(Neuf heures une minute)
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Bonjour, tout le monde. Donc, bienvenue à cette séance de la Commission spéciale sur l'évolution de la
Loi concernant les soins de fin de vie. Ayant constaté le quorum, je déclare la
séance ouverte.
Donc, la commission
est réunie virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et
aux auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins
de fin de vie.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La Secrétaire : Non, Mme la
Présidente.
Auditions (suite)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, ce matin, nous entendrons par visioconférence le Dr Judes Poirier et, par la suite, le Dr Félix Carrier. Donc,
bienvenue avec... parmi nous ce matin, Dr Poirier. Comme on vous l'a déjà mentionné, vous avez
20 minutes pour nous présenter votre exposé, et, par la suite, il y aura
un échange avec les membres de la commission pour une période de
40 minutes. Donc, je vous cède la parole.
M. Judes Poirier
M. Poirier (Judes) : Merci, Mme la Présidente. Bien le bonjour à tout le monde ce matin. Je
suis très, très heureux et très honoré
d'avoir été invité et accepté à cette commission, vous allez voir, un petit peu
plus tard, pourquoi, parce qu'essentiellement je porte trois chapeaux
distincts.
D'une part, je suis, donc,
chercheur généticien qui étudie la maladie d'Alzheimer depuis 35 ans.
Donc, c'est mon champ d'expertise. Et, dans
la période des questions, je vous suggérerais d'en profiter si vous avez des
questions de toutes sortes sur la maladie d'Alzheimer. C'est mon champ
d'expertise.
Deuxièmement, je suis un enfant de
deux parents alzheimer. Donc, j'ai non seulement eu à vivre la maladie comme chercheur, mais aussi comme aidant naturel
dans les deux cas, mon père en premier, ma mère quelques années plus tard.
Donc, j'ai fait le parcours avec eux qu'on voit dans les livres. Je l'ai vécu
de près et de façon très émotive.
Troisièmement, étant chercheur,
bien, je ne vous cacherai pas que je connais les facteurs de risque de la
maladie d'Alzheimer et de mon héritage personnel familial. J'ai un risque qui
est triplé à cause de ma double histoire parentale.
Et mes petits problèmes cardiovasculaires liés au diabète doublent ce chiffre.
Donc, j'ai 600 % plus de
risque d'avoir la maladie d'Alzheimer que quelqu'un qui n'a pas ces facteurs
de risque. Donc, trois chapeaux : chercheur, enfant de parents... aidant naturel et personne hautement à risque.
Donc, les travaux de votre commission me sont... me tiennent très à
coeur.
Si vous me permettez, je pensais diviser ma
présentation en trois segments distincts. Un petit rappel de ce qu'on
connaît de la maladie d'Alzheimer en 2021. Je vais être assez bref. Et, comme
je vous dis, je vous laisse le soin, dans la
période des questions, de cibler peut-être plus les questions sur des choses qui vous
apparaissent pertinentes au dossier qui nous intéresse. Je vais vous
glisser un petit mot sur l'expérience hollandaise, belge et suisse sur l'aide
médicale à mourir, mais dans le contexte bien spécifique de la maladie
d'Alzheimer.
Vous pouvez peut-être diverger un petit peu vers
les problèmes de santé mentale, parce que je travaille dans un hôpital
psychiatrique depuis 35 ans et je suis professeur de psychiatrie, mais
j'ai pensé me contenter de me cibler sur la maladie d'Alzheimer. Et, comme je
vous l'ai dit, ayant été... ayant eu une expérience personnelle double de maladie
d'Alzheimer, et puis elle n'est pas double, je vais être franc avec vous, j'ai
des oncles et des tantes dont j'ai dû aider
les cousins, et les cousines, et les beaux-parents à gérer la situation, donc
j'ai une très, très bonne connaissance de la réalité, la fin de vie des
alzheimers.
Cela dit, la maladie d'Alzheimer, en 2021,
c'est quoi, c'est un petit groupe de gens qui sont fortement, génétiquement
liés à la maladie. On parle de 2 % à 3 % de tous les cas de la maladie
d'Alzheimer qui ont une cause génétique clairement établie avec des gènes
causatifs. Donc, nous connaissons les causes de ses formes extrêmes, agressives
et jeunes. Et je pense que vous avez eu ou vous allez avoir le témoignage d'une
de ces personnes ayant hérité d'une anomalie génétique qui la met
essentiellement à 100 % de risque, ce qui est pas mal plus que moi.
Cela dit, le reste de ce qu'on appelle la maladie
d'Alzheimer, la forme commune de la maladie d'Alzheimer, elle est
essentiellement multifactorielle. Il y a une composante génétique qui
représente 60 % à 70 %, mais qui n'est pas causative. Donc, ça vous
met à risque d'avoir la maladie, mais on doit avoir ce risque génétique combiné
à autre chose. Les plus communs de ces autres facteurs de risque, qu'on
qualifie d'environnementaux ou liés au style de vie, on a des choses comme
l'hypertension, qui est un facteur de risque alzheimer. On a des choses comme le
cholestérol élevé non contrôlé, facteur de risque alzheimer. Le diabète, je
vous l'ai mentionné. L'obésité a joint la liste il n'y a pas tellement longtemps, facteur de risque bien
établi pour la maladie d'Alzheimer. Donc, c'est cette interaction gènes,
et facteurs environnementaux, et/ou liés au
style de vie qui vont déclencher une maladie dite de forme commune, sous
un chapeau où on hérite de nos parents des facteurs de risque qui augmentent ou
diminuent le risque d'avoir la maladie.
Les traitements, en 2021, c'est terriblement
triste. Le dernier approuvé date de 2003. Ce n'est pas qu'on n'a pas essayé
d'en mettre au point. Il n'y en a pas un qui a fonctionné dans les 175 qui ont
été testés depuis 2003. Et quatre médicaments qu'on possède aujourd'hui sont
des médicaments dits symptomatiques. Ce ne sont pas des médicaments qui visent des processus fondamentaux de la maladie. Ils
font simplement stimuler la mémoire à travailler un peu plus fort. Donc,
on les appelle symptomatiques parce qu'ils aident les symptômes, mais souvent
pendant une période qui va varier de quelques mois à un an et demi, deux ans
dans les meilleurs des cas.
Généralement,
quand on regarde les gens qui répondent aux médicaments et ceux qui ne
répondent pas, il y en a à peine 30 %, que ce soit n'importe lequel
des quatre médicaments, 30 % chez qui on va voir une légère amélioration
au niveau de la mémoire, mais en rien cela ne ralentit ou retarde la
progression de la maladie d'Alzheimer. Et les 70 % restants, c'est soit
une stabilisation relative pendant quelques mois et le retour du déclin ou,
littéralement, chez 30 % des patients, absolument aucun bénéfice de ces
médicaments-là. Donc, on voit, dans ce contexte-là, c'est assez triste, le développement médicamenteux dans le
contexte de la maladie d'Alzheimer. Les effets bénéfiques sont faibles, de courte durée et, essentiellement, ne permettent
pas de dire : Bien, on va retarder la maladie jusqu'à mourir d'autre
chose. On n'est pas, mais vraiment pas rendus là.
Je suis aussi
impliqué dans le développement médicamenteux. Donc, vous allez peut-être me
demander qu'est-ce qui en est des
médicaments en développement. Ce n'est pas plus rose. On a perdu, depuis 2018,
14 médicaments intéressants.
Chaque fois qu'on en perd un, on parle de quelques centaines de millions de
dollars d'investissement, là, pour développer. Donc, ce n'étaient pas
des candidats douteux. C'étaient des candidats prometteurs, mais qui se sont
tous écroulés, qui ont tous échoué les uns après les autres. Et ce qui reste
présentement dans le tuyau, pour faire un mauvais jeu de mots anglais, ce n'est
pas grand-chose, et rien qui, à court terme, va nous donner un médicament qui
va soit reporter soit stopper la maladie. Et la renverser, bien, c'est encore
moins probable, je dirais, même, c'est quasi impossible à court terme.
• (9 h 10) •
Donc, on est pris avec des vieux médicaments qui
ne fonctionnent pas terriblement bien, ce qui nous laisse quoi entre les mains?
Ça nous laisse une maladie qui progresse lentement, mais inexorablement. C'est
une maladie qui progresse en forme de «s».
Elle est très lente dans son début. Elle décline très lentement. C'est pour ça
que, quand on a un diagnostic de maladie d'Alzheimer, souvent, les patients, ou les
conjoints de patients, ou les enfants des patients vont nous
demander : Oui, mais vous avez donné un diagnostic d'Alzheimer à papa, il
faut lui enlever sa voiture. Non, absolument pas. Les gens qui sont en début de
maladie sont tout à fait fonctionnels. Le déclin, au début, c'est surtout la
mémoire, mais le déclin qui, je dirais, affecte des centres un petit peu plus
importants, comme le jugement, vont être atteints vers le milieu de la maladie.
Donc, au début, c'est très lent et ça décline
très lentement. Et, à partir de ce qu'on appelle la phase légère à modérée, là,
on tombe vraiment en bas d'une pente de ski. Le déclin se veut très rapide,
très constant, presque linéaire. Et, finalement, quand on arrive dans la
portion que je qualifierais sévère, là, on a sept stades qu'on utilise
pour quantifier la progression de la maladie, les stades 6 et 7, donc, les
derniers, redeviennent très lents. Certains patients peuvent étirer ça sur
plusieurs années, d'autres, ça va être un petit peu plus court. Bref, c'est la
combinaison des facteurs de risque qui vont dicter la vitesse de progression
une fois que la maladie se déclare.
Donc, de façon typique, on parle d'une
progression qui varie de huit à 11 ans, mais qui, comme je vous
l'ai dit, dans sa phase du milieu, est très rapide. Quand on parle de capacité
à prendre des décisions, je vous dirais qu'il n'y a pas de problème dans la
phase légère. C'est quand on arrive à la phase un petit peu plus modérée où là
on peut remettre en question les capacités de jugement d'une personne, de là
l'importance de toute la notion de directive anticipée,
surtout dans le contexte de la maladie d'Alzheimer, et, ça, on pourra s'en
reparler dans la période des discussions.
Donc, ça vous
brosse une espèce de tableau général. Donc, c'est une maladie qui,
présentement, est incurable. On ne voit pas, à court terme, de solution au
problème. Donc, on va vivre sûrement, les 10 ou 15 prochaines
années, avec des décisions qui ont un
impact direct sur les travaux de la commission. On a une maladie qui progresse
inexorablement, et ce qui est un peu triste, et j'en suis un des
témoins. Et, comme c'est une maladie qu'on retrouve beaucoup dans la famille, parce
qu'il y a une forte composante génétique, les gens qui sont susceptibles
d'invoquer soit des directives anticipées ou
demander l'aide médicale à mourir, ce sont des gens qui ont généralement eu
l'expérience de la maladie de très
proche, et surtout en fin de vie. Donc, c'est par expérience et non pas par
philosophie souvent que ces gens-là font la demande ou espèrent avoir
l'opportunité de pouvoir faire la demande.
Ça m'amène à la deuxième portion de ma
présentation qui est un petit survol des dernières avancées du côté des pays
européens, qui ont inclus la maladie d'Alzheimer dans la liste des maladies
susceptibles d'être utilisées dans le contexte de l'aide médicale à mourir.
On commence avec les Pays-Bas, qui a mis en
place une loi en 2005, mais, on ne se le cachera pas, pendant une dizaine
d'années, a eu beaucoup de difficultés à appliquer la loi dans... au sein des
maladies mentales de façon générale, et en particulier avec la maladie
d'Alzheimer. En 2018, l'Association médicale royale a finalement établi des
directives très, très claires. Et, très récemment, en avril 2021, la Cour
suprême des Pays-Bas a reconfirmé le droit aux directives anticipées dans le
contexte spécifique de la maladie d'Alzheimer.
Je vous donne
des chiffres qui m'ont un peu surpris puis, en même temps, qui m'ont un peu
rassuré. En 2018, on parlait de
6 126 patients qui ont demandé l'aide médicale à mourir aux Pays-Bas,
et, de ce nombre, des 6 126, 144 ont fait une demande alors qu'ils
étaient diagnostiqués avec la maladie d'Alzheimer en phase légère à modérée.
Donc, je vous expliquais tout à l'heure, dans la phase
légère, il n'y a pas vraiment de problème de jugement. Il y a surtout des
petites absences, des problèmes cognitifs, donc, des capacités de se rappeler,
de retrouver un petit peu son chemin dans l'espace à trois dimensions, mais on
ne parle pas d'un jugement compromis.
Quand on
arrive à la phase modérée vers le sévère, là, ce n'est plus la même situation.
Donc, 144 sur 6 126 ont eu
l'autorisation d'avoir l'aide médicale à mourir, et, de ce groupe, deux ont
eu... ont fait appel à des directives anticipées. C'est-à-dire que les
directives avaient été écrites, et la famille a demandé à ce qu'on les
respecte. Donc, 144 sur 6 000 d'Alzheimer, et deux sur 144 ont fait appel
aux directives anticipées, et ce, évidemment, par l'intermédiaire des familles car ces gens-là, eux, ils étaient
dans le modéré-sévère. Ils avaient été très fermes dans leur vouloir de
terminer leur vie avant de finir
leurs jours de la façon habituelle, et je vais vous glisser un mot de ce qui
est de la façon habituelle de mourir d'une maladie d'Alzheimer.
En Belgique, pour la même période, 2018... Donc,
pour les Pays-Bas, c'est... 2,4 % de toutes les demandes d'aide médicale à
mourir provenaient du groupe Alzheimer et maladies apparentées. En Belgique,
c'est aussi 2,4 %. On ne différencie pas ceux qui avaient des directives
médicales anticipées de ceux qui n'en avaient pas. C'est un phénomène très,
très récent en Belgique, les directives anticipées. Donc, je suspecte que ce
n'est pas comptabilisé ou ce n'est pas encore rendu public. La Belgique
fonctionne beaucoup par unités, par entités administratives régionales. Donc,
je pense que c'est un peu plus difficile de colliger les chiffres, mais ce qui
est rassurant, c'est que, dans ces deux pays...
Et j'ai aussi sorti les chiffres de la Suisse,
en excluant les étrangers, parce qu'en Suisse, évidemment, il y a beaucoup de
Canadiens qui ont recours à l'aide médicale à mourir et peuvent le faire, ce
qui n'est pas possible du côté de la
Belgique ni des Pays-Bas. Il faut être un résident natif du pays en question.
Donc, la Suisse, pour ses résidents, on parle aussi, dans le cas des troubles
mentaux et du comportement, donc, une espèce de grande catégorie qui inclut
la santé mentale et la maladie d'Alzheimer, on est aussi autour de 2 % à
3 %.
Donc, on voit, à tout le moins, moi ça a été ma
perception et un peu ma surprise, que ce n'est pas beaucoup de monde quand on fait le tour de la situation. Je
ne vous cacherai pas, là, 65 % de ce groupe qui fait la demande anticipée,
c'est le cancer, on ne s'en surprend pas, suivi des maladies cardiaques, suivi,
après ça, des maladies neurologiques classiques, qui sont maintenant autorisées
avec la nouvelle loi. Donc, ça nous laisse 2,4 %, 3 % des gens qui
ont fait la demande et qui ont reçu l'aide médicale à mourir.
Le Luxembourg
a aussi une situation similaire, mais je n'ai pas été capable de trouver des
situations spécifiques au niveau de
la santé mentale et de la maladie d'Alzheimer. Ils ont des chiffres globaux qui
ne nous en disent pas tellement.
Je vais finir peut-être avec une dernière
observation qui m'a surpris, en parlant des collègues américains. Bon, vous
savez qu'aux États-Unis il y a quelques États qui permettent l'aide médicale à
mourir. C'est un véritable combat du soldat de passer au travers des étapes. Il
faut avoir rencontré deux médecins. Il faut avoir pris un mois de réflexion. Il faut faire la demande par
écrit. Ça va à un comité, ça revient. Je parle de l'Oregon, de
l'État de Washington. Bref,
on s'est arrangés pour que ça soit terriblement
compliqué, et pour ne pas que ça arrive, et l'Alzheimer est généralement
exclu de la législation dans les États américains.
Cela dit, il y a un chiffre qui est assez
désopilant, qui existe. Les Américains ont 300 millions d'armes. Donc, le
suicide par arme à feu, il est commun aux États-Unis. Or, il s'avère qu'aux
États-Unis 8 % des suicides par arme à feu sont des gens avec maladie
d'Alzheimer. Donc, vous voyez que, dans une situation où il n'y a pas vraiment
de paramètre nolisé, il n'y a pas de... balisé, je veux dire, il n'y a pas, je
vous dirais, de support, d'aide formelle bien structurée, bien, les gens font
ce qu'ils peuvent grâce à la facilité des armes à feu, et, à 8 %, bien, on
est à trois fois les taux qu'on observe dans les pays européens où c'est permis
et c'est bien structuré.
Donc, je pense que c'est un peu révélateur. Bien
sûr, ça n'a rien à voir avec le Canada, mais ça nous montre à quel le désespoir, quand les opportunités se
présentent... sont nettement plus désagréables à constater que ce qu'on observe
dans les pays européens, où les
structures sont en place et de l'accompagnement se fait de façon tout à fait
correcte.
• (9 h 20) •
La dernière portion de ma présentation,
essentiellement, vise à vous parler, en partie, de mon expérience personnelle,
mais aussi ce que je sais et je connais de la maladie d'Alzheimer comme
chercheur, c'est la fin de vie. On ne meurt
pas de maladie d'Alzheimer. L'Alzheimer vous amène à un état de dégradation
sévère tel que vous devenez vulnérable à n'importe quelle infection. La
cause la plus fréquente de décès chez les patients alzheimer, c'est la bronchopneumonie. Vous vous en doutez, dans la
dernière année, la bronchopneumonie a été supplantée. Les chiffres que j'ai vus, c'est que 70 % des gens décédés
dans les CHSLD de la COVID étaient des alzheimer, parce que l'alzheimer
vous amène à un état de faiblesse tel, dans les dernières années, surtout les
derniers mois, que ce sont les infections qui vous tuent.
Et ça, ça veut dire quoi en termes concrets? Ça
veut dire que, dans les derniers mois de votre vie, vous n'êtes plus capable de vous nourrir vous-même. Donc, un
certain temps, on va vous nourrir, mais il y a une atrophie au niveau de la gorge et la capacité
d'avaler disparaît. Ça veut dire que, si vous n'avez pas donné de directive
anticipée, on va vous insérer des tubes et on va essayer de vous faire vivre un
bon bout de temps. Si vous avez donné des directives — pas
d'acharnement thérapeutique — bien,
on va tout simplement supprimer ces opportunités-là, et vous allez
effectivement mourir de faim et de soif jusqu'à ce que l'infection vous tue.
C'est ça que les gens qui ont vécu la maladie
d'Alzheimer connaissent de leurs
parents, de leurs oncles, de leurs grands-tantes, et qui est au coeur de ce
débat.
J'ai toujours eu beaucoup de difficulté, et je
vais terminer là-dessus, avec la notion qu'on ne reconnaisse pas la douleur
psychologique. Cette douleur psychologique, elle n'est pas seulement vécue au
moment où on a un diagnostic et dans les années qui suivent, mais elle est
présente tout au long de la maladie. Et, mon expérience personnelle, à
plusieurs reprises, mon père et ma mère, deux fois, m'ont demandé de les aider
à mourir, ce que je ne pouvais évidemment pas faire parce
qu'on n'était pas rendus là comme société, et je les ai vus mourir de la façon
dont je viens de vous décrire. Donc, j'espère qu'on va maturer suffisamment
comme société pour tenir compte des souhaits et de la volonté des gens qui
vivent cette terrible maladie.
Je vais arrêter ici et répondre à vos questions
si vous voulez bien.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Poirier. Donc, je céderais maintenant la parole au député de
Chomedey.
M. Ouellette : J'ai deux minutes, Dr
Poirier. Je vais avoir une question. Vous êtes membre de notre commission ce
matin. Vous recommandez quoi aux membres de notre commission avec vos
35 ans d'expérience? Tout ce que vous
en avez vu, ce que vous venez de nous dire, qui est éclairant, vous n'avez pas
d'idée, mais vous nous recommandez quoi,
comme membres de la commission, y aller complètement, ouvrir complètement? J'ai
besoin d'avoir votre expertise à matin.
M. Poirier
(Judes) : Pour ce qui est des cas de santé mentale, je vais me
réserver une petite gêne, parce que la situation est complexe. Dans le cas de
la maladie d'Alzheimer, c'est très clair, c'est une maladie neurologique aussi
grave et aussi biologique que la sclérose latérale amyotrophique, qui est
maintenant... fait partie des maladies qu'on peut invoquer pour l'aide médicale
à mourir. L'Alzheimer devrait faire partie. L'Alzheimer devrait faire partie
sur une base volontaire quand on est dans les phases léger à modéré, comme je
disais, alors que le jugement est toujours là. Évidemment, on ne devrait pas
faire comme les Américains, multiplier à outrance des duplications de
confirmations de médecins. On devrait faire ça simple avant qu'ils ne perdent
la capacité de donner un consentement éclairé. Et les directives anticipées
devraient être disponibles pour les gens qui veulent utiliser cette voie-là.
Comme je vous ai montré avec les chiffres
européens, ce n'est pas la catastrophe. Ce n'est
pas tant de monde que ça qui utilise l'avenue. Je suspecte les gens, compte
tenu du petit nombre... que c'est des gens qui connaissent la forme familiale, agressive, mortelle et de très courte durée. Ils
ont cinq ans de qualité de vie une fois qu'ils ont le diagnostic. Donc, eux,
ils ont d'autant plus le droit d'avoir accès aux aides médicales... aux
directives anticipées. C'est ma position.
M. Ouellette : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup, M. le député. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui,
bonjour. Merci beaucoup, Dr Poirier. C'était une excellente présentation,
très éclairante et très humaine.
Moi, je voudrais vous amener sur la question de
la souffrance. Donc, en ce moment, dans les critères de l'article 26 de la
loi, au moment de la demande, il faut, donc, répondre à tous les critères, dont
celui de la souffrance, qui peut être autant physique, hein, que psychique. Donc,
elle est déjà admise, mais quand la maladie est d'abord physique. Et, dans le cas d'une demande anticipée, est-ce
que, compte tenu de toute votre expertise, vous pensez qu'une personne
devrait pouvoir dire, avec beaucoup de détails, à l'avance ce qu'elle ne veut
pas vivre, donc, comme situation? Beaucoup nous amènent des éléments, je
dirais, liés, dans notre conception générale, avec la dignité, hein, ne plus
être capable de m'alimenter, de prendre soin
de moi, de reconnaître mes proches. Certains disent, par ailleurs : Est-ce
que ça, ça rencontre, en temps contemporain de l'administration, le
critère de souffrance?
Est-ce que, donc, on devrait penser à quelque
chose, si on allait de l'avant, qui détaille les circonstances ou, plutôt,
dire : Moi, si je suis dans un état de souffrance psychologique ou
physique de manière générale, je voudrais recevoir l'aide médicale à mourir? Et
peut-être en précisant le stade... Mais j'aimerais vous entendre là-dessus,
l'aspect souffrance versus l'aspect de dignité qui peut faire aussi partie de
la souffrance, mais comment vous voyez ça. Comment on pourrait le définir à
l'avance?
M. Poirier
(Judes) : C'est un point fondamental. Je vous remercie de la
question. Écoutez, quand on arrive dans les
stades modérés, non seulement notre capacité d'effectuer, je vous dirais, des jugements éclairés est fortement
amochée, et la capacité de s'exprimer, que ce soit autant exprimer les émotions
que d'exprimer cohésivement une idée, est aussi gravement affectée. Donc, si
vous vous attendez à ce qu'il puisse vous offrir une réponse claire, sans
ambiguïté, ça n'arrive pas, parce que c'est la nature même de la maladie, et la
souffrance, elle est là. Elle est là dans le sens où, et je vous le rappelle,
c'est une maladie incurable, neurologique, neurodégénérative.
Donc, elle
répond sensiblement au même
descriptif que la maladie de Lou Gehrig, qui, elle, par contre, affecte
peu ou pas le cerveau, la conscience, le jugement, mais dégrade les fonctions
musculaires puis, éventuellement, vous étouffe parce que vos muscles
s'atrophient, mais ce sont deux maladies neurodégénératives. C'est juste que,
dans le cas de l'Alzheimer, ça frappe les
centres du cerveau qui vous rassureraient en vous donnant la réponse que vous
voulez entendre comme médecin, à
savoir : Je veux mourir là. Le patient ne peut pas et ne peut plus le
faire, mais la souffrance est là. La dégénérescence est là.
Et là je vous parle du scientifique qui vous
dit : On fait des scans, on voit les fameuses plaques amyloïdes. On sait que la personne est rendue à tel stade.
Cette année, vous allez voir apparaître sur le marché des tests sanguins qui
permettent non seulement d'identifier les gens à risque à l'avance, avant même
l'arrivée de la maladie, mais la progression de la maladie dans le temps, et on
pourra, avec les tests sanguins, mesurer des changements biologiques bien particuliers qui vont vous dire : Ah bien! Vous
êtes en milieu, ou en début, ou à la fin. Donc, je vous dirais, d'ici peut-être
deux, trois ans, vous aurez même des outils diagnostics qui vont vous dire où
se situe le patient dans le spectre, mais
c'est sûr que, si vous mettez comme condition que le
patient doit pouvoir contribuer à la décision, c'est impossible. C'est
impossible parce que c'est à ce moment-là qu'on ne peut plus avoir de réponse
claire.
Pour ce qui est de la
dignité, je vais vous dire, pour moi, c'est 80 % de l'histoire, parce
qu'on ne meurt pas dignement de l'Alzheimer.
• (9 h 30) •
Mme
Hivon :
O.K., ma question, ce n'était pas... Parfait, merci beaucoup. C'est excellent,
tout ce que vous nous dites, mais, justement,
moi, je me projette. Je viens de recevoir un diagnostic. Je veux inscrire dans
mes directives anticipées ce qui, pour moi, est intolérable comme
souffrance ou comme souffrance existentielle à cause de perte de dignité. Vous
nous recommandez quoi? Est-ce que la personne, au début de sa maladie, devrait,
alors qu'elle est tout à fait apte, écrire
dans le détail : Quand je suis rendu là, je veux qu'on m'administre l'aide
médicale à mourir, ou, plutôt, de
dire : Quand je vais démontrer des signes de >souffrance qui peuvent
être mesurés par l'équipe traitante, je veux qu'on m'aide à mourir?
La raison pour
laquelle je vous pose cette question-là, c'est qu'on nous amène la notion, puis
encore hier, Félix Pageau l'a amené, de démence heureuse. Donc, une personne
pourrait avoir multiplié les dires à l'effet qu'elle va vouloir l'aide médicale
à mourir rendu à un stade plutôt avancé, mais qu'elle a encore des moments, je
dirais, de sérénité, qu'elle aime la musique, qu'elle démontre de la joie quand
elle voit des gens. Et donc qu'est-ce qui doit avoir préséance, ce qu'elle nous
a dit ou, si elle est dans un état ne semble pas souffrir, on laisse tomber la
demande parce que le critère serait moins respecté?
M. Poirier (Judes) : Bien, c'est... vous demandez
essentiellement au médecin qui interprète cette douleur ou ce bonheur abstrait,
avec lequel, je vais être franc avec vous, je n'adhère pas. C'est l'euphorie.
Vous savez, il y a des drogues qui vous
stimulent les mêmes régions du cerveau. Ne croyez pas que cette bienheurosité
que vous me décrivez, ce n'est pas un
changement neurochimique clairement défini lié à la maladie. C'est... Il y a
des dégénérescences, il y a des compensations,
il y a des changements, certains vont l'avoir, d'autres ne l'auront pas, mais
cela dit, à partir du moment où le
jugement n'est plus là, et que là... et on ne peut plus exprimer la détresse,
l'anxiété ou la peur, et comme je vous ai dit, quand on a vécu ça déjà,
on sait exactement où on s'en va, on va mourir étouffé dans des liquides qui
remplissent nos poumons, bien, probablement qu'à l'époque où nous étions très
éveillés ou, à tout le moins, avions toutes nos facultés, nous avions un
jugement et une portée de jugement qui était beaucoup plus sereine que ce que
sont des changements dus aux bouleversements de la maladie.
Vous savez, en
dépression, ou je prends, par exemple, la bipolarité, tu sais, vous avez des
gens, si vous leur parlez, ils sont en phase
dépressive, ils vont vouloir mourir le lendemain matin, mais vous attendez
quelques semaines et puis là, ils vont être dans le «high», puis là ils
vont être d'un bonheur parfait. Bon, bien, si vous choisissez toujours les
«high», bien, il n'y aura jamais vraiment de discussion à savoir est-ce que, ou
non, on devrait accorder l'aide médicale à mourir. Ça fait partie de la
maladie, il faut le sortir de l'équation. La seule façon de le faire, c'est de
reculer dans le temps et de voir ce que les gens veulent. Oui, il y a, comme
vous dites, le pseudobonheur, je ne crois pas que c'est du bonheur, et il y a
la dignité, et ça... En tout cas, ça, c'est mon biais à moi personnel, je ne
veux pas mourir comme mes parents.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Dr Poirier. Merci, Mme la
députée. Donc, si je peux me permettre, vous rendriez la demande
exécutoire.
M. Poirier (Judes) : Bien, je pense que, je vais encore
une fois reculer, les Belges, les Hollandais ont 15 ans d'avance sur nous.
La famille fait «partie de», c'est-à-dire que, si c'est exécutoire, je dirais
qu'il faut qu'il y ait quand même... il faut que ce soit endossé par, si ce
n'est pas la personne elle-même, la famille proche, un peu de la même façon
que, dans un testament, on délègue à un mandataire le soin de disposer de nos
objets selon nos volontés. On peut très certainement faire la même chose et
apparier ça, essentiellement, avec un dernier... je ne sais pas si c'est un
droit de veto ou un droit de regard, à quelqu'un qui a été désigné. C'est...
écoutez, dans le livre que j'ai écrit, qui est
paru l'année passée, le chapitre IX, c'est exclusivement les grandes
décisions à prendre dans la maladie d'Alzheimer, puis la première,
c'est : Parlez donc à votre famille pour dire comment vous voulez que
votre fin de vie se passe, de même que les
directives anticipées mais non liées à l'aide médicale à mourir. Faites
votre testament s'il n'est pas fait. Essentiellement, je dis aux gens qui ont
un diagnostic, là : Ce n'est plus le temps d'attendre. Bien, on peut
exiger la même chose, je pense, à ce niveau-là, au niveau d'un
mandataire dont le rôle serait, je dirais, idéalement d'endosser la décision
qui a été mise de l'avant il y a longtemps, et, à moins que les circonstances
changent.. mais, là encore, il faut quand même que le corps médical soit clair.
Comme je vous disais, le cerveau dégénère. Il y a peut-être une expression, un
sentiment de bonheur chimique qui se manifeste, mais ça ne veut pas
nécessairement dire que c'est un vrai bonheur, comme l'ecstasy n'est pas du
vrai bonheur.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. Je céderais la parole à la députée de Soulanges.
Mme Picard :
Dr Poirier, vos raisons sont vraiment éclairantes ce matin, elles nous
apportent vraiment beaucoup de questionnements. La question que j'aurais,
c'est : Sur le terrain, les gens qui sont atteints d'Alzheimer, est-ce que
vous pensez que c'est en majorité, en totalité des gens qui aimeraient se
prévaloir de l'aide médicale à mourir? La plupart des gens, ou comment vous
quantifiez un peu, là, le...
M. Poirier (Judes) : Oui. Écoutez, moi, je vous dirais que, expérience
personnelle familiale, j'en ai beaucoup, dans ma famille, mais aussi je dirige un centre de prévention de la
maladie d'Alzheimer, un centre de recherche, où je côtoie, essentiellement, 400 enfants de
patients Alzheimer. Donc, on ne se cachera pas que j'ai souvent ces
conversations-là. Je ne vous dirais
pas que c'est une majorité, je vous dirais que c'est une minorité. La minorité
qui l'a eue, je suspecte, dure, les soins en fin de vie ne sont pas uniformes partout.
La dernière période peut être difficile, dépendant de l'institution où
se trouvent les gens.
J'ai des gens qui ont eu... qui ont accompagné
leur parent jusqu'en fin de vie à la maison, avec beaucoup de sédation, là, on
ne se le cachera pas, et qui ont vécu ça moins difficilement qu'en CHSLD. Le
CHSLD, bon, c'est particulier, je pense que tout le monde s'en doute, là. Cela
dit, je ne pense pas que c'est une majorité, et je pense que c'est une minorité
qu'on voit se refléter dans les chiffres européens que je vous ai donnés. C'est
pour ça que j'ai insisté, ce matin, pour mettre ça dans ma présentation. On est
à 2,4 %, 3 % de tous les cas qui ont fait une demande, la majorité
étant des gens de cancer, où, là, on sait que la douleur physique, elle est
très claire. On peut supposer que la douleur
émotionnelle, psychique des gens qui restent, dans le cas de la maladie d'Alzheimer, elle est claire, elle est réelle.
Et il y a cette notion qui, je pense, est plus
importante que la douleur, la notion de dignité. Et celle-là, elle emporte
beaucoup de votes, je dirais, peut-être plus que la notion de douleur. Je vous
rappelle que le cerveau est incapable de détecter la douleur physique à
l'intérieur, donc ces milliards de neurones qui meurent chaque jour, quand on a
l'Alzheimer, on ne le perçoit pas, mais pas du tout. Donc, ce qui nous reste, c'est
l'absence de choses qu'on connaissait. C'est
ça, dans le fond, c'est la perte, il n'y a pas d'autre façon de voir. C'est
qu'avant, je sais que je pouvais
faire ça, maintenant, je ne peux plus, mais c'est pour ça que ce n'est pas
blanc et noir, hein? C'est un gradient, c'est un spectre, et c'est très
difficile à gérer, dans ce sens-là, pour une décision finale, là.
Mme Picard : Merci beaucoup. Merci.
Je vais laisser ...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je passerais la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Poirier. C'est très intéressant parce que vous nous avez fait, aussi, un préambule de
statistiques et aussi des recherches. J'ai une petite question, vite, comme
ça. Quand vous dites : La recherche,
là, ce n'est pas très, très avancé, hein? Il n'y a pas de médicament miracle.
C'est d'un point de vue mondial?
M. Poirier
(Judes) : Oui, oui, malheureusement, c'est... Je peux... très,
très brièvement. On avait identifié une
cible, un processus biologique particulier qui, depuis 2003, là, on
assaille avec des vaccins, avec des agents chimiques, avec plein de
choses, et puis, finalement, ces dernières années, on a réussi à faire exploser
l'anomalie biologique, là, qui est dans notre cerveau, et ça ne change
absolument rien. Donc, ça a été long, de se rendre là, on a réussi à faire
exploser, on les appelle les plaques séniles, on les enlève, on les foudroie,
et ça ne change rien.
Donc, c'était une conséquence de la maladie et
pas une cause et ça nous force, je vous dirais, presque à retourner à la case départ depuis deux ou trois
ans et, en moyenne, un nouveau médicament prend entre 10 et 12 ans de
développement. Donc, je peux vous dire, avec ce que je vois là, il n'y aura
rien sur le marché, s'il y a quelque chose, avant 10 ou 12 ans et
probablement plus.
• (9 h 40) •
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K.
puis je vais revenir un peu, parce qu'on l'a abordé tout à l'heure, les collègues en ont parlé, on a des groupes qui
ont... des experts aussi en médecine puis, vous savez, la fameuse démence
heureuse, hein, elle est ressortie, puis de quelle façon la quantifier, tout
ça. Puis, je suis content de vous entendre dire que, oui, d'un point de vue
chimique, mais, c'est toute la question, est-ce que la personne le ressent par
la suite, d'un point de vue psychique, donc, parce qu'on avait
Mme Demontigny, hier, qui en a parlé, et c'est toute la question
aussi : Est-ce que c'est de voir un de ses proches assis sur une chaise
toute la journée ou promener une poupée dans ses bras, c'est-tu ça être
heureux, tu sais? C'était cette question un peu, aussi. Puis, vous, bien, vous
dites que dans vos recherches, c'est prouvé que, d'un point de vue psychique,
c'est impossible qu'une personne, un moment donné, quand elle est rendue à des
stades d'inaptitudes, le ressente.
M. Poirier
(Judes) : C'est-à-dire, biochimiquement, elle ne le ressent
pas. Donc, il n'y a pas de douleurs physiques.
Du point de vue psychique, on a détruit des centaines de milliards de neurones.
Donc, on a un débalancement, physique et chimique, qui se produit dans
le cerveau, et puis je vous ai donné l'exemple de l'ecstasy, on pourrait parler
de la cocaïne, c'est qu'on provoque un débalancement du côté des centres de
récompense et puis bang! c'est avec une molécule chimique, on vient de
chambouler le cerveau puis on a des gens qui sont terriblement heureux.
Bon, la maladie fait la même chose, mais à un
niveau moindre et ça, il faut le dire. Chez certaines personnes, dépendamment
de l'endroit qui est le plus affecté par la maladie, ça va varier. C'est pour
ça qu'on a des gens chez qui la perte de mémoire elle est très, très importante
et les problèmes de jugement apparaissent plus tard puis des fois c'est l'inverse, chez un autre patient avec la
même maladie, problèmes de jugement apparaissent puis la perte de mémoire, ça
va être un petit peu plus secondaire. Il
y a des gens, qui, dans la forme
modérée sévère, vont développer des sérieux problèmes psychiatriques.
Là, je parle vraiment, là, la désinhibition, des envies d'ordre sexuel, des
choses... vous allez dire : Aïe! le
monsieur a 91 ans, là, c'est quoi ça? C'est un balancement chimique qui
active des zones du cerveau qui en principe dorment probablement depuis
30 ans. C'est ça, la maladie d'Alzheimer. C'est, contrairement à une
maladie de Parkinson ou une sclérose latérale amyotrophique qui affecte un
petit bout du cerveau qui est à peu près la grosseur de mon pouce, là, la région du cerveau
de ces deux maladies-là, l'Alzheimer, c'est votre cerveau au complet, au
complet sauf le milieu, qui est notre... ce qu'on appelle notre centre
dinosaure, là, nos neurones de base qu'on a hérités,
là, il y a très, très, très longtemps dans l'évolution. Tout ce qui est sur le dessus
qui fait qu'on est des humains, la pensée, la réflexion, tout ça, c'est récent dans l'histoire de
l'évolution humaine, et c'est ça que la maladie d'Alzheimer frappe, mais
à différents degrés, à différents moments, avec différentes symptomatologies,
dont parfois, chez un petit groupe, ce n'est
pas la majorité qui fait ces Alzheimer de bonheur, là, comme moi,
je les appelle, ce n'est pas commun, là, c'est quand même plutôt
rare, mais ça fait partie de tout l'ensemble des symptômes liés à la destruction
massive de milliards de neurones.
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : Merci, parce que
c'était... Bien, moi, pour moi, c'est intéressant de comprendre aussi d'un point de vue, là, médical, là, qu'est-ce que tout ça peut apporter. Et puis je vais terminer
là-dessus, le fameux formulaire de la RMAQ, tu sais, on en a parlé, c'est
fastidieux, tout ça. Pouvez-vous me dire... Donnez-moi votre opinion,
là, qu'est-ce qui faudrait... comment faudrait... Est-ce qu'il devrait être
revu et de quelle façon?
M. Poirier
(Judes) : Je n'oserai pas me prononcer spécifiquement. Il n'y a
aucune raison que ce soit compliqué de même.
Vous avez senti mon ton quand j'ai parlé des États-Unis, ça fait que je vais
retourner aux États-Unis, si vous me permettez bien, pour m'antagoniser
plein de gens au Québec. On peut... Puis c'est les républicains qui font ça
systématiquement dans les États où c'est devenu hypercompliqué de demander
l'aide médicale à mourir, on peut créer des
étapes, rajouter des mois de réflexion, une discussion avec un deuxième, un
troisième médecin, un délai par-ci puis un délai par-là. On peut faire
ça très simplement aussi, là.
En Belgique, si je ne me trompe pas, c'est
discussion avec deux médecins, et ils remplissent un formulaire qui va à un
comité régional. Le comité régional fait du «rubber stamping», essentiellement,
puis il tient les données, les statistiques.
Moi, je me suis informé de la Suisse, parce que,
si jamais on n'arrive pas à rien faire ici, moi, je veux un endroit où je vais
pouvoir le faire, et c'est deux médecins, très simple, très clair, on remplit
quelques formulaires très basiques, le patient qui demande, les médecins qui
endossent. Et ça peut être fait de façon très, très, très simple.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup, M. le député. Dr Poirier, je sais que ce n'était
pas votre propos ce matin, mais je ne peux pas m'empêcher de faire appel à
votre expertise. Au niveau de la santé mentale, j'aimerais vous entendre un
petit peu plus là-dessus. Je sais que ce n'était pas votre sujet de
prédilection ce matin, mais, étant donné votre parcours, là, j'aimerais vraiment
vous entendre un peu là-dessus.
M. Poirier
(Judes) : D'accord. C'est une situation
qui va être beaucoup plus au cas par cas. Et je pense que ça sera impossible,
dans le cas de la santé mentale, où, dans ce cas-là, il n'y a pas mort
neuronale observable. Il y a des débalancements chimiques qui sont parfois
d'origine génétique et parfois d'origine environnementale, et généralement une
interaction de l'environnement et de la génétique qui va créer ces fameux
débalancements dont je parlais tout à l'heure mais, cette fois-ci, pas causés
par la mort des cellules, mais par des mécanismes de survivance face... bon, souvent ces maladies mentales là ont été déclenchées par des
épreuves terribles dans l'enfance et l'adolescence où ils ont une
vulnérabilité.
Je vous donne
l'exemple précis de la schizophrénie. Il y a une vulnérabilité de ces fameuses
régions du plaisir que je vous parlais tout à l'heure, les régions de la
dopamine, et, malheureusement, un schizophrène qui ne l'est pas encore et qui
va s'aventurer avec les drogues, même des drogues douces, va tranquillement changer
l'équilibre de cette région du cerveau qui est impliquée dans les récompenses,
et ça, ça serait de façon permanente, et de ce fait il va passer d'un état...
un adolescent tout à fait heureux et en santé à un schizophrène irréversible
pour le reste de ses jours simplement par l'utilisation des drogues qui ont
créé ce débalancement chimique temporaire, bon, des fois, avec la consommation
de drogues plus dures, ça vient plus rapidement, mais ces très souvent un
facteur déclenchant. Donc, il y a une
susceptibilité génétique, et le facteur déclenchant, c'est l'utilisation de drogues type dopaminergiques, là, cocaïne, héroïne, même le pot.
Le pot, quand on fait les études épidémiologiques, là, comme le Dr Arruda
nous explique souvent, quand on prend des grands nombres, il y a un lien entre
l'apparition de la schizophrénie, collectivement,
et l'utilisation du pot. Ça fait que c'est la réalité, et, dans ce sens-là, ces
changements, qui sont peut-être moins
biologiques, mais quand même neurochimiques, moins de morts neuronales, mais
plus biochimiques, sont réels, sont souvent irréversibles.
Le défi, c'est la médication. Je vous donne
l'exemple bien particulier des maladies bipolaires. Il y a des gens qui font
des «highs», donc ils sont hyperheureux, et tout est beau, ils pourraient
grimper l'Everest, et deux semaines plus tard, ils sont en dépression sévère,
et ils oscillent comme ça. C'est pour ça qu'on appelle ça «bipolaire», ça se
promène d'un pôle à l'autre. Il y a des gens qui vont très, très bien répondre
à la médication, et ils vont vivre des vies tout à fait normales. Et vous avez
des célébrités québécoises qui l'ont dit ouvertement, et que vous connaissez probablement,
qui passent très bien au travers, mais il y a toujours un groupe, et ça varie
selon la maladie, c'est vrai en schizophrénie, c'est vrai en dépression, et
c'est vrai aussi en bipolarité, il y a toujours un groupe 100 % résistant
aux médicaments qu'on a, qui ne peuvent pas s'en sortir, et, par exemple, des
gens qui sont bipolaires, mais où, un jour, la portion dépression devient le
thème central de leur vie. Et on parle de dépression sévère avec envie de
suicide, là, presque quotidienne.
Je pense qu'il faut
comprendre que c'est une situation de douleur psychique extrême, que je
qualifierais au pire des maladies physiques. Et pour moi, ces situations-là,
parce que nous, la communauté médicale, on n'a pas de solution à offrir, ni
aujourd'hui ni dans le court terme, puis je ne suis pas certain qu'on va les
avoir dans le long terme, je pense que c'est
des situations comme celles-là qui méritent une évaluation individuelle, mais
qui devraient être permissibles à l'aide médicale à mourir. Dans un cas
où ça oscille, puis c'est sous contrôle, là, j'ai de la difficulté.
La Présidente (Mme Guillemette) :
O.K. Merci beaucoup, Dr Poirier. Je céderais la parole à ma collègue de Maurice-Richard.
• (9 h 50) •
Mme Montpetit : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Dr Poirier, merci d'être là ce matin. C'est vraiment extrêmement intéressant, ce que vous nous apportez
comme... votre expertise. Je m'en voudrais de ne pas le mentionner, mais
je trouve ça non seulement très rigoureux, très précis, très nuancé. Je pense
que, spontanément, vous avez répondu à
beaucoup de nos questions. Vous en ajoutez aussi, évidemment, dans notre
réflexion. Mais je vous remercie de vous
mettre ainsi à notre disposition pour répondre à nos questions, notamment sur
la démence, sur la maladie d'Alzheimer. Vous avez une précision dans vos
réponses qui est très, très appréciée.
Je commencerais d'abord... Donc, vous allez
avoir l'impression qu'on est peut-être obsédés par la question de la démence
heureuse, là, mais je pense que c'est parce qu'il y a plusieurs experts qui
sont venus nous parler de cette question-là.
Vous avez appelé ça la bienheurosité. Moi, je veux juste bien comprendre.
Est-ce que c'est un concept clinique,
la démence heureuse? Est-ce que ça veut dire que quelqu'un qui a une démence
heureuse n'a pas de souffrance? Parce que vous avez aussi dit que la
douleur, elle est présente tout au long de la maladie.
Donc, je voulais vous entendre, vraiment, sur
cette question-là, à quel point, tu sais... Parce que vous avez dit aussi : Des fois, ça peut être une journée,
ça peut être un moment dans une
évolution clinique. Donc, comme vous avez... vous êtes l'expert en
Alzheimer, là, je voulais bien entendre là-dessus.
M. Poirier (Judes) : Oui. Bon, écoutez, la démence heureuse,
c'est un constat médical qu'on voit à l'occasion. C'est vraiment, mais vraiment pas tous les patients
qui évoluent vers une démence heureuse. Si c'était le cas, honnêtement,
on n'en parlerait même pas ce matin. Ce qu'on... L'expérience qu'on a, puis je
vous dirais, de mes collègues sur le terrain, là, dans les CHSLD, collègues
médecins qui interagissent, ce qu'on m'a dit, c'est que la progression lente,
mais inexorable de la phase légère à modérée s'accompagne, à cette période-là,
d'une espèce d'éveil. S'il y avait, dans leur histoire personnelle, un parent,
un oncle, une tante avec qui ils ont vécu de près les derniers jours de la
maladie, là, on en revient à l'aspect dignité et cette douleur intangible, mais
qui est : Je ne veux pas mourir étouffé dans mes excrétions. Ceux qui
n'ont pas l'expérience n'auront probablement pas cette vision-là.
Et puis, bon, il y bien des gens, puis je vais
être franc être vous, c'est une des difficultés de mes collègues cliniciens qui
voient, par exemple, un conjoint puis une dame souffrant d'Alzheimer, puis le
conjoint dit au médecin : Dites-le pas à ma femme qu'elle a l'Alzheimer.
Bon, on est obligés de respecter ce voeu-là, mais ce n'est pas correct, c'est
de mentir, essentiellement, à la personne. Il y a des gens comme ça qui vont
longtemps évoluer dans un Alzheimer et qui
n'ont absolument pas conscience qu'ils en ont une, pour les raisons que je
viens d'expliquer ou parce que, très tôt, la déficience au niveau de la
cognition puis de la mémoire fait qu'ils ont oublié qu'ils ont eu un diagnostic
d'Alzheimer.
C'est sûr que dans cette situation-là, la
perception, la notion, le stress lié au diagnostic, bien, il n'est pas là. Et
de ce fait, ce qu'ils voient, c'est, bon, une perte progressive de leurs fonctions,
mais on ne se le cachera pas, avec une perte progressive de la fonction... des
fonctions cognitives, fonctionnement de tous les jours, bien, vous allez avoir beaucoup
de gens qui s'intéressent à vous soudainement, des gens qui, si vous vous en
allez vers de soins intermédiaires, bon, bien, ils vont vous aider, ils vont
vous aider à vous alimenter, tu sais. Essentiellement, là, vous allez vivre une
vie sociale, je ne parle pas de CHSLD, là, les gens vont s'occuper plus de vous
que dans les périodes avant votre diagnostic, mais, si vous ne savez pas que
vous avez un diagnostic Alzheimer, vous allez dire : Mon Dou! les
gens sont donc fins.
Ça fait qu'il faut faire attention, c'est... la
perception de la personne qui a sa maladie va dépendre beaucoup de son
expérience personnelle et comment elle a vécu son diagnostic, et la façon dont
les gens autour d'elle l'ont caché ou pas, et, de ce fait, perçoivent ou pas
qu'ils sont en pleine maladie neurodégénérative. Je ne jugerai pas si c'est
correct ou pas de le faire. Moi, j'ai tendance à dire : On devrait savoir
ce qui nous concerne même si on n'est pas toujours apte à bien réagir. Et ça,
c'est mon opinion.
Mme
Montpetit : Parfait. Puis je
voudrais essayer de... encore là, tu sais, je reprends ce que vous aviez
mentionné, vous avez dit, c'est ça : La douleur, elle est présente
tout au long de la maladie. Vous avez dit ça, tout à l'heure, dans votre
introduction, donc je veux juste essayer de bien comprendre les interventions
que vous avez faites entre ce que vous qualifiez de... vous nous avez parlé de
douleurs psychologiques...
M. Poirier
(Judes) : Oui.
Mme
Montpetit : ...vous avez
parlé de souffrances physiques aussi. Donc, sur l'évolution de la maladie, est-ce que...
la douleur elle est présente. Comment elle se ... Je ne veux pas dire :
Comment elle se quantifie, mais, dans
le fond, est-ce que la douleur, elle est là jusqu'à la fin? Est-ce
qu'elle est nécessairement liée à la maladie ou il y a une douleur, comme vous
disiez, quand on arrive à la fin de la maladie qui va être liée au fait
d'arrêter de boire, d'arrêter de manger, qui n'est pas
directement liée? Parce qu'on essaie de faire la part des choses, aussi, entre
souffrance et dignité, mais, si on y va vraiment sur la question de la
souffrance, est-ce qu'elle est présente dans... est-ce qu'elle est uniforme ou
est-ce qu'elle est présente dans tous les cas de démence ou d'Alzheimer?
M. Poirier (Judes) : Alors, on va commencer par la
faim. Si vous me demandez : Est-ce que mourir de faim ou de soif, qui est,
à peu près, la situation en fin de vie... Vous avez vu des gens dans des — comment
ce que je dirais ça? — contestations politiques se priver de soif
ou de faim pendant... Dans le cas de la faim, ce n'est jamais long parce que
vous êtes mort après deux semaines. Dans le cas de la soif, bien, le record, je
pense, c'est 30 ou 32 jours. Si vous avez vu ces gens-là,
à la fin de leur jeûne ou de leur... je veux dire, ces gens-là étaient
terriblement amochés et avaient vécu et vivaient, pendant plusieurs mois, une
terrible souffrance. Parce qu'ils ne peuvent pas l'exprimer dans la fin de la
maladie, ça ne veut pas dire qu'ils ne le vivent pas.
Pour ce qui est des
stades avant ça, je vous amène mon expérience personnelle quand ma mère m'a
demandé à deux reprises : Peux-tu m'aider à mettre fin à mes jours? Mon
père, à trois reprises. Ce n'est pas parce qu'il est heureux, c'est parce qu'il
souffre. Ça, c'est mon expérience personnelle. Comment est-ce qu'on peut quantifier
la souffrance psychique? Bien, je vous donnais l'exemple, tout à l'heure, des
bipolaires, bien, ça dépend du moment que vous allez choisir. Dans le cas de
l'Alzheimer, bien, ça dépend littéralement de la situation de la
dégénérescence, la portion du cerveau. Quel
aspect de leur personnalité a été dissous? Lequel, il reste? Et, dans ce
sens-là, je veux dire, c'est très
variable d'un individu à l'autre, mais ils s'en vont tous à la même place, avec
sensiblement la même vitesse,
sauf la forme jeune agressive génétique, et ils vont tous souffrir de la même
façon à la fin.
Mme
Montpetit : Puis vous m'amenez... je ne veux pas vous mettre en
porte-à-faux avec des collègues, mais vous avez peut-être entendu hier
l'audition de Dr Pageau, Dr Durand qui sont tous les deux gériatres, qui nous
disaient... Bon, ils nous disaient, en fait, je les cite, là, ils nous
disaient : Avec des soins adaptés, puis avec des soins empathiques, ça
peut enlever la douleur des gens qui ont de l'Alzheimer. Donc, leur posture était
vraiment sur si l'encadrement de soins est
présent, la souffrance peut être contrôlée au niveau de la maladie d'Alzheimer.
J'aimerais ça vous entendre réagir à cette posture-là.
M. Poirier (Judes) : Est-ce qu'on a les moyens? Moi,
écoutez, je me suis battu avec une infirmière qui avait décidé de mettre des
tubes à oxygène dans le nez de ma mère, en dépit de ses directives anticipées
de ne pas avoir d'acharnement thérapeutique. Le médecin n'était pas au courant,
le médecin de l'unité sur le CHSLD, et je me suis chicané avec l'infirmière en question pour finalement demander à voir le
directeur adjoint de l'hôpital, qui m'a amené au médecin, qui n'était à peu près jamais sur place, qui a finalement...
il a eu une bonne discussion avec l'infirmière en question. C'est super
beau de...
Écoutez, je travaille
avec la Fondation MIRA, on a mis au point un programme fabuleux avec des chiens
d'aide spécifiquement pour la maladie d'Alzheimer. Les effets, honnêtement,
sont fabuleux. J'aimerais ça donner un chien
MIRA à chaque Alzheimer. L'effet, là, croyez-moi, il y a des reportages qui ont
été faits là-dessus, c'est incroyable. Est-ce qu'on peut donner
35 000 $ de chiens à tous les Alzheimer, les
126 000 Alzheimer du Québec? Bon, écoutez, en théorie oui, on peut faire
plein de belles choses, mais la réalité du système québécois, c'est qu'on tire
de la patte, on tirait de la patte avant, puis on continue de tirer de la patte
pour ce qui est des soins offerts aux personnes âgées. Et c'est bien beau ces
choses-là, là, mais ça n'arrivera pas.
• (10 heures) •
Mme
Montpetit : Ça m'amène... Merci. Une dernière question, je vois le
temps qui file très rapidement. On parlait tout à l'heure, justement, de
l'évaluation de cette douleur-là, par exemple, s'il y avait une demande d'aide médicale à mourir pour respecter les directives d'un patient. Est-ce que la compréhension
de la maladie, de la souffrance, est-ce
qu'au niveau des médecins, justement, est-ce qu'elle est uniforme, parce qu'on
le voit déjà dans les témoignages que la réception, elle n'est pas du
tout la même, là. Donc, je souhaiterais vous entendre là-dessus également.
M. Poirier (Judes) : Oui. Écoutez, vous avez un
excellent point. Je vous donne un exemple concret. Il y a à peu près une quinzaine d'années, on estimait que
60 % des cas d'Alzheimer au Canada n'étaient pas diagnostiqués. Les
médecins de famille ne savaient pas quoi faire, et c'était le bon vieux :
Ah! bien ça, ça vient avec le vieillissement, inquiétez-vous pas, les pertes de
mémoire, c'est normal, vous avez 70 ans. C'était la réponse universelle.
Ça nous a pris 15 ans d'efforts, de
formations pour améliorer la situation, et je vous dirais que les médecins de
famille aujourd'hui sont excellents pour ce qui est de faire du
diagnostic, bon, pas très précoce, mais précoce.
L'expertise, c'est
vrai qu'elle est spécialisée, et les outils dont je vous parlais tout à
l'heure, je vous donne l'exemple de l'imagerie cérébrale, bien, ils sont très
coûteux, mais ils sont très utiles. Tous ces outils-là nous permettent, nous,
les experts, d'avoir une meilleure compréhension de la maladie, mais qui n'est
pas disponible aux médecins de famille, par
exemple, ou qui va se faire, mais dans les années à venir, avec une formation
adéquate. Ça fait que j'ai bien peur
que... on en revient toujours à la même chose, c'est qu'il y a formation et
investissement en formation.
Mme
Montpetit : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme
la députée. Donc, je céderais
maintenant la parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Il y a quelque
chose que vous venez... Bien, d'abord, merci, Dr Poirier, pour votre
contribution à nos travaux ce matin. J'ai trouvé ça bien intéressant. Mais il y
a quelque chose que vous venez de dire qui m'interpelle. Ma collègue de Maurice-Richard vous demandait de vous positionner sur certaines...
sur certains types de traitements dont on nous a parlé un peu plus tôt dans...
durant la commission, et vous avez dit : C'est bien beau, tout ça, mais on
n'a pas les moyens. Si on avait les moyens ou si on s'arrangeait pour avoir les
moyens de mettre en place l'ensemble de ces traitements-là, notamment du type
dont vous venez de donner en exemple, là, les chiens Mira d'accompagnement,
est-ce que ça changerait votre position sur l'aide médicale à mourir pour les
gens qui ont une maladie d'Alzheimer?
M. Poirier (Judes) : Ce serait fabuleux pour tous les
patients. J'aimerais qu'on puisse offrir ça à tous les patients. Est-ce que ça
veut dire qu'on maintiendrait le fait qu'on ne leur donne pas le droit de
décider de leur fin de vie? Ça, ma réponse est non. Et là c'est moins le
chercheur qui vous parle que celui qui est à haut risque et qui a vécu la
maladie deux fois comme aidant naturel jusqu'à la fin. Je veux ce choix-là. Si
je ne l'ai pas ici, je vais aller le chercher en Europe, mais je veux ce choix-là.
Je ne dis pas que je vais le faire, mais je veux avoir le choix. Et je
souhaite, si j'en arrive là, qu'on aura ces beaux programmes en place. Mais mon
expérience des 35 années qui viennent de passer me laisse perplexe quant
aux possibilités que quelque chose comme ça arrive.
M.
Nadeau-Dubois : La raison pour laquelle je vous pose cette
question-là, c'est qu'on a un intervenant, hier,
qui nous disait, au fond : On n'est pas en train de faire, comme société,
tout ce qu'on pourrait faire pour accompagner les gens avec démence dans
une fin de vie qui soit confortable, qui soit digne, on ne met pas en place
tout ce qu'il faut comme personnel, comme programmes, comme traitements, et
c'est un gériatre, il nous disait : Bien là, on est en train d'adopter un raccourci en mettant en place
des possibilités d'aide médicale à
mourir anticipée, alors qu'on n'a
même pas, disons, d'abord, mis tout
en place pour accompagner ces gens-là dans une fin de vie confortable et digne.
Qu'est-ce que vous répondez à cet argument-là?
M.
Poirier (Judes) : Écoutez,
je ne peux pas être contre la vertu, plus on en fera, mieux ce sera. Mon
expérience est basée sur le système québécois des dernières années, que
j'ai vécu de l'intérieur du CHSLD, de longues semaines en accompagnement de mes
parents. Oui, non, je ne suis pas contre la vertu, mais je suis réaliste. Je
travaille dans un CIUSSS, et un CIUSSS, je
ne vous cacherai pas, c'est une bête. Et c'est dur, de faire des changements de
philosophie et d'implémenter des changements, même au niveau des CHSLD.
J'aime beaucoup le
nouveau concept des maisons, mais ça ne va tellement pas avec la démographie
que... Qu'est-ce qu'on va faire avec les gens qui ne pourront pas rentrer dans
les nouvelles maisons des aînés, là? Il va y en avoir un méchant paquet, là.
Vous savez qu'on est à peine au milieu de la vague des baby-boomers qui ont
pris leur retraite. Il t'a un monstre qui s'en vient, là. On parle de
125 000 alzheimers aujourd'hui, on parle de 300 000...
250 000 à 300 000 en 2035. On n'est pas capables de
gérer ceux d'aujourd'hui, ça fait que je ne sais pas comment on va s'y prendre
pour le reste.
M.
Nadeau-Dubois : Je vous entends bien. Néanmoins, ça... je vous soumets
que c'est un argument qui est un peu à double tranchant. Parce que les
opposants à l'extension de l'aide médicale à mourir pour des demandes anticipées, c'est également l'argument qu'ils
font, c'est-à-dire qu'on est en train... socialement, on serait en
train d'adopter un raccourci pour affronter ce défi-là. Qu'est-ce que
vous en pensez?
M. Poirier (Judes) : Bien écoutez, prenons le cas de la
Hollande, prenons le cas de la Suisse, ça fait depuis 2005, ils ont aiguisé leurs épées, ils ont appris, se sont enfargés, se
sont relevés. Je vous ai dit, il y a une loi approuvée en 2005, la première fois, pour ce qui est de la
Hollande, et, finalement, dans le cas de la maladie d'Alzheimer et les...
les demandes anticipées ont passé l'étape de la Cour suprême, bien, il y a deux
ou trois semaines. Donc, ça a pris pas mal de temps avant qu'on fasse ce bout
de chemin là.
La Belgique et la
Hollande sont sensiblement, démographiquement, soumis aux mêmes changements,
aux mêmes ouragans démographiques des personnes âgées que nous. Non,
les autres ont réussi à faire le passage, et, comme je l'ai clairement
démontré, ce n'est pas un raz-de-marée de gens qui se sont précipités vers l'aide
médicale à mourir. Mais je pense qu'en bout
de ligne c'est une combinaison, oui, de dignité de fin de vie, oui, de problèmes
de... de douleurs psychologiques, mais, pour moi, au-dessus de tout ça, il y a
le droit personnel de choisir, et puis, si vous voulez ne pas le choisir, vous ne le choisissez pas puis
vous vivez le système comme il est.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Merci beaucoup, Dr
Poirier, c'est très, très éclairant, les propos de ce matin. Donc, merci pour
votre contribution à la commission.
Et nous suspendons maintenant les travaux pour
quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités.
M.
Poirier (Judes) : Merci.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci à vous encore une fois.
(Suspension de la séance à
10 h 08)
(Reprise
à 10 h 09)
La Présidente (Mme
Guillemette) : Donc, nous sommes de retour, merci. Donc, pour ce
deuxième bloc d'échange, aujourd'hui, nous accueillons le Dr Félix
Carrier. Donc, bienvenu parmi nous, Dr Carrier, merci d'avoir accepté
l'invitation de ce matin. Donc, vous aurez 20 minutes pour nous faire
votre exposé, et par la suite il y aura un échange de 40 minutes avec les
membres de la commission. Donc, dès maintenant, je vous cède la parole.
M. Félix Carrier
M. Carrier (Félix) : Merci beaucoup. Puis, je remercie
aussi la commission de permettre que je prenne la parole pour quelques minutes
pour exposer, finalement, certaines réflexions par rapport à l'évolution du
cadre de l'aide médicale à mourir.
Je suis
personnellement psychiatre puis j'exerce sur la Rive-Sud de Québec, à
l'Hôtel-Dieu de Lévis. Je fais aussi de l'intervention au niveau de
l'Université Laval, au niveau de l'enseignement, et, dans les dernières années,
là, il y a eu des occasions nombreuses, avec
des collègues, de réfléchir puis d'avoir des discussions sur la question de
l'aide médicale à mourir puis son
extension qui est anticipée, là, pour la psychiatrie. Donc, j'ai des collègues
qui ont cosigné le mémoire que j'ai soumis en appui à la présentation
puis qui ont été cruciaux, là, pour souligner les points qu'on veut remarquer aujourd'hui. Je vais juste
mentionner leurs noms : Drs Antoine Bertrand-Duchesne,
David Boivin-Lafleur, Jessika Roy-Desruisseaux puis aussi
François Primeau, donc, que je remercie.
• (10 h 10) •
Dans les prochaines
minutes, en fait, je vais faire quelques remarques préliminaires juste pour
situer le propos, voir de quel angle mon
intervention aborde la question de l'évolution de l'aide médicale à mourir.
C'est certain que l'on s'intéresse beaucoup, de mon côté, à la question
de la médecine et de l'aide médicale à mourir et de voir comment les enjeux qui
se suivent en médecine vont se répercuter en psychiatrie. On va conclure avec
quelques précisions, là, sur ce qu'on croit
qui pourrait être des remarques ou des préoccupations à souligner, certaines
propositions aussi pour la suite des choses.
Pour nous, ça, ça va
de soi, là, la société québécoise, depuis quelques années, elle autorise que la
mort de personnes puisse être provoquée à
leur demande, dans des contextes de souffrance associée à des conditions
médicales terminales. Mais on constate aussi que les conditions
recevables s'élargissent. Ça suit un mouvement de société, ça suit aussi
l'interpellation des tribunaux. Alors, pour notre intervention aujourd'hui,
c'est acquis que, dans une forme ou une autre, l'ouverture à provoquer la mort
d'une personne qui en fait la demande est là pour rester, au Québec. On n'est
pas dans une logique de remettre ça en question.
L'aide médicale à
mourir, elle suit aussi sa propre logique, puis ça mène, selon nous, à son
extension, qui est prévisible, avec des balises qui deviennent souvent puis
rapidement des discriminations, et on voit qu'actuellement on est à l'étape où
les troubles psychiatriques vont être recevables comme une qualification,
évidemment, là, si ça s'accompagne d'une souffrance qui va être jugée
inacceptable par la personne, si c'est conforme aux autres balises qui sont
existantes. Mais l'évolution, l'extension, on croit qu'elle est inéluctable.
Donc, c'est à ce
compte-là qu'on regarde la psychiatrie, de notre point de vue, comme vraiment
au même titre que les autres spécialités ou les autres disciplines médicales.
On a l'impression que les enjeux soulevés par l'aide médicale à mourir, en psychiatrie,
ne sont pas fondamentalement différents de ceux soulevés dans d'autres contextes, mais on a l'impression aussi que les
difficultés sont rehaussées, en psychiatrie, qu'elles doivent être confrontées
d'une façon plus explicite. Et tout ça tourne beaucoup
autour de la question, finalement, de la rationalisation médicale
des raisons de vouloir mourir, au-delà de ce qui est légitime pour la médecine
à endosser, selon nous.
Et puis, là où on
voit peut-être une chose intéressante à souligner, c'est... en fait, si on
accepte les prémisses de l'aide médicale à mourir dans son cadre actuel, les
réflexions qui suivent en sont passablement prisonnières puis produisent des
conclusions qui vont l'étendre ainsi que les problèmes qu'elle soulève. On en
vient souvent réduit à discuter seulement de
la logistique pour les prochaines étapes. Puis c'est là qu'on pense que
l'extension à la psychiatrie, c'est une occasion de questionner la
logique actuelle, le cadre actuel, au niveau de sa terminologie, de son intégration
à la pratique médicale puis de son assimilation en soins, finalement.
Notre
critique n'est pas juste limitée, finalement, à l'extension de l'aide
médicale à mourir à la psychiatrie, mais on pense qu'elle est plus nécessaire,
en fait. D'autant plus nécessaire si l'aide médicale à mourir doit s'étendre,
dans sa forme actuelle, aux maladies
qui ne seraient pas terminales, donc aux troubles mentaux, par extension, aux situations aussi diverses
qui interpellent les psychiatres.
Notre souci vient
aussi du fait qu'on voit cette transition-là comme un prélude, aussi, à des
demandes où la médecine n'aura probablement
plus grand-chose à dire, légitimement, bientôt. Puis à ce moment-là on croit
qu'elle ne devrait effectivement plus rien en dire, si ça ne l'interpelle pas
directement. Donc, on va préciser cette préoccupation-là dans les
prochaines minutes, mais, disons, c'est la séquence de préoccupations sur ce
qui concerne la médecine, la psychiatrie, éventuellement, ce qui sortirait,
même, de la psychiatrie.
Nos
remarques, on ne s'en cache pas, hein, ça interpelle une relecture qui serait
substantielle, là, du cadre puis de la conceptualisation actuelle de
l'aide médicale à mourir, mais on pense qu'elle peut effectivement être
repensée substantiellement pour le mieux, en respectant quand même les choix de
société qui ont amené l'ouverture actuelle, provoquer la mort de personnes qui
en font la demande, mais, de notre point de vue, en protégeant mieux puis en
distinguant mieux la profession médicale, son rôle puis son intégrité, puis pas
juste pour son propre bénéfice, pas juste pour le bénéfice de la profession
médicale, mais pour le bénéfice aussi de la société qui doit être servie par la
profession médicale.
Donc,
depuis sa mise en place, notre lecture de la situation, c'est que l'aide
médicale à mourir, elle a lié le destin à la médecine, ce qui ne devrait pas
être choquant, selon nous, vraiment pas, d'appeler l'euthanasie. Ce n'est ni
plus ni moins, pas plus, pas moins, qu'une action qui vise intentionnellement à
provoquer la mort d'une autre personne.
Clairement, aussi, la déontologie médicale a suivi rapidement le cadre qui
était proposé puis, à notre connaissance, ne l'a jamais réellement requestionné. Et ce cadre-là, la lecture qu'on
en fait, c'est qu'il rend nécessairement... sûrement que les médecins
renseignent les états du processus, mais ça les oblige aussi, au moins
implicitement, quand ce n'est pas explicitement, à valider l'option puis,
ultimement, convenir s'il s'agit d'une avenue médicale qui est appropriée pour
les patients qui en font la demande.
Autrement dit, le
cadre actuel inscrit l'euthanasie dans la pratique médicale, dans une logique
de soins, et c'est ça qu'on croit qui doit être examiné de façon plus attentive
puis critiqué, de notre point de vue, parce que c'est une situation qui
compromet, selon nous, le rôle des médecins, psychiatres comme non-psychiatres.
Ça les met dans des situations qui sont paradoxales, qui risquent de gêner leur
mission première, selon nous. Et puis l'extension des contextes autres que
terminaux à des situations où il y aurait des considérations psychosociales qui
peuvent devenir prépondérantes, à notre sens, ce n'est pas des nouvelles
difficultés, mais ça exacerbe les difficultés, ça les rend plus criantes.
De notre point de vue,
faire mourir, même avec compassion puis même avec bienveillance, ça ne se
réduit pas à soigner, ça ne soulage pas réellement. On a plutôt une lecture que
l'option de mourir, c'est une rupture avec les soins. Une rupture pas dans un
sens péjoratif, mais dans le sens que c'est une option qui est existentielle, d'abord
et avant tout, peu importe que la souffrance qui anime ce souhait-là provienne
de l'expérience stricte de la maladie, ou d'un sentiment d'indignité, ou d'une
perte, ou de dépendance, ou un sentiment de ruine, ou un mélange de tout ça, finalement.
Pour nous, l'enjeu central reste toujours qu'il s'agisse de faire mourir des personnes
qui jugent leur situation inacceptable puis, au final, que la société juge
aussi suffisamment pénible, ou pathétique, ou méritoire pour rendre cette
mort-là admissible.
On dit ça d'une façon
qui ne se veut pas du tout péjorative, mais on pense que c'est une lecture qui
est plus juste de ce qui est en jeu. Et comme la maladie atteint les personnes
d'une manière où leur existence entière est bouleversée, il ne faut pas
s'étonner que la gravité et que la persistance de la maladie, ça induise des
états puis des crises où l'existence elle-même est questionnée. Et il y a un
risque de penser de là que tout ce qui remet l'existence en question, ça puisse
ou ça doit être médicalisé. Et on croit que ce risque-là est bien réel.
Donc, l'euthanasie,
ou l'aide médicale à mourir, ou qu'on l'appelle même autrement, pour nous, ça
supprime l'existence et ça supprime, en fait, la possibilité de souffrance
comme de soulagement. Puis en parler comme une réponse médicale adaptée, comme
un soin ultime, comme une modalité de soulagement, encore une fois, pour nous,
ça relève plus de l'analogie que de la logique, à ce stade-ci. Et ça ne se veut
pas péjoratif de le présenter comme ça.
On comprend que
l'interpellation de la profession médicale, elle peut se comprendre pour un
ensemble de raisons pratiques, mais ça reste, selon nous, comme une
instrumentalisation qui devrait être circonscrite, devrait être nommée pour
éviter que la pratique médicale en tant que telle soit assimilée à la pratique
de l'aide médicale à mourir ou de l'euthanasie, sortir d'une logique puis
évacuer ce qui pourrait être une confusion, actuellement, évacuer aussi les
paradoxes, les dédoublements de rôles qui risquent de miner la profession
médicale, certainement la profession psychiatrique dans son rôle auprès des
patients puis auprès de la société.
Pour le résumer simplement,
notre remarque, c'est que seulement la médecine s'occupe de santé puis de maladie. L'aide
médicale, ce qu'elle met en jeu... l'aide médicale à mourir, ce qu'elle met en jeu, c'est la vie puis
l'existence. Puis on est dans deux ordres, dans deux registres différents...
(panne de son) ...qu'il ne revient pas à la médecine d'endosser, pour
une personne, que sa mort soit une réponse adaptée à sa condition, à sa situation,
pas médicalement, en tout cas.
On croit que la
psychiatrie doit être particulièrement vigilante quant à la voie dans laquelle l'aide
médicale à mourir risque de l'entraîner. C'est une discipline où le normal, le
pathologique doivent être constamment réévalués. Les problèmes proprement médicaux puis ceux, plus
généralement, de la vie se chevauchent, s'influencent constamment, en psychiatrie, et il y a plusieurs des détresses, finalement,
qui reflètent des crises personnelles, des crises psychosociales, bien plus que médicales, quand on les prend en
charge puis qu'on les suit sur des semaines, des mois, voire des
années.
Et la psychiatrie est
régulièrement sollicitée pour porter un regard sur les situations qui sont
complexes puis d'où émergent des pensées de mort, des souhaits de mort et des
demandes d'euthanasie ou d'aide médicale à mourir. Même avant que le cadre l'autorise, c'est déjà le cas. Et c'est le
terrain où il y a des réactions émotionnelles difficiles, il y a des circonstances difficiles, il y a des
traumatismes, il y a des enfances carencées, des échecs, des abus, des pertes,
donc c'est un terrain extrêmement dense où
il y a plusieurs enjeux simultanés qui vont souvent faire émerger les pensées,
les souhaits de mort.
Et finalement les
conditions psychiatriques majeures, celles qui sont le plus intenses quand
elles sont actives, bien, elles risquent, en fait, de disqualifier les patients
qui en sont atteints, parce qu'elles interfèrent tellement dans le jugement,
tellement dans le fonctionnement mental, qu'elles vont compromettre la capacité
à faire une demande qui va être recevable, à
moins qu'elles fassent éventuellement l'objet de directives anticipées,
évidemment, ou de demandes qui viendraient de tiers. Puis ça, c'est des
scénarios dont il ne faudrait pas se surprendre, dans une logique, en fait, qui
veut que personne ne soit laissé de côté puis qu'aucune souffrance ne soit
discriminée. On n'en est pas encore là, à notre sens, mais il ne faudrait pas
se surprendre qu'on y soit plus tôt que tard, alors on est déjà soucieux de ça.
Et les maladies
psychiatriques sévères, majeures, quand elles sont stabilisées pleinement ou
partiellement, elles restent quand même des conditions complexes sur lesquelles
il va peser des risques de rechute, des symptômes résiduels, des limitations,
stigma. Alors, clairement, comme psychiatres, on reconnaît puis on veut
souligner, en fait, le fardeau des troubles psychiatriques, qui est immense, la
souffrance associée à la perte de sens, la perte de contrôle, tout ça se greffe
sur l'espérance de la maladie psychiatrique.
On juge aussi que la maladie
psychiatrique, elle est marquée d'un double stigma : celui qui vient de
l'extérieur, celui qui vient de la société, qui porte un regard sévère,
qui valorise souvent la santé, la performance, au point des fois, même, de ne plus savoir nommer la maladie
mentale. Mais il y aussi un malaise plus insidieux, celui qui est plus
internalisé, qui mène, pour la propre personne... qui mène pour le regard de la
propre personne envers elle-même à la honte, à la culpabilité puis à la
détestation de soi. Ça, c'est les réalités qui interpellent la psychiatrie à
chaque jour. Et à ça s'ajoute le sentiment
d'impuissance puis de frustration, souvent, dans les moyens d'intervention puis
des ressources qui sont limités.
Il ne faudrait pas se
surprendre, encore une fois, si, dans des contextes comme ceux-là qui sont très
denses, très complexes, très chargés, que de demander la mort puisse apparaître
comme une option qui est légitime, qui est honorable, qui est responsable, à
plusieurs de nos patients, comme une voie qui permet de résoudre une impasse ou
même plusieurs des impasses dans lesquelles
ils se trouvent. Et puis c'est une réalité qui est fréquente en psychiatrie de
voir un apaisement qui est associé par la
perspective de la mort puis l'accès à des moyens de la provoquer. Et demander
à ce que cette option-là soit validée par
les psychiatres, par la profession, ça, c'est relativement inédit. Ça nous
place dans une situation qui va être intenable pour plusieurs.
• (10 h 20) •
Pour nous,
clairement, l'exercice de la psychiatrie doit être porteur d'espoir, doit
assumer la chronicité puis la récurrence,
doit maintenir un accompagnement, aussi, à travers l'adaptation, le
rétablissement puis la recherche de sens. Alors, que la psychiatrie soit
interpellée pour endosser ce qui pourrait être, justement, la suppression d'une
partie de ses patients, ça nous
apparaît réellement en contradiction avec le rôle thérapeutique premier que les
psychiatres doivent jouer. Et c'est
un rôle qui risque de se vider de sa substance, en étant obligé de se cliver
soit dans une posture d'endossement ou
d'antagonisme face à des demandes d'aide
médicale à mourir ou d'euthanasie,
comme on souhaite les nommer, finalement. Dans aucun des deux cas la
relation de soins n'est réellement préservée, selon nous.
Alors,
pour nous, ça fait du sens qu'un patient qui souhaite l'euthanasie, en
psychiatrie, demande à son psychiatre d'attester d'un diagnostic, des essais
thérapeutiques antérieurs, de ceux qui sont envisageables, d'un pronostic
global, même s'il est réservé, même s'il est
limité. Mais, pour la suite, on pense qu'il
y a... la réception des demandes,
l'arbitrage, à savoir si c'est
recevable ou non, devrait relever d'un avis extérieur au suivi psychiatrique,
un avis où les institutions, la société vont être représentées de façon plus claire, puis laisser les médecins traitants
jouer leur rôle dans l'accompagnement puis le soutien inconditionnel, la disponibilité
puis l'ouverture, vraiment, des... (panne de son) ...de soins
proprement dites, sans que ce soit une opposition, nécessairement, mais
clairement distinct de l'euthanasie ou de l'aide médicale à mourir, pour que les psychiatres ne se retrouvent, idéalement, jamais dans une situation ou dans un
rôle où ils auraient à dire à leur patient que la mort, c'est une avenue
indiquée, proportionnée ou justifiée médicalement pour lui. Même si,
socialement, ça peut être endossé ou... (panne de son) ...même si, socialement,
ça peut être reflété comme ça. Il faudrait
que le psychiatre puisse avoir un rôle qui est distinct, qui puisse le
préserver d'avoir à endosser une mort comme celle-là, la justifier
médicalement.
En
ce qui nous concerne, l'ouverture à la psychiatrie, c'est vraiment l'occasion
de réaliser que l'aide médicale à mourir, conceptuellement, n'a jamais
été réellement une réponse proprement médicale à des problèmes proprement médicaux. Selon nous, il s'est, en fait, toujours
agi d'une option qui pouvait être admise socialement, mais juste médicalisée
accessoirement. Puis c'est une option qui répond à un jugement, on le répète,
existentiel négatif par rapport à soi, à sa situation et à ses perspectives.
Dans un contexte où
l'ouverture à la psychiatrie pourrait aussi être le prélude à des demandes où
le contexte médical va être de moins en moins exclusif, ou évident, ou
prépondérant comme motivation, que cette évolution-là soit souhaitable ou non,
on pense que c'est impératif de renoncer à un ensemble de contorsions,
actuellement, qu'on peut faire pour faire répondre une aide médicale à mourir à
une logique de soins. On pense que cette démarcation-là nous prémunirait mieux d'un glissement logique qui pourrait faire passer
de la balise sociétale qui donne accès à une option de mourir à une
indication médicale d'être euthanasié.
Et puis, encore là,
je ne le dis pas de façon choquante, mais le raisonnement médical, la logique
de soin, c'est comme ça que ça fonctionne : en termes d'indications. C'est
comme ça que ça se raisonne. C'est un pli qui est très, très fort. Et puis un scénario où l'aide médicale à mourir commencerait
à se raisonner en termes d'implications, ça nous rend, évidemment, extrêmement inconfortables. Donc, de là vient notre
prise de position que l'euthanasie, même si on... lorsqu'on l'appelle l'aide médicale à mourir, ne
devrait pas se raisonner en termes médicaux, ne devrait pas participer à une
logique de soins ni en emprunter les termes. On pense que c'est... il y a un
risque de glissement dangereux pour la profession
médicale, certainement pour la psychiatrie, par rapport à la mission qu'elle
doit honorer pour la population.
Ce
qu'on croit, c'est qu'éventuellement il y aurait une place pour qu'il y ait des
comités, commissions, tribunaux qui représentent plus formellement la
société ou les institutions québécoises, qui devraient recevoir puis valider si
les demandes sont conformes au cadre légal, si elles sont recevables dans ce
sens-là, puis manifester ainsi clairement que
les demandes interpellent la société d'abord. Et la médecine, elle se verrait
instrumentalisée dans un rôle beaucoup plus circonscrit, qui pourrait
être tout à fait légitime pour renseigner les demandes qui requièrent des
qualifications médicales, attester
l'aptitude des personnes dont elle serait remise en question,
mais sans avoir à endosser la mort comme une réponse médicale
appropriée, ou indiquée, ou adaptée médicalement.
Ça serait une façon,
à ce moment-là, dans la relation thérapeutique, que le patient n'ait jamais à
convaincre son médecin qu'il vaudrait mieux pour lui d'être mort puis, pour le
médecin, ne jamais avoir à dire à son patient qu'il serait approprié pour lui
d'être mort. Le médecin pourrait être à l'écoute, pourrait être sensible à
cette option-là, mais ne serait pas dans le
rôle de l'endosser. Puis il y a une différence importante entre endosser cette
option-là dans son for intérieur versus l'endosser dans son rôle
professionnel, médical puis à l'intérieur de cette mission-là, thérapeutique,
qui est différente.
Puis finalement les
patients avec des troubles psychiatriques, comme citoyens qui peuvent
revendiquer leur droit à l'option d'aide médicale à mourir ou d'euthanasie, si
leurs circonstances puis leurs autres options ne sont pas acceptables, ils
devraient avoir une voie vers l'euthanasie qui est distincte de leur suivi
psychiatrique, qui interpelle directement la société, qui préserve la mission
des psychiatres auprès des personnes, selon moi, qui sont parmi les plus
souffrantes puis les plus vulnérables de notre société.
Et, si on regarde un peu plus loin, pour ceux
dont les psychiatres n'auraient éventuellement même plus grand-chose à dire
médicalement, il ne faudrait pas se surprendre s'ils se tournent quand même
vers les institutions, vers les tribunaux
pour revendiquer l'accès à l'aide médicale à mourir ou à l'euthanasie. À ce
moment-là, la société, elle devra assumer si elle endosse ou non
d'ouvrir l'euthanasie à des contextes ou à des motifs où les enjeux médicaux ne
seront plus présents puis renoncer, selon moi, à ce moment-là, à chercher des
prétextes psychiatriques qui pourraient masquer la nature profondément
existentielle de cette option-là.
Et puis donc
c'étaient les principales remarques que je souhaitais faire. On a fait un
mémoire, là, qui étaye un peu plus ces remarques-là. L'ensemble des commentaires que je fais, je les fais de façon très sereine, sans qu'ils se
veuillent provocateurs ou sans qu'ils
se veuillent choquants. Et puis, bien, je vous remercie de votre attention puis
du temps qui m'a été consacré.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Carrier. Je céderais la parole au député de
Chomedey.
M. Ouellette : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Dr Carrier. Je pourrais résumer, puis c'est parce que
moi, je n'ai vraiment pas beaucoup
de temps, je pourrais résumer votre présentation : vous hésitez et on le
sent. Et, dans votre mémoire, dans
vos conclusions, vous nous dites : Validons à l'extérieur toutes ces
autorisations-là, ça va nous permettre, nous, comme médecins, d'être beaucoup plus, un, légitimes et de travailler de façon beaucoup
plus sereine. Est-ce que j'ai bien
résumé votre position, là, des 20 dernières minutes? Et, vous savez, vous
avez sensiblement la même position que
les médecins avaient il y a six ans, quand on a commencé à parler de
l'aide médicale à mourir. Ça fait que je veux vous entendre là-dessus.
M. Carrier (Félix) : Merci. Oui, votre résumé, je pense qu'il est très
juste. Finalement, on souhaiterait qu'il y ait une meilleure distinction entre
ce qui est un jugement médical sur une condition médicale puis un jugement
global sur une situation existentielle difficile. Puis on pense que le
dédoublement ou la superposition de ces deux rôles-là créent des difficultés
puis, peut-être pas toujours, peut-être pas dans tous les cas de figure, mais
dans plusieurs scénarios peuvent rendre le rôle thérapeutique puis le rôle
médical en difficulté face à un patient qui fait une demande d'aide médicale à
mourir puis que valider cette option-là, endosser cette option-là, ça devient
un paradoxe par rapport à la disponibilité puis l'ouverture aux soins que le
médecin devrait recommander.
Et puis on
pense que de porter un jugement médical sur une situation globale qui remet en
question l'existence globale, on
pense que c'est au-delà de ce qui est légitime pour un médecin d'endosser, on
pourrait dire, philosophiquement, et
puis c'est au-delà de ce qui est légitime pour un médecin de porter comme
jugement. Plus qu'on s'éloigne, finalement, des conditions médicales
terminales, plus que ce jugement-là devient moins légitime, selon nous.
Et puis c'est
la société qui rend admissible cette option-là. On pense que les personnes qui
veulent s'en prévaloir devraient
pouvoir avoir aussi... faire face à l'institution et à la société, qui peut l'autoriser,
et que les médecins puissent renseigner,
être disponibles, pas se braquer ou antagoniser le processus, avoir un rôle qui
peut être dans l'accompagnement jusqu'à l'option d'euthanasie ou de l'aide
médicale à mourir, mais qui reste distinct, puis que cette distinction-là soit claire, soit explicite, pour ne pas qu'on ait
l'impression, finalement, que toute situation ou qu'une demande d'aide médicale à mourir, finalement, relève
d'un jugement médical. Parce que, dans bien des cas, ce qui fait intervenir
cette demande-là est très peu médical, finalement. Très important, la
souffrance est majeure, on est dans un registre qui est beaucoup plus
existentiel, puis la médecine n'a pas l'autorité sur les questions
existentielles, selon nous.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, M. le député. Donc, si je peux me permettre, Dr Carrier, vous ne verriez pas la nécessité que... s'il y
avait une équipe multidisciplinaire, qu'un psychiatre soit inclus dans la prise
de décision ou dans l'accompagnement, là, sauf médical?
• (10 h 30) •
M. Carrier (Félix) : Oui. Je verrais que les psychiatres puissent être
sollicités pour ce que j'appelle renseigner le processus, renseigner la demande, si elle exige des qualifications
médicales. S'il faut qu'un diagnostic psychiatrique soit nommé, le
psychiatre peut le faire. S'il y a une opinion psychiatrique sur la complexité
des enjeux où est-ce que la souffrance peut
intervenir, le psychiatre peut tout à fait donner une opinion, souvent
compétente, sur cette question-là. Mais endosser la demande puis dire
que, finalement, faire mourir, c'est une réponse médicale appropriée à situation
humaine difficile où la maladie peut être très présente, ou centrale, ou
accessoire, on pense qu'il y a un pas que la médecine ne doit pas franchir dans
l'endossement et la validation puis, encore là, dans leur rôle médical, parce
qu'au plan personnel on pourrait tout à fait juger qu'effectivement, si je suis
à la place de telle personne, ou je comprends, ou... Mais là on est dans un registre différent, dans le registre d'une
relation où il y a une relation médecin-patient qui est en place. Tu sais, ce qu'on pense dans notre for
intérieur est à distinguer, des fois, de ce qu'on a à mettre de l'avant dans
notre mission que d'une personne qui est en souffrance, puis cibler ce qu'on a
à dire par rapport à notre expertise, puis à notre compétence, puis à notre
champ d'exercices. Et puis on pense que, finalement, la question de l'aide médicale à mourir déborde de ce qu'un médecin peut
endosser vu que ça englobe la vie puis l'existence complète d'une
personne, pas juste sa situation médicale.
La Présidente (Mme
Guillemette) : O.K. Et on sait que la souffrance psychologique est
dure à évaluer, ne s'évalue pas, en fait.
Donc, j'aimerais... Vous préconiseriez la sédation plutôt que l'aide médicale à
mourir, de ce que je comprends de votre discussion.
M. Carrier
(Félix) : Je vois la sédation, donc, palliative, même terminale
vraiment comme quelque chose qui peut se comprendre puis se raisonner comme un
continuum ou une extension des soins dans la palliation. Je vois l'aide
médicale à mourir ou l'euthanasie — à mon sens, il y a vraiment
un chevauchement de ces deux concepts-là — comme vraiment une décision
où il y a une sortie d'une logique de soins, qui peut être légitime, qui peut
être compréhensible, qui peut être
rationnelle, ce n'est pas ça la question, mais vraiment qu'il y a une option
qui implique de sortir d'une logique de soins.
Et puis peut-être certains cas de troubles
mentaux sévères pourraient répondre à une logique de sédation palliative terminale, peut-être d'autres
pourraient relever d'une ouverture à l'euthanasie, mais c'est le moment où il y
a une ouverture à l'euthanasie qu'on
pense qu'il y a une rupture d'avec une logique strictement de soins, puis que
ça ne peut pas reposer juste sur la profession médicale d'arbitrer, puis
de juger, puis d'endosser ça. On pense que ça crée vraiment... ça assimile à des soins quelque chose qui est plus un
jugement qu'on n'en veut plus, de ces soins-là, et on veut une intervention qui est dans un registre
différent, puis qui interrompt l'existence, et tout ce qui vient avec,
souffrance, comme option
thérapeutique, comme possibilité de soulagement, parce que ce n'est pas
acceptable, parce que c'est trop lourd, parce qu'on n'y croit pas.
Mais la
souffrance psychiatrique, elle est énorme, elle va certainement générer des
demandes de mourir. En fait, c'est des gens, statistiquement, qui se suicident
fréquemment. Et, pour plusieurs, ça peut être une façon d'avoir accès...
une façon de mettre fin à leur vie sans être
dans la clandestinité, sans être dans des conditions qui sont sordides, sans
risquer que les proches les retrouvent. Donc, il y a plein de raisons
puis plein de rationnel à ça. Mais l'endossement d'en faire une décision médicale ou une question médicale, on pense vraiment
qu'il y a une délimitation à faire et on pense que la conceptualisation de l'aide médicale à mourir devrait reconnaître
qu'il y a un... on tombe dans un registre différent. Là, on tombe dans
une superposition de rôles qu'il faut mieux circonscrire, selon moi.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
M. Caron (Félix) : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) : Je
céderais la parole au député de Mégantic.
M. Jacques : Bien, merci, Mme la
Présidente. Dr Carrier, je vais continuer un peu dans la même veine, là,
que ma collègue, là, de Roberval. On parle de gens qui... bon, on parle de
suicide. Tu sais, si les gens sont rendus à ce
point-là, c'est difficile pour eux. C'est qu'ils ne sont plus capables de
vivre, là, dans leur maladie. Vous dites, de l'autre côté... et j'ai entendu hier aussi qu'il y a
des... les cas liés à la psychiatrie, il y a un psychiatre qui nous a
dit : Je ne connais pas aucun de
mes patients qui pourrait requérir à l'aide à mourir, à l'aide médicale à mourir. Donc, c'est quoi, le juste milieu entre
tout ça?
M. Carrier
(Félix) : De mon côté, j'ai en fait plusieurs de mes patients,
je pense, que, souvent, ce que je comprends
du cadre actuel de l'aide médicale à
mourir, pourraient se qualifier sur
la base qu'ils souffrent énormément, qu'ils ont des conditions médicales
psychiatriques bien diagnostiquées avec déjà un long recul d'interventions qui sont partiellement efficaces, ou des rechutes, ou
des traitements, des fois, qui ont des effets, même, indésirables qui ne
sont pas acceptables et qui ne sont pas dans des états complètement perturbés
au point où il y aurait une altération de jugement
ou inaptitude. Donc, je pense que, dans les faits, il y a certainement une
partie des gens en psychiatrie qui pourrait satisfaire aux qualifications
d'avoir une maladie sévère, réfractaire, une grande souffrance et puis avoir un
jugement qui est suffisant pour faire une demande, qui est apte.
Là où je vois une difficulté, c'est que ça soit
au psychiatre traitant de dire à la personne qu'effectivement la mort va être
une réponse médicale adaptée à cette situation-là. C'est une réponse ou une
option qui va être admise socialement, qui va être endossée socialement. On
pense que c'est des conditions qui ont le mérite puis qui ont ce qu'il faut pour être admissibles. Et puis le
psychiatre peut attester de tout ce qu'il faut pour que cette demande-là puisse
suivre, mais il ne devrait pas, dans son
rôle de psychiatre, dire à la personne qu'effectivement son état justifie une
réponse médicale qui est d'être supprimé, finalement.
L'ouverture,
la disponibilité, le soutien, l'accompagnement, les options thérapeutiques
restantes, le psychiatre devrait rester en disponibilité pour ça. Et je
ne parle pas d'antagoniser ou d'argumenter contre l'option de l'aide médicale à mourir ou l'euthanasie, si le patient
en fait une demande qui est légitime, mais ces demandes-là, finalement, finissent par être arbitrées puis reçues par une
instance différente qui ne sera pas le psychiatre traitant. C'est vraiment là que
je vois une confusion de rôles, un dédoublement de rôles puis des jugements, en
fait, qui ne s'articulent pas très bien sur ce qui relève de la médecine puis
sur ce qui relève de, finalement, dire : Ce que la médecine peut m'offrir par rapport à ma situation n'est pas suffisant, ne
me convient pas, puis je cherche une voie différente qui va mener à ce que je n'existe plus dans cet état-là, finalement.
Puis je ne pense pas que ça serait aux psychiatres de dire :
Effectivement, médicalement, c'est la bonne réponse à vous donner. Ce
n'est pas une réponse qui est médicale. C'est une réponse, techniquement, qui peut être médicalisée : le
geste, la procédure, la paperasse, il y a plein de choses que le cadre médical
peut tout à fait rendre efficaces,
prévisibles, imputables, mais c'est une question qui est plus au niveau
philosophique, au niveau conceptuel. Est-ce que c'est une
réponse médicale adaptée à un problème médical? En fait, c'est une réponse
existentielle qui supprime l'existence à une
évaluation globale négative qu'une personne fait de sa situation, qui est juste
un morceau de ça qui est réellement médical, finalement.
Moi, je parle plus d'aller
distinguer ces rôles-là, distinguer qui endosse, pour que le psychiatre puisse
se réserver une place qui reste entièrement
thérapeutique face au patient, puis qui peut l'accompagner jusqu'au bout d'une
démarche d'aide médicale à mourir, parce que, finalement, le médecin traitant
n'a pas besoin de dire : Si vous voulez l'aide médicale à mourir, je ne
vous vois plus, je ne vous suis plus, je ne donne plus de rendez-vous. Il y a
plein de choses qui peuvent se passer que le psychiatre doit rester pleinement
présent puis disponible. Mais l'endossement, envoyer le signal, le regard, le
reflet que... à un patient que vous êtes une personne, effectivement, que... je
regarde la situation puis je pense que,
médicalement, la chose qui s'impose, c'est que vous soyez mort à ce stade-ci, à
mon sens, c'est quelque chose qui est une rupture par rapport au
raisonnement médical. Puis appliquer une logique de soins, une logique
d'indication à des situations comme celles-là, je crois que c'est une zone où
on est mieux de ne pas aller, tout simplement.
M. Jacques : Je
voulais aller du côté... Vous avez parlé de regard externe de la population,
des autres... des gens de la famille, aussi.
Est-ce que vous pensez qu'il pourrait y avoir des gens qui sont victimes de maladie
mentale, je peux le dire comme ça, qui pourraient être forcés ou qui
pourraient être influencés par leur famille, par leurs proches, par la communauté de dire : Tu es... tu sais,
on n'est plus capables de s'occuper de toi, on ne veut plus s'occuper de toi,
tu es... arrête ça, là? Vous ne pensez pas que ça pourrait être un débat
dangereux ?
M. Carrier (Félix) : Bien, j'ai mes préoccupations, évidemment, de ce côté-là. Ce n'est
pas... Je ne cherche pas à voir de la
malveillance ou des mauvaises intentions plus qu'il faut, mais je parlais tout
à l'heure du double stigma qui pèse sur la maladie en général, mais sur
la maladie psychiatrie peut-être encore plus, à la fois du regard externe, du regard des collègues, des proches, parfois même
des soignants, hein? Je ne vous cache pas qu'il y a des situations où, à
force de se sentir impuissant, à force que
ça rechute, à force que ça ne fonctionne pas, parfois, le sentiment
d'impuissance peut devenir lourd.
Mais il y a aussi tout ce que la personne elle-même va internaliser, de ces
regards-là, de ces reflets-là, des fois même de ses propres préjugés sur
la maladie psychiatrique, avant que la personne devienne malade, hein? Ça peut
arriver que tout ça, finalement, suit puis hante la personne, et puis, à ce
moment-là, qu'il y ait une pression explicite, peut-être, là on tomberait
dans quelque chose qui est franchement malveillant, mais
qu'implicitement il y ait un regard,
des reflets, un momentum qui souligne que ça pourrait être intéressant, que ça
pourrait être adapté, que ça pourrait être
à considérer, que finalement, peut-être, ça... On peut facilement être dans une
logique ou dans une... dans des dialogues où cette option-là est
moussée.
• (10 h 40) •
Et ça peut se
faire de façon très insidieuse, très implicite. Ça peut être très rationnel
aussi, mais, encore là, il y a un risque d'une pression qui pourrait
être forte, peut-être indue. Mais, rendu là, est-ce que c'est des raisons de
refuser un accès mur à mur à des gens qui
ont des troubles de santé mentale? C'est là que, dans mon rôle de psychiatre,
je me vois aussi dans le rôle d'essayer de représenter, de faire valoir
les droits des patients que je suis, leur autonomie puis la reconnaissance de
leur souffrance.
Donc, de dire que ce serait un non strict sur la
base que c'est... il y a des risques qu'il y ait une pression indue sur une partie des gens, au total, ce ne serait
pas un argument suffisant, mais les
préoccupations sont quand même là. Puis d'avoir des mécanismes pour être
à l'affût de ça, être vigilant, lever... signaler s'il y a des situations où on
pense le moindrement qu'il y a quelque chose de malsain ou il y a une pression,
ça, je crois que ce serait une prudence... élémentaire
à avoir. Mais, face à ça, il y a des gens qui vont vouloir faire des demandes
légitimes qui ne sont pas contraints plus que ça, puis je ne crois pas
que ça puisse être un frein complet pour l'extension, moi, je pense, qui est
prévisible à la psychiatrie.
Puis, encore là, je parle d'un dédoublement de
rôles qui est un peu compliqué. C'est que, même pour protéger mon rôle auprès
de mes patients, j'aurais tendance à dire que ce serait mieux qu'on ne
s'embarque pas du tout là-dedans. Mais, en même temps, j'en ai, des patients
dans ma clinique, qui me demandent régulièrement où c'en est, est-ce qu'ils sont admissibles, où est-ce que ça s'en va, et
je ne me vois pas non plus leur dire qu'on ne peut pas avoir la discussion sous prétexte que ce n'est pas
encore ouvert, là. C'est des
discussions que j'ai avec des patients depuis déjà quelques années, finalement.
Puis il y a des gens dans tout ça qui n'ont pas l'air d'avoir des pressions
plus que ça, sinon que celles qu'elles-mêmes se mettent.
Puis le
sentiment d'être un fardeau, le sentiment d'avoir une perte de perspective, pas
accepter un état où il y a de l'invalidité ou de la récurrence, ça,
c'est fréquent, ça, c'est très, très, très fréquent, puis ça ne pèse pas beaucoup
dans les décisions ou dans les désirs de
mourir. Le sentiment d'être un fardeau, perte de perspective, perte de sens, beaucoup.
M. Jacques : Dr Carrier, je vais
vous arrêter parce que j'ai des collègues, là, qui veulent prendre... qui
veulent vous poser certaines questions. Donc, je vous remercie. Et merci, Mme
la Présidente.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Donc, je céderais la parole maintenant à la députée
de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci,
Mme la Présidente. Merci, Dr Carrier.
Vous êtes très éclairant ce matin. Et j'ai une petite question par
rapport à... Je comprends très bien le rapport du psychiatre, toujours l'espoir
de trouver une solution par rapport à une situation que
le patient vit avec sa santé mentale. Advenant qu'il y aurait un élargissement
de l'aide médicale à mourir pour les personnes qui sont atteintes de troubles
mentaux, je comprends très bien aussi que peut-être que ce n'est pas le psychiatre qui est traitant
qui devrait prendre... peut-être encourager le patient parce qu'il est toujours
dans l'espoir de l'accompagner puis de
trouver une solution. Qui que vous pourriez suggérer qui pourrait voir s'il y
aurait possibilité que le patient soit admissible?
M. Carrier
(Félix) : Il y aurait probablement moyen que... En fait, ça
n'exclut pas que ça soit un médecin ou peut-être même un... je parlais de
comité, commission, un tribunal. Psychiatrie, on est... on fait souvent face,
par exemple, au Tribunal administratif pour des gestions de dangerosité, où, finalement,
il y a des personnes qui prennent un rôle très formel, administratif,
souvent qui vont recouper un avocat, un travailleur social, un psychologue ou
un psychiatre, et puis qui vont aviser, par rapport à leur mandat, si certains
critères sont remplis, si certaines conditions sont requises ou ne le sont
plus. Ils prennent un rôle où ils ont une autorité, ils ont la légitimité aussi
pour faire cet arrimage-là puis cet arbitrage-là entre, des fois, de
l'information médicale, des contextes médicaux complexes puis certaines
missions que la société ou que les institutions leur donnent.
Et puis ils ont un rôle qui est détaché du
patient, au sens où ils ne sont pas impliqués dans une démarche de soins, mais ils ont à représenter des
institutions, représenter un cadre légal, être à l'écoute des différents
enjeux, voir si les éléments qui sont soumis sont conformes. Et puis il
n'y a pas de confusion dans leur rôle à ce moment-là. Ils ont une mission qui est pleinement axée sur la bonne
administration puis la bonne détermination de qu'est-ce qui doit être fait
dans des cas de dangerosité, comme on l'a mentionné, mais dans un cadre qui
serait l'admissibilité à l'aide médicale à
mourir ou à l'euthanasie. Ce ne
serait pas, probablement... Ça pourrait être une instance qui répondrait à ce
rôle-là avec beaucoup moins de confusion, beaucoup moins de dédoublement
de rôles, beaucoup moins de risque de paradoxe.
Et puis le psychiatre pourrait être appelé à
témoigner à une audience comme celle-là et dire ce qu'il en est, médicalement,
de la situation de cette personne-là. Mais cette personne-là aurait aussi, la
personne concernée, à dire ce qu'il en est
de sa situation globale puis de l'ensemble des raisons qui motivent son option.
Et je ne verrais pas beaucoup d'antagonisme
à ça non plus. Le psychiatre n'aurait pas à se mettre pour ou contre la
démarche. Il pourrait la renseigner, si elle a besoin de l'être,
refléter ce qu'il pense qui est pertinent, médicalement, à dire de la situation
et respecter qu'il y ait une zone où,
finalement, ce n'est pas à lui de juger, où ce n'est pas un regard médical qui
est éclairant, mais un regard qui est beaucoup plus global, puis que la
personne concernée et peut-être d'autres personnes qu'elle souhaiterait faire
intervenir pourraient mieux... mieux transmettre, finalement. Il y aurait une
réserve, il y aurait une pudeur sur ce que
le psychiatre se permet de dire ou non sur ce qui n'est pas médical par rapport
à son patient, finalement, ou ce qui l'est peu, ou ce qui l'est moins.
C'est un exemple qui me vient en tête, mais ça
pourrait être un psychiatre aussi qui agit à titre, en fait, de... d'évaluer si une demande est admissible ou
recevable, mais qui serait dans un rôle distinct, qui ne serait pas le
psychiatre traitant. Et il y a
probablement plusieurs cas de figure qui pourraient être adaptés, qui seraient
à discuter ou à travailler, et qui
permettraient de dénouer le dédoublement de rôles, qui pourraient prendre la
forme d'un premier avis, deuxième avis,
troisième avis, mais qui finissent toujours, en fonction de cette façon-là, par être un avis
médical qui confirme que l'indication, elle est là. Et c'est de ça, je
crois, qu'il serait souhaitable de se sortir, de cette logique-là.
Mme
Hébert : Parfait.
Puis, dernière petite question, êtes-vous d'avis que ça soit une option
seulement dans des circonstances
exceptionnelles? On a entendu Dr Gupta, qui nous disait que c'était
minime, le nombre de personnes qu'elle pouvait envisager que, peut-être,
ils pourraient recourir à ce genre de demande là puis qu'il y aurait une suite.
Êtes-vous de cet avis-là aussi?
M. Carrier
(Félix) : C'est difficile pour moi d'avoir un avis là-dessus
parce que mon opinion, c'est qu'il y a plusieurs situations qui pourraient
probablement rentrer dans les balises. Parce que des gens qui ont des
conditions pénibles, difficiles,
récurrentes, invalidantes, avec des diagnostics psychiatriques, il y en a plein
nos hôpitaux, plein nos cliniques. Donc, de penser qu'il y aurait juste certains de ces cas-là
qui pourraient être admissibles, peut-être à court terme, mais, si on voit le mouvement actuellement, le momentum où... Je mentionnais que les balises
deviennent, personnellement, des
discriminations. Si on pense un tout petit peu à l'avance, je ne verrais pas
que ça soit exceptionnel tant que ça. Puis je pense qu'il faut plutôt se
préparer à voir qu'il y aurait... il va y avoir plusieurs demandes qui vont
nous apparaître légitimes, recevables, rationnelles. Et, de proche en proche,
je ne verrais pas pourquoi cette extension-là s'arrêterait tout d'un coup à quelques cas exceptionnels ou quelque
cas peut-être qui sont exemplaires de ce qu'on pense être un
cas d'aide médicale à mourir pour la
psychiatrie. Le mouvement des dernières années n'est pas dans ce sens-là, de toute façon.
Donc, réserver ça à des cas exceptionnels, j'ai
l'impression que ces cas exceptionnels là vont être ceux dont d'autres vont
suivre, finalement. Je pense qu'il faut avoir une vision qui prévoit la suite
logique des choses, la suite prévisible des choses. Puis je ne veux pas être...
Je ne dis pas cela avec un caractère aggravant ou pour se faire des peurs, j'ai
l'impression qu'on est dans un mouvement, qui est assez rapide puis assez
prévisible, d'extension, puis qu'il faut voir s'il y a un... probablement que
ça sort de la médecine un petit peu plus que maintenant, pas parce
qu'initialement c'était pleinement une question médicale, mais parce
qu'actuellement, peut-être, cette contorsion-là, que j'appelle, pour que ça
fitte dans une logique médicale va être de plus en plus difficile à maintenir
puis plus problématique à maintenir.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Carrier. Merci, Mme la députée. Nous continuons nos
échanges avec le député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum :
Merci, Mme la Présidente, et merci, Dr Carrier, pour vos interventions.
Deux choses qui m'interpellent. Dans un premier temps, c'est connu, maintenant,
que nous sommes devant l'obligation de répondre à l'absence du critère «fin de
vie», ce qui nécessite, en quelque part, au moins une discussion étoffée sur
les cas très graves de maladies mentales.
L'autre réalité, nous sommes devant une loi au Québec, actuelle, qui situe l'aide médicale à mourir à la fin, mais
bien insérée dans le continuum du soin. Ça, c'est un fait, actuellement. Devant
ces deux faits, nous sommes confrontés par l'obligation, et vous l'avez dit,
l'obligation très sérieuse de nous imposer une prudence très, très réelle en tout ce qui a trait à la santé mentale. Et nous
sommes conscients que tout ça impose un fardeau et une responsabilité
très réels sur les médecins, dont les psychiatres, qui sont médecins.
Je vous
invite à clarifier, pour moi et peut-être pour mes collègues, comment ce fardeau et cette
responsabilité devant un cas de santé
mentale très grave, les critères qui restent pour l'instant, la souffrance,
l'horizon d'une moindre possibilité de guérison, consensus, peut-être,
autour de la famille que cette personne veut, clairement et lucidement, avoir l'aide
médicale à mourir... pouvez-vous
clarifier pour nous pourquoi et comment vous voyez le fardeau du médecin
psychiatre de façon très différente que l'oncologue, l'omnipraticien qui
accompagne son client, son patient?
• (10 h 50) •
M. Carrier
(Félix) : Personnellement, je ne vois pas le fardeau comme
étant fondamentalement différent. Puis, au contraire, hein, ma réflexion sur l'aide
médicale à mourir vis-à-vis la médecine en son ensemble n'est pas différente de ma réflexion par rapport à la façon
dont elle interpelle la psychiatrie. Je crois plutôt que les difficultés sont
rehaussées en psychiatrie. Elles sont peut-être plus saillantes en psychiatre.
Mais, à mon sens, le malaise, pour un oncologue, de déterminer pour son patient
qu'être mort est une réponse médicale appropriée à son état est tout aussi problématique que pour un psychiatre de le dire à
son patient. Mais le type d'enjeu, le type de contexte, probablement,
peut nous faire penser que, dans un cas, c'est plus simple, puis, dans un cas,
ça l'est moins, probablement, peut nous faire
penser que dans un cas, c'est médical, c'est clair, et dans un autre cas, ce
l'est peut-être moins, mais, au final, c'est toujours un jugement sur l'existence globale,
c'est toujours un jugement sur la perte de sens, perspective, un
sentiment global d'indignité, de dépendance ou de perte d'option. Et
puis, encore là, à mon sens, l'oncologue ne devrait pas être plus à l'aise ou moins à
l'aise qu'un psychiatre de déterminer, médicalement, que mourir est une réponse
médicale pour son patient qui est
adaptée. On est à une étape qui est conceptuelle. On est dans une délimitation
qui est vraiment au niveau de
c'est quoi, qui est médical, qu'est-ce qui ne l'est pas.
Si on va du côté de la psychiatrie, là, au
niveau de la psychiatrie, les gens qui vont faire des demandes qui pourraient
être recevables ne seront pas dans des états psychiatriques complètement
désorganisés ou en perte de contact avec la réalité. Ça va être dans des états
trop gravement altérés pour qu'un jugement puisse être formulé. On tombe, dans
tous les cas, dans des situations où, maladie grave ou plus ou moins grave, il
va y avoir un niveau de stabilité puis un niveau de jugement qui va être
suffisant pour qu'une demande puisse être formulée, raisonnée. Donc, les maladies sévères, instables,
psychotiques vont disqualifier les gens d'emblée, quand elles sont actives,
pour être admissibles, ça, ça me semble assez clair, à moins, comme je le
disais pendant ma présentation, qu'il reste l'objet de directives anticipées
ou de demandes qui viendraient d'un tiers. Donc, à ce moment-là, on va avoir
des gens qui sont dans des situations où les
symptômes sont relativement stables, ou, en tout cas, contrôlés suffisamment
pour qu'ils puissent juger de leur situation, juger de leur état, juger
de leurs options, juger de leur traitement puis déterminer si c'est une
existence, une situation globale qui est acceptable ou pas pour eux. Donc, nos
demandes vont toujours intervenir des gens
qui sont, au minimum, dans un état assez stable pour exprimer des choix, des
préférences puis raisonner sur leur
situation. Que la maladie soit sévère ou pas, le niveau de stabilité qui doit
être requis va être quand même important pour qu'une demande puisse être
formulée puis puisse être recevable.
Et puis là on
va tomber dans les jugements qui deviennent très personnels. La personne avec
la même dépression récurrente,
réfractaire, même type de symptômes, même type de réalité au quotidien, l'une
pourrait juger que cet état-là est inacceptable pour elle puis que
l'option de mettre fin à son existence est la suite logique, acceptable pour
elle, et une autre, avec des symptômes, d'un point de vue psychiatrique,
relativement dans le même registre, pourrait avoir une opinion différente. Et
je pense que ça reflète bien à quel point, rendu là, on est dans quelque chose
qui n'est pas tant une détermination
médicale de qu'est-ce qu'est le diagnostic, qu'est-ce qu'est l'état actuel,
mais comment la personne voit son
état global, juge ses perspectives, juge ses options et puis formule un
jugement sur son existence, à ce moment-là. Et puis, que le cadre
légal...
M. Birnbaum : Docteur, comment c'est
un jugement sur l'existence si on parle d'un constat validé de souffrances interminables, peut-être une constance
lucide et apte d'une vie où, malgré des traitements de toutes sortes, malgré, peut-être, une volonté de subir des
traitements de toutes sortes, l'horizon de... est négatif? Les constats, peut-être, dans l'exemple du
psychiatre présent, serait que cette personne est résistante à tout traitement,
et je ne vois aucunement une possibilité d'amélioration, consensus de la
famille... On n'est pas dans le conceptuel.
Dans cette situation, j'essaie de comprendre si
vous voyez une distinction dans... en ce qui a trait à vos responsabilités
vis-à-vis un oncologue, devant quelqu'un dont la souffrance, l'expérience, est
pareille pour des raisons dites physiques.
M. Carrier
(Félix) : Le fardeau au niveau de l'opinion psychiatrique
devant quelqu'un qui a une condition bien diagnostiquée puis assez claire, des
traitements appropriés qui ont donné peu de résultats, va pouvoir dire avec un
bon niveau de certitude que le pronostic est réservé ou mauvais. Peut-être pas
avec le même niveau de certitude qu'un oncologue pourrait dire qu'un cancer
d'un certain type, à certaines phases, va entraîner la mort dans un délai très
court, pas avec ce genre de certitude là, mais avec un bon degré de certitude.
La
distinction que je fais, c'est qu'à aucun moment où un psychiatre aurait à
déterminer qu'un pronostic va être réservé ou vraisemblablement mauvais pour un
patient, il va pouvoir dire : De là, sa mort devient une réponse médicale
adaptée. Ce jugement-là revient au patient à faire, et il revient à la société
de décider si elle l'endosse ou non. Mais on sort de ce qui est un jugement
médical. C'est ça qui est conceptuel, à mon sens. C'est qu'on est dans deux
ordres différents, dans deux niveaux différents, dans deux logiques
différentes. Et puis, de conclure que la mort est une réponse médicale adaptée,
ce n'est pas un jugement qui revient au médecin de faire, logiquement. C'est
vraiment ça qui est le centre de mon argument.
Mais qu'un médecin
puisse renseigner le processus ou un psychiatre puisse dire d'un patient qu'il
a une maladie sévère, difficile à traiter ou pas possible à traiter de façon
réaliste avec les outils qui ont déjà été déployés, ça, je pense qu'il va
pouvoir le déterminer avec un bon niveau de certitude, avec tout le poids de sa
responsabilité professionnelle, comme il doit émettre ce genre de jugement là
dans une variété d'autres contextes. Ça, c'est ce que j'appelle renseigner le
processus. Donc, il va renseigner le processus de façon, je pense, très
adéquate puis faire les nuances, mettre les zones d'incertitude, là, qui sont
requises en évidence, mais il ne devrait pas arbitrer si, de là, la mort est
une réponse adaptée. C'est le patient qui doit exprimer cette demande-là, et
puis la réponse doit venir, selon moi, d'une instance qui est hors du suivi psychiatrique.
M. Birnbaum :
Alors, est-ce que je comprends que vous écartez, en quelque part, la
possibilité d'un jugement médical d'un
psychiatre? Que, compte tenu de l'absence de traitements raisonnables, compte
tenu de l'absence d'une façon de palier à la souffrance de la personne, compte
tenu de ses volontés, et dans un cas où cette volonté, son aptitude
d'exprimer cette volonté soit claire, vous écartez la possibilité qu'un
psychiatre médecin pourrait faire un jugement que, sur le soin continu, c'est
de mise et c'est une option légale, qu'une telle personne soit accompagnée par
un psychiatre dans ses voeux d'avoir recours à l'aide médicale à mourir.
M.
Carrier (Félix) : Oui. Je pense que le psychiatre va être en mesure d'attester, d'affirmer si le critère
médical est rempli ou non. À ce moment-là, c'est sûr que ça va... il y a
un engrenage où la conclusion que le patient va être admissible risque d'aller de soi, à moins qu'il y ait d'autres enjeux
majeurs qui le disqualifieraient par
rapport aux autres balises qui
seraient applicables. Et ce que je dis, c'est que ce jugement-là, qu'au-delà de
dire que le critère médical qui est requis légalement est rempli, de dire que
c'est une indication médicale appropriée, on tombe dans ce que moi, je considère être un jugement qui est hors de la
médecine. Qu'un médecin, je le disais, hein, ou un psychiatre, dans son for intérieur, peut avoir... à
titre de citoyen, à titre de personne humaine, il pourrait avoir bien des opinions sur
bien des choses, mais est-ce qu'il peut le dire, médicalement, légitimement par sa profession, son
expertise? C'est limité, finalement, à
ce que... la qualification médicale, est-ce
qu'elle est remplie ou non. S'il y a
une qualification médicale qui est requise puis si on vient à un moment où l'extension de l'euthanasie nous
entraîne à une étape où il n'y aura pas de qualification particulière qui est requise, je pense que le médecin ne devrait pas avoir à dire qu'il y a des raisons
médicales s'ils n'en ont pas attesté.
Mon
argument anticipe des situations où la médecine n'aurait pas grand-chose à
dire, de toute façon, à des demandes. Et puis, à ce moment-là, on pense
qu'elle ne devrait rien dire du tout.
M. Birnbaum :
Si je peux... Comment, dans l'éventualité que les critères soient, avec grande
prudence, élargis pour, en quelque part, permettre le recours à l'aide médicale
à mourir dans les circonstances très, très graves, comme médecin, comme
psychiatre, comment vous vous comporterez devant un de vos clients qui auraient
indiqué son souhait? Est-ce que vous le référerez à un autre psychiatre pour
qu'il soit accompagné? Et, compte tenu que vous ne serez pas en mesure de décharger vos responsabilités de continuer à
accompagner cette personne, comment vous réagirez? Et comment vous
conseillerez vos collègues de réagir?
• (11 heures) •
M. Carrier (Félix) : Comme la forme que prendra... puis
comme les balises qui seront requises pour les personnes qui feraient une
demande d'aide médicale à mourir ou d'euthanasie en contexte de troubles
psychiatriques n'est pas encore, disons, si claire, je ne veux pas trop
spéculer sur ce que je ferai ou ce que je ne ferai pas. Mais ce que je fais actuellement, c'est que j'ai
des discussions avec plusieurs de mes patients qui sont déjà
actives depuis déjà plusieurs
semaines, plusieurs mois, même des années, sur l'opportunité, le scénario où
ils souhaiteraient que leur mort soit
provoquée dans un contexte médical pour ne pas avoir à se suicider de façon
clandestine ou de façon un peu sordide
chez eux. Ces discussions-là sont déjà présentes, sont déjà très ouvertes, en fait,
sont incluses puis évidemment
elles sont invitées dans le suivi que j'ai avec mes patients pour ne pas qu'il
y ait de tabous d'aucune façon, pour ne pas
qu'il n'y ait rien qui soit impossible à discuter ou à aborder. Et le défi que
je perçois depuis déjà plusieurs mois et des années par rapport à ça, c'est
d'arriver à délimiter ce qui est une démarche de soins, une démarche
thérapeutique, un rôle psychiatrique au sens fort du terme, et puis le
reflet que l'endossement de cette option-là envoie au patient, et puis comment ça devient difficile d'articuler à la
fois de valider une option de cesser de vivre, de mourir, ce qui serait
essentiellement la même chose que de valider un patient dans son souhait de se
suicider, à ce stade-ci, en psychiatrie.
Là, on parle d'une
étape où il y aurait une possibilité pour le patient que son souhait de mourir
puisse être encadré puis mené à terme dans un contexte plus encadré, plus
officiel, avec un meilleur décorum, certainement, puis pas tout le côté
clandestin ou sordide, là, que les suicides prennent parfois. Mais actuellement
le regard qui est porté et le reflet qui est
porté reste quand même de valider quelqu'un dans un choix de mettre fin à son
existence, et puis ça, c'est extrêmement difficile de bien articuler ça
avec l'ouverture puis la disponibilité pour des soins.
Une voix : ...
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Merci beaucoup,
Dr Carrier. Je passerais maintenant la parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Carrier, pour
votre contribution cet avant-midi. Elle est intéressante, elle est essentielle,
puis elle est complémentaire à d'autres expertises que nous avons entendues.
Je veux, d'entrée de
jeu, vous sensibiliser au fait qu'on travaille ici, à la commission, avec un
mandat qui est circonscrit par une motion
qui a été votée par l'Assemblée nationale. Et donc nos travaux se concentrent
sur deux questions, celle des demandes anticipées en cas d'inaptitude,
puis celle des gens souffrant de troubles mentaux. J'accueille avec beaucoup
d'ouverture votre commentaire plus général sur la structure conceptuelle de
l'aide médicale à mourir, mais mes questions vont porter sur des enjeux qui
sont plus précisément à l'intérieur de notre mandat.
Une
des représentations qui nous a été faite, et j'aimerais entendre votre avis de
psychiatre sur cette question-là, c'est que les gens qui font des
demandes anticipées d'aide médicale à mourir, et là je suis davantage dans le
volet inaptitude de notre mandat, à un
moment où ils sont, disons, en pleine possession de leurs aptitudes, là, de
leurs capacités, qui font donc une demande anticipée d'aide médicale à
mourir, le font en ayant une idée, font une projection de quel sera leur état
au moment de recevoir l'aide médicale à mourir. Cet état-là change dans le
temps, et vient un moment par la suite où il
faut exécuter la demande ou la directive de la personne, puis, à ce moment-là,
la personne n'est plus apte à vérifier si c'est véritablement ce qui
s'est passé, autrement dit si sa projection de son état, c'est ce qui s'est
réalisé.
Et un des arguments
qu'on nous a présentés dans les derniers jours, c'est l'idée selon laquelle,
puisque la personne qui a fait la demande de
consentement anticipée n'existe plus, entre guillemets, puis qu'elle est
remplacée par une nouvelle... un nouveau soi qui existe dans les
nouvelles circonstances qui sont celles de l'inaptitude, que donc le
consentement donné à l'avance n'est plus valide, puis qu'on en revient à
substituer le consentement à, au fond, on pourrait
dire une autre personne. Qu'est-ce que vous pensez de cet argument-là,
êtes-vous d'accord avec ça, est-ce qu'on est dans une situation de
consentement substitué?
M.
Carrier (Félix) : Je crois
que c'est délicat parce que, finalement, il y a... il faut être de bonne foi,
je pense, dans tout ça, puis l'enjeu
que vous soulevez par rapport aux directives anticipées, c'est un enjeu qui
s'applique à toute situation où il y a des directives anticipées, c'est que
c'est toujours très difficile de se projeter avec exactitude puis dans des circonstances précises de ce que sera la
situation qu'on anticipe. Finalement, on anticipe un morceau ou un aspect
de cette situation-là, puis il y en a plusieurs autres, en fait, qui peuvent
évoluer, qui peuvent être différents ou que... Et puis à ce moment-là ça
devient compliqué de déterminer à l'avance, exactement, comment est-ce qu'on
jugerait d'une situation qu'on anticipe du mieux qu'on peut, mais peut-être pas
parfaitement ou peut-être pas avec tous les détails qu'on souhaiterait,
d'anticiper exactement ce qu'on dirait puis ce qu'on déciderait à ce moment-là.
Et puis ça vaut la
peine, éthiquement, de réfléchir à ça, que parfois, quand la demande qui est
faite de façon anticipée, elle fait
l'hypothèse ou elle assume beaucoup, beaucoup de choses puis plus que ce qu'on
peut raisonnablement penser qu'on peut anticiper, peut-être que ce n'est
pas approprié d'ouvrir une directive anticipée à quelque chose qui est trop
incertain. Mais il faut être de bonne foi aussi, il faut accepter que, dans le
fond, c'est vrai pour toute situation où il y a des directives anticipées, puis
il faut voir que, finalement, il faut essayer d'avoir un degré de certitude qui
est proportionné aux enjeux, finalement.
Puis, si la projection que la personne fait, elle est quand même limitée, très,
très prévisible, très circonscrite, probablement que cette directive
anticipée là peut être recevable, parce que finalement le saut qui est fait, la projection qui est faite est
relativement limitée. Dans d'autres cas, la projection qui est faite va être
très lointaine, très hypothétique, va
prendre pour acquis plusieurs choses, puis là on peut dire que, finalement, c'est tellement incertain, c'est tellement hypothétique que
d'accepter que c'est une directive anticipée, ça va être, disons,
problématique, puis peut-être ça serait mieux de s'en abstenir en disant
qu'il y a trop de choses qui peuvent changer, trop de choses qui peuvent
évoluer, puis que la projection ne permet pas d'être un minimum certain que ce
serait encore ce que la personne penserait,
à ce moment-là, dans les circonstances qu'elle a anticipées. Donc, c'est plus
une question de prudence, mais je ne
pense pas que ça disqualifierait l'option des directives anticipées, mais je
pense que la difficulté est énorme.
Puis dès que la
projection est moindrement lointaine ou hypothétique, disons, quelqu'un
dit : Si je fais une rechute de ma dépression ou d'une manie psychotique,
mettons qu'on parle de psychiatrie, puis que ça arrive 20 ans plus tard,
puis qu'on n'a pas rediscuté, reprécisé, puis regardé c'était quoi, l'idée de
la personne par rapport à quand elle avait fait la directive anticipée puis au
moment où c'est rendu, je pense qu'à ce moment-là c'est difficile à tenir comme
mandat. Mais, si la projection est très, très limitée, puis là on tombe dans
des situations qui sont peut-être moins pour
la psychiatrie, on parle plus d'un certain niveau de déclin cognitif, là, la
projection peut être assez précise, les paramètres un peu plus objectifs, je
n'endosserais pas nécessairement plus que ça, mais, disons, le saut à faire
serait beaucoup moins lointain. Puis de dire que cette directive anticipée là
est recevable, ça tiendrait mieux éthiquement, certainement, que quelque chose
qui est très incertain, très lointain, plusieurs années d'avance, puis sans
qu'on sache trop la forme que ça prendrait,
puis là de s'arrêter à ça. Puis, disons, quelqu'un dirait : Si je fais une
rechute de dépression, je veux qu'on
me supprime, si ça arrive 10 ans plus tard dans un contexte personnel très
différent, je ne pense pas que c'est approprié de sauter sur l'occasion
pour dire : C'était ça, le souhait, puis on procède.
Une voix :
...
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Carrier. Merci beaucoup,
cher député de Gouin, c'est tout le temps que nous avions. Et je
passerais la parole à la députée de Joliette. Mais avant, j'aurais besoin du consentement de tout le monde, on dépassera de
peut-être une minute ou deux, là, donc j'ai besoin du consentement de
tout le monde.
Des
voix : ...
La Présidente (Mme Guillemette) : Consentement. Donc, Mme la députée, vous pouvez y
aller, la parole est à vous.
Mme
Hivon : Oui. Bonjour, Dr Carrier. Je veux bien
comprendre votre propos quand vous dites que le médecin doit avoir un
rôle beaucoup plus extérieur dans le processus. Est-ce que, pour vous, c'est
quelque chose qui serait applicable uniquement dans les situations de demande
d'aide médicale à mourir en contexte de troubles mentaux ou si c'est une recommandation générale que vous
faites, y compris dans le type de cas qu'on a vécu depuis plusieurs années?
M.
Carrier (Félix) : Mes
remarques s'appliquent, d'après moi, de façon plus importante à des cas de
maladies qui sont dans la durée, qui
sont sans le critère de mort raisonnablement prévisible, qui ne sont pas
limités à la psychiatrie, mais à des
conditions pénibles, persistantes avec le sentiment de perte, déchéance,
indignité, où il y a une durée qui permet probablement aussi de passer par des instances différentes, comme je disais, pas pour que le psychiatre ou
le médecin se dégage du processus, mais plutôt qu'il le renseigne là où il doit
le renseigner, qu'il accompagne son patient dans tout le processus s'il
le souhaite, je pense que ce serait même souhaitable, mais que l'arbitrage puis
l'endossement de la décision d'être... de
cesser d'exister, on assume que c'est quelque chose qui sort du... qui sort de
la détermination médicale puis que ce ne soit pas au médecin de l'endosser ou
de le valider, même si ça peut avoir bien du bon sens puis que ce soit
très rationnel.
• (11 h 10) •
Il y a un momentum
qui fait que pour les maladies terminales, où le pronostic est de quelques
heures, quelques jours, de passer par trop d'administratif, trop d'étapes, trop
de logistique, peut-être c'est impraticable mais, à ce moment-là, ce n'est pas parce que ça serait moins pertinent, mais
c'est parce que ça va... ça reviendrait probablement à empêcher le
processus. Puis là je comprendrais que ce n'est pas... ça ne peut pas se gérer
dans des délais très courts comme ceux-là.
Mais, quand on parle, de toute façon, d'un besoin de recul puis d'évolution sur des
mois, voire des années, de penser que
des instances différentes pourraient avoir le rôle d'endosser ce qui est
socialement le cadre qui a été voté, ça,
je crois que c'est réaliste de l'envisager. Même si je ne suis pas juriste,
puis le détail de ça, puis la bonne articulation de ça serait
certainement un gros dossier, je pense que c'est quand même ce qui serait
souhaitable.
Et puis je ne me
cache pas que l'intervention que j'ai faite aujourd'hui est dirigée aussi sur
les prémisses de l'aide médicale à mourir dans sa formulation puis son cadre
actuel, puis la façon dont c'est intégré puis assimilé à des soins. Je
comprends que c'est un point de vue qui est exigeant par rapport au cadre
actuel puis qui est critique du cadre actuel, mais pas pour le mettre de côté
dans le sens que ça ne doit plus arriver, on prend pour acquis que le
processus, il est là, mais de l'articuler différemment pour mieux circonscrire
ce que les médecins ont à en dire et pas à en dire dans... surtout dans la
façon dont ça évolue.
Mme
Hivon : Donc,
vous, en fait, c'est un peu le critère est-ce
qu'on est en fin de vie, ou mort
raisonnablement prévisible, ou si on ne l'est pas qui serait l'élément
déclencheur, je dirais, d'une approche un peu différente, même si vous remettez à la base même, de ce que je
comprends, le contexte du continuum de soins de fin de vie. Puis là-dessus
je veux juste porter à votre attention que
c'était une notion qui avait d'abord été amenée ici par le Collège des médecins, donc, cette idée d'un continuum de soins appropriés quand on
est en fin de vie.
Et moi, je comprends
que, quand on sort d'un contexte de fin de vie, ça amène beaucoup de
questionnements différents. Donc... Mais je
comprends que vous n'êtes pas tant sur la philosophie des choses, mais sur
l'aspect pratico-pratique, parce que vous remettez en cause l'ensemble
de l'oeuvre, mais sur l'aspect pratico-pratique, vous dites : Faisons une distinction, peut-être, quand on est en fin
de vie versus pas en fin de vie pour cette approche que vous nous
soumettez aujourd'hui. J'ai bien compris? O.K.
Donc,
ça m'amène juste à ce qu'on avait beaucoup entendu. Parce que, dans le fond, ce que vous dites par rapport à en ce moment, c'est que les médecins
vont continuer à jouer ce rôle-là, dans ce cas-ci, troubles mentaux, les
psychiatres, mais au lieu, eux-mêmes,
avec le premier avis, le deuxième avis, peut-être même un troisième avis, si on
suit la suggestion qui nous
est faite par l'association, vous dites, dans le fond, ça pourrait être la même
chose, mais, ultimement, il faudrait qu'il y ait une instance externe, un
comité, un tribunal qui vienne le dire. Mais où je suis moins, c'est quand vous dites que, si vous le faites, si vous portez
jugement sans instance externe, c'est comme si vous endossez, comme s'il
y avait un jugement moral sur le fait que ça puisse être approprié ou non,
alors que, dans les faits, vous allez faire le même geste, à savoir, devant une
instance, au bout, avec votre deuxième ou votre troisième collègue, est-ce que
les critères sont remplis ou non. Donc, c'est là que je veux comprendre, pour
vous, où est la différence fondamentale.
M.
Carrier (Félix) : C'est la
différence entre dire que les critères sont remplis pour que vous soyez
admissible et les critères sont remplis pour que ce soit une réponse
adaptée puis appropriée pour vous. C'est un signal qui est fondamentalement
différent qu'on envoie au patient, entre accepter de renseigner médicalement ce
qui est leur état médical, en fait, c'est de
faire un constat, puis entre partir de ce constat-là puis envoyer le signal
que, de là, la mort est une réponse médicale appropriée. Il y a vraiment
un saut, à ce moment-là, qui est très différent, puis un saut puis une
différence qui prend tout son sens dans la façon dont les relations de soins se
mettent en place puis s'entretiennent, puis
la façon dont les options sont reflétées, sont validées, sont endossées, de la
façon dont on a une logique aussi d'aborder les choses en termes
d'indications puis d'options thérapeutiques.
D'inclure l'option de mourir comme une option
thérapeutique, ça envoie littéralement, réellement un signal que ça peut être
une réponse médicale adaptée à une problématique médicale, alors qu'on est dans
une réponse qui est dans un autre ordre. Et puis c'est
une subtilité peut-être de loin, mais de l'intérieur de la relation de soins,
c'est, en fait, une différence énorme sur la posture qu'on a dans notre
intervention et sur le respect qu'on a, la tolérance qu'on a, l'ouverture à cette option-là qu'une personne peut discuter
avec nous. Mais sans dire que, dans mon rôle médical, je crois que c'est
une réponse médicale appropriée, c'est une... vous êtes dans un état médical
qui est admissible, et puis... mais je suis
là, encore là, pour vous, je vous suis, je suis disponible, que ce soit cette
option-là que vous preniez ou pas, mais, dans mon rôle médical, je ne vous
refléterai pas que la mort est une réponse adaptée à votre situation. Médicalement, dans la relation de soins, c'est une
différence qui est majeure, pour en faire l'expérience régulièrement.
Mme
Hivon : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Mme la députée. Merci beaucoup, Dr Carrier, merci de votre
contribution à nos travaux aujourd'hui.
Et, compte tenu de l'heure, je suspends les
travaux jusqu'à 13 h 30. Merci, Dr Carrier.
M. Carrier
(Félix) : Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 11 h 15)
(Reprise à 13 h 31)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Bon après-midi à tous. Donc, la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi
concernant les soins de fin de vie reprend ses travaux.
Donc, la commission
est réunie virtuellement afin de procéder... afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions
publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Cet après-midi,
nous avons l'honneur d'accueillir M. Simon Courtemanche, qui sera
accompagné du Dr Guillaume Barbès-Morin, ainsi que la
professeure... le Pr Jocelyn Downie, Dr Pierre Gagnon, accompagné de
Dr Bertrand Major, et le Pr Brian Mishara.
Donc,
accueillons, sans plus tarder, M. Simon Courtemanche et le
Dr Guillaume Barbès-Morin. Merci
beaucoup d'avoir accepté notre
invitation aujourd'hui. Donc, vous disposez de 20 minutes pour nous
faire part de votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange de
40 minutes avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la
parole.
Association des médecins psychiatres
du Québec (AMPQ)
M.
Courtemanche (Simon) :
Merci, Mme la Présidente. Je tiens
aussi à remercier les membres de la commission
pour l'invitation à recevoir mon témoignage, et j'aurai le plaisir de partager
avec le Dr Barbès, avec qui, entre autres collègues, nous avons élaboré la
réflexion à l'AMPQ.
Je me présente, Simon Courtemanche, et je suis
usager partenaire depuis 2017 avec le CISSS de Laval. Rapidement, un usager
partenaire, c'est une personne qui a un parcours significatif dans les services
de soins et de santé. J'ai été impliqué notamment dans le projet de
démonstration Aire ouverte et au développement du volet santé mentale du site
Discutons Santé. Je suis aussi actif avec l'équipe du Bureau du patient
partenaire de l'Université de Montréal pour l'animation des cours de collaboration
en sciences de la santé et aussi un atelier d'éthique pour les étudiants en
médecine. J'ai été interpelé par le bureau du partenariat patient, qui
connaissait mon parcours et mon intérêt sur le sujet de l'aide médicale à
mourir, pour la santé mentale, et ils m'ont référé à l'Association des médecins
psychiatres du Québec, l'AMPQ.
Je suis présent aujourd'hui à titre de collaborateur
à la réflexion produite par l'AMPQ sur l'AMM, une réflexion qui a été présentée
notamment au Sénat et au Forum national sur l'évolution de la loi concernant
les soins en fin de vie. Notre réflexion a inclus la production d'un sondage
auprès des médecins psychiatres, une recension des écrits pertinents, une revue
des législations et du cadre réglementaire des autres juridictions, une
réflexion éthique et clinique. Les collaborateurs à la réflexion ont été la
Dre Gupta, que vous avez reçue vendredi dernier, qui présidait le comité aviseur, le Dr Barbès, qui est avec moi
aujourd'hui, Dr Kolivakis, Dre Roy-Desruisseaux,
Dr Villeneuve et M. René
Cloutier, qui est directeur général du Réseau Avant de craquer. Je suis aujourd'hui heureux de vous présenter le fruit
de cette réflexion en compagnie de Dr Barbès, psychiatre et président par
intérim de l'AMPQ, à qui je cède la parole.
M.
Barbès-Morin (Guillaume) :
Oui, bonjour. Bonjour, Mme la
Présidente. Bonjour, les membres du
comité. Juste vous mentionner... Moi,
je suis psychiatre généraliste à Rouyn-Noranda,
puis c'est un peu en cette qualité-là que j'étais sur le comité de l'AMPQ. Au-delà d'être président intérimaire,
j'ai une expertise qui fait en sorte que, des fois, je permets de ramener dans la vraie vie, là, hors
des grands centres universitaires, les décisions qui sont prises, puis les
enlignements.
Alors,
rapidement, je vais vous parler du contexte légal, là. Je ne vais pas trop
m'étendre trop longtemps là-dessus, dans l'évolution du contexte légal
récent, parce que probablement qu'il y a plein de gens qui vous en ont parlé
déjà, et que vous êtes, de toute façon, plus
experts que moi en la matière. Quand même mentionner qu'à l'origine notre
démarche, de l'association, vient
d'une demande du Dr Michel Bureau, de la commission des soins de fin de
vie, en décembre 2019, puis ensuite du Dr Yves Robert, du Collège
des médecins du Québec.
Lors de son dépôt, là, en
février 2020, juste avant la pandémie, là, le projet de loi C-7 excluait
d'emblée les gens qui avaient uniquement des problématiques de santé mentale.
Alors, le travail de notre comité s'est amorcé dans ce contexte-là, avec
l'objectif, d'une part, de réfléchir aux balises, advenant que le législateur
change de position à cet égard-là, mais
aussi d'essayer de voir dans quelle mesure c'est pertinent qu'il y avait ce
genre de discrimination. Comme de
raison, maintenant, les choses ont changé à l'égard de la mise à l'écart des
gens qui ont seulement une problématique de santé mentale, mais ça ressort de notre rapport, cette
préoccupation-là. Le rapport, comme Simon l'a... M. Courtemanche
l'a mentionné tout à l'heure, a été déjà déposé à différents endroits, incluant
le forum de la commission des soins de fin de vie, là, en décembre dernier.
Aujourd'hui,
notre objectif, ça va être d'essayer d'illustrer de façon plus clinique, là,
compte tenu de nos expertises complémentaires, les éléments fondamentaux
de la discussion, soit, en particulier, la distinction entre une demande
rationnelle de cesser de souffrir et la suicidalité, par ailleurs, l'évaluation
de la souffrance constante et insupportable, la
notion d'incurabilité et irréversibilité, mais, tout d'abord,
M. Courtemanche va débuter avec la notion fondamentale de
l'aptitude à prendre des décisions dans le contexte de l'AMM.
M.
Courtemanche (Simon) : Oui,
et, pour l'aptitude, on avait identifié une grande question,
qui est comment est-ce qu'on s'assure... s'assurer qu'une personne aux
prises avec des troubles mentaux puisse consentir de manière éclairée, libre et
éclairée, ce qui nous amène à avoir certaines valeurs, des craintes
différentes, qui sont compatibles. Il y a, d'un côté, la peur de victimiser la
population vulnérable, mais ce sur quoi j'aimerais attirer votre attention,
c'est qu'encore une fois il y a un grand danger de stigmatiser la maladie, de
stigmatiser la maladie mentale, de bafouer l'autonomie, de bafouer
l'autodétermination, et surtout de délégitimer la souffrance. Puis on ne veut
pas aller vers ça en disant que la santé mentale, en fait, cette souffrance-là
est moindre que d'autres types de souffrance. Pour ce faire, il faut pouvoir exercer un jugement libre et éclairé. Le côté
libre, je vais y revenir un peu plus tard, mais il faut que l'idée
initiale vienne de la personne puis ne pas qu'il y ait des pressions
extérieures. Le côté éclairé, c'est que ça doit amener l'aspect de réflexion
que la personne doit avoir avec cette idée-là, puis toute la notion d'aptitude,
que je vais laisser le soin au Dr Barbès de bien définir pour nous.
M.
Barbès-Morin (Guillaume) :
Merci. L'évaluation de l'aptitude à consentir aux soins, c'est déjà un
processus qui est omniprésent puis déjà
bien balisé dans la pratique médicale courante au Québec, là, comme ailleurs
aussi, et ce, tant dans les problèmes de santé physique que dans les
problèmes de santé mentale, qui sont, de toute façon, souvent entremêlés. Ça fait que, fondamentalement, on
présume que les Québécois de 14 ans et plus sont en mesure de prendre
des décisions, sont aptes à prendre des décisions éclairées pour eux-mêmes.
Par contre, dans certaines situations cliniques,
on va vouloir évaluer de façon formelle, à l'aide de critères cliniques qui
sont déjà bien décrits dans nos guides de pratiques, là, que ce soit le guide
du Collège des médecins ou d'autres guides, comment faire ça. Les approches qui
sont connues et utilisées jusqu'à maintenant mettent beaucoup l'emphase sur les
habiletés cognitives. Donc, comment la personne est-elle capable de comprendre
l'information et d'apprécier l'information? Donc, l'apprécier, ça peut vouloir
dire comment la personne est capable d'appliquer, là, ce qu'elle sait à sa
propre situation, à sa propre personne, pas juste un modèle théorique, en plus
d'être en mesure... Est-ce qu'elle est
capable de raisonner adéquatement, de soupeser les risques, les bénéfices
relatifs, et justifier son choix, et, finalement, d'exprimer son choix
de façon constante?
Dans le
contexte de l'AMM, c'est un peu différent, parce qu'on évalue d'emblée
l'aptitude au lieu de présumer qu'elle est présente. Lorsqu'il y a une
problématique significative en santé mentale, ça doit aussi teinter
l'évaluation de l'aptitude, et on doit
prendre en considération d'autres facettes, comme par exemple les réactions
émotionnelles, les dynamiques
interpersonnelles, les valeurs personnelles ou encore une perception de soi qui
a pu être façonnée au fil des ans, au fil des épisodes de maladie, puis
qui viennent teinter de façon significative l'évaluation de l'aptitude. Tout ça
peut avoir, donc, cette perception de soi
puis avoir un impact significatif, négatif, positif parfois, sur la vision des
options qu'on propose puis la capacité à porter un jugement.
• (13 h 40) •
Au sein de notre comité, il y avait une chose
qui était très claire, c'est que, dans le doute, lors de l'évaluation de
l'aptitude, on devrait d'emblée ne pas aller de l'avant. Lorsque les
évaluateurs ne sont pas d'accord, il ne faut pas procéder, comme c'est déjà le cas actuellement, de toute façon.
Présentement, les personnes qui ont des comorbidités entre un trouble mental et
des problématiques physiques ne sont pas exclues d'emblée de l'aide médicale à
mourir. Elles sont déjà évaluées actuellement.
Ce sont des situations cliniques complexes, par
contre, souvent plus complexes que lorsqu'il y a seulement qu'une problématique
de santé mentale, mais on considère que nous avons actuellement les outils pour
faire ces évaluations, et, déjà, on considère qu'on est en mesure de statuer
sur l'aptitude dans des situations complexes comme ça. Comme de raison, c'est
nécessaire que les évaluations soient faites par des personnes qui ont les
compétences spécifiques à le faire et dans un contexte approprié. À nouveau, je
réitère que, dans le doute, vaut mieux s'abstenir.
Je vais céder maintenant la parole à M. Courtemanche, qui nous parlera plus précisément de la notion de choix
libre et éclairé.
M. Courtemanche (Simon) : Oui, pour le... Là, je vais revenir évidemment sur le côté libre,
parce que, le côté éclairé, je crois qu'il a été très bien expliqué par
docteur... par l'éminent Dr Barbès. Le libre, là, c'est vraiment...
simplement, c'est... Il ne faut pas que ça soit une idée qui vienne de
l'extérieur. Il ne faut pas que ça soit parce que la personne se sent comme un
fardeau pour les proches, pour le système, qu'il y ait un manque d'accès au
traitement ou un manque d'accès... d'alternatives
d'hébergement. Qu'est-ce qu'on ne veut surtout pas qui arrive, c'est que l'AMM
devienne une option par dépit en raison d'un manque de ressources. Ce n'est pas
parce qu'il y a un manque d'accès aux
ressources que, de facto, tous les patients n'auront pas eu accès à des soins.
Certains pourraient demeurer souffrants même en ayant eu accès aux
meilleurs traitements qui existent.
Qu'est-ce
qui nous amène à une autre question... Cette question-là, c'est comment
déterminer le désir de mourir exprimé par un patient
atteint d'un trouble mental... est une décision mûrement réfléchie et non pas
le symptôme de sa... — oups! J'ai sauté... Non,
je... désolé pour cette erreur, j'étais dans la bonne question — pas le symptôme de la maladie elle-même, puis cette question-là, dans
le fond, c'est la question qui a fait que j'ai eu envie de participer à la réflexion, puis je vais venir l'expliquer un peu
plus tard durant notre présentation, comment on distingue une personne
suicidaire versus une demande rationnelle de cesser de souffrir.
Le premier élément pour répondre à cette question,
c'est comment distingue-t-on une personne suicidaire d'une personne qui a fait
une demande rationnelle de cesser de souffrir? Je la répète souvent, la question,
mais elle est importante. Je dirais simplement que la façon de formuler la question
va être révélatrice. Et les raisons utilisées pour
faire cette demande-là, que ça soit dû à des événements qui sont
circonstanciels, relationnels, une rupture amoureuse, admettons, des
syndromes psychiatriques, si c'est une hallucination qui demanderait à la personne
de faire cette demande-là, bien, c'est dans
le justificatif de la personne, puis c'est là que se place toute la délicatesse
pour la personne ou le psychiatre. Cette demande-là doit être prise
au sérieux par le psychiatre, et il doit faire en sorte de faire une analyse
de la souffrance, une évaluation aussi, ce qui n'est pas une mince tâche, et
Dr Barbès va nous donner quelques pistes en ce sens.
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Merci.
Très rapidement, quand même, c'est ça, c'est une évaluation quand même
complexe, qui demande cette expertise spécifique là. Mais, tu sais, dans les
grandes lignes, tout d'abord, il faut s'intéresser à comprendre c'est quoi, le
contexte de la demande.
Dans certaines situations, c'est assez simple de
départager les deux types d'enjeux, là. Une personne qui se présente, qui a une
dépendance à l'alcool déjà connue, qui arrive, aux urgences, ivre et qui
demande l'AMM, il vient de sortir de désintox, puis il a rechuté, puis là c'est
la catastrophe, c'est la crise, c'est assez clair, dans ce cas-là, qu'on ne
fait pas face à une situation rationnelle de cesser de souffrir, mais bien une
période de crise. Même chose chez quelqu'un de dépressif, qui vit une rupture
amoureuse, ou encore une personne atteinte de schizophrénie qui a des... qui
est convaincue que la mafia le cherche pour le torturer ou encore qu'il reçoit
une commande de l'au-delà qui lui dit que, pour sauver la terre, il faut absolument
mourir, tu sais, c'est des situations assez claires, mais ce n'est vraiment pas
toujours le cas.
On s'intéresse à savoir qu'est-ce que ça
changerait de mourir, hein? Qu'est-ce que vise la personne à travers ça? Est-ce
que c'est le désir de soulager une honte, une culpabilité, la solitude, la
peur, éviter des sentiments de deuil, d'être un... le sentiment d'être un
fardeau pour ses proches ou autrui? C'est-tu une expression de colère? Est-ce
que ça se peut aussi qu'il y ait une demande derrière ça pour le psychiatre ou
l'équipe traitante, tu sais, demander : Est-ce que vous avez perdu espoir
que j'aille mieux? Est-ce que... Êtes-vous prêts à m'abandonner à travers ça?
Est-ce qu'il y a déjà eu des idées suicidaires? Est-ce que c'est un discours
qui est nouveau? Est-ce que c'est chronique? Est-ce qu'il y a déjà eu des agirs, etc.? Ça fait que c'est une évaluation
complexe, faire la différence entre les deux, mais c'est des choses qui
sont possibles d'être faites par des gens qui sont formés.
Maintenant...
Ce qui nous mène, finalement, à parler de l'évaluation de la souffrance qui est
liée à une maladie mentale. Ça, non plus, ce n'est pas nécessairement
une mince tâche. Puis, au niveau conceptuel, quand on ne baigne pas toujours
dans ce genre de problématique là, ça peut sembler très difficile à
conceptualiser. On est généralement beaucoup plus familiers avec l'idée de
percevoir la souffrance physique, hein? Tu as mal à quelque part. Il y a des neurones qui font monter l'information avec des
influx nerveux dans le cerveau. Le cerveau... les autres neurones vont
interpréter cette douleur-là d'une façon extrêmement complexe.
Et, malgré tout ce qu'on peut imaginer, évaluer
ça, pour une personne, ça demeure extrêmement subjectif. Il y a plusieurs facteurs qui vont influencer la
douleur, même physique : les limitations fonctionnelles qui y sont
associées, situation familiale, sociale, l'état de santé général, les
deuils, etc. C'est la même chose pour la souffrance physique. Ça se passe dans les mêmes neurones. C'est des
processus neurologiques... neurobiologiques similaires. Alors, définir
ce qui est intolérable, ça demeure subjectif dans les deux cas et ça demande
expertise et délicatesse.
J'ai un cas clinique, mais là je pense qu'on va
manquer de temps, là, peut-être, on pourra y revenir, mais malheureusement c'est un cas... c'est malheureux
de le sauter, c'est un cas qui illustre très, très bien le genre de situation
dans laquelle ça peut prendre tout son sens,
différents facteurs dont on a discuté. Je vais peut-être y aller très
rapidement, là. Ça fait qu'on a un homme dans la... Pardon?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Allez-y, Dr Barbès. On va prendre le temps qu'il faut.
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Merci.
En passant, c'est un cas qui est réel, hein, qui n'a pas été maquillé, comme on
fait souvent, pour ne pas pouvoir identifier les gens. La famille a accepté que
nous le présentions.
Alors, c'est un homme dans la soixantaine qui
vit, depuis l'adolescence, avec une problématique de trouble
obsessif-compulsif. D'emblée, on peut imaginer, bon, un trouble
obsessif-compulsif, ce n'est peut-être pas si pire. Mais, dans son cas, il avait réussi à gérer ça, à travailler, mais, à la
faveur d'une chirurgie, à un moment donné, tout ça a décompensé. Il est
devenu incapable de faire face aux conséquences du trouble obsessif-compulsif
et est devenu dysfonctionnel dans l'ensemble des sphères de sa vie,
complètement paralysé pendant plusieurs années. À certaines périodes,
ça a été tellement difficile à tolérer qu'il a fallu qu'il reçoive des grosses
doses de certains médicaments avec des effets secondaires significatifs juste
pour réussir à fonctionner minimalement dans le quotidien. Compte tenu de l'ensemble, tous les déficits que ça a
amenés, éventuellement, il s'est mis à présenter des épisodes dépressifs assez
importants, qui étaient liés à des idées
suicidaires significatives, qui ont nécessité des hospitalisations à plusieurs
reprises.
Dans
le cadre de l'ensemble du cheminement, qui a duré sur des décennies, ce
patient-là a été exposé aux meilleurs traitements qu'on pouvait imaginer
au niveau pharmacologique ainsi qu'au niveau psychothérapeutique. En plus de ça, il y a des efforts qui ont été faits dans
plein de sphères de sa vie, mais il a aussi eu accès à des traitements
novateurs, pas toujours indiqués dans les guides de pratique. On s'est
mis à essayer un peu tout ce qu'on pouvait imaginer qui pouvait l'aider compte tenu de sa souffrance, son désir d'aller mieux,
mais, malgré tout, là, que ce soient les électrochocs, les
psychochirurgies, là — ça
existe, là, c'est de la haute technologie, mais ça existe — la
stimulation magnétique transcrânienne, la kétamine, malgré tout ça, il n'y a
jamais eu de bénéfice. Le patient est demeuré très, très souffrant. Lors de la dernière hospitalisation, il a dû être
placé en famille d'accueil compte tenu que le milieu n'était plus en mesure de le recevoir à la maison.
Malgré tout ça,
monsieur ne présente pas un tableau dépressif, n'a pas d'idées suicidaires,
mais est quand même très souffrant. Éventuellement, un traitement avec des
narcotiques a réussi à améliorer un tant soit peu le tableau, puis, depuis
quelques mois, il a réussi à revenir à la maison. Par contre, sa dysfonction
est quotidienne. C'est l'histoire d'une vie. Et, éventuellement, il fait assez
confiance à son psychiatre, là, ceci étant dit, ce n'est pas moi, là, mais un
de mes collègues, pour aborder, avec son épouse, l'idée que, si, à un moment
donné, ça devenait possible, il voulait ouvrir la discussion, à savoir si ça
serait envisageable qu'il puisse avoir accès à l'aide médicale à mourir. Alors, je trouve que c'est un cas clinique qui
illustre que certaines situations dans lesquelles le niveau de
dysfonctionnement et de souffrance,
quoiqu'il soit... c'est toujours subjectif, est clairement associé avec quelque chose d'intolérable, compte tenu de la situation.
Alors, je passe le
flambeau à M. Courtemanche.
M.
Courtemanche (Simon) : Merci. Merci, Dr Barbès. Qu'est-ce
que je veux amener de mon côté, là, c'est vous
expliquer un peu pourquoi j'ai pris part à cette réflexion-là avec
l'association des psychiatres, puis tout qu'est-ce qui m'a... C'est une question qui m'a vraiment
perturbé de plusieurs façons, parce que c'est une demande... Si ça avait
existé, dans mon parcours, au moment que je n'allais pas bien, c'est une
demande que j'aurais faite. J'aurais fait la demande de l'aide médicale à
mourir à ma psychiatre.
• (13 h 50) •
Au final, mon
parcours n'aurait pas été différent parce que j'aurais été refusé au moment que
j'aurais fait cette demande-là parce que je n'avais pas encore essayé tout
qu'est-ce qui était... en fait, tout qu'est-ce qu'il y avait comme services. Il
y avait plusieurs choses que je n'avais pas essayées. Il y avait plusieurs services.
Mais ça faisait quand même sept ans que je vivais avec une souffrance que je
jugeais quand même intolérable, où à chaque jour... presque à chaque jour, quand je me réveillais puis que je m'endormais,
une des premières pensées, c'était de mettre fin à mes jours parce que
j'avais mal, j'avais vraiment mal puis j'étais tanné puis fatigué de vivre avec
cette douleur-là.
À la fin de mes
24 ans, les choses ont changé. Puis, au début de mes 18 ans, qui a
été ma première tentative de suicide, le jour, en fait, où que... de mon
anniversaire, qui avait été ma première tentative, il y a eu une évolution de
toute la souffrance, de toute, aussi, la façon que j'aurais pu formuler une
telle demande. Puis, si ça avait existé, en fait,
ça m'aurait probablement facilité la vie pour demander de l'aide, pour le
formuler, tout le côté... En fait, dire que tu veux t'enlever la vie, le
dire à voix haute, là, ce n'est pas quelque chose qui est facile. C'est quelque
chose qui est vraiment compliqué à faire. Puis là j'aurais eu une opportunité
d'en parler plus rapidement avec ma psychiatre. Ça a pris sept ans avant que je
sois capable de vraiment tout verbaliser parce que j'étais tellement fatigué,
j'étais tellement épuisé à la fin, là, que j'ai fait comme : Je vais essayer
comme une dernière fois, là, puis je vais tout donner pour que ça marche. Mais
j'aurais vraiment aimé ça pouvoir verbaliser tout ça avant. Puis je pense
qu'une demande comme ça... Puis je n'aurais pas eu accès à l'aide médicale à
mourir, mais j'aurais... ça aurait quand même facilité la voie de passage, en
fait, pour le verbaliser.
Ça nous amène aussi à
comment on confirme l'aspect incurable, irréversible d'une maladie ou d'un
trouble mental. À ça, suite à mon histoire,
tu sais, j'avais quand même sept ans de vie avec la souffrance qui était
très, très longue. En dehors d'une fin de vie prévisible, puis c'est
difficile de prévoir l'évolution d'une maladie physique ou d'une maladie mentale, on peut évaluer la chronicité de
la souffrance, la sévérité des symptômes, l'évolution dans le temps puis
aussi les tentatives de traitement.
Qu'est-ce qui amène à la question de qu'est-ce
que... Est-ce que tous les
traitements possibles doivent avoir
été essayés avant d'administrer l'aide
médicale à mourir? Et, pour cette question,
je vais laisser Dr Barbès y répondre.
M.
Barbès-Morin (Guillaume) :
Merci. Merci pour ton témoignage à nouveau. C'est un témoignage qui illustre
des facettes très complexes de toute cette histoire-là, mais qui illustre
tellement bien une... En tout, on y reviendra un peu plus tard.
Donc, est-ce qu'on
doit avoir tout essayé? Qu'est-ce qu'on doit avoir essayé? Encore là, on est
arrivés à une position d'équilibre, dans le
cadre du comité, qu'il fallait à nouveau considérer l'ensemble des circonstances
cliniques. Qu'est-ce qui existe? Qu'est-ce que la personne a déjà
essayé? Qu'est-ce que la personne est prête à faire, à la lumière des
probabilités de succès, des effets secondaires et différents paramètres qui
entourent la situation? C'est sûr qu'il nous semble essentiel que la personne
ait eu accès à plusieurs traitements de façon adéquate, là, pas juste un petit essai, mais que les traitements ont été
essayés de façon adéquate, de façon soutenue, et que l'essai a eu... a pu être
réel, que l'essai a pu être réel.
Par contre, on ne peut pas
se positionner dans la perspective de dire : Ah! tout d'un coup qu'on
développe quelque chose de nouveau dans deux ans, dans trois ans,
parce qu'à notre avis ça fait juste faire en sorte qu'on se retrouve dans une
situation d'attente perpétuelle, puis c'est l'équivalent, finalement, de nier
l'existence du processus dont on parle aujourd'hui. Ça mène, par contre, à dire
quelle pourrait être la trajectoire de soins vers l'aide médicale à mourir pour un patient qui a une problématique
de santé mentale, surtout si c'est la
seule problématique qui est mise de l'avant. Combien de fois il faudrait qu'il soit vu par le psychiatre?
Combien de médecins psychiatres il faudrait qu'il ait vus, d'autres
types de traitements, des psychologues, etc.? Ce serait quoi, un délai
sécuritaire?
D'emblée, il faut dire que l'expérience de
d'autres juridictions où c'est possible de le faire démontre qu'il y a une très faible proportion de l'ensemble des cas,
de demandes d'aide médicale à mourir, qui concernent des demandes où le
problème de santé mentale est le seul élément invoqué, le seul trouble invoqué.
Ça nous amène à penser que probablement que
ça risque d'être la même chose au Québec et que, dans ce contexte-là, l'immense
majorité des gens qui en feront la demande vont déjà avoir eu des
contacts répétés et soutenus avec les services psychiatriques.
Le comité a quand même essayé de mettre en place
une espèce de... pas d'organigramme, mais d'approche, une tentative d'approche
pour essayer de voir comment ça pourrait être fait. Une chose qui nous apparaît
importante, ce serait la création... qu'on a appelé un bureau régional pour
l'AMM, mais, en fait, qui serait plus une structure provinciale de
coordination, d'une part, de coordination des demandes, mais de l'accès à
l'évaluation et de suivi prospectif du
processus, parce que ça pourrait s'avérer extrêmement problématique si les gens
sont pris eux-mêmes à faire l'ensemble des démarches comme...
pratiquement un déni de soins dans ce contexte-là.
Ensuite, on
pense qu'il faut une évaluation prolongée, plus que dans d'autres types de
problèmes, quatre mois, cinq mois. On croit qu'il faut qu'il y ait un
minimum de deux... bien, qu'il faut qu'il y ait deux psychiatres différents qui
connaissent les enjeux, qui soient impliqués dans la démarche, et que
l'implication des proches importants de la famille ou d'autres proches soit
centrale. La prise de décision doit être multidisciplinaire, collaborative,
parce que, souvent, il va falloir intégrer
d'autres intervenants, d'autres évaluations. Une troisième... Advenant qu'il y
ait un désaccord entre les deux premiers psychiatres, on croit que ce
serait nécessaire qu'une troisième évaluation ait lieu pour statuer.
Donc, voilà. M. Courtemanche.
M. Courtemanche (Simon) :
Oui. Dans le fond, la position de l'Association des médecins psychiatres du Québec est assez simple. L'AMPQ n'entend pas
promouvoir l'aide médicale à mourir, mais plutôt reconnaître la souffrance
des patients et leur autonomie, enrayer la
discrimination. Ce sont des circonstances cliniques et non le diagnostic
spécifique qui doivent déterminer si
la personne va être acceptée ou pas. Plutôt que d'exclure, l'AMPQ propose la
mise en place des conditions nécessaires pour assurer une évaluation
rigoureuse des demandes. Puis c'est normal que cette possible ouverture-là
fasse peur, suscite de l'inquiétude, puis c'est important qu'on ait cette
réflexion-là qu'on est en train de faire aujourd'hui, puis qu'on émette des
balises cliniques par rapport à tout ça.
Je tiens à remercier les membres de la
commission de m'avoir donné cette opportunité de m'exprimer et d'avoir été...
nous avoir écoutés tous les deux et d'avoir été indulgents. C'est une situation
quand même anxiogène, mais je suis toujours
content d'affronter cette anxiété-là pour me surpasser. Puis, maintenant, j'imagine qu'on est rendus à la
période des questions. Donc, Dr Barbès et moi allons être heureux de
répondre à vos questions et de prendre vos réactions.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup. Merci, M. Courtemanche, de votre passage et de votre témoignage aujourd'hui. C'est vraiment important
pour nous, les membres de la commission. Donc, nous débuterions les
échanges avec la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Merci, M. Courtemanche. Dr Barbès,
contente de vous revoir. Cela me rappelle de bons souvenirs à la salle
des plâtres à Amos. Alors, il fallait que je fasse un petit...
Permettez-moi de vous poser une question un
petit peu abrupte. Nous pouvons dire que, jusqu'à présent, une majorité
d'intervenants semble en faveur d'un élargissement de l'aide médicale à mourir
au niveau des demandes anticipées et pour personnes souffrant d'un trouble
mental grave, par exemple. Croyez-vous que l'appui serait le même si le vocable était celui d'euthanasie pour
les personnes n'étant pas en fin de vie? Le vocable d'aide médicale à mourir n'a-t-il pas l'effet, peut-être malgré lui,
d'euphémiser le débat autour de l'acte auquel renvoie, particulièrement
pour les personnes n'étant pas en fin de vie?
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Écoutez,
c'est une excellente question. Puis je ne pourrai pas répondre pour qu'est-ce
que ça pourrait avoir comme impact dans la population en général. Je pense que
vous recevez un psychiatre de Québec demain, là, qui va parler plus de ça, au
niveau de la sémantique puis des mots utilisés.
• (14 heures) •
Ce que je peux vous dire, c'est qu'à l'intérieur
du comité, bon, on comprend qu'il y a comme tout eu un débat autour des termes
à utiliser, euthanasie versus aide médicale à mourir et concept de soins versus
autre chose. Fondamentalement, dans notre comité, ça n'a pas fait l'enjeu d'un
débat. Puis, personnellement, je pense que, dans le corps médical, ça ne ferait pas un débat très important, quel terme on
utilisait, parce qu'ultimement ce qu'on cherche, là, ce n'est pas de mettre fin
à la vie, c'est de soulager des souffrances. Puis je crois... Quel que soit le
terme qu'on utilise ou... concept de soins, pas concept de soins, etc.,
si on arrive à mettre le focus sur l'intensité de la souffrance de la personne
qui est devant nous, quelle que soit la nature de cette souffrance-là, de faire
une évaluation adéquate, de s'assurer que les choses qui doivent être essayées
ont été tentées, que le lien est bon, qu'on a fait le tour, si on arrive à mettre l'accent sur le soulagement de la souffrance, je
pense que ça ne devrait pas causer de problème. Mais, comme de raison, vous comprendrez que je ne peux pas répondre comment la
société québécoise qui, soit
dit en passant, a, à mon sens, beaucoup
évolué depuis le début de tout ce débat courageux qui a eu lieu, là, à la fin
des années 2000, 2009, je crois,
je ne sais pas comment la population réagirait, mais je n'ai pas l'impression
que ça ferait une immense différence.
M.
Courtemanche (Simon) :
Si je peux me permettre aussi,
Dr Barbès, c'est tout le côté de la souffrance qu'il est important
de prendre en considération dans cette question-là, puis c'est là-dessus qu'on
s'est concentrés durant notre... bien, en fait, dans cette réflexion-là. Puis
en fait c'est aussi d'offrir une fin digne à des personnes qui ont une problématique
en santé mentale. Puis, pour moi, la réponse simple à toute cette réflexion-là,
pour la santé mentale, c'est de dire non. Si
on dit non, c'est la réponse qui est la plus simple, mais les personnes qui ont
tout essayé les traitements, qui ont eu tous les traitements de pointe
puis qui continuent à vivre avec une supergrande souffrance parce qu'ils n'ont
pas le bon diagnostic, parce que ce n'est pas un cancer, bien, on leur
dit : Non, ta souffrance, continue à toffer avec ça puis tant pis, quand
tu vas avoir une maladie physique, reviens nous voir, par exemple, là on va
faire quelque chose pour toi. Il y a ça aussi qu'il faut prendre en
considération.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : À ce que
je comprends, M. Courtemanche, c'est, lorsqu'on est diagnostiqué
maladie... avec un diagnostic de maladie mentale, on vient brimer, lorsqu'on
s'en va à l'urgence, on vient brimer le diagnostic d'une douleur physique ou
d'une pathologie, d'une maladie.
M. Courtemanche (Simon) :
Bien, selon ma perception, ce n'est pas, en fait, ce n'est pas nécessairement
le recevoir, parce que dans notre
réflexion, le diagnostic, il importe peu, mais c'est que, pour la maladie
physique, les critères sont beaucoup
mieux établis, sont plus simples, sont plus simples aussi à concevoir. Ça fait
que c'est là que ça va venir jouer contre la personne si, pour cette
demande-là... Dr Barbès?
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Oui,
bien, écoutez, je me plais à imaginer que quelqu'un qui se présente avec une
grande souffrance x, y, z à l'urgence, même s'il a un diagnostic
psychiatrique clair, je me plais à imaginer qu'il va être écouté adéquatement
puis qu'on va soulager ses souffrances adéquatement.
C'est clair
que dans l'état actuel des choses, là, bien, disons, avant les changements actuels,
pour ce qui est de l'aide médicale à
mourir, effectivement, comme M. Courtemanche le disait, si la souffrance
est liée à une problématique de santé
mentale, bien, ce n'est pas possible. Par
contre, si cette personne-là
demeure très souffrante, n'est pas déprimée et développe un cancer du cerveau, elle peut refuser, si on juge qu'elle
est apte, un traitement pour le cancer du cerveau et, qui plus est, peut demander l'aide médicale à mourir par la suite, et là on va considérer que c'est
adéquat, même si fondamentalement il
y a eu une dépression, une souffrance qui a été là, au long cours, à cause
d'une dépression majeure ou quelque
chose d'autre. Si, au moment où elle
fait la demande, on considère qu'elle est apte et que la situation ne vient pas teinter
l'appréciation de la douleur ou de la situation, ce sera accepté.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Bien, merci
beaucoup, M. Courtemanche et puis Dr Barbès. Contente de vous avoir
revus. Merci.
M. Barbès-Morin (Guillaume) :
Plaisir partagé.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Mme la
députée. Moi, j'aurais une question
pour vous, Dr Barbès. Dans votre pratique, combien de patients,
outre celui... le cas de figure que vous nous avez expliqué tout à l'heure,
combien de patients qui auraient été admissibles si la loi était passée?
M. Barbès-Morin (Guillaume) : C'est
une question tellement pertinente et tellement complexe parce que, comme de raison, les gens qui auraient été
admissibles... Il y a des gens, des patients que j'ai suivis ou que je suis
encore qui, s'il fallait qu'ils me fassent une telle demande et que
c'était possible, bien, il faudrait l'évaluer, et je me dis que possiblement
d'autres psychiatres que moi qui évalueraient ça en arriveraient à la
conclusion qu'effectivement ce serait admissible. C'est peu de gens, hein? Là,
comme ça, là, je peux peut-être penser à deux personnes.
Par contre, il y a d'autres gens que j'ai vus,
qui étaient très souffrants, avec qui on a travaillé très fort pendant des
années de temps, et qui finalement ont décidé de s'enlever la vie, et des fois
dans des situations d'indignité avec des impacts tellement terribles sur leur
entourage que, ces gens-là, est-ce qu'on aurait pu faire mieux? Je pense qu'on
a déjà travaillé énormément, mais ces personnes-là ont pris une décision, et je
crois que si ça avait été possible de demander
l'aide médicale à mourir, ils l'auraient peut-être fait, l'auraient peut-être
eue. Je ne sais pas ce qui se serait passé. Mais il y a des gens qui
sont extrêmement souffrants. Mais je ne peux pas vous dire exactement c'est
combien, mais c'est très peu. Sur la masse,
sur le volume de personnes que j'ai pu évaluer au fil des années, c'est quand même
très peu de gens, là, à qui ça s'adresse.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je céderais la parole à la députée de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci,
Mme la Présidente. Dr Barbès, M. Courtemanche. On parle beaucoup de
la souffrance. J'aimerais savoir
est-ce que la souffrance, on peut considérer ça, à un moment donné, comme
intolérable et pratiquement incurable.
M. Courtemanche (Simon) : Bien, je
dirais... je vais me permettre une réponse, puis vous compléterez de votre savoir immense et scientifique. Mais je
pense qu'une personne qui l'a vécu pendant 20, 30 ans puis qui a vécu ça, une
souffrance, lui dire que ce n'est pas... que ça va se terminer bientôt, ce
n'est pas... en fait, oui, ça peut être... Bien, j'ai de la misère à bien le
verbaliser, mais on ne peut pas venir dire à quelqu'un qu'il ne souffre pas
assez ou que cette souffrance-là
n'est pas légitime. Il y a l'élément de la chronicité qui est important dans
tout ça, puis c'est là-dessus qu'on va
venir miser, puis c'est plate, là, mais c'est combien de temps que ça fait,
puis qu'est-ce qu'on a fait pour que les choses s'améliorent. Puis je
vais laisser la suite à Dr Barbès.
M. Barbès-Morin
(Guillaume) : Merci. Donc, je veux juste être sûr, là, que je suis à
la bonne place, là. Vous dites : Est-ce
qu'à un moment donné la souffrance, quelle que soit sa source, peut devenir
chronique et... Pouvez-vous...
Mme
Hébert :
Oui, bien, c'est ça. En réalité, c'est... quand on parle de souffrance, là, qui
devient comme intolérable, est-ce qu'elle
peut... est-ce que ça peut être considéré comme incurable? Donc, tu sais, ce
que vous dites, là, c'est qu'il y a
certains cas que vous avez... dans votre vie, vous dites : Probablement,
j'en ai eu deux, cas, que je pourrais considérer qui auraient pu
demander l'aide médicale, ça aurait pu, peut-être, être admissible. Dans cette
situation-là, vous pensez que c'était...
est-ce qu'on peut utiliser le mot «incurable», comme une maladie, comme un
cancer? Voilà. C'est ça...
M.
Barbès-Morin (Guillaume) : D'accord. Bien, une autre excellente
question. En psychiatrie, bien, comme dans bien d'autres sphères de la
médecine, ce qui est important, là, c'est que le diagnostic n'est pas garant ni
du pronostic, donc de l'évolution, ni de la souffrance associée, que ce soit la
souffrance physique, la souffrance mentale ou encore la dysfonction du handicap qui va être associée. Ça fait que deux
personnes qui auraient un diagnostic de maladie affective bipolaire
peuvent avoir des évolutions extrêmement différentes, selon un paquet de
paramètres, donc, propres à leur maladie, à leur biologie, à leur génétique ou
à leur milieu de vie et des expériences en bas âge, les opportunités, etc. Donc, c'est très important, un diagnostic n'est pas
garant de la suite des choses et ni de la souffrance associée.
Donc, quand vous
dites : Est-ce que la souffrance, à un moment donné, peut ne plus être
traitable? Bien, je vous dirais que ça dépend un peu de qu'est-ce qui fait que
la souffrance est présente. Parce que c'est sûr qu'on va essayer de trouver un
diagnostic qui va satisfaire notre compréhension des choses, puis travailler
pour essayer d'aider les gens au mieux qu'on peut. Des fois, ça arrive qu'on a un
diagnostic précis, qui est clair, puis que les gens s'entendent autour pour
dire que c'est ça, puis, malgré tous les traitements qu'on met en place, les
gens continuent à avoir... les patients
continuent à avoir un niveau de dysfonction associée à un sentiment de
souffrance tellement grand que, quoi qu'on essaie, on n'arrive pas à
changer quoi que ce soit à ce niveau-là.
D'autres
personnes, par exemple, entre autres chez les gens qui ont un trouble bipolaire, c'est que
dans certains épisodes de maladie, ils sont tellement mal, puis ça
entraîne des conséquences catastrophiques, ils vont un peu mieux pendant un certain temps, mais ça repart à nouveau
vers un épisode, puis de l'alternance de ça, même s'il y a des épisodes
où ils se sentent un peu mieux, ils continuent à traîner une espèce de
souffrance qui est reliée au constat de tout ce qu'entraîne la répétition des
épisodes. Ça fait que je vous dirais que c'est très complexe.
L'autre affaire,
c'est que ce n'est pas le propre des maladies mentales. Vous avez raison, en
santé physique, c'est souvent un peu plus
simple, parfois très simple, mais souvent, ce n'est pas clair. Il y a des types
de maladies, des types de maladies
neurologiques, pas nécessairement dégénératives, là, mais qui sont chroniques, la
fibromyalgie, des problématiques de douleurs chroniques complexes, qui
font en sorte que c'est tout aussi difficile. On fait face aux mêmes enjeux, donc, premièrement, de départager
c'est quoi, le diagnostic précis, c'est-tu vraiment ça, c'est-tu d'autre
chose, même si c'est purement physique, puis
qu'est-ce qu'on peut offrir, qu'est-ce qui va fonctionner, qu'est-ce qui ne va pas
fonctionner. Puis des fois, malheureusement, on se retrouve avec des gens qui
se retrouvent avec un niveau de fonctionnement, une perception d'eux-mêmes, une
souffrance physique ou même psychologique, dans l'ensemble du tableau, ils vont
considérer que ça ne vaut pas la peine de vivre ainsi.
Ça fait que, donc,
c'est ça, c'est ce que je vous dirais. On peut traiter la souffrance comme
telle. En fait, c'est à quel point on arrive à traiter qu'est-ce qui fait que
la souffrance est là, mais des fois on en arrive à constater que, malgré tout
ce qu'on a pu imaginer, tout ce qu'on a pu tenter, il n'y a malheureusement pas
moyen de faire mieux.
• (14 h 10) •
La Présidente (Mme
Guillemette) : Parfait, merci. Merci, Mme la députée. Je céderais
maintenant la parole à la députée de Maurice-Richard.
Mme
Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux.
Bonjour, M. Courtemanche. Merci de prendre le temps de venir échanger avec
nous, c'est vraiment très apprécié. En tout cas, si ça générait de l'anxiété, je peux vous rassurer, ça ne paraissait
pas du tout. Et c'est vraiment précieux d'avoir un partage comme ça d'une
expérience vécue. Je pense que ça ajoute
beaucoup à notre compréhension puis aux nuances qu'on veut apporter à toutes
nos réflexions, à tout notre débat aussi. Bonjour, Dr Barbès-Morin.
M. Barbès-Morin
(Guillaume) : Bonjour.
Mme
Montpetit : Merci à vous de prendre le temps. Je sais que vous avez
certainement un horaire bien occupé aussi,
mais c'est certainement très aidant pour nos travaux. Je commencerais par vous,
si vous me permettez. Vous aviez évoqué tout à l'heure la question de l'importance
de faire ça... de faire... d'utiliser des équipes multidisciplinaires. Un,
je voulais savoir, est-ce que vous suggérez
l'utilisation des équipes multidisciplinaires pour l'évaluation, ou pour la
prise de décision, ou pour les deux?
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Dans
le cadre de l'évaluation, ce qui est certain, c'est que les psychiatres qui vont faire cette évaluation-là avec les
personnes vont devoir être en mesure, à mon sens, là, de consulter les dossiers
médicaux, puis d'être en mesure de connaître tout ce qui a pu être fait et de
s'assurer que... parce que c'est très rare qu'une
maladie mentale ne nécessite pas une intervention d'équipe, ne nécessite pas l'intervention d'un psychologue, ergothérapeute,
etc., puis de s'assurer que ce qui avait à être offert à ce niveau-là l'a été.
Et parfois c'est clair, parfois c'est très évident, parfois ce l'est beaucoup
moins. Et on peut s'imaginer qu'à l'occasion on puisse avoir besoin de demander
l'avis d'une autre personne, là, qui a une expertise spécialisée, que ce soit
un ergothérapeute, etc. Mais fondamentalement je ne pourrais pas vous dire que
ça prend absolument une évaluation multidisciplinaire dans une ou l'autre des
deux évaluations dont on parlait. Mais chose certaine, c'est que, compte tenu
de la nature même des problématiques de santé mentale, il va falloir
éventuellement qu'on s'assure que ce qui devait être fait soit fait.
Ça ouvre un peu la porte à la question de
l'accessibilité des services. Tu sais, moi, je suis en région éloignée, à Rouyn-Noranda,
puis, comme bien des psychiatres partout au Québec, on a l'impression qu'il n'y
en a pas assez, de services, qu'on travaille
avec des trop petites équipes, surtout avec les clientèles de patients qui ont
des grands, grands besoins, mais c'est quand même... tu sais, il ne faut
quand même pas se cacher derrière ça pour ne pas avoir le débat qu'on est en
train d'avoir. À mon sens, c'est deux enjeux bien importants, mais qu'on doit
un peu séparer.
Alors, je ne
pense pas qu'il faut d'emblée dire : Il faut absolument que le patient
soit vu par un ergothérapeute, ta, ta, ta, mais il faut que,
dépendamment de la situation, les évaluateurs gardent ça à l'esprit puis ne
ménagent pas leurs efforts pour s'assurer que les choses qui devaient être
faites, telles que reconnues dans les guides de pratique, là, ont été faites.
Mme Montpetit : Au niveau de...
Quand vous dites équipe multidisciplinaire, justement, vous aviez quels
professionnels en tête?
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Bien,
ça va varier en fonction des situations. C'est sûr que lorsqu'il y a des
situations familiales, des situations qui nous paraissent complexes au niveau
familial avec plein d'enjeux, la présence de
travailleurs sociaux va être importante. Lorsqu'on évalue qu'il y a des situations
de dysfonctionnement significatif, par exemple, à la maison, etc.,
l'évaluation en ergothérapie peut s'avérer importante, là. Tout ça, ce dont on
n'a pas parlé, là, mais, dans notre
document, à l'AMPQ, on insiste beaucoup sur une approche à deux voies, puis là
j'ouvre la... je ne sais pas si d'autres gens en ont parlé, mais
l'approche à deux voies, là, c'est quelque chose de fondamental. C'est, autrement dit, la personne arrive puis
dit : Bonjour, je n'en peux plus, veuillez, s'il vous plaît, évaluer cette
possibilité-là. Lorsqu'on reçoit cette demande-là, l'idée, ça serait de
dire : Très bien, nous allons faire ça, mais, dans ce contexte-là, on va
s'assurer que vous avez eu accès à ce qui aurait été nécessaire puis, si ce
n'est pas le cas, bien, on va vous le
proposer. Ça fait que c'est comme s'il y avait une voie vers l'aide médicale à
mourir qui allait de pair avec une voie vers la vie ou vers évaluer les
différentes possibilités. Ça, ça... on a l'impression que ça assurerait de ne
pas passer à côté d'un gros truc qui n'aurait pas été fait, mais, en plus, dans
bien des situations, de redonner l'espoir. Des fois les gens ne voyaient plus
différentes possibilités ou les choses n'avaient pas vraiment été essayées, ça
fait que c'est dans ce contexte-là que
différentes évaluations peuvent mener à ce que, tout d'un coup, on ait une
nouvelle idée, quelque chose de nouveau puisse être mis en place ou
imaginé, et que ça puisse faire du sens, que ça puisse avoir un sens, là,
significatif pour la personne qui est souffrante.
Mme Montpetit : D'où votre
recommandation aussi que ce soit fait sur un certain laps de temps pour laisser
le temps, si on veut, aux idées d'évoluer. Je comprends.
M.
Barbès-Morin (Guillaume) :
Oui. À notre avis, il ne faut pas qu'on voie ça comme des situations d'urgence
dans un état de crise, là. Ça ne serait pas approprié. Ça doit s'inscrire dans
une durée, ça doit s'inscrire dans une démarche prolongée, ça ne va
souvent pas vite, et il faut voir ça comme ça.
Mme Montpetit : Est-ce que, puis ça va être ma dernière
question... on n'a jamais beaucoup de temps, comme vous le savez, puis j'ai ma collègue de Westmount—Saint-Louis qui souhaite échanger avec vous deux également, est-ce que, dans
votre expérience, il y a eu... Est-ce qu'il y a des situations, par exemple...
Parce que vous nous disiez : Les gens, dans
le fond, sont aptes à prendre... les personnes qui ont un problème de santé
mentale sont aptes à prendre une décision par elles-mêmes, elles sont
aptes, dans une relation avec un professionnel justement, à nommer la
souffrance, à nommer la douleur, on est capable de l'évaluer cliniquement.
Est-ce qu'il y a des situations où ce n'est pas possible sur... même sur un
continuum de temps, là, si on sort d'une crise? Est-ce qu'il y a des états qui
ne reviennent jamais à une certaine stabilité dont vous parliez?
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Oui,
tout à fait. Ça peut avoir lieu dans différentes problématiques, mais je peux
vous donner le cas de quelqu'un que j'ai vu hier, là, qui est atteint d'une
schizophrénie extrêmement sévère, là, des...
c'est rare, là, des états aussi sévères, qui, lui, ne demande pas l'aide médicale à mourir. Mais, s'il le demandait, compte tenu qu'il est toujours aux prises avec des
intrusions dans sa pensée, des idées délirantes qui amènent à des changements
constants de ses
perceptions, de ses positions face à son environnement, et ce, pour l'immense
majorité des choses dans sa vie, là, qui sont... finalement, son libre
arbitre est tellement diminué, ne serait-ce que pour le choix des céréales le matin, de l'habillement, c'est constamment des
phénomènes intrusifs dans son cerveau, alors je ne peux pas imaginer que
cette personne-là puisse en arriver un jour
à formuler une demande qui serait exempte, un peu, de tous ces phénomènes-là
et qui perdurerait dans le temps sans être
constamment associée à... tout à l'heure, l'impact des extraterrestres, du
complot contre le COVID, là, en tout cas, etc., là.
Alors, je... il y a
des... ça, je vous donne une situation extrême, là, ce n'est pas... toujours
dans les extrêmes, dans les exemples qu'on
donne, alors que c'est beaucoup plus subtil que ça. Mais, oui, clairement, à
mon sens, il y a des situations dans lesquelles l'aptitude ne peut pas
être trouvée, malheureusement, malgré tout ce qu'on essaie.
Mme
Montpetit : Donc, l'aptitude
n'est pas... ne peut pas être retrouvée, mais la souffrance, vous êtes capable
de l'évaluer, par contre.
M.
Barbès-Morin (Guillaume) :
Oui, je pense que ce serait possible. La personne dont je vous parle, il y a
une souffrance qui est associée à ça, qui, chez cette personne-là, n'a
jamais débouché vers une demande de mourir ou même d'agir suicidaire. Cette
personne-là ne veut pas mourir, même si ça fait plus de 15 ans qu'elle est
extrêmement souffrante, elle veut aller mieux, elle veut survivre. Mais la
souffrance est là, mais, à mon avis, l'aptitude à faire une telle démarche ne
serait pas présente.
Mme
Montpetit : O.K.
M. Barbès-Morin (Guillaume) : Et je ne peux pas voir qu'est-ce qui pourrait
faire... qu'est-ce qu'on pourrait faire pour cette personne-là qui
ferait en sorte qu'elle atteindrait l'aptitude, le niveau d'aptitude
nécessaire.
Mme
Montpetit : Je vous remercie beaucoup.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. Je céderais maintenant la parole à la députée de
Westmount—Saint-Louis.
Mme
Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux. J'ai trouvé
votre témoignage très, très, très intéressant.
Je vais renchérir un peu sur les questions de ma collègue la députée de Maurice-Richard. On a entendu des témoignages de, mettons, Mme Chalifoux, qui est passée hier.
J'aimerais savoir, selon vous, devons-nous clarifier les termes de c'est quoi, une maladie mentale, le
trouble mental? Et, si oui, devons-nous inclure, par exemple, les personnes
qui souffrent d'une déficience
intellectuelle ou le trouble du spectre de l'autisme? Est-ce qu'ils devront
être admissibles? Si on entend
Mme Chalifoux, elle, elle nous dit que nous ne devons avoir aucune
discrimination. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, s'il vous
plaît.
• (14 h 20) •
M. Barbès-Morin
(Guillaume) : Est-ce que la question s'adresse en particulier à
M. Courtemanche ou...
Mme Maccarone :
C'est comme vous voulez. Vous pouvez tous les deux partager un peu votre
réflexion, si vous voulez.
M.
Courtemanche (Simon) : Bien, moi, j'irais simplement avec
l'aspect de la souffrance qui devrait être évaluée plus que la condition. Puis
là c'est sûr qu'on tombe dans des situations complexes qui vont directement
avec l'aptitude. Mais, encore là, je pense que si la personne est capable de
bien justifier ou de bien comprendre le fait... sa demande, puis, tu sais, c'est quelque chose... en fait, c'est à
explorer. Puis, encore là, la réponse facile, c'est de dire : Non, on ne le fait pas, c'est trop compliqué, il y a...
mais de venir encadrer, puis de mettre des balises, puis mettre des balises
qui sont plus restrictives ou un chemin qui
est plus restrictif en partant, puis, au pire, tu recules puis tu dis :
Bien, ça ne marchera pas ou on ne
peut pas aller vers là, mais au moins de le considérer puis d'aller vers une
recherche de solution. Est-ce qu'il y aurait une demande? C'est d'aller
explorer tout ça, je pense, qui est à faire. Dr Barbès?
M.
Barbès-Morin (Guillaume) :
Pour ce qui est des problématiques de déficience intellectuelle et d'autisme,
là, je ne suis pas la meilleure personne pour vous répondre à ce niveau-là et
parce que je n'ai pas une expertise particulière dans aucune de ces deux problématiques-là, et il y a des gens sûrement
beaucoup mieux placés que moi qui vont faire ces questionnements-là. Par
contre, ce qui est clair, c'est que, d'une part, dans l'autisme, il faut faire
attention, parce que c'est un
spectre, et je pense qu'on ne peut pas mettre tout le monde dans... au même
niveau à cet effet-là. Ça fait que ça illustre le danger d'y aller par
diagnostic, à mon sens.
Pour ce qui est de la
déficience intellectuelle, c'est un peu la même chose. Puis fondamentalement ça
revient beaucoup à la notion d'évaluation de
l'aptitude. Dans notre société, on considère qu'il y a des gens dont, malheureusement, les capacités
intellectuelles ne leur permettent pas d'être en mesure de prendre des
décisions à certains niveaux pour eux-mêmes. Ils ont besoin d'un régime de
protection, d'être accompagnés dans toutes sortes de décisions.
Pour moi, il me
semble que ça devrait aller dans le même sens. Ça ne devient pas, je crois, une
question de discrimination en tant que telle. Probablement qu'on devra évoluer
dans notre perception de ces gens-là, là, face à la souffrance, mais, bon, je réitère qu'on n'a pas étoffé, au sein de
l'association, dans le cadre de notre démarche, on n'a pas étoffé cette
facette-là des choses.
Mme Maccarone : Mais, selon vous, s'il y avait un
accompagnement... Parce que je pense que c'est ça, la question, c'est : Comment pouvons-nous accompagner des
personnes qui vont avoir un chemin qui sont totalement différents un
envers l'autre? Une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle ou une
personne sous le spectre de l'autisme peut
très bien comprendre, mais avec des mesures d'accompagnement qu'il faut
peut-être moduler et adapter pour eux. Si c'était le cas, mettons, comme
psychiatre, puis que vous avez un patient qui a ce diagnostic puis qu'il y
avait un accompagnement qui a été modulé puis adapté pour eux, est-ce que vous
seriez peut-être à l'aise de faire une identification
de l'aptitude et la compréhension? Parce que c'est ça, la difficulté :
Comment déterminer si la personne concernée,
s'il souffre d'une déficience intellectuelle ou de l'autisme, ont bien compris
c'est qui qui va prendre la décision finale, parce que la compréhension,
ça peut tellement être différent puis c'est subjectif.
La Présidente (Mme
Guillemette) : En 30 secondes, Dr Barbès, s'il vous plaît.
M. Barbès-Morin
(Guillaume) : Bien, je vais avoir une réponse très plate, là, mais,
malheureusement, on n'a pas fait la démarche
puis on n'est peut-être pas les mieux placés non plus comme psychiatre. Il y a
des psychiatres qui sont des spécialistes de l'autisme et des
spécialistes de déficience intellectuelle, mais on n'a pas fait cette démarche-là. C'est une démarche qui est très
importante, mais je ne pourrai malheureusement pas donner un avis pertinent
aujourd'hui là-dessus.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci,
Mme la députée. Donc, je céderais maintenant
la parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Bonjour,
MM. Courtemanche et Barbès. Merci beaucoup de vos contributions aux travaux de notre commission. Deux questions
pour vous, et j'ai peu de temps, donc je vais vous les poser en rafale, si
vous voulez bien y répondre.
D'abord,
vous nous avez parlé de trouver un équilibre entre exiger que la personne ait
fait tous les traitements et que la
personne... En fait, vous nous avez dit : Le point d'équilibre, c'est,
avant d'accepter une demande d'aide
médicale à mourir, de s'assurer que
la personne se soit... disons, ait participé à tous les traitements qui sont
acceptables pour elle.
Qu'adviendrait-il,
Dr Barbès, d'une personne qui a une définition très, très, très réduite de
ce que sont les traitements acceptables pour elle, tant et si bien qu'on en
aurait fait, au fond, très, très peu, mais c'est... en vertu de votre
définition, on ne serait pas dans une situation où la personne deviendrait
admissible à l'aide médicale à mourir puisqu'elle,
elle a décidé qu'il y avait seulement deux, trois traitements qui, pour elle, étaient
acceptables. J'en conviens que c'est un cas limite, mais c'est comme ça qu'on
teste les définitions que l'on écrit, n'est-ce pas, en les confrontant à
un cas limite. Je vous soumets celui-là.
Deuxième question, dans
le cas des demandes anticipées pour des personnes souffrant de troubles
mentaux, qu'advient-il si une personne apte
fait une demande anticipée en disant : Si ma maladie me rend inapte et me
met dans une situation x, y z,
je souhaite recevoir l'aide médicale à mourir, et que c'est bel et bien ce
qu'il advient, cette personne-là devient inapte, parce que sa maladie
devient trop envahissante, et donc elle perd sa capacité à consentir et qu'au moment, donc, d'appliquer ses volontés puis de
procéder avec sa demande anticipée d'aide médicale à mourir, la personne
exprime, même si elle n'est plus apte, un refus et dit : Non, j'ai changé
d'idée, j'ai changé d'idée, je ne veux plus, je ne veux plus, et que pourtant elle est censée ne plus être apte. Quel
consentement devrait prévaloir, à ce moment-là, celui qu'elle a donné en
état d'aptitude ou son non-consentement qui est donné en situation
d'inaptitude?
M.
Barbès-Morin (Guillaume) : Oui, deux excellentes questions. La
première, c'est un peu un extrême, mais c'est un extrême qu'on risque de voir,
là, et l'idée, c'est de dire : Si les gens n'ont pas eu accès ou n'ont pas
accepté des traitements qu'on considère standards, et ça, ça peut
impliquer quand même plusieurs essais pharmacologiques ou plusieurs choses, bien, on pense que la demande ne
peut pas être acceptée. Dans le doute, il vaut mieux refuser la demande que d'aller de l'avant, parce que probablement qu'éventuellement on va se rendre compte qu'il y avait
un paquet d'enjeux autour du fait de refuser les traitements.
Par contre, si c'est
des traitements qui sont loin, des traitements de troisième ligne, des
traitements inusités qui ont souvent une
grande morbidité, je vais vous donner l'exemple de la psychochirurgie, ça peut fonctionner, mais,
tu sais, c'est quand même associé à un haut taux de risque d'infection
cérébrale, en tout cas, il faut avoir une longue discussion à savoir si c'est vraiment pertinent ou pas, alors là on pense que la ligne
serait possible d'être tracée. Mais, vous avez raison, on risque d'être
confronté à des situations dans lesquelles il y a des gens qui vont
dire : Moi, pour toutes sortes
de raisons x, y, z, je refuse des traitements même considérés comme
ordinaires et standards qui ont une bonne chance d'aider. Dans ces cas-là, il
faudrait simplement dire que ce n'est pas acceptable, même si
la personne disait : Moi, il n'en est pas question.
Il y a des problématiques
un peu limite, là. Là, je m'étire un peu, mais, par exemple, vous voyez, si
vous êtes en Abitibi-Témiscamingue et que
votre psychiatre considère que quelqu'un a besoin... bien, pas vous, mais si quelqu'un a besoin d'un traitement spécialisé qui ne se donne qu'à Montréal
et qui dure un an en psychothérapie, bien là, qui implique un déménagement,
qui implique un paquet d'affaires, est-ce que c'est un traitement inusité dans
votre cas ou est-ce que, non, on devrait considérer que c'est un
traitement standard? Alors, il y a plein de cas de figure extrêmement pertinents qu'on pourrait avoir dans ces situations-là.
Et l'important, ça va être d'être capable de faire une évaluation
adéquate, d'être créatif puis d'en arriver avec des solutions
constructives.
Pour votre deuxième question sur les demandes
anticipées, à nouveau, ce n'est pas un sujet qu'on a traité spécifiquement, à l'association, la question
des demandes anticipées. Une des raisons, c'est qu'on voit très peu de situations dans lesquelles on puisse imaginer qu'il y ait
une inaptitude reliée à la maladie mentale qui soit durable et irréversible.
Ça peut toujours arriver, mais en
général ça va être plus d'ordre neurologique, comme dans les
maladies neurodégénératives, la maladie d'Alzheimer, etc. Pour ce qui est des troubles mentaux que les psychiatres traitent habituellement, là, généralement, on en
arrive à faire en sorte, grâce aux traitements, que les gens vont retrouver un
état d'aptitude qui va leur permettre de prendre des décisions. Dans ce
contexte-là, je pense qu'il faut absolument travailler en ce sens-là et se fier
à la dernière demande, là, à la dernière affirmation, là, de leur souhait, là,
et non pas...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Dr Barbès. C'est tout le temps que nous avions. M. le député, merci
beaucoup. Je céderais la parole à la députée de Joliette.
• (14 h 30) •
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour à vous deux. Vraiment très intéressant. Je dois vous dire que j'aurais
tellement d'éléments sur lesquels je voudrais échanger, mais j'ai un gros cinq
minutes, donc je vais faire comme mon collègue de Gouin, je vais vous nommer
les trois éléments sur lesquels j'aimerais que vous me répondiez, et puis vous
irez avec ce que vous jugez le plus pertinent pour vous.
Le premier élément, pour continuer dans la même veine,
sur la question du refus de traitement, si on fait le parallèle avec une maladie
physique, une personne peut recevoir un diagnostic de cancer. On lui dit :
Si tu fais des traitements de
chimiothérapie, tu as vraiment 50 %
de chances de rémission. La personne dit : Non, c'est des traitements
trop agressifs, je ne veux pas, a le droit tout
à fait, de son libre arbitre, de refuser les traitements, et, si sa maladie
évolue et qu'elle a des souffrances, elle va pouvoir demander l'aide
médicale à mourir.
Donc, je comprends que, de votre point de vue,
on ne peut pas faire le même raisonnement dans le cas d'une maladie
psychiatrique. Il faudrait donc avoir des balises dans l'encadrement qui
diraient qu'une personne qui refuse certains traitements ne pourrait pas, dans
le cheminement de sa maladie, ensuite demander l'aide médicale à mourir. Donc,
ça, c'est... j'ai un souci par rapport à ça parce qu'il y aurait comme une
différence entre maladie physique et maladie psychiatrique. Ça fait que je
voudrais juste que vous me clarifiiez ça.
Le deuxième élément, c'est en lien avec
Dr Carrier qu'on a entendu tout à l'heure, qui nous a beaucoup parlé de la
relation patient-médecin. Puis là j'aimerais vous entendre, M. Courtemanche,
parce que je trouve ça vraiment intéressant ce que vous avez dit, que le fait
que ça existe aurait pu faciliter vos échanges avec votre psychiatre sur votre
désir de suicide et de mort. Et, en fait, Dr Carrier disait l'inverse. C'est-à-dire
que lui, il disait que le fait que ce soit le psychiatre qui puisse analyser
une demande d'aide médicale à mourir, le psychiatre traitant, pourrait nuire à
la relation patient-médecin et puis il faudrait donc sortir ça un peu de la
relation et que ce soit éventuellement une instance neutre qui puisse juger
d'une telle demande. Donc, j'aimerais vraiment vous entendre là-dessus.
Puis, dernier point, si jamais il reste du
temps, c'est sur le caractère incurable, mais pas de la souffrance, mais de la
maladie. Donc, c'est les critères actuels, et j'ai bien lu votre présentation,
votre PowerPoint, il est excellent, et je comprends qu'on est capables de
déterminer si une maladie psychiatrique est incurable ou si, dans son
processus, dans le fond, elle le devient, comme un cancer qui ne l'est peut-être
pas au début, mais qui va le devenir dans l'évolution de la maladie.
M.
Courtemanche (Simon) : Je
peux répondre rapidement pour la deuxième parce que c'est un élément qu'on avait
abordé, qui était la relation patient-médecin, pour ne pas la mettre à risque,
mais, par rapport... En fait, chaque demande
doit être unique d'une certaine façon. Dans certains cas, cette demande-là
devrait être traitée par le médecin traitant puis, dans d'autres cas, non. En fait, le
médecin traitant devrait avoir le choix de faire partie de cette
évaluation-là, mais, tu sais, de toute façon, le choix final ne va pas revenir au
médecin traitant. Donc, ça, je pense que c'est un élément important, puis,
Dr Barbès, vous me compléterez. Je ne vois pas, personnellement, là, je ne
vois pas tant de risques que ça, puis c'est sûr qu'il faut que le médecin soit
à l'aise dans toute cette évaluation-là puis dans la relation, là, parce que la
relation thérapeutique, on veut la préserver au final, elle est importante.
Moi, j'aurais, de façon personnelle, aimé que, quand j'avais fait cette
demande-là, le médecin fasse... en fait, soit partie prenante de cette évaluation-là, mais j'aurais probablement
aussi compris si elle ne voulait pas embarquer là-dedans puis juste rester
comme... Bien, en fait, c'est de
l'expliquer, la raison du refus, à la personne puis d'être complètement
transparent. Dr Barbès.
M.
Barbès-Morin (Guillaume) : Bien, oui, bien... Ça dépend beaucoup de
notre perspective comme médecin. Je
pense que, fondamentalement, il faut respecter la position du médecin traitant
à l'égard de cette situation-là. Autrement dit, s'il n'est pas à l'aise avec le processus, s'il n'est pas à l'aise
avec la situation, il faut qu'il puisse référer à quelqu'un d'autre pour
la suite des choses.
Maintenant, est-ce qu'il faudrait faire en sorte
que jamais le médecin traitant ne soit impliqué là-dedans? Pour moi, ce n'est absolument pas clair, puis pour
notre comité non plus, ce n'est pas clair que c'est préférable. Parce
que, souvent, le médecin traitant, lorsque
le lien est bon, est généralement très bien placé pour être en mesure de donner
un premier avis sur la situation.
Et même je
vous dirais, moi, mon expérience depuis que tout ça est dans l'air du temps, tu
sais, j'ai des patients qui m'ont
abordé à ce niveau-là, et, comme M. Courtemanche l'a dit, jusqu'à
maintenant, ce n'est que positif. Ce n'est pas facile, mais c'est
positif.
Ça donne des
occasions fantastiques, entre autres, de demander aux gens : Bien, est-ce
que vous seriez d'accord pour qu'on
l'aborde avec votre famille, avec votre mère, avec votre père, qu'on s'assoit
ensemble puis qu'on en discute? Puis
ça amène à des... jusqu'à maintenant, là, ce que moi, j'ai constaté dans ma
petite clinique, là, que ce n'est peut-être pas partout comme ça, là,
mais ça amène à des situations d'apaisement importantes puis ça nous permet de
travailler sur
d'autres choses en attendant. Qu'est-ce que ça va donner? Je ne le sais pas.
Puis si un psychiatre n'est pas confortable avec ce genre de démarche là, bien, c'est important qu'on le respecte.
Par contre, je pense que c'est important qu'il soit référé.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Barbès. Merci beaucoup, M. Courtemanche. C'est
tout le temps qu'on avait, malheureusement.
Donc, nous
suspendons les travaux quelques instants, le temps d'accueillir notre nouvelle
invitée. Donc, merci encore une fois d'avoir accepté notre invitation
aujourd'hui.
(Suspension de la séance à 14 h 36)
(Reprise à 14 h 43)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, nous sommes de retour. Bonjour, tout le monde. Donc, nous avons le
plaisir d'accueillir cet après-midi la Pre Jocelyn Downie. Donc, bienvenue
parmi nous, Mme Downie, merci d'avoir accepté l'invitation aujourd'hui.
Vous aurez 20 minutes pour votre exposé, et 40 minutes d'échange avec
les membres de la commission. Donc, je vous cède immédiatement la parole.
Mme Jocelyn Downie
Mme Downie (Jocelyn) : Oh! good afternoon and thank you for the opportunity to speak with
you today. As you just heard, my name is
Jocelyn Downie, and I'm the James Palmer Chair in Public Policy and Law and
university research professor at Dalhousie University in Nova Scotia.
So, that's who I am, but of course, it doesn't tell you why I'm here.
I believe I'm here for a few
reasons. First, because I've been researching and writing on medical assistance
in dying for a very long time, so I've seen the arc of progress, with all of
its many fits and starts. Second, because I bring you a perspective from
outside Québec, but having
followed Québec very closely
and with great regard. Third, because I work at the intersection of law ethics
and policy, and if ever there was an issue that needed that approach MAID is
it. Fourth, because I've been intimately involved in many of the prior
processes relating to the topics that are
before you, as a committee ranging from special consultant to the very first
Special Senate Committee on Assisted Dying in the early 1990s, to being
a member of the plaintiffs legal team in Carter to being a member of the Royal
Society of Canada expert panel on... (panne de son) ...territorial expert advisory group on physician-assisted dying, the Council of Canadian Academies expert
panel on medical assistance in dying, specifically the mental disorder
working groups, and finally because I led an independent process of experts
exploring what the Federal and the Québec Governments should
do in response to the Truchon decision and the removal of reasonably
foreseeable and end of life from their
respective laws, especially with respect to where MAID and mental disorder is the
sole underlying medical conditions. So, I offer my comments against that
backdrop.
Now, to prepare for today, I
looked at your committee mandates, I, then, went to my files and pulled all out
of the Government committee and
expert panel reports and court cases in Canada that dealt with mental illnesses as a sole underlying medical conditions and requests for MAID made in
advance of law decision-making capacity. And I made a table : Who said
what about the issues that are before this committee? It is really stark when it's on one piece of paper. Support from
MAID MD-SUMC, which I'll use as the acronym for mental disorder as the sole
underlying medical condition, and advance requests is overwhelming from the
very groups that have reviewed and assessed all of the evidence and the
arguments and had the mandate to make policy recommendations or decisions.
So, my first message to you
today is it's time, in fact, it's past time. It's past time to stop debating
whether we should allow each of these, and instead we should focus on how to
regulate and implement them both, especially in Québec, as you are uniquely positioned to take the step. You had your
original Special committee of
the National Assembly followed
by a legal expert's report. When you took the first brave step along the MAID
path, then recently you had another expert panel report, that dug deep into the
evidence and the arguments about MAID and decisional incapacity, and of course
the Truchon case, and you also had the AMPQ committee report that dug deep into
the evidence and the arguments about MAID
and mental disorders. You can also draw upon the work done outside Québec,
including the Royal Society of Canada expert panel, the
Provincial-Territorial Expert Advisory Group, the special joint committee of the House and the Senate, and
The Halifax Group, all groups that have studied and made recommendations
on the issues that are before you.
So, let's turn first to mental
disorders. Now, before moving to the questions of how to regulate and implement MAID MD-SUMC, I do want to make
one quick point about the whether. You will hear arguments against allowing
MAID MD-SUMC, but one thing that doesn't get enough attention is the extend to
which these arguments were heard and roundly
rejected in Truchon. Of course, the plaintives in the Truchon case were not
individuals with mental disorders, however the issue of MAID MD-SUMC was
before the court because of the implications for MAID for mental disorders of striking down the illegibility
criteria of reasonably foreseeable or end of life.
Justice
Baudouin heard considerable evidence about the experiences in other
jurisdictions with MAID MD-SUMC and indeed most, if not
all of the arguments you will hear against MAID MD-SUMC. These include the
impact on suicide, suicide prevention and
suicide contagion, the relationship between suicide and MAID, clinicians'
ability to assess capacity in persons with mental
disorders, the role of cognitive distortions, whether clinicians can ever say
that a person's condition is irremediable, the possibility of errors, the
normalization of MAID, the impact on the perceived value of the lives of vulnerable groups, including persons with mental
disorders, slippery slopes, and importantly the social determinants and
vulnerability. Justice Baudouin considered and weighed the evidence against
MAID MD-SUMC and she found... (panne de son)
...decision and we recalled that unlike the people appearing before you or
publishing their opinions, the witnesses in Truchon were under oath and
more importantly they were cross-examined in court.
With that, let's look at the how. I
imagine you will have already generated a comprehensive list of recommendations that have been made with respect to the how to regulate and
implement MAID in the presence of mental disorders. Allow me to engage with
some of them.
First, systems level recommendations.
Recommend improving and increasing access to mental health services and social supports and services
especially in rural, remote, underserved and marginalized communities, and
particularly for persons with
chronic, difficult to treat, mental disorders. It's important to note that this
not a motherhood and apple pie call for increased supports and services
for mental health services and social supports. Of course, we would all love to
see such increases. But your process is about MAID and mental disorders, and it is very specific and small cohorts
of individuals with mental disorders who will be eligible for and want MAID.
So, this is a very targeted call for better access. We need not remedy
all of the deficiencies in the system in order to ensure adequate protections are in place for MAID for mental
disorders.
Next,
recommend supporting the development of training and continuing education programs for clinicians who are willing to be involved in MAID MD-SUMC.
It's important to emphasize that this recommendation is not being made
because this is about mental disorders per se. It is essential to avoid
exceptionalizing mental disorders in all that
you do, because exceptionalizing leads to stigmatizing and discriminating.
Rather, it's because this is a novel category for MAID in Canada. And so, as with all novelties, it
warrants training and education efforts.
• (14 h 50) •
Next, recommend supporting the establishment of
one or more consultation services for providers and assessors. The idea is that
a service to which clinicians can turn for prospective guidance with respect to
specific challenging cases. They may be province-wide, and or at the
level of hospitals. I'm agnostic as to which would work better, and
consultation with assessors and providers would be essential for the design.
But I do want to argue that consultation services must be independent of the oversight system, the CSFP. I
would also recommend that this service be for all complex cases in recognition
of the fact that mental disorders do not have a monopoly on complexity.
Now, the AMPQ committee recommended
the creation of a new clinical administrative entity to insure appropriate access to psychiatrists and a structure for prospective oversight.
You're very lucky in Québec to
have a culture of seeing access to MAID as a
social obligation, not a responsibility resting solely on the shoulders of individual
clinicians. It would be great to have this formalized in an entity with the
responsibility to ensure that each request is addressed
within a specified time frame, so recommend
this. I also think that the administrative functions proposed by the AMPQ
committee make good sense, so recommend them.
However,
I do have a concern about what they characterized as the substantive roles. I
don't believe that prospective oversight is justifiable. First, the recommended
role is limited to checking documents, yet clinicians doing MD-SUMC are no more
likely to not do the documents right for MAID MD-SUMC, idem for other types of
MAID. Furthermore, I fear a repeat of the Morgentaler situation : A
legally mandated bureaucratic requirement put in place ostensibly to protect
women, but the therapeutic abortion committees turned into an instrumentable
and indefensible barrier to access, and they led to the law being struck down.
It seems to me that the benefit of prospectively checking documents is
outweighed by the burden of delays that can result in absolute barriers.
I
would also urge you to pay attention to MAID in jails and recommend ensuring
that there's a mechanism for provision of MAID in jails. According to the
Mandela rules, the State must provide access to health care in jails that is
available in community, and some people will not want to leave MAID... leave
the jails for MAID. But even more important is to recommend that the government
work on the mechanism for compassionate release from provincial jails. I have
reviewed the federal approach to release, and it is profoundly flawed. And I'm
afraid I don't know enough about the Québec system, but I would like the AMPQ
committee flag this as needing special attention.
Again,
this recommendation would apply to MAID for physical disorders too, but it
warrants special mention here, and your special attention in the context of
your mandate, given the disproportionately high rates of mental illness among
people in jails.
Let's
now look to some individual case level recommendations. First, I would
encourage you to recommend requiring that one of the assessors be a
psychiatrist, where a mental disorder is the reason for request or is tied up
with a physical disorder as the reason for a request. Now, I have to tell you
that when I first heard this suggestion, I objected to it. Why exceptionalize
mental disorders in this way? People aren't suggesting requiring that assessors
be specialists in MAID for physical
disorders. However, I have come to understand that this recommendation is
grounded in a concern that does map
onto mental disorders. These are cases in which the assessments of eligibility
are inextricably linked to the
different training that psychiatrists receive, compared to other clinicians.
The requirement is a recognition of
the professional competencies required in a specific instance of MD-SUMC or
whether a mental and physical co-morbidities,
because of the interdigitation of the features being assessed for MAID eligibility
and the unique professional training and competencies of psychiatrists.
Note
that I am not here endorsing the recommendation that others have made that both
assessors must be psychiatrists. I haven't been persuaded that that level of
expertise in both clinicians is necessary.
Now, in assessing my recommendation, it's important for
you to bear in mind that if the non-psychiatrist does not have the self-assess professional competency to conduct the
required assessments, they have already a professional obligation to consult someone with the expertise
or to transfer the process to another clinician, and we already rely on
clinicians to be self aware with respect to their competencies and to not act
outside of them.
Now,
some people have also suggested, directly or indirectly, that a person has to
have tried treatment before being given
access to MAID. One example given here, in an effort to illustrate the concern
motivating this requirement, is a 19 year-old who shows up in the
emergency room, is depressed, his girlfriend just broke up with him, he refuses
all treatment and asks for MAID. But this
person won't meet the existing eligibility criteria for MAID. For instance, the
advanced state of the irreversible decline in capability. You don't need to create
or rely on an additional obligation to have tried treatment or make that
a condition of a find in giving curability to prevent him from getting MAID.
Another
example given is a person who has had a diagnosis for a couple of years, just
tried a few things, hasn't had a lot of success, is demoralized and pessimistic
about the future and refuses further treatment. Again, though, there are criteria other than a requirement to try more
treatment that would preclude this person accessing MAID.
Now,
I would note that given the potential for spontaneous remission or the
potential for improvement as a part of the
natural history of certain mental disorders, if a person is not willing to try
any or the recommended treatments, it may nonetheless be impossible for
the clinician to form the opinion, as required by law, that their condition is
incurable and that their suffering is irremediable, because it might remit.
Furthermore, I would note that the refusal of established treatments should be
a red flag for extra caution about decision making capacity.
This
doesn't justify excluding the person, but it does justify a very careful
assessment of capacity. And it's likely that
someone who refuses any reasonable treatment or any treatment at all for a
mental disorder will not be found capable
and will therefore be ineligible for MAID. Now, this will of course not resolve
all cases, but it will resolve some.
Now
I would argue that you could only require that a person have tried treatment
for mental disorder if you are also prepared
to require the same thing for physical conditions, for instance, cancer. But
doing that flies in the face of established law, reasonable
interpretation of the Canadian Criminal Code MAID provisions and Carter, where
the Supreme Court of Canada expressly said
that you're irremediable : «Does not require the patient to undertake
treatments that are not acceptable to the individual.»
In
some here I believe that the concern about patients refusing treatment doesn't
justify additional eligibility criteria or procedural safeguards or need
anything in the legislation, rather it justifies good education and training to
alert assessors to what refusals may signify and the need to make sure that the
eligibility criteria are actually met, but also
training and how to explore refusals of treatment in a way that uncovers what
is going on without imposing one's own values on the patient.
And
finally, here on mental disorder, some have suggested that family involvement
should be a requirement of access to MAID. I would definitely agree that the
involvement of family and friends is usually very important and should usually be encouraged and facilitated.
However, consistent with the well-established principals and precedents in our legal system, it requires the consent of
the person making the request. One need only consider requiring a patient
to involve a father who sexually abused her as a child to see that involvement
should not be a precondition for accessing MAID.
Now,
let's turn to advance requests. Some people will no doubt ask you to reject all
forms of advance requests for MAID. I
encourage you to reject this for at least the following reasons. First, your
own expert committees have studied the issue and recommended that you do
so, most recently, the 2019 Québec expert panel on the question of incapacity and MAID. Their research was
thorough, their analysis was rigorous, and the recommendations are sound.
Second,
Québec public opinion supports it. For instance, the January 2020 DWDC Ipsos
poll showed that 89 % of Quebeckers
support advance requests. I note, also, that, for what it's worth, these Québec
based recommendations and opinions on whether to allow advance requests
align with the views and positions taken in the rest of Canada. The Government, the expert committees, the federal
government and federal expert committees, the Provincial-Territorial Expert Advisory Group, all support it. Canadian
public opinion also supports it, for instance 79 % of Canadians express
support for advance requests in the very recent and huge federal consultation.
And of course, the recently passed Bill C-7,
amending the Federal Criminal Code, permits two forms of advance requests made
after the person has lost decision
making capacity. That is for final consent waver, for those who have been
assessed and approved, and the advance consent for failed
self-administration.
• (15 heures)
•
Now,
in relation to the question of when rather than whether advance requests should
be permitted, I'd encourage you to adopt the
position that advance requests should be permitted after diagnosis with a
serious and incurable condition. This recommendation is supported by the
2019 Québec expert panel as
well as the pre-C-14 special joint committee of the House and the Senate. The
Provincial-Territorial Expert Advisor Group, indeed, all post-Carter expert panels and committees who have been tasked with making
recommendations have made
this recommendation.
Now,
again, because I actually
anticipate you will land on allowing advance requests made after diagnosis with
a serious and incurable condition, I'm not going to go into the arguments and
the evidence, here. You can read the
relevant very persuasive reports. What deserves most of your time and energy is
the consideration of how. The usual approach taken to date has been to
fight about whether and when, leaving no time for the how. But the devil is in
the how. I would encourage you to really dig
into the how and develop the most nuanced and sophisticated system in the world
for advance requests and MAID. One that accurately maps philosophical
justifications for access and for protective measures onto the requirements for
clinical practices.
So, on the how, here is what
I'd recommend. First,
immediately make an interim recommendation to the Government to allow Quebeckers to make use of the federal Criminal Code final consent waiver. You do
not need to have completed your
deliberations on the broader category of advance requests to know that this is
the right thing to do. You only need to know that, without the final consent
waiver, Quebeckers will die
earlier than they would otherwise want to
because they fear losing decision-making capacity and thereby their access to
MAID. Quebeckers will decline or reduce pain medications in order to retain
their decision-making capacity long enough to access MAID. Quebeckers will loose
decision-making capacity waiting for arrangements for MAID to be finalized — for
instance, finding a time in their provider's
schedule, and thereby be condemned to live on in a state of, by definition,
intolerable suffering. There is a
mechanism to avoid these harsh consequences. It has been thought through,
debated in Parliament and is already
being implemented throughout the rest of Canada. I hope you will encourage the Government to allow Quebeckers
who already meet all of the eligibility criteria for MAID and whose natural
death has become reasonably foreseeable to make arrangements for MAID to be
provided at a time in the future after they have lost decision-making capacity
using the final consent waiver from the Criminal Code.
And finally, I will just make a
few comments about the development of a Québec advance request regime :
Require the diagnoses with
serious and incurable condition before the request can be made.
Require decision-making
capacity at the time of making the advance request.
Require that people are
informed. This should include specifics about the trajectory, taking into
account all of the circumstances of the person. This is a reason to require the
diagnosis because it's only at that point that we can be sufficiently informed.
Require that the document
spells out what the person considers will be intolerable suffering and
conditions for triggering the advance request. These should be subjectively
chosen but able to be objectively determined by the provider whether they're
met. So, for example, if I am given a diagnosis of Alzheimer's disease, I could
ask for MAID to be provided when I'm found
to be stage 6. Or, I could say : When I have not been able to tell you the
name of my spouse for two consecutive weeks, or if I'm unconscious. This
approach preserves the Québec
law's commitment to the subjectivity of the assessment of suffering, but it
avoids uncertainty about whether the person's conditions for suffering have
been met.
Establish what to do if the
person appears to have changed their mind — specifically follow what the person
said should happen if they appear to have changed their mind — and
require, as a part of the informed consent process, the disclosure that this situation might arise.
Similarly, establish what to do
if the person doesn't appear to be suffering — specifically follow what the person said should happen if that happens — and require again, as a part of the informed
consent process, the disclosure of this kind of
scenario.
Recognize that what is being
permitted is the making of a request and acting in accordance with the request,
not the creation of an obligation on the part of someone to follow a person's
direction. This point was made by the expert panel, excellent point, and it reflects respect
for the moral agency of clinicians and recognizes the potential for moral
distress associated with acting upon some request, particularly where
the person doesn't seem to be suffering or may have changed their mind.
And finally, don't combine or
allow any conflation of advance requests for MAID with advanced directives with respect to cessation of treatment. Avoid
combinations or conflations in relation to language, forms, processes for
registering forms, education and so on.
With that, my time is up, and I
thank you for your attention, and I welcome your comments and questions on
anything that I've said or on any other matters that are of interest to you.
La Présidente (Mme Guillemette) :
...
Mme Downie (Jocelyn) : Translation
is not on.
La
Presidente (Mme Guillemette) :
Est-ce que vous m'entendez mieux comme ça? Parfait, merci. Donc, un petit
problème technique. Donc, je céderais la parole à la députée de Westmount—Saint-Louis.
Mme Maccarone : Merci, Mme la
Présidente. Hello, Ms. Downie, it's a pleasure to have you
with us today. Thank you very much for your
presentation. I think that you brought up some elements that were very
interesting in terms of your recommendations and thank you very much for
respecting the mandate of the commission. I think that you were very precise in what you shared with us and
also very concise. I regret that we don't have a
«mémoire», that we don't have a brief from
you because... I'm hoping everybody took some very good notes because I think
that what you've shared will be extremely pertinent.
One of the questions that I
have for you is the idea of aptitude. I think it's something that we struggle
with and I know that we have the medical
conclusions that... pertain to aptitude. But I'd like to hear from you and from
your legal expertise in terms of how
this should be identified and recognized, specifically since in Québec, as you
know, we have a civil code, we're unique in that. So, maybe you could
illuminate us a little bit on that perspective.
Mme Downie (Jocelyn) : You're wandering in relation to...
Mme
Maccarone : Consent, right, you talked a lot about it, you know,
consent is important. And it's a lead-in to my second question in terms of... You mentioned
that we shouldn't necessarily categorize because it potentially leads to
discrimination, for example, right? We don't necessarily want to separate. So,
if I'm thinking that it should apply to everybody, because suffering, as you mentioned, is
very subjective, what if it's somebody who suffers from an
intellectual disability,
for example, how will we identify consent and therefore aptitude for that
person, from a legal perspective, to make sure that we're respecting the
law?
Mme
Downie (Jocelyn) : Right. OK. Thank you. So, I
think it's crucially important to ask yourself always, as somebody who is trying to draw a line and create categories : Is
there a morally significant, or clinically significant, or legally significant
difference between the groups? And they aren't legally significant differences
between these groups, and I would
argue there aren't morally significant or legally significant either, in terms
of categories. It's case by case.
And
that's certainly what Justice Smith said in the Carter decision at trial and certainly
what Justice Baudoin said in Truchon as well, it's : We need to pick
careful attention to capacity. But it's the same issue for these different
groups. They just may have different kinds of compromise on them, and we always
need to be attending to potential compromises. But we always need to go in with
the presumption of capacity and then we see whether there is anything that
would indicate that the person does not have the decision-making capacity...
from a legal perspective here, I'm saying, to understand the nature and the
consequences of the very specific decision that is in front of them here being
made.
So,
people with intellectual disability can have capacity for this kind of
decision. People with mental disorders, a psychiatric illness also can have
capacity. So, I know, often, you'll hear people
say : You shouldn't have MAID for mental disorders because psychiatrists
can't assess capacity. And my response to that is somewhat defensive... (panne
de son) ...the part of psychiatrist, many that I know that... I mean, that's
what they do all the time. They are very specifically trained in the assessment of capacity, especially in the face of
mental disorders.
So,
I think we do, and Justice Smith and Justice Truchon pointed that out,
clinicians assess capacity all of the time, from a legal perspective and a
clinical perspective. We need to trust them to continue to do that job, and
there's no reason not to trust them to
continue to do that job well. So, I guess, yes, it's just... it's case by case.
Clinicians can assess capacity in all of these categories. And so what
we need to do is ensure that people are well trained to do capacity assessments. There is room for better training,
particularly outside the context of psychiatry, around capacity, and that's
something that is being developed as MAID in
general, is being developed across... is being rolled out across the country.
• (15 h 10) •
Mme
Maccarone : O.K. You also made a
recommendation that, I think, is really smart, that in terms in the... when
we're putting in the request and we're identifying for somebody that's
requesting an advance access to MAID, that we make it very clear... Because one
of the questions that we've been asking people that have been coming in
commission is : What to do if that person changes their mind? And so I do
think that it was a great recommendation on your part that we make sure that
it's clear in advance of... I think that that's going to be very helpful.
So, my question to you is : What
if it's not all documented? We also had a researcher who has presented to us this week that a lot of the requests happen to be verbal and not
necessarily documented and written... (panne de son) ...distinction be made for
that and, if so, what should that be?
Mme
Downie (Jocelyn) : I absolutely think it
should be documented. I think that we should have an advance request, a formal advance request process. I think
it should be completely distinct, as I said at the end, from the advance
directive, for the mandate. That whole thing is different. And it needs to be
very clear, and we can work together on developing the form and the checklist,
in a sense of all the things you need to go through when you are talking with a
clinician. I do believe it should be done
with a clinician, unlike a lot of advance directives. Outside Québec, at least,
they're done with lawyers, which is... doesn't make sense. This is a
clinical decision. So, I would have forms.
Now,
there are some forms for the final consent waiver, and that can be much, much
simpler. Because you're not anticipating out
in the same way at all. You have met all of the eligibility criteria, you are
already experiencing intolerable suffering, so I do believe that form is
rightfully simpler and I think you could pretty readily adapt it for Québec. And I would have a different form than I
would for what we're calling an advance request, I would have it be
written, I would have it lay all those things out.
Many
people have argued... not argued, have suggested that
you do video, and I think that can be incredibly helpful too because what you
are trying to get out is the clearest sense you can have of what the person
considers to be intolerable suffering, what
do they value in life, what do they see as being suffering. And then clinicians
and everybody who is around the person, when they go to trigger the
advance request, can feel confident that what they are doing is they are
respecting what this person wanted, and there is no sense of what do we do
here. We need to learn from the experience
with advance directives and that... very often they are very badly done. And
people don't know what they mean, you
know... (panne de son) ...used to be... (panne de son) ...say : No...
measures. What's that? Right? So, don't... we can learn from that and we
need to be specific.
And that's why I was making the point,
too, where it's important for the individuals to articulate what constitutes suffering for them but then to say : These are the conditions,
this is how you can tell whether I'm experiencing this. Because what's not
helpful is if you say : If I'm suffering. Because how is a clinician
supposed to know whether you are suffering
or not? And that's precisely why advance requests have not been particularly
useful in the Netherlands, because they actually have the blend
of : the physician has to believe that the person is suffering, and how
can you do that? So, what you have to do is
you have the person articulate what constitutes suffering, what will be the
objective measures for that, and then a clinician can definitely do the
objective assessment.
So,
yes written forms, long answer to written forms. And I'd also...
Mme Maccarone : No,
it's...
Mme Downie (Jocelyn) : ...throw in the video. I've seen that. A friend
of mine, his mother has one, and I thought it was
superb.
Mme Maccarone : I
think these are excellent recommendations. I appreciate your feedback. So, you
also mentioned... I have two last questions and then I'm going to ask my
colleague of D'Arcy-McGee, because I know he's
eager to ask you some questions as well. You mentioned that we should be paying
special attention to compassionate release
from guilt, for example, the situation of prisoners. And somebody else has
brought up that we should perhaps be looking at consideration for minors
and pediatric care. Is that also something that you think that we should be
giving consideration to?
And my second question, so that
we... time so that he can get in his, is... One of the things that was also
recommended to us is that we should perhaps be considering a center of
excellence and that we should be inspiring ourselves,
for example, for practices that they have in place for MAID in B.C. Is this
where you think that we should be looking? Or do you have other
recommendations for inspiration for us going forward in terms of that type of
support for the individuals that will be providing the care, that will be
executing the care and to make sure that we are also accompanying the
individuals that would be making requests?
Mme Downie
(Jocelyn) : Sure. OK. So, mature minors is something
I do have an opinion on. I went looking at
your mandate, I couldn't see it there, so I didn't work it into my remarks, but I
absolutely believe that we need to deal with mature
minors and don't believe that the exclusion of mature minors is consistent with
the charter.
And so, I think, if you could
recommend to the Government to
change the requirement of... that the person be an adult, that would be a very
wise move. I think the easiest way to get... Because people, at first,
go : Minors, you can't have... you can't possibly have that. And my
response to that is twofold. One is : They make life and death decisions
all the time already, in Canada,
because we have the mature minor rule for refusals of treatment. And the second is : Picture a... somebody who's 17
years old, 361 days, and they're dying of cancer, and they're in intolerable
pain, and you're going
to tell them to wait a
week because they're going
to turn 18? It just shows
the absurdity of a birth date. So, yes, I would
strongly recommend that.
There is some useful
information in a piece that the SickKids put out, out of Toronto, when they
were... They weren't advocating, they got sort of... with, as if they were
advocating for this, but they were actually just being responsible and saying : This may come, so if this comes, we think
people should be ready. And so, they have some really interesting, important reflections in there, as
does the Canadian Council of Academies' report on mature minors. But yes, I
would strongly advocate and would be happy to talk at length on why mature
minors should... And Constance MacIntosh has written a very good piece
on this. I could send that to you, if that would be helpful.
So, on the center of
excellence, I am a huge believer in the value of research and the value of a
bridge from research to practice and I think
centers of excellence can do that. I'm agnostic on the actual mechanism for it
and what would be best in the context
of Québec for that, but the idea of the
functions, of following what is actually going on on
the ground, doing the research. Partly why we were able to get assisted dying
in Canada is because the
Netherlands did the research and Belgium did the research. They did their
five-year reviews and we had the evidence that showed there's no slippery
slope.
So, yes, and people are turning
to us, now, and they're looking very much to Québec, and they're looking also to the rest of Canada. And so doing that kind of creative... doing creative research as
well as robust research will be very helpful for us to ensure that we're both
providing the access we should provide and not providing it where we should not
provide, how we can do it better, where we can find the gaps, things like... I
know this is a tricky issue in Québec, but the self-administration. There are
real gaps in self-administration. I do believe it should be available, but
there are simple gaps, like getting the drug. So those are the things you can
figure out, I agree with you. I think you added the notion of consultation, and
so ways in which the providers can come together, the assessors, and talk with
each other, it's hugely important. And we've seen that be beneficial in the
Benelux countries.
Just to your... where you
started, about a brief, I'd be happy to submit a written document of brief. I
wanted to see where your interests lay. And
I will convert my remarks and, you know, supplement them based on where your
interests are.
Mme Maccarone : Thank you very much.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Mme la députée. Pour ce qui est du document, Mme Downie, si vous avez quelque chose à nous
faire parvenir, peut-être l'envoyer au secrétariat de la commission, et
nous le transmettrons aux membres. Ce serait bien apprécié, merci. Donc,
je céderais la parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Thank you a lot,
Pr Downy, for your insights today. I wanted to
thank you in English, but my question will be formulated...
Mme Downie (Jocelyn) : I'm not hearing anything.
M. Nadeau-Dubois : You're not hearing? Mme la Présidente, est-ce que la
traduction fonctionne?
Mme Downie
(Jocelyn) : Yes, now I can hear you.
M. Nadeau-Dubois :
O.K., cool. So, I just wanted to thank you for your insights
this afternoon. I will thank you... (Interruption)... Are you hearing me?
Mme Downie (Jocelyn) : He's saying in my ear to you to change channel. I can't
change the channel.
La Présidente (Mme Guillemette) : Il
faut que vous mettiez les deux écouteurs, Mme Downy.
Mme Downie (Jocelyn) : O.K.
La Présidente (Mme Guillemette) : Ça
va mieux comme ça?
• (15 h 20) •
Mme Downie (Jocelyn) : I've got you. My apologies. I have two separate headsets going
here.
M.
Nadeau-Dubois :
Ah! That's why. O.K.. So... Mme
la Présidente, j'imagine qu'on va
débuter au début de mon bloc?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Oui, oui, tout à fait, sans problème, M. le député.
M. Nadeau-Dubois : Magnifique. Merci
de votre contribution ce matin, Pre Downy. Je vais vous poser des questions en français,
puisque je maîtrise davantage les termes techniques du débat en français.
Vous avez pris position en faveur, si j'ai bien
compris, d'une demande anticipée plutôt que d'une directive anticipée. Donc, c'est un débat que nous allons
devoir trancher dans le cadre de nos travaux. Que répondez-vous aux gens qui
voient dans ce compromis d'une demande anticipée une infraction au principe
d'autonomie de la personne? Que répondez-vous aux gens qui sont venus
nous dire que ce compromis-là, en fait, est... ne devrait pas être fait et
qu'on devrait plutôt, pour contourner les
situations où une personne dit qu'elle a changé d'idée, procéder à de l'aide
médicale à mourir par d'autres techniques, des techniques plus douces?
C'est une des solutions qui nous a été proposée pour contourner cette difficulté-là.
Mme Downie (Jocelyn) : So, let's see if I'm getting this
right. The concern being, when a person changes their mind, that you should take what they are asking
for at the latter date over what they have said before? That's a... Or is
it the different debate of not going from
calling an advance request versus directive, because directive creates an
obligation on the provider to provide, whereas the request is literally
a request, and so the provider can decline? Can I just... to be clear, which of
those questions you are asking?
M. Nadeau-Dubois : Les deux
questions sont liées dans la mesure où, si c'est une directive obligatoire, il
n'y a plus de... c'est une décision, donc, finale et sans appel, et, si la
maladie évolue différemment et que la personne soit semble heureuse soit exprime, alors qu'elle n'a plus sa capacité à
consentir, qu'elle ne souhaite plus recevoir l'aide médicale à mourir, on se
retrouve devant le même dilemme, celui de devoir choisir entre la directive
obligatoire qui a été faite lorsque la personne était en situation
d'inaptitude et la situation présente où soit la personne semble ne pas souffrir ou elle exprime un refus de l'aide
médicale à mourir. Ça nous ramène au même dilemme fondamental. Puis je veux
savoir comment vous tranchez cette question-là. Qu'est-ce que vous répondez aux
gens qui disent qu'en en faisant une demande et non une directive on
enfreint le principe d'autonomie de la personne?
Mme Downie
(Jocelyn) : So, I mean, one of the things I
would say is, of course, autonomy is not unbridled. My right to swing my fist
ends at the tip of your nose. And I think that's particularly relevant in the
context of advance requests for MAID, whether is this apparent happiness, the
situation of the happy demented person, because it can create a greater sense
of moral distress on the part of the provider. And that's what I think we're
having to wrestle with in this kind of... in this context.
So I think, one of the things you
do when we have what appears to be a dilemma, you want to respect the autonomy
that was expressed in the request. Somebody is saying something different now,
but they don't have autonomy, so it's not about violating their autonomy to
give them MAID when they appear to be happy, because they don't have autonomy. If they had autonomy, if they had the capacity
for self-determination, the advanced request wouldn't have kicked in
yet. So, by definition, if we're talking about an advance request, in the circumstance
you've described where there is apparent change or apparent happiness, they
don't have autonomy, so you're not violating autonomy there.
The potential harm is actually
the moral distress to the provider. So, I don't think you have a dilemma about two
kinds, two moments of autonomy and which autonomy do we respect. By definition,
you do not have autonomy where the person... where you have an advance request
being triggered, because you have to... by definition, you have to have lost capacity for the request to be
triggered. And so, then, what you are contrasting... you're caught is between
respecting the autonomy of the person who made the request and the moral
distress on the provider for providing MAID when the person appears to have
changed their mind or be happy.
And I think that's relevant and
I think the expert report grappled with that. And I think it's different from a
circumstance of MAID when the person is in front of you. Because, when the
person is in front of you and they're capable, you don't have that moral
distress because you have no sense of who am I, what am I doing, I'm respecting
autonomy but here is
this happy person who is going to end up dead. So, it's only in the
circumstance that you have this potential for the dilemma, being on the horns
of the dilemma with respect to : respect autonomy or cause moral distress.
And I think one of the things I
was trying to do is to suggest that there is a way off the horns of the
dilemma, for most cases, which is : you have that conversation up-front,
so the clinician... And this is where, you know... The best-case scenario is the person who is ultimately the
provider, in the context of an advance request, is the person who had that really robust conversation with the
patient, before, because then, they know. And then, if I know that the
person says : Here are my... you know, to use Dworkin's language, which is covered beautifully in the
report, you know, the critical
interests : Here is what I believe and value, such that, if I am in this
state, over here, where maybe even you think I'm content, that is intolerable
suffering, that is not consistent with my critical interests, then I think the
clinician can comfortably, much more comfortably, with less moral distress,
provide MAID in that circumstance.
Now, that will not work every
time. So, there will be circumstances in which I think the clinician would
still feel moral distress. And that's the point at which I think we, as a
society... What I would be arguing for in the law is that the person... the
clinician is not under an obligation to provide MAID. Of course, no clinician
is ever under an obligation to provide MAID. But this is an enhanced kind of
situation where you are saying you are not obliged and, if no other clinician
is prepared to provide it, then you will not get it. And the person will have
been informed of that at the beginning, right, when I write my advance request.
That's part of what I was saying, the whole information process about... We
have to talk about this exact scenario, so that when I write my advance
request, I'm informed and I know :
Look, if we get to this place, and it looks completely different than what you
thought it was going to look like,
and it doesn't seem... you're not going to get MAID. The clinician can say :
I'm not... you know, we're making an arrangement
between us, I'm not comfortable doing that. Then, I'm going to know that and I
either go with this clinician or I try and find another clinician.
So, I don't think we have... I
think it's important no to see it as a conflict of two autonomous entities.
That's really important to set that aside
and to recognize that what's really going on is autonomy and moral distress and
then work with those concepts.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup, M. le député. Merci, Mme Downie. Donc, je céderais la
parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Hello, Prof. Downie. It's been quite some time that we talked to
each other, but I've been keeping following
your work. And, from now on, I will switch to French, so you'll have to plug
back your headphones.
O.K. Est-ce que vous
m'entendez bien?
Mme Downie
(Jocelyn) : Yes, I do.
• (15 h 30) •
Mme
Hivon : Donc, pour
poursuivre vraiment dans la même veine que ce que vous discutiez, là, je pense qu'on est vraiment au coeur, vraiment au coeur du défi qui
est le nôtre pour les demandes anticipées. Et vous l'exprimez tellement
bien. Parce qu'il y a les deux éléments qui sont très difficiles : la
directive, donc, qui donnerait pleine place à l'autonomie versus la demande, et
la question de la souffrance qui est au coeur de ça.
Et moi, je ne
sais pas si je fais erreur, mais je trouve que c'est un peu artificiel de faire
une si grande distinction entre une directive et une demande, dans la
mesure où il me semble qu'il y a toujours une marge de manoeuvre, et c'est le cas actuellement. Il n'y a
pas un droit de recevoir l'aide
médicale à mourir, il y a le droit
d'en faire la demande à un médecin, et, si on répond aux critères, on va
recevoir l'aide médicale à mourir.
Et pour moi,
c'est la même logique avec une demande anticipée. C'est une demande, et, si on
répond aux critères, y compris à
celui de la souffrance, on va avoir droit de le recevoir, et là après, bien sûr,
il y a l'objection de conscience, les
défis des médecins. Et c'est pour ça que j'ai du mal à réconcilier pourquoi,
dans le rapport et vous aujourd'hui, vous faites
une telle distinction sur l'importance que
ce soit une simple demande et non pas
une directive avec une expectative qui a une bonne chance qu'elle soit
appliquée.
Et ça m'amène à l'autre petit élément qui est l'évaluation
de la souffrance. Je dis «petit élément», mais qui est plutôt complexe. Vous,
vous semblez vraiment prendre la position... et je trouve ça très intéressant
quand vous dites : On va l'écrire
d'avance, si j'ai l'air heureuse, qu'est-ce
que ça veut dire; si j'ai l'air de ne
plus vouloir, qu'est-ce que ça veut dire. Je trouve ça vraiment
éclairant. Mais, admettons qu'on n'est pas dans ce cas de figure là, est-ce que
je comprends bien que, dans le fond, pour vous, la souffrance qui vaut le plus, c'est
la souffrance anticipée de la personne apte qui se projette dans la situation
x, et non pas la souffrance contemporaine à l'administration potentielle de l'aide
médicale à mourir? Et comment on respecte alors le critère de souffrance qui
est prévu à la loi?
Mme Downie (Jocelyn) : OK, Great, great questions. So, the first thing to say about the
reason for embracing the report's enthusiastic just drawing a distinction
between a directive and a request is in part because of the power that that language has and to... So, it is... it is symbolic.
It is messaging to have different words for two different things.
But, I think, what's really
important is when I was flagging that as such an important thing to separate,
it was because I was trying to separate the advanced directives, which are the
refusals of treatment or demands for treatment in advance of a circumstance
where there is an obligation
that goes with that document.
Right? So, I thought the language of directive fits there because the doctor is
simply not allowed to treat me, as you well know, that it's assault and battery
if they touch me after I have said : No, I don't want that blood, or I
don't want that treatment, or so on.
So, it is this language of... It does create an obligation. It's an obligation to not, as opposed to an obligation to. And so, I really think
it's important, especially as we have a regime of advance directives that is
mandatory, and it's established, and is, in many ways, not very good because
it's not very clear. People don't respect them. We don't want this to get
blurred with that. We don't want people thinking that, you
know : Oh! I've got an advance directive. I know
what that's like. I'm going to do that for MAID too. I mean, I certainly get
calls from people who say : Hey! I have this living will, I'm going to put
MAID in it. Right? And we don't want that to happen.
And so, by using... So, it's
not just a notion of request versus obligation, it is... these are two
categories of documents and processes, and we don't want them to bleed together
because we need the process for MAID to be very well done, better done than we
do advance directives. And I think, by having it have a different name, and a
different set of forms, and all that kind of thing distinguished, we won't run
the risk of the bad things about the weaknesses
of the advanced directive regime bleeding over into the advance request regime.
That's just about language and people understanding.
There is something though also
about this notion of the obligation in the request, and I agree with you there.
There isn't an obligation to get MAID, whether it's a contemporaneous,
autonomous request or an advanced request. So,
it doesn't do the work. That distinction doesn't do that work for you. It does
a little bit of this... It's almost symbolic, maybe, in the context of
the situation where... There
are a number of people who, I think, are MAID providers who actually feel
almost a sense of obligation to provide MAID for a patient who is eligible and
requests it. They feel it is the person's
right to have it and that, as a clinician, I have a moral obligation to provide
the care that my patient wants.
Some of those people are
uncomfortable with the scenario of someone where they cannot fathom that this
is suffering, the person seems happier, is
not suffering, and so on, and that will create a sense of moral distress for
them, I think, because they'll feel, on one hand, an obligation to their
patient, on the other hand, unlike the circumstance where the person has
capacity, they will feel a tension in not wanting to provide that service to
their patient. And so, if we characterize
this as a request, I think we are... it's tipping our hat to that. So, I guess
it's not doing any profound conceptual work, and I agree with you, it's
not as distinct as maybe... as I was describing it in the context of MAID alone. It is strong when I'm trying to distinguish
it from the refusals to treatment, but it's this recognition of the difference
of the moral distress that, I think, providers may feel and that we, then, as a
society, are somehow respecting that through our language and through
acknowledging it.
It's... That's as so far as I
am on this concept. I'm still wrestling with it too. I just... I thought it was...
I appreciated what they said in that report, and it really got me thinking. So,
I think I'm still... Once you start to parse it
out, you realize, OK, even just that, making that linguistic move operates on
different levels. Right? It operates... We... It has... in terms of
directives, it has important terms of MAID, and so on.
Mme
Hivon : Mais en
fait, déjà dans le langage actuel, c'est une demande...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, Mme la députée.
Mme
Hivon : C'est
beau.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
C'est tout le temps que nous avions. Donc, je céderais maintenant
la parole au député de Mégantic.
M.
Jacques : Merci, Mme la Présidente. Hi, Mrs. Downie.
It's a pleasure to meet you here today. Like my colleagues, I will take the... I will ask the
questions in French because my English is not so good, but I can understand what you say.
Écoutez, vous avez parlé plus tôt de l'accès pour
les personnes avec des troubles mentaux dans les communautés rurales à, peut-être, moins d'accès à des...
certains services, entre autres, peut-être, pour les soins de fin de vie ou autres.
Mais pouvez-vous élaborer là-dessus? Parce que, moi, je vis dans un milieu
rural, et il y a quand même beaucoup de gens, là, qui bénéficient de beaucoup
de services, quand même, chez nous. Juste me revenir là-dedans... Wrap... Maybe
wrap all the... your... votre pensée là-dessus.
Mme Downie
(Jocelyn) : Sure. Yes. So, it's a constant
refrain from people who are opposed to MAID for mental disorders as a sole
underlying condition, that people with mental illness do not have access to
services. And that... that is particularly acute in rural and remote
communities.
You know, one of the things
that we said in The Halifax Group report, was : That's simply not true of
everyone. And many people do have access to the supports and services, and they
still want MAID. So, it's a real mistake to think : OK, rural, remote
equals no services, therefore justification for not having access to MAID.
That said, there are still gaps
in our services, our supports and services, and there are people who don't have
access to supports and services. And what you want to do is ensure that people
have meaningful choice. I mean, autonomy is... the relational concept of
autonomy which flags that, you know, just... If I have a and b in front of me, if c is not on the table
for me, the fact that I choose between a and b doesn't entirely make it a free
choice if c would be in fact something that I wanted. So, what we have to do is
think about... You know, a
robust sense of autonomy involves reflecting on what choices people actually have available to them.
So, I would say, it's...
there's... the element of... That is why I said, sort of, motherhood and apple
pies, we want to improve mental health
services and supports and social supports for people with mental disabilities
and disorders, and also physical disabilities, but
that is not a reason to not allow MAID in those circumstances, because it's
case, by case, by case. That is what Justice
Smith, Justice Baudouin said, it's case by case. You have to look at :
Does the actual person in front of
you have access? If so, they may still be requesting MAID. If not, then you do
what you can to get them access.
• (15 h 40) •
M. Jacques : ...(panne de son)
La Présidente (Mme Guillemette) : On
ne vous entend plus, M. le député. Votre micro est fermé.
M. Jacques : Excusez-moi. Donc, ce n'est
pas une raison de le permettre ou de ne pas le permettre. Puis il ne faut pas
se fier au fait qu'il pourrait y avoir moins de services en quelque part, dans
une région quelconque, pour donner accès aux
soins de fin de vie, alors qu'il n'aurait pas besoin d'avoir recours à ça en développant les services, là, ou que les gens aient les services nécessaires
à leurs conditions.
Mme Downie
(Jocelyn) : Absolutely. The other thing I would add, which... Justice Smith used the
powerful language of hostage. This is the same argument that was used around
palliative care, when we were first getting MAID, which was : You can't have access to MAID until everybody has
access to palliative care. And the point was : No, you can't hold
individuals hostage to the failings of the system. We have to operate on
parallel tracks. We have to walk and chew
gum. We have to improve access to palliative care, as Québec has done. And I remember, Mme Hivon, this was a part of what you did at the time, was you do parallel
tracks. So, similarly, if there are deficiencies in our system with respect to
mental health services, we do those parallel, we develop, we work better. But
you don't hold the individuals hostage to the failings of the system.
And you also don't assume that
pouring on services is going to mean that people don't want MAID. Many people would... Many people with mental health
problems who are coming for MAID, these are serious, complex scenarii. They've had full access to mental health services
and supports and are supported in their family, they don't have the gaps
in social determinants in health, and so on.
They don't have it. So, you can't use the lack of services for the person down
the street to say : That person can't have MAID.
M. Jacques : Parfait. Merci. Thank
you. J'aimerais ça, revenir, là, par rapport au refus de traitement. Je sais que les collègues en ont parlé, pour certains.
Mais, quand on parle de maladies mentales, ou les cas de psychiatrie, ou...
bien, j'ai compris ce que vous avez dit, là,
mais le simple refus de traitement... à un traitement, puis comment on fait
pour s'assurer que c'est le dernier traitement qui peut être disponible avant
d'arriver à la fin complètement ou en soins de fin de vie, à ce moment-là, de quel... qu'est-ce qui
peut apporter... pour dire : Bon, soit le refus de traitement ou la fin
des traitements, comment on peut l'évaluer? Comment on
peut voir qu'est-ce que c'est?
Mme Downie (Jocelyn) : So, I wouldn't naturally say that the standard is the person has to
have reached the last available treatment. What we should have is : they
have reached the last available treatment that is acceptable to them. And that may not be the last available
treatment, but we can't force people to go through treatment or say to
them : You have to have
treatment. Otherwise, we're not going to give you access to MAID. I think
that's a violation of their autonomy.
And I agree with the Supreme Court of Canada, and also the various ministers,
and councils who appeared... which is
well established under Canadian law that we can't force people to have
treatment, and it would be unreasonable.
So, you definitely... it's not
all treatments, because we don't do that for physical disorders. People can
say : I've had enough. There may be three other kinds of chemotherapy they
could try, but, you know, they've tried seven, and we say : You don't have to try anymore. Or, you know, they may
be Christian scientists and be refusing any. And so, there's treatment
available, but they're not taking it because they object to it on religious
grounds. So, what we... I think, we want to do is avoid getting into
judging, imposing our view of what's reasonable onto the individual.
Now, if they are making a
decision that is incapable or if they don't have autonomy, they don't have the
capacity for self-determination, and their decision is rooted in that, then we
can intervene. But we intervene because we're
saying : This is not an autonomous decision. And so when we say :
We're not respecting this, we're not disrespecting autonomy, we are
protecting somebody who actually isn't exercising autonomy at that time versus
saying : OK, we think your... yes, your judgement about what's
reasonable is not so good. Well, you know, we're really pretty bad at that.
And it's a moral judgement, not a medical one.
And so, I would say that, if we
ever were to go to the position where we're going to say : We actually are
going to require patients to have tried x, y or z, that the determination of
what's x, y or z needs to be a social one, not a purely clinical one, because there is no purely clinical way of
determining what is reasonable, when is enough, enough. Because that's the question, right? When is
enough, enough? Well, that's moral. And it's true that society can decide, you
know, what we actually do want to intervene and we're going to do it, but then
you're into a tribunal that, I think, has law, ethics, the civil society participating in it, saying : Where
is it that we want to say : We're going to assess reasonableness,
not at the bedside and not... It isn't a clinical concept, this notion of enough
is enough. Right?
M. Jacques : Each person has his...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, M. le député. Merci, M. le député. C'est vraiment tout le temps que nous
avions. Donc, merci beaucoup, Pre Downie, d'avoir été avec nous aujourd'hui.
Et nous suspendons les
travaux quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités. Merci,
et thank you very much.
(Suspension de la séance à 15 h 47)
(Reprise à 15 h 50)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Bonjour. Nous sommes de retour pour la suite de nos travaux.
Donc, nous accueillons maintenant le Dr Pierre
Gagnon. Donc, Dr Gagnon, merci d'être ici avec nous et d'avoir accepté l'invitation. Vous avez 20 minutes pour nous
présenter votre exposé, et par la suite il y aura un échange
avec les membres pour une période de 40 minutes. Je vous cède la parole.
MM. Pierre Gagnon et Bertrand Major
M. Gagnon (Pierre) :
Merci beaucoup. Bonjour, mesdames, messieurs, les membres de la commission. Alors, je suis Pierre Gagnon. Je suis psychiatre
spécialisé en psycho-oncologie. Je suis professeur titulaire et directeur du Département de psychiatrie et de
neurosciences à la Faculté de médecine de l'Université Laval et directeur
du Réseau québécois de recherche en soins palliatifs. Alors, ça me fait plaisir
de pouvoir échanger avec vous.
Et il y a le
Dr Bertrand Major, qui est psychiatre à Joliette, qui m'accompagne aussi, et
c'est lui qui va commencer la période de 20 minutes. Alors, je
laisse Dr Major présenter.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci. Bienvenue, Dr Major.
M. Major (Bertrand) : Bonjour à tous
les membres de la commission. Merci de l'invitation de pouvoir témoigner. C'est
un honneur pour nous deux.
Alors, je suis Bertand Major. Je suis un
psychiatre qui travaille à l'hôpital de Joliette depuis une quinzaine d'années.
J'avais travaillé 15 ans auparavant dans un hôpital tertiaire de Montréal,
l'Hôpital Douglas. Et donc je suis un
psychiatre généraliste dans un... donc en région, et je fais de tout, c'est-à-dire que je travaille à l'urgence psychiatrique, je travaille à l'unité interne de psychiatrie, en
externe sur les étages médicaux, parce
qu'on demande l'avis du psychiatre
fréquemment, je travaille également avec des patients chroniques. À Joliette,
nous avons des unités de patients qui demeurent à l'hôpital durant des mois,
sinon des années.
Donc, je suis un homme de terrain, et c'est à ce
titre que je témoigne. Je dois vous dire que le témoignage n'est pas à la mode,
celui que l'on fera, dans la mesure où nous croyons que c'est une erreur
d'élargir l'aide médicale à mourir pour les patients souffrants de troubles mentaux.
Et je vais m'empresser et je vais tenter d'expliquer pourquoi.
Jusqu'à tout dernièrement, il y avait eu exclusion
de ce type de malades pour des raisons bien claires qu'il faut comprendre. Les malades qui souffrent de
troubles mentaux souffrent de pathologies graves, mais ils ne souffrent
pas de pathologie physique dont la physiopathologie est connue et va se dégrader
jusqu'à un état d'irréversibilité. L'évolution
de nos pathologies est tout à fait... je ne dirais pas erratique mais est,
d'une certaine façon, capricieuse, dans la mesure où on ne peut jamais dire qu'un patient est arrivé à un niveau
irréversible d'atteinte de ses facultés. Il y a toujours des revirements, il y a toujours
une grande incertitude par rapport au pronostic, ce qui fait en sorte que la
décision d'euthanasier des patients souffrants de troubles mentaux est très
lourde de sens, très lourde de sens dans la mesure où les erreurs de pronostic
que feront les décideurs sont très lourdes de sens.
Donc, l'irrémédiabilité est le concept clé pour
comprendre la réticence des psychiatres, à tout le moins un bon groupe de
psychiatres, parce que j'en appelle au CAC, au groupe des psychiatres canadiens
qui avait fait une longue réflexion sur la possibilité d'étendre aux troubles
mentaux et qui n'arrivait à aucune conclusion précise.
Il y a un point qui est très important aussi,
c'est qu'au coeur de l'aide à mourir pour les patients souffrant de troubles
mentaux il y a un chevauchement majeur avec ce qui fait le fin quotidien des
psychiatres, c'est-à-dire l'élan suicidaire,
les idées de suicide, le goût de mourir. Et le suicide, comme vous le savez,
c'est un problème grave de santé publique.
Ce qu'il faut savoir aussi, c'est que le suicide
arrive le plus fréquemment possible chez des gens qui ne sont pas traités, des gens qui ne sont pas investis
dans une équipe traitante. Il est déterminé que la grande majorité des suicidés
sont des gens qui n'ont même pas été pris en charge. À l'inverse, bien sûr, il
y a une minorité de patients qui sont pris
en charge et qui se suicident, mais ce qu'il faut comprendre, c'est que, malgré
cet élan suicidaire, qui est la manifestation très fréquente de troubles
mentaux graves, elle répond au traitement, elle répond à la prise en charge,
elle répond à l'instillation de l'espoir par
une équipe traitante. Et ça, c'est les... c'est une donnée très dure de la
psychiatrie de ceux qui sont sur le terrain. On est demandés tellement souvent
pour des gens qui veulent mourir, et je suis encore ébahi du fait qu'on
peut faire des retournements importants avec ces malades qui veulent mourir.
Et donc, cet élan suicidaire, bien, on pourrait le...
on pourrait tenter de le séparer entre l'élan suicidaire du malade qui présente
un symptôme et l'élan suicidaire du patient qui veut rationnellement mourir.
Soit dit en
passant, avant qu'il y ait l'aide médicale à mourir, nous n'avions pas cette espèce de
questionnement. Pour nous, le malade qui voulait mourir, bien, on devait
l'aider puis on l'aidait. Et, encore une fois, on l'aidait, en général, très, très bien. Bien sûr, le rôle du
psychiatre, c'est de déterminer qu'est-ce qu'on doit faire avec le
patient suicidaire, comment doit-on faire pour l'aider, quel est le niveau de
soins qu'on doit apporter pour modifier cette donne-là. Parce
que, bien sûr, il y a plusieurs pathologies qui entraînent cela. Il y a des
patients qui sont déprimés gravement qui
doivent demeurer à l'hôpital. Puis, encore une fois, puis là c'est très... ça
peut être très sévère et ça nécessite l'hospitalisation. Il y a d'autres
genres de patients pour lesquels il faut s'investir à l'externe. Il faut
investir une équipe de soins.
Et donc, plus souvent qu'autrement, si le
patient se sent épaulé, la donne change. Et la donne change rapidement. C'est ça qui est formidable. Parce qu'il faut savoir que la personne qui veut
mourir, elle est toujours ambivalente, hein, par rapport à son désir de
mourir. Il y a toujours une forme, une place dans le coeur du patient, si je
peux m'exprimer ainsi, qui veut que ça change, qui veut se sentir mieux.
Vouloir mourir, pour nos patients, ça veut
dire : Je me sens très mal, je n'en peux plus, faites quelque chose pour
moi. Alors, c'est ça, le rôle du psychiatre chez le patient suicidaire.
Donc, on traite, on aide.
Il y a un autre point aussi, c'est que la
maladie mentale, fréquemment, entraîne des conséquences sociales
importantes : stigmatisation, isolement, conflits avec les proches, et
souvent ces complications entraînent les idées de suicide. Des revirements sont toujours possibles, et c'est là qu'est le coeur de notre
message. Il y a d'autres personnes qui se sont associées à nous,
mesdames et messieurs de la commission, des hommes et des femmes qui sont des
praticiens dans nos hôpitaux, qui s'occupent de pathologies graves et qui, de
fait, ne baissent pas les bras et qui sont étonnés de ce qui se passe
actuellement.
• (16 heures) •
Il y a un point aussi qui est très important,
puis là je céderai la parole à mon collègue, Pierre Gagnon, c'est qu'il faut
s'assurer qu'un traitement adéquat soit offert et tenté par le patient. Et, ça,
dans la nouvelle législation, il semble que ce ne sera pas un critère demandé,
et c'est ce qui ferait qu'ici, au Canada, la médication serait la plus
permissive, et ça, ça nous pose problème. Je laisse la parole à mon collègue.
M. Gagnon
(Pierre) : Alors, bonjour. Je tiens aussi à préciser que, bien,
moi, ça fait 30 ans que je suis psychiatre
et que je m'exprime en tant que psychiatre ici, là, et non pas au nom des
organisations auxquelles je suis affilié, l'université, les établissements ou
le réseau de recherche. Je suis vraiment comme psychiatre, avec le groupe de
signataires.
On tenait à préciser que le refus de traitement
est également une composante intrinsèque des troubles mentaux. Il n'y a aucune
discipline médicale où on obtient aussi fréquemment des ordonnances de
traitement de la cour pour obliger les patients à se faire soigner et à
recevoir des traitements contre leur gré. Les patients s'en voient souvent
grandement améliorés et, dans certains cas, peuvent reprendre une vie quasi
normale. Le devoir de proposer un traitement approprié est intrinsèque à la
déontologie du médecin. Il est surprenant que les autorités, dont le Collège des médecins du Québec, nous demandent de
surseoir à ce devoir lorsque le patient demande à mourir. Pourquoi il
faut toujours appliquer un traitement proportionné et indiqué, alors que, dans
ce cas-ci, on fait fi de tout le reste?
Évidemment, aussi, il y a l'opinion subjective
du patient qui est, certes, centrale et très importante, mais on va souvent
contre l'opinion du patient en psychiatrie. Mais ce n'est pas le seul point
dans les critères de décision thérapeutique. Il est inconcevable de laisser le
patient décider qu'un médecin doit mettre fin à ses jours, alors que la science
confirme jour après jour que ces personnes peuvent être soulagées, améliorées
et même relancées sur une trajectoire de vie gratifiante. On n'autoriserait pas
un patient à recevoir une lourde chirurgie avant d'avoir essayé d'autres
traitements beaucoup plus légers.
Par exemple, un patient qui présente un
diagnostic initial de diabète et qui dit : Moi, je veux une greffe de pancréas, il ne pourra pas l'avoir. Le médecin va
dire : Oui, c'est un traitement possible après qu'on ait essayé l'exercice,
la perte de poids, des médicaments, et, après ça, l'insuline, et, après, une
pompe à insuline. Éventuellement, on va arriver à la greffe, mais pas du jour
au lendemain parce que, le patient, c'est ce qu'il veut. Donc, on doit
respecter les normes de soins, «standards of care» en anglais, soit des
pratiques qui sont généralement admises par la profession pour le traitement de
certaines maladies. Ceci est respecté dans l'ensemble de la médecine et ceci
doit être surveillé et sauvegardé par les ordres professionnels. Il est
surprenant, quand vient le temps d'invoquer la procédure la plus radicale, la
mise à mort d'un patient, que l'on puisse faire fi de ces normes.
Au cours de ma carrière, en fait, comme
psychiatre, de 30 ans, je travaille beaucoup avec les patients qui ont des maladies physiques aussi, on m'a demandé
d'évaluer des patients qui voulaient obtenir des procédures déraisonnables
selon les normes. Des patients ont demandé
d'avoir des amputations sans justification médicale, des électrochocs, des
ablations des organes génitaux, l'ablation
de l'utérus, l'ablation de la vessie. Des cas que j'ai évalués étaient
déraisonnables et relevaient de facteurs psychosociaux. Dans tous les
cas, le chirurgien n'a jamais procédé à la chirurgie même si le patient ne
voulait que ce traitement et refusait tout le reste.
Alors, pourquoi, quand vient le temps de mettre
à mort le patient, on ne tiendrait pas compte des normes de pratique? Alors, on constate ici que c'est
davantage une décision idéologique et politique, en fait, et non pas
thérapeutique. On fait un bond astronomique entre la demande du patient
et le traitement extrême, en oblitérant complètement toute la gamme de procédures thérapeutiques entre les
deux. Ainsi, si le Collège des
médecins du Québec ne fait pas
respecter les normes de soins, qui va protéger nos patients atteints de
maladie mentale, qui? Les associations québécoises ne semblent pas le faire. Au moins, l'association psychiatrique américaine,
qui demeure le leader dans l'établissement des normes de soins en psychiatrie
moderne occidentale, a pris une position clairement contre l'aide médicale à
mourir pour les personnes atteintes de troubles mentaux.
De plus, au Québec, il n'y a pas de procédure ou
de protocole pour traiter les patients qu'on appelle résistants au traitement
en les référant vers des spécialistes qui détiennent des expertises spécifiques
et qui pourraient les aider. Quand vous
contactez ces spécialistes-là, souvent, qu'est-ce qui se passe, on connaît
notre système, ils sont débordés, ils sont peu accessibles. Il n'y a pas
de protocole de transfert. Il y a un manque flagrant de financement,
contrairement à la
médecine physique, qui est un milieu dans lequel j'évolue aussi, parce que,
comme je vous disais, je suis psychiatre en psycho-oncologie.
Je vais vous donner
un exemple. Je suivais une patiente avec une tumeur extrêmement rare, qui a
demandé un traitement très lourd aussi, une
intervention chirurgicale d'une vingtaine d'heures, et qui avait besoin d'un
traitement de radiothérapie
spécialisé qui ne se donnait nulle part au Canada, même pas à Toronto,
seulement à l'Université Harvard. La patiente a été transférée à
Harvard, a eu des traitements de plusieurs semaines de radiothérapie
spécialisée, toutes dépenses payées, évidemment, autant pour la patiente que
pour sa mère qui l'accompagnait, ce qui est excellent.
Bien, souvent, ici,
en psychiatrie, un pauvre psychiatre traitant qui traite un patient complexe en
région, en Abitibi ou, même, simplement
dans un autre secteur de la ville de
Montréal, ne pourra même pas
transférer son patient à un
spécialiste parce qu'il n'y a pas de
protocole, il n'y a pas de procédure. Alors, il y a tout un réseau de
psychiatrie spécialisée, de deuxième et troisième ligne, à l'instar des
autres secteurs de la médecine, à formaliser et à développer avant de
considérer cette procédure extrême.
De plus, il est
reconnu que les maladies... les troubles mentaux représentent la classe de
maladie causant le plus grand fardeau humain, social, économique, tout en
subissant encore beaucoup de stigmatisation et de préjugés, ce qui a nui à son
financement et au développement de nouvelles thérapeutiques. Par exemple, et
par opposition à la psychiatrie, l'oncologie, dans laquelle j'ai évolué depuis
quelques décennies aussi, il y a eu des pas de géant dans la thérapeutique et le pronostic de plusieurs
cancers, en développement des traitements comme l'immunothérapie et la thérapie
génétiquement ciblée.
Donc,
je pense qu'il serait temps de placer les efforts, l'énergie, les ressources
vers le développement de thérapies innovantes pour nos patients atteints de
troubles mentaux avant de plonger vers une solution radicale et irréversible.
Il semble que le législateur québécois
semble ici le seul rempart raisonnable pour freiner, ou, au moins, ralentir, ou
harnacher ce «runaway train», ce train fou qui emporte tout sur son
passage.
Je laisserais
Dr Major dire un mot.
M. Major (Bertrand) : On a un... (panne
de son)... laboratoire en Europe, c'est-à-dire, ce qui s'est passé en Belgique,
aux Pays-Bas, parce que, là, depuis près de 20 ans, bien, il y a des
patients souffrant de troubles mentaux qui
ont été euthanasiés, et il est utile de connaître ce qui s'est passé là-bas.
Bien entendu, à beau mentir qui vient de loin. Si on est pro, on dit :
Tout est bien, tout est correct, ça se fait bien. Si on est contre, bien, on
parle de pente glissante.
Cela
dit, il y a des articles qui ont été écrits là-dessus, sur ce qui s'est passé
aux Pays-Bas. Il y avait une grande transparence dans les... chez les personnes
qui étaient euthanasiées. Alors, là-dessus, il y a un excellent article qui
a été publié par le Dr Kim, un
chercheur américain, et qui faisait état des pathologies dont souffraient les
patients qui avaient été euthanasiés.
Et c'est assez révélateur, parce qu'encore une fois il y avait nombre de
pathologies hautement traitables, facilement traitables, mais ce qui
ressortait de l'étude, c'était beaucoup plus qu'une pathologie lourde qui était
devenue intraitable, c'est que c'étaient des
stigmates de la maladie mentale ou des difficultés d'adaptation de personnes
qui faisaient en sorte qu'elles étaient euthanasiées, qui se sentaient isolées
socialement, souffraient de solitude.
Je
vais vous donner un exemple, vraiment, ça fait mal, là, une patiente qui vit
seule avec un retard mental léger, qui
souffre d'acouphène, c'est-à-dire qui entend des bruits d'une façon trop
sensible, qui a demandé et qui est refusée par le premier examinateur, qui a été acceptée par le deuxième, qui est
euthanasiée. Ça vous donne quelque chose à réfléchir, j'espère. Certaines personnes, tellement seules,
qui ont demandé l'aide à mourir après avoir perdu leur animal domestique,
ça parle, encore une fois, du retrait social, de l'isolement social de ces
gens.
Alors
donc, c'est une solution attristante pour bien des gens qui sont laissés pour
compte, qui sont marginalisés, qui sont isolés, et il faut se demander :
Ferons-nous différemment, serons-nous capables de faire différemment?
C'est à se le demander.
• (16 h 10) •
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup, messieurs. Donc, nous commençons
maintenant nos échanges avec la députée de Joliette.
Mme
Hivon :
Oui. Bonjour, Dr Major et Dr Gagnon. Merci beaucoup pour votre
présentation.
Je veux vous rassurer
tout de suite. Vous avez dit : On ne sera pas à la mode. Bien, je veux
dire que, pour nous, il n'y a pas de mode
pour l'instant. Il y a l'obligation de se pencher sur ces enjeux-là. Celui des
troubles mentaux nous est arrivé, évidemment, comme vous le savez, parce que le
critère de fin de vie a été jugé inopérant par les tribunaux. Donc, on doit se pencher là-dessus,
comme vous le savez, puis je vous remercie des éléments que vous apportez.
C'est très intéressant, aujourd'hui, d'apprendre des points de vue complètement
différents entre les présentations, et c'est ce qui fait que le débat est si
riche.
Moi, je veux vous
amener sur la question, là, de l'élan suicidaire, comme vous nommez, ou,
évidemment, de tout ce questionnement-là lié
au fait que le désir de mourir est souvent partie prenante du trouble mental.
Vous nous avez dit que les personnes qui se suicidaient sont souvent des gens
qui sont non traités. Donc, évidemment, j'en prends bonne note. Je
voulais savoir si on est capables de savoir si ce sont majoritairement des gens
qui ont un épisode, je dirais, ponctuel de
trouble mental ou si ce sont,
généralement, davantage des gens qui ont une maladie mentale chronique. Je ne sais pas si je m'exprime bien, là. Est-ce
qu'on est capables de faire cette distinction-là, genre, une crise, soit,
parmi... bien, évidemment, un trouble chronique, j'imagine que ce serait dans
ces circonstances-là, mais... ou quelqu'un qui n'a pas un trouble
chronique, et c'est davantage ces gens-là qu'on voit passer à l'acte, ou, non,
on n'est pas capables de faire de distinction?
M.
Major (Bertrand) : La
plupart de ceux qui se sont suicidés sans traitement sont, de fait, des gens
qui vivent des crises, qui n'ont pas été rejoints par l'équipe
traitante, qui souffrent, donc, isolés, de n'avoir pas été rejoints, même s'ils
ont pu en parler, hein, parce que les études sont assez claires là-dessus. La
plupart des gens qui vont se suicider en parlent à des proches, et c'est la
raison pour laquelle on est tellement vigilants maintenant.
Mais, cela dit, encore une fois, la
proportion... je n'ai pas des chiffres exacts, mais la proportion des gens qui
se suicident est majoritairement les gens qui ne souffrent pas de pathologie
lourde. Quel pourcentage, je ne pourrais vous
le dire, mais, chose certaine, c'est que le patient très lourd se suicide très
rarement... (panne de son) ...qu'il a raison, mais la première étant, je
crois, qu'il y a une équipe traitante qui est présente.
Deuxièmement, il y a aussi une autre chose,
c'est que pathologie lourde ne veut pas dire non plus élan suicidaire. Il y a des gens qui ont des symptômes
très graves et puis qui, ma foi, s'adaptent à la vie, n'ont pas envie de
mourir du tout, Dieu merci, alors donc, et
puis qui, donc, s'adaptent à leur maladie. Donc, de fait, les grandes maladies
peuvent parfois y conduire, mais c'est très, très rare. Et, encore une fois,
ceux qui parlaient de la nécessité d'établir l'aide à mourir étaient surtout
pour les graves maladies, mais, à ce niveau-là, les études de ce qui se fait en
Europe ne le démontrent pas du tout.
Mme
Hivon : O.K.,
bien, c'est pour ça que je vous pose cette question-là, parce que c'est
extrêmement complexe. Et donc les arguments
de ceux qui voudraient, donc, qu'il y ait cette possibilité-là sont beaucoup
des arguments de : Sur quel bord pourrions-nous discriminer, donc,
entre la maladie mentale, la maladie physique, tout ça?
Et la raison pour laquelle je vous amène ça,
c'est... Est-ce qu'il y aurait... Si on devait aller de l'avant ou on décidait d'aller de l'avant, est-ce qu'il y aurait
un moyen de mettre des garde-fous supplémentaires, du fait que... Comme
vous le dites, un épisode... Donc, une crise, ou quelqu'un qui n'a pas une
maladie chronique, pourrait difficilement se
qualifier parce qu'elle ne rencontrerait pas les critères de déclin avancé
irréversible, de maladie incurable, parce qu'elle serait... Ce n'est pas
comme si on arrive à l'urgence, qu'on dit : Bon, bonjour, je veux l'aide médicale
à mourir. Et donc il faudrait cette
chronicité-là, auquel cas, si je vous suis bien, quand on est bien pris en
charge, qu'on a une maladie constante, cette réalité-là, de demander
rationnellement l'aide médicale à mourir, va être beaucoup moins présente.
Donc, est-ce qu'il y aurait là une espèce d'élément qui nous permettrait
d'approcher la problématique différemment?
M. Gagnon
(Pierre) : Il y a des... Moi, pour vous donner des exemples,
j'ai eu des... J'ai suivi des patients, pas énormément, avec ces conditions-là,
avec des conditions chroniques, dont je peux nommer deux exemples.
Un patient qui était... que j'ai suivi une
vingtaine d'années, et qui a vraiment commencé par une dépression, et, finalement,
c'est un trouble de personnalité, et... personne qui était suicidaire
chronique, avec une pathologie très lourde,
sa vie sociale, psychosociale, malheureusement, s'est délitée. Il s'est passé toutes sortes de
choses, des hospitalisations à répétition. Toutes les urgences de Québec
connaissaient le patient. C'est sûr qu'il arrive... des résidents nous en
parlent. Ils le connaissent. Sur des années... L'évolution a été sur deux
décennies... et qui a eu des traitements par-dessus traitement, et qui s'en est
sorti, et qui n'a même plus besoin de suivi psychiatrique aujourd'hui, après 20 ans. Moi, je l'ai suivi
20 ans. Je l'ai libéré à son médecin de famille avec une médication. La
personne a un emploi et n'est plus suicidaire, alors qu'elle a été
suicidaire au moins 15 ans, cette personne-là.
Si j'avais arrêté... l'aide médicale à mourir,
après cinq ans, après 10 ans... Bien là elle est heureuse. On parle d'une
personne de 55 ans, peut-être. Alors, tu sais, je l'ai suivie de 25 à
45 ans, et, à 45 ans... Et c'était un trouble... Entre autres, les troubles de personnalité limite,
on sait que c'est long. Et, avant ça, il n'y a pas si longtemps, en fait, nous,
quand on était résidents, Bertrand et moi,
c'était comme : Bon, c'est à vie, c'est un trouble de la personnalité.
Maintenant, on sait, avec les reculs, que ces gens-là s'améliorent
beaucoup. Ça, c'est un exemple que j'ai.
J'ai eu un
autre patient comme... J'ai un autre patient que j'avais vu plus dans mon rôle
de psycho-oncologue, qui... encore même type, vraiment, là, pauvre
patient avec beaucoup de... des idées suicidaires, mais, encore, des hospitalisations à répétition, prolongées, tout le
monde le connaît, depuis 20 ans. Et moi, je l'ai vu comme consultant,
parce que cette personne-là a développé un
cancer métastatique et m'a dit : Woup... elle dit : Ça fait
20 ans que j'essaie de me tuer,
et là, maintenant, je veux vivre, je viens de comprendre le sens de la vie...
qui a vécu quand même une phase palliative de deux ans très, très riche,
etc.
Alors, ça peut changer même après des évolutions
extrêmement longues. Alors, quand vous dites... Des sauvegardes, c'est sûr
qu'on parle de décennies minimum, il me semble, parce que ça... On a tellement
d'exemples où les gens changent complètement
et vivent une vie gratifiante après pendant des décennies aussi. Simplement,
comme je vous... comme je disais,
c'est qu'on manque de traitements. On manque d'équipes spécialisées comme on a
dans les autres domaines, parce que
c'est une clientèle qui n'est pas facile, qui est marginalisée, qui est souvent
pauvre économiquement, qui n'est pas très à la mode.
Je relisais le journal aujourd'hui. Il y avait
deux levées de fonds pour le cancer, là, des vedettes ou des gens connus, Michel Louvain et compagnie. On n'a
pas ça souvent pour la maladie mentale. Donc, nos traitements traînent de la
patte, mais on a quand même des traitements. Mais, même ceux qu'on a, les
équipes spécialisées ne sont pas structurées pour faire face à ces
patients qui sont plus difficiles à traiter. Alors, c'est pour ça que des
sauvegardes, je dirais, on va dans le
10 ans, là, facilement, là, d'évolution de traitement. Moi, c'est mon
expérience, à tout le moins. J'ai vu des gens sortir, après 20 ans,
de façon... Tu sais, c'est des cas extraordinaires. Et je ne suis pas le seul,
là.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup.
Mme Hivon :
Merci. Il ne me reste plus de temps? O.K.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Merci beaucoup. Donc,
nous passons la parole maintenant à la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Merci,
M. Gagnon. Merci, M. Major. Ma question, c'est : Comment la
souffrance des patients peut-elle être observée ou constatée
objectivement dans un contexte de troubles mentaux, et quels sont les experts
médicaux qui devraient être autorisés à évaluer la souffrance?
M. Major (Bertrand) : C'est une
très bonne question, une question difficile, parce que c'est sûr qu'on met
beaucoup d'accent sur la souffrance subjective, mais, en même temps, le médecin
a un certain devoir d'évaluation, parce que,
de fait, certaines personnes vont parler d'une grande souffrance et d'autres
moins. Ça ne veut pas dire que celles qui
en parlent moins ou... Vous savez, le fameux dicton, les grandes souffrances
sont muettes, et il y a une part de vérité, pas tout le temps. Et donc la façon
de l'objectiver, pour le psychiatre, en tout cas, en général, c'est
l'observation, pas seulement une
photographie, c'est-à-dire pas seulement une entrevue, parce qu'on peut se...
On est biaisés, c'est très difficile, c'est faire un film...
• (16 h 20) •
Par exemple,
garder le patient à l'hôpital et avoir l'observation pendant quelques jours,
quelques semaines, on a une meilleure idée, parce qu'encore une fois ce que
nous dit le patient est très important, mais on va voir évoluer le patient,
parce que le patient de type borderline, dont parlait mon ami Pierre, de fait,
c'est ceux qui vont nous dire qu'ils souffrent
le plus atrocement. Ils souffrent, c'est vrai, c'est évident, mais, par
ailleurs, il y a une fluctuation importante de leur souffrance. Ils vont
aller mieux. Ils le disent eux-mêmes, ils disent : C'est les montagnes
russes, je me sens en enfer puis je me sens au ciel le lendemain.
Alors donc, la façon la meilleure d'objectiver,
c'est d'avoir une période d'observation. Une façon, aussi, importante, c'est
des informations collatérales, savoir de... savoir ce que disent les proches
sans leur parler, parce qu'encore une fois
on a des problèmes de confidentialité, mais on peut toujours parler aux
proches, sans parler du patient, pour...
(panne de son) ...un son de cloche, parce que ça nous prend un regard à
360 degrés pour prendre... pour avoir une idée précise.
Cela dit, les
plus grands souffrants, encore une fois, c'est le point de vue du médecin, mais
c'est les grands déprimés. Il y a des souffrances atroces chez des gens que, de
fait, on admet à l'hôpital, et puis, Dieu merci, avec, quand même, une
meilleure accessibilité qu'auparavant, ces grands déprimés là, on en voit moins
parce que les médecins de famille les
traitent plus rapidement. On en a encore, c'est certain, puis c'est ceux qui
nous impressionnent le plus, mais c'est ceux aussi, paradoxalement,
qu'on peut les mieux aider, parce que nos thérapeutiques pharmacologiques sont efficaces, et le soutien de l'institution l'est
aussi, parce que ces épisodes-là sont aigus, durent des semaines, mais ne
durent pas pendant des années. Alors donc, c'est une autre donne.
Donc, encore une fois, bien, ça demeure un
problème important, l'évaluation objectivée de la souffrance, parce que... Puis
je devrais aller plus loin. Bien sûr, la souffrance est importante, mais je
reviens au caractère fluctuant des
pathologies. On peut souffrir pendant longtemps, mais, si on en sort, la vie
reprend ses... reprend les rênes, hein,
et puis on peut la goûter encore plus. Songeons à la fameuse chanson de Ferrat,
C'est beau la vie, c'est après un épisode dépressif, hein? Donc,
il faut avoir ça aussi à l'intérieur de soi.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci
beaucoup.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Donc, je céderais la parole à la députée de
Saint-François.
Mme
Hébert : Merci,
Mme la Présidente. Dr Major, Dr Gagnon... Je crois que c'est
vous, Dr Major, qui avez parlé qu'il
n'y avait pas de questionnement avec l'opportunité de l'aide médicale à mourir. Donc, avant qu'il y ait la... que les
gens puissent faire une demande d'aide médicale à mourir, il n'y avait pas de
questionnement, à savoir de le demander. Et on a entendu tantôt l'intervention
de M. Courtemanche, qui nous a dit que, lui, juste de savoir que c'était
accessible, bien, ça lui amenait un apaisement puis que ça pouvait amener à une
ouverture, peut-être, même, à des traitements, parce qu'il savait que, si
jamais on ne trouve pas de traitement, il avait comme une finalité, mais c'est
un... Je résume peut-être mal sa pensée, mais c'est ce que je m'étais pris comme
note.
Alors, ma
question est quelles... Advenant, là, que ce serait possible, quelles balises,
là, qu'il faudrait vraiment mettre?
Parce que je vois, aux histoires que vous nous avez contées, puis qui sont très
enrichissantes, en passant, que vous avez...
suite à votre expérience, vous gardez toujours espoir de traitement. Et,
contrairement, peut-être, à l'Alzheimer, où est-ce qu'on est revenus à la case départ pour les traitements qui
semblent ne pas fonctionner, dans la santé mentale, il y a une multitude de
traitements, puis ça évolue continuellement. Donc, je pense, c'est dans cette
vision-là que vous dites que, de le
rendre accessible, c'est comme si on baisse les bras. Est-ce que c'est...
Est-ce que j'ai bien cerné votre vision?
M. Major
(Bertrand) : Bien, votre
question est très, très pertinente et très bonne parce qu'elle souligne plusieurs aspects.
Le premier,
d'entendre le malade dire qu'on fera tout... Puis, même de permettre de
dire : J'ai envie de mourir... On ne met pas le patient au silence, hein, parce que
ça n'a pas de sens, là, c'est... Quand je dis : Je veux mourir, ça
veut dire : Ça fait mal, ou je suis
inquiet, ou je me vois dégradé. Et puis le patient qui vit, par exemple, une dépression très sévère a l'impression que ça ne changera jamais,
comprenez-vous? Il a l'impression qu'il est pris là-dedans, que le temps n'existe plus, et puis qu'il va souffrir jusqu'à la
fin de ses jours, c'est atroce, alors que le médecin, lui, il sait que c'est
une illusion, cette perception-là. Cette idée-là est une illusion, et c'est
dans notre rôle de dire au patient, écoutez, là, de le dire et de le
répéter : Oui, c'est vrai, vous souffrez atrocement, mais, je vous le dis,
ça va changer, ça va se modifier... (panne
de son) ...et l'alliance est tellement importante, comprenez-vous? C'est
terriblement important.
Mais, pour venir à votre question, à
savoir : On n'y pensait pas auparavant, pourquoi... Parce qu'encore une fois vous avez bien saisi. On a toujours quelque
chose à offrir. Comprenez-vous? Puis, ça, le patient, il le sent. Si le patient
sent, là, qu'on n'a plus... qu'on est
dépassé, là, écoutez, c'est très angoissant. Si on sent que le médecin
dit : Bien, écoutez, d'accord, baissons les bras, ouf! ça fait trop
mal. Inversement, quand on sait que le médecin veut, là... Il y a une
communication là-dedans, une communication humaine, hein, parce que ce n'est
pas seulement du traitement, c'est le lien, c'est le... et ça a un effet boeuf.
Ça a un effet boeuf qui permet encore une fois d'instiller l'espoir, là, et de
permettre de tolérer la grande souffrance, parce qu'encore une fois, on le
sait, nos patients souffrent, peuvent souffrir atrocement, mais on sait
qu'encore une fois il y a toujours une thérapeutique. Et, ça, quand on est
convaincus, bien, on est convaincants, et ça permet, là, de modifier la donne, en
tout cas, plus souvent qu'autrement.
Mme
Hébert : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup, Mme la députée. Je céderais la parole à la députée de Soulanges.
Mme Picard : Bonjour, messieurs.
Dans le fond, moi, ma question, je voudrais savoir... Il n'y a aucun diagnostic
de trouble de santé mentale qui nous... que vous justifiez d'avoir recours à
l'aide médicale à mourir. Dans tout le
spectre des maladies mentales, il n'y en a aucune, selon vous, qui se
qualifierait, qui se justifierait d'avoir recours à l'aide médicale à
mourir?
M. Gagnon
(Pierre) : Bien, c'est parce que ce n'est pas une question de
diagnostic, hein? C'est une question d'état, d'état de la situation. Et, comme
disait Dr Major, on a... Et, comme j'expliquais plus tôt, il y a beaucoup
de thérapeutiques. Il y a beaucoup de
traitements, en fait, qui ne sont pas développés, mais il y en a aussi qui sont
présents et qui ne sont pas utilisés.
Alors, il faudrait, premièrement, que les gens aient accès à tous les
traitements de deuxième ligne, troisième ligne. Et, comme je vous
mentionnais dans le mémoire aussi, il y a différents traitements émergents
qu'on pourrait...
Puis on pourrait avoir aussi une phase
palliative, même, en psychiatrie. C'est pour ça que ça peut faire peur aux patients, peut-être, s'ils pensent que
c'est... ah! c'est tout ou rien. Il y a d'autres traitements possibles, hein?
Il y a des méthodes de neurostimulation, maintenant, l'utilisation de la
kétamine, différents types de traitements qui peuvent apaiser, qui
peuvent soulager le patient. Et c'est sûr que, si le patient n'a pas accès à
ces traitements-là, bien, c'est... Il voit simplement son état qui peut se
détériorer, mais c'est... Il n'y a pas... effectivement pas de diagnostic qui
le dirait nécessairement : Voici, c'est un... Comme on a en médecine
physique, là, un cancer métastatique à tel stade, il n'y a pas ça en
psychiatrie.
Je ne sais pas si Dr Major a des...
• (16 h 30) •
M. Major (Bertrand) : On peut quand
même parler de certains diagnostics... non pas qui vont nous faire dire : Oui, on va... et ça peut conduire à
ça, mais certains diagnostics peuvent conduire plus à des idées suicidaires,
pas seulement à des dépressions. On a parlé de schizophrénie. Certains
patients sont à risque de... (panne de son) ...et, paradoxalement, souvent, en
début de maladie, parce qu'encore une fois c'est un petit peu comme pour
certains patients avec une démence. Ils apprennent qu'ils souffrent de
schizophrénie, et, quand ils viennent d'un milieu où la performance est très
importante, c'est une catastrophe.
Donc, il y a
un risque plus grand au début, et, le sachant, bien, on porte attention, de
fait, d'une façon importante, à être prévoyants, mais on en échappe, des fois,
c'est dramatique, c'est triste, les dépressifs, bien sûr, puis aussi les
patients avec troubles de
personnalité borderline, dont a parlé mon collègue, de fait, est une problématique compliquée, parce qu'il y a des idées suicidaires qui sont
chroniques, qui sont variables. Et la prise en charge est terriblement
importante. On sait que quand la prise en charge est efficace, est acceptée, la
pathologie s'améliore, ça, on le sait. Inversement, quand il n'y a pas de prise
en charge, quand il n'y a pas d'alliance, c'est plus dangereux. Quand il y a une prise de drogue, c'est plus dangereux. Donc,
il y a un paquet de variables, là, importantes. Mais il faut rajouter aussi
que des gens peuvent souffrir beaucoup sans avoir de pathologies très lourdes,
pour les raisons que j'ai mentionnées, l'isolement, là, puis ça, c'est
souvent... c'est compliqué à... c'est compliqué, c'est complexe, mais il faut
aussi avoir des fonds pour ça, il faut aussi être déterminé à les aider, parce
qu'il y en a une grande proportion.
M. Gagnon
(Pierre) : Et pour continuer sur l'idée du diagnostic,
Mme Picard, c'est que les études à date, en Belgique, à tout le moins, révèlent... C'est ça, effectivement, quand les
gens qui font un peu la promotion de cette procédure-là en Amérique du Nord ou au Canada parlent toujours des
pathologies très sévères, pathologies psychiatriques, qui ont eu tous les traitements, etc., très
sévères : schizophrénie, psychoses, troubles obsessifs compulsifs. Malheureusement,
les études, les données, en fait, en Belgique, démontrent que ceux qui
subissent la procédure de l'euthanasie, c'est des
cas très courants, très... notre pain quotidien : l'anxiété, dépression,
deuil, pauvreté socioéconomique avec isolement,
etc. Est-ce qu'on serait bien meilleurs que nos collègues belges? C'est à se
poser la question, mais je pense qu'au niveau de l'euthanasie physique
on a pris pas mal la même tangente, c'était d'ailleurs notre modèle, alors je pense que ça risque de finir pareil. Les études, à date, les
seules données qu'on a, c'est des syndromes extrêmement courants de
psychiatrie, là, anxiété, dépression, isolement. Alors, ce n'est pas les cas
extrêmement sévères, qui ont eu des électrochocs et des psychochirurgies, qui
ont vu tous les grands spécialistes de la planète, ce n'est pas ces cas-là.
Mme Picard : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je céderais la parole maintenant au député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci beaucoup, les Dr Gagnon et Dr Major, pour votre
exposé ainsi que votre mémoire pour nous aider à mieux comprendre et à
contextualiser vos interventions. Je me permets de vous poser deux questions.
Dans un premier temps, est-ce que vous êtes d'accord et vous acceptez le
constat collectif et légal, en quelque part, actuel, que l'aide médicale à
mourir se situe dans un continuum de soins médical? C'est là où on est actuellement. Et, deuxièmement, est-ce
que vous allez convenir avec nous
qu'il y a des circonstances, balisées évidemment, physiques graves où
l'aide médicale à mourir est une option légitime et nécessaire?
M. Gagnon
(Pierre) : Pour les patients psychiatriques, vous voulez dire,
ou pour les patients, premièrement, primairement atteints de troubles mentaux?
M. Birnbaum : Non, premièrement
atteints de problèmes physiques. J'essaie juste de comprendre où vous vous
situez sur la grande question de l'aide médicale à mourir. Est-ce que c'est un
soin médical, dans un premier temps? Et, deuxièmement, y a-t-il des circonstances,
on est en train de vérifier ça, mais balisées légitimement et de façon... et
disciplinée où c'est un traitement, un soin indiqué et légitime en cas
physiques graves ou combinaison de physiques et symptômes mentaux?
M. Gagnon
(Pierre) : Bien, aux cas physiques, c'est-à-dire que c'est...
Bien, premièrement, on ne s'était pas préparés pour cet aspect-là, honnêtement,
moi, je m'étais vraiment préparé pour les aspects de troubles... pour les
troubles psychiatriques, là. Pour les troubles physiques, bon, on était déjà
intervenu, j'étais déjà intervenu, moi, avant, là, pour essayer d'aider
l'Assemblée à mettre des balises.
Comme je vous dis, moi, ici, si je m'en tiens aux
troubles mentaux, ça me semble être une procédure qui n'est pas en continuité, en tout cas, à tout le moins présentement, avec
les... pour les troubles mentaux. Comme je vous dis, moi, je ne m'étais pas préparé à parler des troubles physiques, là.
Les troubles mentaux, troubles mentaux et physiques, bien, ça dépend
lequel est prédominant, là. Mais, quand c'est pour le trouble... premièrement,
troubles... ce pour quoi on s'était
préparés, les troubles mentaux, il semble y avoir, comme je vous dis, un peu ce
qu'on appelle un «quantum leap», il y a un bond extrêmement important,
alors qu'on n'a pas une continuité de soins, première ligne, deuxième ligne, troisième ligne, soins palliatifs. En psychiatrie,
on n'a pas ça du tout, on n'a pas ce continuum-là. Alors, oui, il y a une
cassure, pour les soins psychiatriques, il y a clairement une cassure. Pour
moi, c'est ce que je pourrais répondre, là.
M. Major (Bertrand) : La même chose
pour moi, là. Quant à moi, ce n'est pas un traitement légitime pour les troubles
mentaux. Il faut aussi faire attention à... Bien sûr, notre position est
claire, mon collègue et moi. D'autres ont certaines autres positions. Puis,
encore une fois, ce qui s'est passé en Belgique et aux Pays-Bas est informatif.
Avec des mêmes... avec des balises
semblables, vous allez avoir des praticiens qui, eux, considèrent que c'est
légitime, puis ils vont le faire,
puis ils vont influer d'une façon
importante sur la praxis dans un coin de pays, et ça, ça peut... ça
entraîne des changements majeurs.
Écoutez, je viens d'admettre une patiente, là,
que je suis depuis des années, qui souffre d'une schizophrénie, puis qui était
très mal dernièrement, puis je suis content qu'on l'ait admise, parce
qu'écoutez c'est une dame très simple, là,
puis très... Savez-vous ce qu'elle m'a dit? Elle dit : Aïe! Dans deux ans,
on va pouvoir le faire, là, qu'est-ce... Enfin! ou elle était comme : Wow! Ça montre à quel point elle se
sentait mal, mais on l'a admise, elle n'en parle pas, mais ça colore la
psyché des gens, c'est clair, sûr.
Vous savez, en Belgique et aux Pays-Bas, il y a
beaucoup de sauvegardes qui sont mises sur le papier. Ça ne marche pas. Sur le papier, c'est marqué, mais il
n'y a aucune évidence, puis là-dessus il y a beaucoup de papiers, ça ne
marche pas. Il n'y a pas d'arrêt. Il y a des gens qui démissionnent de groupes
de surveillance, même qui sont proeuthanasie, qui trouvent que ça n'a pas de
sens. Il y a une espèce de collusion chez des groupes proeuthanasie, et
là-dessus, c'est... ça donne froid dans le dos.
Puis, encore une fois, je ne veux pas nous...
qu'on se casse du sucre sur notre dos à nous, mais c'est l'être humain, ça, M. Birnbaum, il va... si c'est
présent là-bas, ça va être présent ici, c'est un danger, puis les sauvegardes
ne fonctionnent pas. Bien sûr, on veut les sauvegardes les plus strictes
possible, mais quand c'est permis, mettre une digue,
là, essayez. Essayez, ça ne marche pas. Ça ne marche pas. C'est ça qui nous
rend si inquiets, c'est pour ça qu'on est alarmistes comme ça, puis on
veut vous le dire, on est heureux de vous le dire.
M. Birnbaum : Oui, évidemment, on
respecte et on partage votre préoccupation fondamentale de respecter le
bien-être et de protéger chaque citoyenne et citoyen.
Le
Dr Gagnon, vous avez offert un exemple déchirant, très humain, de
quelqu'un de 20 ans de vie très, très difficile avec des symptômes
très graves de maladie mentale qui, après ces 20 ans, de toute évidence,
sombres mur à mur, sans indication d'une grande
possibilité d'amélioration, j'imagine, sans circonstance où il y avait des
moments de bonheur... Est-ce que vous admettrez qu'un tel exemple très rare de
sortir d'une telle condition, premièrement, est assorti de plusieurs exemples où cette période noire de 20 ans probablement se répète pour 20 ans? Est-ce
qu'il n'y a pas cette circonstance de très possible aussi? Et est-ce que
tout ce phénomène n'est pas tout à
fait semblable à la situation, une autre fois déchirante et réelle,
qu'un faible, faible, faible pourcentage des gens avec des diagnostics... fin
de vie, d'un cancer du sein, dans un cas
sur, j'invente, 100 000, se trouve devant une guérison presque spontanée?
Y a-t-il une différence dans le phénomène que vous avez décrit au
phénomène physique possible de cette exception qui ne fait pas la règle?
• (16 h 40) •
M. Gagnon
(Pierre) : Oui, oui, oui, je... Oui. Bien, désolé de vous
répondre comme ça, il y a un abîme. Parce
que travaillant moi-même en oncologie, les cas dont vous me parlez, j'en ai vu
un. J'aime toujours en parler dans... J'ai
vu, évidemment, des milliers de patients, là. J'ai vu un cas, un miracle
oncologique. J'en ai vu un qui avait vraiment un cancer métastatique,
avec biopsie, et qui, 15 ans plus tard, était vivant.
Des cas de psychiatrie, en fait, les études...
La patiente dont... Le type de patient dont je vous ai parlé, atteint de
personnalité limite, je ne dirais pas que c'est la règle, mais maintenant,
justement, les études maintenant démontrent qu'avec des traitements appropriés,
c'est... on est dans le 30 %, 40 %, 50 %, 60 %.
Et l'autre point que j'aimerais par contre
modifier à votre discours, M. Birnbaum, c'est quand vous dites : Ça a
été 20 années noires. Je ne peux pas réduire cette personne-là à sa
maladie. Moi, je l'ai suivie, il y a eu des très beaux moments. Malgré la
maladie, il y a eu des très beaux moments. Cette personne-là est devenue
grand-père, a eu des bonnes périodes... ce
n'est pas 20 ans à l'hôpital psychiatrique et attaché, là, il a eu des
belles périodes productives. Et c'est ça, en fait, le respect de chaque
individu, le respect de la maladie, le respect de la différence. Donc, il y a
eu des périodes de lumière pendant ces 20 années là. Et contrairement,
peut-être, à un cancer où ça aurait peut-être fait ça, mais même ça, même ceux-là
peuvent avoir...
Puis, comme je vous dis, l'issue est beaucoup
plus fréquemment positive dans le cas de la psychiatrie que dans le cas des autres maladies. Ça serait ma
réponse, là, mais je comprends l'analogie, puis c'est vrai qu'il faut l'amener,
vous avez raison d'amener cette... mais ce n'est pas l'exception, ce n'est pas
l'exception. Je dirais que c'est très près, c'est...
Il y a une différence logarithmique entre le genre de... entre l'évolution du
patient avec trouble mental, premièrement, et trouble physique.
M. Major (Bertrand) : ...
M. Birnbaum : Comme vous...
M. Major (Bertrand) : Je m'excuse,
allez-y. Je vous écoute.
M. Birnbaum : O.K. Merci. Comme vous, évidemment, notre préoccupation,
c'est le patient dans chacune de ses conditions. Compte tenu, comme a été
constaté, que nous sommes devant, en quelque part, une espèce de vide, là, le critère de fin de vie
est enlevé, ce qui amène nécessairement un questionnement sur le plan de symptômes très graves de santé
mentale. Comment, si on était pour suivre votre logique... Est-ce que vous
recommandez que nous, on aborde la difficulté, la possibilité que de ne pas
pencher sur la question, en ce qui a trait à la santé mentale, serait jugé
comme discriminatoire, c'est-à-dire que les droits fondamentaux des personnes
atteintes ainsi ne seraient pas respectés? Qu'est-ce qu'on fait avec ce
phénomène-là?
M. Gagnon
(Pierre) : Bien, c'est...
M. Major (Bertrand) : Vas-y, Pierre.
M. Gagnon
(Pierre) : Bien, peut-être rapidement, si tu veux compléter.
Bien, c'est justement, au contraire d'être discriminatoire, c'est le respect de
la différence, tu sais. On parle beaucoup de médecine personnalisée. Vous avez
peut-être déjà entendu ça. Bien, ça, c'est le meilleur exemple. Les troubles
mentaux, c'est différent. Le désir de vivre, les idées suicidaires, ça fait
partie, ça fait partie intrinsèque de la maladie, et c'est fluctuant, c'est
fluide. Donc, on ne peut pas s'arrêter à ça autant que pour d'autres
pathologies, un.
Deuxièmement, bien, c'est ça, c'est de la...
c'est une attention particulière, différente pour la maladie mentale, qui est
différente, qui est catégoriquement différente. En médecine, on est habitué à
ça, on ne donne pas le même traitement à tout le monde. Moi, je veux une greffe
de moelle osseuse, peut-être, si c'est indiqué. Moi, je veux tel traitement si
c'est indiqué. Si ce n'est pas indiqué, on ne le donne pas, les exemples que je
vous ai donnés. Alors, ce n'est pas indiqué pour ces personnes-là, tout simplement.
Et justement, là, on les respecte, on respecte leurs spécificités, leurs
différences. Bertrand, est-ce que tu avais des points?
M. Major (Bertrand) : Bien, écoutez,
nous ne sommes pas des hommes de loi. La discrimination, c'est un concept qui
m'apparaît plus légal, mais cela dit, encore une fois, j'abonde dans le sens de
mon collègue, à savoir que si on permet cela à des patients qui ont la chance
plus souvent qu'autrement de s'améliorer, c'est là qu'est la vraie
discrimination, de dire : Oui, on y va. On y va, mon ami, là.
Puis, encore une fois, c'est les
laissés-pour-compte, hein, qui vont payer. Quand on vient d'une bonne famille, là, puis qu'on est malade, hein, puis
qu'on sait où sont les soins, on va les chercher. Mais vous savez, nous, on
voit les gens démunis, hein, les gens qui vivent de la
misère. Et puis c'est eux qui... c'est eux qui sont discriminés à propos de leur... du manque de traitements. Puis,
on parle de discrimination, quand on dit : On ne peut pas leur donner
l'aide à mourir, bien, premièrement, donnons-leur le traitement comme pour les
autres. Mon collègue parlait de subventions pour le cancer, mais il n'y en aura
jamais autant pour la schizophrénie puis les troubles limites, hein, ça, c'est
évident. Ça fait qu'on devrait commencer par l'autre côté. Battons-nous pour la
vie, là, battons-nous contre la discrimination dans les traitements que pour
l'aide à mourir, quant à moi. Parce qu'encore une fois la pathologie est tellement fluide qu'il est clair qu'on va se
tromper que si on décide pour telle personne, il est clair, c'est là qu'est le
drame.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, M. le député. Je cède maintenant
la parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Dr Gagnon, Dr Major. J'ai peu de
temps, donc je vais y aller rondement. Si vous êtes capables de me donner des réponses courtes, ça va me faciliter la
vie. Est-ce que vous diriez que ça existe, un trouble mental incurable?
M. Major
(Bertrand) : Non.
M.
Nadeau-Dubois : Dans aucune circonstance?
M. Major
(Bertrand) : Dans aucune circonstance.
M.
Nadeau-Dubois : Qu'est-ce qui explique votre désaccord sur cette
question-là avec d'autres collègues psychiatres, voire l'association des
psychiatres du Québec?
M. Major
(Bertrand) : Parce que c'est leur vision qui est changée, leur angle
de vision. Moi, M. Dubois, je suis un gars de terrain, j'ai toujours quelque
chose à offrir. Quand je regarde la question d'un point de vue philosophique,
il y a des grands malades, il y a un patient avec un trouble obsessif compulsif
sévère qui est malade, qui a des symptômes pendant 20 heures sur 24, oui,
c'est peut-être très grave, mais je sais que d'habitude il n'est pas déprimé,
ce patient-là, paradoxalement. J'ai toujours quelque chose à offrir puis je
n'ai pas vu de patient incurable, encore une fois, dans la mesure où ce n'est
pas seulement des symptômes qui peuvent... Il y a des symptômes qui sont très
résistants aux traitements, mais ce n'est pas seulement une question de
traitement de symptômes, c'est d'adaptation à la maladie, d'aide auprès du
malade, d'aide auprès des proches. À ce niveau-là, la cure est importante, à ce
niveau-là aussi. Donc, moi, mon angle, il est, je dirais, plus large pour me
permettre de l'affirmer aussi crûment.
M.
Nadeau-Dubois : Merci de votre réponse claire. Un autre des arguments
que vous nous présentez, puis je le trouve intéressant, c'est de dire : On
ne peut pas ouvrir la porte à l'aide médicale à mourir dans un contexte où on
n'est même pas en mesure d'assurer la disponibilité des traitements pour les
troubles mentaux sévères. La chercheure qui
vous a précédés nous disait que ce n'était pas nécessairement faux, mais que
c'était un faux dilemme, et qu'on pouvait faire les deux et travailler
sur des voies parallèles. On pouvait, d'un côté, permettre l'aide médicale à
mourir pour les gens souffrant de troubles mentaux, et de l'autre, en même
temps, aller de l'avant avec une bonification significative des traitements,
puis de l'accompagnement, puis des services pour les gens qui souffrent de
troubles mentaux. Et elle nous disait que ce
faux dilemme là, qu'elle qualifiait, elle, de faux dilemme, avait été présenté lorsqu'on
a initialement eu le débat sur l'aide médicale à mourir avec les soins
palliatifs, et qu'avec l'évolution des années on s'est bien rendu compte que l'un n'allait... l'un n'était pas
contradictoire avec l'autre et qu'on pouvait faire les deux en même temps. Qu'est-ce que vous répondez à cet argument-là, qui dit :
On pourrait faire les deux en même
temps, ouvrir la porte à l'aide
médicale à mourir pour éviter la discrimination et en même temps, de l'autre
côté, travailler à améliorer les services puis les traitements disponibles?
M. Major (Bertrand) : Je ne sais pas comment qu'elle peut faire ça, je ne suis pas capable,
je ne suis vraiment pas
capable. Je suis moins bon qu'elle. Vraiment, là, c'est... je ne suis pas
capable de le concevoir.
M.
Gagnon (Pierre) : Bien, c'est ça,
c'est-à-dire qu'on a tellement peu... présentement, c'est... il y a tellement peu de cliniques spécialisées pour faire face aux
traitements... aux traitements... c'est-à-dire aux patients qui ont des
symptômes résistants que je ne vois pas comment ça pourrait se faire. Puis il y
a tellement aussi une gamme possible. Tu sais, l'accompagnement...
l'accompagnement, en fait, du thérapeute, et du psychiatre, et de l'équipe
traitante est tellement important que des fois c'est un changement d'équipe, tout
simplement. Mais on n'est pas là du tout, là, alors
il va y avoir nécessairement un court-circuit, un shunt vers l'aide médicale à mourir sans avoir utilisé les traitements, qui
sont vraiment loin d'être disponibles, là, partout, on parle des... il y en a
très peu. Il y a des choses qu'on détient seulement un
petit peu à Québec, un petit peu à Montréal, ce n'est vraiment pas disponible. Et je n'ai pas vu de traitements,
moi, de patients qui ont reçu toute la gamme des traitements et qui, au bout de
ça, comme dit le Dr Major, on n'aurait rien d'autre à proposer. On n'est
pas rendu là, on est en... Malheureusement, en psychiatrie, on n'est vraiment pas
rendu là.
• (16 h 50) •
M. Major
(Bertrand) : ...je parle d'un
des signataires de la lettre, là, David Bloom, écoutez, c'est le
schizophrénologue du Québec, c'est lui qui a la cohorte des patients les
plus malades du Québec. Je lui ai parlé il y a deux
jours, j'ai dit : Qu'est-ce que tu en penses, de ça? Il dit : Je suis
défavorable. J'ai dit : Aurais-tu des cas? Il dit : J'ai quatre, cinq cas très lourds. Mais j'ai
dit : Les enverrais-tu? Bien, il dit : C'est trop facile. C'est la
réponse de l'homme de terrain.
M.
Nadeau-Dubois : Et c'est quoi, la différence, entre ça et ce que
certains qualifieraient d'acharnement thérapeutique?
M. Major
(Bertrand) : Ce n'est pas de l'acharnement, parce que nos patients
sont libres, encore une fois, de dire :
J'abandonne tout, comprenez-vous, c'est... On veut toujours le convaincre,
comprenez-vous, quand on est vraiment allié
au patient, là, et on est proches, hein, on est vraiment proches de nos
patients qui sont les plus
souffrants. C'est... À la différence, là, du médecin physique, qui, bon,
écoutez, c'est... différemment, là, c'est...
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous
avions. Merci, Dr Gagnon, Dr Major.
Donc, nous suspendons
les travaux le temps d'accueillir nos nouveaux invités. Merci encore.
(Suspension de la séance à
16 h 52)
(Reprise à 17 heures)
La Présidente (Mme
Guillemette) : Donc, bonjour, tout le monde. Nous sommes de retour
avec notre dernier intervenant de la
journée, le Pr Brian Mishara.
Donc, bienvenue parmi nous, merci d'avoir accepté l'invitation. Vous aurez, on vous l'a expliqué,
vous aurez 20 minutes pour faire votre exposé. Il y aura un échange avec
les membres de la
commission pour une période de 40 minutes. Donc, M. Mishara, je vous
cède la parole.
M. Brian L. Mishara
M. Mishara (Brian L.) : Merci. Mmes, MM. les commissaires, je tiens
d'abord à vous remercier sincèrement de m'offrir l'opportunité de
partager avec vous le présent mémoire. Je suis directeur du Centre de recherche
et d'intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie,
le CRISE, et professeur de psychologie à l'Université du Québec à Montréal. En
1996, j'ai eu la bourse nationale Bora-Laskin pour étudier des pratiques
d'euthanasie et suicide assisté aux Pays-Bas et j'ai travaillé pas mal. Je fais
des recherches en prévention du suicide.
Mon intervention
d'aujourd'hui porte sur la façon de mieux garantir un juste équilibre entre le
respect d'autonomie des personnes
admissibles à l'aide médicale à mourir, d'un côté, et, de l'autre, la
protection des personnes vulnérables et l'obligation de prévenir les
décès évitables par suicide. Le système de santé a comme responsabilité
d'offrir les soins de qualité adaptés aux besoins des personnes souffrantes.
Par conséquent, je propose d'ajouter un amendement
à la loi ou un règlement supplémentaire qui permettrait de restreindre l'aide
médicale à mourir aux seules personnes pour qui il n'existe aucun autre
traitement permettant de soulager leurs souffrances.
Le Québec a une
longue histoire d'actions en amont afin d'éviter le plus possible les effets
négatifs des interventions médicales sur ses citoyens. Par exemple, dans le
contexte de la pandémie de la COVID-19, la Santé publique et le ministère de la
Santé ont pris soin d'instaurer des mesures de précaution et des restrictions
liées au vaccin d'AstraZeneca, qui semble être associé à un petit nombre de
thromboses et quelques décès parmi les millions de personnes vaccinées.
En effet, malgré une
incidence peu élevée, le fait que cette conséquence soit grave et
potentiellement irréversible dans un contexte où ces risques sont largement
inconnus faisait en sorte que l'État avait l'obligation d'agir avec prudence dans le but de protéger la
population. Alors qu'au Comité consultatif national de l'immunisation du
gouvernement fédéral on recommande le vaccin d'AstraZeneca aux personnes...
toute personne de 30 ans et plus, le Québec a
cessé d'utiliser ce vaccin en raison des faibles risques de thrombose. On peut
décrire plusieurs autres situations semblables.
Je suis d'avis que
les mêmes précautions prises pour assurer qu'un vaccin contre la COVID-19 n'ait
pas d'effet négatif grave même pour une
petite proportion de la population doivent s'appliquer aussi à notre
considération des protections nécessaires pour l'application de l'aide médicale à mourir. L'aide
médicale à mourir n'est pas un
traitement médical comme un autre. Il s'agit du seul traitement qui termine
définitivement et délibérément la vie d'un être humain. Le risque encouru dans
le cas d'un pronostic erroné est la mort de la personne, et on ne peut penser
plus grave et plus irréversible que cela face à une vie qui aurait pu être
épargnée par un traitement approprié.
Par conséquent,
l'État a une obligation envers ses citoyens d'assurer qu'on ne donne pas la
mort comme traitement contre la souffrance s'il existe d'autres interventions
qui peuvent permettre à la personne de continuer à vivre tout en allégeant ses
souffrances. À tout le moins, l'État devrait avoir des mécanismes en place pour
assurer que l'aide médicale à mourir est considérée en tout dernier recours.
Dans les discussions
parlementaires lors de l'adoption de la loi sur l'aide médicale à mourir au Québec,
on se vantait d'être en mesure de prévenir
la pente glissante, c'est-à-dire le risque que l'aide médicale à mourir
devienne une solution au manque de soins palliatifs. Or, plusieurs
intervenants cliniques sur le terrain rapportent que les patients reçoivent l'aide médicale à mourir à la
demande... sont souvent en premier recours, alors que même qu'ils n'ont jamais vu
une équipe de soins palliatifs pour la gestion de leurs symptômes physiques ou
psychologiques.
Ailleurs dans le monde,
dans tous les autres pays qui ont légalisé l'aide médicale à mourir, il est
interdit d'arrêter la vie d'une personne s'il existe un autre traitement qui
peut potentiellement soulager la souffrance. En Belgique, le médecin doit
arriver, avec le patient, à la conviction qu'il n'y a aucune autre solution
raisonnable dans sa situation.
Aux Pays-Bas, le médecin doit attester du fait qu'il y a une absence
d'alternatives raisonnables pour traiter les souffrances psychiques et
physiques du patient.
Cependant,
au Canada et au Québec, le médecin a seulement le devoir d'informer
et de discuter avec le patient des moyens raisonnables pour soulager ses
souffrances. Le médecin et le patient doivent ensuite s'accorder sur le
fait que le patient les a sérieusement envisagés. Le diable est dans les détails. Alors qu'au Canada
le patient doit considérer sérieusement les traitements autres que la mort qui sont
disponibles, partout ailleurs dans le monde, si d'autres traitements
existent, le médecin a l'obligation de refuser d'arrêter la vie du patient.
Ainsi, le patient n'est pas obligé de suivre ces
traitements, mais on ne permet pas à l'État d'arrêter la vie de la personne si
les médecins croient que d'autres traitements existent. Au Québec et au Canada,
on oblige le patient à prendre une décision rationnelle sur la meilleure façon
d'arrêter sa souffrance. En privilégiant à tout prix le respect de l'autonomie
de la personne, l'État québécois agit ici contre le principe de précaution en
faisant en sorte que cette autonomie individuelle prime le risque d'une mort
prématurée suite à un pronostic erroné.
Au surplus, on peut se questionner sur l'autonomie
et la capacité du patient à fournir un consentement à la fois libre et éclairé
sur l'acceptabilité des traitements proposés dans un contexte où ce patient est
dans un état de souffrance. On peut se demander qui choisirait la mort pour
arrêter ses souffrances quand il existe, selon l'avis des experts médicaux,
d'autres traitements possibles qui pourraient permettre à la personne de ne
plus souffrir autant et de continuer à profiter de la vie malgré ses
limitations ou handicaps associés à une maladie grave.
Les personnes qui travaillent en prévention du
suicide connaissent très bien les personnes qui pensent que la mort est la bonne solution pour arrêter leurs
souffrances. Les gens qui souffrent sont souvent aveuglés par leurs souffrances.
Ils ne voient pas le potentiel des traitements ou leur raisonnement est
compromis par les symptômes d'une maladie mentale ou la panique dans une situation
de souffrance aiguë. Ils ne réalisent pas qu'ils peuvent se sentir mieux et conçoivent la mort comme la seule vraie solution.
C'est le propre des maladies mentales, comme la dépression, que d'altérer
le jugement des personnes qui en sont atteintes.
En l'absence de données probantes permettant de
déterminer hors de tout doute que ces éléments n'affectent pas la capacité de prendre des décisions sur des
traitements à privilégier, il me semble donc prudent de ne pas accorder plus de poids que nécessaire au respect de
l'autonomie dans la balance avec la protection de la vie. Ici aussi, le
principe de précaution doit s'appliquer.
• (17 h 10) •
La grande majorité des personnes qui ont
commencé une tentative de suicide et qui appellent à un centre de prévention du suicide acceptent l'aide proposée et
seront contentes d'être toujours en vie par la suite. Même les personnes qui
disent n'absolument pas vouloir d'aide et qui sont traitées contre leur volonté
font rarement une deuxième tentative de suicide. Il arrive même régulièrement que ces personnes rappellent le
centre qui a initié l'intervention pour les remercier. Ceci est vrai même pour
les personnes qui sont suicidaires à cause d'une maladie dégénérative
incurable. Cela devrait nous rappeler
que, si certaines maladies sont encore incurables, le suicide est la
conséquence de souffrances psychiques qui sont tout à fait évitables si
on offre de l'aide et qu'on tend la main.
Au Québec, en 2019, 2,4 % de tous les décès
ont été par l'aide médicale à mourir à peine quatre ans après la légalisation
de cette pratique. J'ai entendu, dans les témoignages à la commission, qu'en
2020 le pourcentage a augmenté à 3 %.
La Belgique a atteint 2,4 % des décès par aide médicale à mourir en
2019, 15 ans après la légalisation de cette pratique, et ce, même si l'aide médicale à mourir en Belgique est permise pour les personnes qui
ont une maladie mentale et qu'il n'y a pas d'obligation que la mort soit
prévisible. Aux États-Unis, dans l'État d'Oregon, le premier pays... le premier État aux États-Unis à légaliser
le suicide assisté, seulement 0,5 % des décès sont attribuables à l'aide médicale à mourir.
Comment est-ce qu'on peut expliquer que le
Québec ait si vite atteint cette proportion de décès? Le seul pays au monde qui
a proportionnellement plus de décès par aide médicale à mourir est les
Pays-Bas, où le premier cas a été sanctionné
par les cours en 1973. Je fais l'hypothèse... c'est parce que la protection qui
existe en Belgique et dans tous les autres pays qui ont légalisé l'aide
médicale à mourir, soit l'obligation d'assurer qu'il n'existe pas
d'alternative, n'est pas présente au Québec. Dans ce contexte, il y a
certainement des personnes qui meurent par aide médicale à mourir au Québec qui
auraient pu arrêter de souffrir grâce à des traitements psychologiques, une
meilleure maîtrise de leur douleur par les soins appropriés, l'accès aux soins
palliatifs ou des interventions psychosociales.
Moi, je dirige un centre de recherche et je
crois fermement à la recherche scientifique. Je dois donc poser la
question : Peut-on déterminer si une personne qui souffre de maladie
mentale va continuer à souffrir ou si, plutôt, elle cessera éventuellement de souffrir et être heureuse d'être en vie?
Les recherches indiquent clairement qu'on se trompe très souvent quand
on essaie d'identifier les cas sans espoir de guérison.
Les recherches sont résumées dans un document, Le
Canada à la croisée des chemins :Recommandations concernant l'aide
médicale à mourir pour les personnes ayant un trouble mental, 2020, que je
vous invite à lire. Même si certains
professionnels peuvent croire qu'ils sont capables d'identifier les personnes
dont la maladie mentale est irréversible et sans espoir, les recherches
indiquent que les maladies mentales ne progressent pas de façon prévisible et
que ces professionnels se trompent souvent.
D'ailleurs, il n'existe aucun test diagnostique
qui permet de déterminer que l'état d'un patient atteint de maladie mentale ne s'améliorerait pas et qu'il
continuera à vouloir mourir dans l'avenir. Pour cette raison, l'American
Psychiatric Association soutient qu'un
psychiatre ne devrait pas prescrire ou administrer à une personne atteinte
d'une maladie qui n'est pas en phase terminale toute
intervention dans le but de causer sa mort. Le Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists a statué
que les maladies psychiatriques ne doivent jamais être le fondement
du suicide médicalement assisté. Des traitements alternatifs doivent être aussi
ou voire plus accessibles que la mort par aide médicale à mourir.
Actuellement, au
Québec, les patients qui ont besoin de consultations ou de traitements
psychiatriques dans le système public, par
exemple en CLSC, doivent attendent plus d'un an souvent sur une liste
d'attente, mais, bientôt, ces mêmes personnes peuvent avoir accès à l'aide
médicale à mourir dans 30 ou 90 jours ou moins.
La question à
laquelle vous devrez répondre dans votre âme et conscience est la
suivante : Combien de morts prématurées de personnes qui auraient pu
continuer à vivre grâce aux traitements disponibles, être contentes d'être
toujours en vie, sommes-nous prêts à accepter? Est-ce que c'est 100 par année,
ou 50 est un nombre acceptable, ou seulement trois, comme le cas du vaccin d'AstraZeneca?
Dans toute prise de décision, le risque de faux positif n'est jamais nul, mais, lorsque la mort est en jeu, je
propose que ce seuil soit réduit au minimum en appliquant le principe de
précaution.
Aux Pays-Bas, le pays
le plus libéral par rapport à l'accès à l'aide médicale à mourir, on refuse à
peu près 45 % de toutes les demandes, généralement parce que le médecin
est d'avis que le patient, même dans le cas où il souffre d'un cancer terminal,
peut avoir le goût de continuer à vivre s'il essaie certains traitements. On
n'a pas cette obligation au Québec pour les personnes qui sont en phase... qui
ont une maladie mortelle. On ne l'a pas non plus actuellement pour les
personnes qui ont une maladie non mortelle avec l‘élargissement de l'aide
médicale à mourir, et, à moins qu'il y ait
des propositions nouvelles pour les personnes ayant une maladie mentale, comme
ceux... problème médical, on risque de ne pas l'avoir pour elles non
plus.
Dans une telle situation,
il est évident qu'un certain nombre de personnes vont mourir, malgré leur
potentiel d'amélioration, par erreur de jugement du patient, par manque de
connaissance de la nature des soins palliatifs ou simplement par un désir
personnel de mourir par aide médicale à mourir. Il est fort probable qu'avec
l'élargissement de l'accès à l'aide médicale
à mourir le Québec ait bientôt le plus haut taux de décès par aide médicale à
mourir au monde, avec un taux deux ou trois fois plus élevé qu'ailleurs.
Je crois qu'on doit
faire mieux pour protéger les personnes vulnérables qui souffrent, qui peuvent
profiter d'autres traitements et qui ont le potentiel de profiter de leur vie
sans souffrance et supportable pour le temps qui leur est accordé. Il faut donc agir avec prudence et ajouter l'obligation de
refuser l'aide médicale à mourir aux personnes qui, selon l'avis des médecins
experts, peuvent potentiellement profiter suffisamment des traitements, de ne
plus pouvoir mourir plus tôt. Même
avec ces précautions, on risque de se tromper souvent quand on accepte
d'accorder l'aide médicale à mourir aux personnes qui souffrent d'une
maladie mentale. Merci beaucoup.
• (17 h 20) •
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Mishara... Pr Mishara. Je céderais maintenant la parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Mishara, pour
votre contribution aux travaux de notre commission. J'ai quelques questions
pour vous et j'ai peu de temps. Alors, je vais y aller rondement.
D'abord, sur la question
de l'incurabilité ou non des troubles mentaux, il y a des psychiatres qui sont
venus nous dire à la commission que c'était possible d'arriver à ce
jugement-là, c'est-à-dire arriver à la conclusion, à partir d'une série de
critères, qu'un trouble mental sévère est, grosso modo, incurable. Les invités
qui vous ont précédés étaient d'un avis
différent, eux aussi psychiatres, avaient une réponse catégorique et
disaient : Non, ce n'est pas possible d'arriver à ce jugement
définitif. En Belgique, vous semblez avoir étudié ce qui se passe là-bas... en
Belgique ou aux Pays-Bas?
M. Mishara (Brian
L.) : Pays-Bas.
M.
Nadeau-Dubois : Est-ce que ce débat-là, également, existe au sein de
la psychiatrie ou s'il y a, dans ces endroits-là, un consensus plus fort?
M. Mishara (Brian
L.) : Le débat existe, mais c'est légal pour quelqu'un qui a seulement
une maladie psychiatrique. Je pense que l'enjeu n'est pas est-ce que la
maladie est incurable, mais est-ce qu'on peut diminuer ou éliminer la
souffrance de la personne. Il y a plein de maladies qui vont continuer, mais la
souffrance associée à cette maladie...
Quelqu'un qui a un diagnostic de schizophrénie va probablement toujours avoir
un tel diagnostic, mais il y a des traitements pour faire en sorte que
cette personne peut avoir peu ou pas de symptômes.
Aux Pays-Bas et en
Belgique, quand même, le nombre de personnes... accordées l'aide médicale à
mourir est très petit. Ils reçoivent, aux
Pays-Bas, plus de 3 000 demandes
par année, ils accordent à peu près, 2019, 67 cas, et un tiers de ces personnes changent d'avis après avoir eu
l'approbation et refusent de l'avoir, mais il y a certainement un débat
là-dessus.
La recherche
scientifique, qui essaie de voir... qui demande aux psychiatres qu'est-ce qui
va se passer avec cette personne et ensuite
de voir qu'est-ce qui se passe, indique que c'est quasi impossible de prévoir
qui va s'améliorer à un moment donné et qui va continuer à souffrir.
Aussi, la souffrance, ce n'est pas continu. Ce n'est pas toujours au même niveau. Il y a des personnes qui ont une
souffrance aiguë pour quelques jours, quelques semaines, mais, il y a des
moments de la journée, il y a moins de souffrance. C'est très compliqué.
M. Nadeau-Dubois :
Si je peux me permettre une deuxième question dans le peu de temps dont je
dispose... Pardon, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Oui, allez-y, il n'y a pas de problème.
M.
Nadeau-Dubois : Ah! O.K. Le fait d'exiger que la personne se soit
prêtée à tous les traitements disponibles avant d'être admissible à
l'aide médicale à mourir, et là je me fais volontairement l'avocat du diable,
là, ce n'est pas nécessairement mon opinion personnelle, mais est-ce que ça
n'en revient pas à, indirectement, forcer les patients ou, en tout cas, mettre
une pression indue sur les patients pour recevoir ces traitements-là?
M. Mishara (Brian L.) : C'est au
patient d'accepter ou refuser des traitements. L'enjeu n'est pas est-ce qu'on
doit obliger quelqu'un à suivre un traitement, l'enjeu c'est est-ce que l'État
a l'obligation d'arrêter la vie d'un être
humain qui peut profiter des
traitements. Et c'est un autre enjeu. La personne est libre de les suivre ou
non, mais, si on se fie sur l'expérience
aux Pays-Bas, où la majorité des refus sont parce que le médecin pense qu'il y
a un traitement à essayer, c'est très rare que des patients qui essaient
ces traitements reviennent avec une demande de mourir.
Il y a beaucoup de monde qui pense que : Je
dois absolument mourir. En Oregon, il y a un petit pourcentage de personnes qui
convainquent des médecins qu'ils ont une maladie grave, habituellement un
cancer, ils souffrent tellement qu'ils doivent mourir. Ils reçoivent des
médicaments qu'ils peuvent prendre pour se suicider, le suicide assisté, seule pratique légale. Plus qu'un tiers,
36 %, des personnes qui ont convaincu des médecins qu'ils doivent mourir
ne prennent pas le médicament. Ils changent d'avis et ils ont une mort
naturelle éventuellement. Quand on parle de l'ambivalence par rapport au
suicide, ce n'est pas juste par rapport au suicide, ça existe aussi dans le cas
de l'aide médicale à mourir.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, M. le député. Je céderais la parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Bonjour,
Pr Mishara. Merci, pour votre présentation. D'abord, juste une petite remarque
avant d'entrer dans le vif du sujet. Vous avez dit tout à l'heure qu'il y avait
plusieurs patients en ce moment, dans l'état actuel
des choses, dont c'était le premier soin de l'aide médicale à mourir. Et par
ailleurs nous... la commission des soins de fin de vie nous a dit que c'était
plus de 80 % des gens qui avaient l'aide médicale à mourir qui étaient
passés par les soins palliatifs. Donc, je ne sais pas si vous avez des
données plus précises, mais juste vous dire qu'on serait très intéressés à les
avoir, parce qu'il semble y avoir, là, un discours différent sur cet enjeu-là.
M. Mishara
(Brian L.) : O.K. Je ne suis
pas expert là-dedans. On a une chercheuse au CRISE, Mélanie Vachon, qui
a fait des publications là-dessus, et il y a une référence, dans mon mémoire,
d'une de ses publications.
Mme
Hivon : Parfait.
M. Mishara (Brian L.) : Mais l'enjeu...
Il y a un enjeu. Est-ce qu'on doit traiter la mort comme traitement... comme
vraiment spécial? Même si c'est 10 % qui n'ont jamais vu quelqu'un en
soins palliatifs et c'est... si ces 10 %, ou 5 %, la moitié de ces 10 %, 5 %, ont pu profiter des
soins palliatifs, est-ce qu'on veut permettre
à ces personnes d'avoir la mort comme traitement? Combien de décès
est-ce qu'on peut accepter dans la société qu'on peut éviter avec les bons soins? Nous sommes très prudents et
conservateurs quand on parle d'un vaccin ou d'autres types de traitements des
maladies infectieuses, où on va vacciner tout le monde parce qu'un enfant,
quelque part, est mort d'«encephalitis» ou quelque
chose comme ça. Donc, il y a une question, et je pense qu'il faut faire très
attention quand, le traitement, ça arrête la vie d'un être humain.
Mme
Hivon : Parfait.
Je vais aller voir l'étude de Mélanie Vachon. Merci de la référence.
Là, je veux vraiment réconcilier quelque chose...
C'est très intéressant, parce que vous nous dites que vous vous êtes beaucoup
penchés sur ce qui se passe en Europe, et vous nous invitez à regarder
éventuellement leur modèle qui dirait que
les autres traitements doivent avoir été essayés et qu'il n'y a pas
d'alternative. Les deux psychiatres qu'on
a eus juste avant vous, donc, il faut essayer de réconcilier ça, nous ont
dit : Faites attention, Belgique, Pays-Bas, en quelque sorte, c'est
la catastrophe en matière de maladies psychiatriques. On voit des cas où
quelqu'un avait perdu son animal domestique,
a pu avoir l'aide médicale à mourir, quelqu'un se sentait trop isolé, trop
seul, a pu avoir l'aide médicale à
mourir. Et vous, vous nous dites plutôt : Inspirez-vous de ce modèle-là,
parce que tous les autres traitements doivent
avoir été essayés. Donc, vous comprenez qu'on est un petit peu dubitatifs,
parce que les deux, un après l'autre, ont deux points de vue. Donc,
est-ce que vous pouvez nous aider à réconcilier ça?
• (17 h 30) •
M. Mishara (Brian L.) : Malgré tous
les contrôles qui existent dans ces pays, il y a un problème par rapport aux
personnes qui ont une maladie mentale et qui en font la demande. C'est très
controversé. Aux Pays-Bas, ils ont pris un
an pour tout revoir leurs critères, et c'est controversé. Il y a certainement
des cas qui semblent être inappropriés. Il y a une différence entre Pays-Bas et Belgique. Il y a beaucoup plus
de transparence. Il y a des enquêtes plus en détail. Donc, il y a des
chercheurs, comme Scott Kim, à Washington, qui ont pu avoir accès à toutes les
transcriptions des enquêtes de chaque cas où quelqu'un avec une maladie mentale
a reçu l'aide médicale à mourir, et le problème, c'est... le système est basé
sur les décisions de deux médecins, des fois, un troisième médecin consulte
aussi. Et les êtres
humains ne sont pas parfaits dans la prise de décision, particulièrement quand on n'a pas un test sanguin pour dire que c'est une maladie
mortelle. On n'a pas une vue d'un cancer qui grandit à tous les mois, on n'a
pas le diagnostic. On a les paroles de la
personne, et ce n'est pas très fiable, des diagnostics en psychiatrie. Et la question,
c'est vraiment : Combien
d'erreurs? Parce qu'il y en a, des erreurs et, en psychiatrie, beaucoup plus
qu'un diagnostic d'un cancer. Combien est-ce qu'on est prêt à accepter, si on
se trompe, qu'il y a quelqu'un qui va mourir qui peut profiter de continuer à
vivre?
Et, moi, je suggère que la barre doit être très
haute si on le permet. Et, dans le cas de la maladie mentale, on risque de
faire des erreurs, et, personnellement, moi, je ne veux pas voir des personnes
mourir qui peuvent profiter à continuer à vivre. Et je vous invite à trouver
une recherche qui indique que les psychiatres sont capables de prévoir quelle
personne va toujours souffrir et quelles personnes vont profiter de la vie, ne
plus vouloir mourir dans l'avenir. On est toujours étonné par ce qui se passe,
et la maladie mentale ne suit pas un cheminement prévisible.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Pr Mishara. Merci, Mme la députée.
Mme
Hivon : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, je vais me permettre une question, Pr Mishara. On parle de santé mentale,
mais, au niveau des troubles de dégénérescence cognitive, votre position,
est-ce qu'elle aussi tranchée?
M. Mishara (Brian L.) : Mais le
problème encore, c'est, quand on une dégénération cognitive, la personne n'est
plus apte à prendre des décisions. Donc, on est dans le domaine des demandes
anticipées. Et le problème, c'est qu'on a de la misère à prévoir nos
souffrances dans l'avenir et moi je peux avoir très peur de devenir sénile,
d'avoir une démence, mais il y a des personnes qui sont dans une situation
avancée de démence qui ne souffrent pas. Donc, si on accorde l'aide médicale à
mourir pour la souffrance, il faut vérifier que la personne souffre et le
problème avec souffrance, il y a des personnes qui ont des démences, qui ont
des périodes de souffrance pour une heure ou deux par journée, et des périodes
être bien contents. Ça peut fluctuer, un mois plus tard ils peuvent arrêter de
souffrir.
Par rapport à la souffrance, ça ne suit pas un
cheminement prévisible. Ça se peut que les capacités cognitives vont continuer à diminuer, ne vont pas à long
terme s'améliorer, même s'il y a des fluctuations, même dans une journée,
mais ce n'est pas le cas pour la souffrance. Donc, ce n'est pas quelque chose
où on peut facilement déterminer, et, aussi,
il y a les souffrances qu'on peut traiter. Donc, il y a toujours ce critère
qui, pour moi, est crucial. S'il y a un traitement qui permet à la
personne de vivre, je ne pense pas qu'on doit accorder la mort.
La Présidente (Mme Guillemette) : On
a entendu des gens qui nous disaient que la souffrance, c'était aussi dans la dignité. Donc, c'est dur à évaluer, mais
on ne prendrait pas en compte cet aspect-là de la volonté de la personne
qui dit : Peut-être que je ne souffrirai
pas psychologiquement, peut-être je ne souffrirai pas physiquement, mais rendu
à cette étape de ma vie, je n'aurai plus conscience du monde qui m'entoure, je
demande l'aide à mourir?
M. Mishara (Brian L.) : O.K., mais
il faut évaluer la personne au moment de sa mort ou mort possible ou
potentielle. On ne peut pas se fier sur les prévisions de quelqu'un. Il arrive
très souvent que quelqu'un pense : Oh, si ça m'arrive, je ne peux pas
continuer à vivre. J'ai fait une recherche sur les personnes atteintes du sida
et j'ai fait cette recherche avant qu'il y
avait des bonnes combinaisons de médicaments pour traiter le sida. Donc, les
gens allaient mourir. Et j'ai essayé de suivre les personnes et voir ce
qu'ils prévoyaient faire au moment de leur mort. Et, après, j'ai demandé à tout
le monde le nom de quelqu'un qui allait l'accompagner vers la fin de leur vie,
et j'ai demandé qu'est-ce qu'il s'est passé. Et il n'y avait aucune corrélation
entre ce que les personnes prévoyaient vouloir et ce qu'ils ont voulu, rendus
proches à la mort.
Il y a une personne qui a dit : Si je ne
suis pas capable de faire mes tâches quotidiennes, je veux absolument mourir.
Il a même caché des médicaments, il avait une entente avec quelqu'un qui les
donnait. Il est devenu aveugle, incontinent,
il a eu des douleurs, des métastases, du cancer cérébral. Et, tous les jours,
son copain a demandé : Est-ce que tu veux mourir aujourd'hui? Il
faisait tout pour continuer à vivre juste une autre minute.
Il y avait une autre personne très croyante,
pratiquante, qui disait : Je ne vais jamais penser à l'aide médicale, à
l'euthanasie, aide médicale à mourir, et il a demandé, jusqu'à la dernière
minute, au médecin d'arrêter sa vie.
On a de la misère à prévoir comment on va se
sentir dans l'avenir. Il faut évaluer la personne à ce moment-là pour la
souffrance, et c'est bien compliqué parce que la souffrance, ça fluctue, et il
y a des interventions. Et comme on parle de dignité, on peut créer des environnements
où c'est plus digne, et c'est ça un des objectifs des unités de soins
palliatifs et les soins à domicile qui permettent aux personnes de mourir chez
eux avec un bon soulagement de la souffrance physique et psychique.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Pr Mishara. Je céderais maintenant la parole au député
de Mégantic.
M. Jacques : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Pr Mishara. Je veux revenir un peu, là, même dans le temps, peut-être même en 2009, 2013, 2015. Vous considérez,
là, que la recherche... Est-ce que je comprends bien que, pour vous, la recherche serait un traitement qui
devrait être tenté même s'il n'y a plus rien de possible pour une personne?
Là, on parle d'une cause de cancer. Moi, je dois vous dire, là, mon épouse est
décédée d'un cancer du cerveau, elle a été malade
18 mois, du diagnostic jusqu'à la fin. Et, dans ce 18 mois-là, les
10 derniers mois ont été vraiment que de la
recherche. Mais elle voulait vivre, même si l'aide médicale à mourir
n'existait pas à ce moment-là, elle voulait vivre. Bon, la question ne se posait pas. Par contre, moi, le conjoint, à ce moment-là, et la famille, on l'a supportée dans ce qu'elle voulait faire, mais
c'est très difficile pour les gens qui l'entourent. Moi, si ça m'arrivait aujourd'hui, je sais que je peux
bénéficier de l'aide médicale à
mourir. Par contre,
j'ai comme senti que, pour vous, la recherche était un traitement. Est-ce
que je comprends bien?
• (17 h 40) •
M. Mishara (Brian
L.) : Pour moi, on peut utiliser la recherche pour déterminer si un
traitement fonctionne, est fiable et... Mais, non, quand on parle des
traitements disponibles, on parle des choses qui sont prouvées, qui sont
acceptées comme pratique courante. On ne parle pas d'essayer quelque chose qui
n'est pas prouvé.
Ma mère est décédée
d'un cancer du cerveau aussi et, elle aussi, elle voulait absolument vivre
malgré une situation qui, pour moi et pour la famille, était épouvantable. Mais
il faut respecter et balancer la volonté de la personne contre l'obligation
qu'on a de protéger les personnes vulnérables. Quand on souffre, on a tendance
à ne pas voir clair, il y a des recherches là-dessus. Quand on vit de la
douleur, on ne prend pas des bonnes décisions.
Et c'est la même
chose pour quelqu'un qui a une maladie mentale. Quand on souffre de dépression,
ça peut aller bien, mais tout a l'air noir, sans espoir, et ça peut colorer nos
impressions. Et, si on ne connaît pas les soins palliatifs, on peut... Ça ne
m'intéresse pas, ça.
M.
Jacques : Pr Mishara, je vais vous arrêter parce que vous avez
très bien répondu à ma question, puis il y a d'autres collègues qui
veulent poser certaines questions, là. Donc, je vous remercie. Je voulais avoir
une précision, là, parce que je n'avais pas bien compris, puis vous m'avez
éclairé. Merci beaucoup.
M. Mishara (Brian
L.) : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Je céderais la parole à la
députée de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir. Rendu à cette
heure-là... Bonsoir, M. Mishara. Je vais revenir un petit peu sur
l'angle qu'a pris la députée de Joliette par rapport aux pourcentages qu'on vit
au Québec. Vous me dites qu'après quatre
ans, on est à 2,4 % des décès par l'aide médicale à mourir, contrairement
en Belgique. En Belgique c'est... si je me souviens bien, que c'était
15 ans qu'on est arrivé à 2,4 %. Est-ce qu'en Belgique, dans le
2,4 %, on inclut aussi les gens qui
sont décédés de... parce qu'il y avait... ils ont fait l'aide médicale à mourir
à cause de la santé mentale?
M. Mishara (Brian
L.) : Tout.
Mme
Hébert :
Tout?
M. Mishara (Brian
L.) : Oui, tout.
Mme
Hébert :
Alors, ma question et ma préoccupation, vous allez le comprendre, si vous me
dites qu'ils ont atteint, après 15 ans, 2,4 %, on nous dit que les
intervenants précédents... qu'en Belgique, bien, que les sauvegardes sur papier, bien, ils n'ont pas été suivis en
entier, puis qu'on est arrivé à ce nombre-là. Donc, c'est inquiétant, selon
vous, d'élargir la loi parce que le nombre risque de monter encore plus.
C'est ce que vous... votre prévision?
M. Mishara (Brian
L.) : C'est en train de monter à chaque année au Québec, et je ne vois
pas ça diminuer. Et, si on élargit...
Maintenant, c'est permis pour les personnes pour lesquelles la mort n'est pas
prévisible. Ça va sûrement augmenter le pourcentage des personnes. Le
seul pays au monde qui a un pourcentage plus élevé, c'est les Pays-Bas qui,
après combien d'années... ça fait 20, 40, presque 50 ans, ils sont rendus
à 4 %. Et, si on continue, dans deux, trois ans, on va dépasser facilement
le 4 %. Qu'est-ce que... et ce n'est pas parce qu'on souffre plus au
Québec. Je ne peux pas croire qu'on souffre plus au Québec qu'aux Pays-Bas, ou
au Luxembourg, ou ailleurs dans le monde. C'est parce qu'il y a un contrôle qui
existe partout ailleurs qu'on n'a pas au Québec. On a décidé de permettre aux personnes de choisir, même si le médecin
dit : Il y a un très bon traitement, votre souffrance peut diminuer
énormément. Vous allez arrêter de
souffrir, je suggère que vous l'essayiez. L'obligation au Québec, c'est de l'expliquer à la personne. Et si
la personne dit : Non, ce n'est pas acceptable, on est obligé d'accorder l'aide
médicale à mourir. Le médecin ne peut pas dire : Non, il y a un
traitement, je le refuse. C'est interdit. C'est à la personne. Donc, on a opté
pour mettre l'emphase sur l'autonomie des
personnes, et ces personnes qui prennent ces décisions souffrent, souffrent énormément. Et ce n'est pas un bon moment de toujours voir clair. Donc, je
me demande comment ça se fait qu'on n'a pas ce genre de contrôle.
Mme Hébert :
Puis là, vous avez mentionné avec... Je reviens encore avec l'intervention de
ma collègue la députée de Joliette, de s'inspirer de qu'est-ce qui se fait en
Europe. Alors, suggérez-vous d'être encore plus... de mettre des balises encore plus restrictives? Parce que
si on voit que, nous, déjà, on a des
balises un petit peu plus élargies présentement, si jamais on élargit
la — on
est dans l'élargissement, finalement — si on élargit, est-ce que si
on s'inspire de qu'est-ce qu'ils font pour
la santé mentale puis... est-ce qu'on doit être encore un peu plus restrictif?
C'est ce que vous suggérez ou pas?
M. Mishara (Brian L.) : O.K. En général, je crois qu'il y a une chose
qu'il faut ajouter, et c'est quelque chose qui existe partout ailleurs,
et c'est cette obligation de déterminer est-ce qu'il y a des traitements
disponibles. On ne parle pas des recherches que quelqu'un veut essayer, qui
n'est pas prouvé, mais des traitements disponibles pour soulager la souffrance
ou les raisons pour lesquelles la personne fait la demande. Je ne parle pas de
guérir la maladie, je parle de soulager la
souffrance ou les raisons pour lesquelles la personne veut mourir. C'est une
question de dignité. Est-ce qu'on peut rendre sa vie plus digne ou sa
fin de vie plus digne? Si la réponse est non, c'est non. Mais, si la réponse est oui, il faut l'essayer et s'assurer
que ça ne fonctionne pas avant d'utiliser la mort comme traitement. Ça, je
veux... c'est partout le cas, et je pense qu'on doit l'inclure pour toutes les
personnes.
Par rapport à la
question de la santé mentale, c'est beaucoup plus compliqué. Personnellement,
je me fie sur les recherches qui indiquent que les êtres humains vont se
tromper quand ils essaient de prévoir qui va continuer à souffrir et qui va s'améliorer. Même sans
traitement, plusieurs maladies graves — quelqu'un qui souffre de schizophrénie,
des personnes déprimées qui ont une
dépression clinique profonde — vont vivre des moments avec peu de symptômes
en général. Donc, puisqu'on ne peut pas prévoir ça, moi, je ne suis pas en
faveur d'accorder l'aide médicale à mourir aux personnes qui souffrent d'une
maladie mentale.
• (17 h 50) •
Plus
tôt, j'ai entendu Dr Barbès, qui a décrit tout un système,
a étudié des options pendant quatre ou cinq mois, faire un suivi par deux psychiatres, s'assurer que
tous les traitements ont été assurés. Si on fait ça, moi, je vais commencer
à dire à toutes les personnes suicidaires que je côtoie, qui ont de la misère à
avoir un premier rendez-vous avec un psychiatre ou qui ne peuvent pas payer
pour une psychothérapie, pour voir un psychologue en privé et qui n'ont pas les
moyens, d'aller demander de l'aide médicale à mourir et, comme ça, quelqu'un va
être préoccupé par vous, vos problèmes et déterminer comment vous pouvez avoir
les soins qu'il faut. Parce que c'est bien beau de faire ce genre de
diagnostic, mais ce n'est pas ça, le problème de notre société. Le problème,
c'est l'accès aux soins. Quelqu'un qui fait
une tentative de suicide reste à l'hôpital entre un et trois jours maximum
d'habitude et, ensuite, il va en sortir avec un rendez-vous dans une ou deux semaines et la moitié ne se présente pas
au rendez-vous parce qu'ils n'ont pas confiance dans le système.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, professeur Mishara. On va pouvoir
continuer les échanges avec le député de D'Arcy-McGee.
M.
Birnbaum : Merci, Mme la Présidente, et merci beaucoup, Pr
Mishara, de partager votre grande expertise avec nous.
Vous avez oeuvré
dans le domaine depuis longue, longue date et vous êtes en mesure de nous
aviser de l'importance, comme société, qu'on
fasse beaucoup plus pour diminuer les
chiffres très tristes au Québec, où l'incidence de suicide est beaucoup trop élevée. Et, peu importe comment on va se
positionner, l'importance que des balises solennelles, claires et
vérifiables soient en place, on en convient tous, et puis qu'on fasse plus pour
que les traitements appropriés soient en
place. Mais, en même temps, je vous ai entendu, votre propre exemple de
cette personne atteinte de sida, et vous avez parlé de façon élégante de
son autonomie, son droit à la détermination, à quelque part, de son avenir, sa
dignité.
Qu'est-ce que vous
proposez qu'on fasse devant les gens où l'horizon évalué par des psychiatres
qualifiés, son horizon de moindre guérison, de moindres possibilités de
regagner une vie dite normale? Je ne parle pas de quelqu'un devant une
dépression épisodique majeure qui est une souffrance épouvantable, mais évidemment
qui ne devrait pas être assujettie à la possibilité de l'aide médicale à mourir, il n'y
a personne qui propose ça. Mais
comment est-ce qu'on... sans discriminer, comment on peut nous adresser
à cette personne-là, dont l'horizon est sombre, dont l'individuel, lui-même, de façon jugé apte, évalue que ces derniers
30 ans, malgré toutes sortes d'interventions thérapeutiques, malgré
l'appui de sa famille, n'a pas trouvé le moment de vie normale, peut-être être
isolé à 100 %, se cache dans son apparte depuis 30 ans, n'a jamais
connu le bonheur, dont l'évaluation professionnelle, c'est que c'est une continuation qu'il attend? Sur quelle base
cette personne devrait être traitée différemment? Et je vous rappelle
qu'on n'est plus dans l'horizon d'une attente de fin de vie imminente. Pour
quelle raison cette personne ne devrait pas
avoir, dans les conditions très, très balisées, la possibilité de choisir
l'aide médicale à mourir comme quelqu'un devant un diagnostic incurable
d'un cancer?
M. Mishara (Brian L.) : Moi, je travaille en prévention du suicide. Quand
j'ai fait des interventions, travaillé à Suicide Action Montréal comme bénévole, j'ai travaillé dans un hôpital psychiatrique quatre ans, j'ai... chaque
personne qui a fait une tentative de
suicide que j'ai rencontrée était convaincue, à ce moment — presque tout le monde — était convaincue, à ce moment, qu'il
n'y avait aucun espoir, que la seule façon d'arrêter ma souffrance est de me
tuer. Quand même, les statistiques indiquent que seulement 10 %, peut-être
12 %, des personnes qui ont fait cette tentative vont faire une deuxième
tentative parce qu'ils changent d'avis, ils reçoivent des soins, ils
réfléchissent à tout cela. 10 %, c'est
élevé, c'est beaucoup de décès ou beaucoup de tentatives parce qu'il y en a
très peu qui vont mourir de leur deuxième tentative, mais, quand même,
je ne peux pas me fier sur le point de vue de quelqu'un qui veut mourir pour déterminer que c'est justifié parce que toute
personne suicidaire, au moment de sa tentative, a des bonnes justifications.
Et souvent, ils seront très convaincants, mais j'ai l'expérience en
intervention de prévention du suicide qui m'indique que même des personnes qui
souffrent d'un cancer terminal, qui ont une espérance de vie de quelques mois,
peuvent changer d'avis, vouloir continuer à vivre s'ils reçoivent des bonnes
interventions. Ça arrive tellement souvent, et c'est la norme, la prévention du
suicide fonctionne en général.
Et quand vous
me dites qu'il existe des professionnels qui sont convaincus par... ça se peut,
mais les recherches indiquent clairement qu'ils vont souvent se tromper.
Et ici, se tromper, ça veut dire la mort.
M. Birnbaum :
Oui, une autre fois, je comprends l'importance capitale de la prudence. Avec
respect, je vous mets devant la situation de Mme Demontigny, qui a
témoigné devant nous, atteinte d'un Alzheimer précoce dans un moment... une
période de sa vie où son aptitude, sa lucidité est complètement claire, hors de
question. Et je vais utiliser un terme parce
que j'insiste que le parallèle est exact pour poser ma question,
Mme Demontigny nous dit, en pleine connaissance de cause, qu'elle
veut se suicider une fois ses symptômes rendus très, très, très graves et
irréversibles. Donc, vous êtes médecin, vous allez convenir avec moi qu'il y a
toujours une espèce de doute. Et j'utilise le terme parce que c'est ça, elle
indique son intention d'avoir de l'aide pour se suicider. Est-ce que son
souhait est légitime, lucide? Et est-ce qu'il n'y aurait jamais un parallèle
pour quelqu'un atteint d'une maladie grave de santé mentale?
M. Mishara (Brian L.) : Un
souhait... Et on a toutes sortes de souhaits, j'ai beaucoup de souhaits dans la
vie, mais la question, c'est vraiment : Rendue là, est-ce qu'elle va soit
penser de même ou est-ce qu'elle va être dans un état de souffrance où il y a
des indications qu'elle va vouloir mourir?
Il y a beaucoup de recherches sur l'évolution
des maladies dégénératives et il y a aussi des recherches sur les personnes qui
ont un accident, par exemple un accident d'auto, ils sont paralysés gravement,
et d'habitude les gens diraient : Si je
suis paralysé, je passe le reste de ma vie en chaise roulante, je ne voudrais
pas vivre. Presque tout le monde pense ça, beaucoup de monde pense comme ça.
Quand quelqu'un apprend qu'il ou elle est paralysé, très souvent, ces personnes désirent mourir, ne peuvent pas
concevoir de vivre comme ça. Six mois, un an plus tard, les personnes qui sont
gravement handicapées sont, selon toutes les
recherches, moins suicidaires et désirent moins mourir que les personnes
sans handicap. Je ne pense pas qu'on est très bon à prévoir notre état dans
l'avenir.
• (18 heures) •
Si quelqu'un souffre, et la souffrance est
démontrable et évidente, et il n'y a pas... et on essaie d'intervenir pour
diminuer sa souffrance, et on ne réussit pas, ça, c'est une situation où je ne
peux pas... et on est certain que ça va
continuer, moi, comme tout le monde,
je ne veux pas voir souffrir pour toujours quelqu'un, mais, si on peut diminuer
cette souffrance ou s'il y a des données, des recherches qui indiquent que,
fort probablement, la personne va arrêter de
souffrir, ça peut changer ou ce n'est pas certain, je crois qu'il faut, dans le
cas où le traitement, c'est la mort, il faut ne pas l'accorder si on n'a pas des vraies preuves que c'est
interminable. Et souvent on est étonnés. C'est le cas, c'est
certainement le cas par rapport aux handicaps et plusieurs maladies
dégénératives.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je vais avoir besoin du consentement de tout le monde pour dépasser de
deux minutes l'heure... pour continuer. Parfait. Consentement. Vous pouvez
continuer, M. le député.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Je vous avoue que j'entends des mises en garde très sérieuses et importantes qui pourraient et devraient
s'appliquer aux cas physiques ainsi que mentaux. Ce qui m'amène à une dernière
question. Il ne nous reste pas grand temps. L'amendement que vous proposez,
comment ça pourrait se déclarer, se manifester? C'est quoi, les critères? Bon,
y a-t-il un traitement au Mexique qui aurait été réussi dans un cas ou deux?
Comment on peut opérationnaliser votre suggestion d'un amendement?
M. Mishara (Brian L.) : Mais les
mots utilisés ailleurs sont des mots comme «traitements prouvés», ou les
traitements qui sont agrégés, ou qui sont... ou «habituels», des choses comme
ça, pour... Par rapport à la dépression, il y a des recherches qui indiquent
qu'il y a certains médicaments qui peuvent fonctionner. Il y a certains types
de psychothérapies qui sont efficaces à deux tiers des personnes qui suivent
ces traitements. On ne parle pas d'essayer quelque chose ou envoyer quelqu'un à
quelque part où il y a un gourou qui propose de faire quelque chose. On parle
des traitements qui sont prouvés, qui ont une preuve scientifique que ça
fonctionne, et c'est tout. Et d'habitude c'est ça qu'on fait, et on se fie sur
les experts là-dedans. Si le problème, c'est psychiatrique, on se fie sur des
psychiatres, leur avis là-dessus. Mais, dans le cas d'un problème
psychiatrique, c'est plus compliqué parce que leur avis n'est pas très fiable,
selon toutes les recherches. Ils se trompent. Et la question : Est-ce
qu'on doit permettre que les personnes meurent parce que ce n'est pas très
fiable, les jugements dans les cas de maladie mentale? Et moi, je ne veux pas
que les personnes meurent si elles peuvent continuer à vivre.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup, Pr Mishara. Merci de votre contribution à nos
travaux.
Compte tenu de l'heure, la commission suspend
ses travaux, et nous nous retrouvons en séance virtuelle dans quelques
instants. Donc, merci de votre présence aujourd'hui avec nous.
(Fin de la séance à 18 h 05)