(Neuf heures trente minutes)
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Bonjour à tous et à toutes. Ayant constaté le quorum,
je déclare la séance de Commission spéciale sur l'évolution de la Loi
concernant les soins de fin de vie ouverte.
La commission est réunie virtuellement afin de
procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur l'évolution
de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Non,
Mme la Présidente.
Auditions
(suite)
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Merci. Cet avant-midi, nous entendrons par
visioconférence les groupes suivants : l'Association des retraitées et
retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec,
l'Association québécoise de prévention du suicide, l'Association québécoise des
neuropsychologues.
Je souhaite donc la bienvenue aux représentantes
de l'Association des retraitées et retraités de l'éducation et des autres
services publics du Québec. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter puis à commencer votre exposé. Je passe donc la parole à
Mme Lapointe.
Association
des retraitées et retraités de l'éducation
et des autres services publics du Québec (AREQ)
Mme Lapointe (Lise) : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mmes et MM. les députés. Je me
présente, Lise Lapointe, présidente de l'Association des retraitées et
retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec, donc l'AREQ.
Je suis accompagnée ce matin de Mme Ginette Plamondon, conseillère à
l'AREQ.
Je tiens d'abord à vous remercier de nous donner
la possibilité de vous faire part de la réflexion de l'AREQ sur l'aide médicale
à mourir demandée de manière anticipée et de même pour les personnes atteintes
de troubles mentaux. Nous tenons aussi à vous indiquer à quel point nous
apprécions le travail que vous réalisez pour assurer une fin de vie digne à des
milliers de personnes aînées. Recevez toute notre reconnaissance.
D'abord,
quelques mots sur notre association, ce qu'est l'AREQ. Nous représentons tout
près de 60 000 membres dont la moyenne d'âge est de
73 ans. Fondée en 1961, notre association est présente sur tout le
territoire québécois. Notre mission consiste à promouvoir et à défendre le
droit de ses membres et des aînés. Nous nous intéressons à de nombreux aspects
de leur vie dont les régimes de retraite, leur pouvoir d'achat, l'hébergement,
les soins de santé et leur implication citoyenne.
Nous souhaitons d'abord préciser que nous nous
intéressons à l'aide médicale à mourir depuis le début de la réflexion
collective sur ce sujet et tout au long de ces années et encore maintenant. Et
nous avons toujours, toujours guidé... nous avons toujours été guidés, excusez,
par la recherche de l'équilibre entre l'autodétermination et la protection des
personnes vulnérables. Je vais vous résumer ce que contient le mémoire que nous
vous avons déposé.
D'entrée de jeu, nous vous indiquons que nous
appuyons la possibilité de formuler une demande anticipée d'aide médicale à
mourir par une personne souffrant d'une maladie neurodégénérative cognitive et
devenue inapte au moment où ce soin sera administré. Nous nous appuyons
notamment sur un sondage réalisé auprès de nos membres qui indique que 94 %
d'entre eux y sont favorables.
Pour nous, il va de soi que ce nouveau droit
doit être encadré. Parmi les balises nécessaires, nous croyons qu'il est
essentiel qu'un diagnostic soit préalablement établi. Cette condition
assurerait que la personne qui veut faire une demande anticipée reçoive toute
l'information nécessaire à une prise de décision éclairée.
Toutefois, nous nous inquiétons de l'application
de cette exigence en raison d'importantes et de nombreuses difficultés d'accès
à un médecin de famille. Le fait de devoir attendre de longs mois pour
rencontrer un médecin pourra avoir pour effet que la personne ne soit plus apte
à consentir au moment où elle recevra un diagnostic de maladie neurodégénérative
cognitive. Nous tenons à vous sensibiliser à cet aspect.
En l'absence d'un diagnostic, les directives
médicales anticipées, DMA, peuvent jouer un rôle très important dans les cas d'accident soudain, tels que les
accidents cérébraux vasculaires. Malheureusement, nous constatons que
cet outil est très peu connu par la population et sous-utilisé par les
professionnels de la santé. Nous croyons qu'un effort majeur devrait être
consenti pour mieux faire connaître cette possibilité d'exprimer nos volontés en
cas d'inaptitude.
Nous tenons également à insister sur le fait
que, pour nous, le recours au consentement substitué pour une demande d'aide
médicale à mourir ne devrait jamais être autorisé. Dans le cas contraire, nous
croyons que de nombreuses dérives puissent se produire et que l'aide médicale à
mourir soit administrée à des personnes qui ne l'ont jamais
souhaitée. De plus, il nous apparaît incertain que les médecins accepteraient
d'administrer ce soin dans ce contexte. Pour éviter que la possibilité d'obtenir
l'aide médicale à mourir de manière anticipée demeure théorique, nous
recommandons diverses pistes pour en faciliter l'accessibilité. Nous croyons
notamment que les infirmières praticiennes
spécialisées devraient être autorisées à évaluer les demandes et à
l'administrer. Un soutien devrait être aussi prévu... excusez-moi, pour les médecins impliqués et un registre
national des demandes anticipées pourrait être mis sur pied.
Toujours guidés par le désir d'assurer le
respect des volontés des personnes qui ont complété une demande anticipée, nous
croyons que celle-ci doit avoir un effet contraignant et non pas être seulement
indicative. Nous appuyons cette position sur
le résultat, toujours, du sondage que nous avons réalisé. Nous avons
demandé à nos membres si le contenu de la demande anticipée devrait obligatoirement
être respecté. La réponse ne laisse place à aucun doute : 90 % ont
indiqué être favorables à ce que le contenu d'une demande anticipée soit
impérativement respecté. Dans le cas contraire, nos membres craignent de perdre
le contrôle sur leurs volontés si la décision est remise entre les mains
d'autres personnes.
La souffrance
est un autre élément qui balise l'accès à l'aide médicale à mourir demandée de
manière anticipée. Nous croyons que
ce critère doit demeurer. Nous sommes conscients de la complexité de cet
élément dans le contexte d'une telle demande. À l'instar d'autres
intervenants, nous proposons que la définition de la souffrance prévue dans la
loi concernant les soins de vie soit élargie pour y inclure la souffrance
existentielle. Pour nous, la perte de dignité, que plusieurs associent aux
maladies neurodégénératives, constitue de la souffrance existentielle qui doit
être prise en compte pour déterminer l'admissibilité à l'aide médicale à
mourir.
Nous avons pris acte du questionnement
concernant le sujet de la souffrance anticipée et de la souffrance
contemporaine. Nous l'avons analysé, en prenant en compte le droit à
l'autodétermination des personnes atteintes de maladies cognitives et la
souffrance existentielle. Pour nous, l'important est de se centrer sur la personne
et sur ce qu'elle a exprimé dans sa demande anticipée, alors qu'elle était apte
à consentir. À ce moment-ci de notre réflexion, on considère que la souffrance
anticipée doit primer. Les manifestations de cette souffrance devraient être
clairement précisées dans la demande anticipée.
Les comportements et les situations que la
personne considérera insupportables seraient l'élément qui déclencherait le
processus menant à l'administration de l'aide médicale à mourir. Nous craignons
que de référer à la souffrance contemporaine
fasse en sorte que les demandes de la personne inaptes ne soient pas
strictement respectées. De plus,
certaines personnes pourraient décider de précipiter le moment de l'administration de l'aide médicale à
mourir pour s'assurer de garder le contrôle sur leur fin de vie.
Toutefois, nous comprenons que cette approche
pose des défis. Dans le cas des démences heureuses, la proposition que nous
amenons nous apparaît susceptible d'assurer le respect des volontés des
personnes qui auront fait une demande anticipée.
Nous recommandons que l'aide médicale à mourir
ne soit pas administrée à une personne qui présenterait des signes de démence
heureuse si elle a précisé dans la demande anticipée qu'elle a faite que
c'était sa décision. Ainsi, dans le cas où une personne inapte a atteint les
critères qu'elle a mentionnés dans sa demande anticipée et qu'elle présente les
caractéristiques d'une démence heureuse, l'aide médicale à mourir ne lui serait
pas donnée si elle a écrit dans sa demande que c'est ce qu'elle voulait. Par
contre, une personne pourrait aussi prévoir dans sa demande anticipée qu'elle
veut que l'aide médicale à mourir lui soit administrée même si elle semble être
dans un état de démence heureuse. Nous croyons que cette approche permettrait
de respecter la volonté de la personne concernée, et surtout, allégerait la
charge émotive pour les proches et l'équipe médicale.
• (9 h 40) •
Enfin, nous tenons à préciser que, si nous
appuyons la possibilité d'une demande anticipée, nous attachons autant
d'importance à tout ce qui peut permettre à chaque aîné de vivre dans la
dignité. Nous appuyons toute démarche conduisant à une fin de vie digne, mais
nous en appelons aussi à tout mettre en oeuvre pour vivre dans la dignité. Il
faut tout faire pour que les personnes atteintes de maladies neurodégénératives
cognitives qui décideraient de ne pas opter pour une telle demande soient
socialement dévalorisées. Pour nous, l'aide médicale à mourir ne devrait jamais
être un raccourci pour éviter de prendre tous les moyens nécessaires pour
assurer les soins appropriés aux personnes atteintes de maladies. Les aînés ne
doivent pas se tourner vers l'aide médicale à mourir en raison de
l'insuffisance des services. Ça serait un grave échec.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'aide médicale
à mourir pour les personnes atteintes de troubles mentaux, nous soumettons à
votre réflexion que c'est 81 % de nos membres qui sont favorables à ce que
cette possibilité leur soit offerte. Nous suivrons de près les travaux de la commission
sur cet enjeu et nous serons à l'écoute des différents points de vue.
En
conclusion, nous croyons que de permettre aux personnes atteintes de maladies
neurodégénératives cognitives de demander à l'avance l'administration de
l'aide médicale à mourir répondra aux attentes d'une très vaste majorité
d'aînés qui aspirent à une fin de vie digne. L'autodétermination qui a
caractérisé leur vie demeure le principe qui est cher. Il leur est essentiel de
savoir que les décisions seront respectées jusqu'à la fin de leurs jours. Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vous remercie beaucoup, Mme Lapointe. Nous
passerons maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission
pour une période de 35 minutes. D'abord, je vais passer la parole au
gouvernement, à la députée de Saint-François. Donc, à vous, la députée de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lapointe et Mme Plamondon. Merci de
cette intervention, et j'aime... j'ai beaucoup aimé que vous apportiez un
certain pourcentage. Donc, on voit que vous avez sondé
vos membres, puis ça nous donne quand même un bel aperçu de savoir qu'est-ce
qui a été posé comme questions, et tout.
Par contre, je ne sais pas si j'ai bien entendu,
puis j'aimerais que vous m'expliquiez : lorsque vous recommandez de
prévoir l'obligation de l'obtention d'un diagnostic pour une maladie
neurodégénérative, cognitive, pour une condition d'admissibilité à une demande
d'aide médicale à mourir, est-ce que vous avez dit que vous excluez les
demandes anticipées pour les personnes qui auraient un accident, un AVC, un
accident grave? Est-ce que les demandes anticipées sont seulement pour... avec
un diagnostic ou une personne pourrait prévoir à l'avance de dire : Bien,
moi, si jamais j'ai un ACV, j'ai un accident grave, je suis quadriplégique, je pourrais...
j'aimerais faire mes directives puis les mettre... qu'on puisse les respecter?
Est-ce que c'est ça que vous avez dit ou pas? Parce que je n'ai pas bien
compris, ça fait que j'aimerais que vous puissiez élaborer, s'il vous plaît.
Mme Lapointe (Lise) : Parfait.
Alors, je vais préciser. Vraiment, pour les maladies neurodégénératives,
cognitives, on croit qu'il est essentiel d'avoir un diagnostic. Pour les gens
qui ont soit un accident vasculaire ou, encore, qui... peuvent se prévaloir
présentement de la possibilité d'écrire dans leurs DMA... de compléter le
formulaire et de spécifier quels sont les soins qu'ils veulent avoir en cas
d'accident vasculaire, ou autres, ou... Donc, je pense que c'est une
possibilité qui existe déjà maintenant, et qu'il faut continuer de promouvoir.
Nous, on en a fait la promotion. On a fait de la formation sur la possibilité
de compléter ce formulaire-là, mais on ne l'associe pas nécessairement à une
demande anticipée. Donc, comme ça, si le médecin qui reçoit la personne accidentée
a vraiment une bonne signification de ce qu'elle voulait comme soins, il
pourrait vraiment installer peut-être des soins de confort, etc., et permettre
à la personne, là, de respecter les manifestations qu'elle avait exercées quand
elle a complété ce formulaire-là.
Pour nous, il n'est pas question qu'au moment où
on se parle ou dans un avenir très rapproché, pour les cas d'accidentés ou
d'accidents vasculaires, on puisse déjà faire une demande anticipée. Ce n'est
pas l'objectif de notre demande aujourd'hui. Et moi, je pense que même le
gouvernement se doit de faire des campagnes de publicité. Je disais, l'autre
jour, il est possible aussi, lorsqu'on reçoit la possibilité de renouveler
notre permis de conduire, qu'on ait une petite phrase ou une petite ligne qui
nous indique que, oui, c'est possible d'aller chercher le formulaire, de le
rendre accessible plus facilement — formulaire, je parle toujours
du DMA — et
d'inciter les gens à le compléter. Ça pourrait être aussi par le biais des
médias. Donc, il faut vraiment en faire la publicité, il faut que les gens
l'utilisent, on sait pertinemment que c'est peu utilisé présentement, et c'est
la place où il faut passer pour ces personnes-là qui vont souffrir un jour ou
l'autre soit d'un accident ou d'un accident vasculaire.
Mme
Hébert : Alors,
comme on le dit, l'aide médicale à mourir au Québec, ce n'est pas un soin de
fin de vie, est-ce qu'on l'inclut dans la directive quand c'est un accident
cérébrovasculaire ou un accident grave? Est-ce que ça peut déjà être inclus
sans savoir comment la personne va être à ce moment-là? Parce qu'on nage un peu
comme dans l'inconnu. Contrairement aux maladies neurodégénératives, il y a
déjà des étapes, des stades, le médecin est capable de diriger la personne pour
savoir qu'est-ce qui s'en vient puis qu'est-ce qu'elle peut déterminer pour
elle, qu'est-ce qui n'est pas adéquat ou qu'est-ce qu'elle ne veut pas vivre,
qu'elle ne sera pas dans sa dignité. Donc, est-ce que vous dites qu'on devrait
inclure la directive anticipée, l'aide médicale à mourir?
Mme Lapointe (Lise) : On pourrait
peut-être ajouter quelques éléments dans le formulaire de DMA — je
reviens toujours au formulaire de DMA — on pourrait peut-être ajouter
quelques éléments, mais il ne faut pas que ce soit quelque chose à laquelle
j'aspire, là, mais c'est vraiment aussi avec l'aide des proches et l'équipe
médicale, l'équipe soignante qu'on pourra peut-être utiliser d'autres moyens.
Mme
Hébert : Parfait.
Puis, quand vous dites : 81 % de vos membres ont ou sont favorables à
la... que les gens qui ont des troubles mentaux puissent être admissibles à
l'aide médicale à mourir, pouvez-vous élaborer un petit peu sur les questions
qui ont été posées pour arriver à ce pourcentage-là?
Mme Lapointe (Lise) : Oui. Alors, je
vais laisser la parole à Mme Plamondon, qui est chargée de formuler les questions et de recueillir... de faire la
cueillette du sondage. Alors, je pense que Mme Plamondon va être en
mesure de nous expliquer comme il faut
qu'est-ce qui a été posé et quel est le résultat qu'on vous donne présentement.
À toi, Ginette.
Mme Plamondon (Ginette) : Oui.
Alors, bonjour, tout le monde. Alors, au regard de la question de l'aide... l'accès à l'aide médicale à mourir pour les
personnes qui ont des problèmes de santé mentale, en fait, on a posé deux
questions à nos membres. On leur a demandé d'une part : Est-ce qu'une
personne qui a à la fois un problème de santé physique et un problème de santé
mentale, est-ce que cette personne-là devrait avoir accès à l'aide médicale à
mourir? Et là, l'appui était très, très, très fort, là, c'était comme 95 %
de nos membres qui disaient oui. Ensuite, on a poussé un petit peu plus loin,
on leur a demandé : Et si la personne n'a qu'un seul problème de santé
mentale... Je ne veux pas diminuer l'importance d'un problème de... d'un
trouble mental, là, mais elle n'a... cette personne-là n'a pas de trouble de
santé physique, disons, alors, là aussi, il y a un appui de nos membres. La
question très précise qu'on leur a demandée, en fait, c'est : Une personne
est atteinte d'un problème de santé mentale chronique et irréversible, par
exemple une personne atteinte de schizophrénie souhaite obtenir l'aide médicale
à mourir, donc très simplement, là, et là, c'étaient 81 % de nos membres
qui se sont dits favorables à ce que ces personnes-là puissent obtenir l'aide
médicale à mourir.
Alors,
dans notre mémoire, on ne fait pas de recommandation, on regarde cet enjeu-là,
parce qu'on considère qu'on n'a pas nécessairement l'expertise nécessaire pour
vous aider à cheminer plus loin, là, sur les enjeux qui sont soulevés par
l'accès à l'aide médicale à mourir pour les problèmes de santé mentale, mais on
voulait quand même partager avec vous ces données-là parce qu'on a pensé que ça
pouvait être intéressant pour vous. D'ailleurs, notre sondage, si jamais vous
souhaitez l'obtenir, là, on pourra vous le faire parvenir, là, ça sera... ça
nous fera plaisir de... on l'a fait vraiment
de manière... et c'est un sondage dont les résultats sont représentatifs, là,
ça a été fait par une firme, là, renommée,
connue, et c'est fait auprès de nos... on est allés rejoindre
1 158 de nos membres, donc c'est des données, là, qui sont
représentatives. Alors, s'il y a un intérêt, ça nous fera plaisir de le faire
suivre, là, il n'y a aucun problème.
• (9 h 50) •
Mme
Hébert :
Oui, Mme Plamondon, j'apprécierais, je crois que mes collègues, aussi,
apprécieraient beaucoup avoir ces
données-là, donc si c'était possible de les faire parvenir. Et puis je vous
remercie, je vous remercie d'avoir sondé vos membres comme ça, c'est
très, très intéressant et ça va aider à bonifier tout ce qu'on a recueilli
jusqu'à maintenant, alors merci beaucoup. Et Mme la Présidente, je vais
céder la parole à mes collègues, qui veulent aussi intervenir. Donc, merci,
Mme Plamondon, merci, Mme Lapointe, de vos interventions.
La Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci. Je vais passer maintenant la parole au
député de Lac-Saint-Jean pour
la suite de la prise de parole.
M.
Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lapointe, bonjour,
Mme Plamondon. Je suis resté un petit peu sur ma faim. J'aurais peut-être...
Je voudrais revenir un petit peu plus d'un point de vue administratif. Ma
collègue, tout à l'heure... Vous avez abordé un peu, là, justement, au niveau,
là, d'intégrer les demandes anticipées d'aide médicale à mourir au formulaire
DMA. Vous savez qu'il y a des personnes qui l'ont suggéré. On a aussi d'autres personnes qui ont suggéré un formulaire
simplifié qui serait fait à part, puis d'autres ont même suggéré, dans
le sérieux de la démarche, d'y aller avec un acte notarié. Moi, j'aimerais
connaître votre opinion et que vous me dites vraiment c'est quoi, selon vous,
la démarche administrative qui serait la plus appropriée. Puis là, je vous
amène, justement, le fait de l'acte notarié. Donc, j'aimerais ça vous entendre,
là, à ce niveau-là.
Mme Lapointe (Lise) :
Oui. Alors, je peux commencer à répondre. Alors, effectivement, oui, tout à
l'heure, je disais : Ce serait peut-être de bon aloi d'avoir quelque chose
qui s'inscrit dans... lorsqu'on fait la démarche pour les directives médicales
anticipées, c'est une bonne chose d'y ajouter un acte notarié, parce que c'est
en présence d'une autre personne qu'on le fait, une personne qui connaît les
lois, qui est capable, peut-être, de nous guider, parce qu'effectivement c'est
une réflexion qui s'impose pour la personne, mais c'est aussi, en même temps,
quelque chose qui n'est pas habituel. Ce n'est pas des gestes qu'on va poser
dans le quotidien, là, c'est une chose qu'on va faire une fois dans notre vie,
alors il faut que ce soit bien... qu'on soit bien éclairé et qu'on connaisse la
portée de ce qu'on va spécifier dans cet
acte notarié là. Ça pourrait être aussi... peut-être qu'une annexe, qu'on
ajoute aux directives médicales anticipées, parce que ce n'est pas tout
le monde, non plus, qui va avoir le goût de le faire. On sait pertinemment
qu'on doit respecter la volonté des gens et, pour certaines personnes, pour la
plupart des personnes, entre autres, qu'on représente, les gens, probablement,
n'iront pas jusque là. Bon, ils ont été élevés dans la religion chrétienne, ils
ont des principes, ils ont des valeurs pour la fin de vie, oui, on veut avoir
de bons soins, mais est-ce qu'on est prêts déjà à aller aussi loin? Moi, je
pense qu'il faut s'en tenir, là, vraiment, à une question qui est bien précise
mais qui, en même temps, nous permet d'avoir la formation et tous les aspects
pour savoir vraiment, là, qu'est-ce qu'on souhaite avoir et que ce soit bien
rédigé. Il y a aussi les certificats d'inaptitude qui existent déjà, que les
personnes peuvent avoir complétés, alors...
Puis c'est aussi, je
pense, un souhait ou des souhaits que l'on doit faire connaître à nos proches.
On n'en a pas encore parlé, là, mais les proches doivent savoir qu'est-ce que
je veux en cas d'accident vasculaire, en cas d'accident d'automobile où je suis
inapte ou incapable d'émettre mes volontés. Alors, il faut que les proches
soient aussi au courant, il faut en jaser
avec nos proches, les informer, pour que cette personne-là puisse être le
relais entre la personne, en tout
cas, ce que nous sommes, dans l'état dans lequel nous sommes, et le corps
soignant ou le corps médical.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : C'est bien. Alors, vous seriez, selon le sondage,
favorables à un acte notarié? C'est... vous proposez, mais... ou avoir dans les
DMA, dans le formulaire, vraiment, un paragraphe pour ça, ou vraiment vous
proposez un acte notarié, parce que c'est quand même des grandes décisions.
Mme Lapointe
(Lise) : Moi, je dirai, puis je vais y aller, là, sur la base des gens
que je représente, nous sommes des personnes qui aimons que les choses soient
faites correctement, que ce soit vraiment clair, précis. Alors, quand je
veux... je veux être respectée, aussi, alors il me semble que je serais plus
satisfaite et satisfait si j'avais un acte notarié qui vient confirmer quels
sont les soins que je veux en cas de trouble majeur par rapport à l'inaptitude.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Merci de bien répondre à ma question, merci, c'est
très apprécié. C'est tout pour moi, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie, M. le député de Lac-Saint-Jean.
Je vais passer maintenant la parole au député de Mégantic.
M. Jacques :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lapointe, bonjour,
Mme Plamondon. Vous avez dit que... Je vais y aller vite, là, parce qu'il
ne nous reste plus beaucoup de temps. Vous avez... il y a
1 158 membres qui ont répondu à votre sondage, vous avez combien de
membres au total à l'AREQ?
Mme Lapointe (Lise) : Est-ce que
vous voulez que je réponde tout de suite? Nous sommes présentement tout près de
60 000 membres. Cependant, vous comprendrez qu'il y a déjà, pour
nous, là, un tiers de nos membres qui sont déjà dans des centres d'hébergement,
compte tenu de l'âge. Tout à l'heure, on vous a dit que la moyenne d'âge était
de 73 ans, alors vous comprendrez que ça s'échelonne de 55 à
100 ans et plus maintenant, parce qu'on a quelques centenaires, et chaque
année on ajoute des centenaires, puis il y a des gens qui ne peuvent pas
répondre.
Pour nous, ce sondage-là, qui a rejoint
l'ensemble des gens dans différentes régions, qui avait... c'est un sondage aléatoire, donc on pense que cette
proportion de gens là était suffisante pour nous donner l'heure juste. On
a, de plus, au préalable, là, depuis qu'on parle de l'aide médicale à mourir,
nous avons un groupe de travail qui a été formé de différentes personnes de
différentes régions qui, régulièrement, se penche sur la question de l'aide
médicale à mourir, qui... étudie... — mon Dieu! J'ai de la
misère — qui
analyse, qui étudie qu'est-ce qui se passe, là, depuis les six dernières
années et qui vraiment, aussi, apporte un point de vue ou un éclairage à
l'ensemble des membres lors de rencontres. Il y a eu de la formation qui a été
faite, il y a des questionnements puis il y a des rencontres où on n'a que des
ateliers qui nous amènent à parler de l'aide médicale à mourir et d'écouter ce
que les gens souhaitent avoir, les gens de tout âge, là, qui sont avec nous.
M.
Jacques : Bien, merci. Ma mère est une de vos membres, elle a
75 ans, donc elle est un petit peu au-dessus de la moyenne.
Vous avez parlé, là, que l'accessibilité aux
médecins pour les personnes, pour se faire diagnostiquer une maladie, entre autres l'Alzheimer. Moi, j'ai vécu,
là, le cas de ma grand-mère, que mon grand-père couvait, qu'il essayait de garder, puis d'essayer de ne pas démontrer
toutes les faiblesses qu'elle était... qu'elle avait. Puis quand mon
grand-père est décédé, là, on s'est rendu compte qu'elle était vraiment inapte.
Donc, elle n'avait pas pu prendre cette décision-là.
Là, je sais
que je n'aurai... vous n'aurez pas le temps de répondre, il me reste
7 secondes, mais si jamais il y a des collègues qui veulent vous entendre là-dessus, là, j'aimerais ça que
vous puissiez continuer. Bien, merci, Mme la Présidente.
Document déposé
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Merci, M. le député de Mégantic. Juste vous mentionner,
aux représentants de l'association, si vous pouviez déposer, là, le sondage
auprès du secrétariat, ça serait très apprécié.
Une voix : Parfait.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vais maintenant passer la parole au député de D'Arcy-McGee pour poursuivre les
discussions.
M. Birnbaum : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Merci, Mme Lapointe et Mme Plamondon, pour vos témoignages étoffés, et sophistiqués, et
sensibles, et surtout pour nous de savoir qu'ils sont basés sur des
consultations assez étoffées aussi, et une consultation, on va le dire, d'une
cible qui est tellement touchée par toutes nos délibérations. Alors, votre intervention
est très précieuse.
Vous parlez de miser avec des balises
nécessaires beaucoup sur la demande anticipée et que ça soit de l'ordre
exécutoire. Ce qui rend ça... rend notre responsabilité, je crois que vous
l'avez dit vous-même, notre responsabilité est très sérieuse et solennelle,
d'assurer que c'est balisé comme il faut.
Pouvez-vous nous parler davantage, surtout avec
deux, bons, scénarios, si vous voulez, en tête. Les gens, devant un diagnostic
d'Alzheimer, souvent se préoccupent beaucoup, et légitimement, du fardeau
qu'ils vont imposer sur leurs proches. Comment est-ce qu'on s'assure que cette préoccupation
légitime soit balisée comme il faut? Parce que vous allez convenir avec moi que
ça ne peut pas, ça ne devrait pas être la raison prépondérante pour une demande
d'aide médicale à mourir.
Deuxième chose, et vous l'avez abordée aussi, la
question de souffrance anticipée et contemporaine, c'est très sérieux. Comment
est-ce qu'on assure que l'évaluation et la perception de cette souffrance de la
personne demandante est comprise et librement exprimée?
• (10 heures) •
Mme Lapointe (Lise) : Oui, alors, je
vais débuter et Ginette pourra compléter. Alors, effectivement, oui, dans les
balises que la personne devra identifier, le fardeau qu'elle imposera peut-être
quelque chose qu'elle ne souhaite pas. Cependant, il faut avoir plus que ça, parce
que si ce fardeau-là est tellement lourd à la personne présentement, quand elle
l'anticipe, sa fin de vie, il faut nécessairement se dire que d'abord, un, il
faut insister pour qu'elle ait les soins à domicile si elle est à domicile et
que les soins qu'elle recevra quand elle sera dans un centre d'hébergement, ils
soient aussi adéquats, bon, alors, à ce moment-là... et qu'on... les proches
n'aient qu'à l'entourer, la visiter et prendre soin de sa santé, je dirais,
émotive. Mais on ne peut pas croire que ce fardeau-là que la personne ne
souhaite pas faire vivre aux siens puisse être, je dirai, moindre parce
qu'effectivement le gouvernement, la société se charge de leur fournir
qu'est-ce qu'elles ont besoin. Alors, moi... il faut ajouter d'autres critères.
Il faut vraiment que ce ne soit pas le seul, il faut vraiment faire la liste.
Il faut aussi parler de stades, jusqu'à quel stade je veux être en vie et à quel stade je souhaite avoir l'aide médicale à
mourir. Ça, c'est très important pour nous. Donc, ce n'est pas comme ça. Il
faut aussi, puis je dis... avoir quelqu'un de proche qui est au courant que
j'ai fait cette démarche-là. On a parlé, dans notre mémoire, de la démence
heureuse, où elle a deux possibilités : ou bien elle dit : Je veux
continuer de vivre, ou bien encore : Si je deviens inapte, bien, les
proches pourront se charger de faire valoir ce que j'ai déjà anticipé.
Puis je vais
profiter, là, de l'occasion pour dire à la personne... à M. le député, tout à l'heure, qu'effectivement
les gens qu'on représente ont tous été
témoins, ou pour la plus grande majorité, soit d'un parent, d'un oncle, d'une
tante qui, effectivement, a le problème ou a vécu avec l'alzheimer, et il
est décédé. Alors, les gens sont... quand ils sont témoins, ils ne veulent surtout pas terminer dans un état
végétatif, là, je vais l'appeler comme ça ou, encore, la personne est
recroquevillée sur elle-même, qu'elle a des cris, qu'elle a des pleurs, alors
que ça devient une façon indigne que la personne
ne souhaite pas et n'a jamais voulu faire... avoir pour elle. Alors, ça, c'est
important, et c'est pourquoi on dit que ça prend des critères, ça prend des balises. Puis il faut vraiment
que ce soit à partir du moment où je reçois le diagnostic.
C'est malheureux que les personnes qui, à
l'heure actuelle, souvent, bon, ne sont pas... je vais dire, ne sont pas
conscientes, les personnes qui les entourent ne sont pas conscientes des difficultés
qu'elles vont générer à la personne si elle ne les... elle ne fait pas ou ne
les accompagne pas dans une démarche médicale qui leur permet de faire... de poser le diagnostic. Ça,
c'est malheureux. Et c'est la réalité de la plupart des gens, parce qu'on ne veut pas, hein, c'est tellement stigmatisé, cette maladie-là,
qu'on ne veut pas que nos proches puissent être diagnostiqués, alors on va attendre un an, on va attendre quelques mois.
Et même si on commence la démarche, l'espace-temps entre la première
visite, où on parle de cette maladie-là, de ce qu'on ressent, et le diagnostic
et les évaluations, bien, il y a peut-être un an qui est passé.
Et on a tous en mémoire, là, des gens qui, près
de nous, peuvent vivre la situation. Moi, je vous dirai que, présentement, pour
une bonne amie, ça faisait au moins deux ans, trois ans qu'elle disait : Il
y a des pertes de mémoire, il y a ci, il y a ça, bon, des comportements
inadéquats, et on vient à peine, début juin, de diagnostiquer la personne,
alors que maintenant elle est inapte. Alors, c'est malheureux, elle ne pourra
jamais faire son choix. Mais, en même temps, bon, c'est sûr qu'à prime abord on
n'est pas tentés d'aller avec une personne qui nous est proche chez le médecin
pour lui avoir un diagnostic.
Sur la souffrance, je vais permettre à Ginette,
là, de compléter, si Ginette veut bien.
Mme Plamondon (Ginette) : Oui.
Alors, quelques éléments. D'abord, effectivement, un des aspects qu'on a
soulevés dans notre mémoire, c'est qu'on considère que le diagnostic préalable
est nécessaire pour la demande anticipée, Mme Lapointe l'a expliqué, mais
l'élément supplémentaire, peut-être, qu'on pourrait amener, c'est qu'on a des inquiétudes
au regard de l'actualisation de ce critère-là versus le fait qu'actuellement de
plus en plus de Québécois n'ont pas accès à un médecin de famille ou, s'ils ont accès à un médecin
de famille, c'est parfois très
difficile de le rencontrer. Donc, comme
vient de discuter Mme Lapointe, les délais s'accumulent, les délais
s'accumulent, et là on a des inquiétudes à ce que la personne puisse
vraiment poser sa demande anticipée après avoir eu son diagnostic. On se
demande si tous ces délais-là ne vont pas faire en sorte que, finalement, elle
va être devenue inapte au moment où elle pourrait déposer sa demande anticipée.
Donc, ça, c'est un premier élément.
Oui, on pense, nous, que la demande devrait être
contraignante, parce que, pour l'instant, en tout cas, à la lumière de ce qu'il
y a... l'information disponible, ça nous semble être le meilleur moyen de
s'assurer que ce que les personnes demandent soit respecté. On est conscients
que, dans certaines situations, ça peut être difficile pour les proches, d'où l'importance
de discuter avec nos proches, avec l'équipe médicale, de discuter de ce qu'on
souhaite, mais... et, bon, évidemment,
idéalement, en venir à un consensus,
hein? Vous avez eu des experts qui sont venus vous dire que c'était
important que ce soit... que le processus d'administration d'aide médicale à
mourir soit enclenché après l'obtention d'un consensus. Ça nous apparaît,
évidemment, la situation idéale. Mais, si, la vie étant ce qu'elle est, le
consensus n'est pas possible, nous, on considère que c'est vraiment la volonté
de la personne qui doit primer. Et, bien, c'est dommage, si, pour certaines
personnes, ça devient difficile, mais on... nous... pour nous, on représente
les droits et les intérêts de nos membres et on considère que c'est avec une
demande contraignante que ces droits-là ont le plus de chances d'être
respectés.
Et pour ce qui est de l'équipe médicale, on peut
comprendre aussi que, pour l'équipe médicale, ça peut devenir difficile, mais
on rappelle que, pour le médecin, notamment, bien, il y a toujours la possibilité
d'une objection de conscience, et, à ce moment-là, un autre médecin pourra être
désigné.
Et, pour ce qui est de la souffrance anticipée
versus la souffrance contemporaine, on a effectivement suivi vos discussions,
réflexions sur ce sujet et on pense que c'est vraiment la souffrance anticipée
qui doit primer. On est conscients que ce n'est pas l'idéal. Les cas de démence
heureuse, ça nous apparaît problématique, et c'est pour ça que, nous, ce qu'on
vous propose, c'est que, dans la demande anticipée, il soit possible pour la
personne qui souhaiterait que, dans l'éventualité où elle manifesterait les
signes d'une démence heureuse, elle puisse indiquer dans sa demande si elle
veut que l'aide médicale à mourir lui soit administrée ou non.
La même chose pour une personne qui
manifesterait de la résistance. Une personne pourrait indiquer, dans la demande
anticipée, si elle veut que l'aide médicale à mourir lui soit administrée dans
le cas où elle manifesterait de la réticence ou pas. Ça nous apparaît, en tout
cas, sur la base des informations disponibles actuellement, peut-être le
meilleur moyen de faire respecter les volontés de nos membres.
M. Birnbaum : Merci. Mme la
Présidente, s'il restait du temps, ça serait ma collègue de Mille-Îles qui
poursuivra. Merci.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Il reste 22 secondes. Donc, Mme la députée
de Mille-Îles, vous avez quelques secondes.
Mme
Charbonneau :
Donc, je vais les prendre, Mme la Présidente, parce que j'aimerais qu'on me
rassure par rapport à donner la disponibilité à une tierce personne de pouvoir
acquiescer à une demande anticipée, surtout si...
puis si c'est ce que je comprends bien de votre mémoire, la
recommandation 7, vous semblez dire que vous seriez d'accord. Ça
m'inquiète un peu, donc je voulais vous entendre là-dessus. Puis puisqu'on a
répondu à M. Jacques sur le temps de notre... je suis sûr qu'ils vont
trouver une petite parenthèse pour pouvoir nous l'expliquer. Merci.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Donc, si vous me permettez, je
vais passer la parole maintenant. Merci. Je vais passer la parole au
député de Rosemont, puis vous pourrez... voilà.
M.
Marissal : Mme la Présidente, Mme Lapointe, Mme Plamondon, bonjour. Merci... voulez-vous,
très rapidement, j'ai
4 minutes, répondre à la question de ma collègue de Mille-Îles, s'il vous
plaît?
Mme Lapointe (Lise) : Oui. Alors, je
pourrais...
M. Marissal : ...pour la tierce personne,
oui, allez-y, s'il vous plaît.
Mme Lapointe (Lise) : Oui. Pour la
tierce personne, nous, c'est clair, là. Et, je ne sais pas, là, quand on voit
la recommandation 7, c'est... cette personne-là est la porte-parole. C'est
vraiment la personne qui va faire le relais entre ce qu'elle sait de sa
personne qui est inapte puisqu'elle a appris ou elle a été témoin qu'elle a
complété une demande anticipée. Alors, il faut qu'elle soit la personne qui va
signaler à l'équipe soignante, à l'équipe médicale, que Mme ou M. Untel,
le père, la mère, ou son père, sa mère voulait vraiment que cette demande-là
soit respectée, c'est le souhait. Alors, la personne, la tierce personne, elle n'a
que ce rôle-là et faire partie, bien sûr, de l'équipe médicale pour les futures
discussions, mais ce n'est vraiment pas plus loin que ça. Ce n'est pas la
personne, la tierce personne, qui doit faire la démarche, absolument pas. Elle,
elle n'est que le porteur de la demande.
• (10 h 10) •
Mme Plamondon (Ginette) : En
complément peut-être, si vous permettez, je voudrais peut-être insister sur le
fait que... parce qu'on a entendu les gens de la Commission des droits de la
personne venir vous conseiller d'autoriser, si on a bien compris, là, une
demande d'aide médicale à mourir faite par consentement substitué. Alors, pour
nous, ça, c'est quelque chose d'absolument inadmissible. On s'oppose totalement
au consentement substitué dans le cas d'une demande d'aide médicale à mourir.
On craint des dérives qui pourraient être très dangereuses. On considère que
jamais l'aide médicale à mourir ne devrait être accordée à... être administrée
à une personne qui n'a pas elle-même fait la demande. Et là je vous laisse
imaginer tous les cas de figure qui sont possibles, là, mais, pour nous, c'est
quelque chose qui n'est absolument pas envisageable à ce moment-ci.
M. Marissal : Oui, on me dit, là,
par texto, que mon son n'est pas très bon. Je m'en excuse, j'ai le même équipement qu'hier, là, mais il est grand, le
mystère de l'informatique à l'Assemblée
nationale. Je n'ai pas compris, là,
la tierce personne qui va porter le message, elle porte le message à partir de
quoi et d'où, et un document ou «maman m'a dit qu'elle voulait mourir, donc je vous dis qu'elle voulait mourir»...
parce que, ça, c'est un consentement substitué, là.
Mme Plamondon (Ginette) : Bien, en
fait, ce qu'on voulait dire... Ah! excusez.
M. Marissal : Allez-y, je vous en
prie.
Mme Lapointe (Lise) : Je vous laisse
aller. Je te laisse...
Mme Plamondon (Ginette) : Ce qu'on
voulait dire par ça, c'est qu'on pense, comme le dit Mme Lapointe,
qu'idéalement un proche pourrait être associé à la démarche de rédaction d'une
demande anticipée d'aide médicale à mourir. Dans cette demande-là, il serait
identifié des critères, qu'on espère le plus facilement possible objectivables,
du moment où la personne souhaite que l'aide médicale à mourir lui soit administrée. Étant entendu qu'à ce
moment-là la personne va être devenue inapte à consentir, bien, on pense
qu'il faudrait que la personne proche qui aura été identifiée puisse signaler à
l'équipe médicale que cette personne... la personne avait fait une demande
anticipée et qu'il serait maintenant temps d'analyser si les critères que cette
personne-là avait identifiés dans sa demande sont atteints, et s'il faudrait maintenant
procéder, là, à l'administration. Donc, c'est vraiment une personne qui va
venir un peu rappeler qu'il y a une personne inapte qui a fait une demande
anticipée et que, maintenant, il faut l'analyser.
M. Marissal : Mais, si la DMA est
contraignante, à quoi bon avoir une personne qui va porter la DMA en plus?
C'est juste pour rappeler qu'il y a eu une DMA au cas où elle passerait...
Mme Lapointe (Lise) : Oui.
M. Marissal : O.K. Je comprends, je
comprends.
Mme Lapointe
(Lise) : Oui, effectivement pour rappeler. On ne va pas plus loin. Et,
dans la demande, la DMA, il y a déjà deux personnes qui doivent apposer
leur signature alors qu'elles sont témoins, au moment où ça se fait, que cette
personne-là souhaite avoir différents soins ou ne pas les avoir. Alors, pour la
demande anticipée, probablement que, dans le formulaire que vous allez
proposer, on puisse avoir une signature, donc un proche, une personne témoin
qui se fera le messager pour dire : Bien, oui, moi, j'ai déjà contresigné
ou j'ai signé au moment où cette personne-là a fait la démarche.
M. Marissal : Très bien. Je crois
que je n'ai plus de temps, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Il vous reste 30 secondes, si...
M. Marissal : Ah! bien,
30 secondes, je vais les prendre avec un grand enthousiasme, si vous m'entendez
bien. Mesdames, là, selon les pronostics, là, dans 15 ans, il y aura
260 000 personnes souffrant d'alzheimer au Québec. Si... Et je vous
pose la question, là, je n'ai aucun jugement de valeur dans ma question. Si on
accepte votre idée de souffrance existentielle et de souffrance anticipée et
non pas contemporaine, est-ce qu'on est prêts, donc, avec l'idée qu'on
pourrait, oui, se retrouver avec des dizaines, voire des centaines de milliers
de personnes vers l'aide médicale à mourir? Et, je répète, il n'y a aucun
jugement de valeur dans ma question, elle est même assez bêtement arithmétique.
Merci.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vais juste... Je vous remercie, M. le député de
Rosemont. Je vais maintenant céder la parole à la députée de Joliette, à moins
qu'elle accepte que la réponse soit formulée, là, par nos intervenants.
Mme
Hivon : Bien, en fait, ce que je suggérerais, c'est que
vous l'intégriez, parce qu'on va être un peu sur les mêmes thèmes, là, dans ce que je vais vous amener
comme propos, parce que, moi aussi, j'ai un gros quatre minutes quelques.
D'abord, je veux vous rassurer, la question de
la souffrance existentielle, elle fait partie de ce qui est considéré comme une
souffrance psychique dans ce qui est appliqué, là, par les médecins, et ça
avait été débattu lors des premières... de la première mouture de la loi.
Ça m'amène sur le sujet, là, sur la poursuite du
sujet de la souffrance contemporaine versus anticipée. Je vous remercie
vraiment parce que vous avez approfondi beaucoup des questions qu'on s'est
posées dans la première phase avec les experts. Donc, je vois que vous avez
vraiment bien suivi nos travaux. C'est vraiment bien de pouvoir partir la
discussion à ce niveau-là parce que, souvent, des gens nous arrivent juste avec
le concept, mais il manque un petit peu la chair autour de l'os.
Donc, en fait, ça serait toute une révolution
par rapport à la loi actuelle, de se baser uniquement sur une souffrance anticipée parce que toute la
philosophie, au Québec, c'est de pouvoir offrir un soin pour des
personnes qui souffrent sans être
capables d'être soulagées. Et là, si on avait juste la souffrance anticipée — je comprends bien ce que vous nous expliquez, là, la personne pourrait tout
prévoir — ça
voudrait donc dire qu'on s'éloigne de ce principe-là.
Et puis on a eu, il y a deux jours,
Mme Nicole Poirier, de Carpe Diem, qui, elle, nous disait : Il n'y a
rien de parfait. Au même titre où les personnes qui sont inaptes de naissance,
vous nous dites, en quelque sorte... on refuse le consentement substitué, donc,
ces personnes-là, malheureusement, n'auront jamais accès, mais on se dit :
Il y a un équilibre à y avoir, et c'est trop risqué.
Est-ce que de tomber juste dans la souffrance
anticipée... Puis là on n'est pas dans les cas d'une personne grabataire qui
crie, qui pleure, une personne qui a des souffrances. Là, on aurait une
souffrance contemporaine. Mais est-ce qu'on ne tombe pas dans l'autre versant
avec beaucoup plus de risques si on va dans la souffrance anticipée en tenant
compte que, oui, l'autonomie est là, le principe est là, mais ça implique
toujours aussi un regard de la société pour éviter d'aller trop loin puis aussi
ça implique des soignants qui vont devoir donner le soin à une personne qui
serait devant eux inapte et qui serait sans souffrance contemporaine?
Mme Lapointe (Lise) : Oui. Alors, je
vais débuter, puis on pourra compléter. Donc, je... Bon, nous sommes bien
conscientes, là, qu'effectivement plus les années avancent, plus le nombre de
personnes aînées susceptibles d'avoir des maladies cognitives sont importantes,
donc, cependant, il faut se rappeler aussi que ça fait déjà six ans que les
premiers pas ont été faits dans le cadre de l'acceptation de l'aide médicale à
mourir, et ce n'est qu'un petit pourcentage qui s'en est prévalu. On ne pense
pas puis on ne croit pas que ça va se multiplier de façon extraordinaire, là. On est bien plus conscientes
qu'effectivement, là, aujourd'hui, on pose une question : Est-ce que
la personne qui reçoit un diagnostic de démence peut faire une demande de...
d'aide médicale à mourir? — excusez-moi — alors
que, pour nos membres, je pense que cette étape-là doit d'abord être franchie,
et après ça on enclenchera peut-être d'autres choses par rapport à la souffrance
contemporaine. Mais, pour le moment, on n'en est pas là. Je pense que, déjà, la
société suit le mouvement, mais, en même temps, là, je ne pense pas qu'on doive
aller trop rapidement par rapport à ce qui peut s'exercer comme directive et
administration de l'aide médicale à mourir. Ce n'est pas le souhait de nos
membres. Nos membres veulent vraiment qu'on prenne le temps de s'approprier
qu'est-ce qu'il est possible de faire. Pour certaines personnes, oui, ça va
bien aller, puis, pour d'autres personnes, on va tout simplement refuser de le
faire. Alors, il faudra les respecter. Et ça, ça nous implique d'avoir des
soins qui sont adéquats, je le répète, ça, c'est une nécessité pour éviter, justement,
qu'il y ait trop de souffrance pour les personnes qui décideraient de ne pas le
demander. Alors, moi, je ne crois pas. Et, si, de cinq ans en cinq ans, on fait
des pas, bien, effectivement, peut-être qu'on en arrivera
là, mais, pour le moment, je ne pense pas, là, qu'on ait la possibilité, selon
la volonté de nos membres, d'aller plus loin là-dedans au moment où on se
parle.
Mme
Hivon : Est-ce
qu'il me reste du temps?
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Oui, 29 secondes.
Mme
Hivon : Je veux
juste vraiment comprendre. Je ne suis pas certaine que j'ai compris la même
chose que vous aviez dite en introduction. Donc, j'avais compris que la
souffrance anticipée devrait prévaloir. Là, vous nous dites : Peut-être
dans un deuxième temps, ou vous nous dites : Oui, la souffrance anticipée?
Mme Lapointe (Lise) : Oui pour la
souffrance anticipée, quand je fais ma demande, au moment où j'ai reçu le
diagnostic. C'est bien clair. Cependant, on ne veut pas que la possibilité de
faire une demande à l'heure actuelle, dans l'anticipation de souffrances à
venir, puisse s'exercer au moment où on se parle. Alors, j'en fais bien une
distinction, de prévoir que, lorsque j'aurai des souffrances et que je viens de
recevoir un diagnostic, ce soit inclus dans les directives que je donne. Oui,
nous sommes d'accord avec ça.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci. Donc, à ce stade-ci, je vais vous remercier,
Mmes Lapointe et Plamondon. Votre contribution, si j'ai bien compris les
députés, était fort appréciée.
Donc, je vais suspendre les travaux quelques
instants pour que l'on puisse accueillir le prochain groupe. Donc, merci
beaucoup à vous.
(Suspension de la séance à 10 h 20)
(Reprise à 10 h 27)
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Alors, la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi
concernant les soins de fin de vie reprend ses travaux. On est en présence, à
ce stade-ci, de l'Association québécoise de prévention du suicide. Je souhaite
la bienvenue à MM. Gaudreault et messieurs... M. Morin aussi.
Donc, je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter pour commencer et commencer votre exposé. Donc, M. Gaudreault, à
vous la parole.
Association québécoise de prévention du suicide (AQPS)
M. Gaudreault (Jérôme) : Alors, Mme
la Présidente, Mmes et MM. les députés, merci de prendre le temps avec nous ce
matin.
Alors, je me
présente, Jérôme Gaudreault, je suis le directeur général de l'Association
québécoise de prévention du suicide. Je suis accompagné de
M. Charles-Albert Morin, qui est patient partenaire et pair aidant, qui
prendra quelques minutes de la présentation pour partager avec vous son
témoignage.
L'AQPS représente des individus et des organisations
qui ont à coeur la prévention du suicide au Québec. Nous mobilisons l'ensemble
des acteurs, soutenons les milieux, outillons les intervenants, sensibilisons
le public et influençons les décideurs afin
de prévenir le suicide. Nous implantons également la stratégie numérique de
prévention du suicide pour le Québec, notamment par l'entremise du site
Suicide.ca, en opération depuis octobre 2020.
D'entrée de jeu, nos membres sont très soucieux
des travaux de cette commission, tout comme ils l'ont été lors des travaux de
la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité en 2010 et
ceux de la commission parlementaire sur la loi n° 52 en 2013.
Il nous apparaît important de reconnaître les
efforts qui sont faits actuellement. On a toujours senti, par nos échanges avec
les élus de tous les partis, une préoccupation de ne pas avoir d'impact négatif
sur la prévention du suicide ou les personnes qui y sont vulnérables, et, pour
ça, nous vous en sommes reconnaissants.
En regard des consultations effectuées auprès de
nos membres et d'experts dans le domaine, de l'avancement du débat dans les deux dernières années et du
contexte dans lequel évoluent les soins de santé mentale et la
prévention du suicide au Québec, nous tenons d'abord et avant tout à vous
exprimer notre important malaise face à l'idée que l'aide médicale à mourir
soit élargie pour les personnes souffrantes de troubles mentaux. Ce malaise est
en partie dû au fait, d'abord, que nous avions affirmé en 2013 qu'on
n'accepterait pas que l'aide médicale à mourir soit administrée pour des causes
de troubles mentaux. Le groupe d'experts mandaté par l'Assemblée nationale à
l'époque avait d'ailleurs conclu la même chose dans son rapport.
De plus, on voulait nous rassurer en nous
affirmant que l'aide médicale à mourir serait et demeurait un geste exceptionnel. Or, près de 10 ans plus tard,
on constate qu'il s'agit maintenant d'un acte inclus dans les pratiques et
on craint, advenant que le souhait est étendu pour les troubles mentaux, qu'on
assiste à une évolution comparable dans le futur.
Donc, sans
nous opposer formellement ni nous positionner en faveur de cet élargissement,
nous souhaitons partager avec vous nos préoccupations et émettre des
recommandations indispensables à associer cette possibilité. Et, compte tenu du
temps imparti, je n'irai pas en profondeur, mais notre exposé s'exprime autour
de quatre axes spécifiques.
Le premier concerne
l'accessibilité aux soins de santé mentale au Québec. Je n'insisterai pas
beaucoup sur cet élément-là, compte tenu que
ce n'est pas le mandat spécifique de la commission et que presque tous les
intervenants que vous avez rencontrés en ont fait état, mais, pour nous, il
s'agit d'un préalable incontournable à l'ouverture de l'aide médicale à mourir
aux personnes souffrant de troubles mentaux. Il serait inconcevable que cette
ouverture ne soit accompagnée d'un programme de soutien majeur à la santé
mentale et à la prévention du suivi afin d'améliorer l'accessibilité aux soins.
Le gouvernement a la responsabilité d'envoyer un message fort à la population
en faveur de la santé mentale de manière à ce qu'une ouverture de l'aide
médicale à mourir aux personnes atteintes de troubles mentaux ne soit pas
interprétée comme un abandon de l'État à leur endroit.
• (10 h 30) •
Le deuxième axe sur lequel nous souhaitons vous
sensibiliser porte sur les impacts que l'élargissement de l'aide médicale à
mourir pourrait engendrer sur la prévention du suicide. Le milieu et les
acteurs de la prévention du suicide partagent un certain nombre de valeurs et
de principes qui nous apparaissent contradictoires avec l'aide médicale à mourir. Pour nous, tout suicide est évitable, l'espoir et la résilience sont
au coeur de nos efforts. Travailler avec
l'ambivalence de la personne permet de faire grandir la volonté de vivre et nos
actions sont posées en prenant pour acquis que la souffrance ressentie
par la personne n'est pas permanente et qu'elle varie en intensité dans le
temps.
Élargir l'aide médicale à mourir nous ferait
craindre une fragilisation du discours social à savoir si le suicide ne serait pas davantage perçu comme une solution
possible à la souffrance et si on n'entretiendra pas involontairement
une confusion entre les critères d'admissibilité de l'aide médicale à mourir et
sur les autres formes de fin de vie... (panne de son) ...suicide assisté, aide
médicale à mourir.
Par ailleurs,
les intervenants, ceux que nous avons consultés, émettent certaines préoccupations
quant à l'impact que cela pourrait avoir sur la relation thérapeutique
et d'intervention avec leur client. Comment un intervenant en prévention du
suicide doit-t-il gérer la situation lorsqu'une personne lui explique vouloir
demander l'aide médicale à mourir? Le rôle de l'intervenant ne consiste pas
nécessairement à expliquer une procédure mais plutôt de faire grandir la
partie qui veut vivre. En conséquence de
tout ça, on estime que devant une telle éventualité, il faudra prévoir des
campagnes d'information et de sensibilisation sur la question à la fois à la
population mais particulièrement au personnel de la santé et des services
sociaux.
Le troisième axe de notre intervention se base
sur les critères d'admissibilité et des mesures de protection à considérer.
D'une part, nous nous demandons si certains des critères de la Loi concernant
les soins de fin de vie, indiqués à l'article 26, sont possibles à évaluer
en contexte de trouble mental. En effet, il n'y a pour l'instant pas de
consensus scientifique ou clinique au sujet de l'incurabilité et de
l'irréversibilité des troubles de santé mentale. Or, des études ont démontré
que certains patients ayant demandé l'aide médicale à mourir en contexte
psychiatrique ont des caractéristiques communes avec celles qui font une
tentative de suicide, comme par exemple l'ambivalence, le désespoir,
l'isolement. Alors, comment distinguer aide médicale à mourir et suicide dans
un tel contexte?
Il nous
apparaît donc essentiel d'implanter des mesures de protection des personnes
vulnérables afin de renforcer le caractère exceptionnel de l'aide
médicale à mourir. Vous trouverez le raisonnement dans notre mémoire, mais,
pour nous, l'ouverture de l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de
troubles mentaux devrait notamment être conditionnelle qu'au moins deux
psychiatres soient responsables de l'évaluation de l'aptitude du patient et que
cette évaluation soit réalisée à l'aide d'une grille commune standardisée et
validée scientifiquement, qu'un critère de non-ambivalence dans l'évaluation de
la demande soit ajouté, que la suicidalité soit évaluée, notamment afin de
s'assurer qu'aucune demande ne puisse être acceptée dans le cas où une personne
serait en situation de crise aiguë, à ce que
la demande se fasse sur une période de plusieurs mois et à ce que le critère
d'absence d'alternative thérapeutique raisonnable dans l'évaluation soit
ajouté afin qu'on s'assure que le patient qui présente une demande a tenté tous
les traitements reconnus efficaces pour sa maladie.
Cela dit,
sachant que la souffrance peut s'exprimer, oui, par la maladie, mais aussi par
l'entremise d'une multitude de
facteurs psychosociaux, est-ce qu'en
parlant de traitements, on ne doit pas aussi considérer l'intervention
psychosociale comme une forme de traitement? Alorsd, ce que ça veut dire, c'est
que peut-être qu'on ne sera pas capable de traiter ou de guérir la maladie,
mais, en intervenant sur les conditions de vie de la personne, peut-être qu'on
réussira ainsi à alléger sa souffrance et éviter d'offrir la mort comme réponse
ultime à cette souffrance.
Finalement, on n'en a pas beaucoup parlé dans
tout le débat entourant l'aide médicale à mourir, mais il faudra prévoir des mesures de soutien et de
protection pour ceux qui restent. Donc, d'une part, si on se fie aux
statistiques qui proviennent des Pays-Bas et de la Belgique, la proportion des
personnes qui se voient refuser une demande d'accès à l'aide médicale à mourir
pour troubles mentaux est importante. Donc, que va-t-il arriver à tous ceux et
celles qui essuieront un refus? On peut envisager que ce sont des personnes qui
présentent déjà un profil vulnérable, des gens qui ont une longue expérience de
troubles mentaux, qui vivent avec une certaine précarité, de l'isolement, qui
ont vécu d'importantes difficultés et même l'échec dans la vie, et qui ont
peut-être un historique de tentatives de suicide.
Ces personnes pourraient voir l'aide médicale à mourir comme une solution pour
faire cesser toute cette souffrance vécue,
mais un refus pourrait être perçu comme un échec supplémentaire et contribuer à
aggraver la souffrance. Est-ce qu'un refus d'accès à l'aide médicale à
mourir pourrait inciter ces gens à envisager le suicide comme seule solution
pour faire cesser la souffrance? Si on en arrivait là, il s'agirait d'un effet
plutôt pervers.
Pour l'instant, aucune étude n'a pu démontrer un
lien entre l'aide médicale à mourir et l'évolution des taux de suicide.
Cependant, ce n'est pas parce que les taux de suicide ont baissé au Québec
depuis l'aide de la... depuis la légalisation de l'aide médicale à mourir qu'on
peut conclure à l'absence d'impact. On a procédé à une étude sommaire des
rapports de coroner de cas de suicide depuis la fin de l'année 2018. On a
constaté qu'une demande refusée ou l'inadmissibilité à l'aide médicale à mourir
est répertoriée dans au moins une trentaine de cas de suicide. Sans conclure au lien de cause à effet direct, il y a lieu
de croire que cela peut ajouter à la souffrance d'une personne déjà en détresse
et de jouer un rôle dans le passage à l'acte. Aussi, il nous apparaît
primordial que ceux et celles qui se verront refuser une demande d'aide
médicale à mourir bénéficient de mesures de soutien adéquates, y compris une
évaluation du risque suicidaire si c'est jugé nécessaire.
Finalement, il y a lieu de penser que les
proches d'une personne qui recevra l'aide médicale à mourir nécessitent des
besoins psychologiques particuliers. Le deuil associé à un décès via l'aide
médicale à mourir pour les troubles mentaux pourrait s'apparenter à un deuil
par suicide. Ainsi, il serait approprié de prévoir une préparation et un suivi
adéquat pour les proches qui vivront une telle situation.
Donc, j'arrête ici pour laisser la conclusion à
Charles-Albert. Je vous remercie.
M. Morin (Charles-Albert) : Alors,
bonjour, Mme la Présidente. Mmes et MM. les députés, permettez-moi d'aller
droit au but, puisque je n'ai que deux minutes pour vous donner mon point de
vue.
La maladie mentale ne demande pas de
consentement avant d'exiger qu'on se batte contre elle. On se lève, on fait
notre journée et on se couche assailli par la souffrance. Chaque heure, chaque
minute, on n'a d'autre choix que de se battre pour ne pas couler davantage. Si
survivre à une journée relève de l'exploit, rester en vie pendant des mois relève de l'absurde, tellement
l'effort est inimaginable. J'ai vécu ce type de souffrance, qui s'est chiffrée
en années. C'est pourquoi
j'ai déjà demandé à mes parents qu'on m'envoie dans un pays où l'aide médicale à mourir était
légale.
J'avais essayé tous les médicaments, je mangeais
bien, j'avais des amis, une famille aimante, je faisais de l'activité physique,
de la psychothérapie, mais rien n'y faisait, le mal restait. En ignorant ce qui
pourrait me sauver, je m'accrochais, tout simplement. En recevant un nouveau
diagnostic, quelques années plus tard, j'ai fini par me rétablir, et
aujourd'hui je suis heureux. Parfois, s'accrocher à la vie, même sans
traitement efficace à court terme, c'est tout ce que ça prend pour traverser la
tempête. Si on va de l'avant avec la proposition débattue actuellement, je
crains que les personnes qui souffrent abandonnent les efforts qui, en
définitive, pourraient les sauver, qu'ils cessent de prendre les médicaments
qu'on leur prescrit, qu'ils cessent de faire de l'activité physique, qu'ils
cessent de se présenter à leurs rendez-vous.
Si leur demande est de mourir, comment leur
reprocher d'arrêter de se battre? Plutôt que de tout faire pour s'accrocher à
la vie, on laisserait ces gens se faire lentement emporter par la mort. On a
entendu au cours de la commission que l'aide médicale à mourir ne serait
accordée qu'à une infime quantité de patients qui en feraient la demande,
rendant cette loi acceptable. Je m'oppose à cet argument. En matière de
suicide, une seule vie sauvée, comme la mienne, a le pouvoir de renverser le
débat. Merci.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vous remercie pour ces témoignages. Nous passerons maintenant
à la période d'échanges avec les membres de la commission pour une durée de
35 minutes. Je vais d'abord passer la parole au député de D'Arcy-McGee
pour l'opposition officielle.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, M. Gaudreault et M. Morin pour votre intervention
très importante, ainsi que vos collaborations. J'ai eu l'opportunité de
consulter avec vous à plusieurs reprises sur le dossier de santé mentale, et ça
ne tombe pas dans les oreilles sourdes, votre interprétation primordiale que le
soin de vie soit la priorité, évidemment, et toujours, toujours aucunement
atteint par le débat dont on parle. Message reçu, et à plusieurs reprises,
entre autres, par d'autres intervenants.
Vous constatez de votre profond malaise à
l'élargissement de l'option de l'aide médicale à mourir dans les cas de
troubles mentaux, mais je cherche plusieurs précisions. Dans un premier temps,
vous avez quand même offert quelques balises, alors j'aimerais que vous
clarifiiez là-dessus. Compte tenu de ce profond malaise, comment est-ce que
vous adressez à la question que ça serait discriminatoire de ne pas ouvrir
cette option ultime aux gens atteints de troubles mentaux?
Et troisièmement... mais je vais vous laisser
répondre à ces deux questions si je peux, et j'aurai une autre question
complémentaire.
• (10 h 40) •
M. Gaudreault (Jérôme) : Alors,
merci. Merci, M. le député. On vous a fait part de certaines balises, autant
parmi celles que je vous ai mentionnées ainsi que dans notre mémoire, si vous
avez l'occasion de le lire, là, on en ajoute quelques-unes de plus également...
s'assurer pour...
En fait, l'objectif qu'on vise, c'est de faire
en sorte de nous rassurer ou d'affirmer, je dirais, que d'octroyer l'aide
médicale à mourir pour une personne qui souffre de troubles mentaux, si c'est
bien dans cette direction-là qu'on va, demeure et soit... soit et demeure un
geste exceptionnel, donc ne soit pas une option qu'on va considérer rapidement
dans les opportunités de traitement d'une personne qui souffre de troubles de
santé mentale. Donc, c'est pour ça qu'on vise à ce qu'on s'assure que les
balises qu'ils vont mettre en place, elles vont vraiment être activées en
mesure de dernier recours. C'est pour ça que, d'une part, on veut s'assurer
qu'il y ait un critère d'incurabilité, de faire
en sorte qu'il n'y a pas, comment dire, d'alternative thérapeutique raisonnable
dans l'évaluation, donc il doit y avoir un travail entre la personne et
son médecin traitant pour s'assurer que toutes les options ont été envisagées
et que la personne qui souffre puisse vraiment considérer toutes les options.
L'autre élément aussi qui est important, en
termes de balises, c'est que l'aspect médical est une chose, mais les vecteurs des sources de souffrance de la
personne peuvent être multiples. Donc, c'est autant par rapport à sa
maladie que par rapport à ce qui l'entoure. Donc, par exemple, si la personne
n'a pas d'emploi, un réseau social faible, elle est mal logée, donc tous ces
éléments-là peuvent contribuer à la souffrance de la personne, et même si on
n'est pas capable de traiter la maladie, simplement en intervenant
dans les aspects psychosociaux de la vie de la personne, on peut contribuer à améliorer les conditions de vie
et faire en sorte que la personne puisse, malgré la souffrance vécue par
la maladie, puisse quand même, tolérer... vivre dans une... des situations qui
sont tolérables. Donc, ça, ça fait partie des balises
qu'on souhaite mettre en place. Il y en a d'autres aussi, s'assurer que le
processus d'évaluation soit envisagé par une équipe multidisciplinaire, donc l'idée, c'est de prendre vraiment...
s'assurer que cette mesure-là soit exceptionnelle.
Considérant l'aspect discriminatoire, c'est un élément qu'on a moins
approfondi dans la question du mémoire. On constate que le juridique
avance beaucoup plus vite que les connaissances qu'on peut avoir autour de
l'aide médicale à mourir. Donc, on se retrouve un peu, dans cette situation-là,
forcés par ce que les tribunaux ont exigé.
Maintenant, oui, ça pourrait être considéré
comme discriminatoire si on n'offre pas ce soin-là aux personnes qui souffrent uniquement de troubles mentaux,
mais, en même temps, il y a aussi un aspect de discrimination à ne pas
avoir accès aux soins adéquats. On le sait, au Québec, actuellement,
l'accessibilité aux soins de santé mentale n'est pas toujours simple, et ça, pour
moi, il y a des aspects discriminatoires là. Donc, l'aide médicale à mourir ne
doit pas devenir une réponse parce qu'on a
n'a pas accès à tous les soins qui pourraient être utiles ou bénéfiques pour la
personne...
M. Birnbaum : Merci. J'aimerais vous
mettre devant deux scénarios, parce qu'on a cette question devant nous,
évidemment, suite aux décisions des tribunaux. Deux scénarios : Un
premier, une personne qui a eu des épisodes de dépression majeurs, mais
majeurs, cliniques, dans leur vie. Cette personne est au milieu d'un épisode
qui perdure depuis 12 mois. Cette personne, dans leur vie, a déjà fait des
tentatives de suicide. Cette personne, aussi, s'est
prévalue des périodes, dans sa vie, de bonheur, d'attachement, s'est occupée
d'un poste professionnel pour un temps, avec de bons résultats. Est-ce
que vous avez peur, dans ce premier scénario, que les balises actuelles, et
peut-être bonifiées, ne nous assureraient pas, et cette personne aussi, qu'elle
soit non éligible pour l'aide médicale à mourir? J'aimerais avoir vos
commentaires sur ce scénario.
Je vous donne
le... bon, en quelque part, un autre scénario. Une personne atteinte de la
schizophrénie profonde, qui ne s'est jamais procuré un poste, un job
satisfaisant pour quelque période que ce soit, qui n'a aucun lien affectif,
émotionnel avec sa famille et son entourage, qui s'exprime un profond désir de
mettre fin à sa souffrance, qu'il juge intolérable,
et continue, et sans exception. Dans ce deuxième scénario, balisé comme il
faut, est-ce que vous écartez la possibilité
que cette personne soit évaluée et approuvée, selon ses voeux, pour
l'implantation de l'aide médicale à mourir?
M. Gaudreault (Jérôme) : Évidemment,
on n'est pas des cliniciens traitants, donc ce n'est pas toujours évident pour
nous, là, d'évaluer ces cas-là, spécifiquement.
Par contre,
ce qu'on peut faire, c'est se placer dans une posture de prévention du suicide.
Donc, nous, qu'est-ce qu'on fait quand on se retrouve en présence d'une
personne — puis
quand je dis nous, ce n'est pas nécessairement moi, mais c'est les intervenants
qui sont formés en prévention du suicide — donc, qu'est-ce qu'on fait
quand on se retrouve en présence d'une personne, peu importe si elle envisage
l'aide médicale à mourir ou le suicide? Bien, c'est qu'on va intervenir,
utiliser les stratégies d'intervention qu'on a autour de la personne.
Toute personne qui envisage la mort pour
solutionner la souffrance porte en elle une certaine forme d'ambivalence entre
sa volonté de continuer à vivre et sa volonté de mettre fin à ses jours, et on
va travailler cette ambivalence-là de manière à faire grandir la partie
d'elle-même qui veut vivre. On a tous des éléments qui sont, quand même,
positifs parce que si on ne les avait pas, bien... ce qu'on qualifie comme des
facteurs de protection, bien, probablement qu'on envisagerait l'option de
mourir plus rapidement.
Donc, ce qu'on va faire, c'est de travailler à
faire grandir les éléments qui vont bien. Donc, avec les cas que vous nous
présentez, bien, on irait voir, O.K., quelle est la source de la souffrance et
quels sont les éléments, aussi, qui vont bien dans ta vie, sur lesquels on peut
travailler à bonifier, à améliorer pour faire en sorte qu'ils grandissent puis
qu'ils s'épanouissent, et faire en sorte que la personne ait des options pour
se raccrocher à ce qui va bien. Donc, on s'assurerait de travailler là-dessus.
Donc, c'est pour ça qu'en matière de mesure de
protection, en matière de balises, il faut s'assurer que tous ces éléments-là
sont pris en considération. Dans ce qu'on a entendu, puis je pense que, même,
que c'était écrit dans le rapport de la commission préliminaire, c'est
qu'évidemment, il ne faudrait pas que la personne soit en situation de crise
aiguë ou en crise suicidaire pour obtenir l'aide médicale à mourir, il faut
travailler la crise suicidaire. Or, une crise suicidaire, des fois, c'est
évident, mais, dans la grande majorité des cas, ce n'est pas évident. Les gens
peuvent être en crise suicidaire mais ils ne démontreront pas de signes
externes ou, du moins, les signes vont être difficiles à décoder, donc ce qui
va faire en sorte que la situation pourrait être tout à fait rationnelle, une
personne pourrait très, très bien expliquer les raisons qui justifieraient son
suicide, démontrer toute la souffrance, mais, quand on travaille, puis un
intervenant spécialisé dans le domaine travaille avec la personne, on réussit,
malgré tout, généralement, à être capable de ramener la personne... Donc, je
pense qu'il faudrait, d'abord et avant tout, travailler dans ce sens.
M. Birnbaum : Précisons, si je peux.
Pour une personne atteinte de trouble mental assez grave, jugée apte, qui
serait devant, en même temps, une maladie très grave, physique, si je présumais
que de votre avis, cette personne devrait avoir la possibilité d'accès à l'aide
médicale à mourir — si
c'est ça, je vais valider — y
a-t-il des balises additionnelles nécessaires afin que cette personne atteinte
d'une multiplicité de difficultés, y compris, comme je dis, une maladie grave
physique, y a-t-il des balises additionnelles de... nécessaires pour protéger
la volonté, si vous voulez, de cette personne?
M. Gaudreault (Jérôme) : Bien, on...
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Excusez-moi,
M. Gaudreault, je vais devoir, à ce stade-ci, remercier M. le député de D'Arcy-McGee
et passer la parole au député de Rosemont.
M. Marissal :
Bien, merci, Mme la Présidente. Je vais vous donner un contre cas à celui de
M. Morin, et en commençant par vous saluer puis vous remercier d'être ici,
puis je le fais de façon à débattre. Il n'y a pas de jugement de valeur dans ce
que je veux dire.
Le Dr Boisvert,
Laurent Boisvert qui est venu témoigner devant nous il y a deux jours, je
crois, nous a apporté un cas d'une dame d'une cinquantaine d'années aux prises
avec de très graves problèmes psychiatriques lourds,
là, très, très lourds depuis 20 ans, plus de 20 ans, qui, selon elle,
je crois que selon le Dr Boisvert aussi, était pas mal arrivée...
je ne veux pas dire la fin, là, parce que qui suis-je pour dire ça, là, mais
cette personne jugeait qu'elle avait souffert toute sa vie, puis qu'elle était
arrivée à l'extrémité finale. Et donc le Dr Boisvert lui a fait rencontrer
un avocat spécialisé en la matière qui lui a dit : Bien, non, vous ne vous
qualifiez pas pour l'aide médicale à mourir. Vous ne rentrez pas dans le cadre,
tout simplement. Alors, pour faire une histoire courte, la dame s'est donc
laissée mourir d'inanition et de déshydratation.
C'est un contre-exemple,
là, mais il n'y a pas un seul exemple, là, surtout pas dans le domaine
psychique, surtout pas dans le domaine de la
santé mentale, puis ce n'est pas parce qu'on écrit des lois
qu'on a toutes les solutions, là.
C'est assez flou et malléable tout ça. Qu'est-ce
que vous répondez à ce cas ou à cette
dame qui, elle, jugeait qu'il n'y en avait plus, de solution, puis que
c'était totalement incurable dans son cas, dans son esprit? Et certains
spécialistes qui l'accompagnaient étaient d'accord avec elle. C'est simplement
qu'elle n'entrait pas dans le cadre légal actuel.
• (10 h 50) •
M. Gaudreault
(Jérôme) : Évidemment, c'est sûr qu'on peut rapporter des cas
spécifiques tels que ceux-là qui... de gens qui ont... qui vivent une très,
très grande souffrance. Puis, écoutez, on a quand même, à tous les jours, trois suicides au Québec.
Puis je me permets de rajouter aussi que, pour chaque personne
qui se suicide, il y a
100 personnes qui pensent activement et sérieusement à mettre fin à leurs
jours.
Donc, c'est sûr que
la souffrance, elle est très présente. L'enjeu que nous, on souhaite soulever,
c'est qu'on ne souhaite pas qu'en ouvrant l'aide médicale à mourir aux
personnes qui souffrent de troubles mentaux on en vienne à considérer cette
option-là comme étant acceptable, parce que ça va peut-être paraître étrange, qu'est-ce
que je vais vous dire, mais il y a plusieurs facteurs de protection face au
suicide, et sur les 100 personnes dont je vous parlais, les 99 qui vont
survivre à leurs idées suicidaires, les raisons pour lesquelles les gens ne
passent pas à l'acte, c'est qu'il y en a plusieurs... D'abord, les gens ont un
entourage autour d'eux, ils ont des éléments qui les satisfont quand même dans
leur vie. Il y en a qui vont faire des demandes d'aide, qui vont parler au 1
866 APPELLE, des intervenants. Donc, ils
vont réussir à trouver des stratégies pour se raccrocher. Mais il y en a
d'autres qui ne passeront pas à
l'acte parce que se suicider leur fait peur, ou c'est un geste
violent, c'est un geste qui se fait dans une extrême souffrance, c'est un geste qui se fait dans l'isolement. Les
gens ne veulent pas être trouvés... pour utiliser un meilleur terme,
mais découverts par les gens de leur entourage. Ils ne veulent pas imposer ça à
leurs proches. Donc, ces éléments-là font en sorte que ça agit comme facteur de
protection, aussi étrange que ça puisse paraître.
En offrant l'aide
médicale à mourir, c'est que là, on donne tout à coup l'occasion à des gens qui
vivent une très grande souffrance de dire : Bien, il y a cette option-là
qui est disponible pour moi. Et c'est tellement difficile, c'est tellement
exigeant de me battre à tous les jours pour essayer de rester en vie, bien, je
préfère utiliser cette option-là que
continuer à me battre. Donc, évidemment, il faut mettre
en place tous les remparts possibles
pour s'assurer que, si on décide d'aller dans cette direction-là, bien,
que ça demeure un geste exceptionnel de dernier recours. Et notre crainte,
c'est qu'il y ait une forme de banalisation autour de ça puis dire, bien, compte
tenu que les traitements qu'on propose sont trop difficiles ou des résultats
sont insatisfaisants, bien, on va en arriver à cette solution-là plus rapidement
que ce qu'on devrait.
Donc, c'est un peu
ça, le sens de notre propos. C'est une des raisons pour laquelle on ne s'oppose
pas formellement, bien qu'on ait un sérieux malaise, parce qu'on ne veut pas
non plus manquer de compassion à l'endroit des gens qui vivent une souffrance
et qui envisagent la mort comme étant une option.
M. Morin
(Charles-Albert) : J'aimerais ajouter quelque chose, si je peux me le
permettre.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Oui...
M. Morin
(Charles-Albert) : Écoutez, la psychiatrie, là, ce n'est pas une
science qui est arrivée à pleine maturité,
mais certainement, on est dans une époque où on est en pleine
effervescence. Il y a des traitements novateurs qui n'ont pas
encore fait... Puis, encore une fois, je me... je parle en citoyen qui se
renseigne, là, qui est très curieux, je ne parle pas en expert. Par contre, il
y a des traitements qui sont extrêmement innovateurs, qui n'ont pas encore toutes les études qui appuient à 100 % leur
efficacité, mais on est certainement dans une période de grande
ébullition, surtout avec la télésanté, tout ce qui s'est produit suite à la COVID.
Je pense que l'avenir est prometteur et moi, j'ai toujours ça en arrière de la
tête. Je me dis, qu'est-ce qui se passerait si une personne, justement,
s'accrochait, encore une fois, quelques mois de plus, si on pouvait lui fournir
un traitement novateur qui, finalement, pourrait être déterminant dans son cas?
Moi, je m'accroche fermement à l'espoir de la science puis j'y crois, à ces
traitements-là.
M. Marissal :
Je vous remercie.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie, M. le
député de Rosemont.
Je vais maintenant passer la
parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui, merci
beaucoup à vous deux. J'avais très hâte de vous entendre et, sincèrement, je ne
suis pas déçue. Vous nous amenez des
éléments vraiment importants. Évidemment, vous êtes au coeur
des préoccupations qui sont au coeur de notre réflexion.
M. Morin,
j'aimerais ça continuer avec vous. Vous avez accepté, là, de parler un peu de
votre propre parcours. Est-ce que vous pouvez nous dire si, dans votre
cas, il y avait eu un mauvais diagnostic pendant quelques années ou simplement
on ne trouvait pas, il n'y avait pas de diagnostic pour comprendre un peu ce
qui a fait en sorte qu'après avoir tellement voulu mourir, vous vous en êtes
sorti?
M. Morin (Charles-Albert) : Bon,
c'est une excellente question puis ça va être un effort de synthèse. On m'a
diagnostiqué, au début de la vingtaine, un trouble bipolaire, et il y avait une
composante d'anxiété, mais qu'on avait écartée, ce qu'on appelle un diagnostic
différentiel. Donc, la maladie à traiter principale, c'était le trouble
bipolaire. À un certain moment donné dans mon parcours, j'ai vu un autre
psychiatre, qui m'a dit que je n'étais pas bipolaire, mais que j'avais validé
un trouble anxieux puis on m'a retiré la molécule qui me gardait sur les rails.
Suite à ce changement de médication là, j'ai replongé dans un épisode
d'hypomanie et de dépression. Puis, au moment où j'ai replongé, à ce moment-là,
on était encore persuadé que j'avais un trouble anxieux. Donc, on a épuisé tous
les traitements pour guérir le trouble anxieux, et je parle de mon psychiatre
ici, on a essayé plusieurs molécules, on a essayé des doses différentes, puis,
à chaque fois qu'on prend des doses différentes, des nouveaux médicaments,
c'est des semaines d'attente pour que les effets se fassent ressentir, et à un
certain moment, bien, on est arrivés un peu à un cul-de-sac puis, finalement,
c'est mon infirmier qui m'a dit : Écoute, ce n'est pas de l'anxiété que je
vois, c'est d'autre chose. Puis la semaine
suivante, on a essayé... on a réintroduit la molécule que j'avais prise toutes ces années-là
avant, et deux semaines plus tard j'étais remis sur pied, là.
Mme
Hivon : O.K. Donc, c'est comme un mauvais diagnostic qui a
mené — on
n'accablera pas un psychiatre en particulier ici — mais
c'est comme un mauvais diagnostic qui a mené à l'arrêt d'une molécule et qui a
mené à votre état vraiment très dépressif, O.K.
Est-ce que,
en fait, je comprends tout à fait ce que vous dites, puis vous ne voulez pas
l'exclure complètement, parce que vous comprenez qu'il y a des cas
exceptionnels où ça pourrait peut-être s'appliquer si on est capables de
différencier ce qui est, je pense, de l'avis de tout le monde, un gros défi, la
pensée suicidaire versus la volonté rationnelle de mourir, en toute objectivité,
analysée par la personne, là, c'est ça le gros défi auquel feraient face les
psychiatres, mais est-ce que je comprends que vous me dites que vous
reconnaissez qu'il pourrait y avoir des cas comme ça, exceptionnels, où il n'y
a comme pas d'issue, une souffrance constante, intolérable, mais qu'en même temps vous nous dites un peu, à tout prendre, on
est mieux — là, je n'aime pas le mot, là — mais de garder ces personnes-là ou de sacrifier en quelque sorte ces quelques cas
exceptionnels au nom des plus grands torts que pourrait faire
l'ouverture dans les relations et dans la perspective des personnes qui
souffrent de troubles mentaux?
M. Morin (Charles-Albert) : C'est
sûr qu'à cette étape-là du débat, on est rendus à un endroit un peu inconfortable
où on doit peser les pour et les contre de l'adoption ou non de cette
politique-là. Moi, par contre, je me... puis encore une fois, je ne me prononce
pas à titre d'expert, mais je me méfie quand même, je travaille dans le milieu
de la santé mentale depuis quatre ans, puis je me méfie quand même des
scénarios hypothétiques qu'on fait quand on parle d'une extrême souffrance, de
ci, de ça, sans nier... il y a des gens qui souffrent énormément, là, c'est
certain, mais, en l'absence d'un portrait complet, avec des échelles pour
mesurer la souffrance, le niveau de fonctionnement, tout ça, on reste dans
l'hypothétique, puis comme disait M. Gaudreault, il y a toujours des
forces sur lesquelles travailler, puis je me méfie, justement, de me prononcer
sur des scénarios hypothétiques.
• (11 heures) •
M. Gaudreault (Jérôme) : Si je peux
rajouter à ça, notre crainte, c'est surtout les dérives qui peuvent arriver. Ce
qu'on a constaté dans les autres endroits où cette option-là est disponible,
c'est qu'au fil du temps, il y a une augmentation aussi des cas, parce que
c'est un traitement, c'est... bien, non, ce n'est pas un traitement, c'est un geste médical qui est accessible, qui est
disponible et qui fait en sorte que les gens le considèrent davantage au fil du
temps.
Donc, pour nous, même si on considère, à ce
stade-ci puis au début, que ce ne serait qu'un geste exceptionnel avec des
balises très, très spécifiques, qui font en sorte que l'entrée est très
difficile, mais, à partir du moment où du moment où tu mets des balises, ça
fait en sorte qu'on exclut des gens, et, si on exclut des gens, bien, les gens
peuvent demander... peuvent se battre et exiger qu'on... du moins, qu'on
diminue ces balises-là ou qu'on facilite un peu plus l'accès. Donc, c'est sûr
et certain, au fil du temps, c'est qu'il risque d'y avoir une augmentation.
L'autre élément sur lequel on souhaite insister,
c'est que, si ce soin-là est exceptionnel, bien, à ce moment-là, ça va faire en
sorte qu'il y aura beaucoup d'exclus aussi, puis ces exclus-là, bien, vont
vivre des conséquences de cette exclusion-là. Donc, ça pourrait contribuer à l'augmentation
de la détresse. Aussi, s'ils ont accès, bien, ça va provoquer aussi d'autres
conséquences sur les proches de cette personne-là.
Imaginez-vous, là, un parent ou un enfant d'un
parent qui se fait dire par un proche, donc, par exemple, par son enfant,
dire : Bien, j'ai fait une demande d'aide médicale à mourir parce que j'ai
des troubles mentaux et je ne vois pas l'issue de cette souffrance-là. Donc,
imaginez-vous comment les proches réagiront face à une telle annonce, là. Donc, évidemment, il pourrait y avoir des sources de conflit dans
les familles, les personnes concernées pourraient subir une très grande pression de ne pas passer à
l'acte, donc ce qui pourrait significativement compliquer les situations
qui sont vécues.
Moi, j'ai vécu personnellement un suicide d'une
personne très proche dans ma famille. Si cette personne-là, elle nous était
arrivée en nous disant : Bien, j'ai fait une demande d'aide médicale à
mourir, je n'ai aucune idée comment est-ce qu'on aurait réagi tous ensemble, la
famille, mais c'est évident qu'il y aurait eu des conséquences, qu'il y aurait
eu des actions qui auraient été posées pour essayer d'éviter cette situation.
La Présidente
(Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie. On va devoir... Je remercie la députée de Joliette, puis on va passer maintenant aux membres du gouvernement.
Je passe la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Gaudreault, M. Morin. C'est
très intéressant d'entendre... de vous entendre, d'entendre votre
expérience, tout votre parcours.
Et c'est vrai que c'est un sujet qui est extrêmement,
extrêmement, extrêmement important et délicat aussi en même temps. Puis vous
parliez beaucoup, tout à l'heure de l'expérience, tout ça, puis moi, j'aimerais
peut-être revenir un petit peu plus sur votre document, au niveau peut-être de
vos recommandations. Parce qu'il y a beaucoup de questions qui ont été posées, peut-être
aborder un petit peu plus au niveau de l'encadrement... Vous parliez de... en fait, qu'il
y ait au moins deux psychiatres qui
soient chargés, toujours, d'évaluer l'aspect incurable du trouble
mental, et aussi vous parlez d'impliquer une
équipe multidisciplinaire dans le processus d'évaluation. Alors,
j'aimerais savoir un peu, dans le
processus d'évaluation, puis j'aimerais savoir, selon vous, vous deux,
qui devrait faire partie de cette équipe multidisciplinaire d'évaluation
et peut-être d'y aller un petit peu plus précisément au niveau du rôle qu'elle
devrait jouer. Et j'aurais peut-être une question supplémentaire, là. Je vais
vous laisser répondre à mes deux premières.
M. Gaudreault (Jérôme) : Alors,
c'est un peu en lien avec ce que je disais dans ma présentation, à savoir que
les sources de souffrance d'une personne peuvent être multiples. Donc, ça peut
être autant au point de vue maladie que du point de vue de son environnement
social et physique. Donc, d'avoir une équipe multidisciplinaire, par exemple,
avec des travailleurs sociaux, avec des psychologues, avec d'autres types de
spécialistes qui peuvent jouer un rôle dans l'état de la personne. Donc, je
n'irai pas nécessairement plus en détail sur le type de personnes qui
pourraient faire partie de cette équipe multidisciplinaire là, mais en fait,
tout type de profession, de professionnel qui peut jouer un impact dans la qualité
de vie de la personne, à mon avis, pourrait faire partie d'une telle équipe.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. Je
vous posais la question parce que vous comprendrez que, dans notre rôle aussi,
on a besoin aussi d'avoir des... tu sais, de voir un peu les balises. Tu sais,
les gens nous recommandent des choses, puis
des professionnels, donc, c'est important aussi pour nous
d'essayer que vous nous donniez le
plus possible des balises, aussi, claires. Puis, advenant le cas, aussi,
d'un désaccord dans une équipe multidisciplinaire, qu'est-ce qu'on fait,
qu'adviendrait-il? Il y a-tu... On a-tu... Ce n'est pas évident pour vous de
répondre, mais, tu sais, c'est pour nous éclairer aussi, nous, là. C'est...
M. Gaudreault (Jérôme) : Évidemment,
n'étant pas ni le représentant... quoiqu'on travaille avec des spécialistes en
prévention du suicide, donc, d'avoir des intervenants en prévention du suicide.
Mais au-delà de ça, ce que je pense personnellement, c'est qu'à mon avis c'est
la personne qui pose le geste qui doit avoir la décision finale. Donc, si on
dit que l'aide médicale à mourir serait pratiquée par un médecin ou par un
psychiatre, bien, à ce moment-là, je pense que c'est cette personne-là qui pose
le geste qui a la décision finale.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : O.K.
Dans des cas... puis on s'entend, là, vraiment, là, dans des... on parle, là,
c'est des situations d'exception, donc
ça revient à la personne, donc ça revient un peu à l'autodétermination de la
personne.
M.
Gaudreault (Jérôme) : Bien,
si on en arrive là, évidemment que c'est la personne qui va faire la
demande qui aura le choix et la décision finale, là. Je vous parlais du
médecin, mais, évidemment, au bout du compte, la personne a le droit à son
autodétermination. Et c'est ce qui nous amène aussi à dire que c'est une des
raisons pour laquelle on pense que la personne doit faire sa demande sur une
longue période ou que, du moins, l'évaluation doit être faite sur une longue
période parce qu'on sait, de par notre expérience, que la souffrance n'est pas
linéaire. Donc, elle peut être plus importante à certaines périodes, moins importante
à d'autres, et la personne peut tout à fait décider de revenir en arrière. On
sait, de par notre expérience que, généralement, quand on envisage des
traitements, quand une personne vit avec une certaine forme de maladie, bien,
on envisage tous les traitements possibles avec le patient, avec le médecin
traitant, et, une fois qu'on a pris une décision, bien, on s'en va dans cette
direction-là, et souvent le retour en arrière peut être difficile. Or, en
prévention du suicide ou en santé mentale, il y a des retours en arrière, et il
faut que les médecins traitants soient conscients de cet aller-retour-là qu'il
peut y avoir et d'assumer le fait, là, que les patients puissent revenir en
arrière et changer d'idée.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Bien, merci
beaucoup. Je sais que ce n'est pas facile nécessairement, tu sais, d'avoir les
meilleures solutions possibles, mais merci. Merci à M. Morin aussi,
c'était intéressant de vous entendre.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Merci, M. le député. Je vais passer la parole maintenant
à Mme la députée de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Gaudreault
et M. Morin. C'est vraiment intéressant de voir que, malgré le malaise à l'ouverture,
malgré votre positionnement, que ce que j'en constate, qui n'est pas nécessairement
favorable à cet élargissement-là jusqu'aux personnes qui ont des troubles
mentaux ou de santé mentale, puis que vous craignez, d'abord, que ce soit un
message d'abandon. Il y a même des gens qui ont dit que ça... on tuait... on
pouvait donner l'impression qu'on tuait l'espoir. Il y a des psychiatres qui ne
croient pas à l'incurabilité. Mais que vous ayez fait quand même certaines
recommandations, bien, je veux vous remercier pour ça parce que c'est de voir
que vous avez poussé au-delà de ce que vous pensez, vous avez quand même voulu
mettre certaines balises, et moi, j'aimerais vous entendre.
Il n'y en a pas
beaucoup qui nous ont parlé, puis j'ai aimé votre commentaire, par rapport aux
familles, aux familles qui sont restantes. J'ai entendu des témoignages, pas
dans cette commission, mais d'autres personnes qui ont accompagné des gens
dans... qui ont décidé de prendre l'aide médicale à mourir qui étaient en fin
de vie, et qui ont quand même subi un traumatisme. Alors, je comprends qu'il
faut accompagner aussi les personnes qui restent face à une décision comme ça,
et pour quelqu'un qui a un trouble mental, qui est une personne qui a des idées
suicidaires, bien, que les parents se battent auprès de cette personne-là,
comme on dit, pour la vie, et de voir qu'elle veut opter pour l'aide médicale à
mourir, bien, que ça peut être un traumatisme pour les familles. Alors,
j'aimerais que vous puissiez nous donner quelques pistes, là. Qu'est-ce qui
pourrait être recommandé? Y a-tu des équipes? Qu'est-ce qui pourrait être fait
pour la famille, pour ceux qui restent?
• (11 h 10) •
M. Gaudreault
(Jérôme) : J'essayais de me positionner, là, j'essayais de m'imaginer,
là, si on en arrive là, comment ça se passe dans la famille. Je vous ai parlé
un peu tout à l'heure de mon histoire personnelle, à savoir comment est-ce
qu'on aurait réagi à une telle situation, et je pense que pour... Il faut encadrer
ça. Il faut encadrer ça parce que, veux veux pas, une décision d'aide médicale
à mourir, ça peut se prendre entre le médecin traitant et la personne
concernée, mais ça va avoir un impact sur l'entourage, et il faut annoncer
cette nouvelle. Donc, le contexte dans lequel ça s'annonce, la manière
d'annoncer ça, gérer la réaction de l'entourage, on n'est pas outillés,
comme... pour gérer cette situation-là. De se faire dire par son enfant :
Je vais mourir, j'ai décidé que j'allais mourir parce que je n'en peux plus, donc, évidemment,
c'est extrêmement confrontant. Et, de manière à protéger les
personnes concernées... parce que là, ces personnes concernées vont
subir de la pression, comme je disais tout à l'heure, il pourrait y avoir des
conflits. Donc, ça ne contribue pas au bénéfice et au bien-être de la personne.
Donc, je pense qu'il
faudrait au minimum un accompagnement avec des travailleurs spécialisés qui
seront capables de gérer la situation, proposer des services aux personnes qui
seront touchées, qui seront affectées. On pourrait même envisager que les
proches soient consultés dans la prise de décision, parce qu'on le sait aussi,
là, les personnes qui souffrent, qui envisagent le suicide, souvent les ponts
sont coupés avec leurs proches, ils vont dire... et il y en a qui vont même
aller jusqu'à dire : Mes proches ne sont pas aidants, ils contribuent à ma
détresse, alors que, dans les faits, des fois, quand on fait... on va un peu
plus loin puis on fait des enquêtes, ce n'est pas toujours le cas. Au
contraire, les proches sont disposés à aider. Donc, il faut aller valider ça.
Et peut-être que les proches pourraient même être consultés et faciliter un
rapprochement entre les personnes vulnérables, là. Donc, je pense que ça serait
un minimum qu'il faudrait envisager.
Mme Hébert :
Parfait. Est-ce qu'il reste du temps, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Oui, 5 min 45 s.
Mme
Hébert :
Parfait. J'aurais une autre question, puis je vais m'adresser à vous,
M. Morin. Vous avez dit : C'est évolutif, on est... la science... Le
cerveau, c'est vaste. On n'a pas encore... je pense qu'on n'est pas arrivés à bout de toutes les solutions, il y a encore plein
de choses qui pourraient être disponibles. Croyez-vous qu'à ce stade-ci
on n'est pas encore prêts à statuer, qu'on devrait encore avoir des tables, en
discuter dans le temps, que ce n'est pas... notre société... Pensez-vous que,
là, on devrait encore prendre plus de temps?
M. Morin
(Charles-Albert) : Absolument, puis la maladie mentale, on ne la
comprend pas encore, là. Je ne me rappelle plus c'est quoi, là, les termes
exacts pour dire ça, mais notre connaissance de la maladie mentale, c'est
strictement des symptômes, on ne sait pas c'est quoi les facteurs sous-jacents,
biologiques. Il n'y a pas de marqueurs, comme
vous savez, il n'y a pas de... Des marqueurs, comment on appelle ça? En tout
cas, il n'y a pas de prises de sang qui peuvent donner un diagnostic de
trouble bipolaire, puis tout ça. Donc, la psychiatrie a fait d'énormes progrès,
parce qu'il y a 60 ans je n'aurais pas voulu être traité dans les asiles.
Mais j'ai entendu cette phrase-là qui m'est restée en tête : Dans
60 ans, les gens vont être contents de ne pas avoir été soignés en 2021.
Mme
Hébert :
Oui, c'est toute une réflexion. Bien, je vous remercie beaucoup, merci,
M. Morin. Je vais laisser la parole, Mme la Présidente, à ma collègue.
Merci de vos interventions, c'est toujours pertinent quand quelqu'un nous donne
un témoignage, mais je sais que ça peut être difficile aussi de partager.
Alors, merci, merci beaucoup à vous deux.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Merci, Mme la députée de Saint-François. Je
vais maintenant passer la parole à Mme la députée de Soulanges.
Mme Picard :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux. Vous avez mentionné que, lors
d'un refus, ça serait intéressant peut-être... Bien, en fait, ma question
serait plus : Quand la demande est refusée, d'aide médicale à mourir,
surtout si ça devient le cas pour les cas de santé mentale, est-ce que vous
croyez qu'on devrait avoir une équipe de prévention du suicide qui passe tout
juste après pour bien appuyer les personnes et, selon vous, est-ce que ça
serait bien reçu des patients, des personnes?
M. Gaudreault (Jérôme) : Difficile
pour moi d'interpréter si ça serait bien reçu ou pas. Je pense qu'en fait, de
mon expérience, ça serait généralement bien reçu, mais ça se peut que dans
certains cas, effectivement, là, la personne soit plus ou moins réceptive. Mais
je pense qu'on doit s'efforcer d'encadrer ces gens-là parce qu'on rajoute aux
obstacles. La personne pouvait envisager l'aide médicale à mourir comme étant
finalement une solution pour mettre fin à cette souffrance-là, et on la bloque,
donc c'est un échec supplémentaire. Donc, un échec supplémentaire peut ajouter
à l'état de souffrance de la personne. Une personne qui n'aurait pas envisagé
le suicide pour x raisons pourrait, si cette
souffrance-là augmente, bien, se dire : Bon, bien, si c'est la seule
option qui me reste, à ce moment-là c'est ce que je vais faire. Donc,
pour nous, on a des craintes.
Honnêtement, je ne pense pas, là, qu'on
assisterait à une explosion, là, de cas de suicides qui seraient dus à ça, là,
je veux être quand même rassurant là-dessus. Mais c'est sûr et certain, à mon
avis, qu'on pourrait assister, je vous l'ai
dit, là, selon l'enquête qu'on a faite qui n'était pas exhaustive, mais qui
était quand même assez claire là-dessus,
on a des cas de suicides qui sont reliés à
des refus d'accessibilité à l'aide
médicale à mourir, soit que la
personne s'est vu refuser ou la personne ne répondait juste pas aux
critères, donc elle n'a pas eu l'occasion de faire la demande. Il y a plusieurs
facteurs qui viennent influencer le passage à l'acte, là, donc je ne ferai pas
de lien de cause à effet direct, parce que le suicide est multifactoriel, mais
il reste que ça vient influencer l'état de vulnérabilité de la personne. Donc,
il faudrait au minimum qu'une équipe fasse un suivi auprès de ces gens-là et
qu'on fasse même une estimation de la dangerosité d'un passage à l'acte
suicidaire.
Mme Picard : Et si j'ai le temps
pour une dernière petite question? Merci. Donc, j'imagine que si on réussit à
créer une équipe multi pour faire la demande d'aide médicale à mourir,
j'imagine que vous suggérez beaucoup d'avoir
quelqu'un qui a un bagage en
prévention du suicide dans cette équipe même pour mieux évaluer, là, la
demande.
M. Gaudreault (Jérôme) : Bien, on
dispose d'une... on dispose de spécialistes, d'intervenants en prévention du suicide qui savent... qui sont formés, qui sont
aptes à travailler avec les personnes suicidaires et réduire la
dangerosité. Donc, si, effectivement, on soupçonne la possibilité qu'une
personne soit à risque de suicide, on doit faire appel aux intervenants. Qu'ils
soient à l'intérieur même du réseau de la santé, ou dans les centres de
préventions du suicide, ou les centres de crise, ils sont en mesure, justement,
de bien prendre en charge cette...
Mme Picard : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Merci, Mme la députée. Donc, messieurs les
intervenants, M. Gaudreault,
M. Morin, je vous remercie profondément pour cet éclairage dans les débats
concernant cette commission.
Donc, je vais suspendre les travaux quelques
instants pour qu'on puisse accueillir le prochain groupe. Donc, merci à vous.
(Suspension de la séance à 11 h 16)
(Reprise à 11 h 20)
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Rebonjour. Je souhaite la bienvenue aux représentants
de l'Association québécoise des neuropsychologues. Je vous rappelle que vous
disposez de 10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la
période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter puis à commencer votre exposé. Bienvenue. Allez-y.
Association québécoise des neuropsychologues (AQNP)
Mme Labelle (Véronique) :
Bonjour, merci, Mme la Présidente. Bon matin à tous. En fait, on est super
contents, là, d'être avec vous aujourd'hui, là, pour prendre part à cette
discussion-là, importante, là, au sujet de l'aide médicale à mourir.
Notre objectif, aujourd'hui, ça va être surtout
de discuter avec vous du rôle important, là, que les neuropsychologues peuvent
avoir dans l'évaluation de l'aptitude à consentir, là, à l'aide médicale à
mourir.
Donc, je me présente,
je suis Dre Véronique Labelle, je suis neuropsychologue. Je suis membre,
là, du groupe interdisciplinaire de soutien de mon établissement, je suis
membre également, là, de la Communauté de pratique
des GIS. Je suis administratrice, là, à l'Association québécoise des
neuropsychologiques et j'ai, dans ce contexte-là, contribué à offrir,
là, à nos membres, à l'automne dernier, une formation sur l'évaluation de
l'aptitude, là, à consentir à l'aide médicale à mourir, mais je suis avant tout
une neuropsychologue clinicienne spécialisée en psychiatrie et en
gérontopsychiatrie, donc ce qui fait qu'au quotidien je travaille
essentiellement avec des patients qui présentent des troubles
mentaux sévères et persistants comme la schizophrénie, par exemple, et je
travaille également avec une clientèle un peu plus âgée qui a présenté, là, des
troubles cognitifs, en fait, des troubles de santé mentale au long cours, et chez qui on note, à un moment donné, là, dans l'évolution de la
maladie, une accentuation des troubles cognitifs. Et mon rôle en
clinique, dans ces contextes-là, c'est d'essayer de déterminer si les troubles
cognitifs s'inscrivent dans le décours de la maladie ou si on est plutôt en
présence, là, d'un trouble neurocognitif surajouté, comme une maladie
d'Alzheimer ou une démence frontotemporale, par exemple.
Je précise la notion
d'accentuation des troubles cognitifs parce qu'il y a une proportion vraiment
importante des patients qui présentent des troubles de santé mentale, qui
nécessitent un suivi, là, en psychiatrie, qui présentent des atteintes
cognitives. On peut penser, bon, évidemment, à des troubles de mémoire, de
concentration, mais aussi des difficultés à s'organiser, des difficultés à
faire preuve de jugement également, et ça, c'est un point qui est vraiment
majeur parce que les troubles cognitifs qui découlent de ces maladies-là sont
bien souvent beaucoup plus invalidants que les symptômes de la maladie
psychiatrique en soi, et ça, c'est d'autant plus important que ces troubles
cognitifs là ont un impact majeur au niveau de la vie de tous les jours que ce
soit au niveau du travail, au niveau de la capacité d'entreprendre des études,
mais aussi dans le contexte, là, de... est-ce que la personne est capable de
bien gérer ses biens, de bien gérer sa personne, mais aussi d'être capable de
consentir à ses soins.
Puis moi, c'est
quelque chose que je vois, là, vraiment au quotidien avec ma clientèle, ce sont
des patients qui, oui, souffrent beaucoup en raison, là, de leur maladie
psychiatrique, des symptômes psychologiques qui y sont associés, mais ils
souffrent beaucoup aussi des troubles cognitifs qui sont associés à leur
maladie. Ce qu'il faut, pour comprendre, par contre, c'est que les atteintes cognitives,
elles n'ont pas toutes le même impact sur la capacité à prendre des décisions
éclairées puis elles ne sont certainement pas facilement, là, détectables en
conversation avec quelqu'un, ni par les tests de dépistage non plus.
Donc, pour illustrer
ce point-là, j'aimerais, là, vous faire part, là, en fait, d'un cas clinique
que j'ai rencontré. Donc, il s'agissait, là, d'un homme à l'aube de la
cinquantaine, donc, qui présentait un trouble dépressif majeur récurrent,
récurrent en ce sens où il y avait eu, là, des nombreux essais pharmacologiques
infructueux. Il y avait eu plusieurs hospitalisations en lien avec sa
condition. Il avait même dû, là, se souscrire à des traitements, là, invasifs
pour tenter, là, de le soulager de sa dépression, et même ça, ça n'avait pas
fonctionné. Non seulement ça n'avait pas fonctionné,
mais il y avait eu là, en fait, là, des effets secondaires importants qui
avaient nécessité l'arrêt, là, de ce type de traitement. D'ailleurs,
c'était aussi un patient qui avait fait plus qu'une tentative de suicide puis
qui rapportait n'avoir aucune qualité de vie, là, depuis plusieurs années.
Cliniquement, quand
j'ai rencontré ce patient-là, c'est un homme qui avait une apparence soignée,
qui s'exprimait plutôt bien, qui était capable, là, de donner un bref aperçu,
là, de son historique médical, et donc c'est un homme qui à première vue, là,
avait l'air totalement, là, superficiellement je pourrais dire en fait, là,
apte à prendre des décisions par lui-même. C'était certainement un homme qui
avait un bon niveau de fonctionnement cognitif avant la maladie, ce qui faisait
en sorte qu'en conversation il était peut-être un petit peu plus en mesure de,
je dirais, de camoufler ou bien de compenser, là, certaines des difficultés
qu'il présentait. Et donc, suite à l'évaluation neuropsychologique, ce qu'on a constaté, c'est qu'il avait plusieurs
atteintes cognitives, et plusieurs de ces atteintes-là touchaient à des
fonctions qui étaient essentielles à une prise de décision éclairée. On peut
penser notamment, là, à des troubles au niveau du jugement, de la mémoire, par
exemple.
Donc, si ce
patient-là, par exemple, en 2023, faisait une demande, là, pour l'aide
médicale à mourir. À première vue, quand j'ai rencontré le patient, là, avant
l'évaluation, c'est une personne qui pouvait, là, avoir l'air apte, mais suite à l'évaluation, on s'est
rapidement rendu compte que ce patient-là, prendre des décisions pour lui-même...
en fait, si ça avait été, là, dans le cadre de l'aide médicale à mourir, mon
avis professionnel aurait été qu'il n'aurait pas été apte à prendre une telle
décision.
On a entendu, là, à
quelques reprises, là, dans la commission, qu'il serait probablement difficile d'évaluer
l'aptitude de ces patients-là, donc des patients qui présentent des troubles
mentaux, d'une part en raison de la nature de leur affection, mais aussi en
lien avec les troubles cognitifs, là, potentiels chez cette clientèle-là, et
honnêtement, il y a certainement du vrai
là-dedans. Par contre, pour moi, c'est très important de souligner que
complexe, ça ne veut pas dire impossible. Je pense que la clé dans tout
ça, ça va être le travail interdisciplinaire. Puis les neuropsychologues, en
fait, je pense qu'on est tous prêts, là, à mettre la roue... c'est-à-dire de
mettre l'épaule à la roue, là, pour contribuer à évaluer ces patients-là dès qu'il y a la possibilité qu'il y ait des
troubles cognitifs qui pourraient entraver l'aptitude à consentir, par exemple, à ce type de soin
particulier. À l'heure actuelle, là, les neuropsychologues sont déjà fréquemment demandés. On est fréquemment demandé, que ce soit dans des contextes de
milieu hospitalier ou des cliniques externes, pour évaluer l'aptitude cognitive des patients soit à gérer leurs biens
mais aussi à prendre des décisions pour eux-mêmes, et même, là, à
consentir à leurs soins. Puis d'ailleurs, là, l'expertise des neuropsychologues
est déjà bien reconnue, là, par les tribunaux québécois.
Et peut-être une
petite... un petit mot, rapidement, là, pour dire qu'on est plusieurs, là,
collègues, là, à travers la province qui avons déjà été impliqués, là, dans
l'évaluation de l'aptitude cognitive de patients qui présentent des maladies physiques, évidemment, là, pour le
moment, mais d'essayer, justement, d'établir si ces patients-là
présentent suffisamment, là, une bonne cognition pour pouvoir consentir, là, à
l'aide médicale à mourir. Donc, il y a déjà là des neuropsychologues qui ont
fait ce type-là d'intervention.
Donc, je vais
maintenant, là, céder la parole à ma collègue, Dre Bertrand, mais ça me
fera plaisir de répondre à vos questions, là, par la suite.
Mme Bertrand (Josie-Anne) : Oui.
Bonjour. Merci, Véronique. Bien, je vais commencer en me présentant. Donc, je m'appelle Dre Josie-Anne Bertrand.
Je suis vice-présidente clinique et scientifique de l'Association
québécoise des neuropsychologues. Je suis d'abord et
avant tout une neuropsychologue clinicienne et je suis aussi chercheure
spécialisée dans le domaine de la gériatrie. Donc, de mon côté, là, je vais me
concentrer sur ce volet particulier là de la commission. J'ai des projets de
recherche qui portent sur l'aptitude et aussi sur le suicide chez les aînés,
donc c'est vraiment une spécialisation, là, que j'ai plus précisément.
Donc, je voulais commencer aujourd'hui en vous
parlant d'un cas d'un patient qui a été évalué au printemps dernier à la suite
des modifications de la loi fédérale. Donc, c'est un patient qui avait reçu un
diagnostic de trouble neurocognitif majeur, et, pour lui, l'idée de devenir un
fardeau pour sa famille était vraiment intolérable, donc il a demandé l'aide
médicale à mourir. Les médecins évaluateurs ont remarqué dans le cadre de leur
évaluation que c'était un patient qui présentait des troubles de mémoire, et
ils s'inquiétaient à savoir quel impact ça pouvait avoir sur son aptitude, donc
ils ont demandé une évaluation en neuropsychologie. L'évaluation a démontré
qu'en fait oui, ce patient-là présentait des troubles cognitifs, des troubles
de mémoire, mais que ceux-ci étaient légers, puis que ça ne venait pas entraver
sa capacité à prendre des décisions éclairées face à l'aide médicale à mourir.
Donc, en soi, l'aptitude... l'évaluation a démontré que ce patient-là était
apte.
Ce qui était touchant avec ce patient-là, c'est
que le patient émettait ardemment le désir d'avoir l'aide médicale à mourir,
mais il exprimait le souhait de l'avoir à l'automne prochain, parce qu'il
aurait aimé pouvoir passer l'été avec ses enfants puis ses petits-enfants qu'il
n'avait pas vus depuis plusieurs mois, là, en raison de la pandémie, puis il
aurait aimé ça avoir un petit peu plus de temps avec ses proches. Mais il avait
tellement peur de perdre son aptitude avant l'automne qu'il a demandé... il
était prêt à recevoir tout de suite l'aide médicale à mourir. L'évaluation
neuropsychologique démontrait que ce patient-là était vraiment au tout début de
sa maladie, vraiment dans les tout premiers stades, et qu'il n'était pas
probable, là, qu'il perde son aptitude d'ici l'automne prochain, mais, en même temps, ça nous plaçait dans une drôle de
situation, parce qu'est-ce qu'on pouvait offrir cette recommandation-là
au patient, est-ce qu'on pouvait prendre la chance, là, de lui recommander
d'attendre à l'automne alors qu'on ne sait jamais qu'est-ce qui peut se passer?
Il pourrait faire un AVC, se détériorer rapidement. On ne pouvait pas avoir
cette responsabilité-là sur les épaules, donc ce patient-là, finalement, a reçu
l'aide médicale à mourir et il est décédé, donc, il y a quelques semaines, un
mois de ça, là, maintenant.
• (11 h 30) •
Donc, c'est plutôt triste et, en fait, ça nous
mène à dire que, bon, premier point, bien qu'on ne veut pas encourager l'aide médicale à mourir chez
nos patients, on croit que, vraiment, la loi devrait être élargie pour
permettre les demandes anticipées dans les cas de troubles neurocognitifs
majeurs, parce que c'est quand même une problématique actuellement où on voit
des patients qui décèdent de l'aide médicale à mourir de manière prématurée en
raison d'une mésinformation face à l'évolution de la maladie, puis, évidemment,
en raison de la crainte de perdre l'aptitude, là, crainte qui est quand même
particulièrement fondée, là.
Mais, deuxième point, on pense que les neuropsychologues,
il est vraiment essentiel qu'ils soient impliqués dans l'évaluation de l'aptitude des patients avec des troubles
neurocognitifs, surtout les troubles neurocognitifs majeurs, parce que
c'est quand même des évaluations qui sont très complexes.
Il faut comprendre que les troubles
neurocognitifs majeurs, là, ce n'est pas juste comme une maladie d'Alzheimer. Il y a différentes maladies qui
induisent différents troubles cognitifs, qui vont évoluer de manière
différente puis qui vont avoir des impacts différents sur la capacité de la
personne à prendre des décisions. C'est donc assez compliqué, là. C'est plus que de savoir : Est-ce que le patient
comprend ce qu'on lui dit? Est-ce qu'il comprend ce qu'il demande? Donc,
ça demande une évaluation plus approfondie, qui, à notre avis, devrait être
faite par des spécialistes.
L'évaluation neuropsychologique peut permettre
de dire est-ce que la personne, elle est apte, et ainsi lui permettre, là, de
lui donner une voix, de respecter son autonomie, mais aussi elle peut dire si
la personne, elle est inapte, notamment, là, dans un but de protection à des
personnes plus vulnérables.
Et une troisième possibilité, c'est que l'évaluation
neuropsychologique peut permettre d'identifier si la personne a des
difficultés qui sont suffisamment légères pour qu'on soit en mesure de
compenser pour ces difficultés-là et vraiment donner une voix à la personne.
Donc, en faisant une évaluation qui est vraiment
objective, basée sur des faits, on peut accompagner mieux la personne dans ce
processus-là, ce processus d'évaluation.
Donc, tout comme on voudrait interpeler un
psychiatre dans le cadre des maladies psychiatriques, à notre avis, il semble
essentiel qu'un neuropsychologue soit impliqué lorsqu'il y a des troubles
neurocognitifs qui peuvent affecter la capacité à prendre des décisions
éclairées sur l'aide médicale à mourir.
On a entendu parler certaines personnes, dans le
cadre de la commission, là, que ça prenait vraiment un plan concret pour l'élargissement
de la loi. Eh bien, on croit que le neuropsychologue doit faire partie de ce
plan-là, dans le but de contribuer à optimiser la protection du public. Donc,
merci beaucoup.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vous remercie, Dre Bertrand, Dre Labelle. Nous
allons maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la
commission pour une période de 35 minutes. Je passe la parole au député de
Rosemont.
M. Marissal : Merci, Mme la
Présidente. Mme Labelle, Mme Bertrand, merci pour votre contribution.
C'est «short and sweet», comme on dit. C'est précis, c'est très précis dans ce
que vous apportez. Puis je vous remercie aussi pour votre expérience
professionnelle clinique. Ça aide, là, pour le commun des mortels, dont je suis,
là, à mieux comprendre les expériences, puisqu'après tout on vote ce genre de
lois et on les modernise pour les gens qui pourraient éventuellement en avoir
besoin ou non.
Je commence par une
observation, puis dites-moi si je me trompe, là, mais j'ai regardé votre
mémoire, de un, je n'y vois pas de recommandations comme telles, c'est
peut-être un choix rédactionnel que vous avez fait, et je ne crois pas vous
avoir entendues sur la question de l'élargissement pour les troubles mentaux.
Si vous pouvez rapidement, parce que je n'ai que quatre minutes quelques
secondes et j'en ai déjà mangé une minute.
Mme Labelle (Véronique) : Oui, avec
plaisir. En fait, bien, la position, en fait, là, c'est vraiment... elle est
sensiblement la même, autant pour les patients qui présentent des troubles
neurocognitifs majeurs que pour ceux qui présentent
des troubles psychiatriques. C'est-à-dire que, dans les deux cas, dès qu'il y
aurait une suspicion ou qu'il y aurait la possibilité, là, de troubles
cognitifs qui pourraient entraver l'aptitude, bien, à ce moment-là, la position
serait qu'il faudrait interpeler un neuropsychologue pour qu'il y ait une
évaluation plus approfondie qui soit faite, un peu comme dans l'exemple de cas
où j'ai présenté un petit peu plus tôt, à première vue, en discussion, en
entrevue avec ce patient-là qui présentait, là, le trouble dépressif majeur et
réfractaire, tout ça. Superficiellement, là, quand on discutait avec lui, il
avait l'air apte, mais, quand on est allés creuser un petit peu plus loin, là,
vraiment avec... évidemment, oui, les
épreuves psychométriques, mais, au-delà de la psychométrie, le
neuropsychologue, ça fait partie un petit peu, là, de notre
enseignement. Puis notre expertise, c'est d'aller chercher les éléments
cliniques qui peuvent nous permettre d'appuyer une hypothèse d'aptitude ou
d'inaptitude.
Donc, je pense que le message, il est le même
pour les deux clientèles, en ce sens où, dès qu'il y a la possibilité qu'il y
ait des troubles cognitifs qui pourraient entraver cette aptitude-là, le
neuropsychologue, je pense qu'il pourrait être très aidant pour essayer de bien
départager ça. Puis évidemment je pense que ça reste, donc, dans une
perspective interdisciplinaire, évidemment, là. Mais, pour les aspects
cognitifs qui sont essentiels, là, à une prise de décision, c'est dans ce
contexte-là, je pense, que le neuropsychologue, là, devrait être interpelé.
M. Marissal : Merci. Le cas que vous
avez amené, Dre Labelle, moi, a tendance à me rassurer, en ce sens qu'il existe une façon assez scientifiquement
démontrée, en tout cas, de mesurer l'aptitude ou l'inaptitude, là. Je
présume que ce n'est pas à 100 %, là, parce que ce n'est pas comme un test
de sang, là, ou un thermomètre, là, ça ne donne pas une mesure exacte, mais moi,
ça a tendance à me rassurer, puis corrigez-moi si je me trompe, là, quant à la
mesure de l'aptitude, parce que, dans ce cas-là, il aurait été jugé inapte en
raison de ce que vous avez dit.
Deuxième élément, il est plus... peut-être plus
philosophique, le cas b, amené par Dre Bertrand. Il y a des gens qui pourraient
dire : Cet homme-là, dans le fond, est-ce qu'il souffre vraiment au point
de vouloir la mort? Il a voulu passer l'été avec ses petits-enfants, donc il a
encore un intérêt à vivre. Je ne le sais pas, je peux très bien imaginer que
des gens diraient ça puis qui pourraient lui dire : Bien non, ne signe pas
tout de suite pour mourir en octobre, va
donc passer plutôt du bon temps, puis, qui sait, peut-être que tu auras envie
de passer Noël après, puis après Pâques avec tes petits-enfants?
J'aimerais ça, vous entendre là-dessus. Il reste très peu de temps. Merci.
Mme Bertrand (Josie-Anne) : Oui.
Bien, en fait, il faut comprendre qu'on est vraiment dans le cadre d'une
maladie neurodégénérative. Donc, ce patient-là, ce n'était pas une maladie
d'Alzheimer, c'est une démence à corps de Lewy, qui était un homme très, très
actif. C'est un ancien athlète. Le vélo, pour lui, là, c'était sa vie, il était
vraiment passionné de vélo. Puis, dans le cadre de la démence à corps de Lewy,
il y a un parkinsonisme qui évolue. Donc, pour lui, là, de devenir cloué à un
siège, avoir des difficultés à bouger, de ne plus pouvoir faire d'activité
physique puis de se voir détériorer, là, c'était vraiment impossible, là, à considérer,
là. Il était... C'était très souffrant pour lui. Puis c'était tellement
souffrant qu'il était prêt à mettre une croix, justement, sur ses bons temps
passés avec sa famille pour cesser sa vie, pour ne justement pas perdre son
aptitude puis ne plus être en mesure de le demander par la suite, là. Donc,
oui, sa souffrance était très présente.
Il avait des hallucinations aussi qui le
perturbaient beaucoup, qui fait partie de la maladie, et qui faisait en sorte
qu'il avait une souffrance, là, particulière vraiment importante, là, qui était
présente, là. Donc, c'est sûr que je pense qu'il était prêt à tolérer cette
souffrance-là pendant quelques mois parce qu'il avait quand même... comme il
était en début de maladie, là, il avait une qualité de vie qui pouvait être
préservée encore pendant un certain temps, mais il n'était pas prêt à prendre
la chance, parce que la loi, elle est comme elle est actuellement puis elle
refuse, là, les demandes anticipées, donc.
M. Marissal : Merci. Reste-t-il du
temps, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Non, M. le député de Rosemont, malheureusement. Je vais
devoir passer la parole maintenant à Mme la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui. Merci
beaucoup. Très intéressant de pouvoir bénéficier de toute votre science. Vous
êtes vraiment au coeur de plusieurs des enjeux qui nous occupent. Vous avez
vraiment focussé votre présentation sur la question de l'évaluation de
l'aptitude. Je pense que c'était très clair, votre rôle est essentiel.
Moi, j'aimerais vous amener, vu vos expertises,
aussi sur la question de l'évaluation de la souffrance. Donc, dans le cadre
d'une demande anticipée, quand on est face à une personne qui n'a plus, donc, sa
pleine aptitude pour nous exprimer avec des mots ce qu'elle ressent comme
souffrance, quels sont les outils qui existent pour évaluer cette souffrance-là
chez la personne qui est inapte et qui peut être dans des stades, là, très
avancés de la maladie... de maladies, différentes formes de maladies, là,
neurodégénératives?
• (11 h 40) •
Mme Bertrand
(Josie-Anne) : Oui. Bien, en fait, j'ai quand même suivi plusieurs
discussions, là, de la commission à ce sujet-là. Je sais que c'est un débat
particulier. Mon opinion personnelle est que c'est très difficile d'évaluer la souffrance. Rendu à un stade
d'inaptitude, il y a plusieurs limitations. C'est très fluctuant, l'état des
gens. Donc, un instant, ils peuvent être en
crise, puis l'instant... être très heureux. Donc, à mon avis, plus la maladie
avance, plus c'est rendu presque impossible de l'évaluer. Surtout qu'il y a des
troubles communicationnels. Donc, souvent, le langage va être très diminué, ils
ne pourront pas le partager. C'est sûr que l'équipe médicale peut peut-être
avoir une impression de la souffrance en lien avec, bon, les crises, on appelle
ça les SCPD, les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence,
mais...
En même temps, là, je pense... votre question,
là, je ne sais pas si elle est orientée vers, plus, le volet... la fameuse
démence heureuse, hein, qu'on entend beaucoup parler. Pour répondre à votre question,
bien, la démence heureuse, à mon avis, elle peut quand même exister. J'en ai vu
dans ma carrière, j'ai côtoyé des patients avec des démences heureuses. Maintenant,
est-ce qu'ils sont vraiment heureux ou pas, là? C'est plutôt impossible à
déterminer, à mon avis.
Puis le gros
sujet à débat, c'est : Bien, est-ce qu'on pourrait, par exemple, administrer l'aide médicale à
mourir chez un patient qui finalement est assez heureux dans son état
démentiel? Eh bien, à mon avis, là, cette question-là, elle fait partie de l'évaluation
du patient. Elle fait partie du processus initial où, d'une manière anticipée,
on devrait le présenter au patient, tout comme on lui présente ce pronostic en
lui disant : Bien, ce serait à quel stade, vous, vous voudriez avoir l'aide
médicale à mourir? Puis, advenant que, bien, le scénario a, qui est le scénario
typique, ne survienne pas puis que vous étiez plutôt dans un scénario où vous
êtes très heureux, eh bien, qu'est-ce que vous voudriez qu'on fasse? Est-ce que
vous voudriez quand même avoir l'aide médicale à mourir ou pas? C'est à eux. Ça
fait partie de l'autodétermination aussi de la personne. Il y en a peut-être
qui vont considérer ça en disant : Ah! bien, c'est vrai que si, finalement, je suis très heureux, je n'exprime pas de
souffrance, ça paraît... je vis bien, bien, peut-être que je ne voudrais
pas l'avoir, finalement, l'aide médicale à mourir. Je pense que ça, ça fait
partie de la décision de chacun. Et puis, concrètement, on devrait, là,
demander au patient, puis ça devrait être à chacun de décider qu'est-ce qu'ils
veulent à ce moment-là. Donc, c'est... Là, je ne sais pas si j'ai bien répondu
à votre question.
Mme
Hivon : Oui, tout
à fait, vous avez très bien répondu. Puis j'aimerais vous amener... Vu que vous
côtoyez beaucoup de ces gens-là qui ont des maladies neurocognitives, est-ce
que vous diriez que leur perspective par rapport à leur maladie évolue dans le
temps? Donc, au début, ils ont le choc. Là, ils s'imaginent tout de suite que ça va être atroce. Ils ont vu leur mère ou leur
tante vivre ça, et donc c'est vraiment le choc comme une tonne de
briques. Et donc ils s'imaginent le pire et à quel point ils vont être un
fardeau, à quel point ça va être épouvantable, qu'ils vont tout perdre. Et
est-ce qu'il y a une évolution, dans la maladie, de leur propre perspective,
quand peut-être que, là, l'aptitude devient plus fluctuante, où ils voient
qu'ils ont encore des moments de qualité? Je ne sais pas.
Mme Bertrand (Josie-Anne) : En fait,
je dirais que c'est très variable d'une personne à l'autre puis en fonction des
démences, mais une caractéristique principale, c'est la perte de l'autocritique
avec l'évolution de la maladie. Donc, plus souvent qu'autrement, c'est comme
s'ils oubliaient les difficultés qu'ils ont au quotidien, donc ils sont moins
confrontés à ça. Ils peuvent avoir une émotion quand ils se rendent compte
qu'ils sont perdus, ils sont confus, mais après ils oublient pourquoi ils ont
cette émotion-là. Donc, je dirais que leur impression, en fait, l'aspect plus
catastrophique de la maladie... puis juste de savoir qu'ils ont une maladie,
bien, ça, ça disparaît avec le temps, là. Mais ça ne veut pas dire qu'ils
acceptent mieux la maladie, c'est simplement parce qu'ils n'ont plus conscience
qu'ils ont cette maladie-là. Donc, oui, ça évolue.
Je vous dirais aussi qu'au moment du diagnostic,
mon expérience personnelle — c'est
sûr que moi, je suis en spécialité, donc c'est un petit peu... ça prend plus de
temps avant que les patients arrivent dans mon bureau puis qu'on leur donne le
diagnostic — il
y a un processus de deuil qui est déjà enclenché, là. C'est assez rare que,
lorsque je donne un diagnostic, là, que j'annonce, à la fin, là, ça correspond
à tel profil ou tel profil, qu'ils s'effondrent parce que ça fait déjà
plusieurs mois qu'ils vivent avec des difficultés. Il y a eu un certain
processus qui s'est fait, ils ont été
consulter, ils ont pris conscience qu'il y a quelque chose. Puis même, plus
souvent qu'autrement, ils sont soulagés qu'on leur dise : Bien,
voici ce qu'il en est, enfin, puis on va prendre le temps d'en discuter pour
savoir qu'est-ce qu'on peut faire avec ça
puis qu'est-ce qui va arriver, là, dans le futur. Donc, ce n'est pas tant
catastrophique au moment du diagnostic. Je pense qu'il y a un processus
qui se fait en cours de route, là.
Mme
Hivon : Merci
beaucoup.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : C'est maintenant au gouvernement d'avoir le temps de parole.
J'aimerais avoir le temps qu'il reste pour le gouvernement afin que je les
informe. Il reste 12 minutes pour le gouvernement. On commencera alors
avec la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Bonjour,
mesdames. Merci pour la belle représentation. Un débat existe concernant
la démence heureuse, à savoir si une personne atteinte de démence peut vivre un
état de béatitude ou si cela est simplement
un effet chimique de la dégénérescence de son cerveau. En cas de démence
heureuse, plusieurs personnes ont mentionné que l'aide médicale à mourir
ne devrait pas être administrée, même en présence d'une demande anticipée
faisant clairement... des volontés de la personne. Quel est votre avis sur la
question? Et, au plan cognitif, de quelle façon
pouvons-nous éclairer cet enjeu? Et j'aimerais vous entendre parler aussi sur
la dignité des personnes concernées.
Mme Bertrand
(Josie-Anne) : Oui. Bien, en fait, comme je l'ai dit un petit peu plus
tôt, je crois que ça devrait faire partie des clarifications qu'on fait au
moment où la demande est faite. Donc, de manière anticipée, on devrait
clarifier avec la personne qu'est-ce qu'elle souhaite dans le cas où elle se
retrouve dans un scénario de démence heureuse puis qu'on devrait respecter son
choix, à ce moment-là, à savoir, bien, même si elle est dans un état de démence heureuse, à tel stade, à tel
moment, elle souhaitait tout de même qu'on lui administre l'aide médicale à mourir, puis je pense que,
dans ce cadre-là, on devrait l'administrer.
Est-ce que la démence heureuse, là, existe
vraiment, là? Ça, je n'ai pas de réponse, là, à vous dire. J'en ai vu, mais aussi c'est des états qui peuvent fluctuer
dans le temps puis surtout avec l'évolution de la maladie, étant donné
que, souvent, là, il y a une très grande insécurité, là, qui se place parce
qu'ils deviennent mélangés, ils ne comprennent plus où est-ce qu'ils sont, qui
sont les gens qui les entourent. Donc, il y a de l'anxiété, il y a de la
dépression. Je lisais une étude, là, sortie... qui a été publiée ce matin,
justement, puis on parlait de 40 % des patients avec une démence qui ont
des symptômes dépressifs et anxieux, et ça, à différents stades de la maladie,
là. Donc, ça se maintient au fil de la maladie. Ce n'est pas parce qu'on évolue
que l'anxiété ou la dépression est moins présente. C'est quand même assez
fréquent, et puis ça peut fluctuer dans le temps. Donc, une démence heureuse
peut... qui se maintient, qui est constante,
je crois que ça, ça existe moins, c'est moins fréquent, mais, dans le cadre
de... par rapport à l'administration de l'aide médicale à mourir, je
pense que c'est quelque chose à déterminer au préalable avec la personne. Comme
ça, ça permettrait vraiment de mieux respecter sa dignité.
J'écoutais, hier, Dre Grou, de l'Ordre des
psychologues du Québec, qui parlait de la souffrance anticipée, hein? Lorsqu'on fait une demande anticipée, c'est
qu'on anticipe qu'à tel stade on serait en souffrance, mais c'est notre
souffrance actuelle qu'on vit. Bien, justement, ça, je pense que c'est en lien
avec la dignité. Puis, à mon avis, on devrait plus axer vers ce volet-là que de
mesurer la souffrance à tel stade de la personne pour voir est-ce qu'elle est
dans un état de souffrance qui nous dit que, oui, on devrait l'administrer ou
pas, mais plutôt de dire : Bien, cette perte de dignité là engendre une
souffrance chez la personne qui avait été anticipée au préalable, et on doit
respecter, donc, ses valeurs à ce moment-là. Je ne sais pas si je suis claire,
là...
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui,
merci. Merci beaucoup. Je vais laisser la place à un de mes collègues.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Oui. Je vais donc passer la parole au député de
Mégantic.
M. Jacques : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Dre Labelle. Bonjour, Dre Bertrand. Je vais continuer un
peu, là, sur le sujet de ma collègue, là, d'Abitibi. Bon, vous dites :
C'est la dignité qui compte. Donc, la dignité, pour chacun, c'est différent.
Donc, au stade 1, on s'entend, là, si on parle d'alzheimer, là, vous êtes
en gériatrie, Dre Bertrand, au stade 1,
la mémoire est là, et les oublis, en fait, des petits oublis... et, bon, ça
continue. Chaque personne est unique, chaque personne a ses convictions.
Donc, quelqu'un qui va vouloir recevoir l'aide médicale à mourir avec une
demande anticipée, parce que c'est ce que vous suggérez, à un niveau qui va
être d'incontinence, mettons, pour vous, est-ce que c'est acceptable? Bien, je
comprends que c'est acceptable, là, mais je veux juste vous entendre un petit
peu plus longuement là-dessus, là.
Mme Bertrand (Josie-Anne) : Oui. En
fait, je trouve ça... C'est selon les valeurs de la personne. La perte... La
dignité, là, c'est variable d'une personne à l'autre selon nos valeurs personnelles.
Puis ça m'amène peut-être à vous parler... J'ai
écouté la rencontre avec la fédération des sociétés Alzheimer, qui proposait,
là, de baliser en proposant le stade 6 comme étant le stade minimal où on
pourrait administrer l'aide médicale à mourir. Bien, c'est une proposition intéressante,
je comprends l'idée, par contre, je trouve que ça va un peu à l'encontre de l'autodétermination où, bien, il y a
des gens que c'est peut-être avant le stade 6 qu'ils trouveraient
ça intolérable, là, au niveau de leur dignité, puis qu'ils pourraient demander l'aide
médicale à mourir à ce moment-là. Est-ce qu'on va dire aux patients qui ont un
cancer terminal : Ah! bien, c'est juste un mois, quand votre espérance de
vie sera à un mois ou trois mois, bien là on pourra vous l'administrer? Non, on
n'a pas ces balises-là. Il y en a que c'est six mois, quand leur espérance
de vie est à six mois, un an. Donc, on laisse le choix à la personne,
selon sa souffrance, de le déterminer. Je pense qu'on devrait faire aussi ce
choix-là avec les patients qui présentent un trouble neurocognitif majeur.
D'autant plus que les stades de Reisberg, là,
dont on parle, bien, sont spécifiques à la maladie d'Alzheimer, hein? Et puis il
y a d'autres démences, il y a d'autres troubles neurocognitifs majeurs qui vont
évoluer de manière très différente et qui vont avoir des symptômes différents
qui, eux, peuvent engendrer une souffrance particulière chez la personne.
Je pense, par exemple, au cas de démence
sémantique. Donc, ça, c'est une maladie où la personne perd ses connaissances
du quotidien. Donc, graduellement, cette personne-là, un fruit, ça devient un
fruit, elle ne sait plus c'est quoi, une banane, une pomme, une orange. Un
animal devient un animal. Que ce soit une girafe, un chien, un chat, il n'y a
plus aucun attribut relié. Elle perd ses connaissances du quotidien. Et une des
caractéristiques de cette démence-là, c'est qu'ils en sont conscients, et ils
vivent une souffrance particulière. Puis les études démontrent que, parmi tous
les types de démence, ce sont ce type de démence là où les patients vont avoir
un désir de mort plus grand qu'avec les autres types de démence.
Donc, est-ce que, là, les stades de Reisberg
font du sens avec une balise de stade 6, alors que l'incontinence chez ce
patient-là ne fait aucun sens? C'est parce que ça peut arriver tellement
tardivement dans le cadre de cette maladie-là versus les autres symptômes. Je
pense qu'on ne peut pas baliser de cette manière-là, là, les... quand on peut administrer l'aide médicale à mourir. Je pense qu'on
doit vraiment y aller avec l'autonomie cognitive de la personne en lui
présentant quelle est l'évolution probable de sa maladie, les différents
symptômes, puis ce sera à la personne de choisir le moment auquel elle pense
que ce serait le temps pour le corps médical, là, de lui administrer l'aide
médicale à mourir.
• (11 h 50) •
M. Jacques : Parfait. Je reviens,
là, sur l'équipe interdisciplinaire. De un, qui fait partie de l'équipe
interdisciplinaire, mis à part les nouveaux psychologues? Après ça, qui
rencontre l'équipe interdisciplinaire : le patient, la famille, les
proches, les amis? On va jusqu'où? Et combien de membres autour de l'équipe?
C'est qui qui est là? Psychiatres? Bien, je vous laisse répondre un peu, là.
Mais vous voyez ça comment, puis par qui, puis combien de temps? Puis c'est un
peu autour de ça, là.
Mme Labelle (Véronique) : Je peux
peut-être répondre, en tout cas, puis ma collègue, là, pourra contribuer, si
jamais j'oublie, là, des éléments. En fait, je suis un petit peu... J'écoutais,
là, la présentation qu'il y a eu un petit peu plus tôt de Dr Laurent, qui
parlait de cette interdisciplinarité-là, puis il ne semblait pas mentionner,
là, justement, que ça prenait nécessairement un groupe d'experts très fixe,
tout ça. Je dois avouer qu'on est un peu de cet avis, c'est-à-dire que ça
pourra être à géométrie variable. Je pense que ce qui est essentiel, c'est de
s'assurer... Bon, évidemment, ça prend toujours une évaluation médicale, je
pense que c'est essentiel pour déterminer plusieurs aspects, notamment, là, des
critères qui existent déjà, là, dans la loi, des critères d'admissibilité.
Maintenant, un autre point qui est très
important, c'est de savoir si la personne, elle est apte ou non à prendre une
décision. Je pense qu'il y a certains cas, un peu comme Dr Laurent
expliquait, qui sont très, très clairs d'une personne qui est très, très, très
clairement inapte pour plein, plein de raisons, et il y a des motifs, des
moments où on va dire : Oh! là, on a un peu plus de doutes.
Je vous dirais, dans les moments où il y a un
doute... puis je vais vous donner un exemple, là, rapide. On a un collègue, là,
neuropsychologue qui a contribué à faire l'évaluation, justement, cognitive
d'un patient qui était très complexe, donc un patient qui avait eu de multiples
AVC, qui s'exprimait par quelques stéréotypies, là, c'était vraiment, là, très,
très, très particulier, donc un cas très complexe. Et, si le médecin, au
premier abord, s'était dit : Ah mon Dieu! Bien, le patient ne comprend pas
ce que je lui dis, et avait cessé là, ça aurait été problématique, à notre
avis, dans ce sens où, suite à l'évaluation... Là, dans ce contexte-là, ils se
sont dit : Bon, bien, O.K., ça nous prend un neuropsychologue pour évaluer
sa cognition, ça nous prend peut-être un orthophoniste pour s'assurer que les
moyens de communication sont adéquats. Donc, ça a été déterminé... Ce n'était
pas un regroupement qui existait déjà. Ça a été déterminé à la pièce, selon les
besoins de ce patient-là. Et une chance que ça a été fait, parce que cette
évaluation-là a été non seulement faite en équipe interdisciplinaire, mais la
famille a assisté aussi, parce que c'était important, pour les proches, de
s'assurer vraiment de quelles étaient les volontés de cette personne-là.
Et, suite à la rencontre, qui a été
essentiellement menée, là, par le neuropsychologue, notre collègue, ils se sont
rendu compte que, finalement, là, cette patiente-là, elle était tout à fait
apte à prendre des décisions. Oui, elle pouvait avoir l'air inapte au premier
abord parce qu'elle ne s'exprimait pas très bien, elle avait des difficultés,
aussi, au niveau de la compréhension, là, qui présentait une aphasie, qu'on
appelle, mais, suite à cette rencontre-là, parce qu'il y a eu une concertation
puis on s'est dit : Bon, O.K., bien là, ça prend... pour vraiment
s'assurer de l'aptitude, on est allé chercher à la pièce ce qui nécessitait
selon les besoins de la patiente, et puis, dans ce contexte-là, bien,
finalement, ils se sont rendu compte que la personne était apte. Et aujourd'hui
elle a eu l'aide médicale à mourir, et la famille était tout à fait d'accord,
était très contente, en fait, d'avoir pu assister à ça, parce qu'effectivement
elle se questionnait à savoir si leur mère
était apte ou non à prendre la décision. Puis ça a été vraiment une décision
concertée.
M. Jacques : Parfait. Aïe! Il reste
quelques secondes. Demande médicale anticipée avant la maladie ou un coup que
la maladie est diagnostiquée?
Mme Bertrand (Josie-Anne) : On n'a
pas de position officielle là-dessus, mais je crois qu'avant la maladie il
pourrait y avoir un certain avantage, parce que le diagnostic, des fois, peut
prendre plusieurs mois — et
même années — avant
qu'il soit posé. La personne continue à se détériorer. Il y a des patients
qu'on évalue, que... finalement, ils sont déjà inaptes au moment du diagnostic.
Donc, ils ont perdu, là, l'opportunité, si c'est une opportunité, là, on se comprend, donc, de pouvoir demander l'aide médicale à mourir. Si on pouvait le faire de manière
anticipée, comme une directive médicale anticipée, par exemple, je crois qu'on
pourrait, à ce moment-là, éviter, là, cette problématique-là, de perte
d'aptitude au moment du diagnostic.
On tolère, dans la société, que, bien, si j'ai
un accident de voiture, que j'ai besoin d'être réanimée, d'avance, je pourrais
dire que je ne le veux pas parce que je peux avoir des séquelles. Mais, si je
ne sais pas comment je me sentirais au moment où on m'a réanimée, j'ai des
séquelles, peut-être que je pourrais avoir une vie heureuse, mais, au
préalable, je peux déjà me projeter puis dire que je ne veux pas ça dans mon
quotidien.
Alors, je trouve qu'il y a un parallèle assez
étroit à faire, aussi, dans le cadre d'une maladie... d'un trouble neurocognitif majeur, à se dire : Bien, je
suis capable de me projeter dans le futur, de savoir que, si j'ai ce
diagnostic-là, bien, je ne veux pas évoluer de telle manière, puis je
peux le faire au moment où je suis totalement apte et que j'ai toute ma tête,
même si je n'ai pas encore reçu le diagnostic puis je ne sais pas comment je me
sentirais au moment du diagnostic...
M. Jacques : Bien, merci beaucoup,
mesdames.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie. Je vais devoir vous demander
si vous acceptez, s'il y a consentement, pour poursuivre, là, au-delà de
l'heure prévue, à 12 h 5, parce qu'on va dépasser de quelques
minutes.17915 Oui? Ça va? Merci.
Donc, je passe maintenant la parole à la députée
de Mille-Îles.
Mme
Charbonneau :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, mesdames. Merci de nous guider, mais merci
d'avoir suivi les présentations aussi au préalable, puisque je vous avoue
qu'hier on buvait les paroles du Dre Grou dans sa conception puis dans sa façon
de nous vulgariser le dossier.
Je comprends bien que votre mémoire, puis je
vais reprendre les mots de mon collègue, là, il est «short and sweet». Trois
pages, c'est assez court pour nous donner une opinion très importante, c'est-à-dire
votre participation dans un principe d'évaluation.
Ma première question va être simple et se répond
par un oui ou par un non : Est-ce que vous êtes accessibles partout au
Québec?
Mme Bertrand (Josie-Anne) : Oui. En
fait, c'est sûr qu'on est une denrée un peu rare, on ne va pas nier. Mettons
que les... On n'a pas les tout derniers chiffres du nombre de neuropsychologues
au Québec, mais on devrait être autour de 1 000 en tout, et, dans les
différentes régions du Québec, on peut en retrouver. C'est sûr que c'est un
enjeu auquel on a réfléchi, et ce qu'on proposait à l'association, c'est qu'il
y ait un neuropsychologue par CIUSSS ou CISSS qui devrait être nommé, que ce
soit sur un GIS ou dans, vraiment, là, le territoire pour répondre ou pour être
en soutien aux neuropsychologues dans les milieux hospitaliers qui pourraient
recevoir ce type de demandes là.
On a sondé nos membres pour savoir si c'était
accepté de manière générale, et 95 % de nos membres se sont montrés
positifs, là, à cette idée-là, prêts à participer. Puis l'association, aussi, a
comme objectif d'offrir beaucoup de formations,
de soutenir les membres. Donc, à notre avis, là, c'est très faisable. Puis on
ne croit pas qu'il pourrait y avoir des difficultés d'accès aux services
à travers le Québec.
Mme
Charbonneau : Merci. Je compléterais en disant : Puisque,
depuis un an et demi, on vit des expériences complètement hors du
commun, la pandémie oblige, cette relation-là, d'ailleurs, où on se rencontre à
travers un écran d'ordinateur, est-ce qu'il
est plausible d'imaginer, puis je le dis avec beaucoup de tristesse, mais je le
dis pareil, est-ce qu'il est plausible d'imaginer une participation à
distance de quelqu'un de votre spécialité dans un comité?
J'ai toujours en tête, quand je pose cette
question-là, un peu, les Îles-de-la-Madeleine, parce que la facilité de s'y
rendre, elle n'est pas toujours évidente. Je pense au temps d'hiver où les
avions ne se déposent pas au même rythme qu'on aimerait le temps d'été. Est-ce
que ce n'est pas plausible d'imaginer une participation, via Internet ou via la
technologie, à un comité pour explorer la demande d'un patient?
• (12 heures) •
Mme Bertrand (Josie-Anne) : Oui,
bien, en fait, c'est sûr que l'idéal, c'est de faire l'évaluation en personne, mais
la téléneuropsychologie s'est beaucoup développée au fil des derniers mois avec
la pandémie, puis finalement c'est une possibilité, là, c'est très accessible.
Mme
Charbonneau :
Parfait. Merci. Parce que d'implanter dans la loi que vous participiez, sachez
que c'est la volonté aussi de savoir que vous êtes capables de participer,
parce que sinon on crée un peu une injustice à travers le Québec.
Vous avez adressé l'autodétermination. Plusieurs
groupes nous ont parlé de différentes façons de regarder l'autodétermination,
mais la participation d'une tierce partie qui pourrait... À partir du moment où
un patient a dit : Bien, moi, rendu à ce stade-là, j'aimerais ça qu'on
applique ma détermination de l'aide médicale à mourir, mais qu'à travers la loi
on permet qu'une tierce personne vienne valider, au moment où le diagnostic
arrive, où le patient l'a perçu comme une volonté, vous le concevez comment?
Est-ce que vous avez une opinion sur cet aspect-là?
Mme Bertrand (Josie-Anne) : Oui.
Bien, en fait, je trouve que l'idée, elle est bonne. Je pense que le proche,
souvent, que la personne a nommé, c'est une personne qui connaît le patient,
qui va pouvoir l'accompagner. C'est sûr qu'il y a beaucoup de cas où il n'y a
pas de proche, surtout quand on regarde, des fois, une personne plus âgée... où
les gens qui sont dans leur environnement sont décédés aussi. Donc, des fois,
ça peut être peut-être une embûche. Par contre, je trouve que c'est un bon
moyen de protection de la personne, d'avoir quelqu'un qui va veiller sur elle
puis veiller à ce que ses souhaits soient exaucés, là, au moment venu. Donc, je
pense que c'est une bonne idée, là.
Mme
Charbonneau : Ma
dernière question, puis après ça je laisserai du temps à mes collègues, ma
dernière question est plus sur le principe des dérives. Vous ne l'adressez pas
beaucoup. Vous avez par contre ouvert quelques parenthèses dans des
explications tantôt, en disant : Bien, si la personne fait de
l'autophagie, si elle a de la difficulté à s'exprimer, il y a peut-être une
dérive possible d'adresser ou de... «adresser», c'est en anglais, mais de
répondre à un patient par la positive ou par la négative sans savoir exactement.
Mais y a-t-il d'autres dérives que vous y voyez par rapport à soit la
non-participation des gens que vous représentez ou par la réponse qu'on peut
donner à des patients comme tels?
Mme Labelle (Véronique) : Bien, en
fait, je pense qu'au coeur, là, de tout ce débat-là, je pense que ce qui est le
plus important, à notre avis, là, c'est vraiment l'aptitude du patient. Je
pense qu'à partir du moment où on est en mesure de bien
évaluer l'aptitude du patient, comme on disait un petit peu plus tôt, je pense
qu'il va y avoir, là, une implication de plusieurs types de professionnels à
travailler ensemble justement pour qu'il y ait une concertation.
Puis d'ailleurs c'est déjà ce qui se fait un
petit peu au niveau de l'évaluation de l'aptitude, par exemple, quand on évalue
des patients à savoir s'ils sont aptes à gérer leurs biens, par exemple, ou à
gérer leur propre personne, ou même à consentir à un soin comme l'hébergement, ou
des choses comme ça. D'une part, la famille est toujours impliquée, lorsqu'elle
est bienveillante, évidemment, là, mais, quand elle est bienveillante, elle est
systématiquement impliquée, et il y a toujours plusieurs professionnels qui
gravitent. C'est déjà comme ça que ça se fait, les évaluations d'aptitude à
consentir.
Donc, je vous dirais que là où on se... où nous,
on essaie de marteler un peu le message, c'est que si l'évaluation de
l'aptitude, elle est bien faite, et que l'équipe est convaincue, au terme de
cette évaluation-là, que la personne, elle est apte à prendre une décision, je
pense que ça, c'est un très bon garde-fou, c'est vraiment quelque chose qui va
nous permettre... Parce que si la personne, effectivement, elle est apte à
prendre cette décision-là, qui sommes-nous, en fait, un peu, pour dire que
cette personne-là n'aurait pas accès à un soin comme l'aide médicale à mourir,
par exemple? Donc, je pense que c'est en soi un gage de sécurité, d'avoir cette
évaluation-là.
Évidemment, comme j'expliquais un petit peu plus
tôt, je ne pense pas que c'est quelque chose qui puisse se faire par un seul
professionnel. Peut-être qu'il y a des cas où c'est très, très, très simple,
mais il faut se méfier. Je pense, entre autres, avec le cas que j'expliquais un
petit peu plus tôt de la dame qui avait eu des multiples AVC, qui était
aphasique, au premier abord, on rentre dans la chambre, on regarde la patiente,
on essaie de lui parler, elle ne nous répond pas trop, bon, bien, on peut
facilement conclure que cette personne-là est inapte. Et je pense qu'il va
falloir se permettre d'aller un pas plus loin puis d'impliquer, là, les gens
qui ont cette expertise-là.
Mme
Charbonneau : Mme
la Présidente, j'ai menti, j'en ai une dernière, parce que je ne l'ai pas
entendu, je m'en excuse. J'étire un peu ma question, puis peut-être que vous
n'avez pas à vous prononcer, mais par rapport à la santé mentale, on se pose la
question sur l'aptitude, mais sur la santé mentale des gens, vous avez une
opinion?
Mme Labelle (Véronique) : Bien, en
fait, moi, comme j'expliquais un petit peu plus tôt, là, je suis vraiment
spécialisée en psychiatrie, je travaille seulement avec des patients, là, qui
ont des pathologies, là, psychiatriques. Puis je
vous dirais, bien souvent, ces personnes-là, on a tendance à croire, à tort,
qu'elles sont inaptes parce qu'elles ont un diagnostic, par exemple, de schizophrénie ou de maladie bipolaire. Et
pour moi, ça, c'est une grande erreur parce que ce n'est pas parce qu'on a un trouble de santé
mentale qui est important que ça veut nécessairement dire qu'on est
inapte.
Selon nous, puis c'est un avis personnel aussi,
parce que je côtoie ces patients-là à tous les jours, mais, je vous dirais, ce
n'est pas le diagnostic qui devrait faire foi de l'accessibilité ou non, ça
devrait systématiquement être l'aptitude. Le
diagnostic, je vous dirais... Par exemple, un patient qui est atteint, là, d'un
cancer cérébral peut être inapte même s'il a seulement une maladie
physique, parce qu'il a développé des hallucinations, parce qu'il a développé
des troubles cognitifs. Mais l'inverse est vrai aussi. En psychiatrie, nos
patients, oui, c'est vrai qu'ils ont des troubles cognitifs, mais un peu à la
lumière, là, de l'exemple, là, de ma collègue, un petit peu plus tôt, qui
parlait de son patient, là, qui a demandé l'aide médicale à mourir, ils ont
parfois des troubles cognitifs, mais est-ce que ces troubles cognitifs là sont
suffisamment importants et touchent des fonctions cognitives qui sont
essentielles à une prise de décision? Si la réponse est oui, on a la réponse à
notre question. Si la réponse est non, bien, dans ce cas-là, c'est important de
bien pouvoir l'évaluer.
Mme
Charbonneau :
Merci beaucoup, mesdames.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vais maintenant passer la
parole au député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Mme Labelle et Mme Bertrand, pour vos
interventions. Je crois qu'il ne me reste pas beaucoup de temps, alors je vais
juste demander une précision très claire. Quand on parle de troubles de santé
mentale et pas juste en termes... la question de l'aptitude, mais les critères
de base, est-ce qu'on élargit, de votre avis, l'accès possible à l'aide
médicale à mourir aux gens qui souffrent de troubles graves, mentaux?
Mme Labelle (Véronique) : Moi, je
pense que ça devrait, je pense que ça devrait non seulement... Bon, évidemment,
c'est sûr que ce serait considéré probablement comme une injustice, là, au plan
légal, là, de ne pas le faire. Mais je pense
que la logique derrière tout ça, c'est toujours de se dire : Parce qu'on a
un trouble de santé mentale, est-ce qu'on est nécessairement inapte?
Est-ce qu'on est capable d'avoir ces capacités d'autodétermination même si, par
exemple, on présente une dépression réfractaire ou on présente une maladie
bipolaire, par exemple?
Donc, je pense que toute la question tourne
autour de l'aptitude, c'est inévitable, à notre sens. Parce que, si on a une
maladie mentale, bien, qu'est-ce qui fait qu'on exclurait systématiquement la
personne, si la personne, elle est capable de faire preuve de raisonnement,
elle comprend bien, elle est capable de faire preuve de logique, de jugement,
malgré le fait qu'elle a peut-être des petits troubles de mémoire, mais elle
est quand même capable de bien comprendre le processus? Puis ça, c'est le rôle
du neuropsychologue beaucoup aussi, c'est... si, par exemple, on voit qu'un
patient a des difficultés de mémoire, bien, peut-être qu'on peut les
contourner, ces difficultés-là. Quand on fait le profil cognitif d'un patient,
on trouve toujours des forces et des faiblesses, et, je vous dirais, c'est
probablement la spécificité du rôle du neuropsychologue. C'est qu'en
connaissant bien les forces et les faiblesses on est parfois capable de
contourner ça et de faire en sorte que la personne, bien, en mettant des petits
trucs autour d'elle, puis en adaptant nos interventions, on peut rendre apte cette personne-là. Au
même sens qu'une personne aphasique, si on lui montre un tableau pour
nous répondre, on contourne son aphasie pour voir si les processus cognitifs
sont préservés.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie,
Dre Labelle, Dre Bertrand, pour votre apport scientifique et
clinique à cette commission.
Donc, je vais suspendre les travaux jusqu'à
13 h 15. Je vous remercie encore.
(Suspension de la séance à 12 h 09)
(Reprise à 13 h 16)
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Alors, la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi
concernant les soins de fin de vie reprend ses travaux. La commission est
réunie virtuellement afin de poursuivre les consultations particulières et les
auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de
vie.
Cet après-midi, nous entendrons les groupes
suivants : l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la
dignité, la Pre Isabelle Dumont, le Collectif des médecins contre
l'euthanasie, et le Pr Thomas De Koninck.
Je souhaite donc d'entrée de jeu la bienvenue au
représentant de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la
dignité, M. L'Espérance. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter puis à commencer votre exposé. À vous la parole.
Association québécoise pour le droit
de mourir dans la dignité (AQDMD)
M. L'Espérance (Georges) : Merci,
Mme la Présidente. Alors, mon nom est Georges L'Espérance, je suis président de
l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Mmes et MM.
les députés de l'Assemblée nationale, je tiens d'abord à vous remercier pour la
tenue de cette commission et votre engagement envers vos concitoyens.
Je suis donc président de l'Association
québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, et nous vous avons soumis
un mémoire. Les commentaires qui suivent sont marqués au sceau de principes qui
doivent guider toutes les discussions d'autodétermination de la personne, le
respect des volontés émises et des valeurs exprimées et la dignité dans le
vivre et dans le mourir.
Nos suggestions sont issues des nombreuses
questions qui nous sont soumises en tant qu'organisme communautaire, d'ailleurs
subventionné depuis près d'un an par une généreuse contribution du Secrétariat
à l'action communautaire autonome et aux initiatives sociales. À titre de
président, mon propos est aussi marqué par ma propre expérience comme
neurochirurgien — maintenant
retraité — et
comme médecin prestataire actif de l'aide médicale à mourir.
J'aborderai
ici essentiellement les deux sujets au coeur de votre mandat, à savoir les
maladies neurodégénératives cognitives et les problématiques de troubles
mentaux. Considérant aussi les questions que vous soulevez dans votre document
de consultation, j'émettrai quelques commentaires sur les points
suivants : Les personnes victimes d'un accident soudain et les personnes
qui n'ont jamais été considérées comme aptes à consentir à leurs soins. Enfin,
je ferai quelques remarques sur d'autres enjeux décrits dans notre mémoire, et
en lien avec l'accessibilité.
Premier sujet : les pathologies
neurodégénératives cognitives qui sont des pathologies physiques, où
l'expression de la maladie se fait dans la sphère cognitive. Il ne s'agit donc
pas de pathologies de santé mentale au sens médical. Toute personne apte qui
s'est fait donner un diagnostic de maladie neurodégénérative cognitive de type
Alzheimer devrait pouvoir indiquer dans ses directives médicales anticipées
qu'elle désire obtenir l'aide médicale à mourir au moment où elle le jugera
pertinent pour elle-même par des critères prédéterminés et quel que soit son
état cognitif au moment de la mise en oeuvre du soin.
Au Québec, le comité d'experts mandaté par le
ministère de la Santé et des Services sociaux a déposé son rapport en octobre
2019 et a fait l'objet d'un consensus quasi unanime au Québec lors d'un forum
sur le sujet, le 27 janvier 2020. Nous y étions et avons pu constater que
19 tables de travail sur 20 étaient d'accord avec les propositions
avancées par le comité d'experts. Vous avez ce rapport entre vos mains et vous
avez entendu ses signataires. Tout comme le Dr Judes Poirier, que vous avez
aussi entendu, la position de l'association est que l'aide médicale à mourir doit
être rapidement élargie à ces patients, bien sûr avec des balises claires qui
sont déjà en bonne partie élaborées et reflètent des axes bien déterminés, à
savoir un diagnostic formel de démence confirmée, l'aptitude de la personne au
moment de ses choix par ses directives médicales anticipées et le choix par la
personne du moment où sa volonté d'aide médicale à mourir sera mise en branle
par son mandataire.
J'ajoute que j'appuie complètement le Dr Poirier
dans sa négation de ce que certains nomment une démence heureuse, concept que
je réfute aussi avec force et pour l'avoir vécu aussi comme neurochirurgien.
Pour répondre à votre questionnement, nous sommes d'avis que la demande d'aide
médicale à mourir par directives médicales anticipées soit exécutoire et
contraignante pour le personnel soignant, mais sans qu'il y ait un caractère
d'urgence. Cette disposition temporelle permettra à l'équipe traitante de bien
évaluer l'adéquation entre les directives médicales anticipées telles que
rapportées par le mandataire et la situation clinique du patient.
Deuxième point : les
problématiques de santé mentale. Les troubles de santé mentale amènent des
souffrances réelles, et l'exclusion est discriminatoire et ne peut que conduire
à des contestations juridiques, processus lourd et inacceptable pour les
patients touchés. En accord avec le rapport de l'association des psychiatres du
Québec, l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité
réitère qu'il est nécessaire d'élaborer des critères cliniques avec des experts de divers horizons, et ainsi donner un accès
ciblé à ces personnes. Plusieurs questions se posent, et vous les
trouverez dans notre mémoire.
• (13 h 20) •
Troisième
sujet, brièvement, les troubles neurodéveloppementaux. Le conseil d'administration
de l'association ne se reconnaît aucune compétence pour discuter de la
question des troubles neurodéveloppementaux, tel l'autisme. Nous laissons cette
interrogation particulièrement difficile et délicate aux experts en ce domaine.
Quatrième aspect, les
personnes victimes d'un accident soudain et inattendu qui entraîne des
séquelles graves. Cette question
complémentaire a été soulevée dans votre document de réflexion et des citoyens
nous l'ont posée. Je parlerai ici en tant que neurochirurgien. Les
personnes qui subissent une lésion cérébrale primaire ou secondaire mais qui gardent leur aptitude suite au traitement
peuvent bien évidemment décider pour elles-mêmes la suite des soins qu'elles désirent. De l'autre côté, les personnes
cérébrolésées qui n'ont plus leur aptitude sont devant deux
alternatives, soit elles ont écrit leurs directives médicales anticipées,
auquel cas les soignants ont l'obligation de s'y référer, soit que les
directives médicales anticipées n'ont pas été explicitées, auquel cas on se
retrouve dans le cadre clinique habituel. Les proches sont informés par le
personnel soignant de l'état du patient, de son pronostic, et une décision
d'arrêt de traitement est prise en toute transparence, en évitant l'acharnement
thérapeutique. Sauf dans de rares cas, en effet, ou encore dans des cas au-delà
de toute ressource thérapeutique raisonnable, le pronostic d'une lésion
cérébrale est très difficile à évaluer dans les premières heures ou même les
premiers jours et semaines initiaux.
J'ajoute
qu'il est illogique de se décider a priori d'obtenir l'aide médicale à mourir
alors qu'une personne est en bonne
santé. On ne peut décider de notre position devant des choix thérapeutiques
qu'une fois que l'on a une pathologie identifiée,
que les alternatives thérapeutiques nous sont offertes, que le choix et le
consentement sont éclairés, c'est-à-dire bien expliqués et bien compris, que le pronostic est discuté. Nul ne
sait à l'avance comment il réagira devant la maladie.
En conséquence, la
position de l'association avec le choix de l'aide médicale à mourir se doit
d'être réservée, pour l'instant, aux personnes qui ont l'aptitude à décider
pour elles-mêmes et lorsqu'un diagnostic a été établi, ce qui, d'emblée, inclut les personnes qui reçoivent
un diagnostic de maladie neurodégénérative cognitive dont la finalité
est connue, mais exclut aussi toutes les personnes en bonne santé qui feraient
une demande d'aide médicale à mourir au cas où il leur arriverait un événement
neurologique.
Dernier point, les
personnes qui n'ont jamais été considérées comme aptes à consentir à leurs
soins, donc celles qui ont une déficience
intellectuelle profonde. Pour notre part, nous considérons que l'aide médicale
à mourir ne peut être une alternative raisonnable dans une société
égalitaire et altruiste. Nous sommes d'avis qu'à moins d'une certitude absolue
sur l'aptitude décisionnelle du demandeur, il vaut mieux s'abstenir d'ouvrir
cette voie et ainsi garder un interdit complet sur cette question, quitte à y
revenir dans le futur s'il y a des expériences convaincantes en d'autres
juridictions.
Je termine avec quelques commentaires
supplémentaires sur l'accessibilité. Premièrement, à des fins d'harmonisation
avec la loi fédérale, que les infirmiers,
infirmières, praticiens, praticiennes spécialisés, les IPS, soient autorisés à
évaluer les demandeurs et à prodiguer l'aide médicale à mourir comme ailleurs,
au Canada.
Deuxièmement,
toujours à des fins d'harmonisation, que le critère de maladie de
l'article 26 de la Loi sur les soins de
fin de vie soit dès maintenant modifié pour être harmonisé avec les critères
fédéraux, eux-mêmes respectueux des critères énoncés par la Cour
suprême, c'est-à-dire maladie, handicap ou affection. La situation actuelle
crée un malaise chez les médecins au Québec, les médecins prestataires en
particulier, en raison de l'interprétation étroite que fait de ce critère la
Commission des soins de fin de vie et la menace qu'elle fait indûment peser sur
ces mêmes médecins, diminuant ainsi une accessibilité par ailleurs reconnue
dans le reste du Canada. Un développement particulier concernant les personnes
avec handicap vous a été soumis dans notre mémoire.
Troisième point, les
mineurs matures. Même si nous sommes bien conscients qu'il y a ici un écueil
avec le Code criminel, l'association est d'avis que l'aide médicale à mourir
doit être étendue aux mineurs matures de 14 à 18 ans qui ont des
pathologies incurables et qui représentent, fort heureusement, un très faible
pourcentage de cas. Nous sommes aussi d'avis que pour les mineurs, les
problématiques de santé mentale doivent être explicitement exclues. Nous suggérons que le gouvernement du
Québec mette rapidement sur pied un comité d'experts en pédiatrie pour
produire des recommandations qui auront la sensibilité du Québec en s'appuyant
sur le document fouillé du groupe de travail
sur l'aide médicale à mourir pour les mineurs matures et sur demande du Conseil
des académies canadiennes.
Enfin, l'aide
médicale à mourir est un acte médical. En tant que tel, l'évaluation de la
qualité de l'acte relève des autorités médicales, soit le conseil des médecins,
dentistes et pharmaciens, des divers CIUSSS et CISSS et, ultimement, du Collège des médecins du Québec.
Nous demandons donc une modification du statut de la Commission des soins de fin de vie. Et les CMDP reçoivent
déjà tous les formulaires d'aide médicale à mourir qui ont été complétés
ou avortés pour diverses raisons. Le médecin qui offre le soin est donc évalué
par ses pairs et il pourrait en être de même pour les IPS.
L'association et
moi-même, nous vous remercions pour votre attention, et je suis disponible pour
répondre, bien sûr, à toutes vos questions.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie pour cette synthèse, dans le
temps imparti, on doit le dire. Donc, à
partir de maintenant, nous passons à la période d'échange avec les membres de
la commission pour une période de 35 minutes. On va débuter avec
Mme la députée de Joliette.
Mme
Hivon :
Oui. Bonjour, Dr L'Espérance, heureuse de vous entendre.
M. L'Espérance (Georges) : Bonjour,
Mme Hivon.
Mme
Hivon : Écoutez,
vous faites une affirmation claire, limpide, qu'on n'a pas entendue de personne
jusqu'à maintenant. Dr Poirier, en ce qui concerne la démence heureuse,
disait qu'il avait de gros doutes à savoir que ça pouvait exister. Vous, vous
nous dites : Il n'y en a pas, de démence heureuse.
M. L'Espérance (Georges) : C'est
dans la perception de ceux qui regardent.
Mme
Hivon : Oui, tout
à fait. Donc, est-ce qu'en fait, ce que vous nous dites, c'est que toute
personne qui est dans une situation de pertes cognitives, qui a une maladie
neurocognitive dégénérative souffre du seul fait qu'elle a la maladie,
qu'importe l'évolution de sa maladie, qu'importe le stade de sa maladie?
M. L'Espérance (Georges) : Oui,
merci, Mme Hivon. Parce que j'ai écouté quelques autres présentations. Je pense que... Si vous me permettez quelques
secondes pour faire une distinction importante au plan physiologique...
La douleur, c'est une chose, et quand on... lorsque, souvent, les gens parlent
des critères pour l'aide médicale à mourir, ils entendent souvent le mot
«douleur». La douleur, c'est lorsque vous vous frappez le gros orteil sur votre
lit. C'est de la douleur. La souffrance, c'est un élément supplémentaire qui
vient avec la conscience. Si vous recevez un coup de poing, dans la rue, de
quelqu'un, bien, vous avez de la douleur là où on vous a donné un coup de
poing. Si c'est votre... un de vos parents, votre enfant qui vous donne un coup
de poing, bien, non seulement vous avez la douleur, mais vous avez la
souffrance, parce que vous vous dites : Pourquoi est-ce qu'il m'a donné un
coup de poing? La souffrance, c'est un élément qui demande la conscience. Les
patients qui sont comateux, et c'est pour ça que je vous dis que moi, j'en ai
l'expérience de par ma vie, les patients comateux vont ressentir de la douleur.
On a toutes sortes de moyens de leur faire ressentir de la douleur pour savoir
comment ils réagissent. Mais la souffrance, ça demande un élément de
conscience.
Or, lorsque l'on parle de démence heureuse, bien
sûr, le patient pourra ne pas présenter de signes de douleur, mais la
souffrance, on l'ignore. Il n'est pas capable de nous la transmettre, il n'est
pas capable de nous en informer. Ce qu'on sait de cette personne, c'est que,
lorsqu'elle avait toute sa conscience et toute sa cognition, elle disait :
Moi, je ne veux pas vivre dans un tel élément, dans une telle situation plus
tard. D'où la souffrance, non seulement psychologique, mais aussi beaucoup
existentielle. Et c'est pourquoi je fais très attention à ce diagnostic, de
bien différencier la douleur de la souffrance. Et la personne qui fait ses
directives médicales anticipées, alors qu'elle a pleinement conscience de sa
situation, dit : Moi, je ne veux pas vivre plus tard avec cet élément de
souffrance psychologique et existentielle.
Par ailleurs, comme vous a très bien dit,
d'ailleurs, le Dr Boisvert, mon ami le Dr Boisvert, on ignore complètement, ces
gens-là, quel est leur degré de souffrance existentielle ou psychologique. Cela
est vrai, mais on doit se baser sur ce qu'était la personne lorsqu'elle a fait
ses demandes. Et je ne peux pas répondre autre chose que ça, parce que la
perception de la démence heureuse, et là vous me pardonnerez, ça ne s'adresse
pas du tout à vous, on l'a entendu partout ailleurs, à mon avis, c'est un
oxymore, c'est un... On ne peut pas penser qu'une personne qui avait toute sa
conscience et qui, maintenant, décide... qui est devenue démente a encore les
mêmes perceptions qu'elle avait auparavant. C'est le propre de l'être humain
d'avoir une communication avec les autres, qu'elle... même si elle est minime,
cette communication.
• (13 h 30) •
Mme
Hivon : Mais
est-ce que... Là, je vais entrer plus dans la philosophie, là, j'avais question
très technique. Je vais aller avec la philosophique, puis la technique après,
mais est-ce que, si on part de cette prémisse-là, peut-être que ce n'est pas de
la démence heureuse, mais c'est de la démence pas malheureuse? Je ne le sais
pas. C'est une nuance, on se comprend. Mais, si on part de cette prémisse-là,
on tient donc pour acquis qu'on n'est soit pas capable de le savoir ou soit que
les personnes souffrent, et, dans un cas comme ça, c'est un peu, je dirais,
abdiquer l'évaluation ou la reconnaissance même qu'une personne qui a une
maladie d'Alzheimer, par exemple, dans certains stades qui peuvent être plus ou
moins avancés, n'a plus la même valeur, là, vous allez me permettre d'aller là,
parce que, dans le fond votre propos, c'est de dire : La personne qui
compte, c'est celle qui était apte. Quand elle n'est plus apte, en fait, son
jugement ou ce qu'on pourrait percevoir d'elle ne compte plus, il faut revenir
à la personne apte. Je vous suis en théorie, mais on nous dit aussi que tu
restes une personne pleine et entière, c'est juste qu'évidemment la maladie te
transforme. Mais tu peux devenir un autre toi dans cette maladie-là, et donc le
rapport d'expert, lui, disait quand même
qu'il fallait mesurer la présence de souffrance à ce moment-là pour
respecter le critère, sinon il faut changer le critère qui est dans la loi à
l'heure actuelle pour parler de souffrance anticipée. Donc, je veux juste être
sûre. Vous, vous... pour ça, vous vous éloignez un peu du rapport d'experts.
M. L'Espérance (Georges) : Un tout
petit peu. Mais j'ai lu toutes leurs recommandations, puis évidemment je n'ai
pas la... je n'ai pas toutes les compétences philosophiques, loin de là, des
gens qui ont signé le rapport. Mais, d'un strict point de vue médical ou
neurologique, j'ai beaucoup de difficulté... En tout cas... Disons-le plus clairement. Je ne peux pas accepter, moi, qu'une
personne qui est devenue démente, qu'on dise : Bien, c'est une
autre personne. Et là, je me dois de faire un parallèle avec ce qui m'a occupé
à peu près toute ma vie. Pensez au cas de Nancy Cruzan aux États-Unis, qui date
déjà depuis 30 ans, et au cas de Vincent Lambert en France, qui a été quadriplégique, enfin, qui a été végétatif pendant 10 à
12 ans de temps, et c'est toujours la réflexion que les gens qui veulent
garder ces patients-là en vie disent : Bien, il a l'air bien, il nous
sourit de temps en temps. Mas ce sont des gens qui n'ont plus aucun mécanisme
de communication, ce n'est pas la même personne qui était là avant. Et moi,
c'est sûr que ma... disons, ma réflexion est teintée par mes 30 ans de
neurochirurgie, et même plus, mais ce n'est plus la même personne. La personne qui a fait ses directives médicales anticipées,
c'est une personne qui avait une certaine... une idée certaine de sa
propre autonomie, de sa propre personne, de sa propre personnalité, et qui
dit : Non, moi, je ne veux pas vivre dans cet état-là parce que j'en ai vu
d'autres ou parce que je ne veux plus vivre dans cet état-là.
Et je fais un
parallèle qui est boiteux comme bien des parallèles, là, avec les testaments. Personne
ne contestera un testament sauf si vraiment le testament a été fait à la
dernière minute quand la personne était inapte, mais toute la société accepte
qu'un testament soit... ait été rédigé pendant que la personne était apte, même
si le testament dit qu'il donne toute sa fortune à son chat. On accepte tout ça
que la personne qui est en fin de vie n'est plus, si elle a des problèmes
cognitifs, n'est plus la personne qu'elle était avant.
Donc, je comprends,
et sincèrement je comprends, Mme Hivon, le questionnement qu'il y a là-dessus,
mais moi, c'est sûr que je suis teinté par ma profession-là. Mais, au-delà de
ça, je ne peux pas comprendre qu'on dise que la personne qui est devenue
démente est une personne différente, c'est sûr qu'elle est différente, mais une
personne qui changerait d'idée par rapport au moment où elle était apte et
comprenait toutes les implications de sa situation. Parce qu'elle a beau être
en démence heureuse, cachons-nous pas que, quelques mois après, elle va être en
position foetale dans le fond d'un lit à attendre la mort dans des conditions
que tout le monde juge indignes ou à peu près.
Mme
Hivon :
Mais, si la personne...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie... Excusez-moi, Mme la députée
de Joliette, on est passés de beaucoup le temps.
Donc, on va passer
aux membres du gouvernement avec la députée de Saint-François, s'il vous plaît.
Mme
Hébert :
Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr L'Espérance, c'est toujours
intéressant quand que nos intervenants nous
partagent leur expérience personnelle. Je le sais que vous dites que c'est
teinté, mais c'est intéressant de le savoir parce que vous avez vécu des
situations. Donc, ça teinte vos interventions, puis n'arrêtez pas, on aime ça.
Je veux juste savoir.
Vous avez parlé, puis j'ai beaucoup aimé parce que vous êtes le premier qui a
souligné ça qu'avec... pour la souffrance, ça prend la conscience. Donc, quand
il n'y a plus de conscience, bien, il n'y a pas nécessairement de souffrance,
mais il y a de la douleur.
M. L'Espérance
(Georges) : Exact.
Mme
Hébert :
J'ai beaucoup aimé ces deux rapports-là entre la souffrance et la douleur. Moi,
j'aimerais savoir... Il y en a qui parle de stades, quand on parle de maladie
neurodégénérative comme l'Alzheimer, il y en a qui vont parler de stades, il y
a 7 stades, là, surtout dans une catégorie. Alors, est-ce que vous croyez
qu'il y a des stades que la personne ne devrait pas avoir accès à l'aide
médicale à mourir? Est-ce qu'il y a des stades qui devraient être mieux renseignés pour dire : Bien, il y a
encore une certaine qualité de vie. Donc, tu sais, le stade 1, ça serait peut-être prématurément.
Est-ce qu'il y a des directives comme ça qui pourraient
être... pas des directives, mais des suggestions des médecins, là,
pour... peut-être, il y a d'autres stades que ça pourrait aller plus loin pour
permettre aussi à la famille, là... Donc...
M. L'Espérance
(Georges) : Oui, bien, je vais essayer d'être court. Je pense que vous
faites référence, entre autres, à la... au rapport de la société... des
sociétés d'Alzheimer qui indiquaient qu'eux autres devaient... ça devrait se
faire uniquement au stade 6. Moi, je ne peux pas être d'accord avec ça,
pour avoir fait probablement le premier cas d'Alzheimer après la nouvelle loi
au Québec, là... au fédéral, plutôt. Mais l'important, c'est la personne, c'est
l'autonomie de la personne et, en tout cas, je serais extrêmement surpris
qu'une personne qui se fait donner un diagnostic de stade 1 d'Alzheimer
décide, bon, bien, je suis à un stade 1, donc des tout petits troubles de
recherche de mots, sans plus, là, qui demande l'aide médicale à mourir. Par
contre, lorsqu'on arrive à un stade 3 ou 4, les gens ont encore toute leur
aptitude, dans la grande majorité des cas, sinon la totalité, en fait, et là,
ils savent très bien quel est leur pronostic, et c'est pour ça que pour nous,
pour l'association, il est clair que, un, un diagnostic doit être posé, et que,
deux, ce n'est pas tellement une question de stade ou de grade, mais c'est
vraiment une question de l'autonomie de la personne, et ça vous a été dit aussi
par un autre intervenant, et moi, je donne toujours l'exemple en
conférence : Chacun décidera pour lui-même. Si je veux l'aide médicale à
mourir lorsque je ne reconnaîtrai plus mes enfants ou mes petits-enfants, bon,
pour un, ça va être ça. Pour l'autre, ça va être une question de dignité pour
son hygiène personnelle. Chacun décidera pour lui-même. Mais de mettre un
stade, par exemple, de dire : pas avant le stade 6, moi, ça
m'apparaît contre l'autonomie de la personne, puis, surtout, je dirais, un
petit peu contre l'évolution très différenciée d'un patient et d'un autre. Mais
disons que si on veut... s'il fallait mettre des balises, je dirais que, enfin,
à mon avis, de ce que je connais de tous mes collègues, sur notre forum de
médecins, là, je serais bien surpris qu'un médecin accepte ça avant un
stade 4. Mais de toute façon, à un stade 4, les patients, ils sont
encore aptes, donc c'est le patient qui décide, en autant qu'il ait une maladie
incurable, ce qui est le cas, dans une maladie de type Alzheimer ou tout autre
d'ailleurs.
Mme
Hébert :
Parfait. Quand vous parlez de... la personne met ses critères, va avoir
probablement une rencontre avec son médecin, avec un membre de sa
famille, probablement qu'elle va nommer quelqu'un dans son entourage pour être
un mandataire, je pense que c'est ce que vous recommandez, est-ce que c'est le
mandataire qui va donner le moment où il faudrait se pencher à mettre en
application, là, le processus pour l'aide médicale à mourir, ou c'est vraiment
l'équipe médicale qui va souligner au mandataire, bon, bien, là, elle est
rendue là, moi, je remarque... Donc, pouvez-vous élaborer un petit peu?
M. L'Espérance
(Georges) : Oui. Bien, ça va être... Nous en avons parlé dans notre
mémoire, parce que vous avez soulevé cette question-là, et ma réponse, c'est
que, d'abord, il doit y avoir un mandataire. Je comprends qu'il peut parfois y
avoir des gens qui sont vraiment totalement isolés, mais le mandataire pourrait
être quelqu'un de l'équipe traitante qui est très proche de cette patiente-là
ou du patient. Je dis «patiente» parce que c'est beaucoup souvent des femmes en
raison de l'espérance de vie. Mais disons que le mandataire... la décision du
mandataire doit être, dans les termes que nous avons employés, exécutoire, mais
pas immédiatement, c'est-à-dire qu'il y a un élément temporel où l'équipe
traitante, puis je reprends aussi ce qui a déjà été dit par d'autres, ça ne se
fait pas tout seul entre un médecin puis le
patient, à moins d'avoir des cas très,
très particuliers, un cancer
métastatique, là, mais il y a toujours
une équipe en arrière, travailleur social, infirmier, infirmière, le médecin
traitant, la plupart du temps un médecin spécialiste, qu'il soit
neurologue ou psychiatre, dépendant des cas, etc. Il y a toujours toute une
équipe en arrière.
Et donc, moi, je...
nous croyons que la décision doit revenir au mandataire : Voici, Mmes, MM.
de l'équipe traitante, mon oncle, ma tante, mon père, ma soeur m'a dit qu'elle
arrivait à tel stade et voulait l'aide médicale à mourir, donc... mais
voulez-vous vous y pencher? Et là la décision sera prise par l'équipe multidisciplinaire,
mais en se donnant le temps, ça pourrait être une semaine, ça peut être
15 jours, ça peut être trois mois, il n'y a pas de limite temporelle,
mais, lorsque les gens de l'équipe seront d'accord sur le fait que le patient
est arrivé au stade où son mandataire le dit, bien, ils vont procéder, le
médecin procédera.
• (13 h 40) •
Mme
Hébert :
Parfait. Puis pour faire suite à ça, croyez-vous que ça doit être fait plus
dans une directive médicale anticipée qu'on fait notre demande d'aide médicale
à mourir, mais avant, là, pendant qu'on est apte, ou vous pensez que ça devrait
être un document à part puis qu'il devrait être notarié? Donc, est-ce que vous
pensez que ça devrait juste être un document qui est ajouté à nos directives ou
il est inclus dans les directives?
M. L'Espérance
(Georges) : Bien là, il y a un petit peu un problème administratif,
mais personnellement, comme les directives médicales anticipées sont déjà
faites et bien incluses, moi, je mettrais un... en tout cas, personnellement,
je n'ai pas pensé à cette question-là, mais je la mettrais dans un document à part.
La question du
notariat, c'est plus difficile parce que... à moins que vous ayez des millions,
là, mais ce n'est pas tout le monde qui est capable de s'offrir les frais d'un
notaire. Ça, j'ai plus de difficultés avec la question du notaire. La grande
majorité des gens n'ont pas besoin d'un notaire, à mon humble avis.
Mme
Hébert :
Parfait. Mme la Présidente, j'ai terminé. Merci beaucoup, M. L'Espérance, pour
cet entretien.
M. L'Espérance
(Georges) : Merci, Mme Hébert.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Merci. Je cède la parole maintenant à Mme la
députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Merci, Dr L'Espérance. Alors, on nous parle
souvent du rôle important de l'IPS dans les soins de fin de vie. J'aimerais que
vous élaboriez au niveau des tâches. Est-ce que l'IPS peut prendre l'initiative
de donner les derniers soins?
M. L'Espérance
(Georges) : Bien, dans le reste du Canada, les IPS peuvent, alors moi,
je ne vois aucune raison pourquoi les IPS ne pourraient pas le faire au Québec.
Je comprends la raison initiale. Lorsque Mme Hivon a présenté la loi au
Québec, nous étions des pionniers, et donc c'était uniquement un acte médical,
parce qu'on devait rester dans le cadre très strict de la loi des soins de
santé. Mais maintenant, par la suite, le fédéral est arrivé, et ça se passe
très bien au fédéral.
Les derniers chiffres
que nous avons donnent à peu près pas loin de 10 % des aides médicales à
mourir au Canada, hors Québec, qui sont faites par des IPS, et de façon tout à
fait adéquate. Ça permettrait aussi une certaine accessibilité accrue, surtout
en région éloignée. Et puis je pense qu'elles peuvent faire le travail de façon
absolument remarquable. Et puis même si je tire dans mon propre camp, souvent,
les IPS ont plus de relations personnalisées et à long terme avec les patients.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Je vous remercie beaucoup.
M. L'Espérance
(Georges) : Ça me fait plaisir, Mme Blais.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Donc, maintenant, je passe la
parole à la députée de Soulanges.
Mme Picard :
Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux.
Dans votre mémoire, vous recommandez que «des moyens soient développés
permettant de fournir des informations adéquates aux aînés afin d'éclairer leur
réflexion et de soutenir l'expression de leurs dernières volontés, de prendre
des décisions éclairées par rapport à leurs soins de fin de vie et de les faire
respecter.» Ces moyens devraient-ils être mis en place pour tous les aînés, peu
importe la présence d'une maladie grave et incurable, ou non?
M. L'Espérance (Georges) : Bien là,
je vous remercie de me créditer de cela, mais je pense que c'est un autre
rapport, parce qu'on n'a pas tellement parlé de cet aspect-là. Mais de toute
façon, je peux répondre pour mon côté de la médaille. Je pense que, de toute
façon, c'est clair qu'il faut que les aînés, quels qu'ils soient, mais même
toute la population, en fait, soient au courant de leurs droits et puis de ce
qu'ils peuvent obtenir.
Et j'ajouterais... Je pense que c'est la Dre
Labelle ou Bertrand, ce matin, les neuropsychologues, avec lesquels nous, les
neurochirurgiens, on travaille beaucoup, qui disaient que non seulement on doit
parler à une personne qui a une maladie neurodégénérative cognitive de ce qui
peut lui arriver, mais on doit couvrir tous les aspects de la maladie, puis il
faut vraiment être très transparents. C'est une question d'autonomie, c'est une
question de respect des patients de leur donner tous les renseignements. Voilà.
Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre plus à votre question.
Mme Picard : Je me posais aussi une
autre question. Advenant qu'il y a une équipe multi qui est avec le patient
pour évaluer la demande, est-ce que... que fait-on si, au sein de cette
équipe-là, il y a quelqu'un qui n'est pas d'accord avec les autres? Comment ça
se passe sur le terrain si quelqu'un n'est pas d'accord, un des intervenants,
supposons, un des médecins, n'est pas d'accord avec la décision?
M. L'Espérance (Georges) : Bien,
écoutez, d'abord, premièrement, je vous dirais que de la discussion jaillit
toujours la lumière, et puis que, pour en avoir fait beaucoup partie, d'équipes
multidisciplinaires, bien sûr, en traumatologie
et en d'autres choses, le consensus, s'il n'est pas fait au départ, pour des
raisons x, y, z, on discute et puis on finit toujours par trouver un
point de ralliement, à moins qu'une personne vraiment mette ses poings sur la
table puis dise : Moi, je ne suis pas
d'accord. Mais, quand la personne... disons, dans un groupe de 10, incluant
divers horizons de professionnels, quand une personne n'est pas du même
avis que tous les autres, on revient toujours à la discussion de savoir qui a le pas dans l'armée ou qui ne l'a
pas. Mais, en tout cas, mon expérience à moi, dans de très longs
comités... pas dans de très longs, mais pour
de longues périodes dans des comités multidisciplinaires et interdisciplinaires
en traumatologie, écoutez, vraiment, les oppositions, là, sont... c'est
sûr que ça arrive, probablement, mais, en tout cas, à ma connaissance à moi,
là, c'est absolument rarissime, et ce n'est pas mon expérience à moi.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vous remercie. On va maintenant passer à la députée
de Westmount—Saint-Louis.
Mme Maccarone : Merci beaucoup.
Bonjour, Dr L'Espérance. J'aurais deux questions rapides pour vous. Vous avez
mentionné dans votre témoignage que la pathologie, il faut que ça soit bien
identifié, il faut qu'il y ait des suivis, etc. Alors, en ce qui concerne le
droit d'avoir accès à l'aide médicale à mourir et de la personne qui refuse le
soin, que pensez-vous de ceci, une telle situation?
M. L'Espérance (Georges) : Là, vous
parlez d'une personne démente qui est arrivée au moment de sa... au moment de
l'injection, c'est ça?
Mme Maccarone : Ça peut être une
personne qui souffre d'un trouble mental, puis ils disent que ma
souffrance est telle que je ne veux plus recevoir des soins, je ne veux plus de
médicament, ça me rend malade, je suis rendu vraiment au bout. Mais c'est une
personne qui refuse d'avoir accès à des soins. On a fait la comparaison,
auparavant avec d'autres témoigneurs qui ont dit, par exemple, une personne qui
souffre d'un cancer peut refuser d'avoir des soins et toujours avoir accès à
l'aide médicale à mourir, mais mettons qu'on parle des personnes qui souffrent
des troubles mentaux, puis ils disent qu'ils refusent aussi accès à de tels
soins, votre opinion là-dessus.
M. L'Espérance (Georges) : Là, c'est
parce que vous parlez... non plus les gens avec des démences, mais des gens
avec des problématiques de santé mentale. Écoutez, c'est un énorme problème, et
je vais plutôt laisser mes collègues psychiatres, qui ont déjà fourni un
rapport là-dessus, répondre, mais, en tout cas, en ce qui nous concerne, puis
moi, ma réflexion, au fil des années, est la suivante, c'est que les patients
avec des troubles de santé mentale sont les patients comme les autres, ils ont
des souffrances comme les autres, et on pourrait même dire qu'ils ont des
souffrances parfois beaucoup plus profondes, parce qu'on n'est pas capables de
les identifier. Ça, c'est un.
Deuxièmement, je ne pense pas qu'il y ait un
seul médecin, psychiatre ou autre, qui va accepter de donner l'aide médicale à
mourir à un patient qui souffre de troubles de santé mentale, disons, depuis
quelques années. L'exemple que je donne , un peu sous forme boutade, dans des
conférences, c'est dire : Écoutez, si un jeune homme de 20 ans vient
me voir parce qu'il veut avoir l'aide médicale à mourir parce que sa blonde
vient de le laisser puis qu'il est en
dépression profonde, je pense que tout le
monde comprend que c'est un élément
transitoire qu'il va surpasser.
Maintenant, est-ce qu'il doit y avoir du temps? Est-ce
que ça peut être 10 ans, 15 ans, 20 ans? Je pense qu'on ne peut
pas mettre de balises comme ça, il faut vraiment étudier la personne elle-même.
Mais une chose est... Puis on... Je l'ai élaboré dans
notre... il y a plusieurs questions qui se posent, je l'ai élaboré dans notre
mémoire, le type de maladie, ce que ça amène comme problématiques chez ce
patient-là, et aussi les capacités, c'est-à-dire les résultats thérapeutiques... Et je vais reprendre
l'expression que tous mes collègues emploient : Ce sont des pathologies, des
troubles mentaux qui sont devenus résistants à toutes thérapeutiques. Puis, à
un certain moment donné, le patient aussi peut avoir le droit de refuser. Mais,
écoutez, je serais extraordinairement surpris qu'aucun de mes collègues
n'accepte de donner, disons, l'aide médicale à mourir, le dernier soin à un patient avec une problématique de santé mentale
identifiée, disons, depuis quatre ou cinq ans, et qui refuse tout
traitement. C'est vrai qu'il y a une question, là, de charte, etc., mais disons
que je vais laisser mes amis psychiatres décider de ça. Mais, en tout cas, personnellement,
je ne le ferais pas, à moins qu'il y ait une autre pathologie sous-jacente, ça,
c'est différent, là.
• (13 h 50) •
Mme Maccarone : O.K. En ce qui
concerne l'aptitude, vous l'avez aussi évoquée comme quelque chose qu'évidemment
on dit, d'emblée, c'est très important, mais c'est qui qui devrait décider
l'aptitude de la personne concernée, le patient ou le demandeur de l'aide
médicale à mourir? Puis c'est quoi le rôle, mettons, du comité expert ou, mettons,
la position de l'association dont vous représentez, puis avec votre expérience?
M. L'Espérance (Georges) : Toujours
pour des troubles de santé mentale?
Mme Maccarone : Ça peut être les
troubles de santé mentale, ça peut être juste, en général, une personne qui
demande l'aide médicale à mourir pour d'emblée identifier l'aptitude de la personne
concernée. Alors, selon vous, la façon de procéder.
M. L'Espérance (Georges) : Oui.
Bien, dans ces cas-là, ça serait soit des problématiques de troubles mentaux,
auquel cas, je pense qu'éventuellement, si on a un doute sur l'aptitude, la
présence des neuropsychologues ou une évaluation par un neuropsychologue peut
être très importante. Évidemment, par un psychiatre si on parle de troubles de santé mentale. Pour des problématiques
de démences, qui sont le versant physique, bien là, les
neuropsychologues, si on a un doute sur l'aptitude, le neuropsychologue est
certainement un bon choix. Mais, de façon... Encore là, là, je suis obligé de
parler par expérience, là, je n'ai pas de chiffre à vous donner, mais, en tout
cas, jusqu'à maintenant, moi, je n'ai pas rencontré de patients qui n'avaient
pas leurs aptitudes. Puis je répète encore une fois, je pense que ça vous a été
dit mais il faut le dire, je crois, hein, ça n'arrive pas un bon matin, un
patient qui se lève, puis qui dit : Je veux l'aide médicale à mourir.
C'est un long processus que ces patients-là ont et vivent, en fait. Un matin,
il reçoit un diagnostic de cancer, la grande majorité des gens vont prendre les
traitements, parce qu'ils veulent vivre, les gens veulent vivre, et ils veulent
vivre peut-être pour aller jusqu'à l'automne, peut-être pour aller jusqu'à
Noël, puis peut-être pourquoi ne pas aller jusqu'à Pâques? Je veux dire, c'est
leur choix le plus strict à partir du moment où ils se sentent bien. C'est le
choix du patient.
Mme Maccarone : Merci. Mme la
Présidente, je passerais la parole à ma collègue de Mille-Îles.
M. L'Espérance (Georges) : Et
surtout pas de comité.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Donc, Mme la députée de Mille-Îles, à vous la parole.
Mme
Charbonneau :
Merci, Mme la Présidente. Dr L'Espérance, je vais commencer par un commentaire
plutôt qu'une question. Je vais vous dire que j'apprécie énormément, dans votre
mémoire, dans les considérations diverses, l'argument a. Je vous le dis, parce
que ça vient me chercher. Ceci dit, dans les premiers témoignages qu'on a
entendus, la première fois que la commission a fait une consultation, ça a été
le témoignage d'un parent, et vous adressez ou vous signalez, à une de vos
recommandations, la recommandation 6, qu'on puisse considérer les mineurs
matures. Un peu comme vous l'avez fait auparavant, où vous avez écouté certains
de nos intervenants, et les gens n'ont pas nécessairement accès à vos mémoires
tout de suite, ils vont sûrement aller les voir, mais j'aimerais ça vous
entendre un peu sur le principe de votre recommandation 6.
M. L'Espérance (Georges) : Bien, en
fait, pour les mineurs matures, je comprends très bien que là il y a une
interaction avec le fédéral, c'est ça qui est un petit peu agaçant, mais le
Québec a déjà fait des grands pas de géant avant
le fédéral, ça fait que pourquoi pas? Et pour les mineurs matures, d'abord, il
y a deux éléments. D'abord, il y en a déjà en Belgique et aux Pays-Bas,
premièrement, donc, on a une certaine expérience internationale.
Deuxièmement, les pathologies chez les mineurs
matures qui donneraient accès à l'aide médicale à mourir sont rarissimes,
heureusement.
Troisièmement, lorsque ce sont des pathologies
qui donnent accès à ça, c'est la plupart du temps — ça, c'est mon
expérience — la
plupart du temps ce sont des... excusez-moi, mesdames et messieurs, mais ce
sont des saloperies. Ce sont des
ostéosarcomes, ce sont des cancers osseux, ce sont des vacheries qui amènent
des amputations. Les enfants passent
une partie de leur enfance et de leur adolescence à l'hôpital et, par ailleurs,
ils sont extraordinairement entourés de médecins et d'infirmiers,
infirmières, travailleurs sociaux, psychologues, etc. Puis, en bout de ligne,
ces gens-là — là,
je m'excuse, mais je fais encore une boutade, je la dis souvent, je la répète — souvent,
ces jeunes adolescents de 12 ans à 18 ans sont beaucoup plus matures
que bien du monde qui ont le droit de vote, parce que... à cause de leur
expérience de vie, qui n'est pas drôle. Et ils arrivent, à un moment donné, où
ils n'en peuvent plus.
Et
l'exemple le plus, disons, le plus... peut-être pas dramatique, mais en tout
cas, le plus évocateur, c'est d'être en présence d'un de ces enfants-là qui, à
17 ans et demi, avec une jambe amputée, avec une moitié du bassin amputée,
avec des métastases pulmonaires de son ostéosarcome, avec des saloperies, de la
radiothérapie, de la chimio, n'en peut plus, puis on lui dit : Ah! non,
excuse-moi, souffre encore six mois, quand tu vas avoir 18 ans, là,
c'est parfait, on y va. Alors, il y a quelque chose d'incongru dans ça. Et par
ailleurs ce n'est pas moi qui vais faire des
règles pour les adolescents, il y a des tas de spécialistes dans ça, mais je
pense qu'on doit certainement aller vers là.
Pour les jeunes
enfants, bien, la question se pose de façon différente. C'est que là, d'abord,
on a accès à de la sédation, il y a eu des exemples dans les journaux il n'y a
pas très longtemps, là, on a accès à de la sédation. Ils peuvent... il y a
différentes façons et il faut surtout éviter l'acharnement thérapeutique. Et
là, bien sûr, on se repose sur les parents, bien évidemment.
Mme
Charbonneau :
Merci. J'en fais une autre, j'essaie de la faire courte pour que mon collègue
de D'Arcy-McGee ait le temps. Vous avez dit la démence heureuse, ce n'est pas
vraiment quelque chose de plausible où il faut considérer que la médication
peut changer la personne et, de ce fait, bien, elle devient quelque peu... pas
la même personne. Vous disiez les personnes
restent les mêmes, c'est juste la médication qui peut les changer. Diriez-vous
la même chose de quelqu'un qui est... qui a un problème de santé mentale, qu'on
va médicamenter pour aider, pour amener, peut-être, dans une philosophie plus
heureuse? Je vais le dire comme ça, je ne suis pas médecin, là, je vous avise,
je n'ai peut-être pas la bonne terminologie. Mais médicamenter quelqu'un qui a
des problèmes de santé mentale, est-ce que ça change la personne? Est-ce que
vous diriez qu'à ce moment-là, ce n'est pas la même personne? Donc, si un
patient demande à mourir, on le médicamente, il devient plus heureux, il ne
veut plus mourir. Est-ce que, pour vous, c'est la même personne? Puisque vous
faites un parallèle, ou moi, je fais un parallèle par rapport à la personne qui
souffre de démence et qu'on va médicamenter et qui deviendrait une autre
personne.
M. L'Espérance
(Georges) : C'est une belle réflexion à laquelle je ne me suis pas
penché, mais je dois vous dire pourquoi, puis c'est une mauvaise réponse, là,
sur le vif.
Mme
Charbonneau :
Il n'y a pas de souci.
M. L'Espérance
(Georges) : La personne qui est démente, je ne suis pas sûr que c'est
la médication qui la rend heureuse, là. Et
c'est sûr que si elle est moins anxieuse, elle va avoir l'air plus contente,
bon. Peut-être que d'autres collègues vous ont dit ça pendant l'entrevue, je n'irai pas sur ce
terrain-là. Mais il reste que c'est une maladie dégénérative, le cerveau
s'en va, et donc à court ou moyen terme, la personne ne sera plus la même, elle
n'a plus son cerveau.
En pathologie de
santé mentale, les seules choses qui fonctionnent, c'est la médication, ou à
peu près, à moins qu'on aille vers la sismothérapie, là aussi il y a une
question sur la... jusqu'où on va dans les traitements. Mais dans ce questionnement-là, les personnes en santé
mentale, et il y en a des milliers, voire des millions qui fonctionnent
correctement en société tant qu'ils prennent leur médication. Mais là on parle,
et mes collègues psychiatres l'ont dit autant comme autant, on parle de gens
qui deviennent résistants à tout traitement médicamenteux. Et là je pense qu'on
tombe dans une autre catégorie. Mais, n'étant pas psychiatre, je ne veux pas
aller plus loin là-dedans. Mon seul point, c'est de dire que les patients avec
des troubles de santé mentale depuis x temps, avec toutes les balises et les
critères qu'on pourra mettre, sont des gens auxquels on doit respect et
dignité.
Mme
Charbonneau :
Merci pour vos réponses.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie. Je vais passer la parole
maintenant au député de Rosemont.
M. Marissal :
Oui. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Dr L'Espérance, merci beaucoup
d'être là. Votre réflexion est vraiment
intéressante. J'ai aimé vous entendre sur la question de la démence heureuse
parce qu'honnêtement, moi, j'ai un problème avec ça aussi, parce que
quelqu'un qui ne peut plus communiquer est heureux, vous l'avez dit, dans les
yeux des personnes qui la regardent, effectivement, puis on ne pourra pas le
savoir. Bon, a contrario, on pourrait
dire aussi : Tu ne peux pas le savoir, donc tu ne peux pas trancher ni
d'un bord ni de l'autre, là, je comprends que... la communication étant
coupée.
J'aimerais ça vous
entendre sur la question, là, des accidents soudains et inattendus. Et là je ne
veux pas faire du sentimentalisme, mais ça me touche particulièrement, parce
qu'au début de l'été un de mes frères a eu un accident puis il a une grave
lésion cérébrale, il s'est trouvé dans le coma pendant plusieurs, plusieurs,
plusieurs jours. Ça va un peu mieux maintenant, mais, vous l'avez dit, avec les
traumatismes crâniens, on ne sait jamais, hein, puis c'est ce qu'on nous a dit
dès le premier jour : On ne le sait pas, il n'y en a pas, de recette, là,
puis il n'y en a pas, de protocole de retour, ça fait que prenez votre mal en
patience. Mais toutes ces questions-là se sont bousculées dans la tête de... la
mienne et ma famille : Qu'est-ce qu'on fait?
Vous dites :
S'il y a DMA, on suit DMA. Et, si on inclut dans la DMA : Si je suis dans
tel état, bon, bien, je veux en finir absolument, vous appliquez la mort ou
l'aide médicale à mourir, sinon, bien, c'est le protocole habituel. Je reviens
au premier cas. S'il y a DMA et que le patient demande effectivement de façon
anticipée : Moi, si je me retrouve dans tel état, vous devez m'appliquer
l'aide médicale à mourir. Combien de temps et quel état devrait être considéré?
Parce que les gens qui reviennent du coma, vous en savez plus que moi
là-dessus, il y en a régulièrement des... tu sais, les Ariel Sharon de ce monde,
il n'y en a pas tant que ça, là, des cas comme ça, là.
M.
L'Espérance (Georges) : Heureusement. Vous avez tout à fait raison.
Mais là où j'ai de la difficulté avec l'aide médicale à mourir par directive
médicale anticipée pour un événement qui arriverait, c'est qu'on ne peut pas
discuter de la maladie lorsqu'on est en santé. Et je vais vous donner, encore
une fois, ce que je... puis là je l'ai vécu, moi, depuis 30 ans, on ne
peut pas discuter autour d'une table avec un verre de whisky en apéro,
dire : Bien moi, là, si un jour j'ai un
cancer, il n'est pas question que j'aie de la chimiothérapie. Et ça, je peux
vous dire que moi, là, j'en ai entendu toute ma vie, puis je suis
certain que vous autres aussi. Attends d'avoir ton cancer, puis, là, tu verras
si tu veux de la chimiothérapie. L'être humain veut vivre, mais c'est pour ça
qu'il faut qu'il y ait un diagnostic, il faut qu'il y ait un pronostic, et il
faut qu'il y ait une explication plausible de ce qui se passe dans la... chez
les gens.
Maintenant, un
traumatisme cranioencéphalique, je ne sais pas quel âge a votre frère, s'il est
tout près de vous, il doit avoir autour de 40 ans. Un peu de flatterie ne
fait jamais de tort.
• (14 heures) •
M. Marissal :
Oui, mais vous pouvez ajouter au moins une quinzaine d'années, cela dit.
M. L'Espérance
(Georges) : Mais donc un traumatisme cranioencéphalique sévère chez un
adulte jeune, disons, jusqu'à 50, 55, 60 ans, là, on ne sait pas comment
ça va évoluer. Un traumatisme cranioencéphalique sévère hémorragique chez une
patiente de 75, 80 ans, moi, je n'ai aucun problème pour qu'il y ait des
directives médicales anticipées. Mais on ne peut pas faire des âges comme ça,
ça n'a pas de sens. Et c'est pour ça que je dis qu'on revient dans la deuxième
solution qui existe depuis toujours en ce qui concerne les accidents
inattendus : Évolution de voir comment va le patient, le pronostic
habituel. Si vous avez une hémorragie cérébrale sur rupture de malformation
artérioveineuse qui bouffe la moitié de votre cerveau, bien, là, le pronostic,
on le sait pas mal, puis, là, on discute avec
la famille : Est-ce qu'on continue la réanimation? Est-ce qu'on continue l'intubation? Oui ou non? Et sinon, bien, voici ce qui va arriver, il va mourir dans les quelques
heures. Mais c'est ça, la discussion, et il faut mettre, en la balance
avec ça, l'acharnement thérapeutique.
Et donc il y a eu des
discussions au conseil d'administration, je dois vous dire, mais, en tout cas,
comme médecin, puis je pense que le Dr Boisvert vous a dit la même chose,
puis, à mon avis, la plupart de mes collègues vont vous dire exactement la même
chose, il faut qu'on ait un diagnostic. On ne peut pas décider à 20 ans
d'avoir l'aide médicale à mourir lorsqu'il va m'arriver telle affaire, au cas
où. Et ça, j'ai beaucoup de difficultés avec ça.
Dans le cas de votre
frère, vu que vous en avez parlé, je pense que, là, la discussion vient avec l'évolution,
comment ça se passe dans les jours, quelques semaines et deux, trois mois qui se
passent, comment ça évolue, et puis après, bien, là, on décide de la suite des
choses, de la suite thérapeutique, puis on fait ça avec les proches, avec la
famille. C'est comme ça que ça se passe maintenant et, à mon avis, c'est comme
ça que ça devrait toujours se passer.
M. Marissal :
C'est très clair. Je vous remercie. Je crois que je n'ai plus de temps. Merci.
M. L'Espérance
(Georges) : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Merci à vous, Dr L'Espérance. Je vous remercie
pour votre expertise et la sagesse qui transcende vos propos. C'est très
éclairant pour la commission et la suite des travaux.
Donc, je suspends les
travaux pour quelques instants, question de faire... d'accueillir le prochain
groupe.
M. L'Espérance
(Georges) : Merci beaucoup à vous toutes et tous de votre... de ce que
vous faites, c'est remarquable.
(Suspension de la séance à
14 h 03)
(Reprise à 14 h 10)
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Alors, bonjour, je vous souhaite la bienvenue.
Je souhaite la bienvenue à la Pre Isabelle Dumont. Je vous rappelle que
vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons
à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à
vous présenter et puis à commencer votre exposé.
Mme Isabelle Dumont
Mme Dumont
(Isabelle) : Parfait. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci
aux autres membres de m'avoir invitée. Justement, je vais me présenter très
brièvement, peut-être, les éléments qui sont les plus pertinents, là, pour la commission aujourd'hui. Vous l'avez mentionné, je suis professeure à l'UQAM, à l'École de
travail social. Mes intérêts de recherche sont, bon, l'oncologie
psychosociale, soins palliatifs, soins de fin de vie, aide médicale à mourir,
deuil, principalement.
Aussi, ce que je peux
dire, c'est que mon doctorat et mon postdoctorat étaient... sont aussi dans ce
champ-là. Le postdoctorat, j'ai eu la chance de le faire au Memorial Sloan
Kettering Cancer Center, qui est un centre de prévention et de traitement du
cancer. Et donc ça, ça a été très bénéfique pour moi.
Puis peut-être un fait
intéressant, j'ai... pendant la... lorsqu'il y a eu la mise à... lorsqu'on a
commencé l'aide médicale à mourir, en 2015, j'étais travailleuse sociale à la
clinique médicale familiale Notre-Dame, alors j'étais entourée de
médecins, et de futurs médecins, et de résidents, étant donné que c'est aussi
une unité de médecine familiale.
Pour aujourd'hui, je vais vous présenter... bon,
vous allez constater que la santé mentale, l'inaptitude, ce n'est pas des axes nécessairement sur lesquels je
vais aller, que j'ai étudiés plus spécifiquement. Par contre, je vais
vous parler de deux études plus particulièrement, et j'espère que ça va
contribuer à votre réflexion pour la commission.
Donc, peut-être,
déjà, pour commencer avec la première étude, c'est une étude qui est sur les
familles endeuillées dont un membre est décédé en contexte d'aide
médicale à mourir. C'est une étude qualitative, donc j'ai fait des entretiens
auprès de 20 proches aidants, plus particulièrement des membres de
familles dont un proche, comme j'ai dit,
était décédé en contexte d'aide médicale à mourir. Je m'intéressais vraiment au
vécu individuel de ces personnes-là, mais aussi de savoir, bon, c'est
quoi, leur perception de comment vit la famille, c'est quoi, leur expérience.
C'est sûr que, là, elle n'est pas encore publiée,
je suis en train de faire les analyses. Par contre, j'ai ressorti les thèmes
qui, je crois, pourraient être peut-être plus pertinents pour vous aujourd'hui.
Peut-être faire attention, évidemment, j'ai
dit que c'était une étude qualitative, donc, hein, ce n'est pas une
représentation statistique. Par ailleurs, ce sont des entretiens qui ont été faits en profondeur, donc qui m'ont
vraiment permis de bien comprendre, bien cerner, en fait, les enjeux,
là, que je visais par rapport à cette étude-là, donc, puis, pour ces thèmes-là,
en fait, les trois qui sont ressortis, principaux, deux par thème, vous allez
voir, les thèmes les plus importants, le premier, c'est l'agentivité et
l'apaisement. Ensuite, ce sera... je donnerai des détails sur la souffrance et
ce qu'on appelle la démence heureuse, thème, probablement, qui a été déjà
abordé par d'autres intervenants. Puis je vais dire un mot à la fin sur
l'aptitude.
L'agentivité et l'apaisement. Bon, l'agentivité,
qu'est-ce que c'est, en fait, hein, c'est assez facile, là, mais quand même le
rappeler, c'est vraiment le fait d'être un agent eu égard aux décisions qu'on
prend, hein, jusqu'à la fin de sa vie. Et aussi être un agent, c'est d'être en
mesure de prendre soi-même ses décisions, être en contrôle, là, durant toute sa
vie. Ça a été un thème, si je le mentionne, très important, en fait, au cours
des entretiens que j'ai faits, ça a été valorisé par tous les participants. Et
puis ça a été, vous allez voir plus loin, là, très bénéfique aussi, ça a été au
coeur de mon étude puis ça a été très bénéfique pour les personnes malades,
hein, de se sentir comme agent, mais aussi pour les proches aidants.
Bon, maintenant, c'est sûr qu'on a des bonnes
raisons de penser que les personnes peuvent être un agent même dans la
trajectoire qui pourrait nous mener à l'inaptitude. Mais, dans le contexte de
mon étude, là, vous allez voir, je vais vous montrer c'est quoi, le point de
vue de la personne malade, mais aussi le point de vue des personnes proches
aidantes. Donc, du point de vue de la personne malade, bien, le fait de choisir
l'aide médicale à mourir, c'était très important, parce qu'évidemment ça les
rendait autonomes et ça leur disait : Bien, moi, je peux décider jusqu'à
la fin de ma vie de la façon que je vais vivre le dernier chapitre.
Pour les proches aidants, c'était aussi très
important, de leur point de vue, mais la maladie... pas la maladie, pardon,
mais l'aide médicale à mourir, cette option-là, le fait de donner l'occasion à
son proche d'aller de l'avant avec sa décision, ça leur permet d'accepter,
d'accueillir, hein, cette décision de mourir de cette façon-là. Donc, ça a été
très bien perçu.
L'autre chose qui est revenue beaucoup, en fait,
c'est que tous les proches aidants ont mentionné toute l'importance de pouvoir
honorer, respecter la décision de la personne malade. Et donc ça, ça a été
aussi très important. Donc, en ce sens-là, l'agentivité dont je viens de
parler, hein, c'était lié à un sentiment d'apaisement. L'apaisement, ici, bien,
c'était partagé par la personne malade, mais aussi par les proches aidants,
apaisement qui, me mentionnait-on, a été vécu... Du moment où l'aide médicale à
mourir a été demandée et acceptée, on voyait que la personne malade, il y avait
un certain apaisement, une certaine sérénité, et, bon, évidemment, c'était...
ça avait un impact aussi, une influence sur les proches aidants qui voyaient la
personne souffrir différemment. Ça pourrait s'expliquer du fait qu'il y a, à un
moment donné... la souffrance, hein, va être vue différemment et va avoir une
fin, et on connaît la fin, et on connaît la date. Donc, ça, ça peut être une
chose, et aussi le fait d'avoir une fin de vie comme on le veut et peut-être
d'éviter, par exemple, une fin de vie qui pourrait être, peut-être, plus
difficile pour les proches aidants. L'exemple que j'ai en tête, c'est par
exemple quelqu'un qui décède en détresse respiratoire, ça peut être parfois
très impressionnant, là, pour la personne qui vit ça.
Ça rejoint aussi... bon, on parle souvent de la
notion de bonne mort, donc, mais mort sereine, donc c'est un peu une façon, là,
on m'en parlait avec ces mots-là aussi, là, lorsque... l'aide médicale à
mourir, apaisement, bonne mort, c'étaient des thèmes qui étaient reliés aussi.
Évidemment, pendant l'accompagnement, ça a eu un impact positif, mais aussi
après la mort ou le décès de la personne malade, ça a laissé une empreinte très
positive pour le proche aidant, donc, du souvenir d'avoir pu accompagner son
proche dans sa décision à lui ou à elle jusqu'à la fin. Donc, ça aussi, c'était
important.
J'ai choisi quelques extraits, mais je vais lire
rapidement étant donné que c'est assez court, le temps que j'ai, là, mais je
vais faire... donner des extraits ou lire des extraits, plutôt, de bouts
d'entretiens que j'ai faits. Donc, c'est juste
pour illustrer ce thème d'agentivité et d'apaisement. Bon, bien, c'est assez
clair, on me disait : Bien, du moment que l'aide médicale à mourir a été acceptée, je l'ai senti apaisé, j'étais
aussi apaisé, puis c'était très serein, comme une belle mort.
En termes de souffrance, démence heureuse,
voilà, bon, si on parle de la souffrance, hein, qu'elle soit réelle ou encore
anticipée, bien, elle est ressortie, puis vous ne serez pas surpris, comme un
thème très important dans la recherche, puis certaines personnes malades... en
fait, la plupart souffraient depuis longtemps, donc il y avait des
comorbidités, que ça soit d'autres troubles de santé mentale, troubles de santé
physique ou encore la combinaison des deux qui faisaient en sorte que c'était
une décision, dans bien des cas, assez mûrie, si on peut dire. Et donc, là, ça pouvait influencer leur qualité de vie qui,
d'après eux, n'était pas suffisante, hein, donc... et ils avaient de la
difficulté à apprécier
le moment présent. Aussi, dans cette situation-là,
l'aide médicale à mourir, bien, ça leur apparaissait comme l'option
peut-être la mieux et la plus favorable pour qu'ils puissent bien vivre la fin
de vie.
L'autre observation pertinente, j'ai parlé
d'apaisement, j'ai mentionné plus tôt... que j'ai mentionné plus tôt, bon, le fait de connaître la date, le moment
exact, ça pouvait, d'un côté, peut-être nuire à l'espoir que certains proches
aidants ont de se dire : Bien, il aura peut-être une journée de plus ou
une heure de plus, une semaine de plus. Par contre, ce que ça faisait, en même
temps, c'est que ça donnait du pouvoir à la famille de vivre la fin de vie
comme elle le voulait, par exemple, de décider de comment on va la vivre.
Souvent, c'était scénarisé, ritualisé, et donc ce sont tous des éléments qui
vont favoriser la façon de vivre cette fin de vie, mais aussi, comme j'ai dit tout
à l'heure aussi, le processus de deuil à la suite de la perte de l'être cher.
Je vais dire un mot rapidement sur l'étude sur
l'objection de conscience. C'était aussi une étude qualitative que j'ai
réalisée avec Jocelyn Maclure, que vous connaissez, étant donné qu'il était à
la commission, lui aussi, et donc l'objection de conscience chez les médecins
au Québec, une entrevue... des entrevues qualitatives aussi. J'ai réalisé ces
entrevues auprès de 20 médecins et puis j'ai pensé en parler, parce qu'il
y a quand même des éléments assez importants qui, d'après moi, peuvent être
dits pour aujourd'hui, là, par rapport à cette étude-là.
• (14 h 20) •
Donc, en termes de cette étude-là, en contexte
d'aide médicale à mourir, c'est sûr que, comme vous le savez, hein, on veut
garder la dignité, l'autonomie de la personne, et puis dans ce cas-là, si on
pense, par exemple, au questionnement que vous avez, un trouble
neurodégénératif, hein, il pourrait y avoir la possibilité de faire une demande
anticipée, et, bon, certains critères... la personne pourrait dire : Bien,
moi, j'aimerais, là, décéder, comme ça a déjà été mentionné, donc, quand je
serai dépendante ou encore quand je ne me souviendrai plus du nom de mes
proches. Cependant, bon, ce n'est pas... on pourrait penser que ce n'est pas un
critère suffisant pour avoir accès à l'aide médicale à mourir, suite à une
demande anticipée. Et l'extrait que j'ai pris, c'est un extrait d'un médecin
qui s'est exprimé sur ce sujet-là. Il donnait l'exemple d'une personne âgée qui
avait fait... exprimé, en fait, le fait qu'elle voulait décéder avec l'aide
médicale à mourir lorsqu'elle deviendrait dépendante de son entourage :
cette femme est dans une chambre, elle sourit, elle joue avec sa poupée, elle
est... Bon, c'était l'exemple qu'elle donnait, et elle nous explique la situation
en disant : Bien, même si cette personne nous a exprimé le fait qu'elle
voulait l'aide médicale à mourir, quand est-ce qu'on va décider que c'est trop
pour le patient? Moi, je me dis : Est-ce que vous avez réalisé qu'il va
falloir probablement les attacher? Parce que ce n'est pas comme si on allait
dire : Bon, bien, ne bougez pas, regardez là-bas, on va faire ça rapidement.
Donc, ça n'avait vraiment pas beaucoup de sens pour elle. Et moi, c'est une
image qui m'est restée en tête. Puis aussi c'est relié au défi, dans une situation
comme celle-là, de trouver les professionnels qui adhéreraient à l'aide
médicale à mourir.
Je suis presque à la fin. Donc, en termes de
souffrance et de démence heureuse, bien, c'est nécessaire que la souffrance
soit reconnue comme constante, intolérable. Donc, du moment où l'aide médicale
à mourir devrait être... doit être administrée, bien, la personne est en train
de souffrir. D'après moi, ce serait très important. Et, bon, qu'elle soit
évaluée de façon intersubjective, donc, bon, c'est évidemment l'équipe
traitante, le médecin qui fait partie de cette équipe-là, la tierce personne
qui a été désignée, et puis faire en sorte qu'on puisse avoir un dialogue
autour de, bon, quels sont les critères qu'on va utiliser ensemble.
Sur les aptitudes, vous ne serez pas surpris
lorsque je vais vous dire que j'endosse entièrement les propos nuancés du
groupe d'experts sur la question et qu'à partir du moment qu'une demande d'aide
médicale à mourir est acceptée, bon, bien, elle ne peut pas être refusée, là.
Je fais évidemment référence au fait que la règle des 10 jours est tombée.
Mais aussi, dans le cas de la rédaction d'une demande anticipée suite au
diagnostic, bien, je pense que le point le plus important que je veux peut-être,
moi... que je veux réitérer, c'est le fait que c'est le moment où ça peut donner le sentiment d'«empowerment» ou de donner
une certaine autonomie à la personne qui prend cette décision-là.
Ensuite, pour terminer, en conclusion, bien,
même si l'élargissement des critères quant à l'administration de l'aide
médicale à mourir est souhaité par la majorité des professionnels, par exemple,
je pense à l'étude... à Gina Bravo, qui est professeure à Sherbrooke, qui
a présenté aussi, c'est important de respecter aussi le droit de se prévaloir
de l'objection de conscience des professionnels par rapport à ça.
Et pour terminer, l'aide médicale à mourir, bon,
hein, c'est un mouvement social. Bon, ceux qui sont en faveur de cet
élargissement des critères, certaines études ont montré que c'est, oui, la
personne malade, les proches aidants, mais aussi quand même les professionnels.
Et donc, selon... ça va dans ce sens-là avec les participants que j'ai
interrogés pour l'étude sur la famille... les familles endeuillées, et puis,
comme j'ai dit tout à l'heure, ça a vraiment amené un grand sentiment d'apaisement
de pouvoir aller de l'avant avec l'aide médicale à mourir.
Et puis, bon, la demande anticipée, bien, comme
je l'ai dit, c'est une façon de respecter, quand j'ai parlé tantôt
d'agentivité, ce qui est absolument important, que ce soit dans la vie mais
aussi à la fin de la vie.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci beaucoup. On va passer
maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission pour
une durée de 35 minutes. Je passe la parole au député de Mégantic.
M.
Jacques : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Pre Dumont. C'est un plaisir de
vous avoir parmi nous aujourd'hui.
Vous savez... bien, vous ne savez peut-être pas,
mais, dans mon ancienne vie, j'ai accompagné beaucoup de familles au niveau des
milieux funéraires. Et, bien, j'ai accompagné des gens, là, qui étaient pour
recevoir l'aide médicale à mourir dans les jours suivants, avec une planification
de leurs derniers jours, vous en avez parlé un peu plus tôt, souper au resto,
tel resto, tour d'hélicoptère. Il peut y avoir à peu près n'importe quoi qui se
planifie, là, dans les jours précédents et dans le mois précédant, là, la disposition
finale.
Je me demandais, dans un
premier temps, vous avez parlé avec 20 proches aidants, là, de ces gens-là
qui avaient bénéficié de l'aide médicale à mourir, est-ce que, dans d'autres
recherches précédentes, vous avez regardé des gens qui n'avaient pas reçu
l'aide médicale à mourir, qui avaient souffert énormément, qui avaient eu des
fins de vie difficiles. Bien, j'aimerais ça vous entendre un peu là-dessus, là.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Votre micro, Mme Dumont. Merci.
Mme Dumont (Isabelle) : Et voilà, et
voilà. Je vous remercie beaucoup pour votre question, M. le député. En fait, oui, effectivement, là, j'ai fait... je
pense, entre autres, à une étude longitudinale où j'ai interviewé
60 proches aidants, et j'ai suivi pendant l'accompagnement, et je les ai
suivis après le décès, une cohorte de 35. Et puis, en longitudinale, ça veut
dire quatre et huit mois suite au décès. Et, bon, je regardais justement ce qui
allait influencer leur processus de deuil.
Et aussi, dans l'étude que j'ai parlé
aujourd'hui, c'est parce que je ne l'ai pas relevé, mais votre question me
permet de le faire, j'essayais de voir justement si les pertes antérieures, la
personne en avait vécues qui n'étaient pas en contexte d'aide médicale à
mourir, pour, justement, un peu explorer tout ça. Et la réponse étant qu'en
fait, justement, c'était... tous ont dit, évidemment, c'est un échantillon de
20 participants, et ça restera à élaborer avec un plus gros échantillon,
mais tous m'ont dit : L'aide médicale à mourir, encore là, ça nous permet
d'avoir une mort qui est plus sereine, on sait que la souffrance va se terminer.
Et puis aussi, bien, il y a des symptômes qui sont présents depuis longtemps,
souvent, et c'est très pénible pour le proche aidant, si vous l'avez été,
effectivement, de voir souffrir la personne. Donc, c'est pour ça, tout à
l'heure, que j'ai parlé d'apaisement, là.
Donc, si on comparait les deux, mais de façon
qualitative, les personnes, c'était un des points qui leur faisait dire :
Oui, moi, je suis vraiment pour l'aide médicale à mourir. Puis ça a tombé comme
ça, là, mais toutes les expériences de fin de vie étaient assez positives, là,
avec... scénarisées, comme vous avez dit, ou non, là, des fois, c'est tout
simple, mais il y a aussi le fait de décider qui va être là, un autre exemple
étant : Bien, je n'ai pas été là, hein, je suis parti aux toilettes, je suis
revenu, puis la personne est décédée pendant ce temps-là. Ça, c'était très,
très... parfois, ça restait une empreinte difficile après le décès. Alors là,
bien, on avait ça aussi, de pouvoir décider qu'on soit là, si la personne
malade le voulait.
M. Jacques : Parfait. Écoutez, je
pense que c'est un libre choix à chacun, je pense que chacun a le droit de
choisir de quelle façon il va partir, va terminer sa vie. Il y en a qui veulent
vivre jusqu'au bout, jusqu'à... jusqu'au dernier souffle, jusqu'à la dernière
souffrance, sont prêts à accepter tout ça, il y en a d'autres qui ne sont pas
prêts à le faire ou qui veulent avoir une meilleure qualité de vie pour avoir
un meilleur temps avec leurs proches et... alors que bien souvent, les derniers
temps, les derniers moments, là, les temps de qualité ou la qualité de vie de
certaines personnes est un petit peu plus difficile.
On a parlé de démence heureuse, un peu, là, vous
en avez... vous l'avez effleuré, et vous parlez qu'il faut que la personne
souffre pour avoir... bénéficier de l'aide médicale à mourir. Est-ce que quelqu'un
qui est en démence heureuse souffre?
Mme Dumont (Isabelle) : Bien, en
fait, ça, c'est sûr que d'avoir un comité spécifique là-dessus, ça serait très
bien. Mais, ceci dit, c'est de voir... Je parlais tout à l'heure d'avoir un
dialogue. Moi, pour avoir été en CHSLD avec... ce n'est peut-être pas en soins
de fin de vie, mais tout de même avec des personnes pendant la pandémie, avec
des personnes qui ne pouvaient pas communiquer de vive voix, bien, il y a
certaines personnes, j'étais quand même capable de voir sur le non verbal ou,
bon, quoi que ce soit. C'est sûr que la tierce personne désignée doit être
bienveillante le plus possible. Je suis sûre que ça a été mentionné auparavant,
là. Donc, c'est d'avoir comme une triangulation, là. Il y a, oui, évidemment,
en premier, est-ce que la personne a demandé dans sa demande anticipée, par exemple? Mais, suite à ça, c'est de voir,
O.K., au moment où on y est, qu'est-ce qui se passe avec cette personne-là.
Donc, peut-être qu'elle souffre, peut-être pas, mais... et parfois, je suis
sûre que ça va être plus difficile que d'autres, là, mais de voir si...
L'exemple que je vous ai donné, cette personne-là n'avait pas l'air vraiment de
souffrir, mais il faudrait voir, là, le médecin, qu'est-ce qu'elle en pense,
c'est quoi, les... tu sais, il y a une montée de pression ou quoi que ce soit,
là, mais il y a des choses qu'il faudrait regarder, évidemment, là. Oui.
• (14 h 30) •
M. Jacques : Parfait. Merci. Je
reviens aux proches aidants, vos 20 proches aidants que vous avez fait
votre étude. Est-ce que vous avez des discussions avec eux par rapport à ce
qu'ils pensent pour eux lorsqu'ils vont avoir une problématique mentale ou
autre? Est-ce que ces gens-là ont... auraient besoin de faire une demande
anticipée? Comment ils voient ça, eux, parce qu'ils en ont bénéficié ou leurs
proches en ont bénéficié? Et, pour leur vie à eux, de quelle façon... c'est
quoi, leur vision, par rapport à l'aide médicale à mourir?
Mme Dumont (Isabelle) : Bien, c'est
très intéressant. Mon premier élément de réponse touche à ce que vous avez dit tout
d'abord, là, où chacun a une façon de vivre sa fin de vie, puis ça lui
appartient. J'ai eu une proche aidante, en particulier, qui, au départ, l'aide
médicale à mourir, ça a été très, très difficile pour elle d'accepter ça, parce
qu'elle avait aussi eu un cancer auparavant, et puis elle a passé, comme elle
disait, au travers. Bon, en tout cas, il faut voir l'expression qu'on pourrait
utiliser, mais elle avait souffert beaucoup. Mais, pour elle, c'est ce qui
donnait du sens. Elle, c'était : On souffre puis on... ça fait partie de
la vie. Par contre... Bon, ça, ça a été nommé par elle. Mais sinon, les proches
aidants, effectivement, ça a été touché, là, pour ces personnes-là. Les gens
m'ont dit : Moi, si... Ça a ouvert la discussion,
pour la plupart : Puis moi, maintenant, je voudrais avoir l'aide médicale
à mourir. À part peut-être la dame que je viens de mentionner, donc une
personne sur la vingtaine, là, mais sinon, les personnes se disaient :
Bien, moi, si j'ai l'occasion de le faire, maintenant, je pense que je vais
être pour. Puis il y avait comme une vague de... vers l'aide médicale à mourir,
mais, pour d'autres membres de la famille qui n'étaient pas présents, là, à
l'entrevue, on me disait : Bien, ma soeur, ça a changé son idée.
Effectivement, il faudrait y aller avec un plus
gros échantillon, mais, pour les 20 participants que j'ai eus, c'est pas
mal ça, oui.
M. Jacques : O.K. Est-ce que ces
participants-là voyaient l'aide médicale à mourir seulement... Comment je
dirais ça? Est-ce qu'ils auraient été prêts à faire un mandat, un genre de
mandat d'inaptitude ou demande médicale anticipée par rapport à des événements
ou par rapport à une maladie qu'ils pourraient avoir dans le futur?
Mme Dumont (Isabelle) : Oui. Je
pense que ce qui est le plus... que peut-être... ce qui a été mentionné le plus
souvent, bien, c'est justement la peur d'avoir un trouble neurodégénératif, là,
ça, ça a été mentionné comme quelque chose
qui fait peur aux gens, et dire : Bien, si c'était mon cas, j'irais de
l'avant. Par contre, si on se base beaucoup sur les... s'il y a
beaucoup...
Je parlais de comorbidité tout à l'heure. Donc,
il y en a une, elle avait une stomie. Elle était... Tu sais, son corps a
pratiquement lâché, là, puis ça faisait longtemps. Donc, dans ces
situations-là, ça l'a... c'était quelque chose que la personne m'a dit :
Si je souffre autant physiquement, moi, je ferais la demande avant même d'aller
de l'avant.
C'est sûr que, là, les personnes... Tu sais, on
en a quelques cas au Canada ou ailleurs, hein? C'est... On se presse de faire
la demande d'aide médicale à mourir de peur de tomber inapte, là. C'est un peu
différent maintenant, mais voilà. Donc, c'est vraiment ce qui me vient en tête,
là, par rapport à votre question.
M. Jacques : Mais pas en prévision
d'une maladie qui pourrait arriver plus tard.
Mme Dumont (Isabelle) : Non, pas...
M. Jacques : Pas sans diagnostic.
C'est ce que je dis, là.
Mme Dumont (Isabelle) : Oui. Non, ça
n'a pas été quelque chose qui a été relevé. Je ne pourrais pas dire que ça a
été nommé, non.
M. Jacques : Parfait. Merci. Je vais
laisser la place aux collègues. Merci.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci. Je passe maintenant la parole à la députée de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci,
Mme la Présidente. Il nous reste combien de temps?
La Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) :
1 min 50 s.
Mme
Hébert : Parfait. Merci. Merci, Mme Dumont, pour
votre intervention. C'est vraiment pertinent. C'est... J'aime toujours savoir
aussi qu'est-ce qui se passe sur le terrain. Donc, je pense que vous nous
donnez vraiment un topo en fonction de vos interviews... vos entrevues,
excusez-moi, en français, vos entrevues avec soit les proches aidants ou même
les médecins.
Moi, j'aimerais vous questionner... Puis là
c'est sûr qu'on est dans une situation où on veut savoir pour éventuellement
peut-être élargir la loi, mais actuellement, actuellement, avec ce que vous
savez des gens qui ont utilisé l'aide médicale à mourir, qu'est-ce qui serait à
améliorer?
Mme Dumont (Isabelle) : Bien, il y a
des choses qui ont été mentionnées qui ont peut-être changées, là. Une des
choses qui me vient rapidement en tête, c'est de dire, quand on demandait
pendant la période de 10 jours, souvent : Est-ce que vous êtes
d'accord?, ça, c'était très difficile pour la personne malade.
Aussi, c'est de savoir comment utiliser les
derniers moments. Par exemple, j'ai en tête quelqu'un qui me dit : Bien,
on donne des informations autour de l'aide médicale à mourir juste avant que ça
se passe, et puis cette personne-là aurait aimé garder toutes ses dernières
minutes avec la proche, le proche malade. Sinon, avec l'aide médicale à mourir,
je pense que c'est pas mal ce qui me vient en tête.
Là, vous parlez des difficultés ou...
Mme
Hébert : Bien, des
difficultés ou... Qu'est-ce qu'il serait à améliorer, là, que vous avez
entendu, que les gens... Ah! moi, j'aurais aimé mieux ça ou j'aurais aimé... Il
y a-tu des choses que vous avez entendues qui seraient pertinentes qu'on puisse
réfléchir?
Mme Dumont
(Isabelle) : Oui. Bien, peut-être... Oui, bien, j'ai entendu beaucoup,
beaucoup de bien sur les équipes sur le
terrain. Ça, c'est très, très généralisé. À quelques exceptions près, tout de
même, qui sont à mentionner, parfois, la personne aurait aimé, le proche
aidant, toutes mes études ont montré ça aussi, c'est... des fois, ils sont...
ils se sentaient mis un peu de côté encore, de se
dire : Bien, moi, j'ai aussi besoin de soutien, mais je suis comme à
l'écart. Puis là, bien, c'est ça, c'est... ils se voyaient un petit peu comme
observateurs, parfois, puis ils sont... Parfois, ils trouvent ça très difficile
aussi, mais ils voulaient laisser toute la place à la personne malade, donc
n'osaient pas nécessairement demander de l'aide, puis ça, c'est pendant
l'accompagnement, mais beaucoup aussi après, pendant la période de deuil,
d'avoir un suivi, d'avoir des ressources. C'est ce qui me vient, c'est très
prégnant.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie. On doit
maintenant passer la parole au collègue de D'Arcy-McGee.
M.
Birnbaum : Merci,
Mme la Présidente. Merci, Pre Dumont, pour votre exposé et vos études
très éclairantes. C'est très important en tout ce qui a trait à notre
évaluation de l'autonomie, et l'importance de l'autonomie, et
l'autodétermination de la personne en question, de demandeur.
Je veux une
précision, et là j'aurai des questions de... quelques qualificatifs. Juste pour
assurer, votre étude des 20, vous avez eu le privilège de parler avec la
personne qui aurait fait la demande avant que le traitement soit offert ainsi
que les proches aidants?
Mme Dumont
(Isabelle) : Je vous remercie pour votre question. Je vais le préciser
parce que je mets souvent, un peu, les deux ensemble, étant donné que j'ai questionné
aussi sur la personne malade. Mais je n'ai que rencontré, dans cette étude-ci,
en fait, les membres de familles. Et donc, à ce moment-là, bien, je n'ai pas
rencontré la personne malade dans le cadre de cette étude-ci, oui, oui. Mais je
leur demandais leur perception. Évidemment, c'est imparfait, mais
effectivement, là, c'est... oui.
M. Birnbaum :
Pour nous aider à contextualiser votre recherche, pouvez-vous nous parler, un
petit peu, de la qualité des
20 familles concernées? Y avait-il une diversité de situations
socioéconomiques, régionales? Est-ce que les familles vous auraient
parlé de leur disposition à appuyer l'idée de l'accès à l'aide médicale à
mourir avant qu'elles ont été confrontées par cette possibilité? Qu'est-ce que
vous pouvez nous dire pour qualifier les 20 participants?
Mme Dumont
(Isabelle) : Oui. En fait, d'un côté, d'un point de vue culturel, ce
n'était pas très diversifié, je dois le dire. C'est les gens à qui j'ai eu
accès. J'ai fait... C'est une étude que j'ai eu la collaboration du CHUM et du
CHU de Laval, de l'Université Laval, Québec, Montréal, puis là, bien, ça allait
quand même dans des régions autour de... sur
la grande île de Montréal. Par contre, je dois dire, en termes, par exemple,
d'hommes, femmes, il y avait un tout petit
peu plus de femmes. Sinon, en termes de... ce que... j'ai trouvé ça bien, dans
la diversité, d'une certaine façon, c'est la qualité de la relation ou la longueur... la nature de la relation,
voilà. Donc, j'ai eu des couples, j'ai eu un... des... un enfant, j'ai eu un frère où c'était son frère qui était
malade, j'ai eu des couples que ça faisait 55 ans, 60 ans qu'ils
étaient ensemble, et puis j'en ai un autre, couple, ça faisait
huit ans. Donc, en ce sens-là, la nature de la relation était différente.
D'un point de vue
financier, ce n'est peut-être pas ce qui a été le plus varié non plus, mais,
avec la classe moyenne, de façon générale. Bon, c'est un peu qu'est-ce qui me
vient en tête comme caractéristiques des personnes que j'ai rencontrées, là.
Puis l'âge variait aussi, là, dans la fin trentaine puis jusqu'à 80 et quelques
années. Voilà.
• (14 h 40) •
M.
Birnbaum : Merci. Il y a...
un peu plus normal... normalement... normal, beaucoup d'intervenants,
intervenantes qui nous parlent de l'importance d'éviter des dérives, d'assurer
que la volonté de la personne est très éclairée et établie comme il faut.
Qu'est-ce que vous
auriez appris de cette étude sur la qualité, la fiabilité et l'acceptabilité,
sur le plan légal et moral, des voeux souhaités par ces 20 individus et
les proches aidants que vous auriez rencontrés?
Mme
Dumont (Isabelle) : Bien, en
fait, on peut penser... effectivement, on peut avoir une peur, par
exemple, que la pression des membres de la famille... C'est souvent ce qui est
le plus nommé, là. Par contre, l'expérience que j'en ai, puis ce n'est pas
juste dans cette étude-là, l'autre... une autre étude sur laquelle j'ai
participé aussi, où je n'étais pas chercheure principale, en fait, les membres
de familles, même si quelques personnes qui n'étaient pas nécessairement pour
l'aide médicale au départ, leur grand désir était vraiment de suivre la
personne malade pour qu'elles puissent aller
dans le même sens que... qu'elles puissent leur offrir cette opportunité de
décider de leur fin de vie. Et
pourtant ça a été difficile pour quelques personnes. Je pense à une personne où
c'était sa deuxième... sa femme actuelle, mais l'ex-partenaire, c'est
elle qui a pris beaucoup de place. Et donc elle a vécu ça un petit peu dans
son... un peu en solitude, là, si je peux
dire, puis ça a été plus difficile pour elle, mais elle voyait que, son
conjoint, c'est ce qu'il voulait.
Donc,
moi, l'expérience que j'en ai, c'est une assez grande acceptabilité. Et puis,
même si les gens... quelques personnes ont changé d'idée, c'était pour
dire : Bien, moi, maintenant que je l'ai vécue, je serais pour l'aide
médicale à mourir, même pour moi-même, là,
pour revenir à ce que je disais tout à l'heure. Donc, c'étaient des
environnements familiaux plutôt bienveillants.
Il y a une soeur qui
n'était pas pour, mais elle s'est retirée un peu. Mais elle est quand même
allée de l'avant, elle était présente à la fin, mais après c'est son deuil à
elle qui était plus difficile. Mais, bon, voilà, ça, ça peut arriver aussi.
C'est pour ça qu'il faut un suivi de deuil aussi après, oui.
M. Birnbaum :
J'imagine, vous allez me corriger, que ce n'était pas dans chacun des
20 cas où la personne était apte pour identifier le déclenchement, pour
dire : Là, les critères sont rejoints, et je suis prêt. J'imagine qu'il y
en avait où la décision a été prise par des tiers. Et, si c'est le cas... Non?
Mme
Dumont (Isabelle) : Je vais
vous sauver un petit peu de temps. Je vous ai coupé. Je suis vraiment
désolée, M. le député. Bien, j'ai dit non parce que... non, effectivement, tout
le monde était apte, mais la grande, grande peur, c'était de tomber inapte au moment... Parce que j'ai commencé quand même
l'étude il y a un petit moment, là, donc, mais non, il n'y en avait pas
qui étaient inaptes, voilà. Mais, pendant que vous parliez, j'ose revenir sur
un point, ce qui pourrait ne pas faciliter l'aide médicale à mourir dans
les conditions, là, ce n'est pas tout à fait votre question, mais peut-être la question précédente, c'était aussi... j'ai eu
un contexte où c'était le don d'organes. Là, ça a été très difficile parce
que, la personne, on la perd puis on ne peut
pas être là, hein? C'est pressant, puis il faut faire toutes les manoeuvres
pour ne pas perdre les organes. Encore là, ça donnait un grand sens à la
vie de la personne de faire ça, mais ça a été très difficile, ça, dans le
contexte du don d'organes. Excusez-moi, ça m'est revenu en tête, là, pour le
mentionner. Donc, voilà.
M. Birnbaum : ...tout à fait
pertinent. Bon, en comprenant maintenant que les 20 cas étaient des gens
qui ont été aptes pour que la décision soit déclenchée, y avait-il des enjeux
qui vous ont été décrits dans ces... quelques-uns de ces 20 cas, ou il y avait un va-et-vient peut-être
difficile à améliorer en termes de déclenchement du traitement ultime?
Mme Dumont (Isabelle) : En fait,
j'ai quelques personnes qui ont trouvé difficile, bien, le moment... l'aide
médicale à mourir, malgré les informations qu'ils avaient eues auparavant.
C'est les injections qui avaient été difficiles. Sinon, ce qui peut être plus
difficile aussi, c'est lorsque la personne qui va décéder voudrait avoir des
gens autour d'elle, mais, par exemple, ce n'est pas le désir de chacun des
membres qui sont là, ou quelqu'un... Je parlais de la soeur, tout à l'heure,
d'une personne qui allait... c'est sa mère, en fait, qui allait décéder. Elle,
elle était contre, mais elle voulait aller dans la même direction. Elle était
là, mais ça a été plus difficile pour tout le monde. Il y avait comme un genre
de tension, tout de même, là, mais ça s'est bien passé.
Ce qui peut beaucoup aider, puis peut-être que
les intervenants... c'est qu'on a beaucoup besoin de ressources, là, c'est
d'une communication ouverte, ceux qui sont capables d'en parler. Si on n'est
pas capables d'en parler... Ça, j'en ai eu
quelques-uns, ça a été très difficile, là, de ne pas avoir pu en parler
pendant. Et donc, quand il y a eu des intervenants comme travailleuse
sociale ou autre intervenant qui pouvaient aider, bien là ça a vraiment aidé à
aller de l'avant avec ça pour pouvoir se dire les choses de façon ouverte, là,
voilà, oui.
M. Birnbaum : Bon, compte tenu de
votre longue expertise et expérience en soins palliatifs et tout autour du dossier qui nous touche, je me permets d'aller
au-delà de l'étude actuelle. De votre expérience, comment vous
réagissez, comment vous nous inviter à nous
orienter en tout ce qui a trait à l'accès élargi aux gens atteints de troubles
de santé mentale?
Mme Dumont (Isabelle) : Oui. En
fait, là je vais m'appuyer peut-être plus sur, même, sur mon expérience en GMF,
là, où j'ai vu des gens où il y avait eu plusieurs traitements d'essayés avec
des troubles qui étaient très réfractaires. Et donc certaines personnes
m'apparaissaient... Par exemple, en troisième ligne, lorsqu'il y a eu des échecs auparavant. Mais j'en ai vu que très peu,
moi, des personnes comme ceci. Moi, je pense qu'on pourrait peut-être penser, à ce moment-là, peut-être
à un comité différent, et on penserait à l'exemple du suicide assisté, où ce
n'est peut-être plus nécessairement le cas d'en faire une demande de soin
médical, dépendamment de...
Sinon, ce que je pourrais dire, c'est
l'importance qu'une des personnes qui évaluent soit une... le médecin traitant,
si la personne en a un. L'exemple étant, j'en ai une en tête, là, une médecin,
c'est un... une personne qu'elle suivait depuis une trentaine d'années. Et
donc, pour elle, l'aide médicale à mourir, je pense qu'elle me disait :
Bien, s'il l'avait demandée puis si c'était possible pour la santé mentale, je
l'aurais évalué comme étant quelqu'un qui était... qui pourrait aller de
l'avant avec l'aide médicale à mourir. Mais parfois on sait que c'est des
médecins qui sont à l'urgence. Alors, de ne pas connaître le passé de la
personne, ça peut être beaucoup plus difficile.
Donc, je pense qu'il faut être fiable. Ça, c'est
un des points que je dirais, c'est d'avoir un médecin qui connaît l'histoire de
la personne. Ce n'est pas toujours possible, on sait que, parfois, il n'y a pas
assez de médecins, mais, tout de même, quand c'est possible, je pense qu'on
peut voir, avec cette personne-là... on a un point de comparaison, en fait,
dans son histoire. Donc, ça, ça pourrait peut-être aider également.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci, Pre Dumont. Je vais maintenant céder la parole au
député de Rosemont.
M. Marissal : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Mme Dumont, pour votre présentation. On va continuer là
où on a laissé avec mon collègue de D'Arcy-McGee parce que c'est exactement là
que je voulais aller. Vous dites, bon, peut-être qu'il faudrait plutôt regarder
vers le suicide assisté, que ça ne soit pas nécessairement une demande de soin
de fin de vie, auquel cas on sortirait complètement du cadre de ce qu'on est en
train d'étudier ici, mais ça, c'est plutôt technique, là. Mais c'est quelque
chose qui a été amené notamment hier et en toute fin de témoignage, puis c'est
regrettable parce qu'on n'a pas eu le temps d'approfondir, et pas par n'importe
quel témoin, mais par la Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse, qui nous a invités — j'espère qu'on aura l'occasion d'aller un
peu plus loin dans un autre mandat ou un autre moment — qui
nous a invités à ouvrir un chantier de réflexion justement sur le suicide et le
suicide assisté.
Cela dit, ce n'est pas de ça dont on parle, là,
maintenant, dans le cadre de notre mandat qui nous occupe déjà beaucoup, beaucoup.
Je crois comprendre, donc, de votre réponse à mon collègue, là, de D'Arcy-McGee
que vous n'êtes pas très, très chaude à l'idée d'ouvrir la loi actuelle, et
réviser, évidemment, aux cas de troubles mentaux comme seuls problèmes de
santé.
Mme Dumont (Isabelle) :
Bien, en fait, ce que je tentais... mon point étant de dire que l'exemple avec
le médecin traitant qui connaît bien la personne, c'est que... Moi, je me
questionne plus quand, ça, ce n'est pas possible, d'avoir quelqu'un qui connaît
la personne pour avoir, par exemple, ce point de comparaison. À la clinique,
des fois, il y en a qui étaient... bon, c'était vraiment réfractaire à peu près
à tous les traitements, que ça soit la médication, l'hygiène de vie, là, il y a
toute... la psychothérapie, mais, comme je disais tout à l'heure, c'est assez
exceptionnel.
Ceci dit, si on a des... plusieurs personnes
qui... avec des critères sérieux qui évaluent et qui... peut-être même un membre de la famille, si ce n'est pas le
traitement, mais... pardon, le médecin traitant, mais d'avoir une idée
de l'histoire de la personne pour voir par
où elle est passée, puis ne pas avoir juste un point de comparaison. Par
exemple, dans le temps, là, c'est ça que je ne sais pas comment ça pourrait
être fait, mais je pense que ça serait quand même important pour la personne
elle-même, là. Parfois, c'est mûri depuis longtemps aussi, là. Il faut voir,
là, mais... Ma réponse est assez vague, mais je... c'est ça. Puis je pense que
c'est le fait de connaître la personne.
• (14 h 50) •
M. Marissal : Oui. Bien, j'accepte
votre réponse. Ce n'est pas tout le monde qui s'est fait une tête non plus
complètement là-dessus. Ça, je pense qu'on peut conclure ça, déjà, comme
conclusion non concluante.
L'autre gros morceau de notre mandat, c'est le
consentement anticipé. Les gens que vous avez interviewés, évidemment, les
survivants aux gens qui sont partis par l'aide médicale à mourir, avaient
évidemment tous les critères, répondaient aux critères pour avoir droit aux
soins de fin de vie. Qu'est-ce que vous pensez de cette idée d'élargir la loi
pour que, dans des cas évidemment précis, là, il y ait consentement anticipé,
par exemple, de gens qui se savent atteints d'alzheimer — c'est
l'exemple qui revient le plus souvent, là, peut-être parce que c'est le plus
facile à illustrer — et
qui vont dire : Bon, bien, écoute, moi, je donne le consentement parce que
je ne serai plus apte, probablement, à ce
moment-là, mais, à partir du moment où ça arrive, je veux qu'on enclenche? Vous
pensez quoi de ça?
Mme Dumont (Isabelle) : Bien, peut-être
que je vais me répéter, là. Vous me le direz. Ça me fait rire parfois. Vous
dites «consentement», là. Je ne sais pas si... Tantôt, j'ai parlé de demande
anticipée. Là, c'est là le point central de ce que je tentais de faire tout à
l'heure, c'est de dire est-ce que cette personne-là est souffrante au moment de
la demande, bon, c'est ça, puis de voir aussi tous les autres critères qui
peuvent se rattacher à ça. C'est ça. C'est vraiment... pas seulement que le critère
de la souffrance non plus, là. Je pense que les points positifs sont là, là.
C'est de dire : Bien, c'est tout autour de l'autonomie que ça peut donner
à la personne puis de donner beaucoup de poids à cette demande anticipée là.
J'ose croire que, sinon, la personne pourrait être dérobée de cette agentivité
dont j'ai parlé tantôt et qui, je trouve, est extrêmement importante, là. C'est
un des points à retenir, d'après moi.
M. Marissal : Bien, je vous
remercie. J'ai encore du temps, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : 30 secondes.
M. Marissal : Non, bien, je vous
remercie de vos recherches. C'est intéressant.
Moi, je suis tombé récemment sur le cas de
quelqu'un que je connais très bien, c'est une anecdote, elle va vous
intéresser, d'une famille qui s'est déchirée dans une réunion Zoom parce qu'ils
n'arrivaient pas à trouver le temps où ça convenait à tout le monde de revenir
à Montréal pour assister à la mort assistée du papa. J'ai trouvé que c'était un révélateur assez particulier de notre
époque, qu'on s'obstine pour coordonner nos agendas pour assister à la mort d'un des nôtres. Mais c'était pour ça que vos
travaux sont intéressants puis sont pertinents, parce qu'il faut qu'on
documente quelque chose qui est quand même assez relativement nouveau et assez
innovateur. Je vous remercie.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Merci. Je cède maintenant la parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour, Mme Dumont. Merci beaucoup de votre présentation. Tantôt, quand
vous avez parlé de la démence heureuse. On
ne sait plus comment l'appeler exactement, mais, enfin, la démence non
malheureuse, mettons. Je pense que c'est mon nouveau mot parce que est-ce qu'on
peut vraiment voir si la personne est heureuse? Mais mettons qu'elle n'a pas
l'air de souffrir. Vous, vous avez dit que vous pensez que, vu l'existence de
ces situations-là — vous
donniez l'exemple de la personne qui a l'air relativement bien avec sa poupée,
on peut imaginer d'autres cas — qu'il
faut qu'il y ait une souffrance, en fait, contemporaine. Donc, vous êtes de ce
camp-là, là. Il y a comme deux
écoles. Mais vous avez dit quelque chose, très rapidement, vous avez dit :
Puis aussi on doit se poser la question sur l'ouverture des soignants à
pratiquer l'aide médicale à mourir dans un tel contexte. Et j'aimerais ça, que
vous élaboriez là-dessus. Qu'est-ce que vous
vouliez dire? Parce que, lors de la première étape de nos travaux, c'était
quelque chose qui nous avait beaucoup été amené, le fait qu'on travaille au nom
de l'autonomie de la personne, d'endiguer ses
souffrances qui sont intolérables, mais ça implique une tierce partie pour
administrer l'aide médicale à mourir, parce qu'on n'est pas dans le
suicide assisté, qui est un soignant, un médecin, peut-être éventuellement une
infirmière praticienne. Donc, qu'est-ce que
vous voulez dire quand vous dites «l'inconfort» ou «la difficulté pour les
soignants»?
Mme Dumont (Isabelle) :
Bien, en fait, merci de revenir sur ça, je peux en dire un
tout petit peu plus. J'avais vraiment l'objection de conscience en tête, dans
le sens où ça mobilise beaucoup les valeurs de la personne, l'aide médicale à
mourir, les valeurs et non seulement — notre étude l'a montré assez
clairement — non
seulement les valeurs religieuses, même que ce n'était pas en lien, nécessairement,
avec ça, mais aussi les valeurs séculières. Donc, il faut s'assurer que les professionnels
de la santé, et là je ne parle pas juste des médecins, ça peut être un travailleur social comme ça peut être une infirmière ou une
autre professionnelle, doivent avoir le droit de se prévaloir de l'objection de
conscience lorsque désiré.
Alors, c'est dans ce sens-là que je l'ai... tout
à l'heure. La personne, le médecin qui m'expliquait le cas de la dame,
clairement, elle, elle aurait... elle était pour l'objection de conscience puis
elle était contre l'aide médicale à mourir à ce moment-là, là, de l'étude.
Donc, dans son cas à elle, il faudra voir, mais elle se serait probablement
prévalue de l'objection de conscience. Elle aurait, d'ailleurs... Oui?
Mme
Hivon : O.K. Je
vais poursuivre là-dessus. Mais avant, je veux juste vos remercier pour
l'étude. Évidemment, c'est dans la situation actuelle de la loi, mais ça
confirme vraiment ce qu'on pensait qu'on avait travaillé, parce qu'il y avait
des opposants à l'ouverture à l'aide médicale à mourir qui disaient que ça
serait très traumatisant et difficile pour le deuil des proches. Or, beaucoup
de proches venaient nous dire comment ils auraient vécu un deuil plus serein s'ils avaient pu accéder à la demande de leurs
proches quand ce n'était pas possible, qui mettaient toutes leurs énergies en fin de vie à juste
demander d'arrêter de souffrir et de demander l'injection, la fameuse
injection, comme on l'appelait avant. Et donc je pense que ça confirme ce que
ces familles-là étaient venues témoigner, malgré les craintes qui avaient été
exprimées. Ça fait qu'en tout cas ça nous fait vraiment avancer puis confirmer
des choses.
Donc, juste pour revenir là-dessus, en fait,
c'est juste que je me demandais si, vu que vous êtes dans cet univers-là, avec
des soignants, aussi de par vos études, vous avez eu la chance de discuter de
ça, parce que, je dois vous dire, je trouve que c'est quelque chose qui est peu
documenté, c'est-à-dire le confort du médecin face à une personne qui serait
maintenant inapte. Donc, c'est complètement différent de la personne qui te le
demande en toute conscience, en aptitude, de manière répétée. Et donc on
devrait se fier peut-être à quelque chose qu'elle a demandé deux ans
avant, alors que, quand elle est devant nous, elle s'en va manger, elle encore
capable d'aller manger, elle est encore capable de chanter en marchant dans le
corridor, elle fait de la zoothérapie... On voit le genre, là.
Donc, je m'intéresse à cette question-là du
confort des soignants. Ça fait que, comme travailleuse sociale qui êtes en
lien, est-ce que c'est quelque chose qui est discuté?
Mme Dumont
(Isabelle) : Mais, en fait, ça me fait penser, votre question, et je
vous en remercie, de peut-être... Il y a aussi un groupe que je n'ai pas
nommé, mais on les avait... Bien, il y a le souci d'ambivalence chez certains
professionnels où, tu sais, ils ne sont pas sûrs. Ils sont pour à ce que
d'autres professionnels aillent de l'avant avec l'aide médicale à mourir, mais
pas eux. Puis il y en a qui se disent : Moi, je suis contre que d'autres
personnes le fassent puis, moi, je ne veux pas le faire non plus. Donc, on a
comme différentes couches ou différents sous-groupes là-dedans, et donc il
faudrait voir.
En fait, ces personnes-là, je pense que, là, ça
serait probablement une décision extrêmement difficile à prendre, en fait,
c'est ce que j'en comprends, là, de certaines discussions que j'ai eues. Par
contre, si... ceux qui sont peut-être plus aux deux autres extrémités du
continuum, je pense que ça pourrait être moins embêtant comme décision. Je
pense à des médecins qui étaient vraiment assez confortables et je ne pense pas
que ça serait nécessairement l'inaptitude qui viendrait les déroger de ça. Et
ceux qui étaient contre, bien, non plus, je ne pense pas. Donc, c'est peut-être ceux du milieu, si on peut
dire, sur le continuum, où c'est des personnes ambivalentes qui, même...
Je vois que les réflexions avancent rapidement,
par contre. Franchement, là, c'est... oui. Donc, il y en a qui deviennent de
plus en plus ouverts puis... mais je pense que ce groupe-là grandit, les
ambivalents qui bougent sur le continuum. Mais, c'est ça, je ne pourrais pas en
dire plus.
Mme
Hivon : O.K. Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) :
Je vais devoir vous remercier, Pre Dumont, pour cet apport aux travaux de
la commission. C'était très apprécié.
Je vais suspendre les travaux quelques instants
pour accueillir le prochain groupe. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 14 h 58)
(Reprise à 15 h 06)
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Alors, je souhaite la bienvenue aux représentantes du Collectif
des médecins contre l'euthanasie. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter puis à commencer votre exposé. Je passe la parole à Dre Ferrier.
Collectif des médecins contre l'euthanasie
Mme Ferrier (Catherine) : Merci
beaucoup. Alors, moi, je soigne des patients atteints de démence à la Clinique
de gériatrie du Centre universitaire de santé McGill depuis 1984. Je fais
des diagnostics et des traitements de démence, dans la mesure du possible. Je
les accompagne avec leur famille, je les aide à trouver les ressources quand
ils ont besoin. Je fais aussi des évaluations de l'aptitude, et, souvent, je
suis devant les tribunaux dans ces litiges par rapport à l'aptitude de mes
patients.
Le Collectif des médecins
contre l'euthanasie regroupe plus de 1 000 médecins, la moitié au
Québec, où il a été fondé, en 2013. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi
concernant les soins de fin de vie, on nous dit que les gens peuvent maintenant
mettre fin à leurs souffrances quand ils le souhaitent et personne n'est
contraint de mourir, mais il n'y a aucun moyen de savoir si c'est vrai. La
commission des soins de fin de vie ne recueille que des données et des chiffres
à partir de formulaires remplis par le même médecin qui a approuvé et a
pratiqué l'aide médicale à mourir. La commission n'a pas accès au dossier des
patients pour vérifier.
Une patiente âgée d'un de nos médecins a été
hospitalisée pendant un an parce qu'elle ne pouvait pas rentrer chez elle après
une maladie aiguë. Et chaque semaine, quelqu'un venait lui offrir l'aide
médicale à mourir. Ça, c'est de la coercition.
Une résidente nous a parlé d'un homme qui a demandé
l'AMM après une crise cardiaque. Les cardiologues étaient prêts à signer la
demande, mais la résidente a suggéré de consulter la psychiatrie. Il était
gravement déprimé et suicidaire et inapte à consentir. Ça, c'est de la
négligence.
Ce ne sont que deux exemples parmi
beaucoup. Les balises sont impossibles à implémenter, sont violées trop pour
qu'on en fait confiance. Il n'y a aucun moyen, pour la commission, d'identifier
une évaluation médicale inadéquate, un consentement invalide ou une coercition.
C'est promu par les médias au point que certains patients pensent que c'est la
seule bonne façon de mourir. Tous les établissements de soins de santé sont
tenus de la fournir même s'ils ne peuvent pas offrir beaucoup d'autres choses
dont les gens ont besoin. Certains groupes voudraient imposer une obligation à
toutes les maisons de soins palliatifs d'en offrir aussi, ce qui éliminerait le
seul lieu sûr pour les gens qui ont peur de se faire imposer l'euthanasie et
l'aide médicale à mourir quand ils sont malades.
Vous avez peut-être fait l'expérience, avec un
proche, de la situation dans les hôpitaux pour les personnes âgées. Il y a
beaucoup de stigmatisation, beaucoup de négligence de ces gens-là, surtout
quand ils ont une démence. Les diagnostics manqués, les soins de base
déficients, et tout le monde est pressé de les faire sortir de l'hôpital, pas
parce que les professionnels sont des gens méchants, ils sont constamment
débordés. On ne peut pas fournir les soins dont ils ont besoin. Ils font un
burn-out, ils arrêtent d'essayer puis ils blâment le patient. Ajoutez à ça une
demande d'aide médicale à mourir et ça semble être gagnant pour tout le monde,
le patient a ce qu'il veut et l'hôpital libère un lit, mais ce n'est pas un
consentement libre et éclairé, parce que les patients n'ont pas toutes les
options.
• (15 h 10) •
Alors, pour venir à l'aide médicale à mourir par
demande anticipée, c'est encore plus problématique du point de vue éthique,
parce que le patient ne peut pas donner son consentement au moment où il est
administré. Alors, on cause la mort d'une personne qui ne le demande pas. On
prend pour acquis que le consentement préalable, avant la perte de l'aptitude,
est identique au consentement simultané, mais il n'y a rien qui prouve que
c'est le cas.
Le consentement libre et éclairé n'exige pas
seulement de savoir à quoi on consent, mais aussi de connaître dans quelles
conditions ça s'applique, et personne ne sait à l'avance comment sa démence
évoluera, si elle en a, et certainement quelle sera son expérience subjective
de la démence, ses souhaits futurs et l'expérience de la mort. En réalité, on
ne sait pas comment évaluer l'aptitude à consentir à sa propre mort directement
causée.
C'est vrai qu'on autorise le consentement
préalable pour le retrait ou le refus d'intervention médicale, mais, du point
de vue éthique, il est très différent de demander à l'avance qu'on vous laisse
tranquille ou de refuser un traitement et demander qu'on fasse quelque chose
d'actif pour mettre fin à votre vie. Il n'y a aucune juridiction dans le monde
qui oblige des médecins à suivre une directive anticipée pour causer
directement la mort. Aux Pays-Bas et en Belgique, le médecin doit être d'accord
que la souffrance est intolérable avant d'accepter de le faire.
Beaucoup de mes patients sont au centre de
conflits entre les membres de leur famille, généralement au sujet de l'argent
et de la validité des documents qu'ils ont signés. Vous seriez effrayés de voir
avec quelle facilité les gens signent des documents qui auront de lourdes
conséquences, sans les lire et sans les comprendre. Il y a aussi des situations
claires d'abus. Alors, vous avez peut-être vu dans la presse il y a quelques
années l'histoire d'une de mes patientes qui a été placée contre son gré et son
compte de banque gelé à cause d'un mandat homologué qu'elle n'avait pas signé,
c'était falsifié, et personne ne lui en a parlé. Elle a retrouvé ses droits
après s'être enfuie de la résidence en jaquette au milieu de l'hiver. J'ai vu beaucoup
de variants de ce cas, c'est pour ça que j'ai de la misère à faire confiance
aux documents. Je les conseille quand même quand il faut, mais avec beaucoup de
prudence.
La notion qu'on puisse exercer son autonomie
dans une espèce de vide, sur papier, ignore les faiblesses de la nature
humaine, de la société humaine et de systèmes de santé limités. Et des
directives anticipées qui autorisaient la mort seraient trop facilement
abusées, des fois par exprès, et souvent par précipitation ou inconscience,
comme il arrive maintenant avec les demandes d'aide médicale à mourir. Il
s'agira de causer directement la mort d'une personne innocente qui ne le
demande pas dans le moment.
Je comprends les gens qui réclament ça, je
comprends qu'ils ont peur de la démence, moi aussi j'en ai peur, peur du CHSLD, ils ont peur d'être abandonnés et
mal soignés quand ils ne seront plus en mesure de réclamer leurs droits,
mais il y a d'autres façons de répondre à
ces craintes. On doit soutenir les familles pour garder les proches à la
maison le plus possible. Là, on nous parle des maisons pour aînés. Je
trouve ça fantastique. Les soins palliatifs pour la démence, ça existe.
C'est très peu appliqué, il faudrait faire plus. Alors, il faut plutôt chercher
à bien soigner les gens. Merci.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci. Est-ce que, Dre Cattan, vous prenez la parole? Allez-y,
il vous reste 3 min 45 s.
Mme Cattan (Candice) : Oui, bonjour.
Je me présente. Je suis psychiatre au Québec depuis 2004. J'ai travaillé en
tant que psychiatre aux adultes au CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île, à l'Hôpital
général du Lakeshore, de 2004 jusqu'à 2020, et je suis présentement
installée en cabinet privé depuis presque un an. Donc, juste pour vous dire que
durant ma pratique, je suis allée souvent au tribunal pour demander des
ordonnances aux soins, et afin de traiter des cas de maladie mentale sévère et
persistante que nous réussissons à stabiliser par des soins que les patients
refusent initialement.
Plusieurs raisons me motivent d'être ici aujourd'hui.
Je commence en vous disant que je m'oppose à l'aide médicale à mourir et son utilisation réservée uniquement pour la maladie mentale. Bref, je peux vous
donner quelques raisons. Je sais qu'on est limité par le temps, mais
j'essaie de m'expliquer que, comme nous le savons, comment on peut parler de
mourir quand les gens souffrant de maladie mentale n'ont même pas accès aux
soins, comme vous savez déjà qu'il y a comme des grosses... des grandes listes
d'attente pour un médecin de famille, et même plus que deux ans juste pour voir
un psychiatre dans certaines régions, au Québec. Les CLSC, ils offrent des
thérapies. Dans le système public, c'est peut-être six à 10 sessions. Les
coûts pour avoir une thérapie dans le privé sont de 150 $ à 200 $ de
l'heure, puis il n'y a personne qui peut avoir accès à ça. Si on veut vraiment
une thérapie, il faut la payer. La sismothérapie, ça, c'est une autre chose,
c'est comme une de mes spécialités, il y a des grandes listes d'attente. J'ai
vu des cas miraculeux, des gens qui sont sortis d'une dépression profonde à
cause des électrochocs, qui ont été, quand même, un traitement qui a sauvé la
vie de plusieurs personnes qui ne mangeaient pas, qui étaient très, très
déprimées. Alors, on peut dire qu'il y a des traitements qui existent aujourd'hui,
mais on n'a pas accès.
Il faut clarifier aussi le diagnostic. Sans
avoir accès à un psychiatre, des fois, c'est très difficile. Il y a des fois
des retards pour avoir le diagnostic, ça peut aller jusqu'à 20 ans. Avoir
un diagnostic de maladie bipolaire n'est pas facile
à faire. Des fois, il faut avoir l'information venant de la famille pour
vraiment exclure une dépression unipolaire et voir que c'est vraiment une dépression de type bipolaire, essayer des
médicaments qu'on utilise aujourd'hui
qui semblent être très bons pour stabiliser l'humeur, comme le lithium
ou bien des antipsychotiques de nouvelle génération.
Alors, pour vous dire que la maladie mentale, en
tant que telle, ce n'est pas facile. C'est des... C'est une maladie qui est
épisodique. Quand on parle de schizophrénie, il y a des épisodes de psychose.
Quand on parle de dépression, il y a aussi des épisodes de dépression. Depuis
que je suis en pratique privée... J'ai vu une dame, dernièrement, qui a fait
une tentative de suicide. Elle a été admise quelques jours à l'hôpital, au mois
de mai. On a fait des petits changements dans sa médication. J'ai rencontré sa
fille, son fils pour clarifier c'est quoi, les stress, puis, je pense, au
niveau financier, c'en était un. Ça, c'est sûr et certain, parce que ça a l'air
que ça va beaucoup mieux. Elle commence... Elle a commencé à travailler la
semaine passée. C'est une dame qui a eu plusieurs épisodes, qui était traitée
pour dépression. Je suis en train de penser, peut-être que c'est une maladie
bipolaire. Donc, on est en train de voir c'est quoi, les autres options. J'ai
demandé aussi qu'elle soit évaluée par une nouvelle clinique ici, à Montréal,
qui donne des traitements avec la kétamine. C'est un nouveau traitement. Et ça
a été refusé par ses assurances. Mais
heureusement, elle va mieux et elle est retournée travailler la semaine
dernière, comme j'ai dit tantôt.
Et aussi, il
faut dire que l'aide médicale à mourir, en santé mentale, souvent, c'est des
gens qui ont des problèmes psychosociaux qui vont la demander. J'ai déjà
eu une demande, dernièrement, d'un monsieur qui a un problème financier assez
grave. Il a perdu sa maison, il a perdu son travail. Il ne veut pas le dire à
sa femme. Il est suivi dans la communauté par une travailleuse sociale. Alors,
c'est quand même un cas de dépression qui est vraiment relié à son problème
financier. Donc, si on peut régler son problème financier, il ne serait pas
suicidaire.
Alors, c'est juste ça que je voulais... Je sais
qu'on est limités par le temps, mais en résumé, nous pouvons parler longtemps
sur le sujet de l'aide médicale à mourir pour la santé mentale. Nous savons
déjà que la maladie mentale se traite. Cependant, nous avons besoin d'avoir
accès aux ressources nécessaires. Il faut discuter comment offrir de l'aide
médicale, c'est-à-dire, la promotion de la santé et de la vie avant de terminer
la vie d'un être humain.
On entend souvent parler que les programmes en
santé mentale manquent de financement. Il est fort possible que la solution au
problème est là. La souffrance peut être gérée par différentes façons, et tout
le monde doit avoir cette opportunité. Nous pouvons alléger les symptômes. Et
la définition du rétablissement mental se veut très large. C'est un processus
qui peut prendre plusieurs mois, même plusieurs années. Alors, c'est là que je
voulais arrêter.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vous remercie. Nous passons maintenant à la période
d'échange avec les membres de la commission pour une période de
35 minutes. Nous commençons avec la députée de Mille-Îles.
Mme
Charbonneau : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, mesdames. Merci d'avoir mis des exemples dans votre
présentation, puisque votre mémoire il y avait un peu moins d'exemples. Donc,
en nous donnant des exemples de gens que vous avez traités et que vous avez
suivis, ça aide un peu à mieux comprendre.
Je voulais vous soumettre peut-être trois questions.
Ma première serait : Plusieurs gens sont venus nous témoigner qu'à partir
du moment où une personne fait une demande d'aide médicale à mourir, ça vient
calmer ses inquiétudes et ça lui permet de mieux vivre avec l'avenir qui est
devant elle. Donc, ça n'arrive pas demain matin qu'on lui offre le service ou
qu'on lui... qu'elle a le service, mais ça l'aide à mieux vivre avec sa
maladie. Peut-être ça touche plus
Dre Ferrier, mais je me demandais si vous aviez vu cet aspect-là dans les
gens que vous avez rencontrés.
Mme Ferrier (Catherine) : Là, vous
parlez des patients âgés qui ont un risque de démence, j'imagine. Ça peut être
un point, mais, si on leur offrait d'autres façons d'assurer qu'ils ne seront
pas abandonnés quand ils auront la démence, je pense
que ça ferait la même chose ou encore mieux, parce que ça donne quelque chose de positif. Il y a tellement
de difficultés pour s'assurer qu'on serait bien entouré, etc.,
et avoir les services qu'on a besoin. Moi, je pense qu'offrir la mort, c'est comme... en tout cas, comparé
avec tout le reste, ça fait pitié que ce soit l'offre qu'on leur fait.
Mme
Charbonneau : Merci. Ma deuxième question serait... Dans
votre mémoire, vous semblez dire qu'à... et
vous le dites à plusieurs reprises, que c'est le médecin qui offre le service de l'aide médicale à mourir. Ça m'inquiète parce que depuis le début,
je vous dirais depuis 2009, la discussion qu'on a, c'est que c'est une demande
de la personne et non une demande du monde médical. Donc, est-ce que d'après
vos expériences vous avez plus perçu que c'était une offre de service que le
médecin faisait ou c'était une demande du patient?
• (15 h 20) •
Mme Ferrier
(Catherine) : C'est sûr que ça peut aller dans les deux sens. Le
patient peut le demander. On se demande pourquoi il le demande. Est-ce qu'il le
demande parce qu'il n'a pas les services dont il a besoin, parce qu'il n'a pas les soins dont il a besoin, parce
qu'il souffre? Dans le débat, l'automne dernier, l'hiver dernier, au
fédéral, justement, il y avait... on voulait interdire que ce soit offert au
patient parce qu'on trouvait ça, justement, dangereux. C'est comme proposer le
suicide, d'une certaine façon. Et, en tout cas, ils ont refusé d'inclure ça
dans la loi. Le lobby pro-euthanasie, ils veulent absolument pouvoir l'offrir,
là, ça m'inquiète beaucoup.
Mme
Charbonneau : Mme
Cattan... Dre Cattan, de votre côté, est-ce que vous avez déjà
entendu des médecins ou des collègues de travail qui offraient à un
patient ce service... — ce
service... — cette
aide médicale là ou est-ce que c'est toujours le patient qui en parle en
premier?
Mme Cattan
(Candice) : En psychiatrie, à date, j'en ai eu peut-être deux patients
qui l'ont demandé. Mais, comme je vous ai dit tantôt, un des patients, c'est
surtout à cause qu'il a des... ce n'est pas quelqu'un qui veut se suicider, il
n'a pas des idées noires puis il va passer à l'acte, mais il le voit comme une
option parce qu'il sent qu'il est piégé avec les problèmes financiers. Alors,
là, j'ai juste évalué une fois, comme vous le savez, ça prend plusieurs
rencontres pour connaître le patient, puis la travailleuse sociale m'avait
appelée tantôt pour en discuter, mais c'est un monsieur qui ne voit pas de
porte de sortie. Alors, pour lui, c'est vraiment comme une option, mais ce
n'est pas quelque chose qu'il veut faire. Ça va probablement avoir des
conséquences avec sa femme, c'est une dame qui est très malade, elle souffre de douleurs chroniques. Alors, il voit comment
ça peut causer des problèmes dans son couple, dans sa famille s'il ne
serait plus là, mais ce n'est pas... c'est une option parce qu'il ne sait pas
comment résoudre les problèmes financiers.
Puis je pense qu'en
psychiatrie on traite souvent ce qu'on appelle les comorbidités, donc c'est des
maladies concomitantes. Alors, souvent, c'est ces gens-là qui ne savent pas
comment s'en sortir de leur toxicomanie ou comme les troubles de personnalité,
les idées suicidaires, c'est quelque chose de très fréquent. Puis, comme
j'avais dit tantôt, ça fluctue, il y a des épisodes de dépression, maladie
bipolaire, schizophrénie. Donc, c'est comme... moi, je décris ça comme, genre,
une tempête. Alors, il y a un début, il y a une fin. Alors, il faut essayer de
gérer le milieu, c'est la partie la plus difficile. Puis, des fois, avec les
soins puis l'équipe multidisciplinaire, on peut en arriver, mais ça prend du
temps, puis il faut qu'ils fassent confiance aussi.
Alors, quand on parle
de l'aide médicale à mourir en santé mentale, je pense qu'il y a d'autres
choses avant de parler de mourir, là, c'est... Comme médecin, on veut aider
puis on veut que les choses aillent mieux. Puis, je pense, en santé mentale,
notamment en 2021, on a tellement des traitements qu'on peut toujours essayer.
Des fois, ça prend le dixième médicament, ou bien il y a des gens qui vont
refuser d'essayer le lithium parce qu'il y a quelqu'un dans la famille qui
avait pris du lithium puis il y a le stigma. Dans la maladie mentale, il y a
plein de choses qui rentrent en jeu. Alors, finalement, j'ai eu des cas qu'ils
ont décidé : O.K., le lithium avant des électrochocs, parce que... comme... les électrochocs, c'est quelque
chose qui est vu comme un peu barbare, Moyen-Âge. Alors, le lithium a
fonctionné. Alors, finalement, ça va mieux et... la dépression. Donc, c'est ça.
Mme
Charbonneau :
Parfait. Merci. Ma dernière question. On a parlé de mettre en place des
comités, des comités multi avec des... multidisciplinaires pour pouvoir
accompagner les gens pour peut-être regarder les pistes de solution, s'il y en
a à offrir aux patients, ou accompagner les gens dans le processus. Quelqu'un
nous a proposé d'avoir un comité différent pour la santé mentale si jamais on
visait un peu à adresser ou à regarder les demandes de ce côté, ce qui n'est
pas une décision qui été prise. Mais, dans la réflexion que nous faisons, est-ce
que vous pensez qu'il serait intéressant, un, d'avoir un comité différent pour
la santé mentale, deux, dans la même question, les gens nous ont parlé d'avoir quelqu'un
qui n'était sensiblement consacré qu'à l'éthique? Et, Dr Ferrier, vous
avez parlé un peu tantôt de l'éthique, donc est-ce qu'il n'y a pas lieu
d'avoir, dans ces deux comités-là, quelqu'un qui regarde, un peu plus
attentionné, l'éthique et la pratique pour s'assurer que la demande du patient,
elle est bien faite, mais qu'elle est aussi bien suivie de par ce qui affecte
comme maladie le patient?
Mme Ferrier
(Catherine) : Si je peux parler, même si c'est ma collègue qui est
psychiatre, mais je sais que vous êtes prise avec la loi fédérale qui va
imposer l'aide médicale à mourir pour les maladies mentales dans deux ans.
Alors, oui, il faudrait faire quelque chose pour empêcher que ça fasse plus de
tort qu'il faut aux gens. Et justement, ici comme ailleurs, les comités pour
surveiller les euthanasies ou les aides médicales à mourir sont comme après la
mort du patient, c'est un peu tard.
Alors, oui, ça
prendrait... je pense que quelque chose de très, très rigoureux pour étudier
les demandes, pas seulement pour accompagner vers ça, et pour vraiment assurer,
d'un côté, que tout a été essayé, que ça peut prendre, comme plusieurs ont dit,
beaucoup d'années avant d'arriver à ça, et aussi pour regarder l'aptitude du
patient à consentir, parce que ce n'est pas du tout évident quand il est question
de maladie mentale.
Mme
Charbonneau :
Merci.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je passerais la parole
maintenant au député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Bon, merci, Mme la
Présidente. Merci les Dres Ferrier et Cattan. Il semble qu'il ne me reste
pas beaucoup de temps, mais vous avez dressé un portrait à la fois sombre et sérieux
des possibles et réelles dérives.
Je veux
comprendre votre lecture où se situe l'importance d'évaluer et de considérer
l'autonomie et l'autodétermination des individus qui aimeraient se
prévaloir de l'aide médicale à mourir.
Mme Ferrier (Catherine) : Merci pour
cette question. L'autonomie, c'est sûr que c'est très important en médecine,
l'autonomie. Comme dans la vie, ce n'est pas la seule valeur. Et on parle
souvent maintenant, dans tout ce débat-là, comme si c'était la seule valeur,
que la personne fasse qu'est-ce qu'elle veut. Mais est-ce qu'on peut considérer
que c'est une décision autonome quand il y a toutes ces autres pressions sur
lui? Il n'a pas les soins, il n'a pas le
milieu favorable, il n'a pas... etc. Si le... Il y a toute la stigmatisation,
que ce soit en démence ou en santé mentale. Ils arrivent à l'urgence puis on veut les renvoyer. Il y a beaucoup,
beaucoup de situations qui peuvent réduire l'autonomie d'une personne et
la pousser vers la mort quand, dans une autre situation, ce n'est pas ça qu'il
aurait choisi.
Et justement, quand je parlais de toute la
glorification de l'aide médicale à mourir qu'il y a eue depuis quelques années,
je pense que ça, ça n'aide pas l'autonomie dans le sens que les gens ne voient
pas les autres options, ils ne savent pas, puis, des fois, elles ne sont même
pas disponibles. Et on regarde l'hébergement des personnes âgées : Qui
voudrait aller en CHSLD maintenant, après la COVID? Qui voudraient... il n'y a
pas les soins à domicile. Tous les patients veulent rester à domicile mais on
ne peut pas les soutenir. Moi, je voudrais soutenir leur autonomie dans ça, là,
qu'ils puissent vraiment vivre à l'endroit où ils veulent, mais ils ne peuvent
pas, ils sont obligés à faire des compromis dans plein, plein, plein de choses.
Moi, je pense que l'autonomie pour la mort,
c'est comme... c'est en bas de la liste pour moi, là.
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je... si ça fait le tour, je passerais maintenant la
parole au député de Rosemont.
M. Marissal : Oui. Merci,
Mme la Présidente. Merci, docteure, de vos commentaires. En tout cas,
votre point a le mérite d'être très, très clair, puis je le comprends, c'est
une position légitime.
Par contre,
vous faites des affirmations, que je présume fondées, qui sont lourdes, hein?
Quand vous dites : Il y a de la
coercition qui se fait, il y a de la négligence, ça, ce n'est pas permis par la
loi. On ne peut pas pousser quelqu'un à la mort, là, surtout pas quand
on est en situation d'autorité médicale puis qu'on se trouve devant des
personnes vulnérables. Y a-t-il des
dénonciations? Si c'est si évident que ça se passe presque à visière levée,
dans le réseau hospitalier notamment, parce qu'on veut vider des lits,
devrait-il y avoir des dénonciations et des accusations? Parce qu'on parle,
ici, à ce moment-là, d'homicides, ou en tout cas, on parle certainement d'actes
répréhensibles au plan criminel.
• (15 h 30) •
Mme Ferrier (Catherine) : Merci pour
cette question. Je pense que ce serait rare que ce serait un médecin ou un
autre professionnel qui arrive et dit : Monsieur, madame, je pense que
vous devriez prendre l'aide médicale à mourir. Mais il y a un désespoir qui se
crée, des fois, autour d'une maladie, que ce soit une maladie physique, une
maladie psychiatrique, une situation de vieillissement, de démence, de manque
de ressources, quoi que ce soit, et, à un moment donné, c'est le professionnel,
peut-être, qui ne voit pas d'issue. Alors, il ne va pas dire : Moi, je
pense que vous seriez mieux mort, mais peut-être qu'il va le dire autrement
qu'avec les paroles. Et, si le patient, en plus de ce désespoir partagé, n'a
vraiment pas d'option...
On regarde quelqu'un à l'hôpital... Moi, je
travaille en gériatrie. Je ne fais pas l'étage, mais il y en a d'autres qui le
font. Une personne que ça lui prend une heure pour manger ne va pas manger parce
qu'il n'y a personne qui peut la faire manger. Une personne va se déshydrater parce
qu'il n'y a personne qui va la faire... assurer qu'elle boive assez. Une
personne va tomber parce qu'il n'y a personne qui va répondre à sa clochette
quand elle veut aller à la toilette, et elle
va se lever toute seule. Tout ça, c'est l'ambiance dans laquelle on baigne
quand on est une personne âgée.
Et je pourrais ajouter plein, plein, plein de
choses. À domicile, ailleurs, il n'y a pas ce qu'il faut pour soutenir ces
gens-là. Alors, si, à un moment donné, ils disent «je veux mourir», ce
n'est peut-être pas que quelqu'un qui lui a dit : Là, vous devriez mourir,
mais c'est un ensemble des choses, c'est une zone grise très, très large entre
incitation directe et une décision autonome.
Moi, je pense qu'il y a des décisions autonomes qu'il faut... ça prend une
vérification énorme avant d'être sûr que c'est autonome.
M. Marissal : Je comprends votre
point. Dre Cattan, par ailleurs, vous avez dit tout à l'heure : On peut
essayer plein de choses en santé mentale. Vous avez même dit tout à
l'heure : On pourrait, là, essayer, là, une dizaine de molécules avant de
trouver la bonne. Mais, justement, a contrario, c'est des cas qui nous sont
documentés puis qui nous sont racontés ici, puis il y en a, des cas, de toute
façon, de gens que, justement, ça fait des années et des années, 20,
25 ans, qui essaient puis qui essaient tout, tout, là, puis, à un moment
donné, ils n'en peuvent plus. Puis dans... si on défend le principe de
l'autodétermination, ces gens-là en arrivent, à un moment donné, à dire :
Je n'en peux plus, je n'en peux plus. Oui, c'est malheureux, peut-être que le
système, quelque part, les a lâchés en cours de route, mais ça, c'est notre
dilemme, là.
Si on applique le principe d'il faut qu'il y ait
des services partout, tout le temps — et ce serait l'idéal, là,
mais ce n'est pas le cas, puis tout le monde le sait, puis on ne se racontera
pas d'histoires — est-ce
qu'on ne les pénalise pas doublement, ces gens-là? Parce qu'à quelque part
peut-être qu'ils n'ont pas eu tous les services dont ils ont
eu besoin, ce qui est le cas dans la majorité des cas, mais par ailleurs, là
maintenant qu'ils ont fait le tour de la question puis qu'ils disent :
Moi, là, en mon âme et conscience, et je suis apte à décider puis je suis
maître de mon corps, je n'en peux plus, je veux partir, on les pénalise
doublement, autrement dit. Ils ont été pénalisés de leur vivant, puis on n'est
pas capables de leur donner le soulagement qu'ils réclament.
Mme Cattan (Candice) : J'ai
travaillé longtemps à faire des gardes à l'urgence et je ne sais pas combien de
patients que j'ai admis qui étaient suicidaires, ils ont fait des gestes
suicidaires puis ils l'ont regretté. Alors, c'est souvent en essayant de
comprendre c'est quoi, la situation. Des fois, c'est juste une question
d'admettre le patient puis qu'il se sente au moins dans un genre de... une
place sécuritaire où ils peuvent dormir, se reposer, puis que quelqu'un
s'occupe des enfants, puis tout le stress.
Alors, pour dire que j'ai rencontré des gens
comme vous me décrivez, c'est sûr qu'on va les rencontrer, mais c'est
temporaire, ce n'est pas quelque chose que... tu sais, ça revient puis ils veulent
mourir puis ils veulent mourir. Souvent, quand on voit des gens comme ça, c'est
parce que c'est des troubles de personnalité. Puis il y a des groupes, il y a
des traitements pour des troubles de personnalité qui ont peut-être eu une
dizaine de tentatives de suicide, puis, des fois, c'est juste pour rechercher
un peu comme l'attention de la famille ou des amis. Donc, c'est... il faut
regarder ça cas par cas.
Dans mon expérience à moi, ça fait 17 ans
que je suis psychiatre, j'ai travaillé 16 ans dans un hôpital, j'ai été
quand même de garde à l'urgence, sur les étages, j'ai traité des gens avec
schizophrénie assez forte, là, comme très résistante aux médicaments, on a tout
essayé, on a dû... J'ai même eu une patiente qui a été hospitalisée cinq ans. On
ne trouvait pas une place pour l'héberger, parce qu'à chaque fois qu'on l'a
laissée sortir elle faisait des genres de... pas des overdoses, mais elle avait
aussi un trouble alimentaire, donc c'était très, très complexe.
Dans mon expérience, moi, j'ai vu l'autre côté.
Alors, les psychiatres qui travaillent à l'interne, ils voient les patients qui
sont le plus malades, puis, après ça, quand on les voit à l'externe, parce
qu'ils sont sortis de l'hôpital, tout d'un coup, c'est une autre personne.
Alors, c'est pour ça que je vois qu'il y a des cas qui se... je pense qu'ils
s'améliorent avec le temps.
Comme j'ai dit tantôt, il y a des épisodes, il y
a des épisodes de psychose aiguë. Il y a des médicaments, ce n'est pas... Pas
tous les médicaments sont parfaits. Il y a des effets secondaires aussi. On
s'entend que c'est quand même des médicaments assez lourds, des fois. Mais
pour... Vous me décrivez un cas que je... à date, dans mes 17 ans d'expérience comme psychiatre, quelqu'un qui veut
tout le temps le suicide, moi, j'ai... c'est comme... Il y a des hauts et des bas. Alors, je ne peux pas dire que
j'ai rencontré quelqu'un comme vous me décrivez là, qui veut toujours,
comme... le suicide tout le temps. Alors,
c'est difficile. Il faut clarifier les diagnostics. Il faut avoir une équipe
multidisciplinaire, une... quand même des tests psychologiques. C'est très
complexe.
Le cas que vous me décrivez, si ça existe, ça
doit être moins de 1 %, là, des cas, si ça existe. Alors, je ne pense pas
que, si on va ouvrir une boîte à Pandora puis qu'on va dire que maladie
mentale... je vais avoir plein de demandes de consultation. Moi, à mon avis, ça
va être des gens avec des comorbidités de toxicomanie, de trouble de
personnalité, des problèmes aussi de finance, psychosociale, alors ça va être
ces cas-là.
Pour ce qui est de maladies psychiatriques
pures, là, on parle de dépression, on parle de maladie bipolaire, on parle de
schizophrénie, on a beaucoup de traitements, on en a même des nouveaux qui vont
arriver. La kétamine, tantôt j'en ai parlé, parce que c'est une nouvelle
clinique qui vient d'ouvrir à Montréal. Il y en a quatre au Canada. Je viens de
faire le cours de Harvard au mois de juin, alors je suis quand même à jour avec
tous les traitements. Il y a plein de choses qu'on peut faire pour ces gens-là.
Puis ce n'est pas juste les médicaments, je
parle aussi de parler avec un psychologue, d'avoir une travailleuse sociale, d'avoir... Des fois, il y a des
ergothérapeutes spécialisés en santé mentale qui sont mieux que les psychologues,
ils peuvent parler et aider les patients avec le fonctionnement.
Alors, aujourd'hui, en santé mentale, on a plein
de choses à notre disposition, mais c'est sûr qu'il y a des coûts et il y a
l'accès qui empêche à certaines gens d'avoir ces ressources.
M. Marissal : Je vous remercie. Je
ne vous demanderai pas s'il me reste du temps, Mme la Présidente.
Mme Ferrier (Catherine) : Est-ce que
je peux ajouter quelque chose à ça?
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Je vais donner la parole à Mme la députée de
Joliette, puis peut-être que vous pourrez, là, rajouter tout à l'heure en
répondant à la question. Je vous remercie, Dre Ferrier. Donc, Mme la
députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour à vous deux. Juste pour reprendre un peu, peut-être, le premier point
de mon collègue de Rosemont, juste dire qu'évidemment, l'esprit de la loi,
c'était vraiment que la demande devait venir en tout temps de la personne,
jamais d'une influence extérieure. Donc, je ne sais pas si c'est vous qui avez
été témoin de ça ou d'autres personnes qui vous ont rapporté ça, mais, s'il y
avait une offre insistante ou de la coercition, je pense que c'est vraiment un
cas pour que ça soit rapporté aux autorités. Donc, je tenais à le dire, là,
parce qu'on serait très, très loin de la philosophie qui était vraiment au
coeur de la loi.
Moi, Dre Ferrier, j'aimerais profiter de
votre expertise en gériatrie pour venir un peu apporter votre éclairage à vous sur la question de l'état dans lequel les
personnes... l'état de souffrance ou de non-souffrance dans lequel, là,
les personnes qui souffrent de maladies neurocognitives et qui deviennent
inaptes se trouvent. Donc, on entend toutes sortes de
choses de spécialistes, et les opinions sont très différentes. Pour certains,
dès que vous êtes dans cette condition-là, il y a une souffrance intrinsèque
qui est là; pour d'autres, si vous êtes très, très avancé, vous auriez une
perte de conscience qui fait qu'on ne peut plus vraiment parler de souffrance; pour
d'autres, il y a des gens qui sont dans ce
qu'on pourrait appeler de la démence heureuse ou non malheureuse. Donc, avec
votre expérience, quel regard vous portez sur la souffrance des
personnes qui sont dans des états comme ceux-là?
• (15 h 40) •
Mme Ferrier (Catherine) : Merci
beaucoup pour la question. C'est sûr que tout ce qu'on peut dire, nous, au
sujet de la souffrance d'une personne qui a une démence, c'est des opinions,
comme vous dites, là, parce qu'on n'est pas à l'intérieur d'eux autres pour
savoir qu'est-ce qu'ils vivent. Moi, j'ai deux proches actuellement dont je
m'occupe qui ont une démence. Alors, je les vois, là, tous les jours. À part de
mon expérience de médecin, ça m'a éclairée beaucoup pour mon travail
professionnel. Ce que je vois chez eux et chez mes patients que c'est... il y a
des souffrances qui peuvent être dues à la maladie, il y a des souffrances qui
ont... qui sont des souffrances comme tout le monde. Alors, s'ils ont de la
douleur physique, s'ils ont mal dormi, si on leur dit des bêtises, toutes les
choses qui font souffrir n'importe qui vont faire souffrir une personne avec
une démence, peut-être de façon différente.
La démence comme telle, c'est surtout quand il y
a ce qu'on appelle des symptômes psychologiques et comportementaux, qui peuvent
être des craintes, de l'agitation, tout ça. Ça peut faire partie de la maladie.
Ce n'est pas dans tous les cas, ce n'est même pas dans la majorité des cas,
mais ça peut faire souffrir. Il y a des choses qu'on peut faire pour ça.
J'ai entendu un témoin, l'autre jour, parler
contre les antipsychotiques, mais des fois ça peut aider. On les prescrit avec
beaucoup de soin, à petites doses, et on surveille beaucoup le patient pour...
Mais il y a beaucoup de choses non pharmacologiques aussi pour faire... à faire
pour ça. Si quelqu'un a peur quand on essaie de lui donner le bain parce qu'il
ne comprend pas qu'est-ce qu'on essaie de faire, il y a plein, plein, plein de
choses à faire. Et ça, ce n'est pas les
médecins, c'est d'autres professionnels qui ont développé beaucoup de façons
d'approcher ces choses-là.
Et c'est sûr aussi que, quand on a toute notre
tête puis on regarde une personne qui a une démence et qui n'a pas l'air
agréable, qui se comporte un peu comme un enfant, qui ne peut pas aller à la
toilette tout seul, on dit : Je ne voudrais pas vivre comme ça, tuez-moi
avant. Je pense qu'on a écrit ça dans notre mémoire. Mais ça, c'est une souffrance un peu imposée parce que la personne ne
le vit pas nécessairement pour... Justement, pour une de mes proches qui est complètement incontinente et dépendante
pour aller à la toilette, elle trouve ça normal qu'on l'amène à la
toilette, qu'on change ses couches. Elle a oublié que sa vie a été autrement
autrefois, et ça ne la dérange pas du tout pour des... Et, si on se met à
chanter avec elle ou à regarder des photos ou la télévision avec elle, elle est
heureuse, disons.
Alors, quelle
est la souffrance de la démence? C'est seulement la personne... et chaque personne est différente. Quoi vous dire?
Mme
Hivon : Non,
évidemment, mais, vu que vous êtes au quotidien auprès de ces patients-là,
c'est cette expérience-là aussi, très concrète, qu'on recherche. Et est-ce
que... Certains nous ont dit qu'il y a des échelles, en fait, que, par différents mécanismes, là, on est capables quand même
d'évaluer si la personne souffre, mettons, physiquement, là, la
souffrance psychologique, existentielle, ça doit être pas mal complexe, mais
mettons par la crispation, par le fait
que... si elle se met à faire de l'errance, à crier, tout ça. Donc, est-ce
qu'il y a des espèces d'échelles,
quand même, qui existent, ou de
mécanismes qui existent pour vous, les gériatres, pour évaluer l'inconfort et
la souffrance d'une personne?
La Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) :
Rapidement, s'il vous plaît.
Mme Ferrier (Catherine) : Oui. C'est
surtout en milieu d'hébergement que ça a été développé et que c'est appliqué le
plus, mais c'est applicable partout. Pour la douleur, c'est ça, on voit le
visage de la personne, le comportement, etc. Dans le fond, quand il y a un
comportement dérangeant, qu'on appelle dérangeant, la première chose, toujours,
à faire, c'est aller voir quelle détresse vit cette personne qui la porte à
faire ça, si elle fait de l'errance, si elle crie, si elle résiste aux soins,
c'est quoi, la souffrance. Puis il y a des gens qui sont vraiment experts pour
aller trouver ça et essayer de s'adresser à la détresse justement pour aider la
personne et pour l'aider à ne pas se comporter
d'une façon que ça nous tente... une sédation, des contentions ou toutes ces
choses-là qu'on ne peut pas... Mais, oui,
moi, je pense que c'est une voie qui est quand même développée mais qui serait
à développer encore plus à l'avenir.
Mme
Hivon : Merci.
La Présidente
(Mme Proulx, Côte-du-Sud) :
Merci. Donc, je passe la parole maintenant au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci,
Mme la Présidente. Alors, bonjour, Mme Ferrier et Mme Cattan. C'est
toujours intéressant d'entendre des spécialistes, puis, en plus, comme disait
tout à l'heure mon collègue, votre position a le mérite quand même d'être assez
claire.
J'aurais peut-être... Je voudrais peut-être
avoir des petits échanges avec vous. J'aurais plusieurs questions. Puis avant j'aimerais ça, juste bien comprendre,
là, le Collectif des médecins contre l'euthanasie. Vous disiez, tout à
l'heure, que 50 % de vos membres étaient des médecins du Québec. C'est-tu
bien ça que vous avez mentionné au début?
Mme
Ferrier (Catherine) : Oui, c'est ça. Oui, on a commencé au Québec puis
après on a inclus des médecins du reste du Canada, mais on a commencé
comme un regroupement québécois.
M.
Girard (Lac-Saint-Jean) : Mais qui est national.
Mme Ferrier
(Catherine) : Oui, c'est ça, exactement.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Puis je comprends que vous avez des médecins, vous
avez des psychiatres, des médecins spécialistes dans différents domaines, c'est
ça?
Mme Ferrier
(Catherine) : Oui, c'est ça, exactement. Il y a la liste de nos
membres sur notre site Web, si ça vous intéresse.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Oui. Bien, merci beaucoup. Puis je veux juste bien
comprendre, Mme Ferrier. Tout à l'heure, vous, vous avez dit que vous
faites des diagnostics de démence.
Mme Ferrier
(Catherine) : Oui.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
C'est bien le cas? O.K. Parce que la démence, quand on dit que quelqu'un, exemple,
est atteint de l'alzheimer, ou va avoir une maladie cognitive, ou le
parkinson, puis je ne connais pas ça, mais, tu sais, on a entendu des groupes, bien, ils vont... on va dire, ils
souffrent de... il va y avoir des démences. C'est bien ça?
Mme Ferrier
(Catherine) : Non, c'est... Oui, dans le fond, le mot démence a été
remplacé, il y a quelques années, par le mot «trouble neurocognitif majeur»,
qui est beaucoup plus long à dire et beaucoup plus compliqué à expliquer au
patient. C'est une catégorie très, très large. Ça veut dire quelqu'un qui a un
trouble cognitif qui est assez grave pour affecter son fonctionnement dans la
vie de tous les jours.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : O.K. Parfait.
Mme Ferrier
(Catherine) : Dans ça, il y a différentes causes, et une des causes,
c'est l'alzheimer, par exemple, la démence vasculaire, la démence à corps de
Lewy. Il y a beaucoup, plusieurs... L'alzheimer est la plus fréquente, mais il
y a d'autres sortes de démence.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Alors, vous, vous traitez des gens qui souffrent
aussi de maladies cognitives.
Mme Ferrier
(Catherine) : Oui. C'est la même chose, oui.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
O.K. Donc... Parce que, là, je sais que, Dre Cattan, qui est... au niveau
des maladies mentales, là, vous êtes bien positionnée, mais on a aussi toute la
question des maladies cognitives, entre autres l'alzheimer...
Mme Ferrier
(Catherine) : Oui.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : ...que des gens sont venus témoigner qu'ils en
souffrent, on a eu des docteurs aussi, et ils ressortaient aussi toute la question
de l'autodétermination, mais je ne parle pas vraiment de maladie mentale, vraiment
de maladies diagnostiquées, puis il n'y a pas d'issu, et, entre autres, la
personne disait : Moi, je veux avoir le choix de quand je vais partir
parce que je sais qu'il n'y a pas d'issu, il y a un diagnostic. Quelle est
votre position à ce niveau-là pour les maladies cognitives?
Mme Ferrier
(Catherine) : Bon...
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Non, il n'y a pas d'issue.
Mme Ferrier
(Catherine) : Oui, c'est comme beaucoup de maladies chroniques qu'il
n'y a pas d'issu, on ne va pas guérir la maladie. Il y a plein de maladies
comme ça qui vont durer 5 ans, 10 ans, 20 ans, toute la
vie. Le diabète, les maladies de coeur, les maladies de poumon, on ne va pas
les guérir.
Les maladies
neurocognitives, la différence, c'est qu'à un moment donné on ne sera plus en
mesure de raisonner et de prendre les décisions nous-mêmes. Je pense que c'est
ça qui fait paniquer les gens. Alors, un de vos collègues, votre collègue à
vous m'a demandé tantôt sur l'autonomie, et ce que... je répéterais que
l'autonomie, c'est important, ce n'est pas la seule valeur, mais aussi que,
pour le considérer comme une décision autonome, il faut être sûr que le patient
a eu toutes les autres options et qu'il n'a pas peur, justement, de se ramasser
renfermé dans sa chambre dans un CHSLD pendant la pandémie, que ça... Dans le
fond, c'est beaucoup d'autres conditions autour de la démence ou la maladie
cognitive comme telle. S'il savait qu'il serait avec ses enfants jusqu'à la
fin, soigné, entouré, aimé, que jamais il
n'y aurait possibilité d'abus, d'abandon, et tout ça, peut-être,
ce serait différent, mais il y a des gens qui n'ont pas ça puis qui ont
peur. Et ça, c'est des raisons sociales, ce n'est pas la maladie comme telle.
Et comme je disais à Mme Hivon, on ne sait pas qu'est-ce que les gens
souffrent.
M.
Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. D'accord. Je comprends. Oui, il y a des
maladies qui... c'est vrai que, le diabète, il y a beaucoup d'avancements, il y
a des choses, mais je vais prendre vraiment le cas de l'alzheimer. On sait, quelqu'un qui dit : Moi, là, je suis
apte, moi, je veux signer un acte médical à mourir quand je serai rendu...
quand je serai rendu là. Donc, vous, vous n'êtes pas à l'aise parce que, vous
dites, il faut qu'on... Tu sais, parce que, la personne, tu sais, il n'y a pas
personne qui est en mesure de me dire c'est... la démence, quelqu'un qui
souffre de la démence, est-ce qu'il y a vraiment... c'est... Il souffre-tu
vraiment? Il souffre-tu pas? Tu sais, c'est dur à quantifier. Puis on sait que
la personne ne veut pas se retrouver nécessairement dans une situation comme on
peut voir. Puis je prends vraiment le cas de l'alzheimer parce que c'est assez
évident, là.
Est-ce
que vous... On parlait d'avoir... d'être rendu à tel stade, d'avoir... Vous,
vous n'y allez pas sur des stades?
Mme Ferrier
(Catherine) : Moi, je pense que c'est trop risqué de permettre qu'on
cause la mort d'une personne qui ne le demande pas dans le moment.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Mais la personne...
• (15 h 50) •
Mme Ferrier
(Catherine) : Je suis contre l'aide médicale à mourir dans toutes les
situations, vous le savez. Mais ça, ça m'inquiète particulièrement parce que,
quand ce serait le moment de le faire, le patient ne serait pas en mesure de
consentir. Le consentement qu'il aurait donné avant, est-ce que c'est valable?
Moi, j'ai beaucoup, beaucoup de doutes si ce consentement-là est valable,
d'abord parce qu'il ne sait pas qu'est-ce qui l'attend, ensuite parce que
personne n'a vérifié s'il comprenait qu'est-ce qu'il signait. Il y a plein,
plein, plein de facteurs qui me disent... Vous êtes sûrement au courant de la
dame qui a été controversée aux Pays-Bas, qu'on l'a retenue de force et on lui
a donné un sédatif avant de l'euthanasier. C'est ça que je ne veux pas au
Québec.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : O.K. Puis, en tout cas, c'est clair, là, dans votre
réponse, parce qu'on a eu cet avant-midi,
entre autres, puis je vais aller un petit peu plus d'un point de vue
administratif, papiers, on a eu l'association des retraités, et eux, ils
disaient que la dignité... ils parlaient beaucoup de dignité. Puis, à un moment
donné, ils allaient dire... ils allaient à
dire : Avec un acte notarié, témoins, un diagnostic, oui, avec des
balises, on s'entend, là, puis avec
un notarié, qu'ils trouvaient que c'était un document, là, qui était acceptable
avec des balises. Qu'en pensez-vous?
Mme Ferrier
(Catherine) : Je peux vous dire que moi, j'ai vu beaucoup d'actes
notariés que j'aurais voulu jeter à la poubelle parce que... tellement le
patient était loin... mais le patient, la personne était loin d'avoir compris
qu'est-ce qu'il a signé, là, et d'avoir compris toutes les conséquences de qu'est-ce
qu'il a signé. Par exemple, pour les demandes anticipées de retrait de soins,
moi, je suis en faveur de ça quand c'est bien fait, mais il y a des choses...
en tout cas, j'ai vu des choses vraiment à coucher dehors là-dedans. Et
le consentement, au moment de signer, dans le fond, pour toutes les directives
anticipées, que ce soit pour le retrait de soins ou pour quoi que ce soit, où
il faudrait vérifier l'aptitude, c'est au moment que la personne signe, mais
ça, on ne le fait jamais. Et ça, c'est une chose que, bon, c'est applicable à
d'autres situations que ce dont on parle maintenant, mais...
Et je pense que, même
si on signe en toute connaissance de cause, on ne sait pas qu'est-ce qu'on
voudra quand on sera dans un stade de démence modérée ou avancée. C'est
impossible de le savoir. Alors, l'idée qu'on pourrait mettre à mort une
personne qui ne le demande pas dans le moment, moi, je trouve ça effrayant, là.
Il y a d'autres façons de résoudre cette crainte-là qu'ont les gens, et ce
n'est pas dans les actes notariés. Moi, je... Je n'ai rien contre les notaires,
là, comme... Je ne dis pas qu'ils font des choses illégales non plus, mais en
tout cas.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Qu'est-ce que vous pensez d'une personne qui a le
cancer, qui est en soins palliatifs et qui décide...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Le temps est terminé. On devra conclure,
malheureusement.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Ah! Excusez.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Donc, Dre Ferrier, Dre Cattan, je vous remercie d'avoir
contribué aux travaux de la commission.
Nous allons suspendre
les travaux. Merci.
Mme Cattan
(Candice) : Merci.
Mme Ferrier
(Catherine) : Merci beaucoup de nous avoir invitées, bonjour.
(Suspension de la séance à
15 h 53)
(Reprise à 16 h 01
)
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : Alors, rebienvenue à la commission. Je souhaite la
bienvenue au représentant... en fait, le Pr Thomas De Koninck, qui prendra
la parole. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes
pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période d'échange avec les
membres de la commission. Je vous invite donc, Pr De Koninck, à vous
présenter et à commencer votre exposé. Merci.
M. Thomas De Koninck
M. De Koninck
(Thomas) : Merci, Mme la Présidente. Oui, en 10 minutes, je vais essayer de dire
le maximum de choses possible dans les 10 minutes et j'espère que
la discussion qui suivra permettra de développer davantage.
Je voudrais
insister d'abord, comme je l'ai fait dans mon mémoire, sur deux éléments
majeurs de l'expérience concrète que nous avons toutes et tous. D'abord,
l'expérience de la liberté dont nous jouissons dans notre for intérieur. «For intérieur» est une expression, une
belle expression, ça vient de «forum intérieur», le parlement intérieur.
Nul être humain ne peut vraiment pénétrer dans le for intérieur d'autrui. Nul
ne peut me forcer à aimer ou à ne pas aimer qui ou quoi que ce soit en mon for
intérieur. On peut me torturer, me faire dire, par exemple, deux et deux font
cinq, comme fait le tortionnaire dans 1984 de Orwell, et je pourrais
dire, peut-être, sous l'empire de la douleur, deux et deux font cinq, mais, en mon for intérieur, je peux continuer à
penser le contraire. Alors, c'est le lieu par excellence, donc, de la
liberté.
Et d'autre part, deuxième élément d'expérience,
capital ici, c'est que l'expérience de penser et d'aimer, qui sont les deux
activités principales de la vie humaine, proprement humaine, donc de la vie et
de l'esprit, l'expérience interne de penser et d'aimer révèle que l'éclair d'un
instant suffit pour faire tout basculer dans un nouveau sens. Nous avons tous
l'expérience, dans un seul instant, je change d'idée, tout d'un coup, je
comprends quelque chose que je n'avais pas compris, jamais. Soudain, j'ai une
intuition, etc. Nous avons cette expérience du «soudain». Et ça, c'est la
saisie simultanée des contraires qui est le propre de l'intelligence et de la
volonté humaines grâce auxquelles nous sommes libres, donc, la liberté étant au
coeur, justement, de la dignité humaine. Et sur la dignité humaine, il faudra
en discuter parce que je pense qu'il y a beaucoup de confusion. Et c'est au
coeur, donc, de la réflexion à laquelle vous nous invitez d'agir.
L'humain tout entier obéit à cette opposition
entre les contraires, hein? C'est «ou bien, ou bien», à partir duquel il y a
l'éthique, qui fonde l'éthique, hein? Ou bien je fais ceci, ou bien je fais
cela, le bien ou le mal, si vous voulez le dire rapidement. Et l'exemple par
excellence, c'est le soliloque de Hamlet, hein, qui tire son intensité de cette
universalité, celle d'être ou de ne pas être, «to be or not to be, that is the
question», ou ne pas être, ou ne pas exister, hein, qui est spécialement
pertinent dans le présent débat, et j'espère y revenir plus tard.
Alors, les personnes en situation de très grande
fragilité, qui sont appelées parfois démentes, nous apportent, comme je l'ai
écrit, une conscience accrue de notre propre condition à vous et moi, et de
tous les humains. Et j'insiste beaucoup, dans la réflexion que je vous propose,
sur la dimension humaine, commune à tous les humains, hein, qui revient, donc
dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, une conscience
accrue de notre propre condition de vulnérabilité et de mortalité.
Et l'intégration de celle-ci, de cette
condition, peut susciter un éveil extraordinaire, comme l'a écrit Gaëlle
Fiasse — j'ai
mis la référence dans mon mémoire — dans un essai qui s'appelle Amour
et fragilité, à vivre davantage, en vérité, et à aimer plus. Il y a un
éveil qui est suscité chez le soignant autant que grâce où la personne
soignante reçoit ainsi, de la personne malade, une force nouvelle de
connaissance de soi, car c'est le même soi dans l'amitié et dans l'amour,
hein... un autre soi, trésor de soi et d'amour. Tant et si bien que les
personnes en situation de fragilité, d'extrême fragilité, encore plus, peuvent
s'avérer des éveilleuses extraordinaires d'humanité, si invalides et si peu
performantes. La dignité humaine n'a absolument rien à voir, la dignité
humaine, avec la performance, hein? Elles sont capables de prodiges, d'amitié
au plus profond d'elles-mêmes. Donc, j'insiste sur cette question de vivre,
n'est-ce pas, aussi, de vivre pour vivre, comme le dit si bien Edgar Morin,
vivre pour vivre, et ça, ça veut dire la vie de l'esprit, la vie du coeur, pas
simplement la performance physique et le reste, l'apparat, la décoration.
Tant et si bien qu'en bref, aucune raison, et je
pourrai élaborer après grâce à vos questions, si vous permettez, il n'y a, en
bref, donc, aucune raison proprement humaine qui puisse justifier
l'élargissement de la loi concernant l'AMM pour y inclure les personnes
déclarées, à tort ou à raison, démentes à cause de l'Alzheimer ou d'autres
faiblesses. Elles ont besoin, ces personnes, d'accompagnement, du véritable
trésor, vous avez eu des témoignages à ce sujet, et très éloquents, du
véritable trésor des soins palliatifs proprement dits, comme d'ailleurs toute personne en détresse de solitude, motif de
solitude ou d'angoisse intenables. L'AMM stopperait l'accompagnement,
hein? C'est de cela dont elles ont besoin. Les éliminer serait de l'eugénisme
et, je le soutiens, on va en discuter, une sorte de barbarie.
La dignité humaine n'a rien à voir avec la
dignité décorative, hein? Et la loi devrait, au contraire, bien au contraire,
protéger les personnes les plus fragiles dans une société juste, hein? C'est
sûr que j'ai ajouté, aussi, ne soyons pas naïfs, légaliser l'élimination de
personnes jugées démentes ne peut qu'éveiller davantage de rapacité,
d'héritiers éventuels ou de gens qui veulent tout simplement se débarrasser de
ces personnes.
Et, bon, j'espère ne pas vous scandaliser en
disant ça, mais, comme je le rappelle dans mon mémoire, la dernière fois que
j'ai comparu devant cette commission, j'avais parlé de respecter l'objection de
conscience et on m'avait assuré, tout à fait de bonne foi, que, bien sûr,
l'objection de conscience serait respectée, mais vous connaissez la suite, donc
je n'insiste pas. Je dis ça ici parce qu'il ne faut sous-estimer, je veux dire,
la rapidité avec laquelle une loi allant dans le sens de l'élimination de ces
personnes, qui sont aussi dignes de vie que vous et moi ou que n'importe quel
être humain, ce serait quelque chose qui serait exploité à de mauvais... à
mauvais escient, puis ça permettrait de dire des formules horribles comme
celles qu'utilisent... qu'on utilise dans certains pays, de : Sa vie ne
vaut pas la peine d'être vécue. Qui peut se prononcer et dire qu'une vie
humaine ne vaut pas la peine d'être vécue? Ce serait
monstrueux, c'est tout à fait monstrueux. Quel est le critère d'une vie qui
vaut la peine d'être vécue? La performance, etc.? Est-ce que c'est pour... Je
ne veux pas aller dans le sens négatif.
• (16 h 10) •
Ce que je voudrais
dire en fin d'exposé, si vous permettez, Mme la Présidente, c'est que pour la
question des directives anticipées, il y a un sophisme, assez grossier,
d'ailleurs, qui est celui des futurs contingents, je fais un petit chapitre
là-dessus, mais futurs contingents, c'est un cas hyper classique. L'exemple
classique du futur contingent, c'est la bataille navale. Après que la bataille
navale a eu lieu, bien, on dira : Bien, elle a eu lieu. Mais avant la
bataille navale, la seule composition, et que ce soit juste, c'est : elle
aura ou elle n'aura pas lieu. Avant. C'est un futur contingent. Vous faites des
directives, et puis, ensuite, vous continuez à vivre ou à signer des
directives. La personne future, elle n'existe pas. L'instant futur n'existe
pas, il existera peut-être. Mais, justement, et c'est pourquoi je vous ai parlé
tout à l'heure de la décision dans un instant, plus tard, jusqu'à la fin, je
peux changer d'avis, dans un instant. Les consciences évoluent, la personne
évolue, nous ne sommes pas des robots. Le modèle du robot est tout à fait faux.
La différence, justement, avec le robot, c'est que nous sommes toujours intérieurement,
au moins, dans le sens que j'ai rappelé au début, tout à l'heure, nous sommes
intérieurement toujours libres. Je peux changer d'avis. Pensez à la fable de La
Fontaine, La Mort et le Bûcheron, le bûcheron qui crie, qui crie et qui
demande de mourir parce qu'il souffre et qui, au moment où la mort vient,
change d'idée, il n'en veut plus. C'est notre liberté, elle est là. Je peux à
tout instant, contrairement au robot, le robot, vous l'avez programmé avec
toute la subtilité que vous voulez, vous ne pouvez pas, absolument pas prévoir
tout, mais absolument pas, parce que la liberté est infinie, on peut toujours
choisir pour toutes sortes de raisons quelque chose de différent. Il y a une
infinité inhérente à la liberté humaine qui, à mon avis, doit être respectée,
si on respecte l'être humain, c'est-à-dire si on se respecte, à vrai dire,
soi-même, aussi.
C'est de cela dont il
s'agit ici, la dignité humaine est... réside essentiellement, principalement
dans la liberté, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, sur
laquelle je suis revenu dans mon mémoire, qui a été adoptée à l'unanimité, en
1948, à l'unanimité de toutes les nations. Il y en a quelques-unes, il n'y en a
pas beaucoup mais il y en a quelques-unes qui se sont abstenues, puis il y en a
deux qui étaient absentes, mais toutes les... Il n'y a jamais, personne n'a
voté contre, hein? On affirme la dignité inhérente à toute la famille humaine,
on dit ça dès le début, je l'ai... et ensuite on en déduit des droits
fondamentaux, et le droit fondamental, ou le premier de tous, c'est le droit de
vivre, le droit à la vie. Le deuxième, c'est le droit à la liberté, le
troisième, le droit à la sécurité, et ainsi de suite. Ça, c'est
l'article III, et, jusqu'à l'article XXX, toute une autre série de
droits. Mais le premier, c'est le droit à la vie, pour des raisons évidentes,
puisque vous perdez, si vous enlevez la vie à quelqu'un, vous lui enlevez sa
liberté. Si vous lui enlevez sa liberté, il lui reste encore la possibilité,
puisqu'il sera encore vivant, même s'il est en prison, il va encore vivre et peut-être
récupérer sa liberté.
Donc, le droit à la
vie est reconnu comme le droit le plus fondamental de tous, et la condition
sine qua non de tous les autres. Vous enlevez tous les possibles à partir du
moment où vous enlevez la vie à quelqu'un. Alors, c'est ça, la dignité humaine.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : En conclusion...
M. De Koninck
(Thomas) : C'est en raison de la dignité humaine que tous ces droits
existent, quelque chose comme dit Paul Ricoeur, quelque chose est dû à l'être
humain du seul fait qu'il est humain. C'est ça, la dignité. Ce n'est pas du
tout la dignitas romaine d'apparat, le faste où... pour l'or, bien... où il n'y
a rien d'humiliant sur le plan physique, etc., il n'y a rien d'humiliant, où
tout est préparé d'avance. Je ne sais pas. Je veux dire, avant les conditions
plus humiliantes, et en particulier...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Professeur De Koninck.
M. De Koninck
(Thomas) : Oui.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Professeur De Koninck, est-ce que vous acceptez
qu'on continue peut-être la discussion avec les membres de l'Assemblée ici aujourd'hui,
les membres de la commission?
M. De Koninck
(Thomas) : Tout à fait, oui. Bien sûr.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Donc, je passerais la parole à mon collègue député de Rosemont, qui va prendre la
parole. Merci.
M. Marissal :
Merci, Mme la Présidente, merci. Merci, M. De Koninck, d'être là, merci pour
votre exposé.
M. De Koninck
(Thomas) : Vous êtes M. Vincent Marissal. C'est ça?
M. Marissal :
Exact, député de Rosemont. Enchanté.
M. De Koninck
(Thomas) : Oui. Merci.
M. Marissal :
La déclaration universelle des droits de la personne, que vous citez, évidemment,
est un socle fondamental sur lequel on a construit de façon bien imparfaite,
mais sur lequel on a construit notre démocratie.
M. De Koninck (Thomas) : Oui.
M. Marissal : Je ne vois pas nécessairement,
cela dit, de hiérarchie dans les droits, ils sont égaux. S'il est vrai que le
premier, c'est le droit à la vie, parce qu'il en va ainsi, je pense qu'il est
vrai aussi, puis j'ouvre la discussion avec vous là-dessus, que le deuxième,
qui est le droit à la liberté, permet de disposer de sa vie aussi. C'est la
liberté pure, c'est ce qu'on appelle ici l'autodétermination. Après ça, tout
est une question de jugement.
M. De Koninck (Thomas) : Il permet
de disposer de sa vie ou de la garder.
M. Marissal : Voilà, très bien.
Alors, c'est précisément ce que nous essayons d'encadrer dans un tel projet de
loi, que quiconque déciderait — puis je vous laisse aller après — que
quiconque déciderait, et selon des critères, là, ce n'est pas complètement
futile, là, ce n'est pas... tu sais, ce n'est pas un... comment dirais-je...
hier, je dirais un... je disais : un bar ouvert, là. C'est quand même
assez bien défini. Le droit à la liberté, selon certains critères médicaux, scientifiques,
éthiques bien définis, ne devrait-il pas permettre à quelqu'un de disposer de
sa vie, donc de choisir la mort?
M. De Koninck (Thomas) : Mais il y a
une situation ici qui est absurde, dans ce sens que... Alors, ça rappelle le
personnage des Possédés de Dostoïevski, qui voulait affirmer sa liberté
en se tuant. Alors, il est dans la position absurde de quelqu'un qui affirmait
sa liberté en supprimant sa liberté, hein? C'est que le problème du suicide,
c'est le problème de Hamlet, hein? On est pris dans une...
Ah! oui. Puis, de toute façon, je suis tout à
fait d'accord avec ce que vous avez dit initialement, là, tous les droits
fondamentaux sont fondamentaux. Et qu'il n'y ait pas d'ordre, c'est une question
de... C'est ce que je vous ai dit, c'est un sine qua non, je veux dire, il y a quand
même un ordre commandé par le concret, on est... C'est la vie concrète, hein,
si vous enlevez la vie, vous enlevez tous les droits, hein? Si vous enlevez la
liberté, bien, c'est grave, mais il y a encore... il reste encore quelque chose
des autres droits. Alors, c'est cette... on retrouve ça, cette primauté, je
l'ai mis dans mon mémoire, quelques références, on retrouve ça dans des
déclarations américaines de 1770, quelque chose comme ça, autour de cette
date-là... 78, je crois, mais ça, c'est de mémoire, je me trompe peut-être. Et
on retrouve ça dans la charte des droits et libertés canadienne, exactement le
même ordre, vie, liberté, sécurité. C'est une constatation empirique, terre à
terre, concrète. Ça ne veut pas dire que l'un est plus élevé que l'autre. Non,
c'est un sine qua non, c'est tout.
Si vous ne vivez pas, c'est... Si vous tuez
quelqu'un... Pourquoi est-ce que le meurtre a été considéré toujours comme le
pire des crimes? Bien, je ne sais pas si vous aimez les romans policiers, mais
il n'y aurait pas de romans policiers sans... meurtres, ou à peu près.
Pourquoi? C'est pour des raisons comme ça, finalement, vous enlevez tous ces...
vous tuez quelqu'un, vous lui enlevez tous ses possibles, c'est terrible, vous
le détruisez complètement, alors qu'il a le droit.
Là, nous parlons des personnes affaiblies, les
personnes qui souffrent d'une maladie grave, qui est peut-être d'ordre mental,
ces personnes-là ont le droit de vivre, comme le dit si bien Edgar Morin :
Par solidarité, ils ont le droit de vivre. Il appelle ça «vivre
poétiquement». Mais, pour vivre... ils ont droit d'aimer, ils sont capables
d'aimer, ils sont capables de prodiges d'amour, quoi de plus humain que ça. Et
ils ont le droit d'être aimés aussi, ils en ont besoin. Si nous sommes humains,
et la... les Québécois sont profondément humains, et là il s'agit du Québec,
là. Donc, c'est pertinent de dire ça, ce n'est pas simplement de la rhétorique,
là, c'est pertinent. Les Québécois sont profondément humains, pourquoi
s'attaquer aux plus faibles? Pourquoi les éliminer? Pour quelle raison? C'est
les barbares qui éliminent les faibles, hein, il me semble, et ce sont les
civilisations, les grandes civilisations... La civilisation se manifeste à
partir... par la manière dont on traite, au contraire, le respect qu'on a pour
les faibles, et l'hospitalité, des choses comme ça.
• (16 h 20) •
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Je vous remercie, M. le député de Rosemont. C'est
maintenant au tour de la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour. Bonjour, Pr De Koninck. Je me souviens bien de votre présentation
lors de nos travaux et je me souviens à quel point vous aviez insisté sur la
dignité, qui est intrinsèque à la condition humaine, et cette espèce de tension
avec la vision de la dignité comme une perspective subjective de la personne, à
savoir si elle l'a, si elle est diminuée, si elle peut la perdre. Et vous,
votre propos, comme d'autres philosophes, c'est de dire : On ne peut pas
voir une dignité diminuer ou perdue parce qu'elle est fondamentale et
intrinsèque. Donc, je vois que vous revenez avec force avec ça. J'en prends
bonne note.
Moi, je veux vous amener sur le fait que vous
dites que la liberté, la dignité intrinsèque fait en sorte que l'humain peut
toujours changer d'idée, que ça, c'est sine qua non à sa liberté. Mais est-ce
que ce n'est pas aussi sine qua non ou intrinsèque à sa liberté de pouvoir
décider de sa destinée? Et donc, dans certaines circonstances, et là j'aimerais
vous amener sur l'idée de la souffrance plutôt que du seul regard sur la
dignité, qu'une personne qui souffre de manière constante et intolérable, au
nom de ce principe-là de la liberté intrinsèque qu'elle a, ne devrait pas
pouvoir décider par elle-même qu'elle peut arrêter ses souffrances. Parce que,
quand vous nous parlez d'éliminer les plus vulnérables,
c'est comme s'il y avait une force extérieure, un conquérant, quelqu'un qui
venait décider pour eux. Or, toujours, la demande doit venir de la personne.
Donc, j'aimerais ça que vous m'expliquiez ce qui, à mes yeux, apparaît comme un
certain paradoxe.
M. De Koninck (Thomas) : Oui,
excellent, c'est une question intelligente. En fait, je visais surtout, à ce
moment-là, quand... La force extérieure, comme vous dites très bien, c'est le
truc précédait les décisions, les instructions antérieures, là.
Mme
Hivon : Les
demandes anticipées.
M. De Koninck (Thomas) : Les
demandes anticipées, voilà le terme que vous utilisez, c'est très clair, mais
il ne faudrait pas que les demandes anticipées agissent comme une sorte,
justement, de force extérieure. Il a déjà signé, etc., qu'il était prêt à,
bien, l'euthanasie ou ce que vous voulez. Je dis, j'insiste, et je suis
d'accord avec vous, ce que vous avez dit, là, sur le fait qu'il doit demeurer
libre de sa décision jusqu'à la fin. Ce n'est pas parce qu'il a donné une
directive anticipée que, tel un robot, ça va se répéter, non. On ne sait pas,
et il peut changer complètement, les consciences évoluent, etc., bon. Oui, il
ne faut pas... Vous avez utilisé le terme de dignité intrinsèque. C'est très
savant, là, c'est très bien.
En fait, ce qui revient dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme, tous les humains de la famille — les
premières propositions, et elles reviennent — membres de la famille humaine
partagent une égale dignité, etc. C'est... Il s'agit là de ce qu'on appelle, en
langage philosophique, la dignité ontologique, c'est-à-dire la dignité de
l'être humain, l'être, hein, «ontos», être. L'être humain a toujours, quelles
que soient ses conditions, une égale dignité. C'est ça qui est affirmé, et
c'est la dignité ontologique. Donc, elle ne peut pas se perdre, du seul fait
que vous êtes humain, hein, c'est ça. Quand plusieurs des témoins qui sont
passés devant vous disent ça, qu'elle ne peut pas se perdre, c'est ça que ça
veut dire. C'est la dignité ontologique.
La dignité apparente, d'apparat, ça, ça peut se
perdre, c'est sûr, et en particulier chez les gens où c'est moins extérieur,
moins apparent, qui souffrent, donc, de maladies comme Alzheimer, par exemple.
Mais, absolument, il faut respecter... Mais la solution la meilleure, me
semble-t-il, ce sont les soins palliatifs. Les soins palliatifs font des
merveilles, et c'est l'accompagnement... Ils veulent surtout, ces êtres... Ils
sont seuls, ou abandonnés, ou ils sont... ils veulent
être... ils cherchent l'accompagnement, et on leur doit le meilleur
accompagnement possible, et un accompagnement spirituel, au sens large
du terme, là, où ils sont considérés pas simplement comme... d'un point de vue,
évidemment, d'un point de vue simplement végétatif, non, la vie humaine, donc,
et surtout sur le plan de l'amour. On a tous besoin d'être aimés, et ils ont
besoin de ça, et aussi longtemps qu'ils le sentent, je crois.
Moi, je n'ai pas l'expérience de beaucoup de
personnes qui sont venues devant vous déjà, au sens de s'occuper, dans un
hôpital ou, etc., de malades, mais je le vois très, très bien, de quoi il peut
s'agir ...c'est ça, diminuer la douleur le plus possible. J'ai un fils qui...
J'ai deux fils qui ont mal tourné, qui sont devenus des neuroscientifiques.
Non. J'en ai un qui est spécialiste de la douleur, et il me dit à quel point on
a besoin de... On a déjà des moyens extraordinaires pour diminuer les douleurs,
mais il faudrait qu'on puisse trouver mieux que la morphine. Et pour ça, il
faudrait que les gouvernements accordent beaucoup plus d'argent pour la
recherche qu'ils ne le font, et en particulier aussi pour Alzheimer, qui est un
des principaux défis qui se pose aux travaux, aux recherches sur le cerveau et
qui est un problème...
La Présidente (Mme Proulx,
Côte-du-Sud) : M. le député de D'Arcy-McGee, pouvez-vous fermer votre
micro, s'il vous plaît? On entend moins bien. Puis je vais passer la parole
maintenant à la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci
beaucoup, Dr Koninck. Vous dites, en conclusion... Vous m'entendez, oui? Vous
dites, dans la conclusion de votre mémoire... vous voudriez qu'on se souvienne
de ce dernier acte de la vie humaine qu'est
la mort, et pour toute vie humaine, qui est essentiel. J'aimerais que vous
élaboriez sur ça, s'il vous plaît?
• (16 h 30) •
M. De Koninck (Thomas) : Oui, oui,
merci beaucoup, merci beaucoup. Oui, c'est-à-dire qu'une chose... d'ailleurs,
c'est en lien avec — vous
citez la fin de mon mémoire — c'est en lien avec une chose qui m'étonne
beaucoup dans les débats auxquels vous êtes... dans lesquels vous êtes engagés,
dans lesquels nous sommes engagés en ce moment, mais ce qui m'étonne vraiment,
c'est que... bien, vous saurez me le dire mieux que moi, puisque vous les
entendez toutes et tous, c'est qu'on ne parle pas de l'après-vie. Et la
question de l'après-vie, pourtant, est une question dont tout être humain...
Enfin, donc, depuis le commencement. C'est pourquoi j'ai cité, dans mon
mémoire, le soin qu'on a apporté dans toutes les civilisations, le soin
extraordinaire, enfin, le premier... les premiers humains ensevelissent leurs
morts et mettent un signe dessus. C'est la différence avec le... Le respect des
morts, les pyramides d'Égypte, le Taj Mahal en Inde, etc., partout,
partout, le respect des morts, des cadavres, Antigone qui donne sa vie pour que
le corps de son fils puisse être enseveli, pourquoi ce respect même des
cadavres, hein? C'est au-delà de la mort. Vous savez, il y a un mystère, là, il
y a un mystère, il faut reconnaître qu'il y a un mystère.
Hamlet refuse de se
suicider parce qu'il craint qu'il y ait une autre... «The
undiscovered country from whose bourn/No traveler returns», hein? Un
pays dont la frontière n'est jamais franchie à nouveau, etc., où on pourrait
subir des châtiments, etc., il ne sait pas, il ne sait pas, et, à cause de ça,
il décide de ne pas se suicider. Il y a ça, quand Hamlet parle, là, il parle au
nom de tous les humains un peu éveillés, là, qui ne sont pas complètement
abrutis, qui s'interrogent, qui interrogent la mort. Ça ne peut pas, pour
certains, j'en ai cité quelques-uns, ça ne peut pas être le néant.
Le néant est impossible parce que la vie de l'esprit... la vie de la science,
par exemple, hein, les sciences, les vérités éternelles, la somme des angles
d'un triangle est toujours égale à deux droites de toute éternité, et ainsi de
suite, ça a été découvert très tôt, tout ça. La vie de l'esprit dépasse la vie
du corps, alors il y a un mystère.
Ah! oui, alors merci beaucoup
d'avoir cité, Mme Blais, cet extrait à la fin. C'est que le dernier
acte... c'est qu'on isole souvent la mort, je veux dire le moment de la mort,
comme s'il était isolé, mais il n'est pas isolé, c'est le dernier acte, si vous
voulez, au sens de toute une vie. Mourir, c'est un acte. Si on peut être
éveillé, si on n'est pas dans un état de sédation excessif, on a intérêt à
mourir aussi éveillé que possible, que le permet, bon, que le permettent les
souffrances, et le reste, mais pour être, encore ici, aussi humains que
possible, les soins palliatifs font leur possible, mais, je veux dire, c'est toute
la vie, là, c'est toute la vie qui est en jeu : Je veux pardonner à... je peux... etc., tous ceux que... je peux repenser...
régler les comptes, au moins intérieurement. Il y a une vie intérieure
chez l'être humain, dont j'ai parlé au tout
début, tout à l'heure, qui est absolument capitale, qui est l'humain par excellence.
Alors, il faut...
dans la mesure où c'est possible, bien sûr, dans les circonstances, ça ne peut
pas se faire pour toute sorte de raisons contingentes, mais c'est le dernier
acte de tout, comme la fin d'une symphonie, etc., je veux dire, c'est un tout,
la vie humaine. Et, comme je dis, c'est ça. Charles Gardou, que j'ai
cité : Il n'y a pas de vie minuscule, hein? Toute vie humaine est
considérable. Un entretien illimité, comme dit Gadamer, par ailleurs, avec tous
ceux qu'on aime, qu'on a aimés, etc. Toute la vie revient dans certains cas,
paraît-il, enfin de ce qu'il avait témoigné dans ce sens-là, là. Au moment où
il pensait qu'on allait l'exécuter, tout lui est revenu. Il y a des témoignages de ce genre. Enfin, ça, c'est à
traiter avec prudence, là. Mais, c'est ça, c'est la gravité, l'importance. Il y a une banalisation, je trouve, dans
notre culture — excusez-moi,
je vous parle à coeur ouvert, là — je trouve qu'il y a une banalisation de
la mort. Il y a une formule de Baudelaire qui me revient, «le très grand vice
de la banalité». Au contraire, c'est peut-être le moment le plus important,
dans certains cas, en tout cas, de...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : M. De Koninck, j'ai un autre intervenant
qui voudrait prendre la parole. Je vais laisser la parole au député de
Lac-Saint-Jean, s'il vous plaît.
M. De Koninck
(Thomas) : Oui.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Merci.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, cher
Pr Thomas De Koninck. J'ai lu votre... toute votre expérience, votre
carrière, en tout cas. Vous êtes un spécialiste dans le domaine, dans le
domaine, d'un point... au niveau de toutes les questions philosophiques,
éthiques. Écoutez, ça me rappelle un peu... Il faut que j'aille loin un peu
dans ma mémoire pour aller chercher un petit des choses au niveau de certains
philosophes. Puis vous savez que le... en
fait, le philosophe allemand Arthur, puis j'aimerais ça peut-être un peu vous
entendre là-dessus, Arthur Schopenhauer avait...
M.
De Koninck (Thomas) : Schopenhauer, oui.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Oui, c'est ça. Au contraire, lui qui était un, tu
sais, qui... en fait, il critique cette
volonté d'autoconservation. Puis, pour lui, le corps n'est que l'expression de la volonté objectivisée
de l'humain. Alors, lorsqu'une personne manifeste ce qu'on pourrait
appeler une volonté de mort, ne serait-il pas logique, à la lumière des
enseignements de Schopenhauer, en fait, d'objectiviser cette volonté à travers
le cas et d'appliquer l'aide médicale à mourir?
M. De Koninck
(Thomas) : Je ne sais pas si je comprends bien votre question.
Schopenhauer est le philosophe pessimiste par excellence, là. C'est sa carte de
visite, hein, si je peux le dire comme ça. La volonté de mort, oui, ça existe,
hein, les gens qui ont une volonté de mort, bien sûr, qui sont désespérés, qui
sont... Nietzsche développe ça aussi, quelque chose... Ça peut... Oui, il y a
des gens qui ont ça, oui.
Est-ce qu'il faut
respecter la volonté de mort? Bien là, je ne crois pas que les sociétés... ceux
qui, au Québec, luttent contre le suicide seraient d'accord avec vous ou que
les... respecter cette volonté de mort. Nous la déplorons, à juste titre, je
crois. S'agissant, par exemple, du suicide des jeunes au Québec, que des jeunes
aillent jusqu'à vouloir se suicider alors qu'ils ont toute la vie devant eux,
que la vie humaine peut-être magnifique à toutes sortes de points de vue,
esthétique, éthique, la joie, la... «Manquer la joie, c'est tout manquer»,
comme disait Stevenson. Bien, je crois que quand on a affaire à quelqu'un qui a
ce genre de volonté de mort, bien, on essaie, comme font les personnes qui
s'occupent de soins palliatifs, on essaie de les convaincre du contraire, les
convaincre que... de ce que la vie est si... peut être si belle. Et il ne faut
pas, il ne faut pas...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Il ne reste que très peu de temps, et
j'aimerais qu'il y ait d'autres intervenants. Donc, je passerais la parole au
député de D'Arcy-McGee pour poursuivre, s'il vous plaît.
M. De Koninck (Thomas) :
Oui. Excusez-moi de... Oui.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Puis je vais d'abord, si vous me permettez, à titre de
présidente, je vais demander quand même un consentement pour que le groupe...
les prochains députés puissent prolonger, là, de quelques minutes.
M. De Koninck
(Thomas) : Merci.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Merci. Donc, M. le député de D'Arcy-McGee, à vous la
parole.
• (16 h 40) •
M. Birnbaum : Merci beaucoup,
Mme la Présidente. Et merci, Pr De Koninck, pour votre exposé,
qui, en quelque part, nous rappelle la complexité profonde et la lourdeur des
questions devant nous, mais aussi du danger de rendre ces décidions obscures et
d'oublier qu'on parle d'une personne devant la plus grande détresse, des fois
devant une souffrance énorme.
Je vous pose une question qui... une observation
qui risque d'être déplacée, mais je me le permets aussi. Vous avez fait
quelques constats. À titre d'exemple, vous avez noté que de protéger les
personnes les plus fragiles est en quelque part notre tâche collective
primordiale. Vous avez parlé de l'être humain qui égale dignité. J'entends,
dans vos messages, en quelque part, une grande inquiétude que l'État essaie de
s'imposer et jouer aux dieux. Avec le plus grand respect, moi, je trouve que
vos interventions vous situent comme le décideur. Je vous invite à élaborer sur
l'autodétermination d'un individu et de me... de nous expliquer comment on peut
écarter la possibilité que, de façon libre
et éclairée, un être humain, en toute dignité, exprimerait son désir, selon
la... on va voir où on se rend, finalement, mais, selon une loi qui
existe déjà, qui, selon certaines balises, voit l'aide médicale à mourir comme
un continuum de soin de santé. J'aimerais
que vous m'expliquiez comment, si je vous ai bien compris, vous écartez la
possibilité qu'une telle expression serait une manifestation de la
dignité de cet individu et de son suprême droit à l'autodétermination.
M. De Koninck (Thomas) : Oui. Bien,
l'autodétermination, vous voulez dire si la personne veut mourir, quoi, c'est
ça, tout simplement, c'est ça que vous voulez dire, hein?
M. Birnbaum : Justement. Et, aux
yeux de la loi, cette possibilité est raisonnable et légitime.
M. De Koninck (Thomas) : Oui. Est-ce
qu'elle est raisonnable et légitime? S'il y a d'autres options qui sont...
qu'on juge meilleures, est-ce que notre devoir n'est pas de le dire à la
personne en question, d'essayer, pour commencer, de la convaincre dans le sens
contraire de ce qu'elle dit? Je ne parle pas par la force, d'aucune manière,
pas du tout, mais simplement par l'accompagnement.
C'est sûr que, quand je... Parlons de
légalisation. Comme je l'ai indiqué, j'ai dit rapidement tout à l'heure, je
craindrais plutôt, moi, qu'on abuse du fait que ce soit légal pour se
débarrasser des faibles. Et ça, c'est la barbarie. Je veux dire, c'est moi qui
décide, en l'occurrence, d'accepter ce raisonnement.
Je vous donne
un exemple, ici, à propos du suicide assisté. Un sophisme qui revient souvent,
c'est : Quelqu'un m'a demandé de le suicider, pour ainsi dire, de
donner la mort. Et je pourrais dire, si j'étais médecin ou si j'étais concerné,
là, si on me demandait à moi, je pourrais accepter de le faire. Et, si
j'accepte de le faire, c'est moi qui le tue. Il me l'a demandé, mais le
sophisme consiste à dire : Oui, oui, mais c'est parce qu'il me l'a
demandé. Oui, oui, mais n'importe quelle personne peut me dire : Bien,
tue-moi, puis soutenir après que ce n'est pas elle, que ce n'est pas elle, que ce n'est pas elle, c'est l'autre. Je
veux dire, c'est... Si je décide que je la suicide ou que je lui donne la
mort, si je prends cette décision, c'est moi qui le fais, ce n'est pas celui
qui me l'a demandé. Il est complice, on l'a fait ensemble, si vous voulez, mais c'est moi qui le fais. Alors, si ma
conscience me dit... Et c'est là que la conscience intervient.
Et une des choses qui m'ont le plus choqué, j'en
ai fait allusion, c'est le fait que l'objection de conscience ait été si...
dans certaines régions, pas chez nous, que je sache, peut-être dans certains
cas, mais notamment en Ontario, et puis, là, en Europe, n'en parlons pas,
surtout aux Pays-Bas, mais qu'on puisse refuser l'objection de conscience et
être scandalisé devant l'objection de conscience, ça, c'est un recul. C'est de
la barbarie si on ne respecte pas la conscience des gens.
Voyez-vous, c'est ça, le problème que j'aurais
avec la légalisation ici. C'est que, justement, et comme je l'ai dit aussi, on se
serve de ça pour éliminer plus facilement des gens dont on... qui nous gênent
ou qui... alors que c'est le contraire, c'est le contraire que la société doit
faire, la société... une société solidaire, une société civilisée. Comme le
rappelle Edgar Morin, qui n'est pas un croyant, qui est un agnostique, dans son
dernier petit livre sur le coronavirus que j'ai cité, au contraire, il faut la
vie, et vivre pour vivre, et l'accorder à tout le monde.
Donc, qu'on respecte... il faut respecter le
point de vue de la personne, ici, vous lui dites que vous le respectez, c'est
son point de vue, mais moi, j'ai le mien aussi, et le mien, c'est que je ne...
Ma conscience me dit : Tu ne tueras pas, et je ne tuerai pas, même si, un
jour, on me tue à cause de ça ou on me bannit, si vous voulez.
Je ne sais pas si je réponds bien à votre
question, mais c'est ce qui me vient à l'esprit. Mais c'est un plaidoyer, comme
vous l'avez dit très justement au début de votre intervention. Et comme le
disait Mme Hivon aussi et d'autres, ce sont des choses très difficiles.
Oui, mais elles sont difficiles en elles-mêmes, et c'est pour ça que je déplore
ce que j'appelle la banalisation de la mort. On va libérer quelques lits dans
l'hôpital, ces gens-là avaient une vie qui ne vaut pas la peine d'être vécue,
c'est bon à rien, ça. Non, non, ça, c'est une parodie que je fais, mais vous
savez ce que je veux dire.
M. Birnbaum : Oui, merci. J'espère
que personne parmi vous aujourd'hui ne banalise la situation et l'importance des questions devant nous. Merci. Et
merci, Mme la Présidente. Ma collègue de Westmount—Saint-Louis
risque d'avoir une question ou deux. Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Proulx, Côte-du-Sud) : Oui, à vous la parole, Mme la députée de Westmount—Saint-Louis.
Mme
Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, monsieur. Je vous
entends, puis je vous écoute avec beaucoup d'attention, puis je pense que je
vais aborder une question de la même lignée de mon collègue et mes collègues
précédents qui ont posé des questions en ce qui concerne l'autodétermination,
parce qu'évidemment, quelque part, il y a une difficulté de faire un mariage
entre les deux idées philosophiques dont vous êtes en train de partager, à
moins que... pour ma part, parce que j'entends que l'atteinte à la liberté
individuelle, comme vous avez dit, c'est
codifié dans la loi, mais on a le droit, comme vous dites, de... on est
souverains sur nous-mêmes, sur nos propres corps, sur notre esprit. Mais
j'entends aussi que les libertés individuelles ne sont pas nécessairement
absolues, parce qu'on a quand même des exceptions, comme, par exemple, qu'il
est illégal de vendre des médicaments ou ses propres organes, par exemple. Et,
par comparaison, si nous choisissons nos propres destins, bien, je pense que,
là aussi, il y a une responsabilité de protéger ceux qui sont vulnérables et
qui pourront aussi prendre des décisions qui ne sont pas, peut-être, dans leur
meilleur intérêt.
Alors,
est-ce que vous êtes en train de dire que la préservation de vie par le refus,
peut-être, de l'aide médicale à mourir tombe dans cette catégorie?
M. De Koninck
(Thomas) : Je ne sais pas si je comprends bien votre question.
Excusez-moi. Dans la catégorie... Elle tomberait dans la catégorie de...
Mme
Maccarone : De c'est un choix, une liberté de choix. Mais, à quelque
part, on n'est pas en train de respecter
l'autonomie de la personne parce qu'il y a quand même une règle, une loi qu'il
faut suivre. Alors, théoriquement, on
veut respecter le droit de la personne, c'est enchâssé dans la loi, c'est de la
charte, mais, de l'autre côté, on a quand même des lois, on a des règles qu'ils doivent suivre. Alors, quel
argument philosophique devrait prendre précédence?
• (16 h 50) •
M. De Koninck
(Thomas) : Oui. Si vous avez un ami ou une amie qui fait une tentative
de suicide ou qui menace de se suicider, qu'est-ce que vous allez faire? Si
c'est une amie ou une proche, une de vos soeurs, ou frères, ou quelqu'un comme
ça, est-ce que vous allez lui dire : Vas-y?
Je pense que tous les
humains sont des amis, et il me semble que le modèle, la réaction initiale que
vous aurez, c'est d'essayer de convaincre cette personne : Non, non, ne te
suicide pas, il n'y a pas de raison, puis, je ne sais pas, une médication, des
soins. Vous allez essayer de dissuader. C'est humain, ça, la dissuasion, et par
la parole, le dialogue, hein? Ça, c'est proprement humain. On a le droit de
faire ça.
La consultation... En
politique, les gens vont dire : Bien oui, bien, tu te laisses influencer
par untel ou untel. Oui, mais il faut consulter dans la vie. Un politicien, je
donne l'exemple parce que c'est un exemple clair, parce que c'est massif, hein,
ça concerne beaucoup de monde, un politicien qui prend des décisions sans
consulter, on va dire : Bien, finalement, c'est un dictateur. Non, il faut
consulter.
Alors, il faut du
dialogue. Alors, vous donnez... vous allez commencer par dialoguer avec cette
personne. Vous respectez son autonomie, mais vous essayez de la persuader que
c'est une mauvaise décision. Vous voulez... Vous aimez cette personne. Vous ne
voulez pas... Hein, le suicide ne concerne pas seulement...
L'autodétermination, je veux bien, mais on ne vit pas seul, hein? Ça affecte
tous les proches, ça affecte la famille, ça affecte les amis. Si vous êtes bien
connu, ça a une valeur d'exemple. Ça va loin, ça va très loin, le suicide. Ah!
oui, on est auto... on peut faire, en un sens... On peut tous se suicider,
hein, mais pourquoi? Non, il ne faut pas parce que ça affecte les autres. Ça
m'affecte moi-même. Ça veut dire que je me hais moi-même. Je ne m'aime pas. Je
me supprime. C'est un homicide, hein? Vous tuez un être humain, le suicide.
Alors, vous pouvez le dire, ça, c'est... en tout cas, vous aidez.
Moi, j'ai un cas, là,
que j'ai à l'esprit, une jeune femme, comme ça, qui a été dissuadée par une
amie de se suicider puis elle en est très contente maintenant. Son autonomie a
été entièrement respectée, mais il s'agissait de dialoguer. C'est le dialogue,
il me semble, qu'il faut.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Pr De Koninck, je vous laisse encore quelques
seconds pour conclure. Le temps est écoulé.
M. De Koninck
(Thomas) : Il y a des personnes qui ne m'ont pas encore interrogé.
Est-ce que...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Non, tous les droits de parole sont écoulés,
là. On a dépassé le temps. Mais je tiens, personnellement puis au nom de mes
collègues, à vous remercier. C'était fort pertinent d'avoir la dimension
philosophique dans ce débat. Vous l'avez apporté de main de maître. Donc, je
vous remercie.
M. De Koninck
(Thomas) : ...
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Compte...
M. De Koninck
(Thomas) : Oui, allez-y, Mme, je vous en prie.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : Non, mais allez-y, allez-y.
M. De Koninck
(Thomas) : Bien, moi, je vous remercie tous et toutes de votre écoute,
et de la qualité de vos interventions, à toutes et tous. Ça aide beaucoup à
réfléchir plus en profondeur à toutes ces questions difficiles, mais extrêmement
importantes, extrêmement importantes. Merci à vous.
La Présidente (Mme
Proulx, Côte-du-Sud) : En effet. Tout à fait. Alors, merci à vous.
Compte tenu de l'heure, la commission ajourne
ses travaux au lundi 16 août 2021, à 11 heures, où elle se réunira en
séance de travail. Bonne fin de journée.
M. De Koninck (Thomas) : Bonne fin
de journée à vous.
(Fin de la séance à 16 h 53)