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Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le mercredi 6 novembre 2019 - Vol. 45 N° 3

Consultations particulières et auditions publiques sur l’exploitation sexuelle des mineurs


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Table des matières

Auditions (suite)

Mme Maria Mourani

Collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement (CAFES)

Mme Nellie Brière et Service de police de la ville de Gatineau (SPVG)

Mme Ève Lamont

Autres intervenants

M. Ian Lafrenière, président

M. Alexandre Leduc

Mme Christine St-Pierre

Mme Lucie Lecours

M. Guy Ouellette

Mme Isabelle Lecours

M. Frantz Benjamin

M. Denis Lamothe

Mme Kathleen Weil

Mme Nancy Guillemette

Mme Méganne Perry Mélançon

*          Mme Rose Sullivan, CAFES

*          M. Luc Beaudoin, SPVG

*          Mme Isabelle Plante, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures vingt et une minutes)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs ouverte. Je vous souhaite la bienvenue et je demande à toute personne dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement.

Auditions (suite)

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Ce matin, nous allons entendre Mme Maria Mourani. Alors, je souhaite la bienvenue à Mme Mourani. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, puis nous allons procéder à une période d'échange de 25 minutes avec les membres de la commission. Mme Mourani, bienvenue.

Mme Maria Mourani

Mme Mourani (Maria) : Merci beaucoup, M. le Président. Mmes, MM. les députés, bonjour. Je tiens à remercier la commission de m'avoir invitée aujourd'hui pour partager mon expérience dans le domaine du trafic humain, et de l'exploitation sexuelle des mineurs, et dans l'ensemble aussi.

Rapidement, pour ceux qui ne me connaissent pas, on m'a demandé de me présenter. Donc, je suis criminologue, sociologue. Je travaille depuis presque 20 ans dans le milieu de gangs de rue, crime organisé, trafic humain. Et, depuis 2011‑2012, je m'intéresse à l'engagement des jeunes occidentaux dans les groupes djihadistes. Donc, vous avez mon C.V. Et, si vous voulez avoir plus d'information sur la firme de criminologie que je dirige, Mourani-Criminologie, vous pouvez aller sur notre site Internet.

Donc, dans le cadre de cette présentation, compte tenu du temps qui m'est alloué, je vais essayer de faire des bonds, hein? Je vais faire des bonds sur des acteurs que je considère importants dans le maintien de ce système d'exploitation et je vais aussi parler des victimes. Donc, je vais m'en tenir uniquement à l'exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales parce que, comme vous le savez, il y a d'autres formes d'exploitation de mineurs.

Le premier principe que j'aimerais mettre de l'avant avant que je vous parle vraiment des différents acteurs de ce milieu-là, c'est de faire attention aux termes «exploitation sexuelle des mineurs», que cela n'infère pas une idée qu'il existerait une prostitution choisie des mineurs. Quand on parle de mineurs, quand on parle d'adolescents et d'enfants, il n'y a pas de prostitution choisie.

D'ailleurs, je vous dirais, ce qu'il est important aussi de retenir, c'est qu'il ne faut pas avoir cette vision dichotomique de l'exploitation sexuelle à l'effet que nous avons les mineurs d'un côté et les adultes de l'autre. Je pense qu'il y a plusieurs intervenants qui vous ont déjà dit que près de 80 % des victimes d'exploitation ont été recrutées alors qu'elles étaient mineures, et c'est ce que je peux constater aussi sur le terrain.

Donc, lorsqu'on parle d'exploitation sexuelle des mineurs, il faut comprendre qu'on parle d'agression sexuelle. C'est comme ça qu'il faut le voir, comme des agressions sexuelles, et qu'au Québec ce n'est pas parce que tu paies pour avoir des enfants que tu n'es pas un pédophile, un hébéphile. Tu es un agresseur sexuel, et puis il faut que ça soit clair, parce que ce n'est pas si clair que ça dans le milieu, sur le terrain, et même dans la tête, hein, de ceux qui consomment ce genre de produit. Donc, il faut que ça soit vraiment très clair.

Alors, rapidement, je ne vais pas vous donner des chiffres parce que je pense que vous en avez eu déjà pas mal. Ce que je veux vous dire, par contre, sur les données que nous avons, elles ne sont que partielles, et ça, c'est très important. Ce sont des données partielles des victimes détectées, des proxénètes détectés, ce qui veut dire que tout ce que nous voyons pour l'instant, c'est la pointe d'un iceberg. Et je pense qu'il serait fondamental que l'on ait un recensement de l'industrie du sexe. Ça va nous permettre non seulement de savoir où est-ce qu'on... bien, qu'est-ce qu'on a au Québec... C'est sûr qu'on ne saura pas tout ce qu'on a au Québec parce que c'est quand même une activité clandestine, mais nous aurons des données un peu plus probantes si nous faisons un recensement de cette industrie-là. Que ce soit au niveau des lieux d'exploitation, que ce soient les victimes, les proxénètes, etc., on a besoin d'un recensement.

Alors, l'autre élément que j'aimerais porter à votre attention, c'est que, lorsqu'on parle d'exploitation sexuelle, on ne parle pas seulement de prostitution, on parle de pornographie. Et la pornographie est un marché qui représente, à l'échelle mondiale, 100 milliards de dollars US par année. Et la pornographie est tellement banalisée dans nos sociétés qu'il y a des actions importantes à mener, et je vais vous en parler un peu plus longuement tout à l'heure.

Alors, disons, ce n'est plus un secret de Polichinelle que de savoir que l'âge moyen d'entrée dans la prostitution au Canada, c'est 14 ans. Personnellement, la plus jeune victime que j'ai eue avait 14 ans. Et, parmi les femmes adultes que j'ai pu rencontrer, elles ont débuté à l'âge de 12 ans. Donc, nous n'avons pas besoin d'aller dans des pays qui vendent des enfants pour avoir des enfants au Québec. Le Québec est une plaque tournante de l'industrie du sexe, comme vous le savez, mais c'est aussi un pays... pardon, une province de recrutement, de tourisme sexuel. C'est une province où on peut trouver un enfant comme une pizza, hein? On peut choisir qu'est-ce qu'on veut et comment on le veut.

Donc, le problème est immense au Québec. On pense qu'il y a, au Canada, autour de 40 % de mineurs dans cette industrie-là. Moi, je vous dirais, ce que je peux constater à partir de mon propre échantillonnage, je dirais entre 30 % et 40 % de mineurs au Québec, ce qui n'est pas très différent des données nationales et ce qui n'est pas très différent des données internationales.

Alors, parlons maintenant des différents acteurs. Je vais d'abord parler, je vous dirais, de l'acteur le plus important dans ce système d'exploitation, qu'on a beaucoup négligé. On parle beaucoup des proxénètes, mais l'un de ces acteurs-là, qui est, bien sûr, celui qu'on nomme le client, qu'il ne faudrait, d'ailleurs, quant à moi, ne même plus appeler comme ça, ce sont des prostitueurs, si vous voulez, des clients abuseurs, ces individus-là, quand on parle d'exploitation de mineurs, ce sont des pédophiles, ce sont des hébéphiles. Ce sont des individus qui cherchent ce type de produit là. Et je dis le mot «produit», «marchandise» parce que c'est le mot qui est employé dans ce milieu-là. Ce n'est plus des êtres humains, ce n'est plus des enfants, ce n'est plus des adolescents.

Donc, ces individus appartiennent à toutes les classes sociales. Ce sont majoritairement des hommes qui possèdent de l'argent, du pouvoir ou qui n'en ont pas forcément énormément, hein? Donc, c'est M. Tout-le-monde. Pour vous dire, dans les enquêtes que j'ai pu faire, on les retrouve dans tous les corps professionnels, des corps professionnels de pouvoir comme des politiciens, des corps professionnels artistiques, pompiers, restaurateurs. Vous en avez partout, mariés, pas mariés, célibataires, veufs, avec ou sans enfants. Donc, M. Tout-le-monde, tout simplement.

• (11 h 30) •

Alors, M. Tout-le-monde, au fond, qu'est-ce qu'il représente à l'échelle canadienne? Il y a très peu d'études là-dessus. L'une que je retiens est celle de Poulin, qui parle d'à peu près 11 % d'hommes qui achèteraient du sexe au Canada. Donc, quand on se compare, vous allez me dire, on se console parce que, quand on parle des pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas, etc., donc des pays qui ont légalisé ou normalisé la prostitution, on se retrouve avec des pourcentages de 60 %, 70 %, 80 % de prostitueurs, oui, oui, pas mal d'hommes qui consomment. C'est quand même... Donc, au fond, la légalisation amène cette banalisation-là qui contribue à l'augmentation de cette consommation-là.

Alors, au niveau du prostitueur, que pouvons-nous faire? Moi, je vous dirais, on a déjà tous les outils, hein, législatifs pour agir sur ces individus-là. Alors, comme vous le savez, aujourd'hui nous sommes le 6 novembre, et, pour moi, c'est quand même une journée assez historique parce que la loi C-36 a été mise en application le 6 novembre 2014. Donc, je vous dirais, l'élément fondamental pour mettre, si vous voulez, à mal cette industrie-là, c'est de s'attaquer à la clientèle. Ça, c'est fondamental. Et il ne faut plus avoir peur d'avoir peur. Il faut s'attaquer au client quel que soit son statut social, quel que soit son pouvoir et quelle que soit sa richesse. Il n'y a personne qui doit être impuni. Ça doit cesser, cette difficulté-là que moi, je constate sur le terrain. Et, pendant longtemps, avant que cette loi ne soit mise en application, pendant longtemps, on a ciblé les proxénètes et les personnes prostituées, et, encore là, il y avait cette impunité de ces prostitueurs-là.

Alors, l'application systématique de C-36, mais aussi il faut donner les moyens. Moi, ce que je constate, si on prend, par exemple, l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme, ils ont le mandat de s'occuper des prostitueurs, mais, lorsqu'on regarde les données, par exemple, du DPCP, il n'y en a pas beaucoup, d'arrestations de clients, là.

Je vous donne un exemple de novembre... disons, décembre, à peu près décembre 2014 à juillet 2019, donc tout récemment. On parle de 233 individus accusés d'achat de services sexuels au niveau adulte. Alors, on ne le sait pas plus pour les mineurs. Enfin, moi, je n'ai pas l'information pour les mineurs. Et, dans ce 233, ce que les données du DPCP nous disent, c'est que ça se peut qu'il y ait des individus qui ont été ajoutés deux, trois fois, donc ça veut dire que c'est encore moins que 233. Alors, si on se compare avec Edmonton, bien, Edmonton, on parle de plus de 40 % d'arrestations de clients. Donc, ils ont développé, à Edmonton, cette culture-là de dire : On va s'attaquer aux prostitueurs. Et je pense que nous sommes rendus là, hein? Après cinq ans, nous sommes rendus à cette étape-là.

Et, dans les... j'estime que ce serait un bon «move» de faire en sorte que les différents corps policiers puissent avoir comme une équipe, une cellule à l'intérieur de leur équipe qui s'occupe uniquement d'actions, d'opérations clients, bien sûr en partenariat, parce qu'il ne faut pas travailler en silo, on se comprend. Donc, il faut avoir ce genre d'action à l'intérieur même des grandes équipes de lutte au proxénétisme et que ça devienne de manière systématique.

Maintenant, à partir du moment où on fait des arrestations clients, il faut faire attention. Bon, il y a ceux qui consomment des mineurs et ceux qui consomment des adultes. Ceux qui consomment des adultes, on a C-36 avec, bien sûr, l'achat de services sexuels. Et, généralement, ces prostitueurs-là, à partir du moment où ils sont identifiés, passent devant le juge ou même aient une amende, ça suffit à les freiner, hein? Ça suffit à diminuer et même éradiquer... je n'aime pas trop le mot «éradiquer», parce que c'est trop absolu, mais, disons, à diminuer la récidive.

Par contre, lorsqu'on parle de prostitueurs de mineurs, là, on est dans un autre créneau. Là, on est dans de la pédophilie, on est dans l'agression sexuelle sur mineurs. À ce moment-là, je pense que les accuser seulement d'achat de services sexuels est une aberration. Il faut que ces individus-là aient des charges d'accusation d'agression sexuelle sur mineurs parce que c'est ce que c'est, une agression sexuelle sur mineurs.

L'autre point, concernant des équipes qui s'occuperaient uniquement d'opérations clients, c'est sûr qu'il faudrait penser à les financer. Alors, c'est au gouvernement de décider et de voir qu'est-ce qu'il est possible de faire.

L'autre acteur qu'on ne parle presque pas, mais qui est un acteur important, c'est ce que j'appelle les bénéficiaires secondaires. Alors, eux, c'est tous les hôtels, bars, motels, restaurants, grands événements, la F1. La F1, on la connaît tous. Le Grand Prix de Montréal est un pôle d'attraction du trafic humain au Canada, on le sait, on l'a dit, on l'a redit. Et il n'y a pas grand-chose qui est fait en ce sens-là, pour, disons, changer l'image de la F1. Même si, très récemment, cet été, on voit que la nouvelle direction essaie quand même de changer les choses, ce qui est positif, ce qui est bien, je m'attends à ce qu'ils fassent encore plus de choses.

Parlons des hôtels et des bars. Ce n'est pas vrai que c'est seulement les petits motels miteux. De la prostitution, là, il y en a dans les cinq étoiles, O.K.? Alors, dans les miteux, c'est sûr que c'est plus facile de louer deux, trois chambres puis de faire ce qu'on appelle des «in calls», c'est-à-dire que la fille est dans le motel puis elle attend que les clients défilent, très souvent 10, 15, 20 clients. On voit bien le topo. La direction, peut-être, n'est pas au courant, peut-être elle l'est, mais, en tout cas, le gars qui donne la clé des chambres, il doit en avoir une petite idée. Mais on peut toujours donner le bénéfice du doute. Mais ce que je constate, c'est que vous avez ceux qui jouent à l'autruche et puis vous avez les complices.

Donc, vous avez des individus qui sont des employés dans ces hôtels-là, que ce soient des motels miteux ou que ce soient des hôtels de luxe, qui réfèrent des agences d'escortes, qui ont des bars chiches ou des à-côtés avec ça. Donc, ce sont des employés. Ça peut être le concierge, ça peut être le barman, ça peut être n'importe qui dans la place. Le propriétaire n'est pas forcément au courant. Mais c'est des individus qui travaillent avec des proxénètes et qui réfèrent. Donc là, on se retrouve dans le «out call», c'est-à-dire le prostitueur est dans sa chambre, et la fille vient.

Donc, les bars, les hôtels, les restaurants, tout ce beau monde là profite de cette industrie-là. Et moi, je pense qu'ils sont imputables. Et je proposerais qu'on ait au Québec une stratégie québécoise de lutte à la traite des personnes et que cette stratégie contienne, bien sûr, plusieurs éléments, dont cet élément-là de dire : Nous autres, on va créer un label qui s'appelle Québec sans prostitution pour les entreprises, et toutes les entreprises qui font des actions bien précises pour lutter contre ce phénomène-là dans leur entreprise, dans leur lieu physique, bien, elles vont avoir un crédit d'impôt, elles vont avoir ce label-là, Québec sans prostitution. Ce que nous allons savoir, qu'ils sont des entreprises délinquantes ou ne font pas grand-chose, ne veulent rien savoir, bien, écoutez, c'est des amendes.

Alors, comment cela peut être mis en place? Je ne suis pas une experte des lois provinciales, mais je me suis dit : Si on a un Code civil... si on a un code de la route avec une description de tout ce qu'on ne peut pas faire avec une voiture et tout ce qu'on doit faire, avec des amendes, etc., qu'on peut aller au criminel ou par voie sommaire, bien, le code de la route, il est provincial, alors peut-on penser, envisager... Est-ce que c'est possible de faire un code de gestion de toutes ces entreprises-là dans une stratégie globale de traite à l'exploitation sexuelle, traite des personnes, au Québec? Donc, ça, c'est un élément que je voulais vous amener.

Je ne sais pas combien de temps il me reste, M. le Président.

Le Président (M. Lafrenière) : 3 min 30 s.

Mme Mourani (Maria) : Wow! O.K., d'accord. Alors, ce que je vais faire... Je ne pourrai pas vous parler du recrutement. J'aurais bien aimé. Mais je vais aller directement dans la stratégie et vous amener quelques points que je pense qui pourraient être intéressants de mettre dans cette stratégie de lutte à la traite des personnes. Et j'aurais aussi aimé vous parler un peu de la gestion de ces jeunes à l'intérieur des centres jeunesse. Donc, si ça intéresse quelqu'un, vous pourrez me poser la question, ça me fera plaisir d'y répondre.

Donc, au fond, dans cette stratégie nationale là, il faut qu'il y ait une politique de tolérance zéro à l'exploitation sexuelle, quel que soit l'âge des victimes.

L'autre point aussi qui serait important, c'est qu'on ait un fonds d'aide aux victimes d'exploitation sexuelle qui permettrait de donner une aide directe à ces personnes-là et aussi de financer, bien sûr, les organisations qui aident ces femmes-là à sortir de la prostitution, et je dis bien à sortir de la prostitution.

D'autre part, il serait important que, dans cette stratégie-là, on établisse clairement que l'exploitation sexuelle au Québec est inacceptable et l'exploitation sexuelle des mineurs est une agression sexuelle. Il faudrait que ça soit clair, clairement dit.

• (11 h 40) •

L'autre point qu'il pourrait être très important d'amener, c'est, bien sûr, une modernisation de la Loi sur l'IVAC. Alors, moi, ce que j'ai constaté sur le terrain, c'est que les victimes d'exploitation sexuelle ne sont soit pas acceptées, soit très peu acceptées, et pas à cause de l'exploitation sexuelle, mais parce qu'elles ont eu des voies de fait, tentatives de meurtre, etc., donc sur d'autres chefs d'accusation qui font qu'elles ont pu avoir un psychologue et avoir de l'aide de l'IVAC. Alors, je pense qu'il y a une modernisation de l'IVAC à faire au niveau non seulement d'ajouter l'exploitation sexuelle dans la fameuse annexe sur les différents délits, mais aussi de voir si, dans le Code criminel, il n'y aurait pas d'autres infractions à ajouter, d'une part.

L'autre élément que j'amènerais sur l'IVAC, il y a une disposition dans la Loi sur l'IVAC qui dit que le délit doit être commis au Québec. Moi, je vous dis, ça ne s'appliquerait pas. Ça ne serait pas applicable à la traite de personnes ou à l'exploitation sexuelle parce que le principe même de la traite, c'est d'exporter les marchandises d'une province à l'autre, d'une ville à l'autre, etc. Donc, il faudrait, pour ce type de criminalité là, l'adapter, en fait, ce point, dans la loi actuelle de l'IVAC. Ce qui est important aussi, c'est qu'il ne faut pas qu'une modernisation de la loi de l'IVAC devienne conditionnelle à avoir une aide du fonds d'aide aux victimes. Ces personnes-là vivent énormément de précarité, et il serait bien qu'elles puissent avoir accès à l'IVAC, mais aussi accès au fonds d'exploitation, si ce fonds est mis en place.

L'autre point, c'est, je vous dirais, deux éléments importants. Il serait important d'avoir un tribunal spécialisé, spécialisé sur l'agression sexuelle, mais aussi spécialisé sur l'exploitation sexuelle, parce qu'agression sexuelle, exploitation sexuelle, là, c'est juste le fait qu'on paie qui fait la différence. «That's it.» Ce sont des agressions sexuelles. Donc, il faudrait avoir un tribunal spécialisé, parce qu'au cours de ma carrière j'ai constaté que les victimes avaient beaucoup de difficultés à dénoncer pas seulement... oui, à cause de la peur qu'elles ont envers le proxénète, mais aussi à devoir passer à travers des tribunaux. Ça, pour eux, c'est vécu comme une double victimisation. Et je pense qu'il est fondamental de pouvoir aller vers un tribunal spécialisé.

L'autre point que j'amènerais...

Le Président (M. Lafrenière) : En conclusion, s'il vous plaît, Mme Mourani.

Mme Mourani (Maria) : C'est fini, hein? O.K., d'accord.

Le Président (M. Lafrenière) : Oui. Si vous voulez conclure, je vous permets de conclure.

Mme Mourani (Maria) : Le logement, hein, le logement, le logement, le logement, au Québec, on a un manque criant de maisons d'hébergement spécialisées pour les victimes d'exploitation sexuelle. Et, après une recherche que j'ai faite, sur 548 femmes qui ont répondu à un questionnaire sur les besoins et le logement, elles disent toutes qu'elles aimeraient ça avoir leur logement mais à coût modique. Donc, il faudrait penser à voir comment on pourrait améliorer la loi sur le logement pour favoriser un peu ces femmes-là et aussi financer des maisons d'hébergement.

Je vous remercie.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre exposé, Mme Mourani. On va commencer la période d'échange avec les membres de la commission, et le député de Vachon a une question pour vous. Alors, je vais me permettre une question. Je ne l'ai jamais fait jusqu'à présent.

Je profite de votre présence comme criminologue. On a entendu nos collègues d'Edmonton qui sont venus nous parler de mesures de rechange. Je comprends très bien la notion avec des mineurs, le côté criminel. Puis ça, je pense qu'on est tous à la même place. Mais, pour des adultes, la mesure de rechange qu'ils ont, qui est le «john school», donnait des résultats intéressants où il y avait 80 % des gens qui n'avaient pas de récidive ou, en tout cas, qui n'avaient jamais été pincés par la suite. J'aimerais vous entendre là-dessus, avec votre connaissance de la criminologie, ce que vous pensez de mesures de rechange qui s'attaquent à nos clients abuseurs, que vous appelez des prostitueurs.

Mme Mourani (Maria) : Tout à fait. Moi, je vous dirais, je suis tout à fait en accord, parce que ce qu'on constate, comme je vous l'expliquais tout à l'heure, la très, très grande majorité des prostitueurs, lorsqu'ils ont une intervention, que ce soit une amende, que ce soit le fait d'aller dans une mesure réparatrice, etc., le taux de récidive va chuter de manière drastique, parce que ce ne sont pas forcément des personnes criminalisées et ce ne sont pas forcément des personnes qui ont des perversions sexuelles. Donc, au fond, une intervention de ce type, comme il est fait à Edmonton, fait en sorte de diminuer la récidive sans qu'on rentre dans une criminalisation «at large» des individus. Donc, ce sont des mesures que je favoriserais beaucoup pour ce type de clientèle là, bien sûr.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup.

Mme Mourani (Maria) : Merci à vous.

Le Président (M. Lafrenière) : Le député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci de votre témoignage. C'est très apprécié.

Je cherche à bien comprendre la question du client abuseur. On fait, tout le monde, bien la distinction entre les situations d'exploitation sexuelle pour les mineurs puis, bon, les majeurs. Mais est-ce que les clients, eux, comment je dirais ça, vont exclusivement juste vers des mineurs, ou des majeurs, ou indistinctement, consomment les deux?

Mme Mourani (Maria) : C'est une très bonne question. En fait, vous avez deux catégories, et deux catégories qui sont difficilement discernables. On ne peut pas couper au couteau. C'est que vous avez des pédophiles et des hébéphiles dont le but est vraiment d'avoir des enfants, ou des adolescents, ou des adolescents qui ressemblent à des enfants. Donc, eux, c'est très clair, leur préférence sexuelle, si vous voulez. Et vous avez quand même une bonne proportion de ces clients-là qui ne vont pas forcément dire qu'ils veulent des mineurs, mais qui ont des fantaisies envers les mineurs.

La très grande majorité des victimes que moi, j'ai rencontrées, quand je leur posais des questions sur le genre de gars qu'elles voient, elles me parlaient, bien sûr, de ceux qui avaient ces préférences-là sexuelles, là, pour des mineurs, mais, de tous ces hommes, qui, au fond, d'un premier abord, ne sont pas forcément des pédophiles, mais fantasment sur des petites filles de 14, 15 ans... C'est particulier à dire, parce qu'on se dit : À partir du moment où tu fantasmes sur des 14, 15 ans, tu peux passer à l'acte, hein, c'est peut-être ça, ta préférence sexuelle. Mais non, parce que c'est des hommes qui vont partir avec des femmes adultes. Ils sont capables d'être en relation et d'avoir des relations sexuelles avec des femmes adultes. Mais, quand ils vont aller voir les personnes prostituées, ils vont demander, par exemple, qu'elles s'habillent en petite fille, se rasent, etc., et parfois ça dérape.

Donc, ces gars-là, on peut avoir des gars comme ça, qui ne sont pas forcément des pédophiles ou identifiés avec des perversions, qui se retrouvent avec des mineures, qui franchissent, si vous voulez, la ligne. Alors, elle est très difficile à...

M. Leduc : C'est flou.

Mme Mourani (Maria) : Oui, elle est très floue, et n'importe qui peut basculer, en fait.

M. Leduc : Justement, quand vous parlez de 11 % d'hommes au Canada qui achèteraient du sexe, est-ce que, donc, dans cette proportion-là, on peut imaginer que c'est la moitié, plus de la moitié, qui consomme du sexe de mineurs?

Mme Mourani (Maria) : C'est difficile de répondre à cette question parce qu'on n'a pas les données. On a très peu de données sur les prostitueurs, et, le peu de données que nous avons, on n'a pas de différence entre mineurs et adultes. Maintenant, on peut faire des suppositions, d'où l'importance d'avoir un recensement pas seulement sur les proxénètes puis les victimes mais aussi sur les prostitueurs, pour savoir c'est qui, ces gars-là qui vont aux mineurs, puis c'est qui qui va chercher, en fait, de la prostitution dans son ensemble.

Maintenant, il faut savoir qu'on parle de 30 % à 40 % de mineurs dans cette industrie-là.

M. Leduc : Oui, logiquement.

Mme Mourani (Maria) : Quand on parle de presque la moitié, là, je pense qu'il y a pas mal de clients. Sinon, ça ne marcherait pas, le business, à mon avis.

M. Leduc : C'est ça, O.K. Non, en effet. Dernière question. Il y a des groupes qui sont venus avant vous qui nous disaient que, la majorité, puis vous l'avez confirmé, l'entrée, en moyenne, était à 14 ans. Mais il y en a qui parlaient que la sortie était presque tout le temps dans la majorité. Est-ce que c'est ce que vous avez observé aussi?

Mme Mourani (Maria) : C'est vrai. C'est vrai, tout à fait. Je ne serais pas capable de vous dire quelles sont les proportions, mais je constate, parmi les victimes que moi, je rencontre, et ça fait quand même plusieurs années, là, que j'en rencontre, c'est toujours le même modus, c'est-à-dire, elles sont recrutées mineures puis elles arrivent à s'en sortir quand elles ont dans la vingtaine. Et parfois elles peuvent s'en sortir quand elles sont mineures parce qu'il y a eu des opérations policières pour les extraire de ces réseaux-là.

Habituellement, les mineures que moi, je constate qui ont réussi à s'en sortir à l'âge mineur, donc qui ont subi cette exploitation-là beaucoup moins longtemps que celles qui sortent à l'âge adulte, c'est parce qu'il y a eu des opérations policières, des parents qui ont dénoncé, des parents qui ont suivi à la trace et qui ont été très persistants. Donc, ces proxénètes-là n'aiment pas la pression. Alors, quand on a des parents qui vont être sur le dos de leur jeune et qui vont... même, j'ai des parents qui sont allés taper à la porte du proxénète pour dire : Tu vas laisser ma fille, etc., quand ils ont ce genre de situation là, ça les embête. Alors, ils préfèrent mettre... Celles, qu'ils appellent, qui ont du trouble, ils vont les laisser partir. Mais c'est extrêmement rare. Je vous parle de cas vraiment rares parce que, la plupart du temps, ils vont les pitcher en Ontario, à Niagara Falls ou à Toronto justement pour qu'on perde un peu leur trace, quoi.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Mme Mourani (Maria) : Un grand plaisir.

Le Président (M. Lafrenière) : La députée de l'Acadie.

• (11 h 50) •

Mme St-Pierre : Merci beaucoup, M. le Président. Merci à Mme Mourani pour cette intervention auprès de notre commission. Je pense qu'elle est essentielle. J'ai plusieurs questions. Je vais vous demander des réponses courtes parce que, je pense, j'ai des collègues aussi qui en ont.

Et moi, je veux parler des clients abuseurs, des prostitueurs, comme vous les appelez, et je veux qu'on... Et je constate depuis... Ça fait deux jours, là, puis c'est la troisième journée qu'on n'a pas... Il va falloir qu'on soit très agressifs, puis il va falloir qu'on pense à côté de la boîte, comme on dit, là, puis il va falloir qu'on propose des mesures vraiment agressives, parce que, s'il n'y a pas d'acheteur, bien, on va diminuer l'exploitation sexuelle des mineurs. Je pense aux hôtels, aux bars. Il devrait peut-être y avoir une taxe à la lutte contre l'exploitation sexuelle. Il y a une taxe sur l'habitation. Je sais que le ministre des Finances n'aime pas les taxes dédiées, mais peut-être que ce serait ça aussi, le moyen, parce que ça serait les gens qui utilisent les hôtels, donc qui viennent souvent de l'extérieur, des touristes, qui paieraient pour nous aider à la lutte contre l'exploitation sexuelle.

Comment on peut arriver à faire en sorte que le client abuseur soit tellement gêné que ça dissuade d'autres clients abuseurs? Est-ce que c'est un registre où on plaque sa photo sur... ou un site Web où on plaque sa photo, puis tout le monde sait qu'il l'a fait? La société ne peut plus tolérer ça. Puis il faut qu'on trouve des moyens originaux. Avez-vous vu ailleurs dans le monde, dans vos lectures, dans ce que vous avez observé, des idées pour nous aider à arriver avec des recommandations qui seraient vraiment, là, par rapport aux clients abuseurs?

Mme Mourani (Maria) : Très bien. Il y a plusieurs points qu'on peut mettre en place, d'abord une campagne québécoise «at large» sur l'exploitation sexuelle mais dont le message s'adresse directement aux clients, parce que ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a des prostitueurs qui ne... ce n'est pas qu'ils ne savent pas, mais, dans leur tête, ils ne sont pas des criminels, ce n'est pas un problème. Donc, il faut avoir des campagnes, comme on le fait pour le cannabis, pour le textage, etc. pour la violence conjugale, où on informe ces gars-là que c'est tolérance zéro. Donc, déjà, avec ça, on va avoir un certain impact parce que c'est du monde qui n'a pas le goût d'être devant les tribunaux, se faire arrêter par la police.

Et je vous donne un exemple, le projet Cyclope, qui était un projet de la police de Montréal qu'on avait implanté dans certains quartiers, qui demandait aux citoyens d'appeler ou même de remplir un formulaire en ligne pour dénoncer, pour donner la plaque d'immatriculation d'un client. La police appelait ce gars-là à la maison, et je peux vous dire que c'était assez dissuasif, merci.

Donc, ça ne nécessite pas beaucoup de choses, hein? Mais, bien sûr, c'est une certaine clientèle, hein? C'est un certain profil d'hommes qui vont, disons, réagir à ça. Il y en a d'autres qui sont plus coriaces, qu'il faut être beaucoup plus agressif, donc les arrestations, des campagnes de sensibilisation adressées à ces personnes-là, mais aussi adressées aux familles pour qu'elles puissent faire de la prévention auprès des jeunes. Moi, je pense que le gouvernement du Québec devrait demander au gouvernement fédéral de faire en sorte que, dans les aéroports, il y ait des grandes pancartes qui disent : Au Canada, l'achat de services sexuels est interdit. Moi, je n'en ai jamais vu encore. Je ne sais pas si c'est en place.

Mme St-Pierre : Il y en a en Alberta, je pense.

Mme Mourani (Maria) : Mais en tout cas il faudrait que ça soit... Moi, je n'en ai pas vu au Québec. Il faudrait qu'on en ait déjà, donc, de ces campagnes-là.

D'autre part, je pense que plus nous allons en arrêter et plus nous allons médiatiser ces arrestations-là, plus ces gars-là vont soit arrêter, soit faire encore plus attention. Mais une chose est sûre, c'est la pression qu'il va y avoir de... cette espèce de non-impunité, je pense que c'est par nos actions de non-impunité, et les actions policières, et, bien sûr, le financement pour pouvoir le faire, qui va amener du changement.

Puis, vous voyez, par exemple, en Suède, ça fait depuis 1990 qu'ils le font, ils n'ont pas eu besoin de beaucoup de... Comment dire? Ils n'ont pas eu besoin d'être trop méchants, là. Ils ont appliqué leur loi. Ils ont appliqué la loi de manière systématique et puis ils ont fait des mesures réparatrices. Et, pour les pervers, ils leur ont même offert des thérapies. Donc, ces gens-là, quand ils étaient arrêtés, ils avaient des accusations et ils étaient dirigés vers des thérapies pour soigner leurs perversions, même si on sait que c'est plutôt difficile.

Mme St-Pierre : Alors, sur l'IVAC, je pense qu'on a bien entendu le message. Le message, on l'a eu hier puis avant-hier. Puis j'espère que les gens du ministère de la Justice ont déjà pris leurs crayons puis sont en train d'écrire un changement à la loi, là, parce que ça va arriver.

Je termine — ma dernière question — sur les grands événements. Les grands événements sont abondamment subventionnés par le gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral. Est-ce que ça serait une idée intéressante, de cocher sur le grand... de dire aux grands événements : Bien, votre subvention vient aussi avec un engagement de votre part de faire aussi une campagne de sensibilisation ou de participer à cette lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs?

Mme Mourani (Maria) : Tout à fait, tout à fait. Il faudrait que le gouvernement du Québec, à partir du moment où il donne de l'argent à des entreprises, bien, que ces entreprises-là soient imputables dans le cadre de cette grande stratégie de lutte à l'exploitation sexuelle. Oui, je pense que les subventions devraient être... Ils devraient être imputables face aux subventions que le gouvernement leur donne.

Et, en plus de ça, ils devraient faire la démonstration des actions réelles qu'ils ont faites, parce que, je vais vous donner un exemple, c'est bien beau de dire que, bon, pour la F1, on va faire en sorte que les filles qui travaillent à la F1, sur le site, ne soient plus habillées avec des petits shorts qui rentrent dans les fesses puis des petits hauts comme ça, bon, c'est beau, c'est bien, on va les habiller différemment pour enlever cette hypersexualisation, etc., c'est un bon geste, mais il y a plus que ça, plus que ça.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Mme Mourani, on va essayer de garder nos réponses courtes. J'ai un défi. J'ai encore sept questions dans le peu temps qu'il nous reste. Alors, la députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, Mme Mourani, pour votre présentation. Et votre mémoire est choc, on va le dire comme ça. Les mots sont directs, hein, quand vous parlez de dressage et...

Je vais aller rapidement, parce que vous proposez des solutions qui sont vraiment intéressantes, qui nous ont été dites de d'autres façons, mais, franchement, c'est intéressant. Je voudrais vous entendre parler... Parce que vous dites : Que faisons-nous pour contrer le Web? Alors, il y a deux façons, là, que je le vois, il y a le consommateur et il y a aussi celui qui place en ligne.

Mme Mourani (Maria) : Tout à fait.

Mme Lecours (Les Plaines) : Il y a des façons de camoufler tout ça, le «dark Web» et tout. Je voudrais vous entendre là-dessus, s'il vous plaît.

Mme Mourani (Maria) : Bien, merci beaucoup de cette question. Tout à fait, écoutez, le Web est devenu non seulement un lieu de vente, et ça, on le savait un petit peu, mais un lieu de recrutement, surtout chez les jeunes parce que, comme vous le savez, les jeunes, ils sont sur les médias sociaux, donc Facebook, Snapchat, Instagram, des fausses annonces sur Kijiji de mannequinat, de serveuse, etc. Donc, c'est devenu un lieu où les proxénètes non seulement recrutent, mais ils n'ont même plus besoin de trop se fatiguer pour recruter parce que les filles s'exposent carrément sur Internet. Et ils peuvent même analyser le pedigree de ces filles-là et puis trouver la bonne cible. Et ils ont plusieurs profils, plusieurs avatars. Ils se font passer pour des filles, pour des gars, etc.

Donc, on a un gros problème avec ça, avec le Web. Et, je vous dirais, la solution, elle n'est pas facile parce qu'il y a la famille, il y a les parents qui ont un rôle à jouer dans ça. Et, quand on parle des jeunes, c'est beaucoup, beaucoup de la prévention, prévention, prévention. Et, moi, ce que je dirais, pour avoir vu qu'est-ce qui se passe, par exemple, au secondaire et au primaire, j'ai constaté qu'au primaire c'est tabou, carrément. C'est carrément tabou, là, de parler de prostitution. J'ai même proposé à certaines écoles de parler aux jeunes, disons, de cinquième, sixième année. Puis il y a des façons d'en parler. C'est difficile pour eux, mais pas seulement pour les directions d'école, pour les parents. Il y a eu des formations que je proposais, par exemple, dans des écoles primaires, pour les parents. Sur 400 personnes, s'il y en avait 20 dans la salle, on était bons.

Donc, M. et Mme Tout-le-monde, dans leur tête, c'est quelque chose qui ne leur arrivera jamais. Ça n'arrivera jamais à leur enfant parce que ça, c'est la petite fille démunie du métro, qui a quitté la région, la fameuse image préjugée, alors qu'au fond les victimes viennent de tous les milieux sociaux et sont de tous les quartiers, autant des écoles privées et écoles publiques.

Donc, il y a de la sensibilisation qu'il faut qui soit faite dans les écoles primaires et secondaires. C'est comme ça qu'on peut protéger nos enfants, parce que, quand ils vont aller sur le Web... Il y a beaucoup de prévention qui se fait sur comment être sur le Web. Actuellement, au Québec, on en a une panoplie, que ce soit de ne pas t'exposer, etc., comment faire pour détecter... mais on ne parle pas de prostitution. On ne leur dit pas qu'au fond, oui, c'est vrai que ça peut être utilisé pour du «sex tape», là, on peut les utiliser de différentes manières. Mais le mot «prostitution», le fait qu'on peut te recruter sur Internet, même dans les documents qui font de la prévention sur le Web pour les jeunes, je ne le vois pas.

Donc, moi, je pense qu'il va falloir qu'on trouve le moyen, soit au secondaire, par le biais de l'éducation à la sexualité... on en parle un petit peu, mais il n'y a pas un chapitre juste sur ça pour montrer les techniques de recrutement, etc., et au primaire.

• (12 heures) •

Moi, je vous dis, personnellement, j'ai deux garçons, et puis, dès l'âge de 10 ans, je leur ai parlé des gangs puis des proxénètes, parce que les garçons aussi doivent être éduqués. Il faut qu'on parle de pornographie à nos jeunes. L'éducation sexuelle des garçons... On dit que c'est à partir de 12, 13 ans, les garçons regardent la pornographie. Donc, qu'est-ce que la pornographie leur apprend? L'homme dominateur, la femme esclave sexuelle, avec toutes sortes de formes de sexualité. Bien, les garçons, ils s'attendent que la petite fille de 11, 12 ans lui fasse une fellation, tu sais, on n'est même plus aux petits bisous, là.

Donc, on a un problème de société assez intense au niveau de l'hypersexualisation, de la pornographie et de la prostitution. Mais tout ça est lié. Alors, c'est beaucoup de la prévention que je proposerais, parce que le Web... Bien sûr, nous avons des policiers qui sont sur le Web, qui font leur job, mais je peux vous dire que le «dark Web», là, c'est autre chose.

Mme Lecours (Les Plaines) : Parce que vous parlez de recensement, et, bon, les lieux, on le sait, c'est de plus en plus, justement, sur le Web. Il y en a de moins en moins sur la rue, dans les parcs, et tout ça. Il en reste encore, mais, pour le juvénile, ça passe beaucoup, beaucoup par le Web. Donc, dans le recensement, ça en fait partie aussi.

Mme Mourani (Maria) : Tout à fait. On doit avoir un portrait aussi de cette vente mais aussi de ce recrutement, de l'achat qui est fait sur le Web. Et, je vous dirais, même le recrutement, on a l'habitude d'entendre les parcs, les métros, mais les centres jeunesse? Les centres jeunesse sont des lieux de recrutement à l'intérieur des murs et à l'extérieur des murs.

Les centres jeunesse, là, le grand problème, actuellement, que moi, je constate avec les centres jeunesse, c'est que, d'abord, il n'y a pas d'homogénéité. Il y a des régions qui ont une expertise sur l'exploitation sexuelle et qui savent comment faire avec les jeunes, puis il y a des régions où ils n'ont aucune formation, aucune connaissance. Ce qui fait que la plupart des victimes qui sont passées par les centres jeunesse, que moi, j'ai rencontrées, m'ont dit une chose, c'est qu'elles sont traitées comme si elles avaient des problèmes de comportement. Ce qui veut dire qu'on met des jeunes qui ont des signalements de prostitution avec des jeunes qui ont des problèmes de comportement ou autres problèmes, ce qui fait que le recrutement, il est à l'intérieur des murs.

Donc, il faut créer des unités spécialement pour les victimes d'exploitation sexuelle avec des plans d'intervention, des psychologues. Moi, je vous donne l'exemple, j'ai des filles qui m'ont dit... des parents aussi qui m'ont confirmé qu'avant que leur fille ait vu un psy ça a pris six mois. Ça n'a pas de bons sens. Écoutez, le psy, c'est la base même de ce problème-là. Il faut que ces filles-là puissent rencontrer rapidement des psychologues.

Donc, tout ça pour vous dire que le recrutement, il se fait partout dans les lieux physiques, écoles, autour des écoles, etc., les stations, mais le Web aussi et les centres jeunesse, qui est une zone de recrutement que les proxénètes connaissent très bien, ça, je peux vous le dire. Il y en a même qui louent des appartements, là, pas très loin des centres jeunesse, juste pour voir les recrues, les nouvelles recrues mais aussi leurs propres recrues qui sont à l'intérieur des murs.

Donc, les filles qui passent à travers les centres jeunesse dans des régions où il n'y a pas de traitement, où il n'y a pas d'expertise, elles ressortent avec une colère incroyable parce que, pour elles, elles ont été traitées comme des criminelles, comme si elles avaient des problèmes, et non pas comme des victimes. Donc là, on a un petit problème aussi à régler.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Avant de passer à la prochaine question, écoutez, vous êtes superintéressante, on va manquer de temps, je demanderais le consentement pour ajouter 15 minutes à notre période avec Mme Mourani, bien entendu, si vous pouvez rester avec nous.

Mme Mourani (Maria) : Avec grand plaisir.

Une voix : Consentement.

Le Président (M. Lafrenière) : Est-ce qu'il y a consentement? Donc, on va poursuivre jusqu'à 12 h 30, mais on va quand même essayer de garder nos questions et nos réponses les plus courtes possible.

Mme Mourani (Maria) : Je m'excuse.

Le Président (M. Lafrenière) : Ce n'est pas une porte ouverte, parce que j'ai encore sept questions. Alors, j'ai le député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci. Bienvenue. C'est toujours agréable de vous rerencontrer. Vous savez, vous nous apportez plusieurs solutions, mais il va falloir effectivement que le système suive. On peut avoir des tribunaux spécialisés, mais on n'a même pas de procureur spécialisé, au Québec, ça fait que... On a posé déjà la question au DPCP, et il y a des procureurs intéressés. Il y a des gens qui sont venus nous voir puis qui nous ont dit : Bon, peut-être des procureurs intéressés qui ont un petit peu plus d'expertise, mais je n'ai pas de procureur spécialisé. Ça commence par là, parce que j'ai bien beau avoir le plus beau des systèmes, la plus belle cohérence, quand il va arriver la question des tribunaux ou du DPCP, si ça ne suit pas, on n'ira pas nulle part. Ça, c'est une constatation.

Avant qu'on débute aujourd'hui, je voulais que vous nous parliez de votre projet de loi. Il y a deux mesures qui ont tardé à être en application. C-36 fête ses cinq ans aujourd'hui. En quoi ça peut nous aider, dans les travaux qu'on fait, à émettre certaines recommandations ou à faire en sorte qu'on puisse être complémentaires dans ces mesures-là? Parce qu'on se souviendra tous, là, il y a un impact fédéral, particulièrement au niveau du Code criminel, particulièrement au niveau de la judiciarisation, qui est important. Mais en quoi les mesures qui tardent ou les mesures qui viennent d'être appliquées... Vous êtes la meilleure personne pour nous en parler.

Mme Mourani (Maria) : Bien, je vous remercie beaucoup de cette question. Et, tout à fait, je vous dirais, la loi n° 452 a été mise en application en juin 2015, et, malheureusement, on a dû attendre juin de cette année, donc, avant le début des élections, pour que deux des dispositions de cette loi-là soient implantées, alors, c'est le renversement du fardeau de la preuve pour la traite des personnes, bien sûr, et la confiscation des fruits de la criminalité pour la traite des personnes.

Donc, ce qui est formidable maintenant, à partir du moment où des policiers, procureurs portent des accusations de traite de personne au Canada, ils pourront porter leurs preuves sans forcément avoir besoin du témoignage d'une victime. À partir du moment qu'ils ont assez de preuves, ils pourront déposer leurs accusations. Parce que, justement, le renversement de la preuve fait en sorte que c'est au trafiquant de démontrer qu'il ne vit pas des fruits du trafic, en fait, de ses victimes.

L'autre élément intéressant que, moi, je vous avoue, j'avais constaté sur le terrain, parce que c'est quand même une loi qui a pris 10 ans à être faite, j'avais constaté que, comme vous le savez, pour les gros trafiquants de drogue, on pouvait confisquer les fruits de la criminalité, mais pour les trafiquants d'humains, bien, on ne touchait pas à leur argent. Donc, la traite était extrêmement payante pour eux autres. Et, quand ils se faisaient pogner, s'ils se faisaient pogner, parce que c'était difficile de faire la preuve sans le témoignage d'une victime, eh bien, ils avaient des petites sentences, pas des fortes sentences. Ce n'était pas très... On regardait les sentences et on se disait : Mon Dieu! Tout ce qu'il a fait, il a pogné quatre ans, il a pogné cinq ans ou il a pogné deux ans moins un jour. Bref, le but de cette loi c'était de rendre la traite moins payante. Avec ces deux dispositions-là, les policiers ont maintenant les outils pour pouvoir porter des accusations, et, lorsque ces personnes-là seront condamnées, on va pouvoir amasser les fruits de leur criminalité. Et nous pourrions même l'utiliser pour le fonds d'aide aux victimes d'exploitation sexuelle. Vous voyez? Ça pourrait être une façon de le financer.

Par contre, malheureusement, il y avait une troisième disposition, dans cette loi-là, qui est les peines consécutives, donc, qui faisait en sorte... Parce que d'où vient ça? D'où vient cet article-là? Il vient des victimes et il vient aussi des policiers. Parce que les gens disaient : Mais coudon! on fait des enquêtes de plusieurs milliers de dollars, centaine de milliers de dollars, puis ces gars-là, ils arrivent, ils ont des petites sentences. Avec le 1,5, parce qu'ils étaient en préventif, ils attendaient leur condamnation en prison, bien, ils sont dehors. Alors, la victime qui vient de témoigner contre ce gars-là, bien, elle vit dans la peur la plus terrible parce que ce gars-là, il est déjà sorti ou bien il va sortir dans quelques mois ou dans un an, il sera dehors parce que les peines n'étaient pas à la mesure des crimes commis.

Il y avait ce point-là. Mais, deuxièmement, les victimes me disaient toujours : Mais je ne comprends pas, on l'a accusé de traite de personnes, on l'a accusé de voies de fait graves, on l'a accusé de tentative de meurtre, il a été reconnu coupable pour les trois accusations, le juge lui a donné des sentences pour les trois accusations, mais on lui a donné la sentence la plus grande. Mais pourquoi j'ai fait tout ça? Pourquoi j'ai revécu tout ça? Et là, maintenant, je vis dans la peur que ce gars-là, il sorte.

Alors, c'était payant, la traite, parce qu'en plus tu n'avais même pas des grosses sentences. Conséquemment, les peines consécutives, pour moi, c'était une évidence. Et, en même temps, ce n'était pas des peines minimales, donc ça permettait au juge d'adresser quand même la sentence et d'avoir cette liberté d'adresser la sentence. Malheureusement, cette disposition de la loi n° 452 est toujours mise en... devra être mise encore en application par décret. Donc, moi, j'invite le gouvernement du Québec à parler avec le gouvernement fédéral pour qu'on mette en application cette disposition-là. Ça leur prendrait cinq minutes pour faire ça, là. Ça n'a pas besoin d'être rediscuté au Parlement, c'est juste un décret. Donc, je pense que c'est important.

L'autre point que je voudrais revenir, que vous avez amené, celui des tribunaux, je suis tout à fait d'accord avec vous. En fait, un tribunal spécial, dans ma tête à moi, c'était comme une évidence qu'on avait des procureurs, des juges spécialisés. On ne peut pas faire de tribunal spécialisé sans avoir des juges spécialisés. Pas juste des procureurs, des juges et des procureurs spécialisés. Et donc moi, je pense que c'est tout à fait faisable à partir du moment qu'on a des procureurs et des juges qui sont prêts à ne faire que ça. On se rappellera qu'il y a des juges... sans qu'on dise que c'est des juges spécialisés, mais c'étaient des juges qu'on savait être spécialisés dans le crime organisé, et ils ne faisaient que ça, presque. Donc, je pense que l'idée de mettre un tribunal est importante, mais il faut bien sûr que les juges et les procureurs soient formés pour ça. Ça demande une certaine expertise.

• (12 h 10) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bonjour. Bien, moi, je voulais que vous me parliez des centres jeunesse.

Mme Mourani (Maria) : Oui. Merci. Alors, bon, bien, écoutez, je vous dirais, ce que j'ai constaté depuis plusieurs années, en fait, c'est que les centres jeunesse sont passés de zéro expertise en matière d'exploitation sexuelle à expertise dans certaines régions. On connaît tous très bien l'équipe Mobilis, qui a vraiment, en Montérégie, cette expertise-là d'accompagnement, de suivi avec les jeunes.

Donc, les centres jeunesse, au fond, lorsqu'ils... Et c'était dans leurs règlements, hein, en passant. Je ne sais pas si ça a changé depuis, parce que je sais qu'il y a eu des discussions pour modifier certains règlements internes des centres jeunesse, mais c'était dans leur façon de voir la prostitution, en fait, parce que c'est comme ça qu'ils le voyaient, c'était considéré comme problème de comportement. Et c'était écrit dans leur procédure. Il se peut que ça soit changé. Je pense qu'il y a eu des changements. Mais, dans la culture, dans la façon de voir et de traiter les jeunes filles qui ont été exploitées sexuellement, qui ont été dans la prostitution, bien, c'est toujours de les traiter comme si c'étaient elles qui avaient un problème de comportement.

Donc, ces filles-là, ce qu'elles me racontent, c'est que, quand elles sont dans ces centres-là qui n'ont pas cette spécialisation, parce qu'il y en a qui l'ont, bien, on leur demande d'être dans leurs chambres, dans leurs... bien, elles, elles disent «nos cellules», c'est comme ça qu'elles le disent, et on nous demande de faire des réflexions. Tu veux que je fasse des réflexions sur quoi? Sur d'avoir été exploitée sexuellement? C'est un peu illogique. Donc, les jeunes, là, ils ne sont pas fous, hein? Alors, ça leur génère une colère, mais incroyable. Elle me dit : Pendant que lui, là, il est encore en train de triper dehors, là, puis il n'est pas encore arrêté, là, moi, je suis en dedans, là — «je suis en dedans», c'est les mots, là, comme si elle était en prison — je suis en dedans, et puis on me traite comme une criminelle. On ne me comprend pas. J'ai besoin d'avoir un psy, je ne l'ai pas, ça prend du temps.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Justement, pour l'aide spécialisée, les services spécialisés, vous avez dit tout à l'heure que ça pouvait prendre jusqu'à six mois pour avoir un psychologue.

Mme Mourani (Maria) : Pour avoir un psy.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Ils n'ont pas de psychologue sur place?

Mme Mourani (Maria) : Il faudra leur poser la question. Moi, c'est les témoignages que j'ai eus des parents et des victimes, ça prend du temps pour avoir un psy. Et le pire qu'ils ont vu, c'était six mois pour avoir un psy. Six mois pour avoir un psy.

Et le pire, je vais vous dire, encore, le pire que j'ai pu vivre avec eux, c'est qu'il y a des parents qui sont venus me voir, justement, parce qu'ils voulaient que leurs enfants aient un service d'intervention avec quelqu'un qui connaît, hein, la dynamique, et l'enfant... Parce qu'à Mourani-Criminologie on travaille avec l'acceptation du jeune seulement. Même si, parfois, on a des parents qui veulent, qui veulent, bien, moi, je leur dis : Si, ton jeune, il ne veut pas, là, oublie ça. Moi, je ne travaille pas avec un jeune qui ne veut pas, ce qui est la logique même.

Alors, j'ai des jeunes qui veulent être en suivi, j'ai des parents qui veulent être en suivi, et là je me suis dit : Peut-être c'est une question financière. J'ai des parents qui sont prêts à payer le suivi, et j'ai des intervenants qui refusent le suivi. Comment vous expliquez ça? C'est particulier, hein? Donc, non seulement je ne donne pas de service, mais je n'accepte pas que des parents vont dans le privé pour avoir du service? Il y a un problème. Pourquoi on fait ça? Moi, je me suis posé la question. Je ne suis pas capable de l'expliquer. À mon sens, quelqu'un qui a besoin d'un service, si le parent est prêt à payer pour, on ne demande pas au centre jeunesse de défrayer des coûts, là, c'est les parents. Donc, est-ce que c'est le fait qu'on veut rester entre nous? Je ne sais pas, je n'ai pas... j'ai du mal à répondre à ça. Pour moi, c'est incompréhensible. Et les parents, les parents ne comprennent pas. On leur dit : Il faut même passer devant un juge. J'ai un parent qui m'a dit : Il semble que je dois passer devant un juge pour que le juge, il octroie le service dans le privé. J'ai dit : Non, mais c'est donc bien bizarre, cette affaire-là. Bref, il faut avoir des unités spécialisées avec des intervenants qui savent gérer ça, qui savent parler avec des jeunes qui ont vécu des viols collectifs.

Je ne sais pas si on réalise, là. Moi, j'ai dans ma tête l'image d'une fille, elle a été violée, là, et filmée, puis ça a passé dans son école. Puis ça à quoi, 13 ans? Et ça s'en va en centre jeunesse, et ça n'a pas le service, puis que les parents veulent donner du service dans le privé, on leur interdit de leur donner du service. Qu'est-ce que vous croyez que ce jeune-là, cette fille-là, là... Qu'est-ce qui va se passer dans sa tête, là? C'est horrible.

Donc, il y a des choses qu'on doit faire qui ne sont pas faites actuellement. Et les centres jeunesse sont tributaires de la protection de ces enfants-là, de ces jeunes filles là, qui ne sont pas des filles à problèmes de comportement, qui sont des victimes et qui doivent être traitées comme telles, avec des plans de traitement, des plans de traitement comme n'importe quelle victime.

Le Président (M. Lafrenière) : On va tenter en rafale. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. Donc, je vais peut-être m'attarder, dans un premier temps, à une de vos recommandations qui m'interpelle beaucoup, c'est celle qui concerne les règlements municipaux. Sachant, connaissant la mobilité, on l'a vu dans cette commission, la mobilité de plusieurs des acteurs liés à l'exploitation sexuelle des mineurs, que ce soient les victimes elles-mêmes et, on nous dit aussi, les proxénètes aussi, comment vous voyez l'engagement des municipalités, donc, dans ce travail-là?

Mme Mourani (Maria) : Très bien. Merci beaucoup. Je vous dirais, les municipalités sont parmi les premières sur les lignes de front. Pourquoi? Parce que c'est elles qui donnent les permis, bar de danseuses, qui donnent des permis de salon de massage sous l'appellation «soins personnels». Donc, il n'y a même pas de, comment je pourrais dire... il n'y a même pas de catégories de salons de massage, donc «soins personnels». Puis, on se comprend, ils ne vont pas faire de la manucure, O.K.? Donc là, là, c'est une fausse représentation. Donc, il y a des prête-noms, beaucoup de prête-noms dans ces permis-là.

Mais oublions les prête-noms, disons que les noms sont exacts. Ces personnes-là font des demandes pour des permis de soins personnels, font des salons de massage bordels, on le sait, c'est à sa face même, c'est visible, on pourrait... un inspecteur pourrait rentrer là-dedans à l'improviste, et il verrait qu'il y a de la prostitution là-dedans, il verrait que ce n'est pas des massages thérapeutiques. On ne retire pas les permis. Moi, je me suis fait dire : Ah non! on ne peut pas retirer les permis, tout simplement parce qu'on ne sait pas, ils vont nous prendre en cour.

Il y a, excusez-moi l'expression... il y a un bordel dans l'octroi des permis. Il y a des municipalités ou des arrondissements qui vont être très stricts, qui ne vont pas donner de permis. Il y en a d'autres qui vont en donner sans même savoir si le gars, il est dans le crime organisé, sans faire une simple enquête. Ils vont juste regarder le zonage : C'est-u un bon zonage? O.K. Ah! Oui, on donne le permis. Donc, c'est très aléatoire, dépendamment de la personne qui te reçoit, dépendamment d'où tu es, etc.

Donc, selon moi, dans cette stratégie nationale là de lutte à la traite, il faut qu'il y ait quelque chose sur les permis. Est-ce que ça passe par une loi provinciale qui se décline, après, dans les règlements municipaux? Peut-être. C'est à vous de voir comment faire ça. Mais, une chose est sûre, il faut un moratoire sur les bars de danseuses et il faut arrêter de donner des permis de salons de massage qui ne sont pas des salons thérapeutiques et qui sont des bordels.

L'autre affaire, c'est que, dans C-36, la publicité de services sexuels est interdite. Je ne vois aucune action à cet effet-là. Il va falloir faire ça, i l va falloir réglementer l'affichage. Ça va être une façon aussi de lutter.

Donc, il y a plusieurs éléments importants à mettre en place. Et moi, je pense que les municipalités peuvent être des acteurs importants dans cette lutte à la traite. Et ils sont les premiers, le «front line», comme on dit, là. Ils doivent être impliqués là-dedans.

• (12 h 20) •

M. Benjamin : Un autre enjeu, en fait, je pense, qui apparaît et que vous mentionnez, d'ailleurs, dans votre mémoire, c'est sur le manque de données factuelles. Il y a un autre groupe, je ne me rappelle plus lequel, qui était venu nous en parler sur le fait qu'on a besoin de mieux comprendre, de mieux comprendre cet enjeu-là. Et vous verriez ça comment, l'organisation de tout ça, un observatoire sur l'exploitation sexuelle ou, du moins, un mandat qui serait confié à une institution? Comment vous verriez l'organisation de tout ça afin d'assurer une veille, pour assurer une bonne connaissance, qu'on puisse partager cette connaissance aussi?

Mme Mourani (Maria) : Oui. Oui, je vous avoue, ça pourrait être ça, ça pourrait être un observatoire, comme on le fait par exemple sur l'Observatoire de la radicalisation, etc. Il y a plusieurs thématiques qui sont abordées de cette manière-là. Je pense que oui. Mais je pense aussi que cet observatoire devrait, en tout cas, avoir un mandat clair de collecte de données, et de veille, et aussi de renouvellement des données. Parce que, l'industrie du sexe, il y a une partie qui est très visible, mais il y a une partie qui est très clandestine, très underground, et c'est très aléatoire, ça varie beaucoup.

Je vous donne un exemple. Un mois ou deux semaines avant la F1, vous allez sur le Web, vous avez le double des publicités des agences d'escortes. Ça double d'un coup. O.K.? Je vous donne... 2018, si ma mémoire est bonne, quand on a eu le G7, Charlevoix, le G7 et la F1 en même temps, je peux vous dire que le marché, la publicité, là, des services sexuels a triplé en seulement trois semaines. Ce qui veut dire que, si on fait une collecte de données à ce moment-là, on a une mauvaise image de la situation. Ce qu'on a, on a une image de ce qui se passe quand on a des grands événements. C'est intéressant de le savoir, il faut le savoir, vous voyez, mais, si on veut avoir un portrait de l'industrie au Québec, il va falloir aussi faire attention à ça, ces épimoments où il y a comme une convergence de la prostitution vers Charlevoix ou vers Montréal, vous voyez. Donc, tout ça, il faut tenir compte de ça dans les données.

C'est pour ça qu'il faut vraiment que ça soit une institution structurée, qui suit et qui a l'expertise de la collecte de données dans un milieu qui tend à vouloir être clandestin. Ça veut dire : Tu ne restes pas dans ta tour d'ivoire à collecter les données policières seulement ou les données de victimisation, tu vas sur le terrain pour voir vraiment, tu fais des enquêtes de terrain.

Donc, oui, il y a les collectes policières qui sont superimportantes, les collectes de victimisation des différents groupes aussi. Il faut être en «network» avec tous les groupes pour savoir c'est quoi, les clients qu'ils ont, combien de femmes, c'est quoi, les âges, etc. Donc, c'est toute une collecte de données qu'on doit faire, et on doit avoir des équipes de chercheurs, dans cet observatoire-là, qui ne restent pas dans leurs tours d'ivoire, mais qui descendent sur le terrain et qui vont parler à ces filles-là, qui vont parler à ces jeunes-là et qui font des minirecherches pour faire en sorte qu'on ait un portrait le plus près possible, le plus près possible d'une réalité.

M. Benjamin : Est-ce que j'ai le temps pour une dernière question, une toute dernière?

Le Président (M. Lafrenière) : J'aimerais passer... On va tenter deux derniers intervenants en sept minutes. Député d'Ungava. On va essayer de garder trois minutes par question, s'il vous plaît.

Mme Mourani (Maria) : D'accord.

M. Lamothe : Mme Mourani, très intéressant. Deux questions rapides. Point de vue prévention à court, moyen terme, ce que j'entends, la répression sur le client, c'est ce qu'il y a de mieux.

Mme Mourani (Maria) : Oui, bien, c'est un des points importants.

M. Lamothe : À long terme, comment vous voyez ça, vous, une prévention à long terme, mis à part la répression sur le client?

Mme Mourani (Maria) : Bon, la prévention, comme je vous dis, elle doit se faire avec les parents, avec les jeunes et aussi sur le client. Le client, on en a parlé, il faut qu'on ait des campagnes de sensibilisation, parce que, pour toucher les jeunes au niveau prévention, on ne parle pas de réadaptation, etc...

M. Lamothe : Prévention.

Mme Mourani (Maria) : ...prévention, c'est vraiment les campagnes de sensibilisation qui s'adressent aux jeunes, c'est l'éducation, l'éducation à la sexualité mais l'éducation à connaître la pornographie, l'hypersexualisation, la prostitution, au primaire, dès le primaire, et on va au secondaire aussi.

Donc, les enfants, il faut aller les chercher là où ils sont au moment où, comment dire, ces proxénètes-là vont les chercher. Ils vont les chercher à 10, 11 ans pour les préparer, justement, à... Ils préparent la matière première, là, qu'ils vont exporter à 12, 13, 14 ans, là. Donc, il faut que nos enfants soient au courant de ça avant que ces gars-là entrent en scène. Et moi, je préconise que ça pourrait se faire dès l'âge de 10 ans.

M. Lamothe : Une éducation à l'école.

Mme Mourani (Maria) : Oui, c'est très important.

M. Lamothe : O.K. Une dernière question, rapide encore. Votre travail fait en sorte que vous êtes capables de cibler les endroits où se passe l'exploitation sexuelle. Vous avez mentionné la F1, le motel moyen, bar de danseuses, salons de massage, hôtels cinq étoiles, réseaux sociaux. Les casinos?

Mme Mourani (Maria) : Les casinos, c'est beaucoup le moyen de blanchir l'argent, beaucoup plus que du recrutement, parce que vous n'avez pas de jeunes dans les... les mineurs...

M. Lamothe : Mais au niveau exploitation sexuelle?

Mme Mourani (Maria) : Oui, bien, ça, personnellement, sur le terrain, je n'ai pas entendu ou... de recrutement au casino. Mais il se peut, parce qu'ils vont à... Je vous donne un exemple. Les proxénètes vont aller dans le casino pour blanchir l'argent. Donc, s'il est au bar, il voit une fille qui est belle puis qu'il peut lui faire la tête, comme eux, ils disent, bien, il va la recruter comme ça. Il y a des filles qui se sont fait recruter dans des bars, dans les night-clubs. Donc, le casino est tout à fait potentiellement un lieu aussi.

Mais est-ce que c'est un lieu privilégié pour aller recruter? Moi, je ne l'ai pas entendu sur le terrain. Mais c'est un bon lieu pour blanchir.

M. Lamothe : Puis pour allécher le client?

Mme Mourani (Maria) : Pardon? Oui, bien, ça peut. Il y a des filles qui peuvent... Bien, les filles vont aller partout. Elles vont aller dans les bars des hôtels, elles vont aller... Parfois, elles n'ont même pas besoin d'aller nulle part, on les appelle. C'est des agences d'escortes sur le Web. C'est ça maintenant qui est devenu très, très, très populaire. Ça peut se faire n'importe où, ça peut être dans n'importe quel bar, ça peut se faire dans des restaurants, le recrutement, pas le recrutement pour entrer dans la prostitution, mais le recrutement de clients. Ça dépend où la fille est, ça dépend où le proxénète est. Mais l'Internet est le plus facile, et les références d'agence d'escortes, c'est juste un coup de téléphone.

M. Lamothe : Parfait. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : La députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Merci beaucoup. Je fais ça rapidement. Parce que c'est fascinant, c'est formidable, puis je ne pense pas que ça sera la dernière fois qu'on va vous consulter pour faire nos recommandations.

Mme Mourani (Maria) : Merci.

Mme Weil : La prévention, je vais aller dans le même sens. On a entendu, bon, Kathleen Quinn, d'Edmonton, qui nous a parlé de ce programme, les «john schools», que l'empathie peut se développer, puis on peut travailler l'empathie chez l'être humain, chez l'homme, ça peut être le garçon, l'ado, l'homme, et que c'est un outil qui est très fort et que ça donne des résultats. J'ai trouvé ça intéressant. C'est la première fois qu'on entendait que peut-être une approche psychologique, au-delà de «shaming», qui est vraiment l'autre qui fonctionne bien.

On a aussi entendu de quelqu'un qui est venu ici, puis elle n'a pas raconté l'histoire qu'elle nous a racontée dans le cadre d'une formation qu'on a eue ici, à Québec, quelque chose qui m'a vraiment choquée, je n'irai pas dans les détails de l'histoire, et très jeune, très jeune, parce qu'ils sont exposés à la pornographie, comme vous l'avez dit, ils sont comme... la fille, c'est... «objectify», bon, je ne sais pas le mot en français, mais donc c'est comme un outil, c'est un object, là, il n'y a pas d'être humain derrière, mais que certains... Donc, quand ils sont enfants, non, ils n'ont pas ces idées-là, mais c'est par des influences. Et là, vous l'avez mentionné, donc, il y a quelque chose qui se passe dans le cerveau.

La prévention et... Les familles, les réponses ne sont pas claires sur les parents et les conditions familiales. Certains ont mis l'accent sur la pauvreté, etc., mais on sait très bien qu'il y a des... On a entendu, dans notre formation, il y a des couples, l'avocat, etc., ils ne savent pas ce qui se passe, ils sont déconnectés. Certains policiers nous ont dit... ou un expert, un académique nous a dit : Il y a un âge, l'âge de l'adolescence qui est... il y a une susceptibilité, c'est délicat. Vous, dans votre expérience, les parents, les types de parents, les milieux familiaux... Parce que nous, on devra aussi aller surtout sur cette prévention primaire vraiment, là, avant que les choses se détériorent ou que... et autant chez le... Et ce n'est pas l'éducation sexuelle, nécessairement, à l'école, à moins qu'ils aillent vraiment dans le profond. C'est les relations parents-enfants.

Le Président (M. Lafrenière) : ...

Mme Mourani (Maria) : Oui. Deux minutes? D'accord. Vous avez toutes sortes de parents. Donc, moi, j'ai rencontré des familles. Oui, il y avait des familles dysfonctionnelles, mais il y avait aussi des parents, comme vous le dites, là, avocats, journalistes et autres, donc, des gens qui ont un certain niveau social. Selon ce que moi, j'ai pu observer, ça avait l'air des parents quand même équilibrés, et il ne semblait pas y avoir d'inceste, d'agression sexuelle, de violence intrafamiliale, etc. Donc, c'est toutes sortes de familles qui peuvent avoir à vivre ça. D'ailleurs, je trouve que, lorsque je suis avec des familles qui ont vraiment... comme on dit, pas avec beaucoup de problèmes, c'est eux qui sont les plus dépassés parce que c'est comme... ils ne s'y attendaient pas.

• (12 h 30) •

Donc, moi, ce que je vous dirais, ce que je constate, c'est que les parents sont dépassés parce qu'ils ne pensaient tellement pas que ça pouvait leur arriver qu'ils n'ont même jamais parlé de ces problèmes-là. Alors, quand tu ne parles pas de ça, l'enfant, il ne sait pas. Donc, quand le proxénète l'approche, il ne sait pas, ce n'est pas un proxénète, pour lui, c'est l'amour de sa vie, c'est son chum, c'est son copain, c'est sa copine qui va l'entraîner à. Donc, il ne faut pas imaginer que, dans ce milieu-là, c'est marqué «proxénète» ici, puis on les voit arriver. Pas du tout. Ils savent très bien faire la tête à une fille, c'est des beaux parleurs, des «cruisers». Parfois, c'est des filles qui vont recruter d'autres filles. Donc, ils ont des moyens.

Et moi, je trouve que... Ce que j'aimerais amener, c'est l'empathie que vous parlez. Moi, ce que je dis aux parents : Ton enfant, là, dès qu'il commence à parler, il doit se sentir à l'aise de te parler, parce que, quand viendra un problème, même si tu as tout fait pour ne pas qu'il y ait ce problème-là, quand il y aura le problème, il va te parler, il faut ce lien-là. Mais ça, ce n'est pas un gouvernement qui peut... ça, c'est les parents. Donc, c'est beaucoup de prévention auprès des parents, de comment être avec ses enfants, comment être proche des enfants. Parce que moi, vous voyez, les victimes que j'ai rencontrées, j'ai constaté qu'il y avait un point de basculement. Ce point de basculement, lorsqu'il va y avoir l'hameçonnage, c'est-à-dire où il va y avoir la lune de miel, etc., il va y avoir une résistance, chez certaines filles, pas forcément des valeurs, de l'argent et de la prostitution, mais qu'est-ce qu'ils vont faire? Ils vont faire en sorte qu'elles subissent un viol. C'est le viol qui est le basculement. Et souvent les filles ne vont pas en parler à leurs parents, et c'est le fait que le viol n'est pas traité qui fait que la personne va se sentir tellement rien qu'elle va se dire : Bien, il a raison, je devrais le faire pour l'argent, je ne suis rien, je suis un déchet. Le viol est quelque chose de très important dans le recrutement, il fait partie du dressage. Et je dis «le dressage» parce que c'est ce qu'ils font. Il dresse la personne de tel point qu'elle va même aller à Toronto se prostituer, il n'a même pas besoin d'être là-bas pour la regarder.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, Mme Mourani.

Mme Mourani (Maria) : Un grand plaisir.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci infiniment pour votre aide à nos travaux.

Nous allons suspendre la commission, retour en travaux à 15 heures. Merci infiniment.

(Suspension de la séance à 12 h 33)

(Reprise à 15 h 2)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre s'il vous plaît! La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux. Je demande à toute personne dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leur appareil électronique.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs.

Cet après-midi, nous allons entendre le Collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement, le CAFES. Puis, en auditions conjointes, nous aurons le Service de police de la ville de Gatineau et Mme Nellie Brière, puis nous entendrons finalement Mme Marie-Ève... pardon... Ève Lamont.

Alors, je souhaite la bienvenue aux gens du... à la représentante du CAFES. Vous allez avoir 20 minutes pour votre présentation. Par la suite, il y a une période d'échange de 25 minutes avec les membres de la commission. Je vous demanderais de vous présenter et de faire votre exposé.

Collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement (CAFES)

Mme Sullivan (Rose) : Mon nom est Rose Sullivan et je suis ici en tant que cofondatrice du Collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement, le CAFES. Le CAFES, c'est un regroupement de femmes qui a un vécu en lien avec l'industrie du sexe et qui désirent s'en éloigner, en rester éloignées et guérir des séquelles que l'industrie du sexe a laissées sur elle, et en elle, et dans sa vie, de femmes et de filles qui vivent des risques significatifs d'être exploitées sexuellement et de personnes sensibilisées à la violence prostitutionnelle et conscientes du défi que représente la sortie de l'industrie du sexe. La CAFES a émergé des valeurs de ses membres fondatrices : l'entraide, le respect, l'égalité et la justice. Et c'est guidé par ces valeurs-là que, depuis cinq ans, on a participé à la création de nombreux liens et réseaux entre femmes et qu'on a été plus d'une centaine à bénéficier du soutien d'autres survivantes et des nombreux avantages liés à la relation d'aide entre pairs.

En considérant toutes les femmes comme étant égales à nous, peu importe leur âge, leurs croyances, leurs origines, leur orientation sexuelle et leur passé, et en acceptant d'aider quand on le peut, dans le respect de nos limites propres et des limites de chacune, et en étant capable de demander et de trouver de l'aide quand on en a besoin, on améliore concrètement nos conditions de vie et on devient plus fortes face aux épreuves et aux divers traumatismes dont on est plusieurs à souffrir.

Nos expériences et nos parcours ne sont pas tous les mêmes, même s'ils ont des similitudes. Nos personnalités diffèrent, on est toutes uniques, mais ce qui nous lie et nous rassemble, c'est ce qu'on a vécu et ce qu'on a vu, et ce que ça provoque comme conséquences sur notre corps, notre âme et notre existence, et ce qu'il nous manque pour nous rétablir et reprendre le plein pouvoir sur notre vie.

D'être témoin d'un des côtés les plus sombres de l'humain, c'est profondément traumatisant, et ce, peu importe l'âge et les conditions dans lesquelles ça se produit. On reconnaît que l'enfance et l'adolescence sont des périodes où la vulnérabilité est importante et on sait que les jeunes femmes sont particulièrement payantes pour l'industrie du sexe. Or, on considère que la prostitution est une violence en soi. Et on ne peut donc pas considérer que l'âge des personnes qui subissent cette violence doit être... bien, en augmente ou en diminue le préjudice. Exploiter une personne vulnérable, c'est odieux et criminel, peu importe l'âge qu'elle a. Et être victime d'exploitation sexuelle, ça brise et détruit, peu importe l'âge où ça nous arrive. Donc, on ne considère pas que le fait que c'est... Que la commission concerne particulièrement les mineurs, on en a tenu compte, parce que c'est sûr qu'il y a des efforts de prévention importants qu'on aimerait voir être mis en place, sauf qu'à nos yeux, d'être mineur ou d'être majeur, ça ne change pas les dommages qui sont subis quand une personne est exploitée sexuellement.

Notre première recommandation est donc de ne pas catégoriser la prostitution selon des caractéristiques propres aux victimes, la forme qu'elle prend, le lieu où elle se produit ou tout autre facteur ni comme un problème individuel qu'il est possible de régler avec un minimum de volonté. La prostitution est une violence qui fait partie d'un continuum de violence et qui donne lieu à d'autres violences. C'est une des raisons qui fait que c'est extrêmement difficile d'en sortir.

C'est un immense honneur pour moi de porter la parole des femmes qui souhaitent le faire, et je vous remercie de nous la donner. On possède toutes en nous ce qu'il faut pour prendre ou reprendre le pouvoir sur notre vie, et on lutte quotidiennement pour y arriver. Vous, vous avez le pouvoir d'alléger nos luttes, de les rendre moins pénibles et de faire en sorte qu'elles ne soient pas vaines. Vous avez le pouvoir de changer de nombreuses vies. Par notre contribution à la commission actuelle, on espère vous aider à le faire de la façon la plus efficace, adaptée et humaine qui soit.

Avant de participer à la fondation du CAFES, j'ai travaillé dans le milieu communautaire, en itinérance et en santé mentale, j'ai étudié et j'ai donné la vie à trois filles, tout ça en étant aussi de temps en temps ou assez souvent exploitée sexuellement. Depuis que je suis sortie de l'industrie du sexe, je guéris, j'élève mes enfants et je fais mon possible pour qu'elles vivent dans une société plus juste et plus égalitaire. C'est cette volonté-là et mes expériences qui m'ont permis d'être en contact avec de nombreux organismes et avec des individus qui sont liés à la question de l'exploitation sexuelle, ainsi qu'avec des centaines de femmes directement touchées par cette problématique.

Ceci dit, même si je suis ici aujourd'hui en tant que représentante du CAFES, c'est aussi avec mon analyse et mon coeur de mère, de fille, de femme et de citoyenne que je compte vous parler. Je vais tenter d'amener le plus de pistes de réflexion et de solution possible en me basant sur la lecture que j'ai faite du document de consultation qui m'a été remis et en répondant aux questions qui s'y trouvent. Je vais aussi tenter d'élaborer sur les obstacles qui sont liés à la sortie de la prostitution en essayant de mettre l'accent sur le plus important nuisible et celui qui, en même temps, est probablement celui sur lequel vous avez le plus de pouvoir, soit la précarité importante et l'insécurité financière des femmes qui tentent de sortir de la prostitution.

Finalement, je vais essayer de vous expliquer pourquoi il n'y a pas beaucoup de mesures, de programmes et de modèles d'intervention déjà existants qui sont applicables et qui nous aident autant qu'il le faudrait, malgré la grande volonté des intervenantes qui travaillent fort depuis quand même de nombreuses années, et de plus en plus. Et donc je vais essayer d'apporter aussi des pistes de solution pour que les mesures et programmes mis en place soient plus adaptés à notre réalité spécifique.

• (15 h 10) •

Dans le document de consultation, il était question de mesures préventives à déployer. On trouve que... Je tiens aussi à spécifier que tout ce que je dis a été discuté de façon collective, parce qu'on est un collectif. Donc, je vais essayer de faire une suite logique dans les idées, mais j'ai aussi eu deux jours pour préparer le truc, donc on verra ce que ça va donner. Si vous avez des questions, on en jasera après. Ce que je disais, donc, c'est que les mesures préventives à déployer en premier lieu pour aider les femmes, pour éviter aux femmes de basculer dans la prostitution passent selon nous beaucoup par des campagnes de sensibilisation massives et ciblées, mais surtout par des mesures concrètes. C'est des mesures qui devraient viser la diminution de l'attrait que peut provoquer le milieu prostitutionnel pour les jeunes filles et les femmes à risque, et donc ça passe aussi forcément par la diminution des facteurs de risque, dont la pauvreté. La lutte à l'exploitation sexuelle passe, à nos yeux, nécessairement par la lutte à la pauvreté parce que si les besoins fondamentaux de toutes les femmes étaient comblés, une grande partie du problème serait clairement déjà réglée. C'est évident à nos yeux, puis ce qui est aussi évident à nos yeux, c'est que la société a absolument, absolument les moyens de lutter beaucoup plus efficacement que c'est fait présentement pour contrer la pauvreté.

Et je ne sais pas si je vais avoir le temps de discuter plus longuement des nombreux trucs qui pourraient être plus efficaces en ce qui a trait à la lutte à la pauvreté, mais sachez qu'à n'importe quel autre moment, suite à cette commission, le CAFES est toujours disponible pour répondre aux questions de n'importe qui qui en aurait, pour discuter avec vous ou pour vous aider encore à améliorer la situation des femmes qui veulent sortir de la prostitution, et donc de la société en général.

On considère que des efforts pour soutenir concrètement les filles et les femmes qui présentent des facteurs de vulnérabilité doivent être pensés. Il faut éviter aux familles et à la société de devenir ce que Rose Dufour qualifie de système producteur de prostitution. La DPJ devrait d'ailleurs, selon nous, tenir compte des systèmes producteurs de prostitution que Rose Dufour décrit dans le cadre de la réforme qu'elle parle de mettre en place et que nous encourageons d'ailleurs énormément.

Pour ce qui est des facteurs sociaux, des campagnes de prévention dénonçant la pornographie et une législation cohérente en ce sens pourraient aussi aider. C'est criminel d'exploiter sexuellement des femmes. C'est complètement illogique, donc, que le faire dans le cadre d'un tournage de film XXX soit légal, mais c'est quand même le cas. On n'en est pas à une absurdité près, selon nous, en ce qui a trait au système de justice et à l'application des lois, mais celle-là est particulièrement questionnable.

Pour que les jeunes, leurs parents et les professionnels qui les entourent soient en mesure de reconnaître les situations et les personnes à risque de prostituer autrui ou d'être prostituées, il ne faut pas avoir peur de nommer les vraies choses et de les décrire telles qu'elles sont. Il ne faut pas non plus avoir peur de pointer du doigt les réelles causes de la prostitution. Toutes les mesures de prévention à mettre en place peuvent bien sûr être élaborées avec des survivantes de la prostitution. On est quand même très bien placées pour savoir ce qui aurait pu nous éviter de basculer dans la prostitution et ce qui aurait pu nous aider à identifier les nombreux pièges que l'industrie du sexe nous a tendus avant qu'on y adhère en pensant, pour certaines, faire un choix libre et éclairé, ce qui était faux, clairement.

Il y a plusieurs travaux et recherches qui ont été faits déjà pour identifier les facteurs de risque, les conséquences, je ne sais même plus quoi d'autre. Les facteurs de risque, les conséquences, les... ce qui pousse les femmes... Il y a beaucoup, beaucoup de recherches qui ont été faites déjà. D'ailleurs, je n'ai pas eu le temps, on n'a pas eu le temps de pondre un mémoire en deux jours, parce qu'on veut qu'il soit complet et qu'il nous... on aimerait qu'il soit satisfaisant à nos yeux, mais on se promet de vous mettre une liste de très, très nombreuses recherches qui existent parce qu'on considère qu'il y a beaucoup de temps et d'argent déjà qui ont été mis en recherche et que c'est assez, qu'il faudrait agir, maintenant, en se basant sur les résultats de ces recherches, qui sont toutes les mêmes, toujours, d'une recherche à l'autre, donc, j'imagine, ça prouve que les recherches sont concluantes.

Si quelqu'un avait une envie folle de continuer à faire des recherches ou ressentait le besoin d'approfondir la question encore plus, on trouve que c'est sur les clients et les proxénètes qu'il faudrait faire des recherches pour éviter aux jeunes de devenir clients ou proxénètes puis pour identifier les facteurs de risque qui transforment un jeune homme en proxénète.

On sait déjà que la plupart des femmes qui sont proxénètes l'ont fait parce que c'était une façon, pour elles, de sortir de l'industrie du sexe, et on espère collaborer avec vous de façon à ce qu'il y ait des alternatives un peu plus constructives qui s'offrent aux femmes. Présentement, il y a devenir proxénète, accepter la pauvreté, il y en a un peu d'autres, mais... puis on a de l'aide, mais il n'y a rien d'adapté encore.

Pour empêcher les clients et les exploiteurs qui existent déjà de sévir, appliquer les lois déjà existantes serait, selon nous, une solution. En fait, la solution est là, il reste à l'appliquer. Et les pays nordiques peuvent servir d'exemples pour ceux qui ne sauraient pas trop comment appliquer les lois. Il y a des policiers, dans les pays nordiques, qui sont excellents pour expliquer comment ils font. Les femmes qui cherchent des clients et les exploiteurs qui cherchent des victimes n'ont aucune difficulté à trouver ce qu'ils cherchent. Je suis donc... Moi et mes consoeurs, on est persuadées qu'avec une réelle volonté et en y mettant de réels efforts les forces de l'ordre sont capables de trouver les personnes à risque et les exploiteurs.

On considère aussi que ça prend des formations adéquates pour les policiers et les intervenants divers, parce qu'on peut comprendre que, malgré la capacité qu'ils ont clairement de trouver les exploiteurs et les femmes, ça peut être compliqué un peu de savoir comment aborder le truc et ça peut créer des malaises. Alors, on est aussi disponibles pour offrir ces formations ou pour référer vers des formateurs et formatrices qui sont excellentes dans leur domaine.

Finalement, on vous invite aussi... on vous recommande fortement de ne pas écouter les arguments qui condamnent l'arrestation des clients et prétendent que c'est dangereux pour les femmes que leurs clients se fassent arrêter. Ces arguments proviennent directement de l'industrie du sexe, et cette industrie a intérêt à ce que l'exploitation sexuelle perdure, s'aggrave et soit normalisée. Les arguments qu'ils sortent sont donc semi-objectifs, voire absolument pas objectifs ni pertinents.

En ce qui a trait aux interventions, on considère que des interventions personnalisées, respectueuses du rythme des femmes sont celles qui ont le plus de succès, dans la mesure où elles sont faites au sein d'une relation aidée-aidante égalitaire et non hiérarchique. Des attentes envers la personne qui est aidée ou trop de conditions à l'aide nous semblent plus nuisibles qu'autre chose, et le renforcement positif peut être efficace mais doit être utilisé avec jugement pour ne pas que la non-atteinte d'un objectif remette en question le soutien apporté à la femme et l'obtention de bénéfices qui lui sont absolument essentiels pour sa survie. C'est des genres d'interventions qu'on a déjà vues et qui ont été très contre-productives.

Le simple fait d'oser croire qu'on peut sortir de la prostitution est déjà quelque chose quand on s'est fait répéter, répéter et répéter sans arrêt qu'on avait besoin de son pimp ou... peu importe, quand on a l'estime complètement démolie par les commentaires dégueulasses de plusieurs clients. Alors, les femmes qui osent essayer de sortir de la prostitution et demander de l'aide ont déjà fait un grand pas et méritent clairement d'être soutenues et encouragées. Ce n'est pas nécessaire, en plus, d'ajouter une tonne de conditions.

• (15 h 20) •

Avoir la possibilité de parler de ses difficultés sans craindre d'être pénalisée, se sentir jugée ou d'être culpabilisée est clairement aussi important. Ça peut sembler évident pour certains, mais visiblement ça ne l'est pas pour toutes les personnes qui tentent de nous aider, et je ne pointe aucun organisme ni... je pointe vraiment certains individus. On s'en fout, en fait. Je fais des recommandations, je ne pointe personne.

L'approche féministe, l'apport de pairs aidants et une adaptation de l'approche alternative en santé mentale semblent être des avenues plus prometteuses que des approches comportementales basées sur l'atteinte d'objectifs et l'évitement de comportements. Il ne faut pas perdre de vue que les femmes à soutenir ont été privées de leur liberté de choix d'action et parfois même de pensée avant de souhaiter que ça cesse. C'est des femmes qui sont généralement brisées et souvent défavorisées, mais ce ne sont pas non plus des enfants, et elles sont capables de réflexion, d'analyse et d'introspection. Il ne faut pas juste leur dire qu'on a confiance en elles pour les encourager à continuer malgré les obstacles, il faut avoir confiance en elles. La majorité d'entre nous avons toléré trop de mensonges, d'hypocrisie et de fausses promesses pour pouvoir encore être capables d'en digérer, et une relation réciproque basée sur l'honnêteté, la confiance, le respect, l'écoute et l'ouverture semble être la meilleure voie à suivre en intervention.

De façon plus concrète, toujours en intervention, faciliter l'accès des femmes à des moyens de communication qui peuvent sembler acquis pour certains, tel qu'un téléphone, c'est aussi une excellente façon d'assurer la continuité du suivi. Une femme qui n'a pas de téléphone peut parfois avoir certaines difficultés à communiquer avec un organisme XYZ et ce, même si l'organisme est super bien intentionné. Un téléphone, aussi, offre aux femmes l'opportunité de faire plus facilement les nombreuses démarches qui sont nécessaires à un début de sortie de prostitution et au long processus qui suit la volonté de sortir de la prostitution. Alléger la lourdeur administrative de ces démarches-là, et faciliter l'accès aux services publics essentiels, et aussi un minimum de confort et de sécurité aident aussi les femmes à être encouragées à poursuivre le suivi et le processus.

Assurer un suivi médical humain et adapté aux besoins et à la condition des femmes est aussi nécessaire parce qu'il y a des conséquences de la prostitution qui touchent directement pas juste la santé des femmes, mais aussi la perception qu'elles en ont. Encore une fois, ce serait vraiment très long, commencer à vous parler de dissociation et de décorporalisation, mémoire traumatique et compagnie, mais il y a beaucoup de recherches qui en parlent, on va les mettre dans notre mémoire. C'est des concepts qui doivent, par contre, être compris par le personnel soignant qui est appelé à travailler auprès des victimes d'exploitation sexuelle pour que les soins soient adéquats et adaptés. Ces connaissances-là, jumelées à une intervention adéquate, comme décrite tout à l'heure, contribueraient, selon nous, à permettre aux femmes de rencontrer moins de problèmes de santé physique et d'être plus facilement en mesure de se réapproprier leur corps, d'en prendre soin et d'accepter les limites ou séquelles permanentes que la prostitution a pu avoir sur lui.

Il y a aussi tout le... En ce qui a trait à la sécurité financière et à la pauvreté, c'est sûr que c'est essentiel. Il faut que... Il y a beaucoup de... en fait, c'est pour répondre à une des questions qu'il y avait dans le document de consultation aussi. Il y a déjà beaucoup de programmes qui existent et qui sont mis en place pour d'autres clientèles, telles que les itinérants ou les gens qui ont des problèmes de santé mentale, qui pourraient être adaptés. J'ai en tête un exemple, c'est ceux qui sont... les subventions à la personne pour le logement commencent un peu, là, il y a un partenariat qui existe présentement avec la Maison de Marthe et les organismes qui s'en occupent, qui font que les femmes ont une subvention à la personne au lieu d'être mises sur une liste d'attente interminable, qui leur permettront éventuellement d'avoir accès à un HLM, on espère, adapté, et dans un quartier qui leur plaît. Donc, il y a beaucoup de programmes qui existent déjà et qui pourraient être modifiés ou bonifiés.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci, Mme Sullivan. Vous avez dit... vous avez répondu à une question. On est justement rendu à cette période d'échange avec les membres de la commission. Merci beaucoup pour votre témoignage. Alors, on va commencer avec la députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bonjour. J'aimerais ça que vous me parliez... Quelle aide que vous apportez aux femmes, votre collectif?

Mme Sullivan (Rose) : On crée des contacts entre femmes, donc ça fait des réseaux de solidarité. C'est un peu le même principe que les pairs aidants en santé mentale, mais là c'est les pairs aidants en prostitution. Il n'y a pas de... Il y a une formation qui a été déjà donnée à Montréal, à la CLES, de pairs aidantes, puis nous, on n'en est pas là, on fait juste créer des contacts entre femmes qui ont un vécu semblable et qui peuvent... qui se sentent plus libres de parler de leur vécu, mais aussi de leurs problèmes. Parce qu'il y a encore, c'est ça, en intervention, des améliorations à apporter, puis il n'y a pas beaucoup d'organismes non plus, ça fait que ça compense pour ces lacunes-là. Et puis aussi, bien, c'est juste comme une approche.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Vous êtes combien d'intervenantes?

Mme Sullivan (Rose) : Bien, il n'y a pas d'intervenante, on est toutes des femmes qui ont un vécu semblable et qui s'entraident entre elles, mais, depuis cinq ans, on... Bien, je veux dire, je suis un peu centrale, en tant que cofondatrice, là, puis il y a au moins 200 femmes qui ont été... qui ont contacté le CAFES, qui ont été mises en contact avec d'autres ou qui ont fait appel... Au début, on offrait des services de première ligne et tout, puis on a essayé très, très fort, là, mais, bon, on n'a pas de subvention puis on n'a aucun budget, ça fait que ça n'a pas été simple. Là, on est plus... maintenant que les réseaux sont créés, c'est plus... on a plus tendance à référer les femmes vers d'autres femmes qui vont pouvoir les aider. Puis aussi, c'est ça, on offre des services de référence, on a fait des formations, des activités de sensibilisation, on fait de la défense de droits aussi, collective, ça arrive, individuelle aussi, en appelant dans des endroits, là. J'ai un exemple en tête, là : Revenu Québec qui tarde à envoyer un chèque à une femme dont la survie en dépend, là, on appelle, on met un peu de pression, puis habituellement ça fonctionne. Ça fait que c'est plein de petits trucs comme ça qu'on fait.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Puis vous dites qu'on devrait se pencher sur la pauvreté des femmes. C'est quoi, vos solutions?

Mme Sullivan (Rose) : Bien, c'est ça, il y a beaucoup de programmes qui existent déjà. Les femmes ont à peu près... Je n'ai pas de statistiques puis je n'irais pas jusqu'à dire 100 %, mais 90 % au moins des femmes que personnellement j'ai côtoyées et soutenues sont insatisfaites de leur situation en logement, tout en étant incapables ou difficilement capables de payer son loyer. Puis là les études aussi sur les conditions de logement, il y en a beaucoup, là. Ça fait que, tu sais, déjà, en partant, juste de faire en sorte que les besoins fondamentaux des femmes soient comblés, ça aiderait, selon nous, les femmes à sortir de la prostitution.

Et puis, bien, tu sais, c'est sûr qu'il y a déjà des mesures qui ont été discutées socialement, telles que le revenu minimum garanti ou le salaire minimum à 15 $ de l'heure.

Il y a aussi des mesures qui pourraient être mises en place qui existent déjà. En violence conjugale, par exemple, une femme qui va dans une ressource d'hébergement a droit à un chèque d'aide sociale plus rapidement que le commun des mortels qui fait une demande comme n'importe qui, mais ce n'est pas nécessairement le cas. Tu sais, je veux dire, une femme qui décide de sortir de la prostitution du jour au lendemain puis qui n'a pas nécessairement besoin d'aller dans une maison pour femmes en difficulté ne va pas voir son chèque arriver plus rapidement. Au contraire, il y a des femmes qui se sont fait demander par leurs agentes d'aide sociale pourquoi elles désiraient cesser leurs activités. Donc, tu sais, juste avancer un peu les mentalités pourrait aider aussi parce que ça ferait en sorte que les gens comprennent qu'une femme souhaite quitter l'industrie du sexe et activent peut-être les mécanismes qui sont déjà en place et qui permettent aux gens...

• (15 h 30) •

En fait ce qu'il y a, c'est que les femmes ne sont pas nécessairement considérées comme étant défavorisées et/ou en danger, quand elles souhaitent quitter l'industrie du sexe, mais c'est clairement le cas, parce qu'une femme qui prend conscience de l'exploitation qu'elle subit, après avoir pensé pendant, des fois, de nombreuses années, qu'elle était libre de ses choix, c'est des femmes qui sont à un moment extrêmement fragile, là. On observe que c'est là que les idées suicidaires puis les mises en danger plus ou moins volontaires, et involontaires, et/ou inconscientes ont lieu.

Donc, si c'était possible de juste, en tant que société, considérer qu'une femme qui souhaite sortir de la prostitution est en danger et a besoin d'aide en urgence, déjà, on aurait fait un grand pas. Parce que le temps que ça prend, des fois, pour que la femme qui demande de l'aide en obtienne, ça se peut qu'il y ait comme un genre de cercle vicieux de pauvreté qui va s'installer, même si elle a l'aide rapidement, mais qui va peut-être être un peu moins profond.

Le fait aussi de... Bon, je pense que j'ai répondu, là.

Le Président (M. Lafrenière) : Oui, merci beaucoup.

Mme Sullivan (Rose) : C'est parce que je pourrais en parler vraiment longtemps.

Le Président (M. Lafrenière) : On a un grand défi, on a encore huit questions. C'est tellement intéressant. Alors, députée de l'Acadie. Je vous répète d'essayer de garder les questions courtes et les réponses courtes, s'il vous plaît. Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Oui. Merci, M. le Président. Écoutez, je vous écoute puis je suis vraiment impressionnée parce que vous nous parlez de votre expérience, finalement. Vous êtes dans une organisation qui est un réseautage de femmes qui sont passées à travers la même chose.

On constate, dans nos travaux, que le client abuseur ne se sent pas beaucoup concerné et il ne semble pas avoir beaucoup de remords. Est-ce que vous auriez des pistes de solution pour nous amener à ce qu'on puisse agir davantage sur le client abuseur? Il y a des lois, mais est-ce que les lois... Est-ce qu'après ça on devrait... Est-ce qu'on devrait les mettre sur un registre, publier leur nom, les identifier, les taguer, comme on dit en bon français?

Puis, si c'est possible, j'aimerais ça que... je ne veux pas aller trop loin, mais j'aimerais ça que vous nous parliez un petit peu plus de vous, parce qu'on va avoir beaucoup de spécialistes, dans notre commission, qui vont venir nous dire qu'est-ce qu'ils font, mais on a très peu de survivantes, et vous êtes une survivante, je pense.

Mme Sullivan (Rose) : Oui, oui. Oui, effectivement. Bien, pour répondre à la question à propos des clients, je pense qu'il faut... avant de penser à changer leur mentalité, il faudrait commencer par les trouver et les arrêter. Puis, quand ça, ça sera mis en place, j'imagine que ça va être peut-être plus envisageable... bien, plus possible de savoir quoi en faire.

En même temps, j'ai tendance à... J'aimerais vraiment discuter avec les femmes que je représente pour répondre à la question d'est-ce qu'on devrait les taguer puis... parce que c'est un peu...

Mme St-Pierre : ...acheminer des suggestions.

Mme Sullivan (Rose) : Oui, parce que c'est... Je ne suis pas certaine. Il y a comme un genre de conflit de valeurs qui se passe présentement dans ma tête. Mais bon.

Le Président (M. Lafrenière) : ...en passant, pour nous soumettre tout document.

Mme Sullivan (Rose) : Oui, bien, c'est une question très pertinente.

Le Président (M. Lafrenière) : Prenez le temps de consulter les gens que vous représentez. Sentez-vous bien à l'aise.

Mme Sullivan (Rose) : Puis c'est ça, aussi, comme je disais tout à l'heure, il y a des pays nordiques et abolitionnistes de prostitution, qui appliquent les lois réellement, qui... Ils les ont écrites et ils les ont même appliquées. Puis je pense qu'on peut prendre exemple sur eux parce que, visiblement, ça fonctionne. C'est des pays où la prostitution est maintenant considérée de la même façon qu'ici la violence conjugale est considérée.

Il y a une époque où la violence conjugale était tolérée, banalisée et acceptée, puis, à un moment donné, il y a des femmes qui ont fait : Ça n'a pas de bon sens. Puis maintenant, un homme qui bat sa femme, on considère que c'est un lâche, puis c'est de plus en plus rare qu'on entend dire que la femme a couru après.

Ça fait que la société évolue à cause des gens qui en font partie. Puis je pense que la Suède est un bon exemple de société qui a bien évolué par rapport à la prostitution. Puis, en Suède, il y a des... quand tu expliques à un enfant qu'il y a des pays où les hommes peuvent payer pour avoir du sexe, les enfants sont outrés, hommes ou... bien, garçons ou filles. Donc, je pense qu'en fait la meilleure réponse à cette question-là, c'est qu'on pourrait suivre l'exemple des pays qui l'ont déjà fait. Ah! Puis...

Mme St-Pierre : Et vous, est-ce que vous avez un message personnel à nous donner?

Mme Sullivan (Rose) : Bien, plus que ça, tu sais, je... En fait, c'est ça, le message que j'aimerais passer, c'est que vous avez clairement... On en fait beaucoup, au CAFES, on en fait beaucoup en tant que survivantes de la prostitution. Ce n'est vraiment pas un quotidien facile, qu'on vit, puis ce n'est pas pour rien qu'on s'entraide et qu'on se soutient mutuellement. C'est vraiment nécessaire. Puis, malgré nos difficultés et tout, en cinq ans, on a réussi à aider beaucoup de femmes puis on a réussi à sensibiliser beaucoup de gens. Donc, le message principal que j'aimerais passer aujourd'hui, c'est que vous avez vraiment, vraiment plus de pouvoir et de... vous avez vraiment plus de moyens et de pouvoir que nous pour faire avancer la situation, puis j'espère très fort que vous allez en profiter et en faire bon usage.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

Mme Sullivan (Rose) : Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Vous nous mettez une responsabilité sur les épaules qui est grande. On veut bien, alentour de la table, utiliser ce pouvoir-là, mais encore faut-il savoir dans quelle sphère l'utiliser, parce que...

Je vous entends puis je vous écoute, on a reçu beaucoup d'experts, on va en recevoir beaucoup. On nous a beaucoup parlé de ce qui amène les gens à la prostitution, ce qui en sort. On nous a beaucoup parlé d'un système ou d'une entente, on appelle ça une entente multisectorielle, mais qu'il y a beaucoup d'organismes qui s'occupent de beaucoup de gens.

J'ai comme l'impression qu'à un moment donné, bon, on arrête de s'occuper de ces gens-là, et les survivantes du collectif, bien, ils sont entre deux eaux, ou entre deux chaises, ou ils sont à l'extérieur du système qui est organisé. Ils sont démunis ou ils sont dans une position, je vous dirai, vulnérable. Vous nous avez beaucoup parlé de pauvreté.

Je veux essayer de comprendre, là. Les survivantes qui sont en contact avec le collectif, c'est des gens qui ont passé dans le système, que le système ne s'occupe plus d'eux autres, ou c'est des gens qui sont, je vous dirais, hors délai ou hors norme pour le système, là? Je pense que ça fait partie des choses qu'on a besoin de savoir pour être en mesure de vous aider, parce que vous avez... les survivantes de votre collectif, vous avez une expérience qui est unique, ce n'est pas une expérience théorique d'université, là, vous avez une expérience qui est unique, et il faut qu'on soit capables d'en tenir compte dans les décisions que, collectivement, on aura à prendre.

Mme Sullivan (Rose) : Quand vous parlez du système, vous parlez de l'aide qui est organisée pour les femmes qui veulent sortir de la prostitution?

• (15 h 40) •

M. Ouellette : De l'aide... je veux dire, mettons, l'intervention de la DPJ à un certain moment, l'intervention des psychologues, des sexologues à un autre moment, l'intervention de la police à un troisième moment. J'ai comme l'impression que, quand tout ce monde-là est passé, là, qu'on a pensé que la personne, la survivante, est sortie... ou qui est peut-être en bonne position, là, il y a comme un... je vais employer l'expression anglaise, un no man's land, là.

Mme Sullivan (Rose) : Bien, en fait, non, je ne pense pas que c'est... Ça, c'est une question de perception, là. Au CAFES, il y a des femmes qui sont encore dans la prostitution et qui souhaitent en sortir, puis il y a des femmes qui en sont sorties depuis 20 ans. Le point commun des femmes, c'est qu'elles ont un vécu de violence prostitutionnelle et des problèmes liés à ça à régler, gérer ou avec lesquels elles doivent apprendre à vivre.

Puis le système est là, puis, si on en a besoin, on y fait appel de notre mieux. Des fois, ce n'est pas adapté. Dans ce temps-là, on essaie de trouver comment on peut, nous, s'adapter au système qui ne l'est pas.

En fait, ce qu'il y a, par rapport au système, c'est que l'exploitation sexuelle est comme une nouvelle problématique. Ça ne fait pas superlongtemps que les gens sont à l'aise de parler de prostitution puis de... encore moins longtemps que ce n'est plus banalisé puis que ce n'est plus considéré comme un métier comme un autre. Donc, ce n'est pas encore uniformisé. Il y a des femmes qui peuvent aller voir un médecin puis raconter leurs problèmes en incluant la prostitution qu'elles vivent sans qu'il y ait de problème. Il y en a d'autres qui peuvent aller voir un médecin, puis ça ne va pas se passer très bien à cause de ça. Il y a des préjugés qui commencent à s'atténuer, mais il y en a qui perdurent. Puis il y a des services qui, d'une région à l'autre, sont différents ou ont une façon de penser la prostitution qui est différente.

Donc, en fait, ce n'est pas qu'on... — je vais dire ça, mais il ne faut pas le prendre au pied de la lettre — ce n'est pas tant qu'on est sorties du système qu'on n'y a jamais vraiment été intégrées, j'ai l'impression. Mais il y en a qui ont déjà été des personnes très, très fonctionnelles en société et tout, mais, en même temps, c'est ça, les facteurs de risque qui nous ont précipités dans la prostitution sont aussi des facteurs qui peuvent nous avoir un peu marginalisées, pour certaines, pas toutes encore.

Puis le fait d'avoir été dans la prostitution, ça fait aussi en sorte que, pour certaines femmes — il ne faut jamais généraliser, là, ça fait que, des fois, je dis «on», mais c'est ça — ça peut être difficile de demander de l'aide ou... Il y en a qui ont des craintes. Comme par rapport à la DPJ, par exemple, il y a des régions où une femme qui dit qu'elle vit de sa prostitution va se faire enlever ses enfants automatiquement sans autre raison puis il y a des endroits où la femme va être soutenue. Ça fait que ça devient un peu difficile, en tant que paire aidante, de dire : Oui, oui, tu peux en parler à la DPJ. Il n'y a pas d'aide uniformisée ni de corridor de sécurité et de filet social qui est fait exprès pour la clientèle qu'on est, en fait.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci d'être là sur un cours délai.

Moi, j'ai deux obsessions dans cette commission-là : Comment on casse la demande puis comment on fait une sortie réussie? Et puis vous avez abordé toute la question de l'insécurité économique puis vous n'êtes pas la seule. Il y a d'autres personnes qui vous ont précédée aujourd'hui, hier, avant-hier, qui parlaient que la pauvreté pouvait être un facteur soit de maintien dans la prostitution ou soit de retour. Puis souvent d'autres personnes nous ont aussi dit que c'est rare qu'une sortie se fait à la première tentative, c'est souvent un aller-retour.

Est-ce que, dans ce que vous connaissez, dans les femmes que vous côtoyez, c'est quelque chose que vous avez entendu souvent, cette question d'aller-retour-là qui est favorisée par les conditions de pauvreté?

Mme Sullivan (Rose) : Oui, clairement. Il y a d'autres facteurs aussi qui peuvent provoquer les allers-retours dans la prostitution, mais c'est clairement la pauvreté puis l'insécurité financière qui est le premier facteur de retour dans la prostitution. Parce que, quand une femme décide de sortir de la prostitution, c'est parce qu'elle a compris qu'elle était... Ça peut être pour autre chose, là, tu sais, genre : Mon chum ne veut pas, mais, je veux dire, quand une femme a vraiment souhaité ardemment sortir de la prostitution, puis compris qu'elle était exploitée, puis qu'elle était la marchandise d'une industrie gigantesque, la femme ne veut pas retourner dans la prostitution. Il faut vraiment qu'elle soit à un niveau d'insécurité financière assez catastrophique pour le faire. Mais c'est fréquent, malheureusement, que les femmes sont dans une situation catastrophique financièrement, même plusieurs années après, parce que les séquelles non plus ne sont pas reconnues.

Tu sais, on pourrait aussi parler pendant des heures et des heures des régimes d'invalidité existants et semi-efficaces, mais, bon, on n'a pas le temps. Mais c'est ça, tu sais, il y a autant l'IVAC que l'aide sociale qui offrent un... voyons, tu sais, il y a trois niveaux, là. Il y a celui pour les prestations d'invalidité, je veux dire...

Je vais parler de moi à la dame qui voulait que je parle de moi. Moi, mon médecin a signé huit papiers, à date, qui expliquent que je suis en invalidité permanente, puis j'ai présentement 660 $ par mois de l'aide sociale. Ça fait qu'on pourrait en parler vraiment longtemps, de l'insécurité financière. Mais c'est ça, c'est clairement un facteur de retour dans la prostitution, oui.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, merci beaucoup pour votre témoignage. Il est éclairant pour nous. Vous avez dit des grandes vérités. Celle que moi, personnellement, mais, j'imagine, mes collègues aussi retiennent le plus, c'est : Si on casse, justement, la demande, si on va au coeur de la problématique, c'est... Tu sais, il n'y aurait pas d'offre s'il n'y avait pas de demande, hein, et les protagonistes de cette demande-là, ce sont les proxénètes et les clients abuseurs.

J'aimerais ça vous entendre sur... Il y a un chemin maintenant, aujourd'hui, de plus en plus, c'est le Web, ce sont les réseaux sociaux. J'aimerais vous entendre. Quelle serait, pour vous, la solution pour aller... Les policiers font un travail de veille, et tout ça, mais y a-tu quelque chose d'autre qu'on pourrait faire, qu'on pourrait mettre de l'avant pour essayer d'enrayer ce chemin-là de...

Mme Sullivan (Rose) : Bien, je pense qu'Internet est très, très vaste, puis c'est probablement une des... C'est comme un exemple très concret du fait qu'on aura beau... Tu sais, je ne dis pas qu'il ne faut pas tous les arrêter, là, je veux dire, j'aimerais qu'il n'y ait plus aucun client qui existe, mais en même temps ça démontre qu'il y a toujours un risque qui va exister, malheureusement. Et donc, devant cette évidence que malgré tous les efforts qu'on pourrait déployer il va toujours rester des prédateurs sur la terre, bien là, il reste à diminuer les facteurs de risque des femmes d'être attirées par ces prédateurs-là.

• (15 h 50) •

Puis on en revient à l'insécurité financière et les autres facteurs de risque. Tu sais, devant le fait qu'il y a des prédateurs qui existent, il faut faire en sorte que les proies potentielles n'en soient plus. Ça fait que je pense que pour, tu sais, le côté qui est un peu plus difficile... Mais il y a clairement aussi des moyens à prendre pour les forces de l'ordre, qui permettraient de trouver plus facilement, là, tu sais, les recruteurs et tous ceux qui sévissent sur Internet, là. Il y a déjà aussi d'ailleurs des lois qui existent puis des mesures qui existent, qui ne sont visiblement pas non plus comprises par tous les policiers ni appliquées de la même façon. Mais, tu sais, c'est une question de... je pense qu'à ce niveau-là c'est une question de cohérence, de clarté puis peut-être aussi de volonté politique et/ou... je ne sais plus, là, c'est à quel niveau, là, tu sais, je veux dire, volonté policière...

Mais ça me ramène aussi au fait qu'être partial en politique, 50-50, et dans tous les autres domaines aussi, tu sais, je me dis, ce n'est pas une... je ne suis pas sexiste, là, mais c'est des hommes, les acheteurs, ça fait que je me dis : Si... C'est sûr que, dans un... Je vais dire un poste de police, parce que c'est un exemple comme un autre, là, mais ça peut être un bureau d'avocats, peu importe. C'est sûr que, considérant que les professions qui peuvent le plus agir pour contrer la prostitution sont surtout occupées par des hommes, ça crée déjà un problème auquel on pourrait s'attaquer pour régler comme l'origine du problème, là. Donc, je pense qu'une parité hommes-femmes plus grande en politique, mais aussi dans les professions liées à la justice puis aux forces de l'ordre, pourrait aider aussi beaucoup en diminuant juste, tu sais... Ce n'est pas parce que j'ai quelque chose contre les hommes non plus, là, mais ça diminuerait le taux de risque qu'il y ait des clients parmi les... je veux dire, on sait, c'est tout à fait normal, là, que, si un policier adore exploiter sexuellement des femmes, il soit semi à l'aise d'aller arrêter des clients, là. C'est vraiment plate, mais c'est comme ça.

Puis les clients proviennent de partout et de toutes les... C'est toujours écrit «de toutes les couches de la société», dans les recherches, mais, dans les faits, les hommes les plus pauvres et vulnérables, démunis, sont rarement des clients. C'est mes observations... tu sais, je veux dire, il n'y a pas de recherche, là, mais ce que j'observe, c'est que les hommes qui n'ont pas beaucoup d'argent ne sont pas autant clients que ceux qui en ont beaucoup. Tu sais, il y a beaucoup une question de... je pense que Rose Dufour... je ne sais pas si elle en a parlé, mais je sais qu'elle l'a documentée, là, la question du pouvoir puis de... je veux dire, ce n'est pas... il y a des facteurs qui font que les hommes font appel à des prostituées, puis je pense que ces facteurs-là doivent aussi être pris en considération dans la lutte aux clients et, bien, aux exploiteurs, finalement.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, Mme Sullivan. Je suis désolé, c'est tout le temps qu'on avait. Je veux vous remercier pour votre participation aux travaux de notre commission, mais je veux aussi vous remercier, au nom de la commission, pour ce que vous faites au quotidien, vous et votre regroupement. Merci beaucoup.

On va suspendre les travaux quelques instants afin de permettre au prochain groupe de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 51)

(Reprise à 15 h 57)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au Service de police de la ville de Gatineau et à Mme Nellie Brière. Je vous rappelle que vous disposez de 15 minutes chaque pour votre exposé, et, par la suite, nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission pour une période de 30 minutes. Je vous demande de vous présenter, de nous faire votre exposé, en commençant par Mme Brière.

Mme Nellie Brière et Service de police de la ville de Gatineau (SPVG)

Mme Brière (Nellie) : Parfait. Bon, tout d'abord, je vais me présenter. Je travaille dans le domaine des réseaux sociaux depuis 2008, particulièrement en mobilisation citoyenne, en culture, mais aussi en éducation. Je m'intéresse particulièrement aux rapports du numérique aux jeunes et à leur rapport au numérique, aux familles. Je fais des interventions à ce sujet dans les médias, à Format familial, aussi à Radio-Canada et à Drainville, mais aussi j'ai participé à l'élaboration de capsules pour le Musée de la civilisation, une exposition qui commence, d'ailleurs, la semaine prochaine... dans deux semaines, et aussi des capsules numériques avec un youtubeur pour faire un peu de prévention à ce sujet. Bref, donc, je m'intéresse particulièrement aux plateformes les plus populaires chez les adolescents, de la façon dont ils les utilisent et puis les contenus avec lesquels ils sont en contact là-dessus.

Alors, aujourd'hui, moi, je viens... Je commence tout de suite? C'est ça, je... Oui.

Le Président (M. Lafrenière) : ...on est tout ouïe.

Mme Brière (Nellie) : Alors, je viens faire une intervention en lien surtout avec la prévention sur les médias sociaux, étant donné que c'est mon champ d'expertise. Je viens vous parler de quatre aspects en particulier. Là, je vous transférerai mon mémoire après, là, parce que... en tout cas, j'ai essayé de le faire, j'ai de petits enjeux techniques, en tant que spécialiste du numérique. Bref, ça arrive.

Donc, voilà, je vais vous parler de quatre éléments, quatre éléments importants : le premier, tout ce qui touche, en fait, l'effet des algorithmes sur le rapport au monde et au développement de cultures comportementales chez les adolescents; le deuxième étant tout l'aspect des groupes criminalisés, qui jouissent d'une grande notoriété et d'une grande capacité de diffusion sur les plateformes les plus populaires auprès des mineurs et des adolescents, même après 18 ans. Et un autre aspect, c'est les enjeux qui sont soulevés par le manque de littératie numérique, autant chez les adultes qui encadrent ces jeunes-là que chez les jeunes eux-mêmes. Et mon dernier argument, dans le fond, c'est sur le fait qu'il y a un manque flagrant de contenu positif sur les plateformes particulièrement parcourues ou utilisées par les mineurs, donc pour venir contrebalancer, justement, l'impact des groupes plus criminalisés.

• (16 heures) •

Je reviens donc à mon premier point, celui concernant les algorithmes. La plupart des plateformes sur les réseaux sociaux, vous en avez sûrement déjà entendu parler, sont algorithmées. Alors, il s'agit d'une série, dans le fond, de... une configuration informatique pour sélectionner non seulement les contenus, mais les interactions potentielles pour n'importe qui sur cette plateforme-là. Ces algorithmes-là sont générés, évidemment, pour nous garder captifs sur les plateformes. Donc, on nous présente constamment des contenus qui sont attrayants ou qui renforcent constamment ce qu'on pense du monde, ce qu'on aime, ce qui nous maintient, finalement, actifs. Donc, les adolescents, qui sont particulièrement actifs sur ces plateformes de réseaux sociaux là... Bien, ils le disent, d'ailleurs, il y a une recherche du CEFRIO, là, qui mentionne que la première activité, le week-end, des 12-15 ans, sur les médias sociaux, c'est d'être sur les réseaux sociaux. La semaine... C'est après le visionnement vidéo, c'est en deuxième, mais quand même. Le visionnement vidéo, est-ce que c'est des réseaux sociaux quand c'est YouTube? Bref, grande question. Mais dans tous les cas, alors, ils sont extrêmement exposés à ça. Ils sont beaucoup moins dans une consommation de médias traditionnels. Donc, ces plateformes-là sont algorithmées, ils n'en ont aucune idée et ils se retrouvent face à un monde qui est complètement biaisé.

Et, s'ils se retrouvent, par exemple, dans des univers où ce qui est valorisé, c'est la culture «trap», hip-hop, gangsta, ce qui est très populaire auprès des ados, bien, c'est constamment nourri par des contenus qui les enferment et qui les enfoncent parfois dans, de plus en plus, des comportements valides au niveau de la violence, au niveau de l'hypersexualisation et au niveau manipulation d'armes, consommation de drogues. Ils sont particulièrement exposés à ça, et on ne les expose à rien d'autre. Ils n'ont pas de rapport à l'altérité, ils n'ont pas de rapport à la diversité. C'est le même phénomène dans tous les phénomènes de radicalisation, là, qu'on observe sur les réseaux sociaux, là, mais là c'est de jeunes adolescents non outillés qui n'ont pas les outils pour s'émanciper de ça pour avoir conscience qu'ils baignent là-dedans. Alors, ça génère un terreau extrêmement fertile, évidemment, vous le comprendrez, pour des groupes criminalisés, qui peuvent ensuite tirer sur des leviers assez facilement ou identifier des jeunes qui sont davantage immergés ou influencés par ce genre de culture là.

Alors, ces algorithmes-là, il y a un sociologue français, Dominique Cardon, qui a fait des travaux là-dessus et qui, justement, définit ce phénomène des chambres à écho, qu'on appelle aussi des îlots comportementaux, donc ces îlots comportementaux là qui font en fait le même phénomène que les gangs de rue. Ça finit par être des tribus, ça tribalise le comportement, ça le rend encore plus tribal. Déjà qu'à l'adolescence c'est une tendance, disons, sociologique, là, bien, c'est renforcé par les structures mêmes de ces plateformes-là. Évidemment, vous comprendrez que les plateformes qui renforcent le plus ce genre de structure là, comme par exemple Snapchat, sont les plus populaires chez les adolescents, bien souvent, parce que ça correspond à leur mode de socialisation.

Alors, mon deuxième élément, c'est le phénomène des enjeux liés au manque de littéracie numérique, qui rend ces jeunes-là encore plus vulnérables. Parce que, bon, déjà, on n'a pas conscience des algorithmes, mais non seulement ça, mais, chez les plus jeunes, on est extrêmement agile et morcelé dans sa façon de consommer des médias numériques, dans le sens où on utilise plusieurs plateformes et on change rapidement. On n'a pas la loyauté des non-natifs du numérique ou des gens de plus... plus âgés, disons. On va utiliser des fois cinq, six, sept différentes plateformes pour différents groupes, pour différentes activités. Et le fait qu'on change constamment, bien, ça exacerbe le manque de littéracie numérique parce que ça implique qu'on n'a pas nécessairement à gérer ces paramètres sur chacune d'elles ou qu'on a bien compris les modes de diffusion et les paramètres de chacune de ces plateformes-là. Ce que ça fait, c'est que, justement, on peut se retrouver à faire des publications, sur ces plateformes-là, qui illustrent notre vulnérabilité, à certains moments de notre vie, de manière totalement publique et accessible par n'importe qui. Alors, n'importe qui de malveillant peut identifier des individus en état de vulnérabilité, entrer facilement en contact avec eux et avoir, donc, des leviers pour les manipuler super facilement parce que le jeune n'a pas conscience de ça, et potentiellement ni ses parents, ni ses enseignants, ni personne autour de lui. Donc, ça nourrit, encore une fois, ce terreau fertile là.

Au niveau de mon troisième point, c'est les groupes criminalisés qui jouissent d'une grande notoriété et des systèmes de diffusion efficaces. Là, je vous explique quelque chose, là, que vous ne connaissez peut-être pas. C'est qu'il y a des groupes malintentionnés, évidemment, malveillants pour toutes sortes de raisons, qui vont générer un système de compte hypersuivi, hyperviral parce qu'ils maîtrisent superbien ces infrastructures-là. Par exemple, ils vont jouer sur le levier du besoin de popularité chez l'adolescent qui veut avoir la notoriété et du crédit social. Ils vont ouvrir des chaînes et demander... faire des appels de contenu, alors, s'attendre à ce que les jeunes envoient des vidéos pour les mettre en scène, qui montrent à quel point ils font partie de cette culture un peu gangster, «trap», etc. Donc, les vidéos, on les voit en train de poser des actes dégradants sexuellement; des vidéos où on les voit en train de se battre, où on les voit en train de manipuler des armes, de consommer de la drogue, etc. Et là il y a une sélection de contenus qui sont diffusés sur ces chaînes extrêmement suivies à cause de leur matériel illicite, semi-légal. Bien, ils deviennent attrayants, en quelque sorte, et là, bien, tout jeune veut se retrouver diffusé sur cette... bien, pas tous les jeunes, mais, bref, il y a des jeunes qui peuvent avoir envie de se retrouver diffusés sur ces chaînes-là parce que ça va lui donner une espèce de crédit social, d'avoir été choisi : Regardez à quel point je suis haut gradé dans la rue. En quelque sorte, là, c'est du crédit de rue, comme on pourrait le dire.

Et, ces groupes-là, même si, par exemple, je sais que la police a conscience de ça, on veut les fermer, mais c'est pratiquement impossible de les attraper parce que, rapidement, ils peuvent fermer leurs comptes, être fermés et le rouvrir, puis, quelques heures après, retrouver presque la même audience, parce qu'ils jouissent de la densité du réseautage de ces jeunes-là qui sont extrêmement réseautés, là. Vous avez peut-être vu des adolescents, le nombre d'amis qu'ils peuvent avoir, parce qu'ils vont cumuler tous les gens qu'ils ont côtoyés à l'école primaire, à l'école secondaire, dans leur camp de jour, etc. Puis c'est exponentiel, là, parce que des fois on a fait plus qu'une école puis, bon, on veut être populaire, on veut être réseauté avec le monde, on veut être un influenceur, hein, parce que c'est très au goût du jour. Donc, ça veut dire que, si, par exemple, il y a un changement de nom ou un changement d'URL, bien, par une espèce de circuit sous omerta, en quelque sorte, par rapport aux adultes, on s'envoie la nouvelle adresse puis on est... C'est même, encore une fois, vu comme quelque chose de très branché que d'avoir accès à ce nouveau compte-là, puis on veut montrer qu'on est branché parce qu'on connaît ce... Alors, en quelques heures, ils se rétablissent leur audience et ils peuvent recommencer. Puis le temps que la police, ou que les enseignants, ou que qui que ce soit retrouve ces comptes-là, bien, il y a beaucoup de dommages qui sont faits parce que ce n'est jamais aussi rapide. C'est toujours un jeu de chat et de souris avec des souris ultrarapides, disons.

Donc, mon dernier aspect est en lien avec le manque de contenu positif sur les plateformes. Parce que, là, je vous ai exposés au phénomène de, bon, on est sur Snapchat... particulièrement, d'ailleurs, Snapchat, Instagram et YouTube, ce sont d'ailleurs les plateformes où il y a des contenus éphémères qui sont le plus propices à ça parce que, comme les contenus sont éphémères, c'est très difficile de les modérer et de les signaler, parce qu'au bout de 24 heures... C'est comme les «stories», si vous voulez. Au bout de 24 heures, ces contenus-là disparaissent. Donc, c'est impossible pour... si vous n'avez pas été là au bon moment. Ça prend une veille en temps réel presque en tout temps pour être capable de les attraper, ces comptes-là, étant donné que ça disparaît rapidement. Ça fait qu'à part sur YouTube, là, sur les deux autres endroits, c'est souvent des trucs qui ne restent pas. Et des fois, même, quand ce n'est pas en «story», quand c'est en vidéo YouTube ou en vidéo sur Instagram, vous allez voir qu'ils ne vont pas laisser le contenu plus longtemps que 12 heures ou 24 heures. Ils vont les retirer eux-mêmes pour éviter d'être pris. Donc, même quand ce n'est pas dans de l'éphémère, on génère de l'éphémère malgré tout pour pouvoir rester inattrapable.

Donc, ces contenus-là sont très fréquents, sont très populaires, et il n'y a pas beaucoup d'autres types de contenus positifs sur les plateformes les plus fréquentées. Je veux dire, Télé-Québec n'est pas très, très active sur Snapchat, en général, ni Radio-Canada, et puis, s'il y en a, c'est vraiment au compte-gouttes. D'ailleurs, encore une fois, je réfère à une recherche qui a été faite par le CEFRIO, là, parce qu'on manque un peu de données, des fois, pour les mineurs, au niveau de leurs habitudes sur le numérique, à cause des règlements pour les protéger, là, on ne veut pas que ce soit du commercial qui fasse des sondages à cet égard, mais le CEFRIO est comme un organe mandaté. Ils ont fait, entre autres, une étude sur le visionnement en ligne chez les jeunes, et, dans cette étude-là, les jeunes rapportent un manque de contenu francophone québécois. Ils se plaignent d'une absence de contenu francophone québécois. D'ailleurs, c'est pour ça qu'ils se retournent souvent vers les youtubeurs français et puis que, là, vous allez entendre même des adolescents parler avec des expressions françaises, parce qu'il n'y a pas assez de youtubeurs québécois. Il n'y en a pas nécessairement avec beaucoup de contenu étoffé parce qu'il n'y a pas de... on ne finance pas ce genre de contenu là ou pas assez, au Québec. En fait, c'est un désert, c'est un désert culturel sur les plateformes les plus populaires.

• (16 h 10) •

Puis on comprend que c'est parce qu'on veut valoriser nos plateformes. Au Québec, on a ces enjeux-là. On veut Tou.tv, etc. Mais, en faisant ça, bien, on ne se préoccupe pas des contenus avec lesquels nos jeunes sont en contact. Parce qu'eux, ils n'iront pas sur ces plateformes traditionnelles là. Ils sont sur YouTube, ils sont sur Instagram, ils sont sur Snapchat. Donc, mon quatrième point est que... bien, le fait de n'avoir jamais aucun modèle positif. On laisse la place à ces groupes-là à un peu donner la mesure culturelle de c'est quoi être un être humain épanoui dans le monde, et ce n'est pas nécessairement positif.

À la lumière de mes observations que je viens de vous faire, je veux amener à votre connaissance des conclusions ou des recommandations. Je vous ferai parvenir le... J'ai vraiment tout noté ce que je vous ai dit aujourd'hui dans un mémoire, là, sur lequel vous pourrez vous référer. Le premier élément, c'est qu'il faut développer davantage la littéracie numérique, surtout des personnes qui encadrent, les enseignants, mais non seulement ça, les parents, parce que ça commence souvent à la maison. Ça commence plus jeune que ce que les règles de ces plateformes-là le permettent. Bien, en tout cas, je pense que la population en général a besoin de plus de littéracie numérique, mais particulièrement pour protéger les mineurs, parce qu'ils ne développent pas eux-mêmes des habitudes qui sont saines, des compétences qui sont nécessaires, mais que, non seulement ça, les intervenants sont un peu perdus là-dedans et ne savent pas comment les accompagner, comment voir ce que je viens de vous illustrer-là. Souvent, les enseignants, je leur apprends, alors que c'est monnaie courante chez leurs étudiants. Et il y a des enjeux aussi de dialogue entre les jeunes et les plus vieux du fait que parfois on méprise un peu leurs comportements en ligne, donc le jeune ne va pas être porté à parler de sa véritable expérience et va plutôt tenir un discours qui est attendu de lui. Donc, plus de littéracie numérique, puis aussi travailler le lien de confiance.

Mes deux autres recommandations. La deuxième, c'est encadrer la présence des mineurs avec peut-être plus de réglementation auprès des plateformes pour obliger des partenariats. Parce qu'on va se le dire, là, ils n'ont pas 12 ans, quand ils vont sur Facebook, ils ont huit ans puis ils ont neuf ans. Puis, même quand ils ont 12 ans, ils ne sont pas accompagnés. Puis là, bien, c'est sûr que la plateforme vous permet de la signaler, mais ce n'est souvent pas fait parce qu'on accepte ça socialement. Alors, comment on fait pour protéger les mineurs? Bien, peut-être qu'il y a peut-être un petit cadre réglementaire à mettre là-dedans pour forcer la main aux entreprises privées, plutôt que de penser qu'ils vont le faire magiquement.

Et mon dernier point, c'est que ça prend davantage de contenu positif. Ça fait qu'il va falloir, à un moment donné, trouver une façon de financer des contenus positifs pour les jeunes, sur ces plateformes-là, et de penser que, bien, oui, peut-être qu'on veut protéger nos plateformes, mais qu'il faut aussi faire connaître la culture d'ici et des modèles positifs à ces jeunes-là dans leur écosystème médiatique. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, Mme Brière. Maintenant, le Service de police de la ville de Gatineau.

M. Beaudoin (Luc) : Merci beaucoup. Je vais me présenter : Je suis Luc Beaudoin, directeur du Service de police de la ville de Gatineau. Je suis accompagné par Mme Isabelle Plante, chef de division, Recherche, développement et stratégie organisationnelle du Service de police de la ville de Gatineau.

C'est avec un engagement profond et grand intérêt que le Service de police de la ville de Gatineau vous soumet un mémoire dans le cadre de votre commission. Cette forme de criminalité, encore taboue et peu visible aujourd'hui, n'en demeure pas moins l'une des préoccupations majeures de notre société. Non seulement l'exploitation sexuelle d'enfants vient heurter nos valeurs et créer une indignation, mais elle engendre aussi un sentiment d'impuissance et d'urgence d'agir auprès des intervenants de première ligne.

Voici donc un portrait rudimentaire mais réaliste des enjeux que nous côtoyons quotidiennement en tant que ville frontalière et distincte, en tant que région métropolitaine faisant partie d'un tout provincial. Afin de tracer ce portrait, nous tenons à préciser que nous avons travaillé avec différents partenaires tels que nos agents de recherche, nos sergents et lieutenants détectives concernés directement par la situation et aussi des partenaires tels que les centres intégrés de santé et de services sociaux de l'Outaouais.

Notre réalité gatinoise. Avec une population d'environ 285 000 habitants et un territoire de 342 kilomètres carrés, Gatineau est la quatrième ville en importance au Québec. Elle est la plus importante ville de la région administrative de l'Outaouais et forme, avec la ville d'Ottawa, la région métropolitaine d'Ottawa-Gatineau, quatrième agglomération du Canada après Toronto, Montréal et Vancouver.

Parallèlement, Gatineau est la première grande ville que croisent les gens provenant des régions de l'Abitibi et du Témiscamingue. Elle est aussi un passage obligé entre les grandes métropoles de Montréal et de Toronto, corridor connu pour ses activités importantes d'exploitation sexuelle.

La situation géographique de Gatineau lui offre ainsi une importante visibilité et un attrait stratégique certain. De sa proximité avec la capitale nationale fédérale, et en tenant compte de la présence de la frontière ontarienne avec ses cinq ponts, la ville de Gatineau est, sans équivoque, une plaque tournante qui favorise l'émancipation de divers secteurs, tant démographiques, culturels, qu'économiques. Elle attire ainsi bon nombre de gens qui, attisés par la situation géographique, souhaitent y vivre et en exploiter les avantages. Il y a donc présence d'une grande fluidité de part et d'autre de la frontière. De ce fait, un fort pourcentage des Gatinois traversent ainsi les ponts chaque jour en direction d'Ottawa pour non seulement se rendre au travail, mais aussi bénéficier de ses restaurants, bars, espaces verts, centres culturels et établissements d'enseignement.

Bien que la situation de la ville en permette un développement florissant sur divers aspects honorables, d'autres, un peu moins reluisants, en bénéficient tout autant. Ainsi, l'industrie de l'exploitation sexuelle profite aussi de l'emplacement et de la proximité des infrastructures de choix que lui procure la municipalité gatinoise.

Non seulement l'exploitation sexuelle semble être en constante évolution à Gatineau, mais elle fait aussi partie prenante des préoccupations citoyennes. Ainsi, dans un récent sondage réalisé auprès de la population gatinoise, les agressions sexuelles et la pornographie juvénile sont en tête de liste en ce qui concerne les crimes devant être priorisés par le service de police.

Je dois vous parler de notre service de police. Le Service de police de la ville de Gatineau est un service de niveau 3. Notre plan d'organisation compte 390 policiers autorisés. Il est important de préciser qu'avec nos différents projets spéciaux et nos policiers temporaires nous comptons environ 470 policiers. Nous possédons ainsi le personnel et les compétences afin d'intervenir lors d'infractions criminelles ou pénales telles que les agressions sexuelles, les infractions d'ordre sexuel, la pornographie juvénile, l'extorsion de personnes vulnérables ou en situation de dépendance, le gangstérisme, le proxénétisme, les maisons de débauche, la prostitution de rue, les crimes reliés aux gangs de rue, les disparitions et les fugues.

Depuis 2017, le service de police enquête les dossiers de traite de personnes et d'exploitation sexuelle d'ordre provincial, en faisant partie de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme. En effet, deux sergents-détectives sont affectés à cette équipe. Les dossiers locaux sont, quant à eux, pris en charge par notre section des crimes majeurs. Malheureusement, la charge de travail ne permet pas d'attitrer exclusivement des enquêteurs aux dossiers d'exploitation sexuelle de mineurs au niveau local. Pourtant, il serait avantageux de pouvoir bénéficier d'une telle équipe, considérant la nature des préjudices encourus chez les victimes mineures, la complexité de ces dossiers et le désir clairement exprimé de nos citoyens d'en faire une priorité

À l'heure actuelle, malgré le fait que le service de police et ses partenaires observent une augmentation de ce type de criminalité dans la région gatinoise, il est plutôt difficile de faire un portrait quantitatif précis de la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs sur le territoire. Jusqu'à tout récemment, aucun code de déclaration uniforme de criminalité ne nous permettait d'identifier rapidement les dossiers d'exploitation sexuelle impliquant des mineurs. Ceux-ci se fondaient dans une section plus large des crimes sexuels.

À la recherche de solutions, le SPVG a profité de l'entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d'autres dispositions, plus particulièrement l'obligation contenue dans cette loi de signaler un mineur à risque d'exploitation sexuelle, afin de créer un code temporaire permettant de collecter cette donnée. Le tout est en processus d'appropriation et assurera, dans un futur imminent, une cueillette de données probantes beaucoup plus efficace et constante.

De plus, au service de police, les sergents-détectives attitrés à l'équipe intégrée offrent depuis peu une formation auprès des patrouilleurs afin de les sensibiliser à détecter plus efficacement les facteurs de vulnérabilité ainsi que les indicateurs associés à l'exploitation sexuelle. Cette sensibilisation permettra non seulement d'améliorer la collecte de renseignements, mais permettra avant tout de déceler plus efficacement les victimes potentielles. Ainsi, dans un souci d'amélioration de ses pratiques, le service de police travaille quotidiennement pour améliorer sa collecte de données en la matière, afin de comprendre et d'adresser plus proactivement la problématique de l'exploitation sexuelle chez les mineurs à Gatineau.

Par contre, nous devons être réalistes et conscients du contexte particulier de ce type de criminalité qui nourrit un grand chiffre noir. Le manque de dénonciation, le contexte d'exploitation, le recrutement et les activités sur Internet et le fait que les victimes ne se considèrent pas comme des victimes sont des faits ne pouvant qu'indiquer que le secteur de l'exploitation sexuelle des mineurs cache sous son giron un chiffre noir très préoccupant. Nous pouvons cependant être certains d'une chose, il y a bien et bel un marché d'exploitation sexuelle de mineurs sur le territoire de Gatineau, et des actions éclairées et concertées s'imposent.

La complexification des démarches pour intervenir à Ottawa. Du fait qu'il y a changement de province, il est généralement plus difficile et long de faire suivre et d'obtenir les documents nécessaires, de part et d'autre de la frontière, afin de permettre aux policiers d'effectuer une arrestation ou une filature auprès d'une victime d'exploitation, de son proxénète ou de leurs clients. Ainsi, ces derniers en font bon usage, profitent de la situation et disposent habituellement d'une grande latitude dans leurs mouvements et leurs actions. Vivre à Gatineau, y recruter des jeunes filles et ensuite quitter pour l'Ontario pour une soirée, voire quelques jours, y exercer ses activités criminelles et revenir par la suite à Gatineau est une habitude prise par plusieurs proxénètes et jeunes filles et est clairement présente sur notre terrain.

• (16 h 20) •

Mme Plante (Isabelle) : Je vais maintenant vous parler de la mise en place complexe du modèle hub.

Les différentes organisations présentes sur le territoire de Gatineau sont des sources d'information incommensurables sur l'évolution de certains phénomènes sociaux. Toutefois, le manque de communication, l'absence de partenariat solide diminue la capacité du service de police à obtenir et transmettre aussi des informations qui sont pourtant cruciales et ainsi détecter en temps opportun des enjeux concernant la sécurité publique. La situation dressée ci-dessus n'est évidemment pas propre à Gatineau. Plusieurs municipalités présentent les mêmes constats. Certains corps de police ont néanmoins trouvé des solutions à ces difficultés et ont obtenu des résultats qui sont formidables. Ces initiatives tracent la voie à une nouvelle façon de faire au niveau policier.

Parmi ces modèles à succès, le SPVG s'est intéressé plus particulièrement au modèle hub de Prince Albert. Il s'agit en fait d'une table de concertation multisectorielle qui rejoint plusieurs partenaires, autant organismes publics qu'organismes communautaires, justice, éducation, santé, services sociaux. Cette table permet d'offrir des services basés sur les facteurs de risque. On est donc vraiment en amont.

Existant maintenant dans plusieurs provinces canadiennes, le modèle hub se veut être proactif et permet d'adresser en amont des situations à risque afin d'éviter une cristallisation des facteurs de risque pouvant causer assurément des préjudices chez les individus. Ce modèle a été évalué et a fait ses preuves. C'est pourquoi le SPVG tente depuis plusieurs années de le mettre en place avec ses partenaires. Nous avons donc rencontré et sollicité plusieurs partenaires dans la mise en oeuvre de ce modèle. Nous avons pu constater que le désir de travailler en amont est espéré et souhaité par tous.

Par contre, un noeud dans la mise en oeuvre subsiste, il s'agit des contraintes législatives entourant le partage d'information au Québec. Malgré un processus rigoureux et encadré de partage d'information, le modèle hub cadre difficilement avec notre législation québécoise. La mise en place de ce modèle est donc très complexe et relève du défi. Pourtant, il va sans dire que l'utilisation de ce modèle permettrait d'identifier certainement des jeunes à risque d'être victimes d'exploitation sexuelle et, dès lors que les facteurs de risque seront identifiés, leur offrir des services de façon systémique afin d'empêcher leur victimisation future.

Pour vous dresser un portrait général des enjeux, je vais vous parler des partenariats et des offres de services régionaux qui nécessitent une bonification.

Le partenariat avec les divers organismes et organisations oeuvrant de près ou de loin avec les acteurs gravitant au sein de la problématique de l'exploitation sexuelle est évidemment truffé d'embûches. Certes, le désir d'aider les victimes de cette problématique est pourtant, de la part de tous, sincère et grand. Cependant, divers facteurs font en sorte que le travail commun et en amont est difficile. Les mandats diversifiés ou parfois obsolètes, les ressources souvent manquantes ou non spécifiques, l'absence d'offre de services adaptés ne sont que quelques-uns des enjeux avec lesquels nous devons tous transiger.

Actuellement, donc, malgré le fait que la situation existe et prend de l'ampleur, les services aux victimes d'exploitation sexuelle, et mineures de surcroît, demeurent difficiles à trouver et encore plus à obtenir. Il est encore de pires situations en ce qui concerne les services pouvant être offerts aux agresseurs repentants.

Il est de plus important d'ajouter que, par l'âge de la victime, qui nous importe ici, les échanges d'information, comme j'en faisais mention tantôt, avec les partenaires, sont difficiles, timides, voire inexistants. Ne pouvant pas brimer le droit à la confidentialité, il devient alors difficile d'établir un plan d'intervention efficace, continu, soutenu et uniforme entre les organisations.

Un autre point, c'est que nos victimes d'exploitation sexuelle ne se voient pas comme des victimes. Dans la dynamique particulière de l'exploitation sexuelle, il en est de la particularité qu'une grande quantité de ces victimes ne se définissent pas comme des victimes. Ainsi, lorsqu'elle est isolée, démunie, sans ressources personnelles, financières, parfois sans papiers ou réseau social, les victimes ont souvent l'impression de demeurer en contrôle et d'avoir le pouvoir de mettre fin à tout moment à la situation dans laquelle elles se trouvent, que ce soit parce qu'elles ont originellement choisi ce mode de vie, attirées par l'argent, l'amour, la liberté, l'aventure, il semble parfois difficile à accepter que les désirs de base ne sont plus contemporains. Croyant donc être encore en possession de leur destin, ces victimes hésitent à dénoncer et à quitter une dynamique dans laquelle elles se voient souvent partie prenante. Pour la soutenir dans le difficile processus de s'en sortir, l'aide et le soutien qui doivent lui être faits doivent être offerts de façon constante et aussi promptement.

Il y a aussi une banalisation sociale du concept de consentement. Il est important de souligner que les croyances et les regards erronés que la société porte sur l'industrie du sexe... On entend encore que les jeunes femmes adhèrent par choix, attirées par divers aspects, trouvent leur compte, sans imaginer ou vouloir envisager que ces dernières sont souvent sous diverses emprises, dépendances les obligeant physiquement et/ou émotivement à demeurer dans un environnement qui est néfaste et destructeur pour elles. Ainsi, puisque de tels messages sont véhiculés ou on ne perçoit pas encore les femmes comme des victimes, il est normal que ces dernières en fassent tout autant.

Dans le même ordre d'idées, la société semble ne pas porter de jugement sévère à l'égard des agresseurs, qui, au final, sont les acteurs qui alimentent l'offre par leur demande. Ils nourrissent aussi ainsi, de par leurs actes, l'industrie malsaine d'achat du corps comme objet sexuel. Une influence sociale massive de réprobation et de refus d'acceptation face à ces agissements aiderait, sans l'ombre d'un doute, à faire diminuer cette activité. Un changement de mentalité et de moeurs à grande échelle et étalé sur plusieurs générations est nécessaire afin de renverser ces croyances.

De plus, un élément quelque peu difficile à contrôler, mais qui n'en est pas moins préoccupant, est celui de la hausse des fugues chez nos adolescentes. Dans l'ensemble de la province, une augmentation des fugues est observée depuis quelques années. Dans la problématique qui nous interpelle, évidemment, il va sans dire que les jeunes filles consistent en des proies faciles, intéressantes pour tout type d'exploiteur potentiel, tant pour des gangs organisés que pour des proxénètes seuls qui agissent de façon autonome. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence la tendance, chez les adolescentes, à idolâtrer le milieu de l'exploitation sexuelle — Mme Brière en a fait référence tantôt — et les acteurs, qui y voient parfois une opportunité de jouer le rôle comme travailleuse autonome et de prendre ainsi leurs parts du marché. Comme mentionné plus haut, les jeunes filles, croyant au départ être consentantes et faire un choix éclairé, tombent souvent dans l'engrenage de l'exploitation, qui est évidemment malsaine.

Le manque d'éducation. L'absence de projets de sensibilisation et de prévention pouvant être dispensés, entre autres, par des programmes scolaires conscientisés et actuels est un enjeu, évidemment, majeur. Dans l'optique où nous souhaiterions changer la vision sociétale et amener les futures générations à porter un regard plus sérieux sur le phénomène de l'exploitation sexuelle, à les conscientiser aux dangers, il est primordial de s'immiscer dans les secteurs scolaires mais aussi dans les secteurs familiaux afin de teinter les méthodes d'éducation et les valeurs inculquées à nos générations futures.

Des lois ou des procédures inadaptées. Diverses lois s'appliquant au domaine de l'exploitation sexuelle sont utilisées sans toutefois être maximisées ou adaptées aux situations spécifiques en découlant. Ainsi, plusieurs imposent aux victimes de témoigner et de demander une implication dans la construction de la preuve qu'elles ont beaucoup de difficulté à livrer. Comme c'est le cas pour le reste de la société, le regard que porte parfois la loi sur les victimes manque de considération et ne perçoit pas toujours la multitude de traumatismes, parfois énormes et constants, dans lesquels cesdites victimes survivent et ont dû survivre.

Le Président (M. Lafrenière) : En conclusion, s'il vous plaît.

M. Beaudoin (Luc) : En conclusion. Définitivement, nous avons identifié certaines pistes de solution. Je trouve que Mme Brière était très douce envers l'univers virtuel. Moi, je considère qu'il y a plusieurs activités qui se produisent dans un univers virtuel, dans un autre monde que personne n'est présent. Donc, je pense qu'il va falloir assurer une présence de cet environnement virtuel avec un certain encadrement, peut-être même des ressources, puis je crois que c'est des ressources autres que policières. Il faut vraiment des gens spécialisés dans le domaine.

Provincialement, je crois que ça serait important d'uniformiser nos collectes de données pour travailler avec des données probantes. Définitivement qu'il faut encourager le développement de tables de concertation. Comme nous l'avons dit, il faut revoir nos lois québécoises pour faciliter l'échange d'informations pour pouvoir agir en amont. C'est toutes des orientations, des pistes de solution.

En conclusion, bien entendu, plusieurs de ces propositions demeureront difficilement réalisables si elles ne sont pas appuyées par un mandat clair, par des lois et des règlements adaptés et flexibles les favorisant, par une concertation commune à l'échelle provinciale et par un budget s'y rattachant. Nous sommes cependant confiants que, dans l'urgence de réagir et de prévenir, la commission saura cerner l'ampleur de la problématique d'exploitation sexuelle de mineurs et reflétera, dans ses propositions, des solutions à la hauteur du sérieux de la situation. Merci beaucoup.

• (16 h 30) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour vos présentations. On va maintenant passer à la période d'échange, période de 30 minutes, avec les membres de la commission. Et je vais y aller d'une première question technique pour Mme Brière, parce que, depuis le début de cette commission, on parle beaucoup de médias sociaux. On a la chance de vous avoir avec nous. J'ai deux petites questions techniques pour vous.

Tout à l'heure, vous avez parlé de plateformes. Je peux vous parler d'applications. On en connaît plusieurs, que ça soit Kik, Whisper, il y a une multitude d'applications qui existent. Le réflexe de l'ancien policier vous dirait qu'on peut y aller en répression, les faire fermer. Et, je pense, quand on a vu ce qui est arrivé du côté de Backpage, où ça a causé plus de problèmes que de bien, parce que Backpage donnait un bon coup de main aux autorités policières à l'époque, je pense qu'on y va plus en éducation. Ma question, ma première, va être : Qu'est-ce qu'on fait pour éduquer les parents et les enfants à ce niveau-là? Ça, c'est la première.

La deuxième, parce que j'essaie de mettre ça très rapide, la deuxième question, on a parlé tout à l'heure de fugues et de disparitions de la part de nos collègues de la police de Gatineau. Nos collègues américains utilisent beaucoup la reconnaissance faciale pour retrouver des jeunes sur les sites où on fait la promotion, justement, d'activités sexuelles. Au Canada, il semble y avoir des limitations parce qu'on n'est pas tout à fait à l'aise d'utiliser la reconnaissance faciale. J'aimerais vous entendre là-dessus. C'est une question qui est beaucoup plus philosophique que technique.

Mme Brière (Nellie) : Oui, tout à fait.

Le Président (M. Lafrenière) : Si vous êtes capable, en quelques secondes... Sinon, jusqu'au 1er mars, on peut recevoir un document de votre part. Merci.

Mme Brière (Nellie) : O.K. Au niveau de l'éducation, en fait, déjà, d'intégrer peut-être plus dans la formation des enseignants des éléments numériques, mais de tous les enseignants, puis pas nécessairement un seul enseignant ou un seul pôle... Il faut vraiment que cette connaissance numérique là circule. Il faut aussi trouver un moyen... C'est sûr que, pour le côté parental, bien là, à part nos médias, il y a comme peu... On ne peut pas imposer des formations aux citoyens, à part à l'école. Ça fait que, je pense, c'est vraiment dans le milieu de l'éducation qu'on peut intégrer davantage... Par exemple, je sais qu'on veut faire de l'éducation à la citoyenneté. Bien, il y a peut-être des éléments numériques qui pourraient entrer dans cette formation-là, par exemple. Mais, vraiment, les gens qui travaillent dans le domaine de l'éducation, dans le domaine des services sociaux, les travailleurs sociaux, les gens des CSSS, etc., tous les intervenants autour de la jeunesse ont vraiment... auraient avantage à avoir accès à des formations. Et là c'est de voir où est-ce qu'ils en ont déjà puis d'ajouter un aspect numérique à ça. C'est sûr qu'il y a aussi peut-être le fait que ce serait bien que, dans la fonction publique, il y ait aussi ces aspects formatifs, de formation, là, parce que, des fois, les fonctionnaires eux-mêmes ne maîtrisent pas certains aspects pour pouvoir, justement, travailler sur des projets et ne sont peut-être pas tout à fait au fait de ces réalités-là.

Pour la deuxième question, d'ordre philosophique, sur la reconnaissance faciale, bien, c'est sûr que, là, c'est problématique par rapport aux enjeux de droits de la personne puis de... On ne veut pas non plus tomber dans le pattern, disons, dans le spectre chinois de la centralisation de l'information puis de la gestion des données. Ça, c'est une grande question, en fait. Puis moi, personnellement, je pense que tout ce qui concerne la circulation des données personnelles, que ce soient des données biométriques ou autres, il y aurait de l'espace pour en discuter en commission spéciale, par exemple, ou d'une autre manière. Mais, bref, il y a un débat de société à avoir là-dessus parce qu'on a des enjeux, vous le savez, et ça touche autant, justement, retrouver des mineurs, potentiellement, que de ne pas se faire voler nos données personnelles, tu sais, le spectre est large, et les avantages et les désavantages sont à balancer, ainsi que les droits de la personne sont à considérer là-dedans. Je sais que ce n'est pas une réponse très tranchée, là, mais voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Je ne m'attendais pas à une réponse tranchée de votre part, je vais être bien honnête avec vous.

Mme Brière (Nellie) : O.K. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Et ce n'était pas une blague. Jusqu'au 1er mars, si vous avez des outils à nous suggérer pour la formation... Et, en passant, je salue la présence de gens du ministère de l'Éducation qui sont avec nous, qui prennent des bonnes notes quand vous parlez de l'éducation à l'école.

Mme Brière (Nellie) : Super!

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, on a une personne qui est là depuis le début de nos travaux. On la salue. On l'apprécie beaucoup. Merci.

Prochaine question, le député de Viau. Je vous ai surpris, hein?

M. Benjamin : Oui.

Le Président (M. Lafrenière) : Il le savait, mais il ne savait pas qu'il était le premier.

M. Benjamin : Merci. Merci, M. le Président. Donc, merci pour vos présentations.

Ma première question, donc, va à la ville de Gatineau, au Service de police de la ville de Gatineau. On nous a parlé beaucoup, tout au long, et vous nous avez parlé aussi, des enjeux reliés à la collaboration policière. Notamment, vous nous avez dit que vous êtes dans un couloir, effectivement, un couloir où il y a ces genres d'activités là. Question fort simple : Est-ce que vous avez des éléments de statistiques en termes d'arrestations que vous avez faites au cours de la dernière année ou au cours des deux dernières années? Est-ce que vous avez des chiffres à nous donner là-dessus?

M. Beaudoin (Luc) : En matière d'exploitation sexuelle? Sûrement.

M. Benjamin : En matière d'exploitation sexuelle des mineurs, oui.

M. Beaudoin (Luc) : Oui, définitivement. Depuis 2016, c'est-u 16 cas? Comment?

Une voix : ...

M. Beaudoin (Luc) : 12 cas, vraiment, là, d'exploitation sexuelle de mineurs que nous avons. Ça fait que c'est 12 cas. De ces 12 cas, je ne donnerai pas trop d'information parce que, vraiment, il y a des gens qui pourraient se reconnaître, mais j'ai des cas où est-ce que nos victimes provenaient de Gatineau, j'ai des cas où est-ce que les victimes provenaient d'ailleurs au Canada ou ailleurs en province. Puis, dans mes 12 cas, parce que nous les avons analysés adéquatement, on voit aussi que l'abuseur... il y en a qui appellent le client, mais moi, je considère que c'est des abuseurs parce qu'on touche à des enfants mineurs, c'est des enfants, eux aussi proviennent... j'ai des gens qui proviennent de Gatineau, mais il y en a plusieurs qui proviennent de l'extérieur.

Donc on s'aperçoit que c'est un marché, donc, où est-ce qu'on peut... où est-ce qu'il y a une demande. On dirait qu'on déplace l'offre. C'est vraiment ce qu'on constate dans nos statistiques présentement. Puis ce qui est plus préoccupant, c'est justement le chiffre noir, les éléments qu'on n'a pas. Je vous l'ai dit dans mon mémoire, tu sais, nous, on les travaille... quand on a l'information, on travaille le dossier pour adresser la situation puis procéder, mais il y a tellement d'activité qui se produit, justement, sur les réseaux sociaux qu'on serait capables de travailler encore beaucoup plus s'il y avait un encadrement puis une surveillance de cet environnement virtuel.

M. Benjamin : Je salue votre piste, en termes de recommandations sur la question de l'importance d'intensifier les collaborations interprovinciales. Je pense que c'est important.

Mais un élément sur lequel j'aimerais peut-être vous entendre... On a eu, l'autre jour, une téléconférence avec les policiers d'Edmonton, qui nous ont notamment parlé du cadre réglementaire de la municipalité d'Edmonton. Est-ce que, par exemple, pour vous... Est-ce qu'au niveau de pratiques en cours dans la ville de Gatineau, pour vous, un cadre réglementaire... est-ce qu'on doit aller vers des orientations comme resserrer le cadre réglementaire municipal, donc, par exemple, pour contraindre notamment les exploiteurs sexuels, donc, par rapport à des lieux, donc, que ce soient les motels, les hôtels, les salons de massage, etc.?

M. Beaudoin (Luc) : Moi, ce que j'aurais à dire là-dessus, c'est : Oui, il peut y avoir des orientations municipales qui pourraient être données, mais c'est un phénomène qui est plus large que municipal. Je peux avoir les meilleurs...

La première chose, je voudrais tout de suite le préciser, c'est qu'on a une très bonne collaboration avec les services de police comme... À Ottawa, on a une obligation parce que... Quand je dis : Les enquêtes sont plus difficiles, c'est plus long, c'est qu'on a certaines obligations. Juste pour pouvoir maintenir mon pouvoir d'agent de la paix et pouvoir être armé dans la ville de Gatineau ou la province de l'Ontario, ça demande quand même une reconnaissance, on doit être reconnus comme constables spéciaux pour pouvoir agir dans la province voisine. À titre d'exemple, mes équipes de filature, mes enquêteurs sont tous assermentés pour pouvoir agir en Ontario. Donc, on a déjà pris des correctifs.

Quand je dis que c'est plus difficile, c'est à cause... pour les autorisations légales aussi. Donc, il y a des arrestations sans mandat qu'on peut faire du côté du Québec que je ne peux pas faire du côté de l'Ontario. Puis tous les actes judiciaires doivent être visés pour pouvoir intervenir en Ontario. Donc, ça exige une deuxième action qu'on doit faire. Malgré tout, on a des bons partenariats, on a des bons échanges d'information.

Donc, pour répondre plus précisément à votre question d'un cadre réglementaire municipal, la problématique est plus large que ça. Même si chaque municipalité met leur propre cadre, il faut vraiment une vision uniforme parce que c'est plus que municipal, c'est plus que provincial. C'est ce que j'essaie de dire, c'est vraiment... c'est comme... c'est national, là. On le voit vraiment, là, tu sais, ça se promène de Toronto, Niagara. Le Québec, on est touchés, Gatineau, Montréal. Ça fait que c'est plus que ça. Mais, oui, il pourrait y avoir des cadres réglementaires. Mais, encore, comment suivre l'évolution de ces activités?

M. Benjamin : Dernière question, si vous permettez, M. le Président. La collaboration avec la GRC, au niveau interprovincial, elle est comment?

M. Beaudoin (Luc) : À un haut niveau, on a une bonne collaboration. Quand on parle de collaboration, nous... Puis ce qu'on disait, les changements législatifs, tu sais, qu'on fait... qu'on dit aujourd'hui, c'est pouvoir travailler avec les organismes du milieu puis les autres organismes aussi, les autres organismes provinciaux. Là, chaque organisme a leur propre banque d'information. Nous, ce qu'on dit aujourd'hui... Parce que, là, on parle de la problématique, mais on est réactifs. Ça veut dire qu'il y a un crime qui a été commis. Là, on veut adresser la situation puis on veut prendre charge de la victime. Il y aurait moyen d'être proactif, d'agir en amont. Quand on dit agir en amont, là, c'est vraiment d'identifier les facteurs de risque.

Là, vous avez dit qu'il y avait des gens de l'éducation qui sont présents ici. À quelque part, là, la jeune fille, là, qui est au secondaire IV, qui a toujours eu des bonnes notes scolaires, puis, tout à coup, on s'aperçoit d'une baisse dans les notes, là, il y a quelque chose qui se passe dans sa vie. Donc, si chaque organisme, on avait le droit d'échanger l'information, on serait capables de détecter ça. On pourrait agir en amont sur la problématique. C'est surtout dans ce sens-là quand on parle d'échanger avec les autres organismes puis les autres... bien, organismes du milieu, finalement.

• (16 h 40) •

M. Benjamin : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Le député d'Ungava. Ça, c'est vous.

M. Lamothe : Oui. Non, c'est parce que j'étais en réflexion, parce qu'une déformation professionnelle... J'ai été policier aussi déjà. Puis je veux juste complémenter, M. le Président, ce que vous avez apporté au niveau de l'aide parentale, madame. Vous avez dit que ce serait important d'établir un contrôle des plateformes, spécialement qu'à huit, neuf ans... Je ne le sais pas, là, je suis peut-être déconnecté un peu, là, mais vous ne pensez pas que les parents ont quand même un rôle assez sérieux à jouer, à huit, neuf ans?

Mme Brière (Nellie) : Pas seulement les parents, en fait, parce que ce qui se passe, c'est qu'il y a des outils pour signaler un mineur en ligne. Personne ne la fait parce que c'est accepté.

M. Lamothe : Non, mais, moi, ce que... Je me suis peut-être mal exprimé, mais ce que je veux dire... J'ai déjà été parent, tu sais, je veux dire, comme bien d'autres, là, mais, ce que je veux dire, à huit, neuf ans, à un moment donné, quand on voit nos jeunes aller, on a un rôle là-dedans.

Mme Brière (Nellie) : Je veux juste vous dire qu'entre 12 et 15 ans il y a un enfant sur deux, en fait 51 %, qui a un... qui dispose d'un téléphone intelligent, O.K., souvent avant dans le cas de familles divorcées, d'ailleurs. 42 % d'entre eux disent consommer des contenus presque tout le temps tout seuls, là. Donc, on a des enfants qui consomment des contenus majoritairement tout seuls, quotidiennement tout seuls, sur des appareils, à 12 ans. Oui, il y a des enjeux parentaux. Mais ce qui se passe, c'est qu'il y a probablement un manque de compétences puis de compréhension des enjeux reliés à la consommation de contenu seul en ligne chez les jeunes. Donc, il y a une éducation parentale à faire. Donc, on ne peut pas simplement blâmer les parents de ne pas faire leur travail, ils ne sont peut-être pas au courant de ce qui devrait être fait. Puis peut-être que, culturellement, c'est accepté de ne rien faire aussi.

Donc, c'est tout ça qui est à travailler. Ça fait que comment on fait pour travailler ça? C'est la grande question. Moi, je pense que, déjà, en donnant la possibilité d'avoir du développement de compétences numériques dans les écoles, peut-être en travaillant des projets avec les parents davantage, il y a des comités de parents, il y a moyen probablement de faire quelque chose avec les familles. Autrement, je pense que ça va être, peut-être, potentiellement les prochaines générations qui vont y arriver parce qu'on ne peut pas non plus imposer une formation de parent.

Sinon, est-ce qu'il y a des éléments à ajouter dans l'accompagnement parental par les CSSS ou, peu importe, là, le milieu communautaire, le filet social qui entoure la parentalité, là? Il y a comme plusieurs points d'entrée. Qui peut les avoir, ces points d'entrée là? Bien là, ça dépend des ressources, ça dépend de comment on peut l'organiser. Mais je pense qu'il y a quelque chose à travailler là-dessus, ça, c'est clair. Moi, je travaille quotidiennement là-dessus mais avec les moyens que j'ai, c'est-à-dire ma présence médiatique, mes interventions, mais il y a des limites, là, à ce que moi, toute seule, j'établisse une culture de parentalité, là.

M. Lamothe : Vous êtes d'accord que peut-être, à un moment donné, le rôle parental est important à ces âges-là?

Mme Brière (Nellie) : Bien, en fait, le rôle parental est prioritaire, mais c'est à la société d'outiller ou de travailler la culture de ce rôle parental là. Le rôle parental est de la manière dont on est socialisé à être parent. On apprend à être parent dans la société. On n'est pas magiquement parent biologiquement, donc, qui est-ce qui nous dit qu'on doit faire quand on est parent? C'est la société qui nous renvoie ce message-là, ce miroir-là, comment je dois être, comment je dois exercer ma parentalité. Et actuellement je pense que l'exercice de la parentalité est assez laxiste sur les enjeux du numérique, en fait. La façon d'être parent, c'est que c'est correct que ton enfant, à trois ans, il regarde du YouTube pendant que tu prépares le souper ou quoi que ce soit. C'est quelque chose qui est acceptable socialement et c'est ça qu'il faut travailler, cette espèce d'acceptabilité là de ce qui est à faire ou pas pour l'encadrement numérique. Vous comprenez mon point?

M. Lamothe : O.K., je comprends. Peut-être une dernière vite faite?

Le Président (M. Lafrenière) : Très rapidement.

M. Lamothe : Oui. M. Beaudoin, vous avez décrit tantôt le rôle géographique important pour Gatineau pour l'exploitation sexuelle juvénile. Vous dites qu'il y a de l'exploitation juvénile à Gatineau et des actions s'imposent. Bien, la seule chose, comme j'ai une déformation professionnelle un petit peu, il y a 12 cas que vous avez faits en trois ans. Je ne veux pas vous juger, là, mais, je ne sais pas, quand vous dites que des actions s'imposent, est-ce que vous avez un plan?

M. Beaudoin (Luc) : Bien, ce qu'on fait, bien, présentement, on participe à l'équipe provinciale en matière d'exploitation sexuelle comme... C'est à cause qu'il faut le regarder dans un tout. Définitivement, on a... À Gatineau, ce n'est pas pire qu'ailleurs en province. Les grandes métropoles, c'est la même réalité. On fait un constat aujourd'hui. Qu'est-ce qu'il est important de comprendre, c'est...

Je vais faire un parallèle, là. Je vais répondre de façon courte, mais je vais faire un détour. Avant, quand il y avait de la prostitution, de l'exploitation sexuelle sur un coin de rue, ça dérangeait le citoyen. On avait une plainte. On était en mesure de se déplacer, d'adresser la situation. Aujourd'hui, ça se passe où? Ça se passe sur le Web. Donc, on n'est pas au courant de la situation. Donc, c'est là que ça se passe. On ne l'a pas, cette information-là.

C'est là que je dis qu'il y a un environnement virtuel qui existe, puis il n'y a personne qui est présent là-dessus. Puis est-ce que c'est des policiers qui doivent être présents là-dedans? Je crois que c'est des experts du milieu qui sont en mesure de le détecter, nous donner l'information pour qu'on puisse le travailler.

Ça fait que notre plan, justement, c'est la cueillette d'information. C'est de mettre des codes uniformes de rapport de criminalité pour être capables de rassembler le renseignement, puis, au moment où est-ce qu'on l'a, on est capable de l'adresser. Mais souvent c'est qu'on perd plus de temps à courir après l'information qu'à adresser la problématique.

Donc, si je fais le parallèle avec aujourd'hui, c'est que, voilà quelques années, une jeune fille de 14 ans se serait prostituée sur un coin de rue, vous pouvez être sûr qu'on aurait eu un appel téléphonique après l'autre pour nous dire : Ça n'a pas de bon sens! Aujourd'hui, ça se passe sur le Web puis il n'y a personne qui nous le signale. C'est là qu'on dit que cette criminalité-là est invisible. Elle est à quelque part, on ne l'a pas... il faut courir après pour l'adresser, d'où l'importance d'être capable d'agir en amont, d'être capable de se parler, d'échanger l'information avant que ces gens-là deviennent victimes.

C'est ça, notre plan, nous, c'est d'essayer d'agir avant que la personne devienne victime.

M. Lamothe : Et le corps de police de Québec était ici avant-hier, je n'étais pas ici pour Laval. Travaillez-vous de concert avec ces corps-là? J'ai trouvé, moi, que Québec, personnellement, ils avaient vraiment un bon plan, là.

M. Beaudoin (Luc) : Oui, bien, on ne se le cachera pas, Québec, Laval ont vécu des situations particulières qui les ont obligées à mettre des mesures en place, définitivement. Gatineau, fort heureusement, on n'a pas vécu de crise, sauf qu'on ne veut pas se mettre la tête dans le sable puis faire accroire qu'il n'y en a pas. Donc, nous, on essaie d'adresser vraiment ce qu'il en est puis, oui, on travaille en collaboration avec les autres services de police. On veut apprendre de ceux qui mettent des choses en place les meilleures pratiques. Donc, définitivement, on travaille toujours en collaboration, au niveau provincial, avec tout le monde.

M. Lamothe : Parfait. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Le député de Chomedey.

M. Ouellette : Vous nous sensibilisez à des données qui sont très importantes. On a besoin de ça, on a besoin de le savoir, l'uniformisation de la collecte des données. Je comprends que la journée que vous allez avoir le vrai portrait... Vous avez fait un sondage, vos gens vous disent : C'est nos préoccupations premières, mais vous n'avez pas les données. Et, la déclaration universelle de criminalité, on sait que c'est Statistique Canada, il va falloir l'adresser. Hub, ça vient de Prince Albert. On a une entente multisectorielle, au Québec, ça fait plusieurs années que vous essayez de l'implanter chez vous. On a un problème d'échange d'information. Là, ça, c'est dans notre cour, c'est la Loi d'accès. C'est dans notre cour, et il va falloir effectivement l'adresser.

Si on vous donne tous ces outils-là... Je comprends que vous avez une situation particulière. Pour aller aux arguments de mon collègue d'Ungava, vous avez une criminalité transfrontalière. Les criminels le savent. Je veux dire, je vois encore l'image du gars qui vous fait des grimaces sur le pont et qui sait que les lois sont différentes en Ontario, que c'est différent. Pour les plus vieux de nous autres qui ont connu l'ancien Hull, bien, je vous le disais avant le début, vous avez quelque chose de très particulier. La volonté est là. Et c'est important qu'on reconnaisse ces impondérables-là pour vous donner les outils pour répondre aux préoccupations de vos citoyens parce que c'est pour ça que tout le monde est là puis que tout le monde travaille.

Dans l'échange d'information, puisque vous êtes en contact avec les gens de l'Ontario de façon quotidienne, est-ce que leurs contraintes d'échange d'information sont différentes ou c'est la même chose que chez nous?

M. Beaudoin (Luc) : Vous parlez... Avec les organismes?

M. Ouellette : Oui.

M. Beaudoin (Luc) : Isabelle, je vais te laisser répondre.

Mme Plante (Isabelle) : Bien, en fait, en Ontario, il y a eu plusieurs modèles hub. Donc, ils sont arrivés à trouver des façons pour toujours cadrer dans leurs lois, mais on a l'impression que la loi en Ontario laissait plus de latitude à appliquer le modèle hub qu'ici, parce qu'il y a des modèles hub en Ontario.

M. Ouellette : Mais l'échange d'information provincial... Ce sera ma dernière intervention, M. le Président. L'échange d'information au niveau provincial en Ontario?

Mme Plante (Isabelle) : Interprovincial, vous voulez dire?

• (16 h 50) •

M. Ouellette : Non, au niveau de la province de l'Ontario. Parce que je comprends que vous avez juste quelques ponts à traverser pour être — bon, je ne ferai pas plaisir à certains, là — ailleurs et pour faciliter, justement, les interventions du milieu. Vous en souffrez. Et je comprends de votre intervention... Puis je comprends qu'il y a des modèles hub, mais, au niveau provincial, les échanges d'information en Ontario sont plus faciles que les nôtres au Québec. C'est plus confidentiel et plus restrictif au Québec.

Mme Plante (Isabelle) : Oui, c'est l'impression qu'on... bien, ce n'est pas l'impression, c'est le fait devant lequel on n'est pas capables de mettre en place le modèle hub selon la même procédure qui est utilisée ailleurs au Canada, dans les autres provinces. On essaie d'appliquer la même procédure d'échange d'information, puis ici on n'est pas capables de le faire.

M. Ouellette : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup.

M. Beaudoin (Luc) : Est-ce que je peux juste rajouter un bout? Pour cet échange d'information là, ça serait très facilitant et ça nous aiderait aussi, ça aiderait tous les services de police dans bien d'autres secteurs d'activité, quand on parle, souvent... On parle souvent de problèmes de santé mentale. Encore une fois, si on serait capables de parler avec les organismes du milieu, avec nos différents partenaires, on serait probablement capables de détecter avant que quelqu'un soit en détresse psychologique, on serait en mesure de voir... c'est à ce moment-là que cette personne-là devient en détresse psychologique, o n serait capables de détecter quel intervenant du milieu serait en mesure de le prendre en charge, donc on ne serait pas pris à le ramasser après sur le terrain. Donc, je pense, vraiment, ça serait facilitant dans plusieurs secteurs de nos activités.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. On va tenter un sprint de trois questions en neuf minutes. La députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, très rapidement, je vous avoue que moi aussi, je suis tombée un peu en bas de ma chaise quand vous nous avez dit : 12 cas, après tout ce que vous nous avez dit puis tout ce que vous avez mis en place, mais, bon, j'imagine que vous faites du mieux que vous pouvez. Puis vous avez parlé de toutes les nouvelles technologies aussi qui viennent un peu contrer votre travail. J'ai deux questions très, très rapides.

Tout d'abord, sur les questions des médias sociaux, Mme Brière — c'est ça? — ...

Mme Brière (Nellie) : Oui.

Mme St-Pierre : ...vous avez fait un peu un rapprochement avec la radicalisation menant à la violence. Puis je me suis beaucoup, beaucoup intéressée à cette question-là et comment Daesh a mis en ligne des contenus très sophistiqués, très bien léchés, cinématographiques. Et ceux qui veulent contrer la radicalisation menant à la violence, ils ont dit : Il faut que nous aussi, on arrive avec du contre-contenu. Puis je pense que c'est ça, votre message, un peu, que vous...

Mme Brière (Nellie) : Oui. Un de mes messages, mais oui.

Mme St-Pierre : Bien, un de vos... Mais il va falloir que... Si on passe en campagne de sensibilisation, il faut qu'on lâche les sensibilisations classiques pour des madames de mon âge, là, je veux dire, il faut que ce soient des sensibilisations sur médias sociaux.

Sur la police de Gatineau, vous avez, dans votre région, un corps diplomatique important, beaucoup d'ambassades. Vous avez un casino sur votre territoire. Est-ce qu'avec le corps diplomatique et tout le personnel que ça veut dire, que ça signifie, là, que ça représente, on parle de plusieurs centaines de personnes, ces gens-là ont souvent l'immunité... Avez-vous un problème avec, bien, ces personnes-là?

M. Beaudoin (Luc) : Je peux vous dire... Selon nos statistiques, il arrive à l'occasion qu'on doit intervenir auprès de ces personnes-là, mais de vous dire qu'on a une problématique particulière en fonction de l'immunité, ce n'est pas quelque chose qu'on a détecté chez nous présentement.

Mme St-Pierre : Mais, quand vous dites : Il arrive...

M. Beaudoin (Luc) : Bien, il va arriver des situations où est-ce que c'est sûr qu'on peut pogner un diplomate avec une faculté affaiblie, mais rien en matière de la situation sur laquelle on discute aujourd'hui. On n'a eu aucun cas en cette matière.

Mme St-Pierre : O.K. Puis le casino?

M. Beaudoin (Luc) : Le casino? Définitivement, on a une bonne relation avec le casino pour ce qui se passe. On n'a pas eu... De nos cas rapportés, il n'y a rien qui est en lien vraiment avec le casino de l'Outaouais.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup.

Mme St-Pierre : ...peut-être court, court, Mme Brière, sur ce que j'ai dit concernant les médias?

Mme Brière (Nellie) : Bien, en fait, à part dire : Oui, tout à fait, c'est exactement ce que je voulais dire, mais non seulement des campagnes de prévention, mais aussi des contenus valorisants pour les jeunes, qui les mettent en scène de manière autre que ce qui est présenté par ces groupes-là.

Mme St-Pierre : O.K., parfait. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Continuons le sprint avec la députée de Roberval.

Mme Guillemette : Merci d'être ici et de partager avec nous vos connaissances. On a parlé beaucoup de compétences parentales. On a parlé d'environnement virtuel. Mais, concrètement, là, si on avait une chose, peut-être deux à faire concrètement pour mieux encadrer le Web, ce serait quoi?

Mme Brière (Nellie) : Bien, on ne pourra jamais encadrer le Web, là, surtout qu'il y a le «dark Web», qu'on n'a pas abordé ici, mais, en tout cas, qui est inencadrable, mais, mettons, il y a des plateformes de réseaux sociaux qui sont populaires, qui sont dirigées par des entreprises privées, et c'est là qu'on peut peut-être encadrer leur responsabilité à l'égard des mineurs.

Alors, quand je parle d'encadrement, c'est de ce côté-là, peut-être d'obliger certains éléments ou d'obliger certaines prises de responsabilité de la part des entreprises. Par exemple, ça peut être, bien, à l'égard de... vous ne devez pas avoir de mineurs, vous devez vous assurer qu'il n'y ait pas de mineurs sur votre plateforme, autrement il peut y avoir des amendes, etc., puis de donner des outils un petit peu plus importants, sans être dans la reconnaissance faciale, là, pour voir si l'enfant est mineur, mais peut-être de s'assurer... Parce que je sais que, déjà, Facebook le fait. Si vous signalez une identité qui ne pourrait être pas de son... quelqu'un qui a un nom qui est faux, qui n'est pas son vrai nom, Facebook peut vous demander votre passeport. Moi, je peux signaler : Ce n'est pas son vrai nom. Et là Facebook va vous demander votre passeport parce que, dans les règles de Facebook, vous êtes censé vous autoreprésenter vous-même avec votre vrai nom, votre vrai nom civil, là, à l'état civil, puis vous ne pouvez pas le changer. Donc, à cet égard où, justement, Facebook est dans une chasse aux sorcières des faux comptes, etc., et qu'il valide la véracité des personnes, bien, peut-être qu'on pourrait justement aller du côté de valider que... quand il y a des mineurs en ligne, ils ont quel âge véritablement. Puis peut-être qu'il y a un lien à faire, justement, avec l'état civil puis ces entreprises-là, là, potentiellement.

Bref, c'est votre champ d'expertise, là, d'envisager des lois, mais il y a quelque chose à réfléchir de ce côté-là, à obliger les plateformes à prendre des responsabilités pour la protection des mineurs.

Mme Guillemette : O.K. Et, en lien avec les compétences parentales, on sait qu'il y a plusieurs organismes communautaires qui donnent de la formation, des maisons de la famille...

Mme Brière (Nellie) : Oui, exact.

Mme Guillemette : ...mais jamais je n'ai entendu parler que, dans leur formation, ils abordaient ce niveau-là, parce qu'on parle surtout d'un papa ou d'une maman qui ont un 0-5 ans dans une maison de la famille. Est-ce que...

Mme Brière (Nellie) : Pourtant, il y a déjà des aspects, là, dans le 0-5 ans... Mais moi, j'en fais beaucoup. Je suis extrêmement, extrêmement sollicitée actuellement. Ça fait que je le vois, là, qu'il y a des besoins, là. Je veux dire, je ne peux pas faire des tournées dans toutes les écoles au Québec, là. Ça fait qu'il va falloir qu'il y ait quelque chose qui soit mis en place un petit peu plus efficace que moi qui se fait appeler de façon... à géométrie variable.

Et souvent il y a encore plus de manques de ressources dans les régions éloignées. D'ailleurs, je déménage à Québec pour cette raison-là, parce que j'ai tellement de demandes dans les régions éloignées que ça devient complexe pour moi de me déplacer, là, de Montréal. Mais en même temps je ne peux pas être toute seule à faire ça.

Je pense qu'il y a déjà des organismes qui se déplacent. Il y a déjà des choses qui sont en place et qui pourraient justement développer ces compétences-là pour les transmettre. Ça fait qu'il s'agit juste de le systémiser, là, de rendre ça efficace et fluide. Ça fait que c'est de voir, avec les choses en place, là, qu'est-ce qui pourrait être déployé à ce sujet. Mais il y a clairement quelque chose à faire là.

Mme Guillemette : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. La députée de Notre-Dame-de-Grâce, dernière question.

Mme Weil : ...exactement les échanges que vous avez eus, mais, concernant des succès en matière de peines pour les proxénètes, Maria Mourani nous disait ce matin que, depuis juin 2019, donc, on a les peines consécutives, d'une part, et la preuve renversée. Est-ce que vous avez eu l'occasion de pouvoir témoigner de l'application de cette loi en la matière puis des succès par rapport à des cas? Parce que c'était vraiment, ça, depuis des années, un grave problème. C'étaient des sentences presque bidon, puis ils sortaient tout de suite, puis, bon... Est-ce que vous avez une expérience avec cet aspect-là?

Mme Plante (Isabelle) : Dans nos consultations, il y a des enquêteurs qui nous ont suggéré d'aller dans la même orientation que le projet de loi C-75 qui a été adopté, du renversement du fardeau de la preuve pour la remise en liberté. Donc, c'est ce qui nous a été suggéré au niveau des proxénètes, d'aller vers là.

Mme Weil : Ce n'est pas en application actuellement? Parce que, depuis juin, c'est possible.

Mme Plante (Isabelle) : Oui. C'est pour les cas de violence conjugale, je crois, oui.

Mme Weil : Au criminel?

Mme Plante (Isabelle) : Oui, au criminel, exact.

Mme Weil : C'était un autre projet de loi? Vous, vous parlez d'un autre projet de loi?

Mme Plante (Isabelle) : Moi, je parle de l'ancien qui a été adopté... bien, pas l'ancien, lui qui a été adopté en juin, là, qui tombe effectif, là, qui est... au renversement du fardeau de la preuve pour la remise en liberté mais dans les cas de violence conjugale. On nous a suggéré de suggérer la même chose au fédéral pour l'exploitation sexuelle.

Mme Weil : Ah! Pourtant, elle disait que...

M. Ouellette : Mourani, c'est 452.

Mme Weil : 452, oui. Moi je parle de 452. Est-ce que vous avez vu, donc, des succès avec ça?

Mme Plante (Isabelle) : Voilà, oui. Bien, on nous a suggéré d'appuyer cette démarche-là. Voilà.

Mme Weil : O.K. Et, bon, renversement et sentences... des peines consécutives.

Mme Plante (Isabelle) : Oui.

Mme Weil : D'accord. C'était la question que j'avais.

Mme Plante (Isabelle) : Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci à nos deux groupes d'avoir participé aux travaux de cette commission.

Nous allons prendre une petite pause un instant. Et notre prochaine invitée nous regarde. Mme Lamont, on est en retard de 15 minutes, on s'excuse. On est avec vous dans cinq minutes.

On suspend.

(Suspension de la séance à 16 h 59)

(Reprise à 17 h 4)

Le Président (M. Lafrenière) : Je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Ève Lamont, qu'on accueille par vidéoconférence. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes, Mme Lamont, pour nous faire votre exposé. Par la suite, on aura 25 minutes ensemble comme période d'échange avec les membres de la commission. Alors, je vous laisse vous présenter et nous faire votre exposé.

Mme Ève Lamont

(Visioconférence)

Mme Lamont (Ève) : Bonjour. Bien, d'abord, je vous remercie de m'inviter ici. Je voudrais souligner le fabuleux témoignage de Rose Sullivan, du Collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement. C'est grâce à des femmes comme elle que les choses peuvent évoluer.

Alors, permettez-moi de me présenter. Je travaille comme camérawoman et réalisatrice depuis une trentaine d'années et j'ai réalisé six longs métrages documentaires, des films d'auteur portant sur des enjeux sociaux qui me tenaient à coeur et qui ont été diffusés à la télévision, dans les salles de cinéma, dans les cinémas répertoires puis les festivals de films ici et ailleurs dans le monde.

Alors, la prostitution touche l'ensemble de la société et me touche moi, particulièrement, en tant que femme, puisqu'elle s'inscrit dans un continuum de violence envers les femmes. Notre société a le devoir d'agir comme l'ont fait d'autres sociétés qui défendent réellement l'égalité hommes-femmes. Voilà pourquoi je salue les travaux de la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs.

En 2010, j'ai sorti le documentaire L'imposture, sur la prostitution féminine, où j'ai laissé toute la place aux femmes qui cherchaient à quitter la prostitution tant leurs histoires étaient révélatrices des parcours douloureux qui les mènent à se prostituer et des conséquences désastreuses dans leur vie.

Ensuite, il a été important pour moi que je dirige les projecteurs sur ceux qu'on ne voit pas mais qui sont pourtant à la racine de tout ça, de ce système d'exploitation, ceux qu'on appelle communément les clients, ainsi que les exploitants, proxénètes, trafiquants et autres bénéficiaires de l'industrie du sexe. Donc, en 2005... pardon, en 2015, j'ai lancé le documentaire Le commerce du sexe en m'introduisant dans les lieux de prostitution et en recueillant le témoignage de plusieurs anciens proxénètes, propriétaires d'établissement, bars de danseuses, salons de massages, agences d'escortes et entreprises pornographiques, et bien sûr en interviewant et filmant ceux qu'on appelle banalement les clients. Ce sont eux qui maintiennent ce système d'exploitation en place.

Mes deux longs métrages s'appuient sur 10 ans de recherche sur le terrain à Montréal, Québec, Gatineau, Ottawa, Val-d'Or, en Montérégie et dans le Centre-du-Québec. Cette longue recherche s'appuie surtout sur l'expertise des 125 femmes et filles âgées de 15 à 52 ans qui ont connu l'industrie du sexe et avec qui j'ai pu discuter longuement et en toute franchise. Je ne remercierai jamais assez ces personnes qui m'ont fait confiance et qui ont osé dire la vérité, bien souvent niée et ignorée. Parmi elles, 23 ont été filmées et ont témoigné au sein de mes deux documentaires.

J'ai aussi bénéficié de l'expertise des autres acteurs qui se trouvent sur la ligne de front, à savoir les intervenantes auprès des femmes, les intervenants jeunesse et enquêteurs de police. D'ailleurs, c'est comme ça que je les ai connus. J'ai vu comment l'équipe de la moralité ouest, avec le lieutenant-détective Dominic Monchamp, faisait des pieds et des mains pour secourir les victimes et arrêter les proxénètes avec trop peu de moyens. J'ai passé pas mal de temps dans les palais de justice pour assister à des procès contre les proxénètes et qui ébranlent les rares victimes qui osent porter plainte et affronter le processus judiciaire.

• (17 h 10) •

Toutes les femmes rencontrées et les autres interlocuteurs m'ont ouvert les yeux sur un phénomène que nous méconnaissons et sous-estimons. J'ai appris que la grande majorité avaient vécu des violences sexuelles dans leur enfance ou leur adolescence, ce qui leur envoyait le message que leur seule valeur est une valeur sexuelle. Elles ont vécu des négligences et de la maltraitance. Elles avaient déjà une faible estime d'elles-mêmes avant de vivre leur première expérience prostitutionnelle qui, dans la plupart des cas, s'est produite alors qu'elles étaient mineures. Elles furent toutes appâtées par les promesses d'argent facile, d'amour et de gratification. Cependant, ce scénario de rêve reposait sur la duperie. Elles sont presque toujours incitées à se prostituer par un client ainsi qu'un proxénète ou une tierce personne promotrice de l'industrie du sexe. Ces jeunes femmes et filles ne souhaitent surtout pas faire carrière dans ce milieu, prévoyant que leur séjour dans la prostitution sera bref, le temps d'obtenir l'argent dont elles ont besoin ou plutôt dont l'enjôleur de proxénète a besoin.

Alors, la réalité, par contre, c'est qu'une bonne part y resteront longtemps, ne verront plus la possibilité de sortir de ce milieu, dont souvent... Et, même si 90 % souhaitent en sortir, elles sont prises dans un engrenage et se voient incapables de survivre autrement. Celles qui ont trouvé cette force incroyable d'en sortir n'ont souvent pas bénéficié des services de soutien pour les aider en ce sens. Et, au final, bien, la plupart se retrouvent isolées dans la pauvreté, avec une sexualité anéantie et des problèmes de toxicomanie, des séquelles au plan de la santé mentale et physique.

J'ai aussi découvert que le fait de subir des rapports sexuels de manière répétitive et non désirée entraîne une désensibilisation par rapport à leur corps et leurs émotions et même une dissociation psychique chez plusieurs de ces femmes. J'ai été étonnée de rencontrer autant de femmes qui avaient des troubles de stress post-traumatique. Cela correspond aux données issues des études, d'ailleurs. 77 % des femmes qui se sont prostituées ont des troubles de stress post-traumatique. La plupart m'ont raconté avoir été victimes d'agressions sexuelles au sein de l'industrie du sexe, qui se rajoute à un passé d'inceste et d'agressions sexuelles. Et, même lorsqu'elles se disent volontaires, elles sont souffrantes, marquées par les nombreux abus et sévices vécus.

Tout ça pour dire qu'on ne pourra pas régler l'exploitation sexuelle des mineurs si on ne fait rien pour contrer la prostitution de toutes les femmes et les prostitueurs de tout acabit. L'exploitation sexuelle fait partie d'un tout, est reliée à une industrie tentaculaire qui exploitera ensuite ces jeunes femmes devenues miraculeusement consentantes à l'âge de 18 ans. Voilà pourquoi nous avons besoin d'une approche globale qui intègre la prévention auprès des jeunes, l'arrêt d'agir des acheteurs de sexe et de toute personne qui tire profit de l'exploitation sexuelle. On a besoin de sensibilisation de la population pour travailler explicitement à instaurer l'égalité des sexes et on a besoin aussi de services pour aider les femmes à quitter l'industrie.

Alors, je suis rendue aux solutions. La première mesure, pour moi, la plus importante, c'est agir en arrêtant les abuseurs, en appliquant la loi C-36. Le 6 novembre 2014, le gouvernement conservateur a pondu la loi C-36, qui s'est inspirée du modèle suédois en pénalisant les acheteurs de sexe et décriminalisant les femmes prostituées. La loi C-36, appelée Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, considère la prostitution en tant que forme d'exploitation sexuelle ayant un effet préjudiciable et disproportionné sur les femmes et les filles. C'est un changement de paradigme, une révolution positive puisque la loi a inversé le poids social. Les grands objectifs de la loi C-36 sont les suivants : protéger ceux qui vendent leurs propres services sexuels, protéger les collectivités, surtout les enfants, des méfaits de la prostitution, réduire la demande de la prostitution en vue de décourager quiconque de s'y livrer et d'y participer et ultimement de l'abolir, dans la plus grande mesure possible.

Donc, la loi interdit l'achat de services sexuels et le proxénétisme. La peine maximale est de cinq ans en cas d'infraction. Donc, ça s'adresse aux acheteurs de tels actes. Quant à l'interdit de publicité de services sexuels, ça ne cible que les tierces parties qui tireraient un avantage matériel de la prostitution d'autres personnes. Mais aucune accusation n'a été portée jusqu'à ce jour, faute de volonté politique. Il est temps que la loi C-36 soit appliquée. En reconnaissant que l'acheteur de sexe est à la base de ce système d'exploitation, on doit alors le tenir responsable de ses actes, le rendre imputable, si on veut réellement faire cesser cette machine à broyer les filles et les femmes.

Vous savez, en 1999, la Suède a voulu mettre fin à la prostitution en la considérant comme une forme de violence envers les femmes et comme un obstacle à l'égalité hommes-femmes. Alors, la Suède a décidé de pénaliser les acheteurs de sexe tout en combattant le proxénétisme, de ne pas criminaliser les femmes qui se prostituent, mais d'aider celles qui souhaitent en sortir. Ce faisant, elle a réussi à faire reculer la traite à des fins sexuelles et à tarir le nombre de clients de la prostitution. En 1996, 13,6 % des hommes achetaient des services sexuels. En 2008, ce nombre avait chuté à 7,9 %. La prostitution a donc diminué de presque moitié neuf ans après l'application de la loi. 15 ans après l'entrée en vigueur de cette loi, la population suédoise est très satisfaite des résultats, alors qu'au début seulement une minorité de gens l'appuyaient. Et ce qui est intéressant, c'est que les enfants grandissent avec l'idée qu'il n'est pas acceptable d'acheter le corps d'une personne.

En 2006, la Finlande s'est inspirée de cette loi. En 2009, la Norvège a aussi décidé de pénaliser l'achat d'actes sexuels, incluant ses ressortissants à l'étranger, suivie par l'Islande, quelques mois plus tard. D'autres pays se sont inspirés du modèle nordique, dont l'Irlande et le Royaume-Uni, et, en avril 2016, la France a adopté une loi abolitionniste qui élimine le délit de racolage et qui interdit l'achat d'actes sexuels en mettant en place un programme de prévention.

La deuxième mesure importante qu'il faudrait mettre en place inclut la prévention, la protection et l'aide aux victimes. En Suède, il y a des équipes de travailleurs sociaux qui vont régulièrement à la rencontre des personnes prostituées pour qu'elles sachent qu'il y a des services à leur disposition pour sortir de la prostitution. Ici, il n'y a rien. Il y a seulement La Maison de Marthe à Québec, La Sortie et la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, la CLES, à Montréal, qui font leur possible avec un financement insuffisant. Or, il est impératif de protéger toutes les jeunes femmes puisque les mineures deviendront, à leur tour, des adultes.

Pour contrer la prostitution juvénile, il faut investir dans une réelle protection de la jeunesse, étant donné que les filles victimes d'abus sexuels sont plus vulnérables à la prostitution, que la présence d'antécédents en protection de la jeunesse semble également associée à la prostitution juvénile, que près de 40 % des jeunes qui ont vécu la prostitution avaient déjà fait l'objet d'un suivi auprès de la direction de la protection de la jeunesse et que 80 % auraient déjà fugué au moins une fois de leur domicile, puisqu'elles vivent des carences affectives, l'absence de modèles parentaux adéquats, et parfois même l'approbation de la prostitution dans le milieu familial, qui représentent d'autres facteurs de risque liés à la prostitution. Voilà pourquoi l'intervention auprès des victimes potentielles ou avérées doit prendre de multiples formes et commencer par un plan d'intervention global en amont, en intervenant d'abord auprès de la famille.

Mais le problème, c'est que, dans les centres jeunesse, les ressources demeurent insuffisantes. Il y a des bons travailleurs, il y a des bons intervenants, mais il y en a qui sont à bout de souffle et qui ne sont pas formés suffisamment. Mais de leur côté, par contre, les proxénètes sont astucieux, ils n'ont de cesse d'investir la pépinière des centres jeunesse en se servant des jeunes filles pour en recruter d'autres, en étant toujours prêts à accueillir les fugueuses. À mon avis, les foyers de groupe ou d'autres types d'hébergement et de milieux de vie à dimension humaine qui représentent un peu plus la douceur d'un foyer normal, qui sont plus anonymes, adéquats pour les adolescentes et qui ne leur donneraient pas envie de fuguer, seraient une solution à envisager.

On remarque aussi que de plus en plus de victimes, même si elles sont en plus petit nombre, proviennent de familles fonctionnelles, stables, non démunies, n'ont pas vécu de maltraitance ou d'agression ayant précédé leur entrée dans l'industrie du sexe. C'est dire que toute jeune mineure est susceptible d'être happée dans les griffes d'un proxénète. Donc, c'est vraiment important de faire des campagnes de sensibilisation dans les écoles secondaires et les cégeps. La précarité et la vulnérabilité des jeunes femmes, la promesse d'une vie meilleure que les recruteurs de tout acabit font miroiter, qui peuvent aussi être des femmes, soit dit en passant, jouent pour beaucoup dans l'entrée des filles dans la prostitution. La perception des mineures sur la réalité du milieu prostitutionnel est souvent tordue puisqu'au départ elles sont en lune de miel avec leur proxénète. Elles ne se voient pas comme victimes, elles sont parfois rébarbatives à collaborer avec les autorités ou bien elles sont littéralement terrorisées, sous l'emprise totale d'un proxénète, et ne voient plus aucune porte de sortie possible.

Ce n'est donc pas facile d'identifier les victimes et de les inciter à porter plainte contre leur agresseur. Peut-être qu'une ligne anonyme qui leur serait dédiée pour aider celles qui sont en détresse, si évidemment elles savent que cette ligne existe... Des personnes qui gravitent autour de l'industrie pourraient aussi être mises à contribution pour identifier les victimes, tel que les hôteliers, les transporteurs, en les contactant directement et aussi grâce à une campagne de sensibilisation auprès de la population.

Puis, au moment où les jeunes victimes cherchent à sortir de l'exploitation sexuelle, il est impératif d'être là au bon moment pour les soutenir en priorisant leurs besoins, en facilitant leurs actions aux services de santé et à des intervenants sociaux qualifiés, en aidant les parents ou les tuteurs à donner tout le support psychologique émotif qui leur sera nécessaire. Et, rendues à 18 ans, les filles qui étaient placées en centre jeunesse sont souvent laissées à elles-mêmes et deviennent encore plus à risque de se retrouver dans l'industrie du sexe et d'être reprises par un proxénète. Il faudrait donc des ressources adéquates en ce qui a trait à l'hébergement, les thérapies, le soutien psychosocial des jeunes femmes rendues à l'âge adulte.

• (17 h 20) •

Troisième mesure importante, c'est important de stopper les exploiteurs. Au Canada, la prostitution représente la deuxième source de profit du crime organisé après le trafic de drogue. C'est la forme d'activité qui prend de plus en plus d'importance au sein des organisations criminelles. Depuis plusieurs années, les gangs de rue puis les mafias ont diversifié leurs activités en se portant acquéreurs de salons de massage et d'agences d'escortes aussi. Ils participent à tout un système d'exploitation qui rend possible le recrutement des mineures. Si nous appliquons la loi C-36 et osons enfin tarir la demande, le résultat pourrait devenir le même qu'en Suède, où les trafiquants, les proxénètes ne voient plus la possibilité de faire des affaires. Il faut se donner les moyens de poursuivre les proxénètes et trafiquants qui font beaucoup de tort à la société, mais les enquêtes sont complexes et longues à mener. Elles sont nécessaires mais largement insuffisantes et souvent inexistantes en dehors des grands centres. On a fait un progrès tout de même avec l'équipe intégrée de lutte au proxénétisme. Cette escouade fait du bon boulot mais aurait besoin de plus de ressources pour mener les enquêtes qui sont souvent longues et complexes.

Il y a aussi des facteurs d'entrée dans le proxénétisme pour les hommes, puisqu'ils sont des hommes à 90 %, ils sont affiliés dans 70 % des cas aux gangs de rue. On a besoin de travailleurs sociaux dans les quartiers où les jeunes hommes sont recrutés dans les gangs de rue pour leur proposer d'autres modèles de réussite puis des programmes de réinsertion sociale. Il faut prévenir cette forme de criminalité, qui prend de l'expansion auprès de certaines catégories de la population touchées par la pauvreté. Donc, il faut lutter contre la pauvreté et l'exclusion. Ces jeunes hommes sont recrutés à l'adolescence, parfois aussi jeunes que 14 ans, deviennent en quelque sorte des enfants soldats appelés à commettre des crimes au profit des chefs de gang ayant le double de leur âge et travaillent à la solde de mafias aguerries.

Donc, pour prévenir l'entrée des jeunes à l'école du crime, il faut avoir des mesures efficaces pour lutter contre la pauvreté et le racisme, avoir du logement social de qualité, du soutien aux familles, offrir des loisirs aux jeunes, mettre en place des politiques d'intégration efficaces. Il faut bien sûr continuer de lutter contre le crime organisé et les gros joueurs de l'industrie du sexe qui se servent des proxénètes pour remplir à qui mieux mieux leurs lucratifs commerces.

Quatrième mesure importante : l'éducation sexuelle et une large campagne de sensibilisation. Il est impératif d'avoir de véritables cours d'éducation sexuelle dans nos écoles afin que les jeunes apprennent ce que veut dire une sexualité épanouie, consensuelle et basée sur le respect pour que la domination et le sexisme ne guident pas leur vie érotique et leurs relations en général, pour que les jeunes hommes et les femmes se donnent le droit et le plaisir d'échapper aux stéréotypes de virilité et de féminité oppressants, pour qu'ils développent leur esprit critique face à la banalisation de la pornographie et l'hypersexualisation rampante. Nous avons le devoir de faire contrepoids à la sexualisation des femmes sur le Web, dans les films, à la télé, où les corps des femmes, presque nues, hypersexys et disponibles sexuellement, sont utilisés à outrance.

Il faut changer l'idée que la porno en ligne, les massages ou les danses érotiques ne font de mal à personne alors que tous ces lieux sont remplis de femmes trafiquées ou qui souffriront longtemps des conséquences de leur passage en ces lieux. On doit démontrer aux élèves que la pornographie n'est pas inoffensive, qu'elle utilise aussi des jeunes femmes trafiquées, a une incidence dans nos vies, puisque la prolifération des images et des actes sexuels dégradants et violents contre les femmes influence l'imaginaire sexuel, se répercute dans les relations hommes-femmes et propage la haine des femmes.

Vous savez, l'âge de la première exposition à la pornographie est à 11 ans. Il est essentiel que les cours de sexualité commencent à la fin de l'école primaire et se donnent par du personnel formé, par autant d'hommes que de femmes et au moins une heure par semaine. L'ignorance des adolescents est parfois abyssale alors que ce sujet les intéresse au plus haut point puisqu'il est aussi question de relations humaines, des aspects qu'ils explorent et qu'ils ont soif de mieux comprendre.

Là, je termine. Excusez-moi si je lis, mais j'ai produit ce texte un peu à la dernière minute. Alors, pour contrer l'exploitation, on a grandement...

Le Président (M. Lafrenière) : ...

Mme Lamont (Ève) : Pardon?

Le Président (M. Lafrenière) : C'est ce qu'il vous reste, une dernière minute, s'il vous plaît.

Mme Lamont (Ève) : Parfait. Donc, on a grandement besoin de prévention auprès des jeunes et de sensibilisation dans la population en général. Ce changement de mentalité ne pourra se faire qu'avec une large campagne d'éducation et d'information, des publicités d'intérêt public qui seraient diffusées partout, sur les panneaux, dans la rue, à la télé, sur le Web et comprises dans toutes les langues ou sans grande maîtrise du français. En Suède, c'est la mise en oeuvre d'une grande campagne de sensibilisation à l'exploitation sexuelle et pour décourager les clients de prostitution qui a rendu l'achat de sexe répréhensible auprès de la population. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre exposé. Très apprécié. Avant de passer à la période d'échange avec les membres de la commission, je vais demander le consentement pour ajouter 25 minutes à notre séance. Est-ce qu'il y a consentement?

Mme St-Pierre : Ça veut dire vers quelle heure on termine?

Le Président (M. Lafrenière) : Donc, à 17 h 45. On devait terminer à 17 h 30.

Mme St-Pierre : Ah! O.K. Parfait. O.K. Je pensais qu'on devait terminer à 17 h 45. C'est correct. Moi, il y a consentement. Il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Lafrenière) : Consentement pour tout le monde?

Mme St-Pierre : Oui, oui.

Le Président (M. Lafrenière) : Parfait. Merci beaucoup. Alors, on peut y aller avec une première question, le temps que les membres pensent à leurs questions. Moi, j'en ai une pour vous, Ève.

Je vous ai entendue tout à l'heure. Vous avez parlé de campagne de sensibilisation et vous étiez très présente sur le terrain. Nous, un des aspects qui nous intéressent beaucoup à la commission, c'est le client abuseur, le genre de message qu'on peut leur passer. Vous qui avez été sur le terrain, vous qui avez vu des choses, qui avez été en contact avec les gens, qu'est-ce que vous nous suggérez comme message ou comme campagne pour les clients abuseurs?

Mme Lamont (Ève) : Excusez, il y a un petit délai dans le son. Bien, en fait, il faut avoir de la publicité qui rejoint la population et ces gens-là pour montrer les conséquences de leurs actes, parce que souvent le client, parce qu'il paie, il pense qu'il rend service à la personne devant elle. S'il n'est pas violent et brutal, il a l'impression qu'il n'a rien fait de mal. Et, même quand il est d'ailleurs très dégueulasse, il se croit dans ses droits. Et, si on applique la loi, une loi qui démontre... qui pénalise, d'abord, il va savoir que, je veux dire, il n'a plus le champ libre.

Mais, au-delà de tout ça, ça aide à changer les mentalités, le changement de loi, mais il faut aussi faire des campagnes un peu comme on l'a fait pour la cigarette ou la violence conjugale. Il y a eu beaucoup de publicité là-dessus pour dénoncer ça, montrer les impacts, et on n'a pas cessé, dans le fond, de rendre la consommation de cigarette et la violence répréhensibles. Il faut que le message soit clair, c'est inacceptable. Que la fille soit mineure ou majeure, ce n'est pas acceptable d'acheter le corps d'une personne.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci d'être là avec nous. Je veux vous entendre parce que vous dites qu'il faut appliquer la loi C-36 et qu'il n'y a pas de volonté politique. Bon, là, vous parlez à des politiciens aujourd'hui, là, vous parlez au monde politique qui ont... et ça m'a fait sursauter un peu. On entend des experts depuis quelques heures, quelques jours, qui font plein d'actions sur le terrain. On entend plusieurs services de police. Je voudrais juste que vous m'expliquiez, il n'y a pas de volonté politique pour... bien, il n'y a pas d'accusation parce qu'il n'y a pas de volonté politique. Est-ce qu'on doit décoder ou est-ce qu'on doit comprendre que, même s'il y a une volonté policière, le lien ne se fait pas pour amener ces gens-là ou autoriser ces accusations-là? Parce que la loi est là, là. Il y a eu des politiciens, il y a eu des gens, comme les gens alentour de la table, qui ont fait un outil législatif. Il y a des policiers qui ont l'air à l'appliquer, mais là il y a quelque chose dans le système qui ne se rend pas jusqu'au bout. On aura beau faire les campagnes qu'on voudra, la prévention puis la sensibilisation, c'est une chose, mais, si... On a toujours dit que, s'il y a une crainte de punition en quelque part, c'est le début de la sagesse.

Il est où, le manque ou le vide du système, là? Parce que je pense que la volonté politique, ça a besoin d'être précisé de votre part.

• (17 h 30) •

Mme Lamont (Ève) : Bien, moi, je prends l'exemple du modèle suédois parce qu'il est concret, il fonctionne. Les clients, ils sont pourchassés, et les femmes ne sont pas embêtées, mais les clients, eux... Vous voyez, eux, comment ça fonctionne, en Suède, quand ils voient sortir un client, par exemple, d'un lieu de prostitution, il y a une équipe qui est là, qui l'arrête et qui lui donne une amende. Il peut la contester, il peut aller en cour, mais, à ce moment-là, il y a... Ce qui est arrivé, c'est qu'il n'y a aucun client qui se retrouvait en prison, c'est-à-dire qu'ils se sont retrouvés avec une amende avec sursis, une peine avec sursis, mais ils sont exposés à six mois... de six mois à un an de prison. Ils ne sont jamais allés jusque-là. La plupart des clients paient l'amende pour ne pas se retrouver devant un tribunal. Donc, ils plaident coupables, et ceux qui plaident non coupables et se retrouvent coupables, bien, se retrouvent avec un casier criminel, mais jamais ils n'ont été en prison. Ça fait que... Et il y a des programmes d'éducation pour leur faire comprendre le tort qu'ils causent aux femmes qu'ils prostituent.

Est-ce que ça a fait disparaître toute la prostitution? Non, il reste encore des clients, mais on a diminué quand même la demande de moitié. Donc, déjà... C'est parce que, si... Ici, on pourrait déjà agir là où ils sont. On sait où est-ce qu'ils sont. Ils sont dans les lieux, dans les commerces du sexe. Ils sont repérables facilement, mais le problème, c'est que les corps policiers sont débordés et vont au plus urgent, qui est, dans le fond, de répondre, dans le fond, aux cas les plus graves de femmes qui sont trafiquées ou qui sont mineures, et ils sont pris sur d'autres dossiers. Donc, ils n'ont pas les ressources pour faire ça.

M. Ouellette : Donc, si je vous suis, et je vais faire une courte intervention, si je vous suis, c'est que les policiers ne l'appliquent pas. Ce n'est pas ailleurs dans le système. Et il y a une volonté, on a des outils, il nous reste à les appliquer pour aider à ce que la banalisation qu'on vit peut-être au Canada ou au Québec soit différente.

Mme Lamont (Ève) : Oui, absolument. Et je crois qu'on pourrait... En fait, je pense qu'il faudrait qu'il y ait un... pas un programme, mais qu'il y ait peut-être des équipes qui soient dédiées à ça, parce qu'il n'y a pas de policier qui a le mandat d'arrêter des clients, là. Les seuls cas où ça s'est produit, c'est lorsqu'il y a eu des plaintes pour viol, qu'une prostituée s'est plainte d'avoir été agressée par un client, ou parce qu'il y a des... la population, dans certains quartiers, est tannée de voir des hommes tourner avec leur voiture puis là se plaignent de la présence des clients et... Mais, je veux dire, on réagit à certaines situations, mais, je veux dire, il n'y a aucune volonté, il n'y a pas de ressource, il n'y a pas d'équipe spéciale pour adresser ce problème-là.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. Donc, ma première question. Vous avez émis, dans vos recommandations... il y en a une qui me semble nouvelle, et que vous êtes la première à l'évoquer, c'est l'idée d'avoir une ligne anonyme. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Lamont (Ève) : Bien, comme on le sait, les policiers ont beaucoup de difficultés à repérer les victimes parce qu'elles sont terrorisées, parce qu'elles n'ont... rarement vont porter plainte contre leurs proxénètes, et à part les... Certaines mineures savent qu'elles peuvent contacter le centre jeunesse, tu sais, quand elles sont trop mal prises, mais beaucoup ne savent pas qui appeler. Certaines ont fait parfois le 9-1-1, mais des fois elles ne veulent pas appeler la police. Elles veulent... Elles ont besoin de parler à quelqu'un, mais elles ne savent pas à qui parler, elles ne savent pas quoi faire.

Je ne pense pas, par contre, que cette solution-là est magique parce que, souvent, leurs appels, celles qui sont sous l'emprise d'un proxénète... est assez contrôlée. Elles sont contrôlées au point où elles n'ont pas accès à un téléphone ou ne peuvent pas, dans le fond, appeler qui elles veulent.

M. Benjamin : Au niveau de votre expérience, les victimes avec qui vous avez eu l'opportunité de collaborer... On nous a beaucoup parlé d'un continuum de services qu'il manquait, des trous de service. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire par rapport à cela et qu'est-ce... Où est-ce qu'il faudrait peut-être axer davantage les interventions pour mieux soutenir, mieux accompagner les victimes?

Mme Lamont (Ève) : Bien, moi, ce qui m'a beaucoup marquée, c'est qu'elles sont souvent très démunies, à tous les niveaux. Ça leur prend un logement. D'autres en ont parlé, mais c'est vraiment important, un logement où elles se sentent bien, en sécurité. Elles auront besoin d'un revenu. Et, si les prestations d'aide sociale arrivent deux, trois mois plus tard, de quoi vont-elles vivre, tu sais? Et elles sont dans un état assez pitoyable, je dirais, elles ont besoin de support psychosocial. Ça prend de l'accompagnement. Souvent, elles ont peur aussi. Elles ont besoin de se sentir rassurées puis, donc, avoir accès aussi aux services de santé et ne pas se sentir jugées. Mais il manque cruellement, partout dans le système de santé, on le sait, là... les psychologues, avoir accès à un psychologue, c'est très difficile, et pour elles, bien, ce n'est jamais possible. Et surtout avoir... Elles ont besoin de thérapie, c'est vraiment important, pour se reconstruire et éventuellement, bien, avoir accès à des programmes de réinsertion. Mais disons que, dans un premier temps, on parle vraiment de répondre aux besoins de base.

M. Benjamin : Merci pour votre travail.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. Bonsoir, Mme Lamont. Vous avez parlé, dans... je pense que c'est le deuxième documentaire que vous avez fait, dont le nom m'échappe, vous avez dit que vous aviez interviewé, vous avez fait des entrevues à des clients. Vous avez... Oui? Donc, comme on en discute énormément, de ces fameux clients abuseurs, qu'on appelle ici, puis qu'on sait que c'est, bon, c'est très tabou, c'est des gens qui font ça dans l'ombre, qui ne s'en vantent pas, je me demandais comment vous avez réussi à établir un lien de confiance. Comment est-ce qu'on pourrait entrer en contact avec ces gens-là, comment vous avez réussi à le faire, vous, et qu'est-ce que vous nous suggérez pour s'attaquer à cette clientèle-là?

Mme Lamont (Ève) : Bien, j'ai rencontré des clients de différentes façons, entre autres par les femmes qui sont dans l'industrie du sexe, qui m'en ont fait rencontrer. Il y a aussi les clients... Vous allez dans un bar de danseuses, c'est plein de clients. Il y en a là. Et étonnamment, si vous parlez dans votre entourage, des fois, vous serez étonnés, il y en a peut-être un qui va se manifester, puisqu'un homme sur 10 a été, au Canada... en tout cas, il n'y a pas de statistiques officielles, mais il semble qu'un homme sur 10 ait été client de la prostitution au moins une fois dans sa vie. Il faut dire aussi qu'aller aux danseuses, comme on dit communément, c'est très banalisé, mais c'est être client parce qu'on consomme une personne qui offre une gratification sexuelle. Même si on ne va pas dans l'isoloir avec elle, on est quand même là à consommer le spectacle d'une femme nue, qui est souvent une femme, comment je peux dire, qui est sous l'emprise d'un proxénète et qui est exploitée sexuellement.

Et ces clients-là, bien, ils font partie de notre société, hein? Ils n'ont pas une... Ce n'est pas des monstres. C'est des hommes de tous les genres, de toutes les classes sociales. Ça peut être un jeune, ça peut être un grand-père. Il a une copine, il est seul, il est marié, il veut de la diversité, il veut se changer les idées. Bref, il peut être, comment je peux dire, il peut être parfois, comme m'ont dit certaines filles, correct. Un bon client, c'est celui qui ne bat pas les femmes.

Mais, même si ce n'est pas tous les clients qui sont violents, leur impact sur les femmes est énorme, est énorme. Puis parmi eux, bien, oui, le problème est qu'il y en a qui se permettent tout avec les femmes, qui veulent des pratiques dégradantes. Et le fait que ces femmes-là vivent des relations sexuelles non désirées à répétition avec ces hommes-là... Lui, il ne voit pas ça, parce qu'elle joue la comédie, il pense qu'elle veut être là, là, qu'elle est contente d'être là, mais la réalité, c'est tout le contraire.

Puis j'ai rencontré un client, justement, qui est un homme progressiste, qui allait aux danseuses, qui n'avait pas réalisé tout le mal qu'il faisait jusqu'à tant que ses deux préférées, qui ont quitté l'industrie du sexe aujourd'hui, après avoir quitté le bar, abandonné de danser, lui ont dit jusqu'à quel point elles étaient détruites par leur passage... par les années passées là et comment elles ont été victimes d'abus dans l'industrie mais aussi dans leur enfance. Bref, lui qui pensait qu'il n'avait jamais commis rien de mal s'est rendu compte qu'il avait participé à un système d'oppression. Alors, je pense qu'il y a un travail à faire de conscientisation de tous ces hommes-là. Je crois qu'on pourrait quand même, même sans être répressifs, juste avec une campagne de sensibilisation... ça pourrait avoir un impact sur une partie de ces hommes-là.

• (17 h 40) •

Mme Perry Mélançon : Donc, dans une campagne de sensibilisation, comme vous dites que c'est du cas par cas, ils n'ont pas tous le même éveil de conscience au même moment ou pour les mêmes raisons, quel message on passe, qui on cible, dans quels endroits? Comment on s'y prend pour une campagne de ce genre-là?

Mme Lamont (Ève) : Ah! moi, je pense qu'il faut cibler largement, largement. La même chose que pour les campagnes sur la violence conjugale, là, il y a des annonces à la télé, il y a des annonces sur les panneaux publicitaires, sur le Web, il faut viser tous les hommes. Mais aussi il faut que les femmes le sachent, les jeunes filles le sachent, que ce n'est pas acceptable d'acheter le corps d'une personne, que c'est inacceptable, socialement. Même si la personne en face de nous consent, c'est clair que l'argent achète le consentement, et c'est parce que la personne a besoin de cet argent-là qu'elle accepte d'avoir du sexe tarifé avec un client, sinon elle n'en aurait pas.

Mme Perry Mélançon : Je vais passer la parole à d'autres collègues. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Bonjour, madame. Merci beaucoup pour l'échange riche, riche et qui nous donne beaucoup d'informations. Est-ce que j'ai bien compris que vous avez dit, dans la majorité des cas — ou peut-être que je me trompe — ces femmes qui se retrouvent en prostitution ont été abusées jeunes, enfants ou jeunes, à quelque part, donc, la majorité? Ça, c'est vos constats? Est-ce que c'est des données? Est-ce que c'est scientifique ou c'est vos constats personnels?

Mme Lamont (Ève) : ...scientifiquement, il y a une grande étude, qui a été faite par Melissa Farley en 2003 auprès de 854 femmes dans neuf pays, qui démontre qu'une majorité ont vécu de l'abus, de la violence, et dans l'industrie du sexe et aussi dans leur jeunesse. Et moi, moi, c'est ce que j'ai vu sur le terrain... (panne de son) ...réalité était vraiment plus grave que ce que je pouvais m'imaginer, puis, sur toutes les femmes que j'ai rencontrées, 80 % avaient vécu des agressions sexuelles ou de l'inceste dans leur jeunesse, et sans compter la maltraitance et la négligence...

Mme Weil : Parce qu'on a eu...

Mme Lamont (Ève) : ...alors c'est des victimes.

Mme Weil : Excusez-moi. On a eu ces échanges avec certains académiques, etc., et puis ils ont souvent dit : Bien, ça peut être dans n'importe quelle famille, c'est un couple bien rangé puis... Même Maria Mourani, qui a quand même beaucoup de clients qui viennent chercher de l'aide, elle disait... ça semblait être vraiment des couples tout à fait normaux, et que, souvent, c'est juste l'âge. Il faut faire attention, quand ils arrivent à l'âge de l'adolescence, elles peuvent être fragiles, et donc séduites par quelqu'un, par l'amour, etc. Est-ce que vous avez vu ça aussi, ce genre de contexte, ou c'est une minorité? Ce serait une minorité de cas qui seraient...

Mme Lamont (Ève) : Oui, c'est ça, effectivement. Mais, en fait, c'est que cette réalité-là, elle existe, et de plus en plus, d'ailleurs, des jeunes filles, des adolescentes qui proviennent de familles stables, qui ne vivent pas de problème particulier, mais qui sont un peu vulnérables, là, on le sait, là, la crise de l'adolescence, on se cherche, on cherche notre identité, on a besoin de valorisation, puis là arrive un beau jeune homme qui nous fait la cour puis qui nous promet... tu sais, qui est le prince charmant, parce que c'est des enjôleurs de première. Et d'ailleurs, dans mes recherches, c'est ce que j'ai vu aussi, des filles qui venaient de familles à l'aise ou tout à fait aimantes et qui ont été prises dans les griffes d'un proxénète. Donc, ça existe, c'est vrai, mais c'est une minorité.

Mme Weil : D'accord. Je ne sais pas combien de temps il reste.

Le Président (M. Lafrenière) : Encore 1 min 30 s.

Mme Weil : O.K. Donc, la Suède. On fait face, et c'est très frustrant... Puis, depuis quelques jours, vous avez tous, toutes, je dirais, le même message, c'est que d'acheter un corps d'une femme, c'est inacceptable, et c'est ça qu'il faut comprendre, en bout de ligne, et, de banaliser la prostitution comme beaucoup le font, alors, c'est frustrant quand on sort, nous — peut-être que vous le vivez, mes collègues ici — quand on dit qu'on est sur cette commission, bon, puis ils disent : Bon, les adultes, on comprend, c'est consentant, puis, bon... alors il ne faut pas s'attaquer à ça.

Mais vous avez dit que la Suède a commencé exactement à ce point-là, c'est-à-dire, la population suédoise pensait comme ça aussi, mais que le gouvernement a réussi, par des campagnes et de l'éducation, à changer la donne. Alors, nous, on a focussé, oui, sur les mineurs, parce qu'on avait exactement cette réaction : On n'aura pas, comment dire... ça va être très, très difficile, parce que la majorité des Canadiens ou des Québécois ne seraient pas d'accord avec ce consentement qu'on voit chez les adultes. Bon. Mais ce que je comprends du message qu'on a depuis deux jours, c'est un tout, c'est un tout, puis je comprends qu'on va mettre nos efforts sur le mandat qu'on a, mais votre recommandation par rapport à comment on fait pour aller justement sur ce point-là, pour donner l'espoir, je vous dirais... Parce que c'est du fatalisme, souvent. Avec des hommes, quand on leur dit ça, ils disent : Ah! c'est... Ou des gens, ils disent : C'est la plus vieille profession du monde, on ne changera pas la nature de l'être humain, hein, tout le monde dit ça. Alors, c'est du fatalisme, un peu, je pense, parce qu'ils disent : Ah! Comment corriger ça? Ça va être impossible. Alors, il faut un peu donner de l'espoir aux gens que, oui, la Suède a réussi à le faire et que ça a changé les mentalités. Alors, ça... Est-ce que vous recommandez que dans cette campagne... Et, les pays qui ont suivi la Suède, est-ce qu'ils sont allés sur cet élément-là pour convaincre les gens qu'on peut changer la donne?

Mme Lamont (Ève) : Bien, moi, j'y crois fermement. Puis, c'est sûr, c'est un bon début, de commencer... Bien, c'est sûr que tout le monde s'entend qu'acheter le consentement d'une mineure, c'est un crime. Mais c'est tellement facile de démontrer pourquoi, à partir... Pourquoi, à 18 ans, soudainement, elle devient heureuse et consentante? Et, si le client se rend compte que, youhou! c'est parce que celle qui est là, là, qui a 19, 20 ans, 21... Parce qu'on le sait, c'est toujours des jeunes femmes. Les femmes trafiquées, la majorité, elles ont entre 14 et 22 ans. Pourquoi ça serait mieux à 22 ans? Ça pourrait être sa fille. Ça fait que... Et ça cause du tort. Si le client pouvait comprendre tous les dommages que ça crée, les conséquences désastreuses et que cette fille-là qui est en face de lui, ça pourrait être sa nièce, sa fille... Allo! Je veux dire, il faut qu'il se rende compte des impacts graves.

Puis, en Suède, au départ, 30 % des gens appuyaient le projet de loi, et, après son application, c'est 70 %. 10 ans après, ils ont fait des sondages, 70 % de la population est contente de cette loi-là. Ça fait qu'il y a eu une... Mais ça fait partie d'un tout, hein? Ça a fait la paix des femmes, c'est un peu comme la «Paix des Braves». Et il voulait mettre en place un programme d'égalité hommes-femmes, puis il s'est dit : Bien voyons! On ne peut pas ne pas inclure la prostitution, c'est comme... c'est l'éléphant dans la pièce, la prostitution.

Puis, quand on dit «le plus vieux métier du monde», bien, tu sais, le viol existe depuis toujours, les meurtres existent depuis toujours. Est-ce qu'on dit : Ah! ça existe depuis toujours, c'est dans la nature de l'homme, on ne fera rien? On est au XXIe siècle, là. On disait qu'abolir l'esclavage, au XIXe siècle, c'était une utopie. Bon, il y en a encore, de l'esclavage dans le monde, là, mais on le combat quand même puis on conçoit, comme société évoluée, que ce n'est pas acceptable. Puis, tu sais... puis les jeunes aussi, il faut voir, c'est qu'ils vont grandir dans une société où ce ne sera pas... On n'ira pas aux danseuses, on ne fêtera pas ses 18 ans dans un bar de danseuses, on va faire d'autre chose, tu sais, on va faire le party de façon plus saine et équilibrée.

Mme Weil : Merci. Merci beaucoup, merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, Ève, merci de votre participation, c'est très apprécié, merci à la contribution à nos travaux.

La commission suspend ses travaux quelques instants, et on va se réunir en séance de travail. Merci. Bonne soirée, Ève.

(Fin de la séance à 17 h 50)

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