(Onze
heures trente-six minutes)
Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant
constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs ouverte. Je vous souhaite la bienvenue. Je
demande à toutes les personnes dans cette salle de bien vouloir éteindre
la sonnerie de leurs appareils électroniques.
La
commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions
publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des
mineurs.
Mme la secrétaire,
est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire :
Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement.
Auditions (suite)
Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Ce matin, nous entendrons
Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx et le centre d'aide aux
victimes d'actes criminels, le CAVAC.
Je souhaite donc la
bienvenue à Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx. Je vous rappelle que
vous disposez de 20 minutes pour votre
présentation, et par la suite il y aura une période d'échange avec les membres
de la commission pour une durée de 25 minutes. Alors, mesdames, je
vous laisse vous présenter et faire votre exposé. Merci d'être là.
Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx
Mme Dubois
(Karine) : Mon nom est Karine Dubois.
Mme Proulx
(Catherine) : Mon nom est Catherine Proulx, je suis la réalisatrice du
documentaire.
Mme Dubois (Karine) : Je suis la productrice, mais j'ai également fait
la recherche du documentaire. On va faire une présentation qui est un
mélange de texte et des petits extraits vidéo. On commence tout de suite.
Depuis
quelques années, nous entretenons des liens avec une équipe d'intervenants liés
au CIUSSS—Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal. René-André Brisebois,
Nathalie Gélinas et Martin Pelletier nous ont souvent aidés à mieux comprendre
certaines problématiques liées entre autres aux jeunes contrevenants.
Il
y a plus d'un an, au détour d'une conversation, ils nous mentionnent qu'ils
travaillent avec un ex-proxénète qui a accepté de leur raconter comment il est
devenu pimp et comment fonctionne l'industrie de l'intérieur. Nous leur
demandons si nous pouvons avoir accès
à l'entrevue filmée. Après avoir réfléchi, ils décident de vérifier avec le
principal intéressé, qui accepte. Ce jeune, nous l'appellerons Kevin. Écoutons
un extrait de son entrevue.
(Présentation audiovisuelle)
Mme Dubois (Karine) : Cet enregistrement est resté fixé dans nos têtes : Montréal aime ça jeune,
mineur, 18, 19 ans. Nous venions d'ouvrir une porte vers le monde
de l'exploitation sexuelle.
Pour
mieux comprendre cet univers, nous sommes partis du témoignage de Kevin,
ex-proxénète, et nous avons avancé de
témoignage en témoignage au gré de nos recherches, un peu
comme si nous avions tiré sur un fil et que la réalité s'était
détricotée sous nos yeux. De cette démarche-là, on a tiré un podcast, des
vidéos, un documentaire. Aujourd'hui, on aimerait
vous parler de notre démarche de recherche ainsi que des réflexions qui nous
sont apparues suite à nos discussions avec différents protagonistes du
projet.
• (11 h 40) •
Avant
de commencer, on veut préciser qu'on est ici comme documentaristes. Le métier
de documentariste permet de fouiller des sujets et de les présenter au
public en y posant un regard personnel. Nous ne sommes ni spécialistes ni
chercheurs, mais notre travail est de poser une réflexion sur des enjeux de société.
Si
nous arrivons à plonger dans ces univers, c'est beaucoup grâce à la générosité
de nos alliés qui nous font confiance, grâce à toutes les personnes qui
acceptent de partager avec nous leurs vécus, même si ça implique parfois pour
eux de s'exposer à un grand risque, et finalement
grâce aux experts du sujet qui acceptent de vulgariser leur savoir. Toutes les
personnes qui nous ont aidées et dont nous ne pouvons nommer le nom, parce que
certaines personnes doivent garder l'anonymat, se retrouvent sur la liste en
annexe du mémoire.
Revenons au
tout début du projet Trafic. Après que Kevin nous ait dit à quel point Montréal
aime ça jeune, nous avons commencé à
poser des questions aux gens sur le terrain. Ce qui nous a intéressés d'abord,
c'est le triangle que forment le
proxénète, la victime et le client. Rapidement, nous avons réalisé que celui sur lequel nous
avions le plus de difficultés à récolter de l'information était le client.
Si tout le système d'exploitation sexuelle est mis en place, c'est pour répondre à ses besoins.
Pourtant, il reste le grand inconnu, celui dont on parle rarement dans les
médias. Même dans la littérature scientifique, très peu d'articles sont
consacrés à comprendre comment pense le client.
La
première question qui nous vient, quand on tire sur le fameux fil
pour tenter de comprendre, c'est : C'est qui, lui, le client qui aime ça jeune? Nous avons posé
cette question au SPVM, à des intervenants qui travaillent
auprès de victimes, à des danseuses,
à une ancienne propriétaire d'agence
d'escortes : C'est qui, lui? On aurait aimé croire qu'il s'agit de
dangereux pédophiles ou encore de
personnes aux désirs sexuels déviants. On aurait surtout aimé se faire dire
qu'il s'agit d'une minorité isolée.
Nos
discussions nous ont fait réaliser que le client, c'est M. Tout-le-monde. Il
n'a pas de classe sociale, de métier, d'âge ou d'origine ethnique
spécifique. Le client, c'est un collègue, un beau-frère, un père de famille, un
époux. Vous connaissez sûrement un client.
Ce que
les clients ont en commun, c'est de vouloir avoir des rapports sexuels avec une
jeune femme. Dominic Monchamp, lieutenant-détective
de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme au Service de police de la
ville de Montréal, nous l'a confirmé.
Certains cherchent spécifiquement des mineures. D'autres cherchent une fille
jeune et ne poseront pas de question pour vérifier si la fille qui est
devant eux est majeure.
La prochaine qui nous a intéressées,
c'est : Pourquoi il a besoin de ça?
Elle fait ça
pour payer ses études. Elle adore le sexe, je l'ai vue, elle adorait ça.
Pendant qu'elle est avec moi, elle n'est
pas avec des clients violents. Si elle est assez vieille pour avoir des
rapports sexuels avec son chum, pourquoi pas avec un homme? C'est moi
qui vais l'initier à la sexualité.
Il y a autant
de raisons de consommer des jeunes filles qu'il y a de clients. Celles que je
viens de vous nommer sont celles que le client s'invente pour s'assurer de
bloquer les mécanismes en lui qui pourraient lui dire que ce qu'il fait est
mal. On appelle ça de la distorsion
cognitive. Les psychologues que nous avons consultés nous ont expliqué que
c'est de cette façon que le client
minimise les gestes qu'il pose. Il fait taire sa conscience, ce qui lui permet
de pouvoir réaliser ses fantasmes sans culpabilité.
Les raisons qu'il ne mentionnera pas et dont il
n'est peut-être même pas conscient sont une faible estime de lui-même, la difficulté à entrer en contact, à
créer un rapport intime avec une femme, un besoin de dominer ou d'avilir, un
besoin d'avoir du pouvoir, un besoin de
réaliser les fantasmes qu'il ne peut pas réaliser avec sa femme, un besoin de
récréer dans la réalité ce qu'il voit dans la pornographie.
Ce que le
client ne voit pas non plus, c'est que la fille qu'il a devant lui doit
rapporter de l'argent. Beaucoup d'argent. Tout est mis en place pour que le client ne se rende pas compte qu'elle
est exploitée. Il aura donc devant lui une jeune femme souriante, attentionnée. Il la croira sûrement
avide de sexe. Tout ce que la fille fait pour faire croire au client qu'elle
apprécie le temps en sa compagnie, elle le fait aussi pour éviter les
violences physiques ou psychologiques des trafiquants qui l'exploitent.
Écoutons le témoignage d'une ex-victime pour
comprendre mieux la réalité vue de son point de vue à elle.
(Présentation audiovisuelle)
Mme Dubois
(Karine) : Une autre façon,
pour nous, d'en apprendre plus sur le client, ça a été d'essayer de vérifier
la demande en publiant une fausse petite annonce.
Encore une fois, on vous fait écouter un court
extrait qui résume l'expérience de la fausse petite annonce.
Le Président (M. Lafrenière) :
...
Mme Dubois (Karine) : ...
• (11 h 50) •
Le
Président (M. Lafrenière) : De consentement, on va pouvoir embarquer sur la période de questions? Consentement? Merci beaucoup.
Mme Dubois (Karine) : O.K., oui,
désolée. Combien de temps on a encore?
Une voix : ...
Mme Dubois
(Karine) : O.K. On
met la fausse petite annonce. C'est une jeune femme qui a déjà eu
une agence d'escortes, qui n'a jamais
fait travailler de mineurs, qui refusait de faire travailler des mineurs, mais
qui est habituée de dealer avec des
clients puis de répondre à des messages puis des petites annonces. On avait
besoin de quelqu'un qui savait comment s'y prendre. Donc, elle
a fait la fausse petite annonce avec nous.
Mme Proulx
(Catherine) : Et, même si
elle n'avait pas, elle, dans son agence, de mineurs, elle nous confirmait que fréquemment des clients demandaient pour
plus jeune, plus jeune.
(Présentation audiovisuelle)
Mme Dubois
(Karine) : Je vais vous
laisser prendre une petite respiration. Donc, cette expérience-là nous a
confirmé que, pour ces clients, que
la fille soit majeure ou non importe peu. Ils cherchent un service sexuel,
l'idée que ce service soit fourni par une mineure ne freine en rien
leurs pulsions.
Comme notre objectif
était de parler avec des clients qui auraient pris un pas de recul, nous avons
pensé explorer le filon des clients
judiciarisés. Nous pensons que des clients qui avaient été trouvés coupables et
qui avaient purgé une peine d'incarcération pour leurs délits auraient eu la capacité de poser
une réflexion sur leurs comportements ou, à tout le moins, de nous expliquer pourquoi ils avaient franchi
la ligne rouge en payant pour avoir des relations sexuelles avec une mineure. Ce que nous avions sous-estimé, c'est à
quel point ceux-ci se déresponsabilisaient totalement par rapport aux gestes qu'ils avaient
posés. En effet, dès le départ, le fait d'avoir été arrêtés dans le cadre
d'opérations policières qui utilisaient des fausses annonces leur donnait l'impression d'avoir été pris dans un
guet-apens. Les clients arrêtés se percevaient eux-mêmes comme des
victimes.
Les dossiers
consultés au plumitif comportaient un nombre étrangement élevé d'hommes pour
qui c'était la première fois et qui
ne savaient pas ce qu'ils faisaient ou encore qui ne faisaient que magasiner.
Pourtant, ils ont tous clairement accepté le fait que la jeune fille était mineure et se sont tous déplacés vers
une chambre d'hôtel, sachant très bien qu'ils rejoignaient, derrière la
porte, une adolescente.
• (12 heures) •
Entendons-nous,
Catherine et moi, on a traité de sujets de justice depuis 10 ans. On a
rencontré toutes sortes de criminels.
La majorité d'entre eux assumaient qu'ils avaient fait des mauvais choix et
prenaient conscience du tort qu'ils avaient
pu causer à leurs victimes. Chez les clients qu'on a contactés, rien de ça. Un
client nous a même dit : On culpabilise les clients, mais on ne
culpabilise pas les filles.
Cette
déresponsabilisation complète nous a frappées. Ces hommes ne s'étaient jamais
arrêtés pour réfléchir aux conséquences
de leurs gestes. Ils ne voulaient pas voir leur rôle dans tout le système
d'exploitation tricoté sur mesure pour répondre
à leurs désirs. Ils ne voyaient pas comment une adolescente qui a une douzaine
de relations sexuelles non désirées par
jour peut rester marquée pour la vie. Ils se construisent une fiction lourde de
conséquences, une fiction dans laquelle l'être humain devant eux n'a aucune espèce importance. Ils pensent que payer
donne le droit de tout faire, que l'utilisation du corps d'une femme a
un prix et qu'il suffit de payer ce prix pour le consommer.
À la lumière
des recherches menées dans le cadre du projet et des discussions avec les
différents protagonistes, nous aimerions vous soumettre quelques pistes
de réflexion.
Permettez-moi
d'abord de revenir à la bougie d'allumage de notre projet, Kevin, cet
ex-proxénète qui travaille avec Nathalie
et René-André, du CIUSSS—Centre-Sud. Si
Kevin a accepté de parler, c'est parce
qu'il a aujourd'hui une fille et parce qu'il a pris conscience de tout le mal qu'il
a fait. Il ne nous demande ni de pardonner ni d'excuser ses gestes. Ce
qu'il nous demande de dire publiquement pour lui aujourd'hui, c'est ce qu'il
pense de cet univers qu'il a quitté et les ressources
auxquelles il aurait aimé avoir accès, enfant et adolescent. Pour lui, une des
clés de la prévention serait l'éducation sexuelle. Comme il le disait, on ne t'apprend pas à respecter, on
t'apprend à diriger ta colère, mais on ne nous parle pas de sexualité : Je n'ai pas d'amour, je n'ai
pas d'affection, je n'ai pas d'amis qui m'apprennent c'est quoi, le sexe. Je ne
sais rien, moi. Je sais que pour
faire un enfant il faut fourrer une femme, mais ils ne nous parlent pas du
respect, on ne m'a rien appris de ça.
Depuis qu'on
parle davantage de prostitution juvénile dans les médias, on parle beaucoup de
protéger nos filles, de les informer
et de les mettre en garde, mais on oublie que nous avons aussi une
responsabilité, comme société, d'éduquer nos garçons. Parce que les proxénètes sont aussi nos garçons. Ils sont
issus de notre société, et nous devons nous demander, collectivement, comment nous pourrions mieux faire
les choses pour que moins de jeunes hommes en viennent à penser que le
proxénétisme est une forme de criminalité comme une autre.
Nathalie Gélinas, qui nous a présenté Kevin et
qui travaille depuis de nombreuses années auprès des jeunes contrevenants, nous faisait remarquer que les
pimps, comme les filles, se font vendre un rêve. Ils se font, eux aussi,
recruter par d'autres pimps. Que
peut-on faire pour éviter que nos garçons deviennent des proxénètes? Kevin
tenait à ce que je vous parle de
l'importance de l'éducation sexuelle, de l'éducation sexuelle au plus jeune
âge, alors que plusieurs enfants intègrent déjà des comportements qui
les suivront toute leur vie.
Aujourd'hui,
c'est tellement facile de passer du fantasme à la réalité. Il suffit d'ouvrir
un onglet de plus sur notre ordinateur.
Sur une fenêtre, on écoute de la porno; sur l'autre, on se commande une fille.
S'il n'y a pas d'autre forme d'éducation sexuelle que celle que les
jeunes trouvent par eux-mêmes en ligne, ne nous étonnons pas que l'exploitation
sexuelle puisse leur sembler une avenue à considérer.
Il faut offrir
aux jeunes un espace pour parler du consentement, parler de ce qu'ils voient
quand ils regardent de la porno sur Internet, parler de comment se
respecter et respecter sa partenaire dans une relation sexuelle. On ne le
redira jamais assez, l'éducation sexuelle
doit être au coeur de nos priorités, et elle doit être portée par des gens
pleinement compétents en la matière,
des gens qui ont la capacité de trouver les bons mots pour ouvrir une
discussion importante avec nos jeunes.
L'éducation
sexuelle doit également trouver sa place dans les endroits où se retrouvent des
jeunes qui commencent leur carrière
criminelle. Je pense ici, entre autres, aux centres jeunesse. Plusieurs jeunes
contrevenants se retrouvent en centre
jeunesse après avoir commis un délit grave. Peu de jeunes se retrouvent en
centre jeunesse pour proxénétisme. Par contre,
un certain nombre de jeunes qui s'y trouvent côtoient ce type d'activité et
seront peut-être intéressés à devenir pimps dans un avenir rapproché. Un jeune en centre nous a déjà fait remarquer
que c'était particulièrement intéressant de devenir pimp, puisqu'il y avait beaucoup moins de chances
de se faire prendre, et que la fille, contrairement à la drogue, est une
marchandise qu'on peut revendre plusieurs fois.
Nous pensons donc
que les centres jeunesse pourraient se doter d'un programme costaud d'éducation
sexuelle destiné aux jeunes contrevenants, et ce, peu importe la nature
de leur délit. Je sais que mes collègues du CIUSSS travaillent présentement sur le programme ACTES,
spécifiquement conçu pour faire la prévention du proxénétisme auprès des jeunes
contrevenants.
En ce qui
concerne les clients, on peut faire toutes les activités de répression
possibles, on peut faire des opérations d'envergure, il faut agir en amont. Il faut que les générations futures
d'hommes changent de mentalité et réalisent que c'est absurde de briser des vies et de laisser se
construire tout un système d'exploitation hautement lucratif pour le crime
organisé, simplement
pour assouvir leurs fantasmes. Et, dans la mesure où nous avons réalisé, dans
nos recherches, qu'une majorité de
clients appartient davantage au profil M. Tout-le-monde qu'à celui du pédophile
déviant pour qui il s'agit d'une maladie, il faut aussi croire que, si on arrive à le rejoindre, on pourra le
faire évoluer dans sa réflexion et surtout lui faire porter la
responsabilité qui lui revient dans ce grand gâchis de vies humaines.
Déshumaniser
ces hommes, les voir comme des monstres ou les classer aux côtés des pires
délinquants sexuels en se contentant de les juger ne réglera en rien la
situation. Si on veut agir sur la demande, il faut arriver à se mettre à la
place du client, comprendre ce qui le
motive à franchir la ligne rouge et comprendre comment il arrive à se
convaincre que c'est normal et sans
conséquence, comprendre aussi quoi dire pour les amener dans une zone où ils
accepteront de se responsabiliser et de remettre en question leurs
agissements.
Pour
y arriver, il faut travailler sur plusieurs fronts. D'abord, une campagne de
sensibilisation destinée à un large
public pour faire changer les mentalités et
diminuer le nombre de clients potentiels. Je pense entre autres à une campagne télévisée de
publicité sociétale frappante abordant de front l'exploitation sexuelle pour faire
changer les mentalités, un peu comme ça a déjà été fait pour l'alcool au
volant ou la violence conjugale.
Je crois aussi que la
sensibilisation des hommes passera fort probablement par les hommes. Ce sont
dans des conversations entre hommes que les clients
actuels ou futurs ont le plus de chance de parler de leurs comportements
sexuels. Ramenons-nous à l'alcool au
volant. Ça prend quelqu'un pour dire au chauffeur en état
d'ébriété de ne pas prendre sa voiture, quelqu'un pour l'affronter et
lui enlever ses clés. Qui seront les hommes qui auront le courage d'aborder le
sujet dans une conversation avec des amis?
Finalement, dans le
cas du client également, il faut réfléchir aux meilleures façons de travailler
sur le front de l'éducation sexuelle. Dans le cadre de notre projet, nous nous
sommes intéressés au «john school», au travail de centres d'intervention en délinquance sexuelle comme celui
de Laval qui offrent des thérapies aux hommes, le plus souvent après imposition d'une sentence de la cour, aux thérapies
offertes dans des établissements de détention provinciale. Nous n'avons
pas de réponse toute faite à vous donner, mais les intervenants et spécialistes
de ces programmes pourraient sans doute grandement contribuer à élaborer
d'éventuels programmes. Voilà.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, madame, pour votre présentation.
On va passer maintenant à la période
d'échange. Je vais demander d'être très bref. On a plusieurs, plusieurs
questions en peu de temps. Et je vais commencer avec une petite question
très rapide pour vous, puis on va essayer d'y répondre rapidement.
Vous
vous êtes qualifiées vous-mêmes de néophytes, et on est très heureux de vous
avoir aujourd'hui parce que, justement,
vous n'étiez pas des spécialistes dans le milieu. Mais je sais que vous avez
été particulièrement, j'étais pour vous dire, touchées ou même choquées
par certaines choses que vous avez découvertes dans votre travail. Pouvez-vous
nous partager ce que vous avez vécu comme personnes qui ne connaissaient pas le
milieu?
Mme Proulx
(Catherine) : Rapidement, c'était un sentiment d'impuissance. C'est
quelque chose qu'on n'a pas envie de
voir, mais qu'une fois qu'on a vu on ne peut plus faire comme si on ne l'avait
pas vu. C'est vraiment... Puis plus j'avançais
dans ma démarche, j'avais besoin de solutions, mais il n'y avait pas beaucoup
de monde pour me donner des solutions,
à part... Puis c'était ça, c'était de croiser des gens, puis tout le monde
faisait le même constat, il y avait des anciens proxénètes qui faisaient le même constat que la police, des gens du
milieu et des experts. Tout le monde semblait voir la même chose. Puis plus j'avançais, plus je voyais
l'ampleur du problème et plus je me sentais impuissante, dans le fond.
Puis ça a été ça.
Je
savais qu'avec le documentaire je n'allais pas nécessairement trouver des
solutions, mais qu'on allait peut-être pouvoir
soulever un peu de poussière sous le tapis pour qu'on puisse... Je ne
connaissais pas cet univers-là, puis une fois... après avoir plongé dedans, je me suis dit : Bien, il faudrait que
tout le monde puisse voir ça puis qu'on défasse un peu, des fois, des idées toutes faites qu'on a aussi. Je
n'avais jamais pris le temps de réfléchir à ça. Quand Ashley m'a dit qu'elle
doit faire 2 000 $ par
jour, que c'est des... Tu sais, on parle de 10, 20 clients, c'est... On ne
se projette pas à ce point-là, comment ça
peut être difficile quand les clients appellent pour commander une fille. C'est
déstabilisant de voir à quel point on ne parle pas d'un être humain. On commande quelque chose. Et la chose en
question a des critères. Si la personne répond aux critères, tout est
beau.
Donc,
je pense que ça, c'était le... ce manque d'humanité un peu, là-dedans, de
dire : Tout ça est construit autour d'un fantasme, mais on oublie
que c'est des êtres humains, puis tout le monde oublie ça. Le proxénète, même
les filles elles-mêmes, je pense, oublient
la valeur qu'elles ont là-dedans. Tout le monde est pris là-dedans. Puis
souvent je me suis dit : Et le
client, le pimp, la jeune fille, tout le monde aurait besoin du coup de main
là-dedans parce que, là, c'est comme si le fantasme sexuel prend toute la place. Il y en a qui y voient une
possibilité de faire de l'argent, il y en a qui sont prises là-dedans,
puis c'est extrêmement triste, en fait.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.
• (12 h 10) •
M. Leduc :
M. le Président, moi, je suis profondément marqué par votre travail que vous
avez fait. Je l'avais écouté quand on
a appris qu'il allait y avoir une commission. C'est ma conjointe qui m'avait
suggéré d'écouter ça. On l'écoutait sur
la 20 en s'en revenant en famille avec la petite en arrière, puis c'était
quelque chose, de conduire, d'écouter ça puis de la voir dans le rétroviseur en train de dormir. Je l'ai d'ailleurs tout
de suite recommandé aux collègues dans les premières rencontres. Puis je
pense que vous avez fait vraiment une oeuvre utile pour la société. Ça fait que
je veux vous remercier fondamentalement.
Moi, il y a
deux choses qui me marquent dans l'écoute puis votre témoignage. D'abord, c'est
que la demande, elle semble infinie ou tellement grande. Le téléphone ne
dérougit pas. L'expérience que vous avez faite, c'est troublant. L'autre chose qui me
marque aussi, c'est qu'on... Moi, je pensais qu'il y avait comme une espèce de
clientèle particulière pour les mineurs puis une clientèle pour les majeurs.
Mais, visiblement, ça a l'air d'être pas mal le même monde qui peut
aller butiner de l'un à l'autre sans trop de préoccupation.
Puis
finalement j'entends votre appel aussi par rapport aux hommes, puis il reprend
ce que Rose Dufour a dit, plus tôt cette
semaine, où les hommes disent qu'on a un rôle à jouer dans la fin de ce
système-là. Moi, ça me touche particulièrement, puis c'est en fait une... Je cherche des manières de participer à ce
rôle-là. C'est une des raisons, en fait, pour laquelle c'est moi qu'on a envoyé, dans ma formation politique,
plutôt que ma collègue
de condition féminine, parce qu'on se dit que, d'un point de vue
féministe, il faut que les hommes prennent plus de place. Est-ce que vous avez
d'autres formes de suggestions par rapport à ce que les hommes devraient faire
pour casser ce système-là?
Mme Dubois
(Karine) : Bien, je pense qu'il faut vraiment créer la conversation.
Je pense que le geste le plus courageux
serait sans doute de mettre le sujet sur la table, dans un souper de famille
élargie où on retrouve toutes sortes de monde avec toutes sortes d'horizons, puis de dire : J'ai appris qu'il y a
des clients partout, je me demande même s'il y en a ici, qu'est-ce que vous en pensez? Juste ça, ce
serait un geste très, très, très courageux et qui ferait une différence.
Donc, il y a ça. Il
y a le fait aussi de questionner, c'est-à-dire, tu sais, dans les
idées : Est-ce que vous pensez vraiment que les filles qui sont là,
elles ont du plaisir pour vrai? Tu sais, il y a toute cette réflexion-là à
avoir. Puis c'est la notion aussi d'éduquer
nos garçons. Donc, c'est vraiment de dire... On ne peut pas mettre un cadenas
sur les filles, puis les barrer, puis les
rendre hypervigilantes. Si on ne fait pas un travail d'éducation auprès des
garçons, ça ne servira à rien. Si on ne stoppe pas la demande, l'offre
va toujours être là pour se structurer. C'est vraiment là où il faut agir.
M. Leduc :
Merci beaucoup.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci. Député de Sainte-Rose.
M. Skeete :
Bonjour. Merci. Je suis, un peu comme mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve...
d'Hochelaga, pardon, j'ai un peu le
même feeling, où est-ce que je me dis : En tant qu'homme, qu'est-ce que je
peux faire? Parce qu'étant un homme je
me souviens de nombreuses — surtout plus jeune — conversations avec des gars où est-ce qu'on
banalise totalement le sujet, puis
celui qui est le plus dégueulasse est le plus drôle. Alors là, je me dis :
On part de là et on essaie de faire
un virage. Puis, pour faire ce virage-là, il faut se parler de vérités. Là, je
me remémore, à ce moment-là, puis je me dis : Si on parle de ça, puis on parle de 10, 15 clients par
jour, il me semble que ça, c'est quelque chose que les hommes devraient
savoir, là, tu sais. Je parle en termes de pub, là, tu sais, parce que, ça, je
pense que ça casse la demande.
Puis
vous avez dit quelque chose tantôt qui m'a frappé, et j'aimerais ça vous
entendre : Tout est mis en place pour qu'on ne voie pas qu'elle est
contrainte. Pouvez-vous me dire un peu plus c'est quoi, les mécanismes pour
protéger le fantasme? Parce que, dans le
fond, je pense que c'est ça, c'est un mécanisme qui permet de protéger l'idée
que tout le monde veut être là puis que tout le monde ait de bonheur
dans cette situation-là.
Mme Proulx
(Catherine) : Bien, je pense
que, dans... Nous, on nous l'a dit rapidement aussi, de dire... Souvent, les hommes ne réfléchissent même pas au fait que
la personne qui est devant eux est peut-être exploitée et qu'effectivement tout est mis en
place, c'est-à-dire, si la fille se comporte... La fille se comporte
de façon à ce que le client revienne, parce que, pour le proxénète, il faut que le client revienne. Donc, si elle
est abattue, déprimée... On a croisé des proxénètes qui nous disaient : Bien, tu sais, si c'est comme
ça, va-t'en, ou, tu sais, qui les jettent. Donc, la fille n'a pas intérêt
à montrer qu'elle n'a pas envie.
Autour, tout est contrôlé pour que le client ne sente pas qu'il est dans un système
d'exploitation. Le client regarde de
la pornographie en se disant que toutes ces filles-là sont là parce qu'elles
ont envie, ensuite, clic, passent du fantasme à la réalité très, très rapidement,
puis tout est fait justement pour qu'ils oublient.
Puis,
quand vous dites : Qu'est-ce qu'on peut faire aussi, en arrêtant de
banaliser, ce serait... Vous iriez dans une classe d'école secondaire,
puis les gens vous diraient : Oui, il existe des filles qui ont envie,
puis, si les filles ont envie d'être là,
bien, c'est leur affaire. Donc, je pense que, dans notre idée qu'on se fait
aussi, bien, il y a cette idée-là que ces filles-là servent à
ça, sont là pour ça, puis c'est une industrie, on paie, donc c'est correct, tu
sais, on peut y aller.
Mme Dubois (Karine) : C'est comme si la notion de payer dédouanait pour
toutes sortes de choses. C'est comme si,
une fois que le client a payé, bien, c'est vraiment un service. Donc, maintenant
que j'ai payé, je peux tout faire, je peux même dépasser les limites de l'acceptable, je peux faire des
comportements que je n'accepterais jamais de faire à la femme que j'aime, mais là
j'ai devant moi un objet, qui va faire tout ce qu'il veut.
Puis
vous avez raison que, sur la quantité... Parce que, les clients de la
prostitution juvénile, il y a beaucoup la notion de fraîcheur, c'est-à-dire qu'ils veulent des jeunes filles parce qu'ils
veulent avoir l'impression d'être le premier et/ou le seul. Mais, si on se dit qu'elle fait
10 clients par jour, bien, après une semaine, elle en a déjà
fait 50. Ça fait que, quand bien même,
la fille, ça fait juste une semaine qu'elle fait ça, là, tu sais, vous n'avez
pas devant vous quelqu'un de pur, et frais, et d'intouché, là, vous
avez une fille qui est déjà brisée après deux jours, tu sais.
Puis
je pense que c'est ça aussi qu'il faut que les gens réalisent, c'est
que... Je ne sais pas comment le client peut penser qu'il passe le matin, puis, s'il y en a neuf autres qui passent
après lui... Est-ce qu'on connaît vraiment des filles, là, qui ont une libido à ce point-là,
puis vraiment... Puis est-ce que ces gens-là, quand ils regardent leur fille de
16 ans, ils l'imagineraient dans ce
genre de situation là? Tu sais, ce n'est pas humainement possible, là. Ça fait que c'est vraiment ça qu'il faut qui passe. Puis c'est pour
ça qu'on parlait aussi d'une sensibilisation au grand public, parce que, là, on
parle vraiment... quand on parle de la banalisation puis des idées préconçues, on
parle de quelque chose qui est vraiment, là, creux et profond puis qui a toutes
sortes de ramifications.
Puis
je reviens à l'exemple de l'alcool au volant. Tu sais, il n'y a pas si
longtemps, c'était correct de chauffer avec une bière entre les deux jambes. Maintenant, il n'y a plus
personne qui... Mais il y a eu un travail énorme de sensibilisation, puis c'est encore compliqué aujourd'hui de dire aux gens : Bien, non, tu ne conduis pas. Ça fait qu'il y a un immense travail de
fond, pour changer les mentalités, à faire, qui va passer, oui, beaucoup par
les hommes, là.
Mme Proulx
(Catherine) : Dans le documentaire, on a consulté des psychologues,
puis il y a un psychologue qui nous
disait que souvent, avec les clients, quand il faisait réfléchir les clients
sur le fait que... avez-vous conscience qu'il y a tout un système qui s'organise derrière ces jeunes
filles là, ça, c'est quelque chose qui venait toucher les clients parce que,
là, tout à coup, ils réalisaient que
ce n'était plus juste lui et la fille, qu'il y avait tout un système derrière.
Et aussi l'idée de la responsabilité :
Avez-vous conscience, justement, que, si vous êtes le huitième dans la journée,
vous laissez des traces? Ashley nous l'a dit, le client laisse des
traces. Quand il rentre, c'est : Action. Quand il sort, c'est : Coupez.
C'est du cinéma.
Puis, je me
dis, il faut que les clients, à un moment donné, ils prennent quelques secondes
pour réfléchir un peu. Si on prend
deux secondes pour y penser, tout ça ne se tient pas, tu sais, prendre le temps
de regarder est-ce qu'il y a des gens
autour de la fille, est-ce qu'elle est seule, est-ce que c'est vraiment parce
que toutes les filles se présentent autonomes, tu sais, qu'elles ont
envie de le faire.
Donc, ce qui
est vendu, le client l'achète, mais il ne veut pas regarder plus loin. Moi, je
l'inviterais à regarder, puis avec
des campagnes de sensibilisation, à juste regarder un peu plus loin. Tout ça ne
se peut pas, là, tu sais, ça ne tient pas la route.
M. Skeete : C'est une belle
piste pour la suite en termes de campagne de pub. Merci beaucoup.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci
beaucoup. On va tenter de passer à deux questions rapides. En six minutes.
Député de Viau.
M. Benjamin :
Merci, M. le Président. Donc, merci pour votre documentaire. C'est la deuxième
fois, et c'est toujours aussi prenant à chaque fois, que je vois ces
images. Merci beaucoup.
Ma première question. Vous avez 10 ans
d'expérience à couvrir des questions relatives à la justice, et, dans la prévention de certains actes illicites ou
criminels, on utilise parfois des criminels repentants. Est-ce que vous pensez,
à la lumière de votre expérience, que les abuseurs ou certains de ces criminels
repentants peuvent participer aux travaux, aux actions de prévention? Si
oui, comment vous voyez ça?
Mme Dubois
(Karine) : Bien, en fait, ça
se fait déjà, le projet dont je parlais plus tôt, ACTES, qui est fait par les
gens de centres jeunesse et qui utilise
vraiment des ex-proxénètes qui racontent, comme le témoignage de Kevin, comment
ils procédaient, c'était quoi, la façon. Puis
ils partent de ça pour démonter les mécanismes, puis, à partir de ça, ils sont
en train de monter le programme de prévention du proxénétisme.
Je ne pense
pas que, comme dans certains sujets, c'est le trafiquant repentant qui va aller
donner, par exemple, des conférences,
parce que ça, tu sais, ce n'est pas toujours heureux, ça dépend des
circonstances, mais, je pense, vraiment de partir de leur vécu à eux... Puis même les filles, ça les fait
réfléchir. Quand elles entendent ce témoignage-là, elles voient la mécanique aussi de la manipulation
psychologique, derrière, puis elles arrivent plus facilement à le déceler. Ça
fait que c'est sûr que ça, ça peut aider, là.
Mme Proulx
(Catherine) : Moi, je crois vraiment à l'éducation sexuelle auprès des
adolescents, puis très rapidement et,
je dirais, avec des gens très compétents. Moi, ce que j'ai découvert... Les
jeunes en savent sûrement plus que moi, mais je ne pouvais même pas
imaginer ça. Ça fait que je me dis : Un prof de géo ou de français qui
doit faire de l'éducation sexuelle ne peut
même pas aller embarquer sur ce terrain-là. Puis je me dis : Ça prend des
gens compétents et ça prend une discussion
entre les jeunes. Quand il y a un cours d'éducation sexuelle, tous les jeunes
assistent à la même discussion, tous les jeunes entendent la même chose.
C'est beaucoup plus difficile ensuite d'aller manipuler ou d'aller essayer de
forcer quelqu'un à faire quelque chose si tout le monde a entendu ça.
Moi, ce qui
m'a marqué dans le projet, on m'a souvent dit : Toutes les filles sont à
risque d'être sollicitées, ce ne sont pas toutes les filles qui sont à
risque d'être recrutées, ça va dépendre des failles ou ça va dépendre de ce
qu'elles cherchent. Puis l'autre chose aussi que j'ai entendue, et de policiers
et de proxénètes, c'est qu'en ce moment l'absence d'éducation sexuelle... Une bonne éducation sexuelle, c'est un outil
pour les proxénètes, et ils banalisent. C'est superfacile. On visionne beaucoup de pornographie, on banalise,
on dit, la fille : Tu es jeune, tu as un beau corps, tu pourrais faire
pareil, on pourrait faire de
l'argent. Mais, s'il n'y a pas de contrepoids solide à ça, je pense que... Pour
moi, c'était très clair, en faisant
ce projet-là, que c'était la meilleure façon pour la prévention, c'est très tôt
avec les jeunes, à leur niveau, avec des gens compétents pour les
accompagner là-dedans.
• (12 h 20) •
M. Benjamin :
...dernière question, donc, par rapport aux victimes que vous avez rencontrées.
Moi, une des choses qui m'intéressent
beaucoup, c'est toute l'idée du continuum de services pour aider ces
personnes-là, ces jeunes-là à s'en sortir. Quelle est votre perception
par rapport aux services?
Mme Dubois
(Karine) : Bien, c'est sûr
qu'il faut avoir des services sur la durée, parce qu'entre le moment où une
fille sort ou se fait sortir d'un réseau, le
moment où elle décide de se désister, on sait que c'est des cycles, donc elle
va essayer plusieurs fois. Puis vous avez des gens plus compétents que
nous qui vous l'ont expliqué, là. Mais, à partir du moment où ça va être
complètement final, même après ce moment-là, avant qu'apparaissent les
séquelles, ça peut venir jusqu'à cinq à 10 ans plus tard, puis là c'est vraiment
des séquelles, on parle de choc post-traumatique, de crises d'anxiété, d'agoraphobie, d'insomnie, c'est des barrières
majeures qui vont faire que ces filles-là vont avoir de la difficulté
à trouver un emploi régulier,
qu'elles vont avoir un C.V. vide, donc on ne peut pas... Tu sais, c'est simple,
de dire : Dénoncez, mais, à
partir du moment où on dit à ces filles-là de dénoncer, il faut
être là, il faut les accompagner, il faut être en arrière, il faut qu'il
y ait un après pour elles. Puis il y
a vraiment un gros travail à
faire là-dessus, là. Ça fait que c'est vraiment... c'est sûr que c'est dans la durée.
Puis souvent
ce qu'on nous a dit aussi, c'est que des filles vont être approchées, et c'est
tellement rentable, là, une fille, à
exploiter sexuellement, qu'un pimp peut patienter pendant deux ans. Il peut
recruter une fille de 16 ans, puis tricoter sur deux ans, et attendre qu'elle soit majeure avant de la faire
travailler. Comme ça, il court moins de risque d'arrestation. Puis là, il va l'avoir, il va avoir une emprise
totale, et ça va être beaucoup plus difficile
d'arrêter, à ce moment-là. Et la fille va
avoir... ça va être ancré beaucoup plus profondément, que c'est elle qui a
décidé de le faire, parce qu'elle n'aura pas vu, elle, la manipulation
qui va s'être étalée sur le temps.
Ça fait que c'est pour ça que c'est à tous les
âges qu'il faut pouvoir intervenir avec ces filles-là. Puis après, évidemment, les problèmes de consommation de
drogue, parce que, veux veux pas, dans ce cycle-là, à un moment donné,
on tombe aussi dans de la toxicomanie, parce que c'est presque impossible de
survivre à ça à jeun, là.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Députée de Gaspé.
Mme Perry
Mélançon : Merci à vous pour
le partage de toutes vos connaissances acquises dans votre travail, là. C'est assez impressionnant. Et c'est même à se
dire... Il me semble que vous avez réussi à accéder à des informations que tout le monde nous dit
que c'est difficile de mettre la main dessus. Est-ce que vous avez réussi à
aller chercher du contenu que vous n'avez pas pu divulguer? Comment ça
fonctionne en termes de confidentialité? Comment vous avez eu accès à cette information-là,
alors qu'on se demande comment on pourrait améliorer la loi sur l'accès à
l'information?
Et, deuxième
question, je vais tout de suite la dire en même temps. Agences d'escortes et
tous les autres établissements qui
sont liés de près ou de loin au travail du sexe, on va le dire comme ça, est-ce
que, pour vous... Parce que la femme avait l'air d'avoir quand même des
principes malgré tout là, la femme qui possédait... avait une agence
d'escortes. Est-ce qu'on devrait les faire jouer un rôle ou avoir une
responsabilité, que ce soit financière, avoir une taxe qui est remise à des organismes qui oeuvrent pour sortir les femmes de
ces milieux-là? Est-ce qu'elles devraient être plus parties prenantes de la
solution pour ce qui est des femmes mineures victimes d'exploitation sexuelle?
Mme Proulx
(Catherine) : Bien, peut-être je vais répondre à la première question.
Comment on a fait? Souvent, dans ce
projet-là, on a eu l'impression qu'on tirait sur un fil, puis même nous, on
était assez impressionnées par les gens qui avaient envie de nous parler. Dans le documentaire, ça arrive
souvent qu'on croise des gens qui ont vécu quelque chose puis qui cherchent un peu quoi faire avec ça, qui
ne veulent pas nécessairement s'exposer, mais qui ont envie de participer
puis qui ont l'impression justement de faire
quelque chose de positif avec ce qu'ils ont fait. Puis c'est vraiment ce qui
s'est passé dans ce cas-là.
Tout est parti de nos collègues de centres
jeunesse. Puis, à partir du moment où... on croisait des gens qui nous mettaient en lien avec d'autres gens, d'autres
gens, puis c'est vraiment comme ça. Puis moi, j'étais très dans une approche
où j'essayais de comprendre puis je parlais
avec ces gens-là à titre d'experts sur le terrain pour m'aider à comprendre,
puis, dans cette approche-là, je pense que les gens avaient envie aussi
de partager ce qu'ils avaient vécu, puis de nous aider à y voir plus clair aussi, puis de comparer ce que chacun disait. Mais
c'était impressionnant, comment tout le monde parlait de la même chose.
Mme Dubois
(Karine) : C'est sûr qu'il y
a la notion aussi... C'est pour ça qu'on parlait, un peu plus tôt... Des fois,
quand on donne l'étiquette ou qu'on juge,
les gens ne vont pas nous parler de la même façon. Il y a une partie de
l'expertise qu'on est allées
chercher, dans Trafic, parce qu'on a accepté d'écouter des ex-proxénètes
puis des trafiquants sans les juger, en
acceptant que ceux qui nous parlent ont compris qu'ils ont fait du mal et sont
prêts à faire quelque chose pour transformer tout le négatif qu'ils ont fait en positif. Ça fait que c'est sûr que,
si on leur dit : Vous êtes dégueulasses, on ne veut pas vous entendre, vous êtes des moins que rien, bien, on
se prive d'une information précieuse que ces gens-là peuvent nous donner, juste en les... Même chose pour les clients. Je pense que plus on va réussir à faire parler les clients... Tu sais, s'il y avait,
par exemple, des chercheurs qui décidaient
de faire des études puis de pousser plus loin, bien, plus on se documente,
mieux on comprend le phénomène.
Pour ce qui
est des agences, malheureusement, moi, je ne répondrai pas, parce qu'on n'est
pas rendues là. Puis nous, on n'est
pas dans ce débat-là du comment, ça fait qu'on... puis on n'est pas allées là,
dans le projet, de : Est-ce qu'il faut qu'il y ait des lieux, pas
des lieux, des agences, pas des agences? C'est un débat qui est comme...
Mme Perry
Mélançon : ...autre question, rapidement : Est-ce que, votre
documentaire, il y a des écoles qui ont été intéressées? Est-ce que c'est un documentaire qui est présenté à des
classes de niveau, bon, supérieur, au secondaire, là? Parce que, je
trouve, c'est pertinent.
Mme Proulx
(Catherine) : Pour l'instant, je pense que c'est... Pour l'instant,
excusez-moi, je vous ai coupé la parole, mais c'est du... surtout, ce
qu'on a comme échos, c'est des proches qui décident de l'utiliser avec leurs
groupes. Mais beaucoup de gens nous on dit
que ça serait pertinent de... Tu sais, quand on fait du documentaire, on...
Moi, c'est comme je vous ai déjà dit,
je n'aime pas penser que je vais régler des problèmes avec mon film, mais
j'aime me dire que peut-être que je peux jeter les bases d'une discussion ou
d'un débat avec ce qu'on a trouvé. Puis c'est vraiment comme ça que je
pense que c'est le plus utile d'utiliser un documentaire.
Mme Dubois (Karine) : Mais, encore une fois, pour que ça soit présenté
dans les écoles, il faut que nous, on s'assure c'est quoi, la discussion qui va suivre, comment ça va être récupéré.
Parce qu'on ne peut pas juste lancer ça puis... sans trop savoir qu'est-ce qui va être dit après, comment ça
va être récupéré. Tu sais, les ados aussi peuvent se faire toutes sortes de
conclusions, ça fait qu'on ne veut pas non
plus déclencher des vocations de gens qui trouveraient que ça a donc bien l'air
intéressant. Ça fait qu'il faut vraiment que
ça soit bien travaillé en amont avant de juste garrocher ça, entre guillemets,
là, à des jeunes, là.
Mme Proulx
(Catherine) : Ceux qui ont fait l'expérience m'ont dit qu'après de
courts extraits, des fois, ils étaient partis
pour une heure de discussion. Donc, ça prend quelqu'un qui a envie d'avoir
cette discussion-là aussi avec les jeunes.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Dernière question. Députée de
l'Acadie.
Mme St-Pierre :
Merci beaucoup, M. le Président. Vous avez dit beaucoup de choses. Je retiens
vraiment le mot-clé «éducation». Éducation,
éducation. Puis vous nous donnez aussi un bon argumentaire. Parce que, moi,
dans ma circonscription, il y a
beaucoup de résistance aux cours d'éducation sexuelle, j'ai beaucoup de
communautés culturelles qui le disent : Bien, ça nous appartient, c'est à nous à faire ça. Alors
là, ça me donne, là, depuis le début de la semaine, des arguments pour leur
dire : C'est important, l'éducation sexuelle, pour la prévention, prévention
auprès des garçons.
Ce
matin, je lisais le journal puis je suis tombée sur des annonces. Ici, j'en ai
une, là : Reçoit des places, 24 heures sur 24, numéro de téléphone, urgent, hôtesse demandée, dollars, très
bonnes conditions. Puis il y en a... Alors, on est en plein dedans. C'est publié puis c'est diffusé à
pleines pages, puis les journaux continuent de publier des annonces. Je trouve
ça... Franchement, là, il y a quelque chose... il y a une connexion qui ne se
fait pas.
Je
vais être très courte, je vais vous dire à quel point c'est important
d'enseigner à la population aussi les signes, les signaux. Puis je vais vous raconter une anecdote, puis ça... Depuis
le début de la semaine, ça me trotte dans la tête, puis je pense que j'ai mis
le doigt dessus. Dans mon ancienne job de ministre, là, j'avais à aller me
faire coiffer souvent. Je le faisais
le dimanche après-midi, au même salon, et je voyais de temps en temps des gars
arriver avec des filles qui étaient manifestement
de l'extérieur de cette rue branchée de Montréal, avec des belles boutiques,
puis ils se tenaient très, très près du
coiffeur. Et là je pense que j'ai mis le doigt dessus, je pense que c'est ça
que j'ai vu. Je ne dis pas que c'était à pleine porte, mais j'ai vu ça
régulièrement.
Alors,
je pense qu'il faut aussi qu'on saisisse l'occasion, dans cette commission, de
renseigner les gens sur des choses,
peut-être, qu'ils vont voir, puis ils ne savent pas que c'est ça qu'ils sont en
train de voir. Je ne veux pas dire d'appeler l'escouade antiémeute à chaque fois, mais il y a un signal là, là, il y
a quelque chose qu'on voit, puis on ne le sait même pas, puis on s'en
rend compte, trois ans plus tard, que c'est ça qu'on a probablement vu.
Mme Dubois (Karine) : Puis, si je peux ajouter, il y avait quelqu'un
qui nous avait parlé, pour les policiers, de quelque chose d'assez intéressant,
c'est-à-dire qu'il ne faut pas que ce soient juste les enquêteurs en
prostitution juvénile qui soient
sensibilisés, et il faut que les patrouilleurs terrain comprennent qu'une fille
qui est dans une situation d'exploitation ça se peut que, quand on lui tend la main ou lui dise : Serais-tu
exploitée?, ou : Je vais te sauver... ça se peut qu'elle vous crache dans la face. Puis, si elle a passé
12 clients dans une journée, hommes, et qu'un patrouilleur homme
dit : Moi, je suis différent, je vais t'aider, ça se peut que la réaction
soit très négative. Et il ne faut pas que le patrouilleur se braque. Il faut que le patrouilleur comprenne, puis navigue à
travers ça, puis ait vraiment les outils nécessaires pour pouvoir aider une
fille qui soit n'est pas pas prête à se
faire aider, soit que la menace est trop forte. Mais, tu sais, il y a vraiment
quelque chose à faire, parce que, sur
le terrain, c'est eux. Ça fait qu'on ne peut pas avoir juste des gens
spécialisés qui savent comment faire, il faut que ça se rendre aussi sur
le terrain, là.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci beaucoup de votre
contribution aux travaux de la commission.
Je
suspends les travaux quelques minutes afin de permettre au prochain groupe de
prendre place. Merci infiniment pour votre contribution.
(Suspension de la séance à 12 h 30)
(Reprise à 12 h 34)
Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à
l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au centre d'aide aux victimes d'actes criminels, le CAVAC. Je vous
rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, et
par la suite on aura une période de 25 minutes pour une période d'échange
avec les membres.
Avant
de débuter, je vais demander le consentement pour ajouter 18 minutes à notre période
d'échange. Est-ce qu'il y a consentement?
Des voix :
Consentement.
Le Président
(M. Lafrenière) : Consentement. Merci beaucoup. Alors, mesdames, je vous laisse vous présenter
et faire votre exposé pour une durée de 20 minutes.
Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC)
Mme Michaud (Marie-Christine) : Bonjour. Marie-Christine Michaud, porte-parole et coordonnatrice du Réseau des
CAVAC, donc les centres d'aide aux victimes d'actes criminels. Pour commencer,
on veut vous remercier de nous avoir invités ici aujourd'hui.
Donc,
en bref, je vais faire un portrait très rapide du Réseau des CAVAC. Ce sont
17 CAVAC, des organismes à but
sans lucratif qui sont répartis dans toutes les régions du Québec et qui
offrent des services gratuits, confidentiels aux personnes victimes,
proches et témoins d'actes criminels et, très important, que la personne porte
plainte ou non.
Plus
précisément, ça veut dire que c'est environ
185 portes où ces personnes peuvent cogner pour recevoir de l'aide,
parce que nous sommes dans tous les palais de justice du Québec, dans des postes
de police, des bureaux d'enquêteurs. Nous sommes également à la cour
itinérante du Québec et évidemment dans nos sièges sociaux.
Par ailleurs, nous avons une collaboration privilégiée avec les procureurs aux poursuites
criminelles et pénales, les policiers,
notamment en
matière de violence sexuelle. En
gros, en 2017‑2018, nous avons offert des services à 67 628 personnes,
et ça, ça comprenait... 67 % étaient des femmes et 33 % étaient des
hommes.
Nos
équipes multidisciplinaires sont composées d'intervenants qui sont membres
d'ordres et qui sont, par exemple, des
criminologues, des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs, des sexologues
et qui possèdent notamment une intervention post-traumatique et vraiment
une connaissance pointue du système judiciaire.
Aujourd'hui,
on va vous présenter nos expériences en exploitation sexuelle visant les
victimes de tout âge. Au-delà de
certaines particularités reliées à l'âge, l'exploitation sexuelle a des
conséquences dramatiques chez les personnes touchées par ce phénomène,
que ce soit chez les victimes elles-mêmes, mais également chez leurs proches.
Bien
que l'ensemble de nos intervenants pour intervenir auprès des victimes
d'agression sexuelle et ainsi, aussi, que
tous les CAVAC possèdent... bénéficient, pardon, d'une ALIVS, c'est le terme
qu'on va utiliser tout au long, c'est-à-dire une agente de liaison spécialisée en violence sexuelle, ce type
d'intervention diffère d'un CAVAC à l'autre, souvent en fonction des
particularités, mais aussi des partenariats qui sont établis dans chacune des
régions.
Depuis
les dernières années, une expertise reconnue en matière d'exploitation sexuelle
a été développée par certains CAVAC
qui se retrouvaient de plus en plus confrontés à ce phénomène et à des besoins
spécifiques. Plusieurs initiatives ont alors émergé afin d'appréhender
la problématique de façon plus spécifique et ainsi mieux répondre aux besoins.
Donc,
on va commencer par le CAVAC de Montréal, qui est vraiment un précurseur au
sein de notre réseau, et je cède la parole à Jenny Charest, directrice
du CAVAC de Montréal.
Mme Charest (Jenny) : Bonjour, tout le monde. Merci beaucoup. En fait,
je me sens vraiment privilégiée d'être avec
vous aujourd'hui. Merci de nous donner justement ce temps de parole pour, oui,
parler de notre expérience et de nos préoccupations
pour les personnes victimes de ce qu'on... de ce qu'il faut dire, d'un crime
majeur, parce que l'exploitation sexuelle, c'est un crime majeur.
Nous
disons «personnes victimes» dans presque tout ce qu'on fait. Pourquoi? Parce
que, pour nous, avant tout, c'est une
personne qu'on voit, quand on la rencontre. C'est une personne qui est devant
nous quand on a le privilège d'être là, quand elle a besoin, quand elles veulent de l'aide, et ça, peu importe
ce qu'elles veulent faire ou pas. Le fait d'être là, pour nous, c'est un
privilège.
L'expertise
du CAVAC de Montréal, comme tu l'as dit, en intervention spécifique en
exploitation sexuelle, elle date de
2014... 2004 — 2014,
mon Dieu! — 2004,
justement, dans le cadre du projet Scorpion, où on avait été interpelés par le ministère de la Justice et où une
intervenante, en l'occurrence Karine, qui est avec nous aujourd'hui, avait été
désignée et assermentée pour offrir
le soutien aux personnes qui devaient témoigner. Alors, c'est comme ça que le
travail de partenariat avec les
policiers et les procureurs dans des dossiers d'exploitation sexuelle, qui
étaient beaucoup moins nombreux à l'époque, a commencé et continue depuis 15 ans. Les liens de confiance,
justement, avec le SPVM, qui sont en fait les assises de notre succès,
se sont consolidés vraiment depuis 2004.
Plusieurs
de nos intervenantes, au fil des années, se sont intéressées et ont été
touchées par ces personnes victimes. En
2011, on avait une agente de liaison qui travaillait directement avec l'équipe
de moralité, alcool et stupéfiants et les policières du programme Les
Survivantes, dont vous avez entendu parler probablement.
Alors, en fait, cette
proactivité, cette proximité de nos équipes ont fait en sorte que ça a donné
une augmentation constante des références et
le développement d'une complémentarité basée sur la confiance mutuelle parce
qu'on développait ensemble les connaissances face à cette problématique.
La clientèle
particulière des personnes victimes d'exploitation sexuelle demandait une
réponse particulière, demandait qu'on fasse
les choses différemment. Je vous dirais que ça nous a bousculés, mais ça nous a
aussi incités à vouloir faire plus et à vouloir faire mieux, vouloir faire
aussi en partenariat avec les organismes parce qu'on croit fortement à
la collaboration et à la nécessité de
travailler en partenariat avec les divers organismes, à partager les
expériences, à partager les expertises.
Je
suis membre du comité de coordination de la coalition contre la traite de
personnes, et nous travaillons fort avec les différents projets, avec les
différentes organisations pour mettre en commun nos visions et faire en sorte
que nos liens sont beaucoup plus serrés pour faire en sorte qu'on répond
à tous les besoins ou le mieux possible.
• (12 h 40) •
Le projet du CAVAC qui s'appelait Femmes
victimes d'exploitation sexuelle : développement d'une équipe
intersectorielle, qu'on a déposé en 2015 au Secrétariat à la condition
féminine, est né, en fait, du constat qu'il serait profitable de dédier une ressource pour cette clientèle particulière pour être en
mesure d'offrir une intensité d'intervention qui était nécessaire. À la base, c'est le SPVM qui nous en avait
parlé, c'est une réflexion commune qu'on avait faite, et on n'avait pas
la possibilité de dédier une personne. Le projet a été accepté, on en était
très heureuses et on a rapidement décidé
d'en dédier deux, parce que l'ampleur de la problématique nous est apparue
assez évidente, et une seule personne n'y
arrivait pas, même si elle était totalement dédiée à cette problématique-là. Pour nous,
l'impact majeur du fait de pouvoir compter
sur des ressources dédiées, disponibles, accessibles de différentes
manières et qui peuvent aussi développer une meilleure compréhension des
besoins, ça a fait toute la différence.
Le projet pilote qui a débuté en 2016 était pour une année. Rapidement,
nos résultats très probants ont fait en sorte qu'on a été reconduits pour cinq ans, ce qui a été une excellente
nouvelle pour nous parce que, pour nous, ça permet, avec un comité intersectiorel composé de gens... des
procureurs des poursuites criminelles et pénales et du SPVM, ça a mis, en
fait... la mise en commun de nos expertises, qui étaient complémentaires, et ça
nous a permis de développer un travail d'interdisciplinarité. Donc, on connaît
mieux ce que les autres font, et ils connaissent mieux ce que nous, on fait, et
on développe une expertise commune fort prometteuse pour nous.
Finalement,
intervenir rapidement en complémentarité auprès des personnes victimes
d'exploitation sexuelle, quelle différence
ça fait? Bien, ça fait en sorte que les personnes victimes reçoivent le soutien
nécessaire et sont accompagnées dès le départ et tout au
long du processus. Ça veut dire que nous travaillons avec elles dès
le début en sachant que c'est normal d'être
hésitante ou ambivalente, qu'elles ne savent pas ce que ça implique et que
c'est stressant, qu'elles savent aussi dès le début que, pour nous, décider de porter plainte ou pas, c'est un choix
qui leur revient. Nous sommes là pour elles et nous les suivrons, peu importe ce qu'elles vont
décider. Ça permet d'offrir un soutien à des personnes qui ne porteront jamais plainte, mais au moins de ne pas les
laisser toutes seules.
Nous sommes
là et nous voulons toujours nous assurer, dans cette démarche, qu'elle soit
source d'«empowerment» et non pas de
victimisation secondaire, c'est important. Les amener à identifier dans une
perspective de décision réfléchie, basée
sur leur motivation de porter plainte, fait la différence, particulièrement dans les périodes plus difficiles ou d'ambivalence, parce qu'il y
en a, et il va y en avoir, et on le travaille avec elles, on le prévoit même
d'avance.
Les
résultats, pour nous, de notre projet et du travail qu'on fait depuis
15 ans sont tangibles. Selon nous, les personnes victimes sont mieux accompagnées. Leur expérience
lors d'un passage dans le système judiciaire est améliorée, mais, fait qui
n'est pas banal non plus, même si ce n'est pas notre objectif premier, leur témoignage
porte fruit et aide la justice. En 2018, la
très grande majorité des plaintes qui se sont retrouvées à la cour se
sont soldées par une condamnation. Ces données nous laissent croire
qu'offrir le soutien aux victimes en collaboration avec les acteurs judiciaires
fait toute la différence, et nul besoin de
dire que ces résultats sont source de fierté et de reprise de pouvoir chez ces
personnes victimes.
Oui, elles
peuvent être très vulnérables, mais un soutien adéquat permet tellement
de leur faire reconnaître aussi toutes
les forces qu'elles ont en elles. Vous savez, ces jeunes femmes ou jeunes
filles sont une source d'inspiration pour nous. Chaque fois, on les remercie de leur confiance. C'est un privilège
qu'elles nous donnent. Le travail de collaboration,
pour nous, fait toute la différence, autant
pour les organisations qui travaillent de mieux en mieux ensemble,
les personnes victimes qui se sentent comprises et accompagnées, et le système
de justice lui-même.
Depuis 15 ans, le chemin que nous avons
fait, nous en sommes très, très fiers. Je vais laisser maintenant Karine, l'intervenante dédiée, vous parler encore plus de ce que nous avons appris depuis ces
dernières années et de l'importance
du travail de toute notre équipe.
Mme Damphousse
(Karine) : Bonjour. Je
prends le temps de commencer en vous remerciant de porter une attention
particulière à ce qui se passe sur le terrain.
Au CAVAC de Montréal,
on a pu développer une expertise en
matière d'exploitation sexuelle parce que ça fait maintenant 15 ans qu'on intervient auprès des
victimes qui vivent cette problématique-là. Je vous dirais que c'est à force
d'être confrontés, sur le terrain, à
certaines particularités qui sont propres à l'exploitation sexuelle qu'on a
réalisé que c'était une problématique
particulière, à laquelle il fallait donner une réponse particulière. C'est pour
ça qu'en 2014 on a estimé pertinent de prendre un recul puis de faire un
bilan des interventions qui avaient été effectuées dans tous nos dossiers
d'exploitation sexuelle depuis une décennie.
Alors, les
constats qui ressortent de notre analyse, c'est que les femmes qu'on rencontre
sont souvent prises avec plusieurs
problématiques en même temps, ce qui fait que ce n'est pas rare de voir qu'il y
a, par exemple, comorbidité avec l'état de
stress post-traumatique, le trouble de personnalité limite, des troubles
anxieux, une consommation excessive de drogue, d'alcool.
On s'est
aussi aperçus que les besoins qui découlent des traumatismes nécessitent
souvent une intervention qui est intensive,
c'est-à-dire que les victimes ont besoin d'un encadrement qui
est soutenu, qui est structuré dans le temps. En fait, c'est des victimes avec lesquelles il faut souvent
intervenir... investir, pardon, beaucoup
de temps et d'énergie, ce qui amène souvent une charge émotive
importante pour les intervenants.
Une autre particularité qui constitue tout un
défi dans l'intervention, c'est qu'il y a beaucoup de femmes qui considèrent avoir été proactives dans leur
victimisation, c'est-à-dire qu'elles estiment avoir consenti à se prostituer
sans avoir été forcées à le faire. Et, parce qu'elles entretiennent cette
perception-là, il y en a qui vont refuser qu'on les désigne comme des
victimes et qui ne seront pas nécessairement perméables à nos interventions.
Ce qu'on
remarque aussi, c'est que ce sont des victimes avec lesquelles on doit
intervenir rapidement pour répondre au
besoin de sécurité. Donc, le sentiment, en fait, d'urgence fait en sorte que
les intervenants doivent agir promptement pour s'assurer que les victimes ne
fassent pas l'objet de représailles ou encore pour combler leurs besoins
physiologiques, donc manger à sa
faim, avoir un toit. Et je vous dirais que des interventions immédiates de ce
type-là peuvent souvent être compliquées dû au fait qu'il y a peu
d'organismes au Québec qui ont le mandat précis d'intervenir auprès de cette clientèle-là, ce qui
oblige plus souvent qu'autrement les intervenants sur le terrain à multiplier
les démarches pour être en mesure de trouver les organismes qui vont
prendre les références et répondre à tous les besoins.
Donc, ça,
c'est les principaux constats qui nous ont poussés, en 2016, à opérer
différents changements au niveau de
notre manière d'appréhender la problématique, mais aussi dans nos façons de
faire sur le terrain. Et je vous dirais que ce qui a vraiment changé la donne dans notre approche, c'est l'arrivée
des deux intervenantes dédiées en exploitation sexuelle, donc qui devaient intervenir de façon exclusive
auprès de cette clientèle-là, en l'occurrence moi et ma collègue immédiate.
Et, en me
basant sur nos récentes statistiques, je peux avancer avec certitude que le
fait de travailler physiquement dans
les bureaux des enquêteurs de l'équipe de lutte au proxénétisme, ça nous donne
accès à beaucoup de femmes avec lesquelles
on n'aurait pas eu de contact autrement, soit parce qu'elles ne connaissent pas
notre organisme, nos services ou soit
parce qu'elles n'auraient pas pris l'initiative d'elles-mêmes de se tourner
vers un organisme d'aide formel comme le nôtre. Donc, c'est parce qu'on travaille ensemble, à même leurs bureaux,
que les enquêteurs vont systématiquement leur offrir la possibilité de
nous rencontrer.
Et, cette
référence systématique là, je vous dirais que ça amène des résultats
incroyables au niveau du nombre de personnes
rejointes. En fait, juste pour vous donner un aperçu qui est assez frappant,
quand on s'est penchés sur les statistiques des 10 premières années où on a eu à intervenir en exploitation
sexuelle, on a estimé avoir rencontré à peu près 150 femmes, de 2004 à 2013, donc 150 femmes sur
10 ans, alors qu'en 2018 uniquement on en a rencontré 140. Donc, c'est
ahurissant comme hausse. C'est des
chiffres qui confirment que l'étroite collaboration avec les policiers, ça fait
toute la différence, parce que ça nous permet d'établir un premier
contact avec plusieurs victimes.
Donc, notre
objectif à nous, dès le premier contact, c'est de déployer toutes nos attitudes
positives, notre compétence pour la
mettre en confiance. Puis ça, c'est vraiment plus facile à dire qu'à faire,
parce que la capacité de ces victimes-là à faire confiance aux autres est
complètement ébranlée. En fait, on ne sait jamais trop à quoi s'attendre quand
on rencontre une victime
d'exploitation sexuelle pour la première fois. Comment elle perçoit les
intervenants? Comment elle perçoit les policiers?
Comment elle se sent par rapport au proxénète? Donc, c'est pour ça qu'on est
toujours prudents dans nos premiers contacts,
pour éviter qu'elle se referme. Il ne faut vraiment pas présumer de sa
réceptivité à recevoir des services d'aide sous prétexte qu'elle a été victimisée, et ça, d'autant plus que ça se peut
même qu'elle ne se considère pas encore comme une victime.
• (12 h 50) •
Donc, juste
le fait d'entrer en contact avec elles, ce n'est pas une tâche facile, parce
que leur confiance doit se mériter. Puis
en même temps c'est un réflexe d'autodéfense tout à fait normal, parce que,
pour être capables de survivre dans le milieu
de la prostitution, les victimes ont dû apprendre à garder le silence, à ne
faire confiance à personne. Elles se sont forgé une carapace qui est
épaisse, même blindée dans certains cas, pour être en mesure de survivre à
cette expérience traumatisante là, ce qui fait qu'elles ne s'ouvriront pas à
l'intervenant tant et aussi longtemps qu'elles ne lui feront pas confiance.
Puis je vous dirais que, dans la majorité des cas, le lien de confiance prend
un certain temps à s'établir.
C'est pour ça que l'intervention doit être
particulièrement soutenue auprès de cette clientèle-là. En tant que professionnels, c'est notre savoir-être qui va
être garant de la suite. Il faut rester ouverts, non jugeants, empathiques, accessibles et surtout, surtout rester patients. On ne peut pas forcer le soutien
formel. C'est pour ça qu'il faut vraiment viser à susciter une motivation à s'engager dans une relation d'aide. En fait, c'est
essentiel de respecter leur rythme, parce
qu'elles ont été dépossédées de tout contrôle sur leur vie par
le proxénète. Et là de leur donner cette latitude-là, c'est-à-dire l'opportunité de décider par
elles-mêmes le moment où elles vont s'investir dans une démarche de reprise de
pouvoir, c'est nécessairement source d'«empowerment», parce qu'elles deviennent les propres
instigatrices de leur autonomisation face aux proxénètes.
Une des particularités de notre partenariat avec
les policiers, c'est qu'on travaille en première ligne, ce qui fait qu'on doit intervenir rapidement puis efficacement
pour s'assurer de mettre un filet de sécurité autour des femmes qu'on rencontre. C'est pour ça qu'on privilégie une
réponse quasi immédiate auprès de ces victimes-là. En fait, une intervention
va être effectuée dans les 24, 48 heures
suivant la référence. Quand il est question d'exploitation sexuelle, on ne peut
pas mettre la personne sur une liste d'attente, la rappeler une, deux,
trois semaines plus tard pour fixer un rendez-vous et réalistement penser qu'elle va se présenter. Si on fait ça, on la perd,
c'est presque garanti. Dès qu'une victime démontre une ouverture à recevoir un soutien professionnel, il
faut saisir la fenêtre d'opportunité qu'on a pour créer le lien de confiance,
et cette réponse rapide là, ça marche. Ça
favorise à ce que la victime s'engage dans une démarche d'aide. Ça lui montre
qu'il y a des professionnels qui sont là pour l'aider puis
qu'elle n'aura pas besoin de se battre pour avoir accès aux services de
soutien.
Une autre
chose qu'on a changée dans notre approche, c'est qu'on privilégie la
proactivité puis les déplacements. Plutôt que d'attendre dans nos bureaux un coup du destin puis espérer que la
victime se présente, on va lui proposer une rencontre dans un endroit où la confidentialité ne sera pas compromise,
mais qui va faire en sorte que ça va être plus facile pour elle d'être là. Donc, tout ça encore dans le
but de faciliter le premier contact, mais aussi de maintenir la relation
d'aide, parce que ce n'est pas des victimes qui font toujours preuve
d'assiduité dans leurs rendez-vous.
Et plus
souvent qu'autrement je vous dirais que c'est les policiers qui vont assurer
les déplacements. Donc, ils vont nous
mener à la victime ou mener la victime à nous, parce qu'ils sont conscients que
c'est des victimes qui sont vulnérables et ils vont venir faciliter
notre travail pour s'assurer qu'elle soit soutenue par des professionnels.
Donc, une
fois que les besoins de base sont comblés, le filet de sécurité est mis en
place. Si le contexte d'intervention le
permet, l'objectif qu'on va prioriser, c'est d'investiguer différents thèmes
pour mieux comprendre l'état psychologique, la situation de la personne qu'on a devant nous. Et d'ailleurs on a
développé une grille d'évaluation qui tient compte des particularités qui sont propres à l'exploitation
sexuelle, et ça, ça nous permet d'intervenir de façon beaucoup plus spécifique,
parce qu'on comprend mieux les différents enjeux auxquels la victime est
confrontée.
Donc, dès que
les besoins identifiés dépassent notre mandat ou que ce n'est plus dans notre
champ d'expertise, on va référer vers
les organismes qui sont habilités à y répondre. Ça, c'est une fois qu'on va
avoir identifié et priorisé ces besoins-là.
Et je terminerais en mentionnant que
les intervenants du CAVAC vont généralement offrir un suivi court, moyen,
long terme... non, en fait, excusez-moi,
court, moyen terme axé sur l'approche post-traumatique, et ça, c'est en
attendant que la victime puisse bénéficier, là, d'un suivi, justement, à
plus long terme avec des thérapeutes. Voilà.
Mme Michaud
(Marie-Christine) : Merci, Karine. Je poursuivrais... Oui?
Le Président (M. Lafrenière) :
C'est vraiment le temps qu'on avait pour votre présentation.
Mme Michaud
(Marie-Christine) : C'était tout?
Le Président (M. Lafrenière) : Cependant, pendant la période de questions, on
aura l'opportunité de vous entendre.
Alors,
merci beaucoup de votre présentation. On va passer à la période d'échange avec
les députés en commençant... avec les membres de la commission, pardon,
en commençant par le député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc :
Merci, M. le Président. Bonjour. Merci d'être là.
Je
comprends que, pour une personne victime, se rendre à un témoignage ou à un
procès, ça doit être quelque chose de
particulièrement difficile. Moi, je viens du milieu syndical puis je sais que,
quand il y avait quelqu'un qui faisait une procédure pour un cas de harcèlement psychologique, c'était
superdifficile de revivre son histoire, son drame. Alors, j'ose à peine
imaginer ce que ça représente dans un cas de traite ou de prostitution
juvénile.
La
série Fugueuse avait quelques scènes intéressantes où on voyait qu'il y
a des aménagements qui pouvaient être faits,
notamment de témoigner devant une caméra ou plutôt avec des gens qui soient
assis à côté de soi, puis moi, j'ai appris beaucoup de choses avec cette série-là. Est-ce que vous pouvez nous
raconter un peu qu'est-ce qui a été fait peut-être dans les dernières années ou qu'est-ce qui pourrait
être fait pour faciliter le témoignage d'une personne victime comme ça dans
un processus de cour? Vous avez parlé un
peu, donc, des policiers qui peuvent amener... mais, pour le procès comme tel,
qu'est-ce qui est fait ou qu'est-ce qui peut être fait?
Mme Damphousse (Karine) : Bien, c'est sûr qu'il y a des mesures de
protection spéciales qui sont prévues par le Code criminel. Ce qu'on voit souvent, c'est qu'il va y avoir... Le
procureur de la couronne va faire une requête pour qu'il puisse y avoir des paravents dans la salle de
cour. Donc, à ce moment-là, quand la victime rend témoignage dans la même
salle de cour que son agresseur, elle ne le voit pas, et lui non plus ne la
voit pas.
Il
y a toute la question aussi, bon, de l'ordonnance de non-publication pour faire
en sorte... parce que plusieurs victimes souhaitent réserver, en fait, un besoin de confidentialité. Ils n'ont
pas envie que leur vécu de victimisation soit étalé au grand jour. Souvent, c'est des dossiers qui vont être
médiatisés. Avec l'ordonnance de non-publication, ça protège leur identité
dans les médias. Il y a aussi le télétémoignage, mais ça, on le voit plus
rarement.
Mme Charest
(Jenny) : Peut-être pour ajouter... En fait, justement, le fait
d'avoir un comité intersectoriel des procureurs,
des policiers et nous, ça permet de faire en sorte que les procureurs vont
aller chercher toutes les possibilités pour s'assurer que cette personne-là soit bien encadrée, qu'elle ait le
soutien dont elle a besoin. Et, en fonction des besoins, on a pu voir et constater différentes situations où la
personne avait vécu de très gros traumatismes et que la cour s'est adaptée
pour s'assurer que cette personne-là soit en
mesure de témoigner avec toutes les mesures légales qui existent, mais aussi
une volonté de s'assurer de la faire passer par des endroits différents quand
il y avait des questions de sécurité, d'assurer... En fait, je vous
dirais qu'à peu près tout le monde essaie de sortir parfois de la boîte pour
faciliter les choses, parce qu'il y a certaines situations où c'est
particulièrement compliqué.
Mme Michaud (Marie-Christine) : On a également, en ce moment, le programme
Enfants témoins qui a été mis sur
pied au départ par le CAVAC de l'Outaouais et qui tranquillement est en train
d'être un peu partout à l'échelle du Québec. Ça pourrait être aussi un projet pilote, justement, où les personnes
victimes d'exploitation sexuelle pourraient avoir ce type de programme où on va les aider, on va les
accompagner pour qu'elles puissent témoigner et faire en sorte d'en ressortir...
d'avoir un témoignage beaucoup plus adapté
et les soutenir aussi dans ce témoignage-là. Je ne sais pas si, Jenny, tu veux
en parler un petit peu plus.
Mme Charest
(Jenny) : Peut-être juste ajouter, en fait, ce projet-là qui s'adresse
justement aux enfants est un programme qui
va travailler sur les compétences à témoigner et non pas sur les faits en
cause, parce que, dans toutes les préparations aux témoignages qu'on fait avec
les personnes victimes, jamais on ne va dans les faits en cause, parce que,
justement, comme on connaît bien le
processus judiciaire, on s'assure que tout ce qu'on fait ne va pas nuire. Et on
travaille beaucoup, justement, les compétences de la personne pour
l'amener à être solide quand elle arrive à la cour.
Et,
bon, oui, il y a plusieurs mesures qui peuvent être mises en place, mais il y a
parfois des victimes, des personnes qui
ne veulent pas qu'on mette les mesures parce que, justement, ça fait partie de
leur processus de se tenir debout et que le soutien qu'elles ont reçu leur permet de le faire. Et alors le processus
judiciaire, c'est difficile. On en est très conscients et on essaie de faire tout ce qui est possible pour
les aider. Mais, pour certaines personnes, c'est très positif à la fin. Et, oui,
je pense que de mettre en place toutes les mesures possibles, ça fait une
grosse différence.
M. Leduc :
Merci beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Député de Viau.
M. Benjamin : Merci,
M. le Président. Merci beaucoup pour votre présentation. Merci pour le travail
aussi que vous faites.
Ma
première question, c'est un élément d'information qui apparaît dans votre
mémoire, CAVAC de Montréal. Quand on
regarde le portrait de la clientèle, 100 % de votre clientèle citoyenne
canadienne, ça m'a interpelé. Je me dis, dans la région de Montréal, bien sûr, il y a beaucoup de citoyens canadiens,
mais il y a aussi une proportion quand même de résidents permanents, il y a une proportion aussi de
personnes à statut précaire. Donc, où sont ces personnes-là dans vos
statistiques?
Mme Damphousse (Karine) : Ce que je pourrais dire, c'est que 88,5 %
des références qu'on reçoit, ça provient des policiers. Donc, c'est probablement lié aussi à notre source de
référence. Est-ce que c'est des gens qui, nécessairement, vont faire
appel aux policiers? Peut-être pas.
• (13 heures) •
Mme Charest (Jenny) : Votre question est très, très pertinente, parce
qu'en fait, dans toutes les réflexions qu'on fait, on a identifié plusieurs clientèles vulnérables qu'on ne rejoint
pas et on continue d'essayer de trouver les façons de faire. On vient de mettre en place une cellule
d'intervention et de protection pour les personnes à statut précaire et on veut
s'assurer, justement, de faire les liens
entre nos différentes équipes parce que c'est une façon qu'on essaie de faire,
qu'on va rejoindre ces gens-là.
Karine le nommait, le lien de confiance est très difficile à créer. Ces
personnes-là ne sont pas des personnes
qui vont venir vers nous. Mais, en même temps, il faut trouver la façon de les rassurer pour faire en sorte qu'elles voient qu'il en
existe, de l'aide. Alors, c'est vraiment l'orientation
qu'on veut prendre et de trouver la façon d'aller vers les gens, d'aller
dans des organismes.
Vous
parlez de personnes à statut précaire, mais les personnes autochtones... On a,
dans le cadre de notre projet, fait
en sorte que des gens vont s'installer et passer des soirées dans des
organismes où on sait que beaucoup de personnes sont aux prises avec de
la prostitution dans leurs têtes, mais on réalise, quand on leur parle,
finalement, que c'est de l'exploitation sexuelle.
Il y a plusieurs
éléments. Et c'est une problématique qui est vraiment particulière et qui
demande de s'y pencher pour trouver des
façons différentes de rejoindre les gens et de leur offrir des services qui
sont culturellement sécuritaires, quand
on parle des autochtones, ou qui répondent aux besoins des personnes à statut
précaire, qui ont justement peur d'aller vers les services.
Alors, il faut
trouver... Et on travaille fort à faire en sorte que ces gens-là sachent qu'il
y a des lieux sécuritaires, confidentiels,
qui font que nous, on ne va pas donner l'information à la ville, on ne va pas
donner l'information au SPVM, à la
limite, parce que la personne parfois ne va pas porter plainte parce que ce
n'est pas la bonne solution pour elle, et on va l'accompagner là-dedans.
M. Benjamin :
J'aimerais attirer l'attention des membres de la commission sur cet enjeu-là.
Donc, il y a des personnes qui sont
sur le territoire du Québec et qui ne sont pas des résidents permanents et des
citoyens canadiens, et ces personnes-là peuvent être des proies faciles des
abuseurs. Donc, j'aimerais aussi qu'on ne les oublie pas, aussi, dans le cadre
de ce travail. Une deuxième question, si vous permettez, Mme la
Présidente, rapidement.
La Présidente
(Mme St-Pierre) : Il y a une question aussi qui va... Oui,
allez-y, allez-y, allez-y.
M. Benjamin :
Ah! D'accord. Parfait. Rapidement. Alors, je salue le travail que vous faites,
notamment à travers l'équipe
intégrée. Mais un besoin qui nous a souvent été rapporté, au cours de cette
consultation, de ces audiences, c'est la
lutte contre la pauvreté. On nous a beaucoup parlé de lutte contre la pauvreté.
Comment vous vivez cette expérience-là? Qu'est-ce que vous suggérez? Qu'est-ce qui peut être fait? On nous a
parlé, certaines personnes nous ont parlé de plus de résidences, par
exemple, plus de maisons d'hébergement. Vous, comment vous voyez ça?
Mme Charest (Jenny) : En fait, c'est directement lié à la
vulnérabilité de ces personnes victimes. Parce qu'on parle de personnes qui n'ont souvent pas accès à leur
argent, de toute façon, et qui, quand elles décident qu'elles vont aller
de l'avant ou vont sortir de la prostitution ou, en fait, de quitter ce milieu,
elles se retrouvent dans une extrême pauvreté. Ça rend les choses très, très difficiles. On a même
parfois de la difficulté à trouver des façons de répondre aux besoins de base.
On
a par ailleurs mis en place un fonds d'urgence, avec Jeunesse au soleil, pour
être en mesure d'offrir aux personnes qui sont en grande précarité, au moment où on les rencontre, au moins, des
façons de répondre à leurs besoins de base, des façons de les héberger
autrement. Parce que, oui, la réalité de l'hébergement est difficile, ça amène
toutes sortes de questions, toutes
sortes d'enjeux. Est-ce qu'on parle d'une maison spécifique à ça? Il y a
d'autres enjeux qui s'ajoutent à ça, les
gens ne veulent pas être ensemble. Mais, oui, la problématique de l'hébergement
et du soutien à long terme quand une personne décide de s'installer et
de recommencer sa vie.
On
en parlait, on l'entendait tantôt, un C.V. vide pendant plusieurs années, il y
a beaucoup de choses. Quand Karine parlait
des différents besoins à combler et du besoin de travailler en collaboration,
c'est que les missions des gens doivent être complémentaires. Parce que de reprendre sa vie, de reprendre le pouvoir
sur sa vie, pour une personne victime d'exploitation
sexuelle, c'est un défi majeur. Et on doit être là, comme organisation et comme
société, pour s'assurer qu'on répond à tous ces besoins-là, mais ce
n'est pas un organisme qui va faire ça, mais c'est plusieurs ensemble.
La
Présidente (Mme St-Pierre) : Je vais vous laisser aller
rapidement, parce que Mme la députée de Roberval a des questions pour
vous, je voudrais qu'elle ait la possibilité de les poser.
Mme Damphousse
(Karine) : Je voulais juste
renchérir, dire... Une des particularités de notre travail, au CAVAC, c'est l'intervention de première ligne. Donc, au
début de la relation d'aide, les victimes ont besoin d'un suivi qui est
intensif, elles ont besoin d'être
accompagnées étroitement dans la multitude de démarches, là, qui vont leur
permettre de reprendre du contrôle
sur leur vie. Vu la complexité puis la multiplicité, là, des problématiques
avec lesquelles elles sont aux prises, il
y a beaucoup d'organismes qui doivent être impliqués dans ce processus de
rétablissement de la victime. C'est pour ça que la pratique concertée,
le partenariat étroit avec les organismes du milieu, ça devrait être la
priorité sur le terrain.
On parle d'un
trauma complexe, chez les victimes d'exploitation sexuelle, ce qui implique un
processus de rétablissement qui est
assez long. Ça nécessite l'implication d'une multitude de professionnels au fil
du temps. Donc, chacun a son rôle,
son domaine d'expertise, ce qui fait qu'avec des ententes de collaboration
étroite on pourrait entourer la victime d'une équipe d'experts, médecins, infirmières, sexologues, psychologues,
intervenants à la DPJ, en toxico, au CAVAC, en maison d'hébergement,
etc.
Donc, depuis
quelques années, on voit une volonté émerger chez les organismes pour
travailler de façon concertée, mais
il faut vraiment que cette concertation intégrée là se poursuive parce qu'elle
porte fruit, puis c'est ça qui fait toute la différence sur le terrain.
La
Présidente (Mme St-Pierre) : Vous êtes vraiment incroyables. Ce
que vous nous dites ce matin, c'est absolument extraordinaire. Continuez votre travail. Puis on va continuer les
questions parce que Mme la députée de Roberval a des questions à vous
poser.
Mme Guillemette :
Merci, Mme la Présidente. Bien, en lien avec le nombre d'intervenants, on nous
a mentionné également, dans les
dernières présentations, qu'il y avait un très grand nombre d'intervenants dans
le processus de dénonciation. Est-ce que vous voyez là un frein, vous, quand il
y a un processus de dénonciation, au grand nombre d'intervenants qu'il y a dans le... qu'il y a à
faire avec la victime? Est-ce qu'il y a un frein, chez la victime, de se
raconter, de se raconter et de se raconter encore?
Mme Michaud
(Marie-Christine) : ...dire
de recommencer l'histoire à chaque fois que la personne rencontre un
intervenant d'une organisation différente?
Mme Guillemette : Oui.
Mme Damphousse
(Karine) : Bien, c'est sûr
que c'est documenté dans plusieurs écrits scientifiques. Avoir à raconter
une expérience traumatisante à plusieurs reprises, c'est nécessairement source
de victimisation secondaire.
Mme Guillemette :
Est-ce qu'il n'y aurait un moyen d'enlever quelques intervenants, de diminuer
ce processus-là d'arrestation, de
divulgation, l'infirmière, tout le processus qu'on nous a raconté? Est-ce qu'il
y aurait moyen de raccourcir, ça? Est-ce que vous avez des pistes de
solution pour nous?
Mme Damphousse
(Karine) : Bien, moi je vous
dirais que c'est dans l'approche. Parce que c'est sûr que, la façon dont notre droit criminel est fait,
nécessairement, elle doit raconter toute l'histoire aux policiers une première
fois, sur sa déclaration vidéo, va
devoir aussi raconter son histoire, là, rendu à... si le dossier va jusqu'à la
cour, au niveau de l'enquête préliminaire
et au procès. Donc, notre droit criminel prévoit vraiment qu'il y a trois
moments où la personne va devoir raconter en détail ce qu'elle a subit.
Outre ça,
quand il y a des intervenants qui ont à interagir auprès d'elle, ils n'ont pas
besoin de connaître tous les détails
de sa victimisation. Moi, à part si elle veut m'en parle... Parce qu'il y a des
gens qui ont besoin de se confier, puis ça fait partie, là, de leur processus de rétablissement. À ce moment-là, je
vais accueillir ce qu'elle me raconte. Mais, sinon, je vais vraiment me concentrer sur les besoins
pour pouvoir, là, l'aider dans son processus. Donc, on l'oriente vraiment dans
le futur.
Mme Guillemette : O.K. Parfait.
Merci.
Mme Charest
(Jenny) : Peut-être juste
rajouter, en fait, ça va avec ce qu'on disait quand on parlait de concertation,
de liens entre les différentes
organisations, de lieux pour les créer, ces liens-là, pour mieux se connaître.
Et on vous parle aujourd'hui de notre
expérience, de notre expertise, mais, en fait, ce qu'on veut, là, dans le
réseau des CAVAC, c'est que, peu
importe où la personne va aller, pourvu qu'elle ait du soutien et qu'en fait la
personne victime, elle soit au coeur de nos préoccupations communes.
Alors, ce que
vous nommez, ça fait partie des freins à aller chercher de l'aide. Ça fait
partie des freins aussi qu'on entend parfois, quand on parle du système
judiciaire, que ça ne vaut pas la peine, qu'il n'y a pas de service aux
victimes, on entend : Il y en a trop,
ou : Il n'y en a pas assez, mais tous ces messages-là sont nuisibles pour
la personne qui est chez elle ou qui
vit des choses et qui hésite à aller chercher de l'aide, parce que le fait de
penser qu'il n'y en a pas, ça va éviter... ça va faire en sorte que la personne ne va même pas essayer, alors
d'avoir un message positif qui dit : Il y en a, des services, il y en a même, quand même, beaucoup plus qu'on
pense, et c'est important de les faire connaître, et que, peu importe où
vous allez aller, ces services-là visent à
travailler ensemble pour éviter ça, que la personne ait à répéter, répéter. Parce
qu'on le sait, on a plusieurs
équipes, au CAVAC, dans les différentes régions, on travaille avec d'autres
CAVAC régulièrement, on n'a pas eu le temps de le faire, mais il y a
plusieurs interventions qui se font dans les autres régions, parce que les personnes victimes, elles
sont déplacées d'une région à l'autre. Alors, les liens avec le réseau, les
liens avec les différentes organisations,
partout, ça fait en sorte qu'on veut éviter que cette personne-là, si elle est
dans une autre région, si elle vient d'une
autre région, elle ait à tout recommencer, mais qu'on veut qu'elle ait le
soutien là où elle veut aller. Parce qu'on en a beaucoup qu'on voit mais
qui, finalement, vont recevoir les services ailleurs.
• (13 h 10) •
La
Présidente (Mme St-Pierre) : J'aurais moi-même une question ou
deux. Tout d'abord, la question des garçons. On en parle un peu, dans la commission, de temps en temps. Je trouve
qu'on effleure le sujet. Est-ce que, dans les victimes que vous rencontrez, vous avez des garçons? Et
est-ce que la façon de travailler avec eux est différente de la façon avec
laquelle vous travaillez avec les femmes?
Mme Charest
(Jenny) : En fait, on trouve très, très malheureux de réaliser qu'on a
très, très peu de personnes victimes garçons qui viennent...
La Présidente
(Mme St-Pierre) : Et pourtant il y en a.
Mme Charest (Jenny) : ...avec qui on travaille, et on sait qu'il y en
a. Et justement on entend aussi, un peu comme je disais plut tôt, qu'il n'y a pas de services
aux hommes ou il n'y a pas de services aux garçons, alors que le réseau des
CAVAC offre des services aux hommes, aux
femmes, aux enfants, peu importe le type de crime et peu importe quand c'est
arrivé. Alors, c'est aussi un message à
faire passer, parce qu'il y a quelque part où on a de la difficulté
à les rejoindre, ces personnes
victimes là. Et, oui, l'intervention doit être différente parce que ce ne sont
pas nécessairement les mêmes enjeux.
Mais
la question qu'on a à se poser, c'est : Qu'est-ce qui fait qu'on ne les
rejoint pas ou peu? Parce que, quand
même, on en a, des personnes, on disait un 30 %, près de 30 % qui sont des hommes ou des garçons, à
l'intérieur de nos services, ce qui
est quand même un pourcentage assez élevé par rapport à la demande d'aide des
hommes. Mais il y a vraiment toutes sortes d'initiatives qui sont mises en
place pour essayer d'aller plus vers les hommes dans différentes régions du
Québec, des groupes pour hommes, de s'assurer qu'ils vont venir vers
nous et qu'on va adapter notre façon de travailler avec eux en fonction de leurs façons de rentrer en relation. Les émotions
ne sont pas les mêmes, les façons d'interagir avec les intervenants ne sont pas les mêmes, leurs
attentes ne sont pas les mêmes. Un peu comme on a compris des réactions de
personnes... de jeunes femmes, jeunes filles
victimes d'exploitation sexuelle, qui étaient normales, leur réticence à
vouloir de l'aide, alors que nous, on
est prêts à le donner, de comprendre le pourquoi de ça, bien, on est aussi à
travailler de comprendre le pourquoi
ou le comment les hommes interagissent ou vont chercher. Mais l'intervention
post-traumatique, elle, elle est la même.
On est sur les conséquences et, oui, on peut le faire, mais malheureusement on
est tristes de dire qu'on ne le fait pas beaucoup.
La Présidente
(Mme St-Pierre) : Parce que vous ne réussissez pas à les
rejoindre comme...
Mme Charest
(Jenny) : Ou, en tout cas, presque pas.
Mme Damphousse (Karine) : C'est une problématique qui fait encore l'objet
d'une condamnation sociale, hein? Ça
fait que chez beaucoup
de victimes, il y a... La honte, la culpabilité, c'est vécu de façon très
prononcée, puis ça, ça va être une
résistance, justement, à aller chercher de l'aide, la crainte d'être
jugé, la crainte aussi qu'on dévoile leurs activités prostitutionnelles, parce qu'elles vont vouloir
préserver une certaine moralité par rapport à leur entourage. Donc, dans bien
des cas, l'entourage, ce n'est pas ce qui se
passe. Ça fait qu'à partir du moment
où la personne, elle est victimisée, elle devient doublement plus
vulnérable. Parce qu'il y a en a qui vont justement éviter d'aller chercher de
l'aide pour s'assurer, justement, là, de
préserver cette moralité-là puis par crainte aussi d'être jugées, parce
qu'elles ne savent pas comment elles vont être reçues par les
intervenants sociaux mais aussi par les acteurs judiciaires.
La
Présidente (Mme St-Pierre) : Est-ce qu'il y a d'autres questions?
Parce que j'en aurais une autre. Est-ce que vous auriez une question?
Une voix :
...
La
Présidente (Mme St-Pierre) : O.K. Alors, c'est sur la question
des femmes autochtones... bien, femmes ou garçons, là, mais, enfin, des victimes, parlons des victimes
autochtones. On nous a dit cette semaine qu'il y avait une proportion assez importante de femmes autochtones victimes.
Vous êtes probablement à même de nous le confirmer. Est-ce qu'encore là
vous réussissez à les rejoindre? Est-ce qu'entrer en contact avec elles c'est
plus difficile? Est-ce que le lien de confiance se fait? Est-ce que vous avez des femmes autochtones qui travaillent
aussi dans votre groupe pour entrer plus facilement en contact?
Mme Michaud (Marie-Christine) : Ça va dépendre des régions. Je sais qu'à
Montréal... Je vais te laisser, Jenny, parler
de Montréal, mais ce que je peux vous dire, quand même, c'est que, dans
différents CAVAC, oui, il y a des intervenantes qui parlent des langues
autochtones, des intervenantes autochtones, je vous dirais que... dans environ
cinq régions, je pense, que sont
l'Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, le Saguenay—Lac-Saint-Jean, les CAVAC cris et du Nunavik. Par
exemple, le CAVAC du Nunavik ont six
intervenantes inuites, donc ça veut dire que nous avons des intervenantes qui
parlent en inuktitut, en attikamek,
en innu, cri. Ce que je me rappelle, plutôt, par rapport à ces langues-là, il y
a vraiment, dépendamment des régions, oui, des interventions qui sont
spécifiques aux personnes autochtones.
Maintenant,
oui, ce que je crois comprendre, oui, les populations des peuples autochtones
et inuit, je pense, sont sous-représentées
en termes d'exploitation sexuelle. Maintenant, ce sont quand même des
interventions qui sont spécifiques, et,
comme on l'a dit, il n'y a pas encore... je n'ai pas eu le temps de le dire,
mais il n'y a pas d'intervention nécessairement spécifique partout dans tous les CAVAC, dans tous les CAVAC des régions
du Québec. Par contre, il y a une intervention post-traumatique.
Vous avez
raison, ce n'est pas toujours facile de rejoindre ces personnes-là. Il y a
notamment le lien de confiance. Il y
a une façon d'intervenir aussi qui est particulière, qui est spécifique quand
on intervient auprès des peuples autochtones. Ils n'ont pas la même façon d'accueillir l'information. Mais je peux
vous dire par contre qu'il y a vraiment une préoccupation, et on se penche vraiment... Nous avons même un
comité à l'interne qui se penche sur comment mieux intervenir auprès de ces
personnes.
Mme Charest
(Jenny) : En fait, elles
sont réellement surreprésentées. La problématique implique tout le déplacement,
les personnes qui viennent du Nord, qui
transigent à Montréal, pour toutes sortes de raisons, et qui se retrouvent dans
des positions d'extrême
vulnérabilité. Ça, on le sait. La façon de faire, c'est d'aller vers eux et non
pas attendre qu'elles ou qu'ils
viennent vers nous. Et c'est ce qu'on tente de faire, et c'est ce qu'on veut
continuer de faire. Parce que les autochtones en milieu urbain sont un peu invisibles. Et, pour nous, ça nous
préoccupe vraiment, parce que cette invisibilité-là les rend extrêmement vulnérables. Alors, comment on fait?
On est en lien avec les CAVAC cris et, justement, innus du Nunavik pour trouver la façon de s'assurer, quand quelqu'un
disparaît, qu'il est à Montréal... comment on travaille ensemble, d'essayer
de faire en sorte qu'on peut mieux voir la trajectoire et ne pas perdre des
gens.
Et, en fait,
comme Karine le disait, on a beaucoup de références de la police. La police
commence à avoir un peu plus de liens
aussi avec les communautés autochtones. Il y a un agent de liaison autochtone
qui fait aussi une différence, avec qui
on a travaillé dans le passé. Mais c'est un travail qui est toujours à refaire
et qu'on va poursuivre, parce qu'on ne peut pas dire qu'on rejoint bien cette clientèle-là qui devrait finalement
être en fort pourcentage parmi ceux qu'on dessert, parmi ceux qu'on
accompagne, et ce n'est pas le cas.
Mme Michaud
(Marie-Christine) : Mais je
peux quand même vraiment vous dire que les CAVAC cris du Nunavik, l'Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord,
particulièrement Outaouais et Saguenay—Lac-Saint-Jean, ont vraiment des programmes
spécifiques, des intervenants et travaillent vraiment très, très fort à
cet égard-là.
La
Présidente (Mme St-Pierre) : Alors, je vous remercie beaucoup.
Vous avez vraiment bien contribué à notre commission parlementaire spéciale.
Merci pour ces témoignages puis d'avoir partagé votre expérience. Alors,
j'espère que vous allez continuer à suivre nos travaux.
Et puis nous,
on va suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures, cet après-midi. Alors, je
vous souhaite bon retour à la maison, puis on se revoit, nous, à
15 heures, cet après-midi. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 13 h 18)
(Reprise à 15 h 3)
Le
Président (M. Lafrenière) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission
spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux.
Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs appareils électroniques, sans cibler personne.
Nous
poursuivons les consultations
particulières et auditions publiques
de la Commission spéciale sur
l'exploitation sexuelle des mineurs. Cet après-midi, nous entendrons l'équipe intégrée de lutte
contre l'exploitation sexuelle, l'EILP, le Service de police de la ville
de Montréal, la Centrale des syndicats du Québec et le Centre Cyber-aide.
Donc, je
souhaite la bienvenue à l'équipe intégrée de lutte à l'exploitation sexuelle,
l'EILP. Je vous rappelle que vous
disposez de 20 minutes de présentation, et, par la suite, il y aura 25 minutes d'échange avec les membres de
cette même commission. Je vous demanderais de vous présenter et de faire
votre exposé.
Équipe
intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP)
M. Guertin
(Sylvain) : Merci, M. le Président. Je me présente, Sylvain Guertin, je suis
inspecteur à la Direction des
enquêtes criminelles de la Sûreté du
Québec. Je vais vous présenter les
personnes qui m'accompagnent aujourd'hui :
à ma droite, Jessica Paradis, de la Direction
des enquêtes criminelles; Karolane Simard, du bureau de renseignements stratégiques; ma consoeur du
SPVM, l'inspectrice Brigitte Barabé, du Service des enquêtes criminelles; ainsi
que Frédéric Martineau, lieutenant-détective à la section d'exploitation
sexuelle de la police de Montréal.
Dans un premier temps, j'aimerais prendre quelques
instants pour remercier la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs de nous avoir invités, mes collègues et moi, à participer aux consultations particulières et aux auditions publiques sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Au nom de la Sûreté du Québec et du Service de police de la
ville de Montréal, nous sommes heureux d'avoir l'opportunité aujourd'hui de vous partager nos connaissances et nos préoccupations
au regard de cette problématique. Il faut
également mentionner qu'aujourd'hui nous ne sommes pas seulement ici en tant
que représentants de la Sûreté du Québec et du Service de police de la ville de
Montréal, mais bien aussi en tant que représentants de l'Équipe intégrée de
lutte contre le proxénétisme.
L'exploitation
sexuelle est une problématique sérieuse à laquelle l'ensemble de notre société
est confrontée et devant laquelle on
ne peut rester insensible. Elle englobe un vaste éventail de situations,
de contextes et de comportements dont les
conséquences sont dévastatrices pour les victimes. L'étendue et l'ampleur que
connaît cette problématique aujourd'hui
confirment l'importance de la présente
commission, et nous sommes heureux de pouvoir contribuer aux travaux de
celle-ci.
Pour la
période qui nous est allouée aujourd'hui, nous avons divisé le contenu de notre
présentation en deux volets. Dans un
premier temps, nous allons prendre quelques minutes pour vous exposer ce qui
est fait à l'heure actuelle de façon provinciale
pour lutter contre le phénomène de l'exploitation sexuelle. On abordera les
différentes structures et les mécanismes de concertation qui sont en
place au Québec, dont l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme et la
structure de coordination provinciale de la Sûreté du Québec.
Dans un deuxième temps, on abordera les
principaux enjeux et défis auxquels les organisations policières sont confrontées au niveau de l'exploitation sexuelle
des mineurs. Ceci nous amènera à vous soumettre quelques pistes de solution
qui seraient susceptibles d'optimiser, de
façon provinciale, l'effort policier concerté contre l'exploitation sexuelle
des mineurs.
Mais, avant
de débuter, permettez-moi simplement de vous rappeler qu'au niveau de la
responsabilité des corps policiers au Québec en matière d'enquêtes, de lutte au
proxénétisme... on se rappellera que, selon la Loi sur la police, les enquêtes relatives au proxénétisme sont des activités de
niveau 3, c'est-à-dire qu'au Québec les seuls corps de police qui sont habilités à mener ce type d'enquête sont ceux
offrant des services de niveau 3 et plus. On parle ici de la Sûreté du
Québec, le Service de police de la
ville de Montréal, le Service de police de la ville de Québec, le Service de
police de l'agglomération de
Longueuil, le Service de police de Laval et le Service de police de la ville de
Gatineau. Lorsqu'il y a des événements qui se produisent sur le
territoire desservi par les services de police de niveau 1 et 2, c'est la
Sûreté du Québec qui prend la responsabilité,
conformément au rôle qui lui est dévolu en vertu de la Loi sur la police en
tant que corps de police national au Québec.
Mme Barabé (Brigitte) : Depuis
2017, les corps de police du Québec de niveau 3 et plus travaillent de
façon concertée et coordonnée dans le cadre
de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme. Cette équipe s'attaque
précisément aux réseaux de
proxénétisme et de traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle, qui
opèrent au Québec sur une base interrégionale, interprovinciale et
internationale.
Cette équipe
poursuit son mandat en ciblant d'abord les individus ou les groupes qui
permettent aux différentes formes d'exploitation
sexuelle de prospérer. De plus, l'équipe a pour mandat de tenter de réduire
l'intérêt économique de cette activité illégale.
L'équipe intégrée est sous le commandement du
Service de police de la ville de Montréal. La Sûreté assume, quant à elle, la
coordination provinciale au sein de l'équipe.
L'équipe
intégrée est composée de 23 ressources qui sont issues de différents corps
de police de niveau 3 et plus, dont
mon collègue a fait mention précédemment, en plus de la Gendarmerie royale du
Canada qui participe également. On y
compte un commandant, un chef d'équipe, une coordonnatrice provinciale,
15 enquêteurs, deux analystes en renseignements criminels et du
personnel de soutien administratif.
Les
ressources des services de police de Montréal, de Laval, de Longueuil, de la
Sûreté et de la gendarmerie du Canada
oeuvrent directement au sein de l'équipe d'enquête située à Montréal, alors que
les ressources des services de police de
Québec et de Gatineau travaillent quant à elles à partir des postes satellites
qui sont déconcentrés dans leurs régions respectives.
• (15 h 10) •
M. Guertin
(Sylvain) : Aujourd'hui,
avec les technologies de l'information et l'accessibilité grandissante à
Internet et aux médias sociaux,
l'exploitation sexuelle des mineurs n'est plus une problématique qui est
exclusive aux grands centres. Qu'il
s'agisse d'une municipalité urbaine à l'image de Montréal ou d'une municipalité
en région éloignée, nul n'est à l'abri de l'exploitation sexuelle et des
conséquences qui en découlent.
Pour lutter
efficacement contre cette problématique qui sévit sur l'ensemble du territoire
québécois, il est essentiel que les
différents corps de police au Québec se parlent et coordonnent leurs efforts.
C'est donc dans cet esprit que la Sûreté du Québec a mis en place, en 2016, une structure de coordination
provinciale en matière de proxénétisme et de traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Cette
structure est soutenue par trois pôles de coordination régionaux situés à Québec, à Boucherville et à Mascouche afin de
faciliter une saine gestion et un partage fluide du renseignement entre les
unités de la Sûreté du Québec.
Avec
l'arrivée de l'équipe intégrée de lutte au proxénétisme, en 2017, la structure
de coordination provinciale qui était
en place à la Sûreté du Québec a été intégrée au sein de l'équipe. Le coordonnateur, qui oeuvre maintenant
directement au sein de l'équipe intégrée, est donc responsable
de coordonner l'ensemble des activités qui sont réalisées au Québec en matière
de proxénétisme. Concrètement, il favorise la liaison entre les corps de police municipaux et les pôles de coordination régionaux établis par la Sûreté. Il permet un
partage d'information au sein de la communauté policière pour ultimement nous
permettre tous d'être en mesure de détecter
les situations à risque et d'intervenir de façon uniforme et coordonnée au
Québec. Malheureusement, malgré les
lois en vigueur et malgré les efforts policiers qui sont menés au quotidien, la
problématique de l'exploitation
sexuelle des mineurs persiste et continue de faire des ravages auprès des
jeunes victimes et de leur famille. Il
faut donc continuer dans cet effort collectif et se donner les moyens
nécessaires pour faire face à cette problématique sous tous ses angles.
Mme Barabé
(Brigitte) : Il est
désormais clair que l'exploitation sexuelle touche l'ensemble de la province. À
l'heure actuelle, l'équipe intégrée est très
opérationnelle sur le territoire du Grand Montréal. Cependant, il devient
essentiel d'étendre cette expertise
ainsi que la portée des actions de l'équipe intégrée. Dans bien des cas, ce
sont les enquêteurs de l'équipe
intégrée, situés à Montréal, qui doivent se déplacer pour soutenir la
réalisation ailleurs en province. Vous comprendrez que cette façon de faire n'est pas optimale. Les
équipes satellites ne bénéficient pas du partage d'expertise autant que
l'équipe située à Montréal, ce qui les empêche de devenir autonomes.
Considérant l'étendue
actuelle de la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs, il est
plus que jamais essentiel d'étendre la
portée des interventions de l'équipe intégrée. Cela passe entre autres par une
augmentation de sa capacité opérationnelle
dans les différentes régions du Québec. La mise en place de pôles
d'intervention régionaux de l'équipe intégrée s'avère donc indispensable.
Composés d'équipes d'enquête renforcées et basés à Québec, à Montréal et à
Gatineau, ces pôles d'intervention permettraient de desservir
respectivement l'est, le centre et l'ouest de la province en matière
d'exploitation sexuelle.
De
plus, il est important de rappeler que l'équipe intégrée a un mandat bien
précis au niveau des réseaux de proxénétisme
qui opèrent sur une base interrégionale au Québec. Les trois pôles
permettraient donc à l'EILP de mieux répondre à cette partie de ce mandat. Ce mandat interrégional n'englobe donc pas
l'ensemble de la problématique de l'exploitation sexuelle, et l'équipe intégrée ne peut pas s'attarder à tous les
dossiers qui traitent d'exploitation sexuelle, surtout lorsqu'ils révèlent d'une juridiction locale. Il est
pertinent de se rappeler que, selon la Loi de police, les différents corps de
police ont également des obligations sur leurs territoires respectifs. Il
appert donc tout aussi important d'encourager la formation d'équipes locales au sein même des services de
police, des équipes dédiées spécifiquement à l'exploitation sexuelle ou, à tout
le moins, la désignation d'enquêteurs dans les différents corps de police
municipaux pour le traitement des dossiers d'exploitation sexuelle.
En complémentarité
aux actions policières en matière de détection et de répression, le travail des
analystes en renseignements criminels
demeure un aspect incontournable devant une problématique aussi complexe et
évolutive que l'exploitation sexuelle
des mineurs. En fait, l'analyse en renseignements se situe souvent à la base
des enquêtes et permet d'orienter et
de guider les actions policières, et ce, autant au plan opérationnel qu'au plan
de la prévention. Actuellement, la capacité
de l'équipe intégrée en matière d'analyse de renseignements demeure limitée
considérant qu'elle n'a que deux
ressources à sa disposition. Dans ce contexte, un rehaussement de la capacité
opérationnelle en matière d'analyse contribuerait aussi à accroître la
capacité et la portée des actions de l'équipe intégrée.
M. Guertin (Sylvain) : D'un côté, on a besoin d'augmenter notre capacité
d'action et la portée des interventions au niveau de l'équipe intégrée. Ça veut dire de se donner les moyens
nécessaires en termes de ressources humaines et de déploiement des
équipes d'enquête locales et régionales.
D'un
autre côté, on a aussi l'expertise et la formation des policiers. C'est
effectivement pertinent d'avoir une équipe renforcée, mais encore faut-il qu'elle soit autonome et qu'elle
travaille de façon uniforme. Les membres de l'équipe intégrée à Montréal ont développé au fil des ans une
expertise de pointe dans le domaine de l'exploitation sexuelle, une expertise
qui n'est cependant pas étendue sur l'ensemble du territoire.
Pourtant,
les dossiers qui ont été enquêtés par les corps de police depuis janvier 2018
démontrent que les activités de
prostitution se déroulent à Montréal, dans les municipalités urbaines telles
que Québec, Gatineau, Laval et Longueuil, mais aussi dans les municipalités moins populeuses. Ces données nous
confirment que le phénomène est présent partout en province, d'où l'importance d'étendre l'expertise et les
connaissances sur l'ensemble du territoire québécois. Certes, il existe des modèles de formation à travers la
province, mais qui ne sont malheureusement pas uniformes. Dans ce contexte,
il est essentiel d'imposer une formation
provinciale obligatoire sur l'exploitation sexuelle pour que tous les policiers
du Québec aient un niveau de connaissance minimal et uniforme dans ce
domaine.
En
outre, les intervenants des différents milieux, notamment la justice, les
procureurs, les milieux scolaires, les intervenants
sociaux, ne sont pas tous bien au fait de l'exploitation sexuelle, et il existe
malheureusement encore des préjugés, même
dans le réseau. Les ateliers de sensibilisation auprès des différents milieux permettent
de rejoindre les victimes d'exploitation
sexuelle et constituent un moyen complémentaire à l'intervention policière. Par
exemple, la sensibilisation des intervenants en santé fait clairement une
différence dans le dépistage des situations d'exploitation. À l'instar des
besoins exposés en termes de formation pour
les policiers, la sensibilisation des différents intervenants relativement à
l'exploitation sexuelle et ses conséquences est tout aussi importante.
Mme Barabé
(Brigitte) : Un autre défi auquel les organisations policières sont
confrontées dans les dossiers d'exploitation
sexuelle se situe face au moment lors duquel nous devons présenter le dossier
au Directeur des poursuites criminelles
et pénales aux fins de poursuite judiciaire. Il n'est pas rare que les
infractions se soient déroulées dans plus d'une juridiction. Parfois, on peut voir des dossiers impliquant jusqu'à cinq
juridictions différentes. Quoi qu'il en soit, il est essentiel de mettre la victime au coeur de nos préoccupations
en ayant le pouvoir de regrouper les accusations. Cette démarche éviterait
que la victime ait à témoigner plusieurs fois, ce qui augmente considérablement
son niveau de victimisation.
Nous le savons tous,
les victimes d'exploitation sexuelle se distinguent entre autres par leur
fragilité et leur vulnérabilité. Elles
peuvent donc facilement être déstabilisées par la charge émotionnelle et
l'instabilité que peut amener le
processus judiciaire. Il devient donc primordial d'assurer un arrimage entre
les différentes juridictions afin d'assurer un traitement uniforme et
efficace des dossiers d'exploitation sexuelle en province au niveau des
poursuites criminelles.
Une
solution qui serait facilitante, dans ce contexte, serait, par exemple,
l'identification d'un procureur coordonnateur. Celui-ci pourrait faciliter l'harmonisation des façons de faire entre
les différentes juridictions, en plus de diminuer les délais des autorisations. Certains dossiers de l'EILP
peuvent attendre au-delà de 12 mois avant d'être autorisés, puisque les
différentes juridictions viennent complexifier les décisions du DPCP
quant au jumelage ou non des dossiers interjuridictions.
De
plus, il pourrait être judicieux d'évaluer la possibilité d'identifier des
procureurs spécialistes pouvant se concentrer spécifiquement aux dossiers de proxénétisme, comme c'est d'ailleurs le
cas en pornographie juvénile. Cette désignation pourrait permettre de développer une expertise spécifique en matière
d'exploitation sexuelle et optimiser le traitement de ces dossiers et,
par le fait même, le support offert aux victimes qui portent plainte.
Par ailleurs, lorsque les dossiers
impliquent un lien avec une autre province du Canada, ce qui malheureusement
n'est pas rare, les corps policiers doivent composer
avec des différences de nature législative en ce qui a trait à la protection
de la jeunesse. Ces différences ont des
conséquences importantes, puisque l'application de la loi, les interdits et les
pouvoirs qui y sont liés divergent
d'une province à l'autre, influençant directement la portée des actions des
corps policiers québécois et canadiens.
Il
serait donc des plus pertinents d'évaluer dans quelle mesure il pourrait être
possible de favoriser un arrimage dans l'application
des lois provinciales sur la protection de la jeunesse entre les provinces.
Cette action est d'autant plus importante afin de protéger nos jeunes qui se retrouvent en terrain inconnu, loin
de leurs points de repère et faisant face à une barrière de langage qui
les rend encore plus vulnérables.
• (15 h 20) •
M. Guertin
(Sylvain) : L'exploitation sexuelle des mineurs sous toutes ses formes
s'avère une problématique pluridimensionnelle. Chaque cas d'exploitation est
unique et comporte diverses complexités qui peuvent relever de la compétence de multiples organismes, notamment les
services policiers et les centres jeunesse, la justice, le milieu scolaire,
les intervenants en toxicomanie, par exemple.
La collaboration
étroite entre tous ces intervenants est donc un incontournable pour lutter
contre l'exploitation sexuelle de façon optimale
et répondre aux multiples besoins des victimes. La mise en place d'un guichet
unique pourrait constituer une partie
de la solution, un guichet qui constituerait une sorte de plateforme d'échange
où les différents ministères et organismes concernés pourraient adresser les
problématiques rencontrées et identifier rapidement les ajustements qui
sont nécessaires par l'intervenant
compétent. Une telle approche permettrait sans doute une meilleure cohésion
entre les organismes et une complémentarité dans les initiatives qui
sont mises en place à différents niveaux.
De façon
complémentaire à l'intervention policière, il faut aussi miser davantage sur le
recours aux différents services d'aide afin de soutenir les victimes
d'exploitation sexuelle, d'assurer leur sécurité et de leur offrir des services
appropriés. Dans près d'un dossier sur deux,
selon les témoignages et notre expertise, les victimes reçoivent des menaces
directes ou indirectes de leurs proxénètes
au cours des procédures judiciaires et leur emprise persiste souvent bien
au-delà de la période d'exploitation.
La sécurité des victimes doit être une
priorité, en particulier lors des témoignages de ces dernières. Bien souvent, les victimes d'exploitation sexuelle sont aux prises avec différentes problématiques,
tout aussi importantes, pour lesquelles elles ont besoin de services.
Ceci
m'amène à parler de façon plus spécifique
de la collaboration avec les différents centres jeunesse au Québec. Annuellement, au Québec, on a plus de 12 500 disparitions
qui sont rapportées aux services policiers, pour lesquelles la grande majorité des personnes qui sont disparues
sont retrouvées rapidement saines et sauves. Plusieurs de ces disparitions
représentent des fugues, dont plusieurs
impliquent des jeunes hébergées en centre jeunesse. Les statistiques le
démontrent, la période de fugue est
très propice au recrutement d'éventuelles victimes d'exploitation sexuelle et
ce facteur est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de fugues de
centres jeunesse.
En
effet, les jeunes en centre jeunesse sont souvent une population plus à risque
face à cette problématique et y sont souvent surreprésentés.
Malheureusement, la collaboration entre les centres jeunesse et les services
policiers n'est pas uniforme sur l'ensemble
du territoire québécois. De plus, les policiers ne sont pas systématiquement
informés de récidives et autres
facteurs dans l'environnement d'une fugueuse ou d'un fugueur si d'autres
infractions criminelles ne sont pas commises au moment de la fugue, ce qui limite
la capacité d'action en termes de prévention. Il serait donc important
d'accroître et d'uniformiser la
collaboration avec les centres jeunesse du Québec, premièrement, dans un souci
de prévention et d'enquête, lorsqu'il
y a des disparitions, mais aussi pour être davantage en mesure d'identifier les
victimes et les réseaux de proxénètes.
Dans
l'ère actuelle, l'Internet et les médias sociaux constituent des outils de
formation et de socialisation extraordinaires.
Ces technologies sont aujourd'hui présentes dans la majorité des foyers
québécois, et leur popularité auprès des
jeunes ne cesse de croître. En dépit des nombreux avantages que comportent
l'Internet et les technologies de l'information, ceux-ci s'avèrent également des outils de choix pour le recrutement
d'éventuelles victimes de proxénétisme. La lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs ne peut faire
abstraction des technologies et de la capacité des organisations policières
à cet égard. Devant l'évolution rapide des
technologies, la capacité des organisations policières à maintenir leurs
connaissances et à suivre cette
évolution représente un défi de taille. Elles doivent être en mesure d'acquérir
les technologies nécessaires, souvent
très coûteuses, pour suivre l'évolution de la criminalité et demeurer à
l'avant-garde des méthodes employées par les criminels.
À
l'heure actuelle, il est difficile pour l'EILP, tout comme pour les autres
organisations policières, d'acquérir, en temps opportun, les technologies nécessaires à la réalisation de leurs
enquêtes. Dans un contexte où les criminels se dotent d'outils et de moyens de plus en plus sophistiqués
pour commettre leurs crimes et assurer leur anonymat, il est essentiel d'offrir
aux organisations policières la capacité
d'être à la hauteur des avancées technologiques et du raffinement des actes
criminels. Une plus grande agilité dans le processus d'acquisition et de
dotation permettrait assurément aux autorités de demeurer à l'affût des
technologies modernes, tel que l'exige cette forme de criminalité complexe.
Mme Barabé (Brigitte) : L'exploitation sexuelle des mineurs est une
problématique d'envergure provinciale, qui touche l'ensemble de la société québécoise. Certes, les organisations
policières ont su mettre en place, au fil des ans, différentes structures et divers moyens pour y faire face et
en suivre l'évolution. Bien que les initiatives, telles que l'Équipe intégrée
de lutte contre le proxénétisme et la structure de coordination provinciale,
aient su démontrer leur efficacité, elles ne représentent, dans leur forme
actuelle, qu'une partie de la solution.
Le Président (M. Lafrenière) : Je vais vous demander de conclure, s'il vous
plaît. Il reste 30 secondes à votre...
Mme Barabé (Brigitte) : Nous espérons que les constats et les pistes de
solutions que nous venons de vous partager aiguilleront la commission dans ses réflexions et permettront ultimement
de lutter collectivement contre cette problématique d'envergure
provinciale.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Merci de votre exposé. On va maintenant passer à la période
d'échange avec les députés. Le député de Vachon va vous poser une petite
question, réflexion en même temps.
Vous
avez parlé beaucoup de formation des policiers. Dans les derniers jours, on a
entendu des gens nous parler d'éducation
de nos jeunes hommes, de nos jeunes femmes. J'aimerais combiner les deux en
parlant d'éducation des policiers aussi.
Je sais que, dans certaines villes, on peut entendre les survivantes. Ici,
nous, on a eu la chance d'entendre deux survivantes depuis le début des travaux. Je peux vous dire que
ça a changé notre vision, pour ne pas dire notre vie, un peu. Ça nous a changé
notre façon de voir les gens.
Est-ce
que cette formation-là, vous avez prévu la donner au niveau provincial? Est-ce
qu'il y a une possibilité qu'au niveau
provincial nos policiers puissent être sensibilisés par des survivantes, qui
puissent parler de leur réalité, afin que nos policiers les voient comme
des victimes?
M. Guertin (Sylvain) : Clairement, la formation est au coeur des préoccupations. Pour s'assurer d'avoir
un modèle efficace, il faut que nos intervenants, à tous les niveaux, soient sensibilisés pour faire tomber peut-être
les mythes et préjugés qui pourraient
toujours subsister dans certains cas. Puis je pense que,
l'incompréhension, au niveau du support qui peut être fait par
rapport à ce type de victime là, qui
est particulière, c'est important de
travailler à outiller de façon uniforme
les policiers.
Il y a
des bonnes initiatives qui sont faites à différents niveaux, que ça soit dans
les organisations policières qui, selon leurs réalités locales,
vont préparer des modèles de formation pour sensibiliser leur personnel, mais il y a également l'École nationale de police
depuis la mise en place de l'EILP. L'EILP a contribué, avec l'École nationale
de police, de développer un scénario qui est
donné aux futurs policiers qui sont en formation de base, à l'école de police,
afin de reconnaître ces signes-là et
ces façons d'intervenir. Ça fait que ça outille déjà tous les policiers qui
passent par l'école de police. C'est une
façon proactive de le faire. C'est des policiers en devenir. Ça fait qu'il y a un bloc de formation qui est
attribué, avec un scénario qui
inclut... avec des comédiens. Ça fait qu'ils peuvent intervenir, déjà là, en
mode pratique par rapport à ça.
Le Président (M. Lafrenière) : De façon très précise, est-ce qu'il est prévu, justement, d'avoir des
témoignages soit de victimes ou de représentants de groupes de victimes pour
s'assurer d'une cohésion entre le communautaire puis la police?
M. Guertin
(Sylvain) : Il y a déjà plusieurs initiatives qui sont prises par
rapport à ça. Un modèle comme Les Survivantes, c'est essentiel pour avoir de la
formation puis de vraiment l'entendre de la bouche des personnes qui ont vécu,
qui ont réussi à s'en sortir, pour vraiment
comprendre les barrières qui peuvent subsister puis comment qu'elles se sont
senties. Ça fait qu'effectivement
c'est des choses qui sont envisagées pour trouver un modèle qui pourrait
correspondre, à la grandeur de la province, pour pouvoir donner,
justement, ces outils-là aux premiers intervenants.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil :
Oui, bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation très, très complète. Vous
reprenez beaucoup d'éléments qu'on a entendus ici et là.
Donc,
plusieurs questions. Le DPCP, donc, de regrouper les accusations, est-ce que...
Donc, pour l'instant, la situation actuelle,
c'est que, oui, si le phénomène s'est reproduit, cette fille devra vivre le
supplice du témoignage à chaque fois ou est-ce qu'il y a déjà des procureurs qui vont regrouper? C'est quoi, la
pratique, actuellement, à cet égard, contre les proxénètes?
M. Guertin
(Sylvain) : Bien, premièrement, ce qui est particulier, c'est que,
dans certaines régions, c'est un phénomène
qui est relativement nouveau. Ça fait que les procureurs, dans des grands
centres urbains, ont des équipes qui sont
dédiées à faire ce type de dossier là, et tous les services sont disponibles,
ce qui est... Malheureusement, ce qu'on se rend compte, avec les statistiques, présentement, dans les dossiers
qu'on a analysés... On a pris tous les dossiers qui ont été enquêtés à l'EILP depuis 2018, puis on a fait
l'analyse, et on se rend compte qu'il y a beaucoup des chefs d'accusation qui
sont portés à l'extérieur de Montréal, où
les connaissances ne sont peut-être pas toutes au même niveau. Il faut savoir
que c'est des procureurs qui ont un lot quotidien de dossiers et qu'il
n'y a pas nécessairement juste des dossiers de cette nature-là. Ça fait qu'ils doivent adapter leur pratique pour s'assurer
d'être en mesure d'offrir un service puis de se coordonner avec les autres districts judiciaires, parce que,
malheureusement, les infractions... Comme, là, les statistiques nous démontrent
que les victimes sont beaucoup transférées
ou transportées de ville en ville. Une même victime qui décide de rapporter ce
qu'elle a vécu puis d'embarquer dans un
processus judiciaire, ça nous met devant le fait qu'il faut aller dans
plusieurs districts rencontrer les
procureurs, déposer les accusations. C'est sûr que l'idéal serait d'avoir un
procureur qui vienne, dans le fond, supporter,
trancher, coordonner ces efforts-là pour que la victime n'ait pas à témoigner
dans cinq procès différents, dans cinq régions différentes, puis que ça soit un
regroupement dans les juridictions, pour que ça soit plus facilitant de
vraiment mettre la victime au coeur
nos préoccupations dans le système judiciaire, pour s'assurer que, tout au long
du processus, on ne la revictimise pas puis qu'on soit capable de bien
la soutenir tout au long du processus.
Mme Weil :
Et qu'est-ce que vous observez par rapport aux sentences que vous voyez, même
dans des cas graves? Est-ce que vous
êtes satisfaits que la justice rende justice ou que c'est parfois complaisant,
un peu, par rapport à la gravité des accusations?
M. Guertin (Sylvain) : Tous les dossiers, présentement, qu'une victime
de proxénétisme... c'est des dossiers, c'est des crimes contre la
personne. C'est vraiment les infractions les plus graves au Code criminel.
Mme Weil :
Mais les sentences reflètent...
M. Guertin (Sylvain) : Effectivement, on a eu, d'ailleurs, cette
semaine, un dossier. à l'EILP. que les sentences ont été très sévères, puis il y a le principe des peines cumulatives qui
peuvent entrer en ligne de compte. C'est vraiment pris au sérieux.
De
plus en plus, la force des dossiers qu'on est capable de monter puis de déposer
devant la cour fait en sorte que les
sentences suivent. Effectivement, je pense, c'est une prise de conscience, puis
effectivement les derniers dossiers révèlent que cette tendance-là est à
la hausse.
• (15 h 30) •
Mme Weil :
Donc, ça, c'est le proxénète dont on parle. Dans le cas de mineurs,
essentiellement? Ce serait dans le cas
de victimes mineures ou autre ou ils ne font pas de distinction? C'est tant
qu'il y a un proxénète ou est-ce qu'il y a un accent... On semblait comprendre de certains témoignages que l'accent
est mis plus sur les mineurs et moins sur la femme adulte qui serait victime parce qu'il y a comme...
je ne sais pas si c'est une course contre la montre pour essayer d'attraper
le proxénète, dans le cas de mineures, ou
est-ce qu'il n'y a pas de distinction essentiellement, quand on voit la gravité
et le comportement de cette personne puis l'état dans lequel la femme se
situe, la police considère que c'est une priorité.
M. Guertin
(Sylvain) : Au niveau des sentences, là, c'est sûr que...
Mme Weil :
Pas les sentences, mais, comment dire, l'arrestation, là, de ces personnes-là,
c'est-à-dire, la police qui fait ses enquêtes par rapport... c'est quoi,
les priorités? Parce qu'on entendait différentes choses. C'est-à-dire que, bon,
premièrement, on va parler du client
abuseur, qu'il n'y a pas d'accent mis là-dessus du tout pour aller porter des
accusations contre le client abuseur, alors on peut commencer par ça, et que
c'est un problème, dans le sens que c'est vraiment ce client abuseur qui est au coeur de ce système d'offre et
de la demande. C'est quoi, vos commentaires ou vos observations par
rapport... bien, dans votre cas, là, aussi, de corps policier, de votre corps
policier ou les corps policiers?
M. Guertin
(Sylvain) : O.K. Je veux juste essayer de répondre à la question dans
l'ordre.
Mme Weil :
Bien, on va commencer avec ça...
M. Guertin
(Sylvain) : Oui, parce que ce n'est pas...
Mme Weil :
...le client abuseur, parce que c'est là où il y a un sentiment de... pas de
complaisance, mais, oui, dans un
sens, et c'est là où on a eu des débats sur : Bon, bien, c'est peut-être
parce que l'accent est mis sur les proxénètes qui ont des mineures qui... donc, des mineures sont aux
prises d'un proxénète. Alors, juste vos commentaires sur comment vous
priorisez avec les ressources que vous avez.
M. Guertin
(Sylvain) : C'est sûr que les travaux qu'on vous a exposés aujourd'hui
sont relativement à l'équipe intégrée de
lutte au proxénétisme, qui est une équipe regroupée qui prend les dossiers les
plus complexes. Si on regarde au niveau
des différents services de police au Québec, il y a des responsabilités à ce
qu'on appelle le niveau de prostitution de rue, qui est de niveau 1, que tous les corps policiers ont dans leurs
obligations de faire des enquêtes en matière de prostitution de rue qu'on appelle, et, les clients, il y a des
possibilités de faire des arrestations au niveau des clients. Parce que dans
chacune des juridictions il y a des
priorités qui sont mises en renseignement, en prévention au niveau du travail
auprès des personnes victimes qui
s'adonnent à la prostitution, pour s'assurer de leur sécurité et autres puis
aider celles qui ont manifesté un désir d'avoir un support au niveau des
arrestations par rapport à... Les différentes organisations policières font des
opérations clients, qu'on appelle. C'est sûr
que l'emphase est mise présentement sur les victimes d'âge mineur qui, dans le
fond... il y a une sollicitation de services sexuels par rapport à des
victimes d'âge mineur.
Mme Weil :
Et ce qu'on nous a dit, c'est que les opérations clients sont très intensives.
Ça prend beaucoup de ressources. C'est complexe, c'est long. Donc, c'est un des
commentaires qu'on a eus.
Juste une dernière
question. J'en aurais beaucoup, mais il y a d'autres qui ont des questions.
Le Président
(M. Lafrenière) : ...on a encore cinq questions d'enregistrées en
15 minutes.
Mme Weil :
C'est sûr.
Le Président
(M. Lafrenière) : On va essayer de faire des questions courtes.
Mme Weil :
Oui, mais je suis toujours la dernière à poser des questions...
Le Président
(M. Lafrenière) : Je le sais.
Mme Weil : ...alors j'en
profite. L'éducation...
Le
Président (M. Lafrenière) : Vous vous êtes enregistrée tôt
aujourd'hui.
Mme Weil :
Bien, c'est parce que je pense que je suis la dernière à lever la main. Donc,
l'éducation, est-ce que vous avez des
occasions, vous, d'aller... Est-ce que vous avez eu l'occasion d'aller dans des
écoles et de parler de ces enjeux? Est-ce
que vous avez des programmes déjà que vous avez commencés pour échanger avec
les jeunes sur ces enjeux-là?
M. Guertin (Sylvain) : Au niveau de la... Vous parlez peut-être moins au
niveau de l'EILP, mais, si on parle
d'un niveau... Chaque organisation policière a un volet prévention, là, avec les différentes écoles. À
titre d'exemple, la Sûreté du Québec,
on a 80 policiers qui sont policiers intervenants en milieu scolaire, qui
doivent, à leur quotidien, faire des activités de
prévention avec les écoles, c'est du rapprochement avec les directions d'école,
rencontrer les jeunes. Il y a différents thèmes qui sont abordés dans le cadre de ces rencontres-là. Ça fait que, oui, il y a des programmes qui existent. Chaque organisation policière, la prévention,
c'est...
Mme Weil :
Mais sur cet enjeu?
M. Guertin (Sylvain) : Sur cet enjeu entre autres, oui, c'est un
des aspects, tout dépendant des problématiques qui sont vécues dans les villes ou les
écoles où est-ce qu'on est.
Mme Weil :
Vous trouvez que l'échange est bien? Vous êtes capables de rejoindre les
jeunes?
M. Guertin
(Sylvain) : Oui. Dans les écoles, oui.
Mme Weil :
Bien, les rejoindre dans le sens de la compréhension de tout ça puis la sensibilisation.
M. Guertin (Sylvain) :
Bien, c'est sûr que notre travail, avant tout, on est...
Mme Weil : Non, mais c'est un succès, là, dans le sens que
vous réussissez à engager les jeunes? Parce
que c'est une des recommandations fortes. Donc, c'est de s'assurer de bien connaître
l'expérience, comment ça se vit, puis si les programmes ont besoin d'être
renforcés, adaptés, quels sont les enjeux dans ces programmes,
quelles sont les faiblesses, les forces. C'était vraiment dans ce
sens-là.
Le Président
(M. Lafrenière) : ...questions multiples.
Mme Weil : Bien, ça
va. Je voulais juste expliquer parce que,
oui, il y a des programmes, mais on veut faire des recommandations,
donc vous avez peut-être un éclairage.
M. Guertin (Sylvain) : On est ouverts à regarder toutes les options. Si
on s'inspire de ce qui fait de mieux ailleurs, on est prêt à regarder les différentes options puis de trouver les
meilleures solutions, peu importe la ville ou la région du Québec qui
pourrait bénéficier de ces programmes-là, bien entendu.
Mme Weil :
Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Député de Chomedey.
M. Ouellette : Merci. Bienvenue. À 15 enquêteurs, on réalise, avec vos commentaires, que, bon, vous ne nous le dites
pas, là, parce que vous ne devez pas insécuriser le monde, mais vous n'avez pas
assez de monde pour faire juste ce que
vous avez mentionné aujourd'hui. Si vous faites juste des enquêtes, vous ne
pourrez pas faire de formation, vous ne pourrez pas faire de prévention.
Puis juste un dossier d'enquête, vous dites, vous avez 15 enquêteurs,
juste un dossier d'enquête, c'est quatre
enquêteurs, ça prend un temps de fou. Après ça, on s'en va en cour, on vous
neutralise en dedans de six mois, puis on n'en parle plus.
Je
comprends que vous avez un mandat de coordination, et ce que ma collègue de Notre-Dame-de-Grâce parle, au niveau des
écoles, etc., puis ce que vous nous relatez aujourd'hui, dans un monde idéal,
vous devriez être capables de coordonner une
formation provinciale pour les patrouilleurs avec l'École
nationale de police, vous devriez avoir des outils législatifs pour qu'il y ait un échange d'information pour qu'on ait une efficience plus grande sur le terrain. Je vous
dirai... Et je vous admire, à Montréal,
l'EILP est à Montréal, est coordonnée à Montréal, on est en milieu
urbain, ils sont chanceux. Exactement
comme on a dit aux gens de Québec hier, avec la cohérence, avec toute la cohésion qu'il y a
des différents services à Québec ils sont chanceux, ils l'ont directement
dans leur ville.
Le
crime organisé va toujours profiter
de la désorganisation du système ou le fait que le système n'est pas là. Dès
que le crime organisé va s'en aller sur la
Rive-Nord, bien là on s'en va en niveau 2. On a eu les gens de Sherbrooke
qui sont venus nous dire hier :
On aimerait bien ça, faire du proxénétisme, mais on est juste en niveau 2,
il faut avoir un niveau 3. Donc,
il faudrait faire traverser le chemin. On a eu un autre directeur de police, de
Gatineau, qui est venu nous dire : J'en ai deux à l'EILP, c'est une préoccupation, c'est une priorité, mon
monde, chez nous, nous disent que c'est les deux premières priorités
qu'il devrait y avoir à Gatineau, mais je n'ai pas assez de volume pour avoir
des enquêteurs dédiés. J'en ai deux à
l'EILP, mais je n'en ai pas au niveau... localement, dans son service de
police, puis il y a quand même 280 000 personnes à Gatineau.
Je
vous entends quand vous me parlez des procureurs dédiés, je ne vous ai pas
appelé, mais j'ai passé ces genres de
commentaires là, là, dans les
derniers jours, et je pense que c'est très, très, très important. Je veux dire,
le message que vous nous donnez aujourd'hui, vous avez besoin d'aide
pour être en mesure de pouvoir nous aider, puis je pense que vous nous sensibilisez à l'aide que vous avez besoin, et on
a pris des très bonnes notes. Ce sera un commentaire, M. le Président.
Le Président (M. Lafrenière) :
Commentaire enregistré.
M. Ouellette : Merci.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci.
Députée de l'Acadie.
Mme St-Pierre :
Merci, M. le Président. Alors, moi, j'ai quelques questions, mais je vais vous
demander des courtes réponses parce
que je pense qu'on a beaucoup de questions à vous poser. Tout d'abord, vous
avez parlé de vos effectifs, mais, dans
l'idéal, dans vos rêves les plus fous, ce serait... vous auriez besoin, là...
puis compte tenu de ce qu'on vit présentement au Québec et de la situation au Québec, vous évaluez à combien
d'effectifs pour être capables de faire votre travail correctement? Je parle d'effectifs policiers, puis
on pourra peut-être, à un moment donné, parler des autres systèmes, mais,
vos effectifs, ce serait combien, idéalement?
Mme Barabé
(Brigitte) : Idéalement,
nous, c'est trois pôles, comme j'ai mentionné tantôt, donc le pôle à Montréal, qui est déjà là, et un pôle à Québec.
Mme St-Pierre :
Oui, mais, quand vous dites : Un pôle, ça ne me dit pas combien de
personnes, ça.
Mme Barabé
(Brigitte) : Il faut
l'évaluer avec le nombre de dossiers aussi qui va arriver de toute la région
est et de la région ouest. Donc, il faut faire un portrait provincial qui est
en train d'être fait actuellement pour réellement
évaluer le besoin, mais il faut
minimalement quatre enquêteurs, comme monsieur disait tantôt, parce qu'en bas
de quatre on n'est pas capables de
faire les dossiers d'enquête. Donc, il faut un minimum de quatre dans chacune
des équipes, mais il faut greffer un
superviseur aussi parce que la supervision à distance ne fonctionne pas bien
pour l'EILP, nous ne sommes pas en mesure de coacher les policiers
adéquatement pour les former adéquatement pour les dossiers.
Mme St-Pierre :
O.K. Est-ce que l'idée de pôles régionaux, ça nécessiterait des changements
législatifs, oui ou non?
Mme Barabé (Brigitte) : Non.
• (15 h 40) •
Mme St-Pierre :
Non? O.K. Maintenant, vous avez parlé des proxénètes, vous avez parlé des
victimes, mais pas grand-chose sur
les clients, puis moi, je suis un peu inquiète, là, de ce que j'entends depuis le début de la semaine, parce que je ne nie pas les efforts des forces policières
au Québec, mais hier, là, Gatineau nous ont dit que, depuis
2016, ils ont eu 12 cas, ils ont
eu 12 arrestations, puis ça comprenait des proxénètes, peut-être
un ou deux clients. Je veux dire, ce n'est pas beaucoup pour le volume de l'activité dans ce domaine-là.
Puis je ne blâme pas la police de Gatineau, là, c'est juste... Le client abuseur, j'ai l'impression qu'il nous
écoute, puis il est mort de rire. Depuis une semaine, là, c'est le feeling que
j'ai. Lui, il est chez eux, là, puis il
regarde ça, là, puis il dit : Oh boy! C'est le fun, c'est vraiment
mon terrain de jeu, là.
Mme Barabé (Brigitte) : Bien,
tel que mentionné plus tôt par mon collègue, le mandat de l'EILP ne vise pas directement les opérations clients, on assiste vraiment les autres services
de police pour pouvoir les coacher pour qu'ils puissent effectuer les opérations clients de façon
efficace. Plus tard, au nom du SPVM, je pourrai vous expliquer ce qui est fait
au SPVM pour vous expliquer que les clients, oui, on s'y attarde.
Mme St-Pierre : O.K.
On compte sur vous.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc :
Oui. Merci, M. le Président. Merci d'être, là, c'est très apprécié. Je veux
rouler un peu sur cette question-là des
opérations clients. Il semblait... Si je me rappelle bien les prédécesseurs qui
sont passés avant vous, le Service de police de Laval, si je ne me
trompe pas, avait l'air un peu critique de ces genres d'opérations là en
disant... pas critique sur la pertinence,
mais comme solution, en disant que, si on en fait trop, ça va se savoir dans le
milieu, puis ils vont juste aller ailleurs,
puis que ça ne serait pas une solution à mettre systématique. Parce que
souvent, dans la commission, on cherche à casser la demande, vous avez peut-être entendu les témoignages précédemment,
puis, évidemment, spontanément, on
pense à ça. Pourquoi on ne systématise pas
plus les opérations clients? Est-ce qu'il y a un danger de faire ça, que, dans
le fond, ça s'adapte puis qu'on fasse ça dans le vide?
M. Guertin
(Sylvain) : C'est sûr que,
si les organisations policières, de façon concertée dans
différentes villes du Québec, procèdent à des opérations qui visent des
clients qui demandent les services rémunérés de jeunes victimes mineures,
j'espère que ça va réduire l'attrait puis
j'espère que ça va changer un comportement. C'est le but visé par
ces opérations-là, puis, en les publicisant, si ça peut en décourager plusieurs,
je pense que notre rôle est atteint également.
Il n'y a
pas de profil type de client abuseur, là. Les opérations qu'on a faites
dernièrement, les dernières opérations, ce n'est pas des personnes avec des dossiers judiciaires, là, ce n'est
pas des personnes qui ont des profils particuliers. On a eu des personnes qui travaillaient pour les
services des incendies, on a eu des présidents de compagnie, on a eu tous les
types de profils qui se sont rendus solliciter ces services-là. De publiciser
ces opérations-là à Montréal, après ça aller à
Québec, Sherbrooke, à Drummondville, revenir à Laval, c'est juste bon, ça va
juste faire peur à plus de monde. Ce qu'il ne faut pas, par exemple, c'est de voir nos jeunes filles exportées dans
d'autres provinces canadiennes qui seraient, d'un point de
vue législatif, moins efficaces ou
moins coordonnées avec nous. Ça prend une intervention qui est concertée avec les
différentes organisations pour s'assurer
de protéger ces jeunes victimes là, d'où la... L'opération client, c'est
travailler la demande, mais il faut
travailler aussi en prévention pour éviter que ces jeunes filles là se
retrouvent dans ces réseaux de prostitution là.
M. Leduc : Là, vous me dites, si je comprends bien votre
propos : Il y a peut-être un danger qu'en effet ça s'adapte et ça
se refasse ailleurs, mais il y a quand même un avantage : que ça fasse
peur. Et, si je comprends, c'est que l'avantage serait quand même plus
grand que le danger?
M. Guertin
(Sylvain) : Ça serait à
évaluer avec... tout dépendant comment le milieu va s'adapter. C'est sûr qu'on
a évalué les dossiers, on a fait le recensement
de tous les dossiers depuis janvier 2018 pour essayer de dresser les
profils de victimes, pour essayer de
s'attarder à des caractéristiques qui sont spécifiques. Il y a beaucoup
d'analystes qui ont travaillé dans
les derniers mois, là, depuis l'été, à essayer d'isoler des caractéristiques de
vulnérabilité, de façons de procéder, de mouvances à travers les réseaux de proxénètes sur comment ils vont
déplacer les jeunes filles, lesquelles vont quitter la province. Il y a
333 dossiers qui ont été analysés par plusieurs analystes qui ont
travaillé d'arrache-pied à trouver ces caractéristiques-là, puis ça nous permet
de prendre des meilleures décisions sur comment être plus efficaces aussi pour prendre des actions policières qui sont concertées
à la grandeur de la province en
fonction des profils de victime. Parce que, comme
je disais tantôt, ce n'est pas une problématique urbaine, là, qui est à Montréal.
L'EILP a déposé 73 % de ses
arrestations à l'extérieur de l'île
de Montréal. En fait, c'est un problème qui touche différentes régions, puis il
faut être efficace partout égal avec
des personnes formées et qui travaillent de façon uniforme. Parce que les
réseaux, eux, ils vont prospérer, ils vont changer de région, ils vont
s'adapter, puis, si nous, on ne se coordonne pas, bien, on n'est pas efficaces.
M. Leduc : Merci beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci. Député de Viau, pour conclure.
M. Benjamin :
Merci, M. le Président. Votre réputation vous précède. Donc, plusieurs groupes
nous ont parlé, depuis que l'escouade
existe, du travail extraordinaire qui se fait. À la lumière des
recommandations — vous en
avez 17 — je veux
partager avec vous une petite, une toute
petite déception que j'ai eue, notamment
quand je me réfère à la page 11 de votre mémoire, où vous abordez notamment la question de la sous-représentation des
personnes, des victimes autochtones au niveau
de l'exploitation sexuelle. Et il y a deux documents, il y a l'enquête
nationale, il y a ce dernier rapport qui en fait partie, mais j'aurais
pensé voir, parmi les 17 recommandations, au moins une recommandation sur
cet enjeu-là, et je n'y vois rien. Alors, je
me vois dans l'obligation de vous demander quelles sont vos actions sur cet
enjeu spécifique considérant la sous-représentation des personnes
autochtones.
Mme Barabé
(Brigitte) : Une partie de
la réponse, c'est Les Survivantes du SPVM, qui ont développé un outil cette année, un livre, en fait, qui a été publié
et qui sert d'outil pédagogique pour former les différents intervenants du
milieu. Cette année, Les Survivantes se sont déplacées à Québec, se sont
déplacées dans le Grand Nord pour rencontrer des intervenantes, leur expliquer
le phénomène, sensibiliser les gens et faire de la prévention, par exemple,
pour les femmes autochtones qui doivent se
déplacer à Montréal pour une opération, par exemple. Les intervenantes vont les mettre aux aguets de ce qui les attend à Montréal
parce qu'elles arrivent sans ressources, sans points de repère. Donc, les
intervenantes sont en mesure
d'expliquer aux femmes autochtones qu'est-ce qui va se passer quand elles vont
arriver à Montréal, où aller, où aller chercher de l'aide
pour ne pas tomber dans le piège du proxénétisme. Ça, c'est une partie de la
réponse.
M. Guertin
(Sylvain) : J'aimerais peut-être
juste porter à votre attention la recommandation n° 10 également du mémoire : «Soutenir la mise en place
d'initiatives adaptées aux besoins des victimes d'exploitations sexuelles
issues de groupes vulnérables.» Peut-être
que ce n'était pas assez clair dans leurs recommandations, mais c'est ce
qu'on entend aussi par différents
groupes vulnérables. Malheureusement, dans les dossiers qu'on a analysés, les enquêtes
qu'on a faites dans les
333 dossiers que je parlais tantôt, les victimes des premières nations inuites sont sous-représentées,
hein, c'est un 2 %, là. Il y a
peut-être encore une méfiance qui existe au niveau des femmes des Premières
Nations par rapport aux organisations policières, puis il faut
travailler à amoindrir, à défaire ces barrières-là pour aller les rejoindre
puis travailler avec les organismes qui ont
la confiance de ces femmes-là pour qu'elles soient enclines à venir porter
plainte puis à venir dévoiler ce qui
leur a été fait. Et, si c'est sous l'emprise d'un proxénète, bien, il faut le
travailler dans ce cadre-là, ou, si c'est d'un point de vue prostitution locale, c'est de le travailler aussi avec les
autorités de façon plus locale. Mais effectivement c'est un enjeu qui est très préoccupant dans les
statistiques qu'on a vues, la sous-représentation des personnes issues des
premières nations inuites, c'est une problématique.
M. Benjamin : Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Je vous remercie pour votre
contribution aux travaux de la commission.
Je suspends les travaux quelques instants afin
de permettre aux prochains invités de prendre place. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 48)
(Reprise à 15 h 51)
Le
Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au Service de police de la ville de Montréal. Je pense qu'il
connaît très bien la commission. Alors, je vous rappelle que vous disposez de
20 minutes pour votre exposé. Je vais
vous demander de vous présenter, faire votre exposé, et, par la suite, on aura
25 minutes d'échange ensemble. Bienvenue. Et merci d'être là.
Service
de police de la ville de Montréal (SPVM)
Mme Barabé
(Brigitte) : Alors, bonjour.
Mon nom est Brigitte Barabé, je suis inspecteur au Service de police de la
ville de Montréal, sous la Direction des enquêtes criminelles. Et je suis
accompagnée de Frédéric Martineau, lieutenant-détective à la section exploitation
sexuelle, lutte au proxénétisme du SPVM, bien entendu.
Au SPVM, les
débuts de nos interventions en matière d'exploitation sexuelle datant de plus
de 20 ans et amenant un
changement de paradigme par rapport à la prostitution ont été entrepris par
l'unité de la moralité dans l'ouest de notre territoire. Depuis, le SPVM a développé de nombreuses stratégies qui
font de lui aujourd'hui un chef de file en matière de gestion de la problématique de l'exploitation
sexuelle. Je vous propose de revisiter brièvement quelques jalons des actions
qui ont contribué au développement de notre
expertise. Nous en viendrons par la suite à vous proposer nos recommandations,
illustrées par des exemples concrets et
contemporains révélant le travail qui a été effectué au quotidien par les policiers
du SPVM pour contrer l'exploitation sexuelle.
À l'aube des
années 2000 à Montréal, certaines interventions et enquêtes de moralité
menées par le SPVM se font de plus en
plus proactives. On commence à viser les suspects et les organisations qui exploitent
les personnes prostituées, plutôt que
de viser ces dernières, comme cela se faisait jusqu'alors. Apparaissent les
premières condamnations d'une criminalité organisée en matière d'exploitation sexuelle. À la même période, la
région sud, couvrant le centre-ville de Montréal, fait face à une problématique de jeunes fugueuses se
retrouvant dans le milieu de la prostitution. Une première unité d'exploitation
sexuelle des juvéniles est mise sur pied en
2002, et le travail, en collaboration avec les unités spécialisées du SPVM,
mène à la condamnation d'un agent de
la STM qui ciblait les fugueuses et les mineurs qui fréquentaient le métro. Y
succède également le Projet Orion,
pour lequel des membres de gangs de rue écopent de peines allant jusqu'à sept
ans et demi de prison, en lien avec l'exploitation sexuelle des victimes
mineures.
Des situations problématiques liées à des fugues
et des projets d'enquêtes ciblées appellent la formation d'une équipe d'enquêteurs s'attaquant directement à la
prostitution juvénile. Des initiatives de sensibilisation auprès des
patrouilleurs et des enquêteurs
voient le jour, ce qui permet de démystifier l'exploitation sexuelle. Progressivement,
les tabous tombent, et le point de
vue des victimes à l'égard de la police commence à changer. Les personnes
victimes d'exploitation sexuelle comprennent que les policiers les
appuient dans leur parcours de sortie de l'exploitation. Elles leur font
davantage confiance. Une augmentation
graduelle du nombre de plaintes est alors observée. S'ensuit une décennie au
cours de laquelle les dossiers
d'exploitation sexuelle des mineurs et des adultes sont traités par les
enquêteurs au sein de différentes unités du service. Un programme de sensibilisation à la traite de personnes
pour les policiers et acteurs du milieu judiciaire partout au Canada voit le jour. En parallèle,
l'intervention du SPVM en matière de pornographie juvénile et de cyberenquête
se développe.
En 2010 est créé le programme
Les Survivantes, qui vous sera présenté en début 2020 lors de votre
passage à Montréal, pour lequel des milliers
de policiers et d'intervenants ont été sensibilisés à la dure réalité du milieu
de la prostitution. Ce programme a
également contribué à supporter des centaines de victimes pour qui la
judiciarisation n'était pas une voie qu'elles souhaitaient emprunter.
C'est en 2015 que le SPVM prend la décision de centraliser toutes les enquêtes
de proxénétisme dans une unité corporative
qui regroupe 13 enquêteurs et les agentes du programme
Les Survivantes. Comme nous
l'avons vu tout à l'heure, le SPVM participe pleinement à l'Équipe intégrée de
lutte contre le proxénétisme, constituée en 2017, et en assure le commandement. À l'aube de 2020, nous avons
l'opportunité, grâce à la présente commission, d'optimiser nos façons de
faire afin de s'attaquer à l'exploitation sexuelle de façon concertée et
uniformisée au plan provincial.
Nous vous
avons proposé 15 recommandations. Nous allons maintenant vous expliquer la
pertinence de chacune d'entre elles.
M. Martineau
(Frédéric) : Notre première
recommandation vise à développer et soutenir une expertise de pointe en matière d'utilisation des réseaux sociaux chez
les corps policiers par l'acquisition
et le maintien des compétences chez les enquêteurs et la présence de
personnel spécialisé en soutien technologique.
Notre expérience pointe sur le fait que les
enquêteurs sont sollicités pour extraire des données des appareils intelligents et en faire l'analyse, et préparer la
divulgation. Toutes ces étapes demandent du temps qui n'est pas consacré à
l'enquête. Par exemple, l'analyse des données rattachées à un appareil
cellulaire peut facilement doubler le temps d'enquête. De plus, la multitude de logiciels et de
plateforme est en évolution constante et demande d'être à la fine pointe des
avancées technologiques.
L'acquisition d'outils et de logiciels
représente un coût très élevé, ce qui peut avoir pour effet de limiter le
pouvoir d'action en enquête lorsque
le financement n'est pas disponible. La formation des
enquêteurs, sur le plan des technologies, est une avenue intéressante, mais ces derniers ne sont pas des
spécialistes, et les technologies évoluent tellement rapidement qu'ils auraient besoin d'être constamment mis à
niveau au plan des connaissances en cette matière, comparativement à des
spécialistes.
En
deuxième lieu, nous souhaitons attirer votre attention sur l'importance de
développer un protocole pour l'application
efficiente des différentes lois de protection de la jeunesse des provinces
canadiennes afin de lutter efficacement contre le déplacement des jeunes exploités sexuellement. Il arrive que
l'application des lois en matière de protection de la jeunesse diffère entre les provinces. Le Québec
compte une direction de la protection de la jeunesse, ce qui existe sous une
forme différente chez nos voisins et qui peut amener une disparité dans
l'application de la loi. Ces différences soulèvent l'importance pour les policiers de bien connaître les différentes lois
en application ici et ailleurs au Canada.
Mme Negri-Corbeil, de la DPJ, a également souligné cet aspect lors
de sa présentation devant vous, lundi dernier.
Cette
réalité est observée concrètement dans le cadre de nos dossiers d'enquête. Bien
que la loi ait changé en Ontario depuis,
voici un exemple tiré d'un cas réel pouvant illustrer ces différences. Une
jeune de 16 ans a été portée disparue au Québec. Elle est localisée peu après en Ontario. Lorsque les policiers
vont la voir, le proxénète est absent. Les policiers sont confrontés au fait que la jeune leur exprime que
tout va bien. Ils n'interviennent pas, n'ayant pas les pouvoirs de retirer du
milieu une personne se disant en sécurité.
Au retour du proxénète, ce dernier prend peur lorsque la jeune lui dit avoir
reçu la visite des policiers et il l'abandonne un peu plus tard à la
gare d'autobus.
Mme Barabé (Brigitte) : Nous croyons opportun de créer la fonction de
procureur coordonnateur au sein du milieu judiciaire afin de permettre
un meilleur arrimage lors du dépôt d'accusations dans les dossiers pour
lesquels plus d'une juridiction est
impliquée. Il n'est pas rare que le dossier d'enquête mené par l'équipe
proxénétisme à Montréal implique une autre juridiction.
Montréal
bénéficie de la présence d'un procureur dédié, ce qui facilite grandement le
dépôt d'accusations dans les dossiers.
Malgré cet avantage, il demeure qu'un procureur coordonnateur serait en mesure
d'observer ce qui a cours ailleurs et
de s'assurer que des peines équivalentes entre les différentes juridictions
soient prononcées. Cela viendrait uniformiser le message selon lequel
l'exploitation sexuelle des mineurs est inacceptable et sanctionnée.
Nous
constatons une augmentation dans le nombre de dossiers d'exploitation sexuelle.
Le procureur coordonnateur pourrait également jouer un rôle dans
l'identification de mesures visant à ajuster la réponse du milieu judiciaire en
conséquence. De plus, une telle coordination
éviterait à une même victime de se déplacer dans cinq juridictions différentes
pour témoigner contre le même proxénète.
Il
nous apparaît important, en quatrième lieu, de développer, avec le soutien de
l'Union des municipalités du Québec, une
stratégie provinciale visant à uniformiser la réglementation municipale
touchant les lieux d'exploitation sexuelle au Québec. La réglementation municipale varie d'un arrondissement à l'autre
sur l'île de Montréal. C'est la même chose ailleurs au Québec entre les
différentes municipalités.
Lorsqu'une
réglementation restreint les paramètres entourant les lieux où il peut y avoir
de l'exploitation sexuelle, tels les salons de massage, il devient plus
difficile pour ces entreprises d'avoir pignon sur rue. Cependant, nous avons constaté que ce resserrement de la réglementation
amène les abuseurs à déplacer les personnes qu'ils exploitent. Il est donc
important d'être prudent face aux changements de réglementation. Les
municipalités devront travailler étroitement avec différents organismes et les organisations
policières pour en venir à déterminer quels changements apporter à leur
réglementation afin d'éviter un déplacement de la problématique vers une
autre ville.
Afin
de compléter le volet de réglementation, nous vous suggérons de réviser la
réglementation touchant les lieux de location et de réservation de logements de
particuliers au Québec afin d'encadrer les activités pouvant y avoir cours.
L'apparition de plateformes permettant la location de logements par les
particuliers, telle Airbnb, vient ajouter à la liste des lieux où peuvent se
produire les activités d'exploitation sexuelle. Une réflexion concertée et des
travaux visant l'adoption de mesures prévenant ce type d'activités
pourraient être envisagés auprès des responsables de cesdites plateformes
dans l'optique de resserrer la réglementation et mieux encadrer l'utilisation
de leurs services.
• (16 heures) •
M. Martineau (Frédéric) : Pour avoir un impact sur cette forme de
criminalité, il faudrait instaurer une table de réflexion impliquant les différents acteurs concernés afin de procéder à
la révision de diverses lois encadrant le traitement des produits de la
criminalité et des biens infractionnels de manière à inclure l'exploitation
sexuelle.
L'exploitation
sexuelle des personnes génère des profits faramineux pour ceux qui s'y
adonnent. Une étude exploratoire menée il
y a quelques années avait permis de
constater, dans une estimation conservatrice de l'ampleur des profits
réalisés par les proxénètes, qu'une seule personne exploitée pouvait facilement
rapporter 100 000 $ par année. Cette
exploitation est d'autant facilitée par le fait que ce qui est vendu est moins
facilement retraçable que pour d'autres crimes, comme les crimes liés aux drogues. La marchandise qui a été échangée se
révèle être une personne ainsi que les services sexuels qu'elle peut
offrir.
Dans
la même optique de traiter l'exploitation sous l'angle de l'économie de marché,
nous proposons de développer une
stratégie d'action concertée, entre les corps policiers québécois, visant à
contrer le marché criminel de l'exploitation sexuelle des mineurs. Le modèle d'action concertée pour contrer les
économies souterraines en matière de tabac, d'alcool et de cannabis constitue certainement une voie à
suivre dans l'élaboration d'une équipe d'enquête intégrée. Ce changement
de centre d'intérêt permettrait une action
unifiée des corps policiers et une attaque directe aux profits que génère le
marché de l'exploitation. Cette
stratégie permettrait de s'attaquer à la problématique sous un angle différent
en incluant une action visant les
lieux et les entreprises d'exploitation sexuelle. Cette façon de faire, qui
serait innovante pour contrer l'exploitation sexuelle, permettrait de
s'attaquer à la source même du problème, l'attrait monétaire pour les
proxénètes.
En matière de prévention, nous croyons
à la pertinence de financer et de promouvoir les initiatives et les programmes
de prévention existants, dont le programme
Les Survivantes, l'ECAT, ainsi que d'encourager leur déploiement dans les
organisations policières à travers la
province. Comme d'autres organisations, le SPVM fait face à un renouvellement
de ses troupes. Cette réalité amène
la nécessité de former en continu les policiers afin qu'ils soient bien au fait
de l'exploitation sexuelle et ainsi affaiblir certaines idées préconçues
envers les personnes exploitées.
De manière générale,
les ateliers de sensibilisation nous permettent de rejoindre autrement
qu'uniquement par l'intervention policière
les victimes d'exploitation sexuelle. Par exemple, la sensibilisation des
étudiants et des intervenants en
santé, par le biais des ateliers des Survivantes, fait clairement une différence
dans le dépistage de situations d'exploitation. Il demeure que le SPVM fait face à une certaine limite dans sa capacité
de multiplier ses ateliers, qui sont en grande demande.
La sensibilisation par le programme Les Survivantes contribue à déstigmatiser les
personnes victimes d'exploitation sexuelle.
Le modèle des Survivantes s'applique sur tout le territoire de la ville de Montréal
mais pourrait être élargi dans les couronnes
nord et sud. Laval a son programme en
fonction, et ce programme
pourrait être proposé à l'intérieur de l'EILP, comme nous vous l'avons
mentionné plus tôt.
D'autres
initiatives efficaces adoptées par les corps policiers méritent d'être étudiées
et reproduites, puisqu'elles permettent
de couvrir d'autres volets liés à l'exploitation sexuelle et de rejoindre les
personnes touchées. Le recensement de toutes les initiatives de prévention
serait un bon point de départ pour nous aider à identifier celles à propager.
Mme Barabé (Brigitte) : Nous proposons de financer les initiatives visant
l'intervention et la prévention auprès des personnes issues des minorités
culturelles et des personnes appartenant au groupe LGBTQ+, tout en maintenant
l'offre de services actuelle en matière de prévention et d'intervention en
exploitation sexuelle.
À Montréal, nous
observons que les proxénètes et les clients, en plus de profiter du jeune âge
de leurs victimes, exploitent aussi les
carences amoureuses, les situations familiales difficiles, les personnes qui
sont en situation de fugue ou encore les personnes qui
appartiennent à une minorité culturelle ou les personnes appartenant au groupe
LGBTQ+.
Le
SPVM s'est intéressé particulièrement à l'exploitation sexuelle des personnes issues des
communautés autochtones. Un comité de travail et de prévention
en matière d'exploitation sexuelle
pour les personnes autochtones en centres urbains a vu le jour à Montréal. En
plus d'y participer, les agentes du programme Les Survivantes ont intégré un
volet autochtone au programme, qui compte maintenant trois survivants,
survivantes autochtones. Un livre relatant les témoignages de plusieurs personnes issues des communautés autochtones, Mon
ami... mon agresseur, est paru au printemps 2019.
Dans
une logique de rejoindre les autres groupes, nous croyons nécessaire de
développer des outils et de les intégrer à la formation afin de leur offrir un soutien et un accompagnement
adaptés à leur situation d'exploitation. Le SPVM souhaite intervenir auprès de ces nouvelles clientèles mais
rencontre une limite de capacité entre la perspective de développer des
services pour ces groupes et maintenir le suivi et les services offerts
jusqu'ici.
Il
faut protéger adéquatement les victimes, étudier différents moyens visant à
assurer la sécurité tout au long du processus
les menant à quitter leur situation d'exploitation sexuelle. D'après notre
expérience, dans près d'un dossier sur deux,
les victimes reçoivent des menaces ou font l'objet de pressions de la part de
l'accusé, et ce, dès qu'elles portent plainte. Les victimes et leurs familles vivent énormément d'insécurité. Il est
dès lors nécessaire de trouver divers moyens afin de diminuer ce
sentiment d'insécurité.
À
l'heure actuelle, le sentiment de sécurité des victimes repose sur les épaules
des enquêteurs qui accompagnent les
victimes tout au long du processus judiciaire. Il serait judicieux de réfléchir
à d'autres moyens de contribuer à renforcer le sentiment de sécurité des victimes par le relais d'autres
intervenants à même de poursuivre l'accompagnement vers la sortie du
milieu de l'exploitation.
En
complément, il faut offrir des services d'hébergement tenant compte des besoins
multiples des victimes d'exploitation sexuelle.
Par ailleurs, les personnes exploitées sexuellement font parfois face à plus
d'une difficulté. Il existe peu de ressources en hébergement pour recevoir ces personnes, et elles ne sont pas
toujours adaptées pour accueillir celles qui sont aux prises avec des
problèmes graves de dépendance ou de santé mentale.
La
recommandation 12 propose de réviser la liste des actes criminels reconnus
par l'IVAC pour y ajouter l'exploitation
sexuelle. Le programme d'Indemnisation des victimes d'actes criminels ne
considère pas les victimes d'exploitation sexuelle. Pourtant, il s'agit d'un crime qui a des répercussions très
graves dans la vie des personnes. Les victimes invoquent les crimes dérivant de l'exploitation, comme les
voies de fait ou les agressions sexuelles, pour pouvoir correspondre aux
critères d'admissibilité de la loi. Qu'il
s'agisse d'un besoin de soutien psychologique ou de soins de santé résultant de
l'abus, les services couverts par ces
crimes dérivés de l'exploitation ne sont pas proportionnels à la gravité de la
victimisation subie, puisque l'évaluation de la situation ne tient pas
compte de la situation dans son ensemble.
Trop
souvent, les lacunes du système d'indemnisation conduisent à une seconde
victimisation pour les personnes exploitées
sexuellement. Nous vous proposons de créer une campagne de sensibilisation du
grand public aux impacts de l'exploitation sexuelle sur les personnes
qui en sont victimes, particulièrement les mineurs.
Force
est de constater, d'après le nombre élevé de dossiers traités au cours des
dernières années, que l'achat de services
sexuels ne diminue pas. Les opérations visant les clients de jeunes mineurs
exploités sexuellement sont orchestrées par le SPVM. Outre les opérations clients, les victimes transmettent
parfois des informations concernant ces derniers lorsqu'elles portent
plainte au SPVM, ce qui conduit à porter des accusations envers ces clients
abuseurs.
Nous
sommes d'avis qu'une intervention visant les clients doit s'accompagner d'une
campagne de sensibilisation et de
prévention rappelant les conséquences découlant de l'achat de services sexuels
de mineurs afin qu'elle ait un impact étendu
et complet. Une campagne provinciale de sensibilisation-choc, visant le grand
public et mettant à l'avant-scène les impacts de l'exploitation sexuelle,
pourrait permettre de lever la banalisation qui prévaut à l'égard de la
consommation des services sexuels. Cette campagne pourrait à la fois
comprendre des messages à l'égard de la pornographie juvénile comme étant une
autre forme d'exploitation des mineurs.
M. Martineau
(Frédéric) : En
avant-dernière recommandation, nous vous proposons de faire tomber les
barrières bureaucratiques entre les
différents acteurs concernés par l'exploitation sexuelle des mineurs pour une
meilleure collaboration et un meilleur arrimage.
Au plan des services
auprès des victimes, il est central de s'assurer que les ministères et
organismes, tout comme les corps de
police, puissent assurer une offre de service pertinente pour répondre aux
multiples besoins des victimes : le ministère du Revenu, de la Santé, de l'Éducation, Travail, Emploi et
Solidarité sociale, etc., afin de contrer les obstacles que ces dernières rencontrent. Il s'agit là d'une
prémisse de base pour assurer un travail efficace pour contrer la problématique
de l'exploitation sexuelle qui touche la société tout entière.
Finalement,
nous proposons de former les policiers sur les pouvoirs et devoirs liés à la
protection de la jeunesse par le
biais de l'ENPQ. La Loi de la protection de la jeunesse est méconnue. Nous
observons dans nos dossiers que certaines situations de compromission auraient dû mener à un signalement ou à une
intervention différente, mais, faute d'une maîtrise des pouvoirs et devoirs qu'octroie la loi ou une
détection appropriée, ces actions n'ont pas été portées. Dans de tels cas, la
sécurité de la personne mineure n'est pas assurée, et le cercle de la violence
dans lequel elle se trouve s'amplifie.
• (16 h 10) •
Mme Barabé
(Brigitte) : En conclusion,
l'exploitation sexuelle des mineurs est un crime contre la personne, qui a
de lourdes conséquences pour les victimes et
leurs proches. Montréal, métropole du Québec, est particulièrement touchée
par l'exploitation sexuelle. Cette
exploitation doit cesser afin de permettre que les jeunes puissent vivre une
vie exempte de situations d'abus et
de violence et devenir les adultes de demain, nos adultes de demain qui
assureront la relève de notre belle province.
Le SPVM tient
à remercier les membres de la commission pour leur écoute et leur ouverture et
souhaite avoir été en mesure de répondre aux questionnements de la
commission face aux actions à prendre en termes de prévention, de
sensibilisation, d'éducation, de dépistage et d'interventions en matière
d'exploitation sexuelle des mineurs.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Encore une fois, vous arrivez pile dans les temps.
Alors, je vous remercie pour votre exposé. On va maintenant commencer la
période d'échange avec les membres de la commission. Je vais lancer le
débat avec deux petites questions rapides pour vous.
On a reçu vos
collègues de la police d'Edmonton, cette semaine, qui nous ont parlé de deux
éléments intéressants. J'aimerais vous entendre là-dessus. Premièrement,
au niveau de la réglementation municipale, eux, dans leur cas, dans la ville d'Edmonton et Calgary, il y a une
réglementation municipale qui existe, où les gens de l'industrie, que ce soient
les centres de massage, même les
escortes, ont une réglementation municipale qui leur oblige à avoir un permis,
ce qui donne un outil de plus aux policiers pour identifier les victimes
qui seraient mineures sur place. Ça, c'est un.
Deuxième
élément aussi, qui est fait du côté de l'Alberta, c'est ce qu'on appelle le
«john school», donc, c'est de l'éducation qui se fait aux gens qui se
font prendre dans des opérations clients. Et, dans ce cas-là, on parle de taux
de non-récidive de plus de 80 %.
Tantôt, vous avez parlé d'un enjeu avec le DPCP, donc la lourdeur des dossiers,
tout ça. Est-ce que c'est une approche qui pourrait être possible ici,
au Québec, à Montréal? Et pourquoi? S'il vous plaît.
Mme Barabé
(Brigitte) : Toutes les
avenues sont possibles en fait. Ce qui serait important, c'est de faire vraiment
une évaluation de tous les programmes qui existent, autant au niveau prévention,
intervention, pour avoir un portrait complet de tout, tout, tout ce qui
a été développé et non pas juste au Québec, mais réellement à la grandeur du Canada
et même à travers le monde, pour ensuite
pouvoir prendre des décisions éclairées sur les besoins spécifiques que nos
victimes ont, sur le portrait qu'on est en train de développer, sur les clients
abuseurs, sur les proxénètes, pour enfin faire une intervention qui va
être de plus en plus ciblée.
Donc, le «john
school» est une bonne alternative, effectivement, mais c'est une 360 qu'il faut
faire pour attaquer l'exploitation sexuelle. Si on s'attaque juste avec
le «john school», si on s'attaque juste avec des opérations clients, on ne fera pas un tour en 360, ce qui va faire en sorte qu'on va manquer à certains égards, et c'est là que le phénomène
de déplacement s'ensuit.
Le
Président (M. Lafrenière) : Pour ce qui est de la réglementation municipale, est-ce que c'est une réalité que vous
connaissez?
Mme Barabé
(Brigitte) : Oui, c'est une
réalité qu'on connaît. Il faut travailler avec les municipalités,
comme on vous a mentionné tantôt,
un, peut-être pour le rendre plus provincial aussi. Parce que
la difficulté qu'on a, c'est qu'il y a des différences
entre les municipalités. À même Montréal, on le vit avec les arrondissements, ce qui complexifie énormément le travail des policiers parce que, juste quand
le policier change d'une place à l'autre, il doit se réadapter aux
réglementations municipales. Alors, ça, il faut qu'il y ait un arrimage
qui soit fait pour faciliter les interventions effectivement.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup. Député de Chomedey.
M. Ouellette : Merci. J'ai deux petites questions;
les règlements municipaux,
ça faisait partie d'une. Si vous réussissez, à vous, d'harmoniser les
arrondissements, je pense que ça va être facile d'harmoniser la province après.
Le
financement, la ville de Montréal. C'est uniquement la ville de Montréal, dans
votre escouade, votre équipe, qui finance
les activités, à même le budget de la ville de Montréal, là. Il n'y a pas rien
qui vient de l'extérieur, soit par projets ou ailleurs, qui est financé,
exemple, par Sécurité publique Canada ou d'autres organismes. Parce que vous
parliez de sous-financement tantôt, vous avez besoin de monde.
On
met énormément d'argent, exemple, en cybercriminalité. On en a rajouté
11 millions, là, tout dernièrement. C'est-u parce qu'il n'est pas à la
bonne place? Ou c'est-u parce qu'il y a bien des besoins? Parce que je vous
entends qu'il y a une base, là. Donc, à
Montréal, le financement, est-ce que c'est juste la ville ou c'est le budget de
la ville, vous êtes à même le budget de la ville?
Mme Barabé (Brigitte) : On est à même le budget de la ville, mais nous
avons l'opportunité de faire des demandes de subvention. Par exemple, pour le projet Les Survivantes, avec notre
livre qu'on a publié cette année, le MSP est à même de nous donner une subvention annuelle pour nous
permettre de continuer à développer cet outil-là et d'en développer de nouveaux. Alors, la subvention va nous permettre
d'embaucher une ressource supplémentaire qui va pouvoir aider l'équipe
en place qui contient actuellement trois agentes.
M. Ouellette :
Donc, c'est de l'argent québécois.
Mme Barabé
(Brigitte) : C'est de l'argent québécois.
M. Ouellette :
O.K. Deuxième question. Vous avez parlé des produits de la criminalité. C'est
très important, parce qu'il y a un programme
de partage des produits de la criminalité qui est administré par le MSP et pour
lequel à chaque année, selon les
demandes de projet, il y a des... je ne dirais pas des subventions, mais il y a
de l'aide qui nous arrive là. C-75,
parce que Mme Mourani nous en a parlé hier, qui est l'ancien projet de loi
qu'elle a déposé, 452, depuis le mois de juin, il y a un renversement de fardeau sur les produits. C'est-u quelque
chose qui va vous aider ou ça vous prend plus que ça?
M. Martineau
(Frédéric) : Je n'ai pas la connaissance au niveau... En exploitation
sexuelle, on peut poser des questions; au niveau des produits de la
criminalité, je n'ai pas cette expertise-là. Ce que je peux vous dire, par
exemple, c'est que, oui, il y a une avenue intéressante au niveau des produits,
des produits de la criminalité, les biens fractionnels. Il y a déjà des lois
provinciales à ce niveau-là.
Ça
fait que là on parle, oui, du C-75,
mais même au niveau des lois provinciales... Pour les citer, je me
suis pris des notes, je vais vous les
lire : la Loi d'accès aux documents des organismes publics et sur la
protection des renseignements personnels,
la Loi sur la confiscation, l'administration et l'affectation des produits et
des instruments des activités illégales, il y a la Loi sur le ministère du Revenu. La Loi sur le
ministère du Revenu, c'est tout des avenues intéressantes, c'est des lois provinciales. Oui, on peut parler des lois...
du Code criminel. On a l'article 462.37, qui parle de la confiscation des
produits de la criminalité. L'article
de la traite de personnes est prévu à cet article-là, mais tous les articles
de proxénétisme ne sont pas prévus. Ça fait que c'est peut-être des
demandes, il y a peut-être, là aussi, quelque chose qu'on peut faire.
M. Ouellette :
Il y a un arrimage...
M. Martineau
(Frédéric) : Il y a un arrimage, il y a une réflexion à avoir à ce
niveau-là.
M. Ouellette :
O.K.
Le Président
(M. Lafrenière) : Député de Sainte-Rose.
M. Skeete : Bonjour, bienvenue. Je dois vous dire, j'ai pris
quelques secondes, pendant que vous parliez, puis j'ai fait un petit test sur Google pour voir comment
c'était facile, puis, ma collègue peut en témoigner, ça a pris 30 secondes
pour trouver des annonces.
Je
me demande, côté capacité sur l'Internet, est-ce que vous êtes équipés? Est-ce
que vous avez... Est-ce que vous savez...
Parce qu'on parlait, tantôt... On
avait reçu hier des gens qui parlaient de littéracie technologique. Je me
demande : Est-ce qu'on est
illettrés, technologiquement, pour justement affronter le volume assez fou, là,
sur l'Internet? Est-ce qu'on est
capables? Est-ce qu'on a la capacité? Est-ce que le recrutement est à la
hauteur? Est-ce que c'est difficile de trouver du personnel? Est-ce
qu'on est vraiment sur le bon champ de bataille?
Mme Barabé
(Brigitte) : ...est limité, effectivement, parce que l'évolution
technologique est très, très, très rapide, et les services de police ne suivent
pas nécessairement à la vitesse des changements technologiques. On essaie beaucoup, la Sûreté du Québec est réellement dotée
d'une équipe de cyber qui est très, très, très efficace, mais c'est
exponentiel. Donc, il faut développer cette avenue-là.
C'est
pour ça qu'on en parle dans les recommandations. Une équipe qui est dédiée
spécifiquement à ça ne perdra pas de temps à chercher, alors qu'un
enquêteur qui est moins spécialisé va prendre beaucoup plus de temps à faire
des démarches pour trouver les informations
qu'il a besoin. Donc, une équipe dédiée à ça devient beaucoup plus efficace,
mais le travail est exponentiel.
M. Skeete :
Puis j'imagine qu'il faut se sortir un petit peu du modèle traditionnel d'un
policier, là. Puis je ne dis pas que
j'ai la solution, mais, tu sais, c'est-u des civils qui vont faire ça? Tu sais,
je me demande comment qu'on pourrait s'arranger
pour occuper ce terrain-là. Parce qu'on dirait que les forces policières ont
été créées pour être là, là, tu sais, sur le terrain, mais là on n'est plus du tout dans ça, là. Là, on est...
Kim, à Montréal, cherche quelqu'un puis ça, un téléphone puis c'est réglé, là. Ça fait que je me
demande : Est-ce que vous avez commencé à penser comment mieux adapter vos
façons de travailler pour y aller?
M. Martineau (Frédéric) : Oui. Je me permets juste de rappeler, une enquête
en proxénétisme, ça repose sur la victime,
tu sais, la victime au centre. Mais la lourdeur, c'est dans la corroboration,
c'est dans la preuve qu'on va chercher. On a tous des téléphones cellulaires, mais ça, c'est des bibliothèques,
c'est des bibliothèques d'information, ça a été mentionné. C'est cette partie-là qui est lourde, la partie où
est-ce que les enquêteurs sont mobilisés à analyser ce qu'on a besoin. Puis là,
oui, il y a des avenues qui pourraient être intéressantes d'aller chercher un
support. Est-ce que c'est un support policier? Est-ce que c'est un support civil? Peu importe le support, c'est
important d'avoir de l'assistance parce que, oui, ça va très vite. Je ne
sais pas si ça répond à votre question.
M. Skeete :
Oui. Ce que je décode de votre intervention, d'abord, c'est qu'il y a le
travail pour pister, là, le problème, puis
après ça il y a toute la recherche et la préparation de la cause, et tout, qui
complique. Donc, nécessairement, c'est très intensif en termes de
ressources.
• (16 h 20) •
M. Martineau
(Frédéric) : À partir du moment où est-ce que j'ai une victime qui
vient me dire : Moi, je suis exploitée...
Parce que ce n'est pas parce que j'ai des annonces, nécessairement, sur
Internet que, derrière ça, j'ai quelqu'un d'exploité, tu sais, il faut faire la différence. Puis nous, oui, on
peut faire du dépistage sur Internet par rapport aux annonces, mais, on revient à la base d'une enquête
d'exploitation sexuelle, il faut qu'il y ait une dénonciation, il faut qu'il y
ait une victime qui vienne me
dire : Moi, je le suis. Mais ça, les annonces sur Internet, c'est des
moyens de corroboration, ça vient appuyer ce que la victime va venir
nous dire en enquête.
Mais
c'est d'aller chercher ces annonces-là, de les extraire, d'aller chercher les
communications qu'il y a eu entre les
clients, entre le proxénète... C'est ça qui est lourd, c'est ça qui est
difficile. Il y a différentes applications, c'est là qu'il y a une vitesse exponentielle, c'est une vitesse
incroyable où est-ce que... quelles applications sont utilisées. La destruction
de la preuve. C'est là qu'on a besoin d'assistance.
M. Skeete :
Je prends un moment pour soulever à mes collègues l'importance de qu'est-ce qui
vient juste d'être dit parce qu'on a
des personnes qui sont considérées systématiquement exploitées puis on a une
loi qui dit qu'on n'est pas exploité, alors il va falloir qu'on regarde
ça ensemble, oui.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.
Mme Perry
Mélançon : Bonjour. Alors, bon, on vous a entendus aussi prendre la
parole pour l'équipe de lutte intégrée. Je
voulais savoir. En fait, vous parliez beaucoup des renseignements criminels, il
y avait des lacunes au niveau, bon,
du travail des analystes pour recueillir toute l'information nécessaire. Je ne
sais pas si on l'a effleuré, tout à l'heure, mais je voulais vous
entendre là-dessus.
Et
aussi par rapport à une stratégie de sensibilisation et de prévention dans...
tu sais, oui, la réglementation municipale pourrait améliorer votre capacité, là, d'action, mais est-ce que, dans
les bars, les hôtels, les événements, il y a quelque chose qui pourrait être amélioré à ce niveau-là? Est-ce
que vous faites déjà de la prévention, de la sensibilisation et des
interventions dans ce genre d'établissement là actuellement?
Mme Barabé (Brigitte) : Pour votre première question, sur l'analyse et le
renseignement, on a une section qui est dédiée à ça, au SPVM, et il y a des analystes qui sont généralistes, et
il y a des analystes qui sont dédiés à chacune de nos sections
spécialisées.
Mme Perry
Mélançon : Donc, il n'y a pas de manque de ressource, pour vous, à ce
niveau-là.
Mme Barabé
(Brigitte) : On peut toujours en avoir plus, des ressources, mais pour
l'instant, ce qu'on a, c'est opérationnel.
Donc, les analystes supportent les enquêteurs dans leur travail pour pouvoir
accélérer et faciliter leur travail.
Ce
qui pourrait être une avenue intéressante, c'est d'aller vers l'analyse
stratégique, ce qui est train d'être mis en place actuellement par le SPVM, c'est-à-dire avoir des gens qui vont
aller prévoir qu'est-ce que le service de police devrait faire comme intervention future. Donc, se projeter
dans l'avenir pour être à l'avant-garde au lieu d'être toujours en mode réactif. Donc, ça va nous outiller pour cibler nos
interventions, pour être meilleurs puis prévoir qu'est-ce que qui va s'en
venir dans l'avenir. Ça, c'est pour l'analyse et le renseignement. Ça répond à
votre question?
Mme Perry
Mélançon : Oui. Oui, merci.
Mme Barabé (Brigitte) : Parfait. Pour ce qui est de la prévention et de
l'intervention dans les endroits licenciés, oui, il y en a par
différentes unités, par exemple la moralité, par exemple ECLIPSE. C'est certain
que, quand on a des événements comme la
formule 1, à Montréal, il y a un plan d'intervention qui s'étale sur un an. En
fait, les interventions, c'est à
l'année longue. On a des événements culturels, on a des événements sportifs.
Donc, on focusse beaucoup sur la F1, mais, en fait, il y a plusieurs
événements qui font en sorte qu'il faut qu'on soit à l'avant-garde à tous les
jours.
Mme Perry
Mélançon : Oui, puis en même temps, avec le Grand Prix, on... Je ne
sais plus qui mentionnait ça, mais
l'année dernière, par exemple, il y avait un événement, aussi... en même temps,
là, il y a le G7, pas loin, puis il y avait des corridors, en tout cas, les gens essayaient d'intervenir pour... en
tout cas, je ne sais pas si je pourrais faire le parallèle avec ça, mais vous êtes en mesure de déployer des
ressources à certains moments plus ponctuels, c'est comme ça que vous
fonctionnez toujours.
Mme Barabé (Brigitte) : Oui, surtout que ça revient année après année. Au
même titre que Noël revient à chaque année,
la F1 revient à chaque année, le festival de jazz revient à chaque année. Donc,
on est capables de prévoir à l'avance. On a développé une expertise qui fait en
sorte que nos plans d'intervention, on les adapte à chaque année, mais on est en
mesure à chaque mois de cibler des interventions pour se préparer à la venue du
Grand Prix, par exemple.
Mme Perry
Mélançon : O.K. Parce que chaque intervention nécessite quand même une
préparation puis un déploiement assez important.
Mme Barabé
(Brigitte) : Pour être plus efficaces, il faut être arrimés. Donc, il
faut de la préparation.
Mme Perry
Mélançon : Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Roberval.
Mme Guillemette :
Merci, M. le Président. Merci d'être ici pour partager vos connaissances et
surtout votre expérience. On parlait
du Web, mais qu'est-ce que vous pensez des annonces dans les journaux? On en
parlait justement, ce matin, avec ma
collègue de l'Acadie, on rouvre le Journal de Québec, puis, peu importe
le journal, il y a des petites annonces de salons de massage, et c'est
très explicite, là, comme... Est-ce qu'il y a moyen de contrer ça?
M. Martineau
(Frédéric) : Si je comprends bien votre question, dans le fond, oui,
on voit, comme sur Internet, comme dans les
journaux, on voit des annonces, mais il faut revenir... Nous, on ramène notre
priorité d'intervention sur les personnes
exploitées. Il faut toujours se ramener, se poser la question : Est-ce que
j'ai une personne exploitée? Puis ça devient une preuve de
corroboration.
Puis, je comprends,
j'ai vu, peut-être, dans des témoignages précédents, il y a des questionnements.
Peut-être, à l'article de publicité, c'est
des services sexuels. Mais ça, c'est des articles qu'on va utiliser contre des
proxénètes, des proxénètes qui ont
exploité des jeunes filles puis qui vont placer des annonces sur des sites, que ce soit dans les
journaux, quoique c'est plus rare, mais sur des sites Internet. Là, on va
accuser. C'est un autre article, c'est un autre outil du Code criminel qu'on a, qu'on va utiliser pour accuser. Mais
d'intervenir sur les annonces qu'on voit dans le journal, d'intervenir
sur les annonces qu'on voit sur Internet, ce n'est pas d'intervenir sur une
victime.
Mme Guillemette :
Mais de les réglementer, ces annonces-là, de les interdire carrément...
M. Martineau
(Frédéric) : Mais la publicité de services sexuels est interdite par
le Code criminel. Ça fait qu'il y a peut-être quelque chose à faire dans les
journaux effectivement.
Mme Guillemette :
O.K. Merci.
Mme Barabé (Brigitte) : Ce qui est très important par contre, pour
rajouter, c'est de viser peut-être un changement au niveau de la banalisation
qu'on fait du phénomène, parce que s'attaquer aux annonces, c'est très difficile, on
n'a pas nécessairement les outils légaux pour le faire, mais
travailler, par contre, sur la sensibilisation puis sur le fait qu'il faut
cesser de banaliser ces comportements-là, par contre, là, on pourrait
avoir un effet.
Mme Guillemette : Bien, au même titre que sur les paquets de
cigarettes, maintenant, il y a une photo assez explicite avec un texte qui dit que, si vous fumez... Est-ce qu'on pourrait penser de mettre dans le
journal, en haut, une bande, un bandeau expliquant, bon... et puis que les
annonces sont en bas? Je ne sais pas, mais ça me questionne beaucoup, là, que
c'est interdit et que c'est quand même ouvert, là.
M. Martineau (Frédéric) : Ça pourrait faire partie des campagnes de
sensibilisation, des endroits ciblés, comme on le citait précédemment.
Mme Guillemette :
Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Pour l'information de la
commission, les gens d'Edmonton, lorsqu'ils
sont venus nous voir, ils lançaient une campagne publicitaire dans les médias
sociaux. Lorsque les gens allaient faire
des recherches pour escortes, exemple, il y a une publicité qui embarquait en
disant que c'était illégal. Ça fait que ça peut être intéressant aussi.
Député de Viau.
M. Benjamin :
Merci, M. le Président. Rapidement. Écoutez, merci beaucoup pour le travail que
vous faites. J'aime beaucoup vos recommandations.
J'aime toutes vos recommandations, mais particulièrement les 4, 5 et 12, donc,
je les aime beaucoup.
Maintenant,
j'ai une question à vous poser. En 2018, dans votre bilan, vous parlez de
301 dossiers traités. Quand on
dit «dossiers traités», moi, ce que j'aimerais savoir : Dans ces
dossiers-là, il y a eu combien, par exemple, d'arrestations de clients
abuseurs, dans ce nombre-là? Est-ce que ce sont des données qu'on peut avoir?
M. Martineau
(Frédéric) : Si on prend juste l'année 2018... En fait, je peux
vous dire, là, depuis 2017, dans le fond,
c'est 43 arrestations de clients abuseurs qu'on a. Au total, là, depuis
2017, 2018 et 2019, jusqu'à ce jour, il y a eu 163 arrestations,
mais à peu près le quart, 25 % de nos arrestations, 26 % de nos arrestations,
c'est des clients abuseurs.
M. Benjamin :
C'est des clients abuseurs.
M. Martineau
(Frédéric) : Exactement.
M. Benjamin :
Et les autres?
M. Martineau
(Frédéric) : Les autres, c'est des proxénètes.
M. Benjamin :
C'est des proxénètes.
M. Martineau
(Frédéric) : Exactement.
M. Benjamin :
Bon. Mais maintenant je vous disais que... Si on regarde la
recommandation 4 que vous faites, c'est la recommandation qui
concerne... Attendez que j'y arrive, deux secondes.
Mme Barabé
(Brigitte) : De développer le soutien avec l'Union des municipalités
du Québec?
M. Benjamin :
Avec l'Union des municipalités du Québec, voilà. Moi, je trouve ça vraiment
très, très intéressant. Parlez-nous
de votre expérience sur le territoire montréalais. Parce que, lorsqu'on sait,
par exemple, le nombre... Et je pense qu'il
y a quelque 250, près de 300 lieux de services sexuels, incluant les
salons de massage, etc. Parlez-nous de votre expérience là-dessus.
Mme Barabé
(Brigitte) : ...juste spécifier votre question, je m'excuse, je ne la
comprends pas.
M. Benjamin :
Votre expérience, l'expérience du SPVM en lien avec les questions relatives à
l'exploitation sexuelle des mineurs
dans ces lieux-là. Comment vous vous y prenez? Comment vous vous y attaquez?
Est-ce que vous avez des visites systématiques? Est-ce que c'est sur
dénonciation? Comment vous travaillez?
M. Martineau (Frédéric) : Si je peux me permettre, il y a des dossiers
d'enquête qui sont ouverts. Ce n'est pas sur les 250, mais, aussitôt qu'on a une information qu'il y aurait une
victime d'exploitation sexuelle, victime mineure ou même victime adulte, on va faire une enquête sur
l'endroit spécifique. C'est traité de façon systématique. Si, des fois,
l'information n'est pas assez précise, oui, on va faire différentes
enquêtes, on va faire différentes approches. Ça peut être des visites, ça peut être de la surveillance, ça peut être...
il y a plein de techniques d'enquête qu'on va faire. Mais ce n'est pas parce
que c'est dans un lieu... Ce n'est pas parce
qu'ils sont protégés, là. On va s'attaquer à cette problématique-là aussitôt
qu'on a une dénonciation.
• (16 h 30) •
Mme Barabé
(Brigitte) : S'il n'y a pas de dénonciation, sachez que nous avons des
unités comme ECLIPSE, comme la moralité qui
visent ces endroits-là, qui visitent ces endroits-là, qui ont été formées par
Les Survivantes, en termes de
détection. Donc, quand ils se promènent, au-delà du fait qu'ils vont aller
vérifier certaines informations, ils vont aller voir également s'il n'y
a pas des victimes qui ne pourraient pas être exploitées dans ces lieux-là.
M. Benjamin : En termes de leviers, de moyens, le député de Vachon,
le président de la commission vous a soumis l'approche de la ville d'Edmonton. Vous, est-ce que vous avez identifié,
en dehors de cette recommandation-là... Parce que je pense que ce qui est
clair, c'est qu'on veut s'assurer qu'on ait tous les moyens, qu'on ne néglige
aucun moyen pour lutter contre ce phénomène,
pour apporter les réponses, pour soutenir les victimes. Est-ce qu'en termes de
leviers, de moyens, y a-t-il d'autres
leviers que vous avez identifiés à ce
niveau-là? Parce qu'on parle de...
souvent, on parle des trois branches, dans
ce commerce-là, des victimes, des clients abuseurs et des proxénètes, mais il y
a aussi un quatrième, les lieux d'exploitation
sexuelle, dont les salons de massage, dont les hôtels. Est-ce qu'il y a
d'autres leviers que vous, SPVM, vous estimez que vous avez besoin pour
mieux faire votre travail?
Mme Barabé
(Brigitte) : Je crois qu'avant toute chose, il faut qu'il y ait un
arrimage dans les interventions autant au niveau de la police qu'au niveau de
toutes les autres organisations, organismes qui travaillent en ce sens pour l'exploitation sexuelle. Dès qu'il va y avoir un
meilleur arrimage, probablement qu'on va découvrir des façons de faire ou qu'on va développer des nouvelles façons de faire
qui va nous permettre de se surélever sur cette problématique-là pour
devenir encore meilleur pour lutter le phénomène.
M. Benjamin :
Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Oui. Alors donc, on mentionne souvent que Montréal,
c'est la plaque tournante, mais évidemment ce qui est très préoccupant actuellement,
c'est l'expansion partout sur le territoire du Québec.
Donc, c'est
en 2016 que vous avez commencé à regarder ce phénomène, vous organiser, tout
ça. Est-ce que vous sentez que, donc,
actuellement, avec la formation... c'est sûr que ça prend plus
de formation, mais la coordination se fait quand même bien, vous êtes sur
la même page, vous réussissez ou voyez-vous ça comme un défi de taille et de
longue haleine pour couvrir ce territoire?
L'autre
question que j'aurais, c'est, Toronto... Bon, les grandes villes, hein, on
parle des grandes villes comme étant à
peu près toutes les plaques tournantes, puis il y a beaucoup
d'échanges entre l'Ontario et Montréal. Avez-vous des contacts avec Toronto? Est-ce qu'ils vivent à peu près
la même chose que nous ou est-ce que, de vos connaissances, c'est différent?
Est-ce qu'on est capable de s'inspirer peut-être
de choses qu'ils font ou est-ce qu'eux s'inspirent de nous? Est-ce que vous
avez des échanges sur, comment dire, les pratiques?
Mme Barabé
(Brigitte) : Pour répondre à
votre première question sur la coordination, oui, elle se porte bien. L'EILP
est une jeune équipe, donc elle est encore
en développement, il y a encore de l'arrimage à faire. Vous
comprendrez que différents services de police travaillent de différentes
façons. Par contre, la coordination, malgré qu'elle est très jeune, fonctionne très bien et a fait ses preuves, mais
il faut poursuivre dans cette veine-là. Il ne faut surtout pas arrêter de
travailler de cette façon concertée
là. Ce serait une erreur considérant les nombreux déplacements que les
proxénètes font avec leurs jeunes victimes. Je laisse mon collègue
répondre pour Toronto.
M. Martineau (Frédéric) : On a
des liens à chaque semaine avec différents corps de police à la grandeur du Canada.
Que ce soit Toronto, que ce soit Victoria, peu importe les grandes villes au Canada,
on a des liens à toutes les semaines.
Mme Weil : Mais étant
une grande ville métropolitaine, Toronto, est-ce qu'on voit des ressemblances
dans la façon de fonctionner ou ce n'est pas tellement pertinent, c'est-à-dire
d'échanger avec Toronto? Parce que...
M. Martineau (Frédéric) : Bien,
c'est pertinent au niveau des dossiers d'enquête, c'est...
Mme Weil : Particuliers,
mais pas des...
M. Martineau
(Frédéric) : ...mais je peux
vous dire qu'on doit être fiers du modèle qu'on a, de mettre... je parle, à Montréal,
on a mis la victime au centre de toutes nos actions, et ce modèle-là se reflète
à la cour par le résultat qu'on a dans les condamnations. Mais c'est sûr
que ça amène les autres villes à observer ce qu'on fait de bien. Et ça, c'est
un exemple, de mettre les victimes au centre de toutes nos enquêtes, mais au
centre de nos actions, puis ce n'est pas juste au niveau policier, c'est
au niveau intervenants, les différents intervenants, là, qui nous accompagnent
là-dedans.
Mme Weil : Juste le profil, de votre expérience, des filles
qui sont victimes de cette exploitation, donc, vous en parlez, dans le recrutement, donc, vous
dites : Il y a le facteur socioéconomique, on a beaucoup
entendu parler de ça. Je vous dirais, beaucoup de groupes qui sont venus hier ont dit que la
pauvreté est un facteur énorme, mais pas le seul facteur, et des fragilités. Ils parlaient de fragilité,
donc santé mentale, etc. Et il y en a d'autres qui disent : Ça peut être
vraiment dans tous les milieux. Votre expérience vous dit : C'est un
mélange des deux? Est-ce que vous avez de l'expérience? Qu'est-ce que vous observez par rapport à, peut-être,
la majorité des cas?
M. Martineau
(Frédéric) : C'est sûr que
les proxénètes vont cibler les carences, mais, les carences, peu importe le milieu, il peut y en avoir chez les jeunes filles. Ça fait que, oui, il y a des milieux où
est-ce que c'est plus peut-être propice, mais l'émission Fugueuse l'a bien mis en valeur, c'est une
famille de banlieue qui peut être représentative de toutes les banlieues
du Québec...
Mme Weil : Et c'est ce
que vous voyez.
M. Martineau (Frédéric) : ...mais
c'est notre réalité et c'est ce que nous, on voit dans nos dossiers d'enquête.
Mme Weil : O.K. C'est
important pour la campagne de sensibilisation.
M. Martineau (Frédéric) : Oui,
exactement.
Mme Weil : C'est aussi important pour les campagnes dans les
écoles. C'est d'être conscient que ça peut se produire n'importe
où. Merci.
M. Martineau
(Frédéric) : Exactement.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre
contribution aux travaux de la commission.
Je
suspends les travaux quelques instants afin de permettre aux prochains invités
de prendre place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à
16 h 36)
(Reprise à 16 h 40)
Le Président
(M. Lafrenière) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue à la
Centrale des syndicats
du Québec. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire
votre exposé. Par la suite, il y aura une
période d'échange de
25 minutes avec les membres de la commission. Donc, je vous demande donc
de vous présenter, de faire votre exposé, puis je vous remercie d'être
là.
Centrale des syndicats du Québec (CSQ)
Mme Éthier (Sonia) : Bonjour. Bien, d'abord, merci beaucoup pour nous avoir invitées à participer à cette importante
commission spéciale. Je me présente : Moi,
je suis Sonia Éthier, je suis la présidente de la Centrale des syndicats du
Québec. Je suis accompagnée de
Mme Julie Pinel, qui est conseillère au dossier de la condition des femmes
à la centrale, avec qui on va partager le temps de parole.
Donc,
juste pour vous indiquer un peu, là, la Centrale des syndicats du Québec, c'est
200 000 membres, mais dont 125 000
en éducation, d'où l'importance pour nous de participer à cette commission. Et
vous allez voir que nos recommandations sont différentes, là, parce qu'elles sont liées beaucoup à la prévention
et à l'éducation. Donc, on salue vraiment l'initiative à la suite d'une motion unanime de l'Assemblée
nationale, qui avait été adoptée le 14 juin dernier, démontrant
l'importance de travailler sur cet
enjeu qui est vraiment sociétal et qui, comme vous le dites dans le cahier de
consultation, qui peut toucher tout
un chacun. Et, comme vous le dites si bien aussi, il faut protéger, il faut
accompagner et surtout proposer des mesures concrètes afin d'agir sur ce
phénomène.
Donc,
on a quand même 19 recommandations puis c'est sûr que ce sont des pistes
de réflexion. C'est pour aider la
commission, comme les autres intervenants le font, pour trouver des pistes de
solution puis faire des recommandations au gouvernement.
Donc,
je passe la parole à Mme Pinel qui va faire la première partie. Moi, je
ferai la deuxième partie. Puis je veux juste
vous indiquer qu'on a deux recommandations puis qu'elles sont d'ordre... qui
concernent les peines, mais on n'est pas des spécialistes, là,
juridiques. On n'a pas nos procureurs avec nous, ça fait que...
Mme Pinel (Julie) : Bien, bonjour. Je vais commencer tout de suite.
Au fond, personne n'est à l'abri de l'exploitation sexuelle des mineurs, comme Mme Éthier vient
de le dire. Les victimes sont nombreuses, elles proviennent de divers milieux.
Par contre, cette problématique touche
majoritairement les jeunes filles avec une surreprésentation des filles
autochtones.
Les
violences sexuelles et physiques vécues pendant l'enfance ainsi que les fugues
sont deux facteurs qui ressortent chez
les victimes. Par contre, une simple vulnérabilité est suffisante pour faire de
ces jeunes une proie pour les proxénètes. Parmi les proxénètes, on retrouve les gangs de rue, pour qui
l'exploitation sexuelle demeure leur activité principale. Ces gangs sont
des «boys' club» où le machisme et la misogynie règnent. Les filles ne peuvent
y jouer essentiellement que deux
rôles : partenaires ou accessoires. On y retrouve une valorisation
importante de la violence et de l'usage de la force, les traditions en
matière d'initiation le démontrent. Malgré l'impossibilité de chiffrer la
fréquence des viols collectifs comme
initiation, on sait qu'ils sont présents et que les gangs les utilisent pour
avoir un rapport de pouvoir sur les victimes.
Nous
croyons, à la CSQ, que l'éducation est un moyen à privilégier pour contrer ce
phénomène. Ainsi, une campagne nationale
de sensibilisation à la problématique visant l'ensemble de la population est
nécessaire. Cette campagne devrait inclure
des outils spécifiques à l'intention des jeunes ainsi que des outils visant à
conscientiser les parents et à les soutenir dans les interventions à
faire auprès de leurs enfants.
Les
problématiques vécues par les communautés autochtones sont nombreuses. Les
structures sociales et familiales sont
affaiblies et une pénurie de logements sévit au sein des communautés. Les
jeunes peuvent être victimes d'exploitation sexuelle au sein des communautés ou lorsqu'ils quittent pour la
métropole. À leur arrivée, ils se retrouvent en situation de vulnérabilité faisant d'eux des proies faciles pour
les proxénètes. Ainsi, il importe de travailler à l'élaboration d'un plan
d'action en collaboration avec les communautés autochtones afin d'assurer la
sécurité des jeunes vivant au sein de ces communautés ainsi que ceux qui
s'exilent.
On constate une hypersexualisation
et une pornographisation de la société québécoise qui amènent une vision inégalitaire des relations femmes-hommes. Les
messages qui y sont transmis diffèrent selon le genre. On y présente le corps
des filles comme un objet qui peut être utilisé,
exploité, vendu, agressé. Cette hypersexualisation et pornographisation de la
société n'est pas sans effet chez les jeunes, les amenant à avoir une
représentation biaisée des relations égalitaires. En 2006, une étude soulignait que, pour 80 % des jeunes participants
âgés de 15 à 17 ans, les activités sociales sexualisées, tels les concours
de chandail mouillé et les jeux d'imitation de fellations, étaient perçues
comme de beaux exemples de relations égalitaires.
Au
niveau de la pornographie, on dénote une représentation encore plus
inégalitaire pour les minorités ethnoculturelles. Elles sont souvent représentées comme un groupe à
exploiter et dominer, encore plus que les femmes blanches. De plus, la
pornographie banalise la vision des femmes comme objets sexuels tout en
légitimant cette perception dans la société.
Les
clients abuseurs et les proxénètes sont en majorité des hommes qui abusent ou
exploitent le corps des jeunes filles.
Pour les clients abuseurs, le fait de payer pour obtenir des services sexuels
amène une certaine distanciation entre eux
et les victimes. Ils considèrent qu'en acceptant l'argent les jeunes consentent
à la relation. Les clients abuseurs se sentent légitimés dans cet abus.
Il nous apparaît
évident que l'image des filles qui est dépeinte dans la société par
l'hypersexualisation et la pornographisation
contribue au phénomène d'exploitation sexuelle des mineurs. Ainsi, la campagne
nationale devrait inclure un volet
afin de dénoncer les effets de l'hypersexualisation et de la pornographisation
ainsi que l'objectivation et la marchandisation du corps des femmes.
En
matière de prévention, les membres des personnels de l'éducation, des services
sociaux et de la santé jouent un rôle
important. Pour que les jeunes s'ouvrent, qu'ils parlent de ce qu'ils vivent,
il importe qu'ils aient développé un lien de confiance avec l'adulte. Cet adulte peut être n'importe quelle
personne de son entourage, un membre du personnel de soutien, du
personnel enseignant ou du personnel professionnel, par exemple. Pour augmenter
les chances — je
suis désolée — de
dépister et signaler rapidement des situations qui semblent démontrer des
signes d'exploitation sexuelle, l'ensemble
des personnels oeuvrant dans ces milieux doivent être informés de cette
problématique ainsi que des différentes étapes de recrutement. De plus,
la thématique de l'exploitation sexuelle devrait être incluse dans les cours de
certains programmes afin de sensibiliser les
futurs techniciens et techniciennes ainsi que les futurs professionnels et
professionnelles de cette
problématique. Une consultation incluant le ministère de l'Éducation et de
l'Enseignement supérieur ainsi que les milieux
collégial et universitaire serait bénéfique pour déterminer correctement les
programmes où cet ajout est nécessaire.
L'exploitation
sexuelle ne se fait pas seulement au Québec. Il peut arriver, pour des raisons
diverses, que les jeunes victimes
soient déplacées à l'extérieur, vers les provinces canadiennes ou vers les
États-Unis. Par exemple, on sait que les fugueurs ou fugueuses, lorsqu'ils sont recherchés par leur famille,
deviennent dangereux pour le proxénète. Il peut alors être tenté de les
échanger ou de les vendre. Le déplacement vers une autre ville ou une autre
province amène les jeunes à perdre l'ensemble
de leurs repères et parfois même ils se retrouvent à un endroit où ils ne
parlent pas la langue. La mise sur pied d'une ligne unique d'aide et de prévention en matière d'exploitation
sexuelle, du type Tel-Jeunes, pourrait être un moyen d'offrir des services facilement accessibles aux
jeunes qui en ressentent le besoin. Cette ligne pourrait être publicisée par le
biais de la campagne nationale.
Les liens dysfonctionnels avec les familles ou
les milieux de vie des jeunes sont un des éléments à la base des fugues. Les jeunes doivent avoir un adulte de
confiance vers qui se tourner. Les personnels des services publics et des
milieux communautaires sont des
alliés dans cette lutte à l'exploitation sexuelle. Ils peuvent intervenir à
divers niveaux, notamment par la
prévention et le soutien à apporter aux jeunes pour éviter une fugue ou encore
pour dépister des signes d'exploitation sexuelle. Pour les milieux des services sociaux et de la santé, une
attention particulière aux jeunes qui consultent pour une grossesse non
désirée ou une infection transmise sexuellement ou par le sang pourrait
permettre de voir si des signes d'exploitation
sexuelle sont présents. Pour y arriver, il importe d'augmenter le nombre de
ressources disponibles dans les milieux de l'éducation, de la santé et
des services sociaux afin de leur donner le temps nécessaire pour effectuer les
interventions appropriées auprès de ces jeunes.
Une seule période de vulnérabilité pourrait
mener les jeunes vers l'exploitation sexuelle. La prévention passe essentiellement par leur éducation. Ils doivent
être informés sur cette problématique, sur les rapports sociaux égalitaires,
les impacts de l'hypersexualisation et de la
pornographisation ainsi que l'objectivation et la marchandisation du corps des
femmes. De plus, cette éducation doit se
faire en précisant clairement les rôles que les garçons et les filles ont à
jouer face aux diverses problématiques.
Il existe de
nombreux outils et initiatives locales de prévention et de soutien en matière
d'exploitation sexuelle des mineurs.
Pour faciliter l'accessibilité, une recension serait nécessaire afin que ces
derniers soient répertoriés à un seul et même endroit, permettant ainsi à l'ensemble des acteurs et les régions
moins touchées par la problématique de l'exploitation sexuelle des
mineurs d'y avoir accès facilement.
Si l'on
souhaite intervenir correctement en répondant aux besoins de chacun des profils
touchés par la problématique de l'exploitation
sexuelle des mineurs, nous devons avoir des données récentes. On constate un
manque criant de données pour
certains profils de victime, notamment les minorités sexuelles et ethnoculturelles. Il
importe d'avoir un portrait des facteurs de risque et de protection pour chacun
des groupes touchés par la problématique. Le soutien à la production de recherches incluant l'ensemble des profils des
victimes d'exploitation est nécessaire afin de permettre un soutien et des
interventions adaptées à chacun des jeunes.
• (16 h 50) •
Mme Éthier
(Sonia) : Donc, pour
poursuivre... On est rendus à la recommandation 11. À la recommandation 1, on vous a parlé d'une campagne nationale qui
viserait à sensibiliser. Donc, il serait, dans cette campagne, important d'inclure
un volet d'information sur les conséquences
de l'exploitation sexuelle, la responsabilité des clients abuseurs, des
proxénètes et des trafiquants mais
aussi des peines qu'ils encourent. Donc, on pense que cette partie-là devrait
s'ajouter à une possible campagne.
On a aussi un autre élément de réflexion qui...
On pense qu'il serait intéressant pour le gouvernement de mettre sur pied une forme de partenariat avec les
entreprises et les organismes privés, à l'image de l'ECPAT, qui existe déjà, un
code de conduite pour la protection des enfants contre l'exploitation
sexuelle dans le tourisme et l'industrie du voyage. Peut-être qu'on pourrait
s'inspirer de ça, on pourrait partir d'une bonne base, là.
Et, dans le mémoire, on a un volet aussi sur la
guérison et le rétablissement des victimes. Et je pense qu'on va s'entendre, tout le monde, pour dire que les
victimes qui réussissent à s'en sortir ont beaucoup de séquelles physiquement
et psychologiquement la plupart du temps, donc... et on sait aussi que leur
sortie du réseau, ce n'est pas nécessairement assuré
à 100 %. Quand elles réussissent, bien, il faut réunir les conditions qui
mènent à cette réussite-là, donc ça prend un soutien de longue durée. Il faut qu'on les accompagne pendant longtemps
pour que les personnes puissent réintégrer l'école, la société ou encore
le monde du travail, puis, en ce sens-là, on a quand même quelques
recommandations.
Donc, pour
une victime d'agression sexuelle, le rétablissement, comme je vous disais, peut
être long. Et, en plus d'avoir
souvent des dépendances aux drogues, il est important pour... trois choses, que
les soins soient disponibles sur une longue
période, et il faut l'établissement d'un lien de confiance avec l'intervenant
ou les intervenants, là, qui vont s'occuper de cette personne-là, et tout ça dans un spectre large, hein, en termes
d'hébergement, d'intervention psychosociale, et, ma collègue l'a dit tout à l'heure, il faut s'assurer
que les services soient suffisants, ce qui n'est souvent pas le cas, partout
sur le territoire du Québec et aussi au-delà de l'âge de la majorité,
hein, parce que ça aussi, ça se continue dans le temps.
Donc, il y a aussi la question du décrochage scolaire, qui diminue,
hein, pour les jeunes victimes, leurs perspectives d'emploi. Ça, c'est tout à fait évident. Donc,
pour leur permettre d'avoir une vision d'avenir à l'extérieur de cette
situation, il faut essayer de trouver des façons pour ces jeunes-là de
retourner aux études, d'intégrer le marché du travail.
Puis aussi il
y a l'accès au logement, hein, qui peut être une problématique. Pas de
logement, bien, c'est le retour à la rue. Donc, c'est un ensemble de
mesures qui sont importantes.
L'autre
élément qu'on trouvait aussi peut-être pertinent, c'est que, les victimes,
quand elles doivent raconter souvent ce
qu'elles ont vécu puis... c'est très traumatisant. Et ce qu'on se demandait,
c'est, avec l'accord des victimes, si le dossier, là, ou les faits que les victimes racontent ne peuvent
pas être transférés à l'autre intervenant pour que les victimes n'aient pas
à raconter encore et encore tous ces événements traumatiques là, là.
Donc, en même
temps aussi, un élément qu'on utilise souvent à la centrale, là, c'est
d'utiliser une analyse différenciée selon
les sexes pour aider à identifier correctement les besoins des filles mais des
garçons aussi, pour connaître qu'est-ce qui se passe puis d'être en
mesure de les aider correctement. Et il
y a aussi l'intersectionnalité de
l'enjeu, compte tenu que les minorités sexuelles, les minorités
ethnoculturelles peuvent aussi avoir des besoins différents. Donc, c'est
important de faire ces analyses-là.
Tantôt, on en
a parlé aussi, les intervenants précédents, de... le soutien aux familles, les
familles qui sont démunies, parce que, sur plusieurs aspects, prévoir des mesures de soutien, pour
nous, c'est un facteur de réussite important, mais il faut aussi que les
familles comprennent par où sont passés leurs enfants pour qu'elles puissent
devenir des acteurs dans le rétablissement quand c'est possible.
Donc, deux
éléments aussi qui nous semblaient importants, c'était, comme je vous le disais
tout à l'heure, là, sur les
peines, bien, s'assurer d'apporter la peine appropriée pour les gestes causés.
Ça, c'est quand même un élément
important. Puis il y a l'autre aspect aussi, s'assurer d'un accompagnement
approprié pour qu'il n'y ait pas de récidive. Ça, c'est quelque chose
que, parfois, on va négliger, là.
Donc, une dernière recommandation qui vise à
revoir les peines imposées aux clients abuseurs, qui devrait être reconnu comme un acte criminel passible d'un
emprisonnement maximal de 14 ans avec une peine minimale d'un an. Donc,
c'est un élément qu'on soumet à la réflexion.
Et aussi on
voulait porter à votre attention que, lorsqu'une entente de cohabitation
légitime existe avec la personne qui
rend les services sexuels, ça devient possible, pour eux, de vivre des fruits
de la prostitution, puis ce qui nous semble un moyen que pourraient utiliser les proxénètes pour exploiter en toute
légalité, puis il nous apparaît essentiel de s'assurer que les lois ne
prévoient aucune exception dans ce sens-là.
Alors, on a
fait le tour des 19 recommandations, mais, pour nous, c'est important, en
conclusion, que les mesures répondent
aux besoins des victimes, soient mises en place afin de les protéger. La
prévention, ma collègue l'a dit tout à l'heure,
ça passe par l'éducation. C'est un élément qui est important, parce qu'il faut
agir en amont, c'est très important, et les services publics, les organismes communautaires, bien, c'est des alliés
dans cette lutte à l'exploitation. Mais il faut aussi, on le répète, c'est un élément important... Ça prend
les moyens, hein? On l'a vu tout à l'heure, on a besoin de moyens pour agir, donc, pour soutenir les jeunes, pour
soutenir l'ensemble des intervenants aussi qui agissent dans cette question. Et
c'est collectivement, hein, qu'il faut
trouver les solutions. Ça fait que la commission, elle prend tout son sens,
puis c'est vraiment important, parce qu'il y a vraiment un ensemble de
pistes de solutions qui vont pouvoir aider la commission à proposer des choses
au gouvernement, puis je pense qu'on va avancer dans ce sens-là.
Puis, en
terminant, je pourrais dire que c'est un problème collectif, mais il faut
trouver des solutions collectives pour permettre
à ces jeunes-là puis aussi les gens qui les entourent, hein, de... pour les
jeunes en particulier de vivre des relations saines et de mettre un
terme à l'exploitation sexuelle qui est grandissante et qui est difficile à
cerner. Merci.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons maintenant débuter la période
d'échange avec les membres de la commission. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : ...M. le Président.
Bonjour. Merci d'avoir accepté l'invitation.
Moi, je me questionne aussi par rapport aux
écoles. Vous l'avez abordé un peu, mais je veux vous relancer, comme vous êtes une centrale syndicale très
présente dans les écoles. On parle beaucoup d'éducation, on parle beaucoup
d'élever... bien, de sensibiliser,
évidemment, les jeunes filles aux dangers de l'exploitation sexuelle juvénile,
mais aussi d'élever des jeunes
garçons pour que, plus tard, ils soient des adultes puis qu'ils n'aient pas
envie d'acheter des adolescentes.
Mais ça ramène tout le débat de la question de
la sexualité dans les écoles, puis ça fait un an maintenant qu'on a le programme, puis je sais que, quand ça a été
annoncé, il y avait quelques craintes ou critiques, en fait, de la part du
milieu professoral, entre autres de
dire que c'était un peu bulldozé puis qu'il manquait de ressources, entre
autres de sexologues ou des choses
comme ça, dans les écoles. Un an plus tard, où est-ce qu'on en est? Puis est-ce
que vous trouvez qu'on aurait besoin
de bonifier ce programme-là pour... non seulement sur le fond, mais sur la
forme aussi, pour s'outiller comme du monde puis réussir cette
campagne-là de changement culturel qui est quand même assez fondamental?
• (17 heures) •
Mme Éthier
(Sonia) : Bien, sur la
question du programme d'éducation à la sexualité, on est toujours à la même
place, là, il n'y a pas plus de ressources
qu'il y en avait l'année passée. Et je pense
qu'il y a un élément qu'on a abordé tout à l'heure, c'est une campagne, mais aussi de répertorier
des outils, hein, pour qu'on puisse... ces outils-là, là, qui pourraient
être donnés, fournis au milieu de l'éducation et aux différents intervenants pour être capable de dépister puis de
référer aux bons endroits.
Donc, il y a
un élément de prévention, mais il y a un élément aussi d'information auprès des
intervenants, du corps professoral,
auprès des psychoéducateurs, etc., là, qui oeuvrent puis qui ont un rôle
important, là, dans les écoles. Et il
y avait, bien, c'est ça, là, toute la question
des outils. Je pense que de répertorier les outils qui existent, ça a une
valeur fondamentale, là, pour aider les gens dans les
milieux.
M. Leduc : Je ne pense pas que vous étiez là ce matin ou je
ne sais pas si vous l'avez écouté, on a eu des extraits vidéo assez troublants, là, de la balado Trafic,
qui va être d'ailleurs à l'antenne de Télé-Québec, je pense, cet
hiver. Ça pourrait être un des genres
d'outils, je pense, qu'on pourrait présenter dans une salle de classe, qui
serait, je pense, très, très capable d'ouvrir beaucoup d'yeux de nos
jeunes.
Puis
je veux revenir sur un commentaire que vous avez fait, parce qu'on aura beau... On a tendance souvent à mettre des choses sur les épaules de profs, hein? Tous
les problèmes de société, là, on met ça sur le dos des profs :
Réglez-nous ça. On s'en décharge un
peu, des fois, je trouve, de certains enjeux. Je pense qu'on n'aura pas le
choix d'arriver avec une approche en termes d'école, mais je trouvais ça intéressant
parce que vous avez fait partie d'un... Vous avez développé une critique assez large de la société. Vous avez
parlé de la banalisation de la porno, des annonces, on pourrait même parler de
plusieurs vidéoclips, parce que c'est sûr que, si on a une superbelle stratégie
à l'école, mais que le reste de la société envoie un message complètement différent, bien là ça crée
une dissonance qui est difficile à gérer pour le jeune. Est-ce que c'est
quelque chose qui vous inquiète? Est-ce que
vous pensez qu'on aurait d'autres façons d'intervenir sur le reste de cette
société-là, sur le reste des images qu'on consomme à la journée longue?
Mme Éthier (Sonia) : Bien, je pense que la campagne, là, qu'on soumet,
là, je pense que ça serait important, parce que je ne pense pas que la population est informée tant que ça de quelle
façon ça fonctionne. Puis, dans le mémoire, on ne vous en a pas parlé, Mme Pinel en a parlé un
peu tout à l'heure, mais comment les jeunes filles se... comment ça commence,
cette approche-là, puis que... tu sais, là,
tout le fonctionnement de comment les jeunes entrent dans ce cycle-là, ce n'est
pas immédiat.
Donc,
il faut absolument que la population, par le biais d'une campagne, soit
informée de tous ces éléments-là, puis
qu'on le porte collectivement, puis qu'on comprenne que, comme société, bien,
la pornographie... tu sais, que les parents soient aussi très... Les
parents, ils ont un rôle important. Il faut qu'ils soient sensibilisés puis il
faut qu'ils comprennent comment ça fonctionne, cette roue-là. Donc, je pense
qu'on peut miser sur l'école, mais, comme vous le dites, l'école n'y arrivera pas seule. C'est beaucoup plus grand
que ça, là. Ce sont des enjeux qui sont quand même très, très importants.
M. Leduc :
Merci.
Mme Pinel
(Julie) : ...
M. Leduc :
Ah! Oui, excusez.
Mme Pinel
(Julie) : Oui, excusez-moi. Si je peux me permettre, au niveau de
l'hypersexualisation puis de la pornographisation,
ça fait aussi partie de la compagne nationale qui est demandée, qu'on s'attaque
à ça. Je pense que c'est quelque
chose qui est nécessaire parce que, comme on l'a dit, ça contribue aux rapports
inégalitaires. Et la vision que les jeunes
ont des rapports, disons, égalitaires, qui sont inégalitaires, finalement,
bien, je pense que, quand on a cette vision-là d'un rapport entre les
filles et les garçons, bien, ça explique aussi comment on agit avec ces
personnes-là.
Donc,
quand on parlait d'intervenir auprès des jeunes garçons, bien, oui, on peut
intervenir pour ne pas en faire de futurs
clients abuseurs mais aussi de futurs proxénètes, parce qu'ils peuvent être
appelés aussi, ces jeunes-là, à être membres d'un gang de rue ou à agir comme proxénète auprès d'une jeune fille de
leur entourage ou autre. Donc, je crois sincèrement que l'hypersexualisation, la pornographisation,
c'est vraiment un élément sur lequel on doit s'attarder pour mettre fin à
ces rapports-là inégalitaires qui sont présents.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Le député de Viau.
M. Benjamin :
Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. Donc, je m'attardais à
une des recommandations, que je pense
n'avoir pas entendue, tout au long de ces audiences, et que je suis très
content que vous l'ameniez, donc,
c'est la recommandation 5, c'est cette recommandation qui concerne... à
savoir l'intégration dans les cours de
certains programmes d'éducation postsecondaire. J'aimerais peut-être
vous entendre davantage sur cette recommandation-là parce que
je trouve que ça vaut la peine de partager les fruits de vos réflexions autour
de cette recommandation avec les membres de la commission.
Mme Pinel (Julie) : Bien, au fond, cette recommandation-là vise...
Comme on l'a dit, il faut informer les personnels des milieux scolaires, des services sociaux et de
la santé, mais c'est la même chose pour les futurs professionnels qui vont
arriver dans le système, dans les services
publics. Donc, il faut vraiment... Tu sais, chacun des intervenants dans ces
milieux-là peut agir à titre de
soutien ou d'aide pour les adolescents et les adolescentes. Et c'est un bel
outil de prévention parce que, comme
on l'expliquait, le lien de confiance est assez important pour que le jeune
puisse s'ouvrir face aux problématiques. Même si la situation lui semble très bien et très parfaite, il peut
s'ouvrir à n'importe quel membre du personnel qu'il côtoie, n'importe
quel adulte autour de lui, d'où l'importance d'aller sensibiliser puis
d'informer l'ensemble des membres des personnels des services publics et, justement,
ceux qui vont éventuellement faire partie des services publics.
Dans
tout ça, il y avait aussi la consultation qui était nécessaire.
On n'est pas là pour déterminer exactement à quel métier,
à quelle formation tout ça doit s'offrir. Donc, je pense qu'il y a
une consultation à faire auprès du ministère concerné et des milieux collégial et
universitaire pour voir quels programmes seraient visés, là, par ça.
M. Benjamin :
Merci beaucoup. Merci, M. le Président.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.
Mme Perry
Mélançon : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. C'est le fun, en tout cas, c'est
plaisant d'entendre aussi votre
réalité puis vos recommandations qui sont vraiment plus axées sur
l'éducation parce qu'on voit que
c'est quand même une priorité à mettre dans
nos recommandations aussi. Justement, par rapport au cours d'éducation à la
sexualité, est-ce qu'il devrait y avoir
aussi un volet qui touche particulièrement l'utilisation saine des réseaux
sociaux, par exemple, chez les
jeunes? Parce qu'on en a beaucoup parlé aussi, que c'est une problématique,
puis on ne sait comme plus de quelle
manière l'aborder, le sujet. Est-ce que c'est les parents qui doivent avoir un
meilleur contrôle sur le contenu, bon, qui est regardé par leurs
enfants? Est-ce que c'est dans un cours qu'on peut l'intégrer ou est-ce que
c'est à nous d'apprendre comment les
utiliser puis d'avoir une meilleure surveillance finalement de ce qui se passe
sur les réseaux sociaux, plutôt vers
les victimes puis les proxénètes? On dirait que... J'aimerais avoir votre avis
là-dessus, sur les réseaux sociaux, quand vous êtes dans l'éducation.
Mme Éthier (Sonia) : On peut se compléter la réponse, mais je pense
que c'est une responsabilité qui doit être partagée à l'école, par l'éducation, là, mais aussi par les parents, qui
ont un rôle premier parce que souvent la consultation des réseaux
sociaux, ça se fait aussi à la maison, ça se fait le soir. Les jeunes sont
beaucoup axés sur ça. Donc, je pense qu'il faut que ça soit fait en
complémentarité. Je pense que c'est important puis c'est incontournable.
Mme Pinel
(Julie) : Puis on ne travaille pas dans une compagnie de pub, mais ça
pourrait être un élément qui serait abordé dans une campagne nationale si on y
va par une publicité ou quelque chose, mais dans un volet d'aborder cet élément-là puis de mettre de l'avant, par une
publication, tout ce qui peut s'ensuivre ou peu importe. Mais je pense que
c'est un problème qui est peut-être plus
large aussi que l'exploitation sexuelle, là, ce qui peut se passer sur les
réseaux sociaux. Je ne veux pas
déborder de cette commission-là, mais pensons juste à l'intimidation. Je pense
qu'il y a beaucoup de choses qui se
passent là. Donc, je pense que c'est quelque chose de collectif. Il faut que ça
se fasse à plusieurs niveaux, cette prévention-là au niveau des réseaux
sociaux.
Mme Perry
Mélançon : Merci. Maintenant, il y a quelque chose qui a attiré mon
attention dans vos recommandations.
Vous parliez d'un code dans l'industrie du voyage, ça a été mentionné
rapidement. Est-ce que vous avez plus d'information à nous donner par
rapport à ça?
• (17 h 10) •
Mme Pinel (Julie) : Oui, bien, ce code-là, comme Mme Éthier l'a
mentionné, c'est le code de conduite pour la protection des enfants
contre l'exploitation sexuelle dans le tourisme et l'industrie du voyage. Ce
qu'il prévoit, c'est six règles de base.
Donc, les entreprises qui y adhèrent
doivent établir des politiques, des procédures qui visent, justement,
là, à enrayer l'exploitation sexuelle ou à dénoncer une exploitation qui pourrait être
faite dans leurs lieux, inclure des clauses à leurs contrats, faire des
formations auprès de leurs employés face à la problématique, donner de l'information
aux voyageurs, supporter, collaborer,
engager les parties qui sont prenantes face à la problématique dans leurs
milieux et donner un rapport annuel
auprès de l'ECPAT par rapport à ce qui s'est passé et ce qui s'est fait, dans
les entreprises qui ont adhéré à ce code-là.
Donc,
c'est sûr qu'il y a des éléments qui ne se rapportent peut-être pas à la
situation ici, au Québec, ou à l'ensemble des entreprises qui peuvent
être visées ici, au Québec, mais ça nous semblait être un code de conduite qui
pouvait être intéressant à servir de base
pour voir qu'est-ce qu'on peut faire ici avec les entreprises, comment est-ce
qu'on peut intervenir, comment on
peut les amener à avoir un code de conduite, finalement, pour dénoncer ce qui
peut se produire au sein de leurs établissements.
Mme Perry
Mélançon : Finalement, aussi, une espèce de guide pour tous les
établissements qui sont impactés indirectement
puis qui n'ont pas la formation pour intervenir nécessairement, mais là il y
aurait quand même une espèce de code
qui les aiderait, finalement. Je trouve ça intéressant. Je ne savais pas
l'existence... je ne connaissais pas l'existence de code-là. C'est par
qui que c'est développé? Vous dites...
Mme Pinel
(Julie) : ECPAT. Je ne connais pas, là... Je n'ai pas le nom complet,
mais c'est E-C-P-A-T, c'est End Children...
Mme Perry
Mélançon : En tout cas, je trouve ça intéressant. Oui, peut-être qu'on
pourrait regarder ça.
Le Président
(M. Lafrenière) : On est déjà là-dessus.
Mme Perry
Mélançon : O.K., super.
Mme Pinel
(Julie) : Bien, vous devriez avoir la référence aussi dans le mémoire.
Mme Perry
Mélançon : O.K., merveilleux. Y avait-u d'autres questions après moi?
Le Président (M. Lafrenière) : Il
y en a une autre immédiatement.
Mme Perry
Mélançon : Bon, je vais laisser faire. Merci beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Dernière question, pour
3 min 30 s, la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil :
Oui. Merci beaucoup, mesdames, de votre présentation, participation. Très, très
étoffé. Beaucoup de recommandations intéressantes.
J'aimerais
revenir peut-être sur la section Mesures et cadre, donc les peines
minimales et tout, deux questions que j'avais.
Donc, vous parlez de... «Il nous apparaît que l'achat de services sexuels d'une
personne mineure est un acte qui devrait prévoir des sanctions à tout le
moins similaires à celles prévues en cas de contact sexuel ou d'agression
sexuelle, puisqu'il est tout aussi grave.»
Quelle est la sentence minimale, la sanction minimale dans le cas d'agression
et exploitation d'une personne mineure actuellement?
Mme Pinel (Julie) : Présentement, ce que le Code criminel prévoit,
c'est une peine minimale de prison de six mois pour une première infraction, d'un an en cas de récidive, s'il est
reconnu coupable, et une peine maximale prévue de 10 ans. Donc, en faisant la comparaison avec un contact
sexuel sur une personne mineure ou une agression sexuelle, il nous semblait
que... les peines minimales, là, qui étaient
pour un client abuseur, là, nous semblaient un petit peu incohérentes, face au
contact sexuel, exactement.
Mme Weil :
Oui. Et l'autre élément que je n'ai pas trop compris, c'était dans ce deuxième
paragraphe, vous parlez de lorsqu'une entente de cohabitation existe entre le
proxénète et la personne qui rend des services sexuels, bon, et qu'elle vit des fruits de la prostitution, et vous donnez
l'exemple des membres de la famille qui exploitent sexuellement des jeunes
autochtones, «démontre le non-sens de cette
exception». Pouvez-nous nous expliquer ou m'expliquer cette situation dont vous
parlez ici?
Mme Pinel (Julie) : Bien, je vais vous l'expliquer avec mes
connaissances juridiques, qui ne sont pas énormes, mais, au fond, ce qui est prévu, c'est que, lorsqu'il y
a une entente de cohabitation légitime, donc, ça pourrait être deux
colocataires, il y en a une qui vit
de la prostitution, l'autre ne vit pas de la prostitution, la colocataire paie son
loyer des fruits de la prostitution, bien,
à ce moment-là, l'autre personne ne peut pas être accusée de proxénétisme ou de...
dire qu'elle vit des fruits de la prostitution.
Par contre, il y a certaines exceptions qui s'appliquent à cette cohabitation-là
légitime, parce qu'on peut voir... tu
sais, si on amène l'exemple, de dire : Bien, un proxénète vit avec sa
victime, la victime paie le loyer, paie l'auto, paie l'épicerie, paie... donc, et lui, il dit : Bien, on cohabite,
et je ne vis pas des fruits, puisqu'on cohabite et que c'est légitime, et ensuite vient qu'à démontrer que cette
cohabitation-là n'est pas légitime... ce qui est quand même assez difficile,
considérant le rapport... le pouvoir
que le proxénète peut avoir sur sa victime. Donc, il y a des exceptions dans la loi qui sont prévues,
et, au
niveau des exceptions, on parle de
violence... C'est sûr que, quand on parle d'exploitation sexuelle, il y a
une série d'exceptions ici qui
peuvent s'appliquer parce que l'usage de violence est là. Un abus de pouvoir
peut être là aussi, mais il faut le
démontrer. Mais il n'y a pas d'exception pour les personnes mineures, et
ça nous apparaît être quelque chose qui devrait d'emblée être là. Donc, tu
sais, sans qu'il y ait de violence, sans qu'il y ait d'abus de pouvoir ou...
dès que la personne est mineure, il ne
devrait pas y avoir cette possibilité-là dans la loi de pouvoir avoir une entente de
cohabitation légitime et de vivre des fruits de la prostitution.
Mme Weil :
Bon, oui, c'est très clair. Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour votre contribution à
l'avancement de nos travaux.
Je
suspends les travaux, justement, quelques instants afin de permettre à la
prochaine invitée de prendre place. Merci.
(Suspension de la séance à
17 h 16)
(Reprise à 17 h 19)
Le Président
(M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant
la bienvenue au Centre Cyber-aide. Je vous
rappelle que vous disposez d'une période de 20 minutes pour nous faire
votre exposé. Par la suite, nous procéderons
à une période d'échange pour une durée de 25 minutes avec les membres de
la commission. Alors, s'il
vous plaît, je vous demande de vous présenter et de faire votre exposé.
Et merci d'être là.
Centre Cyber-aide
Mme Tétreault
(Cathy) : Merci beaucoup. Tout d'abord, l'équipe du Centre Cyber-aide
tient à remercier M. Ian Lafrenière pour son invitation à cette commission, qui est essentielle à l'atteinte de la sécurité
de nos enfants et adolescents dans le
monde réel, mais aussi dans le monde virtuel. Je tiens à saluer et remercier
toutes les personnes présentes.
Alors,
je me présente, Cathy Tétreault. Je suis directrice générale et
fondatrice du Centre Cyber-aide. Je suis auteure, conférencière, formatrice, intervenante jeunesse, je suis un peu de tout depuis huit ans maintenant
que j'ai ouvert le centre. Et je vais
répondre à toutes vos questions concernant les plus petits, concernant la
prévention, concernant l'amont. Donc, on est là-dedans depuis huit ans.
Donc,
le mémoire que vous avez reçu, je ne vais pas le lire au complet, parce que
c'est trop long, mais j'ai fait un résumé
des choses essentielles. L'urgence d'agir — Prise II. Pourquoi Prise II? Parce que j'ai déjà été
ici en avant pour le retour des cours d'éducation à la sexualité, et
c'était le même contexte, et ça fait déjà cinq ans.
• (17 h 20) •
Donc, plusieurs
nous connaissent sans doute. Le Centre Cyber-aide est un organisme
national à but non lucratif qui a
pour objectif de mettre
en place des programmes pour prévenir
les conséquences négatives d'une utilisation inadéquate des écrans via Internet. Nous sommes très présents dans les écoles, mais
notre expertise est aussi sollicitée dans les milieux les plus variés, qu'il s'agisse du réseau de la
santé, de l'éducation ou de différents milieux professionnels.
Vous aurez donc compris que notre préoccupation s'articule autour du
monde virtuel.
Les technologies, via Internet, sont
omniprésentes et font désormais partie du quotidien, tant dans les sphères personnelles que professionnelles. Bien que
l'on en constate aisément les avantages, force est d'admettre que ces technologies atterrissent dans nos
maisons, nos écoles et nos milieux de travail sans qu'elles soient accompagnées
d'un mode d'emploi — et
c'est ça qui manque depuis huit ans, ce sont des modes d'emploi — en
favorisant l'utilisation saine et sécuritaire. Étant particulièrement présent dans
les milieux scolaires, le Centre Cyber-aide peut témoigner des besoins criants
exprimés, des préoccupations, voire
de l'inquiétude qui s'y observe. Partout, ils ont un urgent
besoin d'information, d'accompagnement
et d'un mode d'emploi en ce qui concerne les comportements sains et sécuritaires à transmettre aux enfants et à
notre société. Il est tout à fait possible d'y remédier concrètement.
Par exemple, concernant la sexualité de nos jeunes, lorsque de nombreux besoins d'information ont été exprimés par les
milieux scolaires et que nous avons constaté les conséquences néfastes, tel que
l'échange de photos osées, nous nous sommes mobilisés pour initier une
pétition qui réclamait le retour des cours d'éducation à la sexualité, et la
pétition... et ça a été accepté, je dois
vous dire, parce que j'ai répondu avec des faits terrain. Ce qui
justifie le titre du mémoire que vous
avez reçu, L'urgence d'agir — Prise II : nous avons l'impression de recommencer.
Toutefois, il y a des outils qui sont faits.
Il était plus
que temps d'agir puisque l'on constate un tournant, depuis quelques années,
face à la conscientisation, la
dénonciation et le dévoilement des conséquences observées dans les cas de
«sexting», de sextorsion et de cyberagression sexuelles, qui débutent maintenant dans les écoles primaires. De fait, les technologies et nombreuses applications facilitent l'accès aux jeunes filles et garçons, rendant tout autant facile
l'échange d'images, de messages ou de contenu à caractère sexuel. Il est donc urgent d'agir aussi à ce
propos, sachant l'existence des phénomènes inquiétants
et importants tels que l'exploitation sexuelle des jeunes. Or, à cet
égard, les technologies et les milieux scolaires sont deux clés pouvant nous
permettre de faire des gains significatifs.
En ce qui a
trait à l'hypersexualisation, vous devez, après quelques auditions, en
connaître sa définition, ses causes et ses répercussions. Je ne
m'attarderai donc pas sur ce sujet. Il me faut toutefois insister sur le fait
que la surexposition à l'hypersexualisation
dans l'espace public entraîne un phénomène de désensibilisation qui peut amener
certains jeunes, et, je dirais,
certains adultes, à considérer la pornographie comme étant un reflet de la
réalité, comme une norme qu'ils doivent chercher à atteindre. Ce à quoi ils
sont exposés maintenant deviendra leur modèle sexuel dans le futur, des modèles
où l'égalité des sexes est absente, où les
rapports de domination et la violence sont banalisés et où les sentiments liés
aux rapports sexuels sont inexistants.
Mais allons plus loin. Au cours des dernières
années, le Centre Cyber-aide a visité de nombreuses écoles, organismes et maisons des jeunes du Québec. Lors
de nos discussions avec les jeunes et les intervenants, notre attention a été
constamment attirée par le fait que les jeunes ont accès, sans supervision, à
des applications ou à des jeux non sécurisés, plus particulièrement des jeux en ligne et des applications telles que Snapchat,
Instagram, des blogues, ou encore YouTube et TikTok. Cela peut
s'expliquer en partie par la croyance populaire qui voudrait que, puisque ces
applications sont légales, elles sont
sans danger. Or, ces sites, ainsi que d'autres, servent souvent de plateforme
facilitant les échanges de photos, de messages ou de vidéos à caractère
sexuel. C'est pourquoi il est essentiel d'impliquer les parents et de bien les
informer. Le rôle des parents est primordial
pour éduquer les jeunes à une utilisation responsable des technologies et du
Web et à les aider à développer un esprit critique devant l'hypersexualisation.
Petite
parenthèse. Depuis quelques années, les enfants accompagnent les parents dans
mes conférences de soir, et ce sont
les parents qui obligent les enfants à les accompagner et qui, par la suite,
après la conférence... tout le monde part heureux parce qu'il y a de
l'information pertinente pour bien intégrer les écrans dans leur vie.
Le nombre
grandissant d'applications pour l'échange de photos et de vidéos proposé à nos
jeunes, ainsi que leur évolution
constante, permet aux cyberprédateurs d'avoir un plus grand accès aux données
personnelles des jeunes. Au sein de
ces applications et les sites de clavardage, l'auteur d'abus peut prétendre
être quelqu'un d'autre et se produire d'où il veut et quand il veut pour piéger
sa victime. Malheureusement, une fois que l'image ou la vidéo se retrouve sur
le Web, la pérennité de
l'information, l'accessibilité et la possibilité de propagation à grande
échelle rendent la victime impuissante, autant victime fille... et j'en ai vu plusieurs, garçons, aussi,
n'oublions pas nos garçons. Ces caractéristiques font en sorte que
certains sites Web ou applications peuvent, même sans le vouloir, favoriser
l'exploitation et les abus à caractère sexuel.
Il faut donc
apprendre à être conscient de certains risques que comportent bon nombre de
sites d'échange. Si je vous demande à
quoi vous fait penser l'application Yellow, certains d'entre vous me
répondront : C'est un magasin de souliers.
Oui, mais, pour les jeunes, c'est plutôt une application qui est un site de rencontre
de 13 ans et plus, sous le même format
que Tinder pour les adultes. Ce site-là existe depuis plusieurs, plusieurs
années, et il y en a énormément d'autres. C'est vers ça que se tournent aussi les prédateurs sexuels, c'est sur ce
qu'utilisent les jeunes dans les écoles primaires, secondaires,
collégiales et universitaires.
Donc, l'offre
de ces sites peut apporter une pression sociale d'être en couple. Si on nous
offre, nous, aux jeunes, des applications,
si on nous dit de s'inscrire à des applications de rencontre à l'âge de 12, 13 ans,
ça veut dire qu'on doit être en couple à 12, 13 ans. Et je vous dis que
certaines personnes déviantes ou prédateurs profitent de ces applications-là
pour être en couple avec des jeunes,
ces derniers sont, nous l'avons vu, faciles à rejoindre, et utilisent dès lors
des outils contenant, entre autres,
des éléments liés à la popularité de l'individu, augmentant d'autant la
pression sur le jeune, qui pourra chercher à former un couple coûte que
coûte.
Et j'ai
visité ces sites et je dois vous dire que les jeunes reproduisent des
comportements adultes pour être choisis, tout simplement. Ils ont besoin
de valorisation, mais n'ont pas la maturité pour être en couple, c'est
différent. Plusieurs facteurs de risque
peuvent amener une jeune fille ou un jeune garçon à être exploité sexuellement,
et nous y reviendrons, mais pensez toujours à ce que je viens de vous
dire. Le nom d'une application ne vous donne pas automatiquement ses
propriétés. Important.
Sur le
terrain, à la lumière des différents constats que notre expérience terrain nous
a permis d'établir, il nous apparaît encore
très urgent de proposer un contre-discours à la pornographie. Il est donc
fondamental de sensibiliser les jeunes de même que les parents à ces nouveaux médias pour d'évidentes raisons de
respect de soi-même, d'estime de soi et de promotion de comportements sociaux et égalitaires à
privilégier. Ne pas réagir de façon adéquate contribuera à la banalisation de
la pornographie et de l'hypersexualisation de l'espace public.
Ce que nous
observons sur le terrain nous prouve hors de tout doute qu'il existe un sérieux
manque d'information quant aux
désavantages des écrans et de l'accessibilité à ces applications pouvant causer
problème. Il faut donc intervenir et
mettre en place des structures qui permettront aux utilisateurs de mieux
comprendre l'incidence des technologies sur leur vie quotidienne. Je vous donne un exemple. Je dis aux jeunes
adolescents qui font des expériences de ne pas se filmer, et les jeunes se demandent pourquoi, et j'essaie
de leur dire pourquoi. Donc, on doit, dès qu'ils sont petits, apprendre aux
enfants à bien intégrer dans leur routine...
mais à se respecter dans ce qu'ils font et à savoir aussi que tout ce qu'ils
font est retraçable.
• (17 h 30) •
De fait, lors
des conférences offertes aux parents d'élèves des écoles visitées par le Centre Cyber-aide, et de plus en plus des écoles primaires, troisième,
quatrième, cinquième et sixième année, ils affirment, en conséquence, vouloir
être outillés afin d'en prévenir les conséquences. Et plusieurs des
parents qui viennent à nos conférences font déjà certaines choses, donc ils viennent valider tout simplement.
D'autres s'en font pour des raisons... d'autres sont trop permissifs, d'autres
sont trop répressifs avec les utilisations des écrans. Il y a besoin, besoin
d'information.
Aussi, afin
de bien cerner le phénomène et pouvant mettre de l'avant les solutions
appropriées, le Centre Cyber-aide a
mis en place un projet éducatif visant l'utilisation saine et sécuritaire des
écrans via Internet. Le projet, appelé En tant que victime, auteur et témoin de sexting, de
cyberagression et de sextorsion,
est financé par plusieurs ministères et en est à sa troisième année d'existence. Ce guide était pour répondre à des
besoins criants dans les écoles quand il y avait des cas de sexting. Alors, l'exploitation sexuelle, la
cyberagression, la sextorsion et les sextos ne sont pas que dans les
universités et collégial, il faut aller en amont.
Dans le cadre
de ce projet, plusieurs apprentissages des besoins ont été soulevés, et c'est à
partir de cette expérience terrain et
en collaboration avec plusieurs professionnels qu'un guide lié au projet a été
conçu. Encore une fois, notre expérience terrain démontre que les parents sont peu ou pas outillés pour réagir ou
prévenir les comportements inappropriés de leurs enfants.
Le portrait
est le même si on aborde, par exemple, le sexting. Le sexting, pour vous
expliquer, c'est comme un texto, mais
c'est un sexto, c'est l'envoi de photos osées, de vidéos ou d'écriture à
caractère sexuel, pornographique. C'est extrêmement banalisé chez nos jeunes en ce moment. Il s'agit d'un
phénomène qui prend de l'ampleur et qui, bien que relativement connu — maintenant, les parents savent que les
jeunes peuvent s'échanger des photos osées, mais ils ne savent pas
comment bien encadrer ou prévenir ces gestes — on constate que les milieux
se retrouvent souvent fort mal outillés pour
y faire face. En revanche, il est possible d'agir dès maintenant pour enrayer
ce phénomène grâce à la sensibilisation et l'information offerte à nos
jeunes, à leurs parents et à nos milieux.
C'est ici que
je désire attirer votre attention. Je n'ai pas assez de temps pour tout lire,
mais je tiens à souligner un fait
important. Parlons des facteurs de risque. Je suis à la veille d'aller bientôt
dans les cours prénataux pour l'utilisation saine et sécuritaire des écrans, parce que les enfants,
par exemple, de zéro à deux ans ne doivent pas utiliser des écrans pour leur
santé physique, psychologique, motricité, le développement du langage, de
l'attention, de la concentration. Donc, les parents doivent savoir, avant d'avoir leurs enfants,
qu'est-ce qu'on fait ou pas. J'en suis rendue là. Donc, je tiens à souligner un
fait important, les facteurs de risque.
Qu'ils soient
personnels, environnementaux ou sociétaux, quand on parle des facteurs de
risque, c'est des facteurs de risque
de quoi? De devenir victime ou auteur de sexting, d'être une victime de
violence sexuelle, de développer des comportements
de dépendance, de cyberdépendance, d'être victime de cyberintimidation ou
d'intimidation. Quand on parle des
facteurs de vulnérabilité, c'est qu'est-ce qui peut accentuer, justement, la
possibilité d'être une victime ou auteur. Bien, en ce moment, tous les facteurs personnels, environnementaux ou
sociétaux, pour toutes les problématiques, sont pratiquement les mêmes, c'est-à-dire facteurs personnels, pour
le risque d'être une victime de pornographie juvénile — pauvre estime de soi, pauvre capacité d'affirmation, un questionnement sur son
orientation sexuelle, pauvre gestion des émotions — des facteurs
environnementaux de risque — environnement familial complexe, des conflits — des facteurs sociétaux — pression de
la beauté et de la performance — on tombe... les facteurs de risque d'être une
victime de violence sexuelle — pauvre estime
de soi, pauvre capacité d'affirmation, un questionnement sur son orientation
sexuelle, victimisation antérieure, la famille,
les conflits, les facteurs sociétaux, l'environnement, l'hypersexualisation. Et
là vous avez accès à tous ces tableaux-là. Les facteurs de risque et de vulnérabilité d'être auteur aussi, c'est
là, hein : faible estime de soi, abus de substances, problèmes de comportement, difficultés dans la famille,
violence dans la famille — encore
une fois, on continue — cyberintimidation,
intimidation.
Et, je vais y arriver, c'est important
que vous compreniez ce volet parce
que c'est vraiment
le plus important de mon intervention aujourd'hui, c'est-à-dire, pour corriger la situation, il est primordial
que cesse le travail en silo. Et là je m'explique.
Ça
fait huit ans qu'on fait des demandes à différents ministères pour finalement
contrer les mêmes vulnérabilités. Donc,
quand on veut faire de la prévention à la cyberdépendance, dépendance, on va vers la
Santé. Quand on veut faire de la prévention
à la criminalité, on va vers la Sécurité publique. Quand on veut faire de la prévention
dans les écoles ou de l'intimidation, on va vers le ministère de la
Famille. Ce sont toutes les mêmes vulnérabilités. Là, on parle toujours de prévention.
Je ne parle pas de thérapies, d'interventions, d'arrestations judiciaires. O.K.? On
parle de prévention, avant. Alors, le travail en silo doit cesser maintenant. Donc, on doit se réunir, former un comité avec
tous les ministères et réunir tous les outils existants, déjà faits, déjà
créés pour ça, pour contrer les facteurs de vulnérabilité.
En ce sens,
il est important de sensibiliser et d'informer correctement la population
concernant l'utilisation abusive et
inadéquate des écrans. Les personnes plus vulnérables à l'utilisation inadéquate des écrans, n'oubliez pas les personnes qui ont le trouble du spectre de l'autisme,
déficience intellectuelle, ce sont des victimes aussi d'exploitation sexuelle
via le Net. Les facteurs de risque,
qui augmentent plusieurs types de comportements inadéquats, des facteurs
de protection, encore une fois,
ça va servir pour toutes les causes, la réponse faussement efficace que sont
les écrans face à la détresse et les besoins de savoir-être et de
savoir-faire des parents et des intervenants de tous les milieux.
À notre avis, ces efforts de sensibilisation
et d'information doivent s'intéresser tout particulièrement aux parents.
Comme je vous dis, je suis à la veille
d'aller dans les cours prénataux. Je pense que c'est là où il y a une plus
grande ouverture à écouter comment on
doit bien gérer les écrans avec notre enfant. Nous savons, expérience terrain
et recherches à l'appui, qu'Internet
et les technologies sont un facteur important dans la diffusion des contenus
contribuant à forger les conceptions de nos jeunes concernant les relations
amoureuses, sexuelles ou leurs comportements. Aussi, il devient incontournable
de fournir aux parents une information
minimale concernant Internet leur permettant de mieux agir pour prévenir ou
réagir aux situations problématiques. Et, si les parents ont des
difficultés ou un manque d'habiletés parentales, on doit les accompagner à développer des compétences pour
ensuite les transférer à leurs enfants. Certes, les enfants ont besoin d'un
cadre, de règles de vie et d'arguments pertinents pour comprendre.
Alors, quand
j'explique à des petits élèves de troisième année pourquoi ils ont de la
difficulté à quitter Fortnite et que je les
fais rire pendant une minute pour qu'ils comprennent que Fortnite joue dans le
circuit de la récompense, ces petits
enfants là comprennent qu'ils doivent quitter le jeu. Ils ont besoin d'arguments,
ils ont besoin... À cet âge-là, ils ont accès à un monde, alors ils ont
besoin de savoir pourquoi on s'inquiète.
Puisque
les parents occupent une place fondamentale dans la vie de leurs adolescents,
dans leur éducation, il est conséquemment
important de viser prioritairement cette clientèle. Vous aurez compris, pour
l'ensemble de ce qui est dit précédemment,
que les milieux scolaires sont des acteurs privilégiés et à privilégier. Je le
sais qu'on remet beaucoup aux écoles.
Je suis constamment dans les écoles. Mais il faut leur donner les moyens de
moyenner, par exemple. Alors, si on veut que les écoles offrent des conférences
aux parents, que les écoles offrent des ateliers, on leur offre les moyens. En
ce moment, le Centre Cyber-aide
charge les services aux écoles pour donner de l'information que les écoles
auraient dû avoir depuis longtemps
gratuitement. On leur a imposé les écrans, on leur a imposé les tableaux, on
impose les jeux, mais on ne donne pas de mode d'emploi pour les
comportements.
À
notre avis, la question de l'accessibilité à Internet et la pornographie est un
incontournable dans les choix de thèmes à considérer dans les interventions. Nous sommes déjà actifs sur le
terrain à informer et sensibiliser les jeunes à ce propos. Il faut de toute urgence inculquer à nos jeunes
les bons comportements, transférer le civisme d'un monde à l'autre, tout ce qu'ils apprennent dans un monde, leur faire
penser de le transférer dans l'autre monde : civisme, civisme, respect,
respect.
Les
jeunes, nos jeunes, valent que nous nous en préoccupions. Ils valent surtout
que nous nous en occupions dans délai. Alors, voilà, c'est l'urgence
d'agir, prise 2. Merci.
• (17 h 40) •
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup pour cette prise 2.
Alors, je vous remercie de votre exposé. Nous allons maintenant
débuter la période d'échange avec les députés, débutant avec la députée de Roberval.
Mme Guillemette : Merci,
M. le Président. Donc, merci. C'est
choc. Il y a une phrase dans votre mémoire
où vous dites : «Les CALAC de Rimouski estiment que les ados,
surtout âgés de 13 et 14 ans, représentent environ 30 % des
consommateurs de pornographie.»
Mme Tétreault
(Cathy) : Tout à fait. Et je vais aller plus loin que ça. Ça fait
quand même longtemps, cette étude-là. En ce
moment, la moyenne des jeunes qui visitent les sites pornos ont 10 ans.
Mais ce n'est pas par besoin, c'est par
curiosité. O.K.? Mais les conséquences face à ce qu'ils voient sont quand
même... Pour certains jeunes, ça va bien aller; pour d'autres, ça peut être très troublant. Et je demande à ces
jeunes-là : Pourquoi vous n'en avez pas parlé à vos parents que vous avez vu ça? Puis ils me disent : Mes
parents vont m'enlever l'accès à mes technologies. Voilà. Mais ça commence
vers vraiment très tôt, parce qu'on en
entend parler, ils en entendent parler à l'école, ils en entendent parler par
les grands puis ils voient ça dans des émissions, aussi, un peu
accessible aux jeunes, finalement.
Mme Guillemette :
Comment on fait, en tant que parents, pour se tenir à jour dans tout ce beau
monde virtuel là. Yellow, moi, mon collègue a tapé «Yellow», il m'a
montré c'était quoi. Écoute, on fait quoi, en tant que...
Mme Tétreault (Cathy) : Je ne ris pas, O.K., ce n'est pas drôle, là. J'ai
vraiment votre attention, je suis contente.
Mme Guillemette :
Non, mais on fait quoi, en tant que parents, là? Et quelles mesures on pourrait
mettre en place, concrètement, pour soutenir les parents?
Mme Tétreault (Cathy) : Il y en
a déjà. Il y en a déjà.
Mme Guillemette : Même en
région?
Mme Tétreault
(Cathy) : Il y en a déjà,
des mesures. Il y a des conférences accessibles. Et ça serait de les offrir
gratuitement aux parents. J'ai approché
depuis huit ans des ministères pour leur dire que j'ai de l'information pour
prévenir. Et je leur ai dit :
Une ligne d'information... Moi, je réponds bénévolement à des appels de parents
pour les informer. Quand les parents
ont de l'information, ça prend 30 à 40 minutes, et après ils vont
retrouver leur pouvoir, parce que les valeurs, ce sont les mêmes valeurs
d'un monde à l'autre.
Alors, si je
réponds à votre question, comment on fait pour savoir ce que notre enfant
utilise, c'est la communication, c'est
le lien de confiance puis c'est... Quand ils sont petits, déjà, on établit des
règles. Donc, c'est très utile, les écrans, c'est très ludique, les jeux, Netflix, et YouTube, et
compagnie, c'est très ludique, mais voici ce qu'il faut faire, voici ce qu'il
faut prioriser dans ta vie de tous
les jours. Et, les parents, quand ils ont les arguments assez forts, je dois
vous dire qu'ils repartent puis ils
disent : Bien, voyons donc! Finalement, je ne suis pas poche comme mon
enfant me dit, je fais bien de m'en faire. Mais oui, c'est tout un monde. Et je dis souvent aux parents : Ce
n'est pas confidentiel, ce qui se passe. Il y a 7 milliards de personnes qui ont accès à ce que vos enfants font,
et pas vous. Ce n'est aucunement confidentiel. Mais est-ce qu'on va fouiller
dans les choses de nos enfants? Ça dépend.
Donc, c'est là tout le contexte, toute
l'information puis toute la spécificité. Et nous avons l'information. Et je cogne, et nous cognons... Nous sommes une petite
équipe avec des professionnels, des doctorantes en psychologie, je prends
les gens que je peux, et nous allons dans les écoles offrir les services. Nous
ne fournissons pas. Et je vous dis que ces services-là
doivent être offerts gratuitement aux parents et aux écoles. Mais il y a de
l'information de base à donner, et, quand
je la donne, les gens réalisent à quel point, par exemple, c'est quoi,
Internet, c'est quoi, un outil, les écrans, et c'est quoi, une application. Juste en partant, ça, il
faut que tout le monde sache ça. Ça fait 60 ans que ça existe, Internet,
puis il y a des gens qui ne savent
pas qui l'a inventé. Comprenez-vous qu'on part de loin dans l'information?
Alors, oui, on veut arrêter l'exploitation sexuelle, vraiment, mais
pensons à long terme. Pensons à long terme.
Mme Guillemette : Merci.
Mme Tétreault (Cathy) :
Bienvenue.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : Qui a inventé
Internet?
Mme Tétreault (Cathy) : L'armée
américaine.
M. Leduc : Oui. O.K. C'est bon.
Tout le monde se posait la question, ici, hein, avouez, avouez. C'est bon.
Mme Tétreault (Cathy) : Mais pourquoi
ça a été inventé?
M. Leduc : Ce n'est pas sûr.
C'est ça...
Mme Tétreault
(Cathy) : C'est ça qui est
important. Pourquoi ça a été inventé? Dans le but que la communication ne soit jamais coupée. C'est pour ça qu'on appelle ça une toile
et que l'accessibilité à notre information est toujours présente, toujours, et sera toujours
présente. Et, quand on sait ça, on en fait moins, de niaiseries, quand on est
ado.
M. Leduc : On a abordé légèrement la question
de tout ce qui était en ligne, hier, en partie avec une femme qui
s'appelle Nellie Brière puis le service de police de Gatineau, si je ne me
trompe pas, puis je ne sais pas si vous êtes...
Mme Tétreault (Cathy) : Oui,
oui. Ils ont créé un programme, oui.
M. Leduc :
Oui, c'est ça. Et là il y avait comme une espèce de flou sur qui devait
s'occuper de policer les réseaux sociaux
ou l'Internet au sens large, puis le service de police semblait un peu dépassé
par l'ampleur de la tâche. Ils nous disent que, déjà, pour faire procéder des dossiers, ça prend beaucoup de temps,
ne serait-ce que pour inspecter le contenu d'un téléphone cellulaire qui a été saisi. Alors, pour commencer à dire qu'on
va policer les sites Web, les réseaux sociaux pour les mineurs, etc.,
ils cherchaient des solutions.
Je comprenais qu'ils laissaient une porte
ouverte pour, peut-être, des civils ou des groupes communautaires. Est-ce que vous, vous avez une réflexion par
rapport à ça? Est-ce qu'il faut nécessairement la police qui fasse le travail
sur les réseaux sociaux?
Mme Tétreault
(Cathy) : Ce n'est vraiment
pas ça qu'on conseille, justement, parce que c'est vraiment trop large, trop grand, c'est trop
accessible. Alors, si on commence à prendre le temps de tout, justement,
surveiller, et vérifier, et dénoncer,
c'est vraiment... Comme c'est un monde qui n'est encore pas trop connu, comme
c'est un monde dans lequel les parents
puis les gens ne connaissent pas trop ce qui se passe, à part de policiers et
enquêteurs spécifiques, bien, on est mieux d'y aller avec les comportements à prioriser. On est mieux d'y aller
avec ce que... développer des compétences, développer des habiletés relationnelles, sociales chez nos
enfants plus jeunes. Malheureusement, il y a des jeunes qui ne savaient pas
que les photos pouvaient être transférées, que les photos restaient, par
exemple. Puis on a beaucoup de victimes en ce moment aussi, mais dites-vous
qu'à long terme on va rattraper ça par de l'information.
Puis de faire
la police des applications... Moi, je pense que la responsabilité vient à ceux
qui l'utilisent, la responsabilité vient aussi à ceux qui les entourent,
vient aux parents, tu sais. Dans le fond, c'est le même monde que le monde réel,
dites-vous ça, c'est le même, même monde.
S'il y a des victimes, si quelqu'un est victime dans le monde réel, elle va
être victime dans le monde virtuel.
C'est le même profil. Alors, si on intervient bien en prévention, en
information, ça va aller de soi sur le Net aussi.
Puis on parle
toujours dans le monde de prévention, je ne parle pas de judiciaire, là, mais...
je ne suis pas pour la répression, je
ne suis pas pour tant qu'ils n'ont pas l'information, du moins. On va s'assurer
qu'il y ait l'information avant de donner des peines. Il y a plein de gens, il
y a plein de jeunes qui ne savent pas que le Code criminel canadien s'applique
à partir de 12 ans. Donc, en partant,
on peut-u leur donner l'information, on peut-u leur donner de l'information? Puis
après ça leur dire : Ah! là, tu
le savais, bien, ils ne le savent pas. Tu sais, c'est qu'on part de loin dans
ça. Puis je sais que je choque, en ce
moment, que je trouble, mais, en même temps, c'est essentiel, là. J'ai une
voix, là, qu'on m'entende. Qu'on entendre l'équipe. Puis je parle pour tous les parents que je rencontre, je parle
pour toutes les victimes de «sexting», les auteurs, je parle pour tous
ces gens-là en même temps.
M. Leduc : Merci beaucoup.
Mme Tétreault (Cathy) : Merci.
Le Président (M. Lafrenière) : Député
de Sainte-Rose.
M. Skeete :
Merci, M. le Président. Âge moyen pour visiter des sites pornos, 10 ans.
Moi, ma fille, elle a 11 ans, donc
là je suis après me demander quand est-ce qu'elle y a été. Puis moi, je suis un
parent qui... je suis assez zélé sur les appareils électroniques. Ce qui me limite, en fait, c'est qu'on dirait
que les programmes pour limiter l'accès des enfants ne sont pas tout à fait à
point. On essaie de trouver... Je barre le Windows avec les contrôles
parentaux, j'approuve à toutes les heures son comportement, quand elle
va sur l'Internet, il faut qu'elle fasse ça dans un lieu public, mais c'est
impossible, vraiment...
Mme Tétreault (Cathy) : Bien,
c'est très fatigant, là, ce que vous dites là.
M. Skeete :
Bien, c'est assez exigeant, effectivement, ça devient une contrainte de temps,
effectivement. Mais ce qui m'a frappé, surtout, c'est... puis la phrase
que je retiens, c'est d'établir un contre-discours à la pornographie.
Mme Tétreault (Cathy) : Oui, tout
à fait.
M. Skeete : J'aimerais vous
entendre sur vos idées, là. Là, c'est le temps de rêver : La société qui
offre un contre-discours à la pornographie, c'est quoi?
• (17 h 50) •
Mme Tétreault
(Cathy) : C'est d'expliquer
aux enfants que les relations sont égalitaires, d'expliquer aux enfants ou aux
adolescents, quand ça va être le temps, que la sexualité, elle est saine,
d'expliquer aussi aux adolescents que les sites pornos, ce sont des acteurs qui, la plupart du temps, souffrent,
ce sont des fantasmes qui sont reproduits, et que ce n'est pas la réalité. Un contre-discours à la
pornographie ou à l'hypersexualisation, tout ce qu'on voit, c'est de développer
leur jugement critique, c'est qu'ils
commencent très tôt, maintenant, malheureusement, à se protéger, dans le sens
que, quand on était plus petits... Et
je vais parler pour moi. Quand j'étais plus petite, on jouait dehors, et il n'y avait aucune
préoccupation sur... il n'y en avait
pas beaucoup, du moins, sur l'inconnu, par exemple. Mais, quand maintenant on joue à Fortnite et on a 12 ans, c'est qui, l'inconnu? Parce qu'on parle et on s'amuse avec des inconnus. Alors, il y a
des parents qui m'ont dit : Mais
comment je dis à mon enfant de ne pas dire ses informations à un inconnu? Je
dis : Bien, dites à votre enfant qu'un inconnu, même si ça fait six mois que tu joues avec cette personne-là et
que tu lui parles, si maman ou papa ne la connaît pas, c'est un inconnu. Si maman ou papa ne connaît
pas cette personne-là avec laquelle tu joues, ça demeure un inconnu, tu
ne donnes pas d'information.
Vous comprenez qu'il faut s'ajuster dans nos
définitions, il faut s'ajuster dans nos transferts d'apprentissages aussi, puis il faut qu'ils développent... Dans le
sens que ce que vous faites comme contrôle, c'est bien, mais ça ne lui apprend
pas à se protéger, ça ne lui apprend pas à
venir vous parler si elle vit des malaises, ça lui dit : Papa va me dire «je
le savais», puis papa va peut-être
m'enlever l'utilisation des applications. Alors, il faut repenser cette façon,
cette approche-là, tu sais, il faut repenser... Oui, il faut vérifier,
mais il faut repenser aussi : Est-ce que ma fille a la maturité d'aller
sur TikTok, Instagram? J'ai des parents qui
me disent : Moi, mon enfant ne touche pas à Facebook, mais je laisse
Instagram. Mais je dis : Quelle
est la différence? Facebook, c'est eux-mêmes qui ont établi le 13 ans, ça
n'a aucun lien. Puis les parents pensent que Facebook... pensent que
13 ans, c'est correct.
Donc,
faire un contre-discours à cette fausse information là, c'est de donner la
bonne information, c'est comme ça. Alors,
tu sais, si on prend un problème, on le regarde et on donne la bonne
information, c'est comme ça qu'on va contrer les discours de la pornographie et de l'exploitation, ou des échanges de
photos, ou de la banalisation, c'est en donnant la bonne information.
Est-ce que ça répond un peu à vos...
M. Skeete : Bien, je me sens
inadéquat, mais, oui, merci. Merci.
Des voix : Ha, ha, ha!
Mme Tétreault (Cathy) :
Écoutez, je fais vraiment cette impression-là.
M. Skeete : Non, mais c'est
correct. C'est important qu'on se sente comme ça. Ça va nous forcer à faire
plus.
Mme Tétreault
(Cathy) : Allez chercher...
Mais c'est parce que, si on vous avait dit ça avant que l'écran entre
chez vous, vous auriez établi une
routine, et un encadrement, et une façon de faire. On ne vous l'a pas dit.
Alors, ne jamais vous taper sur la
tête, et c'est la première chose que je dis aux parents, ne jamais vous taper
sur la tête, si vous avez passé à côté. Vous ne l'aviez pas, l'information. On vous a rentré ça comme ça,
Internet, les tablettes, les jeux, les cellulaires, les iPod, mais il n'y a personne qui vous donné un mode
d'emploi. Et là on repart, si vous le permettez, à zéro. On donne un mode
d'emploi aux parents sur l'utilisation
saine, la santé et l'utilisation sécuritaire, les prédateurs, etc., et aussi
pour la sexualité.
M. Skeete : Merci.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Il y a quelques années, quand j'étais ministre de l'Immigration, on a préparé un plan contre la radicalisation,
et il y avait cette dimension utilisation
responsable de l'Internet, donc il y avait du financement pour les écoles.
Et donc ils ont fait une formation
des profs, etc. Puis c'est un peu la même... dans un sens, une force noire
inconnue. On ne sait pas qui est à
l'autre bout et qui radicalise. Et, dans un sens, c'est un phénomène... il y a un
des intervenants qui a comparé un peu ça à la radicalisation, c'est-à-dire
le même genre de phénomène.
Et le
commentaire qu'on nous faisait, c'est que c'est possible d'apprendre à un
jeune. Et c'était ça, l'objectif, parce
qu'on ne pourra jamais contrer l'accès à l'Internet, et l'usage de l'Internet,
et tout. C'est de l'utilisation responsable par la communication. Donc, vous... Et à quel âge? Comme
vous dites, avant deux ans, non, c'est dommageable, mais après ça, petit à petit, toujours responsabiliser, donc
beaucoup de communication, et leur... Comme vous dites : Voici, comment
dire, les signes de, peut-être,
danger, de précaution, etc., puis... Bon. Donc, c'est peut-être par là qu'il
faut passer, essentiellement, parce qu'on ne pourra pas empêcher
l'usage.
Mme Tétreault
(Cathy) : Exactement, vous
avez tout compris. On ne peut pas partir d'en haut, il faut partir d'en bas. Il
faut repartir la machine en donnant la bonne information, et tranquillement on
va enrayer, on va prévenir tous les types de
comportements. Dites-vous une chose : Que ce soit la toxicomanie, la
sexualité, la violence, l'intimidation, ce sont tous les mêmes facteurs
de vulnérabilité ou presque. Et les facteurs de vulnérabilité, on s'entend
qu'il y a manque d'information, beaucoup,
de la part des parents. Comment on veut intervenir ou protéger notre enfant si
on n'a pas l'information pour le faire? Et, quand je termine mes conférences,
les parents attendent en file parce que... Ah oui! Mais j'ai compris! Ah
oui! Mais c'est vrai! Ah oui! Mais ça, enfin, enfin on a l'information.
Vous avez
raison. Que ce soit pour la radicalisation, que ce soit... ce sont des
personnes plus vulnérables. Mais, pour M.,
Mme Tout-le-monde, on a quand même besoin d'avoir cette information, quand même,
même si on n'est pas vulnérable, parce
que ça fait partie de nos vies, maintenant. Et ça, ce n'est pas là, vous ne l'avez pas, tu
sais. Et c'est à petites gouttes qu'on peut la distribuer.
Je suis allée
aussi au ministère de la Santé, ça fait longtemps, puis ça, je voulais le
donner, je voulais le donner. Et en ce
moment, ce livre-là, bien, c'est une maison d'édition qui m'ont offert de
l'écrire, parce qu'il y avait trop de demandes des parents. Moi, je leur
ai donné l'information.
Mme Weil : Et, pour
l'instant, donc, il n'y a pas d'intervenant comme vous, là, dans les écoles?
Ils sont...
Mme Tétreault (Cathy) : Non...
Mme Weil : Non, mais ce
que je veux dire, ça ne se fait pas, là, c'est vide?
Mme Tétreault (Cathy) : Oui. Je
ne fournis pas.
Mme Weil : Essentiellement,
ce que vous recommandez, c'est qu'il y ait, justement...
Mme Tétreault (Cathy) : Qu'il y
ait de la formation, qu'il y ait une ligne info-parents pour tous les types de comportements à problématique sur le Web, par exemple. On intervient... Dans le fond, ils ont besoin d'avoir une base, ils
ont besoin d'avoir des apprentissages, ils ont besoin d'avoir des trucs, puis,
comme ça, ils vont voir un peu, évaluer. Puis, si on s'aperçoit que c'est vraiment
plus spécifique, comme problématique, on les réfère. Si c'est la
cyberdépendance, on les réfère au
centre de réadaptation en dépendances. Si c'est la sexualité, on les réfère à
des sexologues. Si c'est des victimes, on les réfère à CALACS, CAVAC.
Mais, avant ça, il y a un besoin de services et
de savoirs. Et les personnes lesquelles qu'on peut engager au Centre Cyber-aide, c'est nos stagiaires en
psychologie qui restent avec nous et qui sont devenues doctorantes mais
spécialisées. Mais on ne les a pas
tout le temps avec nous. «Doctorantes» veut dire beaucoup occupées. Et les
façons qu'on a de financer, aussi, les projets, pour être sûrs
d'apporter l'information aux parents, c'est par projets, par appel de projets.
Donc, c'est beaucoup, beaucoup de travail pour une petite madame comme moi,
vous comprenez?
Et aujourd'hui je me suis dit : Je dois avoir l'écoute parce que je ne sais pas
si je vais avoir encore la santé de tenir longtemps pour m'assurer que
l'information aille partout. Il faut s'assurer... Je vous le dis, je vous le
jure, que cette information-là doit être donnée partout en même temps.
Mme Weil : Merci.
Mme Tétreault (Cathy) : Merci.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup de votre contribution à nos travaux. Merci de votre exposé.
La commission suspend ses travaux quelques
instants, où elle se réunira en séance de travail. Merci beaucoup.
(Fin de la séance à 17 h 58)