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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mardi 29 janvier 1974 - Vol. 15 N° 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Vente du Soleil


Journal des débats

 

Commission spéciale sur le problème de la liberté de presse

Vente du Soleil

Séance du mardi 29 janvier 1974

(Quinze heures douze minutes)

M. SEGUIN (président de la commission spéciale sur le problème de la liberté de presse): A l'ordre, messieurs!

Voici, pour les besoins de la séance, les membres de la commission, c'est-à-dire les membres attitrés, advenant le cas d'un vote: MM. Bacon (Trois-Rivières), Bonnier (Taschereau), Bourassa (Mercier), Carpentier (Laviolette), Giasson (Montmagny-L'Islet), Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), Leduc (Taillon), Lachance (Mille-Isles), Veilleux (Saint-Jean), Charron (Saint-Jacques), Burns (Maisonneuve), Bédard (Chicoutimi), Lessard (Saguenay)... Est-ce que je pourrais obtenir le nom du représentant du Parti créditiste?

M. BOURASSA: Le défenseur de l'entreprise privée.

LE PRESIDENT (M. Séguin): C'est M. Samson? Parce que j'ai M. Roy, je ne l'ai pas mentionné. Alors, c'est M. Samson.

M. BOURASSA: Les frères siamois.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Vous comprendrez, si l'on veut épuiser les ressources parlementaires de votre parti, vous avez droit à deux représentants. Il y en a un, mais vous avez droit à deux. Ce sera deux.

M. SAMSON: J'en ai un pour le moment, l'autre viendra peut-être.

M. BOURASSA: Pour les $50.

M.SAMSON: M. Bourassa, les $50, vous allez en avoir besoin plus que nous.

M. BOURASSA: Le défenseur de l'entreprise privée.

M. SAMSON: C'est ce qu'on va voir, aujourd'hui, où ils sont.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Je voulais aussi, si possible, obtenir le consentement de la commission pour que tout député ici présent ou qui pourrait venir par la suite ait un droit de parole. Je ne parle pas du droit de vote mais qu'il ait le droit de parole.

Autrement dit, si quelqu'un a une question à poser, le fait qu'il soit député de l'Assemblée nationale, si vous êtes consentants, on accepterait que tous et chacun aient le même droit.

M. BURNS: M. le Président, nous sommes entièrement d'accord sur cette suggestion. Nous aimerions que vous la gardiez longtemps parce qu'à plusieurs reprises nous l'avons faite cette suggestion. Quand ça fait l'affaire du gouvernement, vous l'acceptez — pas vous, M. le Président, je parle au premier ministre — vous le suggérez même, mais quand cela ne fait pas votre affaire, vous l'empêchez. Je vous rappelle tout simplement la loi que nous avons adoptée il y a quelque temps, pour augmenter le salaire des juges... M. le Président, tout cela pour vous dire que nous sommes entièrement d'accord, nous le serons toujours, que quelque député que ce soit ait le droit de parole, membre ou pas membre de cette commission. Qu'il n'ait pas le droit de vote, c'est bien normal.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Vous comprendrez, messieurs, que chaque fois que j'ai l'honneur de présider une commission parlementaire, je me suis toujours fait un devoir, dès le début, d'essayer d'obtenir ce consentement, qui n'a pas toujours été donné par chacun, pour permettre cela. Je pense que c'est normal. Passons...

M. BURNS : On vous citera, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Séguin): C'est cela. C'est déjà enregistré d'ailleurs. Je demanderais tout de suite, avant de démarrer, que le premier ministre; s'il a des commentaires à faire, puisse s'exprimer.

Remarques préliminaires

M. BOURASSA: M. le Président, simplement pour vous situer la convocation de cette commission, la transaction a eu lieu, je crois, il y a une quinzaine de jours. A cause de la conférence fédérale-provinciale, je n'ai pas pu convoquer la commission avant. Je n'ai pas à mettre en relief les résultats de la conférence fédérale-provinciale. Ils sont connus de la population et de nos collègues. Est-ce qu'on veut que je parle sur les résultats de la conférence fédérale-provinciale?

M. BURNS: Oui.

M. SAMSON: M. le Président, sur un point de règlement, on serait d'accord.

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre! A l'ordre!

M. BOURASSA: On aura l'occasion d'en discuter. La vente du Soleil fait l'objet de la réunion de cette commission parlementaire. Lorsque cette possibilité de vente a été évoquée au début de septembre, je crois, ou à la mi-septembre, nous nous sommes entendus,

entre les parties, pour établir un moratoire de trois mois afin de trouver une solution de rechange à la vente du Soleil à Power Corporation, qui aurait accéléré les phénomènes de concentration de la presse au Québec. Même s'il faut admettre qu'en pratique il y a une liberté de presse, au Québec, qui est illimitée et qui probablement existe ici plus que partout ailleurs dans le monde, il reste qu'en théorie, et avec les risques que cela pouvait comporter à moyen terme ou à long terme, il était légitime que le gouvernement s'intéresse à cette transaction de manière à ne pas accélérer cette concentration de la presse dont je parlais tantôt.

M. CHARRON: M. le Président, est-ce que je peux interrompre le premier ministre immédiatement, avant qu'il aille plus loin? Je pense que déjà dans ce qu'il a énoncé il y a matière à discussion ou tout du moins, de sa part, matière à précision. Je ne voudrais pas qu'il aille plus loin dans l'historique de la participation ou de la non-participation du gouvernement dans ce débat sans que, immédiatement, il nous précise — parce que c'est sa décision à lui, la convocation de cette commission — le mandat que nous avons, cet après-midi, et pour les séances qui vont suivre. Il a dit, dans ses premières paroles: La vente a eu lieu il y a maintenant deux semaines. Je veux savoir si la vente a eu lieu, selon l'avis du premier ministre? Si la vente a eu lieu, quel est donc le rôle exact que nous avons cet après-midi? Est-ce que le gouvernement a ratifié cette vente et n'a convoqué la commission parlementaire que pour nous en informer? Ou, par contre, est-ce à la suite des séances et des lumières que nous espérons obtenir de la commission parlementaire que le gouvernement aura à se prononcer et à prendre une décision quant au projet de vente, à notre avis, du quotidien Le Soleil à UniMédia?

M. BOURASSA: Le député devrait savoir que si le gouvernement ou la commission parlementaire décide que la vente n'est pas légale ou que la vente ne répond pas à une situation désirable, le gouvernement a toujours le loisir de faire adopter les lois nécessaires. Je pense que, de ce côté, la question est plus ou moins pertinente au débat. C'est évidemment plus compliqué si la vente a été complétée, mais il reste que le gouvernement a toujours le pouvoir d'agir.

M. CHARRON: J'attends une réponse encore plus claire que celle-là. Si la commission parlementaire faisait la lumière au point que nous soyons d'avis, à la fin des travaux de la commission, qu'il n'est pas d'intérêt public que cette vente du Soleil se fasse à UniMédia, le gouvernement ne se trouve lié d'aucune façon, n'a donné son appui ou son accord d'aucune façon et, à ce moment, il pourrait donc intervenir pour inviter les parties à détruire le contrat de vente, d'une certaine façon, par les pouvoirs qu'il a.

M. BOURASSA: Je réfère le député au communiqué que j'ai émis, je crois, à la fin de septembre où j'avais dit que, s'il y avait des transactions, le gouvernement se réserve toujours le droit d'intervenir. Je ne sais pas qui a préparé le dossier du député, mais je peux lui envoyer une copie du communiqué que j'ai émis à ce moment. "Le premier ministre a indiqué qu'il n'hésiterait pas à procéder à une intervention législative si cette suspension n'était pas respectée."

M. CHARRON: Ce que je vous demande, M. le premier ministre, immédiatement, est ceci: En sachant que vous n'hésiteriez pas à intervenir si vous pensiez qu'il n'est pas d'intérêt public que cette transaction ait lieu, votre opinion est-elle formée ou ne le sera-t-elle qu'à la fin des travaux de la commission?

M. BOURASSA: Poser la question, c'est y répondre. On va entendre les parties, elles vont soumettre des documents ou des renseignements aux membres de la commission parlementaire.

M. CHARRON: Avez-vous approuvé, entériné le contrat de vente que vous avez rappelé, déjà signé il y a quelques semaines?

M. BOURASSA: Je ne veux pas dire que le député pose des questions ridicules, mais il y a quand même une liberté de commerce qui existe au Québec. On ne m'a pas soumis les documents en question. Je n'ai pas fait l'analyse juridique des documents en question. C'est précisément pour connaître les faits que nous sommes ici cet après-midi.

M. CHARRON: Est-ce que la commission est assurée au début de ses travaux qu'elle ne siège pas simplement pour estampiller une chose qui s'est déjà produite à l'extérieur des murs de l'Assemblée nationale et qui, de toute façon, n'est qu'un dépôt public, d'une manière qu'on verra au cours des travaux de la commission, d'une transaction déjà acquise?

Est-ce que c'est plutôt le gouvernement, comme le premier ministre l'a répété lui-même le soir de l'élection, qui a augmenté dans son esprit l'intérêt et le respect qu'il a pour les commissions parlementaires et qu'il attend l'avis de la commission parlementaire avant de reconduire ou non la transaction qui a eu lieu? Cette question, je pourrais la poser d'une autre façon: Est-ce que le moratoire interdisant la transaction du Soleil à qui que ce soit est encore en vigueur au moment où les travaux de la commission parlementaire commencent?

M. BOURASSA: M. le Président, il faudrait

être très clair. D'abord, il n'y a rien d'illégal, même si le Soleil avait été vendu à Power Corporation, il n'y aurait pas eu de crime. Il faut quand même être très clair. Je veux dire, on peut...

M. BURNS: Un crime social, peut-être.

M. BOURASSA: Crime social, la liberté de presse, cela existe. Je peux référer le député de Maisonneuve aux articles parus dans les journaux de Power Corporation. Je comprends que son ami de la CSN se rapproche de Power Corporation sur la question de l'indexation.

M. BURNS: Vous connaissez la loi fédérale sur les coalitions.

M. BOURASSA: Oui.

M. BURNS: Vous avez entendu parler de cela?

M. BOURASSA: Oui, j'ai entendu parler de cela. Est-ce qu'il y a eu jugement dans le cas de Power Corporation?

M. BURNS: Non, mais cette loi existe.

M. BOURASSA: II ne s'agit pas de condamner. Nous ne condamnons pas, nous, avant qu'il y ait des accusations qui soient portées.

M. BURNS: II n'est pas question de condamner qui que ce soit. Il est question de tenter...

M. BOURASSA: Alors, nous allons entendre les parties et nous verrons par la suite s'il y a lieu de poser des gestes.

M. BURNS: Si le député de Saint-Jacques me le permet, ce qu'on aimerait savoir, M. le premier ministre, c'est quelque chose de bien simple. Il ne faudrait pas que le premier ministre s'énerve. Il n'est pas question de "Fantagoniser", il n'est pas question de le faire grimper dans les rideaux, cela viendra éventuellement peut-être à d'autres choses, mais pour le moment, il n'en est pas question. Pour nous, ce qu'il est important de savoir, à ce stade-ci — je le demande avec toute la déférence, si je dois utiliser ce mot auprès du premier ministre pour obtenir une réponse de sa part — est si le gouvernement, d'une façon ou d'une autre, s'est engagé dans cette vente à laquelle le premier ministre s'est référé il y a quelques minutes. Est-ce qu'il a endossé cette vente, dans le fond? Ce n'est que cela qu'on demande. C'est pour cela que je vous dis de ne pas vous énerver, M. le premier ministre...

M. BOURASSA: On ne s'énerve pas. Ce n'est pas moi qui ai interrompu, c'est le député de Saint-Jacques.

M. BURNS: Oui, mais il avait parfaitement raison, il faut savoir...

M. BOURASSA: J'avais parlé une minute et demie.

M. BURNS: ... dès le départ où l'on s'en va dans cette histoire, c'est cela.

M. CHARRON: Que le premier ministre se rassure, ce n'est pas parce que nous ne sommes pas intéressés à avoir l'historique des événements depuis que le propriétaire actuel du Soleil a fait connaître son intention de le mettre en vente, de l'action ou de la non-action du gouvernement. Au contraire, le premier ministre aura l'occasion, au cours des travaux de la commission, de s'apercevoir que l'Opposition officielle est particulièrement intéressée à connaître les moindres détails de ce qui s'est passé là-dessus.

Le premier ministre l'a déjà dit lui-même en annonçant la convocation de la commission, elle durera aussi longtemps que c'est nécessaire, et il s'apercevra aussi...

M. BOURASSA: Je n'étais pas obligé de la convoquer.

M. CHARRON: Je sais que vous n'étiez pas obligé de la convoquer légalement, mais si politiquement et socialement vous aviez laissé aller une transaction de cette allure-là, vous en auriez porté le blâme. Je sais que le premier ministre est particulièrement soucieux de l'opinion publique à son égard, c'est son droit et...

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre, s'il vous plaît! J'avais d'abord accordé la parole au premier ministre. Il s'est exprimé pendant une ou deux minutes et on a posé une question que je reconnais. Ne serait-il pas préférable, messieurs, que nous entendions le premier ministre dans tout ce qu'il a à dire et vous auriez ensuite l'occasion de faire vos commentaires? Maintenant, je vais veiller à ce qu'il n'y ait pas de répétition de ce qui a déjà été demandé.

M. BURNS: M. le Président, vous avez parfaitement raison, comme toujours. Comme toujours, vous menez les débats de cette commission de façon merveilleuse et vous comprenez que notre règlement nous permet de poser à l'opinant une question, et c'est ce que nous faisons à l'endroit du premier ministre. Nous lui demandons s'il — c'est cela la question — pourrait répondre à cette question que je lui pose, que le député de Saint-Jacques lui a posée. Est-ce que son gouvernement a endossé cette vente-là jusqu'à maintenant ou est-ce que son gouvernement n'est pas lié par la vente? C'est seulement cela la question qu'on lui pose.

M. BOURASSA: M. le Président, comment

le député peut-il soumettre que le gouvernement pourrait être lié par la vente? Nous avons essayé, dans l'objectif...

M. BURNS: Est-ce que vous avez accepté, endossé, est-ce que vous avez entériné cette vente-là? C'est ce qu'on veut savoir.

M. BOURASSA: II n'y a pas eu d'endossement dans la mesure où la vente n'est pas faite à Power Corporation. C'est cela qui était le sujet du débat. Si la vente n'est pas faite à Power Corporation, évidemment, cela règle le problème. Il n'y a pas de concentration de la presse. Si cet après-midi il est démontré que c'est Power Corporation qui a acheté le Soleil, le gouvernement n'a certainement pas endossé cette vente. S'il est démontré que ce n'est pas Power Corporation qui a acheté le Soleil, évidemment, là c'est la liberté de commerce qu'on respecte. C'est aussi simple que cela.

M. BURNS: M. le premier ministre, vous êtes pas mal plus intelligent que cela, vous comprenez ma question. Vous avez un ministre d'Etat que vous avez affecté à ce problème-là, M. Lalonde, qui va s'exprimer sans aucun doute et on l'écoutera avec intérêt.

M. BOURASSA: Si vous nous en donnez la chance.

M. BURNS: Oui, sans aucun doute, il n'y a pas de problème. Vous avez parlé d'une vente qui était intervenue. Est-ce que votre gouvernement, par l'entremise de son ministre qui surveillait toute cette transaction-là, a dit oui à cette vente?

Je sais bien qu'il n'était pas obligé, légalement, techniquement, de le faire. Mais tout le monde sait, d'autre part, vous-même l'avez déclaré à plusieurs reprises, que vous avez suivi ces transactions. Donc, on aimerait savoir, au tout début des travaux de la commission, si votre gouvernement a dit bravo à cette vente ou bien s'il a dit: Je ne m'en mêle pas, on verra, la commission décidera si c'est une vente sur laquelle on doit revenir ou non.

M. BOURASSA: Si vous m'aviez laissé terminer, vous auriez eu une réponse à cette question.

M. BURNS: Pouvez-vous donner une réponse à celle-là, tout de suite? Ça va orienter...

M. BOURASSA: Je vais terminer là-dessus.

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre, s'il vous plaît! M. le premier ministre, député de Mercier. Point de règlement, oui.

M. SAMSON: M. le Président, je suggère à ce stade-ci que le premier ministre continue sa déclaration afin qu'on connaisse tout ce qu'il a à dire. Je serais aussi intéressé à connaître les déclarations que voudra faire le Parti québécois. Pour ma part, je ne voudrais pas m'acharner sur une seule question, j'aimerais bien connaître tout ce qu'on a à dire et ça nous permettrait alors peut-être de faire des suggestions.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le point de règlement serait de pouvoir...

M. SAMSON: Que le premier ministre continue sa déclaration jusqu'au bout. Ensuite, que les autres partis puissent en faire autant quitte à interroger le premier ministre sur ce qu'il aura dit ou sur ce qu'il n'aura pas dit.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Avec la collaboration des membres, nous allons certainement procéder dans ce sens.

M. BURNS: M. le Président, ce n'est pas un point de règlement, c'est là le problème.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Je passe immédiatement sur la question.

M. BURNS: Non, c'est une suggestion que fait le député de Rouyn-Noranda, qu'il a parfaitement le droit de faire sur la façon...

M. SAMSON: ... va considérer que même si ce n'est pas un point d'ordre, ça ramènerait...

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre!

Le député de Mercier, premier ministre de la province, a la parole pour le moment. S'il vous plaît, messieurs, nous allons l'entendre.

M. BURNS: Il a accepté qu'on lui pose une question, il avait le droit de nous dire qu'il n'acceptait pas qu'on lui pose une question. Là, on lui demande de répondre à cette question. Il sait maintenant quelle est notre question.

M. BOURASSA: Je vais répondre, M. le Président, si on me donne le temps de répondre.

M. BURNS: D'accord, on vous écoute.

M. BOURASSA: A la suite du moratoire qui a été établi par le gouvernement, il y a eu des efforts pour trouver une solution de rechange. J'ai communiqué, pour ma part, avec la Caisse de dépôt, j'ai communiqué avec le président des caisses Desjardins, M. Rouleau, qui avait manifesté publiquement la possibilité pour les caisses populaires d'acheter ou d'être actionnaires minoritaires.

M. Lalonde a également communiqué avec d'autres fonctionnaires qui auraient pu être intéressés à faire partie d'un groupe de Québec. C'est-à-dire que la solution qui nous apparaissait préférable — tout cela a été dit à l'Assemblée nationale — était qu'un groupe de Québec, de la région de Québec, puisse être formé pour acheter le Soleil.

Comme cette solution n'a pu se réaliser — on pourra en discuter — les caisses populaires avaient leurs responsabilités vis-à-vis de leurs épargnants. Si j'ai communiqué avec elles, c'est à la suite de déclarations de M. Rouleau. Elles ont décidé, au moins, de manifester beaucoup de réticences à l'idée d'investir une somme d'un million et demi dans une entreprise comme celle du Soleil. Alors, comme les pourparlers traînaient en longueur, comme les frères Gilbert étaient désireux de vendre... Us pourront s'expliquer, donner toutes les raisons pour lesquelles ils voulaient se départir du Soleil. Probablement qu'il y a beaucoup de raisons personnelles ou familiales, des raisons de succession, mais ce n'est pas à moi de donner les détails des raisons qui pouvaient justifier les frères Gilbert à se départir du Soleil. Donc, essayant d'éviter que le journal ne devienne membre du groupe Power Corporation, voyant que les négociations ne risquaient pas tellement d'aboutir dans le cas d'un autre groupe, il y a eu d'autres acheteurs qui se sont manifestés. Les noms ont été rendus publics, soit MM. Péladeau et Francoeur.

Dans le cas de M. Francoeur — je réponds à la question du député de Maisonneuve et du député de Saint-Jacques — il en a lui-même fait part dans sa déclaration lorsqu'il a rendu la vente publique. Je lui ai parlé une fois, la journée ou la veille de la vente, et je lui ai dit qu'il devait être disponible à la commission parlementaire pour démontrer que c'était sa compagnie qui achetait le journal et que, comme il l'a dit lui-même, il n'était pas le prête-nom de qui que ce soit. Je lui ai dit que, s'il était en mesure de démontrer que c'était lui qui achetait le journal, sans être le prête-nom de qui que ce soit, évidemment la vente était légale, que c'était une question de liberté de commerce au Québec. C'est pourquoi j'ai convoqué la commission parlementaire.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Merci, M. le premier ministre.

Est-ce qu'il y a une réplique sur ces commentaires, de la part de l'Opposition?

M. CHARRON: Oui, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: D'abord, M. le Président, si j'ai interrompu le premier ministre au moment où il parlait, c'était parce que je savais qu'il allait être très laconique et que je ne voulais pas allonger inutilement le débat. Je ne voulais pas être obligé de terminer ma réplique par une série de questions qu'il aura soigneusement évitées dans son exposé d'ouverture. Je ferai donc un très court exposé moi-même avant de terminer par des questions.

La première remarque que j'ai à faire est sur le but de la rencontre et de la convocation de la commission parlementaire. C'est très important pour nous de savoir ce que nous sommes en train de faire ici, cet après-midi.

Le premier ministre me rappelait tout à l'heure qu'il n'était pas obligé de convoquer la commission parlementaire. C'est vrai et, à sa place, je dirais que c'est à sa courte honte qu'il devrait le dire.

Nous sommes une société, M. le Président, où des transactions de cette importance des media d'information ne sont aucunement obligés de venir figurer sur une table où les élus de la population ont tout le loisir de les examiner.

Il n'y a plus de société civilisée qui se permette qu'une chafne, elle-même ou par ses tentacules, mette la main sur l'ensemble des moyens d'information dans une langue donnée qui est la langue de la majorité de cette société. Il n'y a donc pas de société civilisée qui puisse permettre un tel comportement aussi longtemps.

La plupart des sociétés sur lesquelles le Québec, à raison, s'est modelé à plusieurs reprises ont déjà dans leur sein, soit des conseils de presse, soit des agences de presse qui ont comme mission première l'examen de la moindre transaction dans ce domaine, tellement ces sociétés, et je devrais dire les gouvernements de ces sociétés, ont beaucoup plus à coeur la liberté d'information que ne le semblent avoir les gouvernements successifs du Québec.

Le premier ministre a raison. Il n'était pas obligé de la convoquer légalement. Cela devrait être une obligation à laquelle un gouvernement, celui-ci ou un autre qui suivra, devra en tout premier lieu faire face. Mais, j'ai rappelé au premier ministre, en l'interrompant, que politiquement il devait le faire, car les lecteurs du Soleil sont aussi les électeurs du premier ministre. Et je crois que le rapport se fait très facilement dans sa tête, tout le monde qui le connaît un peu en conviendra avec moi. C'est donc parce qu'il sentait, M. le Président...

M. BOURASSA: On est tellement bien servi par le journal, on est calomnié à tous les jours.

M. CHARRON: C'est donc, M. le Président, parce que le premier ministre a senti qu'il se trouve chez les Québécois un intérêt marqué pour les transactions de ce genre qu'il s'est prêté à la demande, je devrais le dire, du Parti québécois qui date du 28 août 1973. D'autres groupes, également, ont demandé la convocation de cette commission spéciale sur la liberté de presse pour examiner les projets de transaction entre la famille Gilbert et quelque acheteur éventuel que ce soit.

M. le Président, je ne répéterai pas, puisque nous avons eu plusieurs raisons de le faire, l'intérêt que le Parti québécois manifeste sur cette question. Toutes les séances antérieures de la commission, qui n'ont abouti à rien, comme si cela avait été savamment calculé, ont donné l'occasion quand même, à plusieurs reprises, à

mes collègues et à moi-même de donner notre opinion là-dessus.

Je veux quand même indiquer, dans cette première intervention, la façon dont nous entendons travailler. M. le premier ministre nous a rappelé tout à l'heure que c'est à la famille Gilbert qu'il appartiendra de nous informer, et nous avons bien l'intention de l'entendre, sur ses intentions et les motifs qui militent en faveur de l'abandon de cette propriété familiale qu'est le journal Le Soleil. Il appartiendra, bien sûr, à l'acheteur éventuel, M. Francoeur, de nous informer sur ses intentions et sur la nature du groupe qu'il dirige. Il appartiendra à d'autres qui se sont vus écartés, à un moment ou à un autre, par toutes sortes de raisons de nous expliquer pourquoi leur désir de se porter acquéreurs de ce journal n'a pas connu le succès qu'ils avaient anticipé au moment où ils avaient fait leurs offres.

Il appartiendra finalement à d'autres groupes, nous l'espérons, intéressés, comme ils l'ont manifesté depuis le début de l'apparition de ce projet de vente dans l'opinion publique, à venir nous faire connaître leur opinion sur la vente que le premier ministre s'engage à ratifier s'il n'y a pas de preuve du contraire.

Avant de passer à l'interview de ces différentes personnalités du monde des affaires, je crois que le rôle de l'Opposition, vous en conviendrez avec moi, est d'abord — nous avons été élus d'abord pour le faire — de surveiller le rôle du gouvernement dans ce genre de transaction et dans ce domaine très particulier d'une liberté de presse menacée par les concentrations financières que connaît le Québec depuis six ou sept ans, dans ce domaine particulier. Vous ne serez donc pas étonné, M. le Président, de voir que je termine immédiatement en disant que mon principal souci sera d'entendre avant qui que ce soit, quelle que soit la qualité, je dois dire, de ceux qui doivent venir témoigner à cette table, le rapport de celui à qui le premier ministre avait demandé de devenir responsable de ce dossier, qui, à toutes fins pratiques, on en conviendra des deux côtés de la table, était une patate chaude pour qui que ce soit au lendemain de l'élection du 29 octobre dernier. Mais avant d'entendre le ministre responsable du dossier, puisque, effectivement, il n'est entré en fonction et n'a pris charge du dossier qu'au lendemain du 29 octobre, à la demande personnelle du premier ministre, et sachant d'avance d'ailleurs que le ministre n'aura aucune objection à répondre à nos questions, parce qu'il a lui-même affirmé — et c'était rapporté dans les journaux — qu'il considère cette convocation de la commission parlementaire comme une occasion de rendre compte de son mandat, tel qu'il lui a été confié par le premier ministre, je dois d'abord diriger mes premières questions au premier ministre lui-même, puisque, avant l'entrée en politique du ministre responsable du dossier, le bruit, la rumeur de l'offre de vente du Soleil circulait déjà au point que le premier ministre en avait été saisi.

Je demanderai d'abord au premier ministre quelle est la nature du mandat qu'il a confié au député de Marguerite-Bourgeoys le jour où, après la formation du cabinet, il apprenait aux Québécois que c'était désormais le député de Marguerite-Bourgeoys qui allait être responsable du dossier.

M. BOURASSA: J'ai répondu en Chambre à cela. Je peux bien répéter ce que j'ai dit en Chambre, il s'agit d'essayer de trouver une solution de rechange.

M. CHARRON: Une solution de rechange à quoi?

M. BOURASSA: A la vente du Soleil à Power Corporation.

M. CHARRON: Est-ce que le mandat du député de Marguerite-Bourgeoys se limitait exclusivement à la transaction du quotidien Le Soleil?

M. BOURASSA: Oui. Dans une première étape, oui. Des suggestions intéressantes ont été faites, par exemple de créer un comité de surveillance pour les transferts de propriété dans les journaux. La Fédération des journalistes a fait une suggestion dans ce sens et, après avoir discuté cette question, je suis prêt à discuter des modalités de l'application de cette suggestion. Mais le mandat visait essentiellement à essayer de former un groupe pour acheter le Soleil.

M. CHARRON: Dans le mandat que vous lui avez confié, est-ce qu'il n'était pas question aussi, puisque moi, je me souviens d'avoir posé des questions au député de Marguerite-Bourgeoys à l'Assemblée nationale... Son mandat lui apparaissait, en fait, dans son entendement à lui, beaucoup plus large que ne semble le dire le ministre.

Au moment où le moratoire du 15 septembre durait encore, j'ai posé des questions au député de Marguerite-Bourgeoys, à savoir si l'actuel dossier du Soleil, particulièrement, ne l'amenait pas à étendre lui-même son mandat et à s'apercevoir qu'on aurait besoin d'une législation, en général.

M. BOURASSA: On peut prolonger le débat indéfiniment. Je n'ai pas d'objection mais j'ai d'autres fonctions. Il y a des agriculteurs qui voulaient me rencontrer.

M. CHARRON: Je sais cela. Votre carnet mondain...

M. BOURASSA: Je pourrais parler du carnet mondain du député de Saint-Jacques. On pourrait comparer le sien et le mien. En ce qui a trait à la question du député de Saint-Jacques, j'ai dit que, dans une première étape, nous

voulions essayer de trouver une solution de rechange pour la vente du Soleil et que, forcément, comme il l'a lui-même suggéré, cela nous mettait en relation avec tout le problème de la concentration de la presse. C'est pourquoi je lui ai dit tantôt, en réponse à sa question, qu'il y avait eu dans ce débat des suggestions très intéressantes et très valables, comme la formation d'un comité de surveillance sur le transfert de propriété dans les entreprises de presse. Et j'en ai parlé avec M. Mailhot, avec M. Gariépy, qui a une très grande expérience dans ce secteur, et j'ai dit tantôt que j'étais prêt à considérer cela et à examiner les modalités pour éviter tout ce qu'il a fallu faire depuis quelques mois concernant cette question.

M. CHARRON: Je comprends la réponse du premier ministre qui essaie toujours d'en mettre plus qu'on lui en demande pour justement ne pas répondre à ce qu'on lui demande. Je comprends, par la réponse du premier ministre, que le mandat du député de Marguerite-Bourgeoys était exclusivement limité à la vente du Soleil. Mais ce n'est pas encore suffisamment précis.

M. BOURASSA: J'ai dit que, dans une première étape, oui.

M. CHARRON: Quelle était la deuxième étape?

M. BOURASSA: La deuxième étape, c'est qu'à la lumière — je suis prêt à faire preuve d'une patience orientale avec le député de Saint-Jacques, à répéter à chaque fois — de l'expérience du Soleil, on devait envisager des formules comme celles qui ont été proposées de manière à éviter ce qui est arrivé dans le cas du Soleil.

M. CHARRON: Très bien.

M. BOURASSA: Mais ce qui était urgent, étant donné que le moratoire se terminait le 15 décembre et que les frères Gilbert invoquaient toutes sortes de raisons, comme la perte de $250,000 en intérêts — c'est quand même leur bien...

M. CHARRON: On verra cela.

M. BOURASSA: On verra certainement. Ils invoquaient toutes sortes de raisons qui paraissaient légitimes. Il fallait, de toute urgence, trouver une solution de rechange à la vente du Soleil à Power Corporation.

M. SAMSON: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: II est bien entendu qu'on peut se poser plusieurs questions, à l'ouverture de cette commission parlementaire. Je pense que parmi les questions posées par les représentants du Parti québécois, il y en a une que nous pouvons retenir. Nous avons eu, à une autre commission parlementaire, à déplorer le fait que nous avions été convoqués en quelque sorte pour tout simplement considérer ce que le gouvernement avait fait, sans aucune espèce de recours pour y changer quoi que ce soit.

Aujourd'hui, nous retenons cette question comme valable. On verra, au fur et à mesure que les travaux se dérouleront, si nous avons raison de craindre. J'espère que non. J'espère que le gouvernement ne nous a pas convoqués uniquement pour nous placer devant un état de fait sans que nous puissions y changer quoi que ce soit.

Quant à nous, nous considérons que la question qui est devant la commission présentement doit nous amener à considérer cela avec une certaine prudence quand même.

C'est un principe ou peut-être plusieurs principes qui sont en cause. Pour nous, en tout cas, ce n'est pas uniquement la question de la vente d'un journal à un groupe d'hommes d'affaires. Nous devons en profiter pour considérer la grande question de principe qui est la suivante, et cela m'amène à poser une question. Qui y répondrait? Est-ce que le premier ministre y répondrait ou peut-être quelqu'un d'autre, un autre membre de la commission? Je pense qu'on peut sérieusement se poser cette question : Est-ce qu'il y a quelque chose de légitimement fondé qui peut empêcher quelqu'un, dans notre société actuelle, qui possède quelque chose de vouloir s'en départir, de vouloir le vendre? Est-ce que légitimement on peut empêcher celui qui a quelque chose à vendre de le vendre à celui qui a la meilleure offre à lui faire? C'est une question de principe. On se considère, en tout cas, dans une société où la libre entreprise est respectée quel que soit le groupe. Il est question, pour le moment, du journal Le Soleil, vendu à quelqu'un d'autre. On pourrait, à un moment donné, convoquer — si on considère la philosophie du gouvernement — une autre conférence de presse pour considérer une autre transaction dans le même domaine. Peut-être qu'une autre transaction dans le même domaine serait vue différemment par les personnes autour de cette table.

Si j'ai fait remarquer qu'il serait peut-être bon de considérer cela avec un peu de prudence, c'est que, s'il est légitime pour quelqu'un qui possède et qui a droit de posséder — je pense que notre société le permet — de pouvoir se départir de ses avoirs au meilleur offrant, je me demande, à ce moment-ci, si on n'est pas un peu, volontairement ou involontairement, en train de pousser le gouvernement à s'introduire davantage dans l'entreprise privée. Aujourd'hui, il a été question de la vente d'un journal, mais, si on fait une projection, on peut se demander quel sera le prochain secteur. En effet, si on est

amené à considérer cela de cette façon, quel sera le prochain secteur?

Je pense que cette question mérite, sinon une réponse aussi immédiate que possible, au moins d'être étudiée à son mérite. Evidemment, on invoquera le phénomène de la concentration des entreprises de presse. Il demeure un fait, dans notre société de libre entreprise, c'est évidemment la concurrence qui établit le régulateur. Je ne crois pas, en tout cas, qu'on ait, à ma satisfaction, prouvé qu'il y avait un danger de manque de concurrence présentement. Quand il s'agit de la presse, c'est un peu différent. Si on a peur d'un monopole de presse, de ce qu'on a appelé des monopoles dans d'autres domaines, par exemple, où on se rencontre pour fixer des prix et, par le monopole, on en arrive à un prix exorbitant, dans ce domaine, je pense que ce n'est pas cela le problème que nous avons devant nous. Les journaux se vendent le même prix et les annonces sont concurrentielles. H s'agit de l'information. L'information, quand il y a de la concurrence, elle est susceptible d'être saine.

Evidemment, comme tout le monde, on aurait un peu peur, s'il y avait un danger réel de concentration, que l'information tombe dans les mains d'un seul groupement. Dans d'autres pays, qui sont particulièrement choyés par certains membres de cette Assemblée nationale, il y a concentration de la presse. Elle n'est pas dans les mains de l'entreprise privée; elle est dans les mains d'entreprises d'Etat.

Que ce soit l'extrême occasionné par des monopoles de l'entreprise privée ou l'extrême qui existe ailleurs par l'entreprise d'Etat, ce sont deux extrêmes qu'il faut éviter.

M. le Président, je pense qu'il est un peu dangereux, pour un gouvernement, d'être appelé à agir comme modérateur dans ces transactions. En fait, c'est même dangereux car, quel que soit le gouvernement, il n'y a aucun gouvernement qui n'espère pas obtenir, s'il ne l'obtient pas, la faveur de la presse. Si à l'occasion d'une transaction annoncée, sous prétexte de maintenir la liberté de la presse, on oblige les hommes d'affaires de l'entreprise privée à parader devant le gouvernement, je pense qu'il y a un certain risque que nous devons considérer, qui est le suivant. Je n'accuse pas le gouvernement à ce moment-ci, M. le Président; je n'ai pas d'indication que le gouvernement est de mauvaise foi dans ce domaine, du moins en ce qui concerne le présent débat. Mais il se pourrait, si on veut faire un peu de projection, qu'à un moment donné le gouvernement, par ce moyen, en vienne à forcer l'entreprise privée à faire des transactions susceptibles de favoriser la bonne presse du gouvernement.

Vous voyez, M. le Président, qu'il y a des conséquences à ce que le gouvernement fasse intrusion dans le secteur, sans vouloir dire que le gouvernement a cette intention-là. Si jamais un gouvernement avait ce genre d'intention, il serait donné à n'importe qui de penser que c'est dangereux, alors que dans le cas présent on a un exemple. Nous avons la vente d'un quotidien à des gens de l'entreprise privée. Il y a eu certaines offres, à ce qu'on sache, et je m'imagine bien que les vendeurs ont tenté de vendre au plus offrant. Si on me dit, par les témoignages que nous aurons cet après-midi, que les vendeurs se sont efforcés de vendre à celui-là qui offrait le moins, à ce moment-là je me poserai un autre genre de question. C'est normal et c'est légitime que lorsqu'on possède quelque chose on essaie, si on veut le vendre, de le vendre au plus offrant, c'est-à-dire pour faire des profits. C'est le système de l'entreprise libre, M. le Président.

Or, nous avons devant nous aujourd'hui la vente d'un quotidien. Pourquoi? Ce quotidien aurait pu se vendre à d'autres personnes, à d'autres groupements. Est-ce qu'on n'a pas offert moins ailleurs et est-ce que ce n'est pas pour cela dans le fond? Il y a des questions qui n'ont pas obtenu de réponse à ce moment-ci. Mais, le prétexte du maintien de la liberté de la presse — alors que je pense que la vente du quotidien Le Soleil ne changera pas grand-chose en ce qui concerne le danger de détruire la liberté de presse au Québec — est-ce qu'on ne se sert pas de ce prétexte-là et est-ce que dans le fond on n'oblige pas des gens ou on n'a pas obligé des gens, à un certain moment donné, à offrir ce qu'ils possèdent à moins cher ou à meilleur marché? Cela, M. le Président, peut nous revenir un autre jour. Quiconque, selon moi et selon la philosophie que je défends depuis longtemps, devrait avoir le droit de posséder quelque chose et, quand il possède des capitaux, le droit d'acheter avec ces capitaux ce qu'il voudrait acheter, autrement dit le droit à l'investissement dans le domaine de la presse. Aujourd'hui, nous avons quelqu'un devant nous, mais peut-être demain, M. le Président, aurons-nous quelqu'un d'autre. C'est légitime et c'est normal. Nous avons un nouveau quotidien qui verra le jour bientôt et il serait malheureux, si nous prenions l'exemple d'aujourd'hui, de demander aux gens qui veulent investir dans un nouveau quotidien de parader devant une commission parlementaire et leur demander des comptes. Tout le monde sait, cela a été publié dans le journal, que le Parti québécois a investi un certain montant dans un journal. M. le Président, je verrais très mal...

M. BOURASSA: Ce n'est pas une mauvaise idée.

M. BURNS: Vous n'avez rien compris.

LE PRESIDENT (M. Séguin): S'il vous plaît, M. le député, je vous demanderais de vous en tenir strictement...

M. SAMSON: Au sujet.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Au sujet. On est déjà rendu dans le...

M. BOURASSA: M. Michaud ferait un bon spectacle.

M. SAMSON: Avant que j'aie fini de parler, peut-être que ça va en chatouiller quelques-uns, mais au risque d'en chatouiller quelques-uns, M. le Président, je ne voudrais pas que le premier ministre, parce qu'il y a une commission parlementaire, oblige les gens du Parti québécois ou les membres du Parti québécois à venir devant la commission parlementaire pour rendre des comptes parce qu'ils veulent acheter un journal. Non, M. le Président, je n'accepterai pas ça.

M. BURNS: Pourquoi pas?

M. SAMSON: Parce que la liberté de presse est pour ceux du Parti québécois comme pour les autres qu'il y a là, en avant de nous. M. le Président, on a été convoqué ici, à une commission parlementaire de la liberté de presse et...

M. BURNS: Si vous voulez qu'on revienne sur le problème de la concentration de la presse, on est bien prêt à y venir.

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre!

M. SAMSON: Je n'ai pas fini mes commentaires.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Rouyn-Noranda.

M. BEDARD (Chicoutimi): M. Michaud est prêt.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Allez-y mais restez-en, s'il vous plaît...

M. SAMSON: M. le Président, c'est l'exemple que je peux donner. Si on poursuit cette projection, à un autre moment, il n'y a rien qui nous dit — et ça, ça fait partie de la liberté des individus — qu'un journal verra peut-être le jour et qui ne voudra pas se fusionner ou acheter un autre journal qui est déjà existant et qui partage les mêmes opinions, qui s'appelle Québec-Presse, par exemple. Il n'y a rien qui nous dit qu'ils ne voudront pas se fusionner. Est-ce qu'à ce moment-là on ne trouvera pas quelqu'un d'autre pour crier: II y a un danger? Est-ce qu'on ne trouvera pas qu'il y a un danger de concentration parce qu'il y a des gens possédant des journaux différents qui se fusionnent ou qui fusionnent leurs intérêts?

Ecoutez, M. le Président, c'est tout ça que nous avons à discuter et c'est en fonction de ça et en fonction de ce qui pourrait arriver qu'en tant que responsable devant l'opinion publique, je suis à l'aise pour en parler, on n'a pas acheté de journaux et on n'a pas l'intention d'en acheter. Mais devant l'opinion publique, nous devons...

M. BEDARD (Chicoutimi): Vers Demain.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Messieurs, à l'ordre!

M. SAMSON: M. le Président, je m'excuse auprès de vous et je m'excuse auprès de mes amis du Parti québécois, il semble qu'en voulant les protéger, je les ai offusqués.

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre! Il devient de plus en plus difficile pour les gens à la console de distinguer les voix et de faire l'enregistrement très exact de ce qui va se dire. Je demanderais que chacun parle à son tour. Le député de Rouyn-Noranda a la parole.

M. SAMSON : M. le Président, je sais qu'il y a des gens qui aimeraient que je termine immédiatement mais il faut que quelqu'un le dise. Si, du côté du gouvernement, on n'a pas le courage de le faire, il faut que quelqu'un le dise.

LE PRESIDENT (M. Séguin): On pourra déterminer ça à une autre commission. Mais pour le moment...

M. SAMSON: M. le Président, je n'ai pas le droit de défier le premier ministre, mais j'ai le droit de défier le gouvernement.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Allez-y.

M. SAMSON: Cela nous amène à dire ceci: ou bien on accepte d'être dans une société de libre entreprise, ou bien on est dans une autre sorte de société. Et pour le moment, la population, que tous ici veulent respecter, a voté et opté pour le système de la libre entreprise. On n'est pas dans un autre système. Bien entendu, il y a des gens qui voudraient en faire leur propagande, c'est leur droit. Mais tant et aussi longtemps que la population acceptera de demeurer dans un système de libre entreprise, il faut demeurer dans un système de libre entreprise et le respecter. C'est pour ça que si, réellement — là, je pose une question au gouvernement, il y a des gens qui ont fait des enquêtes là-dessus on va respecter les études qui ont été faites — vous croyez qu'il y a un danger de concentration des entreprises de presse au Québec, si c'est dangereux pour l'information, il y a d'autres moyens que de contraindre des gens qui possèdent quelque chose. Parce que là, c'est dans le domaine de la presse, mais il y en a d'autres qui possèdent autre chose et ils n'aimeraient pas se voir obligés par le gouvernement à vendre à un tel prix, à telle personne plutôt qu'à telle autre.

M. le Président, on peut penser à en créer d'autres...

M. CHARRON: C'est important, les biscuits.

M. SAMSON: M. le Président, vous pourriez demander au député de Saint-Jacques d'être moins nerveux. Parce que là, on le comprend...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Continuez, M. le député.

M. SAMSON: Mais on peut penser à d'autres moyens et je pense que les suggestions positives devraient être bienvenues à cette commission.

Il y a d'autres moyens. Que l'on permette, que l'on favorise ou que l'on facilite, si vous le voulez, la création d'entreprises concurrentielles. S'il n'y avait aucune concurrence au Québec, si tout était entre les mains du même groupe, ce serait extrêmement mauvais, comme c'est extrêmement mauvais ailleurs, quand c'est dans les mains du gouvernement et qu'il n'y a pas d'autres groupes pour transmettre l'information. On n'est pas rendu à ce point-là. Bien entendu, il y a des gens qui prétendent que c'est dangereux que l'on en arrive à cela. Il n'y a personne encore, je pense, qui a été empêché de lancer sur le marché d'autres journaux, d'autres moyens d'information. C'est là la libre entreprise, on peut le faire. La preuve qu'on peut le faire, c'est qu'il y en a un qui va probablement voir le jour, un journal nouveau. C'est la preuve qu'on peut le faire encore.

M. le Président, c'est permis. Oui, M. le Président, je comprends votre anxiété.

LE PRESIDENT (M. Séguin): J'ai hâte d'entendre la raison d'être, ici...

M. SAMSON: Je voudrais terminer là-dessus. Cela vous fait plaisir que je termine, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Non, mais je voudrais, moi,...

M. SAMSON: Je vais terminer là-dessus.

LE PRESIDENT (M. Séguin): ... revenir au déluge et on va procéder après cela.

M. SAMSON: C'est permis à tous d'aller dans ce domaine de l'information et je pense qu'il faut être extrêmement prudent. Je ne veux pas dire que l'on ne doit pas écouter tout ce que ces gens auront à dire. Au contraire, je suis persuadé que l'on apprendra des choses extrêmement intéressantes, mais la commission parlementaire ne doit pas être uniquement, et c'est cela que j'aimerais entendre dire par le premier ministre, une occasion de considérer un seul point de vue, un seul sujet. Je pense que l'on doit considérer les principes qui sont en cause et regarder vers l'avenir parce que, un autre jour, ce sera peut-être d'autres gens qui viendront nous rencontrer et ils auront peut-être, pour des raisons complètement différentes, à nous demander le contraire. Merci, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Mercier.

M. BOURASSA: Juste un mot, peut-être, pour répondre, M. le Président, parce que le député de Rouyn-Noranda me prête des arrière-pensées. Il dit que si j'ai convoqué cette commission parlementaire pour la question du Soleil, c'est parce que j'ai l'intention de la convoquer pour le journal séparatiste ou Québec-Presse. Mais je tiens à rectifier, M. le Président, que ce n'était pas du tout la raison qui m'a incité à convoquer cette commission parlementaire, ce n'est pas pour pouvoir enquêter éventuellement sur le journal séparatiste ou sur Québec-Presse. C'est parce qu'il était entendu au début, je pense qu'il était demandé par des gens très sérieux de l'opinion publique... Pourquoi rit-on, M. le Président?

M. CHARRON: Parce que je connais le premier ministre.

M. BOURASSA: II était demandé par des gens très sérieux de l'opinion publique que cette question soit étudiée. Et je comprends le point de vue du député de Rouyn-Noranda qui met en conflit l'intérêt public et l'intérêt privé.

M. BURNS: II a peur de... dans son garage.

M. BOURASSA: Avec l'expérience que l'on a actuellement dans les différents journaux, je pense que la liberté de la presse est à peu près absolue, et c'est bon qu'il en soit ainsi. Donc, je pense bien qu'à court terme et en pratique, il n'y avait pas de danger immédiat pour la concentration de la presse, mais ce qui a inquiété l'opinion publique, une partie de l'opinion publique à tout le moins, c'est la possibilité que cette concentration de la presse puisse affecter éventuellement la liberté de la presse. Alors, il y avait conflit entre l'intérêt privé et l'intérêt public et il est normal, quand il y a conflit entre les deux, que ce soit l'intérêt public qui prime.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Merci, M. le premier ministre.

Le député de Chicoutimi.

M. BEDARD (Chicoutimi): M. le Président, de l'exposé succinct du premier ministre tout à l'heure, j'ai cru comprendre d'une façon très claire que, premièrement, le gouvernement avait été informé que la vente du Soleil était complétée aux intérêts Francoeur.

Deuxièmement,...

M. BOURASSA: Non, j'en ai été informé la veille du jour où elle a été complétée.

M. BEDARD (Chicoutimi): D'accord.

M. BOURASSA: J'ai prévenu M. Francoeur à ce moment-là.

M. BEDARD (Chicoutimi): Mais à l'heure actuelle, au moment où nous siégeons, vous avez été informé, le gouvernement...

M. BOURASSA: Je veux dire que tout le monde en a été informé. Il y a eu des...

M. BEDARD (Chicoutimi): Non, j'ai bien dit, j'ai bien employé les mots "que la vente était complétée". Ce ne sont pas seulement des rumeurs, elle est complétée.

M. BOURASSA: Personnellement, je n'ai pas été informé que la vente avait été complétée, ' mais j'ai dit à M. Francoeur, la veille de la vente, qu'il devait être disponible pour comparaître à la commission parlementaire pour justifier que ce n'était pas Power Corporation qui achetait le Soleil. Par le fait même, c'était une condition de la validité de la vente avec les pouvoirs de législation que possède le gouvernement pour invalider la transaction s'il n'est pas satisfait.

M. BEDARD (Chicoutimi): J'ai également cru comprendre que, effectivement, le gouvernement était prêt à accepter cette vente aux intérêts Francoeur, pour employer les termes de l'honorable premier ministre, tout à l'heure, à la condition que cette vente n'équivaille pas à une vente indirecte à Power Corporation, n'est-ce-pas?

Autrement dit, que la commission est ici convoquée pour être mise devant un fait accompli, à savoir que la vente est complétée. Il y a un mandat qui a été donné...

M. BOURASSA: J'ai dit que la transaction pouvait être invalidée, si cela n'était pas le cas.

M. BEDARD: Invalidée, à partir du moment où on dit qu'elle peut être invalidée, c'est qu'à l'heure actuelle elle est valide.

M. BOURASSA: Oui.

M. BEDARD (Chicoutimi): Si elle est valide, c'est que la vente est complétée.

M. BOURASSA: La vente est légale actuellement.

M. BEDARD (Chicoutimi): Si la vente est légale, c'est qu'elle existe; parce qu'il n'y a pas de vente légale s'il n'y a pas de vente qui existe.

M. BOURASSA: Sauf si le Parlement en décide autrement.

M. BEDARD (Chicoutimi): C'est exactement...

M. BOURASSA le Président, si les frères Gilbert avaient vendu à Power Corporation indépendamment de l'avertissement qui avait été donné par le gouvernement, la vente aurait été légale, mais elle aurait pu, par la suite, être annulée.

M. BEDARD (Chicoutimi): Oui. M. BURNS: Oui.

M. BEDARD (Chicoutimi): Je ne comprends pas pourquoi l'honorable premier ministre m'interrompt, parce qu'en fait son interruption est simplement dans le sens de confirmer qu'effectivement, comme il l'a dit...

M. BOURASSA: Mais la vente est légale.

M. BEDARD (Chicoutimi): ... elle est complétée.

M. BOURASSA: Ils vont le dire tantôt si elle est complétée.

M. BEDARD (Chicoutimi): D'accord, alors pourquoi m'interrompre? Ce que j'ai à dire n'est pas très long en fait.

M. BOURASSA: Alors, qu'est-ce qui ne va pas?

M. BEDARD (Chicoutimi): La vente étant complétée, la commission étant devant un fait accompli, il y avait un mandat qui avait été donné — comme l'a dit l'honorable premier ministre tout à l'heure, et tel qu'il en a informé la Chambre en temps et lieu — au député de Marguerite-Bourgeoys, à l'effet de trouver une formule de rechange lorsqu'il a été question de la vente du Soleil à Power Corporation. Je voudrais savoir si effectivement, dans l'esprit du gouvernement, cette nouvelle vente représente en fait la formule de rechange que le député de Marguerite-Bourgeoys était chargé de trouver, si c'est lui qui l'a trouvée et, effectivement, savoir aussi si le député de Marguerite-Bourgeoys, dans l'exécution de son mandat, a pris la précaution d'étudier tous les contrats de la vente du Soleil aux intérêts Francoeur, de manière à être convaincu et à convaincre le gouvernement, par voie de conséquence, que cette vente n'était pas une vente indirecte faite à Power Corporation.

M. BOURASSA: On pose la question au gouvernement, M. le Président. Notre premier souci, je répète ce que j'ai dit, c'était de former un groupe de Québec avec les frères Gilbert.

M. BEDARD (Chicoutimi): Oui, vous l'avez mentionné.

M. BOURASSA: Comme les frères Gilbert constataient que cela se faisait avec beaucoup de lenteur — ils pourront le dire eux-mêmes — ou ils ont été approchés, ou ils ont approché

d'autres acheteurs. Le gouvernement n'est intervenu d'aucune façon pour trouver un autre acheteur, sauf de chercher le groupe en question. Pour les frères Gilbert, pour limiter leur perte pécuniaire, il s'agissait tout simplement de trouver un autre acheteur qui n'était pas Power Corporation.

M. BEDARD (Chicoutimi): Vous dites que le gouvernement lui-même n'a pas fait de démarche. Est-ce que c'est vous-même ou le gouvernement qui en a fait concernant les caisses populaires?

M. BOURASSA: J'ai communiqué avec les caisses populaires et on m'a même accusé de les bousculer. Je pense que cette affirmation démontre que le gouvernement était sérieux pour la recherche d'une solution de rechange d'un groupe de Québec. Je ne me souviens pas de son nom, M. Ouellet, je pense, a accusé le gouvernement, dans une déclaration publique, ou m'a accusé de vouloir le bousculer pour ce qui a trait à la question du Soleil. J'ai communiqué avec M. Cazavan et je dois dire que la Caisse de dépôt n'était pas tellement enthousiaste non plus pour investir un million et demi dans une entreprise qui comporte des risques. Je lui ai fait part que j'apprécierais qu'il regarde cela d'une façon sérieuse.

M. BEDARD (Chicoutimi): C'était le temps.

M. BOURASSA: M. Cazavan a accepté. Les caisses populaires, je ne pouvais pas aller au-delà d'un certain point parce qu'on m'aurait blâmé dans six mois ou dans huit mois, admettons qu'il y ait une grève de trois mois et que la mise de fonds ait complètement... Le député de Rouyn-Noranda aurait été le premier à crier au viol si j'avais forcé les caisses populaires à investir un million et demi dans le Soleil. Alors, j'ai fait part de l'intention du gouvernement à la suite des déclarations de M. Rouleau et disons qu'au niveau intermédiaire, on n'était pas trop enthousiaste pour investir cette somme. Les frères Gilbert, voyant que c'était très lent, et voyant qu'ils subissaient des pertes financières, à chaque semaine, importantes à leur point de vue, et je comprends leur inquiétude, ont décidé d'accélérer les négociations avec d'autres acheteurs que Power Corporation, parce qu'ils savaient que dans le cas de Power Corporation le gouvernement ne l'accepterait pas.

M. BEDARD (Chicoutimi): Dans l'exécution de son mandat, concernant le député de Marguerite-Bourgeoys, est-ce que celui-ci avait le devoir ou la mission de contacter personnellement des personnes qui pourraient être intéressées à l'achat?

M. BOURASSA: II en a contacté plusieurs. Je ne sais pas si c'est dans l'intérêt public de donner tous les noms qui ont été contactés.

M. BEDARD (Chicoutimi): Est-ce que je pourrais savoir de l'honorable premier ministre, toujours concernant le mandat de M. Lalonde, quel a été le rôle de M. Lalonde au moment de la...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Je pense que la pratique veut...

UNE VOIX: Oui, M. le Président.

UNE VOIX: Le député de Marguerite-Bourgeoys.

LE PRESIDENT (M. Séguin): ... qu'on nomme le député par son comté et non par son nom. Ce sont les us et coutumes, si vous le voulez, du parlementarisme. Je ne voudrais vous...

M. BEDARD (Chicoutimi): D'accord.

M. BOURASSA: Ce n'est pas la pire incartade du parti de l'Opposition officielle.

M. BURNS: Bon, franchement, vous savez que si on se mettait à discuter des manques...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Chicoutimi, s'il vous plaît!

M. BURNS: ... on est bien capable d'en parler pendant bien longtemps.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Chicoutimi.

M. BURNS: Au député de Taillon aussi, on pourrait lui en parler longtemps.

M. BEDARD (Chicoutimi): Est-ce qu'il est à la connaissance du premier ministre que l'honorable député de Marguerite-Bourgeoys ait étudié certains contrats concernant une vente complétée ou non aux intérêts Francoeur et qu'il en ait informé le gouvernement?

M. BOURASSA: Je vous ai dit ce que j'avais dit à M. Francoeur, que la transaction était, à notre point de vue, au point de vue du gouvernement, complète dans la mesure où c'était démontré que ce n'était pas Power Corporation qui achetait. Cela était la condition imposée par le gouvernement. Le reste...

M. BEDARD (Chicoutimi): Si je comprends bien, il a été démontré, que ce soit par le député de Marguerite-Bourgeoys ou par quelque autre personne interposée, à la satisfaction du gouvernement, que la vente aux intérêts Francoeur n'était pas une vente indirecte à Power Corporation.

M. BOURASSA: M. Lalonde, le député de Marguerite-Bourgeoys, pourrait compléter ma

réponse tantôt. Je n'ai pas examiné les documents moi-même; je n'ai pas examiné les documents moi-même parce que ce n'était pas la seule chose que j'avais à faire. Deuxièmement, j'ai pris la parole de M. Francoeur. J'avais raison de prendre sa parole puisqu'il est ici, aujourd'hui, pour appuyer ce qu'il m'a dit.

M. BEDARD (Chicoutimi): Est-il à votre connaissance que le député de Marguerite-Bourgeoys les a examinés ces contrats?

M. BOURASSA: Je ne crois pas qu'il ait eu les documents en main, sauf information, mais je crois qu'il a discuté avec les intéressés.

M. CHARRON: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Je voudrais m'abstenir d'interrompre, mais je n'aime pas qu'on procède à un système de contre-interrogatoire. Je voudrais qu'on s'en tienne à une question et qu'on obtienne une réponse. Nous pourrions procéder le plus rapidement possible, entendre ceux qui peuvent peut-être éclairer notre lampe et, en même temps, nous aider, nous permettre d'arriver à une décision. Il me semble que dans le moment nous sommes en train soit de condamner ou de poser toutes sortes de questions sans avoir entendu les témoins. Ce serait normal, il me semble d'entendre les témoins aussi.

M. BEDARD (Chicoutimi): Vous avez une mauvaise perception aussi...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Non. Passez, le député de Chicoutimi.

M. BURNS: M. le Président, sur votre question, je veux tout simplement vous dire ceci, au nom de mon parti. Il est évident que tôt ou tard nous voulons discuter avec M. Francoeur et avec toute autre personne qui puisse être intéressée à cette transaction. Il est cependant — veuillez le prendre comme venant de l'Opposition — très important pour nous d'avoir des réponses à des questions préliminaires. Or, les deux personnes qui peuvent principalement nous donner des réponses à ces questions préliminaires sont le député de Mercier et le député de Marguerite-Bourgeoys. C'est à ce stade qu'on en est.

On n'a pas du tout l'intention de faire perdre le temps de la commission mais, d'autre part, sachez bien qu'on a l'intention d'avoir les réponses aux questions préliminaires avant de s'adresser aux personnes mêlées à la transaction.

M. CHARRON: M. le Président, les questions du député de Chicoutimi ou l'intervention du député de Maisonneuve nous ramènent aux premières questions que nous étions en train de poser.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Un instant, s'il vous plaît, je ne veux pas vous interrompre. Est-ce que le député de Chicoutimi a terminé?

M. BEDARD (Chicoutimi): Oui.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je sais que, si le premier ministre me donne des réponses précises, rapides, on va pouvoir libérer le premier ministre de la commission très rapidement et libérer la commission du premier ministre en même temps. Ce qui fait que je vais lui demander très rapidement ceci. Nous en sommes toujours au mandat qu'il avait confié au député de Marguerite-Bourgeoys. Si j'ai bien compris votre réponse, vous me répondez comme vous le voulez. Il s'agissait, dans une première étape, de trouver un acheteur autre que Power Corporation.

M. BOURASSA: Et préférablement un groupe de Québec.

M. CHARRON: Et préférablement un groupe de Québec, mais vous n'écartiez pas, dans votre choix, le fait que ce soit un autre acheteur unique, genre UniMédia, par exemple.

M. BOURASSA: En deuxième choix; cela aurait pu être M. Péladeau. Il n'y avait aucune priorité de choix, aucune préférence pour le gouvernement entre l'un et l'autre.

M. CHARRON: II y avait, comme première étape, d'écarter Power Corporation. On s'entend?

M. BOURASSA: Oui, mais... Oui, d'accord.

M. CHARRON: Et comme deuxième étape de former un groupe...

M. BOURASSA: De Québec.

M. CHARRON: ... qui remplacerait Power Corporation.

M. BOURASSA: De Québec.

M. CHARRON: Est-ce qu'aujourd'hui, au mandat que vous lui aviez confié, vous êtes prêt à dire mission accomplie?

M. BOURASSA: Dans la mesure où Power Corporation n'a pas acheté le journal, la mission est accomplie.

M. CHARRON: La première étape.

M. BOURASSA: Dans la mesure où ce n'est pas un groupe de Québec, je ne vois pas pourquoi on peut blâmer le gouvernement de quelque façon que ce soit.

M. CHARRON: Attendez un peu.

M. BOURASSA: Est-ce qu'on pouvait aller plus loin...

M. CHARRON: Vous voyez des blâmes partout. Vous êtes trop...

M. BURNS: ... nerveux.

M. CHARRON: Répondez...

M. BOURASSA: Je n'arrive pas de...

M. BURNS: Voulez-vous mon carnet mondain?

M. CHARRON: Est-ce que j'entends bien que, du fait que le mandat était double, on n'a réussi que d'un seul côté, en théorie...

M. BOURASSA: On a réussi...

M. CHARRON: ... jusqu'à démonstration du contraire?

M. BOURASSA: ... dans l'objectif principal.

M. CHARRON: Qui était d'écarter Power Corporation. D'accord. Je vais demander au premier ministre, avant de me diriger au ministre responsable, quand il a entendu parler pour la première fois que le journal Le Soleil allait être mis en vente?

M. BOURASSA: On en parle depuis plusieurs années.

M. CHARRON: Au cours de la dernière année, précisément.

M. BOURASSA: Je ne peux pas...

M. CHARRON: Est-ce que le premier ministre — je vais poser ma question de façon différente — savait, avant que les frères Gilbert ne le publient en première page d'une édition du mois d'août 1973, du même journal, que les frères Gilbert en question avaient déjà fait des démarches, quelques mois auparavant, à la recherche d'acheteurs éventuels?

M. BOURASSA: Non.

M. CHARRON: Quand, en mai 1973, les frères Gilbert, via Marcel Bélanger du Soleil, ont communiqué avec Québécor pour offrir le journal en vente aux intérêts Péladeau, est-ce que, d'une façon ou d'une autre, le premier ministre avait été mis au courant du fait que le Soleil s'était offert en vente aux intérêts de Québécor?

M. BOURASSA: La démarche de mai 1973, par M. Bélanger? Non.

M. CHARRON: Quand M. Péladeau dit que, lors de l'étude au sein du conseil d'administration de Québécor, d'un projet éventuel et d'un chiffre qu'il avait lancé aux frères Gilbert... M. Péladeau dit également qu'à cette époque il avait rencontré une haute personnalité qui, dans l'hypothèse où la transaction se serait conclue — c'est en mai ou juin 1973 — aurait accepté de devenir l'administrateur du journal Le Soleil. M. Péladeau affirme même que cette perle rare comme administrateur, cette personne hautement qualifiée, il avait obtenu du gouvernement qu'elle soit libérée de ses fonctions actuelles pour passer, dans l'hypothèse où les frères Gilbert accepteraient le montant que déposait Québécor sur la table, à l'emploi de Québécor et administrer le journal Le Soleil qui serait devenu la propriété de Péladeau. Quand M. Péladeau dit cela...

M. BOURASSA: A quelle perle rare vous référez-vous? J'ai deux noms à l'esprit.

M. CHARRON: Vous en avez deux, c'est une de plus qu'il ne m'en fallait. Je voulais simplement savoir... M. Péladeau affirme avoir contacté le gouvernement, entre guillemets, pour obtenir la libération, entre guillemets, de cette personne qui était à l'emploi du gouvernement. C'est donc dire que, si je crois M. Péladeau, il vous en avait parlé à vous, parce que j'imagine que, lorsqu'on dit le gouvernement, on doit parler de celui qui lui sert de chef. A ce moment, il s'agissait d'obtenir de vous un consentement pour que ladite personne ait l'autorisation de quitter l'emploi du gouvernement pour s'en aller. Et cela, c'est avant août 1973.

M. BOURASSA: On parlait d'un nom pour diriger le Soleil, mais d'une personne qui est à l'extérieur du gouvernement. Maintenant, vous me parlez d'une personne au gouvernement.

M. CHARRON: Oui, parce que M. Péladeau affirme qu'il avait obtenu de vous ou du gouvernement — je dois dire, pour le citer textuellement — que cette personne soit libérée pour accomplir la nouvelle tâche parce que — je peux même donner plus d'information, si le premier ministre le veut — M. Péladeau hésitait à prendre la direction ou la propriété du Soleil avec les administrateurs actuels. Sachant qu'il s'en allait dans une période, entre autres, de négociations syndicales et que, d'autre part, il avait l'intention de refaire un peu la figure du journal Le Soleil, il voulait absolument que cette transaction financière soit accompagnée de l'acquisition d'un homme de valeur à qui il confierait le nouveau bébé de Québécor en toute quiétude. Cette personne, dit-il lui-même, il l'avait trouvée au sein du gouvernement et avait obtenu du gouvernement qu'elle soit libérée.

Est-ce que M. Péladeau a raison?

M. BOURASSA: Je me demande si c'est pertinent au débat. J'ai entendu dire que M. Després avait été intéressé, pressenti pour cette situation. C'est à lui que vous vous référez?

M. CHARRON: Vous avez entendu dire quand, M. le premier ministre?

M. BOURASSA: Je ne m'en souviens pas. J'ai parlé avec M. Péladeau lorsqu'il y a eu des problèmes pour son approvisionnement, mais je ne me souviens pas qu'il m'ait parlé — c'est possible, parce que cela remonte à un an — de la possibilité d'engager M. Després à l'été ou au printemps dernier, au printemps 1973. D'ailleurs, M. Després a été nommé à l'Université du Québec en juillet, je pense.

M. CHARRON: Juillet, c'est cela, à la fin de la session. M. Péladeau est dans l'erreur. De toute façon, nous aurons l'occasion de...

M. BOURASSA: Je ne me souviens pas que M. Péladeau m'ait parlé d'une façon spécifique d'engager M. Després pour le Soleil.

M. CHARRON: Quand M. Péladeau viendra à la table de la commission, nous aurons l'occasion d'éclaircir cela, parce que c'est une déclaration qu'il a faite. Vers le 10 août, très près du 10 août, en même temps d'ailleurs — ce n'est pas inutile de le rappeler — que se faisait la fameuse transaction entre Power Corporation et Trans-Canada, hebdos contre quotidiens, Montréal-Matin, dans le tas, en même temps ici, à Québec, le Soleil publiait en première page, à quelques jours près, la décision des frères Gilbert, décision qu'ils ont parfaitement le droit d'avoir, je le reconnais au député de Rouyn-Noranda, de mettre en vente le quotidien de propriété familiale. Est-ce à ce moment-là que le premier ministre, M. le Président, je le lui demande immédiatement, a décidé d'intervenir ou si c'est à la demande de groupes extérieurs au gouvernement?

M. BOURASSA: M. le Président, je ne vois pas quelles ont été les raisons qui m'ont fait intervenir, qui ont fait intervenir le gouvernement. Je les ai dites lorsque je l'ai fait. Je réfère le député aux déclarations que j'ai faites à ce moment-là.

M. CHARRON: Vous avez d'abord obtenu de M. Gilbert, vers la fin du mois d'août, l'assurance qu'aucune transaction ne serait complétée avant le 15 septembre. C'est exact?

M. BOURASSA: Je ne m'en souviens pas. Je ne peux pas vous dire. A ce moment-là, il y avait...

M. CHARRON: Vous étiez préoccupé par d'autres choses, à ce moment-là, si je me souviens bien.

M. BOURASSA: C'était un mois...

M. BURNS: D répond comme un témoin à l'enquête sur le crime organisé.

M. BOURASSA: C'est très facile à faire, cette farce-là. Elle est bonne quand même.

M. CHARRON: Quand avez-vous décidé de demander le moratoire aux parties concernées?

M. BOURASSA: Tout cela est public.

M. CHARRON: C'est public, je ne veux pas remonter aux coupures de journaux. Je puise mes questions à partir des coupures de journaux, mais il me semble que le chef de gouvernement pourrait...

M. BOURASSA: Probablement la veille de ma déclaration.

M. CHARRON : Vous avez fait la déclaration le 30 septembre.

M. BOURASSA: Je n'ai pas mon calendrier devant moi, mais c'est la veille... La déclaration a été faite le 12 septembre.

M. CHARRON: D'accord. Le 30 septembre, vous avez annoncé qu'il était prolongé jusqu'au 15 décembre.

M. BOURASSA: Qui a préparé votre dossier?

M. CHARRON: Moi-même. M. BOURASSA: Cela paraît.

M. CHARRON: Vous allez me dire maintenant, si vous le permettez, toujours, pour l'information de la commission parlementaire, comment s'est échafaudé le moratoire? Avez-vous contacté d'abord les frères Gilbert et ensuite M. Desmarais, que vous saviez très intéressé à prendre possession du Soleil?

M. BOURASSA: Je ne me souviens pas à qui j'ai parlé en premier, mais j'ai parlé aux deux. Je ne vois pas...

M. CHARRON: L'avez-vous convoqué ou lui avez-vous simplement parlé au téléphone?

M. BOURASSA: J'avais convoqué M. Desmarais, je puis répondre, il n'y a rien à cacher. Le gouvernement a fait le maximum de ce qu'il pouvait faire là-dedans, je pourrais envoyer paître le député, mais je suis bien disposé à répondre à ses questions.

M. CHARRON: Envoyez-moi paître en répondant à mes questions.

M. BOURASSA: M. le Président, j'ai convoqué M. Desmarais et j'ai communiqué par téléphone avec les frères Gilbert.

M. CHARRON: Vous avez convoqué M. Desmarais. Au moment où vous avez rencontré M. Desmarais — c'est en septembre, à son retour de voyage — est-ce que M. Desmarais — vous verrez M. le Président, que je n'étais pas hors d'ordre, parce que je vais toucher un point important dans la transaction — vous a informé lui, d'abord, d'une quelconque entente à laquelle il serait parvenu avec M. Gilbert, avant d'accepter le moratoire?

M. BOURASSA: II m'a informé qu'il voulait acheter le Soleil.

M. CHARRON: Avait-il un contrat de vente dûment signé? Vous a-t-il informé s'il avait un contrat de vente dûment signé, une promesse de vente dûment signée par M. Gilbert et par M. Desmarais, de Power Corporation, pour mettre la main sur le journal Le Soleil?

M. BOURASSA: Je ne sais pas si l'expression "promesse de vente" a été utilisée, mais il y avait une entente ou la transaction qui restait devait être complétée par ce qu'on appelle une fermeture, ou "closing" dans le langage technique. Ce que je voulais dire dans ma déclaration c'est que si la transaction était complétée, le gouvernement interviendrait. Donc, il n'y a pas eu de...

M. CHARRON: Ce billet — en fait, appelons-le comme cela — est-ce que le premier ministre en a pris connaissance? M. Desmarais ou M. Gilbert plus tard lui a remis cette entente, ou si M. Desmarais vous a simplement signalé qu'il était parvenu à une entente comme quoi il se réservait le premier droit, à l'expiration du moratoire?

M. BOURASSA: A la rencontre, à la fin de septembre, on m'a simplement mentionné qu'il y avait une entente de principe mais que l'entente n'était pas complétée.

M. CHARRON: Une entente de principe sur quoi et qui comportait quoi?

M. BOURASSA: Probablement que c'était une promesse de vente, à ce moment-là.

M. CHARRON: Est-ce que c'était écrit et signé par les deux?

M. BOURASSA: A ce moment-là, je n'ai pas eu la copie de la promesse de vente. Elle m'a été remise vers le 20 décembre et je l'ai remise à mon conseiller juridique.

M. CHARRON: D'accord, très bien. Donc, ce n'est que plus tard que vous en avez pris connaissance, mais vous l'aviez déjà lue cette promesse de vente puisqu'elle vous a été remise le 20 décembre.

M. BOURASSA: C'est-à-dire que je l'ai fait lire par mon conseiller juridique qui m'a dit que c'était une promesse de vente et que c'était...

M. CHARRON: Est-ce que votre conseiller juridique, qui a lu à votre place le contrat de vente qui vous intéressait, qui intéressait le gouvernement, vous a signalé qu'il existait, écrit sur le contrat en question, une manière de clause spéciale selon laquelle Power Corporation, à l'expiration du moratoire, demeurait toujours le premier client éventuel à la suite de l'entente survenue en août 1973, et qu'en fin de compte on n'acceptait — j'interprète là — le moratoire qu'à la condition que ce droit, que Power Corporation voulait se réserver, d'être le premier acheteur au moment de l'expiration du moratoire était bel et bien écrit dans le contrat de vente?

M. BOURASSA: Tout ce que j'ai demandé à mon conseiller juridique c'est de me dire si la transaction devait être complétée ou si la transaction était complétée. Or l'avis que j'ai reçu c'est que la transaction n'était pas complétée; donc, le gouvernement avait les mains libres pour continuer à chercher un autre groupe. A ce moment-là, on avait déjà commencé à chercher un autre groupe.

M. CHARRON: Y avait-il, dans le contrat de vente, dans cette entente, une claude de désengagement par laquelle Power Corporation pouvait se retirer?

M. BOURASSA: Je n'ai pas pris connaissance du document, M. le Président. Je l'ai remis à mon conseiller juridique en lui posant une question : Est-ce que oui ou non la transaction est complétée? La réponse a été non.

M. CHARRON: La réponse a été non, bien sûr, mais est-ce que le ministre responsable du dossier a pris connaissance de ce texte signé au mois d'août 1973 avant l'entrée en scène du gouvernement?

M. LALONDE: Non. Je n'ai pas pris connaissance de ce document-là... — si vous voulez je vais terminer la réponse —... parce que la décision du gouvernement de ne pas donner suite à quelque vente que ce soit au groupe Desmarais éliminait, à toutes fins pratiques, l'existence de ce document ou son importance en ce qui concernait les démarches que nous avions à faire. Pour nous, cela était, ni plus ni moins, non pertinent, c'était un document qui n'existait pas ou qu'on pourrait invalider si jamais les parties voulaient y donner suite.

M. CHARRON: D'accord. Mais, si Power Corporation, qui n'est pas née de la dernière pluie, avait senti, dans l'entrée en jeu du gouvernement, que, de façon définitive, comme telle, elle se trouvait écartée de la vente et que, dans la possibilité de vente et dans le billet avec les frères Gilbert elle s'était quand même réservée le droit de choisir celui qui la remplaçait, vous ne trouvez pas que cela compromettait déjà beaucoup l'action du gouvernement là-dedans?

M. LALONDE: Dans les conversations que j'ai eues avec les frères Gilbert, en aucune manière il ne nous a été indiqué que Power Corporation ou M. Desmarais avait le choix de l'acheteur si lui n'acquérait pas.

M. BOURASSA: D'ailleurs, le fait que les frères Gilbert aient fait des démarches auprès de M. Péladeau se trouve à répondre à votre question.

M. CHARRON: Cela, M. le Président, non. Et le premier ministre sait très bien pourquoi je dis non. On n'en est pas aux premières actions de ce genre de groupe financier. Il se peut fort bien qu'une série d'actions aient été simplement — comme on dit dans le milieu, et je ne surprendrai aucune oreille vierge — un "frame-up" tout simplement et qu'un bon nombre de transactions genre Gelco, Gesca et tout cela...

M. BOURASSA: Attendons de voir les documents.

M. CHARRON: On connaît tout ça très bien. Vous savez très bien, M. le Président, que, quand Gelco a cédé la Presse à Gesca, c'était avec une débenture de 50 ans qui, à toutes fins pratiques, lui permettait de mettre la main sur la Presse quand même. Vous savez bien que c'est courant.

M. BOURASSA: Le député est présomptueux, comme on dit.

M. CHARRON: Je pose simplement la question suivante. Je m'étonne de voir que les deux responsables du dossier au sein du gouvernement n'aient pas meilleure connaissance de ce document. Je vous rappelle son importance et la raison pour laquelle je m'y intéresse. Il se peut qu'à partir du moment où le premier ministre a téléphoné aux frères Gilbert et a rencontré M. Desmarais pour leur demander un moratoire de trois mois, de la nomination du ministre responsable, tous ces efforts auprès de la Caisse de dépôt et placement et de tous les autres groupes, que je veux bien croire honnêtes et avoir été menés, tout cela ait été complètement inutile parce qu'un petit billet, signé au mois d'août, disait (Power Corporation disait): Je sens que je n'aurai pas le droit de mettre la main sur le Soleil; je me réserve le droit de choisir celui qui me remplacera, étant donné qu'on avait déjà un contrat de vente signé ou, alors, que Power Corporation, sans choisir celui qui allait la remplacer, choisissait d'avance celui qui n'allait pas la remplacer et écartait, dans le contrat de vente avec les frères Gilbert, un éventuel concurrent. Je n'ai pas besoin de faire de dessin à personne.

M. LALONDE: Je pourrais peut-être référer le député de Saint-Jacques à la déclaration de M. Guy Gilbert, à l'émission Présent.

M. CHARRON: Nous entendrons M. Gilbert lui-même.

M. LALONDE: Je suggérerais au député de Saint-Jacques d'attendre les déclarations de M. Gilbert. On peut faire toutes sortes d'hypothèses là-dessus.

M. CHARRON: D'accord. Mais moi, j'interroge le gouvernement responsable. Et les deux, celui qui s'est dit le défenseur de la liberté d'information et qui allait écarter Power Corporation, et l'autre qui, depuis le début de novembre, est responsable du dossier ne peuvent m'informer du contenu de ce document qui risque d'avoir complètement paralysé les efforts de l'un ou de l'autre.

M. BOURASSA: Attendez, on va interroger les témoins tantôt. Le député tire ses conclusions avant même d'entendre les porte-parole.

M. CHARRON: La conclusion que je tire pour le moment — je n'en tire pas d'autre; je vous ai dit celles que je pourrais tirer, dans l'hypothèse — celle que je tire immédiatement, c'est que le premier ministre n'a pris connaissance de ce papier que le 20 décembre, après avoir fait tous les "sparages" de moratoire que vous voudrez, et que le ministre responsable ne se souvient pas lui-même des clauses qu'il pouvait y avoir là-dedans. Pourtant, une personne qui a été très liée à toute la transaction depuis le début, et je nomme le directeur du Devoir, affirme dans un papier, au moment où le Soleil passait aux mains de Jacques Fran-coeur, que l'offre de M. Desmarais fut acceptée par les frères Gilbert qui signèrent un document en bonne et due forme à cette fin, selon lequel les frères Gilbert s'engageaient à ne pas céder le journal à des intérêts que Power Corporation n'accepterait pas de voir prendre le quotidien de la ville de Québec.

La seule conclusion que je tire, c'est que, du côté gouvernemental — je serai modéré dans mon expression — on est sérieusement négligent et qu'on a édifié, après ça, un nombre considérable d'efforts, on a dérangé un nombre considérable de personnes pour quelque chose qui était peut-être inutile à partir d'août 1973, puisque celui qui allait décider, à toutes fins pratiques, et qui peut-être éventuellement, à la

suite de son acheteur qu'il aurait lui-même choisi, réussirait par toutes sortes de transactions financières, Gelco, Gesca, ai-je besoin de vous le rappeler, à remettre la main sur le quotidien qu'il était important d'écarter pour le moment...

M. BOURASSA: Si les caisses populaires avaient accepté, vous pensez que l'opinion...

M. CHARRON: Nous aurons l'occasion, M. le premier ministre, de discuter de la participation des caisses populaires. Nous les entendrons elles-mêmes lorsqu'elles viendront à la commission et le ministre responsable aussi.

M. LACROIX: Si René Lévesque avait de l'argent pour l'acheter, parleriez-vous de la même façon? C'est un maudit quêteux comme vous autres qui essaie d'imposer ses idées.

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. CHARRON: Je vous pose simplement une question, M. le premier ministre. Avant ce message du commanditaire, je voulais simplement vous demander...

M. LACROIX: Tous les gens qui rient sont aussi innocents que vous parce qu'ils sont comme vous, des gens qui ne connaissent rien et qui voudraient que des personnes qui travaillent pour l'avancement du Québec, se permettent de se limiter dans leurs actions. M. le Président, en passant, je voudrais vous dire une chose. Quant à nous, du Parti libéral, nous avons notre information, nous n'avons pas besoin des personnes qui sont des fonctionnaires payés par le gouvernement qui sont là pour donner des informations. Quant à M. Bernard que je respecte beaucoup et à l'autre que je ne connais pas, ils n'ont pas d'affaire à siéger là.

Qu'ils s'en aillent et, s'ils veulent témoigner, ils se lèveront et parleront, mais que ces personnes se distancent un peu et qu'elles essaient de dire que le député de Saint-Jacques exprime ce qu'il pense et non ce que les autres pensent; M. Bernard a eu accès à des dossiers auxquels je n'ai pas eu accès, mais M. Bernard n'a pas plus d'affaire là que la chatte, en arrière, a besoin de deux queues. M. Bernard et l'autre conseiller ont seulement à s'en aller et tous les séparatistes devraient comprendre une chose, c'est qu'il y a 70 p.c. de la population, au moins, qui espère que le gouvernement sera assez intelligent pour ne pas répondre — je vais m'excuser, je ne dirai pas le mot, parce que le député de Saint-Jacques le dirait, aux idioties du député de Saint-Jacques qui ne connaît absolument rien en chiffres, il ne sait pas qu'un et un font deux, à part de recevoir son salaire de député et d'être professeur en politique à l'Université...

LE PRESIDENT (M. Séguin): A l'ordre, s'il vous plaft! Le député de Chicoutimi.

M. BEDARD (Chicoutimi): M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Un instant, s'il vous plaît, je veux exposer le même problème que j'ai exposé tout à l'heure lorsque j'ai donné la parole au député de Saint-Jacques. Avez-vous terminé?

M. CHARRON: Oui, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Chicoutimi.

M. BOURASSA: M. le Président, je vais répondre. Le député de Saint-Jacques a tiré une conclusion qui contredit formellement une déclaration du principal intéressé ou l'un des principaux intéressés, M. Guy Gilbert, qui a déclaré publiquement exactement le contraire de ce que vient de conclure le député de Saint-Jacques. Je pense que l'on peut tirer des conclusions à ce stade-ci de la commission parlementaire, tout le monde peut en tirer, mais je tiens, étant donné qu'il a tiré lui-même cette conclusion, à lui dire que M. Guy Gilbert contredit formellement le député de Saint-Jacques sur sa conclusion et sur le contenu du contrat.

M. CHARRON: Je m'excuse auprès de mon collègue, je vais lui laisser la parole immédiatement. Je rappelle immédiatement la...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Je prierais la présidence de laisser la parole à votre collègue.

M. CHARRON: La conclusion que je tire, celle que j'ai tirée actuellement, il n'y en a pas d'autre, mais elle est déjà claire, c'est la négligence et l'ignorance qu'entretenaient les deux principaux intéressés, au nom du gouvernement dans le dossier, de ce contrat de vente.

M. BOURASSA: Attendez à la fin quand même; à propos des démarches que l'on a faites dans une transaction qui n'est quand même pas illégale, le député de Rouyn-Noranda a démontré les inconvénients de cette intervention et il a droit à son point de vue, mais le gouvernement a quand même pris des initiatives très concrètes auprès d'organismes parapublics, initiatives où il aurait pu être vulnérable à plusieurs points de vue, allant jusqu'où le chef du gouvernement peut intervenir auprès d'un organisme parapublic pour l'inciter plus ou moins à investir dans une entreprise privée et nous l'avons fait pour éviter la concentration de la presse. Quand le député nous accuse de négligence, je pense qu'il ne respecte pas les faits.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Chicoutimi.

M. BEDARD (Chicoutimi): M. le Président, ma question s'adressait à M. le premier ministre. Vous avez parlé tout à l'heure d'un document qui avait été approuvé par les frères Gilbert

d'une part et Power Corporation dans un premier temps et que vous aviez confié à votre conseiller juridique, n'est-ce pas? Est-ce que le premier ministre croit, premièrement, que ce document est suffisamment important et a-t-il l'intention de le produire au niveau de cette commission?

M. BOURASSA: Bien, on verra, M. le Président, si c'est pertinent au débat, on verra si c'est d'intérêt public.

M. BEDARD (Chicoutimi): Bien, si c'est pertinent au débat!

M. BOURASSA: On va entendre les parties en cause et on verra.

M. BEDARD (Chicoutimi): Ce que je voudrais savoir, c'est d'abord, je pense, si c'est pertinent au débat, on aura à en discuter...

M. BOURASSA: C'est un document entre des parties privées

M. BEDARD (Chicoutimi): Ce que je voudrais savoir, c'est si, dans l'esprit de l'honorable premier ministre, ce document pourrait être important, je ne dis pas dans l'esprit de la commission, mais dans l'esprit de l'honorable premier ministre,

M. BOURASSA: M. le Président, tout peut être important mais je pense qu'il est encore plus important actuellement d'entendre les parties.

M. BEDARD (Chicoutimi): Le conseiller juridique dont vous avez fait état, est-ce que nous pourrions savoir son nom et est-ce l'intention de l'honorable premier ministre de le faire comparaître à cette commission?

M. BOURASSA: Ecoutez,...

M. BEDARD (Chicoutimi): Je vous pose tout simplement la question.

M. BOURASSA: Son nom est M. Chouinard. On n'est pas pour faire comparaître tous les fonctionnaires dans une transaction qui n'a pas eu lieu.

M. BEDARD (Chicoutimi): Ce n'est pas votre intention?

Je comprends que l'honorable premier ministre ne peut pas dire si des pénalités étaient incluses dans cette promesse de vente au cas de non-excécution?

M. BOURASSA: J'ai posé une question, parce que le gouvernement ne peut quand même pas examiner tous et chacun des... le chef du gouvernement... J'ai dit: Est-ce que le contrat signifie que la vente est complétée? On m'a dit: Non. C'est tout ce que je voulais savoir, parce que cela évitait au gouvernement d'intervenir d'une façon législative rétroactivement et c'est cela qui était important.

M. BEDARD (Chicoutimi): Ne croyez-vous pas que ceci serait peut-être important pour enlever au niveau de la population, toute arrière-pensée, concernant l'Opposition? Etant donné qu'on fait état qu'il y aurait eu dans cette promesse de vente une certaine clause à l'effet qu'on ne pouvait céder à d'autres que ceux choisis par Power Corporation, ne croyez-vous pas qu'il serait dans l'intérêt de la commission que ce document soit produit? Peut-être qu'on constatera ainsi tout simplement que cette clause n'est pas là, A ce moment-là, tout le monde sera satisfait. Mais savoir qu'elle puisse y être et ne pas se permettre d'inventorier le document...

M. BOURASSA: M. le Président, il y a la parole de M. Gilbert, quand même. Il reste au gouvernement d'examiner les précédents qu'il peut poser en rendant publics des documents entre parties privées. Si cela paraît fondamental au débat, évidemment on peut considérer de le déposer même si on dépose un document entre parties privées, avec toutes les conséquences que cela a comme précédent.

M. BEDARD (Chicoutimi): Merci, M. le Président.

M. BURNS: M. le Président, avec votre permission...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Oui, allez-y.

M. BURNS: Je suis respectueux de votre ordre.

Ce qui m'étonne de la part du premier ministre c'est qu'il parle de documents entre parties privées. Nous parlons d'une transaction entre parties privées. Le député de Rouyn-Noranda nous a tantôt entretenus pendant une quinzaine de minutes sur ce fait-là. Je pense qu'il n'y a personne qui se pose des questions à savoir si ce sont des transactions qui ont lieu entre parties privées; c'est bien évident. Mais c'est un document qui, de l'aveu même du premier ministre, est entre les mains du gouvernement et qui a été jugé assez important pour être soumis au conseiller juridique du premier ministre, Me Julien Chouinard.

M. BOURASSA: Pour vérifier un point.

M. BURNS: Le député de Saint-Jacques a soulevé un certain nombre de questions relativement à ce document et le premier ministre, en réponse à ça, droit que je ne lui nie pas, a dit tout simplement: Je n'ai pas consulté ce document, je l'ai soumis à mon conseiller juridique.

Et il nous renvoie à des affirmations d'un des messieurs Gilbert.

Oui, d'accord. Je ne mets pas non plus en doute la parole de M. Gilbert mais comme ce document est accessible, c'est-à-dire qu'il doit être encore en la possession du gouvernement, je me demande pourquoi le gouvernement ne le déposerait pas, entre autres, parmi les documents que nous aurons à examiner pour vérifier toute cette succession de tractations, pour en arriver à la conclusion que le premier ministre lui-même nous incite à tirer ou à ne pas tirer éventuellement, c'est-à-dire que Power Corporation est en dessous de cette transaction ou n'y est pas. C'est un des éléments. Je soumets bien respectueusement à la commission que ce document peut être d'importance, si ce n'est, comme le disait le député de Chicoutimi et le député de Saint-Jacques, que pour dissiper un doute qui puisse exister dans notre esprit. Même si Power Corporation se sentait écarté par les déclarations du premier ministre et du député de Marguerite-Bourgeoys, cette corporation pouvait quand même exercer, peut-être, une certaine influence étant donné une clause dans cette entente, cette promesse de vente, non pas en choisissant l'acheteur éventuel, mais en pouvant écarter par une espèce de droit de veto, presque, les acheteurs éventuels.

Je pense que c'est drôlement important qu'on ait ce document-là. Sans faire une proposition formelle, je demande au premier ministre, qui semble bien intentionné et qui semble vouloir faire la lumière sur toute l'affaire — du moins c'est ce que j'ai compris depuis le début— s'il ne donnerait pas, aux députés membres de la commission, une copie de ce document. Je lui demande surtout de ne pas se référer au fait qu'il s'agisse de tractations entre parties privées. Nous sommes dans ce domaine.

M.BOURASSA: J'ai dit, M. le Président, que j'étais pour examiner les implications d'un tel dépôt et que je ne vois pas en quoi cela ferait perdre le temps de la commission, durant ce temps, que les témoins puissent se faire entendre, les premiers intéressés.

M. CHARRON: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Rouyn-Noranda.

M. BONNIER: Comme membre de cette commission, il me semble que l'objectif de la commission est d'examiner si la transaction entre le journal Le Soleil et M. Francoeur, d'UniMédia, met en cause le phénomène de concentration de l'information au Québec.

Personnellement, je suis très préoccupé du phénomène de concentration de l'information, et c'est cela qu'on doit examiner.

S'il arrive, en cours de route, que ce document soit essentiel, je pense bien que là, le premier ministre jugera si c'est opportun de le déposer, mais il me semble qu'actuellement il ne me parait pas essentiel pour la discussion. Ce qui m'intéresse, en tant que député, c'est d'examiner jusqu'à quel point cette vente met en cause la concentration de l'information, non seulement au point de vue financier mais également au niveau du contrôle même des types d'information qui peuvent se faire au Québec, tenant pour acquis que le phénomène actuellement au Québec est différent de celui des Etats-Unis. D'un autre côté, l'intervention de M. Samson m'a un peu fatigué — je m'excuse, dans le bon sens — mais je pense que c'est le rôle de l'Etat de préserver le bien commun et de voir à ce qu'il se réalise. C'est le bien commun qui est la limite de la propriété privée. Si cette transaction n'est pas à l'encontre du bien commun, elle passe tout simplement, mais si elle l'était, je pense qu'il y aurait lieu de se poser des questions.

M. CHARRON: M. le Président, j'ai beaucoup de respect pour le député de Taschereau et je vais, très succinctement, lui dire pourquoi nous faisons cela: exactement pour les mêmes motifs que vous venez d'apporter. Je trouve qu'il est important que la commission soit mise au courant si — comme je l'ai rappelé au premier ministre tout à l'heure — avant même l'entrée en jeu du premier ministre, c'est-à-dire sa convocation de M. Desmarais à son bureau pour demander un moratoire, etc., si les dés étaient pipés d'avance. Vous avez raison de rappeler que la commission est ici pour examiner si la transaction du Soleil aux mains de M. Francoeur accentue le phénomène indéniable de concentration de presse que connaît le Québec depuis six ou sept années. Or, je vous dis moi, non pas que c'est vrai, je vous dis qu'il est possible — et c'est notre devoir comme responsables de cette question, nous avons été élus pour cela — qu'un papier... Le premier ministre me dit que je mets en doute la parole de M. Gilbert; moi, je dis que lui met en doute la parole du directeur du Devoir. C'est équivalent.

Le directeur du Devoir, lui, affirme — et on reconnaîtra de quelle façon il a été mêlé à cette transaction depuis le début, comme conseiller, à des réunions exploratoires — M. Ryan affirme l'existence d'un pareil billet. On est donc pour le même intérêt de la commission, à savoir le même billet qui disait ceci: L'entrée en jeu du gouvernement signifie nécessairement que je vais me trouver écarté du dossier; il ne peut pas me le laisser, sinon il accentue d'une façon très nette la concentration de presse. Power Corporation est propriétaire de tout ce que vous savez. Si je me fais enlever le droit d'acheter le Soleil, je voudrais au moins que ce ne soit pas mon principal concurrent qui le possède. Je m'efforcerai de prouver que c'est possible que cela ait été cela. Le directeur du Devoir insiste pour que la commission spéciale sur la liberté de presse soit vigilante. C'est pour cela que les

députés de Maisonneuve et de Chicoutimi se joignent à moi pour demander le dépôt. Peut-être qu'il n'y a rien dans cette affaire. Ce serait donc une "balloune désoufflée" sur laquelle le directeur du Devoir a eu tort d'attirer notre attention.

Le député de Taschereau n'en voudra certainement pas à l'Opposition de se montrer vigilante puisqu'une personne aussi bien renseignée et aussi respectable que le directeur du Devoir affirme que cela existe.

Ce n'est pas pour rien, non plus. On me parlait de la parole de M. Gilbert. M. Gilbert a aussi affirmé, dès la mise en vente du Soleil, qu'il préférait de loin le céder à Power Corporation qui, disait-il, avait le même genre de vocation et le même genre de journal, qui correspondait plus à ce que le Soleil avait toujours été depuis ses 77 ans d'existence, plutôt que de le remettre à Québécor qui se spécialise dans un journal d'une moins bonne qualité, à son avis, visant enfin aux mêmes types d'objectifs.

Il est bien possible que M. Gilbert ait été consentant, puisqu'il avait lui-même exprimé sa préférence à le laisser à Power Corporation, de vive voix, c'est dans les journaux, autant que l'autre déclaration à laquelle le premier ministre se référait tout à l'heure, et qu'on soit parvenu à une manière de clause spéciale à l'intérieur de cela. Pourquoi? Vous vous demandez encore pourquoi je me trouverais soucieux? C'est que bien des gens se sont étonnés au moment de la transaction. Là-dessus, nous ne faisons que notre devoir qui est de surveiller l'action du gouvernement dans ce dossier et dans cette transaction. Ils se sont étonnés de voir M. Francoeur arriver un peu comme un champignon dans le dossier, alors que depuis le mois de mai le Soleil était mis en vente...

On aura l'occasion d'entendre si vraiment sa préoccupation datait d'avant cela, mais l'opinion que nous avons avant de les entendre, c'est qu'il arrivait comme un poil sur la soupe, à peu près, dans le dossier. Sans porter de jugement à l'avance, la moindre intelligence suspecte alentour de cette table qui connaît le passé de M. Francoeur et les intérêts financiers qu'il a déjà eus avec M. Desmarais, peut se permettre d'avoir des doutes là-dessus et de poser cette question. Ce n'est pas un secret. C'est le 10 août 1973 que ces deux hommes se sont financièrement séparés. Je ne parle pas des années trente. C'est il y a un an et ces deux hommes peuvent avoir encore des intérêts. Nous aurons l'occasion de vérifier ensemble s'ils ont des intérêts.

M. BOURASSA: Est-ce qu'on peut entendre la version des intéressés?

M. CHARRON: Nous l'entendrons, bien sûr, M. le premier ministre. Je sais que vous avez hâte que je termine...

M. BOURASSA: Oh non!

M. CHARRON: ... mais je n'ai pas terminé. Je vais vous demander autre chose. L'intervention du député de Taschereau m'a donné l'occasion de revenir sur le phénomène général de la concentration. Vous savez que, depuis 1967, à peu près, sur le territoire québécois — et la commission Davey disait que c'est sur le territoire québécois que ce phénomène est le pire—...

M. BOURASSA: On m'a souvent donné d'autres informations.

M. CHARRON: ... on a assisté à une concentration de la presse à une lutte très très dure entre les cartels financiers à certains endroits pour s'approprier le moindre des journaux dans la moindre des régions. Je pense que M. Francoeur lui-même non seulement veut se porter acquéreur du Soleil, mais il n'y a pas encore tellement longtemps, quelques semaines après la transaction des intérêts de TransCanada, il s'est porté acquéreur de la Parole de Drummondville. M. Francoeur manifeste beaucoup d'intérêt et c'est à qui en aurait le plus. Ce phénomène est observable par tout le monde. Télémédia, branche de Power Corporation, est à la recherche... Et c'est à qui en prendrait le plus, le plus rapidement possible.

M. BOURASSA: On pourra entendre le député, dimanche, sur Télémédia.

M. VEILLEUX: Québécor.

M. CHARRON: Québécor également.

M. VEILLEUX: II ne faut pas l'oublier.

M. CHARRON: Certainement. Je n'ai aucune intention de l'oublier. Québécor est aussi dans la lutte. Ils ont fait des offres jusqu'à la limite et, si l'occasion leur était offerte de mettre la main sur le Soleil, je suis convaincu qu'ils le feraient. Si le député de Saint-Jean pensait me poser une trappe, ce n'est pas cela que j'essaie de nier. Mais, dans cette querelle de magnats, dans cette guerre qu'on se livre, je m'étonne, comme bien des gens, de la version que le premier ministre a donnée du moratoire. Quand le premier ministre a annoncé ceci: On a accepté gentiment du côté de M. Gilbert et gentiment du côté de M. Desmarais...

M. BOURASSA: Cela n'a pas été gentiment du côté de M. Gilbert.

M. CHARRON: Très bien. Ecartons M. Gilbert qui, de toute façon, de lui-même veut s'écarter du dossier, mais monsieur...

M. BOURASSA: Cela n'était pas plus intéressant pour M. Desmarais, non plus.

M. CHARRON: Bon. Cela n'était pas plus intéressant pour M. Desmarais, non plus. Pen-

sez-vous que M. Desmarais qui, depuis des années, travaille d'arrache-pied pour bâtir le domaine de l'information qu'il est en voie de contrôler — 62 p.c. des publications quotidiennes — s'est plié comme cela à la demande du premier ministre? Le premier ministre a convoqué M. Desmarais non simplement pour l'informer d'un moratoire, si je comprends bien, mais aussi pour lui dire qu'il n'avait pas l'intention du tout qu'il se porte acquéreur du Soleil.

M. BOURASSA: Là-dessus, je dois interrompre le député. Si on n'avait pas trouvé d'autres acheteurs, que ce soit M. Péladeau, M. Francoeur, le gouvernement aurait eu à prendre une décision. Est-ce qu'il force les frères Gilbert à garder leur bien par une loi ou est-ce qu'il leur permet de vendre? Il aurait fallu prendre une décision s'il n'y avait pas eu d'autres acheteurs.

M. CHARRON: J'en conviens, mais au moment où vous avez convoqué M. Desmarais à votre bureau pour lui demander de surseoir à la vente et d'agréer l'existence d'un moratoire de trois mois, l'avez-vous informé que vous aviez l'intention de mandater un membre de votre cabinet pour travailler d'arrache-pied à trouver un autre éventuel acheteur que lui?

M. BOURASSA: C'était à la mi-septembre?

M. CHARRON: L'avez-vous informé que le gouvernement aurait à prendre une décision et que, dans l'hypothèse où il ne trouverait pas d'autres acheteurs, que Power Corporation serait le seul sur la liste, il se verrait peut-être obligé d'inventer une nouvelle formule, mais d'interdire... Vous ne l'avez pas... C'est pour cela qu'il a probablement accepté le moratoire.

M. BOURASSA: Le député fait son petit avocat. J'ai informé M. Desmarais que le gouvernement imposait un moratoire de trois mois.

M. CHARRON: Vous l'avez informé. Et M. Desmarais a-t-il été informé, en même temps, que ce moratoire visait à trouver un autre acheteur que lui, mais que l'intention du gouvernement était d'en trouver un autre que Power Corporation?

M. BOURASSA: J'ai dit tantôt que le gouvernement avait à prendre la décision au cas où il n'y aurait pas d'autres acheteurs. C'est clair que si on imposait un moratoire, c'était pour trouver un autre acheteur. Autrement quel aurait été le but du moratoire?

M. CHARRON: Donc, lorsque M. Desmarais est sorti de votre bureau, il savait parfaitement... Non seulement, il venait de...

M. BOURASSA: Vous questionnerez M. Desmarais.

M. CHARRON: C'est vous qui lui avez parlé. C'est cela qui est important.

M. BOURASSA: Mais il va venir. Il savait parfaitement.

M. CHARRON: M. Desmarais nous dira ce qu'il a entendu; mais je veux entendre ce que vous, vous lui avez dit.

M. BOURASSA: Je n'ai pas de bandes sonores.

M. CHARRON: Non, de toute façon, je vous connais assez pour savoir que vous les effaceriez.

M. le Président, c'est très important. Est-ce qu'on me permettra d'imager pour que ce soit bien clair ce que j'essaie d'obtenir comme information à l'intention de la commission?

M. BOURASSA: Pas trop de blagues, par exemple.

M. CHARRON: Non, M. le Président. Il y a des gens qui ont dit... Il y a une version courante qui a été rapportée par des journaux.

M. BOURASSA: A quel endroit?

M. CHARRON: J'aimerais bien voir le premier ministre la nier et je lui donnerai tout crédit. Elle dit ceci: On a convoqué M. Desmarais. M. Desmarais a informé le premier ministre qu'il avait un contrat de vente dûment signé avec M. Gilbert. Le premier ministre s'en allait en élection générale et il a demandé à M. Desmarais, se servant de son prestige de premier ministre, — ce qu'il a parfaitement le droit de faire — de surseoir à cette vente, mais que plus tard, il pourrait reprendre, mais de grâce pas quelques semaines avant l'élection.

Cette rumeur a couru et elle court encore. Il y a même des gens quand ils ont vu surseoir et arriver le nom de M. Francoeur qu'il savait déjà lié d'amitié et d'intérêt avec M. Desmarais, se sont dit que c'était ce qu'on avait trouvé comme formule de sortie après l'expiration du moratoire. Il y a des mauvaises langues qui ont dit cela. Il y a des mauvaises langues qui atteignent...

M. BOURASSA: S'il y a des mauvaises langues, pourquoi interprétez-vous ce qu'elles disent?

M. CHARRON: Parce que je le présuppose à votre place.

M. BOURASSA: On n'est pas pour commencer à commenter les propos des mauvaises langues. Il y a des gens qui attendent depuis deux heures.

M. CHARRON: Alors ne commentons pas

les propos des mauvaises langues. Je pose de nouveau une question qui peut absolument tuer les mauvaises langues à cet égard, si le premier ministre y répond convenablement. Vous avez déclaré, m'avez-vous dit tout à l'heure, que l'entrée en fonction d'un moratoire... Alors, vous n'avez pas demandé son consentement, vous l'avez informé. Donc, c'est contraire déjà à toute une version qu'on connaissait à l'effet qu'on avait eu le consentement des deux.

M. BOURASSA: II aurait pu ne pas...

M. CHARRON: Vous avez dit que c'était non jusqu'au 15 décembre.

M. BOURASSA: Selon la déclaration qui a été rendue publique le lendemain, si on ne se conformait pas au moratoire, on interviendrait d'une façon législative.

M. CHARRON: D'accord. Avez-vous informé M. Desmarais que le gouvernement ferait tout son possible pour écarter Power Corporation de la propriété du Soleil?

M. BOURASSA: M. Desmarais était prévenu que le gouvernement n'accepterait pas la vente du Soleil à Power Corporation. Je ne sais pas si c'est à cette réunion ou auparavant, mais c'était clair dans son esprit.

M. CHARRON: Autrement dit, le moratoire pour M. Desmarais était l'information selon laquelle il ne mettrait jamais la main sur le Soleil et qu'on connaîtrait le prochain acheteur à la fin du moratoire.

M. BOURASSA: II connaissait l'intention du gouvernement, mais j'ai dit au député que le gouvernement aurait eu, par hypothèse, à prendre la décision, s'il n'y avait eu aucun autre acheteur, de forcer les frères Gilbert à garder le journal ou à accepter la vente à...

M. CHARRON: Vous le lui avez-vous dit, à M. Desmarais?

M. BOURASSA: Je ne me souviens pas toutes les paroles, mais il était à ce moment-là... J'ai convoqué M. Desmarais pour lui dire qu'il y aurait un moratoire, que je n'acceptais pas que la transaction soit complétée.

M. CHARRON: Vous n'acceptiez pas que la transaction soit complétée. L'avez-vous informé que vous mandateriez quelqu'un de votre cabinet pour trouver un autre acheteur que lui?

M. BOURASSA: A ce moment-là, c'était avant l'élection.

M. CHARRON: C'était avant l'élection, mais vous aviez un cabinet quand même, peu importe que ce soit le député de Marguerite-

Bourgeoys. Vous avez un ministre des Communications qui devrait être ici cet après-midi, il aurait fort bien pu... il semble beaucoup plus soucieux que vous ne le croyez — à part cela, c'est peut-être pour cela qu'il n'est pas ici — de la liberté de presse.

M. BOURASSA: Vous auriez pu amener votre chef parlementaire de ce côté-là. Il prépare son voyage aux Champs-Elysées. Votre chef parlementaire, il s'en va à Paris, sa place est ici dans les dossiers importants comme celui-là.

M. CHARRON: Vous ne trouvez pas que je m'occupe bien de ce qui se fait cet après-midi? Vous ne trouvez pas que cela va assez bien comme ça?

M. BOURASSA: Au contraire, les députés se trouvent à mettre en relief les efforts que fait le gouvernement.

M. VEILLEUX: M. le Président, M. CHARRON: Bon, d'accord.

M. VEILLEUX: Si le ministre des Communications est absent, c'est parce qu'il reçoit tout simplement une délégation de l'Ontario qui était prévue depuis longtemps.

M. BURNS: Bravo!

M. CHARRON: Cela va très bien.

M. BURNS: Bienvenue aux Ontariens.

M. CHARRON: M. le Président, encore là, c'est extrêmement important parce que, voyez-vous, ce qui est sorti un peu comme un poil sur la soupe...

M. BOURASSA: Des mauvaises langues.

M. CHARRON: ... c'est qu'à un moment donné le premier ministre se trouvait là avec une patate chaude. Le Soleil était en vente, il y avait des pressions d'un peu partout, la Fédération professionnelle des journalistes, un parti d'Opposition, le Conseil de presse, un tas de gens, ceux qui sont intéressés à ce genre de question, soucieux un peu de ce qui allait arriver. Le premier ministre était vraiment aux prises avec une patate chaude, comme on l'a vu quelquefois.

M. BOURASSA: Oui, ce n'était pas la première.

M. CHARRON : Ce n'était pas la première, et il n'est pas sorti de la patate chaude, ce n'était pas la première fois qu'il en sortait de la manière qu'il en est sorti, par une pirouette.

M. BOURASSA: De toute façon, j'en ai eu

pas mal de patates chaudes et le 29 octobre la population a décidé.

M. CHARRON: La pirouette du 30 septembre, c'est de celle4à que je vous parle. Tout à coup, le premier ministre sortait et dit: J'obtiens un moratoire de trois mois. Permettez-nous, M. le Président, aujourd'hui où nous sommes à étudier la transaction qui a suivi la fin de ce moratoire, de questionner le premier ministre. Comment s'est-il pris pour obtenir ce moratoire et qu'y avait-il dans le moratoire? Ce n'est pas l'habitude du premier ministre, pour ceux qui le connaissent bien, de téléphoner à M. Gilbert et dire: D y a un moratoire de trois mois, et de convoquer M. Paul Desmarais, président de Power Corporation, qui lui-même d'ailleurs l'avait déjà invité à l'inauguration de son garage au coin de Berri et de Maisonneuve, à Montréal. Le premier ministre de répondre...

M. BOURASSA: Non. M. Desmarais n'est pas propriétaire d'un garage au coin de Berri et Maisonneuve.

M. CHARRON: Oui. Vous êtes allé à l'inauguration en même temps que M. Robichaud et M. Robarts.

UNE VOIX: Vous connaissez cela Voyageur?

M. BOURASSA: J'y allais pour demander des laissez-passer pour...

M. CHARRON: Très bien. Peu importe, M. le Président, pour ceux qui connaissent le premier ministre et son habitude diplomatique de se faufiler entre les crises lorsqu'il a une patate chaude, tout le monde a été surpris, et encore aujourd'hui, de l'entendre de nouveau de la bouche du premier ministre: J'ai téléphoné à Gilbert, j'ai dit: C'est trois mois, pas de transaction. Je fais venir Ti-Paul Desmarais, c'est trois mois, pas de transaction. Ce n'est pas le premier ministre qu'on connaît, M. le Président. Ce que moi j'aimerais savoir, c'est ce que M. Desmarais vous a dit, il aura l'occasion de nous le répéter lorsqu'il viendra. Mais sans mettre en question la parole du premier ministre, parce que je n'en ai pas le droit, je puis quand même lui demander de me l'expliquer. Il dit: J'ai informé le président de Power Corporation que je n'allais pas endosser la vente. C'est exact? Que vous n'accepteriez pas la vente à Power Corporation. Il le savait donc à partir du 12 septembre, je crois?

M. BOURASSA: J'ai dit qu'il y aurait un moratoire, je l'ai dit au député, cela fait quatre fois que je le répète.

M. CHARRON: Qu'est-ce que cela voulait dire pour M. Desmarais? Je ne vous demande pas ce que cela voulait dire pour le public. Vous l'avez bien...

M. BOURASSA: Vous le lui demanderez.

M. CHARRON: Je vous demande ce que vous avez dit à... Qu'est-ce que cela voulait dire, M. Desmarais? Est-ce que cela voulait dire...

M. BOURASSA: Ce que j'ai dit à M. Desmarais a été résumé le lendemain dans un communiqué très concis et très clair.

M. CHARRON: Je ne vous demande pas ce que Charles Denis a dit. Je vous demande ce que le premier ministre, lui, a dit au président de Power Corporation. Est-ce que M. Desmarais, lorsqu'il est sorti de là, avait été officiellement avisé par le chef du gouvernement du Québec que Power Corporation ne mettrait pas la main, contrairement à ce qui avait été signé, sur le journal Le Soleil? Le savait-il le 12 septembre?

M. BOURASSA: M. le Président, M. Desmarais était au courant de la volonté du gouvernement de ne pas laisser le Soleil tomber entre les mains de Power Corporation avec l'hypothèse, s'il n'y avait aucun acheteur — les questions que je me pose, que le député se pose, que lui pouvait se poser — de ce qui arriverait? Est-ce qu'on laisserait agir Power Corporation? Quel principe aurait prévalu? La liberté de commerce ou la concentration de la presse? C'est à ce moment-là qu'il aurait fallu prendre la décision.

M. CHARRON: Et vous lui avez dit... Merci pour la réponse, mais une dernière lumière, vous lui avez dit, à ce moment-là, que si, à la fin du moratoire, il se trouvait être le seul acheteur éventuel, alors... Ecoutez bien, je redis ce que vous venez de me dire avant de vous poser une question. Vous lui avez dit que s'il arrivait qu'il se trouve le dernier acheteur éventuel à la fin du moratoire, vous auriez alors une décision à prendre entre la liberté de commerce et la liberté de presse.

M. BOURASSA: Je ne me souviens pas de lui avoir dit cela, mais c'est une question que n'importe quelle personne sensée peut se poser.

Alors, on passe aux témoins, M. le Président?

M. CHARRON: Non, non, non. Parce que le témoin le plus important, nous sommes à l'entendre.

M. BOURASSA: Continuez.

M. CHARRON: En tout cas, si le premier ministre considère comme clos le débat sur cette conversation, je ne le considère pas ainsi. Elle est absolument importante. Je le dis à l'intention des membres de la commission parlementaire. Les "faufilades" successives que vient de donner le premier ministre aux questions...

M. BOURASSA: C'est de l'interprétation.

M. CHARRON: Ce sont des "faufilades". Je le dis à l'intention des membres de la commission. Je considère les réponses du premier ministre...

M. BOURASSA: J'invoque le règlement, le député n'a pas le droit d'interpréter mes paroles.

M. BURNS: Voyons donc, on va vous donner un petit cours de procédure!

M. BOURASSA: D'accord, je suis prêt à suivre un cours de procédure du député de Maisonneuve.

M. BURNS: Je suis prêt à vous consacrer quelques soirées à ça.

M. CHARRON: M. le Président, j'informe les membres de la commission que l'Opposition considère que les réponses du premier ministre actuel sur cet entretien qui a donné naissance au moratoire, qui lui ont permis de faire les manchettes le lendemain matin, n'ont pas éclairci les choses pour la commission et que le doute que certaines personnes avaient à l'effet que le président de Power Corporation soit sorti de cette rencontre avec le premier ministre du Québec sans avoir été informé des intentions du gouvernement de bloquer la transaction de Power Corporation persiste. La décision du gouvernement de militer en vue de la création d'un consortium qui remplacerait Power Corporation comme acheteur éventuel, rien de cela n'avait été décidé et M. Desmarais, c'est bien possible, n'avait pas été informé de cette intention. Ce qui fait que la version qu'on qualifiait de fantaisiste, que le premier ministre, l'eût-il voulu, aurait pu détruire en un coup de main, qui dit qu'il s'agissait d'un "frame-up" et, qu'on a simplement dit à M. Desmarais: Pour l'amour de Dieu, avant les élections, écarte la transaction et retarde ça de trois mois, cette interprétation a encore droit de subsister. Le premier ministre est le mieux placé de tous pour écarter ce genre d'interprétation, mais il ne l'a pas fait en réponse à mes questions.

M. BOURASSA: C'est faux.

M. CHARRON: J'abandonne maintenant ce sujet et nous le reprendrons avec M. Desmarais, avec M. Gilbert, avec M. Francoeur, avec M. Péladeau.

M. BOURASSA: Avez-vous d'autres témoins?

M. CHARRON: M. le Président, oui, vous en aurez quelques-uns. Vous l'avez dit vous-même, ça durera le temps que ça prendra. Vous et moi sommes soucieux de la liberté de la presse et je pense que nous avons tout intérêt à entendre le plus de témoins possible. D'autant plus que s'ils nous répondent tous comme vous répondez aujourd'hui, ça en prendra beaucoup pour faire de la lumière sur le sujet. M. le Président, le moratoire en question, dont le premier ministre avait informé les deux parties contractantes, a-t-il été écrit ou s'agissait-il simplement d'un "gentlemen agreement"?

M. BOURASSA: La décision du gouvernement a été rendue publique. Je dois dire au député de Saint-Jacques que le moratoire a été respecté. Toutes ses questions, comme ses conclusions précédentes, sont complètement impertinentes.

M. CHARRON: C'est votre opinion.

M. BOURASSA: La vente n'a pas été faite à Power Corporation, le moratoire a été respecté, donc le député peut tirer toutes sortes de conclusions.

M. CHARRON: Vous faites toutes sortes d'interprétations sur ce que j'ai dit aussi, mais je n'interviendrai pas en vertu du règlement. Est-ce que le moratoire équivalait à la suspension de négociations? Est-ce que le moratoire interdisait aux propriétaires actuels du Soleil, les frères Gilbert, pour la durée du moratoire, de chercher d'autres acheteurs éventuels que ceux qu'ils avaient déjà contactés, soit M. Péladeau au mois de mai 1973, Power Corporation à l'été, Pierre Dansereau de la Presse, qui avait fait une offre également, et le projet de coopérative qui est né à l'époque? Est-ce que ça interdisait aux frères Gilbert de chercher d'autres acheteurs éventuels, ce moratoire?

M. BOURASSA: Non, M. le Président. Il est évident que si l'objectif du moratoire était de trouver un autre acheteur, je ne vois pas en quoi les frères Gilbert...

M. CHARRON: Mais c'étaient les frères Gilbert qui avaient le droit de le chercher. En fin de compte...

M. BOURASSA: L'essentiel est là, il n'y avait pas de défense aux frères Gilbert de trouver un autre acheteur. Est-ce que le député veut dire avant les élections ou après les élections?

M. CHARRON: Au moment de l'entrée en vigueur du moratoire.

M. BOURASSA: Disons que les élections ont été déclenchées et que par la suite...

M. CHARRON: Le 25, 26...

M. BOURASSA: Dix jours par la suite. Disons que, à ma connaissance, on n'en a pas

tellement parlé durant la campagne électorale. C'est après l'élection que nous nous sommes attachés...

M. CHARRON: Oui, les frères Gilbert, M. le Président, dans la campagne électorale, n'étaient pas sur les "hustings" de quiconque. Us demeuraient les propriétaires du Soleil, ils administraient le Soleil, peu importe qu'il y ait une campagne électorale ou non. Cela, c'est autre chose. Les frères Gilbert, pendant ces trois mois, avez-vous eu connaissance qu'ils ont cherché d'autres acheteurs éventuels, pendant cette période de gel, si vous voulez?

M. BOURASSA: Vous le leur demanderez.

M. CHARRON: Je vous demande si vous, vous avez eu connaissance qu'ils en ont cherché?

M.BOURASSA: Quand M. Péladeau a-t-il été approché? Vous donniez des dates.

M. CHARRON: Mai 1973. Cela remonte à loin.

M. BOURASSA: Alors, il faudrait le demander aux intéressés. Je ne peux pas vous donner des précisions sur les dates. A entendre parler le député, cela n'aurait été que le seul problème que le chef du gouvernement aurait eu à résoudre.

M. CHARRON: D'accord. Alors, moi, je crois, M. le Président, que nous avons sorti ce que nous pouvions sortir du premier ministre.

M. BOURASSA: C'est la vérité.

M. CHARRON: Cela sera aux gens concernés...

M. BOURASSA: Qui est concerné?

M. CHARRON :... par cela de tirer les conclusions. Vous avez la conclusion, vous avez dit la vérité. Je ne suis pas toujours certain que vous êtes conscient de ce que vous affirmez. Je veux demander ceci au premier ministre, c'est la dernière question que je lui pose: Est-ce qu'au moment du moratoire, lorsque vous avez informé les frères Gilbert, par téléphone, d'un gel de trois mois, vous les avez informés, eux, que le gouvernement s'efforcerait, de son côté, de créer un groupe qui remplacerait Power Corporation comme acheteur éventuel et qui se mettrait sur la "ligne", disons, pour... Est-ce qu'ils savaient que ce n'était pas simplement un gel, mais que c'était le début, de la part du gouvernement, d'efforts pour créer un nouveau groupe?

M. BOURASSA: Ce dont je me souviens, c'est que je les ai informés du moratoire, M. le Président. Le député me demande, comme cela, de me souvenir de toutes les conversations téléphoniques qu'un chef de gouvernement peut avoir dans une journée.

M. CHARRON: Non, non, non.

M. BOURASSA: Je me souviens de les avoir informés du moratoire.

M. CHARRON : Je ne vous demande pas les conversations téléphoniques que vous avez dans une journée. Celle-là, elle était importante au point que vous avez voulu que cela fasse la première page le lendemain. Vous avez demandé à votre attaché de presse d'émettre un communiqué. C'est une décision importante que vous aviez prise.

M. BOURASSA: Cela n'a même pas fait la première page.

M. CHARRON: Un chef de gouvernement se rappelle les décisions importantes qu'il prend.

M. BURNS: Vous en étiez déçu?

M. BOURASSA: L'impact électoral d'une telle transaction...

M. CHARRON: Je sais que cela vous préoccupe, mais...

M. BOURASSA: Je veux dire qu'à entendre parler le député, j'ai fait tout cela en raison de l'impact électoral...

M. CHARRON: Non.

M. BOURASSA: ... sur un plan strictement politique.

M. CHARRON: Non, pour que cela n'ait pas un impact électoral.

M. BOURASSA: Cela n'a aucun impact électoral.

M. BURNS: Evidemment pour que cela n'en ait pas d'impact électoral.

M. CHARRON: C'est pour que cela n'ait pas d'impact électoral que certaines gens nous ont...

M. BOURASSA: Cela en aurait eu tellement, oui?

M. CHARRON: Oui, mais au point que, à quinze jours des élections, on ménage tous les esprits, vous le savez. Vous saviez que les gens derrière la table, qui sont les journalistes, allaient être drôlement importants au cours du mois qui allait suivre et vous saviez en même temps que ces gens...

M. BOURASSA: Les commentateurs ont dit que...

M. CHARRON: ... sont drôlement intéressés à la question de la liberté de presse parce qu'ils la vivent quotidiennement dans les boites où ils travaillent et qu'il n'était pas intéressant, deux semaines avant les élections, de se les mettre à dos.

M. BOURASSA: Vous pensez que cela nous a valu la sympathie des journalistes durant la campagne électorale?

M. CHARRON: Cela a fait que vous n'avez pas accru...

M. BOURASSA: Regardez donc la couverture que les journalistes nous ont donnée durant la campagne électorale, avant de faire une telle affirmation.

M. CHARRON : Cela a pu avoir l'effet que cela n'a pas accru leur antipathie et, quinze jours avant l'élection, le premier ministre le sait, on ménage le chou et la chèvre, même si on n'a pas d'intérêt à le faire habituellement.

M. BOURASSA: Regardez donc, constatez la couverture que le gouvernement a eue.

M. CHARRON: Peu importe.

M. BOURASSA: Peu importe, certainement, oui.

M. CHARRON: Alors, je crois, M. le Président, que nous en sommes rendus au lendemain de l'élection, en considérant qu'il ne s'est rien produit pendant la campagne électorale. Nous verrons ce que les intéressés auront à nous raconter sur leurs actions respectives pendant la campagne électorale, car ils n'étaient pas, comme nous, en train de se battre sur les "hustings". J'arrive donc à l'entrée en fonction du ministre responsable qui devait soulager le premier ministre des efforts immenses qu'il avait faits dans le dossier depuis le départ. Peut-être est-ce l'occasion de demander au ministre responsable du dossier de nous faire rapport puisqu'il a accepté lui-même — c'est son devoir qu'il fasse rapport fidèlement — de dire qu'il considérait cette réunion comme une occasion de faire rapport de son mandat.

M. BOURASSA: J'accepte de répondre patiemment à toutes les questions.

M. CHARRON: Je le vois et je l'apprécie beaucoup.

M. BOURASSA: C'est la démocratie.

M. CHARRON: Et nous demandons, maintenant, si possible, au ministre de faire rapport.

Intervention du gouvernement

M. LALONDE: M. le Président, il est possible que certaines des démarches ou des détails des démarches ne soient pas directement pertinents au débat, alors je vous laisse le soin de me rappeler à l'ordre.

Le premier ministre a indiqué d'une façon très claire l'objectif principal qu'il s'était fixé, c'est-à-dire ne pas laisser le Soleil tomber entre les mains d'un groupe qui avait déjà un nombre de quotidiens assez grand, de sorte que cette acquisition aurait accéléré la concentration de la presse quotidienne francophone écrite au Québec. Il restait toutefois que la famille Gilbert avait un désir légitime de se départir de ses actions dans cette entreprise et le premier ministre a aussi indiqué que c'était une préoccupation qu'il avait. Le gouvernement devait en tenir compte, vu surtout le petit nombre d'acquéreurs éventuels d'une entreprise aussi importante. Le chef du gouvernement, comme d'autres personnes, partageait aussi le désir que la solution à ce problème-là fasse participer des personnes, des citoyens ou des groupements de la région de Québec.

Alors, c'est dans cette perspective que le premier ministre m'a chargé d'encourager la formation d'un groupe représentatif des aspirations régionales et financièrement responsable dans le but d'acheter le Soleil. C'était à la fois, je crois, non seulement prendre ses responsabilités, quant à la concentration de la presse, mais même faire preuve d'audace, étant donné la marge de manoeuvre assez mince que nous avions. On sait que le gouvernement n'avait quand même pas le contrôle de ces actions-là, que les actions de cette entreprise appartenaient de plein droit à leurs propriétaires qui avaient le droit de s'en départir, compte tenu des contraintes que le premier ministre vient de nous décrire.

Tout d'abord, il nous a fallu procéder à une évaluation sérieuse, ce qui fut fait par la Caisse de dépôt. Celle-ci, par la suite, décidait quelle serait intéressée à acquérir 20 p.c. du capital-actions du Soleil, ce qui était le maximum qui lui était permis à cause des autres investissements qu'elle avait déjà dans des entreprises de communication. Suivirent des déclarations d'intérêt de la part d'institutions financières. Il y en a eu plusieurs. On en a vu dans les journaux. Quelques-unes ont été mentionnées, comme la Laurentienne, les Prévoyants du Canada. J'apprenais aussi que M. Claude Pratte était intéressé à acquérir 5 p.c. Cet aspect de la transaction proposée ne présentait pas tellement de problèmes, c'est-à-dire trouver des 5 p.c, ce qui pour les institutions financières constitue un investissement relativement modeste. Mais au départ j'étais convaincu de deux choses. Premièrement, le groupe devait contenir une large part, large mais minoritaire, de capital de risque et de "management". Le choix, là aussi, était assez minime, assez mince et l'idéal aurait été que

ceux qui parmi les actionnaires actuels dirigeaient les opérations du Soleil demeurent actionnaires et continuent d'en assurer la direction. Les autres formules de participation au capital de risque et au "management" présentaient de sérieuses difficultés, surtout au point de vue fiscal.

Comme deuxième condition, nous considérions souhaitable que, parmi les institutions devant former le groupe, une part importante devait être laissée à des organismes à forte participation communautaire de la région de Québec. La formule coopérative était toute choisie mais, vu les contraintes de temps et d'argent, seule une institution — du moins c'est ce qui nous apparaissait— déjà en activité depuis un certain temps pouvait sérieusement projeter de participer à la transaction. C'est pourquoi nous avons demandé au mouvement Desjardins d'examiner la possibilité de s'associer aux autres institutions financières.

La première condition, soit la présence du capital de risque et de "management", a été la principale difficulté que nous avons rencontrée. Tout d'abord, la formule idéale, c'est-à-dire la participation des Gilbert, a été proposée et n'a pas reçu l'accueil que nous espérions.

Après coup, nous avons approché le groupe Québécor et nous avons rencontré un certain nombre de difficultés techniques, difficultés du point de vue financier que je mentionnais tantôt et aussi, étant donné qu'il s'agit d'une compagnie publique, la possibilité de se porter acquéreur d'une minorité des actions seulement présentait des problèmes que, de toute façon, le groupe Québécor s'est efforcé d'examiner.

Après un certain temps — nous sommes rendus vers la mi-décembre — nous apprenions que les frères Gilbert n'étaient pas tellement intéressés à cette proposition. En même temps, il y a eu la déclaration, la publication plutôt d'une nouvelle à l'effet qu'ils étaient intéressés à rester maintenant à 40 p.c. Nous avons donc continué de travailler sur cette formule. A ce moment-là, nous avions donc 40 p.c. pour les frères Gilbert; nous avions 20 p.c. de la Caisse de dépôt, mais nous sommes toujours au niveau des principes, 20 p.c. en principe; nous avions 20 p.c. formés d'institutions ou d'individus et nous attendions la réponse de l'Union régionale des caisses populaires du Québec. Cette réponse a été assez longue à se faire attendre. Elle s'est fait attendre, en fait, assez longuement. Sans vouloir accuser qui que ce soit de s'être laissé tramer les pieds il demeure que plusieurs semaines se sont écoulées sans qu'on puisse obtenir une réponse, soit affirmative, soit négative de l'Union régionale.

Le processus décisionnel d'organismes semblables est assez long. Il participe même de la nature de l'institution. H faut aussi comprendre que les conditions, à ce moment-là, n'étaient pas favorables. Nous étions en pleine période des fêtes. Les gens étaient assez difficiles à rejoindre.

Je pense qu'il est bon de souligner ici que, d'une part, nous n'avions pas le contrôle absolu sur l'étude de propriétés pendant toute cette période. D'autre part, nos démarches à l'égard d'institutions financières devaient tenir compte de leur autonomie propre dans la décision d'investir les fonds de leurs épargnants dans le quotidien Le Soleil. IL fallait que notre action, tout en étant positive, ne devienne pas une ingérence indue. Le premier ministre a souligné cet aspect, ce qui rendait notre manoeuvre quand même assez mince.

Nous sommes rendus au début de janvier. Les institutions qui avaient accepté étaient encore ouvertes, attendaient simplement que nous ayons l'acceptation des caisses populaires. Dans la première semaine complète de janvier, j'ai appris de la bouche même de M. Guy Gilbert qu'il n'était plus intéressé. Il ne m'a pas dit à quelle date exactement son intérêt avait disparu. Il n'était plus intéressé à participer au groupe. Il m'a donné des raisons, que lui-même pourrait expliquer ici, à l'effet qu'il ne voulait pas demeurer minoritaire dans un groupe mais, enfin, je ne veux pas discuter du bien-fondé de ses raisons. De toute façon, nous n'avions pas encore obtenu la réponse de l'Union régionale à ce moment-là. J'ai quand même décidé de laisser le dossier, qui était à l'étude à l'Union régionale, continuer son cours dans l'espoir que, si on avait une réponse affirmative à la fin de cette semaine — celle qu'on attendait — les frères Gilbert pourraient peut-être se raviser devant la pression que cela aurait constitué, étant donné que tout le monde, tous les autres étaient prêts à marcher dans ce sens. Mais le 10 ou le 11 janvier, je crois, j'ai appris la vente à M. Francoeur. Il faut dire que, durant cette période, non seulement M. Péladeau, mais M. Francoeur m'avait approché en me disant que s'il nous manquait 10 p.c, 15. p.c. ou 20 p.c, il serait intéressé.

Là aussi, cela s'est révélé impossible au point de vue financier à l'examen, et il m'a dit dans la semaine précédant Noël, je crois, qu'il n'était plus intéressé à participer pour ces raisons à notre groupe, mais qu'il avait l'intention d'examiner lui-même la possibilité de faire une offre.

Je l'ai mis en garde immédiatement lui disant qu'étant donné son association récente avec M. Desmarais il serait suspect dans le sens le plus général du mot et seulement relativement à cette transaction et qu'il y aurait lieu sûrement, s'il acquérait le Soleil, d'examiner cela, soit en commission parlementaire ou autrement.

J'ai eu d'autres conversations téléphoniques, soit avec M. Francoeur ou son adjoint, et j'ai appris éventuellement qu'il avait acquis le Soleil. Je n'avais pas les pouvoirs, aucune loi ne me donnait les pouvoirs d'examiner les contrats, la transaction ou les négociations à mesure qu'elles se poursuivaient. J'avais toujours espoir que notre groupe fonctionnerait malgré les difficultés innombrables que nous rencontrions.

Je crois que ceci résume les démarches que nous avons faites, et je crois que la conclusion principale que nous devons apporter à ceci et qu'il faut retenir de ces démarches, c'est la fermeté avec laquelle le gouvernement a empêché l'accélération de la concentration de la presse quotidienne, la fermeté avec laquelle nous avons empêché que cette transaction augmente, accélère la concentration de la presse au rythme qu'elle l'aurait fait si le Soleil s'était joint au groupe Desmarais, et aussi l'inquiétude, les préoccupations et les démarches qui ont été faites, non seulement en vue d'atteindre le premier objectif, ce qui est fait, mais aussi d'encourager la formule qui nous semblait idéale.

M. BOURASSA: Est-ce qu'on peut entendre les témoins?

M. CHARRON : J'ai des questions à poser.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Certainement, je suis prêt. Il faut que les députés consentent.

M. BOURASSA: Est-ce que le député en a pour longtemps? Parce que quand même, on a...

M. CHARRON: Si vous êtes fatigué, vous pouvez partir.

M. BOURASSA: Ecoutez. M. le Président... M. CHARRON: Non. Mais...

M. BOURASSA: II serait facile de mettre un terme rapide à cette commission.

M. CHARRON: Faites-le donc !

M. BURNS: Faites donc cela pour voir.

M. BOURASSA: Je demanderais au moins au député d'être poli.

M. BURNS: II n'est pas question d'être poli, il est question de vous répondre tout simplement.

M. BOURASSA: Oui, mais je demande au député s'il en a pour longtemps.

M. BURNS: Bien oui! On a des questions à poser au ministre.

M. CHARRON: Oui, M. le Président.

M. BOURASSA: Est-ce que le député insiste pour poser ses questions avant d'entendre...

M. CHARRON: Oui, nécessairement.

M. BOURASSA: Pourquoi?

M. CHARRON: Parce que je veux d'abord connaître l'action du gouvernement là-dedans avant d'avoir la version de la partie privée.

M. BOURASSA: Cela fait deux heures et demie qu'on parle de l'action du gouvernement.

M. CHARRON: Bien oui, et on va en parler encore un petit peu. D'accord?

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: Dans le rapport que vient de faire le ministre responsable du dossier de la presse à la commission, il a commencé par la mention du fait qu'il avait demandé à la Caisse de dépôt et placement du Québec de faire une évaluation. Peut-il préciser ce qui écarterait éventuellement des questions?

M. LALONDE: Préciser quoi?

M. CHARRON: Quelle est cette évaluation que la Caisse de dépôt...

M. LALONDE: Nous entendions parler d'un prix de $8 millions. Naturellement, avant que des institutions financières sérieuses n'acceptent de participer à un groupe pour acquérir une entreprise de $8 millions, encore faut-il qu'elles se rendent compte si cela vaut $8 millions. C'est dans cette perspective que la Caisse de dépôt et placement du Québec ayant toute l'expertise financière qu'on lui connaît est allée sur place évaluer, examiner les états financiers, les actifs et nous a rapporté qu'en effet $8 millions, cela pourrait aller.

M. CHARRON: C'était le chiffre de l'évaluation par la Caisse de dépôt et placement du Québec?

M. LALONDE: Oui. Je n'ai pas vu les chiffres, mais selon les rapports que j'ai eus, c'est que cela pouvait aller.

M. CHARRON: Autrement dit, un acheteur éventuel, un offrant de $8 millions était raisonnable pour...

M. LALONDE: C'était un ordre de grandeur.

M. CHARRON: Un ordre de grandeur. Aux alentours de $8 millions...

M. LALONDE: Si on avait suggéré $12 millions, probablement qu'ils auraient dit: Non, cela ne vaut pas $12 millions.

M. CHARRON: D'accord. Vous avez dit ensuite qu'au moment où la Caisse de dépôt a fait cette évaluation c'est à ce moment-là qu'elle vous a signalé qu'elle était prête à en assumer 20 p.c.

M. LALONDE: C'était dans ces jours-là, oui.

M. CHARRON: 11 n'y a pas concordance de date, mais en tout cas on reviendra.

M. LALONDE: II n'y a pas de date particulière, mais c'est à peu près...

M. CHARRON: C'est en novembre?

M. LALONDE: Non, c'est soit début décembre ou fin novembre. C'est certainement après qu'elle eut complété son évaluation qu'elle a décidé de se porter acquéreur, pas avant.

M. CHARRON: Oui, d'accord. A la fin de son évaluation, que vous avez commandée dès que vous avez été nommé responsable du dossier?

M. LALONDE: Oui, aussitôt que j'ai pu rencontrer un certain nombre de personnes à ce sujet.

M. CHARRON: Dès ce moment-là, elle vous a manifesté son intérêt à participer éventuellement à un groupe. Vous dites que suivirent des déclarations d'intérêt de la Laurentienne, des Prévoyants et de M. Pratte. Suivirent-elles à votre incitation ou si c'est...

M. LALONDE: C'est au tout début. Je peux tout vous décrire en détail mais, naturellement, je ne me souviens pas exactement de toutes les dates et de la chronologie. Au début, j'avais causé de cette question avec M. Poitras, de la Laurentienne, et je l'avais rencontré. J'avais rencontré M. Rouleau à quelques reprises, M. Alfred Rouleau, et d'autres personnes. J'ai reçu des appels de personnes qui me disaient: Ecoutez, si vous êtes intéressé, on aimerait participer à ce groupe-là, soit directement ou indirectement. J'entrai en communication avec les Prévoyants du Canada de cette façon, avec le groupe Prêt et Revenu. Cela s'est fait de cette manière.

M. CHARRON: La plupart de ces gens, ce sont des gens qui vous appelaient pour vous manifester leur intérêt et non vous qui les sollicitiez?

M. LALONDE: Non, dans certains cas, ce sont des gens que je connaissais et qui me suggéraient d'appeler un tel qu'ils avaient rencontré, que peut-être il serait intéressé.

M. CHARRON: Vous en avez sollicité vous-même?

M. LALONDE: Oui, je leur demandais s'ils étaient prêts à examiner la possibilité de se joindre au groupe. Je les renvoyais, quant à l'évaluation, à la Caisse de dépôt.

M. CHARRON: Le groupe qui, depuis le mois d'août, militait en faveur de la coopéra- tive, est-ce que c'est de lui-même qu'il est venu vous voir ou si c'est vous qui êtes allé le voir?

M. LALONDE: C'est de lui-même qu'il est venu me voir. M. Picard m'a appelé, je l'ai reçu. Il m'a remis une lettre, à laquelle j'ai répondu. Il me demandait, je crois, de surseoir à six mois, quelque chose comme cela. A ce moment-là, le rapport qu'il ma fait des activités de la coopérative ne m'indiquait pas que la coopérative serait prête à participer d'une façon immédiate et substantielle au groupe parce que l'ordre de grandeur des chiffres était quand même considérable.

M. CHARRON: M. le ministre, avant que vous ayez à faire ces démarches et coups de téléphone, lorsque vous avez pris en main, à la demande du premier ministre, le dossier, est-ce que vous étiez informé des différentes offres que les frères Gilbert avaient déjà reçues?

M. LALONDE: J'ai rencontré, au tout début, M. Guy Gilbert, qui m'a dit qu'en effet il y avait une entente avec M. Desmarais, que cette entente était suspendue par le moratoire et qu'à la fin du moratoire il avait l'intention d'y donner suite. Je l'ai informé qu'en ce qui nous concernait il n'y aurait pas de transaction. C'était la décision du gouvernement d'une certaine façon de poursuivre un moratoire et, plus que cela, de ne pas laisser la vente à M. Desmarais, du moins dans la mesure où cette vente à M. Desmarais augmentait la concentration de la presse. C'était le seul objectif que nous avions à la base.

M. CHARRON: A la base, vous étiez convaincu qu'une vente éventuelle à M. Desmarais allait accentuer le phénomène...

M. LALONDE: Tenant compte des actifs qu'il avait déjà dans les journaux.

M. CHARRON: D'accord.

M. LALONDE: Si M. Desmarais s'était départi de tous ses autres journaux pour acheter celui-là, par hypothèse, à ce moment-là la concentration disparaissait.

M. CHARRON: D'accord.

M. LALONDE: La réaction n'a pas été tellement positive de sa part mais, à compter de ce moment-là, j'ai fait abstraction de cette entente qu'il avait car il avait d'ailleurs été avisé publiquement — le premier ministre l'avait fait — qu'il n'y aurait pas de suite à cette transaction là de toute façon.

M. CHARRON: Avez-vous eu le sentiment que le choix de MM. Gilbert était déjà fait et que, de toute façon, se prévalant de...

M. BOURASSA: ... sur des faits et non pas sur des impressions.

M. CHARRON: ... leur droit à la liberté de commerce, ils avaient... Vous ont-ils informé qu'ils avaient l'intention de donner suite à l'entente, quels que soient les autres acheteurs? M. Gilbert avait déjà exprimé depuis longtemps, depuis l'annonce publique de la mise en vente du Soleil, sa préférence pour Power Corporation et que ce n'était que sur l'ordre du premier ministre qu'il avait accepté le moratoire mais que, dès que le moratoire serait fini...

M. LALONDE: Je n'ai pas à interpréter les paroles de M. Gilbert, mais il était, premièrement, très décidé à vendre: il n'avait donc pas changé d'idée là-dessus. Deuxièmement, il voulait donner suite à l'entente qu'il avait avec M. Desmarais. C'est seulement parce que nous avons fermement tenu notre position que cela n'a pas été fait. C'est mon sentiment.

M. CHARRON: M. Gilbert vous a-t-il mis au courant, lors de cette première rencontre, au moment où vous preniez en main le dossier, du moment où il avait offert également le Soleil au groupe Québécor?

M. LALONDE: II m'a raconté qu'il y avait eu des communications avec Québécor mais que Québécor n'offrait pas assez d'argent et il ne semblait pas tellement heureux des gros mots qui avaient été échangés dans les journaux avec M. Péladeau à la suite de ces premières approches. Je n'ai pas lu ces rapports dans les journaux. C'était avant que j'arrive...

M. CHARRON: II semblait à votre avis très peu probable que Québécor mette un jour la main sur le Soleil.

M. LALONDE: C'est assez difficile d'interpréter l'intention de quelqu'un. Je ne veux pas lui prêter de motifs ni de... Cela ne me semble pas une solution plausible.

M. CHARRON: D'accord. Vous a-t-il informé que c'était depuis mai 1973 que Québécor avait reçu une offre? Vous a-t-il informé avoir reçu une offre de Québécor avec un montant?

M. LALONDE: Je ne pense pas qu'il m'ait mentionné une offre, mais il m'a sûrement mentionné des échanges d'opinions. Cela aurait pu être par téléphone, cela aurait pu être par personne interposée, cela aurait pu être des conversations.

M. CHARRON: Avez-vous pris connaissance d'un papier qui, sans être un contrat de vente, était une offre de la part de quelque groupe que ce soit, outre Power Corporation?

M. LALONDE: Non. M. Gilbert m'a informé, lors de cette première réunion, après la première rencontre, c'était en novembre, qu'il n'avait reçu d'offre de personne depuis l'offre de Power Corporation ou enfin de M. Desmarais.

M. CHARRON: A l'été, M. Gilbert avait reçu une offre d'un groupe montréalais, l'ancien directeur de la Presse, M. Dansereau. Vous a-t-il informé de cette offre?

M. LALONDE: Non. Je ne pense pas qu'il me l'ait mentionnée.

M. CHARRON: M. Jean-Louis Lévesque aussi avait manifesté de l'intérêt pour l'achat du Soleil. Vous a-t-il informé de cette offre-là?

M. LALONDE: Je ne pense pas.

M. CHARRON: Vous a-t-il informé s'il y avait des offres...

M. LALONDE: Non. J'ai déjà entendu dire qu'à un moment donné M. Levesque aurait déclaré être intéressé, mais je ne pense pas que ce soit M. Gilbert qu'il me l'ait dit.

M. CHARRON: Autrement dit, je me permets de conclure cet échange de questions en disant qu'à cette première rencontre avec M. Gilbert, il vous a informé d'un seul acheteur éventuel en bonne et due forme, il s'aigssait de Power Corporation, M. Desmarais, et en même temps de son intention de donner suite à l'entente suspendue comme vous avez dit.

M. LALONDE: A ce moment-là, oui.

M. CHARRON: II n'était pas question d'autres acheteurs.

M. LALONDE: A ce moment-là, le groupe n'était pas en formation non plus.

M. CHARRON : Les autres, autrement dit, allaient venir de vous, de vos efforts depuis que...

M. LALONDE: II était libre d'en trouver d'autres à ce moment-là, sûrement.

M. CHARRON: A ce moment-là, il n'y avait que Power Corporation?

M. LALONDE: A ce qu'il me disait, oui.

M. CHARRON: D'où est-ce venu? Vous avez dit que vous aviez fait le souhait que des institutions à forte participation communautaire soient impliquées dans le projet.

M. LALONDE: Cela a été dans nos premières conversations avec M. Poitras, M. Rouleau.

Il est assez difficile d'identifier la personne qui aurait pu mentionner ça. Mais ça m'appa-raissait totalement souhaitable.

M. CHARRON: Vous vous êtes donc mis à choisir... vous avez donc choisi ce mode de propriété d'un journal à partir du moment où vous avez été convaincu...

M. LALONDE: Comme je l'ai dit tantôt, il nous paraissait souhaitable de faire participer substantiellement un groupe de participation communautaire, du genre d'une union régionale, enfin, comme ç'a été tenté.

M. CHARRON: Quand vous êtes devenu, en quelque sorte, convaincu de ce genre de philosophie, c'était devenu la politique du gouvernement. Vous aviez là-dessus l'appui du premier ministre, je crois.

M. LALONDE: Oui, sûrement.

M. CHARRON: Je sais que le premier ministre a déclaré à une émission de Radiomutuel, à un moment où le moratoire était encore en vigueur, que le gouvernement préférait la propriété du Soleil aux mains d'un consortium plutôt que d'un groupe unique.

M. BOURASSA: Je l'ai dit cet après-midi, je ne vois pas pourquoi le député parle de Radio-mutuel, je sais qu'il était à Radiomutuel la semaine dernière.

M. CHARRON: C'est parce que je veux rappeler vos déclarations.

Est-ce que c'était véritablement devenu le choix du gouvernement et que vous avez beaucoup plus travaillé à créer ce consortium qu'à chercher un autre acheteur unique qui aurait pu remplacer sur la ligne de feu Power Corporation qui était offrant?

M. BOURASSA: M. le Président, si on veut me permettre, parce que ça s'adresse au gouvernement, je veux signaler au député que sa question me permet de mettre en relief un aspect que le gouvernement pouvait aller jusqu'à un certain point. Quant aux démarches dont a parlé tantôt le ministre auprès de la Prévoyante et de la Laurentienne, c'était extrêmement délicat pour le gouvernement d'agir. Il fallait agir parce que c'était notre politique, notre premier choix, mais par ailleurs, si nous poussions trop fort et que la situation financière du Soleil tourne mal, c'est clair que le gouvernement aurait drôlement été exposé vis-à-vis de l'opinion publique dans le cas de la Caisse de dépôt — ce sont quand même tous les travailleurs qui fournissent les cotisations — vis-à-vis des caisses populaires et vis-à-vis de tous ces gens. C'est pourquoi nous faisions des efforts, mais en étant bien conscients et c'est pour ça que lorsqu'on m'a accusé publiquement de bousculer les caisses populaires, j'ai cessé toute discussion avec elles par que c'était une situation complètement nouvelle. On voulait cette solution mais pas au point de faire prendre des risques non calculés à ceux à qui nous suggérions d'en faire partie.

M. CHARRON: Mais je crois que dans ce que le ministre a dit auparavant, il me semble que la pierre d'achoppement ait été ailleurs que sur les risques que les entreprises ne voulaient pas prendre. Le ministre a affirmé que dès le moment de l'évaluation, la Caisse de dépôt se disait intéressée et, très tôt, la Laurentienne, la Prévoyante, M. Pratte et d'autres se sont... ces gens allaient d'eux-mêmes... Je crois plutôt que la pierre d'achoppement était du côté des propriétaires actuels.

M. BOURASSA: La principale, le ministre pourra compléter et le député a raison... les frères Gilbert ont manifesté une très grande réticence lorsque nous avons parlé de cette solution. Ils l'ont acceptée initialement, mais j'ai l'impression qu'ils n'étaient pas tellement désireux d'arriver à cette solution, ils voulaient se départir d'avoirs... ils pourront expliquer les raisons. Je peux les citer là-dessus, c'est connu: On n'a pas d'entreprises de bateaux ou d'hôtels, la principale partie de nos biens est concentrée dans une entreprise de presse; si ça tourne mal, c'est toute notre famille qui perdra. Donc, ayant plus ou moins tous leurs oeufs dans le même panier, ils trouvaient que le gouvernement forçait pas mal, leur imposait pas mal de contraintes.

M. CHARRON: Et d'autant plus que vous saviez déjà qu'une entente avec Power Corporation n'avait été que suspendue à votre demande.

M.BOURASSA: Non, je veux dire que l'entente avec Power... Je pense que l'on aurait pris les moyens jusqu'à l'extrême limite pour qu'elle ne se réalise pas.

M. LALONDE: Dans cette perspective-là, excusez-moi, M. le Premier ministre, c'est toujours dans cette perspective que, peu importe l'entente qu'il ait pu y avoir entre M. Desmarais et les propriétaires du Soleil, l'on n'y donnerait pas suite, parce que le gouvernement avait très clairement indiqué son intention d'intervenir même législativement.

M. CHARRON: Cela répond... à la question que j'essayais tantôt... M. Desmarais savait très bien depuis le début du moratoire qu'il n'aurait jamais le Soleil.

M. LALONDE: Je ne peux pas parler depuis le début du moratoire.

M. BOURASSA: C'était public, sauf, M. le Président, que si on avait été pris... Supposons que tout est complété et que, dans six mois, par pure hypothèse, je ne veux pas apeurer M. Francoeur, le Soleil est dans une position financière intenable, est-ce que l'on ferme le

journal ou si on le laisse acheter par quelqu'un, par Power Corporation? Il faut considérer cela parce qu'il y a différentes sortes de valeurs en cause.

M. CHARRON: D'accord. Là-dessus, il n'y a personne qui va vous le reprocher.

M. BEDARD (Chicoutimi): Ma question s'adresserait à M. le ministre. Dans le dossier qui vous a été remis, dans l'exécution de votre mandat, est-ce que vous avez eu l'occasion d'y retrouver un document qui aurait été une promesse d'achat ou de vente entre Power Corporation et les frères Gilbert?

M. BOURASSA: J'ai déjà répondu que...

M. LALONDE: Cette entente, appelez-la promesse de vente ou billet comme il y en a qui l'appellent. Pour moi, je devais agir sur la base que l'on n'y donnait pas suite.

M. BEDARD (Chicoutimi): Non, ma question n'est pas dans ce sens.

M. LALONDE: Je ne vois donc pas la pertinence d'en discuter.

M. BEDARD (Chicoutimi): La pertinence, on en a demandé la production, alors cela commence à être pertinent. Ce que je veux savoir, est-ce que c'était dans le dossier...

M. LALONDE: Je veux dire dans les démarches.

M. BEDARD (Chicoutimi): Est-ce que c'était dans le dossier?

M. LALONDE: Dans mes démarches, je n'ai pas tenu compte du tout de cette...

M. BEDARD (Chicoutimi): Je ne vous demande pas dans vos démarches.

M. LALONDE: C'est un bout de papier. M. BOURASSA: C'est un bout de papier.

M. BEDARD (Chicoutimi): Bout de papier ou pas, ce que je demande, dans le dossier qui vous a été confié et dans l'exécution de votre mandat, est-ce qu'il avait un papier? Appelez-le comme vous voudrez, ou un écrit...

M. LALONDE: Non, il n'y en avait pas. D'ailleurs...

M. BEDARD (Chicoutimi): ... qui constituait une promesse de vente des frères Gilbert à Power Corporation?

M. LALONDE: Non, je n'ai pas considéré non plus de le voir, de l'examiner, parce que je savais que l'on n'y donnerait pas suite.

M. BEDARD (Chicoutimi): Vous dites que vous n'avez pas considéré de l'examiner. Est-ce que je dois comprendre qu'il était dans le dossier mais que vous n'avez pas cru bon de l'examiner.

M. LALONDE: C'est-à-dire que je ne l'ai pas vu dans le dossier.

M. BEDARD (Chicoutimi): Vous ne l'avez pas vu dans le dossier?

M. LALONDE : Je ne l'ai pas demandé.

M. BEDARD (Chicoutimi): Bon, d'accord.

M. LALONDE: Aussitôt que M. Gilbert m'a dit qu'il y avait une entente et que je lui ai dit que l'on n'était pas pour donner suite à cette entente, à ce moment-là, pour moi, l'entente ne valait pas plus que le papier sur lequel c'était écrit.

M. BEDARD (Chicoutimi): D'accord, mais ce que je veux dire, dans le dossier, si je prends bien votre réponse, il n'y avait aucune trace de cette entente entre les frères Gilbert et Power Corporation?

M. LALONDE: Non, je ne l'ai pas vu, donc, je ne l'ai pas demandé.

M. BEDARD (Chicoutimi): Vous ne l'avez pas vu. Vous ne pouvez pas dire s'il n'y était pas?

M. LALONDE: Bien, écoutez, peut-être que dans un des dossiers qu'il y a au Conseil exécutif, il se trouvait là, mais je ne l'ai pas vu.

M. BEDARD (Chicoutimi): Elles ne sont pas malignes, ce sont des questions normales. Est-ce que je pourrais savoir, étant informé, comme vous aviez l'exécution de ce mandat, que vous étiez naturellement au courant, j'imagine, de cette entente ou de cette promesse de vente ou d'achat de Power Corporation vis-à-vis des frères Gilbert, si vous avez cru bon, à un moment donné, de voir soit le conseiller juridique, M. Chouinard, ou quelqu'un d'autre pour savoir quelle était la teneur de ce document, de cette entente?

M. LALONDE: Non, le contenu de cette entente, je savais naturellement qu'il s'agissait du transport des titres de propriété des actionnaires actuels au groupe Desmarais, mais il n'était d'aucun intérêt pour moi puisque je devais le remplacer.

M. BEDARD (Chicoutimi): Alors, vous ne pouvez pas nous dire s'il y avait des conditions dans cette promesse d'achat ou de vente.

M. BURNS: Juste pour clarifier une chose auprès du premier ministre et du député de

Marguerite-Bourgeoys, vous avez l'air de voir dans ce genre de questions que le député de Chicoutimi vient .de vous adresser, une espèce de reproche caché.

M. LALONDE: Non.

M. BURNS: Je vais vous dire ceci: Personnellement, je vous suis dans votre raisonnement lorsque vous dites: Cette entente, si elle devait se réaliser entre Power Corporation et les frères Gilbert. C'est exactement le contraire qu'était mon mandat et je vous suis tout à fait dans votre raisonnement. Ce que nous soulevons cependant, ce n'est pas au niveau du blâme, ne vous mettez pas sur la défensive ou quoi que ce soit, c'est uniquement ceci: Est-ce que les transactions éventuelles — c'est là-dessus qu'on dit que peut-être, appelons-les promesses d'achat ou promesses de vente ou n'importe quoi — étant donné qu'il s'agit de parties privées, même si le premier ministre dit: Si telle chose était arrivée, on serait intervenu, le gouvernement n'était pas encore intervenu — est-ce que les transactions éventuelles n'auraient pas pu être — et c'est la question qu'on se pose même aujourd'hui, le 29 janvier à 6 heures moins dix — ou n'ont pas été affectées par cette entente? Ce n'est pas compliqué ce qu'on demande.

Je reviens à ce que vous disiez tantôt, M. le ministre, c'est sûr que vous dans votre optique, ayant reçu mandat du gouvernement de voir à ce que cela ne se réalise pas, cette promesse d'achat, que la promesse d'achat en soi ne devait pas vous intéresser, parce que vous vouliez faire effectuer, à la réalité exactement le contraire. D'accord, je vous suis dans ce raisonnement. Mais, est-ce que, c'est cela la question fondamentale pour nous à ce stade-ci, cette entente — et on vous demande de dissiper ce doute qui existe chez nous — ne peut pas avoir, n'a pas pu avoir des conséquences sur les tractations qui ont pu avoir lieu entre messieurs Gilbert et tout autre éventuel acheteur, ou par l'entremise de cette entente, ou par l'entremise des droits conférés à Power Corporation dans cette entente?

M. LALONDE: Comment?

M. BURNS: Est-ce que cela n'aurait pas pu être influencé par cette entente?

M. LALONDE: C'est une opinion que vous me demandez et je vais vous dire qu'étant donné que cette entente, dans mon esprit, ne devait pas être suivie, elle devait être lettre morte.

M. BURNS: Je vous suis là-dessus.

M. LALONDE: Toute condition ou sous-clause — appelez cela comme vous le voudrez — pour moi, était aussi lettre morte...

M. BURNS: Oui, mais...

M. LALONDE: ... et ne pouvait pas avoir d'influence sur le résultat des démarches que je faisais.

M. BURNS: Vous vous placez dans la situation de deux équipes de hockey qui font des échanges de joueurs entre elles et qui ont une entente avec une troisième équipe qui intervient là-dedans. Non, mais c'est cela.

M. LALONDE: Oui, mais vous parlez d'une entente qu'on considérait comme nulle au départ, parce qu'elle aurait été annulée si on lui avait donné suite.

M. BURNS: Oui.

M. LALONDE: II fallait donc, pour être logique, que je la considère comme nulle entièrement.

M. BURNS: D'accord, mais elle n'est pas nulle, M. le ministre. Vous allez admettre cela. Elle n'est pas nulle tant que le gouvernement n'intervient pas, puisque, comme tout le monde le dit, il s'agit de tractations entre parties privées.

M. BOURASSA: On était commis.

M. BURNS: Vous étiez commis, d'accord, mais, maintenant que vous nous dites et que, semble-t-il, M. Francoeur, MM. Gilbert et toute autre partie intéressée sont prêts à nous dire: Power Corporation n'a rien à faire avec cela — c'est cela, le but de la réunion d'aujourd'hui — maintenant qu'on se dit tout cela ensemble, est-ce qu'il ne serait pas sage — c'est cela la question qu'on vous pose — d'avoir l'éventail de la situation, l'ensemble du portrait? Pour avoir l'ensemble du portrait, qu'on puisse enlever de notre esprit le doute que Power Corporation ait pu, d'une façon ou de l'autre, par l'entremise d'une clause paraissant dans cette promesse d'achat ou cette promesse de vente, avoir eu une influence sur la vente éventuelle du Soleil, c'est cela, dans le fond, la question. Ce n'est pas plus compliqué que cela.

M. LALONDE: M. le Président, si le but de la commission parlementaire est d'examiner la transaction qui a eu lieu dans l'optique de la concentration de la presse, je doute de la pertinence de ce document, même s'il devait contenir une clause par laquelle l'acheteur éventuel aurait pu avoir un choix négatif quant à un autre acheteur éventuel, puisque, sans tenir compte de toute clause, quelle qu'elle soit, nous devons examiner si la transaction qu'on a devant nous effectue une concentration de la presse écrite, quotidienne, francophone, c'est-à-dire dans l'optique suivante: Est-ce que cela a été vendu en fait à M. Desmarais ou à M. Francoeur?

M. BURNS: Non. Regardez...

M. LALONDE: C'est pour cela que si...

M. BURNS: Vous êtes un avocat et un bon avocat et vous avez l'expérience des institutions financières — je pense que je n'ai rien à vous montrer là-dedans — mais vous savez fort bien qu'une certaine clause, si elle existe dans ce document, peut créer une très forte présomption relativement aux relations que certaines parties à cette entente, directement ou indirectement ou occultes même, peuvent exercer sur ces ententes. C'est pour cela qu'on vous dit que cela serait drôlement, non seulement intéressant, mais essentiel qu'éventuellement...

M. LALONDE: Cela pourrait être intéressant...

M. BURNS: ... cette entente soit mise à la disposition des députés.

M. LALONDE: ... et cela pourrait naturellement satisfaire la curiosité des membres de la commission ou du public, à savoir ce qu'il y avait dans cette entente, mais si on s'en tient au mandat de la commission, je pense qu'une clause, par exemple, dans l'entente, qui aurait pour effet de dire: Si jamais je ne peux pas acheter, pour une raison ou pour une autre, tu vas me vendre ton chalet à tel lac, cela a autant de pertinence que si...

M. BURNS: Cela n'est pas tout à fait la même chose.

M. LALONDE: Laissez-moi terminer. ...pourvu que le résultat ne soit pas une concentration augmentée.

M. BURNS: Je vais vous donner un autre exemple qui est pas mal loin de votre exemple du chalet. Si je suis le signataire offrant dans une offre de vente et que je me réserve un droit le jour où on n'exerce pas cette offre, où on ne la concrétise pas, où on ne la réalise pas, je m'exerce le droit de dire au futur vendeur: Si ce n'est pas moi qui achète, ce n'est pas au moins un tel ou un tel. C'est là que l'élément de présomption a une drôle d'importance.

M. LALONDE: Je ne vous suis pas. Si l'entente — revenons au chalet — est totalement annulée, à ce moment, le vendeur éventuel n'a même pas besoin de lui vendre son chalet...

M. BURNS: Vous me parlez d'un autre objet de vente alors que moi, je vous parle du même objet de vente, c'est-à-dire le journal Le Soleil.

M. LALONDE: Même s'il y avait cette clause...

M. BURNS: Oui.

M. LALONDE: ... étant donné que l'entente ne devait pas avoir de suite...

M. BURNS: Oui.

M. LALONDE: ... de quelle façon les vendeurs éventuels pourraient-ils ou se sentiraient-ils liés par cette clause et la suivre puisque c'était lettre morte?

M. BURNS: Je ne le sais pas. C'est le document qui va nous le dire.

M. BOURASSA: M. le Président, M. Gilbert va témoigner et...

M. BURNS: M. le premier ministre, permettez-moi de vous arrêter tout de suite. Vous avez fait votre cours de droit et vous le savez comme moi qu'on a beau...

M. BOURASSA: Je ne m'en souviens pas.

M. BURNS: Je sais que vous ne vous en souvenez pas parfois. Passons. Vous savez comme moi que la meilleure preuve, c'est un document lorsqu'il y en a un. Je suis bien prêt à prendre la parole de M. Gilbert, de M. Desmarais, de M. Francoeur et de tout le monde, mais s'il y a un document, je trouve que c'est la meilleure preuve. Vous le savez, M. le premier ministre.

M. BOURASSA: Je lui ai dit que j'étais pour... Je peux citer l'article du code civil.

M. BURNS: Quel article?

M. BOURASSA: Article 1211.

M. BURNS: Vous n'êtes pas loin.

M. BEDARD (Chicoutimi): M. le premier ministre...

M. BOURASSA: J'ai dit que j'étais pour examiner les implications du geste. Je comprends la question des députés et je vais examiner les implications, comme précédent. On va voir et on va continuer. On continue ce soir à 8 heures.

M. BURNS: D'accord. En somme, ce n'est pas une fin de non-recevoir relativement à ce document. Vous allez y songer et, ce soir, vous allez nous donner une réponse là-dessus, mais je pense que vous avez compris l'importance qu'on attache à ce document. J'espère.

M. BEDARD (Chicoutimi): Parce que tout contrat, en fait, d'inexécution d'achat ou de vente, entraîne nécessairement des pénalités.

J'aurais seulement deux questions à poser. Vous dites qu'à un moment donné vous avez su des intérêts Francoeur qu'ils avaient acquis le journal le Soleil, n'est-ce pas?

M. LALONDE: Je l'ai appris.

M. BEDARD (Chicoutimi): Et que vous n'aviez pas examiné les contrats? D'ailleurs vous ne pouviez pas les examiner et je comprends votre situation parce que...

M. LALONDE: ... sauf au sujet de la commission parlementaire.

M. BEDARD (Chicoutimi): Etant donné qu'il y avait une commission parlementaire qui pouvait siéger là-dessus, et que le débat était quand même sur la place publique, je voudrais savoir si dans l'exécution de votre mandat, vous avez cru bon de leur demander de vous faire parvenir au moins une copie de ce contrat de vente?

M. LALONDE: J'ai pensé procéder de cette façon, mais j'ai opté pour le dépôt de tout document pertinent à la commission.

M. BEDARD (Chicoutimi): Ce qui veut dire qu'au moment où nous parlons, vous n'avez, en aucune façon...

M. LALONDE: Je me suis tenu sur le même pied que tous les autres membres de la commission.

LE PRESIDENT (M. Séguin): La commission suspend ses travaux jusqu'à 8 h 15 ce soir.

(Suspension de la séance à 18 heures)

Reprise de la séance 20 h 26

M. CORNELLIER (président de la commission spéciale sur les problèmes de la liberté de presse): A l'ordre, messieurs! La commission reprend ses séances et, au tout début, j'aimerais donner la parole au premier ministre qui a quelques commentaires à fournir.

Dépôt de documents

M. BOURASSA: C'est pour le document dont on a parlé cet après-midi. Comme il y avait des parties privées qui étaient impliquées, j'ai prévenu que j'avais l'intention de déposer le document. J'en distribue en ce moment. J'ai engagé le député de Maisonneuve comme conseiller juridique pour quelque temps pour voir...

M. BURNS: Vous avez de bons choix.

M. BOURASSA: ... s'il ne pourrait pas donner ses commentaires. A première vue, il semble que c'est la loi générale qui s'applique, le code civil sur les promesses de vente, avec les implications et les engagements que cela comporte pour le débiteur et le créancier. Je pense qu'on aura l'occasion de l'examiner plus à fond pour voir si ce n'est pas le cas.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: M. le Président, il est évident qu'aussi brillant que je puisse être, je ne peux pas faire de commentaires sur ce document-là dès à présent. Comme j'en ai avisé le premier ministre tantôt au nom de mon groupe parlementaire, et sachant que, parmi les personnes disponibles à rencontrer la commission, il y a M. Francoeur et ses conseillers juridiquess — et je crois comprendre également que M. Francoeur a des documents à déposer auprès de la commission — je suggère à la commission qu'après que le député de Saint-Jacques aura parlé — il m'a informé tantôt qu'il lui reste encore quelques questions à l'endroit soit du ministre d'Etat, le député de Marguerite-Bourgeoys, soit à l'endroit du premier ministre — nous écoutions la présentation de M. Francoeur ou de ses conseillers juridiques ou les deux et surtout que nous recevions les documents qu'ils ont à déposer et que, par la suite, la commission ajourne ses travaux à une date ultérieure, le plus près possible, mais qui nous permettrait de prendre connaissance des documents qu'on déposera.

Je dois dire également d'un même souffle, au nom de mon parti, que nous aurions cru que M. Francoeur serait peut-être le dernier chafnon à examiner dans toutes ces tractations relativement à la vente du Soleil. Mais comme M. Francoeur est présent, comme M. Francoeur est disponible, on n'est pas pour faire un chichi de

procédure ou quoi que ce soit et insister pour qu'il revienne à une autre date. Cependant, je pense que M. Francoeur et ses conseillers juridiques s'attendent à être rappelés éventuellement devant la commission une fois que nous aurons eu l'occasion de prendre connaissance des documents qu'il s'apprête à déposer. Ce serait notre façon de voir le problème.

Je ne sais pas si le gouvernement voit ça de la même façon, mais ça pourrait se faire sans que les travaux de la commission soient, en ce sens, mis au rancart pour des semaines et des mois à venir. En ce qui nous concerne, lors d'une prochaine séance, je suis en mesure de dire immédiatement que nous aimerions bien entendre l'un des frères Gilbert, celui qui semblera être le porte-parole le plus complet ou disponible pour les deux. Il me semble que ce soit M. Guy Gilbert qui ait fait les tractations; moi, je n'ai pas de préférence, mais un des deux, peut-être les deux s'ils pensent qu'ils doivent se compléter. Egalement, nous aimerions entendre M. Paul Desmarais... C'est M. Guy Gilbert, je pense? Alors, M. Guy Gilbert. Nous aimerions aussi entendre, lors d'une prochaine séance, M. Péladeau et finalement, nous aimerions bien entendre M. Yves Ryan... Claude, Claude Ryan.

M. BOURASSA: ... respectable dont parlait le député de Saint-Jacques? C'est lui qui a été traité de traître par votre chef?

M. BURNS: Ecoutez, c'est une autre affaire. C'est notre chef qui a dit ça?

M. BEDARD (Chicoutimi): C'est une manière convenable de le dire.

M. BURNS: M. Claude Ryan, tout le monde le reconnaît comme une autorité en matière journalistique, alors il aura sans doute un certain nombre de choses à nous dire. Pour le moment, ce seraient les personnes que nous aimerions entendre et, si cette façon de procéder est acceptable au gouvernement, on est entièrement prêt, après que le député de Saint-Jacques aura posé quelques questions au ministre, à écouter M. Francoeur et recevoir les documents qu'il a à déposer.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je ne sais pas si on peut avoir une réponse tout de suite quant à la façon de procéder que vient de proposer le député de Maisonneuve.

M. BOURASSA: On va réfléchir quelques instants.

M. CHARRON: D'accord ! Je continuerai les quelques questions qui me restent en direction du ministre responsable du dossier. Le ministre, cet après-midi, à propos de ce docu- ment qui est maintenant devant nous, pour une bonne partie en tout cas, nous mentionnait que, pour sa part, dans l'entendement du mandat qu'il avait reçu du premier ministre, peu lui importait le contenu de ce document puisqu'il se sentait doté du pouvoir de l'annuler complètement parce que son intention était ferme et arrêtée, M. Desmarais n'avait été prévenu que Power Corporation ne deviendrait pas propriétaire du journal Le Soleil.

Je le signale simplement à l'intention du ministre avant d'abandonner cette partie de la discussion, c'est contraire aux affirmations très catégoriques que l'éditorialiste et directeur du Devoir, M. Claude Ryan, faisait dans un article publié le 12 janvier. Je ne demande pas au ministre de le nier ou quoi que ce soit; M. Ryan vient d'être invité par le parti de l'Opposition à nous rencontrer, il aura donc l'occasion de nous expliquer pourquoi il avait écrit ce texte. Mais je termine cette partie de la discussion, dis-je, en citant exactement l'article de M. Ryan pour que le ministre comprenne bien pourquoi nous avons posé ces questions.

Je cite M. Ryan: "Devant les pressions qui se multipliaient contre l'acquisition du Soleil par Power Corporation, M. Desmarais avait consenti, en novembre, à se désister de son droit d'option sur le Soleil en faveur d'un groupe d'institutions comme celui que voulait susciter M. Robert Bourassa. Il avait cependant conservé soigneusement le billet signé par les frères Gilbert et confié à des collaborateurs qui ne voulaient pas entendre parler d'un groupe où Québécor ou M. Péladeau serait présent. M. Desmarais considère M. Péladeau — toujours selon M. Ryan — comme son plus dangereux concurrent dans le domaine de la presse et il n'a pas caché le déplaisir que lui causerait la vente du Soleil à son rival."

Devant des affirmations aussi catégoriques, claires et sans aucune nuance de la part d'un homme aussi respectable que le directeur du Devoir, qui, de toute façon, a été impliqué dans le dossier, nous aurons l'occasion de le voir lorsque nous discuterons avec lui, mais à la demande même, je crois, du ministre d'Etat, M. Ryan avait participé à une, sinon à plusieurs séances d'exploration quant à l'avenir du quotidien Le Soleil. Est-ce que j'ai tort de dire que c'est à l'invitation du ministre lui-même ou du premier ministre que M. Ryan s'est trouvé directement ou indirectement mêlé à la transaction?

M. LALONDE: M. le Président, mêlé à la transaction, qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que le député se réfère à la réunion à laquelle il aurait participé?

M. CHARRON: A laquelle?

M. LALONDE: A la réunion à laquelle il aurait participé?

M. CHARRON: Oui.

M. LALONDE: Alors il ne s'agit pas de transaction, il s'agit d'une réunion.

M. CHARRON: Oui, d'accord, mais j'ai dit: La réunion portait sur quoi? Elle portait sur la transaction éventuelle du Soleil.

M. LALONDE: En effet, M. Ryan avait été invité par personne interposée à se joindre à un groupe de personnes qui exploraient les avenues possibles en vue de former un groupe; en fait il a assisté à une réunion à laquelle j'étais présent; il y a peut-être eu d'autres réunions mais...

M. CHARRON: Y a-t-il eu d'autres occasions? Par téléphone ou...

M. LALONDE: Je lui ai parlé une fois, après cela.

M. CHARRON: D'accord. De toute façon, ces renseignements nous sont communiqués par le directeur du Devoir lui-même.

Maintenant, reprenons là où nous en étions, c'est-à-dire à l'examen du projet de consortium que vous avez essayé d'échafauder à une solution de rechange à la mainmise que voulait faire Power Corporation sur le journal.

Vous aviez informé, m'aviez-vous dit, catégoriquement, fermement, c'est le mot que vous avez employé tout à l'heure, M. Desmarais que le gouvernement n'allait pas laisser Power Corporation le prendre.

M. LALONDE: Excusez-moi, M. le Président, je ne pense pas avoir dit que j'avais informé M. Desmarais.

M. CHARRON: Le premier ministre semble l'avoir fait.

M. BOURASSA: On peut s'amuser trois mois là-dessus. Mais j'ai dit ce que j'avais dit à M. Desmarais et je n'ai rien à ajouter.

M. CHARRON: Vous avez dit à M. Desmarais que le gouvernement ne laisserait pas Power Corporation prendre le contrôle.

M. BOURASSA: J'ai dit que la politique du gouvernement était de ne pas favoriser la concentration de la presse par l'achat du Soleil. Je l'ai dit publiquement et je l'ai dit privément.

M. CHARRON: Cela sous-entendait que si Power Corporation avait fait l'entente, c'était favoriser la concentrationn.

M. BOURASSA: Les faits ont corroboré ce que j'avais dit.

M. CHARRON: J'en conviens. Pour l'étape actuelle de la discussion, cela va. Moi, j'en suis encore à vous demander, et je m'aperçois que le repos n'a pas éclairci la réponse que vous me donnez à cette question depuis que je la pose: Est-ce que M. Desmarais avait été formellement informé, comme semble en avoir été formellement convaincu le ministre d'Etat lorsqu'il disait: Moi je m'en fous de ce qu'il pouvait y avoir dans le papier. De toute façon cela n'allait pas s'appliquer.

M. BOURASSA: Le député, s'il était en cour — là, il fait son avocat — ne se rendrait pas au premier but avec ce genre de questions. Evidemment, on est patient, tolérant.

M. BURNS: Evidemment, vous n'êtes pas juge.

M. BOURASSA: ... on est démocrate. On est extrêmement démocrate dans toute cette question M. le Président, pour passer des heures à répondre à des questions, plus ou moins pertinentes, du député. Je lui ai répondu six fois, je pourrais lui répondre une septième fois. J'ai dit, le soir de l'élection, que j'étais prêt à faire siéger des commissions parlementaires, à répondre à toutes les questions avec le maximum d'ouverture d'esprit et de patience, et je ne vois pas pourquoi le député insiste tellement quand les faits, les déclarations publiques ont démontré clairement la volonté du gouvernement. Si le député lit attentivement le document que j'ai distribué tantôt, il va voir combien cela a coûté aux frères Gilbert le fait que Power Corporation n'ait pas acheté le Soleil.

M. CHARRON: Bien. Nous verrons cela avec les frères Gilbert, si vous voulez. Je veux demander au ministre son projet de consortium. Plus il a donné de réponses et plus nous fouillons ce domaine, plus on s'aperçoit qu'on n'en est jamais venu de très près à échafauder cette solution. Est-ce que j'ai tort?

M. LALONDE: Oui, vous avez tort. M. le Président, le député a tort. Je ne pense pas qu'on puisse mesurer la proximité à laquelle on s'est approché d'une solution. Je pense qu'après avoir réuni 40 p.c. chez les frères Gilbert, 20 p.c. à la Caisse de dépôt et encore 20 p.c. formés d'investisseurs plus modestes, il ne nous restait qu'à recevoir le consentement ou l'approbation de l'Union régionale.

C'est aussi près que cela que nous sommes arrivés à la solution désirée.

M. CHARRON: Vous maintenez qu'il ne s'est agi, en fin de compte, que de l'hésitation qui durait, je l'admets, de la part du mouvement Desjardins pour que l'offre globale soit faite d'un consortium qui remplacerait Power Corporation?

M. LALONDE: Si on situe le problème dans le temps, on peut parler d'hésitation. Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que nous sommes arrivés si près de réussir qu'il nous manquait, en

fait, un accord de principe d'un des membres projetés du consortium. Il ne faut quand même pas oublier que, durant cette période, il nous est arrivé la nouvelle à l'effet que les frères Gilbert avaient changé d'idée et ne désiraient plus y participer. Je me refuse d'attacher la responsabilité à l'institution financière qui n'avait pas encore donné son accord, mais c'est un concours de circonstances que j'ai décrit, je crois, assez clairement, cet après-midi.

M. CHARRON: Moi, je crois être en mesure de dire que je partage une opinion qui dit que la pierre d'achoppement a plutôt été du côté des actuels propriétaires du Soleil.

M. LALONDE: C'est une question d'opinion. Vous avez droit à votre opinion.

M. CHARRON: D'accord. Cette opinion, je la tire de deux affirmations qui me semblent assez importantes et qui ont été lancées dans tout le débat. La première vient encore de la même citation, soit de M. Ryan, qui affirme, et je le cite à nouveau: "L'appui des frères Gilbert au projet de M. Bourassa ne fut jamais enthousiaste." Là-dessus, vous m'avez donné raison tout à l'heure. Vous avez donné raison à M. Ryan, plutôt. Loin d'être enthousiaste, ajoute le premier ministre. "Il aurait fait place à l'hostilité pure et simple, à compter du jour où des voix, comme celle de M. Jean-Marie Poitras, président de la Laurentienne, demandèrent que les institutions invitées à participer à l'achat du Soleil soient assurées de pouvoir compter sur au moins 50 p.c. des actions. Cette condition modifiait sensiblement le rôle d'arbitre qui aurait été dévolu, selon le projet initial, à un homme comme M. Claude Pratte qui devait détenir environ 10 p.c. des actions et dont les liens avec Power Corporation et la Banque Royale du Canada sont connus du public."

Cette interprétation de M. Ryan, qui a participé de près ou de loin à cette transaction, est-elle fondée, à votre avis?

M. BOURASSA: M. Ryan n'est pas participant à cette transaction.

UNE VOIX: M. Pratte l'a avoué dans une discussion.

M. BOURASSA: Quelles tractations?

M. LALONDE: C'est une hypothèse que l'auteur a faite. Je pense qu'on devrait demander aux véritables auteurs de ces décisions si c'est exact ou non.

M. CHFRRON: Vous avez été impliqué dans le dossier.

M. BOURASSA: Quatre sur cinq questions du député sont des questions d'opinion. On pourrait refuser de répondre à la plupart de ses questions. On essaie d'y répondre mais, dans certains cas, on ne peut quand même pas se substituer aux frères Gilbert. Même si, sur quatre questions sur cinq, on pourrait refuser de répondre, on essaie quand même de le faire, mais il y a des cas où on ne peut pas se substituer aux frères Gilbert. C'est à eux de répondre à de telles questions.

M. BURNS: Ce que le député vous demande, c'est votre connaissance de la situation. Vous avez été présent tout au long de cette affaire.

M. CHARRON: Je demande un fait. Je ne demande pas une impression. Je demande au ministre responsable du dossier ceci: Est-ce que le fait que raconte M. Ryan dans cet article, qu'il invoque comme étant la principale raison qui fait choir le projet de consortium, est-ce que ce fait vous est connu ou si...

M. LALONDE: Quel fait?

M. CHARRON: ... il n'y a que M. Ryan qui le savait? Le fait qu'à compter du jour où M. Jean-Marie Poitras a demandé que les institutions invitées à participer à l'achat du Soleil soient assurées de pouvoir compter sur au moins 50 p.c. des actions. Est-ce que cela est vrai qu'un jour M. Poitras, de la Laurentienne, a demandé que les institutions aient un contrôle de 50 p.c? Vous étiez responsable du dossier? Est-ce que vous vous rappelez cela?

M. LALONDE: M. Poitras ne m'a jamais dit qu'il avait changé d'avis simplement parce que M. Pratte — je crois que c'est le monsieur que vous mentionnez dans l'article — aurait un pourcentage.

M. CHARRON: Mais êtes-vous au courant que, entre le jour où la Laurentienne s'est dite intéressée à participer au consortium, son opinion ait changé et qu'un jour elle ait posé cette condition?

M. LALONDE: Je n'ai pas l'article devant moi mais si vous vous référez au fait que M. Pratte aurait 10 p.c, quoique à ma connaissance, il n'y avait qu'un engagement à 5 p.c, je ne vois pas le rôle d'arbitre que M. Pratte aurait eu si, comme nous l'avions projeté, les frères Gilbert avaient eu 40 p.c, M. Pratte, 5 p.c. rattaché ou non au groupe Power Corporation, et des institutions financières ayant le solde des actions, c'est-à-dire 55 p.c. C'est ce qui me fait dire que les 10 p.c. que je vous entends lire dans cet article a), c'est une hypothèse que je ne connais pas.

M. CHARRON: C'est une autre hypothèse. C'est plus loin dans l'article.

M. BOURASSA: M. le Président, j'invoque le règlement. Si on veut discuter toutes les hypo-

thèses qui ont été envisagées, les 5 p.c. les 10 p.c. les 20 p.c, le débat n'aura plus de fin.

M. CHARRON: M. le Président...

M. BOURASSA: Je ne sais pas où veut en venir le député...

M. CHARRON: Non, M. le Président, vous allez voir où je veux en venir. Je veux en venir à un seul point, soit de faire la lumière, non seulement sur l'ensemble de la transaction et des intérêts qui veulent maintenant être propriétaires de ce quotidien, mais aussi de l'action du gouvernement à l'intérieur de cela. Je pense que c'est d'intérêt public de voir si tout cela a été tout simplement une figuration pour personnages intéressés ou si fondamentalement il y avait des choses sur lesquelles cela a achoppé, la cause de qui. Je pense que c'est dans notre intérêt de savoir. Cela nous fait ensuite comprendre qui est le nouveau propriétaire du Soleil. J'ai demandé un fait, je n'ai pas demandé 10 p.c. ou 12 p.c, je ne joue pas sur les pourcentages. J'ai demandé au premier ministre s'il se souvenait qu'un jour la Laurentienne a posé une condition nouvelle à son entrée dans le consortium. Si vous ne vous en rappelez pas, dites: Non, je ne m'en rappelle pas. On demandera à M. Ryan s'il s'en souvient.

M. LALONDE: Ce n'est pas une question, je ne m'en rappelle pas du tout. Vous posez une hypothèse qui vous est transmise par un article d'un journal.

M. CHARRON: Oui.

M. LALONDE: Je ne connais comme hypothèse sérieuse dans le projet de formation d'un groupe qu'une participation de 5 p.c.

M. LESSARD: Si vous me permettez, ce que le député de Saint-Jacques tente de souligner, ce n'est pas une hypothèse; on vous demande si M. Poitras de la Laurentienne a exigé un jour ou l'autre de contrôler 50 p.c. des actions.

M. LALONDE: Je vous ai dit cet après-midi — j'espérais que les quelques heures de dîner auraient porté fruit — que le projet de groupe dont nous avions rêvé, comprenait une participation importante, mais minoritaire, d'un capital de risque qui inclurait le "management". Idéalement, c'étaient les frères Gilbert, parce qu'ils connaissent la boîte, et ils auraient pu continuer à administrer le Soleil. L'ordre de grandeur de leur participation a varié dans notre esprit, au cours de nos conversations, de 25 p.c. à 40 p.c. Ce qui veut dire que nous considérions toujours les institutions financières comme étant majoritaines. C'est toujours dans cet esprit, à compter de la première réunion à laquelle M. Ryan a assisté, que nous avons posé des balises.

M. CHARRON: Si je comprends bien, vous construisiez sur du sable mouvant parce que le principal...

M. LALONDE: C'est l'opinion du député. M. CHARRON: J'ai le droit de l'exprimer. M. LESSARD: Je crois que...

M. LALONDE: On n'aurait pu rien faire aussi.

M. CHARRON: Cela peut permettre à des gens de penser que, en fin de compte, vous saviez d'avance que la base n'était pas solide et l'important c'était l'image de l'extérieur.

M. BOURASSA: C'est faux.

M. CHARRON: Cela permet à des gens de le penser. J'ai le droit de donner cette opinion.

M. BOURASSA: Ils peuvent penser n'importe quoi, mais j'ai le droit...

M. CHARRON: La base, les 40 p.c...

M. BOURASSA: ... d'invoquer le règlement et de rappeler les gestes que j'ai posés comme gouvernant, gestes qui peuvent être discutés par beaucoup de personnes.

M. CHARRON: ... comme gouvernement... M. BOURASSA: Exactement.

M. CHARRON: C'est exactement ce que nous sommes en train d'expliquer. Un des gestes a été de monter devant le public l'image d'un consortium qui serait en train de se faire.

Mais quand on examine vraiment comment il était en train de se faire, on s'aperçoit qu'il se faisait beaucoup moins qu'on pensait.

M. BOURASSA: J'ai communiqué avec les caisses populaires, et j'espère que le député de Rouyn-Noranda va comprendre, j'espère que le député se rend compte des risques politiques pour un chef de gouvernement en poste d'inviter des associations qui ont leurs propres responsabilités vis-à-vis des épargnants à investir des sommes dans une entreprise où il y a des risques certains. J'espère que le député est conscient des risques politiques qui ont été pris à cette fin-là et que j'ai pris pour éviter la concentration de la presse.

M. CHARRON: Vous n'étiez pas le seul à les inviter à ce moment-là.

M. BOURASSA: J'ai été celui qui était le plus susceptible de les influencer.

M. CHARRON: C'est bien sûr, et c'est ce que des tas de gens vous demandaient.

M. BOURASSA: Pas tous.

M. CHARRON: La question que j'étais en train de poser, c'est que lorsqu'on regarde comme il faut ce projet de consortium, il y avait de tous et de chacun une participation très hypothéquée, si on veut. Chacun y mettait beaucoup de conditions, la Caisse de dépôt, par exemple, qui s'est dite intéressée à participer dès le moment où elle a été appelée à faire l'évaluation. Le premier ministre, dans son intervention à l'ouverture des travaux, nous a dit que c'était lui qui avait communiqué auprès de la Caisse de dépôt et placement. Ce n'est donc pas la Caisse de dépôt qui avait signalé d'elle-même son intérêt à participer.

M. BOURASSA: II n'y avait pas d'enthousiasme là non plus.

M. CHARRON: II n'y avait pas d'enthousiasme là non plus, voilà donc. D'autre part, la Caisse de dépôt dit avoir dit oui au consortium simplement le 10 janvier, soit...

M. BOURASSA: IL y a eu une déclaration publique du président de la Caisse de dépôt...

M. CHARRON: Le 10 janvier.

M. BOURASSA: ... bien'avant cela. Je crois que, dans le Soleil du 17 ou 18 décembre, il y a eu une déclaration publique du président de la caisse de dépôt confirmant l'engagement de la caisse mais disant que les documents écrits seraient reportés à plus tard.

M. CHARRON: Nous nous efforcerons de la retrouver mais, — et on ne croit pas en manquer — dans tous les détails, la seule sortie publique de la Caisse de dépôt disant oui au consortium date du 10 janvier, soit deux jours avant l'annonce de la transaction qui est désormais sur la table. D'autre part, reprenons les autres participants. La Laurentienne y allait à 5 p.c. mais on voit que c'est discutable comme idée puisque M. Ryan, qui a participé à une réunion, probablement que la Laurentienne y était, fait état que la Laurentienne y avait mis des conditions, soit le contrôle majoritaire. Donc, participation, encore une fois, hypothétique. M. Ryan dit 10 p.c, je prends la parole du ministre, je dis 5 p.c., on ne bâtit pas un consortium avec 5 p.c. comme participation assurée.

M. BOURASSA: II y en avait 80 p.c. là, il y en avait 80 p.c. avec les caisses populaires.

M. CHARRON: On n'a jamais eu de réponse des caisses populaires. C'est le ministre qui vient de me le dire. On n'en a pas encore.

M. BOURASSA: Si les caisses avaient accepté, cela faisait 80 p.c.

M. CHARRON: Si les caisses avaient accepté, cela faisait 20 p.c., mais...

M. BOURASSA: Cela faisait 80 p.c. avec la Caisse de dépôt et les frères Gilbert, mais là où vous avez raison...

M. CHARRON : Laissez-moi terminer.

M. BOURASSA: Laissez-moi vous donner raison sur un point.

M. CHARRON: M. le Président, il aura l'occasion de me répondre complètement.

M. BOURASSA: Je veux lui donner raison et il ne veut pas.

M. CHARRON: Je trace le tableau à partir des informations que vous m'avez données jusqu'ici. Quel était donc le projet de consortium? Je reprends, ce qui permettra au premier ministre de reprendre lui aussi. La Caisse de dépôt et placement s'est dite publiquement intéressée en date du 10 janvier, c'est publié dans le Soleil...

M. BOURASSA: Je regrette, c'est inexact. M. CHARRON: ... du 11 janvier.

M. BOURASSA: C'est inexact. Demandez donc à vos recherchistes de regarder dans Le Soleil de la semaine du 18 au 24 décembre.

M. CHARRON: D'accord, on va le retrouver. La Laurentienne a posé des conditions à un moment donné quant à sa participation. Les Caisses populaires n'ont jamais donné de réponse positive ou négative.

Une réunion où elles devaient se prononcer n'a pas eu lieu à cause du mauvais temps. Mais jamais les 20 p.c. n'étaient assurés. Quant à l'autre partie, la plus importante...

M. BOURASSA : Je suis obligé de rectifier le député. Il y a eu deux réunions...

M. BURNS: Ecoutez, je ne veux pas invoquer le règlement, M. le Président, mais le premier ministre intervient tout le temps. Il sait, il devrait savoir que l'article 96 lui permet de rectifier des faits mais uniquement après. Qu'il ne s'énerve pas...

M. BOURASSA: Est-ce que le député a fini ma consultation juridique?

M. BURNS: Oui, je vais lui donner une opinion, ce ne sera pas long.

M. CHARRON: Quant à l'autre partie, la plus importante, elle n'a jamais été acquise, soit les 40 p.c. des frères Gilbert. Jamais. Ils étaient loin d'être enthousiastes. Quant on le regarde

comme il faut, ce projet qui a failli être une entente et dont s'excuse, à la toute dernière minute, le gouvernement, on voit qu'il y avait loin de la coupe aux lèvres et que ça prendrait beaucoup de temps avant de le réaliser. C'est le plus loin où vous êtes allé, à mon avis. Des frères Gilbert, vous avez eu, jusqu'à la mi-décembre, un consentement réticent à conserver 40 p.c. Et puis, soudainement, me dit le ministre, dans la première semaine complète de janvier, c'est ce qu'il a dit cet après-midi, M. Gilbert m'informe qu'il avait changé d'idée. Vlan!

M. LALONDE: Ce n'est pas jusqu'à la mi-décembre, à ce moment-là, c'est jusqu'au début de janvier, à la première semaine complète de janvier.

M. CHARRON: Jusqu'à la première semaine complète de janvier, c'est ce que j'ai dit. Je vous cite, je l'ai pris en note, mot à mot, cet après-midi. Il vous a informé qu'il avait changé d'idée, vlan! il y a 40 p.c. qui viennent de s'en aller. Les caisses populaires n'ont jamais répondu en deux réunions convoquées une après l'autre. Vlan! Il y a 20 p.c. qui viennent de s'en aller. La Laurentienne posait une condition de contrôle qu'il ne semblait pas possible de satisfaire, soit le contrôle par les institutions publiques. Vlan ! 5 p.c. qui viennent de dételer. J'ai beau fouiller dans les documents, la seule affirmation publique...

M. BOURASSA: Comment épelez-vous vlan?

M. BURNS: Vlang.

M. BOURASSA: D'accord, c'est pour les gens de la transcription.

M. CHARRON: ... la seule participation publique annoncée par la Caisse de dépôt et placement, je n'en ai pas une dans les coupures de journaux qui remontent avant le 11 janvier. C'était ça, le projet de consortium auquel le ministre avait été appelé à travailler.

M. LALONDE: M. le Président, je ne sais pas si je devrais répondre...

M. BOURASSA: On ne s'est jamais pété les bretelles avec le consortium.

M. CHARRON: Oh! Je m'excuse. Oh! Je m'excuse.

M. LALONDE: Je ne sais pas si je devrais répondre à une description aussi défaitiste que celle que le député de Saint-Jacques vient de faire. Naturellement, si toutes les entreprises du député de Saint-Jacques ou de son parti sont faites sur cette base, il n'y a pas à être surpris des résultats des dernières élections. Quand on essaie de former un groupe, il n'y a rien d'acquis. On essaie d'intéresser les gens et, au lieu de s'asseoir et de ne rien faire, ce qui aurait été la solution de la facilité à laquelle on s'est refusé, on a fait des démarches, des consultations et nous avons obtenu l'accord de principe d'à peu près 80 p.c. L'accord de principe veut dire que, lorsque nous aurons complété les 100 p.c, on réunit tous ces gens autour d'une table et maintenant on parle de conditions, de clauses spéciales, de contrôle, etc. Naturellement, il ne s'agissait pas de se faire d'illusion.

Il faut quand même revenir, je crois, malgré les écarts que l'Opposition s'est permis, M. le Président, avec votre grande patience, le mandat du gouvernement — il faut quand même le dire sérieusement — était premièrement d'empêcher l'accélération de la concentration de la presse, ce qui a été fait avec une fermeté qui ne s'est pas démentie et, deuxièmement, de rechercher la formation d'un groupe de la région de Québec, ce que, avec une certaine audace, on s'est appliqué à faire. Les contraintes d'argent et de temps ne nous ont pas permis de réussir assez tôt pour prévenir la vente du Soleil à une autre personne. Je pense que le gouvernement n'a pas à rougir de son action.

M. CHARRON: D'accord, c'est parfait. Ce n'est pas la conclusion, j'espère que vous n'avez pas pensé conclure avec cela.

M. BOURASSA: Non.

M. LALONDE: Au contraire du député de Saint-Jacques, j'attends à la fin pour conclure.

M. CHARRON: Très bien. Ce que je veux vous demander maintenant...

M. BOURASSA: J'espère que votre stratégie politique est mieux préparée que cela. Je comprends votre défaite du 29 octobre.

M. CHARRON: Je veux demander au ministre responsable: Quand a-t-il entendu parler pour la première fois, au moment où il travaillait sur ce solide projet de consortium de l'entrée en scène d'UniMédia, propriété de M. Jacques Péladeau?

M. LALONDE: Je crois avoir dit, et je suis prêt à répéter patiemment ce soir, que vers la mi-décembre, M. Francoeur m'a appelé pour m'offrir à participer dans le groupe, offre que j'ai accueillie avec un certain optimisme parce que, justement, nous recherchions une participation minoritaire mais substantielle — comme je l'ai dit cet après-midi — d'un groupe ou d'une entreprise qui pouvait réunir et le capital de risque, c'est-à-dire quelque chose comme plusieurs millions de dollars et le "management", la connaissance. Alors j'ai reçu cette offre vers la mi-décembre, quelques jours plus tard, probablement au cours de la semaine suivante, au

cours d'une conversation, M. Francoeur ou son adjoint a rectifié cette offre en disant: Nous avons examiné les implications fiscales, elles ne nous permettent pas d'acheter cela parce que...

M. BOURASSA: Ils ne peuvent pas déduire les intérêts...

M. LALONDE: Ils n'auraient pas pu déduire les intérêts d'un emprunt fait à cet effet, des revenus, de sorte qu'au point de vue financier cela n'avait pas de sens.

M. BOURASSA: M. Péladeau a invoqué la même raison.

M. LALONDE: C'est la même raison.

M. CHARRON: D'accord, c'est la raison financière dont vous avez fait mention.

M. LALONDE: Au cours de cette conversation ou au cours d'une conversation ultérieure, M. Francoeur ou son adjoint m'a dit qu'il avait l'intention de faire une offre, qu'il était à rechercher les appuis nécessaires à la banque et qu'il avait l'intention de faire une offre, ce sur quoi je l'ai mis en garde et je me répète, je m'excuse devant les membres de la commission et devant tous ceux qui sont ici...

M. CHARRON: D'accord, vous n'avez pas besoin de répéter, c'est la partie que je voulais avoir. C'est vers la fin de décembre que vous avez donc été informé par M. Francoeur qu'il allait faire une offre?

M. LALONDE: Non, je regrette, c'est, je pense, dans la semaine du 7 décembre. Je crois que c'est avant Noël.

M. CHARRON: Avant Noël. D'accord! Avez-vous été mis au courant du moment où M. Gilbert a de nouveau contacté M. Péladeau de Québécor pour reprendre les négociations en vue d'une transaction qui était, à cause de l'écart, tombée morte à l'été?

M. LALONDE: Non, les négociations ou les échanges entre les actionnaires et Québécor ont été faits hors de ma connaissance. J'ai eu l'intuition, à un moment donné, au début de janvier, que Québécor faisait des approches, ou l'inverse, pour le Soleil, mais je n'ai pas été tenu au courant de cela.

M. CHARRON: N'étiez-vous pas au courant également que l'offre de M. Péladeau, dans la première semaine complète de janvier, était dotée d'une espèce de date limite à laquelle M. Gilbert...

M. LALONDE: Je l'ai lu comme vous, dans le...

M. CHARRON: D'accord! Tout cela vous a échappé autrement dit... La conclusion de la transaction vous a échappé.

M. LALONDE: Naturellement parce qu'il faut encore répéter, peut-être pour le bénéfice de la commission et du député de Saint-Jacques, que le gouvernement n'avait pas le contrôle des actions, que les actions de cette compagnie sont propriété privée et que les propriétaires avaient le droit — comme le député de Rouyn-Noranda le soulignait fort justement — de s'en départir et d'en disposer, suivant les lois du pays.

Sauf au cas où une telle disposition aurait affecté l'intérêt public, à l'égard duquel nous étions assez vigilants.

M. CHARRON: D'accord. Est-ce qu'on peut tirer comme conclusion que...

M. BOURASSA: Vous pourrez tirer les conclusions que vous voudrez!

M. CHARRON: Je vous demande, est-ce que je peux tirer comme conclusion...

M. LALONDE: Si vous me demandez une permission, je ne sais pas...

M. BOURASSA: II fera sa conférence de presse après.

M. CHARRON: Est-ce que je peux tirer comme conclusion...

M. LALONDE: Ce n'est pas la première que vous tirez ce soir.

M. CHARRON: Non, j'en ai tiré quelque-unes cet après-midi, en effet...

M. LALONDE: Oui et vos conclusions ne m'ont pas impressionné jusqu'à maintenant.

M. CHARRON: Je vous demande si je suis dans la vérité lorsque je tire comme conclusion que vous n'êtes à l'origine, ni de la dernière offre Péladeau, ni de l'offre Francoeur quant à l'achat global du Soleil.

M. LALONDE: A l'origine, vous voulez dire quoi? Est-ce que j'en ai eu connaissance ou que je l'ai causée?

M. CHARRON: Vous l'avez incitée, suscitée. M. LALONDE: Non, je ne l'ai pas suscitée.

M. CHARRON: Quand avez-vous été mis au courant de l'offre de M. Péladeau? Par les journaux, m'avez-vous dit tout à l'heure?

M. LALONDE: Par l'article de M. Ryan.

M. CHARRON: Et quand avez-vous été mis au courant de l'offre de M. Francoeur?

M. LALONDE: Au cours de certaines conversations, j'avais eu connaissance que M. Fran-coeur avait des intentions, à un point tel que, comme je l'ai dit ce matin, vers la fin de décembre j'ai pris la liberté d'appeler M. Ouellet, de l'union régionale, un homme qui, d'après les journaux, s'était plaint qu'on avait fait trop de pressions sur lui. Alors j'avais une certaine hésitation à l'appeler mais je pensais qu'il était de mon devoir de le faire pour d'abord m'informer du résultat d'une réunion qui, je croyais, avait eu lieu la veille, mais elle n'avait pas eu lieu, c'était la deuxième qui avait été remise. Je me suis permis de lui dire qu'on n'était pas seul dans la course; s'il vous plaît, faire le plus vite possible. Cela était, je crois, le 28 décembre.

M. CHARRON: D'accord.

M. LALONDE: Parce que je connaissais l'offre. M. Francoeur m'avait tenu au courant qu'il avait l'intention de faire une offre. Maintenant, quand il a fait une offre signée, je ne le sais pas.

M. CHARRON: D'accord.

M. LALONDE: Aucune loi ne le forçait à me soumettre d'avance l'offre qu'il aurait faite.

M. CHARRON: Puisque vous étiez le parrain d'un consortium qui allait donc, vous le savez maintenant, avoir un nouveau rival sur la ligne, étiez-vous au courant du montant qu'offrait UniMédia pour, justement, regrouper de votre côté un montant qui soit tout le moins égal pour être...

M. LALONDE: Dans les détails, non; dans l'ordre de grandeur, je crois qu'il m'a parlé de $8 millions, oui. Un ordre de grandeur.

M. CHARRON: D'accord. Et lorsque M. Francoeur vous a avisé qu'il était sur le point de déposer une offre globale pour l'achat du Soleil, nous avez-vous dit cet après-midi comme le premier ministre, vous l'aviez prévenu qu'il aurait probablement à venir prouver son indépendance par rapport à Power Corporation. Mais vous n'avez pas demandé à M. Francoeur de vous le prouver à vous sur-le-champ. Vous n'avez pas eu à examiner...

M. LALONDE: Sur cela, M. Francoeur m'a affirmé au moins une fois...

M. BOURASSA: On a pris sa parole.

M. LALONDE: ... au téléphone qu'il était prêt, n'importe quand, à venir devant la commission et à affirmer qu'il agissait pour lui-même et non pas pour Desmarais.

M. CHARRON: La question que je pose n'est pas pour vous porter préjudice du fait que vous avez pris la parole de M. Francoeur, c'est une question d'information. Autrement dit, je veux savoir si, avant que nous prenions connaissance des documents que vont nous déposer les témoins tout à l'heure, vous en avez déjà eu une connaissance ou si les documents sont tout à fait neufs aussi bien pour vous que pour nous.

M. LALONDE: Je pense que, si vous avez bien écouté la réponse à la dernière question de votre confrère, le député de Chicoutimi, juste avant l'ajournement, j'ai dit que j'avais pensé, à un moment donné, demander les documents, mais j'ai cru qu'il vallait mieux, étant donné qu'il y avait eu une décision du gouvernement de convoquer la commission, que tous les membres de la commission prennent connaissance des documents en même temps.

M. BOURASSA: II y avait des rumeurs qui circulaient depuis quelques jours déjà sur...

M. CHARRON: Ce sera, M. le Président, ma dernière question. J'en ai une toute dernière.

M. BOURASSA: Vous avez l'air d'aimer votre spectacle.

M. CHARRON: Quand vous avez avisé M. Francoeur qu'il aurait à venir à la convocation de la commission parlementaire, lui avez-vous demandé non seulement d'apporter les documents qui éclaireraient la transaction du 12 janvier, soit l'achat du Soleil, mais aussi d'autres auparavant, en particulier celle du 10 août 1973 où doit dater dans l'histoire la division des intérêts de Trans-Canada et de la Société générale de publication?

M. LALONDE: Je lui ai demandé, lors de mes dernières communications avec lui, d'apporter tous les documents pertinents pouvant démontrer son indépendance ou sa dépendance de M. Desmarais.

M. CHARRON: Bien, M. le Président, j'ai fini avec le ministre responsable.

LE PRESIDENT (M. CorneUier): Maintenant que le député de Saint-Jacques a terminé ses questions, nous pourrions demander à M. Francoeur ou à ses représentants s'ils ont des commentaires à faire ou des documents à présenter. Si vous voulez vous identifier au moment de prendre la parole.

M. MICHAUD: M. le Président, messieurs les membres de la commission, j'aimerais tout d'abord comparaître comme procureur de M. Jacques Francoeur. Nom nom est Pierre Mi-chaud. Je suis accompagné, comme vous le savez déjà, de M. Francoeur dont je vous confirme la disponibilité comme témoin et je suis également accompagné de mon associé, Me Claude Ducharme.

Avant que ne débute le témoignage de M. Francoeur, j'aimerais déposer pour les membres de cette commission, deux cahiers de documents. Le premier cahier contient tous les documents concernant la transaction intervenue entre UniMédia, d'une part et les frères Gilbert, d'autre part, concernant l'acquisition du Soleil. Le deuxième cahier contient tous les documents concernant la transaction intervenue avec les journaux Trans-Canada, à laquelle a fait allusion tantôt le député de Saint-Jacques.

Ce deuxième cahier, comme vous l'aurez constaté, est plutôt volumineux. Avec le peu de temps qui a été mis à notre disposition, il nous a été physiquement impossible de préparer copie de ces documents pour chaque membre de la commission. Nous aurions aimé le faire, mais cela nous a été impossible.

Je dépose immédiatement les premier et deuxième cahiers à cette commission. Je vous signale que le deuxième cahier comprend les documents ayant trait à la transaction intervenue avec les journaux Trans-Canada, transaction qui a été complétée le 20 novembre 1973, mais qui faisait suite à une entente annoncée le 10 août 1973.

Egalement, pour faciliter votre travail, comme il nous a été impossible de vous donner copie de tous les documents, nous avons pensé qu'il vous serait utile, comme document de travail, de vous remettre un résumé de chaque document qui est produit devant vous.

J'ai ici une copie de ce résumé à l'intention de tous les membres de la commission. Il y a un résumé pour tous les documents concernant le deuxième cahier et, également, pour le premier.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Pour distribution immédiate, Me Michaud, si je comprends bien, vous avez un résumé de chacun des cahiers.

M. MICHAUD: Voilà.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Mais les cahiers comme tels, vous n'en avez pas de copie.

M. MICHAUD: Je n'en ai qu'un seul exemplaire à remettre à la commission, malheureusement. Comme je l'ai expliqué tantôt, on croyait qu'on passerait à 3 heures, cet après-midi. Si on avait su qu'on ne passerait qu'à 9 heures, ce soir, probablement qu'on aurait été en mesure de vous remettre tous ces documents, mais, malheureusement, nous ne le savions pas.

M. LALONDE: La majorité, non plus.

M. MICHAUD: Egalement, M. le Président, avec votre permission — et toujours pour faciliter votre tâche — nous avons préparé à votre intention trois organigrammes. J'ai, une fois de plus, copie pour chaque membre de la commission de chaque organigramme, qui pourrait être distribuée immédiatement, je présume.

LE PRESIDENT (M. CorneUier): Certainement, oui.

M. MICHAUD: Si vous me le permettez, M. le Président, je vais résumer ce qu'indiquent ces trois organigrammes. Est-ce que vous croyez préférable que j'attende que la distribution ait été complétée avant de l'expliquer?

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Oui, si vous voulez attendre, Me Michaud. Je crois que cela serait préférable pour les membres de la commission.

M. MICHAUD: Vous comprendrez qu'après l'attente que nous avons eu à subir, nous brûlons du désir de dire ce que nous avons à dire.

M. VEILLEUX: De rétablir les faits.

M. CHARRON: Pendant que nous en sommes au dépôt du document, nous serions intéressés, pour les besoins de la cause, à avoir également — je ne sais pas, je pose la question avant de savoir ce qui est contenu là-dedans — tous les documents impliquant de quelque façon quelque compagnie que ce soit, propriétaire d'UniMédia et propriétaire de Power Corporation ou d'une de leurs filiales.

M. MICHAUD: Vous avez tout cela devant vous.

M. FRANCOEUR: Pour préciser, ce sont tous les documents me concernant avec les journaux Trans-Canada au moment de la division. Je n'ai pas inclus, parce que je ne les ai pas, des documents qui ne concernent pas des transactions au moment de la séparation. Tout ce qui est disponible, tout ce qui implique UniMédia dans ses relations avec Trans-Canada est là.

M. CHARRON: Et avec d'autres compagnies, propriétés de Power Corporation?

M. FRANCOEUR: II n'y a rien. M. CHARRON: II n'y a rien.

M. FRANCOEUR : II n'y a aucune transaction, il n'y a pas de problème.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Et pour le bénéfice des membres de la commission, le secrétaire des commissions verra à faire faire des copies des deux cahiers qui ont été déposés et ces cahiers seront adressés à chaque membre de la commission dans le plus court délai.

Me Michaud, si vous voulez procéder à l'explication de vos organigrammes.

M. MICHAUD: Le premier organigramme indique la situation juridique des intérêts que la

famille Jacques Francoeur contrôlait à l'été 1973, soit avant la transaction intervenue avec les journaux Trans-Canada. Le deuxième organigramme indique cette même situation mais après la transaction intervenue avec les journaux Trans-Canada, et le troisième indique la situation présente.

Si vous me permettez, j'aimerais vous référer...

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Vous pouvez procéder, Me Michaud.

M. MICHAUD: ... tout de suite à l'organigramme no 3 qui est celui qui indique la situation présente. Pour dégager l'essentiel, disons tout d'abord que M. Jacques Francoeur et d'autres membres de sa famille détiennent la totalité du capital-actions de la compagnie Les Placements JGF inc., qui à son tour détient la totalité du capital-actions de la Société générale de publication Inc., qui à son tour détient la totalité du capital-actions de UniMédia Inc. Et c'est cette dernière qui a effectué la transaction avec Le Soleil Ltée. L'organigramme vous indique les autres corporations contrôlées par les intérêts de la famille Francoeur.

Si vous regardez maintenant l'organigramme no 1... Vous n'avez pas encore l'organigramme no 3; c'est celui que je viens d'expliquer.

UNE VOIX: On l'a.

M. MICHAUD: II y a peut-être eu un manque dans la distribution. Si vous voulez, en attendant qu'on vous fasse parvenir votre copie, vérifiez avec vos voisins. Nous allons épargner du temps. Si vous regardez l'organigramme no 1, vous verrez qu'avant la transaction avec les journaux Trans-Canada, la Société générale de publication détenait, entre autres, 33 1/3 p.c. des actions des journaux Trans-Canada Ltée. Le reste des actions de cette corporation était détenu par la compagnie Gesca ltée. Vous avez la liste des compagnies qui étaient détenues ou contrôlées par les journaux Trans-Canada Ltée.

Je dois vous souligner tout de suite que l'organigramme n'indique pas qu'en plus des corporations dont les noms sont là, il y avait également le journal Le Nouvelliste de Trois-Rivières et La Tribune de Sherbrooke. Vous pourriez peut-être ajouter...

M. LALONDE: C'était dans les journaux Trans-Canada.

M. MICHAUD: C'est cela.

M. LALONDE: Le Nouvelliste et...

M. MICHAUD: La Tribune de Sherbrooke et le Nouvelliste de Trois-Rivières.

M. LALONDE: La Voix de l'Est?

M. MICHAUD: La Voix de l'Est, de Granby.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Dans l'organigramme no 1, le Nouvelliste de Trois-Rivières et la Voix de l'Est de Granby.

UNE VOIX: En avez-vous d'autres M. Mi-chaud?

M. MICHAUD: Non, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): M. le député de Maisonneuve.

M. BURNS: C'est parce qu'ils ne sont pas importants, ceux-là?

M. MICHAUD: Non, je vais vous dire ce pourquoi on l'a pas indiqué, c'est que justement, à l'organigramme no 2, qui situe cet état de choses après la transaction avec les journaux Trans-Canada, vous allez voir que le Nouvelliste et la Tribune n'ont pas fait partie de la transaction. En d'autres mots, je vais vous résumer cette transaction, si vous me permettez. La Société générale de publication a vendu à Gesca tous ses intérêts dans les journaux Trans-Canada. Cette transaction apparaît dans le cahier no 2 et dans le résumé que je vous ai donné, vous l'avez également. Je peux vous dire tout de suite que cette vente a eu lieu pour $2,500,000. La Société générale de publication a, par la suite, souscrit $2,500,000 dans la compagnie UniMédia Inc., qui, à son tour, a acquis les actifs des journaux Trans-Canada autres que Le Nouvelliste. La Tribune et La Voix de l'Est. C'est pour cela que nous ne l'avions pas indiqué sur l'organigramme.

Cette transaction dont vous avez une copie de la convention dans le cahier no 2, je vous la résume, parce que vous avez vu l'épaisseur du document, juste pour vous donner l'essentiel, cette transaction, dis-je, s'est effectuée pour un prix de $6 millions dont $2,500,000 furent payés comptant et le solde garanti par quatre débentures, totalisant la somme de $3,500,000. Vous avez dans le cahier no 2, que je vous ai remis, toutes les conventions à ce sujet. Si vous me permettez, je vous réfère maintenant au cahier no 1, qui a trait à la transaction impliquant Le Soleil ltée. Je vais vous résumer cette transaction. Vous avez les contrats devant vous. D'abord, la convention est intervenue le 14 janvier 1974 avec paiement le 16 janvier. Vous avez les documents devant vous à ce sujet. Le prix de vente est de $8,425,080. Les termes de paiement: $5 millions furent payés comptant. Cette somme provient d'un emprunt auprès de la Banque canadienne nationale, lequel est accompagné des garanties habituelles et cette créance de la Banque canadienne nationale vient au premier rang. Les vendeurs détiennent un solde de prix de vente pour une somme de $3 millions, laquelle est également garantie par le nantissement en faveur des vendeurs d'une obligation prenant rang après la

créance de la Banque canadienne nationale et après la créance des journaux Trans-Canada, sauf en ce qui concerne les actions du Soleil.

En ce qui a trait aux actions du Soleil, la créance des vendeurs, MM. Gabriel et Guy Gilbert, prend rang avant celle des journaux Trans-Canada. Tous ces documents sont devant vous. Il reste un solde de $425,080, qui est payable en 1976; ce solde n'est pas garanti et représente le coût des actions privilégiées.

En définitive, c'est l'essentiel de ce que nous vous avons présenté, et je vous confirme tout de suite que M. Francoeur est à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudrez bien lui poser.

M. CHARRON: M. le Président, le député de Maisonneuve a déjà exprimé, dès l'ouverture de la commission, que nous préférons attendre, mais immédiatement je veux remercier M. Michaud, M. Francoeur et M. Ducharme d'avoir déposé ces documents. Ils comprendront que malgré l'exposé succinct que vient de faire M. Michaud, cela demande un examen et que, pour notre part, nous serons prêts à procéder à une réunion ultérieure de la commission comme, d'ailleurs, je pense, M. Francoeur en a déjà convenu avec vous.

M. LALONDE: M. le Président, nous n'avons aucune objection non plus à prendre connaissance des documents avant de pouvoir procéder plus tard à leur examen. Je dois remercier les personnes qui se sont déplacées d'avoir accepté l'invitation de la commission. Pour donner suite à la suggestion du député de Saint-Jacques, est-ce qu'il y aurait lieu d'ajourner les travaux sine die jusqu'à ce qu'on ait terminé...

M. CHARRON: Je n'ai aucune objection, mais il serait peut-être mieux que nous nous entendions pour fixer une date parce qu'on a signalé l'intention d'entendre d'autres témoins et de les aviser pour une date bien précise. Je crois que si nous devons déplacer des hommes aussi importants que MM. Ryan, Desmarais, Péladeau et Gilbert...

M. BURNS: Entre autres.

M. CHARRON: ... entre autres, oui, il serait bon que nous fixions une date et que le secrétaire des commissions les avise que c'est l'intention de la commission de les entendre.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Le député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: J'ai l'impression qu'à la prochaine réunion de la commission parlementaire de la liberté de la presse, étant donné le temps qui sera alloué pour cette première réunion, les personnes qui se sont déplacées aujourd'hui auront suffisamment de matière pour répondre aux questions pendant une séance. J'abonde dans le sens du député de Marguerite-Bourgeoys à l'effet que la commission ajourne ses travaux sine die, compte tenu qu'on ne sait pas le temps que prendra le secrétariat de la commission pour imprimer les documents, les briques qui ont été déposées cet après-midi.

M. BOURASSA: M. le Président, je n'étais pas là. Disons que j'aimerais qu'on puisse libérer M. Francoeur pour quelques semaines. Je sais qu'il doit, comme tout le monde, prendre ses vacances dans quelques jours et... Peut-être ne pas fixer une date tout de suite mais si on pouvait dire à M. Francoeur...

M.,FRANCOEUR: M. le premier ministre, si vous me permettez, j'ai compris, d'après certaines déclarations de certains députés, qu'on préférait que je vienne après tout le monde. Est-ce que c'est bien le consensus du comité? Moi, cela m'est absolument égal. Ce soir, je peux peut-être répondre à certaines questions qui vont faire du déblayage. Si vous préférez attendre, c'est comme vous voulez.

M. BURNS: C'est peut-être une de mes remarques, M. Francoeur, qui a provoqué cette compréhension. J'ai dit que pour nous, logiquement, à notre point de vue, vous auriez été la personne à entendre à la toute fin. Cependant, comme vous étiez disponible, qu'on avait compris que vous vouliez déposer des documents et que cela nous prendrait aussi un certain temps pour examiner ces documents, on s'est dit: Pourquoi ne pas profiter de l'occasion, M. Francoeur et ses procureurs étant présents? Mais je n'en faisais pas une condition sine qua non. Nous, on trouvait que logiquement, vu que vous êtes le dernier chaînon de cette série de tractations, vous auriez été la dernière personne à être interrogée. Je n'en fais pas une condition sine qua non.

M. FRANCOEUR: C'est le privilège de la commission.

M. BURNS: C'est une suggestion que je faisais beaucoup plus qu'autre chose. Maintenant, c'est évident que la volumineuse documentation que vous nous avez soumise, il faudra l'examiner. Quant à l'ajournement sine die, M. le Président, je n'ai pas d'objection à ce que ce soit fait sine die, mais j'aimerais bien, de la part du gouvernement, au moins un engagement moral que la commission siège dans un délai assez rapproché.

Tantôt, j'entendais des dates telles que la mi-février, ce n'est quand même pas tellement éloigné. Si c'est ça, j'ai l'impression...

M. BOURASSA: Le prochain qui pourrait venir donner des informations, c'est M. Gilbert. Est-ce que ça veut dire que M. Francoeur est libéré pour un bon bout de temps, au mini-

mum? On ne peut pas y aller plus qu'une journée par semaine.

M. BURNS: On peut peut-être y aller deux jours par semaine, ce n'est pas un gros problème. C'est une suggestion qu'on vous fait, on est même prêt à exiger plus souvent que ça.

M. LALONDE: II me semble que nous devrions vider la transaction avec M. Francoeur et ses conseillers, et c'est seulement après avoir vu le dessin, le tableau qui nous sera présenté qu'on pourra décider quels autres témoins la commission a besoin d'entendre pour se satisfaire complètement. Je suggérerais qu'on ajourne les travaux sine die avec comme intention d'entendre M. Francoeur comme prochain témoin, ce qui nous mène... d'après ce que je comprends, M. Francoeur, vous êtes libre, à la fin de février.

M. FRANCOEUR: Fin de février, début de mars.

M. LALONDE: Le 26 février, est-ce que...

M. BURNS: M. le Président, est-ce que je peux poser une question? J'ai mentionné tantôt déjà quatre personnes que nous aimerions entendre. Quand je nomme ces quatre personnes, MM. Gilbert, Desmarais, Péladeau et Ryan, ce n'est pas limitatif en ce qui nous concerne mais pourquoi... Moi, je suis bien d'accord pour qu'on dise à M. Francoeur: Vous avez autre chose à faire d'ici au mois de mars, alors faites-le et bonne chance dans ce que vous allez entreprendre. Mais, entre-temps, pourquoi ne pas demander à MM. Gilbert, Desmarais, Péladeau et Ryan de venir nous voir?

M. BOURASSA: Pourquoi faire comparaître MM. Ryan et Péladeau? On amène tout le monde comme si c'était l'affaire du siècle alors que c'est une transaction d'un journal.

M. BURNS: Ce qu'on veut savoir, M. le Président, ce sont tous les téléments de cette affaire qui se répartissent déjà sur une période de six mois et plus.

M. LALONDE: J'ai de la difficulté à saisir...

M. BURNS: Vous allez admettre que M. Gilbert serait drôlement intéressant dans cette optique.

M. LALONDE: Intéressant, naturellement, mais j'ai de la difficulté à saisir la logique de continuer un travail sérieux sans avoir terminé l'examen de M. Francoeur. Je vous dis seulement après l'avoir vu...

M. BEDARD (Chicoutimi): Le témoin principal de M. Bourassa...

M. LALONDE: Je ne vois pas comment on peut...

M. BURNS: Je vous ai dit tantôt, M. le ministre...

M. LALONDE: Lorsque la commission a été convoquée pour examiner la vente du Soleil à UniMédia, comment peut-on logiquement examiner d'autres témoins que le premier témoin, l'acheteur? L'examen de l'acheteur ne peut pas...

M. BURNS: Et le vendeur n'est pas intéressant?

M. LALONDE: Etant donné que toute la perspective dans laquelle cet examen se fait — c'est la concentration de la presse — ce n'est sûrement pas le vendeur, il n'y a plus de journaux.

M. BURNS: On est intéressé à savoir, M. le ministre, voyons donc, ne soyez pas aussi obtus que ça...

M. LALONDE: J'appelle ça de la logique.

M. BURNS: Vous avez l'air d'être poigné dans un coin de 30 degrés de largeur. Ecoutez, s'il vous plaît !

M. BOURASSA: On se détend, M. le Président.

M. LALONDE: II ne faut pas être nerveux, le député de Maisonneuve...

M. BOURASSA: Le député de Saint-Jacques nous a donné un bon spectacle, on l'a laissé faire.

M. BURNS: Je suis bien moins nerveux que vous autres, je suis plus reposé que vous autres, à part ça. J'ai ça de mon côté.

M. BOURASSA: Vous avez eu un coup de soleil vous aussi.

M. BURNS: Je veux tout simplement vous dire ceci. C'est tout à fait de mise. Je pense que ce serait normal et je l'ai indiqué tantôt. C'est notre point de vue en tout cas que, entre-temps, si M. Francoeur n'est pas disponible avant le mois de mars, on entende d'autres personnes. Cela ne nous empêche pas, parallèlement, d'examiner la documentation qui nous a été soumise ce soir. Il n'y a rien qui nous empêche de faire ça. Cela fera avancer les choses.

Moi, je vous suggère, en tout cas, vers la mi-février, de tenir une séance pour entendre au moins M. Gilbert.

M. BOURASSA: Disons que je pourrais communiquer avec le député de Maisonneuve la semaine prochaine. On va prendre connaissance des documents et on pourrait s'entendre sur la procédure.

M. BURNS: D'accord, mais j'ai un engagement moral de la part du premier ministre, qui ne...

M. BOURASSA: II doit y avoir une autre réunion.

M. BURNS: ... veut pas faire traîner cette affaire. Nous non plus d'ailleurs.

M. BOURASSA: Non, je ne vous blâme pas. Evidemment le gouvernement a d'autres chats à fouetter que cela actuellement.

M. BURNS : Oui, mais on ne peut pas dire que, actuellement, vos commissions encombrent énormément nos agendas.

M. BOURASSA: C'est parce que nous avons voulu donner une chance aux députés.

M. LALONDE: L'Opposition était en vacances.

M. BURNS: Vous savez, s'il n'y avait pas de commission, on ne pleurerait pas non plus, mais quand il y a du travail à faire, on est prêt à le faire.

M. BOURASSA: Là-dessus, je n'ai pas de reproche à faire au député de Maisonneuve, d'ailleurs je lui ai confié, moi-même, un travail tantôt dont j'attends le résultat.

LE PRESIDENT (M. Séguin): Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: M. le Président, je serai d'accord évidemment avec les membres de l'Opposition ainsi que le gouvernement pour reporter les travaux à un peu plus tard, si vous voulez, à une autre séance de la commission. Personnellement, j'aimerais que l'on ne perde pas de vue l'objectif, le pourquoi on est devant cette commission parlementaire. Il s'agit de déterminer si la vente du quotidien Le Soleil, en quelque sorte, constitue un danger de concentration des entreprises de presse. Quant à moi, en tout cas pour le moment, sous toutes réserves, ce qui m'intéresse est de savoir si la vente qui est là constitue ce danger qui est vu par d'autres peut-être.

Alors, dans ce sens, M. le Président, je ne voudrais pas qu'on en arrive à faire le procès de tous les autres aspirants acheteurs parce qu'il y a une vente qui est faite et si cette vente ne constitue pas un danger pour la concentration des entreprises de presse, pourquoi faire venir tous les autres qui ont fait des offres d'achat pour leur demander: Comment vous êtes-vous pris, vous, pour faire une telle offre d'achat, si vous vous étiez pris de telle autre façon, peut-être que vous auriez réussi à acheter plutôt que tel autre monsieur ou que telle autre entreprise?

Ce qui nous intéresse, nous, en tout cas, c'est de prendre les faits qui sont devant nous et de tenter, en étudiant ces faits, d'en arriver à des conclusions et, si on arrive à la conclusion, en ayant ces faits et les témoins qui sont disponibles, qu'il n'y a pas de danger pour la concentration des entreprises de presse, je pense qu'on ne serait pas justifié d'aller plus loin et de demander à d'autres gens de venir devant la commission.

Je pense que notre rôle, M. le Président, n'est pas de faire le procès des entrepreneurs ou des acheteurs qui auraient eu des idées ou des intentions d'acheter tel journal ou tel autre journal à un autre moment donné parce que, si on en arrive à cela, ce sera extrêmement difficile pour les entreprises, pour les gens qui veulent investir si, à l'avance, on leur laisse voir qu'à l'avenir il ne pourrait plus rien se faire dans l'entreprise privée sans que cela risque d'aboutir toujours à une commission parlementaire et que des transactions privées deviennent, en fait, des choses publiques.

Je comprends qu'il y ait, M. le Président, cette exigence du fait que le bien commun doit prôner. On comprend tout cela, mais si, à notre satisfaction — c'est sous toutes réserves que je le dis — on nous prouve que la présente transaction ne constitue pas un danger, moi, je ne vois pas, en tout cas, pourquoi on irait plus loin et on dérangerait d'autres personnes pour que la commission parlementaire, en quelque sorte — et cela, M. le Président, présente peut-être une espèce de danger — devienne une tribune pour ceux qui n'ont pas réussi à faire tel achat, tel jour ou telle semaine ou tel mois, que cela devienne une tribune pour que chacun vienne se vider,

Je pense, M. le Président, que ce n'est pas notre rôle à nous, en tant que membres d'une commission parlementaire, de permettre ces choses. C'est pourquoi je considère que nous devrions demander à M. Francoeur et à ses procureurs de revenir à un moment où il aura été permis à tous les partis d'Opposition et au gouvernement d'étudier les documents qu'on a déposés. Lorsque nous aurons pu les étudier et que chacun aura pu se faire une opinion, que ces gens reviennent devant nous pour que nous les interrogions, s'il y a lieu.

A la suite de ces interrogatoires, il y aura peut-être lieu — c'est pourquoi j'ai mis une réserve au tout début — de demander d'autres personnes. Mais, pour le moment, moi, je ne suis pas disposé à demander immédiatement d'autres personnes que celles qui sont impliquées. Parce que c'est une vente, c'est un achat que nous étudions. Pour ma part, je ne suis pas disposé à étudier toutes les tractations ou les

discussions qui ont eu lieu, qui ne concernent pas ce contrat en particulier.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: M. le Président, moi qui suis toujours prêt à accommoder tout le monde et à essayer de trouver une solution de compromis, je vous en suggère une. Je crois comprendre que le ministre d'Etat, le député de Marguerite-Bourgeoys n'est pas disponible, pour de bonnes raisons, dans les semaines qui viennent, mais je crois comprendre aussi qu'il sera disponible vers la mi-février. C'est pour cela que je suggérais la mi-février tantôt.

Si cela accommode tout le monde, et M. Francoeur et le ministre et les membres de la commission, je n'ai pas d'objection à ce qu'on reprenne vers la mi-février, avec M. Francoeur. C'est cela que je veux dire.

M. LALONDE: Je crois comprendre que M. Francoeur ne sera pas disponible avant le 26 février.

M. BURNS: C'est pour cela que je faisais la suggestion de continuer au moment où le ministre serait disponible, c'est-à-dire vers la mi-février, qu'on recommence avec d'autres personnes. J'en ai mentionné deux au moins ou quatre qu'on aimerait bien entendre. On s'avancerait à ce moment-là.

M. BOURASSA: On peut. Avez-vous demandé aux personnes que vous suggérez si vous êtes intéressés à les convoquer?

M. BURNS: La commission peut les convoquer, il n'y a pas de problème là-dessus.

M. BOURASSA: Je ne voudrais pas, M. le Président, que, simplement par le fait de venir témoigner ici, on puisse interpréter le témoignage de certaines personnes de toutes sortes de façons défavorables pour elles.

M. BURNS: Je suis convaincu, entre autres, que M. Gilbert ne se posera pas de problème. Il est au centre de toute cette affaire. Je vois mal M. Desmarais refuser de venir nous expliquer sa situation dans tout cela. Je vois difficilement M. Ryan qui a pris position publiquement, refuser de venir nous éclairer davantage. Je vois également difficilement M. Péladeau qui, à un moment ou à un autre, s'est trouvé à un croisement de chemins de ces transactions...

Ce n'est pas une question...

M. BOURASSA: M. le Président, je pourrais communiquer avec le leader parlementaire d'ici à une dizaine de jours; on aura pris connaissance des documents entre-temps. On s'entend pour faire la réunion le plus tôt possible, en tenant compte de la situation particulière de M.

Francoeur. Disons qu'on s'était entendu pour que...

Le plus tôt que vous pourriez revenir, M. Francoeur, c'est le 25 février?

M. FRANCOEUR: Pardon, M. le premier ministre?

M. BOURASSA: Le plus tôt que vous pourriez revenir, c'est le 25 février?

M. FRANCOEUR: Disons le 26; il peut y avoir un avion en retard.

M. BOURASSA: D'accord.

M. FRANCOEUR: Réunir une commission aussi nombreuse et impressionnante et ne pas être ici, ce ne serait pas...

M. BOURASSA: Je communique avec le leader parlementaire. Le chef parlementaire va être à Paris, comme le Devoir le disait, ce matin, aux Champs-Elysées ou à la Place Pigalle?

M. BURNS: Voulez-vous que je demande à quelle place va être le ministre dans les deux prochaines semaines, le ministre d'Etat?

M. BOURASSA: Non, mais...

M. BURNS: Est-ce que vous allez être à Paris, vous aussi, M. le ministre?

M. BOURASSA: C'est parce que c'était dans le journal, ce matin.

M. BURNS: Ah bon! C'est parce que...

M. BOURASSA: C'est pour cela que je me permets la question.

M. BURNS: J'ai été bien gentil tantôt. Remarquez, j'ai parlé de la non-disponibilité du ministre.

M. BOURASSA: J'ai trouvé cela dans le Devoir, ce matin.

M. BURNS: Si vous voulez ne pas être gentil, je suis bien capable de ne pas l'être, moi aussi, vous savez.

M. BOURASSA: Pardon, je pensais qu'il avait pris une résolution au début de l'année qu'il se choquerait moins souvent.

M. BURNS: J'ai essayé, mais là, vous faites exprès pour que je me choque.

M. LALONDE: Si personne n'est gentil, je peux rester disponible...

M. BOURASSA: Si j'insistais, c'est que c'était dans le journal Le Devoir, ce matin. Je

ne l'aurais pas fait si ce n'était pas dit dans Le Devoir que le chef parlementaire s'en allait en France.

On peut ajourner les travaux sine die et je communiquerai avec le député de Maisonneuve.

M. BURNS: Dès la semaine prochaine.

M. BOURASSA: Dès la semaine prochaine, je communiquerai avec le chef parlementaire...

M. BURNS: Non?

M. BOURASSA: Avec votre leader parlementaire. Ne me rappelez pas les divisions...

M. CHARRON: Cette décision du premier ministre, sans doute, devrait-elle être mise aux voix, rallierait l'ensemble de la commission, en fait, du côté ministériel? Je voudrais quand même qu'elle soit très claire au moment où on ajourne la séance. Il va y avoir une réunion o\i M. Francoeur viendra mais, malgré tout le respect que j'ai pour M. Francoeur et pour les vacances qu'il mérite, ce n'est pas une raison pour que la commission parlementaire, elle, soit en vacances. On ne m'a pas prouvé le désavantage net ou le préjudice qui se trouverait à être causé à une personne comme M. Francoeur du fait que, avant que nous entendions son témoignage à la suite de ses vacances, pendant cette intervalle, à cause de l'actualité de la question d'importance, nous ayons l'occasion d'entendre d'autres témoins. Je ne pense pas que M. Francoeur croie que ce serait lui porter préjudice que son vendeur, par exemple, M. Gilbert, dont il vient d'acheter le Soleil ou est en voie d'acheter le Soleil, vienne nous rencontrer pendant cette période, à partir de la mi-février.

Le ministre disparaît de la circulation, c'est amplement son droit, pour une dizaine de jours. Ce n'est pas une raison pour conduire la commission parlementaire du 29 janvier au 26 ou au 27 février, ce qui donne un mois. A partir du 13 ou du 14 février, les députés de l'Opposition, comme le ministre et comme les personnes, si on les convoque, cela leur donne un délai bien assez grand. Ce sont toutes des personnes qui ont un programme fort chargé mais, quand même, avec un délai aussi respectable...

M. BOURASSA: II faut penser à l'avenir. Il y a le comité de surveillance proposé par la Fédération des journalistes. Quand va-t-on en discuter? Quand on aura entendu tous les témoins suggérés par l'Opposition officielle?

M. CHARRON: Non, mais on pourra discuter justement avec les personnalités qui viendront.

M. BURNS: Vous avez peut-être trouvé cela long aujourd'hui, M. le premier ministre, mais la raison pour laquelle on a tâché de vider toutes les questions qu'on avait à vous adresser à vous et qu'on tâchait d'adresser au ministre d'Etat était justement pour ouvrir le chemin à des questions adressées à des témoins directement pour qu'on n'ait pas constamment, entre deux témoignages, à revenir à vous. Je ne vous dis pas qu'on ne vous posera plus de questions, mais le gros des questions vous a été adressé. Cette partie est libérée de sorte que cela devrait aller assez rapidement. Je vous soulignais, parmi les noms qu'il y a quand même M. Desmarais. Cela serait drôlement important qu'il vienne ici, parce que...

M. BOURASSA: II est prêt à venir.

M. BURNS: ... ce sont les liens avec Power Corporation qu'on est en train d'examiner.

M. BOURASSA: Si cela peut...

M. BURNS: Je ne pense pas qu'on retarde les travaux de la commission en entendant durant cette période, durant les quinze prochains jours, M. Desmarais, entre autres.

M. BOURASSA: J'ai prévenu M. Desmarais. Il est prêt à venir.

M. BURNS: De toute façon, j'attends la communication du premier ministre là-dessus, et cela me fera plaisir...

LE PRESIDENT (M. Cornellier): A la suite des remarques du premier ministre et de celles du leader parlementaire de l'Opposition officielle, la commission ajournera ses travaux sine die, en tenant compte que le premier ministre devra communiquer, dans les prochains jours ou dans une prochaine semaine, avec le leader parlementaire de l'Opposition officielle.

La commission ajourne donc ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 43)

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