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Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie

Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le mardi 18 mai 2021 - Vol. 45 N° 2

Consultations particulières et auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Mme Louise Bernier

M. Alain Naud

Mme Jocelyne Saint-Arnaud

M. Marcel Arcand

M. Jean-Pierre Ménard

Mme Gina Bravo

Institut de planification des soins du Québec

Autres intervenants

Mme Nancy Guillemette, présidente

Mme Véronique Hivon

M. Guy Ouellette

Mme Suzanne Blais

M. Éric Girard

Mme Marilyne Picard

M. David Birnbaum

Mme Jennifer Maccarone

M. Gabriel Nadeau-Dubois

Mme Geneviève Hébert

M. François Jacques

Mme Marie Montpetit

*          Mme Danielle Chalifoux, Institut de planification des soins du Québec

*          Témoin interrogé par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures une minute)

La Présidente (Mme Guillemette) : Bon matin, tout le monde. Nous allons débuter les audiences de la commission... On recommence. Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la commission spéciale sur l'évolution des soins de fin de vie débutée.

Donc, la commission est réunie virtuellement aujourd'hui afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, Mme la Présidente, il n'y a pas de remplacement.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, j'aimerais savoir s'il y a consentement pour permettre au député de Chomedey de participer à la séance.

Des voix : Consentement.

Auditions (suite)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, il y a consentement.

Ce matin, nous entendrons par visioconférence les groupes suivants, donc : Pre Louise Bernier, Dr Alain Naud et la Pre Jocelyne Saint-Arnaud.

Donc, je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Louise Bernier. Vous disposez de 20 minutes, Mme Bernier, pour nous présenter votre exposé, et ensuite il y aura échange avec les membres de la commission pour 40 minutes.

Donc, Mme Bernier, merci d'être avec nous ce matin, et je vous cède la parole.

Mme Louise Bernier

Mme Bernier (Louise) : Bonjour, membres de la commission. C'est vraiment un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui.

Donc, je suis Louise Bernier, professeure à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, spécialisée en droit de la santé et en éthique. Je suis ici avec vous aujourd'hui parce qu'avec ma collègue de l'Université de Montréal Catherine Régis on a travaillé, depuis quelques années, sur les directives médicales anticipées qui font partie de la loi actuellement, le régime des directives médicales anticipées, et, par la suite, j'ai poursuivi des travaux et j'ai constaté, donc, certaines limites dans l'outil actuel, qui est un outil qui est assez méconnu encore des Québécois, qui est peu utilisé encore après cinq ans.

Donc, si on prévoit ouvrir l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes ayant reçu un diagnostic de maladie neurocognitive par demande anticipée, c'est l'occasion rêvée, c'est l'occasion idéale de repenser le régime de directives médicales anticipées ou d'en penser un nouveau pour ces questions-là, et il y a certaines modalités d'application, certaines mesures de sauvegarde qu'il va falloir réfléchir.

Et aujourd'hui, bien, je voulais vous soumettre différents points de réflexion, que j'ai articulés autour de trois volets, donc l'accompagnement des décisions anticipées, la mise en oeuvre aussi, certains événements, certains éléments à considérer lors de la mise en oeuvre des décisions puis un point que je considère aussi important de réfléchir dès maintenant, c'est les effets à plus long terme que ces décisions-là pourraient avoir sur la société. Je pense que ce n'est vraiment pas trop tôt pour y réfléchir non plus.

Donc, je commence avec l'accompagnement des décisions anticipées. Un consentement, qu'il soit anticipé ou non, pour être valide, vous le savez déjà, doit être donné par une personne apte mais doit aussi être libre et éclairé, O.K.? Et, dans le régime actuel des directives médicales anticipées, on a prévu une présomption d'information, O.K., puis on avait décidé qu'on allait prévoir que les gens qui remplissent leur directive médicale anticipée soient présumés avoir trouvé l'information pour éclairer leur décision de soins anticipés.

Donc, on a transféré au patient le devoir d'information qui incombe en général au professionnel de la santé. On l'avait transféré sous forme de responsabilité au patient pour faciliter probablement le processus, pour vraiment mettre l'accent sur le désir de... mettre l'accent sur l'autonomie, l'autodétermination puis s'éloigner du paternalisme médical, mais, en même temps, en faisant ça, en transférant ce devoir d'information là sur les patients, je pense qu'on a sursimplifié le processus puis on l'a dépouillé d'éléments qui sont essentiels. Je pense qu'il faut reconnaître la valeur de l'information médicale qui peut être transférée, lors d'un consentement anticipé comme ça, par des professionnels, par des experts. Donc, en ce moment, on remet ça entre les mains des individus, et puis je pense qu'il faut que ça soit repensé si on veut ouvrir le processus de directive médicale anticipée pour l'aide médicale à mourir.

Donc, il faut absolument prévoir une transmission d'informations, et puis moi, je la conçois en deux temps ou en deux volets, cette transmission d'informations là.

Je pense qu'évidemment il y a une masse d'information qui va devoir être transmise par les professionnels de la santé, les équipes, sur le diagnostic comme tel, sur... On va donner le diagnostic à la personne, mais, au moment de consentir à l'aide médicale à mourir de façon anticipée, je pense qu'il faut revenir sur ces informations-là, sur les différents stades de la maladie, sur les variations possibles, sur les scénarios possibles, sur l'évolution, les délais, combien de temps ça peut prendre pour aller d'une phase à l'autre, etc., et le fait que ça puisse évoluer différemment pour différents patients.

Donc, cette information-là doit être transmise, doit être comprise aussi, dans un langage qui assure que le consentement va être réellement éclairé. Et, moi, ce que je pense aussi, c'est qu'il faut se saisir de cette occasion-là pour aller chercher de l'information en amont aussi sur qui consent, donc avoir un réel échange avec les patients qu'on a devant nous pour savoir, bien, à l'avance qu'est-ce qui motive ce choix-là, quelle est votre historique de vie, vos valeurs, vos croyances, qu'est-ce qui fait en sorte que vous souhaitez, face à un diagnostic comme ça, recevoir l'aide médicale à mourir quand le temps sera venu puis quand vous serez devenu inapte.

On prévoit déjà ces échanges-là dans une aide médicale à mourir plus classique avec des personnes aptes. L'article 29 prévoit qu'on va aller chercher de l'information, on va s'assurer que le consentement est libre et éclairé, on va donner de l'information. Et là je pense qu'avec ce nouvel outil là, de la décision anticipée, il faut prévoir, comme on le fait dans plusieurs provinces aussi, des espaces où la personne peut vraiment nous informer sur qui elle est, sur qu'est-ce qui motive... qu'est-ce qui va... et vraiment qui va nous donner un contexte, qui va nous donner des éléments pour, lorsque la personne sera devenue inapte, se référer à ça puis pouvoir vraiment voir qui était la personne qui souhaitait recevoir ce soin-là, qu'est-ce qui était important pour elle, est-ce qu'elle subissait...

Puis, tu sais, ça peut être une occasion aussi de s'assurer de la liberté du consentement, hein? C'est... un consentement doit être libre et éclairé. Donc, est-ce que la personne, en lui posant certaines questions, est-ce qu'elle subit des pressions? Est-ce que c'est vraiment son choix? Peut-être que oui, sûrement que oui, mais il faut s'assurer aussi que le consentement est réellement libre. Peut-être qu'elle ne souhaite pas être un fardeau, puis c'est sa perception. Mais est-ce qu'on lui a fait sentir qu'elle était un fardeau? Est-ce que... Donc, aller chercher de l'information sur vraiment ce qui motive la décision.

Et je pense qu'il va falloir le formaliser ce nouveau processus de consentement libre et éclairé, d'expression de volonté. Il va falloir le formaliser et trouver des espaces de discussion probablement dans le suivi... Je ne sais pas quelle forme ça va prendre puis je pense que vous allez devoir vous enquérir auprès, probablement, des professionnels de la santé et des autres professionnels qui travaillent... qu'est-ce qui est possible dans ce contexte-là. Le consentement anticipé, est-ce qu'on peut l'intégrer dans un suivi de soins? Est-ce qu'on peut l'intégrer? Est-ce que c'est mieux que ça soit fait à part? Est-ce que... Comment on peut le faire? Comment on s'assure que ça soit fait?

Et je pense qu'il faut le formaliser par peut-être un processus aussi, comme on le fait dans le cadre de la recherche, par exemple, où, quand on présente un formulaire de consentement de la recherche, il y a une double signature, O.K., donc la personne signe. La personne qui est là, soit le professionnel de recherche, le directeur de la recherche, le chercheur principal va dire qu'il a répondu aux questions de la personne, qu'il a pu lui expliquer certaines étapes, et tout. Je pense qu'il va falloir arriver probablement à cette formalisation du processus, puis c'est peut-être quelque chose qui est... On aurait souhaité qu'il y ait un formulaire facile, comme on avait pour les directives médicales anticipées, mais je pense qu'on n'a pas le choix de se rendre compte que, sans être... sans trop complexifier le processus comme tel, il faut admettre que c'est complexe. Il faut admettre... Il ne faut pas que ça soit compliqué, mais il faut que l'outil témoigne de la complexité des choses, des différentes couches qui sont importantes à vraiment aborder dès le départ, lorsque la personne est apte.

• (9 h 10) •

Un autre élément que je pense qu'il faut vraiment, vraiment considérer, c'est le fait qu'on puisse revoir les directives médicales anticipées, les bonifier, les réviser tant qu'on est encore apte. Pour certaines personnes, ces maladies-là vont avoir différentes phases, et puis l'aptitude va demeurer pendant de nombreux mois, des années, même. Et on... peut-être, ce qu'on considérait absolument impensable ou ce qu'on désirait vraiment, vraiment dès le début, au moment du diagnostic, de l'annonce du diagnostic, peut-être que certaines perceptions peuvent changer à mesure où on vit avec la maladie.

Donc, sans présumer que ça va arriver, prévoir peut-être des mécanismes un petit peu plus faciles pour retourner... pour faire un suivi. En ce moment, l'article 54 exige que, pour modifier nos directives médicales anticipées, il faut en produire des nouvelles, il faut aller chercher un nouveau formulaire, il faut le déposer. Je pense qu'il y a lieu de penser à une flexibilité de l'outil aussi, hein, qui pourrait justement se faire au cours d'un suivi médical et validé périodiquement. Je ne pense pas qu'on puisse établir des délais précis pour réévaluer les choses, parce que l'évolution de la maladie va être différente pour chacun, mais je pense que de le prévoir dans un suivi de soins, de réévaluer, de bonifier, de changer les directives médicales anticipées, si c'est ce que la personne souhaite, ça devrait être facile, ça devrait pouvoir être fait. Donc, ça, c'est mon premier point.

Il y a un deuxième volet, je pense, qui nécessite qu'on s'y attarde, c'est la mise en oeuvre des directives médicales anticipées. Vous en avez beaucoup parlé vendredi dernier, déjà, mais je pense que, quand on a des directives médicales anticipées que l'on souhaite peut-être contraignantes, il faut quand même réaliser qu'au moment de leur mise en oeuvre il va y avoir... ces directives médicales anticipées vont s'intégrer avec d'autres facteurs, d'autres responsabilités, devoirs des médecins, des équipes au moment de les mettre en oeuvre. Je pense, par exemple, aux différents critères de la loi, O.K.? Si on a une des directives médicales anticipées, qui ont été établies à l'avance, où on souhaite qu'on reçoive l'aide médicale à mourir dans telle ou telle... quand on sera rendu à telle ou telle phase de la maladie, quand on aura perdu telle ou telle aptitude ou telle... où on essaie de l'établir le plus clairement possible avec nos valeurs en donnant du contexte, évidemment, quand nos proches ou nos personnes de confiance... je vais y revenir tout à l'heure, mais quand ils vont amener cette décision-là puis ils vont dire : Bien, je pense que c'est ça que mon proche souhaitait, on est rendus là, cette décision-là ne pourra pas être... les médecins ou les personnes qui vont être au coeur de la mise en oeuvre de la décision ne seront pas des exécutants de cette décision-là, O.K.? Il faut quand même comprendre que ces personnes-là ont des obligations déontologiques, légales, et ils doivent respecter les autres critères de la loi.

Là où on a des questions à se poser, c'est sur la question du déclin avancé et irréversible des capacités — vous en avez parlé — et de la souffrance, surtout physique, psychique constante et qui ne peut pas être soulagée. C'est difficile d'anticiper ces questions-là, et le jugement clinique des soignants doit pouvoir s'exercer dans ces circonstances-là.

Maintenant, pour la souffrance, vous en avez parlé aussi puis vous avez eu des exposés super intéressants sur la question, la souffrance, c'est une question très complexe. Et en ce moment, quand on a une personne qui est apte devant nous, on va aller parler avec elle de sa souffrance, elle va nous exprimer qu'elle souffre, elle va nous le dire, on va prendre en considération... évidemment, on va prendre acte de ça. Là où c'est compliqué, puis vous le savez déjà, c'est pour les personnes qui sont inaptes. Puis est-ce qu'on peut admettre en amont que la personne apte puisse témoigner de ce qui serait souffrant pour elle, lorsqu'elle sera inapte, en avance, puis quel poids on donne à ça? Puis quel est le rôle de l'équipe soignante dans l'opérationnalisation de ça puis dans, justement, leur jugement clinique? Comme vous disiez la semaine passée, il y a des personnes qui, en apparence, n'auront pas l'air souffrantes, qui vont vivre une démence plus ou moins sereine. Est-ce qu'il faut prendre en considération que la personne apte avait envisagé certains facteurs à l'avance, l'isolement, la perte d'amitiés significatives, la perte de contacts, perte de certaines capacités d'autonomie? Ce qui fait souffrir une personne dans le fait de se projeter dans ces états-là, est-ce que ça a le même poids que ce qu'on observe aussi? Est-ce qu'il faut donner un poids, finalement, à ce qu'on observe, ce qu'on n'est pas capable de mesurer dans une situation clinique parce que, bien, on n'a pas d'indicateur que la personne souffre? Tout ce qu'on a, c'est les éléments qui avaient été mentionnés en amont par la personne apte.

Donc, ça, c'est des questions qu'il faut se poser. Puis je ne pense pas que le choix ou cette évaluation-là ne doit que reposer sur les équipes au moment où la question va se poser. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut qui soit réfléchi aussi. À qui on redonne cette possibilité de mesurer la souffrance? Comment on interprète l'intérêt du patient dans ce contexte-là? Comment on voit la question du refus catégorique de soins?

Vous savez, le refus catégorique de la personne inapte est une notion juridique valide qui existe. On a laissé une espèce d'autonomie ou de capacité résiduelle à l'inapte. Lorsqu'il refuse catégoriquement ce qu'il pourrait déjà avoir accepté lorsqu'il était apte, on prend ça au sérieux, et même c'est dans la Loi, hein, concernant les soins de fin de vie. Même quand on a des directives médicales anticipées, si on refuse catégoriquement le temps venu, il faut se saisir de l'article 16 et aller valider le pouvoir, justement, le soin par le tribunal. Devant un refus catégorique d'une personne qui aurait consenti à l'aide médicale à mourir, puis qui peut encore communiquer avec nous, et qui ne semble plus vouloir ça, alors qu'on lui présente l'option, qu'est-ce qu'on fait de ce refus catégorique là? Comment on l'aborde? Et, dans la loi fédérale en ce moment, dans les nouvelles dispositions, même si on avait prévu le renoncement final au consentement, on a prévu que, si la personne oppose un refus catégorique, on ne peut pas procéder à l'aide médicale à mourir.

Donc, je pense que le refus catégorique, il faudrait prévoir comment le traiter. Est-ce que c'est par un comité externe? Est-ce que c'est toujours par le tribunal? Est-ce qu'on prévoit des gens qui vont... avec qui les équipes vont pouvoir discuter? Je ne pense pas que ce choix-là ou ce poids-là doit revenir sur les épaules seulement des soignants, qui vont être confrontés à ces questions-là. Il faut prendre soin de... puis il faut anticiper l'impact émotionnel aussi que ces dilemmes-là peuvent avoir sur les soignants.

Je veux dire quelques mots sur la place des proches. La place des proches... La décision anticipée, ça ne sera pas une... on ne souhaite pas que ça soit un consentement substitué. On ne veut pas donner, je pense, de place de décideur ou de représentant légal aux proches. Les directives anticipées sont là pour, justement, redonner le pouvoir au patient, mais ça serait une erreur de ne pas impliquer les proches dès le départ, si c'est possible, dans le processus de consentement, les impliquer dès le départ dans la transmission d'informations. On peut nommer une personne de confiance. On pourrait avoir les proches aussi présents. Les modalités pourraient être réfléchies, mais je pense que d'impliquer tous les proches, de prévoir un rôle pour les proches, ce qui est déjà prévu dans la loi de toute façon pour une aide médicale à mourir plus classique, c'est vraiment une bonne idée parce qu'il ne faut pas minimiser... il faut réaliser qu'ils ont... Ils sont très, très précieux, les proches, pour nous instruire sur la personne aussi, la personne qui avait décidé à l'avance... qui le connaissent très bien, les changements qu'ils pourraient avoir observés chez cette personne-là, et aussi le fait que cette décision-là va avoir des impacts pour eux aussi, puis de reconnaître qu'ils vont être au coeur de la mise en oeuvre de la décision dès le départ, ça peut faciliter beaucoup les choses.

Je travaille beaucoup dans le domaine du don d'organes, puis d'impliquer les proches en amont, on réalise que c'est souvent ça, la solution pour une meilleure effectuation d'une décision qui a peut-être une valeur contraignante, une valeur légale, mais il ne faut pas négliger l'apport puis la place des proches, même s'il n'y a pas de rôle légal à proprement parler.

Il reste quelques minutes pour aborder mon dernier, dernier point, que je considère très important aussi, d'anticiper les effets de l'ouverture de l'aide médicale à mourir par demande anticipée sur nos choix de société. J'entends par là que, face à... Il ne faudrait pas sous-estimer l'impact de la représentation de la maladie neurocognitive, par exemple. Si on ouvre l'aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent de cette maladie-là, il faut absolument éviter que toutes les personnes qui reçoivent ce diagnostic-là aient une perception que l'aide médicale à mourir, c'est ce qui est attendu d'eux maintenant, O.K., donc que c'est le choix à privilégier et puis que, s'ils ne le prennent pas, ce choix-là, bien, ils sont... ils décident d'être un fardeau, ils décident...

Je pense qu'il faut prévoir ça à l'avance. Puis la façon, je pense, de prévoir ça, c'est d'investir aussi dans d'autres... oui, l'aide médicale à mourir pour ceux qui le veulent, mais d'investir également dans d'autres options, d'investir... de ne pas opérer ce qu'on pourrait appeler un abandon thérapeutique de ces catégories de patients là, parce que l'aide médicale à mourir leur est disponible, donc ils devraient aller vers ça, mais d'investir dans d'autres ressources, dans un accompagnement de ces personnes-là pour que le choix soit réellement libre, hein? Parce qu'il ne faut pas du tout minimiser l'impact de la société... des choix de société quand on prend notre décision. Il faut réaliser que ces éléments-là vont avoir un impact sur nous. Et, si la seule solution quand on a ces maladies-là, c'est de demander l'aide médicale à mourir, puis qu'on n'a pas d'autres ressources, d'autres façons d'anticiper vivre avec la maladie, bien, ça pourrait être... ça pourrait créer une perception qu'on ne veut pas, je pense, encourager. Donc, je pense qu'il faut y penser dès le début. Si on ouvre, il faut aussi prévoir qu'il y en a qui ne voudront pas, puis il ne faut pas le négliger, ça non plus.

Donc, je pense que j'ai écoulé mon temps. Est-ce que j'ai encore un peu de temps ou non?

• (9 h 20) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Il vous reste... excusez. Il vous reste 30 secondes, mais on a...

Mme Bernier (Louise) : Ah! bien, parfait. Alors, je peux conclure. Alors, j'avais une petite conclusion.

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui.

Mme Bernier (Louise) : Alors, je pense qu'il faut admettre... Quand on repense à décider de façon anticipée pour ces questions-là, il faut admettre que c'est complexe en amont, il faut dépasser le réflexe de vouloir un outil facile, avec des cases à cocher, et tout. Je pense qu'il va falloir vraiment se pencher sur l'outil, admettre que la décision a des ramifications relationnelles, investir des ressources pour l'aide à la décision puis investir aussi dans d'autres solutions pour l'accompagnement de patients qui ne voudraient pas prendre ce choix.

Alors, j'ai hâte de discuter avec vous.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Bernier.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour. Merci beaucoup de votre présentation, Mme Bernier. C'est un plaisir de vous entendre. J'ai peu de temps, donc je vais vous poser mes trois questions, puis vous pourrez leur... y répondre à la suite une de l'autre.

Dans le rapport du comité d'experts, donc sur les personnes en situation d'inaptitude, la recommandation 4, eux, ils font vraiment une distinction entre les directives anticipées et une demande anticipée qui serait une demande autre. Et donc je voulais voir si vous étiez dans la même logique qu'eux. Eux, ils prévoient qu'on va s'assurer, là, du caractère libre et éclairé parce que ça va devoir être avec un médecin, il va devoir y avoir des témoins. Donc, vu que vous avez beaucoup insisté là-dessus, j'aimerais savoir où vous vous distinguez de cette recommandation-là.

 La deuxième question, c'était sur cette fameuse question, donc, de la souffrance. Je comprends que vous dites : Il faut vraiment que l'ensemble des critères de la loi... votre position, vous me corrigerez si j'ai mal compris, l'ensemble des critères de l'article 26 de la loi doivent continuer, donc, à être respectés, y compris la question de la souffrance constante et intolérable. Et, dans votre analyse à vous, est-ce que cette souffrance-là, si c'est la souffrance de la personne qui l'anticipe, donc, elle, elle se projette et elle se dit : Moi, si je ne peux plus reconnaître personne, si je ne peux plus manger, ça va être une souffrance intolérable, mais évidemment, vous me voyez venir, qu'au moment où elle est dans cette situation-là, elle a l'air sereine, et tout. À quoi donnez-vous, je dirais, préséance dans... Est-ce que la souffrance anticipée doit être reconnue au sens de l'article 26?

Et puis finalement le caractère contraignant ou exécutoire. Est-ce que, selon vous, il devrait y avoir un caractère contraignant quand les critères de l'article 26 sont respectés?

Mme Bernier (Louise) : Merci beaucoup pour vos questions. C'est très riche.

Alors, je commence par la première. Pour moi, il n'y a pas d'absolu si la demande ou les directives... Je pense que les directives médicales anticipées, telles qu'elles sont actuellement, si on fait deux processus parallèles, ça ne change pas qu'elles devraient être revues, pour moi, les directives médicales anticipées, parce que ce que j'ai dit pour la présomption d'information s'applique aussi pour les autres soins, selon moi, O.K.?

Donc, je pense qu'on pourrait choisir, parce que c'est très spécial, c'est... puis on prévoit d'ouvrir pour des personnes qui ont un diagnostic, et tout. Je pense qu'on pourrait faire un régime à part de demandes d'aide médicale à mourir, à part avec la présomption. De toute façon, je pense que les directives médicales anticipées, telles qu'elles sont en ce moment, je pense qu'on a des preuves assez claires qu'il n'y a pas d'adhésion. Donc, je pense que ce que je propose ici, ça pourrait aussi s'appliquer aux directives médicales anticipées. Si on décide de faire deux régimes ou un régime, c'est... mais je pense que ce que je propose pour vraiment informer le consentement, puis le processus devrait être... Si on y pense juste pour l'aide médicale à mourir pour l'instant, bien, évidemment, éventuellement, je pense qu'il faudrait également le prévoir.

Pour la souffrance, votre question est excellente, je n'ai pas de réponse claire à ça. C'est très difficile pour moi, mais, si on admet les directives médicales anticipées, on donne quand même un poids et un rôle légal à cette personne apte là qui se projette, O.K., qui se projette dans une situation. Et puis c'est très... Puis le dilemme qui est établi par les auteurs Dresser puis Dworkin, puis tout ça, est-ce que c'est les intérêts critiques qui doivent primer ou les intérêts expérientiels? Puis c'est très difficile de négliger un ou l'autre, O.K., puis de le prévoir à l'avance du mieux possible, puis de dire : Bien, voici, moi, ce qui serait souffrant. Je pense que, comme Jocelyn Maclure le disait, ça va peut-être passer par le déclin avancé aussi, tu sais, la rencontre du déclin avancé des capacités, qui vont peut-être vraiment s'apparenter à quelque chose qu'on considérerait comme souffrant puis à la souffrance existentielle, tu sais, qui... et la souffrance psychique, qui est difficile à mesurer. Est-ce que, face à une personne qui a l'air tout à fait sereine, on se réfère à ses directives médicales anticipées? Je pense qu'il va falloir y penser.

Moi, ma position, c'est que c'est très difficile à mitiger puis ça va être difficile pour les soignants. Je pense qu'il faut prendre en considération que ça va être eux qui vont devoir faire cette évaluation clinique là, puis il ne faut pas les laisser avec... il faut leur donner le plus d'outils possible.

Et, si on veut aller d'un côté où on donne vraiment énormément de pouvoir à la personne apte sur la personne qu'elle va devenir, si c'est le choix qu'on fait parce qu'on envisage que c'est à elle de décider de prendre et de vraiment... de faire valoir ses intérêts critiques jusqu'à la fin, bien, il va falloir que ça soit très clair à ce moment-là puis anticiper des difficultés que ça pourrait avoir pour les soignants.

Pour ce qui est de la contraignabilité, je pense que, si tous les critères de l'article 26 sont remplis, ça pourrait être possible d'avoir des directives médicales contraignantes, mais il faut se laisser une marge de manoeuvre. Il faut laisser... On ne peut pas penser que les médecins vont être des exécutants. Puis il va y avoir... Je pense qu'il ne faut pas donner l'impression aux personnes : Vous prenez votre destinée entre vos mains. Vous avez... Tu sais, il faut s'assurer que ce qu'on demande est possible légalement. Puis, comme on vient de voir avec la souffrance, ce n'est pas si clair que ça. Alors, il va falloir peut-être ne pas laisser cette impression de... tu sais, de décision contraignante en toute circonstance, prévoir que, bien, ça se peut que, dans certains cas, ça ne soit pas possible.

Puis, vraiment, avec la présence des proches, justement, essayer de, justement, prévoir cette flexibilité-là puis devoir référer peut-être à eux dans le cas où on ne pourra pas les implanter de façon aussi claire que c'était à la base dans notre tête, mais se laisser une certaine marge de manoeuvre, peut-être, dans le consentement, une flexibilité dans l'expression des volontés, qui pourrait faire en sorte que, oui, ça serait contraignant, mais avec la flexibilité, si on y va avec une forme très, très, très claire et qui ne permet pas de sortir du cadre, on va peut-être s'emmurer dans quelque chose qui ne sera pas capable d'être mis en oeuvre par la suite.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Bernier.

Mme Bernier (Louise) : Je ne sais pas si ça répond à vos questions.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup.

Mme Bernier (Louise) : Oui? O.K.

La Présidente (Mme Guillemette) : On passera...

Mme Bernier (Louise) :Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je vais maintenant passer la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Bonjour, Mme Bernier. J'ai encore moins de temps que ma collègue de Joliette. Je vais avoir le temps pour une seule question. Et je vous écoutais nous parler de l'adhésion aux directives médicales anticipées, ce n'est pas celle qu'on voudrait. Et j'aimerais que vous nous parliez un petit peu plus du médiateur bioéthique parce que vous semblez attacher une grande importance, et je vois une très grande utilité dans cette fonction-là. Et j'aimerais ça vous entendre un petit peu plus là-dessus.

• (9 h 30) •

Mme Bernier (Louise) : Merci. Oui. Bien, en fait, je pense qu'il y a différentes possibilités possibles, mais, oui, je pense que quelqu'un qui... pour le régime actuel de directives médicales anticipées, tu sais, je pense qu'il faut prévoir des ressources. Je ne pense pas qu'il faut laisser des gens seuls avec ces décisions-là. Puis on réalise qu'en impliquant les parties prenantes en amont puis en... ce qu'on appelle en anglais, là... bien, en français, la prise de décision partagée, on réalise — il y a plein d'études là-dessus — que, quand on a une prise de décision partagée, par la suite les gens sont beaucoup plus enclins, justement, à aller de l'avant, à avoir une certaine adhésion à la décision qui a été prise quand ils ont pu anticiper et aussi expliquer leur contexte de vie vraiment puis en se faisant poser des questions. Je pense qu'un médiateur bioéthique, ou ça pourrait être vraiment un soignant ou juste une personne qui a les compétences, mais je trouve que les bioéthiciens, les gens qui font de la bioéthique, souvent, ou de l'éthique clinique sont très bien placés pour essayer de faire sortir les intérêts des parties prenantes puis, souvent, bien, prévoir qu'il peut y avoir des conflits, qu'il pourrait y avoir des problèmes à l'intérieur puis faire sortir déjà certaines choses à la base, certains intérêts, certaines perceptions : Moi, je ne veux pas être un fardeau. Bien, moi, je ne pense pas que tu vas être un fardeau. Puis là on établit... puis moi, je ne veux pas me voir, par exemple, vieillir comme ça, puis vraiment établir...

Puis, tu sais, dans les directives médicales anticipées, la rigidité de l'outil fait en sorte que l'adhésion n'était pas au rendez-vous parce qu'on prévoyait : oui, non, des boîtes, et ce n'est vraiment pas souhaitable, pour moi, qu'on poursuive avec cette voie-là. Qu'on admette d'emblée que, oui, ça va être plus compliqué dès le départ, mais ça va nous simplifier la vie par la suite. Puis je pense que ce rôle-là de personnes extérieures, de personnes... C'est sûr que ça va prendre des ressources, puis il va falloir trouver le temps, puis je ne sais pas qui va faire ça puis où ça va être inclus, dans les tâches de qui, mais je pense qu'il faut le prévoir absolument, parce qu'à force de vouloir sursimplifier, bien, on arrive avec un outil qui n'a pas vraiment de... qui n'est pas... que ce n'était pas justement... qu'il n'y a pas d'adhésion par les personnes qui devraient justement pouvoir en profiter.

M. Ouellette : Merci.

Mme Bernier (Louise) : De rien. Merci à vous.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Donc, je céderais la parole maintenant à Mme la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Bernier, pour la belle présentation. Lorsqu'un patient reçoit un pronostic sombre, irréversible, comment s'assurer que lademande de l'aide à mourir ne soit pas une détresse ou une souffrance psychologique au-delà de la souffrance physique? Et quel est l'échéancier? Combien de temps, la préparation lorsqu'on choisit l'aide à mourir? Combien de temps on peut accompagner cette personne-là aussi?

Mme Bernier (Louise) : Merci pour la question. Alors, je pense qu'il faut faire peut-être... La souffrance psychologique a une valeur, hein? Ce n'est pas parce qu'une personne souffre psychologiquement qu'on... Mais ce que je comprends, c'est... il faut départager aussi ce qui pourrait venir d'un choc, hein, dès le départ, qui pourrait vraiment être un choc, puis dire : Moi, je ne veux absolument pas du tout vivre ça, donc je veux l'aide médicale à mourir maintenant. Il pourrait y avoir un choc comme ça et une souffrance un peu... bien, le choc de l'annonce aussi. Alors, c'est pour ça que je pense que l'annonce doit se faire, le diagnostic, l'annonce du diagnostic, en clinique. Et après il faut prévoir un autre moment, je pense, où, là, on va pouvoir réfléchir à certaines options.

Puis moi, ce que je pensais de... C'est pour ça que je trouve qu'il faut pouvoir prévoir retourner à ces directives médicales anticipées dans des délais très faciles, il faut faciliter le retour, il faut simplifier l'outil pour que la personne, justement, dans les délais qu'elle souhaite... Parce que je ne pense pas qu'on puisse établir un délai, parce que l'évolution de la maladie va différer selon les différentes personnes, hein, puis une personne va pouvoir rester apte très longtemps, alors qu'une autre, ça va décliner très rapidement. Donc, je pense qu'il va falloir vivre avec cette espèce d'incertitude qui accompagne le diagnostic, mais prévoir, dans l'outil, au moins les mécanismes pour faciliter de retourner à l'outil, de pouvoir le changer une fois le choc passé, tu sais, pour vraiment s'assurer... Puis je pense que ça pourrait faire partie du suivi clinique, du standard de soins où on retourne à la personne puis on dit : Bon, là, le choc passé, est-ce que c'est encore ça que tu souhaites? Quelles sont tes volontés, quelles sont tes appréhensions par rapport à ça maintenant? Donc, je ne sais pas si ça répond bien à votre question. Est-ce que...

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui, c'est parfait. Ma seule inquiétude, c'était, pour faire ce choix-là, est-ce qu'on peut s'assurer que le patient... on a bien répond à toutes les questions face au patient qui demande l'aide médicale à mourir? Parce qu'on sait que la cadence, elle est augmentée dans le... en santé, hein? Alors, c'est mon inquiétude.

Mme Bernier (Louise) : Je pense que c'est tout à fait légitime, puis c'est pour ça qu'il faut prévoir, je pense, une aide, dès le début, avec des gens qui sont formés aussi, avec un coaching, tu sais. Puis je pense que les ordres professionnels vont devoir être mobilisés pour ça, là, pour dire : Bon, bien, quand on a l'outil de la demande anticipée, là, d'aide à mourir, bien, ça, ça vient avec des responsabilités. Puis il va falloir les attribuer à des gens, avec du coaching, avec une formation pour aller chercher l'information, pour vraiment s'enquérir auprès de la personne de ce qu'elle souhaite et de pouvoir y retourner. Mais c'est superimportant, vous avez raison de le mentionner.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup.

Mme Bernier (Louise) : Merci à vous.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je passerais maintenant la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Bien, merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Louise Bernier. Bien, moi, je veux revenir un petit peu plus au niveau, là, de la mise en oeuvre, là. Quand vous dites : Là où c'est compliqué, c'est quand les personnes deviennent inaptes, la commission des soins de fin de vie l'avait mentionné aussi, qu'il y a une partie des gens, quand vient le temps, bien, ils ne sont plus en mesure de faire le consentement pour l'aide médicale à mourir parce qu'ils deviennent inaptes à prendre ces décisions-là.

Puis je veux aussi vous entendre plus, peut-être un exemple, qu'est-ce que les proches... Parce que, quand on parle de proches, bien souvent c'est des gens de la famille. Oui, ce n'est pas... ils ne peuvent pas décider, mais vous dites qu'ils ont un grand rôle au niveau de l'implication. Mais j'aimerais ça avoir un exemple, parce que, quand vient le temps de prendre des décisions, bien, des fois, la personne n'est plus inapte, et les proches se retrouvent aussi avec ça entre les mains. Puis vous parliez, vous faisiez un peu référence avec le don d'organes, tout ça, mais peut-être un exemple.

Mme Bernier (Louise) : Parfait. Donc, votre première question, c'était sur une personne qui est devenue inapte, comment on s'assure, si j'ai bien compris, comment on s'assure qu'on a assez d'information, une fois que la personne est devenue inapte, pour mettre en oeuvre ce qu'elle souhaitait. Je pense que ça, ça va vraiment passer par un outil puis avec les gens qui connaissent les différents stades de maladie, les différents scénarios. Je pense qu'on n'aura pas le choix, dans notre outil, de prévoir des scénarios puis d'admettre qu'il y a une adaptation possible émotionnelle, hein, puis quel poids on donne à cette adaptation émotionnelle là. Est-ce qu'on ne lui donne aucun poids parce que ça fait partie des intérêts plus expérientiels, et ce qu'on souhaite, c'est vraiment mettre de l'avant nos intérêts plus critiques, donc vraiment tout ce qui est, bon, nos capacités intellectuelles, capacités d'interagir avec le monde extérieur, et tout? Donc, ces choses-là, il va falloir qu'on les prenne en considération puis on donne un rôle à la personne apte, plus ou moins grand, dans les décisions qu'elle prend pour le futur, son futur soi qui va devenir inapte. Donc, ça, il faut que ça se réfléchisse en amont.

Et, pour ce qui est de votre exemple pour les membres de la famille, je pense que, si on implique les membres de la famille très tôt dans le processus, il pourrait y avoir des choses qui soient mises à plat dès le départ où, vraiment, on discute avec son proche de ce qu'il souhaite, un petit peu comme dans le don d'organes. Tu sais, si on établit un peu comment les choses pourraient se passer et que le patient, par exemple, dit : Bien, moi, jamais je ne voudrais vivre à vos crochets, jamais je ne voudrais être un poids, puis que les proches disent : Bien oui, mais moi, je veux te garder le plus longtemps possible, O.K., par exemple, comme ça, là, puis on a cette discussion-là, puis on exprime tous les deux nos intérêts, nos valeurs, puis on réalise que la personne, bien, c'est peut-être égoïste de vouloir la garder le plus longtemps possible, parce qu'elle, elle ne veut vraiment pas vieillir comme ça, elle ne veut pas être en perte d'autonomie, puis d'avoir ces conversations-là en amont, ça pourrait donner un petit peu de matière à la fin.

Puis un autre exemple, ça pourrait être le fait d'impliquer les proches, bien, on reconnaît qu'ils ont une expertise, là, d'accompagnant, ou de proche, ou de... ils sont aux premières loges de comment la personne évolue, de ce qu'elle pourrait avoir vécu, de comment elle a vécu les choses. Est-ce qu'elle pourrait avoir changé un petit peu de perception à travers l'évolution de la maladie? Parce qu'on a beau vouloir accompagner la décision du début, les soignants ne seront pas, à chaque étape de la maladie, impliqués de la même façon. Donc, les proches sont des témoins experts de ce qui se passe. Et je pense que d'avoir eu cette conversation-là en amont, ça peut aussi diminuer la culpabilité lorsque vient le temps d'opérationnaliser la décision puis de dire : Bon, bien, je pense que c'est le temps, c'est ce qu'il voulait, il avait été très, très clair là-dessus. Maintenant, est-ce qu'on est rendu là? Puis on prend la décision finale, la décision qui est déjà prise, mais on l'opérationnalise en équipe, mais en prenant acte de l'importance de la vision de la famille puis de la perception qu'ils ont eue aussi de ce que souhaitait leur proche. Si on n'a pas eu ces conversations-là en amont, c'est très difficile après, on peut réinterpréter, on peut... et on le voit dans le don d'organes puis on pourrait le voir ici. Si les proches n'ont pas été impliqués dès le début, il y a des possibilités qu'ils interprètent des choses d'une façon qui n'est pas adéquate.

• (9 h 40) •

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : J'aurais peut-être une dernière question, mais je retiens aussi, quand vous dites, là : Les proches deviennent des témoins experts, j'ai retenu ça aussi. Quand vous dites aussi : La personne qui est rendue inapte, oui, il y a du personnel soignant spécialisé, entre autres les médecins, qui vont être là aussi, là, justement, parce que c'est des soins, qu'on pourrait dire, mais voyez-vous d'autre personnel aussi traitant autre que les médecins, psychologues, infirmières?

Mme Bernier (Louise) : Ah oui! Bien oui, il y a des équipes, hein, multi, oui, souvent...

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Est-ce qu'ils pourraient participer aussi à la décision?

Mme Bernier (Louise) : Bien, pour l'instant, dans la loi, c'est vraiment les médecins qui sont au coeur de la mise en oeuvre. Mais je pense que ces décisions-là puis ces rencontres-là pourraient certainement se faire en... puis c'est comme ça que ça se passe en ce moment, les évaluations. Il y a quand même des équipes multidisciplinaires puis il faut, oui, il faut reconnaître ça, parce que, là, c'est... je pense que, surtout avec l'aspect de souffrance et l'aspect, tu sais, de déclin avancé, je pense qu'il pourrait y avoir... puis ça libérerait aussi. C'est un gros poids d'avoir à tout déterminer si les critères sont rencontrés. Je pense que, si on pouvait avoir des équipes spécialisées, des équipes multidisciplinaires, ça serait une excellente idée, effectivement, avec d'autres professionnels.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Bien, merci, Mme la Présidente. Merci.

Mme Bernier (Louise) : Merci à vous.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je céderais maintenant la parole à Mme la députée de Soulanges.

Mme Picard : Bonjour, Mme Bernier.

Mme Bernier (Louise) : Bonjour.

Mme Picard : Je vais rebondir un petit peu... j'avais une autre question, mais je vais rebondir un petit peu sur la question de mon collègue. En fait, c'est superintéressant, ce que vous proposez, d'équipe, là, autour des patients qui ont à prendre cette décision-là, et tout. Où vous la voyez, cette équipe-là? Est-ce qu'on pourrait la... est-ce qu'elle serait plus dans les hôpitaux, dans les maisons de soins palliatifs, dans les soins à domicile? Dans notre structure actuelle du système de santé, j'aimerais savoir où vous la voyez.

Puis ma question que j'avais, vous parlez beaucoup de diagnostic : Est-ce que, selon vous, est-ce que ça prend absolument un diagnostic, ou bien il y a peut-être certains diagnostics qui seraient d'emblée admissibles à l'aide médicale à mourir, ou bien vous... Est-ce qu'on devrait s'attarder à un diagnostic? Donc, deux petites questions.

Mme Bernier (Louise) : Alors, pour votre première question — merci — la forme que pourrait prendre cet accompagnement à la décision, il peut être multiple. Si... Puis ça, ça va être intéressant que vous posiez la question aux médecins qui viennent plus tard, aujourd'hui, même, tout à l'heure, comment ça pourrait être intégré dans leur pratique. Est-ce que ça alourdirait trop le processus de suivi ou non? Mais je pense qu'il faut que ça soit formalisé, O.K.? Ça peut prendre différentes formes. Tu sais, dans les directives médicales anticipées, ça pourrait être, si ce n'est pas pour l'aide médicale à mourir, ça pourrait être, tu sais, des ressources, des outils interactifs qui sont mis à la disposition, des rencontres possibles avec des équipes, tu sais, volantes aussi, qui se promènent, et tout. Ça, ça pourrait être possible.

Mais, pour l'aide médicale à mourir, quand on a un diagnostic, on a déjà un suivi clinique qui est engagé, donc je pense qu'il faut les voir probablement différemment. Et, si ça pouvait s'intégrer dans le suivi clinique, je pense que ça serait idéal de pouvoir l'intégrer, si c'est possible, si ça n'alourdit pas trop le processus, si ça n'alourdit pas trop la tâche des soignants. Je pense que... Puis ça, ça va être à voir avec le collège, comment on prévoit cet espace de dialogue là, comment on l'intègre dans le suivi de soins. Je pense que ça, il faut y penser, mais, si ça pouvait se faire de façon assez systématique, avec un retour possible et avec un suivi, je pense que ça serait idéal d'impliquer les proches aussi dans ce suivi-là dès le départ.

Pour votre deuxième question... Pouvez-vous me la rappeler rapidement? Excusez-moi.

Mme Picard : Oui, c'est au sujet du diagnostic.

Mme Bernier (Louise) : Ah oui! Oui. Oui, oui. Je suis d'accord avec le rapport Maclure à ce niveau-là. Je pense que le diagnostic est essentiel. C'est le point de départ, je pense, un diagnostic de maladie neurocognitive qui pourrait être assez large, donc pas cibler une maladie en particulier, mais prévoir que, quand on s'en va dans un type de diagnostic vers l'inaptitude éventuelle... Parce que je pense que, pour décider de ces questions-là de façon éclairée, le diagnostic ancre la décision dans une réalité, en fait, qui est nécessaire, je pense, pour la première étape.

Éventuellement, est-ce qu'on pourrait envisager des directives anticipées plus larges déconnectées d'un diagnostic? Peut-être ou non, mais, pour l'instant, je pense qu'il faut vraiment avoir... L'idée du diagnostic est importante pour assurer que, justement, cette décision-là s'ancre dans une réalité, et ça éclaire énormément la décision, à ce moment-là, puis ça permet ce que j'ai proposé comme accompagnement.

Mme Picard : Merci beaucoup.

Mme Bernier (Louise) : Merci à vous.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je céderais la parole... je retournerais à Mme la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Du potentiel... médicale anticipée concernant l'aide à mourir, devrait-elle être obligatoirement formulée par écrit? Par exemple, une personne devenue inapte mais ayant exprimé oralement à ses proches une volonté de recevoir l'aide médicale à mourir alors qu'elle était apte devrait-elle être considérée comme admise?

Mme Bernier (Louise) : Bonne question. Je pense que oui. Je pense qu'il faut que ça soit... Non, en fait, non, je pense qu'il faut prévoir que ce soit fait par écrit par une personne apte pour éviter... Si on veut que ce soit une réelle décision médicale anticipée, il faut pouvoir... il faut que ça soit signé, il faut que ça soit consigné par écrit. Si la personne n'est pas capable de signer, il faut qu'il y ait une trace. Mais de permettre que la personne dise... bien, ça laisse trop de place à l'interprétation. Puis ce n'est pas qu'on ne fait pas confiance aux familles, sûrement que c'est vraiment tout à fait vrai que la personne avait dit ça, mais je pense que, si on veut... Les mesures de sauvegarde sont importantes dans ces domaines-là. Je pense que, si on veut éviter, justement, des interprétations, hein, on veut quand même s'assurer que c'est la décision de la personne et qu'on peut se référer à un document, à, vraiment, un énoncé de volonté. Je pense que c'est nécessaire de prévoir une forme très... justement, de formaliser le processus, absolument.

Sinon, il y a trop d'interprétations possibles. Il y a des dérives possibles également. On ne peut pas nier que des personnes pourraient peut-être vouloir... trouver que c'est un fardeau aussi ou penser peut-être, dans leur for intérieur, que ce n'est pas humain, O.K.? Mais je pense que, pour des décisions aussi importantes de vie, de mort, de fin de vie, je pense que la décision doit clairement être exprimée par la personne. Il faut pouvoir, nous, comme... vous, comme soignant, comme personne aussi, d'avoir l'espèce de garantie, un peu procédurale, qui nous permet de se rassurer que c'était vraiment son choix, parce que ce n'est pas anodin, et je pense qu'il faut vraiment passer par ce formalisme-là.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Je céderais maintenant la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : ...si je peux... ma collègue de Westmount—Saint-Louis avait des questions préalablement, et moi après. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Tout à fait. Parfait, merci.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Bernier. Ça tombe bien, vous avez évoqué «place à l'interprétation», puis je pense qu'entre nous on a beaucoup de préoccupations en ce qui concerne la notion d'inaptitude. Est-ce que... Puis vous ne l'avez pas évoqué nécessairement dans votre présentation, mais comment voyez-vous la façon que nous allons déterminer l'aptitude ou l'inaptitude à une façon de consentir aux soins? C'est une question qui me préoccupe beaucoup, beaucoup, surtout... ce serait ma question préliminaire, mais je ferais de la suite, parce que, si vous pouvez le faire en rafale, on comprend que le rapport puis les recommandations de Me Filion et M. Maclure, on évoque qu'il y a autres situations d'inaptitude à consentir qui devraient être considérées, comme les personnes qui souffrent de déficience intellectuelle, ou du spectre de l'autisme, ou ayant des troubles de santé mentale.

Alors, est-ce qu'il y a une façon de s'assurer qu'on ne fait pas fausse route en identifiant peut-être des critères d'admissibilité ou un autre potentiel d'élargissement des autres critères? Puis comment allons-nous définir ceci? Parce que ce n'est pas nécessairement une personne qui est inapte. Moi, je suis maman de deux enfants autistes. Ils sont aptes à quelques moments puis ils sont inaptes en autres moments. Alors, je pense que nous devrons vraiment se pencher sur ces questions.

• (9 h 50) •

Mme Bernier (Louise) : Excellente question. Donc, je pense que, pour votre première question sur l'aptitude, en ce moment, c'est l'évaluation des critères de Nouvelle-Écosse, là, qui prévaut, en fait. Et donc il va falloir s'assurer, quand on va chercher ce consentement-là, que la personne, justement... Bien, au moment du consentement, on veut que la personne soit apte, O.K.? Donc, pour donner un consentement valide, on souhaite que la personne soit apte à donner ce consentement-là. Ça fait partie des conditions. Pour donner un consentement valide, il faut être apte à le faire, sinon ça sera un consentement substitué, O.K., ce qu'on... on n'est pas rendu là.

Donc, si on veut donner le consentement, il faut... donc, si on suit les critères de la Nouvelle-Écosse, il faut comprendre la nature de sa maladie, le but du traitement, du soin, ici, le but... les risques associés à ce traitement-là, les risques de ne pas subir le traitement, puis se demander si la capacité qu'on a de consentir est affectée par la maladie qu'on a, O.K.? En ce moment, quand on se demande si une personne est inapte à consentir aux soins, on va se poser ces questions-là.

Donc, je pense que ça serait une évaluation clinique qui reprend ces éléments-là. Au moment de prendre la décision, il faudra s'assurer qu'on remplit ces critères-là. Puis, au moment où on considère qu'on est inapte, bien, on ne les remplit plus, O.K.? Puis les critères ne sont pas cumulatifs. Ça fait qu'à partir du moment où on a deux ou trois critères ça peut être suffisant pour dire qu'on a perdu notre aptitude, O.K.? Et je pense que, pour l'instant, ce qu'on considère, ce qu'on envisage, c'est de prendre une personne qui est apte à prendre la décision à un certain moment. Donc, quelqu'un qui n'aurait jamais été apte à décider de la façon dont... avec les critères dont on vient de parler, ne serait pas éligible, n'aurait pas... on n'ouvrirait pas l'aide médicale à mourir à cette personne-là, qui n'aurait pas pu exprimer son consentement libre et éclairé alors qu'elle était apte. C'est la première étape.

Est-ce qu'un jour on envisagera des décisions... substituer les représentants légaux qui pourraient prendre la décision pour les personnes inaptes jusqu'à l'aide médicale à mourir? Peut-être qu'on va un jour arriver là, mais là je pense que, pour la première étape, il faut vraiment qu'on ouvre à la personne qui est apte au moment où elle prend sa décision. Je ne sais pas si ça répond bien à votre question.

Mme Maccarone : Oui et non. Par rapport à la question, c'est sûr, j'aurais voulu avoir des précisions, parce que, tu sais, une question d'inaptitude puis aptitude, ça peut vraiment évoluer.

Mme Bernier (Louise) : Tout à fait.

Mme Maccarone : Puis vous avez parlé un peu, dans votre témoignage, que peut-être on devrait prévoir un délai ou une double signature, par exemple. Quand on parle des personnes qui souffrent de spectre de l'autisme ou une déficience intellectuelle, par exemple, ce n'est peut-être pas les mêmes mesures qui pourront être utiles pour accompagner de telles personnes, parce que le manque de compréhension n'est peut-être pas là.

Mme Bernier (Louise) : Tout à fait.

Mme Maccarone : Alors, est-ce qu'il y a d'autres mesures que nous devons prévoir pour protéger ces personnes, protéger leur famille et aussi respecter leur droit civil de militer pour elles-mêmes, prendre des décisions pour elles-mêmes?

Mme Bernier (Louise) : Oui. Oui. Absolument. Je pense que vous avez raison de dire : Bien, si on est capable d'identifier que, selon la loi ou selon les critères, ces personnes-là ont des moments d'aptitude, c'est tout à fait... puis, tu sais, on considère que les personnes qui, pour avoir un régime de protection d'ouvert, par exemple... ne sont pas inaptes pour autant. Puis ça, c'est très important, vous le mentionnez, puis ça, il faut vraiment, vraiment considérer ça à ce moment-là, de dire que les personnes qui ont un diagnostic x ou qui ont une condition x ne sont pas inaptes en raison de leur condition. Ça sera toujours une question de faits, l'évaluation, hein, de l'aptitude, puis ça, il faut vraiment, vraiment... vous avez raison de le mentionner.

Pour l'instant, ce à quoi on pense ouvrir, c'est vraiment les personnes qui ont reçu un diagnostic de maladie neurocognitive, donc c'est vraiment très précis, et elles sont aptes à ce moment-là et elles vont perdre leur aptitude. Donc là, si on se concentre là-dessus, je pense qu'on peut prévoir vraiment d'évaluer l'aptitude à différents moments. Si, éventuellement, on voulait ouvrir à d'autres catégories de patients, bien, je pense qu'il faudrait réfléchir en amont à comment on évalue l'aptitude, est-ce qu'on l'évalue à différents moments, comme vous dites, est-ce qu'il faut... puis, oui, trouver le difficile équilibre entre la possibilité, pour eux, de décider pour eux-mêmes lorsqu'ils sont aptes puis, en même temps, les protéger contre des dérives. Donc, oui, vous avez raison, c'est ça, c'est une question très complexe.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Je céderais la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci. Et merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Bernier, pour vos interventions assez pertinentes et intéressantes et votre appel à nous qu'en soi il y a lieu à réexaminer tout ce qui est autour des directives médicales anticipées et que, de plusieurs façons, ces mêmes questions se posent en tout ce qui a trait à l'aide médicale à mourir.

Ces directives, par contre, actuellement, si j'ai bien compris, sont remplies par plusieurs gens et plusieurs personnes qui ne sont pas confrontées par un diagnostic grave. Et les experts, jusqu'à date, nous conseillent de circonscrire notre débat, en tout ce a trait à l'aide médicale à mourir, aux gens qui auraient reçu un diagnostic, comme je dis, assez grave. C'est un paramètre assez important, mais qui peut être discuté.

Est-ce que vous avez un point de vue à partager avec nous sur cette question? Est-ce qu'on devrait absolument limiter nos délibérations aux gens confrontés par un tel diagnostic?

Mme Bernier (Louise) : Bonne question. Merci. Moi, je pense que, dans une... bien, c'est vraiment mon premier réflexe, ce serait que, dans une première étape d'ouverture d'aide médicale à mourir aux personnes inaptes, on le fasse de façon connexe à un diagnostic, parce que, comme je disais, le diagnostic éclaire les circonstances, donne un ancrage réel à la prise de décision. On n'est pas dans... Puis vous avez raison de mentionner que, pour les directives médicales anticipées, en ce moment, on le fait de façon tout à fait déconnectée d'un diagnostic ou d'une possibilité, O.K., sauf que ça va s'appliquer dans trois situations qui seront des situations prédéterminées.

Et je pense qu'éventuellement on pourrait penser qu'on va ouvrir plus largement, peut-être, mais, pour l'instant, je pense que, si on ouvre l'aide médicale à mourir, si on veut avoir un consentement réellement éclairé, il faut... Puis moi, je pense que les directives médicales anticipées, en ce moment, le consentement, à cause de la présomption d'information puis pour plein, plein, plein de raisons, le consentement n'est pas suffisant, ce qui est demandé. Donc, je pense que, pour la suite, il faut s'assurer d'avoir un consentement éclairé puis d'aller chercher tous les éléments de contexte nécessaires pour éclairer le consentement.

Vu qu'on parle de personnes qui vont être rendues inaptes et qu'on parle d'aide médicale à mourir, je pense que, pour ce soin-là en particulier, le fait de commencer de façon plus prudente, avec des diagnostics de façon vraiment plus limitée, je pense que c'est la voie à suivre, personnellement, effectivement.

M. Birnbaum : Merci. À juste titre, vous nous parlez du fardeau actuel en tout ce qui a trait aux directives, de s'auto-informer, et ça résonne. En quelque part, si on veut parler d'un accès étendu, équitable pour les gens moins éduqués, pour les gens en région éloignée, où les services sont moins disponibles, ce fardeau, j'en conviens, est assez grand. En même temps, on doit porter attention à votre observation. Vous conviendrez, j'imagine qu'on parle d'une demande ambitieuse, c'est-à-dire comment est-ce qu'on peut rectifier cette situation. Est-ce que vous avez quelques suggestions de l'ordre général, comment on puisse assurer que l'offre est réelle, facile et équitable pour tout le monde?

Mme Bernier (Louise) : Oui. Bien, j'ai étudié certains régimes qui sont ailleurs et je pense qu'il y a vraiment des bonnes pratiques, notamment en Alberta, en Colombie-Britannique, où on a prévu des outils d'aide à la décision, tu sais, qui étaient virtuels. Je ne pense pas que ça... Je pense qu'il faut faire vraiment la différence entre des demandes d'aide médicale à mourir anticipées. Ça, je pense qu'il va falloir vraiment que ça soit accompagné de façon très, très serrée.

Pour les directives médicales anticipées, où il y a absolument... où on doit s'informer, s'auto-informer, puis on n'a pas de ressource, moi, j'ai fait l'exercice à quelques reprises d'appeler, d'essayer de m'informer juste pour voir un peu si on pouvait avoir des ressources; très difficile. Donc, je pense qu'il faudrait prévoir des points... un accès... un accès à... Tu sais, on ne peut pas penser que tout le monde va aller remplir ses directives médicales anticipées avec un professionnel de la santé, ça va être... c'est trop lourd, mais de l'information, des capsules d'information, un outil, justement, informatique, mais qui serait interactif, certaines ressources aussi, certains points de contact qui pourraient être assez facilement établis pour vraiment avoir des personnes qui peuvent faire... Parce que, là, on remet tout sur les notaires puis sur les personnes qui doivent elles-mêmes trouver l'information. Ce n'est pas adéquat.

Ça fait que je pense qu'il y a vraiment des... il y a vraiment un juste milieu à trouver, là, entre investir énormément, puis ce n'est pas réaliste, et trouver certains outils, mais qui pourraient être informés, puis surtout se départir du check-list oui ou non, parce que, dans le fond, ça ne donne absolument aucun contexte. Donc, prévoir vraiment un endroit pour établir c'est quoi, nos priorités de vie, qui on est, tout ça, je pense que c'est un outil qui doit être beaucoup bonifié.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, M. le député. Donc, je céderais maintenant la parole à M. le député de Gouin.

• (10 heures) •

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. J'ai peu de temps, je vais vous poser... Et bonjour, Pre Bernier. Merci de vos commentaires ce matin. Je vais vous poser deux questions en rafale, si vous le voulez bien.

D'abord, sur la question du formulaire, vous le jugez, si je comprends, actuellement, simple, voire simpliste, là, pour ce qui est de vraiment bien cerner le consentement des gens. J'ai lu votre article, je comprends, puis, mettons, je vous soumets amicalement une objection. C'est-à-dire, comment ne pas tomber dans l'autre extrême, c'est-à-dire avoir un formulaire qui devient trop exigeant? Tout le monde n'a pas la même littératie, tout le monde n'a pas la même capacité de comprendre. Tu sais, vous parlez, par exemple, de faire un exposé des valeurs, tout ça. Tu sais, c'est très bien du point de vue du principe, là, ou théoriquement, mais, concrètement, jusqu'à quel point est-ce qu'on peut s'attendre à ce que des gens qui ont un niveau de littératie moyen ou en bas de la moyenne soient en mesure de remplir ces exigences-là? Bref, est-ce qu'il n'y a pas le risque d'un formulaire qui serait trop exigeant? Première question.

Deuxième question : Juste pour clarifier vraiment votre avis sur cette question-là, admettons qu'on inventait un formulaire qui serait idéal, là, ou qui se rapproche de l'idéal, que la personne est accompagnée par ses proches, qu'il y a le processus de coaching auquel vous faisiez allusion un peu plus tôt, admettons que tout ça se passe et que tout ça se passe bien, la personne arrive à un état dans sa maladie où elle n'est plus apte à décider, et là, à ce moment-là, elle manifeste de manière claire, nette, un refus de l'aide médicale à mourir, juste pour bien cerner votre position, là, si tout a été fait dans les règles de l'art, là, dans le processus le plus idéal qui soit en amont, mais qu'arrivé au moment fatidique il y a expression claire d'un refus, quel consentement devrait prévaloir? Celui de la personne inapte qui dit : Non, je ne veux pas, ou celui de la personne apte, encadrée, coachée, alimentée, qui a, sur plusieurs mois, exprimé, par exemple, en amont un consentement éclairé? Lequel des deux consentements devrait l'emporter à ce moment-là?

Mme Bernier (Louise) : Parfait. Merci pour vos questions. Alors, je réponds à la première. Je conçois effectivement qu'il faut, dans un outil idéal, prévoir que, bien, il ne faut pas que ça soit trop compliqué non plus puis il ne faut pas que ça soit trop ambitieux. Je pense qu'il y a vraiment des bonnes pratiques qui existent, d'outils d'aide à la décision, O.K., qui sont vraiment très simples. Puis je pense qu'un exposé de valeurs, ça n'a pas besoin d'être compliqué. Ça peut être de répondre à quelques questions. Puis, sur le site de la RAMQ, il y a des informations qui ont été ajoutées récemment, mais je pense que ça doit être centralisé dans le document, en fait. Ça fait que je pense qu'il y a plusieurs... Puis ça pourrait être un vidéo, ça pourrait être quelque chose d'assez simple, d'expliquer un peu qui prend la décision et qu'est-ce qui est à la base de cette décision-là, de vouloir refuser ou de vouloir, même, accepter.

Il y a un autre problème dans les directives médicales anticipées, c'est qu'on peut accepter à l'avance tous les soins. Donc, il y a ça, là, tu sais, qu'est-ce qui est derrière. Je pense que ça, vraiment, il y a des formulaires qui pourraient exister, qui seraient bonifiés, où on ne va pas dans l'espèce de piège des cases à cocher, mais qu'on donne un petit peu plus de contexte sans que ça tombe dans quelque chose de trop complexe non plus. Je pense qu'il y a moyen, il y a moyen de le faire avec le bon outil. Pour ce qui est du refus catégorique... Je ne sais pas si ça répond, mais, sinon, on pourra revenir.

Mais, sinon, pour ce qui est du refus catégorique, c'est une superbonne question. Un refus catégorique de l'inapte, ce n'est pas un vrai refus de soins, hein, parce qu'un inapte ne peut pas refuser ou consentir de façon... de la même façon qu'une personne apte. Donc, ça n'aura pas le même poids que le consentement anticipé, qui est un consentement valide d'une personne apte.

Comment c'est traité, dans la loi, le refus catégorique, ça n'a pas une valeur de refus de soins. Ce que ça dit, c'est que ça dit : Il faut aller devant les tribunaux pour faire autoriser les soins à ce moment-là. On reconnaît cette capacité résiduelle, O.K., de l'inapte et on va aller en discuter. Je pense que, sans avoir une position très tranchée de dire : Bien, il faut respecter le refus catégorique, il faut certainement le considérer, O.K., il faut certainement aller en discuter en plus grand comité. Il faut prévoir une instance, comme c'est le cas dans l'article 16. De toute façon, c'est déjà prévu dans votre Loi concernant les soins de fin de vie, qu'advenant un refus catégorique il faut se référer à l'article 16. Donc, ce n'est pas nouveau. Puis, dans le Code criminel pour l'instant, ça empêche le deuxième... l'aide médicale à mourir, bon.

Mais le refus catégorique a certainement une valeur. Et ça ne sera pas la même valeur, comme je disais, que le consentement anticipé, mais il faut reconnaître que, si on passe par-dessus, ça pourrait avoir énormément de conséquences, à la fois émotives... pour les proches, pour les soignants. Il y a eu des poursuites, dans certains pays, où on a forcé l'aide médicale à mourir chez une personne qui avait l'air de vouloir la refuser. Donc, d'aller chercher de l'aide, d'aller chercher des personnes avec qui on peut en discuter puis évaluer la situation avec, comme qu'on disait, le consentement le plus... le mieux fait possible, avec énormément de contexte, qui va nous aider, justement, à interpréter ce refus catégorique là.

Puis ce n'est pas impossible que, dans notre consentement en amont, on aurait prévu ce scénario-là, O.K.? Puis il faut faire la différence entre refus catégorique puis un réflexe biologique, là, tu sais, quelqu'un qui, juste, refuse... bon.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Bernier. C'est très intéressant, mais c'est tout le temps qu'on avait aujourd'hui. Merci beaucoup pour votre contribution aux travaux.

C'est vraiment très intéressant, on en aurait pris encore, mais, malheureusement, je dois suspendre les travaux pour accueillir nos prochains invités. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 06)

(Reprise à 10 h 10)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Nous accueillons maintenant notre prochain invité, le Dr Alain Naud. M. Naud... Dr Naud, vous avez... vous disposez de 20 minutes pour nous présenter votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange de 40 minutes avec les membres de la commission. Donc, je vous cède maintenant la parole, docteur.

M. Alain Naud

M. Naud (Alain) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. D'entrée de jeu, bien, je tiens à remercier la commission de l'invitation. C'est un grand plaisir d'être là pour porter auprès de vous la voix des soignants, des malades et de leurs proches pour ce qui est de l'aide médicale à mourir en particulier et des soins de fin de vie. Et c'est une mission que je me suis donnée, là, dès l'application de la loi, en décembre 2015.

D'entrée de jeu, j'aimerais faire une mise au point. C'est que, bien que je sois membre des conseils d'administration à la fois du CHU de Québec-Université Laval et du Collège des médecins du Québec, c'est uniquement à titre personnel et en tant que médecin impliqué dans l'aide médicale à mourir et les soins de fin de vie que je m'adresse à vous aujourd'hui. Je ne représente pas ces organisations. Alors, le contenu du mémoire que je vous ai soumis et mes propos n'engagent personne d'autre que moi-même.

Pour me présenter rapidement, je suis médecin de famille, médecin en soins palliatifs, là, depuis 36 ans maintenant. J'ai été le premier médecin au Canada à parler publiquement de son implication, là, dans l'aide médicale à mourir en avril 2016. J'ai aussi été témoin expert en aide médicale à mourir et soins palliatifs au procès Gladu-Truchon. J'ai agi comme conférencier dans au-delà d'une cinquantaine de congrès médicaux, là, depuis cinq ans, et comme personne-ressource dans les médias, là, à près de 130 reprises, et j'ai une expérience personnelle d'accompagnement et d'évaluation de malades avec l'aide médicale à mourir dans plus d'une centaine de situations, et agi comme mentor auprès de plusieurs dizaines, là, de professionnels.

Je commencerai par quelques constats, sur le terrain québécois, des plus de cinq ans d'expérience que nous avons maintenant avec l'aide médicale à mourir. Et c'est clair pour moi et, je pense, pour à peu près tout le monde, là, que les travaux actuels et futurs ne doivent pas remettre question la légitimité de l'aide médicale à mourir, cette légitimité-là, elle a été établie et très bien établie par le débat public de société que nous avons fait au Québec, là, de 2009 à 2014, mais les travaux devraient porter sur la correction de nos erreurs, à la lumière de l'expérience acquise, et sur les enjeux futurs d'accessibilité.

Un constat que je réitère d'emblée, c'est que l'aide médicale à mourir, c'est fondamentalement un acte médical dont l'évaluation et la conformité professionnelle et déontologique relèvent des conseils de médecins, dentistes et pharmaciens ainsi que du Collège des médecins du Québec. Un sondage récent du Collège des médecins du Québec montrait que 89 % des médecins, au Québec, sont plutôt ou totalement d'accord avec l'aide médicale à mourir, et 9 % d'entre eux l'ont déjà administrée. Depuis décembre 2015, l'aide médicale à mourir existe au Québec et est administrée de façon très rigoureuse et en tout respect des lois.

Un point que je dois absolument mentionner : vous savez, les opposants religieux et idéologiques à l'aide médicale à mourir nous ont fait des prophéties depuis longtemps, et continuent de le faire, de dérapages et de pente glissante. Un point que je dois soulever, c'est qu'effectivement, depuis cinq ans, il y a eu de nombreux dérapages, et il continue d'y en avoir, et il y a une pente glissante qui a été prise, mais elle n'est pas dans l'évaluation et l'administration de l'aide médicale à mourir, elle est dans l'obstruction qui existe encore à un accès légitime à l'aide médicale à mourir par des individus ou des établissements par pure opposition idéologique ou religieuse.

Les statistiques qui sont compilées par la commission des soins de fin de vie montrent qu'un malade sur trois qui a signé une demande d'aide médicale à mourir n'a pas pu y avoir accès, et on ne sait pas pourquoi, hormis de les classer en trois grandes catégories : demande refusée, non administrée, devenu inapte entre-temps. Il n'y a aucun examen qui est toujours fait de ces demandes-là, et c'est clairement là que sont les dérapages. Je pense que tous les professionnels qui sont impliqués sur le terrain le constatent régulièrement à la grandeur de la province, certaines régions beaucoup plus que d'autres. Et ils se perpétuent parce que ça se fait en toute impunité, parce que, même si ça fait cinq ans qu'on le demande, il n'y a aucun examen systématique de ces refus et non-administrations qui sont faits. Alors, vous pensez bien que les opposants idéologiques et religieux s'en donnent à coeur joie là-dedans.

Et, quand on parle des malades vulnérables qui ne sont pas protégés, clairement, ce sont tous ces malades, et non pas ceux qui reçoivent actuellement l'aide médicale à mourir, parce que ça se fait au terme d'un processus extrêmement rigoureux, complexe, qui n'implique pas juste deux médecins, mais toute une équipe de professionnels, qui se porte garante aussi, là, de la rigueur de l'exercice. Et, dans le 33 % de malades, on ne parle même pas de tous ceux à qui on a empêché, hein, délibérément de signer une demande officielle d'aide médicale à mourir. Et ça aussi, évidemment, on n'en connaît pas le nombre, mais on peut supposer qu'ils sont encore plus nombreux.

Je me dois de dire un mot sur le lobby religieux, je pense, parce que c'est important de le mettre à jour. Parce que l'intérêt du lobby religieux... Et comprenez bien que je n'ai aucune, aucune objection à l'opposition religieuse. Je pense que l'opposition religieuse ou de quelque nature que ce soit, elle est très légitime, parfaitement légitime, et doit être respectée. Là où je n'ai aucun respect, c'est quand cette opposition religieuse s'exerce de façon cachée, soigneusement cachée et mesquine, parce que l'intérêt du lobby religieux, ce n'est pas de participer au débat, ce n'est pas de faire avancer le débat, ce n'est pas d'amener des idées, mais c'est uniquement d'imposer une conviction personnelle à l'ensemble de la population. Et ça, on le constate sur le terrain de façon, là, très régulière.

Le premier mandat de la commission était de discuter des conséquences du retrait de critères de fin de vie qui a été ordonné par la Cour supérieure du Québec. Et vous aurez compris, si vous avez jeté un coup d'oeil à mon mémoire, que ça ne peut pas se limiter qu'à cet objectif, mais qu'on doit plutôt discuter des conséquences de l'inaction du gouvernement du Québec à ne jamais avoir modifié sa propre loi, depuis juin 2014, en fonction de l'évolution de la société et du droit sur cette question.

Depuis Carter, le jugement unanime de la Cour suprême du Canada en février 2016, il était évident, je pense, pour tout le monde que la loi du Québec était dépassée, était injustement restrictive et aurait dû être revue. Et non seulement elle aurait dû être revue à cette occasion, mais elle aurait dû, pas juste pu, mais dû être revue à de nombreuses occasions : dès juin 2016... dès février 2015, pardon, avec l'arrêt Carter de la Cour suprême du Canada, ensuite, juin 2016, avec l'adoption, par le Parlement canadien, de C-14, septembre 2019, avec le jugement Gladu-Truchon de la Cour supérieure du Québec, et tout récemment, mars 2021, avec C-7, qui venait, encore une fois, modifier le Code criminel canadien.

La coexistence de ces deux lois, depuis le tout début au Québec, a fait porter sur les épaules des médecins un poids qui est tout à fait intolérable d'un cafouillage juridique qu'on dénonce depuis cinq ans, et qui existe encore, et qui s'est même amplifié, récemment, avec des communications récentes d'un sous-ministre à la Santé et de la Commission sur les soins de fin de vie.

Vous verrez, à la page 6 de mon mémoire, j'ai mis une page complète d'extraits du jugement Gladu-Truchon de la Cour supérieure du Québec, et vous verrez que la Cour supérieure du Québec n'est pas tendre au regard de l'immobilisme du gouvernement du Québec à revoir sa propre loi. Et je vous en cite juste deux ou trois phrases, là :

«À l'évidence la loi québécoise ne peut s'appliquer dans un cadre totalement hermétique à l'abri des répercussions de l'arrêt Carter ou du nouveau paysage législatif [québécois].

«[...]l'absence de motivation quant à son inaction à réagir aux enseignements de la Cour suprême dans Carter milite contre une grande déférence. Vu sous cet angle, "l'inertie ne peut servir d'argument pour justifier de déférence — justifier la déférence.

«[...]le Québec ne peut rester les bras croisés et ignorer la nouvelle réalité dans laquelle sa loi sur l'aide médicale à mourir s'inscrit.»

La Cour supérieure avait donné six mois aux deux paliers de gouvernement pour harmoniser leurs lois : «Enfin, cette période de suspension permettra une concertation du Parlement et de la législature afin d'éviter de perpétuer les incongruités actuelles en matière d'aide médicale à mourir au Québec. Et :

 «[...]le législateur fédéral adopte un régime plus permissif que celui existant au Québec, sans aucune réponse législative de la part du gouvernement québécois. Par conséquent, depuis l'entrée en vigueur de la loi fédérale, le 17 juin 2016, les critiques à l'endroit de ces incongruités ne cessent d'être réitérées dans les sphères médicale et publique québécoises. Précurseurs en matière d'aide médicale à mourir au Canada, les Québécois se voient aujourd'hui imposer les conditions les plus restrictives d'admissibilité à travers le pays.»

Alors, comme dans la pièce de théâtre, bien, on attend Godot, et on attend toujours en 2021, et on se fait dire qu'en 2021 on va continuer d'entendre, mais les conséquences, bien, elles sont nombreuses et elles sont majeures. On en a fait et on continue d'en faire porter le poids, de la responsabilité de l'interprétation, sur les épaules des médecins, ce qui est intolérable, depuis cinq ans, et ce qui l'est de plus en plus. Et les répercussions, bien, elles sont sur les malades et elles sont sur la population. Alors, les conséquences, c'est que de nombreux médecins ont délaissé l'aide médicale à mourir à cause de ce cafouillage juridique, et un nombre probablement encore plus grand refuse de s'impliquer pour la même raison.

• (10 h 20) •

Depuis l'adoption de C-7, récemment, en mars 2017... 2021, pardon, bien, et ça a été aggravé par une communication du sous-ministre à la Santé et de la Commission sur les soins de fin de vie, il y a de nombreux médecins qui ont délaissé de nouveau l'aide médicale à mourir et de nombreux autres, maintenant, qui refusent de voir un malade qui n'est pas à l'unité de soins palliatifs ou qui n'a pas un pronostic de moins de deux mois pour cette raison.

Donc, les conséquences sont nombreuses, et, tristement, bien, les conséquences de ça, depuis cinq ans, bien, c'est un accès restreint à l'aide médicale à mourir, c'est des médecins qui quittent ou qui refusent de s'engager, c'est des malades qui sont injustement refusés au Québec et admissibles partout ailleurs au Canada, c'est un accès inégal à l'aide médicale à mourir, et ce sont des fins de vie indignes qu'on observe depuis plus de cinq ans maintenant parce qu'il y a eu de trop nombreux reportages média qui ont fait état de Québécois qui sont morts à la suite de grèves de la faim, qui se sont suicidés ou qui sont allés mourir en Suisse au coût de 40 000 $ parce qu'injustement refusés au Québec et qui auraient été admissibles partout ailleurs au Canada. Et cette situation-là se perpétue.

Notre conscience professionnelle, comme médecins, et nos obligations déontologiques nous dictent d'agir d'abord et avant tout dans l'intérêt du malade. C'est nous, médecins et soignants, qui sont au chevet de ce grand malade souffrant qui nous regarde dans les yeux et qui nous demande avec anxiété et appréhension dans la voix : Docteur, allez-vous pouvoir m'aider? Je n'en peux plus. C'est motivés des mêmes intérêts et obligations envers nos malades que nous ne pouvons plus fermer les yeux, et détourner le regard, et tolérer les situations d'indignité que nous dénonçons depuis des années, qui sont uniques et propres au Québec.

Et, comme médecin, actuellement, ce serait une grave faute déontologique et professionnelle, à mon avis, de refuser une aide médicale à mourir à un malade parce qu'il ne répond pas à un critère de la loi  2 et de le regarder béatement agoniser et mourir à petit feu d'une grève de la faim, se suicider ou aller mourir en Suisse, alors qu'il aurait été admissible partout ailleurs au Canada en vertu d'une loi pancanadienne et du Code criminel. L'inaction du gouvernement du Québec, depuis 2014, à légiférer pour ajuster sa propre loi à l'évolution de la société et du droit ne peut servir de prétexte ni d'argument pour continuer à imposer des fins de vie indignes à nos malades.

Et a posteriori, bien, quand on regarde l'arrêt Carter, le jugement Gladu-Truchon de la Cour supérieure du Québec, C-14, C-7, adopté récemment, en mars 2021, il n'y a absolument rien qui justifie que les Québécois aient un accès plus restreint à l'aide médicale à mourir que les citoyens du reste du Canada. Verra-t-on prochainement un médecin québécois accusé au criminel et emprisonné parce qu'il a prodigué l'aide médicale à mourir à un malade à l'encontre d'un critère de la loi n° 2, mais en parfaite conformité et respect du Code criminel canadien? Si c'est le cas, bien, je vous annonce que je me porte volontaire pour être le premier médecin.

Alors, il est important de corriger ce cafouillage juridique là. Et, à notre avis, bien, il y a juste deux solutions, qui passent forcément par des mesures législatives. La première serait d'abolir tout simplement et carrément le chapitre sur l'aide médicale à mourir de la loi québécoise. Depuis l'arrêt Carter, qui a obligé le Canada à modifier le Code criminel, bien, la rationnelle qui nous avait permis, au Québec, de mettre en place l'aide médicale à mourir ne tient plus.

Et la seconde possibilité, bien, c'est d'harmoniser complètement la loi n° 2 sur l'aide médicale à mourir, pour ce qui est du chapitre de l'aide médicale à mourir, avec le Code criminel canadien. Et il y a beaucoup de travail à faire, et je mentionne quelques éléments. Et le premier élément que je dois mentionner, je suis obligé de le faire en tant que médecin, et je le fais au nom de mes collègues médecins à travers la province, c'est de revoir la Commission sur les soins de fin de vie. J'y consacre six pages dans mon mémoire. Alors, évidemment, je ne prendrai pas tout le temps pour vous relire tout ce que j'ai documenté et l'argumentaire que j'y ai mis, mais c'est un sérieux problème. Je pense que, dès 2016, on a vu que c'était une erreur qui avait été mise dans la loi, cette commission-là, du moins le mandat qu'on lui a confié d'évaluer la conformité des aides médicales à mourir administrées au Québec. Ça a eu des conséquences dramatiques.

Cette commission-là, par sa composition, les outils, le mandat dont elle est dispose, est parfaite pour être un observateur des soins de fin de vie au Québec mais n'est absolument pas, absolument pas crédible, compétente pour évaluer la conformité des aides médicales à mourir. Les décisions ont été arbitraires, jamais justifiées. Elle fait ses propres interprétations des critères de la loi. Elle s'immisce, depuis le tout début et encore aujourd'hui, dans un jugement sur l'évaluation de l'acte médical quand elle décrète que le malade n'était pas en fin de vie, que le malade n'était pas apte à consentir, que le malade ne souffrait pas de maladie grave et irrémédiable et même remettait en cause, parfois, le diagnostic qui avait été établi et le pronostic. C'est clairement de l'ingérence dans l'évaluation de l'acte médical. Et, bon, j'ai mis la conclusion de tout ça à la page 15, que je vous laisserai lire. Moi-même, j'ai reçu plusieurs dizaines de lettres de cette commission-là et, pourtant, je considère que je fais une pratique absolument rigoureuse, exemplaire dans l'aide médicale à mourir.

Deuxième élément, la possibilité de renonciation à l'obligation d'aptitude au moment de la procédure dans le cas d'une mort naturelle raisonnablement prévisible. Et comprenons que ça n'a rien à voir avec le deuxième mandat de la commission, qui est d'évaluer les directives anticipées dans le cas de diagnostics de démence. On parle ici de gens qui ont été admis à l'aide médicale à mourir pour qui il y a une date qui est prévue et qui risquent de perdre leur aptitude entre-temps.

Et, depuis janvier 2016, on dénonce ces situations-là, qui est une injustice de la loi. Puis on a vu des malades qui devançaient le moment de l'aide médicale à mourir par crainte de manquer l'aide médicale à mourir, des malades qui refusaient délibérément de prendre leurs narcotiques, de prendre les médicaments pour dormir, les anxiolytiques, dans les derniers jours de vie, encore là de peur de rater l'aide médicale à mourir. Et on a vu de trop nombreux malades mourir indignement parce que, le moment venu de l'aide médicale à mourir, ils n'étaient plus aptes. Et, à ce moment-là, bien, on devait les regarder mourir à petit feu dans un coma, une agonie interminable, et supporter la détresse des familles et des soignants qui étaient témoins de ça.

Alors, le fédéral a bien entendu ces demandes-là et a intégré, hein, dans sa nouvelle loi, la possibilité de renoncer au moyen d'un formulaire écrit. Récemment, bien, il y a un sous-ministre et la commission qui nous écrivent pour dire : Bien, vous ne pouvez faire ça au Québec, parce que la loi n'a pas été changée. Donc, vous comprenez que c'est... on ne peut pas, nous, comme médecins, fermer les yeux là-dessus et continuer à tolérer des situations, là, d'indignité. Nos obligations professionnelles et déontologiques, notre sens du devoir et du respect des malades, leur droit à l'autodétermination ainsi que l'humanité, et la compassion, et la bienveillance dont nous les entourons ne nous permettent pas d'obtempérer aveuglément à ces directives injustes et cruelles, directives qui émanent, d'autant plus, d'un ministère et d'un gouvernement qui portent la seule, la totale responsabilité de son inaction depuis sept ans et qui essaie de la refiler sur le dos des médecins et surtout de la population.

Réhabiliter le critère d'admissibilité, de maladie, affection ou handicap, encore là, on invoque que la loi québécoise n'a pas été changée pour nous dire, à nous, médecins, bien : Le handicap et l'affection ne sont pas admissibles à l'aide médicale à mourir. Alors, ironiquement, ça aurait comme conséquence que M. Jean Truchon, qui, vous vous rappelez, avait reçu une exemption personnelle de la Cour supérieure du Québec pour avoir accès à l'aide médicale à mourir et qui l'a reçue l'an dernier, si M. Truchon faisait une demande aujourd'hui, il ne serait pas admissible à l'aide médicale à mourir parce qu'il a un handicap, alors que la Cour supérieure du Québec, Carter, C-14 et C-7 nous disent que ces gens-là doivent être admissibles.

Et, bon, introduire des sanctions en cas d'action délibérée pour entraver l'aide médicale à mourir, c'est malheureusement ce qu'on voit encore trop régulièrement partout en province encore aujourd'hui, et ça se fait en toute impunité parce qu'encore une fois il n'y a aucun mécanisme qui est prévu, d'examen de ces cas. Il n'y a aucune déclaration, aucun compte à rendre des médecins ou des établissements qui le font.

• (10 h 30) •

Je sauterai sur les autres recommandations, évidemment, je pense qu'elles sont assez bien détaillées, explicites dans le mémoire, et j'irai directement sur la section 2, qui est la possibilité d'introduire, par des directives anticipées, une aide médicale à mourir future après avoir reçu un diagnostic de démence, d'alzheimer ou autre démence associée. Je pense que c'est une demande qui est très importante, très sentie dans la population. Comme médecin de famille, je peux vous dire que, depuis 10 ans, il n'y a pas une semaine où je ne me fais pas poser des questions sur ce sujet-là par des patients qui disent : Quand est-ce qu'on va enfin pouvoir le faire?

La maladie d'Alzheimer, c'est très prévalent. On sait que le nombre de cas va exploser dans les 20 prochaines années. Toutes les familles sont concernées, il y en a, des situations d'alzheimer dans toutes les familles, et je pense que les gens connaissent trop bien le caractère incurable et la lente et cruelle dégradation de cette maladie, où le cerveau meurt plusieurs années avant le corps, ainsi que la finalité.

Encore là, en respectant le principe d'autodétermination, je pense qu'il faut offrir aux gens le choix de leur fin de vie, de ce qu'ils considèrent être une dignité de fin de vie, et je mets dans le mémoire une mécanique qui serait, à mon avis, relativement simple à mettre en place et qui permettrait de respecter cette situation-là.

Et je terminerai, dans la dernière minute qu'il me reste, sur la santé mentale et l'aide médicale à mourir. Je pense qu'il y a beaucoup d'enjeux, je les mentionne là-dedans. Mais la question n'est pas de savoir est-ce qu'on devrait le faire. Moi, je pense que la question, ça va être de convenir, en débat de société, des balises à mettre en place d'ici à ce que le Code criminel soit modifié pour le permettre, parce que rien, actuellement, n'interdit d'accepter les problèmes de santé mentale à l'aide médicale à mourir. Mais il y a un défi, certainement, d'information et de formation auprès de la population, parce que ça évoque beaucoup de choses, dans l'esprit de la population, qui n'ont rien à voir avec le type de malade qui pourrait être admissible. Vous avez reçu la Dre Gupta, que j'ai déjà vu dire : En 20 ans de pratique comme psychiatre, j'ai un malade qui aurait pu être admissible. Je peux vous dire qu'en 36 ans de pratique comme médecin de famille, et la santé mentale, c'est 20 % de ma pratique, là, je ne vois aucun malade qui aurait pu être admissible, éventuellement, à l'aide médicale à mourir pour un problème de santé mentale pur ou principal, et, pourtant, la souffrance, elle est là.

Et, quand on invoque, bien, les ressources, bien, à quelque part, il faut cesser d'opposer «ressources» et «accès à l'aide médicale à mourir» — les opposants l'ont fait avec la santé physique — et il faut être capable d'offrir, évidemment, les ressources suffisantes et l'aide médicale à mourir pour ceux qui pourraient y avoir accès. Parce qu'il faut bien réaliser qu'en santé mentale comme en santé physique tout l'argent et toutes les ressources du monde ne pourront jamais tout guérir et ne pourront jamais soulager toutes les souffrances.

Alors, bien, Mme la Présidente, je pense que mon temps est écoulé. Je m'arrêterai là-dessus et je serai heureux de répondre aux questions des députés.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Naud. Je céderais la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci, Dr Naud. Votre mémoire a le mérite d'être clair, votre position a le mérite d'être claire aussi. On a un mandat et qui regarde plus vos recommandations 13 et 14. J'aurais aimé... parce qu'on aura des observations à faire aussi, et j'aurais aimé que vous me parliez un peu plus de votre recommandation 6, là, parce que tout ce qui est de l'aide médicale à mourir, ce n'est pas répertorié, puis ce qui n'est pas administré, je veux dire, on n'a pas de suivi. Est-ce qu'on doit, est-ce qu'on devra en tenir compte dans notre rapport qu'on aura à soumettre avant de changer la loi?

M. Naud (Alain) : Merci beaucoup pour votre question, M. le député, elle est importante. Clairement, oui. Et, vous savez, ça n'a pas besoin d'un changement législatif, hein? Il suffirait juste d'une directive ministérielle pour dire : À partir de demain matin, on met en place un mécanisme pour examiner, systématiquement, toutes les demandes refusées et non administrées. Parce que, comme je vous l'ai mentionné, c'est clairement là que seront les dérapages, qu'on observe depuis le tout début et qu'on continue, malheureusement, d'observer encore.

Donc, et moi, je suis interpelé, là, je vous dirais, pratiquement à toutes les semaines par des médecins à travers la province qui veulent me parler : Bien, qu'est-ce que je dois faire, là? Ça n'a pas de bon sens, ce que j'observe actuellement. Et tout ça se fait de façon tout à fait anonyme et en toute impunité parce qu'il n'y a aucune déclaration de ces cas-là, hein? Vous savez, le médecin, là, qui dit simplement à son patient : Ne faites pas de demande d'aide médicale à mourir, là, vous êtes refusé d'emblée, bien, il ne laisse pas de note nulle part, là. Donc, il n'y a aucun compte à rendre, il n'y a aucun document à remplir, il ne recevra aucune lettre de la Commission sur les soins de fin de vie. Et ça, malheureusement, on le voit, là, trop souvent encore.

Encore cette semaine, hein, il y a des malades qui ont vu leur demande d'aide médicale à mourir être mise à la poubelle, carrément. Il y a des malades dont on met la demande d'aide médicale à mourir sur la tablette, et on attend tout simplement qu'ils meurent après plusieurs semaines sans qu'ils aient été évalués. Il y a des malades qui sont injustement refusés sans raison, sans explication. Il y a des pressions qui s'exercent sur les malades, parfois des professionnels eux-mêmes, parfois de la famille. Et ça, on l'a entendu : famille qui va voir le malade qui a fait une demande à l'hôpital, et qui lui dit : Si tu ne retires pas ta demande, on ne vient plus te voir. Donc, on doit s'assurer qu'un malade qui le fait, qui fait une demande, le fait de façon libre et éclairée, sans contrainte ni menace, mais il n'y a personne qui s'assure qu'un malade qui retire une demande le fait de façon libre et éclairée, sans contrainte et menace. Et ça, on le voit malheureusement trop souvent.

Il y a des malades qui font une demande d'aide médicale à mourir à leur médecin, là, clairement, pas une demande d'information : Je veux avoir l'aide médicale à mourir, et qui se font répondre : Nous en reparlerons dans une semaine, vous n'êtes pas rendu là. Parlez-en d'abord à vos enfants. Vous ne pouvez pas faire de demande d'aide médicale à mourir. L'aide médicale à mourir, ça ne se fait pas ici, donc envisagez une autre option. On peut vous faire une sédation palliative à la place. Et ça, je vous le dis, là, les dérapages et les indignités, là, elles sont fréquentes. Donc, il suffirait d'une directive ministérielle pour dire : À partir de demain, on met en place un mécanisme d'examen de ces demandes. Et ça pourrait être fait très, très rapidement, et il est urgent qu'on le fasse. Nous le demandons depuis 2016. Au CHU de Québec, il y a un an maintenant, on a pris la décision d'examiner systématiquement toutes ces demandes refusées et non administrées parce que c'est important qu'on le fasse, et je pense que ça devrait être fait à la grandeur de la province.

M. Ouellette : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député de... député. Merci, Dr Naud. Je céderais maintenant la parole à la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Naud, pour votre... bien, votre mémoire.

Et vous avez parlé tantôt de démence, de la démence heureuse de l'Alzheimer, que c'était quelque chose qui allait être de plus en plus fréquent dans toutes les familles. Moi, j'aimerais vous entendre par rapport à la démence heureuse puis le retrait de consentement final. Comment qu'on devrait considérer une demande d'aide médicale à mourir comme exutoire malgré l'absence de souffrance de la personne qui en fait la demande? Et, au niveau médical, comment s'assurer, de façon définitive, que la personne est atteinte de démence ou d'Alzheimer, par exemple, ou de souffrance de manière grave et irréversible?

Puis, en même temps, j'aimerais vous amener aussi... bien, que vous nous ameniez dans votre réflexion. Advenant qu'il y a un refus catégorique de l'aide médicale à mourir, ça a été consenti antérieurement, mais que plus la démence arrive, la personne, elle est quand même sereine, heureuse, puis, disons, elle n'a plus les conditions de souffrance qu'elle avait évoquées, alors comment vous voyez ça, ce refus-là, à un moment donné?

M. Naud (Alain) : Merci, Mme la députée. C'est aussi une question très importante que vous posez.

Écoutez, sur la démence heureuse, je pense qu'il y aurait long... il y aurait beaucoup de choses à dire, là. Et il faut concevoir le concept de souffrance pas juste comme douleur physique, hein? Parce que, malheureusement, là, on a tendance, dans notre esprit et dans l'esprit de la population, là, de dire : Bien, la souffrance, c'est la douleur physique, si la douleur physique est bien soulagée, puis la personne est souriante et a l'air confortable, quelle raison a-t-on de lui administrer l'aide médicale à mourir? Alors, il faut bien comprendre que la souffrance, c'est aussi la souffrance psychique. Et la souffrance physique, ça dépasse de loin la simple douleur physique. Ça peut être, par exemple, de ne plus être capable de s'alimenter, d'être totalement alité, d'avoir des ponctions, des examens répétés, d'être complètement dépendant des autres pour tous ses besoins de base. Tout ça, c'est de la souffrance physique.

Et, dans le cas de la démence d'Alzheimer et autres démences associées, je pense qu'il faut juste... il ne faut pas s'arrêter à la souffrance mais parler aussi de dignité de fin de vie. Et, vous savez, je le disais tantôt, l'alzheimer, tout le monde connaît ça, là. On sait comment ça évolue, on sait comment ça se finit, quand le malade meurt en stade 7, hein, couché dans son lit en chien de fusil, là, alors que le seul réflexe qu'il a, c'est d'ouvrir la bouche quand on lui met quelque chose sur le bord des lèvres, là. Et qu'est-ce qu'on répondrait à un malade, par exemple, qui a reçu un diagnostic d'Alzheimer et qui dirait : Bien, vous savez, moi, j'ai une maladie d'Alzheimer, je ne veux pas mourir comme j'ai vu mourir mon père, mon frère ou ma soeur, et, quand je serai rendu à un stade où est-ce que je ne reconnais plus personne depuis, par exemple, six mois, que je ne suis plus capable seul d'assumer mes besoins de base ou que je suis alité complètement, je considérerai que ma vie, à ce moment, n'aura plus de sens, que ma vie sera indigne, et je vous autoriserai à ce qu'on puisse la terminer dans ce que je considère être une fin de vie plus digne avec l'aide médicale à mourir, peu importe que je sois... que j'aie l'air heureux ou pas, là, je considérerai que ma propre vie n'aura plus de sens à ce moment-là? Alors, si un malade nous demande ça, qui sommes-nous pour lui dire : Bien, tu as tort ou tu as raison? Je pense qu'il appartient à chaque individu de choisir sa propre fin de vie et de considérer ce qui lui apparaît être une fin de vie digne. Vous avez des convictions religieuses, et, pour vous, l'important, c'est d'attendre que le moment... le moment où Dieu viendra vous chercher? Parfait, ça doit être respecté. Mais, pour quelqu'un qui dit : Moi, rendu à ce stade-là, là, je vous autoriserai à m'administrer l'aide médicale à mourir, je pense qu'on a l'obligation de respecter ça. Et les gens le feront au moyen de directives anticipées.

• (10 h 40) •

Et je propose une mécanique à cet effet-là. Et, vous savez, donner des directives avancées alors qu'on est inaptes, là, on le fait déjà. Quand on fait un mandat en cas d'inaptitude, bien, on désigne un mandataire, à qui on a confiance pour nous représenter et prendre des décisions à notre place au moment où on ne sera plus apte, dans un testament. Quand on désigne un liquidateur, bien, en principe, c'est quelqu'un en qui on a confiance et qu'on a confiance qu'il ne trahira pas nos volontés. Alors, je vous propose, dans le mémoire, une mécanique qui pourrait être mise en place, là, relativement facilement, à mon avis, et qui permettrait de respecter, là, ces dernières volontés là du malade.

Et évidemment ces volontés-là... bon, comme je le mentionne, on devrait, après le diagnostic, attendre un certain temps, parce qu'évidemment il y a un choc à absorber. Il faut orienter le malade vers les ressources appropriées, l'information, demande qui devra être répétée et demande qui pourra être retirée tant que le malade est apte à le faire et par la nomination d'un mandataire. Le mandataire n'aurait pas pour mandat de déterminer que le moment est venu mais bien d'aviser l'équipe traitante d'évaluer, voir si ce moment est venu. Et il appartiendrait à chaque malade de déterminer que le moment est venu au moyen de critères, là, facilement objectivables. Et le malade choisirait les critères qui, pour lui, représentent de l'indignité de fin de vie dans sa condition évolutive, là, d'Alzheimer, par exemple : ça fait six mois que je ne reconnais plus mes proches de façon constante, je suis totalement alité, je suis totalement dépendant des autres pour mes besoins de base, j'ai un comportement agressif qui est incontrôlable depuis plusieurs mois. Alors, on pourrait mettre une série de critères comme ça. Et, encore une fois, je pense qu'il appartient à chaque personne de déterminer ce qui correspond à de la dignité ou de l'indignité de fin de vie, et ça doit dépasser largement la simple notion de douleur physique bien ou mal soulagée.

Mme Hébert : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Je céderais la parole au député de Mégantic.

M. Jacques : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Naud. Juste une petite question pour compléter, là, un peu, là, ce que ma collègue de Saint-François a parlé.

Au niveau du consentement, de ce que je comprends, là, ce que vous suggérez, c'est que, lorsque la maladie apparaît, dans un premier temps, la personne pourrait avoir recours à un genre de mandat d'inaptitude pour dire c'est quoi, les soins de fin de vie qu'elle désire, et à quelle étape qu'elle les désire, et qu'après ça il y ait un délai de trois à six mois avant qu'elle puisse les recevoir, minimalement. C'est bien ça que je comprends?

M. Naud (Alain) : C'est bien ça, oui.

M. Jacques : Donc, une personne qui ferait un mandat d'inaptitude dans son vivant, qui n'a pas aucune maladie, ne pourrait pas déjà stipuler certaines recommandations par rapport à ce qu'il pourrait lui arriver plus tard?

M. Naud (Alain) : Oui. Merci, M. le député. En effet, vous avez tout à fait raison. Ce que j'amène, c'est que je ne pense pas qu'on puisse le demander à l'avance. Vous savez, quand on a 20 ans, 30 ans, 40 ans, de dire : Vous savez, moi, si, rendu à 80 ans, j'ai une maladie d'Alzheimer, vous m'administrez l'aide médicale à mourir, là, je pense que ce n'est pas adéquat. Évidemment, beaucoup d'eau va couler sous le pont, et il peut se passer bien des choses.

Alors, moi, je pense que ce n'est pas une directive anticipée dans le sens de ce qui existe, actuellement, du registre des DMA, des directives médicales anticipées. Donc, je pense qu'on ne peut pas demander à l'avance ce soin-là, mais uniquement une fois qu'on a reçu un diagnostic de démence et alors qu'on est encore, évidemment, dans les premiers stades de la maladie, parce que c'est une maladie qui évolue, hein, sur de nombreuses années, là, et ça prend plusieurs années avant que le malade devienne inapte, là. Donc, ce serait vraiment après avoir reçu un diagnostic, dans la condition, dans la situation sociale et familiale où se retrouve ce malade et après une certaine période d'attente minimale, comme je le mentionnais, parce qu'il y a un choc à absorber, là, quand on se fait dire qu'on a une maladie d'Alzheimer, là, je pense que tous les gens qui sont au chevet le savent très bien et tous les gens qui accompagnent ces malades-là ou qui l'ont vécu le savent très bien aussi, là. Donc, ce serait juste après le diagnostic, après une période d'attente minimale, au moyen d'un formulaire, d'une directive spécifique à cet effet, qui devrait être, encore une fois, répétée, là, au moins trois à six mois plus tard. Et, bien, on pourra débattre du délai, éventuellement.

Et, l'autre point important, c'est que ce mandat-là devrait être contraignant, hein, c'est-à-dire que pas soumis au jugement des proches, des enfants, de la famille, des frères et des soeurs, là, comme le sont les directives médicales anticipées actuellement, et qui ont une nature contraignante. Alors, même si les enfants ne sont pas d'accord, bien, écoutez, c'est la volonté du malade, et cette volonté-là doit être respectée. Mais, en effet, ce que je propose, c'est que ça se fasse uniquement après avoir reçu officiellement un diagnostic.

M. Jacques : Bien, je vous remercie. Je vais laisser les questions aux autres collègues, là. J'aurais beaucoup de questions, là, mais je vais laisser la place. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci, M. le député. Donc, je céderais la parole à Mme la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Naud, pour votre belle présentation.

La perte de capacité, soit l'aptitude, n'est pas un phénomène, et c'est toujours possible d'anticiper. Par exemple, traumatismes crâniens cérébraux et les AVC peuvent engendrer d'importantes séquelles et entraîner l'inaptitude de manière soudaine. Dans ce contexte, serait-il possible de faire une directive médicale anticipée pour l'aide médicale à mourir en l'absence de diagnostic?

M. Naud (Alain) : Merci, Mme la députée, pour votre question. Évidemment, l'enjeu que vous soulevez est très important. Écoutez, je pense qu'avec l'aide médicale à mourir, hein, on évolue, la société continue d'évoluer, et je pense qu'il faut y aller par étapes aussi, se concentrer sur les enjeux les plus importants, les besoins les plus ressentis et immédiats, là, dans la population. Et je pense que la fréquence de la pathologie doit être prise en compte dans notre décision là-dessus.

Ce que vous soulevez est effectivement très important. Mais, si on essaie de légiférer pour pouvoir... sur ce problème-là, on risque de s'embarquer dans de grands débats sur quelles pathologies va-t-on accepter, quels en seront les critères. Vous savez, tous les troubles neurologiques, etc., les AVC, les ICT, les paralysies, est-ce qu'on accepte quelqu'un qui a juste un problème de langage suite à un AVC, qui a une paralysie complète? On risque de faire un très long débat sur cette question-là, alors que, dans le cas de la démence, et d'Alzheimer, et autres démences associées, je pense qu'on est capables d'agir et d'aller rapidement là-dessus parce que, clairement, c'est très prévalent, hein, c'est très présent dans notre société. Ça évolue. On connaît ça, la démence de l'alzheimer. On sait comment ça évolue, on sait quand ça commence, on sait comment ça se termine, et je pense qu'il y a beaucoup moins de débats à faire ou d'imprécisions, là, là-dessus.

Alors, ce que vous soulevez, oui, j'applaudirais, là, à l'idée de pouvoir éventuellement y arriver, mais je pense qu'on devrait d'abord commencer avec la maladie d'Alzheimer et autres démences associées, se donner un petit peu de temps de roder ça, de voir est-ce qu'il y a des écueils qui apparaissent, qu'on n'avait pas pu voir venir, et, éventuellement, peut-être ouvrir, là, à d'autres conditions neurologiques comme celles que vous mentionnez, hein?

Je pense que, l'aide médicale à mourir, là, on n'est pas au bout du chemin, on est au tout début. La société va continuer d'évoluer là-dessus, et on devra toujours le faire en gardant à l'esprit l'intérêt des malades, évidemment, et le respect de ces malades-là. Mais ma proposition serait qu'on commence par l'alzheimer et les démences associées.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Donc, je céderais la parole à Mme la députée de Soulanges.

Mme Picard : Bonjour. Merci beaucoup, Dr Naud, d'être parmi nous aujourd'hui.

Je ne sais pas si vous avez eu la... si vous avez écouté Mme Bernier, qui a passé juste avant vous, mais elle adressait une idée d'intégrer une équipe multi, une équipe qui serait avec peut-être un psychiatre, avec un professeur d'éthique ou quelqu'un, dans le fond, qui pourrait aider les docteurs à prendre leur décision, mais faire vraiment un beau... une belle équipe autour du patient et de son proche. Comment pensez-vous qu'on pourrait intégrer cette équipe multi là aux professionnels, dont vous êtes, là, qui... pour ne pas... en fait, pour empêcher d'alourdir votre travail, mais aussi pour ne pas allonger les délais non plus, là? Comment vous voyez ça, vous?

• (10 h 50) •

M. Naud (Alain) : Oui. Merci, Mme la députée. Vous faites référence, j'imagine, aux démences, hein, et Alzheimer et autres démences associées, oui? Bien, tout à fait. Écoutez, non, je n'ai pas pu assister à la présentation précédente parce que j'étais dans les techniques pour ma propre présentation.

Bien, c'est ce que je propose dans mon mémoire, d'ailleurs, hein? C'est que, vous savez, la... le... il faudrait mettre en place une équipe multidisciplinaire. Quand je disais, tantôt dans la mécanique, pour la personne elle-même, de désigner un mandataire, bien, son rôle, en fait... et on ne fera pas porter le poids de la responsabilité, là, de la décision à ce mandataire-là, mais son rôle serait seulement d'aviser l'équipe, le moment venu, que : Bien, écoutez, je me demande si les critères que la personne a désignés elle-même, là, ne sont pas maintenant atteints et qu'il serait temps de procéder à son évaluation, là, à son évaluation. Et cette évaluation ne devrait pas être confiée à un seul individu, à un seul médecin, elle devrait être confiée à une équipe multidisciplinaire, et c'est tout à fait, là, ce que je propose.

Alors, ça... Et ce que je propose, évidemment, on peut en débattre, là, mais ça devrait être minimalement un médecin, une infirmière, une travailleuse sociale qui sont au chevet de la personne, qui la connaissent bien, qui sont déjà impliqués. Et on pourra élargir l'équipe avec un éthicien, là, évidemment, je n'y vois absolument aucun problème. Et c'est cette équipe-là qui prendrait la décision finale de dire : Oui, le moment est venu d'administrer l'aide médicale à mourir.

Et ça pourrait se faire très bien — ce que... une des recommandations, là, évidemment, qui sont dans le mémoire, sur laquelle je n'ai pas eu le temps de revenir — par aide médicale à mourir par voie orale. À ce moment-là, on n'a pas besoin d'injection nécessairement, hein? Puis l'aide médicale à mourir par voie orale, qu'on ne devrait pas appeler le suicide assisté... Quant à moi, là, ça n'a rien à voir avec le suicide, là. C'est vraiment de l'aide médicale à mourir. C'est juste la voie d'administration qui est différente.

Et ça pourrait être fait par les IPS. Parce qu'une autre de mes recommandations, c'est qu'il est urgent qu'on intègre les IPS à l'aide médicale à mourir comme partout ailleurs au Canada. Donc, ces malades-là, évidemment, sont dans des centres de soins prolongés, hein? On s'entend que, rendus à ce stade-là, très peu seront, probablement, à la maison, là. Les IPS sont très impliquées dans les CHSLD, leur apport est précieux. Alors, l'équipe multidisciplinaire aurait le mandat d'évaluer si le moment est venu, et, si le moment est venu, bien, tout simplement par l'administration de l'aide médicale à mourir par voie orale, qui pourrait être faite par le médecin ou par l'infirmière, avec les mêmes conditions que l'aide médicale à mourir qu'on connaît bien actuellement, là... pourrait être prodiguée à ce moment-là. Alors, je suis tout à fait d'accord avec ça, évidemment.

Mme Picard : Merci. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, M. le député de Lac-Saint-Jean, 1 min 30 s, s'il vous plaît.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Oui. Bonjour, M. Naud. Tout à l'heure, on amenait madame... un professeur titulaire à l'Université de Sherbrooke, qui a parlé du formulaire, le fameux formulaire, là, de remplir un formulaire. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Naud (Alain) : Écoutez, une de mes recommandations, c'est d'abolir, tout simplement, dès maintenant le formulaire de déclaration provincial. La première version, là, sur papier, était une horreur absolue, là. Ça a été fait par des juristes, pour des juristes, qui ont certainement eu beaucoup de plaisir à le concevoir, là, mais qui n'avait aucune utilité clinique médicale. Et c'est quand même aux médecins qu'on confie la responsabilité, là, d'évaluer et d'administrer l'aide médicale à mourir.

Est arrivé, en novembre 2018, le formulaire unifié électronique pancanadien du gouvernement fédéral, qui est, à mon avis, infiniment mieux fait que le formulaire provincial. On nous avait promis une harmonisation. Ce n'est pas le cas du tout, hein? Alors, ça a fait juste compliquer les choses, prendre beaucoup plus de temps, parce que, là, on a un formulaire électronique où est-ce qu'on a la partie provinciale, après ça, la partie fédérale, avec beaucoup de redondance entre les deux. Beaucoup de questions ambiguës dans le formulaire provincial. Il n'est d'aucune utilité, surtout que, comme je le mentionnais, on devrait retirer le mandat d'évaluer la conformité, là, de l'aide médicale à mourir à la Commission sur les soins de fin de vie.

Alors, ce formulaire-là, je peux vous dire que ça a fait fuir aussi beaucoup de médecins qui s'y sont frottés et qu'il y a beaucoup de médecins qui refusent encore de s'impliquer parce que ça fait juste amener des contraintes supplémentaires. L'aide médicale à mourir, ce n'est pas simple, là. S'il y en a qui s'imaginent qu'on fait ça, là, comme médecins, les deux doigts dans le nez, là, c'est beaucoup d'heures d'investissement, c'est au moins une dizaine d'heures, et le formulaire est un irritant majeur actuellement.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Merci, Dr Naud. Je cède maintenant la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci.

(Interruption)

M. Birnbaum : Ça va? Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Naud, pour vos observations lucides, vos recommandations assez claires. C'est ça qui s'impose dans un débat complexe mais exigeant et très présent.

Écoutez, votre évaluation, votre diagnostic de l'état de choses actuel en tout ce qui a trait au traitement, aux demandes d'aide médicale à mourir, est assez sombre, en quelque part. Vous parlez de quelque 33 % de membres qui ont été soit non traités comme il faut ou refusés. Et j'imagine, compte tenu de votre expérience, avec raison, vous notez qu'il y en a, il y en aurait eu plein d'autres qui n'ont même pas postulé ou même pas soumis leur demande.

Bon, plusieurs de vos recommandations touchent à comment pallier à la situation, mais j'aimerais vous inviter à renchérir. Pour l'instant, vous parlez d'une brèche législative à corriger dans le plus bref délai, vous parlez de votre lecture de l'inefficacité actuelle de la commission. Mais là c'est assez évident, en quelque part, que, suite à nos recommandations et suite à la tendance mondiale, bon, les demandes vont s'accroître, et il y aurait une plus grande présence de ce phénomène-là.

Comment faire, quoi d'autre est-ce qu'il faut faire pour assurer, avec la rigueur nécessaire, mais que les demandes soient traitées ou rejetées en toute transparence et en toute reddition de comptes? Qu'est-ce qu'on doit faire de plus, actuellement, et en anticipant un élargissement de cette option sombre et très importante pour tout le monde?

M. Naud (Alain) : Oui. Merci, M. le député. Bien, en fait, un constat qu'il faut faire depuis plus de cinq ans, là, c'est que, l'aide médicale à mourir, c'est fait de façon extrêmement rigoureuse au Québec, en toute conformité des lois. Alors, moi, je pense qu'il faut d'abord éliminer tous les irritants qui empêchent, actuellement, les médecins de s'impliquer — et on en a déjà mentionné plusieurs, là, l'incohérence entre les deux lois, le formulaire électronique provincial, les lettres incessantes de la Commission sur les soins de fin de vie — qui n'ont pas lieu d'être.

Et, vous avez raison, les demandes vont augmenter, là, c'est... on n'a pas besoin d'être devin pour le prédire, là, parce que c'est le cas, c'est ce qu'on a vu dans tous les pays dans les premières années où ça a été implanté, parce qu'on élargit maintenant l'accessibilité, parce que c'est mieux connu, parce que les résistances diminuent, tranquillement, là, à travers la province, de façon urgente, permettre aux IPS de s'impliquer dans l'aide médicale à mourir. Alors, si on commence par éliminer tous les irritants qu'on dénonce comme médecins depuis cinq ans et qui sont encore en place, bien, je peux vous promettre que beaucoup de médecins vont revenir à l'aide médicale à mourir ou vont enfin s'impliquer.

L'autre chose, et moi, bien, je suis enseignant, évidemment, à l'université, là, en médecine familiale, je peux vous dire que la génération des médecins qui s'en vient va être extrêmement favorable et va vouloir s'impliquer dans l'aide médicale à mourir. C'est déjà enseigné à l'université, et je peux vous dire que j'ai une liste longue comme ça, moi, de médecins résidents, là, qui souhaitent m'accompagner pour apprendre comment faire l'aide médicale à mourir au Québec. Donc, éliminer d'abord les irritants, je pense que ça va donner une chance.

Dans les dernières statistiques, 9 % des médecins ont prodigué l'aide médicale à mourir, hein? Et il y a plus de 20 000 médecins au Québec, là, et ce nombre-là augmente d'une année à l'autre, là, donc, ça, c'est très important, c'est important de le mettre en place. Et, après ça, bien, il faut documenter, évidemment, toutes les aides médicales à mourir, tant administrées que celles qui sont refusées ou non administrées. Et ça, bien, il y a déjà en place un mécanisme qui s'assure de la rigueur des AMM administrées. Les CMDP, conseils de médecins, dentistes, pharmaciens, là, déjà, des établissements reçoivent exactement les mêmes formulaires que ceux de la Commission sur les soins de fin de vie et les évaluent tous. Et ils ont, eux, l'expérience, l'expertise, la formation, la composition du groupe et l'accès au dossier médical et aux équipes soignantes pour faire ce travail-là de façon rigoureuse. Et ils sont supportés par le Collège des médecins du Québec, et c'est eux, en dernier recours, qui s'assurent de la conformité de l'acte médical qui a été prodigué dans l'aide médicale à mourir.

Donc, vous savez, il y a des choses qu'on dénonce depuis cinq ans, et qui auraient dû être corrigées depuis longtemps, et qui sont relativement faciles à corriger, actuellement, si on écoute les cliniciens qui sont sur le terrain. Alors, je pense qu'il faut prendre nos informations aussi aux bons endroits pour prendre le pouls, là, de la situation actuelle au Québec pour pouvoir y apporter les correctifs.

M. Birnbaum : Merci. J'aurais une autre question, puis après, je suis sûr, ma collègue de Westmount—Saint-Louis en aurait.

Je vous amène sur un autre terrain. Vous parlez de soins palliatifs, et je trouve que vous nous offrez un rappel important que quelque 80 % des gens qui ont demandé l'aide médicale à mourir avaient déjà recours aux soins palliatifs. Deux choses. Dans un premier temps, vous recommandez que ces établissements de soins palliatifs n'aient pas le droit de s'exempter d'appliquer l'aide médicale à mourir. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Et, deuxième chose, est-ce qu'on a... parce qu'on parle d'un continuum de soins, est-ce qu'il y a la moindre raison de craindre que l'État, en conséquence d'un usage étendu de l'aide médicale à mourir, risque de délester, en quelque part, le financement très important pour le soin palliatif?

• (11 heures) •

M. Naud (Alain) : Merci, M. le député, de la question. Effectivement, on s'entend tous, là, tous les médecins, je pense, et c'est clair pour tout le monde, là, les soins palliatifs, c'est la base des soins autant de fin de vie que de soulagement et d'accompagnement des conditions chroniques, hein, mais incurables, là, parce que... Et ça, ça a changé beaucoup, hein? Depuis un bon bout de temps maintenant, là, ce n'est plus réservé seulement aux malades qui vont mourir, là, qui sont à l'unité de soins palliatifs, mais à toutes les personnes qui ont des conditions chroniques. Alors, c'est la base, et, évidemment, il faut que ce soit accessible et suffisamment financé partout dans la province.

Maintenant, un des arguments des opposants religieux, c'était de dire : Vous savez, les gens, ils demandent l'aide médicale à mourir parce qu'ils n'ont pas accès aux soins palliatifs. On savait que c'était faux. On a la preuve maintenant que c'est faux, parce que, comme vous le mentionnez, 80 % des gens qui ont reçu l'aide médicale à mourir au Québec étaient déjà en soins palliatifs, et l'autre 20 % a refusé d'y aller, et ils en ont parfaitement le droit, parce que, quand on rencontre le malade, ça fait partie de nos obligations, s'il n'est pas déjà en soins palliatifs, de l'informer de la possibilité d'aller en soins palliatifs. Donc, ça, c'est extrêmement fondamental et important. Et, bien, si on retire à la Commission sur les soins de fin de vie le mandat d'évaluer la conformité de l'aide médicale à mourir, ce qu'elle n'est pas en mesure de faire, à mon avis, bien, on pourrait certainement dégager du budget qui pourrait être investi dans les soins palliatifs.

Sur les maisons privées de soins palliatifs, il n'y a plus maintenant aucune raison qui justifie de maintenir ces exemptions-là. À l'entrée en vigueur de la loi, toutes les maisons avaient fait front commun, hein, pour s'opposer. Et le constat qu'on fait, c'est qu'il y a des demandes d'aide médicale à mourir dans toutes les maisons de soins palliatifs, même celles qui refusent toujours de l'offrir. Et ce qu'on voit depuis cinq ans, et ce qui continue de se produire dans les maisons qui refusent de l'offrir, c'est des transferts honteux de ces malades vers un établissement public dans leurs derniers jours de vie parce qu'ils ont osé demander l'aide médicale à mourir, sans compter les pressions qu'ils subissent pour ne pas faire de demande, hein?

Alors, ça, là, il n'y a aucune raison que ça se maintienne. Et il est très clair que l'opposition qui est maintenue encore par certaines maisons, elle relève de l'opposition idéologique, et/ou religieuse, et/ou de crainte de représailles catholiques. Et j'en ai donné un exemple dans mon mémoire, parce que ça existe, on ne se mettra pas la tête dans le sable, là. La perte du financement des communautés religieuses est une des raisons. Alors, dans l'intérêt des malades, là, il n'y a aucune, aucune raison de maintenir cette exemption-là encore pour les quelques maisons de soins palliatifs qui continuent d'être opposées. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Mme la députée de Westmount—Saint-Louis.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Naud. Dans votre mémoire, vous avez évoqué, dans votre recommandation 14, d'autoriser l'accès à l'aide médicale à mourir pour les problèmes de santé mentale, mais vous n'avez pas adressé le problème ou la condition d'une déficience intellectuelle ou autres types de maladies. Selon vous, est-ce que c'est... Ça ne faisait pas partie de votre mémoire puis de vos recommandations parce que, selon vous, une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle ou l'autisme ne peut pas consentir? Et, si oui, ce sont quoi, les conditions dont nous pouvons établir une aptitude ou une inaptitude, d'autres qui pourront faire partie de l'aide médicale à mourir?

M. Naud (Alain) : Oui, merci, Mme la députée. Effectivement, je n'ai pas parlé, là, de la déficience intellectuelle ou de l'autisme. Bien, vous savez, l'enjeu, il est vraiment en lien avec l'aptitude à consentir, hein? Et évidemment la déficience intellectuelle, c'est un large spectre, tout comme celui de l'autisme, là. Et ça, je pense que le débat devra se faire vraiment avec les experts de cette question-là, parce que, bon, de déterminer que quelqu'un comprend bien sa situation, comprend bien les alternatives qui s'offrent à lui, constater la souffrance morale et pouvoir réitérer une demande, tout ça, bien... Vous savez, il y a beaucoup de critères en place quand on évalue une demande d'aide médicale à mourir, mais je pense que l'enjeu principal, c'est vraiment sur la capacité à consentir à ce soin-là, qui, évidemment, est questionnée très directement quand on parle, là, de déficience intellectuelle et d'autisme.

Alors, je n'ai pas, volontairement, voulu m'embarquer dans ce champ-là, parce que, déjà que la santé mentale, je pense que c'est un enjeu sensible dont on a à faire un débat de société, là, et qui implique déjà, comme je le mentionnais, plusieurs écueils, là, qu'on devrait résoudre, là... Mais je pense que c'est une ouverture, éventuellement, dont il faudra aussi discuter, mais je pense qu'on ne pourra pas tout régler, hein, dans un seul mandat ou d'un seul coup par un seul projet de loi.

Mme Maccarone : Ça fait que ça veut dire vous, vous n'avez pas de recommandation, nécessairement, en ce qui concerne les critères qui devraient être appliqués pour mesurer l'aptitude ou l'inaptitude d'une personne qui souhaite avoir accès à l'aide médicale à mourir.

M. Naud (Alain) : Spécifiquement pour ce qui est de la déficience intellectuelle et de l'autisme, effectivement, là-dessus, je m'abstiendrai de faire des recommandations, parce que ce n'est pas mon domaine d'expertise, très honnêtement, et je ne veux pas prétendre des choses que je ne suis pas capable de soutenir.

Mme Maccarone : Est-ce que ça veut dire qu'on devrait d'abord penser aussi à une liste de maladies, comme un peu qui était recommandé quand on parle de Me Fillion, par exemple, à l'intérieur du rapport qu'il nous a donné? Puis je comprends votre souhait de peut-être passer par-dessus ce comité, mais est-ce qu'on devrait se pencher sur une liste de maladies, aussi, qui devraient avoir une éligibilité à avoir accès à l'aide médicale à mourir?

M. Naud (Alain) : Bien, vous savez, dans le cas de la démence, des troubles neurocognitifs majeurs, là, démence et autres... alzheimer et autres démences associées, je pense que c'est relativement facile de faire une telle liste. Dans le cas de la santé mentale, ça m'apparaît plus difficile, parce qu'encore là il y a un large spectre d'atteintes, hein? Les troubles neurocognitifs, on les connaît, on est capable de les diagnostiquer, on en connaît l'évolution, elle est la même pour tout le monde. Ça demeure une maladie incurable avec une lente et sévère dégradation.

Dans le cas des problèmes de santé mentale, là, le spectre est beaucoup plus large. Alors, il faudrait faire l'exercice avec les spécialistes. Évidemment, je suis un médecin de famille, je ne suis pas spécialiste, là, un psychiatre en santé mentale, là, mais de faire une liste qui serait très, très restrictive de diagnostics de santé mentale me semble un exercice, là, à ce moment-ci, un peu plus périlleux.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Merci, Dr Naud. Je cède maintenant la parole au député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Naud, pour votre présentation. J'ai peu de temps. J'ai envie de vous entendre sur une question que j'ai posée à la précédente intervenante à la commission au sujet de la possibilité, puis ça me semble être une possibilité pas complètement farfelue, loin de là, que des gens qui aient... au moment, par exemple, ou suite à avoir reçu un diagnostic d'une maladie comme l'alzheimer, puissent se dire, à ce moment-là : Je suis certain que c'est ce que je veux, recevoir l'aide médicale à mourir lorsque je vais être rendu dans un état avancé, mais qui, finalement, suite à l'évolution de la maladie, au moment où vient... par exemple, pourrait se présenter le moment de donner le consentement vraiment final, là, pour recevoir l'aide médicale à mourir, se dirait : Non, je ne veux pas, je ne veux pas. Puis ce serait un refus net, un refus répété, malgré le fait qu'il y ait eu processus en amont, disons, un processus parfait. Donc là, on est comme dans une situation où il y a deux consentements qui s'affrontent, là, le consentement initial, donné en toute connaissance de cause dans un état d'aptitude complet, puis un refus de consentement par la suite d'une personne qui n'est plus jugée apte.

Du point de vue de la pratique, ça pose quand même une question pas simple, là. Ça pourrait placer les médecins dans des situations où ils devraient administrer l'aide médicale à mourir à une personne qui exprime un refus répété. On nous a parlé d'expériences internationales assez désagréables à cet égard. Comment vous voyez ce dilemme-là, vous?

M. Naud (Alain) : Oui, bien, merci, M. le député. Écoutez, moi, je n'y vois pas de problème, là, réellement. Évidemment, la demande, une telle demande, devrait être faite au moment où le malade est apte, hein, et devrait être réitérée après un certain délai, comme je le mentionnais déjà. Et il faut comprendre que l'aide médicale à mourir, là, ce n'est pas une obligation, là, quand on a eu un diagnostic de démence, d'alzheimer, là, ou autre démence associée. Ça reste un choix personnel. Et cette demande-là, éventuellement, pourrait être retirée n'importe quand, tant que le malade est apte. Et il pourrait changer d'avis, évidemment. Je pense que ça va de soi.

À partir du moment où le malade devient inapte, vous savez, pour en avoir vu beaucoup, parce que, comme médecin, on en voit beaucoup de ces malades-là, là, une fois que l'inaptitude est arrivée, là, la discussion avec le malade sur : Est-ce que c'est encore ce que vous voulez, là?, elle n'est plus possible. Elle n'est plus possible, là, le malade est rendu dans un état avancé qui fait que, regardez, peu importe quelle sera la réponse, je pense que le malade est inapte.

Puis ce que vous mentionnez, bien, on le vit déjà de toute façon, hein? Vous savez, quand quelqu'un fait un mandat en cas d'inaptitude, hein, et décide de désigner un mandataire, et décide qu'il lui confie, par exemple, l'administration de ses biens et certains pouvoirs, bien, une fois qu'on met en place le mandat en cas d'inaptitude, là, on retourne pour voir la personne pour lui demander : Est-ce que c'est toujours ce que vous souhaitez?, on vit avec la décision, hein? Et, bien, on serait dans le même champ d'exercices avec ces malades-là.

• (11 h 10) •

Et, quand vous dites : Il y a eu des situations malheureuses, là, évidemment, on l'entend, là. Il y a des gens qu'on a dû attacher pour administrer l'aide médicale à mourir par voie intraveineuse parce qu'ils voulaient se débattre. Justement, l'aide médicale à mourir par voie orale, là, permet d'éviter ça. Et un malade agité, là — parce que, rendu là, à ce stade-là de la maladie, là, ce n'est pas un refus de recevoir l'aide médicale à mourir, c'est de l'agitation psychomotrice qui est inhérente à la maladie cérébrale et qui fait que les malades, parfois, sont agressifs, hein, se mettent à frapper les soignants, se mettent à frapper leur propre entourage — bien, évidemment, dès que vous les approchez, ils vont se mettre à frapper tout le monde. Ce n'est pas un refus de l'aide médicale à mourir qu'ils auraient déjà demandé, c'est une manifestation de la sévérité de la maladie, tout simplement.

Et il n'est pas question d'attacher quelqu'un pour prodiguer l'aide médicale à mourir par voie intraveineuse. Vous savez, l'aide médicale à mourir par voie orale... Et ce serait une magnifique indication, de pouvoir le permettre, parce qu'honnêtement je ne pense pas qu'actuellement avec l'aide médicale à mourir, là, moi, je n'ai jamais eu de demande de malade qui m'a dit, là : J'aimerais mieux que vous me donniez quelque chose puis je vais faire ça tout seul à la maison, là. Les gens apprécient que le médecin soit là, que l'équipe traitante soit là, qu'on les accompagne du début à la fin, et jusqu'après le décès pour ce qui est des proches, là, et qu'on prenne ça en charge, et qu'on soit avec eux. Bien, dans les cas des démences avancées qui auraient demandé et qui seraient prêts à recevoir l'aide médicale à mourir, bien, la voie orale, où on fait prendre son jus d'orange au malade, tout simplement, et le résultat va être le même, là... Donc, évidemment, il n'est pas question d'attacher qui que ce soit pour lui prodiguer l'aide médicale à mourir, là. Donc, je ne vois pas ça comme un écueil, là, réellement.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, M. le député. Je cède maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Naud. Donc, j'ai peu de temps aussi, donc... poser mes trois questions, en espérant que vous aurez le temps pour répondre aux trois.

La première, c'est que, vu que, maintenant, le critère de fin de vie n'est plus dans le décor, juste pour qu'on comprenne bien, une personne peut avoir une maladie neurocognitive et faire une demande pour obtenir l'aide médicale à mourir alors qu'elle a encore une partie de son aptitude, parce qu'elle a un déclin avancé, irréversible et des souffrances, même si elle n'a pas complètement perdu son aptitude. Donc, je veux juste que vous nous éclairiez, parce que certains pourraient dire que, vu que cette possibilité-là existe, vu que la fin de vie n'est plus un critère, pourquoi on fait tout ce débat-là d'une demande anticipée? Mais je présume que c'est parce qu'on veut pouvoir accompagner la personne le plus longtemps possible, parce que certains pourraient vouloir l'obtenir trop tôt par rapport à la situation qu'elles voudraient éviter. Donc, ça, j'aimerais vous entendre là-dessus.

L'autre élément, c'est que, jusqu'à maintenant, dans le débat public et dans ceux qu'on a entendus, tout le monde réitère l'importance de respecter tous les critères de l'article 26, donc, qu'importe qu'on soit dans le cadre d'une demande anticipée, donc la notion de souffrance qu'on pense intolérable. Vous, vous arrivez aujourd'hui avec une notion différente, qui est la question de l'indignité. Et là je veux comprendre si, pour vous, il faudrait changer le concept, quand on est dans un cas de demande anticipée, pour passer du concept de souffrance à celui d'indignité, et si, pour vous, l'indignité fait partie de la souffrance. Si jamais j'ai du temps, je reviendrai sur la maladie mentale.

M. Naud (Alain) : Merci beaucoup, Mme la députée. Bien, écoutez, l'indignité, hein, l'appréhension de l'indignité de fin de vie, pour moi, c'est une souffrance. Vous savez, quelqu'un qui se dit, là : J'ai une maladie d'Alzheimer et je sais qu'éventuellement je vais être rendu dans cet état-là, il vit une souffrance reliée à l'évolution et à la finalité inévitable de la maladie. Donc, on n'a pas nécessairement besoin de changer le concept, mais il faut concevoir le terme de souffrance dans... de façon beaucoup plus large que la seule douleur physique non soulagée, parce que l'indignité appréhendée, pour moi, c'est déjà une souffrance qui peut être extrêmement intolérable. Vous savez, pour en avoir eu beaucoup, des gens qui ont une maladie d'Alzheimer, là, ces gens... c'est rare que les gens sont sereins dans l'évolution de cette maladie-là parce qu'ils savent trop bien ce qui s'en vient.

Maintenant, sur votre première question, pour ce qui est de l'aptitude, effectivement, en vertu du retrait de critère de fin de vie au provincial et du retrait de critère de mort naturelle raisonnablement prévisible au fédéral, il n'y a plus de pronostic qui est exigible maintenant. Donc, quelqu'un qui est dans les premiers stades de la maladie d'Alzheimer, ou intermédiaire, et qui est encore apte pourrait demander et recevoir l'aide médicale à mourir, sauf qu'il ne peut pas le faire de façon anticipée en vue de l'inaptitude future, il devrait pouvoir le recevoir maintenant, tant qu'il est encore apte à consentir. Et c'est là où bât blesse, parce que, vous savez, de ne plus reconnaître ses proches, là, ça n'arrive pas du jour au lendemain, un bon matin, hein, c'est fluctuant.

Alors, il y a des gens qui veulent dire, et moi, je l'entends, là, à toutes les semaines, là : Bien, oui, je voudrais éventuellement y avoir recours, mais je veux pouvoir profiter aussi de mes proches le plus longtemps possible, et probablement que mes proches veulent profiter aussi de ma présence. Donc, il y aura une période intermédiaire où je ne serai pas toujours là, mais je reconnaîtrai encore, quand même, mes enfants, mes petits-enfants, et je pourrai en profiter. Et c'est pour ça que, dans les critères, les balises qu'on mettra ensemble, bien, il y aurait des critères de temporalité aussi, hein? Ça fait six mois que je ne reconnais plus mes proches, par exemple, et non pas une semaine ou hier. Et, à ce moment-là, bien, ça permettrait aux gens... Parce que le souhait des gens, finalement, ce n'est pas dire : Bien, j'ai eu un diagnostic de la maladie d'Alzheimer il y a un mois par le médecin de famille ou le neurologue, donc je veux avoir l'aide médicale à mourir le mois prochain, là. Les gens savent qu'il y a encore plusieurs années devant eux où ils vont quand même pouvoir profiter de la vie, là, malgré l'appréhension de comment ça va se terminer.

Donc, ça permettrait, tout ça, de permettre aux gens, si c'est leur souhait, d'avoir encore du temps, tout simplement, hein, tout comme j'en faisais mention au tout début, là, la directive anticipée. Dans le cas d'un malade qui a été accepté et pour qui l'aide médicale à mourir est déjà prévue, là, bien, de le refuser, ça fait que les gens précipitaient leur aide médicale à mourir, alors que moi, j'ai entendu ça de tout le monde, là : J'aurais aimé pouvoir en profiter encore, mais je ne veux pas prendre le risque de manquer ce moment-là. Alors, c'est important de faire ce débat-là pour respecter vraiment la volonté des gens et permettre aux gens de pouvoir profiter de ce dont ils sont capables, de profiter le plus longtemps possible.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Naud. Merci, Mme la députée. C'est tout le temps qu'on avait. Donc, je vous remercie, Dr Naud, pour votre contribution aux travaux de la commission. C'est très enrichissant pour nous et très formateur.

Donc, je suspends les travaux quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités.

(Suspension de la séance à 11 h 17)

(Reprise à 11 h 20)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Bonjour, tout le monde. Nous sommes... nous accueillons maintenant notre prochaine invitée, Mme la Pre Jocelyne Saint-Amand. Donc, bienvenue parmi nous, Mme Saint-Amand. Merci d'avoir accepté l'invitation ce matin. Comme toutes les autres formations, vous aurez 20 minutes, en tant qu'experte, pour nous partager votre exposé. Et ensuite il y aura un échange avec les membres de la commission pour une période de 40 minutes. Donc, je vous cède maintenant la parole. Mme Saint-Arnaud, c'est à vous.

Mme Jocelyne Saint-Arnaud

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui, bonjour à tous. Ça me fait plaisir d'être avec vous. En fait, on me dit de me présenter rapidement. Donc, je suis professeure associée à l'École de santé publique de l'Université de Montréal. Je suis aussi auteure de plusieurs livres en éthique de la santé et je m'intéresse particulièrement à la limite des ressources en santé. Donc, j'y vais maintenant avec un texte, mais je vous ai envoyé un mémoire où vous avez toutes les références. Vous pourrez le consulter.

Alors, des changements dans la loi canadienne et québécoise concernant l'aide médicale à mourir sont devenus nécessaires à la suite des affaires Carter, d'une part, et Truchon et Gladu, d'autre part. Il est clair que les deux lois doivent s'harmoniser, faute de quoi de nombreuses requêtes devant les tribunaux sont susceptibles de se produire. Cependant, outre des enjeux légaux, des enjeux éthiques sont en cause, particulièrement l'équité dans l'accès à l'aide médicale à mourir. Ce mémoire présente les points qui doivent être changés dans la Loi concernant les soins de fin de vie : le retrait du critère de fin de vie... (panne de son) ...d'aide médicale à mourir dans les directives médicales anticipées pour les personnes atteintes de maladies neuropathiques dégénératives, l'inclusion de l'aide au suicide dans l'aide médicale à mourir et l'accès à l'aide médicale à mourir pour des personnes atteintes de troubles mentaux comme seul diagnostic, en y ajoutant des mesures de sauvegarde.

Le retrait du critère de fin de vie. Dans la loi fédérale, le retrait du critère de mort raisonnablement prévisible rend le Code criminel compatible avec la jurisprudence canadienne et québécoise. Le retrait du critère de fin de vie dans la loi québécoise apportera une cohérence entre les deux législations en tenant compte de la jurisprudence québécoise. D'autres raisons appuient le retrait du critère de fin de vie. En effet, ce critère peut susciter plusieurs interprétations de la part des médecins, allant d'une semaine de survie, selon certains médecins, à un an pour d'autres médecins, ce qui engendre des inégalités dans l'accès à l'aide médicale à mourir. Certaines personnes ont fait la grève de la faim pour arriver en fin de vie et ainsi avoir accès à l'aide médicale à mourir, ce qui est éthiquement inacceptable. D'un point de vue clinique, il est difficile d'établir un pronostic précis en matière de fin de vie. Les statistiques de survie ne permettent pas de juger du pronostic d'un individu spécifique avec exactitude, encore moins de juger de sa qualité de vie.

Je suis d'avis de retirer complètement le critère de fin de vie. Cependant, une fois ce critère retiré, l'aide médicale à mourir est ouverte à tous ceux qui répondent aux autres critères, ce qui est conforme au principe d'égalité devant la loi, mais se pose la question alors de la protection des groupes vulnérables, qui sont constitués de tous ceux qui pourraient ne pas être aptes à décider pour eux-mêmes au moment de la demande ou qui pourraient subir des influences indues.

Le point 2, l'inclusion de l'aide médicale à mourir dans les directives médicales anticipées pour des personnes atteintes de maladies neurologiques dégénératives. Les DMA s'appliquent dans le cas de trois conditions cliniques : fin de vie, coma terminal ou permanent et démence grave sans possibilité d'amélioration. Si une personne peut refuser à l'avance d'être maintenue en vie par des techniques comme la réanimation, la dialyse, l'usage du respirateur, l'alimentation, hydratation artificielle quand elle est dans l'une des trois situations cliniques mentionnées, pourquoi ne pourrait-elle pas demander l'aide médicale à mourir alors qu'elle est encore apte à le faire quand elle est, évidemment, dans les premiers stades de sa maladie? La Cour supérieure du Québec a accepté que M. Truchon et Mme Gladu puissent recevoir l'aide médicale à mourir, même s'ils n'étaient pas en fin de vie, parce qu'ils répondaient à tous les autres critères.

Pour permettre une demande d'aide médicale à mourir dans les DMA pour des personnes atteintes d'une maladie neurologique dégénérative, il faudrait appliquer les conditions suivantes : s'assurer que la personne a reçu la confirmation d'un diagnostic de maladie dégénérative, qu'elle est apte à accepter ou à refuser des soins ou des traitements pour elle-même au moment de la demande anticipée et que sa décision soit libre et éclairée.

Actuellement aucune vérification de l'aptitude à consentir ou à refuser des soins ou des interventions n'est faite au moment où une personne remplit un formulaire de DMA. Dans la Loi concernant les soins de fin de vie, il y a présomption d'aptitude, mais il serait plus éthique de vérifier l'aptitude au moment de la signature des DMA pour toute personne qui remplit le formulaire. Il serait aussi approprié de vérifier si la personne a reçu et compris toutes les informations pertinentes à sa prise de décision et qu'elle fait la demande sans coercition ou influence malveillante.

La démarche d'évaluation de l'aptitude est la première étape dans le cadre d'un processus d'aide médicale à mourir pour des personnes dont on a médicalement la certitude qu'elles n'auront plus l'usage de leurs facultés intellectuelles quand elles seront dans les dernières phases de leur maladie, et donc qu'elles ne seraient pas autorisées à faire une demande d'aide médicale à mourir. Comme le formulaire est consigné dans un registre gouvernemental et que les médecins doivent s'y référer pour ce qui concerne les soins de fin de vie, il serait facile pour tout médecin d'en prendre connaissance et d'en tenir compte dans les soins et traitements.

Le point 3, l'aide au suicide à inclure dans l'aide médicale à mourir. Actuellement, l'aide médicale à mourir au Québec n'inclut pas l'aide médicale au suicide, alors que la loi fédérale modifiant le Code criminel l'inclut. Dans la loi québécoise, ce sont seulement les médecins qui sont autorisés à donner les injections léthales, et la personne qui fait la requête ne peut elle-même mettre fin à sa vie, comme ça se pratique en Suisse. De permettre l'aide médicale au suicide dans la Loi concernant les soins de fin de vie apporterait des avantages à plusieurs niveaux. La personne qui fait une requête d'aide médicale à mourir et qui veut bénéficier de l'aide au suicide déciderait du moment où elle se donne la mort. Ce serait plus facile pour elle de revenir sur sa décision, le cas échéant, puisqu'elle maîtriserait davantage cette dernière étape du processus.

Deuxièmement, ce changement libérerait les médecins de la responsabilité de pratiquer eux-mêmes l'intervention. Je devrais dire «des médecins», évidemment. Des résultats d'études montrent que certains d'entre eux sont très perturbés émotivement et psychologiquement après cette intervention. De plus, cette pratique pourrait compenser pour les médecins qui invoquent l'objection de conscience pour ne pas pratiquer l'aide médicale à mourir. Autoriser l'aide médicale au suicide favoriserait une plus grande cohérence entre la loi fédérale et la loi québécoise. Et, si les infirmières praticiennes pouvaient y être autorisées, à ce moment-là, il y aurait encore plus de cohérence entre les deux législations.

Quatrième point, l'aide médicale à mourir pour les personnes dont l'unique diagnostic concerne un problème de santé mentale et les mesures de sauvegarde. À partir du moment où le critère de fin de vie est retiré des critères d'accès à l'aide médicale à mourir, les personnes qui répondent aux autres critères doivent pouvoir avoir accès à l'aide médicale à mourir. C'est le principe d'égalité devant la loi qui s'applique. Cependant, parmi les personnes qui y auront accès, certains groupes sont plus vulnérables, et la question est de savoir s'ils devraient être protégés par des mesures supplémentaires à inclure dans la loi. Les critères dont nous allons traiter en lien avec une demande d'aide médicale à mourir pour une personne atteinte de trouble mental sont les suivants : l'aptitude à consentir aux soins, la gravité et le caractère incurable de la maladie et le fait qu'elle éprouve des souffrances psychiques insupportables.

Disons d'emblée que la santé mentale ne peut pas être isolée de la santé physique. Selon l'Association des psychiatres du Canada, et je cite : «Les recherches indiquent que les maladies mentales sont causées par l'interaction entre des facteurs biologiques, génétiques, psychologiques et sociaux qui mène à des perturbations dans le cerveau. La maladie mentale peut se déclarer chez n'importe qui si des facteurs de risque suffisants sont réunis.» Il n'y a donc pas lieu de faire une classe à part dans la loi pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale; ce serait discriminatoire.

Je parle maintenant de l'aptitude à consentir aux soins. S'il est juste de penser que certaines personnes atteintes d'un problème de santé mentale ne sont pas en mesure de consentir aux soins parce que leur état de santé aggrave leur jugement... plutôt, entrave leur jugement, excusez-moi, ce n'est pas le cas de tous. Selon une revue intégrative des écrits, qui date... qui est de Okay, 2007, effectuée au moment de l'admission dans une unité psychiatrique, 67 % à 30 % des patients, selon cinq études différentes, ont la capacité de décider pour eux-mêmes. Selon quatre de ces études, 50 % sont aptes à décider parmi ceux qui se présentent volontairement, et 45 % sont aptes à décider parmi ceux qui sont contraints par la cour.

Il faut noter que les personnes hospitalisées, soit de leur plein gré soit selon une ordonnance de la cour, font partie des personnes qui sont les plus gravement atteintes et qui peuvent être un danger pour elles-mêmes ou pour les autres. Malgré tout, parmi elles se trouve un pourcentage non négligeable de personnes qui sont aptes à prendre des décisions pour elles-mêmes. Pour protéger les personnes atteintes de troubles mentaux qui songent à l'aide médicale à mourir, il faut d'abord s'assurer qu'elles sont aptes à décider pour elles-mêmes.

• (11 h 30) •

Il n'y a pas d'uniformité dans l'évaluation de l'aptitude au Québec, qu'elle soit effectuée par des psychiatres, ou d'autres spécialistes, ou encore des omnipraticiens. En fait, ils appliquent généralement les critères de Nouvelle-Écosse, mais ces critères proviennent d'un cas de jurisprudence et ils ont été précisés après le fait, alors qu'en clinique l'aptitude est évaluée si des doutes se produisent à ce sujet à propos du consentement à un soin ou à un traitement. Selon des résultats d'études, des psychiatres font souvent une évaluation générale, sans mener des entretiens en profondeur, pour évaluer l'aptitude des patients qui ont des problèmes de santé mentale. Quelquefois, les outils sont jugés non appropriés. Cependant, Applebauma développé une grille d'évaluation de l'aptitude s'adressant spécifiquement aux personnes atteintes de troubles mentaux. Présentée sous forme de tableau, cette grille inclut non seulement les critères d'aptitude et les questions qui permettent d'en faire l'évaluation, mais aussi, en parallèle, la tâche du patient pour répondre à la question, et l'approche du psychiatre qui fait l'évaluation, et des commentaires pour chacun des items. Ce tableau-là est inclus dans mon mémoire... ou une partie du tableau est incluse dans mon mémoire.

Parmi les mesures de protection supplémentaires, l'examen de l'aptitude par deux psychiatres, recommandé par Verhofstadt et ses collègues et par l'Association des médecins psychiatres du Québec, aurait pour résultat une réassurance concernant l'identification des symptômes de trouble mental, l'aptitude, le type de souffrance et son caractère inapaisable, de même que les types de traitement qui pourraient être offerts. De toute évidence, il serait plus équitable que les mêmes critères soient utilisés par les psychiatres consultants, surtout quand il s'agit d'évaluer l'aptitude des personnes plus vulnérables. L'Association des médecins psychiatres du Québec suggère la création d'un comité qui coordonne la consultation en psychiatrie, ce qui apparaît très pertinent. Cette association pourrait présenter une grille qui serait la même pour tous, ce qui favoriserait l'équité dans l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes ayant des troubles mentaux.

Deuxième point, maladies mentales graves et incurables. Il existe des maladies mentales qui sont incurables. En effet, des troubles neuropsychiatriques graves, comme certains types de schizophrénie ... (panne de son) ...et sont résistants à tout traitement. La référence est Howes, en 2016, de ce que je viens de dire. En désespoir de cause, des personnes atteintes de problèmes de santé mentale ont recours au suicide. Certaines font des tentatives de suicide en milieu hospitalier, et le personnel soignant intervient à chaque fois pour leur éviter la mort... (panne de son) ...accès à l'aide médicale à mourir peut aussi entraîner des suicides.

L'aide médicale à mourir apparaît comme une pratique plus humaine en autant que des mesures de sauvegarde s'ajoutent aux critères déjà en place pour la protection des personnes atteintes de troubles mentaux et que les traitements ne sont pas abandonnés parce qu'une personne aurait fait une requête d'aide médicale à mourir. Il appartient au psychiatre de juger si la maladie mentale d'une personne qui demande l'aide médicale à mourir est incurable. De plus, les traitements devraient obligatoirement ne pas se restreindre à la prise de médicaments et être complétés par la psychothérapie dans une approche multidisciplinaire.

La nécessité d'une approche multidisciplinaire est confirmée par l'Association des médecins psychiatres du Québec, qui considère que, et là je cite, «pour arriver à la conclusion d'incurabilité, le psychiatre doit évaluer les interventions biologiques, pharmacologiques, psychologiques et sociales». Il serait donc approprié qu'une équipe multidisciplinaire soit associée au traitement prescrit et à leur évaluation. Aussi, si le patient l'autorise, ses proches pourraient être associés à la démarche.

Troisième point, souffrances physiques constantes et insupportables. La maladie mentale peut être très souffrante, chronique et associée à des limitations importantes en termes de qualité de vie. En cela, elle ne diffère pas d'autres types de maladies. Comme pour la santé mentale et la santé physique, il est difficile d'isoler la souffrance psychique de la douleur physique. On sait comment le stress est corrélé avec des maladies physiques comme les maladies cardiaques, auto-immunes et gastro-intestinales. De plus, la souffrance constante et insupportable est liée à ce qu'on appelle la douleur totale, celle qui a donné lieu à la création des soins palliatifs.

Selon une étude qualitative effectuée en Norvège auprès de 335 patients hospitalisés, la souffrance des personnes atteintes de troubles mentaux est liée aux facteurs suivants : manque de compréhension de la part du personnel soignant, assujettissement à la médication, absence de psychothérapie, aucune alliance établie, aucune confiance, absence de prise en compte des besoins sociaux, des traumatismes de jeunesse, des expériences de guerre, des soins à la famille, des expériences négatives avec l'aide sociale et, enfin, stéréotype à l'égard de la santé mentale dans le public en général, qui semble être partagé par les soignants en psychiatrie.

Bien sûr, certains facteurs reflètent le point de vue des patients interviewés, et des facteurs environnementaux entrent en ligne de compte. Il faut souligner aussi que les personnes hospitalisées souffrent de troubles de santé mentale graves et manifestent des comportements perturbateurs : actes de violence, tentatives de suicide, etc. De ce fait, des mesures sécuritaires doivent être prises, mais elles ne devraient pas s'appliquer dans le détachement émotif, entendons-nous, et l'absence de partenariat dans le soin.

Il est clair que les demandes d'aide médicale à mourir obligent soignants et patients à discuter des traitements de fin de vie et des niveaux de soins. En Belgique, selon De Hert et ses collègues, en 2015, 50 % des personnes atteintes de troubles mentaux... font la demande d'euthanasie, dont la demande a été étudiée, suspendent leur décision après avoir pu en parler. Selon ces auteurs, quand la demande est traitée adéquatement et que les patients ont pu largement s'exprimer, la discussion autour de la demande fait partie du processus thérapeutique en allégeant la souffrance.

Quatrième point : processus décisionnel dans l'examen d'une requête d'aide médicale à mourir pour des personnes atteintes de troubles mentaux. Une équipe de chercheurs belges, Verhofstadt et ses collègues, a examiné cinq lignes directrices belges traitant d'un processus décisionnel clinique et éthique s'appliquant aux patients qui ont un trouble de santé mentale et qui font une requête d'euthanasie. Certaines des lignes directrices étudiées proposent d'utiliser une approche à deux voies de manière simultanée, celle de l'évaluation clinique de l'état de santé et des traitements possibles et celle de l'examen de la requête d'euthanasie. Cette façon de faire respecte à la fois l'autonomie de la personne et le devoir de protéger la vie humaine en explorant des moyens d'aider la personne souffrante pour lui proposer des soins plus adaptés à sa condition. De cette façon, ce ne sont pas uniquement les critères de la loi qui sont considérés dans l'accès à l'euthanasie — j'utilise le terme «euthanasie» parce qu'on est en Belgique, là — mais la requête qui est explorée d'un point de vue médical et psychologique autant que d'un point de vue social et existentiel.

On retrouve l'interdisciplinarité ici. Le traitement effectué au moment de la demande est évalué, intensifié ou modifié. Ensuite, la possibilité de réadaptation est examinée pour mettre l'accent sur l'autonomie du patient, sa participation sociale et sa qualité de vie. L'option palliative n'est pas exclue pour des personnes pour qui il n'y a aucun espoir d'amélioration, mais cette option inclut aussi un travail de restauration de l'estime de soi, des liens sociaux et de la qualité de vie. En un mot, la demande d'euthanasie par un patient ayant des troubles de santé mentale ne doit pas mettre fin à des traitements et à des soins globaux, au contraire.

Ce que l'on retient de ces propositions, c'est l'importance de l'interprofessionnalité, c'est-à-dire que les médecins qui acceptent de s'investir dans une requête d'euthanasie ou d'aide médicale à mourir aient des échanges avec les autres médecins traitants, dont les psychiatres, investis dans les soins, et inversement. De plus, les aspects socioexistentiels étant importants et non habituellement traités, même chez des personnes hospitalisées pour troubles mentaux sans requête d'aide médicale à mourir, une interdisciplinarité est essentielle. On devrait aussi inclure les autres membres de l'équipe de soins, infirmières et préposés, qui ont un rapport positif avec le patient, mais aussi les travailleurs sociaux et, chez nous, les intervenants en soins spirituels.

Enfin, selon les demandes de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie en Belgique, le pourcentage des euthanasies effectuées chez des personnes atteintes d'affections psychiatriques comme diagnostic principal a baissé de 4,03 % entre 2009 et 2019. Il n'y aurait donc pas lieu de craindre des dérives. Est-ce qu'on pourrait y voir l'effet d'une approche à deux voies — c'est une question que je pose — celle qui vient d'être décrite?

Autre modification recommandée dans la loi, le critère impliquant que le patient doit être apte à décider des soins pour lui-même jusqu'au moment de l'aide médicale à mourir doit être retiré, parce qu'il force souvent à devancer la date de l'aide médicale à mourir ou donne lieu à des comportements éthiquement inacceptables quand des personnes refusent d'être soulagées pour conserver intactes leurs facultés intellectuelles jusqu'au décès. La loi modifiant le Code criminel précise que la personne qui fait une demande d'aide médicale à mourir doit avoir été informée des moyens disponibles pour soulager la douleur, notamment les soins palliatifs. D'inclure cette obligation dans la loi québécoise favoriserait l'harmonisation entre les deux lois tout en favorisant la réflexion sur des moyens autres que l'aide médicale à mourir.

• (11 h 40) •

Alors, en résumé, les recommandations, c'est : le critère de fin de vie doit être retiré parce qu'il est discriminatoire envers les personnes qui sont souffrantes sans espoir d'amélioration; les directives médicales anticipées devraient inclure la possibilité pour des personnes atteintes de maladies neuropathiques dégénératives, comme l'alzheimer ou le parkinson, de faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir; l'aptitude de toute personne qui signe un formulaire d'aide médicale à mourir devrait être vérifiée au moment de la demande, de même que les conditions d'une demande éclairée et libre de toute coercition. Cette mesure est particulièrement nécessaire si la règle de maintenir l'aptitude jusqu'au moment de l'intervention n'est pas maintenue; pour rendre plus cohérente la loi qui modifie le Code criminel et la Loi concernant les soins de fin de vie, l'aide au suicide devrait être une option dans le cadre de l'aide médicale à mourir. Cette option apporterait des avantages à plusieurs niveaux, notamment en favorisant le libre choix et respect de l'autonomie jusqu'à la fin pour un individu qui choisirait cette option; permettre aux personnes atteintes de troubles mentaux comme seul diagnostic d'avoir accès à l'aide médicale à mourir, en autant qu'elles sont aptes à prendre des décisions pour elle-même, que des traitements en interdisciplinarité leur sont offerts et ont été acceptés et que leur condition est jugée incurable par deux psychiatres; inclure des infirmières praticiennes dans la pratique de l'aide médicale à mourir serait un atout, comme la loi fédérale le permet, puisqu'un des problèmes qui se pose quand on décide d'ouvrir davantage les critères d'accès à l'aide médicale à mourir, ce serait le nombre insuffisant de médecins pour répondre à la demande.

En conclusion, les critères d'accès à l'aide médicale à mourir doivent être les mêmes pour tous, sans faire de discrimination pour les personnes atteintes de troubles mentaux, respectant ainsi le principe d'égalité devant la loi. Cependant, des mesures de protection supplémentaires en termes d'évaluation de l'aptitude et d'offres de traitement doivent être mises en place pour protéger ces personnes qui constituent un groupe plus vulnérable. On retient que l'examen de l'aptitude doit être fait par deux psychiatres, qu'une étude multidisciplinaire doit être associée à l'examen de la requête et enfin que l'approche à double voie, examen de la requête et traitement approprié en même temps qu'examen, donc, de la requête, favorise à la fois le respect de l'autonomie de la personne aussi bien que le bien-être, la qualité de vie des personnes qui sont atteintes de troubles mentaux. Idéalement, cette mesure devrait s'appliquer à toute personne qui fait une requête d'aide médicale à mourir. Et voici. J'espère que je suis dans mes temps.

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, tout à fait. Merci beaucoup. C'est très, très enrichissant. Je me lance, là. J'aimerais que vous me parliez de l'aide au suicide versus l'aide médicale à mourir.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Bien, la différence, c'est que ce n'est pas la même personne qui pose l'acte. Quand le médecin donne, au Québec, les trois injections qui vont mettre fin à la vie de la personne — d'ailleurs, quelquefois la personne décède après la première injection — c'est le médecin qui le fait. Alors, on va parler d'aide médicale à mourir ou, autrefois, on parlait d'euthanasie ici. Mais, quand c'est la personne elle-même qui avale une médication, un produit qui va mettre fin à sa vie, à ce moment-là, c'est elle qui pose l'acte. Et donc, selon moi, ça favorise son autonomie, parce que, quand on est pris dans une espèce d'engrenage où on a fait des démarches pendant un mois, mettons, ce n'est pas sûr que, si on a des doutes, on décide qu'on change d'avis. La loi dit que, oui, la personne peut toujours changer d'avis. Moi, je me dis que, si c'est la personne elle-même qui se donne la mort, c'est qu'elle est plus autonome là-dedans et pourrait, par exemple, décider de ne pas le faire.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, toujours, cet acte-là, sous supervision médicale.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui, ou encore, si... comme la loi fédérale l'autorise, des infirmières praticiennes ou des infirmiers praticiens pourraient le faire. Mais actuellement ce n'est pas dans la loi québécoise.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Et vous disiez aussi que ce serait favorable pour la santé mentale, sauf si la personne a fait un refus de traitement, d'un plan de traitement qu'on lui a proposé. Vous voyez ça comment, si la personne refuse les traitements qu'on lui propose? Est-ce qu'on autorise les soins de fin de vie ou...

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui, c'est une bonne question, parce que moi-même, je me suis souvent posé la question, souvent, depuis que la loi existe, parce qu'effectivement une personne peut refuser d'être soulagée, mais maintenant c'est le soulagement de la douleur qui devient le principal critère une fois qu'on a enlevé celui de fin de vie, donc c'est sûr que ça pose un problème. D'après moi, pour les personnes atteintes de troubles psychiatriques ou de problèmes de santé mentale, je pense que ça prend absolument un essai de traitement.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Lorsqu'une personne se retrouve en situation d'inaptitude et qu'elle ne puisse affirmer clairement son souhait d'aide médicale à mourir à un moment précis, comment on détermine le moment précis pour l'administration de l'aide médicale à mourir lorsque le patient ou la patiente n'est pas en mesure de le fixer?

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : D'accord. Là, c'est dans la situation où la personne l'aurait demandée dans les directives médicales anticipées. Et ce que je disais, c'est qu'il fallait absolument vérifier l'aptitude. D'ailleurs, on devrait le faire... je parlais, ce matin, avec un avocat qui dit que, même légalement, il faudrait que ce soit fait pour tout le monde, de vérifier l'aptitude au moment de la signature des directives médicales anticipées.

Si je prends l'exemple de la maladie d'Alzheimer, qui se déroule sur, je ne sais pas, moi, je pense, sept stades, bien, la personne, elle est apte à prendre des décisions pour elle-même dans les premiers stades de sa maladie, quelquefois jusqu'au stade 4. Donc, ce serait durant ces périodes-là qu'elle peut en faire la demande. Maintenant, elle peut faire la demande en disant : Moi, je souhaite avoir l'aide médicale à mourir quand je vais être rendu à l'étape 7. Mais, à l'étape 7, là, c'est qu'elle est recroquevillée sur elle-même dans son lit là, puis qu'elle ne mange plus ni rien. Bien, il y en a qui vont quand même nourrir ces personnes-là, là, pour prolonger leur vie, ce qui devient de l'acharnement thérapeutique. Mais elle pourrait demander l'aide médicale à mourir à la dernière étape, quand on est capable de confirmer l'avant... disons, l'étape 6 ou l'étape 7, là, de la maladie. Est-ce que ça répond à votre question?

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui, merci. Selon vous, Mme Saint-Arnaud, est-ce qu'il y a des effets néfastes à l'élargissement de l'aide médicale à mourir pour les personnes en situation d'inaptitude?

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui. Moi, ce que je répondrais là-dessus, c'est qu'à partir du moment où, aux Pays-Bas, on a établi une loi, on a aussi souhaité qu'il y ait une équipe de... une équipe... Il ne faut pas que je me regarde parce qu'il y a un décalage entre ce que je dis puis ma bouche. Alors, aux Pays-Bas, ils ont décidé, au départ, qu'il y aurait une équipe de chercheurs indépendante tout à fait des commissions qui examinent les requêtes et les rapports médicaux après le fait. Et puis ces chercheurs-là sont capables de dire quelles sont les aides médicales à mourir, si j'utilise le langage québécois, qui ne sont pas déclarées. Donc, ça, moi, c'est un souhait que j'aurais voulu pour le Québec, parce que ça permet de savoir exactement le nombre d'aides médicales à mourir.

Puis, généralement, les médecins, par exemple, qui ne déclareraient pas... Moi, dans les études empiriques que j'ai consultées, en Belgique et aux Pays-Bas, il y a des médecins qui s'entendent avec la famille, disent : On n'a pas besoin de déclarer. Bon, ça ne donne pas vraiment le chiffre exact des euthanasies qui ont été vraiment effectuées. Alors, ça, ce serait une option pour resserrer. Mais les commissions, en fait, sont dans une situation difficile parce qu'elles doivent en même temps favoriser les déclarations et en même temps opérer un contrôle.

Moi, ce que je considère, c'est que les commissions, généralement, n'ont pas vraiment opéré de contrôle. Si je pense à la Belgique, par exemple, celle qui a créé la commission, celle qui a fait la promotion de l'euthanasie dans la loi, elle, c'est une juriste. Bien, un jour, elle n'est pas allée devant le tribunal pour demander si les critères d'aide... d'euthanasie, pour obtenir l'euthanasie, pouvaient être les mêmes que pour l'aide au suicide, et c'est en commission qu'ils ont décidé que les critères devaient être les mêmes.

Donc, c'est vrai qu'il y a des risques. C'est pour ça que ça prend des mesures de sauvegarde, parce qu'effectivement, d'après les résultats de mes études, ce n'est pas ça que je vous ai présenté, mais ça fait au-delà de 10 ans, moi, que je fais des études là-dessus, et puis les personnes qui sont les plus vulnérables, c'est les personnes qui sont en dépression puis c'est les personnes qui sont seules à l'hôpital, parce que les personnes qui sont seules à l'hôpital peuvent recevoir l'euthanasie sans l'avoir demandée. Là, je parle des Pays-Bas puis de la Belgique. Alors, c'est sûr que nous, on n'est pas à l'abri de ça non plus. Excusez-moi.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Mais, selon vous, Mme Saint-Arnaud, quelles seraient les mises en place pour protéger les personnes les plus vulnérables face à l'aide à mourir?

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Bien, c'est qu'il faut... il faut, premièrement, mettre l'accent sur l'aptitude de la personne, et puis non seulement faire une vérification rapide, mais aller en profondeur là-dedans, surtout pour les personnes qui sont atteintes de problèmes de santé mentale. Alors, c'est pour ça que moi, dans mon mémoire, j'ai reproduit une partie du tableau d'Applebaum, qui est un psychiatre, et qui formule des questions, et qui indique comment on peut faire l'examen de l'aptitude chez des personnes qui ont des troubles de santé mentale. Alors, pour moi, c'est la principale condition.

Je vais vous dire franchement, moi, avant la loi, avant que la loi existe, j'ai fait partie de la commission en 2015, je n'étais pas en faveur d'une loi parce que je trouvais que c'était une question qui devait être traitée entre le médecin et son patient. Mais je respecte la démocratie et maintenant j'examine... je continue à examiner comment ça se passe, quelles sont les conditions. J'en étais certaine, moi, que les critères s'ouvriraient. Ça a été pareil ailleurs. On commence par considérer les personnes qui sont aptes, et puis ensuite, bien, on pense aux personnes inaptes qui vont l'avoir demandé dans les directives anticipées. Alors, ce n'est pas différent, ce qui se passe ici, de ce qui se passe ailleurs.

Je vous dirais qu'il y a un plus grand contrôle aux Pays-Bas qu'en Belgique à propos des critères. On a souvent comparé, en Belgique, comment... la position des médecins par rapport à ceux qui font partie d'une association qui aide les médecins dans le cas d'une demande d'euthanasie, puis de la part de la commission elle-même, et c'est la commission elle-même qui est la plus ouverte et qui accepte que, quand une personne le demande, bien, il faut le faire, ni plus ni moins, là. Je prends un peu un raccourci, là, mais c'est à peu près ça. Donc, en Belgique, moi, ce que j'ai constaté, c'est que c'étaient les médecins qui étaient les gardiens, les gardiens des bonnes pratiques dans ce domaine-là. Puis il y a une très grande différence entre les médecins francophones puis les médecins néerlandais, différence de trois quarts par rapport à un quart, là, dans les déclarations qui sont faites à la commission.

Alors, je pense, c'est surtout l'aptitude. Ensuite, quand il s'agit de personnes atteintes de problèmes de santé mentale, bien, d'être capable de, vraiment, ne pas abandonner leur traitement. Il ne faut pas qu'ils abandonnent leur traitement parce qu'ils font une demande d'aide médicale à mourir. Il faut que ça soit continu. Donc, c'est pour ça que je vous ai parlé de la double voie. Il y a aussi, dans le mémoire, qui est plus long que ce que je viens de vous présenter, une démarche en quatre étapes d'un auteur qui est belge, qui s'appelle Thienpont, et c'est vraiment intéressant, comment il introduit l'interdisciplinarité dans à la fois l'examen de la demande et la poursuite des traitements, puis éventuellement de changer les traitements, s'ils ne sont pas appropriés, pour que la personne ne soit pas vulnérable à décider trop vite d'une aide médicale à mourir, si on parle dans le vocabulaire québécois.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vous remercie beaucoup, Mme Saint-Arnaud.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Ça me fait plaisir.

• (11 h 50) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je céderais maintenant la parole à la députée de Soulanges.

Mme Picard : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Saint-Arnaud.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Bonjour.

Mme Picard : Ma question... En fait, vous avez parlé beaucoup de l'équipe multi, et je pense que c'est nécessaire, là, de créer une belle cellule autour de la personne qui demande ce soin-là pour qu'elle soit bien appuyée puis que tout le monde autour de la table comprenne l'enjeu. Donc, concrètement, comment vous la voyez, cette cellule-là, ce comité-là? Qui, autour de la table, devrait être au chevet du patient pour l'aider à prendre sa décision?

Mme  Saint-Arnaud (Jocelyne) : Bien, c'est-à-dire, au chevet du patient, il y a toujours une équipe au moins de médecins et d'infirmières. Dans notre système, qui souffre quelquefois de manque de ressources, n'est-ce pas, il n'y a pas toujours la possibilité d'obtenir des soins palliatifs. Alors, ça, c'est aussi... j'aurais pu l'inclure dans ma réponse précédente à Mme Blais, qu'on ait des soins palliatifs accessibles et qui répondent à la définition qu'on retrouve dans la loi. Parce qu'elle est très belle, la définition qu'on retrouve dans la loi des soins palliatifs, mais, quand on va à d'autres articles dans la même loi, c'est qu'ils sont disponibles si les ressources en personnel et financières sont disponibles, puis, bon, on le sait que ces ressources-là ne sont pas disponibles partout. Je m'éloigne peut-être de votre question. Pouvez-vous me la rappeler?

Mme Picard : En fait, l'équipe multi, de qui elle serait composée?

Mme  Saint-Arnaud (Jocelyne) : Ah oui! L'équipe. Alors, justement, dans ces soins palliatifs là, il y a une description de toutes les disciplines qui pourraient y être associées. Mais c'est sûr que les médecins, psychiatres, infirmières, travailleurs sociaux, c'est important. On pourrait rajouter psychologues. Il y en a qui ne veulent rien savoir des psychiatres, hein? Il y a des personnes qui ne veulent rien savoir des psychiatres. Mais pourquoi il n'y en a pas, de psychologues dans nos hôpitaux? Parce que les psychiatres, eux, sont payés par la RAMQ, tandis que les psychologues seraient payés sur le budget de l'hôpital. Puis, comme les budgets, bien, ont eu tendance à baisser, là, depuis, je dirais, assez longtemps, bien, on n'a pas nécessairement accès à tous ces professionnels qui pourraient aider dans la réponse à la requête. Mais aussi de penser que d'examiner la requête, ça peut déjà faire partie de la continuité des soins, et surtout pas d'oublier les soins. Alors, minimalement, ça prend des médecins, des infirmières, des travailleurs sociaux, et puis, bien, idéalement, ça prendrait aussi des psychologues.

Mme Picard : Et un proche, j'imagine. Est-ce que vous voyez une implication d'une tierce personne aussi?

Mme  Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui. Ça, ça a été traité aussi dans plusieurs résultats d'études que, quand la personne l'accepte, que les proches soient inclus dans la démarche, parce que, comme vous l'avez vu, quand on veut ni plus ni moins favoriser la santé mentale d'une personne, on essaie de la réintroduire... de lui redonner des relations sociales, de lui redonner une estime d'elle-même, et puis les proches peuvent jouer un rôle là-dedans, en autant que la personne l'accepte. Puis ce n'est peut-être pas tous les proches non plus. Peut-être que la personne dirait : Bien, c'est telle personne avec qui je peux m'entretenir de ce genre de problèmes, etc.

Mme Picard : Merci. Merci beaucoup.

Mme  Saint-Arnaud (Jocelyne) : Bienvenue.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je céderais la parole à la députée de Saint-François pour une très courte question. Mme la députée.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Mme Saint-Arnaud, la Commission des soins de fin de vie rapporte qu'il y a plusieurs organismes et même des psychiatres, des médecins qui ont affirmé qu'ils auraient une crainte à l'élargissement de l'aide médicale à mourir parce que ça pouvait briser l'espoir des personnes atteintes de troubles mentaux... puissent un jour aller mieux. Donc, j'aimerais que vous me partagiez si vous avez ces craintes-là, vous aussi.

Mme  Saint-Arnaud (Jocelyne) : Il faut dire que moi, je ne suis pas psychiatre, donc je ne peux pas parler en leur nom. Ils connaissent bien leur clientèle, ce qui n'est pas mon cas.

Moi, ce que j'ai lu beaucoup, c'est des résultats d'études empiriques, par contre. Et puis je dirais que les craintes ne sont pas toujours fondées, si on regarde ce qu'il se passe ailleurs, dans les autres pays qui ont légalisé l'aide médicale à mourir et qui acceptent que des personnes atteintes de problèmes de santé mentale puissent bénéficier de... et faire une requête d'euthanasie. Je dirais que, là, je n'ai pas en tête, là, certaines études, mais c'est possible de trouver des éléments qui nous donnent des indications là-dessus.

Et puis, généralement, bien, on aura aussi l'avis... Parce que moi, je vous ai cité un résultat d'enquête, là, auprès des personnes hospitalisées, et c'est très rare qu'on a des études qualitatives sur un très grand nombre de personnes, là. Le chiffre que je vous ai cité, là, c'est autour de 335, là. Habituellement, quand on fait une étude qualitative, là, c'est auprès d'une dizaine de personnes, une vingtaine dans le plus, mais là, là, c'est 300 personnes qui ont répondu, qui ne venaient pas toutes du même centre hospitalier, là. Et c'est sûr que les personnes hospitalisées, c'est celles qui ont les maladies les plus graves et c'est celles pour qui on prend plus de mesures de sécurité, mais, en même temps, les mesures de sécurité, ça sert aussi de repoussoir pour des relations plus humaines.

Alors, c'est sûr que la crainte, elle est présente parce qu'il y a différents actes de violence aussi qui sont proférés dans les milieux hospitaliers. Mais, si une personne n'est pas hospitalisée, bien, elle a plus de chances d'être apte à décider pour elle-même. Puis ça, moi, je pense que c'est le critère absolument déterminant, et c'est sur celui-là qu'il faut se centrer en premier lieu.

Ensuite, dans cette évaluation-là de l'aptitude, bien, si on a le point de vue aussi d'autres personnes, et qu'on ne fasse pas simplement cocher des cases en évaluant l'aptitude, puis qu'on prend le temps d'avoir une conversation vraiment profonde avec la personne en cause, bien, ce qu'on a comme résultat d'étude, c'est que ces personnes-là, ça les aide beaucoup, au point où, vraiment, ils peuvent abandonner l'idée d'avoir recours à l'aide médicale à mourir. Donc, je pense que ça, c'est quand même une indication.

• (12 heures) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Saint-Arnaud. Je céderais maintenant la parole à la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Saint-Arnaud. Merci d'être avec nous aujourd'hui. J'ai quelques questions à vous poser, mais, d'entrée de jeu, ce que j'aimerais comprendre... Parce qu'effectivement, vous l'avez mentionné, votre réflexion a évolué au cours des années. Je pense qu'on pourrait certainement le mentionner comme ça. Je suis allée relire, effectivement, les mémoires que vous aviez déposés à l'époque, je pense, en 2009, 2013 — vous avez été très active dans cette discussion sociale là — et je voyais qu'encore dernièrement, c'est ça, vous associez... puis je ne veux pas... je veux juste être bien sûre de comprendre, vous avez utilisé le mot «dérive», qu'une des dérives à laquelle on peut faire face, justement, c'est la question... c'est élargir les critères possibles, là. Et je voulais juste bien comprendre votre posture, dans le fond. Est-ce que vous pensez que, oui, ça peut être élargi? Quand vous dites : C'est une dérive possible, est-ce que vous pensez que ça peut être fait, avec les mesures de protection nécessaires, que, oui, on peut élargir, oui, on peut considérer ça ou vous le considérez vraiment comme une dérive possible, donc pas une avenue vers laquelle on devrait aller? Parce que je sais que vous avez souligné plusieurs éléments, mais je voulais juste être bien sûre de comprendre votre posture là-dessus.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : C'est-à-dire que, pour moi, une fois qu'on ouvre la porte, il faut l'ouvrir pour vrai. C'est ça que je pense, qu'on ne peut pas, au nom de certains critères discriminatoires, de mettre de côté certaines personnes, sans... qui répondent, par ailleurs, aux critères de la loi, surtout si on enlève le critère de fin de vie. Donc, à partir du moment où ces personnes répondent aux critères de la loi, on ne peut pas les mettre à part. Donc, il faut, à ce moment-là, ajouter des mesures de protection, et c'est là-dessus aussi que je suis intervenue. Je ne sais pas si c'est très clair, mais c'est vrai que moi, j'avais défini «dérive» au départ, parce que, quand on commence à définir, c'est toujours pour la personne apte, mais, au fur et à mesure... mais, si on regarde qu'est-ce qui se passe en Belgique, par exemple, là, c'est rendu que les enfants ont accès. Est-ce qu'on veut aller jusque-là? Moi, je dirais non. Mais là je considérerais que ça serait une dérive au sens péjoratif du terme.

Mais, déjà, qu'on permette aux personnes de demander à l'avance l'aide médicale à mourir dans les directives anticipées, j'aurais plutôt tendance à ne pas considérer que c'est une dérive, dans le sens que ces personnes-là sont aptes quand elles le demandent. Il faut vraiment faire des vérifications, par contre, parce que, si on fait comme actuellement dans la loi, on présume que la personne est apte, non, ça ne fonctionnerait pas. Donc, vraiment, moi, je centre mon affaire sur l'aptitude.

Les enfants, bien, écoutez, c'est sûr qu'ils ont leur mot à dire dans les traitements maintenant, ce qui n'était pas le cas autrefois, mais de là à ouvrir l'aide médicale à mourir aux enfants, je suis tout à fait contre, tout à fait. Puis les personnes qui seraient inaptes au moment de la demande, je suis tout à fait contre aussi, parce qu'à ce moment-là ce sont les proches, par exemple, ou autres personnes qui décident pour elles. Je n'accepterais pas ça.

Mme Montpetit : Puis, sur le continuum, justement, vous faites la distinction entre «apte» ou «qui devient inapte». Puis vous y avez peut-être référé, mais il y a plusieurs des... justement, des... bien, en fait, entre autres, le groupe d'experts, les coprésidents, qui sont venus vendredi, qui nous ont sensibilisés au fait que la personne... on devrait permettre de faire ce choix-là seulement quand un diagnostic a été posé. D'un point de vue bioéthique, je serais curieuse de vous entendre sur cette question-là aussi.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui, je suis absolument d'accord, là, ça faisait partie des conditions que j'ai énumérées. C'est vrai que j'ai parlé vite, là, puis que j'avais juste 20 minutes, mais, effectivement, qu'il y ait une obligation d'offrir des traitements, mais aussi une obligation pour la personne de les accepter, peut-être pas pendant 10 ans, là, mais ça, c'est au psychiatre à décider ça, ensemble. Mais moi, je trouvais ça très intéressant, l'idée de l'Association des médecins psychiatres du Québec, qui proposait une espèce de comité qui fasse l'examen. Puis, dans ce comité-là, ça pourrait être multidisciplinaire, puis l'avantage, ce serait qu'il pourrait fournir une grille d'évaluation pour l'aptitude vraiment créée pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Alors, à ce moment-là, bien, ce sont des mesures qui vont... ce sont des mesures de sauvegarde qui vont éviter certaines dérives.

Après ça, bien, s'il y a des médecins qui ne suivent pas les règles, bien, on n'a aucune façon de vérifier ici, là, on n'a pas de comité, on n'a pas une équipe de recherche indépendante pour faire cette évaluation-là. Bien, ça s'est fait surtout aux Pays-Bas et dans la partie néerlandaise de la Belgique aussi, où, là, on examine les actes de décès, puis il y a une entente avec un notaire qui reçoit les réponses, qui les anonymise. Ceux qui répondent ont des garanties de ne pas être poursuivis. Ça donne un portrait de la situation qui est plus complet que simplement les déclarations qui sont faites aux commissions.

Mme Montpetit : Oui, j'ai vu, dans votre mémoire, là, que vous aviez le tableau comparatif entre ce qui est déclaré... J'ai mes collègues aussi qui...

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Ah! les anciens mémoires.

Mme Montpetit : Oui, c'est ça, exactement, exactement. Une autre petite question pour vous avant que je cède la parole à mes collègues, aussi, qui voulaient échanger avec vous. Sur la question, encore là, de l'éthique, vous l'avez survolée, c'est pour ça que l'échange, ça nous permet d'aller sur des points plus précis, mais vous avez souvent fait référence à la détresse aussi des soignants, à la souffrance des professionnels de la santé aussi. Puis j'aurais souhaité, justement, comme, je pense, c'est un domaine sur lequel vous vous êtes penchée aussi particulièrement, vous entendre sur cette question-là. Est-ce que ça peut être une barrière, justement, au traitement? Est-ce que c'est dans le cadre que l'on va mettre, où on doit apporter une attention, justement, à cet élément-là?

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : En fait, j'ai perdu mon idée, mais pouvez-vous juste reprendre quelque chose que vous venez de dire, là?

Mme Montpetit : Oui, oui, absolument, avec plaisir. C'était sur la question sur la détresse...

• (12 h 10) •

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Ah oui! La détresse morale des soignants, oui. Bon, alors, ce que j'ai à dire là-dessus : les études sont faites surtout chez les infirmières. Elles sont faites aussi auprès des autres professionnels de la santé, mais un des gros facteurs qui... déterminant dans la détresse morale des soignants, des infirmières en particulier, notamment celles qui sont aux soins intensifs, c'est l'acharnement thérapeutique. Et on comprend que l'aide médicale à mourir aussi, c'est une des façons d'éviter l'acharnement thérapeutique. Alors, dans ce sens-là, moi, j'ai toujours... je suis étonnée quelquefois de lire des résultats d'études qui montrent que, par exemple, les proches qui... Les proches de personnes qui ont demandé l'aide médicale à mourir, moi, j'aurais pu penser que ces personnes-là seraient traumatisées par l'expérience, mais pas le cas... ce n'est pas le cas.

Et puis c'est intéressant de voir que... D'autant plus qu'il est appelé «un soin» dans la loi, là. Au départ, j'avais de la misère à accepter ce terme. Maintenant, je comprends... bien, en fait, j'utilise un petit peu plus le terme «intervention» que «soin» maintenant.

Mais, ceci étant dit, je ne crois pas que c'est une situation qui causerait de la détresse morale. En tout cas, ça ne ressort pas dans les écrits, ça, c'est sûr. Quand j'ai fait une revue intégrative des écrits il y a quelques années — il faudrait d'ailleurs que je prenne le temps de publier ça — je me suis rendu compte que la détresse morale des soignants, on la retrouvait dans tous les pays. On la retrouve autant au Québec, ailleurs au Canada, aux États-Unis, dans les pays scandinaves. On la retrouve partout, et, toujours, la question d'acharnement thérapeutique revient dans chacun des pays. Ça fait que le problème, c'est que les médecins, on dirait qu'ils veulent absolument agir. Ils ont de la difficulté à référer à des soins palliatifs.

Ça commence à changer. Ça commence à changer. J'ai lu des expériences qui se passent avec l'Hôpital de Verdun et les soins à domicile, et, à ce moment-là, les soins palliatifs, on n'attend pas la dernière semaine pour les donner aux personnes, mais on commence bien avant. Et il y a une auteure, qui est une... qui est Diane Guay, qui a écrit une thèse de doctorat sur la question d'offrir des soins palliatifs avant que la personne soit rendue en fin de vie, autrement dit, de la soulager davantage de sa souffrance et de ses douleurs avant d'en arriver à la fin. Et ça, bien, si ça pouvait s'appliquer, là, ça serait une façon d'éviter à la fois l'acharnement thérapeutique et des recours à l'aide médicale à mourir qui seraient dus à une crainte des traitements à venir.

Parce qu'il y a beaucoup de préjugés dans la population sur les soins palliatifs : la morphine tue, et puis les soins palliatifs, c'est quand on... on en meurt, alors que, quand il y a un bon dosage de médication, la personne, souvent, est inscrite dans les soins palliatifs, mais elle peut s'en retourner chez elle après. Alors, c'est ça que je trouve qui serait important, pour répondre à votre question, mais je ne ferai pas de lien entre la détresse morale des soignants et l'aide médicale à mourir. En tout cas, ce n'est pas ce que j'aurai lu dans tous les résultats d'étude que j'ai pu consulter.

Mme Montpetit : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais la parole à Mme la députée de Westmount—Saint-Louis. Il nous reste 30 secondes, Mme la députée.

Mme Maccarone : Alors, très rapidement. Vous avez parlé d'un comité d'experts pour évaluer l'inaptitude ou l'aptitude d'une personne de prendre une décision en ce qui concerne l'aide médicale à mourir. Alors, selon vous, est-ce que les personnes qui souffrent d'une déficience intellectuelle ou autisme pourraient être éligibles à ce même accès à un comité, d'abord faire... accès à avoir l'aide médicale à mourir?

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : C'est une très bonne question. En fait, votre question me fait penser au DSM-V, qui a été très élargi, permettant beaucoup plus de prescriptions pour des problèmes qui ne sont pas toujours des problèmes qui auraient à être médicamentés. Alors, ça, moi, quand vous me posez la question, je pense au spectre de l'autisme, et ça, c'est très large. Et puis je le sais que les compagnies pharmaceutiques sont intervenues dans le remaniement du DSM. Alors, ce qui arrive avec les parents, là, ils sont mal pris, là. Le professeur dit : Votre enfant, il dérange tout le monde à l'école, il faut absolument que vous alliez voir le médecin. Le médecin n'a pas d'autres moyens que de faire une médication, lui. Je ne le sais pas trop comment ça marche pour avoir accès à un psychologue, mais, d'après ce que je sais, c'est très long, la liste d'attente. Alors, il y a beaucoup de jeunes qui sont médicamentés, mais qui ne le seraient pas s'il n'y avait pas cet élargissement-là du DSM-V.

Ceci étant dit, est-ce qu'une personne autiste... Ça dépend de son degré d'aptitude. J'en reviens toujours là. Alors, comment évaluer l'aptitude d'une personne qui est autiste? Bien, probablement qu'il faut aller plus loin dans les questions.

La Présidente (Mme Guillemette) : Mme Saint-Arnaud, c'est tout le temps... Parfait. Merci. Désolée de vous interrompre, mais...

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Bien, communiquez avec moi par courriel.

La Présidente (Mme Guillemette) : ...j'ai ce rôle-là de la gardienne du temps. Donc, et en ce sens, j'aurai besoin du consentement de la commission pour dépasser sur l'heure prévue, parce qu'on est déjà un peu en retard sur notre temps. Donc, j'ai consentement de tout le monde? Merci. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Saint-Arnaud. Heureuse de vous revoir. Ça fait quelques fois quand même qu'on échange, dans le cadre de commissions, sur cette question-là, donc, de l'aide médicale à mourir. Donc, merci de votre contribution supplémentaire. Je pense que c'est vraiment intéressant de voir l'évolution, aussi, quand on est frappés à la réalité, donc, de comment ça se passe en pratique, et tout. Donc, merci beaucoup.

Premièrement, je vous trouve... ça très intéressant que vous ayez soulevé que le fait même que, dans les cas de maladie mentale, la discussion puisse apporter un apaisement par rapport à l'idée même d'avoir recours à l'aide médicale à mourir. Puis je dois dire que ça me rappelle une jeune femme qui était venue dans la première phase des débats, qui avait une maladie physique, l'ataxie de Friedreich, et qui nous avait dit que, pour elle, c'était d'abord une sortie de secours, l'aide médicale à mourir, de juste savoir que ça existe, que ça pouvait être un facteur d'apaisement. Donc, je comprends que ce que vous nous dites aujourd'hui, puis j'ai parcouru rapidement, là, votre exposé, c'est qu'il y a des études qui montrent, donc, qu'une personne qui souffre de troubles mentaux, le fait d'engager une conversation sur cette hypothèse-là et de savoir qu'elle existe peut, en soi, apaiser ses souffrances.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui, oui, et puis ce n'est pas juste pour les personnes atteintes de troubles mentaux, c'est que les personnes qui font une requête d'aide médicale à mourir, quand elles ont l'occasion d'en parler et puis de donner la... de n'être pas dans un carcan, là, de... Des fois, je pense à ça, moi. Tu sais, un formulaire où est-ce que tu coches, là, bien oui, c'est correct, là, tu as coché, mais tu n'as pas vraiment discuté, tu n'as pas laissé parler la personne de son problème, tu n'avais pas le temps de la laisser parler, des choses comme ça. Alors, c'est sûr que ce n'est pas juste la maladie mentale, en fait, qui demanderait des changements, c'est pour toute personne. Et ça, dans les résultats d'études, ça apparaît, c'est que, quand les personnes... ce qu'il y a de bon quand une personne fait une demande d'aide médicale à mourir, c'est que, là, on se préoccupe d'elle puis de savoir si on ne pourrait pas lui offrir des soins palliatifs, par exemple. Alors, des fois, quelques fois, on ne l'a pas fait avant. Il y a des résultats d'études là-dedans, d'ailleurs, là, des statistiques de la Commission sur les soins de fin de vie là-dessus.

Et puis il y a une autre chose qui est préoccupante, c'est la consultation qui est très inégale, par les médecins, des directives médicales anticipées. Dans la région de Montréal, c'est presque pas, puis, dans l'Estrie, on a comme 3 000 consultations, là, entre 2015 et 2019. Et ça, on a beau dire, de faire la promotion des directives médicales anticipées, si les médecins ne vont pas voir dans le registre, bien, c'est un problème, effectivement, oui.

Mme Hivon : O.K. Justement, je veux vous amener là-dessus, sur deux points : directive médicale anticipée et demande anticipée d'aide médicale à mourir, parce qu'évidemment ce n'est pas permis en ce moment dans les directives médicales. Vous, vous dites : Évidemment, il faudrait toujours vérifier l'aptitude. Moi, je vous soumettrais une hypothèse. À partir du moment où c'est une demande très sérieuse pour l'aide médicale à mourir qui ne peut se faire que par la personne elle-même, jamais par consentement substitué, je soumettrais que le niveau doit nécessairement être différent en termes de vérification via les... versus les directives actuelles, médicales anticipées, puisque, dans le fond, les directives médicales anticipées actuelles, ce sont essentiellement de refuser d'être réanimé, par exemple, d'être hydraté ou alimenté artificiellement. Je veux juste voir si vous suivez mon raisonnement. Et donc, dans ces cas-là, une personne indique à l'avance ce qu'elle souhaiterait ou non.

Ça été souhaité dans la loi que ça reste souple pour que les personnes puissent le faire par elles-mêmes sans, par exemple, aller chez le notaire, ou tout ça, surtout parce que ça pourrait être fait par consentement substitué. Donc, un proche a le droit, pour quelqu'un qui n'a plus son aptitude, de dire : Je la connais, elle ne voudrait pas être réanimée ou : Là, c'est de l'acharnement, elle ne voudrait pas ça.

Donc, je voyais une différence entre le niveau d'intensité de ces deux demandes-là. Puis le comité d'experts, sur la question de l'inaptitude et de l'aide médicale à mourir, nous suggère de bien séparer les deux, donc, de garder les directives médicales anticipées et de prévoir un processus différent pour une demande anticipée d'aide médicale à mourir. Donc, je vous vois plus sceptique. Donc, j'aimerais ça que vous me disiez en quoi vous êtes d'accord ou non avec ce que j'ai dit et ce que la commission... ce que le groupe d'experts a dit.

• (12 h 20) •

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Ah! moi, je suis très visuelle, hein, puis je lis beaucoup. Alors, ce que j'entends, c'est... ça ne me reste pas, mais ce que je lis, oui. Alors, je n'ai pas lu le document dont vous me parlez, mais moi, je suis étonnée de vous entendre, que, dans les directives médicales anticipées, ça pourrait être une personne qui le demande. Moi, je vois tellement de conflits d'intérêts possibles là-dedans, là, que... Puis, aux États-Unis, là, c'est clair que, dans la loi, il y a une vérification de l'aptitude pour tout le monde qui fait une demande anticipée.

Alors, on peut bien l'appeler «directive médicale anticipée», mais «demande anticipée», ça se ressemble, hein? En fait, c'est juste le vocabulaire de la loi qui dit «directive médicale anticipée». Mais c'est pour ça que moi, je souhaiterais que l'aptitude, elle soit vérifiée pour toute personne qui fait une demande. Parce que quelle différence y a-t-il entre refuser la réanimation, refuser la dialyse, refuser l'utilisation du respirateur et l'alimentation, hydratation artificielle, qui vont faire en sorte que le décès va survenir à plus ou moins brève échéance, et puis demander l'aide médicale à mourir?

Déjà, dans la loi, moi, je ne suis absolument pas d'accord qu'une personne, quand elle est dans ces trois conditions-là, puisse cocher de recevoir tout ça. Dans le formulaire, c'est comme ça. Bien là, c'est ça qui est de l'acharnement thérapeutique aussi, parce que ces personnes-là sont soit fin de vie, soit coma végétatif persistant, soit maladie grave dans les derniers stades, puis elles demanderaient de recevoir... d'être réanimées, de recevoir la dialyse, et tout, là. Moi, je trouve que ça, c'est de l'acharnement thérapeutique. Puis ça, dans le formulaire, la personne, elle peut cocher tout ça. Donc, je ne vois pas... je ne ferais pas de différence entre demande anticipée et puis directives médicales anticipées, moi.

Mme Hivon : Parfait. Juste pour dire, là, je ne voulais pas dire qu'une personne qui fait des directives médicales anticipées, ça pourrait être fait par quelqu'un d'autre qu'elle-même, là. C'est justement l'idée des directives médicales anticipées, c'est l'autonomie de la personne, c'est elle qui le dit. Le seul parallèle que je faisais, vu que ça exclut l'aide médicale à mourir, c'est que ce type de soins là, qui, en ce moment, font partie des directives médicales anticipées, sont des choses qui peuvent aussi être décidées par des tiers si on est en situation où la personne a perdu son aptitude. Par exemple, un tiers peut décider...

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : D'accord, d'accord.

Mme Hivon : ...la nuance que je faisais. Parfait.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Considérons le consentement substitué à part...

Mme Hivon : Oui, c'est ça. Parfait.

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : ...à part, parce qu'il y a un témoin à la signature, hein, pour les DMA.

Mme Hivon : Exact. Voilà. Donc, je voulais vous amener maintenant sur la question de la souffrance. Vous avez aussi vraiment une spécialisation en éthique. Et deux éléments. En ce moment, ce qui est prévu à l'article 26, c'est que la souffrance, elle est autant... elle peut être autant physique que psychique. Donc, on tient compte de l'ensemble de ces souffrances-là. Pour ce qui est de la maladie mentale, s'il devait y avoir une ouverture, donc, est-ce que...

La Présidente (Mme Guillemette) : Il vous reste 30 secondes, Mme la députée.

Mme Hivon : Pardon?

La Présidente (Mme Guillemette) : Il vous reste 30 secondes.

Mme Hivon : O.K. J'ai bien eu le temps de mon collègue?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, neuf minutes, effectivement.

Mme Hivon : Bon, bien, c'est beau. Je voulais juste savoir si vous estimiez qu'il fallait avoir une approche différente par rapport à l'évaluation de la souffrance dans un contexte de troubles mentaux. Parce que j'ai lu tout ce que vous avez écrit, et est-ce que c'est vraiment différent d'en ce moment, comme on l'évalue?

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : Moi, je ne ferais pas de différence...

La Présidente (Mme Guillemette) : Malheureusement, on a...

Mme Saint-Arnaud (Jocelyne) : ...ferais pas une différence dans la loi.

Mme Hivon : Oui. Parfait. O.K., c'est ce que je voulais savoir. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Saint-Arnaud. Désolée d'encore une fois être obligée de vous couper. Je céderais maintenant la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente. Mme Saint-Arnaud, c'est très agréable de vous entendre. Vous avez terminé votre réponse à la collègue de Joliette, là, même si c'était assez rapide? Parce que j'aurais pris une partie de mon deux minutes.

Je vous écoute parler depuis tantôt d'aptitude, de comité multidisciplinaire puis de mesures de sauvegarde, et ça nous indique que les membres de la commission vont devoir, dans leur rapport prochain, parler de... prévoir des mesures d'accompagnement, des mesures d'encadrement puis des mesures de contrôle. Je pense que ce sera très important. Je comprends qu'on a deux grandes questions sur lesquelles il va falloir élaborer, mais il faudra faire des observations par rapport à ce que vous venez de nous dire et votre cri du coeur, parce qu'il n'y a pas de système parfait. Est-ce que j'ai une bonne lecture de la situation?

Mme  Saint-Arnaud (Jocelyne) : Oui. Il n'y a pas de système parfait, puis c'est sûr qu'on essaie toujours... je suis un peu aristotélicienne en disant ça, mais on cherche le juste milieu dans une situation complexe. Alors, c'est sûr qu'on veut à la fois respecter l'autonomie des personnes qui veulent en faire la demande et qui répondent aux critères et à la fois protéger les groupes qui sont plus vulnérables. C'est pour ça que ça prend des mesures de sauvegarde. Excusez-moi, là, mais c'est en train de tomber, ça. C'est pour ça que ça va prendre des mesures de sauvegarde, et puis, bien, ça implique un certain contrôle, là.

Puis moi, si je pense qu'il y a un comité, je préfère... J'ai présidé plusieurs comités dans ma carrière, des comités d'éthique clinique, des comités d'éthique de la recherche, etc., et puis l'importance du comité, c'est que, nécessairement, il y a l'interdisciplinarité dans un comité. Alors, ce n'est pas le président du comité qui décide. Il va décider... il va rédiger l'avis, c'est sûr, mais il va prendre le point de vue de tous ceux qui participent à la rencontre. Alors, c'est ça qui est important.

M. Ouellette : Merci, madame.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Merci beaucoup, Mme Saint-Arnaud. C'était très, très agréable. On en aurait pris encore plus. Je vous remercie infiniment de votre contribution aux travaux de la commission.

Et, compte tenu de l'heure, nous suspendons les travaux jusqu'à 13 h 30.

(Suspension de la séance à 12 h 27)

(Reprise à 13 h 29)

La Présidente (Mme Guillemette) : Bon après-midi, tout le monde. Bienvenue à cette séance de la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

La commission est réunie virtuellement afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Donc, cet après-midi, nous entendrons les groupes suivants et les personnes suivantes : le Dr Marcel Arcand, Me Jean-Pierre Ménard, Pre Gina Bravo et Me Danielle Chalifoux.

Donc, nous avons maintenant avec nous le Dr Marcel Arcand. Donc, bienvenue et merci d'être là cet après-midi. Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour nous présenter votre exposé et qu'à la suite de ce 20 minutes il y aura une période d'échange de 40 minutes avec les membres de la commission. Donc, Dr Arcand, je vous cède la parole.

M. Marcel Arcand

M. Arcand (Marcel) : Merci. Est-ce que tout le monde m'entend? Oui?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui.

• (13 h 30) •

M. Arcand (Marcel) : O.K. Alors, bien, je me présente. Je suis un médecin de famille. J'ai été professeur à l'Université de Sherbrooke en médecine de famille. J'ai pratiqué beaucoup en soins aux personnes âgées, y compris pour les personnes en soins de longue durée, et j'ai pris ma retraite active, mais je participe encore à l'aide médicale à mourir comme médecin substitut quand le médecin traitant ne souhaite pas le faire lui-même. Je travaille aussi... je collabore avec Gina Bravo, que vous allez entendre un peu plus tard cet après-midi, à des projets de recherche qui concernent justement les soins de fin de vie dans la maladie d'Alzheimer.

Mon premier point touche la question du renoncement au consentement final lorsqu'on donne l'aide médicale à mourir. Pas plus tard qu'il y a deux semaines, peu après que la loi fédérale a été approuvée, j'ai eu... je m'occupais d'une dame qui était en soins palliatifs, à l'hôpital, pour un cancer avec multiples métastases, etc., et qui était pressée de recevoir l'aide médicale à mourir. Je l'ai vu le mercredi. J'ai dit que j'approuvais, j'avais un deuxième médecin, et tout, et j'ai dit : On va le faire le vendredi. Malheureusement, dans la nuit du jeudi au vendredi, quelques heures avant que je le fasse, elle a fait un accident vasculaire cérébral. Elle a perdu l'usage de la parole et elle était agitée, donc les médecins sur place lui on prescrit des médicaments pour la calmer, etc. Et, quand je suis arrivé, au grand désespoir du mari et de la famille, je leur ai dit que je ne pouvais pas procéder à l'aide médicale à mourir puisque la patiente n'était plus apte.

Je n'avais pas fait signer le formulaire de renoncement au consentement final parce qu'il n'existe pas encore une version approuvée. Et puis on a appris par après que la commission des soins de fin de vie nous disait que ce n'était pas... ça ne cadrait pas avec la loi québécoise et qu'il faudrait harmoniser avec le fédéral. Donc, je prie les parlementaires d'harmoniser le plus vite possible cette loi pour qu'on puisse utiliser cet outil-là, qui aurait l'avantage de, disons, donner le soin qui est souhaité par le patient, là, même s'il a perdu son aptitude à quelques heures de là, et aussi pour les personnes qui souhaitent tellement rester aptes qu'elles refusent de prendre leur médication contre la douleur, etc. Donc, ça, c'est mon premier point.

Ensuite, je vais vous parler de la question de l'alzheimer et des maladies apparentées. Juste rappeler, puis ça, je pense que vous le savez, que c'est un des pires scénarios des soins de fin de vie que... celui dont les gens ont le plus peur, bien souvent, de perdre leurs capacités cognitives peu à peu, d'être obligés d'être relocalisés en dehors de chez eux parce qu'ils sont devenus un fardeau de soins, etc.

Et je vais vous faire part d'un travail de recherche qui a été fait avec Dre Bravo et un jeune étudiant à la maîtrise en sciences de la santé, à Sherbrooke, qui a interviewé des personnes qui venaient d'avoir, récemment, un diagnostic de maladie d'Alzheimer pour connaître leur point de vue par rapport à l'aide médicale à mourir. C'est assez original, pas facile à faire nécessairement. Mais il a pu trouver huit personnes, avec l'aide d'un neurologue de la clinique de mémoire, pour faire des entrevues, et, unanimement, ces huit personnes-là ont dit qu'elles souhaitaient un jour pouvoir avoir accès à l'aide médicale à mourir. C'est sûr qu'au départ juste le fait d'accepter de participer à ce type d'entrevue biaise, là. Il y a probablement un biais qui fait que ces gens-là ont accepté, ils étaient déjà favorables à l'aide médicale à mourir, mais, quand même, on n'a pas souvent la chance d'avoir des témoignages de ces personnes-là après leur diagnostic.

Parce qu'on le sait, par exemple avec Mme Sandra Demontigny, qu'il y a une période après le diagnostic où on est apte avant de perdre son aptitude, où on serait apte à consentir au soin de l'aide médicale à mourir. Et, aux Pays-Bas, par exemple, où il est possible de faire l'euthanasie de personnes qui ont... qui ne sont pas aptes si elles ont demandé l'aide médicale à mourir, ça demeure quand même une pratique très limitée parce que les médecins ne sont pas beaucoup à l'aise de faire l'aide médicale à mourir à un patient sans qu'il réactive sa demande. Donc, je sais, par exemple, qu'en 2017 il y a eu 169 personnes inaptes qui ont reçu l'aide médicale à mourir, mais la majorité... c'est-à-dire pas inaptes, mais avec la maladie d'Alzheimer ou une maladie apparentée, mais la majorité était encore apte à consentir aux soins.

Donc, le problème ici c'est plus le critère de fin de vie qui n'est plus opérant au Québec et au Canada. Et d'ailleurs il se fait de l'aide médicale à mourir pour des personnes avec l'alzheimer quand elles sont encore aptes. Il s'en fait au Canada, en Ontario et en Colombie-Britannique actuellement. Alors, je pense que ça serait une bonne chose que ça puisse être facilité ici aussi, au Québec. Je pense en particulier à des gens qui ont une histoire familiale positive de maladie d'Alzheimer puis qui disent : Bien, moi, là, je ne veux pas que ma vie se termine comme celle de mon père ou de ma mère. Il y a des types de démence qui sont particulièrement pénibles, des démences frontales avec de l'agitation, des crises, souvent, en fin de vie, etc. Donc, ça, moi, je pense que, si vous avez le pouvoir de faire en sorte que les médecins puissent administrer ce soin même si la personne a encore plusieurs années à vivre, mais elle a clairement un déclin cognitif assez avancé, bien, sur une trajectoire de fin de vie, je pense qu'on devrait permettre ça.

Il y a un autre type de situation. Bien, j'ai dit que, s'il y avait des directives anticipées, ça serait difficile à appliquer pour nos médecins si les gens ne réactivent pas le soin. Par contre, j'ai vécu, comme médecin en soins de longue durée, quelques situations vraiment pénibles de personnes avec des démences sévères, qui criaient à répétition, malgré qu'on ait essayé toutes sortes de thérapies : antidouleur, antianxiété, antihallucinations, malgré qu'on ait eu l'aide des équipes les plus compétentes en gérontopsychiatrie, et on était rendus, à la fin, à devoir les garder sous sédation. Donc, c'était quasiment comme une sédation continue. Ils dormaient juste assez pour ne pas crier en général, mais ils pouvaient manger. Donc, moi, rendu là, je veux dire, je serais d'accord si la famille le demande. Et c'est ce qui était le cas, la famille le demandait, mais on ne pouvait pas le faire. Si tout le monde est d'accord que dans le meilleur intérêt du patient de faire... de donner l'aide à mourir, à ce moment-là, je serais prêt à le faire dans des cas comme ça, qui sont...

Maintenant, il existe d'autres problèmes que juste l'Alzheimer, et tout ça. Il peut y avoir des gens qui, suite à un accident vasculaire, deviennent comateux subitement ou d'autres, un accident de la route puis qui sont très détériorés point de vue cognitif, qui ne sont plus aptes. Je pense qu'on devrait, tel que le Collège des médecins l'a déjà suggéré dans un rapport, penser à utiliser le consentement substitué. Donc, la personne a désigné un mandataire ou elle en a... elle a parlé qu'elle ne voudrait pas vivre dans un état comme ça, elle se retrouve dans un tel état végétatif ou... bien, je pense qu'on devrait pouvoir aussi leur offrir l'aide médicale à mourir si, de l'avis du mandataire, et des membres de la famille, et de l'équipe de soins, tout ça, c'est dans le meilleur intérêt du patient. Bien sûr, ça prendrait des balises et que cette pratique-là soit revue par après pour être sûrs qu'on protège les personnes les plus vulnérables, mais, en tout cas, je pense qu'on rendrait service à ces personnes-là.

Voilà. Moi, c'est pas mal tout ce que j'avais à dire. Je pense, je suis bien à l'intérieur de mon 20 minutes. Je sais que vous travaillez fort. Ça fait que, si on finit un peu plus de bonne heure, vous ne devriez pas être... m'en vouloir. Merci.

• (13 h 40) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Arcand. Je passe... Excusez. Je céderais la parole à la députée de Maurice-Richard pour... On va ajuster les temps, là, donc on aura plus de temps. Donc, Mme la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Merci. Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Arcand. Merci d'être présent avec nous aujourd'hui. C'est toujours très apprécié, surtout avec le bagage et l'expérience que vous avez. Ça va nous permettre de vous poser certaines questions aussi sur l'applicabilité de tout ça, certaines barrières, et tout.

Mais je commencerais peut-être, justement, avec les éléments que vous aviez soulignés à la fin de votre intervention. Vous avez parlé de consentement substitué, et je voudrais vous entendre, justement, comme vous avez une expérience très importante dans tout ce qui est dégénérescence cognitive, entre autres maladie d'Alzheimer. Dans quel contexte ce genre de consentement peut... pourrait être donné? Parce qu'encore là il y a des... vous avez sûrement suivi nos travaux, là, depuis deux jours, sur un alzheimer, bon, une démence sereine. Comment, concrètement, ça vient être évalué?

Vous avez mentionné aussi que ce serait important de mettre certaines balises. Moi, j'aimerais ça vous entendre, justement, sur le type de situations que vous avez vues. Est-ce que c'est relativement uniforme, la maladie d'Alzheimer? Est-ce que ces balises-là, vous pensez qu'elles peuvent être établies de façon relativement, encore là, uniforme ou, quand vous dites : Il faudra les réviser, c'est justement parce qu'il faudra vérifier l'applicabilité de tout ça, là?

M. Arcand (Marcel) : Bien, les situations que j'ai décrites, de personnes qui crient, etc., ce n'est pas extrêmement rare, mais ce n'est pas la majorité, loin de là. Il y a aussi, là, bien... (panne de son) ...dans leurs directives préalables, qui feraient une demande d'aide médicale à mourir, puis que, là, ils pourraient baliser, dire... bien, je sais que Mme Demontigny, par exemple... dire : Quand je ne serai plus capable de m'occuper de mes besoins de base, j'aimerais qu'on me le donne, même si je suis devenue inapte à ce moment-là. Mais ça, ce n'est pas toujours aussi facile que ça à appliquer, et je ne suis pas partisan de directives contraignantes. Autrement dit, je suis en faveur que les gens puissent faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir qui serait évaluée en fonction des circonstances actuelles.

Donc, si la personne a une démence heureuse, en tout cas, probablement que je ne ferais pas l'aide médicale à mourir. Si, par contre, elle est... elle a l'air inconfortable, c'est sûr que je vais être tenté de le faire. Et, si, de l'avis de l'ensemble des membres de la famille, la personne n'aurait vraiment pas voulu être dans la situation dans laquelle elle est actuellement, ils pourraient fournir un consentement substitué, le mandataire ou le conseil de famille, et à ce moment-là, moi, j'accepterais de le faire. Je ne sais pas si ça clarifie ou... Mais, peut-être, la distinction ici, c'est : je ne vois pas ça comme contraignant, je vois ça comme les gens puissent faire une demande anticipée, mais qu'on évalue, en fonction des circonstances, si c'est vraiment dans le meilleur intérêt du patient.

Mme Montpetit : Et est-ce que vous diriez, justement, de par votre expérience, que la ligne, elle est toujours claire entre... En fait, est-ce qu'il est toujours assez clair d'établir la souffrance de quelqu'un qui a une dégénérescence cognitive, qui fait de l'alzheimer? Est-ce qu'il y a... Tu sais, justement, on parle de démence sévère, ou de démence heureuse, ou de souffrance, tout ça. Est-ce que... Vous, comme professionnel, là, comment vous pouvez nous guider là-dedans, dans le fond, dans ce que vous avez vu?

M. Arcand (Marcel) : Bien, ce que j'ai vu, c'est qu'habituellement en début de maladie les gens ont souvent un très bon soutien de la famille, etc., mais, quand, à un moment donné, ils viennent qu'ils ne reconnaissent même plus les membres de la famille, qu'ils ne reconnaissent pas les soignants comme des aidants, mais plutôt des personnes qui les agressent, à partir du moment où on observe tout ce qu'on appelle les symptômes comportementaux et psychologiques, de la démence, l'errance, les gens qui cherchent à se sauver de leur unité de soins, il y a des hallucinations qui sont possibles, etc., il y a... Donc, oui, d'après moi, je dirais que ce n'est pas peut-être pas la majorité, mais ce n'est pas loin de la moitié des patients avec démence sévère ou avancée qui ont différentes formes de souffrance, là.

Mme Montpetit : Puis est-ce que c'est... Quand je vous demande si c'est uniforme, dans le fond, encore là, c'est : Si on mettait 10 médecins autour d'une table... autour d'un patient, en fait, je vais le dire comme ça, est-ce que l'évaluation, pour vous, de la souffrance de quelqu'un qui a la maladie d'Alzheimer va être relativement uniforme au niveau de l'interprétation?

M. Arcand (Marcel) : Bien, à ma connaissance, il n'y a pas d'outils simples, là, qu'on peut utiliser. Il y a des outils pour mesurer les symptômes comportementaux, il y a des outils pour mesurer la douleur pour les personnes qui sont incapables de l'exprimer verbalement, donc grimaces, agitation, respiration qui modifie lors de certaines manipulations ou mobilisations du patient, etc. Je pense qu'il pourrait y avoir des consensus assez clairs. C'est sûr que j'inclurais les infirmières là-dedans, qui sont au chevet du patient, ou le personnel soignant, qui sont au chevet du patient, qui ont une bien meilleure idée de la souffrance des patients que les médecins qui font une petite visite une fois de temps en temps.

Mme Montpetit : Particulièrement, j'imagine, en CHSLD aussi, effectivement, d'avoir les équipes de première ligne, de proximité, là...

M. Arcand (Marcel) : Oui. En anglais, ils appellent ça des «nursing homes». Ça fait que c'est plus la maison des nurses que la maison des médecins. Mais c'est bien, c'est... Mais je pense qu'il faut donner une place, même, au personnel infirmier dans les décisions. Tu sais, quand je parle de consensus pour arriver à un consentement substitué, moi, je ferais participer les infirmières qui connaissent bien le patient à la discussion.

Mme Montpetit : Je vous remercie beaucoup, Dr Arcand. J'ai mon collègue le député — j'allais dire son prénom encore, excusez-moi — de D'Arcy-McGee qui souhaitait pouvoir échanger avec vous également.

M. Arcand (Marcel) : D'accord.

M. Birnbaum : Merci. Merci, Dr Arcand, pour vos interventions. Écoutez, un des grands enjeux, on en discute, c'est de comment circonscrire les demandes d'accès à l'aide médicale à mourir. Je suis curieux. De votre expérience, y a-t-il un pourcentage des diagnostics de démence où on prévoit pour une longue période des symptômes, disons, évidemment sérieux mais pas si graves que ça, donc la qualité de vie peut être assez intéressante?

M. Arcand (Marcel) : Oui, je pense que plus on développe la maladie d'Alzheimer tardivement, souvent, c'est des formes plus légères de la maladie. C'est plus comme si elle était associée au vieillissement, alors que les gens qui débutent la maladie tôt, souvent, c'est plus agressif, les formes familiales, par exemple, là, qui sont quand même minoritaires. Mais, oui, oui, il y a énormément de variations entre les cas, même sur la durée de vie.

• (13 h 50) •

M. Birnbaum : Oui. Et je me permets la question parce que nous sommes invités par des experts, les derniers jours, à comprendre qu'on devrait limiter l'accès aux gens devant un diagnostic assez sérieux, ce qui m'amène à deux questions. Est-ce que les outils, actuellement, de diagnostic sont de plus en plus sophistiqués pour aider le monde à confronter, à se réconcilier des symptômes qui risquent d'être très présents pour eux? Et, dans un deuxième temps, de vous inviter à vous situer là-dessus : Est-ce qu'il faut... Avant qu'une demande d'accès à l'aide médicale à mourir soit même recevable, non exécutoire pour l'instant, mais même recevable, est-ce que ça devrait se limiter aux gens confrontés d'un diagnostic assez grave de démence ou d'alzheimer?

M. Arcand (Marcel) : Oui, bien oui, je dirais que oui, que ça soit vérifié par des experts de la maladie. Un peu comme on a dans la loi fédérale, qui parle de mort naturelle non raisonnablement prévisible, il faut comme référer à un expert de la maladie. Dans ce cas-là, oui. Il y a ce qu'on appelle les cliniques de mémoire qui sont... il y a des gériatres et des neurologues qui sont habilités à faire... à poser un diagnostic et surtout trouver ce qui n'est pas maladie d'Alzheimer et qui pourrait être réversible. Ce n'est quand même pas si fréquent que ça, mais ça peut être des dépressions, ça peut être un trouble métabolique quelconque. Donc, oui, il faut vérifier ça. On a de plus en plus d'outils radiologiques qui aident pour diagnostiquer la maladie, donc, par exemple, ce qu'on appelle le PET scan ou... qui montre des zones du cerveau qui sont dysfonctionnelles ou hypofonctionnelles assez caractéristiques dans la maladie d'Alzheimer ou dans les démences frontales. Je pense que ça, c'est... oui, c'est préférable d'avoir un diagnostic bien précis, c'est sûr, mais essentiellement c'est l'évolution aussi du patient qui... les troubles de mémoire ou les troubles de langage qui s'installent, etc., qui vont confirmer le diagnostic, là. Mais, oui, moi, je suis parfaitement d'accord si on exige qu'il y ait... que ces gens-là soient vus par un expert de la maladie.

M. Birnbaum : Vous avez parlé des exemples actuels déchirants, des gens qui auraient indiqué leurs intentions, et l'incapacité est venue avant qu'ils pouvaient confirmer leurs intentions, évidemment, déchirantes. Et je crois qu'on a eu le message qu'il faut que cette situation soit corrigée, mais vous avez, si j'ai bien compris, élargi la discussion un petit peu aux gens qui, peut-être, n'auraient pas rendu leurs intentions très claires, qui sont à cette étape très sérieuse où ça crie, où la personne est, de toute évidence, souffrante. Dans ces situations, vous avez, si j'ai bien compris, parlé de laisser une marge de manoeuvre pour intervenir du côté des familles, des membres de la famille proche et des médecins. Est-ce que vous avez des inquiétudes que, là, on donne une discrétion peut-être, dans un premier temps, que les médecins ne souhaiteraient pas avoir ou trop de pouvoirs aux familles des fois peut-être pas de bonne foi dans la situation?

M. Arcand (Marcel) : O.K. Bien, c'est sûr qu'il peut arriver des situations où des familles vont pousser, tu sais, pour cette option-là, puis on trouve que ce n'est pas nécessairement dans le meilleur intérêt du patient à ce moment-ci de sa vie, ça, c'est des dangers, ou l'inverse, des médecins vont pousser, des familles ne sont pas d'accord, bon, etc. L'idéal, c'est un consensus, «shared decision-making», donc une décision partagée. De toute façon, c'est beaucoup demander aux familles que de porter le fardeau, seules, d'une telle décision pour un proche. Mais, si la décision est partagée par l'équipe de soins et la famille, je pense que ça peut se vivre beaucoup mieux.

Maintenant, on essaie de trouver des solutions pour que les gens qui ont de tels problèmes puissent bénéficier aussi du soin qu'est l'aide médicale à mourir, mais je suis bien conscient de tous les obstacles qui pourraient se mettre sur le chemin. Mais, en tout cas, tu sais, il arrive, par exemple, mettons que quelqu'un est en soins de longue durée, qu'il a perdu son aptitude à cause d'un gros accident vasculaire cérébral ou d'un accident de la route, puis etc., puis il est nourri artificiellement avec un tube de gavage qu'on appelle, là, un tube qui va porter de la nourriture au niveau de l'estomac, bien, on peut, actuellement, par un tel consensus famille-soignants, tout ça, décider d'arrêter la nutrition. Si on pense que c'est ce que le patient aurait voulu puis qui... dans le meilleur intérêt, on peut même retirer le tube, et donc je me dis : C'est le même genre de défis décisionnels qui nous attend, puis, pour ça, il faut qu'il y ait des bons canaux de communication entre la famille puis l'équipe soignante ou les gens en soins intensifs, qu'on enlève le tube qui leur permettait de respirer parce qu'on pense que le pronostic est trop mauvais puis qu'il n'y a rien à faire. Donc, c'est des décisions éthiques, et ça, on en a de plus en plus chaque jour que la médecine fait des progrès.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, M. le député. Merci, Dr Arcand. Donc, je céderais maintenant la parole au député de Gouin. Vous avez sept minutes, M. le député. On ne vous entend pas.

M. Nadeau-Dubois : Comme ça, ça devrait fonctionner.

La Présidente (Mme Guillemette) : Tout à fait. Merci.

M. Nadeau-Dubois : Merci. Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Arcand, pour votre contribution à nos travaux aujourd'hui.

Vous vous êtes dit en faveur de modalités de consentement substituées. J'aimerais que vous nous expliquiez dans quelles circonstances est-ce que ça devrait être possible, selon vous, et encadré de quelle manière.

M. Arcand (Marcel) : Bien, le consentement substitué, je ne suis pas avocat, mais c'est quelque chose qui existe déjà dans la loi. Normalement, je pense que c'est le mandataire qui est désigné pour qu'on essaie de reconstruire les volontés du patient quand il y aurait ce type de décision là. Moi, j'aurais tendance à être assez inclusif au niveau de la famille ou tous ceux qui ont à coeur l'intérêt du patient... puissent aider à déterminer quelle est la meilleure chose à faire à ce moment-ci de sa vie pour ce patient, pour ce patient-là à ce moment-ci de sa vie. Puis, un petit peu comme j'ai expliqué, par exemple, là, la personne qui avait un tube, là, qui est nourrie artificiellement, qui est en coma puis qu'on décide d'arrêter pour... bien, il y a un consentement substitué habituellement, parce que... à moins que la personne avait dit clairement dans ses directives anticipées : Je ne veux pas de tube de nutrition artificielle ou quelque chose comme ça, mais ce n'est pas la majorité des cas.

Donc, c'est quelque chose qui existe déjà. Puis moi, je proposais ça plutôt qu'une directive contraignante, de dire : Je veux qu'on me fasse l'aide médicale à mourir quand j'aurai telle, telle, telle incapacité. Ça peut être difficile à interpréter, parce que ça peut être fluctuant d'une journée à l'autre. Mais, par contre, si tout le monde qui se réunit dit : Oui, oui, c'est exactement ce qu'elle voulait... où elle ne voulait pas se rendre, cette patiente-là, bien, à ce moment-là, on partage la décision et on procède au soin qui était souhaité. Je ne sais pas si ça vous éclaire.

• (14 heures) •

M. Nadeau-Dubois : Oui, oui, ça m'éclaire. Mais, juste pour bien comprendre, dans l'exemple que vous donnez, est-ce que la personne devrait avoir signifié de manière formelle sa volonté de recevoir l'aide médicale à mourir ou ça peut être seulement le fruit d'une discussion de ses proches, qui disent : Ah! elle nous l'avait déjà dit oralement à plusieurs reprises, donc on prend la décision? Jusqu'à quel point est-ce qu'il devrait y avoir quand même une demande formelle de la personne? Parce que, tu sais... En fait, comment on fait pour respecter aussi la volonté des patients puis leur autonomie décisionnelle?

M. Arcand (Marcel) : Oui. Bien, idéalement, c'est sûr que ça facilite la tâche s'il y a eu une demande anticipée clairement exprimée. Mais moi, je ne serais pas nécessairement gêné de dire... même pour des personnes qui ne l'ont pas exprimé verbalement ou par écrit, qu'on puisse décider que c'est dans leur meilleur intérêt d'offrir ce soin-là. Je parlais des personnes qui crient, qui ont l'air complètement inconfortables, qu'on n'arrive pas à soulager autrement que par la sédation, en les faisant dormir la majeure... tu sais, 22 heures sur 24. Puis, en tout cas, je pense que c'est peut-être un pas de plus, mais je sais que le Collège des médecins, dans les documents qu'il a produits sur le sujet, avait mentionné que c'était peut-être une solution même plus facile à administrer que les demandes contraignantes.

M. Nadeau-Dubois : Et est-ce que, selon vous, le principe inverse devrait s'appliquer aussi? C'est-à-dire, si une personne avait manifesté sa volonté de recevoir l'aide médicale à mourir advenant circonstances x, y, z et qu'une fois les circonstances se présentant les proches, l'équipe autour du patient jugent que, finalement, la personne semble être bien, ne semble pas souffrir, est-ce que le même principe devrait s'appliquer? Est-ce qu'on devrait pouvoir renverser, dans le fond, le consentement?

M. Arcand (Marcel) : Encore là, l'idéal, c'est de faire un consensus, mais j'avoue que ça pourrait arriver, ce genre de situation là. Je pense que les avocats diraient que la volonté du patient devrait l'emporter sur les désirs de la famille. Mais c'est sûr qu'encore là il faudrait travailler sur le... peut-être des objectifs intermédiaires puis cheminer tous ensemble. Ce serait difficile à appliquer si la famille n'était absolument pas d'accord. C'est une bonne question.

M. Nadeau-Dubois : Bien, je n'essaie pas de vous coincer, là, j'essaie vraiment de comprendre votre réflexion, surtout comme personne qui pratique l'aide médicale à mourir. Ce que vous nous dites, c'est : D'un côté, il devrait y avoir un principe de consentement substitué pour administrer l'aide médicale à mourir à quelqu'un qui n'en avait peut-être pas manifesté la volonté auparavant ou, en tout cas, qui l'avait manifestée de manière, disons, informelle auprès de ses proches, mais vous nous dites... mais, pour le contraire, par contre, ça ne s'appliquerait pas. Est-ce que je comprends bien?

M. Arcand (Marcel) : Bien non, bien, je ne dis pas que ça ne s'appliquerait pas, mais ça ne serait pas la situation idéale, bien sûr. Je pense que ça pourrait s'appliquer si la demande est explicite, très claire, puis qu'on est vraiment rendu là, mais que... je pense qu'on aurait tout intérêt à essayer de travailler avec la famille pour qu'ils cheminent dans... (panne de son) ...volonté du patient. C'est plus ça.

Mais probablement que, si la demande est explicite, très claire, tout ça, personnellement, je serais prêt à le faire, même si un... souvent, c'est un membre de la famille qui n'est pas d'accord, alors que les autres sont d'accord. Mais ça, tu sais, c'est la volonté du patient qui prédomine à ce moment-là, oui.

M. Nadeau-Dubois : Et je me demandais si vous aviez des réflexions sur l'autre portion de notre mandat, celui qui concerne les personnes qui souffrent de troubles mentaux. Est-ce que vous, vous seriez à l'aise d'administrer l'aide médicale à mourir à quelqu'un qui souffre de troubles mentaux? Puis on s'entend, là, c'est des gens qui ont... qui auraient accès à l'aide médicale à mourir seulement pour cette raison-là. Qu'est-ce que vous en pensez? Seriez-vous prêt à le faire? Si oui, à l'intérieur de quelles balises?

M. Arcand (Marcel) : Bien, d'abord, je crois que ça peut être très souffrant quand ça dure depuis des années, des dépressions ou des... certaines maladies qui... comme la schizophrénie ou tout ça, je pense que ça peut être extrêmement souffrant aussi, et donc j'ai une certaine réceptivité. Mais c'est sûr que moi, je procéderais seulement si, encore là, le consensus psychiatrique va dans le sens que c'est le... dans le meilleur intérêt du patient actuellement. J'ai refusé pas plus tard qu'il y a deux semaines une madame qui était juste pour dépression chronique, que j'ai référée à une psychiatre, mais qui n'arrive pas non plus à la faire sortir de ça. Mais elle avait aussi des problèmes physiques qu'on a regardés, mais pas assez avancée dans ses problèmes physiques, etc. Donc, c'est sûr... Puis j'ai déjà un patient qui avait un léger handicap et qui s'est suicidé après mon refus, malgré qu'on ait continué à intervenir auprès de lui. Mais donc la souffrance, elle est là, c'est certain, mais... Donc, moi, j'aurais une certaine ouverture, mais vraiment bien encadrée par les psychiatres.

M. Nadeau-Dubois : Puis quel type d'encadrement vous rendrait à l'aise comme praticien?

M. Arcand (Marcel) : Bien, si le psychiatre dit : Écoute, ça fait 12 ans qu'on traite ce patient-là, il est très souffrant, on n'a rien d'autre à lui offrir puis on en est... moi et mes collègues, on en est venus à la conclusion qu'on accepte de faire ce... qu'on accepterait de faire ce soin-là, mais on vous demande de le faire, vous, je pense que je pourrais être à l'aise. Je me rappelle d'un cas, j'avais un jeune homme avec une sclérose en plaques qui n'était pas tout à fait assez avancée pour être... quand on disait «fin de vie imminente», là, avec le critère fin de vie. Aujourd'hui, ce serait différent, mais, à l'époque, il... c'était un patient qui était en fauteuil roulant puis qui était prêt à aller se jeter dans le trafic pour se suicider. Il s'est retrouvé à l'hôpital, ils l'ont traité, il est retourné dans son établissement, il a fait d'autres tentatives, etc., puis, à un moment donné, la psychiatre m'a dit : Je pense qu'on ne... on n'a vraiment rien d'autre à lui offrir, si vous voulez procéder avec le... en tenant compte de son diagnostic de sclérose en plaques seulement ou on peut mentionner sa souffrance psychologique aussi. Bien, je l'ai fait, finalement. Donc, je pense que c'est possible. Moi, je crois que c'est possible pour la maladie mentale aussi.

M. Nadeau-Dubois : Et, si la...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Nadeau-Dubois : Et, si le... si le psychiatre vous demandait...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci beaucoup, M. le député. C'est tout le temps qu'on avait. Je dois maintenant céder la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Sept minutes. Sept minutes, Mme la députée.

Mme Hivon : Oui, merci beaucoup. Et merci, Dr Arcand. Je pense qu'on vous entendrait pendant longtemps, parce que, de toute évidence, vous avez une expérience très riche.

En fait, depuis le début de nos auditions, qui sont quand même jeunes, vous êtes vraiment la première personne à arriver avec l'idée du consentement substitué. Donc, pourquoi on se casse tous la tête avec l'idée de la demande anticipée qui doit venir de la personne? C'est qu'à l'origine de la loi, c'était vraiment un incontournable comme balise, face à tous ceux qui craignaient des dérapages, que vraiment la demande vienne toujours de la personne elle-même. Et donc c'est la même logique qui se retrouve avec cette idée de demande anticipée. Puis tantôt vous avez dit que les médecins, selon vous, ne seraient pas à l'aise tellement à appliquer — je veux juste être sûre d'avoir bien compris — à partir d'une demande anticipée et qu'ils pourraient l'être davantage avec un consentement substitué. Moi, j'aurais pensé l'inverse.

M. Arcand (Marcel) : Oui. Non, je comprends.

Mme Hivon : Parce que ce qui vient du patient lui-même, on se dit : Au moins, on a la sécurité qu'il l'a demandé. Donc, je veux juste clarifier à mon tour si ce que vous voulez dire, c'est que l'idéal ce serait qu'il y ait les deux, dans le fond, et, si, vous, c'est une fin de non-recevoir, c'est-à-dire, sans l'aval des proches, vous ne pourriez pas procéder, vous seriez trop inconfortable.

M. Arcand (Marcel) : Ah! beaucoup de questions. Oui, c'est sûr que l'idéal, c'est qu'il y ait à la fois une demande d'aide médicale à mourir, une demande anticipée d'aide médicale à mourir et un consensus avec la famille sur le moment où on l'applique pour être sûr que ça corresponde vraiment à ce que le patient souhaitait dire, souhaitait qu'on lui fasse comme soin.

Moi, je n'aime pas beaucoup l'idée de demande contraignante, par contre. Moi, comme médecin, je pourrais, dans certaines circonstances, être mal à l'aise pour donner l'aide médicale à mourir, refuser de le faire, si je pense que ce n'est pas dans le meilleur intérêt du patient au moment où on le demande, là. Donc, bon, puis, si la famille refuse, comme j'ai expliqué tout à l'heure, mettons, le patient l'a demandé, puis que c'est clair, puis l'équipe soignante pense que, oui, c'est dans son meilleur intérêt, mais qu'il y a un membre de la famille... c'est rare, je ne pense pas qu'il y aurait l'ensemble de la famille contre, là, mais il pourrait y avoir un membre de la famille qui est avocat, là, puis qui refuserait, bien, en tout cas, je pense qu'on se battrait pour le faire changer d'idée, donc, pour respecter la volonté du patient, là.

• (14 h 10) •

Mme Hivon : O.K. Donc, c'est une question, évidemment, de pratique professionnelle puis de confort professionnel, je le conçois. Les gens vont venir nous dire, eux : Bien, c'est mon autonomie. Nous, il faut comme jongler avec tous ces principes-là, évidemment.

Puis je voulais juste vous soumettre une hypothèse. C'est parce que beaucoup se projettent puis disent... Moi, par exemple, je dirais dans ma demande anticipée : Si je ne peux plus reconnaître personne, si je ne suis plus capable de m'alimenter et de m'occuper de mes propres soins, de manière anticipée, pour moi, c'est une souffrance atroce. Mais, évidemment, il y a tout le débat de savoir, une fois rendue là, est-ce que la personne souffrirait autant de ça ou non, mais je ne vous amène pas tout de suite là-dessus. Mais, si, dans la demande anticipée, en fait, on parlait, un peu comme vous le dites, là, des circonstances où la souffrance, elle est vraiment énorme et reconnaissable par les cris, de l'agitation, tout ça, est-ce que, pour vous, ce serait quelque chose, dans la pratique, de plus gérable, c'est-à-dire de ne pas avoir un énoncé de conditions que la personne projette, mais plus une appréciation objective de s'il y a souffrance ou non de la personne?

M. Arcand (Marcel) : Oui, oui, c'est sûr que ce serait plus facile à gérer, il y aurait comme une évidence assez claire de souffrance intolérable, là, en plus de tous les autres critères, déclin avancé, bon, etc. Donc, oui, ce serait nettement plus gérable. Maintenant, on sait que...

Mme Hivon : O.K.

M. Arcand (Marcel) : J'ai parlé aussi de l'expérience hollandaise, là, les médecins, là, qui... pour qui... qui en reçoivent, des directives d'euthanasie, mais qui ne sont pas à l'aise de le faire parce qu'il faudrait comme réactiver le consentement d'une façon ou d'une autre, puis le patient, il est devenu complètement inapte. Et c'est pour ça qu'il ne s'en fait pas tellement, d'aide médicale à mourir pour les patients d'Alzheimer aux Pays-Bas. Ça va se faire pour ceux en démence pas trop avancée, qui comprennent encore ce qu'on leur fait au moment où on le fait, mais je pense que des médecins... je pense, ça serait...

Mme Hivon : ...

M. Arcand (Marcel) : Pardon?

Mme Hivon : Allez-y, continuez, Dr Arcand.

M. Arcand (Marcel) : Non, mais je veux juste dire que moi, je peux comprendre les collègues qui ne seraient pas à l'aise de recevoir une telle directive, si ce n'est pas clair pour eux que c'est dans le meilleur intérêt du patient au moment où ils seraient supposés le faire.

Mme Hivon : De toute façon, l'objection de conscience demeurerait toujours, j'imagine...

M. Arcand (Marcel) : Oui, oui.

Mme Hivon : ...l'idée de l'intérêt supérieur. Juste en terminant, s'il me reste un peu de temps, tantôt, vous avez dit : Il s'en fait, des aides médicales à mourir, on en discutait avec Dr Naud ce matin, vu que le critère de fin de vie a sauté pour des personnes, par exemple, qui ont la maladie d'Alzheimer mais qui ont encore leur aptitude puisque c'est possible, mais, au Québec, ça ne serait pas non plus impossible. C'est parce que, tantôt, vous avez parlé d'Alberta puis de Colombie-Britannique, puis j'étais curieuse pourquoi vous excluiez le Québec. Il n'y a rien, a priori, qui ne l'exclut puisque la fin de vie n'est plus là.

M. Arcand (Marcel) : Bien oui, je suis d'accord, mais il faudrait juste qu'on ne se sente pas persécuté si on le fait. Parce qu'à ma connaissance, à date, il y en a peut-être eu, des cas, mais je n'en ai pas entendu parler. Puis je suis sur une communauté de pratique, une liste où on échange des cas, puis personne... tellement de cas de maladie d'Alzheimer. C'est comme si quelque part, au Québec, on avait décidé que ça ne se faisait pas, à moins qu'on nous dise que ça peut se faire.

Mais donc peut-être que la commission des soins de fin de vie aurait un rôle à jouer pour nous donner l'absolution, si on suit les critères de C-7, là, du... de... C-7, du fédéral, puis qui... dont les médecins des autres provinces se servent pour en faire, des cas comme ça. Mais moi, je serais à l'aise de le faire pour ces personnes-là, mais, c'est ça, je ne suis pas sûr que je veux être le premier, premier, mais, en tout cas, s'il le faut, je le serai.

Mme Hivon : O.K. Parce que je ne vois pas ce qui l'empêcherait, compte tenu qu'au Québec aussi le critère de fin de vie n'est plus là.

Puis, s'il me reste un petit peu de temps, je reviendrais à ma question précédente, là, vraiment sur la question de la souffrance. Donc là, on... évidemment, vous m'avez dit : Oui, on pourrait être plus confortable si, dans le fond, dans la demande anticipée, on nous indiquait seulement : Si je suis dans un état de souffrance intolérable et constante, je voudrais qu'on donne ouverture à ma demande. Mais, si, par ailleurs, quelqu'un parlait plus de souffrance qui serait liée à sa perte d'autonomie, donc, de réalité objective, vous, rendu au moment où la personne vivrait cette situation-là, entre la douleur qui était anticipée, la souffrance anticipée puis la réelle ou peut-être qu'évidemment elle est plus consciente de ça, comment vous aborderiez cette espèce de dilemme entre l'espèce de souffrance anticipée, mais qui ne peut potentiellement pas être présente du tout, évidemment, quand la personne a perdu son aptitude?

M. Arcand (Marcel) : Bien, je sais que la souffrance, pour moi, ce n'est pas juste la douleur, là, comme des... En fait, la plupart des cas pour lesquels on accepte l'aide médicale à mourir, il y a d'autres types de souffrance que la douleur puis... parce que les gens sont en soins palliatifs, qui sont bons, en général, pour traiter la douleur, mais, bon, l'essoufflement, d'autres symptômes physiques qui jouent, mais il y a la souffrance psychologique qui peut être très importante puis la souffrance existentielle. C'est sûr, si on est dans une maladie d'Alzheimer avancée, la souffrance existentielle, peut-être qu'elle n'est pas là, mais il peut y avoir une souffrance psychologique, moi, je suis certain. Juste la façon dont les patients réagissent, à vouloir... à cogner dans les portes, puis à vouloir se sauver, puis... des unités, puis à se battre contre l'infirmier et l'infirmière qui vient les aider à leur hygiène ou tout ça. Donc, oui, moi, je tiendrais compte de cette souffrance-là, c'est certain. Je ne sais pas si je me suis perdu en tentant de répondre à l'autre question, mais vous me le direz si je n'ai pas bien répondu.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Hivon : Je pense que Mme la présidente va nous couper...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée.

Mme Hivon : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais maintenant la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Arcand.

M. Arcand (Marcel) : Bonjour.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : C'est très intéressant de vous entendre, d'entendre aussi votre expérience. Puis je reviens un petit peu avec les patients, avec les gens qui n'ont pas le temps de remplir leur demande puis qui deviennent inaptes, là, par la suite. C'est là que la... comme on dit, la ligne est mince, puis la décision... les décisions sont difficiles à prendre. Puis, tu sais, la responsabilité aussi... je reviens un peu sur la responsabilité qui incombe au mandataire, tu sais, qui doit statuer lors du moment venu. Cette responsabilité-là, j'aimerais ça savoir un peu ce que vous en pensez.

M. Arcand (Marcel) : Bien, moi, je suis partisan de la décision partagée, c'est-à-dire qu'il faut que ça soit l'équipe de soins... et ne pas laisser ce fardeau-là au mandataire tout seul. Je connais des gens qui ont souffert énormément du fait qu'on leur a dit : Veux-tu qu'on arrête le traitement? Tu sais, décide, plutôt que d'être... de devenir un partenaire dans la décision, là, que le médecin soit partenaire dans la décision, de dire : Écoutez, à ce stade-ci de sa maladie, et tout ça, oui, je pense que c'est le meilleur intérêt pour lui. Je pense que les mandataires seraient pas mal contents d'être appuyés dans ces décisions-là qui peuvent être, de fait, très traumatisantes, là.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. La... autrement dit, la responsabilité, ça serait la responsabilité du médecin et des... et du proche en même temps ou...

M. Arcand (Marcel) : Bien, tu sais, aux soins intensifs quand on décide d'enlever... d'arrêter les respirateurs, là, tout ça, c'est-tu... est-ce que c'est la fille du patient qui décide? Moi, je pense que c'est le médecin puis que... Mais il y a aussi une décision partagée, parce qu'il l'a expliqué à la famille, puis ils ont décidé de ne pas poursuivre en cour pour stopper ça, là. Mais je pense que le médecin doit assumer son rôle à ce moment-là, oui.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Ça se retrouve plus facilement aussi avec les personnes qui sont seules, ceux qui n'ont pas d'entourage.

M. Arcand (Marcel) : Oui, oui.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Là, la responsabilité, elle est...

M. Arcand (Marcel) : ...elle est encore plus à l'équipe de soins, bien oui.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Puis vous mentionnez aussi que vous étiez favorable à inclure le personnel soignant, entre autres les infirmiers, infirmières, dans le processus d'évaluation et administratif aussi.

M. Arcand (Marcel) : Pour administrer l'aide médicale à mourir, vous voulez dire, ou... Bien, moi, c'était les inclure dans la discussion. Parce qu'au départ il y a une question, c'est : Quel est le meilleur intérêt de cette personne-ci à ce moment-ci de sa vie? Bien, le personnel infirmier qui le côtoie chaque jour a probablement beaucoup de choses à dire, autant que le fils qui vient le voir une fois par semaine ou... bon, peut-être pas autant, mais, en tout cas, il peut contribuer à la discussion. C'est ça.

Au niveau administratif, je ne le sais pas. Si vous parlez, comme au Canada, qu'il y a des infirmières spécialisées, je crois, à qui on donne le droit de faire l'aide médicale à mourir, a priori, je n'ai pas nécessairement d'objection si tous les critères sont respectés, parce que, techniquement, une infirmière pourrait le faire autant que moi, là, c'est juste pousser la seringue au bon moment, mais c'est tout. C'est de gérer tout le reste, là, qui est exigeant, là.

• (14 h 20) •

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. J'aurais une dernière question puis je vais laisser la parole à mes collègues. Puis là je vais aller sur le fameux formulaire. On a eu des groupes cet avant-midi... discuté. Qu'est-ce que vous en pensez, le fameux formulaire à remplir pour...

M. Arcand (Marcel) : ...le renoncement, là, ou renonciation, je ne sais plus quel est le bon mot, là. Moi, je pense que, toutes les fois que quelqu'un fait une demande que je juge acceptable puis qu'on s'entend sur un moment pour faire l'aide médicale à mourir, qui peut être plus ou moins rapproché, je leur ferais signer un tel formulaire, s'ils sont d'accord, pour qu'ils se sentent libres de prendre la médication contre la douleur, même si elle leur cause un peu de somnolence, ou tout ça, ou encore qu'ils sachent que, même s'il arrive une petite catastrophe comme la madame, j'ai raconté, qui a fait son accident vasculaire, là, quelques heures avant l'aide médicale à mourir, bien, qu'ils sentent qu'ils vont l'avoir, le soin, tel qu'ils l'espéraient.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. C'est tout pour moi.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole à Mme Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Dr Arcand, bonjour.

M. Arcand (Marcel) : Bonjour.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Est-il risqué, à votre avis, de ne pas cibler de manière précise les troubles neurocognitifs qui pourraient être admissibles à une demande d'aide médicale à mourir? Et cela pourrait-il ouvrir la porte à un trop grand recours à l'aide médicale à mourir? Comment on peut doser tout ça?

M. Arcand (Marcel) : Vous voulez dire que, si on l'ouvre pour les gens qui ont des troubles neurocognitifs, on va l'ouvrir encore plus? Écoutez, les dangers sont là, je ne les nie pas, puis il faut prendre les mesures pour protéger les personnes inaptes. Mais les priver d'aide médicale à mourir, si c'est ce qui apparaît être dans leur meilleur intérêt, je pense que ce n'est pas la bonne solution, ça fait qu'il faut avoir d'autres balises. Donc, une des balises, c'est que tu ne décides pas tout seul, il faut que... il faut au moins deux médecins. Puis, dans ces cas-là, je dirais, en plus, les psychiatres puis, en plus, possiblement, bien, un consentement familial. Donc, plus de balises pour protéger les inaptes, mais quand même que ces gens-là puissent recevoir ce soin-là.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : J'aimerais que vous élaboriez sur les dangers, Dr Arcand. Est-ce possible?

M. Arcand (Marcel) : Ah! les dangers sont là, certain. Il pourrait y avoir des pressions de la part de membres de la famille pour qu'on procède rapidement, puis le motif étant financier ou juste de l'épuisement, je ne sais pas trop, là. Oui, oui, je pense que ça... Bien, même quand on fait du soin palliatif, là, puis que les gens approchent de la fin, mais que ça dure, ça dure, des fois, les familles viennent nous voir, disent : Vous ne pourriez pas aller un peu plus vite, là? Ça fait que je pense que, oui, oui, il y en a, des dangers, c'est sûr. C'est pour ça que, moi, les balises que je vois, c'est qu'il n'y ait pas juste une personne qui décide puis que... Puis les périodes de réflexion avant aussi, c'est utile, peut-être pas 90 jours dans ces cas-là, mais au moins une dizaine de jours, je pense que c'est bon que tout le monde ait la chance de s'exprimer puis...

Mais le principal danger, je pense, c'est surtout les pressions qui viennent de gens qui n'ont pas nécessairement le meilleur intérêt du patient à coeur. Puis l'autre danger, c'est sûr que, si on le fait par consentement substitué pour des gens qui ne l'ont pas demandé expressément, mais qu'on juge qu'ils sont tellement souffrants, puis c'est la seule façon de les soulager, peut-être qu'on pourrait dire que le danger, c'est d'aller trop loin, là, d'aller même à l'encontre de la volonté des patients. Mais ça, je mettrais un petit bémol là-dessus.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Ma dernière question, Dr Arcand, c'est : Lorsque vous avez un patient qui est quadraplégique, dans la trentaine, gavage, qui demande à en finir, à mourir, qui devient un fardeau pour sa famille, que répondez-vous, et quelles sont les procédures à faire?

M. Arcand (Marcel) : Bien, actuellement, avec la disparition de... le critère fin de vie au Québec, là, par contre on a encore maladie grave et incurable. Mais, moi, d'après moi, ça peut rentrer là-dedans, là, parce qu'il y a des complications. Ces gens-là, on sait qu'ils vivent moins longtemps que la moyenne, ils ont des complications d'être immobiles, bien souvent, donc ils se font des fractures de fragilité, ils ont des calculs urinaires, des infections respiratoires, bon, etc. La seule chose, c'est qu'il ne faut pas le faire trop vite après l'accident pour donner une chance à la réadaptation puis à la réinsertion sociale.

J'en ai fait un, cas de personne quadriplégique que j'ai justifié, dans le temps, sur le syndrome d'immobilisation, le fait qu'il avait toutes les complications, il était rendu à 50 kilos, je pense, qu'il pesait, il ne pouvait même plus se lever dans son fauteuil roulant motorisé, etc. Et puis le Collège des médecins a accepté ma proposition, si on veut, quand ils ont révisé mon dossier. Mais cette personne-là avait quand même réussi à travailler, il s'était marié, etc. C'est juste qu'à un moment donné les malheurs physiques sont arrivés, qui ont eu un gros effet psychologique, puis il n'aimait pas du tout ce qui s'en venait devant lui, puis je le comprends.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Bien, merci beaucoup, Dr Arcand, c'est très apprécié.

M. Arcand (Marcel) : Ça fait plaisir.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Donc, je céderais la parole maintenant à Mme la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Arcand. Je pense que vous mettez... c'est très pertinent, ce que vous nous dites, et vous mettez énormément de lumière et d'histoires. On peut presque imaginer les personnes que... vous nous racontez leurs histoires, et ça vient beaucoup teinter, en tout cas, nos réflexions.

Moi, j'ai entendu dans... d'autres intervenants précédents, qu'il y avait une certaine... il n'y avait pas consensus sur les mesures contraignantes. On parle... puis je reviens encore, je sais que je suis intervenue souvent, mais, disons, quelqu'un qui a l'alzheimer, qui est quand même dans une situation qui est... il y a une perte d'aptitude, mais qui a quand même... qui est quand même serein. Puis il y en a qui ont dit que c'était les... quand ça avait été rempli précédemment, quand la personne était apte, que ça l'amenait plus exécutoire et contraignant. Donc, quand il arrivait à tel stade, même si on ne voit pas de souffrance, rien, on pouvait procéder quand même. Puis il y en a d'autres que non, s'il n'y a pas apparence de souffrance, et tout, ça fait que...

Je vous vois, vous aussi, vous avez autant d'un côté que de l'autre. Alors, c'est une situation qui est difficile à... J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Arcand (Marcel) : Oui, peut-être une chose que je n'ai pas mentionné, mais, bon, je ne sais pas si on peut faire du chemin là-dessus, mais c'est sûr que les médecins, leur crainte, c'est de donner la mort à quelqu'un qui ne réactive pas la demande, etc., surtout qu'ils ne le connaissent... S'ils le connaissent depuis longtemps, ça peut être différent. Si le patient avait fait un vidéo qui dit exactement : Je ne veux pas me retrouver dans la situation... dans telle, telle, telle situation, puis ce vidéo-là, on le voit au moment... à ce moment-là puis on dit : Oui, c'est vrai, c'est vraiment ça qu'il voulait, donc, quelque part, la demande est comme réactivée par le patient. Peut-être que j'exagère, puis c'est un peu une fantaisie, mais je sais qu'aux États-Unis il y a des endroits où on propose aux gens de faire ce genre de vidéo là, ils se promènent avec leur petite clé USB sur laquelle ils ont... ils expriment leur volonté de fin de vie.

Mais, sinon, si je me fie à l'expérience hollandaise, qui est quand même... où l'aide médicale à mourir est très présente depuis une vingtaine d'années, il reste qu'il y a peu de cas de demandes anticipées d'aide à mourir qui trouvent des médecins pour le faire. Ça fait que, je pense, ça, ça resterait un problème. Je ne sais pas si je... Est-ce que j'ai répondu?

• (14 h 30) •

Mme Hébert : Oui. Puis, quand.... C'est sûr et certain que j'ai beaucoup de collègues qui en ont parlé, par rapport au consentement substitué. Moi, j'ai une question, là, puis j'aimerais vous entendre là-dessus. Peut-être que vous l'avez dit aussi, j'ai dû m'absenter une petite minute tantôt. Le diagnostic est nécessaire pour...

M. Arcand (Marcel) : Oui, oui, oui.

Mme Hébert : ...pour faire une demande. On ne pourrait pas l'inclure dans un mandat d'inaptitude, la prévision qu'un jour, si j'ai un accident cérébrovasculaire ou si j'ai un accident de voiture, je suis quadraplégique, je veux l'aide médicale à mourir. Vous voulez... il y a vraiment comme un diagnostic qui doit être, au préalable, d'une maladie grave, incurable.

M. Arcand (Marcel) : Bien, moi, je pense qu'on pourrait le faire quand même, c'est juste que, si c'est contraignant, ça prend un diagnostic. C'est ce que la plupart des gens font actuellement dans des directives à l'avance, ils disent : Je ne voudrais pas être prolongé si je n'ai plus ma capacité de consentir ou, bon, etc., mais... Puis il n'y a pas de diagnostic au départ. Ils le font, on en tient compte, mais on n'est pas contraint d'appliquer ça parce que, de toute façon, ce n'est pas clair à quel moment... en tout cas, ce n'est pas toujours très clair. Mais c'est sûr que, si vous voulez mettre ça contraignant, que ça puisse se faire, bien, à ce moment-là, ça prend un diagnostic, c'est sûr. C'est toujours mieux, les directives anticipées à partir d'un diagnostic.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Arcand (Marcel) : Donc, la personne qui a une maladie pulmonaire obstructive, qui dit : Bien, moi, comme j'ai une maladie pulmonaire obstructive, je ne veux plus aller aux soins intensifs, je ne veux plus être intubée, tout ça, ça fait bien plus de sens que quelqu'un qui n'a pas encore de diagnostic, O.K.?

Mme Hébert : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci beaucoup, Mme la députée. Merci beaucoup, Dr Arcand. C'est très instructif, ça va nous aider dans la suite de nos travaux.

M. Arcand (Marcel) : En tout cas, je peux vous dire que j'ai trouvé que vous aviez des bonnes questions.

La Présidente (Mme Guillemette) : Et merci d'y avoir répondu si précisément.

M. Arcand (Marcel) : Félicitations!

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, la commission suspend ses travaux quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités. Merci encore, Dr Arcand.

M. Arcand (Marcel) : Merci. À une prochaine, peut-être.

(Suspension de la séance à 14 h 33)

(Reprise à 14 h 40)

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, nous sommes de retour. Nous accueillons maintenant Me Jean-Pierre Ménard. Donc, merci d'être avec nous cet après-midi, Me Ménard. Vous disposez de 20 minutes pour votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange, avec les membres de la commission, d'une période de 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.

M. Jean-Pierre Ménard

M. Ménard (Jean-Pierre) : Merci, Mme la Présidente. Alors, je vais d'abord me présenter. Je suis Jean-Pierre Ménard, je suis avocat depuis 41 ans. Ça fait depuis à peu près... depuis 2009 que je participe aux activités de la commission, d'abord par le Barreau puis, par la suite, j'ai continué après dans différents rôles. En 2013, j'ai présidé le comité de juristes experts du ministère. Par la suite, la loi a été adoptée. La loi fédérale a été adoptée après coup.

En 2017, j'ai été appelé à représenter M. Truchon et Mme Gladu dans un litige contre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Alors, de 2017, donc, à 2019, ça m'a... ça a pris une bonne partie de mon temps aussi, alors, jusqu'au jugement Truchon en septembre 2019 aussi.

J'ai participé à toutes sortes de comités de travail, fédéral, provincial, les derniers en date étant ceux de l'hiver 2020‑2021 au fédéral. Alors, j'ai comparu trois fois devant le comité du Sénat et des Communes sur le projet de loi C-7.

Bon, ceci étant dit, on va commencer maintenant la présentation. Ce que je compte faire, c'est que je vais partir de la décision du jugement Truchon, la décision de la juge Baudouin pour... comme point de départ, et on va voir après ça qu'est-ce que ça a changé en cours de route aussi.

Alors, si je... on revient au jugement Truchon. Alors, là-dessus, il y a un certain nombre de constats qui ont été faits par la juge Baudouin dans son jugement. D'abord, ce que la juge Baudouin nous propose comme cheminement, c'est d'abord que chacun de ces cas-là nécessite une évaluation individuelle. Alors, peu importe d'où viennent... peu importe d'où les gens viennent, donc, dans ce cas-là, la juge Baudouin a déterminé qu'en matière d'accès à l'aide médicale à mourir une évaluation individuelle de la condition de la personne qui en fait la demande doit être faite, et ce, peu importe d'où vient la demande.

Dans ce cas-ci, il faut se rappeler que la demande émanait de deux citoyens, par ailleurs relativement démunis, chacun était handicapé aussi, avait vécu des épisodes de troubles mentaux. Par contre, la condition des requérants, au moment où la requête a été présentée, ne laissait pas de doute sur leur aptitude, et les deux respectaient par ailleurs tous les critères de fin de vie aussi.

Alors, selon la juge Baudouin, ce n'est pas la qualité des demandeurs dans leur qualité de personnes handicapées qui était la question importante, c'est de savoir si ces personnes-là étaient souffrantes et aptes à consentir, le reste étant plutôt secondaire. Alors donc, la juge a réalisé la situation et conclu que les deux étaient... rencontraient ces conditions-là.

La juge, donc, a pris bien soin aussi d'examiner une preuve d'experts très développée sur la notion de vulnérabilité de différents groupes de personnes, dont les personnes handicapées et celles qui présentent des problèmes de santé mentale. Elle en a conclu que chaque personne de ces différents groupes ne présente pas nécessairement cette vulnérabilité-là. Alors, autrement dit, ça reste une situation individuelle.

Bon, donc, dans la même veine, la juge a conclu que la prohibition absolue d'accès pour tout un groupe était inconstitutionnelle, c'était vraiment chaque personne, après évaluation, qu'on pouvait décider si elle était... si elle rencontrait ou non les conditions. Donc, on n'a écarté aucune des catégories de personnes initialement, chacun des cas était... devait être évalué individuellement aussi... du jugement. Quand le jugement a été sorti, il n'y a pas eu d'appel ni du fédéral ni du provincial. Le jugement, donc, de la Cour supérieure est demeuré intégral comme tel. Alors, ça, donc, c'était l'élément, là, important du jugement Truchon.

Alors, maintenant, par la suite, le fédéral a donné suite à ça. Alors, c'est par le projet de loi, donc, C-7, qui a été adopté le 17 mars 2021, donc, il y a à peine quelques semaines, que la juge a établi les paramètres de ce que ça... qu'il devait être.

Bon, élément bien important, parce que tout le monde a souligné un peu un aspect ou l'autre des lois, là, moi, je porte attention plus aux effets purement légaux, si on veut, de cette loi-là. Alors, qu'est-ce qui est important là-dedans? Alors, évidemment, la loi a proposé plusieurs améliorations à la loi actuelle. Entre autres, on a fait sauter le délai de 10 jours entre les deux consentements, on a prévu le consentement... la renonciation au consentement final dans la loi, etc., là. Alors, il y a plusieurs améliorations comme ça qui ont été apportées. Par contre, il y en a d'autres qui ne sont pas du tout des améliorations par rapport à ce qui existait déjà : le délai de 90 jours, entre autres, l'attente, là, pour les gens dont la mort n'est pas prévisible, etc., ce n'est pas le but de mon propos aujourd'hui

Par contre, il y a un petit article de rien, une ligne dans la loi qui a... qui détermine absolument... en tout cas, qui détermine de façon notable ce que le Québec va pouvoir faire ou ne pas faire avec cette loi-là. Alors, c'est l'article... ici, là, 241.2(2.1), qui dit que la maladie mentale... que les gens souffrant uniquement de maladie mentale ne sont pas admissibles à la loi. Alors, autrement dit, pour être encore plus précis, on dit que la maladie mentale est exclue des conditions de santé pouvant donner accès à l'aide médicale à mourir lorsqu'il s'agit de la seule condition médicale invoquée, et ce, peu importe que toutes les conditions d'accès à l'aide médicale soient rencontrées. Alors, autrement dit, même si les gens rencontrent toutes les conditions de l'aide médicale, si la raison médicale est uniquement la maladie mentale, ces gens-là sont maintenant exclus, ce qu'ils n'étaient pas avant le 17 mars 2021.

Alors donc, depuis le 17 mars 2021, il n'est plus possible pour une personne qui a une maladie mentale seulement de revendiquer l'aide médicale à mourir. Alors, ça, c'est un changement qui est majeur.

La Présidente (Mme Guillemette) : M. Ménard, pouvez-vous ajuster votre micro un petit peu? On vous entend moins bien.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Là, est-ce que c'est mieux?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, parfait. Merci.

• (14 h 50) •

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bon, alors, je vais répéter ce que je viens de dire. Alors, on a décidé, donc, que l'aide médicale à mourir, lorsque la personne qui le demande a uniquement un problème de santé mentale, n'était pas recevable, même si cette personne rencontre par ailleurs toutes les autres conditions de la loi. Alors, autrement dit, on les exclut. Il y en a qui ont dit : Oui, mais ça, c'est valide juste pour deux ans. Ce n'est pas vrai. La loi ne mentionne pas de délai ou de conditions comme ça. Alors donc, jusqu'à nouvel ordre et pour l'avenir, cette exclusion-là prévaut aussi.

Alors, c'est donc une exclusion qui est importante, c'est dans la loi fédérale, mais il faut penser que la loi provinciale est assujettie à la loi fédérale aussi. La règle de prépondérance fédérale fait en sorte que ça va s'appliquer aussi à la province de Québec. Alors, il reste, finalement, assez peu de choses à légiférer pour la province tenant compte de ces éléments-là.

Dans la nouvelle loi, le législateur dit que c'est important de faire un équilibre entre l'autonomie de la personne, la protection des personnes vulnérables, la protection contre... en matière de santé. Je vous suggère que ce qui a été fait comme tentative de conciliation, ça ne traduit pas ça... ça traduit carrément un... de protection des personnes vulnérables, mais pas juste les personnes vulnérables, toutes les personnes qui sont dans la même condition que... toutes les personnes qui ont un problème de maladie mentale uniquement, que ces gens-là soient aptes ou inaptes. Alors, ils sont les deux exclus de l'accès à l'aide médicale à mourir.

Alors donc, la priorité qu'on voulait donner aux personnes vulnérables, bien, on a ratissé beaucoup trop large pour assurer la protection des personnes. Alors, ça expose la loi à être attaquée de façon assez rapide, j'ai l'impression, sur ce plan-là, parce qu'effectivement la loi protège les personnes qui n'ont pas besoin d'être protégées, et l'enveloppe de protection qui est accordée aux personnes est trop large.

En plus de ça, bien, évidemment, cette loi-là, tenant compte de cette clause-là, sur la santé mentale, va avoir pour effet de stigmatiser, si on veut, les personnes qui sont atteintes de santé mentale parce que, d'abord, on va avoir à faire un tri parmi les gens qui font... qui demandent l'accès à l'aide médicale à mourir. Et, du moment qu'une personne va avoir des problèmes de santé mentale, on va l'exclure sans même l'évaluer ou sans même déterminer si, oui ou non, elle pouvait être apte ou non à consentir. Alors, ça, ça va générer, donc, un phénomène de stigmatisation importante aussi.

Donc, ce problème de stigmatisation là, ça va également générer un problème de discrimination parce qu'on va carrément exclure du chemin de l'aide médicale à mourir les gens qui ont une maladie mentale uniquement plutôt que de les traiter au cas par cas individuellement. Moi, je soutiens que cet... l'état de la jurisprudence, là, je vais parler de la Cour suprême, je vais parler de la Cour supérieure dans... la Cour suprême dans Carter et la Cour supérieure dans Truchon, qui sont exactement au même effet, qui considèrent que, pour avoir droit à l'aide médicale à mourir, c'est la preuve des souffrances intolérables d'un adulte capable... est la condition pour avoir accès à l'aide médicale à mourir, et rien d'autre.

Alors là, avec la nouvelle loi, la nouvelle loi fédérale, c'est beaucoup plus large que ça. Les gens qui ont... qui sont privés de l'accès à l'aide médicale à mourir, c'est un cas de discrimination bien clair par rapport à leur droit à l'égalité, parce que ces gens-là vont être moins égaux que d'autres, si on veut, en n'ayant pas accès à l'aide médicale à mourir du seul fait du diagnostic, alors que toutes les études qui ont été faites là-dessus, aller jusqu'aux plus récentes, là, elles disent toutes que, dans tous les cas, il faut évaluer les personnes, il ne faut pas se fier au diagnostic, il faut vraiment prendre le cas comme un tout aussi.

Important aussi, on infère un peu de cette disposition-là que les gens sont inaptes. Il faut se rappeler que la maladie mentale n'égale pas inaptitude. On peut avoir une maladie mentale sans être inapte. Alors, ce n'est pas... il n'y a pas d'automatisme là-dessus, et, avec la loi telle qu'elle est rédigée, on en fait un automatisme aussi.

En fin de compte, la vulnérabilité, donc, des personnes, est-ce que c'est une question qui peut être évaluée par les médecins éventuellement puis qu'on doive se faire une idée globale par rapport à la condition du patient et non pas juste se fier sur le diagnostic?

Je vais accélérer un peu parce que c'est... mon temps fuit, lui aussi. Alors, si je regarde mes notes, tout ça... ça avec la loi québécoise. Alors, la loi québécoise, évidemment, là, on ne connaît pas encore la réponse exacte. La première réponse du gouvernement du Québec a été, quand le jugement Truchon est sorti : Parfait, on va se conformer au jugement, on suspend... on arrête d'appliquer la règle de la fin de vie. Ça a duré juste quelques jours parce qu'après ça, avec les pressions des milieux médicaux particulièrement, on a... on est revenu en arrière, et Québec a instauré un genre de moratoire. On ne l'a pas fait dans la loi, O.K., mais on l'a fait légalement en disant au Collège des médecins : Retenez les médecins, pour le moment, on ne fait pas de... on n'accorde pas l'aide médicale quand c'est juste la question de... quand il y a juste une question de santé mentale qui est en cause. Alors, on a donc... on a fait marche arrière. Puis là je pense que le comité est ici... ici aujourd'hui vise un peu à répondre à cette interrogation-là.

Remarquez que, dans le cas du Québec, à matin, j'écoutais le médecin... il a parlé de l'implication de... il a parlé des gestes de Québec depuis 2014. Alors, depuis 2014, la loi n'a eu aucun amendement, n'a pas été amendée une seule fois et ne le sera pas encore avant un an ou deux ans, tenant compte de ces vérités-là, alors que les distinctions entre les lois provinciales et fédérales vont en s'accroissant. Le projet de loi C-7 a accru considérablement l'écart, si on veut, entre la loi provinciale et la loi fédérale. Alors, ça va poser des problèmes bien... bien concrets. Est-ce que Québec va simplement plier bagage et s'en remettre aux dispositions de la loi fédérale? Ça reste à voir. Mais actuellement c'est une situation qui est un peu confuse, si on veut, aussi. C'est ça.

Alors donc, en termes de conclusion, parce que je pense que mon temps est presque expiré, alors donc, la loi provinciale... pardon, l'état actuel de la loi, fédérale et provinciale, laisse peu de place à l'initiative de Québec, parce qu'il y a la prépondérance de la loi fédérale qui s'applique. Le législateur québécois va avoir à faire des choix en termes de stratégie. S'il l'estime souhaitable, il pourra soit mettre sa loi en concordance avec la loi fédérale ou s'adresser aux tribunaux, peut-être, le cas échéant, pour tester sa loi, pour savoir si sa loi va... rencontre les tests. C'est ça.

Alors donc, dans le cas des demandes anticipées, le problème va se poser aussi parce qu'encore là ça va... on va... donner effet à des décisions qui sont prises alors que la personne est inapte. Alors, il est probable qu'on va, encore là, donner plus d'espace à la loi québécoise.

Alors, écoutez, donc, c'est dit rapidement. Alors, s'il y avait des questions...

• (15 heures) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Me Ménard. Donc, on va procéder à la période de questions, en commençant par le député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Me Ménard.

J'ai envie de vous inviter à développer sur le dernier point que vous avez abordé, celui des demandes anticipées. Ça fait partie, ça, vraiment, du mandat qui nous a été donné ici, à la commission, celui de réfléchir à la situation des personnes qui deviennent inaptes au courant de l'évolution de leur maladie, par exemple des maladies neurodégénératives. Quelle est votre position sur cette question-là, considérant que vous insistez beaucoup, dans votre présentation d'aujourd'hui, sur l'importance de l'autonomie des personnes? Comment tranchez-vous ce dilemme dans le cas des personnes qui pourraient consentir un jour mais qui, au fil de leur maladie, deviennent inaptes, et donc ne sont plus en mesure de consentir quelques mois ou quelques années après l'avoir fait initialement? Est-ce que ces personnes-là devraient avoir accès à l'aide médicale à mourir? Si oui... Bien, sinon, pourquoi? Et, si oui, avec quelles balises, quel encadrement, pour s'assurer que l'autonomie de ces personnes-là soit respectée jusqu'à la fin malgré leur inaptitude?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Parfait. O.K. Alors, d'abord, moi, personnellement, je pense que, quand on devient inapte, on perd le droit de modifier ses actes antérieurs. Il y a d'excellents arguments pour les... leur donner un effet après, mais le concept qu'on utilise pour ça, c'est le concept d'ici et maintenant, et non pas ce qui a déjà été. Alors, c'est clair qu'à ce moment-là... pardon, si on a le choix entre un moment x et antérieur à l'inaptitude et le moment actuel, où la personne est inapte, je pense que la loi privilégie le moment où la personne devient inapte. Et, à ce moment-là, elle va nécessairement perdre certains droits, même si ce serait bien le fun d'avoir des conditions qui facilitent la question de... qui facilitent la demande d'aide médicale à mourir. Mais, quand la personne est rendue inapte, on pense, je pense que c'est une perte de temps de chercher à essayer d'amadouer le sort, si on veut, pour donner une chance à la personne. Je pense que, de façon bien, bien nette puis je pense qu'au point de vue légal tous les ouvrages... puis j'ai encore vérifié tout récemment, on réclame tous la nécessité de l'aptitude. C'est vraiment le point déterminant, même en Hollande, même en Belgique. En Hollande, 145 cas, entre autres, sur les 145 cas, on ne sait pas s'il y en avait juste quatre ou cinq qui n'étaient pas parfaitement aptes... être dans une zone grise, mais l'immense majorité était des personnes qui étaient aptes et qu'à ce moment-là, donc, le consentement était valide, même s'ils avaient une maladie mentale. Alors...

M. Nadeau-Dubois : O.K. Mais juste... Je suis désolé. Juste pour être sûr de bien vous comprendre, vous insistez beaucoup sur l'importance que la personne soit apte. Juste pour être sûr de bien saisir votre pensée, là, est-ce que, selon vous, ça doit... cette aptitude-là doit être maintenue jusqu'à la fin, jusqu'au moment du consentement final, là, au moment d'administrer l'aide médicale à mourir? Est-ce que, selon vous, elle devrait être apte à consentir à nouveau à ce moment-là?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Ah non. Là, sous réserve maintenant d'une disposition fédérale, qui prévoit la renonciation au consentement final dans les gens qui ont déjà été évalués, ils ont été jugés aptes, mais qui deviennent inaptes après, hormi ce cas-là, qui est un cas d'exception, le reste des cas de... ce sont des cas qui exigent l'aptitude au moment où on donne l'aide médicale à mourir.

M. Nadeau-Dubois : Et qu'est-ce que vous répondez — parce que c'est intéressant, votre point de vue, il diffère de celui qui nous a été présenté par des intervenants qu'on a eus depuis le début de nos travaux — à l'argument de ces gens-là, qui est de dire : Quand les personnes sont aptes, elles ont toutes leurs capacités de juger quel type de vie elles veulent mener, et on ne peut pas... et on ne devrait pas, c'est ce que ces gens-là disent, leur renier ce droit-là, même si la maladie fait en sorte qu'elles sont... qu'elles deviennent inaptes?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui, ça serait souhaitable qu'on puisse le faire comme si rien n'était, mais on ne peut pas, parce que, là, il arrive un changement important dans leur vie et qui peut... beaucoup d'autres choses, alors donc, là, les gens ne peuvent plus dire s'ils veulent ou s'ils ne veulent pas. Et là ils n'ont pas... Si on suit votre hypothèse, là, on y va sur la preuve de l'aptitude dans le passé sans tenir compte de ce qu'est la personne actuellement.

Alors, moi, je pense qu'on ne s'en sort pas, il faut absolument que ce soit un acte fait par une personne apte. Même si elle perd son aptitude le lendemain, il faut toujours, pour qu'elle le fasse, qu'elle soit apte. Et, même s'il y aurait mille et une bonnes raisons de... peut-être qu'on peut l'accommoder pour ci ou l'accommoder pour ça ou... alors je pense que ça ne tient... ça... malheureusement, ça ne tient pas le fort. On a... Puis, comme je dis, puis là je parle comme juriste, on est dans du noir ou du blanc, on n'est pas dans du gris pâle, puis du gris foncé, puis du peut-être, O.K.? Alors, c'est : Tu es apte ou tu es inapte. C'est une... Je suis d'accord que c'est une abstraction, mais il faut qu'on tranche, les faits nous demandent de trancher : Elle est-tu apte ou elle est inapte, et non pas : Bien, peut-être qu'avec un...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Me Ménard. C'est tout le temps que nous avions avec le député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bonsoir, madame.

Mme Hivon : Merci. Bonjour. Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Ménard. Heureuse de vous revoir.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Moi de même.

Mme Hivon : Donc, écoutez, Me Ménard, je veux poursuivre sur la question, donc, de la possible demande anticipée. Je veux juste, comme juriste, que vous nous fassiez la distinction entre le fait de pouvoir, via les directives médicales anticipées, signifier à l'avance, par exemple, un refus de traitement, un refus de réanimation, un refus d'hydratation artificielle, pourquoi, ça, selon vous, ça peut tenir la route, alors qu'une demande anticipée d'aide médicale à mourir, qui, oui, est un geste actif, donc c'est différent en termes d'intensité, mais, en termes de se projeter dans une situation où on aurait perdu notre inaptitude, peut apparaître identique? Quelle nuance apportez-vous?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bon, d'abord, il n'y a pas beaucoup de nuance entre l'aide médicale à mourir et la personne qui se fait mourir par ce biais-là. Par contre, la personne n'a pas besoin d'être apte pour refuser les traitements, son représentant peut refuser les traitements pour elle, peut consentir n'importe quelle modalité de fin de vie pour elle, alors que... c'est-à-dire, si elle est inapte, alors que la personne inapte elle-même ne peut pas... la personne elle-même ne pourrait pas consentir à ces modalités-là. Alors, ça, c'est une première série de différences.

En doctrine, on retrouve souvent une assimilation large, si on veut, de ces possibilités-là, mais, ultimement, quand le... vu que l'aide à mourir est une décision qui est personnelle, avec la qualité que ça prend pour rendre la décision, je pense, encore là, que c'est un... il faut faire la différence, il faut faire la part des choses entre les deux.

• (15 h 10) •

Mme Hivon : Donc, pour vous, ce qui motive cette prise de position là, c'est parce que le refus de traitement existe déjà de manière substituée?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui.

Mme Hivon : Donc, si vous tombez dans le coma, un proche peut décider, et, même si on introduit l'idée que c'est votre décision à vous qui s'exprime avant, le fait que ça existait déjà dans le Code civil, c'est une nuance importante par rapport à la demande d'aide médicale à mourir, c'est bien ça? Je vous ai bien compris?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui.

Mme Hivon : O.K. Donc, ça m'amène à vous dire, à vous demander... là, je comprends que vous n'êtes pas favorable à ça, mais admettons qu'on allait dans cette voie-là, je présume que ça veut dire que, pour vous, la demande qui provient de la personne est absolument incontournable? Parce que, là, on a eu l'intervenant avant vous, qui, pour la première fois, a amené l'idée d'un consentement substitué pour une personne inapte en situation de demande d'aide médicale à mourir, mais qui pourrait être fait par des proches. Je comprends que vous, à partir de ce principe-là, vous seriez contre cette hypothèse-là?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Concrètement, oui, même si, ultimement, je partage beaucoup, beaucoup de sympathie pour les gens qui la mettent de l'avant, là. Mais, bon, on a, dans la loi, tracé une limite, bon, on peut être d'accord ou pas d'accord avec, on peut trouver qu'elle est exagérée, mais il reste qu'elle est là, O.K.? Alors, on va vivre avec, à moins qu'on ne fasse disparaître ça de la loi. On dit : Dorénavant, bon, bien, dorénavant, pour les cas de... quand la personne aura émis des volontés avant son décès, bon, on devra les respecter, même si la personne n'est plus apte ou même s'il y a conséquence. Mais là ce n'est pas le choix qu'on a fait, O.K.? Alors, on a fait un choix comme société, alors je pense qu'on vit avec ça.

Mme Hivon : O.K. Vous trouvez que c'est toujours le bon choix?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bien non, pas... non, je ne dis pas nécessairement que c'est le... toujours le bon choix, c'est le choix que la société impose.

Mme Hivon : Parfait. Une dernière petite question très pointue, juridique. Tantôt, vous avez dit que, dans la loi fédérale, donc, je pense qu'on a tous vu ça, là, qu'ils ont nommément exclu la maladie mentale. Mais plusieurs estiment qu'avec l'apparition du 2023 pour réviser ça, ça voudrait dire que, dans deux ans, la maladie mentale serait incluse. Je comprends que ce n'est pas votre analyse. Pouvez-vous nous préciser?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui. Mon analyse, d'abord, elle repose sur les dispositions transitoires actuellement en vigueur dans la loi C-7, où on a fait une faute... J'aurais peut-être dû vous l'expliquer, là, mais je vais déposer, de toute façon, un texte élaboré. La faute qu'on a faite, c'est qu'on dit, dans la disposition transitoire, que, jusqu'en 2023... c'est-à-dire la loi va s'appliquer à partir de 2023 pour les années à venir. Bon, ça veut dire que, tout de suite, si on veut suivre ça à la lettre, les gens auraient droit de faire la demande d'aide médicale à mourir, même ceux qui ont une condition unique de maladie mentale, ça serait bon jusqu'en 2023, puis après ça, après 2023, on ne pourrait plus.

Si je suis les dispositions transitoires de la loi, elles ne sont pas reproduites ici, dans le texte de loi, mais elles sont dans le projet de loi tel qu'il a été adopté. Et alors je ne sais pas si c'est une erreur des légistes ou de ceux qui y ont pensé, en tout cas, de toute façon, prenons pour acquis que ça serait... qu'en 2023 on révise tout ça, O.K.? Bon, d'abord, ce n'est pas dans la loi, alors ça ne veut pas dire que ça va être... que ça ne sera pas prévisible, mais ça ne veut pas dire que ça va l'être obligatoirement aussi. Alors, moi, je pense qu'on va être... là, ça va être... d'une promesse électorale. Là, ça apparaît dans le Code criminel, on n'est pas encore sûrs de ce que ça va être en 2023.

Alors, moi, je pense que ça aurait été beaucoup plus simple de mettre la disposition là, sur la question de la maladie mentale, mais de préciser que ça va être révisé en 2023. Là, ça aurait été correct, même si je suis plus ou moins d'accord avec ça, là, que ça aurait été correct. Là, on n'a pas ça, O.K.? Alors, on est tout à fait silencieux là-dessus, on a oublié la disposition transitoire du projet de loi dans sa version finale. Alors, je suis enclin à vous dire : Oui, il faut faire attention, mais il faudrait voir... il faudrait avoir, bon, la version complète, là.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Me Ménard. Merci, Mme la députée. Je passerais maintenant la parole au député de Mégantic.

M. Jacques : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Ménard.

Je voudrais revenir, là, sur ce que le collègue de Gouin a parlé, entre autres de la demande pour un soin de fin de vie, une demande anticipée, entre autres. Bon, on sait que, lorsque la personne est inapte, là, vous dites, là, que, selon la loi, tout ce qui est au niveau juridique, bien, c'est impossible, là, de le faire. On comprend tout ça, tout le monde, tout ça.

Dans le meilleur des mondes, au niveau juridique, est-ce que ce serait de mettre des conditions dans un mandat d'inaptitude qui pourrait être homologué à un certain moment quand les conditions du mandat sont remplies? Est-ce que c'est lorsque la personne reçoit un diagnostic de maladie d'Alzheimer en stade 1, qui... la personne pourrait demander un soin de fin de vie qui serait exécutoire plus tard? Parce que vous dites aussi que ça ne peut pas être subrogé à une autre personne, là, le... la décision finale. Ça fait que, d'un point de vue juridique, là, j'aimerais ça vous entendre par rapport à tout ça, là, de quelle façon que vous que le voyez, qu'est-ce qui serait... qui resterait tout le temps efficace dans un temps donné ou dans l'avis donné.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bon, d'abord, ce qui résoudrait le problème de façon absolue, ça serait qu'on fasse disparaître la mention qui est dans le Code criminel, à savoir que la maladie mentale est... elle n'est pas une maladie au sens de la loi, O.K.? Alors, ça serait la meilleure façon, parce qu'on pourrait laisser, à ce moment-là, le soin aux équipes, aux intervenants sur le terrain, une marge de manoeuvre beaucoup plus grande aussi. Alors, ça, ça serait peut-être... Parce que vouloir modifier le mandat d'inaptitude pour rajouter des clauses là-dessus, on se bute toujours, toujours au même obstacle, à savoir que la loi fédérale l'interdit, et on n'avance pas, là, O.K.? Alors donc, ce qu'il faudrait faire, c'est remonter en amont de la loi fédérale, de faire disparaître ça, de trouver d'autres façons d'accommoder les gens sur le terrain.

M. Jacques : Bien, moi, je veux revenir parce que je parlerais d'alzheimer. On ne parle pas de maladies mentales, on parle de maladies dégénératives. Donc, à ce moment-là, de quelle façon vous verriez l'application? Moi, je décide un jour que, si jamais j'ai l'alzheimer, je ne veux pas vivre cette maladie-là jusqu'à la phase 7 puis je dis qu'à un moment donné je veux arrêter tout ça. Est-ce qu'à la phase 1, quand j'ai encore ma lucidité, je peux déterminer d'y aller, d'avancer puis de prendre un soin de fin de vie à un moment donné ou est-ce que je dois le faire avant?

Là, j'ai un problème, mon ordinateur veut se déconnecter, ça fait trop longtemps qu'il est connecté au réseau, mais je vais écouter la réponse. Excusez-moi.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bon, d'abord, si vous faites une demande d'aide médicale à mourir au stade 1, elle est bonne au moins jusqu'au stade 3 ou 4, tant que vous êtes encore apte à le faire. Autrement dit, on devrait y donner suite, selon votre demande, si vous rencontrez les autres conditions aussi. Par contre, il n'y a pas moyen d'aller au-delà de ça sur la seule foi du consentement de la personne elle-même, puis là, à ce moment-là, ça... n'est plus en état de consentir, il n'y a personne qui peut consentir à sa place, pour elle. Alors, je pense que c'est ça, l'état du droit, actuellement.

M. Jacques : Donc, l'obligation que la maladie soit active, au niveau du droit, c'est ce qui prévaut?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui, dans le sens où la maladie ne va pas faire l'objet d'une rémission ou d'une amélioration, c'est vraiment... alors, ça va tenir.

• (15 h 20) •

M. Jacques : O.K. Donc, il n'y a pas de possibilité de déterminer tout ça avant, au cas que...

M. Ménard (Jean-Pierre) : Ça peut toujours se déterminer, mais le problème, c'est que... exécutoire. Alors, moi, je pense que ça, ça... il n'y aurait pas d'exécution possible de ça.

M. Jacques : Parfait. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Je cède la parole maintenant à la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Ménard.

Alors, la loi concernant les soins de vie mentionne que, pour qu'il obtienne l'aide médicale à mourir, la situation médicale du patient doit se caractériser par un déclin avancé et irréversible de ses capacités. Comment ce critère actuel de la loi peut-il être appliqué dans un contexte de santé mentale? Santé mentale, je ne parle pas de maladie mentale, je parle de santé mentale, problème dû à la pathologie du patient.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bon, alors, c'est... Bon, on peut prendre plusieurs exemples, là, mais prenons le cas du patient, comme la maladie d'Alzheimer, par exemple, un bon exemple, là. Alors, ça va être quand sa situation médicale va être, je dirais, désespérée... pas désespérée, mais assez avancée pour être sûr que... puis, et ça, en conjonction avec les autres symptômes de sa maladie. Je pense que, là, ça... on va percevoir comme, à un moment donné, que, là, le temps est venu. Mais le...

Je ne sais pas si je comprends bien votre question, là. Vous me demandez : Quand est-ce qu'on le sait, que le déclin est assez avancé? C'est-tu ça que vous me demandez?

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui. Est-ce qu'elle est éligible? Quand le déclin est avancé, est-ce qu'elle est éligible aux soins de fin de vie? Mais, entre parenthèses, on parle de santé mentale, santé mentale due à sa pathologie, détresse psychologique, ces choses-là. Est-ce qu'elle est éligible?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui, oui, si on est capable de faire le lien entre tout ça, là, je pense qu'elle serait éligible.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vous remercie beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci, Mme la députée d'Abitibi-Ouest. Je céderais maintenant la parole à Mme la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Ménard.

Il y a certaines personnes qui ont affirmé, dans un mémoire, que la commission des soins de fin de vie n'avait pas la compétence nécessaire pour évaluer les demandes d'aide médicale à mourir étant donné qu'elle était composée... qu'elle n'était pas composée uniquement de médecins. Mais on sait que l'aide médicale à mourir, bien, ça comporte différents volets qui sont moraux, éthiques, juridiques. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus pour... Justement, moi, je pense que ça prend différentes personnes qui doivent encadrer ces demandes-là pour rendre les décisions. Alors, j'aimerais vous entendre sur le volet qui est juridique, qui est important.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bon, moi, ce que je pense, c'est que c'est bien que ce soit évalué par une commission multidisciplinaire, parce qu'il n'y a pas juste la...

La Présidente (Mme Guillemette) On vous entend moins bien.

M. Ménard (Jean-Pierre) : ...

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, merci, ça va.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui, bon, O.K. Alors donc, c'est bien que ce soit évalué par une commission multidisciplinaire, parce que ça apporte un éclairage différent sur tout ça. Puis, comme je citais la juge Baudouin en début d'exposé, elle dit qu'il faut qu'on considère l'ensemble des données qui se rapportent au patient. Alors donc, ce n'est pas une affaire strictement médicale, c'est une affaire qui intéresse... c'est-à-dire qui fait appel, bien, à l'approche multidisciplinaire aussi. Alors, je pense que ça serait... c'est quand même bien que ce soit comme ça.

Mme Hébert : Parfait. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. J'ai le député de Mégantic qui aurait une autre question pour vous, M. Ménard... Me Ménard.

M. Jacques : Bien, merci, Mme la Présidente. De retour, Me Ménard.

Vous avez soulevé, là, le point, durant votre discours, votre intervention, sur le fait que le Québec pourrait s'appuyer sur la loi, la loi fédérale, la C-7, et ne pas légiférer. J'aimerais ça que vous englobiez ça un peu, là, vous nous parliez de ça un petit peu, là.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui. Bon, alors je ne dis pas que c'est ça qu'il faudrait faire, je vous dis que c'est une des options qui existent actuellement. Parce que, là, il commence à y avoir passablement de distinctions entre la loi provinciale et la loi fédérale. Auparavant, avant 2021, il y avait quelques distinctions qui étaient quand même importantes. Là, maintenant, il y en a d'autres qui se sont encore ajoutées par-dessus. Puis il n'y a pas... en tout cas je n'ai pas vu, moi, nulle part dans l'immédiat, là, de volonté de se rapprocher ou de rapprocher les deux lois.

Par contre, ce que j'entrevois, c'est qu'il devrait y avoir un meilleur mariage forcé, si on veut, des lois et... à moins que Québec décide d'attendre deux ans puis modifier sa loi, ce qui est encore dans les cartons aussi. Alors... Parce que, dans... Je le sais, on dit : Bon, on va être proches du terme...

M. Jacques : Parce que c'est mars 2023, l'arrivée, là, de C-7, si on veut. Je pense que c'est quelque chose qui se doit d'être ajusté quand même assez régulièrement, et je ne pense pas qu'il faut attendre deux ans avant de bouger, avant que la loi fédérale rentre en fonction, là, non plus, là.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Moi, je serais d'accord. Je serais d'accord que plus vite on bouge, mieux c'est, mais... Puis là, hier, je ne sais pas si vous avez écouté le Dr Bureau quand il parlait un peu de toute une série de modifications qui s'en vient, qui devraient être faites dans la loi, il les a énoncées, mais ce n'est pas encore dans le ciment, si on veut. Alors là, il y aura une commission qui va occuper le terrain jusqu'au mois de novembre. Alors, on peut penser qu'avant 2022 ce n'est pas prévisible qu'on fasse la refonte de la loi, alors je suis modérément optimiste.

M. Jacques : Bien, je pense que le Québec, là, on a quand même nos particularités puis on a une population qui ne pense pas pareil comme le reste du Canada non plus dans tous les points, là, donc on a nos distinctions à faire, je crois, là.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui. Ça, il faudrait que le Québec l'affirme, O.K.? Alors, autrement dit, qu'on passe une véritable loi de société distincte avec x nombre de différences ici versus le Canada anglais. Alors, si on décide de faire ça, qu'on le fasse, mais là, présentement, je ne perçois pas de volonté claire de...

M. Jacques : Donc, le seul avantage, là, c'était l'arrimage, qui était difficile, là, selon...

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bien, moi, je le perçois comme étant difficile, mais vous pouvez être... penser que ça se fait facilement. Ça, c'est...

M. Jacques : Non, mais je voulais voir, là, c'était où que vous étiez dans tout ça, là. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci, M. le député.

Moi, j'aurais peut-être une question, Me Ménard. Vous avez parlé, tout à l'heure, d'inaptitude puis vous disiez : Quand on n'est plus apte, on perd le droit. Mais, un cas de figure, j'ai quelqu'un qui est apte, qui donne son consentement à l'aide médicale à mourir, quelques semaines, quelques mois plus tard, elle ne... elle devient plus apte, mais là elle ne veut plus l'aide médicale à mourir. Qu'est-ce qui prédomine?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Les volontés qu'elle... les plus récentes, là, alors, elle... donc les dernières volontés qu'elle a émises, qu'elle ne veut plus, alors... Par ailleurs, si elle était apte, on l'évalue et on considère qu'elle est...

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait.

M. Ménard (Jean-Pierre) : ...faire sa volonté. Mais quand qu'elle devient inapte, un mois après, juste avant de... ou peu de temps avant de recevoir la procédure, là, ça va être valide.

La Présidente (Mme Guillemette) : O.K. Parfait. Merci.

Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Westmount—Saint-Louis.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Ménard. Je voulais renchérir un peu sur le même sujet que Mme la présidente en ce qui concerne l'inaptitude. Vous avez mentionné maladie mentale n'égale pas inaptitude, que c'est un phénomène de stigmatisation. Alors, je pense que votre position est claire, mais, quand on ramène la discussion par rapport à la maladie mentale... Et je ne parle pas nécessairement de la maladie dégénérative comme alzheimer. Moi, je parle plus de santé mentale, une personne qui peut-être souffre d'une dépression, par exemple. Avez-vous une position que vous pouvez partager avec nous suite à un éventuel élargissement de la loi pour clarifier les termes en ce qui concerne condition mentale, maladie mentale, trouble mental? Parce que je pense qu'on a besoin d'avoir de la «clarité» en ce qui concerne ce sujet, aptitude, inaptitude.

• (15 h 30) •

M. Ménard (Jean-Pierre) : Oui. D'abord, le terme «maladie mentale», là, c'est dans le Code criminel. Alors, c'était le... Le gouvernement fédéral a choisi à dessein ce qualificatif-là pour qualifier un éventail de toutes sortes de choses, O.K.? C'est sûr que, dans la maladie mentale, il y a toutes sortes de maladies. Il y en a, des maladies dégénératives, puis il y a des maladies qui sont... qui n'empêchent pas le fonctionnement de la personne. Il y a toutes sortes de maladies là-dedans.

On pourrait aisément faire un certain ménage puis trouver des termes plus précis pour qualifier les gens qu'on veut vraiment viser là-dedans. Là, ce n'est pas fait actuellement au niveau la loi fédérale. Alors, on est obligés de vivre avec, puis c'est pour ça que je dois vous dire que, malheureusement, selon la terminologie de la loi, ça semble être un frein à beaucoup, beaucoup de choses. Et alors c'est pour ça que ça... il faudrait y penser davantage.

Mme Maccarone : Penser davantage, mais... comme, par exemple... un peu comme mes collègues, par exemple, une personne qui présente une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l'autisme, est-ce que ces personnes devraient être admissibles à l'aide médicale à mourir? Puis je pense qu'on est mieux d'aborder la question précisément, parce que la question d'aptitude puis inaptitude pour ces personnes, c'est une question qui peut être très large, parce que, malgré un diagnostic... parce que ça prend un diagnostic, on comprend, mais ça se peut que cette personne est apte à prendre des décisions, mais ils ont quand même un diagnostic de maladie mentale.

M. Ménard (Jean-Pierre) : L'aptitude n'a pas vraiment... n'a pas automatiquement à voir avec le diagnostic, O.K.? Autrement dit, une personne peut avoir tel diagnostic, demeurer apte, le même... une autre personne peut avoir le même diagnostic puis elle, elle est inapte, là aussi. Alors donc... Alors, il faut regarder l'ensemble du fonctionnement d'une personne pour se faire une idée plus précise d'à qui on a affaire.

Alors, le diagnostic seul n'est pas suffisant. Il faut regarder voir qu'est-ce que ça comporte comme autres données, si on veut, pour voir si...

Mme Maccarone : ...

M. Ménard (Jean-Pierre) : ...oui.

Mme Maccarone : Comme quoi d'abord? Selon vous, ça serait quoi, les critères d'admissibilité qu'on devrait considérer?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Bien, écoutez, c'est toujours le critère d'aptitude dans le cas de personnes déficientes intellectuelles, du trouble de l'autisme, qu'est-ce que ces gens-là sont capables de faire pour convaincre les gens qui s'en occupent qu'ils sont capables et aptes. S'ils ne sont pas capables, il manque quelque chose. C'est malheureux à dire, mais ils vont être... ils ne seront pas jugés aptes, à ce moment-là, à cette conduite-là. Alors, même si c'est malheureux à dire, je ne pense pas qu'on va pouvoir aller bien, bien loin avec ça. En tout cas. Puis c'est pour ça que je pense... déficience intellectuelle.

Mme Maccarone : Même avec un accompagnement d'un... médical d'un médecin ou une équipe autour, les proches aidants, s'ils disent qu'on comprend cette personne? J'accompagne cette personne depuis des années. Je comprends que c'est une personne qui souffre. Parce que, là, on parle aussi beaucoup de comment définir c'est quoi, la souffrance. Comment est-ce qu'on peut établir qu'on souffre assez pour être éligible, dans le fond, en terme général? Alors, même avec un tel accompagnement, vous, vous pensez qu'ils ne devront pas être éligibles, dans le fond.

M. Ménard (Jean-Pierre) : ...

La Présidente (Mme Guillemette) : Est-ce que Me Ménard est toujours là? Me Ménard, je crois que vous avez perdu la connexion.

Mme Maccarone : En attendant après la réponse, Mme la Présidente, je voulais juste partager avec vous que c'était ma dernière question. Je vais céder la parole à ma collègue la députée de Maurice-Richard.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Si on retrouve Me Ménard...

On va suspendre quelques instants. Il nous reste quand même... Ah! Il nous reste quand même quelques minutes.

Donc, on va suspendre et on va essayer de se reconnecter avec Me Ménard.

(Suspension de la séance à 15 h 36)

(Reprise à 15 h 39)

M. Ménard (Jean-Pierre) : Est-ce que vous m'entendez?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, on vous entend bien, Me Ménard, et on vous voit aussi également maintenant.

Donc, on en était à la réponse de la députée de Westmount—Saint-Louis.

M. Ménard (Jean-Pierre) : ...répéter la question.

Mme Maccarone : Oui. Bien, je peux répéter la question, Me Ménard.

• (15 h 40) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, allez-y.

Mme Maccarone : C'était plus parce que vous avez dit que ça va être très difficile pour les personnes qui souffrent d'une déficience intellectuelle ou autisme d'avoir un droit à... accès à l'aide médicale à mourir, faute de capacité d'identifier leurs aptitudes. Alors, ce que je voulais savoir, selon vous, c'est si cette personne, qui est considérée apte par son entourage, par ses proches aidants, par son médecin ou ses soignants, qui souffre et qui comprend très bien les consignes malgré leur maladie, leur diagnostic, là vous pensez toujours qu'ils ne devront pas avoir accès à l'aide médicale à mourir parce que, c'est ça, vous avez parlé... La raison pour ma question, c'est parce que vous avez parlé de stigmatisme. Puis, c'est sûr, pour une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle, ou autre, c'est un stigmatisme pour une personne qui souffre d'une maladie de santé mentale comme la dépression ou autre. C'est ça, on est en santé un jour, puis ça se peut que ça va changer un peu, comme les autres maladies.

Alors, si l'entourage dit que cette personne comprend très bien, cette personne s'est exprimée... cette volonté, pensez-vous qu'ils devront toujours être exclus à avoir accès à l'aide médicale à mourir?

M. Ménard (Jean-Pierre) : Non. Alors, à travers ce que vous dites, ça, il y a des critères d'aptitude là-dedans, là. Alors, je pense que, tu sais, si son médecin ou ses proches la trouvent apte, bien, je pense que ça peut effectivement reproduire une autre dynamique. Moi, je... mais, comme... chaque cas est un cas particulier.

Alors, même si une personne a priori a une déficience, il est possible qu'après une bonne évaluation on considère que, oui, elle est capable. Bien, à ce moment-là, on va suivre sa volonté...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Ménard (Jean-Pierre) : ...et c'est une question d'évaluation.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Ça vous va, Mme la députée de Westmount—Saint-Louis? Une autre question?

        Parfait. Donc, merci beaucoup, Me Ménard, de votre présence aujourd'hui. Merci beaucoup de la contribution que vous apportez à notre commission.

Et nous suspendons quelques instants, le temps d'accueillir notre nouvelle invitée. Merci.

M. Ménard (Jean-Pierre) : Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 15 h 41)

(Reprise à 15 h 49)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Nous accueillons maintenant Mme Gina Bravo. Mme Bravo, merci d'avoir accepté notre invitation cet après-midi.

Donc, il y aura votre présentation pour 20 minutes et, ensuite, il y aura un échange avec les membres de la commission pour une période de 40 minutes.

Donc, je vous cède la parole.

Mme Gina Bravo

Mme Bravo (Gina) : Bonjour à tous, à toutes. Alors, merci encore une fois de l'invitation. Alors, je me présente brièvement. Je suis professeure à la Faculté de médecine, sciences de la santé, de l'Université de Sherbrooke. Je suis aussi chercheure au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l'Estrie-CHUS et aussi membre du Réseau québécois de recherche en soins palliatifs et de fin de vie, le RQSPAL, que vous connaissez peut-être.

• (15 h 50) •

Alors, mes propos s'appuient, non pas sur mon expérience clinique — je ne suis pas clinicienne — mais plutôt sur les résultats d'études que je mène depuis 2016 sur l'acceptabilité d'étendre l'aide médicale à mourir aux personnes inaptes. Je ne parlerai pas du volet santé mentale. Je n'ai pas d'expérience ou je n'ai pas fait des recherches dans ce domaine-là. Et, bien sûr, quand je parle d'inaptitude, je fais référence aux adultes et non aux enfants. Je pense que ce n'est pas le but de la rencontre d'aujourd'hui.

Je suis ici à titre personnel, mais je voulais simplement souligner que mes travaux, je les fais avec d'autres collègues de Sherbrooke, avec des collègues de d'autres provinces canadiennes et de trois pays où l'euthanasie est légalisée, les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse, pour mettre un peu à profit... tirer parti de leur expérience par rapport à l'euthanasie.

Les études que je réalise se font via des questionnaires qui utilisent des vignettes cliniques. Une vignette clinique, c'est simplement une description fictive d'un cas d'une personne qui vise à capter la décision que l'on a à prendre socialement, c'est-à-dire, en l'occurrence, d'étendre ou non l'aide médicale à mourir aux personnes qui sont en situation d'inaptitude. Si oui, dans quelles circonstances, avec quelles mesures de protection?

Alors, je vous ai transmis, je pense, deux documents. J'espère que vous les avez. Vous n'avez peut-être pas eu le temps de les regarder. Le premier comprend des figures, en fait, que je vais utiliser, et je trouvais plus simple que vous les ayez sous la main. Et le deuxième, c'est un article qui n'est pas encore publié, donc qui n'est pas accessible, mais qui résume un peu les commentaires que les gens ont laissés à la fin de nos questionnaires, que je trouve intéressants parce qu'ils mettent en évidence le fait qu'il y a quelque chose d'un peu réducteur dans le fait de simplement rapporter la proportion de gens qui sont pour ou contre une certaine intervention, donc, en l'occurrence, l'extension de l'aide médicale à mourir dans ce cas ici. Parce qu'une personne peut être contre mais trouver que, dans certaines situations, c'est peut-être effectivement la meilleure solution. À l'inverse, vous avez des gens qui se sont dits favorables à l'extension, mais qui ont exprimé des craintes, des préoccupations dans l'espace qu'on avait donné à cette fin.

Alors, si je vous renvoie à la première figure... ou la deuxième, là, après la page-titre de ce que je vous ai présenté, donc, vous voyez que la vignette qu'on a utilisée fait intervenir une personne qui est atteinte de la maladie d'Alzheimer, qui avait demandé l'aide médicale à mourir pendant qu'elle était encore capable de le faire, et qui, maintenant, n'est plus apte à prendre des décisions, et pour qui l'aide médicale à mourir est considérée à deux moments différents. C'est un peu le scénario type que l'on imagine, puis je vais y revenir dans quelques instants.

Mes études ont ciblé quatre groupes qui vont revenir aussi à travers mes différentes diapositives ou mes différentes figures, donc des personnes âgées de 65 ans et plus, c'est-à-dire les personnes qui sont le plus concernées par une perte éventuelle de leurs fonctions cognitives, les proches aidants de personnes atteintes, qui pourraient être appelés à initier la démarche d'aide médicale à mourir si jamais la personne devenait inapte, et des infirmières et des médecins qui pourraient être impliqués dans l'administration même de l'aide médicale à mourir.

On s'entend que, quand on parle de situations d'inaptitude, ce n'est pas que la maladie d'Alzheimer ou autre cause de démence, mais c'est sur cette population que j'ai travaillé. Donc, il ne faut pas oublier que, dans une loi éventuelle, si on parlait de situations d'inaptitude, que ce serait beaucoup plus englobant que ça comme terme.

Alors, mon but cet après-midi, donc, c'est de vous présenter certains de mes résultats, de les commenter et de souligner au passage quelques enjeux que soulève l'extension de l'aide médicale à mourir aux personnes inaptes. À la toute fin, s'il me reste quelques minutes, j'aimerais parler de l'accès aux données sur l'aide médicale à mourir à des fins de recherche.

Alors, je vous renvoie encore une fois à la vignette. Vous voyez probablement à gauche le diagnostic de démence. Si on n'intervient pas, la personne va cheminer possiblement pendant des années jusqu'à sa mort naturelle. À un moment donné, le long de cette trajectoire, elle perd sa capacité de prendre des décisions. Et vous voyez, j'espère, le mot «stade avancé» et «stade terminal», qui sont les deux stades que l'on a utilisés. Donc, le stade avancé, la personne est rendue inapte, mais il pourrait lui rester plusieurs années à vivre, tandis qu'au stade terminal elle est rendue en fin de vie. Je crois qu'on disait qu'il lui restait deux semaines à vivre. Dans le premier cas, on la décrivait sans détresse apparente. Elle avait l'air bien, mais elle ne se souvenait pas du tout... elle ne reconnaissait pas les gens autour d'elle. Et, dans le deuxième cas, on la décrivait en détresse.

Vous voyez probablement qu'au stade terminal on a aussi questionné les gens sur la sédation palliative continue, et j'y reviendrai dans un instant. Je trouvais intéressant qu'on a eu l'idée de questionner nos participants aux deux stades maintenant que le critère de fin de vie ou de mort raisonnablement prévisible a été retiré, ce qui n'était pas le cas à l'époque. Mais, bon, c'était une bonne chose de l'avoir fait, particulièrement pertinent, évidemment, pour la maladie d'Alzheimer, qui peut durer pendant des années.

Alors, la figure suivante, bien, c'est l'acceptabilité d'étendre l'aide médicale à mourir pour la personne inapte. Vous voyez que c'est marqué dans le titre, au stade avancé, donc je vous rappelle que la personne pourrait avoir encore bien des années à vivre. Donc, vous voyez les taux d'acceptabilité dans les quatre groupes que l'on a sondés : des aînés, des proches, des infirmières et des médecins. Et vous voyez la tendance est toujours la même, donc les aînés, les proches sont plus favorables, et ça va en descendant jusqu'au médecin. Et la bande bleue, c'est avec une directive écrite, tandis que le vert, on disait aux participants : Imaginez qu'elle ne l'a pas mis par écrit, mais qu'elle en a souvent parlé à ses proches, à son médecin. Est-ce que vous seriez même d'accord dans ce cas-là? Alors, c'est les taux que vous avez sur cette figure-là.

Sur la suivante, c'est le stade terminal. Donc, je vous rappelle, la personne est en fin de vie. Il lui reste quelques semaines à vivre selon l'équipe clinique. Vous voyez les mêmes tendances, mais des taux d'acceptabilité encore plus élevés. On est dans les 90 % pour les proches et les aidants, même chez les infirmières, relativement élevés, et même chez les médecins. 71 % des médecins qui ont participé ont dit qu'ils étaient ouverts à l'extension à ce stade-là.

Sur la diapo suivante, vous verrez que j'ai rajouté une bande grise pour chacun des groupes. Ça réfère à la sédation palliative continue. Donc, vous savez qu'un des arguments pour ne pas étendre l'aide médicale à mourir, c'est qu'on a d'autres options, dont la sédation palliative continue. Et ici ça compare la position des gens par rapport à cette approche-là. Donc, vous voyez qu'avec une directive écrite les gens sont moins favorables à la sédation palliative, donc ils sont plus ouverts à l'aide médicale à mourir pour tous les groupes, sauf pour les médecins où on ne voit pas de différence. Mais, quand même, pour les médecins, ils ne sont pas plus favorables à cette option-là qu'aux autres. Ici, je n'ai pas mis les pourcentages, là. C'est les tendances, en fait, qui sont utiles.

Et la diapo suivante, qui est la dernière de ce type-là, pour les médecins seulement, on leur a demandé : Si jamais c'était légalisé et que le patient était un des leurs, le patient qu'on vient de décrire, est-ce que vous seriez capables... est-ce que vous seriez favorables ou prêts à administrer l'aide médicale à mourir lui-même? Donc, c'est beau d'être d'accord avec l'extension, il faut quand même que quelqu'un puisse faire la... donner le soin en question.

Alors, c'est ce que vous avez. Donc, en bleu, c'est l'ouverture par rapport à l'extension aux deux stades en question et, en vert, c'est l'ouverture à administrer eux-mêmes l'aide médicale à mourir. Donc, vous voyez, au stade avancé, par exemple, 45 % puis 31 %. Donc, il y a toujours un peu moins de gens qui sont prêts à le faire qu'ils sont ouverts à ce que ça soit permis. C'est normal. Mais, même au stade terminal, vous avez 71 % des médecins qui ont dit qu'ils étaient favorables, et un sur deux a dit, à ce moment-là, qu'il serait prêt à la faire.

Donc, la conclusion de cette première série de résultats, la conclusion que moi, je tire — peut-être en aurez-vous une autre — c'est que, si vous décidiez d'aller de l'avant avec l'extension, vous auriez l'appui des populations concernées, voire même une proportion significative des professionnels de la santé.

Au sujet des professionnels, la dernière figure soulève un premier enjeu qui est celui de l'accès. Est-ce qu'il y aura des médecins volontaires à la grandeur du Québec, dans toutes les régions, pas juste dans les centres urbains, qui seront prêts à l'administrer, et idéalement pas juste quelques-uns pour que le fardeau de ce geste-là, qui est probablement difficile à faire pour la plupart d'entre eux, soit sur une seule personne? Donc, peut-être, dans vos discussions, considérez-vous les infirmières praticiennes, comme c'est le cas dans le reste du Canada. Je ne sais pas quelle est la situation ici, au Québec, et aussi, évidemment, l'harmonisation des deux lois. J'imagine qu'il y a des gens qui vont vous... en discuter. Ça touche un peu à ça.

Donc, si je résume, il y a un appui à l'extension d'après nos résultats, et c'est certainement un argument pour étendre. Mais, à mon avis, ce n'est pas suffisant comme argument. Je pense qu'il importe de savoir pourquoi les gens sont favorables. Bien sûr, tout ça repose sur le principe d'autodétermination, le respect des volontés. Donc, les gens disent : Si les gens l'ont demandé, si c'est clair que la situation qui est décrite dans la directive correspond à celle que la personne est en train de vivre, elle devrait y avoir accès. Pourquoi les gens font cette demande-là? Bien, vous avez sûrement souvent entendu l'expression que tous ne veulent pas vivre la maladie jusqu'au bout, en fait, et c'est ce qui motive les gens.

• (16 heures) •

Sur la diapo suivante, dont le titre est Options pour ceux qui ne veulent pas vivre la maladie jusqu'au bout, j'ai écrit juste quelques options que les gens pourraient avoir, peut-être qu'il y en a d'autres : cesser de boire et de manger pendant que la personne est toujours apte, qui va entraîner son décès éventuellement; tenter de se suicider, c'est aussi une façon d'écourter sa vie si on ne veut pas vivre la maladie jusqu'au bout. Évidemment, dans ces deux options-là, vous comprendrez qu'on va écourter une vie de plusieurs années, une vie pendant laquelle il y aurait plusieurs années de relative bonne qualité de vie. Et l'histoire du suicide, ce n'est pas farfelu. Je vous lis un des commentaires qui a été laissé à la fin de notre enquête. C'est un proche aidant, en fait, qui dit : «Mes choix sont faits. Si je ne peux avoir l'aide à mourir, il ne me restera que le suicide si la maladie s'installe.» Donc, c'est quand même quelque chose de réel.

D'autres options, bien, c'est de rédiger une directive en prévision de son inaptitude dans laquelle la personne peut refuser toute intervention qui pourrait prolonger sa vie, comme les DMA actuellement. Le cas type auquel on pense dans le contexte de la démence, bien, c'est la pneumonie. On n'intervient pas, la personne va décéder à court terme. La personne pourrait aussi refuser d'être alimentée, hydratée de façon artificielle, là aussi ça va entraîner son décès, mais ça va être beaucoup plus long, ou demander l'aide médicale à mourir, qui n'est pas une option, évidemment, actuellement.

Alors, pourquoi les gens la demandent? Mon interprétation, c'est la peur, la peur de deux choses : la peur de la maladie elle-même et la peur d'être mal soigné, la peur des CHSLD où la majorité des gens vont se retrouver en fin de vie actuellement au Québec, au Canada et dans bien d'autres pays.

Alors, je vais vous illustrer par quelques commentaires ces propos, La maladie qui fait peur. Alors, je vous lis un extrait d'une infirmière, en fait : «Ma grand-mère a vécu jusqu'au dernier stade de la maladie d'Alzheimer, elle avait sept enfants très proches d'elle. Elle est morte en s'étouffant pendant qu'un PBA — donc, préposé aux bénéficiaires, vraisemblablement — lui faisait manger de la purée. Elle ne pouvait plus dire de mots, elle babillait, avait une couche et passait sa journée en position foetale dans un lit. Je ne souhaite cela à personne.» Donc, c'est un exemple de...

D'autres exemples, c'est les expressions qui sont utilisées pour décrire la maladie, je vous en liste quelques-uns : «cette infâme maladie», «cette terrible maladie», «une maladie dégradante pour la personne atteinte», «une forme de déchéance», «maudite maladie». Donc, vous voyez l'impression que ça donne aux gens.

Il y a aussi des pendants positifs à la qualité de vie que des gens ont exprimés. Par exemple, une infirmière dit : «Je trouve que les patients avec démence sont heureux. C'est la famille qui trouve ça dur.» Donc, un piège à éviter, une nécessité de vigilance, élargir l'accès aux personnes inaptes pour respecter leurs volontés et non pour soulager la famille d'un fardeau, bien réel, mais il devrait y avoir, évidemment, d'autres moyens de faire ça.

Aussi, plusieurs ont mentionné la difficulté pour les proches de prendre la décision. J'imagine qu'ils risquent d'être impliqués dans cette décision. Et je vous donne un exemple d'un aîné qui dit... ou d'une aînée : «Si j'étais la personne responsable d'elle, j'aurais le cas de conscience de décider si elle a droit à la vie ou à la mort. Qui suis-je pour décider de qui mérite de vivre? De mourir? Quel dilemme!»

Beaucoup de gens ont parlé de la souffrance aussi, qui est un autre enjeu auquel vous êtes confrontés, c'est-à-dire de la définir. Deux exemples de propos qui se rapportent à la souffrance : «La détresse de la personne en stade débutant — c'est un proche qui parle — ou moyen est en fait bien plus grande parfois qu'en stade avancé, parce qu'au stade moyen, elle peut avoir la conscience d'être atteinte de la maladie. Ça, c'est une grande souffrance.» Donc, ici, on ne parle pas d'une personne inapte, on parle d'une personne apte, mais qui a une souffrance qui découle de sa projection, de la façon dont elle se projette dans le futur, et c'est ça qui lui fait peur.

Ou un médecin qui dit : «Je fus très soulagé de voir qu'en 2016 on pouvait enfin offrir ce soin. Pourquoi un patient dément, qui l'aurait au préalable bien formulé, n'aurait pas droit à ce soin? Souffrir d'une démence terminale serait donc plus acceptable que de souffrir d'un cancer?» Donc, faisant référence au fait qu'actuellement l'aide médicale à mourir est surtout utilisée pour les cas de cancer. Donc, tout ça se rapporte à la maladie elle-même, la peur de cette maladie pour laquelle on ne peut rien, actuellement, ou pas beaucoup.

Deuxième, c'est la peur d'être mal soigné, la peur des CHSLD. Je vous donne deux exemples. Un aîné ou une aînée : «J'ai vraiment peur de me ramasser dans une maison de personnes âgées. Je trouve qu'ils sont vraiment mal traités, mangent mal, mauvaise hygiène, on leur parle toujours comme des personnes sans valeur. J'ai vraiment peur de me rendre là.» Ou un proche qui dit : «En plus d'avoir un mari avec démence, je travaille en CHSLD, et c'est devenu minable comme soins.» Je trouve ça très triste, tenir des propos comme ça.

Tout ça renvoie à des besoins de formation pour pouvoir mieux prendre soin de ces personnes, qui sont soulignés par les professionnels aussi. Il n'y a pas juste les aînés puis les proches qui ont parlé de ce besoin de formation. Je vous donne un exemple d'un médecin : «Il est possible, dans la plupart des cas, d'assurer un bien-être et une dignité aux patients jusqu'à un stade avancé de la maladie. Ce qui manque pour en être capable, c'est surtout des ressources humaines, de la formation, de l'empathie et du temps de contact.» Ou une infirmière qui dit : «Il devrait y avoir plus de formation aux médecins qui travaillent ou qui sont de garde pour les CHSLD au Québec. Les notions de souffrance psychologique et de détresse ne sont pas comprises par la majorité d'entre eux.»

Vous savez qu'à l'occasion du Forum national sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui a eu lieu au début de 2020, la ministre McCann réitérait sa ferme intention d'améliorer l'offre des soins et services pour les personnes en fin de vie et disait que... elle ne voulait pas que l'aide médicale à mourir soit perçue comme une réponse à un manque de soins requis. Elle a beaucoup insisté là-dessus, soit à son mot d'ouverture ou de clôture, je ne m'en souviens pas.

Et vous êtes bien placés pour savoir que la ministre Blais, par exemple, a déposé une politique sur l'hébergement, les soins de fin de vie, qui vise justement à améliorer la qualité des soins dans ces milieux. Cependant, selon toute vraisemblance, ces améliorations-là n'arriveront pas demain matin. Je suis sur le comité d'experts, et le plan d'action ministériel, juste lui, s'étend sur quatre ans. Donc, ça va prendre un certain temps avant que des améliorations vont se produire.

En d'autres termes, ce que je veux dire, c'est que, si le gouvernement décidait d'élargir l'aide médicale à mourir aux personnes en situation d'inaptitude, il aurait probablement l'appui de la population. C'est l'impression que j'ai, même des professionnels, comme je l'ai mentionné, mais je pense qu'il faudra accepter que cet appui découle en partie d'une perception très négative de la qualité des soins que reçoivent les personnes atteintes de démence ou d'autres troubles dans le réseau de la santé.

Certaines personnes ont fait aussi des commentaires sur les limites des directives anticipées, qui est vraisemblablement le moyen qui sera utilisé. Et je vous résume ici les propos d'un proche qui a tellement capté, en quelques phrases, je trouve, de façon très claire le dilemme qui se présente. Alors, je vous le lis : «La question des volontés écrites au préalable est difficile parce que la personne qui les a écrites n'est déjà plus vraiment de ce monde quand elle ne reconnaît plus ses proches. Oui, c'est encore techniquement la même personne, mais le cerveau est tellement changé que c'est presque rendu une autre personne. Si cette personne est confortable, est-ce que les volontés exprimées par une "autre personne", la personne apte ayant eu peur de la démence future — donc, on voit cette notion de peur qui revient — alors hypothétique, peuvent vraiment s'appliquer à la personne qui existe maintenant?» Donc, un choix à faire : Est-ce que les directives basées sur une peur de ce qui nous attend, qui ne reflètent pas nécessairement ce qui va se passer, devraient être au coeur des critères, en fait?

Donc, un deuxième enjeu. Bien, le premier, c'était l'accès. Si la loi le permet, il faudrait que ça soit accessible à la grandeur du Québec. Le deuxième enjeu, bien, c'est la définition de la souffrance. Vous allez devoir la définir un peu. Je comprends que, dans une loi, ça ne pourra pas être très, très précis, mais il va falloir donner des orientations.

Puis il y a deux grands types. Est-ce que vous allez exiger une évidence de souffrance au moment où l'acte serait considéré, en fait? La plupart de nos participants semblaient prioriser cette option-là. Donc, je vous donne un exemple d'une infirmière : «Je pense que le seul moment à utiliser cette mesure serait lorsque le patient a des douleurs physiques ou psychiques extrêmes et qu'aucun analgésique ne puisse le soulager. La situation médicale doit être vraiment difficile et inhumaine pour que l'on puisse administrer une médication pour accélérer une fin de vie.» Donc, ça, c'est un type. Est-ce que la souffrance devra être présente ou si une souffrance anticipée, comme celle que j'ai décrite tout à l'heure, va suffire, va être possible?

Ce qui importe ici, en fait, c'est que, si vous ou le gouvernement décidez d'étendre aux personnes inaptes, il va falloir s'assurer que la loi soit opérationnelle, que les personnes qui souhaitent la recevoir puissent la recevoir s'ils satisfont les critères que vous avez définis, pas comme aux Pays-Bas, où la loi le permet, mais la souffrance est jugée par le médecin. Et les médecins disent : Bien, moi, je ne suis pas capable de juger si la personne satisfait ces critères-là, parce que c'est une souffrance qui devrait être déterminée par la personne elle-même. Je ne suis pas capable de confirmer le désir de mourir non plus. Donc, vous le savez sans doute, aux Pays-Bas, beaucoup de personnes remplissent une directive anticipée d'euthanasie, que ça s'appelle, mais très peu la reçoivent à cause de ça et aussi parce qu'évidemment il est difficile pour les familles de décider d'aller de l'avant. Ce n'est quand même pas une décision qui est facile.

Donc, si je prends la définition dans la loi actuelle, j'espère que c'est celle du Québec que j'ai bien mise : «...souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables — pour moi, insupportable, il y a juste la personne qui peut juger, mais peut-être avez-vous une autre opinion — qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge tolérables.» Là encore, il y a juste elle qui peut savoir ça, il me semble. Et donc cette définition-là ne me semble pas opérationnelle, si vous la laissez telle quelle.

• (16 h 10) •

Bon, personnellement, je suis plus favorable à une souffrance objectivée, soit sur la base d'un jugement clinique, soit sur la base d'un outil validé. Vous savez qu'il existe des outils pour juger si une personne est en souffrance... et les personnes non communicatives. Je pense qu'il faudrait une telle souffrance au moment où l'acte pourrait être administré simplement parce que j'ai peine à imaginer que quelqu'un va le faire, dans les autres cas, sur la base d'un document écrit il y a une dizaine d'années, dont la personne ne se souvient plus et que la famille pourrait apporter à l'attention du médecin.

Autre considération, évidemment : Qui va prendre la décision? J'imagine que vous faites cette réflexion-là aussi. Et allez-vous exiger l'accord préalable des familles? Des soignants? Bon, pour les soignants, il va falloir l'accord un peu, parce qu'il va falloir que quelqu'un le fasse. Mais allez-vous aussi exiger l'accord des familles?

Donc, outre la personne elle-même, par exemple, via une directive anticipée ou des propos faits oralement peut-être, est-ce que ça, ça va suffire? Est-ce qu'une directive va être suffisante ou si vous allez vouloir avoir aussi le consensus de la famille ou un consensus entre les trois acteurs, la personne elle-même, la famille et l'équipe soignante? Le proche pourrait être, par exemple, celui qui est nommé dans une directive, comme le suggérait le groupe d'experts, là, que... vous avez sûrement lu le rapport. Moi, je suis plus favorable à un consensus entre les trois experts, mais pas tout le monde est de cet avis-là. Il y a des gens qui disent : Si je l'ai écrit, je l'ai demandé, c'est moi qui décide, ce n'est pas ma famille.

Et vous savez aussi que, dans le rapport du groupe d'experts, ils suggéraient bien sûr que des... ils recommandaient que les directives soient permises, les directives anticipées, mais qu'elles ne soient pas contraignantes ou exécutoires. Sur la base de mes résultats, je ne crois pas que cette recommandation ferait consensus, en fait. Les gens, j'ai l'impression, disent : Bien, si c'est permis, si on a le droit de le faire à travers une directive, bien, si j'écris une directive et qu'elle est claire, elle devrait être respectée.

En résumé, je ne sais pas combien il me reste de temps, donc je pense qu'il y a un appui assez fort à l'extension, davantage en fin de vie, ce n'est pas vraiment surprenant, mais pas exclusivement. Je pense que nos résultats aussi soulignent la nécessité d'améliorer le soin aux proches, qui vont vraisemblablement être impliqués dans la décision et qui devraient baser leur décision sur la volonté de la personne et non sur leurs propres besoins. Nécessité d'améliorer la qualité des soins, en particulier dans les CHSLD. Je sais qu'il y a des travaux en ce sens-là qui sont en cours, mais la COVID nous a montré à quel point c'est important. Les besoins de formation, donc, deux types, besoin de formation pour que les gens prennent bien soin des personnes qui sont atteintes, mais aussi pour administrer éventuellement l'aide médicale à mourir pour ceux qui seraient d'accord de le faire. Il y en aura, à mon avis, peut-être pas beaucoup, peut-être pas distribués à la grandeur du Québec, mais il y en aura.

Pour répondre à ces besoins de formation, bien, qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut dire des guides de pratique, ça veut dire des outils de formation pour les professionnels pour les aider à juger : Est-ce que les conditions qui sont énoncées dans la directive correspondent? Est-ce que les critères sont satisfaits? Dans les critères, il y aura vraisemblablement la notion de souffrance, il va falloir les aider à juger cette souffrance-là, selon ce que vous allez décider, juger la valeur à accorder aux souhaits exprimés dans le passé, parfois dans un passé très, très lointain, versus la condition de la personne actuellement, ses intérêts actuels. Est-ce que vous allez rechercher un équilibre entre les deux, donner priorité à une directive, par exemple, versus la condition de la personne? Et aussi un guide par rapport à la façon de réagir à la résistance du patient, donc je fais ici référence au cas que vous connaissez sans doute, là, qui s'est passé aux Pays-Bas, qui a fait beaucoup... qui a fait couler beaucoup d'encre parce que la personne a résisté, en fait, à l'administration, et on a dû la tenir, ce qui a entraîné beaucoup de démissions et de lettres ouvertes de la part des médecins. Enfin, peut-être développer des services de soutien pour ceux qui accepteront de le faire, ce n'est quand même pas un acte facile.

Autre formation, je pense qu'une de mes collègues vous en a parlé, donc formation professionnelle pour aider une personne dans la rédaction même d'une demande anticipée, pour qu'elle soit bien interprétée ou qu'il y ait le moins possible d'interprétation. Bon, personnellement, j'ai un petit peu de difficultés avec les formulaires tout pré-préparés avec des petites cases à cocher comme la DMA. Je ne pense pas que c'est la meilleure façon de faire, mais, bon, c'est peut-être dans cette direction que vous irez.

Est-ce qu'il me reste une minute pour parler de l'accès aux données ou si je dois m'arrêter? Je n'ai pas remarqué à quelle heure on a débuté.

La Présidente (Mme Guillemette) : Bien, vous n'avez plus de temps, mais sûrement qu'on va prendre la question, et il y a quelqu'un qui va sûrement vous revenir avec ça.

Mme Bravo (Gina) : O.K. Bien, c'était simplement pour dire que la communauté scientifique, évidemment, souhaite qu'il y ait un accès aux données relatives à l'aide médicale à mourir pour des fins de recherche, évidemment, des données anonymisées, on s'entend. Bien sûr, la Commission sur les soins de fin de vie a comme mandat d'exploiter ces données-là, elle les présente dans ses rapports périodiques, mais je pense qu'on pourrait aller plus loin.

Vous savez peut-être aussi, vous êtes peut-être bien placés pour le savoir qu'il y a des discussions en cours avec le ministère, dont une rencontre à laquelle M. Dubé a participé, sur la création d'un observatoire national sur les soins de fin de vie. Au sein de cet observatoire, on voudrait regrouper l'ensemble des données qui touchent les soins de fin de vie, et l'aide médicale à mourir devrait en faire partie puisque c'est un soin de fin de vie.

Voilà, merci beaucoup de votre temps.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait, merci beaucoup, Mme Bravo. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui, bonjour. Merci beaucoup, Mme Bravo. Vraiment, vous avez fait un tour d'horizon assez extraordinaire de tous les enjeux et de toutes les questions que nous avons devant nous, ces enjeux si simples à trancher, donc, mais, vraiment, vous avez mis la table de manière admirable à ce qui nous attend. Et donc je vous remercie vraiment de vos travaux puis de ces sondages-là qui ont été faits.

Et maintenant je voudrais creuser avec vous, là, vous, comme experte, votre sentiment. Je pense qu'il y a deux éléments qui sont fondamentaux, là, sur lesquels on se pose beaucoup de questions déjà, c'est comment évaluer à l'avance les éléments qui vont déclencher, par exemple, l'application d'une directive... d'une demande médicale anticipée en termes de souffrance. Puis l'autre élément, c'est qui va être responsable. Est-ce que c'est effectivement contraignant, la demande en elle-même? Est-ce que c'est l'équipe médicale, comme vous le suggérez, avec les proches et la directive? Donc, jusqu'où on met le curseur vers l'autonomie versus le consensus?

Ça fait que, bref, je les prends une par une. Un, pour vous, puisque vous nous faites bien ressortir les stades, par exemple stade avancé, stade terminal, puis la souffrance objective, je trouve ça très intéressant que vous fassiez ressortir que, quand on est apte, c'est une chose d'avoir la définition qui est dans la loi, mais, quand on n'est plus là pour juger si c'est tolérable ou non puis comment on le vit, on a besoin de critères objectifs. Selon vous, est-ce que, dans le contexte d'une demande anticipée, la personne devrait simplement écrire que, si elle a des douleurs et/ou souffrances objectives qui la mettent dans un état intolérable et constant, qu'elle veut avoir l'aide médicale à mourir ou si elle devrait carrément écrire tous les détails de ce qui, pour elle, ne serait pas tolérable, à l'avance?

Mme Bravo (Gina) : Moi, je pense qu'elle doit le décrire, parce que juste de dire si les souffrances que je ressens dans 10 ans sont intolérables, selon qui? Elle ne pourra pas elle-même décrire ses souffrances ou dire qu'elles sont intolérables pour elle. Donc, mon impression, c'est que, dans une directive anticipée, la personne devrait décrire ce qui est intolérable pour elle. Et ce pourrait être de souffrir physiquement, par exemple, et de ne pas être soulagée ou de dire : Moi, je ne veux pas vivre dans cet état-là, les choses qui sont importantes pour moi, je ne pourrai plus les faire ou, si je ne peux plus les faire, je voudrais qu'on me laisse partir à ce moment-là. Mais il ne faut pas remettre le jugement entre les mains de quelqu'un d'autre, il me semble, pour ce qui touche la souffrance, parce que les autres ne seront pas en mesure de le faire, à moins d'une souffrance physique assez évidente à l'oeil. Mais tout ce qui touche plus la souffrance psychologique, ou la détresse, ou le fait de ne pas vouloir vivre dans cet état, je pense que seule une description la plus précise possible de la personne pourra être utile à ce moment-là.

Mme Hivon : 27    MmeHivon : O.K. Vous sembliez nous dire que, vous, entre la souffrance au moment même de l'administration potentielle de l'aide médicale versus la souffrance anticipée... exemple, j'anticipe que si je ne reconnais plus personne, que je ne suis pas capable de m'alimenter, ça va être tellement pénible que je vais vouloir l'aide médicale à mourir versus quand je le vis, c'est autre chose. Vous sembliez pencher sur l'évaluation au moment où on administrerait l'aide médicale à mourir. Donc, comment on réconcilie ça avec le fait qu'en début de maladie on inscrit nous-mêmes, en se projetant, donc, les éléments qui, selon nous, seraient intolérables?

Mme Bravo (Gina) : Bien, en fait, vous pouvez le permettre si la loi définit ou accepte ces situations-là. Je ne sais pas comment ça sera formulé, mais, si la loi disait qu'une personne pourrait, dans une directive, décrire ce qui est intolérable pour elle et, bien qu'au moment venu il n'y ait pas d'apparence de souffrance, on accepte cette souffrance-là qui est une souffrance hypothétique, d'une certaine façon, vous pourriez le faire.

Moi, ce que j'ai dit pour justifier ma position, puis ça ne sera peut-être pas la vôtre, c'est : Est-ce qu'il va y avoir quelqu'un qui va accepter de le faire? Donc, imaginez, j'ai écrit une directive, j'entrevois que je ne pourrai plus reconnaître mes proches, je ne pourrai plus lire, faire ce qui est important pour moi et je ne veux pas vivre ça. Je me retrouve dans cette situation-là, il faut quand même qu'il y ait quelqu'un qui vienne me chercher puis qui dise : Bon, bien, madame, c'est le temps, vous correspondez à la... Mais, si j'ai l'air bien, et tout, moi, j'ai de la difficulté à concevoir que quelqu'un va le faire, peut-être que je me trompe, mais...

C'est ça que je veux dire, un peu, quand je parle de loi opérationnelle ou pas, de permettre quelque chose qui, dans les faits, ne pourrait pas se produire ou, en tout cas, à moins que certaines des personnes qui sont venues chez vous vous diraient : Moi, même dans une situation comme ça, si la personne a été claire, je vais le faire. Bon, bien, peut-être, mais, disons, j'ai peine à croire. Déjà, il y a un certain nombre de médecins qui acceptent de le faire maintenant, il va y en avoir moins dans les cas de démence, et il me semble qu'il va y en avoir moins encore dans des cas de démence où il n'y a pas souffrance apparente au moment... Puis qu'est-ce qui va déclencher, en fait, le processus de dire : Bon, bien, c'est aujourd'hui, le 24 avril, qu'on y va, par exemple? Ça me semble invraisemblable, mais peut-être que je manque d'imagination, là.

Mme Hivon : Non, je pense que c'est extrêmement pertinent, ce que vous soulevez, parce qu'effectivement il faut ensuite qu'il y ait des médecins, que ça ne soit pas un droit théorique et qui donne un espoir à des gens qui ne pourra jamais se concrétiser. Donc, je pense que c'est très pertinent.

Et ça m'amène par ailleurs sur l'autre tension, c'est-à-dire que les gens qui demandent beaucoup cette possibilité-là sont des gens qui valorisent beaucoup l'autonomie. Et la loi est beaucoup basée sur ce principe d'autonomie. Quand on y arrive avec une hypothèse comme la vôtre, de dire : Bien là, il faudrait qu'il y ait un consensus de la famille, des soignants, on est vraiment en train de mettre un petit peu de côté l'autonomie au profit d'une décision, je dirais, consensuelle avec les chicanes potentielles, avec les conflits potentiels puis de valeurs entre les personnes impliquées. Donc, est-ce qu'encore, dans un cas comme celui-là, on fait miroiter une possibilité, mais qui risque de difficilement s'appliquer pour les gens qui l'auraient demandée?

• (16 h 20) •

Mme Bravo (Gina) : Ça va être un choix à faire. Je ne sais pas si c'est l'autonomie à tout prix. Une fois que la personne sera partie, il y a des personnes qui vont rester, il va y avoir la famille qui va rester aussi. C'est sûr que beaucoup de gens ne veulent... disent... ne veulent pas être un fardeau pour leurs proches, et donc ils veulent leur faciliter la décision aussi. Ce n'est pas des choix faciles, là. Si c'était facile, on ne serait pas là à en discuter, la décision serait déjà prise. Moi, j'ai tendance à privilégier un consensus. C'est peut-être le reflet de ma nature. Comme je l'ai mentionné, je sais qu'il y a des gens que ce n'est pas ce qu'ils veulent, et vous pourrez décider que la personne elle-même, ça suffit. Je pense que tout le monde serait plus confortable si c'était un consensus au détriment d'un certain degré d'autonomie des gens. Je pense que c'est comme un compromis que je trouverais acceptable.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci, Mme la députée. Oui, allez-y, Mme Bravo.

Mme Bravo (Gina) : Ah! je voulais juste dire que c'est aussi ce que la majorité de nos répondants disaient. En fait, ils étaient... Bon, il y a des peurs d'abus qui ont été mentionnées. Je n'en ai pas parlé parce que, je pense, c'est des choses que vous connaissez bien, mais les gens étaient aussi beaucoup plus confortables quand il y avait un certain consensus. Mais ça aussi, ça se discute, quand on rédige notre directive, si on sait quelles sont les règles, si on sait que c'est un consensus avec la famille, par exemple. On ne peut pas identifier d'avance les intervenants impliqués, là, c'est peut-être dans 10 ans que ça va se produire. Donc, ça, on n'en parle pas. Mais ma famille immédiate ou la personne que j'aurai nommément... nommément nommée, identifiée dans ma directive, si c'est mon conjoint, par exemple, je peux lui parler de ça, de cette importance qu'a l'autonomie pour moi, par exemple, avant. Et ce qu'on espère, c'est que la personne qui acceptera d'être nommée, qui acceptera ce rôle de donner à mon autonomie l'importance que je lui demande de donner, c'est basé sur le dialogue, en fait.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci beaucoup. Merci, Mme la députée. Je céderais maintenant la parole à la députée de Soulanges.

Mme Picard : Bonjour. Merci beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui. Vous m'amenez à une question parce que vous avez parlé de définir peut-être un peu plus la notion de souffrance. Pour vous ou selon vos travaux que vous avez effectués, est-ce que l'isolement d'une personne pourrait être une souffrance qui pourrait être considérée?

La Présidente (Mme Guillemette) : On ne vous entend plus, Mme Bravo. Peut-être que vous êtes déconnectée de votre ordinateur ou... Ah! je crois que...

Mme Bravo (Gina) : Est-ce que, là, vous m'entendez?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, on vous entend bien, là.

Mme Bravo (Gina) : Est-ce que vous êtes d'accord à ce que j'enlève ces écouteurs pas très confortables?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, oui, oui, pas de problème. On vous entend bien comme ça, ça fait qu'il n'y a aucun problème.

Mme Bravo (Gina) : Bon, merci beaucoup. Alors, Mme Picard, l'isolement, bien, je trouve que ce n'est pas lié beaucoup à la problématique de l'inaptitude. La personne atteinte de démence, elle est en milieu d'hébergement, il y a... évidemment, on peut être très seul, là, on s'entend, on peut ne pas avoir de visite de la famille. Mais c'est comme si vous disiez : J'ai un diagnostic de maladie d'Alzheimer, je vais écrire, dans ma directive, si je me retrouve seule... Je ne sais pas trop qu'est-ce que ça veut dire dans le contexte, donc j'ai un petit peu de difficultés à voir que l'isolement est un élément central à la problématique de la démence ou de la maladie d'Alzheimer. Je vais... je ne reconnaîtrai plus personne, mais il va y avoir des gens autour de moi, je vais fonctionner avec eux, je vais interagir avec eux sans trop savoir ce que je fais ou pas. C'est peut-être moi qui saisis mal la situation à laquelle vous faites référence.

Mme Picard : Oui, en fait, bien, c'est un peu dans l'optique où une personne, justement, avec l'alzheimer pourrait dire... une personne qui devance, là, je crois, là, qui serait seule, une personne qui n'aurait pas de famille, peut-être. Peut-être que, dans ce moment-là, elle se dirait : Bon, bien, si je vais en... si je suis rendue au stade 6 de l'alzheimer et que je suis seule, je pourrais me prévaloir de cet acte.

Mme Bravo (Gina) : Je comprends que la personne était seule avant, donc vous sous-entendez une personne qui n'a pas de famille, qui est isolée. Bien, c'est comme si, dans ce vous décrivez, ce n'est pas tant la maladie qui est l'élément central, c'est le fait d'être seul, puis il y a plein de gens seuls qui... plein de gens qui sont seuls sans avoir... être atteints de cette maladie-là. J'ai un petit peu de difficultés à connecter les deux.

Mme Picard : Bien, je vais vous amener peut-être... juste, en fait, une personne, justement, qui serait seule, comment pourrait avoir quelqu'un... ou qui pourrait être la personne autour d'elle qui serait impliquée dans les soins ou dans la décision avec elle? Selon vous, est-ce que c'est, supposons, le Curateur public, ou est-ce que ça pourrait être un notaire, ou... Je ne sais pas. Avez-vous des idées, d'une personne seule, qui pourrait l'aider dans ses choix?

Mme Bravo (Gina) : Je comprends. Donc, je pense que, si je comprends bien votre question, c'est dans une directive où vous allez suivre la recommandation du groupe d'experts et dire : On devrait nommer une personne qui va porter nos volontés quand on ne sera plus capable de le faire nous-mêmes. Une personne totalement isolée n'aurait personne à nommer, bien, oui, je pense que l'option de mettre quelqu'un qui est significatif... Le Curateur public, c'est quelqu'un un peu distancé, là, mais c'est peut-être la seule option qu'il y aurait dans ce cas-là. Je verrais le Curateur public. Un notaire serait quelqu'un qui le connaît. Dans le fond, il ne serait pas isolé. C'est comme si... Si on prend la prémisse qu'il est isolé, bien, il n'a personne, donc la seule personne possible, ce serait le Curateur public. Ça pourrait faire partie de ses fonctions. Je n'ai pas eu beaucoup d'interactions avec le Curateur public, mais on en avait, par exemple, pour des personnes qui étaient inaptes pour participer à la recherche, la décision lui revenait. Disons que le curateur ne connaissait pas beaucoup la personne, là.

M. Picard : Et, sur la notion du diagnostic, est-ce que vous avez eu des échos de... est-ce qu'on devrait se positionner sur des diagnostics précis ou bien sur plutôt des conditions, un état d'une personne?

Mme Bravo (Gina) : Bien, encore une fois, je ne mettrais pas beaucoup d'emphase sur le diagnostic. D'abord, le diagnostic n'est pas une preuve d'inaptitude, en fait. Ce n'est pas ça qui détermine. C'est plus une inaptitude de fait ou un état. Donc, j'éviterais... Comme dans la loi actuelle, on ne dit pas : Si vous avez un cancer en phase terminale. Évidemment, dans les faits, c'est beaucoup cette clientèle-là qui a recours à l'aide médicale à mourir, pas exclusivement, mais entre autres. Mais j'éviterais de mettre des diagnostics dans la loi, parce qu'on va en échapper. Je pense que c'est plus de décrire le type de personne qui est visé, indépendamment du diagnostic, ou de parler de situation d'inaptitude. Puis encore on parle beaucoup de cas de démence ou de troubles neurocognitifs, mais, je l'ai mentionné tout à l'heure, si vous utilisez l'expression «situation d'inaptitude», ça peut être suite à un accident de voiture. Donc, il faut que vous soyez d'accord. C'est sûr que, quand on a un accident de voiture et que c'est soudain, on n'a souvent pas rédigé de directives après, parce que ce n'est pas la même problématique. Mais il peut y avoir des gens en situation d'inaptitude qui auraient pu rédiger une directive, si vous faites la promotion, par exemple, de la rédaction des directives par la suite, et qui se retrouvent dans cette situation-là. Donc, je ne mettrais pas de diagnostic, là, a priori, comme ça, sans avoir fait de recherche là-dessus, mais, spontanément, je répondrais que ce n'est pas une bonne idée.

Mme Picard : Merci beaucoup pour vos réponses.

Mme Bravo (Gina) : De rien.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Bien, je peux me permettre une question. Vous parlez de diagnostic. Vous avez dit tout à l'heure que vous n'alliez pas vers le côté de la santé mentale parce que ce n'était pas dans vos expertises de recherche, mais est-ce que de mettre un diagnostic en santé mentale aussi ce n'est pas préconisé?

• (16 h 30) •

Mme Bravo (Gina) : Bien, pour la... encore une fois, je n'ai pas d'expertise dans ce domaine-là, je n'ai pas lu la littérature, donc je m'avance sur un terrain que je ne connais pas, mais, a priori, les diagnostics, ce n'est pas du tout le modèle. Nulle part, dans les autres pays, on n'a une liste de diagnostics, de personnes qui seraient admissibles. Et donc, pour la santé mentale, je sais que les cas de... psychiatriques, là, je ne sais pas si vous en... bien, probablement qu'il y a une partie de vos activités qui porte là-dessus, mais a priori je ne sais pas quelle est l'utilité du diagnostic par rapport à l'état de la personne.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Vous parliez, bon, beaucoup de la souffrance apparente, mais quelqu'un qui est en... au stade 7 à la maladie d'Alzheimer, qui est couché en foetus dans un lit, il n'a pas vraiment de souffrance apparente, mais on fait référence beaucoup à la dignité de la personne. C'est quoi, votre rapport à cet état de fait là?

Mme Bravo (Gina) : Oui, c'est un bon exemple et c'est un exemple descriptif, dans une directive plutôt que les petites cases à cocher, où je pourrais décrire un état comme ça, surtout si je le fais avec un professionnel qui m'aide à le faire, qui m'aide à voir les différentes situations qui pourront... Je ne suis pas experte, disons, mais je suis comme M., Mme Tout-le-Monde dans le sujet, et, pour bien décrire ce qui est pour moi inacceptable, j'aurais besoin d'être accompagnée. Et je pense que l'exemple que vous donnez, si je suis dans mon lit, toute recroquevillée sur moi-même, comme on l'a... que je ne peux pas manger, que je ne peux pas me nourrir ou boire moi-même, moi, je ne veux pas ça. Moi, je pense qu'il y a beaucoup de gens que ce qu'ils ne veulent pas, c'est bien avant ça, bien avant ça, mais, si c'est, entre autres, ça qu'ils ne veulent pas, bien, ça se décrit, surtout si on le fait accompagnés pour être sûrs qu'on le fasse correctement. Puis la plupart des gens trouvent qu'il n'y a pas beaucoup de sens à cette partie-là de la maladie, et c'est ce qui motive les gens à ne pas vouloir vivre ce passage-là, en fait.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je passerais la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. Moi, je veux revenir un petit peu plus au niveau du consentement puis l'aptitude à consentir aussi. Puis je vous poserais la question : En quoi l'aptitude à consentir à l'aide médicale à mourir se distingue-t-elle de l'aptitude à recevoir d'autres soins? Parce qu'on parle de soins, de soins en fin de vie, tout ça, puis, dans vos études, je ne sais pas si ça a ressorti.

Mme Bravo (Gina) : En fait, ça ne se distingue pas. Je pense que c'est... En fait, ce n'est pas l'aptitude à consentir, c'est l'aptitude à... bien, à consentir à ce soin-là en particulier ou l'aptitude à prendre une décision. Dans nos études à nous, il était clair que la personne n'était plus capable de prendre des décisions. Et donc il faut que d'autres acteurs entrent en jeu. Dans notre cas à nous, évidemment, c'était la famille qui va voir le médecin puis qui dit : Bien, ma mère ne voulait pas vivre cet état-là, voici ce qu'elle a écrit dans son document, est-ce qu'on peut procéder? En fait, tu sais, il faut qu'il y ait quelqu'un qui déclenche la demande. Je serais étonnée que ça soit les professionnels de la santé eux-mêmes qui disent : Bon, j'ai trouvé le document dans le dossier de la personne, elle n'est plus apte à consentir. L'aptitude à consentir n'est pas si facile que ça à déterminer, là, à certains stades de la maladie, là, vous avez raison de le souligner, mais, dans le cas de nos études à nous, c'était clair, là, qu'on était loin de... il n'y avait pas de confusion par rapport à ça, la personne ne pouvait plus prendre de décision par elle-même. Donc, il fallait que quelqu'un d'autre initie le processus.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. Puis tout à l'heure vous avez mentionné aussi que cette décision-là ne doit pas se prendre seule quand on parle de la famille, là, mais bien d'être entouré avec des professionnels. Et pouvez-vous me nommer les gens, les gens qui seraient importants au niveau du personnel de la santé, qui peuvent participer? Parce qu'on soulignait, entre autres, l'importance des infirmières, hein, d'être... de participer au processus d'évaluation, et même peut-être d'aller au niveau administratif. Donc, j'aimerais ça vous entendre là-dessus.

Mme Bravo (Gina) : Bien, en fait, vous avez raison. Idéalement, ça pourrait être le médecin de famille, par exemple, si la personne à la chance d'en avoir un. Idéalement, c'est quelqu'un qui connaît bien la personne, qui connaît son histoire de vie, qui connaît son entourage aussi et qui pourrait plus facilement discuter de ses valeurs. Il faudrait que la personne, la famille ou le proche qui serait nommé pour représenter la personne quand elle ne pourra plus se représenter elle-même soit présent aussi.

On peut très bien imaginer les travailleurs sociaux aussi. Je ne l'ai pas mentionné, mais les études que j'ai menées, on est en train de la reproduire auprès des travailleurs sociaux, qui est un groupe qui est impliqué, notamment, pour revenir à votre première question, à l'évaluation d'aptitude. Ils sont souvent impliqués et ils sont aussi impliqués dans l'accompagnement soit des patients, quand ils sont aptes, ou des familles avant, après. Donc, c'est un groupe professionnel qui a des expertises dans ce domaine-là et qui pourrait être formé spécifiquement pour accompagner les gens. Les infirmières aussi. J'essaie juste de voir comment on pourrait rencontrer... Mon médecin de famille, je le rencontre de temps en temps. L'infirmière, je ne sais pas trop comment je pourrais la rencontrer.

Il pourrait y avoir des gens qui sont spécialisés ou identifiés pour accompagner. J'aimerais mieux des professionnels de la santé qu'un notaire, par exemple, avec qui on fait nos mandats... Vous avez probablement des mandats d'inaptitudes. On le fait avec eux, mais c'est beaucoup préformaté. Il n'y a pas une connaissance préalable de la personne. Donc, l'idéal, je pense, serait soit un médecin de famille ou une infirmière que l'on connaît bien, ce qui est plus rare, un travailleur social aussi qui pourrait jouer ce rôle-là.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : C'est tout pour moi, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Bravo. Ça soulève tellement de questions, votre présentation puis les réponses que vous avez données également, mais merci beaucoup d'être là avec nous pour contribuer à nos travaux.

D'entrée de jeu, spécifiquement sur l'étude que vous avez faite, je me posais la question — puis on a eu ces échanges-là aussi avec d'autres intervenants préalablement à vous — sur : Est-ce que, dans le fond, le consentement anticipé doit se donner à partir du moment où il y a un diagnostic ou avant? Je comprends, cliniquement, ce n'est pas votre expertise, mais, dans votre... ce que je comprends de l'étude que vous nous avez faite, dans les questions qui ont été posées, vous avez fait le choix de commencer à partir du moment où il y a la maladie. Si je ne me trompe pas, vous n'avez pas évalué le consentement anticipé dans une perspective hypothétique de maladie. Puis je me demandais : En termes de recherche, justement, pourquoi avoir pris cette posture-là?

• (16 h 40) •

Mme Bravo (Gina) : C'est une bonne question. Puis, en fait, si ma mémoire est bonne, et je peux me tromper, mais, dans le rapport du groupe d'experts, on recommandait que l'on puisse uniquement remplir une directive anticipée postdiagnostic. Et personnellement je ne comprenais pas ce rationnel. Que j'aie déjà mon diagnostic ou pas... J'ai souvenir qu'ils disaient : Ce serait plus concret de savoir que j'ai déjà un diagnostic. Moi, je ne vois pas beaucoup la différence, mais il y a peut-être des subtilités qui m'échappent. Mais vous me rappelez, par votre question, que je me suis demandé pourquoi, quelle protection supplémentaire ça donne. J'ai souvenir que c'est parce que, si je reçois un diagnostic, bien, je suis avec mon médecin, puis là c'est l'occasion d'en parler. Il peut me décrire ce qui m'attend, par exemple, plutôt que ça soit complètement théorique, bien que, si on vit assez longtemps, beaucoup de personnes vont avoir de la démence. Ce n'est pas complètement théorique et farfelu, mais néanmoins... Donc, ça, c'est un morceau de réponse.

Et l'autre, vous avez raison, dans notre vignette, pour rendre un peu les choses un peu plus concrètes — on fait beaucoup de choix, hein, quand on écrit une vignette comme ça qu'on va utiliser pour une quinzaine de pages de questionnaire — on avait décidé que c'était postdiagnostic. On disait que la mère de la patiente en question était décédée avec une démence, qu'elle l'avait vue, donc, évoluer, qu'elle savait qu'au début ça peut bien se passer, mais qu'à un moment donné elle ne sera plus capable de s'occuper d'elle, elle ne sera plus capable d'exprimer ses besoins, et tout ça. Donc, effectivement, c'est un choix qu'on a fait. Je pense que c'est un bon choix, mais la question se pose. Mais, comme je vous dis, moi, je n'avais pas vraiment compris, outre le soutien que je pourrais avoir postdiagnostic.

Et ça me fait penser de vous souligner, je parlais de l'étude que l'on fait chez les travailleurs sociaux, une différence par rapport aux études que l'on a faites et que je vous ai très brièvement présentées, c'est qu'aux travailleurs sociaux on demande aussi s'ils sont d'accord avec l'aide médicale à mourir avant qu'elle perde l'aptitude. Donc, si vous vous souvenez, nos vignettes à nous, les questions que nous, on a posées se situent postperte d'aptitude à prendre une décision, donc ce qu'on a appelé le stade avancé et le stade terminal. Mais, dans l'étude que l'on mène actuellement auprès des travailleurs sociaux, on devance même sur la trajectoire et on dit : Supposons que la personne dit : Moi, je suis encore capable de m'exprimer et je ne veux pas attendre de devenir inapte, parce que c'est une autre option et c'est probablement quelque chose à laquelle vous allez réfléchir maintenant que vous... pas que vous, mais qu'il n'est plus nécessaire d'être en fin de vie, est-ce que... même d'être encore apte et dire : Moi, je ne veux pas attendre l'inaptitude, je veux partir avant, pendant que c'est moi qui décide, pendant que je sais ce qu'on est en train de me faire, pendant que je peux dire : Oui, c'est bien ce que je veux, c'est un autre élément de complexité à vos réflexions. Il y en a beaucoup.

Mme Montpetit : Il y en a beaucoup, en effet, oui. Merci. J'aimerais ça aussi vous entendre... je sais que c'est plus philosophique, mais vous avez mentionné qu'un des enjeux, à travers ces réflexions-là, c'est l'effet que ça pourrait avoir sur la dévalorisation de la vie des personnes qui ont un trouble cognitif. Et puis c'est un élément dont on n'a pas... qu'on n'a pas abordé à l'heure actuelle. Je sais, c'est ça, c'est peut-être un peu plus philosophique, mais je pense que, comme on est dans un contexte aussi où, par exemple, la dégénérescence cognitive, l'alzheimer, on parle quand même d'épidémie à venir au niveau du vieillissement, je serais... oui, peut-être «épidémie» n'est pas le bon mot dans le contexte aujourd'hui, mais, en tout cas, c'est ce dont on parlait il y a quelques années, là, je fais faire une parenthèse, mais que le nombre... malheureusement, il y a de plus en plus de gens qui vont en souffrir. J'aurais aimé ça vous entendre, justement, sur cette question-là de l'impact que ça pourrait avoir sur ceux qui ne prennent pas nécessairement cette décision-là d'aide médicale à mourir ou de consentement anticipé.

Mme Bravo (Gina) : En fait, si vous lisez l'article que je vous ai transmis, sur les commentaires, c'est un élément qui revient, cette crainte que ces personnes, avec leur maladie, soient dévalorisées socialement puis qu'on ne leur attribue plus de valeur. Dans la mesure où l'acte serait basé sur une décision de la personne elle-même, je pense qu'on ne peut pas prétendre que c'est de la dévalorisation, quoique c'est peut-être... la dévalorisation est peut-être la motivation, à la base, de la personne, mais je pense qu'il y a beaucoup d'autres motivations : la peur de la maladie, la peur de... ne pas vouloir être un fardeau pour ses proches, etc. Et je ne pense pas que, comme société, il y a le risque qu'on donne l'aide médicale à mourir à des personnes qui ne l'auraient pas demandée, en fait. Je n'ai pas cette crainte-là.

C'est sûr que l'abus des proches... beaucoup ont parlé de l'abus des proches, même ceux qui étaient favorables. Ils ont juste dit qu'il faut être vigilants, il faut faire attention. On parlait beaucoup d'abus financier principalement et non de l'abus basé sur un fardeau trop grand, là. C'était vraiment pour aller chercher l'héritage plus rapidement. C'est beaucoup les infirmières, en fait, qui ont fait ce commentaire-là, comme si elles en avaient été témoins, pas nécessairement dans... Ça n'a rien à voir avec l'aide médicale à mourir, d'en avoir été témoin, mais j'ai l'impression qu'il y en a beaucoup qui l'ont vu. Donc, oui, il y a un risque de dévalorisation, mais je pense que ce n'est pas l'élément principal, à mon avis.

Mme Montpetit : Puis j'aurais beaucoup d'autres questions. Je vais vous en poser une dernière, parce que j'ai mon collègue aussi, notre temps est toujours compté, qui souhaite vous en poser une. Mais je me demandais à quel point, dans les réponses qui vous ont été données, il y a une méconnaissance du vieillissement ou que nos perceptions sont basées, justement, beaucoup sur des concepts erronés de ce qu'est le vieillissement, de ce qu'est la démence. Est-ce que vous avez évalué, justement, comment c'est venu teinter les réponses qui vous ont été données dans le cadre de cette étude-là?

Mme Bravo (Gina) : Seulement indirectement. Puis vous avez raison de dire que, si les gens sont pour remplir des directives, si c'est pour être autorisés, il faut que les gens soient bien informés quand même. En même temps, je pense, c'est justement dans l'article en question où je rapporte les commentaires des gens, je concluais en disant : Bien, il faut qu'il y ait des efforts de faits pour qu'on ait une perception plus positive de la démence. Et les évaluateurs disaient : Mais qu'est-ce qu'il y a de positif là-dedans? Donc, c'était comme pour dire : C'est négatif, mais c'est la réalité.

Bon, c'est sûr qu'un certain nombre de participants ont parlé des déments heureux, qu'on appelle, donc de ceux qui n'ont pas l'air malheureux. Puis il en existe. C'est surtout des médecins qui disaient ça : Moi, j'en connais. Ça ne veut pas dire que c'est la majorité. À ma connaissance, il n'y a aucune publication qui nous dirait quelle proportion des personnes atteintes de démence sont heureuses, mais on sait qu'il y en a, et ça justifie encore davantage, dans sa directive, de bien décrire ce qui est pour nous inacceptable. Est-ce que d'être un dément heureux — puis je m'excuse d'utiliser cette expression-là, mais c'est comme l'expression qui est utilisée — est-ce que de savoir que je vais peut-être avoir... ne pas être malheureuse, je ne le voudrais pas à ce moment-là? Est-ce que je dis : Si je suis une démente heureuse, je vais continuer, alors, jusqu'à la fin, ça va être moins dur pour tout le monde que d'accélérer mon décès, ou je vais... donnez-moi pas d'antibiotiques si j'ai une pneumonie, je partirai comme ça plutôt qu'avec un geste d'aide médicale à mourir?

Mais donc, effectivement, il y en a, des personnes pour qui ça peut bien se passer, mais, vous savez, le problème, c'est... on ne sait pas de quel groupe on... à quel groupe va appartenir. On ne le sait pas d'avance. Il n'y a personne qui va être capable de prédire : Telle personne, ça va bien se passer. Je pense que c'est invraisemblable, là, même au niveau scientifique. Alors, il va falloir plus décrire : Si je suis dans telle situation, je ne voudrais pas le vivre et je voudrais que vous me donniez l'aide médicale à mourir dans ce cas-là.

Mme Montpetit : ...je vous remercie.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je passerais la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Et merci, Mme Bravo, pour la qualité de vos interventions. Ça alimente nos réflexions de façon très importante.

Écoutez, c'est confrontant d'entendre, peut-être pas surprenant, mais que, lors de votre sondage... de prendre en ligne de compte l'anticipation de la qualité ou le manque de qualité de services qui les attendaient, bon, compte tenu de nos derniers 18 mois, et même bien avant. On soit clair que c'est confrontant, quelque part. Et évidemment, on ne veut pas que, quelque geste collectif qu'on prenne, on se libère de la responsabilité de faire tellement mieux, mais, dans le contexte de nos discussions, en même temps, je ne veux pas du tout minimiser ce constat-là. Mais est-ce que vous avez mesuré combien d'ampleur ça prenait? Parce que c'est une chose circonstancielle, en quelque part. À part de la décision comme telle de dire : Dans une telle souffrance, j'aimerais mettre fin à ma vie, est-ce que vous avez qualifié et quantifié l'ampleur de cette préoccupation-là?

Mme Bravo (Gina) : Excellente question. Réponse : Non, et je ne sais pas comment on ferait ça, scientifiquement parlant. Mais votre question est très, très, très pertinente.

Ce qui est un peu encourageant, c'est que ce volet-là, de qualité de soins, il s'améliore, c'est-à-dire, on peut l'améliorer, on peut faire des efforts en ce sens, et je pense que tout ce qui s'est passé avec la COVID va extrêmement nous motiver. La politique de Mme Blais, qui est tout à fait indépendante de la COVID, on avait commencé nos travaux avant que la pandémie entre, donc, ça, c'était déjà dans les cartons. Ce sont tous des efforts qui vont dans la même direction.

J'ai des discussions avec mes collègues par rapport à cette balance dont vous parlez, qualité des soins versus la maladie elle-même, et c'est difficile de savoir dans quelle mesure ça influence. Mon «gut feeling», là, ça vaut ce que ça vaut, mais c'est que la peur de la maladie est encore plus grande, en fait. Est-ce que, si on avait... Puis ça revient un peu à la description que donnait Mme la Présidente tout à l'heure. D'être au stade 7, tout recroquevillé sur soi-même dans son lit, complètement déconnecté, ça, ça n'a rien à voir avec la qualité des soins, là, je pense, bien, on pourrait peut-être faire en sorte que ça, ça se passe bien, mais il reste que, pour beaucoup de gens, ça n'a pas beaucoup de sens. Donc, je pense que, si j'avais à... si vous me forcez à choisir entre la qualité des soins puis la maladie elle-même, j'aurais tendance... que la maladie elle-même a davantage de poids. Et je me réjouis du fait que la qualité des soins, on peut socialement faire des efforts pour que ça, ça ait un poids zéro, idéalement, dans un monde idéal, si vous voulez.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, M. le député. Donc, je céderais la parole maintenant au député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Bravo, pour votre présentation très complète. Comme le disait ma collègue de Joliette, vous avez fait un beau tour d'horizon.

Sur la question de l'inaptitude, si je comprends bien la position qui est la vôtre, vous, grosso modo, là, si je schématise, vous souhaitez que ce soit possible pour les gens d'exprimer un consentement anticipé, mais vous souhaitez qu'il soit quand même relativement détaillé, assez descriptif, là, pas seulement cocher des cases, comme vous l'aviez vous-même dit. Vous dites également : Il faudrait qu'il y ait une manière d'évaluer qu'il y a une souffrance objective, là, trouver une manière d'objectiver la souffrance des gens pour qu'on puisse venir comme valider, dans le fond, la description qui avait été faite antérieurement par la personne quand elle était apte. Puis vous ajoutez également la question d'un certain consensus médical puis au sein des proches. Puis, si j'essaie de schématiser votre réflexion, vous me dites : Si tout ça se produit, on a quelque chose... on a un fondement solide pour procéder à l'aide médicale à mourir pour quelqu'un qui est dans une situation d'inaptitude.

Si j'ai bien compris votre raisonnement, ma question serait la suivante : Si on a toutes rempli ces conditions-là, donc un consentement anticipé détaillé et précis, on constate que les souffrances, de manière relativement objective, là, je ne sais pas... je veux dire, ce ne sera pas... ce ne sera jamais une science exacte, on ne peut pas être dans la tête de la personne, mais il y a quand même des procédures qui existent, et qu'il y a consensus, mais que la personne, soit dans un moment de lucidité soit dans un autre contexte, exprime, elle, un refus, à ce moment-là, qu'est-ce qui devrait se passer, selon vous? La personne est déjà jugée inapte, mais, pour une raison ou une autre, elle émet comme un non-consentement à l'égard de l'aide médicale à mourir. Qu'est-ce qu'on fait si ça se passe?

• (16 h 50) •

Mme Bravo (Gina) : C'est une bonne question. Mais vous avez bien résumé ma position, là, en fait, avec toutes les nuances qui s'imposent, mais je pense que c'est un résumé qui est exact. Votre intervention, je pense, fait référence un peu à de la résistance. Si quelqu'un s'oppose, qu'on est prêt à l'administrer, c'est une forme, probablement, de résistance. Encore une fois, moi, mon attitude est comme guidée par une espèce de trait de personnalité où j'ai tendance à être plus prudente, et donc je pense que le refus devrait être respecté.

Les spécialistes vont parfois dire, et il faut tenir compte de leur avis davantage... du mien, que des refus peuvent ne pas être fondés dans ces situations-là. Et c'est pour ça qu'un autre élément de votre réflexion, puis vous l'avez peut-être déjà fait, c'est : Est-ce que vous allez exiger un expert, en fait, dans le sujet? Dans le dossier, y aura-t-il, comme, par exemple, Mme la présidente parlait, des problèmes de santé mentale, on exigeait qu'il y ait des psychiatres, si ce n'est pas ici, au Québec, là, dans d'autres pays... qu'il y ait un spécialiste, vraiment, de cette maladie-là à l'origine de la souffrance pour bien la comprendre, pour pouvoir voir que c'est une souffrance réelle?

Donc, dans le cas des résistances... Vous avez probablement vu, suite au cas dont je parlais, des Pays-Bas, avec le... qu'ils ont baptisé l'euthanasie-café, donc avec le sédatif mis dans le café, ils viennent juste de sortir la règle que, oui, le sédatif dans le café va être permis. Donc, c'est pour empêcher cette résistance-là. Est-ce que vous allez aller dans ce sens-là? Est-ce que, peut-être, ce n'est pas dans une loi qu'on va parler de ça, mais plutôt dans les guides de pratique? Parce que c'est comme... c'est l'acte, c'est la façon de faire l'acte lui-même. Mais, suite au cas dont je vous parlais, la recommandation qui a été faite par la commission aux Pays-Bas, c'est d'autoriser le sédatif pour empêcher que la personne résiste dans ce cas-là. Moi, ça me donne un petit peu des frissons, mais c'est peut-être parce que je ne suis pas clinicienne puis je ne suis pas auprès des patients quotidiennement.

Donc, j'aurais tendance à dire : Dans le doute, n'y allons pas, mais je pense que, si vous posez la même question — puis vous l'avez peut-être déjà fait — à des spécialistes de la maladie, ils vont peut-être vous répondre : Il ne faut pas donner trop d'importance à ce refus-là, qui ne serait comme pas fondé. Alors là, c'est la limite de mon expertise, là, que je vous expose.

M. Nadeau-Dubois : Oui. Bien, c'est en effet une réponse...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci, M. le député. C'est tout le temps qu'il nous restait avec Mme Bravo. Donc, merci infiniment de votre présence avec nous cet après-midi, Mme Bravo.

Et nous suspendons les travaux quelques instants, le temps d'accueillir notre nouvelle invitée.

(Suspension de la séance à 16 h 54)

(Reprise à 17 heures)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Merci, tout le monde.

Je souhaiterais la bienvenue à Mme Danielle Chalifoux. Donc, vous aurez 20 minutes pour faire votre exposé et, par la suite, vous aurez un échange avec les membres de la commission pour 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.

Institut de planification des soins du Québec

Mme Chalifoux (Danielle) : Alors, merci beaucoup, Mme la Présidente. Mmes, MM. les députés et ministre, merci de m'avoir invitée à participer aux auditions de la commission.

Je suis présidente de l'Institut de planification des soins du Québec. C'est un organisme qui a pour mission d'informer et de soutenir tant les personnes plus vulnérables que leurs aidants, les organismes et plus généralement le public qui fait appel à nous en matière de droit de la santé. À ce titre, j'ai présenté de multiples conférences un peu partout au Québec depuis une dizaine d'années, ce qui m'a permis de recueillir les opinions et aussi de mieux comprendre les problématiques qui préoccupent les gens quant à l'aide médicale à mourir et aux demandes anticipées, ainsi que pour les personnes atteintes de maladie mentale. J'ai aussi pratiqué en soins infirmiers dans des CHSLD et dans des maisons de soins palliatifs, ce qui m'a permis de me rapprocher de la réalité terrain des personnes atteintes de diverses maladies chroniques et celles en fin de vie. Aussi mon intervention devant vous aujourd'hui se situe, oui, au niveau du droit, mais il tient compte aussi de mon expérience terrain à titre de conférencière, mais aussi de professionnelle en soins infirmiers — je suis retraitée depuis quelques années, tout de même — et aussi à titre de citoyenne.

Vous avez probablement devant vous une copie d'un PowerPoint que j'aurais aimé vous présenter, mais, apparemment, ce n'est pas possible, alors je vais suivre ce plan détaillé et j'espère que vous allez me suivre moi aussi de la même façon. Il n'est pas complet. J'ai pensé présenter les choses qui me tenaient le plus à coeur puis je vous laisserai ensuite la possibilité de me poser toutes les questions que vous voulez.

Alors, l'état de la situation, on va commencer par ça. Suite à l'affaire Gladu-Truchon et à la loi C-7, bien, la déclaration d'inconstitutionnalité de la notion de fin de vie ou de la mort naturelle raisonnablement prévisible consiste en un changement fondamental dans la perception autant que dans l'application de la Loi concernant les soins de fin de vie. On aurait pu souhaiter, dont je suis, que la notion de fin de vie soit maintenue dans une acception plus large et plus inclusive, mais l'absence de définition et l'arbitraire de son application ont mené à sa disparition en matière d'aide médicale à mourir.

Alors, le jugement en question s'applique au Québec et pas dans toutes les provinces, comme vous le savez, donc c'est C-7 qui pourvoit pour le reste du Canada. La notion de fin de vie, dans la Loi concernant les soins de fin de vie, était un genre de notion parapluie, hein, comprenant et les soins palliatifs autant que l'aide médicale à mourir, et sa disparition ouvre la porte à toute une panoplie de maladies, d'affections ou de handicaps. On pense tout d'abord aux maladies neurodégénératives comme l'alzheimer, ou la maladie de Parkinson, ou la sclérose en plaques, mais cela inclut aussi des maladies auxquelles on ne penserait pas au premier abord comme, j'en cite quelques-unes, là, par exemple, la polyarthrite rhumatoïde sévère, la fibrose kystique, le diabète, etc., et ce que l'on considère également comme des handicaps qui sont acquis ou innés, comme la paralysie cérébrale dont souffrait feu M. Jean Truchon, et des séquelles de maladies infectieuses comme la poliomyélite, qui est la maladie dont Mme Nicole Gladu est atteinte.

Alors, en ce qui concerne les modifications qui sont contenues dans C-7, il y a des conséquences. Moi, j'ai interprété certaines dispositions concernant le renoncement au consentement final à l'aide médicale à mourir, qui est dans C-7, comme, si vous voulez, une façon d'avoir avalisé le principe des demandes anticipées puisque c'est une demande qui est quand même anticipée, même si elle n'est pas anticipée pour une très longue période, mais avec une entente préalable, et je trouve que ça ressemble énormément aux demandes anticipées, finalement. Et, les conséquences sur les personnes atteintes de maladie mentale, bien, comme vous le savez, suite aux propositions du Sénat, il y a eu un genre d'acquiescement à permettre l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale, mais sujet à des études supplémentaires après une période, là, qui va être d'à peu près... ou qui va être de 24 mois. Alors, je vais en reparler un petit peu plus loin.

Alors, je vais aborder maintenant les conséquences et sur la rédaction et la terminologie de la Loi concernant les soins de fin de vie et les modifications, qui, à notre sens, sont les plus... enfin, que nous, on a trouvé importantes, là. Il y en a, énormément, beaucoup. Je m'étais amusée à calculer le nombre de fois où la mention «notion de fin de vie» est répertoriée dans la loi, puis j'en avais compté, je pense, plus de 25, alors il y en a beaucoup. Il va falloir, évidemment, voir si ça s'applique encore toujours.

Alors, la disparition du critère de fin de vie change fondamentalement, comme j'ai dit tout à l'heure, la manière de percevoir l'aide médicale à mourir non plus seulement comme un soin de fin de fin de vie, mais comme un soin tout court, dont les personnes peuvent se prévaloir. Alors, maintenant, si elles sont atteintes d'une maladie grave et incurable, qu'elles respectent les conditions d'aptitude, de souffrance, et qu'elles présentent un déclin avancé de leurs capacités, dont je vais parler aussi tout à l'heure parce que je trouve que c'est très important, il faut donc, selon nous, que cela se répercute clairement dans l'ensemble de la loi.

Tout d'abord, dans son intitulé, la Loi concernant les soins de fin de vie devrait-elle être modifiée pour y inclure l'aide médicale à mourir? Nous, on pense que ça serait peut-être une façon de voir les choses, de conserver la «Loi concernant les soins de fin de vie» et d'y ajouter «et l'aide médicale à mourir». Dans certaines définitions aussi, comme à l'article 3, au troisième paragraphe, qui dit que les soins de fin de vie englobent à la fois l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs, à ce moment-là, il faudrait modifier ça aussi. De même qu'au 6° paragraphe de l'article 3, qui définit l'aide médicale à mourir comme étant un soin de fin de vie, bien, évidemment, il va falloir probablement modifier, actualiser cette définition aussi.

Alors, il y a beaucoup de modifications de concordance parce que, dans certains cas, si on parle de soins palliatifs, bien, on maintient la... la sédation palliative continue, bien, c'est sûr que ça ne se fait qu'en fin de vie, alors, à ce moment-là, il faut maintenir aussi, alors il y a tout un travail de concordance à faire. Mais nous, à l'institut, on a aussi relevé deux autres modifications, qu'on trouve... Évidemment, il y a aussi celle de la condition de l'article 26, au troisième paragraphe, là, il va sans dire qu'il faut la retrancher.

Maintenant, quant aux maisons de soins palliatifs, moi, je voulais simplement vous souligner aussi qu'il y a un article 13 qui est rédigé comme suit dans la loi, on dit : «Les maisons de soins palliatifs déterminent les soins de fin de vie qu'elles offrent dans leurs locaux.» Nous savons tous que, maintenant que la Maison Michel-Sarrazin, qui est le chef de file dans ce domaine, a accepté que l'aide médicale à mourir soit administrée dans ses locaux, ça a un effet d'entraînement sur toutes les maisons de soins palliatifs. On croit que cet article-là a vraiment perdu sa pertinence, va épingler ces maisons-là plutôt que tous les autres établissements où il y a de l'aide médicale à mourir maintenant, de même que le fameux article 72 de la Loi concernant les soins de fin de vie, qu'on appelait communément la clause Michel-Sarrazin, mais qui n'a plus non plus sa pertinence puisque Michel-Sarrazin a décidé d'offrir l'aide médicale à mourir dans ses locaux. Donc, on n'a plus besoin de cette exception-là, qui avait été faite pour la Maison Michel-Sarrazin.

Maintenant, je voudrais vous parler aussi... On trouve très importantes, nous, les quelques considérations constitutionnelles, malgré que nous ne sommes pas des constitutionnalistes. Mais C-14 et C-7 sont des lois qui modifient le Code criminel, mais ce sont des exceptions au Code criminel à l'effet d'y retrancher l'aide médicale à mourir sous certaines conditions de fond. Alors donc, c'est une décriminalisation de l'aide médicale à mourir sous certaines conditions. Ça, c'est tout à fait légitime, c'est du ressort de la... du palier fédéral.

Mais j'aimerais paraphraser ici le Pr Patrick Taillon, que probablement plusieurs d'entre vous connaissent ou vont connaître, peut-être, s'il va vous entretenir de certaines choses au niveau constitutionnel. À mesure que la... Il disait, il n'y a pas longtemps, je l'entendais parler : À mesure que la décriminalisation s'effectue en matière d'aide médicale à mourir, la compétence fédérale diminue, et c'est la compétence provinciale en santé qui prend le relais. Et nous, on est absolument d'accord avec ça. Ça fait que, même si le palier fédéral, dans un souci d'harmonisation et d'uniformisation pour le Canada entier, a empiété sur la compétence provinciale, il n'en demeure pas moins que la santé, la gestion de la santé, les professions, c'est tout du domaine provincial. Et la loi sur l'aide médicale à mourir a modifié le Code criminel au niveau fédéral, mais n'a pas modifié, selon nous, le Code civil, en tout cas, qui est notre compétence à nous.

• (17 h 10) •

Alors, je trouve que ce raisonnement, pour nous, vaut pour les directives anticipées éventuelles que vous pourriez décider d'inclure dans la loi et pour les règles qui régissent aussi les maladies mentales. Alors, en conséquence, nous croyons que le Québec peut légiférer d'emblée dans ces deux domaines, qui sont de son ressort exclusif, sans devoir être à la remorque du palier fédéral, comme d'ailleurs on l'a déjà fait quand, on s'en souvient... lors de l'adoption de la Loi concernant les soins de fin de vie, puisqu'on a été les premiers à adopter une loi au Canada à cet égard-là.

Maintenant, je vais aborder la pratique de l'aide médicale à mourir et l'effet de la disparition de la notion de fin de vie. Selon nous, et je pense que c'est assez évident, il va y avoir un accroissement des demandes. Il va y avoir une variété de demandes qui vont entraîner, probablement, une complexité accrue de l'évaluation, parce que, là, on n'a plus ce critère de fin de vie, donc on va avoir un critère, qui, selon nous, n'est pas nécessairement aussi très, très clair. Je vais vous en parler tout à l'heure. Et, de plus, si jamais on permettait les demandes anticipées, cela augmenterait le niveau de difficulté, parce que l'évaluation du bien-fondé de la demande, dans une demande anticipée, se fait en deux temps, se fait au moment où la personne fait la demande et se fait aussi au moment où la personne devrait normalement recevoir l'aide médicale à mourir selon les critères qui ont été établis dans sa demande. Alors donc, il y a un niveau de difficulté, là, qui est accru aussi.

Et, en matière de politique de rédaction de loi, nous sommes aussi en faveur de l'élaboration, à l'intérieur de la Loi concernant les soins de fin de vie et possiblement l'aide médicale à mourir, des mesures strictes pour chacune des situations envisagées et non pas de laisser la discrétion à des organismes divers que l'on ne voudrait pas voir prendre la place du législateur. On considère que la délégation trop grande à des organismes fait que le législateur, d'une certaine façon, donne un peu ses pouvoirs à ces organismes-là et ne... devrait plutôt assumer pleinement son rôle. Alors donc, on est en faveur d'une loi détaillée, un peu comme il a été fait déjà et comme tout le secteur, le chapitre des directives médicales anticipées, dans la loi, le permet. C'est une loi qui, vraiment, selon moi, comporte tous les détails nécessaires pour que l'application soit claire et précise.

Alors, je voudrais dire un mot aussi sur la question du critère du déclin avancé des capacités comme condition d'admissibilité à l'aide médicale à mourir, parce qu'avec la disparition de la question des soins de fin de vie proprement dits, bien, le critère du déclin avancé des capacités prend plus d'importance. Parce qu'auparavant, étant donné qu'il fallait évaluer que la personne était en fin de vie, elle était nécessairement, disons, en déclin avancé de ses capacités, alors ce critère-là, il est un peu passé sous le tapis, mais maintenant il prend une importance assez primordiale.

Il faut signaler qu'il y a des juristes qui trouvent que, ce critère-là, qui n'est pas mentionné dans l'arrêt Carter, sa constitutionnalité serait douteuse. Pour nous, on trouve que son caractère est assez flou, parce que qu'est-ce que c'est qu'un déclin avancé des capacités? Ça peut être très subjectif d'une personne à l'autre. Il y a certaines personnes qui ont des déclins avancés des capacités qui vont continuer de vouloir vivre jusqu'à la fin, d'autres sont plus susceptibles d'être vulnérables par rapport à ça. Alors, j'entrevois des difficultés par rapport à ce critère-là.

Puis enfin, au niveau de l'évaluation de l'aptitude à demander l'aide médicale à mourir, le fait qu'on a élargi énormément, avec la disparition du critère de fin de vie, toutes les conditions dans lesquelles on peut demander l'aide médicale à mourir, les handicaps, les affections, tous les gens qui ne sont pas en fin de vie, la complexité d'évaluer l'aptitude va être elle aussi augmentée. Et on a une proposition à vous faire à cet effet-là.

Alors, si on se penche plus particulièrement sur la problématique au niveau des demandes anticipées, est-il superflu de mentionner qu'au Québec le consensus est déjà atteint à ce sujet depuis plusieurs années? Mes nombreux entretiens et les interventions que je fais ou que les gens me font, lors des conférences que je présente régulièrement, ont toujours été hautement favorables aux demandes anticipées. Les sondages, les consultations diverses sont aussi favorables.

Alors, je tiens à mentionner aussi que la position officielle de la Société d'Alzheimer du Canada considère que les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ne cessent pas d'être des personnes comme toutes les autres, qui ont des droits, dont celui de recevoir l'aide médicale à mourir et à faire des demandes anticipées. C'est une position officielle de la Société d'Alzheimer elle-même, je trouve qu'il est important de la considérer dans ce domaine-là.

Alors, en considération de tout ça, moi, je pense que ça... les consultations, etc., devraient normalement avoir suffi et que la commission devrait plutôt étudier... plutôt que d'étudier l'opportunité de faire des demandes anticipées, elle devrait se pencher sur les conditions auxquelles on devrait faire ces demandes anticipées là, parce que je pense que c'est admis de... il y a un consensus par rapport à ça au Québec.

Ce qui m'amène à vous parler des recommandations du groupe d'experts qui a été formé par le gouvernement précédent et qui, pour les demandes anticipées, devraient être très utiles à la formulation d'une loi éventuelle. Et j'aimerais apporter une précision à propos des recommandations du groupe d'experts. Je voudrais attirer l'attention, votre attention, sur une position qui... j'étais membre, hein, de ce comité-là, alors il y a une position qui n'a pas fait l'unanimité, et j'aimerais vous en parler. C'est à l'égard des personnes qui souffriraient de séquelles graves et irrémédiables d'une maladie, tel qu'un ACV, par exemple, pour pouvoir faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir en vue de leur inaptitude.

Et je m'explique. Le groupe d'experts a donné comme obligation, pour les personnes qui font une demande anticipée, d'avoir déjà reçu, au préalable, un diagnostic de maladie grave et incurable. Cela, comme vous pouvez le constater, exclut automatiquement les victimes d'un événement soudain et imprévu, tel un AVC ou un traumatisme crânien grave, puisque ces personnes-là n'auraient pas été en mesure de faire une demande anticipée parce qu'elles n'ont jamais eu de diagnostic préalable. Cette exclusion nous semble, à l'Institut de planification des soins, être une atteinte injustifiée aux droits de ces personnes.

D'ailleurs, cette condition de diagnostic préalable visait, entre autres, une certaine actualisation de la demande pour ne pas que la demande anticipée date de très nombreuses années, aurait peut-être perdu son actualisation. Alors, c'est compréhensible, et je crois que c'est acceptable pour les maladies dégénératives dont l'évolution est prévisible. Mais, pour les séquelles graves et irréversibles d'un ACV, par exemple, je crois qu'on pourrait exiger, si on veut absolument avoir une actualisation, une autre forme, dont un renouvellement de la demande anticipée à tous les cinq ans.

Mais je vous soumets que requérir une actualisation, ce n'est pas nécessairement une position, disons, il n'y a pas d'obligation par rapport à ça, parce que ne pas le faire — comme, par exemple, il n'y a personne qui exige qu'on réactualise notre testament à tous les cinq ans, etc. — c'est laisser aux personnes la responsabilité de le faire elles-mêmes au moment où elles le trouvent propice, selon les circonstances, les situations de la vie. Alors donc, pour ça, moi, je pense qu'il y aurait lieu de distinguer entre diverses situations pour les demandes anticipées, si on veut garder cette obligation-là, d'avoir un diagnostic préalable.

Maintenant, je disais tout à l'heure, et je pense que c'est aussi important, que l'évaluation de l'aptitude est une condition essentielle et incontournable, et nous pensons que refuser l'aide médicale à mourir parce que l'aptitude ou l'inaptitude a été mal évaluée, bien, d'abord, c'est une atteinte aux droits et ça devrait normalement ne pas se produire. Par ailleurs, on a constaté... en tout cas, moi, je l'ai constaté comme infirmière, mais il y a des chercheurs, là, qui m'appuient là-dessus, qui constatent que, quand on est en communication avec des personnes dans le système de santé ou qu'on voit... Moi, en matière de soins de fin de vie, je l'ai vu aussi assez souvent, l'évaluation de l'aptitude laisse souvent à désirer, n'est pas faite selon des critères vraiment objectifs, et, pour des problématiques particulières, ça représente un certain défi.

Bien, je vous donne un exemple. La maladie d'Alzheimer et l'évolution... c'est-à-dire l'aptitude, et son évaluation doit être rigoureuse. Et ce n'est pas parce qu'une personne a la maladie d'Alzheimer que, nécessairement, elle est inapte, n'est-ce pas? Mais par ailleurs il faut tenir compte de certains facteurs et il faut mettre les conditions favorables à reconnaître son aptitude pour ne pas la préjudicier par rapport à ça. Alors, il faut tenir compte de certaines choses comme, par exemple, des intervalles lucides. Il faut tenir compte aussi du fait qu'il y a certaines situations dans la maladie d'Alzheimer. Je ne sais pas s'il y en a qui ont déjà entendu parler du syndrome crépusculaire, mais il y a certaines périodes dans la journée où les personnes sont plus vulnérables que d'autres.

• (17 h 20) •

Et j'assistais à un webinaire de la société canadienne des... je vais le dire en anglais parce que tout le monde le dit en anglais, là, Canadian Association of MAID Assessors and Providers il n'y a pas longtemps, où on parlait, justement, de cette difficulté d'évaluation. Mais les médecins qui faisaient la conférence disaient que ça prend des connaissances pointues de la maladie d'Alzheimer pour pouvoir vraiment évaluer l'aptitude d'une personne. Ça devrait se faire au moyen de plusieurs entrevues dans un milieu favorable et sécurisé, par exemple, avec la présence des proches, qui serait rassurante, etc. Alors, ce n'est pas une mince affaire. Puis je pense qu'on n'est pas outillés, dans le moment, vraiment, pour faire des évaluations de cette ampleur-là, et je pense qu'il va falloir faire quelque chose par rapport à ça.

Et, dans l'aptitude et les troubles mentaux, j'ai toujours plaisir à mentionner un arrêt de la Cour suprême, qui date déjà de plusieurs années, qui s'appelle Starson contre Swayze, où la Cour suprême a reconnu que, malgré le fait qu'une personne est atteinte d'un trouble mental ou d'une maladie mentale sérieuse, elle peut très bien être apte à prendre des décisions éclairées. Et, dans ce cas, il s'agissait d'un professeur qui s'appelait le Pr Starson, qui était atteint d'une maladie bipolaire sévère pour laquelle il avait été hospitalisé à plusieurs reprises, et n'empêche que la Cour suprême a dit que cette personne-là, elle pouvait faire des choix éclairés. En l'occurrence, c'était pour refuser une médication qu'il ne voulait pas prendre parce que ça compromettait toutes les recherches qu'il était en train de faire, parce qu'il n'avait pas la même acuité mentale que, normalement, il aurait dû avoir.

Il y a un autre volet aussi, c'est l'aptitude et le léger retard de développement mental. Je tenais à en parler parce que c'est assez délicat. Mais j'ai pris connaissance d'une étude de la professeure psychologue Mme Giard, qui a analysé, justement, l'aptitude des personnes qui ont un retard de développement mental dans le cadre de leur capacité à consentir à participer à un projet de recherche. Donc, elle en venait à la conclusion que ces personnes-là pouvaient avoir une certaine aptitude pour une fin particulière, là, ici, c'était un projet de recherche, mais ça pourrait aussi bien être l'aide médicale à mourir, mais qu'on devait tenir compte de circonstances et de caractéristiques particulières, que l'évaluation devait être faite de façon aussi, là, rigoureuse et pour qu'elle ne soit pas préjudiciable à ces personnes-là. Puis elle mentionnait...

J'espère que je n'irai pas... que je vais avoir le temps de tout vous dire, mais, en tout cas, on ira aux périodes de questions quand le 20 minutes sera terminé, Mme la Présidente. Là, je compte sur vous pour m'aviser.

La Présidente (Mme Guillemette) : Allez-y. Le 20 minutes est terminé, mais c'est vraiment intéressant, ce que vous dites. Allez-y, Mme Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : Ah oui? Bien, écoutez, parfait.

Alors donc, par exemple, les personnes qui ont un léger retard mental ont souvent la propension à vouloir dire comme nous, à vouloir accepter, essayer de faire une réponse qui va nous convenir à nous, la personne qui interroge, plutôt qu'elle. Donc, c'est tous des facteurs qui font qu'il y a besoin d'une évaluation de personnes qui sont vraiment versées dans les situations particulières.

Et c'est là que nous avons une recommandation, qui est de créer un centre d'expertise gouvernemental en aide médicale à mourir en général, qui pourrait s'adresser un peu au modèle de la Colombie-Britannique, là, dont je vous parlais tout à l'heure, l'Association of MAID Assessors and Providers, dont certains médecins québécois font partie, mais qui est beaucoup, je dois le dire, orientée du côté anglophone. Alors, je penserais que cette façon de créer un centre d'expertise, qui est de la formation, de l'information, du mentorat pour les médecins, mais pour d'autres professionnels de la santé, même des administrateurs en santé sont membres aussi, pour des chercheurs, pour encourager la recherche, notamment, justement, en évaluation de l'aptitude et autant que pour l'aide médicale à mourir en général... Et ils ont un volet de soutien et d'information aux personnes, au public en général, qui envisagent de demander l'aide médicale à mourir. Alors, je considère que la commission aurait peut-être avantage à se pencher sur, éventuellement, la formation d'un comité d'experts de ce genre, qui pourrait former et informer, mentorer aussi les personnes qui donnent l'aide médicale à mourir.

Je vais passer très rapidement, puisque mon temps est écoulé, sur l'aide médicale à mourir et les personnes dont la maladie mentale est la seule condition invoquée, parce que je suis sûre que vous allez entendre l'Association des médecins psychiatres du Québec, et qui a vraiment fait un travail remarquable. Mme Gupta, qui est la porte-parole, en général, explique de façon très claire les conditions auxquelles les personnes qui ont des maladies mentales, qui sont récalcitrantes, qui sont chroniques et qui, évidemment, de ce fait-là, auraient duré pendant des années et des années et qui en feraient des maladies graves et incurables...

Et je pense que je vais terminer là-dessus puis je vais... prendrai vos questions après. Nous sommes favorables, dans le cadre des conclusions de ce rapport de l'association des psychiatres québécois, nous, à ce que les personnes qui souffrent de maladie mentale puissent avoir l'aide médicale à mourir. Et je ne crois pas qu'on devrait redouter les abus, parce que, dans une récente conférence que la Dre Herremans, qui est belge et qui était au symposium de consultations que le gouvernement a entrepris à ce sujet-là il n'y a pas tellement longtemps... nous disait que, dans les Pays-Bas... Moi, j'ai fait un peu un petit calcul rapide, là, je suis très mauvaise en calcul, mais, en tout cas, j'en ai conclu, là, de ces chiffres, que, tant pour les maladies dégénératives que pour les troubles mentaux, aux Pays-Bas, il n'y a pas plus que 3,6 % des personnes qui ont l'aide médicale à mourir sur le nombre total des aides médicales à mourir pour ces personnes-là et qu'en Belgique c'est encore moins, c'est 2 %. Alors, je trouve que ces pourcentages-là sont rassurants, finalement, parce que des abus, est-ce qu'on doit les craindre, je ne croirais pas.

Par ailleurs, disons que la situation des soins en santé mentale est déplorable au Québec, comme ailleurs, d'ailleurs, un peu partout. Et que l'un n'irait pas sans l'autre : comme on a fait dans le cas de l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs, il faut absolument que le même scénario se reproduise pour que l'augmentation de la qualité et de l'accessibilité des personnes qui ont des troubles mentaux puisse se faire en parallèle avec l'acceptation de l'aide médicale à mourir.

Alors, disons, je vais m'arrêter ici puis je vais prendre vos questions.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. On va passer à la période des questions. Je suis certaine que ça va répondre à ce qu'il reste. Donc, je cède la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente. Me Chalifoux, c'est rafraîchissant de vous entendre. Mais je pense que la lecture que j'en fais, c'est que, vous savez, on a un mandat qui est très circonscrit, qui est très restreint, et je pense que, dans notre rapport, il va falloir tenir compte de mesures d'accompagnement, de mesures de contrôle, de mesures d'encadrement, qui vont être très importantes. Mais... Et je lisais, dans vos recommandations, comment, dans la deuxième partie de notre mandat, on va rencontrer des citoyens, comment, pour vous, c'est important. Parce qu'est-ce que je me trompe en vous disant que vous nous encouragez à aller plus loin que C-7 et, au lieu d'arrimer avec C-7, être encore les précurseurs dans les directives médicales ou dans l'aide médicale à mourir?

Et, pour la minute qu'il me reste, je vous laisse ce temps-là pour voir si ma lecture est correcte.

Mme Chalifoux (Danielle) : Oui, votre lecture est parfaite. Et puis, quand je voyais la Commission sur les soins de fin de vie faire son rapport et nous rapporter qu'elle avait interrogé trois personnes seulement, qui étaient visées par des troubles mentaux, pour avoir leur opinion, par rapport à beaucoup d'autres organisations, je trouvais ça un peu... un peu, pas assez, là. Je dois vous dire que je trouve que, les premières personnes qui sont visées là-dedans, c'est les personnes qui sont atteintes de troubles mentaux. Puis il faudrait que la commission trouve un moyen, tout en respectant leur vie privée, évidemment, je pense, ce n'est pas des gens qui vont vouloir venir sur la sellette et être, ensuite de ça, interrogés par des journalistes, et tout, là, il faudrait trouver un moyen de savoir exactement comment ces personnes-là réagissent à cette éventualité, je trouve que c'est très important.

Je trouve que la consultation citoyenne, dans ce domaine-là, est encore à faire. Et, en tout respect, et je peux comprendre, il y a certains organismes, quelquefois, qui sont à la défense de personnes, qui n'ont peut-être pas tout à fait la même façon d'entrevoir les choses que les citoyens eux-mêmes. C'est déjà arrivé dans le passé avec l'aide médicale à mourir, c'est possible aussi que ça arrive, là, je ne veux pas viser personne en particulier, mais que ça arrive aussi pour des personnes dont la maladie mentale est la seule pathologie invoquée.

Et, oui, j'irais, directement, comme on l'a déjà fait, au terme des travaux de la commission, à faire quelque chose à ce niveau-là sans attendre le fédéral.

• (17 h 30) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup.

M. Ouellette : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole au député de Mégantic.

M. Jacques : Bien, merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bonjour.

M. Jacques : Plaisir de vous voir aujourd'hui. Vous avez parlé d'AVC, de consentement précédant la maladie, là. On en a parlé beaucoup, là, depuis les deux journées, puis...

Mme Chalifoux (Danielle) : Ah oui?

M. Jacques : Oui, oui, ça fait plusieurs fois qu'on en parle. Donc, je voulais revenir là-dessus parce qu'on parle, là, de... Il y en a qui vont parler de consentement suite à la maladie. Il y en a d'autres qui vont parler de consentement avant la maladie. Donc, on pourrait mettre ça... De ce que j'entendais, que vous avez dit plus tôt, bon, on pourrait mettre ça, mettons, dans un mandat d'inaptitude, et qui serait renouvelable. Notre désir pourrait être renouvelable aux cinq ans. C'est-tu bien ça que j'ai entendu?

Mme Chalifoux (Danielle) : Bien, c'est-à-dire, dans un mandat en prévision d'inaptitude ou autrement, là, ça, moi, je n'ai pas vraiment de position par rapport à ça. Mais ce que... J'étais en réaction sur le fait que, dans le rapport du groupe d'experts, on semblait vouloir dire qu'on ne pourrait pas faire une demande anticipée avant d'avoir eu un diagnostic. Mais, si c'est le cas...

Moi, j'ai eu l'expérience de ma mère qui se promenait sur la rue puis qui est tombée, bang! puis qui a fait un ACV avec des séquelles graves et irrémédiables. Alors, quand même qu'elle aurait voulu avoir un diagnostic, là, je veux dire, c'est survenu, là, complètement... personne n'aurait pu prévoir cet événement parce que c'est un événement imprévu et soudain. Et cette personne-là, pendant les cinq ans qu'elle a survécu, elle nous a demandé à tout moment... elle voulait mourir. Il n'y avait pas l'aide médicale à mourir à l'époque. Et, à la fin, bien, elle avait perdu son aptitude.

Alors donc, je veux dire, je trouve que, pour des personnes dans cette situation-là, il faudrait pouvoir leur permettre de faire une demande anticipée sous la forme que la commission jugerait, là... sans exiger qu'il y ait un diagnostic préalable qui a été établi, parce que c'est vraiment de ne pas reconnaître leurs droits. C'est à peu près la position qu'on a.

Et puis l'actualisation, là, c'est que... C'est vrai que c'est un peu difficile de dire : Bien, moi, quand j'avais 30 ans, j'ai fait une demande anticipée, là, soit dans un mandat ou autrement, pour dire que, si je faisais un ACV puis que j'avais des séquelles graves, là, qui étaient bien, bien installées, que je voudrais avoir l'aide médicale à mourir. Mais, je veux dire, si ça fait 30 ans de ça ou si ça fait 40 ans, vous savez... Bon, est-ce que... La demande perd un peu de sa légitimité. Je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi, mais ça fait trop longtemps, là.

Alors, c'est pour ça qu'il faudrait peut-être voir à une actualisation quelconque, puis, en général... dans certaines autres juridictions, c'est cinq ans. Moi, je trouve que ça serait raisonnable.

M. Jacques : Bon, donc là, pour vous, bien, je fais un AVC demain matin, j'ai mis ça dans mes dispositions, j'ai fait une disposition que je change aux cinq ans ou aux 10 ans, là, tout dépendamment, que je reconfirme que c'est ça... c'est mon désir, j'ai un accident de voiture, j'ai des séquelles graves, ma tête n'est plus là, je vais être alité le reste de mes jours en n'ayant plus conscience de ce qui se passe. Donc, vous êtes... votre position est de dire : Oui, on accepte ça. On fait des dispositions pour puis on avance vers ces dispositions-là.

Mme Chalifoux (Danielle) : Oui.

M. Jacques : Est-ce que vous pensez que la population en général est quand même... à quelle place qu'elle est dans tout ça, là?

Mme Chalifoux (Danielle) : Moi, je pense que la population est... Comme je vous dis, moi, ça fait plus que 10 ans que je fais des conférences régulièrement, tout le temps, et que je m'assure de poser les questions ou les gens m'en posent, et je peux vous dire que la population est d'accord avec ça.      Maintenant, il y a des mesures de sauvegarde qu'il faut adopter, parce que, dans le cas d'un ACV, ça ne se présente pas de la même manière que quand que les personnes ont des maladies neurodégénératives. Là, ça serait plus au docteur, là, de... Mais c'est sûr qu'il faut que les séquelles soient graves, il faut que les séquelles soient irrémédiables. Alors, il y a toujours un certain temps de possible réhabilitation, qu'il faut attendre, parce que les personnes qui ont des ACV, des fois, récupèrent très bien, puis ça peut prendre quelques mois. Alors, il faut quand même qu'il y ait une séquelle grave et irrémédiable qui est vraiment cristallisée dans le temps.

Alors, ça, c'est des mesures de sauvegarde qu'il faudrait aussi adopter. Et évidemment ça prend aussi que la personne soit... devienne inapte. Parce que, si elle est apte, elle pourra toujours demander, oui.

M. Jacques : J'ai une dernière petite question. Un couple... le monsieur ou la madame protège l'autre parce qu'il fait de l'alzheimer, mais il le protège tellement que, quand qu'il arrive au stade de pouvoir décider de dire qu'il veut avoir l'aide médicale à mourir, à un moment donné, bien, il n'est plus apte à prendre la décision parce qu'il a été protégé tout le temps par son conjoint. On fait quoi dans ce cas-là?

Mme Chalifoux (Danielle) : Bien, c'est pour ça qu'il faut faire des demandes anticipées, M. le député, parce que, si on n'en fait pas, bien, c'est sûr qu'il peut y avoir toutes sortes de situations dans lesquelles l'inaptitude arrive, puis, bon, bien, c'est terminé parce que l'aptitude, c'est une condition essentielle et incontournable de l'aide médicale à mourir. Alors qu'elle soit anticipée ou en temps réel, ça prend l'aptitude. Puis ça, je pense qu'il n'y a pas personne qui va nier ça, là. On ne fera pas, je pense bien, l'aide médicale à mourir pour des personnes inaptes qui ne l'ont jamais demandée, là. Je pense que ce n'est pas dans l'agenda de personne, là.

M. Jacques : O.K. Mme Chalifoux, je vous remercie. Je vais laisser la parole à mes collègues parce qu'ils avaient d'autres questions aussi, puis j'ai pris peut-être un peu plus de temps, là.

Mme Chalifoux (Danielle) : Parfait.

La Présidente (Mme Guillemette) : Pas de problème, M. le député. Donc, je cède la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Bonjour. Bonjour, Mme Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bonjour.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : C'est un plaisir de vous entendre. Vous êtes quand même une experte, là, dans votre domaine. Moi, ma... ce que je lis ou ce que je retiens, c'est que vous recommandez de légiférer sur la demande anticipée d'aide médicale à mourir sans privilégier une catégorie de personnes au détriment d'une autre.

Mme Chalifoux (Danielle) : C'est ça.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Bon, croyez-vous néanmoins qu'un système à deux vitesses au niveau du consentement devrait être mis en place selon les types de maladies, d'affections ou de handicaps qui seraient éligibles?

Mme Chalifoux (Danielle) : Je ne comprends pas très bien votre question. Pouvez-vous me donner un exemple?

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : En fait, quand vous dites, là, au niveau du consentement qui devrait être mis en place... C'est ça. C'est ça, parce que vous parlez d'un... Tu sais, quand je vous dis : Croyez-vous néanmoins qu'un système à deux vitesses au niveau du consentement devrait être mis en place, bien, selon les types de maladies, tu sais, on parle d'affections ou de handicaps, là, qui seraient éligibles? Parce que vous recommandez de légiférer les demandes anticipées.

Mme Chalifoux (Danielle) : Oui.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Donc, j'aimerais un peu plus, là, vous entendre là-dessus.

Mme Chalifoux (Danielle) : Si je comprends bien, vous voulez dire qu'il y aurait... Il y a plusieurs situations, parce qu'il y a des personnes qui sont en situation de handicap, il y a des personnes qui sont en situation de maladie dégénérative. Elles peuvent être neurodégénératives, elle peut être dégénérative physiquement. Comme je disais tout à l'heure, il y a des séquelles d'infections, il y a toutes sortes de choses. C'est sûr que les critères généraux, indépendamment des maladies, doivent s'appliquer. Quel que soit le handicap, l'affection, la maladie, le trouble mental, il faut que la personne soit apte.

Là où réside le problème, c'est comment on va évaluer, dépendamment des spécificités de chaque affection, maladie ou handicap, l'aptitude de la personne à consentir aux soins. C'est là qu'il y a des difficultés puis c'est là qu'il faut y avoir des régimes qui sont particuliers par rapport à d'autres, comme je vous disais tout à l'heure. Puis d'ailleurs... Je ne sais pas si je peux prendre cette occasion-là pour dire qu'il y a beaucoup de gens qui parlent de vulnérabilité puis qu'il faut protéger les personnes vulnérables, etc. Puis j'ai décidé de parler quand même de personnes qui pouvaient avoir des légers retards mentaux puis qu'on pouvait aussi considérer aptes pour avoir l'aide médicale à mourir, et je pense que, peut-être, ça en ferait sourciller quelques-uns.

Alors, moi, je voudrais dire que, dans les traités de... que nous avons signés, des traités... pardon, internationaux, excusez-moi, concernant les personnes handicapées, nous avons... le gouvernement fédéral a adhéré à ces traités-là. On a l'obligation de respecter les personnes vulnérables, mais on a aussi l'obligation d'encourager leur autonomie, dont l'autonomie décisionnelle de ces personnes-là. Et ce n'est pas parce qu'une personne a nécessairement un handicap mental qu'elle est complètement inapte à avoir l'aide médicale à mourir ou à faire des demandes anticipées.

Alors, je voulais le souligner, puis peut-être ça répond un peu, M. Girard, à votre question.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Oui.

Mme Chalifoux (Danielle) : Parce que ce sont des situations particulières. Les principes généraux s'appliquent à tout le monde, mais, dans la façon dont on va faire l'évaluation, là, il faut tenir compte des spécificités. J'espère que c'est clair.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Oui, c'était clair. Merci. Merci. Moi, je n'ai pas d'autre point, Mme la Présidente.

Mme Chalifoux (Danielle) : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Il ne nous reste pas beaucoup de temps pour notre parti...

Une voix : Ah! c'est dommage.

• (17 h 40) •

La Présidente (Mme Guillemette) : ...mais moi, j'aurais une petite question rapide. Vous nous dites de modifier l'intitulé et la définition des soins de fin de vie dans la loi. Est-ce qu'on n'ira pas jouer, dans ce cas-là, dans le cas de soin versus droit? Il ne peut pas y avoir un danger, là?

Mme Chalifoux (Danielle) : Je pense qu'on peut s'entendre pour dire, Mme la Présidente, que le critère de fin de vie n'est plus requis pour l'aide médicale à mourir. Donc, dans les définitions, on ne devrait pas dire que l'aide médicale à mourir est un soin de fin de vie, parce qu'il ne l'est plus.

Alors, c'est de cette façon-là que, je pense, il faudrait le modifier. Remarquez que je ne veux pas dire par là que c'est mon opinion personnelle tellement, parce que moi, j'aurais aimé ça, garder la notion de fin de vie, mais comprise d'une façon différente qu'elle l'a été. Mais alors, ce n'est plus... ça ne veut pas dire que ce n'est pas un soin. C'est toujours un soin, mais c'est plus élargi que simplement la fin de vie. Ça comprend aussi des personnes qui ont un déclin avancé de leurs capacités, qui ne sont pas nécessairement en fin de vie. Ça change un peu la perspective au niveau des affections, des handicaps, mais c'est quand même un soin qui est requis dans certaines conditions. Moi, je ne vois pas de problème, sauf qu'il faut distinguer, par exemple, la sédation palliative, qui, elle, ne peut vraiment pas se faire en dehors du critère de fin de vie, parce que, sinon, vous tomberiez dans l'euthanasie, là, pure et simple, parce que priver une personne de nourriture et d'être hydratée pendant un mois, disons, elle va mourir de ça plutôt que de sa maladie.

Alors, c'est différent de, disons... Alors, il faut tenir compte de toutes ces subtilités-là, disons, d'une certaine façon dans la rédaction. Et c'est pour ça que, pour l'intitulé, je... bien, en tout cas, moi, je recommanderais qu'on fasse la distinction déjà pour être fidèle à l'arrêt Truchon et à ce que la population demande, finalement.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Je vois bien la nuance.

Mme Chalifoux (Danielle) : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais maintenant la parole à la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Ça va être ma collègue de Westmount—Saint-Louis qui va commencer.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Allez-y.

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dre Chalifoux. Quelques questions en ce qui concerne, encore une fois, l'aptitude, parce que vous avez mentionné, dans le fond, qu'on devrait élargir ceci pour inclure une population peut-être qui souffre d'une déficience intellectuelle. Mais est-ce qu'il y a des contraintes ou est-ce qu'on... Mettons, une déficience intellectuelle, les personnes qui souffrent du spectre de l'autisme, par exemple, est-ce qu'on devrait inclure tous les gens avec des paramètres? Et, si oui, à l'intérieur de votre réponse, si vous pouvez qualifier comment pouvons-nous accompagner ces personnes à mieux comprendre cette décision, parce que ce n'est pas du tout la même chose. Une personne, peut-être, qui a un handicap, qui est apte, mais qui souffre différemment que ces personnes qui sont en train de souffrir, mais ils ont besoin d'un accompagnement ainsi que leurs proches aidants.

Mme Chalifoux (Danielle) : Ah! madame, je suis tellement d'accord avec vous, là. C'est exactement ça. Vous dites en quelques phrases, là... Le but de mon intervention au niveau de l'évaluation, c'est ça. Parce que, comme on a vu avec l'évaluation, présentement, des personnes qui ont la maladie d'Alzheimer, il y en a quelques-unes qui étaient à un stade avancé et qui ont eu l'aide médicale à mourir, même si on pourrait croire à première vue que ces personnes-là, par définition, sont inaptes. Mais l'organisme dont je vous parlais tout à l'heure, là, les assesseurs de l'aide médicale à mourir au Canada, nous ont vraiment démontré qu'il était possible, même avec un déclin avancé des capacités, de conserver une façon de pouvoir consentir de manière libre et éclairée, mais ça prend qu'on fasse ça dans des conditions qui favorisent l'aptitude plutôt que le contraire.

Alors, il faut les mettre dans des situations particulières. Il ne faut pas... Il faut aller chez eux — d'abord, ça, c'est difficile de trouver un médecin qui va faire ça — pour ne pas les déplacer puis qu'ils se retrouvent dans un milieu qu'eux vont considérer comme hostile, la présence du proche aidant aide énormément, et il faut que le médecin ait vu à plusieurs reprises...

D'ailleurs, quand je prends connaissance, souvent par curiosité, des histoires qui sont reliées à l'admissibilité aux Pays-Bas des personnes qui ont des maladies dégénératives, il y a souvent, vous savez, ce qu'on appelle des histoires de cas, là, greffées au rapport. On voit comment est-ce que les médecins psychiatres là-bas, qui font leurs démarches pour essayer de voir si la personne est apte ou n'est pas apte malgré la maladie, voient les personnes à plusieurs reprises. Souvent, ce sont des médecins qui connaissent les patients depuis des années, qui s'assurent de les mettre dans une condition favorable. En d'autres mots, comme je disais tout à l'heure, essayer d'aller dans le sens de respecter les droits des personnes en leur réservant des moments d'aptitude plutôt que de se canter dans une position, de dire : Ah! bien, cette personne-là, elle est malade mentale, elle a un léger déficit mental, elle est ci, elle est ça, donc elle est inapte, ce qui ne leur rend pas justice, je crois.

Mme Maccarone : Merci. C'est très clair. J'adore votre idée d'un centre d'expertise, je trouve que c'est bien. Puis je comprends qu'on s'inspire un peu de ce qui est fait ailleurs.

À l'intérieur de ceci, pensez-vous que ce serait aussi logique d'aller vers l'avant avec une recommandation, comme on a entendu avec Mme Bravo un peu, d'accompagner des gens par rapport à un accompagnement pour comment rédacter une demande d'avoir l'aide médicale à mourir pour éviter une interprétation qui ne peut pas être celui que... est souhaité par la personne qui place la demande? Et, si oui, est-ce que ce serait le centre d'expertise qui va... est-ce que c'est le centre d'expertise qui va accompagner des personnes qui souhaitent à faire des demandes, à mieux clarifier c'est quoi, puis le comment, puis toutes les mesures d'accompagnement?

Mme Chalifoux (Danielle) : Bien, écoutez, c'est la raison... C'est pour ça que nous recommandons ce centre d'expertise là, c'est pour former des gens à ça. Puis je suis contente de voir que Mme Bravo, pour laquelle j'ai beaucoup d'admiration aussi, ait suggéré aussi un accompagnement, parce que c'est très important. Puis la demande d'aide médicale à mourir, quand elle est anticipée, il faudrait évidemment prendre beaucoup de soins à sa rédaction, parce qu'il y a bien des gens qui disent : Quand je ne reconnaîtrai plus les miens, je veux avoir l'aide médicale à mourir. Mais c'est un critère assez vague, et il n'est pas sûr que la personne va peut-être ne pas reconnaître les siens, mais ça ne veut pas dire qu'elle va souffrir non plus de façon intolérable, des souffrances constantes, et etc. Parce qu'il est arrivé — puis ça, c'est dans les annales, puis le rapport des experts en parle aussi — qu'il y a des personnes qui ont la maladie d'Alzheimer et qui, au contraire, sont très heureuses. Bien, très heureuses, en tout cas, ne démontrent aucun problème, là, particulier à ça. Je dois dire que, comme infirmière, je l'ai vu assez souvent. On appelle ça... Excusez-moi, c'est très paternaliste ou maternaliste ce que je vais dire, là, mais, tu sais, les petites madames avec les poupées, là, qui sont toujours contentes puis qui sont toujours prêtes à un sourire, à être gentilles, tu sais, qui... Il y en a qui ne démontent aucun signe de souffrance, alors qu'il y en a d'autres que c'est tout le contraire.

Mme Maccarone : Ça amène la question, c'est : Comment identifier la souffrance d'une personne? Alors, si vous pouvez peut-être nous aider un peu avec votre réflexion là-dessus, parce que c'est clair, comme Mme Bravo a dit, selon elle, bien, ça devrait être autodéterminé. Moi, ce que je ressens comme souffrance, c'est très personnel. Mais est-ce qu'on devrait avoir des balises, à quelque part, pour nous aider ou aider les médecins ou les centres d'expertise, qu'ils soient... pour identifier c'est quoi, la souffrance d'une personne qui va demander à avoir accès à l'aide médicale à mourir?

Mme Chalifoux (Danielle) : Vous ouvrez quelque chose, là. Ça pourrait prendre deux, trois heures, là, pour discuter de cette question-là, malheureusement. Mais, vous savez, on... il y a deux aspects à cette question-là. Est-ce qu'on va respecter la personne dans sa demande lors de... alors qu'elle était apte? Elle dit, bien, par exemple : Bon, moi, je veux l'aide médicale à mourir quand je ne reconnaîtrai plus les miens. En dehors... Elle considère que ce fait-là va être... C'est la souffrance appréhendée qu'on appelle, qu'elle va être souffrante nécessairement à ce moment-là. Elle appréhende la souffrance. Il y a des gens qui disent : Bien, la personne était apte. C'est ce qu'elle voulait, on va respecter ça.

Par ailleurs, comme je disais tout à l'heure... Puis c'est le cas de Margot, là, qu'on appelle, là, dans les annales, c'est la personne qui avait justement demandé ça, mais qui ne démontrait aucune souffrance, qui était très, très bien, puis qu'on dit à ce moment-là : Bien, si on évalue quand même, même si c'est subjectif, il y a quand même un certain degré d'évaluation de la souffrance pour les gens, là, qui sont aptes, là, et qui demandent l'aide médicale à mourir. On va quand même avoir certaines façons de voir que la personne est réellement souffrante. Mais pourquoi on ne le ferait pas quand il s'agit d'une demande anticipée? Pourquoi là, ça serait seulement la demande anticipée qui compterait?

Moi, je pense qu'il faut évaluer la souffrance au moment où on donne l'aide médicale à mourir, peu importe qu'il y ait eu une demande anticipée ou non. Ça ne veut pas dire qu'on ne respectera pas, par exemple, la demande anticipée dans son ensemble, mais il peut arriver que la personne a pensé de façon appréhendée qu'elle souffrirait d'une situation puis que, dans les faits, dans la réalité, elle n'en souffre pas. Mais, je vous dis, ce n'est pas la majorité des gens, là.

Je ne voudrais pas non plus, là, faire comme... ça, en faire un cas très particulier parce qu'en général les gens qui ont la maladie d'Alzheimer, quand ils arrivent à un déclin avancé de leurs capacités, ils sont souffrants. En général, ils ont plein de symptômes qui démontrent vraiment qu'il y a une souffrance aiguë qui existe.

Je ne sais pas si ça répond. J'ai essayé d'être le plus court possible, là.

• (17 h 50) •

Mme Maccarone : Tout à fait. Je comprends que c'est une question assez large.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bien, il y a...

Mme Maccarone : Merci, Mme la Présidente.

Mme Chalifoux (Danielle) : C'est ça. Il y a une position à prendre, hein? Il faut...

Mme Maccarone : Tout à fait.

Mme Chalifoux (Danielle) : ...par exemple, que la commission, là, elle prenne position par rapport à ça, oui.

Mme Maccarone : Tout à fait. Merci pour vos réponses. Mme la Présidente, s'il reste du temps, je céderais la parole à ma collègue la députée de Maurice-Richard.

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, tout à fait. Allez-y, Mme la députée.

Mme Montpetit : Merci. Bonjour, Me Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bonjour.

Mme Montpetit : Oui, je vois le temps qui file, donc moi aussi, je vais faire une question assez, assez brève, mais en lien avec une des réponses que vous avez faites à la question de ma collègue. Vous avez fait, par le passé, entre autres, la recommandation, pour les personnes avec perte cognitive, justement... une évaluation du degré de souffrance et de douleur, que cette évaluation-là, elle soit faite par un médecin que vous aviez qualifié de compétent en évaluation de la douleur chez les personnes non communicantes.

Quand vous avez répondu à ma collègue, vous avez parlé beaucoup d'un... du contexte, en fait. Vous avez dit : Bon, que ce soit fait à la maison, que ce soit fait dans un contexte, finalement, qui va privilégier, je comprends, une forme de... Je ne sais pas si c'est d'être rassuré ou d'être confortable. Là, je voulais vous entendre sur, justement, ce... Quand vous qualifiez la compétence du médecin versus le contexte dans lequel c'est fait... En fait, je voulais vous entendre sur ce contexte-là, puis vous référiez vraiment aux médecins. Est-ce que ce serait seulement des médecins ou d'autres professionnels de la santé?

Mme Chalifoux (Danielle) : Mon Dieu! J'aime beaucoup votre question. Merci pour cette question-là, ça va me permettre de m'exprimer là-dessus. Non, je ne crois pas que ça serait le privilège exclusif du médecin, quoiqu'en bout de ligne, comme disent les Anglais, à la fin du jour, il faut que quelqu'un signe comme quoi la personne est apte ou inapte. Mais il devrait absolument être... C'est une démarche multidisciplinaire parce qu'il y a plein de... Il y a des psychologues, qui sont des neuropsychologues, qui sont vraiment d'une compétence très pointue en matière d'aptitude. Il faut absolument avoir recours à ces ressources-là, qu'on a.

Il y a aussi tout simplement les proches qui peuvent aussi apporter. Le proche aidant qui est quasiment 24 heures sur 24 auprès de la personne, elle aussi ou il aussi a son mot à dire par rapport à ça. Moi, je pense que la question doit finalement, en bout de ligne, peut-être être autorisée par un médecin, mais qu'il faut qu'il y ait eu des participations multidisciplinaires. Ça peut aussi être très important d'avoir l'opinion d'un travailleur social par rapport à la situation.

Mais il faut distinguer deux choses, si vous me permettez. Il y a la question de l'évaluation de l'aptitude puis il y a la question de la souffrance. Pour l'évaluation de la souffrance, il y a vraiment non... Je veux dire, nous autres, les infirmières — même si je suis retraitée, je m'identifie encore souvent comme infirmière — on est capables de reconnaître quand une personne est souffrante ou pas. Il y a toutes sortes de façons de le faire, de voir. Les personnes qui ont la maladie d'Alzheimer vont développer soit une agitation à certains moments, comme je parlais tout à l'heure, là, de l'agitation crépusculaire — c'est très typique — ou vont avoir toutes sortes de façons de nous démontrer la souffrance. Elle peut être évaluée.

Il y a beaucoup de travaux de recherche qui ont été faits là-dessus. Il y a aussi le fait qu'on peut aussi évaluer la souffrance d'une personne qui est tout à fait apathique, ne répond plus à rien, est toujours triste. Il n'y a pas seulement les grands agités, là, qui sont souffrants. Il y a toute une panoplie. Et vous demanderiez aux personnes qui ont travaillé là-dessus, là, plus directement que moi, puis on va vous dire que c'est très... c'est très possible d'évaluer un degré de souffrance important chez les personnes qui ont des troubles neurodégénératifs.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Montpetit : Est-ce qu'il me reste un petit peu de temps?

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup.

Mme Montpetit : Non. C'est terminé, hein? Merci, Me Chalifoux.

La Présidente (Mme Guillemette) : C'est tout le temps qu'il vous restait, Mme la députée. Donc, je céderais la parole au député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Chalifoux, pour votre présentation. J'ai deux questions. Je vais vous les poser en rafale parce que j'ai peu de temps.

Mme Chalifoux (Danielle) : Oui.

M. Nadeau-Dubois : D'abord, sur la question du diagnostic, là, nécessaire ou non à la rédaction d'une demande de consentement anticipée, les gens du groupe d'experts ont utilisé, pour défendre leur position, avec laquelle, je comprends, vous êtes en désaccord, l'argument du consentement libre et éclairé. Ce qu'ils nous ont dit, c'est que, pour qu'un consentement soit valide, il faut qu'il soit éclairé. Et est-il vraiment éclairé, ce consentement-là, si on demande à quelqu'un de se projeter dans une situation, au fond, complètement hypothétique pour laquelle la personne n'a pas vraiment d'information? Si jamais, un jour, j'ai une maladie x, si jamais, un jour, il m'arrive un accident y et que je me retrouve dans telle ou telle circonstance, je préférerais avoir l'aide médicale à mourir. Je caricature volontairement parce que j'ai peu de temps, mais vous voyez l'argument, c'est de dire : C'est tellement flou et abstrait. Est-ce que c'est vraiment un consentement éclairé? Puis ma compréhension de leur position, c'est que ça s'appuyait sur cet argument-là. Vous, vous nous dites : Non, ce n'est pas nécessaire. Ça fait que j'aimerais que vous nous expliquiez en quoi, selon vous, le consentement, il est éclairé, même dans des circonstances qui sont aussi, disons, abstraites pour les gens qui rédigent la demande anticipée.

Ma deuxième question. Il y a Me Ménard qui est passé un peu plus tôt ici, en commission, et qui nous a dit que, selon lui, l'état actuel du droit fait en sorte qu'un consentement doit être exprimé dans l'ici et maintenant pour être valide. Vous semblez être d'une autre école, vous nous dites : Non, le consentement devrait pouvoir se maintenir malgré l'état d'inaptitude...

Mme Montpetit : ...

La Présidente (Mme Guillemette) : Marie, on t'entend. Mme la députée de Maurice-Richard.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente, d'avoir remis à l'ordre ma collègue. Non, c'est... sans problème.

Donc, est-ce que, selon vous... Êtes-vous d'accord avec Me Ménard? Est-ce qu'il est... Est-ce qu'on... Comment peut-on présumer de l'existence d'un consentement si la personne n'est plus capable de le confirmer? Voilà mes deux questions.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bon, alors... Bien, je vais... Vous me rappellerez à l'ordre si je m'égare, là, parce que vos deux questions sont importantes puis pourraient demander beaucoup de développement.

Pour la question de dire que les situations sont hypothétiques. Les situations sont hypothétiques, oui et non, parce que moi, en tout cas, dans mon expérience personnelle... Comme je disais tout à l'heure, moi, j'ai vu ma mère... je l'ai vue pendant cinq ans souffrir de séquelles graves et irrémédiables d'un ACV. Je peux vous dire que je sais ce que c'est. Et je pense que, dans les nombreuses personnes à qui j'ai parlé ou que je parle quand je donne des conférences, les gens ont tous dans leur parenté, dans leur... soit leur conjoint ou les gens... Vous savez, les ACV, c'est très, très, très fréquent. J'ai quelqu'un de ma parenté immédiate, là, qui vient de souffrir d'un ACV il n'y a pas longtemps aussi et qui souffre, justement, de séquelles très graves et irrémédiables. Je pense que tout le monde est à même de savoir ce que c'est et de pouvoir avoir une opinion là-dessus, en tout respect pour l'opinion contraire. Moi, je pense que c'est très facile.

C'est la même chose pour les problèmes de traumatisme crânien. Écoutez, quand les personnes... Et il y en a énormément, là. Moi, je n'ai pas eu le temps de vous donner des statistiques, mais vous allez dans les recherches qu'on peut faire à ce niveau-là. Il y a beaucoup de personnes qui souffrent de séquelles graves et irrémédiables de traumatismes crâniens et qui deviennent inaptes et il y a... Des gens les voient, les gens le savent.

Alors, je pense qu'on ne peut pas demander non plus l'impossible, là, tu sais, on ne peut pas dire : Bien, écoutez, il faut que vous ayez eu la maladie pour pouvoir faire une demande anticipée. C'est l'essence même de cette maladie-là, qu'on ne peut pas la prévenir d'avance. Mais on peut avoir une bonne idée des raisons, des façons et de voir comment est-ce que les personnes qui ont des séquelles graves et irrémédiables de ça, et qui deviennent inaptes par rapport à ça, sont... dans quelle situation ils sont. Je pense qu'on peut donner un consentement.

Et là on va tomber dans la deuxième question, si vous croyez que vous avez une réponse à la première.

La Présidente (Mme Guillemette) : Il vous reste 10 secondes, Mme Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : 10 secondes. Écoutez, bon, alors, les directives médicales anticipées de la Loi concernant les soins de fin de vie, les mandats en prévision d'inaptitude, la Cour suprême, les cours... le Code civil, le Code de procédure civile, tous ces instruments-là parlent de consentement anticipé, de la validité, du fait que c'est un consentement qui vaut autant que s'il était donné de façon contemporaine. Si la personne est apte, je ne vois pas qu'est-ce qu'on peut ajouter d'autre sur la validité légale d'un consentement anticipé.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci, M. le député. Merci, Me Chalifoux. J'aurais besoin du consentement de tous pour...

Mme Chalifoux (Danielle) : Libre et éclairé.

La Présidente (Mme Guillemette) : ...oui, libre et éclairé, pour déborder un peu sur notre heure, là, sur notre heure prévue de fin.

Donc, s'il y a consentement de tous, je passerais maintenant la parole à la députée de Joliette.

• (18 heures) •

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Maître...

La Présidente (Mme Guillemette) : Mme la députée.

Mme Hivon : Oui. Bonjour.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bonjour.

Mme Hivon : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bonjour.

Mme Hivon : Contente de vous revoir. Écoutez, moi, je voudrais vous amener sur le spectre des valeurs, l'autonomie, l'autodétermination de la personne versus, je dirais, traditionnellement, ce qu'on appelait plus le paternalisme médical.

Donc, c'est sûr qu'il y a un choix qui a été fait vers l'autonomie de la personne dans la loi sur les soins de fin de vie, hein? On a même dit que c'était vraiment la relation patient-médecin, même s'il y a d'autres personnes qui peuvent être consultées, mais c'était ça, la clé pour décider si on vous fait donner l'aide médicale à mourir.

Aujourd'hui, certains ont amené d'autres éléments, jusqu'au consentement substitué, en nous disant que, pour les médecins, ça pourrait être plus simple d'y aller par consentement substitué plutôt que de directives anticipées en sentant qu'il y a un accord de la famille. Certains nous ont dit que, pour donner, donc, ouverture et application à une demande anticipée, il faudrait avoir aussi consentement, mettons, du proche qui a été désigné, selon le groupe d'experts, là, pour entamer le processus et un consensus plus large équipe médicale et proche. Et donc, en lien avec la directive de la demande anticipée, je voulais voir où vous vous situez, vous, dans ce spectre-là.

Mme Chalifoux (Danielle) : Mon Dieu! Je ne sais pas si vous pouvez penser que... où je me situe vraiment, mais...

Mme Hivon : J'ai une petite idée, mais je veux en fait que vous nous expliquiez pourquoi, selon vous, le curseur doit être mis vraiment sur...

Mme Chalifoux (Danielle) : L'autonomie des personnes.

Mme Hivon : ...l'autonomie de la personne.

Mme Chalifoux (Danielle) : Bien, parce que c'est un droit fondamental, parce que l'autonomie des personnes, c'est vraiment la pierre d'assise de toutes les questions reliées à l'aide médicale à mourir, c'est la condition de base. Et, selon moi, le consentement anticipé... pardon, le consentement substitué n'a pas sa place par rapport à ça. Je préfère de beaucoup avoir une position qui va favoriser la recherche d'une décision libre et éclairée et d'un consentement chez les personnes vulnérables pour essayer de ne pas les préjudicier par rapport à ça que de demander à la famille, au répondant.

Écoutez, je sais par expérience que c'est tellement plus facile d'aller voir le proche, la famille pour demander un consentement que de vraiment respecter l'autonomie de la personne et de rechercher son consentement à elle ou de simplement dire que, bon, bien, la personne n'est pas autonome, on va aller de ce côté-là. Je l'ai vu à maintes reprises. Je ne suis pas en accord avec ça. Je sais que ça fait l'affaire de bien des gens parce que c'est plus simple, c'est plus facile, mais ce n'est pas... On n'est pas dans la facilité, là, on est dans le respect des droits puis de l'autonomie des personnes. Et je préfère que ce soit difficile puis qu'on aille chercher la décision libre et éclairée, quand on peut et avec les moyens qu'on a, plutôt que de se fier à un proche, parce que le proche peut avoir toutes sortes de motivations qu'on ignore. On ne veut pas dire nécessairement non plus que c'est des mauvaises motivations. On peut dire que son opinion compte, mais ce n'est pas le proche qui devrait décider. Moi, je suis contre la décision substituée. À chaque fois que c'est possible de l'éviter, on l'évite. Il y a certaines circonstances... par exemple, elle est reconnue pour la sédation palliative continue. Bien, c'est peut-être... de cette façon-là, oui, ça peut se comprendre, mais pas pour l'aide médicale à mourir et ni pour les demandes anticipées non plus.

Mme Hivon : O.K. Compte tenu de votre position très claire sur le principe de l'autodétermination des personnes, je me demandais comment vous composez avec l'aspect... la recommandation que la demande anticipée dans le groupe d'experts ne soit pas contraignante. On comprend tous que le médecin a son libre arbitre, qu'il a son objection de conscience, là. Mais est-ce qu'il n'y a pas un double discours quand on valorise l'autonomie mais qu'en même temps on ne peut pas garantir à la personne que, si tous les critères sont remplis, on va donner accès à sa demande?

Mme Chalifoux (Danielle) : Bien, comme je disais...

La Présidente (Mme Guillemette) : En 20 secondes, Me Chalifoux.

Mme Chalifoux (Danielle) : En 20 secondes. Bien, écoutez, ceci étant... Comme je vous dis, moi... Il y a deux positions. Quand j'étais plus jeune, je vais vous avouer que j'avais la position de respecter l'autonomie de la demande anticipée, mais j'ai changé d'avis en voyant, par expérience, que, comme je disais tout à l'heure, la souffrance devrait être un critère qu'on évalue au moment... Et ça n'empêche pas que les gens vont quand même avoir le même droit que tout le monde, parce que la souffrance est un critère pour tout le monde, pas seulement pour les... Disons, on ne fait pas de distinction, là, entre l'aide médicale à mourir en temps réel ou la demande anticipée. Le critère de la souffrance s'applique à tout le monde, selon moi.

Alors donc, la personne qui ne serait pas souffrante, même si elle l'a demandé auparavant, bien, il faudrait attendre qu'elle soit... qu'elle devienne souffrante.

Mme Hivon : Non, mais, si la souffrance...

Mme Chalifoux (Danielle) : Je suis d'accord avec le groupe d'experts là-dessus.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Hivon : Parfait. Ah! c'est trop frustrant.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Hivon : C'est beau.

La Présidente (Mme Guillemette) : C'est tout le temps qu'on avait. Je vous remercie beaucoup, Me Chalifoux, de votre participation, d'avoir accepté de partager avec nous votre expérience et vos connaissances.

Donc, compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux. Je vous demanderais de raccrocher. Et la commission se réunit en séance de travail, donc, dans la prochaine minute.

Mme Chalifoux (Danielle) : Alors, merci à tout le monde.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci encore une fois, Me Chalifoux.

Mme Hivon : Merci.

(Fin de la séance à 18 h 05)

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