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Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie

Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le lundi 9 août 2021 - Vol. 45 N° 8

Consultations particulières et auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Les Usagers de la santé du Québec (LUSQ)

Carpe Diem — Centre de ressources Alzheimer

Vivre dans la dignité

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

Autres intervenants

Mme Nancy Guillemette, présidente

M. François Jacques

Mme Geneviève Hébert

M. David Birnbaum

Mme Jennifer Maccarone

M. Vincent Marissal

Mme Véronique Hivon

M. Guy Ouellette

Mme Suzanne Blais

M. Éric Girard

*          M. Pierre Blain, LUSQ

*          Mme Nicole Poirier, Carpe Diem Centre de ressources Alzheimer

*          M. Jasmin Lemieux-Lefebvre, Vivre dans la dignité

*          Mme Julie Senécal, idem

*          M. Philippe-André Tessier, CDPDJ

*          Mme Marie Carpentier, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Treize heures vingt-trois minutes)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, bonjour, tout le monde et bienvenue à la commission spéciale sur l'évolution concernant les soins de fin de vie. Avant de commencer officiellement la captation... donc, ça, ce bout-là, on l'a déjà fait avec vous, M. Blain.

Auditions (suite)

Donc, nous accueillons maintenant Les Usagers de la santé du Québec avec son représentant, M. Pierre Blain, président-directeur général. Donc, M. Blain, merci d'être avec nous cet après-midi. Je vous cède la parole. Donc, vous avez 10 minutes pour nous faire votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange avec les membres de la commission d'une période de 35 minutes. Je vous cède maintenant la parole.

Les Usagers de la santé du Québec (LUSQ)

M. Blain (Pierre) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Mmes les députées, MM. les députés, c'est la troisième fois que je me présente devant vous pour exprimer les souhaits des Usagers de la santé du Québec et mes réflexions sur l'aide médicale à mourir. Les Usagers de la santé du Québec vous expriment ce que nous entendons des usagers et ce qu'ils nous demandent de vous transmettre. Nous exprimons les craintes de personnes handicapées qui ne voudraient pas être contraintes de la subir s'ils n'expriment pas clairement leurs intentions. Nous exprimons aussi les sentiments de personnes qui ne voudraient pas vivre la déchéance de ne plus être vivantes sans en avoir les bienfaits.

L'usager, en tant que personne libre, a le droit de demander l'aide médicale à mourir comme l'ont reconnu les tribunaux. Les usagers ont des droits et doivent pouvoir les faire valoir, y compris dans l'aide médicale à mourir.

Votre document de réflexion nous demande de nous prononcer sur les enjeux soulevés par l'élargissement potentiel de l'aide médicale à mourir pour les personnes en situation d'inaptitude ou celles dont le seul problème médical est un trouble mental. Vous comprendrez que ces deux enjeux ne sont pas du tout... sont différents et demandent des réponses différentes.

Suite au jugement de la cause Truchon et Gladu, le Parlement fédéral a revu sa loi. Encore une fois, il est apparu, malheureusement, des disparités entre la loi fédérale et la loi provinciale votée par l'Assemblée nationale. En effet, malgré la recommandation du groupe d'experts mandaté par le ministre de la Santé qui proposait que l'aide médicale à mourir soit administrée même si l'usager devenait inapte entre le moment de l'acceptation de la demande et le moment de l'administration, il a fallu une disposition spéciale pour que cela puisse s'appliquer au Québec.

D'autres points divergent entre la loi fédérale et la loi adoptée par celle du Québec. Nous recommandons donc que le Québec harmonise sa loi pour correspondre à la loi fédérale afin d'éviter toute confusion. Je ne vous dis pas que la loi fédérale est la meilleure, entre autres, avec le délai de 10 jours qui doive s'appliquer entre l'administration, ce que... ce n'est pas ça que je vous dis. Mais au moins, il faut faire en sorte que, dans la majorité des cas, nous puissions avoir... qu'on... que ça puisse être un peu semblable.

D'ailleurs, si nous vous donnons cet exemple, c'est pour soulever que les critères d'admission à l'aide médicale à mourir demeurent encore très flous et sujets à interprétation des médecins, des infirmiers et des infirmières ou de l'administration.

L'avis des experts diverge sur la notion d'inaptitude car leur avis se base sur des critères différents. Pour le Curateur public, une personne est inapte lorsqu'elle est incapable de prendre soin d'elle-même ou d'administrer ses biens. Le Collège des médecins met de l'avant l'aptitude à consentir aux soins. Le consentement doit être libre, éclairé et donné à une fin spécifique. Pour Les Usagers de la santé du Québec, ces notions d'inaptitude n'ont rien à voir avec le droit de l'usager de faire respecter ses droits, même en cas d'inaptitude. En effet, les travaux de cette commission est d'établir si une personne qui a exprimé ses volontés de demander l'aide médicale à mourir en cas d'inaptitude pourrait être admissible à l'aide médicale à mourir.

Les jugements des tribunaux et la loi fédérale ont ouvert la porte à une interprétation beaucoup plus large de ce qui pourrait être admissible comme critères pour demander l'aide médicale à mourir. Ainsi la notion de fin de vie est disparue jusqu'à un certain point. Pour nous, l'usager a le droit de déterminer à l'avance ses volontés de recevoir l'aide médicale à mourir lorsqu'il sera inapte. La loi devrait donc lui permettre cette possibilité.

Nous recommandons donc que la loi sur l'aide médicale à mourir reconnaisse les domaines d'aide médicale à mourir anticipée.

La première implication que vous avez en tant que législateurs, c'est de protéger les plus vulnérables. Par conséquent, seules les personnes qui auraient exprimé clairement leur volonté de demander l'aide médicale à mourir dans un document pourraient y être admissibles. Cela exclut donc les personnes qui n'auraient pas consigné leurs volontés, les mineurs et les personnes inaptes de facto.

Nous avons tous été émus récemment, bien sûr, par l'appel de grands-parents qui souhaitaient que leur petit-fils né avec une condition médicale difficile puisse recevoir l'aide médicale à mourir. Malgré notre sympathie, nous ne croyons pas que cela devrait être permis. Et le cas Latimer illustre assez bien la situation. Il en est de même pour les personnes handicapées.

Par conséquent, seules les personnes aptes pourraient signer une demande d'aide médicale à mourir anticipée. Cette demande devrait se retrouver dans un registre facilement accessible. Il existe déjà, au Québec, un registre sur les directives médicales et, à notre avis, ce registre devrait également inclure les demandes d'aide médicale anticipées, et nous reviendrons plus tard, bien sûr, sur les modalités. Un seul registre éviterait toute confusion. C'est pourquoi nous recommandons donc que le Registre des directives médicales anticipées inclue également les demandes d'aide médicale à mourir anticipées.

Qu'en est-il des mineurs? Pourraient-ils faire une demande d'aide médicale? Dans leur cas, il ne s'agirait pas d'une demande anticipée puisqu'ils sont déjà là. Un mineur peut être émancipé, toutefois, s'il l'est, il pourrait faire une demande. Dans tous les autres cas, nous ne croyons pas que les mineurs devraient être autorisés.

• (13 h 30) •

Toutefois, maintenant, on doit parler d'un processus. Quand devrions-nous enclencher? Protéger les plus vulnérables consiste également à s'assurer du processus qui conduira à l'exécution de la demande d'aide médicale à mourir anticipée.

Votre dilemme en tant que législateurs sera de déterminer quand on enclenchera l'aide médicale à mourir anticipée. Cela soulève de très nombreuses questions, et est, en réalité, au coeur de cette commission. Il y a d'ailleurs deux aspects à considérer : Qui enclenche, et quand? Si je vous pose... si je vous donne ces choses-là, c'est parce qu'on a... j'ai eu dans ma vie à prendre une décision semblable, et pour moi, ce qui est important, c'est le respect de la personne et aussi le respect de sa volonté.

Les experts s'entendent généralement sur le fait que les personnes rendues au stade sept de la maladie d'Alzheimer n'ont plus vraiment conscience de la réalité, c'est la seule certitude que nous avons. Certains s'interrogent : Doit-on donner l'aide médicale à mourir à une personne inapte et qui ne semble pas souffrir? Pour moi, c'est de la rhétorique, il faut plutôt respecter la volonté de la personne. Mais quand déclencher le processus, et qui devrait le faire? Tout devrait se retrouver, à notre avis, dans la demande d'aide médicale à mourir anticipée. Il faut que la personne qui signe ce document puisse identifier un mandataire qui agira en son nom lorsqu'elle le jugera nécessaire. Ce mandataire devrait obligatoirement accepter cette charge et signer également le document. Sans mandataire, il ne devrait pas y avoir d'aide médicale à mourir. Le mandataire devient la personne qui enclenche la demande d'aide médicale à mourir au nom de la personne inapte. Et, j'insiste, il est hors de question pour nous que l'équipe soignante ou un de ses membres puisse enclencher le processus.

Nous recommandons donc que la personne signe une demande et désigne un mandataire, et nous recommandons que le mandataire désigné accepte sa charge et signe la demande d'aide médicale à mourir.

De plus, il faut aussi prévoir un mécanisme au cas où le mandataire ne pourrait plus exercer sa charge. Si la personne a signé la demande est toujours apte, elle pourrait désigner une autre personne. En cas d'inaptitude, je pense que le mandataire pourrait lui-même désigner une autre personne. Et surtout le mandataire devrait être présent tout au long du processus qui conduira à une demande d'aide médicale anticipée. L'équipe médicale posera un diagnostic qui influencera le mandataire à enclencher le processus de demande d'aide médicale à mourir.

Naturellement, vous qui êtes avocats dans beaucoup de cas, vous allez sûrement me dire : Oui, mais le Code civil fait en sorte que la famille... etc. Vous avez tout à fait raison, et c'est pour ça que je suggère qu'il y ait plutôt un mandataire, parce que les chicanes peuvent commencer à s'exercer dans les familles pour dire : Oui, on devrait, non, on ne devrait pas. Par conséquent, si on veut que la responsabilité d'une personne soit... la volonté d'une personne soit respectée, bien, il faut qu'il y ait une seule personne qui puisse prendre la décision au moment opportun.

Et nous suggérons que l'ajout d'un organisme extérieur indépendant dans le processus qui conduira à l'aide médicale à mourir devrait être une façon de faire. Nous pensons que ce regard extérieur... parce que jusqu'à présent, les usagers ont des défenseurs un peu partout, jusqu'à présent, il n'y en a aucun dans le cas des personnes qui enclenchent l'aide médicale à mourir.

Je vais aller rapidement, parce qu'il reste l'autre partie, qui est la partie maladie mentale. Présentement, l'aide médicale à mourir n'est pas vraiment fermée aux personnes présentant des troubles de maladie mentale. En effet, plusieurs personnes y ont eu recours. Il y a une différence, bien sûr, entre santé mentale et maladie mentale. La maladie mentale couvre plusieurs diagnostics qui ne se ressemblent pas et qui peuvent même s'opposer. Sur le site du gouvernement du Québec, on retrouve une définition de la santé mentale... de la maladie mentale, plutôt : «La maladie mentale se définit par des changements qui affectent la pensée, l'humeur ou le comportement d'une personne et qui lui causent de la détresse ou de la souffrance.» Je crois que la réponse à vos interrogations se retrouve dans cette définition. En effet, si la condition d'une personne en est une de souffrance, nous croyons que cette personne devrait être admissible à l'aide médicale à mourir. D'ailleurs, c'est une des conditions qui s'appliquent lors de la demande d'acceptation de l'aide médicale à mourir.

Nous croyons, d'ailleurs, que ça a... c'est l'avenue qui a été privilégiée dans tous les cas jusqu'à présent. Un psychiatre devrait-il établir un diagnostic? C'est aux médecins à décider entre eux. Chacun a sa spécialité, toutefois, la prise en charge d'un médecin est normalement faite par son médecin traitant. Si ce dernier a besoin d'un avis, il pourrait le demander. D'ailleurs, la loi actuelle indique qu'un deuxième avis médical est nécessaire. Par conséquent, nous croyons qu'il serait difficile, sinon impossible, pour cette commission de trancher. La loi actuelle, et surtout celle qui a été revue pour répondre aux jugements des tribunaux, couvre la problématique de santé mentale.

Nous n'aborderons pas les idées suicidaires car nous n'en avons pas la compétence. Répondent-elles aux critères de la loi? À vous d'en juger dans votre sagesse et dans... et votre avis... et les avis d'experts.

Merci, mesdames et messieurs. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. Blain.

Donc, avant de continuer avec les questions venant des membres de la commission, je fais un petit retour en arrière, donc, pour le bien de la télédiffusion. La commission est réunie aujourd'hui, virtuellement, afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Et j'aimerais avoir le consentement pour permettre au député de Chomedey de pouvoir participer aux séances.

Des voix : ...

La Présidente (Mme Guillemette) : Ça va à tous? Donc, nous passons maintenant à la discussion avec les membres de la commission. Donc, est-ce que... Bien, en fait, je vais y aller, si je peux me permettre. M. Blain, merci de votre présentation aujourd'hui. Vous êtes la voix des usagers, donc c'est d'autant plus important pour nous. Vous parliez, au niveau de l'Alzheimer... Au niveau de l'Alzheimer, c'est facile parce qu'il y a le stade 7. C'est plus cadré. Mais, si on parle d'autres troubles cognitifs qui ne sont pas aussi bien définis, de laisser un membre de la famille ou un mandataire seul prendre cette décision-là, est-ce que vous ne trouvez pas que c'est lourd? Est-ce qu'on ne devrait pas le... qu'il soit accompagné par une équipe médicale pour ne pas qu'il sente cette charge-là toute sur ses épaules?

M. Blain (Pierre) : Vous avez tout à fait raison, Mme la Présidente, et c'est entendu qu'il faut que l'équipe médicale assiste tout au long du processus. Mais, comme je vous ai dit, le problème vient du fait du moment qu'on va déterminer. Dans beaucoup de cas, plusieurs personnes disent : C'est quand je ne reconnaîtrai plus les miens. Personnellement, je ne pense pas que c'est la bonne façon de le faire. Donc, quand vous parlez de troubles cognitifs autres, vous avez tout à fait raison. La seule, en réalité, qui amène la mort jusqu'à un certain point, c'est l'Alzheimer. J'ai rencontré énormément d'experts, j'ai assisté à énormément de conférences et, comme vous le savez, bon, j'ai un peu d'expérience dans ce domaine-là, et c'est ça qui m'amène à dire : Je préfère faire très attention, et j'aimerais mieux qu'une seule personne prenne la décision.

Le problème qui est soulevé, cependant, c'est est-ce qu'il n'y aura pas d'autres considérations extérieures. Genre, ça coûte trop cher de garder quelqu'un, etc., vaut mieux... Et l'autre problème que j'entrevois aussi, c'est plutôt la douleur que la personne a elle-même, pas la personne qui a demandé l'aide médicale à mourir, souvent, c'est la personne qui dit : Ah! moi, ça me fait trop souffrir de la voir dans cet état-là. Donc, je pense que c'est préférable que ce soit une seule personne qui prenne une décision semblable, le mandataire, mais, bien sûr, conseillé par une équipe médicale.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait, merci. Je crois que j'ai le député de Mégantic. Je vous cède la parole.

M. Jacques : Merci, Mme la Présidente. M. Blain, bonjour. Je veux revenir, là, sur votre présentation, là, parler de demandes anticipées. Est-ce que, votre demande anticipée, vous la faites avant la maladie ou au moment de la maladie, au moment que la maladie est commencée?

M. Blain (Pierre) : Excusez-moi, j'ai manqué la fin, j'ai fait un mouvement brusque.

• (13 h 40) •

M. Jacques : Il n'y a pas de problème. Ce que je disais, on parle de demandes anticipées. Est-ce que la demande anticipée se fait au moment de l'apparition de la maladie ou elle peut se faire avant l'apparition d'une maladie?

M. Blain (Pierre) : À mon point de vue, ça devrait être au moment où il y a l'apparition d'une maladie, effectivement, où on a justement des vraies raisons pour le faire. Sauf qu'actuellement, avec la loi, et c'est ça qui est un peu ambigu, est-ce que n'importe qui pourrait la demander pour n'importe quelle raison? Alors, pour moi, c'est plutôt, quand arrive une maladie qui est dégénérative et qui amène, justement, éventuellement la mort, je pense que c'est le meilleur moment pour la faire.

M. Jacques : Donc, quelqu'un, là, qui est en parfaite santé ne peut pas faire... ne pourrait pas faire... pas un testament, mais une demande anticipée pour un événement qui pourrait se produire dans le futur, exemple, un ACV massif qui rend la personne inapte à tout. Vous ne pensez pas que les gens... ce n'est pas de la dignité aussi, cette façon-là de vivre, si on ne peut pas s'accepter d'une telle façon, bien, de pouvoir dire qu'est-ce qu'il va se passer par la suite si jamais il nous arrive un accident? Puis ça peut être un accident de la route, là, qui crée des lésions permanentes, irréversibles et qui nous empêche, là, de ne prendre aucune décision.

M. Blain (Pierre) : Merci de cette précision-là, sauf qu'il existe déjà, justement, des demandes de refus de soins. Ce que vous me dites, dans le fond : Ce n'est pas suffisant la demande de refus de soins. C'est qu'il pourrait y avoir également l'enclenchement, et c'est là, je pense, vous, comme parlementaires, législateurs, que vous pouvez justement faire ce genre de travail là. Moi, je n'ai pas d'objection à ce que ce soit fait. La seule chose, c'est plutôt comment on va le faire.

M. Jacques : Et avez-vous des idées comment on peut le faire?

M. Blain (Pierre) : Oui, effectivement, c'est qu'il faut que ce soit enregistré dans un registre, et, par la suite, comme je vous ai dit, à mon point de vue... Alors, quand vous dites : Vivre dans la dignité, vous avez tout à fait raison. D'ailleurs, c'est une des phrases que j'ai dite dès le début de ma présentation, quand j'ai parlé que les gens ont... voudraient être vivants sans en reconnaître les bienfaits. Alors, oui, je pense que c'est quelque chose qui peut être fait.

La seule problématique, c'est est-ce qu'on est sûrs, à ce moment-là, que c'est le bon moment d'enclencher. Et c'est là où moi, j'ai eu un petit peu de... Je vais vous raconter une anecdote qui n'est pas drôle. J'étais dans un salon funéraire avec quelqu'un, et la personne souffrait d'Alzheimer, son mari venait de décéder, elle était en délire, son mari était à l'hôtel, puis elle avait un ami qui s'appelait Roméo maintenant. Et là, jusqu'à un moment donné, elle se retourne vers moi et elle dit : Tu sais, il est bien mieux là que vivant. Donc, il y a ces moments de lucidité aussi qui peuvent exister. Si la personne avait fait une demande anticipée d'aide médicale à mourir, c'est au mandataire de déterminer c'est le bon moment d'enclencher, et je pense qu'ils auraient toute l'autorité. Et vous avez raison aussi, c'est Mme la Présidente qui parlait ou c'est vous, je ne me souviens pas, de la lourdeur d'une tâche d'un cas semblable, et je vais vous dire que, dans le premier mémoire que j'ai présenté à l'Assemblée nationale en ce sujet-là, j'avais fait le tour d'à peu près toutes les communautés culturelles, de toutes les religions également. Les seuls qui n'avaient pas voulu signer le mémoire recommandant l'aide médicale à mourir, c'étaient les peuples autochtones, parce que, pour eux, ce qui était difficile, c'était le moment... c'était la personne qui enclenchait, justement, qui donnait la piqûre, et qui disaient : Pour cette personne-là, ça va être trop difficile. D'ailleurs, Mme Hivon, qui vient d'arriver, était à cette commission, et c'était un des arguments que j'avais fait valoir pour dire : Les seuls qui n'avaient pas voulu, c'étaient les peuples autochtones.

M. Jacques : O.K. Vous avez parlé des personnes vulnérables, bon, on s'entend, là, que si on veut avoir des mandats ou des choix de fin de vie signés ou écrits... avant la maladie, quelle qu'elle soit, les personnes vulnérables vont avoir beaucoup de difficulté à avoir accès à ça aussi. Vous avez soulevé un petit peu le point. J'avais... je ne m'étais attardé à ça puis je n'y avais pas pensé, à cette problématique-là. Est-ce que vous avez des solutions pour que l'accessibilité soit égale pour tous?

M. Blain (Pierre) : Moi, je n'en vois pas de solution à ce niveau-là. Je pense que, dans tous les cas, il faut que la personne soit apte et puisse exprimer ses volontés de façon libre avant. Autrement, je ne vois pas.

Je vais vous donner un autre cas aussi qui m'est arrivé, je l'ai mentionné un petit peu dans le mémoire, mais une personne lourdement handicapée m'avait fait venir pour me dire : Je... et elle avait de la difficulté à s'exprimer, elle ne pouvait pas s'exprimer, elle avait... tout ça, mais elle avait peur que, justement, on prenne une décision pour elle, un moment donné, et qu'on fasse l'aide médicale à mourir à son endroit alors qu'elle disait : Moi, je veux vivre, même si c'est difficile pour moi, je veux vivre. Donc, pour moi, je ne vois pas d'autre solution que la volonté, quand on est apte de pouvoir le faire. Ça veut dire que, justement, toutes les personnes qui ne sont... qui sont déjà inaptes en naissant ne pourront jamais avoir... et c'est là où c'est extrêmement dangereux, si jamais on en venait à une conclusion semblable.

M. Jacques : Oui, je suis d'accord... je suis tout à fait d'accord avec vous. Bien, merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole à la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Blain, pour votre intervention. J'ai retenu que vous avez recommandé que le Québec harmonise la loi pour qu'elle corresponde avec la loi fédérale, pour qu'on évite toute confusion. Par contre, l'approche québécoise en matière d'aide médicale à mourir est basée sur une continuité de soins, puis l'approche canadienne, elle, c'est un droit fondamental. Alors là, puisqu'on parle de droit fondamental puis de soins, on n'est pas du tout... c'est deux approches qui sont, je pense, difficilement conciliables, alors comment vous pensez qu'on peut l'harmoniser?

M. Blain (Pierre) : Vous avez tout à fait raison, et c'est la problématique d'un pays comme le Canada où, d'un côté, c'est plus basé sur certains droits individuels, si je peux dire, et de l'autre côté... Sauf que les tribunaux nous ont ouvert... ont ouvert la porte à ça. Par conséquent, moi, je pense que ce n'est pas incompatible, la notion de soins, de... et qu'on peut le constater. C'est plutôt... c'est dans les mécaniques, comme celle que je vous ai dite tantôt. Au niveau du Québec, quand le groupe d'experts avait recommandé qu'on administre tout de même l'aide médicale à mourir si une personne devenait inapte entre le moment où elle... la demande avait été acceptée et le moment... C'est là. À mon point de vue, c'est plutôt des petits ajustements comme ça.

Comme je vous ai dit, l'autre chose, moi, qui me dérange un peu dans la loi fédérale, c'est les 10 jours qui ne sont pas supposés... Mais je suis sûr que personne ne nous écoute, mais c'est très rare que les médecins le suivent, cette partie-là. Ça se fait souvent assez rapidement pour répondre, justement, à la volonté des personnes.

Mme Hébert : O.K. Parce qu'au Québec, vous savez, tu sais, c'est... on a le droit de le demander mais ça ne veut pas dire que ça va être automatiquement offert, cette... ce soin de fin de vie là, qui est l'aide médicale à mourir, donc ça fait qu'il y a comme une disparité entre les deux. Parfait.

J'ai une question, aussi. Vous dites que c'est de... le moment où déclencher l'aide, le processus d'aide médicale à mourir anticipée, là, donc quand on a fait notre demande, le moment entre le déclencher par notre mandataire, là, vous dites qu'il va falloir qu'il y ait des bonnes balises, que ça soit clair, mais avez-vous fait des réflexions? Parce que, là, vous lancez ça comme ça, mais... Parce qu'il dit, là, le moment de déclencher, quand le déclencher, le «quand», est-ce que vous avez déjà réfléchi un peu à...

M. Blain (Pierre) : À mon point de vue, c'est exactement comme maintenant que ça devrait s'appliquer. Présentement, une personne fait une demande, une équipe médicale vérifie si c'est quelque chose qui est admissible et, à ce moment-là, rend une décision. Ça ne veut pas dire que la personne ne peut pas revenir pour faire... si elle est refusée. À mon point de vue, le mandataire devient la personne, et, à ce moment-là, l'équipe médicale devrait juger pour voir si c'est le... si c'est correct et si ça répond aux critères.

Cependant, maintenant, les tribunaux ont fait en sorte que la notion de fin de vie, elle disparaît. La preuve, M. Truchon a demandé l'aide médicale à mourir sans qu'il soit en fin de vie, suite au jugement de la Cour du Québec. Donc, à ce moment-là, le même principe s'applique. Pour moi, la demande doit être faite, elle est faite par un mandataire qui, à ce moment-là, agit au nom de la personne, c'est tout.

Mme Hébert : Parfait. Mais est-ce que la demande, elle est exécutoire, ou la personne pourrait revenir en arrière, ou reporter? Est-ce que c'est la mandataire qui décide ou la personne a toujours le dernier mot?

• (13 h 50) •

M. Blain (Pierre) : La personne, si elle n'est plus apte, ne pourra pas avoir le dernier mot. C'est là où, plus tôt, quand j'ai dit, et que Mme la Présidente l'a souligné : On a une seule certitude, c'est le stade 7 de la maladie d'Alzheimer. Dans tous les autres cas, bien, c'est l'interprétation d'une équipe médicale et l'interprétation du mandataire qui peut le faire, parce que la personne ne sera plus apte pour prendre la décision elle-même.

Mme Hébert : Parfait. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : ...(panne de son) ...non, ne m'entendent plus. Oui, vous m'entendez bien? Donc, je céderais maintenant la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente, et merci, M. Blain, pour vos interventions toujours lucides et très pertinentes au débat à chacune des étapes qu'on aura franchies... pardon, ensemble au Québec.

Quand on parle de la demande anticipée et la suite d'un mandataire, je me permets de comprendre qu'on aimerait quand même, évidemment, donner le plus de clarté à ce mandataire pour que sa responsabilité déjà assez lourde soit balisée par une demande claire et précise. Auriez-vous des suggestions pour nous en ce qui a trait à comment baliser la demande? C'est-à-dire, quel genre de critères devrait être cité? Comment est-ce qu'on aide l'individu atteint d'un diagnostic, à définir la souffrance, l'horizon, qualité de vie et tout ça? Comment est-ce qu'on assure des demandes d'où les voeux sont très... le plus clair possible.

M. Blain (Pierre) : Oh là là! C'est vraiment une bonne question que vous me posez là. Et les experts nous amènent justement, jusqu'à un certain point, à certaines réponses.

La première des choses pour moi, il y a... Une chose est claire. Cette demande-là anticipée, quand y arrivera l'exécution, ne doit pas être différente des autres demandes qui sont faites. C'est-à-dire, on doit les étudier de la même façon qu'on les étudie. La différence maintenant, c'est plutôt... c'est que la loi fédérale et les tribunaux ont fait en sorte que ce soit un petit peu plus large.

Le seul autre problème, que j'ai soulevé aussi tantôt, concernait le Code civil au Québec. D'habitude, c'est le conjoint, les enfants qui doivent prendre des décisions. Alors, à mon point de vue, il va falloir faire en sorte... Il existe cependant un conseil de tutelle, mais le conseil de tutelle qui existe actuellement est plutôt pour les biens. Moi, je pense que peut-être un conseil de tutelle devrait aussi être partie prenante à ces choses-là.

Mais surtout la chose la plus importante, c'est : il faut éviter des chicanes inutiles et il faut surtout éviter de ne pas respecter la volonté de la personne. Comme je vous ai dit tantôt, moi, je l'ai entendu souvent, et c'était les premiers critères qu'on a entendus quand on voulait faire des demandes d'aide médicale à mourir, elles étaient de dire : Oui, mais je ne reconnaîtrai plus les miens. Et ça, là, c'est presque impossible, sauf au stade 7 de la maladie d'Alzheimer qu'on est certains que ça, ce n'est plus là.

Donc, autrement, pour moi, c'est suivre... et je pense qu'aussi le mandataire, s'il veut vraiment bien remplir son travail, devrait tenir la famille au courant. Je pense que c'est une étape extrêmement importante pour qu'il y ait, dans le fond, une espèce de consensus qui s'établisse alentour de ça. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, monsieur?

M. Birnbaum : C'est intéressant. Nous avons entendu parler ici et là de la démence heureuse, je ne sais pas si c'est le bon terme, mais ça peut être quelqu'un qui aurait signé une demande d'admission pour l'aide médicale à mourir, qui donne des critères tout à fait compris — je ne reconnais plus mes enfants, je n'ai pas la capacité d'autonomie dans mes fonctions, et tout ça. Est-ce que vous avez des conseils en ce qui a trait à ce scénario-là?

M. Blain (Pierre) : Oui, M. le député. D'ailleurs, j'ai une belle-soeur qui est infirmière et qui, pour elle, la mémoire affective ne disparaît jamais. Elle, quand elle... elle fait beaucoup de cas d'Alzheimer, et pour elle, la famille, la meilleure des choses qu'ils ont à faire, c'est de toucher les personnes qui sont souffrantes et d'établir, comme ça, une espèce de lien. On l'a vu, récemment, dans certaines vidéos qu'on a vues sur Internet où une dame âgée, tout à coup, s'est mise à jouer du piano et interprétait la... elle était redevenue la grande interprète qu'elle était. Par conséquent, il n'y a pas de réponse claire là-dedans.

Quand vous parlez, justement, des deux formes, parce qu'effectivement, il y a deux formes, la forme heureuse et la forme un peu plus agressive, et je les ai vécues toutes les deux dans ma famille, alors, effectivement... Et il y a le fameux cas qu'on a eu, aussi, en Belgique, où, au moment d'administrer l'aide médicale à mourir, il y a une personne qui a réagi. Bon, je pense que le cas est allé devant les tribunaux et ça s'est soldé sans suite. Mais il va y avoir toujours des cas semblables. Moi, je me dis, cependant, dans le doute, vaut mieux s'abstenir.

M. Birnbaum : Merci beaucoup, M. Blain. Mme la Présidente, je crois que ma collègue de Westmount—Saint-Louis aurait d'autres questions. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Mme la députée de Westmount—Saint-Louis.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Blain. Je ne connais pas beaucoup l'organisme que vous représentez mais je comprends que vous avez déjà passé, lors de la première consultation, pour offrir votre témoignage. Pouvez-vous nous dire s'il y a eu une évolution lors de... les premiers départs, quand vous avez participé, dans le passé, et aujourd'hui? Et combien de gens ont été consultés lors du dépôt de votre mémoire et votre témoignage aujourd'hui?

M. Blain (Pierre) : Notre organisme, les usagers de la santé... Dans les témoignages que j'ai faits, dans les années précédentes, j'étais avec une autre organisation de défense des droits aussi. Dans ce cas-ci, notre organisme est un organisme qui est plus présent depuis, et on compte environ 1 000 personnes qui sont membres de notre organisation. Et à ce moment-là, on agit surtout par Facebook. On prend maintenant les réseaux sociaux plus pour faire les consultations. Certains, dans certains cas, n'étaient pas du tout d'accord, ils trouvaient que mon mémoire n'allait pas assez loin. Moi, je pense qu'au contraire, j'ai pu établir un certain équilibre pour préserver justement les plus vulnérables.

Et c'est toujours difficile d'essayer d'aller trop loin. Le Québec justement est allé déjà très loin quand il a autorisé l'aide médicale à mourir, entre autres, on a été la première société ici, en Amérique du Nord, à le faire, et ça a été un large consensus. Et le résultat a été cependant que beaucoup de demandes étaient refusées, et on ne savait pas pourquoi. Il y avait encore cette espèce de barrage culturel ou religieux qui existait dans certaines régions et qui faisait en sorte que certains hôpitaux...

Je pense que tranquillement, parce que j'ai regardé les dernières statistiques, les dernières statistiques ont fait en sorte que c'est en train de se résorber. Donc, oui, il y a une évolution, oui, on en est rendus maintenant qu'on veut, mais, comme je vous disais tantôt, il faut faire attention entre juger la souffrance de la personne qui te fait une demande d'aide médicale à mourir et la souffrance de la personne qui, elle, souffre de voir quelqu'un souffrir. C'est ça qui est la problématique.

Et c'est pour ça que j'essaie autant possible de le mettre, cette façon, dans des mains extérieures, d'une personne de confiance qui aurait été choisie par la personne et qui pourrait le faire. C'est pour ça que je ne suis pas d'accord, moi, avec des... certains experts qui disent que le moi évolue pendant l'année, pendant une période. Pour moi, c'est pareil, comme pour dire : Si je fais un testament à 20 ans puis que je ne le change pas, bien, mon testament n'est plus valable. Bien sûr, on parle de vie et de mort ici, là, mais, d'un autre côté, je pense qu'il faut respecter la volonté de la personne, peu importe le moment où ça s'est produit.

Mme Maccarone : Je pense que c'est une belle porte d'entrée pour ma prochaine question en ce qui concerne le mandataire : Est-ce que le mandataire, dans votre scénario, peut-être le Curateur public? Parce qu'on a plusieurs personnes qui ont perdu leurs aptitudes, qui vont être sous la responsabilité du Curateur public, mais, ce n'est pas un proche aidant, ce n'est pas nécessairement un membre de la famille, malgré que c'est des gens qui sont très compétents. Selon vous, est-ce que cette personne qui serait le mandataire au nom de Curateur public devrait avoir cette responsabilité aussi?

• (14 heures) •

M. Blain (Pierre) : En tout respect, Mme la députée, je crois que non, parce qu'il faut que ce soit le respect de la personne. Si la personne est inapte et n'a pas fait une demande, je ne crois pas que ça devrait se faire. Et, surtout, avec le Curateur public, ça apporterait une charge beaucoup plus grande. Ça ne serait... Parce que j'ai eu des discussions avec certains médecins qui disaient : C'est le médecin qui est le mieux à même de décider. Oui, d'accord, mais, si c'est le médecin qui enclenche, bien, la population pourrait dire : Oui, c'est vrai, il avait besoin d'un lit. Alors, je pense que c'est un peu la même chose qui devrait se produire avec le Curateur public. Je sais qu'il a une charge de travail extrêmement grande, mais j'espère que ça... Non, je préférerais non.

Mme Maccarone : Puis, en ce qui concerne les demandes anticipées et les personnes qui sont dans une situation de vulnérabilité ou les personnes qui sont vulnérables, selon vous, comme représentant des comités d'usagers, est-ce qu'on devrait moduler le programme ou s'assurer que le programme est adapté pour que tout le monde peut avoir une compréhension de c'est quoi, l'aide médicale à mourir, quand on parle de soins de fin de vie? Par exemple, une personne qui souffre d'un handicap mental, une déficience intellectuelle, est-ce que nous devons aussi moduler le programme pour eux pour que ça soit vraiment éligible pour toutes les personnes?

M. Blain (Pierre) : Oui, je pense que vous avez raison. La seule différence, c'est qu'il faut faire attention, quand on arrive justement avec la maladie mentale, parce qu'il y a toutes sortes de conditions qui peuvent s'offrir. Je ne sais pas, probablement que, vous aussi, vous avez eu... avoir des suicides dans l'entourage de personnes que vous aimiez, et c'est là qu'il s'agit de voir la différence. Si une personne est rendue assez souffrante pour vouloir se suicider, il faut voir si c'est pour les bonnes raisons, à mon point de vue, dans ce temps-là. Alors, c'est là où, en réalité, j'ai de la difficulté. Mais, oui, il faudrait que ce soit bien encadré, il faut que ce soit bien balisé, et c'est pour ça que, pour moi, les mêmes demandes... la même demande d'aide médicale à mourir doit être celle qu'on suit régulièrement, de façon générale, mais, en même temps, il faut peut-être l'adapter un petit peu mieux pour les autres.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Je céderais maintenant la parole au député de Rosemont.

M. Marissal : Merci, Mme la Présidente. M. Blain, merci d'être là. J'ai très peu de temps, alors je vais quand même rapidement souligner votre contribution, elle est appréciable et appréciée.

Comme j'ai à peu près quatre minutes, je vais y aller rondement. Qui pourrait être mandataire ou, je vais poser la question à l'envers, en fait, qui ne devrait pas être mandataire?

M. Blain (Pierre) : Un médecin, un membre de l'équipe soignante. Les autres, ça peut être n'importe qui.

M. Marissal : Y compris la famille très proche.

M. Blain (Pierre) : Y compris la famille très proche, mais une seule personne, mais sauf qu'il devrait être consulté pour éviter, justement, les conflits de famille.

M. Marissal : D'accord. Vous ne voyez pas une certaine contradiction là-dedans? Puisqu'en ce moment ce qu'on chercherait, idéalement, c'est des directives exécutoires. Vous parlez d'un mandataire qui pourrait, là je me fais l'avocat du diable, là, mais, pour plein de raisons, ne jamais enclencher. Donc, on prive la personne qui avait pourtant demandé d'en finir, on la prive donc de cette dernière volonté.

M. Blain (Pierre) : Oui, mais je pense que ça pourrait être encadré dans la demande qui est signée, hein, de façon antérieure. Je pense qu'à ce moment-là... Et c'est là qu'il y a une discussion qui doit être faite entre la personne qui signerait une demande et le mandataire pour s'assurer que la volonté soit vraiment respectée et... Parce qu'autrement on ne pourra jamais enclencher. Qui enclenche? C'est impossible.

M. Marissal : On pourrait enclencher comme ça se fait en ce moment, par une équipe médicale qui décide. Mais vous n'êtes pas... je comprends que vous n'êtes pas...

M. Blain (Pierre) : Non.

M. Marissal : ...et je ne juge pas, là, vous n'êtes pas d'accord avec ça. Vous savez, de la théorie à la pratique...

M. Blain (Pierre) : Mais ce n'est pas l'équilibre.

M. Marissal : Je m'excuse de vous interrompre. De la théorie à la pratique, on peut parfois avoir des retours de sentiment puis, tout d'un coup, ne pas avoir envie de porter ce choix final qui mènera quelqu'un à la mort. Ça se peut, ça. À ce moment-là, donc, d'emblée, la personne n'enclenchera pas le processus ou retardera indûment, selon la demande qui lui avait été faite et le mandat qu'elle avait, non?

M. Blain (Pierre) : Vous avez tout à fait raison. C'est un... Il faut prendre ce risque-là, tout de même. La différence, c'est : Est-ce qu'il va y avoir 1 % de cas semblables? Il va y en avoir 30 %? Je pense qu'à partir de ce moment-là la probabilité que la personne ne remplisse pas son mandat est plus faible que celle qu'elle vont le faire, parce que ça va être bien clair entre la personne qui ferait la demande et le mandataire.

M. Marissal : Très bien. Vous parlez d'un organisme extérieur pour protéger les personnes vulnérables. Peut-être définir «vulnérable» ici, parce qu'il me semble que quelqu'un qui est totalement inapte et n'est plus en mesure de prendre des décisions cadre assez parfaitement dans la définition de vulnérabilité. C'est même la vulnérabilité extrême, quant à moi. Cet organisme, il est... quelle forme prend-il? Est-ce un organisme gouvernemental, paragouvernemental, privé? Comment... Quelle forme prend-il et quels sont ses pouvoirs?

M. Blain (Pierre) : À mon point de vue, c'est quelque chose un peu comme les comités des usagers qui sont à l'intérieur mais qui n'ont pas ce genre de pouvoirs là. Ça peut être dans une organisation comme la nôtre, qui est plus dans le milieu. Il y a aussi un groupe de mourir dans la dignité, etc. C'est le regard extérieur pour nous assurer que ce sont les bonnes... le bon moment de déclencher et surtout que c'est les bonnes raisons de le faire. Pour moi, ça sera probablement toujours le bon moment, mais, comme je vous ai dit, il y en a plusieurs qui ont des craintes, dans certains cas, de savoir : Est-ce que c'est pour le... Est-ce que, justement, on... ça coûte trop cher, de garder quelqu'un vivant?

M. Marissal : Effectivement, il y a toujours cette... ce spectre au-dessus de toutes ces discussions. Cet organisme, donc, aurait-il un...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Marissal : Très bien, Mme la Présidente. Désolé.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. C'est tout le temps que nous avions. Donc, je céderais maintenant la parole à députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, M. Blain. Merci beaucoup de votre présentation. J'avais d'autres questions, mais je vais poursuivre rapidement — moi aussi, j'ai juste quatre minutes — sur la question de mon collègue. Tantôt, je vais faire un peu l'avocat du diable, vous avez répondu à la question de ma collègue de Westmount—Saint-Louis que vous ne pensez pas que le Curateur public pourrait être mandataire parce qu'il n'est pas collé, si j'ai bien compris, là, sur la personne comme telle, si, par exemple, une personne aurait été apte et deviendrait inapte. Mais là vous nous dites qu'un organisme extérieur pourrait venir aider à situer le moment pour déclencher l'application de l'aide médicale à mourir. Mais est-ce qu'on n'est pas dans le même type de situation où l'organisation n'a pas une connaissance fine des volontés de la personne?

M. Blain (Pierre) : Vous avez raison. L'organisme dont je parle ne serait pas là, lui, pour enclencher. Il serait là après que l'enclenchement est fait et s'assurer que tout se déroule comme c'est supposé et dans le respect des droits de la personne qui a demandé l'aide médicale à mourir.

Dans le cas du curateur, vous avez raison, si les législateurs veulent leur donner cette possibilité-là, mais il y aura toujours une crainte d'être partie, en même temps, de...

Mme Hivon : Parfait. O.K., donc, dans votre scénario, vous avez votre mandataire qui est désigné, puis, encore une fois, je cherche une petite précision, il est désigné mais seulement pour appliquer la volonté, donc déclencher le moment en disant : À la lumière de ce que ma conjointe, ma fille, mon père a écrit dans sa demande anticipée, on est rendus à ce moment-là. Donc, comme mandataire, je souligne que nous devons enclencher le processus, et non pas me substituer à la personne pour dire : Voici, elle voudrait maintenant l'avoir. On se comprend bien? C'est juste pour enclencher.

M. Blain (Pierre) : Absolument.

Mme Hivon : Parfait. Autre petite question. Dans votre mémoire, vous, vous nous dites que... à savoir, le critère de la souffrance, est-ce qu'on doit l'évaluer au moment où on donnerait l'aide médicale à mourir, vous qualifiez ça un peu de faux débat. Et puis c'est un débat qui nous a occupés et qui nous occupe encore beaucoup, dans la mesure où on veut... si on veut garder le critère de la souffrance.

Donc, je vous soumets un cas d'une personne qui aurait mis dans ses directives anticipées simplement : Moi, quand je ne reconnaîtrai plus mes enfants ou, moi, quand je ne pourrai plus manger par moi-même, je veux avoir l'aide médicale à mourir. Est-ce que cela, en soi, pour vous, devrait être suffisant, même si, au moment d'appliquer, la personne chante à longueur de journée, est heureuse, à l'air bien, ne fait pas d'errance, pas d'anxiété? Comment on juge ça alors?

M. Blain (Pierre) : Vous posez la bonne question, Mme la députée, c'est-à-dire, tous les experts que j'ai écoutés, que j'ai rencontrés n'ont pas de réponse à ça. Pour beaucoup de ces experts, ce n'est pas une réponse de dire : Je ne répondrai... je ne reconnaîtrai plus les miens ou je ne peux plus manger. Pour eux autres, ce n'est pas nécessairement suffisant.

Est-ce que, justement, avec le fait que, maintenant, on a peut-être cette possibilité-là de mourir dans la dignité, à ce moment-là, peut-être que ça pourrait devenir un critère que vous pourriez évaluer et qui pourrait être fait? Étant donné que la loi fait en sorte, maintenant, qu'on n'a pas plus la fin de vie immédiate, mais c'est peut-être la qualité de vie, c'est peut-être quelque chose qui peut être introduit dans la loi québécoise en parlant de qualité de vie.

Mme Hivon : Est-ce qu'il me reste du temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Guillemette) : 30 secondes.

Mme Hivon : Oui. Donc, pour vous, peut-être que le critère de la souffrance ne devrait plus être là, mais juste le critère de la qualité de vie. Je résume ça simplement, mais vous nous amenez à réfléchir là-dessus.

• (14 h 10) •

M. Blain (Pierre) : Les deux. Pour moi, la souffrance va toujours rester parce qu'elle est là présentement dans la loi. Et maintenant on pourrait peut-être y rajouter quelque chose de plus, qui est la qualité de vie.

Mme Hivon : O.K. Mais, pour vous, la souffrance doit demeurer comme critère.

M. Blain (Pierre) : La souffrance doit demeurer. Et c'est là, entre autres, en santé mentale, que ça existe.

Mme Hivon : Oui, O.K., merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Donc, je céderais maintenant la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Blain. J'ai encore moins de temps que mes deux derniers collègues. Je veux vous amener sur la dernière partie de votre mémoire, la maladie mentale, où vous nous mettez, dans votre mémoire, ce qu'il y a sur le site du gouvernement sur la santé mentale, sur la maladie mentale, et vous nous suggérez de garder le statu quo ou vous nous suggérez le statu quo parce que c'est déjà prévu dans la loi. J'aimerais ça, que vous soyez un petit peu plus explicite.

M. Blain (Pierre) : M. le député, pour moi, c'est un peu ce que je viens de discuter avec Mme la députée, c'est-à-dire la souffrance. Pour moi, dans le cas de la santé mentale, justement, dans la définition qu'on a, on parle de souffrance, et, pour moi, justement, la souffrance doit être un des éléments. Et, jusqu'à présent, les demandes qui ont été faites concernant l'aide médicale à mourir pour des personnes en santé mentale, le critère de souffrance s'est fait. D'ailleurs, le Curateur public a autorisé, dans certains cas, une demande semblable.

M. Ouellette : Donc, si je vous suis, ce qui existe présentement devrait être assez pour qu'on n'ait pas besoin de... pas légiférer, mais qu'on n'a pas besoin d'en tenir compte dans notre rapport ou dans notre réflexion actuelle.

M. Blain (Pierre) : Vous avez raison. Pour moi, c'est pour ça que je parle de statu quo à ce niveau-là. Je pense qu'on a déjà des critères au niveau de la santé mentale. Si on veut les étendre et si on veut justement aller autrement, c'est là qu'il peut être très difficile... et c'est pour ça que j'ai dit que je n'étais pas spécialiste au niveau des idées suicidaires, bon, alors, comment pouvons-nous le juger? À ce moment-là, est-ce que c'est un psychiatre? Moi, je pense que c'est le médecin, c'est l'équipe médicale qui peut. Et dans tous les cas, la même chose va être faite, la demande va être évaluée et jugée de la même façon pour voir si l'aide médicale à mourir est acceptable ou pas.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup. Merci, M. Blain, d'avoir accepté d'être ici avec nous aujourd'hui et de répondre à nos questions. C'est très éclairant pour les travaux de la commission.

Donc, nous allons suspendre quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités, mais, comme on est un peu en retard, on n'aura pas le 10 minutes, on va reprendre immédiatement les travaux. Donc, je demanderais aux membres de rester branchés, on va débuter tout de suite. Merci encore, M. Blain.

M. Blain (Pierre) : Merci et bonne journée.

(Suspension de la séance à 14 h 14)

(Reprise à 14 h 18)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, bonjour, Mme Poirier. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Donc, nous entendons l'organisme Carpe Diem du Centre de ressources Alzheimer et sa représentante, Mme Nicole Poirier. Donc, je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous présenter votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange avec les membres de la commission pour une période de 35 minutes. Donc, je vous cède la parole.

Carpe Diem — Centre de ressources Alzheimer

Mme Poirier (Nicole) : Parfait. Merci beaucoup. Merci d'échanger, d'accepter d'échanger avec moi aujourd'hui. Donc, effectivement, je suis directrice de Carpe Diem, un organisme que j'ai contribué à fonder il y a 35 ans. J'ai fait aussi des études en psychologie, en gérontologie puis une maîtrise en administration publique. Ma mère a eu l'alzheimer dernièrement. Elle est décédée en 2015. Et j'ai pu vivre aussi ce qu'un proche vit lorsqu'on a des décisions à prendre pour une personne qui devient progressivement... qui perd son aptitude.

Alors, ce que je vais vous échanger aujourd'hui, c'est beaucoup le fruit de mon expérience à Carpe Diem, mais aussi toutes ces années de recherche. La première recherche remonte à 1989 avec... lorsque Mme Lavoie-Roux, qui était ministre de la Santé, m'avait reçue puis m'avait dit : Bon, votre projet est intéressant, mais il faudrait faire une recherche pour comprendre les besoins de personnes, les familles, le réseau. Et elle avait investi 1,2 million à ce moment-là dans cette recherche-action que j'avais accepté de faire parce que c'était une recherche-action, justement, puis qu'on pouvait offrir des services en même temps qu'on faisait de la recherche. Et, au terme de cette recherche, j'ai réalisé que, bon, il y avait la maladie qui causait des souffrances, mais il y avait aussi des souffrances causées par les conditions de vie, par les manques de formation, par de la médication mal adaptée, de l'enfermement, et tout ça. Alors, ça, ça fait partie de mon cheminement puis de ma réflexion, ainsi que différents comités, comme le comité sur le plan d'action pour la maladie d'Alzheimer avec le Dr Bergman . J'ai fait aussi des visites d'appréciation dans les CHSLD. Puis j'ai été beaucoup en Europe aussi pour partager notre approche.

• (14 h 20) •

Alors, en 2010, j'ai écrit un mémoire dans le cadre de la commission Mourir dans la dignité. Et à l'époque, bien, c'était un peu nouveau qu'on entende parler d'ouvrir l'aide à mourir aux personnes qui allaient devenir inaptes. Alors, moi, mon mémoire, à ce moment-là, c'était de dire, bien, il y a la maladie qui cause des souffrances, mais il y a tellement de conditions de vie aussi qui causent des souffrances. Comment peut-on faire un choix éclairé et sans pression si on n'a pas plus d'options pour nous plus tard, si on n'a pas plus de perspectives intéressantes autres que l'aide à mourir? Alors, moi, c'était de dire : C'est démontré par les recherches, il y a de l'abus de psychotropes dans des milieux d'hébergement, il y a des souffrances causées par le fait d'être enfermé, il y a de la dénutrition, c'est démontré aussi par les recherches, il y a un manque d'accompagnement des familles. Alors, moi, je proposais de travailler là-dessus, sans nécessairement être contre l'idée d'offrir éventuellement une aide à mourir.

Ensuite, bien là il y a eu ma mère que j'ai accompagnée, puis à toutes mes réflexions s'est ajouté celle d'une fille, avec ses frères et soeurs, qui doit prendre des décisions, puis sans que j'aie pu m'imaginer, des petites décisions aux grandes réflexions de tout le monde, alors que je pensais que c'était simple.

Je donne juste un exemple. Il y a un médicament contre l'alzheimer qui causait des effets secondaires à ma mère bien évidents, et puis moi qui pensais que ça prendrait peut-être une heure, ensemble, à prendre la décision, bien, ça a pris des mois, alors que chacun... On est sept enfants à décider selon nos expériences, nos valeurs. Puis parfois, bien, on s'éloigne, on n'a pas toujours conscience de ce que les autres frères et soeurs font dans la vie. Puis parfois, bien, ils arrivent avec des réflexions qui étaient assez inattendues. Et ça, c'est pour le médicament.

Ensuite, on a eu à décider des traitements pour ma mère, qui a eu le cancer, un cancer des intestins. Est-ce qu'on continue les tests? Est-ce qu'on fait des investigations? Est-ce qu'on traite? Est-ce qu'on opère? Est-ce qu'on va aux soins palliatifs? Ce n'est pas simple comme décision, puis je l'ai vécu à fond. Alors, ça, ça m'a amenée à me dire : Bien, c'est compliqué, confier à une tierce personne des décisions. Et celle, ultime, de mourir, pour moi, je pense que c'est une grande marque de confiance, mais je prévois qu'il y aura beaucoup de risques de conflits et risques de vivre cette situation-là de façon difficile.

Alors, ça, c'est ce qui m'a amenée à en ce moment, aux travaux du comité, que j'ai suivis. J'ai lu le rapport du comité, j'ai aussi lu le document de consultation et je vous partage, aujourd'hui, mes réflexions suite aux documents de consultation. On dit, dans le document, qu'il faut avoir un diagnostic pour pouvoir rédiger des demandes ou des directives anticipées. Donc, la question du diagnostic, je la comprends, il faut l'avoir, mais, quand j'en ai parlé à des familles qui ont accompagné un parent, on m'a dit : Oui, c'est correct, mais moi, ma mère n'aurait pas pu signer un document comme celui-là parce que lorsqu'elle a eu le diagnostic... ça fait partie de la nature de la maladie, c'est long, poser un diagnostic, puis souvent il y a des personnes, en fonction du type de maladie... Si vous avez une maladie frontotemporale, ça se peut que vous ayez vite perdu votre capacité à juger de votre situation versus un autre type de maladie. Donc, il y a des personnes qui m'ont dit : C'est injuste, et même qui m'ont dit : C'est discriminatoire, parce que moi, je serais... Il y a des gens qui ont appris qu'il fallait poser le diagnostic pour y avoir accès.

Donc là, je sais qu'il y a une campagne de sensibilisation qui pourrait être offerte, mais, en même temps, je me disais : Juste concrètement, s'il y a 10 000 personnes par année qui reçoivent un diagnostic de maladie d'Alzheimer, qu'il y en a la moitié qui signe des demandes ou des directives, ça va faire beaucoup de dossiers à traiter. Concrètement, est-ce qu'on aura les médecins — qu'on a de la difficulté à avoir en ce moment pour avoir une prescription d'antibiotiques — est-ce qu'on va avoir les médecins puis les professionnels pour analyser correctement ces demandes ou ces directives? Donc, quand... si on parle de demandes, pour moi, c'est clair que, si c'est des demandes... la question de reconnaître ses proches, être incontinent puis pouvoir manger ou gérer sa vie, il faut que ce soient des demandes, parce que ça peut tellement varier dans le futur qu'il faut pouvoir avoir une évaluation en temps réel. Par contre, là, j'y vois beaucoup, beaucoup d'interprétations puis de contre-exemples. Elle reconnaît qui? Elle ne reconnaît pas untel, elle ne reconnaît pas ses enfants. Elle mange, mais elle mange de quelle façon? Il y a tellement d'interprétations que je vois ça difficile.

Les directives, pour moi, les directives, ça pourrait être une option, à la condition que le seul critère, ce soit la souffrance, si la personne souffre. Et il y a vraiment des personnes avec la maladie qui ont des souffrances qui ne sont pas en lien avec les conditions de vie, comme je vous le disais tout à l'heure. Il y a des personnes que la maladie provoque des troubles de la pensée, des troubles perceptuels. Dans leur tête, c'est le chaos total, peu importe ce qu'on fait, c'est souffrant, et on n'arrive pas ni avec de l'aide médicamenteuse ni avec de l'aide environnementale. Alors, qu'est-ce qu'on fait avec ces personnes-là lorsqu'elles sont dans cet état-là? Bien, moi, je me dis : Si on me disait que c'est des directives, c'est exécutoire, c'est quand la personne souffre, parfait, ça, pour moi, ça pourrait fonctionner, mais le seul critère, ce serait la souffrance.

Ensuite, les recherches ont démontré qu'il y a 80 %... pas les recherches, mais on sait qu'il y a 80 % des personnes qui se retrouvent en CHSLD qui ont une maladie qui touche les fonctions cognitives. Parmi tous les troubles qu'on parle, des troubles du comportement, il y a en a 85 % qui seraient liés à autre chose que la maladie, et 15 % seraient liés à ce que je viens de vous dire, des souffrances ou des troubles liés carrément à la maladie. Donc, je me dis : Ceux qui n'auront pas signé des directives pour être épargnés de la souffrance, bien, ils vont souffrir quand même. Comment on peut faire pour les soulager s'ils n'ont pas signé leurs intentions au préalable?

Donc là, c'est là qu'il m'est venu, en discutant avec l'équipe aussi puis en analysant des situations concrètes vécues à Carpe Diem et ailleurs, de me dire : Bon, bien, moi, si... mon autodétermination, ce n'est pas de confier à mes enfants ou à un proche ce qui va m'arriver plus tard. D'abord, je ne veux pas leur mettre ce fardeau-là puis je ne veux pas le confier à des personnes que je ne connais pas. Je veux pouvoir moi-même choisir de ma fin de vie puis de qui va décider.

Donc, est-ce que... Je me demande pourquoi, dans le rapport, il n'a pas été question davantage de la sédation profonde et continue. Quand quelqu'un souffre, au lieu de lui donner des neuroleptiques qui ont des effets secondaires puis qui me font souffrir, pourquoi on n'irait pas plus vers carrément endormir la souffrance dans... Pour mes enfants, pour le monde autour, c'est beaucoup plus simple par rapport à l'intention. Mon intention... L'intention, c'est de soulager la souffrance, ce n'est pas de mettre fin à mes jours. Donc, c'est une question. Pour moi, ce serait une option.

Ensuite, une autre option que je trouve que j'aimerais avoir si jamais je souffrais d'alzheimer, ça serait la possibilité, si je suis apte, à avoir accès à l'aide à mourir en restant apte. Maintenant que le critère de fin de vie n'est plus exigé, pourquoi on ne pourrait pas, quand on est aptes, avoir accès à l'aide à mourir? Souvent, les gens disent : Je ne veux pas être obligé d'aller en Suisse. En Suisse, il faut être apte pour avoir l'aide à mourir. Pourquoi on n'ouvre pas à une assistance à mourir au moment où on est apte? Pour moi, ça aussi, ça fait partie de l'autodétermination, puis l'autodétermination à l'état pur pour moi, parce que c'est moi qui décide jusqu'en fin... jusqu'à la toute fin. Donc, ça, c'était aussi une question.

Alors, si j'ai l'alzheimer... Je termine avec ça. Je me suis posé la question parce que tous vos travaux nous amènent à réfléchir puis à pousser toujours plus loin la réflexion. Je me suis dit : Qu'est-ce que je fais si j'ai l'alzheimer? J'ai des bons risques parce que, du côté de ma mère, ils sont quatre à l'avoir eu, donc je veux y penser dès maintenant. Donc, si on me diagnostique une maladie d'Alzheimer, d'abord, je vais essayer de voir quelle maladie j'ai. Parce que, là, dans tous les écrits qu'on voit, on donne des grandes étapes, mais on ne définit pas les différentes maladies. C'est différent d'avoir la maladie à corps de Lewy, qui, physiquement, nous donne une impression d'être très avancés dans la maladie, mais on est encore capables de parler puis de s'exprimer, une aphasie primaire progressive, où je n'ai plus les mots, ça me pénalise beaucoup dans les tests, mais ma pensée reste claire, une maladie d'Alzheimer classique, une dégénérescence frontotemporale, qui va vite évoluer, peut-être. Donc, qu'est-ce qui m'attend? Je veux le savoir puis de façon précise.

• (14 h 30) •

Ensuite, je veux savoir si je suis apte à l'aide médicale à mourir en restant apte. Ça, c'est mon deuxième point. Je veux pouvoir avoir accès à ça. Parce que les craintes... On parle souvent des craintes d'être incontinent. Moi, ce que je crains le plus, c'est d'être privée d'aller aux toilettes. On parle souvent de la crainte de ne pas reconnaître ses proches. Bien, moi, la grande crainte que j'ai, c'est d'être entourée de gens qui ne me reconnaîtront pas, qui ne connaîtront pas mes habitudes puis qui ne connaîtront pas mes désirs.

Alors, mes enfants, bien, eux, ils vont continuer de me reconnaître, mes proches vont continuer de me reconnaître. Il y a d'ailleurs Christian Bobin qui a écrit un texte sur la maladie d'Alzheimer que son père a vécue en France, et puis son père, il ne le reconnaissait pas, mais il lui a dit un jour : Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous êtes celui que j'attendais. Et, dans... Ça, c'est quelque chose qu'on vit beaucoup. Puis il est démontré dans les neurosciences... J'ai écrit un livre avec Roger Gil, un neuropsychiatre de Poitiers, sur la neuropsychologie, puis c'est démontré par les recherches que les gens qui sont prosopagnosiques, qui ne reconnaissent pas les visages, ont une émotion quand ils sont devant leurs proches, et ça, ça a été démontré avec des capteurs qui démontrent l'émotion. Donc : Je ne sais pas qui tu es, mais je sais que je suis bien avec toi. Puis ça, ça se vit aussi avec les intervenants, quand il y a de la stabilité.

Ensuite, on parle beaucoup de la crainte de ne plus manger. Oui, j'ai peur de ça, mais j'ai encore plus peur qu'on me prive de manger puis que je devienne dénutrie parce qu'on ne sait pas comment m'accompagner, parce qu'on n'a pas le temps de m'aider à manger et/ou soit qu'on me nourrisse supervite puis que ça ne soit pas à mon rythme. Peur de me perdre. Souvent, on dit ça : J'ai peur de me perdre. Mais, moi, j'ai encore plus peur, puis ça, c'est vraiment une grande angoisse pour moi, d'être enfermée, d'être privée de ma liberté, de ne pas pouvoir aller dehors et de... Et ça, pour moi, c'est une des plus grandes privations de liberté, puis il n'en est pas beaucoup question dans les échanges. Peur de... ma vie. Oui, j'ai peur, mais j'ai encore plus peur que mes enfants n'aient plus de vie parce qu'ils sont obligés de s'occuper de moi. Alors, ça, pour moi aussi, ça fait partie de mes peurs.

Donc, en conclusion, bien, je pense qu'on a un chantier important à faire au niveau des conditions de vie. Pour ce qui est de vos travaux, bien, j'aimerais que soit évaluée la question de la sédation au lieu de l'aide à mourir, carrément, et, en ayant la possibilité d'une sédation, c'est un soin, ça peut être inscrit dans nos directives médicales anticipées, je crois, ou dans notre mandat d'inaptitude. On peut demander un soin, on peut en refuser un autre. Moi, je voudrais refuser les neuroleptiques. Lorsque tout aura été tenté pour me soulager, je ne veux pas que ça soit des neuroleptiques qui donnent des effets secondaires et qui font plus, à ce moment-là, plus de mal que de bien, je veux plutôt un médicament pour me calmer et que ça m'emporte tout doucement. Puis, comme ça, tout le monde sera égal devant la souffrance, pas juste ceux qui ont signé des directives avant, mais tout le monde qui vont souffrir puis qui n'auront peut-être pas eu la possibilité de l'écrire. Voilà.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Poirier. Je céderais la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente, et merci, Mme Poirier, pour votre témoignage basé sur votre grande expérience et ainsi que l'humanité de votre propre expérience. Je crois que votre témoignage ajoute à nos réflexions, mais, il faut le dire, ajoute à la complexité des grandes questions devant nous.

Vous parlez beaucoup... Vous avez parlé beaucoup de l'état du traitement pour les gens atteints d'Alzheimer, toutes les conditions de vie autour de ça. En contrepoids, nous, nous sommes en train de parler de l'aide médicale à mourir. Est-ce que vous êtes en train, en quelque part, de faire un lien entre les deux? C'est-à-dire, est-ce que, si je vous entends bien, vous avez une inquiétude que de mettre une plus grande ouverture envers l'aide médicale à mourir, on risque de délester la recherche, le travail, les services offerts aux gens atteints d'Alzheimer? Est-ce que vous faites un lien de cet ordre-là?

Mme Poirier (Nicole) : Je pourrais faire un lien, mais déjà, je me demande... du réalisme puis de la possibilité de le faire. Avec les moyens qu'on a en ce moment, on n'y arrive pas, à soigner correctement. Concrètement, où allons-nous trouver les professionnels, les soignants qui vont être capables d'évaluer des personnes qu'ils ne connaissent pas? Parce qu'en théorie, oui, une équipe multidisciplinaire pourrait peut-être évaluer la personne en fin de vie, voir... ça correspond à ses directives. Mais il n'y en a pas, de ressources en ce moment, puis on va prendre des ressources précieuses pour évaluer si la personne correspond à ce qu'elle avait déjà mentionné? Je trouve qu'on pourrait mieux utiliser notre humanité et nos ressources.

 Puis je pense que c'est déjà difficile... Les médecins qui font le diagnostic en début de maladie ont de la difficulté à vraiment évaluer l'état de conscience de la personne, les gens qui sont privés des mots sont vraiment pénalisés dans les tests. J'ai de la difficulté à croire qu'on va avoir des évaluations qui ne seront pas contestées par les familles.

M. Birnbaum : Vous avez dit, dans un temps, qu'il faut évidemment respecter l'autonomie de l'individu et sa volonté et que, si on exige un diagnostic préalable, ça risque d'être peut-être trop tard pour plusieurs qui auraient aimé exprimer cette volonté lors d'une demande d'aide médicale à mourir. Après, vous avez dit que, ça se peut, si on ouvre trop le chantier, on va se trouver avec de multiples demandes pour l'aide médicale à mourir. Alors, en quelque part, c'est deux constats contradictoires.

Dans un premier temps, est-ce que vous pouvez nous dire si vous êtes en train de dire que l'accès à une demande d'aide médicale à mourir devrait être possible même en absence d'un diagnostic? Et, dans un deuxième temps, si oui, comment est-ce qu'on balise les critères afin que la demande ne soit pas irréaliste ou trop élevée?

Mme Poirier (Nicole) : Ce que les familles m'ont dit, puis ça vient d'elles, les idées, cette idée-là, c'était de dire : On n'est pas comme dans les cancers où, lorsque... si je n'ai pas le cancer puis que je reçois mon diagnostic, c'est possible que, là, ma vision change, des choses. Avec l'Alzheimer, lorsque tu as le diagnostic, c'est déjà un petit peu avancé, puis c'est possible que des personnes ne soient plus en état. Puis ce qu'on m'a dit, c'est : Pourquoi ça ne serait pas des demandes dans... par exemple, le mandat en cas d'inaptitude, que les personnes puissent les inscrire, leurs demandes, à ce moment-là, quand ils ne sont pas touchés par la maladie puis qu'ils peuvent réfléchir, un peu comme je l'ai fait, moi, en ce moment? C'était ça, la question.

Puis vous avez... C'est vrai aussi que c'est contradictoire, ce que je vous dis, mais c'est deux réalités : des gens qui peuvent être privés de cette option, plus, peut-être, beaucoup de monde... si on fait de la publicité puis on encourage les personnes à signer des directives, c'est vrai, effectivement, qu'il y a peut-être beaucoup de monde qui vont les signer, mais c'est un et l'autre, et c'est un fait que je vous soumets.

M. Birnbaum : Est-ce que vous avez des commentaires sur ce phénomène dont on parle, qui est la démence heureuse? C'est-à-dire que, si on était devant... On est devant une demande d'aide médicale à mourir où on parle de souffrance, d'inaptitude, et tout ça. Et, advenant un moment où c'est clair que les symptômes sont très aggravés, mais la personne ne démontre pas une grande souffrance, dans le sens plus facile à comprendre de ce terme-là, qu'est-ce qu'on fait?

Mme Poirier (Nicole) : Oui, bien, moi, je pense que les gens qui... Je ne parle pas de démence heureuse. Bien, je dis que c'est une situation moins souffrante ou, en tout cas, où il n'y a pas vraiment de souffrance apparente. Et il y en a beaucoup, de personnes, qui vivent comme ça, où est-ce qu'elles développent... Hier encore, quelqu'un m'a dit : Ma mère a eu une maladie d'Alzheimer, puis elle s'est fait un petit ami, puis elle rit tout le temps. Bon, les personnes... Moi, ma mère n'était ni l'un ni l'autre. Avant d'avoir son cancer, elle n'était pas souffrante. Et je pense qu'à ce moment-là, s'il n'y a pas de notion de souffrance, comme j'ai dit tout à l'heure, je ne vois pas... je trouve que ça serait très compliqué, à ce moment-là, de prendre la décision d'aller... d'offrir l'aide à mourir. Mais oui, il y en a. Je ne vous dis pas que c'est beau, la maladie d'Alzheimer ou les formes de démences, mais il y en a effectivement qui sont moins agressives chez la personne, qui ne rendent pas le cerveau complètement chaotique.

• (14 h 40) •

M. Birnbaum : Finalement, je crois entendre de vous une importance éventuelle d'assurer une vulgarisation de l'opportunité, c'est-à-dire d'assurer qu'il y ait un accès équitable en région, partout, chez les plus pauvres, les moins éduqués à cette demande d'aide médicale à mourir. Est-ce que je vous entends bien là-dessus, puis il y a un avertissement dans votre message à nous là-dessus?

Mme Poirier (Nicole) : Oui, parce que c'est sûr que seules... il ne faudrait pas que ce soit seules les personnes qui ont les moyens de se payer un notaire, qui sont assez informées, assez éduquées, qui sont capables de rédiger et d'y avoir accès. Mais, malgré tout ça, il y aura encore de l'iniquité. Moi, pour moi, la façon d'être la plus équitable, c'est de trouver une façon, comme société, de soulager les souffrances. Et puis soulager des souffrances, ce ne se fera pas nécessairement avec des directives ou des demandes anticipées. Ça va être, comme société, d'avoir accès à un soin qui consiste à être celui de... qu'on endorme la souffrance au lieu de me donner des médicaments qui me font souffrir aussi.

M. Birnbaum : Merci beaucoup.

Mme Poirier (Nicole) : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, est-ce qu'on continue avec la députée de Westmount—Saint-Louis?

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Mon collègue a posé toutes les questions pour notre formation politique.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Donc, je céderais maintenant la parole au député de Rosemont.

M. Marissal : Merci, Mme la Présidente. Mme Poirier, bienvenue. Merci de votre témoignage. On sent effectivement l'humanité là-dedans, puis c'est quand même bon de se rappeler qu'on est là pour ça surtout ici. Ce n'est pas purement mécanique, là, ce qu'on fait ici.

Je ne suis pas du tout spécialiste, en tout cas, certainement pas autant que vous dans ces questions de fin de vie, de maladie ou de sédation, ça fait que je suis allé faire un peu de devoirs pendant que vous parliez, tout à l'heure, tout en vous écoutant, rassurez-vous, et je suis tombé sur un site, par exemple, Fin de vie, Soins palliatifs, le Centre national français, une source parmi d'autres, là. Je les cite : «Toute personne a droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Cet accompagnement peut nécessiter une sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à une analgésie, pour soulager une personne malade qui présente une situation de souffrance vécue comme insupportable alors que le décès est imminent et inévitable.» C'est de ça dont vous parlez?

Mme Poirier (Nicole) : Oui, exactement. Mais maintenant, la fin de vie n'est plus un critère obligatoire, il n'existe plus. Donc, moi, je me dis... Ce que je trouve, c'est que, dans le rapport d'expert, il y a trois, quatre phrases là-dessus. Ça n'a pas été creusé, ça n'a pas été élaboré. J'aurais aimé ça, que ce soit... que les pour et les contre soient fournis dans le rapport.

M. Marissal : Je comprends, Mme Poirier. Mais là vous me voyez venir, là : ici, là, le centre national de fin de vie et de soins palliatifs français parle de décès imminent et inévitable. Je comprends que le débat, ici, là, juridique... j'en connais les tenants et aboutissants. Combien de temps on peut garder quelqu'un en sédation prolongée, sachant que des gens, parfois, meurent après six, sept, huit ans d'Alzheimer, de maladies dégénératives? Combien de temps garde-t-on les gens sous sédation? Mais est-ce qu'on peut alors parler de qualité de vie et de dignité?

Mme Poirier (Nicole) : C'est effectivement... Moi, les personnes auxquelles je fais référence, là, c'est vraiment des personnes... puis je l'ai vécu récemment, là, dans la dernière année, trois personnes pour qui, là, c'était insupportable, il n'y avait rien à faire. Et qu'est-ce qui s'est passé? Ils se sont retrouvés à l'hôpital sous contention physique, chimique et ils sont morts dans le mois qui a suivi. Mais ils ne sont pas morts de la bonne façon. Ils sont morts dans des conditions inacceptables.

Alors, c'est sûr qu'il faut que la souffrance soit vraiment évaluée, là. Je ne parle pas des personnes qui ont des «downs» ou qui sont... qui ont besoin d'être réanimées pour être heureuses, là. Je ne parle pas de ça. Je parle des 15 %, là, que c'est vraiment grave, là, puis qui peuvent se frapper sur les murs, qui peuvent crier, qui peuvent frapper puis que chaque attention pour eux est mal décodée. Je parle de ces situations-là. Puis, en général, ces personnes-là ne vivent pas longtemps, en tout cas, pas longtemps quand ils vont à l'hôpital.

M. Marissal : Donc, la sédation, pour vous, ça s'appliquerait dans un pourcentage assez mince de cas, là, de toute évidence?

Mme Poirier (Nicole) : Oui. Quand, avec les médecins, là... Puis ça, c'est des situations où ça fait des mois qu'on essaie avec les médecins. On essaie une médication. Ça ne fait pas. On en essaie une autre. On cherche, là. Il faut vraiment avoir éliminé toutes les autres causes possibles. Ces personnes-là, habituellement, ne sont pas... ne vivent pas longtemps.

M. Marissal : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, M. le député. Je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Mme Poirier. Je suis très heureuse de vous revoir et de vous entendre. Vous nous amenez beaucoup d'éléments de réflexion que seule une personne qui a votre expérience peut le faire. Donc, merci de votre générosité. Je vais poursuivre sur la même question de la sédation palliative continue. C'est intéressant. Vous êtes la première personne, effectivement, à amener ça. Dans la loi sur les soins de fin de vie, c'est un soin précis, prévu dans certaines circonstances. Le défi, c'est que les médecins, en fait, peuvent respecter des directives de refus de soins, mais les médecins... Comme patient, moi, je ne peux pas dire : Aïe! Je veux tel traitement, telle affaire. C'est-à-dire que, quand on m'offre des choses, évidemment, je peux dire oui ou non, mais je ne peux pas exiger quelque chose. Et, sur la sédation continue, ce qu'on nous a beaucoup dit lors des premiers travaux, c'est que les indications médicales, pour que ce soit un soin approprié, c'est quand on estime, puis là on revient à ce que vous discutiez avec mon collègue, qu'il reste quelques semaines à vivre, parce que le fait d'induire une sédation continue... En fait, vous ne pouvez pas continuer à être alimentée et à être hydratée. La bonne pratique, là, de ce qu'on a compris dans les premiers travaux, c'est que c'est antinomique. Donc, dans les faits, on arrête de vous nourrir et de vous hydrater. Donc, évidemment, vous allez mourir. Dans les personnes qui sont en pleine santé, des fois, ça peut prendre jusqu'à trois, quatre semaines de sédation continue. Les gens qui sont très fragilisés, ça peut être plus court. Mais donc ce serait difficile, de ce que je comprends de ce que les experts médicaux nous disent, de pouvoir exiger un tel soin parce qu'il doit être approprié à la circonstance.

Donc, est-ce que vous, ce que vous nous dites, c'est que ça devrait être une possibilité dans les directives anticipées de le dire, mais évidemment sous réserve que ce soit un soin approprié, puisque les gens, les patients ou les familles ne pourraient pas, comme tel, l'exiger?

Mme Poirier (Nicole) : Bien oui. À tout le moins, que ce soit... que ça fasse partie des réflexions puis qu'une personne ne meure pas, en fait, de neuroleptiques, mais bien d'un traitement qui va avoir réellement soulagé sa souffrance. C'est surtout ça qui m'importe.

Mme Hivon : Oui. Je comprends. C'est dans des situations désespérées, un peu comme celles auxquelles vous faisiez référence, que l'option devrait arriver, pour quelqu'un qui ne l'aurait pas demandé ou si ce n'était pas possible de le demander.

Ensuite, l'autre point que je trouve intéressant, c'est que vous dites que vous, vous estimez qu'une personne qui a un diagnostic, qui a la maladie d'Alzheimer ou une forme de maladie neurocognitive comme ça, neurodégénérative, pourrait pouvoir... devrait pouvoir le demander avant d'être inapte. De la compréhension puis de ce qui se fait, là, depuis quelques mois, depuis que le jugement Gladu-Truchon est pleinement appliqué, c'est effectivement une possibilité. C'est-à-dire que, si vous répondez aux critères, donc déclin avancé et irréversible de la maladie, souffrance constante, inapaisable, vous seriez admissible. Mais qu'est-ce qu'on fait avec les gens qui disent : O.K., ça, ça me soulage en partie, mais, en même temps, je ne veux pas devancer à outrance le moment en ayant toujours peur que, dans trois jours, dans une semaine, dans deux semaines, je n'en aurai plus du tout, d'aptitudes, et donc je ne pourrai plus me qualifier? Et donc est-ce que, dans cette optique-là, ça vous semble opportun de le prévoir, la possibilité de le demander de manière anticipée?

• (14 h 50) •

Mme Poirier (Nicole) : Avec toutes les réserves que j'ai dites tout à l'heure, que ça va être difficile à appliquer. Et je pense que c'est une maladie qui est quand même progressive et qui nous donne du temps, du temps devant nous, quand on a une forme... comme d'aphasie primaprogressive ou une maladie classique.

Mme Hivon : O.K. Et donc je vous amène à vos... justement, à votre encadrement de tout à l'heure. Vous disiez que vous envisageriez la directive anticipée pour des raisons de souffrance. Et là, si je... J'ai deux sous-questions par rapport à ça. Est-ce que ce que vous envisagez, dans le fond, c'est que la personne dise, dans ses directives, dans sa demande exécutoire ou sa directive anticipée : Si j'ai des souffrances, qu'elles sont objectivables, et tout ça, sans spécifier le type de circonstance de souffrance, je voudrais pouvoir avoir accès à l'aide médicale à mourir, aussi large que ça?

Et, deuxième question, ça revient un petit peu sur la démence heureuse, mais c'est un peu plus large, c'est qu'il y a des gens, des experts, qui sont venus nous dire : Vous savez, on ne peut pas dire qu'une personne ne souffre pas. Ce n'est pas parce que tu souris aux gens, puis que tu es encore poli parce que tu es bien élevé, puis que tu as encore des moments où tu as l'air bien que tu ne souffres pas. Donc, pour certains experts, c'était comme de venir nous dire : Vous savez, l'Alzheimer, c'est toujours souffrant, alors qu'au contraire il y a des gens qui nous disent : Il y a des gens qui ont l'Alzheimer qui ont une bonne qualité de vie. Donc, avec votre expérience, le continuum, le curseur, on le met où, entre ces deux opposés-là qu'on a entendus?

Mme Poirier (Nicole) : O.K. Bon, la première, sur la souffrance, je pense qu'objectiver la souffrance, ce serait de dire : Lorsque la souffrance est vraiment la souffrance de la personne et non pas celle de ses proches. Déjà, c'est tout un cheminement à accompagner les familles, il faut le prévoir, c'est complexe. Que la souffrance n'est pas causée par un manque de soins ou des conditions de vie, ça serait un critère pour moi. Donc... Et ensuite, bien, si tout ça est confirmé, oui, je pense que, dans des directives, si on le disait comme ça, ça pourrait peut-être être quelque chose que je trouverais possible, en ayant fait tout ce cheminement-là, en étant capable d'éliminer les autres causes qui nous amènent à une souffrance puis de le rédiger dans des directives, oui. Est-ce que ça répond?

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Hivon : Oui. Je n'ai pas de temps pour ma deuxième. Ce n'est pas grave. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Donc, je céderais la parole à la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme Poirier. Moi, j'aimerais qu'on parle de neuroleptiques. Vous avez parlé de neuroleptiques. Vous avez parlé de sédation continue. Sédation continue, pour moi, c'est continu, hein? Alors, c'est installé avec un soluté, et puis on injecte une médication régulièrement et on augmente la dose. Au niveau des patients qui... Ces patients-là ont un certain âge, habituellement. Alors, vous comprendrez qu'il va avoir d'autres effets secondaires. On parle des neuroleptiques qui peuvent avoir des effets d'agressivité, ces choses-là, tandis que la sédation continue, elle, endort le patient. Alors, le patient est alité. Il dort. Il ne mange plus, hypersalive. Alors, elle est où, la dignité du patient dans tout ça?

Mme Poirier (Nicole) : Bien, je trouve que ce que vous décrivez, c'est ce qu'on voit plutôt chez les gens qui ont des neuroleptiques : d'être crispé, d'avoir de l'hypersalivation, d'avoir de la souffrance aussi. C'est ce qu'on... Moi, je trouve que... J'observe plus... Je n'ai pas d'expérience dans la sédation palliative. Je ne sais pas comment ça pourrait être administré. C'est une idée qui m'est venue récemment en parlant avec les personnes. Je trouve que c'est plus... C'est plus acceptable, en tout cas, pour moi d'éteindre la souffrance, quitte à ce que la personne soit dans un coma ou un semi-coma, que de vivre avec des neuroleptiques qui... que c'est démontré que ça amène de la souffrance et vraiment pas une vie digne.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Puis, si je vous parle de soin de confort, est-ce que c'est mieux qu'un soin continu?

Mme Poirier (Nicole) : Ça serait... Ça serait dans cet ordre-là, là, d'un soin de confort. Effectivement, ça pourrait être plus acceptable que sédation palliative, qui est un terme que j'ai utilisé, mais que je ne suis pas une spécialiste du tout, là. L'idée, c'est de dire que j'ai vu des gens où on s'est dit, en équipe : Il faudrait l'endormir. C'est juste ça qu'on peut imaginer.

Donc, que ce soit un soin de confort, c'est peut-être mieux, ce que vous dites, mais c'est toujours mieux que des neuroleptiques.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Puis la dignité? J'aimerais vous entendre un petit peu sur la dignité d'un malade, d'un patient alzheimer ou en phase terminale. Pour vous, c'est quoi, la dignité d'un individu?

Mme Poirier (Nicole) : Bien, la dignité... il y a plusieurs formes de dignité. Il y a celle... Il y a la dignité qu'on retrouve dans le regard des autres. Moi, pour moi, la dignité, c'est beaucoup le regard des autres, comment on va agir avec moi. C'est ce que je vous expliquais tout à l'heure. Pour moi, c'est d'être vue comme une personne à part entière, d'avoir encore de l'autodétermination.

Parce que, le principe d'autodétermination, je ne sais pas combien de fois on le voit, on le lit dans le rapport, mais, quand vous êtes en institution, l'autodétermination, là, il faut la chercher, et... parce que c'est souvent l'institution qui décide de tout pour la personne, puis, pour moi, ça, c'est une perte de dignité, de ne plus pouvoir décider de ce que je porte, de ce que je mange, de l'heure que je me couche. Puis souvent l'autodétermination, dans des milieux très rigides, c'est perçu comme un trouble du comportement : la personne, elle ne s'adapte pas. C'est ça... c'est comme ça qu'on interprète l'autodétermination, bien souvent, alors que c'est juste un désir de contrôler sa vie. Donc, pour moi, c'est beaucoup là, la dignité.

Et je trouve un peu questionnant qu'on ressorte l'autodétermination en fin de vie alors qu'on en a beaucoup perdu en cours de route. Ça me questionne. Alors, pour moi, c'est beaucoup ça, comment les autres vont agir envers moi, dans quel milieu je vais vivre. Puis, si je n'ai pas ce regard digne envers moi, bien, je vais perdre ma dignité.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vous remercie beaucoup. Je vais laisser place à un de mes collègues.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Donc, je céderais la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Poirier. J'ai... Écoutez, c'est intéressant, là, quand vous parlez, parce que, là, vous amenez toute la qualité... les traitements, tu sais, pour rendre la personne... qu'elle souffre moins. Mais c'est parce que c'est difficile aussi, là, puis je veux bien comprendre, là, ce que vous dites. Mais, moi, ce que je comprends de ce que vous dites, c'est que... On a une Mme Demontigny qui est venue à la commission, et elle, elle a mentionné : Savoir partir quand c'est encore beau. Mais ça veut dire, ça... Partir quand c'est encore beau, ça ne veut pas dire que tu souffres nécessairement physiquement. Puis là vous semblez, bien, en tout cas, ce que je comprends, dire : Ça ne veut pas dire, tu sais, de partir plus quand on souffre, tout ça, mais elle, elle disait vraiment de choisir le moment. Mais, choisir son moment à elle, ça ne veut pas dire qu'aux yeux des médecins... qu'elle souffre. Vous comprenez, là, toute la question scientifique, puis ces choses-là.

Puis on a eu aussi le docteur Judes Poirier, vous devez sûrement connaître, qui est un chercheur et un généticien sur la maladie, qui, lui aussi, amenait cet aspect-là, de dire : C'est quand, le moment que tu souffres, le moment que tu ne souffres pas? Là, autrement dit, est-ce qu'on peut laisser le choix de... la personne décider de partir quand elle veut partir? Mais ça veut dire qu'elle peut partir... d'un point de vue médical, qu'elle ne souffre pas nécessairement, là.

Je veux savoir un peu votre point de vue, parce que vous semblez dire qu'il faut quand même aller peut-être plus loin avant de dire : Oui, laisser la personne encore peut-être voir comment ça va... Mais, si la personne... Ces gens-là, qui sont atteints, ils disent : Moi, je veux choisir le moment. Oui, il peut y avoir des moments d'émotion, tu sais, c'est variable d'une personne à l'autre. Vous pensez quoi de ces deux témoignages-là, là?

Mme Poirier (Nicole) : Oui, puis j'ai écouté les deux témoignages. Pour Mme Demontigny, je comprends très bien son point de vue. Ce que je me dis : Pour elle, l'idée, ce serait de... c'est un prix à payer, hein, c'est un prix à payer. Mais d'être apte et de décider, ça serait de décider au moment où je reste apte. Je sais qu'il y a un prix à payer, c'est peut-être des années de vie, mais c'est... pour moi, l'autodétermination, c'est ce qu'il serait possible de faire. Puis, si ce n'est pas ça, bien, quel... la suite des choses, ce sera... Effectivement, ça va devenir difficile de décider c'est quoi, le beau moment. Là, on va ouvrir une grosse porte, là, où tout le monde peut interpréter.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Mais je m'attarde vraiment à la maladie de l'Alzheimer, là. Il faut faire la différence avec tout le reste, O.K., parce que la maladie de l'Alzheimer est vraiment quelque chose d'incurable. Puis, tu sais, on n'en meurt pas, on meurt des suites, mais c'est vraiment...

Parce que la commission, là-dessus, là, au niveau de l'Alzheimer, je pense qu'il y a quand même... c'est quelque chose d'important, là, ceux qui sont atteints de la maladie d'Alzheimer, ça fait que, tu sais, c'est vraiment à ce niveau-là. Puis je pense qu'il faut peut-être apporter une attention particulière au niveau de la maladie de l'Alzheimer. Parce que, là, on rentre dans la dignité puis on sait qu'il n'y a pas d'issue, là, en ce moment.

• (15 heures) •

Mme Poirier (Nicole) : Bien, je suis tout à fait consciente de ça. Ce que je trouve de difficile, c'est de pouvoir espérer imaginer évaluer un état qui serait «quand je ne reconnaîtrai plus mes proches», ou «quand je ne mangerai plus par moi-même», ou «quand je ne pourrai plus gérer»... ou «je vais être incontinent». Bien, tu sais, ça, je trouve que... Je comprends ce que vous dites puis je suis complètement d'accord avec la problématique. L'Alzheimer, c'est un gros problème. Mais les autres maladies apparentées sont aussi très souffrantes, là. Ce n'est pas juste l'Alzheimer. Donc, je le comprends, mais, pour moi, c'est... pour elle, ça serait une option. Puis d'ailleurs je l'ai entendue aussi dire : Je ne voudrais pas être obligée d'aller en Suisse. Mais là cette question-là n'est... elle pourrait ne pas être allée en Suisse.

Donc, ça, c'est pour elle, puis, pour le Dr Poirier, ce que j'en retiens, c'est que, lui, ce qu'il dit, c'est... Bien, ce que j'ai retenu, c'est que les conditions de vie... Il a parlé des chiens Mira qui peuvent aider aux conditions de vie des personnes, mais qu'on n'a pas des moyens d'avoir des chiens pour tout le monde, mais il y a quand même, là-dedans, une ouverture sur les conditions de vie. Puis, quand M. Gabriel Nadeau-Dubois lui a demandé si on avait toutes les ressources pour donner une bonne qualité de vie, est-ce que ce serait différent, puis il a répondu : Je n'y crois pas, ça serait différent, mais je n'y crois pas, parce que c'est comme s'il baissait les bras déjà sur la possibilité d'améliorer les conditions de vie. Donc, lui, c'est son... Il est peut-être fils unique, je ne le sais pas, mais, quand tu es plusieurs enfants dans une famille... Oui?

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Si vous me permettez, mais, le Dr Poirier, il parle aussi de la capacité de jugement, quand les capacités de jugement sont affectées, comment on... Tu sais, c'est difficile à évaluer, la capacité de jugement, à un certain stade, là, ça fait que c'est... Lui, il semblait dire : Bien, regarde, à un moment donné, les gens peuvent décider le moment aussi...

Mme Poirier (Nicole) : Oui, mais c'est ça qui va être... Moi, ce que je dis, c'est que ça va être extrêmement compliqué d'essayer de mesurer est-ce que l'état de la personne correspond à ce qu'elle avait écrit. En principe, ça semble possible, mais je suis convaincue que, dans les faits... Peut-être pour certaines personnes, comme Mme Demontigny ou M. Poirier, mais elles sont rares, les personnes comme Mme Demontigny. Il y a peut-être Blandine Prévost, en France, que j'ai connue, mais des personnes qui sont capables d'analyser comme ça puis de le décrire... Il ne faut pas penser que tout le monde qui ont l'Alzheimer ont ces capacités-là. Donc, on fait l'option...

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : C'est sûr, mais, vous savez, quelqu'un... se promener avec une poupée toute la journée, là, tu sais, quand on se promène dans des centres, c'est ça, est-ce que c'est ça, de la dignité, tu sais?

Mme Poirier (Nicole) : Bien, je suis d'accord avec vous que... mais ça, il faut faire la différence entre la souffrance des autres puis la souffrance de la personne. Il va falloir qu'on avance dans ça.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : C'est le consentement, toute la question du consentement.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, Mme Poirier, d'avoir été avec nous et de répondre à nos questions aujourd'hui. C'est très formateur pour nous, pour la suite des décisions de la commission.

Donc, nous allons suspendre quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités. Et je demanderais aux membres de la commission de rester connectés parce qu'on va reprendre très rapidement. Merci. Merci, Mme Poirier.

Mme Poirier (Nicole) : Merci. Au revoir.

(Suspension de la séance à 15 h 03)

(Reprise à 15 h 04)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour, et nous accueillons maintenant les représentants du réseau citoyen Vivre dans la dignité, Mme Julie Senécal et M. Jasmin Lemieux-Lefebvre. Bienvenue. Merci d'être avec nous cet après-midi. Donc, vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé. Il y aura un échange avec les membres de la commission pour une période de 35 minutes. Je vous cède maintenant la parole.

Vivre dans la dignité

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Bonjour. Alors, tout d'abord, je tiens à vous lever mon chapeau, parce que, depuis le début de vos travaux, et jusqu'au 24 août, ce sera près de 70 groupes et individus que vous aurez eu la chance de rencontrer. C'est un temps de réflexion important. Merci beaucoup. C'est très apprécié. Je vais prendre la première moitié de notre temps alloué et, par la suite, je vais céder la parole à Julie. Et je tiens à vous souligner que c'est la première fois qu'elle prendra la parole publiquement pour partager son expérience. Merci beaucoup, Julie.

Alors, je représente le réseau citoyen Vivre dans la dignité, fondé à Montréal en 2010, en amont de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. Alors, notre mission, c'est de promouvoir la protection de la vie, la dignité inhérente et l'accompagnement des personnes rendues vulnérables par la maladie, la vieillesse ou le handicap. On représente près de 5 000 personnes qui ont signé notre manifeste au fil des ans.

Un mot sur les défis de poursuivre la mobilisation contre les effets néfastes de l'aide médicale à mourir. En fait, c'est ce que l'on croit. Évidemment, les organismes qui militent pour le droit de mourir dans la dignité ont le beau jeu, depuis l'adoption de la législation au Québec et au Canada, tant par l'attention médiatique que les subventions. Ce n'est pas notre cas, mais, bien que nous soyons en profond désaccord sur... de repousser les limites de l'aide médicale à mourir, bien, on constate et nous croyons qu'ils sont animés d'une volonté de bien faire. Mais, comme c'est le cas depuis le début des débats, en 2010, il y a une fracture philosophique entre nous, et c'est cette façon de voir, des regards différents sur la dignité.

Pour le réseau citoyen Vivre dans la dignité et pour une portion encore significative de Québécois, cette dignité, bien, elle ne se perd jamais. Pour les deux enjeux les plus importants de votre commission, l'aide médicale à mourir par directive anticipée pour des personnes devenues inaptes, on ne peut l'envisager d'aucune façon. Ces personnes-là ont toujours bénéficié de protections spéciales de l'État et de la société. On ne peut pas envisager de placer un professionnel de la santé dans une situation où il aurait à enlever la vie à une personne qui ne comprendrait pas l'impact du geste que l'on s'apprête à poser sur elle.

Le gouvernement doit combattre le sentiment de perdre la dignité sociale par des campagnes de sensibilisation auprès des gens rendus vulnérables au capacitisme, à l'âgisme. On le sent avec la médiatisation répétitive que la perte de facultés entraînerait une perte de dignité. Il y a de nos concitoyens qui peuvent se sentir comme des fardeaux.

Nous sommes aussi fortement opposés à l'aide médicale à mourir pour des questions de troubles mentaux, mais on connaît le contexte canadien. En mars 2023, ce sera ouvert, et on vous invite à une démarche de prudence, un peu comme le Québec, qui a choisi, dans sa loi sur le cannabis, d'avoir le régime le plus strict au pays. Vous pouvez avoir un rôle de précurseur et inspirer d'autres provinces. Et il faut investir massivement en santé mentale, vous le verrez dans le témoignage de Julie, et aussi améliorer l'accès des soins palliatifs pour des cas de troubles mentaux.

Rapidement, quelques autres enjeux. Pour nous, il faut s'assurer qu'un médecin puisse toujours se retirer de faciliter activement l'aide médicale à mourir, qu'il pourrait considérer comme une euthanasie, également que les maisons de soins palliatifs qui le souhaitent puissent continuer à ne pas offrir l'aide médicale à mourir, sans pression financière ou autres. Et on tient vraiment à vous remercier d'avoir choisi, dans votre consultation, de ne pas aborder la question des mineurs matures.

Donc, les soins palliatifs, il faut le répéter et répéter, ce n'est pas juste une question de fin de vie. Et on a fait une vidéo qu'on vient de lancer, Le trésor des soins palliatifs, pour rappeler cet élément, et j'espère que vous aurez la chance de la regarder parce que je pense que la vidéo exprime bien le ton avec lequel on veut mener le débat et le dialogue. Alors, je cède tout de suite la parole à Julie.

• (15 h 10) •

Mme Senécal (Julie) : Merci beaucoup, Jasmin. Merci à vous de m'accueillir. Je tiens à préciser que mon témoignage est le mien, mais j'ai fréquenté énormément de gens, lors de mes thérapies, qui ont eu des défis, de vouloir se suicider, etc., et mon témoignage inclut le témoignage de plusieurs personnes ainsi que de mon ergothérapeute, qui est spécialisé en santé mentale.

Donc, je suis Julie Senécal, 48 ans, j'ai quatre filles, épidémiologiste de formation. Mon témoignage s'oriente beaucoup dans la région de l'Outaouais parce que c'est ici que je vis et c'est ici que je vis les défis de manque de ressources en santé mentale. J'ai fait une dépression majeure, en 2013, qui a duré presque huit ans. Je suis encore fragile aujourd'hui malgré les thérapies et les ressources qui ont été faiblement disponibles, mais qui ont été disponibles. Au cours de mes huit ans, j'ai été hospitalisée à cinq reprises pour des tentatives de suicide. C'est à ma quatrième hospitalisation seulement, en 2021, que le personnel médical m'a référée à des ressources dans la communauté afin de bien m'encadrer à ma sortie de l'hôpital, mais, avant ça, on me retournait dans mon milieu, sans ressources, sans aide.

Les personnes qui souffrent de défis de santé mentale, qui ont des pensées suicidaires ou qui ont des... ou qui font des tentatives de suicide, elles sont prédisposées à demander l'aide médicale à mourir lors de périodes de détresse, dépression, anxiété, sont souvent influencées par leur état psychologique, leur détresse, la stigmatisation ainsi que le manque de ressources. Souvent, les personnes qui sont dans une situation telle ont... sont sous l'influence de stupéfiants.

Ceci dit, l'aide médicale à mourir pour les personnes ayant des défis de santé mentale est alors une question très complexe et un challenge éthique. C'est aussi un défi de manque de ressources appropriées. Les défis de santé mentale, s'ils sont pris en charge rapidement par des spécialistes et des thérapies, peuvent souvent mener... s'ils ne sont pas pris en charge, je m'excuse, peuvent mener à la dépression majeure, l'anxiété généralisée, et, justement, des pensées suicidaires, et même passer à l'acte de suicide. Lorsqu'une personne qui a des défis de santé mentale a des pensées suicidaires ou fait une tentative de suicide, c'est immédiatement, même en amont, qu'elle a besoin d'aide et de ressources. Pour l'instant, il existe des lignes téléphoniques qu'on peut... auxquelles on peut appeler à l'aide, mais, une fois qu'on a raccroché, on est retournés à nous-mêmes, dans notre milieu, dans notre désespoir, et il n'y a pas d'aide qui vient à notre secours.

Si on est... Si on a la recommandation d'aller à l'hôpital, à l'arrivée à l'hôpital, on est carrément mis dans une chambre, en attente, sans ressources. Il n'y a pas de psychologues. Il n'y a pas de travailleurs sociaux. Il n'y a personne qui vient venir voir la personne qui a des... qui est en détresse. Puis, moi, ça m'a même pris jusqu'à une semaine, à un moment donné, pour voir un psychiatre à l'hôpital. Donc, j'ai été hospitalisée une semaine sans... à attendre, puis ça a pris une semaine avant qu'un psychiatre me voie. J'ai dû être hospitalisée jusqu'à cinq fois, ça, je l'ai dit un petit peu tôt, pour qu'on me donne un filet de sécurité puis qu'on me donne de l'encadrement en sortant de l'hôpital.

Je vais vous avouer qu'avec le manque de ressources disponibles pour les gens qui souffrent en santé mentale, quand les gens sont en détresse et qu'ils sont près de l'acte, tentative de suicide, ça serait très facile d'accepter l'aide médicale à mourir, parce que, dans ces situations de détresse là, on ne voit pas d'issue. Par contre, avec un bon support, un bon soutien en amont et pendant la crise, on s'en sort. Aujourd'hui... Oui, j'ai fait cinq tentatives de suicide, mais aujourd'hui je vois la vie superbelle. Je profite de mes quatre enfants. Puis c'est... Si je n'avais pas eu l'aide que j'ai eue, je ne m'en serais probablement pas sortie, mais le manque de ressources pour prévenir, c'est vraiment ça, mon message, dans un sens, pour prévenir que quelqu'un qui souffre de santé mentale se rende jusqu'à vouloir se suicider. Le manque est criant. Le manque est criant, et je vais terminer avec ça.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, Mme Senécal, pour votre témoignage. Merci, M. Lemieux-Lefebvre. Donc, nous passons maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission, en commençant par le député de Rosemont.

M. Marissal : Merci, Mme la Présidente. M. Lemieux-Lefebvre, Mme Senécal, merci pour le témoignage assez touchant. Je pense qu'il n'y a personne ici, là... Puis je ne me ferai pas le porte-parole de mes collègues, mais je pense qu'il n'y a personne ici qui oserait se lever publiquement puis dire que tout va bien, dans le meilleur des mondes, dans le système de santé au Québec, qu'on ne manque pas de ressources, que tout le monde est vu super rapidement, qu'on n'échappe jamais personne dans les mailles du filet. Il n'y a personne qui oserait dire ça, en tout cas, certainement jamais moi. Les journaux sont malheureusement remplis d'histoires de gens qu'on échappe tous les jours.

Moi, dans ma circonscription, vous allez comprendre pourquoi je vous dis ça, là, j'ai l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Alors, il n'y a jamais personne qui va me faire... que tout va bien dans le système de santé. Et je comprends et je respecte tellement votre préoccupation de vivre dans la dignité et d'avoir accès à des soins de qualité, accès à des soins. Ça veut dire pas juste se faire hospitaliser, ça veut dire voir un psychiatre quand on est hospitalisé en psychiatrie. Je suis avec vous là-dessus, Mme Senécal.

Tout cela dit, est-ce qu'on ne pourrait pas banaliser... bien, baliser, pas banaliser, pardon, excusez-moi le lapsus, baliser l'aide médicale à mourir dans les cas de santé mentale, en excluant justement les épisodes psychotiques dont vous parliez, Mme Senécal? Par exemple, en période de tentative de suicide ou de grande, grande détresse psychologique, pour moi, il va de soi que nous devrions, d'emblée, exclure. Est-ce que ce n'est pas possible de le faire, et qu'à ce compte-là le dernier recours d'aide médicale à mourir, de soins de fin de vie, soit réservé à d'autres types de problèmes beaucoup plus graves, qu'ils soient neurologiques, psychologiques ou physiologiques?

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Je te laisse y aller, Julie, pour commencer.

Mme Senécal (Julie) : Les troubles de santé mentale... Je comprends très bien votre question. Moi, mon expérience est au niveau des crises, mais je peux donner l'exemple... ma soeur. Ma soeur a failli mourir plusieurs fois d'anorexie, qui est une maladie qui se contrôle, mais qui ne se guérit pas, et on a essayé à plusieurs reprises de lui sauver la vie, mais maintenant, aujourd'hui, elle vit avec ce qu'on appelle la dyskinésie tardive, qui est comme l'effet secondaire sévère de médicaments qu'elle a pris pendant qu'elle était malade. Elle n'est pas fonctionnelle aujourd'hui. Ma mère doit prendre soin d'elle. Elle ne... Je ne peux pas dire que c'est une personne fonctionnelle.

Par contre, par contre, avec les soins qu'elle a eus, elle a été capable de trouver, à l'intérieur de son mal-être puis de ses défis physiques... Elle a été capable de trouver une joie de vivre puis, aujourd'hui, elle profite de... bien, de ses nièces, de mes quatre filles. Et c'est une situation très difficile parce qu'elle ne peut pas sortir publiquement. La dyskinésie tardive fait en sorte qu'elle fait des crises à répétition. Elle n'a pas une qualité de vie, mais, par contre, à l'intérieur de ça, avec l'aide et l'encadrement, elle est capable de trouver une joie de vivre quand même.

Donc, ça, je vous donne un exemple de cas graves, puis c'est ma soeur, mais il y a moyen, avec les ressources, d'aller chercher un désir de vivre puis un désir d'apprécier la vie malgré le fait qu'on n'est pas comme les autres, parce que ma soeur ne peut pas sortir. Elle ne peut pas prendre soin d'elle. C'est ma mère qui fait tout pour elle. Elle peut à peine se faire à manger, mais c'est ça.

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : J'ajouterais un...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Puis-je ajouter un point?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, allez-y.

• (15 h 20) •

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Le message qu'on va lancer à la population générale... des personnes avec défis en santé mentale, je pense, est primordial. Alors, bien que l'on pourrait se dire, bon, alors, pour les cas limites, on va avoir des balises, mais laisser un certain espace, bien, le message que ça va lancer à toutes ces personnes-là qui... Et, on le voit, là, déjà, on entend des messages de psychiatres qui... On entend : L'aide médicale à mourir s'en vient, pourquoi faire des efforts thérapeutiques quand je pourrais simplement laisser aller, et puis on y aura accès bientôt.

Et c'est pour ça, l'important... Vivre dans la dignité, on a choisi de ne pas donner de... quel est le temps de thérapie. Vous entendrez des gens qui vous demanderont 10 ans, certains c'est six mois de thérapie fermée. Pour nous, c'est vraiment la volonté... Sur cette question-là, sachant que le vase est troué de partout dans la question des soins en santé mentale au Québec, il y a une responsabilité d'y aller avec les balises les plus strictes possibles que vous discernerez avec les travaux de la commission.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui, bonjour à vous deux, et merci beaucoup de la présentation et du témoignage très, très concrets, très humains, que vous nous avez livrés, qui, certainement va nous alimenter. Les médecins qu'on a vus, les psychiatres, les spécialistes qu'on a eus, nous auraient dit...

Mme Senécal, évidemment, je vous dirais, comme aparté, que c'est toujours périlleux de commencer à commenter le cas personnel de quelqu'un. Donc, merci beaucoup de commenter votre propre cas. Puis, dans tout ça, il y a beaucoup de respect dans ma question. Les psychiatres... Puis moi, je ne voudrais pas qu'un cas comme le vôtre puisse être admissible, là, bien honnêtement. Ce que les psychiatres nous disaient, c'est qu'eux non plus, dans la mesure où ils voudraient que... et là je généralise, parce qu'il y a des opinions totalement divergentes au sein même des psychiatres, mais, mettons, l'association qui est venue présenter, qui nous a dit qu'il faudrait que, vraiment, la maladie soit incurable, qu'elle soit irréversible, ce sont les critères actuels de la loi, et que, la souffrance, on sache qu'elle soit absolument constante et inapaisable.

Et là il y a énormément de débats, à savoir si on est capables d'arriver avec ces critères-là, appliqués, on se comprend, mais est-ce que, pour vous, vous dites : Il faut fermer la porte absolument en toutes circonstances ou si vous dites qu'il y a des situations où l'incurabilité de la maladie est établie, des cas, par exemple, de schizophrénie très grave, et que l'irréversibilité, aussi, et que ça pourrait être envisageable?

Et le deuxième élément de ma question, c'est que, pour certains, compte tenu que le critère de fin de vie a sauté avec les décisions des tribunaux, on ferait face à un deux poids, deux mesures et on mettrait, en quelque sorte, les personnes qui ont un trouble mental ou qui souffrent de maladie mentale dans une catégorie autre en les excluant d'emblée par rapport aux personnes qui souffrent de maladies physiques. Vous, comme personne qui avez souffert de ces problèmes-là, comment vous réagissez à cette affirmation-là?

Mme Senécal (Julie) : Moi, ce que je pourrais dire, c'est qu'en ce moment les soins en santé mentale sont très compartimentés. Il n'y a pas d'approche... J'ai étudié un peu en biologie. Donc, je vais utiliser le terme «écosystémique». Il n'y a pas d'approche écosystémique pour bien chapeauter les personnes qui ont des problèmes en santé mentale. Donc, j'ai de la difficulté avec votre question parce que je ne suis pas convaincue que les gens... Vous avez parlé d'un cas de schizophrénie grave, ou peu importe. Je ne suis pas convaincue que les soins soient assez disponibles. On n'est pas rendus là, encore, au niveau de la qualité des soins pour ces personnes-là. Donc, j'aurais plus tendance à dire qu'il faut miser sur une approche...

Les problèmes de santé mentale, ce n'est pas un problème de coeur, ou un problème d'artères, ou un problème qui est isolé. Il y a la communauté qui est impliquée. Il y a les familles qui sont impliquées. Il y a... C'est un tout. En Afrique, ils disent qu'on crée une personne avec une société. Donc, j'ai de la difficulté avec votre question, parce que c'est le manque de ressources qui est le problème. Donc, je ne me sens pas apte à répondre à une question, si, oui ou non, l'aide médicale à mourir devrait être offerte à une personne qui est... que ça fait 25 ans qu'elle souffre de schizophrénie majeure puis qu'elle n'a aucune qualité de vie, parce que les soins de santé ne sont pas encore rendus là. Il n'y a pas d'approche écosystémique.

Je vais juste donner un exemple. Là, c'est mon cas encore, mais c'est une première qui s'est faite avec ma psychiatre. Elle a fait une réunion avec ma travailleuse sociale, avec ma psychologue et avec elle dans son bureau, puis ça, c'est quelque chose qui ne se fait pas, là. C'est vraiment quelque chose de nouveau qui s'est fait pour pouvoir me procurer un filet de sécurité. Ça, c'est à ma sortie de l'hôpital quand j'ai fait une tentative de suicide le printemps passé. Bien, ça, c'est un exemple de services et de soins, parce que, là, je peux téléphoner à ma travailleuse sociale. Ma psychiatre sait exactement qui je dois téléphoner, quand, dans quel ordre de priorité, et tout, là.

Donc, je m'éloigne peut-être un petit peu de la question...

Mme Hivon : Non, ça va.

Mme Senécal (Julie) : ...mais, pour moi, l'approche comme... C'est le système, il faut que le système fonctionne ensemble. C'est trop compartimenté en ce moment. Tu vas voir ton psychiatre pour des médicaments. Là, tu as ton psychologue pour certaines thérapies. Puis là il y a le travailleur social pour... Mais, comme, ils ne travaillent pas ensemble... Donc, je vais m'arrêter là parce que j'en aurais long à dire.

Mme Hivon : Merci beaucoup.

Mme Senécal (Julie) : Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais...

Mme Hivon : Oui, ça répond très bien. J'avais une autre... J'avais l'autre volet, là, mais je pense que je n'ai plus de temps, Mme la Présidente? Ça fait que...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. On y reviendra peut-être à la fin, Mme la députée de Joliette. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Lemieux-Lefebvre et Mme Senécal, pour votre témoignage. C'est très touchant. Et, de voir que vous le vivez aussi autant personnel que dans votre famille, avec votre sphère, ça vient teinter encore plus votre intervention.

Moi, j'aimerais vous poser la question... Ce sera soit un de vous deux qui pourra répondre, là... Vous recommandez, là... Puis je sais que vous l'avez dit, M. Lemieux-Lefebvre, que c'étaient nous qui devions déterminer les balises ou, en tout cas... dans les recommandations, mais est-ce que vous avez réfléchi... parce que vous recommandez que le Québec se dote de balises très strictes, le plus strict possible, mais, dans le cas de l'aide médicale à mourir, là, qu'elle serait disponible pour les personnes qui ont des troubles mentaux, c'est quoi qui seraient les balises nécessaires pour encadrer la pratique, là? Avez-vous commencé quand même à y réfléchir, même si vous nous mettez ça comme : Faites des balises très strictes? Est-ce que vous avez comme des lignes qui pourraient nous enligner?

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Alors, dans tout ce que j'ai vu présentement, l'appel à 10 ans de suivi thérapeutique adéquat semble la formule avec laquelle nous sommes les plus confortables. Alors, c'est certain qu'il y a des personnes qui vont dire : Bien voyons! 10 ans, ça n'a aucun bon sens, mais il est question de vie ou de mort, et, dans l'environnement que l'on connaît au Québec... nous oblige à y aller avec une proposition de balises aussi strictes parce qu'on ne veut pas voir un cas où la personne n'aurait pas eu tous les soins adéquats qu'elle mérite.

Et, je tiens à le répéter, la question... parce que, quand on parle de soins palliatifs pour des cas de troubles mentaux, souvent, les gens disent : Quoi, des soins palliatifs pour troubles mentaux, qu'est-ce que c'est? Alors, on est encore au tout début de ce traitement, de la façon dont c'est offert au Québec. Il y a tellement de choses à faire. Je vous dirais, juste travailler sur la façon dont on peut aider les personnes en soins palliatifs pour troubles mentaux, il y a tout un chantier à faire, et, bien sûr, nous, on vous proposerait de faire ce chantier-là avant celui de l'aide médicale à mourir. On connaît le contexte de 2023. Donc, c'est pour ça que ce qu'on vous propose, c'est les balises les plus strictes.

Mme Hébert : Parfait. Puis je vais juste ajouter... On a entendu Pre Vrakas, puis elle-même partageait son expérience personnelle. Puis je crois que, si je n'exagère pas, c'est au-delà d'une vingtaine d'années avant qu'on trouve vraiment son diagnostic. Ça fait que même quand vous dites 10 ans, ça aurait pu... dans son cas à elle, on aurait pu passer à côté. Donc, c'est quand même une balise qui, je ne le sais pas, là, mais...

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Non, vous avez raison. On mentionne 10 ans, mais là vous mentionnez le cas de Georgia Vrakas, et là c'est un exemple clair, là, que 10 ans n'auraient pas été suffisants.

Mme Hébert : C'est bien. Merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente.

• (15 h 30) •

Mme Senécal (Julie) : Est-ce que je peux juste...

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, allez-y, Mme Senécal.

Mme Senécal (Julie) : C'est tout court, ce que je veux rajouter, mais mon ergothérapeute, qui est spécialiste en santé mentale, m'a mentionné que l'accompagnement dans les besoins, à tous les niveaux, sur le très long terme sont nécessaires pour les gens qui ont des défis en santé mentale, puis, comme... ça renforcit ce qui vient d'être dit, puis... Mais lui, c'est sa profession, c'est ça qu'il fait tous les jours, donc il en voit énormément, de patients, là. Donc, je voulais juste rajouter ça.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait, merci, c'est très pertinent.

Mme Senécal (Julie) : Son nom, c'est Carl Brouillette, et il m'a sauvé la vie à plusieurs reprises, oui.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, je céderais la parole à Mme la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Bonjour, Mme Senécal. Merci beaucoup du beau partage que vous nous faites. Ça demande beaucoup de courage, je vous admire. Merci.

M. Lemieux, on parle de soins palliatifs chez les gens souffrant de problèmes de santé mentale. Selon vous, quel serait l'idéal pour avoir des soins palliatifs? Parce qu'on parle de soins palliatifs. Sûrement que vous avez un gabarit, vous avez un idéal pour que les patients en santé mentale soient bien.

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Bien sûr. Alors, de pouvoir, un, le faire connaître, parce qu'il y a une méconnaissance totale de la possibilité d'avoir un accès, et ça, même dans la communauté médicale. Alors, le premier chantier, c'est de faire connaître, et, par la suite habiliter, donner les ressources pour pouvoir l'offrir dans les différents milieux. Et là bien sûr, au Québec, il y a une grande disparité quand on parle de soins palliatifs pour des personnes qui souffrent de troubles mentaux. Donc, ça, c'est la première étape, et, par la suite, d'y aller étape par étape.

Et je laisserais... Il y a tout plein d'experts qui réfléchissent à cette question-là. Alors, nous, on est un réseau citoyen qui vont chercher, qui vont glaner les meilleures expériences. Je leur laisserais à eux de vous exprimer dans le détail comment le faire. Mais, vraiment, il y a un beau chantier qui, je trouve, serait motivant et, à tout le moins, quelle que soit votre décision, je trouve que ce chantier-là, pour le Québec, on devrait le démarrer aussi.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Si je peux me permettre, tout à l'heure, vous avez parlé de 10 ans de suivi thérapeutique adéquat. On sait qu'il y a des gens qui font des refus de traitement. On gérerait ça comment? Je ne sais pas si c'est M. Lemieux-Lefebvre ou Mme Sénécal...

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Julie, veux-tu dire un mot là-dessus?

Mme Senécal (Julie) : Par expérience, puis c'est juste mon expérience, je ne suis pas professionnelle dans le domaine, mais quelqu'un qui fait un refus de traitement, c'est qu'il est vraiment rendu dans... J'essaie de parler en bon français. Il est vraiment rendu dans le désespoir total. Puis c'est difficile pour quelqu'un qui n'est pas arrivé dans un niveau de détresse maximal à ce niveau-là de comprendre, mais je vais le dire en bon québécois, vous m'excuserez pour mon langage...

La Présidente (Mme Guillemette) : Ça va. Allez-y. Allez-y comme vous le sentez.

Mme Senécal (Julie) : ...mais quand tu veux mourir puis qu'il n'y a plus rien dans ta tête qui peut te motiver à continuer à vivre, même de l'aide de la part d'un professionnel de la santé ou même de l'aide d'un proche de la famille, tu la refuses. Tu ne veux plus rien savoir. Tu veux juste mourir.

Donc, moi, j'ai de la difficulté avec les refus de traitement parce qu'il y a une condition psychologique qui fait en sorte que la personne va refuser un traitement. Puis elle a besoin d'aide pour cette condition psychologique là. Et moi, je parle pour les défis de santé mentale, là, je ne parle pas pour d'autres problématiques de santé, là, ce n'est pas mon domaine, mais, quand on est rendu à un point où on refuse l'aide, où on refuse les traitements, où on refuse tout, c'est que, là, le système nous a laissés aller comme vraiment trop loin.

Puis c'est pour ça que je parlais du besoin d'aide en amont, en amont, quand les personnes commencent à ne pas aller bien. Il manque de ressources en amont pour permettre aux personnes d'éviter de se rendre jusque là.

Donc, moi, ça, ça serait ma réponse. Un refus de traitement, c'est que la personne est rendue tellement creuse, là, qu'elle ne voit même plus que l'aide est possible. Puis je ne suis pas la seule à... Ce n'est pas juste moi, là, qui témoigne, là, c'est plusieurs personnes que j'ai consultées aussi.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Aussi ma question s'adresserait peut-être à M. Lemieux-Lefebvre. On parle beaucoup de santé mentale, mais vous êtes contre également l'aide médicale à mourir dans les cas d'inaptitude où il y a des problèmes cognitifs comme l'Alzheimer ou... Donc, j'aimerais vous entendre un peu plus, là, sur cet aspect-là, parce que les gens sont... il y a des gens qui sont vraiment venus témoigner pour avoir accès à cette aide médicale à mourir là. Il y a des gens qui étaient en situation, présentement, là, qui sont présentement en situation... donc j'aimerais vous entendre un petit peu plus au sujet de l'inaptitude et des troubles cognitifs.

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Tout d'abord, je pense que c'est important de le dire, le respect profond de la réalité de ces personnes, et que notre approche, même si nous sommes contre, on respecte et on accueille les personnes qui ont vécu des expériences familiales, qui ont vraiment des craintes. Alors, ça ne veut pas dire... il n'y a pas aucune adéquation entre opposition contre cette ouverture et l'accueil des personnes.

Alors, ceci étant dit, juste à penser à une situation où un professionnel de la santé qui a reçu les directives anticipées où toutes les balises ont été soigneusement suivies, et là il se retrouve devant une personne qui n'a aucune idée de ce qui va se passer, là. Et le professionnel de la santé va devoir lui faire les trois injections, et la personne ne sait pas ce qui se passe. Et je dois regarder du côté de la Belgique où on a les témoignages de professionnels de la santé qui en ont eu des cauchemars, et là ce n'est pas des caricatures que je fais, ce sont des histoires de personnes, et des personnes qui se sentaient habilitées à le faire.

Alors, à partir du moment où on ouvre la porte à l'aide médicale à mourir pour des personnes devenues inaptes, là, c'est une situation que, pour nous, de demander à des professionnels de la santé, même s'ils seraient parfaitement... ils sont prêts à le faire, ils vous disent : Nous, on veut suivre... c'est une démarche autonome de personnes qui nous l'ont demandé lorsqu'elles étaient aptes. Mais on ne peut pas, en âme et conscience, et je vous demande de vraiment penser, de voir un peu la démarche, là, qui se passerait, et elle existe, là, du côté de la Belgique et des Pays-Bas, et, en âme et conscience, et avec le témoignage de professionnels de la santé et de familles de Belgique et de Pays-Bas, on ne peut pas l'imaginer pour le Québec.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup à vous deux. Je céderais maintenant la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente, et merci, Mme Senécal, pour votre courage, votre franchise et votre sagesse. Merci, M. Lemieux-Lefebvre aussi. Écoutez. Moi, je reçois de vos témoignages, des mises en garde solennelles et archi-importantes sur l'importance d'améliorer, de bonifier, pas juste de maintenir nos services de santé mentale, nos services de santé en général. L'interpellation primordiale que tout ce qu'on ferait n'aurait pas un impact négatif sur les soins palliatifs, je comprends qu'il faut agir avec la plus grande prudence, mais j'ose croire, je comprends et je respecte que ce n'est pas votre message. Et je vous mets devant le défi que, moi, je reçois un message de complémentarité totale avec la possibilité d'élargir l'aide médicale à mourir, c'est-à-dire avec des balises très sérieuses, très responsables, avec une compréhension que le Québec et l'État a l'obligation d'améliorer ses services, qu'un élargissement balisé comme il faut serait fidèle à vos préoccupations. Je vous invite de réagir à ma façon de recevoir vos propos.

• (15 h 40) •

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Julie, j'ai parlé un peu. J'aimerais que tu puisses parler un peu.

Mme Senécal (Julie) : Oui, c'est beau. Quand j'entends parler de balises, moi, je ne suis pas professionnelle de la santé, je ne peux pas vous guider, en termes de balises, ou quoi que ce soit, mais je pense que c'est un domaine de recherche qu'il serait très noble d'entreprendre. Il y aurait des études en santé publique, il y aurait des études en sociologie. Il y aurait plusieurs études, des équipes multidisciplinaires qui pourraient vraiment se pencher sur la question et pousser les consultations beaucoup plus loin. Parce que les balises dont on parle, c'est des défis très éthiques, très complexes. Et, comme on a entendu, il y a des défis en santé mentale qui peuvent être résolus, mais sur une période de 10 ans, 20 ans, peut-être plus. Moi, j'ai une tante qui a 70 ans, qui vient juste d'apprendre qu'elle a un trouble de personnalité limite. Elle, elle l'a appris à 70 ans. Mais je crois que votre question, c'est une question académique qui doit être soulevée par une équipe multidisciplinaire, en santé publique, en santé mentale, en santé sociale. Je ne sais pas quoi dire de plus. Excusez-moi, je bouge mon écran parce que je suis émotive quand je parle.

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Bien oui. J'ajouterais un point. C'est que vous allez entendre, bien sûr, des appels à la complémentarité, et je crois que c'est important aussi de rappeler qu'il y a encore beaucoup de Québécois qui ont cette vision, je l'ai dit en présentation, que la dignité, elle ne se perd pas avec les facultés qui disparaissent tranquillement. Alors, c'est sûr que c'est fondamental pour nous. C'est sûr que, depuis le début des débats en 2010, ça vient ponctuer nos interventions.

Il y a encore beaucoup de personnes qui ont vraiment au coeur le fait que, quand les gens nous disent : Bien la dignité, je la perds... Non, non, non, puis on veut vous le rappeler. Bien sûr, il y a toutes les questions d'autonomie, etc., mais comme société, de rappeler... Et vraiment, il y a un appel, il y a un message qu'on doit lancer aux personnes. Les facultés que vous allez perdre, les craintes que vous avez... bien, votre dignité, là, elle sera toujours avec vous.

Donc, vous avez des appels d'un côté, vous avez des appels aussi d'autres personnes qui pensent vraiment qu'il y a une fracture philosophique. Alors, on le voit. On respecte les différents points de vue, mais si on ne vous disait pas, et puis on entend ces échos-là un peu partout sur le terrain, qu'il y a encore des personnes au Québec qui croient en la dignité qui ne se perdra jamais, bien, on manquerait à notre mission.

M. Birnbaum : Donc, avec respect, vous suggérez que c'est à nous, et pas à l'individu, disons, l'individu devant un diagnostic d'Alzheimer précoce, c'est à nous, c'est à l'État de juger et d'évaluer la dignité, et ça n'appartient pas à cet individu-là, avec des balises très strictes, d'avoir l'opportunité, fidèle à la loi actuelle, à quelque part, à prendre sa décision. Est-ce que je vous comprends bien?

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Oui, vous me comprenez bien. Parce que, suite à ce choix, bien là il va y avoir un mur, celui de placer un professionnel de la santé à procéder à une aide médicale à mourir devant une personne qui sera inapte, et même, et je le répète, même s'il y a eu le choix avant, il y a une situation que, pour nous, on ne peut tolérer, qui... À travers le monde, là, il y a seulement deux endroits qui ont ouvert la porte. Et on voit trop d'histoires qui nous brisent le coeur, de personnes, même si c'est quelques cas, et pour nous ce n'est pas la quantité de personnes, là, chaque cas est important. Et on ne peut pas mettre... Et en tout respect pour les personnes qui le demandent, avec leur choix autonome, on ne veut pas mettre des professionnels de la santé au Québec dans cette situation, ce choix qui, pour nous, ne nous apparaît pas opportun du tout.

M. Birnbaum : On va s'entendre que la loi actuelle est basée sur la vision d'une continuité de soins de santé où s'insère l'aide médicale à mourir dans les circonstances très balisées. Et on va en convenir qu'un médecin individuel peut se désister de pratiquer cette intervention-là. Par contre l'obligation de l'État actuel, c'est d'assurer la disponibilité, selon ces balises actuelles, la disponibilité du recours à l'aide médicale à mourir. Est-ce que vous croyez que cette assurance, même sur le plan institutionnel, ne devrait pas exister ou vous voulez protéger le droit de désister d'un individu, un médecin individuel?

M. Lemieux-Lefebvre (Jasmin) : Bien sûr, on veut protéger... protéger la conscience des médecins, au point de vue personnel, mais le choix de société de se dire qu'évidemment... On le reconnaît, là, il y a des balises qui ont été données avec la Loi concernant les soins de fin de vie. Mais jamais la question d'enlever la vie de personnes inaptes n'a été abordée. Il y a un choix au niveau fédéral de ne pas ouvrir la porte, même s'il y avait des pressions importantes. Et vous avez la possibilité aussi de prendre ce choix que, dans votre cadre, dans la loi québécoise, pour des questions d'une personne qui est devenue inapte, bien, malheureusement, on fait ce choix-là de ne pas mettre nos professionnels de la santé dans cette situation.

M. Birnbaum : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci. Donc, merci à vous deux pour le témoignage et pour la présentation. Ça nous aide grandement pour la suite de nos travaux de la commission. Donc, merci pour votre contribution.

Et nous, nous suspendons quelques instants, le temps de recevoir nos prochains invités. Et je demanderais aux membres de la commission de rester avec nous. Merci encore.

(Suspension de la séance à 15 h 48)

(Reprise à 16 heures)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour, et la commission reprend ses travaux. Donc... (Interruption) Excusez. Nous accueillons maintenant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse avec leurs représentants, donc Me Philippe-André Tessier, président, et Me Marie Carpentier, conseillère juridique. Donc, vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange avec les membres de la commission pour une période de 35 minutes. Je vous cède maintenant la parole.

Commission des droits de la personne et
des droits de la jeunesse (CDPDJ)

M. Tessier (Philippe-André) : Merci beaucoup, Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés. Philippe-André Tessier, donc président de la commission, accompagné de Me Marie Carpentier, conseillère juridique à la direction de la recherche de la commission.

Je rappelle que la commission a pour but d'assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Elle assure aussi la protection de l'intérêt de l'enfant et le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus, notamment par la Loi sur la protection de la jeunesse.

Conformément à notre mandat, la commission a pris connaissance du document de consultation produit par la commission spéciale. Évidemment, comme plusieurs autres intervenants devant vous, on salue la nécessaire réflexion entreprise sur l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes en situation d'inaptitude et celles souffrant de troubles mentaux. On salue, évidemment, l'étendue de vos travaux, le document de consultation, la qualité des interventions devant vous, et on pense que cette approche-là, pour laquelle le Québec a fait preuve d'innovation, mérite d'être soulignée et saluée à nouveau.

En 2014, la commission a participé aux consultations, évidemment, concernant le projet de loi n° 52. Depuis, la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Carter, et la Cour supérieure, dans la cause Truchon et Gladu. Ces décisions, fondées sur les droits et libertés garantis par la charte canadienne, convergent avec plusieurs des recommandations formulées à l'époque par la commission. Plus récemment, la commission a assisté au forum sur l'évolution de la loi tenu en janvier et en décembre 2020.

Nous estimons utile de vous rappeler ici les grandes lignes de la position de la commission avant de soumettre nos observations quant aux demandes explicites du cahier de consultation. D'abord, nous tenons à rappeler que le cadre sous lequel nous nous fondons et nous fondons notre analyse est celui des droits et libertés garantis par la charte québécoise, dont le respect s'impose notamment aux législateurs. La commission était d'accord et continue de l'être avec l'introduction de l'aide médicale à mourir en droit québécois et avec le principe que cette aide s'inscrit dans un continuum de soins. Elle maintient que les droits et libertés doivent s'inspirer... doivent inspirer, pardon, la prestation de soins, notamment dans le respect de la dignité de la personne. De l'avis de la commission, l'aide médicale à mourir est de nature à favoriser la mise en oeuvre de certains droits et libertés garantis par la charte. Des conditions actuellement prévues dans la loi pourraient donc avoir effet d'en compromettre la réalisation, bien que, nous en convenons tous, la prudence doit servir de guide en la matière.

Ainsi, le droit à la vie des personnes concernées est compromis par le fait qu'elles ne puissent accéder à l'aide médicale à mourir. En effet, face à cet empêchement légal, certaines personnes pourraient hâter le moment où elles décident de mettre fin à leurs jours avant d'en être incapables. On peut d'ailleurs considérer la mort comme faisant partie intégrante de la vie, comme le soulignait le juge de la Cour suprême Cory dans l'affaire... Sue Rodriguez, pardon. À ce titre, le droit de mourir dans la dignité serait partie du droit à la vie garantie par la charte. De l'avis de la commission, le caractère sacré de la vie n'exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix, car le choix de mettre fin à ses jours relève de la morale personnelle. Il est donc protégé par la liberté de conscience.

Comme l'avait indiqué la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité en 2012, et j'ouvre les guillemets : «les croyances de certains ne sauraient servir de base à l'élaboration d'une législation applicable à tous», fermeture des guillemets. Le fait de ne pas avoir accès à l'aide médicale à mourir compromet également le droit à la dignité, lequel est lié à l'autonomie et à la maîtrise de son corps. Il est porté atteinte à ce droit quand on empêche la personne de faire les choix fondamentaux le concernant... la concernant, pardon. Le droit au respect de sa vie privée, dans la mesure où il garantit une certaine forme d'autonomie, est également en cause quand l'aide médicale à mourir est inaccessible.

Étant donné les atteintes potentielles aux droits et libertés garantis par la charte qu'elle implique, la commission était et est toujours préoccupée par l'inaccessibilité de l'aide médicale à mourir à certaines personnes, notamment les personnes mineures et les personnes inaptes à consentir aux soins. Dans le cas des personnes inaptes à consentir aux soins, outre que cela entraînerait potentiellement une violation de certains droits et libertés fondamentaux, cette exclusion pourrait également être considérée discriminatoire sur la base d'un handicap prévu à l'article 10 de la charte.

La faculté de consentir ou non aux soins est protégée notamment par le droit à l'intégrité garanti par la charte. L'aptitude à consentir aux soins doit être distinguée de la capacité juridique. En d'autres termes, cette faculté ne se rattache pas nécessairement au fait que la personne soit soumise à un régime de protection. L'aptitude de la personne à consentir aux soins s'apprécie en fonction de son autonomie décisionnelle au moment où elle doit consentir aux soins et être évaluée pour chaque soin.

En vertu du Code civil du Québec, les personnes inaptes à consentir aux soins sont soumises au consentement substitué. Notons qu'il est possible, par consentement substitué, de demander la fin d'un traitement, même si cet arrêt signifie la mort. On peut également demander la cessation de l'alimentation et de l'hydratation.

Or, ce n'est pas le cas pour l'aide médicale à mourir. Rappelons que la Loi concernant les soins de vie exige que la personne ait elle-même consenti à recevoir cette aide. Depuis cette année, il est possible pour une personne en fin de vie d'obtenir l'aide médicale à mourir si elle devient inapte après que sa demande ait été acceptée. Il n'est cependant pas possible d'opérer par consentement substitué ni même d'avoir recours à des directives médicales anticipées. La différence entre une demande de cesser les traitements et une demande d'aide médicale à mourir apparaît difficilement justifiable.

Je constate que ma caméra a des difficultés et je m'en excuse.

La Présidente (Mme Guillemette) : Il n'y a pas de problème.

M. Tessier (Philippe-André) : La consultation... C'est ça...

La Présidente (Mme Guillemette) : C'est peut-être la diffusion aussi. Il n'y a pas de problème.

M. Tessier (Philippe-André) : Donc, l'important, c'est que vous m'entendiez bien.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait.

M. Tessier (Philippe-André) : La consultation ne porte pas sur l'aide médicale à mourir pour les personnes mineures. Elles sont cependant exclues de la loi, puisque la loi, évidemment, indique que seules les personnes majeures peuvent la recevoir. Outre les droits énumérés précédemment, cette exclusion serait susceptible de compromettre l'intérêt de l'enfant et le respect de ses droits, qui devraient être au coeur des décisions le concernant. Or, le Code civil prévoit que la personne mineure de plus de 14 ans dispose d'une autonomie décisionnelle restreinte en matière de consentement aux soins. Quant aux personnes de 14 ans, elles sont, tout comme on le mentionnait pour les personnes majeures inaptes à consentir aux soins, soumises aux règles du consentement substitué.

L'objectif derrière les conditions légales est simple : protéger les personnes éventuellement en situation de vulnérabilité, soit les personnes mineures ou inaptes à consentir à ce soin. Cet objectif est louable. Cependant, s'il est raisonnable de baliser plus étroitement l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes en situation de vulnérabilité, il nous semble déraisonnable de leur refuser d'emblée tout accès.

Rappelons que, comme l'indiquait la juge Baudouin de la Cour supérieure dans l'affaire Truchon, l'aide médicale à mourir est un soin parce qu'elle soulage les souffrances. La possibilité pour voir les personnes en situation de vulnérabilité... de voir leurs droits respectés et leurs souffrances allégées doit pouvoir exister, quitte à ce que chaque cas soit soigneusement étudié d'un point de vue individuel.

En 2014, la commission avait invité le législateur à aménager des règles plus en phase avec les règles de consentement des personnes mineures et qui tiennent compte du caractère spécifique et irréversible de l'aide médicale à mourir. Elle avait également demandé que des règles plus en accord avec celles qui prévalent actuellement à l'égard des personnes majeures inaptes à consentir aux soins soient aménagées moyennant le développement de mécanismes de consentement approprié, y compris par le biais de nouvelles possibilités de consentement anticipé.

La commission considère de plus que les demandes d'aide médicale à mourir des personnes dont le seul problème médical invoqué est un trouble mental doivent être évaluées au cas par cas, notamment au chapitre de l'aptitude à consentir aux soins. Une exclusion systématique de ces personnes serait susceptible, comme je le mentionnais précédemment, d'être discriminatoire car ces personnes font partie du groupe protégé par le motif de discrimination de handicap prohibé par la charte.

En somme, la commission estime nécessaire que des solutions soient apportées à l'exclusion des personnes inaptes à consentir aux soins. Elle souhaite également que l'encadrement de l'accès à l'aide médicale à mourir respecte tous les droits des personnes dont le seul problème médical invoqué en est un relevant de la santé mentale. Elle invite finalement la commission spéciale de se pencher sur l'exclusion des personnes mineures et, évidemment, elle réserve cependant son jugement sur les solutions concrètes qui seront apportées par le législateur à ces problèmes complexes, en précisant que ce n'est pas le rôle de la commission aujourd'hui.

Nous vous remercions de votre attention, et je demeure disponible pour répondre à vos questions avec ma collègue, tout en tentant de régler le problème de caméra.

La Présidente (Mme Guillemette) : Pour la caméra, Me Tessier, de notre côté, ça va bien maintenant. Donc, merci pour votre exposé.

Nous passons maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Donc, Mme la députée de Joliette, la parole est à vous.

• (16 h 10) •

Mme Hivon : Oui, merci beaucoup. Bonjour à vous deux. Merci de votre présence. Donc, évidemment, puis ce n'est peut-être pas surprenant, c'est le rôle de la commission, mais je comprends que votre position en est une d'ouverture complète, sous réserve, évidemment, de balises qui pourraient, elles, être très strictes, mais que l'admissibilité, la possibilité de demander l'aide médicale à mourir devrait autant concerner les personnes qui ont une maladie dégénérative en le demandant de manière anticipée, les personnes qui sont inaptes de naissance par le consentement substitué, les mineurs, par le même mécanisme. Donc, c'est bien votre position de base, qu'il y ait une ouverture à toutes les catégories possibles et qu'il n'y ait aucune exclusion, d'emblée?

M. Tessier (Philippe-André) : Oui, bien, tout à fait. Donc, il faut comprendre que les modalités de consentement dans l'aide médicale à mourir, c'est une exception au régime général, hein, de consentement aux soins, et les exceptions en droit doivent être justifiées et le plus limité possible. Donc, on s'entend aussi que les balises, comme vous nous le disiez, doivent être, compte tenu du caractère spécifique de l'aide médicale à mourir, évidemment, doivent être aménagées spécifiquement en lien avec ce type de pratique là.

Puis il faut rappeler aussi que, compte tenu des jugements, tant Carter que Truchon, dans lequel les démonstrations ont été faites factuellement, qui ne remettent pas en cause l'application des mesures, donc, on a quand même un vécu, un historique. Donc, en 2014, évidemment, nous n'avions pas ce regard-là. Maintenant, on dispose de données, on dispose d'éléments factuels qui nous permettent, encore une fois, d'avancer ces propositions-là.

Mme Hivon : O.K. Je vais vous amener sur une question assez pratique puis peut-être à la fois théorique, mais, si on crée les droits les plus extraordinaires et une égalité de droit de tout le monde, mais que, dans les faits, il n'y a personne pour les appliquer... Je m'explique. C'est beaucoup plus difficile pour un médecin de donner l'aide médicale à mourir à une personne qui n'est pas là pour le demander, encore plus dans un cas, par exemple, où elle ne l'aurait pas demandée de manière anticipée, mais que ce serait via un consentement substitué d'un tiers qui pense que c'est ce qui est bon pour la personne. Déjà, au début de la loi, sur le terrain, ce n'était pas si simple de trouver des médecins prêts à offrir l'aide médicale à mourir. S'il y a une ouverture, éventuellement, et que, dans le fond, ces droits-là existent en pratique... en théorie, mais qu'en pratique c'est extrêmement difficile de les appliquer, est-ce qu'on ne crée pas de nouvelles discriminations qui ne sont pas théoriques, mais qui sont très pratiques, selon le degré d'ouverture du médecin, que vous allez avoir la chance ou non de rencontrer sur votre parcours?

M. Tessier (Philippe-André) : Évidemment, on... c'est une excellente question, donc l'application des droits, donc, pour que ceux-ci existent dans le réel, dans le concret, et encore faut-il qu'il y ait des professionnels qui soient disposés à prodiguer cet acte-là, ce soin-là, ce qu'on peut peut-être avancer comme élément d'hypothèse ou comme réponse, c'est qu'il y a présentement toutes sortes de consentements substitués qui sont mis en place pour une panoplie de mesures, certaines qui mènent jusqu'à la mort. Il y a, dans ce contexte-là, des critères et des contraintes qui existent et des contraintes qui ne viennent aussi pas tellement... bien, qui ont plusieurs fonctions, qui ont plusieurs finalités. Une de ces finalités-là de ces contraintes-là, soit l'intervention du tribunal, vise notamment à s'assurer que la personne est bel et bien protégée, que la décision est prise dans le meilleur intérêt de la personne. Mais, lorsque l'on parle d'intervention du tribunal aussi, on parle de fournir aussi une certaine sécurité à l'ensemble des professionnels qui participent à l'acte, en ce sens qu'il y a ici des décisions, et aussi à la famille. Donc, on a la famille, les proches, on a l'équipe médicale, donc on a un paquet de personnes impliquées. Et donc il y a, dans le consentement substitué, certaines règles qui font en sorte que l'intervention du tribunal peut venir donner une certaine sécurité par rapport à ces questions-là. Mais il est évident que la question... Et, encore une fois, comme la commission l'avait dit en 2014 sur le projet de loi n° 52, on comprend la nature de vos travaux, on comprend que la prudence est de mise parce que, justement, il faut encore s'assurer que lorsqu'un régime est mis en place, ce régime-là soit applicable et effectif pour toutes les Québécoises et tous les Québécois.

Mme Hivon : Donc, si je vous comprends bien, face à votre position, vous dites que l'intervention du tribunal devrait pouvoir être envisagée dans certaines circonstances. Est-ce que vous pouvez préciser ces circonstances-là? Est-ce qu'on parle de personnes, donc, qui devraient avoir recours au consentement substitué ou l'envisager également pour, par exemple, les demandes anticipées?

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, écoutez, c'est sûr et certain qu'à ce moment-ci, compte tenu de la nature du mandat de la commission, nous n'en sommes pas à l'étape, comme je le disais d'entrée de jeu, là, dans nos commentaires, donc on se réservait la possibilité d'évaluer les propositions qui allaient être faites. Ce qu'on vous dit, cela dit, puis parce qu'en toute transparence, c'est sûr et certain que si on vous parle de consentement substitué, si on parle de s'assurer qu'il y a effectivement des professionnels qui administrent ces soins-là, bien, il faut tenir compte aussi du cadre dans lequel ça s'inscrit. Et donc je souligne à la commission, on porte à l'attention de la commission que le consentement substitué va s'accompagner de l'intervention d'un tribunal dans certaines circonstances, et cela peut inspirer les travaux de la commission, oui, effectivement.

Mme Hivon : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Donc, je céderais la parole au député de Mégantic.

M. Jacques : Merci, Mme la Présidente. Merci et bonjour, Me Tessier. Vous avez parlé, là, que les exceptions en droit, c'est un... ça devient des problématiques. Je comprends très bien, là, que plus que c'est cadré, plus que c'est facile à être appliqué. Est-ce qu'il y a des exceptions qui pourraient quand même être envisageables où on ne touche à rien de ça?

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, écoutez, l'idée étant ici que ce qu'on comprend, et ce qui est le principe même de l'aide médicale à mourir et des jugements qui sont venus l'appliquer, et du cadre dans lequel cela s'inscrit, c'est que ça s'inscrit dans un continuum de soins. Donc, il s'agit ici d'un soin, et ce soin-là, son objectif, c'est de mettre fin à la souffrance, oui, par la fin de la vie, mais son objectif premier, c'est de mettre fin à la souffrance. Je pense que vous avez entendu d'autres intervenants aussi vous parler de ça. Donc, il est sûr et certain que, lorsque l'on parle de créer des exceptions à un soin dont l'objectif est d'éviter la souffrance, il faut que ces exceptions-là soient justifiées, soient balisées, soient le plus limitées possible. C'est un peu le sens du propos qu'on tient devant vous aujourd'hui.

Et donc c'est pour ça, par exemple, qu'on vous donne un exemple du mineur de 17 ans et six mois versus 18 ans et six mois. C'est sûr et certain qu'on peut se poser la question : Qu'est-ce qui fait en sorte que l'être humain qui a 17 ans et six mois, qui est en... Puis là, évidemment, oublions le critère de fin de vie, parce qu'on s'entend, il n'est plus là, mais prenons le cas de figure où est-ce que cette personne-là est en fin de vie. Là, avant l'arrêt Truchon, cette personne-là se voyait refuser l'aide médicale à mourir. Alors, son choix, c'était effectivement de s'en prendre à lui-même ou de procéder à la fin des traitements, donc par hydratation, nourriture, etc. Alors, il faut se poser la question : Dans ce contexte-là, qu'est-ce qui est le plus humain dans les deux approches?

Et puis c'est un petit peu ça aussi, le regard qu'on porte sur l'enjeu. On tente de prendre ce pas de recul là. Puis on comprend les travaux de votre commission, on entend les intervenants, on entendait les intervenants précédents. C'est extrêmement sensible. Il y a des questions, ici... C'est pour ça que, d'entrée de jeu, on saluait votre travail. Mais ce qu'on veut juste rappeler, c'est que ces exceptions-là, c'est aussi des êtres humains, et ces exceptions-là, ces êtres humains là, ils ont ces droits-là, et comment on aménage... puis c'est ça, le défi du législateur dans le cas présent, c'est comment on aménage l'exercice de ces balises, comment on crée ces balises-là pour protéger ces personnes-là.

Puis je termine là-dessus en vous disant, M. le député, que la décision Truchon, la juge Baudouin a analysé la preuve, et les données, tant au Québec qu'au Canada, puis même les données étrangères, elles ne font pas état de dérives, de dérapages. Donc, les médecins sont capables de distinguer les patients suicidaires de ceux qui recherchent l'aide médicale à mourir. Donc, on a ces données-là qui nous aident aujourd'hui à prendre des meilleures décisions, et c'est tant mieux pour l'exercice dans lequel vous êtes.

M. Jacques : Parfait. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Donc, si je reviens un peu, vous dites que ça fait partie d'un continuum de soins, c'est de mettre fin à la souffrance. Donc, pour vous, le critère de souffrance doit toujours être omniprésent. Si on parle de quelqu'un avec un trouble cognitif, il y a la souffrance réelle, mais, quand on fait une demande anticipée ou une demande d'aide médicale à mourir, il y a la souffrance anticipée aussi. Peut-être qu'elle ne sera pas au même titre qu'elle est réellement, là. Donc, pour vous, le critère de souffrance doit toujours être présent?

• (16 h 20) •

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, peut-être que ma collègue peut compléter, mais la notion de souffrance, elle est au coeur de la dignité humaine, elle est au coeur du jugement de la Cour supérieure, dont la Procureure générale n'a pas fait appel, donc qui a passé... qui a force de droit. Donc, essentiellement, c'est pour ça que, pour nous, ce critère-là... et c'est aussi ce qui ressort en doctrine chez beaucoup d'experts, c'est ce qui a été mis de l'avant pas la commission. Je ne sais pas si ma collègue veut compléter.

Mme Carpentier (Marie) : Oui, merci, merci beaucoup. Il reste que, même si on procédait, par exemple, par consentement substitué, il reste les autres critères de la loi sur les soins de fin de vie à l'article 26 qui sont applicables, qui sont un déclin avancé et irréversible de ses capacités, des souffrances physiques ou psychiques, c'est des critères qui demeurent présents, même si on élargit, par exemple, aux personnes mineures. Donc, ces critères seraient toujours là.

Puis il y a aussi les critères du consentement substitué qui font que la décision doit être prise dans le meilleur intérêt de la personne concernée. Et, dans certaines circonstances, le meilleur intérêt de la personne concernée, c'est d'interrompre ses souffrances. Donc... Mais on est d'avis que les balises qui sont en place, la façon dont est exercée, par exemple, le contrôle sur le consentement substitué, quand on observe la jurisprudence autour de ces questions-là, bien, nous, on est rassurés par le processus. Si, par exemple, il y a une mésentente entre les médecins et les parents puis qu'il y a une intervention d'un juge, bien, cette intervention va aller dans le sens du meilleur intérêt de la personne concernée. Puis, s'il y a un doute que ce n'est pas l'aide médicale à mourir, la meilleure solution, bien, on est conscients que ça ne sera pas accordé comme solution, que les mécanismes en place vont servir suffisamment pour protéger les personnes qui sont dans une situation de vulnérabilité. Puis c'est sûr que, si on parle des personnes qui sont incapables de consentir, bien, les précautions, on est convaincus que les précautions vont être encore plus grandes.

La Présidente (Mme Guillemette) : Et, au niveau de la santé mentale, on sait qu'il y a des gens qu'après 10, 15 ans de soins, on trouve enfin la lumière au bout du tunnel, qui ont fait plusieurs tentatives de suicide ou qui ont des idées suicidaires, finalement, on trouve la bonne molécule ou le bon soin, puis ils vont remercier les gens de les avoir sauvés. Donc, quelles balises on peut mettre en place pour protéger ces gens-là? Ou jusqu'où on doit aller dans le soin et dans l'offre thérapeutique?

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, écoutez, c'est sûr et certain que, là, encore une fois, aujourd'hui, on n'est pas, devant nous, avec un projet de loi qui nous propose des modalités. Ce qu'on comprend, c'est qu'il y aura vraisemblablement un dépôt d'un projet de loi. Je ne voudrais pas commettre un outrage aujourd'hui devant vous, mais je comprends qu'il y aura dépôt d'un projet de loi et qu'on pourra effectivement, à ce moment-là, commenter et revenir devant la commission appropriée pour regarder quelles sont les modalités qui sont présentées. Mais rappelons-nous la chose suivante, puis en réponse à votre question, oui, c'est sûr et certain qu'il peut toujours y avoir ce genre de situation là, mais encore faut-il regarder lorsque... les critères qui sont mis de l'avant pour l'aide médicale à mourir. Un des médecins qui témoignait devant le tribunal dans l'affaire Truchon disait qu'il n'y a aucun soin, même des soins entraînant la fin de vie, qui est aussi réglementée, régimentée, contrôlée que l'aide médicale à mourir. Et donc il est certain que, ça, c'est les éléments qui ont été retenus, qui ont été mis en preuve et qui sont factuellement présents, c'est que l'encadrement juridique prévu par la loi n° 52, là, par la loi telle qu'elle est aujourd'hui, est venu créer ces balises-là. On est venus développer une pratique. Et c'est sûr et certain qu'on veut s'assurer que les cas et la distinction qui se fait entre les gens qui sont peut-être... qui pourraient présenter une ambivalence, qui pourraient avoir des pensées suicidaires, ce sont tous des éléments qui relèvent... qui reviennent devant. Et ce que la preuve a démontré, c'est qu'on fait la distinction. Présentement, les médecins sont en mesure — et c'est les termes du tribunal — avec toute la diligence requise, de faire cette distinction-là, compte tenu des critères établis par le législateur. Alors... Et, comme je le répète, là, c'est le soin le plus encadré, le plus réglementé qu'il y a.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci beaucoup. Je céderais la parole à la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Tessier et Mme Carpentier. J'ai une petite question par rapport à la souffrance. Souvent, la souffrance, ça peut être objectif, ça peut être... ou subjectif. Donc, c'est... vous dites, par rapport à, tu sais, l'aide médicale à mourir, c'est par rapport à alléger les souffrances d'une personne, puis c'est le soin de fin de vie qui vient comme arrêter la souffrance. Mais dans un cas... D'une personne à une autre, la souffrance, elle est différente. Puis souvent on a entendu parler, par rapport à l'alzheimer, les gens anticipent la souffrance parce qu'ils l'ont vue, ils ont eu une expérience de vie. Mais quelqu'un qui ne l'a jamais vécu, comment il va être capable de déterminer sa souffrance dans une demande anticipée, à savoir : Moi, ça... Tu sais, c'est... je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire par rapport à déterminer c'est quoi, la souffrance qui pour être un critère.

M. Tessier (Philippe-André) : Oui, bien là, dans le cas où vous parlez, on parle aussi de directives anticipées. C'est ce qui fait... C'est ce qui est mis de l'avant un peu, là, par la consultation, la commission, etc. Donc, c'est sûr et certain qu'on se retrouve dans une situation où on fait appel aussi à... il y a un aspect d'autonomie de la personne. Puis la personne, elle décide à l'avance, compte tenu d'une situation de fait qui se produit, qui est cette maladie-là, par exemple, de donner une directive anticipée. On parlait de directives médicales anticipées, maintenant on dit directives anticipées pour tenir compte de certaines... d'une évolution de la maladie. Mais, encore une fois, il faut être conscient que ça, ici, le principe auquel on fait appel, c'est qu'on permet à cette personne-là... on donne à une personne une certaine forme de sécurité. Cette personne-là dit : Moi, je me vois. Et il faut faire attention lorsqu'on fait des généralités parce que, vous l'avez bien dit, Mme la députée, on va y aller dans le cas par cas, on va évaluer de façon individuelle chacun des cas. Alors, c'est sûr et certain que lorsqu'on prévoit ce genre de mécanisme là, bien, il faut aussi respecter ce que la personne en elle-même dit ou déclare être.

Et c'est un des principes aussi qui est retenu dans l'affaire Truchon, c'est cette approche individualisée là. Cette approche-là, c'est de dire : On ne peut pas prendre les personnes inaptes, disons, comme un bloc monolithique. Vous allez entendre des cas de différentes façons.

Et c'est un peu ça, la leçon et la morale de l'histoire de la saga judiciaire qu'il y a eu : c'est qu'il faut traiter l'être humain, chaque vie humaine de façon importante. Et ça, ça veut donc dire cette approche-là, individualisée, à laquelle vous faites référence. Et c'est là où est-ce qu'on met des balises, mais qu'ultimement, à la fin de la journée, il va y avoir du cas par cas et il va y avoir ces cas d'appréciation là, mais qui, je vous le soumets respectueusement, se produisent déjà. Il y a des cas où, effectivement, l'aide médicale à mourir est refusée pour les critères actuels.

Donc, cet exercice-là, ce balisage-là... ma collègue faisait référence à l'article 26, il y a des critères qui existent. C'est présent, présentement. Et il y a des décisions des tribunaux qui vont, des fois, permettre les soins, d'autres fois non. Ça va dépendre, encore une fois, de la situation factuelle de chaque cas.

Mme Hébert : Parfait.

Mme Carpentier (Marie) : Si je peux me permettre d'ajouter, vous aviez, tout à l'heure, la discussion par rapport à la dignité aussi. C'est que je pense que, comme... et la souffrance et la dignité, c'est peut-être vain d'essayer de faire une définition universelle qui s'appliquerait à tout le monde de la même façon et de la souffrance ou de la dignité. Donc, je rejoins mon collègue sur cette question-là, là, l'idée qu'il faut que ce soit une évaluation individualisée. Puis la conception que la personne et ses proches se font de la souffrance et de la dignité est importante dans l'équation.

Mme Hébert : Parfait. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Westmount—Saint-Louis.

Mme Maccarone : Merci beaucoup. Bonjour, Me Tessier, bonjour, Me Carpentier. Toujours un plaisir d'échanger avec vous. Je vais changer un peu de propos. J'aimerais parler du potentiel d'exploitation, de maltraitance. On ne l'a pas abordé encore, mais, dans le rôle que vous jouez actuellement, comment prévoyez-vous de protéger les citoyens quand on parle de l'exploitation des personnes âgées, handicapées au sens de la charte québécoise? Et il y a la maltraitance selon la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité. Que devons-nous prévoyer pour assurer que ce ne sera pas le cas pour protéger les citoyens?

• (16 h 30) •

M. Tessier (Philippe-André) : Bien oui, bien, c'est une très bonne question, effectivement. Donc, puis c'est pour ça que je le rappelais d'entrée de jeu, la commission, tant en 2014, encore aujourd'hui, rappelle le principe de prudence, le principe de précaution par rapport à ces questions-là. Il ne s'agit pas ici, puis il ne faut pas faire dire... Il ne faut pas exagérer tout. Oui, bien qu'on propose de déverrouiller ces limitations qui sont présentement là pour les majeurs inaptes et les personnes mineures, il faut comprendre que ce n'est pas, genre, «let's open the floodgates», ce n'est pas un accès tous azimuts. Il faut vraiment bien le baliser, même le mettre... l'astreindre à des conditions plus strictes, parce qu'effectivement on comprend pourquoi, d'entrée de jeu, ces personnes-là avaient été exclues, parce qu'elles sont présumées plus vulnérables, on les juge vulnérables. Comme société, on vise à la protéger, mais ici, ce dont on parle, on parle... rappelons-nous, on est dans un contexte d'aide médicale à mourir. Donc, on est dans un concept, puis je reviens là-dessus, où est-ce que la personne est dans une situation de souffrance. Il y a quelque chose qui fait en sorte que, cette personne-là, il y a... pour des raisons tout à fait personnelles, impérieuses, bien, veut mettre fin à ses jours, où il y a des raisons de mettre fin à ses jours, parce que la souffrance de la personne, ce n'est pas une façon de vivre pour cette personne-là. À ce moment-là, on le décrit souvent en littérature, on parle d'être relationnel, la personne, par les contacts qu'elle a, par les gens qui s'occupent d'elle, que ce soit au niveau de la famille ou du personnel soignant, lorsque ces personnes-là se rendent compte que cette personne-là souffre et... On la place devant ce mur-là, présentement, il n'y a pas de... «there's no way out», il n'y a pas de possibilité pour la personne d'avoir accès à quoi que ce soit. Donc, on dit à cette personne-là : Compte tenu de ton statut, bien, un peu, tu es condamné à souffrir. On est désolés, mais parce que tu es un mineur, parce que tu es inapte, bien, tu vas souffrir. Puis la seule autre possibilité, pour la famille proche puis l'équipe médicale, il faut se le dire, il faut se le dire entre nous, la seule possibilité pour mettre fin aux souffrances, c'est la déshydratation, arrêter l'alimentation. Ça, c'est permis par consentement substitué, présentement, en droit. Donc, on place l'équipe médicale et la famille devant le choix de dire : Je veux abréger les souffrances de la personne mineure ou de la personne majeure inapte, bien, la seule solution, ça va être d'arrêter l'alimentation et l'hydratation. Il faut se poser la question : Est-ce que c'est ce qu'on veut comme résultat, compte tenu de l'expérience qu'on a de l'aide médicale à mourir, au Québec et ailleurs, à l'international, compte tenu des études qui ont été faites, compte tenu de l'approche qui a été développée, compte tenu de l'ensemble des témoignages que vous allez entendre? C'est ça, une des questions fondamentales à laquelle vous avez à répondre et à proposer une solution.

Et c'est pour ça que nous, on vous dit : Prévoyons des règles, prévoyons des règles strictes, prévoyons des règles très, très contraignantes. J'ai évoqué puis je vous dis : On réserve notre jugement lorsqu'il y aura projet de loi. J'évoque la possibilité de l'intervention du tribunal, qui peut être un autre verrou, une autre façon de protéger le majeur inapte, personne en vulnérabilité, pour assurer qu'il n'y a pas de situation d'exploitation, pas de situation de maltraitance, que cela est fait dans le seul et unique intérêt de la personne, de la vie humaine qui est devant nous, et que le seul motif, c'est d'abréger les souffrances de la personne qui est devant nous et aucune autre considération.

Mme Maccarone : Alors, je comprends, nous n'avons pas un projet de loi devant nous, alors ça va être difficile peut-être pour vous de vous exprimer en ce qui concerne votre rôle, mais c'est ça qui me préoccupe. Parce que, là, on parle qu'on devrait avoir le droit à la dignité, on parle de... on devrait avoir un accès très large, selon vous, parce que, tu sais, le droit à la dignité, le droit de mettre fin à la souffrance, ça appartient à tous et à toutes, mais ne devons-nous pas prévoir peut-être... Mettons, le rôle des proches, des proches aidants, ça va être quoi? Parce que, je me mets dans vos souliers, suite à une adoption ou des recommandations que ce comité se fera, ne devons-nous peut-être pas prévoir votre rôle à l'intérieur de ceci? Parce que, là, on parle d'avoir un accès très large. Alors, le rôle de la commission sera quoi face à plusieurs personnes qui vont peut-être se plaindre au CDPDJ pour dire : Mon accès... j'ai été refusé un accès à cause de... Alors, comment allez-vous agir pour représenter ces personnes, en pensant qu'il y aura peut-être des gens qui vont dire : Bien là, ils ont dit non à cause d'eux, peut-être parce que je souffre de déficience intellectuelle, parce que je souffre de l'autisme, mais je milite pour moi-même, j'ai une compréhension de qu'est-ce que je demande. Que ferez-vous face à ces demandes de représentation pour protéger les droits de ces citoyens?

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, c'est sûr et certain que... là, vous évoquez le mécanisme de plainte à la commission. Là, évidemment, moi, je vous dirais que les questions qui se posent devant nous, que ça soit par le biais de la commission, que ça soit par un recours au tribunal, comme ça a été dans le cas de Truchon et Gladu, ce n'est pas passé par le filtre de la commission, là. C'est des... Les gens ont saisi les tribunaux de cette question-là. Donc, la... et c'est ce qu'on avait dit en 2014, hein, lorsque... sur certaines des questions qui ont été mises, la question de fin de vie, et autres. Donc, on avait, à ce moment-là, indiqué à la commission qui était chargée d'étudier le projet de loi, c'est-à-dire : Il y a ici un risque potentiel que certains éléments du projet soient mis de côté, parce qu'il y a ces exclusions-là qui sont potentiellement discriminatoires. Et donc, nous, ce qu'on dit, c'est qu'il y a ce potentiel-là de recours, de contestation, vous y faites référence. Nous, le rôle de la commission, dans un contexte comme ça, c'est toujours un rôle, dans l'intérêt public, de s'assurer que les éléments qui sont mis de l'avant sont là dans le meilleur intérêt de la personne.

Lorsqu'il y a situation d'exploitation, puis là je sors un peu du propos, mais vous m'amenez là, nous, ce qu'il faut s'assurer, c'est que la personne qui est victime d'exploitation ne pose pas des gestes de son plein gré, bien qu'ils peuvent, en apparence, sembler un peu bizarres. Nous, ce qu'on fait, c'est qu'on va faire une enquête, on va s'assurer que, dans les faits particuliers devant nous, ce qu'on a, c'est bel et bien quelqu'un qui est victime d'une situation où il y a une mise à profit. Donc, il y a des critères juridiques, encore une fois, qui ont été élaborés, on est venu établir des critères pour s'assurer qu'on distingue le cas où la personne est vulnérable et véritablement exploitée du cas où la personne vulnérable, elle, décide de poser des gestes parce que c'est le geste qu'elle souhaite faire, malgré sa vulnérabilité.

Donc, qui dit vulnérabilité ne veut pas dire inaptitude. Qui dit vulnérabilité ne veut pas dire incapacité de prendre des décisions, et il faut respecter aussi cette zone-là d'autonomie. C'est aussi le principe du projet de loi n° 18, qui a été adopté avec le Curateur public, là. Donc, c'est toute cette question-là de la convention de Paris, des principes internationaux qui rattachent ces éléments-là aussi de l'autonomie décisionnelle de la personne.

Mme Maccarone : Alors, est-ce que ce serait de la discrimination de refuser une demande anticipée de l'aide médicale à mourir à une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle, ou de l'autisme, ou d'un handicap?

M. Tessier (Philippe-André) : C'est la question qu'on soulève, c'est la préoccupation... une des préoccupations qu'on soulève, tout comme, en 2014, on soulevait des préoccupations, on le réitère devant la commission actuelle, et c'est pour ça que je vous dis, là : Nous, pour le moment, on n'a pas de projet de loi devant nous, donc on n'a pas pu analyser le projet de loi, mais ce qu'on vous dit, c'est qu'en 2014 on a parlé des mineurs, on a parlé des majeurs inaptes, on a parlé de ces questions-là, et on nous a dit : Attention! Ici, il y a des zones dans lesquelles la compatibilité de ces exclusions-là... Puis, encore là, on se répète, là, c'est des exclusions blindées mur à mur, il n'y a pas d'exception possible, et on dit : Attention! Quand il n'y a pas d'exception possible, quand il n'y a pas de possibilité pour ce faire, surtout quand on parle d'un soin, il faut se rappeler, là, la loi québécoise parle de soins ici, donc c'est là aussi qu'il faut être très prudent dans... lorsqu'on vient décrire et discerner ces exceptions-là.

Mme Maccarone : O.K. Merci, Mme la Présidente. S'il me reste du temps, je céderais la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Oui, M. le député, pour 1 min 30 s

M. Birnbaum : Oui. Merci. Écoutez, je comprends, vous mettez devant nous une exigence qui est difficile à ignorer. En même temps, dans la même ligne de questionnement de mes collègues, je me préoccupe de la façon de faire... de rendre ça réel. Je vous avoue que je ne crois pas qu'un seul expert témoin ou les autres témoins aujourd'hui auraient abordé cette question tout à fait légitime. Alors, je vous invite, si vous avez des pistes de réflexion davantage sur les comment... Parce que je ne vous cache pas que je trouverais ça très difficile d'éviter de nous adresser à la question primordiale que vous mettez devant nous.

• (16 h 40) •

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, écoutez, puis, encore une fois, là, dans un souci... vous avez entendu des représentations devant vous de la part de différentes associations, ou groupes, ou experts qui sont venus vous parler. Bon, premièrement, il y a des comités d'experts qui vont se pencher sur la question des mineurs et des majeurs inaptes. Vous êtes bien au fait de ça, le cahier de consultation en parle, donc je ne fais pas de la redite, là, vous le savez, vous savez très bien de quoi je parle. Il y a des associations qui ont parlé de mettre en place un comité d'experts pour commencer à regarder la question des mineurs puis des... puis on parle des mineurs, donc, de 14 à 18.

Alors, il y a toute sorte de choses qui pourraient être faites par le comité, mais, encore une fois, je ne... loin de moi l'idée d'usurper le rôle de cette commission et de vous... mais vous me posez la question, et donc c'est sûr et certain que vous avez entendu de nombreux témoignages qui évoquent ces questions-là. On voit ce que le fédéral fait de son côté. On rappelle que le Québec a été un précurseur sur ces questions-là, donc il y a aussi quelque chose d'intéressant à voir et à mettre de l'avant, parce qu'on pense qu'on a une bonne loi au Québec. On a fait un bel exercice en 2014, bien, 2012 à 2014. On en fait un autre intéressant. Et ces éléments-là méritent d'être soulevés puis d'être traités, parce que, bien, sinon, si on ne les traite pas, bien, finalement, ils viennent à nous de l'autre façon. C'est que, là, il y a intervention, il y a contestation, et là on se retrouve en «réaction à».

Écoutez, c'est sûr et certain que ces questions-là vont être là, vont demeurer, existent ailleurs, à l'étranger, il y a des modèles, il existe des alternatives. Est-ce que le Québec serait précurseur? Oui, mais, comme je vous le dis, ça ne serait pas la première fois et ce n'est peut-être pas une mauvaise chose, compte tenu de l'expérience de l'aide médicale à mourir des sept, huit dernières années.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Carpentier (Marie) : Si je peux me permettre.

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui. Allez-y, Me Carpentier.

Mme Carpentier (Marie) : Bien, observez ce qui se disait, en termes de consentement substitué au Québec, ailleurs, donc partir... Parce que, pour notre part, on a démarré l'analyse à partir du droit à l'intégrité, qui comporte le droit de consentir aux soins, et puis donc on a examiné comment ça se passait quand la personne n'est pas apte à consentir. Donc, je pense que ça serait un meilleur point de départ d'analyse de partir avec le principe de consentement puis le principe de consentement substitué, de voir comment on peut le verrouiller encore plus, puisqu'on est dans un chemin qui est plus poussé, mais je pense que ça serait un bon point de départ de la réflexion.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Donc, je céderais maintenant la parole au député de Rosemont.

M. Marissal : Merci, Mme la Présidente. Si jamais je déborde un petit peu, je vous soumets respectueusement que le député de Chomedey a laissé deux belles grosses minutes sur la table qu'on devrait...

La Présidente (Mme Guillemette) : On l'a quand même réparti, mais allez-y, M. le député.

M. Marissal : C'est bien. Bien, bonjour, maîtres, au pluriel, merci d'être là. Il y a eu beaucoup, beaucoup de questions avant les miennes, donc je ne ferai pas exprès de répéter ce qui a été demandé. Une question, d'abord, purement technicopratique, là. Je n'ai pas vu de mémoire de votre part. Il n'y en a pas, donc. Y en aura-t-il un?

M. Tessier (Philippe-André) : Comme je le disais, le mémoire suivra lorsqu'il y aura projet de loi.

M. Marissal : O.K. Donc, il n'y a pas eu de mémoire pour cette deuxième phase. C'est bien, très bien, alors je n'ai pas eu la berlue. De quel article parlez-vous, à quel article référez-vous de la loi de protection des droits des enfants quand vous dites que de ne pas leur accorder, par exemple, le droit de mourir dans la dignité serait discriminatoire et brimerait leurs droits? Juste pour ma compréhension puis me le mettre sous la dent, là, de quels articles on parle ici?

M. Tessier (Philippe-André) : Bien, on ne parle pas de la Loi sur la protection de la jeunesse, on parle ici de la charte québécoise des droits et libertés qui s'applique à toute personne, et les enfants sont des personnes et sont titulaires des droits, sont sujets de droits. La commission, comme défenseure des droits de l'enfant, au Québec, depuis plus... depuis sa création, s'assure que les droits des enfants sont dûment représentés et respectés, non seulement dans le cadre des interventions de la protection de la jeunesse puis, il faut se rappeler, qui vise 2 % des enfants du Québec, mais pour les 98 % autres des enfants qui, eux, ne sont pas assujettis au régime d'exception qui est la Loi sur la protection de la jeunesse, le régime général des droits, qui est celui de la charte québécoise des droits et libertés, s'applique à eux aussi, tant le droit à la dignité et à l'intégrité, etc. Et c'est sur cette base-là qu'on est devant vous aujourd'hui, comme on l'était, en 2014, dans... sur le p.l. n° 52.

M. Marissal : O.K. Vous avez en partie répondu à ma seconde... à ma troisième question, tout à l'heure, je pense, là. On parle bien d'enfants de 14 ans et plus, hein? Bien, 14-18, puisqu'on devient majeur à 18 ans. Quand vous revendiquez, par exemple, l'élargissement de la loi, c'est... on parle d'enfants de 14 ans et plus?

M. Tessier (Philippe-André) : Là... Puis merci beaucoup pour votre question, ça me permet de préciser. Ce que la commission vous présente, ce ne sont pas des revendications, ce sont des recommandations ou des avis. Ce que nous avons dit, dans notre mémoire de 2014, c'est que ce que nous constatons, c'est que la règle de l'exclusion absolue des enfants, donc les moins de 18 ans, à première vue, est problématique, pour les raisons que j'ai évoquées plus tôt. Et notamment, un des arguments, c'est sûr et certain que le Code civil prévoit, pour les 14 à 18, certains droits pour ces enfants-là et même une question... il y a aussi une question de consentement substitué, il y a aussi le rôle des parents lorsqu'il y a des refus injustifiés, je ne veux pas rentrer dans le détail. Mais pour les moins de 14 ans, et là je réfère aux propos de ma collègue, très justes, à... qui... juste avant moi, les enfants de moins de 14 ans, on revient au régime de consentement substitué, qui est la même chose que pour les majeurs inaptes. Donc, c'est pour ça que ma collègue, tantôt, vous disait : Comme piste de réflexion, regardez la question du consentement substitué, parce que la question du consentement substitué vient régir les enfants de 14 ans et moins et les majeurs inaptes. Les enfants de 14 à 18, mettons, c'était comme... c'est comme un hybride, là, je ne veux pas... on ne rentrera pas dans les détails, je vais vous permettre de vous... poser votre autre question.

M. Marissal : Merci. Non, donc on irait plutôt, dans votre interprétation, vers le consentement substitué pour ce qui est des enfants de moins de 14 ans, c'est ce que... vous nous invitez, en tout cas, à regarder de ce côté-là, c'est ce que je comprends de votre intervention.

M. Tessier (Philippe-André) : Oui, effectivement, c'est cette question-là qui est au coeur de la question des mineurs et des majeurs inaptes.

M. Marissal : Peut-être une dernière question. Elle est un peu plus large et philosophique. On débattait d'ailleurs ce matin du terme «dérive», puisqu'il y a beaucoup de témoins qui craignent, à tort ou à raison, puis je comprends que le débat puisse se faire, des dérives si on élargit la loi, puis là je ne parle pas seulement des enfants, je parle de l'élargissement de la loi en général.

Vous avez dit à plusieurs reprises : Non, elle est super encadrée, cette loi-là, c'est la loi la plus encadrée de tous les encadrements. Dans votre esprit, donc, tous les garde-fous sont là, il n'y a pas de dérive possible. Bon, là, on ne définira pas «dérive», on n'aura jamais assez de temps, là, d'ici à demain matin, là, mais qu'est-ce que vous répondez, donc, à ces gens qui disent, de façon légitime : Wo! Attention, là, vous êtes en train d'ouvrir une porte de grange, là, le vent va rentrer là-dedans puis ça va être... Allez-y, je vous en prie.

M. Tessier (Philippe-André) : Oui, bien...

La Présidente (Mme Guillemette) : J'imagine... Deux petites minutes, peut-être, Me Tessier, 30 secondes. J'imagine que j'ai le consentement de tout le monde pour avoir la réponse de Me Tessier? Parce qu'on déroge un peu de notre temps. Donc, allez-y, Me Tessier.

M. Tessier (Philippe-André) : Très court.

La Présidente (Mme Guillemette) : Prenez votre temps.

M. Tessier (Philippe-André) : Puis je veux juste préciser, la commission, on ne se pose pas en experte de l'aide médicale à mourir ou du consentement au soin. Ce qu'on vous dit, c'est qu'il faut regarder le cadre des droits et libertés de la personne qui s'impose à nous dans cette discussion-là. Et pour être plus exact, plus spécifique, je réfère au paragraphe 259 de la décision Truchon, dont je suis convaincu que vous avez copie ou que vous pouvez avoir copie facilement, et je réfère au Dr Naud, cité par la juge, qui dit : «Aucun autre acte médical, même irréversible — comme une amputation ou le retrait d'un traitement vital, par exemple — ne fait l'objet d'une évaluation de l'aptitude de manière aussi constante, rigoureuse et assidue que l'aide médicale à mourir.» Donc, ce ne sont pas mes propos, ce sont ceux du Dr Naud, témoin qui était devant la juge Beaudoin dans l'affaire Truchon. Et cela met fin à mon intervention. Merci, Mme la Présidente, pour le temps.

M. Marissal : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Me Carpentier et Me Tessier, pour votre contribution aux travaux de la commission, c'est très apprécié, et ça va nous aider grandement pour la suite des travaux de la commission.

Donc, compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux au mardi 10 août, à 9 h 30, où elle poursuivra son mandat. Merci et bonne fin de soirée, tout le monde.

(Fin de la séance à 16 h 48)

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