Alors, tout ça est important parce que, le fait que les soins palliatifs pourraient côtoyer les soins curatifs, ceci pourrait apporter qualité de vie et confort aux personnes malades, et non seulement aux personnes atteintes d'un cancer, aux personnes atteintes de toute souffrance, de toute maladie souffrante. Mais, encore là, il faut prendre le temps.

Être soulagé des douleurs et des symptômes. Alors, vous vous imaginez bien, vous ayant parlé de mes débuts de jeune infirmière, que, pour moi, le soulagement de la douleur a été une quête tout au long de ma vie professionnelle. Je crois, moi, que la personne souffrante, peu importe son âge, doit être soulagée. Mais l'est-elle? Est-ce qu'on prend à tous les moments de la vie d'une personne alors qu'elle est souffrante, soit physiquement soit psychologiquement, est-ce qu'on prend tous les moyens pour soulager la douleur? Est-ce qu'on entend la souffrance du malade? Est-ce qu'on entend la souffrance des proches? Est-ce qu'il existe encore des préjugés, des mythes qui nous empêchent de soulager la douleur, et ça, à tous les moments de la vie d'une personne et non pas seulement en fin de vie? Est-ce que les connaissances pour soulager les douleurs sont disponibles et sont transmises aux professionnels?

Là, encore là, le soulagement de la douleur et de la souffrance ne doit pas être relégué aux soins palliatifs de fin de vie. Pourquoi attendre la fin de la vie pour parler de la qualité de vie? Et je vous assure que ce que je vis comme expérience, c'est souvent ce qui arrive. On attend la fin de la vie pour vouloir soulager les gens. On sait que, dans la vie, toutes les pertes physiques ou psychologiques font mal: la maladie, les handicaps, la vieillesse, la dépression, le deuil... Tout cela fait mal. Alors, pourquoi est-ce qu'on ne prend pas le temps d'écouter la douleur, d'écouter la souffrance et de soulager, bien sûr?

Il y a, oui, des circonstances où la douleur devient insupportable pour le malade. Je vous dis: Ça fait 13 ans que je travaille en soins palliatifs, j'ai vu des circonstances où la douleur physique et où la souffrance étaient insupportables. Il y a des gens qui demandent l'euthanasie à ces moments-là. Et, souvent, en apportant... en les assurant de pouvoir soulager soit leur douleur physique soit leur souffrance morale, alors la plupart des gens nous confirment dans l'après être confortables, être soulagées, et que, pour eux, c'est une solution acceptable qui leur permet de vivre avec les leurs.

Maintenant, il y a un autre élément que je voudrais vous apporter. Un élément qu'il ne faut pas mettre du tout de côté, c'est la souffrance des professionnels. Et cette souffrance-là, elle peut être reliée, encore là, à plusieurs faits.

Dans un premier temps, la souffrance du professionnel qui n'a pas les connaissances ou qui n'a pas les moyens pour soulager, la souffrance du professionnel qui n'a pas le temps de soulager... et cette souffrance-là pourrait, à un moment donné, entraîner, si vous voulez, le professionnel dans le fait de vouloir faire... à défaut de pouvoir faire disparaître la souffrance, de vouloir faire disparaître le malade, et c'est un phénomène qu'on appelle l'«euthanasie hospitalière» et qui est documenté.

Donc, tout ça, encore, demande du temps. C'est important que les professionnels aient le temps et les connaissances pour soulager la douleur, c'est important qu'il ait le temps de le faire, c'est important qu'il ne subisse pas la pression du système ou la pression des proches pour intervenir d'une façon trop radicale auprès des malades.

Maintenant, dernier élément, se préparer à mourir. Face à la mort, qui est la crise la plus difficile de notre vie, quelle sagesse devons-nous avoir pour se préparer à mourir? Quelle sagesse? Est-ce qu'elle a déjà existé ou est-ce qu'on l'a perdue à quelque part, cette sagesse-là? Pourquoi certains gens qu'on rencontre veulent vivre à tout prix? Alors, la plupart des gens craignent les soins palliatifs, craignent qu'on abrège leurs jours, nient la maladie, luttent, veulent vivre à tout prix et vivent vraiment jusqu'à leur dernier moment.

Pourquoi d'autres veulent une mort planifiée et rapide? Parfois, c'est le malade, parfois, c'est les proches qui demandent ça. On a besoin de libérer des lits très rapidement dans les centres de soins de longue durée. Alors, on voit parfois des prescriptions de morphine en augmentant jour après jour pour certains malades en soins de longue durée. On peut aussi, étant donné qu'on ne peut pas... on veut passer rapidement, on veut ne pas vivre la souffrance, enlever l'objet de sa souffrance. On peut décider aussi qu'on est pressé de passer à nos occupations. Alors, peut-être que, pour vous, c'est des choses que vous ne croyez pas possibles, mais, moi, je vous dis que ça existe aussi, et l'industrie de la mort, elle, tourne très vite.

L'accompagnement des personnes en fin de vie nous apprend que chaque être est unique, puis chaque accompagnement l'est aussi. Mais, pour ça, il faut prendre le temps. Je vous l'ai dit au tout début, l'expert de la mort dans la dignité est la personne elle-même, et, pour l'accompagner, il faut l'écouter, parce que c'est elle qui nous guide.

En conclusion, je vais prendre un adage très connu: Le temps, c'est de l'argent. Mourir dans la dignité, oui, on aura à se prononcer là-dessus, mais avant tout vivre dans la dignité, voilà ce qui est pour moi important. Être, peu importe notre condition, considéré comme une personne à part entière, prendre des décisions éclairées et, quand le temps vient, être accompagné avec ses proches dans le processus du mourir. Ceci va nous demander de se requestionner sur les façons de faire, d'y mettre du temps. Le travail de la dignité pour le malade est incompatible avec une économie de temps. Le travail de la dignité pour nous tous est incompatible avec une économie de temps. Les décisions qui vont être prises, ce sont des décisions importantes, et elles ne devront pas être prises sur des calculs, mais bien sur la pensée.

En quoi va consister le changement? Quel en est le but? Les moyens mis en oeuvre seront-ils compatibles avec les fins à poursuivre? Que de questions je vous ai apportées! Peu de réponses, mais des questions essentielles, parce que les décisions qui vont être prises vont influencer toutes les générations futures.

Je vous remercie de votre compréhension.

**(16 h 20)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, et effectivement on est au stade des questionnements. Après une semaine, je pense que, plutôt que de trouver des réponses, avant tout nous avons trouvé beaucoup, beaucoup de questions. Et ça va être le défi pour les membres de la commission de... comment bien organiser ça pour poser les questions à l'ensemble de la société québécoise, qui est le but ultime de ce stade de notre processus, notre démarche.

Alors, je suis prêt maintenant à ouvrir la période d'échange avec les membres de la commission et céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Bonjour. Vous vous êtes présentée plus tôt en disant que vous étiez infirmière. Je vous dirais que vous avez un petit côté philosophe. En lisant votre mémoire, je tournais les pages, et... et j'avais soif de réponses, et effectivement je trouvais plus de questions que de réponses. Après 35 ans de pratique, dont 13 au niveau palliatif, je pense que vous avez compris plusieurs choses. Et, puisqu'on est en 2010, le temps, je pense qu'il est précieux à tous les niveaux, et même au niveau de l'attente de la mort. Là-dessus, vous avez touché un point fort intéressant.

Vous avez aussi parlé de l'autodétermination, donc je vais avoir deux questions. La première: Quand on fait face à un patient qui est vraiment déterminé, qui a fait le tour de la question, qui a vu ses proches, qui a fait ses adieux, il est indûment déterminé, comment on fait face à cette situation-là pour lui faire la démonstration que peut-être on peut lui accorder un peu plus de temps?

Mais, parallèlement à cette question-là, vous dites: Éliminer la douleur, mais pas le patient. Qu'advient-il? Et vous avez vu cette situation-là puisque votre expérience l'a apportée, quand je ne peux pas soulager la douleur, quand la douleur est persistante, présente et globale, puisqu'elle peut être à plusieurs niveaux, qu'est-ce que je fais?

Mme Minguy (Danielle): La personne qui m'a précédée vous a parlé beaucoup de la sédation terminale. Mais, moi, je vais vous parler plus de la sédation palliative, mais comme étant le moyen ultime, d'accord?

J'ai vécu déjà cette situation-là avec plusieurs personnes, dans certaines circonstances pour soulager des douleurs physiques qui étaient insupportables. Alors, à partir de ce moment-là -- pardon -- à partir de ce moment-là, avec la personne qui est malade, et toujours de façon interdisciplinaire, ce qui est très important, avec le malade, sa famille et avec des intervenants à... vous parlez que c'est... il y a plusieurs dimensions, donc au niveau physique, au niveau psychologique, puis tout ça, on regarde avec ces gens-là quels moyens on peut utiliser justement pour soulager ce qu'il y a à soulager.

Je dois vous dire que la science, j'en suis convaincue, possède tous les... tout ce qu'il faut pour soulager les douleurs physiques. Maintenant, quand on arrive à la douleur psychologique, il est important aussi de l'entendre. Et, quand elle est aussi redoutable que la douleur physique, je crois qu'il faut prendre les moyens aussi pour la soulager, voyez-vous?

Alors, à ce moment-là, devant la demande ultime d'une personne qui... Je vais prendre des exemples plus pratiques, si vous permettez, là, ça... ça vient plus me... si vous voulez, c'est plus facile pour moi. Je vais prendre l'exemple d'une dame, par exemple, qui était... qui n'était pas souffrante physiquement, mais qui disait, à l'intérieur d'elle, là, se sentir... avoir tellement peur, que c'était l'idée continuelle qui lui revenait de la peur du gouffre et de ces choses-là. Alors, avec elle, on a regardé un moyen où elle serait plus endormie, si vous voulez, mais pas complètement comateuse et où elle serait plus... où les jours passeraient mieux pour elle. Alors, on... on a fourni à cette dame-là une médication et on a vérifié jour après jour si elle était confortable. Elle était confortable mais pouvait encore communiquer avec les siens. On a donc éliminé la problématique sans éliminer le malade, c'est ça.

Mme Charbonneau: Donc, vous êtes sur le dosage de la médication, puis en même temps trouver un... un moment de confort pour le patient.

Mme Minguy (Danielle): Un moment de confort pour la famille aussi parce que la personne est encore là pour les siens. Elle n'est pas passée à l'étape du «il, elle était», elle est encore à l'étape du «tu es là, maman».

Mme Charbonneau: Vous m'avez... Je devrais dire: J'ai eu un glissement de pensée quand je vous ai dit «philosophe» tantôt, quand vous avez vous-même dit que quelquefois on pourrait poser ces gestes pour libérer des lits plus rapidement.

Depuis le début de la semaine, on entend des choses qui nous font frissonner un petit peu. Est-ce que vous avez vécu des périodes plus difficiles où vous avez senti que ce geste-là se faisait froidement? Je vous pose la question sans préjugé mais en même temps je suis consciente que chaque médecin n'a pas la faculté, je vais utiliser ce terme-là, de bien traiter la mort, puisqu'un médecin est ainsi fait qu'il doit traiter la vie.

Mme Minguy (Danielle): D'accord. «Froidement» est un mot... un bien grand mot. Je ne pourrais pas dire froidement. Mais je peux vous dire par contre que j'ai vu des situations où le médecin s'est laissé influencer. Je n'ai pas vécu d'occasion où il s'est laissé influencer par l'obligation de libérer des lits, voyez-vous? Mais le médecin s'est laissé influencer par la pression des proches à ce que ça se fasse rapidement et à prescrire une augmentation de dose de narcotiques de plus en plus importante de jour en jour, et c'est ça. Donc, ce n'est pas dans un endroit où je travaillais. C'est dans un endroit où c'était quelqu'un d'une famille qui était là dans la chambre d'à côté, dans le lit d'à côté. Alors, à ce moment-là, c'est vraiment des pressions qui sont importantes.

Quand je dis, bon: Est-ce qu'on pourrait, à un moment donné, faire ça pour libérer des lits? Bien, la marge n'est pas grande parfois, vous savez. La marge n'est pas grande. Quand, dans un endroit, il y a un lit de soins palliatifs puis qu'il y a des gens qui attendent...

Mme Charbonneau: J'entends. Ça ne me soulage pas, mais j'entends.

Ma dernière question, et après ça je passerai la parole à d'autres, c'est sur le fameux testament biologique. Est-ce que, dans la profession que vous pratiquez, vous avez vu, entendu ou ayez eu affaire à cette possibilité-là de voir la famille sortir un testament biologique puis dire: Voici les derniers souhaits de cette personne qui en ce moment est dans un coma, puisque sa maladie et la douleur est plus forte que son âme.

Mme Minguy (Danielle): Je dois vous dire que ça nous est arrivés, ça m'est arrivée une ou deux fois en 13 ans. Donc, ce n'est pas très fréquent. Les testaments biologiques, on n'en voit pas beaucoup.

Par contre, pour la personne inapte, O.K., c'est très important d'identifier auprès d'elle des personnes significatives. Et là encore, parfois, là, j'ai eu des questionnements éthiques à ce niveau-là. Alors que, dans une famille, toutes les personnes ne s'entendent pas par rapport aux choses qu'il y a à faire, il faut vraiment à ce moment-là qu'une... qu'il y ait une équipe interdisciplinaire qui prenne la chose en main, parce que là encore, là, il peut y avoir... on dit, bon: Il était comme ça, la personne était comme ça et il ne voulait plus vivre, puis tout ça, alors que d'autres personnes sont arrivées par après pour dire: Mais non, là, il voulait encore manger, il voulait qu'on mette un gavage, puis tout ça. Donc, c'est vraiment... Chaque personne est unique, chaque situation est unique pour moi.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Une courte question, Mme Minguy. L'avant-dernière page de votre mémoire, vous parlez de «l'euthanasie hospitalière», et vous dites que c'est documenté. Vous faites référence à quoi précisément quand vous parlez d'euthanasie hospitalière?

**(16 h 30)**

Mme Minguy (Danielle): Alors, l'euthanasie, c'est un terme qui est utilisé pour dire, par exemple, qu'il peut arriver, dans la pratique auprès des personnes malades, qu'à un moment donné la souffrance des professionnels devienne tellement grande que ce qu'ils voient, ce n'est plus la souffrance du malade mais la leur qui est projetée.

Vous savez, on dit souvent que la souffrance des autres fait vibrer en nous nos propres souffrances. Et parfois, et parfois là, on a à discuter ça dans notre équipe quand on dit, bon: Mais ça n'a pas de bon sens, il faut intervenir, il faut faire quelque chose. Je ramène toujours la question à dire: À qui est la souffrance? Voyez-vous?

Alors, nous, on est un petit milieu, on est en soins palliatifs, on peut se poser cette question-là. Mais, dans des milieux où c'est plus grand, où il y a des grands hôpitaux, où il y a plus de personnes, il faut prendre le temps aussi de se poser cette question-là. La souffrance qu'on voit, est-ce que c'est la nôtre ou est-ce que ça peut être celle aussi des professionnels qui y travaillent, qui se disent: Mais non, ça n'a pas de bon sens, il n'y a plus de dignité pour elle, il faut absolument faire quelque chose, il faut arrêter ça, parce que c'est leur propre souffrance qui leur est projetée?

M. Ouimet: Vous dites «documentée», vous faites référence à quel document?

Mme Minguy (Danielle): Malheureusement, j'ai oublié de l'écrire, c'est dans un... et si... si vous le permettez, je ferai parvenir à madame...

M. Ouimet: Très bien.

Mme Minguy (Danielle): ...à madame par après. C'est une auteure française, puis je pense que je suis un peu nerveuse, le nom ne me vient pas du tout.

M. Ouimet: Pas de problème, là...

Le Président (M. Kelley): On peut, avec Mme Plante, tout ça, si vous pouvez trouver la référence...

Mme Minguy (Danielle): Je vais envoyer ces...

Une voix: ...

M. Ouimet: ...un long débat, voyez-vous, avec entre autres le Dr Barrette et d'autres médecins qui sont venus contredire les dires du Dr Barrette sur toute la question de l'euthanasie. Alors, lorsque vous dites «euthanasie hospitalière documentée», j'aimerais bien voir le document, mais ça viendra. Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. Tout à l'heure, vous nous avez dit qu'il y a des patients... Et là votre expérience est extraordinairement précieuse pour nous. Vous avez dit qu'il y a des patients qui veulent vivre à tout prix, jusqu'à la dernière minute, etc., et vous avez dit tout de suite après, ce n'est peut-être pas les mots exacts, mais j'ai noté, là: Il y en a d'autres où ce n'est pas ça, ils veulent mettre... une mort plus rapide, et vous avez posé la question: Pourquoi d'autres veulent une mort plus rapide?

Et vous ne nous avez pas donné beaucoup une réponse, sauf pour dire: Il y en a qui veulent la mort pour eux, d'autres veulent la mort pour le membre de leur famille qui est mourant ou... et aussi, bon, vous avez dit, pour libérer des lits, puis des choses comme ça. Mais est-ce que vous pourriez nous donner un petit peu plus, là, une réponse, nous aider à voir un peu. Parce que, nous, ce qui nous... ce qui nous intéresse, c'est des gens qui le veulent, qui veulent une mort plus rapide pour eux-mêmes. C'est toute la notion évidemment de l'autonomie, etc., mais derrière ça aussi il y a une autre notion, et beaucoup de gens qui sont venus, là, ne semblent pas accorder... enfin, ne semblent pas croire ou être d'avis qu'on peut vouloir en finir plus rapidement et être lucide.

Autrement dit, il y en a qui nous ont dit carrément: Vous savez, le désir de mourir, c'est un signe de dépression. Alors, ça a été posé aussi comme question, mais... Alors, est-ce que, pour vous, il y a uniquement des causes style: on est en dépression, ou on a peur de l'acharnement ou est-ce qu'il peut y avoir, parce qu'on n'a pas vraiment entendu ça, une lucidité de la personne qui, en toute connaissance de cause, etc., décide que, pour différentes raisons, elle préférerait mourir plus rapidement?

Pas uniquement la douleur, ça peut être un certain nombre de choses; il y a la notion de la dignité, comme vous dites, qui est très individuelle, là. Et, pour vous, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus, surtout basé sur l'expérience, parce que vous avez une grande expérience et en plus vous avez fait... en tout cas, vous nous avez fait la démonstration que vous l'avez bien assimilée, bien digérée, et vous avez tiré des leçons de cette expérience-là.

Mme Minguy (Danielle): Oui. Oui, il y a des gens qui, lucidement... Vous savez, les gens en dépression en fin de vie, on n'en voit pas beaucoup. On voit des gens avec beaucoup de tristesse, mais qui ne serait pas triste à la fin de sa vie alors qu'il va quitter tout ce qu'il connaît?

Il y a des gens qui, oui, en sont pressés de terminer, et je dois vous dire que la plupart des gens qui veulent mourir plus rapidement, beaucoup prennent eux-mêmes les moyens pour le faire, oui. Et je vous parlais, par exemple, de la dame qui était très souffrante psychologiquement, à qui on a donné un peu de médication pour être plus détendue mais qui demeurait toujours consciente aux siens, cette dame-là, à partir du moment où elle était confortable, si vous voulez, un peu plus somnolente, je vais prendre ces mots-là, a arrêté de manger et de boire. Voyez-vous? Et souvent on pense que de ne pas manger et de ne pas boire, c'est très souffrant, mais la plupart du temps ça amène les gens dans un état de confort, au contraire, voyez-vous? Et en étant un peu plus somnolente, elle était confortable.

Donc, il y a des gens, oui, qui, lucidement, à un moment donné, décident que vient... que vient le temps puis prennent des moyens pour que ça aille plus vite, voyez-vous?

Il y a des gens, écoutez, là, je vais vraiment vous parler d'expérience, là. Il y a une dame, par exemple, qui a décidé, c'était Noël qui arrivait, O.K., puis elle m'a dit: Moi, je veux passer Noël, tu sais, puis là elle avait de la difficulté à manger, était nauséeuse, puis tout ça, donc on a soulagé, puis tout ça. Puis après Noël elle me dit: De tes médicaments, je n'en veux plus. Oui, mais là vous ne pourrez plus manger. Non, c'est correct, ce n'est pas ça que je veux, mais elle dit: Par contre, j'ai peur, est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour ma peur? J'ai dit: Oui, on peut en parler avec votre médecin, avec votre travailleur social, puis apporter de la médication, si vous voulez. Alors, à ce moment-là, la dame est plus somnolente, elle a décidé qu'elle ne mangeait plus, puis tout ça, voyez-vous?

Maintenant, est-ce qu'il y a des gens qui ont pris des moyens drastiques pour en finir, aussi, parce que ça n'allait pas assez rapidement à leur goût? Il y en a, oui, qui prennent des moyens. Il y en a, par exemple, qui vont dire... qui vont se dire très, très souffrants, à qui on va donner de la médication tant qu'ils sont souffrants, voyez-vous? Alors...

M. Reid: Merci beaucoup, votre témoignage est vraiment très précieux.

Mme Minguy (Danielle): Ah, merci.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Très rapidement, je vais utiliser un exemple. L'exemple de la jeune personne impliquée dans un accident d'automobile qui devient tétraplégique et qui... et que sa situation physique ne représente pas du tout la situation physique de la personne... de cette personne-là avant, et qui, au niveau de sa conception de la dignité, de sa dignité personnelle, la personne dit: Moi, je ne peux... je ne veux plus vivre de cette façon-là. Ce n'est pas ma conception... moi, je ne veux pas vivre comme ça.

Quelle conception de dignité, selon vous, pourrait venir contrecarrer cette conception très personnelle de la dignité, pour une personne qui ne veut absolument pas vivre, qui ne veut pas s'adapter à sa nouvelle situation, si vous voulez?

Mme Minguy (Danielle): Moi, je crois, je disais, hein, que je pense que la dignité, c'est de pouvoir faire ses choix thérapeutiques. Pour cette personne-là, il peut choisir de faire un arrêt de traitement, monsieur. Pour lui, un arrêt de traitement, ça va être d'arrêter le respirateur dans un état de, si vous voulez... on va donner des sédatifs pour que la personne soit plus somnolente. On va arrêter le traitement, et il va mourir tout à fait dans la dignité. C'est un arrêt de traitement. Chaque personne a le droit d'arrêter les traitements. Certains diabétiques, en fin de vie, décident de cesser l'insuline. Ils le décident.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup. En fait, c'est ça, on entend toutes sortes de choses, puis il y a des choses qui font monter notre niveau d'anxiété, je pense, comme parlementaires aussi, parce qu'on est beaucoup... On est dans l'ensemble, hein? Notre mandat, il est global. On parle, oui, beaucoup d'euthanasie, mais il est aussi sur toute la réalité des soins et des conditions de vie en fin de vie. Je pense qu'il pourrait y avoir tout un autre mandat sur la vieillesse en général. On pourrait travailler fort là-dessus aussi, là. Mais quand j'entends...

Une voix: ...

Mme Hivon: Mais ce ne sera pas cette semaine. On va vous tenir au courant. Si... En fait, puis je vous fais cette introduction-là parce qu'on s'attarde beaucoup aux dérives possibles, si jamais on devait éventuellement, après la consultation, penser à légiférer sur l'euthanasie, les dérives possibles associées à ça... Mais là je me dis: Il semble y avoir des dérives déjà peut-être importantes dans l'état actuel des choses. Et, quand vous avez parlé d'euthanasie hospitalière, quand vous parlez qu'il y a peut-être des médecins, face à leur propre souffrance, soit la souffrance des proches, qui se font convaincre ou qui augmentent les doses de manière accélérée de morphine, ça, vous semblez nous dire que ça existe bel et bien. Je vois de votre signe de tête que oui. Alors, en tout cas je pense juste qu'il va falloir aussi essayer de documenter ça, parce que ça fait partie de ce dont on ne peut pas se cacher, là.

Mme Minguy (Danielle): Ne demandez pas des noms, madame.

Mme Hivon: Inquiétez-vous pas. On n'est pas là-dedans.

Je voudrais savoir, justement pour poursuivre un peu sur la voie de mon collègue, on pense beaucoup soins palliatifs pour vraiment la phase terminale, souvent des gens atteints de cancer, tout ça. Qu'en est-il des soins palliatifs pour des gens qui font face à une maladie irréversible, maladie chronique, maladie dégénérative? Parce qu'on nous dit souvent qu'il n'y a pas grand-chose à faire. Vous, vous avez parlé... Je pense que c'est très intéressant de dire que le curatif doit aller de pair avec le palliatif, ça, éventuellement j'aimerais vous entendre là-dessus, mais qu'est-ce qu'on fait quand il ne reste que le palliatif, mais pour des malades qui en ont encore peut-être pour des années?

**(16 h 40)**

Mme Minguy (Danielle): Alors, je vous disais... Je vais revenir justement que les soins palliatifs peuvent être juxtaposés aux soins curatifs, et ce, dès l'annonce d'un diagnostic d'une maladie, et de n'importe quelle maladie. Il ne faut pas associer les soins palliatifs uniquement au cancer. Alors, ça, c'est important.

Et, tout au long d'une maladie, tout au long de la vie ou dès qu'il y a douleur, si on s'intéresse à la douleur de la personne, si -- il y a un médecin qui dit «vieillir fait mal» -- si on s'intéresse à la douleur des personnes âgées et qu'on soulage cette douleur-là, on va de beaucoup augmenter la qualité de vie. Et ça aussi, ça fait partie de mon expérience.

J'ai vu des gens à qui on donnait de la médication pour soulager la douleur et qui se sont mis à revivre par après, parce que justement les gens étaient soulagés. Alors, le fait d'avoir un meilleur soulagement de la douleur leur permettait d'avoir une meilleure qualité de vie, une meilleure mobilité et de souvent reprendre goût à la vie. Alors, dans notre maison de soins palliatifs, on a eu des gens qui sont repartis chez eux, parce qu'ils étaient là, en fin de vie, souffrants, ils sont repartis chez eux, et même pas dans des maisons pour personnes âgées, à leur domicile. Tout ce qu'on a fait, c'est soulager la douleur.

Tout ce qu'on fait pour une personne qui a une maladie pulmonaire obstructive, ce qui n'est pas un cancer, quand on donne un peu de morphine, c'est de lui donner la possibilité de manger, de parler, puis de vivre un peu. Alors, c'est bien assez pour avoir le goût de continuer. Alors, je crois que c'est possible. Oui.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes

M. Charette: Merci, M. le Président. Peut-être deux petites questions. Vous vous êtes présentée comme étant présidente de l'Alliance des maisons de soins palliatifs du Québec. Est-ce que vous pourriez nous entretenir un petit peu sur la réalité de ces maisons-là, leur nombre, leur disposition géographique, leur réalité financière aussi, à savoir comment sont-elles financées?

On apprenait un petit peu plus tôt ce matin, et plusieurs ont été surpris avec raison, que bon nombre de médicaments, lorsqu'utilisés hors des centres hospitaliers, ne sont pas financés. La médication que vous utilisez dans vos maisons l'est-elle? Bref, peut-être nous dresser un petit portrait de votre réalité de maisons de soins palliatifs.

Mme Minguy (Danielle): D'accord. Alors, je ne vous ai pas présenté le mémoire au nom de l'Alliance des maisons de soins palliatifs parce que le délai trop court ne nous a pas permis de se rencontrer. On est aux quatre coins du Québec, mais je peux vous parler de la réalité des maisons de soins palliatifs, notre maison de soins palliatifs à nous étant ouverte depuis 21 ans, alors, à Baie-Comeau.

Les maisons de soins palliatifs au Québec présentement, il y en a 21 d'ouvertes et il y a 33 projets en tout de maisons de soins palliatifs. La réalité dans nos maisons, voyez-vous, nous n'avons... les maisons de soins palliatifs n'ont un statut légal que depuis quelques années et reçoivent un agrément du ministère depuis 2008 pour pouvoir fonctionner, un agrément qui assure la qualité des soins dans les maisons de soins palliatifs.

Les maisons de soins palliatifs sont subventionnées avec le programme des organismes communautaires, le programme SOC, qui donne aux maisons de soins palliatifs un montant de 55 000 $ par lit, soit environ 60 % du coût des soins, et ceci évalué à peu près en 2005. Et les maisons de soins palliatifs doivent beaucoup compter sur la philanthropie pour aller chercher le reste de leur budget.

Maintenant, ce qui est très important de savoir, c'est que les maisons de soins palliatifs, conformément à la politique de soins palliatifs, donnent leurs services aux malades gratuitement.

Par contre, quand on parle de médicaments, et c'est sur ce propos que vous vouliez m'amener, les gens qui sont dans les maisons de soins palliatifs sont considérés comme s'ils étaient à domicile. Donc, tout ce qui est fournitures médicales, là vous parlez de médicaments, mais ce n'est pas parfois ce qui coûte le plus cher aux gens. Alors, si on pense, par exemple, pansements, tubulures pour donner des gavages, même les liquides de gavage, ce qu'ils doivent prendre pour s'alimenter avec plus de protéines, tout ça, les gens doivent le payer.

Alors, dans notre maison de soins palliatifs, nous, on est vraiment chanceux, on a fait une entente de partenariat avec notre CSSS, qui nous fournit une quantité importante de ça. Et il arrive parfois même qu'on doive trouver des donateurs pour payer... Même les gens qui sont inscrits sur la RAMQ ou qui ont des assurances, à un moment donné, là, ils n'arrivent plus à payer la quote-part qu'ils doivent payer. Donc, on trouve des donateurs pour payer ça, voyez-vous?

Parce que, on le sait, la maladie, la maladie grave appauvrit les familles, la phase palliative les appauvrit encore plus. Parce que non seulement la personne qui est malade a des pertes de revenus, mais les aidants naturels, eux, ont aussi des pertes de revenus. Alors, il faut penser, quand on pense subventionner tout ça, qu'en soins palliatifs on a une personne à traiter qui est le malade, mais ce malade-là fait partie d'une famille, et cette famille-là vit quelque chose, et, si on ne prend pas en compte ce que vivent les familles, on risque d'avoir dans le futur des problèmes importants.

Est-ce que j'ai répondu, monsieur? Oui?

M. Charette: Parfaitement. C'est gentil. Merci.

Mme Minguy (Danielle): O.K.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe: Merci, M. le Président. Merci beaucoup. Mon collègue a posé une question que j'avais notée, alors ça nous éclaire beaucoup. Je pense qu'on va avoir à regarder tout cet aspect-là. Je pense qu'il y a un développement là à essayer de faire progresser.

Quand vous dites: Mourir dans la dignité, oui, mais, avant tout, vivre dans la dignité, et que vous nous dites que, dans certains centres hospitaliers, par exemple, il n'y aurait qu'un ou deux lits en soins palliatifs, qu'en est-il dans votre région, mais qu'en est-il aussi dans les maisons de soins palliatifs? Est-ce qu'il y a beaucoup d'attente? Est-ce que vous manquez de places?

Mme Minguy (Danielle): Vous êtes là sur un sujet qui est beaucoup plus administratif. Vous savez, au niveau du ministère, par exemple, il y a, si vous voulez... je ne dirais pas que c'est une règle, mais un chiffre entendu par rapport au nombre de soins palliatifs par quantité de population, voyez-vous? Alors, ce sont des chiffres. Et là, sur les chiffres, moi, je ne suis pas du tout une spécialiste, voyez-vous? Ce sont des chiffres qui ont été déterminés à partir d'études qui ont été faites dans d'autres pays, si vous voulez.

Mais, quand on arrive à un nombre de lits nécessaires dans une région ou dans un endroit, c'est important de prendre en compte aussi beaucoup d'autres aspects. Voyez-vous, à Montréal par exemple, si on dit qu'on a besoin de... je pense que c'est un lit par 55 000 de population, ou 10 lits par... En tout cas... Je ne suis pas bonne. Mais, vous savez, vous allez les trouver, les chiffres, là. Bien, à Montréal, les gens étant concentrés, c'est possible de concentrer des unités. Je vais vous parler un peu des régions, parce que les gens ont droit d'avoir des soins palliatifs partout.

Voyez-vous, nous, on dessert... notre maison de soins palliatifs dessert des Escoumins jusqu'à Baie-Trinité, voyez-vous? C'est donc un très grand territoire. Alors, si on pense, par exemple, au niveau de la population, notre maison à sept lits, on en a beaucoup trop pour la population, mais on a un taux d'occupation de près de 80 %. Voyez-vous?

Donc, un nombre de lits, c'est important, madame. Mais ce qui est important surtout, c'est d'avoir, autour des lits, ce qui va avec, c'est-à-dire des programmes de soins palliatifs, des gens formés en soins palliatifs et la possibilité de les faire, les soins palliatifs. Parce que... à un moment donné, quelqu'un disait: Ah! On a... Notre fondatrice disait, là: Un lit de soins palliatifs, ce n'est pas juste une chambre décorée. O.K.? C'est toute une philosophie qui est en dessous de ça. Et je vous assure que c'est tout un défi, parce que, moi, je...

Vous savez, là, je travaille en maison de soins palliatifs, mais j'ai travaillé dans les hôpitaux aussi, et je crois que les gens donnent des bons soins. Mais, quand on a un lit de soins palliatifs dispersé à travers... dans une unité de soins aigus, bien c'est très difficile, là, d'avoir une philosophie de donner des soins puis de donner à cette personne-là et à cette famille toute l'attention dont ils ont besoin. Alors, je crois que là il y a encore beaucoup de travail à faire.

Mme Lapointe: Je vous remercie, madame.

Le Président (M. Kelley): Oui, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Il y a un élément très intéressant dans votre propos, c'est toute la question du lien de confiance entre le patient, le médecin et le fait que... des fois les proches, des fois le médecin aussi, parce que tous les médecins n'ont pas la formation, la même attitude, ont des réserves à dire, à mettre des mots sur les choses, à dire ce qu'il en est. Des fois, ils sont l'objet de pressions pour ne pas dire: Dites surtout pas à mon père... Bon, tout ça. Vous pensez que ça passe par quoi, d'améliorer...

Est-ce que c'est la formation universitaire, par exemple, des médecins qui est déficiente? Je pense d'ailleurs, en passant, que les infirmières ont un grand rôle de... je dirais, elles viennent beaucoup arrondir peut-être les coins dans ça, quand il y en a dans... puisque... quand il y a une équipe, je pense que c'est une force, parce que les forces des uns et des autres se côtoient, mais tout le monde ne bénéficie pas de ça.

Selon vous, c'est quoi? Est-ce que c'est la formation universitaire? Est-ce que c'est plutôt qu'ils devraient avoir une spécialisation en soins palliatifs? Est-ce que c'est des gens qui devraient avoir des aptitudes particulières?

**(16 h 50)**

Mme Minguy (Danielle): Moi, je crois qu'avec ce qui vient dans le futur, la formation en soins palliatifs pour tous les intervenants devrait être de base.

Là, vous parlez des médecins, mais je dois vous dire aussi, pour enseigner aux infirmières, que les infirmières ne reçoivent peu ou pas de formation en soins palliatifs. Je vous dirais... de base, voyez-vous? Si jamais elles sont intéressées, bon, là, vous parliez de niveau universitaire, là... par exemple, au niveau des techniciennes, là, on sait que de plus en plus, là, parfois, les infirmières, il y en a de moins en moins qui vont vers le baccalauréat. Alors, il y a beaucoup de techniciennes... dans leur formation, il y a très peu de temps accordé à parler des soins palliatifs. Alors, il n'y a pas de formation de base pour tout ça, et je crois que, pour les médecins, c'est vraiment de vouloir se former en soins palliatifs. C'est de leur volonté que dépend le fait qu'ils sont formés ou non, je crois, j'en n'ai pas la certitude. Voyez-vous? Parce que les médecins dans notre région n'ont pas de formation en soins palliatifs, n'ont pas reçu de formation.

Mme Hivon: O.K. Merci. Vous pouvez compléter si vous voulez.

Mme Minguy (Danielle): J'ai le chiffre pour les lits, j'ai eu une aide, un ange est venu m'aider: 50 lits par 500 000. Bon, moi, je disais 10... 50 lits par 500 000.

Mme Hivon: Je reste sur la relation entre le patient et l'équipe qui le traite en fin de vie. Tantôt, vous avez dit que les gens vont finir par trouver les moyens quand ils veulent vraiment mourir puis vous avez... il y en a des plus drastiques, mais je comprends il y en a des plus doux. Vous avez fait référence à quelqu'un qui, on pourrait penser, ne souffrait pas, mais disait qu'il souffrait pour pouvoir avoir des doses plus fortes, et tout ça. Je peux imaginer la chose, les gens doivent être créatifs.

Est-ce que de telles pratiques, selon vous, ça nuit un peu au lien de confiance patient-médecin de part... ça peut être de part et d'autre, hein? Le médecin va pas oser... dire certaines choses parce qu'il connaît le patient qui est en face de lui puis il se dit: Oui, ça, c'est une tête dure, puis il va me demander des choses difficiles. Et même chose pour le patient qui risque de ne pas dire toute la vérité alors... au médecin, mais ça peut être à toute l'équipe, là, c'est beaucoup les infirmières qui sont en première ligne.

Donc, c'est une question que j'avais, ça, depuis hier: Comment ça peut influer sur la bonne relation entre l'équipe et le patient?

Mme Minguy (Danielle): Je vais d'abord vous parler de la relation entre le malade et le médecin, et après avec l'équipe. Je vous ai parlé du temps dans mon document. Le temps, c'est quelque chose de très important et, bon, je ne peux pas parler pour tous les milieux, mais, voyez-vous, là, je connais beaucoup de gens, je rencontre beaucoup de gens, je travaille dans plusieurs comités, et on nous dit: Bon, bien, beaucoup de gens n'ont pas de médecin de famille, beaucoup de gens se promènent d'un médecin à l'autre. Quand ils ont des symptômes, ils se retrouvent à l'urgence. Ce n'est pas à ce moment-là qu'on a beaucoup le temps de créer un lien de confiance. Voyez-vous?

Alors, nous, parfois on se dit: On est chanceux, là, dans notre maison de soins palliatifs: quand le médecin entre dans le bureau, on se met devant la porte, il ne peut pas se sauver. Mais, parfois, les médecins ne prennent pas beaucoup de temps auprès de leurs malades, puis, comme infirmière aussi, je vois souvent, après que le médecin est passé, le malade, il dit: Bien, il m'a dit plein d'affaires, mais je n'ai rien compris, là. Puis, il faut reprendre cette relation-là avec lui. Donc, quand...

Et je dois vous dire que, quand le malade dit à son médecin qu'il est souffrant ou que la famille dit au médecin que le malade est souffrant, le médecin dit que le malade est souffrant. Voyez-vous? Et puis, en même temps, c'est très important, vous savez, on dit: La douleur est ce que le malade dit ce qu'elle est. Voyez-vous?

Alors, moi, qui connais bien les soins palliatifs... vous savez, si j'étais en fin de vie puis si j'étais tannée, je sais comment faire. Oui, madame.

Mme Hivon: Oui, c'est ça. Merci.

Mme Minguy (Danielle): Oui, mais il y a en même temps des moyens qui nous disent que le malade en a trop. Voyez-vous? Oui, c'est ça. Mais le lien de confiance est quelque chose de très, très, très important.

Mme Hivon: C'est ça. Puis, c'est pour ça que je me dis: Est-ce que, nous, ça devrait être un élément qu'on considère si des personnes, un peu pour faire suite à ce que le député d'Orford disait, elle sont tellement désespérées en fin de vie parce qu'on n'accède pas à leur demande, donc ils se mettent à trouver des stratagèmes pour dire: Je vais l'avoir indirectement, ce que je veux. Donc, moi, je pense que ça peut nuire à la relation donc, c'est ça qui m'habite un peu. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire merci beaucoup, Mme Minguy, pour votre présentation, votre expérience, le fait que vous venez des régions et donner une voix des régions.

Sur ça, je vais mettre fin à la partie publique de notre semaine. Alors, je vais ajourner nos travaux au 8 mars.

Cependant, on a une séance de travail qui va commencer dans quelques instants. Donc, on va donner congé à M. Bureau. Alors, bon week-end tout le monde, et on va rester ici pour faire une courte séance de travail.

(Fin de la séance à 16 h 55)

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