(Onze heures vingt et une minutes)
Le Président (M. Lafrenière) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs
ouverte. Je vous souhaite la bienvenue et je demande à toute personne dans la
salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
La commission
est réunie afin de procéder aux consultations
particulières et aux auditions publiques de la Commission spéciale sur
l'exploitation sexuelle des mineurs.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La Secrétaire : Non, M. le
Président, il n'y a pas de remplacement.
Auditions
(suite)
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Ce matin, nous allons entendre Mme Maria Mourani.
Alors, je souhaite la bienvenue à
Mme Mourani. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour
faire votre exposé, puis nous allons procéder à une période d'échange de
25 minutes avec les membres de la commission. Mme Mourani, bienvenue.
Mme Maria
Mourani
Mme Mourani
(Maria) : Merci beaucoup, M.
le Président. Mmes, MM. les députés, bonjour. Je tiens à remercier la
commission de m'avoir invitée aujourd'hui pour partager mon expérience dans le
domaine du trafic humain, et de l'exploitation sexuelle des mineurs, et dans l'ensemble
aussi.
Rapidement,
pour ceux qui ne me connaissent pas, on m'a demandé de me présenter. Donc, je
suis criminologue, sociologue. Je travaille depuis presque 20 ans
dans le milieu de gangs de rue, crime organisé, trafic humain. Et, depuis 2011‑2012, je m'intéresse à l'engagement des
jeunes occidentaux dans les groupes djihadistes. Donc, vous avez mon C.V.
Et, si vous voulez avoir plus d'information
sur la firme de criminologie que je dirige, Mourani-Criminologie, vous pouvez
aller sur notre site Internet.
Donc, dans le
cadre de cette présentation, compte tenu du temps qui m'est alloué, je vais
essayer de faire des bonds, hein? Je
vais faire des bonds sur des acteurs que je considère importants dans le
maintien de ce système d'exploitation et je vais aussi parler des victimes. Donc, je vais m'en tenir uniquement à
l'exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales parce que,
comme vous le savez, il y a d'autres formes d'exploitation de mineurs.
Le premier
principe que j'aimerais mettre de l'avant avant que je vous parle vraiment des
différents acteurs de ce milieu-là,
c'est de faire attention aux termes «exploitation sexuelle des mineurs», que
cela n'infère pas une idée qu'il existerait une prostitution choisie des mineurs. Quand on parle de mineurs, quand
on parle d'adolescents et d'enfants, il n'y a pas de prostitution
choisie.
D'ailleurs,
je vous dirais, ce qu'il est important aussi de retenir, c'est qu'il ne faut
pas avoir cette vision dichotomique de
l'exploitation sexuelle à l'effet que nous avons les mineurs d'un côté et les
adultes de l'autre. Je pense qu'il y a plusieurs intervenants qui vous ont déjà dit que près de 80 % des victimes d'exploitation ont été
recrutées alors qu'elles étaient mineures, et c'est ce que je peux
constater aussi sur le terrain.
Donc,
lorsqu'on parle d'exploitation sexuelle des mineurs, il faut comprendre qu'on
parle d'agression sexuelle. C'est comme
ça qu'il faut le voir, comme des agressions sexuelles, et qu'au Québec ce n'est
pas parce que tu paies pour avoir des
enfants que tu n'es pas un pédophile, un hébéphile. Tu es un agresseur sexuel,
et puis il faut que ça soit clair, parce que ce n'est pas si clair que ça dans le milieu, sur le terrain, et même
dans la tête, hein, de ceux qui consomment ce genre de produit. Donc, il
faut que ça soit vraiment très clair.
Alors,
rapidement, je ne vais pas vous donner des chiffres parce que je pense que vous
en avez eu déjà pas mal. Ce que je veux vous dire, par contre,
sur les données que nous avons, elles ne sont que partielles, et ça, c'est très
important. Ce sont des données
partielles des victimes détectées, des proxénètes détectés, ce qui veut dire
que tout ce que nous voyons pour
l'instant, c'est la pointe d'un iceberg. Et je pense qu'il serait fondamental que l'on ait un recensement de l'industrie
du sexe. Ça va nous permettre non seulement
de savoir où est-ce qu'on... bien, qu'est-ce
qu'on a au Québec... C'est sûr qu'on
ne saura pas tout ce qu'on a au Québec parce que
c'est quand même une activité clandestine, mais nous aurons des données un peu plus probantes si nous faisons un recensement de cette industrie-là.
Que ce soit au niveau des lieux d'exploitation, que ce soient les
victimes, les proxénètes, etc., on a besoin d'un recensement.
Alors,
l'autre élément que j'aimerais porter à votre attention, c'est que, lorsqu'on
parle d'exploitation sexuelle, on ne parle pas seulement de
prostitution, on parle de pornographie. Et la pornographie est un marché qui
représente, à l'échelle mondiale, 100 milliards de dollars US par année.
Et la pornographie est tellement banalisée dans nos sociétés qu'il y a des
actions importantes à mener, et je vais vous en parler un peu plus longuement
tout à l'heure.
Alors,
disons, ce n'est plus un secret de Polichinelle que de savoir que l'âge moyen
d'entrée dans la prostitution au Canada,
c'est 14 ans. Personnellement, la plus jeune victime que j'ai eue avait
14 ans. Et, parmi les femmes adultes que j'ai pu rencontrer, elles ont débuté à l'âge de
12 ans. Donc, nous n'avons pas besoin d'aller dans des pays qui vendent
des enfants pour avoir des enfants au
Québec. Le Québec est une plaque tournante de l'industrie du sexe, comme vous
le savez, mais c'est aussi un pays...
pardon, une province de recrutement, de tourisme sexuel. C'est une province où
on peut trouver un enfant comme une pizza, hein? On peut choisir
qu'est-ce qu'on veut et comment on le veut.
Donc, le
problème est immense au Québec. On pense qu'il y a, au Canada, autour de
40 % de mineurs dans cette industrie-là.
Moi, je vous dirais, ce que je peux constater à partir de mon propre
échantillonnage, je dirais entre 30 % et 40 % de mineurs au Québec, ce qui n'est pas très
différent des données nationales et ce qui n'est pas très différent des données
internationales.
Alors, parlons
maintenant des différents acteurs. Je vais d'abord parler, je vous dirais, de
l'acteur le plus important dans ce
système d'exploitation, qu'on a beaucoup négligé. On parle beaucoup des
proxénètes, mais l'un de ces acteurs-là, qui est, bien sûr, celui qu'on nomme le client, qu'il ne faudrait,
d'ailleurs, quant à moi, ne même plus appeler comme ça, ce sont des prostitueurs, si vous voulez, des
clients abuseurs, ces individus-là, quand on parle d'exploitation de mineurs,
ce sont des pédophiles, ce sont des
hébéphiles. Ce sont des individus qui cherchent ce type de produit là. Et je
dis le mot «produit», «marchandise»
parce que c'est le mot qui est employé dans ce milieu-là. Ce n'est plus des
êtres humains, ce n'est plus des enfants, ce n'est plus des adolescents.
Donc, ces
individus appartiennent à toutes les classes sociales. Ce sont majoritairement
des hommes qui possèdent de l'argent,
du pouvoir ou qui n'en ont pas forcément énormément, hein? Donc, c'est M.
Tout-le-monde. Pour vous dire, dans
les enquêtes que j'ai pu faire, on les retrouve dans tous les corps
professionnels, des corps professionnels de pouvoir comme des politiciens, des corps professionnels
artistiques, pompiers, restaurateurs. Vous en avez partout, mariés, pas mariés,
célibataires, veufs, avec ou sans enfants. Donc, M. Tout-le-monde, tout
simplement.
• (11 h 30) •
Alors, M. Tout-le-monde, au fond, qu'est-ce
qu'il représente à l'échelle canadienne? Il y a très peu d'études là-dessus. L'une que je retiens est celle de
Poulin, qui parle d'à peu près 11 % d'hommes qui achèteraient du sexe au
Canada. Donc, quand on se compare,
vous allez me dire, on se console parce que, quand on parle des pays comme
l'Allemagne, les Pays-Bas, etc., donc
des pays qui ont légalisé ou normalisé la prostitution, on se retrouve avec des
pourcentages de 60 %, 70 %,
80 % de prostitueurs, oui, oui, pas mal d'hommes qui consomment. C'est
quand même... Donc, au fond, la légalisation amène cette banalisation-là
qui contribue à l'augmentation de cette consommation-là.
Alors, au niveau
du prostitueur, que pouvons-nous faire? Moi, je vous dirais, on a déjà
tous les outils, hein, législatifs pour agir sur ces individus-là. Alors, comme
vous le savez, aujourd'hui nous sommes le 6 novembre, et, pour
moi, c'est quand même une journée assez historique parce que
la loi C-36 a été mise en application le 6 novembre 2014. Donc, je
vous dirais, l'élément fondamental pour
mettre, si vous voulez, à mal cette industrie-là, c'est de s'attaquer à la
clientèle. Ça, c'est fondamental. Et il ne faut plus avoir peur d'avoir peur.
Il faut s'attaquer au client quel que soit son statut social, quel que soit son pouvoir et quelle que soit sa
richesse. Il n'y a personne qui doit être impuni. Ça doit cesser, cette
difficulté-là que moi, je constate
sur le terrain. Et, pendant longtemps, avant que cette loi ne soit mise en application,
pendant longtemps, on a ciblé les proxénètes et les
personnes prostituées, et, encore là, il y avait cette impunité de ces
prostitueurs-là.
Alors,
l'application systématique de C-36, mais aussi il faut donner les moyens. Moi,
ce que je constate, si on prend, par
exemple, l'Équipe intégrée de lutte
contre le proxénétisme, ils ont le mandat de s'occuper des prostitueurs, mais,
lorsqu'on regarde les données, par exemple, du DPCP, il n'y en a pas beaucoup,
d'arrestations de clients, là.
Je vous donne
un exemple de novembre... disons, décembre, à peu près
décembre 2014 à juillet 2019, donc tout récemment. On parle de 233 individus accusés d'achat de services
sexuels au niveau adulte. Alors, on ne le sait pas plus pour les mineurs. Enfin, moi, je n'ai pas l'information pour les mineurs. Et, dans ce 233, ce que les données du DPCP nous
disent, c'est que ça se peut qu'il y ait des
individus qui ont été ajoutés deux, trois fois, donc ça veut dire que c'est
encore moins que 233. Alors, si on se
compare avec Edmonton, bien, Edmonton, on parle de plus de 40 %
d'arrestations de clients. Donc, ils
ont développé, à Edmonton, cette culture-là de dire : On va s'attaquer aux
prostitueurs. Et je pense que nous sommes rendus là, hein? Après cinq
ans, nous sommes rendus à cette étape-là.
Et, dans
les... j'estime que ce serait un bon «move» de faire en sorte que les
différents corps policiers puissent avoir comme une équipe, une cellule à l'intérieur de leur équipe qui s'occupe
uniquement d'actions, d'opérations clients, bien sûr en partenariat, parce qu'il ne faut pas travailler en silo, on se comprend. Donc, il faut avoir ce
genre d'action à l'intérieur même des grandes équipes de lutte au
proxénétisme et que ça devienne de manière systématique.
Maintenant, à partir du moment où on fait des
arrestations clients, il faut faire attention. Bon, il y a ceux qui consomment des mineurs et ceux qui consomment des
adultes. Ceux qui consomment des adultes, on a C-36 avec, bien sûr, l'achat
de services sexuels. Et, généralement, ces prostitueurs-là, à partir du moment où ils
sont identifiés, passent devant le
juge ou même aient une amende, ça suffit à les freiner, hein? Ça suffit à
diminuer et même éradiquer... je n'aime pas trop le mot «éradiquer», parce
que c'est trop absolu, mais, disons, à diminuer la récidive.
Par contre,
lorsqu'on parle de prostitueurs de mineurs, là, on est dans un autre créneau.
Là, on est dans de la pédophilie, on
est dans l'agression sexuelle sur mineurs. À ce moment-là, je pense que les
accuser seulement d'achat de services sexuels est une aberration. Il faut que ces individus-là aient des charges
d'accusation d'agression sexuelle sur mineurs parce que c'est ce que
c'est, une agression sexuelle sur mineurs.
L'autre
point, concernant des équipes qui s'occuperaient uniquement d'opérations
clients, c'est sûr qu'il faudrait penser à les financer. Alors, c'est au
gouvernement de décider et de voir qu'est-ce qu'il est possible de faire.
L'autre
acteur qu'on ne parle presque pas, mais qui est un acteur important,
c'est ce que j'appelle les bénéficiaires secondaires. Alors, eux, c'est tous les hôtels, bars, motels,
restaurants, grands événements, la F1. La F1, on la connaît tous. Le Grand Prix de Montréal est un pôle
d'attraction du trafic humain au Canada,
on le sait, on l'a dit, on l'a redit.
Et il n'y a pas grand-chose qui est fait en ce sens-là, pour, disons,
changer l'image de la F1. Même si, très récemment, cet été, on voit que la nouvelle
direction essaie quand même de changer les choses, ce qui est positif, ce qui
est bien, je m'attends à ce qu'ils fassent encore plus de choses.
Parlons
des hôtels et des bars. Ce n'est pas vrai que c'est seulement les petits motels
miteux. De la prostitution, là, il y
en a dans les cinq étoiles, O.K.? Alors, dans les miteux, c'est sûr que c'est
plus facile de louer deux, trois chambres puis de faire ce qu'on appelle des «in calls», c'est-à-dire que la fille est
dans le motel puis elle attend que les clients défilent, très souvent 10, 15, 20 clients. On voit bien le
topo. La direction, peut-être, n'est pas au courant, peut-être elle l'est,
mais, en tout cas, le gars qui donne
la clé des chambres, il doit en avoir une petite idée. Mais on peut toujours
donner le bénéfice du doute. Mais ce que je constate, c'est que vous
avez ceux qui jouent à l'autruche et puis vous avez les complices.
Donc,
vous avez des individus qui sont des employés dans ces hôtels-là, que ce soient
des motels miteux ou que ce soient
des hôtels de luxe, qui réfèrent des agences d'escortes, qui ont des bars
chiches ou des à-côtés avec ça. Donc, ce sont des employés. Ça peut être le
concierge, ça peut être le barman, ça peut être n'importe qui dans la place. Le
propriétaire n'est pas forcément au courant. Mais c'est des individus qui
travaillent avec des proxénètes et qui réfèrent. Donc là, on se retrouve
dans le «out call», c'est-à-dire le prostitueur est dans sa chambre, et la
fille vient.
Donc,
les bars, les hôtels, les restaurants, tout ce beau monde là profite de cette
industrie-là. Et moi, je pense qu'ils sont
imputables. Et je proposerais qu'on ait au Québec une stratégie québécoise de
lutte à la traite des personnes et que cette
stratégie contienne, bien sûr, plusieurs éléments, dont cet élément-là de
dire : Nous autres, on va créer un label qui s'appelle Québec sans prostitution pour les
entreprises, et toutes les entreprises qui font des actions bien précises pour
lutter contre ce phénomène-là dans
leur entreprise, dans leur lieu physique, bien, elles vont avoir un crédit
d'impôt, elles vont avoir ce
label-là, Québec sans prostitution. Ce que nous allons savoir, qu'ils sont des
entreprises délinquantes ou ne font pas grand-chose, ne veulent rien
savoir, bien, écoutez, c'est des amendes.
Alors,
comment cela peut être mis en place? Je ne suis pas une experte des lois
provinciales, mais je me suis dit : Si on a un Code civil... si on a un code de la route avec une
description de tout ce qu'on ne peut pas faire avec une voiture et tout ce qu'on doit faire, avec des amendes,
etc., qu'on peut aller au criminel ou par voie sommaire, bien, le code de la
route, il est provincial, alors peut-on penser, envisager... Est-ce que c'est
possible de faire un code de gestion de toutes ces entreprises-là dans une stratégie globale de traite à l'exploitation
sexuelle, traite des personnes, au Québec? Donc, ça, c'est un élément
que je voulais vous amener.
Je ne sais pas
combien de temps il me reste, M. le Président.
Le Président (M. Lafrenière) :
3 min 30 s.
Mme Mourani
(Maria) : Wow! O.K., d'accord. Alors, ce que je vais faire... Je ne
pourrai pas vous parler du recrutement.
J'aurais bien aimé. Mais je vais aller directement dans la stratégie et vous amener quelques points que je pense
qui pourraient être intéressants de mettre
dans cette stratégie de lutte à la traite des personnes. Et j'aurais aussi aimé
vous parler un peu de la gestion de
ces jeunes à l'intérieur des centres jeunesse. Donc, si ça intéresse quelqu'un,
vous pourrez me poser la question, ça me fera plaisir d'y répondre.
Donc, au fond, dans
cette stratégie nationale là, il faut qu'il y ait une politique de tolérance
zéro à l'exploitation sexuelle, quel que soit l'âge des victimes.
L'autre
point aussi qui serait important, c'est qu'on ait un fonds d'aide aux victimes
d'exploitation sexuelle qui permettrait de donner une aide directe à ces
personnes-là et aussi de financer, bien sûr, les organisations qui aident ces
femmes-là à sortir de la prostitution, et je dis bien à sortir de la
prostitution.
D'autre
part, il serait important que, dans cette stratégie-là, on établisse clairement
que l'exploitation sexuelle au Québec
est inacceptable et l'exploitation sexuelle des mineurs est une agression
sexuelle. Il faudrait que ça soit clair, clairement dit.
• (11 h 40) •
L'autre
point qu'il pourrait être très important d'amener, c'est, bien sûr, une
modernisation de la Loi sur l'IVAC. Alors,
moi, ce que j'ai constaté sur le terrain, c'est que les victimes d'exploitation
sexuelle ne sont soit pas acceptées, soit très peu acceptées, et pas à
cause de l'exploitation sexuelle, mais parce qu'elles ont eu des voies de fait,
tentatives de meurtre, etc., donc sur
d'autres chefs d'accusation qui font qu'elles ont pu avoir un psychologue et
avoir de l'aide de l'IVAC. Alors, je
pense qu'il y a une modernisation de l'IVAC à faire au niveau non seulement
d'ajouter l'exploitation sexuelle dans la
fameuse annexe sur les différents délits, mais aussi de voir si, dans le Code
criminel, il n'y aurait pas d'autres infractions à ajouter, d'une part.
L'autre
élément que j'amènerais sur l'IVAC, il y a une disposition dans la Loi sur
l'IVAC qui dit que le délit doit être
commis au Québec. Moi, je vous dis, ça ne s'appliquerait pas. Ça ne serait pas
applicable à la traite de personnes ou à l'exploitation sexuelle parce que le principe même de la traite, c'est
d'exporter les marchandises d'une province à l'autre, d'une ville à l'autre, etc. Donc, il faudrait,
pour ce type de criminalité là, l'adapter, en fait, ce point, dans la loi
actuelle de l'IVAC. Ce qui est
important aussi, c'est qu'il ne faut pas qu'une modernisation de la loi de
l'IVAC devienne conditionnelle à
avoir une aide du fonds d'aide aux victimes. Ces personnes-là vivent énormément
de précarité, et il serait bien qu'elles puissent avoir accès à l'IVAC,
mais aussi accès au fonds d'exploitation, si ce fonds est mis en place.
L'autre point, c'est,
je vous dirais, deux éléments importants. Il serait important d'avoir un
tribunal spécialisé, spécialisé sur
l'agression sexuelle, mais aussi spécialisé sur l'exploitation sexuelle, parce
qu'agression sexuelle, exploitation sexuelle,
là, c'est juste le fait qu'on paie qui fait la différence. «That's it.» Ce sont
des agressions sexuelles. Donc, il faudrait avoir un tribunal spécialisé, parce qu'au cours de ma carrière j'ai
constaté que les victimes avaient beaucoup de difficultés à dénoncer pas
seulement... oui, à cause de la peur qu'elles ont envers le proxénète, mais
aussi à devoir passer à travers des
tribunaux. Ça, pour eux, c'est vécu comme une double victimisation. Et je pense
qu'il est fondamental de pouvoir aller vers un tribunal spécialisé.
L'autre point que j'amènerais...
Le Président
(M. Lafrenière) : En conclusion, s'il vous plaît,
Mme Mourani.
Mme Mourani (Maria) : C'est
fini, hein? O.K., d'accord.
Le Président (M. Lafrenière) :
Oui. Si vous voulez conclure, je vous permets de conclure.
Mme Mourani
(Maria) : Le logement, hein,
le logement, le logement, le logement, au Québec, on a un manque criant de maisons d'hébergement spécialisées pour
les victimes d'exploitation sexuelle. Et, après une recherche que j'ai faite, sur 548 femmes qui ont répondu à un
questionnaire sur les besoins et le logement, elles disent toutes qu'elles
aimeraient ça avoir leur logement
mais à coût modique. Donc, il faudrait penser à voir comment on pourrait
améliorer la loi sur le logement pour favoriser un peu ces femmes-là et
aussi financer des maisons d'hébergement.
Je vous remercie.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup de votre exposé, Mme Mourani. On va commencer la période d'échange avec les membres de la commission, et le
député de Vachon a une question pour vous. Alors, je vais me permettre
une question. Je ne l'ai jamais fait jusqu'à présent.
Je profite de
votre présence comme criminologue. On a entendu nos collègues d'Edmonton qui
sont venus nous parler de mesures de
rechange. Je comprends très bien la notion avec des mineurs, le côté criminel.
Puis ça, je pense qu'on est tous à la
même place. Mais, pour des adultes, la mesure de rechange qu'ils ont, qui est
le «john school», donnait des résultats
intéressants où il y avait 80 % des gens qui n'avaient pas de récidive ou,
en tout cas, qui n'avaient jamais été pincés par la suite. J'aimerais vous entendre là-dessus, avec votre
connaissance de la criminologie, ce que vous pensez de mesures de rechange qui
s'attaquent à nos clients abuseurs, que vous appelez des prostitueurs.
Mme Mourani
(Maria) : Tout à fait. Moi,
je vous dirais, je suis tout à fait en accord, parce que ce qu'on constate,
comme je vous l'expliquais tout à l'heure,
la très, très grande majorité des prostitueurs, lorsqu'ils ont une
intervention, que ce soit une amende, que ce soit le fait d'aller dans
une mesure réparatrice, etc., le taux de récidive va chuter de manière
drastique, parce que ce ne sont pas
forcément des personnes criminalisées et ce ne sont pas forcément des personnes
qui ont des perversions sexuelles. Donc, au fond, une intervention de ce type,
comme il est fait à Edmonton, fait en sorte de diminuer la récidive sans qu'on rentre dans une criminalisation «at
large» des individus. Donc, ce sont des mesures que je favoriserais
beaucoup pour ce type de clientèle là, bien sûr.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup.
Mme Mourani (Maria) : Merci à
vous.
Le Président (M. Lafrenière) :
Le député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : Merci, M. le
Président. Bonjour. Merci de votre témoignage. C'est très apprécié.
Je cherche à bien comprendre la question du
client abuseur. On fait, tout le monde, bien la distinction entre les situations d'exploitation sexuelle pour les
mineurs puis, bon, les majeurs. Mais est-ce que les clients, eux, comment je
dirais ça, vont exclusivement juste vers des mineurs, ou des majeurs, ou
indistinctement, consomment les deux?
Mme Mourani
(Maria) : C'est une très
bonne question. En fait, vous avez deux catégories, et deux catégories qui
sont difficilement discernables. On ne peut pas couper au couteau. C'est que
vous avez des pédophiles et des hébéphiles dont
le but est vraiment d'avoir des enfants, ou des adolescents, ou des
adolescents qui ressemblent à des enfants. Donc, eux, c'est très clair, leur préférence sexuelle, si vous voulez. Et vous avez quand même une bonne proportion de ces clients-là qui
ne vont pas forcément dire qu'ils veulent des mineurs, mais qui ont des
fantaisies envers les mineurs.
La très
grande majorité des victimes que moi, j'ai rencontrées, quand je
leur posais des questions sur le genre de gars qu'elles voient, elles me parlaient, bien sûr,
de ceux qui avaient ces préférences-là sexuelles, là, pour des mineurs, mais,
de tous ces hommes, qui, au fond, d'un
premier abord, ne sont pas forcément des pédophiles, mais fantasment sur des
petites filles de 14, 15 ans...
C'est particulier à dire, parce qu'on se dit : À partir du moment où tu
fantasmes sur des 14, 15 ans, tu peux
passer à l'acte, hein, c'est peut-être ça, ta préférence sexuelle. Mais non, parce que
c'est des hommes qui vont partir avec
des femmes adultes. Ils sont capables d'être en relation et d'avoir des
relations sexuelles avec des femmes adultes. Mais, quand ils vont aller voir les personnes
prostituées, ils vont demander, par
exemple, qu'elles s'habillent en
petite fille, se rasent, etc., et parfois ça dérape.
Donc, ces
gars-là, on peut avoir des gars comme ça, qui ne sont pas forcément des
pédophiles ou identifiés avec des perversions,
qui se retrouvent avec des mineures, qui franchissent, si vous voulez, la ligne. Alors, elle est très difficile à...
M. Leduc : C'est flou.
Mme Mourani (Maria) : Oui, elle
est très floue, et n'importe qui peut basculer, en fait.
M. Leduc : Justement, quand vous parlez de 11 % d'hommes au Canada qui achèteraient du
sexe, est-ce que, donc, dans cette proportion-là, on peut imaginer que
c'est la moitié, plus de la moitié, qui consomme du sexe de mineurs?
Mme Mourani (Maria) : C'est difficile de répondre à cette question
parce qu'on n'a pas les données. On a très peu de données sur les prostitueurs, et, le peu de données que nous
avons, on n'a pas de différence entre mineurs et adultes. Maintenant, on peut faire des suppositions, d'où
l'importance d'avoir un recensement pas seulement sur les proxénètes puis
les victimes mais aussi sur les
prostitueurs, pour savoir c'est qui, ces gars-là qui vont aux mineurs, puis
c'est qui qui va chercher, en fait, de la prostitution dans son ensemble.
Maintenant, il faut
savoir qu'on parle de 30 % à 40 % de mineurs dans cette industrie-là.
M. Leduc :
Oui, logiquement.
Mme Mourani (Maria) : Quand on parle de presque la moitié, là, je pense
qu'il y a pas mal de clients. Sinon, ça ne marcherait pas, le business,
à mon avis.
M. Leduc :
C'est ça, O.K. Non, en effet. Dernière question. Il y a des groupes qui sont
venus avant vous qui nous disaient
que, la majorité, puis vous l'avez confirmé, l'entrée, en moyenne, était à
14 ans. Mais il y en a qui parlaient que la sortie était presque
tout le temps dans la majorité. Est-ce que c'est ce que vous avez observé
aussi?
Mme Mourani (Maria) : C'est vrai. C'est vrai, tout à fait. Je ne serais
pas capable de vous dire quelles sont les proportions, mais je constate, parmi les victimes que moi, je rencontre,
et ça fait quand même plusieurs années, là, que j'en rencontre, c'est toujours le même modus,
c'est-à-dire, elles sont recrutées mineures puis elles arrivent à s'en sortir
quand elles ont dans la vingtaine. Et
parfois elles peuvent s'en sortir quand elles sont mineures parce qu'il y a eu
des opérations policières pour les extraire de ces réseaux-là.
Habituellement,
les mineures que moi, je constate qui ont réussi à s'en sortir à l'âge mineur,
donc qui ont subi cette exploitation-là beaucoup moins longtemps que
celles qui sortent à l'âge adulte, c'est parce qu'il y a eu des opérations policières, des parents qui ont dénoncé, des
parents qui ont suivi à la trace et qui ont été très persistants. Donc, ces proxénètes-là n'aiment pas la pression. Alors,
quand on a des parents qui vont être sur le dos de leur jeune et qui vont...
même, j'ai des parents qui sont allés
taper à la porte du proxénète pour dire : Tu vas laisser ma fille, etc.,
quand ils ont ce genre de situation
là, ça les embête. Alors, ils préfèrent mettre... Celles, qu'ils appellent, qui
ont du trouble, ils vont les laisser partir. Mais c'est extrêmement rare. Je vous parle de cas vraiment rares parce
que, la plupart du temps, ils vont les pitcher en Ontario, à Niagara
Falls ou à Toronto justement pour qu'on perde un peu leur trace, quoi.
M. Leduc :
Merci beaucoup.
Mme Mourani
(Maria) : Un grand plaisir.
Le Président
(M. Lafrenière) : La députée de l'Acadie.
• (11 h 50) •
Mme St-Pierre :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci à Mme Mourani pour cette
intervention auprès de notre commission.
Je pense qu'elle est essentielle. J'ai plusieurs questions. Je vais vous
demander des réponses courtes parce que, je pense, j'ai des collègues
aussi qui en ont.
Et
moi, je veux parler des clients abuseurs, des prostitueurs, comme vous les
appelez, et je veux qu'on... Et je constate depuis... Ça fait deux jours, là, puis c'est la troisième journée qu'on
n'a pas... Il va falloir qu'on soit très agressifs, puis il va falloir qu'on pense à côté de la boîte, comme on
dit, là, puis il va falloir qu'on propose des mesures vraiment agressives, parce
que, s'il n'y a pas d'acheteur, bien, on va
diminuer l'exploitation sexuelle des
mineurs. Je pense aux hôtels, aux bars. Il devrait peut-être y avoir une
taxe à la lutte contre l'exploitation sexuelle. Il y a une taxe sur
l'habitation. Je sais que le ministre des
Finances n'aime pas les taxes dédiées, mais peut-être que ce serait ça aussi,
le moyen, parce que ça serait les gens
qui utilisent les hôtels, donc qui viennent souvent de l'extérieur, des
touristes, qui paieraient pour nous aider à la lutte contre
l'exploitation sexuelle.
Comment
on peut arriver à faire en sorte que le client abuseur soit tellement gêné que
ça dissuade d'autres clients abuseurs?
Est-ce que c'est un registre où on plaque sa photo sur... ou un site Web où on
plaque sa photo, puis tout le monde sait
qu'il l'a fait? La société ne peut plus tolérer ça. Puis il faut qu'on trouve
des moyens originaux. Avez-vous vu
ailleurs dans le monde, dans vos
lectures, dans ce que vous avez observé, des idées pour nous aider à arriver
avec des recommandations qui seraient vraiment, là, par rapport
aux clients abuseurs?
Mme Mourani
(Maria) : Très bien. Il y a plusieurs points qu'on peut mettre en
place, d'abord une campagne québécoise «at large» sur l'exploitation sexuelle
mais dont le message s'adresse directement aux clients, parce que ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a des
prostitueurs qui ne... ce n'est pas qu'ils ne savent pas, mais, dans leur tête,
ils ne sont pas des criminels, ce
n'est pas un problème. Donc, il faut avoir des campagnes, comme on le fait pour
le cannabis, pour le textage, etc.
pour la violence conjugale, où on informe ces gars-là que c'est tolérance zéro.
Donc, déjà, avec ça, on va avoir un
certain impact parce que c'est du monde qui n'a pas le goût d'être devant les
tribunaux, se faire arrêter par la police.
Et
je vous donne un exemple, le projet Cyclope, qui était un projet de la police
de Montréal qu'on avait implanté dans certains
quartiers, qui demandait aux citoyens d'appeler ou même de remplir un
formulaire en ligne pour dénoncer, pour donner la plaque d'immatriculation d'un client. La police appelait ce
gars-là à la maison, et je peux vous dire que c'était assez dissuasif,
merci.
Donc, ça ne
nécessite pas beaucoup de choses, hein? Mais, bien sûr, c'est une certaine
clientèle, hein? C'est un certain profil d'hommes qui vont, disons,
réagir à ça. Il y en a d'autres qui sont plus coriaces, qu'il faut être
beaucoup plus agressif, donc les arrestations, des
campagnes de sensibilisation adressées à ces personnes-là, mais aussi adressées
aux familles pour qu'elles puissent faire de
la prévention auprès des jeunes. Moi, je pense que le gouvernement du Québec
devrait demander au gouvernement fédéral de
faire en sorte que, dans les aéroports, il y ait des grandes pancartes qui
disent : Au Canada, l'achat de services sexuels est interdit. Moi,
je n'en ai jamais vu encore. Je ne sais pas si c'est en place.
Mme St-Pierre :
Il y en a en Alberta, je pense.
Mme Mourani (Maria) : Mais en tout cas il faudrait que ça soit... Moi,
je n'en ai pas vu au Québec. Il faudrait qu'on en ait déjà, donc, de ces
campagnes-là.
D'autre part,
je pense que plus nous allons en arrêter et plus nous allons médiatiser ces
arrestations-là, plus ces gars-là vont
soit arrêter, soit faire encore plus attention. Mais une chose est sûre, c'est
la pression qu'il va y avoir de... cette espèce de non-impunité, je pense que c'est par nos actions de non-impunité, et
les actions policières, et, bien sûr, le financement pour pouvoir le
faire, qui va amener du changement.
Puis, vous
voyez, par exemple, en Suède, ça fait depuis 1990 qu'ils le font, ils n'ont pas
eu besoin de beaucoup de... Comment
dire? Ils n'ont pas eu besoin d'être trop méchants, là. Ils ont appliqué leur
loi. Ils ont appliqué la loi de manière systématique et puis ils ont fait des mesures réparatrices. Et, pour les
pervers, ils leur ont même offert des thérapies. Donc, ces gens-là, quand ils étaient arrêtés, ils
avaient des accusations et ils étaient dirigés vers des thérapies pour soigner
leurs perversions, même si on sait que c'est plutôt difficile.
Mme St-Pierre :
Alors, sur l'IVAC, je pense qu'on a bien entendu le message. Le message, on l'a
eu hier puis avant-hier. Puis j'espère que
les gens du ministère de la Justice ont déjà pris leurs crayons puis sont en
train d'écrire un changement à la loi, là, parce que ça va arriver.
Je termine — ma dernière question — sur
les grands événements. Les grands événements sont abondamment subventionnés par le gouvernement du Québec, le gouvernement
fédéral. Est-ce que ça serait une idée intéressante, de cocher sur le grand... de dire aux grands
événements : Bien, votre subvention vient aussi avec un engagement de
votre part de faire aussi une campagne de sensibilisation ou de
participer à cette lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs?
Mme Mourani (Maria) : Tout à
fait, tout à fait. Il faudrait que le gouvernement du Québec, à partir du
moment où il donne de l'argent à des entreprises, bien, que ces entreprises-là
soient imputables dans le cadre de cette grande stratégie de lutte à
l'exploitation sexuelle. Oui, je
pense que les subventions devraient
être... Ils devraient être imputables face aux subventions que le gouvernement
leur donne.
Et, en plus
de ça, ils devraient faire la démonstration des actions réelles qu'ils ont faites, parce que,
je vais vous donner un exemple,
c'est bien beau de dire que, bon, pour la F1, on va faire en sorte que les filles qui travaillent à la
F1, sur le site, ne soient plus
habillées avec des petits shorts qui rentrent dans les fesses puis des petits
hauts comme ça, bon, c'est beau,
c'est bien, on va les habiller différemment pour enlever cette
hypersexualisation, etc., c'est un bon geste, mais il y a plus que ça,
plus que ça.
Mme St-Pierre :
Merci beaucoup.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Mme Mourani, on va essayer de garder nos réponses
courtes. J'ai un défi. J'ai encore sept questions dans le peu temps
qu'il nous reste. Alors, la députée de Les Plaines.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci,
Mme Mourani, pour votre présentation. Et votre mémoire est choc, on
va le dire comme ça. Les mots sont directs, hein, quand vous parlez de dressage
et...
Je vais aller
rapidement, parce que vous proposez des solutions qui sont vraiment
intéressantes, qui nous ont été dites
de d'autres façons, mais, franchement, c'est intéressant. Je voudrais vous
entendre parler... Parce que vous dites : Que faisons-nous pour contrer le Web? Alors, il y a
deux façons, là, que je le vois, il y a le consommateur et il y a aussi celui
qui place en ligne.
Mme Mourani (Maria) : Tout à
fait.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Il y a des façons de camoufler tout ça, le «dark Web»
et tout. Je voudrais vous entendre là-dessus, s'il vous plaît.
Mme Mourani (Maria) : Bien,
merci beaucoup de cette question. Tout à fait, écoutez, le Web est devenu non seulement un lieu de vente, et ça, on le savait un
petit peu, mais un lieu de recrutement, surtout chez les jeunes parce que,
comme vous le savez, les jeunes, ils sont
sur les médias sociaux, donc Facebook, Snapchat, Instagram, des fausses
annonces sur Kijiji de mannequinat,
de serveuse, etc. Donc, c'est devenu un lieu où les proxénètes non seulement
recrutent, mais ils n'ont même plus
besoin de trop se fatiguer pour recruter parce que les filles s'exposent
carrément sur Internet. Et ils peuvent même
analyser le pedigree de ces filles-là et puis trouver la bonne cible. Et ils
ont plusieurs profils, plusieurs avatars. Ils se font passer pour des
filles, pour des gars, etc.
Donc, on a un
gros problème avec ça, avec le Web. Et, je vous dirais, la solution, elle n'est
pas facile parce qu'il y a la
famille, il y a les parents qui ont un rôle à jouer dans ça. Et, quand on parle
des jeunes, c'est beaucoup, beaucoup de la prévention, prévention, prévention. Et, moi, ce que je dirais, pour
avoir vu qu'est-ce qui se passe, par exemple, au secondaire et au primaire, j'ai
constaté qu'au primaire c'est tabou, carrément. C'est carrément tabou, là, de
parler de prostitution. J'ai même
proposé à certaines écoles de parler aux jeunes, disons, de cinquième, sixième
année. Puis il y a des façons d'en parler. C'est difficile pour eux, mais pas seulement pour les directions
d'école, pour les parents. Il y a eu des formations que je proposais, par exemple, dans des écoles primaires,
pour les parents. Sur 400 personnes, s'il y en avait 20 dans la salle, on
était bons.
Donc, M. et
Mme Tout-le-monde, dans leur tête, c'est quelque chose qui ne leur arrivera
jamais. Ça n'arrivera jamais à leur
enfant parce que ça, c'est la petite fille démunie du métro, qui a quitté la
région, la fameuse image préjugée, alors qu'au fond les victimes viennent de tous les milieux sociaux et sont de
tous les quartiers, autant des écoles privées et écoles publiques.
Donc, il y a
de la sensibilisation qu'il faut qui soit faite dans les écoles primaires et
secondaires. C'est comme ça qu'on
peut protéger nos enfants, parce que, quand ils vont aller sur le Web... Il y a
beaucoup de prévention qui se fait sur comment
être sur le Web. Actuellement, au Québec, on en a une panoplie, que ce soit de
ne pas t'exposer, etc., comment faire
pour détecter... mais on ne parle pas de prostitution. On ne leur dit pas qu'au
fond, oui, c'est vrai que ça peut être utilisé pour du «sex tape», là, on peut les utiliser de différentes manières.
Mais le mot «prostitution», le fait qu'on peut te recruter sur Internet,
même dans les documents qui font de la prévention sur le Web pour les jeunes,
je ne le vois pas.
Donc, moi, je
pense qu'il va falloir qu'on trouve le moyen, soit au secondaire, par le biais
de l'éducation à la sexualité... on
en parle un petit peu, mais il n'y a pas un chapitre juste sur ça pour montrer
les techniques de recrutement, etc., et au primaire.
• (12 heures) •
Moi, je vous
dis, personnellement, j'ai deux garçons, et puis, dès l'âge de 10 ans, je
leur ai parlé des gangs puis des proxénètes,
parce que les garçons aussi doivent être éduqués. Il faut qu'on parle de
pornographie à nos jeunes. L'éducation sexuelle
des garçons... On dit que c'est à partir de 12, 13 ans, les garçons regardent la pornographie. Donc, qu'est-ce que
la pornographie leur apprend? L'homme dominateur, la femme esclave sexuelle,
avec toutes sortes de formes de sexualité. Bien, les garçons, ils s'attendent que la petite fille de 11,
12 ans lui fasse une fellation, tu sais, on n'est même plus aux petits
bisous, là.
Donc, on a un
problème de société assez intense au niveau de l'hypersexualisation, de la
pornographie et de la prostitution. Mais tout ça est lié. Alors, c'est beaucoup
de la prévention que je proposerais, parce que le Web... Bien sûr, nous avons des policiers qui sont sur le Web, qui font
leur job, mais je peux vous dire que le «dark Web», là, c'est autre chose.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Parce que
vous parlez de recensement, et, bon,
les lieux, on le sait, c'est de plus en plus, justement, sur le Web. Il y en a de moins en moins sur la rue,
dans les parcs, et tout ça. Il en reste encore, mais, pour le juvénile,
ça passe beaucoup, beaucoup par le Web. Donc, dans le recensement, ça en fait
partie aussi.
Mme Mourani
(Maria) : Tout à fait. On
doit avoir un portrait aussi de cette vente mais aussi de ce recrutement,
de l'achat qui est fait sur le Web. Et, je
vous dirais, même le recrutement, on a l'habitude d'entendre les parcs, les
métros, mais les centres jeunesse?
Les centres jeunesse sont des lieux de recrutement à l'intérieur des murs et à
l'extérieur des murs.
Les centres
jeunesse, là, le grand problème, actuellement, que moi, je constate avec les
centres jeunesse, c'est que, d'abord,
il n'y a pas d'homogénéité. Il y a des régions qui ont une expertise sur
l'exploitation sexuelle et qui savent comment faire avec les jeunes, puis il y a des régions où ils n'ont aucune
formation, aucune connaissance. Ce qui fait que la plupart des victimes qui sont passées par les centres jeunesse,
que moi, j'ai rencontrées, m'ont dit une chose, c'est qu'elles sont traitées comme si elles avaient des problèmes de
comportement. Ce qui veut dire qu'on met des jeunes qui ont des signalements
de prostitution avec des jeunes qui ont des
problèmes de comportement ou autres problèmes, ce qui fait que le recrutement,
il est à l'intérieur des murs.
Donc, il faut
créer des unités spécialement pour les victimes d'exploitation sexuelle avec
des plans d'intervention, des
psychologues. Moi, je vous donne l'exemple, j'ai des filles qui m'ont dit...
des parents aussi qui m'ont confirmé qu'avant que leur fille ait vu un psy ça a pris six mois. Ça n'a pas de bons
sens. Écoutez, le psy, c'est la base même de ce problème-là. Il faut que
ces filles-là puissent rencontrer rapidement des psychologues.
Donc, tout ça pour vous dire que le recrutement,
il se fait partout dans les lieux physiques, écoles, autour des écoles, etc., les stations, mais le Web aussi et
les centres jeunesse, qui est une zone de recrutement que les proxénètes connaissent très bien, ça, je peux vous le dire.
Il y en a même qui louent des appartements, là, pas très loin des centres
jeunesse, juste pour voir les recrues, les nouvelles recrues mais aussi
leurs propres recrues qui sont à l'intérieur des murs.
Donc, les
filles qui passent à travers les centres jeunesse dans des régions où il n'y a
pas de traitement, où il n'y a pas
d'expertise, elles ressortent avec une colère incroyable parce que, pour elles,
elles ont été traitées comme des criminelles, comme si elles avaient des
problèmes, et non pas comme des victimes. Donc là, on a un petit problème aussi
à régler.
Mme Lecours (Les Plaines) :
Merci beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Avant de passer à la prochaine question, écoutez, vous êtes superintéressante, on va manquer de temps, je
demanderais le consentement pour ajouter 15 minutes à notre période avec
Mme Mourani, bien entendu, si vous pouvez rester avec nous.
Mme Mourani (Maria) : Avec
grand plaisir.
Une voix : Consentement.
Le Président (M. Lafrenière) :
Est-ce qu'il y a consentement? Donc, on va poursuivre jusqu'à
12 h 30, mais on va quand même essayer de garder nos questions et nos
réponses les plus courtes possible.
Mme Mourani (Maria) : Je
m'excuse.
Le Président (M. Lafrenière) :
Ce n'est pas une porte ouverte, parce que j'ai encore sept questions. Alors,
j'ai le député de Chomedey.
M. Ouellette : Merci. Bienvenue. C'est toujours agréable de vous
rerencontrer. Vous savez, vous nous apportez plusieurs solutions, mais il va falloir effectivement que le système
suive. On peut avoir des tribunaux spécialisés, mais on n'a même pas de procureur spécialisé, au Québec,
ça fait que... On a posé déjà la question au DPCP, et il y a des procureurs
intéressés. Il y a des gens qui sont venus
nous voir puis qui nous ont dit : Bon, peut-être des procureurs intéressés
qui ont un petit peu plus
d'expertise, mais je n'ai pas de procureur spécialisé. Ça commence par là, parce
que j'ai bien beau avoir le plus beau
des systèmes, la plus belle cohérence, quand il va arriver la question des
tribunaux ou du DPCP, si ça ne suit pas, on n'ira pas nulle part. Ça,
c'est une constatation.
Avant qu'on
débute aujourd'hui, je voulais que vous nous parliez de votre projet de loi. Il
y a deux mesures qui ont tardé à être
en application. C-36 fête ses cinq ans aujourd'hui. En quoi ça peut nous aider, dans les travaux qu'on fait, à émettre certaines recommandations ou à faire en
sorte qu'on puisse être complémentaires dans ces mesures-là? Parce qu'on
se souviendra tous, là, il y a un impact
fédéral, particulièrement au niveau du Code criminel, particulièrement au
niveau de la judiciarisation, qui est important. Mais en quoi
les mesures qui tardent ou les mesures qui viennent d'être appliquées...
Vous êtes la meilleure personne pour nous en parler.
Mme Mourani (Maria) : Bien, je
vous remercie beaucoup de cette question. Et, tout à fait, je vous dirais, la loi n° 452 a été mise en
application en juin 2015, et, malheureusement, on a dû attendre juin de cette
année, donc, avant le début des
élections, pour que deux des dispositions de cette loi-là soient implantées,
alors, c'est le renversement du fardeau de la preuve pour la traite des personnes, bien sûr, et la confiscation
des fruits de la criminalité pour la traite des personnes.
Donc, ce qui
est formidable maintenant, à partir du moment où des policiers, procureurs
portent des accusations de traite de
personne au Canada, ils pourront porter leurs preuves sans forcément avoir
besoin du témoignage d'une victime. À
partir du moment qu'ils ont assez de preuves, ils pourront déposer leurs
accusations. Parce que, justement, le renversement de la preuve fait en
sorte que c'est au trafiquant de démontrer qu'il ne vit pas des fruits du
trafic, en fait, de ses victimes.
L'autre
élément intéressant que, moi, je vous avoue, j'avais constaté sur le terrain, parce que c'est quand même une loi
qui a pris 10 ans à être faite, j'avais constaté que, comme vous le savez,
pour les gros trafiquants de drogue, on pouvait confisquer les fruits de la criminalité, mais pour les trafiquants
d'humains, bien, on ne touchait pas à leur argent. Donc, la traite était extrêmement payante pour eux autres.
Et, quand ils se faisaient pogner, s'ils se faisaient pogner, parce que c'était
difficile de faire la preuve sans le
témoignage d'une victime, eh bien, ils avaient des petites sentences, pas des
fortes sentences. Ce n'était pas
très... On regardait les sentences et on se disait : Mon Dieu! Tout ce
qu'il a fait, il a pogné quatre ans, il a pogné cinq ans ou il a pogné deux ans moins un jour. Bref, le but de
cette loi c'était de rendre la traite moins payante. Avec ces deux dispositions-là, les policiers ont
maintenant les outils pour pouvoir porter des accusations, et, lorsque ces
personnes-là seront condamnées, on va pouvoir amasser les fruits de leur
criminalité. Et nous pourrions même l'utiliser pour le fonds d'aide aux
victimes d'exploitation sexuelle. Vous voyez? Ça pourrait être une façon de le
financer.
Par contre,
malheureusement, il y avait une troisième disposition, dans cette loi-là, qui
est les peines consécutives, donc,
qui faisait en sorte... Parce que d'où vient ça? D'où vient cet article-là? Il
vient des victimes et il vient aussi des policiers. Parce que les gens disaient : Mais coudon! on
fait des enquêtes de plusieurs milliers de dollars, centaine de milliers de
dollars, puis ces gars-là, ils
arrivent, ils ont des petites sentences. Avec le 1,5, parce qu'ils étaient en préventif,
ils attendaient leur condamnation en
prison, bien, ils sont dehors. Alors, la victime qui vient de témoigner contre
ce gars-là, bien, elle vit dans la
peur la plus terrible parce que ce gars-là, il est déjà sorti ou bien il va
sortir dans quelques mois ou dans un an, il sera dehors parce que les
peines n'étaient pas à la mesure des crimes commis.
Il y avait ce
point-là. Mais, deuxièmement, les victimes me disaient toujours : Mais je
ne comprends pas, on l'a accusé de
traite de personnes, on l'a accusé de voies de fait graves, on l'a accusé de
tentative de meurtre, il a été reconnu coupable
pour les trois accusations, le juge lui a donné des sentences pour les trois
accusations, mais on lui a donné la sentence la plus grande. Mais pourquoi j'ai fait tout ça? Pourquoi j'ai revécu
tout ça? Et là, maintenant, je vis dans la peur que ce gars-là, il
sorte.
Alors,
c'était payant, la traite, parce qu'en plus tu n'avais même pas des grosses
sentences. Conséquemment, les peines
consécutives, pour moi, c'était une évidence. Et, en même temps, ce n'était pas
des peines minimales, donc ça permettait au juge d'adresser quand même
la sentence et d'avoir cette liberté d'adresser la sentence. Malheureusement,
cette disposition de la loi n° 452 est toujours mise en... devra être mise encore en application par
décret. Donc, moi, j'invite le gouvernement du Québec à parler avec le
gouvernement fédéral pour qu'on mette en application cette disposition-là. Ça leur prendrait cinq minutes pour faire ça, là.
Ça n'a pas besoin d'être rediscuté au Parlement, c'est juste un décret. Donc,
je pense que c'est important.
L'autre point
que je voudrais revenir, que vous avez amené, celui des tribunaux, je suis tout
à fait d'accord avec vous. En fait, un tribunal spécial, dans ma tête à
moi, c'était comme une évidence qu'on avait des procureurs, des juges spécialisés. On ne peut pas faire de tribunal
spécialisé sans avoir des juges spécialisés. Pas juste des procureurs, des juges et
des procureurs spécialisés. Et donc moi, je pense que c'est tout à fait faisable à partir du moment qu'on a des procureurs et des juges qui sont prêts à ne faire que ça. On
se rappellera qu'il y a des juges... sans qu'on dise que c'est des juges
spécialisés, mais
c'étaient des juges qu'on savait être spécialisés dans le crime organisé, et ils ne faisaient que ça, presque.
Donc, je pense que l'idée de mettre
un tribunal est importante, mais il faut bien sûr que les juges et les
procureurs soient formés pour ça. Ça demande une certaine expertise.
• (12 h 10) •
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Députée de Lotbinière-Frontenac.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) :
Bonjour. Bien, moi, je voulais que vous me parliez des centres jeunesse.
Mme Mourani
(Maria) : Oui. Merci. Alors,
bon, bien, écoutez, je vous dirais, ce que j'ai constaté depuis plusieurs
années, en fait, c'est que les centres
jeunesse sont passés de zéro expertise en matière d'exploitation sexuelle à
expertise dans certaines régions. On
connaît tous très bien l'équipe Mobilis, qui a vraiment, en Montérégie, cette
expertise-là d'accompagnement, de suivi avec les jeunes.
Donc, les
centres jeunesse, au fond, lorsqu'ils... Et c'était dans leurs règlements,
hein, en passant. Je ne sais pas si ça a changé depuis, parce que je
sais qu'il y a eu des discussions pour modifier certains règlements internes
des centres jeunesse, mais c'était dans leur façon de voir la prostitution, en
fait, parce que c'est comme ça qu'ils le voyaient, c'était considéré comme problème de comportement. Et
c'était écrit dans leur procédure. Il se peut que ça soit changé. Je pense
qu'il y a eu des changements. Mais, dans la
culture, dans la façon de voir et de traiter les jeunes filles qui ont été
exploitées sexuellement, qui ont été
dans la prostitution, bien, c'est toujours de les traiter comme si c'étaient
elles qui avaient un problème de comportement.
Donc, ces filles-là, ce qu'elles me racontent,
c'est que, quand elles sont dans ces centres-là qui n'ont pas cette
spécialisation, parce qu'il y en a qui l'ont, bien, on leur demande d'être dans
leurs chambres, dans leurs... bien, elles, elles
disent «nos cellules», c'est comme ça qu'elles le disent, et on nous demande de
faire des réflexions. Tu veux que je fasse des réflexions sur quoi? Sur
d'avoir été exploitée sexuellement? C'est un peu illogique. Donc, les jeunes,
là, ils ne sont pas fous, hein? Alors, ça
leur génère une colère, mais incroyable. Elle me dit : Pendant que lui,
là, il est encore en train de triper
dehors, là, puis il n'est pas encore arrêté, là, moi, je suis en dedans,
là — «je suis
en dedans», c'est les mots, là, comme
si elle était en prison — je suis en dedans, et puis on me traite comme une criminelle. On
ne me comprend pas. J'ai besoin d'avoir un psy, je ne l'ai pas, ça prend
du temps.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) : Justement, pour l'aide spécialisée, les
services spécialisés, vous avez dit tout à l'heure que ça pouvait
prendre jusqu'à six mois pour avoir un psychologue.
Mme Mourani (Maria) : Pour
avoir un psy.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) : Ils n'ont pas de psychologue sur place?
Mme Mourani
(Maria) : Il faudra leur
poser la question. Moi, c'est les témoignages que j'ai eus des parents et
des victimes, ça prend du temps pour avoir
un psy. Et le pire qu'ils ont vu, c'était six mois pour avoir un psy. Six mois
pour avoir un psy.
Et le pire,
je vais vous dire, encore, le pire que j'ai pu vivre avec eux, c'est qu'il y a
des parents qui sont venus me voir,
justement, parce qu'ils voulaient que leurs enfants aient un service
d'intervention avec quelqu'un qui connaît, hein, la dynamique, et l'enfant... Parce qu'à
Mourani-Criminologie on travaille avec l'acceptation du jeune seulement. Même
si, parfois, on a des parents qui
veulent, qui veulent, bien, moi, je leur dis : Si, ton jeune, il ne veut
pas, là, oublie ça. Moi, je ne travaille pas avec un jeune qui ne veut
pas, ce qui est la logique même.
Alors, j'ai
des jeunes qui veulent être en suivi, j'ai des parents qui veulent être en
suivi, et là je me suis dit : Peut-être c'est une question financière.
J'ai des parents qui sont prêts à payer le suivi, et j'ai des intervenants qui
refusent le suivi. Comment vous
expliquez ça? C'est particulier, hein? Donc, non seulement je ne donne pas de
service, mais je n'accepte pas que
des parents vont dans le privé pour avoir du service? Il y a un problème.
Pourquoi on fait ça? Moi, je me suis posé la question. Je ne suis pas capable de l'expliquer. À mon sens, quelqu'un
qui a besoin d'un service, si le parent est prêt à payer pour, on ne demande pas au centre jeunesse
de défrayer des coûts, là, c'est les parents. Donc, est-ce que c'est le fait
qu'on veut rester entre nous? Je ne sais pas, je n'ai pas... j'ai du mal à répondre
à ça. Pour moi, c'est incompréhensible. Et
les parents, les parents ne comprennent pas. On leur dit : Il faut même
passer devant un juge. J'ai un parent qui m'a dit : Il semble que
je dois passer devant un juge pour que le juge, il octroie le service dans le
privé. J'ai dit : Non, mais c'est donc
bien bizarre, cette affaire-là. Bref, il faut avoir des unités spécialisées
avec des intervenants qui savent gérer ça, qui savent parler
avec des jeunes qui ont vécu des viols collectifs.
Je ne sais
pas si on réalise, là. Moi, j'ai dans ma tête l'image d'une fille, elle a été
violée, là, et filmée, puis ça a passé
dans son école. Puis ça à quoi, 13 ans? Et ça s'en va en centre jeunesse,
et ça n'a pas le service, puis que les parents veulent donner du service
dans le privé, on leur interdit de leur donner du service. Qu'est-ce que vous
croyez que ce jeune-là, cette fille-là, là... Qu'est-ce qui va se passer dans
sa tête, là? C'est horrible.
Donc, il y a
des choses qu'on doit faire qui ne sont pas faites actuellement. Et les centres jeunesse sont tributaires de la protection de ces enfants-là, de ces jeunes
filles là, qui ne sont pas des filles à problèmes de comportement, qui sont
des victimes et qui doivent être traitées
comme telles, avec des plans de traitement, des plans de traitement comme
n'importe quelle victime.
Le Président (M. Lafrenière) :
On va tenter en rafale. Député de Viau.
M. Benjamin : Merci, M.
le Président. Merci pour votre
présentation. Donc, je vais peut-être m'attarder, dans un premier temps, à une de vos recommandations qui
m'interpelle beaucoup, c'est celle qui concerne les règlements
municipaux. Sachant, connaissant la
mobilité, on l'a vu dans cette commission, la mobilité de plusieurs des acteurs liés à
l'exploitation sexuelle
des mineurs, que ce soient les victimes elles-mêmes et, on nous dit aussi, les
proxénètes aussi, comment vous voyez l'engagement des municipalités,
donc, dans ce travail-là?
Mme Mourani
(Maria) : Très bien. Merci
beaucoup. Je vous dirais, les municipalités sont parmi les premières sur les
lignes de front. Pourquoi? Parce que c'est elles qui donnent les permis, bar de
danseuses, qui donnent des permis de salon
de massage sous l'appellation «soins personnels». Donc, il n'y a même pas de, comment
je pourrais dire... il n'y a même pas
de catégories de salons de massage, donc «soins personnels».
Puis, on se comprend, ils ne vont pas faire de la manucure, O.K.? Donc là, là, c'est une fausse représentation. Donc, il y a des prête-noms,
beaucoup de prête-noms dans ces permis-là.
Mais oublions
les prête-noms, disons que les noms sont exacts. Ces personnes-là font des
demandes pour des permis de soins
personnels, font des salons de massage bordels, on le sait, c'est à sa face
même, c'est visible, on pourrait... un inspecteur pourrait rentrer là-dedans à
l'improviste, et il verrait qu'il y a de la prostitution là-dedans, il verrait
que ce n'est pas des massages
thérapeutiques. On ne retire pas les permis. Moi, je me suis fait dire :
Ah non! on ne peut pas retirer les permis, tout simplement parce qu'on
ne sait pas, ils vont nous prendre en cour.
Il y a,
excusez-moi l'expression... il y a un bordel dans l'octroi des permis. Il y a
des municipalités ou des arrondissements
qui vont être très stricts, qui ne vont pas donner de permis. Il y en a
d'autres qui vont en donner sans même savoir
si le gars, il est dans le crime organisé, sans faire une simple enquête. Ils
vont juste regarder le zonage : C'est-u un bon zonage? O.K. Ah! Oui,
on donne le permis. Donc, c'est très aléatoire, dépendamment de la personne qui
te reçoit, dépendamment d'où tu es, etc.
Donc, selon
moi, dans cette stratégie nationale là de lutte à la traite, il faut qu'il y
ait quelque chose sur les permis. Est-ce
que ça passe par une loi provinciale qui se décline, après, dans les règlements
municipaux? Peut-être. C'est à vous de voir comment faire ça. Mais, une chose
est sûre, il faut un moratoire sur les bars de danseuses et il faut arrêter de
donner des permis de salons de massage qui ne sont pas des salons
thérapeutiques et qui sont des bordels.
L'autre affaire, c'est que, dans C-36, la
publicité de services sexuels est interdite. Je ne vois aucune action à cet
effet-là. Il va falloir faire ça, i l va falloir réglementer l'affichage. Ça va
être une façon aussi de lutter.
Donc, il y a
plusieurs éléments importants à mettre en place. Et moi, je pense que les
municipalités peuvent être des acteurs importants dans cette lutte à la
traite. Et ils sont les premiers, le «front line», comme on dit, là. Ils
doivent être impliqués là-dedans.
• (12 h 20) •
M. Benjamin :
Un autre enjeu, en fait, je pense, qui apparaît et que vous mentionnez,
d'ailleurs, dans votre mémoire, c'est
sur le manque de données factuelles. Il y a un autre groupe, je ne me rappelle
plus lequel, qui était venu nous en parler sur le fait qu'on a besoin de
mieux comprendre, de mieux comprendre cet enjeu-là. Et vous verriez ça comment,
l'organisation de tout ça, un observatoire sur l'exploitation
sexuelle ou, du moins, un mandat qui serait confié à une institution? Comment vous verriez l'organisation de tout ça afin d'assurer une veille, pour assurer une bonne connaissance, qu'on puisse partager cette connaissance aussi?
Mme Mourani
(Maria) : Oui. Oui, je vous
avoue, ça pourrait être ça, ça pourrait être un observatoire, comme on le
fait par exemple sur l'Observatoire
de la radicalisation, etc. Il y a plusieurs thématiques qui sont abordées de cette manière-là.
Je
pense que oui. Mais je pense
aussi que cet observatoire devrait, en
tout cas, avoir un mandat clair de
collecte de données, et de veille, et
aussi de renouvellement des données. Parce
que, l'industrie du sexe, il y a
une partie qui est très visible, mais il
y a une partie qui est très clandestine, très underground, et c'est très
aléatoire, ça varie beaucoup.
Je vous donne
un exemple. Un mois ou deux semaines
avant la F1, vous allez sur le Web, vous avez le double des publicités
des agences d'escortes. Ça double d'un coup. O.K.? Je vous donne... 2018, si ma
mémoire est bonne, quand on a eu le G7,
Charlevoix, le G7 et la F1 en même temps, je peux vous dire que le marché, la
publicité, là, des services sexuels a triplé en seulement trois semaines.
Ce qui veut dire que, si on fait une collecte de données à ce moment-là, on a
une mauvaise image de la situation. Ce qu'on
a, on a une image de ce qui se passe quand on a des grands événements. C'est
intéressant de le savoir, il faut le savoir,
vous voyez, mais, si on veut avoir un portrait de l'industrie au Québec, il va
falloir aussi faire attention à ça,
ces épimoments où il y a comme une convergence de la prostitution vers
Charlevoix ou vers Montréal, vous voyez. Donc, tout ça, il faut tenir
compte de ça dans les données.
C'est pour ça
qu'il faut vraiment que ça soit une institution structurée, qui suit et qui a
l'expertise de la collecte de données
dans un milieu qui tend à vouloir être clandestin. Ça veut dire : Tu ne
restes pas dans ta tour d'ivoire à collecter les données policières seulement ou les données de victimisation, tu vas sur
le terrain pour voir vraiment, tu fais des enquêtes de terrain.
Donc, oui, il
y a les collectes policières qui sont superimportantes, les collectes de
victimisation des différents groupes aussi. Il faut être en «network» avec tous les groupes pour savoir c'est
quoi, les clients qu'ils ont, combien de femmes, c'est quoi, les âges, etc.
Donc, c'est toute une collecte de données qu'on doit faire, et on doit avoir des
équipes de chercheurs, dans cet
observatoire-là, qui ne restent pas dans leurs tours d'ivoire, mais qui
descendent sur le terrain et qui vont parler à ces filles-là, qui vont parler à ces jeunes-là et qui font des
minirecherches pour faire en sorte qu'on ait un portrait le plus près
possible, le plus près possible d'une réalité.
M. Benjamin : Est-ce que j'ai
le temps pour une dernière question, une toute dernière?
Le
Président (M. Lafrenière) : J'aimerais passer... On va tenter
deux derniers intervenants en sept minutes. Député d'Ungava. On va essayer de
garder trois minutes par question, s'il vous plaît.
Mme Mourani
(Maria) : D'accord.
M.
Lamothe : Mme Mourani, très intéressant. Deux questions rapides. Point
de vue prévention à court, moyen terme, ce que j'entends, la répression
sur le client, c'est ce qu'il y a de mieux.
Mme Mourani
(Maria) : Oui, bien, c'est un des points importants.
M.
Lamothe : À long terme, comment vous voyez ça, vous, une prévention à
long terme, mis à part la répression sur le client?
Mme Mourani (Maria) : Bon, la prévention, comme je vous dis, elle doit
se faire avec les parents, avec les jeunes et aussi sur le client. Le client, on en a parlé, il faut qu'on ait des
campagnes de sensibilisation, parce que, pour toucher les jeunes au
niveau prévention, on ne parle pas de réadaptation, etc...
M. Lamothe :
Prévention.
Mme Mourani (Maria) : ...prévention, c'est vraiment les campagnes de
sensibilisation qui s'adressent aux jeunes, c'est l'éducation, l'éducation à la sexualité mais l'éducation à
connaître la pornographie, l'hypersexualisation, la prostitution, au
primaire, dès le primaire, et on va au secondaire aussi.
Donc,
les enfants, il faut aller les chercher là où ils sont au moment où, comment
dire, ces proxénètes-là vont les chercher.
Ils vont les chercher à 10, 11 ans pour les préparer, justement, à... Ils
préparent la matière première, là, qu'ils vont exporter à 12, 13, 14 ans, là. Donc, il faut que nos enfants soient
au courant de ça avant que ces gars-là entrent en scène. Et moi, je
préconise que ça pourrait se faire dès l'âge de 10 ans.
M. Lamothe :
Une éducation à l'école.
Mme Mourani
(Maria) : Oui, c'est très important.
M.
Lamothe : O.K. Une dernière question, rapide encore. Votre travail
fait en sorte que vous êtes capables de cibler les endroits où se passe l'exploitation sexuelle. Vous avez mentionné la
F1, le motel moyen, bar de danseuses,
salons de massage, hôtels cinq étoiles, réseaux sociaux. Les casinos?
Mme Mourani
(Maria) : Les casinos, c'est beaucoup le moyen de blanchir l'argent, beaucoup
plus que du recrutement, parce que vous n'avez pas de jeunes dans les... les
mineurs...
M. Lamothe :
Mais au niveau exploitation sexuelle?
Mme Mourani (Maria) : Oui, bien, ça, personnellement, sur le terrain, je n'ai pas entendu ou... de recrutement
au casino. Mais il se peut, parce
qu'ils vont à... Je vous donne un exemple. Les proxénètes vont aller dans le
casino pour blanchir l'argent. Donc, s'il est au bar, il voit une fille
qui est belle puis qu'il peut lui faire la tête, comme eux, ils disent, bien, il va la recruter comme ça. Il y a des filles qui
se sont fait recruter dans des bars, dans les night-clubs. Donc, le casino est
tout à fait potentiellement un lieu aussi.
Mais
est-ce que c'est un lieu privilégié pour aller recruter? Moi, je ne l'ai pas
entendu sur le terrain. Mais c'est un bon lieu pour blanchir.
M. Lamothe :
Puis pour allécher le client?
Mme Mourani (Maria) : Pardon? Oui, bien, ça peut. Il y a
des filles qui peuvent... Bien, les filles vont aller partout. Elles vont aller dans les bars des hôtels, elles
vont aller... Parfois, elles n'ont même pas besoin d'aller nulle part, on les
appelle. C'est des agences d'escortes sur le
Web. C'est ça maintenant qui est
devenu très, très, très populaire. Ça peut se faire n'importe où, ça peut être dans n'importe quel bar, ça peut se
faire dans des restaurants, le recrutement, pas le recrutement pour entrer dans la prostitution, mais le
recrutement de clients. Ça dépend où la fille est, ça dépend où le proxénète est.
Mais l'Internet est le plus facile, et les références d'agence d'escortes,
c'est juste un coup de téléphone.
M. Lamothe :
Parfait. Merci beaucoup.
Le Président
(M. Lafrenière) : La députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Oui. Merci
beaucoup. Je fais ça rapidement. Parce que c'est fascinant, c'est formidable, puis je ne
pense pas que ça sera la dernière fois qu'on va vous consulter pour faire nos recommandations.
Mme Mourani (Maria) : Merci.
Mme Weil : La prévention, je vais aller dans le même sens. On a entendu, bon, Kathleen Quinn, d'Edmonton, qui nous a parlé de ce programme, les «john schools»,
que l'empathie peut se développer, puis on peut travailler l'empathie chez
l'être humain, chez l'homme, ça peut être le garçon, l'ado, l'homme, et que
c'est un outil qui est très fort et que ça donne des résultats. J'ai trouvé ça intéressant. C'est la première fois qu'on
entendait que peut-être une approche psychologique, au-delà de
«shaming», qui est vraiment l'autre qui fonctionne bien.
On a aussi
entendu de quelqu'un qui est venu ici, puis elle n'a pas raconté l'histoire
qu'elle nous a racontée dans le cadre
d'une formation qu'on a eue ici, à Québec, quelque chose qui m'a vraiment
choquée, je n'irai pas dans les détails de l'histoire, et très jeune, très jeune, parce qu'ils sont exposés à la
pornographie, comme vous l'avez dit, ils sont comme... la fille,
c'est... «objectify», bon, je ne sais pas le mot en français, mais donc c'est
comme un outil, c'est un object, là, il n'y
a pas d'être humain derrière, mais que certains... Donc, quand ils sont
enfants, non, ils n'ont pas ces idées-là, mais c'est par des influences.
Et là, vous l'avez mentionné, donc, il y a quelque chose qui se passe dans le
cerveau.
La prévention
et... Les familles, les réponses ne sont pas claires sur les parents et les
conditions familiales. Certains ont
mis l'accent sur la pauvreté, etc., mais on sait très bien qu'il y a des... On
a entendu, dans notre formation, il y a des couples, l'avocat, etc., ils ne savent pas ce qui se passe, ils sont
déconnectés. Certains policiers nous ont dit... ou un expert, un académique nous a dit : Il y a un âge,
l'âge de l'adolescence qui est... il y a une susceptibilité, c'est délicat.
Vous, dans votre expérience, les
parents, les types de parents, les milieux familiaux... Parce que nous, on
devra aussi aller surtout sur cette prévention
primaire vraiment, là, avant que les choses se détériorent ou que... et autant
chez le... Et ce n'est pas l'éducation sexuelle, nécessairement, à l'école, à
moins qu'ils aillent vraiment dans le profond. C'est les relations parents-enfants.
Le Président (M. Lafrenière) :
...
Mme Mourani
(Maria) : Oui. Deux minutes?
D'accord. Vous avez toutes sortes de parents. Donc, moi, j'ai rencontré des familles. Oui, il y avait des familles
dysfonctionnelles, mais il y avait aussi des parents, comme vous le dites, là,
avocats, journalistes et autres,
donc, des gens qui ont un certain niveau social. Selon ce que moi, j'ai pu observer,
ça avait l'air des parents quand même
équilibrés, et il ne semblait pas y avoir d'inceste, d'agression sexuelle, de
violence intrafamiliale, etc. Donc,
c'est toutes sortes de familles qui peuvent avoir à vivre ça. D'ailleurs, je
trouve que, lorsque je suis avec des familles qui ont vraiment... comme
on dit, pas avec beaucoup de problèmes, c'est eux qui sont les plus dépassés
parce que c'est comme... ils ne s'y attendaient pas.
• (12 h 30) •
Donc, moi, ce que je vous dirais, ce que je
constate, c'est que les parents sont dépassés parce qu'ils ne pensaient tellement
pas que ça pouvait leur arriver qu'ils n'ont même jamais parlé de ces
problèmes-là. Alors, quand tu ne parles pas de ça, l'enfant, il ne sait pas. Donc, quand le proxénète l'approche, il
ne sait pas, ce n'est pas un proxénète, pour lui, c'est l'amour de sa vie, c'est son chum, c'est son
copain, c'est sa copine qui va l'entraîner à. Donc, il ne faut pas imaginer que,
dans ce milieu-là, c'est marqué «proxénète»
ici, puis on les voit arriver. Pas du tout. Ils savent très bien faire la tête
à une fille, c'est des beaux
parleurs, des «cruisers». Parfois, c'est des filles qui vont recruter d'autres
filles. Donc, ils ont des moyens.
Et moi, je
trouve que... Ce que j'aimerais amener, c'est l'empathie que vous parlez. Moi,
ce que je dis aux parents : Ton
enfant, là, dès qu'il commence à parler, il doit se sentir à l'aise de te
parler, parce que, quand viendra un problème, même
si tu as tout fait pour ne pas qu'il y ait
ce problème-là, quand il y aura le problème,
il va te parler, il faut ce lien-là. Mais ça, ce n'est pas un gouvernement qui peut... ça, c'est les parents. Donc, c'est beaucoup
de prévention auprès des parents, de comment être avec ses enfants,
comment être proche des enfants. Parce que moi, vous voyez, les victimes que
j'ai rencontrées, j'ai constaté qu'il y avait
un point de basculement. Ce point de basculement, lorsqu'il va y avoir
l'hameçonnage, c'est-à-dire où il va y avoir la lune de miel, etc., il va y
avoir une résistance, chez certaines filles, pas forcément des valeurs, de l'argent et de la prostitution, mais qu'est-ce
qu'ils vont faire? Ils vont faire en sorte qu'elles subissent un viol. C'est le
viol qui est le basculement. Et
souvent les filles ne vont pas en parler à leurs parents, et c'est le fait que
le viol n'est pas traité qui fait que
la personne va se sentir tellement rien qu'elle va se dire : Bien, il a raison,
je devrais le faire pour l'argent, je ne
suis rien, je suis un déchet. Le viol est quelque chose de très important
dans le recrutement, il fait partie du dressage. Et je dis «le dressage» parce que c'est ce qu'ils
font. Il dresse la personne de tel point qu'elle va même aller à Toronto se
prostituer, il n'a même pas besoin d'être là-bas pour la regarder.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup, Mme Mourani.
Mme Mourani (Maria) : Un grand
plaisir.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci infiniment pour votre aide à nos travaux.
Nous allons suspendre la commission, retour en
travaux à 15 heures. Merci infiniment.
(Suspension de la séance à 12 h 33)
(Reprise à 15 h 2)
Le
Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre s'il
vous plaît! La Commission spéciale
sur l'exploitation sexuelle des
mineurs reprend ses travaux. Je demande à toute personne dans la salle de bien
vouloir éteindre la sonnerie de leur appareil électronique.
Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale
sur l'exploitation sexuelle des mineurs.
Cet
après-midi, nous allons entendre le Collectif d'aide aux femmes exploitées
sexuellement, le CAFES. Puis, en auditions
conjointes, nous aurons le Service de police de la ville de Gatineau et
Mme Nellie Brière, puis nous entendrons finalement
Mme Marie-Ève... pardon... Ève Lamont.
Alors,
je souhaite la bienvenue aux gens du... à la représentante du CAFES. Vous allez
avoir 20 minutes pour votre présentation.
Par la suite, il y a une période d'échange de 25 minutes avec les membres
de la commission. Je vous demanderais de vous présenter et de faire
votre exposé.
Collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement (CAFES)
Mme Sullivan (Rose) : Mon nom est Rose Sullivan et je suis ici en
tant que cofondatrice du Collectif d'aide aux femmes exploitées
sexuellement, le CAFES. Le CAFES, c'est un regroupement de femmes qui a un vécu
en lien avec l'industrie du sexe et qui
désirent s'en éloigner, en rester éloignées et guérir des séquelles que
l'industrie du sexe a laissées sur elle,
et en elle, et dans sa vie, de femmes et de filles qui vivent des risques
significatifs d'être exploitées sexuellement et de personnes sensibilisées à la violence prostitutionnelle et
conscientes du défi que représente la sortie de l'industrie du sexe. La CAFES a émergé des valeurs de ses membres
fondatrices : l'entraide, le respect, l'égalité et la justice. Et c'est
guidé par ces valeurs-là que, depuis
cinq ans, on a participé à la création de nombreux liens et réseaux entre
femmes et qu'on a été plus d'une
centaine à bénéficier du soutien d'autres survivantes et des nombreux avantages
liés à la relation d'aide entre pairs.
En
considérant toutes les femmes comme étant égales à nous, peu importe leur âge,
leurs croyances, leurs origines, leur
orientation sexuelle et leur passé, et en acceptant d'aider quand on le peut,
dans le respect de nos limites propres et des limites de chacune, et en étant capable de demander et de trouver de
l'aide quand on en a besoin, on améliore concrètement nos conditions de vie et on devient plus fortes
face aux épreuves et aux divers traumatismes dont on est plusieurs
à souffrir.
Nos
expériences et nos parcours ne sont pas tous les mêmes, même s'ils ont des
similitudes. Nos personnalités diffèrent, on est toutes uniques, mais ce qui nous lie et nous rassemble, c'est ce
qu'on a vécu et ce qu'on a vu, et ce que ça provoque comme conséquences sur notre corps, notre âme et
notre existence, et ce qu'il nous manque pour nous rétablir et reprendre
le plein pouvoir sur notre vie.
D'être
témoin d'un des côtés les plus sombres de l'humain, c'est profondément
traumatisant, et ce, peu importe l'âge et les conditions dans lesquelles ça se produit. On
reconnaît que l'enfance et l'adolescence sont des périodes où la vulnérabilité est importante et on sait que les
jeunes femmes sont particulièrement payantes pour l'industrie du sexe. Or, on
considère que la prostitution est une
violence en soi. Et on ne peut donc pas considérer que l'âge des personnes qui
subissent cette violence doit être...
bien, en augmente ou en diminue le préjudice. Exploiter une personne
vulnérable, c'est odieux et criminel,
peu importe l'âge qu'elle a. Et être victime d'exploitation
sexuelle, ça brise et détruit, peu
importe l'âge où ça nous arrive. Donc, on ne considère pas que le fait
que c'est... Que la commission concerne particulièrement les mineurs, on en a tenu compte, parce que c'est sûr qu'il y a des efforts de
prévention importants qu'on aimerait voir être mis en place, sauf qu'à nos yeux, d'être mineur ou d'être majeur, ça
ne change pas les dommages qui sont subis quand une personne est exploitée
sexuellement.
Notre
première recommandation est donc de ne pas catégoriser la prostitution
selon des caractéristiques propres
aux victimes, la forme qu'elle prend,
le lieu où elle se produit ou tout autre facteur ni comme un problème
individuel qu'il est possible de régler avec un minimum de volonté. La
prostitution est une violence qui fait partie d'un continuum de violence
et qui donne lieu à d'autres violences. C'est une des raisons qui fait que
c'est extrêmement difficile d'en sortir.
C'est
un immense honneur pour moi de porter la parole des femmes qui souhaitent le
faire, et je vous remercie de nous la donner. On possède toutes en nous ce
qu'il faut pour prendre ou reprendre le pouvoir sur notre vie, et on lutte
quotidiennement pour y arriver. Vous, vous
avez le pouvoir d'alléger nos luttes, de les rendre moins pénibles et de faire
en sorte qu'elles ne soient pas vaines. Vous
avez le pouvoir de changer de nombreuses vies. Par notre contribution à la
commission actuelle, on espère vous aider à le faire de la façon la plus
efficace, adaptée et humaine qui soit.
Avant
de participer à la fondation du CAFES, j'ai travaillé dans le milieu
communautaire, en itinérance et en santé mentale, j'ai étudié et j'ai
donné la vie à trois filles, tout ça en étant aussi de temps en temps ou assez
souvent exploitée sexuellement. Depuis que
je suis sortie de l'industrie du sexe, je guéris, j'élève mes enfants et je
fais mon possible pour qu'elles
vivent dans une société plus juste et plus égalitaire. C'est cette volonté-là
et mes expériences qui m'ont permis d'être en contact avec de nombreux organismes et avec des individus qui sont
liés à la question de l'exploitation sexuelle, ainsi qu'avec des
centaines de femmes directement touchées par cette problématique.
Ceci
dit, même si je suis ici aujourd'hui en tant que représentante du CAFES, c'est
aussi avec mon analyse et mon coeur
de mère, de fille, de femme et de citoyenne que je compte vous parler. Je vais
tenter d'amener le plus de pistes de réflexion
et de solution possible en me basant sur la lecture que j'ai faite du document
de consultation qui m'a été remis et
en répondant aux questions qui s'y trouvent. Je vais aussi tenter d'élaborer
sur les obstacles qui sont liés à la sortie de la prostitution en essayant de mettre l'accent sur le
plus important nuisible et celui qui, en même temps, est probablement celui
sur lequel vous avez le plus de pouvoir,
soit la précarité importante et l'insécurité financière des femmes qui tentent
de sortir de la prostitution.
Finalement,
je vais essayer de vous expliquer pourquoi il n'y a pas beaucoup de mesures, de
programmes et de modèles d'intervention déjà existants qui sont
applicables et qui nous aident autant qu'il le faudrait, malgré la grande volonté des intervenantes qui travaillent fort
depuis quand même de nombreuses années, et de plus en plus. Et donc je vais
essayer d'apporter aussi des pistes de
solution pour que les mesures et programmes mis en place soient plus adaptés à
notre réalité spécifique.
• (15 h 10) •
Dans
le document de consultation, il était question de mesures préventives à
déployer. On trouve que... Je tiens aussi à spécifier que tout ce que je dis a été discuté de façon collective,
parce qu'on est un collectif. Donc, je vais essayer de faire une suite logique
dans les idées, mais j'ai aussi eu
deux jours pour préparer le truc, donc on verra ce que ça va donner. Si vous avez des questions, on en jasera après.
Ce que je disais, donc, c'est que les mesures préventives à déployer en premier
lieu pour aider les femmes, pour éviter aux
femmes de basculer dans la prostitution passent selon nous beaucoup
par des campagnes de sensibilisation massives et ciblées, mais surtout par des mesures concrètes. C'est des
mesures qui devraient viser la diminution
de l'attrait que peut provoquer le milieu prostitutionnel pour les jeunes
filles et les femmes à risque, et donc ça passe aussi forcément par la diminution
des facteurs de risque, dont la pauvreté. La lutte à l'exploitation sexuelle passe, à nos yeux, nécessairement par la lutte à
la pauvreté parce que si les besoins fondamentaux de toutes les femmes étaient
comblés, une grande partie du problème
serait clairement déjà réglée. C'est évident à nos yeux, puis ce qui est
aussi évident à nos yeux, c'est que la société a absolument, absolument les moyens de lutter beaucoup
plus efficacement que c'est
fait présentement pour contrer la pauvreté.
Et je ne sais
pas si je vais avoir le temps de discuter plus longuement des nombreux trucs
qui pourraient être plus efficaces en
ce qui a trait à la lutte à la pauvreté, mais sachez qu'à n'importe quel autre
moment, suite à cette commission, le
CAFES est toujours disponible pour répondre aux questions de n'importe qui qui
en aurait, pour discuter avec vous ou pour
vous aider encore à améliorer la situation des femmes qui veulent sortir de la
prostitution, et donc de la société en général.
On considère que des efforts pour soutenir
concrètement les filles et les femmes qui présentent des facteurs de
vulnérabilité doivent être pensés. Il faut éviter aux familles et à la société
de devenir ce que Rose Dufour qualifie de système producteur de
prostitution. La DPJ devrait d'ailleurs, selon nous, tenir compte des systèmes
producteurs de prostitution que
Rose Dufour décrit dans le cadre de la réforme qu'elle parle de mettre en
place et que nous encourageons d'ailleurs énormément.
Pour ce qui est des facteurs sociaux, des
campagnes de prévention dénonçant la pornographie et une législation cohérente en ce sens pourraient aussi aider. C'est
criminel d'exploiter sexuellement des femmes. C'est complètement illogique,
donc, que le faire dans le cadre d'un
tournage de film XXX soit légal, mais c'est quand même le cas. On n'en est
pas à une absurdité près, selon nous,
en ce qui a trait au système de justice et à l'application des lois, mais
celle-là est particulièrement questionnable.
Pour que les
jeunes, leurs parents et les professionnels qui les entourent soient en mesure
de reconnaître les situations et les
personnes à risque de prostituer autrui ou d'être prostituées, il ne faut pas
avoir peur de nommer les vraies choses et de les décrire telles qu'elles sont.
Il ne faut pas non plus avoir peur de pointer du doigt les réelles causes de la
prostitution. Toutes les mesures de
prévention à mettre en place peuvent bien sûr être élaborées avec des
survivantes de la prostitution. On
est quand même très bien placées pour savoir ce qui aurait pu nous éviter de basculer
dans la prostitution et ce qui aurait pu
nous aider à identifier les nombreux pièges que l'industrie du sexe nous a
tendus avant qu'on y adhère en pensant, pour certaines, faire un choix
libre et éclairé, ce qui était faux, clairement.
Il y a plusieurs
travaux et recherches qui ont été faits déjà pour identifier les facteurs de
risque, les conséquences, je ne sais
même plus quoi d'autre. Les facteurs de risque, les conséquences, les... ce qui
pousse les femmes... Il y a beaucoup, beaucoup
de recherches qui ont été faites déjà. D'ailleurs, je n'ai pas eu le temps, on
n'a pas eu le temps de pondre un mémoire en deux jours, parce qu'on veut qu'il soit complet et qu'il nous... on
aimerait qu'il soit satisfaisant à nos yeux, mais on se promet de vous mettre
une liste de très, très nombreuses recherches qui existent parce qu'on
considère qu'il y a beaucoup de temps
et d'argent déjà qui ont été mis en recherche et que c'est assez, qu'il
faudrait agir, maintenant, en se basant sur les résultats de ces recherches, qui sont toutes les mêmes, toujours,
d'une recherche à l'autre, donc, j'imagine, ça prouve que les recherches
sont concluantes.
Si quelqu'un avait une envie folle de continuer
à faire des recherches ou ressentait le besoin d'approfondir la question encore plus, on trouve que c'est sur les
clients et les proxénètes qu'il faudrait faire des recherches pour éviter aux
jeunes de devenir clients ou proxénètes puis pour identifier les facteurs de
risque qui transforment un jeune homme en proxénète.
On sait déjà
que la plupart des femmes qui sont proxénètes l'ont fait parce que c'était une
façon, pour elles, de sortir de
l'industrie du sexe, et on espère collaborer avec vous de façon à ce qu'il y
ait des alternatives un peu plus constructives qui s'offrent aux femmes. Présentement,
il y a devenir proxénète, accepter la pauvreté, il y en a un peu d'autres,
mais... puis on a de l'aide, mais il n'y a rien d'adapté encore.
Pour empêcher
les clients et les exploiteurs qui existent déjà de sévir, appliquer les
lois déjà existantes serait, selon nous, une solution. En fait, la solution est là,
il reste à l'appliquer. Et les pays nordiques peuvent servir d'exemples pour
ceux qui ne sauraient pas trop comment
appliquer les lois. Il y a des policiers, dans les pays nordiques, qui sont
excellents pour expliquer comment ils
font. Les femmes qui cherchent des clients et les exploiteurs qui cherchent des
victimes n'ont aucune difficulté à
trouver ce qu'ils cherchent. Je suis donc... Moi et mes consoeurs, on est
persuadées qu'avec une réelle volonté
et en y mettant de réels efforts les forces de l'ordre sont capables de trouver
les personnes à risque et les exploiteurs.
On considère
aussi que ça prend des formations adéquates pour les policiers et les
intervenants divers, parce qu'on
peut comprendre que, malgré la capacité
qu'ils ont clairement de trouver les exploiteurs et les femmes, ça peut être
compliqué un peu de savoir comment
aborder le truc et ça peut créer des malaises. Alors, on est aussi disponibles
pour offrir ces formations ou pour référer vers des formateurs et
formatrices qui sont excellentes dans leur domaine.
Finalement,
on vous invite aussi... on vous recommande fortement de ne pas écouter les
arguments qui condamnent l'arrestation
des clients et prétendent que c'est dangereux pour les femmes que leurs clients
se fassent arrêter. Ces arguments proviennent
directement de l'industrie du sexe, et cette industrie a intérêt à ce que
l'exploitation sexuelle perdure, s'aggrave et soit normalisée. Les
arguments qu'ils sortent sont donc semi-objectifs, voire absolument pas
objectifs ni pertinents.
En
ce qui a trait aux interventions, on considère que des interventions
personnalisées, respectueuses du rythme des femmes sont celles qui ont le plus de succès, dans la mesure où elles
sont faites au sein d'une relation aidée-aidante égalitaire et non hiérarchique. Des attentes envers la
personne qui est aidée ou trop de conditions à l'aide nous semblent plus
nuisibles qu'autre chose, et le
renforcement positif peut être efficace mais doit être utilisé avec jugement
pour ne pas que la non-atteinte d'un
objectif remette en question le soutien apporté à la femme et l'obtention de
bénéfices qui lui sont absolument essentiels pour sa survie. C'est des genres
d'interventions qu'on a déjà vues et qui ont été très contre-productives.
Le simple fait d'oser croire qu'on peut sortir
de la prostitution est déjà quelque chose quand on s'est fait répéter, répéter et répéter sans arrêt qu'on avait besoin
de son pimp ou... peu importe, quand on a l'estime complètement démolie par les commentaires dégueulasses de plusieurs
clients. Alors, les femmes qui osent essayer de sortir de la prostitution et
demander de l'aide ont déjà fait un grand
pas et méritent clairement d'être soutenues et encouragées. Ce n'est pas
nécessaire, en plus, d'ajouter une tonne de conditions.
• (15 h 20) •
Avoir la possibilité de parler de ses difficultés sans craindre
d'être pénalisée, se sentir jugée ou d'être culpabilisée est clairement aussi important. Ça peut sembler évident pour certains, mais
visiblement ça ne l'est pas pour toutes les personnes qui tentent de nous aider, et je ne pointe aucun
organisme ni... je pointe vraiment certains individus. On s'en fout, en fait. Je
fais des recommandations, je ne pointe personne.
L'approche
féministe, l'apport de pairs aidants et une adaptation de l'approche
alternative en santé mentale semblent être
des avenues plus prometteuses que des approches comportementales basées sur
l'atteinte d'objectifs et l'évitement de comportements. Il ne faut pas perdre de vue que les femmes à soutenir
ont été privées de leur liberté de choix d'action et parfois même de pensée avant de souhaiter que ça cesse. C'est
des femmes qui sont généralement brisées et souvent défavorisées, mais ce ne sont pas non plus des
enfants, et elles sont capables de réflexion, d'analyse et d'introspection. Il
ne faut pas juste leur dire qu'on a
confiance en elles pour les encourager à continuer malgré les obstacles, il
faut avoir confiance en elles. La majorité
d'entre nous avons toléré trop de mensonges, d'hypocrisie et de fausses
promesses pour pouvoir encore être
capables d'en digérer, et une relation réciproque basée sur l'honnêteté, la
confiance, le respect, l'écoute et l'ouverture
semble être la meilleure voie à suivre en intervention.
De façon plus
concrète, toujours en intervention, faciliter l'accès des femmes à
des moyens de communication qui peuvent sembler acquis pour certains, tel qu'un
téléphone, c'est aussi une excellente façon d'assurer la continuité du suivi.
Une femme qui n'a pas de téléphone peut
parfois avoir certaines difficultés à communiquer avec un organisme XYZ
et ce, même si l'organisme est super bien intentionné. Un téléphone, aussi, offre aux femmes
l'opportunité de faire plus facilement
les nombreuses démarches qui sont nécessaires
à un début de sortie de prostitution et au long processus qui suit la volonté
de sortir de la prostitution. Alléger la
lourdeur administrative de ces
démarches-là, et faciliter l'accès aux services publics essentiels, et aussi un
minimum de confort et de sécurité aident aussi les femmes à être encouragées à
poursuivre le suivi et le processus.
Assurer un suivi médical humain et adapté aux
besoins et à la condition des femmes est aussi nécessaire parce qu'il y a des conséquences de la prostitution qui
touchent directement pas juste la santé des femmes, mais aussi la perception
qu'elles en ont. Encore une fois, ce serait
vraiment très long, commencer à vous parler de dissociation et de
décorporalisation, mémoire
traumatique et compagnie, mais il y a beaucoup de recherches qui en parlent, on
va les mettre dans notre mémoire. C'est
des concepts qui doivent, par contre, être compris par le personnel soignant
qui est appelé à travailler auprès des victimes d'exploitation sexuelle
pour que les soins soient adéquats et adaptés. Ces connaissances-là, jumelées à
une intervention adéquate, comme décrite
tout à l'heure, contribueraient, selon nous, à permettre aux femmes de
rencontrer moins de problèmes de
santé physique et d'être plus facilement en mesure de se réapproprier leur
corps, d'en prendre soin et d'accepter les limites ou séquelles
permanentes que la prostitution a pu avoir sur lui.
Il y a aussi
tout le... En ce qui a trait à la sécurité financière et à la pauvreté, c'est
sûr que c'est essentiel. Il faut que... Il y a beaucoup de... en fait, c'est pour répondre à une des questions
qu'il y avait dans le document de consultation aussi. Il y a déjà beaucoup de programmes qui existent et
qui sont mis en place pour d'autres clientèles, telles que les itinérants ou
les gens qui ont des problèmes de santé
mentale, qui pourraient être adaptés. J'ai en tête un exemple, c'est ceux qui
sont... les subventions à la personne
pour le logement commencent un peu,
là, il y a un partenariat qui existe présentement avec la
Maison de Marthe et les organismes qui s'en occupent, qui font que les femmes
ont une subvention à la personne au lieu
d'être mises sur une liste d'attente interminable, qui leur permettront éventuellement d'avoir accès à un HLM, on espère, adapté, et dans un quartier qui leur plaît. Donc, il y a beaucoup
de programmes qui existent déjà et qui pourraient être
modifiés ou bonifiés.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci, Mme Sullivan. Vous avez dit... vous avez répondu à une question.
On est justement rendu à cette période d'échange avec les membres de la commission. Merci
beaucoup pour votre témoignage. Alors,
on va commencer avec la députée de Lotbinière-Frontenac.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) :
Bonjour. J'aimerais ça que vous me parliez... Quelle aide que vous apportez
aux femmes, votre collectif?
Mme Sullivan
(Rose) : On crée des
contacts entre femmes, donc ça fait des réseaux de solidarité. C'est un peu le
même principe que les pairs aidants en santé
mentale, mais là c'est les pairs aidants en prostitution. Il n'y a pas de... Il y a une formation qui a été déjà donnée
à Montréal, à la CLES, de pairs aidantes, puis nous, on n'en est pas là, on
fait juste créer des contacts entre femmes
qui ont un vécu semblable et qui peuvent... qui se sentent plus libres de
parler de leur vécu, mais aussi de leurs problèmes. Parce qu'il y a
encore, c'est ça, en intervention, des améliorations à apporter, puis il n'y a pas beaucoup
d'organismes non plus, ça fait que ça compense pour ces
lacunes-là. Et puis aussi, bien, c'est juste comme une approche.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) : Vous êtes combien d'intervenantes?
Mme Sullivan (Rose) : Bien, il n'y a pas d'intervenante, on est toutes des femmes qui ont un vécu semblable et qui
s'entraident entre elles, mais, depuis cinq ans, on... Bien, je veux dire, je
suis un peu centrale, en tant que cofondatrice, là, puis il y a au moins 200 femmes qui ont été... qui ont
contacté le CAFES, qui ont été mises en contact avec d'autres ou qui ont fait appel... Au début, on offrait des
services de première ligne et tout, puis on a essayé très, très
fort, là, mais, bon, on n'a pas de subvention
puis on n'a aucun budget, ça fait que ça n'a pas été simple. Là, on est
plus... maintenant que les réseaux sont créés, c'est plus... on a
plus tendance à référer les femmes vers d'autres femmes qui vont pouvoir les
aider. Puis aussi, c'est ça,
on offre des services de référence, on a fait des formations, des activités de sensibilisation, on fait de la défense de
droits aussi, collective, ça arrive, individuelle aussi, en appelant dans des
endroits, là. J'ai un exemple en
tête, là : Revenu Québec qui
tarde à envoyer un chèque à une femme dont la survie en dépend, là, on appelle,
on met un peu de pression, puis habituellement ça fonctionne. Ça fait
que c'est plein de petits trucs comme ça qu'on fait.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) : Puis vous dites qu'on devrait se pencher sur
la pauvreté des femmes. C'est quoi, vos solutions?
Mme Sullivan (Rose) : Bien, c'est ça, il y a beaucoup de programmes qui
existent déjà. Les femmes ont à peu près... Je n'ai pas de statistiques puis je n'irais pas jusqu'à dire 100 %,
mais 90 % au moins des femmes que personnellement j'ai côtoyées et soutenues sont insatisfaites de leur
situation en logement, tout en étant incapables ou difficilement capables de
payer son loyer. Puis là les études aussi
sur les conditions de logement, il y en a beaucoup, là. Ça fait que, tu sais,
déjà, en partant, juste de faire en
sorte que les besoins fondamentaux des femmes soient comblés, ça aiderait,
selon nous, les femmes à sortir de la prostitution.
Et puis, bien, tu
sais, c'est sûr qu'il y a déjà des mesures qui ont été discutées socialement,
telles que le revenu minimum garanti ou le salaire minimum à 15 $ de
l'heure.
Il y a aussi des
mesures qui pourraient être mises en place qui existent déjà. En violence
conjugale, par exemple, une femme qui va
dans une ressource d'hébergement a droit à un chèque d'aide sociale plus
rapidement que le commun des mortels
qui fait une demande comme n'importe qui, mais ce n'est pas nécessairement le cas.
Tu sais, je veux dire, une femme qui
décide de sortir de la prostitution du jour au lendemain puis qui n'a pas
nécessairement besoin d'aller dans une maison pour femmes en difficulté ne va pas voir son chèque arriver plus
rapidement. Au contraire, il y a des femmes qui se sont fait demander par leurs agentes d'aide sociale
pourquoi elles désiraient cesser leurs activités. Donc, tu sais, juste avancer
un peu les mentalités pourrait aider aussi
parce que ça ferait en sorte que les gens comprennent qu'une femme souhaite
quitter l'industrie du sexe et activent peut-être les mécanismes qui
sont déjà en place et qui permettent aux gens...
• (15 h 30) •
En
fait ce qu'il y a, c'est que les femmes ne sont pas nécessairement considérées
comme étant défavorisées et/ou en
danger, quand elles souhaitent quitter l'industrie du sexe, mais c'est
clairement le cas, parce qu'une femme qui prend conscience de l'exploitation qu'elle subit, après avoir pensé pendant,
des fois, de nombreuses années, qu'elle était libre de ses choix, c'est des femmes qui sont à un moment
extrêmement fragile, là. On observe que c'est là que les idées suicidaires
puis les mises en danger plus ou moins volontaires, et involontaires, et/ou
inconscientes ont lieu.
Donc,
si c'était possible de juste, en tant que société, considérer qu'une femme qui
souhaite sortir de la prostitution est
en danger et a besoin d'aide en urgence, déjà, on aurait fait un grand pas.
Parce que le temps que ça prend, des fois, pour que la femme qui demande de l'aide en obtienne, ça se peut qu'il y ait
comme un genre de cercle vicieux de pauvreté qui va s'installer, même si elle a
l'aide rapidement, mais qui va peut-être être un peu moins profond.
Le fait aussi de...
Bon, je pense que j'ai répondu, là.
Le Président (M. Lafrenière) :
Oui, merci beaucoup.
Mme Sullivan
(Rose) : C'est parce que je pourrais en parler vraiment longtemps.
Le Président (M. Lafrenière) : On a un grand défi, on a encore huit questions.
C'est tellement intéressant. Alors, députée
de l'Acadie. Je vous répète d'essayer de garder les questions courtes et les
réponses courtes, s'il vous plaît. Députée de l'Acadie.
Mme St-Pierre :
Oui. Merci, M. le Président. Écoutez, je vous écoute puis je suis vraiment
impressionnée parce que vous nous
parlez de votre expérience, finalement. Vous êtes dans une organisation qui est
un réseautage de femmes qui sont passées à travers la même chose.
On constate, dans nos
travaux, que le client abuseur ne se sent pas beaucoup concerné et il ne semble
pas avoir beaucoup de remords. Est-ce que
vous auriez des pistes de solution pour nous amener à ce qu'on puisse agir
davantage sur le client abuseur? Il y
a des lois, mais est-ce que les lois... Est-ce qu'après ça on devrait... Est-ce
qu'on devrait les mettre sur un registre, publier leur nom, les
identifier, les taguer, comme on dit en bon français?
Puis, si
c'est possible, j'aimerais ça que... je ne veux pas aller trop loin, mais
j'aimerais ça que vous nous parliez un
petit peu plus de vous, parce qu'on va avoir beaucoup de spécialistes, dans
notre commission, qui vont venir nous dire qu'est-ce qu'ils font, mais
on a très peu de survivantes, et vous êtes une survivante, je pense.
Mme Sullivan
(Rose) : Oui, oui. Oui,
effectivement. Bien, pour répondre à la question à propos des clients, je
pense qu'il faut... avant de penser à
changer leur mentalité, il faudrait commencer par les trouver et les arrêter. Puis,
quand ça, ça sera mis en place,
j'imagine que ça va être peut-être plus envisageable... bien, plus possible de
savoir quoi en faire.
En même
temps, j'ai tendance à... J'aimerais vraiment discuter avec les femmes que je
représente pour répondre à la question d'est-ce qu'on devrait les taguer
puis... parce que c'est un peu...
Mme St-Pierre :
...acheminer des suggestions.
Mme Sullivan
(Rose) : Oui, parce que
c'est... Je ne suis pas certaine. Il
y a comme un genre de conflit de
valeurs qui se passe présentement dans ma tête. Mais bon.
Le Président (M. Lafrenière) :
...en passant, pour nous soumettre tout document.
Mme Sullivan (Rose) : Oui,
bien, c'est une question très pertinente.
Le
Président (M. Lafrenière) : Prenez le temps de consulter les gens que vous représentez. Sentez-vous
bien à l'aise.
Mme Sullivan
(Rose) : Puis c'est ça,
aussi, comme je disais tout à l'heure, il y a des pays nordiques et abolitionnistes de prostitution, qui appliquent les lois
réellement, qui... Ils les ont écrites et ils les ont même appliquées. Puis je
pense qu'on peut prendre exemple
sur eux parce que, visiblement, ça fonctionne. C'est des pays où la
prostitution est maintenant considérée de la même façon qu'ici la
violence conjugale est considérée.
Il y a
une époque où la violence conjugale était tolérée, banalisée et acceptée, puis,
à un moment donné, il y a des femmes
qui ont fait : Ça n'a pas de bon sens. Puis maintenant, un homme qui bat
sa femme, on considère que c'est un lâche, puis c'est de plus en plus
rare qu'on entend dire que la femme a couru après.
Ça fait que
la société évolue à cause des gens qui en font partie. Puis je pense que la
Suède est un bon exemple de société
qui a bien évolué par rapport à la prostitution. Puis, en Suède, il y a
des... quand tu expliques à un enfant qu'il y a des pays où les hommes
peuvent payer pour avoir du sexe, les enfants sont outrés, hommes ou... bien,
garçons ou filles. Donc, je pense
qu'en fait la meilleure réponse à cette question-là, c'est qu'on pourrait
suivre l'exemple des pays qui l'ont déjà fait. Ah! Puis...
Mme St-Pierre :
Et vous, est-ce que vous avez un message personnel à nous donner?
Mme Sullivan
(Rose) : Bien, plus que ça,
tu sais, je... En fait, c'est ça, le message que j'aimerais passer, c'est que
vous avez clairement... On en fait beaucoup,
au CAFES, on en fait beaucoup en tant
que survivantes de la prostitution. Ce n'est
vraiment pas un quotidien facile, qu'on vit, puis ce n'est pas pour rien qu'on
s'entraide et qu'on se soutient mutuellement. C'est vraiment nécessaire. Puis, malgré nos difficultés et tout, en cinq
ans, on a réussi à aider beaucoup de femmes puis on a réussi à sensibiliser beaucoup de gens. Donc, le message principal
que j'aimerais passer aujourd'hui, c'est que vous avez vraiment, vraiment plus de pouvoir et de... vous
avez vraiment plus de moyens et de pouvoir que nous pour faire avancer
la situation, puis j'espère très fort que vous allez en profiter et en faire
bon usage.
Mme St-Pierre : Merci beaucoup.
Mme Sullivan (Rose) : Ça me
fait plaisir.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Député de Chomedey.
M. Ouellette : Vous nous mettez une responsabilité sur les épaules qui est grande. On veut bien, alentour de la
table, utiliser ce pouvoir-là, mais encore faut-il savoir dans quelle sphère
l'utiliser, parce que...
Je vous entends puis je vous écoute, on a reçu beaucoup
d'experts, on va en recevoir beaucoup. On nous a beaucoup parlé de ce qui amène
les gens à la prostitution, ce qui en sort. On nous a beaucoup
parlé d'un système ou d'une entente, on appelle ça une entente
multisectorielle, mais qu'il y a beaucoup d'organismes qui s'occupent de beaucoup
de gens.
J'ai comme
l'impression qu'à un moment donné, bon, on arrête de s'occuper de ces gens-là,
et les survivantes du collectif,
bien, ils sont entre deux eaux, ou entre deux chaises, ou ils sont à
l'extérieur du système qui est organisé. Ils sont démunis ou ils sont
dans une position, je vous dirai, vulnérable. Vous nous avez beaucoup parlé de
pauvreté.
Je veux
essayer de comprendre, là. Les survivantes qui sont en contact avec le
collectif, c'est des gens qui ont passé dans le système, que le système ne s'occupe plus d'eux autres, ou c'est
des gens qui sont, je vous dirais, hors délai ou hors norme pour le système, là? Je pense que ça fait
partie des choses qu'on a besoin de savoir pour être en mesure de vous aider,
parce que vous avez... les survivantes de
votre collectif, vous avez une expérience qui est unique, ce n'est pas une
expérience théorique d'université, là,
vous avez une expérience qui est unique, et il faut qu'on soit capables d'en
tenir compte dans les décisions que, collectivement, on aura à prendre.
Mme Sullivan (Rose) : Quand
vous parlez du système, vous parlez de l'aide qui est organisée pour les femmes
qui veulent sortir de la prostitution?
• (15 h 40) •
M.
Ouellette : De l'aide... je
veux dire, mettons, l'intervention de la DPJ à un certain moment,
l'intervention des psychologues, des
sexologues à un autre moment, l'intervention de la police à un troisième
moment. J'ai comme l'impression que, quand tout ce monde-là est passé,
là, qu'on a pensé que la personne, la survivante, est sortie... ou qui est
peut-être en bonne position, là, il y a comme un... je vais employer
l'expression anglaise, un no man's land, là.
Mme Sullivan
(Rose) : Bien, en fait, non,
je ne pense pas que c'est... Ça, c'est une question de perception, là. Au
CAFES, il y a des femmes qui sont encore
dans la prostitution et qui souhaitent en sortir, puis il y a des femmes qui en
sont sorties depuis 20 ans. Le point
commun des femmes, c'est qu'elles ont un vécu de violence prostitutionnelle et
des problèmes liés à ça à régler, gérer ou avec lesquels elles doivent
apprendre à vivre.
Puis le
système est là, puis, si on en a besoin, on y fait appel de notre mieux. Des
fois, ce n'est pas adapté. Dans ce temps-là, on essaie de trouver
comment on peut, nous, s'adapter au système qui ne l'est pas.
En fait, ce
qu'il y a, par rapport au système, c'est que l'exploitation sexuelle est comme
une nouvelle problématique. Ça ne
fait pas superlongtemps que les gens sont à l'aise de parler de prostitution
puis de... encore moins longtemps que ce
n'est plus banalisé puis que ce n'est plus considéré comme un métier comme un
autre. Donc, ce n'est pas encore uniformisé. Il y a des femmes qui peuvent aller voir un médecin puis raconter leurs
problèmes en incluant la prostitution qu'elles vivent sans qu'il y ait
de problème. Il y en a d'autres qui peuvent aller voir un médecin, puis ça ne
va pas se passer très bien à cause de ça. Il
y a des préjugés qui commencent à s'atténuer, mais il y en a qui perdurent.
Puis il y a des services qui, d'une région à l'autre, sont différents ou
ont une façon de penser la prostitution qui est différente.
Donc, en
fait, ce n'est pas qu'on... — je vais dire ça, mais il ne faut pas le prendre au
pied de la lettre — ce
n'est pas tant qu'on est sorties du
système qu'on n'y a jamais vraiment été intégrées, j'ai l'impression. Mais il y
en a qui ont déjà été des personnes
très, très fonctionnelles en société et tout, mais, en même temps, c'est ça,
les facteurs de risque qui nous ont
précipités dans la prostitution sont aussi des facteurs qui peuvent nous avoir
un peu marginalisées, pour certaines, pas toutes encore.
Puis le fait d'avoir été dans la prostitution,
ça fait aussi en sorte que, pour certaines femmes — il ne faut jamais généraliser, là, ça fait que, des fois, je dis
«on», mais c'est ça — ça peut
être difficile de demander de l'aide ou... Il y en a qui ont des craintes. Comme par rapport à la DPJ,
par exemple, il y a des régions où une femme qui dit qu'elle vit de sa prostitution va se faire enlever ses enfants
automatiquement sans autre raison puis il y a des endroits où la femme va être
soutenue. Ça fait que ça devient un peu
difficile, en tant que paire aidante, de dire : Oui, oui, tu peux en
parler à la DPJ. Il n'y a pas d'aide
uniformisée ni de corridor de sécurité et de filet social qui est fait exprès
pour la clientèle qu'on est, en fait.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : Merci, M. le
Président. Bonjour. Merci d'être là sur un cours délai.
Moi, j'ai
deux obsessions dans cette commission-là : Comment on casse la demande
puis comment on fait une sortie réussie?
Et puis vous avez abordé toute la question de l'insécurité économique puis vous
n'êtes pas la seule. Il y a d'autres personnes
qui vous ont précédée aujourd'hui, hier, avant-hier, qui parlaient que la
pauvreté pouvait être un facteur soit de maintien dans la prostitution ou soit de retour. Puis souvent d'autres
personnes nous ont aussi dit que c'est rare qu'une sortie se fait à la
première tentative, c'est souvent un aller-retour.
Est-ce que,
dans ce que vous connaissez, dans les femmes que vous côtoyez, c'est quelque
chose que vous avez entendu souvent, cette question d'aller-retour-là
qui est favorisée par les conditions de pauvreté?
Mme Sullivan
(Rose) : Oui, clairement. Il
y a d'autres facteurs aussi qui peuvent provoquer les allers-retours dans
la prostitution, mais c'est clairement la pauvreté puis l'insécurité financière
qui est le premier facteur de retour dans la prostitution.
Parce que, quand une femme décide de sortir de la prostitution, c'est parce
qu'elle a compris qu'elle était... Ça peut
être pour autre chose, là, tu sais, genre : Mon chum ne veut pas, mais, je
veux dire, quand une femme a vraiment souhaité ardemment sortir de la prostitution, puis compris qu'elle était
exploitée, puis qu'elle était la marchandise d'une industrie gigantesque, la femme ne veut pas retourner dans
la prostitution. Il faut vraiment qu'elle soit à un niveau d'insécurité
financière assez catastrophique pour
le faire. Mais c'est fréquent, malheureusement, que les femmes sont dans une
situation catastrophique financièrement, même plusieurs années après,
parce que les séquelles non plus ne sont pas reconnues.
Tu sais, on
pourrait aussi parler pendant des heures et des heures des régimes d'invalidité
existants et semi-efficaces, mais,
bon, on n'a pas le temps. Mais c'est ça, tu sais, il y a autant l'IVAC que
l'aide sociale qui offrent un... voyons, tu sais, il y a trois niveaux,
là. Il y a celui pour les prestations d'invalidité, je veux dire...
Je vais
parler de moi à la dame qui voulait que je parle de moi. Moi, mon médecin a
signé huit papiers, à date, qui expliquent que je suis en invalidité
permanente, puis j'ai présentement 660 $ par mois de l'aide sociale. Ça
fait qu'on pourrait en parler vraiment
longtemps, de l'insécurité
financière. Mais c'est ça, c'est clairement un facteur de retour dans la prostitution, oui.
M. Leduc : Merci beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup. Députée de Les Plaines.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, merci beaucoup pour votre
témoignage. Il est éclairant pour
nous. Vous avez dit des grandes vérités. Celle que moi, personnellement, mais, j'imagine, mes collègues aussi
retiennent le plus, c'est : Si on casse, justement, la demande, si on
va au coeur de la problématique, c'est... Tu sais, il n'y
aurait pas d'offre s'il n'y avait pas de demande, hein, et les protagonistes de
cette demande-là, ce sont les proxénètes et les clients abuseurs.
J'aimerais
ça vous entendre sur... Il y a un chemin maintenant, aujourd'hui, de plus en plus, c'est le Web, ce sont les réseaux sociaux. J'aimerais vous entendre. Quelle serait, pour vous,
la solution pour aller... Les policiers font un travail de veille, et tout ça, mais y a-tu quelque chose d'autre qu'on pourrait faire, qu'on pourrait mettre de l'avant pour
essayer d'enrayer ce chemin-là de...
Mme Sullivan (Rose) : Bien, je pense qu'Internet est très, très
vaste, puis c'est probablement une des... C'est comme un exemple très concret du fait qu'on aura beau... Tu sais,
je ne dis pas qu'il ne faut pas tous les arrêter, là, je veux dire, j'aimerais qu'il n'y ait plus aucun client qui
existe, mais en même temps ça démontre qu'il y a toujours
un risque qui va exister, malheureusement. Et donc, devant cette évidence que malgré tous les efforts qu'on
pourrait déployer il va toujours
rester des prédateurs sur la terre, bien là,
il reste à diminuer les facteurs de risque des femmes d'être attirées par ces
prédateurs-là.
• (15 h 50) •
Puis
on en revient à l'insécurité financière et les autres facteurs de risque. Tu
sais, devant le fait qu'il y a des prédateurs qui existent, il faut faire en sorte que les proies potentielles n'en soient
plus. Ça fait que je pense que pour, tu sais, le côté qui est un peu plus difficile... Mais il y a clairement
aussi des moyens à prendre pour les forces de l'ordre, qui permettraient
de trouver plus facilement,
là, tu sais, les recruteurs et tous ceux qui sévissent sur Internet, là. Il y a déjà
aussi d'ailleurs des lois qui existent puis des mesures qui existent,
qui ne sont visiblement pas non plus comprises par tous les policiers ni appliquées de la même façon. Mais, tu sais, c'est
une question de... je pense qu'à ce niveau-là c'est une question
de cohérence, de clarté puis peut-être
aussi de volonté politique et/ou... je ne sais plus, là, c'est à quel
niveau, là, tu sais, je veux dire, volonté policière...
Mais
ça me ramène aussi au fait qu'être partial en politique, 50-50, et dans tous
les autres domaines aussi, tu sais, je
me dis, ce n'est pas une... je ne suis pas sexiste, là, mais c'est des hommes,
les acheteurs, ça fait que je me dis : Si... C'est sûr que, dans un... Je vais dire un poste de
police, parce que c'est un exemple comme un autre, là, mais ça peut être un bureau
d'avocats, peu importe. C'est sûr que,
considérant que les professions qui peuvent le plus agir pour contrer la
prostitution sont surtout occupées par des hommes, ça crée déjà un
problème auquel on pourrait s'attaquer pour régler comme l'origine du problème, là. Donc, je pense qu'une parité
hommes-femmes plus grande en politique, mais aussi dans les professions liées à la justice puis aux forces de l'ordre,
pourrait aider aussi beaucoup en diminuant juste, tu sais... Ce n'est pas parce
que j'ai quelque chose contre les
hommes non plus, là, mais ça diminuerait le taux de risque qu'il y ait
des clients parmi les... je veux
dire, on sait, c'est tout à fait normal, là, que, si un policier adore exploiter
sexuellement des femmes, il soit semi à l'aise d'aller arrêter des
clients, là. C'est vraiment plate, mais c'est comme ça.
Puis
les clients proviennent de partout et de toutes les... C'est toujours
écrit «de toutes les couches de la société»,
dans les recherches, mais, dans les faits,
les hommes les plus pauvres et vulnérables, démunis, sont rarement des clients.
C'est mes observations... tu sais, je
veux dire, il n'y a pas de recherche, là, mais ce que j'observe, c'est que les
hommes qui n'ont pas beaucoup
d'argent ne sont pas autant clients que ceux qui en ont beaucoup.
Tu sais, il y a beaucoup une question de... je pense que Rose Dufour... je ne sais pas si elle en a
parlé, mais je sais qu'elle l'a documentée, là, la question
du pouvoir puis de... je veux dire,
ce n'est pas... il y a des facteurs qui font que les hommes font appel à
des prostituées, puis je pense
que ces facteurs-là doivent aussi être pris en considération dans la lutte aux
clients et, bien, aux exploiteurs, finalement.
Le Président (M. Lafrenière) : Merci
beaucoup, Mme Sullivan. Je suis
désolé, c'est tout le temps qu'on avait. Je veux vous remercier pour votre participation aux travaux de notre commission,
mais je veux aussi vous remercier, au nom de la commission, pour ce que
vous faites au quotidien, vous et votre regroupement. Merci beaucoup.
On va suspendre les
travaux quelques instants afin de permettre au prochain groupe de prendre
place. Merci.
(Suspension de la séance à
15 h 51)
(Reprise à 15 h 57)
Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite
maintenant la bienvenue au Service de police
de la ville de Gatineau et à Mme Nellie Brière. Je vous rappelle que vous
disposez de 15 minutes chaque pour votre exposé, et, par la suite,
nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission pour
une période de 30 minutes. Je vous demande de vous présenter, de nous
faire votre exposé, en commençant par Mme Brière.
Mme Nellie Brière et Service de police de la ville de
Gatineau (SPVG)
Mme Brière
(Nellie) : Parfait. Bon, tout d'abord, je vais me présenter. Je
travaille dans le domaine des réseaux sociaux depuis 2008, particulièrement en
mobilisation citoyenne, en culture, mais aussi en éducation. Je m'intéresse particulièrement aux rapports du numérique aux
jeunes et à leur rapport au numérique, aux familles. Je fais des interventions à ce sujet dans les médias, à Format familial,
aussi à Radio-Canada et à Drainville, mais aussi j'ai participé à
l'élaboration de capsules pour le Musée de la civilisation, une exposition qui commence, d'ailleurs, la
semaine prochaine... dans deux semaines, et aussi des capsules numériques avec un youtubeur pour faire un peu de
prévention à ce sujet. Bref, donc, je m'intéresse particulièrement aux plateformes les plus
populaires chez les adolescents, de la façon dont ils les utilisent et puis les
contenus avec lesquels ils sont en contact là-dessus.
Alors, aujourd'hui, moi, je viens... Je commence
tout de suite? C'est ça, je... Oui.
Le Président
(M. Lafrenière) : ...on est tout ouïe.
Mme Brière
(Nellie) : Alors, je viens
faire une intervention en lien surtout avec la prévention sur les médias
sociaux, étant donné que c'est mon
champ d'expertise. Je viens vous parler de quatre aspects en particulier. Là,
je vous transférerai mon mémoire
après, là, parce que... en tout cas, j'ai essayé de le faire, j'ai de petits
enjeux techniques, en tant que spécialiste du numérique. Bref, ça
arrive.
Donc, voilà,
je vais vous parler de quatre éléments, quatre éléments importants : le
premier, tout ce qui touche, en fait,
l'effet des algorithmes sur le rapport au monde et au développement de cultures
comportementales chez les adolescents; le
deuxième étant tout l'aspect des groupes criminalisés, qui jouissent d'une
grande notoriété et d'une grande capacité de diffusion sur les plateformes les plus populaires auprès des mineurs et
des adolescents, même après 18 ans. Et un autre aspect, c'est les enjeux qui sont soulevés par le manque
de littératie numérique, autant chez les adultes qui encadrent ces jeunes-là
que chez les jeunes eux-mêmes. Et mon
dernier argument, dans le fond, c'est sur le fait qu'il y a un manque flagrant
de contenu positif sur les
plateformes particulièrement parcourues ou utilisées par les mineurs, donc pour
venir contrebalancer, justement, l'impact des groupes plus criminalisés.
• (16 heures) •
Je reviens
donc à mon premier point, celui concernant les algorithmes. La plupart des plateformes sur les réseaux sociaux, vous en avez sûrement
déjà entendu parler, sont algorithmées. Alors, il s'agit
d'une série, dans le fond, de... une configuration
informatique pour sélectionner non seulement les contenus, mais les interactions potentielles
pour n'importe qui sur cette
plateforme-là. Ces algorithmes-là sont générés, évidemment, pour nous garder
captifs sur les plateformes. Donc, on nous présente constamment des contenus
qui sont attrayants ou qui renforcent constamment ce qu'on pense du monde,
ce qu'on aime, ce qui nous maintient,
finalement, actifs. Donc, les adolescents, qui sont particulièrement actifs sur ces plateformes de
réseaux sociaux là... Bien, ils le disent, d'ailleurs, il y a une
recherche du CEFRIO, là, qui mentionne que la première activité, le week-end, des 12-15 ans, sur les médias
sociaux, c'est d'être sur les réseaux sociaux. La semaine... C'est après le visionnement vidéo, c'est en deuxième, mais quand même.
Le visionnement vidéo, est-ce que c'est des réseaux sociaux quand c'est YouTube? Bref, grande question.
Mais dans tous les cas, alors, ils sont extrêmement exposés à ça. Ils
sont beaucoup moins dans une consommation de médias
traditionnels. Donc, ces plateformes-là sont algorithmées, ils n'en ont aucune
idée et ils se retrouvent face à un monde qui est complètement biaisé.
Et, s'ils se
retrouvent, par exemple, dans des univers où ce qui est valorisé, c'est
la culture «trap», hip-hop, gangsta, ce
qui est très populaire auprès des ados, bien, c'est constamment nourri par des
contenus qui les enferment et qui les enfoncent parfois dans, de plus en plus, des comportements valides au niveau de la violence, au niveau de l'hypersexualisation et au niveau manipulation d'armes, consommation de drogues.
Ils sont particulièrement exposés à ça, et on ne les expose à rien d'autre. Ils n'ont pas de rapport à l'altérité,
ils n'ont pas de rapport à la diversité. C'est le même phénomène
dans tous les phénomènes de
radicalisation, là, qu'on observe sur les réseaux sociaux, là, mais là c'est de
jeunes adolescents non outillés qui
n'ont pas les outils pour s'émanciper de ça pour avoir conscience qu'ils
baignent là-dedans. Alors, ça génère un terreau extrêmement fertile, évidemment, vous le comprendrez, pour des groupes
criminalisés, qui peuvent ensuite tirer sur des leviers assez facilement
ou identifier des jeunes qui sont davantage immergés ou influencés par ce genre
de culture là.
Alors, ces
algorithmes-là, il y a un sociologue français, Dominique Cardon, qui a fait des
travaux là-dessus et qui, justement, définit ce phénomène des chambres à
écho, qu'on appelle aussi des îlots comportementaux, donc ces îlots comportementaux là qui font en fait le même
phénomène que les gangs de rue. Ça finit par être des tribus, ça tribalise le
comportement, ça le rend encore plus tribal. Déjà qu'à l'adolescence c'est une
tendance, disons, sociologique, là, bien, c'est renforcé par les structures
mêmes de ces plateformes-là. Évidemment, vous comprendrez que les plateformes
qui renforcent le plus ce genre de structure
là, comme par exemple Snapchat, sont les plus populaires chez les adolescents,
bien souvent, parce que ça correspond à leur mode de socialisation.
Alors, mon deuxième élément, c'est le phénomène
des enjeux liés au manque de littéracie numérique, qui rend ces jeunes-là encore plus vulnérables. Parce que,
bon, déjà, on n'a pas conscience des algorithmes, mais non seulement ça,
mais, chez les plus jeunes, on est
extrêmement agile et morcelé dans sa façon de consommer des médias numériques,
dans le sens où on utilise plusieurs
plateformes et on change rapidement. On n'a pas la loyauté des non-natifs du
numérique ou des gens de plus... plus
âgés, disons. On va utiliser des fois cinq, six, sept différentes plateformes
pour différents groupes, pour différentes
activités. Et le fait qu'on change constamment, bien, ça exacerbe le manque de
littéracie numérique parce que ça
implique qu'on n'a pas nécessairement à gérer ces paramètres sur chacune
d'elles ou qu'on a bien compris les modes de diffusion et les paramètres de chacune de ces plateformes-là. Ce que
ça fait, c'est que, justement, on peut se retrouver à faire des publications,
sur ces plateformes-là, qui illustrent notre vulnérabilité, à certains moments
de notre vie, de manière totalement
publique et accessible par n'importe qui. Alors, n'importe qui de malveillant
peut identifier des individus en état
de vulnérabilité, entrer facilement en contact avec eux et avoir, donc, des
leviers pour les manipuler super facilement parce que le jeune n'a pas conscience de ça, et potentiellement ni ses
parents, ni ses enseignants, ni personne autour de lui. Donc, ça
nourrit, encore une fois, ce terreau fertile là.
Au niveau de
mon troisième point, c'est les groupes criminalisés qui jouissent d'une grande
notoriété et des systèmes de
diffusion efficaces. Là, je vous explique quelque chose, là, que vous ne
connaissez peut-être pas. C'est qu'il y a des groupes malintentionnés,
évidemment, malveillants pour toutes sortes de raisons, qui vont générer un
système de compte hypersuivi, hyperviral
parce qu'ils maîtrisent superbien ces infrastructures-là. Par exemple, ils vont
jouer sur le levier du besoin de
popularité chez l'adolescent qui veut avoir la notoriété et du crédit social.
Ils vont ouvrir des chaînes et demander... faire des appels de contenu, alors, s'attendre à ce que les jeunes
envoient des vidéos pour les mettre en scène, qui montrent à quel point ils font partie de cette culture un
peu gangster, «trap», etc. Donc, les vidéos, on les voit en train de poser des actes dégradants
sexuellement; des vidéos où on les voit en train de se battre, où on les voit
en train de manipuler des armes, de consommer de la drogue, etc. Et là il y a
une sélection de contenus qui sont diffusés sur ces chaînes extrêmement suivies à cause de leur matériel illicite, semi-légal. Bien, ils
deviennent attrayants, en quelque
sorte, et là, bien, tout jeune
veut se retrouver diffusé sur cette... bien,
pas tous les jeunes, mais, bref, il y
a des jeunes qui peuvent avoir envie
de se retrouver diffusés sur ces
chaînes-là parce que ça va lui donner une espèce de crédit social, d'avoir été
choisi : Regardez à quel point je suis haut gradé dans la rue. En
quelque sorte, là, c'est du crédit de rue, comme on pourrait le dire.
Et, ces
groupes-là, même si, par exemple, je sais que la police a conscience de ça, on
veut les fermer, mais c'est pratiquement
impossible de les attraper parce que, rapidement, ils peuvent fermer leurs comptes,
être fermés et le rouvrir, puis, quelques heures après, retrouver
presque la même audience, parce qu'ils jouissent de la densité du réseautage de
ces jeunes-là qui sont extrêmement réseautés, là. Vous avez peut-être vu des adolescents, le nombre d'amis qu'ils
peuvent avoir, parce qu'ils vont
cumuler tous les gens qu'ils ont côtoyés à l'école primaire, à l'école
secondaire, dans leur camp de jour,
etc. Puis c'est exponentiel, là, parce que des fois on a fait plus qu'une école
puis, bon, on veut être populaire, on veut
être réseauté avec le monde, on veut être un influenceur, hein, parce que c'est
très au goût du jour. Donc, ça veut dire que, si, par exemple, il y a un
changement de nom ou un changement d'URL, bien, par une espèce de circuit sous
omerta, en quelque sorte, par rapport
aux adultes, on s'envoie la nouvelle adresse puis on est... C'est même, encore
une fois, vu comme quelque chose de
très branché que d'avoir accès à ce nouveau compte-là, puis on veut montrer
qu'on est branché parce qu'on connaît
ce... Alors, en quelques heures, ils se rétablissent leur audience et ils
peuvent recommencer. Puis le temps
que la police, ou que les enseignants, ou que qui que ce soit retrouve ces
comptes-là, bien, il y a beaucoup de dommages qui sont faits parce que ce n'est jamais aussi rapide. C'est toujours un
jeu de chat et de souris avec des souris ultrarapides, disons.
Donc, mon
dernier aspect est en lien avec le manque de contenu positif sur les
plateformes. Parce que, là, je vous ai
exposés au phénomène de, bon, on est sur Snapchat... particulièrement,
d'ailleurs, Snapchat, Instagram et YouTube, ce sont d'ailleurs les plateformes où il y a des contenus éphémères qui
sont le plus propices à ça parce que, comme les contenus sont éphémères,
c'est très difficile de les modérer et de les signaler, parce qu'au bout de
24 heures... C'est comme les «stories»,
si vous voulez. Au bout de 24 heures, ces contenus-là disparaissent. Donc,
c'est impossible pour... si vous n'avez pas été là au bon moment. Ça prend une veille en temps réel presque en
tout temps pour être capable de les attraper, ces comptes-là, étant donné que ça disparaît
rapidement. Ça fait qu'à part sur YouTube, là, sur les deux autres endroits,
c'est souvent des trucs qui ne
restent pas. Et des fois, même, quand ce n'est pas en «story», quand c'est en
vidéo YouTube ou en vidéo sur
Instagram, vous allez voir qu'ils ne vont pas laisser le contenu plus longtemps
que 12 heures ou 24 heures. Ils vont les retirer eux-mêmes pour éviter d'être pris. Donc, même quand ce
n'est pas dans de l'éphémère, on génère de l'éphémère malgré tout pour
pouvoir rester inattrapable.
Donc, ces
contenus-là sont très fréquents, sont très populaires, et il n'y a pas beaucoup
d'autres types de contenus positifs
sur les plateformes les plus fréquentées. Je veux dire, Télé-Québec n'est pas
très, très active sur Snapchat, en général, ni Radio-Canada, et puis, s'il y en a, c'est vraiment au compte-gouttes.
D'ailleurs, encore une fois, je réfère à une recherche qui a été faite par le CEFRIO, là, parce qu'on
manque un peu de données, des fois, pour les mineurs, au niveau de leurs
habitudes sur le numérique, à cause des
règlements pour les protéger, là, on ne veut pas que ce soit du commercial qui
fasse des sondages à cet égard, mais
le CEFRIO est comme un organe mandaté. Ils ont fait, entre autres, une étude
sur le visionnement en ligne chez les jeunes, et, dans cette étude-là,
les jeunes rapportent un manque de contenu francophone québécois. Ils se plaignent d'une absence de contenu francophone
québécois. D'ailleurs, c'est pour ça qu'ils se retournent souvent vers les youtubeurs français et puis que,
là, vous allez entendre même des adolescents parler avec des expressions
françaises, parce qu'il n'y a pas assez de
youtubeurs québécois. Il n'y en a pas nécessairement avec beaucoup de contenu
étoffé parce qu'il n'y a pas de... on ne
finance pas ce genre de contenu là ou pas assez, au Québec. En fait, c'est un
désert, c'est un désert culturel sur les plateformes les plus
populaires.
• (16 h 10) •
Puis on
comprend que c'est parce qu'on veut valoriser nos plateformes. Au Québec, on a
ces enjeux-là. On veut Tou.tv, etc. Mais,
en faisant ça, bien, on ne se préoccupe pas des contenus avec lesquels nos
jeunes sont en contact. Parce qu'eux,
ils n'iront pas sur ces plateformes traditionnelles là. Ils sont sur YouTube,
ils sont sur Instagram, ils sont sur Snapchat. Donc, mon quatrième point est que... bien, le fait de n'avoir jamais
aucun modèle positif. On laisse la place à ces groupes-là à un peu donner la mesure culturelle de c'est quoi
être un être humain épanoui dans le monde, et ce n'est pas nécessairement
positif.
À la lumière
de mes observations que je viens de vous faire, je veux amener à votre
connaissance des conclusions ou des recommandations. Je vous ferai
parvenir le... J'ai vraiment tout noté ce que je vous ai dit aujourd'hui dans
un mémoire, là, sur lequel vous pourrez vous
référer. Le premier élément, c'est qu'il faut développer davantage la
littéracie numérique, surtout des personnes
qui encadrent, les enseignants, mais non seulement ça, les parents, parce que
ça commence souvent à la maison. Ça
commence plus jeune que ce que les règles de ces plateformes-là le permettent.
Bien, en tout cas, je pense que la
population en général a besoin de plus de littéracie numérique, mais
particulièrement pour protéger les mineurs, parce qu'ils ne développent pas eux-mêmes des habitudes qui sont saines,
des compétences qui sont nécessaires, mais que, non seulement ça, les intervenants sont un peu perdus là-dedans et ne
savent pas comment les accompagner, comment voir ce que je viens de vous illustrer-là. Souvent, les enseignants, je leur
apprends, alors que c'est monnaie courante chez leurs étudiants. Et il y a des enjeux aussi de dialogue
entre les jeunes et les plus vieux du fait que parfois on méprise un peu leurs
comportements en ligne, donc le jeune ne va
pas être porté à parler de sa véritable expérience et va plutôt tenir un
discours qui est attendu de lui. Donc, plus de littéracie numérique,
puis aussi travailler le lien de confiance.
Mes deux
autres recommandations. La deuxième, c'est encadrer la présence des mineurs
avec peut-être plus de réglementation
auprès des plateformes pour obliger des partenariats. Parce qu'on va se le
dire, là, ils n'ont pas 12 ans, quand ils vont sur Facebook, ils ont huit ans puis ils ont neuf ans. Puis,
même quand ils ont 12 ans, ils ne sont pas accompagnés. Puis là, bien, c'est sûr que la plateforme vous
permet de la signaler, mais ce n'est souvent pas fait parce qu'on accepte ça
socialement. Alors,
comment on fait pour protéger les mineurs? Bien, peut-être qu'il y a peut-être
un petit cadre réglementaire à mettre là-dedans pour forcer la main aux
entreprises privées, plutôt que de penser qu'ils vont le faire magiquement.
Et mon
dernier point, c'est que ça prend davantage de contenu positif. Ça fait qu'il
va falloir, à un moment donné, trouver une façon de financer des
contenus positifs pour les jeunes, sur ces plateformes-là, et de penser que,
bien, oui, peut-être qu'on veut protéger nos
plateformes, mais qu'il faut aussi faire connaître la culture d'ici et des
modèles positifs à ces jeunes-là dans leur écosystème médiatique. Voilà.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, Mme Brière. Maintenant, le Service de police de la
ville de Gatineau.
M. Beaudoin
(Luc) : Merci beaucoup. Je vais me présenter : Je suis Luc
Beaudoin, directeur du Service de police de la ville de Gatineau. Je suis accompagné par Mme Isabelle
Plante, chef de division, Recherche, développement et stratégie
organisationnelle du Service de police de la ville de Gatineau.
C'est avec un
engagement profond et grand intérêt que le Service de police de la ville de
Gatineau vous soumet un mémoire dans
le cadre de votre commission. Cette forme de criminalité, encore taboue et peu
visible aujourd'hui, n'en demeure pas
moins l'une des préoccupations majeures de notre société. Non seulement
l'exploitation sexuelle d'enfants vient heurter nos valeurs et créer une indignation, mais elle engendre aussi un
sentiment d'impuissance et d'urgence d'agir auprès des intervenants de
première ligne.
Voici donc un
portrait rudimentaire mais réaliste des enjeux que nous côtoyons
quotidiennement en tant que ville frontalière et distincte, en tant que région
métropolitaine faisant partie d'un tout provincial. Afin de tracer ce portrait,
nous tenons à préciser que nous avons
travaillé avec différents partenaires tels que nos agents de recherche, nos
sergents et lieutenants détectives
concernés directement par la situation et aussi des partenaires tels que les
centres intégrés de santé et de services sociaux de l'Outaouais.
Notre réalité gatinoise. Avec une population
d'environ 285 000 habitants et un territoire de 342 kilomètres carrés, Gatineau est la quatrième ville en
importance au Québec. Elle est la plus importante ville de la région
administrative de l'Outaouais et
forme, avec la ville d'Ottawa, la région métropolitaine d'Ottawa-Gatineau,
quatrième agglomération du Canada après Toronto, Montréal et Vancouver.
Parallèlement,
Gatineau est la première grande ville que croisent les gens provenant des
régions de l'Abitibi et du Témiscamingue. Elle est aussi un passage obligé
entre les grandes métropoles de Montréal et de Toronto, corridor connu
pour ses activités importantes d'exploitation sexuelle.
La situation
géographique de Gatineau lui offre ainsi une importante visibilité et un
attrait stratégique certain. De sa proximité avec la capitale nationale
fédérale, et en tenant compte de la présence de la frontière ontarienne avec
ses cinq ponts, la ville de Gatineau est,
sans équivoque, une plaque tournante qui favorise l'émancipation de divers
secteurs, tant démographiques,
culturels, qu'économiques. Elle attire ainsi bon nombre de gens qui, attisés
par la situation géographique, souhaitent
y vivre et en exploiter les avantages. Il y a donc présence d'une grande
fluidité de part et d'autre de la frontière. De ce fait, un fort pourcentage des Gatinois traversent ainsi les ponts
chaque jour en direction d'Ottawa pour non seulement se rendre au travail,
mais aussi bénéficier de ses restaurants, bars, espaces verts, centres
culturels et établissements d'enseignement.
Bien que la situation
de la ville en permette un développement florissant sur divers aspects honorables,
d'autres, un peu moins reluisants, en
bénéficient tout autant. Ainsi, l'industrie de l'exploitation sexuelle
profite aussi de l'emplacement et de la proximité des infrastructures de
choix que lui procure la municipalité gatinoise.
Non seulement l'exploitation sexuelle semble
être en constante évolution à Gatineau, mais elle fait aussi partie prenante des préoccupations citoyennes. Ainsi,
dans un récent sondage réalisé auprès de la population gatinoise, les
agressions sexuelles et la
pornographie juvénile sont en tête de liste en ce qui concerne les crimes
devant être priorisés par le service de police.
Je dois vous parler de notre service de police.
Le Service de police de la ville de Gatineau est un service de niveau 3. Notre plan d'organisation compte
390 policiers autorisés. Il est important de préciser qu'avec nos
différents projets spéciaux et nos policiers temporaires nous comptons
environ 470 policiers. Nous possédons ainsi le personnel et les compétences afin d'intervenir lors d'infractions
criminelles ou pénales telles que les agressions sexuelles, les infractions d'ordre sexuel, la pornographie juvénile,
l'extorsion de personnes vulnérables ou en situation de dépendance, le
gangstérisme, le proxénétisme, les maisons
de débauche, la prostitution de rue, les crimes reliés aux gangs de rue, les
disparitions et les fugues.
Depuis 2017, le service de police enquête les
dossiers de traite de personnes et d'exploitation sexuelle d'ordre provincial, en faisant partie de l'Équipe intégrée
de lutte contre le proxénétisme. En effet, deux sergents-détectives sont
affectés à cette équipe. Les dossiers locaux
sont, quant à eux, pris en charge par notre section des crimes majeurs.
Malheureusement, la charge de travail
ne permet pas d'attitrer exclusivement des enquêteurs aux dossiers
d'exploitation sexuelle de mineurs au
niveau local. Pourtant, il serait avantageux de pouvoir bénéficier d'une telle
équipe, considérant la nature des préjudices encourus chez les victimes mineures, la complexité de ces dossiers et le
désir clairement exprimé de nos citoyens d'en faire une priorité
À l'heure
actuelle, malgré le fait que le service de police et ses partenaires observent
une augmentation de ce type de criminalité dans la région gatinoise, il est
plutôt difficile de faire un portrait quantitatif précis de la problématique
de l'exploitation sexuelle des mineurs sur
le territoire. Jusqu'à tout récemment, aucun code de déclaration uniforme de
criminalité ne nous permettait
d'identifier rapidement les dossiers d'exploitation sexuelle impliquant des
mineurs. Ceux-ci se fondaient dans une section plus large des crimes sexuels.
À la
recherche de solutions, le SPVG a profité de l'entrée en vigueur de la Loi
modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d'autres dispositions,
plus particulièrement l'obligation contenue dans cette loi de signaler un
mineur à risque d'exploitation sexuelle, afin de créer un code temporaire
permettant de collecter cette donnée. Le tout est en processus d'appropriation et assurera, dans un
futur imminent, une cueillette de données probantes beaucoup plus efficace
et constante.
De plus, au
service de police, les sergents-détectives attitrés à l'équipe intégrée offrent
depuis peu une formation auprès des patrouilleurs afin de les
sensibiliser à détecter plus efficacement les facteurs de vulnérabilité ainsi
que les indicateurs associés à l'exploitation sexuelle. Cette sensibilisation
permettra non seulement d'améliorer la collecte de renseignements, mais
permettra avant tout de déceler plus efficacement les victimes potentielles.
Ainsi, dans un souci d'amélioration de ses
pratiques, le service de police travaille quotidiennement pour améliorer sa
collecte de données en la matière,
afin de comprendre et d'adresser plus proactivement la problématique de
l'exploitation sexuelle chez les mineurs à Gatineau.
Par contre,
nous devons être réalistes et conscients du contexte particulier de ce type de
criminalité qui nourrit un grand
chiffre noir. Le manque de dénonciation, le contexte d'exploitation, le
recrutement et les activités sur Internet et le fait que les victimes ne se considèrent pas comme des
victimes sont des faits ne pouvant qu'indiquer que le secteur de l'exploitation
sexuelle des mineurs cache sous son giron un
chiffre noir très préoccupant. Nous pouvons cependant être certains d'une
chose, il y a bien et bel un marché
d'exploitation sexuelle de mineurs sur le territoire de Gatineau, et des
actions éclairées et concertées s'imposent.
La complexification des démarches pour
intervenir à Ottawa. Du fait qu'il y a changement de province, il est généralement plus difficile et long de faire suivre et d'obtenir les documents
nécessaires, de part et d'autre de la frontière, afin
de permettre aux policiers d'effectuer une arrestation ou une filature auprès
d'une victime d'exploitation, de son proxénète
ou de leurs clients. Ainsi, ces derniers en font bon usage, profitent de la
situation et disposent habituellement d'une grande latitude dans leurs mouvements et leurs actions. Vivre à
Gatineau, y recruter des jeunes filles et ensuite quitter pour l'Ontario pour une soirée, voire quelques jours, y exercer
ses activités criminelles et revenir par
la suite à Gatineau
est une habitude prise par plusieurs proxénètes et jeunes filles et est clairement
présente sur notre terrain.
• (16 h 20) •
Mme Plante (Isabelle) : Je vais
maintenant vous parler de la mise en place complexe du modèle hub.
Les
différentes organisations présentes sur le territoire de Gatineau
sont des sources d'information incommensurables sur l'évolution de certains phénomènes sociaux. Toutefois,
le manque de communication, l'absence de partenariat solide diminue la
capacité du service de police à obtenir et transmettre aussi des informations
qui sont pourtant cruciales et ainsi détecter
en temps opportun des enjeux concernant la sécurité publique. La situation
dressée ci-dessus n'est évidemment pas propre
à Gatineau. Plusieurs municipalités présentent les mêmes constats. Certains corps de
police ont néanmoins trouvé des
solutions à ces difficultés et ont obtenu des résultats qui sont
formidables. Ces initiatives tracent la voie à une nouvelle façon de
faire au niveau policier.
Parmi ces
modèles à succès, le SPVG s'est intéressé plus particulièrement au modèle hub
de Prince Albert. Il s'agit en fait
d'une table de concertation multisectorielle qui rejoint plusieurs
partenaires, autant organismes publics qu'organismes communautaires, justice, éducation, santé, services
sociaux. Cette table permet d'offrir des services basés sur les facteurs
de risque. On est donc vraiment en amont.
Existant maintenant
dans plusieurs provinces canadiennes, le modèle hub se
veut être proactif et permet d'adresser en amont des situations à risque afin d'éviter une cristallisation des
facteurs de risque pouvant causer assurément des préjudices chez les individus. Ce modèle a été évalué et a
fait ses preuves. C'est pourquoi le SPVG tente depuis plusieurs
années de le mettre en place avec ses
partenaires. Nous avons donc rencontré et sollicité plusieurs
partenaires dans la mise en oeuvre de ce modèle. Nous avons pu constater que
le désir de travailler en amont est espéré et souhaité par tous.
Par contre, un noeud dans la mise en oeuvre
subsiste, il s'agit des contraintes législatives entourant le partage d'information
au Québec. Malgré un processus rigoureux et encadré de partage d'information,
le modèle hub cadre difficilement avec notre
législation québécoise. La mise en place de ce modèle est donc très complexe et
relève du défi. Pourtant, il va sans dire que l'utilisation de ce modèle
permettrait d'identifier certainement des jeunes à risque d'être victimes
d'exploitation sexuelle et, dès lors que les facteurs de risque seront
identifiés, leur offrir des services de façon systémique afin d'empêcher leur
victimisation future.
Pour vous dresser un portrait général des
enjeux, je vais vous parler des partenariats et des offres de services
régionaux qui nécessitent une bonification.
Le
partenariat avec les divers organismes et organisations oeuvrant de près ou de
loin avec les acteurs gravitant au sein
de la problématique de l'exploitation sexuelle est évidemment truffé
d'embûches. Certes, le désir d'aider les victimes de cette problématique est pourtant, de la part de
tous, sincère et grand. Cependant, divers facteurs font en sorte que le travail
commun et en amont est difficile. Les mandats diversifiés ou parfois obsolètes,
les ressources souvent manquantes ou non spécifiques, l'absence d'offre de services adaptés ne sont que
quelques-uns des enjeux avec lesquels nous devons tous transiger.
Actuellement,
donc, malgré le fait que la situation existe et prend de l'ampleur, les
services aux victimes d'exploitation sexuelle,
et mineures de surcroît, demeurent difficiles à trouver et encore plus à
obtenir. Il est encore de pires situations en ce qui concerne les
services pouvant être offerts aux agresseurs repentants.
Il est de plus important d'ajouter que, par
l'âge de la victime, qui nous importe ici, les échanges d'information, comme j'en faisais mention tantôt, avec les
partenaires, sont difficiles, timides, voire inexistants. Ne pouvant pas brimer
le droit à la confidentialité, il devient
alors difficile d'établir un plan d'intervention efficace, continu, soutenu et
uniforme entre les organisations.
Un autre
point, c'est que nos victimes d'exploitation sexuelle ne se voient pas comme
des victimes. Dans la dynamique particulière
de l'exploitation sexuelle, il en est de la particularité qu'une grande
quantité de ces victimes ne se définissent pas comme des victimes.
Ainsi, lorsqu'elle est isolée, démunie, sans ressources personnelles,
financières, parfois sans papiers ou réseau
social, les victimes ont souvent l'impression de demeurer en contrôle et
d'avoir le pouvoir de mettre fin à tout moment à
la situation dans laquelle elles se trouvent, que ce soit parce qu'elles ont
originellement choisi ce mode de vie,
attirées par l'argent, l'amour, la liberté, l'aventure, il semble parfois
difficile à accepter que les désirs de base ne sont plus contemporains. Croyant donc être encore en
possession de leur destin, ces victimes hésitent à dénoncer et à quitter une
dynamique dans laquelle elles se voient
souvent partie prenante. Pour la soutenir dans le difficile processus de s'en
sortir, l'aide et le soutien qui doivent lui être faits doivent être
offerts de façon constante et aussi promptement.
Il y a aussi
une banalisation sociale du concept de consentement. Il est important de
souligner que les croyances et les regards erronés que la société porte
sur l'industrie du sexe... On entend encore que les jeunes femmes adhèrent par choix, attirées par divers aspects, trouvent leur compte,
sans imaginer ou vouloir envisager que ces dernières sont souvent sous diverses emprises, dépendances les obligeant
physiquement et/ou émotivement à demeurer dans un environnement qui est néfaste et destructeur pour elles. Ainsi,
puisque de tels messages sont véhiculés ou on ne perçoit pas encore les femmes
comme des victimes, il est normal que ces dernières en fassent tout autant.
Dans le même
ordre d'idées, la société semble ne pas porter de jugement sévère à l'égard des
agresseurs, qui, au final, sont les
acteurs qui alimentent l'offre par leur demande. Ils nourrissent aussi ainsi,
de par leurs actes, l'industrie malsaine d'achat du corps comme objet sexuel. Une influence sociale massive de
réprobation et de refus d'acceptation face à ces agissements aiderait,
sans l'ombre d'un doute, à faire diminuer cette activité. Un changement de
mentalité et de moeurs à grande échelle et étalé sur plusieurs générations est
nécessaire afin de renverser ces croyances.
De plus, un
élément quelque peu difficile à contrôler, mais qui n'en est pas moins
préoccupant, est celui de la hausse des fugues chez nos adolescentes.
Dans l'ensemble de la province, une augmentation des fugues est observée depuis
quelques années. Dans la problématique qui
nous interpelle, évidemment, il va sans dire que les jeunes filles consistent
en des proies faciles, intéressantes
pour tout type d'exploiteur potentiel, tant pour des gangs organisés que pour
des proxénètes seuls qui agissent de
façon autonome. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence la tendance,
chez les adolescentes, à idolâtrer le
milieu de l'exploitation sexuelle — Mme Brière
en a fait référence tantôt — et
les acteurs, qui y voient parfois une
opportunité de jouer le rôle comme travailleuse autonome et de prendre ainsi
leurs parts du marché. Comme mentionné plus
haut, les jeunes filles, croyant au départ être consentantes et faire un choix
éclairé, tombent souvent dans l'engrenage de l'exploitation, qui est évidemment
malsaine.
Le manque
d'éducation. L'absence de projets de sensibilisation et de prévention pouvant
être dispensés, entre autres, par des
programmes scolaires conscientisés et actuels est un enjeu, évidemment,
majeur. Dans l'optique où nous
souhaiterions changer la vision sociétale et amener les futures générations à
porter un regard plus sérieux sur le phénomène de l'exploitation sexuelle, à les conscientiser aux dangers, il est
primordial de s'immiscer dans les secteurs scolaires mais aussi dans les secteurs familiaux afin de teinter
les méthodes d'éducation et les valeurs inculquées à nos générations futures.
Des lois ou
des procédures inadaptées. Diverses lois s'appliquant au domaine de
l'exploitation sexuelle sont utilisées sans
toutefois être maximisées ou adaptées aux situations spécifiques en découlant.
Ainsi, plusieurs imposent aux victimes de
témoigner et de demander une implication dans la construction de la preuve
qu'elles ont beaucoup de difficulté à livrer. Comme c'est le cas pour le reste de la société, le
regard que porte parfois la loi sur les victimes manque de considération et ne
perçoit pas toujours la multitude de
traumatismes, parfois énormes et constants, dans lesquels cesdites victimes
survivent et ont dû survivre.
Le Président (M. Lafrenière) :
En conclusion, s'il vous plaît.
M. Beaudoin
(Luc) : En conclusion. Définitivement, nous avons identifié certaines
pistes de solution. Je trouve que
Mme Brière était très douce envers l'univers virtuel. Moi, je considère
qu'il y a plusieurs activités qui se produisent dans un univers virtuel, dans un autre monde que
personne n'est présent. Donc, je pense qu'il va falloir assurer une présence de
cet environnement virtuel avec un certain encadrement, peut-être même des ressources,
puis je crois que c'est des ressources autres que policières. Il faut
vraiment des gens spécialisés dans le domaine.
Provincialement,
je crois que ça serait important d'uniformiser nos collectes de données pour
travailler avec des données probantes.
Définitivement qu'il faut encourager le développement de tables de
concertation. Comme nous l'avons dit,
il faut revoir nos lois québécoises pour faciliter l'échange
d'informations pour pouvoir agir en amont. C'est toutes des orientations, des
pistes de solution.
En conclusion,
bien entendu, plusieurs de ces propositions demeureront difficilement
réalisables si elles ne sont pas appuyées par un mandat clair, par des
lois et des règlements adaptés et flexibles les favorisant, par une
concertation commune à l'échelle provinciale
et par un budget s'y rattachant. Nous sommes cependant confiants que, dans
l'urgence de réagir et de prévenir,
la commission saura cerner l'ampleur de la problématique d'exploitation
sexuelle de mineurs et reflétera, dans ses propositions, des solutions à
la hauteur du sérieux de la situation. Merci beaucoup.
• (16 h 30) •
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup pour vos présentations. On va maintenant passer à la période d'échange, période de 30 minutes, avec les membres
de la commission. Et je vais y aller d'une première question technique pour Mme Brière, parce que, depuis le début de cette commission, on parle beaucoup
de médias sociaux. On a la chance de vous avoir avec nous. J'ai deux
petites questions techniques pour vous.
Tout à l'heure, vous avez parlé de plateformes. Je peux vous parler d'applications. On
en connaît plusieurs, que ça soit Kik, Whisper, il y a une
multitude d'applications qui existent. Le réflexe de l'ancien policier vous
dirait qu'on peut y aller en répression, les
faire fermer. Et, je pense, quand on a vu ce qui est arrivé du côté de
Backpage, où ça a causé plus de
problèmes que de bien, parce que Backpage donnait un bon coup de main aux
autorités policières à l'époque, je pense
qu'on y va plus en éducation. Ma question, ma première, va être : Qu'est-ce qu'on fait pour éduquer les parents et les enfants à ce niveau-là? Ça,
c'est la première.
La
deuxième, parce que j'essaie de mettre ça très rapide, la deuxième
question, on a parlé tout à l'heure de fugues et de disparitions de la part de
nos collègues de la police de Gatineau. Nos collègues américains utilisent beaucoup
la reconnaissance faciale pour retrouver des jeunes sur les sites
où on fait la promotion, justement, d'activités sexuelles. Au Canada,
il semble y avoir des limitations parce
qu'on n'est pas tout à fait à l'aise d'utiliser la reconnaissance faciale. J'aimerais vous entendre là-dessus.
C'est une question qui est beaucoup plus philosophique que technique.
Mme Brière (Nellie) : Oui, tout
à fait.
Le
Président (M. Lafrenière) : Si vous êtes capable, en quelques secondes... Sinon, jusqu'au
1er mars, on peut recevoir un document de votre part. Merci.
Mme Brière (Nellie) : O.K. Au
niveau de l'éducation, en fait, déjà, d'intégrer peut-être plus dans la
formation des enseignants des éléments numériques, mais de tous les
enseignants, puis pas nécessairement un seul enseignant ou un seul pôle... Il faut vraiment
que cette connaissance numérique là circule. Il faut aussi trouver un
moyen... C'est sûr que, pour le côté
parental, bien là, à part nos médias, il
y a comme peu... On ne peut pas
imposer des formations aux citoyens, à
part à l'école. Ça fait que, je pense, c'est vraiment
dans le milieu de l'éducation qu'on peut intégrer davantage... Par exemple, je sais qu'on veut faire de l'éducation à la citoyenneté. Bien, il y a peut-être
des éléments numériques qui pourraient entrer dans cette formation-là, par
exemple. Mais, vraiment, les gens qui travaillent dans le domaine de l'éducation,
dans le domaine des services sociaux, les travailleurs sociaux, les gens des CSSS, etc., tous les intervenants autour de la
jeunesse ont vraiment...
auraient avantage à avoir accès à des formations. Et là c'est de voir où est-ce qu'ils en ont déjà puis d'ajouter un
aspect numérique à ça. C'est sûr qu'il
y a aussi peut-être
le fait que ce serait bien que, dans la fonction publique, il y ait
aussi ces aspects formatifs, de formation, là, parce que, des fois, les
fonctionnaires eux-mêmes ne maîtrisent pas certains aspects pour pouvoir,
justement, travailler sur des projets et ne sont peut-être pas tout à fait au
fait de ces réalités-là.
Pour la
deuxième question, d'ordre philosophique, sur la reconnaissance faciale, bien,
c'est sûr que, là, c'est problématique par rapport aux enjeux de droits
de la personne puis de... On ne veut pas non plus tomber dans le pattern,
disons, dans le spectre chinois de la centralisation de l'information puis de
la gestion des données. Ça, c'est une grande question,
en fait. Puis moi, personnellement, je pense que tout ce qui concerne la
circulation des données personnelles, que ce soient des données biométriques ou
autres, il y aurait de l'espace pour en discuter en commission
spéciale, par exemple, ou d'une autre manière. Mais, bref, il y a
un débat de société à avoir là-dessus parce
qu'on a des enjeux, vous le savez, et
ça touche autant, justement, retrouver des mineurs, potentiellement, que de
ne pas se faire voler nos données personnelles, tu sais, le spectre est large, et les avantages et
les désavantages sont à balancer, ainsi que les droits de la personne sont à
considérer là-dedans. Je sais que ce n'est pas une réponse très
tranchée, là, mais voilà.
Le
Président (M. Lafrenière) : Je ne m'attendais pas à une réponse tranchée de votre part, je vais
être bien honnête avec vous.
Mme Brière (Nellie) : O.K.
Voilà.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Et ce n'était pas une blague. Jusqu'au
1er mars, si vous avez des outils
à nous suggérer pour la formation... Et, en passant, je salue la présence de
gens du ministère de l'Éducation qui sont avec nous, qui prennent des
bonnes notes quand vous parlez de l'éducation à l'école.
Mme Brière (Nellie) : Super!
Le
Président (M. Lafrenière) : Alors, on a une personne qui est là depuis le début de nos travaux. On
la salue. On l'apprécie beaucoup. Merci.
Prochaine question, le député de Viau. Je vous
ai surpris, hein?
M. Benjamin : Oui.
Le Président (M. Lafrenière) :
Il le savait, mais il ne savait pas qu'il était le premier.
M. Benjamin : Merci. Merci, M.
le Président. Donc, merci pour vos présentations.
Ma première
question, donc, va à la ville de Gatineau, au Service de police de la ville de
Gatineau. On nous a parlé beaucoup, tout au long, et vous nous avez
parlé aussi, des enjeux reliés à la collaboration policière. Notamment, vous nous avez dit que vous êtes dans un couloir, effectivement, un couloir où il y a ces genres d'activités là. Question fort simple :
Est-ce que vous avez des éléments de statistiques en termes d'arrestations que vous avez faites au cours de la dernière
année ou au cours des deux dernières années? Est-ce que vous avez des
chiffres à nous donner là-dessus?
M. Beaudoin (Luc) : En matière
d'exploitation sexuelle? Sûrement.
M. Benjamin : En matière
d'exploitation sexuelle des mineurs, oui.
M. Beaudoin (Luc) : Oui,
définitivement. Depuis 2016, c'est-u 16 cas? Comment?
Une
voix : ...
M. Beaudoin
(Luc) : 12 cas, vraiment,
là, d'exploitation sexuelle de mineurs que nous avons. Ça fait
que c'est 12 cas. De ces
12 cas, je ne donnerai pas trop d'information parce que,
vraiment, il y a des gens qui pourraient se reconnaître, mais
j'ai des cas où est-ce que nos victimes provenaient de Gatineau, j'ai des cas où
est-ce que les victimes provenaient d'ailleurs au Canada ou ailleurs en province. Puis, dans mes 12 cas, parce que
nous les avons analysés adéquatement, on voit aussi que l'abuseur... il y en a qui appellent le
client, mais moi, je considère que c'est des abuseurs parce qu'on touche à des
enfants mineurs, c'est des enfants,
eux aussi proviennent... j'ai des gens qui proviennent de Gatineau, mais il y
en a plusieurs qui proviennent de l'extérieur.
Donc
on s'aperçoit que c'est un marché, donc, où est-ce qu'on peut... où est-ce
qu'il y a une demande. On dirait qu'on
déplace l'offre. C'est vraiment ce qu'on constate dans nos statistiques
présentement. Puis ce qui est plus préoccupant, c'est justement le chiffre noir, les éléments qu'on n'a pas. Je vous
l'ai dit dans mon mémoire, tu sais, nous, on les travaille... quand on a l'information, on travaille le dossier
pour adresser la situation puis procéder, mais il y a tellement d'activité qui
se produit, justement, sur les réseaux sociaux qu'on serait capables de
travailler encore beaucoup plus s'il y avait un encadrement puis une
surveillance de cet environnement virtuel.
M. Benjamin :
Je salue votre piste, en termes de recommandations sur la question de
l'importance d'intensifier les collaborations interprovinciales. Je
pense que c'est important.
Mais
un élément sur lequel j'aimerais peut-être vous entendre... On a eu, l'autre
jour, une téléconférence avec les policiers
d'Edmonton, qui nous ont notamment parlé du cadre réglementaire de la
municipalité d'Edmonton. Est-ce que, par
exemple, pour vous... Est-ce qu'au niveau de pratiques en cours dans la ville
de Gatineau, pour vous, un cadre réglementaire...
est-ce qu'on doit aller vers des orientations comme resserrer le cadre
réglementaire municipal, donc, par exemple, pour contraindre notamment les
exploiteurs sexuels, donc, par rapport à des lieux, donc, que ce soient les motels,
les hôtels, les salons de massage, etc.?
M. Beaudoin (Luc) :
Moi, ce que j'aurais à dire là-dessus, c'est : Oui, il peut y avoir des
orientations municipales qui pourraient être données, mais c'est un
phénomène qui est plus large que municipal. Je peux avoir les meilleurs...
La première chose, je voudrais tout de
suite le préciser, c'est qu'on a une très bonne collaboration avec les services
de police comme... À Ottawa, on a une
obligation parce que... Quand je dis : Les enquêtes sont plus difficiles,
c'est plus long, c'est qu'on a
certaines obligations. Juste pour pouvoir maintenir mon pouvoir d'agent de la
paix et pouvoir être armé dans la
ville de Gatineau ou la province de l'Ontario, ça demande quand même une
reconnaissance, on doit être reconnus comme
constables spéciaux pour pouvoir agir dans la province voisine. À titre
d'exemple, mes équipes de filature, mes enquêteurs sont tous assermentés
pour pouvoir agir en Ontario. Donc, on a déjà pris des correctifs.
Quand je dis que c'est plus difficile,
c'est à cause... pour les autorisations légales aussi. Donc, il y a des
arrestations sans mandat qu'on peut
faire du côté du Québec que je ne peux pas faire du côté de l'Ontario. Puis
tous les actes judiciaires doivent être visés pour pouvoir intervenir en
Ontario. Donc, ça exige une deuxième action qu'on doit faire. Malgré
tout, on a des bons partenariats, on a des bons échanges d'information.
Donc, pour répondre plus précisément à
votre question d'un cadre réglementaire municipal, la problématique est plus large que ça. Même si chaque municipalité met
leur propre cadre, il faut vraiment une vision uniforme parce que c'est plus que municipal, c'est plus que provincial.
C'est ce que j'essaie de dire, c'est vraiment... c'est comme... c'est national,
là. On le voit vraiment, là, tu sais,
ça se promène de Toronto, Niagara. Le Québec, on est touchés, Gatineau,
Montréal. Ça fait que c'est plus que
ça. Mais, oui, il pourrait y avoir des cadres réglementaires. Mais, encore,
comment suivre l'évolution de ces activités?
M. Benjamin :
Dernière question, si vous permettez, M. le Président. La collaboration avec la
GRC, au niveau interprovincial, elle est comment?
M. Beaudoin (Luc) : À
un haut niveau, on a une bonne collaboration. Quand on parle de collaboration,
nous... Puis ce qu'on disait, les changements législatifs, tu sais,
qu'on fait... qu'on dit aujourd'hui, c'est pouvoir travailler avec les
organismes du milieu puis les autres organismes aussi, les autres organismes
provinciaux. Là, chaque organisme a leur propre
banque d'information. Nous, ce qu'on dit aujourd'hui... Parce que, là, on parle
de la problématique, mais on est réactifs. Ça veut dire qu'il y a un crime qui a été commis. Là, on veut adresser
la situation puis on veut prendre charge de la victime. Il y aurait moyen d'être proactif, d'agir en
amont. Quand on dit agir en amont, là, c'est vraiment d'identifier les facteurs
de risque.
Là, vous avez dit qu'il y avait des
gens de l'éducation qui sont présents ici. À quelque part, là, la jeune fille,
là, qui est au secondaire IV,
qui a toujours eu des bonnes notes scolaires, puis, tout à coup, on s'aperçoit
d'une baisse dans les notes, là, il y
a quelque chose qui se passe dans sa vie. Donc, si chaque organisme, on avait
le droit d'échanger l'information, on
serait capables de détecter ça. On pourrait agir en amont sur la problématique.
C'est surtout dans ce sens-là quand on parle d'échanger avec les autres organismes
puis les autres... bien, organismes du milieu, finalement.
• (16 h
40) •
M. Benjamin :
Merci.
Le Président
(M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Le député d'Ungava. Ça, c'est
vous.
M.
Lamothe : Oui. Non, c'est parce que j'étais en réflexion, parce qu'une
déformation professionnelle... J'ai été policier aussi déjà. Puis je veux juste complémenter, M. le Président,
ce que vous avez apporté au niveau de l'aide parentale, madame. Vous avez dit que ce serait important
d'établir un contrôle des plateformes, spécialement qu'à huit, neuf ans...
Je ne le sais pas, là, je suis peut-être
déconnecté un peu, là, mais vous ne pensez pas que les parents ont quand même
un rôle assez sérieux à jouer, à huit, neuf ans?
Mme Brière
(Nellie) : Pas seulement les
parents, en fait, parce que ce qui se passe, c'est qu'il y a des outils pour
signaler un mineur en ligne. Personne ne la fait parce que c'est accepté.
M.
Lamothe : Non, mais, moi, ce que... Je me suis peut-être mal exprimé,
mais ce que je veux dire... J'ai déjà été parent, tu sais, je veux dire, comme bien d'autres, là, mais, ce que je
veux dire, à huit, neuf ans, à un moment donné, quand on voit nos jeunes
aller, on a un rôle là-dedans.
Mme Brière
(Nellie) : Je veux juste
vous dire qu'entre 12 et 15 ans il y a un enfant sur deux, en fait 51 %, qui a un... qui dispose d'un téléphone intelligent, O.K.,
souvent avant dans le cas de familles divorcées, d'ailleurs. 42 % d'entre
eux disent consommer des contenus
presque tout le temps tout seuls, là. Donc, on a des enfants qui consomment des
contenus majoritairement tout seuls,
quotidiennement tout seuls, sur des appareils, à 12 ans. Oui, il y a des
enjeux parentaux. Mais ce qui se passe, c'est qu'il y a probablement un
manque de compétences puis de compréhension des enjeux reliés à la consommation de contenu seul en ligne chez les
jeunes. Donc, il y a une éducation parentale à faire. Donc, on ne peut pas
simplement blâmer les parents de ne pas
faire leur travail, ils ne sont peut-être pas au courant de ce qui devrait être
fait. Puis peut-être que, culturellement, c'est accepté de ne rien faire
aussi.
Donc, c'est
tout ça qui est à travailler. Ça fait que comment on fait pour travailler ça?
C'est la grande question. Moi, je
pense que, déjà, en donnant la possibilité d'avoir du développement de
compétences numériques dans les écoles, peut-être en travaillant des projets avec les parents
davantage, il y a des comités de parents, il y a moyen probablement de faire
quelque chose avec les familles.
Autrement, je pense que ça va être, peut-être, potentiellement les prochaines
générations qui vont y arriver parce qu'on ne peut pas non plus imposer
une formation de parent.
Sinon, est-ce
qu'il y a des éléments à ajouter dans l'accompagnement parental par les CSSS
ou, peu importe, là, le milieu
communautaire, le filet social qui entoure la parentalité, là? Il y a comme
plusieurs points d'entrée. Qui peut les avoir, ces points d'entrée là? Bien là, ça dépend des ressources, ça
dépend de comment on peut l'organiser. Mais je pense qu'il y a quelque chose à travailler là-dessus,
ça, c'est clair. Moi, je travaille quotidiennement là-dessus mais avec les
moyens que j'ai, c'est-à-dire ma
présence médiatique, mes interventions, mais il y a des limites, là, à ce que
moi, toute seule, j'établisse une culture de parentalité, là.
M.
Lamothe : Vous êtes d'accord que peut-être, à un moment donné, le rôle
parental est important à ces âges-là?
Mme Brière
(Nellie) : Bien, en fait, le
rôle parental est prioritaire, mais c'est à la société d'outiller ou de
travailler la culture de ce rôle
parental là. Le rôle parental est de la manière dont on est socialisé à être
parent. On apprend à être parent dans
la société. On n'est pas magiquement parent biologiquement, donc, qui est-ce
qui nous dit qu'on doit faire quand on est parent? C'est la société qui nous renvoie ce message-là, ce miroir-là,
comment je dois être, comment je dois exercer ma parentalité. Et actuellement je pense que l'exercice de la parentalité
est assez laxiste sur les enjeux du numérique, en fait. La façon d'être parent, c'est que c'est correct
que ton enfant, à trois ans, il regarde du YouTube pendant que tu prépares le
souper ou quoi que ce soit. C'est quelque chose qui est acceptable socialement
et c'est ça qu'il faut travailler, cette espèce d'acceptabilité là de ce
qui est à faire ou pas pour l'encadrement numérique. Vous comprenez mon point?
M. Lamothe : O.K., je comprends.
Peut-être une dernière vite faite?
Le Président (M. Lafrenière) :
Très rapidement.
M. Lamothe : Oui. M. Beaudoin,
vous avez décrit tantôt le rôle géographique important pour Gatineau pour l'exploitation sexuelle juvénile. Vous dites qu'il
y a de l'exploitation juvénile à Gatineau et des actions s'imposent. Bien, la
seule chose, comme j'ai une déformation
professionnelle un petit peu, il y a 12 cas que vous avez faits en trois
ans. Je ne veux pas vous juger, là,
mais, je ne sais pas, quand vous dites que des actions s'imposent, est-ce que
vous avez un plan?
M. Beaudoin
(Luc) : Bien, ce qu'on fait, bien, présentement, on participe à
l'équipe provinciale en matière d'exploitation sexuelle comme... C'est à
cause qu'il faut le regarder dans un tout. Définitivement, on a... À Gatineau,
ce n'est pas pire qu'ailleurs en province. Les grandes métropoles, c'est la
même réalité. On fait un constat aujourd'hui. Qu'est-ce qu'il est important de
comprendre, c'est...
Je vais faire
un parallèle, là. Je vais répondre de façon courte, mais je vais faire un
détour. Avant, quand il y avait de la
prostitution, de l'exploitation sexuelle sur un coin de rue, ça dérangeait le
citoyen. On avait une plainte. On était en mesure de se déplacer, d'adresser la situation. Aujourd'hui, ça se passe
où? Ça se passe sur le Web. Donc, on n'est pas au courant de la
situation. Donc, c'est là que ça se passe. On ne l'a pas, cette information-là.
C'est là que
je dis qu'il y a un environnement virtuel qui existe, puis il n'y
a personne qui est présent là-dessus. Puis est-ce que c'est des policiers qui doivent être
présents là-dedans? Je crois que c'est des experts du milieu qui sont en mesure
de le détecter, nous donner l'information pour qu'on puisse le travailler.
Ça
fait que notre plan, justement, c'est la cueillette d'information. C'est de mettre des codes uniformes de rapport de criminalité pour être capables de rassembler le
renseignement, puis, au moment où est-ce qu'on l'a, on est
capable de l'adresser. Mais souvent c'est qu'on perd plus de temps à
courir après l'information qu'à adresser la problématique.
Donc, si je
fais le parallèle avec aujourd'hui, c'est que, voilà quelques années, une jeune
fille de 14 ans se serait prostituée
sur un coin de rue, vous pouvez être sûr qu'on aurait eu un appel téléphonique
après l'autre pour nous dire : Ça n'a
pas de bon sens! Aujourd'hui, ça se passe sur le Web puis il n'y a personne
qui nous le signale. C'est là qu'on dit que cette criminalité-là est invisible. Elle est à quelque part, on ne l'a pas... il faut courir après pour l'adresser, d'où l'importance d'être capable d'agir en amont, d'être capable de se parler, d'échanger
l'information avant que ces gens-là deviennent victimes.
C'est ça, notre plan, nous, c'est d'essayer
d'agir avant que la personne devienne victime.
M.
Lamothe : Et le corps de
police de Québec était ici avant-hier, je n'étais pas ici pour
Laval. Travaillez-vous de concert avec ces corps-là? J'ai trouvé, moi,
que Québec, personnellement, ils avaient vraiment un bon plan, là.
M. Beaudoin
(Luc) : Oui, bien, on ne se le cachera pas, Québec, Laval ont vécu des
situations particulières qui les ont obligées à mettre des mesures en
place, définitivement. Gatineau, fort heureusement, on n'a pas vécu de crise,
sauf qu'on ne veut pas se mettre la tête
dans le sable puis faire accroire qu'il n'y en a pas. Donc, nous, on essaie
d'adresser vraiment ce qu'il en est puis, oui, on travaille en
collaboration avec les autres services de police. On veut apprendre de ceux qui
mettent des choses en place les meilleures
pratiques. Donc, définitivement, on travaille toujours en collaboration, au
niveau provincial, avec tout le monde.
M. Lamothe : Parfait. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Le député de Chomedey.
M. Ouellette : Vous nous sensibilisez à des données qui sont
très importantes. On a besoin de ça, on a besoin de le savoir, l'uniformisation de la collecte des
données. Je comprends que la journée que vous allez avoir le vrai portrait...
Vous avez fait un sondage, vos gens
vous disent : C'est nos préoccupations premières, mais vous n'avez pas les
données. Et, la déclaration universelle de criminalité, on sait que
c'est Statistique Canada, il va falloir l'adresser. Hub, ça vient de Prince Albert. On a une entente multisectorielle,
au Québec, ça fait plusieurs années que vous essayez de l'implanter chez
vous. On a un problème d'échange
d'information. Là, ça, c'est dans notre cour, c'est la Loi d'accès. C'est dans
notre cour, et il va falloir effectivement l'adresser.
Si on vous donne tous ces outils-là... Je comprends
que vous avez une situation particulière. Pour aller aux arguments de mon collègue d'Ungava, vous avez une
criminalité transfrontalière. Les criminels le savent. Je veux dire, je vois encore l'image du gars qui vous fait des
grimaces sur le pont et qui sait que les lois sont différentes en Ontario, que
c'est différent. Pour les plus vieux de nous
autres qui ont connu l'ancien Hull, bien, je vous le disais avant le début,
vous avez quelque chose de très
particulier. La volonté est là. Et c'est important qu'on reconnaisse ces
impondérables-là pour vous donner les
outils pour répondre aux préoccupations de vos citoyens parce que c'est pour ça
que tout le monde est là puis que tout le monde travaille.
Dans
l'échange d'information, puisque vous êtes en contact avec les gens de
l'Ontario de façon quotidienne, est-ce que leurs contraintes d'échange
d'information sont différentes ou c'est la même chose que chez nous?
M. Beaudoin (Luc) : Vous
parlez... Avec les organismes?
M. Ouellette : Oui.
M. Beaudoin (Luc) : Isabelle,
je vais te laisser répondre.
Mme Plante
(Isabelle) : Bien, en fait,
en Ontario, il y a eu plusieurs modèles hub. Donc, ils sont arrivés à trouver
des façons pour toujours cadrer dans leurs
lois, mais on a l'impression que la loi en Ontario laissait plus de latitude à
appliquer le modèle hub qu'ici, parce qu'il y a des modèles hub en
Ontario.
M. Ouellette : Mais l'échange
d'information provincial... Ce sera ma dernière intervention, M. le Président.
L'échange d'information au niveau provincial en Ontario?
Mme Plante (Isabelle) :
Interprovincial, vous voulez dire?
• (16 h 50) •
M. Ouellette : Non, au niveau de la province de l'Ontario. Parce
que je comprends que vous avez juste quelques ponts à traverser pour être — bon, je ne ferai pas plaisir à certains,
là — ailleurs
et pour faciliter, justement, les interventions du milieu. Vous en souffrez. Et je comprends de votre intervention...
Puis je comprends qu'il y a des modèles hub, mais, au niveau provincial, les échanges d'information
en Ontario sont plus faciles que les nôtres au Québec. C'est plus confidentiel
et plus restrictif au Québec.
Mme Plante
(Isabelle) : Oui, c'est
l'impression qu'on... bien, ce n'est pas l'impression, c'est le fait devant
lequel on n'est pas capables de
mettre en place le modèle hub selon la même procédure qui est utilisée ailleurs
au Canada, dans les autres provinces. On essaie
d'appliquer la même procédure d'échange d'information, puis ici on n'est pas
capables de le faire.
M. Ouellette : Merci.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup.
M. Beaudoin
(Luc) : Est-ce que je peux juste rajouter un bout? Pour cet échange
d'information là, ça serait très facilitant
et ça nous aiderait aussi, ça aiderait tous les services de police dans bien
d'autres secteurs d'activité, quand on parle,
souvent... On parle souvent de problèmes de santé mentale. Encore une fois, si
on serait capables de parler avec les organismes
du milieu, avec nos différents partenaires, on serait probablement capables de
détecter avant que quelqu'un soit en détresse psychologique, on serait
en mesure de voir... c'est à ce moment-là que cette personne-là devient en
détresse psychologique, o n serait capables
de détecter quel intervenant du milieu serait en mesure de le prendre en charge,
donc on ne serait pas pris à le
ramasser après sur le terrain. Donc, je pense, vraiment, ça serait facilitant
dans plusieurs secteurs de nos activités.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci. On va tenter un sprint de trois questions en neuf minutes. La
députée de l'Acadie.
Mme St-Pierre :
Merci beaucoup, M. le Président. Alors, très rapidement, je vous avoue que moi
aussi, je suis tombée un peu en bas de ma
chaise quand vous nous avez dit : 12 cas, après tout ce que vous nous
avez dit puis tout ce que vous avez
mis en place, mais, bon, j'imagine que vous faites du mieux que vous pouvez.
Puis vous avez parlé de toutes les nouvelles technologies aussi qui
viennent un peu contrer votre travail. J'ai deux questions très, très rapides.
Tout d'abord, sur les questions des médias
sociaux, Mme Brière — c'est
ça? — ...
Mme Brière (Nellie) : Oui.
Mme St-Pierre :
...vous avez fait un peu un rapprochement avec la radicalisation menant à la
violence. Puis je me suis beaucoup, beaucoup intéressée à cette question-là et
comment Daesh a mis en ligne des contenus très sophistiqués, très bien léchés, cinématographiques. Et ceux qui
veulent contrer la radicalisation menant à la violence, ils ont dit : Il
faut que nous aussi, on arrive avec du contre-contenu. Puis je pense que
c'est ça, votre message, un peu, que vous...
Mme Brière (Nellie) : Oui. Un
de mes messages, mais oui.
Mme St-Pierre :
Bien, un de vos... Mais il va falloir que... Si on passe en campagne de
sensibilisation, il faut qu'on lâche
les sensibilisations classiques pour des madames de mon âge, là, je veux dire,
il faut que ce soient des sensibilisations sur médias sociaux.
Sur la police
de Gatineau, vous avez, dans votre région, un corps diplomatique important,
beaucoup d'ambassades. Vous avez un
casino sur votre territoire. Est-ce qu'avec le corps diplomatique et tout le
personnel que ça veut dire, que ça signifie,
là, que ça représente, on parle de plusieurs centaines de personnes, ces
gens-là ont souvent l'immunité... Avez-vous un problème avec, bien, ces
personnes-là?
M. Beaudoin
(Luc) : Je peux vous dire... Selon nos statistiques, il arrive à
l'occasion qu'on doit intervenir auprès de ces personnes-là, mais de vous dire
qu'on a une problématique particulière en fonction de l'immunité, ce n'est
pas quelque chose qu'on a détecté chez nous présentement.
Mme St-Pierre :
Mais, quand vous dites : Il arrive...
M. Beaudoin
(Luc) : Bien, il va arriver des situations où est-ce que c'est sûr
qu'on peut pogner un diplomate avec une faculté affaiblie, mais rien en
matière de la situation sur laquelle on discute aujourd'hui. On n'a eu aucun
cas en cette matière.
Mme St-Pierre :
O.K. Puis le casino?
M. Beaudoin (Luc) : Le casino?
Définitivement, on a une bonne relation avec le casino pour ce qui se passe. On
n'a pas eu... De nos cas rapportés, il n'y a rien qui est en lien vraiment avec
le casino de l'Outaouais.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup.
Mme St-Pierre :
...peut-être court, court, Mme Brière, sur ce que j'ai dit concernant les
médias?
Mme Brière
(Nellie) : Bien, en fait, à
part dire : Oui, tout à fait, c'est exactement ce que je voulais dire,
mais non seulement des campagnes de
prévention, mais aussi des contenus valorisants pour les jeunes, qui les
mettent en scène de manière autre que ce qui est présenté par ces
groupes-là.
Mme St-Pierre :
O.K., parfait. Merci.
Le Président (M. Lafrenière) :
Continuons le sprint avec la députée de Roberval.
Mme Guillemette :
Merci d'être ici et de partager avec nous vos connaissances. On a parlé
beaucoup de compétences parentales. On
a parlé d'environnement virtuel. Mais, concrètement, là, si on avait une chose,
peut-être deux à faire concrètement pour mieux encadrer le Web, ce
serait quoi?
Mme Brière
(Nellie) : Bien, on ne
pourra jamais encadrer le Web, là, surtout qu'il y a le «dark Web», qu'on n'a
pas abordé ici, mais, en tout cas,
qui est inencadrable, mais, mettons, il y a des plateformes de réseaux sociaux
qui sont populaires, qui sont dirigées par des entreprises privées, et c'est là
qu'on peut peut-être encadrer leur responsabilité à l'égard des mineurs.
Alors, quand
je parle d'encadrement, c'est de ce côté-là, peut-être d'obliger certains
éléments ou d'obliger certaines prises de responsabilité de la part des
entreprises. Par exemple, ça peut être, bien, à l'égard de... vous ne devez pas
avoir de mineurs, vous devez vous
assurer qu'il n'y ait pas de mineurs sur votre plateforme, autrement il peut y
avoir des amendes, etc., puis de
donner des outils un petit peu plus importants, sans être dans la
reconnaissance faciale, là, pour voir si l'enfant est mineur, mais
peut-être de s'assurer... Parce que je sais que, déjà, Facebook le fait. Si
vous signalez une identité qui ne pourrait
être pas de son... quelqu'un qui a un nom qui est faux, qui n'est pas son vrai
nom, Facebook peut vous demander votre
passeport. Moi, je peux signaler : Ce n'est pas son vrai nom. Et là
Facebook va vous demander votre passeport parce que, dans les règles de Facebook, vous êtes censé
vous autoreprésenter vous-même avec votre vrai nom, votre vrai nom civil, là, à l'état civil, puis vous ne pouvez pas
le changer. Donc, à cet égard où, justement, Facebook est dans une chasse aux sorcières des faux comptes, etc., et qu'il
valide la véracité des personnes, bien, peut-être qu'on pourrait justement
aller du côté de valider que... quand
il y a des mineurs en ligne, ils ont quel âge véritablement. Puis peut-être
qu'il y a un lien à faire, justement, avec l'état
civil puis ces entreprises-là, là, potentiellement.
Bref, c'est
votre champ d'expertise, là, d'envisager des lois, mais il y a quelque chose à réfléchir de ce côté-là, à obliger les plateformes à prendre
des responsabilités pour la protection des mineurs.
Mme Guillemette : O.K. Et, en lien avec les compétences parentales, on
sait qu'il y a plusieurs organismes
communautaires qui donnent de la formation, des maisons de la famille...
Mme Brière (Nellie) : Oui,
exact.
Mme Guillemette :
...mais jamais je n'ai entendu parler que, dans leur formation, ils abordaient
ce niveau-là, parce qu'on parle surtout d'un papa ou d'une maman qui ont
un 0-5 ans dans une maison de la famille. Est-ce que...
Mme Brière
(Nellie) : Pourtant, il y a
déjà des aspects, là, dans le 0-5 ans... Mais moi, j'en fais beaucoup. Je
suis extrêmement, extrêmement
sollicitée actuellement. Ça fait que je le vois, là, qu'il y a des besoins, là.
Je veux dire, je ne peux pas faire
des tournées dans toutes les écoles au Québec, là. Ça fait qu'il va falloir qu'il
y ait quelque chose qui soit mis en place un petit peu plus efficace que
moi qui se fait appeler de façon... à géométrie variable.
Et souvent il
y a encore plus de manques de ressources dans les régions éloignées.
D'ailleurs, je déménage à Québec pour
cette raison-là, parce que j'ai tellement de demandes dans les régions
éloignées que ça devient complexe pour moi de me déplacer, là, de
Montréal. Mais en même temps je ne peux pas être toute seule à faire ça.
Je pense qu'il y a déjà des organismes qui se
déplacent. Il y a déjà des choses qui sont en place et qui pourraient justement développer ces compétences-là pour les
transmettre. Ça fait qu'il s'agit juste de le systémiser, là, de rendre ça
efficace et fluide. Ça fait que c'est de
voir, avec les choses en place, là, qu'est-ce qui pourrait être déployé à ce
sujet. Mais il y a clairement quelque chose à faire là.
Mme Guillemette : Merci.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci. La députée de Notre-Dame-de-Grâce, dernière question.
Mme Weil :
...exactement les échanges que vous avez eus, mais, concernant des succès en
matière de peines pour les proxénètes, Maria Mourani nous disait ce matin que,
depuis juin 2019, donc, on a les peines consécutives, d'une part, et la preuve renversée. Est-ce que vous avez
eu l'occasion de pouvoir témoigner de l'application de cette loi en la matière puis des succès par rapport à des cas? Parce
que c'était vraiment, ça, depuis des années, un grave problème. C'étaient des
sentences presque bidon, puis ils sortaient tout de suite, puis, bon... Est-ce
que vous avez une expérience avec cet aspect-là?
Mme Plante (Isabelle) : Dans
nos consultations, il y a des enquêteurs qui nous ont suggéré d'aller dans la même orientation que le projet de loi C-75
qui a été adopté, du renversement du fardeau de la preuve pour la remise en
liberté. Donc, c'est ce qui nous a été suggéré au niveau des proxénètes,
d'aller vers là.
Mme Weil : Ce n'est pas
en application actuellement? Parce que, depuis juin, c'est possible.
Mme Plante (Isabelle) : Oui.
C'est pour les cas de violence conjugale, je crois, oui.
Mme Weil :
Au criminel?
Mme Plante (Isabelle) : Oui, au
criminel, exact.
Mme Weil : C'était un
autre projet de loi? Vous, vous parlez d'un autre projet de loi?
Mme Plante
(Isabelle) : Moi, je parle
de l'ancien qui a été adopté... bien, pas l'ancien, lui qui a été adopté
en juin, là, qui tombe effectif, là,
qui est... au renversement du fardeau de la preuve pour la remise en liberté
mais dans les cas de violence conjugale. On nous a suggéré de suggérer
la même chose au fédéral pour l'exploitation sexuelle.
Mme Weil : Ah! Pourtant, elle
disait que...
M. Ouellette : Mourani, c'est
452.
Mme Weil : 452, oui. Moi
je parle de 452. Est-ce que vous avez vu, donc, des succès avec ça?
Mme Plante (Isabelle) : Voilà,
oui. Bien, on nous a suggéré d'appuyer cette démarche-là. Voilà.
Mme Weil : O.K. Et, bon,
renversement et sentences... des peines consécutives.
Mme Plante (Isabelle) : Oui.
Mme Weil : D'accord.
C'était la question que j'avais.
Mme Plante (Isabelle) : Voilà.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci à nos deux groupes d'avoir participé aux
travaux de cette commission.
Nous allons
prendre une petite pause un instant. Et notre prochaine invitée nous regarde.
Mme Lamont, on est en retard de 15 minutes, on s'excuse. On
est avec vous dans cinq minutes.
On suspend.
(Suspension de la séance à 16 h 59)
(Reprise à 17 h 4)
Le Président (M. Lafrenière) :
Je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Ève Lamont, qu'on accueille par vidéoconférence. Je vous rappelle que vous
disposez de 20 minutes, Mme Lamont, pour nous faire votre exposé. Par
la suite, on aura 25 minutes
ensemble comme période d'échange avec les membres de la commission. Alors, je vous
laisse vous présenter et nous faire votre exposé.
Mme Ève
Lamont
(Visioconférence)
Mme Lamont
(Ève) : Bonjour. Bien, d'abord,
je vous remercie de m'inviter ici. Je voudrais souligner le fabuleux témoignage de Rose Sullivan, du Collectif d'aide
aux femmes exploitées sexuellement. C'est grâce à des femmes comme elle
que les choses peuvent évoluer.
Alors, permettez-moi de me présenter. Je
travaille comme camérawoman et réalisatrice depuis une trentaine d'années et j'ai réalisé six longs métrages
documentaires, des films d'auteur portant sur des enjeux sociaux qui me
tenaient à coeur et qui ont été
diffusés à la télévision, dans les salles de cinéma, dans les cinémas
répertoires puis les festivals de films ici et ailleurs dans le monde.
Alors, la prostitution touche l'ensemble de la société
et me touche moi, particulièrement, en tant que femme, puisqu'elle s'inscrit dans un continuum de violence envers les femmes.
Notre société a le devoir d'agir comme l'ont fait d'autres sociétés qui défendent réellement l'égalité hommes-femmes. Voilà pourquoi je salue les travaux de la commission sur l'exploitation sexuelle des
mineurs.
En 2010, j'ai sorti le documentaire L'imposture,
sur la prostitution féminine, où j'ai laissé toute la place aux femmes qui cherchaient à quitter la prostitution
tant leurs histoires étaient révélatrices des parcours douloureux qui les
mènent à se prostituer et des conséquences désastreuses dans leur vie.
Ensuite, il a
été important pour moi que je dirige les projecteurs sur ceux
qu'on ne voit pas mais qui sont pourtant à la racine de tout ça, de ce système d'exploitation, ceux qu'on appelle communément
les clients, ainsi que les exploitants, proxénètes, trafiquants et
autres bénéficiaires de l'industrie du sexe. Donc, en 2005... pardon, en 2015,
j'ai lancé le documentaire Le commerce du sexe en m'introduisant dans
les lieux de prostitution et en recueillant le témoignage de plusieurs
anciens proxénètes, propriétaires d'établissement, bars de danseuses, salons de massages, agences
d'escortes et entreprises pornographiques, et bien sûr
en interviewant et filmant ceux qu'on appelle banalement les clients. Ce sont
eux qui maintiennent ce système d'exploitation en place.
Mes deux
longs métrages s'appuient sur 10 ans de recherche sur le terrain à Montréal,
Québec, Gatineau, Ottawa, Val-d'Or, en Montérégie et dans le Centre-du-Québec. Cette longue recherche s'appuie surtout sur l'expertise des
125 femmes et filles âgées de 15
à 52 ans qui ont connu l'industrie du sexe et avec qui j'ai pu discuter longuement
et en toute franchise. Je ne
remercierai jamais assez ces personnes qui m'ont fait confiance et
qui ont osé dire la vérité, bien souvent niée et ignorée. Parmi elles,
23 ont été filmées et ont témoigné au sein de mes deux documentaires.
J'ai aussi
bénéficié de l'expertise des autres acteurs qui se trouvent sur la ligne de
front, à savoir les intervenantes auprès
des femmes, les intervenants jeunesse et enquêteurs de police.
D'ailleurs, c'est comme ça que je les ai connus. J'ai vu comment l'équipe de la moralité ouest, avec le lieutenant-détective Dominic Monchamp,
faisait des pieds et des mains pour
secourir les victimes et arrêter les proxénètes avec trop peu de moyens. J'ai
passé pas mal de temps dans les palais de justice pour assister à des procès contre les proxénètes et qui
ébranlent les rares victimes qui osent porter plainte et affronter le processus
judiciaire.
• (17 h 10) •
Toutes les femmes rencontrées et les autres
interlocuteurs m'ont ouvert les yeux sur un phénomène que nous méconnaissons et
sous-estimons. J'ai appris que la grande majorité avaient vécu des violences
sexuelles dans leur enfance ou leur
adolescence, ce qui leur envoyait le message que leur seule valeur est une
valeur sexuelle. Elles ont vécu des
négligences et de la maltraitance. Elles avaient déjà une faible estime
d'elles-mêmes avant de vivre leur première expérience prostitutionnelle qui, dans la plupart des cas, s'est produite
alors qu'elles étaient mineures. Elles furent toutes appâtées par les promesses d'argent facile,
d'amour et de gratification. Cependant, ce scénario de rêve reposait sur la duperie.
Elles sont presque toujours
incitées à se prostituer par un client ainsi qu'un proxénète ou une tierce personne
promotrice de l'industrie
du sexe. Ces jeunes femmes et filles ne souhaitent surtout pas faire carrière
dans ce milieu, prévoyant que leur séjour
dans la prostitution sera bref, le temps d'obtenir l'argent dont elles ont
besoin ou plutôt dont l'enjôleur de proxénète a besoin.
Alors, la
réalité, par contre, c'est qu'une bonne part y resteront longtemps,
ne verront plus la possibilité de sortir de ce milieu, dont souvent... Et, même si 90 % souhaitent en
sortir, elles sont prises dans un engrenage et se voient incapables de survivre autrement. Celles qui ont trouvé cette
force incroyable d'en sortir n'ont souvent pas bénéficié des services de
soutien pour les aider en ce sens. Et, au
final, bien, la plupart se retrouvent isolées dans la pauvreté, avec une
sexualité anéantie et des problèmes de toxicomanie, des séquelles au
plan de la santé mentale et physique.
J'ai aussi découvert que le fait de subir des
rapports sexuels de manière répétitive et non désirée entraîne une
désensibilisation par rapport à leur corps et leurs émotions et même une
dissociation psychique chez plusieurs de ces femmes.
J'ai été étonnée de rencontrer autant de femmes qui avaient des troubles de
stress post-traumatique. Cela correspond aux données issues des études, d'ailleurs. 77 %
des femmes qui se sont prostituées ont des troubles de stress post-traumatique.
La plupart m'ont raconté avoir été victimes
d'agressions sexuelles au sein de l'industrie du sexe, qui se rajoute à un
passé d'inceste et d'agressions
sexuelles. Et, même lorsqu'elles se disent volontaires, elles sont souffrantes,
marquées par les nombreux abus et sévices vécus.
Tout ça pour
dire qu'on ne pourra pas régler l'exploitation sexuelle des mineurs si on ne
fait rien pour contrer la prostitution
de toutes les femmes et les prostitueurs de tout acabit. L'exploitation
sexuelle fait partie d'un tout, est reliée à une industrie tentaculaire qui exploitera ensuite ces jeunes femmes
devenues miraculeusement consentantes à l'âge de 18 ans. Voilà pourquoi nous avons besoin d'une approche globale qui
intègre la prévention auprès des jeunes, l'arrêt d'agir des acheteurs de sexe et de toute personne qui
tire profit de l'exploitation sexuelle. On a besoin de sensibilisation de la
population pour travailler explicitement à
instaurer l'égalité des sexes et on a besoin aussi de services pour aider les
femmes à quitter l'industrie.
Alors, je suis rendue aux solutions. La première
mesure, pour moi, la plus importante, c'est agir en arrêtant les abuseurs, en
appliquant la loi C-36. Le 6 novembre 2014, le gouvernement conservateur a
pondu la loi C-36, qui s'est inspirée
du modèle suédois en pénalisant les acheteurs de sexe et décriminalisant les
femmes prostituées. La loi C-36, appelée Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes
d'exploitation, considère la prostitution en tant que forme d'exploitation sexuelle ayant un effet
préjudiciable et disproportionné sur les femmes et les filles. C'est un
changement de paradigme, une
révolution positive puisque la loi a inversé le poids social. Les grands
objectifs de la loi C-36 sont les suivants : protéger ceux qui vendent leurs propres services
sexuels, protéger les collectivités, surtout les enfants, des méfaits de la
prostitution, réduire la demande de la
prostitution en vue de décourager quiconque de s'y livrer et d'y participer et
ultimement de l'abolir, dans la plus grande mesure possible.
Donc, la loi interdit l'achat de services
sexuels et le proxénétisme. La peine maximale est de cinq ans en cas d'infraction. Donc, ça s'adresse aux acheteurs de
tels actes. Quant à l'interdit de publicité de services sexuels, ça ne cible
que les tierces parties qui tireraient un
avantage matériel de la prostitution d'autres personnes. Mais aucune accusation
n'a été portée jusqu'à ce jour, faute
de volonté politique. Il est temps que la loi C-36 soit appliquée. En
reconnaissant que l'acheteur de sexe est à la base de ce système
d'exploitation, on doit alors le tenir responsable de ses actes, le rendre
imputable, si on veut réellement faire cesser cette machine à broyer les
filles et les femmes.
Vous savez,
en 1999, la Suède a voulu mettre fin à la prostitution en la considérant comme
une forme de violence envers les
femmes et comme un obstacle à l'égalité hommes-femmes. Alors, la Suède a décidé
de pénaliser les acheteurs de sexe
tout en combattant le proxénétisme, de ne pas criminaliser les femmes qui se
prostituent, mais d'aider celles qui souhaitent
en sortir. Ce faisant, elle a réussi à faire reculer la traite à des fins
sexuelles et à tarir le nombre de clients de la prostitution. En 1996, 13,6 % des hommes achetaient des services
sexuels. En 2008, ce nombre avait chuté à 7,9 %. La prostitution
a donc diminué de presque moitié neuf ans après l'application de la loi. 15 ans
après l'entrée en vigueur de cette
loi, la population suédoise est très satisfaite des résultats, alors qu'au
début seulement une minorité de gens l'appuyaient. Et ce qui est
intéressant, c'est que les enfants grandissent avec l'idée qu'il n'est pas
acceptable d'acheter le corps d'une personne.
En 2006, la Finlande s'est inspirée de cette
loi. En 2009, la Norvège a aussi décidé de pénaliser l'achat d'actes sexuels, incluant ses ressortissants à l'étranger,
suivie par l'Islande, quelques mois plus tard. D'autres pays se sont inspirés
du modèle nordique, dont l'Irlande et le Royaume-Uni, et, en avril 2016, la
France a adopté une loi abolitionniste qui élimine le délit de racolage et qui
interdit l'achat d'actes sexuels en mettant en place un programme de
prévention.
La deuxième
mesure importante qu'il faudrait mettre en place inclut la prévention, la
protection et l'aide aux victimes. En
Suède, il y a des équipes de travailleurs sociaux qui vont régulièrement à la
rencontre des personnes prostituées pour qu'elles sachent qu'il y a des
services à leur disposition pour sortir de la prostitution. Ici, il n'y a rien.
Il y a seulement La Maison de Marthe à
Québec, La Sortie et la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle,
la CLES, à Montréal, qui font leur
possible avec un financement insuffisant. Or, il est impératif de protéger
toutes les jeunes femmes puisque les mineures deviendront, à leur tour,
des adultes.
Pour contrer
la prostitution juvénile, il faut investir dans une réelle protection de la
jeunesse, étant donné que les filles
victimes d'abus sexuels sont plus vulnérables à la prostitution, que la
présence d'antécédents en protection de la jeunesse semble également associée à la prostitution
juvénile, que près de 40 % des jeunes qui ont vécu la prostitution avaient
déjà fait l'objet d'un suivi auprès
de la direction de la protection de la jeunesse et que 80 % auraient déjà
fugué au moins une fois de leur
domicile, puisqu'elles vivent des carences affectives, l'absence de modèles
parentaux adéquats, et parfois même l'approbation de la prostitution dans le
milieu familial, qui représentent d'autres facteurs de risque liés à la
prostitution. Voilà pourquoi
l'intervention auprès des victimes potentielles ou avérées doit prendre de
multiples formes et commencer par un plan d'intervention global en
amont, en intervenant d'abord auprès de la famille.
Mais le
problème, c'est que, dans les centres jeunesse, les ressources demeurent insuffisantes.
Il y a des bons travailleurs, il y a des bons intervenants, mais il y en
a qui sont à bout de souffle et qui ne sont pas formés suffisamment. Mais de leur côté, par contre, les proxénètes sont
astucieux, ils n'ont de cesse d'investir la pépinière des centres jeunesse
en se servant des jeunes filles pour en
recruter d'autres, en étant toujours prêts à accueillir les fugueuses. À mon
avis, les foyers de groupe ou
d'autres types d'hébergement et de milieux de vie à dimension humaine qui
représentent un peu plus la douceur
d'un foyer normal, qui sont plus anonymes, adéquats pour les adolescentes et
qui ne leur donneraient pas envie de fuguer, seraient une solution à
envisager.
On remarque
aussi que de plus en plus de victimes, même si elles sont en plus petit nombre,
proviennent de familles fonctionnelles,
stables, non démunies, n'ont pas vécu de maltraitance ou d'agression ayant
précédé leur entrée dans l'industrie du sexe. C'est dire que toute jeune
mineure est susceptible d'être happée dans les griffes d'un proxénète. Donc,
c'est vraiment important de faire des
campagnes de sensibilisation dans les écoles secondaires et les cégeps. La
précarité et la vulnérabilité des jeunes femmes, la promesse d'une vie
meilleure que les recruteurs de tout acabit font miroiter, qui peuvent aussi
être des femmes, soit dit en passant, jouent
pour beaucoup dans l'entrée des filles dans la prostitution. La perception des
mineures sur la réalité du milieu
prostitutionnel est souvent tordue puisqu'au départ elles sont en lune de miel
avec leur proxénète. Elles ne se voient pas comme victimes, elles sont
parfois rébarbatives à collaborer avec les autorités ou bien elles sont
littéralement terrorisées, sous l'emprise totale d'un proxénète, et ne voient
plus aucune porte de sortie possible.
Ce n'est donc
pas facile d'identifier les victimes et de les inciter à porter plainte contre
leur agresseur. Peut-être qu'une
ligne anonyme qui leur serait dédiée pour aider celles qui sont en détresse, si
évidemment elles savent que cette ligne existe... Des personnes qui gravitent autour de l'industrie pourraient
aussi être mises à contribution pour identifier les victimes, tel que les hôteliers, les transporteurs, en les
contactant directement et aussi grâce à une campagne de sensibilisation auprès
de la population.
Puis, au
moment où les jeunes victimes cherchent à sortir de l'exploitation sexuelle, il
est impératif d'être là au bon moment pour les soutenir en priorisant leurs
besoins, en facilitant leurs actions aux services de santé et à des
intervenants sociaux qualifiés, en
aidant les parents ou les tuteurs à donner tout le support psychologique émotif
qui leur sera nécessaire. Et, rendues
à 18 ans, les filles qui étaient placées en centre jeunesse sont souvent
laissées à elles-mêmes et deviennent encore plus à risque de se
retrouver dans l'industrie du sexe et d'être reprises par un proxénète. Il
faudrait donc des ressources adéquates en ce
qui a trait à l'hébergement, les thérapies, le soutien psychosocial des jeunes
femmes rendues à l'âge adulte.
• (17 h 20) •
Troisième
mesure importante, c'est important de stopper les exploiteurs. Au Canada, la
prostitution représente la deuxième
source de profit du crime organisé après le trafic de drogue. C'est la forme
d'activité qui prend de plus en plus d'importance
au sein des organisations criminelles. Depuis plusieurs années, les gangs de
rue puis les mafias ont diversifié leurs
activités en se portant acquéreurs de salons de massage et d'agences d'escortes
aussi. Ils participent à tout un système d'exploitation qui rend possible le recrutement des mineures. Si nous
appliquons la loi C-36 et osons enfin tarir la demande, le résultat pourrait devenir le même qu'en Suède,
où les trafiquants, les proxénètes ne voient plus la possibilité de faire des
affaires. Il faut se donner les moyens de
poursuivre les proxénètes et trafiquants qui font beaucoup de tort à la société, mais les enquêtes sont complexes et longues à mener. Elles sont nécessaires
mais largement insuffisantes et souvent inexistantes en dehors des grands centres. On a fait un progrès
tout de même avec l'équipe intégrée de lutte au proxénétisme.
Cette escouade fait du bon boulot
mais aurait besoin de plus de ressources pour mener les enquêtes qui sont
souvent longues et complexes.
Il y a aussi
des facteurs d'entrée dans le proxénétisme pour les hommes, puisqu'ils sont des
hommes à 90 %, ils sont affiliés dans 70 % des cas aux gangs de
rue. On a besoin de travailleurs sociaux dans les quartiers où les jeunes
hommes sont recrutés dans les gangs
de rue pour leur proposer d'autres modèles de réussite puis des programmes de
réinsertion sociale. Il faut prévenir
cette forme de criminalité, qui prend de l'expansion auprès de certaines
catégories de la population touchées par la pauvreté. Donc, il faut lutter contre la
pauvreté et l'exclusion. Ces jeunes hommes sont recrutés à l'adolescence,
parfois aussi jeunes que 14 ans,
deviennent en quelque sorte des enfants soldats appelés à commettre des crimes
au profit des chefs de gang ayant le double de leur âge et travaillent à
la solde de mafias aguerries.
Donc, pour
prévenir l'entrée des jeunes à l'école du crime, il faut avoir des mesures
efficaces pour lutter contre la pauvreté
et le racisme, avoir du logement social de qualité, du soutien aux familles,
offrir des loisirs aux jeunes, mettre en place des politiques d'intégration efficaces. Il faut bien sûr continuer
de lutter contre le crime organisé et les gros joueurs de l'industrie du
sexe qui se servent des proxénètes pour remplir à qui mieux mieux leurs
lucratifs commerces.
Quatrième
mesure importante : l'éducation sexuelle et une large campagne de
sensibilisation. Il est impératif d'avoir de véritables cours
d'éducation sexuelle dans nos écoles afin que les jeunes apprennent ce que veut
dire une sexualité épanouie, consensuelle et
basée sur le respect pour que la domination et le sexisme ne guident pas leur
vie érotique et leurs relations en
général, pour que les jeunes hommes et les femmes se donnent le droit et le
plaisir d'échapper aux stéréotypes de
virilité et de féminité oppressants, pour qu'ils développent leur esprit
critique face à la banalisation de la pornographie et l'hypersexualisation rampante. Nous avons le
devoir de faire contrepoids à la sexualisation des femmes sur le Web, dans
les films, à la télé, où les corps des
femmes, presque nues, hypersexys et disponibles sexuellement, sont utilisés à
outrance.
Il faut
changer l'idée que la porno en ligne, les massages ou les danses érotiques ne
font de mal à personne alors que tous
ces lieux sont remplis de femmes trafiquées ou qui souffriront longtemps des
conséquences de leur passage en ces
lieux. On doit démontrer aux élèves que la pornographie n'est pas inoffensive,
qu'elle utilise aussi des jeunes femmes trafiquées, a une incidence dans nos vies, puisque la prolifération des
images et des actes sexuels dégradants et violents contre les femmes influence l'imaginaire sexuel, se
répercute dans les relations hommes-femmes et propage la haine des femmes.
Vous savez,
l'âge de la première exposition à la pornographie est à 11 ans. Il est
essentiel que les cours de sexualité commencent
à la fin de l'école primaire et se donnent par du personnel formé, par autant
d'hommes que de femmes et au moins
une heure par semaine. L'ignorance des adolescents est parfois abyssale alors
que ce sujet les intéresse au plus haut point puisqu'il est aussi question de relations humaines, des aspects
qu'ils explorent et qu'ils ont soif de mieux comprendre.
Là, je termine. Excusez-moi si je lis, mais j'ai
produit ce texte un peu à la dernière minute. Alors, pour contrer
l'exploitation, on a grandement...
Le Président (M. Lafrenière) :
...
Mme Lamont (Ève) : Pardon?
Le Président (M. Lafrenière) :
C'est ce qu'il vous reste, une dernière minute, s'il vous plaît.
Mme Lamont
(Ève) : Parfait. Donc, on a
grandement besoin de prévention auprès des jeunes et de sensibilisation dans la population en général. Ce changement de
mentalité ne pourra se faire qu'avec une large campagne d'éducation et d'information, des publicités d'intérêt public qui
seraient diffusées partout, sur les panneaux, dans la rue, à la télé, sur le
Web et comprises dans toutes les langues ou
sans grande maîtrise du français. En Suède, c'est la mise en oeuvre d'une
grande campagne de sensibilisation à
l'exploitation sexuelle et pour décourager les clients de
prostitution qui a rendu l'achat de sexe répréhensible auprès de la
population. Voilà.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup de votre exposé. Très apprécié. Avant de passer à la période d'échange avec les membres de la commission, je
vais demander le consentement pour ajouter 25 minutes à notre séance.
Est-ce qu'il y a consentement?
Mme St-Pierre :
Ça veut dire vers quelle heure on termine?
Le Président (M. Lafrenière) :
Donc, à 17 h 45. On devait terminer à 17 h 30.
Mme St-Pierre :
Ah! O.K. Parfait. O.K. Je pensais qu'on devait terminer à 17 h 45.
C'est correct. Moi, il y a consentement. Il n'y a pas de problème.
Le Président (M. Lafrenière) : Consentement
pour tout le monde?
Mme St-Pierre :
Oui, oui.
Le
Président (M. Lafrenière) : Parfait. Merci beaucoup. Alors, on peut y aller avec une première question,
le temps que les membres pensent à leurs questions. Moi, j'en ai une
pour vous, Ève.
Je vous ai
entendue tout à l'heure. Vous avez parlé de campagne de sensibilisation et vous étiez très présente sur le terrain. Nous, un des aspects qui nous intéressent beaucoup
à la commission, c'est le client abuseur, le genre de message
qu'on peut leur passer. Vous qui avez été
sur le terrain, vous qui avez vu des choses, qui avez été en contact avec les
gens, qu'est-ce que vous nous suggérez comme message ou comme campagne
pour les clients abuseurs?
Mme Lamont
(Ève) : Excusez, il y a
un petit délai dans le son. Bien, en fait, il faut avoir de la publicité qui rejoint la population et ces gens-là pour montrer les
conséquences de leurs actes, parce que souvent le client, parce qu'il paie, il
pense qu'il rend service à la personne
devant elle. S'il n'est pas violent et brutal, il a l'impression qu'il n'a rien
fait de mal. Et,
même quand il est d'ailleurs très dégueulasse, il se croit dans ses droits. Et,
si on applique la loi, une loi qui démontre... qui pénalise, d'abord, il
va savoir que, je veux dire, il n'a plus le champ libre.
Mais, au-delà
de tout ça, ça aide à changer les mentalités, le changement de loi, mais il
faut aussi faire des campagnes un peu
comme on l'a fait pour la cigarette ou la violence conjugale. Il y a eu
beaucoup de publicité là-dessus pour dénoncer ça, montrer les impacts, et on n'a pas cessé, dans le fond, de rendre la
consommation de cigarette et la violence répréhensibles. Il faut que le message soit clair, c'est
inacceptable. Que la fille soit mineure ou majeure, ce n'est pas acceptable
d'acheter le corps d'une personne.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Député de Chomedey.
M. Ouellette : Merci d'être là
avec nous. Je veux vous entendre parce que vous dites qu'il faut appliquer la loi C-36 et qu'il n'y a pas de volonté
politique. Bon, là, vous parlez à des politiciens aujourd'hui, là, vous parlez
au monde politique qui ont... et ça
m'a fait sursauter un peu. On entend des experts depuis quelques heures,
quelques jours, qui font plein
d'actions sur le terrain. On entend plusieurs services de police. Je voudrais
juste que vous m'expliquiez, il n'y a pas de volonté politique pour... bien,
il n'y a pas d'accusation parce qu'il n'y a pas de volonté politique. Est-ce
qu'on doit décoder ou est-ce qu'on doit
comprendre que, même s'il y a une volonté policière, le lien ne se fait pas
pour amener ces gens-là ou autoriser
ces accusations-là? Parce que la loi est là, là. Il y a eu des politiciens, il
y a eu des gens, comme les gens
alentour de la table, qui ont fait un outil législatif. Il y a des policiers
qui ont l'air à l'appliquer, mais là il y a quelque chose dans le système qui ne se rend pas jusqu'au
bout. On aura beau faire les campagnes qu'on voudra, la prévention puis la
sensibilisation, c'est une chose, mais,
si... On a toujours dit que, s'il y a une crainte de punition en quelque part,
c'est le début de la sagesse.
Il est où, le
manque ou le vide du système, là? Parce que je pense que la volonté politique,
ça a besoin d'être précisé de votre part.
• (17 h 30) •
Mme Lamont
(Ève) : Bien, moi, je prends
l'exemple du modèle suédois parce qu'il est concret, il fonctionne. Les
clients, ils sont pourchassés, et les femmes ne sont pas embêtées, mais les
clients, eux... Vous voyez, eux, comment ça fonctionne,
en Suède, quand ils voient sortir un client, par exemple, d'un lieu de
prostitution, il y a une équipe qui est là, qui l'arrête et qui lui donne une amende. Il peut la contester, il peut
aller en cour, mais, à ce moment-là, il y a... Ce qui est arrivé, c'est qu'il n'y a aucun client qui se
retrouvait en prison, c'est-à-dire qu'ils se sont retrouvés avec une amende
avec sursis, une peine avec sursis, mais ils sont exposés à six mois...
de six mois à un an de prison. Ils ne sont jamais allés jusque-là. La plupart des clients paient l'amende pour ne pas se
retrouver devant un tribunal. Donc, ils plaident coupables, et ceux qui plaident non coupables et se
retrouvent coupables, bien, se retrouvent avec un casier criminel, mais jamais
ils n'ont été en prison. Ça fait
que... Et il y a des programmes
d'éducation pour leur faire comprendre le tort qu'ils causent aux femmes
qu'ils prostituent.
Est-ce que
ça a fait disparaître toute la prostitution? Non, il reste encore des clients,
mais on a diminué quand même la demande de moitié. Donc, déjà...
C'est parce que, si... Ici, on pourrait déjà
agir là où ils sont. On sait où est-ce qu'ils sont. Ils sont dans les lieux, dans les commerces du
sexe. Ils sont repérables facilement, mais le problème, c'est que les corps
policiers sont débordés et vont au plus
urgent, qui est, dans le fond, de répondre, dans le fond, aux cas les plus
graves de femmes qui sont trafiquées ou qui sont mineures, et ils sont
pris sur d'autres dossiers. Donc, ils n'ont pas les ressources pour faire ça.
M. Ouellette : Donc, si je vous suis, et je vais faire une
courte intervention, si je vous suis, c'est que les policiers ne l'appliquent pas. Ce n'est pas ailleurs dans le
système. Et il y a une volonté, on a des outils, il nous reste à les
appliquer pour aider à ce que la banalisation qu'on vit peut-être au Canada
ou au Québec soit différente.
Mme Lamont
(Ève) : Oui, absolument.
Et je crois qu'on pourrait... En fait, je pense qu'il faudrait qu'il y ait
un... pas un programme, mais qu'il y
ait peut-être des équipes qui soient dédiées à ça, parce qu'il n'y a pas de policier qui a le
mandat d'arrêter des clients, là. Les seuls cas où ça s'est produit, c'est
lorsqu'il y a eu des plaintes pour viol, qu'une prostituée s'est plainte d'avoir été agressée par un client, ou parce
qu'il y a des... la population, dans certains quartiers, est tannée de voir des hommes tourner avec leur voiture
puis là se plaignent de la présence des clients et... Mais, je veux dire,
on réagit à certaines situations, mais, je veux dire, il n'y a aucune volonté,
il n'y a pas de ressource, il n'y a pas d'équipe spéciale pour adresser ce
problème-là.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Député de Viau.
M. Benjamin :
Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. Donc, ma première
question. Vous avez émis, dans vos
recommandations... il y en a une qui me semble nouvelle, et que vous êtes la
première à l'évoquer, c'est l'idée d'avoir une ligne anonyme. J'aimerais
vous entendre là-dessus.
Mme Lamont (Ève) : Bien, comme on le
sait, les policiers ont beaucoup de difficultés à repérer les victimes parce qu'elles sont terrorisées, parce qu'elles
n'ont... rarement vont porter plainte contre leurs proxénètes, et à part les...
Certaines mineures savent qu'elles peuvent contacter le centre jeunesse, tu
sais, quand elles sont trop mal prises, mais beaucoup
ne savent pas qui appeler. Certaines ont fait parfois le 9-1-1, mais des fois
elles ne veulent pas appeler la police. Elles veulent... Elles ont besoin de parler à quelqu'un, mais elles ne
savent pas à qui parler, elles ne savent pas quoi faire.
Je
ne pense pas, par contre, que cette solution-là est magique parce que, souvent,
leurs appels, celles qui sont sous l'emprise
d'un proxénète... est assez contrôlée. Elles sont contrôlées au point où elles
n'ont pas accès à un téléphone ou ne peuvent pas, dans le fond, appeler
qui elles veulent.
M. Benjamin :
Au niveau de votre expérience, les victimes avec qui vous avez eu l'opportunité
de collaborer... On nous a beaucoup
parlé d'un continuum de services qu'il manquait, des trous de service.
Qu'est-ce que vous pouvez nous dire
par rapport à cela et qu'est-ce... Où est-ce qu'il faudrait peut-être axer
davantage les interventions pour mieux soutenir, mieux accompagner les
victimes?
Mme Lamont
(Ève) : Bien, moi, ce qui
m'a beaucoup marquée, c'est qu'elles sont souvent très démunies, à tous
les niveaux. Ça leur prend un logement. D'autres en ont parlé, mais c'est
vraiment important, un logement où elles se sentent
bien, en sécurité. Elles auront besoin d'un revenu. Et, si les prestations
d'aide sociale arrivent deux, trois mois plus tard, de quoi vont-elles vivre, tu sais? Et elles sont dans un état assez
pitoyable, je dirais, elles ont besoin de support psychosocial. Ça prend
de l'accompagnement. Souvent, elles ont peur aussi. Elles ont besoin de se
sentir rassurées puis, donc, avoir accès
aussi aux services de santé et ne pas se sentir jugées. Mais il manque
cruellement, partout dans le système
de santé, on le sait, là... les psychologues, avoir accès à un psychologue,
c'est très difficile, et pour elles, bien, ce n'est jamais possible. Et
surtout avoir... Elles ont besoin de thérapie, c'est vraiment important, pour
se reconstruire et éventuellement, bien, avoir accès à des programmes de
réinsertion. Mais disons que, dans un premier temps, on parle vraiment de
répondre aux besoins de base.
M. Benjamin : Merci pour votre
travail.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci. Députée de Gaspé.
Mme Perry
Mélançon : Merci, M. le
Président. Bonsoir, Mme Lamont. Vous avez parlé, dans... je pense que
c'est le deuxième documentaire que vous avez fait, dont le nom m'échappe, vous
avez dit que vous aviez interviewé, vous avez fait des entrevues à des clients. Vous avez... Oui? Donc, comme on en
discute énormément, de ces fameux clients abuseurs, qu'on appelle ici, puis qu'on sait que c'est, bon,
c'est très tabou, c'est des gens qui font ça dans l'ombre, qui ne s'en vantent
pas, je me demandais comment vous avez
réussi à établir un lien de confiance. Comment est-ce qu'on pourrait entrer en
contact avec ces gens-là, comment vous avez réussi à le faire, vous, et
qu'est-ce que vous nous suggérez pour s'attaquer à cette clientèle-là?
Mme Lamont
(Ève) : Bien, j'ai rencontré
des clients de différentes façons, entre autres par les femmes qui sont dans l'industrie du sexe, qui m'en ont fait
rencontrer. Il y a aussi les clients... Vous allez dans un bar de danseuses,
c'est plein de clients. Il y en a là.
Et étonnamment, si vous parlez dans votre entourage, des fois, vous serez
étonnés, il y en a peut-être un qui
va se manifester, puisqu'un homme sur 10 a été, au Canada... en tout cas, il
n'y a pas de statistiques officielles, mais
il semble qu'un homme sur 10 ait été client de la prostitution au moins une
fois dans sa vie. Il faut dire aussi qu'aller aux danseuses, comme on dit communément, c'est très banalisé, mais c'est
être client parce qu'on consomme une personne qui offre une gratification sexuelle. Même si on ne va pas dans
l'isoloir avec elle, on est quand même là à consommer le spectacle d'une femme nue, qui est souvent une
femme, comment je peux dire, qui est sous l'emprise d'un proxénète et qui
est exploitée sexuellement.
Et ces
clients-là, bien, ils font partie de notre société, hein? Ils n'ont pas une...
Ce n'est pas des monstres. C'est des hommes
de tous les genres, de toutes les classes sociales. Ça peut être un jeune, ça
peut être un grand-père. Il a une copine, il est seul, il est marié, il veut de la diversité, il veut se changer
les idées. Bref, il peut être, comment je peux dire, il peut être
parfois, comme m'ont dit certaines filles, correct. Un bon client, c'est celui
qui ne bat pas les femmes.
Mais, même si
ce n'est pas tous les clients qui sont violents, leur impact sur les femmes est
énorme, est énorme. Puis parmi eux,
bien, oui, le problème est qu'il y en a qui se permettent tout avec les femmes,
qui veulent des pratiques dégradantes. Et
le fait que ces femmes-là vivent des relations sexuelles non désirées à
répétition avec ces hommes-là... Lui, il ne voit pas ça, parce qu'elle joue la comédie, il pense qu'elle veut être là,
là, qu'elle est contente d'être là, mais la réalité, c'est tout le
contraire.
Puis j'ai
rencontré un client, justement, qui est un homme progressiste, qui allait aux
danseuses, qui n'avait pas réalisé
tout le mal qu'il faisait jusqu'à tant que ses deux préférées, qui ont quitté
l'industrie du sexe aujourd'hui, après avoir quitté le bar, abandonné de
danser, lui ont dit jusqu'à quel point elles étaient détruites par leur
passage... par les années passées là
et comment elles ont été victimes d'abus dans l'industrie mais aussi dans leur
enfance. Bref, lui qui pensait qu'il n'avait jamais commis rien de mal
s'est rendu compte qu'il avait participé à un système d'oppression. Alors,
je pense qu'il y a un travail
à faire de conscientisation de tous ces hommes-là. Je crois qu'on pourrait quand même,
même sans être répressifs, juste avec une campagne de sensibilisation...
ça pourrait avoir un impact sur une partie de ces hommes-là.
• (17 h 40) •
Mme Perry
Mélançon : Donc, dans une
campagne de sensibilisation, comme vous dites que c'est du cas par cas,
ils n'ont pas tous le même éveil de
conscience au même moment ou pour les mêmes raisons, quel message on passe, qui
on cible, dans quels endroits? Comment on s'y prend pour une campagne de ce
genre-là?
Mme Lamont (Ève) : Ah! moi, je
pense qu'il faut cibler largement, largement. La même chose que pour les campagnes sur la violence conjugale, là, il y a
des annonces à la télé, il y a des annonces sur les panneaux publicitaires, sur le Web, il faut viser tous les hommes. Mais aussi il faut
que les femmes le sachent, les jeunes filles le sachent, que ce n'est pas
acceptable d'acheter le corps d'une personne, que c'est inacceptable, socialement. Même si la personne
en face de nous consent, c'est clair
que l'argent achète le consentement, et c'est parce que la personne a besoin de
cet argent-là qu'elle accepte d'avoir du sexe tarifé avec un client,
sinon elle n'en aurait pas.
Mme Perry Mélançon : Je vais
passer la parole à d'autres collègues. Merci beaucoup.
Le Président (M. Lafrenière) :
Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Oui. Bonjour,
madame. Merci beaucoup pour l'échange riche, riche et qui nous donne beaucoup
d'informations. Est-ce que j'ai bien compris que vous avez dit, dans la majorité
des cas — ou
peut-être que je me trompe — ces
femmes qui se retrouvent en prostitution ont été abusées jeunes, enfants ou
jeunes, à quelque part, donc, la majorité? Ça, c'est vos
constats? Est-ce que c'est des données? Est-ce que c'est scientifique ou c'est
vos constats personnels?
Mme Lamont
(Ève) : ...scientifiquement,
il y a une grande étude, qui a été faite par Melissa Farley en 2003
auprès de 854 femmes dans neuf
pays, qui démontre qu'une majorité ont vécu de l'abus, de la violence, et dans l'industrie
du sexe et aussi dans leur jeunesse.
Et moi, moi, c'est ce que j'ai vu sur le terrain... (panne de son) ...réalité était vraiment plus grave que ce que je pouvais m'imaginer, puis, sur toutes les femmes que j'ai
rencontrées, 80 % avaient vécu des agressions sexuelles ou de
l'inceste dans leur jeunesse, et sans compter la maltraitance et la
négligence...
Mme Weil : Parce qu'on a
eu...
Mme Lamont (Ève) : ...alors
c'est des victimes.
Mme Weil : Excusez-moi. On a eu ces échanges avec certains
académiques, etc., et puis ils ont souvent dit : Bien, ça peut être
dans n'importe quelle famille, c'est un couple bien rangé puis... Même
Maria Mourani, qui a quand même beaucoup de clients qui viennent chercher de l'aide, elle
disait... ça semblait être vraiment des couples tout à fait normaux, et que, souvent, c'est juste l'âge. Il faut faire
attention, quand ils arrivent à l'âge de l'adolescence, elles peuvent être
fragiles, et donc séduites par quelqu'un,
par l'amour, etc. Est-ce que vous avez vu ça aussi, ce genre de contexte, ou
c'est une minorité? Ce serait une minorité de cas qui seraient...
Mme Lamont
(Ève) : Oui, c'est ça,
effectivement. Mais, en fait, c'est que cette réalité-là, elle
existe, et de plus en plus, d'ailleurs, des jeunes filles, des
adolescentes qui proviennent de familles stables, qui ne vivent pas de problème
particulier, mais qui sont un peu vulnérables, là, on le sait, là, la crise de
l'adolescence, on se cherche, on cherche notre identité, on a besoin de valorisation, puis là arrive un beau jeune
homme qui nous fait la cour puis qui nous promet... tu sais, qui est le prince charmant, parce que c'est
des enjôleurs de première. Et d'ailleurs, dans mes recherches, c'est ce que
j'ai vu aussi, des filles qui venaient de familles à l'aise ou tout à fait
aimantes et qui ont été prises dans les griffes d'un proxénète. Donc, ça
existe, c'est vrai, mais c'est une minorité.
Mme Weil : D'accord. Je
ne sais pas combien de temps il reste.
Le Président (M. Lafrenière) :
Encore 1 min 30 s.
Mme Weil : O.K. Donc, la Suède. On fait face, et c'est très
frustrant... Puis, depuis quelques jours, vous avez tous, toutes, je dirais,
le même message, c'est que d'acheter un corps d'une femme, c'est inacceptable,
et c'est ça qu'il faut comprendre, en bout de ligne, et, de banaliser la prostitution comme beaucoup le font, alors, c'est
frustrant quand on sort, nous — peut-être que vous le vivez, mes collègues
ici — quand on
dit qu'on est sur cette commission, bon, puis ils disent : Bon, les
adultes, on comprend, c'est consentant, puis, bon... alors il ne faut pas
s'attaquer à ça.
Mais vous
avez dit que la Suède a commencé exactement à ce point-là, c'est-à-dire, la
population suédoise pensait comme ça aussi, mais que le gouvernement a
réussi, par des campagnes et de l'éducation, à changer la donne. Alors, nous, on a focussé, oui, sur les mineurs, parce
qu'on avait exactement cette réaction : On n'aura pas, comment dire... ça
va être très, très difficile, parce
que la majorité des Canadiens ou des Québécois ne seraient pas d'accord avec ce
consentement qu'on voit chez les
adultes. Bon. Mais ce que je comprends du message qu'on a depuis deux jours,
c'est un tout, c'est un tout, puis je comprends qu'on va mettre nos
efforts sur le mandat qu'on a, mais votre recommandation par rapport à comment on fait pour aller justement sur ce
point-là, pour donner l'espoir, je vous dirais... Parce que c'est du fatalisme,
souvent. Avec des hommes, quand on leur dit ça, ils disent : Ah! c'est...
Ou des gens, ils disent : C'est la plus vieille profession du monde, on ne changera pas la nature de l'être humain,
hein, tout le monde dit ça. Alors, c'est du fatalisme, un peu, je pense,
parce qu'ils disent : Ah! Comment
corriger ça? Ça va être impossible. Alors, il faut un peu donner de l'espoir
aux gens que, oui, la Suède a réussi
à le faire et que ça a changé les mentalités. Alors, ça... Est-ce que vous
recommandez que dans cette campagne...
Et, les pays qui ont suivi la Suède, est-ce qu'ils sont allés sur cet
élément-là pour convaincre les gens qu'on peut changer la donne?
Mme Lamont
(Ève) : Bien, moi, j'y crois
fermement. Puis, c'est sûr, c'est un bon début, de commencer... Bien, c'est sûr que tout le monde s'entend
qu'acheter le consentement d'une mineure, c'est un crime. Mais c'est tellement
facile de
démontrer pourquoi, à partir... Pourquoi, à 18 ans, soudainement,
elle devient heureuse et consentante? Et, si le client se rend compte que, youhou! c'est parce que
celle qui est là, là, qui a 19, 20 ans, 21... Parce qu'on le sait, c'est toujours des jeunes
femmes. Les femmes trafiquées, la majorité, elles ont entre 14 et 22 ans. Pourquoi
ça serait mieux à 22 ans? Ça pourrait être
sa fille. Ça fait que... Et ça cause du tort. Si le client
pouvait comprendre tous les dommages que ça crée, les conséquences désastreuses et que cette fille-là qui est en face
de lui, ça pourrait être sa nièce, sa fille... Allo! Je veux dire, il faut
qu'il se rende compte des impacts graves.
Puis, en
Suède, au départ, 30 % des gens appuyaient le projet de loi, et, après son application, c'est 70 %.
10 ans après, ils ont fait des sondages,
70 % de la population est contente de cette loi-là. Ça fait qu'il y a eu
une... Mais ça fait partie d'un tout,
hein? Ça a fait la paix des femmes, c'est un peu comme la «Paix des Braves». Et
il voulait mettre en place un
programme d'égalité hommes-femmes, puis il s'est dit : Bien voyons! On ne
peut pas ne pas inclure la prostitution, c'est comme... c'est l'éléphant
dans la pièce, la prostitution.
Puis, quand
on dit «le plus vieux métier du monde», bien, tu sais, le viol existe depuis
toujours, les meurtres existent depuis
toujours. Est-ce qu'on dit : Ah! ça existe depuis toujours, c'est dans la
nature de l'homme, on ne fera rien? On est au XXIe siècle, là. On disait qu'abolir l'esclavage, au XIXe siècle,
c'était une utopie. Bon, il y en a encore, de l'esclavage dans le monde, là, mais on le combat quand même puis on
conçoit, comme société évoluée, que ce n'est pas acceptable. Puis, tu sais... puis les jeunes aussi, il faut voir, c'est
qu'ils vont grandir dans une société où ce ne sera pas... On n'ira pas aux
danseuses, on ne fêtera pas ses 18 ans
dans un bar de danseuses, on va faire d'autre chose, tu sais, on va faire le
party de façon plus saine et équilibrée.
Mme Weil : Merci. Merci
beaucoup, merci.
Le
Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, Ève, merci de votre participation, c'est très apprécié,
merci à la contribution à nos travaux.
La commission
suspend ses travaux quelques instants, et on va se réunir en séance de travail.
Merci. Bonne soirée, Ève.
(Fin de la séance à 17 h 50)