(Neuf heures trente et une minutes)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Bonjour, tout le monde. Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de
la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de
vie ouverte.
La commission est réunie virtuellement aujourd'hui
afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur l'évolution
de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Non, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Aussi, j'aimerais avoir le consentement de tous pour permettre au député
de Chomedey de participer à la séance. Consentement, Mme la secrétaire.
Auditions (suite)
Donc, cet avant-midi, nous entendrons par
visioconférence les groupes et témoins suivants : la Fédération des
médecins omnipraticiens du Québec, L'Association des groupes d'intervention en
défense de droits en santé mentale du Québec et la Fédération
interprofessionnelle de la santé du Québec.
Donc, sans
plus attendre, nous accueillons nos deux premiers invités : la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec,
représentée par le Dr Louis Godin, président, et le Dr Claude Rivard,
président de l'Association des médecins omnipraticiens Richelieu—Saint-Laurent.
Bienvenue et merci d'être avec nous, messieurs, ce matin.
Donc, vous disposez de 10 minutes pour nous
présenter votre exposé et, par la suite, il y aura un échange avec les membres
de la commission. Donc, sans plus tarder, messieurs, je vous cède la parole.
Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ)
M. Godin (Louis) : Merci beaucoup,
Mme la Présidente. Je tiens d'abord à vous remercier, ainsi que Mmes et MM. les
députés, là, de nous donner l'occasion de vous exprimer notre position
concernant la consultation que vous menez dans le cadre de la Commission
spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Comme vous l'avez mentionné, je suis accompagné
du Dr Claude Rivard, qui est un médecin de famille. Le Dr Rivard est président de l'Association des médecins de Richelieu—Saint-Laurent, membre du conseil
d'administration de la fédération, mais aussi un médecin qui a été très
impliqué dans l'administration des soins... de l'aide médicale à mourir au
cours des dernières années.
Comme mentionné dans notre mémoire au tout
début, les médecins de famille sont probablement les professionnels les plus
impliqués dans l'aide médicale à mourir, plus de 85 % des aides... de
l'administration d'aide médicale à mourir au cours des... depuis
l'autorisation, il y a maintenant un peu plus de cinq ans, sont des médecins de
famille. Donc, les médecins de famille occupent une place très importante dans
ce secteur-là.
Nous allons aujourd'hui vous partager nos avis
concernant les deux questions que vous nous soulevez, soit l'élargissement de
l'aide médicale à mourir aux personnes en situation d'inaptitude ainsi que
l'élargissement de l'aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème
médical est un problème de santé mentale. Au-delà de notre position comme telle
sur ces deux sujets-là, nous aurons des commentaires plus spécifiques en lien avec
ces deux situations-là.
En ce qui concerne l'élargissement de l'aide
médicale à mourir aux personnes en situation d'inaptitude, d'entrée de jeu,
nous vous signalons que nous sommes d'accord avec les modifications
législatives qui ont été apportées en juin 2021, suite à un consensus
exprimé par l'ensemble des parlementaires en vue de modifier la Loi concernant
les soins de fin de vie afin de permettre l'administration de l'aide médicale à
mourir aux personnes en fin de vie devenues inaptes à consentir.
Notre fédération est d'accord pour que nous
allions plus loin que ça. Nous sommes favorables à étendre la possibilité
d'aide médicale à mourir à l'ensemble des personnes inaptes, c'est-à-dire que
nous serons favorables à ce que les Québécois, même s'ils ne sont pas en fin de
vie, puissent, à l'avance, sans limite de temps, à l'intérieur de directives
médicales anticipées, pour toute condition incluant les troubles
neurocognitifs... stipulent par écrit leurs volontés en prévision de leur
inaptitude possible à venir.
Naturellement, pour
procéder dans cette perspective-là, il y a certains éléments qui nous
apparaissent importants cependant de baliser. D'abord, c'est que toutes les
considérations entourant cette ouverture à l'aide médicale à mourir doivent être
fondées essentiellement et uniquement sur la volonté du patient et non pas sur
celle d'un tiers. Cette inaptitude devra être constatée par une équipe
soignante de façon totalement indépendante, sans influence extérieure. Et cette
évaluation finale pour déterminer l'inaptitude en fonction des critères qui
auraient été déterminés par le patient antérieurement
doit être le fruit d'une mécanique claire, indépendante des intérêts des ayants
droit, par exemple. L'évaluation finale attestant du respect des critères
pourra naturellement se faire par le médecin
traitant, mais pourrait aussi être essentiellement confiée à une autre équipe
de médecins en s'assurant, naturellement, que le médecin traitant puisse
être consulté dans ces cas-là.
Nous
soulignons également que le médecin qui administre le protocole médicamenteux
puisse le modifier si le patient inapte a un comportement qui pourrait
supposer un refus ou qui rendrait son consentement antérieur incertain.
En ce qui concerne
l'élargissement aux personnes souffrant d'un trouble de santé mentale
seulement, nous sommes également d'accord avec cette modification-là.
Cependant, pour nous, un cadre spécifique d'application devrait s'appliquer
au-delà des règles actuelles, et là on entend par là deux éléments :
un, qu'une évaluation soit faite par deux médecins psychiatres pour
déterminer de l'éligibilité d'un patient à recevoir l'aide médicale à mourir,
que la période d'évaluation soit suffisamment longue pour permettre de
s'assurer que l'évaluation est la plus objective, et, si un médecin de famille
était un des médecins traitants de ce patient-là, qu'il puisse être consulté.
Nous réitérons
également que, dans les deux cas où il y aurait élargissement de la loi
permettant l'admissibilité à l'aide médicale à mourir, que les médecins qui
l'administreront... parce qu'encore... comme c'est actuellement le cas, une
grande majorité de patients qui recevront l'aide médicale à mourir le seront
par un médecin qui, souvent, n'est pas le médecin traitant de ces patients-là,
donc que les médecins qui l'administrent devraient avoir nécessairement le
support nécessaire pour faire leur travail.
Donc,
en terminant, si je reprends les principales recommandations quant à
l'inaptitude, on est... la fédération est d'accord que les Québécois puissent bénéficier de l'aide médicale à
mourir, même s'ils perdent leur aptitude à y consentir avant son
administration, que les Québécois puissent, à l'avance, même s'ils ne sont pas
en fin de vie, sans limite de temps et à l'intérieur des directives médicales
anticipées, pour toute condition, incluant les troubles neurocognitifs stipulés
par écrit, en prévision de leur inaptitude future... que les considérations
entourant l'administration de l'aide médicale à mourir en situation
d'inaptitude soient fondées sur la volonté du patient et non pas sur celle de
tierces personnes, que l'inaptitude d'une personne soit constatée en fonction
d'une mécanique claire qui respecte les choix de celle-ci par une équipe
soignante indépendante, que l'évaluation finale attestant du respect des
critères par la personne puisse être faite par un autre médecin que le médecin
traitant et finalement que le médecin qui administre le protocole médicamenteux
puisse le modifier si le patient inapte développe un comportement qui pourrait
supposer un refus ou qui rendrait son consentement antérieur... À ce sujet-là,
le Dr Rivard, durant la période de questions, pourra être beaucoup plus
explicite sur... par des exemples précis.
Finalement, pour ce
qui est des troubles mentaux, que l'aide médicale à mourir soit admissible aux
personnes dont le seul problème médical est un trouble mental, que les demandes
d'aide médicale à mourir faites par des personnes atteintes d'un trouble mental
soit l'objet d'un cadre spécifique d'évaluation et d'application dans lequel
l'expertise d'au moins deux psychiatres est mise à contribution, que, le cas
échéant, le médecin de famille traitant puisse être consulté. Et nous réitérons
qu'en aucune circonstance le médecin ne puisse être obligé de procéder à l'aide
médicale à mourir.
Voilà, Mme la
Présidente, succinctement, les commentaires que la Fédération des médecins
omnipraticiens du Québec voulait vous livrer en regard de cette consultation
sur l'élargissement de l'aide médicale à mourir. Et je vous remercie de votre
attention, et nous sommes naturellement disposés à répondre à vos questions.
Merci.
• (9 h 40) •
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Donc, nous allons maintenant
procéder à la période d'échange avec les parlementaires, en débutant par le
député de Rosemont.
M. Marissal :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, tout le monde. Merci, Drs Godin et
Rivard, pour votre présentation, qui est
claire, concise et explicite. Là, vous avez ouvert la porte, Dr Godin, à
ce que Dr Rivard nous donne des exemples. Je vais l'inciter à le
faire. Mais, d'abord, je vais vous poser une question.
Tout ce que vous
dites, évidemment, quant à votre ouverture pour des patients devenus inaptes,
c'est après, je présume, un diagnostic. Ce qui exclurait, par exemple, des AVC,
traumatismes crâniens ou autres. Mais je ne veux pas vous mettre des mots dans
la bouche, là. Est-ce qu'on part d'un diagnostic dans votre thèse?
M. Godin
(Louis) : Non. La discussion que nous avons eue et que nous avons
partagée avec nos membres, ça pourrait même être avant un diagnostic.
M. Marissal :
O.K. donc AVC, traumatisme...
M. Godin (Louis) : AVC, traumatisme crânien sévère, etc.
Naturellement que ça impliquerait nécessairement que les conditions
d'application, si on veut, la... ce qui... alors, que le patient décrirait dans
quel état précis il veut se retrouver en cas d'inaptitude pour qu'il puisse
recevoir l'aide médicale à mourir pourrait être nécessairement précisé de façon
très, très claire, et c'est probablement un petit peu plus difficile de façon
prospective dans des situations comme celles-là que si vous avez déjà un
diagnostic d'une maladie neurologique dégénérative, par exemple.
M. Marissal : Oui, mais vous savez probablement, pour avoir
suivi nos travaux, que vous êtes un des rares groupes témoins à aller
là. C'est intéressant, je vous entends, puis ça fera partie de nos réflexions,
j'en suis sûr. Maintenant, j'ai très peu de temps, puis vous avez grandement
ouvert la porte au Dr Rivard, alors je ne vais même pas poser la question, je
pense que vous savez où je m'en vais, Dr Rivard. S'il vous plaît, nous donner
les exemples que justement... dont vous parliez.
M. Rivard
(Claude) : Mais, tant que... Bon, d'abord, moi, j'ai... l'aide à
mourir, j'ai participé à la première qui s'est faite en décembre 2015, ça
faisait deux heures que la loi était votée, là, acceptée par l'Assemblée
nationale, et puis j'ai fait plusieurs centaines de procédures, j'ai plusieurs
fois donné le soin dans toutes les conditions possibles. C'est sûr que, dans la
dernière année, ça a été plus dans un cadre à la maison, parce que les gens
voulaient plus mourir à la maison qu'en établissement. Ça fait que j'ai eu à
être confronté à plusieurs situations différentes, différents diagnostics,
autant... bien, surtout du cancer, parce que c'est presque 70 %, 75 %
des demandes, là, mais depuis que le jugement Baudouin a été rendu, maintenant,
à cette heure, la personne n'a plus besoin d'être en... dans un... Le critère
d'éligibilité de soin de vie n'a plus besoin d'être là.
Si vous ouvrez la porte à quelqu'un qui risque,
dans un futur immédiat ou à court terme — à court terme, c'est dans
l'année, l'année et demie — de
devenir inapte, qui a déjà un diagnostic de démence qui est avancée puis qu'on
sait que la personne, elle s'en va vers un stade de démence, ça peut être plus
facile à considérer de la même manière dont quelqu'un qui a un cancer
stade 4, mettons, mais vous avez des exemples qui ont été publics, où les
gens ont un diagnostic de maladie neurodégénérative qui évolue, et qui vont se
faire dans plusieurs années avant que le critère d'éligibilité dit : Je ne
suis plus capable de reconnaître mes enfants, je voudrais recevoir l'aide à
mourir ou, si je ne suis plus capable de marcher, je suis couché dans un lit,
et puis je ne suis plus capable de m'habiller, de me laver, d'aller à la
toilette seul, moi, je voudrais recevoir l'aide à mourir. Chaque personne a une
manière de voir comment il voudrait avoir des soins de fin de vie prodigués.
Mais le défi avec lequel on se retrouve, c'est que les problèmes de fin de
vie... d'abord, tout le monde va avoir une fin de vie, c'est très démocratique,
la fin de vie, hein? tout le monde va en avoir une. Et à cause que tout le
monde va en avoir une, les gens, ce qu'on leur demande, c'est de choisir la
manière dont ils veulent quitter ce monde. Et, si un patient est cardiaque,
hypertendu, diabétique... tous ces gens-là sont à risque de développer des
problèmes d'embolies, embolies cérébrales, l'AVC, des choses comme ça. Et ça,
ça peut les amener vers ce qu'on appelle une... on a plusieurs types de
démences, mais il y a une démence qu'on appelle la démence vasculaire. Il y a
certaines maladies comme la Parkinson qui, à la fin, dans les derniers stades
de la maladie, il y a des problèmes cognitifs qui peuvent s'installer. Tous ces
gens-là... au-delà du cancer, tous ces gens-là ont un potentiel de demander
l'aide à mourir avec des critères qu'ils auront eux-mêmes décidés.
Là, vous entrez dans un... c'est un panier de
crabes qui vient de s'ouvrir, parce que vous avez quelque chose qui va
s'établir, pas sur une question de jours ou de mois, comme des cancers en phase
terminale, mais d'années. Et on risque d'avoir un problème au niveau du suivi
médical. Il faut absolument que la manière dont la demande a été faite soit
enregistrée, idéalement en rajoutant une autre directive médicale anticipée,
idéalement avoir l'avis qui... ou la demande du patient, qu'il soit filmé
avant, devant le professionnel de la santé qui va décrire au patient : Là,
vous allez me dire exactement qu'est-ce que vous voulez avoir comme soins de
fin de vie.
Tu sais, quelqu'un qui arrive, qui dit :
Moi, si je ne suis plus capable de reconnaître mes enfants quand je vais
devenir dément, là, je veux avoir l'aide à mourir, O.K.? La question,
c'est : O.K., si vous êtes capable de reconnaître encore un de vos trois
enfants, est-ce que vous voulez avoir l'aide à mourir quand même? Là, on ouvre
un débat, là, à savoir : On le sait que le patient va un jour oublier son
troisième enfant qui était plus son aidant naturel, mais est-ce qu'il veut
avoir l'aide à mourir donnée dans ce cadre-là? Comprenez-vous?
C'est... Alors là, on a des évaluations qui
doivent être faites sur... bien faites initialement, et, si moi, un jour, je
prends ma retraite ou moi-même, je meurs, et c'est moi qui a évalué le patient,
et c'est moi qui a obtenu sa demande avec un consentement éclairé, mais moi, je
ne suis plus là dans cinq ans ou 10 ans, et là il faut donner le soin,
bien, le médecin qui va donner le soin, lui, il veut être sûr que le
consentement a vraiment été éclairé quand il a été demandé et les conditions
dans lesquelles le patient demande d'avoir l'aide à mourir sont remplies telles
qu'il les a exprimées quand que lui était apte.
Alors, on a besoin de quelque chose qui est
comme central, qui va faire en sorte que ces demandes-là vont être ou enregistrées
et/ou il va y avoir des critères stricts, à savoir : Moi, je veux avoir
l'aide à mourir quand je ne serai plus capable de faire telle, telle, telle
chose. Comprenez-vous? Et il faut que cinq ans plus tard, 10 ans plus
tard, le médecin soit capable de dire : Les conditions sont remplies.
M.
Marissal : Je comprends. Je vous remercie. Je n'ai plus de temps, Dr Rivard. Merci pour la réponse, Dr
Godin, également. Merci, Mme la Présidente.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup. Nous allons continuer les échanges avec la députée
de Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour à vous deux. Merci beaucoup d'être là. J'ai aussi, moi aussi, autour de
quatre minutes, mais j'aurais beaucoup, beaucoup de questions. Dr Rivard, quand
on a eu un forum, en janvier 2020, organisé par la ministre de la Santé, sur
toute cette question de l'inaptitude et de l'aide médicale à mourir, je me
souviens que vous vous étiez levé, vous aviez fait une intervention très
pertinente en disant : Moi, j'en fais, de l'aide médicale à mourir, mais
est-ce que je vais être à l'aise de pousser la seringue, si je reprends vos
mots, avec un patient à mes côtés qui n'est pas là pour le demander, qui n'est
plus apte à le demander?
Et donc, aujourd'hui, j'aimerais vous entendre
sur le niveau de confort de vos collègues et si vous pensez qu'il va y avoir beaucoup
des médecins, au sein de votre fédération, qui vont être confortables pour
administrer l'aide médicale à mourir à des personnes qui ne sont pas aptes à le
demander.
M. Godin (Louis) : Si vous...
• (9 h 50) •
Mme
Hivon :
Oui.
M. Godin (Louis) : Je me permets de
parler au nom de l'ensemble des médecins. Vous savez, Mme Hivon, vous
étiez là, lors de la première vague, appelons ça comme ça, là — ce
n'est peut-être pas un bon terme à propos ce matin, mais... — et on
se posait un peu cette question-là : Est-ce qu'on aurait des médecins qui
seraient prêts à? Et finalement on s'aperçoit aujourd'hui que c'est un service
qu'on a rendu accessible à la grandeur du Québec et on a quand même un nombre
significatif de médecins qui administrent l'aide médicale à mourir. On pense
que, s'il y a élargissement et si, naturellement, la mécanique pour connaître
les critères, là, d'inaptitude sont bien balisés, un peu comme le Dr Rivard
vous l'exprimait, on aura des médecins qui seront prêts à administrer l'aide
médicale à mourir pour répondre à cette demande-là. Est-ce que ce sera tous les
médecins qui en font actuellement? Ça, sûrement que non, je veux dire, mais, en même temps, nous, on pense qu'on aura les
médecins qui accepteront d'administrer. Mais, je le répète, ça repose
beaucoup sur comment ce sera balisé, ce sera encadré. Il ne faut pas qu'il y
ait de doute dans la mécanique d'évaluation,
sur le fait que la volonté que le patient a exprimée a bien été tenue en compte
à l'intérieur de ça.
À partir de
ce moment-là, les consultations que l'on a eues et les échanges qu'on a eus
avec nos membres nous laissent croire
que, sans beaucoup de doutes, là, qu'il y aura suffisamment de médecins pour
répondre à cette demande-là.
Mme
Hivon : Puis vous
n'avez pas... merci, Dr Godin. Vous avez bien exposé les difficultés de trouver
l'adéquation parfaite entre les volontés
exprimées quelques années avant et le moment venu d'exercer l'aide
médicale à mourir.
Vous n'avez pas parlé, dans votre présentation,
de la notion de souffrance. Donc, j'étais curieuse de savoir comment vous la faites entrer en jeu. Évidemment,
c'est un critère de l'article 26. Est-ce que, dans votre optique,
seuls les critères... c'est-à-dire, les éléments qui sont donnés à l'avance
doivent être suivis, et donc le médecin doit exécuter la demande si c'est je ne reconnais plus mes proches,
si c'est quand je deviens incontinente, si c'est quand je commence à
faire de l'errance, sans évaluation de la souffrance ou vous devez, dans votre
optique, évaluer la souffrance?
M. Godin (Louis) : Bien, écoutez, je
laisserai peut-être Dr Rivard compléter là-dessus, mais, lorsque... Évaluer la
souffrance de ces gens-là au moment où ils sont rendus inaptes, c'est quelque
chose de très difficile à l'intérieur de ça, parce qu'on parle d'une demande
anticipée. Je voudrais recevoir l'aide médicale à mourir lorsque je ne
reconnaîtrai plus mes enfants, lorsque je serai incontinent, etc. Je présume...
Si je fais ça, c'est que je présume que j'aurai une souffrance à ce moment-là.
Mais ça, c'est la grande question qu'on a
toujours eue. Quel est le degré réel de souffrance d'une personne lorsqu'elle
est rendue inapte à l'intérieur de ça? Parce que lorsqu'on fait une demande
anticipée d'une telle condition, c'est que moi, si je fais cette demande-là, je
présume que, quand je vais être dans cette condition-là, j'aurai une souffrance
qui sera, pour moi, insupportable. La grande difficulté, c'est qu'on n'a jamais
pu évaluer justement quel est le degré de souffrance d'une personne inapte,
parce que ses propos et ses réflexions sont naturellement teintés par sa
condition. Donc, ça, c'est un enjeu qui va toujours demeurer et pour lequel on
n'a pas de réponse à l'intérieur de ça.
Et un des éléments qu'on mentionnait dans notre
mémoire, qu'on disait : Il faut que le protocole puisse être ajusté si, à
la toute fin, le patient aurait un comportement qui peut laisser planer un
doute sur son consentement. Et Dr Rivard pourra compléter, parce que c'est un
commentaire qu'il nous apportait souvent, comme d'autres médecins, j'ai un
patient qui est inapte, je m'apprête à administrer l'aide médicale à mourir, il
a un comportement physique de retrait, il retire son bras ou, je veux dire, il
devient un peu plus agité, est-ce que c'est parce qu'il refuse de consentir ou
est-ce que c'est un autre élément, là, qui pourrait provoquer cette chose-là?
Donc, la question que vous soulevez,
Mme Hivon, elle est excessivement difficile à répondre, et, honnêtement,
je ne prétends pas avoir... pouvoir vous éclairer énormément là-dessus. Puis je
ne sais pas s'il y a beaucoup de scientifiques qui pourront vous éclairer
là-dessus, sur la souffrance d'une personne inapte, comment elle, elle l'évalue
alors qu'elle est inapte.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, c'est tout le temps que nous avions. Nous allons passer à un
nouvel intervenant avec la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Bonjour,
M. Godin, bonjour, Dr Rivard.
M. Rivard (Claude) : Bonjour.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vais
poursuivre sur... la députée de Joliette. Vous recommandez que le médecin qui
administre le protocole médicamenteux puisse le modifier si le patient est
inapte à développer un comportement qui pourrait supposer un refus ou qui
rendrait son consentement antérieur incertain. Pouvez-vous préciser les
situations auxquelles vous faites référence à l'intérieur de ces
recommandations?
M. Godin (Louis) : Je vais laisser
le Dr Rivard vous exposer ça, Mme la députée.
M. Rivard (Claude) : Au niveau
pratico-pratique, quand il y a une prestation d'un soin d'aide à mourir sur un
patient, quand le patient est en fin de vie, il est apte, il va... on est
obligé de lui demander deux fois avant de lui donner
le soin : Monsieur, madame, êtes-vous sûr que c'est aujourd'hui que vous
voulez partir? Et, s'il nous dit oui, on va ouvrir la trousse, on va sortir nos
médicaments.
Avant de donner le médicament... Le médicament,
le protocole, au Québec, est intraveineux. Ailleurs, au Canada, on a... on peut
avoir un choix d'avoir une médication qui est autoadministrée, qui est liquide,
mais, au Québec, le soin ne se donne qu'intraveineux, donc dans des veines. Il
n'y a personne qui se promène avec des accès veineux continus, sauf des gens
qui ont des «port-a-cath», là, qui ont déjà des accès qui leur ont été donnés
sur de la chimio, là. Mais, en gros, ce qu'il faut faire, c'est insérer un
cathéter dans une veine, deux cathéters, parce qu'on a tout le temps un cathéter de backup au cas où quand on fait du
périphérique. Alors là, si le patient, il est apte et il veut avoir le
soin d'avoir l'aide à mourir, il va accepter d'avoir les deux cathéters
d'installés, et puis il va dire oui aux deux fois...
la... deux... les deux fois où je vais poser la question. La deuxième
fois, quand je vais dire : Monsieur, madame, êtes-vous sûr que vous voulez partir là, là, vous
voulez mourir là?, puis ils disent oui la très, très grande majorité du
temps.
Quand quelqu'un est inapte, lui, la
souffrance... il a eu de la souffrance quand il a fait sa demande, mais là le
degré de souffrance, comme l'indique Dr Godin, peut être dur à évaluer.
C'est sûr qu'il y a eu de la souffrance antérieure
et c'est sûr que l'état de ce patient-là amène une souffrance au niveau de la famille, O.K., mais ce patient-là ne se souvient plus
qu'il a demandé l'aide médicale à mourir cinq ans auparavant.
Alors, quand on va vouloir installer les
cathéters, il va réagir, il ne voudra peut-être pas vouloir avoir les
deux cathéters d'installés ou, quand il va y avoir un cathéter d'installé,
il va l'arracher. Est-ce que ça veut dire : Non, je ne veux pas le soin?
Alors, est-ce que ça, ça veut dire qu'on est... Puis la dernière affaire qu'on
veut par rapport à un patient qui est apte, et qui veut avoir le soin d'aide
médicale à mourir, et qui dit : Oui, je le veux, c'est avoir quelqu'un qui
se débat ou encore qu'on soit obligé de contentionner et d'attacher pour
installer les... Je peux vous dire que ça change complètement la manière dont
le soin est donné et ce n'est pas vécu du tout de la même manière par la
famille. On oublie le choix de musique, puis, si tu veux prendre des bulles ou
un porto avant, là, ce n'est pas ça du tout, là, ça devient comme une
exécution. Et ça s'est déjà vécu en Europe, O.K., où les patients ont été
contentionnés, et ça a fini devant les tribunaux.
Et, à cause de ça, si les gens en condition
d'inaptitude ont accès à ce soin-là dans ce temps-là, il va falloir changer le
protocole actuel qui va permettre de faire en sorte de donner une sédation
orale au patient ou encore geler la peau pour faire en sorte que le patient ne
souffre pas à l'insertion du cathéter. Ça suppose qu'on change la recette des
médicaments qui sont donnés avant de donner l'aide à mourir pour éviter d'avoir
à donner le soin dans des conditions qui vont rendre le deuil de la famille
difficile pour tout le monde. Est-ce que c'est clair?
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : C'est
très clair, Dr Rivard. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup. Je céderais la parole à la députée de Saint-François.
Mme
Hébert :
Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Godin et Dr Rivard. J'aime
beaucoup votre intervention, Dr Rivard, par rapport à ce que vous
avez dit, que vous avez été même un des premiers lors de... vous étiez présent
lors de la première administration. Je sens dans votre intervention depuis
tantôt que vous avez des images, vous avez même des histoires, et pouvez-vous
nous dire combien de personnes depuis... en tout cas, que vous avez été témoin,
combien, le nombre à peu près, là, en pourcentage approximatif, de personnes
qui auraient refusé au deuxième consentement, que finalement ils ont décidé de
reporter ça un petit peu plus tard? Est-ce que c'est arrivé à... combien, à peu
près?
M. Rivard (Claude) : Au deuxième
consentement?
• (10 heures) •
Mme
Hébert : Oui,
parce qu'avant cet été, là, ça prenait un deuxième consentement, là, pour... la
personne devait consentir pour qu'on lui administre le soin d'aide médicale à
mourir.
M. Rivard (Claude) : Oui.
Mme Hébert : Oui.
Alors, combien qu'il y en... Est-ce que c'est arrivé que des gens... que
finalement ils ont décidé que non rendu au deuxième, tu sais, juste avant que
vous l'administriez, ils ont dit : Ah non! Je vais attendre encore un peu. Je veux une semaine, reporter deux
semaines. Est-ce que c'est arrivé? Il y a-tu un... Savez-vous, à peu
près?
M. Rivard
(Claude) : La journée où le soin, il faut... où il faut qu'il soit
prodigué, O.K., j'en ai — j'ai donné le soin à plusieurs centaines de patients, là,
O.K. — zéro.
Mme Hébert :
Parfait. C'était...
M. Rivard (Claude) : C'est
arrivé quelques fois que des patients qui avaient fait des demandes d'aide à
mourir, qui avaient eu une deuxième évaluation médicale — c'est
arrivé rarement, et je les compte sur les doigts d'une main — ces
gens-là, ils n'ont jamais été capables de me donner de date. Ça fait que, s'ils
ne sont pas capables de me donner une date, je ne peux pas décider pour eux.
J'ai aussi environ 80 cas qui ont fait les
demandes, ont été évalués comme étant jugés éligibles pour recevoir l'aide à
mourir par moi, mais, quand le deuxième médecin est arrivé pour faire son
évaluation, ces gens-là ont perdu leur aptitude ou,
carrément, ils l'ont demandé tellement tard que toutes les évaluations avaient
été faites au niveau médical, et ils sont morts avant de recevoir le soin.
Alors, ça, j'en ai à peu près 80, de ces patients-là, qui ont... qui sont
décédés ou qui n'étaient plus éligibles selon les anciens critères de la loi.
Mais des gens qui, une fois que je suis rendu dans la chambre, à qui je demande
une deuxième fois : Vous êtes sûr?, c'est là, là, que je veux partir,
zéro.
Mme Hébert :
Parfait. Merci. J'aurais une autre question par rapport à... On sait qu'on est
une population vieillissante au Québec. On entend beaucoup de nos aînés, qui
sont souvent en CHSLD, qu'ils veulent mourir, mais ils n'ont pas nécessairement
un diagnostic, ils n'ont pas une maladie neurocognitive, mais ils se sentent
oubliés. Des fois, on entend ça, que les gens se sentent... qu'ils ont été
oubliés, hein, qu'on ne vient pas les chercher. Ils veulent mourir. Pensez-vous
que... parce que je sais que vous êtes positionnés que ça ne prend pas
nécessairement un diagnostic, éventuellement, parce que, là, avec le critère de
fin de vie qui vient de tomber, pensez-vous qu'on pourrait banaliser la mort puis qu'on pourrait avoir beaucoup plus de
gens qui vont le demander parce que, finalement, la vie... ils n'ont
plus de proches, ils n'ont plus personne autour d'eux, ils ne sentent plus
qu'ils ont leur place dans la société, ils se sentent comme un fardeau?
Pensez-vous qu'on pourrait en arriver à banaliser la mort?
M. Godin
(Louis) : C'est une question
difficile que vous posez. Je pense que c'est une question qui va
demander beaucoup de... une réflexion encore beaucoup plus profonde, comme société,
à savoir comment on accompagne et comment on traite nos gens en fin de vie dans
ces conditions-là, à savoir… Je veux dire, est-ce que c'est l'isolement? Est-ce que
c'est le fait d'être seul, d'avoir perdu… Souvent, ces gens-là vont avoir perdu
leurs enfants, particulièrement pour les gens qui vivent très âgés,
auront perdu leur enfant, vont… C'est leur… tout leur réseau personnel, là, je
veux dire, qui va avoir disparu. Il peut se poser, ce questionnement-là.
Moi, je pense que ça relève beaucoup plus de comment,
je veux dire, on supporte nos gens en fin de vie à l'intérieur, c'est quoi,
leurs conditions qu'on leur donne dans les CHSLD, dans nos résidences pour personnes
âgées, quels sont… l'environnement de vie qu'on leur permet d'avoir accès. Lorsqu'on sera sûrs que toutes
ces conditions-là seront remplies, probablement qu'à ce moment-là on
aura… pourra avoir une idée beaucoup plus objective sur la souffrance réelle
qu'ont ces gens-là par rapport à la… qui fait qu'ils demandent l'aide médicale
à mourir et éviter que ce soit beaucoup plus leurs conditions de vie en général
dans lesquelles ils sont qui motivent cette demande-là plutôt qu'une
souffrance, là, soit psychologique ou physique très, très intense qui pourrait
les motiver.
C'est sûr que c'est un élément... c'est une
question, là, importante que vous soulevez. C'est difficile pour moi de vous
répondre de façon précise. Ce n'est pas un risque zéro. Il y a des risques que
l'on ait... à l'intérieur de ça. Mais, en même temps, si on regarde notre
expérience passée que l'on a eue jusqu'à date avec l'aide médicale à mourir, je
pense qu'une grande majorité d'intervenants conviennent que, finalement, c'est
une bonne décision que l'on a prise comme société de donner à notre population cet
accès-là. Mais il ne faut pas perdre de vue… il ne faut pas que ça devienne
l'exitus principal de notre fin de vie et il faut s'assurer qu'on est bien
capables d'accompagner nos aînés, nos gens qui sont… qui souffrent d'une perte
d'autonomie sévère pour qu'ils puissent avoir des conditions de vie qui sont
acceptables dans les milieux où, souvent, on doit les héberger parce qu'ils ne
peuvent plus rester à la maison, souvent avec beaucoup de solitude parce que
leur réseau social a disparu avec le temps.
Mais, à votre question principale, je dois vous
dire que le risque zéro n'existera pas là-dedans non plus. Mais il faut en être
conscient comme société.
Mme
Hébert : Merci, Dr
Godin. Est-ce qu'il me reste un peu de temps, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Guillemette) : Je
pense que j'ai… on a un autre collègue qui veut intervenir. Merci.
Mme
Hébert : Merci, Dr
Godin, merci, Dr Rivard, pour vos réponses.
M. Rivard (Claude) : Plaisir.
M. Godin (Louis) : Merci, madame.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, je céderais la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci.
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Godin, bonjour, Dr Rivard. C'est très intéressant
de vous entendre, d'entendre des spécialistes aussi en la matière. Vous avez
aussi administré ce soin-là, d'aide médicale à mourir. Moi, je voudrais plus y
aller sur plus au niveau du cadre légal, parce que vous faites une
recommandation au niveau déontologique et organisationnel, qu'il soit adopté
pour permettre aux personnes qui ne sont pas en fin de vie de pouvoir faire une
demande d'aide médicale à mourir advenant une perte de leur aptitude dans un
futur lointain. On sait que vous en avez parlé tout à l'heure, c'est quand même
assez difficile à ce niveau-là. Mais, au niveau déontologique, quelles
évolutions, modifications devraient, selon vous, être apportées à la pratique
des médecins dans ce cadre-là?
M. Godin (Louis) : Je vous dirais,
je vais laisser le Dr Rivard compléter, mais moi, brièvement, je vous dirais,
par rapport à ça, c'est qu'une fois qu'on aura pris la décision de qu'est-ce
qui, maintenant… jusqu'où on peut aller, il faut que les règles soient claires
et qu'elles soient connues des médecins, et ça, rapidement, avec le moins d'équivoque possible, que
ce soit sans équivoque à l'intérieur de ça. Et la même chose, je vais dire,
pour les obligations déontologiques que l'on aura comme médecins à
l'intérieur de ça.
On sait qu'actuellement, par exemple, là, je
vais dire, l'homologation de mandat d'inaptitude peut prendre, des fois, des
délais, là, qui sont relativement importants. Si on en fait, je vais dire, un
élément important dans ce qui permet l'administration de l'aide médicale à
mourir, il faut que les modifications, il faut que le cadre juridique soit précisé rapidement. Et là, si on parle… C'est pour
ça qu'on a parlé du cadre juridique. On parle du cadre déontologique,
mais on parle aussi du cadre organisationnel. Il faut éviter qu'on se retrouve
pendant une longue période de temps avec du flou à l'intérieur de tout ça,
parce que ça, ça met les médecins dans une position excessivement difficile.
Puis je laisserais peut-être Dr Rivard compléter
là-dessus parce qu'il a naturellement beaucoup plus d'expérience que moi, là,
dans ce domaine-là.
M. Rivard (Claude) : Au niveau
légal, je reviens à ce qui avait été dit avant, posé comme question auparavant.
Tu sais, une société est évaluée sur la manière dont elle prend en charge, puis
qu'elle s'occupe des gens qui sont le plus fragile puis ceux qui ont besoin de
plus d'encadrement. On est évalué, comme société, comme ça.
Si vous élargissez la prestation du soin aux
gens qui ont des problèmes de santé mentale, ou qui deviennent inaptes, ou qui vont devenir inaptes dans le
futur, il faut qu'il y ait des balises légales sur comment on est capables
de faire ça sans problème. Déjà là, au
niveau des forums spécifiques sur l'aide médicale à mourir au Québec, tu sais,
on a… puis ailleurs au Canada aussi, on se pose des questions, à
savoir : Qu'est-ce qu'on va mettre sur les constats de décès?
Les patients, là... tantôt, on parlait du
patient en CHSLD, là, et, à cette heure, ils n'ont plus besoin d'être en fin de
vie, là. Ça fait qu'un patient qui est sur la track 2, qui n'est plus en fin de
vie puis qui fait de l'arthrose lombaire avec une sténose spinale, qui n'est
plus capable de marcher... qui amène énormément de douleur, peut théoriquement
demander l'aide médicale à mourir aujourd'hui sans qu'il y ait des changements législatifs
de faits. Mais nous autres, comme médecins, comme praticiens, on écrit quoi sur
le constat de décès? Arthrose lombaire? Tu sais, dans ce temps-là, est-ce que l'Institut
de la statistique ou encore le législateur va revenir dire : Aïe! On ne décède pas d'arthrose lombaire? Le syndrome de
glissement, c'est quelque chose qui est extrêmement large, ça, là, là.
Mais, tu sais, il faut déterminer un nouveau
type... donner des balises pour un nouveau type de pratique que nous autres, on
n'a jamais faite avant, jamais. Et, au niveau légal, quand on... Ça, c'est les
balises que vous avez à nous donner. Au niveau déontologique, il faut que notre
collège nous donne un guide de pratique qui nous permet de donner une médication orale pour faire en sorte
que le patient soit capable d'avoir des cathéters intraveineux
d'installés, alors que ça, ce n'est pas permis au Québec, ni au niveau légal ni
au niveau déontologique.
Et les aspects organisationnels, je ne sais pas
si vous vous en rendez compte, mais, partout au Québec, quelqu'un qui fait une
demande pour une aide à mourir en vue d'une perte d'autonomie future, il faut
que vous ayez un système qui garde ces demandes-là en storage jusqu'à tant qu'à
un moment donné la demande est activable par je ne sais pas qui.
Comprenez-vous?
Avez-vous... Vous-même, avez-vous essayé de
faire vos directives médicales anticipées?
• (10 h 10) •
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Non, je
ne les ai pas faites encore.
M. Rivard (Claude) : Lancez-vous
dans l'aventure. Ça va vous prendre une couple de mois.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : J'ai
fait un testament, par contre, là, mais pas de directives...
M. Rivard (Claude) : O.K. Ce n'est
rien comparé à des directives médicales anticipées, là. Je vous le dis, c'est
un parcours du combattant. Ce n'est pas la maison d'Astérix, là, mais ça
ressemble énormément à ça, si vous voulez faire des directives médicales anticipées
au Québec. Et le problème, nous autres, qu'on a comme praticiens, c'est que la décision, elle vient du patient, mais
nous autres, on n'y a pas accès. On a énormément de misère à avoir accès
aux directives médicales anticipées du
patient. Ça fait qu'au niveau organisationnel il y a quelque chose à régler là,
là.
Une voix : Si vous me permettez...
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci.
Merci des précisions. C'est intéressant, là, quand vous amenez des exemples
concrets comme ça. Merci.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, nous allons terminer cet échange avec le député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci beaucoup, Dr Godin, Dr Rivard. Écoutez, vous parliez
dernièrement de la complexité de l'affaire, et surtout, comme on est devant les
gens qui ont un rôle primordial dans les
soins de vies, dans les soins d'accompagnement des gens en circonstances très difficiles
et dans l'accompagnement vers un déclenchement d'un voeu d'aide médicale
à mourir... Alors, la complexité est tellement grande, et le fardeau, si j'ai
bien compris, sur vous et vos membres est davantage complexifié compte tenu de
votre indication que vous êtes ouverts, en quelque part, à des directives
médicales anticipées sans diagnostic.
Vous avez déjà constaté que l'évaluation de
souffrances, lorsque quelqu'un est inapte, est tellement difficile, alors je
veux que vous nous parliez un petit peu, dans un premier temps, de la capacité,
la volonté de vos membres d'assumer cette responsabilité
accrue, de nous parler de votre rôle accru pour assurer qu'il n'y ait pas
dérive. La volonté peut être claire et éclairée, mais est-ce que ça respecte
les critères de l'article 26 actuel? C'est assez lourd, ce qu'on est en
train de décrire. Pouvez-vous nous en élaborer et aussi nous indiquer des
pistes où il y a des balises à ajouter, pas juste sur le plan légal, mais sur
le plan évaluation de la souffrance et de la qualité libre et éclairée d'une
telle demande?
M. Godin (Louis) : Vous soulevez
plusieurs questions, je vais essayer de résumer mes réponses, là. La
capacité... si on vous a mentionné, comme groupe, que l'on était d'accord avec
l'élargissement pour les personnes inaptes et pour les personnes souffrant de
troubles mentaux seulement, c'est parce que, d'un côté, on pense qu'il y a là
souvent des éléments de souffrance dans le quotidien de patients que l'on a à
accompagner, je vais dire, au fil du temps, qui ont des conditions de vie qui
peuvent être très, très difficiles et amener une souffrance soit physique ou
mentale très, très importante, là, même s'ils sont inaptes à nous l'exprimer.
Et je pense qu'on a, comme groupe de professionnels, la capacité, je vais dire,
de répondre à ce soin-là.
Cependant, ce que l'on vous dit, c'est qu'une
fois qu'on aura pris cette décision-là il y aura là, à partir de ce moment-là,
un travail pour bien encadrer tout le processus à l'intérieur de ça,
c'est-à-dire déterminer comment ça se fait, comment va se faire le suivi,
comment va se faire l'évaluation. Si la demande a été faite il y a deux ans, il
y a cinq ans, il y a 10 ans, est-ce que c'est la même façon? Est-ce qu'on
demande uniquement à un médecin de le faire? Est-ce qu'on peut demander à ce
qu'il y ait une deuxième opinion à l'intérieur de ça? Qu'est-ce qu'on fait si
le médecin traitant ou le médecin de ce
patient-là n'est pas capable de prendre la décision? Sur quels critères on se
base?
Pour nous, une fois que... Je vous avouerais honnêtement
que la réflexion que l'on a faite, on n'a pas élaboré toute la mécanique
précise qui devrait nous mener à ça. Mais c'est clair que cet exercice-là devra
être fait, parce que, sinon, là, ça amène un risque important de dérives ou de
situations inappropriées parce qu'il y aura du flou à l'intérieur de tout ça.
Ce que l'on a vécu actuellement, c'est relativement facile parce qu'on a quand
même une longue expérience des gens qui sont en fin de vie avec des pathologies
précises. On est capables d'établir des pronostics, on est capables, et on fait
affaire avec des personnes aptes actuellement. Donc, c'est beaucoup plus facile
à l'intérieur de ça.
Là, il y a toute une question d'éducation qui
devra être faite de bien déterminer les critères que l'on va mettre à
l'intérieur de ça. À la rigueur, je vais dire qu'il y a un processus de
réévaluation que l'on met. Entre le moment où vous vous dites : Moi, là,
dans 15 ans ou dans 20 ans, si je souffre de telle condition dans
telle situation, je voudrais avoir accès à l'aide médicale à mourir, on pourra
peut-être même dire : Bien, on va avoir un processus de réévaluation. Ce
processus-là, votre désir que vous avez émis lorsque vous aviez 40 ans,
bien, peut-être, lorsque vous en aurez 60... on ne voit plus nécessairement la
vie de la même façon, et notre perception de la souffrance par rapport à ce que
l'on peut faire est peut-être fort différente à 60 ans qu'elle l'est à
40 ans.
Donc, il y a là tout un cadre qu'il va falloir
déterminer, et je vous avouerais honnêtement qu'en vue des consultations qui
nous ont été demandées on n'a pas eu... on n'a pas porté ce processus-là aussi
loin que ça. Mais tout ça devra être bien encadré, bien évalué. On va avoir une
série de cas d'espèce qu'on va devoir dire : Bon, bien, dans telle situation,
on ferait quoi? Puis dans telle autre situation, on ferait quoi? Ce serait un
élargissement, là, je vous dirais, important, là, parce que, là, on ne parle
plus de gens qui sont simplement en fin de vie avec une maladie que l'on sait,
là, dont le pronostic est irréversible. On parlerait de quelqu'un qui... Même
s'il y avait un diagnostic, je vais dire, à l'intérieur de ça, quelle va être
vraiment son évolution? Ça n'évolue pas toujours très, très rapidement. Donc il
est possible que l'évolution de la condition médicale, même si elle est
diagnostiquée, s'étende sur plusieurs années. Donc, jusqu'à quel point, je veux
dire, on ne devra pas rebaliser puis revalider? Mais je pense que c'est un
chantier à construire, oui.
M. Rivard
(Claude) : Si je peux
rapidement ajouter, pour le bénéfice de tous les députés présents, il va y
avoir un mouvement, au niveau terrain, qui va… il va y avoir une certaine
frilosité, disons, on va être francs, là, par rapport à la prestation de ce
soin-là à des patients qui ne sont pas aptes, et un peu comme il y a des
médecins qui n'ont aucun problème à pratiquer un avortement en bas d'un certain
nombre de semaines, mais, en haut d'un certain nombre de semaines, ils ne le
feront pas. Alors, il y a des médecins qui sont praticiens en aide médicale à
mourir aujourd'hui qui vont le faire, ils vont continuer de le faire selon les
anciens critères de la loi sans problème, c'est-à-dire le patient, il va
falloir qu'il soit en fin de vie, il va falloir qu'il soit apte, et tout ça.
Mais il y a… les médecins qui vont vouloir
élargir et pouvoir donner le soin à des patients qui ne sont pas nécessairement
en fin de vie, ou encore qui ne sont plus aptes, ou qui ne deviendront
plus aptes dans plusieurs années, il va y en avoir moins, et il va y en avoir
encore moins si les balises légales, déontologiques et organisationnelles pour
la prestation de ce soin-là ne sont pas claires et précises. Si on n'a pas les
moyens, le soin ne se donnera pas ou se donnera très peu ou il va y avoir
quelques praticiens qui vont être hyperspécialisés à : Moi, je donne l'AMM
aux patients qui sont en situation d'inaptitude et qui l'ont demandé avant et…
Parce que c'est… contrairement à un patient qui
est en soin de fin de vie ou qui est en échéance de quelques jours ou mois, là
on parle d'années. Alors, c'est des évaluations qui sont déjà beaucoup plus
compliquées, plus de longue haleine que la prestation d'un soin à quelqu'un qui
est en fin de vie, là. Comprenez-vous, là? En anglais, ils disent : «It's
a whole new ball game», puis c'est vrai, là. Ça fait que, si vous ne l'encadrez
pas assez au niveau légal, on oublie ça. Là, il risque de manquer de docteurs
par une certaine frilosité à accomplir cet acte-là, à donner le soin dans le
contexte.
• (10 h 20) •
M. Birnbaum :
Merci. Je me permets une petite question, Mme la Présidente, ma collègue aurait
une question aussi, mais très vite. Peu importe où on se situe sur
l'élargissement, il y a une obligation, évidemment, d'équité et
d'accessibilité, que, dans chaque région, éloignée ou non, l'aide médicale à
mourir soit accessible. Là, on comprend qu'un médecin individuel peut se
désister. Est-ce qu'il y a des mesures de nécessaires pour assurer l'accès, c'est-à-dire
qu'un médecin soit disponible dans chaque coin du Québec pour administrer,
selon les balises, l'AMM?
M. Godin (Louis) : Bien, c'est clair
qu'à partir du moment où il y a un élargissement des critères il faudra
s'assurer que cet accès-là y soit partout à la grandeur du Québec. Et il y aura
nécessairement, je vous dirais, un grand travail, là, de formation auprès de
nos médecins, d'éducation auprès de la population pour bien faire comprendre,
je veux dire, quelles sont les règles qui vont baliser tout ça. Et c'est
quelque chose qui devra se préparer, je pense. Si on décide demain matin, dans
une semaine: C'est maintenant, c'est go, et on peut y aller là-dedans, je veux
dire, on va peut-être avoir des difficultés de rendre ça accessible à tout le
monde.
Mais, quand on regarde l'aide médicale à mourir
telle qu'elle s'applique aujourd'hui, pour avoir été là et avoir la
responsabilité comme président de la fédération de s'assurer que nos membres
offrent le service, on avait les mêmes interrogations, je vous dirais, en 2015,
2016, mais il y a eu formation, il y a eu information qui a été donnée à la fois aux professionnels, aux gens qui les
accompagnent, à la population, et aujourd'hui on peut dire que le service
est accessible, là, je veux dire, partout au
Québec, là, de façon régulière. Mais ça ferait partie de… ça va faire partie
des défis d'application de ça autant chez les personnes inaptes que même
chez les gens qui souffrent de troubles mentaux, là.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. C'est tout le temps que nous avions pour cet échange. Merci beaucoup, Dr Godin,
merci, Dr Rivard, donc, pour votre contribution aux travaux de la commission.
Ça sera pour nous… Vos réponses seront pour nous sujet de longues discussions.
Donc, je suspends les travaux quelques instants,
le temps d'accueillir nos nouveaux invités.
(Suspension de la séance à 10 h 23)
(Reprise à 10 h 26)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Nous accueillons maintenant l'Association des groupes d'intervention en défense
de droits en santé mentale du Québec et leurs représentants, Mme Doris Provencher,
directrice générale, et M. Claude Moreau, président. Donc, merci d'être
avec nous ce matin. Vous disposez de 10 minutes pour votre intervention,
et, par la suite, il y aura un échange avec les membres de la commission. Donc,
sans plus tarder, je vous cède la parole.
L'Association des groupes d'intervention en défense de
droits en santé mentale du Québec (L'AGIDD-SMQ)
M. Moreau
(Claude) : Bonjour, Mme la Présidente, et Mmes et MM. les députés.
Fondée en 1990, l'Association des groupes d'intervention en défense de
droits en santé mentale du Québec, l'AGIDD-SMQ, a pour mission de lutter pour
la reconnaissance et l'exercice des droits des personnes vivant ou ayant vécu
un problème de santé mentale. Nous devons préciser
que l'AGIDD-SMQ n'utilise jamais les termes «maladie mentale» et «troubles
mentaux». C'est pourquoi, lorsqu'il est question des personnes visées par le
mandat de la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins
de fin de vie, nous parlerons des personnes vivant un problème de santé mentale. Il est important de mentionner que notre
mémoire ne se concentre que sur l'élargissement de l'aide médicale à
mourir pour les personnes vivant un problème de santé mentale.
À l'automne 2020, l'AGIDD-SMQ a décidé de
lancer, et ce, malgré la crise sanitaire qui sévissait depuis mars 2020,
une consultation auprès de ses groupes membres qui sont formés majoritairement
de personnes vivant ou ayant vécu un
problème de santé mentale. Malheureusement, les conditions virtuelles
nécessaires pour la consultation n'ont pas permis à l'ensemble des
groupes de réaliser la consultation auprès de leurs membres. De plus, n'ayant
pas été capable de se réunir physiquement, L'AGIDD-SMQ n'a pas de position
officielle. Néanmoins, nous avons reçu les réponses des six groupes membres et
nous avons, en parallèle, mené l'exercice avec les membres des conseils
d'administration, et des équipes de travail de L'AGIDD-SMQ, et du Regroupement
des ressources alternatives en santé mentale du Québec.
Tout en
reconnaissant que l'aide médicale à mourir pour raison de santé mentale suscite
beaucoup d'émotion, de peurs et de questionnements, nous avons demandé
aux personnes qui vivent un problème de santé mentale de dépasser leurs craintes,
appréhensions et croyances. Nous avons offert des espaces de parole afin que
les personnes participantes puissent exprimer leurs questionnements, craintes
et espoirs que la possibilité d'obtenir l'aide médicale à mourir pour raison de
santé mentale suscitait chez elles. Ensuite, nous leur demandions de réfléchir
et de se positionner sur la possibilité de demander l'aide médicale à mourir
sur la base d'un problème de santé mentale, premièrement en identifiant les
motifs et les conditions acceptables pour son application, ensuite en
identifiant les motifs d'une position défavorable à son application.
Nous avons remarqué
trois grands constats. D'abord, il y a une méconnaissance de la pratique de
l'aide médicale à mourir. Ensuite, les gens veulent de l'aide pour vivre dans
la dignité et ont besoin d'espoir. Enfin, des personnes qui vivent un problème de santé mentale
doivent être consultées et impliquées en ce qui regarde l'aide médicale
à mourir pour raison de santé mentale. Dans le mémoire, tout ce qui est en
italique est la parole des gens consultés.
Je donne donc la
parole à Mme Doris Provencher, directrice générale.
• (10 h 30) •
Mme Provencher
(Doris) : Alors, bonjour, Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés.
Merci de nous accueillir à cette commission.
Donc, pour faire
suite, bien, lorsqu'on a compilé les réponses que nous avons reçues, on s'est
rendu compte qu'il y avait 11 grands thèmes qui ressortaient : les
droits, la crédibilité et la capacité des personnes à prendre leurs propres
décisions, le monde de l'aide médicale à mourir versus l'application de la
loi P-38 — la
loi P-38, c'est la loi qui hospitalise les personnes contre leur volonté,
la loi de protection des personnes, qu'on appelle aussi — avoir
tout essayé avant, l'accès et la disponibilité des services, le thème de la
souffrance, aide médicale à mourir versus le suicide,
choisir pour la personne, le lien avec les proches, l'attitude de la
psychiatrie et, finalement, le rôle du médecin et du psychiatre. Donc,
c'étaient ces grands 11 thèmes qui ressortaient.
On ne peut pas vous
présenter chaque thème parce qu'on a juste un petit ou un gros 10 minutes,
donc, mais ce qu'on veut faire ressortir, c'est l'importance d'améliorer... ça,
ça ressortait beaucoup, et je pense que vous l'avez entendu d'autres
intervenants, c'est améliorer l'accessibilité et la qualité des services afin
de vivre dans la dignité et pas seulement dans le réseau public et le
biomédical, mais l'ensemble des services. Mais, étant donné… on connaît très
bien la réalité des personnes, on tient à faire ressortir certaines
particularités qu'elles vivent.
Parce que ce qui peut
paraître ordinaire pour le commun des mortels, ça peut se révéler un obstacle
majeur pour des personnes qui vivent un problème de santé mentale, par exemple
la perte de crédibilité qui vient avec le diagnostic. On ne l'entend plus, la
personne, et surtout on ne l'écoute plus. Aussitôt que le diagnostic tombe,
elle perd sa crédibilité, donc ce n'est plus une personne, c'est une maladie.
Comment accueillir
une demande d'aide médicale à mourir avec ces préjugés? Comment ça va être
accueilli? Comment éviter que la fameuse P-38… Si la personne demande l'aide
médicale à mourir, est-ce qu'elle va être considérée dangereuse pour elle-même?
Donc, on va la garder… Est-ce qu'on va entendre vraiment sa demande?
L'essai de tous les
traitements avant d'accorder l'aide médicale à mourir. On dit que ce sont les
traitements que la personne, elle va juger tolérables. En santé mentale, ça
veut dire quoi, là? Étant donné, déjà, vous savez, il y a déjà... légalement,
on impose des ordonnances de traitement, des autorisations judiciaires de
soins. Alors, qu'est-ce qui va nous…
qu'est-ce qui peut nous rassurer en disant que, si la personne a fait cette
demande-là, on ne va pas lui mettre une ordonnance de soins sur le dos
puisque c'est un des traitements qu'elle n'aura pas essayés?
L'approche
biomédicale est au coeur de la pratique psychiatrique, et ça, on a des
millions… des millions, excusez-moi, j'exagère un peu, on a des milliers de
témoignages qui viennent confirmer que la souffrance des personnes, là, n'est
pas toujours nécessairement considérée. Pourquoi que ça changerait dans le
cadre d'une demande d'aide médicale à mourir? «C'est pour ton bien.» Mon Dieu
que c'est une phrase que les personnes qui vivent un problème de santé mentale
entendent tout le temps! Est-ce qu'on va être capable de passer par-dessus le
soi-disant bien de la personne pour, vraiment, encore une fois, entendre la
demande et la croire?
La souffrance et,
pour plusieurs, les abus de droit que les personnes ont vécus et vivent encore
dans le système psychiatrique, ça a laissé de la méfiance qui
peut faire en sorte… beaucoup de personnes sont même terrorisées à l'idée d'y
retourner.
Malheureusement, le
temps alloué dans le cadre de cet exercice ne nous permet pas de vous
transmettre comme on le voudrait ce que les personnes qui sont passées par le système
psychiatrique nous ont confié depuis plus de 30 ans, mais je peux vous
affirmer que la société ne sait pas ce qui se passe dans ce domaine vraiment.
Si vous voulez en savoir plus, bien sûr, L'AGIDD, on est toujours prêts à
collaborer, à vous informer sur ça. Toujours, hein, vous savez, notre angle, ce
sont les droits.
Donc, dans votre
réflexion, s'il vous plaît, on vous invite vraiment à tenir compte de cette
réalité. C'est pourquoi il faut que vous entendiez la parole des personnes qui
vivent un problème de santé mentale. Ce n'est pas juste les experts qui vont
vous confirmer ça, puis ce n'est pas les intervenants non plus, puis ce n'est
même pas moi, mais c'est... à quelque part, il faut que vous entendiez la
parole.
Alors, la position,
comme mon collègue Claude vous disait, L'AGIDD n'a pas de position, malgré ce
que j'ai entendu — ça
a l'air qu'on en a une — on
n'a pas de position. On a demandé aux personnes participantes de réfléchir sur
la possibilité que l'aide médicale à mourir soit autorisée. Il y a trois grands
thèmes qui sont ressortis. Un, les critères et balises à instaurer pour
encadrer ce type de demande. Et ça, je vous invite... la page 40 et 41 de
notre mémoire, il y a plusieurs idées qui sont ressorties, que les personnes
ont ressorties. Deux, les professionnels qui devraient être impliqués. Ça va,
il devrait y avoir deux psychiatres, donc il devrait y en avoir trois, le
médecin de famille, un psychologue, même, quelqu'un a parlé d'un avocat. Par
contre, ça retarderait la machine, mais, en tout cas, il y a plusieurs
intervenants qui sont nommés.
Le lien avec les
proches. Les gens, ce qu'ils nous disent : Il faut prendre soin des
proches, hein, qui vont… d'une personne qui recevrait l'aide médicale à mourir,
c'est important, mais c'est nous autres qui décident. Il ne faut pas que les
proches viennent interférer dans ma décision que moi... et ça, ça a été bien
clair. Il y a différentes questions aussi, que vous retrouverez à la
page 44, qui ne s'intégraient pas, ou moins bien, dans les 11 thèmes.
On
a quatre grandes recommandations. On demande au gouvernement de développer des
outils d'information clairs, accessibles sur la pratique de l'aide
médicale à mourir. Parce que ce qu'on entend beaucoup, c'est parce que les gens
ne savent pas ce que ça veut dire dans la vraie vie, ne savent pas, au niveau
de la pratique, qu'est-ce que ça représente pour les personnes. Mais je pense
que le besoin d'information, c'est pour les intervenants aussi, parce qu'on
entend toutes sortes de choses. Donc, informer le monde.
Travailler de concert,
bien sûr, avec les personnes et avec le milieu communautaire et alternatif en
santé mentale pour l'amélioration et la diversité de l'offre de services. S'il
vous plaît, il y a un tissu communautaire et alternatif en santé mentale
extraordinaire au Québec. On n'est pas reconnus à notre juste valeur. Ça aussi,
on est prêts, avec nos collègues, à vous en informer plus. Voilà.
Respecter les droits des personnes. Ça a l'air
étrange, quand je dis ça, sauf que, vous savez, les organismes de promotion,
vigilance et défense de droits ainsi que les groupes de promotion et de
vigilance en santé mentale, ils reçoivent des milliers de demandes par année
qui touchent particulièrement le réseau de la santé et des services sociaux.
Alors, on le nomme, parce que ce n'est pas tout à fait... c'est encore... il y
a encore place à amélioration.
Et ne pas discriminer aussi les personnes. Et
ça, vous allez le voir dans les... ce que les gens nous ont dit, ils veulent
être traités comme tout le monde.
La non-conclusion. Parce que, pour nous, ce
n'est pas la fin, cette commission, c'est le début de quelque chose. Ça aussi,
vous en prendrez connaissance, mais je vous invite à lire attentivement, il y a
une citation d'un homme qui est engagé pour le respect des droits humains, et
particulièrement pour les gens qui vivent un problème de santé mentale dans
notre non-conclusion, M. Dainius Pūras, qui est pédopsychiatre. Alors, je
vous invite à le lire et à vous en imprégner. On espère que vous allez
emprunter la voie du respect des droits humains, qui devrait être la base d'à
peu près tout.
Je veux vous laisser avec une citation, ce que
les personnes ont demandé à L'AGIDD, on trouve ça à la page 15 de notre mémoire, c'est : «Que L'AGIDD-SMQ soit
capable de faire comprendre que les gens en santé mentale sont capables
d'expliquer leur besoin/souffrance de façon éclairée, s'ils le veulent, et
qu'ils sont capables d'assumer leurs décisions.» Alors, c'est le message, le
principal message qu'on voulait vous transmettre. Nous avons terminé.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup. Donc, sans plus tarder, je cède la parole à la députée de
Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour à vous deux. Merci beaucoup de votre présentation. Très heureuse que
l'on puisse vous entendre. Donc, votre message pour l'autodétermination et le
respect des personnes qui vivent avec un problème de santé mentale est toujours
aussi clair et il est bien reçu, je peux vous en assurer. Évidemment, votre
position, elle est moins arrêtée que certains groupes, ou professionnels, ou
individus qui sont venus nous voir. Et là je
veux juste être certaine, votre recommandation 4, vous dites quand
même : «Que le gouvernement s'engage à ne pas discriminer les
personnes vivant avec un problème de santé mentale en ne leur offrant pas, si
tel est leur désir et selon la loi, l'aide médicale à mourir.»
Donc, je comprends que vous nous dites que vous n'avez pas de position formelle. Mais est-ce que je comprends que vous avez
quand même une petite tendance à dire qu'on ne pourrait pas séparer problèmes
de santé physique versus problèmes de santé mentale ou si, par cette
recommandation-là, en fait, vous nous dites simplement que, si on décide
d'aller de l'avant, que... dans l'application des choses, de bien faire
attention de ne pas discriminer?
• (10 h 40) •
Mme Provencher (Doris) : Si je peux
me permettre, je pense que les jugements qu'il y a eu sont assez clairs. Je veux juste dire aussi, quand on dit
qu'on n'a pas de position, L'AGIDD, sa position, c'est les droits des personnes,
et ça, c'est... on ne bouge pas là-dessus. Alors, quand il y a deux jugements,
dont un de la Cour suprême qui va dans le sens de dire : C'est discriminatoire
d'évacuer une catégorie ou des catégories de personnes, bien, nous, ce qu'on
dit, c'est discriminatoire de... selon ces deux jugements-là, d'effectivement
écarter les gens qui vivent un problème de santé
mentale. C'est reconnu. Bien sûr, ça prend... ça va prendre des balises, bien
sûr, il y a des choses, mais ce que les jugements nous disent, c'est ça,
il ne devrait pas y avoir de discrimination. Je ne sais pas si je réponds,
peut-être pas.
Mme
Hivon : Oui, vous
répondez, mais, en fait, vous vous tournez vers les jugements, c'est très
habile, mais, en fait, c'est qu'il y en a
qui nous disent : Même si, légalement, on pourrait dire qu'il y a une discrimination,
il y a des impératifs plus grands,
des préoccupations plus grandes qui nous amènent à avoir un traitement
différencié, là. Il y a des gens qui nous ont dit carrément : Ce
n'est pas la bonne voie à suivre de regarder ça d'un point de vue de discrimination.
Je comprends que vous, évidemment, de votre point de vue de défense des droits
des personnes qui ont un problème de santé mentale, vous nous dites : On
ne peut pas accepter qu'il y ait une discrimination. Est-ce que je vous suis
correctement?
Mme Provencher (Doris) : Il y a ça
et il y a aussi le fait qu'il y a beaucoup d'intervenants qui l'ont nommé. On
parle beaucoup au nom des personnes, on parle beaucoup pour leur bien, mais on
ne les écoute pas. Alors, si on les écoute vraiment, qui sommes-nous pour aller
dire à une personne : Non, bien non, toi, tu as un problème de santé
mentale, tu n'es pas capable de décider, et ça ne se peut pas que tu fasses une
telle demande, moi, je le sais, ce qui est bon pour toi, hein? C'est ça aussi
qui est au coeur du sujet. Est-ce que, comme société, on va continuer à décider
pour les personnes comme on le faisait dans
les grands hôpitaux psychiatriques?
C'est-tu ça qu'on veut comme société?
Ce que les personnes nous disent... Et je vous
invite, je ne sais pas, peut-être, je ne sais pas si vous avez pu voir un peu
les gens qui parlent, c'est sûr que c'est un échantillonnage, c'est sûr que ça
va dans tous les sens, mais ça fait 30 ans, moi, que je travaille en
défense de droits, puis ce que les gens nous disent, là, ils ont des choses à
dire, c'est leur vie, c'est leur décision, alors pourquoi qu'ils ne seraient
pas écoutés, comme tout citoyen et citoyenne du Québec, dans leurs demandes?
Et, si la loi, des jugements leur permettent certaines choses, parce qu'il y a
des lois qui leur en enlèvent, hein, la P-38, ça m'enlève un droit qui est
fondamental, qui est ma liberté, puis je n'ai pas commis
de crime, alors donc, s'il y a une loi qui me donne un droit de prendre ma
décision puis de la mettre de l'avant, je suis un être... je suis un citoyen
puis une citoyenne, au Québec, comme tout le monde. C'est ça aussi qui est…
excusez, là.
Mme
Hivon : Oui. C'est
pour ça que c'est si important de vous entendre, parce que vous êtes la voix de
beaucoup, donc, de ces personnes qui vivent avec un problème de santé mentale.
Nous, on a eu quelques témoignages de personnes qui vivent avec un problème de
santé mentale, qui ont décidé de venir nous parler directement. Je vous dirais
que ceux qui sont venus, ce n'est vraiment pas scientifique, n'est-ce pas?
Donc, il y en a quand même plusieurs qui nous ont fait état de leur réalité et
qui fait en sorte que leur maladie a évolué d'une manière à ce que, finalement,
il y a eu de l'espoir, leur situation a été mieux diagnostiquée, mieux traitée,
et donc ce qu'ils auraient pu considérer comme la seule solution possible, l'aide
médicale à mourir, finalement, heureusement, nous disent-ils, pour certains,
qu'ils n'ont pas emprunté cette voie-là parce que, là, ils vivent dans des
conditions beaucoup mieux. Je voulais savoir si vous estimez que, s'il y a
ouverture, on…
La Présidente (Mme Guillemette) :
C'est tout le temps qu'on avait, Mme la députée.
Mme
Hivon : Ah!
désolée.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Mais je vais me permettre de continuer un peu dans la même veine que vous. Il y
a plusieurs intervenants qui sont venus nous partager des situations, ils nous
disent que... puis ça, j'aimerais vous entendre là-dessus, sur le lien
thérapeutique et sur l'espoir, ils nous disent que de permettre l'aide médicale
à mourir pour les personnes vivant avec un trouble de santé mentale uniquement,
ce serait dangereux pour le lien thérapeutique entre les intervenants et les
personnes vivant avec des troubles de santé mentale, et ça pourrait aussi… ils
pourraient abandonner tout espoir, là, et demander rapidement l'aide médicale à
mourir. Donc, je ne sais pas, là, M. Moreau ou Mme Provencher, mais
j'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Moreau (Claude) : Bien, je vais peut-être
intervenir à ce niveau-là. Bien, je pense, au contraire, le fait qu'une
personne ait accès à l'aide médicale… qu'une personne vivant un problème de santé
mentale ait accès à l'aide médicale à mourir, ça pourrait être une raison, justement,
là, de voir… de continuer à essayer de se rétablir. Il ne faut pas que les gens
n'aient pas cette option-là, c'est comme frapper un mur, pour eux autres. Ça ne
veut pas dire nécessairement que les gens vont… Juste, l'important, c'est que
les gens aient le droit. L'important aussi, c'est de voir si on peut éviter ça
aussi.
Moi-même, je suis une personne vivant un problème
de santé mentale puis, présentement, moi, je me considère bien rétabli puis je
considère qu'il n'y aurait peut-être pas de situation où est-ce que je
demanderais l'aide médicale à mourir pour une raison de santé mentale. Mais je
veux avoir le choix, par exemple, je veux avoir le droit de le faire. Je pense, c'est ça, c'est important,
puis ça ne veut pas dire nécessairement qu'une personne qui le demande va
aller jusqu'au bout.
Mme Provencher (Doris) : Et, pour
enchaîner, ça ne veut pas dire, parce qu'une personne, elle le demande, qu'on
va lui octroyer aussi. C'est comme on prend acquis; je le demande, je l'ai.
Bien non, il y a tout un processus qui se met en place, il y a tout… et ça, on
l'oublie, c'est comme... on ne l'entend pas dans les commentaires des gens. Et
puis, oui, l'espoir, moi aussi, il y a plein de gens qui m'ont dit ça. Le premier
réflexe, à un moment donné, c'est ça. Sauf qu'une personne, là, si elle, elle
considère qu'elle a tout fait puis elle a essayé pour elle tout ce qui était
faisable, on va lui dire : Attends encore deux, trois ans pour te trouver…
C'est sûr que ça prend des conditions, il faut travailler en parallèle, mais
est-ce que… Qui suis-je pour aller dire à une personne : Attends deux,
trois ans, ça va aller mieux?
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Et, au niveau du temps, justement, à quel moment on pourrait considérer qu'une personne qui vit avec un trouble de santé mentale, ce serait assez, là, pour cette personne-là? Ce serait quoi, le signal?
Mme Provencher (Doris) : C'est elle,
c'est elle qui va nous le dire. C'est elle qui vit la souffrance, ce n'est pas
vous, ni moi, ni personne ici. C'est comment elle se sent, ce qu'elle vit dans
son intérieur, ça lui… comme tout le monde, comme tout le monde ici, ce n'est
pas différent parce que j'ai un problème de santé mentale. C'est ça que je veux
que... moi, en tout cas, que je voudrais que vous compreniez. Il y a des
particularités, mais l'être humain, là, les joies, les peines, c'est pareil.
Alors, tu sais, c'est comme une personne qui a physiquement... on ne se demande
pas c'est… Et la loi est claire, si c'est la personne… la demande, il faut
qu'elle vienne de la personne. Mais est-ce qu'on va l'écouter? Est-ce qu'on va
l'entendre? C'est ça, la crainte, à cause de nos préjugés.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je céderais la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Moreau. Bonjour, Mme Provencher. C'est
très intéressant de vous entendre, d'entendre M. Moreau, en tout cas, de
vous entendre à la… ce que vous avez dit tout à l'heure, tu sais, qu'on donne
le droit, ce n'est pas nécessairement que je vais le prendre, au moins que
j'aie le droit. Puis les questions de mes collègues aussi, en tout cas, c'était
très pertinent.
Puis, moi, ça me ramène un
peu à votre recommandation numéro… la… vous avez une recommandation, vous dites
que le gouvernement devrait développer des outils d'information clairs et
accessibles sur la pratique de l'aide médicale à mourir. Donc, je fais un lien
avec ce que vous avez dit. M. Moreau, Mme Provencher, est-ce que vous êtes capables de développer un petit peu plus
là-dessus, m'en dire davantage, là? Quand vous dites : Il devrait
«tout mettre en oeuvre pour rejoindre les personnes qui vivent un problème de
santé mentale», oui, mais aussi les balises. Si
vous êtes en mesure, quelles seraient les balises aussi pour encadrer ça au
niveau du soin de l'aide médicale à mourir?
M. Moreau (Claude) : Bien, moi, je
dirais que, je pense, c'est une des peurs qui a été évoquée, là, dans le
mémoire, là, puis par les gens, lors des consultations, c'est que ça… les gens
ont peur que ça devienne obligatoire. Tu sais, ça a l'air peut-être bizarre à
dire, mais il y a… je pense qu'il y a quand même suffisamment de commentaires à
ce niveau-là, là. Puis les gens qui ont des problèmes de santé mentale, ils
veulent des soins, ils veulent que… ils ne
veulent pas mourir, ils veulent vivre, ils veulent vivre dans la dignité avant
de… Puis, si ça, ce n'est pas possible, de vivre dans la dignité, au
moins mourir dans la dignité, si tel est leur désir.
• (10 h 50) •
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Allez-y, Mme Provencher, je sens que vous avez…
Mme Provencher (Doris) : Oui, bien,
c'est ça, pour les balises, comme je vous disais, il y a, à la page 40 et
41, différents éléments que les personnes ont nommés, d'être accompagné, par
exemple. Est-ce que la personne pourrait avoir une personne qui l'accompagne
qui n'est pas nécessairement sa famille, ses proches? Donc, il y a certaines
balises, mais c'est parce que, comme disait Claude, les gens… On parle de la
mort ici, là, hein? Il faut bien le dire. Donc, les gens ne savent pas ce que
ça veut dire exactement. Juste, c'est ça, de penser : Je la demande, je
l'ai, déjà, c'est une méconnaissance de ce que c'est.
Donc, nous, dans notre consultation, on a mis
des éléments d'information, on a expliqué aux gens, avant, les jugements, puis
c'était quoi, puis la loi, puis les critères, puis… Ça se fait. Alors, il va
falloir avoir, à notre avis... que le gouvernement mette… fasse de l'information
qui soit claire. Vous savez, nous, dans le communautaire, on parle de l'éducation
populaire autonome. Donc, c'est des outils… il faut qu'il y ait des outils qui
soient compréhensibles, mais qui soient sur les lois, les droits et ce que
c'est aussi dans la pratique. Moi, ça m'a beaucoup… Excusez-moi, je vais juste
terminer. J'ai lu le fameux jugement Truchon-Gladu, que j'ai beaucoup aimé,
j'ai beaucoup apprécié, et c'est là, il y a un chapitre où c'est le
Dr Naud qui explique comment ça marche, comment ça se passe dans le
quotidien, qu'est-ce qui arrive. Ça m'a fait comprendre plein de choses, moi,
et c'est ça que je trouve que les gens ne savent pas. Vous savez… C'est ça. Je
vais m'arrêter ici.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K.
Bien, merci beaucoup, Mme Provencher. Merci. C'est tout pour moi, Mme la
Présidente, parce que je pense que j'ai d'autres collègues qui ont des
questions.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, oui, je céderais la parole à la députée de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Mme Provencher, M. Moreau. Vous savez, il y a deux
juridictions dans le monde qui ont autorisé l'aide médicale à mourir
pour les personnes qui ont des troubles de santé mentale. Puis eux, ils ont
imposé plusieurs balises très, très sévères pour encadrer cette pratique-là,
donc… dont une qui est celle qu'un médecin peut statuer qu'une personne, elle n'a
pas suffisamment tenté de traitements raisonnables avant d'avoir l'aide
médicale à mourir. Puis, on s'entend, là-bas, ce n'est pas un soin de fin de
vie, c'est l'euthanasie. Et nous, on lui a donné un autre nom, c'est un «soin
de fin de vie».
Là, le critère de fin de vie a tombé, donc c'est
sûr qu'on vient d'élargir la possibilité. Mais, à ce que j'entends dans votre
mémoire, c'est que vous semblez défavorables à ce qu'il y ait cette balise-là,
potentielle, que le médecin peut statuer
qu'il n'a pas suffisamment tenté de… que la personne n'a pas suffisamment tenté
de traitements pour avoir… de faire la demande.
Donc, moi, je voudrais savoir comment s'assurer
que l'aide médicale à mourir, ça ne devient pas simplement une forme de suicide
assisté quand on demande de respecter les droits sur la vie d'une personne.
Donc, j'aimerais savoir, là, est-ce que c'est... Est-ce qu'on va en... Est-ce
que ça prend plus cette forme-là?
Mme Provencher (Doris) : Je ne sais
pas, Claude, ou... En tout cas, écoutez, je veux rectifier, ce n'est pas qu'on
est... comment... Ce qu'on vous dit, notre connaissance de la santé mentale, de
la psychiatrie, de comment sont traitées les personnes au niveau de leurs
droits, au niveau... Ce n'est pas tout le monde, là, on s'entend, mais le
système... C'est que qui va décider que c'est le dernier traitement que tu dois
essayer? Moi, là, comme... à un moment donné, je vais voir mon cardiologue, il
me dit : Je veux... écoutez, il y a un traitement, là, qui pourrait
vous... Je peux refuser, hein? Bien, si... Notre questionnement, au niveau de
la santé mentale, il y a 4 000, 5 000 personnes ou à peu près,
d'après Me Jean-Pierre Ménard, au Québec, qui sont sous autorisation
judiciaire de soins. Ça, ça veut dire, ces personnes-là sont obligées, de par
un jugement, de prendre un traitement pharmacologique. Qui peut me rassurer
qu'une personne qui vit un problème de santé mentale, quand on va lui
dire : Tu n'as pas tout essayé...
Dans notre mémoire,
on parle, vous savez, les électrochocs, l'électroconvulsivothérapie, là, hein?
Ça se donne encore au Québec. Il y en a plus de 15 000, à peu près, en
moyenne, de séances d'électrochocs au Québec. Et il y a des médecins qui
sont... qui trouvent que c'est une... qui sont plus favorables que d'autres. Si
la personne, elle tombe sur un médecin qui est plus favorable, est-ce que, pour
lui, ça va être : Bien là, il faudrait que tu essaies, là, ça, c'est vraiment... Qui va déterminer? Que le médecin discute,
propose, pas de problème, mais qui va décider en bout de piste? C'est ça, notre
question.
Puis, je m'excuse, en
psychiatrie, c'est un autre monde, que vous ne connaissez peut-être pas, tant
mieux pour vous, mais c'est un autre monde. Alors, c'est notre crainte. Ce
n'est pas qu'on est pour ou contre, mais sauf que la réalité qu'on voit sur le
terrain, c'est ça. Alors, est-ce que ça va vraiment changer dans le cadre de
l'application des soins de fin de vie? C'est la question que l'on soulève, là.
Je ne sais pas si ça répond.
Mme
Hébert :
Oui. Bien, je continue dans la même veine. Puis sachez que ce n'est pas
personnel, là, je...
Mme Provencher
(Doris) : Non, non, ne craignez pas.
Mme
Hébert :
On discute puis on est là pour ça aujourd'hui.
Mme Provencher
(Doris) : Exact, exact.
Mme
Hébert :
Donc, il y a un critère qui est important, il y a un critère qui est avancé et
irréversible, donc, du problème de santé mentale. Donc, s'il y a ce critère-là,
là, qui est avancé, irréversible, comment qu'on va s'assurer que pas tous les traitements raisonnables vont avoir été
tentés pour en arriver là, là? Parce
qu'il y en a, là, il y en a plusieurs, des experts qui nous
ont dit qu'il n'y avait pas d'incurabilité à la santé mentale. Donc, moi,
j'aimerais savoir, là, avec ces deux critères-là, comment qu'on va
s'assurer que tous les traitements raisonnables n'ont pas été tentés?
Mme Provencher (Doris) : Je vous remercie, Mme Hébert, de la question
de l'incurabilité. C'est drôle, hein? Quand… Moi, je me suis promenée,
bien, au Québec, en tout cas, avec une formation qui s'appelle L'Autre côté de
la pilule, et ce que j'ai vu, ce que les gens disaient, là, tu sais, mettons,
le cas classique, tu as 20, 25 ans, 19 ans, 20 ans, première
psychose, tu te ramasses à l'hôpital en psychiatrie, on te médicamente. Et qu'est-ce
qu'on dit aux gens? Ah! bien là, c'est pour la vie, ma pitoune… Oh! excusez.
C'est pour la vie, là, il va falloir que tu prennes des médicaments pour le
reste de ta vie parce que tu as un diagnostic x, y. Et là, tout à coup,
arrive cette question, woups! ça ne l'est plus, incurable. Moi, je le crois,
que ce n'est pas incurable, parce que j'ai des exemples à la pelle des
personnes qui étaient condamnées, puis on disait que c'était fini pour eux, la
vie, là, bien, aujourd'hui, là, qui donnent de la formation, qui sont sur des
C.A., qui rouvrent des congrès, qui rouvrent des affaires… Ce n'est pas... Moi,
je n'y crois pas. Mais ce qu'on dit aux gens, ce que le système psychiatrique a
toujours dit aux gens : C'est terminé, c'est incurable, ça ne reviendra
pas. Là, ça ne l'est plus. De que c'est? On se fie à quoi?
Moi, je pense qu'il
faut se fier aux personnes. Je le sais, je suis plate, je reviens toujours avec
ça, mais c'est vraiment de revenir aux personnes. Moi, il y a des gens que je
connais qui en ont sept, diagnostics, ça va de la dépression à la
schizophrénie. Qu'est-ce qui… un pour chaque jour? Je ne sais pas, mais c'est
comme… On se fie à quoi? C'est sur ce que la personne, elle vit, ce qu'elle
nous dit, c'est sa souffrance. Elle a besoin de médics, bien sûr, qu'elle en
prenne, elle veut essayer de diminuer, ça la regarde. Vous voyez? C'est ça que
je veux dire.
Alors, les grands
experts qui sont venus vous voir, je ne doute pas, sûrement, qu'ils sont
connaissants. Mais le discours, c'est drôle, le discours, il change d'une
décennie à l'autre ou d'un thème abordé à l'autre, alors... Mais que, si la
personne, elle a la conviction qu'elle n'a pas tout essayé ou qu'avec son
médecin ils décident de... elle embarque dans… pour essayer autre chose, ça la
regarde. Mais est-ce qu'on va lui imposer? C'est ça, la question.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci.
• (11 heures) •
Mme Provencher
(Doris) : Nous avons peur que oui.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Donc, je
céderais maintenant la parole au député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum :
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Provencher, M. Moreau, et merci
pour la vigilance, le travail de vos membres tout au long de la pandémie, et
avant, et, je suis sûr, après. C'est un travail de défense tellement, tellement
important.
Écoutez, votre
message est en quelque part clair, mais vous allez convenir avec nous que la
complexité qui suit votre demande, en quelque part, d'un traitement équitable,
et transparent, et réel des gens atteints des maladies de santé mentale, il y a
des complications qui viennent avec ça. D'assurer que la volonté et les
décisions libres et éclairées est respectée, vous allez convenir avec nous,
dans des cas de santé mentale... sont davantage compliqués.
J'aimerais vous
mettre devant un scénario. Là, on a deux questions primordiales devant nous. Et,
un, c'est d'élargir l'accès, peut-être, aux gens atteints des problèmes
exclusifs de santé mentale. Il n'y a pas de façon d'évacuer la qualité de ces
demandes et le respect nécessaire de l'article 26 actuel. Y a-t-il
d'autres balises à ajouter? On ne peut pas s'évacuer de toute cette question.
Dans cette optique, j'aimerais avoir vos commentaires sur un scénario que je
vais inventer. Dans un premier temps, est-ce que des balises sont en place pour
adresser telle situation? Dans un deuxième temps, est-ce que le scénario que je
vais vous donner devrait être assujetti à la possibilité de l'aide médicale à
mourir?
Une madame qui souffre d'une dépression qu'elle
décrit comme intolérable, clinique depuis 18 mois, elle a, dans son passé,
deux tentatives de suicide. Là, elle a subi plusieurs traitements dans sa vie.
En même temps, c'est une mère de famille avec des enfants
qui l'aiment, qu'elle aime. Elle a, dans sa vie, réussi à avoir un emploi
permanent avec des résultats satisfaisants dans certaines périodes de sa vie,
mais, au moment de cette directive, qu'elle
offre... et elle est apte, elle est devant une souffrance qu'elle juge
intolérable, qui perdure, qui a perdu depuis... a perduré depuis
18 mois. Comment est-ce qu'une telle situation devrait être traitée
actuellement ou dans l'avenir?
Mme Provencher (Doris) : Claude,
est-ce que tu veux...
M. Moreau (Claude) : Bien,
personnellement, moi, si une personne vit une telle... dans un tel scénario,
une personne demandait l'aide médicale à mourir, je mettrais beaucoup de bémols
sur son cas, là, parce que 18 mois, je comprends, là, il y a des gens qui
souffrent bien plus longtemps que ça puis qui ne demandent pas nécessairement
l'aide médicale à mourir ou qui ne font pas de tentative de suicide, là.
Surtout si une personne a déjà fait des tentatives de suicide, je ferais très
attention si je serais un des médecins, là, à m'occuper de ce cas-là. Moi,
c'est mon opinion personnelle. Je ne suis pas psychiatre, je ne suis pas... je
n'ai aucune qualification médicale pour ça. C'est juste une opinion, là, que je
vous dis, là, personnellement, ce que moi, je ferais.
N'empêche, il faut quand même porter attention à
sa demande. Il faut quand même, là, prendre en compte sa demande. Il faut voir
s'il n'y a pas d'autre chose à faire. Comme je vous disais, le simple fait de
demander l'aide médicale à mourir, des fois, ça donne espoir aux gens, de voir
que c'est possible. Ça peut être une solution, probablement une solution à
utiliser en dernier recours, mais une solution quand même.
Mme Provencher (Doris) : Un peu dans
le sens... Moi aussi, j'aurais du mal à répondre à ça parce qu'il y a tellement
de critères. C'est en discutant. Est-ce qu'on lui offrirait les services d'un
psychologue? Est-ce qu'on lui... C'est de voir avec elle.
Et moi,
j'avais posé une question... Je ne sais pas combien qu'il y a de suicides au
Québec. Cette personne-là, dans votre exemple s'en va plus loin. Elle
fait sa demande... et là vous allez me trouver tordue probablement, qu'elle
fait sa demande, qu'elle est refusée, O.K., puis elle décide de se suicider. Je
vous laisse ça de même. Parce qu'une personne qui veut mourir, hein, elle va le
faire, elle va réussir à le faire. Peut-être que, si elle avait attendu, elle
s'en serait sortie. C'est ce qu'on souhaite. Mais c'est une réalité que vous ne
pouvez pas fermer les yeux non plus. Il y a des gens qui se suicident. Il y a
des gens qui se suicident dans la valise de leur voiture, avec... hein? Alors
donc, il y a ça aussi que vous devez tenir en compte comme législateur.
J'ai entendu des commentaires, de dire :
Est-ce qu'on va devenir le pays pour l'aide médicale à mourir pour les gens qui
ont des problèmes de santé mentale? Je ne sais pas, mais est-ce que notre société
est assez ouverte? Elle a été assez ouverte pour l'offrir à des gens en fin de
vie, hein? Ce n'est pas partout dans le monde qu'on offre cette possibilité-là.
Alors, maintenant, on est rendus à une autre étape. Les gens qui ont des
souffrances physiques intolérables aussi, qui juge qu'ils sont rendus au bout
de la corde, qui juge ça? Puis je ne suis pas dans la peau, moi, de la personne
qui a une... qui a une déficience et qui a... Je ne suis pas dans sa peau. On
va l'écouter, hein?
Pourquoi je ne l'écouterais pas? Parce qu'elle a
un problème de santé mentale? Ça ne veut pas dire tout de suite bing, bang!
Mais on peut-tu l'écouter puis travailler ça avec la personne au lieu de partir
avec notre idée : Ah bien, non, bien, ça fait juste 18 mois? Ah bien,
non, mais c'est tel diagnostic? Ah bien, non, la... On peut-tu l'écouter et
être ouvert? Peut-être que, là, ça ne marchera pas. Mais on peut-tu...
M. Birnbaum : Je veux... Je
vous suis, mais j'insiste que ma question est basée sur le respect réel, et
certain, et établi de la volonté de la personne. Moi, je ne parle pas
d'imposer...
Mme Provencher (Doris) : D'accord.
M. Birnbaum : ...n'importe
quoi. Et vous allez convenir que ce n'est pas toujours facile. Il y a des gens
qui ont grande inquiétude, je ne sais pas si je la partage, que d'étendre l'aide
médicale à mourir aux gens qui souffrent des problèmes de santé mentale risque
d'être une pente glissante qui va avoir un impact sur le nombre de suicides au Québec.
Comme je dis, est-ce que je partage ça? Comment vous réagissez à ce danger
exprimé par plusieurs des témoins devant nous?
Mme Provencher (Doris) : Qu'il
y aurait plus de suicides si l'aide médicale à mourir est... C'est quoi, le...
C'est quoi, le lien? Pourquoi qu'il y aurait plus de suicides?
M. Birnbaum : Bien, que les
gens vont voir ça comme un recours parce qu'ils souffrent dans... dans la
ponctualité, peut-être pas toute la vie, et ils vont avoir... Ils vont prendre
recours à cette option et peut-être, si ce n'est pas accessible dans un délai,
ils vont passer à l'acte ultime. Quelques-uns nous ont parlé de cette possibilité.
Comment vous réagissez à ça?
• (11 h 10) •
Mme Provencher (Doris) : Je ne
sais pas, Claude, mais moi, je... Je ne vois pas le... Je ne vois pas le lien. Peut-être
même qu'au contraire, si la personne, elle fait une démarche, et qu'on
l'écoute, et que la démarche arrive au bout
pour dire : Bien, non, finalement, non, ça ne convient pas pour la situation.
La démarche qu'elle va avoir faite, là, une vraie démarche, là, ça va peut-être l'aider, au contraire. Moi, je ne suis pas... Je
ne suis pas d'accord avec... Parce que c'est accessible, ça va faire augmenter le taux de suicide? Moi, je ne
crois pas ça, personnellement. Je ne
sais pas. Claude?
M.
Moreau (Claude) : Bien, moi, d'après ce que je connais des... qu'est-ce
qui se passe dans les autres pays... Je pense aux Pays-Bas. Il y a l'aide
médicale à mourir pour les gens vivant un problème de santé mentale puis il n'y
a pas d'impact, il n'y a pas eu d'impact sur l'augmentation des suicides, il
n'y a pas eu une augmentation des suicides, là, d'après ce que j'ai pu
comprendre, de ce que je connais de cette situation-là, là.
Une personne qui veut
se suicider, elle va le faire si elle veut vraiment le faire, là. C'est plate à
dire, mais c'est ça. Bien souvent, une tentative de suicide, c'est un appel au
secours. C'est pour ça que c'est important, les organismes de prévention du suicide, là, c'est important, les programmes
de sentinelles, c'est important, là, qu'il y ait de la publicité dans
les médias de la part du gouvernement.
Bon, je ne crois pas
qu'il y ait une relation de cause à effet entre les problèmes de santé
mentale... Il serait peut-être intéressant de fouiller dans les statistiques
pour voir s'il y a une relation de cause à effet entre les problèmes de santé
mentale et le suicide. C'est sûr qu'une personne qui se suicide n'est pas
vraiment, là, dans son état normal, là. Elle a atteint généralement un
désespoir, là, sans bornes où est-ce qu'elle considère que la seule solution,
c'est d'en finir. À ce moment-là, ce n'est pas... elle n'est pas dans son état
normal. Ça, je suis bien d'accord avec ça. Est-ce qu'elle a nécessairement un
diagnostic de problèmes de santé mentale? Non. Il y a bien des gens, là, je
crois, qui se suicident, mais ils n'ont pas d'antécédents de problèmes de santé
mentale.
Puis je ne crois
pas... Moi, je ne crois pas que ça va avoir un impact, que l'aide médicale à
mourir pour les personnes vivant un problème de santé mentale va avoir un
impact sur le taux de suicide.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. Donc, c'est tout le temps que nous avions, M. le
député. Je céderais la parole maintenant au député de Rosemont.
M. Marissal :
En fait, pour compléter ce que disait mon collègue de D'Arcy-McGee, en fait,
c'est qu'il y a des gens, notamment l'Association québécoise de prévention du
suicide, qui nous ont dit que les gens qui sont vraiment au bout du rouleau,
là, qui ont pas mal tout essayé, qui vivent avec des problèmes de santé mentale
depuis des années, des années et des années, qui se sentiraient justement
écoutées et rassurées de pouvoir faire une demande d'aide médicale à mourir,
et, si on leur refuse, ils vont prendre ça comme un nouvel échec qui pourrait les
conduire éventuellement à poser le dernier geste définitif. C'est la façon dont
on nous l'a expliqué. Je ne sais pas. Je ne suis vraiment pas un spécialiste là-dedans.
Et par ailleurs on a
nous a aussi dit l'inverse, c'est que le fait de pouvoir le demander apaiserait
beaucoup les gens et qu'ils ne commettraient pas l'acte, justement, parce que
c'est possible de le demander. On ne le saura probablement jamais, mais, cela
dit, il y a beaucoup de gens, et puis je réfère encore une fois à l'association
de prévention du suicide au Québec qui nous ont dit carrément, puis je ne crois
pas me tromper de témoin, là, parce qu'on en a entendu quand même pas mal
depuis trois semaines, mais qui nous on dit carrément que ça serait indécent
d'ouvrir, puis je les cite, ce n'est pas moi qui le dis, ce serait indécent
d'ouvrir l'aide médicale à mourir pour les troubles mentaux dans l'état actuel
des soins au Québec. C'est bien placé pour parler de l'état des soins de santé
mentale au Québec. Qu'est-ce que vous... Quelle réaction ça provoque chez vous
quand on dit, par exemple, que ça serait indécent d'ouvrir cette possibilité parce
qu'on connaît justement l'état des soins en santé mentale au Québec?
M. Moreau
(Claude) : C'est sûr que, si vous regardez dans le mémoire, les
gens... il y a beaucoup de gens qui disent qu'ils ne veulent pas nécessairement
demander l'aide médicale à mourir. Ils veulent avoir des soins. Ils veulent
avoir des soins, ils veulent être considérés comme des personnes à part
entière. Ils veulent vivre, mais ils veulent aussi avoir la possibilité de
demander l'aide médicale à mourir si jamais besoin est, là. Il y a des gens qui
ne veulent pas retourner... Il y a, entre autres, un témoignage d'une personne
qui a été hospitalisée, là, plusieurs fois, là, puis qui dit carrément qu'elle
préférait l'aide médicale à mourir que de retourner en psychiatrie. Puis je
comprends parfaitement son point de vue, même si je ne suis pas d'accord avec,
là.
M. Marissal :
Je comprends bien.
Mme Provencher
(Doris) : Deux choses.
M. Marissal :
Mais vous prenez le...
Mme Provencher
(Doris) : Deux choses.
M. Marissal :
Oui, dans les... Oui, allez-y, Mme Provencher.
Mme Provencher
(Doris) : Si je peux me permettre.
M. Marissal :
Oui, allez-y.
Mme Provencher
(Doris) : Par rapport aux personnes qui seraient refusées, par
exemple, l'aide médicale à mourir puis qui pourraient aller se suicider, pourquoi
que, dans les balises qui seraient là, on ne pourrait pas prévoir quelqu'un, un
poste, un suivi, hein...
M. Marissal : Un suivi, oui.
Mme Provencher
(Doris) : ...pour justement une personne, pour la suivre, pour l'aider
à surmonter ça ou de prévoir, en tout cas... enfin, ça. Ça, c'est la première
des choses. La deuxième des choses, je trouve que le mot est un peu fort, là, c'est «indécent», là. Oui, il manque
de services, et pas juste dans le biomédical. Je le dis, je le répète,
dans les organismes communautaires, on sauve des vies, hein? On se le fait dire
régulièrement. Donc, le tissu communautaire, je ne sais pas, pour moi, c'est
autre chose.
Est-ce qu'on va améliorer les services parce que
peut-être la personne pourrait demander l'aide médicale à mourir? Ça fait que,
si, finalement, l'aide médicale à mourir pour raison de santé mentale n'est pas
accordée, on n'améliore pas les services? C'est deux choses, à mon point de vue.
Moi, je trouve — excusez-moi, je vais
reprendre le terme — un
petit peu indécent de mêler les deux.
M. Marissal : Moi, je n'ai plus de
temps, Mme la Présidente. Est-ce qu'il y a...
Mme Provencher (Doris) :
Excusez-moi.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, merci beaucoup à M. Moreau et Mme Provencher d'avoir été
avec nous aujourd'hui.
Donc, sur ce, je suspends les travaux de la commission,
le temps d'accueillir nos nouveaux invités.
Mme Provencher (Doris) : Merci à
vous. Bonne chance.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 11 h 16)
(Reprise à 11 h 20)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, la commission reprend ses travaux.
Nous accueillons maintenant la Fédération
interprofessionnelle de la santé du Québec et sa représentante,
Mme Nancy Bédard, présidente, qui est accompagnée de Mme Suzanne
Prévost, conseillère syndicale. Donc, bienvenue, merci d'être avec nous
aujourd'hui.
Vous disposez de 10 minutes pour nous
présenter votre exposé, et il y aura par la suite un échange avec les membres
de la commission. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.
Mme Bédard.
Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
(FIQ)
Mme Bédard (Nancy) :
Donc, bonjour, Mme la Présidente. Mmes, MM. les parlementaires, merci de nous
accueillir aujourd'hui à cette commission spéciale. Je me présente,
effectivement, Nancy Bédard, je suis la présidente
de la Fédération
interprofessionnelle de la santé du Québec et je suis accompagnée aujourd'hui
par Suzanne Prévost, qui est du secteur sociopolitique.
On
est heureuses, vraiment, de venir partager avec vous notre réflexion concernant
les enjeux liés à l'élargissement potentiel de l'aide
médicale à mourir pour les personnes en situation d'inaptitude et pour
les personnes dont le seul problème médical est un trouble mental.
En tout premier lieu, nous souhaitons saluer la
volonté des élus de poursuivre la démarche de réflexion collective dans le même
esprit qui a précédé l'adoption de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Nous croyons que toute la question du recours de l'aide médicale à mourir
repose sur un choix de société, et la consultation actuelle permet de mener ce
débat de façon large et démocratique.
En tant qu'organisation syndicale vouée à la
défense des professionnels en soins, mais également à celle des patientes et
des patients du réseau public de santé, nous nous sentons particulièrement
interpellés par ces enjeux en raison non seulement de l'importance du droit de
mourir dans la dignité, mais également du rôle et de l'expertise des
professionnels en soins quant aux soins de fin de vie. En effet, vous le savez,
les infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes ont vécu la réalité
terrain des soins de fin de vie, et, par le lien étroit et privilégié qu'elles
ont avec les patients, leur contribution à la discussion est, selon nous,
incontournable.
Tout d'abord, en ce qui concerne l'élargissement
potentiel de l'aide médicale à mourir aux personnes en situation d'inaptitude,
nous sommes favorables à la possibilité de faire une demande anticipée d'aide
médicale à mourir sous certaines conditions. La FIQ a toujours défendu la
liberté de choix des individus en fonction de leurs besoins, de leurs désirs,
de leurs valeurs et de leurs croyances. Par ailleurs, compte tenu de
l'impossibilité d'obtenir un consentement libre et éclairé pour les personnes
inaptes, nous voulons vous partager certaines de nos préoccupations et
réflexions, lesquelles sont le fruit de la pratique des professionnels en
soins.
D'entrée de jeu, nous
sommes favorables à l'idée qu'une personne puisse consentir, de manière
anticipée, à recevoir l'aide médicale à mourir en prévision d'un diagnostic de
maladie neurodégénérative ou d'un accident soudain qui entraînerait de graves
séquelles. Nous croyons qu'il ne devrait pas être nécessaire d'obtenir au
préalable un diagnostic de maladie grave et incurable pour formuler une demande
anticipée d'aide médicale à mourir dans la mesure, par contre, où la personne
respecte les critères permettant l'acceptation de sa demande au moment venu. La
demande anticipée devrait facilement... pourrait être
modifiée ou retirée et devrait contenir l'information détaillée sur la
souffrance et les conditions de vie que la personne anticipe et juge, pour
elle, intolérables.
Advenant un
élargissement de l'aide médicale à mourir pour les personnes inaptes, il nous
semble essentiel de mettre en place des conditions permettant aux personnes et
leurs proches de recevoir des soins empreints de dignité. Pour ce faire, le soutien
et la formation doivent être disponibles autant pour les usagers que pour les
professionnels en soins. En effet, l'accompagnement d'une personne dans un
processus d'aide médicale à mourir est exigeant. Une forte charge émotive vient
avec l'aide médicale à mourir, et ce, autant pour la personne, ses proches que
pour les professionnels en soins. Il est essentiel, donc, que toutes ces
personnes qui sont dans un état de grande vulnérabilité puissent avoir accès à
un soutien psychologique approprié, si elles en ressentent le besoin, bien sûr.
Les professionnelles
en soins qui accompagnent la personne et ses proches lors de l'administration
de l'aide médicale à mourir doivent avoir la possibilité de s'absenter du
travail après l'AMM, advenant le cas où cette expérience aurait été éprouvante
pour elles. Également, dans l'éventualité où les proches pourraient avoir à
déterminer le moment d'exécuter la demande anticipée, ces personnes devront
être accompagnées et recevoir l'enseignement nécessaire pour assumer ce rôle.
C'est le cas aussi pour les professionnelles en soins. Elles doivent pouvoir
bénéficier d'une formation complète portant autant sur l'encadrement légal et
déontologique que sur leur pratique professionnelle et leur expertise clinique.
Pour ce qui est de l'élargissement
de l'aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème médical
est un trouble mental, nous croyons qu'il est nécessaire de consulter des
experts du domaine de la santé mentale afin d'établir des lignes directrices
claires. C'est qu'en effet la question n'est pas simple. Il nous apparaît
essentiel de vous soulever certaines inquiétudes. Depuis nos tout premiers
débuts, nous luttons contre toute forme de discrimination que pourraient subir
les individus. Nous défendons un droit d'accès équitable pour tous aux soins et
aux services sociaux. Donc, c'est à partir de cette prémisse que nous avons
abordé la question.
Le retrait du critère
de fin de vie amène de nouvelles possibilités pour ces personnes, et nous
saluons la volonté des élus d'y réfléchir et de consulter des experts à ce
sujet. Les troubles mentaux sont source de souffrance au même titre que les
autres pathologies. Ainsi, il est essentiel que les personnes souffrant d'un
trouble mental aient accès aux mêmes soins et services que celles aux prises
avec un trouble physique, mais, par ailleurs, cet accès doit être réfléchi et
des critères doivent être clairement établis. Dans l'éventualité où il serait
possible, pour une personne souffrant uniquement d'un trouble mental, de voir
sa demande d'aide médicale à mourir acceptée, nous considérons qu'un délai
minimal devrait être respecté entre le diagnostic et la demande. Nous devrions
aussi nous assurer que la personne ait eu accès à tous les soins et tous les
services nécessaires à son mieux-être. Finalement, la personne devrait avoir
essayé au moins un traitement avant d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.
À notre avis, l'état
de la personne devrait être évalué non seulement par un psychiatre, mais
également par les membres de l'équipe multidisciplinaire. Plusieurs balises
devront être mises en place en lien avec la durée, la sévérité et la
persistance des symptômes. Des lignes directrices claires devront être
précisées en tenant compte de l'avis des professionnelles en soins sur la
question, et ce, particulièrement pour les professionnelles en soins oeuvrant
dans les unités de psychiatrie et intervenant en prévention du suicide.
Tout comme pour les
personnes en situation d'inaptitude, le soutien et la formation sont nécessaires
pour les proches de la personne et pour les professionnelles en soins. Aussi,
pour que l'aide médicale à mourir soit un soutien humain, la charge de travail
globale des professionnelles en soins doit être suffisamment allégée pour
qu'elles puissent s'y consacrer pleinement. Bref, l'élargissement de l'aide
médicale à mourir vient avec son lot de nouvelles pratiques, et l'information
et le soutien, autant clinique que psychologique, s'avèrent essentiels.
Nous sommes
conscientes que la question de l'organisation du travail entourant l'aide
médicale à mourir ne fait pas partie du mandat de la présente commission
spéciale, mais cependant nous croyons que cet aspect doit faire partie des
éléments de réflexion entourant un, éventuellement, élargissement de l'aide
médicale à mourir. On ne peut apporter de tels changements sans tenir compte du
rôle des professionnelles en soins dans le soin de fin de vie. Il faut leur
donner la place qu'il leur revient et leur donner le temps d'exercer pleinement
leur rôle.
À ce titre, nous
estimons que les infirmières praticiennes spécialisées devraient pouvoir
administrer l'AMM. Cela permettrait
d'accroître l'accessibilité et la continuité des soins pour les patientes et
les patients qu'elles ont à leur charge.
De plus, les IPS possèdent la formation et les compétences nécessaires pour le
faire. D'ailleurs, les IPS de certaines provinces canadiennes peuvent
déjà administrer l'AMM, alors qu'elles sont pourtant moins formées qu'au
Québec.
Avant de conclure,
nous souhaitons attirer votre attention sur l'objection de conscience. Depuis
les premières consultations de l'aide médicale à mourir, nous avons toujours
défendu le droit des professionnelles en soins de se soustraire à cette
pratique, et ce, sans qu'aucune sanction ne soit portée contre elles. Les soins
de fin de vie sont particulièrement... et l'aide médicale à mourir peuvent
générer une souffrance importante provoquée par des conflits entre les valeurs individuelles et les actes
professionnels qu'elles ont à accomplir. Les infirmières, infirmières
auxiliaires et inhalothérapeutes ne devraient, en aucun cas, être contraints
d'intervenir à l'encontre de leurs convictions personnelles. Pour ces motifs,
nous demandons que soit maintenu le droit prévu à l'article 50 de la Loi
concernant les soins de fin de vie de refuser de participer à l'aide médicale à
mourir en raison de convictions personnelles.
En terminant, nous
n'insisterons jamais assez, les investissements dans le réseau de la santé sont
essentiels afin de rassurer la population sur ces deux questions. En aucun cas l'aide
médicale à mourir ne devrait être le résultat de considérations économiques ou
sociales. Le choix des personnes d'y avoir recours doit être basé uniquement
sur leurs intérêts, leurs valeurs et sur ce qu'elles considèrent comme une fin
de vie digne. Merci.
• (11 h 30) •
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup, Mme Bédard. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée
de Saint-François pour le début de nos échanges.
Mme
Hébert :
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Bédard et Mme Provost, d'être
là, d'être disponibles pour ces consultations. C'est très important de pouvoir
consulter plusieurs intervenants, et votre vision vient nous apporter aussi quelques
éclaircissements.
Moi, j'aimerais savoir, dans votre mémoire, vous
mentionnez, dans les cas pour l'aide médicale à mourir pour les personnes qui ont des troubles mentaux, que la personne
ait au moins essayé un traitement avant d'y avoir accès. Donc, en
sachant que la nature est volatile, imprévisible, on sait que, pour la santé
mentale, ce n'est pas linéaire, nécessairement, les soins qu'on peut y avoir. Donc, ne
pensez-vous pas que juste un seul traitement, ça pourrait être
insuffisant?
Mme Bédard (Nancy) :
La question est tout à fait pertinente, là. On a consulté, là, plusieurs de nos
professionnelles en soins qui ont déjà participé ou qui sont dans l'entourage
et surtout celles qui travaillent actuellement en santé mentale, et, dans
l'ensemble de l'oeuvre, ce qu'il faut voir avec ce nouveau… cette nouvelle… élément, là, qui est majeur dans l'élargissement,
c'est que... ce qu'on souhaite, c'est que tous ces gens-là aient eu le
soutien et que ce ne soit pas en apprenant un diagnostic ou, pour plein de
raisons, elles n'aient pas eu tous les éléments de soutien et de soins avant de
prendre cette décision. Donc, on parle d'un traitement. C'est ce que nos professionnelles
en soins souhaitent avec l'expertise qu'elles ont, avec la proximité des
patients. C'est l'ensemble de l'oeuvre.
C'est sûr que le plus gros élément actuel quand
on consulte nos gens, c'est qu'ils savent que le soutien et les soins, les
services en santé mentale, actuellement, sont… il y a beaucoup de carences.
Donc, vous comprenez que, quand on pose cette
question-là chez nos professionnelles en soins, ce n'est pas évident, le sentiment
qu'elles ont d'y répondre ou pas. Donc, pour elles, c'est qu'il y ait
accès au traitement puis qu'elles aient au moins eu un cheminement, des soins,
incluant des traitements, avant de pouvoir, si on veut, là, franchir le pas,
là, sur ce soin, là, ce soin médical... soin fin... médical à mourir.
Mais,
écoutez, c'est vraiment nos professionnelles en soins qui sont en première
ligne, qui, eux, sont les meilleurs. Et
elles veulent s'assurer que les gens aient au moins essayé des traitements
avant d'avoir accès à l'aide médicale
à mourir.
Mme
Hébert : Donc, ce
que j'entends, ce n'est pas juste un traitement, c'est des traitements.
Mme Bédard (Nancy) :
Ça pourrait être, parce qu'un traitement peut contenir beaucoup d'éléments.
Donc, quand on parle d'un traitement, pour les professionnelles en soins, ça
inclut plusieurs éléments, hein, que ce soient des suivis, que ce soient...
tous les éléments qui sont offerts en soutien. Donc, ce n'est pas juste la
médication, hein? C'est inclusif, là. Un traitement global, là, peut inclure
plusieurs éléments.
Mme
Hébert : Puis,
vous savez, bon, premièrement, le critère de fin de vie est tombé. C'est un
soin quand même pour… de fin de vie, c'est un soin, que l'on a décidé d'appeler
ici, au Québec. Moi, je veux savoir, par rapport à… que ce soit un soin... Puis
c'est un soin qui est léthal, c'est fini après. On entend plusieurs histoires,
on en a eu depuis le début des consultations, des gens qui nous ont dit qu'à
travers le temps — donc,
d'après moi, ils ont eu plus qu'un traitement ou, en tout cas, un continuum — elles
ont réussi à… puis il y a des fois eu des... différents diagnostics qui
n'étaient pas bons, mais qu'ils ont réussi à retrouver une certaine joie de
vivre, à apprécier la vie après 20 ans de maladie, de dépression, de plein
de problèmes de santé mentale. Donc, j'aimerais savoir : Dans cette
optique-là, qu'il faut être prudent, il faut baliser, pensez-vous qu'il devrait
y avoir un certain nombre d'années pour appliquer les traitements ou le
traitement?
Mme Bédard (Nancy) :
C'est difficile à venir établir un critère de nombre d'années, hein? Quand on
est sur le choix de critères de souffrance, bien, on est, comme individu, apte
à savoir pour nous quelle sera la souffrance qui pourra nous permettre, nous,
de se dire qu'on ne va pas aller plus loin. Donc, c'est vrai qu'il y a toutes
sortes de témoignages, toutes sortes d'histoires dans toutes sortes de
maladies, qu'elles soient physiques ou qu'elles soient mentales. Cependant,
quand on parle d'aide médicale à mourir bien encadrée avec certains critères,
je pense qu'il faut garder ce sens-là et se dire que chaque individu doit
déterminer quelle souffrance qui lui permettra de dire : Bien, moi, je
n'irai pas plus loin, et c'est ce que je souhaite pour moi, avoir comme soin.
Parce que vous l'avez très bien dit, l'aide
médicale à mourir, ce n'est pas un refus de traitement, c'est un soin qu'on
demande avec des critères lorsqu'on aura établi une souffrance, et je pense
qu'il faut quand même garder cette vision-là. L'idée, c'est de s'assurer qu'il
y a des experts qui, eux, sont encore meilleurs que moi, là, puis que je
prétends ça, là, une équipe multidisciplinaire, qui sont vraiment, là, sur la
ligne pour être capables de venir baliser ces critères-là. Et, si on a
confiance en ces critères-là, moi, je fais confiance aux experts, je pense
qu'il faut garder cette patinoire-là, et après c'est selon cette patinoire-là
et ces critères-là que chaque citoyen, chaque individu pourra déterminer que ce
soin-là, il souhaite s'en prévaloir.
Mme Hébert : Mais
vous savez que plusieurs experts sont divisés par rapport à l'incurabilité des
troubles mentaux. On parle de santé mentale. Puis il y a certaines balises, là,
si on veut s'inspirer de qu'est-ce qu'il se fait à travers le monde. Donc, aux
Pays-Bas, en Belgique, eux, ils ont mis des balises qui étaient très sévères
pour encadrer cette pratique-là, puis... dont une qui est le médecin qui... il
peut statuer que la personne, elle n'a pas suffisamment tenté tous les
traitements raisonnables avant de faire une demande d'aide médicale à mourir.
Là, moi,
j'aimerais savoir : Est-ce que vous pensez qu'en donnant beaucoup de
pouvoir au droit de la personne à l'autodétermination, qu'on n'en vienne
pas à basculer plus vers un suicide assisté qu'une aide médicale à mourir?
Mme Bédard
(Nancy) : C'est une préoccupation que nos professionnelles ont
actuellement, parce que vous comprenez que, dans notre rôle comme
professionnelles en soins, depuis toujours, notre rôle, c'est beaucoup la
prévention du suicide et empêcher les gens d'aller au suicide justement pour
tous les éléments qu'on soulève, pour un traitement, pour une stabilité, pour
l'accompagnement, pour le soutien.
Donc, nos gens sont divisés, nous aussi,
là-dessus actuellement. Donc, c'est pour ça qu'on est... qu'on reste sous cette
réflexion large là et qu'on souhaite avoir plus d'avancées sur l'expertise.
C'est un premier pas. Donc, c'est sûr que ce premier pas-là devra être très,
très encadré, mais, en même temps, il y aura une évolution dans le temps de ça.
Donc, il faudra le suivre, il faudra le regarder. Puis je pense qu'il ne faut
pas que ce soit un seul médecin qui puisse déterminer que ça ne peut pas. Je
pense qu'on doit avoir une équipe d'experts, une équipe multi autour des
critères qui pourrait faire en sorte que quelqu'un souffrant d'un trouble
mental pourrait, selon des balises établies, obtenir ce soin... ce soin.
Mais je pense qu'il faut y aller avec prudence, effectivement,
et c'est ce que j'entends des professionnels en soins, surtout dans un contexte,
au Québec actuellement, où le sous-financement, et les services, et les
carences de soins sont dans un état quand même assez difficile. Donc, il y a énormément
d'éléments actuellement, ce qui fait en sorte qu'il faut y aller de façon très,
très prudente.
• (11 h 40) •
Mme
Hébert : Bien, merci
beaucoup, Mme Bédard. De ce que j'entends puis ce que j'entends de votre intervention,
c'est que, même au sein de vos membres que vous avez, que c'est quand même
divisé pour la santé mentale pour y avoir accès, et quoi que ce soit. Ce n'est
pas majoritairement pour, là. C'est ce que vous dites?
Mme Bédard (Nancy) :
J'ajouterais aussi à ça que plusieurs ont dit qu'ils manquaient d'information, parce
qu'il ne faut pas penser que tous les professionnels en soins qui ne sont pas
près, si on veut, des soins de fin de vie actuellement, sont aptes à réfléchir,
là, de tous les aspects de ça. Mais je vous…
Donc, oui, effectivement, là, c'est divisé. Ce
n'est pas évident. Donc, je ne peux pas… je ne suis pas… je ne peux pas vous
dire oui, non. Mais la question de l'accessibilité, actuellement en santé
mentale, est beaucoup plus préoccupante sur des éléments de questionnement par
rapport à ce soin de vie là et à l'ouverture en santé mentale, donc c'est pour
ça que... les balises, les critères, et il faudra s'assurer, si jamais la
législation va jusqu'à cet accès... Puis, en même temps, pour elles puis pour
nous, ce qui n'est pas évident, c'est qu'on est capables de dire que la
souffrance psychologique vaut autant que la souffrance physique dans le critère
d'accessibilité aux soins de fin de vie. Donc, ce n'est pas évident comme
questionnement.
Mme
Hébert : Parfait.
Bien, merci, Mme Bédard. Ce que j'en retiens, de votre intervention, c'est
qu'il faut prendre soin de la vie avant d'anticiper un soin vers la mort.
Alors, merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente. Je vais laisser la parole à
mes collègues.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je céderais la parole à députée de Soulanges.
Mme Picard : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, mesdames. Vous avez parlé que l'aide médicale à mourir
pourrait être administrée peut-être par une infirmière praticienne spécialisée.
J'aimerais vous entendre sur le rôle des infirmières, tout particulièrement
dans tout le processus de la demande jusqu'à l'administration. Y voyez-vous…
Comment on pourrait bonifier l'offre au patient avec vous, les infirmières,
pour donner plus de place aux infirmières à travers le processus?
Mme
Bédard (Nancy) : Bien, il y a quand même
plusieurs éléments. C'est sûr qu'actuellement nos infirmières, infirmières auxiliaires,
inhalothérapeutes, nos infirmières praticiennes spécialisées, dépendamment des
endroits, des équipes, ils en font partie, là, on a quand même plusieurs
professionnelles en soins, actuellement, qui sont dans le processus. C'est sûr que, pour nous, nos
infirmières praticiennes spécialisées pourraient aussi, là, faire
l'administration de l'AMM comme ailleurs au Canada. Bien sûr que, comme tout
médecin, actuellement, qui le font, il faut quand même avoir la formation supplémentaire, là, puis l'encadrement qui vient
avec, mais on est convaincus qu'avec l'élargissement et l'application,
là, de l'AMM faite par nos infirmières praticiennes spécialisées... pourraient
favoriser un meilleur accès, soutien aussi et... au niveau de ce service.
Au niveau des professionnels en soins, c'est sûr
que ce n'est pas toujours évident, puis c'est pour ça qu'on a osé, puis on le
fait souvent en commission parlementaire, venir parler aussi de l'organisation
du travail et de s'assurer que l'ensemble de l'équipe de soins, quand on a de
prévu... hein, parce que c'est quand même prévisible, là, un AMM, qu'on puisse
organiser le travail pour qu'on ait tout le temps nécessaire pour faire en
sorte que, dès le départ, on puisse accompagner les familles. Donc, que ce soit
dès qu'on a un début de discussion avec le patient ou la famille et tout au
long du processus, parce que c'est à géométrie variable quand même, les délais
et les processus en ce sens-là, actuellement, on puisse favoriser d'être
capable de bien accompagner, bien répondre. Alors, que ce soit sur
l'enseignement, comment ça va se faire, nos professionnelles en soins préparent
aussi, hein, on a jusqu'à la dernière minute, toute la préparation, le soutien
autant à la famille... le patient, qu'on parle de la veille, du matin, c'est un
processus, là, cet accompagnement-là.
Donc, la plus grande
difficulté actuellement, c'est d'avoir le temps, parce qu'on sait, là, la
surcharge de travail... et je vous dirais aussi que la formation, la formation
est à géométrie variable. Donc, on a formé parfois des… certaines
professionnelles en soins, mais, avec le temps, on ne forme pas et on ajoute
des professionnelles en soins, dépendamment des besoins
qu'on a, et nos professionnelles en soins, dans la consultation qu'on a faite,
ça ne répond pas vraiment à ce que ça demande. Donc, souvent, une fois qu'elles
l'ont vécu ou qu'elles l'ont fait, elles voient certaines carences et elles
demandent, si on veut, des ajustements à la formation ou à l'accessibilité de
la formation. Il faut être bienveillant. Il faut que le système, la gestion,
l'organisation du travail comprennent que ce processus est important. Et on
doit avoir une vigilance puis une bienveillance pour la préparation autant en
amont qu'après. Et c'est pour ça aussi qu'on souhaite… puis on fait certaines
recommandations pour, après, le soutien, être capable de débriefer, être
capable d'avoir des rencontres après pour être capable de discuter en équipe ou
avec des professionnels. Parfois, ça peut être la personne qui a vécu une
difficulté qui a un besoin. Parce que, sinon, elle va juste peut-être quitter
cette pratique puis elle va dire : Je ne veux plus la faire, pour plein de
raisons, parce qu'elle a manqué de soutien. Donc, c'est autant en amont
qu'après. Et je vous dirais qu'en amont, bien, bien sûr, là, c'est la formation, beaucoup, puis de s'assurer qu'on est
toujours, là, tu sais, prêts et qu'on se sent bien pour le faire. Donc,
voilà.
Mme Picard :
Merci beaucoup pour vos réponses.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. J'aurais beaucoup de questions, mais je dois
passer la parole à la députée de Mille-Îles.
Mme
Charbonneau :
Je suis désolée, Mme la Présidente, de couper votre élan comme ça, mais le
temps…
La Présidente (Mme
Guillemette) : Allez-y.
Mme
Charbonneau :
...dans l'obligation que nous avons.
Mesdames, bonjour.
Mme Bédard, Mme Prévost, c'est un plaisir de vous entendre. C'est
surtout intéressant de voir la place où vous
situez les gens que vous représentez, puisqu'on a entendu des gens de plusieurs
organisations.
Quand
vous dites : L'IPS… Et, vous
avez raison, les IPS à travers le Canada ont des obligations qui
ressemblent différemment aux nôtres, et je vais rajouter qu'il a fallu se
battre pour qu'il y en ait puis qu'il a fallu faire en sorte qu'on leur donne
un peu plus de responsabilités. Ce que vous faites comme commentaire, c'est une
responsabilité supplémentaire. Vous dites qu'ils pourraient être des
administrateurs. Est-ce qu'on peut voir là une responsabilité qui viendrait
peut-être s'ajouter en…
Et je vous fais mon
scénario, là, je vous dis où je m'en vais avec ça. Un peu plus tôt, on a entendu
des médecins nous dire : Quelques fois, le deuxième médecin arrive trop
tard, arrive trop tard pour faire la deuxième évaluation, pour dire que, oui,
le patient est là, devrait recevoir l'aide médicale à mourir. Y a-t-il lieu de
regarder une responsabilité qui pourrait vous appartenir, appartenir aux IPS
pour pouvoir compléter une demande en évaluation de recevoir l'aide médicale à
mourir? Puisque vous seriez aptes à administrer, puisque vous êtes aptes,
j'imagine, à reconnaître la douleur et la
souffrance, dans la mesure où on est capables de le reconnaître, voyez-vous une
responsabilité qui pourrait s'adjoindre à
celle du médecin, en deuxième constat, pour voir si la demande du patient, elle
est bien fondée?
Mme Bédard (Nancy) : Ça m'apparaît tout à fait possible. À partir du
moment où nous, dans nos recommandations,
on dit qu'une infirmière praticienne spécialisée… elles peuvent suivre un
patient, peuvent être dans le processus,
peuvent l'administrer, alors elles peuvent travailler en étroite collaboration
de pairage, si on veut, avec un médecin pour
justement assumer aussi cette responsabilité-là. Donc, elles auraient toutes
les compétences pour le faire.
Mme Charbonneau :
Merci. Ma deuxième question était : Dans votre mémoire, vous dites que c'est
important de pouvoir mettre un soutien en suivi de l'acte aux gens de la
famille, hein, de milieu familial, mais aussi aux professionnels. Bon, j'ouvre
une parenthèse. On se rappelle qu'on n'a pas le service partout, puis, en ce
moment, il est plus difficile et encore plus... je vais garder le mot
«difficile», c'est plus gentil, mais c'est très difficile d'avoir des services
en psychologie puis en suivi. Est-ce que c'est un critère qui pourrait empêcher
quelqu'un de recevoir l'aide médicale à mourir, puisque je ne pourrai pas
soutenir l'équipe médicale, je ne pourrai pas soutenir l'ensemble de sa
famille? Et, si j'avais à prioriser un soutien, bien, instinctivement, moi, je
vous dirais : J'irais vers la famille parce que c'est un lien affectif
comparé au lien professionnel.
Mais, si je ne peux
pas offrir de soutien à l'équipe médicale, est-ce que ça pourrait être un
critère pour ne pas offrir l'aide médicale à mourir ou de prolonger la date à
laquelle l'éventualité du soin pourrait arriver?
• (11 h 50) •
Mme Bédard
(Nancy) : C'est sûr que non. L'idée, ce n'est pas d'opposer un
à l'autre, certainement pas. Mais, quand on est en commission, en réflexion,
qu'on parle d'élargissement, je pense qu'il faut s'assurer de mettre tous ces
leviers-là en place pour être garant de succès pour tous. Puis, au final, c'est
le patient qui est garant du succès quand on s'assure que tous les leviers sont
à la disposition des professionnels en soins. Puis ce n'est pas tout le monde,
hein, ce n'est pas tout le monde qui en a nécessairement besoin, mais, en
organisation, quand on sait qu'on offre ce soin, quand on sait qu'il peut y
avoir un élargissement, bien, il faut mettre les choses en place. Si on n'en
parle pas, si on ne le met pas puis si on ne parle pas de tous ces leviers-là,
bien, on connaît le réseau, c'est les éléments qui vont être mis de côté puis
ça va devenir une problématique.
Donc, je pense qu'il
faut s'assurer, autant pour l'équipe qui donne le soin, pour que le soin soit
correct, qu'on fasse le cheminement, puis, au final, c'est toujours le patient
qui bénéficie de ça.
Donc, je ne veux pas mettre en opposition un et
autre, le soin du patient puis le patient, c'est toujours une primauté pour
nous, mais je vous dirais qu'avec tout ce qu'on a vécu dans les dernières
années, tout élément, à un moment donné, un, dans la
balance des inconvénients fait en sorte que c'est le patient qui en paie le
prix. Puis là je n'élargirai pas sur tout ce qui se passe dans le réseau actuellement,
mais l'objectif, c'est ça, finalement. Et je pense qu'on est capables de le
faire, et il faut commencer à redresser. Et, quand on élargit puis qu'on met
des cadres de soins en place, bien, il faut commencer à s'assurer que toutes
les pierres sont en place. Parce que, quand on est déficients sur certaines
pierres, bien, au final, c'est le soin qui devient, si on veut, déficitaire de
quelque chose.
Mme
Charbonneau : Je comprends
que, dans le respect des gens, vous voulez qu'on reconnaisse
l'autodétermination et l'accessibilité. J'ai bien compris puis, je vous
dirais bien discrètement, je suis très d'accord avec vous. La charge émotive
qui vient avec une décision comme celle-là, elle est quand même assez grande,
mais je vous dirais que... avec courage, vous dites aussi pour la santé mentale.
Pour la santé mentale, on a entendu des gens qui étaient pour et des gens qui
étaient contre, hein? On est un peu en réflexion par rapport à l'ensemble des
témoignages que nous avons reçus. Vous nous parlez d'un délai minimal. Vous
dites : Il faut qu'il y ait un certain délai minimal pour s'assurer. Il y
a certains regroupements qui nous ont dit : Bien, après un certain temps,
le délai amène le patient à trouver une qualité de vie. D'autres nous ont
dit : Bien, ce n'est pas le délai, c'est le fait de ne pas avoir de choix,
c'est le fait qu'on ne respecte pas cette personne-là dans sa demande
autodéterminée de dire : Je veux avoir le droit médical à mourir.
Quand vous
nous dites : Il devrait y avoir un aspect bien réfléchi, des dérives bien
en place et un délai minimal, qu'entendez-vous par «délai minimal»?
Mme Bédard (Nancy) :
C'est sûr qu'on n'a pas établi de délai. Ce que nos professionnelles en soins, notamment
en santé mentale, par l'expertise, l'expérience qu'elles ont, elles nous ont
dit… Puis, encore là, je le redis, hein, c'est vraiment l'élargissement puis
c'est quelque chose de nouveau où on a moins, si on veut, de données face à
certains stades ou certains éléments, notamment comme l'Alzheimer, c'est
différent un peu. Ce qu'elles souhaitent, c'est que... parce que le choc
d'apprendre que tu as potentiellement une maladie mentale, entre le diagnostic
et la demande, bien, c'est de s'assurer que la personne s'est déposée, la
personne a eu tout le soutien autour d'elle, un peu ce que je disais tout à
l'heure, là, pour ne pas tout me répéter. Donc, c'est un peu ça. Donc, pour
nous puis nos professionnelles en soins, il n'y a pas eu de délai
nécessairement, mais le délai, c'est ce que ça veut dire, tu sais. Il faut
s'assurer qu'entre avoir le diagnostic...
Moi, je peux vous dire… tu sais, on peut se dire
aujourd'hui : Bien, moi, si j'avais tel diagnostic demain matin en santé
mentale, c'est sûr que je ne veux pas ci, je ne veux pas ça. Mais, quand tu as
le choc de ça puis, après ça, ce que tu peux décider, ce que nos professionnels
en soins disaient, de par ce qu'ils ont vécu, c'est le délai, le délai du
soutien, d'aller voir les gens, d'être capable de voir des associations, c'est
ce qu'ils souhaitaient aujourd'hui, à prime abord, là, en santé mentale.
Mme
Charbonneau :
Quand j'ai un diagnostic médical d'une maladie comme le cancer — je
vais prendre celle-là parce que c'est un exemple facile — j'ai
le cancer, mon médecin me l'apprend, c'est une mauvaise nouvelle pour tout le
monde, mais, pour moi, elle est… bien, elle est «dévasteuse», puis je veux… je
ne veux pas aller plus loin dans le principe de soutien médical, alors je peux
refuser le traitement.
Dans votre mémoire, vous dites : Il faut
que le patient en santé mentale ait au moins accès à un traitement. Ici, je
suis devant un médecin, je passe toute la catégorie de spécialistes que je dois
voir, on m'annonce l'éventualité que… c'est concret, là, il y a un problème de
santé mentale qui est évident, mais que je ne veux pas avoir de traitement, je
veux juste dire : Je ne veux pas vivre avec ça, j'ai vu mes parents vivre
avec ça. Je ne veux pas passer au travers cette période-là pour avoir une
finalité qui sera celle que je crois puisque l'image et l'histoire dans ma
tête, c'est celle que j'ai vue chez mes parents. Pourquoi, de votre côté, vous
dites : Il faut absolument que le patient ait au moins un… la possibilité
d'un minimum d'un traitement?
Mme Bédard (Nancy) :
Comme je le disais tout à l'heure, pour nos professionnelles en soins qu'on a
consultées, notamment qui accompagnent les patients actuellement, c'est
difficile, cette question-là. Et, pour elles, actuellement, les gens, ce qu'ils
ont besoin le plus, c'est de s'assurer d'avoir des soins, des services, du
soutien, la première ligne, l'accessibilité. Et c'est tellement ça qui ressort
que c'est difficile, comme professionnelles en soins, dans ce qu'elles voient,
de se dire : Bien, dans le cursus de quelqu'un qui a une maladie mentale
ou qui apprend qu'il a un trouble mental, le besoin en soutien puis en soins
est plus élevé que la… ce qu'il voit actuellement de personnes qui reçoivent un
diagnostic et qui pourraient, du jour au lendemain, se dire : Bien, moi,
ça… tu sais, je veux ce soin de fin de vie là rapidement. Donc, c'est vraiment
dans le contexte, la conjoncture, ce qu'elles ont vécu.
Puis ce qu'ils nous ont demandé beaucoup, c'est
de la prudence. Puis il faut comprendre que, comme professionnelles en soins,
ce que nous avons, nous, dans notre ADN depuis toujours, c'est d'empêcher les
gens de se suicider. Donc, la question, puis je le dis très humblement, la
question est difficile actuellement pour une professionnelle en soins. C'est
pour ça qu'en même temps on remet beaucoup d'éléments dans les mains d'experts
aussi puis d'équipes multis pour des réflexions, parce que ce n'est pas
tranché.
Donc, l'idée de soutien, d'investissement, de
traitement, elle est au sens large pour s'assurer qu'il y ait un certain délai
puis s'assurer que la décision du patient avec un trouble de santé mentale…
mais toujours dans la prémisse... et c'est là que les valeurs sont difficiles
pour les professionnelles en soins, dans la prémisse qu'on comprend que la
souffrance psychologique vaut autant que la souffrance physique. Mais,
cependant, c'est tout le bagage puis l'ADN avec lequel on a travaillé avec les
années et ce qu'on voit à tous les jours qui rend difficile le noir ou blanc puis de dire : On tranche, oui, en santé
mentale parce qu'il y a trop de besoins de soutien actuellement. Et c'est plus
ça qui ressort.
Donc, quand on consulte les gens, ils ne sont
pas prêts à être aussi avancés, si on veut, dans la réflexion que la santé
physique, même si, pour elles, il y a certains critères qui feraient en sorte
qu'elles seraient à l'aise, mais elles veulent vraiment s'assurer… Puis,
honnêtement, j'ai parlé à quelques-unes, notamment, dernièrement, puis elles
disaient : C'est vraiment difficile dans le contexte... On voudrait
tellement s'assurer que ce soit encadré, qu'il y ait des critères, que les gens
aient eu tous les traitements que ça prend pour s'assurer que leur choix de ce
soin-là est tout à fait sur les bonnes bases, si on veut.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, Mme la députée. Je céderais maintenant la parole au député
de Rosemont.
M. Marissal : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Mme Bédard. Je me permets un petit commentaire. Vous
revenez souvent, dans vos recommandations, avec une idée de consulter pour
avoir des lignes spécifiques ou des directives, mais je n'en trouve pas
beaucoup dans votre mémoire, en tout cas, pas de façon précise. Puis c'est un
peu pour ça qu'on voulait vous entendre, c'est un peu ça qu'on fait, là, de
toute façon. Mais ce n'est pas un reproche, là, c'est juste qu'on cherche des
éclairages.
Vous disiez, par ailleurs, et ça, c'est une
question, vous insistez sur la nécessité de garder la question de l'objection
de conscience. Je pense que c'est fondamental, effectivement, là, y compris
pour vos membres. Mais, si vous sentez le besoin, Mme Bédard, de le
préciser, est-ce que c'est parce que vous sentez qu'à l'occasion il y a des
pressions ou que ce n'est pas bien respecté, suffisamment?
• (12 heures) •
Mme Bédard (Nancy) :
Non, pas du tout. C'est… Dans les faits, c'est qu'en même temps qu'on demande
que, mettons, notre infirmière praticienne spécialisée puisse, elle aussi,
l'administrer, ce qu'on souhaite dans cet élément qu'on souligne, c'est qu'on
puisse aussi… et s'assurer surtout, tout comme les médecins, que, quand un
médecin fait valoir l'objection de conscience, il a l'obligation de référer le
patient à un autre médecin ou il va aller voir son directeur d'hôpital puis il
va dire : Il faut que vous vous assurez que quelqu'un d'autre prend en
charge cette demande-là. Et ce qu'on souhaite dans le maintien, mais surtout ce
qu'on a eu comme échange avec certaines professionnelles en soins qui avaient
aussi cette préoccupation-là, c'est de s'assurer que ce devoir-là et cette obligation-là
soient aussi obligatoires pour les IPS, s'il faut, parce que, dans le code de
déontologie actuellement, contrairement au médecin, ce n'est pas écrit.
Donc, ce qui sous-tend tout ça, finalement,
c'est qu'on puisse, oui, comme la loi le précise actuellement, faire partie de
cette loi au niveau de l'article 50. Cependant, il faut aussi avoir le
levier pour s'assurer que le patient va tout de suite avoir quelqu'un qui va
pouvoir poursuivre avec cette demande.
M. Marissal : C'est bon. Par
ailleurs, vous insistez aussi beaucoup sur l'organisation du travail, sur le
temps nécessaire pour bien faire les choses, sur le personnel requis aussi pour
bien faire les choses. Peut-être nous éclairer là-dessus un peu, parce que,
dans l'imaginaire, je pense, là, du commun des mortels, là, ça s'applique ici, dont
je suis, c'est simple, l'application de l'aide médicale à mourir. C'est essentiellement...
c'est quasiment une formalité, hein? On a une aide... une demande d'aide
médicale à mourir, on arrive avec l'équipement puis le médicament, puis, paf!
c'est fait, là, puis merci beaucoup. Mais vous nous dites que c'est plus
compliqué. Dans la perspective où il risque d'y en avoir plus, là, si
d'aventure on ouvre la loi, là, on élargit, qu'est-ce que vous voulez dire par
prendre le temps? Et peut-être nous éclairer sur comment ça marche vraiment,
là, quand ça se produit.
Mme Bédard (Nancy) :
Bien, c'est-à-dire qu'il y a quand même une préparation, puis chaque famille
est différente, puis chaque situation est quand même différente, mais il y a
quand même un élément... si on sait qu'à 10 heures, demain matin, on a un
patient qui va obtenir ce soin, bien, dans les... la veille certainement, là,
et le matin tôt, il y a différents éléments d'accompagnement qui peuvent être
souhaités par la famille, qui peuvent être souhaités aussi par le patient. Et
la présence, la charge de chacune des familles, elle est différente malgré que,
pour plusieurs, on parle, au final et après, que ça a été une expérience quand
même forte en émotion, que c'est positif, que ça s'est bien fait, on a des
super beaux témoignages, mais tout ça ne dépend pas juste... tu sais, c'est
l'environnement inclusif des gens qui sont autour d'eux, des gens sur chaque
quart de travail. Souvent, c'est le 24 heures qui vient, qui... même
après, ces gens-là ont besoin d'accompagnement pour plusieurs raisons, ça peut
être des questionnements, ça peut être des demandes, ça peut être une façon
qu'ils veulent que les choses se fassent. Donc, ça prend... c'est la
professionnelle en soins, et l'équipe, qui est autour d'eux, qui rendent ce
moment-là à la couleur et aux besoins... la dignité. Et ce soin-là demande de
l'accompagnement dans les heures avant puis parfois après.
Et vous comprenez qu'actuellement, que je sois
dans un centre d'activité où j'ai un patient qui va l'avoir, bien, moi, si ma
charge de travail est de 12 patients puis qu'on est à moins
trois infirmières, je vais avoir mes 12 patients qui vont sonner, qui
vont demander. Et parfois on a eu des gens qui nous ont dit : Bien, moi,
j'avais un patient qui n'allait pas nécessairement bien, c'est arrivé l'heure
avant, et là ma collègue s'en occupait, j'étais quand même préoccupée, je ne me
sentais pas 100 % avec cette équipe-là. Donc, ça ne peut pas être un
soin... Puis, tu sais, on pourrait en parler sur chaque soin, actuellement,
mais je vais me concentrer là-dessus.
Mais cette
période-là, pour qu'elle soit une période où les familles et le patient vont
sentir cette dignité-là, demande un moment, demande du temps et demande des
gens qui sont là, donc des professionnelles en soins. Autant le
temps en termes de temps, mais aussi le temps mental, on doit être disposé pour
accompagner les gens. Donc, l'organisation. Et la chose qui est intéressante
dans celle-ci, c'est qu'elle est prévue d'avance. Donc, si elle est prévue d'avance, on doit être capable... puis ce
qu'on demande, c'est qu'au niveau de la bienveillance des gestionnaires,
de l'organisation du travail, on puisse avoir la journée, quand on a un
patient, pour que toute l'équipe puisse se réorganiser un peu et faire en sorte
que les gens qui accompagnent aient tout le temps, autant dans leur tête qu'en
travail, de pouvoir bien accompagner.
M. Marissal :
Je vous entends bien. Je vous remercie, Mme Bédard.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Avant de céder la
parole à la députée de Joliette, j'aurais besoin du consentement de tout le
monde pour qu'on dépasse un peu notre temps.
Consentement. Donc,
Mme la députée, la parole est à vous.
Mme
Hivon :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux. J'ai très peu de
temps, donc je vais aller droit au but. La plupart des groupes qu'on a entendus
nous ont dit qu'ils jugeaient qu'il faudrait avoir un diagnostic d'établi pour
pouvoir faire une demande d'aide médicale anticipée. Il y a eu quelques
exceptions, puis aujourd'hui il y en a deux,
quand même notoires, vous et la fédération des médecins... voyons! la
fédération des omni, juste avant vous, et donc je voulais voir, je n'ai
pas eu le temps de l'aborder tantôt avec les médecins, quand vous dites, puis
je comprends très bien, là, vous dites : On peut imaginer un cas d'AVC où
on pourrait prévoir à l'avance qu'on voudrait avoir l'aide médicale à mourir,
je voulais vous entendre sur deux éléments par rapport à ça, parce que vous-même, vous venez de dire que, des fois, c'est
difficile de se projeter, donc on veut avoir le maximum d'information
pour pouvoir, à l'avance ou au moment même, quand vous parlez des troubles
mentaux, pouvoir être vraiment bien enligné. La difficulté que je vois, c'est
que, par exemple, si on fait un AVC, puis on connaît les critères de l'article
26, il faut avoir une maladie grave et incurable.
Donc, je voulais
savoir si, dans votre optique, c'est plus un état qui peut être grave et
incurable ou, si, vraiment... si on fait un accident ou un AVC, est-ce qu'on
pourrait se qualifier en vertu du critère de la maladie grave et incurable?
Puis l'autre élément, c'est que certains nous ont dit : Dans ces
circonstances-là, souvent, un arrêt de traitement va peut-être être suffisant
puisque beaucoup de gens vont être branchés à des respirateurs, vont avoir
besoin d'hydratation artificielle, et tout ça. Donc, je voulais vous entendre
là-dessus.
Mme
Bédard (Nancy) : Effectivement, pour nous,
c'est plus un état, donc l'évaluation qu'on a faite, c'est d'établir des critères de souffrance, des critères
pour une personne qui va dire : Bien, pour moi, avec ces éléments-là
et cet état-là, je choisis ce soin, donc on
est plus dans l'état. En lien avec votre autre question, puis là j'aurais
comme besoin...
Mme
Hivon :
C'est la question du refus de traitement, c'est que certains nous disent que,
dans la plupart de ces cas-là, le refus de
traitement peut être suffisant, il
n'y a pas... parce que beaucoup
de personnes vont être branchées à un
respirateur, beaucoup de personnes, dans ces situations-là,
vont avoir besoin d'hydratation, d'alimentation artificielle. Je voulais
juste vous entendre là-dessus.
Mme
Bédard (Nancy) : Bien, c'est quand même différent comme
approche puis comme choix de soins. Un refus de traitement, c'est une chose,
mais le choix de faire en sorte que je veux avoir le soin d'aide médicale à
mourir, c'est un soin pour nous. Donc, c'est deux approches différentes et
c'est deux éléments qui sont quand même un choix personnel que les gens
puissent faire. Et, pour nous, on souhaite quand même que ce soit un choix de
soins de fin de vie, si on veut l'aide médicale à mourir, plutôt que juste de
dire qu'on met fin, là, à un traitement puis on débranche. Alors, on peut s'acharner, là, puis je suis quand même
une professionnelle en soins, là, j'ai vu, là, des
patients qu'on branchait, qu'on retardait, puis il y a une chose qui est importante
pour nous et que les professionnelles en soins ont dit, c'est que, quand on
fait, nous-mêmes, ce choix-là avec des critères établis, là, on l'a très bien
dit, ça enlève énormément de poids et de pression sur les proches et les
familles, tandis qu'il y a des discussions parfois qui... puis ça se fait de
façon différente, tandis que, quand on est dans des refus de traitements,
parfois, l'approche est différente, et le choix de débrancher quelqu'un, même
si c'est son choix qu'il a fait, ça reste extrêmement pénible pour les familles
aussi. Donc, voilà un peu, là, la différence qu'on y fait.
Mme
Hivon :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Merci beaucoup,
Mme Bédard et Mme Prévost, d'avoir été avec nous ce matin.
Sur ce, la commission
suspend ses travaux jusqu'à 15 heures... 13 h 15, pardon, cet après-midi.
Une voix :
Merci.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci encore, mesdames, d'avoir participé aujourd'hui.
(Suspension de la séance à
12 h 10)
(Reprise
à 13 h 15)
La Présidente (Mme
Guillemette) : Bon après-midi. Donc, la Commission spéciale sur l'évolution
de la Loi concernant les soins de fin de vie reprend ses travaux.
La commission est
réunie virtuellement afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions
publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Cet après-midi, nous
entendrons les groupes suivants : l'Ordre des orthophonistes et des
audiologistes du Québec et Dr Pierre Viens.
Donc, sans plus
tarder, j'accueille nos premiers intervenants, l'Ordre des orthophonistes et
audiologistes du Québec et leurs
représentants, Mme Marie-Claude Paquette, directrice du développement
professionnel, et M. Paul-André Gallant, président. Bienvenue,
merci d'être avec nous cet après-midi.
Donc, vous disposez
de 10 minutes pour nous présenter votre exposé, et par la suite il y aura
un échange avec les membres de la commission. Donc, sans plus tarder, je vous
cède la parole.
Ordre des orthophonistes et
audiologistes du Québec (OOAQ)
M. Gallant (Paul-André) :
Alors, merci beaucoup, Mme la Présidente. Je tiens à remercier les membres de
la commission de nous recevoir aujourd'hui. Les présentations ayant été faites,
je propose qu'on aille directement dans le vif du sujet aujourd'hui.
Tout d'abord, nous
vous avons transmis un mémoire qui est basé sur la littérature internationale
et les données probantes. Nous espérons que ça va vous éclairer davantage.
Mais, pour lancer la discussion, on va vous rappeler pendant ces
10 minutes les grandes lignes de ce mémoire.
Alors, tout d'abord,
sachez, les orthophonistes et les audiologistes, qu'est-ce qu'ils viennent
faire dans ce débat important. Alors, les orthophonistes et les audiologistes
sont des spécialistes de la communication humaine. La communication, c'est
quoi? Bien, en premier, minimalement, pour avoir une bonne communication, il
faut un interlocuteur, une personne qui va être... qui va écouter, donc,
l'autre. Puis communiquer, c'est quoi? C'est entendre, comprendre, raisonner, s'exprimer, exprimer nos pensées, nos idées.
Communiquer, c'est un acte qui est fondamental tout au long de la vie,
dès la naissance jusqu'à la mort.
Donc, on a suivi
attentivement la commission. Les excellentes questions qui ont été posées aux
participants renforcent notre point de vue sur le fait que les capacités
communicationnelles sont au coeur des soins de fin de vie, et particulièrement au niveau de l'aide médicale à
mourir. Beaucoup de questionnements de la commission concernent
l'aptitude. Or, ce qui ressort, ce sont deux notions clés, à notre avis, qu'on
veut aborder ensemble. Donc, la première : le consentement éclairé. Qui
implique quoi? La transmission de l'information sur la maladie, son issue, son
traitement, et surtout la compréhension de celle-ci, et aussi la capacité à
décider, c'est-à-dire l'autodétermination qui passe nécessairement par
l'expression de cette décision selon différentes modalités.
Alors, je pose la
question : Comment consentir de façon éclairée et exprimer ses volontés
quand la communication est entravée? Voilà une question qui devrait être au
coeur des critères des soins de fin de vie. Sans la communication avec la
personne, le personnel soignant et les proches nagent un peu dans un flou qui
peut être soit aveuglant, perturbant, puis même mener à certaines dérives.
L'évolution de la maladie nécessite de maintenir le besoin de communiquer le
plus longtemps possible parce que les besoins de la personne évoluent avec
celle-ci.
Alors, là-dessus, je
passe la parole à ma collègue Marie-Claude.
• (13 h 20) •
Mme Paquette
(Marie-Claude) : Alors, je ne vous apprendrai rien, certainement, si
je vous dis que, dans la loi fédérale, on a énoncé une série de mesures de
sauvegarde, mais il y a l'alinéa j qui nous a particulièrement interpellés
puisqu'on demande au médecin ou à l'infirmière praticienne et l'infirmier
praticien, là, qui aurait à décider d'administrer l'aide médicale à mourir, de
s'assurer que la personne... que «si la personne éprouve [des difficultés] à
communiquer — c'est
bien nommé comme ça — [il
faut] prendre les mesures nécessaires pour lui fournir un moyen de
communication fiable afin qu'elle puisse comprendre les [informations] qui lui
sont [fournies] et faire connaître sa décision».
Donc, si on y va par
étape, donc on parle des personnes qui éprouvent des difficultés à communiquer,
donc est privée de communication à cause d'une maladie mentale, parce que ça
peut aussi être dans ce cadre-là, d'un trouble neurocognitif majeur, d'un
trouble de l'audition. C'est sûr que ça va limiter la capacité à comprendre
l'information qui nous est donnée ou à s'exprimer de manière verbale, un
problème ou un bris de communication. Donc, ça va avoir des impacts sur la
personne et aussi sur cette capacité à consentir. Il faut donc que ces
personnes qui ont des difficultés à communiquer soient bien identifiées, puis
on espère qu'un professionnel, que ce soit un orthophoniste, un audiologiste ou
un professionnel de la santé, sera présent pour évaluer ces personnes-là, bien
les identifier puis ensuite pouvoir mettre
en place les moyens nécessaires pour les capacités résiduelles de
communication. Parce que c'est rare qu'il n'y en ait plus du tout, il faut
aller chercher aussi ce qui reste dans la communication.
Donc, la deuxième
partie de l'énoncé, c'est de prendre les mesures nécessaires pour fournir un
moyen de communication fiable. Donc, Paul-André le disait tantôt, c'est clair
que, dans les mesures nécessaires, la première mesure, c'est l'interlocuteur.
Donc, quelqu'un qui est à l'écoute, qui est disponible pour écouter, et ça
va... et qui aura les aptitudes, aussi, là, nécessaires pour recevoir
l'information et la communiquer, ça va déjà mettre en place un contexte
favorable à la... à l'échange.
Ensuite de ça, l'environnement et d'autres
conditions aussi vont aider, c'est-à-dire, il faut faire attention au bruit, à
l'intimité, à la confidentialité, c'est sûr, trouver des moments où
l'attention, la fatigue, la disponibilité sont plus...
seront donc plus disponibles, là, chez la personne, le patient. Si la personne
a une déficience auditive à la base, s'assurer que ses prothèses auditives sont
bien en place et fonctionnelles. Et ça prend du temps, tout ça, donc c'est...
dans les conditions favorables à une bonne communication, c'est d'avoir du
temps pour pouvoir être en échange et en partage d'information aussi avec la
personne. Donc, la... les... à la base de tout ça, c'est une attitude favorable
et un partage d'émotion, c'est sûr, le sujet est tellement sensible et délicat.
Finalement, on parle aussi d'utiliser des moyens
de communication fiables. C'est sûr que, comme locuteurs tout à fait
fonctionnels, vous et moi, on utilise la parole, puis vous prenez votre
audition, votre compréhension, puis on a un échange réussi. Mais il y a
d'autres façons, aussi, de communiquer, que ce soit par écrit, que ce soit par
des gestes, et je ne vous parle pas nécessairement de LSQ, je vous parle aussi
de gestes naturels, de pictogrammes, de photos.
Il y a des moyens, aussi, des... plus technologiques, il y a des applications
sur le iPad qui facilitent des échanges de communication. Tout ça
devrait être des mesures qui sont mises en place pour aider les gens à se
comprendre mutuellement, autant... que ce soit le médecin, le soignant ou le
patient et ses proches, aussi.
Et, pour que tout ça aboutisse à ce que la
personne puisse comprendre les renseignements qu'on lui a transmis, parce que ça peut être quand même assez
complexe, les enjeux légaux, juridiques, et d'éthique, et de valeurs
associés à l'aide médicale à mourir, pour qu'après ça cette personne-là puisse
nous donner sa décision, que ça soit dans le
processus au début, dans les directives médicales anticipées, ou plus tard dans
son processus, donc, reconnaître les gens avec des difficultés, mettre
en place les moyens nécessaires pour communiquer avec eux, c'est, pour nous, un
incontournable.
M. Gallant (Paul-André) : Donc, pour
faire suite, je vais parler simplement des quelques recommandations qui sont
plus détaillées dans notre mémoire, mais dont je vais rappeler, là,
l'essentiel, et qui semblent beaucoup liées au rôle que joue un orthophoniste,
un audiologiste auprès d'une personne avec des problèmes de communication. La
première chose, reconnaître, reconnaître que les difficultés de communication
peuvent surgir à tout moment de la vie, particulièrement dans des maladies
dégénératives et en fin de vie, et
reconnaître que la capacité à l'autodétermination et le consentement
éclairé est directement lié à la capacité de communiquer de la personne. Quand
on reconnaît, on est capable de détecter mieux, d'évaluer mieux, et surtout de
pallier mieux, et d'éviter des situations où on pense qu'une personne est
inapte, alors qu'elle a simplement des difficultés à comprendre ou à
communiquer.
La deuxième chose, c'est de former, sensibiliser,
former le personnel soignant et les proches. Ici, l'orthophoniste,
l'audiologiste s'inscrivent davantage dans le débat comme des facilitateurs de
ça. Donc, aider, on l'a dit, Marie-Claude l'a dit, communiquer, ça prend du
temps. Et, si on a des facilitateurs pour ça, bien, les gens vont être beaucoup
plus portés à le prendre, ce temps-là, et surtout à éviter de tourner le dos à
ces besoins-là. Et la dernière chose, c'est de préparer en amont. Au-delà du
diagnostic, il faut accompagner les personnes, parce qu'intervenir précocement,
par exemple, si on a une personne qui a un diagnostic d'une maladie
dégénérative, comme, par exemple, l'alzheimer, on est capable de prévenir la
détérioration de la communication et de, tout de suite, penser et mettre en
place des éléments qui vont maintenir le lien communicationnel le plus
longtemps possible, et c'est ça, le grand enjeu ici.
Donc, en conclusion, reconnaître tout ça, c'est
de permettre de répondre aux besoins de la personne en général, leur besoin
d'interaction avec les autres, leur besoin spirituel, leur besoin de comprendre
ce qui leur arrive, mais surtout d'exercer un contrôle sur leurs soins
médicaux, dont les soins vers la mort. Prolonger le lien communicatif avec les
proches et l'équipe soignante, c'est vital. L'intervention précoce dans le
processus, dès l'étape des directives médicales anticipées, en mettant en place
des moyens alternatifs de communication, ça permet d'être toujours en phase,
dans le fond, avec les besoins de la personne tout le long du processus.
Alors, de
notre côté, ça fait le tour de notre 10 minutes, et nous sommes prêts pour
des questions de votre part.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup. Donc, nous allons débuter la période d'échange avec la députée
de Westmount—Saint-Louis.
Mme Maccarone : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Bonjour, M. Gallant. Bonjour, Mme Paquette, ça me fait
plaisir de vous rencontrer aujourd'hui, puis merci pour votre témoignage puis
votre mémoire également, qui est fort intéressant. Je considère que, oui, la
communication, évidemment, et puis la façon de s'exprimer, la compréhension, évidemment,
c'est un élément hyper important en ce qui concerne l'aide médicale à mourir.
Je veux revenir un peu à ce qui concerne
déficience intellectuelle. Vous l'avez touchée un peu dans votre mémoire, vous
avez aussi fait mention d'un témoignage d'un expert qui est venu au début de
notre commission. Parce qu'il y a plusieurs groupes, évidemment, qui représentent les personnes handicapées, les personnes qui souffrent peut-être
d'une déficience intellectuelle et peut-être les moyens pour eux à communiquer.
Alors, j'aimerais vous entendre un peu en ce qui concerne... Vous avez touché un peu à pictogrammes, photos, etc. Mais ce serait
quoi, la vision pour s'assurer que
ces personnes puissent aussi s'autodéterminer, être autonomes, prendre des
décisions? En ce qui concerne la dignité pour eux, à l'intérieur de notre commission, on fait une discussion en ce qui concerne, là, les soins de fin de vie.
• (13 h 30) •
M. Gallant (Paul-André) : Merci.
C'est une excellente question, et la première chose que je répondrais, c'est...
La chose la plus importante à retenir, c'est que le problème avec la communication,
c'est qu'on la tient pour acquise, très souvent, et on ne va pas penser que la
personne a des problèmes de communication. Évidemment, dans une question de
déficience intellectuelle, souvent, ces problèmes de communication là sont
connus assez rapidement, et tranquillement, à mesure que la personne se
développe, on met en place des éléments qui permettent du moins d'avoir ce lien de
communication là. Alors, nous... Et des moyens en place, des moyens de
communication non orale, entre autres, pour des personnes qui seraient
non orales, et il y a des orthophonistes, évidemment, qui travaillent avec ces
personnes-là.
L'idée ici pour nous, ce n'est pas de dire quand
est-ce que la personne est jugée inapte ou pas à prendre ou pas une décision,
mais de tenir en compte que, parfois, les problèmes de communication mettent
vraiment un voile sur les réelles capacités. Donc, une personne qui a de la
misère à parler, par exemple, ou de la misère à s'exprimer, on va souvent
penser soit qu'elle a un problème intellectuel, cognitif ou qu'elle n'est pas
capable de prendre des décisions pour elle-même, alors que, quand on supporte
cette communication-là, bien, à ce moment-là, cette personne-là est capable
quand même d'avoir un certain contrôle et une autodétermination sur ses choix,
et c'est là tout ce qui est central. Nous, on ne se pose pas comme un défendeur
ou pas de l'aide médicale à mourir ou non dans ce débat-là, mais on veut juste
s'assurer qu'au bout de la ligne on a donné toutes les chances à la personne de
pouvoir avoir un contrôle sur ses choix et de comprendre ce qu'il lui arrive.
Mme Maccarone : C'est bien, puis merci
beaucoup. Je vous soulève une préoccupation, je vous soulève une préoccupation
comme maman qui a vécu ça comme expérience personnelle, la pénurie. Ce que vous
dites puis ce que vous faites, j'y crois fondamentalement parce que j'ai passé
par là pour mes enfants, qui n'ont pas demandé une assistance aide médicale à
mourir, ça fait qu'on parle pour ces personnes qui se retrouvent peut-être dans
une situation de vulnérabilité, puis ils auront peut-être besoin d'avoir un
accompagnement. Que ferons-nous? Parce que ce que vous dites, c'est primordial,
c'est très important, mais… Puis moi, j'habite dans la grande région de
Montréal. Imaginez pour les gens qui habitent en région. Alors, ce serait quoi,
votre recommandation? Que pouvons-nous penser comme recommandations à
l'intérieur de notre commission pour venir aider ces personnes puis avoir un
accompagnement qui est essentiel, comme vous dites?
Mme Paquette (Marie-Claude) : Bien,
effectivement, l'enjeu, là, de l'accessibilité aux services, on est aussi très
préoccupés par ça, on ne s'en cachera pas, là. Mais je pense qu'au-delà de ça
il faut vraiment comprendre que c'est la reconnaissance de la communication
qu'on veut qu'elle soit bien entendue, et on pense sincèrement qu'en
travaillant en collaboration avec les collègues infirmières, médecins,
psychoéducateurs, psychologues, neuropsychologues, peu importe, là, les gens
impliqués auprès de ces… les éducateurs, tu sais, les gens impliqués auprès de
ces clientèles vulnérables là, on pense qu'il y a moyen de trouver une façon
de, tous, mettre en place les mesures nécessaires pour communiquer avec les
gens. Oui, c'est sûr qu'en amont on a besoin de services, oui, on a besoin que
ces gens-là puissent développer leur plein potentiel au niveau de leur
communication, mais à un moment donné, quand on est rendus à faire des choix,
des choix de soins, des choix de vie et des choix… il faut être capable de
reconnaître qu'il y a d'autres façons de communiquer avec des gens.
Et, comme je vous disais tantôt, il y a des
façons aussi de plus en plus technologiques mais accessibles aussi,
disponibles, qui peuvent être intéressantes. Puis, au-delà de ça, il y a
toujours un moyen, en tout cas, de se mettre en relation dans le senti, dans le
partage, dans l'émotion. Mais je pense qu'il faut être vraiment sensible et
conscient, en tout cas, de ces possibilités-là.
Puis je pense que ce qu'on déplore puis ce qu'on
nous rapporte, c'est qu'on lâche rapidement… on lance rapidement la serviette
en disant : Ah! bien, il n'a pas compris. Ah! bien, il est inapte. Ah!
bien, il est… tu sais, au lieu d'essayer de faire un petit bout de chemin. Ça
ne réglera pas tout, là, on est bien conscients, là, mais il faut prendre le
temps, on y revient, puis… pour essayer de bien accompagner ces gens
vulnérables là.
M. Gallant (Paul-André) : Peut-être
que je peux rajouter... il serait peut-être utopique, à court terme, de dire
qu'un orthophoniste soit dans toutes les équipes, ou peu importe, mais c'est
pour ça que notre recommandation à la commission, c'est vraiment d'utiliser les
orthophonistes, les audiologistes comme des facilitateurs. Quand on sait qu'une
personne a des difficultés de communication — et, pour le savoir, il faut
former le personnel, bien entendu — quand on le sait, à ce
moment-là, on peut utiliser des orthophonistes, audiologistes qui travaillent
dans d'autres secteurs, par exemple du CSSS, ou peu importe, pour venir juste
aider, faciliter quelque chose au sein de l'équipe elle-même. Là, actuellement,
c'est ça qu'on souhaite au bout de la ligne, et je pense que c'est ce que la commission
souhaite aussi.
Mme Maccarone : Ça fait que peut-être
vous serez d'avis que, s'il y avait un centre d'excellence, par exemple, votre
ordre pourrait faire partie de ce centre pour offrir une formation, pour un
accompagnement ou même des évaluations?
M. Gallant (Paul-André) : Ah oui!
Puis je vous dirais que… Je vais vous donner un exemple qui va être très, très
clair. Par exemple, la question des prothèses auditives, combien… Je ne sais
pas si vous avez des parents, des gens qui sont en CHSLD ou des choses comme
ça. Nous, c'est notre cas. On a beaucoup de témoignages comme ça où des
personnes ont dit : Ils n'ont pas compris ou… mais on a oublié de leur
mettre leurs prothèses auditives, tout simplement. Ils n'entendaient simplement
pas, et on a jugé qu'ils étaient en perte cognitive à ce moment-là. Et ça,
c'est, à notre avis, très grave.
Donc, la formation va permettre, probablement, peut-être
pas de tout régler, mais certainement de lever des drapeaux rouges où, quand on
a besoin de services plus spécialisés en orthophonie ou en audiologie, bien là,
à ce moment-là, on peut le mettre en place assez rapidement.
Mme Maccarone :
Est-ce qu'il y a des outils pour aussi accompagner les proches aidants en ce
qui concerne ce processus?
Mme
Paquette (Marie-Claude) :
Bien, certainement. Moi, je pense que c'est… D'ailleurs, ils sont les
premiers facilitateurs à la communication,
ça, c'est clair, auprès des gens qui ont des difficultés. Puis après ça,
clairement, il y a des choses… puis, tu sais, il y a déjà… Dans le mémoire,
on vous a envoyé aussi, là, un lien vers le CIUSSS — Centre-Sud-de-Montréal,
qui, il y a 10 ans de ça, là, ce n'est pas… a mis en place des outils
élaborés par des orthophonistes pour aider les personnes à faire un choix dans
leur niveau de soins, pour savoir si elles veulent de la réanimation ou pas. Ça fait que c'est des choses pour lesquelles
on est préoccupés, mais qu'on veut trouver des solutions aussi, qu'on veut essayer, là. Pas juste dire : Ah! il
aurait besoin de, mais oui, mais qu'est-ce qu'on peut mettre en place pour l'aider, là?
Mme Maccarone : On a déjà demandé la
question auprès d'autres personnes qui sont venues témoigner, mais... Tu sais, par
exemple, quand on parle de compréhension, souvent, c'est un langage. Mettons,
une personne qui souffre de l'autisme ou une personne qui souffre d'une déficience
intellectuelle vont utiliser des paroles pour s'exprimer un sentiment puis ils
vont dire : J'ai juste le goût de mourir. Je vous hais. Puis ce n'est pas
vrai, ce n'est pas nécessairement ça qu'ils veulent évoquer ou ce n'est pas ça
qu'ils veulent partager, mais c'est un moyen, pour eux, de s'exprimer une
douleur profonde qu'ils ressentent.
Qu'est-ce que vous nous recommandez, comme
membres de la commission, comme outil qu'on peut utiliser ou comme
recommandation, pour s'assurer que ces personnes auront, premièrement, une
façon pour eux de s'autodéterminer, d'être indépendants, de prendre des
décisions qui sont réfléchies dans la dignité s'ils sont en train vraiment de
souffrir, mais aussi de s'assurer qu'il y a une bonne compréhension? Est-ce que
ce serait toujours de passer par votre ordre? Est-ce que ce serait toujours de
passer par des experts comme vous? Est-ce que ce serait de s'assurer, si on a
un doute, de faire une consultation? Ce serait quoi, le meilleur moyen de
s'assurer que, un, on les respecte puis, deux, qu'on a une meilleure
compréhension de qu'est-ce qu'ils veulent vraiment, comme décision, en ce qui
concerne l'aide médicale à mourir?
M. Gallant (Paul-André) : Bien, je
pense que vous l'avez nommé au début de votre question, les problèmes de
communication sont souvent la source… Quand une personne s'exprime, dit :
Je veux mourir, oui, elle peut faire une dépression, oui, elle peut effectivement
souffrir énormément, mais aussi la difficulté à communiquer peut rendre plus
dépressif, plus découragé, plus… Donc, quand on n'a plus accès, quand on ne
semble plus avoir le contrôle de ce qu'on veut, de ce qu'on a, de ce qui se
passe, évidemment, ça a des répercussions sur notre propre santé mentale. Donc,
dans tous les cas, et c'est le lien, probablement, avec la communication et la
santé mentale, d'une part, le besoin de
communiquer, s'il est affecté, peut affecter notre santé mentale en tant que
telle, et la santé mentale elle-même, pour la travailler, il faut
communiquer avec la personne, il faut lui parler, il faut échanger, hein, il
faut faire de la psychothérapie, par exemple, peu importe.
Donc, à ce moment-là, c'est un double problème.
Si on ne règle pas la capacité à communiquer, on peut soit travailler dans le
vide et/ou soit rendre la personne beaucoup plus affectée par tout ce qu'elle
vit qu'elle le serait sans problème de communication, notamment. Donc,
l'expertise, à ce moment-là, pour s'assurer que ces éléments-là sont maintenus
dans le temps... Et je le répète encore une fois, on parle des directives
anticipées dans la commission, etc. Les directives anticipées, c'est très bien.
Même avec ma collègue Christine Grou, de l'ordre des psys, vous parliez : Est-ce que
c'est de la souffrance anticipée versus la souffrance elle-même?
Ce que ça note, c'est que c'est un processus, hein? Quand on parle de
directives anticipées, on veut quelque chose, mais la personne change avec sa
maladie. Et, si ce lien communicatif là n'est pas maintenu le plus
longtemps possible, alors là on devient dans le brouillard, l'équipe...
les proches, l'équipe traitante, tout le monde, parce qu'on veut savoir :
Est-ce qu'elle maintient sa directive anticipée? Est-ce qu'elle est toujours en
accord avec ce qu'elle a… Donc, c'est toutes ces questions-là que ça pose. Ce
n'est pas tant, à notre avis, la question sur : Est-ce qu'elle est apte ou
pas? La question est de savoir : Est-ce qu'on
a tout mis en place pour juger qu'elle est inapte à? Et la communication, pour
nous, c'est central à ce niveau-là.
• (13 h 40) •
Mme Paquette (Marie-Claude) : Puis
je pense que... Tu sais, vous posiez la question... je vais juste me permettre
de poser la question : Est-ce qu'il faudrait, à ce moment-là, faire appel,
par exemple, à un orthophoniste, ou faire appel à un professionnel, ou… Moi, je
pense que oui. Moi, je pense que oui. Moi, j'aimerais ça, que la commission
décide que, si on reconnaît qu'il y a un problème de communication chez une
personne qui l'empêche de nous exprimer ses volontés ou pour lesquelles on a un
doute sérieux sur sa compréhension puis qu'on y aurait peut-être accès ou qu'on
serait capables d'aller plus loin avec elle dans le processus... Moi, je pense
qu'on a des membres partout à travers le Québec, puis on pourrait travailler en
collaboration. Comme vous l'avez dit, on est très conscients. On n'est pas, là,
nombreux, nombreux, mais je pense qu'on peut travailler en collaboration avec
les collègues puis trouver ensemble une solution pour que cette
problématique-là de communication soit reconnue et adressée. Tu sais, au-delà de la reconnaître, moi, je pense qu'il faut
essayer de mettre en place des mesures pour soutenir.
Mme Maccarone : La raison que j'ai
posé cette question, c'est pour être en mesure de poser ma prochaine question,
puis c'est : Est-ce qu'il y a des diagnostics ou des occasions où vous
dirait que c'est clair, il y a un manque de... un bris de communication, il y a
un manque de compréhension de cette personne en ce qui concerne soit
l'orthophonie, audiologie, puis vous dirait que c'est non, on ne peut pas, moi,
je ne donnerais pas mon accord pour cette personne d'avoir accès à un soin de
fin de vie?
M. Gallant
(Paul-André) : Bien, je ne parlerai pas de diagnostic parce que je
pense que c'est différent. Diagnostic, on parle de maladies, puis l'évolution,
c'est différent pour chaque personne, bien entendu. Mais bien sûr qu'à un
certain moment il n'y en a plus, de communication. Ça peut arriver,
effectivement, qu'il n'y en a plus, mais je crois qu'actuellement on pense qu'il
n'y en a plus beaucoup plus rapidement qu'on devrait le faire, et c'est tout
ça, le problème.
C'est drôle, ce matin, on en discutait, parce
qu'on a écouté la commission, puis, à un moment donné, il y a eu des questions
sur l'incontinence. C'est étrange, ce que je vais dire aujourd'hui, mais je
vais vous parler d'incontinence comme communication. Mais c'est quoi,
l'incontinence? C'est l'impossibilité de sentir qu'on a besoin d'aller à la salle de bain. Par contre, c'est beaucoup confondu
avec le fait que la personne n'est pas capable de dire qu'elle a envie
d'aller à la salle de bain, et ça, ce n'est pas de l'incontinence, c'est un
problème de communication. Alors... Et c'est comme ça pour tout. Je parle de
cet exemple-là parce qu'il est frappant, mais c'est comme ça pour tout. À quel
moment on juge que la personne est inapte si on n'a pas, avant tout, je pense,
vérifié : Est-ce que c'est parce qu'elle n'est pas capable de le dire ou
parce qu'elle ne comprend pas ce qui se passe?
Je pense aussi à des gens qui ont des maladies
incurables, des cancers, tout ça. Déjà, c'est très difficile, hein, même quand on a toutes nos capacités de
communication, recevoir un pronostic, recevoir tout que qui s'en vient
comme traitement, etc. C'est difficile à
comprendre. Il y a de l'émotion, il y a beaucoup de choses. Imaginez-vous une
personne qui a des difficultés à communiquer, comment c'est difficile
d'intégrer cette information-là. Et, pour prendre une décision sur ses soins de fin de vie ou sur ses soins en général, il
faut comprendre l'issue de ça. Donc, cet accompagnement devient vraiment
essentiel.
Mme Maccarone : Merci beaucoup.
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je céderais maintenant la parole à la députée de
Joliette.
Mme Hivon : Oui.
Bonjour, M. Gallant, Mme Paquette. Bien heureuse de vous entendre. Je
veux vraiment poursuivre sur la question de l'aptitude. Est-ce que vous diriez
que, du fait des mauvaises évaluations des capacités de communication de
personnes, on a des diagnostics erronés d'aptitude ou d'inaptitude?
M. Gallant (Paul-André) :
Veux-tu répondre, Marie-Claude?
Mme Paquette (Marie-Claude) :
Bien, peut-être. Je vais vous répondre «peut-être». Je n'ai pas de... C'est sûr
que je n'ai pas... qu'on n'a pas fait d'étude de cas là-dessus non plus
là-dessus, là, mais moi... puis on pense que, rapidement, on arrive à cette
décision-là sans peut-être avoir poussé assez longtemps, sans avoir répété
assez souvent. Parce qu'on n'en a peut-être
pas parlé, mais souvent on a besoin de répéter l'information, on a besoin de
retourner valider la compréhension, on a besoin... C'est ça aussi, là,
quelqu'un qui a des difficultés de compréhension.
Donc,
peut-être que ça se fait trop tôt. On
le connaît, le système, hein? Ça va vite, on est coincés. Puis je pense
que les gens sont tellement bienveillants, là, surtout quand on parle d'aide
médicale à mourir. Je ne voudrais surtout pas que
les gens pensent qu'on n'est pas d'accord avec le processus actuel, mais… puis…
mais, dans cette bienveillance-là, moi,
je pense qu'il faudrait aller peut-être un petit peu plus loin dans le processus
d'évaluation de l'aptitude, effectivement.
M. Gallant (Paul-André) :
J'ajouterais qu'au Québec, au niveau des soins communicationnels en fin de vie,
là, on n'est pas très avancés. Mais, à l'international, il y en a, des études
de cas qui ont montré qu'avec le support de la communication on a repoussé les
limites de ce qu'on appelle l'inaptitude, d'une certaine façon. Et je pense que
c'est... Une question qui est très
importante et qu'il faut se poser, dans le fond, c'est : Est-ce qu'on a
mis en place — puis
l'alinéa de la loi le dit — est-ce
qu'on a tout mis en place, le nécessaire, pour s'assurer que la personne est en
mesure?
On en a… On est tous les deux cliniciens,
Marie-Claude et moi, puis on a travaillé avec des adultes traumatisés crâniens
très amochés, et tout ça, et des moyens de communication, alors que personne ne
pensait qu'ils existaient, qu'il y en avait, que la personne était complètement
neurovégétative, ou peu importe, puis on a réussi à avoir des moyens de
communication. Ça, dans la littérature, dans tout, il y en a énormément,
d'exemples de ça.
Est-ce qu'on prend le temps de le faire? Je
pense qu'il y a une volonté, mais il reste que ça prend du temps. Communiquer
avec une personne qui a la maladie d'Alzheimer, ça prend du temps, communiquer
avec une personne qui a des grosses déficiences auditives, qui est âgée, qui a
des déficits cognitifs, ça prend du temps, et effectivement, parfois,
probablement qu'on tourne les coins ronds là-dessus.
Mme
Hivon : Et
j'imagine que, là, vous nous parlez… parce que notre commission porte sur la
question de l'aide médicale à mourir, donc vous nous parlez plus de situations
de fin de vie ou de demandes anticipées. Mais j'imagine que le défi est le même
pour une multitude de soins et de parcours dans notre système de santé, que ce
soient des refus de traitement, que ce soient des choix de traitement. Donc,
j'imagine que ce que vous nous amenez comme problématiques ou comme défis et
comme importance à consacrer à la communication, ça se… je dirais que ça se
répercute dans l'ensemble du système.
M. Gallant
(Paul-André) : Mais c'est pour ça que je disais, d'entrée de jeu, que
la communication, c'est tout au long de la vie, à la naissance jusqu'à la mort,
si on peut maintenir cette communication-là le plus longtemps possible, effectivement. Mais, oui, dans plein d'autres endroits
dans le système de santé autres que les soins de fin de vie, entre autres, on a
fait des mémoires sur les CHSLD, sur la maltraitance, on a fait un mémoire sur
la maltraitance communicationnelle, il y a un lien avec ça. Si on passe droit
sans se préoccuper de la personne parce que, dans le fond, elle ne fait pas de
bruit, elle n'est pas jasante ou peu importe, bien, on va aller s'occuper de
celle qui en fait plus ou, à l'inverse, la personne qui a de la difficulté à
exprimer ses besoins va accumuler de la frustration, va avoir des troubles de comportement qui sont associés, et
on va l'étiqueter ayant des problèmes de comportement,
alors qu'à la base le problème, c'est qu'elle n'est pas en mesure de se
faire comprendre et d'exprimer adéquatement ses besoins.
Donc, c'est un lien
qui existe partout. Bien évidemment, on le calque sur les soins de fin de vie
où là il y a une décision importante, où le contrôle sur ses soins devient
encore plus sensible, je dirais, et lié à des grandes émotions, puis en plus où
les proches, eux, qui sont les interlocuteurs privilégiés de ces personnes-là,
sont mis dans une situation, parfois, qu'ils aimeraient tellement pouvoir
savoir ce que l'autre ressent, ce que l'autre pense, ce que l'autre a besoin,
et je pense que, là, ça devient... c'est là qu'on dit que ça devient
fondamental.
Mme
Hivon :
Je pense que je n'ai plus de temps, Mme la Présidente. Alors, je vous remercie
beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Donc, je céderais
la parole à la députée de Soulanges.
• (13 h 50) •
Mme Picard :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour. Je vais profiter de votre présence parce
qu'il y a une personne qui est passée ici, en commission, et qui nous a dit
qu'il y avait déjà une demande d'aide médicale à mourir pour une personne qui
souffrait d'acouphène parce que, selon elle, c'était une maladie intolérable,
incurable. Donc, j'aimerais avoir probablement votre avis sur cette
affirmation-là, qui m'a vraiment surprise, et peut-être aussi, là, développer
sur les diagnostics comme tels, là, qui pourraient être problématiques pour
vous, selon vous.
M. Gallant
(Paul-André) : Bien, à votre question, directement, sur la question de
l'acouphène, c'est... l'acouphène, c'est une condition, effectivement, puis
c'est une condition qui peut être effectivement très difficile et qui peut
exiger une grande souffrance chez la personne. Donc, moi, je pense que, quand
on parle d'un exemple comme ça, c'est la souffrance que la personne vit autour
de cette condition-là qu'est l'acouphène. Donc, pour ceux qui le savent, bien, l'acouphène, c'est
d'entendre, finalement, un son en continu, qui est parfois fort, parfois
intolérable, qui... et il y a des degrés d'acouphène, etc. Donc, évidemment, de
l'acouphène, ça... c'est lié souvent à une perte auditive en plus. Et par
ailleurs on peut aider la personne à rendre plus tolérant, si on veut,
l'acouphène pour cette personne-là. Donc, ça, c'est une chose.
Est-ce
que ça peut devenir une condition à ça? Ce n'est pas à nous d'en juger, mais
c'est surtout de dire : Est-ce qu'on a fait ce qu'il y avait à
faire pour soulager cette souffrance-là de cette personne-là? Parce que c'est
ça, au bout de la ligne, qui est l'enjeu principal, à mon avis. Marie-Claude.
Mme Paquette
(Marie-Claude) : Ah oui! Tout à fait. Tout à fait. Puis d'ailleurs on
en avait parlé quand on a parlé de problèmes de santé mentale. C'est même
associé. Ça peut être vraiment quelque chose de très débilitant, un acouphène.
Ça fait que, oui, ça peut être souffrant, mais de là à dire que ça devient un
diagnostic quand c'est hypersévère, tu sais,
je... C'est pour ça que, pour nous, rentrer dans des diagnostics, je pense
qu'on n'est pas nécessairement là, ce n'est pas le propos, là, de notre
venue.
Puis on pense que,
dans le fond, il y a une unicité aussi. Chaque personne est différente. Chaque
histoire est différente. Chaque contexte de vie est différent. Donc, essayons
plutôt d'être en contexte et en lien avec la personne puis d'être en... de
savoir son senti, le pourquoi, les causes, où elle est rendue dans son
cheminement pour être capable de l'accompagner vers les bons soins, quand
c'est... quand on peut encore, ou carrément vers sa fin de vie, qu'elle décide, là, qu'il devient la solution à
ses souffrances à ce moment-là ou à sa condition, sa maladie incurable,
là.
Mme Picard :
Merci beaucoup. Je vais passer la parole à une autre de mes collègues. Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Je céderais la parole à la
députée de Saint-François.
Mme Hébert :
Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Gallant et Mme Paquette. Vous
venez vraiment apporter une autre dimension, une autre vision, une
perception qu'on n'avait vraiment pas encore abordée aussi profond. Moi,
j'aimerais savoir, on parle de 480 audiologistes au Québec,
3 000 orthophonistes. Est-ce que vous avez sondé vos membres par
rapport à votre intervention aujourd'hui, là, par rapport à l'approche à l'aide
médicale à mourir, là, pour l'élargissement? Est-ce que vous avez sondé vos
membres?
M. Gallant
(Paul-André) : En fait, on a fait mieux que les sonder. Je vous dirais
que ça fait deux ans, avant la pandémie, là, juste avant la pandémie, deux ans
que j'ai fait avec Marie-Claude la tournée du Québec dans toutes les régions.
J'ai rencontré les orthophonistes et les audiologistes pour parler de toutes
sortes de sujets. Bien évidemment, les orthophonistes et audiologistes jouent
un rôle pour des enfants de zéro à des personnes âgées de 99 ans et plus.
Donc, c'est sûr qu'on a un champ d'exercices qui est très vaste, les orthophonistes
et audiologistes.
Donc, dans ces
consultations-là, qui ont été des consultations directes dans toutes les
régions du Québec, c'est des sujets qu'on a abordés. Donc, les préoccupations,
comme Mme Hivon a bien dit, à tous les niveaux, pas juste soins
de fin de vie, mais aussi à tous les
niveaux, CHSLD, soins aux personnes
âgées, etc., en déficience
intellectuelle, autisme, et tout ça. Donc, on a discuté,
et ils nous ont partagé ces préoccupations-là, de dire : On aimerait faire
plus, on aimerait que ce soit davantage reconnu, que d'avoir un appel d'un
médecin, d'une équipe qui dise : Pourrais-tu venir nous aider? Cette
personne-là, elle a des difficultés à communiquer, puis on n'est pas sûrs
que... on n'est pas capables de l'aider, mais on pense qu'il y aurait peut-être
quelque chose qui pourrait être fait.
On a beaucoup ce réflexe-là, chez les enfants,
de faire tout ce qu'on peut, tout ce qu'il y a en notre pouvoir, entre autres
les enfants qui ont des difficultés scolaires à l'école, de mettre des outils
technologiques, de les aider au maximum,
mais la question reste aussi pour ces personnes-là. Et ils nous
disent... On est des personnes qui travaillent, bien sûr, en réadaptation,
avec un potentiel de réadaptation, mais, quand on parle de maladies
dégénératives, on ne parle pas de potentiel
de réadaptation, on parle de maintien, de maintien le plus longtemps possible. Pas d'amélioration, mais de maintien. Et
ça, nos membres le disent haut et fort, on n'en parle pas suffisamment souvent,
du rôle qu'on doit jouer dans ce maintien des capacités communicationnelles là.
Je ne sais pas si ça répond à votre question.
Mme
Hébert : En
partie. Alors, je vais poursuivre là-dessus, puis vous allez pouvoir sûrement
alimenter. Est-ce que, pendant, là... depuis, là, que l'aide médicale à mourir
est un soin de fin de vie, ça a été adopté, puis qu'elle est octroyée, ce
soin-là est donné aux gens, est-ce que vous avez été sollicités à plusieurs
occasions pour une évaluation? Avez-vous été sollicités souvent?
M. Gallant (Paul-André) : Bien, je
pense, puis, Marie-Claude, tu pourras compléter, je pense qu'on peut
probablement compter sur les doigts d'une main les orthophonistes,
audiologistes qui sont présents réellement, là, dans les équipes, hein, de
soins de fin de vie, soins palliatifs, etc. Ce n'est pas... Encore là, c'est
pour ça qu'on est là aujourd'hui, c'est pour qu'on développe ce réflexe
davantage là.
Par contre, c'est plus arrivé à d'autres
niveaux, c'est-à-dire, des personnes qui étaient en soins de fin de vie...
Marie-Claude est une clinicienne à qui c'est arrivé, elle peut le partager,
quand elle travaillait en traumatologie, entre autres, où il y a une décision qui a été prise, on ne parle pas de soins
de fin de vie, mais davantage de débranchement ou de quoi que ce soit avec la famille, etc., mais où
les capacités communicationnelles étaient évaluées comme étant nulles,
là, à ce moment-là.
Mais je ne peux pas vous mentir, parce que je
vous dirais que non, c'est que ça arrive très peu souvent encore aujourd'hui,
puis c'est ce qu'on déplore. Je pense qu'encore une fois l'idée n'est pas
d'avoir un orthophoniste systématiquement ou un audiologiste dans les équipes
de soins palliatifs, mais la question de la disponibilité plutôt que de l'accessibilité nous apparaît importante.
C'est-à-dire que, si une personne, un orthophoniste est disponible dans l'établissement ou, peu importe, dans le CSSS, et
qu'il est dédié à ça, et qu'on peut faire appel à lui dans les moments
où on juge qu'on en a besoin, pour nous, c'est la clé ici, et surtout si le
personnel est formé bien pour détecter ces problématiques-là.
Mme
Hébert : Parfait.
Puis est-ce que… Dans la séquence, là, vous dites... vous êtes des
facilitateurs, vous aimeriez être au sein des équipes d'évaluation. Donc, vous
voyez-vous autant au début, lorsque la personne… disons qu'on élargit, puis on peut le mettre aux personnes qui sont aptes, qui
ont un diagnostic ou pas, là, tout dépendant qu'est-ce qui sera décidé, mais est-ce que vous vous voyez
comme au début du processus puis à la fin pour l'évaluation lorsqu'on
demande, disons, l'aide médicale à mourir, là, que la personne, elle l'a
atteinte ou les critères qu'elle avait fixés? Vous voyez-vous dans le continuum
ou... À quelle séquence que vous vous voyez?
M. Gallant (Paul-André) : Bien, en
fait, on parle souvent d'évaluation. Et, nous, ce qu'on dit, c'est qu'il y a de
l'intervention à faire. Donc, bien évidemment, à un certain moment, à un
certain point, pour une personne qui a une difficulté à communiquer, il y a une
évaluation qui va se faire, bien entendu, mais plus important encore, c'est qu'est-ce
qu'on va faire après pour l'accompagner. Donc, je pense qu'on se voit plus dans
un continuum, au besoin, hein, ponctuel,
parfois c'est ponctuel, ce n'est pas tout
le temps. Mais la maladie, comme la personne,
va évoluer. Donc, de façon ponctuelle, à un certain moment, on pourrait
faire appel à un orthophoniste ou à un audiologiste pour dire : Qu'est-ce
qu'on met en place pour la suite des choses pour s'assurer que le lien est
préservé, encore une fois, le plus longtemps possible?
Donc, à votre question, je dirais :
L'évaluation, c'est une chose, mais c'est beaucoup plus l'accompagnement qu'on va vouloir faire au niveau de l'intervention.
L'orthophoniste travaille principalement en intervention auprès des
personnes. L'évaluation, elle sert à nous donner une photo à un certain moment,
mais qu'est-ce qu'on fait avec ça? Et souvent les équipes sont démunies, et
c'est pour ça que l'orthophoniste ou l'audiologiste devrait aussi faire de
l'intervention, qui est ponctuelle, pas en continu. On est... Je vous rappelle,
on est dans le maintien, souvent, en maladie dégénérative et non en
amélioration, mais c'est à ce niveau-là qu'on se situe.
Mme Paquette (Marie-Claude) : Puis
la littérature, les données probantes aussi des gens qui nous parlent nous
disent clairement que plus on est haut dans le processus, par exemple, pour
soutenir la communication de quelqu'un, donc d'utiliser un moyen de suppléance
à la communication ou de l'identifier, en tout cas, puis que cette personne-là
devient plus habile, dans le fond, à l'utiliser, bien, plus on va être capables
de le maintenir longtemps aussi, comme moyen alternatif à la communication, que
d'arriver à la dernière minute puis d'essayer de faire utiliser quelque chose
ou de voir : Elle est-tu bonne avec des pictos? Elle est-tu meilleure avec
des photos? Je peux-tu lui donner un mot écrit pour soutenir? Si ce
processus-là a été bien identifié au départ, c'est plus facile.
• (14 heures) •
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, Mme la députée. C'est tout le
temps que nous avions. Merci beaucoup, Mme Paquette et M. Gallant,
d'avoir été avec nous cet après-midi pour éclairer cet aspect-là qui n'avait
pas encore été abordé dans la commission.
Donc, la commission suspend ses travaux quelques
instants.
M. Gallant (Paul-André) : Merci à
vous.
Mme Paquette (Marie-Claude) : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.
(Suspension de la séance à 14 h 01)
(Reprise à 14 h 08)
La Présidente (Mme Guillemette) : La
commission reprend ses travaux, et nous accueillons maintenant le
Dr Pierre Viens, médecin de famille.
Merci, Dr Viens. Bienvenue à la commission
sur l'évolution sur les soins de fin de vie. Donc, vous disposez de
10 minutes pour votre présentation, et, par la suite, il y aura un échange
avec les membres de la commission. Donc, sans plus attendre, je vous cède la
parole.
M. Pierre Viens
M. Viens (Pierre) : Merci, Mme la
Présidente, de me donner la parole. Je me présente, Pierre Viens, 84 ans,
médecin de famille qui pratique en soins palliatifs depuis 30 ans. J'ai
donné l'aide à mourir à 160 personnes, la plupart à domicile. En 2017,
j'ai fondé la communauté de pratique AMM-Québec, un forum d'échange et
d'entraide qui regroupe aujourd'hui 140 médecins prestataires d'AMM à la
grandeur du Québec. Je peux donc dire que je connais bien la situation et les
problèmes de l'aide à mourir sur le terrain. Je suis aussi membre de la CAMAP,
un forum similaire, mais à la dimension du Canada,
qui regroupe, lui, plus de 600 médecins. Je suis donc aussi en mesure de comparer les deux lois qui
régissent l'AMM dans ce pays.
Nous discuterons aujourd'hui de trois choses :
un, l'urgente rénovation de la loi québécoise en fonction de sa nécessaire harmonisation
avec la loi fédérale C-7, modifiée le 17 mars 2021; deux, l'inclusion
des demandes d'aide à mourir dans les DMA
dans les cas de maladie neurodégénérative cognitive, par exemple l'alzheimer; et, trois, la souffrance du dément heureux. Certaines des idées traitées cet après-midi
ne sont pas dans le texte du mémoire qui vous a été remis.
• (14 h 10) •
D'abord, réparer la loi québécoise en urgence.
C'est bien de se préoccuper d'élargir l'accès à l'AMM aux maladies
neurodégénératives par les DMA. À mon avis, c'est pas mal plus urgent de
réparer la loi québécoise, suite à l'expérience de plus de 7 000 cas
depuis cinq ans et demi, en l'harmonisant avec la nouvelle loi fédérale. Depuis
le 17 mars 2021, date d'entrée en vigueur de la loi C-7, le médecin
prestataire volontaire québécois doit se conformer à deux lois discordantes où il doit choisir les sections et les clauses
les plus restrictives. Les problèmes se situent surtout au niveau du concept non défini de «maladie» versus
celui de «maladie», «handicap», «accident» de la loi fédérale. Mais le
problème est surtout au niveau du critère de fin de vie de la loi québécoise
versus celui de mort raisonnablement prévisible de la loi C-7.
Le critère de fin de vie est inopérant depuis
mars 2020, mais il est toujours là, tapi non seulement dans le texte de loi,
mais aussi et surtout dans la tête des médecins québécois et celle de la
commission de suivi. C'était tellement plus
facile, à l'époque, et sécurisant de fonctionner avec un critère exigeant un
pronostic de moins de six mois pour
être admissible, mais c'était tellement plus injuste pour tous les malades
incurables souffrants et en déclin avancé où il était impossible de définir
un tel pronostic. Pour qu'un malade soit admissible à l'aide à mourir, bien
sûr, il faut qu'il ait une maladie grave incurable, rendue à un état avancé,
qui présente des souffrances constantes et intolérables et finalement qu'il
soit apte à décider. S'il est admissible selon ces quatre critères, on doit
alors déterminer si sa mort est raisonnablement prévisible, c'est-à-dire si le
malade est vraiment dans une trajectoire de fin de vie et que sa mort est
prévisible dans un délai pas trop lointain. Sinon, il devra être soumis à un
délai de 90 jours où il est à risque d'inaptitude ou carrément et
injustement déclaré non admissible.
Le problème est que cette notion de mort
prévisible ne veut pas dire grand-chose pour le médecin prestataire moyen au Québec. Pourtant, elle a été
opérationnellement définie par les collègues prestataires du reste du Canada
depuis quatre ans. Qu'est-ce que Québec
attend pour ajuster sa loi avec la loi fédérale? Présentement, les médecins
québécois sont insécures face à toutes ces ambiguïtés-là.
Dans l'intervalle, je pense qu'il est urgent que
les médecins québécois et la commission de suivi, à l'instar de tous leurs
collègues du reste du Canada, soient opérationnellement familiarisés avec
l'utilisation du concept de mort prévisible tel qu'exposé dans la Loi C-7
et élaboré par la CAMAP.
La formation requise, si elle est confiée à des
collègues aguerris qui en ont l'expérience, serait une affaire de quelques heures pour les médecins prestataires au
Québec. Il y va de leur sécurité professionnelle dans l'administration de l'aide à mourir et de la plus élémentaire
justice pour patients souffrant de maladies chroniques
neurodégénératives.
Deuxième sujet, permettre
l'aide à mourir par les directives anticipées. Donc, depuis le 17 mars 2021,
et je le souligne clairement, tout patient apte ayant reçu un diagnostic
d'alzheimer est admissible à recevoir l'aide médicale à mourir si son aptitude
est conservée. Je l'ai fait à quelques reprises, et le Dr L'Espérance
aussi l'a fait à quelques reprises, et d'autres également.
Dans le fond, on n'aurait pas besoin de
directives médicales anticipées actuellement pour gérer les demandes d'aide
médicale à mourir des patients alzheimer précoce. Le patient alzheimer précoce
dont le diagnostic vient d'être posé satisfait aux quatre critères
d'admissibilité, et c'est à ce stade que les souffrances existentielles sont à
leur maximum. Un de mes patients alzheimer me disait récemment : C'est
maintenant que la perspective de la démence me terrorise, pas quand je serai
devenu un légume heureux.
Tout patient alzheimer encore apte à décider
étant éventuellement admissible à l'aide à mourir, je pense même que c'est
maintenant le devoir du médecin qui pose un tel diagnostic de lui proposer
l'option aide à mourir de la même façon
qu'il a le devoir de lui proposer des traitements médicamenteux disponibles ou
les soins palliatifs. C'est au malade de choisir, et, pour choisir, il
faut être au courant des options disponibles, et ce, même surtout au stade
précoce des maladies neurodégénératives. Alors, faut-il continuer, avoir à
inclure l'aide à mourir dans des DMA spécifiques? Je pense que oui, mais seuls
les patients qui ont reçu un diagnostic formel de maladie neurodégénérative
conduisant inéluctablement à la démence pourraient se prévaloir du refus de
cette démence en devenir en rédigeant des
DMA spécifiques détaillées où le patient décrirait sa définition personnelle de
ce qu'est pour lui un état de démence inacceptable, compte tenu de ses
valeurs, et donnant ainsi le signal exécutoire de son aide médicale à mourir.
Dans ces DMA, il décrirait sa souffrance
existentielle présente qui est le vrai motif de son refus de la démence à
venir. Pour rédiger des DMA de ce type, le patient serait appuyé par une équipe
d'intervenants chargée de l'informer sur l'évolution de sa maladie et de ses
conséquences, répondre à ses questions. Cette équipe s'assurerait que les
directives anticipées contiennent tous les éléments nécessaires par leur
interprétation future, conformément au choix du patient, lorsque la démence
sera considérée comme complète. Et, entre autres, le futur médecin chargé de
donner l'aide à mourir à cette personne démente, qu'il n'a probablement jamais
vue, aurait cette assurance que les directives anticipées traduisent vraiment
ce que le patient voulait à l'époque.
Autre sujet, évaluer les souffrances lors de
l'inaptitude. Comme les DMA se réaliseront dans un contexte d'aide à mourir, donc devant respecter tous les
autres critères d'admissibilité, voyons comment ces critères se
présentent lorsque l'inaptitude sera devenue totale conformément au désir du
patient. Un, sa maladie est alors évidemment grave
et incurable; deux, le déclin avancé des capacités cognitives est
devenu total; trois, le choix a été libre et éclairé; quatre, il reste maintenant
à estimer les souffrances qu'on présume, selon ce que demande la loi, qu'on
présume être intolérables et incontrôlables.
Mais qu'en est-il du dément heureux, lui qui a clairement
dit, dans ses directives, qu'il choisissait librement de mourir plutôt que de
vivre l'indignité de la démence?
Évaluer la souffrance d'un patient dément est
difficile, sinon impossible. Le dément heureux ou qui semble tel ne souffre pas
de façon intolérable. Que faire quand les directives anticipées qui traduisent
une souffrance existentielle majeure devraient être exécutées en présence d'un
dément heureux qui ne montre aucune souffrance expérientielle, par exemple? Il
faut distinguer la souffrance existentielle à l'origine de la demande d'aide à mourir,
essentiellement le refus de la démence, des souffrances expérientielles
quotidiennes, c'est-à-dire les douleurs, la faim, l'inconfort, etc. Le patient
dément est incapable d'analyse, d'association d'idées et de mémoire, il n'est
plus capable de remettre en question sa souffrance existentielle, telle qu'il
la décrite dans ses directives anticipées, et il n'est plus capable non plus de
la communiquer. Il faut donc ne tenir compte que des souffrances existentielles
telles que dûment décrites dans les DMA rigoureusement élaborées et
exécutoires, d'où l'importance qu'elles aient été rédigées par un patient
pleinement informé à ce moment-là.
Injecter l'aide à mourir est un geste terrible,
je l'ai fait 160 fois. Je m'y suis fait, à ce caractère de geste terrible,
parce qu'au moment d'injecter la substance, comme le dit gentiment la loi,
j'avais conscience d'enlever la souffrance et non pas la vie et parce que nous
étions capables, cette personne et moi, de nous regarder lucidement dans les
yeux au moment de ce dernier geste thérapeutique. Donner l'aide à mourir n'est
pas seulement le fait d'injecter une dose létale de curare, c'est
l'aboutissement d'un intense et profond échange de plusieurs heures.
Je ne suis pas certain d'être capable de pousser
le piston de la seringue sur simple commande d'une DMA où je n'ai pas eu
l'occasion d'être impliqué, et c'est l'opinion d'un grand nombre de mes
collègues expérimentés, à moins que ces DMA soient explicites et aient...
qu'elles aient été rédigées dans le cadre d'un protocole garantissant que le
patient était lucide et surtout correctement informé. Alors, je vous laisse
maintenant la parole.
• (14 h 20) •
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Viens. Je céderais maintenant la parole au député de Rosemont.
M. Marissal : Merci, Mme la
Présidente. Dr Viens, bienvenue, finalement. Avec un petit délai, on a réussi à
vous entendre, et vous tombez bien, vous êtes le dernier témoin qu'on va
entendre après un véritable marathon.
Votre exposé est clair, là, comme d'ailleurs
votre expérience sur le terrain, là, puis vous présentez les choses avec
lucidité puis je vous en remercie, c'est utile pour nous. Vous avez dit tout à
l'heure : C'est le devoir d'un médecin, bon, je présume, dans certaines
circonstances, là, après diagnostic, c'est le devoir d'un médecin d'offrir l'aide
médicale à mourir au même titre que d'offrir un traitement médicamenteux ou des
soins palliatifs.
Première question : Est-ce que ça, ça ne
contrevient pas un peu à l'esprit de la première loi, où, justement, on voulait
éviter un... on voulait éviter justement qu'on donne une impression de pression
auprès d'un patient?
M. Viens
(Pierre) : Je suis d'accord avec vous que c'est ce qu'on pensait au
début de la loi, mais, assez rapidement, on s'est rendu compte qu'il fallait
être capable de faire la différence entre informer et, bien, je n'irais pas
jusqu'à dire obliger, progressivement... Et ça, ça a été clair surtout avec nos
collègues du reste du Canada qui fonctionnaient avec la loi C-14, mais la
loi C-14 était, à ce niveau-là, semblable à la loi québécoise. Et ils se
sont aperçu rapidement que, bien, il y a beaucoup de malades qui arrivaient en
fin de vie qui auraient été admissibles à l'aide à mourir en particulier parce
qu'ils remplissaient spontanément les critères d'admissibilité, mais qui
n'avaient jamais entendu parler de l'aide à mourir comme option, et la loi,
bien, recommandait de les informer correctement concernant les soins
palliatifs, puis etc., mais pas l'aide à mourir. Et pourtant c'était une option
légale à ce moment-là, à laquelle ils étaient potentiellement éligibles. Au
point que la CAMAP, le groupe de médecins dans le reste du Canada, a publié une
série de guides d'opération, de guides cliniques d'opération. Un de ceux-là
porte sur : Est-ce qu'on est légalement, ou moralement, ou éthiquement
obligés d'informer un malade de l'existence de l'aide à mourir s'il ne présente pas de contre-indication à son
admissibilité? Par exemple, est-ce qu'on n'est pas obligés, en présentant
les options de fin de vie, d'inclure l'aide à mourir à la condition que ce
patient-là soit, entre autres, apte à décider à ce moment-là? C'est sûr qu'il y
est formellement interdit de présenter l'option aide à mourir comme choix au
malade si on sait d'avance qu'il n'y aura pas droit. Alors, c'est dans ce
sens-là, et ça, cette réflexion-là m'est venue tout récemment. C'est pour ça,
je vous disais au début que tout ce que je disais cet après-midi n'était pas du
texte du mémoire qui vous a été envoyé parce que
ça m'est apparu tout à coup comme simplement une position logique de faire.
M. Marissal : Bien oui, mais c'est
évolutif, hein, on le voit bien. D'ailleurs, avec le temps, des gens sont revenus témoigner, puis, quelques années après, on
a évolué dans notre position. D'ailleurs, on est en train nous-mêmes d'essayer de se faire une tête pour la suite
des choses. Je pense que c'est normal, c'était nouveau puis on est en
territoire nouveau ici, là.
À quel moment le médecin devrait-il, ça, ce n'était
pas clair pour moi, devrait-il dire au patient : Ça existe, ça aussi,
c'est une des options?
M. Viens
(Pierre) : Bon, écoutez,
on parle, cet après-midi, surtout des situations de maladie
neurodégénérative qui conduit, comme l'alzheimer... bien, je vais me limiter à
ça et non pas à toutes les autres situations d'aide à mourir dans les cas de
cancer ou d'insuffisance organique, etc., mais à quel moment on devrait aborder
la discussion avec le malade qui vient de recevoir un diagnostic d'alzheimer, encore
une fois, à condition qu'il soit encore apte à décider? Et les patients alzheimer
sont aptes à décider longtemps dans leur cheminement vers la démence.
L'aptitude à décider, c'est quelque chose de très spécifique, quasiment
technique, et ça, je peux vous le confirmer dans les... non seulement dans les
160 cas que j'ai faits, mais dans les milliers d'autres qui sont le fait
de nos 140 collègues. Ce n'est pas parce qu'on vient d'avoir un diagnostic
d'alzheimer qu'on est inapte à décider. Pas du tout.
Alors, selon moi, lorsqu'un patient reçoit un diagnostic
d'alzheimer, il reçoit une condamnation à la démence. Ça, c'est clair. Cette
démence-là va survenir dans... complète, dans plus ou moins de temps, selon le
type de démence auquel il est soumis. Mais, déjà, un diagnostic d'alzheimer
formel, documenté, signifie la démence à plus ou moins brève échéance, il n'y a
pas de temps à perdre. Puis, si, à ce moment-là, on a comme souci d'offrir au
malade toutes les options de sa fin de vie, parce que, dès le diagnostic, il
est en fin de vie, à toutes fins pratiques, la loi dit : Il faut lui
parler des traitements puis il faut lui parler des soins palliatifs, et tout,
mais moi, je pense qu'il faut lui... surtout lui parle d'aide à mourir étant un
choix pour lui. On ne peut pas choisir entre deux choses si on en connaît
seulement une.
M. Marissal : Je vous remercie,
Dr Viens. Je n'ai plus de temps. Merci pour vos réponses.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, M. le député. Je cède la parole maintenant à la
députée de Joliette.
Mme
Hivon : Bonjour,
Dr Viens. Heureuse que ça marche, cette fois-ci.
M. Viens (Pierre) : Bonjour,
bonjour, Mme Hivon.
Mme
Hivon : Je suis
très heureuse de lire, dans votre mémoire, que vous n'avez pas escamoté quelque
chose qui, selon moi, est essentiel et sur lequel on a eu un éclairage, je
dirais, limité jusqu'à maintenant, c'est-à-dire la zone de confort du médecin
d'administrer l'aide médicale à mourir à une personne qui est devenue inapte.
Et je vous remercie de nous faire part de votre perspective là-dessus.
Il n'y a pas d'enquêtes qui ont été faites
là-dessus, certaines fédérations ont fait des sondages mais n'ont pas demandé,
au-delà d'être en accord avec le principe, combien seraient prêts à le faire.
Vous, vous êtes sans doute un des médecins, au Québec, qui pratiquez le plus l'aide
médicale à mourir dans des communautés de pratique, et tout ça, et vous nous faites part de cet inconfort-là
qui pourrait faire en sorte que vous ne l'exerceriez pas avec une
personne inapte. Vous nous dites que ça pourrait être le cas, selon vous, de
plusieurs de vos collègues expérimentés.
Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus, la
préoccupation étant la suivante : de créer une possibilité, mais d'avoir
très, très peu de gens sur le terrain qui ont un niveau de confort suffisant,
compte tenu de ce que vous exprimez et de l'importance de l'échange, d'avoir
tout fait le tour avec le patient, donc de rester plus dans le droit théorique
que l'exercice réel dans la pratique.
M. Viens
(Pierre) : Bien, en fait, je pense qu'il serait temps de trouver une
façon d'écouter davantage les médecins qui
ont les deux mains là-dedans et qui sont, ultimement, responsables et
imputables pour poser ce geste-là. Actuellement, c'est ce qu'on appelle,
selon la loi, le premier médecin, le seul qui est responsable et imputable à
travers... parmi toute l'équipe multidisciplinaire. On s'est habitué au fait
qu'une demande d'aide à mourir, c'est le début d'un processus, c'est le début
d'un dialogue parfois très difficile avec le patient et sa famille.
• (14 h 30) •
Mais moi, je peux vous dire, entre parenthèses,
entre humains c'est peut-être l'acte global thérapeutique le plus exaltant que
je n'ai jamais posé, en tout cas, là, au courant de toute ma carrière, mais
c'est un processus par lequel ce malade-là, qui... on est vraiment le «last
call for the bar», là. Quand il demande l'aide à mourir, là, il n'y a plus rien
d'autre pour lui. La loi nous demande de vérifier pour être bien sûr qu'il n'y
aura rien d'autre, mais je peux vous assurer que je n'ai jamais eu un seul de
mes 160 patients qui a changé d'idée, là, à travers tout le processus jusqu'à
la dernière minute, bon.
On arrive à ce que le processus d'aide à mourir,
ce n'est pas un geste, c'est un ensemble, c'est une situation où un patient
dans le fond du baril nous demande si on pouvait avoir la bonté de l'en sortir.
Nous dit : Je pense que je peux te donner un coup de main. On va se
parler. On va voir ça ensemble. Puis on est souvent dans des situations extrêmement difficiles où notre instinct de
médecin, notre instinct d'être humain compassionnel est malheureusement
en confrontation avec les exigences compréhensibles, mais les exigences de la
loi, et ce n'est pas toujours facile de...
Moi, je décris ça à mes patients, hein :
Vous me présentez une demande d'aide à mourir, je vous regarde, de ce que je
sais de vous, je connais bien le processus, je connais bien l'aide à mourir et
je pense qu'ensemble, vous, et moi, et, la
plupart du temps, aussi votre famille, vous et moi, on va être capables d'y
arriver. Mais je lui dis dans certains cas surtout, et particulièrement
dans les cas de maladies neurodégénératives que j'ai eu à gérer :
Attendez-vous à la traversée d'un champ de mines pour arriver jusqu'au bout,
dont ni vous ni moi n'avons le plan du sentier qui passe au travers du champ.
Donc, c'est une affaire qui devient extrêmement personnalisée pour le médecin.
Alors là, je me suis dit à un moment
donné : Bon, on va s'embarquer, on va y arriver, à une option où le malade pourra... qui est en devenir de démence,
pourra exprimer son souhait, puis là ça se déroule. Puis à un moment
donné, lorsque le souhait devra être réalisé, lorsque le geste devra être posé,
par définition, dans le cas d'une demande par DMA, le patient est devenu
dément, il est devenu incommunicado, il ne peut plus me parler, et moi, je ne
peux plus lui parler. Quand il fait sa demande, disons, ça peut être quelques
années après les DMA, bon, mais là on constate, à l'hôpital, ou au CHSLD, ou au
CLSC, je ne sais pas trop où, que, oui, le patient avait défini sa démence
comme telle, là, de façon très détaillée, c'est le cas, donc on va aller voir
dans la liste des médecins volontaires qui c'est qui est de garde aujourd'hui
pour faire les DMA puis pour faire l'aide à mourir. Bien, si c'est moi qui est
de garde, là, je sais que je ne serai pas capable d'y parler, à ce gars-là. On
n'aura pas de contact humain. On va fonctionner sur une modalité
bureaucratique, là, tu sais. C'est à moi qu'est devenu le tour de faire la job,
là.
Si, à ce moment-là, je pense que je serais quand
même capable de pousser le piston — là, je parle pour moi, là — mais
je serai d'autant plus capable de pousser le piston si j'ai un ensemble
d'évidences que ce patient-là, à qui je ne peux pas parler, qui ne peut pas me
parler, à une certaine époque pas trop lointaine, c'est ça qu'il était, c'est
le message qu'il me passe dans ses DMA, qui pourrait peut-être me permettre de
faciliter un peu l'humanisation du geste que je vais poser. Je ne veux jamais
devenir un outil d'exécution d'une DMA sur un mode bureaucratique. Je ne serai
jamais capable de faire ça. Mais c'est en réfléchissant là-dessus que je me
disais : Il y a sûrement des moyens, et le message, cet après-midi,
c'est : Les DMA, oui, je vous disais au début que ce n'était pas une
nécessité, mais c'est une option, et il faut qu'on travaille là-dedans, mais,
en travaillant là-dedans, il faut prendre en considération aussi l'humanisation
nécessaire de la conclusion de ce processus-là.
Mme
Hivon : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
Mme
Hivon : Je pense
que c'est tout le temps que j'ai, hein?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Oui. Merci. Donc, nous allons poursuivre la discussion avec le député de Mégantic.
M. Jacques : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Dr Viens. J'apprécie beaucoup les mots que vous avez dits
précédemment. Et, dans un premier temps, là, vous avez parlé beaucoup, là, que
les gens soient informés des options disponibles dès, là, le... que c'était la
responsabilité, entre autres, du médecin à informer les patients, là, des
options qui sont disponibles dans la... dans
sa situation. Vous avez aussi parlé de... que les gens, que les patients soient
correctement informés. Et la façon de les informer, est-ce qu'on ne parle que
du médecin, on parle d'une équipe multidisciplinaire, travailleurs sociaux,
infirmiers, infirmières, médecins spécialistes? J'aimerais ça vous entendre sur
ces deux points-là pour commencer puis, après ça, je vais avoir d'autres
questions pour vous, là, si...
M. Viens
(Pierre) : O.K. Un de mes
principes, c'est l'équipe multidisciplinaire, si nécessaire, mais pas
nécessairement l'équipe
multidisciplinaire. Bon, l'équipe multidisciplinaire, oui, à la condition que
l'équipe multidisciplinaire elle-même soit
très correctement informée et ne dise pas des n'importe quoi au patient. Je
vous rappelle que l'équipe multidisciplinaire ne se sent pas responsable
ni imputable du processus. Bon, à cette condition-là, O.K.
Dans ma pratique, bien,
moi, je travaille un peu dans le bois, là, dans le comté de Portneuf, j'ai une
toute petite équipe multidisciplinaire, soins palliatifs, deux très bons
infirmiers puis un très bon travailleur social, mais c'est des gars qui sont
avec moi, dans l'aide à mourir, depuis bientôt six ans, là, puis les
160 cas, on les a faits ensemble, les trois, bon. Par contre, j'ai eu à
intervenir dans beaucoup d'autres circonstances avec des équipes que je ne
connaissais pas, toutes des bonnes personnes, nécessairement, mais je me suis
aperçu, par expérience, qu'il fallait faire attention, parce que les
informations données, bien, ne m'étaient pas, à moi, toujours satisfaisantes.
Parce que je savais très bien que, si on parlait de ça au patient, bien, dans
les faits, on n'arriverait pas à réaliser ça, bon. Mais je n'ai rien contre du
tout l'équipe multidisciplinaire.
Quand je mentionne ce mécanisme, là, le
mécanisme d'encadrement qui permettrait au patient de bien réfléchir dans ses
directives anticipées sur ce qu'il va faire, pourquoi il va le faire, et tout,
c'est sûr que l'équipe multidisciplinaire, là, a un rôle, mais il faut se poser
la question avant : C'est, par exemple... On se l'est posée, nous, la
question, dans notre petite équipe : C'est quoi le rôle du travailleur
social là-dedans? Et, en particulier, on demande au patient qui nous remet des
demandes d'aide à mourir... Bon, on se présente. Moi, je suis médecin
responsable, c'est moi qui vais vous injecter ça à la fin. Est-ce que vous
sentez le besoin de rencontrer le travailleur social? Il y a-tu des questions
au médecin? Et ce n'est pas toujours évident, mais la plupart de mes patients
disent : Non, non, non, pas besoin de
ça, je sais ce que je veux. Tu me dis que peut-être tu es capable de me le
donner, ça suffit, tu sais, mais, quand je parle du processus, là, il
faudrait que ça soit quelque chose de... Bien, il ne faudrait pas tomber dans la bureaucratie encore une fois, là, mais il
faudrait que le processus soit suffisamment formulé puis formaté pour
que ça soit la même chose au niveau de tout
le Québec, c'est-à-dire qu'on saurait qu'un patient qui vient d'être
diagnostiqué alzheimer, à qui on propose
comme option l'aide à mourir, bien, qu'on lui fournisse à ce moment-là tel type
d'information, telle occasion d'en discuter pour que je puisse savoir, moi, que
le gars, à Gaspé, qui a fait une demande d'aide à mourir puis qui est devenu
dément, bien, on me demande si je veux, si je suis disponible, aller l'injecter, je regarde tout ça puis je dis : Oui,
j'ai confiance que ça soit ça. L'équipe multidisciplinaire, là-dedans,
il faudra qu'elle s'insère.
• (14 h 40) •
M. Jacques : Parfait, Dr Viens.
Juste... Vous avez répondu à la collègue, là, de Joliette, là, par rapport à la
façon que vous puissiez avoir un contact
avec le patient, même si vous ne connaissiez pas le patient, parce que
vous allez arriver là, puis vous ne
connaissez pas le patient, puis là : Est-ce que vous êtes prêt à
injecter? Parce que vous n'auriez pas eu de contact avec. Est-ce
qu'un support visuel ou vidéo quelconque du passé de la patiente ou du patient
qui pourrait nommer ses volontés serait un apport important pour le
médecin au moment de l'injection ou quelque chose?
M. Viens (Pierre) : M. le député, je
pense que ce serait un apport essentiel. On ne parle ici de... pas du même
genre de DMA comme celle à laquelle on est habitués, où on coche et où c'est
même interdit d'ajouter quelque commentaire que ce soit aux coches qu'on met.
Là, c'est des... mais on parle de DMA d'un type différent, des DMA où le type,
idéalement, pourrait nous livrer son message de façon audiovisuelle. Ce serait
génial. Mais ça peut être fait comme ça en partie et aussi par écrit. Autrement
dit, c'est le médecin qui prend contact de ça.
Et le malade lui-même, au départ, qui prend
cette décision terrible... Le gars qui vient d'avoir un diagnostic d'alzheimer,
puis que... il est au courant en partie, mais on lui explique qu'est-ce qui
l'attend. Bien, je n'en veux pas, moi, de cette affaire-là, tu sais. Pourquoi
tu n'en veux pas?, puis etc. Puis là il faut que la personne soit libre
d'exprimer ça de quelque façon qu'elle le souhaite dans... à l'intérieur de ses
DMA. Il ne faut pas qu'il y ait des limites d'espace, ça, là. C'est un geste
qui est trop important, ça. On doit avoir le temps de le faire comme il faut.
M. Jacques : Puis dernière petite...
mais rapidement parce que je veux laisser du temps à mes collègues, là :
Pourquoi pas de demandes médicales anticipées pour des gens qui ne sont pas
diagnostiqués, qui pourraient avoir une maladie ou un accident quelconque qui
enlèverait toutes leurs capacités, là, cérébrales, mettons?
M. Viens (Pierre) : Non. Bien, c'est
parce qu'à ce moment-là ça voudrait dire... Moi, je ne sais pas si, à un moment
donné, je vais me faire frapper par un autobus puis je ne serai pas dans le
coma de façon irréversible. Ou ça peut être un paquet d'autres affaires. On ne
peut pas, à ce moment-là, prévoir toutes ces situations-là. Il ne faut pas que
les DMA destinées à gérer des demandes d'aide à mourir soient une espèce de
gros panier où n'importe qui, à un moment donné, dit : Ah! bien, moi, là,
je veux mourir avec l'aide à mourir parce que mon père est mort de ça, puis
c'est génial, cette affaire-là, bon.
Non, il faut que ce soit quelque chose de
suffisamment spécifique, notamment pour permettre d'avoir une information
correcte, et que ce soit une décision informée et correcte. À ce stade-ci,
j'aimerais que ce soit réservé aux maladies neurodégénératives cognitives. Bon,
il n'est pas exclu que les choses vont évoluer, puis peut-être qu'on trouvera
d'autres façons, puis la société va évoluer aussi, hein? Quand ça a commencé...
M. Jacques : Dr Viens, Dr Viens,
c'est parce que je sais que les collègues veulent poser des questions. Vous
avez très bien répondu à ma question, ça fait que je vais donner la chance à
mes collègues de vous poser quelques questions. Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Effectivement. Merci beaucoup, M. le député. J'ai la collègue de Saint-François
qui aimerait intervenir également.
Mme
Hébert : Merci,
Mme la Présidente. Il me reste combien de temps?
La Présidente (Mme
Guillemette) : Cinq minutes.
Mme
Hébert :
Parfait. Merci, Dr Viens. Vous avez mis des mots, même des nouveaux mots... On
n'avait jamais parlé de souffrance expérientielle. On parlait de
souffrance contemporaine, mais je vois qu'on a un nouveau mot maintenant dans
notre glossaire.
J'ai posé la question à Dr Rivard, et vous y
avez répondu tantôt, de dire que tous les cas que vous avez administré l'aide
médicale à mourir, lors du deuxième consentement, il n'y en a pas un qui a
refusé. Bien, c'est ce que vous avez dit?
M. Viens (Pierre) : Oui.
Mme
Hébert : Oui.
Parfait. Moi, j'aimerais savoir... Je vois que vous mettez comme le doigt
dessus, il faut qu'il y ait un diagnostic qui amène à une démence éventuelle, parce
qu'on est capables de quantifier la souffrance existentielle, qui est très
présente, comme vous l'avez dit, dès le début. On apprend la nouvelle, puis là
les gens, c'est là qu'ils vivent l'anxiété, l'angoisse de qu'est-ce qu'il s'en
vient. Souvent, ils ont eu une expérience dans leur famille qui fait qu'ils ont
des images, ils ne veulent pas ressembler à ça, ils ont des peurs, des
craintes. C'est là que c'est intense. Donc, c'est plus facile, à ce moment-là,
de pouvoir discuter avec la personne, de regarder toutes les avenues de
traitement pour en arriver là. Vous avez même émis, d'après moi, la recommandation
de mon collègue, le député de Mégantic, de peut-être même filmer ce moment-là
pour que... on sait que ça peut prendre du temps, une démence. Quelqu'un qui
est au stade 1, qui se rend, je ne sais pas, moi, tout dépendant de ses
critères, que ça peut prendre 10 ans. Il y en a que ça a pris même
15 ans.
Alors, dans tout ce processus-là, comment qu'on
doit réévaluer dans le temps ces demandes-là? Parce que probablement que, quand
la personne va... on va juger en fonction de ses demandes, ses critères, ses
balises à elle, on va en arriver à quelqu'un de la famille qui va lever le
drapeau ou le médecin dire : Votre mère ou votre père est arrivé à cette
étape-là. Donc, comment dans le temps on peut réévaluer ça? Parce qu'on sait
qu'il y a plein de choses qui peuvent changer aussi.
M. Viens (Pierre) : L'excellente
question! Avant d'y répondre, je vais... Au début de votre intervention, la
notion de souffrance expérientielle, elle est nouvelle pour moi aussi, Mme la
députée. Et je vous réfère, par contre, là, à mon mémoire qui vous a été remis
où je donne une référence très importante de l'article du Pr Sumner de
Toronto, et c'est là que j'ai appris moi-même qu'est-ce que c'était que de la
notion de souffrance expérientielle. Et ce document-là, je pense, dans le cadre
de la commission, devrait être un document qui devrait être étudié de façon
approfondie. J'en ai fait, avec ma conjointe, une traduction en français, qui
est une traduction officieuse, qu'il me ferait plaisir de vous remettre, mais
je ne doute pas qu'à l'Assemblée nationale il y a des traducteurs qui se
feraient peut-être un plaisir de ça.
Bon, pour revenir à l'autre, c'est-à-dire
qu'est-ce... à partir du moment où tout ceci a été codifié puis rentré dans les
DMA... Puis, incidemment, je ferai une petite remarque. Ce que je propose comme
solution, à la suggestion du député d'avoir un document audiovisuel, il faut...
tout ça, il faudrait que ça soit si le patient le souhaite. Tu sais, dans l'aide
médicale à mourir, on est toujours selon le choix du patient, bon.
Maintenant, une fois que c'est fait, à quelle...
Et vous avez raison de dire... la moyenne de survie des cas d'alzheimer du
début à la fin, c'est neuf à 10 ans. Donc, comme l'événement des DMA
survient plusieurs années avant la fin, il faut qu'on prévoie... c'est
nécessaire qu'on prévoie une succession, et je dirais, je n'y ai pas réfléchi,
là, mais je dirais, peut-être annuellement, une sorte de révision modeste, pas
nécessaire de tout recommencer, jusqu'à tant que la... qu'on sente que la
démence ou l'inaptitude devient un problème.
Et ça, ça serait intéressant d'avoir un
mécanisme comme ça, chronologique, de suivi pour nous permettre de détecter là
où ça devient dangereux, là où l'aptitude est menaçante. Et, à ce moment-là, ce
n'est peut-être pas nécessaire... et le patient, peut-être, et ça, il pourrait
le dire dans ses DMA, le patient ne souhaite peut-être pas arriver
nécessairement à l'état de, comme disent les ados, de full démence, là, tu
sais, pour qu'on puisse lui donner l'aide à mourir. Mais... simplement un
processus pas trop lourd, parce que les cas d'alzheimer, bien, vous êtes
sûrement au courant, là, en tout cas, à mon âge, là, c'est 30 %, là, qui
sont déjà embarqués là-dedans. Ça fait qu'il risque d'y avoir du travail, tu
sais. Mais ça serait à codifier. La même chose quand on élaborerait le
protocole d'encadrement du patient pour ça, bien, demander une période de
révision.
Mme
Hébert : Est-ce
qu'il reste du temps, Mme la... Non.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Non, malheureusement. Mais on poursuit quand même les échanges avec le député
de D'Arcy-McGee.
Et, avant de céder la parole à M. le
député, j'aurais besoin du consentement de tout le monde pour qu'on puisse un
peu déroger de notre horaire.
Des voix : ...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Consentement. Donc, vous pouvez y aller, M. le député.
• (14 h 50) •
M. Birnbaum :
Merci, Mme la Présidente. J'ose croire que c'est très à propos que nos
audiences de cette deuxième phase se terminent avec vous, Dr Viens. La
sagesse, la sophistication, la sensibilité de vos interventions nous frappent,
ainsi que le bagage qui est derrière ces réflexions. Si j'ai bien compris,
30 ans d'expérience en soins palliatifs, vous avez accompagné beaucoup de
patients vers l'aide médicale à mourir, en plus d'avoir consulté et convoqué
plusieurs de vos collègues à travers le Canada. Alors, il me semble que c'est
une intervention d'une importance capitale pour nous tous. En quelque part, je
suis frappé par un paradoxe que vous décrivez, qui était déjà évident quelque
part, c'est-à-dire l'importance qu'on écoute et on respecte de façon minutieuse
l'autonomie de la personne qui fait la demande. En même temps, ironiquement,
j'ai tendance à comprendre que, pour le faire, ça met un fardeau énorme sur le
médecin qui l'accompagne.
Ce qui m'amène à deux grandes questions, pour
moi, en tout cas. Dans un premier temps, comment est-ce qu'on s'assure que le
fardeau, en quelque part, reste sur l'individu, et pas sur le médecin, pour
trancher sur l'admissibilité de la demande, et peut-être, pour moi, une
préoccupation plus grande, est-ce que vous êtes convaincu que ce... le genre d'intervention de grande
qualité que vous êtes en train de décrire va être disponible de façon
équitable et raisonnable à travers le Québec?
M. Viens (Pierre) : Quelle question!
On n'a pas le choix, il va toujours falloir que ce soit le médecin prestataire
qui demeure ultimement responsable. Depuis les débuts de cette aventure de l'aide
médicale à mourir, un des problèmes que j'ai eus, en particulier parce que je
pratique... je ne pratique pas dans un grand hôpital, comme je disais tout à
l'heure, je suis dans le bois avec mes infirmiers puis mon travailleur social,
la loi m'oblige, quand je reçois une demande d'une personne que je ne connais
ni d'Ève ni d'Adam... ce n'est pas un patient, ça, que j'ai suivi depuis 20 ans,
là, c'est une personne, c'est quelqu'un qui m'arrive comme ça sur ma table, là,
et je dois rapidement satisfaire les exigences très rigoureuses et parfois très
difficiles de la loi en termes de documentation, en termes de connaissance,
vraiment, que j'ai de ce patient-là. C'est extrêmement lourd. Ce n'est peut-être
pas pour rien que, pour les 7 000 et quelques AMM au Québec depuis bientôt
six ans, il y a seulement environ 500 médecins qui ont décidé de plonger
dans cette affaire-là. Bon, ce serait évidemment beaucoup plus facile — là,
il faut que je fasse attention à mes paroles, là — si on avait plus de
compréhension et de collaboration du système de santé, et de ses gestionnaires,
et de ceux qui l'utilisent tous les jours.
Parmi les 500
et quelques médecins volontaires, ce sont presque tous des médecins de famille,
il y a une toute petite poignée de spécialistes là-dedans. Il faudrait
se poser aussi la question : Pourquoi? Il y a tellement de choses qu'on a
réalisées, nous, depuis six ans, qui demanderaient vraiment plus
d'investigations, tu sais, comment faire, entre autres, pour arriver à ce que
les médecins soient plus collaboratifs dans les informations. Déjà, une demande
d'aide à mourir adressée à un médecin, surtout peut-être à un médecin spécialiste,
c'est quasiment une claque au visage qu'il lui fait. Le patient lui dit, par sa
demande d'aide à mourir : Tu n'as pas été capable de me guérir, donc je te
demande de m'aider à mourir. Mettez-vous dans la peau du spécialiste. Depuis
Hippocrate et même beaucoup avant, les médecins ont été toujours habitués,
c'est quasiment dans leur code génétique, d'être les décideurs de l'affaire. Et
là on a une situation qui est complètement à l'envers, c'est le patient qui ose
dire au médecin : Ce n'est pas de ta faute, peut-être, mais tu n'as pas
été capable de me guérir, es-tu capable de m'aider à mourir?
La plupart des réponses que je vois dans les
dossiers qui me sont transmis après cette dernière consultation là à l'hôpital,
souvent, ça a été : Je ne peux plus rien faire pour vous. Je vous retourne
aux mains de votre médecin de famille. Et j'aimerais bien que, quand ils nous
les retournent aux mains du médecin de famille, ce soit avec suffisamment d'informations et suffisamment
faciles à obtenir pour être capables, nous... d'être capables, nous, de
retomber sur nos pattes rapidement avec cette personne-là.
Mais ça irait beaucoup plus loin que ça, là,
c'est sûr qu'il y a tout l'autre aspect aussi qui est : on est un groupe
de volontaires, il y a une relève qui se dessine tranquillement. Puis j'aime
autant vous dire que moi, j'ai hâte que la loi... que soit clarifiée la
discordance entre les deux lois, parce que le jeune médecin qui arrive là-dedans
puis qui voit ça, ce n'est pas tellement attirant, hein, puis il pense que
c'est des volontaires qui sont chargés de faire un travail difficile. La
moindre des choses, c'est qu'on les respecte puis qu'on essaie aussi, autant
que possible, de faire en sorte qu'ils ne soient pas découragés dès l'entrée.
Et l'arrivée des maladies neurodégénératives,
plus largement que ça, depuis la disparition du critère de fin de vie et de
mort naturellement prévisible comme critères, vous avez maintenant la
possibilité, pour toutes les personnes qui souffrent depuis des dizaines et des
dizaines d'années, qui n'ont pas une maladie typée, là, puis où c'est
absolument impossible de prédire qu'elle est, même grosso modo, leur espérance
de vie, bien là ils font surface puis ils nous arrivent, hein? Et là ils font
surface, ces malades-là, et de plus en plus. En tout cas, moi, dans ma
pratique, la demande d'aide médicale à mourir, c'est une courbe qui s'en va
comme ça.
Là, je
suis... la première année, j'en ai eu 12. Là, je suis rendu à 160. Et ce qui
s'en vient, ce n'est pas seulement une augmentation
de la courbe, ce sont des cas de plus en plus difficiles, de plus en plus longs
et requérant de plus en plus la collaboration des... un patient en
fibromyalgie depuis 30 ans qui m'arrive, qui a été suivi par 42 médecins
dans sept hôpitaux différents, avec un
dossier qui ferait à peu près trois pouces d'épais, et j'ai besoin d'aide si je
veux lui dire : Oui, je suis
d'accord pour aller de l'avant avec toi, parce que je vais être obligé de
passer à travers tout ça puis de me faire une idée en l'espace de quelques jours. Mais ça, c'est des considérations
pratiques que je ne vois pas souvent. Tu sais, dans les délibérations
des grands experts, là, bien, c'est drôle, on dirait que nous autres, on n'est
pas là, là, tu sais, en tout cas.
• (15 heures) •
M. Birnbaum : C'est lourd.
Est-ce que vous auriez eu à trancher en refusant une d'aide médicale à mourir
compte tenu que les circonstances de votre lecture ne rejoignaient pas les
critères actuels dans l'article 26 et est-ce que
vous avez les mêmes réflexions, craintes, peut-être, sur la capacité de vos
collègues à travers le Québec à trancher de façon négative, si indiqué?
M. Viens (Pierre) : Définitivement.
Sur les 160 cas, mais ça, c'est mon expérience personnelle, là, je ne
représente pas ici la communauté de pratique que j'ai fondée, c'est seulement
l'expression de mon expérience puis de ma réflexion, sur les 160 cas, j'en
ai refusé trois pour des questions d'inaptitude. Bon, les autres, il est
arrivé, en deux cas, et ça, c'est… où un patient qui allait bien, puis il lui
arrive un accident, à un moment donné, il se présente à l'urgence, et là,
brusquement, comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, l'urgentologue lui
dit : Vous avez un cancer du foie stade 4, vous êtes en fin de vie.
Le gars, il ne s'attendait pas à ça quand il est rentré avec l'ambulance. J'ai
eu quelques cas où, en sortant de l'urgence, le gars, tout de suite, a rempli
sa demande d'aide à mourir en disant : Aïe! «No way!» Moi, je veux avoir
l'aide à mourir.
Bon, je les ai reçues, ces demandes-là, sauf
qu'on s'est entendu avec... on a dit : On va se laisser un temps de réflexion un petit peu, là, on va laisser guérir
le coup de bat que tu as reçu sur la tête puis on va s'en reparler. Il y en
a eu quatre comme ça. Il y en a deux qui sont encore là au bout d'une couple de
mois, ils maintiennent leur demande d'aide à mourir, mais, bon, bien, ça leur a
donné l'occasion de se revirer de bord un petit peu puis de voir. Mais il faut
continuer à les accompagner durant tout ce temps-là.
Quand je reçois une demande d'aide à mourir, et
je le dis carrément au malade : J'accepte votre demande, là, mais,
moralement, c'est un contrat entre vous et moi qu'on va aller jusqu'à la fin.
Et parfois, jusqu'à la fin, bien, c'était, à un moment donné, de s'apercevoir que poursuivre le cheminement de toute la mécanique de
l'aide à mourir, ça devenait contre
les intérêts du malade, trop dangereux, et, dans quelques cas, j'ai été obligé
de proposer l'autre option, qui est la sédation continue dans ces cas-là.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Dr Viens. Merci beaucoup, M. le député. C'est tout le temps que
nous avions, malheureusement. Discussion fort intéressante, Dr Viens. Il y
a un nouvel éclairage que nous n'avions pas eu dans les dernières auditions.
Donc, je vous remercie beaucoup pour votre contribution aux travaux de la
commission.
L'audition du Dr Viens met un terme aux
consultations particulières et aux auditions publiques dans le cadre des
travaux de la commission.
Mémoires déposés
Et je dépose
maintenant les mémoires des organismes et personnes non entendus dans le cadre
de nos travaux.
Nous avons assisté, au cours des derniers mois,
à 74 auditions, et je tiens à remercier l'ensemble des témoins que nous
avons entendus. Vous avez tous contribué à alimenter notre réflexion. Merci aux
collègues aussi d'avoir été présents lors de ces auditions, et maintenant le
travail commence.
Compte tenu de l'heure, la commission ajourne
ses travaux jusqu'au mercredi 25 août 2021, à 9 h 30…
25 août 2021, à 9 h 30, oui, où elle se réunira en séance de
travail.
Merci, tout
le monde, et bonne fin de journée. Merci encore, Dr Viens, de votre
présence avec nous aujourd'hui.
(Fin de la séance à 15 h 04)