Journal des débats de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie
Version préliminaire
42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)
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Le
mercredi 19 mai 2021
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Vol. 45 N° 3
Consultations particulières et auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie
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Intervenants par tranches d'heure
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Guillemette, Nancy
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Hébert, Geneviève
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Hébert, Geneviève
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Guillemette, Nancy
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Girard, Éric
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Jacques, François
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Montpetit, Marie
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Nadeau-Dubois, Gabriel
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Guillemette, Nancy
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Nadeau-Dubois, Gabriel
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Hivon, Véronique
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Birnbaum, David
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Guillemette, Nancy
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Birnbaum, David
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Montpetit, Marie
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Nadeau-Dubois, Gabriel
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Nadeau-Dubois, Gabriel
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Guillemette, Nancy
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Hivon, Véronique
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Picard, Marilyne
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Hébert, Geneviève
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Guillemette, Nancy
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Nadeau-Dubois, Gabriel
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Ouellette, Guy
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Ouellette, Guy
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Guillemette, Nancy
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Girard, Éric
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Blais, Suzanne
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Picard, Marilyne
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Montpetit, Marie
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Maccarone, Jennifer
8 h 30 (version révisée)
(Huit heures trente-trois minutes)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, bonjour, tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de
la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de
vie ouverte.
La commission est réunie virtuellement
afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques
concernant l'évolution de la Loi sur les soins de fin de vie.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire
: Non, Mme
la Présidente.
Auditions (suite)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, ce matin, nous entendrons par visioconférence les experts suivants :
Mme Sandra Demontigny, Dr Pierre J. Durand conjointement avec le
Dr Félix Pageau, ainsi que la Pre Suzanne Philips-Nootens.
Donc, nous débutons les
travaux avec Mme Demontigny. Merci d'être avec nous ce matin, Mme Demontigny,
de venir partager avec nous votre expérience. Donc, le principe, vous avez
20 minutes... on vous a bien informé que vous avez 20 minutes pour
votre exposé, et il y aura un échange de 40 minutes
avec les membres de la commission. Donc, sur ce, je vous cède la parole à
l'instant.
Mme Sandra Demontigny
Mme Demontigny
(Sandra) : Bonjour. Est-ce que vous m'entendez?
La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, on vous entend bien et on vous voit bien.
Mme Demontigny
(Sandra) : Bon. Super. O.K. Alors, je suis bien
heureuse d'être ici ce matin. Pour moi, c'est vraiment un grand privilège. Je
suis honorée, en fait, d'avoir été invitée. Et puis moi, je suis ici
aujourd'hui pour vous partager l'expérience d'une personne qui le vit de
l'intérieur, en fait. Moi, je suis atteinte de la maladie d'Alzheimer sous sa
forme précoce, donc, c'est une forme génétique. Je suis âgée maintenant de
42 ans et j'ai eu mon diagnostic à l'âge de 39 ans. Les premiers
symptômes que j'ai, moi, pu remarquer, là, c'est pas mal autour de 38 ans
à peu près.
Je suis sage-femme, là, de
profession. J'ai exercé pendant près de 20 ans dans Chaudière-Appalaches.
Mes quatre dernières années de ma pratique, j'étais devenue responsable des
services de sage-femme, donc, comme gestionnaire. Maintenant, je suis en arrêt
de travail depuis deux ans. Je suis maman de trois enfants, donc, une fille de
22 ans et deux garçons, un de 18 puis un de 14. Donc, ça, c'est... j'ai
mis la table pour que vous me connaissiez un peu.
Maintenant, <je
vais...
Mme
Demontigny
(Sandra) :
…
une fille de
22 ans et deux garçons, un de 18 puis un de 14. Donc, ça, c'est... j'ai
mis la table pour que vous me connaissiez un peu.
Maintenant, >je vais vous parler de mon père, parce que, comme je vous ai
dit, moi, je suis atteinte d'une forme génétique, c'est une forme génétique
dominante, donc il faut qu'un de mes deux parents ait été atteint. Puis, moi, c'était
mon père, donc, mon père qui s'appelle Denis. Bon, je vais devenir... Excusez-moi,
je suis émotive, en général, donc... Mon père est décédé à l'âge de
53 ans, et on pense qu'il a eu des symptômes pas mal autour, comme moi, au
début de la quarantaine. Mais mon père, un homme de l'époque, même si ça ne
fait pas si longtemps que ça, là, il est décédé en 2006, c'était un homme qui
cachait quand même ses difficultés, et puis ça a pris un certain temps avant qu'il
ait un diagnostic. Ses symptômes étaient quand même assez présents. Il a eu un
diagnostic à l'âge de 47 ans. Et puis c'est en ayant vécu avec lui la
maladie d'Alzheimer et puis en l'ayant accompagné... c'est ça qui a forgé ma
pensée d'aujourd'hui.
Donc, j'ai pris des notes parce que, comme
vous le savez, j'ai une mémoire un petit peu défaillante. Mon père, c'était un
homme fier, c'était un homme très fier, c'était aussi un gestionnaire dans une
compagnie. Et puis mon père, tranquillement, on l'a senti partir derrière son
regard perdu. C'est ce qui nous... c'est ce qu'on voyait, mais, en même temps,
on le savait très bien, qu'il était quelque part derrière, mais il arrivait
moins à nous transmettre ce qu'il se passait à l'intérieur de lui. Il sentait
qu'il perdait le contrôle sur sa vie puis il perdait son autonomie aussi
tranquillement. Puis probablement qu'il ne savait pas trop vers où il s'en
allait parce qu'à l'époque c'était quand même peu connu, malgré que lui, il
avait accompagné sa mère aussi avant lui. Donc, mon père a tranquillement perdu
son autonomie, est devenu dépendant de ma mère, entre autres, parce que ma mère
a pris soin de lui à temps plein.
Et puis j'ai envie de vous parler un peu
ce que c'était, sa vie au quotidien, quand il était malade. Parce qu'on parle
beaucoup du principe de dignité à travers la commission… Excusez-moi, je suis
une grande émotive. Bon. Donc, mon père, comme je disais au début, il n'osait
pas dire qu'il était malade puis qu'il avait des symptômes. Donc, c'était quand
même un fin stratège, et il avait trouvé toutes sortes de manigances pour que
ça ne paraisse pas trop qu'il était malade. Donc, quand il allait travailler,
il a travaillé pendant 20 ans à la même compagnie, c'était à une vingtaine
de kilomètres, à peu près, de la <maison…
Mme
Demontigny (Sandra) :
…comme je disais au début,
il n'osait pas dire qu'il était malade puis qu'il avait des symptômes. Donc, c'était
quand même un fin stratège, et il avait trouvé toutes sortes de manigances pour
que ça ne paraisse pas trop qu'il était malade. Donc, quand il allait
travailler, il a travaillé pendant 20 ans à la même compagnie, c'était à
une vingtaine de kilomètres, à peu près, de la >maison. Et un jour il
est arrivé avec des collègues de travail qui habitent dans le quartier, pas
trop loin… de dire : On devrait covoiturer les quatre ensemble, parce que
c'est bon pour l'environnement, tu sais, puis ça va nous coûter moins cher,
puis c'est… Ça a pris un petit temps avant qu'on comprenne que c'était parce
qu'il n'était plus capable de faire le chemin.
Mon beau-frère, qui est policier, l'a,
d'ailleurs, retrouvé à une trentaine de minutes en sens opposé de vers… Il s'en
allait vers Bécancour, puis il l'a retrouvé, finalement, à
Saint-Pierre-les-Becquets en lui demandant : Denis, qu'est-ce que tu fais
dans le coin? Et mon père de dire : Ah! bien, je visite. Tu sais, je
trouve ça beau, tu sais, la… voir des nouveaux paysages, puis tout ça. Mais
non, ce n'était pas ça, c'est juste qu'il était complètement perdu.
Moi, ce que j'ai… ce qu'on a fini par voir,
à travers tout ça, c'était un homme qui était fier et blessé dans son orgueil
de voir qu'il s'en allait tranquillement puis qu'il perdait complètement le
contrôle sur ce qu'il était devenu.
• (8 h 40) •
Puis mon père a arrêté de travailler, et,
tu sais, son quotidien était essentiellement avec ma mère. Je vais vous donner
quelques exemples de la vie avec… pour une personne qui a l'alzheimer.
Mon père, lorsqu'il rentrait dans la salle
de bain, il y avait un grand miroir qui faisait tout le mur, et il s'est mis à
jaser avec la personne qui était dans le miroir pendant qu'il marchait. Donc,
c'était : Bonjour, comment ça va aujourd'hui? Aïe! Ça fait longtemps que
je ne t'ai pas vu. Ah oui! Puis il pouvait se parler comme ça dans le miroir
pendant au moins une demi-heure. À ce moment-là, c'était encore quand même
relativement joyeux, la personne devant lui était sympathique. Finalement, au
fil du temps, bien, il ne la reconnaissait pas, puis il ne la trouvait pas
sympathique du tout, et là il s'est mis à être fâché contre elle, de dire :
Bien, pourquoi que tu me suis dans les toilettes? Moi, je veux aller aux
toilettes tout seul, puis toi, tu es tout le temps là. Et là moi, je résume ça
en 15 secondes, là, mais ça dure quelques minutes. Finalement, ma mère a
fini par mettre un grand rideau foncé sur le miroir, c'était terminé.
Un jour, mon père s'est trompé dans les
robinets de la douche, donc il s'est brûlé avec l'eau chaude. Ça a été la
dernière fois qu'il a pris une douche tout seul. Depuis ce temps-là, ma mère
s'était mise à côté de lui pour être sûre qu'il ne touche pas au robinet. Une
journée, mon père se frottait le visage. Ma mère a dit : Voyons, que c'est
que tu as? Il dit : Ça me pique. Et là ma mère le regarde, elle dit :
Mais Denis, qu'est-ce que tu as fait? Il s'était rasé les sourcils en rasant sa
barbe. Chaque matin, lui, il se rasait la barbe, il avait une <barbe…
Mme
Demontigny (Sandra) :
…
mon père se
frottait le visage. Ma mère a dit : Voyons, que c'est que tu as? Il dit :
Ça me pique. Et là ma mère le regarde, elle dit : Mais Denis, qu'est-ce
que tu as fait? Il s'était rasé les sourcils en rasant sa barbe. Chaque matin,
lui, il se rasait la barbe, il avait une >barbe forte, puis, une
journée, il n'a pas fait la différence et il a rasé le visage au complet. Il
avait les larmes aux yeux.
Le temps a passé, puis, tranquillement, la
détresse se voyait de plus en plus dans ses yeux, c'est comme s'il était
embarré dans sa personne. Tout ce qu'on voyait, c'était un regard de gars
perdu. Et puis ce qui est particulier, c'est que j'ai commencé à sentir, je
pense, ce feeling-là de la fille perdue. Parfois, je le sens, on me parle de quelque
chose, puis je ne comprends pas, je ne sais pas de quoi qu'on me parle, on me
parle d'un événement, et là j'ai le regard fixe, et c'est comme... c'est une
page blanche, là, je ne comprends pas du tout, du tout de quoi qu'on me parle. Et
là je dis : Bien, excusez, je ne comprends pas de quoi qu'on me parle. Et
au début, je vais vous dire, les gens ne me croyaient pas, ils disaient :
Voyons, tu sais, tu es une fille articulée, là, je veux dire, tu sais, tu
parles bien, tu écris, tu… Puis là : Bien, non, bien, là, je ne comprends
pas. Et c'est ma mémoire à court terme, moi, qui est grandement atteinte. C'est
pour ça que j'ai des notes, parce que je pourrais vous répéter le même
paragraphe pendant quelques minutes.
Donc, mon père, on voyait vraiment la
détresse dans ses yeux, un regard perdu qui cherchait, comme s'il cherchait à
avoir un point d'ancrage qu'il ne trouvait jamais. Les années ont passé, et
puis on est arrivés dans les phases finales de la maladie où mon père faisait
de l'errance, je vous dirais, facilement le trois quarts du 24 heures dans
une journée. Il se promenait sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt dans la maison,
les yeux mi-clos, parce que trop fatigué, à aller se foncer dans un mur puis
reculer parce qu'il y avait un mur, comme les petits bonhommes d'enfant qui
foncent dans des murs puis qui reculent, là. Bien là, il avançait, puis il
reculait, puis il avançait, puis il reculait jusqu'à tant qu'il tombe par terre
de fatigue. Et, pendant ce temps-là, il y avait ma mère ou mon frère qui le
talonnait en arrière pour être sûr qu'il ne se blesse pas.
Inutile de vous dire que ma mère est une
sainte et qu'elle a... elle a été très, très, très impliquée, mais c'était d'une
tristesse incroyable. Et là il pleurait puis, là, il disait : Je suis
fatigué, là, je suis fatigué, je suis fatigué. Alors là, on l'amenait dans son
lit, et, quand on le couchait dans son lit, c'est comme s'il avait des épines.
Bim! Il se relève, puis il repart, puis il recommence, puis, là, ça dure... Puis
là il retombe par terre de fatigue, une demi-heure après, on retourne dans le
lit, et c'est la même chose. Et chaque journée, c'est comme ça, puis ça a duré
plusieurs mois, plusieurs mois. On se demande vraiment où ça va arrêter, parce
qu'on <se dit…
Mme
Demontigny (Sandra) :
...Il se relève, puis il
repart, puis il recommence, puis, là, ça dure... Puis là il retombe par terre
de fatigue, une demi-heure après, on retourne dans le lit, et c'est la même
chose. Et chaque journée, c'est comme ça, puis ça a duré plusieurs mois,
plusieurs mois. On se demande vraiment où ça va arrêter, parce qu'on >se
dit... Moi, chaque fois, je me disais : Bien, voyons! Ça ne peut pas être
pire, là, je veux dire, c'est épouvantable, ce qu'il fait, là, ça ne peut pas.
Mais, oui, ça peut, ça peut tout le temps.
Et une journée on s'est rendu compte qu'il
avait arrêté d'uriner puis qu'il n'était pas bien, puis il bougeait, puis on ne
savait pas trop ce qu'il avait, mais là, je dis à ma mère, je dis : Maman,
ça fait au-dessus de 24 heures qu'il n'a pas uriné, là, ça ne va pas, là.
Donc, on a dit : Bien, on va aller à l'hôpital, là, il va fait une
infection urinaire, ça ne va pas.
Donc, mon père ne voulant pas aller dans
l'auto, parce que, là, il était vraiment dans les derniers stades de la
maladie, j'ai dit : Bien là, on fait quoi? Bien, on va appeler les
ambulanciers, d'abord. Les ambulanciers arrivent, qui étaient pleins de bonnes
intentions, O.K., les gens ne veulent pas mal faire, mais, bon, les gens
connaissent peu ou sont mal à l'aise. Donc, l'ambulancier rentre dans la maison
avec la civière puis il dit à mon père : M. Demontigny, venez vous
asseoir, là, venez vous asseoir, on va aller à l'hôpital. Mon père ne répond
pas, ne comprend pas, il fait juste regarder partout comme ça.
M. Demontigny, assoyez-vous. Et là l'ambulancier lui prend le bras. J'ai
eu à peine le temps de tirer puis de dire : Hi! Ne fais pas ça! Mon père s'est
mis à se débattre, puis à se débattre, puis, là, il hurlait, puis il donnait
des coups, puis, là, il n'y avait rien à faire, il pleurait en même temps.
Et là l'ambulancier a pris son genre de
walkie-talkie et il a dit : On a un cas de psychiatrie ici, là, ça va être
difficile. Là, je dis : Monsieur, ce n'est pas un cas de psychiatrie, là,
mon père, il est atteint d'alzheimer, même si ça ne paraît pas parce qu'il est
jeune, là, mais il est... ce n'est pas un cas de psychiatrie, il ne comprend
juste pas ce qu'il se passe en ce moment. Ça fait qu'il me dit : On va
appeler les policiers. Aïe! Là, je dis : Seigneur! Que c'est qu'on va
faire avec ça?
Et là les policiers arrivent. Et un des
deux policiers, je reconnais un gars avec qui je suis allée au secondaire, que
je n'ai pas vu depuis, genre, 20 ans. Là, je dis : Aïe! Luc, Luc,
Luc... Là, je lui explique pour mon père, je dis : Écoute, j'aurais une
idée, essaie de te faire passer pour mon frère. Mon père, il est fatigué, il a
les yeux mi-clos, tu sais, il voit moyen, puis tout ça. Essaie de te faire
passer pour mon frère, puis mon frère, il appelait mon père «le gros». Ça fait
que, tu sais : Aïe! Salut, le gros. Alors, Luc rentre. Il dit à mon père :
Aïe! Salut, le gros. Voyons, qu'est-ce qu'il se passe? Mon père... hip, hip! Il
se met à chercher. Là, Luc, il dit : Viens, viens t'asseoir ici, là, on va
aller à l'hôpital. Et mon père s'est assis sur la civière, et on est partis
comme ça avec Luc, dans l'ambulance en arrière, qui lui parlait : Puis,
papa, qu'est-ce que tu as fait en fin de semaine? Bon. Mais c'est vous dire...
Puis Luc, il ne ressemble pas du tout à mon frère, mais, bon, on s'est rendus à
l'hôpital comme ça.
Le nombre de fois que je me suis dit :
Si mon père se voyait comme <ça, là...
Mme
Demontigny (Sandra) :
...
on est partis
comme ça avec Luc, dans l'ambulance en arrière, qui lui parlait : Puis,
papa, qu'est-ce que tu as fait en fin de semaine? Bon. Mais c'est vous dire...
Puis Luc, il ne ressemble pas du tout à mon frère, mais, bon, on s'est rendus à
l'hôpital comme ça.
Le nombre de fois que je me suis dit :
Si mon père se voyait comme >ça, là, il m'aurait dit : Tire sur le
fil, fait quelque chose, là, je ne peux pas croire que j'ai l'air de ça devant
les autres et que je suis... on doit me prendre en charge à ce point-là.
Quand on est arrivés à l'hôpital, ils ont
mis mon père en isolement dans une pièce fermée, en béton, parce qu'il bougeait
tout le temps puis il allait partout. Et une infirmière est venue pour lui
donner un Ativan ou un calmant quelconque, et je n'ai pas eu le temps de la
voir venir assez rapidement, et elle est allée en... ouvrant, à mon père :
Prend quelque chose, en forçant un peu. Mon père l'a mordue au sang. Il ne
comprenait pas ce qu'il se passait. J'ai dit : Madame, il ne comprend pas
ce qu'il se passe, il ne comprend juste pas. Il ne veut pas, tu sais, il ne
veut pas faire mal, tout ça, mais... Et puis, comme je vous dis, il avait l'air
jeune, c'est comme si ça ne collait pas, ses agissements, avec ce qu'il pouvait
avoir l'air.
Et puis là le... a commencé avec l'Haldol
et compagnie pour l'assommer et qu'il se calme un peu. Et s'en est suivi trois
semaines d'hospitalisation, où mon père a été contentionné, le torse, les bras,
les hanches et les jambes. Et, malgré ça, il avait le réflexe de bouger. Parce
que les gens qui ont l'alzheimer, vous savez, ils ont le réflexe de bouger et
de marcher beaucoup en fin de vie. Donc, mon père tirait sur ses contentions, il
avait des contusions, des ecchymoses, c'était bleu, il en avait une tirant sur
le noir aussi, là.
• (8 h 50) •
Lui, il ne comprenait pas pourquoi qu'il
était là, il ne savait pas il était où puis... Donc, j'essayais de l'imaginer,
là, mais c'est comme si on le mettait dans... Bien, c'est comme si on me
mettait dans une place où tout le monde parle une autre langue, ne me regarde
pas ou à peu près pas, je ne sais pas je suis où puis j'ai l'impression que je
vais être là pour tout le temps. Bien, c'était un peu ça. Et puis ça a pris
trois semaines avant que, finalement, son corps finisse de perdre ses facultés,
et puis, donc, il a passé ce temps-là, je vous disais, sédationné et
contentionné.
Les dernières paroles de mon père, ça a
été quelques jours avant de mourir. J'étais avec mon frère, ma mère, on était
au bout de son lit. Et là, tout d'un coup, il a ouvert les yeux, puis il a
essayé de s'asseoir dans ses contentions, puis il a regardé mon frère, puis il
a dit : Toi, m'as te tuer, mon tabarnac! Ça a été sa dernière phrase. On
en parle encore. En même temps, on sait que ce n'est pas lui, mon père ne
pensait pas ça, mais il était complètement dépossédé de la personne qu'il
était.
Après avoir <vu ça...
Mme
Demontigny (Sandra) :
...On en parle encore. En
même temps, on sait que ce n'est pas lui, mon père ne pensait pas ça, mais il
était complètement dépossédé de la personne qu'il était.
Après avoir >vu ça... à
l'époque, j'avais 27 ans, j'étais mère de trois enfants, mon plus petit
avait trois mois, j'étais terrorisée. Et là je me suis dit... Je venais
d'apprendre, dans les semaines avant, qu'on pouvait être atteint de la maladie
génétique, et je me disais : Si j'ai ça, moi, là, une maladie de même, là,
je ne peux pas vivre avec ça, là, c'est juste impossible, je ne peux pas, je ne
peux pas, qu'est-ce que je vais faire? Et j'ai été des mois à angoisser, mais
angoisser vrai, là, à ne pas dormir, à faire de l'anxiété, à pleurer. J'ai fait
une dépression postnatale. Ça n'allait vraiment pas. Jusqu'au jour où j'ai une
révélation qui me dit : Je ne vivrai pas ça, ni pour moi ni pour mes
proches. Je ne sais pas de la façon que je vais partir, mais je vais partir
avant.
Donc, aujourd'hui, je suis là pour vous
parler de l'aide médicale à mourir anticipée. Je sais très bien, j'anticipe très
bien ce qui s'en vient, je suis au courant, et je ne veux pas vivre ça, ni pour
moi ni pour mes enfants. Alors, les choix qui s'offrent à moi, c'est quoi?
C'est aller en Suisse, ça va me coûter peut-être 30 000 $,
40 000 $ pour y aller avec mes enfants, ma famille, et ça, c'est de
l'argent que je ne donnerai pas à mes enfants en héritage, qui sont jeunes, mes
enfants sont jeunes encore. Sinon, je peux attenter à mes jours moi-même, ce
que je considère être quand même souvent assez violent et ce qui me forcerait à
le faire relativement tôt dans ma maladie pour être capable de le faire.
Mais je pense qu'aujourd'hui là, en 2021,
on est rendu plus loin que ça, on est rendu capable de mourir dans la dignité.
Ça a commencé il y a quelques années. Mais, bien honnêtement, là, quelqu'un qui
est atteint d'alzheimer ou autres maladies neurodégénératives, il ne part pas
en dignité. Moi, la mienne s'amenuise à chaque semaine, et je vous demande
sérieusement de prendre en considération que partir... faire avant mes directives
à mes pairs, ma famille, et de savoir que la journée que je vais avoir
déterminé... à partir du moment où j'estime que ma dignité est trop atteinte,
savoir que je vais partir, je vais passer les années qu'il me reste sereine.
Excusez-moi. Mais, si vous voulez avoir un
vrai témoignage, ça ressemble à ça. Je pense qu'on est capable de trouver des <mesures
de...
Mme
Demontigny (Sandra) :
...
les années qu'il
me reste sereine.
Excusez-moi. Mais, si vous voulez avoir
un vrai témoignage, ça ressemble à ça. Je pense qu'on est capable de trouver
des >mesures de... des mesures de contrôle pour être sûr que tout se
passe bien. Il y a déjà plein de travaux qui ont été faits, qui ont été amorcés,
il y a déjà plein de belles idées, il reste juste à voir comment on peut
attacher ça. Mais moi, je peux vous dire qu'au point de vue des patients, là, au
point de vue des gens qui le vivent, sans vous mettre de pression, on attend
vraiment un développement à ce niveau-là, et eux… en plus, je vous demanderais
que ça ne soit pas si long que ça, là, parce que les années filent, et puis,
pour moi, dans cinq, six ans, il va être trop tard. Voilà.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup, Mme Demontigny. Pour nous, vous étiez vraiment
l'experte de la maladie à entendre pendant cette commission-là.
Donc, nous commencerons les échanges avec
la députée de Saint-François, pour une période de 15 minutes.
Mme
Hébert
:
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny. J'ai une petite… Vous
êtes très touchante.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Je vais prendre un deux secondes, là, je vais me
chercher un mouchoir puis je reviens, O.K.?
Mme
Hébert
:
Parfait, ça va me donner le temps de…
La Présidente (Mme Guillemette) :
Prenez le temps qu'il faut.
Mme
Hébert
:
…de reprendre, moi aussi, mes émotions, et je pense que je ne suis pas la
seule.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Bon. O.K., excusez-moi, là. O.K. Oui, je vous
écoute, madame.
Mme
Hébert
:
Alors, Mme Demontigny, on comprend votre demande. Hier, on a eu des
médecins qui nous ont parlé, dont, si je me souviens bien, Dr Morand, puis
j'avais une question. Il nous a parlé… c'est sûr qu'on parle de l'alzheimer
plus âgé. À un certain stade… Parce que j'ai lu, dans un certain article, que
vous avez dit : Le moment où je ne pourrai plus reconnaître mes enfants,
ça serait pour moi un critère que j'aimerais qu'on exécute mes demandes de fin
de vie.
Alors, il y a un certain processus, quand
on atteint ce stade-là, qui peut faire qu'on a… des fois, c'est aléatoire qu'on
apprend… qu'on perd la reconnaissance de nos proches. Alors, est-ce que vous
êtes en accord? Est-ce qu'il y a un temps qu'on doit justifier cette… Je ne
sais pas si vous comprenez ce que je veux dire. Entre le moment où la première
fois que vous n'allez pas reconnaître vos proches et la prochaine étape, est-ce
que vous... pouvez-vous suggérer un certain temps? Est-ce que vous avez
réfléchi à ça?
Mme
Demontigny
(Sandra) : En fait, oui, puis je vous dirais que ma réflexion,
comme la vôtre, est <progressive…
Mme Hébert
: ...
la
première fois que vous n'allez pas reconnaître vos proches et la prochaine
étape, est-ce que vous... pouvez-vous suggérer un certain temps? Est-ce que
vous avez réfléchi à ça?
Mme
Demontigny (Sandra) :
En fait, oui, puis je vous
dirais que ma réflexion, comme la vôtre, est >progressive. Même que,
quand j'ai parlé de ne pas reconnaître mes enfants, je vais être honnête avec
vous, probablement que je mettrais plus qu'un critère, dans le sens où... avec
le et/ou, là, parce qu'on ne sait pas lequel qui va venir en premier. Il y a
des gens qui vont reconnaître leurs enfants jusqu'à la fin, sauf qu'ils ne
vont, par exemple, plus être capables de s'alimenter par eux-mêmes, d'aller à
la toilette par eux-mêmes, par exemple, un an avant. Donc, moi, personnellement,
j'aimerais mieux en mettre plus qu'un avec un et/ou et avec un délai... Je vois
ça comme un compromis, dans le sens où, tu sais, je comprends que les médecins
qui vont pratiquer, j'espère, l'aide médicale à mourir anticipée, n'auront pas
envie d'aller plus vite qu'il faut, comprenez-vous, genre, d'aller trop vite
puis que, finalement... Ça fait que, oui, il pourrait y avoir un délai dans le
sens où, si je ne le reconnais pas une journée, je vais le reconnaître le
lendemain, mais je sais que ça peut aussi durer un certain temps.
Moi, mon père, il a eu un... il m'a
reconnue, là, «on and off» jusqu'à deux mois avant son décès. Puis ça, pour
moi, c'est très loin, là, c'est très, très loin. Ça fait que c'est pour ça que
je serais plus à l'aise de mettre plus qu'une mesure pour moi. C'est ça.
Mme Hébert
: Tout
étant le but de donner une possibilité d'avoir une certaine qualité de vie avec
vos proches le plus longtemps possible.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui. Puis, en même temps, la qualité de vie peut
être relativement subjective aussi. Oui. C'est ça. Moi, le critère principal
que je nommerais, que j'ai déjà dit aussi, c'est... Moi, personnellement,
l'hygiène corporelle, là, aller aux toilettes toute seule, là, puis être
capable de gérer mes besoins personnels, ça, c'est quelque chose que je... Je
ne veux pas avoir besoin de quelqu'un chaque fois que je vais aux toilettes, là,
je ne veux pas ça. Je dirais que, moi, ça serait probablement mon critère
principal. Mais est-ce qu'avant je... J'aimerais ça avoir une boule de cristal.
Je ne le sais pas. Mais je pense que moi, j'aimerais probablement l'idée d'un
et/ou, mais pas en... là, mais, tu sais, je veux dire, parce qu'on ne sait pas
comment ça va évoluer.
• (9 heures) •
Mme Hébert
:
Parfait. Puis, si on regarde du côté de l'accompagnement, pour que vous soyez
accompagnée là-dedans, donc, demandez-vous qu'il y ait une certaine équipe
clinique, qu'on parle de psychologue, travailleur social, médecin? Donc,
recommandez-vous ça? Puis <d'inclure aussi...
>
9 h (version révisée)
<
MmeHébert:
...de l'
accompagnement, pour que vous soyez accompagnée là-dedans. Donc,
demandez-vous qu'il y ait une certaine équipe clinique, qu'on parle de
psychologue, travailleur social, médecin, donc recommandez-vous ça, puis >d'inclure
aussi les proches dans toute cette décision-là, là, qui doit être, je crois,
très claire aussi, là, donc?
Mme
Demontigny
(Sandra) : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Puis j'ai la
chance, déjà, d'avoir une belle équipe comme ça autour de moi, le neurologue,
la neuropsychologue, la psychologue, la travailleuse sociale. Je l'apprécie au
quotidien, puis, pour moi, c'est... C'est sûr qu'il y a une partie de moi aussi
qui me dit : On court après les effectifs en santé, hein? Je ne voudrais
pas que le fait qu'on n'ait pas le personnel nécessaire, parce qu'on manque de
psychologues ou de travailleurs sociaux, qu'on ait un frein dans une démarche
de quelqu'un qui voudrait avoir l'aide médicale à mourir anticipée. Je trouve
que ce ne serait pas à cette personne-là de payer pour. Comme je dis, moi, j'ai
la chance d'avoir ces gens-là autour de moi. Puis c'est clair que c'est des
gens qui me connaissent depuis déjà longtemps, puis ça serait un atout de les
avoir autour de la discussion. Et moi, naturellement, en ce moment, je le... De
toute façon, j'en discute ouvertement avec eux puis c'est très éclairant parce
qu'ils ont une expertise que moi, je n'ai pas. Mais, comme je vous dis, le
manque de services ne devrait pas être un frein pour les gens qui n'y ont pas
accès.
Mme
Hébert
:
Merci, Mme Demontigny. Mme la Présidente, je laisserais la parole à un
autre de mes collègues.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je céderais la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci, Mme la Présidente. C'est très touchant, là, votre témoignage. J'ai été
voir un peu aussi sur votre site, là, les démarches que vous êtes en train de
faire, en fait, au niveau de la loi fédérale. Puis c'est là qu'on voit, là, les
troubles neurocognitifs majeurs... en fait, on tombe dans l'aptitude à
consentir, tout ça. C'est là qu'on voit, là, que la ligne... une personne, au
niveau de l'aptitude à consentir, qui tombe inapte à cause de troubles
cognitifs... Puis hier on en a beaucoup parlé, il y a des groupes, entre autres,
qui en ont parlé, puis toute la question aussi des proches. Puis c'est un peu
là-dessus que je m'en vais, parce que, là, vous avez vécu, vous, la famille, ce
qu'il s'est passé, là, avec votre père qui n'était plus en mesure de décider de
par lui-même.
Ma question, c'est : Comment
voyez-vous ça, l'importance, la responsabilité des proches dans ces situations-là?
On sait que, quand vient le temps, bien, on parle toujours d'un consensus qui
est la meilleure... <qui... >en fait, qui serait le mieux
possible, mais j'aimerais ça savoir un peu la... les proches, tu sais, tout
retombe un peu sur leurs épaules, puis qu'est-ce que <vous proposez...
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : …dans ces
situations-là? On sait que, quand
vient le temps, bien, on parle
toujours d'un consensus qui est la
meilleure... qui... en fait, qui serait le mieux possible, mais j'aimerais ça
savoir un peu la... les proches, tu sais, tout retombe un peu sur leurs
épaules, puis qu'est-ce que >vous proposez. Parce qu'il y a toute
l'émotivité là-dedans, aussi, qui embarque puis qui vient fausser aussi, des
fois, la perception qu'on a. Je vais vous laisser…
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci pour votre question. C'est sûr que, bon, il
n'y a pas une situation qui est pareille. Moi, mes proches, mes enfants, mon
conjoint sont complètement d'accord avec moi. On en parle depuis tellement
longtemps que ça va de soi puis… mais je sais que ce n'est pas comme ça dans
toutes les familles.
Moi, ce que j'ai pensé pour moi, parce
qu'il faut avoir un mandataire ou, en tout cas, quelqu'un de désigné qui va
trancher, moi, j'ai opté pour ma meilleure amie, qui est une collègue de
travail depuis 20 ans, qui me connaît, là, très, très bien, et qui partage
les mêmes valeurs de vie que moi. Pour elle, c'est une évidence même et puis… Malgré
que ma famille aussi, ils sont tout à fait d'accord, mais moi, personnellement,
je trouvais que — mes enfants ne sont pas très vieux non plus,
là — je trouvais que c'était un petit peu lourd de leur mettre ça sur
les épaules. Ce que je pense faire, ce que je… je pensais la mettre elle en
consultation avec mes enfants. C'est sûr qu'elle espère que mes enfants ne
s'opposeront pas, mais, en même temps, je ne penserais pas.
Mais c'est sûr que, dans des familles où
les gens ne s'entendent pas, ça ne sera pas évident. Je vais être honnête avec
vous, là, je pense que la façon de s'en sortir, là, c'est que les gens puissent
être capables de se centrer sur la personne qui est au coeur de la situation, parce
qu'on peut avoir, comme individus, des valeurs différentes, mais ce n'est pas
ma fille, là, qui vit ça, puis ce n'est pas mon conjoint non plus, c'est moi, donc,
moi, c'est quoi, mes valeurs, qu'est-ce que j'ai toujours véhiculé. Puis
j'espère que les gens vont arriver, puis probablement avec un accompagnement,
mais... être capables de faire ce choix-là, qui est le choix qu'on fait au nom
de la personne qui n'est pas capable de le faire.
C'est sûr que, bon, on parle des
directives anticipées. C'est clair que, s'il est possible que je puisse
déterminer de façon très claire, le plus possible, mes directives anticipées et
que ce soit, <par exemple, consigné…
Mme
Demontigny (Sandra) :
…
on parle des
directives anticipées. C'est clair que, s'il est possible que je puisse
déterminer de façon très claire, le plus possible, mes directives anticipées et
que ce soit, >par exemple, consigné via le notaire ou via les demandes ministérielles,
là, qui sont comme non-réanimation, et tout ça, plus c'est clair de ce côté-là,
plus ça va libérer de poids sur les gens pour prendre une décision. Quelqu'un
qui a rempli un papier de non-réanimation, bien, les proches sont peut-être…
sont sûrement contents de ne pas avoir à trancher là-dessus. C'est un peu le
même principe. Je pense qu'avec certaines mesures on pourrait être capable de
diminuer la tension aussi sur les gens, parce que la personne atteinte va
avoir, elle, à déterminer des choix d'avance.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci. C'est tout. C'est intéressant, là. Quand vous dites vous avez nommé
quelqu'un d'autre, c'est quand même intéressant. Je vais laisser la parole à
d'autres collègues.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci, monsieur.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je céderais la parole au député de Mégantic.
M. Jacques : Bonjour, Mme Montmigny.
Beau témoignage. Écoutez, je sens qu'on est comme, chacun notre tour, un à un
avec vous ce matin, là. Et j'aimerais revenir un peu en arrière puis un peu en
avant en continuant, là, sur le… ce que le député de Lac-Saint-Jean a dit
aussi. Moi, je veux savoir comment se sentait… comment vous vous sentiez à 29 ans,
à 39 ans et à 42 ans, bon, dans le sens que… Comment vous avez vécu
la maladie de votre père, de un? Qu'est-ce que vous auriez fait à ce moment-là
si vous aviez eu des choses à pouvoir planifier pour le futur, de un? De deux,
à quel moment dans la maladie de votre père, si vous vous mettez à sa place, à
quel moment, vous, pour vous, c'est assez? Vous avez parlé tantôt, là, de ne
pas être capable d'aller aux toilettes seul. Est-ce qu'il y a d'autres… Est-ce
que c'est à l'agressivité, le fait de… Bon, j'aimerais… je pense qu'on est
capable de jaser de ça ce matin, là. Puis on est tous… on est tous à vos lèvres
puis on veut vous entendre, parce que je pense que vous amenez un témoignage,
là, qui est fort, fort, fort bénéfique pour la commission.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Vous êtes bien gentil. Merci. Je vais commencer par
votre deuxième question, parce que la première, il va falloir… j'ai écrit
«quand», mais, tu sais, ça ne veut plus rien dire. Au niveau de mon père, c'est
pas mal arrivé un peu tout ensemble, l'histoire d'avoir besoin d'assistance
pour aller aux toilettes, l'errance, puis, pour moi, c'est là. Avant ça, moi,
je… c'était quand même joyeux. Je veux dire, tu sais, il était avec ma mère,
puis, bon, <c'était le petit…
Mme
Demontigny (Sandra) :
…
l'histoire d'avoir
besoin d'assistance pour aller aux toilettes, l'errance, puis, pour moi, c'est
là. Avant ça, moi, je… c'était quand même joyeux. Je veux dire, tu sais, il
était avec ma mère, puis, bon, >c'était le petit quotidien. C'est sûr que,
tu sais, sa vie n'était pas trépidante, là, mais lui, il ne le savait pas tant
que ça, puis il était avec son monde, puis il était content. Mais, à partir du
moment où il a commencé à être agressif envers nous... bien, ce n'était pas
envers nous, c'était envers ce qu'il ne comprend pas, c'est, entre autres,
comme je disais tantôt, quand il n'était plus capable d'aller aux toilettes par
lui-même. C'était la crise, là, parce qu'il sentait des efforts dans son corps.
Il ne comprenait pas ce que c'était, ça fait que, là, il se débattait. Il ne
voulait pas s'asseoir sur la toilette, il pensait qu'il allait tomber dans le
vide. Puis, tu sais, une toilette, c'est blanc, c'est... Pour lui, c'était un
trou, tu sais, ça fait qu'il ne voulait pas s'asseoir là. Il se débattait, il
avait mal au ventre. Tu sais, tout ça, là, ça, c'est clair qu'il n'aurait
jamais voulu vivre ça, là.
• (9 h 10) •
M. Jacques : Mais, si
vous, là, vous arriviez là, là, c'est ce bout-là, là, que vous n'êtes pas
capable de vivre, pour vous, là. C'est ça que j'essaie de voir, là.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui. Bien, en fait, tu sais, juste avant ça, dans le
sens où, tu sais, ce n'est pas venu du jour au lendemain, tu sais, il a
commencé tranquillement. Il commençait à avoir de la misère, mais, tu sais,
rendu là, là, tu sais, mon père faisait ses besoins dans ses vêtements. Tu
sais, c'était comme… Puis moi, ça, c'est vraiment trop, c'est vraiment trop,
là, c'est… Tu sais, je pense que, tu sais, la vie m'a donné une maladie. Je
suis capable de faire mon bout, là, mais il y a un moment où non. Puis ça, là,
pour moi, c'est vraiment trop.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup, M. le député. On aura le temps de poursuivre les
échanges avec la députée de Maurice-Richard.
Mme Montpetit : Je vous
remercie, Mme la Présidente. Bonjour à Mme Demontigny. Puis, vraiment, un
sincère merci de... bien, de contribuer à nos travaux, de venir nous parler ici
dans toute votre authenticité. C'est très, très, très touchant. C'est très... doublement
touchant, je vous dirais, du témoignage que vous nous livrez par rapport à
votre père, mais du témoignage de votre perspective aussi, de ce qui se passe
pour vous.
Ça soulève beaucoup de questions chez moi
sur comment vous… Ce que j'ai entendu, en fait, de ce que vous nous avez dit
par rapport à votre père, entre autres, c'est beaucoup sur la dernière image
aussi, je pense, qui, projetée sur... Vous nous avez parlé de la dernière
phrase qu'il a dit à votre père. Est-ce que… Puis j'essaie de voir, dans le…
dans ce qui vous habite, dans le fond, aussi, dans votre démarche, la question
de la souffrance par rapport à la dignité, parce que je… On a parlé beaucoup de
souffrance avec les experts au cours des derniers jours, justement, comment on
l'évalue, qu'est-ce que c'est, mais j'entends aussi beaucoup dans ce que vous
nous dites, justement, l'aspect de dignité, de comment vous avez vu votre père
aussi évoluer là-dedans. Mais aussi, par rapport à vous et par rapport, justement,
à la relation avec les proches, les mots durs <qu'il a dits à votre…
Mme Montpetit : ... on
l'évalue, qu'est-ce que c'est, mais j'entends aussi beaucoup dans ce que vous
nous dites, justement, l'aspect de dignité, de comment vous avez vu votre père
aussi évoluer là-dedans. Mais aussi, par rapport à vous et par rapport,
justement, à la relation avec les proches, les mots durs >qu'il a dits à
votre frère, quand vous nous dites : Bien, on sait très bien que ce n'est
pas lui, bien, on voit que la blessure, elle est encore très vive sur les
derniers moments que vous avez avec lui. Donc, je voulais vous entendre. Je
sais que c'est un peu large comme question, mais je voulais vous entendre sur
ces questions-là.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci. Je trouve que vous le nommez très, très bien :
la souffrance par rapport à la dignité. Vous avez raison, pour moi, c'est ça,
la pire souffrance, définitivement, définitivement, parce que... Puis, en plus,
ça se fait sur le long cours. Tu sais, ce n'est pas juste un événement de :
tu sais, j'ai mal quelque part aujourd'hui, là. La dignité, bon, ça, ça... à la
fin, ça a atteint son paroxysme, là, mais, durant toutes les années avant,
tranquillement, là, c'était un morceau à la fois, là. C'est comme un casse-tête
qu'on enlève des morceaux, là.
Moi, je suis quand même aux phases
modérées de la... la phase modérée de la maladie. Je peux vous dire que ma
dignité en prend déjà pour son rhume, là, mais, bon, je travaille sur mon
orgueil. Je suis encore capable de le faire, puis, tu sais, de me dire :
Bien, c'est de même, puis, de toute façon, je ne peux rien y changer. Mais,
maintenant, j'ai commencé à dire : Excusez-moi, là, j'ai des problèmes
avec ma mémoire. Je m'excuse. Maintenant, je le nomme plus souvent, parce que
j'ai l'air vraiment mêlée ou à ne pas respecter des consignes, par exemple,
ou... Puis je vais être... avec vous, là, quand je dis ça à quelqu'un, je ne
suis pas supercontente, mais c'est nécessaire, c'est ce qu'il y a de mieux à
faire dans les circonstances. Mais c'est sûr que je ne veux pas me définir par
rapport à ma maladie, mais, avec le temps qui passe, elle me définit plus que
n'importe quoi d'autre, malheureusement.
Mais, vous avez raison, la souffrance par
rapport à la dignité, de ce que j'ai vécu avec mon père, qui est quand même une
personne, pas 200, mais c'est ça qui est le plus souffrant, vraiment. Tu sais,
j'ai entendu des gens, j'ai écouté aussi la commission avant, puis j'ai entendu
quelqu'un qui parlait de la démence heureuse de quelqu'un qui... je ne me
souviens plus exactement, là, mais qui se berçait puis qui flattait un toutou,
quelque chose comme ça, là. Moi, dans ma version à moi, pour ma personne, la
dignité, puis je pense que ça peut être variable d'une personne à l'autre, moi,
je ne me sens pas digne, là, de faire ça pendant une journée puis que les gens
viennent autour de moi, mes proches, je ne sais pas trop c'est qui, puis je
fais juste ça, puis, si on ne me tasse pas de là, je vais rester là pendant
24 heures.
Tu sais, je... pour moi, c'est comme... je
ne veux pas être péjorative, là, mais c'est comme un plasteur sur le bobo, tu
sais. Tu sais, pendant que je suis là, puis que je me berce, puis que j'ai
l'air contente, bien, je ne dérange pas ou, tu sais, je ne fais pas d'autre
chose. En même temps, quelqu'un qui va bien, là, qui a tous ses esprits, est-ce
qu'il ferait ça pendant 10 heures en ligne? <Je ne pense pas, là...
Mme
Demontigny (Sandra) :
...
je ne veux pas
être péjorative, là, mais c'est comme un plasteur sur le bobo, tu sais. Tu
sais, pendant que je suis là, puis que je me berce, puis que j'ai l'air
contente, bien, je ne dérange pas ou, tu sais, je ne fais pas d'autres choses.
En même temps, quelqu'un qui va bien, là, qui a tous ses esprits, est-ce qu'il
ferait ça pendant 10 heures en ligne? >Je ne pense pas, là. En tout
cas, moi, ça ne me tente pas, je n'ai pas envie de faire ça. Tant qu'à ça, je
pense que je serais bien dans un autre lieu qu'on ne connaît pas encore, même...
Mme Montpetit : Bien,
c'est... oui, c'est exactement à ça que je faisais référence, la question, entre
autres, de la démence heureuse. Moi, j'ai eu l'occasion dans ma carrière de
travailler quelques années dans des CHSLD. Puis, évidemment, il y a une
proportion très, très importante de gens, je pense, c'est 70 % des
personnes qui... bien, qui ressemblent un peu à votre... à ce que vous nous
avez décrit de votre père, là, qui font de l'errance, qui sont en phase avancée
d'alzheimer. Puis, après ça, bien, il y a un spectre, de... effectivement, de
certains qui sont plus agressifs, il faut les approcher plus lentement,
d'autres, effectivement, qui ont ce côté-là. En tout cas, je ne suis pas sûre
que j'aurais appelé ça heureux, personnellement. Je ne sais pas si c'est un
terme clinique qui a été utilisé ou pas, mais on pourra le clarifier avec d'autres
experts.
Mais c'est un peu là que je voulais voir est-ce
que... quand vous nous dites : Moi, je vois ce qui arrive devant moi, puis,
peu importe qu'il y ait une réelle souffrance ou pas, à partir du moment où je
n'aurai plus la dignité, donc je ne serai plus capable de faire tel, tel, tel
geste, m'alimenter moi-même, aller à la salle de bain moi-même, est-ce que,
pour vous, ce n'est pas une façon aussi de... tu sais, vous nous avez parlé,
oui, du fardeau que ça peut apporter à votre famille, mais est-ce que ce n'est
pas une façon aussi d'avoir une certaine tranquillité d'esprit maintenant, dans
les années où vous êtes vive d'esprit et...
Je vous vois sourire, je vous vois réagir,
mais c'est un peu ça que je voulais voir aussi, parce qu'on parle tout le temps
de la partie où la maladie, elle est très présente puis on arrive plus en fin
de parcours, mais j'imagine qu'il y a une dignité aussi puis une tranquillité
d'esprit pendant qu'on peut prendre cette décision-là aussi.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Exactement. Comme je disais tantôt, quand moi, j'ai
décidé, à l'âge de 27 ans, que j'allais finir ma vie dans un moment où
j'aurais encore ma dignité, c'est là que j'ai vraiment senti un apaisement. Ça
a été, là, le jour et la nuit. J'ai été, avant ça, des jours, des semaines à
penser à mon père, à le voir dans ma tête puis à angoisser, et, quand ça, c'est
venu... puis malgré que, tu sais, l'idée, par exemple, de me donner la mort ne
m'enchante pas du tout, là, mais de me dire : Hé! non, il y a moyen que je
vive ma vie sereine, zen, parce que cette phase-là, là, il n'y en aura juste
pas. Puis, en effet, ça a été un tournant marquant dans ma vie, ça, de sentir
que ma vie m'appartient encore, même si elle est grandement dominée par des
plaques amyloïdes dans mon cerveau. Puis il y a un certain moment où je vais
avoir… Ça va être correct. Puis j'adore la vie, mais, justement, moi, je ne
considère pas ça comme une vie où je m'épanouis, où je suis heureuse aussi. <Non,
j'ai envie…
Mme
Demontigny (Sandra) :
...
même si elle est
grandement dominée par des plaques amyloïdes dans mon cerveau. Puis il y a un
certain moment où je vais avoir… Ça va être correct. Puis j'adore la vie, mais,
justement, moi, je ne considère pas ça comme une vie où je m'épanouis, où je
suis heureuse aussi. >Non, j'ai envie de partir quand ça va être encore
beau, pas trop tôt, mais pas où est-ce qu'on va être rendu dans le trop tard.
Vous l'avez très bien expliqué, exactement.
Mme Montpetit : Merci,
hein? C'est... Vous êtes d'une grande générosité dans vos... une grande
authenticité dans vos réponses. Honnêtement, ça va tellement nous aider dans
nos travaux.
Il y a un autre élément que je voulais
voir avec vous aussi. Puis vous avez mentionné que vous avez suivi les travaux
de la commission depuis vendredi dernier. On a fait référence beaucoup, les
experts qui sont venus nous voir aussi, à l'évaluation de la souffrance par le
jugement clinique, par un médecin, par un professionnel de la santé. Puis
j'aimerais ça vous entendre... Vous nous avez... vous avez dit que vous
aviez... vous confiriez cette décision-là à une amie qui est proche de vous,
qui vous connaît bien et qui partage vos valeurs. Puis j'aimerais ça vous
entendre sur le poids, justement, à donner à quelqu'un qui connaît la personne,
hein, qui la connaît très, très bien, qui la connaît assez pour voir
l'évolution, aussi, de cette personne-là à travers sa maladie versus, justement,
une décision clinique par un professionnel. Tu sais, à savoir, justement... est-ce
que vous accepteriez que ce ne soit pas exécutoire, cette décision-là, qu'un
jugement clinique puisse prendre le pas sur l'évaluation de votre proche à qui
vous avez confié ça?
• (9 h 20) •
Mme
Demontigny
(Sandra) : Bien honnêtement, non. En fait, c'est que... Je vais
parler pour moi, c'est vraiment une réflexion personnelle. Moi, elle s'appelle
Marie-Josée. On va l'appeler par son nom. Marie-Josée, je la connais, on
partage les mêmes valeurs. On en parle souvent, tout le temps, depuis des
années, et puis je sais qu'elle est capable de faire valoir mon point, parce
qu'elle le partage. Dans les équipes médicales, comme dans n'importe quelle
autre équipe, ou peu importe... on parle, les gens ont aussi des valeurs
personnelles. Et puis, comme intervenant, malgré qu'on doit... on devrait le
plus possible être le plus neutre et vraiment focusser sur le besoin et les
demandes du patient, j'ai comme un... j'aurais comme une crainte que ça ne se
fasse pas nécessairement dans certains cas. C'est sûr, j'ai travaillé
20 ans dans le réseau, là, et puis ça se voit, des fois, des
professionnels qui pensent que la façon a de faire est meilleure que la façon b,
parce que... par ce qu'ils ont appris, mais aussi parce que chaque humain est
fait de ses valeurs puis de ses expériences.
Et puis, si je pouvais avoir la conviction
que des gens feraient une analyse neutre d'une situation, chose qui est peu
pensable, O.K., <mais, honnêtement...
Mme
Demontigny (Sandra) :
... par ce qu'ils ont
appris, mais aussi parce que chaque humain est fait de ses valeurs puis de ses
expériences.
Et puis, si je pouvais avoir la
conviction que des gens feraient une analyse neutre d'une situation, chose qui
est peu pensable, O.K., >mais, honnêtement, moi, je viserais vraiment de
faire une directive anticipée, donc, tu sais, parce que c'est moi qui la fait,
là. Moi, là, moi, je le dis : Je veux ça, ça, ça, a, b, c, d, puis
Marie-Josée va être témoin de : oui, maintenant, Sandra, elle est rendue
là, tenez, c'est ça, puis c'est tout, là. Moi, je vais l'avoir déjà déterminé. <Si...
>Moi, ma crainte, si on laisse un... Je pense que le plus grand pouvoir
revient quand même à la personne malade, là, qui doit faire cette demande quand
elle est encore toute lucide... bien, en tout cas, en bonne partie lucide. Puis
le pouvoir, pour moi, il est là, le pouvoir décisionnel.
Après ça, il faut le mettre en place.
C'est qui, la meilleure personne pour le mettre en place? Normalement, le
proche à qui tu confies ça, c'est que tu lui fais vraiment confiance. Si j'ai
un médecin avec qui je travaille depuis... ça fait 10 ans qu'il me suit,
puis je le connais bien, puis que... probablement que je serais à l'aise. Mais
est-ce que je vais tomber sur l'équipe volante parce que je vais à l'urgence,
ou je ne sais pas trop? J'ai confiance en l'humain, mais, en même temps, je
suis consciente qu'on n'a pas tous les mêmes valeurs. Ça m'inquiéterait, je
dirais.
Mme Montpetit : C'est
très, très clair. Mme la Présidente, est-ce qu'il nous reste un peu de temps?
J'avais mon collègue de D'Arcy-McGee qui aurait une question, mais ça file
vite.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Il reste 10 secondes, Mme la députée.
Mme Montpetit : Je suis
désolée. Mais merci beaucoup, Mme Demontigny, sincèrement, pour votre
témoignage. C'est touchant, mais c'est surtout très, très, très éclairant pour
la suite. Merci.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci à vous.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Nous poursuivons maintenant nos échanges avec le député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci,
Mme Demontigny, pour votre témoignage aujourd'hui. C'est très instructif
pour nous, mais je vois bien que c'est difficile pour vous. Par conséquent, je
vais vous poser des questions, puis, si vous sentez que vous n'êtes pas à
l'aise d'y répondre, il n'y aura aucun problème, mais je trouve ça important de
vous les poser.
Vous vous basez beaucoup, dans votre
réflexion, et c'est normal, sur ce que vous avez vu auprès de votre père. Et
c'est beaucoup ce que vous avez constaté à ce moment-là qui alimente votre
décision, si j'ai bien entendu votre témoignage d'aujourd'hui. Si jamais la
maladie n'évoluait pas comme... dans votre cas, comme elle a évolué avec celui
de votre père, croyez-vous que vos proches devraient pouvoir revenir sur votre
décision, ou si votre décision devrait être finale et sans appel, peu importe
ce qu'il se passe puis peu importe ce que pensent <vos proches...
M. Nadeau-Dubois : … ou
si votre décision devrait être finale et sans appel, peu importe ce qui se
passe, puis peu importe ce que pensent >vos proches?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Mme Demontigny, est-ce qu'on aurait perdu la connexion?
On va suspendre quelques instants, on a
perdu la connexion.
(Suspension de la séance à 9 h 24)
<
>
(Reprise à 9 h 29)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Donc, nous reprenons les travaux. Désolée. On en était à la réponse de
Mme Demontigny. M. le député de Gouin, peut-être nous reformuler rapidement
votre question.
M. Nadeau-Dubois : Oui, Mme
la Présidente. Je propose qu'on reprenne le bloc au début, là, puis que, de
consentement, on décale l'ensemble de nos travaux pour s'assurer que tout le
monde a le temps de profiter...
La Présidente (Mme Guillemette) :
S'il y a consentement pour tout le monde, on terminera plus... Il n'y a pas de
problème.
Mme Montpetit : Absolument.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Donc, allez-y.
M. Nadeau-Dubois : On
s'entend sur l'importance de profiter de chaque minute qu'on a avec notre
invitée ce matin. Merci, Mme Demontigny, de votre témoignage. Ce n'est pas
facile pour vous, mais sachez que, pour nous, c'est extrêmement pertinent, ça
nous aide à prendre une décision...
(Interruption)
M. Nadeau-Dubois : Aïe!
Aïe! Aïe!
La Présidente (Mme Guillemette) :
On va suspendre quelques instants, là, on a vraiment un pépin technique.
(Suspension de la séance à 9 h 30)
9 h 30 (version révisée)
(Reprise à 9 h 36)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, le problème technique étant résolu, nous retournons à nos travaux
et nous redonnons la parole au député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci,
Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny, pour votre témoignage.
Désolé des pépins techniques. Ça va avoir détendu l'atmosphère un peu. Je sais
que les questions que je vais vous poser ne seront pas nécessairement faciles,
puis, si vous n'avez pas envie d'y répondre, il n'y a aucun problème, <mais…
M. Nadeau-Dubois : ...
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny, pour votre
témoignage. Désolé des pépins techniques. Ça va avoir détendu l'atmosphère un
peu. Je sais que les
questions que je vais vous poser ne seront pas
nécessairement
faciles, puis, si vous n'avez pas envie d'y répondre,
il n'y a aucun
problème,
>mais je m'en voudrais de ne pas vous les poser, et je veux profiter de
votre présence pour savoir, vous, comment vous voyez cette situation-là.
Votre témoignage puis votre décision de
choisir l'aide médicale à mourir, ils se basent beaucoup sur ce que vous avez
vu de votre père, puis ça vous donne une idée de comment votre maladie à vous
va évoluer. Si jamais votre maladie évoluait différemment de celle de votre
père, puis que vos proches, le constatant, se mettaient à questionner, finalement,
la pertinence de l'aide médicale à mourir, est-ce que vous pensez que votre
décision à vous devrait être finale et sans appel ou est-ce qu'il devrait y
avoir une porte entrouverte pour vos proches, le moment venu, de dire : Finalement,
ça ne se passe pas comme on pensait que ça se passerait, on préfère ne pas
procéder?
Mme
Demontigny
(Sandra) : C'est une bonne question. Spontanément, quand j'ai
entendu la fin de votre question, quand vous avez dit : Ou c'est possible
que, vos proches, finalement, ils décideraient de ne pas procéder, moi, je... on
m'en parle souvent chez nous, c'est comme si on parle de la température, là, parce
que ça fait partie de notre vie, puis, moi, j'ai souvent dit à mes enfants :
Si vous ne respectez pas ma volonté, je vais venir vous hanter jusqu'à la fin
de mes jours, en riant, mais, tu sais... Puis là... Tu sais, c'est juste parce
que c'est quelque chose de convenu chez nous. C'est sûr que les symptômes ne
seront peut-être pas pareils à mon père dans le sens où on ne sait pas lesquels
vont partir en premier. Ce qu'on sait, c'est qu'ils vont tous finir par partir.
Puis, moi, justement, je veux cibler les
symptômes avec lesquels je ne suis pas à l'aise. Comme je disais tantôt, bon,
les besoins de base de mon corps, l'errance, tu sais, ça, pour moi, c'est du...
Donc... Mais normalement l'errance n'arrivera pas avant, mais, mettons que,
dans tous les cas, ils vont finir par arriver. Puis normalement, quand, ça, ça
arrive, ça arrive parce que le corps est vraiment en train de lâcher, là, dans
son entièreté. Ça fait que c'est pour ça, quand on parlait, je ne sais pas avec
quelle personne, mais de la possibilité de mettre des symptômes, plus qu'un, en
sachant que tous ceux-là ne me conviennent pas, là, que je ne veux pas passer
au travers ça. Mais ils vont normalement tous finir par arriver, un ou l'autre.
Ça m'étonnerait que je vive une vie avec l'alzheimer, puis qu'il ne se passe
pas grand-chose, là.
M. Nadeau-Dubois : Donc,
autrement dit, selon vous, ces demandes anticipées là, elles devraient être
finales et sans appel?
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui. Puis, tu sais, on dit «demande anticipée», moi,
je vois ça comme une directive. Je ne veux pas demander qu'on mette quelque
chose en place, j'exige. Ça a l'air méchant, là, comme mot, <mais...
M. Nadeau-Dubois : ...Donc,
autrement dit, selon vous, ces demandes anticipées là, elles devraient être
finales et sans appel?
Mme
Demontigny (Sandra) :
Oui. Puis, tu sais, on dit
«demande anticipée», moi, je vois ça comme une directive. Je ne veux pas
demander qu'on mette
quelque chose en place, j'exige. Ça a l'air
méchant, là, comme mot, >mais, je veux dire, c'est ça que je veux. Puis
je ne veux pas que ce soit... qu'il y ait place à l'interprétation, parce que,
quand les motifs rentrent en compte... En même temps, comme je vous dis, moi,
je connais mes proches, je le sais très bien qu'ils ne voudront pas poursuivre
non plus, là. Mais, tu sais, quelqu'un qui étirerait, là, moi, personnellement,
je ne suis vraiment pas à l'aise avec ça. Est-ce que ça répond à votre
question?
• (9 h 40) •
M. Nadeau-Dubois : Oui,
ça répond tout à fait à ma question. Merci beaucoup, Mme Demontigny.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Bienvenue.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole à la députée de
Joliette.
Mme
Hivon
:
Oui. Bonjour, Mme Demontigny. C'est un bonheur de vous entendre ce matin.
Ça peut faire drôle de dire ça dans les circonstances mais je sais, pour vous
avoir entendue, à quel point ça vous tient à coeur, de mener ce combat-là, et
on le comprend aisément dès que vous prenez la parole. Et je veux juste vous
dire que vous faites vraiment oeuvre utile aujourd'hui pour nous et, je pense,
pour beaucoup d'autres gens dans votre situation ou qui pourraient la vivre un
jour.
Je veux continuer dans la même veine que
mon collègue et plusieurs collègues. C'est qu'hier on a vraiment... Je ne sais
pas si vous nous avez suivis hier, mais il y a cette espèce de débat là entre
les experts sur jusqu'où, justement, c'est la demande de la personne qui, en
toutes circonstances, doit primer versus la recherche d'un consensus entre ce
que la personne aurait demandé, l'équipe médicale et les proches. On comprend
qu'un consensus, c'est plus confortable pour tout le monde, mais ça met de côté
le principe un peu ou ça diminue un peu le principe de l'autodétermination de
la personne.
Vous, là, quand vous vous projetez... Là,
vous venez de répondre à mon collègue, vous voudriez que ça soit exécutoire, on
le comprend très bien. Mais, dans un monde idéal, est-ce que vous vous projetez
en disant : Moi, même si l'équipe médicale a un peu des doutes, parce que
j'ai l'air, finalement, mieux que je pensais que je serais, en termes de... je
dirais, de comment vous vivez votre indignité, mettons, là, et que vos proches,
finalement, face à ça, sont moins confortables, est-ce que je vous lis
correctement, que vous dites : Moi, ce n'est pas le consensus qui
m'intéresse, c'est ce que, moi, je vais avoir dit, même si mes proches sont
moins confortables puis mon équipe médicale aussi?
Mme
Demontigny
(Sandra) : C'est pas mal ça que j'ai dit, oui, c'est ça que je
pense.
Et, quand vous parlez de consensus, là, je
ne sais pas si c'est une réflexion qui est égoïste, mais, pour moi, il n'y a
pas à avoir consensus par rapport à ce que, moi, je considère être digne comme
fin de vie. C'est moi, c'est ma vie, c'est ma personne. Au même titre que, tu
sais, si quelqu'un arrive en arrêt cardiaque puis qu'il a écrit dans ses
directives anticipées «pas de <réanimation»...
Mme
Demontigny (Sandra) :
...
mais, pour moi,
il n'y a pas à avoir consensus par rapport à ce que, moi, je considère être
digne comme fin de vie. C'est moi, c'est ma vie, c'est ma personne. Au même
titre que, tu sais, si quelqu'un arrive en arrêt cardiaque puis qu'il a écrit
dans ses directives anticipées «pas de >réanimation», même s'il est
actif au travail, qu'il est un homme heureux puis qu'il fait du sport, ce n'est
pas ça qu'il veut, tu sais, ce n'est pas ça qu'il dit, là. Moi, je pense que,
sans vouloir offenser personne, l'histoire du consensus, je pense, c'est peut-être
quelque chose qui plaît à l'esprit, de... Les gens, là, ce que je comprends,
les intervenants sont un peu mal à l'aise avec la chose. En même temps, quand
ça a été dit au moment où est-ce qu'on est capable de le dire puis que c'est
consigné puis que c'est...
Je pense à, puis je ne sais pas si c'est à
ça qu'on fait référence, mais à la situation de la dame en Belgique, je crois, je
pense, là, qui avait eu une... qui avait demandé l'aide médicale à mourir puis
qui s'est débattue au moment de la recevoir, qui a créé un malaise à la
grandeur de la planète, là. J'en entends encore parler. Et je me suis posé la question :
Si, moi, mettons, je faisais ça, là, bien, ce n'est pas parce que mon corps... moi,
je pense que ce n'est pas parce que mon corps se débat puis qu'il démontre qu'il
ne veut pas que mon âme et ma conscience, elle, c'est ça qu'elle veut. La
maladie d'Alzheimer, c'est ça, tu sais, il y a une autre entité, quelque chose
qui fait que ton corps se désorganise. Sauf que même si mon corps réagit, il n'en
demeure pas moins que ma volonté de base, elle est là quand même, elle n'a pas
changé. Je parle en mon nom personnel. Mais...
Puis je trouve que, bien, un, ça fait un
poids pour l'équipe médicale, mais, deux, sans vouloir offenser personne, je ne
trouve pas que ça leur revient tant que ça. Je pense que ça revient à la personne
qui le vit.
Mme
Hivon
:
Je comprends très bien. Certains aussi nous disent, s'il me reste un peu de
temps...
La Présidente (Mme Guillemette) :
20 secondes, Mme la députée.
Mme
Hivon
:
O.K. Bien, écoutez, je vais juste vous dire que c'est très clair. Puis je vais
vous remercier parce que je n'embarquerai sur un autre sujet en
10 secondes. Et merci beaucoup de votre présence parmi nous aujourd'hui.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Mme Demontigny. Ça termine les échanges pour aujourd'hui. Merci,
un merci sincère d'avoir accepté très généreusement de nous partager votre
expérience. Donc, le meilleur pour la suite. Et, nous, on prendra... on vous
aura toujours, à quelque part, dans notre coeur pendant nos délibérations.
Merci beaucoup.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci pour votre écoute.
M. Birnbaum : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, nous suspendons quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux <invités.
(Suspension de la séance à 9 h 45)
La Présidente (Mme Guillemette) :
…
le temps d'accueillir nos nouveaux >invités.
(Suspension de la séance à 9 h 45)
>
(Reprise à 9 h 51)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Nous reprenons nos travaux. Bonjour, tout le monde. Donc, maintenant, nous
avons l'honneur d'accueillir le Dr Pageau et le Dr Durand. Donc,
merci d'être avec nous ce matin. Vous aurez 20 minutes pour nous présenter
votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange avec les membres de la
commission pour une période de 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.
MM. Pierre J. Durand et Félix Pageau
M. Pageau
(Félix) :Bonjour.
M. Durand (Pierre
J.) :Alors, si vous le <permettez…
La Présidente (Mme Guillemette) :
...Donc,
maintenant, nous avons l'honneur d'accueillir le Dr Pageau
et le Dr Durand. Donc, merci d'être avec nous ce matin. Vous aurez
20 minutes pour nous présenter votre exposé, et, par la suite, il y aura
un échange avec les
membres de la commission pour une période de
40 minutes. Donc, je vous cède la parole.
(Visioconférence)
M. Pageau
(Félix) :
Bonjour.
(Visioconférence)
M. Durand
(Pierre J.) :
Alors, si vous le >permettez, on va
se présenter. Moi, Dr Durand, je suis le directeur scientifique du Centre
d'excellence sur le vieillissement de Québec. Je suis un vieux médecin gériatre
de la première mouture des médecins gériatres au Québec, alors, depuis 1987. Et
puis j'ai une quarantaine d'années d'expérience dans les soins aux personnes
âgées, le milieu de la réadaptation, les soins à domicile, le réseau intégré,
les approches de soins et services en soins longue durée. Je dirige aussi actuellement
le département de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale.
Alors, il y a Dr Pageau, je vais
le laisser se présenter, c'est lui qui va faire l'exposé, et, par la suite, on
ouvrira la période de questions. Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
M. Pageau (Félix) : Bonjour.
Moi, je suis Félix Pageau, je suis médecin gériatre depuis deux ans. J'ai
gradué à l'Université Laval dans un programme qui s'appelle le clinicien-chercheur.
Donc, je fais de la recherche en philosophie, éthique avec l'axe de la
protection des aînés vulnérables. Je suis sur le Comité national d'éthique sur
le vieillissement, Comité d'éthique clinique du CHU de Québec, vice-président
du comité de la recherche du cégep de Drummondville. Puis, en ce moment aussi,
je complète une formation en bioéthique et recherche à l'Université de Bâle, en
Suisse, là, à l' institut de bioéthique médicale, pour revenir travailler comme
chercheur gériatrique clinicien à Québec.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci. Donc, vous pouvez débuter votre exposé, pour une période de
20 minutes.
M. Pageau
(Félix) : Parfait. Donc, je vais vous présenter aujourd'hui un
texte qu'on a écrit en collaboration avec plusieurs auteurs, qu'on a intitulé
Démence, stigmatisation et euthanasie; La trajectoire à éviter. D'abord,
comme préambule, je vais lire ce qui suit.
Donc, l'invitation à témoigner
devant l'Assemblée nationale, qui m'a été envoyée pour donner ma perspective professionnelle
éthique, est d'une grande importance pour moi. C'est un véritable honneur pour
tout universitaire et médecin qui, comme moi, soigne les aînés et vise à
protéger les plus vulnérables d'entre-eux. Mon propos se veut simple, mais ne
sera pas simpliste. Je souhaite expliquer ma position sans paternalisme ni
condescendance. Je n'ai pas, de toute façon, l'expérience aussi longue que Dr Durand
pour en témoigner. Je me trouve ici face à vous en toute humilité devant les
pouvoirs qui vous ont été donnés démocratiquement. Bien que les connaissances
que j'ai acquises au fil des multiples formations m'ont permis aussi d'acquérir
certains pouvoirs, de savoir, entre guillemets, ceux-ci ne peuvent se
substituer, par contre, à la force du peuple québécois qui s'incarne en vous
par la démocratie. J'espère ainsi, humblement, arriver à aider votre réflexion
par ma position éthique en tant que médecin, gériatre, éthicien et chercheur.
Bref, je souhaite aujourd'hui rallier le plus de gens possible à la cause de la
protection des aînés vulnérables atteints de démence.
Également, mes arguments sont
philosophiques, humanistes, éthiques et médicaux. Dans mon exposé, je ne fais
pas référence à une ou plusieurs religions ni au principe vitaliste, là, qui
vise la protection de la vie à tout prix. Je considère que la qualité de vie et
l'absence d'acharnement, en tant que principes centraux et implicites dans ma
perspective, sont importantes. Une équipe d'environ 300 cliniciens
chevronnés en gériatrie, soins spécialisés aux aînés et gérontopsychiatrie
m'ont appuyé dans ma <réflexion...
M. Pageau
(Félix) :
…Dans mon exposé, je ne fais pas référence à
une ou plusieurs religions ni au principe vitaliste, là, qui vise la protection
de la vie à tout prix. Je considère que la qualité de vie et l'absence
d'acharnement, en tant que principes centraux et implicites dans ma
perspective, sont importantes. Une équipe d'environ 300 cliniciens
chevronnés en gériatrie, soins spécialisés aux aînés et gérontopsychiatrie
m'ont appuyé dans ma >réflexion. On a publié une lettre dans de nombreux
journaux, et j'ai fait quelques entrevues télévisées, là, pour en témoigner.
En termes d'introduction, le gouvernement
du Canada a récemment indiqué qu'il ne souhaitait pas permettre l'aide médicale
à mourir, que je vais appeler AMM pour la suite, par les directives médicales
anticipées, ou DMA, en rejetant respectueusement les amendements sénatoriaux 1a,
1b et 1c au projet de loi C-7. C'est une vision prudente des soins pour
les aînés qui est exprimée dans les lignes qui explique cette décision.
La discussion demeure ouverte mais notre
équipe est en faveur de l'interdiction d'inscrire l'AMM dans les directives
médicales anticipées. Nous faisons, par le fait même, appel à la raison, à
l'empathie de nos concitoyens, vous aussi, personnes élues. Dans les lignes qui
suivent, nous tenterons de démontrer en quoi l'AMM en démence n'est jamais un
traitement ni un soin qui devrait être inscrit dans les directives médicales
anticipées ou DMA.
Donc, un vrai soin en démence, qu'est-que
c'est? Il existe autant de visages à la démence, qu'on appelle aussi maintenant
les troubles neurocognitifs majeurs, c'est la nouvelle appellation qu'on
utilise... des gens qui en sont atteints. Néanmoins, on peut simplifier le
tableau clinique en quatre grandes théories... catégories. Bien que la
simplification serve souvent à réduire la réalité clinique plus complexe, la
vulgarisation peut être utile pour expliquer un propos éthique. Ainsi,
pouvons-nous énumérer quatre grands tableaux en démence, selon notre expérience
clinique : il y a la démence heureuse, la maladie cognitive avec symptômes
comportementaux et psychologiques de la démence, aussi appelée SCPD, qui sont
traitables, la maladie cognitive avec SCPD intraitables et dérangeants pour les
autres et la démence avec des SCPD qui semblent causer de la détresse.
La démence heureuse est cet état
d'inconscience de la maladie, ce qu'on appelle aussi agnosie en termes médicaux,
lié à un calme presque bon enfant. Les gens qui se trouvent dans cet état ne
souffrent pas, en tout cas pas vraiment plus que la moyenne des gens sans
démence.
Sinon, les SCPD sont une panoplie de
symptômes variant entre l'errance, l'anxiété, la dépression, l'agitation, la
violence physique, et bien plus. La plupart du temps, avec une équipe soignante
bien formée dans les soins gériatriques et gérontopsychiatriques adaptés, nous
arrivons à traiter les SCPD. Plusieurs documents existent pour guider les
pratiques. Or, les ressources humaines et financières en gériatrie sont souvent
lacunaires.
La crainte de finir en CHSLD est très
répandue dans la population québécoise selon notre expérience personnelle et
clinique. La pandémie à SARS-COVID a bien démontré que cette crainte est, en
partie au moins, justifiée. D'ailleurs, les travailleurs de la santé en
gériatrie savent depuis longtemps que les CHSLD et les soins gériatriques ont
été largement sous-financés dans la dernière décennie, et, cela, depuis l'arrivée
du nouveau management public, ou «new public management», et a été empiré par
les... l'austérité. La pandémie à COVID a révélé avec fracas, particulièrement
dans les CHSLD, ces problèmes. Ainsi faudra-t-il un meilleur financement des
soins gériatriques, qui améliorera à la fois les salaires, les conditions de
travail et les ratios de patients-infirmière.
Hormis le <manque de ressources,
il arrive que des équipes…
M. Pageau
(Félix)T :
...«new public management», et a été empiré
par l'austérité. La pandémie à
COVID a révélé avec fracas,
particulièrement
dans les CHSLD, ces problèmes. Ainsi faudra-t-il un meilleur
financement
des soins gériatriques, qui améliorera à la fois les salaires, les conditions
de travail et les ratios de patients-infirmière.
Hormis le >manque de ressources,
il arrive que des équipes bien financées, formées en soins adaptés ne
réussissent pas à traiter les patients avec SCPD. Cela souligne l'importance de
la recherche pour améliorer les soins gériatriques et gérontopsychiatriques,
comme ce qui se fait au Centre d'excellence sur le vieillissement de Québec,
dont le Dr Durand est directeur scientifique, en lien avec le groupe
VITAM, ou au Comité national d'éthique sur le vieillissement, qui réfléchissent
aux questions éthiques et aussi la possibilité de créer des chaires de
recherche en éthique et vieillissement à l'Université Laval, qui sont en
réflexion.
Les gens qui ont des SCPD intraitables ne
sont pas nécessairement souffrants. Ils peuvent accommoder leurs proches...
incommoder, pardon, leurs proches ou les soignants, et ils dérangent. Dans ce
cas, il est hasardeux, même impensable de décider de tuer une personne parce
qu'elle nous énerve sans qu'elle souffre de manière apparente. Il faut s'en
occuper sans jugement et avec empathie. Ce n'est pas volontairement ou par
méchanceté qu'on dit «perverse», donc qui aime voir les autres souffrir, que la
personne agit ainsi, mais plutôt à cause de la maladie. Il semble adéquat de
vouloir éliminer la démence, mais il ne faut pas méprendre le malade pour sa
maladie.
Finalement, certains pourraient souhaiter
la mort à ceux et celles qui ont des SCPD, des symptômes comportements et
psychologiques de la démence, et qui semblent en souffrir. Or, il faut d'abord
s'assurer que ce n'est pas un manque de personnel ou de financement qui crée
l'incapacité de traiter ou l'apparence de cette impossibilité. Il est aussi
difficile, en démence avancée, d'évaluer la douleur et les problèmes
psychologiques. La manière dont la majorité des gériatres et gérontopsychiatres
agissent est par la méthode d'essais et erreurs. Cela regroupe, entre autres,
la médication contre la douleur, les traitements antipsychotiques et les
traitements adaptés à la personne âgée. On suggère même parfois la sédation
palliative intermittente. Grosso modo, on essaie une ou plusieurs modalités de
traitement à la fois et on en retire quelques-unes, si elles ne fonctionnent
pas. Cela est impossible en AMM, il n'y a pas de retour possible en arrière
lorsque le patient ou la patiente est décédée, évidemment.
Il faut aussi souligner l'importance de ne
pas traiter des conditions qui pourraient entraîner la mort du patient en
démence avancée. L'acharnement thérapeutique n'est pas une visée logique et
empathique dans l'idée de réduire les souffrances. Lorsqu'on est décidé à opter
pour des soins palliatifs, il faut toujours donner les meilleurs soins
palliatifs adaptés à la personne en fin de vie. L'accompagnement... Puis, ce
que je viens de dire aussi, c'est dans la loi n° 2 au
Québec. L'accompagnement des familles et des équipes soignantes par des experts
en soins palliatifs est la clé du succès pour des soins de fin de vie adéquats
en démence avancée. Bref, il ne faut pas protéger la vie à tout prix ni
devancer la mort, mais bien soigner la personne atteinte de démence.
L'AMM est un choix autonome? Plusieurs
gens, dont Alain Naud, pour ne nommer que lui, font prévaloir le droit à
l'autonomie et à l'autodétermination dans le débat pour l'intégration de l'aide
médicale à mourir dans les DMA. Selon ces gens, c'est la façon d'offrir les
meilleurs soins en se basant sur les désirs du patient ou de la patiente.
• (10 heures) •
D'abord, il faut souligner que l'AMM est
un mauvais terme, qui porte à confusion et rend la décision autonome difficile.
Il fait partie d'une rhétorique euphémisante utilisée pour la justifier. Qu'est-ce
que nous entendons par «rhétorique euphémisante»? Par exemple, au Québec, on
dit souvent : C'est un petit monsieur... Ce n'est pas un petit monsieur,
pour parler d'un homme avec un surplus de <poids...
>
10 h (version révisée)
<
M. Pageau
(Félix) :
...en se basant sur les
désirs du patient ou de la patiente. D'abord, il faut souligner que Rl'AMM est
un mauvais terme qui porte à confusion et rend la décision autonome difficile.
Il fait partie d'une rhétorique euphémisante utilisée pour la justifier.
Qu'est-ce que nous entendons par
«rhétorique euphémisante»?
Par exemple, au Québec, on dit souvent :
«C'est un petit monsieur... ce n'est pas un petit monsieur», pour parler d'un
homme avec un surplus de >poids. «Il est un peu gras», peut-être on dit aussi
parfois. «Il a des gros os» est un autre exemple. Aussi, une manière plus
frappante d'illustrer un euphémisme serait de dire : Le nazisme, c'est
genre un peu grave quand même, au lieu de dire plus justement : Le nazisme
est l'une des pires... l'un des pires moments, sinon le pire moment de l'histoire
récente de l'Allemagne.
Le recours à l'euphémisme est peut-être un
trait bien québécois ou canadien. Or, il donne la fausse impression, dans
l'expression «aide médicale à mourir», que la mort n'est pas une terrible
cassure. Cela laisse croire aussi que le ou la médecin n'est peut-être pas
vraiment en train de tuer le patient ou la patiente, lorsque c'est exactement
ce qu'il se passe. C'est, en fait, de l'euthanasie active qui est faite au
Québec et au Canada. Comme vous le savez sans doute, le ou la médecin tue en
injectant plusieurs médicaments, donc, si on se fie au guide du Collège des
médecins du Québec. Est-ce de l'aide? C'est bien plutôt l'acte de tuer, sous le
couvert d'un soin, et particulièrement en démence avancée.
C'est important de garder tout cela en
tête et sans euphémisme. Le problème de l'euphémisme, c'est qu'il retire la
gravité au geste ou aux mots. La décision est dès lors biaisée et moins
autonome, car elle devient moins éclairée. Il faut être très clair... il faut être
clair dans la dénomination pour permettre un bon jugement par les gens qui
veulent être tués par leur médecin. J'en conviens, d'autres arguments, par
contre, sont plus forts. Et les gens sont intelligents au Québec et savent que
le ou la médecin tue la personne sous ses soins en AMM. Il faut simplement le
dire ainsi, sans flafla.
La seconde erreur liée à l'autonomie est
l'idée que la décision prise maintenant sera encore valide au moment de décider
si l'AMM doit être faite. C'est faux. Il est presque impossible de prévoir
adéquatement les détails nécessaires pour tuer une personne avec une démence.
Premièrement, les quatre tableaux cliniques sont variables d'une personne à
l'autre, et on ne sait pas de quoi les gens auront l'air dans leur cas précis. Donc,
en réalité, les gens ignorent les conditions dans lesquelles ils seront s'ils
développent une démence. Comme la météo, prévoir l'avenir en démence est une
science incertaine.
En outre, au final, ce ne serait pas la
personne actuelle qui décide le moment de sa mort en démence, mais celle qui est
là au moment de l'écriture des DMA, la personne d'avant. Donc, la personne
actuelle qui a la démence est menée par la personne qu'elle était avant, mais
plus qui elle est en ce moment. Cette dernière se trompe possiblement aussi sur
l'état de la situation actuelle, car elle n'est pas là pour juger de sa
situation ici et maintenant. C'est le concept du soi futur. Donc, on prévoit
dans le futur, mais, un coup rendu dans le futur, c'est le soi passé qui décide
pour nous, en se trompant probablement.
Tous les êtres humains changent avec le
temps et surtout ceux atteints de démence. Nos idées à 15, 30, 50 ans ne
sont pas les mêmes. Elles dépendent de l'endroit où nous sommes rendus dans nos
vies. L'impossibilité de prévoir son avenir, spécialement en démence, empêche
de se référer réellement à l'autonomie. L'autonomie s'exerce dans le ici et
maintenant en tenant compte de la situation actuelle. Elle juge de façon rationnelle
et émotionnelle en se considérant soi et les autres.
Quelqu'un qui souhaiterait avoir l'accès à
l'AMM en DMA devrait vraiment être capable de comprendre de façon éclairée.
L'autonomie mise de l'avant dans le contexte de DMA requiert des connaissances
et même l'expérience au moins mentale, par l'imagination, de situations de
démence <avancée...
M. Pageau
(Félix) :
...de la situation actuelle. Elle juge de
façon rationnelle et émotionnelle, en se considérant soi et les autres
.
Quelqu'un qui souhaiterait avoir
l'accès à l'AMM en DMA devrait vraiment être capable de comprendre de façon
éclairée. L'autonomie mise de l'avant dans le contexte de DMA requiert des
connaissances et même l'expérience au moins mentale, par l'imagination, de
situations de démence >avancée. C'est le principe du consentement libre
et éclairé qui... les principes du consentement éclairé qui prévalent, pardon. Aussi,
quoi faire si un patient qui a une démence heureuse avait demandé l'AMM à
l'avance et ne veut plus l'avoir au moment qu'il a la démence? Forcer l'AMM au
nom de l'autonomie antérieure? Peut-être faudrait-il demander à la famille?
Cela mène à la question des conflits
d'intérêts. À la fois la famille et le médecin traitant ont divers intérêts qui
ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des patients. En démence, c'est
bien souvent les membres de la famille qui souffrent à cause des SCPD de leur
proche malade. Ils peuvent aussi retirer des bénéfices à la suite d'un décès :
un héritage, des biens, etc. Pour le médecin, il faut faire rouler l'étage, libérer
des lits hospitaliers, en CHSLD, signer des départs, répondre aux pressions de
l'urgence pour admettre, réduire les durées de séjour, etc. C'est un risque de
plus pour augmenter les conflits d'intérêts en permettant l'AMM en DMA.
Aussi, pour les travailleurs, les
professionnels et les gestionnaires du réseau de la santé et des services
sociaux, mettre fin à la vie de quelqu'un par AMM est plus rapide, plus
efficace et moins cher que la sédation palliative et les soins de fin de vie.
Ce n'est pas un jugement objectif qui sera posé à cause des pressions externes
fortes pour l'efficacité des soins.
Alors, l'autonomie n'est pas un bon
principe directeur puisqu'elle ne règle pas véritablement la question de la
décision. Cette dernière n'est jamais guidée par l'autonomie libre et éclairée,
même si elle tente de prévoir à l'avance toutes les situations possibles
rationnellement en utilisant ses émotions et son empathie.
Le poids sur les épaules des gens qui
entourent le patient ou la patiente est un fardeau lourd à porter aussi. Ne pas
devenir un fardeau pour les autres est une des inquiétudes des personnes
demandant que l'AMM soit inscrite dans les DMA. Or, elles créent un autre
fardeau avec cette demande, celle de la décision par consentement substitué. Ce
seront véritablement les proches et l'équipe soignante qui décideront et pas le
ou la patiente. Devrait-on se fier à la perte de dignité dans ce cas?, certains
demandent.
La dignité réelle est intrinsèque. Le
philosophe Emmanuel Kant l'a lu dans la Déclaration universelle des droits de
l'homme, Thomas De Koninck, philosophe et professeur québécois, et bien d'autres
la définissent ainsi. Or, la Commission spéciale sur la question de mourir dans
la dignité a décidé de la dépeindre d'abord comme suggestive ou relative à la
personne raisonnable. C'est grave, parce qu'on suppose que la personne peut
être utilisée comme un objet si elle renonce à sa valeur humaine. C'est
terrible, parce qu'on présume alors que quelqu'un peut demander qu'on la tue
parce qu'elle pense n'avoir plus de valeur.
Pourquoi, au juste, seul un docteur aurait
le droit de tuer, alors? Ça n'a pas de sens non plus. On devrait tous avoir le
droit d'utiliser une personne qui se trouve indigne, comme on le veut, dès qu'elle
renonce à sa dignité. Or, la dignité intrinsèque nous en empêche, et c'est elle
qui est essentielle. C'est de l'antiautonomie de renoncer à la dignité. Il est
assez ironique que plusieurs fassent prévaloir l'autonomie et la dignité
subjective presque d'un même souffle.
Selon la dignité perdue, ce sera... la
dignité perdue serait conçue comme sociale, sinon. Elle est basée sur les
capacités, l'âge, la race ou tout autre critère, par un groupe humain pour
asservir, diminuer ou réduire le pouvoir d'une partie de sa population. C'est
un critère impensable dans notre société depuis au moins la Déclaration
universelle des droits de l'homme en 1948. Or, les gens qui veulent avoir <accès
à…
M. Pageau
(Félix) :
...
Selon la dignité perdue, ce sera...
la dignité perdue serait conçue comme sociale, sinon. Elle est basée sur les
capacités, l'âge, la race ou tout autre critère... par un groupe humain pour
asservir, diminuer ou réduire le pouvoir d'une partie de sa population. C'est
un critère impensable dans notre société depuis au moins la Déclaration
universelle des droits de l'homme en 1948. Or, les gens qui veulent avoir >accès
à l'AMM par directives médicales anticipées y font référence, eux, par dignité
subjective, mais basé très souvent sur des critères sociaux, dignité sociale.
En fait, ils vont dire, en parlant de leur proche au médecin : Si je
deviens incontinent, agressif, dément au point de ne plus reconnaître mes
enfants ou incapable de rester autonome et seul chez moi, tuez-moi.
Cette vision rassemble plusieurs notions
très problématiques. En effet, c'est à la fois de la discrimination envers les
gens avec des handicaps physiques, faire des tâches seul, de manière autonome,
être continent, des handicaps cognitifs, reconnaître mes enfants, être
continent, envers la maladie... les maladies psychiatriques, la démence avec les
SCPD, et aussi une discrimination liée à l'âge, avec la question de l'âgisme.
C'est de l'âgisme, du capacitisme et de la stigmatisation envers les maladies
mentales.
Les gens avec une démence, malheureusement
pour eux, dans nos sociétés, se retrouvent à cette intersection, dangereuse
pour leur vie, du handicap physique et cognitif, de la maladie mentale et de
l'âge avancé. Cette quadruple tare est vue par certains comme la chose la plus
horrible et indigne. La mort serait le seul soin, alors.
Aussi, la vision néolibérale de l'individu
joue beaucoup ici. C'est la théorie... l'être humain a une valeur seulement
s'il travaille, produit quelque chose, consomme et dépense. Cette vision
limitée de l'humain avec un grand H vient ajouter à la vision péjorative
des aînés atteints de démence. En effet, ces derniers ne peuvent rien faire de
tout cela ou à peine. De plus, certains osent même parfois comparer les aînés
avec démence à des chiens, ils diront : Je fais plus facilement
euthanasier mon chien que les gens âgés peuvent avoir accès à l'euthanasie. Ces
défenseurs de l'euthanasie en démence oublient que bien souvent les chiens sont
euthanasiés par manque de moyens financiers pour payer les soins vétérinaires
par leurs propriétaires.
Cette vision déshumanisante de la personne
âgée montre aussi que le manque de moyens pécuniers est aussi la cause de l'euthanasie,
sinon le désintérêt ou la fatigue de s'occuper d'un être vivant, pour le chien.
Le but n'est pas de culpabiliser les propriétaires de chiens qui ont recours à
l'euthanasie pour leur animal, mais plutôt de souligner que la comparaison
n'est pas bonne. Il est évident... Il y a évidemment une crainte associée à cet
avenir en voyant comment les vieux déments, certains diront, sont traités.
Évidemment, les gens réclament
actuellement la mort pour eux, mais cela en dit long sur la vision sociétale
qu'on a des gens atteints de démence. Il n'est pas plus adéquat d'intérioriser
ces principes pour soi. L'âgisme, le capacitisme, la stigmatisation
psychiatrique sont mauvais envers les autres et envers soi-même aussi. C'est
ensemble, en tant que société, qu'il faut combattre nos préjugés pour soi et
pour les autres.
L'avenir, c'est eux. Pourquoi le
gouvernement devrait-il investir dans la diminution des préjugés contre les
gens atteints de démence? Le fait que ce sont des êtres humains devrait d'abord
facilement convaincre tout politicien et toute politicienne. Cette valeur
intrinsèque est la dignité humaine mentionnée plus haut. De plus, on dit
souvent des enfants qu'ils représentent l'avenir, on le suppose au sens large
et au plan social. Toutefois, on entend rarement que les aînés sont notre
avenir au sens très individuel. En effet, le traitement réservé aux aînés, les
institutions sociomédicales et les fonds pour la recherche en gériatrie auront
un impact direct sur l'avenir individuel de chacun de nous. C'est aussi de dire
que les enfants sont l'avenir avec un grand A, mais que les aînés sont
notre avenir avec un petit a. Les baby-boomers seront les <prochains...
M. Pageau
(Félix) :
…les aînés sont notre avenir au sens très
individuel. En effet, le traitement réservé aux aînés, les institutions
sociomédicales et les fonds pour la recherche en gériatrie auront un impact
direct sur l'avenir individuel de chacun de nous. C'est aussi de dire que les
enfants sont l'avenir avec un grand A, mais que les aînés sont notre
avenir avec un petit a. Les baby-boomers seront les >prochains. Investir
dans les CHSLD, les maisons des aînés, les soins à domicile, les ressources
humaines et matérielles en gériatrie, c'est payer pour un avenir meilleur pour
les gens qui sont dans la phase la plus productive de leur vie actuellement. Il
est si clair que d'investir dans la retraite est une bonne chose pour certains,
n'est-il pas alors évident qu'il faut investir dans les soins gériatriques pour
avoir les meilleures chances d'une vie de... d'une fin de vie confortable — pardon?
C'est notre avenir à tous, si nous sommes chanceux.
Investir dans des REER sans investir dans
les institutions sociomédicales gériatriques est contraire à la logique. Traiter
les cancers et les infarctus et allonger la vie sans améliorer la fin de vie
n'est pas une voie cohérente non plus. La défense des patients vulnérables que
l'on fait aujourd'hui est pour l'avenir de tous. Si la démence nous permet
de... si la médecine — pardon — nous permet de vieillir
au-delà de 100 ans, et considérant les risques de 30 % de démence à
85 ans et 50 % à 90 ans, il faut agir pour assurer des soins
gériatriques de qualité maintenant.
• (10 h 10) •
Les solutions proposées. Nous espérons que
le privilège que nous avons eu de nous adresser à vous aura permis de faire
valoir notre perspective selon laquelle les gens atteints de démence sont
dignes de recevoir des vrais soins et pas la mort. Nous souhaitons aussi livrer
quelques solutions envisageables pour aider à changer les perspectives.
Il faut valoriser la dignité humaine
réelle malgré l'âgisme, la stigmatisation liée à la santé mentale, le handicap
physique et cognitif. Pour réduire l'âgisme, il existe plusieurs études qui
démontrent que l'éducation et le contact fréquent avec les aînés diminuent les
préjugés néfastes. Il est aussi important de donner une voix aux proches
aidants et aidantes et à tout aîné ou aînée, qu'il ou elle soit vulnérable ou
non.
Les recommandations du Comité national d'éthique
sur le vieillissement ainsi que la politique nouvellement proposée par la
ministre Blais vont, d'ailleurs, dans ce sens. Un comité de l'INESSS travaille
sur la sédation palliative intermittente et continue pour déterminer les
meilleures indications. Cela souligne l'importance de financer les institutions
publiques d'évaluation des gestes médicaux et les chercheurs qui travaillent en
gériatrie, en gérontopsychiatrie et en soins palliatifs.
Il faut demeurer prudent devant l'inconnu
du devenir d'un être humain. L'important est de rassurer la personne qui
développe une démence, l'accompagner et la soigner de manière empathique et
humaine. La majorité du temps, le financement et les ressources humaines sont
arrivés à aider nos patients, même ceux qui ont des SCPD sévères. Cela
encourage l'idée d'améliorer la recherche et le financement dans les soins des
SCPD et des traitements en démence. Les gens du secteur de la santé en contact
avec les aînés devraient tous être formés à l'approche adaptée à la personne
âgée aussi.
Les aînés actuels et à venir, les
baby-boomers, doivent se reconnaître une valeur inaliénable, et cela, même en
cas de démence. Pour les gens qui craignent de perdre leur dignité subjective
en début de maladie cognitive, le psychiatre Harvey Max Chochinov a
élaboré une thérapie de dignité pour soigner ce sentiment néfaste. Bien qu'un
sentiment de fardeau peut être ressenti, toutes les contributions qu'un
individu a faites au courant de sa vie à la société humaine doivent être
rendues par les véritables soins adaptés à leur condition. Au lieu du
traditionnel «je ne veux pas être un fardeau pour mes proches», il faudra dire :
Vous allez vous occuper de moi, et je le mérite. C'est ici un appel à la
solidarité et à la justice sociale qui est fait. Il faut savoir redonner aux
aînés qui ont forgé notre nation québécoise et investi dans notre société.
En termes de conclusion, l'euthanasie <active…
M. Pageau
(Félix) :
…les véritables soins adaptés à leur
condition. Au lieu du traditionnel «je ne veux pas être un fardeau pour mes
proches», il faudra dire : Vous allez vous occuper de moi, et je le
mérite. C'est ici un appel à la solidarité et à la justice sociale qui est
fait. Il faut savoir redonner aux aînés qui ont forgé notre nation québécoise
et investi dans notre société.
En termes de conclusion, l'euthanasie
>active en démence, ou AMM, n'est pas un traitement ni un soin. C'est
l'aveu d'échec de la médecine contemporaine. C'est le sentiment de perte de
dignité... le sentiment de perte de dignité subjective est évidemment tout à
fait valide, mais peut être traité. Il faut éviter le sentiment de perte de
dignité sociale pour soi ou pour les autres par les solutions proposées
précédemment. Il importe dès maintenant de mettre fin au capacitisme, à
l'âgisme et à la stigmatisation des problèmes de santé mentale. Ce n'est pas
l'enjeu d'un seul parti politique, mais bien de tous. Terminé.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Pageau. (Interruption) Excusez. Nous commencerons maintenant
notre période d'échange avec le député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Merci, Mme
la Présidente. Merci, Dr Pageau et Dr Durand. Écoutez, je me permets
de noter que c'est décevant qu'on n'avait pas de document préalable, c'est des
sujets assez complexes, et, avec respect, vous avez parlé très vite aussi. Mais
je vais essayer de poser des questions que reflète… qui sont pertinentes, je
l'espère.
Écoutez, je me permets de dire que vous
avez utilisé vous-mêmes le mot «péjoratif», et, en même temps, si je vous ai
bien compris, en quelque part, vous êtes en train de suggérer qu'une demande d'aide
médicale à mourir, dans la plupart ou dans la totalité des circonstances,
serait, en quelque part, illégitime et qui ne refléterait pas la capacité
autonome... dépendre de quelqu'un apte, pour laisser cette question à côté, de
se prononcer sur ses volontés. Est-ce que j'ai bien compris?
M. Pageau
(Félix) : En fait, bien, la majorité des termes péjoratifs que
j'ai utilisés, c'est entre guillemets, donc c'est souvent les propos qui nous
sont rapportés ou qu'on rapporte dans la population en général, avec lesquels
je ne suis pas d'accord, comme gériatre, parce qu'effectivement, quand j'ai un
être humain devant moi, j'essaie de le traiter avec le plus de respect possible
et, justement, de sa valeur humaine. Donc, l'idée, en fait, c'est que
l'autonomie, pour une… comme vous et moi, bon, je ne vous connais pas
personnellement, je ne vous ai pas évalué médicalement, mais vous me semblez
quand même assez autonome, capable de prendre une décision rationnelle et
émotive. Je pense que, ça, effectivement, je n'ai rien à dire contre votre
autonomie, puis on le suppose, de toute façon, légalement puis éthiquement.
Je suis d'accord avec le concept
d'autonomie qu'on l'a tous, c'est juste que les gens avec démence à la fois
perdent leur autonomie fonctionnelle, donc la capacité de se… de faire ses
tâches au quotidien, mais aussi la capacité décisionnelle, c'est-à-dire qu'ils
viennent dans une réalité un peu parallèle où ils ne comprennent pas vraiment
ce qu'il se passe autour d'eux. De prévoir à l'avance par autonomie
décisionnelle... Disons, vous, maintenant, là, avec votre autonomie actuelle,
si vous voulez dire : Ah! si jamais je deviens dément, tuez-moi, le
problème avec cette réflexion-là, c'est un peu comme j'ai dit dans mon texte — puis
on vous l'a envoyé, là, sous forme de mémoire — c'est <l'idée que…
M. Pageau
(Félix) :
…
ce qui se passe autour d'eux. De
prévoir à l'avance par autonomie décisionnelle... Disons, vous, maintenant, là,
avec votre autonomie actuelle, si vous voulez dire : Ah! si jamais je
deviens dément, tuez-moi, le problème avec cette réflexion-là, c'est un peu
comme j'ai dit dans mon texte — puis on vous l'a envoyé, là, sous
forme de mémoire — c'est >l'idée que, pour être autonome,
vraiment, de façon rationnelle, de un, il faut être capable de comprendre les
pour et les contre de la situation, de ce qu'il se passe.
En démence, comme je vous dis, il y a
plusieurs tableaux cliniques. De prévoir exactement dans quel tableau on va se
trouver, c'est quasi impossible. Puis, souvent, les gens, aussi, décident de
dire : Bien, je ne veux pas avoir des soins gériatriques, je ne veux pas
me ramasser là, mais c'est parce qu'ils connaissent juste les mauvais soins
qu'on donne actuellement. Donc, le gros du problème, je pense, c'est qu'on n'a
pas la capacité de donner des soins adéquats, ce qui fait que les gens ont peur
puis prennent une décision un peu émotive sans vraiment se baser sur leur
autonomie à l'avance.
Puis l'autre chose aussi, c'est qu'un coup
rendu en démence, l'autonomie décisionnelle n'est plus là. Donc, c'est comme si
la personne qui est là, qui aurait besoin qu'on s'occupe d'elle puis qu'on
l'accompagne, bien, c'est une personne qui était là avant, qui ne la reconnaît
plus vraiment parce qu'elle ne se connaissait pas… Je ne sais pas si vous
comprenez l'image mentale de dire… bien, en tout respect, là, je m'excuse, je
ne veux pas… mais l'idée de dire, justement, tu sais, je vais… C'est comme si
je me dis : Ah! je vais imaginer qu'est-ce que quelqu'un au Zimbabwe
pourrait avoir comme soins en ce moment, que ça ne va pas très bien, j'imagine,
dans les soins, là-bas, puis je ne veux pas qu'elle… tu sais, je pense, ça ne
vaut pas la peine d'avoir des soins parce que ça va trop mal, mais sans la
connaître, sans vraiment savoir qu'est-ce qu'elle va avoir besoin, puis sans
vraiment savoir, dans la situation où elle est actuellement, comment est-ce
qu'on peut faire les soins.
Parce qu'à l'avance, quand on prévoit à
l'avance, on remet la décision, finalement, à quelqu'un d'autre, en disant :
Bien, je vous donne quelques lignes directrices puis vous déciderez. C'est un
peu ça, les directives médicales anticipées, beaucoup plus que l'autonomie
réelle actuelle comme si vous preniez votre décision aujourd'hui.
M. Birnbaum : Mais,
Dr Pageau, quelqu'un actuellement atteint d'un cancer assez grave a le
droit de mettre de l'avant des directives en ce qui a trait à leurs soins et de
souhaiter un minimum d'intervention. Cette personne n'est pas nécessairement
oncologue qui aurait la même compréhension sophistiquée de sa maladie, comme la
personne atteinte ou qui a peur d'être atteinte d'alzheimer grave n'aurait pas
votre expertise sur les symptômes actuels. Est-ce que ça enlève leur droit,
leur capacité de juger sur leur propre avenir?
M. Pageau
(Félix) : Non, parce qu'il y a beaucoup maintenant aussi, en
éthique... c'est la question de : Le médecin est l'expert du soin, mais le
patient est l'expert de sa situation, de son état. Dans le cas du patient qui a
le cancer, qui est autonome, qui n'a pas de trouble cognitif, effectivement,
c'est lui, l'expert de sa situation, d'être capable de décider ce qu'il veut
pour lui.
Le problème, c'est que c'est comme si vous
mandatiez un expert à l'avance pour décider pour vous quand vous allez
atteindre un état où vous ne serez plus capable de le faire, avec tous les
risques de se tromper. Donc, on est capable de prévoir des choses, mais on n'est
pas capable vraiment de se mettre dans la situation actuelle d'être un expert.
Donc, c'est comme si vous mandatiez quelqu'un qui vous connaît très bien, parce
que c'est vous-même pour l'instant, mais <quelqu'un qui…
M. Pageau
(Félix) :
...
à l'avance pour décider pour vous
quand vous allez atteindre un état où vous ne serez plus capable de le faire,
avec tous les risques de se tromper. Donc, on est capable de prévoir des
choses, mais on n'est pas capable vraiment de se mettre dans la situation
actuelle d'être un expert. Donc, c'est comme si vous mandatiez quelqu'un qui
vous connaît très bien, parce que c'est vous-même pour l'instant, mais >quelqu'un
qui était là avant qui vous êtes rendu maintenant. C'est comme si vous
demandiez à votre vous de 15 ans de décider pour vous maintenant. C'est
comme si, à 15 ans, vous aviez décidé : Quand je vais avoir l'âge que
j'ai, 50 ans, par exemple, bien, tout ce que j'ai écrit à 15 ans va
être valide, ou 30 ans, ou 40 ans. Mais, tu sais, replacez-vous à
40 ans, un, je ne connais pas votre âge, là, mais, quand vous étiez plus
jeune, à cette époque-là, vous fixez une directive, puis, là, ça s'applique à
votre vie en ce moment. Donc, il y a probablement pas mal de choses dans ça
avec lesquelles vous ne seriez peut-être plus d'accord.
En tout cas, moi, si je me replace cinq
ans avant, il y a beaucoup de choses que j'ai vécues, des choses qui m'ont fait
changer d'opinion sur des perspectives. Donc, le moi d'il y a cinq ans, ce n'est
plus le moi de maintenant. Donc, cette autonomie-là, ce n'est pas vraiment le
meilleur argument pour décider, parce que l'autonomie, bien, elle n'est plus
là, c'est toujours quelque chose de substitué, que ce soit aux proches, au
médecin ou à la personne que vous étiez avant, ce n'est pas vraiment... c'est
un consentement substitué, finalement, même si on essaie de se faire croire
que... Moi, j'ai prévu une couple d'affaires, puis, finalement, ces choses-là,
elles ne tiennent plus la route, là.
Le monde aussi évolue autour de vous, les
choses changent. Donc, ce changement-là aussi fait que prévoir cinq, 10, deux
ans d'avance, même avec la COVID... Imaginez il y a deux ans, là, prévoir qu'est-ce
que vous vouliez en temps de COVID, là, en temps de pandémie, comme soins... On
ne connaît pas l'avenir, c'est ça, on peut prévoir, là, on a des modèles
statistiques, tout ça, là, comme pour la météo, mais je trouve que c'est quand
même de mettre beaucoup d'emphase sur un système incertain de prévoyance, de
dire : Bien oui, quand je vais être là, c'est ça.
Puis aussi, tout en arrière-plan, comme je
disais, le néolibéralisme, je veux dire, bien... et l'arrière-plan capabilisme-âgisme
qu'on a comme : Ah! bien oui, c'est normal, tu sais, quelqu'un qui est
vieux, qui est handicapé, qui est fou, donc, ça n'a pas d'allure de vivre de
même.
• (10 h 20) •
M. Birnbaum : Finalement,
si je vous ai bien suivi, diriez-vous qu'il y a des définitions exclusivement «experts»
et sans intervention de l'individu sur les questions de la dignité humaine et
la souffrance? Est-ce que la personne individuelle a ses façons de s'exprimer
en dedans de l'encadrement sur ces deux questions ou vous écartez totalement
son implication dans ses jugements?
M. Pageau (Félix) :
Bien, je veux juste être certain, est-ce que vous parlez du patient autonome ou
du patient qui a des troubles cognitifs? Parce que c'est assez différent, pour
moi, là. Est-ce que vous parlez de quelqu'un qui est autonome ou quelqu'un qui
a des troubles cognitifs? Parce que...
M. Birnbaum : Quelqu'un
qui serait jugé apte. Voilà tout un autre champ, mais jugé apte.
M. Pageau
(Félix) : Jugé apte, ça, c'est toute personne qui est experte,
là. Mais c'est ça. Oui, ça, je suis... c'est la personne qui est experte de
son... Nous, comme expert médical, on connaît la médecine, on peut suggérer,
expliquer les traitements, mais ça reste la personne qui <décide...
M. Pageau
(Félix) :
...troubles cognitifs? Parce que...
M. Birnbaum :
Quelqu'un
qui serait jugé apte. Voilà tout un autre champ, mais... jugé apte.
M. Pageau
(Félix) :
Jugé apte, ça, c'est toute personne qui est
experte, là. Mais, c'est ça. Oui, ça, je suis... c'est la personne qui est
experte de son... Nous, comme expert médical, on connaît la médecine, on peut
suggérer, expliquer les traitements, mais ça reste la personne qui >décide.
C'est juste qu'en démence, comme j'explique, ce n'est pas ça, la dynamique
qu'on retrouve.
M. Birnbaum : Je me
permets finalement une question et je m'excuse d'avance si c'est indélicat ou
inapproprié : Est-ce qu'en quelque part les positions que vous mettez
devant nous sont alimentées par quelque croyance personnelle que vous auriez de
l'ordre religieux?
M. Pageau
(Félix) : Non. Non. Il y a des gens dans notre équipe, oui,
mais, je vous dirais, je pense qu'une position séculaire, comme j'explique, peut
tout à fait justifier la position que je vous explique. Parce que, dans la déclaration
des droits de l'homme, c'est que chaque humain a une valeur, donc, puis ça fait
aussi que les gens peuvent prendre une décision autonome. Ça va ensemble, là. Parce
que, si, maintenant, je dis : Certains groupes de la population n'ont pas
de valeur, bien, on leur... c'est un peu comme... on revient à des époques
antérieures où il y avait certaines parties de la population qui étaient
marginalisées, les intouchables en Inde, par exemple, quand on parle
d'esclavage, etc. Ça fait que ça, c'est sûr que... Je vous dirais, je n'ai pas
de croyance religieuse ou je n'ai pas une position vitaliste ou religieuse, ce
n'est pas du tout ça, ma position. Ma position est très séculaire, là.
M. Birnbaum : Merci pour
vos réponses. Merci.
M. Pageau
(Félix) : Au plaisir.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, nous passons maintenant à la députée de Maurice-Richard.
Madame... Parfait, je vous cède la parole pour deux minutes, Mme la
députée.
Mme Montpetit : Oui,
merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Durand. Bonjour, Dr Pageau. Je
vais être brève dans ma question pour vous laisser le temps de répondre aussi.
Puis je comprends vos propos, là, pour avoir eu l'occasion de travailler
notamment au centre de vieillissement de l'hôpital juif, là, pendant quelques
années, sur la recherche, et tout, sur... Puis je vous entends sur les
craintes, sur les peurs, sur les perceptions erronées que les gens peuvent
avoir par rapport à la démence, par rapport au vieillissement, j'entends tout
ça. Mais est-ce que ce n'est pas un peu du paternalisme médical d'enlever toute
nuance, par contre, par rapport à l'autodétermination que la personne a?
Puis je ne sais pas si vous avez eu
l'occasion d'entendre, notamment, Sandra Demontigny, qui était avec nous juste
avant, où je ne pense pas qu'on parle de perception erronée de la démence,
quand elle fait une évaluation en fonction d'une situation de lien personnel
qu'elle a eu par rapport à son père. Je ne pense pas qu'il est question ici de
soins inadéquats qui ont été donnés. Je pense qu'il a été bien accompagné. Elle
a été aux premières loges pour voir comment la maladie peut évoluer et à quel
point ce manque de dignité là... mais aussi la souffrance peut être présente.
Donc, je pense qu'elle est quand même à même de faire une bonne évaluation, je vais
le dire de cette façon-là. Donc, j'aurais aimé ça vous entendre réagir sur ce
genre de cas là, par rapport à ce que vous avez dit jusqu'à maintenant, là.
M. Pageau
(Félix) : Oui. Non, mais c'est... Effectivement, là, j'ai
entendu quelques <entrevues...
Mme Montpetit : ...
mais
aussi la souffrance peut être présente. Donc, je pense qu'elle est quand même à
même de faire une bonne évaluation, je vais le dire de cette façon-là. Donc,
j'aurais aimé ça vous entendre réagir sur ce genre de cas là, par rapport à ce
que vous avez dit jusqu'à maintenant, là.
M. Pageau
(Félix) :
Oui. Non, mais c'est... Effectivement, là,
j'ai entendu quelques >entrevues qu'elle a données, puis aussi ce
qu'elle a écrit, puis son site Web. Effectivement, je pense que je peux juste
avoir de l'empathie envers cette femme, qui est assez courageuse, effectivement,
dans la maladie.
C'est sûr que cette... il y a une
perspective aussi, comme je vous dis, beaucoup axée sur, bon, ce que les gens
voient, ce que les gens voient en clinique, puis effectivement ils n'ont pas nécessairement
toujours accès aux soins experts, par exemple, comme les lits L22, là, à
l'institut de santé mentale de Québec, où, là, vraiment, on a une approche SCPD
complète qui traite les souffrances.
Puis, effectivement, il faut traiter les
souffrances quand on les voit. La démence, la difficulté, c'est que les
souffrances ne sont pas nécessairement aussi facilement objectivables que si
c'était avec vous, moi, par exemple, là, c'est... Tu sais, on ne peut pas
demander à quelqu'un qui a une démence avancée : Est-ce que vous avez mal?
Ça peut se... dans le comportement, dans la façon de... les sourcils, tout ça,
donc la douleur physique. La douleur psychologique, ça, c'est encore plus
difficile de l'évaluer adéquatement parce que, justement, la personne... Est-ce
que c'est de l'anxiété, de la dépression? Est-ce que c'est... la personne a mal?
Donc, d'interpréter de façon claire les symptômes... Est-ce que c'est de la
souffrance? Est-ce que c'est de l'agitation psychomotrice? Est-ce qu'il y a
quelqu'un qui te dérange?
L'expression des souffrances ou
l'expression de malaises, là, je ne parlerai même pas de souffrance, n'est pas
la même. Mais c'est sûr que Sandra Demontigny, comme beaucoup de proches
aidants connaissent bien leur proche, interprètent certaines choses qui nous
aident, puis c'est justement ça qu'il faut faire, c'est d'aider, soigner, avoir
des méthodes adaptées. De là à mettre fin aux jours de la personne parce qu'on
a l'impression peut-être qu'elle souffre beaucoup, bien, je vous dirais, ça
reste beaucoup dans l'élément de l'impression.
Puis on fait des essais-erreurs, puis on
donne des traitements, mais on manque de personnel pour faire l'approche
adaptée avec des préposés aux bénéficiaires avec des ratios raisonnables, des
infirmières aussi, qui est la pierre angulaire du traitement, bien avant les
médicaments puis les soins, puis d'avoir une approche longitudinale, de
connaître le patient depuis longtemps. Puis je ne suis pas certain que le père
de Sandra Demontigny ait eu vraiment accès à tout ça, parce que les services
ont été... beaucoup dans les dernières années.
L'autre chose aussi, c'est que, quand on
est une personne qui a une maladie génétique, il y a toute la question aussi de
donner ça aux enfants, d'avoir la culpabilité de le donner aux enfants. Je ne
connais pas son dossier, je ne la connais pas personnellement, mais, souvent,
là, si on parle... plus l'aspect théorique général, les gens qui ont une
maladie comme ça... Puis, en plus, être une femme, au Québec, avec beaucoup la
responsabilité, la charge mentale, donc de ne plus être capable d'assumer ses
responsabilités comme femme qu'on se met... souvent qu'on entend que les femmes
se mettent avec la charge mentale, la question du... c'est ça, puis toute la
question de transmettre cette maladie-là, la responsabilité lourde aussi
d'avoir transmis ça. Ça fait qu'il y a beaucoup cet aspect-là, je pense, aussi,
dans son histoire, qui est très touchante, puis qui demande beaucoup
d'accompagnement, d'aide puis de support pour les soins adaptés, puis de
reconnaître qu'elle ne <deviendra pas...
M. Pageau
(Félix) :
...
la question du... c'est ça, puis
toute la question de transmettre cette maladie-là, la responsabilité lourde
aussi d'avoir transmis ça. Ça fait qu'il y a beaucoup cet aspect-là, je pense,
aussi, dans son histoire, qui est très touchante, puis qui demande beaucoup
d'accompagnement, d'aide puis de support pour les soins adaptés
, puis de
reconnaître qu'elle ne >deviendra pas un fardeau, mais qu'elle mérite
les soins. C'est ça que je dirais à quelqu'un, en général, en situation... Mais
effectivement je ne connais pas son dossier personnel en détail, j'ai juste vu un
peu plus ce qu'elle a écrit en général, là.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
M. Pageau
(Félix) :Il y a cet aspect-là aussi que
je n'ai pas parlé, parce que ça arrive plus dans les démences jeunes. Nous, on
a des démences qui ne sont pas génétiques, là, ça fait qu'il n'y a pas la... l'espèce
de culpabilité de transmettre une maladie génétique à haut risque de
transmission, quand même, là, dominante, là, 50 %. Il y a toute la
question de devenir un fardeau parce que tu es supposée de prendre en charge ta
famille, mais finalement tu deviens celle qui est prise en charge par sa
famille.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Pageau. Merci, Mme la députée. On va pouvoir continuer
la discussion avec le député de Gouin. M. le député.
M. Nadeau-Dubois : Merci,
Mme la Présidente. Merci beaucoup, Dr Pageau, pour votre contribution à
nos travaux. Elle est éclairante, elle est différente en termes de
sous-bassement philosophique, là, de celles qui nous ont été présentées
auparavant par d'autres éthiciens.
Ma question pour vous : Vous faites
un argument... Si je vous ai bien écouté, il y a comme deux arguments dans
votre présentation. D'abord, l'argument de l'autonomie, vous semblez tenir
beaucoup à cette valeur d'autonomie, vous la jugez sacrée, et, là, je ne le dis
pas au sens religieux, là, je le dis au sens d'un Kant, là, c'est-à-dire
déontologiquement indépassable.
Donc, vous affirmez cette valeur
d'autonomie là, mais, en même temps, vous nous dites — ça, c'est un
argument qui est plus relatif au contexte — vous nous dites : Il
manque de soins, il manque de prise en charge de ces gens-là pour les
accompagner dans la maladie, et donc on ne peut pas... en tout cas, vous
semblez nous alerter aux risques que l'aide médicale à mourir devienne un
raccourci, dans le fond, par rapport à une réelle prise en charge.
Mais il y a comme une tension entre ces
deux arguments-là, parce que, si on était dans une situation où il y avait tous
ces soins-là, où il n'y avait pas eu de coupure, où il n'y avait pas cette
pression-là sur le système, est-ce que, justement, en vertu de l'argument de
l'autonomie, on ne pourrait pas dire : Bien, si tout est mis en place et
que les gens autonomement souhaitent avoir recours à l'aide médicale à mourir,
ça ne devrait pas être possible?
• (10 h 30) •
M. Pageau
(Félix) : Non, parce qu'il y a la perspective dans beaucoup de
pays où, justement, on est moins âgiste, là, les sociétés... par exemple, ou les
sociétés sud-américaines, avec des étudiants... avec des gens avec qui je
travaille ici, là, vraiment, leur perspective, c'est que les gens âgés méritent
ces soins-là, méritent les soins gériatriques adaptés, donc on n'y pense même
pas. C'est <deux choses...
>
10 h 30 (version révisée)
<
M. Pageau
(Félix)T :
…la perspective dans beaucoup de pays où,
justement, on est moins âgistes, là, les sociétés italiennes,
par
exemple, les sociétés sud-américaines, avec des gens avec qui je travaille ici,
là. Vraiment, leur perspective, c'est que les gens âgés méritent ces soins-là,
ils méritent des soins gériatriques adaptés, donc on n'y pense même pas. C'est >deux
choses, en fait. Les choses… Ce n'est pas autonomie mal accompagnée avec une
vision de perspective sociale… Je pense qu'il y a la perspective sociale, il y
a la dignité subjective puis la dignité sociale, là, que les gens soient en
perte de dignité, puis c'est ça qu'il faut accompagner, puis aider, puis
améliorer les soins, puis aider les gens à cheminer avec des soins empathiques.
Ça, c'est un aspect.
Puis, l'autonomie, ce que je parlais plus
tôt, c'est que l'autonomie, en démence, n'est plus là, donc l'expert du soin,
pour lui-même, n'est plus là. Donc, c'est un consentement substitué soit par la
personne qu'elle était avant, qui n'est pas plus nécessairement… qui n'est plus
l'experte du soin, puis… ou la personne, en fait, là, dans ses désirs de soins,
ou la famille, ou les médecins. Les médecins, comme je vous ai dit, il y a un
certain conflit d'intérêts. Pour certains d'entre nous, on a des… bien, la
majorité... des très grandes pressions. La famille, ce n'est pas parfait non
plus, l'exemple de Sandra Demontigny aussi. Il y a aussi l'interprétation, la
façon de voir les choses. On a l'impression que les gens souffrent quand ce
n'est peut-être pas exactement le cas. Puis, après ça, la personne qui était là
avant a mis dans des directives : Bien, quand je serai comme ça, mais ce
n'est plus nécessairement… Je ne sais pas si…
C'est comme si ça prendrait une espèce d'intelligence
artificielle, qui évolue au fil de la vie, puis qu'elle reste là puis que… Tu
sais, c'est comme très théorique, là, mais, je veux dire, c'est comme la
personne qui était là avant, ce n'est plus nécessairement soi. L'argument,
c'est plus l'argument du soi futur ou du «changing self» ou du soi qui a changé,
donc l'autonomie n'est plus vraiment le principe sur cette base-là. Puis, tout
l'aspect dignité subjective et sociale, ça, c'est un autre, donc les deux ne
sont pas nécessairement liés, directement, là.
M. Nadeau-Dubois : O.K.
Tout… Pour contourner cette difficulté-là, le groupe d'experts proposait une
espèce de voie de compromis en disant : Il pourrait y avoir une demande
anticipée de la part de la personne, mais, pour qu'elle soit exécutée par la
suite, il y a comme une deuxième étape, où, là, il faudrait, par consensus
entre les proches et l'équipe médicale, vérifier si ce qui a été décrit comme
situation par la personne lorsqu'elle a rempli sa demande anticipée d'aide
médicale à mourir se concrétise bel et bien, est-ce que la démence que la
personne avait anticipée, c'est réellement ce qu'il se passe, est-ce que la
souffrance, les symptômes qu'elle avait anticipés, c'est vraiment ça qu'il se
passe.
Et donc il y a une espèce de validation,
par consensus, du premier consentement de la personne. Puis le groupe d'experts
nous a beaucoup proposé ça comme une voie de passage pour dénouer le dilemme
que vous venez tout juste de résumer. Est-ce que vous êtes d'accord que c'est
une voie de passage puis que c'est un compromis acceptable?
M. Pageau
(Félix) : Bien, vous l'avez dit, c'est un compromis puis un
consensus, mais, tu sais, on s'entend entre nous pour dire que c'est correct,
de mettre du temps autour de cette personne-là. Ce n'est pas la personne qui le
demande, donc ce n'est plus l'autonomie, donc le principe d'autonomie n'est pas
là. C'est comme le principe de consensus, c'est par entente entre les gens qui
sont là, c'est un peu ce que je vous dis. Puis il y a quand même beaucoup
d'impacts puis de conflits d'intérêts à l'externe.
Puis il y a aussi le fait <que…
M. Pageau
(Félix) :
...de mettre du temps autour de cette
personne-là. Ce n'est pas la personne qui le demande, donc ce n'est plus
l'autonomie, donc le principe d'autonomie n'est pas là. C'est comme le principe
de consensus, c'est par entente entre les gens qui sont là, c'est un peu ce que
je vous dis. Puis il y a quand même beaucoup d'impacts puis de conflits
d'intérêts à l'externe.
Puis il y a aussi le fait >que,
bon, le... là, peut-être, il y a un petit lien avec l'autonomie, mais le fait
aussi que, le système, en ce moment, ça ne va pas très bien. Les soins ne sont
pas bien financés, la recherche n'est pas nécessairement financée à la hauteur
de ce qu'elle devrait être, donc on n'a pas nécessairement les ressources. Puis
on met de la pression sur les équipes pour être efficaces puis on regarde les
proches souffrir sans les accompagner. Je pense qu'à un moment donné, tu sais,
c'est ça, le consensus va valoir ce qu'il va valoir, compte tenu de cet
élément-là.
Ça fait que, non, je ne pense pas que
cette recommandation-là du comité est bonne, parce qu'on vient comme
interpréter des choses. Donc, ça... encore un consentement... C'est ça qu'on
fait de toute façon dans la réalité. C'est... on arrive toujours à arriver à...
on essaie d'avoir le meilleur consensus possible pour une... du niveau de soin,
pour éviter de l'acharnement, pour éviter des soins, là, qui pourraient
faire...
M. Nadeau-Dubois :
Parfait. Qu'est-ce que vous pensez...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
M. Nadeau-Dubois : ...demande
médicale anticipée...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, M. le député de Gouin. <C'est... >C'était
tout le temps que nous avions. Donc, je céderais maintenant la parole à la
députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Oui. Bonjour à vous deux. Merci beaucoup, M. Pageau, pour votre exposé. Juste
une question préliminaire — et c'est tout à fait correct, il y a
plein de positions dans la vie — je veux juste savoir si, vous, de
manière globale, vous êtes opposé, là, même dans les circonstances actuelles, une
personne en fin de vie, à l'aide médicale à mourir, ou c'est vraiment une
position en lien avec un élargissement possible?
M. Pageau
(Félix) :C'est vraiment l'élargissement
possible qui m'a fait sortir de mes gonds.
Mme
Hivon
:
O.K. Parfait. Donc, je veux comprendre. D'abord, une question philosophique
puis ensuite très pratique parce que je voudrais vraiment qu'on puisse avoir
recours à toute votre expertise.
Philosophiquement, parce que vous nous
amenez beaucoup sur ce champ-là...
M. Pageau
(Félix) : ...
Mme
Hivon
:
Oui. Enfin, pourquoi... éthique, philosophe... pourquoi une personne... Pourquoi
le poids de l'équipe médicale, du médecin ou par exemple des proches, quand une
personne est devenue inapte et donc qu'elle ne peut plus s'exprimer sur les
soins qu'elle souhaite ou non, vous nous avez dit, là, qu'il y a beaucoup, évidemment,
de médication, de possibilités qui sont là, mais, la personne, elle est inapte,
pourquoi ces gens-là, de l'équipe médicale ou des proches devraient avoir plus
de poids que la personne, qui, elle-même, avait un jugement sur ça quand elle
était apte? Pourquoi il faut que ces personnes-là aient plus d'importance à
savoir ce qui est la bonne chose pour elle en termes de soins et de traitement?
M. Pageau
(Félix) : Oui. Bien, c'est parce que, cette
personne-là, elle... Comme je l'expliquais, j'ai essayé de l'expliquer, là, bien,
de le rendre clair — des fois, effectivement, je pars sur des
envolées philosophiques, mais j'ai quand même l'ancrage clinique, là — l'idée,
c'est que, dans le fond, la personne, comme je mentionnais, là, à vos collègues,
c'est qu'elle devient un autre membre de la famille. Je ne sais pas si vous
comprenez l'idée.
C'est que, oui, elle écrit des choses...
Mettons, demain matin, <vous...
M. Pageau
(Félix) :
…mais j'ai quand même l'ancrage clinique, là
— l'idée,
c'est que, dans le fond, la personne, comme je mentionnais, là, à vos
collègues, c'est qu'elle devient un autre membre de la famille. Je ne sais pas
si vous comprenez l'idée.
C'est que, oui, elle écrit des
choses... Mettons, demain matin, >vous prenez une feuille et vous écrivez
vos directives médicales anticipées puis vous écrivez dans... les conditions
dans lesquelles vous voulez avoir l'aide médicale à mourir, etc. Mais, dans 10 ans
ou cinq ans, ou si votre démence se développe rapidement, puis, dans deux ans,
vous êtes rendu dans l'état que vous avez décrit, bien, c'est quand même… ce
n'est plus vous, dans l'état deux ans plus tard, qui prenez la décision. L'autonomie
n'est plus là. La personne que vous étiez avant, elle fait partie de la famille
au niveau… dans le sens où elle devient comme un proche très connaissant de la
personne, mais ce n'est pas nécessairement… ce n'est pas elle.
Parce que, quand on prend une décision
autonome, si on pense à une autonomie rationnelle ou même une autonomie plus
relationnelle avec l'environnement, c'est dire : J'évalue, là. Quand vous
prenez n'importe quelle décision, mais surtout une décision éthique de ce
poids-là, là, est-ce que je veux mourir, est-ce que je veux qu'on m'administre
l'aide médicale à mourir, tu sais, vous considérez les pour, les contre, quel
impact ça va avoir sur vos proches, quel impact ça va avoir sur l'équipe
soignante. Disons, si on est vraiment dans une autonomie relationnelle plus
large, puis vous dites : Ah oui, ça vaut quand même la peine, mais c'est
vous maintenant dans la situation. Mais là c'est comme quelqu'un qui dit :
Bien, quand ça va arriver, je pense à peu près ça, puis c'est des grandes
lignes directrices, mais vous n'êtes... ce n'est plus la même personne. Je ne
sais pas si vous comprenez. Ce n'est pas comme un… Ce n'est pas votre cerveau
qui est transposé directement au complet, puis, là, qu'on le transporte, deux
ans plus tard, et que le cerveau évalue au complet... neuropsychologique du
cerveau. Mais, tu sais, on transpose... votre conscience, on la transpose deux
ans plus tard, là, je serais d'accord. Mais là ce n'est pas votre conscience
qu'on transpose, c'est des écrits, des directions, puis ce n'est pas vous qui
prenez la décision, ce n'est plus l'autonomie, l'autonomie n'est plus là. C'est
ça que j'ai de la misère à… pourquoi les gens…
Mme
Hivon
:
En fait, selon vous, il n'y a plus d'autonomie. Selon vous, il n'y a plus
d'autonomie du tout, la nouvelle personne n'est pas la même, mais que, cette
autonomie-là, dans le fond, on la met complètement de côté. Mais, ce que j'ai
du mal à suivre, c'est que le principe doit être qu'il n'y en ait plus du tout.
Donc, c'est l'équipe médicale ou les proches qui prennent le pas. Donc…
M. Pageau
(Félix) :Bien, c'est ça. C'est que, pour
moi, j'ai un malaise quand même assez profond de dire : On fait un
consentement substitué pour l'aide médicale à mourir, parce que c'est toujours
ça. En directives médicales anticipées, c'est un consentement substitué, avec
toutes les problématiques, dans le consentement substitué, pour un acte comme,
justement, l'aide médicale à mourir. Quand on parle des soins qu'on peut
partir, arrêter, ajuster, évaluer au jour le jour, voir l'aisance, tout ça... Mais,
l'aide médicale à mourir, c'est une injection, puis la personne est décédée, donc
il n'y a pas revenir en arrière, il n'y a pas… Ça fait que, pour moi, c'est
toujours un consentement substitué à ce niveau-là. Même substitué, c'est la
personne qui se substitue dans l'avenir, elle se dit : Bien, quand je vais
être rendue là. Ce n'est plus son autonomie, parce que, l'autonomie, c'est
vraiment d'évaluer la situation actuelle, en tout cas, dans ma perspective,
soit autonomie rationnelle, qui est un peu critiquée, ou même dans l'autonomie <relationnelle…
M. Pageau
(Félix) :
...
pour moi, c'est toujours un
consentement substitué à ce niveau-là. Même substitué, c'est la personne qui se
substitue dans l'avenir, elle se dit : Bien, quand je vais être rendue là.
Ce n'est plus son autonomie, parce que, l'autonomie, c'est vraiment d'évaluer
la situation actuelle, en tout cas dans ma perspective, soit autonomie
rationnelle, qui est un peu critiquée, ou même dans l'autonomie >relationnelle,
qui est vraiment dans l'évaluation de l'environnement puis de tout ce qui est
les composantes. Bien, ce n'est plus... elle n'est plus là, parce que la
maladie a atteint, justement, la capacité de jugement puis la capacité d'évaluation...
Mme
Hivon
:
Je comprends bien votre point. Je ne sais pas, madame... Excusez-moi...
• (10 h 40) •
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Pageau.
Mme
Hivon
:
Parce que j'avais une question. Je n'ai plus de temps? Non.
La Présidente (Mme Guillemette) :
C'est tout le temps qu'il nous reste. Donc, je passerais maintenant la parole à
la députée de Soulanges.
Mme Picard : Bonjour, Dr Pageau
et Dr Dandurand... Durand. Désolée.
Je voudrais savoir si vous aviez la même
vision... (panne de son) ...Mme la Présidente...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Oui. Il y a un «lag».
Mme Picard : Je vais
continuer.
M. Pageau
(Félix) : ...
Mme Picard : J'aimerais
savoir si vous avez la même position à propos de la souffrance, que, quelqu'un
qui a d'énormes douleurs, est-ce que vous traitez ça de la même façon ou, à ce
moment-là, pour vous, c'est peut-être un peu plus acceptable de faire
l'injection ou...
M. Pageau
(Félix) : Bien... Mais est-ce que vous parlez, encore là, en
démence ou vous parlez plus en...
Mme Picard : Souffrance,
une douleur physique, là, quelqu'un qui est vraiment en douleur constante,
est-ce que vous avez la même position?
M. Pageau
(Félix) : Bien, en démence, si on reste au sujet d'aujourd'hui,
là, ce n'est pas évaluable comme ça, tu sais. C'est parce que, le problème avec
la démence, c'est que les circuits internes ne sont plus vraiment connectés.
Les patients avec démence, il y a plusieurs études qui... (panne de son) ...qu'ils
ne ressentent pas la douleur de la même façon et ils n'agissent pas non plus...
La douleur ne se présente pas comme : Ah! j'ai mal, mon bras me fait mal.
Ça peut être : Ah! je me promène, je me lève, je me... je marche, mais
est-ce que c'est de l'agitation, est-ce que c'est la médication antipsychotique,
qui peut donner de l'acathisie sur des mouvements, est-ce que c'est de la
douleur, est-ce que c'est... La démence, c'est ça, le problème, c'est que le
cerveau, est... tu sais, tranquillement, est détruit par la maladie, donc on
n'a plus les intégrations qui se faisaient chez quelqu'un de... qui n'a pas de
problème cognitif. Mais... Ça fait que, c'est ça, moi, je trouve, c'est un peu
risqué, quand même, de dire : Bien là, la personne souffre en évaluation,
mais on... Finalement, des fois, on met une cédule urinaire, puis la personne
arrête d'être agitée. Donc, il fallait juste comme organiser qu'elle aille, à
toutes les heures, à la toilette, parce qu'elle avait des douleurs à la vessie,
mais on a l'impression qu'elle souffre, elle a des douleurs intraitables, pour...
(panne de son) ...certaines familles vont me dire : Mon proche souffre, c'est
terrible, on met des cédules urinaires, puis la personne va mieux.
Ça fait que, là, c'est dans l'idéal, là,
je vous... je simplifie, là, ce n'est pas toujours aussi facile, mais, des fois,
on trouve comme ça, là, en adaptant, beaucoup avec l'aide des préposés, qui
sont les oreilles, les yeux, les infirmières, qui nous disent : Oui, ce
patient-là ne va pas aux toilettes, ce patient-là... Il faut les écouter, il
faut les renforcer. Il faut qu'il y ait des formations aussi pour bien parler
avec les infirmières. Il faut que les infirmières écoutent aussi puis nous
transmettent à nous, comme médecins aussi, l'adaptation. Ça fait que ce n'est
pas... c'est parce que ce n'est pas... Le problème, avec la démence, c'est
qu'on n'est peut-être pas assez en contact avec les gens avec des démences de
façon générale puis on a juste cette espèce d'image là de quelqu'un qui crie
puis qui marche puis qui est désagréable. Mais, la démence, ce n'est pas
nécessairement ça. Puis, quelqu'un qui crie, pour nous, qui crie de <douleur...
M. Pageau
(Félix) :
...
comme médecins aussi, l'adaptation.
Ça fait que ce n'est pas... c'est parce que ce n'est pas... Le problème, avec
la démence, c'est qu'on n'est peut-être pas assez en contact avec les gens avec
des démences de façon générale puis on a juste cette espèce d'image là de
quelqu'un qui crie puis qui marche puis qui est désagréable. Mais, la démence,
ce n'est pas nécessairement ça. Puis, quelqu'un qui crie, pour nous, qui crie
de >douleur... Si vous vous mettez à crier : J'ai mal au ventre,
j'ai mal au ventre, je ne vais pas me dire : Elle a besoin d'uriner, ça va
être plus grave que ça, là. Mais, quelqu'un qui a une démence, ça ne peut être
que ça. Et c'est ça, le malaise aussi, là. Puis on ne le sait pas parce qu'ils
ne le disent pas.
Mme Picard : Est-ce
qu'aussi vous avez pris position par rapport à la santé mentale, les patients
qui sont atteints de santé mentale? Non, vous n'avez pas vraiment regardé ça.
M. Pageau
(Félix) : La démence... Ah! excusez. Mais...
Mme Picard : Non, non,
allez-y, allez-y.
M. Pageau
(Félix) :Bien, la démence fait partie des...
du registre de santé mentale. Avant, on pensait que les gens étaient possédés
du démon. Puis, après ça, on s'est rendu compte que, non, c'était vraiment une
maladie, pour, après ça... psychiatrique. Puis là on pense qu'ils sont... ils
ont une atteinte vraiment neuronale. Ça fait que, tu sais, c'est comme la
psychiatrie, gérontopsychiatrie, gériatrie, neurologie, là, c'est une maladie à
la fois psychiatrique, gérontopsychiatrique, neurologique et gériatrique, là, c'est
dans le centre d'à peu près tout ça, là. Ça fait que je dirais, oui, dans ce
sens-là, mais, non, pas dans le sens d'une maladie comme la schizophrénie... Je
pense que ce n'est pas mon rôle, là, je ne suis pas psychiatre, je ne suis pas
gérontopsychiatre, je ne connais pas ça, là, assez.
Mme Picard : Puis j'aurais
une dernière question, Mme la Présidente. En fait, dites-moi si je
comprends bien. Ce que vous nous avez dit un peu, c'est que, comme la médecine,
les recherches, les traitements évoluent, il n'y aurait personne qui peut se
positionner ni même soi-même, sur... de se projeter, là, dans le futur, à
savoir que peut-être qu'on pourrait trouver un traitement de... pour traiter l'alzheimer,
peut-être qu'on pourrait trouver, je ne sais pas, n'importe quelle science
pourrait nous faire des recherches sur les maladies génétiques, où on pourrait
arranger des chromosomes, supposons. Donc, ce que vous nous dites, c'est qu'il
n'y a personne ni même soi-même qui pourrait savoir se projeter, donc c'est
pour ça que vous préférez être prudent. C'est bien ça?
M. Pageau
(Félix) : Oui, merci. Bien, en fait, il y a CRISPR, qui existe,
là, qui est l'espèce de molécule capable de scinder l'ADN, ça fait qu'il y a déjà
des travaux qui se font sur l'ADN. C'est sûr qu'on est au niveau expérimental
des souris mais dans l'idée de traiter, oui, des maladies génétiques, là, avec
des avancées... CRISPR 9, là. Je pense, en tout cas, C-R-I-S-P-R, donc,
CRISPR. Ça fait que, oui, les recherches génomiques, ça, c'est quelque chose
qui se travaille en ce moment.
Il y a, d'ailleurs, une personne que je
connais ici, qui travaille sur ça, là, avec les adénovirus, donc des virus ADN,
modifier l'ADN du virus, voir si ça peut être intégré dans l'ADN humain. Il y a
plusieurs... Il y a des thérapies, oui, mais, c'est ça, encore là, c'est de la
science fondamentale peu financée, là. Parce que ça n'a pas d'application, donc
on... ça sert à quoi, de financer quelque chose qui n'a pas d'application? Mais,
tu sais, comme le... comme les virus ARN... comme les vaccins ARN, on disait :
Ah! ça ne marche peut-être pas, mais, quand il y a eu la volonté, puis on est
financés, ça marche assez vite. Ensuite... Ça, c'est pour la thérapie génique. Pour
la thérapie Alzheimer, il y a des vaccins contre la maladie d'Alzheimer puis il
y a des anticorps monoclonaux, qui vont détruire la protéine amyloïde du
cerveau.
Donc, oui, il y a des recherches qui se
font. Encore là, c'est la question du financement. On est dans la <recherche...
M. Pageau
(Félix) :
...
ARN... comme les vaccins ARN, on
disait : Ah! ça ne marche peut-être pas, mais, quand il y a eu la volonté,
puis on est financés, ça marche assez vite. Ensuite... Ça, c'est pour la
thérapie génique. Pour la thérapie Alzheimer, il y a des vaccins contre la
maladie d'Alzheimer puis il y a des anticorps monoclonaux, qui vont détruire la
protéine amyloïde du cerveau.
Donc, oui, il y a des recherches qui se
font. Encore là, c'est la question du financement. On est dans la >recherche
fondamentale. On n'est pas dans les causes, nécessairement, qui sont très
faciles à faire du marketing, dire, bien : Ah! survivants de la démence,
financez-moi comme d'autres maladies, maladies cardiovasculaires, qui
atteignent plus les hommes blancs d'un certain âge, qui sont souvent des gens
qui ont un petit peu plus d'argent, qui mettent de l'argent dans la recherche.
Les enfants qui ont le cancer aussi, je ne veux pas dire qu'il ne faut pas les
financer, mais, souvent, c'est plus... que le public dise : Ah! c'est
terrible, on va le financer. Mais, la démence, c'est comme : Bien, ça
arrive, c'est terrible, mais on ne veut pas s'en occuper, là, tu sais. C'est :
Pourquoi financer ça? Mais c'est un peu ça aussi, le point. Mais, oui, les
vaccins, ça s'en vient, les molécules anti-inflammatoires. On se rend compte
que, dans le tableau d'Alzheimer, il y a à la fois les protéines amyloïdes et
les protéines tau pour un 10 % à 20 %. Donc, ces protéines tau là
aussi peuvent être enlevées du cerveau par d'autres molécules.
Donc, il y a de la recherche qui se fait. Puis,
le but aussi, effectivement, c'est d'éventuellement arriver à des traitements.
Mais, si on continue à dire que c'est normal, puis que les gens ne peuvent pas
survivre, puis tout ça, puis qu'on ne finance pas, bien, c'est sûr que ce n'est
pas des choses qui avancent vite, là.
Mme Picard
: Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je passerais la parole maintenant à la députée de
Saint-François.
Mme
Hébert
:
Merci, Mme la Présidente. Si jamais vous voulez intervenir, Dr Durand,
j'ai... dans mon intervention, là, je n'ai pas de problème, là. Ça peut être M. Pageau
aussi. Moi, je... Parce qu'on a vraiment deux générations — excusez-moi,
je ne voulais pas porter de jugement, mais vous nous l'avez dit d'emblée, que
vous alliez... vous étiez près de la retraite, là, Dr Durand — donc
j'aimerais vraiment avoir les... peut-être les deux positions.
Par rapport à une personne qui veut
anticiper sa mort, qui veut prendre une directive anticipée puis qu'elle voit
que ce n'est pas possible, donc il y a souvent des histoires de personnes qui
vont devancer leur mort, qui vont se priver d'une qualité de vie avec leurs
proches, parce qu'ils n'ont pas cette possibilité-là, d'avoir une directive
anticipée pour l'aide médicale à mourir, trouvez-vous que... Je comprends qu'on
a l'espoir de trouver la solution, et tout, mais on sait qu'il y a un certain
stade de l'alzheimer ou il y a un certain stade de la démence qu'il y a
vraiment... Quand on arrive au stade 7 de l'alzheimer puis qu'on est en
position foetale, puis que, la personne, elle a à peine de la facilité pour
manger, là, dans des situations comme ça, que quelqu'un ne veut pas se rendre
là, qui prendrait une directive anticipée, vous êtes contre aussi? Vous tenez à
maintenir la vie jusqu'à ce stade-là malgré qu'une personne…
Parce qu'il y a le choix, dans le mandat, dans
un <mandat...
Mme
Hébert
:
…
ça, que quelqu'un ne veut pas se rendre là, qui prendrait une directive
anticipée, vous êtes contre aussi? Vous tenez à maintenir la vie jusqu'à ce
stade-là malgré qu'une personne…
Parce qu'il y a le choix, dans le
mandat, dans un >mandat d'inaptitude, de ne pas avoir d'acharnement
thérapeutique, O.K.? Puis ça, c'est possible maintenant. Donc, s'il m'arrive un
grave accident puis que je suis gavée, je suis dans le coma, ainsi de suite, on
peut me débrancher. Moi, je veux juste, dans le souci de… que la personne
puisse profiter de sa vie au maximum jusqu'à la fin sans avoir peur de… que,
quand elle va être inapte puis rendue à un stade, dans... vers la fin, qu'on ne
puisse pas anticiper. Bien, des fois, ils vont devancer pour avoir accès à
cette aide-là, médicale à mourir, parce que c'est possible maintenant. Puis il
y a des cas d'Alzheimer qui ont devancé, donc qui ont peut-être perdu des
années, on a eu le témoignage de médecins, hier, qui ont fait cette aide
médicale à mourir là. Donc, j'aimerais avoir votre vision là-dessus.
M. Durand
(Pierre J.) : Vas-y, Félix, puis je compléterai, oui.
• (10 h 50) •
M. Pageau
(Félix) :O.K. Bien, en fait, c'est… Bien,
vous utilisez… C'est intéressant, parce que c'est un peu la rhétorique que les
avocats ont utilisée, là, au Canada. C'est un argument rhétorique, là : on
essaie de convaincre un juge, puis le juge a été convaincu, là. C'est sûr que
ce n'est pas nécessairement l'argument philosophique qu'on aurait utilisé, ou
éthique, là, parce qu'effectivement, tu sais, ils finissent par raccourcir leur
vie de toute façon avec l'aide médicale à mourir.
Le but, comme je dis, ce n'est pas de leur
prolonger la vie éternellement puis d'attendre tout le temps qu'il se passe
quelque chose, c'est plutôt, effectivement, d'accompagner, faire cheminer, d'avoir
des bons soins palliatifs, de diminuer les souffrances, qu'on ait l'impression
qu'on peut... en faisant des essais-erreurs... C'est sûr qu'en médecine on ne
peut jamais dire jamais, donc même votre cas de… Je pense, pour l'instant, on
peut... on est confiants de dire : Si on est loin d'avoir les traitements
puis... mais ça... tu sais, on a fait quand même beaucoup d'avancées, là.
Avant, les gens mouraient du diabète, puis on disait : Ah! le diabète type 1,
c'est une maladie mortelle; on a trouvé l'insuline puis ça a réglé, là. Je ne
pense pas que, la démence, ça va être aussi facile, mais, effectivement, tu
sais, là, si on dit : On n'arrivera jamais à rien avec ces patients-là, bien,
on n'arrivera jamais vraiment à rien. Mais, si on dit : On peut arriver à
quelque chose, bien, effectivement, là, on a des traitements qu'on peut faire.
Puis, ceux qui mettent fin précocement à
leur vie, là, en se suicidant, je trouve ça malheureux, parce qu'effectivement
je pense qu'il n'y a pas eu assez d'accompagnement, de soutien, de soins, d'accompagnement
dans le cheminement. Puis les gens aussi qui se rendent dans des stades assez
avancés, souvent, c'est qu'il y a un peu d'acharnement, effectivement, parce
que, rendu à un stade avancé, la... est difficile, les infections sont
fréquentes. Donc, d'accompagner la personne avec des traitements... Mais de là
à dire : On la tue, carrément, là, oui, on devance sa mort... C'est soit
par le suicide de la personne beaucoup avant ou par l'aide médicale à mourir pas
mal avant, ou on accompagne, puis on traite, puis on soigne. Moi, c'est plus ma
perspective, là, comme médecin. Puis, effectivement, là, l'avocat réussit à
convaincre le juge en disant : Bien, ah, il va se suicider, mais, tu sais,
c'est parce qu'il n'y a <pas eu…
M. Pageau
(Félix) :
...
On la tue, carrément, là, oui, on
devance sa mort. C'est soit par le suicide de la personne beaucoup avant ou par
l'aide médicale à mourir pas mal avant ou on accompagne puis on traite puis on
soigne, moi, c'est plus ma perspective, là, comme médecin. Puis effectivement,
là, l'avocat réussit à convaincre le juge en disant : Bien, ah, il va se
suicider, mais, tu sais, c'est parce qu'il n'y a >pas eu d'accompagnement,
il n'y a pas eu de soins puis il n'y a pas eu de bons traitements. Puis ce n'est
pas nécessairement... La mort précoce n'est pas vraiment... Tu sais, c'est un
peu... On ne veut pas vous tuer, je veux dire, on ne veut pas vous tuer trop
tôt, ça fait que, là, on va vous tuer plus tôt. Je veux dire...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Pageau. Merci beaucoup, Dr Durand. C'est tout le
temps que nous avions pour les échanges... pour l'échange ce matin. Donc, merci
de votre contribution à la commission, c'est très, très instructif pour nous.
Et nous suspendons la commission quelques
instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités.
Encore une fois, je vous remercie, Dr Pageau
et Dr Durand.
(Suspension de la séance à 10 h 52)
>
(Reprise à 10 h 55)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, nous sommes de retour. Merci, tout le monde. Donc, merci. Très heureuse
d'accueillir, pour notre dernière invitée de la journée, la Pre Suzanne Philips-Nootens. Donc, bienvenue, Mme Nootens. Comme
convenu, vous aurez une période de présentation de 20 minutes pour votre
exposé, et il y aura une période d'échange avec les
parlementaires d'une période de 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.
Mme Suzanne Philips-Nootens
Mme Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Je vous remercie. Je suis très honorée par cette invitation. Et
nous abordons, évidemment, des sujets majeurs aujourd'hui. Bonjour, mesdames,
bonjour, messieurs. Et je vais, donc, aborder, successivement, effectivement,
les deux points majeurs, tout d'abord l'aide médicale à mourir pour les
personnes en situation d'inaptitude et ensuite l'aide médicale à mourir pour
les personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
Pour l'aide médicale à
mourir pour les personnes en situation d'inaptitude, deux grandes questions
sont soulevées, à savoir l'inaptitude au moment de la mise en oeuvre de l'aide
médicale à mourir et la demande d'aide médicale à mourir dans des directives
anticipées ou directives de fin de vie.
Alors, tout d'abord, l'inaptitude
au moment de la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir. Notre loi sur les
soins de fin de vie, qui se veut compatissante, est, à certains égards, une loi
cruelle. Elle impose à la personne qui a demandé l'aide médicale à mourir
l'obligation de mourir en pleine conscience, c'est-à-dire qu'elle doit rester
apte à y consentir jusqu'au moment où le médecin pose le geste fatal. C'est
ainsi que des patients refusent les soins palliatifs ou le soulagement que
pourraient leur apporter des analgésiques, de crainte d'être, au dernier
moment, déclarés inaptes et ne pouvant, donc, recevoir cette aide. Par
ailleurs, les proches ont vécu bien péniblement le fait d'assister à une agonie
prolongée à la suite du refus du <médecin...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...
C'est ainsi que des patients refusent les soins palliatifs ou le
soulagement que pourraient leur apporter des analgésiques, de crainte d'être,
au dernier moment, déclarés inaptes et ne pouvant donc recevoir cette aide. Par
ailleurs, les proches ont vécu bien péniblement le fait d'assister à une agonie
prolongée à la suite du refus du >médecin de
procéder en constatant que la personne n'était plus apte à donner son consentement
ultime. Selon le rapport de la Commission sur les soins de fin de vie, parmi
les cas où l'aide médicale à mourir avait été demandée et n'avait pas été
administrée, dans 20 % des cas, la personne répondait aux conditions
d'admissibilité au moment de la demande, mais elle avait cessé d'y répondre au
cours du processus d'évaluation, car elle était devenue inapte dans la majorité
des cas.
Notre commission souligne que la loi
québécoise est, à bien des égards, fortement inspirée de la loi belge, et je
vais, donc, référer plusieurs fois à cette loi. Je ne voudrais pas que vous y
voyiez un chauvinisme indu en raison de mes origines.
Sur ce point précis de l'aide médicale à
mourir, de l'administration d'aide médicale à mourir, il eût été souhaitable
que notre loi suive, effectivement, la loi belge. Selon cette loi, le patient
doit être conscient au moment de la demande, mais pas nécessairement par la
suite. La commission belge de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie
rappelle, dans son rapport paru en 2020, qu'une demande actuelle d'euthanasie
reste valide pendant tout le temps nécessaire à son examen et à la mise en
oeuvre de celle-ci, même si le patient devient inconscient durant cette
période.
Deuxième point : la demande anticipée
d'aide médicale à mourir. Et permettez-moi d'abord de faire un petit détour par
les directives anticipées en général. Le site du ministère de la Santé, sur les
soins de fin de vie, l'énonce très bien et clairement : En cette
matière — donc de directives anticipées — les volontés
dûment exprimées par une personne alors qu'elle était apte doivent, une fois
survenue l'inaptitude, être respectées, quelle que soit leur forme :
expression orale aux proches, document écrit, enregistrement vidéo, formulaire
de niveau de soins rempli par le médecin, mandat de protection, directive
médicale anticipée. L'essentiel est que les choix du patient puissent être bien
établis lors de l'évaluation de la situation ou de désaccord lors de leur mise
en oeuvre, notamment. Et l'écrit prendrait effectivement, dès lors, toute son
importance. Les directives anticipées constituent l'écrit le plus humain, le
plus personnel, le plus intime pour la personne, ses proches, son médecin, c'est
à eux qu'elles s'adressent avant tout, et avec eux qu'elles se discutent avant tout,
si nécessaire.
• (11 heures) •
Si je rédige mes directives à froid, quand
je suis en bonne santé, l'idée de subir certains traitements en cas de maladie,
voire d'être réanimée en cas de défaillance cardiorespiratoire, avec tous les
risques inhérents, peut me sembler intolérable. Mais, le temps passe, j'avance
en âge. La médecine évolue. On guérit ou on ralentit l'évolution de certaines
affections jugées, jusque-là, fatales. On sait que les recherches sont en
cours. On peut me demander de participer à certains groupes de recherche pour
un nouveau traitement qui pourrait être prometteur. J'apprécie la vie, qui ne
m'est allouée qu'une seule fois, et j'y tiens plus que ne le pensais. Des
études avaient déjà montré qu'une proportion importante de personnes changent
d'opinion quand elles <entrent à...
>
11 h (version révisée)
< Mme
Philips-Nootens (Suzanne)T :
…On sait que les
recherches sont en cours. On peut me demander de participer à certains groupes
de recherche pour un nouveau traitement qui pourrait être prometteur.
J'apprécie la vie qui ne m'est allouée qu'une seule fois et j'y tiens plus que
je ne le pensais. Des études avaient déjà montré qu'une proportion importante
de personnes changent d'opinion quand elles >entrent à l'hôpital. Le
refus anticipé peut donc se transformer en : Docteur, faites tout ce que
vous pouvez.
Les premières qualités des directives de
fin de vie doivent être, outre leur caractère explicite, la facilité à les
modifier et leur accessibilité aux personnes concernées, proches et médecins.
Par quelle aberration les directives médicales anticipées, une des modalités
d'expression desdites volontés de fin de vie, ont-elles été phagocytées par un
système juridico-administratif pour être enfermées dans le cadre le plus rigide
qui soit?
On peut faire un mandat de protection
notarié ou sous seing privé devant deux témoins. On peut faire un testament
notarié, ou un testament devant témoin, ou un testament olographe. Mais, selon
la loi, les directives médicales anticipées ne peuvent se faire que par acte
notarié en minutes ou par le formulaire prévu à cet effet à la RAMQ. Et ledit
formulaire peut, selon le site du ministère, maintenant être téléchargé.
En bonne citoyenne, j'ai donc patiemment
accompli la démarche préalable pour avoir un compte clicSEQUR permettant
ensuite d'avoir accès à mon dossier à la RAMQ et d'avoir accès au formulaire
des directives. Il y avait une petite erreur dans mon dossier de la RAMQ. Deux
appels téléphoniques auprès de deux employés très serviables n'ont pas permis
de le résoudre, et on m'a donc proposé d'envoyer le formulaire personnalisé par
la poste. Alors, je vais le remplir en respectant toutes les formalités
prescrites et je vais le renvoyer à la RAMQ par la poste. Je le remettrai aussi
à mon médecin, si je le souhaite, et à un proche. Après quoi, la RAMQ va me
transmettre une confirmation d'inscription, toujours par la poste.
Veuillez noter que nous sommes en 2021. Le
site du ministère précise que le dépôt de mon formulaire ou de mon acte notarié
dans le Registre des directives médicales anticipées est l'option la plus sûre
et — ne riez pas — la plus rapide pour garantir que mes
volontés seront accessibles et respectées. On ajoute également que, si je
deviens inapte, le médecin consultera d'abord le Registre des directives
médicales anticipées ou le registre de la RAMQ, et, si aucune directive n'y est
enregistrée, il consultera mon dossier médical. N'est-ce pas le monde à
l'envers?
Les directives faites par acte notarié ont
le même contenu. On insiste sur le devoir de conseil du notaire et sur la
sécurité d'un tel acte. Ces directives ne couvrent qu'un nombre limité de
situations, quatre ou cinq, et… alors qu'il pourrait y en avoir bien d'autres. Et,
si, à la suite de modifications ou de changements des situations décrites plus
haut, je désire modifier mes directives, la modification ne peut être
ponctuelle, par exemple, un codicille pour un acte notarié, il est exigé que le
même processus soit refait au complet, que ce soit auprès de la RAMQ ou auprès
de mon notaire.
Selon le rapport de notre commission québécoise,
seulement 0,5 % des adultes québécois ont inscrit leurs directives
anticipées dans le registre de la RAMQ. Est-ce qu'il faut s'en étonner, après
tout ce que je viens de vous <dire…
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
…il est exigé que le
même processus soit refait au complet, que ce soit auprès de la RAMQ ou auprès
de mon notaire.
Selon le rapport de notre commission
québécoise,
seulement 0,5 % des adultes
québécois ont inscrit leurs directives
anticipées dans le registre de la RAMQ.
Est-ce qu'il faut s'en étonner,
après tout ce que je viens de vous >dire? Dans la loi belge, on fait un
document écrit, signé, rédigé… signé par le patient lui-même. Il peut révoquer
sa demande en tout moment. Le Formulaire de déclaration anticipée relative à
l'euthanasie peut être enregistré auprès de la commune si le patient le
souhaite. Il est accessible sur le site et il comprend d'emblée les divers
choix, et donc la modification, la confirmation, la révocation en sont très
faciles à faire.
Ce qui m'amène au deuxième point, les
directives anticipées et l'aide médicale à mourir. Les autres pays qui ont
légalisé l'euthanasie l'ont fait dans le cadre d'une loi spécifique
décriminalisant le geste. Au Québec, l'aide médicale à mourir est un soin de
fin de vie, et la loi médicale a été modifiée afin de l'inscrire dans un
continuum de soins appropriés. Mais, contrairement à tous les autres types de
soins, incluant les soins palliatifs et la sédation palliative continue, l'aide
médicale à mourir exige l'aptitude de la personne, comme je vous l'ai dit, non
seulement pour la demande, mais aussi pour sa mise en oeuvre. Ce type de soins
ne peut donc être demandé dans des directives anticipées. Contrairement à sa
finalité proclamée, la loi consacre ainsi, pour la première fois, une discrimination
dans le soulagement de la souffrance entre des personnes majeures aptes et des
personnes majeures inaptes ou des mineurs.
Or, à partir du moment où l'aide médicale
à mourir est qualifiée de soin, elle doit être régie de la même façon que tous
les autres types de soins. Elle doit notamment pouvoir être inscrite et
demandée dans des directives médicales anticipées, quelle que soit la forme de
ces directives. C'est, d'ailleurs, ce que proposait, en toute logique, dès
2013, le Collège des médecins du Québec dans son rapport de travail conjoint
sur l'aide médicale à mourir. Et, si on touche à cette question-là, deux autres
points seraient notamment à considérer, notamment la désignation d'une personne
de confiance et l'imposition d'une durée de validité pour ces directives. La
déclaration peut être retirée, ou modifiée, ou adaptée à tout moment.
Abordons maintenant le deuxième point, qui
est extrêmement difficile, c'est-à-dire l'aide médicale à mourir pour les
personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Portant au pinacle
l'autonomie individuelle, la société québécoise a fait, en 2015, le choix de
rendre possible l'accès à une aide médicale à mourir. Il a été proclamé haut et
fort que le cadre fixé par notre loi était inattaquable et que jamais, ce qui
était alors qualifié de dérive dans d'autres pays... notamment l'euthanasie
pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale.
Dès 2017, pourtant, un groupe d'experts
devait amorcer la réflexion sur les critères d'élargissement de l'aide médicale
à mourir, notamment sous l'angle des personnes inaptes et de la demande
médicale anticipée. Il n'a pas fallu plus longtemps pour que la loi soit
contestée en justice, notamment par certains de ses chantres les plus engagés,
et que soit finalement abattu le rempart majeur qui protégeait contre lesdites <dérives…
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...sur les critères
d'élargissement de
l'aide médicale à mourir,
notamment sous
l'angle des personnes inaptes et de la
demande médicale anticipée. Il n'a
pas fallu plus longtemps pour que la loi soit contestée en justice, notamment
par certains de ses chantres les plus engagés, et que soit finalement abattu le
rempart majeur qui protégeait contre lesdites >dérives, c'est-à-dire le
fait d'être en fin de vie. Nous sommes maintenant confrontés aux conséquences
de nos choix délibérés et aux décisions les plus cruciales sur le plan humain.
Nous devons les affronter.
Alors, en matière de maladie mentale,
permettez aussi que j'aborde rapidement un point préalable, et ça a déjà été
souligné par tellement de personnes, c'est-à-dire l'aide médicale à vivre pour
les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. La plupart des
traitements ont des... La maladie mentale est source de souffrances profondes.
Elle touche à la perception de la personne quant à son identité même. Elle est
source de discrimination sociale, car elle fait peur.
La plupart des traitements ont des effets
secondaires importants, ce qui conduit souvent à leur abandon par le patient
quand il va mieux. Il rechute alors, et le cycle recommence. Et on sait que la
schizophrénie en est un exemple bien connu, de ces maladies qui évoluent par
épisodes. Qui ne connaît ce fameux et pitoyable syndrome des portes tournantes
devant les instances civiles et criminelles que vivent non seulement les
personnes atteintes de maladie mentale, mais aussi leurs proches, les grands
oubliés du système? Quels progrès ont été faits au cours des dernières années
dans l'accès aux traitements pour maladie mentale?
On ne compte plus les rapports, reportages
et dénonciations sur les délais d'attente en psychologie et en psychiatrie. Un
psychiatre avait déjà, il y a de nombreuses années, qualifié Montréal «d'asile
à ciel ouvert». Dans son plus récent rapport, déposé le 8 octobre 2020, la
Vérificatrice générale du Québec concluait que le Québec ne parvient pas à
obtenir de données fiables de qualité à l'égard des services offerts en santé
mentale, et elle déplore que ledit syndrome de la porte tournante se poursuive
de nos jours faute de prise en charge et de suivi après une hospitalisation
brève. Il a déjà été souligné aussi à quel point les proches sont négligés et
trop souvent tenus à l'écart de ces évaluations.
Pourrions-nous faire preuve d'imagination
pour offrir aux personnes désespérées, quand il y a lieu, d'autres voies que le
suicide ou l'aide médicale à mourir? Ne pourrait-on envisager des directives
anticipées qui soient autres que des directives de fin de vie? Une personne
atteinte de maladie mentale à évolution chronique, par exemple maladie
bipolaire, schizophrénie, ne devrait-elle pas pouvoir, lorsqu'elle est apte,
exprimer formellement sa volonté d'être traitée, même de force, lorsqu'elle
devient inapte, par exemple à la suite d'abandon de médicament entraînant une
rechute? On pourrait, par mesure de sécurité, garder le recours au tribunal
prévu à l'article 16 du Code civil du Québec, mais celui-ci en serait
considérablement allégé, et ces personnes exerceraient ainsi leur droit à
l'autonomie lorsqu'elles sont aptes.
Maintenant, l'aide médicale à mourir pour
les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Rendre inopérant le
critère de fin de vie pour l'accès à l'aide médicale à mourir en élargit
considérablement les possibilités. Si la modification s'est imposée d'abord
dans le contexte des maladies neurodégénératives, qui ont maintenant gagné leur
combat en justice, ni la maladie mentale ni aucune autre <maladie...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
…
de problèmes
de santé mentale. Rendre inopérant le critère de fin de vie pour l'accès à
l'aide médicale à mourir en élargit considérablement les possibilités. Si la
modification s'est imposée d'abord dans le contexte des maladies
neurodégénératives, qui ont maintenant gagné leur combat en justice, ni la maladie
mentale ni aucune autre >maladie, par exemple une maladie génétique, ne
peut plus en être écartée.
Dépendant de sa nature, la maladie mentale
peut répondre à plusieurs des autres critères, à savoir : être grave,
entraîner des souffrances physiques ou psychiques — surtout le «ou»
prend ici toute son importance — des souffrances constantes,
insupportables et ne pouvant être apaisées dans des conditions jugées
tolérables. Mais elle doit aussi, pour répondre aux critères de la loi,
entraîner un déclin avancé et irréversible des capacités et être qualifiée
d'incurable. Pour répondre à ce qualificatif, et ça a déjà été souligné dans la
littérature, il faut que le trouble mental soit persistant et réfractaire après
que les traitements disponibles et appropriés aient été appliqués et se soldent
par un échec ou encore qu'ils soient jugés intolérables par la personne, donc
que celle-ci les ait tentés sérieusement, de l'avis des psychiatres traitants.
• (11 h 10) •
Pour éviter une approche discriminatoire,
il ne s'agirait, donc, pas de nier le droit d'accès à l'aide médicale à mourir
mais bien d'en aménager les modalités d'accès pour que la maladie puisse
répondre aux autres critères. Les dispositions devront prévoir des contacts
avec les proches, trop souvent laissés de côté. Le médecin traitant et le
deuxième médecin consulté devront être des spécialistes en psychiatrie. On
pourrait exiger des demandes répétées à plusieurs mois d'intervalle de façon à
répondre plus adéquatement aux critères de maladie incurable et de déclin
irréversible des capacités.
Selon plusieurs auteurs, l'aide médicale à
mourir deviendrait ainsi une alternative au suicide pour les patients pour
lesquels le psychiatre ne prévoit guère d'évolution favorable malgré tous les
traitements actuellement disponibles. Il faut réaliser que cette ouverture
touchera des affections très variées. Si je réfère, par exemple, au dernier
rapport de la commission belge, année 2018‑2019, on y trouve, parmi les
euthanasies pour troubles mentaux : les troubles de l'humeur, par exemple
la dépression et les troubles bipolaires; les troubles de la personnalité et du
comportement; les troubles névrotiques, dont l'anxiété et le deuil pathologique;
les troubles mentaux organiques, notamment les troubles du spectre de l'autisme,
la schizophrénie et les troubles délirants.
L'euthanasie d'une jeune femme de
38 ans, autiste, est actuellement débattue en Belgique devant les
tribunaux. Une dame médecin travaillant en psychiatrie et elle-même autiste déplore
que de telles décisions surviennent dans un contexte où les soins de santé
mentale extrahospitaliers sont peu développés, insuffisamment accessibles et
inabordables pour de nombreuses personnes. Et la plupart des cas font là-bas l'objet
de longs débats. Même la présidente de l'association belge pour le droit de
mourir dans la dignité et membre de la commission de contrôle de la loi sur
l'euthanasie dit ceci, elle prêche la prudence, elle dit : «Je comprends
que cette question pose débat. Pour ces patients atteints de souffrances
psychiques, il faut être encore plus prudents.»
La corporation des médecins de Belgique
recommande aussi à ses membres de se rencontrer physiquement pour discuter des
demandes d'euthanasie pour ce genre de malades et de ne pas se limiter à des
conversations téléphoniques comme <c'est fait…
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...elle
prêche la prudence
, elle dit : «Je comprends que cette question
pose débat. Pour ces patients atteints de souffrances psychiques, il faut être
encore plus prudents.»
La
corporation des médecins de
Belgique recommande aussi à ses membres de se rencontrer physiquement pour
discuter des demandes d'euthanasie pour ce genre de malades et de ne pas se
limiter à des conversations téléphoniques comme >c'est fait pour les
autres cas et comme le permet la loi. La consultation d'un deuxième psychiatre
s'impose. Ils pensent aussi que le délai d'un mois prévu par la loi entre la
demande et l'exécution de l'euthanasie devrait être allongé pour permettre à
ces patients de réfléchir à leur décision plus longtemps. C'est un domaine extrêmement
complexe. La voix des psychiatres, des patients et de leurs familles doivent
être les premières entendues avant qu'interviennent les juristes et les
autorités administratives.
Et j'en arrive à ma conclusion. Après le
jugement Baudouin, les ministres, Mme McCann et Mme LeBel, ont semblé
dire qu'il ne serait pas nécessaire de modifier la Loi concernant les soins de
fin de vie et qu'il suffisait que le critère de soins de vie soit désormais
inopérant. Il me semble, au contraire, que cette loi bénéficierait de
modifications importantes qui lui permettraient de mieux répondre à sa finalité :
d'abord, le retrait de l'exigence d'aptitude au moment de l'administration de l'aide
médicale à mourir, l'introduction de la possibilité de demander l'aide médicale
à mourir dans des directives anticipées et l'organisation même de ces fameuses
directives.
Au Québec, nombre d'excellents rapports
dans tous les domaines sont faits régulièrement par des experts très compétents.
S'ensuivent, si le sujet est à l'ordre du jour, de belles politiques dont les gouvernements
successifs se font une gloire, avec x priorités et y mesures stratégiques.
Malheureusement, nous aimons beaucoup moins nous assurer de leur mise en oeuvre
effective et beaucoup, beaucoup moins d'en évaluer les résultats réels sur le
terrain. Et trop de ressources théoriquement attribuées aux services se perdent
dans les labyrinthes d'une administration pléthorique où l'humain n'a plus
guère sa place. L'accès aux services de santé mentale et aux soins palliatifs
en est une triste illustration.
Dans le rapport pour la période 2015‑2018,
remarquablement élaboré et documenté, de notre Commission sur les soins de fin
de vie, le Dr Michel Bureau fait état des rapports, depuis les
années 2000, sur les plans de soins de développement des soins palliatifs
et de fin de vie visant l'amélioration de l'offre de services en soins
palliatifs de fin de vie et comprenant neuf priorités et 50 mesures
stratégiques.
Et le Dr Bureau souligne que — je
cite — «malgré les efforts consentis au fil du temps, les mêmes
constats demeurent : l'inégalité quant à l'accès aux soins palliatifs de
fin de vie au Québec; le manque d'information et de formation des intervenants;
l'organisation déficiente au regard des ressources matérielles et humaines
investies; le développement insuffisant des soins et services à domicile, qui
représente la pierre angulaire des soins palliatifs de fin de vie». Fin de la
citation. Il souligne également la méconnaissance des soins palliatifs de fin
de vie et l'absence de données fiables sur le sujet.
Mais gardons espoir, le gouvernement du
Québec a développé, en 2020, le rapport intitulé Pour un accès équitable à
des soins palliatifs et de fin de vie de qualité, un document très élaboré,
et il annonce un plan d'action pour 2020‑2024.
Nous semblons nous enorgueillir du <fait
que...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...
l'absence de
données fiables sur le sujet.
Mais gardons espoir, le gouvernement du
Québec a développé, en 2020, le rapport intitulé Pour un accès équitable à
des soins palliatifs et de fin de vie de qualité, un document très élaboré,
et il annonce un plan d'action pour 2020‑2024.
Nous semblons nous enorgueillir du >fait
que de plus en plus de Québécois demandent et obtiennent l'aide médicale à
mourir. Ne devrions-nous pas plutôt nous réjouir si de moins en moins d'entre
eux en arrivaient à cette étape ultime? L'aide médicale à mourir est le geste
ultime, irrémédiable du processus de soins, elle libère d'une souffrance
devenue intolérable pour la personne. Si elle intervient avant son heure parce
que tous les soins adéquats n'ont pas été offerts, parce que la personne se
sent abandonnée, elle devrait aussi devenir une source de honte dans notre
société bien nantie et pour un système dont les énormes ressources sont trop
souvent dilapidées dans des structures tentaculaires qui se nourrissent
elles-mêmes et ne bénéficient plus assez aux citoyens qu'elles doivent servir.
Je vous remercie pour votre attention.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Pre Philips-Nootens. Donc, nous commençons les échanges
avec le député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Merci, Mme Philips-Nootens, pour votre
contribution à nos travaux aujourd'hui. Je vais essayer d'aborder les deux
sujets qui sont l'objet du mandat de la commission, d'abord les demandes
anticipées puis ensuite les troubles mentaux.
Certaines personnes sont venues nous voir
ici, à la commission, et sont venues témoigner de leur malaise quant à la
possibilité pour quelqu'un d'émettre un consentement alors que les gens ne
connaissent pas ou peu exactement quel sera leur état au moment de recevoir
l'aide médicale à mourir. Qu'est-ce que vous répondez à cette objection-là?
C'est-à-dire, ces gens-là nous disent, si je résume leur argument, que le
consentement n'est pas éclairé dans la mesure où la personne n'est pas
réellement en mesure de savoir quelle sera sa condition, quelle sera sa
souffrance, quel sera son niveau de dignité, par exemple, au moment où elle
pourrait recevoir l'aide médicale à mourir.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Elle pourrait le préciser, d'abord, parce qu'elle
peut donner d'autres directives. Elle peut... dans des directives anticipées,
elle peut demander la sédation palliative continue, et l'aide médicale à mourir
est l'étape suivante. Mais, je veux dire, il suffirait qu'elle précise dans ses
directives qu'elle soit dans un état de souffrance intolérable. Et, à ce
moment-là... Évidemment, en supprimant le critère de fin de vie, on a supprimé
un aspect extrêmement important, parce qu'elle ne serait plus obligée d'être en
fin de vie, et c'est à ce niveau-là qu'il faut avoir des réserves. Parce que la
plupart des cas qui ont accès à l'aide médicale à mourir ou à l'euthanasie,
dans d'autres pays, ce sont des cas avancés de cancer. Alors, peut-on encore
dire qu'une <personne qui...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...
extrêmement
important, parce qu'elle ne serait plus obligée d'être en fin de vie, et c'est
à ce niveau-là qu'il faut avoir des réserves. Parce que la plupart des cas qui
ont accès à l'aide médicale à mourir ou à l'euthanasie, dans d'autres pays, ce
sont des cas avancés de cancer. Alors, peut-on encore dire qu'une >personne
qui saurait qu'elle a un cancer et comment son cancer évolue ne verra pas dans
quelle condition elle pourrait être au moment de demander l'aide médicale à
mourir? Ce serait vraiment l'aboutissement, j'allais dire, d'un état de
souffrance qu'elle juge intolérable.
La question semble dire : Comment
va-t-elle décider d'avance que ses souffrances seraient intolérables? Si je
demande, dans mes directives anticipées, non pas l'aide médicale à mourir, mais
d'arrêter tous les traitements, comme on le fait déjà, je suis exactement dans
la même situation. Donc, l'aide médicale à mourir, à ce moment-là, quant à moi,
cette demande-là n'est pas différente de ce que je ressentirais quand je
demande d'arrêter tous les traitements quand je suis en fin de vie, et ça, je
peux le faire.
M. Nadeau-Dubois :
Parfait. Un autre des débats qui sera le nôtre, c'est la nécessité ou non d'un
diagnostic au moment de rédiger la demande anticipée. Des gens nous ont dit :
Ça devrait être nécessaire que la personne ait un diagnostic clair. Par exemple,
je reçois un diagnostic d'alzheimer, je suis informé de l'évolution potentielle
de la maladie. En fonction de cette information-là, je rédige une demande. D'autres
gens nous disent : Non, ça ne devrait pas être nécessaire, on devrait
pouvoir rédiger une demande plus générique, même si on n'a pas de diagnostic. Où
est-ce que vous logez, vous, sur ce débat-là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Bon. Il est évident, si je n'ai aucun diagnostic,
de prévoir des choses comme ça dans mes directives anticipées... mais dans tous
les autres cas de directives anticipées, je peux prévoir les arrêts de
traitement. Donc, finalement, telle qu'on peut la concevoir, la demande d'aide
médicale à mourir n'est qu'un substitut à la demande d'arrêt des traitements, et
donc ça vaut pour toutes les autres directives anticipées. C'est...
M. Nadeau-Dubois : Donc,
selon vous, ça ne devrait pas être nécessaire d'avoir un diagnostic précis.
• (11 h 20) •
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Non, pas nécessairement, ça dépend quand je fais
mes directives anticipées. Personne ne rédige des directives de fin de vie
quand elles sont en pleine santé. Et c'est là, évidemment, que ça soulève une
autre question, qui est celle de la durée de validité des directives
anticipées. C'est un peu la même chose qu'un testament, si je peux dire, même
si ça touche d'autres sujets. Je peux faire mon testament quand je suis plus
jeune, etc., puis ma situation familiale change, je veux le modifier. Je peux
faire des directives anticipées, moi, j'en ai fait, très élaborées, en disant :
Si je suis dans telle situation, je ne veux pas qu'on poursuive les
traitements.
Et, encore une fois, si je réfère à
l'arrêt des traitements, l'application ou la mise en oeuvre de l'aide médicale
à mourir, c'est l'illustration ultime d'un refus de traitement. On <demande...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
…en disant : Si
je suis dans telle
situation, je ne veux pas qu'on poursuive les
traitements.
Et,
encore une fois, si je
réfère à l'arrêt des traitements,
l'application ou la mise en oeuvre de
l'aide
médicale à mourir, c'est l'illustration ultime d'un refus de traitement. On
>demande qu'on mette fin à l'intervention au lieu d'attendre que mes
jours s'achèvent en fonction de ma maladie. Je ne sais pas si ça répond à votre
question, mais…
M. Nadeau-Dubois : Oui,
oui.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …moi, je n'y vois pas de difficulté différente.
M. Nadeau-Dubois :
Parfait. L'autre… une autre des questions que nous devrons trancher ici, à la
commission, c'est ce qu'on pourrait appeler la distinction entre une demande d'aide
médicale à mourir anticipée ou une directive. C'est-à-dire, est-ce que la
personne, ce qu'elle rédige, est-ce que ça devrait être exécutoire, final et
sans appel, quel… disons, peu importe ce qu'il se produit dans l'évolution de
sa maladie ou est-ce que ça devrait pouvoir être réversible, par exemple, par
un consensus de l'équipe médicale et des proches, si la maladie n'évolue pas de
la manière dont la personne pensait qu'elle évoluerait, par exemple dans des
cas de ce qu'on appelé, là, de démence heureuse? De quel côté de ce débat-là,
vous, logez-vous? Est-ce que ce devraient être des demandes ou des directives
finales et sans appel?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :Mes directives médicales
anticipées expriment ma volonté. Et, en principe, ma volonté doit être
respectée à partir du moment où, effectivement, j'étais en pleine connaissance
de cause et en pleine possession de mes moyens quand j'ai émis mes directives.
Et la loi prévoit que si on veut contester l'application des directives, pour
toutes sortes de raisons, il faut s'adresser au tribunal, et je pense qu'il
faut garder cette option-là. Mais mes directives médicales anticipées sont des
directives et non pas simplement des demandes. Il risque trop d'y avoir, à ce
moment-là, des variations ou des conflits familiaux qui puissent intervenir.
M. Nadeau-Dubois : Oui.
Et qu'est-ce que vous répondez aux gens qui nous ont dit que dans ce cas-là, si
c'est vraiment une directive d'aide médicale à mourir anticipée, que ça
pourrait placer les professionnels de la santé dans des situations extrêmement
délicates où, par exemple, une personne qui n'est plus jugée apte à décider
manifeste quand même une grande opposition au fait de recevoir l'aide médicale
à mourir, ça pourrait placer les professionnels de la santé dans une situation extrêmement
difficile? Comment vous contournez, vous, cette difficulté-là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'on se trouve dans la même situation. Il
faudrait s'adresser à un tiers indépendant, c'est-à-dire le tribunal, si on
juge qu'on n'est pas dans une situation qui permet de répondre aux directives.
Je ne suis pas sûre que j'ai bien répondu à votre question. Pouvez-vous me la
répéter, s'il vous plaît?
M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est-à-dire
qu'il y a eu des cas documentés où des gens qui avaient donné un consentement
anticipé à recevoir l'aide médicale à mourir, une fois que ces personnes-là
sont rendues inaptes à décider, par exemple, parce que dans un état de démence,
bien, ces personnes-là, lorsque vient le temps qu'on leur administre l'aide
médicale à mourir, manifestent une résistance, ne veulent pas, se débattent, et
il y a même eu des cas documentés où il a fallu littéralement physiquement
saisir la personne pour promulguer l'aide médicale à mourir. Vous comprenez que
ça, ça a placé les professionnels de la santé dans un état... dans une
situation extrêmement <fragile…
M. Nadeau-Dubois : ...qu'on
leur administre l'
aide médicale à mourir, manifestent une résistance, ne
veulent pas, se débattent, et il y a même eu des cas documentés où il a fallu
littéralement physiquement saisir la personne pour promulguer l'aide médicale à
mourir. Vous comprenez que ça, ça a placé les professionnels de la santé dans
un état... dans une situation extrêmement >fragile. Il y en a qui ont
été traumatisés. Ma question, c'est : Comment vous proposez qu'on
contourne cette... ou qu'on aménage cette difficulté-là potentielle quand même?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :C'est-à-dire qu'on ne peut pas
s'assurer, donc, que la personne a changé d'avis parce qu'elle n'est plus apte.
M. Nadeau-Dubois : La
personne est réputée inapte, donc elle n'est plus censée... on ne reconnaît
plus sa capacité à prendre des décisions, mais, quand vient le temps, donc, de
lui administrer l'aide médicale à mourir, comme elle en a décidé auparavant,
elle refuse, elle s'objecte, elle se débat. Et ça, c'est...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense, à ce moment-là, qu'il faudrait...
M. Nadeau-Dubois :
...qu'est-ce qu'on fait?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'il faudrait s'adresser au tribunal,
mais il faudrait d'abord reporter l'administration de l'aide médicale à mourir.
Par contre, ça vaudrait pour d'autres traitements aussi. Si ces personnes-là ne
veulent plus recevoir d'analgésique, par exemple, qu'est-ce qu'on fait? Est-ce
qu'on les injecte de force? Donc, il faudrait, encore une fois, voir ce qu'on
peut faire dans ces situations-là et voir si on peut forcer la personne, comme
on peut forcer une personne inapte à recevoir des traitements, en vertu de
l'article 16 du Code civil, en s'adressant au tribunal.
M. Nadeau-Dubois : Une
dernière question, cette fois sur la question des troubles mentaux. Vous avez
mentionné dans votre exposé que, selon vous, si elle était rendue disponible
aux gens avec des troubles mentaux, l'aide médicale à mourir, elle devrait être
bien balisée, notamment en s'assurant que les gens ont suivi certains
traitements avant d'être éligibles pour faire une demande. Que devrait-on faire
si une personne, donc, qui vit avec des troubles mentaux, refuse un ou plusieurs
traitements? Est-ce que ça devrait disqualifier cette personne-là de son
éligibilité à l'aide médicale à mourir?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'on devrait pouvoir lui opposer le fait
qu'à ce moment-là elle n'est pas... on n'est pas en face d'une maladie
incurable. Et je pense que la personne atteinte de troubles mentaux, pour
bénéficier, entre guillemets, doubles guillemets, de l'aide médicale à mourir,
doit répondre quand même aux autres critères de la loi et notamment ces
dispositions-là. Donc, il faut faire attention à ce que, en écartant le critère
de fin de vie, on n'écarte pas non plus abusivement d'autres critères qui
permettent d'obtenir l'aide médicale à mourir.
M. Nadeau-Dubois : Et
est-ce que, dans cette situation-là, est-ce qu'on n'en revient pas à forcer indirectement
une personne à recevoir un traitement? Si une personne dit : Moi, j'en ai
assez, je souhaite avoir recours à l'aide médicale à mourir, son psychiatre lui
dit : Bien, écoutez, il y a un ou deux traitements que vous n'avez pas
encore essayés, moi, je ne peux pas vous donner le go pour l'aide médicale à
mourir tant que vous ne les avez pas essayés. Est-ce qu'on n'en vient pas dans
une situation où on force indirectement des gens à recevoir certains
traitements, surtout que c'est des traitements qui, parfois, peuvent être
souffrants, avoir beaucoup d'effets secondaires? Comment on dénoue cette
difficulté-là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Ce sont effectivement, souvent, des traitements
très pénibles et ce sont des traitements <auxquels on...
M. Nadeau-Dubois : ...
Est-ce
qu'on n'en vient pas dans une situation où on force indirectement des gens à
recevoir certains traitements, surtout que c'est des traitements qui, parfois,
peuvent être souffrants, avoir beaucoup d'effets secondaires? Comment on dénoue
cette difficulté-là?
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
Ce sont
effectivement,
souvent, des traitements très pénibles
et ce sont des traitements >auxquels
on procède souvent par tâtons aussi avant de voir celui qui convient au
patient, donc c'est vraiment un domaine extrêmement complexe. Mais je pense qu'effectivement,
dans des situations comme celles-là, on peut dire à la personne : Ou bien
vous suivez vos traitements, ou bien vous ne répondez pas aux critères d'admissibilité
à l'aide médicale à mourir.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, M. le député. Donc, je céderais maintenant la parole au député de
Chomedey.
M. Ouellette : Il
arrive, le député de Chomedey. Merci, Mme la Présidente.
Mme Philips-Nootens, merci d'être là. Merci de nous faire partager votre
grande expérience de vie. Et je pense qu'on a avantage à vous écouter, mais ça
nous inconfortabilise un peu parce que ça remet sur nos épaules... Je vous
écoutais, puis je simplifierais ça en quelques mots en disant que, pour les
maladies mentales, il faut être très prudent, c'est peut-être trop tôt. Là, ça
devient un peu la saveur du jour, et, il y a quelques mois, sinon un an ou
deux, on en parlait peu.
Pour l'inaptitude, ça a l'air très
compliqué et trop compliqué, donc il va falloir le simplifier. Et, si j'ai
bien... si je vous lis bien ou si je vous comprends bien, le rapport que la
commission va devoir faire, là, la partie que la commission va devoir faire, c'est
tout va être dans la mise en oeuvre pour la prochaine étape. Est-ce que j'ai
une bonne lecture?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Pour ce qui concerne les maladies mentales, oui, je
pense que oui, tout va être dans la mise en oeuvre. Vous savez, certains
psychiatres... parce qu'il y a beaucoup de littérature déjà là-dessus, et c'est
un peu gênant pour un non-psychiatre d'essayer de résumer ces choses-là, mais
les psychiatres vont dire : Écoutez, si ça devient la seule alternative au
suicide, est-ce qu'il n'est pas justifié, à ce moment-là, d'accorder l'aide
médicale à mourir à ces personnes-là? Mais ça veut dire que tout a été essayé.
Quand une personne atteinte de maladie mentale qu'on libère en fin de semaine
parce qu'elle s'est bien comportée et qu'on pense que tout va bien, on la
libère de l'hôpital, elle sort de l'hôpital et elle va se jeter en bas d'un
pont, il est certain qu'on est dans des situations vraiment dramatiques où,
manifestement, on n'a pas réussi à faire marche arrière ou à progresser dans le
traitement de leur maladie mentale. Alors, il faut, je pense, si on décide d'ouvrir
cette porte-là, la réserver vraiment pour des situations extrêmes et non pas
parce que les gens n'ont pas eu de soins.
• (11 h 30) •
M. Ouellette : Bien, c'est
ça, je pense qu'il faut <déjà...
>
11 h 30 (version révisée)
< Mme
Philips-Nootens (Suzanne)T :
…à faire marche
arrière ou à progresser dans le traitement de leur maladie mentale. Alors, il
faut, je pense, si on décide d'ouvrir cette porte-là, la réserver vraiment pour
des situations extrêmes, et non pas parce que les gens n'ont pas eu de soins.
M. Ouellette :
Bien, c'est ça, je pense qu'il faut, >déjà, utiliser toutes les
ressources du système. Ça devient... je ne dirais pas la situation ultime, mais
ça devient l'incontournable, mais il faut qu'on ait épuisé toutes les autres
possibilités avant. C'est ce que vous nous dites.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Oui. Je pense que oui.
M. Ouellette : O.K.
Merci.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Et regardez encore une fois dans des pays où c'est
ouvert. Bon, je n'ai pas revérifié dernièrement pour les Pays-Bas, mais c'est
évident. Mais, en Belgique, la question pose problème, alors qu'ils ont une loi
depuis 2002, qu'ils sont très ouverts en matière d'aide médicale à mourir ou
d'euthanasie dans les circonstances, et, récemment encore, même les personnes
proches et même les personnes de la commission disent : Soyons prudents.
M. Ouellette : O.K. Il ne
faut pas manquer notre coup.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il y a des gens qui ont fait des tentatives de
suicide et qui remercient ceux qui les ont sauvés.
M. Ouellette : Oui, oui,
là, je comprends ça aussi.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il ne faut pas oublier ça.
M. Ouellette : Merci,
Mme la Présidente.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci, monsieur.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Dans un même ordre
d'idées, on voit que c'est un sujet, la maladie mentale, très délicat. Quels
mécanismes de contrôle on pourrait mettre en place pour qu'il n'y ait pas de
débordement ou de geste malheureux, là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il faudrait, donc, s'assurer, à tout le moins, que
toutes les autres conditions d'accès à l'aide médicale à mourir soient
remplies. Il faudrait en débattre, je pense, avec les psychiatres. Moi, je
suis... nous sommes tous profanes dans ce domaine-là, qui est le domaine le
plus difficile de la médecine, à mon sens, parce que c'est difficile de
pénétrer les mystères de l'esprit humain, de voir comment les choses évoluent.
Et, regardez, même dans la vie courante quelqu'un peut être déprimé après un
deuil et puis après ça il va reprendre le dessus. Regardez tout ce qui est
syndrome post-traumatique, et tout ça, c'est extrêmement difficile. Donc, je
pense qu'il faudrait avoir des mesures d'encadrement très rigoureuses.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci. Je vais céder...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Et, encore une fois — je m'excuse — donner
d'abord les services et l'accès aux traitements.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci. Je passerais la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Suzanne. C'est très intéressant,
là, votre présentation. Vous y avez été en deux temps. J'ai pris des notes. Et,
écoutez, moi, je ne suis pas un spécialiste, de là l'importance de vous
écouter. Vous, vous êtes là... On est là pour vous écouter, vous êtes des
gens... des spécialistes. Puis j'aimerais bien comprendre, parce que vous m'avez...
vous avez parlé de la directive anticipée et l'aide médicale à mourir, soins de
fin de vie. Hier, <j'ai posé une question...
M. Girard
(Lac-Saint-Jean) : ...
écoutez, moi, je ne suis pas un
spécialiste, de là
l'importance de vous écouter. Vous, vous êtes là...
On est là pour vous écouter, vous êtes des gens... des spécialistes. Puis
j'aimerais bien comprendre,
parce que vous m'avez... vous avez parlé de
la directive anticipée et l'aide médicale à mourir, soins de fin de vie. Hier,
>j'ai posé une question à un groupe : À quoi l'aptitude à consentir
à l'aide médicale à mourir se distingue-t-elle de l'aptitude à consentir à
d'autres types de soins? Et ce que j'ai cru comprendre dans votre présentation,
c'est que vous l'avez... <vous avez... >tout à l'heure, vous avez
mentionné que c'est... en fait, l'aide médicale à mourir doit être considérée
comme un soin — est-ce que c'est bien ça que vous avez apporté — au
même titre que d'autres soins.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : On a voulu en faire un soin, et c'est ça que la loi
en fait. Évidemment, on a voulu en faire un soin aussi pour des raisons de
compétences constitutionnelles, mais ça, c'est autre chose. Mais on en a fait
un soin et on a même modifié la Loi médicale dans ce sens-là. Donc, à ce
moment-là, si on en fait un soin, de quel droit la soustrait-on au choix que
les patients peuvent faire pour les autres types de soins?
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Donc, vous, votre point de vue, votre position, c'est qu'elle doit être
considérée au même titre.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : C'est ce que la loi en fait. Moi, ça n'a jamais été
ma position personnelle, mais c'est ce que la loi en fait.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
O.K. Est-ce que vous... Donc, mais voulez-vous... Est-ce que... Votre opinion,
là, selon vous, est-ce qu'on doit tenir compte de la loi?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Est-ce que?
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Est-ce qu'on doit la considérer de telle manière?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Encore une fois, c'est ce que la loi en fait. Je
peux difficilement vous dire autre chose. On peut être pour, on peut être
contre. Moi, je n'ai, en toute franchise, jamais été favorable à cette
disposition-là, parce que je voyais dès le... en regardant ce qu'il se passait
ailleurs, où ça nous entraînerait. Mais on a choisi, comme société, d'en faire
un soin, et là on est obligés d'assumer les conséquences de notre choix... de nos
choix.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
O.K. Puis, tout à l'heure, aussi, au niveau des directives médicales
anticipées, vous parliez d'un point de vue juridique. Puis je veux bien
comprendre, tu sais, quand vous disiez que la différence peut se faire de façon
notariée ou avec le formulaire de la RAMQ. Et est-ce que vous avez bien dit que...
l'acte notarié qui est le plus sûr? C'est-tu bien ça que vous avez mentionné?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je ne l'ai pas mentionné comme tel. C'est un écrit,
donc, effectivement, c'est un écrit qui a toute la valeur d'un acte notarié,
comme pour d'autres actes notariés. Mais le problème avec l'acte notarié, bon,
il reprend les mêmes choix qu'on peut faire dans le formulaire de la RAMQ, mais
c'est sa rigidité. Si je veux modifier mes directives, notamment quand je
rentre à l'hôpital, j'aime beaucoup la notaire... ma notaire, mais je me vois
mal la faire venir à l'hôpital, là, je suis en jaquette depuis huit jours, je
me sens mal, dire : Je voudrais modifier mes directives dans mon acte
notarié. Alors, c'est toute cette lourdeur qu'il faut éviter. Les directives
doivent être facilement accessibles et facilement modifiables.
Regardez, avec tout ce qu'il se passe dans
la vie actuellement, avec toutes les découvertes qu'on fait, je peux vouloir, <en
un an...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...
je me sens
mal,
dire : Je voudrais modifier mes directives dans mon acte
notarié. Alors, c'est toute cette lourdeur qu'il faut éviter. Les directives
doivent être facilement accessibles et facilement modifiables.
Regardez, avec tout ce qui se passe
dans la vie actuellement, avec toutes les découvertes qu'on fait, je peux
vouloir, >en un an, modifier trois fois mes directives. Est-ce que je
vais faire trois actes notariés? Je ne peux même pas procéder par codicille.
Alors, c'est aussi lourd dans le formulaire de la RAMQ et dans un acte notarié,
alors qu'en réalité notre volonté peut s'exprimer de toutes les façons
différentes. Et c'est reconnu, là. Si vous allez sur le site de la RAMQ, vous allez...
du ministère de la Santé, vous allez trouver toutes les façons d'exprimer vos
directives, et on vous dit que vos directives doivent être respectées. Il
suffit évidemment qu'elles soient faites en toute connaissance de cause.
C'est beaucoup plus facile ou beaucoup
plus recommandé d'avoir un écrit signé devant deux témoins qui témoignent de
votre attitude au moment où vous les faites. C'est même préférable, quant à
moi, de ne pas les mettre dans un mandat d'inaptitude, parce que, dans le
mandat d'inaptitude, si vous voulez le modifier, c'est la même chose, c'est
plus lourd comme procédure. Mais donc les directives doivent pouvoir être
exprimées, et modifiées, et révoquées, s'il y a lieu, de façon très accessible
à toutes les personnes. Et donc l'acte notarié, oui, il en fait état, mais avec
toute la rigidité que ça comprend.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
O.K. Bien, écoutez, j'aurais eu d'autres questions, mais je vous remercie beaucoup.
Je vous remercie infiniment. Je vais laisser, Mme la Présidente, d'autres collègues
qui veulent intervenir.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, M. le député. Je céderais la parole à la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Nootens. Alors, un patient souffrant
d'ACV ou de traumatisme crânien grave, selon vous, peut-il être admissible à
l'aide à mourir médicale?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :Est-ce qu'il a exprimé... est-ce
qu'il a exprimé ses volontés quand il était apte, avant son traumatisme
crânien?
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Non, non, il n'avait pas de... il n'a exprimé rien. Il a un accident puis il
dit : Moi, je veux en finir. Et puis il est, quoi, paraplégique dans son
lit, il ne peut pas bouger. Alors, il demande l'aide à mourir.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :Est-ce qu'il...
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : ...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Pardon, excusez-moi.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Oui, mentalement, il est capable de bien s'exprimer.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :À partir du moment où il est
mentalement apte à prendre cette décision, oui, il peut la demander. Il répond
aux autres critères. Vu qu'il n'a plus...
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Oui, pardon.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Excusez-moi. Allez-y.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Vu qu'il n'a plus besoin d'être en fin de vie, il
peut estimer, donc, que sa souffrance est intolérable, etc. Ça va dépendre de l'évolution
qu'on prévoit aussi pour son traumatisme crânien, parce qu'il faut, encore une
fois, donc, que ce soit grave et incurable. Il faut aussi... Il y a toute cette
question, qui est mentionnée dans la loi, de déclin avancé et irréversible des
capacités. À partir du moment où on admet maintenant l'aide médicale à mourir
pour les maladies neurodégénératives, par exemple, je ne vois pas pourquoi on
ne l'admettrait pas pour quelqu'un qui a un traumatisme crânien <qui est
redevenu...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...
grave et
incurable. Il faut aussi... Il y a toute cette question, qui est mentionnée
dans la loi, de déclin avancé et irréversible des capacités. À partir du moment
où on admet maintenant l'aide médicale à mourir pour les maladies
neurodégénératives, par exemple, je ne vois pas pourquoi on ne l'admettrait pas
pour quelqu'un qui a un traumatisme crânien >qui est redevenu mentalement
apte. Il faudrait que ce soit autre chose qu'un traumatisme crânien. Il
est redevenu mentalement apte et il est paralysé dans son lit, et il pourrait
faire le choix, effectivement, de demander l'aide médicale à mourir, si sa
situation est irréversible.
• (11 h 40) •
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Quelqu'un qui demande l'aide médicale à mourir et qui a une grande souffrance
physique et aussi une grande souffrance psychologique, qu'est-ce qui va être en
priorité? Qu'est-ce qu'on priorise à l'aide médicale à mourir, la souffrance
physique ou psychologique?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : La loi, c'est calqué sur la loi belge ici encore,
elle a mis un «ou» entre les deux. Donc, il suffit que ce soit l'une des deux. Et
souvent les deux vont aller ensemble, effectivement, mais le fait que ce soit
une des deux, c'est ça qui rend plus délicat le problème des maladies mentales,
parce que beaucoup de personnes atteintes de maladie mentale n'ont pas nécessairement
de souffrance physique. Il peut y avoir des inconvénients aux traitements,
etc., mais pas nécessairement des cas de souffrance physique. Et on voit, en
parlant uniquement de souffrance psychique, des personnes pour lesquelles la fin
de vie ne correspond plus à leurs attentes. Elles voient ça, le fait d'être
diminuées, comme une atteinte à leur dignité.
Beaucoup de personnes âgées disaient, dans
le temps, quand le monde était croyant : Le bon Dieu m'a oublié. Elles
trouvaient qu'elles avaient fait tout ce qu'elles avaient à faire dans la vie,
et donc elles se trouvaient… elles trouvaient que leur séjour terrestre était
terminé. Et on voit ces demandes-là. On n'aime pas en parler, mais on voit ces
excès-là notamment dans des choix d'euthanasie faits aux Pays-Bas, notamment,
où les personnes âgées disent : Je ne tiens plus à rester ici-bas. Et
elles vont donc invoquer une souffrance psychologique, un malaise… — je
cherche le terme exact, qui m'échappe, mais ce n'est pas grave — donc
une souffrance psychologique en disant : La vie ne m'intéresse plus.
Finalement, c'est à ça que ça revient. Est-ce qu'on va aller jusque-là?
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Je vous remercie beaucoup.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci, madame.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, Mme la députée. Je céderais la parole à la députée de Soulanges.
Mme Picard : Bonjour, Mme Philips-Nootens.
Prenons le cas où une personne devient… a un diagnostic d'alzheimer et c'est
très précoce dans le début du diagnostic, puis là elle ferait sa demande, son
aide médicale à mourir... elle ferait sa demande anticipée ou ses directives
anticipées et elle aurait un appui d'une tierce personne pour l'aider dans la
prise de décision, là, pour le moment où elle peut… où son traitement ou <son
aide médicale à…
Mme Picard : ...
elle
ferait sa demande, son aide médicale à mourir... elle ferait sa demande
anticipée ou ses directives anticipées et elle aurait un appui d'une tierce
personne pour l'aider dans la prise de décision, là, pour le moment où elle
peut… où son traitement ou >son aide médicale à mourir serait
administré. Moi, j'y vois là une lourdeur, une pression sur le proche aidant,
sur la tierce personne, parce que la tierce personne, c'est sûr, c'est elle qui
va prendre la décision que la personne atteinte d'alzheimer est rendue au
stade... avec le médecin, bien sûr, mais je trouve que c'est lourd à porter pour
une personne, pour une tierce personne, ce jugement-là, si on veut, bien sûr,
avec l'équipe médicale.
Mais je m'interrogeais. Savez-vous, en
Belgique, comment ils traitent la question avec les proches, avec... pour le
moment où l'aide médicale à mourir est administrée?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je n'ai pas relu récemment le rapport de la
commission sur cet aspect-là en particulier, mais il est évident que, dans ces
situations-là, il faut impliquer nos proches de toute façon. Et je dois décrire,
normalement, dans mes directives anticipées, le stade auquel je voudrais que
l'aide médicale à mourir s'applique. Et on le fait notamment pour la maladie
d'Alzheimer, par exemple. Ici aussi, on peut le faire. On pourrait dire :
Moi, à partir du moment où je ne reconnais plus personne, où je ne suis plus
capable de communiquer avec mes proches, où je ne suis plus capable de prendre
conscience de mon environnement, je voudrais qu'on m'applique l'aide médicale à
mourir, encore une fois, en respectant les critères de la loi.
Moi, je vois ces situations-là dans la
même perspective que... dans les mêmes situations pour lesquelles on exprime un
refus de traitement. Et donc, moi, personnellement, j'exprime mon refus de
traitement si, dans telle situation, atteinte de telle maladie, je ne suis plus
capable de communiquer avec mes proches, je ne suis plus capable de reconnaître
personne, de prendre aucune initiative ou encore de me nourrir ou de
m'alimenter, par exemple une maladie d'Alzheimer au stade 6 ou 7, c'est-à-dire
un stade extrêmement avancé où je deviens à toutes fins pratiques confinée à
mon lit, etc. Donc, il faut que ces situations-là soient claires pour les
proches, d'où l'importance de négocier... enfin, pas de négocier, mais de
s'expliquer avec les proches.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Philips-Nootens.
Il nous reste un bloc d'intervenants. Donc, je céderais la parole à la députée
de Maurice-Richard.
Mme Montpetit :
Je vous remercie, Mme la Présidente. Ça va être la députée de
Westmount—Saint-Louis.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Parfait. Mme la députée,
vous pouvez y aller, la parole est à vous.
Mme Maccarone :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Philips-Nootens,
un plaisir pour nous d'avoir des échanges avec vous. Vous partagez une
expérience qui est quand même très riche.
Je veux aborder un peu... <au
début de votre...
(Visioconférence)
La Présidente
(Mme Guillemette) :
...
parfait. Mme
la députée, vous pouvez y aller, la parole est à vous.
Mme Maccarone :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour,
Mme
Philips-Nootens. Un plaisir pour nous d'avoir des échanges avec vous.
Vous partagez une expérience qui est quand même très riche.
Je veux aborder un peu...
>au début de votre discours
puis votre témoignage, vous nous avez partagé que c'était quand
même complexe de poursuivre dans notre réseau, de déposer,
peut-être, une demande ou un
formulaire de déclaration. Alors, si on regarde comment ça peut être complexe à
poursuivre, surtout pour des personnes qui comprennent moins bien la technologie actuellement en place, pensez-vous que de potentielles
directives médicales anticipées concernant l'aide médicale à mourir devraient
être obligatoirement formulées par écrit, ou, par exemple, est-ce qu'une
personne devenue inapte, mais ayant déjà exprimé oralement à ses proches le
vouloir d'avoir accès à l'aide médicale à mourir devrait être considéré?
On a entendu et on a vu une
présentation, hier, d'un professeur, peut-être vous la connaissez,
Mme Gina Bravo, qui nous a quand même partagé un peu un portrait des
demandes par écrit puis des demandes qui sont faites verbalement. Alors,
pensez-vous qu'on devrait avoir de la liberté de s'exprimer verbalement, ou est-ce
que c'est très nécessaire que ça soit par écrit malgré qu'il y aura peut-être...
qu'il y aura un processus complexe à poursuivre pour la personne concernée?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'on doit pouvoir exprimer ce souhait de fin
de vie verbalement, effectivement, à condition, bien sûr, d'être pleinement
apte. Et le problème, à ce moment-là, va devenir un problème de preuve.
Supposez que j'exprime ma décision ou ma demande d'aide médicale à mourir en
présence d'un de mes enfants, et que les autres, qui sont plus loin, ne soient
pas d'accord en disant : Non, ce n'est pas possible que maman ait dit ça,
ce n'est pas possible, on va contester.
Donc, ça devient une question, encore une
fois, de preuve et de pouvoir établir devant les autres quelle est ma décision.
Et il faut faire attention aussi, évidemment, quand la décision est verbale. À
un moment donné, je peux demander ça un soir où je n'en peux plus. On ne m'a
pas donné assez d'analgésiques, je suis très malade, j'ai très mal, et je
dis : Non, là, je veux en finir, comme ça peut nous arriver après une
intervention chirurgicale ou après un accident. Et puis, le lendemain, tout à
coup, tiens, j'ai reçu suffisamment d'analgésiques, on a eu la gentillesse
aussi de me donner un somnifère, et j'ai bien dormi, et mon appréciation
change.
Donc, il faut être extrêmement prudent et
voir dans quel contexte cette demande-là est faite, parce qu'encore une fois il
ne faut pas oublier de répondre aux autres critères. Il faut que ce soit
irréversible, un déclin irréversible de mes capacités et il faut que ce soit
des souffrances insupportables et qui ne sont pas apaisées. Mais, si mes souffrances
sont apaisées, je peux très bien changer d'avis le lendemain. Donc, il faut
être extrêmement prudent. Encore une fois, ce serait moins difficile pour les
personnes qui sont en phase terminale <d'un cancer, par exemple...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
...un déclin
irréversible de mes capacités et il faut que ce soit des souffrances
insupportables et qui ne sont pas apaisées. Mais, si mes souffrances sont
apaisées, je peux très bien changer d'avis le lendemain. Donc, il faut être
extrêmement prudent. Encore une fois, ce serait moins difficile pour les
personnes qui sont en phase terminale >d'un cancer, par exemple. Et donc
il y a cet aspect-là de la certitude, entre guillemets, de l'évolution sur le
plan médical et il y a la question de pouvoir établir la volonté vis-à-vis de
toutes les personnes concernées.
Mme Maccarone :
Excellent. Vous, ça prendrait peut-être un genre de comité de partenaires,
d'experts qui va entourer la personne en question pour aider. Si, mettons, ce
n'est pas quelque chose... s'il y a une préoccupation puis que ce n'est
peut-être pas clair parce que ce n'était pas écrit, alors on devrait avoir des
experts autour de la table. C'est qui que vous proposez comme experts, incluant
évidemment les proches aidants? Et que faisons-nous si la proche aidante ou le
proche aidant qui entoure la personne concernée refuse d'accepter que... la
personne qui fait la demande de recevoir l'aide médicale à mourir fait la
demande, mais ils ne sont pas d'accord, mais tout le comité d'experts autour de
cette personne dit que, oui, ils sont en accord de respecter la demande de la
personne concernée?
• (11 h 50) •
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il faut faire très attention, parce qu'il ne faut
pas oublier qu'il y a un certain délai qui se passe entre la demande et la mise
en oeuvre de l'aide médicale à mourir. Donc, il faudrait voir aussi qu'il n'y
ait pas de changement pendant ce fameux délai-là. Les experts, encore une fois,
vont témoigner de quoi? Moi, je pense que, si on est dans ces situations-là et
si on en est là à avoir ce genre de débat, pourquoi ne pas demander un écrit,
ce qui serait beaucoup plus sûr et beaucoup plus sécuritaire, si vous me
pardonnez ce mauvais français? Parce qu'en fait la loi prévoit... la Loi sur
l'aide médicale à mourir et les autres dispositions législatives prévoient que,
si on n'est pas capable d'écrire soi-même le document, ça peut être dicté,
maintenant, ça peut être enregistré par vidéo, ça peut être, donc, enregistré
d'autres façons, et signé ou encore confirmé par la personne elle-même. Donc,
je pense que c'est une simple question de prudence, et ce ne sont pas des
situations dans lesquelles il faut se précipiter.
Mme Maccarone : Je vous
entends puis ça m'amène une question de réflexion. Est-ce que nous devons
peut-être prévoir autre moyen pour avoir un consentement? En ce qui concerne
les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, vous l'avez abordé
un peu, si, par exemple, je vous disais qu'il y a une personne qui souffre de
déficience intellectuelle, vous avez parlé du cas de la jeune femme autiste en...
belge, c'est quand même des cas particuliers, mais, dans mon expérience,
c'est souvent des personnes qui sont aptes, et, peut-être, si nous prévoyons un
autre mécanisme d'accompagner ces personnes à cette réflexion pour prendre une
décision pour eux, pour respecter leur droit de choisir, pensez-vous que ce
serait une possibilité, <s'il y avait un accompagnement...
Mme Maccarone : ...
c'est
souvent des personnes qui sont aptes, et, peut-être, si nous prévoyons un autre
mécanisme d'accompagner ces personnes à cette réflexion pour prendre une
décision pour eux, pour respecter leur droit de choisir, pensez-vous que ce
serait une possibilité, >s'il y avait un accompagnement, un
accompagnement qui était adapté pour eux, fait pour eux? Parce que, souvent, ça
ne se serait pas par écrit, ça va être une autre manière que nous allons
accompagner une telle personne.
Puis ça m'amène à une deuxième question,
en rafale avec ceci, c'est de définir c'est quoi, la souffrance. Une personne
autiste, une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle peuvent exprimer
leurs souffrances d'une autre façon, puis ils peuvent très bien dire :
Bien, moi, ça ne me tente pas de prendre ces médicaments, pas parce que je veux
souffrir, mais ils me font souffrir, ils ne me font pas du bien, et de vivre de
cette façon, ça m'amène que de douleurs. La douleur psychique, c'est tellement,
tellement grave et difficile à subir, alors je veux trouver un autre moyen de
s'en sortir. Puis évidemment c'est la porte... c'est ce que je choisis pour
moi, c'est l'aide médicale à mourir.
Alors, comment accompagner ces personnes?
Puis est-ce qu'il y a un moyen de faire? Et, deuxièmement, comment définir la
souffrance pour ces personnes, souvent, qui vont refuser de l'aide?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : On ne peut pas définir la souffrance psychologique
pour quelqu'un d'autre. Évidemment, elle est la seule à la ressentir, c'est
elle qui l'éprouve. La souffrance physique, avec les maladies, on peut savoir
ce que c'est, on peut l'évaluer. Il y a même des codes de souffrance, etc. Quand
vous êtes à l'hôpital, on vous demande toujours : Est-ce que vous avez
mal? Alors, j'ai mal ici, j'ai mal là. Mais la souffrance psychique, et c'est
le problème, effectivement, de tout ce domaine-là, c'est que c'est la personne
qui la ressent. Nous pouvons vivre le même deuil, vous et moi, et réagir d'une
façon extrêmement différente.
Je pense que le défi, dans ce genre de
situation, c'est d'éviter des décisions impulsives, parce que l'aide médicale à
mourir, c'est un geste qui est irrémédiable une fois qu'il est accompli, d'où
le devoir d'accompagner ces personnes-là pour faire tout ce qu'on peut pour
qu'elle retrouve vite goût à la vie malgré tout. Regardez des personnes qui ont
été profondément déprimées, regardez des gens qui ont subi des chocs
post-traumatiques extrêmement importants, j'ai envie de dire : Tiens,
regardez le général Dallaire, qui a fait trois ou quatre tentatives de suicide
après les événements du Rwanda. Alors, est-ce qu'on répond à leur première
demande ou est-ce qu'on essaie de les accompagner le mieux possible pour
qu'effectivement la situation soit jugée irréversible?
Et je pense que c'est vers cela qu'il faut
tendre. À partir du moment où on leur ouvre la porte à l'aide médicale à mourir,
il ne faut pas que... il faudrait que ce soit vraiment, comme le disent les
psychiatres, une décision de dernier recours, et donc qu'on ait... pas essayé,
mais qu'on ait éprouvé tous les traitements admissibles pour cette personne-là,
quitte, dans certaines circonstances, à lui dire : Écoutez, si vous
refusez <tel type de traitement...
Mme
Philips-Nootens (Suzanne) :
…
de dernier
recours, et donc qu'on ait... pas essayé, mais qu'on ait éprouvé tous les
traitements admissibles pour cette personne-là, quitte, dans certaines
circonstances, à lui dire : Écoutez, si vous refusez >tel type de
traitement, vous ne répondez pas aux critères. Je sais que c'est difficile.
Mme Maccarone : Oui, oui,
oui, tout à fait, mais je pense que c'est un sujet qui est très sensible, qui
est très difficile pour nous tous, ici, membres de la commission, mais aussi
pour les gens qui en font témoignage. Alors, merci pour votre partage.
Ça m'amène à une autre question : si
nous aurons besoin d'avoir un tel accompagnement. Puis vous, vous constatez
qu'il y a peut-être une différence entre une personne qui souffre d'une maladie
comme le cancer ou alzheimer, par exemple, ou une personne qui souffre d'un
problème de santé mentale ou de déficience intellectuelle. Pensez-vous que ce
serait important de privilégier un type de catégorie de personnes qui font des
demandes ou, comme ce que nous avons entendu avec la présentation, hier, de
Me Chalifoux, on ferait peut-être fausse route en faisant ceci parce que
ça peut être discriminatoire? Pensez-vous que ça va être important d'avoir des
catégories, ou non, ce n'est pas nécessaire parce que nous allons poursuivre,
peu importe la demande, avec peut-être un genre d'accompagnement modulé pour
chaque personne dans le besoin?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Faire des catégories, c'est vraiment délicat,
surtout dans un domaine comme celui-là. Je vous ai énoncé, tout à l'heure, à
propos de la loi belge... enfin, de ce qui se passe en Belgique, tout ce qu'on
trouvait parmi les euthanasies pour troubles mentaux. Est-ce qu'on va
dire : Si vous avez tel type de trouble, par exemple dépression et trouble
bipolaire, ça se traite, donc on vous refuse l'aide médicale à mourir? Trouble
de la personnalité, du comportement, bien non, ça peut se traiter aussi. Si
c'est de la névrose, le deuil pathologique... Écoutez, encore une fois, je
reviens à cet exemple-là, est-ce qu'on va dire oui à telle personne et non à
telle autre?
À partir du moment où vous parlez de
souffrances psychiques, c'est extrêmement personnel. Je pense qu'il reviendrait
mal à des tiers de créer des catégories. Encore une fois, je pense que les
balises que nous devons garder, ce sont celles des autres dispositions de la
loi, sous peine de dérapage.
Aux Pays-Bas, par exemple, encore une fois — ah
oui, j'ai retrouvé l'expression qu'ils utilisaient, c'est la lassitude de vivre — les
personnes âgées qui sont lasses de vivre, alors, on reconnaissait que… on
reconnaît dans certains cas que cette latitude, cette… pardon, cette lassitude
de vivre vous donne accès à l'euthanasie. Est-ce que nous voulons vraiment
aller jusque-là?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, professeure. C'est tout le temps que nous avions. Donc, je vous
remercie beaucoup pour votre contribution aux travaux de la commission.
Et, compte tenu de l'heure, la commission
suspend ses travaux pour se réunir en séance <de travail...
La Présidente (Mme Guillemette) :
...
merci beaucoup, professeure, c'est tout le temps que nous avions.
Donc, je vous remercie
beaucoup pour votre contribution aux travaux de
la
commission.
Et, compte tenu de l'heure, la
commission
suspend ses travaux pour se réunir en séance >de travail.
(Fin de la séance à 11 h 57)