(Neuf
heures quarante-six minutes)
La Présidente (Mme
Dionne) : Alors, bon mardi à tous et à toutes. Ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur les impacts des
écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes
ouverte.
La commission se
réunit afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions
publiques sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux chez les jeunes.
Donc, Mme la
secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire :
Non, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Dionne) : Alors, ce matin, nous entendrons MM. Éric Martin et
Sébastien Mussi, tous deux enseignants en philosophie et co-auteurs du livre Bienvenue
dans la machine — Enseigner
à l'ère numérique; M. Steve Waterhouse, chargé de cours en
microprogramme en maîtrise de l'Université de Sherbrooke, en sécurité de
l'information; et finalement Mme Maude Bonenfant, professeure au
Département de communication sociale et publique à l'Université du Québec à
Montréal.
Auditions (suite)
Donc, je souhaite la
bienvenue à MM. Martin et Mussi. Donc, merci d'être avec nous ce matin. Je
vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous faire part de vos
commentaires, votre exposé. Par la suite, nous allons procéder à une période
d'échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la parole.
MM. Éric Martin et Sébastien Mussi
M. Mussi
(Sébastien) : Oui. Bonjour. Merci tout d'abord à la commission de nous
recevoir. Nous sommes ici, vous l'avez dit, avec un double chapeau. Nous sommes
tous les deux professeurs de philosophie au cégep, moi, depuis 20 ans, et Éric Martin, depuis 12 ans. Et nous sommes
aussi essayistes et chercheurs indépendants. Nous avons chacun écrit
plusieurs livres et de nombreux articles sur l'enseignement et le système
éducatif. Et, en 2023, nous publiions Bienvenue dans la machine, qui est
une synthèse de l'expérience de l'enseignement en ligne qu'on a dû faire durant
la COVID-19 et une réflexion plus globale sur l'informatisation de l'école
présente et à venir.
Bienvenue dans la
machine nous a amenés à formuler deux conclusions : la première, c'est
la nécessité d'un moratoire, d'un moratoire
sérieux sur l'informatisation de l'enseignement et, plus généralement, de
l'école, y compris pour
l'enseignement supérieur; et la seconde conclusion, c'est que, malgré une
expérience de l'enseignement en ligne catastrophique,
de l'avis de tout le monde, y compris de nombreux administrateurs,
l'informatisation de l'enseignement se poursuit à vitesse grand V sans
égard aux problèmes qu'elle peut poser.
Or, ces problèmes
sont nombreux, ils ne sont pas limités à la petite enfance : anxiété
grandissante, sentiment de solitude, addiction comparable à celle des drogues
dures, perte des capacités de socialisation, retard dans le développement
émotif, difficulté croissante à distinguer entre opinion, information et
connaissance, retard dans les apprentissages de la lecture et de la maîtrise
générale de la langue, perte de l'empathie, perte de l'intérêt pour l'autre.
Ces problèmes sont soulevés par de nombreux chercheurs comme par des organismes
officiels, par exemple l'Institut national de
santé publique du Québec. Et pourtant
les réponses de l'industrie intéressée et des promoteurs de
l'informatisation de l'enseignement à ces problèmes consistent le plus souvent
à ne pas répondre. Et c'est un peu court, considérant que c'est de nos enfants
qu'il s'agit. C'est insuffisant, voire inacceptable.
Par contre, les
promoteurs de l'informatisation de l'enseignement ne manquent pas de nous
promettre monts et merveilles pour l'école de demain, cette informatisation
qu'on ferait de nous, par un mystérieux procédé, des meilleurs professeurs et
permettrait, par le même procédé, aux élèves d'apprendre plus, plus vite,
mieux, le tout sans effort et dans la joie. Or, ces belles promesses ne sont
pas documentées autrement que par des cas très spécifiques et sans
considération pour le moyen et le long terme.
• (9 h 50) •
Les études sur la
lecture numérique, par exemple, ont montré qu'elle est en réalité moins
performante pour le développement de la capacité de compréhension que la
lecture sur papier. Des pays l'ayant implantée à grande échelle, comme la
Suède, reculent à ce propos en ce moment même. Les études sur la prise de notes
par ordinateur mènent à la conclusion qu'elle n'apporte rien de plus que la
prise de notes manuscrites, tout en entraînant des effets négatifs sur
l'attention, notamment.
En réalité, nous
sommes ici face à une véritable croyance, celle qu'à plus de technologie
correspondrait à un meilleur apprentissage, le tout en laissant totalement de
côté la question du contact humain, si fondamental dans le développement
de l'enfant comme de l'adolescent. De tels fantasmes ont déjà existé dans le
passé, avec des résultats pour le moins discutables. La télé n'a pas mené à la
révolution de l'éducation que certains promettaient. Les tableaux électroniques
dans les classes n'ont en rien amélioré les apprentissages. À qui le fardeau de
la preuve, donc?
Bien entendu, ces
technologies peuvent, dans certains cas, avoir leur utilité, mais leur
utilisation devrait être ciblée, réservée à des cas spécifiques. En général, ni
professeur ni élève ne bénéficient là d'une plus-value. Pourtant, l'implantation actuelle de ces technologies
ressemble de plus en plus à une invasion. En termes d'offres
d'enseignement en ligne, on est passés, pour les cégeps, de
9 000 inscriptions/cours à 265 000, entre 2019 et 2022, pendant
que des cours universitaires ne sont tout simplement plus offerts en classe.
On peut évoquer
aussi, un peu en vrac, les écrans partout dans les salles de classe au point de
rendre les tableaux en partie inutilisables, les exigences de certaines
administrations pour que chaque programme développe un projet numérique, les départements dédiés entièrement à la
technopédagogie, des formations continues qui ne proposent plus que des
mises à jour aux dernières mises à jour des logiciels en vogue.
On peut se demander,
après tout ça, si le mur-à-mur, si l'adaptation dans les meilleurs délais des
programmes d'enseignement de la maternelle à l'université, comme le
recommandait, pour l'intelligence artificielle, le Conseil de l'innovation du
Québec, ne seraient pas une fausse bonne idée. Il faudrait ici réfléchir à
partir de deux principes : à partir du principe de précaution, qui stipule
qu'il faut s'abstenir d'appliquer une technologie si les dangers et les problèmes qu'elle peut engendrer sont importants
malgré les bénéfices potentiels, qui ici restent entièrement à
démontrer; à partir aussi des finalités de l'école, qui ne peut et ne doit pas
servir uniquement à produire des travailleurs ni à être inféodée aux exigences
de l'économie. Cette réflexion s'impose d'autant plus au vu de l'absence de
bénéfice pour les premiers concernés, nos enfants et nos élèves.
Je passe maintenant
la parole à Éric Martin.
M. Martin
(Éric) : Merci, Sébastien. Pour ma part, je voulais rappeler que le
sociologue Michel Freitag, qui était l'auteur du livre Le naufrage de
l'université en 1995, nous avait bien rappelé que l'éducation a toujours
été, des Grecs jusqu'aux Lumières et même ici, au Québec, lors de la Révolution
tranquille, pensée à partir d'un idéal, disons,
humaniste, c'est-à-dire le développement intégral de la personne humaine et son
inscription dans un monde commun.
Mais ce qui est
particulier avec notre époque, c'est qu'elle a renoncé à cette idée de l'humain
ou de l'humanisme parce que, désormais, la seule chose qui compte, c'est
l'adaptation. Et c'est le mot qu'on entend maintenant partout : il faut
s'adapter. À quoi? À un environnement économique, technologique, à un système.
Donc, ce n'est pas la culture, ni le symbolique, ni une réflexion politique qui
pilotent les réformes, c'est plutôt l'arrimage à ces processus ou ces systèmes
économiques et technologiques qui sont, eux-mêmes, poussés par des
organisations ou des entreprises, le plus souvent, d'ailleurs, des entreprises
étrangères, notamment américaines.
On peut donc parler
d'une forme d'impérialisme technologique, du moins, c'est comme ça que Marcel
Rioux, lui aussi sociologue, avait qualifié le phénomène, donc un impérialisme
technologique qui s'exerce à la fois sur la vie sociale, mais aussi sur l'éducation
nationale, le prétexte étant que l'école est en retard et doit s'informatiser
pour être plus en phase avec le marché du travail.
On opère, en faisant
cela, une confusion complète entre deux espaces ou deux sphères de la société
qui ont des fonctions complètement différentes, puisque le rôle de l'école,
c'est la formation de la personne humaine ou du citoyen, de la citoyenne, et
non pas seulement la profitabilité qui peut être celle des industries, et le
rabattage de l'une de ces sphères sur l'autre cause un sérieux problème.
Deuxième problème, c'est que ces processus ou ces systèmes deviennent de plus
en plus, eux-mêmes, automatiques, comme c'est le cas de l'intelligence
artificielle, dont le développement prend de plus en plus la forme d'une fuite en
avant.
Donc, quand nous
mettons à la remorque l'éducation, la vie sociale... donc, à la remorque de ces
systèmes, nous favorisons une supplémentation du monde des images, des écrans
et du virtuel, qui deviennent plus importants que la présence ou la socialité
réelle ou concrète. Et les impacts de cela, négatifs, ont déjà été évoqués non
seulement par Sébastien, mais aussi par
plein d'experts à la fois au Québec et même à l'international, dont plusieurs
ont comparu devant cette commission. Et il est assez évident que les
avis convergent sur les impacts négatifs.
Pour ma part, je
voulais simplement insister sur l'un d'entre eux, à savoir ce qu'on pourrait
appeler la destruction du langage, des capacités cognitives et également des
capacités de socialisation, ce qu'on pourrait appeler, avec Marcel Rioux, la
fonction symbolisante de l'être humain. Il me semble que cette destruction
constitue ce qu'Éric Sadin appelle une forme d'anti-humanisme radical. Et je
pense qu'il est important pour nous, ce matin, à la fois Sébastien et moi, de
s'inscrire en faux contre cet anti-humanisme qui nous dit qu'il n'y a pas
d'alternative et que nous devons emprunter,
donc, la voie de cet anti-humanisme. Puis c'est notre rôle, en tant que
professeurs mais aussi à titre de
philosophes, de rappeler aujourd'hui que l'éducation, les institutions, les
écoles et aussi l'État ont un devoir d'opérer à partir d'autres choses,
c'est-à-dire un souci du bien, celui des enfants, évidemment, mais surtout le
bien commun.
Et en conséquence il
nous apparaît crucial de reprendre le contrôle sur ce qu'on pourrait appeler
aujourd'hui un processus incontrôlé, de marquer un temps d'arrêt nécessaire
pour prendre la pleine mesure des risques qui sont induits par
l'informatisation des rapports sociaux sur les jeunes et sur la société. Il
devient important de poser des limites législatives, car nous avons affaire à
des gens dont l'autonomie n'est pas achevée, qui doivent être protégés, aussi bien que l'école, en tant qu'institution,
doit être protégée, aussi, comme milieu de vie, par ces limites
législatives.
L'idéologie
actuelle nous dit : Plus on accélère la présence des écrans, plus nous
préparons les jeunes au monde du futur, au monde cybernétique qui
déferle sur nous, et nous devons fatalement, soi-disant, nous adapter.
Sébastien et moi pensons, au contraire, que nous devrions appliquer deux
principes opposés, que je vais maintenant expliquer.
Le premier, c'est une réflexion sur une idée de
l'humain, de la culture, de la société, de l'héritage des civilisations, mais
aussi du rapport à la nature. Voilà l'idée qui devrait guider les choix en
matière d'éducation et les choix politiques, et non pas
la seule adaptation à la fuite en avant, ou au processus empirique, ou au
système technologique. C'est le rôle de la puissance publique de freiner les
ardeurs des puissances privées qui sont en train de court-circuiter la
socialisation normale.
Et le deuxième principe, c'est qu'en toute
circonstance où ce sera possible la présence et la socialité concrètes doivent
être préférées à ce qu'Éric Sadin appelle la vie spectrale ou la vie virtuelle.
Autrement dit, si j'ai le choix entre lire un livre ou donner un cours dans une
forêt — nous
avons maintenant ça à mon cégep, on peut réserver une forêt pour y donner des
cours — si
j'ai le choix entre ça, donc, ou brancher les jeunes sur un écran, je devrais à
chaque fois faire le choix de la présence concrète et je devrais être soutenu
dans ce choix aussi bien par les institutions que par les lois et par l'État.
En terminant, je dirais simplement que
l'éducation est une chose trop importante pour la laisser entre les mains de
fabricants et de marchands intéressés. Je vous remercie de nous avoir écoutés
aujourd'hui.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment, messieurs. Nous allons débuter la période d'échange. Alors, M. le
député de Marquette, la parole est à vous.
M.
Ciccone : Merci beaucoup. Merci beaucoup. Je tiens à
souhaiter une belle semaine à tous les collègues membres de cette
commission. Bonjour, Pr Martin, et bonjour également au Pr Mussi. Merci beaucoup
d'être là aujourd'hui.
D'entrée de jeu, vous avez parlé d'un moratoire,
vous avez parlé d'un temps d'arrêt également, vous nous avez parlé aussi de la
problématique des écrans, des outils technologiques. Considérant le fait que,
justement, tous les outils qui sont dans nos classes, au Québec... est-ce
possible d'envisager, justement, un moratoire, comme vous le demandez? Comment
on le fait?
M. Martin (Éric) : Bien, je veux
dire, il me semble qu'il est toujours possible de faire des choix. Regardez ce
que la Suède a fait, par exemple, récemment. Ou, dans le cas de l'Allemagne, il
y a un exemple flagrant qui concernait, cette
fois, les frais de scolarité. L'Allemagne, pendant des années, elle a essayé
d'emprunter la voie à l'américaine, des frais de scolarité élevés, en
calquant les États-Unis, et, à un moment donné, en s'apercevant que ça ne
convenait pas à leur culture nationale et à leurs besoins, bien, ils ont fait
marche arrière, ils ont rétropédalé, et ça a très bien fonctionné. Et je pense
que tout ce qui a été fait peut être défait.
Et simplement, en terminant, dire
qu'actuellement le danger, comme j'essayais de l'expliquer tantôt, c'est que
les choix ne sont pas faits à partir d'une réflexion. C'est pour ça qu'un temps
d'arrêt est nécessaire. Pour le moment, on est dans la fuite en avant, on est
dans une adaptation qui prend la forme d'une sorte de déferlante où,
finalement, on court après notre queue et on n'est pas en train de penser ce
que nous faisons. Donc, je pense qu'il vaudrait
mieux, avant de procéder plus avant, marquer ce temps d'arrêt. Et peut-être
déciderons-nous que nous garderons une
partie de ces outils, aucun d'entre eux, je ne sais pas, mais, chose certaine,
au moins on le fera en pleine conscience.
M. Ciccone : Alors, ce que j'entends, ce que vous demandez, c'est
d'arrêter vraiment l'utilisation des outils technologiques, des écrans dans nos
classes du Québec. Est-ce que j'ai bien compris?
• (10 heures) •
M. Mussi (Sébastien) : Oui, on est
en train de faire du mur-à-mur, et ça s'implante de façon tout à fait sauvage
en ce moment. Les résistances qu'il peut y avoir sont souvent individuelles,
c'est-à-dire,c'était le prof qui préfère que les élèves prennent des notes
manuscrites. Il y a très peu de soutien de la part des institutions. Avant de
dire qu'on va mettre des écrans partout... Parce que l'idée, c'est :
Pourquoi je devrais donner un cours de philosophie avec des écrans? C'est quoi,
la plus-value et pour moi et pour les étudiants? En réalité, elle est nulle, et
le problème, c'est que les bénéfices pédagogiques qu'on peut attendre de ça, il
faut les démontrer, il ne faut pas simplement les promettre. Il me semble que
c'est hyperimportant de montrer : Oui, ce qu'on fait, c'est pour le bien
de nos enfants. Et cette démonstration, elle n'est pas encore faite, et les
indications qu'on a, ça va plutôt dans le sens contraire.
M. Martin (Éric) : ...apporter dans
la mesure où la plupart des classes sont déjà équipées, en tout cas, dans mon
collège et dans mon ancien collège également, Édouard-Montpetit, de matériel
multimédia déjà existant, un qui est déjà en réutilisation. Donc ça, ce n'est
pas... ce n'est pas cela qu'on remet en question, c'est ça, ça existe déjà, il
n'y a pas de problème. Ce qui est dangereux actuellement, c'est la phase
nouvelle qui vient, c'est-à-dire l'enseignement en ligne qui se multiplie
partout, et aussi l'intelligence artificielle entre les mains des étudiants,
mais aussi qu'on suggère fortement aux professeurs, par exemple, pour monter
leur plan de cours. C'est de cette partie-là des choses dont on est inquiets.
Donc, il faut bien entendre que nous ne sommes pas technophobes ou en train de
dire qu'il faut retirer les ordinateurs des écoles. Ils y sont, et c'est normal
qu'ils y soient. Mais là, présentement, cette nouvelle phase accélérée, voilà
celle qui nous inquiète.
M. Ciccone :
Merci beaucoup. On s'aperçoit, là, plus la commission avance, plus on commence
à avoir vraiment un débat de société, là, à ce niveau-là, parce qu'on a les
pour et les contre. Mais vous, avec votre position qui est quand même assez
claire, là, vous dites quoi à tous ceux qui sont venus à cette commission nous
dire : Bien, c'est présent, ça ne partira jamais, aussi bien l'apprivoiser?
M. Mussi (Sébastien) : Oui. Alors,
évidemment, c'est présent, évidemment, il faut l'apprivoiser, mais il y a deux
façons de le faire. La première, c'est de faire du mur-à-mur, c'est-à-dire de
dire comme l'office de l'innovation du Québec l'a
dit : Il faut mettre de l'intelligence artificielle dès la maternelle, il
faut ploguer les enfants sur des écrans dès la maternelle.
Petite réflexion personnelle, je ne sais pas si
elle est avérée, mais il me semble qu'on a plus ou moins tous, ici, appris à
utiliser un ordinateur sans qu'on ne nous ait mis ça dans les mains dès l'âge
de trois ou quatre ans, en tout cas, la plupart d'entre nous. Moi, j'ai plus de
50 ans, je veux dire, il n'y en avait pas, d'ordinateurs à l'école, pis ça
ne m'empêche pas d'être capable de les utiliser, d'avoir appris.
Alors, évidemment qu'il faut apprendre à
utiliser mais qu'il faut aussi surtout comprendre ce que c'est. On peut dire à
nos enfants : Vous allez subir ça, on va faire de vous des utilisateurs ou
on peut leur dire : On va vous fournir des outils de compréhension de ce
que c'est qu'un ordinateur, de c'est quoi, les impacts sociaux, à quoi ça sert,
pour leur redonner du pouvoir là-dessus. Et ces deux voies-là sont vraiment
très différentes.
M. Martin
(Éric) : Moi, j'aimerais
revenir à ce que je disais tantôt sur la confusion entre les sphères. C'est-à-dire
que c'est normal que dans la société, dans l'industrie, par exemple, dans des
sphères d'activité économique, pour des innovations de procédés ou de productivité,
on veuille aller vers ça, par exemple en foresterie où en... Bon, tant pis,
c'est correct, ça leur appartient. Le danger, c'est que l'école se mette au
diapason de ça et qu'il y ait une confusion entre les deux espaces.
Parce que l'école ne doit pas nécessairement
fonctionner de la même façon que fonctionnent, par exemple, d'autres sphères de
la société et au même rythme. À l'école, le temps est plus lent, le temps
fonctionne différemment, et on n'est pas obligé de brancher les jeunes sur des
écrans à toutes les heures de la journée. En fait, c'est néfaste, et, c'est ce qu'on voit, même en bas de deux ans, la
recommandation, c'est : pas du tout d'écran. Et, même après, c'est un usage limité, parce qu'il y a une
socialisation qui est en construction, ce qui n'est pas le cas dans
l'industrie, où on a affaire à des gens qui sont, j'imagine, déjà socialisés.
C'est la raison évidente pour laquelle on ne peut pas calquer le fonctionnement de l'institution scolaire sur le
fonctionnement de l'industrie. Or, j'ai l'impression qu'aujourd'hui on
procède à cette confusion-là, et c'est une des raisons du problème que nous
avons.
M. Ciccone : Merci beaucoup à vous deux. Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Mme la
députée de Châteauguay.
Mme Gendron : Merci. Bien, bonjour.
Excusez-moi, je ne pensais pas que j'étais la prochaine. Enchantée de faire
votre connaissance ce matin, heureuse de vous rencontrer. Merci pour votre
explication ce matin. J'avais des petites questions par rapport au niveau scolaire.
Que faites-vous des enfants avec un besoin particulier? Parce qu'on le sait que ces outils-là, règle générale, sont
nécessaires pour la réussite des jeunes. Donc, vous, je comprends que
vous placeriez un moratoire, mais qu'en est-il des outils pour les jeunes à
besoins particuliers qui en ont vraiment besoin?
M. Mussi (Sébastien) : ...il y a des
outils technologiques qui sont...
La Présidente (Mme Dionne) : Si vous
voulez bien recommencer, votre micro n'était pas ouvert.
M. Mussi (Sébastien) : Mon micro, on
me dit qu'il est ouvert. Vous m'entendez là?
Mme Gendron : Oui.
M. Mussi (Sébastien) : Alors, d'une
part, pour les cas particuliers, les cas spécifiques, évidemment qu'il y a des
applications intéressantes. Le problème, c'est quand ça vient remplacer des
fonctions humaines et qu'on en met partout. Un moratoire ne s'appliquerait
évidemment pas à ça. Ensuite, on a beaucoup le réflexe informatique. Qui nous
dit que tel problème, qui auparavant se traitait différemment, se réglait
différemment, requiert nécessairement le recours à l'informatique? Il y a là
des choses à discuter.
Alors, évidemment, la question des élèves en
situation particulière dépasse mes compétences en tant qu'essayiste et prof de
philo, mais il y a, en tout cas, un réflexe informatique qu'on pourrait, dans
certains cas, en tout cas, remettre en
question. Puis évidemment il y a le problème qu'on pallie souvent à un problème
de personnel par des moyens informatiques sans que ça ait la même
efficacité.
M. Martin (Éric) : Oui, puis...
(panne de son) ...on disait tantôt, c'est que, présentement, nous avons une
politique qui dit : on en met partout, ça concerne tous les étudiants, ça
concerne tout le corps enseignant. Et là on n'est plus en train de traiter avec
les gens qui ont des difficultés particulières, qui est un cas à part qui doit
être considéré en particulier. Ce dont on parle, nous, dans notre essai, c'est
la généralisation de ça. Durant la COVID, on a tous subi l'enseignement en
ligne, à tous les degrés scolaires, sans exception, handicap ou pas, là. Et
c'est de ça dont il est question. Et c'est cette pression exercée par les GAFAM
qui nous inquiète, nous.
Alors, bien sûr, dans certains cas, ça peut
aider des gens qui ont, par exemple, des neuroatypies ou encore de la dyslexie.
Et ça, ce n'est pas du tout un problème pour nous dans la mesure où c'est
justifié médicalement. On n'est pas des médecins, on n'est pas compétents pour
juger de ça, nous. Par contre, ce que nous pouvons vous dire ce matin, c'est
que, présentement, le problème auquel fait face la société québécoise, c'est
une pression extrêmement forte qui s'exerce, sur tous les degrés scolaires,
d'inclure la technopédagogie dans l'ensemble des activités. Il n'y a pas une journée qui passe sans que je reçoive un courriel.
Même avant la réunion de ce matin, j'en ai reçu un qui me disait que je devais
aller vers des jeux vidéo en classe et du virtuel. Donc, il n'y a pas une
journée qui passe sans que cette pression-là ne nous soit rappelée à tout instant.
Mme Gendron : Merci. J'avais une
autre... une seconde question, en fait. Je comprends aussi que les jeunes
doivent avoir certaines connaissances technologiques avant de rentrer sur le
milieu du travail. Parce qu'on le sait, aujourd'hui, on a tous des écrans. Bien
qu'on veut valoriser la présence en personne, c'est pratique, la technologie. La preuve, aujourd'hui, vous êtes en
visioconférence avec nous, donc nécessairement que ça apporte des outils qui
sont importants puis qui sont facilitants. En fait, ma question était :
Que dites-vous de ces jeunes-là, en fait, qui veulent rentrer dans un milieu du
travail puis avoir les outils technologiques pour pouvoir travailler puis être
à l'aise avec ça?
M. Martin (Éric) : J'ai eu une
conversation, récemment, avec un collègue qui enseigne l'informatique dans mon
cégep, et il m'a dit que, même en informatique, il y a des compétences qu'on ne
peut pas enseigner à distance, parce qu'à
travers un écran je ne suis pas capable de lui montrer exactement comment tenir
la souris, comment cliquer ici. Donc, même dans des domaines
technologiques, il y a des choses qui ne s'enseignent qu'en présence. Et c'est
là le danger, que, même dans les secteurs d'activité, disons, à haute
technologie, on ne peut pas complètement escamoter la présence ou la socialité
concrète.
On a eu un exemple, dans les médias, d'une
étudiante de l'Université Laval qui suivait 80 % de ses cours en ligne et
qui disait qu'elle était tellement démotivée qu'elle allait probablement
quitter les études. Il y a quelque chose là-dedans, comme une catastrophe.
Donc, vous voyez que, sous prétexte de préparer les gens au marché du travail,
on est en train de ruiner, en fait, la possibilité d'une éducation et d'une
socialisation fondamentales.
Et je ne pense pas que les employeurs vont non
plus vouloir avoir des employés qui n'ont pas développé d'aptitudes de
socialisation, qui sont des compétences clés, aussi, sur le marché du travail,
hein, ce n'est pas seulement les aptitudes à utiliser les machines. Bien sûr
que c'est important, mais ces aptitudes-là, c'est aussi... c'est relationnel
également. Dans le travail, on emploie des compétences relationnelles. Et, si
nous sacrifions les compétences relationnelles — je n'aime pas le terme
«compétence», mais je l'utilise un peu, là, par défaut — ...de
dire : Bien, si on sacrifie l'un pour l'autre, on n'est pas gagnants du
tout, là. Donc, il faut faire attention.
L'adaptation au marché du travail, c'est une
chose, mais l'école ne peut pas être pensée seulement à partir de l'adaptation au marché du travail. On forme aussi
des acteurs sociaux, des citoyens, des citoyennes, des membres d'une culture, des gens qui s'inscrivent dans une
histoire, et l'ensemble de ces facteurs-là doivent être pris en
considération.
Mme Gendron : ...M. Martin. Merci,
M. Mussi.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
Mme la députée. M. le député de Hochelaga-Maisonneuve.
• (10 h 10) •
M. Leduc : M. Mussi. Salutations
spéciales à M. Éric Martin, un vieux camarade de l'UQAM d'une autre époque où nous étions jeunes et fous. Je ne sais
pas si on est encore fous, mais on est définitivement beaucoup moins
jeunes.
Cela étant dit, vous êtes des philosophes; j'ai
une formation d'historien, j'ai tendance à vouloir regarder le temps long et à
me poser des questions sur le moment présent. Est-ce qu'on a assez de recul sur
notre moment présent? Souvent, la réponse est non, mais l'évolution des
technologies est une des questions qui nous portent le plus, je pense, à
essayer d'avoir du recul sur notre moment présent.
Je me rappelle, notamment, quand j'étais plus
jeune, c'était la question des calculatrices : Est-ce qu'on peut faire nos
tests de mathématiques avec une calculatrice? Évidemment, au primaire et même
un bout du secondaire, c'était non, il fallait qu'on apprenne nos calculs par
coeur, nos tables de multiplication, etc., par coeur. Et, rendus plus vers la
fin du secondaire, sur les opérations plus complexes, les racines carrées, et
autres, là on pouvait utiliser la calculatrice, évidemment, parce que c'était
un outil qui allait nous servir dans notre éventuel travail ou dans nos études,
si on poussait un peu plus dans le domaine de la mathématique.
Je me pose
des fois la question parce que, je vois, l'année passée, il y avait des
articles qui disaient qu'il y avait des
écoles qui commençaient à arrêter d'enseigner l'écriture en lettres attachées,
parce que c'est vrai qu'objectivement, aujourd'hui, on se sert très peu
de l'écrit, on n'écrit plus des lettres manuscrites. J'ai écrit une carte de
fête cette semaine. C'était la dernière fois, je pense, que j'avais écrit un
texte significatif en lettres attachées. Autrement, on écrit une liste
d'épicerie, puis encore, la plupart du temps, on l'écrit sur notre téléphone,
etc.
Je vous pose... je vous dis tout ça parce que je
me pose souvent la question : Est-ce que notre réaction par rapport aux
outils technologiques, étant l'ordinateur, les trucs en ligne, etc., le codage
ou autres, est-ce qu'elle est forte parce qu'on veut le presser aux enfants qui
sont très jeunes puis qu'on pense que ça va faire en sorte qu'ils n'auront pas
la capacité d'apprendre des trucs de base, alors que, si on... s'ils étaient
plus familiarisés à ça plus tard dans leurs processus, on serait moins
inquiets?
J'ai aussi en
tête la simple lecture d'une carte. Aujourd'hui, on ne sait plus comment lire
une carte, on se dirige avec notre
téléphone, Google Maps, et compagnie, puis, si Google Maps plante, on est
complètement désorienté, alors qu'il n'y
a pas si longtemps... Mon père nous a rejoints en vacances cet été, lui, il
n'est pas très techno puis il se promenait à moto, il avait juste...
puis il s'était mémorisé sa carte dans sa tête puis, quand il est arrivé, il
était fier de me dire qu'il s'était rendu,
lui, sans géomachin. Je ne sais même pas si moi, j'aurais réussi à me rendre à
ma destination sans ce téléphone-là.
Bref, est-ce qu'on est en train de... Est-ce que
ce qui nous inquiète vraiment, c'est qu'on veut trop pousser cette
technologie-là aux jeunes enfants avant qu'ils apprennent les fondamentaux,
puis ça serait moins grave qu'ils l'apprennent un peu
plus tard, adolescence, adulte, ou est-ce qu'en soi vous dites que ces avancées
technologiques là comportent des dangers significatifs, qui dit qu'on devrait,
sans être dans la technophobie, comme vous le souligniez tantôt,
M. Martin, sans être dans... là-dedans, qu'on la repousse le plus
possible, voire qu'on ne l'utilise pas du tout?
M. Mussi (Sébastien) : Bien, c'est
une question immense que vous posez. Je ne suis pas sûr que j'ai la réponse. Il
y a deux choses qu'on peut dire, c'est que, quand on fait un calcul à la
machine à calculer, il y a encore quelque chose que l'être humain fait, même
si, effectivement, moi, je serais incapable aujourd'hui de calculer une racine
carrée sans machine à calculer, alors que je l'avais appris à l'époque.
La deuxième chose, c'est toute... ce qu'on
pourrait appeler : toute technologie remplace un certain nombre de
fonctions humaines. L'écriture, c'est un support de mémoire, ça l'a toujours
été dès, pratiquement, le début. Ici, on est en train, puis il y a quand même
des études sur le long terme qui le montrent, de toucher à des choses qui ne
sont plus seulement utilitaires. Quand on voit que des jeunes perdent la
capacité d'éprouver de l'empathie pour l'autre, on a quelque chose qui touche
au fondement de la possibilité de socialiser. Si je suis incapable d'éprouver de
l'empathie pour quelqu'un d'autre, comment est-ce qu'on peut développer un lien
avec les gens qui nous entourent? Et il y a un saut, ici, qui n'est quand même
pas neutre, je pense qu'il y a un saut qualitatif, ici.
Et puis évidemment, Éric l'a souligné tout à
l'heure, il y a la vitesse à laquelle ça se produit. On fait souvent la
comparaison avec la révolution de l'imprimerie, hein, on banalise : Ah!
l'informatique, c'est une révolution comme l'imprimerie, ça a déjà existé, on
ne va pas résister à l'imprimerie. Est-ce qu'on peut rappeler qu'entre
l'invention de l'imprimerie et l'école obligatoire pour que les jeunes, les
enfants apprennent à lire, il s'est passé 400 ans? Là, on est en train de
dire qu'on va mettre de l'informatisation partout dans l'école en 10 ans.
Il se produit quelque chose, ici, d'essentiel, il y a une dépossession de nos
enfants et de nos adolescents, à laquelle on est en train de procéder pour des raisons essentiellement...
essentiellement économiques. Et, encore une fois, ça ne veut pas dire
qu'il ne faut rien apprendre de l'informatique. Mais apprendre quoi? Et est-ce
que c'est nécessaire d'en mettre partout?
M. Martin
(Éric) : Peut-être ajouter
aussi, réponse, donc, de philosophe, que Günther Anders, dans L'obsolescence
de l'homme, dans les années 50, avait déjà identifié le phénomène dont
on parle ici, phénomène qui ne se réduisait pas à l'école, mais qui concerne
toute la société, qu'il appelait, donc, lui, à l'époque, le déchargement,
l'extranéation, mais nous, on pourrait appeler ça le délestage cognitif, c'est
peut-être la façon la plus simple de le dire. C'est que, de plus en plus, des
facultés intérieures à l'esprit sont en train d'être déposées dans des systèmes
extérieurs à nous, qui pensent à notre place. Alors, c'est l'exemple du GPS,
par exemple, qui pense à ma place.
Évidemment, la question, c'est : Où
place-t-on la limite, non seulement à l'école, parce que c'est là qu'on est
censé acquérir ces facultés ou stimuler ces facultés-là, où place-t-on la
limite, mais, dans notre société en général, jusqu'où voulons-nous automatiser
le jugement, la prise de décision? Est-ce qu'en politique on veut que ce soit
l'intelligence artificielle qui prenne la décision à la place des débats
parlementaires? Vous voyez? Est-ce qu'en matière de justice on veut que les
questions juridiques soient réglées par des algorithmes? C'est toute cette
question qui est derrière. Alors, si on
parle du temps long, c'est ce mouvement progressif de délestage ou de
déchargement de l'esprit dans des systèmes extérieurs qui avait été
identifié aussi par Michel Freitag dans la transition à la postmodernité.
Alors, c'est ça, la réponse à la question, d'un
point de vue philosophique, c'est que, là, le vaste mouvement dans lequel on
est engagés non seulement dans l'école, mais dans la société, c'est de s'en
remettre de plus en plus à ces processus automatisés qui vont décider à notre
place. Et, si on ne fait rien, s'il n'y a pas de frein qui est placé à ça dans
le cas qui nous occupe particulièrement, la jeunesse, bien, je veux dire, de
plus en plus, leur vie va être une forme de vie d'assistés technologiques où
les décisions sont prises en charge par des processus cybernétiques, et il
restera très peu d'autonomie, alors que l'école est censée construire l'autonomie.
Mais c'est une critique qu'on peut adresser à notre société en général, cette
direction vers le déchargement cognitif ou délestage cognitif.
Donc, je pense que, là, ça pose des limites
aussi sur le développement de la cybernétique et de l'intelligence
artificielle, par exemple, dans la société en général. Mais, puisque cette
commission se concentre surtout sur la jeunesse, on peut ramener à l'école et
dire que, certainement, lorsque c'est possible, alors que c'est encore
possible, on devrait tout faire pour favoriser le développement des qualités de
la personne à l'intérieur, hein, de la personne, et non pas tout de suite miser
sur cette prise en charge d'assistance technologique, etc.
M. Leduc : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Mme la
députée de Hull.
Mme Tremblay : Merci beaucoup.
Alors, bonjour. Très, très... Vous amenez quand même une réflexion, puis je
pense qu'elle va dans le sens de la réflexion qu'on a tous ici, ensemble, là,
collectivement, c'est-à-dire l'enjeu de la technologie, les impacts que ça a.
Vous allez jusqu'au moratoire, évidemment, on l'aura compris.
Mais ce que je veux savoir, puis je pense que
vos réflexions vont quand même dans ce sens-là, là... Au niveau de
l'enseignement, l'INSPQ est venu dire, là, que ça ne devrait pas être la
méthode d'enseignement par défaut, les technologies, mais ça devrait apporter
un plus à notre enseignement, qui autrement ne pourrait pas être fait. Donc, tu sais, ça vient vraiment être à des
étapes importantes de notre enseignement. J'imagine que ça, ça va dans votre... dans votre pensée, dans le fond, ce que
vous venez de nous dire aujourd'hui. C'est que... pas de mur-à-mur, pas
partout, puis vraiment de réfléchir à l'utilisation des technologies, un peu
comme l'INSPQ est venu le dire. Est-ce que j'ai bien compris, là, un peu, ce
que vous nous avez apporté?
M.
Martin (Éric) : Oui, absolument. Je pense qu'on n'est pas du tout
en train de dire qu'il ne faut pas qu'il y ait de technologie dans nos
écoles, mais qu'on doit faire la preuve que c'est un moyen qui va apporter
quelque chose de plus ou quelque chose de positif lorsqu'on l'emploie.
Présentement, ce n'est pas ce qu'on fait. On nous dit : C'est là pour
rester, il faut s'adapter, il faut en mettre partout. On nous dit que les
professeurs doivent faire leurs plans de cours avec ChatGPT, que les robots
doivent même corriger les examens. C'est le cas, par exemple, au collège Sainte-Anne, où un logiciel a été développé pour
corriger les copies en littérature, par exemple, alors que la
correction, c'est une étape fondamentale de
notre rapport avec l'élève ou l'étudiant, l'étudiante, parce que, quand on
corrige quelqu'un, on voit à la fois
ses qualités et ses défauts et, après ça, on peut réagir dans la relation avec
la personne. Donc, ça fait partie de l'enseignement,
le moment de la correction. Si on le confie à une machine, on arrive à une
situation absurde où un cours pourrait
être planifié par ChatGPT et les travaux rédigés par ChatGPT et corrigés par
ChatGPT. Vous voyez bien qu'on arrive... qu'est-ce qui reste
d'enseignement là-dedans, donc... Et c'est ça que l'on voit, maintenant, comme
discours.
Donc, évidemment que la réaction à ça ne doit
pas être de dire : On débranche tout et on revient à l'âge de pierre. Il y
a des technologies qui peuvent être utiles. Mais, lorsque c'est utile, il n'y a
pas de problème si... Moi, ça m'arrive de projeter, par exemple, une toile, une
image, un documentaire sur Socrate, ça peut m'arriver à l'occasion. Mais il
faut que ça reste quelque chose d'occasionnel. Et là ce n'est pas ce qui se
passe. Ce n'est plus quelque chose d'occasionnel, ça devient quelque chose où
on nous dit : Si vous n'êtes pas en train de le faire perpétuellement,
vous êtes en retard. Vous voyez? Et c'est ça, le danger, et c'est qu'on ne
réfléchit...
Et, comme disait Sébastien tantôt de manière
très excellente, il y a plein d'impacts négatifs qui sont soulignés partout, et
nous trouvons hallucinant que, malgré tous les signaux d'alarme qui sont
allumés, la maison est en feu, là, et on
continue, et c'est la fuite en avant, et ça n'arrête pas. Et, dans n'importe
quel autre domaine, s'il y avait autant
de signaux d'alarme, il y a des gens qui se poseraient des questions, mais là
on dirait que, depuis quelques années, ça continue à avancer, malgré
les... (panne de son) ...qui sont clairement démontrés.
Mme Tremblay : Vous avez parlé de
limites, d'amener des limites législatives, là. Vous êtes passés rapidement,
mais ça a attiré mon attention. Alors, quand vous avez parlé de limites
législatives, vous entendez quoi?
M. Martin (Éric) : Bien, vas-y,
Sébastien. Je ne sais pas si tu veux réagir à ça.
M. Mussi (Sébastien) : Vas-y, vas-y.
Non, non, vas-y.
M. Martin (Éric) : Bien, un exemple
qu'on peut donner, très simplement. On a une collègue, là, Julie Baribeau, qui
vient d'écrire un mémoire qui a été déposé à cette commission, je pense, sur le
Phone-Free Schools Movement, donc c'est le mouvement des écoles sans téléphone.
Alors, déjà, il y a des mesures positives qui ont été prises pour interdire les téléphones à l'intérieur des classes dans les
niveaux primaire, secondaire. C'est très bien, mais c'est insuffisant,
parce qu'il y a des endroits, par exemple, aux États-Unis, où on les enlève
carrément de l'édifice scolaire, de
l'institution. Parce que les périodes de socialisation qu'il y a dans les
pauses, par exemple, les jeunes, au lieu d'être sur leurs téléphones,
bien, ils font des sports, ou ils vont dans un club d'échecs, ou je ne sais pas
quoi, mais ils font des choses sociales.
Donc, vous
voyez qu'on peut aller encore plus loin que ce qu'on a déjà fait. On a hésité,
je pense, au Québec, à aller jusque
là. Mais, dans l'enseignement supérieur, par exemple, on a laissé les
téléphones, on a laissé les établissements et chaque professeur se
débattre avec ça. Bien, il y aurait carrément possibilité de légiférer pour
interdire les appareils... téléphones dits
intelligents dans tous les édifices scolaires, par exemple. C'est un exemple,
mais il y en aurait d'autres.
• (10 h 20) •
Alors, évidemment, je n'ai pas la réponse à
quelles seraient toutes les lois qui pourraient être mises en place, mais il y
aurait sûrement manière de s'inspirer de ce qui se fait en Suède, aussi, pour
poser différentes limites. Parce que le
problème actuel, c'est l'absence de limites. C'est qu'au fond on est dans une
sorte de chaos où, finalement, il y a des endroits où il y a des projets
pilotes qu'on ne connaît même pas, ça nous tombe dessus, et on s'y adapte un
peu comme à la va comme je te pousse. Donc, pour éviter cela, il faudrait un
cadre juridique réfléchi, à mon sens.
Mme Tremblay : Il y a plusieurs...
La Présidente (Mme Dionne) : ...
Mme Tremblay : Dernière question, ça
va? Alors, il y a plusieurs écoles qui sont venues nous parler, justement, là... Bien, l'interdiction en classe,
ça, ça va, il n'y avait pas... je pense que, majoritairement, les
intervenants étaient en faveur. Cependant,
pour l'interdiction dans les écoles, ça, c'était différent. Il y avait... bon,
il y avait différentes pensées. Mais plusieurs sont venus nous
dire : Mais, ça nous prend des balises, évidemment. Puis je pense que tout
le monde, ici, qui sont venus sont conscients, là, des enjeux du temps d'écran,
du contenu.
Alors, vous, d'avoir des grandes balises puis
qu'après ça les milieux, eux, aient une réflexion, alors d'éviter, justement...
bien, ce que vous autres, vous avez appelé un peu le mur-à-mur, mais d'avoir
des balises, de donner des balises, justement, et de... après ça, chacune des
écoles va décider de comment elle, elle applique ces balises-là, c'est-à-dire,
bon, est-ce qu'elle interdit de façon complète le téléphone ou elle fait des
moments d'interdiction, qu'est-ce que vous pensez de laisser après ça, à partir
de grandes balises, les milieux, eux, décider puis de prendre des décisions
selon ce qu'ils sont comme milieux? Parce que les milieux sont très différents
les uns des autres.
M. Mussi
(Sébastien) : Écoutez, deux choses. D'abord, on ne réglera pas la
question avec des décisions au cas par cas. La deuxième chose, c'est que je
suis un peu estomaqué par la question que vous posez. Il me semble que l'État a
un devoir envers nos enfants. La nocivité de l'utilisation et la surutilisation
des écrans, elle est démontrée sur les études longitudinales qui ont été faites
sur 20, sur 30 ans. On voit des changements de comportement dans nos classes : des élèves qui ne sortent plus de
la classe aux pauses, qui ne se parlent plus, on n'est plus capable de les
faire se parler. Ne serait-ce qu'un étudiant
qui rate un cours, qui doit demander les notes de cours à quelqu'un, il n'y
arrive plus.
Ça fait que je suis désolé, il y a là un débat
de société. C'est pour ça qu'un moratoire sérieux est nécessaire. Si on veut
laisser les écoles choisir, parfait, laissons les écoles faire ce qu'elles
veulent, la majorité des enfants vont continuer à faire ce qu'ils font en ce
moment, on continuera à avoir les mêmes effets, les mêmes résultats. C'est
votre responsabilité, au niveau de l'État, de faire quelque chose pour au moins
qu'on sache où on s'en va de façon cohérente. Ce n'est pas aux institutions de
faire ça puis ce n'est surtout pas aux profs de gérer ça.
J'ajoute une chose sur le comportement des
élèves. Moi, j'ai des élèves, à l'enseignement supérieur, qui se comportent
actuellement comme des enfants du secondaire, et encore, au point de vue
émotif, au point de vue de l'autodiscipline, au point de vue la capacité à se
gérer en classe. J'ai fait des trucs que je n'ai jamais faits avant. Faire de
la discipline en classe pour dire aux élèves qu'utiliser le téléphone puis
regarder des matchs de hockey pendant un cours, ce n'est pas acceptable, c'est
surréaliste.
Ça fait que je m'excuse, non, ce n'est pas aux
écoles, au cas par cas, de baliser ça sur des recommandations molles, vagues.
Regardez ce qui se passe dans les écoles. Des organismes qui gèrent de
l'électronique, de l'informatique, il y en a
partout, c'est implanté mur à mur déjà, en ce moment, dans le système. Si
l'État ne fait pas quelque chose, on va foncer droit dans le mur, et
vous allez élever une génération qui ne sera pas capable ni d'autonomie, ni de
réflexion critique, ni d'implication sociale. Ça fait que, si c'est ça que vous
voulez, allez-y, faites du cas par cas.
Mme Tremblay : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
beaucoup, Mme la députée. M. le député de Gaspé.
M. Sainte-Croix : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, MM. Martin et Mussi, très heureux de vous avoir ici
aujourd'hui. Je vous dirais que c'est un propos différent, dans le sens où vous
faites aussi... vous êtes allés sur le terrain de l'enseignant, hein, l'usage
au niveau... du côté de l'enseignant.
Écoutez, vous parlez de fuite en avant, vous
parlez d'absence de réflexion, de généralisation de l'usage à des fins
économiques et commerciales, vous avez même employé le terme «chaos». Je pense
que votre position est assez claire à ce niveau-là. Vous êtes des tenants d'un
moratoire, d'un temps d'arrêt nécessaire et, corrigez-moi si je suis dans
l'erreur, à une réflexion, une réflexion de société visant, d'une part, la
notion même, au-delà de l'apprentissage, de ce que je comprends de votre point
de vue, dans la vie de tous les jours, l'usage à des fins pédagogiques ou
autres par l'école, et
j'insiste, par l'école. Ça, je comprends que vous avez là une réflexion
profonde d'entamée à ce niveau-là. Mais je comprends aussi que vous
faites une distinction entre l'apprentissage généralisé de l'informatique, là,
de ce qu'on disait — moi,
quand j'étais à l'école, on parlait d'informatique, là — pour
l'informatique, dans le sens où ce sera dans nos vies de tous les jours, ce
l'est déjà et ce le sera, et l'usage de ce que vous appelez la technopédagogie.
Donc, il y a vraiment, là, deux distinctions que je fais, là, au niveau de
votre rapport à la technologie.
Sachant qu'on a besoin d'une réflexion, qu'on a
besoin d'avoir une meilleure connaissance, et on en a déjà, puis vous l'avez
souligné, puis beaucoup de gens sont venus nous le dire ici, là, sur la
nocivité, là, de l'usage des écrans, comment voyez-vous dans le temps... Parce
que je suis aussi, moi, historien de formation et je m'intéresse aux
changements de société dans la durée, parce que c'est là que ça se passe.
Comment voyez-vous le temps nécessaire, pour la société québécoise, de mieux
documenter l'impact de l'usage de notre société, d'une part, à des fins
pédagogiques, hein, l'école? Et, autrement, sachant qu'on a besoin d'avoir des
connaissances générales au niveau de l'usage de l'informatique, comment
voyez-vous ce terme-là, comment voyez-vous le rapport à la recherche dans les
années à venir? Quel est le rôle de l'État? Est-ce qu'on doit se mettre en mode
accéléré et est-ce qu'on doit investir des budgets de recherche beaucoup plus
conséquents en fonction de cet objectif-là? Puis comment voyez-vous,
globalement, au niveau de la santé publique, cette démarche-là qu'on a à faire
pour se repositionner de façon intelligente dans cet enjeu-là, là, qu'on a là?
M. Martin (Éric) : Bien, je trouve
votre question très intéressante, parce que vous nous amenez sur un terrain qui
me rappelle, évidemment, le classique, hein, c'est le rapport Parent.
C'est-à-dire qu'il y a eu un peu le même enjeu au moment de la Révolution
tranquille, un enjeu d'adaptation, de modernisation économique et
technologique. On se disait : On est en retard sur la société
post-industrielle américaine, jusqu'où on va s'adapter? Et la réponse, à
l'époque, Guy Rocher appelait ça l'équilibre entre la culture et la technique,
on a essayé de tenir les deux bouts de la
chaîne. On a essayé de s'adapter aux États-Unis, tout en gardant un peu
l'humanisme, la culture, etc. Ça a donné notamment les cégeps, qui sont
un hybride entre ces deux idées-là, l'économie locale, mais aussi la formation
générale, par exemple.
On est un peu
dans un moment similaire, maintenant, où nous devons faire très attention parce
que... Il y avait un article, il y a quelques années, qui s'appelait How
Google Took Over the Classroom, alors Comment Google veut se saisir de
la salle de classe. Il y a nécessairement, de ce côté-là, une velléité
assez claire de dire que c'est maintenant la Silicon Valley qui va déterminer
ce qui va arriver pour le futur. Et il me semble que notre société, elle doit,
non seulement pour l'école, mais en général, actuellement, se demander si elle
veut vraiment embarquer dans ce train-là. Puis c'est déjà
le cas présentement, on est déjà en train de perdre le terrain face aux GAFAM,
face aux Netflix, face aux Uber, une ubérisation générale de notre société. Donc
là, il y a un enjeu de dire... Là, vous avez évoqué la santé publique,
l'éducation, on pourrait évoquer aussi l'environnement. L'État, actuellement,
aurait une responsabilité de se dire : Bien, si ce n'est pas ce modèle-là
que l'on veut suivre, quelle est la vision générale à partir de laquelle...
Disons, une société du XXIe siècle qui serait une société écologique,
démocratique, bien, de quel type d'éducation aurait-elle besoin? Et Michel
Freitag, en tout cas, disait que, si on voulait former des gens pour le
XXIe siècle, on aurait besoin de gens qui ont des capacités d'empathie,
une compréhension des autres cultures, une compréhension,
aussi, de l'écologie. Là, comme le disait Sébastien tantôt, ce n'est pas ça
qu'on est en train de former, là. On forme actuellement des gens qui ont
des défauts d'empathie, qui ont une perte de culture générale. Donc là, on fait
exactement l'inverse de ce qu'on devrait faire pour préparer les citoyens et
citoyennes du XXIe siècle.
Donc, il est certain que ça exige une vision
d'ensemble à partir de laquelle les différentes actions pourront par la suite
être pensées. Donc là, effectivement, quel type de recherche encourager? Est-ce
que... Actuellement, on encourage beaucoup la recherche dans le domaine de
l'intelligence artificielle, on la célèbre, même, on l'applaudit. Est-ce qu'on
ne devrait pas, au contraire, réallouer une partie des budgets de recherche
pour évaluer, justement, les impacts? Bien, il y en a déjà, de la bonne
recherche que vous avez recueillie. Vous avez accueilli, par exemple, Caroline
Fitzpatrick, j'ai vu qu'elle est venue devant la commission, Dre Mélissa
Généreux, il y a plein de gens qui font déjà de l'excellente recherche sur ces
questions-là. Mais on a besoin de davantage et on a besoin d'un portrait plus
global de ce qui se passe à l'école et dans la société.
Mais c'est pour ça que, tantôt, j'insistais sur
l'idée de penser ça à partir d'un lieu synthétique de ce que nous voulons pour
le Québec. Parce que l'alternative inverse, c'est qu'on va nous imposer une
direction, pas juste au Québec, hein, le monde entier va suivre, au fond, le
projet de la Silicon Valley. Du moins, eux, ils ont une panoplie de systèmes
qu'ils veulent nous proposer, pour ne pas dire nous imposer, avec lesquels ils
veulent qu'on s'administre dans le futur. Mais je ne pense pas que c'est notre
intérêt, d'un point de vue de spécificité culturelle et nationale, même,
d'aller dans cette direction-là.
Donc, ce n'est pas les mesures... Évidemment, ça
dépasse ma compétence. Moi, je ne travaille pas en santé publique, je ne peux
pas vous dire ce que la santé publique doit faire, mais ce que je peux vous
dire, par contre, c'est qu'il faut qu'il y ait un lieu synthétique à partir
duquel ceci va être pensé, avec le temps nécessaire derrière. Alors, est-ce que c'est trois à cinq ans, comme la
commission Parent? Peut être, mais quelque chose d'une réflexion, des
états généraux ou d'une commission Parent 2.0, ça fait des années qu'on la
réclame, mais où on aurait le temps de penser globalement ce que nous sommes en
train de faire. Parce que, pour le moment, si on suit la voie de l'adaptation,
là, c'est aussi la voie de notre dissolution collective dans un modèle
d'américanisation, assurément.
• (10 h 30) •
M. Mussi
(Sébastien) : Je peux
ajouter une chose, c'est que vous faites une distinction qu'on a
effectivement faite entre l'apprentissage
généralisé, où on met de l'informatique partout, et la question d'utilisation
et de connaissances informatiques. On
a beaucoup dit, à une certaine époque, que nos élèves étaient des natifs du
numérique. Pour eux, c'était comme naturel. Je peux vous dire que c'est
très loin d'être le cas. Il y a des procédures simples, ça les dépasse, transformer un fichier .doc en fichier PDF, par
exemple, on l'a vécu pendant la COVID. Il faudrait effectivement donner
des connaissances et des savoirs à nos étudiants pour qu'ils puissent avoir une
certaine maîtrise là-dessus — ...
La Présidente (Mme Dionne) : En
30 secondes, M. Mussi. Il nous reste 30 secondes.
M. Mussi
(Sébastien) : …oui, parfait — et
non pas subir passivement ce qui se passe, c'est-à-dire comprendre ce
que c'est qu'un ordinateur, ce que c'est qu'un réseau, quelles sont les
conséquences que ça a sur une société, etc. Si on veut une véritable culture
informatique, c'est là qu'il faut commencer, et pas en faire des utilisateurs
passifs.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment, M. Mussi et M. Martin, pour votre contribution.
Pour ma part, je suspends les travaux quelques
instants pour accueillir notre prochain invité. Merci à vous.
(Suspension de la séance à 10 h 32)
(Reprise à 10 h 35)
La Présidente (Mme Dionne) : La
commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite la bienvenue à
M. Waterhouse. Bienvenue à la commission.
Alors, je vous rappelle, M. Waterhouse, que
vous avez 10 minutes pour nous faire part de votre exposé, vos
commentaires. Et, suite à cela, nous allons procéder à une période d'échange
avec les membres de la commission. Alors, la parole est à vous.
M. Steve Waterhouse
M. Waterhouse (Steve) : Mme la
Présidente, merci. Chers membres du comité, merci de m'avoir invité. Je voulais
vous présenter tout simplement une perspective ici d'un point de vue externe.
Vous avez entendu, quand même, des experts d'un peu partout, et ce qui était de
très bonnes interventions jusqu'à présent, il y en a d'autres qui sont annoncées, mais je voulais vous apporter la
perspective, justement, que le temps d'écran peut être souvent utilisé à
mauvais escient contre les gens. Et, en fait, qu'est-ce qui me garde éveillé la
nuit, c'est cette constante préoccupation envers les prochaines actions des
acteurs de la menace à un niveau international, envers notre société, envers
nos jeunes et envers notre façon de vivre.
À l'échelle internationale, les acteurs de
cybermenaces suivants sont toujours intéressés à recruter des jeunes, même des
fois des moins jeunes, en manque de sensations fortes, comme avec les milieux
criminels traditionnels, notamment les
cybercriminels, dans le crime organisé, pour profiter de la cybercriminalité,
des hacktivistes, autrement dit ceux
et celles qui veulent faire valoir leur point de vue politique via des moyens
électroniques, des cyberextorqueurs, pour aller chercher de l'argent, monétiser cette... ces vols, les «script
kiddies», autrement dit, ceux et celles qui sont en gage de sensations
fortes et les pirates informatiques parrainés par l'État, qui sont, encore là,
très subtils dans leurs actions.
Les façons dont les acteurs de la menace s'y
prennent sont de toutes sortes de façons, mais vous en avez entendu, comme en
exemple, qui tournent autour de ces dernières : la cyberintimidation, les
cyberprédateurs, les publications d'informations privées, le phishing, le
harponnage, qui est du phishing ciblé vers des gens, tomber dans le piège de
l'escroquerie, le téléchargement accidentel de logiciels malveillants, malgré…
les gens prennent peut-être des dispositions, mais que ça devient chose faite
une fois que c'est sur les appareils et que ça les compromet, les messages qui
reviennent les hanter, un enfant plus tard dans sa vie, autrement dit, quelqu'un
va diffuser un message, une vidéo, comme vous le savez, des fois, ça peut venir
les remordre dans les moments qu'ils s'attendent moins, et évidemment aussi
l'usurpation d'identité, qui est très subtile.
Malgré toutes les réglementations et lois en
place, la responsabilité première d'accès aux contenus en... en provenance, pardon, de l'Internet et/ou de son
accès, selon moi, incombe aux parents, donc à la maison principalement, ce qui, souvent… les parents sont dépassés par
l'avancement technologique, et à l'école durant le jour. Des formations
d'éducation appropriées, en collaboration des partenaires accrédités, pas
seulement du réseau de l'éducation, parce qu'ils sont quand même assez chargés,
doivent être apportées dans notre société pas seulement de manière… statique,
pardon, avec du contenu en ligne, mais de façon dynamique, avec des gens.
Modérer le
contenu en ligne ne révèle pas seulement des mesures techniques, comme vous le
savez, ni les lois, mais l'accès aux applications... aux appareils,
pardon, par lesquels les enfants peuvent y accéder. Ça prend un effort
d'équipe, selon ma perspective, ça prend un effort d'équipe par les entreprises
technologiques et le secteur privé, des applications de la loi et le système
judiciaire, les services d'aide à l'enfance, comme vous avez entendu jusqu'à
présent, les services aussi des écoles et des systèmes d'éducation. Les
parents... Puis, quand je dis : Des systèmes d'éducation privés, publics,
même l'entreprise privée qui peut être mise à contribution dans cette manière,
la coopération internationale, on va jusqu'à cet... ce niveau-là, parce que
vous avez des ONG qui vont être en mesure, justement, d'avoir une perspective
là où ils interviennent un peu partout sur les continents, et, en même temps,
favoriser que ces changements-là s'opèrent d'un point de vue international et
que ça vienne nous aider ici aussi. Et finalement les services gouvernementaux
qui... je vais préciser, un rôle très clé là-dedans.
Ces efforts doivent prendre la forme de
programmes de sensibilisation et d'éducation plus présents, plus actifs dans le
quotidien, et pas seulement pour la jeunesse, intégrés aux programmes
scolaires, mais aussi pour les adultes. Car
notre société accuse un grave retard dans la littératie numérique. Et ça se voit
dans la rue, ça se voit à la maison, où les gens génèrent du contenu
comme jamais vu avant dans l'histoire et, parfois, hypothèquent la vie privée
des enfants, alors que ce qui a été filmé il y a 10 ans peut devenir un
désavantage de demain pour ce jeune maintenant rendu adulte, surtout lorsqu'ils
ont à soumettre la première demande d'emploi. Parce que les services de
ressources humaines, si vous ne le saviez pas, font une recherche intensive sur
le passé dans le monde électronique des jeunes.
Nous devons maintenant se préoccuper davantage
de la vie privée numérique, d'autant plus important, les tendances récentes
envers l'usage des innovations comme l'intelligence artificielle et aussi les
algorithmes des plateformes des médias sociaux pour générer la désinformation
et entretenir sa propagande prend de plus en plus de place dans le temps
consacré en ligne maintenant et dans l'avenir.
Une éducation sur le sujet saura rendre les
jeunes et les moins jeunes électeurs moins vulnérables à cette fausse information
et aussi contribuera à développer une pensée critique à l'information
présentée, comme dans le cas... avec une urgence sanitaire qu'on a vécue
récemment.
Le leadership requis pour aider devrait
comprendre des intervenants comme vous avez sollicités, mais aussi différents... de différents ministères, notamment
le MCN, le ministère de l'Éducation, ministère de la Santé, incorporés dans un groupe de travail autonome afin que tout
bouge rapidement sans que ce soit fait... et que ce soit fait à court terme,
pardon, sans que ça s'éternise. La population, nos jeunes ne peuvent pas
attendre six à 10 ans alors que la situation s'envenime année après année.
Pourquoi pas des camps d'été avec intégration d'apprentissage des jeux
électroniques qui sont des conséquences de l'année scolaire? L'encouragement au
tournoi à capturer le drapeau, donc on dit l'activité dans le terme technique,
«capture-the-flag», c'est des exercices qui sont menés soit dans des
conventums, comme, exemple, le Hackfest qui a lieu ici, à Québec, ou bien
internationalement, où on incite les jeunes à pouvoir, à ce moment-là, mettre à
contribution leur apprentissage et surtout leurs aptitudes et habiletés, mais
aussi au Canada, ailleurs dans le monde, comme je précisais, n'en feront pas
des pirates notoires ni des cybercriminels, mais bien des gens compétents en
technologies, qui ont mis en pratique ces meilleures pratiques, voire la
cyberhygiène apprise, et prêts à faire face à demain.
Merci à nouveau pour cette opportunité
d'échange. Et je suis prêt à répondre à vos questions.
• (10 h 40) •
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, M. Waterhouse. Nous allons
débuter cette période d'échange avec Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Waterhouse. Merci d'être avec nous
aujourd'hui. Vous apportez, donc, un aspect, donc, de la thématique
qu'on n'a pas encore abordée, donc je vous en remercie. Puis ça me permet de vous poser, donc, une question, donc,
qu'on a posée à d'autres interlocuteurs sur la majorité numérique. Bien
souvent, bon, plusieurs, donc, interlocuteurs, donc, sont venus, donc, ont eu,
donc, des avis, donc, divergents sur la nécessité, donc, de l'imposer, donc
d'avoir un âge minimal pour aller sur les différentes plateformes, mais on sait que ce serait soit une pratique symbolique,
là, ce qui prévaut en ce moment, ou une pratique, donc, qui imposerait
de faire la vérification de l'âge des utilisateurs afin, donc, de véritablement
la mettre en place. J'aimerais savoir, donc, quel est votre avis quant à la
nécessité, donc, de mettre en place, donc, une majorité numérique sur le plan
de la sécurité des données des mineurs.
M. Waterhouse
(Steve) : Il va de soi de la maturité des gens qui utilisent ces
outils-là va faire en sorte que ça va faciliter la compréhension des impacts.
Puis je m'explique. Ailleurs dans le monde, vous avez... j'ai une recherche BCG
qui va faire partie du mémoire, qui dit que, donc, en Amérique du Nord,
92 % des jeunes s'initient à l'Internet à partir de l'âge de 12 ans,
mais seulement 57 % à partir de l'âge de huit ans. Donc, de cette
approche-là, il y a un élément, comme je mentionnais dans mon introduction, que
le parent donne un accès facile à ses enfants, donc, pour aller consommer l'Internet.
Mais la majorité des parents avec lesquels j'ai intervenu et j'ai parlé avec…
quand je dis intervenu, c'est vraiment pour les aider dans l'appui de
restreindre l'accès à un minimum d'informations,
voire juste à des sites spécifiques. Mais le jeune, il n'en fait pas la
distinction, il ouvre l'appareil, il y a connexion Internet, il consomme
ce qu'il veut bien, et la journée va très bien. Mais la journée qu'il va à
l'extérieur d'un cadre défini, c'est là que ça dérape, bien souvent.
Alors, de cette
façon-là, il faut encore une fois que l'élément parental, qui est le plus
souvent impliqué avec le jeune dans
l'utilisation de ces moyens-là, puisse comprendre comment faire cet
encadrement-là. Mais, si on revient avec l'environnement scolaire où
est-ce que les jeunes passent peut-être, quoi, six heures, huit heures par
jour, j'en ai monté, des systèmes pour faire ce filtrage à la population
étudiante, filtrage pour dire : On ne permet pas des sites de gambling ou
des sites illicites. Mais, en même temps, il y a toujours des mécanismes à
côté. S'ils ne sont pas considérés ou bien évalués, bien, ça va donner une
porte de sortie pour être en mesure, donc, de le consommer pareil durant le
temps consacré pour l'apprentissage seulement.
Mme
Cadet : Juste être sûre
d'avoir bien saisi, puis je vais peut-être aussi réitérer ma question, c'est
que, dans le fond, là, nous, on est en train de se dire : Est-ce
qu'il faudrait, donc, interdire, donc, l'accès aux, disons, réseaux sociaux,
ces différentes plateformes, donc, aux jeunes avant un certain âge? Mais l'un
des enjeux de la mise sur pied, donc, d'une telle mesure, c'est de se
dire : O.K., bien, si on dit, par exemple, donc on ne peut pas, donc,
accéder, donc, aux plateformes, donc, de Meta avant l'âge de 15 ans, bien,
il faut qu'on soit en mesure de le vérifier, sinon ce n'est pas tout à fait
efficace comme mesure, ce serait une mesure plutôt symbolique. Mais, en faisant
ça, on est... l'État, donc, viendrait dire : Bien, il faudrait capturer les
données des enfants mineurs pour être capable de confirmer qu'ils ont bel et
bien l'âge, là, de pouvoir accéder à ces plateformes-là.
Qu'est-ce que vous
pensez de… bien, en fait, d'une telle mesure? Donc, qu'est-ce que ça voudrait
dire pour la sécurité des données? Où seraient stockées ces données-là, donc,
des jeunes? Est-ce que c'est l'État qui devrait les stocker? Est-ce que ce seraient
les plateformes qui devraient le faire elles-mêmes? Qu'est-ce que ça
signifierait, pour la sécurité des données, de mettre en place une majorité
numérique?
M. Waterhouse
(Steve) : Bien, déjà là, dans l'acceptation populaire, ça ne passera
jamais le test, que l'État s'immisce à capturer de l'information,
l'interpréter, la stocker, ça n'ira pas très loin. Alors, on peut peut-être se
rapprocher de l'idée d'une identité numérique, mais, cependant, si on amène une
identité numérique puis qu'on l'appose à des moins de 18 ans, là on rentre
dans une autre arène légale par rapport à ça. Ça fait que ça... c'est pour ça,
je ramène le... et je recerne la problématique vers le parent. S'il fait une
bonne évaluation du risque, puis là il faudrait peut-être amener les outils
nécessaires aux parents de faire cette évaluation du risque, là, quel est le
risque que j'expose mon enfant aux médias sociaux, quel est... qu'est-ce qu'on
retrouve, oui, les grandes plateformes, dans la meilleure des pensées, veulent
que ça soit consommé par tout le monde, c'est à leur avantage, puis ils vont
faire des pieds et des mains pour ramener ça jusqu'au plus jeune âge pour,
après ça, leur faciliter la vie à consommer les produits que la plateforme
offre.
Maintenant, cette
modération-là, elle est parrainée par qui, selon quel principe? Parce que les…
comme on dit, chez Facebook ou Meta, bien, les «community guidelines», donc les
lignes directrices de cette plateforme-là, bien, sont... je ne sais pas qui qui
les dessine, mais souvent sont à l'encontre de notre façon de vivre et de voir
la vie, parce qu'eux disent que telle façon... une telle image ou un tel dire,
ça va à l'encontre des lignes directrices, alors que, pour nous, ici, bien,
c'est un usage humoristique commun. Alors, c'est des éléments comme ça, je vous
donne un exemple bien banal, qui fait en sorte que qui va dire vrai là-dedans.
Il
faut se ramener peut-être avec un consortium à l'extérieur, un peu comme
présentement l'identité numérique, c'est dans la 10e année qu'il y
a un tronc commun qui a été établi à travers le Canada, le conseil canadien de
l'identité numérique, qui fait en sorte que tous les joueurs, les acteurs
inhérents à l'usage d'une identité numérique, bien,
ont été mis… ont été sollicités et mis à contribution. Et de là vient un cadre
de référence neutre, gouvernemental,
comme entreprise privée, qui va en faire usage. Mais là, en disant ça, ça, ça
va être pour la consommation, utilisation de services publics, mais le
jeune, là-dedans, il n'est toujours pas inclus. Alors, on est toujours à la
case départ face à cette situation-là qui revient à : Quel est l'adulte
qui est responsable envers l'enfant, qui va lui permettre l'accès ou pas? Je
crois que le problème est situé à ce niveau-là.
Mme Cadet :
D'où le principe de cyberhygiène, là, dont vous parliez à la fin de votre
propos.
M. Waterhouse (Steve) : Bien, la
cyberhygiène est pour tous et chacun qui font un travail en ligne. La
cyberhygiène... Je vais vous donner juste l'exemple de… le fameux mot de passe,
qu'on ne peut pas s'en dégager jusqu'à présent. Mais, si tout le monde continue
d'utiliser 123456, que ça fait huit ans que c'est le numéro un mondial, on est
toujours à la même place, on patauge dans la même mare. Alors, il faut changer
ces habitudes-là, il faut changer la perspective que : C'est-tu important,
un mot de passe? La réponse, c'est oui. C'est-tu encombrant? Pour la majorité
des gens, ils vont dire oui. Ça fait que c'est pour ça que les gens le mettent
facile. C'est une caractéristique humaine. Mais,
quand on l'explique, qu'est-ce que ça peut apporter comme conséquences, bien,
il y en a qui vont dire : Bien, c'est juste ma tablette, c'est
juste mon téléphone. Mais alors donne les clés de rentrer dans votre maison à
n'importe qui, ça ne dérangera pas, c'est la même analogie que le mot de passe
facile à deviner.
Mme Cadet : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Mme la
députée d'Iberville.
Mme Bogemans : Merci, Mme la
Présidente. Bienvenue. Moi, je voulais avoir votre opinion, parce qu'on a
souligné, au travers les entrevues, vraiment la force du lobby puis à quel
point, autant pour les adultes que dans le milieu de l'éducation, que, pour les
jeunes, ils exerçaient une certaine pression. Puis une de vos suggestions principales
était de joindre, de sensibiliser, mais même d'éduquer, comme vous venez de
répondre à la question, là, sur les enjeux
du numérique en général. Ce serait quoi, un plan, pour vous, qui serait porteur
pour sensibiliser et éduquer quand
même, donc, sur le long terme, la population en général pour bien être capable
de le faire? Parce que c'est large?
M. Waterhouse (Steve) : C'est très
large, et le temps est compté. Alors, j'y verrais très bien que le gouvernement
soit le… assume le rôle de leadership pour être en mesure de tirer les lignes
directrices par lesquelles tous et chacun
qui veulent avoir une intervention qui en vaille la peine vont pouvoir
s'influencer de cette ligne directrice là, parce que c'est un but
ultime. Donc, le gouvernement peut amener, à ce moment-là, dans cinq ans,
10 ans, évidemment, comme on dit en
anglais, les «milestones», les bornes à franchir pour, après ça, que les gens
s'y adonnent.
Cependant, le danger que je veux souligner, par
contre, à faire… à mettre en place cette pratique, c'est le manque de
vérification. Donc, c'est-tu le Vérificateur général qui va dire : Aïe!
Vous n'avez pas rencontré vos objectifs, là, il faut faire quelque chose. Dans
ce cas-là, on a trop d'exemples à énumérer que, dans le passé, cette… cette méthode-là,
pardon, ne fonctionne pas, surtout dans un temps fini. Alors, il faut amener,
justement… C'est pour ça, je donnais l'exemple du consortium d'identité
numérique canadien, qui a toutes sortes d'acteurs de toutes… de toutes
confessions confondues, si je peux dire ça... viendront ensemble puis
dire : Le plan d'action, il faut l'amener, puis on est obligatoire de
faire une réaction rapide et donner, à ce moment-là, un consensus. Donc, s'il y
en a quatre sur cinq qui sont d'accord ou qui ont répondu à l'appel, bien, on
avance, parce que le cinquième, qui n'a pas répondu, il est peut-être embourbé
ou il n'est pas intéressé, finalement, là.
Mme Bogemans : Donc, c'est d'arriver
à un consensus sur des cibles à atteindre puis, après ça, de la communiquer de
manière persistante au fil du temps ou de se donner des moments, dans la
société, où on pourrait faire le tour de la question.
M. Waterhouse (Steve) : On est
au-delà, je crois, de revenir fréquemment à se poser des questions, parce que
les questions, vous les avez… vous les avez posées dans les dernières semaines.
Et, je crois, vous avez fait un beau tour d'horizon, mais là on est à l'étape
de l'action. C'est un peu le… mon discours que j'apporte aujourd'hui, là, pour
cesser de juste jongler avec le sujet, mais prendre action pour que,
rapidement, nos jeunes de demain, bien, ils ne soient pas hypothéqués, comme je
disais.
Mme Bogemans : Parfait. Puis, tout à
l'heure, vous suggériez la mise en place de groupes de travail interministériels, puis là on parlait de cibles.
Ce seraient quoi, les premières cibles pour ces groupes de travail là, si on
veut?
• (10 h 50) •
M.
Waterhouse (Steve) : Bien,
premièrement, reconnaître le problème, puis là, si ce n'est pas aussi…
j'aurais dû indiquer là-dedans le ministère de la Justice pour définir un
encadrement peut-être particulier face à ce que le jeune soit sous une forme
d'identité numérique. C'est fort, qu'est-ce que je viens de dire là, mais c'est
peut-être… Est-ce que c'est une avenue à explorer? Là, à ce moment-là, ces
éléments légaux devront être adressés par ce ministère particulier. Mais, par
contre, je verrais mal, à ce moment-là, qu'on ait un statut comme ça. Ailleurs
dans le monde, je n'ai pas vu de législation qui confère à un jeune, moins de
18 ans, donc qui n'est pas en majorité, d'avoir cette identité numérique
là qui lui soit donnée. Est-ce que le Québec va être précurseur là-dedans
encore? Peut-être. Mais, par contre, c'est une pente qui est très glissante.
Mme Bogemans : O.K. Puis ma dernière
question, c'était pour faire un petit peu de pouce, là, sur ce que ma collègue
avançait, l'âge numérique, mais vous répondiez que c'était vraiment la
responsabilité du parent, à la base, puis que ça partait de l'appareil. Est-ce
que vous pensez qu'on devrait, au contraire, quand le parent achète un appareil
pour un mineur, par exemple, que certaines programmations, comme le contrôle
parental, soient mises par défaut dans l'appareil, qu'il
y ait comme une programmation d'emblée, tout ce qui peut être activé pour la
sécurité du jeune soit fait d'emblée de la part du fabricant?
M. Waterhouse (Steve) : Bien, c'est
une bonne question et c'est une bonne suggestion. Cependant, est-ce que le
marchand va vendre des tablettes avec déjà l'activation de la restriction
parentale en place, et une autre tablette va avoir, donc, des tablettes,
justement, avec la restriction parentale? Ça ne sera peut-être pas bien géré,
justement, sur le marché. Alors, soit qu'ils sont de facto intégrées et
activées, ce que les gens n'aiment pas beaucoup parce que, là, ils sont devant
des restrictions qu'ils doivent apprendre comment désengager, alors que, là, on
est... l'autre problème actuel, qui est : tout est ouvert, et là il faut
travailler avec refermer les portes. Moi, je suis dans le... je suis de la
chapelle où est-ce qu'il faut ouvrir au besoin, et, de cette façon-là, ça serait
peut-être plus profiteur à tous et chacun, et en faisant des... en montrant des
exemples que ça leur donne un avantage. Parce qu'actuellement, vu que c'est
intangible, les gens n'y voient pas l'avantage, de fermer toutes les portes et
de les ouvrir au besoin, et ce qui fait en sorte que les gens vont se
dire : Bien, c'est ça, on veut nous museler, on veut nous bloquer de faire
quoi que ce soit. Ça amène aussi cette discussion.
Mme Bogemans : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Mme la députée de D'Arcy-McGee.
Mme Prass : Merci, Mme la Présidente.
Merci pour votre présentation. Donc, en parlant de la question de l'âge
numérique, on sait que les VPN sont facilement utilisés pour justement faire en
sorte qu'on peut cacher notre identité, et puis, s'il y a un âge minimum, bien,
ça nous permet de rentrer dans le système. Est-ce que vous pensez justement que
le VPN fait en sorte que faire un âge... poser un âge numérique ferait en sorte
que, tu sais, ce n'est pas réaliste? Parce qu'un VPN fait en sorte que le jeune
peut facilement outrepasser cette mesure-là.
M. Waterhouse (Steve) : Bien, je
veux juste mettre au point le terme «VPN», donc, un réseau privé virtuel n'est
seulement que l'établissement d'un conduit entre un point de départ et une
destination. Peu importe ce que... de quel appareil démarre cette connectivité
sécurisée, qui est très sécuritaire, d'ailleurs, bien, si la personne transpire
de l'information à la source, elle va ressortir l'autre côté, au bout du tunnel,
comme on dit. Donc, si la destination, après ça,
s'en va dans l'Internet et, après ça, s'éparpille partout, bien, l'identité
aussi va s'éparpiller partout. Donc, c'est une fausse sécurité de
dire : Le VPN nous protège de tout, protège l'identité. C'est juste que,
présentement, si je suis connecté, par
exemple, au réseau sans fil de l'Assemblée nationale et j'active mon VPN, bien,
le transit que prend mes données à
partir de mon appareil jusqu'à l'Internet, mon point de sortie, l'Assemblée
nationale ne verra pas qu'est-ce que j'ai
généré ou communiqué. Mais à destination, vers quelle destination je vais
aller, si je vais chez Microsoft, par exemple, bien, chez... Microsoft
va savoir que je me suis connecté, mais, oui, vous avez raison, pas à partir de
l'Assemblée nationale, il sera à partir de mon point de sortie où j'ai terminé
ma connexion. Donc, petit élément technique.
Alors, est-ce
que c'est le bon moyen? Non, parce que, vous avez raison aussi, le jeune, il
sait que ça existe, il y a des paquets
de solutions de ce type-là, VPN, qui existent et qui vont faire des
contournements de sécurité. Par contre, il y a des moyens techniques
d'empêcher aussi qu'un VPN s'active et qu'il soit utilisé, puis on peut le...
on peut le vivre à chaque jour, je veux
dire, il y a des portails d'information, de médias qui l'empêchent, la
consultation d'informations, alors
que le VPN est activé, parce qu'ils connaissent déjà la banque d'adresses que
cette compagnie-là de VPN utilise.
Alors, est-ce que c'est une solution technique
qui peut favoriser ou non le VPN? La réponse, c'est oui. Demain matin, il va-tu
y avoir une autre technique qui va apparaître? La réponse, c'est oui aussi.
Mme Prass : Et, quand vous parlez,
justement, puis vous le mentionnez dans votre mémoire aussi, ça incombe aux
parents d'être un petit peu l'exemple puis de faire un petit peu la
surveillance, comment est-ce qu'on fait pour aller rejoindre ces parents pour
les sensibiliser à cette réalité-là? Parce que, souvent, ils se disent :
Bien, tu sais, c'est un travail qui va se faire à l'école, ce n'est pas
nécessairement ma responsabilité. Comment est-ce qu'on fait pour aller les
rejoindre?
M. Waterhouse (Steve) : Bien, de
dire que le travail va se faire à l'école, c'est là qu'on travaille un peu de
la pensée magique, parce que les professeurs le font, encore une fois, d'une
façon... avec qu'est-ce qu'ils ont appris avec le temps d'une connaissance
personnelle, puis ce n'est pas toujours les meilleures pratiques qui sont mises
de l'avant, on ne le cachera pas. Est-ce que le prof d'aujourd'hui a le temps
d'apprendre ce volet-là en plus du reste qu'on lui impose? Ça fait partie d'un
sujet parmi les autres sur la pile. Ça fait que, s'il faudrait amener le prof
dans l'équation, dans la solution, il faudrait l'enseigner... lui enseigner à
ce moment-là. Puis j'ai déjà lancé une initiative, voilà quatre ans, de former
les formateurs, former les profs de cégep, former les profs au secondaire, puis
l'initiative a été froidement reçue parce que, là, c'était comme si je
froissais certains ego, je froissais certaines personnes, que, là, bien, je
venais leur dire comment faire leur travail. Mais la réponse, c'est oui, parce
que je leur disais : Vous n'avez pas les connaissances à jour. Puis je
l'ai vérifié à plusieurs aspects, ça. Autrement dit, je me suis inscrit à des
cours qui étaient offerts, et c'était d'une piètre qualité que ça dérangeait et
ça créait plus de problèmes que ça apportait une éducation utile pour que les
gens puissent s'en servir équitablement.
Alors,
à votre question, c'est là qu'il faut regarder ça d'une autre façon. Puis le
parent, bien, je ne sais pas s'il y en a
qui se souviennent, dans notre jeunesse, on avait, dans les années 80,
dans les premiers balbutiements informatiques décentralisés,
l'émission qui était à Télé-Québec sur… qui s'appelait, donc, je viens
d'oublier le nom, et qui était une émission à caractère social pour donner aux
gens cette éducation-là, qu'est-ce que c'est, une disquette, qu'est-ce qui est
un ordinateur, comment le démarrer, etc. Est-ce qu'on doit retourner à cet
enseignement-là, interactif, via une émission spécialisée? La réponse, je crois
que c'est oui. Et Télé-Québec, je veux dire, c'est quand même un canal bien
utilisé pour la documentation ici, je crois que ce serait un bon médium avec
lequel pousser l'idée, qui était Octo-puce, l'émission du temps.
Mme Prass :
Octo-puce, c'est ça? O.K., parfait. Puis j'aurai une dernière question
pour vous : Vous avez mentionné, au
début de votre intervention, toute la question de la cybercriminalité,
cyberintimidation, etc. Pensez-vous que les forces de l'ordre ont assez
d'effectifs qui sont mis à contribution pour suivre ces enjeux-là?
M. Waterhouse
(Steve) : Au cours des dernières représentations que j'ai faites dans
des comités similaires ici, j'ai toujours apporté comme conclusion : il
faut donner plus de ressources financières, techniques et humaines aux services
policiers pour accomplir ce travail-là. De même, on en a entendu parler
justement hier, un sujet, dans la place publique, que la ville de Québec
demande plus de ressources policières, donc, mais cet exemple-là, ça va aussi
dans le domaine où est-ce qu'il faut tenir compte de la réalité sur le terrain.
Est-ce qu'il y a plus de crimes technologiques où il y a plus de crimes à
caractère traditionnel? Bien, le crime avec violence va prendre préséance sur
un crime technologique. Il n'y a pas de violence, en principe, il y a une
énorme violence psychologique qui sont rattachées souvent au vol d'identité, au
vol de portefeuille, de quoi que ce soit. Il faudrait peut-être l'adresser, ça
aussi. Même la capacité nationale, elle est présentement sous-évaluée, il n'y a
pas assez d'argent pour le GNC3, donc la GRC, qui fait ce centre de
coordination nationale pour la cybercriminalité... contre la cybercriminalité.
Et ce n'est pas demain matin, eux autres aussi, que leurs rangs vont être
comblés. Donc, globalement aussi, il y a des efforts aussi à l'échelle de la
planète que tous y contribuent. Mais évidemment le problème croît par l'usage
de la technologie. Puis aussi, bien, les
éléments qui vont aider, des forces de l'ordre qui vont aider là-dedans, bien,
ils ne sont nécessairement pas en pleine puissance, autrement dit, pour
venir aider la population lorsqu'ils sont dans le trouble.
Mme Prass :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Mme la députée de Hull.
Mme
Tremblay : Oui. Alors, bonjour. Au niveau des compagnies, là,
Facebook, et tout ça, est-ce que... comment… est-ce qu'on peut agir envers eux,
avec l'expérience que vous avez, pour leur imposer des règles? Puis là je parle
d'eux autres, mais même chose pour les jeux, là, qui poussent du contenu publicitaire,
qui rendent ça plus addictif par différents moyens, là, des coffres de
récompenses, des loteries qui ressemblent à des jeux vidéo. Est-ce qu'on peut
agir? Puis, si oui, comment pour, justement, faire en sorte… Tu sais, comme à
la télévision, on a bien contrôlé le contenu dont les enfants… publicitaire,
mais là est-ce qu'on peut les obliger puis comment, ces compagnies-là,
justement, à arrêter, justement, d'atteindre les jeunes?
M. Waterhouse
(Steve) : Vous avez apporté un bon point. Quelle est l'autorité
nationale sur la gestion du contenu à l'affichage? Bien, c'est le CRTC. C'est
le CRTC qui peut modérer aussi les réglementations envers tout qu'est-ce qui
est télécommunications, incluant l'Internet. Maintenant, c'est facile de
vraiment modérer qu'est-ce qui se diffuse à la radio, qu'est-ce qui se diffuse
à la télévision, parce que la conséquence ultime, c'est de retirer le permis de
transmission. Est-ce qu'on peut en retirer le permis de travail à un fournisseur
d'accès à Internet qui ne ferait pas cette modération-là? Donc, il faudrait
mandater les fournisseurs d'accès à Internet à faire la modération du contenu.
C'est toute une job.
Il se fait
actuellement une modération, puis ça, c'est le DMCA, donc un consortium contre
le téléchargement de matériel à connotation «copyright», donc aux droits
d'auteur, la protection du droit d'auteur. Et, si vous faites le téléchargement
d'une musique ou bien d'un film sans que vous ayez payé les droits d'auteur, il
y a un courriel qui va apparaître dans votre boîte à courriel parce que le
fournisseur d'accès Internet a repéré que vous avez fait le téléchargement et
vous faites probablement usage illégalement de ce matériel-là. Mais la
conséquence, c'est quoi? C'est une tape sur
les doigts parce qu'il est impossible d'identifier qui qui est au bout pour
mettre des accusations de viol de
«copyright», alors que c'est seulement qu'une adresse IP qui transpire
dans les journaux d'audit de cette organisation-là.
Maintenant, est-ce
qu'on revient à dire : Il faut mandater un fournisseur d'accès à Internet
à faire cette modération du contenu Internet? Là aussi, vous allez avoir une
levée de boucliers incroyable. Puis après coup, bien, les gens vont prendre
tout simplement une technologie VPN, vont sortir dans un autre pays, ça ne
s'applique pas, puis ils vont le consommer comme ça, alors que… On revient avec
notre licence radio et télévision qui est vraiment régionale, locale, ça fait
que ça ne va pas outre-frontière, bien souvent, là.
• (11 heures) •
Mme
Tremblay : Et, au niveau de... parce que, là, les compagnies essaient
un peu de s'autoréguler. Vous l'avez vu, ils
ont fait des annonces, tu sais, pour justement moins atteindre les jeunes,
moins amener de compagnies… Est-ce
que vous pouvez... Est-ce qu'on peut leur faire confiance en lien avec ça,
parce qu'ils s'autorégulent eux autres mêmes, ou nous, on peut plus les
amener à s'autoréguler, justement?
M. Waterhouse (Steve) : Ça va
compléter votre première question. Il est un peu de la pensée magique qu'ils vont se... Chaque compagnie dans le monde, avec
des bassins d'utilisateurs, comme chez Meta, de 2 milliards quelque
chose, vont dire : Le Québec, c'est un marché d'une
dizaine de millions de figurants, probablement. Est-ce que ça pèse dans la
balance pour dire : On va se plier, on va changer nos façons de faire?
C'est un effort en commun. C'est pour ça que je disais que c'est un travail
d'équipe. Si tous les horizons travaillent dans le même sens, la compagnie va
avoir, à ce moment-là, à se remettre en question, ça, c'est évident.
Alors, des législations, des lois vont faire...
vont aider parce que... Est-ce qu'une compagnie comme Meta veut avoir des
problèmes légaux avec une entité légale, que ce soit une province, un pays ou
autre? La réponse, probablement, c'est non, mais dépendamment qu'est-ce que ça
leur implique, parce que, s'il y a un gros coût rattaché à faire un changement
dans leurs façons d'être et de faire, ils vont tenter le tout pour le tout puis
ils ont l'argent, je crois, pour supporter une bonne équipe d'avocats pour
contrer la loi envers laquelle ça leur cause un petit problème peut-être même
régional, si je peux utiliser ce terme-là. Alors, c'est là que les compagnies
vont tout faire pour aider et satisfaire leur clientèle. C'est toujours une
question d'argent. Ça fait que, si la mathématique dit que ça leur est
profitable à moyen ou long terme, ils vont le faire, mais, si ça ne l'est pas,
ils vont trouver toutes sortes de moyens pour le contrer.
Mme Tremblay : Ça fait que, dans le
fond, c'est… plus, collectivement puis mondialement, il y a des pressions qui
sont faites, parce que, là, le Québec agit puis, plusieurs autres pays, là,
agissent aussi, c'est plus cette pression-là qui amène finalement... C'est
chaque petit geste que, collectivement, on pose, finalement, qui va amener les
compagnies, tranquillement, pas vite, à changer puis à modifier…
M. Waterhouse (Steve) : Oui, et il
faut le faire constructif aussi. Il ne faut pas dire... encore là, rentrer sur
les médias sociaux, peu importent lesquels, et, à outrance, négativement,
défaire la compagnie puis dire : C'est une compagnie qui ne fait pas ci,
ne fait pas ça, mais bien aller de façon constructive puis proposer des
solutions. Alors, si, de ce comité, ressortent des propositions intéressantes
pour la compagnie, c'est de les mousser, de vraiment maximiser la publicité de
ces solutions-là à leur apporter. Puis, oui, effectivement, si on peut apporter
après ça… dans la francophonie, qui est quand même dans la dizaine de millions
d'utilisateurs, bien, ça fait un levier encore plus important qui va parler
plus fort, justement, à ces grands conglomérats.
Mme Tremblay : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
M. le député de Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Waterhouse,
merci beaucoup d'être là aujourd'hui. On a effleuré un peu la sécurité, mais,
d'en parler avec un expert de renom comme vous, on est très... c'est très,
très, très apprécié d'être parmi nous. Plusieurs éléments ont été évoqués
aujourd'hui, là, mais, oui, c'est vrai qu'on parle d'une commission spéciale
pour protéger les jeunes des écrans et sur la santé et leur développement, mais
on sait que la sécurité, là, informatique, ça touche tout le monde, là. Je veux
dire, il y a des tentatives d'hameçonnage. Même, si je demande à mes collègues,
au moins une fois par semaine, là, on tente... on nous envoie un courriel puis
on tente de nous hameçonner. Il y a les aînés aussi qui sont touchés énormément
dans ça, les jeunes, mais, selon vos recherches, vos chiffres, votre
expérience, qui est le plus susceptible d'être visé par les malfaiteurs?
M. Waterhouse (Steve) : La personne
qui n'est pas attentive dans l'utilisation de moyens technologiques et la
personne qui est émotionnellement chargée. Je dis ça de cette façon-là pour
tout simplement dire… Comme vous vous dites, on reçoit un paquet de
correspondance et souvent, dans l'instant d'un moment, on va appuyer sur le bon
bouton ou le mauvais, et c'est là que, souvent, la malice va s'installer, parce
qu'on n'a pas porté attention. Il y avait un hyperlien, l'hyperlien a
téléchargé du code malicieux, et l'appareil est compromis, a rentré un
rançongiciel dans l'organisation. C'est souvent le modus operandi.
Alors, c'est de cette façon-là que, quand on
reçoit des transmissions qu'on ne s'attend pas… même quand on s'y attend, bien,
il faut juste prendre le temps de le regarder et d'y porter attention, peu
importe l'âge, parce que le jeune, lui, il va être curieux. Il va aller de
façon... tête première, il va foncer puis il ne verra pas les conséquences. Une personne plus mature, voire plus âgée, bien là
va le faire encore une fois avec cette même curiosité, mais peut-être avec un pas de recul, mais va y aller pareil.
L'appareil va être compromis, puis, après ça, il va vivre avec les
conséquences de soit un rançongiciel, du vol d'identité, un téléphone qui
apparaît que... chez eux… qui sonne chez lui ou chez elle… et que Microsoft
veut l'aider parce qu'il lui dit qu'il a été infecté tout simplement.
Alors, si on appelle la population à comprendre
une bonne fois que, non, les grands conglomérats ne vous appellent pas en guise
de prévention ni non plus le gouvernement, Revenu Québec, Revenu Canada... Il
n'y a pas d'organisation qui appelle direct le citoyen. On est quand même à
cette étape de base de rappeler que les services publics, les grandes compagnies n'appellent pas chez les gens. Ça, on
fait juste envoyer ce message-là officiellement. Bien, les gens, à ce
moment-là, sauront à quoi s'attendre, et ils pourront mettre fin à cette
sollicitation-là non voulue, et, en ligne, bien, lorsqu'ils recevront ces
messages non sollicités, ils pourront les détruire tout simplement.
M. Ciccone : Avez-vous des exemples concrets où, vraiment, là, les
malfaiteurs vont cibler nos jeunes soit par Meta soit par ByteDance, par
exemple, TikTok ou même chez les jeux vidéo? Il y en a... Il va y avoir des
conversations, puis il y en a qui vont s'infiltrer. Avez-vous déjà des exemples
concrets comment on cible nos jeunes avec les outils, dont les plus populaires
chez nos enfants… de nos jeunes?
M. Waterhouse
(Steve) : Tout à fait. Ça commence justement par les environnements
sociaux, que ce soit par les plateformes,
les Snapchat, Instagram. Mais, oui, les plateformes de jeux vidéo, c'est très
subtil, et parce qu'il y a ce mysticisme, autrement dit, les gens sont
tous avec un avatar, c'est difficile de connaître qui est à l'autre bout. Et donc, lorsqu'il y a une proximité qui se
développe, c'est vu, dans plusieurs cas, lorsqu'il y a eu justement
rapprochement entre un criminel ou une
personne de mauvaise intention, disons, et un jeune dans l'environnement de
jeu, ils vont s'allier, ils vont
faire des conquêtes ensemble, si je peux utiliser cette analogie, et, après ça,
donc, ils viennent «buddy-buddy», puis après : Aïe! Il faudrait
peut-être se voir, ce serait le fun, prendre une petite liqueur ensemble, si ça
se fait encore.
Mais après ça ils vont s'en aller justement à un
endroit physique, et après ça le jeune peut en être désavantagé de cette
façon-là, tout comme les jeunes filles qui sont sollicitées, que ce soit sur le
terrain... le milieu d'environnement scolaire, mais que combien... Lorsque j'ai
eu des discussions avec des adolescents et des adolescentes, bien, ils
disaient… Ils sont submergés, comme on dit dans le bon jargon, de «dick pics»,
autrement dit des photos non sollicitées
d'appareils génitaux masculins, et c'est rendu commun, ce n'est même plus une
exception… aïe! rapporte-le à la police,
malgré qu'à travers le monde on a le plus haut taux de rejet de ces éléments-là.
Au de lieu de les rapporter, les gens... il y en a tellement, ils les effacent,
tout simplement. Ça va... Ça passe à un autre appel.
M.
Ciccone : Avec nos outils de protection qui sont disponibles
présentement, là, il semble qu'on est toujours en retard. Il est-tu...
Est-il utopique de penser qu'un jour on va être capables de prendre le dessus?
M. Waterhouse (Steve) : La réponse,
c'est non, parce que les attaquants ont toujours l'avantage sur les moyens
technologiques. Je parle pour les réseaux corporatifs, institutionnels, peu
importe, c'est toujours plus facile pour un attaquant d'aller exploiter une
vulnérabilité que personne ne connaît encore, et, au moment où est-ce que les
gens vont s'en apercevoir, il y a déjà eu méfait de commis.
Alors, c'est pour ça... Je vous donne la vérité
telle qu'elle est. Je n'essaie pas d'embellir la chose, mais je vous donne un
exemple, là, où est-ce que ça va être d'un extrême versus un autre. Chez moi
lorsque les enfants étaient adolescents, bien, c'est plate pour eux autres,
j'étais le seul instructeur d'un produit de filtrage d'accès Internet, et
j'avais le matériel nécessaire pour que la maison soit complètement filtrée
pour l'accès Internet, et je pouvais voir en temps réel qu'est-ce qui se
faisait, et ils étaient avertis, là. Je ne le faisais pas à couvert, mais
j'étais en mesure de voir aussi les menaces qui venaient les chatouiller, tout
comme, après ça, d'être en mesure d'intervenir vers les destinations et de
prévenir… vers des sites illicites.
Bon, maintenant, est-ce qu'un parent devrait
aller chercher toutes ces qualifications-là? La réponse, c'est, non, c'est
impossible. Par contre, 15 ans plus tard, 20 ans plus tard, il y a
des technologies qui se prêtent aujourd'hui à des moyens de base qui peuvent
être installés, configurés chez les résidences et minimiser ces risques-là
d'accès non voulus vers l'extérieur. Donc, il y a un élément de base qui peut
être consigné à la maison, et le parent, à ce moment-là, bien, il aura cette
assurance que, si jamais il y a un site malveillant qui émerge dans son
environnement, que ce soit à caractère pornographique, à caractère
pédopornographique ou quoi d'autre que le parent peut décider, bien, ça peut
être filtré dès là. Aujourd'hui, la technologie est disponible, oui.
M. Ciccone : Merci beaucoup. Merci de responsabiliser les parents, parce
qu'on a eu votre mémoire, là, il est tout chaud, il vient d'arriver, là…
M. Waterhouse (Steve) : Il n'est pas
complet, en plus.
M. Ciccone :
…puis vous responsabilisez les
parents là-dedans, puis je pense que ça commence là. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Donc, à nouveau, M. Waterhouse, à l'instar de ma collègue de
Hull, donc, je m'interroge, donc, sur les pratiques... bien, en fait, sur la
régulation, donc, de certaines pratiques commerciales des plateformes. Elle en
a nommé quelques-unes, donc, par exemple, donc, l'encadrement de la publicité
en ligne ou les mécanismes, donc, de rétention d'information, de captation
d'information des jeunes, donc, qui, donc, les gardent, donc, sur les médias
sociaux. Moi, j'aimerais peut-être vous entendre sur... bien, en fait, voir si
vous, vous en verriez d'autres, pratiques, notamment… encore une fois, c'est
quant à la sécurité des données, parce qu'on sait le modèle d'affaires, donc,
des entreprises de médias sociaux, donc, qui sont basés là-dessus, mais est-ce
qu'il y a certaines pratiques sur lesquelles il serait plus critique de se
pencher, nous, comme législateurs?
• (11 h 10) •
M. Waterhouse (Steve) : Oui, c'est
de peut-être continuer dans la lancée de la loi n° 25.
On sait que, présentement, elle a eu cette
troisième phase qui a pris forme le 22 septembre dernier. J'ai eu
l'occasion de contribuer aux travaux du projet de loi n° 64, et, à
travers de ça, c'est qu'il faut davantage demander à la Commission d'accès à
l'information du Québec qu'elle éduque la population envers ses droits, puis
ses droits, ce que cette loi n° 25... dit quoi,
bien, c'est le droit justement à ce que l'information que l'on confie, bien, on
est en droit de savoir où elle va aller, l'information, à quelle fin elle va
servir et, après ça, quel est son temps de retenue, comment ça va être détruit
ou tout simplement, si je vais être oublié de l'Internet, de la facilitation…
le droit à l'oubli qui est appelé.
Alors, si cette commission,
la CAI, fait son travail que... Présentement, elle est très invisible… sur le
public parce que, quand on jase avec n'importe qui, il se demande : Qu'est-ce
que c'est que ça, cette loi n° 25 là? Ils ne savent rien, parce que, quand j'étais justement,
de l'autre côté du rideau, j'étais en... je voulais faire un travail
conjoint avec eux, puis il y avait une fin de non-recevoir incroyable, alors
que… soit ils étaient submergés, tout simplement pas assez de personnes pour
faire le travail.
Donc, il faut leur
donner à eux autres aussi les ressources pour qu'ils aient à porter à la
population cette éducation de base. Donc, s'ils font ce travail-là, ça va vous
faciliter la vie, à la commission après ça, pour dire : Les données
personnelles, bien, comment est-ce que vous, comme citoyens, vous devez en
prendre connaissance et surtout restreindre la distribution? Parce que les gens
donnent beaucoup trop d'information. Ils s'exposent inutilement, mais ils le
font des fois sans malveillance, pour tout simplement avoir accès aux biens et
services.
Alors, s'il faut...
On peut questionner le narratif : Pourquoi vous avez besoin de mon
adresse, pourquoi vous avez besoin de mon adresse courriel, à quoi va servir
mon numéro d'assurance sociale si je vous le confie? Bien, ça, c'est qu'est-ce
que le citoyen doit demander, le consommateur doit demander au commerçant,
puis, le commerçant, s'il n'est pas capable de l'expliquer, bien, il a deux
choix : Je ne vous vends pas le produit si vous ne me donnez pas
l'information… Mais là, après ça, on peut questionner… il y a des pratiques
douteuses, parce qu'il veut avoir toute mon information pour aucune fin.
Alors, c'est là qu'il
y a... On est dans cet élément-là de changement, on peut considérer, peut-être
dans un tourbillon, mais il faut y porter attention et il faut à ce moment-là,
encore une fois, faire valoir nos droits, parce que, si on ne les fait pas
valoir, ils vont être dissous à travers le temps, puis on va se demander
comment ça se fait qu'on n'est pas protégés.
Mme Cadet : Ça fait que, pour vous, donc, la demande de ces
renseignements personnels dans le cadre d'une transaction entre la plateforme et l'utilisateur, donc, ça, c'est
quelque chose sur lequel on a un levier, là, vous le voyez.
M. Waterhouse
(Steve) : Bien, vous avez toujours le choix, pareil comme quand vous
entrez dans un établissement et qu'on vous dit : Vous êtes filmé, bien,
ça, c'est l'avertissement comme quoi vous consentez, si vous rentrez, passez
cet écriteau, que vous acceptez d'être filmé, mais, s'il n'y a pas d'écriteau
qui vous avertit en ce sens, c'est une violation de la vie privée en soi.
Mme Cadet : Oui,
c'est ça, puis là je pense, par exemple, donc, à… Parfois, il y a un peu, donc,
ces jeux en ligne… Donc, on est, donc, sur Facebook, et là, donc, il va y
avoir, donc, ces jeux, regardez, donc, de quoi vous aurez l'air quand vous
aurez 65 ans, et là, donc, les gens, donc, cliquent là-dessus, donnent,
donc, tous leurs renseignements personnels. Donc, il y a quand même, donc, une
partie, donc, de reconnaissance faciale là-dedans, puis parfois il y a une
demande, donc, de transmission de renseignements personnels qui accompagne ce
clic-là, mais on va directement vers un autre fournisseur. Ça fait que
j'aimerais vous entendre sur ce type de pratique.
M. Waterhouse
(Steve) : Dans votre exemple, je ne peux que… m'empêcher de penser que
lorsque ça a sorti, voilà six ans,
peut-être, c'est un consortium russophone qui était derrière l'accumulation de
cette information-là, puis on ne sait toujours pas à quelle fin qu'elle
va servir, alors que Cambridge Analytica, bien, a été un cas à partir de
dénonciations de l'interne, un cas tapant sur de la captation d'information
sans le consentement de l'utilisateur… et servi à d'autres fins.
Ça fait qu'il y en a plein, de plateformes, qu'on pourrait passer la journée à jaser,
qui en font, cette captation-là. Ça fait que, quand on amène ça dans la
cour d'un enfant, d'un jeune, puis il se fait demander un paquet de
questions : Ton papa a quel âge, ta maman a quel âge, puis, après ça, vous
vivez à quelle adresse, le jeune, il ne se posera pas de question sur
l'évaluation du risque, il va tout simplement dire... parce qu'il veut soit
accéder à un niveau supérieur ou quoi que ce
soit, et, subtilement, l'information va sortir, va percoler vers ce fournisseur
de services là, puis ça a été vu dans le passé.
Ça fait que c'est
pour ça qu'il faut avoir cette éducation-là de l'information, là, qu'est-ce que
vous... en quoi vous êtes responsable et jusqu'où ça peut aller. Il faut en
faire, des démonstrations.
Mme Cadet : Ça
fait que, dans cet exemple-là...
La Présidente (Mme
Dionne) : ...
Mme Cadet : O.K.,
merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Désolée, Mme la députée, c'est malheureusement tout le temps
que nous avons. Alors, merci infiniment, M. Waterhouse, pour votre
contribution à ces travaux.
Alors, pour ma part,
je suspends la commission quelques instants pour accueillir notre prochain
invité.
(Suspension de la séance à 11 h 14
)
(Reprise à 11 h 25)
La Présidente (Mme
Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je
souhaite la bienvenue à Mme Bonenfant et Mme Dumont. Alors, bienvenue
à cette commission. Merci pour votre contribution. Alors,
je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous faire part de votre
exposé. Par la suite, nous procéderons à une période d'échange avec les membres
de la commission. La parole est à vous.
Mmes Maude Bonenfant et Alexandra Dumont
Mme Bonenfant
(Maude) : Parfait. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci à vous
tous et toutes. On veut vous remercier beaucoup pour la mise en place de la
commission. On doit vous dire que ça faisait longtemps qu'on attendait une
telle action politique. Donc, on est vraiment très, très, très heureuses d'être
là. On a beaucoup d'idées à vous présenter. On a essayé de le cibler sur six
qu'on va vous exposer.
Je suis Maude
Bonenfant. Je suis professeure au Département de communication sociale et
publique à l'UQAM. Je suis aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada
en jeu, technologies et société. J'étudie le jeu vidéo depuis 20 ans et,
depuis une douzaine d'années, je suis aussi dans les études de la surveillance.
Donc, je comprenais bien ce que le précédent présentateur est venu vous parler.
Donc, j'ai vraiment un pied dans les aspects très positifs des technologies,
des jeux vidéo, mais aussi les aspects plus négatifs. Puis j'ai aussi une vue
d'ensemble de l'objet lui-même.
Donc, vous avez
beaucoup entendu parler des impacts. Nous, on va moins vous parler des impacts,
mais plutôt de l'objet, l'interface, comment ça fonctionne, le design, mais
aussi le système technoéconomique. Je travaille aussi avec des juristes, donc,
on commence à bien connaître les lois, et avec des informaticiens. Donc, si
vous avez des questions sur les objets…
Aujourd'hui, je suis
accompagnée d'Alexandra Dumont.
Mme Dumont
(Alexandra) : Bonjour. Je suis doctorante en communications à
l'Université du Québec à Montréal également. Je me spécialise dans les jeux
vidéo, dans l'étude des jeux vidéo, puis, plus particulièrement, dans le cadre
de ma thèse, je me concentre sur les mécaniques de hasard dans les jeux
mobiles. En parallèle à ça, je suis également codirectrice à la chaire du Canada
en jeux vidéo, technologies et société, où on a, entre autres, réalisé une
analyse sur un corpus de jeux mobiles pour enfants pour explorer, bon, les
questions de vie privée et les mécaniques qui s'y retrouvent.
Mme Bonenfant
(Maude) : Je dois dire que la chaire vient de changer de nom. Avant,
c'était la chaire de recherche sur les
données massives et les communautés de joueurs. Donc, vous voyez vraiment que
l'aspect surveillance est très important pour nous.
Donc, vous avez
entendu beaucoup de recommandations, mais il y a... des fois qui n'étaient pas
dans la même lignée, mais je pense que, tout le monde, on s'entend qu'on veut
essayer de mieux protéger les jeunes. Nous, on
croit qu'il faut vraiment agir en amont. Je pense que Dre Généreux
disait : En santé publique, si on agit à la source, on prévient
beaucoup les problèmes en aval. Donc, on est un peu dans cette direction-là
dans nos propositions. Comme je vous disais, on en aurait eu beaucoup. On a
essayé d'en choisir six qu'on considère très importantes, mais aussi réalistes
et très concrètes, et donc qui pourraient relativement facilement se mettre en
place rapidement.
Donc, la première
recommandation part d'un constat. Donc, la problématique : la
classification actuelle est autorégulée par l'industrie. Et là je vais surtout
parler des jeux vidéo. Je m'y connais moins en médias sociaux numériques. Et
donc, en gros, pour aller rapidement, présentement, c'est le ESRB qui est
l'institution, l'instance qui donne une cote sur les jeux vidéo, qui est, en
fait, issue de l'industrie. Et donc, en fait, c'est le lobby de l'industrie qui a mis en place la classification des jeux
vidéo présentement, et donc qui ont déterminé les cotes, et, bien,
jusqu'en 2018, il y avait une cote qui s'appelait «petite enfance», «early
childhood», mais elle était tellement peu apposée par l'industrie elle-même
qu'elle a été éliminée.
Et donc, aujourd'hui,
si vous regardez tous les jeux pour enfants, ils sont tous pour tous, et donc,
déjà là, ça cause un problème parce que ce n'est pas... ça ne veut pas dire que
le jeu est bon pour l'enfant. Ça veut juste dire qu'il n'y a pas de contenu
mauvais pour lui. C'est une grosse nuance qui est apportée, et, évidemment, les
jeunes… On a été très, très surpris de ça, quand on regarde des jeux pour
enfants, les conditions d'utilisation s'appliquent pour les 13 ans et
plus. Ça veut dire que, même un jeu pour un cinq ans, il est protégé comme un
13 ans et plus. Donc, présentement, nos jeunes de 12 ans et moins ne
sont pas du tout protégés comme ils le devraient en termes de collecte de
données, et ceci, légalement, puisque c'est écrit dans les conditions
d'utilisation que l'on accepte. Et donc, ça, on pourra en parler. On a beaucoup
travaillé aussi sur les conditions d'utilisation.
Parallèlement à ça,
bien, les magasins d'applications donnent leurs propres cotes. Donc l'App Store
et le Google Play Store donnent leurs
propres cotes qui, souvent, ne concordent pas pour le même jeu. Ils rajoutent
des cotes. Comme le Google Play Store
va rajouter l'«approuvé par les enseignants», qui n'est pas valable non plus.
On pourra vous le démontrer, si vous voulez. On a toutes les preuves à
l'appui. Bref, il y a beaucoup de confusion. Il y a beaucoup de mauvais
messages. On envoie des fausses informations aux parents, considérant la
sécurité du jeu, qui devrait être pour les quatre à six ans, mais qu'en fait
l'enfant n'est pas du tout protégé, puis ce n'est pas du tout adéquat pour lui.
• (11 h 30) •
Donc,
nous, ce qu'on propose, c'est vraiment une instance indépendante qui viendrait
faire de la classification, apposer des cotes sur les jeux vidéo et les
plateformes numériques, avec des experts indépendants qui viendraient vraiment
évaluer selon les stades de développement de l'enfant puis en fonction de sa protection,
exactement à l'image de la Régie du cinéma, qui est maintenant sous le
ministère des Communications et de la Culture, et donc on ferait ce travail-là.
Donc, une instance comme ça, déjà on aurait fait un gros pas pour que... donner
des informations aux parents pour prendre des bons choix.
Le deuxième problème,
c'est que — et
ça va dans le continuum — la
classification actuelle, peu importe laquelle, elle n'est basée que sur le
contenu. On ne tient pas compte des mécaniques, alors que c'est hyperimportant,
surtout quand on parle de faire faire des actions à nos enfants, ça peut avoir
un pouvoir persuasif très fort, et donc ça, ce n'est pas pris en compte.
Parfois, on va indiquer certains éléments, par exemple si on collecte la
géolocalisation, s'il y a des contacts sur
Internet, s'il y a d'autres joueurs, bon, etc. Il va y avoir certains éléments,
mais ça n'intervient pas dans la cote. Donc, ça peut être quand même une
cote pour tous, mais avec des éléments qu'on ne voudrait pas pour nos enfants.
Donc, nous, ce qu'on propose, c'est... parallèlement à l'instance indépendante,
c'est qu'on crée une cote qui tienne compte de ces éléments-là, interactifs,
qui tienne compte aussi de la collecte de données.
La cote dont je vous parlais pour petite enfance,
elle était accotée sur la COPPA, qui est la loi états-unienne de protection de la vie privée des enfants qui est
la plus restrictive. On pourrait se baser là-dessus pour dire : Bien,
pour les jeux 12 ans et moins, on
considère que ça protège les enfants comme la COPPA devrait la protéger. Donc,
il y aurait des agencements quand même relativement faciles à opérer
sans nécessairement faire une législation comme telle pour mettre en place à la
fois une instance indépendante pour apposer des cotes, à la fois des cotes qui
reflètent bien le développement, le stade de développement de l'enfant, ses
besoins de protection, et on pourrait être très granulaire dans la cote, et donc dire : Bien, six ans et
moins, il n'y a pas ça, 12 ans et moins, il n'y a pas ça, 16 ans et
moins, etc., et là on pourrait vraiment aller... pour avoir une cote à
laquelle les parents pourraient vraiment se fier.
Là, ici, je vais juste faire une petite
parenthèse. On en a peut-être peu parlé ou, du moins, on a écouté beaucoup des
personnes qui sont passées, mais c'est peut-être un élément qui est moins venu.
Présentement dans le système économique, là, juste pour faire rapidement, là,
avant, tu sais, on pouvait acheter un jeu, on jouait... qu'on joue
20 minutes ou deux heures, ça ne changeait rien. Et puis, à un moment
donné, il y a eu un passage, des transformations dans les modèles économiques,
et on est passés de ce qu'on appelle un jeu comme produit, un jeu en tant que
produit, à un jeu comme un service, et donc c'est un jeu qui dure 5, 10, 15,
20 ans, avec du contenu qui est ajouté, et les jeux gratuits.
Et ce passage-là vers ces modèles économiques
là, bien, évidemment, comme on ne paie pas à l'entrée, bien, il faut garder les
gens connectés le plus longtemps possible, les faire dépenser, etc. Et c'est ce
passage-là de ce nouveau modèle économique là qui a entraîné l'apparition d'une
grande quantité de mécaniques malveillantes par rapport au design. Et donc, là,
présentement, tout est dans... tout est dans... comme noyé. Donc, les bons jeux
vidéo sont noyés à l'intérieur des mauvais jeux vidéo. Puis les deux, hein, on
est très joueuses, on adore les jeux vidéo, donc comprenez-nous bien, là, c'est
très frustrant, même nous qui connaissons ça, d'essayer de trouver des bons
jeux dans le flot. Alors, j'imagine les
parents qui n'ont pas le temps, il faut qu'ils trouvent un jeu à télécharger
très rapidement.
Mais là, s'il y avait la cote québécoise qui
dit : Ça, pour les 12 ans et moins, il n'y a pas de problème, tu peux
le télécharger, ton enfant, il peut jouer, il est en sécurité, bien, le parent,
c'est sûr qu'il favoriserait ça, c'est sûr qu'il irait voir cette cote de
confiance là. Et là on donnerait un avantage économique aux bonnes entreprises
qui veulent faire des bons jeux parce que, dans le flot, ils seraient
facilement identifiables, les parents favoriseraient ces développeurs-là qui
ont des bons produits, et là on viendrait rétablir un peu le ballant
économique.
Parce que, présentement, ce qu'on voit, c'est
que, même les bonnes entreprises penchent vers le côté obscur, si on peut dire,
parce que l'argent est drainé là, parce que ça fonctionne d'avoir ces
mécaniques-là, addictives et de dépenses. Et donc, là, si on pouvait aider...
renvoyer... envoyer un signal clair : Mais nous, au Québec, ça, c'est des
bons jeux, on favorise les entreprises qui développent ces bons jeux-là, et là
on donne un avantage économique à nos entreprises. Et vous le savez sûrement
qu'au Québec on est une grosse plateforme de production de jeux vidéo, on a
plein de petits développeurs qui font des petits bijoux de jeux, et là ça, ça
viendrait les aider à se démarquer dans ce flot-là de jeux et, justement, ne
pas avoir besoin d'aller vers ces systèmes-là, économiques.
Je vais un petit peu plus vite. Un problème. Il
y a des stratégies malveillantes et du design... du design persuasif
malveillant qui sont utilisés. Ça, vous l'avez beaucoup entendu, je vais le
passer rapidement, mais on pourra revenir éventuellement. Problème aussi... Oh!
je ne vous ai pas dit notre solution pour ça. Ici, la recommandation, bien... Ah oui! Un encadrement législatif sur les
interfaces truquées, les incitatifs comportementaux et autres mécaniques persuasives en fonction de
l'âge, ça aussi, vous voyez, ça va avec la classification qu'on pourrait
faire. Mais là, ici, renforcer un encadrement législatif, c'est assez fou qu'on
n'ait pas encore d'interdiction d'interfaces truquées, alors qu'il y a
d'autres législations qui l'ont fait. Mais il y a aussi plusieurs stratégies,
là, pour essayer de modifier les comportements,
ce qu'on appelle en anglais des «nudges», qu'on pourrait venir identifier aussi
pour dire : C'est interdit.
Il y a une recherche qui vient de sortir,
récemment, puis c'est vraiment extrêmement choquant, il y a plus d'interfaces
truquées dans les plateformes pour enfants que pour les plateformes pour
adultes. Alors, il y a vraiment quelque chose qu'il faut faire là, il faut
agir, puis je pense que, là, il y aurait une intervention.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
madame. On peut poursuivre la discussion avec les collègues, qui ont sûrement
un tas de questions à vous poser. Alors...
Mme Bonenfant (Maude) : Oui. Je
m'excuse. Je... Ça fait des années que j'attends ce moment.
La Présidente (Mme Dionne) : Bien,
ça nous fait vraiment plaisir de vous accueillir. Puis on est tous très heureux
aussi de cette commission spéciale. Alors, on va débuter avec M. le député de
Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup à vous
deux. Merci pour votre mémoire puis merci d'avoir mis des images aussi. Pour
ceux qui ne sont pas familiers, là, avec les jeunes — moi,
le mien est rendu à 25, là — il y a beaucoup de
nouvelles technologies, des nouveaux jeux. Puis on les lit, mais on n'est pas
capables de les mettre en images. Alors, merci beaucoup d'avoir fait ça.
Deux questions très rapides. Vous mentionnez,
dans votre mémoire, le California's Age-Appropriate Design Code Act et, au
Royaume-Uni, the Children's Code... the Children's Code. Selon vous, est-ce que
ça fonctionne?
Mme Bonenfant (Maude) : Oui, ça
fonctionne.
M. Ciccone : Il y a des résultats probants, oui?
Mme
Bonenfant (Maude) : Oui. Oui, ça fonctionne. C'est sûr que... Bien,
peut-être que je vais te laisser répondre.
Mme Dumont (Alexandra) : Bien oui.
En fait, tu sais, l'objectif, surtout, c'est d'établir des guides, des conseils
aux développeurs pour dire : Voici les bonnes pratiques à réaliser, à
implanter... à implémenter dans les jeux, mais aussi de partir à la base de
Safety by Design aussi, de bien placer... comment dire, d'avoir l'intérêt de l'enfant en premier plutôt que d'avoir... Bon,
évidemment, c'est sûr que les intérêts économiques sont là, mais... Est-ce
que tu peux compléter?
Mme Bonenfant (Maude) : Oui, ça
marche. C'est sûr qu'on est dans un système qui est global, globalisé, puis
j'ai bien entendu les arguments : Comment on peut être David contre
Goliath?
Ceci étant dit, oui, mais, à un moment donné, on
ne peut pas juste rester assis puis ne rien faire. Il faut commencer à mettre
de l'avant. Puis c'est pour ça qu'avec des règles, même des lois qui sont
énoncées, bien, les bonnes entreprises, les bonnes citoyennes corporatives vont
vouloir embarquer dans le train.
Là, pour l'instant, c'est qu'il n'y a même pas
ce train-là, donc il n'y a même pas cette distinction-là. À partir du moment où on commence à mettre des
balises : Voici comment bien faire des jeux, bien faire des plateformes,
etc., si vous, bonnes entreprises, vous voulez vous conformer à ça, bien, on va
le reconnaître à travers x et y.
L'autre chose
aussi, c'est que la législation... il faut vraiment le prendre, le comprendre
en deux... dans deux volets : il y a vraiment l'énonciation de la
législation, tel qu'au Royaume-Uni et tel qu'en California... en Californie,
pardon, et il y a ensuite sa mise en application avec des poursuites
judiciaires. C'est deux choses distinctes. Et moi, je pense que, déjà,
d'énoncer une loi, déjà, de dire : Au Québec, nous, on interdit les interfaces
truquées, on interdit telle chose, on interdit telle chose, on envoie un
message, de un, aux entreprises et, de deux, à la population. Parce que la loi
aussi, c'est un moyen d'éduquer.
Là, les parents ne le savent même pas, les gens
ne le savent même pas, n'ont même pas une connaissance de ça. Donc, s'il
pouvait y avoir... Là, il y a eu un problème avec la loi n° 25,
où il faudrait en parler davantage, je suis tout à fait d'accord, mais, dans le
cas d'une législation qui viendrait encadrer les jeux vidéo, les plateformes numériques comme ça, il faudrait qu'il y ait une
campagne de sensibilisation pour dire : Voici, ça, ici, ce n'est pas
tolérable, c'est parce que... il y a des experts, la recherche le dit, c'est
mauvais pour les enfants.
Et après il y aura des poursuites. Et là il y en
a, des poursuites. On a plusieurs exemples de poursuites judiciaires,
d'entreprises qui ont cédé puis qui ont fait : Oui, on va se conformer à
ça.
• (11 h 40) •
Mme Dumont (Alexandra) : Oui. Puis
un des meilleurs exemples, c'est Fortnite, qui, aux États-Unis, ils ont reçu,
bon, une amende de 520 millions de dollars US, dont un qui est un
recours collectif où les parents pouvaient demander des remboursements en
raison des ventes d'items à offre limitée. Donc, on misait sur l'urgence pour
pouvoir favoriser les ventes.
Donc, ce n'est quand même pas anodin non plus et
une petite somme non plus, là. Fortnite, c'est un des jeux les plus populaires
auprès des enfants. Et donc ça prouve que, bon, il y a un désir d'encadrer, de
pouvoir appliquer.
M. Ciccone :
Merci. Dernière question. Moi, j'ai une marotte ici, là, puis mes collègues la
connaissent. Puis vous êtes une spécialiste dans le domaine, vous avez étudié
plus de 20 ans les jeux vidéo, là. Faux sentiment de sécurité, vous parlez
de manipulation des enfants, des effets nocifs, ciblage publicitaire,
microtransactions, risque de crise... d'une
crise de santé publique en ce qui concerne le risque de développer une
dépendance, vous parlez surtout sur les jeux compulsifs. Êtes-vous
d'accord, vous, avec l'implantation des... programme de jeux vidéo dans les
écoles, dans nos écoles du Québec?
Mme Bonenfant (Maude) : Alors, vous
allez être surpris, mais oui.
M. Ciccone : Ah
oui?
Mme Bonenfant
(Maude) : Oui, puis je vais vous expliquer pourquoi. C'est que, là, on
vous parle des effets négatifs, on vous parle du côté négatif des jeux vidéo,
mais les jeux vidéo ont énormément de côtés positifs. Et, moi, c'est ça, quand
j'ai commencé, au début des années 2000, c'étaient les jeux en ligne, et je
voyais la socialisation, la communication, l'entraide, le développement de
compétences, même l'empathie, le partage, etc., et là je pourrais vous
passer... l'apprentissage, il y a plein d'avantages là-dessus. Il y a plein
d'avantages aussi pour des populations pour qui la socialisation en face à face
ou pour une raison ou une autre peut être plus difficile : les personnes neurodivergentes, les personnes en situation de
handicap, les personnes en région éloignée, les personnes LGBTQ+, etc. Et donc toutes ces personnes-là retrouvent une communauté au
sein des jeux. Ils partagent une passion et ils développent aussi une confiance
en eux.
Et là je vais vous
faire une petite image que je fais souvent. Imaginez... on va prendre l'ado de
14 ans qui, lui, aime beaucoup les jeux vidéo et, à l'école, il peut en
parler un peu avec ses amis proches, etc. Et là il joue, il joue, il joue, puis évidemment papa, maman :
Déconnecte-toi, il faut que tu viennes souper, tu joues trop, c'est
tannant. Et là l'enfant, dès qu'il se déconnecte de son jeu, on lui tape sur la
tête puis on dit : Tu joues trop, tu ne fais pas ça. Puis il n'est pas
très bon à l'école, et tout ça, mais lui, il se valorise dans le jeu, lui, il
aime ça, lui, il est reconnu, il se connecte puis il a un sentiment
d'appartenance, il prend de la confiance en lui, et ça, c'est extrêmement
important, surtout à l'adolescence, où on veut construire son identité à
travers ces dynamiques-là.
Mais imaginez si, à
chaque fois, il n'est pas reconnu par ses parents, il n'est pas valorisé, il
n'est pas... et donc c'est son identité elle-même qui l'est. Et donc, à un
moment donné, tu sais, c'est l'oeuf ou la poule. Est-ce que le jeu vidéo est le
problème ou est-ce qu'à un moment donné on crée le problème parce qu'on a une
vision, disons, péjorative de l'activité?
Ceci étant dit...
Puis là, vous le savez, il y a des mécaniques qui sont extrêmement mauvaises,
il faut les enlever, mais il y a des très, très bons jeux aussi où il n'y a pas
ce genre de mécaniques là. Si l'enfant, vraiment, il est à l'adolescence puis
il commence à être... Je vais reprendre les mots de ma collègue Dufour, Magali
Dufour, qui disait : Il y avait les verts, les jaunes et les rouges. Donc,
les rouges sont pris par le système, les verts, tout va bien, mais c'est les
jaunes qui ont besoin de e-sport à l'école. C'est les jaunes qu'on amène, qui
sont sur le bord de vouloir trop jouer puis risquer l'école, on les amène dans
un programme encadré. E-sport-études, là, c'est un privilège. Il faut que tes
notes aillent bien, il faut que tu fasses de l'exercice physique, il faut que
tu apprennes les bonnes habitudes de vie, c'est une affaire d'équipe, etc. Et
donc on l'encadre comme ça, et là on se rend compte des bienfaits : il apprend à s'autoréguler lui-même, non pas à se faire
cogner sur la tête par papa, maman, mais à, lui-même, dire : Bien
là, j'ai assez joué et je vais aller faire autre chose.
Puis un dernier
point... Ça fait longtemps que je veux vous parler, hein?
M.
Ciccone : Vous auriez pu m'appeler, hein? Je veux dire, il n'y
a pas de problème. Oui, oui.
Mme Bonenfant
(Maude) : Mais juste un dernier point. Dans des recherches qu'on fait,
parce que je viens de mener... au sortir de la pandémie, moi, j'ai trouvé ça
magnifique parce que, le jour 1 de... quand le Québec s'est fermé, les
communautés de joueurs et joueuses étaient déjà en train de s'organiser pour
sortir de l'isolement, organisaient des activités, prenaient des 5 à 7, etc.
Déjà, les communautés de joueurs étaient superorganisées pour s'assurer que
tout le monde était correct, et ils ont commencé à se faire du soutien social
entre eux. Ils ont commencé à se faire des petits organismes, à faire des
gardiens virtuels. La Fondation des gardiens virtuels émerge de ça, et c'est vraiment... Et nous, on a fait une grosse
recherche, c'est avec une autre équipe de recherche, là, une grosse
recherche sur le soutien social et la pair-aidance dans les communautés de
joueurs et joueuses, et c'est magnifique, qu'est-ce qui se passe là. Et c'est ça qu'il faut valoriser. Puis, s'il y a des
programmes de e-sport-études très fixes, non seulement on valorise
l'enfant, on le reconnaît dans sa passion, mais en plus on lui apprend à
grandir avec les jeux vidéo.
M. Ciccone :
Merci. On a deux visions, l'INSPQ et la vôtre. Merci beaucoup. On va se faire
une tête. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. le député
de Jonquière.
M. Gagnon :
Bonjour. Je n'ai pas d'expertise comme vous. Je débute avec une question, là,
plus technique d'un groupe de citoyens, particulièrement chez nous. Il y a
quand même tout un marché, là, du jeu vidéo usagé... des spécialités. Les gens
dans mon coin me demandaient : Quand un jeune va échanger un jeu ou va se
procurer un jeu vidéo usagé, est-ce qu'il y
a des traces du joueur précédent, si c'est un adulte, si c'est... s'il a acheté
du matériel? Est-ce qu'on est capables d'aller rechercher...
Je vous donne
l'exemple, si c'est un jeune de neuf ans qui achète un jeu vidéo, que la
personne était adulte ou un grand consommateur, est-ce qu'il va y avoir des
traces du précédent?
Mme Bonenfant
(Maude) : Bien, ça dépend, ça dépend quel jeu vous... On est aux
cartouches, ou on est aux CDs, on est aux... Tu sais, c'est ça, c'est que ça
dépend quelle est la plateforme.
Mais normalement non,
il n'y a pas... Il peut y avoir les parties enregistrées, mais là on parle
d'anciennes technologies. Si on opère de la surveillance, là, je pense que la
personne précédente avait... là il y a une collecte massive de données,
particulièrement les jeux mobiles. Donc, si on a à s'inquiéter de tracer
l'enfant, c'est vraiment... Les jeux mobiles
sont vraiment un cheval de Troie pour rentrer sur les appareils puis collecter
une quantité astronomique de données. Et ce n'est pas juste le
développeur, hein? Quand on installe, c'est tous les tiers qui viennent
s'installer. Et là, avant la loi n° 25, on ne
savait pas combien il y en avait. Ça, c'est merveilleux de la loi, maintenant,
on commence à savoir. Et certains... à certains sites Web, on monte jusqu'à
800, 800 tiers qui se connectent en même temps. Donc là, là, les... si,
vraiment, on veut se soucier de la vie privée, là, il faut agir vraiment sur
les applications mobiles parce que c'est là qu'il y a vraiment beaucoup de
collecte de données qui est faite sur les enfants.
M. Gagnon : Très intéressant. Puis
la question plus en lien avec moi plus personnellement, je veux vous parler de
certification. Tout à l'heure, là, c'était quand même flagrant, là, vous le
mentionnez haut et fort, là, il n'y a aucune protection
pour les jeunes d'en bas de 12 ans. Puis, bon, on a en place quelques...
certifications, pardon, Les Produits du Québec, qu'est-ce qu'une certification
biologique, puis vous dites qu'au niveau des jeux vidéo on n'a pas de
certification qui vient sécuriser le parent. En plus de ça, on vient faire
accroire qu'il y a un consortium de professeurs qui vient mettre son étampe
pour dire : Ça, c'est vraiment bien fait. Ça fait que...
Mme Bonenfant (Maude) : Oui. Là, ça,
je n'ai pas eu le temps de me rendre là, mais il y a ce que, nous, en
recherche, on appelle la «gamblification» du numérique, et donc il y a de plus
en plus de phénomènes de gambling, mais des phénomènes qui se déclinent, et
donc cette «gamblification-là» du Web... Excusez, j'ai oublié votre question.
M. Gagnon : Au niveau de la
certification, on n'a rien puis en plus on utilise les enseignants.
Mme
Bonenfant (Maude) : Oui, c'est ça. Oui, c'est ça. Et donc nous, on a
essayé de voir un petit peu : Est-ce qu'effectivement il y avait
une «gamblification» des jeux pour enfants? Et, oui, il y en a, et en plus il y
en avait dans les jeux recommandés par les enseignants. On a vu des mécaniques
de gambling dans des jeux recommandés par des enseignants. Et donc à quoi peut
se fier le parent?
Mme Dumont (Alexandra) : Dans le
fond, le... c'est ça, le système de... approuvé par les enseignants, c'est une initiative un peu d'autorégulation de Google,
en fait, qui vise à essayer de mettre de l'avant les bons produits. Il y
en a qui sont... qui sont très bons dans les jeux qui sont présentés, sauf que,
quand on essaie de chercher l'information sur qui sont ces enseignants qui
testent les jeux, on ne trouve pas l'information.
Puis aussi, du côté des développeurs, quand ils
reçoivent une analyse d'un jeu qui ne convient pas à la politique de Google,
les... ce qui ressort, c'est que les développeurs ne savent pas pourquoi
leur... tu sais, leur jeu a été refusé, et leur solution est de... juste de monter
l'âge qui... à qui leur produit est destiné. Donc, il y a une faille dans cette
tentative d'autorégulation, par exemple, de Google qui mène à, justement, de la
confusion, qui augmente la confusion auprès des parents.
M. Gagnon : Merci.
La
Présidente (Mme Dionne) : Oui, merci beaucoup, M. le député. M. le
député de Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : Merci, Mme la Présidente.
Bonjour à vous deux. Ma question est assez simple, dans le fond. On se questionne beaucoup sur la manière dont on
pourrait intervenir autant sur les réseaux sociaux, mais éventuellement
aussi sur les jeux vidéo. Puis on dirait qu'on a toujours une espèce de réflexe
qui dit : Oui, mais c'est tellement des gros joueurs, un peu comme quand
on a un débat sur les taxations des riches ou des grosses entreprises :
Ah! c'est des gros, tu sais, ça ne marchera pas, ça ne marchera pas.
Est-ce que ça... Est-ce que ça peut fonctionner
si on décide de serrer la vis, puis de réguler, puis de faire le ménage, en bon
québécois, de l'industrie du jeu vidéo? Ça peut faire... ça peut fonctionner?
• (11 h 50) •
Mme
Bonenfant (Maude) : Oui, ça peut, parce que, si on... si, vraiment, on
leur donne un avantage économique de le faire. Moi, je pense qu'on est
beaucoup de parents... puis je travaille avec des équipes dans le Canada
anglais, en Europe, en Australie, au Brésil, sur la planète en entier, on est
tous dans la même affaire, là, et les parents de la planète cherchent des
mentions auxquelles ils peuvent... en quelles ils peuvent avoir confiance. Il y
a en Australie où ils font du bon travail, etc., mais c'est sûr que le parent
québécois n'a peut-être pas la... le réflexe d'aller sur une plateforme australienne,
là, mais ça se fait très peu. Et tout le monde, on est avec ça, on veut être
capables de reconnaître les bons jeux pour nos enfants. Et c'est en ça que ça
donne un avantage. Si on fait ça, c'est que, là, on a un... il y a un avantage
économique aux bonnes entreprises. Celles qui veulent s'y conformer vont avoir
cet avantage-là. Je suis aussi relativement près des entreprises de jeux vidéo,
donc je comprends comment ça fonctionne, et je vois des bonnes entreprises qui
s'en vont vers ces types de monétisation là parce que tout l'argent est là,
puis c'est comme ça que ça fonctionne. Il n'y a aucun incitatif.
Donc, il faut... C'est sûr qu'on ne fera
probablement jamais autant d'argent que ces stratégies-là, qui sont des
stratégies de gambling, là, on est en train de créer des dépendants dès la
petite enfance avec ça, mais les entreprises qui sont écoeurées puis qui ne
veulent pas faire ça, bien, ils veulent faire autre chose, mais là il faut
qu'on leur appose un avantage en disant : Là, si tu fais ça, les
consommateurs et les consommatrices vont aller vers tes produits.
M. Leduc : J'ai l'impression qu'on
parle de deux choses : d'une part, tu sais, les... la demande des parents
de jeux de qualité, qui est une chose, le marché s'autorégulerait par la
demande de parents conscientisés, puis l'autre où est-ce qu'on dit : Non, non, on va passer des lois, des règlements
pour interdire, donc, par exemple, les microtransactions.
Mme Dumont (Alexandra) : Dans le
fond, on a déjà des exemples qui existent, là, avec... si on pense à la
Belgique. Ils ne sont pas... Ils ne sont pas tant plus que nous, là. Je veux
dire, c'est quand même un petit marché, là, quand on y pense, au niveau de
l'industrie, vraiment, ils parlent français, ils parlent néerlandais. Ce n'est
pas... Ce n'est pas l'anglais, par exemple, qui est la langue première de...
quand on pense aux jeux vidéo, et ils ont quand même réussi à empêcher la vente
de «loot boxes». Donc, les jeux ont... les compagnies n'ont pas eu le choix de
se plier. Par exemple, même FIFA, là, qui est un des jeux
les plus populaires, les plus aussi cités, quand on pense... de mécaniques
persuasives très flagrantes, là, au niveau du hasard, bien, ils n'ont pas le
choix, et Electronic Arts n'a pas le choix de retirer ces options-là dans ses
jeux. Donc, c'est déjà comme un très bon exemple que je pense que c'est
possible, même si on est un petit marché, d'avoir un effet sur l'industrie puis
d'au moins promouvoir des jeux avec des valeurs qu'on a au Québec, là.
Mme Bonenfant (Maude) : Là, il y a
deux choses. Il y aurait une certification, une cote, des cotes, une
classification qui n'est pas législative, tu sais. Ça, on peut apposer la cote,
puis ça... c'est à des experts de déterminer, indépendants : C'est-tu pour
les 13 ans? C'est-tu... Tu sais, ça, c'est une chose.
Puis il peut y avoir une loi, puis la loi, elle
peut être très précise, hein? Et donc... Parce qu'on entendait aussi parler...
Il y a beaucoup de confusion entre les coffres à butin, les «loot boxes», les
microtransactions, même dans la commission, là. L'idée, là, les «loot boxes»,
ce n'est pas mauvais en soi. Un «loot box»... Moi, ça fait une heure que je
joue, je suis en équipe, on est dans une mission, on va dans un donjon, on
réussit le boss final puis on a un «loot box», on l'ouvre, ce n'est pas grave,
c'est une récompense qu'on... Le problème, c'est quand j'achète des «loot
boxes» dans les boutiques. Donc là, tu sais, ce n'est pas d'interdire les «loot
boxes», c'est d'interdire la vente de «loot boxes», ce que la Belgique a fait,
et Fortnite a reculé.
La même chose avec les microtransactions. Les
microtransactions en soi, ce n'est pas mal, c'est les stratégies qui sont mises
en arrière pour pousser les microtransactions. Donc, par exemple, si on
obligeait à ce que les boutiques en jeux pour les 16 ans et moins — je
dis n'importe quoi, là — mais
qu'il n'y ait pas d'items rotatifs et que ça... il n'y ait pas d'items
différés... Ça, ça veut dire que, si vous, vous jouez, moi, je joue, on ne voit
pas les mêmes items parce qu'on a fait du ciblage sur vous, on a fait du
ciblage sur moi pour pousser à la consommation. Bien là, si on interdit les
boutiques avec des items différés selon vous et moi, des boutiques avec des
items rotatifs, des boutiques avec du vrai argent et de l'argent en jeu... Là,
ça, c'est toutes des stratégies pour augmenter les ventes. Mais ce n'est pas la boutique, ce n'est ni la
microtransaction qui est le problème, c'est les stratégies qu'on a mises en
place.
Donc là, ça
ne serait pas de dire aux entreprises de jeux vidéo : Vous n'avez plus le
droit de microtransactions, ce n'est pas du tout ça. Vous n'avez plus le
droit de mettre de la pression par des stratégies de design pour pousser de
manière malveillante à la consommation dans les jeux pour 17 ans et moins,
par exemple.
M. Leduc : Vous parlez de la
Belgique. Est-ce que ça fait longtemps que c'est appliqué? Est-ce qu'on a assez
de recul pour constater que c'est applicable et surtout que ça a des effets
positifs?
Mme Bonenfant (Maude) : Oui.
M. Leduc : Il y a des études
là-dessus puis... O.K.
Mme Bonenfant (Maude) : Oui, il y
a... Oui.
Mme Dumont (Alexandra) : J'ai un...
j'ai oublié son nom, mais on a des collègues en Belgique qui ont fait plusieurs
études. C'est quoi, le nom du lab?
Mme Bonenfant (Maude) :
Gam(e)(a)ble.
Mme Dumont (Alexandra) :
Gam(e)(a)ble, qui ont fait... justement, qui ont... ils ont regardé les
stratégies de détournement de ces... de cette loi-là, mais aussi quel effet ça
avait vraiment auprès des joueurs. Puis, tu sais, souvent, ce qu'ils notent,
c'est que, bien, c'est des efforts, puis les gens, ils ne font pas
nécessairement les efforts pour détourner les règles, et ça a... ça a un effet
sur... c'est appliqué, c'est respecté.
Mme Bonenfant (Maude) : Sauf que
cette même équipe-là voit des phénomènes de «gamblification», voit des
problèmes, là, chez les 15-17 ans, surtout avec tous les phénomènes
récents de gambling qui ne sont pas considérés par la loi, et donc qui ont
cours et qui devraient être inclus.
C'est pour ça que ça, c'était une de nos
recommandations, parce que, là, eux, ils voient les cohortes qui suivent, ils
ont fait des études longitudinales, et... entre autres, par exemple, des
instavidéastes qui font la promotion du gambling ou... bon, tout ça, tous ces
phénomènes-là qu'ils prennent dans l'ensemble. Et donc c'est pour ça que, nous, une de nos recommandations, c'est d'élargir
la définition des jeux de hasard et d'argent pour l'inclure puis
moderniser la loi sur les loteries pour que ça devienne illégal. Après, on
viendra appliquer la loi puis faire des poursuites, mais d'abord il faudrait
que ça soit illégal. Puis, en le rendant illégal, il faut informer les jeunes.
Ils ne le savent même pas, que c'est du gambling. Les petits poux, là, qui
jouent avec des roulettes, là, les roues de fortune... tu n'as pas eu le cadeau
que tu veux, regarde une publicité, tu n'as pas eu le cadeau que tu veux,
regarde une publicité, lui, entre cette mécanique-là, absolument nocive, puis
une autre mécanique de jeu où il doit aller chercher le petit chat dans la...
dans la pièce, bien, c'est pareil. Il n'y a aucun signe qu'on lui envoie pour dire
que c'est nocif. Donc l'enfant grandit avec ça. Il ne sera pas capable de
discriminer. Donc là, il faut vraiment que, déjà dans la loi, on dit :
Non, ça, c'est interdit, qu'on envoie un message.
C'est pour ça que je
parle aussi d'élargir le mandat de Loto-Québec pour inclure les 17 ans et
moins, pour qu'on prenne compte de ces jeunes-là qui s'en viennent, parce que
l'exposition à des jeux de hasard et d'argent en âge
mineur augmente beaucoup les risques de développer une dépendance à l'âge
adulte. Et là c'est majeur, ce qui s'en vient. C'est une très grave crise de
santé publique si on n'agit pas. Donc, premièrement, déjà, rendre ça illégal,
ça fait partie des...
Tu sais, la loi, elle
est là. On n'a même pas encore à modifier. Tu sais, c'est pour ça, on a essayé
de faire des recommandations où il y a une législation, oui, sur le gambling,
mais sinon il y a des éléments qu'on pourrait déjà relativement facilement
passer pour envoyer un message clair : Au Québec, on ne tolère pas ça, on
protège nos enfants. Puis, parents, sachez que la roue de fortune qu'ils vont
tourner dans le jeu est illégale.
M. Leduc : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci. M. le député de Gaspé.
M.
Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Merci, mesdames, d'être ici
aujourd'hui avec un propos éclairant. J'aimerais revenir sur ce que vous
qualifiez, là, d'interface truquée dans les jeux. Si j'ai bien compris, et
corrigez-moi si je me trompe, vous dites qu'il y a plus d'interfaces truquées
que d'interfaces réelles, disons ça comme ça. Du point de vue législatif, je
comprends que vous êtes... Dans le fond, on ne devrait pas voir, rendre
accessible ce type de conception au niveau des usages. Comment on s'assure, du
point de vue du législateur, qu'on arrive à cette fin-là? Comment on deale avec
ça, là, concrètement, là, par rapport à nos objectifs, qui est de contrer les
impacts négatifs de l'usage, dans le cas qui nous occupe, chez les enfants?
Comment voyez-vous cette articulation-là au niveau de nos mesures potentielles?
Mme Bonenfant (Maude) : Mais ça a déjà été
formulé, entre autres, en Union
européenne. Donc, c'est déjà
là. Puis il y a d'autres législations aussi,
on en a relevé quelques-unes, qui ont enchâssé les interfaces truquées, les
«dark» ou «deceptive patterns», dans la loi
puis en inscrivant des énoncés généraux qui est basé sur le fait de tromper la
personne.
En fait, c'est quand
on offre, par exemple, deux choix qui ne sont pas représentés de manière équitable,
équivalente, bien là on trompe quand on favorise visuellement un. Il y a une
volonté de tromper. Il y a une volonté d'envoyer la personne sur... Donc, ça,
ça, c'est énonçable dans une loi. Plusieurs juridictions l'ont déjà fait. Et
donc ce n'est pas d'aller pointer chaque actualisation du «dark pattern» comme
tel, mais d'arriver avec certaines... certains énoncés comme ça qui permettent
de rendre illégal le fait de tromper volontairement une personne quand elle
navigue, ou un enfant quand il est dans une boutique en jeu, ou, bon, etc.
M.
Sainte-Croix : Donc, ça existe.
Mme Bonenfant
(Maude) : Oui.
M.
Sainte-Croix : C'est connu, ça a fait ses preuves, de ce que je
comprends. Ça peut représenter quoi comme... En termes de volume, là,
concrètement, dans une année, pour des jeunes Québécois et Québécoises, là,
c'est quoi, cette offre-là, concrètement, qui peut se présenter sur un marché?
• (12 heures) •
Mme Bonenfant
(Maude) : Je ne suis pas sûre de vous comprendre. Des «dark patterns»,
là, il y a ça sur un site Web, il y a ça dans des boutiques de jeu, il y a ça
sur TikTok, il y a ça... c'est...
M. Sainte-Croix :
Je reformule.
Mme Bonenfant
(Maude) : Oui, c'est ça.
M.
Sainte-Croix : Un jeune, dépendamment de son âge, comment il peut être
exposé, au niveau d'une journée régulière, là, ordinaire, là? À quelle
fréquence ça peut arriver, ça, dans son écran, là, ce type de... C'est
dépendamment de ses sujets d'intérêt? Dépendamment de...
Mme Bonenfant
(Maude) : Bien, c'est dépendamment des plateformes sur lesquelles...
M.
Sainte-Croix : Ça va être ça.
Mme Bonenfant
(Maude) : Oui.
M. Sainte-Croix :
O.K. Je saisis. C'est beau. Merci.
Mme Dumont
(Alexandra) : Je ne sais pas si je peux juste donner un exemple, là.
Une des recherches qui a été faite, ça a été par l'Office de la protection du
consommateur au Canada, et, sur les 146 sites Web, tout public testé,
c'est 99 % des sites Web qui avaient des interfaces truquées. Puis, au
niveau des enfants, dans les applications pour enfants, ce qu'ils ont remarqué,
c'est le... c'était deux tiers plus présent.
M. Sainte-Croix : Donc, on s'entend
pour dire que c'est une exposition quasi assurée à partir du moment où le jeune
a accès à ce type de contenus. Merci.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup. Alors, Mme la députée de
Hull.
Mme
Tremblay : Oui. Alors, bonjour. Moi, ma question, au niveau de la
classification, je reviens sur la classification, là, qui est intéressante,
là : Comment, à partir du moment où tu crées, là, cet organisme-là de
classification, là, mais il en sort des milliers, là, donc comment, là où ça a
été créé, il fonctionne? Parce que c'est presque impossible de tout classifier
ce qui sort sur le marché. Donc, comment ça fonctionne... ceux qui ont mis ça en place, donc ce type de classification là? Parce
que, vous le savez, des petites applications, il en sort à tous les
jours, là. Puis mes filles m'envoient :
Acceptes-tu ça? Acceptes-tu ça? Puis là tu es là à distance puis tu ne sais pas
trop, oui, non, là, parce qu'il en
sort beaucoup. Alors, je veux savoir est-ce qu'ils arrivent, comment ils font,
comment ça fonctionne.
Mme Bonenfant
(Maude) : Non, là, ce n'est pas possible. Même l'industrie n'est pas
capable, ils sont en train d'automatiser. C'est semi-automatisé présentement,
la classification des jeux, justement, à cause des jeux mobiles. Et là on n'a
pas parlé d'intelligence artificielle, là, mais, avec l'intelligence
artificielle générative, vous allez voir le flot de jeux mobiles déferler. Donc
là, si on n'encadre pas avant ça, là, il va y avoir vraiment des problèmes
parce que ça va se démultiplier.
L'idée avec
l'instance indépendante, ce n'est pas de venir apposer une cote à tous les
jeux, c'est de venir sélectionner des jeux sur lesquels on appose une cote et
que ça soit ceux-là qui soient mis, si on veut, sur un piédestal. Et tous les
autres qui sortent à... aux cinq minutes, ils n'ont a pas de cote, et donc ça
sera aux parents, en informant, de voir : O.K., non, il n'est pas... il
n'a pas été évalué par l'instance québécoise, tu ne télécharges pas ce jeu-là.
Et donc ça va être d'aller cibler. Et là les entreprises, par exemple,
pourraient soumettre leurs jeux à l'instance de classification, et là on
commencerait à construire une banque de données comme ça, de jeux, et, pourquoi
pas, qu'elle soit utilisée plus largement dans d'autres juridictions.
Mme
Tremblay : Dans le fond, ça serait de dire aux parents : Voici la
banque de jeux. Puis que le parent dit à ses enfants : Mais tes jeux, tu
vas les choisir à partir de cette banque-là.
Mme Bonenfant
(Maude) : Bien, un peu comme quand on écoutait les petits bonhommes
quand on était jeune, hein? Tu sais, c'est : Tu peux écouter les bonhommes
de telle l'heure à telle heure, c'est ceux-là qui passent à la télé, puis
c'est... C'est ça, il y avait un contrôle, il y avait... Tu sais, ce n'était
pas la démultiplication. On avait un certain choix, mais on était sûr,
c'étaient des bons choix, validés par des adultes, par... bon, etc. Donc, c'est
un petit peu le même principe, c'est dire : On se fait une banque, une
base de données de bons jeux avec une certification, une cote reconnue, et les
adultes peuvent se fier à ces cotes-là pour encadrer leurs enfants sans
connaissance des jeux vidéo. Parce que, tu
sais, moi, c'est simple, je connais bien ça, je sais discriminer : Ça, ce
n'est pas bon. Mais les parents qui ne s'y connaissent pas, ce n'est pas
de la mauvaise volonté, tout est sur le même plan. J'ai donné l'exemple de
l'enfant, mais pour le parent aussi, les mécaniques sont toutes égales.
Mme
Tremblay : J'ai une question en lien avec ça. Si... mais là je cherche
comment bien poser ma question, parce qu'à partir du moment... Tu sais, dans
toute la mécanique qu'ils mettent en place, l'industrie, là, il y a un objectif de passer certaines publicités, de faire
de l'argent, il y a tout le temps quelque chose d'économique là-dedans.
Ça fait qu'est-ce qu'on retrouverait,
j'espère que vous allez comprendre ma question, mais, en cette
classification-là, probablement des jeux qui sont probablement plus
payants? Parce que... puis moins gratuits? Parce que l'objectif du jeu gratuit, il y a quelque chose, à un moment
donné, il veut rentabiliser quelque chose, là, O.K.? Alors, on le
trouverait probablement dans cette classification-là, fort probablement, puis
peut-être à faible coût parfois, mais des jeux qui seraient probablement plus payants dans cette classification-là, est-ce
que ça se pourrait, là? Est-ce que je me trompe?
Mme Bonenfant
(Maude) : Absolument. Absolument. C'est sûr que les jeux gratuits,
bien, il faut qu'ils rentabilisent, donc, tu sais, c'est ça. À moins qu'il y
ait des institutions sociales, par exemple Télé-Québec, vous leur donnez le
mandat de faire un jeu vidéo, ils en ont fait un avec Passe-Partout, par
exemple, là, une plateforme mobile. Donc là, oui, c'est gratuit, mais là ça a
été validé par une instance indépendante. Mais, sinon, les jeux gratuits, il
faut qu'ils aillent faire leur argent quelque part, et c'est là que toutes les
mécaniques malveillantes embarquent. Et donc...
Mais, si on sort de
ce modèle économique là avec des jeux vendus, bien là il y a d'excellents jeux,
des jeux où je laisserais mes enfants sans problème jouer à ces jeux-là. Et
donc, oui, à ce moment-là, mais il y aurait cette... probablement que cette
classification-là, cette cote-là favoriserait ces types de jeux là, mais il y a
des jeux qui ne sont pas si chers que ça et il y aurait éventuellement des....
Tu sais, on subventionne beaucoup l'industrie. Est-ce que, là, il y aurait
quelque chose à faire, de subventionner du côté de jeux comme ça qui rentreraient
dans notre classification? Là, ça, ce n'est pas mon expertise du tout, mais
c'est des avenues. Nous, ce qu'on voulait faire comprendre, c'est que, là, il
faut qu'on... il faut agir sur le plan économique parce qu'on sait que c'est là
que ça va bouger, mais il faut donner un avantage économique aux bonnes
entreprises.
Mme
Tremblay : Mais ça viendrait rassurer les parents qui diraient :
Mais je paie un petit peu, mais au moins, tu
sais, je n'embarque pas mon enfant dans des habitudes qui ne sont pas saines
puis qui peuvent l'amener, tu sais...
Mme Bonenfant
(Maude) : Au jeu compulsif.
Mme
Tremblay : ...au jeu compulsif. Puis c'est ce qu'on ne souhaite pas
comme parent. Il n'y a pas un parent qui souhaite ça.
En terminant, moi,
j'aimerais ça savoir pourquoi vous avez ciblé Loto-Québec. Votre... Vous n'en
avez pas parlé beaucoup, là, mais, tu sais, élargissement du mandat de Loto-Québec,
parce qu'ils ne sont pas spécialisés du tout, là, dans l'enfance, dans en bas
de 18 ans. Donc, en terminant, pourquoi Loto-Québec?
Mme Bonenfant
(Maude) : Bien, parce qu'il y a du gambling présentement chez nos
jeunes. Donc, moi, comme chercheuse, on trouve ça dans les jeux, on le voit et
on voit une «gamblification». Bien, qui je contacte? Loto-Québec. Il faut faire
quelque chose, mais j'ai bien compris, ce n'est pas dans leur mandat, mais
c'est incroyable, parce que ces jeunes-là, ces enfants-là, vont grandir, ils
vont être adultes, et il y a plus de risques de jeu compulsif. Donc, il faut
qu'on agisse. Pas à partir de 18 ans, il faut qu'on agisse avant, il faut
qu'on agisse présentement puis qu'on informe. Puis les phénomènes de
«gamblification» sont relativement récents. Donc, c'est peut-être là où ça peut
encore bouger du côté de cette instance-là, mais c'est une instance
gouvernementale, une société d'État, il me semble qu'elle pourrait avoir le
mandat de mieux protéger les 17 ans et moins face à la «gamblification» du
numérique.
Mme
Tremblay : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci, Mme la députée. Est-ce qu'il y a d'autres
interventions? Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Je ne pensais pas avoir le temps de revenir
pour terminer avec vous. Merci beaucoup. J'ai peut-être manqué, donc, une
partie des échanges. Mais en fait je vous poserais la même question que j'ai
posée, donc, à l'interlocuteur précédent sur la majorité numérique et ce que ça
implique au niveau de la gestion des données personnelles des mineurs, si vous
avez une opinion là-dessus. Vous disiez être familière avec le sujet aussi.
Mme Bonenfant
(Maude) : Bien, d'abord, l'intitulé «majorité numérique» n'est pas
bon. On s'entend, là, ça porte à confusion. «Majorité» et ensuite «numérique»,
de quoi on parle exactement? Donc, moi, de ce que je comprends, de ce que, par
exemple, la France a mis de l'avant, c'est une interdiction d'accès à certains
médias sociaux numériques. Là, on vient déjà de...
Mme Cadet :
...
Mme Bonenfant
(Maude) : Oui, c'est ça, ce n'est pas la majorité numérique, c'est
l'interdiction d'accès à certains médias sociaux numériques, donc, et ces
médias-là sont déjà à 13 ans et plus. Donc là, si on veut être cohérents,
bien, il faudrait aller au-delà. Mais 14 ans, on a une majorité, une
autonomie, là, pour les soins médicaux, travail. Donc, est-ce que, là, on
mettrait au-delà de 14 ans la majorité numérique, alors qu'à 14 ans
l'enfant peut aller consulter un médecin?
Mme Cadet :
Au droit de consentir aux soins.
Mme Bonenfant (Maude) : Oui, c'est ça. Donc, tu sais, il faut qu'il y ait
une certaine cohérence de ce côté-là. Parallèlement à ça, bon, comme je
disais, c'est beaucoup plus les jeux vidéo, et donc, si on ne considère pas,
dans le numérique, les jeux vidéo, donc on est vraiment sur les médias sociaux
numériques, mais, dans les jeux vidéo, une classification
avec des réelles cotes serait une forme de majorité numérique : Avant
12 ans, tu n'as pas accès à ce jeu-là.
Mme Cadet :
À ce jeu-là, mais est-ce que vous diriez, par exemple, «pour les tout-petits»?
Parce que vous parliez de la classification, dès le départ, que le milieu a
enlevé. Est-ce qu'on mettrait une interdiction tout simplement pour les
tout-petits pour ce qui est donc de ces jeux-là ou vous diriez tout
simplement : Classification même pour ces jeux-là?
Mme Bonenfant
(Maude) : Ah oui, mais il y a d'excellents jeux pour les trois à cinq
ans, des jeux vidéo des trois à cinq ans, des excellents jeux adaptés à leur
développement, à leur stade de développement. Et là il faut bien me comprendre,
je digresse un peu de votre question, mais je pense que c'est important, tu
sais, on a parlé beaucoup du temps d'écran, puis je pense que tout le monde
s'entend que ce n'est pas juste une question de temps d'écran...
La Présidente (Mme
Dionne) : Mme Bonenfant, on va devoir mettre fin à la
conversation. Alors, nous sommes 12 h 10, alors désolée.
Alors, la commission
spéciale suspend ses travaux jusqu'après les avis des travaux de commission, vers
15 h 15. Alors, un énorme merci pour votre contribution à ces
travaux. Bon dîner, tout le monde.
(Suspension de la séance à
12 h 10)
(Reprise à 15 h 17)
La Présidente (Mme Dionne) : Alors,
bonjour, bon après-midi à tous. La commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur le
développement des jeunes reprend ses travaux. Donc, nous poursuivons les
consultations particulières et les auditions publiques sur les impacts des
écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes.
Donc, cet après-midi, nous entendrons les
témoins suivants : Action Toxicomanie, le Bureau des affaires de la jeunesse, Mme Marie-Pier Jolicoeur,
doctorante en Faculté de droit à l'Université
Laval, Mme Julie Miville-Deschênes,
sénatrice indépendante du Québec, et finalement le Centre québécois d'éducation
aux médias et à l'information.
Donc, sans plus tarder, je souhaite la bienvenue
aux représentants d'Action Toxicomanie. Donc, peut-être vous présenter,
d'entrée de jeu. Et je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous
transmettre votre exposé, suite à cela nous
procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors,
la parole est à vous.
Action Toxicomanie
Mme Poisson (Émilie) : Merci, Mme la
Présidente, membres de la commission. Je me présente, Émilie Poisson, je suis
directrice générale chez Action Toxicomanie. Je vous présente ma collègue,
Audrey-Ann Lecours, qui est coordonnatrice clinique chez Action Tox et
responsable de notre volet prévention.
La tâche qui vous a été confiée représente
certainement un défi colossal. Mais c'est essentiel, le travail que vous ferez
jusqu'au dépôt du rapport, pour l'avenir de nos jeunes. Puis, pour ça, on
voulait vraiment prendre le temps de vous remercier.
Action Tox, c'est un organisme en promotion des
saines habitudes de vie et en prévention des dépendances qui existe depuis
maintenant 33 ans. 33 ans à travailler auprès des jeunes âgés de 10 à
30 ans et leurs proches, à nous adapter aux nouvelles réalités — si on
se souvient bien, il y a 33 ans, Internet n'avait pas fait son apparition — donc
à nous adapter à l'apparition d'Internet, aux téléphones intelligents, aux
boissons énergisantes ou les vapoteuses ainsi que toutes les substances
psychoactives.
Concrètement, Action Tox, c'est un organisme
communautaire qui oeuvre annuellement dans quatre... dans toutes les écoles de
quatre centres de services scolaires de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Donc,
annuellement, nous travaillons auprès de 25 000 jeunes de la
cinquième année du primaire à la cinquième année du secondaire ainsi que leurs
proches et parents.
C'est aussi quotidiennement 21 employés qui
se rendre dans... rendent dans 30 écoles secondaires ainsi qu'une... que
plus d'une centaine d'écoles primaires afin d'y déployer notre programme
d'ateliers en prévention des dépendances, en promotion des saines habitudes de
vie et en développement des compétences personnelles. Bien entendu, notre programme, comprenant
19 ateliers, comprend également des ateliers sur les écrans. Nos
21 intervenants, intervenantes qui se déplacent dans les écoles, ils sont
aussi dans les écoles secondaires. Ils sont là pour animer notre programme,
pour le déployer, pour dépister et référer les jeunes... repérer et... dépister
et référer les jeunes, pardon, vers les services spécialisés, là, en
dépendance.
Donc, nous,
notre travail, c'est de travailler avec les jeunes, les feux jaunes et les feux
verts... les feux verts et les feux
jaunes, comme on a entendu, là, dernièrement, ce qu'on appelle l'intervention
précoce. Et lorsque le jeune est considéré... est en feu rouge... et on
le réfère donc à travers notre mécanisme d'accès, là, de la Mauricie et du Centre-du-Québec.
Notre
mécanisme d'accès, la trajectoire de services qu'on a bâtie en Mauricie et Centre-du-Québec, est vraiment un mécanisme qui est efficient et qui mériterait
d'être exporté dans toutes les régions du Québec. La trajectoire de services
fonctionne. Globalement, le programme Dévelop'Action, dont je vous parle depuis
tantôt, c'est le plus utilisé au Québec en promotion des saines habitudes de
vie et en prévention des dépendances. Et, depuis peu, il est également exporté
dans deux autres provinces canadiennes, soit l'Alberta et l'Ontario.
Comme bien d'autres organismes en prévention des
dépendances ayant une mission similaire à la nôtre et déployant également le
même modèle d'action préventive, nous sommes membres de l'AQCID, soit
l'Association québécoise des centres d'intervention en dépendance, qu'on salue,
là, au passage.
Et, parce que notre modèle, il a inspiré
différents cadres de référence ministériels tels que la Stratégie québécoise
sur l'utilisation des écrans et la santé des jeunes, qui a été publiée en 2022,
ou le Programme de prévention des
dépendances en milieu scolaire, aussi parce qu'il est cité dans le cadre de
référence du projet Épanouir, parce
que ce modèle-là fonctionne depuis des années, parce qu'il est déjà implanté
dans plusieurs régions du Québec, parce que les jeunes, leurs familles, leurs proches et la communauté y
adhèrent, on est venues vous le présenter aujourd'hui.
• (15 h 20) •
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Effectivement.
Jour après jour, Action Toxicomanie déploie sur le terrain une vision globale
de la prévention des dépendances et de la promotion de saines habitudes de vie.
Aujourd'hui, cette vision-là globale, je vais vous la décliner en trois grands
volets.
Le point de départ de ce travail de proximité
là, c'est la prévention universelle. Quand on dit «prévention universelle»,
c'est les ateliers qu'on fait en classe, des ateliers qui visent à
sensibiliser, informer, développer l'esprit critique des jeunes. Ça marche. Les
jeunes sont intéressés par nos contenus. Ils sont surtout intéressés, les
jeunes, quand on leur... quand on leur parle de sujets qui les concernent.
Ça ne fait pas juste intéresser les jeunes. Vous
savez, chez Action Toxicomanie, c'est environ 400 demandes de parents,
rencontres-parents qu'on fait par année. De cette quantité-là, c'est 23 %
qui concernent uniquement l'utilisation des écrans, donc les parents aussi sont
concernés par l'utilisation des écrans de leur enfant.
Ça les intéresse, les
jeunes, quand on va les voir en atelier. Ça les intéresse de parler de
désinformation, de mieux saisir les pièges pour ne pas tomber dans cette
désinformation-là, de parler aussi d'auto-observation, des indices pour être en
mesure de reconnaître si je suis en train de glisser vers une utilisation
problématique. Ça, ça pogne. Ils aiment parler d'alternatives aux écrans. Nos
jeunes, ils en ont, des alternatives, ils en ont, des intérêts et ils aiment en
parler. Et ça, ça représente vraiment un facteur de protection pour eux, puis,
bien, on est bien contents de ça. Ils aiment mieux comprendre aussi la relation
qu'ils entretiennent avec les écrans puis aussi la fonction que ça a dans leur
vie, ces écrans-là. Puis vous ne serez pas surpris d'apprendre que ces
jeunes-là aiment aussi qu'on démystifie la demande d'aide. Ça marche. Au cours
des trois dernières années, les demandes de services jeunesse concernant
l'utilisation problématique des écrans a augmenté de 33 % chez Action
Toxicomanie.
Quand on travaille en développement de
compétences, inévitablement, on vise à ce que les jeunes puissent s'identifier
des forces, bien entendu, on veut augmenter leur sentiment d'efficacité personnelle,
mais c'est sûr aussi qu'on veut que les jeunes amorcent une réflexion, puissent
identifier des zones de vulnérabilité afin qu'ils visent un meilleur
développement de ces compétences-là. Puis, quand on parle de compétence,
capacité à s'affirmer, capacité à gérer ses émotions, capacité à résister aux
influences, là, je n'en ferai pas toute la nomenclature.
Vous savez, ce n'est pas tous les élèves qu'on
rencontre en prévention universelle qui ont besoin d'aide. La plupart vont
bien. Ils ont une utilisation assez équilibrée des écrans. Mais l'objectif,
quand on fait des ateliers comme ceux-là, c'est de rejoindre ceux qui se posent
des questions, qui ne sont pas certains d'avoir une utilisation équilibrée. Quelques exemples : c'est ceux
qui se rendent compte qu'ils accordent peut-être un peu trop
d'importance aux «like», c'est ceux qui conscientisent que les écrans, ce sont
leur stratégie numéro un pour être en relation parce qu'ils sont trop timides,
c'est celui qui a un TDAH qui a décidé d'arrêter sa médication puis qui se
calme un peu cognitivement en utilisant les écrans, bien, le gaming, entre
autres, c'est pour celle qui jette son lunch le midi parce qu'elle aimerait
donc avoir le corps de son influenceuse préférée, c'est pour lui qui vient tout
juste de se commander en ligne des produits dopants pour améliorer son
apparence corporelle. Les profils des jeunes sont bien différents.
En plus de ça, vous savez très bien que les
plateformes numériques visent étroitement la satisfaction d'un besoin fondamental
chez l'être humain. On a juste à penser au besoin d'être aimé et la mise en
place d'un symbole d'approbation sociale comme celui des «like», ce n'est pas
plus compliqué que ça.
On veut agir vite pour limiter les conséquences
liées à leur consommation des écrans et les soutenir dans leur développement.
Puis ça, comment qu'on fait ça chez Action Tox, c'est ça qui est intéressant.
C'est l'action n° 2, je vous dirais, ça s'appelle l'intervention précoce.
Qu'est-ce que ça veut dire concrètement, l'intervention précoce, c'est que
l'intervenant qui fait un atelier en classe, c'est le même intervenant qui a un
bureau dans l'école au même titre que le psychologue, le conseiller en
orientation, le TES de l'école. Les jeunes, dans le fond, qui ont amorcé une réflexion
pendant les ateliers, bien, ils peuvent se rendre dans le bureau de
l'intervenant, continuer... bien, poser leurs questions, continuer leur
réflexion puis amener aussi une réflexion par rapport aux particularités qui
les lient aux écrans. Alors, voilà. Puis c'est là aussi qu'on va favoriser le
recours à des alternatives, c'est là aussi qu'on va viser une meilleure
utilisation, une utilisation plus équilibrée.
Ça marche. Non seulement la prévention
universelle, ça fonctionne, mais, dans toutes les demandes jeunesse qui sont
logées chez Action Toxicomanie, 49 % des demandes jeunesse, ce sont des
jeunes qui viennent tout de suite après les ateliers. Ce n'est quand même pas
banal. Ça veut dire qu'ils ont besoin d'être entendus, ces jeunes-là, et ils ont
besoin d'un soutien adapté, ciblé selon leurs particularités, comme j'ai nommé.
Donc, l'intervenant les rencontre, les dépiste,
hein, ces jeunes-là, grâce à des grilles, là, qui sont reconnues, là, comme le
DÉBA-Internet quand on parle des écrans, et va évaluer les besoins, hein?
Vous... Quand on passe une grille
d'évaluation — Émilie
l'a bien nommée, vert, jaune, rouge — on
va octroyer des services en fonction des couleurs obtenues. Quand on est
dans une utilisation problématique en dépendance, on va référer vers les
services spécialisés en dépendance octroyés par le CIUSSS sur notre territoire,
en Mauricie et au Centre-du-Québec. Mais, quand on est un intervenant en prévention des dépendances, bien, c'est sûr et certain
qu'on va référer à d'autres professionnels parce que, bien, il y a la nutritionniste qui peut peut-être aider la jeune à
explorer la notion du poids ou de l'alimentation, il y a aussi les
psychologues qui vont aider les jeunes qui sont plus anxieux. Donc, on est un
référent vraiment, vraiment important. On travaille tous ensemble, hein, ces
professionnels... ces professionnels-là, à tisser un filet de sécurité
signifiant pour nos jeunes.
Puis je vous dirais que la vision globale ne
s'arrête pas juste à ce rapport de proximité là avec les jeunes. Notre vision
globale, c'est que, tout à coup, bien, on est un intervenant expert, dans une
école, qui est là pour soutenir les directions d'école, qui est là aussi pour
répondre aux questions des enseignants, comment je fais pour repérer un jeune. On
est là pour répondre à leurs questions. On contribue à de la formation. On
accompagne le monde à ce que, tous ensemble, on puisse repérer ces jeunes à
risque là et offrir un service adapté.
Alors, de cette expérience sur le terrain là,
bien entendu, il en découle des recommandations. Je vous... laisse la parole à
ma collègue Émilie.
Mme Poisson (Émilie) : Oui, des
recommandations, on a aussi des pistes de réflexion ou de solution, là, dans le
mémoire. On pourra en discuter.
La première recommandation qu'on aurait envie de
vous faire, c'est que la mise en place d'actions globales continues et
cohérentes, tel que le modèle qu'on vient de vous présenter en prévention des
dépendances, qui est déjà en place dans son ensemble ou en partie dans la
majorité des régions du Québec, le soit en totalité, et ce, dès le primaire. Le
fait que le modèle soit déjà implanté, bien, va favoriser définitivement son
exportation dans les autres régions du Québec.
Que
toute orientation liée à la prévention et à la promotion en matière d'écran
vise l'éducation et le développement de compétences personnelles et sociales de
tous, et ce, dès le plus jeune âge.
Et finalement que les
décisions que vous aurez à prendre, les orientations ou les projets de loi
issus de cette commission soient orientés vers le développement de citoyens
numériques critiques, responsables et en quête d'équilibre. Merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci infiniment. Sur ces belles paroles, alors on va
débuter la période d'échange. M. le député de Gaspé.
M.
Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, mesdames. Très
heureux de vous avoir ici avec nous aujourd'hui.
Vous
parlez de surconsommation numérique, vous parlez de dépendance, hein,
développement de dépendances qui se rattachent à d'autres types de
substances. Voyez-vous quand même des différences dans le cheminement, là, qui
accompagne nos jeunes à ce niveau-là, là?
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Entre les substances et les écrans?
M. Sainte-Croix :
Exact, exact.
• (15 h 30) •
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Tout à fait. En fait, ce qu'on observe souvent, c'est
une comorbidité, hein? On peut voir autant des jeunes qui vont utiliser des
produits dopants pour, bien, jouer plus longtemps ou rester éveillés plus
longtemps, on va voir la double problématique. Les profils sont quand même
différents, bien entendu.
Bien, en fait, je
vous dis ça, puis pas vraiment. Parce que la dépendance en tant que telle,
c'est un symptôme, hein? Il y a souvent quelque chose derrière. Donc, peu
importe le comportement exutoire que je vais utiliser, que ce soient les
écrans, que ce soit la consommation de substances psychoactives, souvent ça
vient satisfaire un besoin. Et puis, dans le fond, l'objectif, nous, c'est
d'identifier ce besoin-là chez les jeunes et de l'accompagner à ce que cette
tâche développementale là puisse être assouvie plus sainement. Donc, oui, il y
a des profils différents. Mais, vous savez,
ce qui est un peu frappant dans notre travail actuellement, c'est qu'on se rend
compte que la consommation d'écran a de forts impacts sur le
développement de comportements dopants.
Je vous donne, par
exemple, comme je vous l'ai cité un peu en exemple, le jeune qui, lui, veut
améliorer son apparence corporelle, va tout à coup suivre des influenceurs qui
vont lui proposer des stratégies miracles ou bien des produits dopants pour
améliorer cette apparence corporelle là. On va... On a... Je ne sais pas si
vous avez entendu parler, mais nous, on est
un peu scandalisés par le fait que plusieurs influenceurs vont faire la
promotion de microdosage de psychédéliques, le champignon magique, là.
Donc, on a des jeunes qui arrivent dans nos bureaux puis qui ont des questions
en lien avec la psilocybine. Puis ils se disent : Bien, c'est parce que
moi, je suis très anxieux ou j'ai un TDAH puis j'ai vu, à l'intérieur de
contenus consommés sur les réseaux sociaux, que ça pourrait être ma recette
miracle. Donc là, nous, on travaille à démystifier tout ça, mais... Ça fait
que, nous, ce qu'on voit, c'est que les écrans, dans certains cas, vont
favoriser le développement de dépendances, on pense au gaming et boissons
énergisantes. Ils sont bombardés de pubs pendant qu'ils gament : Bien,
allez, prends-toi des boissons énergisantes, tu vas toffer plus longtemps dans
ton jeu. Donc, c'est toutes sortes de contextes, là, auxquels on a été exposés.
M.
Sainte-Croix : Les causes sont peut-être différentes, mais les
conséquences sont assez similaires aux substances psychoactives auprès de
nos... des surconsommateurs, c'est ce que je comprends un peu de votre...
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Bien
oui, oui, effectivement, quand on parle de développement de
problématiques en santé mentale, quand on pense à des impacts au niveau
physique, au niveau financier, au niveau scolaire, c'est sensiblement pareil,
honnêtement, tu sais.
M. Sainte-Croix : Est-ce
que vous voyez que la clientèle est de plus en plus exposée tôt à ce type de
dépendances là?
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Bien, nous, depuis les trois dernières années... depuis
cinq ans, là, c'est majeur, là, on a plus de demandes liées à l'utilisation des
écrans. Mais, je vous dirais, la dernière année, entre autres, scolaire, là, on
vient de débuter une nouvelle année scolaire, mais l'année passée, on avait
plus de demandes pour octroyer des services
ciblés à des jeunes d'âge primaire, effectivement. C'est... Souvent, c'est
l'école qui nous interpelle ou des parents qui nous interpellent pour
dire : Là, je sens qu'on est en train de perdre le contrôle, le
comportement change, plus d'irritabilité, plus de conflits. Donc, on n'a jamais
eu autant que l'an dernier des demandes d'intervention auprès d'enfants d'âge
primaire. Tout à fait.
M.
Sainte-Croix : Merci beaucoup.
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Ça me fait plaisir.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
M. le député. Mme la... oui, Mme la députée de D'Arcy-McGee, pardon.
Mme Prass : Vous
avez fait, justement, un petit peu la distinction entre une bonne utilisation
des écrans et des réseaux sociaux et celles qui ne le sont pas, puis il y en a
qui ont fait cette distinction, il y en a qui ne l'ont pas faite. Et, quand on
regarde le nombre d'heures qu'un jeune passe devant un écran, est-ce que vous
pensez... Bien, deux questions. Premièrement, est-ce que vous pensez qu'il doit
y avoir une distinction entre les heures qui sont utilisées pour la
socialisation à des fins utiles et ceux qui sont... qui ne le sont pas, où il y
a une possibilité où ils se font intimider en ligne ou quoi que ce soit? Donc,
vous faites vraiment la distinction des heures de bonne utilisation et de
mauvaise utilisation, si je comprends bien.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : C'est une
combinaison de plusieurs variables quand on parle, là... on a... Vous l'avez
entendu à la commission, le temps ne peut pas à lui seul représenter un facteur
de risque trop signifiant. Il faut vraiment voir... C'est ça, il y a plusieurs
variables : le temps, le contenu. Il y a des spécialistes qui vous ont
entretenus là-dessus.
Maintenant, un bon... Je pense que les jeunes se
font un peu prendre dans tout ça, tu sais, ils ne sont pas... ils ne sont pas outillés justement pour... Comment je
vais faire pour m'affirmer par rapport à une situation d'intimidation?
Vers qui je vais demander de l'aide?
Quand on travaille en développement de
compétences, on vise à donner des outils aux jeunes pour qu'ils puissent être
en mesure de voir venir les choses, se poser des questions, prendre du recul.
Quand on pense à la désinformation, entre
autres, comment je fais pour savoir que ce qui m'est transmis comme
information, bien, c'est vrai, bien, on a des outils, chez Action Tox, pour
amener les jeunes à dire : Bien, peut-être en diversifiant tes sources,
peut-être en en parlant avec quelqu'un, un spécialiste.
Donc, bonne utilisation, mauvaise utilisation,
il faut que les jeunes eux-mêmes puissent être en mesure de détecter est-ce que
c'est correct ce à quoi je suis exposé, est-ce que c'est correct qu'est-ce que
je suis en train de vivre via les réseaux. Puis ça, bien, nous, notre travail,
c'est ça qu'on fait dans les ateliers, on développe cet esprit critique là puis
on les outille pour qu'ils puissent prendre de bonnes décisions numériques.
Puis l'enjeu, en fait, puis c'est pour ça qu'on
est ici aujourd'hui, c'est pour promouvoir l'intervention précoce. À partir du
moment où je sens que, hi! là, là, je ne suis pas sûre de ce que je suis en
train de vivre ou : Ah non! J'ai envoyé une photo, tu sais, ça, là, quand
ils vivent des enjeux importants, bien, on veut qu'ils puissent se sentir à
l'aise d'aller vers quelqu'un. Puis le fait que ce soit le même intervenant qui
a abordé le sujet, qui a fait preuve d'une posture non moralisatrice, qui est
intéressé, bien, ça ouvre la porte. Les jeunes, ils viennent cogner à notre porte, des fois ça fait même la file aux
pauses, hein, puis ce n'est pas une blague. C'est vrai, il y a vraiment un
besoin.
Mme Poisson (Émilie) : Notre atelier
sur les écrans qu'on déploie en secondaire I est celui qui génère le plus de
demandes de services à la suite de l'atelier, c'est là que nos intervenants
vont se retrouver avec beaucoup, beaucoup de demandes de services.
Là, les
jeunes vont se questionner, on l'entendait avec Mme Dufour, je pense, plus
tôt, la semaine dernière, qui disait :
Des fois, les jeunes vont exagérer leur problématique, c'est-à-dire penser
qu'ils ont développé une problématique, puis elle n'est pas... ce n'est
pas... elle n'est pas réelle, ça fait qu'on va avoir ces jeunes-là aussi, mais
c'est quand même l'atelier qui génère le plus de demandes à la suite de...
bien, c'est ça, à la suite de l'atelier.
Mme Prass : Bien, je pense que c'est
encourageant d'entendre que les jeunes, ils sont... ils veulent venir vous en
parler puis ils veulent participer. Moi, par exemple, mon jeune, j'ai un petit
garçon de 13 ans qui va souvent venir me dire : Ah! Il va me donner
l'information, je vais lui dire : Tu as pris ça où? Sur l'Internet. Ça
fait que moi, depuis deux ans, je lui dis : Bien, ce n'est pas une source
d'information, parce que tout se dit, il faut que tu fasses des recherches pour
aller trouver d'autres sources pour confirmer que c'est bien le cas. Donc,
j'imagine que ça, ça fait partie des outils que vous voulez contribuer aux
jeunes.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Dans un
monde de licornes, dans un monde idéal, on est vraiment des gens très motivés
et on aimerait pouvoir même mettre en place, puis on en a parlé avec des
collègues de Pause de Capsana, de dire : Bien, est-ce qu'on ne pourrait
pas établir des grands principes que, comme adultes signifiants, parents, intervenants, enseignants, on pourrait
mettre de l'avant concernant l'utilisation des écrans? À titre
d'exemple, par exemple, bien, promouvoir le fait que tout ce qu'on y trouve, ce
n'est pas nécessairement vrai, tout ce que tu y mets, bien, ça peut être publié
partout, diversifier tes sources, des grands principes du genre, quand je suis
en interaction avec un jeune, bien, je le
ferme, mon téléphone, tu sais. Donc, quelques grands principes comme ça que,
collectivement, on se dit : Bien, on est... Hein, on parle de modèles, on
a parlé des parents, à quel point ils pouvaient représenter un modèle, donc,
bien, comment on ne pourrait pas avoir une ligne de conduite collective pour
promouvoir une utilisation plus équilibrée des écrans.
Mme
Prass : Puis juste une question pas rapport aux autres,
mais l'utilisation des écrans dans les écoles comme outil pédagogique,
est-ce que vous avez une opinion là-dessus? Est-ce que, pour vous, ça fait
partie de la réalité du XXIe siècle, de nos jeunes? Est-ce que c'est un
départ, justement, d'habitudes qu'on doit... auquel on... Est-ce qu'on part...
des habitudes, par exemple écrire à la main, etc., des atouts qu'on perd avec
l'introduction de la technologie?
Mme
Lecours (Audrey-Ann) : Les outils pédagogiques, encore faut-il qu'ils le
soient, pédagogiques. C'est-à-dire qu'un enfant qui a besoin d'un
ordinateur, par exemple, parce qu'il a des difficultés en écriture, et tout ça,
alors là, bon, bien, tu sais, peut être, là. Puis je sais
qu'il y a eu des propos remettant en question certains outils pédagogiques,
nous ne sommes pas les experts dans ce domaine-là, mais on peut quand même dire
que, si c'est nécessaire, si on y voit des bénéfices, ça va, mais encore
faut-il qu'ils le soient, pédagogiques. Ayant des enfants d'âge primaire, des fois, on se dit : Bien, coudon, ils ont passé
beaucoup de temps sur les écrans aujourd'hui. Est-ce que c'était
nécessairement du contenu pédagogique? Quand
j'entends que mes enfants, sur l'heure du dîner, pendant... au service de
garde, ils vont écouter des émissions que, moi, à la maison, c'est
interdit d'écouter parce que je considère que les valeurs qui y sont véhiculées
ne sont pas nécessairement des valeurs positives, bien là je me remets en
question. Est-ce qu'on est dans un contexte
pédagogique? Donc, c'est... Si on a vraiment un rapport avec des
orthopédagogues, une réflexion scientifique derrière le fait que
l'enfant a un outil pédagogique, bien, pourquoi pas? Ce qu'on veut, c'est leur
réussite éducative.
Mme Poisson (Émilie) : On aimerait
pousser la réflexion plus loin par rapport à ça, parce que, là, on entend parler des outils pédagogiques, mais je crois
qu'il est sur la table aussi de peut-être interdire complètement les
cellulaires dans les écoles. Nous, ce qu'on aimerait apporter comme bémol,
c'est, justement, si on se rend dans une cafétéria sur l'heure du dîner, on a
beaucoup d'élèves avec des portables parce que soit qu'ils l'ont comme mesure
adaptative, ou ils sont dans un programme e-sport quelconque, ou il y a des
écoles, même, qui ont aboli le papier, donc les jeunes ont des tablettes. Donc,
si on abolit le cellulaire, qu'est-ce qu'on fait avec les jeunes qui ont des
ordinateurs portables dans les cafétérias, qui, sur l'heure du midi, gament ou
qui peuvent continuer à avoir accès à leurs réseaux sociaux?
On vous disait, on l'a entendu plusieurs fois,
on vous le dit aussi, les grandes compagnies de ce monde se sont déjà adaptées
et ils savent déjà que le vent risque de tourner, là, concernant l'accès au
cellulaire dans les écoles. On a les montres intelligentes qui sont de plus en
plus intelligentes. Nos intervenants nous disaient la semaine passée qu'ils
n'ont jamais vu autant de jeunes dans la classe avec les montres intelligentes.
Et les montres, là, on peut texter maintenant, pas juste répondre à un message,
on peut décider, là, de texter qui que ce soit d'autre. Et donc, qu'est-ce qu'on fait? On abolit aussi les montres? On abolit
les portables? Lorsque... bien, pas lorsque, parce que ça a toujours été
comme ça, l'interdiction, là, de fumer, on
voit les jeunes vapoter sur le coin en face de l'école, sur le coin de la rue,
ce qu'on appelle, nous, le coin puff, est-ce
qu'on va se retrouver avec des jeunes au coin cell à côté du coin puff? Est-ce
qu'on va voir des jeunes, en fait, sortir de l'école, aller consommer leurs
écrans, leurs réseaux sociaux en face de l'école? Quand on sait que l'école reste quand même un facteur de protection très
important, est-ce que nous souhaitons éloigner les jeunes de ce facteur
de protection là? On vous lance ça comme piste de réflexion, vous réfléchirez
là-dessus.
Mme Prass : Merci beaucoup.
• (15 h 40) •
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : J'allais justement vous
poser la question si c'était une bonne idée d'interdire ou pas le cellulaire en
classe, mais voulez-vous développer un peu? Oui?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Mais,
vous savez, tu sais, quand, récemment, en 2023, il y a eu la réglementation
entourant les saveurs dans les produits de vapotage, hein, bien, on a vu,
nous... La journée même, on était très contentes, on se disait que c'était un
jour... une journée de fête. Mais non, en fait, c'est que l'industrie s'est
adaptée pour offrir des saveurs à part, et les jeunes ont trouvé d'autres
stratégies pour avoir accès à leurs produits contenant des saveurs. Donc, les
jeunes et l'industrie s'adaptent, mais ça ne veut pas dire que... Mais, c'est
ça, tu sais, on est conscient de ça.
M. Leduc : Mais la question devient
quasiment philosophique, tu sais. On met une limite à 100 sur l'autoroute même si on sait que la plupart du
monde roule à 115, 120. Mais, si on mettait la limite à 120, ils
rouleraient probablement à 140. Ça fait qu'est-ce que le fait de dire : On
l'interdit sur le territoire de l'école, il y a certainement du monde qui vont
sortir sur l'heure du dîner avec leur cellulaire, mais est-ce que c'est tout le
monde qui vont faire ça? Et est-ce qu'on aura quand même des effets bénéfiques,
même si ce n'est pas appliqué de manière stricte?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : C'est une
combinaison de facteurs, tu sais, c'est une combinaison de facteurs. Oui, peut-être que ça pourrait avoir un
effet bénéfique. Nous, on dit : Attention, peut-être qu'il pourrait y
avoir des éléments qui pourraient être non bénéfiques. Puis, bien, ce n'est pas
juste ça. Il faut travailler à ce que ces jeunes-là deviennent des citoyens
numériques, critiques, équilibrés, puis ça passe par la prévention, c'est
inévitable pour nous, puis le soutien tôt. Si je commence à me poser des
questions, si je me rends compte qu'une relation qui n'est peut-être pas
nécessairement saine avec l'utilisation des écrans... je dois vite regarder ça
en étant accompagné.
M. Leduc : Vous ne remettez pas en
question la directive du... l'interdiction du cellulaire en classe? Là, c'était
plus sur la question de l'école au complet.
Mme Poisson (Émilie) : L'école, oui.
Non, mais c'est ça, là, depuis l'interdiction du cellulaire en classe, c'est là
qu'on voit l'apparition des montres intelligentes. Ça fait que...
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : On a des jeunes qui ont des... deux cellulaires,
donc ils vont déposer le téléphone...
Mme
Poisson (Émilie) : Le vieux cellulaire. Les lunettes Ray-Ban,
maintenant, qui permettent de filmer, on peut écouter de la musique. Puis, si
tu es à côté, tu n'entends même pas que la personne... L'industrie s'est
adaptée, les jeunes aussi. On a toujours un peu un pas de retard derrière
l'industrie. Avec le modèle qu'on présente, c'est ça, c'est qu'on va s'adapter
selon les tendances, en restant toujours avec les jeunes, en s'adaptant à ça
puis en continuant à développer les mêmes compétences personnelles et sociales
pour... chez les jeunes, pour les aider, là, à avoir une consommation plus
équilibrée.
M. Leduc : Donc,
si on interdit sur le territoire de l'école, on va être... on se magasine une
déception, là.
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Je pense que ça va prendre du temps...
Mme Poisson
(Émilie) : Bien, des beaux défis, certainement, là.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui,
c'est ça, exactement, tu sais. Puis il va falloir peut-être s'assurer qu'il y
ait des ressources humaines, peut-être
s'allier avec des organisations communautaires pour qu'il y ait plus de
travailleurs de rue. Tu sais, il va falloir que... Les jeunes, ils vont sortir,
ça, c'est sûr et certain. S'il y a de quoi dont on est certaines ici, parce
qu'on le vit au quotidien, les jeunes, quand on les restreint, bien, ils vont
trouver des façons de satisfaire leurs besoins. Et puis là, bien, ils vont
trouver la façon. Donc, est-ce qu'il y aura d'autres initiatives pouvant
limiter les conséquences de ça? Certainement, mais...
Mme Poisson (Émilie) : Je vois difficilement,
par contre, comment interdire l'ensemble des outils technologiques. Là,
ça va devenir un beau défi pour les écoles, les ordinateurs portables, les
montres, les lunettes de ce monde, là.
M. Leduc : À
l'époque, ils interdisaient les Tamagotchi à mon école secondaire, mais ça,
c'est un autre...
Mme Poisson
(Émilie) : Oui, puis là ça les faisait mourir parce que tu ne les
nourrissais pas.
M. Leduc : Voilà.
Quelle cruauté! Je finis avec une dernière question. Vous parlez beaucoup
d'élèves qui viennent chercher des services à la fin de vos présentations.
Est-ce que le système... Est-ce que vous, vous êtes assez équipés pour offrir
ces services-là?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Bien,
franchement, là, on peut en être fiers en Mauricie, au Centre-du-Québec, on a la trajectoire de
services la plus efficiente. Vraiment, chez Action Toxicomanie, mettons, dans
un rush, là, c'est environ un délai de deux semaines avant qu'un jeune soit
rencontré, ce que nous considérons comme étant très raisonnable. Et, au niveau
des services spécialisés en dépendance, c'est un 10 jours, 10 jours
ouvrables avant que le jeune soit rencontré pour une première fois, pas pour
une prise de rendez-vous, rencontré. Donc, c'est très, très, très rapide, et on
a tous les outils, les grilles de dépistage validées qui nous permettent
vraiment de voir le niveau de soins requis et d'orienter nos interventions en
fonction du niveau de soins requis. C'est très, très, très efficace. Pour vrai,
là, tu sais, je ne dis pas ça pour... ce n'est pas du violon, c'est vrai.
Mme Poisson
(Émilie) : Nous, on l'est, ce n'est pas toutes les régions, par
contre, qui le sont. Ce ne sont pas toutes les régions, par contre, qui ont un
mécanisme d'accès aussi développé. Lorsque l'enveloppe du ministre Carmant, qui
est descendu pour le programme de prévention des dépendances en milieu
scolaire... une des choses qu'on a observées, c'est, quand on va dépister des
jeunes, il faut les référer, et là il n'y avait pas... le terrain n'était pas
prêt nécessairement, là, dans le sens, les CISSS et les CIUSSS de ce monde
n'étaient pas nécessairement tous prêts à
recevoir ces jeunes-là qui revenaient... qui se faisaient référer, parce qu'on
en dépistait plus, bien évidemment, étant dans les écoles. Donc, il y a
quelque chose à faire, à ce niveau-là, pour préparer le terrain, s'assurer
qu'il y ait un filet qui va accueillir les jeunes lorsqu'ils seront référés.
Je vous le disais, ce
modèle-là est, en majorité, là, déployé déjà dans d'autres régions du Québec.
Il n'est pas nécessairement déployé dans son ensemble, c'est-à-dire que, dans
beaucoup de régions du Québec, ça va être l'animation d'ateliers, la prévention
universelle. Puis le financement, il n'est pas nécessairement assez grand pour
qu'il y ait l'intervention précoce, c'est-à-dire, comme Audrey-Ann disait, que
l'intervenant soit dans l'école avec son bureau,
et tout ça. Ça fait qu'on va faire lever des lapins en allant animer nos
ateliers, mais après ça le jeune se retrouve un peu... À quelle porte je vais frapper? On le sait, le professionnel
scolaire... le personnel scolaire est débordé. Donc, des fois, un jeune
qui va avoir des questions sur son utilisation des écrans, ça pourrait être
long avant qu'il le voie.
Ça fait qu'en
Mauricie—Centre-du-Québec,
oui, parce que ça fait 33 ans qu'on existe, parce qu'il y a un autre
organisme, qui est sur le territoire avec nous, qui existe depuis aussi
longtemps et parce que le mécanisme d'accès existe, ça fonctionne. On est un
des modèles... On a l'air de se vanter, là, mais c'est vrai, on est un modèle,
là, qui fonctionne à ce niveau-là.
M. Leduc : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci. Mme la députée de Hull.
Mme Tremblay : Oui,
bonjour. Je voulais revenir un petit peu sur... Parce que l'interdiction, bien
là on a compris que ce n'est pas nécessairement, à votre avis, la solution.
Mais vous parlez... bon, les jeunes contournent. Mais est-ce que... Tu sais, on
a interdit le cellulaire en classe, donc, bon, parce que c'est une source
importante de déconcentration puis c'est... tu sais, c'est bon de... Mais...
Puis, tu sais, vous dites : Mais il y a des petites façons de contourner,
évidemment — deux
cellulaires — mais
on s'entend que ça doit être une faible majorité de jeunes. Donc, on est vraiment, là... La majorité, tu sais,
ça va bien, ils comprennent le pourquoi puis... mais... Vous êtes
d'accord avec moi là-dessus?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Tout à
fait.
Mme Tremblay : C'est ce que vous
entendez? Quand ils vous parlent, c'est ce qu'ils vont venir vous dire aussi,
oui?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui.
Vraiment. En classe, là, le niveau d'adhésion semble assez... tu sais, assez
efficace. Même les jeunes, hein, on a... avec notre mémoire, on a envoyé un vox
pop, là, que les jeunes exprimaient un peu... Bien, la question, c'était :
Qu'est-ce que vous auriez à dire aux gens...
Mme Poisson (Émilie) : S'ils étaient
ici aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils vous diraient, en fait.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui. Puis
eux, ils le réclament, hein, ils réclament un meilleur encadrement, ils
réclament de meilleurs outils, ils réclament des intervenants en prévention
dans les écoles pour les accompagner. Donc, les jeunes, ils le disent, qu'ils
en ont besoin.
Donc, dans le cadre... à l'intérieur des cours,
là, jusqu'à maintenant... Il y en aura toujours, des jeunes qui tenteront de ne
pas respecter les règles, mais la majorité des jeunes les respectent. C'est
plus dans le contexte où on interdit totalement, là, il y a différents enjeux
qui posent question.
Mme Tremblay : Est-ce que... Bon, si
on ne va pas dans le sens de l'interdiction, quand même, vous l'avez dit, je pense, d'avoir une réflexion, des balises,
je pense, puis, tu sais, d'avoir quand même cette réflexion-là, qu'est-ce
qui se passe dans l'école pendant l'heure du
dîner, aux pauses, tout ça, d'amener quand même une réflexion. Il y a
d'autres intervenants qui sont venus dire,
bien, tu sais, d'avoir des balises, puis après chaque école a une réflexion sur
l'utilisation, qui pourrait aller jusqu'à l'interdiction, mais il n'y avait pas
beaucoup de gens qui étaient nécessairement, là, jusqu'à l'interdiction
complète, mais il y a quand même des écoles qui ont pris cette direction-là. Ça
fait que d'avoir des grandes balises, puis après chaque milieu a une réflexion
sur qu'est-ce qu'on fait pour diminuer le temps d'écran dans nos écoles puis
travailler en prévention. Est-ce que, vous, c'est une réflexion que vous pensez
qui est dans la bonne direction puis que les jeunes adhéreraient à ça aussi, tu
sais?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Qu'il y
ait des balises? Bien, pourquoi pas, tu sais. Puis moi, je pense que les jeunes
aussi pourraient être nécessairement impliqués dans cette réflexion-là, de dire
quelles pourraient être les balises, quels sont les lieux où on pourrait
dire : Bien... Je ne sais pas, là, tu sais, pendant qu'on mange... Je ne
sais pas, je n'ai aucune idée, mais, tu sais...
Mme Tremblay : Des dîners sans
écran, tu sais, de les laisser...
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui.
Mme Poisson (Émilie) : Mais nous, on
fait... on monte des équipes, des fois, dans... des intervenantes impliquées
dans les écoles, elles vont faire un 72 heures sans écran avec les jeunes,
et ça fonctionne, là, les jeunes le font, là. Je ne vous dis pas que c'est la
majorité, là, c'est cinq, six, huit, 10 jeunes, là, peut-être, mais ils le
font. Ils sont prêts à se prêter au jeu. Comme Audrey-Ann dit, je pense que
oui, ça va être... ça serait important de les consulter, mais sans... Il va
falloir garder en tête que les jeunes qui, eux, ont des problématiques, qu'ils
ne voient pas qu'on est en train un peu de
démoniser l'écran pour qu'après ça ils ne soient plus à l'aise d'aller parler
aux intervenants en se disant :
Bien là, tout le monde adhère au dîner sans écran, moi, je suis le seul qui
n'est pas capable. Tu sais, il faut qu'on
continue aussi, oui, à baliser, mais à s'assurer qu'il va y avoir un filet pour
accueillir ces jeunes-là qui représentent... qui ont des difficultés eux
autres mêmes.
• (15 h 50) •
Mme Tremblay : Parfait. Merci. Donc,
éducation, prévention puis soutien.
Mme Poisson (Émilie) : Oui.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui,
soutien. C'est... Oui, mais le... ensuite le soutien, c'est nécessaire pour
éviter la détérioration des impacts. Quand on dit, hein : Les jeunes, ils
en vivent, des impacts, mais on veut agir avant que ça soit à... de l'ordre de
l'impact.
Mme Tremblay : Merci beaucoup.
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Ça fait plaisir.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
M. le député de Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux.
Vous savez qu'au début avant de débuter cette commission-là on a dû établir des
orientations de la commission, puis vous les avez eues, puis vous avez répondu
avec votre mémoire. Puis il y a un élément où on a débattu puis on l'a mis dans
des catégories. Ici, je vois que vous réalisez des activités de promotion de la
santé globale auprès des jeunes de 10 à 30 ans. Pour vous, qu'est-ce qui
est un jeune? Puis ça touche qui, là?
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Pour
nous...
M. Ciccone : Qu'est-ce qui est un jeune? Est-ce que c'est zéro à 15,
zéro à 18, jusqu'à 25 ans?
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Notre mission nous dit d'agir... On agit auprès
des 10 à 30 ans, des jeunes adultes qui vont venir vers nous, mais c'est difficile pour nous de... Les
parents aussi ont besoin d'être informés et sensibilisés.
Mme Poisson (Émilie) : Bien,
c'est ça, on a un volet de 18-24 ans aussi, on agit dans les
établissements postsecondaires, ça fait que les 18-24 ans restent jeunes.
En tout cas, j'espère que 24 ans...
M. Ciccone : Mais, je pense, je vais préciser ma question. Je vais
préciser ma question. Les gens qui vont vous voir, là, voyez-vous une plus
grande... un plus grand nombre de jeunes plus jeunes, de 10 ans? C'est-tu
des adolescents, c'est-tu des jeunes adultes, c'est-tu des adultes? Parce que
vous travaillez avec des 10 à 30 ans, là. Ça fait que je veux voir, là, la
plus grande... La problématique de dépendance, est-ce que c'est plus jeune, ou
plus vieux, ou c'est semblable?
Mme Poisson
(Émilie) : Bien, en fait, on va avoir un petit peu de
difficulté à répondre à la question, c'est-à-dire là où on oeuvre le
plus et on voit le plus grand nombre de jeunes, c'est au secondaire. Donc, on
ne peut pas... Quand on va au primaire, en cinquième et sixième année, on va...
on est vraiment juste dans la prévention universelle. Donc, ça va être un
faible taux de jeunes élèves de cinquième année, du primaire... voyons,
cinquième année, sixième année qui vont entamer un suivi avec nous après. Donc,
c'est plus au niveau du secondaire qu'on a des demandes à ce niveau-là. Puis,
comme je le disais, en secondaire I, à la suite de notre atelier, là, on
«toppe» les demandes.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : C'est
environ... en moyenne, un atelier chez Action Toxicomanie va générer environ 2
à 3 demandes de services par atelier, puis on voit une augmentation à cinq
demandes environ par atelier quand il est question des écrans. Donc, c'est...
Puis l'élément clé de ça, de cette demande d'aide là, c'est le fait que les
jeunes... On explore un petit peu, on a des outils d'auto-observation, on pose
des questions, puis là les jeunes, tout à coup, ils font comme : Hein!
Bien oui, effectivement, j'ai délaissé une activité que j'aimais. En tout cas,
ça fait que cet élément-là, lié à l'auto-observation, fait comme : Aïe! Je
pense que j'aurais le goût d'aller en parler, de mon utilisation.
Au primaire, mettons, rares sont les demandes de
services. Souvent, les parents, ils vont nous appeler dans des situations très
critiques. Mais par contre notre atelier au primaire génère énormément
d'intérêt des jeunes. Ils sont très participatifs. Rares sont les fois où on est
capables de compléter notre contenu tellement que les jeunes ont des choses à
dire à propos de leur utilisation des écrans.
M. Ciccone : On voit ici, là, qu'une demande sur quatre, à peu près,
dans votre région, là, c'est par rapport avec les écrans. C'est 23 %.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui,
les parents.
M. Ciccone : Vous avez eu une augmentation de 33 % durant les
dernières années. Avec votre travail, est-ce que vous voyez qu'on voit une
diminution? Est-ce que les jeunes reviennent vous voir? Est-ce que vous êtes
capables d'aller jusqu'au bout avec eux autres puis leur faire comprendre ou
c'est vraiment, vraiment difficile avec tout
ce qui nous entoure, puis on n'est pas capable de limiter, là, parce que la
technologie développe toujours, puis il y a toujours quelque chose de
nouveau? Puis vous avez parlé des lunettes tantôt. Tu sais, on voit des jeunes
dans la rue qui parlent tout seuls, mais c'est parce qu'ils parlent à leurs
lunettes puis ils demandent... Ils veulent une musique particulière, là. Ça
fait que...
Mme Poisson (Émilie) : Bien,
vas-y
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Bien, en fait, je vous dirais que oui, ça fonctionne.
Les jeunes qui viennent à nos... C'est du six... Quand on a un jeune qui est
vert, jaune, le vert, un peu moins de rencontres, nécessite un peu moins de
soutien, là, mais, mettons, le jeune jaune, c'est du six à huit rencontres.
Habituellement, quand on octroie du six à huit rencontres à un jeune qui est
jaune, on voit vraiment une diminution de l'utilisation des écrans. On est capables d'amener le jeune à trouver des alternatives pour
répondre aux besoins. C'est à dire, mettons, moi je suis... J'ai besoin de
calmer mon anxiété. Je vais consommer, je vais «binge-watcher» du TikTok pour
me calmer, bien, on travaille avec... on
travaille les alternatives puis on voit vraiment une réduction au niveau de la
consommation des écrans.
Est-ce que c'est
toujours pareil? Est-ce que, parce qu'un jeune est passé par nos services, plus
jamais il ne va avoir besoin? Non, hein, c'est... on le sait, la dépendance,
c'est quelque chose qui est assez vivant. Il y a des phases, hein, dans le
développement d'un être humain. Ça se peut qu'on retrouve, on revoit cet
individu-là. Par contre, l'expérience, la demande d'aide chez Action
Toxicomanie, elle est très positive. C'est très important, comme coordonnatrice
clinique, que mon équipe offre un service chaleureux. Donc, vraiment, les gens,
ils vivent une belle expérience. Puis, s'il y a quoi que ce soit, ils vont
revenir demander de l'aide. Et aussi ils vivent aussi une bonne expérience
quand ils arrivent dans les services spécialisés, ça, aussi, on le voit. Puis
les jeunes qui nécessitent une rentrée... en entrée en thérapie fermée, hein,
sur notre territoire, c'est Le Grand Chemin, bien, ils s'y rendent, ils sont
accompagnés de façon très personnalisée. Et environ... Ils peuvent... On a eu
une rencontre récemment, c'est environ huit semaines, donc ils peuvent passer
de huit à 10 semaines en thérapie puis ils vont demeurer assez longtemps
en thérapie, ces jeunes-là. Donc,
c'est-à-dire que les gens qui embarquent dans un processus y demeurent, et ça
fonctionne.
M.
Ciccone : Ça fonctionne. Avez-vous les
données, à savoir... Parce que, quand on parle d'écrans, là, c'est large, les
écrans. Est-ce que c'est jeux vidéo? Est-ce que c'est les réseaux sociaux?
C'est quoi? Les plus grandes demandes, ça vient d'où?
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Les réseaux sociaux, les influenceurs, les impacts de
ces influences-là, les impacts de la désinformation, ça, là... ça, on le
rencontre beaucoup dans nos bureaux. Les profils sont très différents, hein? Un jeune qui va consommer majoritairement
les réseaux sociaux et un jeune gamer, ce n'est pas nécessairement les
mêmes profils. On va avoir, par exemple, chez les jeunes gamers, des profils un
peu plus introvertis, des défis parfois au niveau des habiletés sociales, tu
sais, bon, il y a des profils différents. On va voir, parfois chez les gamers,
plus de l'anxiété de performance, alors que,
chez nos jeunes consommateurs de réseaux sociaux, plus une anxiété
d'apparence.
Donc, c'est des
profils qui sont différents, mais je vous dirais que là où on voit plus les
ramifications des écrans, c'est vraiment en lien avec l'utilisation puis la
consommation des réseaux sociaux. Les jeunes qui vont faire des demandes liées
au gaming, souvent, ils vont venir faire une demande d'aide plus loin dans le
spectre. C'est plus long avant qu'ils viennent, donc la détérioration est un
petit peu plus présente.
M.
Ciccone : O.K., parfait. Ça fait qu'il
faut faire plus de sensibilisation sur, justement, les chats.
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Oui, l'abri du gamer.
M.
Ciccone : Il y a un groupe qui est venu
nous voir qui dit qu'ils vont sur les chats puis qu'ils font de la
sensibilisation, puis ils peuvent faire des rencontres, ils ont leurs contacts
s'ils ont problème. Ça fait qu'il faut aller cibler plus ces jeunes-là parce
que c'est eux autres qui ont de la difficulté à dire que... on a un problème.
Mme Poisson (Émilie) : Au niveau du gaming, oui,
mais, comme on parlait, le développement de compétences personnelles... Une fois que le jeune... quand on
estime, elle est bonne, quand tu es capable de t'affirmer, puis tout ça,
habituellement, on ne se rend pas jusqu'à à
la problématique bien établie parce qu'on est capable de s'affirmer, on
est capable de dire non, on est capable de
dire : Bien là, c'est assez, j'ai d'autres passions, je suis capable de
faire autre chose.
Quand Audrey-Ann,
elle vous parlait tantôt, tu sais... On va essayer de chercher c'est quoi, la
fonction derrière le comportement, c'est
quoi, c'est quelles compétences, c'est où que le bât blesse. C'est là qu'on va
travailler avec eux. Ça fait que, oui, leur dire... être là puis leur
dire : Il existe des ressources, je vois que tu es souvent en ligne, tu es
là jusqu'à tard, etc., oui, mais il faut aussi voir pourquoi ce jeune-là passe
ses nuits sur les jeux vidéo, là.
M.
Ciccone : Merci beaucoup...
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : ...
M.
Ciccone : Bien non, mais continuez, si
vous...
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Non, mais je vais juste rajouter un élément. Vous
savez, la stratégie numéro un que les jeunes... Quand, mettons, j'ai un jeune
en suivi individuel, puis le jeune, il veut réduire sa consommation d'écrans,
vous savez c'est quoi, la stratégie numéro un qu'il va mettre à son plan
d'intervention? C'est de passer plus de temps avec mes parents. Mais c'est
assez standardisé, là, donc, ça, c'est quand même important aussi, tout le
noyau familial, la relation avec la famille. C'est un enjeu clé dans le
rétablissement de ces jeunes-là par rapport à leur utilisation des écrans. En
tout cas, du moins c'est ça qu'eux nous disent.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci. Il reste... Ah! Oui.
M.
Ciccone : Puis il faut... puis il faut que
le parent dépose son outil... téléphone.
Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui.
La
Présidente (Mme Dionne) : J'avais une autre collègue, Mme la députée
de Châteauguay, qui avait une question. Oui.
Mme Gendron :
Merci, Mme la Présidente, je vais faire ça rapidement, mais ce que vous
venez de dire, ça parle beaucoup. Je vais vraiment m'en souvenir. Puis un grand
merci, là, j'aime votre approche, là. Vous dites que ça doit devenir des
citoyens critiques qui peuvent réfléchir par eux-mêmes de leur utilisation
également.
Je
comprends que, dans un cadre scolaire, vous laisseriez quand même le cellulaire
aux jeunes. Par contre, de quelle façon,
à l'école, on pourrait quand même intervenir à ce niveau-là justement pour
essayer de séparer l'étudiant de l'appareil? Puis est-ce que vous pensez
que ça devrait faire... un atelier devrait faire partie d'un certain corpus
scolaire? Est-ce qu'il devrait y avoir là, justement, des cours ou un atelier
obligatoires à tous? J'aimerais vous entendre, en quelques secondes, j'imagine.
• (16 heures) •
La Présidente (Mme
Dionne) : Il vous reste une minute.
Mme Gendron :
Une minute.
Mme Poisson
(Émilie) : Oh boy!
Mme Lecours
(Audrey-Ann) : Certainement. Certainement. Vous savez, avec les
nouveaux cours, là, Culture et citoyenneté québécoise, nous, nos intervenants,
c'est à l'intérieur de ces cours-là qu'ils vont faire des ateliers de sensibilisation liés à l'utilisation
des écrans. Donc, tu sais, oui, inévitablement, que ça soit assez
systématique, que les jeunes puissent entendre parler d'utilisation des écrans
aussi, de tout ce qui s'appelle cybercrime, et tout ça, tu sais, je pense qu'il
faut aller assez large dans les informations qu'on transmet.
Mme Poisson (Émilie) : Les grands principes
qu'Audrey-Ann parlait tantôt, je pense que ça aussi, ça peut être vraiment une idée dans le cadre scolaire aussi,
comme enseignant, comme intervenant, comment on se positionne, c'est quoi, notre posture par rapport aux écrans. Et,
oui, de répéter que tout ce qu'on voit sur Internet n'est pas
nécessairement vrai, c'est là aussi qu'on va développer l'esprit critique des
jeunes, puis de continuer à investir — sans pluguer le titre d'un de
nos ateliers — investir
dans leurs passions, en fait. Les enseignants les connaissent, les élèves, ils
savent ce qu'ils aiment. Ça fait que de continuer ça, d'encourager ça.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci beaucoup. C'est malheureusement tout le temps qu'on a.
Donc, Mme Lecours, Mme Poisson, merci infiniment pour votre
contribution à nos travaux.
Je suspends les
travaux quelques instants pour accueillir notre prochain témoin.
(Suspension de la séance à
16 h 01)
(Reprise à 16 h 05)
La Présidente (Mme Dionne) : La
commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant
la bienvenue aux représentants du Bureau des affaires de la jeunesse. Donc,
merci de vous joindre à nous pour cette commission. Donc, je vous rappelle que
vous disposez de 10 minutes pour nous faire part de votre exposé.
Peut-être vous présenter, d'entrée de jeu, et, suite à ça, nous procéderons à
une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, ceci étant dit,
la parole est à vous.
Directeur des poursuites criminelles et pénales
Mme Champagne
(Véronic) : Parfait. Je vais me présenter d'ores et déjà. Donc,
Véronic Champagne, vous l'avez mentionné, du Bureau des affaires de la jeunesse
pour le Directeur des poursuites criminelles et pénales. J'ai la chance d'être
la procureure en chef de ce magnifique bureau depuis maintenant deux ans. Je
vais laisser les gens qui m'accompagnent se présenter, je vous ferai l'exposé
par la suite.
Mme St-Pierre (Joanny) :
Donc, bonjour. Joanny St-Pierre, procureure aux poursuites criminelles et
pénales, coordonnatrice duComité de concertation contre la lutte à
l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Alors, de mon côté,
j'appartiens au Bureau des mandats organisationnels. Je pense que Véronic vous
présentera un petit peu plus en détail mon bureau.
M. Ouellette
(Maxime) : Bonjour à toutes et à tous. Me Maxime Ouellette, procureur
au Bureau des affaires de la jeunesse de Saint-Jérôme, et, également, là, j'ai
initié, avec quelques-uns de mes collègues et confrères, là, le projet SEXTO,
qui a débuté à Saint-Jérôme il y a quelques années, je sais que Me Champagne va
vous en parler. Donc, ça me fera plaisir de participer, évidemment, à la
commission et de répondre à vos questions.
Mme Champagne (Véronic) : Donc,
parfait, je vais me lancer, si ça vous convient. Donc, j'ai décidé, pour ce
bref exposé, de vous parler, justement, de beaux projets qu'on a au DPCP, au
Directeur des poursuites criminelles et pénales, et,
c'est sûr, particulièrement trois qui sont au Bureau des affaires de la
jeunesse, pour vous montrer un peu le travail d'intervention qu'on fait en
amont en tant que poursuivant public, justement, pour répondre aux besoins des
jeunes, aux besoins de la population concernant, justement, cet attrait pour
les réseaux sociaux, Internet et la téléphonie intelligente.
Donc, au Bureau des affaires de la jeunesse, à
la base, on est... évidemment, on est là pour intenter des poursuites
criminelles et pénales contre les adolescents de 12 à 17 ans, 12 à
18 ans moins un jour, donc, mais on a, entre
autres, trois super programmes. On a parlé de SEXTO brièvement, on aussi La
Cour d'école et le #gardecapourtoi, qu'on va donner dans les écoles.
Je vais commencer par vous parler de
#gardecapourtoi, qui est un programme qui est donné dans le coin de Gatineau.
Toute la commission scolaire de Gatineau, tous les élèves de secondaire I
de Gatineau, tant les écoles francophones qu'anglophones, privées ou publiques,
reçoivent la visite de policiers, d'un procureur ainsi que d'un membre du
CALACS pour parler... on appelle ça le «sexting» ou le «sextage», là, avec les
adolescents. Ce qui est fait pendant cette rencontre-là, qui dure environ une
heure, c'est vraiment de parler à tous les élèves de la séduction, du consentement, des ressources d'aide, et de la
façon de bien utiliser les médias sociaux, et, peut-être, au lieu
d'envoyer des photos sexy, des photos, là, qui pourraient être considérées
comme de la pornographie, des moyens alternatifs, là, un peu sous le... de la
blague, là, qui pourraient être faits pour, disons, se débarrasser de la
situation des demandes de photos
compromettantes. Donc, c'est un programme qui est très centré, là, Gatineau,
mais chaque année, depuis quelques années,
là, tous les élèves de secondaire I, comme je dis, sont rencontrés pour être,
disons, sensibilisés, là, au «sextage» et à la diffusion d'images, là,
sur les réseaux sociaux.
On a également un autre programme, qui s'appelle
La Cour d'école, qui est là depuis plusieurs années. On en est à notre neuvième
année cette année, et ce qui est magnifique avec La Cour d'école, c'est qu'il y
a des procureurs formateurs qui se rendent dans les classes, de cinquième année
du primaire cette fois-ci, pour parler avec les jeunes de différents sujets en lien avec le système judiciaire. L'année passée,
pour vous donner une idée de grandeur, il y avait 172 procureurs
formateurs qui formaient 50 équipes qui se sont présentées dans
74 classes du Québec pour parler avec les jeunes sur une durée de
17 semaines, ce qui est quand même, là, plusieurs séances où on va parler
du système judiciaire, de l'absentéisme scolaire, de l'intimidation. On va
parler également de l'importance de faire des bons choix, mais on a surtout
deux nouvelles leçons, dans les dernières années, qu'on a mises en place, une
qui est sur le respect de soi et le respect des autres, où on parle du
consentement, et une autre, qui est soisprudent.ca, là, où on parle, justement,
là, de la façon de se comporter sur les réseaux sociaux.
Ça fait que tout ça a été pris d'une idée, le
programme était... s'appelait LEAD, au départ, et provenait des procureurs de
la Californie. Avec les années, on a modifié le programme pour vraiment
répondre de plus en plus aux besoins qu'on voyait chez les jeunes. C'est pour
ça qu'une leçon sur le consentement a été ajoutée et une leçon sur le...
comment se comporter sur Internet. La leçon sur le consentement, là, ne vient
pas non plus montrer aux jeunes, là, en tant que tel, les techniques, là, quant
au consentement, mais c'est vraiment sous la forme, là, d'exposer et de
comprendre le respect de soi, le respect des autres, le respect du non, le
respect... de s'écouter soi-même, également, lorsqu'on ne désire pas quelque
chose, l'importance de choisir son réseau d'amis et de respecter un non, qui
peut être... quand tu chatouilles ton petit frère qui te dit d'arrêter, bien,
on cesse, là, les manipulations à ce moment-là.
• (16 h 10) •
Donc, une leçon très intéressante qui apprend
vraiment aux jeunes à identifier leurs limites et également à les nommer, à
fréquenter aussi, comme je vous disais, des amis de leur âge, à demander avant
de toucher et à faire en sorte qu'on respecte leur non-désir d'être touché ou
de toucher quelqu'un d'autre, ne serait-ce que de donner des bisous à des
oncles ou à des tantes qu'on ne voit pas trop souvent, de reconnaître le
malaise chez soi-même et chez les autres et d'identifier également les adultes
de confiance et les ressources. Donc, cette leçon-là, elle est nouvelle, elle a
été mise sur pied par le DPCP en collaboration avec des collaborateurs, là, qui
travaillent auprès, là, des jeunes ayant pu subir, là, des abus sexuels.
Il y a également une leçon, comme je vous
disais, en plus des 15 autres, là, qui parle de la... de sensibiliser les élèves à l'importance de la prudence sur
Internet et sur les médias sociaux. En fait, on vient définir avec les
jeunes, là, c'est quoi, un comportement prudent sur Internet, c'est quoi, les
conséquences possibles de certains comportements ou gestes que je peux avoir sur Internet. Le fait de publier une photo,
une image, un texte, jusqu'où ça peut aller, qu'est-ce qui peut se
passer par rapport à ça. On se rappelle que c'est des enfants de 11 ans,
qui sont en cinquième année, donc qui, pour
la plupart, sont dans leurs débuts, là, d'apprendre à aller soi-même sur
Internet, et, malheureusement, il y en a qui ont déjà, là, des... sont déjà sur les réseaux sociaux. Donc, de leur
apprendre, là, à bien naviguer dans tout ça. Donc, ce qu'on veut faire, c'est illustrer les conséquences de
certains comportements sur Internet, les renseigner sur leurs droits,
leurs obligations en matière numérique. Il y a même la lecture d'un code de vie
sur le Net, leur montrer vraiment, là, comment
naviguer, exemple, de justement... un peu aussi pour qu'ils en discutent avec
leurs parents, que l'ordinateur soit à la
vue, de donner ses codes d'accès, toujours, à ses parents, des trucs pour
qu'ils soient en sécurité, là, sur les réseaux sociaux.
Donc, comme je dis, La Cour d'école dure... il y
a une notion introductive... 16 semaines. La dernière, ça se termine par un
procès simulé où on amène les enfants, là, visiter le palais de justice et
rencontrer, là, la magistrature et,
également, là, les policiers, les intervenants du système judiciaire. Si je
vous parle de ça... Je voulais principalement, comme je vous dis, vous
parler des deux leçons, mais ça nous permet aussi d'aller voir les jeunes et
d'avoir, également, là, mis en place des leçons à la fine pointe. On adapte le
projet d'année en année pour vraiment répondre, là, aux besoins des jeunes, bon.
Me Ouellette s'est présenté tout à l'heure,
notre coordonnateur SEXTO, SEXTO qui est un magnifique projet, également, là,
du Bureau des affaires de la jeunesse. En fait, c'est en lien avec le Bureau
des affaires de la jeunesse de Saint-Jérôme, le service
de police de Saint-Jérôme, qui se sont rendu compte, bien, qu'il y avait de
plus en plus de phénomènes de sextage chez les adolescents, et là on remonte en
2016, et ils se sont mis ensemble pour mettre en place le projet SEXTO, qui,
maintenant, est vraiment devenu une mesure phare, là, du plan d'action pour
prévenir et contrer l'intimidation et la cyberintimidation. Je vous dirais que,
d'année en année, on est de plus en plus partout au Québec, je dirais qu'on a
même... on est... Il reste quelques corps de police à se joindre à nous et
quelques commissions scolaires.
Ce qu'est SEXTO, c'est une action concertée,
rapide en situation de sextage. S'il y a un jeune, une jeune qui se plaint, en
milieu scolaire, que sa photo a été distribuée ou un jeune qui va voir un
intervenant, qui lui dit : Moi, j'ai reçu cette photo-là, il y a une
intervention rapide, efficace. Le but de SEXTO : que cette photo-là cesse
d'être propagée. Parce que c'est bien beau, dire : Nous, on est des
poursuivants publics, on va poursuivre, on va faire ce qui s'ensuit, donner une
sentence, une peine, mais l'important, pour la victime, pour la personne que la
photo circule, c'est que la photo cesse de circuler. Donc, SEXTO, c'est une
intervention rapide.
Je vous dirais qu'entre le moment où le geste
est dénoncé et la prise de décision, qu'est-ce qu'on fait avec ce dossier-là,
il y a un délai de 24 à 48 heures. C'est-à-dire que, dans ce délai-là, le
policier rencontre l'intervenant scolaire, ils discutent de la situation, on
demande à un procureur si on y va par méthode d'enquête traditionnelle,
c'est-à-dire qu'on judiciarise le dossier, ou si on y va par la rencontre
SEXTO. Comment on se base pour faire le choix? C'est bien simple, on va voir,
chaque situation est un cas d'espèce, quelle est la motivation de l'adolescent
à l'origine de tout ça, pourquoi il a transmis cette photo-là. Est-ce que
c'était un coup de tête? Est-ce que c'était par vengeance? On valide toute
l'information et on prend une décision, comme je dis, le but premier étant
toujours de récupérer ces photos-là et de faire en sorte qu'elles ne circulent
plus.
Je vous disais qu'on est presque partout au
Québec avec SEXTO. En fait, il y a 24 corps de police municipaux, le SPVM
et la Sûreté du Québec, qui sont, là, désormais formés SEXTO, avec les
commissions scolaires, là... les centres de
services scolaires qui y sont rattachés. En fait, là, il reste quelques corps
de police, là, je ne veux pas... je
ne veux pas mal les nommer, donc je laisserai peut-être Me Ouellette les dire,
et on a même un corps de police
autochtone qui est formé SEXTO, qui applique la méthode SEXTO. L'objectif,
évidemment, est d'être partout, partout, partout, avec SEXTO, dans
tous... dans tous les... dans tous les corps de police et dans toutes les écoles.
Pour vous donner une idée, là, depuis 2016, où
SEXTO a vu le jour, il y a 1 625 dossiers qui ont été traités avec la
méthode SEXTO, et ça, ça comprend 5 457 jeunes qui ont été impliqués
dans ce genre de dossier là. Vous savez, une photo peut être partagée à une, à
deux, à 10, à 12 personnes, transcende les écoles, peut se ramasser très
loin. Donc, c'est beaucoup de jeunes qui ont été traités, dont juste l'année
dernière, durant la dernière année scolaire, 413 dossiers qui ont été
traités, là, par SEXTO. C'est dire que ça fonctionne.
La Présidente (Mme Dionne) : Je dois
vous interrompre, Mme Champagne, désolée. Le 10 minutes est dépassé,
mais ce n'est pas grave, je suis certaine que les collègues ont un tas de
questions à vous poser. Alors, on va poursuivre avec mes collègues. Donc, qui
veut débuter ces échanges? Oui, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Me Champagne, Me Ouellette, et... pardon, Me St-Pierre, je
pense. Merci. Merci pour vos interventions. J'avais peut-être une question,
donc, sur la tangente, donc, de ce que vous
expliquez, donc, par rapport à SEXTO puis le rôle que nous, on peut jouer,
comme législateurs. Une thématique, là, que quelques collègues, donc,
ont abordée avec vos prédécesseurs, donc, c'est toute la question, donc, du
droit à l'oubli, là. Donc, je comprends donc qu'on parle donc des photos, donc,
diffusées, donc, vous dites, donc, à une, à deux,
à 300 personnes. Donc, est-ce que vous voyez un bénéfice, est-ce que vous voyez,
donc, que ce type d'action là, de la part
du législateur, donc, pourrait vous aider, donc, sur le long terme face à cette
initiative que vous avez créée, conçue?
Mme St-Pierre (Joanny) : Bien, en
fait...
Mme Champagne (Véronic) : ...
Mme St-Pierre (Joanny) : Je peux me
lancer. En fait, je vais y aller peut-être un petit peu différemment de votre
prémisse, c'est-à-dire que... Votre question se terminait avec : Est-ce
qu'on peut aller en complément avec votre projet SEXTO? En fait, moi, je vois l'opportunité
de venir légiférer dans la possibilité de pouvoir rapidement intervenir pour enlever du matériel d'images
intimes qui se diffusent sur Internet comme étant excessivement
positive. Plusieurs provinces au Canada ont
des lois qui permettent aux victimes d'obtenir de l'aide, du soutien pour
pouvoir faire des démarches dans...
ces démarches-là. Parce qu'on sait que ça peut être complexe, pour une victime,
de faire enlever du matériel d'elle
qui constitue des images intimes, et c'est bénéfique pour ces victimes-là
d'avoir la possibilité de recourir à un cadre législatif pour pouvoir aller faire enlever ce matériel-là. Donc,
je pense que cette possibilité-là, de légiférer au Québec, pourrait être très, très, très positive, et de
rassembler, par exemple, des services pour ces victimes-là en un seul et
même endroit où elles n'ont pas à aller cogner à plusieurs portes pour essayer
de trouver comment je pourrais faire, avec qui
je dois intervenir. Donc, je pense que c'est définitivement quelque chose qui
pourrait être très positif pour les victimes québécoises, avec des
services, évidemment, en français. Donc, je pense que ça pourrait être très,
très bénéfique.
Mme Cadet : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : M. le
député de Marquette.
M.
Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour à vous
trois. Merci de votre présence. Vous avez parlé de plusieurs programmes que
vous avez mis en place pour sensibiliser les jeunes. Je veux vous parler de
cyberintimidation, de... Il y a combien de cas que vous avez répertoriés?
Est-ce qu'il y a beaucoup, beaucoup de cas qui se retrouvent devant vous, où
vous devez, là, porter des accusations, où que vous devez vraiment faire votre
travail pour, justement, avertir un jeune ou qu'il y ait des conséquences? Est-ce
qu'il y en a beaucoup en matière de cyberintimidation ou ça se règle toujours
avant d'arriver devant vous?
• (16 h 20) •
Mme Champagne (Véronic) : Ce serait
une bonne nouvelle si ça se réglait toujours avant d'arriver devant nous. On
aimerait ça. C'est sûr que le programme, entre autres, SEXTO, c'est vraiment
pour la diffusion d'images intimes. La cyberintimidation, c'est drôle, parce
que notre système ne me permet pas de vous donner des chiffres sur le nombre de
dossiers de cyberintimidation parce que ça va être un chef d'accusation qui va
être : du harcèlement, de l'intimidation,
des menaces. Donc, moi, je n'ai pas la possibilité d'extraire la donnée, là,
que vous me demandez, s'il y a des dossiers de cette nature-là.
Évidemment, comme procureur terrain, je peux
vous dire que, oui, c'est des dossiers qu'on voit, il y en a beaucoup,
malheureusement. Parfois, l'intimidation va commencer à l'école, va se
poursuivre le soir par les médias sociaux.
C'est beaucoup ce qu'on peut voir, c'est... En fait, le jeune n'a plus de
pause, il n'a plus de moment, là, de répit, même chez lui, tu sais, on réussit à le rejoindre. Donc, on a beaucoup
de ces dossiers-là, évidemment, de cyberintimidation.
Ce qu'il faut savoir en matière jeunesse, puis
je ne sais pas si vous êtes... si vous connaissez bien le système de justice
pénale pour adolescents, mais c'est qu'on a aussi ce qu'on appelle toutes les
mesures extrajudiciaires. On essaie aussi beaucoup de sensibiliser les jeunes.
Notre but n'est pas toujours de faire en sorte de judiciariser l'adolescent. On
essaie de lui amener de l'aide, du soutien, de lui faire réaliser l'impact de
ses comportements par des méthodes alternatives,
par des méthodes extrajudiciaires. Donc, on a beaucoup de dossiers. C'est sûr
que, quand on voit ce qui inclus des
images intimes, de la pornographie, on a SEXTO, mais pour, effectivement, là,
vraiment, la cyberintimidation, comme vous l'appelez là, on aura plutôt
des dossiers, mais qui seront traités différemment parce que chaque cas, pour
un jeune, est un cas d'espèce. Donc, on va le traiter, là, selon les besoins de
l'adolescent qui est devant nous.
M. Ciccone :
Les jeunes qui commettent des fautes, qui se retrouvent devant vous, là,
toujours en matière, là... en parlant d'outils numériques, là, principalement,
là, ça vient de quelle plateforme... ou c'est principalement des textos, là?
Est-ce qu'il y a des plateformes particulières qui sont souvent nommées, qu'on
a utilisées, justement, pour commettre des fautes?
Mme St-Pierre (Joanny) : J'ai envie
de prendre la balle au bond. En fait, l'utilisation des plateformes, à mon
avis, elle est changeante, c'est-à-dire que ça va aller selon les modes, si on
veut. Parce que les jeunes, pour une période, ils vont aller sur une plateforme
qui est préférée, et là, pour x ou y raison, cette plateforme-là va devenir
moins intéressante ou il y en a une nouvelle qui va apparaître, avec des
options supplémentaires, des options différentes
qui vont amener les jeunes à aller vers cette plateforme-là. Alors, on pourrait
vous dire, aujourd'hui, peut-être... et peut-être que Maxime pourra compléter la réponse, mais on pourrait vous
dire qu'aujourd'hui, en date du 24 septembre 2024, il y a une
plateforme en particulier qui est plus populaire que les autres, et, dans six
mois, la réponse pourrait, à mon avis, être différente.
Donc, il y a à la fois quand on pense à
l'utilisation de plateformes pour commettre des infractions, mais également à
l'utilisation de plateformes pour des jeunes qui deviennent victimes
d'infraction. Donc, dans l'un ou l'autre des
cas, à partir du moment où un enfant, peu importe l'âge qu'il a, est en
possession d'un appareil informatique qui se connecte sur Internet, il y
a des risques qu'il soit victime ou qu'il puisse à son tour, là, par exemple,
tomber dans les filets de... commettre de l'intimidation.
M. Ciccone : Me
Ouellette, vous avez dit tantôt que vous étiez à Saint-Jérôme. Ici, on tente
aussi de savoir, là, les impacts différents
en matière de ruralité ou... urbains, là. Je suis persuadé que vous parlez avec
d'autres collègues qui ont la même position que vous. Voyez-vous un
achalandage au niveau urbain versus rural ou vice-versa?
M. Ouellette (Maxime) : Écoutez,
moi, je coordonne SEXTO sur l'ensemble de la province de Québec, donc j'ai
autant la chance de m'adresser à des partenaires locaux, comme Saint-Jérôme,
dans des régions un peu plus rurales, que, par exemple, le SPVM, à Montréal,
là, où on a fait le déploiement de SEXTO à l'automne dernier, donc en septembre
2023 jusqu'en avril 2024. Je vous dirais que la réalité, entre autres, du
sextage chez les adolescents, elle est partagée à l'entièreté de la province.
Le phénomène ne semble pas être plus important ou moins important en région,
par exemple, qu'en milieu urbain. Donc, cette problématique-là, elle est
vraiment, là, similaire, je vous dirais, et partagée par l'ensemble des jeunes.
Pour peut-être revenir à la question précédente,
au niveau des réseaux sociaux, nous, ce qu'on voit beaucoup dans nos dossiers,
c'est l'utilisation de Snapchat, qui est, depuis des années, une plateforme qui
est beaucoup utilisée chez les jeunes, également Messenger, donc, Facebook, Meta,
Messenger, qui sont... qui est aussi un outil qui est souvent utilisé pour
créer des groupes de discussion entre élèves. Et, bien là, un adolescent, par
exemple, ou une adolescente va décider de partager du contenu à ce groupe-là,
donc on peut avoir 10, 12, 20 personnes, et les gens n'ont pas sollicité
nécessairement le contenu, mais là on leur expose du contenu, parfois, bon, du
contenu, par exemple, au niveau de SEXTO, là, qui peut s'apparenter à de la
pornographie juvénile au sens de la loi. Donc, nous, SEXTO, on est en matière
d'intervention. Contrairement aux autres programmes que Me Champagne a définis
un petit peu plus tôt, qui sont vraiment des programmes
davantage basés sur la prévention et l'information, SEXTO, lorsqu'il s'applique, c'est qu'on est en
intervention. Donc, il y a eu un cas de sextage, il y a eu du partage d'images
intimes, il y a une demande d'une
adolescente ou d'un adolescent qui a besoin d'aide, et là on met en marche le
protocole SEXTO.
Et l'objectif, bien, c'est d'éduquer les jeunes,
et non pas de les judiciariser. C'est vers ça qu'on tente le plus d'aller avec
SEXTO, parce qu'on s'était rendu compte que les moyens légaux, ce qu'on
entreprenait au niveau judiciaire, bien, créaient des délais, la prise en
charge n'était pas optimale, et, au final, bien, on ne répondait pas aux
besoins des jeunes et on ne responsabilisait pas les adolescents qui se
livraient au sextage. Mais, avec SEXTO, nous, on considère qu'on a beaucoup
amélioré la situation, et des dossiers qui prenaient des mois à enquêter et à
se régler au niveau judiciaire, maintenant, dans un délai de moins d'une
semaine, on peut arriver à les régler. Puis ça, c'est la majorité de nos
dossiers, on parle d'une proportion de près de 60 % des dossiers dont Me
Champagne a parlé tout à l'heure qui se sont réglés via la rencontre de
sensibilisation SEXTO et non vers la voie judiciaire.
M. Ciccone : Bien, bravo! Merci beaucoup. Merci beaucoup.
M. Ouellette (Maxime) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Vous me
rappelez combien de dossiers, tout à l'heure, vous avez parlé que vous aviez
gérés?
M. Ouellette (Maxime) : Oui. C'est
1 625 dossiers depuis 2016. Seulement l'année dernière, on a constaté
416 dossiers pour l'année entière, en 2023. Et, entre janvier 2024 et juin
2024, donc la dernière période, nous, qu'on a comptabilisée, c'est
396 dossiers. Donc, on note une augmentation croissante depuis 2016.
Évidemment, il y a une partie de l'augmentation qui est en lien avec le fait
que le déploiement se fait d'année en année de façon plus importante, auprès de
davantage de corps policiers, mais on note quand même une croissance, là, dans
le traitement des dossiers, parce que, l'année dernière, ce qu'on a constaté,
entre janvier et juin, c'est qu'à Montréal, qui était la nouvelle région où on
a implanté SEXTO, il y a eu 68 dossiers qui ont été traités. Donc, en les
déduisant du fameux 396 dossiers qu'on
avait, bien, on en a quand même près... quasiment le même nombre que l'année
d'avant seulement avec une demi-année, là. Donc, c'est vraiment... c'est
vraiment préoccupant, comme phénomène.
La Présidente (Mme Dionne) : Et
pourquoi vous pensez que... Si vous étiez législateurs ou à notre place en
commission... comment est-ce qu'on pourrait contribuer? Est-ce que c'est au
niveau de la prévention? Est-ce que... Là,
c'est sûr que, oui, comme vous dites, il y a plus d'interventions, il y a le
déploiement de SEXTO, donc, évidemment, il doit y avoir plus de dénonciations, mais comment on explique ce
phénomène puis comment on peut contribuer à... Puis est-ce que le modèle de SEXTO aussi peut
s'appliquer à d'autres actes de cyberintimidation, là, disons ça comme
ça?
Des voix : ...
M. Ouellette (Maxime) : Joanny, tu
vas te lancer?
Mme St-Pierre (Joanny) : C'est
certain que, quand on parle de comment on peut intervenir en amont, je pense
qu'il faut penser à sensibiliser la population très, très tôt. Je suis
convaincue que je ne suis pas la première qui vous le dit, dans ce que vous
entendez, mais, souvent, ce que je prononce comme souhait, c'est que, dès le
moment où des enfants ont accès à des
appareils informatiques qui se connectent sur Internet, on devrait être en
mesure d'avoir avec eux des discussions de sensibilisation sur les
impacts potentiels, à la fois sur les impacts qu'ils peuvent subir... parce que
ces jeunes-là peuvent devenir victimes. Plus on est sur Internet, plus on est
vulnérable à se faire approcher par des gens qui vont tenter de commettre des
infractions à notre égard.
Donc, ça, c'est important, mais je pense aussi
qu'il faut qu'on informe à la fois les parents et les enfants. Tout à l'heure,
j'entendais une intervenante qui disait que la clé de la solution pour diminuer
la dépendance, c'est de remettre les enfants
en présence des parents davantage, mais je pense que les parents aussi sont un
petit peu dépourvus face à ce phénomène-là, parce qu'ils ne savent pas
quoi regarder, ils ne savent pas les plateformes qui sont utilisées par leurs
enfants. Ils ne sont, je pense, pour la plupart, pas conscients des dangers,
des risques à la fois de la surutilisation, mais aussi qui... desquels
s'exposent les enfants. Donc, je pense qu'il faut que les parents soient au
courant rapidement, plus intéressés et sensibilisés au fait qu'il y a des dangers
avec Internet et quels ils sont. Et je pense que les enfants aussi doivent être
conscients de ce à quoi ils doivent faire attention.
Et je pense
que, comme législateur, une des choses qui est importante, c'est peut-être le
langage qu'on emploie, notamment dans
les communications qu'on a avec la population. Parce que, par moment, des fois,
quand on parle, même comme
gouvernement, quand on s'exprime à la population, on va entretenir des mythes,
des stéréotypes. De façon tout à fait
involontaire, mais, par rapport, par exemple, à la violence sexuelle en ligne,
de penser que c'est uniquement des gens qu'on ne connaît pas qui utilisent des faux profils pour venir s'intéresser
aux enfants, donc, c'est d'entretenir des mythes et des stéréotypes,
parce que ça pourrait être un oncle, une tante, ça pourrait être un cousin, un
ami de la famille qui nous approche et qui fait de nous une victime, de la même
manière que, pour les jeunes, l'intimidation va se faire entre personnes qui se
connaissent d'abord et avant tout. Donc, je pense que, dans le langage qu'on
emploie et dans la façon dont on s'exprime pour dénoncer ce phénomène-là et
sensibiliser, ça fait partie d'une des possibilités. Donc, Maxime, je ne sais
pas si tu veux compléter.
M. Ouellette
(Maxime) : Bien, nous, dans SEXTO, quand on applique la rencontre de
sensibilisation, en fait, ce sont les policiers, parce qu'il faut comprendre
que SEXTO, c'est un partenariat entre les écoles, les services policiers puis
le DPCP. Lorsque nous, on oriente le dossier au niveau de la rencontre de
sensibilisation, les policiers vont accueillir les jeunes impliqués ainsi qu'au
moins un de leurs parents au poste de police. C'est des rencontres qui se font
en individuel. Donc, chaque jeune, avec un parent, va être rencontré, on va les
sensibiliser au phénomène du sextage. On va leur demander, entre autres, de
remplir un engagement de destruction de photographies pour s'assurer que les
images qui auraient pu être partagées, là, entre les jeunes, bien, soient
effacées. Et toutes ces informations-là vont
être consignées au niveau de la banque de données policière pour qu'on sache,
bien évidemment, s'il y a d'autres interventions plus tard et qu'on soit
capables de définir : Bien, tels jeunes ou tels jeunes ont déjà été
impliqués.
• (16 h 30) •
Donc là, la prochaine fois, ce ne sera peut-être
pas une intervention préventive qu'on va faire. Et, dans le processus, ce qui
est magnifique puis ce qui rejoint un petit peu les propos de Joanny, c'est
qu'en fait les parents sont présents et c'est... En tout cas, à en discuter
avec nos partenaires, que ce soit au niveau policier ou au niveau scolaire, c'est très dur de mobiliser un parent pendant 20 à
30 minutes pour être capable d'avoir un échange avec lui sur, bien,
c'est quoi, les risques associés, par exemple, à l'utilisation des réseaux
sociaux puis dans SEXTO, plus spécifiquement en lien avec le partage d'images
intimes sur les réseaux sociaux, et là on a l'opportunité de le faire avec
SEXTO.
Puis ce qu'on entend de nos partenaires policiers,
c'est que les parents, là, c'est un peu ce que Joanny nous disait, ils ne sont
pas informés de l'ensemble des risques que ça peut comporter, de laisser accès,
un libre accès aux réseaux sociaux à leurs jeunes. C'est comme si on laissait
entrer un enfant dans une jungle, qu'on ne connaissait pas cette jungle-là et
qu'on ne connaissait pas les risques qui y étaient, mais on le laisse quand
même y aller puis on espère que,
trois heures, quatre heures plus tard, bien, il en sorte indemne. C'est un
peu comme ça qu'on peut comparer le cyberespace… en tout cas, moi,
j'aime bien utiliser cette métaphore-là, et les parents ne s'en rendent pas
compte.
Et souvent, dans notre dynamique à nous, au
niveau du sextage, les parents ne savent pas non plus que le fait d'échanger du
contenu de nature sexuelle entre adolescents peut correspondre à de la
pornographie juvénile au sens de la loi. Donc, ils ont beaucoup à apprendre. Ce
n'est pas des mauvaises personnes, c'est vraiment des gens qui ne connaissent
pas, en fait, cet univers-là, et c'est compliqué de s'y intéresser quand on
part de zéro. Donc, pour moi, tout passe par la prévention, l'information et
l'éducation, parce qu'en matière d'intervention on est rendus beaucoup plus
loin dans le processus.
Donc, c'est certain que, si on est capables de
trouver des solutions en amont, bien, en tout cas, moi, de mon expérience
personnelle avec SEXTO principalement, c'est certain que ce serait gagnant,
puis je le vends toujours à mes partenaires.
SEXTO, c'est une chose. On va aider ces jeunes-là, mais, idéalement, ils ne se
rendraient pas jusque-là. Donc,
comment on va faire? Bien, on va mettre des campagnes de prévention en place.
On va les informer. Puis, bien, évidemment,
nous, on a des limites au niveau du DPCP. Notre mandat est un service de
poursuites, comme Me Champagne le
disait, mais je pense qu'ensemble… l'ensemble des acteurs peuvent trouver des
solutions pour en arriver, là, évidemment, à ce résultat-là.
La Présidente (Mme Dionne) : Puis,
si je reprends votre métaphore, puis connaissant les menaces qui règnent sur
les plateformes, est-ce que... je ne le sais pas, peut-être que vous ne vous
voudrez pas me répondre, mais est-ce qu'on devrait retarder l'âge d'accès aux
plateformes et aux réseaux sociaux? Je comprends qu'il y a une responsabilité
parentale, je l'entends bien, prévention, tout ça, mais est-ce que vous seriez
en faveur de retarder le plus possible l'accès aux réseaux sociaux pour les
jeunes?
Mme St-Pierre (Joanny) : Je pense
que, pour nous, c'est difficile de prendre une position avec la posture qu'on a
comme poursuivant public. Par contre, encore une fois, je pense que, si une
telle mesure était décidée, par exemple, au terme de vos travaux... Je pense
qu'il ne faut pas mettre de côté le besoin criant d'information et de
sensibilisation, parce qu'une seule mesure prise toute seule pourrait passer à
côté du problème, et je pense qu'il faut vraiment
que les gens soient sensibilisés aux risques que ces enfants-là courent pour
que les enfants et les parents soient en mesure d'identifier dans quel
moment mon enfant est à risque ou moi-même, je suis à risque, en tant
qu'enfant.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Je cède maintenant la parole à M. le député de Gaspé.
M. Sainte-Croix : Merci, Mme la
Présidente. Mes Champagne, Ouellette et St-Pierre, j'aimerais tout d'abord vous
remercier pour ce que vous faites pour les jeunes Québécois et Québécoises. Je
pense que ça mérite d'être souligné, parce qu'on comprend que ce n'est pas
quelque chose nécessairement de facile et d'évident, j'imagine, autant pour les
victimes que les parents, d'être dans une situation de cette nature-là. C'est
quand même quelque chose d'assez complexe.
Moi, j'aimerais savoir, à l'intérieur des cas
que vous... qui sont rapportés à vous, est-ce que vous voyez une certaine... un
certain équilibre au niveau des victimes, au niveau du genre, ou vous voyez une
prédominance d'un genre par rapport à
l'autre? Est-ce… Généralement, mon opinion, c'est que je pense qu'il y a plus
de filles ou de jeunes femmes qui sont victimes de ce type... si je
parle... je pense aux sextos. Est-ce bien le cas ou c'est vraiment assez
équilibré comme phénomène?
Mme St-Pierre (Joanny) : J'ai envie
de vous dire qu'on voit, en matière de violence sexuelle comme en matière
d'exploitation sexuelle des enfants sur Internet, une prédominance où les
femmes et les filles sont davantage victimes que les
garçons. Maintenant, je ne sais pas si mes collègues veulent compléter pour
peut-être d'autres types… en matière d'intimidation, mais, pour la violence
sexuelle, ça se répertorie de la même façon quand c'est fait en ligne,
malheureusement.
M. Ouellette (Maxime) : Pour ce qui
est du sextage, on remarque également la même tendance, là. C'est généralement
des filles qui sont victimes du phénomène, que ce soit le leur ou même le
repartage d'images intimes. On fait confiance à notre partenaire, et là, oups!
tout d'un coup, il y a une rupture qui survient ou… bien, la personne décide de
partager, et, malheureusement, la plupart du temps, c'est les garçons qui vont
décider de repartager l'image. J'ai des statistiques récentes. Elles sont
peut-être trop récentes pour que je puisse m'avancer par rapport à ça, mais
c'est quand même une proportion… majoritairement, là, en fait, femmes, filles
qui sont victimes, là, même dans nos dossiers de sextage. C'est une donnée
qu'on ne compilait pas avant la dernière demi-année. On a commencé à la
compiler parce qu'évidemment on s'y intéresse puis on voulait développer… voir
quelle tendance se développait, puis on la voit déjà se manifester.
M. Sainte-Croix : Au niveau de votre
intervention, est-ce que vous êtes en mesure d'établir une certaine forme de
profil des jeunes qui sont poussés vers des gestes de cette nature-là? Tu sais,
il y a-tu des... en bon français, il y a-tu des patterns que vous êtes en
mesure d'identifier?
M. Ouellette (Maxime) : Je peux
peut-être... pendant que, Joanny, tu réfléchis de ton côté, moi, rapidement… parce que, dans le cadre de mon mandat
de coordination, évidemment, je vois beaucoup les dossiers aussi qui
nous sont soumis, là, qu'on oriente vers les services policiers. Je ne suis pas
en mesure aujourd'hui d'identifier nécessairement, là, un profil cible qui se
livre plus ou qui serait davantage vulnérable au niveau du sextage chez les
adolescents. Ce que je peux vous dire, par contre, c'est que, généralement, les
garçons sont un petit peu plus âgés que les filles. On remarque une différence
d'environ une année entre les jeunes filles qui sont victimes et les jeunes
garçons qui les sollicitent pour partager des images. Donc, la moyenne des
filles, c'est environ 13 ans, les garçons, 14 ans. Donc, on se situe davantage là. Donc, évidemment, c'est un
peu en adéquation avec les principes de notre loi, sous le système de justice pénale pour adolescents,
c'est-à-dire, quand les jeunes… bien, plus ils sont jeunes, moins ils ont
un niveau de maturité important, donc, peut-être, de ce fait, sont plus
vulnérables ou plus propices à se livrer à ce type de comportement là.
Mme St-Pierre (Joanny) : Pour ce qui
est de la violence sexuelle ou de l'exploitation sexuelle des enfants sur
Internet, malheureusement, on n'a pas de profil cible. C'est-à-dire que
n'importe quel enfant, à un moment ou un autre de sa vie, peut se retrouver
victime d'une personne mal intentionnée qui va tenter d'atteindre cet
enfant-là. C'est certain que l'enfant qui est dans un état momentané de
vulnérabilité, avec des facteurs plus faciles à aller exploiter par le
contrevenant, a des chances davantage de se rendre loin dans cette
victimisation-là, mais il y a des enfants de tous les milieux, malheureusement,
de toutes, toutes les sphères sociales qui vont pouvoir tomber dans les filets.
C'est des gens habiles. C'est des gens habiles qui vont aller vers ces
enfants-là, qui vont être capables de trouver la faille ou les failles pour
réussir à aller… le lien avec ces enfants-là et obtenir ce qu'ils souhaitent
avoir éventuellement, soit des images ou une rencontre avec eux. Donc, je reviens
à mon message de tout à l'heure, je pense qu'il faut éviter de catégoriser pour
que les gens soient conscients que, nos enfants, ils peuvent tous... ils ont la
possibilité, tous, d'être victimes. Donc, il n'y a personne qui est à l'abri,
malheureusement.
M. Sainte-Croix : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : M. le
député de Joliette.
M. St-Louis : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Merci à vous trois d'être ici aujourd'hui. C'est très apprécié,
votre participation aux travaux de notre commission.
Est-ce que... En tout cas, j'espère que ma
question va être quand même assez claire, mais je pars un peu d'une réflexion
où ce n'est pas un peu la pointe de l'iceberg qui se retrouve... En fait, les
situations qui tournent mal se retrouvent… des statistiques chez vous, alors
que peut-être qu'en 2024 la cybersexualité fait partie, en tout cas, peut-être
pas pour tous et toutes, mais, pour certains et certaines, de l'apprentissage
adolescent ou… Bon, bien, moi, je viens d'une autre époque, on appelait ça
jouer au docteur, là, mais... puis je ne veux pas banaliser la chose, mais est-ce que vous ne pensez pas que c'est tristement
un peu là pour rester? Parce que l'outil est là, puis il y a une
certaine facilité, puis vous avez parlé de confiance puis de spontanéité, de
naïveté. Vos 1 600 quelques cas, est-ce que ça ne cache pas derrière
peut-être une façon de faire d'une nouvelle génération?
• (16 h 40) •
M. Ouellette (Maxime) : La
problématique de ça, c'est que, maintenant, ça se fait sur les réseaux sociaux,
et, quand un jeune perd le contrôle de cette image-là, bien, ce n'est pas
seulement l'individu avec lequel il avait partagé une image, par exemple, qui
est impliqué avec cette personne-là. Rapidement, les conséquences du partage
d'images intimes sont telles qu'elles... On se doit de trouver des solutions
puis on ne peut pas entretenir ces...
Puis ce n'est pas un reproche que je fais, ce
type de réflexion là, parce que nos jeunes, on se doit de les protéger parce que, justement, bien, ils sont plus
vulnérables. Ils sont moins matures. Ils sont portés à peut-être
justement expérimenter certaines choses.
Puis, dans le cadre de nos
discussions dans SEXTO dans les dernières années, bien, c'est évident, vous
avez raison de dire qu'il y a un volet d'exploration à la sexualité puis de...
D'une certaine façon, certains jeunes qui vont se livrer au sextage peuvent s'épanouir sexuellement de cette manière-là
quand c'est fait dans des conditions favorables où les gens sont dans
une relation de confiance et que les images ne sont pas repartagées, mais, moi,
ce que je dis tout le temps en formation puis quand je m'adresse à des
partenaires, c'est qu'on ne peut jamais garantir que ces images-là, peu importe
le contexte dans lequel elles sont partagées, vont demeurer entre les mains de
la personne à qui on fait confiance.
Puis c'est ça, la problématique de l'utilisation
des réseaux sociaux puis de s'exposer de cette manière-là. Là, je parle pour le
sextage puis je suis persuadé que Me St-Pierre va être capable de donner plus
de détails, je la vois sourire, mais, nous, ce qu'on voit dans SEXTO, c'est
cette problématique-là puis c'est ça qu'on veut adresser par, évidemment, le
protocole puis en insistant auprès des partenaires pour qu'on essaie de
développer, là, des moyens, là, de prévenir
en amont tout ça puis d'informer les parents, parce qu'on va... On peut
peut-être le dire 10, 15, 20 fois, mais il faut que les parents
soient en mesure d'encadrer leurs adolescents dans l'utilisation des réseaux
sociaux. C'est avant tout la responsabilité du parent, à mon avis.
Joanny, peut-être que tu veux compléter?
Mme St-Pierre (Joanny) : Bien, en
fait, ce qui, moi, me préoccupe par rapport à cette dynamique-là qui se dessine
tranquillement, c'est toujours la notion de consentement également, parce que
les enfants qui ne sont pas conscients qu'ils sont en train d'être manipulés
pour produire des images, c'est un problème. Si on ne leur enseigne pas à
déterminer dans quel moment je suis en train d'être manipulé ou…
Par exemple, mon copain ou ma copine me fait de
la pression parce que ça fait 20 fois, 30 fois, 40 fois qu'il me
demande des images, moi, je n'ai pas le goût, ça ne me tente pas, mais là ça
fait 40 fois qu'il me le demande puis qu'il est insistant ou, encore, il
me dit qu'il va aller voir ailleurs si jamais je ne le fais pas, on tombe dans
une dynamique qui est criminalisable. Donc, on est dans du leurre informatique,
dans du leurre.
Donc, c'est ça qui est préoccupant, parce que,
si on ne connaît pas les limites acceptables ou pas, on se retrouve dans des
situations où des jeunes femmes, principalement, mais aussi des jeunes garçons
vont se retrouver face à une obligation... impression d'obligation de produire
ce matériel-là, et, comme Maxime le disait si bien, la problématique avec
Internet, c'est qu'à partir du moment où ce matériel-là est en potentiel de
dissémination, c'est à l'infini. Donc, une image qui est publiée une seule
seconde sur Internet a un potentiel d'être par la suite... de réapparaître à
l'infini. Il suffit d'une seconde pour que quelqu'un en fasse une capture
d'écran et l'enregistre sur un support différent pour que cette image-là soit
remise sans cesse en circulation.
Donc, il faut garder ça en tête parce que…
Peut-être qu'il y a un aspect d'épanouissement sexuel pour ces adolescents,
mais il faut garder en tête que le contexte dans lequel cet épanouissement-là
peut se faire représente un risque différent de l'épanouissement qui va se
faire dans une chambre à coucher où personne n'a accès. À partir du moment où l'épanouissement se fait dans une
chambre à coucher avec la porte fermée, que personne ne les voie, il n'y
a pas de risque de dissimulation, mais, à partir du moment où l'image se
retrouve sur Internet, il y en a un, et c'est là où la ligne est difficile à
trancher et c'est important de garder en tête qu'il y a un risque.
M. St-Louis : Il y a des mécanismes
qui permettent... En fait, il y a des organismes qui demandent la suppression
de ces images-là, puis c'est fait, puis tout ça, mais... parce qu'on l'a
entendu en commission la semaine dernière, ces images-là, des fois,
réapparaissent quelques mois, voire même quelques années plus tard. Puis il y a
toujours le pendant du «dark Web» qui fait en sorte que, des fois, bien, même
si c'est supprimé, bien, ça continue de circuler. On peut faire quoi? Je veux
dire, là, je vous entends, puis, pour moi, comme papa, ce que je me dis,
c'est : sensibilisation, éducation, éducation, éducation. Mais, comme
législateurs, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre?
Mme St-Pierre (Joanny) : C'est une
bonne question, mais je suis d'accord avec vous qu'effectivement c'est une
problématique. Puis, vous avez raison, le Centre canadien de protection de
l'enfance a développé Arachnid, qui est un
magnifique projet et qui donne beaucoup d'espoir aux victimes, mais je pense
qu'il faut s'assurer d'encadrer nos enfants et les parents pour les
accompagner dans la meilleure connaissance, dans la conscience du fait qu'à
partir du moment où moi, je publie quelque
chose sur Internet il y a un risque que ce que je publie soit là jusqu'à la fin
de mes jours.
À partir du moment où on est conscients de ça,
la capacité de prendre une décision, je pense, elle est meilleure, mais je ne
suis pas convaincue que nos enfants sont à ce point conscients de ce risque-là.
Je ne pense pas qu'on leur... on les éduque suffisamment à cet effet-là. Est-ce
que c'est une obligation du législateur? Est-ce que ça passe par un travail concerté
de tout le monde? Moi, je pense que c'est là où ce sera gagnant, de le faire en
concertation avec peut-être plusieurs portions du gouvernement, mais, une chose
est certaine, le risque est là, et effectivement c'est difficile, une fois que
c'est sur Internet, d'y mettre fin, même s'il y a des outils qui existent.
M. St-Louis : Est-ce que je peux...
une dernière, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Dionne) : Oui. Il
reste une minute.
M. St-Louis : Rapidement, l'arrivée
de l'intelligence artificielle fait en sorte que, des fois, on peut prendre
juste le visage. On n'a pas nécessairement une photo compromettante, mais les
résultats sont les mêmes, ça, on le sait. Vous en pensez quoi? Est-ce que vous avez
eu des cas déjà?
Mme St-Pierre
(Joanny) : Bien, en fait, quand on parle d'hypertrucage, donc, de
prendre le visage de quelqu'un puis de le mettre sur un corps nu et de donner
l'impression que c'est l'image de quelqu'un d'autre, c'est une certitude que
l'impact chez la personne qui est visée par cette image-là est le même que si
c'était son image à elle-même parce que la personne qui va avoir cette photo-là
va être convaincue que la photo, elle est inédite. Ça ne va pas faire la
différence. Alors, pour la personne qui le vit, l'impact est exactement le
même.
Donc, je pense que c'est important de le garder
en tête, et, effectivement, avec nos jeunes, on le voit, il y a des
applications qui sont de plus en plus accessibles, qui permettent, en deux
clics, la possibilité de créer ce genre d'image là, et on le voit qu'ils le
font par moment en trouvant ça drôle, un peu en blague, en se disant : Ha,
ha, ha! Je vais faire ce type de photo là. Encore une fois, je pense que la
sensibilisation est la clé. Quand on n'a pas le choix, on va se rendre à l'intervention et éventuellement la
criminalisation de l'acte, mais je pense qu'il faut les éduquer sur le
fait que ça a de l'impact chez l'autre s'ils font ça, et cet impact-là peut
durer jusqu'à la fin de leurs jours parce que cette image-là est diffusée sur
Internet. C'est infini, l'impact sur ces victimes-là.
M. St-Louis : Merci pour vos
réponses, mais, surtout, merci, comme le disait mon collègue le député de
Gaspé, pour tout ce que vous faites pour nos jeunes Québécois et Québécoises.
La Présidente (Mme Dionne) : Alors,
Mes Champagne, Ouellette, St-Pierre, merci beaucoup pour votre contribution à
ces travaux.
Et nous, on suspend quelques instants pour
accueillir nos prochains témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 48)
(Reprise à 16 h 55)
La
Présidente (Mme Dionne) : La
commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant
la bienvenue à Mme Jolicoeur. Alors, merci de votre présence.
Donc, je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour nous faire part de votre exposé, et, suite à cela, nous
procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors,
je vous cède la parole.
Mme Marie-Pier Jolicoeur
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Mmes et MM. les députés, bonjour. Je vous remercie
beaucoup de m'avoir invitée aujourd'hui à venir vous entretenir sur les enjeux
qui occupent cette commission. Il y a des
enjeux qui m'intéressent particulièrement à titre de doctorante en droit des
enfants dans l'environnement numérique, qui est, oui, vraiment devenu un
sujet de recherche à part entière. Je me sens vraiment privilégiée de pouvoir
vous partager mes observations sur ces questions dans une perspective de droits
de l'enfant.
Je souligne que je collabore régulièrement avec
plusieurs des intervenants qui se sont adressés à vous ou qui vont le faire
dans les prochains jours et je déclare également que je n'ai pas de conflits
d'intérêts professionnels ou personnels à venir vous parler aujourd'hui, mes
recherches étant financées par des organismes qui sont indépendants.
Et donc cette perspective collaborative, et très
souvent interdisciplinaire, que j'adopte dans mes travaux m'amène à formuler
d'entrée de jeu une mise en garde à l'égard d'un faux dilemme qui s'est créé
depuis quelques années autour des questions qui nous concernent, soit celui
qu'on aurait à choisir entre des solutions éducatives ou des solutions
juridiques ou entre un acteur ou une autre... un acteur ou une autre pour
protéger les enfants dans le monde numérique. J'invite vraiment la commission à
adopter une vision large, une vision complémentaire des responsabilités de
chaque acteur de la société dans la recherche de solutions.
Je mentionne
aussi d'entrée de jeu que de parler de droit lorsqu'on réfère aux enfants, ça
peut sembler un acquis en 2024, mais
sachez que la reconnaissance de l'enfant comme personne à part entière, qui
jouit d'une capacité et qui possède des
droits, c'est une situation pour laquelle il a fallu militer à une certaine
époque qui n'est pas si lointaine où l'enfant était considéré comme un être qui était incapable,
défini par ses manques par rapport à l'adulte. Il est vraiment passé
d'objet de droit à un véritable sujet de
droit. Puis c'est vraiment sur cette vision que repose la convention sur les
droits de l'enfant, qui est un instrument juridique international qui a
été ratifié par les gouvernements du Québec et du Canada en 1991, et donc le
Québec s'est engagé à faire appliquer et à respecter les principes qu'elle
contient en ligne et hors ligne.
Et donc les principes de droits de l'enfant, ce
ne sont pas juste des beaux principes, c'est des engagements, c'est des
obligations. Et donc, en ce sens, le paragraphe 35 de l'observation générale
n° 25 est sans équivoque à l'égard des
responsabilités de l'État par rapport à l'industrie du numérique, et je
cite : «Les entreprises ont des incidences sur les droits de l'enfant dans
le cadre de la fourniture de services et de produits liés au numérique. Les
entreprises sont tenues de respecter ces droits, de prévenir et de réparer les
atteintes, le cas échéant, et les États ont l'obligation de veiller à ce que
les entreprises assument ces responsabilités.»
Comme mon temps est restreint, je vous soumets,
à la lumière de ces premiers commentaires, la très large recommandation, mais
importante, que l'ensemble des éventuels projets de loi et initiatives de
l'Assemblée nationale du Québec qui
découleraient de cette commission spéciale tiennent compte de l'outil
d'évaluation des répercussions sur les droits des enfants, le ERDE,
fondé sur la convention pour aider les parlementaires à évaluer leurs
répercussions éventuelles sur les enfants.
Vous savez, en 1977,
lorsque le Québec a adopté la Loi sur la protection de la jeunesse, cette
dernière a été reconnue comme une loi d'avant-garde. Cette loi a été imitée,
d'ailleurs, dans d'autres juridictions à travers le monde. Elle a permis au
Québec de se positionner sur la scène internationale. Donc, on a l'occasion
aujourd'hui de nous placer comme précurseurs, d'agir avec leadership, de suivre
la mouvance actuelle qui a débuté aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie
et ailleurs pour s'assurer de protéger les droits de l'enfant en ligne par des
messages forts et des initiatives concrètes.
Pour ce faire, dans mon mémoire, je ne vous
soumets pas moins de 18 recommandations basées sur cinq principes clés en
droit des enfants. Je ne vais pas avoir le temps de passer au travers, mais je
vais insister sur deux principes clés, puis on pourra revenir sur le reste dans
le cadre de nos échanges.
D'abord, premier principe, et je vais faire
sourire les personnes avec qui je collabore régulièrement si jamais elles
écoutent cette audition puisque je le martèle souvent, le principe des
capacités évolutives de l'enfant. Les enfants ont besoin de protection, mais
ils ont aussi besoin de participation. Ils ont besoin d'autonomie
décisionnelle. Ces différents besoins vont varier selon les contextes, selon
l'âge, selon les domaines de décision, et ce principe va avoir des conséquences
importantes dans leurs relations numériques.
Par exemple,
dans la petite enfance, c'est une période au cours de laquelle l'enfant va se
développer rapidement. Bon, on vous l'a dit, plusieurs intervenants vous
l'ont dit, il y a une vulnérabilité singulière dans les toutes premières années de la vie. On pense que ce serait justifié,
dans le cadre d'initiatives législatives pédagogiques à caractère
symbolique, par exemple, ou à travers des normes de santé publique, de
suggérer, au nom du principe des capacités évolutives de l'enfant et en raison
des données probantes qu'on vous a présentées, des balises d'usage des écrans
qui seraient distinctes entre la petite enfance, l'enfance et l'adolescence.
• (17 heures) •
Il y a différentes propositions de lois
actuellement dans le monde qui incarnent cette vision nuancée de ce qui est
optimal entre les catégories d'âge, du degré de maturité et de compréhension de
chaque enfant, le fameux projet de loi sur la majorité numérique, je crois, est
sur votre… peut-être dans vos réflexions présentement, ceux qui portent sur le
renforcement de la protection des mineurs sur les réseaux sociaux, les projets
de loi autour de la vérification de l'âge à l'entrée des sites pornographiques
et les mesures d'encadrement du contenu télévisuel et cinématographique.
Pour évaluer ce qu'est la capacité de l'enfant,
il y a différents critères qui sont recommandés par l'UNICEF. D'abord, la
capacité de l'enfant de comprendre c'est quoi, les alternatives qui sont
disponibles. L'enfant doit aussi être capable d'exercer un choix indépendamment
de toute contrainte et manipulation, un critère que l'on peut questionner dans
le cas des réseaux sociaux en jeune âge, la capacité aussi de pouvoir mesurer
les conséquences néfastes qui pourraient
naître du traitement de ces données personnelles, par exemple. La capacité
d'évaluer les avantages, les risques, les dommages potentiels sur son
développement : difficile pour un enfant du primaire, par exemple, dans le
cas de la pornographie.
Cette reconnaissance de l'acquisition
progressive de l'autonomie de l'enfant, c'est un concept qui devrait guider les travaux des parlementaires pour éviter
de tomber dans un paternalisme juridique envers les enfants, certes,
mais pour aussi, en même temps, s'assurer de les protéger adéquatement et
d'agir sur le plan législatif lorsque c'est requis.
Deuxième principe, celui de l'intérêt supérieur
de l'enfant, et je vais terminer mon allocution sur ce principe, dont on vous
a, d'ailleurs, déjà parlé. On l'a dit souvent, les écrans, plus largement le
numérique, bon, offrent des opportunités aux mineurs, ils peuvent aussi
provoquer des risques, et le nerf de la guerre réside en grande partie dans cet
exercice qui consiste à séparer le bon grain de l'ivraie en matière de
numérique dans l'enfance. Et je vous propose que le guide, la boussole dans cet
exercice, ce soit le meilleur intérêt de l'enfant, comme nous le requièrent,
d'ailleurs, nos engagements internationaux en matière de protection des
mineurs.
Et je réitère que ce n'est pas seulement un
principe qui est intéressant, l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est une
obligation qui découle de l'article 3 de la convention. On dit : «Dans
toutes les décisions qui concernent les enfants, [que ce] soient [les]
institutions [privées, publiques], [les] autorités administratives [...] les
organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une
considération primordiale.» Et donc cette obligation s'applique à tout moment,
en tout lieu, dans tous les contextes du monde numérique et de la vie hors
ligne.
Et donc de parler de considération primordiale,
ça fait en sorte qu'en cas de conflit avec d'autres droits, ceux de
l'entreprise, des entreprises du secteur du numérique ou ceux des parents, on
va accorder un poids, une priorité qui va être plus élevée à l'intérêt de
l'enfant, comme la Cour suprême l'a fait dans l'arrêt Irwin Toy en 1989, une
décision qui est historique pour le Canada, où on a vraiment fait passer l'intérêt
de l'enfant en priorité. Et donc le plus haut tribunal du pays a conclu que
c'était «raisonnable, de la part du législateur, d'empêcher les annonceurs
d'exploiter la crédulité des enfants». Je reprends les mots de la décision.
Et donc cette évaluation de l'intérêt supérieur
de l'enfant, ça doit faire une place aussi au respect du droit de l'enfant
d'exprimer son opinion, du droit d'être entendu dans toutes les affaires qui le
concernent. Je salue l'intention de la commission en ce sens, de faire participer
les écoles, et je pense qu'il ne faut pas hésiter à aller le plus loin possible
dans cette implication et cette participation des enfants.
Il paraît aussi une avenue prometteuse
d'intégrer le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant comme étant prioritaire
aux intérêts commerciaux de l'industrie, comme on le retrouve, d'ailleurs, dans
des lois au Royaume-Uni ou dans certaines législations américaines.
À propos de la participation des enfants, le
rapport de l'important organisme Digital Futures Commission, au Royaume-Uni,
est sans équivoque à l'égard du modèle d'affaires des plateformes et de ce
qu'en pensent les mineurs. Le rapport révèle que les enfants ont exprimé
vouloir «un monde numérique qui est moins addictif, moins préjudiciable et qui
ne les exploite pas sur le plan économique». Je reprends les mots des enfants.
Et donc je souhaite
terminer par les propos éloquents de l'éminent professeur en droit des
technologies au Québec, Pierre Trudel, qui a exprimé dans un article aux médias
au sujet de l'encadrement de l'industrie du numérique : «Il faut cesser de
prétendre que les lois d'un État ne peuvent pas s'appliquer lorsqu'une activité
se déroule sur Internet. Ce qui manque pour assurer l'efficacité des lois aux
activités qui se déroulent en ligne, c'est la volonté des autorités de les
appliquer et de les assortir des risques proportionnés pour ceux qui
choisiraient de passer outre.» Donc, j'invite la commission à réfléchir à ce
que le Québec prenne les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'il devienne
risqué pour les entreprises de faire fi des lois qui s'appliquent pour protéger
les enfants, en ligne comme ailleurs.
Je vous remercie de votre attention et je suis
disponible pour échanger avec vous.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, Mme Jolicoeur. Nous allons débuter
cette période d'échange avec M. le député de Jonquière.
M. Gagnon : ...plaisir de vous
accueillir. J'ai bien entendu certaines balises en fonction de l'âge, mais vous
avez dit quelque chose qui m'accroche, vous avez dit : Une certaine
autonomie décisionnelle. Et, de manière très courte, ce que j'entends, c'est...
vous proposez, puis reprenez mes propos, mais vous proposez une certaine
liberté aux enfants, dans leurs choix. C'est ce que j'entends. C'est-à-dire, on
peut parler d'école, on peut parler du parent, on peut parler de formation, on
peut parler d'éducation, mais vous ramenez une vision qui dit : En
fonction de l'âge, en fonction de certaines
balises, les enfants peuvent faire certains choix. C'est là-dessus que
j'aimerais vous entendre.
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien,
c'est le principe des capacités évolutives de l'enfant, c'est au coeur de
toutes les lois en protection de la jeunesse, là, cette idée de dire que
l'enfant est titulaire de droits, donc de ne pas rentrer dans une attitude qui
est paternaliste ou qui serait... autant dans les mesures éducatives que dans
les mesures juridiques. Cependant, le besoin... la reconnaissance du principe
de l'acquisition progressive de l'autonomie, ça n'exempte pas le fait qu'on a aussi un devoir de protection de l'enfant.
Et donc c'est vraiment un principe qui est évolutif, qui est contextuel
également et qui ne fait pas en sorte, puis j'espère avoir été claire là-dessus
dans mon audition, que l'État n'a pas d'obligation d'encadrer les entreprises,
l'industrie du numérique, là, lorsque nécessaire.
M. Gagnon : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : D'autres
interventions? Oui, Mme la députée d'Iberville.
Mme Bogemans : ...de la qualité du
contenu puis que ça reflète bien, finalement, l'intérêt de l'enfant. Ça serait
quoi, le meilleur processus pour que le matériel puis le contenu qui est
présenté aux enfants dans les écoles soit adéquat, selon vous?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien,
je pense qu'il faut suivre les données probantes à ce sujet-là. Dans les
écoles, sur les technologies pédagogiques, il y a des gens qui ont vraiment des
expertises spécifiques, là, sur cette question-là, si votre question, tu sais,
s'adresse vraiment au contexte scolaire. Encore une fois, ça aussi, ça découle
de nos engagements internationaux envers les enfants, que d'être capables de
leur fournir un contenu de qualité. Puis je pense que ça ressort assez
clairement de la commission que tout ce qui mobilise des stratagèmes basés sur
l'économie de l'attention, sur des... vraiment de la surstimulation, tout ça,
ça ne correspond certainement pas à ce qui est optimal, là, pour le
développement de l'enfant. Donc, j'espère répondre à votre question par rapport
au contexte scolaire. Je n'ai pas d'expertise spécifique, là, à la question des
outils pédagogiques en contexte scolaire, là.
Mme Bogemans : Mais, en fait, est-ce
que... Pour respecter le principe que vous venez de mettre de l'avant,
finalement, est-ce que le mieux, ça serait, par exemple, de dire : Nous
avons le droit, dans les écoles, d'utiliser telle plateforme ou tel outil parce
qu'on a les études probantes, indépendantes ou avec une transparence de qui a
financé les études pour être capables de dire que c'est du bon matériel?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Je
pense que vous mettez le point sur un enjeu qui est très important, là, la
transparence, aussi, du financement de ces études-là, tout à fait. Mais je
pense que, si on revient au fait que la boussole, le guide, c'est le meilleur
intérêt de l'enfant, bien, ça serait d'évaluer au cas par cas. Bien, par
exemple, l'interdiction du cellulaire dans la classe peut avoir une
justification parce que c'est dans le meilleur intérêt de l'enfant d'être
concentré, de ne pas être distrait durant ses périodes de classe, peut-être
même de l'élargir, effectivement, dans des
contextes plus vastes. Pour ce qui est, après ça, d'utiliser des outils qui
sont bien balisés, il y a eu des
associations, là, de... qui sont venues vous parler, qui sont vraiment dans le
secteur des technologies éducatives. Mais,
à ce moment-là, en utilisant ce principe-là de l'intérêt supérieur de l'enfant,
ce serait d'évaluer contextuellement, effectivement,
si ça peut être dans l'intérêt de l'enfant de bénéficier d'outils pédagogiques
en classe lorsque c'est opportun.
Mme Bogemans : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : M. le
député d'Hochelaga-Maisonneuve.
• (17 h 10) •
M. Leduc : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour. Merci pour votre présentation. Pouvez-vous nous
dire, ça m'intéresse, là, le concept de
l'intérêt supérieur de l'enfant, dans combien d'autres lois québécoises on
utilise ce concept-là?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien,
en fait, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, il est dans notre
droit commun, là, dans notre Code civil du Québec. C'est une obligation, un engagement
international qu'on a. Là, je ne veux pas rentrer dans trop des considérations
techniques, mais on a un enjeu au Canada, au Québec, de ne pas avoir intégré la
convention par une loi habilitante dans nos lois. Ce qui ne veut pas dire que
le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas un engagement, là,
qu'on doit respecter, mais le fait de l'intégrer spécifiquement dans une
législation, par exemple, Me Levac, qui vous a recommandé de le faire dans
une loi sur la protection des renseignements personnels, moi, je pense que ce
n'est jamais une mauvaise idée.
Je veux dire, pour l'argumentaire, aussi,
qu'elle mettait de l'avant, l'idée de la protection parapluie, là, je trouve ça
assez intéressant. Et aussi parce que, bien, il y a un peu une présomption
d'interprétation des lois, que le législateur ne parle jamais pour rien dire,
donc le fait de marteler qu'on met de l'avant une loi qui a pour but de
protéger les personnes physiques dans le cyberespace, dans... sur Internet,
bien, le fait d'inscrire qu'on valorise l'intérêt
supérieur de l'enfant et qu'on protège un groupe vulnérable, je pense que c'est
une avenue qui est intéressante, là, pour le gouvernement.
M. Leduc : Vous parliez de Me Levac,
ça, c'était avec Option Consommateurs?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui,
exact.
M. Leduc : Oui, c'est ça. C'est ça.
Donc, leur proposition de dire : On devrait intégrer ce concept-là dans la
loi sur les renseignements personnels et confier à la Commission d'accès à
l'information un certain pouvoir décisionnel sur l'objet d'une plainte, de
potentiellement interdire des fonctionnalités de réseaux sociaux... quelque
chose que vous pensez qui est une piste intéressante?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien,
tout à fait. Je dirais que, de manière générale, quand une loi comme celle-ci
cherche à protéger un groupe vulnérable, de mettre l'intérêt supérieur de
l'enfant, c'est une avenue qui est intéressante.
Ce que j'ai essayé aussi de vous dire dans mon exposé, c'est que le principe de
l'intérêt supérieur de l'enfant, il s'applique en tout temps, en tout
lieu, tout le temps, dans notre vie en ligne et hors ligne. Donc, le fait que
ça ne soit pas inscrit dans la loi, ce n'est pas un justificatif pour
dire : Bien, on passe outre le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais le fait de le mettre dans une loi,
ça donne, c'est ça, une protection peut-être supplémentaire,
effectivement.
M. Leduc : Vous parliez tantôt de
prioriser, donc, l'intérêt supérieur de l'enfant par rapport aux intérêts
économiques des entreprises de jeux vidéo ou de réseaux sociaux. Comment on le
concrétise? Parce que je ne suis pas sûr qu'il y a beaucoup de monde qui serait
en désaccord avec cette hiérarchisation que vous faites de ces deux
principes-là. Mais, concrètement, là, on parle, donc, par exemple, de
l'intégrer, faire de la solution d'Option Consommateurs une réalité, mais
est-ce qu'il y a d'autres manières que vous pourriez nous suggérer, vraiment
plus concrètes, de le concrétiser, alors, cette...
Mme Jolicoeur
(Marie-Pier) : Bien, vous dites qu'il n'y a pas beaucoup de gens
qui sont en désaccord, par contre...
M. Leduc : Officiellement et
publiquement.
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui,
oui, officiellement et publiquement, tout à fait.
M. Leduc : Après ça, quelques
investisseurs pourraient nous dire autrement, on s'entend, là.
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui.
Mais en fait, par contre, quand vient le temps d'agir pour contraindre
l'industrie, même si on est d'accord avec le principe, des fois, on se
questionne nous-mêmes. Bien, je l'ai entendu dans
l'espace médiatique, je l'ai un peu entendu aussi en commission, de dire :
Bien là, qui qu'on est, David contre Goliath, contre l'industrie du
numérique? Moi, je vous dirais : Il n'y a rien qui est censé être
au-dessus du gouvernement et de l'industrie, sauf les droits et libertés de la
personne. On est dans une constitution où, bien, ce qui est supralégislatif,
c'est les droits et libertés de la personne. Mais, sinon, l'industrie n'est pas
censée être au-dessus des lois. Et donc je comprends l'asymétrie de pouvoir qui
s'est créée, je comprends cette espèce de réflexe-là de dire qu'on est...
Mais moi, j'invite la commission à vraiment
chercher à avoir la certitude que ça fait partie de ses devoirs, de ses
obligations envers les enfants que d'encadrer l'industrie, si jamais il y a
préjudice puis qu'on viole l'intérêt de l'enfant, l'intérêt supérieur de
l'enfant. Donc, c'est un mythe, hein, qu'on ne peut pas encadrer Internet, que,
parce qu'il y a des sites qui sont hébergés dans d'autres pays, les lois ne
s'appliqueraient pas. Il y a une décision de la Cour suprême, célèbre, qu'on nous enseigne dans nos séminaires de droit des
technologies, où une injonction extraterritoriale a été demandée, dans
Google et Equustek, en 2018, donc, pour forcer Google à appliquer... c'était
dans un cas de propriété intellectuelle. En tout cas, peu importe. Mais,
vraiment, c'est ce mythe-là, là, qu'on n'a pas de pouvoir sur l'industrie parce
que l'industrie est toute puissante. En tout cas, je pense qu'il faut rétablir
l'asymétrie de pouvoir qui s'est créée.
M. Leduc : Je
ne veux pas parler au nom de mes collègues, mais, mettons, moi, ce qui pourrait
me faire réfléchir, ce n'est pas tellement
l'idée qu'on peut légiférer, ça, je sens qu'on a ce pouvoir-là, c'est notre
fonction première ici et dans ce beau
parlement, mais c'est plus la question : Est-ce que ça
va fonctionner? Est-ce que ça va être efficace?Est-ce qu'on va
réussir à, pour de vrai, réglementer ce secteur-là, mettre au pas les... Ça
fait que c'est plus ce truc-là.
Tu sais, on
parlait tantôt des VPN, est-ce qu'on peut... La dernière chose que je voudrais,
c'est qu'on légifère, puis qu'on bombe le torse, puis on dit : Au
Québec, c'est comme ça qu'on vit, pour paraphraser certaines personnes, mais
qu'après ça ça ne fonctionne pas puis qu'on devienne presque une risée
internationale : Bien, eux autres, ils ont dit qu'ils allaient tout changer, puis finalement rien ne change. C'est
plus l'applicabilité de ce qu'on tenterait de faire.
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Je vous
rassure par rapport à l'aspect, tu sais, d'être une risée. Tu sais, il y a une
mouvance actuelle dans les lois, au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, où
vraiment on adopte des lois pour encadrer l'industrie. Je pense que c'est
vraiment l'occasion de suivre cette mouvance-là. Le UK Age... Age Code, là, sur le design de... Pardon, le titre
exact, mais vous savez lequel... UK Children's Code, là, pour agir
vraiment sur le design du numérique. Il y a
une étude qui a été faite par Children and Screens, qui est un organisme
indépendant aux États-Unis, pour mesurer l'effectivité de cette loi-là, et ils
ont dénombré 128 changements qui ont été faits suite à l'adoption de ce
code-là.
C'est sûr que c'est difficile de dénombrer, de
ce nombre-là, c'est quoi, qui réellement et directement corrélé avec l'adoption
de la loi ou qu'est-ce qui a été de l'autorégulation de l'industrie, qu'ils se
sont dit : O.K. on sent l'eau chaude, et donc on adopte des changements.
Mais, quand même, c'est sûr que, pour l'enjeu de l'effectivité du droit puis
qui, moi, comme doctorante en droit, m'intéresse beaucoup aussi, et c'est
normal... Je pense que c'est un enjeu, l'efficacité du droit, qui n'est pas
présent seulement dans le monde numérique. Tu sais, on se questionne sur
l'effectivité des normes dans le monde non numérique, et je pense qu'on est
dans des démarches très prospectives, donc l'efficacité réelle, si on la
mesure, parce qu'on ne mesure pas toujours l'efficacité de toutes les lois,
mais on va le savoir, c'est sûr, par après. Mais je pense que, sur des
enjeux... particulièrement René Morin, qui est venu vous parler des enjeux qui
concernent la délinquance sexuelle en ligne, les enjeux de vie privée, les enjeux
que Maude Bonenfant vous a parlé ce matin, concernant les stratagèmes, Magali
Dufour, je pense que, sur ces enjeux-là, il y a vraiment quelque chose à faire
sur le plan législatif.
M. Leduc : C'est sûr que je pourrais
vous parler longtemps des normes du travail qui ne sont pas à 100 %...
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Tout à
fait.
M. Leduc : ...appliquées au Québec.
Bien, ce que je retiens de votre témoignage, c'est que, même si on n'est pas à
100 % certains que ça va 100 % s'appliquer, on est quand même
suffisamment certains que ce droit nouveau là aura un impact pour s'y lancer.
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui.
Puis je pense qu'on vous a parlé de force symbolique, aussi, du droit. C'est
sûr qu'en sociologie du droit on va s'intéresser aussi à ces effets-là de la
norme, au fait que le gouvernement prend une posture. Récemment, je parlais
aussi avec... d'effectivité, justement, du droit sur Internet, et on me parlait
de la stratégie que, d'ailleurs, je pense, le centre canadien de la petite
enfance... de protection de l'enfance, pardon, met en oeuvre, l'idée d'être en
réseau avec les autres pays qui ont adopté une législation similaire, qui
fonctionne très bien dans le cas de la pédopornographie. Donc, ce n'est pas
parce que le contenu problématique vient de l'Irlande, par exemple, qu'on va se
retenir d'agir et donc de développer des partenariats en réseau, comme ça.
Bien là, si, un jour, on a un commissaire à la
protection de l'enfance au Québec, là, il y a un projet de loi... ça pourrait
être d'être en réseau avec les ombudsmans de protection de l'enfance de
d'autres juridictions. La Sûreté du Québec, je pense qu'elle n'est pas venue
encore témoigner, mais, en tout cas, les polices... les corps policiers peuvent
travailler aussi en réseau, les protections de la jeunesse, les commissariats à
la vie privée, la CNIL en France, tout ça. Donc, ce travail-là en réseau, ça
peut être un levier pour s'assurer de l'effectivité des lois adoptées.
M. Leduc : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Moi, je
vais me faire l'avocat du diable pour... J'essaie de voir, tu sais, au niveau
de l'intérêt supérieur de l'enfant, des fois, dans une certaine mesure, si ça
peut s'appliquer. Parce qu'on a... bon, on a entendu plusieurs témoins, puis,
au niveau, bon, bien, de l'interdiction du cellulaire, complètement, dans les
écoles, bien, certaines visions, c'est que, bien, ça serait dans l'intérêt de
l'enfant parce que, sur l'heure du dîner, les jeunes sont tous sur leurs
cellulaires, puis il n'y a plus personne qui socialise, l'activité physique est
moins là.
Donc, dans un... Comment on arrive à jongler
avec ça, alors qu'on a deux écoles de pensée, sur l'interdiction des
cellulaires, complètement, à l'école, quand certains prônent que, bien, l'intérêt
supérieur de l'enfant, ce serait de l'interdire et d'autres disent : Bien
non, si vous faites ça, on va créer d'autres problèmes ou ils vont aller...
c'est ça, ils vont sortir de l'école puis ils vont aller visiter leurs
plateformes? Alors, c'est dans ce... devant ces dilemmes-là que je me
dis : Comment on applique ce principe?
Mme Jolicoeur
(Marie-Pier) : Bien, c'est une très, très belle question, parce que
l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est quelque chose qui est contextuel. Puis
je me mets à votre place, là, ça fait presque deux semaines que vous recevez de
l'information de... puis de l'information qui peut sembler contradictoire mais
qui est la démonstration... Puis ça, c'est une recommandation aussi que
j'ai dans mon mémoire, de segmenter les sujets, parce qu'il y a plus d'une
trentaine de problématiques, là, qui sont abordées dans le document de consultation,
puis ça peut créer, des fois, cette impression-là de : Ah! bien là, dans
ce cas-ci, l'écran, il est bénéfique; dans tel autre, il ne l'est pas, puis
là... Donc, peut-être qu'en segmentant, aussi, les enjeux ça peut aider.
Et moi, comme
juriste, je le vois, là, cet enjeu-là de la nuance, qui est important, là, de
ne pas tomber technophobie ou technophilie, être dans un juste milieu. Mais,
moi, ma crainte, parfois, dans certains discours, c'est que cet accueil-là de
la nuance fasse un peu basculer dans la complaisance par rapport à certains
risques, tu sais, le fait de... Puis c'est des débats, là, qu'il peut y avoir
entre... Mais il y a des risques qui sont extrêmement importants, extrêmement
sérieux. Tantôt, vous avez Mme Miville-Dechêne qui va venir vous parler de
l'accès à la pornographie, il y a des
intervenants qui vous ont parlé de cyberdépendance, donc il y a des enjeux qui
sont très, très... qui n'occultent pas le fait qu'effectivement, pour
certains... Puis moi, j'y suis sensible, bien sûr, comme... dans une
perspective de droits de l'enfant, des enfants en situation de handicap, pour
qui la technologie va être bénéfique, va leur permettre d'être un outil
d'inclusion.
Ça fait que tout ça
pour... une longue réponse pour vous dire, finalement, que je pense qu'en
segmentant les sujets et en accueillant cette complexité-là, qui est vraiment
propre à... Ça semble être un gros problème, les écrans et les enfants, mais c'est finalement plusieurs problématiques
différentes, plusieurs enjeux. Il faut prendre le temps de les évaluer,
il faut prendre le temps de les analyser et... Voilà, longue question,
finalement, puis la question était dans les écoles, mais... longue réponse.
Mais, merci, c'est une question qui est importante, vraiment.
• (17 h 20) •
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci. C'est éclairant. Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, Me Jolicoeur. Merci pour votre mémoire. En fait,
donc, vous l'avez abordé un peu, donc, dans votre énoncé, donc vous dites,
donc : On s'intéresse, donc, à la question de la majorité numérique. Une
des expertes qui vous a précédée, donc, nous a un peu corrigés dans notre
nomenclature, puis j'aimerais, en fait,
avoir votre opinion là-dessus, donc, en fait, à l'égard, donc, du principe des
capacités évolutives de l'enfant, comment est-ce que vous abordez ce
sujet-là et, le cas échéant, donc, si vous mettriez, donc, un certain âge qui
soit conséquent avec ce principe-là que vous évoquiez dans votre mémoire.
Mme Jolicoeur
(Marie-Pier) : J'aurais trois choses à dire. Je savais que vous alliez
me parler de la majorité numérique. Donc, je pense que c'est Maude Bonenfant
qui vous a parlé.
Mme Cadet :
Oui, c'est ça.
Mme Jolicoeur
(Marie-Pier) : Je partage ces réserves-là, sémantiques. D'abord,
premier commentaire, celui de la forme, je pense effectivement qu'il y a une
confusion qui peut se créer et peut-être même une espèce de... c'est comme si
on... une espèce de valorisation des réseaux sociaux, comme si, finalement,
être dans le... avoir des outils numériques ou avoir un contact avec le
numérique, ça se limitait aux réseaux sociaux. Puis, tu sais, le consentement, aussi, on ne parle pas de majorité médicale, on
parle... Tu sais, je pense que ce n'est peut-être pas le bon choix
stratégique. Puis d'ailleurs il y a un maître de conférence, en France, qui a
critiqué le choix du titre «majorité numérique», là, pour essentiellement les
mêmes raisons.
Pour ce qui est de
l'âge exact, tu sais, c'est plus des experts en éducation, en développement de
l'enfant, qui vont trancher ce débat-là. Mais je pense que l'idée de nommer la
loi pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une loi qui vise à limiter l'accès des
jeunes de moins de 14 ans, par exemple, aux réseaux sociaux... Ou même,
j'irais peut-être plus loin, de dire, en
fait... À la base, l'industrie avait créé ces outils-là pour des jeunes de
13 ans et plus, donc c'est presque une mesure de renforcement de
l'efficacité de l'interdiction qui a été mise, à la base, par l'industrie.
Donc, il y aurait un choix à ce niveau-là.
Après ça, sur le
fond, je pense qu'il y a beaucoup d'arguments favorables au fait de dire
qu'avant la préadolescence, pour les critères que je vous ai exposés, aussi,
dans mon allocution, sur la capacité à mesurer les avantages et les inconvénients, la capacité à pouvoir vraiment
comprendre tous les risques, quand... Il y a un organisme super... je ne
sais pas si je l'ai déjà nommé, mais Children and Screens à Washington, aux
États-Unis, qui travaille à faire de la recherche. Et, l'an dernier,
j'assistais à un congrès international, et il y a une chercheure qui a présenté
une étude où elle avait analysé des profils Instagram de jeunes de moins de
13 ans de manière qualitative. Donc, elle avait fait ressortir... et elle
n'avait même pas eu besoin de faire de demandes d'amitié, elle avait simplement
évalué. Et le titre de sa présentation est assez éloquent, là, le titre
était... je m'excuse pour l'anglais, mais c'était : I'm 10 and I'm
single, donc j'ai 10 ans et je suis célibataire. Pour... C'était très
très percutant, comme titre. Et elle a fait ressortir de son étude qu'il y
avait beaucoup de contenu hypersexualisé, que les jeunes mettaient leur statut
matrimonial publiquement sur les pages,
qu'il y avait des adresses, des renseignements sensibles, etc. Et donc moi,
quand j'entends cette science-là, je me dis : Il y a quand même des
arguments qui sont favorables, dans le respect, la... de cette capacité-là progressive de l'autonomie de l'enfant, de
dire : Bien, avant 13, 14, 15 ans, ce n'est peut-être pas un outil
qui est approprié.
Et après ça, pour le
déploiement, parce que, là, c'est là que... Bon, O.K., sur la question de la
vérification de l'âge, la semaine dernière... Là, je ne sais pas si je peux
continuer, je ne sais pas s'il me reste du temps. La semaine dernière, j'ai
assisté à un Global Summit of Age Verification, donc c'est un... il est
disponible en rediffusion. D'ailleurs, si jamais vous voulez aller le voir,
c'est le Age Verification Association Providers qui a organisé un sommet pour
faire le point sur les connaissances techniques qu'on a sur la vérification de
l'âge. Et, parmi les constats qui sortent de cette
rencontre-là, il y a cinq ans, ils avaient fait un exercice similaire, et il y
avait cinq manières de vérifier l'âge en ligne et, maintenant, il y a
12 façons de le faire. Donc, la technologie évolue en cette matière-là.
Un aspect qui est
très important aussi, c'est que, vérifier l'âge, ce n'est pas la même chose que
vérifier l'identité. Donc, c'est deux choses qui sont... la seconde manoeuvre
étant plus intrusive sur le plan de la vie privée. Mais on peut opérer une
vérification d'âge, puis peut-être que Mme Miville-Dechêne vous en
parlera, en respectant le double anonymat, en faisant un tiers de confiance qui
fait la vérification. La question de la protection des renseignements
personnels, c'est une objection qui est importante, vraiment, c'est sûr.
Évidemment, on est dans un contexte où c'est une lutte de tous les instants,
là, de protéger les renseignements personnels en ligne. Par contre, je pense
que, tôt ou tard, on va être confrontés à résoudre ce dilemme-là... cette
problématique-là technique d'être capables... ne serait-ce que parce que nos
services publics se dématérialisent, on est de plus en plus dans un monde où
nos rapports se passent dans le monde numérique. Et donc la question de la
vérification d'âge, je pense que c'est une question, sur le plan technologique,
qu'il va falloir résoudre.
Et, quand on parle de
vérification de l'âge, particulièrement pour l'accès à des sites
pornographiques, qui est vraiment un fléau, là, un jeune sur trois qui a accès
à du contenu avant 12 ans et le trois quarts des jeunes garçons qui en
écoutent à l'âge de 16 ans, c'est vraiment un enjeu de taille. Et donc
c'est toujours la réplique qu'on entend, le fait de... bon, comment on va
réaliser ça sur le plan technique, dans le respect de la vie privée. Mais
l'organisateur de ce sommet-là a terminé en disant : Si on a réussi à
faire marcher l'homme sur la lune, bien, on va être capable de trouver une
manière de vérifier l'âge dans le respect de la protection des données
personnelles. Donc, c'est là... c'est ce que j'aurais à dire pour ça. Mais je
pense qu'il faut rester optimiste.
Mme Cadet : Merci
pour cette réponse très complète. Puis là-dessus, je pense, vous avez dit
quelque chose, donc, de très intéressant en disant : La vérification de
l'âge, ce n'est pas la même chose que la vérification de l'identité, donc ça
pourrait permettre, donc, le double anonymat, donc, de l'individu, de
l'utilisateur, de l'usager. Donc, je
comprends, donc, par exemple... Donc, je pense qu'un autre interlocuteur, donc,
nous mentionnait que... bien, en fait, avec toutes les images qui sont
diffusées, donc, avec tout ce que... tout le contenu qui est produit par
l'utilisateur en ligne, les plateformes sont, de façon indirecte, en mesure
d'identifier, à tout le moins, là, environ, donc, l'âge de l'utilisateur. Est-ce que c'est un peu ce que vous
voulez dire ici? Ce serait en utilisant, donc, des informations
parallèles, c'est-à-dire les sites qui sont... les pages qui sont suivies, le
type de contenu qui est produit. Est-ce que c'est avec ce type de
renseignements là qu'on pourrait inférer l'âge?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Vous
me parlez un peu de... d'informations qui sont anonymisées ou
dépersonnalisées. Effectivement, c'est une écoute qui est assez aride, là,
écouter ce sommet-là, dans le sens que, sur le plan technique... Tu sais, je ne
suis pas ingénieure informatique, bien sûr, mais ma compréhension, c'est
celle-ci, effectivement, qu'on anonymise la donnée et que... Et parmi, même,
les méthodes... Tu sais, moi, il y avait certaines méthodes, tu sais, pour
lesquelles j'étais sceptique, par exemple.
Et il y a un élément
qui est important pour l'évaluation de ces méthodes-là. Il y a l'International
Standard Organization qui est en train d'adopter des lignes, justement, avec
des clauses qui parlent de la sécurité, de la protection des données, de la
performance aussi. Parce que, si on met un... tu sais, une mesure de
vérification de l'âge de l'avant puis que, finalement, elle ne fonctionne pas,
bien, ça ne sert pas... Donc, il y a vraiment ce souci-là d'encadrement de ces
balises-là.
Et effectivement
que... je sais que les organismes, bon, sont encore... on est encore en train
de découvrir sur ça, mais ce qui semble être l'avenue, là, la plus porteuse et
intéressante pour le respect de la vie privée, c'est : double anonymat
avec un tiers. Évidemment qu'on ne veut pas que l'industrie pornographique ou
les GAFAM se retrouvent avec les données, effectivement.
Mme Cadet : Merci.
Je peux poser une dernière question?
La Présidente (Mme
Dionne) : Bien sûr. Il reste un beau gros neuf minutes.
Mme Cadet : Merci.
Vos... en fait, les interlocuteurs qui vous ont précédée, donc, ont parlé,
donc, de la classification, donc, des jeux vidéo. D'autres avant elles, donc,
nous ont parlé, donc, de ce système de classification là qui existe aussi, donc, en Australie, donc, par exemple, donc, sur des jeux sur des applications téléphoniques. Donc,
vous, j'aimerais savoir, donc, comment est-ce que vous percevez ce type de
mesure là, toujours dans le respect, donc, des différents principes de capacité
évolutive de l'enfant et de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien,
je pense que c'est une excellente idée. Je pense que... En fait,
l'industrie du cinéma le fait de manière indépendante. Il y a une loi sur le
cinéma, au Québec, qui encadre. Et donc je pense que c'est vraiment dans
l'intérêt supérieur de l'enfant, justement, que, les jeux vidéo puis les... ce
qui se retrouve dans les contenus, on ait
une évaluation objective et indépendante, là, des contenus. Je pense que c'est
une avenue intéressante.
Mme Cadet : Merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Est-ce qu'il y a d'autres interventions?
Mme Cadet : ...
La Présidente (Mme
Dionne) : Aucun problème, Mme la députée.
Mme Cadet : ...d'autres questions,
mais je voulais laisser la place. Parfait. Votre troisième principe, la
participation des enfants dans les discussions sur les enjeux qui les
concernent dans l'environnement numérique, comment est-ce qu'on le met en
oeuvre, selon vous, ce principe-là?
• (17 h 30) •
Mme
Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, vous avez eu une très bonne proposition,
encore une fois, je pense que c'est Me
Levac qui l'a faite, par rapport à l'idée de créer des comités consultatifs,
donc d'avoir une participation qui est un tout petit peu plus régulière. Aller dans les écoles, bien, tu sais, c'est
intéressant, c'est sûr, c'est un peu plus ponctuel, sporadique. Vous savez, je pense que c'est le
22 septembre, là, qu'on a adopté le pacte numérique, là, l'ONU vient tout
juste d'adopter ce pacte-là, et il y
a 5Rights... 5Rights Foundation, qui est une organisation où il y a des jeunes
ambassadeurs, au Royaume-Uni, qui
participent dans les pourparlers, qui vraiment sont très, très actifs, de
manière organisée, là, tu sais, il y a vraiment un organisme. Donc, on pourrait s'inspirer de modèles
similaires. Mais d'avoir, c'est ça, des comités consultatifs. Je pense
que l'Assemblée nationale a des... parfois,
fait participer dans des exercices de simulation des jeunes, des choses comme
ça. En fait, ces mesures-là, c'est important
d'entendre la voix des enfants. C'est quelque chose qui est superimportant.
L'observation que je cite dans mon mémoire, on a fait participer
729 enfants à cet exercice-là, leur parole est citée dans des paragraphes
de l'observation, c'est une très belle démonstration, justement, du respect de
la parole de l'enfant. Oui.
Mme Cadet : Merci. Puis enfin on a
entendu précédemment, donc, le Bureau des affaires de la jeunesse, là, du DPCP
sur la diffusion d'images sexuellement explicites ou d'images intimes. Selon
vous comment le législateur québécois, donc, peut encadrer de telles pratiques?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Ça,
c'est un... c'est un enjeu qui est superimportant, qui est très alarmant aussi, parce que, je pense... je n'ai pas entendu,
là, l'intervention juste avant moi, mais je pense qu'il y a une
banalisation, peut-être, ou une méconnaissance des conséquences. Donc, moi, je
suis animatrice pour le CIEL — donc, vous avez eu Emmanuelle Parent — je
pense que cette... c'est... il y a une clé de sensibilisation, vraiment, de
faire connaître, de savoir que, quand on partage, ça peut être diffusé, tout
ça, de faire... faire prendre conscience pour les jeunes, mais, sinon, d'avoir
une rapidité, si jamais il y a une photo qui circule. Le Centre canadien de
protection de l'enfance fait un travail vraiment extraordinaire pour ça. Mais
je pense que d'avoir vraiment une concertation avec les écoles, les corps
policiers, pour que ce soit le plus rapide possible... C'est ça, je pense qu'on
ne réalise pas, les conséquences psychologiques, là, vraiment, de... Tu sais,
on... Je me rappelle, en droit des technologies, j'avais lu un article. On parlait de choc post-traumatique, là, vraiment,
quand on sait que notre image peut circuler. Puis là, avec
l'hypertrucage, ça peut être des fausses images, mais les conséquences sont les
mêmes, essentiellement. Donc...
Mme
Cadet : Est-ce qu'avec les moyens technologiques on est en
mesure de véritablement effacer ces images-là?
Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien,
je sais que l'intelligence artificielle se raffine, là, des fois, pour, des fois... Il y a justement le... Ça donne beaucoup
plus de munitions à des gens qui sont mal intentionnés, mais, à
l'inverse, on peut l'utiliser à notre avantage. Je pense que le Projet Arachnid
fait un travail vraiment extraordinaire pour repérer le matériel
pédopornographique. Après ça, je pense que c'est... ça fait partie justement
des exemples où la technologie peut être vraiment dans l'intérêt supérieur de l'enfant.
Mme Cadet : Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Dionne) : Est-ce qu'il y a d'autres interventions? Alors,
merci infiniment de votre présence et
de votre contribution surtout à ces travaux. Donc, c'est ça, de belles... des
questions parfois quand même complexes, alors c'est toujours intéressant
d'être... de se faire mieux éclairer par les différents intervenants qui
viennent nous voir.
Alors, sur ce, moi, je suspends les travaux pour
accueillir notre prochain témoin.
(Suspension de la séance à 17 h 34)
(Reprise à 17 h 38)
La Présidente (Mme Dionne) : La
commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant la
bienvenue à Mme Miville-Deschêne. Donc, merci d'être avec nous en cette
fin de journée. Donc, je vous rappelle, vous avez 10 minutes pour nous
transmettre votre exposé, puis, suite à cela, on procédera à une période
d'échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la parole.
Mme Julie
Miville-Dechêne
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Donc, je
remercie bien sûr la commission de
m'avoir invitée à parler d'un enjeu que je porte depuis quatre ans, soit la
volonté de protéger les enfants de l'exposition à la pornographie en
ligne, qui s'incarne dans le projet de loi n° S-210.
Ma longue bataille montre
bien la difficulté de légiférer dans le monde numérique. Bien que les parents
réclament de l'aide, je fais face à une forte opposition du gouvernement
libéral fédéral à l'idée d'assurer par voie législative que seuls les adultes
puissent avoir accès à la porno en ligne. Mon bureau a commandé, en février
dernier, deux questions de sondage à la firme Léger pour en avoir le coeur net.
73 % des répondants estiment que l'accès facile des mineurs à la porno en
ligne est un problème important et 77 % veulent qu'on impose une
vérification d'âge pour en limiter l'accès.
Il y aurait aujourd'hui plus de 4 millions
de sites de porno à travers le monde. On parle du tiers de la bande passante.
L'écosystème a radicalement changé, il y a une quinzaine d'années, quand les
plateformes pornos ont choisi un modèle de contenu téléversé par les citoyens
et ont donc opté pour la gratuité. Toute barrière à l'accès a donc disparu.
C'est entre 11 et 13 ans que les enfants
ont leur premier contact avec la porno en ligne, de plus en plus «hard-core»,
il faut le souligner. Au Canada, 40 % des garçons du secondaire en ont vu,
seulement 7 % des filles. Au Royaume-Uni, le quart des enfants de
11 ans et moins ont regardé de la porno.
• (17 h 40) •
La réputée pédiatre ontarienne Megan Harrison a
livré un témoignage poignant au Sénat. Je la cite : «Les images que voit
un enfant affectent sans contredit le développement de son cerveau. La
plasticité synaptique est à son apogée chez les enfants et plus
particulièrement chez les adolescents, ce qui signifie que les comportements,
les images, les idées et les valeurs constamment répétés qui sont captés par le
cerveau puis intériorisés pendant l'enfance et l'adolescence peuvent avoir une
incidence durable, ce qui n'est pas le cas chez les adultes.»
La pédiatre poursuit ainsi : «Les
adolescents que je reçois dans mon bureau vivent une très grande confusion par
rapport à leur corps, ce que l'on attend d'eux sur le plan sexuel et ce qui est
normal ou non.»
Le pédiatre que vous connaissez, Jean-François
Chicoine, ajoute, et je le cite : «Trop jeunes, trop souvent, trop
intensivement, l'exposition à la porno est toujours une blessure, mais, chez
certains enfants, c'est une réelle cassure qui brise leur estime de soi et le
rapport avec les autres, et pour toujours.»
La sexologue Marie-Christine Pinel, quant à
elle, a fait des constats troublants chez les jeunes dans sa pratique. Je la
cite : «Je vois émerger des tendances destructrices, une recrudescence des
relations de dominance, une anxiété de performance qui entraîne des douleurs à
la pénétration, un dysfonctionnement érectile, une explosion dans la demande de
chirurgie esthétique génitale. Tous ces problèmes sont dus à l'influence de la
porno.»
La recherche scientifique fait de plus en plus
d'associations, et non de liens de cause à effet, je le précise, donc des
associations alarmantes. Le visionnement fréquent de la porno par les
adolescents peut mener à une consommation compulsive, créer des attentes irréalistes
quant aux pratiques attendues, créer de la peur et de l'anxiété, entraîner des
symptômes de dépression et être lié à un niveau d'intégration sociale plus
faible.
Que retiennent les jeunes? La consommation
répétée de porno par les ados renforce les stéréotypes de genre et perpétue les
croyances sexistes et... l'objectification des femmes. Au moins 40 % des
scènes de porno en ligne mettent en scène des actes de violence contre les
femmes. Cette vision brutale de la sexualité risque de traumatiser les enfants
et les jeunes et de nuire à l'image qu'ils ou elles se font d'eux-mêmes et des
relations amoureuses.
Selon le Centre canadien de protection de
l'enfance, qui a été cité par votre précédente témoin, la pornographie entre
adultes n'est pas seulement néfaste, dit le Centre pour le développement
cérébral des enfants, elle peut aussi les préparer à d'éventuelles agressions
sexuelles en normalisant et en banalisant l'activité sexuelle dans leur esprit.
C'est troublant.
Au Royaume-Uni, enfin, la commissaire à
l'enfance a publié un rapport choc. Je la cite : «Les jeunes voient des
choses qui déforment leur vision de ce qu'ils croient être une véritable
relation sexuelle.» Des filles m'ont dit que leur premier baiser avec le petit
copain... avec leur... lors de leur premier baiser avec leur petit copain,
celui-ci a essayé de les étrangler parce que c'est ce qu'ils avaient vu dans
une vidéo pornographique. Une récente enquête auprès
de 1 000 jeunes Britanniques — ils
font plus de recherche là-bas qu'ici, comme vous le voyez — donc
des jeunes de 16 à 21 ans, ça indique que 47 % d'entre eux croient
que les filles s'attendent à ce que la sexualité comprenne des agressions physiques comme du quasi-étranglement
ou des claques, 42 % disent que les filles aiment ce genre
d'agressions.
Il est clair
que l'autoréglementation est un échec. Ces sites gratuits tirent leurs revenus
de la publicité et des jeux vidéo à
caractère sexuel qui ciblent les jeunes. Plus il y a de clics, quel que soit
l'âge des clients, plus les profits rentrent.
Le projet de loi n° S-210 limitant l'accès
en ligne des jeunes à la porno s'attaque donc à un enjeu grave de santé et de
sécurité publique. S-210 criminalise le fait pour toute organisation de rendre
accessible à un mineur du matériel sexuellement explicite à des fins
commerciales. Et ce n'est pas de la censure. S-210 énonce que le matériel
sexuellement explicite qui a un but légitime lié à la science, à la médecine et
à l'éducation ou aux arts n'est pas couvert par l'interdiction. J'ai toujours
défendu fermement l'importance d'une éducation sexuelle complète à l'école. Il
ne s'agit pas de ça sur les sites pornos. De plus, la jurisprudence montre que
le terme «matériel sexuellement explicite», tel qu'utilisé dans le Code
criminel, ne peut pas être appliqué à n'importe quelle scène de nudité. On vise
des activités sexuelles intimes représentées de manière détaillée et non
équivoque dans le but de stimuler sexuellement ceux qui la visionnent.
Comme les sites Web... Comment... La question,
c'est bien sûr de savoir comment les sites Web devraient-ils vérifier l'âge de
leurs visiteurs avant qu'ils aient accès à du matériel porno. La bonne
nouvelle, c'est qu'il y a des percées technologiques et qu'elles ont réduit au
minimum les risques de la vérification d'âge des clients. Selon les experts, l'estimation d'âge, notamment, serait un
moyen particulièrement sécuritaire car on ne recueille aucune donnée.
Parce que les technologies évoluent, S-210 ne détermine
pas quelle méthode devrait être utilisée, sinon qu'elle soit fiable et
sécuritaire. Le choix des méthodes est laissé à la réglementation. Bien sûr, à
cause des VPN, des jeunes vont contourner la loi, mais il
est improbable que des enfants de huit, 10, 12 ans en soient capables.
Cette vérification d'âge ne devrait pas être faite par des sites pornos
eux-mêmes mais par des fournisseurs de services tiers spécialisés. C'est une
précaution essentielle pour éviter que les sites pornos aient accès aux données
personnelles de leurs clients.
Voici comment l'Age Verification Providers
Association décrit le processus : «La vérification d'âge n'est pas synonyme de vérification de l'identité. Il
s'agit de deux choses complètement distinctes. En ce qui nous concerne,
nous essayons de recueillir puis de conserver le moins de données possible. Dans bien des cas, il n'est même pas
nécessaire de conserver des données personnelles des utilisateurs.»
Rappelons également que la liberté d'expression
n'est pas un droit absolu, ça a été beaucoup évoqué dans ce débat, mais un
droit qui peut être restreint en vertu de la charte dans les limites du
raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique. Lorsqu'il
faut soupeser les droits en jeu, l'atteinte d'un objectif aussi essentiel que
la protection des membres les plus vulnérables de notre société devrait
prévaloir sur un inconvénient mineur, soit se soumettre à une vérification
d'âge.
Certains clament quand même que la
responsabilité de protéger les mineurs de la porno en ligne devrait incomber
seulement aux parents. Encore une fois c'est un argument qui ne tient pas la
route. Les Canadiens voudraient-ils que les ventes d'alcool et de cigarettes et
les activités de jeu soient laissées à la seule surveillance des parents? Bien
sûr que non. On oublie que les parents n'ont pas tous le même niveau de
littératie numérique. Si le contrôle parental fonctionnait, on le saurait. La
vérité est que la plupart des parents n'ont aucune idée de ce que leurs enfants
voient sur Internet et qu'ils ont besoin de notre aide.
Nos appuis sont nombreux, notamment la Société
canadienne de pédiatrie, l'Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de
l'adolescent et l'Association des pédiatres du Québec. D'autres pays ont déjà
pris des mesures en vue de protéger les mineurs de ce bombardement...
(Interruption) Woups! J'ai perdu mon texte.
Excusez-moi. Il a défilé à l'envers. D'autres pays ont déjà pris des mesures en
vue de protéger les mineurs de ce bombardement d'images pornos en ligne. Les
sites pornos ont répliqué avec des poursuites, mais ils ont échoué jusqu'à
maintenant. L'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Union européenne
ont adopté des lois et des directives de vérification d'âge, l'Espagne doit
lancer un projet pilote bientôt, l'Australie également, une douzaine d'États
américains ont emboîté le pas.
Qu'attendons-nous?
C'est toute une génération de jeunes et d'enfants qui font leur éducation
sexuelle sur les sites pornos, avec les conséquences qui viennent avec.
Comme mère, comme féministe, je juge qu'il n'appartient pas aux pornographes de décider ce que nos filles et nos
garçons regardent. Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment, Mme Miville-Deschêne. Donc, nous allons débuter cette période
d'échange avec la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, Mme la sénatrice. Très heureuse de vous revoir, même si ce
n'est que par le biais de la vidéoconférence. Mais merci pour votre exposé.
Vous nous avez fait mention, donc, de faits
absolument troublants. Je pense que ma collègue et moi, on se regardait en se
disant : Mon Dieu! C'est tout un univers.
Puis ma première question. Je pense que vous
écoutiez Me Jolicoeur, donc, juste avant. Elle a bien mis la table en nous
disant que vous auriez, donc, des précisions, donc, à nous offrir quant à la
vérification de l'âge. Et là, donc, vous nous dites, donc, c'est possible,
donc, de le faire de façon anonymisée, fiable et sécuritaire. Pouvez-vous,
donc, nous donner, donc, quelques exemples? Je pense que, là, on a mis la table
sur le fait que vérification de l'âge, ça ne signifie pas vérification de
l'identité. Puis vous avez bien compris que c'est une question qui nous
préoccupe beaucoup non seulement pour l'accès à des sites pornographiques, mais
également, donc, à tout ce qui concerne, donc,
l'accès à des... aux réseaux sociaux de façon un peu plus large, là, advenant
le cas que les législateurs québécois voudraient aller dans cette
direction.
• (17 h 50) •
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : ...donc, de cette question... Donc, je vous
remercie beaucoup de cette question importante. Je dois vous dire que la
raison pour laquelle nous avons décidé de mettre les choix de méthodes dans la
réglementation d'un projet de loi, la réglementation, tout comme au Québec, est
adoptée après, quand le projet de loi... après que le projet de loi soit
adopté. Donc, on a repoussé les choix très précis de méthodes de vérification à
ce moment-là, parce que, regardez bien, ça fait quatre ans que je défends ce
projet de loi, depuis quatre ans, il y a eu plein de nouvelles méthodes, plein
d'avancées technologiques sur toutes ces questions-là, et donc on n'est
vraiment plus rendus au même point.
Donc, je peux discuter avec vous de cela, mais
je ne me prétends pas une experte — il y en a beaucoup. Ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a évidemment
des méthodes classiques, qui sont les méthodes de cartes, qui peuvent être... qui peuvent être en ligne, qui peuvent
être montrées, donc des cartes d'identité. Mais on a beaucoup dit
récemment que l'estimation de l'âge à plus ou moins deux ans était une méthode
qui permettait d'aller très rapidement et de ne recueillir évidemment aucune
donnée. Parce qu'on estime l'âge de la personne qui veut entrer sur les sites
pornos, et ce n'est pas... tu sais, on parle
beaucoup d'intelligence artificielle, mais l'estimation d'âge ne recueille pas
de données et elle est pas mal fiable et surtout très sécuritaire.
Ça pourrait
être une des méthodes. Mais ce qui se passe, par exemple, dans les pays comme
la Grande-Bretagne, où on a passé une loi et on a de la réglementation,
ce qu'on dit, c'est : Ce sera aux vérificateurs d'âge de proposer des
méthodes, et nous évaluerons leur degré de fiabilité et de sécurité. Donc, ça
peut être un éventail de choses. Je vous donne l'exemple
de l'Allemagne, qui a une loi sur la vérification d'âge depuis plus d'une
dizaine d'années et qui a plus d'une centaine de méthodes différentes par,
évidemment des tierces parties, des vérificateurs d'âge qui sont approuvés.
Donc, ça peut être des petites différences entre les méthodes, mais ça montre
bien qu'il y a plusieurs méthodes possibles. Et, dans le cas de l'Allemagne...
Je sais qu'on est très inquiets pour les données, mais, dans le cas de
l'Allemagne, il n'y a jamais eu de fuite de données depuis qu'on a commencé
cela.
Donc, bien sûr, quand on n'aime pas un projet de
loi, on a tendance à le couvrir de tous les maux. Et on a beaucoup entendu que
ce serait impossible, que ce serait trop dangereux, mais, comme vous le savez,
Mme la députée, nous sommes tout le temps sur Internet, nous faisons des
transactions bancaires, nous faisons beaucoup de choses qui impliquent de la
sécurité et nos données, donc, évidemment, il y a toujours un risque minimal.
Mais on est dans un pays où il y a des lois,
et les vérificateurs d'âge devront obtenir une certification du gouvernement,
c'est ce qui se passe, des... d'un régulateur ou des autorités, donc
seules ces tierces parties vérifiées pourront effectivement faire de la
vérification d'âge.
Je vous parle aussi d'une méthode qui a été
développée en France, qui effectivement travaille sur ces questions-là depuis
l'adoption de sa loi, et donc ça s'appelle le double anonymat. Ce que ça veut
dire, c'est que, quand le client vient frapper à la porte, par exemple, de
Pornhub, qui est un site porno qu'on connaît bien, il est renvoyé
automatiquement vers une compagnie qui vérifie l'âge. Et la compagnie qui
vérifie l'âge ne sait pas qu'il a frappé à la porte de Pornhub. Donc on lui
demande juste une vérification d'âge. Et, quand on lui donne un jeton prouvant qu'il
a plus que 18 ans, ce même client retourne, par exemple, vers Pornhub, qui
n'a pas de données autres que celle-là. Donc, ça s'appelle un double anonymat,
dans la mesure où les données ne sont pas partagées. Donc, ça, les Français
disent qu'ils ont réussi à trouver la façon de le faire et ils vont commencer
bientôt des projets pilotes.
Donc, je n'ose pas vous dire, là, que c'est...
que tout est réglé, et tout, mais on est suffisamment en avance pour que des
pays comme la Grande-Bretagne, qui travaille depuis des années sur ce dossier,
soient maintenant à la veille de mettre en place leur loi en disant aux
vérificateurs d'âge : Proposez-nous des solutions, et on va les évaluer.
Et évidemment il y a différents degrés de complication dans ces méthodes-là.
Mme Cadet : Merci. Est-ce que...
Bien, en fait, on a entendu, donc, le Directeur des poursuites criminelles et pénales,
un peu plus tôt, donc, nous parler, donc, du partage d'images intimes, donc,
d'images sexuellement explicites. Donc là, on ne parle pas, donc, des
plateformes, donc, des entreprises elles-mêmes, mais, donc, d'adolescents, là.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non.
Il faut que ce soit... Ce n'est pas couvert par mon projet de loi.
Mme Cadet : Non, c'est ça. Parce que
c'était un peu ma question, à savoir si ça, c'était couvert par votre projet de
loi. Non.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Parce
que vous remarquerez, mais évidemment j'avais beaucoup de données, ce ne sont que les organisations qui sont
touchées et non les individus. Et c'est clair que, pour éviter que, par
exemple, deux jeunes qui s'échangent des images intimes soient passibles d'une
infraction criminelle, on a limité le projet
de loi à des organisations, que ce soient des plateformes, bien sûr, mais que
ce soient aussi des sites pornos. Il y en a sur la plateforme X et, de
la pornographie, il y en a beaucoup. Il y en a beaucoup partout. C'est... Pour
moi, ça a été une découverte. Parce que, comme c'est très payant, ça a vraiment
augmenté de... il y a eu une montée fulgurante de la pornographie sur Internet.
Ce n'est pas pour rien qu'il y a des images qu'on appelle des pop-up qui
sortent. Quand les enfants regardent Internet, ils peuvent... il peut, tout à
coup, y avoir une image de pornographie qui sort. Écoutez, c'est un peu
affolant.
Mme Cadet : Oui. Parfait. Merci.
Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Dionne) : ...je reviendrai vers vous, Mme la députée. M.
le... Mme la députée de Hull, pardon.
Mme Tremblay : Oui. Bonjour.
J'aimerais ça que vous me parliez un petit peu plus des pays, là, justement,
là, qui sont allés de l'avant, qui... tu sais, qui ont pris des décisions
importantes pour protéger, bien, nos enfants, leurs enfants, ce qu'on souhaite
faire ici, évidemment, de ces images et de tout ce que l'on retrouve sur les
réseaux. Est-ce qu'ils ont vu une diminution? Comment ça se passe? Est-ce qu'il
y a des études là-dessus? Est-ce que vous avez de l'information sur cela?
Est-ce que...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : J'ai
de l'information, mais ils prétendent qu'il y a des études. L'Allemagne est
certainement le pays qui a en place une loi depuis le plus longtemps. Les
plateformes nationales, c'est-à-dire allemandes, les plateformes pornos se sont
conformées assez rapidement pour la protection des enfants. Mais ce qui se
passe, c'est qu'en ce moment il y a une bataille rangée entre les différents
pays et les plateformes pornographiques qui ne peuvent... qui ne veulent pas
perdre leur avantage de pouvoir vraiment avoir n'importe qui qui peut regarder
de la porno, et donc leur procurer des revenus supplémentaires.
Donc, en ce
moment, il y a eu une bataille pendant plusieurs années en Allemagne. Pornhub,
qui est maintenant possédé par Ethical Capital Partners, a poursuivi
l'Allemagne en disant qu'ils n'avaient pas le droit d'avoir cette loi et, cette
loi, que ce n'était pas constitutionnel, et tout. Ils ont finalement perdu.
Mais ce qu'ils ont fait, et ça vous montre la ténacité de ces plateformes,
c'est que, plutôt que de se soumettre à la loi, Pornhub a décidé de changer son
adresse URL et est encore présente en Allemagne avec une
adresse légèrement changée. Donc, ça vous montre la férocité de cette bataille,
le fait que ces plateformes ne veulent pas se soumettre aux lois nationales. Et
donc ce qui va se passer en Allemagne, c'est qu'ils vont retourner devant le
Parlement, passer une autre loi pour éviter que les adresses légèrement
changées puissent être utilisées. Donc, ça, c'est la bataille en Allemagne.
Elle n'est pas gagnée. Mais je dois vous dire que c'est... les règlements...
les régulateurs là-bas ne lâchent pas prise.
En Grande-Bretagne, la loi a été passée, le
Online Safety Act a été passé il y a environ un an, devrait bientôt entrer en
vigueur. Il y a eu des changements de régime. Il y a un premier projet de loi
qui a été abandonné. Donc, dans ce cas-ci, c'est un projet de loi très complet
qui protège aussi les enfants sur les médias sociaux, qui demande aux médias sociaux de s'assurer qu'eux-mêmes
mettent des précautions en place, mais demande, pour la pornographie en
particulier, de la vérification d'âge ou de l'estimation d'âge. Donc, c'est à
peu près la même approche que celle qu'on a
prise. On n'a pas encore, évidemment, de résultats puisqu'elle n'est pas en
vigueur. La France doit commencer aussi des projets pilotes et, comme je
vous dis, ils ont décidé que le double anonymat serait une façon de faire.
Aux États-Unis, la question est un peu plus
complexe parce qu'il y a à peu près une douzaine d'États qui obligent des vérifications
d'âge. Mais ce qui s'est passé, c'est que Pornhub en particulier a décidé de
quitter les États où on faisait cette demande. Donc ils se sont carrément
retirés des États. Il y a aussi eu des poursuites qui ont été engagées, et
maintenant c'est à la Cour suprême des États-Unis de déterminer si les droits
des sites pornographiques de diffuser sans restriction de la pornographie sont
supérieurs au droit des enfants d'être protégés. Donc, c'est un cas de liberté
d'expression — aux
États-Unis, la liberté d'expression est encore plus protégée qu'au Canada — et ça
va être une décision intéressante.
Il y a là-bas, en Louisiane, un cas où Pornhub
est resté sur place. Et ce qu'on a fait comme vérification d'âge, c'est que,
là-bas, les permis de conduire peuvent être numérisés, sont numériques,
contrairement à ici, tous tes papiers officiels sont numériques, donc c'est le
permis de conduire qui permet aux clients de la Louisiane de pouvoir consulter
Pornhub. Ce que Pornhub a dit par la suite, elle a fait des études et Pornhub a
dit que la... qu'il y avait eu une véritable
chute, une importante chute du nombre de clients, et donc c'était le résultat
de la vérification d'âge. C'est possible,
on s'entend, il y a sans doute des clients qui n'iront pas vers des sites
pornos qui demandent la vérification d'âge. Mais, après tout, nous ne sommes pas là pour protéger les profits des
sites pornos mais plutôt pour protéger les enfants.
• (18 heures) •
M. Tremblay : Effectivement. Donc,
la vérification... Ça fait que ça fonctionne, finalement, mais on ne peut
pas... Quand vous dites qu'il y a eu une importante chute des clients, ce
n'étaient pas nécessairement des enfants, mais c'est qu'à partir du moment où
des contrôles, c'est que ça...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non,
non.
Mme Tremblay : Ça va des deux sens,
c'est ça.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Exact.
Mme Tremblay : Exactement.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : On ne
peut pas mesurer, franchement, jusqu'à maintenant, on n'est pas encore en
mesure… Et c'est des questions... Et ça se fait sur des années. Vous savez, ce
qui m'inquiète le plus, c'est que ça fait 15 ans qu'on a la gratuité, donc
ça fait quand même toute une génération d'enfants qui sont passés par là. Et je
parle souvent d'urgence parce que, de mon point de vue, les relations
sexuelles, les relations intimes sont une partie importante de la vie. Et les
mentalités sur l'égalité hommes-femmes… peut se faire dans ces situations-là. Ce
n'est pas pour rien que la violence, les agressions se font beaucoup dans
l'intimité. Et donc je pense qu'il est très important que… surtout au Québec,
on a fait de grands pas dans l'égalité des femmes et des hommes. Mais cette
espèce d'explosion de la pornographie en quelques années fait augmenter des
stéréotypes qu'on avait réussi, d'une certaine façon, c'est beaucoup dire,
réussi, mais qu'on avait quand même… dont on avait diminué la fréquence. Alors,
ça, ça m'inquiète. C'est des choses un peu moins faciles à mesurer, mais, quand
on voit des femmes toujours dans les positions de servitude dans l'acte sexuel,
sans compter la violence, sans compter tout ce qui vient avec, ça finit par
avoir une empreinte dans le cerveau de ces jeunes-là.
Mme Tremblay : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de D'Arcy-McGee.
Mme Prass : Merci, Mme la
Présidente. Bien, ma question a été posée par ma collègue, mais je vais
élaborer un peu. Vous parlez, par exemple,
en Louisiane, du permis numérique. Mais qu'est-ce qui ferait en sorte qu'un
jeune ne prenne pas celui d'un frère
qui est plus vieux, son père, quoi que ce soit? Parce que les jeunes,
malheureusement, ils sont bien
contournés puis connaissent bien comment utiliser l'Internet et les
ordinateurs. Donc, je comprends qu'il n'y aura jamais de solution ultime
qui fera en sorte... Mais, j'imagine, c'est l'aspect dissuasif également qui
fait en sorte qu'on ne veut peut-être pas prendre cette chance-là, on ne veut
peut-être justement pas prendre le permis de notre père ou notre frère et qu'eux ils sachent. Mais est-ce que vous avez une
idée, dans les pays européens, si, statistiquement, ils ont réussi, eux
également, à diminuer la fréquence de personnes qui vont visiter ces sites-là?
Ou des jeunes plutôt?
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : Alors, on le... jusqu'à maintenant, on n'a pas d'étude
là-dessus. C'est assez difficile à mesurer. On n'a jamais su, par exemple,
combien d'enfants, quelle est la proportion d'enfants qui visitaient, qui
entraient dans des sites pornographiques. Je pense qu'il y a eu des estimations
à l'effet que les mineurs pouvaient constituer peut-être 10 % des clients.
Mais je pense qu'il faut être très, très prudent avec ces chiffres, parce que
sur quoi on se fie pour dire ça? Et évidemment, ceci dit, laissez-moi vous dire
que les sites pornographiques doivent ramasser de l'information parce que,
quand on consulte un site puis qu'on va jouer… Alors, tout ça fait que les
sites pornographiques, on a beau clamer que c'est très dangereux, faire de la
vérification d'âge, mais les sites pornographiques ont déjà beaucoup, beaucoup
d'informations sur leurs clients.
Ce que je vais vous répondre sur la question des
cartes qui peuvent être… les permis de conduire qui peuvent être empruntés ou
volés aux parents, c'est que c'est vrai pour tout. Prenez le jeu en ligne, il
faut une carte de crédit. Dans certains cas, les jeunes prennent la carte de
leurs parents. Ce qu'on veut en faisant une loi, c'est que le jeune de huit,
10, 12 ans ne puisse pas, sans aucune barrière, rentrer sur un site porno.
Pour l'instant, tout ce qu'il y a, c'est... on leur demande : Avez-vous
18 ans? Ils cliquent sur le bouton et ils rentrent. Donc, ce n'est pas vrai
que tous les enfants de cet âge-là vont trouver des moyens détournés pour se
rendre sur ces sites. Il y a une espèce de message qui est donné, là, de la
société : Ce n'est pas pour toi et tu ne peux pas y entrer. Alors, est-ce
qu'ils vont vraiment essayer de déjouer un système de vérification d'âge?
En tout cas, on ne pourra pas protéger tous les
enfants. L'Internet est un immense défi dans tous les domaines. Moi, je me suis
intéressée à la pornographie, mais il y a beaucoup d'autres préjudices. Et ce qu'il
faut faire, c'est s'assurer que le plus grand nombre ne sombre pas et protéger
le plus grand nombre. Et c'est ce qu'on fait aussi dans la société
non-Internet. Prenez l'alcool, on demande des cartes, mais on sait bien qu'il y
a des enfants qui consomment de l'alcool et qui l'obtiennent par toutes sortes
de moyens. Donc, ce sera la même chose sur l'Internet.
Quand on me dit : Votre projet de loi,
c'est une passoire, bien, je dis : Pas tout à fait, pas vraiment, mais
aucune loi n'est suivie de façon absolue. Ce sont des signaux qu'on donne. Et
surtout, là, ce qu'on fait, c'est qu'on dit aux plateformes pornos, aux sites
pornos : Attention, vous allez... vous pouvez être poursuivis, il y aura
une infraction criminelle qu'on veut qui... qui devient réelle si vous permettez
à un mineur de regarder de la pornographie. Voilà, donc ce n'est pas rien, le Code
criminel. Et on prend ça justement à cause des effets graves de la pornographie
sur le cerveau des enfants.
Mme Prass : Et quelle serait la
façon, justement, si un jeune, disons, se fait passer pour plus de 18 ans?
Ce que vous suggérez pour les... pour les pénalités pour les entreprises, c'est
s'ils permettent volontairement à des jeunes de jouer avec les systèmes.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien,
pas juste volontairement. Il faut... tu sais, ils seront condamnés pour une
infraction criminelle s'ils n'ont pas mis en place un système de vérification
d'âge qui sera approuvé, qui sera dans la réglementation. Il y aura une série
de contrôles, mais ce n'est pas en ne faisant rien puis en se fermant les yeux
qu'ils vont échapper à la loi. C'est une loi qui oblige ceux qui, en ce moment,
bénéficient de cette absolue liberté. Les sites pornos de toutes sortes, on
leur demande de prendre leurs responsabilités et d'agir, parce que c'est eux
qui mettent les enfants en danger. Ce sont des entreprises commerciales, et
toute entreprise commerciale se doit de minimiser les torts qu'elle fait,
surtout quand la recherche scientifique montre que de plus en plus de torts
existent. On a toujours... on a toujours cru, dans notre société, que la
pornographie, qui est légale pour les adultes, par et pour des adultes consentants, demeurait un divertissement
d'adulte. Il n'y a pas grand monde qui considère que c'est sain pour les enfants de regarder de la
pornographie. Donc, c'est ce consensus social qu'on doit reporter sur
l'Internet.
La société, sans doute à certains égards, est
devenue plus permissive. Le niveau de pornographie qui a déjà été «soft-core»
est maintenant «hard-core» plus, plus, plus. Mais pourquoi est-ce qu'on
laisserait les choses aller ainsi au nom de la liberté d'expression, alors
qu'on met en danger ce qu'on a de plus précieux, c'est nos enfants? Je
m'emporte. C'est parce que ça fait longtemps que je travaille sur le dossier.
Mme Prass : Question pour vous. Vous
avez mentionné que dans certains États, aux États-Unis, que les Pornhub, par
exemple, ils se sont retirés du marché. Vous n'avez pas dit la même chose pour
les pays européens. Vous avez dit qu'en Allemagne ils ont changé le URL. Mais
qu'est-ce qui a fait en sorte qu'ils ont... Est-ce que la façon dont ils ont
mis cette restriction de l'avant aux États-Unis... Quelle est la distinction
entre les deux pour qu'ils soient toujours présents en Europe mais qu'ils se
soient retirés de certains États en Amérique?
• (18 h 10) •
Mme Miville-Dechêne (Julie) : J'imagine
que c'est des décisions de marché. Quand c'est un petit marché, ça ne vaut pas
la peine de rester si c'est plus compliqué de faire des vérifications d'âge. Il
me semble que Pornhub a dit qu'ils n'étaient pas satisfaits de la façon dont la
vérification d'âge allait être faite dans les États qu'ils ont quittés. Mais,
en général, c'est vraiment des décisions d'affaires. Parce que vous comprenez
ce qui se passe, c'est que plus les États veulent mettre des lois, plus ça va
diminuer le nombre de clients de ces entreprises pornographiques. Et donc, en
ce moment, c'est un combat pour... avec des poursuites contre plusieurs pays en
même temps pour s'assurer que le marché demeure ouvert comme il l'a été au
début de l'Internet. C'est un net refus, vraiment un grand refus d'accepter que
les pays légifèrent. Et, moi, ça me scandalise parce que, comment dire, ça fait
quand même une quinzaine d'années, ils ont eu une quinzaine d'années pour
essayer de trouver des façons de protéger les enfants, et rien n'a été fait. Tout ce qu'on a fait, c'est
empocher de l'argent. Et en plus, vous le savez, ces sites-là, parce qu'il y
avait des millions et des millions d'images qui y étaient, on a permis très
longtemps, maintenant il y a des entreprises qui font un
peu mieux, mais à n'importe qui de téléverser des images non seulement de
pornographie avec des adultes consentants, mais des images d'exploitation
sexuelle, des images de jeunes filles qui n'avaient... de jeunes femmes qui
n'avaient pas consenti à ce que leurs images soient partagées. Pornhub et ses
anciens propriétaires ont dû payer assez cher aux États-Unis, il y a eu des
poursuites, on a interrompu des poursuites en les obligeant à faire mieux dans
la vérification des images qui circulaient.
Donc, il y a eu des efforts, je dois dire,
beaucoup plus aux États-Unis, en terme légal, qu'au Canada, je suis un peu
triste de ça, pour essayer de contrôler ces plateformes qui se croient tout
permis et qui mettent en vedette l'intimité des gens sans même que les gens,
parfois, soient au courant ou soient consentants. Ce n'est pas comme YouTube,
là, ce n'est pas des joueurs de guitare, là, c'est des gens tout nus qui font
toutes sortes de choses et dont la vie peut être détruite parce qu'on a
téléversé leurs images. Alors, Ethical Capital Partners dit que ses méthodes,
maintenant, de vérification sont meilleures, mais ce n'est qu'un site, il y a
des milliers de sites.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député de Gaspé, puis j'ai aussi M.
le député d'Hochelaga-Maisonneuve. Donc, vous nous quittez à quelle
heure, déjà, Mme la sénatrice?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je
vous quitte à 25, dans 13 minutes.
La Présidente (Mme Dionne) : D'accord.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Donc, je vais essayer de répondre plus brièvement.
Je m'excuse, je suis intarissable.
La Présidente (Mme Dionne) : Il n'y
a aucun... C'est très intéressant. Il n'y a aucun problème.
M. Sainte-Croix : Merci, Mme la
Présidente. Bonsoir, Mme la sénatrice. Vous remercier d'abord de votre présence avec nous aujourd'hui. C'est très
intéressant d'écouter votre propos, puis très troublant aussi, très
honnêtement. Moi, je vous écoute depuis, quoi, là, 15, 20 minutes, avec
tout ce que vous nous avez partagé comme information, avec ce que vous avez
nommé aussi, le consensus social. Comment vous expliquez-vous la résistance du
législateur canadien devant votre projet de loi? Qu'est-ce qui explique qu'on
n'aille pas de l'avant?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors,
écoutez, je... C'est une excellente question. D'abord, dans ce cas-ci, c'est
moi la législatrice, parce que j'amène ce qu'on appelle un projet de loi
d'initiative sénatoriale, mais les partis sont libres ou non d'accepter cette
proposition. Et ce qui m'a beaucoup, beaucoup troublée, c'est que, du côté du
gouvernement libéral actuel, c'est là que j'ai eu le plus d'oppositions et qui
ont changé au gré des mois.
Donc, la dernière en date, c'est de dire que,
parce qu'on veut interdire aux mineurs le matériel sexuellement explicite, qui
est la définition du Code criminel de la pornographie, eh bien, ce que ça va
donner, c'est que des films où on voit soit un sein soit une paire de fesses
sur Netflix ou sur HBO, ces films-là vont être censurés. Donc, c'est de prendre
ce projet de loi, qui est vraiment ciblé avec une expression connue, «matériel
sexuellement explicite», et de dire que c'est... ce sera de la censure et que
tout ce qui montre un peu de chair sera censuré. Alors, c'est tellement gros
que, comment dire, enfin... Ça a été démonté et... démonté par des experts de
la question, qui ont dit : Bien, voyons donc! Alors donc, ça, c'est une
raison.
Une autre, c'est évidemment, dans les questions
sérieuses que vous posez, c'est : Ça va être très dangereux pour les
clients, ils vont devoir donner leurs informations personnelles à des sites
peu... qui ont une mauvaise réputation. Ça,
c'est le premier ministre Trudeau qui a dit ça. Bien, je regrette, mais plein de
pays commencent à le faire, ont passé des lois, avec de la
réglementation, il n'y a aucune raison que ce soit mal fait. Ça dépend
essentiellement de la mise en vigueur de la loi, donc.
Et l'autre grand... c'est la liberté
d'expression. Bien, quand même, est-ce que vraiment c'est une atteinte majeure
à la liberté d'expression que de demander à quelqu'un, pendant
30 secondes, une minute, un peu comme vous faites quand vous faites des
vérifications pour avoir accès à des informations bancaires ou quoi que ce
soit... De quelle façon c'est une... c'est une atteinte à la liberté
d'expression?
Donc, moi, j'ai l'impression qu'il y a une
espèce de confusion entre la liberté sexuelle pour les adultes, soit, et la
pornographie. Et je crois... Quand je parle à des parlementaires, je me rends
compte que beaucoup ne savent même pas ce qu'on peut voir sur ces sites pornos.
Ce n'est pas fleur bleue, là, ce n'est pas de l'érotisme. C'est dur, très, très
dur. Alors, que des adultes consentants veulent voir ça, c'est une chose, mais
qu'on juge que, non, non, c'est mieux aucune loi que celle-là, c'est mieux de
ne rien faire que de faire quelque chose… Et entendons-nous, dans l'Internet,
vous qui êtes justement en train d'étudier toute cette question-là, vous savez
bien que, quand on légifère dans un domaine nouveau, il y a des risques
d'erreurs. C'est compliqué, on n'a pas de barème, on essaie, mais vaut mieux
essayer de protéger les enfants que de ne rien faire au nom d'une liberté
d'expression absolue. Quand je vous dis que la Cour suprême est en train de se
pencher là-dessus aux États-Unis, c'est que la crise, cette crise-là, est
rendue assez grave.
Alors donc, oui, comme gouvernement, il y a une
décision de ne pas appuyer ce projet de loi. Il y a certains libéraux qui ont
choisi de ne pas respecter cette règle, ont voté pour en deuxième lecture. Du
côté des néo-démocrates, il y a un peu de division. Le Bloc québécois nous
appuie fermement, les conservateurs aussi. On est rendus à la troisième
lecture. On va voir comment les choses vont se terminer, c'est impossible à
prédire. Mais je vous avoue que, si le gouvernement jugeait qu'il y avait des
choses vraiment dans ce projet de loi qu'il fallait changer,
il pouvait très bien les changer, ça s'appelle un amendement. Mais on n'a
jamais eu cette discussion. Le projet de loi, à leur avis, était vicié, et ils
ne voulaient rien entendre. Donc, écoutez, c'est ça, la démocratie. Je vais...
J'essaie de récolter le plus de voix de parlementaires possible, et on verra
comment le vote se déroulera.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
M. le...
M. Leduc : Bonjour, Mme
Miville-Dechêne, toujours un plaisir de vous entendre. J'étais sur la
commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs il y a quelques années,
votre témoignage avait été percutant à ce moment-là, il l'est encore
aujourd'hui. Très rapidement, dans les deux minutes qu'il nous reste, vous avez
fait référence tantôt à des jeux vidéo
sexualisés que les enfants peuvent voir sur des plateformes. Je ne suis pas familier
avec ça. Pouvez-vous nous expliquer un peu de quoi il en retourne?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui.
Alors, écoutez, pour être bien franche, c'est mon fils qui m'a parlé de ça, alors... qui est un peu plus jeune que moi,
comme vous pouvez l'imaginer, et qui avait regardé sur ces plateformes
parce qu'il savait que je travaillais là-dessus. Alors, on regarde des vidéos,
mais il y a aussi des jeux vidéo auxquels on peut participer et qui sont
souvent, cela dit, payants, ces jeux vidéo, et c'étaient des jeux qui mettent
en scène une certaine sexualité aussi. Donc, c'est une autre façon de faire des
sous pour les plateformes.
M. Leduc : Et ça, c'est de la
publicité entre deux vidéos pornographiques?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Il y a
aussi... il y a aussi de la publicité, les deux, les deux existent. Il y a des
jeux vidéo et il y a de la publicité. La publicité, c'est le nerf de la guerre.
C'est ça qui fait que les sites pornos récoltent de l'argent. Et la publicité
est payée, c'est comme à la télé, au nombre de clics, au nombre de clients.
Donc, plus il y a de clients, plus les taux publicitaires sont élevés et plus
la plateforme fait de l'argent, qu'elle peut parfois redistribuer à certains
créateurs de contenu, à certaines travailleuses du sexe qui peuvent... qui
peuvent faire des performances sur ces plateformes-là. Mais...
M. Leduc : Et la publicité, c'est
des... c'est des grands... des grands constructeurs de voitures, des prochains
films à l'affiche?
• (18 h 20) •
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non.
Non, non, ce n'est pas des grands constructeurs de voitures. Il y a beaucoup de gens qui se sont retirés du marché
publicitaire de ces sites-là, particulièrement quand il y a eu le
scandale entourant Pornhub et les images de mineurs. Le grand article du New
York Times de Kristof, là, ça a fait fuir pas mal de compagnies et aussi Visa et MasterCard, qui maintenant n'autorisent
plus les transactions sur... sur Pornhub, en tout cas, peut-être sur
d'autres plateformes. Donc, il y a eu une réaction, quand même, du marché, mais
ça existe encore. On ne sait plus exactement maintenant qui est le premier. À
l'époque, on disait beaucoup que la plateforme Pornhub était la plus regardée.
Je ne suis plus sûre que c'est le cas.
M. Leduc : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Parfait.
Alors, oui... bon. Mme la sénatrice est disponible jusqu'à et 25, alors on
peut... on peut poursuivre.
M. Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour... Bonsoir, Mme la sénatrice.
Justement, je vais faire du pouce sur ce que mon collègue a dit. Je vois que
votre projet de loi est appuyé pour... par plusieurs, puis je pense que c'était
très important de le faire. Maintenant, ceux qui sont contre votre projet de
loi ont... c'est leur opinion, là. Cependant, si... Il y a-t-il moyen
d'empêcher... On a vu Visa et MasterCard qui ont décidé librement de ne plus
accepter les paiements de ces sites. Je ne sais pas si c'est juste Pornhub ou
tous les autres sites, là, qui...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'était...
Toute la bataille, à ce moment-là, était focussée sur Pornhub.
M. Ciccone : Pornhub. O.K.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je ne
suis pas sûre que c'est tous les sites.
M. Ciccone : Parce que Pornhub a plusieurs tentacules, si je ne m'abuse,
j'ai vu… j'ai lu l'historique.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'est
Ethical Capital... Maintenant, c'est Ethical Capital Partners qui a racheté. Donc, c'est Aylo, qui a plusieurs... qui
a plusieurs sites, notamment Pornhub. Donc, c'est un peu tentaculaire,
hein, chaque compagnie a plusieurs sites pour avoir différents publics. Mais ce
que vous devez... Excusez-moi. Allez-y avec votre question.
M.
Ciccone : Mais, en matière de... Serait-il
possible d'envisager, en matière de législation, d'empêcher justement de
publiciser sur ce genre de sites là? Est-ce que ce serait possible de le faire
ou ce serait impossible? Parce que c'est des compagnies
privées, puis on ne peut pas leur dire comment se gérer, mais parce que c'est
comme ça qu'ils vont aller chercher... Puis
c'est la même chose avec les blogues. Puis ce n'est pas juste la pornographie,
il y a des blogues sportifs qui vont... qui utilisent beaucoup, puis
c'est des fausses nouvelles, puis c'est complètement ridicule, là, puis c'est
comme ça qu'ils font de l'argent.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Ce qu'il faut comprendre, c'est que la
pornographie pour les adultes est légale. Donc, ces sites agissent dans la
légalité parce qu'on n'a jamais fait de loi précise qui leur empêche de montrer
de la pornographie aux enfants. Parce qu'avant ça ne marchait pas comme ça.
Avant, il fallait montrer une carte, les sites n'étaient pas disponibles, tout
le monde ne pouvait pas les voir. Donc, on est dans une espèce de vide qui fait
qu'ils peuvent faire ça.
Mais ce que je
voulais ajouter, c'est sûr que, quand on les prend par l'argent… les cartes de
crédit, ça leur a fait très mal. Mais je voulais revenir sur une chose, c'est
que le gouvernement fédéral a présenté un projet de loi qui s'appelle C-63, qui
est censé, en partie, protéger les jeunes et aussi minimiser le discours
haineux. Et ça aurait très bien pu être un cadre où le gouvernement aurait pu
présenter sa version d'un projet de loi qui fait appel à la vérification d'âge
pour certains préjudices jugés graves, et ils ne l'ont pas fait. Ils ont... ils
se sont attaqués à certains préjudices, mais, clairement, ça ne fait pas partie
de leurs priorités.
M.
Ciccone : Parfait. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Il reste 1 min 30 s. Je ne sais pas, Mme la
sénatrice, on ne veut pas vous bousculer dans votre temps non plus.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Non, parce qu'il faut que je parte, que je
coure vers la salle.
La Présidente (Mme
Dionne) : Oui, c'est ça. Il nous reste une minute. Ça fait que, bon,
je pense qu'on va vous laisser aller à vos obligations.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Bien, je vous remercie.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci d'avoir été là.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Oui, puis je voulais vous remercier parce
que vous faites un travail beaucoup plus large. Moi, quand j'ai commencé à
travailler sur la porno, on ne parlait pas beaucoup de l'effet des écrans, des
médias sociaux sur les enfants il y a quatre ans, beaucoup moins que
maintenant, en tout cas. Et vous, vous avez pris le sujet de façon plus large.
Et aujourd'hui je le prendrais de façon plus large parce que c'est toute une
question de circonstances. Moi, j'ai commencé à travailler sur ce sujet-là
pendant la pandémie et toute... J'avais participé à une manifestation devant
Pornhub et je me disais : Mais qu'est-ce qu'ils font, les enfants, pendant
la pandémie? Ils regardent des écrans, donc ça va augmenter. Alors, je m'étais
vraiment concentrée là-dessus pour toute une série… à cause de toute une série
de hasards. Mais il y a beaucoup d'autres choses sur les réseaux sociaux qui
sont complexes pour les enfants, si ce n'est que dans regarder trop, point. Et
donc je trouve que votre commission est très à propos et j'espère qu'on va
travailler sur ces questions-là à Ottawa aussi.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci infiniment pour le commentaire. Et d'autant plus que
c'est une commission transpartisane, alors c'est agréable.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Oui, parce que c'est un...
La Présidente (Mme
Dionne) : On est tous...
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : C'est un sujet transpartisan.
La Présidente (Mme
Dionne) : Exactement.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Moi, les conservateurs, là-dessus, sont
d'accord avec le projet de loi. Ils l'ont été depuis le début. Ils ont fait que
ça a passé un peu plus vite que ça aurait pu passer à travers les différentes
étapes, parce que, souvent, l'opposition fait obstacle. Donc, la protection des
enfants, ce n'est pas une question partisane et ce n'est pas non plus... On
peut être en désaccord sur plein d'autres choses, sur l'éducation sexuelle, par
exemple, et tout, mais, sur cette question-là, il faut absolument mettre des
barrières là et, de mon point de vue, renforcer l'éducation sexuelle. Je sais
que vous le faites, au Québec, avec un nouveau programme. C'est très bienvenu,
parce que ça n'avait pas de sens avant. Mais ça, ce sont aussi des outils pour
que les enfants eux-mêmes se rendent compte que ce n'est pas ça, la réalité.
Parce que c'est ça qui est le plus grave, ils regardent ça, là, puis ils
pensent que c'est ça, la réalité des relations sexuelles. Imaginez quand ils
arrivent puis que...
La Présidente (Mme Dionne) : Vous
avez raison. Je vais vous interrompre parce que vous allez être en retard pour
votre vote.
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : Très bien, au revoir. Merci de m'avoir écoutée.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment.
Et nous, on suspend la commission quelques
instants pour accueillir notre prochain invité.
(Suspension de la séance à 18 h 26)
(Reprise à 18 h 32)
La
Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux.
Donc, nous avons le bonheur d'accueillir
comme dernier invité M. Lavoie du Centre québécois d'éducation aux médias
et à l'information. Bienvenue.
Centre québécois
d'éducation aux médias
et à l'information (CQEMI)
M. Lavoie (André) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Donc,
je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour nous faire part de
votre exposé. Suite à cela, nous procéderons à une période d'échange avec les
membres de la commission.
M. Lavoie (André) : Parfait.
La Présidente (Mme Dionne) : Alors,
à vous la parole.
M. Lavoie (André) : Alors, bien, je vous remercie beaucoup de m'accueillir au
nom du CQMI et en mon nom personnel aussi. André Lavoie. Je suis journaliste
indépendant, critique de cinéma. Je collabore depuis 26 ans au journal Le
Devoir. Je collabore également au magazine Québec Science et je suis
un des membres cofondateurs du Centre québécois d'éducation aux médias et à
l'information.
Officiellement, on est né en mai 2021. Mais, au
cours de ma présentation, je vais vous faire un peu la petite histoire de notre
organisation, vous présenter un peu qu'est-ce qu'on fait, comment on fonctionne
et surtout quelle est la philosophie qui nous anime, et donc qu'est-ce qu'on
fait auprès des jeunes particulièrement.
D'abord, évidemment, on est parti de différents
constats quand on a commencé à élaborer le programme, parce que les
journalistes... Enfin, moi, je n'étais pas là au moment où on a commencé à
élaborer des programmes de formation, avant que le CQMI existe. C'était en
2018. Ça fait que, rappelez-vous, en 2018, c'était l'époque de... l'époque
glorieuse de Donald Trump à la Maison-Blanche lors de sa première... et, on
espère, seule présidence. Et donc des journalistes, comme... j'imagine, comme
les élus voyaient qu'il y avait prolifération de fausses nouvelles, de théories
du complot, et tout ça. Et donc ils ont compris aussi qu'il y avait une
certaine fragilité dans la population et particulièrement chez les jeunes pour
faire... pour distinguer le vrai du faux, pour savoir c'est quoi, une vraie
nouvelle versus une fausse nouvelle.
Donc, on a élaboré des programmes puis on a
parti de certains constats qui ont été confirmés dans un sondage qu'on a
demandé à la firme Léger, qu'on a fait en 2023. Donc, vous voyez un peu les
chiffres. De mon point de vue, ils sont effectivement alarmants. Parmi les
18-35 ans, il y aurait environ six jeunes sur 10 qui ne font pas confiance
aux médias. Il y aurait 90 % des personnes qu'on a sondées qui ont un
doute sur au moins une théorie complotiste. Et je vous rappelle qu'une théorie
complotiste, ça peut être autant... et on en a entendues beaucoup sur, par
exemple, les vaccins, mais il y en a qui sont encore convaincus que la terre
est plate. Il y en a d'autres qui croient que vous êtes des reptiliens, que
vous êtes des francs-maçons, que vous êtes des... vous faites partie des
Illuminati. On rigole, mais, sincèrement, il y a des gens qui pensent ça. Et,
parmi les 18-34, bien, il y en a 84 %, de ces gens-là, qui sont incapables
de distinguer le vrai du faux sur les réseaux sociaux pour une raison très simple,
et ça, on l'explique quand moi, je vais en classe, parce que je suis
journaliste formateur aussi pour le CQMI. C'est qu'avant... j'allais dire «dans
mon temps», quand j'ai commencé à m'informer, on ouvre un magazine, on ouvre un
journal ou on écoute Le téléjournal. Les choses sont hiérarchisées et
elles sont explicitées. On a un éditorial. On a une chronique. On a un
reportage. On a le courrier du lecteur. On a une nouvelle brève. Sur les
réseaux sociaux, tout se mélange. Les gens ne savent pas nécessairement si on a
affaire à une chronique, ou à un reportage, ou à un éditorial. Et donc les
18-34, eux qui n'ont pas du tout, du tout grandi avec un magazine et un journal
entre les mains, eux ont beaucoup de difficulté à distinguer le vrai du faux
sur les réseaux sociaux.
Nous, notre mission avec ce constat-là, comme je
vous disais, qu'on trouve un peu alarmant, évidemment, en tant que journaliste,
mais je vous dirais aussi en tant que citoyen, c'est ce qui nous anime au CQMI.
On a... Je vous dirais, on a deux... notre mission est à deux volets, si vous
voulez. D'abord, on veut aider les citoyens, pas juste les jeunes. C'est sûr
qu'on rencontre et on va à la rencontre de beaucoup de jeunes, mais on
s'adresse aussi aux citoyens de tous les âges pour mieux les aider à avoir les
meilleurs outils pour mieux s'informer puis à développer leur esprit critique
aussi. Et ça, c'est un excellent moyen pour combattre la désinformation. Mais
on veut aussi faire oeuvre utile à l'égard de notre profession, on veut faire
connaître le journalisme. On veut leur expliquer que le journalisme, même si, certaines journées, je suis sûr que
certains d'entre vous ne sont pas d'accord avec moi, mais on... le
journaliste, ça a un rôle essentiel dans notre
démocratie, et on est un rouage important, que vous aimiez ça ou pas, et on
veut aussi essayer de faire comprendre ça aux jeunes, qui... Je voulais...
Ensemble, on partage la même chose ce soir, c'est qu'en général les jeunes se
méfient pas mal des politiciens mais se méfient aussi parfois beaucoup des
journalistes. Donc, on prêche pour notre
paroisse, mais laissez-moi vous dire que, personnellement, étant assez politisé
moi-même, j'essaie aussi de vous inclure dans ma gang et de vous aider.
Là, évidemment, comme je m'en doutais... Ah! voilà.
Alors, pas besoin de vous dire que c'est un défi permanent. Je vous
dirais que c'est un défi que je qualifierais d'une classe à la fois, parce
qu'on va dans toutes sortes de milieux. On va beaucoup dans les écoles... On
va, depuis l'année... Depuis cette année, en fait, on va... En fait, depuis
l'année dernière, on va dans les écoles primaires, mais on va aussi beaucoup,
beaucoup dans les écoles secondaires. Moi, je vous avoue que ce qui est assez
fascinant dans mon travail de journaliste formateur, c'est que, depuis trois
ans à peu près, je suis allé dans les écoles des quartiers les plus favorisés
de Montréal et, à côté de ça, je suis allé
dans les écoles les plus défavorisées de Montréal. Et laissez-moi vous dire que
ne ça ne change pas nécessairement d'un quartier à l'autre, mais d'une
école à l'autre. Et ce n'est pas parce que les gens sont dans un milieu
favorisé qu'ils sont nécessairement mieux informés. Donc, l'idée de
sensibiliser, de faire comprendre aux gens l'importance des médias d'information,
l'importance d'être bien informé comme citoyen dans une société démocratique,
je vous dirais que c'est un défi dans... en tout cas, personnellement, dans
toutes les écoles que j'ai fréquentées.
Au CQMI, la large part de notre travail, c'est
bien sûr de donner des formations, des activités, mais aussi on veut... on fait
beaucoup d'activités, d'événements pour se faire connaître, mais aussi faire
connaître notre mission. Alors, des
débats... on participe à des rencontres. Le printemps dernier, on était parmi
les gens invités dans une journée de réflexion et de partage avec le
Secrétariat de la jeunesse, parce que nous sommes soutenus par le Secrétariat à
la jeunesse. Et aussi c'est une façon pour nous de faire connaître, dans le
fond, le fondement même de notre mission, qui est de permettre aux gens
d'aiguiser leur sens critique et de comprendre l'importance de bien s'informer.
Je vous donne quelques chiffres pour nous...
pour vous expliquer concrètement, là, où je vous dis... où je vous dis ce qu'on
fait. Mais est-ce que ça a un impact? Est-ce qu'on est quelque part? Oui.
Depuis 2018... À cette époque-là, le programme était... a été conçu par
quelques journalistes qui étaient principalement liés à la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec, donc c'est à ce moment-là que ça a
commencé. Et le CQMI est arrivé en 2021
comme un... comme un... On a fondé un OBNL pour accueillir le programme parce
que la Fédération professionnelle des journalistes trouvait que le
programme commençait à prendre beaucoup de place, et, comme... ce n'est comme
pas nécessairement une grosse organisation, la FPJQ, ils ont jugé bon de faire
en sorte que le programme puisse en quelque sorte voler de ses propres ailes.
Mais donc, depuis 2018, on a rencontré 60 000 participants, on a fait
plus de 2 000 formations dans les écoles. Moi, je suis allé dans les
centres communautaires. Il y en a qui sont allés beaucoup dans les bibliothèques aussi. On a... On est
allés... En fait, on a été à la rencontre... on a été visiter 500...
520 établissements. On compte sur une équipe de 70 journalistes
formateurs, et c'est des gens de toutes les générations,
des gens de tous les... de tous les milieux. Il y a des retraités aussi de
Radio-Canada, Le Journal de Montréal, moi, du Devoir, des gens de La Presse,
des gens de Radio-Canada et beaucoup de photojournalistes aussi, qui font
du reportage à l'étranger. Donc, le profil des formateurs est très vaste, mais,
en fait, la seule... la seule caractéristique, si on veut, c'est que... ce qu'on
exige, c'est que les journalistes soient membres soit de la FPJQ, ou de
l'Association des journalistes indépendants du Québec, ou des bozos, comme moi,
qui sont membres des deux associations.
• (18 h 40) •
On a un taux de satisfaction moyen de 97 %
et un taux de renouvellement de 85 % des enseignants, et ça, ça nous... on
en est très fiers parce que ça veut dire qu'on a un certain impact auprès des
gens qu'on rencontre. Je l'ai encore vécu pas plus tard qu'hier parce que j'ai
parlé avec une enseignante du programme Culture et société québécoise. Je suis
allé dans sa classe il y a deux ans. En fait, j'avais rencontré cinq de ses
groupes il y a deux ans dans le cadre de l'ancien cours Éthique et culture
religieuse, et là elle donne le cours de Culture et citoyenneté québécoise. Et
là je rencontre... ou, à la fin octobre, début novembre, je vais rencontrer six
groupes de son école, et donc ça, ça veut dire que de retourner chez elle, dans
son école, c'est signe qu'elle a apprécié notre présence. Et on a une vingtaine
de partenaires dans la francophonie. D'ailleurs, je ne sais pas si on peut...
Non, excusez-moi. Ah! voilà, j'ai les partenaires. Écoutez, pas pour faire
du... pas pour vous étaler mon agenda mondain, mais, dimanche soir, je quitte
pour Paris dans le cadre du Sommet de la Francophonie et je vais rencontrer...
Parce que, depuis quelques années, on est en lien avec des partenaires français
et belges, le CLEMI, le Centre pour l'éducation des médias à l'information en
France et, en Belgique, le Conseil supérieur de l'éducation aux médias, deux
organismes qui sont gouvernementaux, qui
sont liés par... avec l'État. Et c'est deux organisations qui sont très...
très, très engagées dans la question de l'éducation aux médias, et ils
veulent élaborer un réseau international d'éducation aux médias, réseau
international francophone. Alors, c'est la raison pour laquelle ils ont invité
le CQMI. C'est moi qui sera le représentant
québécois, et on va jeter les bases d'un réseau international francophone. Le
modèle est encore à discuter.
Mais tout ça pour vous dire que ces
organisations-là... Juste pour vous donner une idée, là, le Conseil supérieur de l'éducation aux médias, ils sont sept
employés et ils couvrent une population, qui est, en fait, la Wallonie
francophone, d'environ 1,8 million d'habitants. Alors, nous, on est un
OBNL. On a une employée à... relativement à temps complet et on a une
stagiaire, et tous les autres... toutes les autres personnes impliquées, comme
moi, nous sommes tous des bénévoles. Alors, c'est sûr qu'on apprécie beaucoup
le soutien du Secrétariat à la jeunesse, mais on n'est pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur et de moyens. Quand
moi, je parle avec mes interlocuteurs européens, c'est évident que moi,
je leur dis : Écoutez, telle chose, on ne peut pas le faire; telle chose,
il faut y penser. Parce que nous, on est une petite organisation en croissance
puis on a beaucoup, beaucoup d'enthousiasme, mais c'est sûr qu'on ne se compare
pas au Finnish Society on Media Education, qui est... en fait, qui est, pour
nous... En fait, si on avait un idéal ou si on avait un
rêve, c'est de ressembler à cette organisation-là, qui est extrêmement
dynamique. Et il faut dire aussi qu'en Finlande et dans les pays scandinaves,
l'éducation aux médias est extrêmement, extrêmement valorisée. Et évidemment,
une fois de plus, je m'emmêle dans mes pinceaux. Désolé.
La Présidente (Mme Dionne) : M. Lavoie,
votre temps est terminé, mais...
M. Lavoie (André) : Oui.
La Présidente (Mme Dionne) :
...est-ce que vous... Ah! O.K. Bien, s'il y a consentement pour que vous
puissiez faire part de vos recommandations.
M. Lavoie (André) : J'aurais une... Il me resterait...
La Présidente (Mme Dionne) : Bien
oui...
M. Lavoie (André) : ...une
diapositive qui est, en fait, la... recommandations...
La Présidente (Mme Dionne) : Allez-y.
M. Lavoie (André) : ...par rapport au travail formidable que vous faites à
cette commission, nos réflexions terrain et nos souhaits.
Alors, nous,
notre appel à vous aujourd'hui... D'abord, bien, si on avait à élaborer des
politiques ou à réfléchir sur des choses à faire pour aider les jeunes à
soit s'éloigner des écrans temporairement ou les utiliser de manière plus
intelligente et efficace, bien, d'abord, c'est justement de former les jeunes à
un usage éclairé des écrans et des outils numériques. Parce que l'interdiction
totale, on s'entend, là, ni vous ni moi on va voir ça de notre vivant, là. Et,
comme on dit, le génie est sorti de la lampe, et le dentifrice est sorti du
tube, donc essayons de faire en sorte que les jeunes aient une utilisation
éclairée et judicieuse de leur téléphone et des écrans.
Deuxièmement, favoriser l'élargissement de
l'éducation aux médias et à l'information dans le programme scolaire et
intégrer une formation critique sur l'utilisation de l'intelligence
artificielle. Ça, écoutez, j'ai l'impression que, dans quelques années puis
dans pas longtemps, on va peut-être faire une commission sur l'intelligence
artificielle parce que ça se développe à vitesse grand V. Il y a énormément
d'enjeux qui entourent ça. Bien, c'est sûr que je pense que de réfléchir à
l'école dans le cadre du cursus scolaire à ces questions-là, ça serait une
bonne chose, dans le cadre du... du cours,
pardon, Culture et citoyenneté québécoise — je ne suis pas pédagogue, je ne suis pas
spécialiste en éducation — peut-être.
Troisième point : promouvoir et valoriser
les programmes d'éducation aux médias et à l'information tels qu'un de nos
programmes qui s'appelle #30 secondes avant d'y croire. Donc, c'est sûr
que toutes les initiatives que les
organisations utilisent, entre autres, par exemple les médias, parce que les
médias aussi font des émissions, il y a... Tout récemment, il y a La
Presse, entre autres, qui a fait des nouvelles initiatives pour permettre
aux gens d'avoir... d'une manière synthétisée, de mieux comprendre l'actualité.
À Radio-Canada, les Décrypteurs font un travail formidable. Donc, il y
aurait peut-être lieu de valoriser ça aussi.
Accompagner les enseignants en leur fournissant
des contenus de qualité lorsqu'il est question d'éducation aux médias et à
l'information. Ça, écoutez, moi, si je me base sur les commentaires, les
échanges, les réflexions que j'ai avec les enseignants que je rencontre, c'est
sûr que beaucoup d'entre eux nous demandent... demandent nos services, parce
qu'ils sont... elles sont un peu démunies devant tout ça. Vous le savez mieux
que moi... aussi bien que moi, ils sont débordés. Ils ont beaucoup d'enjeux,
beaucoup de choses à gérer. Donc, c'est clair que la question de l'éducation aux médias, rajoutée à tout le
reste... C'est pour ça que je pense que... Nous, en tout cas, on a
l'impression qu'on fait quand même aussi un petit travail d'accompagnement,
mais on devrait être plusieurs à le faire.
Et finalement, bien, sensibiliser les parents et
l'ensemble des intervenants qui gravitent autour des jeunes à l'importance de
bien s'informer. Ça, c'est clair. Écoutez, c'est comme la lecture. C'est comme
bien manger. C'est comme faire du sport. C'est comme... Écoutez, si les parents
passent leur temps sur leur... Vous savez, écoutez, je vais plutôt donner un
autre exemple, un exemple de vieux, ce qui est mon cas. Je veux dire, un
parent, à une époque où tout le monde
fumait... Moi, j'ai connu ça, là. Je ne fume pas, Dieu merci, mais un parent
qui fume puis qui demandait... qui exigeait que son enfant ne fume pas,
ce n'était pas très crédible.
Alors, aujourd'hui... Alors, Dieu merci... il y
a une législation qui fait en sorte que le tabagisme a beaucoup diminué au
Québec. Bien, je pense qu'il va peut-être falloir réfléchir à l'utilisation des
écrans chez les jeunes et en faire un enjeu de santé publique aussi. Alors,
c'est évident qu'un parent qui a toujours le nez sur son téléphone est moins
crédible lorsque vient le temps de gronder son enfant en disant : Fais
d'autres choses que de passer ton temps sur ton téléphone ou ta tablette.
Donc, c'est sûr que je pense que... Et, en ce
moment, je lis constamment, dans mon journal et dans d'autres médias, toutes sortes d'études scientifiques très
crédibles sur le fait que, pour les enfants en bas âge, c'est
extrêmement nuisible, l'utilisation excessive des écrans. Donc, c'est sûr que
de sensibiliser les parents juste à ça, ça serait, à mon avis, une bonne chose,
mais c'est clair qu'il y a pas mal de travail à faire puis il y a pas mal de
gens à convaincre.
Alors, sur ce, j'ai dépassé mon temps — je
suis désolé — mais
je vous remercie de votre attention. Et ça fait un peu le tour de ce que fait
le CQMI.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, M. Lavoie. On va débuter
cette période d'échange avec M. le député de Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour... Bonsoir, M. Lavoie.
M. Lavoie (André) : Bonsoir.
M. Ciccone :
J'ai une question pour vous. Je ne serai pas trop difficile avec vous, j'ai une
question. Vous savez que, quand on parle d'écrans, là, moi, je mets... on met
tous les écrans dans le même sac puis par la suite, après nos travaux, on va
être capable de départager les écrans. Puis là je me fie à votre grande
expérience au niveau des médias. Vous en avez vu. Vous avez commencé, il y
avait seulement les journaux. Vous êtes au courant que... C'est sûr que vous
êtes au courant qu'aujourd'hui les médias d'information sont passés au
numérique, on le sait. Et là je ne veux pas vous mettre dans le trouble avec ma
question, mais avez-vous des exemples...
M. Lavoie (André) : Vous voulez me tasser dans le coin comme au hockey, vous,
là, là.
M. Ciccone : ...mais avez-vous... avez-vous des exemples ou de
l'information à l'effet que les médias d'information utiliseraient, puis je le
mets au conditionnel, là, c'est une de vos tactiques journalistiques, là,
utiliseraient certaines tactiques pour garder ses lecteurs sur leurs écrans?
Puis là je parle ici puis je mets... Tu sais, là, des stations de sports, par exemple, ils vont avoir des pools. Ils vont
avoir des lumières, des couleurs, un chronomètre. Vous savez, là, ça
fait que, là, on les garde, là. Ça fait qu'est-ce qu'on utiliserait les mêmes
tactiques au niveau des médias d'information que les autres plateformes?
• (18 h 50) •
M. Lavoie (André) : Moi... Écoutez, moi, je peux vous dire une chose. Je ne
suis pas dans le secret des dieux. Peut-être que oui, peut-être que non. Par
contre, je vais vous dire une chose. C'est évident que les médias ont fait un
constat que moi, je fais et que vous faites aussi, que peut-être vous-même,
dans votre quotidien de citoyen, d'élu, je ne sais trop, on fait, c'est-à-dire
que notre capacité collective d'attention a beaucoup diminué, ce qui fait en
sorte que — et
moi, je le vois dans mon média puis je le vois ailleurs aussi — on
est plus réfractaires aux textes longs. On aime beaucoup les vidéos. On aime
beaucoup les brèves. On aime beaucoup...
Moi, écoutez, je suis vraiment d'une autre
école, parce que, je veux dire, jamais dans ma vie... puis moi, je lis Le Devoir depuis 40 ans cette année.
Je veux dire, jamais dans ma vie,
j'aurais réclamé que Le Devoir ait des photos couleur à une
époque, mais, finalement, ça prenait des photos couleur pour attirer le
lecteur. Donc, maintenant, un journal...
Écoutez, je vais juste faire une parenthèse, là.
Il y a deux semaines, je suis allé dans une école, dans un cégep, et j'avais
mon Devoir papier avec moi. J'avais une classe de 50 cégépiens.
J'ai sorti mon Devoir papier et j'ai demandé : Qui d'entre vous
avez déjà tenu un journal papier dans vos mains? Il y a une personne sur 50 qui
a levé la main, O.K.? Donc, on parle... Et moi, quand je parle de journal, j'ai
l'impression que j'ai grandi en même temps que les dinosaures du Parc
jurassique, parce que là, là, les journaux... On parle de médias, et donc
que ça soit Le Devoir, le 98,5, Radio-Canada, tout le monde fait des
images.
Cet été, j'ai fait un article sur... j'ai fait
une série d'articles sur les médias publics étrangers, internationaux. Et un
des quatre textes, je l'ai consacré à un média français public qui s'appelle
France Bleu, qui est spécialisé en information régionale. Ils ont
44 stations régionales à travers la France. Et le gros débat,
c'était : la direction de France Bleu veut faire rentrer les caméras dans
les studios de radio. Il y a eu une résistance pas possible. Il y a même eu un
mouvement de grève. Vous allez me dire qu'en France on a fait pour moins que
ça.
Mais donc tout ça pour vous dire,
M. Ciccone, que les médias, est-ce qu'ils ont une stratégie obscure pour
faire en sorte que... C'est clair que oui. Mais est-ce que c'est une stratégie
qui est semblable à celle dont nous parlait Mme Miville-Dechêne tout à
l'heure par rapport... Je ne crois pas, mais c'est évident que les médias
cherchent des façons de séduire un auditoire qui leur échappe de plus en plus.
Dans mon journal, au Devoir... Je dis «mon journal». Écoutez, je suis
pigiste au Devoir, là. On s'entend que je n'ai pas... je ne suis pas
dans les officines et la haute direction, mais, je veux dire, on a une équipe
vidéo. Donc, c'est évident que les jeunes qui sont abonnés... Parce que la classe
où je suis allé, dans le cégep où je suis allé il y a quelques semaines, le
professeur a abonné tout le monde au Devoir. Moi, je suis convaincu que
les jeunes de cette classe-là consultent bien davantage la section vidéo qu'ils
lisent mes longs articles sur les... des écrivains oubliés dont ils n'ont
jamais entendu parler.
Alors,
regardez, c'est la vie, là. Mais donc je ne sais pas si j'ai répondu à votre
question. Mais tout ça pour dire que
les médias, c'est clair qu'ils essaient d'accrocher les jeunes. Ont-ils des
techniques machiavéliques? Je ne sais trop.
M. Ciccone : Bien, on parle de notifications, des pages sans fin. Tu
sais, c'est...
M. Lavoie (André) : Oui. Ah oui! Tout à fait. Tout cet attirail-là, que tout le
monde utilise de toute façon, c'est évident que les médias s'en servent. Mais,
en même temps, eux, je veux dire, on s'entend, là, c'est... Tu sais, la... on
parle beaucoup de la crise des médias, là. Ce n'est pas une lubie de
journaliste, là, la crise des médias. C'est réel, elle est profonde. Et, moi,
laissez-moi vous dire que... Quand je vais dans une école et que je pose la
question : Qui d'entre vous avez une
application d'un média d'information sur vos téléphones? Je vous le dis :
Quand qu'il y en a deux sur 30, je suis content parce que... Et, en
plus, la question des... de l'argent est un... n'est pas un enjeu, là. Je veux dire, moi, j'ai l'application de la BBC. J'ai
l'application de la... de NPR. J'ai l'application de Radio-Canada. J'ai plusieurs applications de médias d'information, et c'est
gratuit, alors... Et les jeunes aujourd'hui lisent beaucoup plus l'anglais que
moi, je pouvais le lire à leur âge, et ils n'ont pas de raison de ne pas avoir
une application de médias d'information gratuite sur leur téléphone, mais ils
n'en ont pas. Et je vais... Et j'ai posé la question aussi bien dans une des
écoles les plus huppées de Montréal que je la pose dans une polyvalente — je
m'excuse de trahir mon âge — bien,
dans une école secondaire publique, et c'est pareil. Il y a aussi peu de jeunes
qui ont des applications des médias d'information sur leur téléphone.
M. Ciccone : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Le temps file, et on a... j'ai beaucoup de collègues qui ont des questions.
Alors, Mme la députée de Hull, la parole est à vous.
Mme Tremblay : Oui. Bonjour.
M. Lavoie (André) : Bonjour.
Mme Tremblay : Alors, quand même,
vous avez dit : Les 18-34 ans ont beaucoup de difficulté à distinguer
le vrai du faux.
M. Lavoie (André) : Oui.
Mme
Tremblay : Donc là, si je me ramène aux plus jeunes, ça veut
dire que ça doit être encore d'autant plus vrai.
M. Lavoie (André) : Et d'autant plus pire.
Mme
Tremblay : Vous leur dites quoi? Qu'est-ce qu'on leur dit? Comment
vous travaillez avec eux pour les amener à... Là, j'ai vu le... ici,
l'«hashtag» 30 secondes avant d'y croire, là, ça fait que j'imagine, c'est
dans l'esprit...
M. Lavoie (André) : Oui, c'est le nom de notre programme.
Mme Tremblay : ...mais... Oui?
M. Lavoie (André) : Bien, en fait, ce qu'on leur explique dans nos formations,
c'est qu'on leur présente ce que c'est
qu'une fausse nouvelle et on leur dit : Qu'est-ce qu'on doit vérifier?
Qu'est-ce qu'on doit voir pour reconnaître un média d'information? On
leur dit, par exemple... Par exemple, on leur dit : Si vous allez sur un
site de médias d'information avec une... avec un vrai code de déontologie, vous
devriez avoir l'adresse, le numéro de téléphone, le nom de l'équipe, un courriel pour contacter les gens et vous devriez
voir le nom du journaliste. Et aussi on leur explique... on leur explique tout ça puis on leur donne des
exemples de vraies nouvelles puis de fausses nouvelles. On leur
présente, par exemple, des sites, Infowars, par exemple, pour ne pas le nommer,
qui était le site de... Bon, visiblement, tout le monde le connaît. Donc, on
leur explique que ça, quand on lit la description du site, c'est clairement dit
que c'est un site de fausses nouvelles et que... c'est ça. Et donc, on... Et
aussi l'idée de départ du titre de notre programme, 30 secondes avant d'y
croire, c'est qu'on invite les jeunes à prendre un temps de recul de
30 secondes et de regarder la nouvelle, de la lire, de voir d'où elle
provient, de quelle source. Est-ce vérifié? Y a-t-il une date? Y a-t-il un nom?
Et attendre un moment avant de la partager. Parce que c'est ça aussi, le
problème qu'on a vu, c'est que... Et ça, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le
Massachussets Institute of Technology. Ils ont fait une étude pour expliquer
que les fausses nouvelles voyagent six fois plus vite que les vraies, donc...
et, en plus, les rectificatifs... Quand un média fait une erreur ou fait une
faute quelconque et une mauvaise information, il y a un rectificatif. Souvent,
il n'est pas... on se concentre sur, mettons, l'erreur de la nouvelle, et tout
ça.
Donc, ce qu'on fait concrètement, c'est qu'on
explique aux jeunes où aller, c'est-à-dire, quand on est sur un moteur de
recherche puis qu'on fait une recherche, on va vous amener sur des sites.
Vérifiez. C'est quel type de site? Avez-vous beaucoup d'informations? Et aussi
on leur demande de prendre un temps de recul quand vient le temps de partager,
parce qu'ils peuvent partager des choses calomnieuses, mensongères,
dangereuses. On leur donne des exemples
aussi sur la santé, parce qu'il y a beaucoup de jeunes filles qui s'informent
sur Instagram pour des questions de nutrition. Et c'est prouvé... Et
encore là, ce n'est pas moi qui le dis, c'est une lanceuse d'alerte qui
travaillait chez Meta qui a expliqué que
Meta, délibérément, faisait en sorte que les jeunes filles étaient
littéralement scotchées sur Instagram sur ces questions-là. Ils
allaient... Le parcours classique, là, c'était la fille qui allait chercher une
recette ou des conseils pour maigrir et qui, là, se retrouvait dans un vortex
de fausses informations sur des fausses... des faux régimes spectaculaires.
Donc, ce qu'on fait
avec les jeunes, c'est qu'on essaie vraiment... Et c'est là... c'est pour ça
que je vous dis que notre mission est double, c'est-à-dire, oui, sensibiliser
les gens aux dangers des fausses nouvelles parce qu'il y a des dangers. Je veux
dire, vous avez juste à regarder la campagne électorale américaine, là,
présidentielle. À tous les jours, on en voit, des dangers des fausses
nouvelles. Mais, à côté de ça, vous allez me dire : On prêche pour notre
paroisse. Puis je vais vous dire : Oui, certainement. Mais on essaie de
dire aux jeunes : Écoutez, si vous voulez... Moi, là, mon plaidoyer, là,
de curé, là, c'est : Informez-vous. Soyez éclairés. Soyez conscients de ce
qui se passe autour de vous. Soyez alertes. Essayez de
comprendre les choses qui se passent. J'essaie vraiment avec tout mon coeur de
les inviter à essayer de comprendre le monde dans lequel il vit. Et ça, un des
moyens, c'est bien sûr de sortir dehors puis de lâcher leurs écrans, mais,
quand ils sont devant, d'aller lire et consulter des médias d'information qui,
eux, vont leur donner une vision, peut-être pas toujours juste, certainement
partiale... Ça aussi, je leur explique que les médias, c'est aussi des
entreprises. Ils sont teintés politiquement. Ils sont teintés idéologiquement,
c'est clair. Sauf que nous, comme journalistes, peu importe où on travaille, on
a un code de déontologie.
Alors, on leur
explique tout ça puis on espère qu'ils vont cheminer là-dedans puis qu'ils vont
développer des réflexes, on espère, des comportements, mais au moins des
réflexes de dire : Bien, ah, tu sais, il faudrait peut-être que je fasse
attention. Ah! il faudrait peut-être... Est-ce que c'est vraiment un média
d'information crédible? C'est ça qu'on essaie de faire. Est-ce qu'on réussit
tout le temps? On les rencontre 1 h 30, deux heures, une heure, mais
on se dit : Au moins ils sont conscients qu'il y a des possibilités de
bien s'informer puis de mieux comprendre le monde dans lequel... dans lequel
ils vivent.
• (19 heures) •
Mme
Tremblay : Parce que, quand ils accèdent à des mauvaises... de la
mauvaise information, le problème, c'est, par les algorithmes après...
M.
Lavoie (André) : Oui...
Mme
Tremblay : ...on leur présente d'autres mauvaises informations...
M.
Lavoie (André) : ...c'est ça. C'est... Les
algorithmes...
Mme
Tremblay : ...ça fait que ça devient une boucle, là.
M. Lavoie
(André) : Oui, oui.
Mme
Tremblay : Ça fait que...
M.
Lavoie (André) : Bien, en fait, c'est pour
ça qu'on appelle ça... en anglais, ils appellent ça le «rabbit hole», le trou
de lapin. Et c'est pour ça que... et vous l'avez vu, chers élus, moi, je l'ai
vu comme citoyen puis laissez-moi vous dire que ça m'a affolé, mais, pendant la
pandémie, là, je veux dire, le trou de lapin avait la grosseur du stade olympique, là. Je veux dire, les gens,
là, qui avaient décidé, là, que les vaccins, ce n'était pas bon, puis que
le gouvernement nous cachait des affaires,
puis que... puis Bill Gates puis George Soros, ça allait tous nous éliminer,
là, je veux dire, il y a des gens qui
sont littéralement tombés là-dedans puis ils n'en sont jamais ressortis, là.
C'est ça que ça fait.
Et la lanceuse
d'alerte de Meta, c'est ça qu'elle disait. Elle disait : Les jeunes
filles... et les jeunes hommes aussi, parce que la dynamique est un peu
différente. Les gars veulent prendre du volume, puis les filles veulent maigrir, là. Je schématise, mais, en gros, c'est
ça, là. La lanceuse d'alerte, c'est exactement ce qu'elle disait : Ils
veulent... Elle ne le disait pas dans mes mots, là, comme ça, mais c'était ça
qu'elle voulait dire : Ils veulent que les utilisateurs, les utilisatrices
tombent dans le trou de lapin puis qu'ils y restent. C'est ça, l'idée, parce
qu'en ce moment, là, l'enjeu de tout ce que
vous discutez, là, c'est un enjeu incroyable, c'est l'enjeu de l'attention.
C'est ça que les compagnies veulent, elles veulent de l'attention,
c'est-à-dire qu'elles veulent vous garder le plus possible pour que vous
utilisiez leurs plateformes puis que vous restiez là. Après ça, ce que vous en
faites, ils s'en foutent pas mal, là, puis ils vous offrent un peu n'importe
quoi, pourvu que vous restiez avec ces plateformes-là.
La Présidente (Mme
Dionne) : ...beaucoup de questions. Mme la députée, s'il me reste du
temps, je reviens vers vous, parce que c'est un sujet qui suscite l'intérêt de
tous. Le député d'Hochelaga-Maisonneuve.
M. Leduc : L'Internet
est arrivé de manière massive dans nos foyers, quoi, fin 90?
M.
Lavoie (André) : Moi, j'ai eu l'Internet en 1999, puis il y en
avait d'autres qui l'avaient avant, ça fait qu'on peut dire les années 90.
M. Leduc : Bon, ça fait que ça fait, quoi, une trentaine
d'années, grosso modo. Est-ce que vous estimez qu'il a participé à
élever l'humanité ou, j'oserais dire, à abrutir l'humanité?
M.
Lavoie (André) : Je vous dirais qu'il y a
des gens qui ont cru au départ qu'Internet allait révolutionner les esprits et
tous nous élever collectivement, puis moi, je respecte les gens qui pensaient
ça dans les années 90. Aujourd'hui, au-delà du fait que... Écoutez, soyons
clairs, tout le monde, là, ici puis à l'extérieur, là, il n'y a personne qui
voudrait revenir à avant. Il n'y a personne qui voudrait revenir à leur
téléphone pour rejoindre les gens, les
courriels, télécharger des documents, visionner des choses, sauf que moi, je
vois... Je ne sais pas si je devrais le dire. Des fois, je vois une
sorte d'abrutissement collectif. Et puis je m'excuse de revenir là-dessus, là,
mais autant la pandémie a fait en sorte qu'on a pu, collectivement, mieux s'en
tirer parce que le télétravail, parce qu'on pouvait voir du cinéma à la maison,
parce que… bon, mais, en même temps, quand je voyais et que j'entendais la somme
astronomique de niaiseries qui non seulement étaient dites, mais étaient
faites, et parfois au plus haut niveau, bien là c'est sûr que je partage l'idée
que cet outil-là peut être extrêmement dangereux.
Écoutez,
moi, là, personnellement, je dis toujours, par rapport à n'importe quoi, le
«junk food» ou un joint, je ne sais pas si
je devrais le dire, mais, en tout cas, je vais le dire de même, tout est bon.
C'est la façon dont on s'en sert qui fait
que c'est bon ou pas. Alors, qu'on soit branché sur Internet, qu'on ait un
téléphone intelligent, qu'on ait un compte Instagram, en soi, il n'y a
pas de mal à ça. Le problème, c'est l'excès. Le problème, c'est de penser qu'il
n'y a que ça, de penser que... Écoutez, moi, là, je suis devant des étudiants,
devant des jeunes, et, des fois, après 10 minutes, ils dorment sur leur
table, sur leur pupitre. Écoutez, peut-être que vous me trouvez plate puis vous
êtes fin, vous ne le dites pas, mais j'essaie, en tout cas, d'être un peu
comme... tu sais, mais les jeunes ne prennent pas de notes, ont beaucoup de
difficulté à se concentrer. On en a tous, de la difficulté à se concentrer, là,
c'est évident, selon le travail qu'on fait, mais moi, je vois des jeunes qui
sont… mais dans une autre dimension, là, mais vraiment, là.
Alors, c'est sûr que
ni vous ni moi, on ne veut revenir en arrière par rapport aux progrès que ça a
apportés, à la vie plus facile que ça nous apporte, d'avoir Internet, mais, à
côté de ça, il y a des méchantes dérives. Et je reprendrais le mot d'un ami essayiste
qui a écrit un essai récemment sur la déconsommation, et il décortique plein
d'aspects de notre quotidien, puis il parlait de la télévision, puis il
écrivait... Puis je suis parti à rire parce que je pense la même chose que lui.
C'est toujours réconfortant quand on lit un livre puis que les gens disent la
même chose qu'on pense, là. Il disait : Moi, je n'ai vu aucune révolution
se faire en regardant la télévision. Bien, moi, je vous dirais qu'il n'y a
aucune révolution qui se fait en passant son temps sur le téléphone.
Je veux dire,
honnêtement, là, mettons, parlons du printemps érable, là, c'est évident que ça
se serait passé autrement si ça avait eu lieu en 2002 qu'en 2012, parce que
c'est clair que l'arrivée des téléphones intelligents, la facilité des
communications virtuelles, ça a favorisé les échanges entre les étudiants. Ça
fait que c'est clair que l'Internet, pour ça… Il y a peut-être même une thèse
de doctorat à faire là-dessus. C'est clair que le printemps érable, il y a une
partie de ça qui a été organisée, nourrie parce qu'il y avait Internet. Combien
de personnes inconnues, sorties de nulle
part, deviennent tout à coup des vedettes, ce qui, il y a 25, 30 ans,
aurait été impossible parce qu'il y a 25, 30 ans c'étaient les
médias qui fabriquaient les vedettes? Aujourd'hui, ce ne sont plus les médias
qui fabriquent les vedettes, ce sont les réseaux sociaux et c'est Internet. Les
médias sont maintenant à la remorque des vedettes que, souvent, les réseaux
sociaux fabriquent.
M. Leduc : Petite relance pour vous. Est-ce que vous voyez un
lien entre… plus de temps on passe sur Internet et plus on est susceptibles de trouver des contenus
malveillants, de s'y abrutir, si on veut reprendre le terme de tantôt,
là?
M.
Lavoie (André) : Je vais vous répondre...
M. Leduc : Il
y a-tu une corrélation entre le nombre d'heures passées puis...
M.
Lavoie (André) : Bien, pour une fois, je
vais vous répondre rapidement : les algorithmes, c'est les algorithmes.
Plus vous êtes sur Internet, plus les algorithmes vous connaissent, plus ils
vous ciblent, et donc plus ils vont vous amener du contenu attractif, et plus
vous allez...
M. Leduc : Plus
ils nous mettent des oeillères.
M.
Lavoie (André) : Et, je le répète, les
algorithmes, et les grandes compagnies ne veulent pas savoir de quoi sont faits
leurs algorithmes.
M. Leduc : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Mme la députée de D'Arcy-McGee.
Mme Prass : …sur
les algorithmes. Donc, vous avez un petit peu fait le tour là-dessus, mais,
juste pour renforcer ce que vous dites, c'est sûr qu'une fois qu'on détermine
comment on peut attraper une personne selon ce qu'elle veut croire, les
algorithmes vont juste faire en sorte de renforcer ce message avec plus de reportages,
etc. Puis surtout, comme vous dites aussi, et j'aime ce que vous dites aux
élèves, de vérifier la source, la date, c'est qui… la publication, parce qu'on
prend pour acquis...
Comme je disais
tantôt, moi, j'ai un fils de 13 ans. Mon fils de 13 ans vient me voir
puis il me dit : Ah bien! J'ai appris
ça. Il me raconte quelque chose. Je lui dis : Tu l'as appris où? Il me
dit : Sur l'Internet. Ça fait que, moi, ce que je lui ai demandé de
faire, j'ai dit : Il faut que tu commences à faire des recherches, il faut
que tu trouves au moins deux, trois autres
sources pour valider que l'information est bonne, parce que, comme vous dites,
les sources de nouvelles, maintenant, ça s'invente. Donc, malheureux de
savoir que les algorithmes servent les compagnies de réseaux sociaux. Donc, comme vous dites, ils n'ont pas
d'intérêt à vraiment poser de questions ni à mettre en place des
mesures…
M.
Lavoie (André) : Et ils n'ont surtout pas
d'intérêt à vous expliquer comment ils les conçoivent, c'est pour ça… et, c'est
ça, les gouvernements… beaucoup de gouvernements font des pressions là-dessus
parce que, s'ils comprenaient comment ça fonctionne, peut-être qu'ils
pourraient légiférer d'une meilleure façon, mais le problème, c'est que c'est
une recette magique que les conglomérats ne veulent pas partager.
Mme Prass : Puis il n'y a pas de
données que les gouvernements peuvent donner justement pour essayer de tirer…
de savoir comment ça fonctionne?
M. Lavoie
(André) : Ça, je vous avoue que ça dépasse
ma compétence. Je ne saurais pas vous dire. Je ne saurais pas vous dire, mais
c'est clair que... C'est clair que les algorithmes jouent un rôle très
important dans nos comportements. Et, comme disait M. Leduc, c'est clair
que plus on abuse, plus on passe du temps là-dessus… C'est clair qu'on nous
cible. C'est-à-dire que… Non, c'est parce que non seulement c'est clair qu'on
nous cible, mais on nous cible mieux. Alors, c'est toujours l'exemple
classique, là. Vous allez... Ça m'est encore arrivé récemment, parce que je m'en
vais en Europe dimanche, là, j'ai eu le malheur de consulter trois sites à
Bruxelles pour des activités culturelles. Bien, sur Facebook, comme par hasard,
j'avais une publicité sur Bruxelles. Alors, bon, c'est un exemple banal, mais,
répété continuellement, ça finit par être un peu troublant.
• (19 h 10) •
Mme Prass : Oui. Bien, merci pour
votre intervention.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
M. le député de Joliette.
M. St-Louis : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Merci de participer aux travaux de la commission. C'est très
apprécié. Depuis tantôt, je me dis : Le côté éphémère, la durée de vie
d'une nouvelle ne vient pas de façon... ne vient pas brouiller un peu les
cartes en ce sens où les gens n'ont pas envie et pas... surtout pas le temps
d'aller valider les sources et la véracité de la nouvelle, parce que c'est
quoi, c'est sept minutes? Je ne sais pas, là, je sors un chiffre, mais ça
dure... c'est très rapide. Donc, ça s'enchaîne, c'est la surinformation…
M.
Lavoie (André) : Oui. Moi… Écoutez, tous les rédacteurs en chef et
les responsables des médias d'information vont vous dire… Puis
d'ailleurs vous êtes à la fois les vedettes et les victimes de ça, c'est-à-dire
les cycles de nouvelles, hein, comment une nouvelle va durer. Mettons, vous
vous mettez le pied dans la bouche, puis là, tout à coup, là, ça fait la
nouvelle pendant 24... Avant, ça pouvait faire la nouvelle 48 heures. Ce
qui est le fun pour vous, c'est que, maintenant, ça fait 24 heures.
Pourquoi? Parce que... des fois moins, parce que ça va très vite.
Moi personnellement, je le redis, puis je pense
que c'est ce qu'on devrait faire, c'est-à-dire que… d'essayer d'expliquer aux
gens : Trouvez-vous des médias d'information crédibles puis, oui, allez
butiner, mais essayez de fréquenter ces médias-là crédibles, qui donnent une
information vérifiée, le plus régulièrement possible pour avoir une continuité sur l'information qui se déroule et
qui évolue, des fois, d'heure en heure, des fois, de jour en jour. Moi, c'est ce que je suggère aux jeunes, c'est pour ça
que je leur dis : Mettez-vous une application d'un média
d'information sur votre téléphone puis, régulièrement ou une fois par jour, 20,
30 minutes, 15 minutes, allez consulter ça.
Mais je suis d'accord avec vous, puis le
problème, c'est que, comme ça va très vite et, comme on dit dans le milieu des médias, il faut nourrir la bête, bien,
les nouvelles défilent à une vitesse, mais folle, là. Et pourtant il n'y a
pas plus de médias, mais le problème, c'est
que les médias produisent beaucoup, beaucoup de nouvelles, beaucoup de
nouvelles brèves. Et, quand l'actualité s'emballe, comme par hasard... comme
par exemple, par hasard, au Proche-Orient, bien, c'est clair que, là, c'est le
délire, là.
Et donc c'est sûr que, comme citoyens, comme
individus, on se sent un peu submergés par ça. C'est pour ça… Moi, ce que
j'appelle l'hygiène informationnelle, moi, c'est ce que je pratique,
c'est-à-dire que moi, je ne passe pas mon temps à butiner dans 25 médias,
là. J'ai certaines émissions que j'écoute. J'ai certains médias que je consulte
tous les jours. Puis des fois, quand j'ai à faire des recherches, bien là je
butine ailleurs parce que c'est pour mes articles, mais moi, je m'en tiens à
ça. Mais c'est très drôle, parce que j'ai fait rire et pleurer certains de mes
collègues au dernier congrès de la FPJQ, dans un atelier, et on parlait de la
fatigue informationnelle, concept que vous avez peut-être entendu parler,
surtout pendant la pandémie, où les gens ne voulaient plus rien savoir,
fermaient la radio, arrêtaient d'écouter les téléjournaux, arrêtaient de lire
les médias.
Bien, moi, des fois, quand je suis avec des
jeunes, j'ai développé le concept un peu triste de la négation
informationnelle. Il y en a qui ne veulent pas s'informer. Ça ne les intéresse
pas. Et, moi, il y a des collègues qui m'ont dit que des jeunes leur ont
dit : Ça me donne quoi de savoir ça, puis sur ce ton blasé là, là, alors…
Mais c'est sûr que l'idée du flot, du flux, des vagues qui déferlent dans notre
subconscient par rapport à l'information, c'est vrai que c'est un enjeu, mais
moi, personnellement, j'ai, entre guillemets, réglé le problème. C'est-à-dire
que je consulte quelques médias, puis plusieurs quand j'ai un travail à faire
ou que j'ai quelque chose... je veux me faire une tête, mais, en général, je n'essaie pas de consulter 1 000 journaux
puis 10 téléjournaux, parce que je sais que ça va me submerger, que
ça va... Donc, je veux dire, par exemple, quand il se passe quelque chose au
Proche-Orient, personnellement, mon premier réflexe, c'est la BBC, mais je ne
demanderai pas à un jeune de secondaire de faire pareil comme moi, ça, je vous
rassure tout de suite.
M.
St-Louis : Vous avez parlé du médium. Une personne sur 50
avait déjà pris un journal dans ses mains. Le côté interactif, je veux dire, le journal, il ne te
saute pas dessus, là. Il est sur la table. Si tu ne veux pas le lire, tu ne le
lis pas puis... tandis qu'à
l'inverse, aujourd'hui, l'interactivité de nos médias, toute forme de média, ça
nous tombe dessus comme ça.
M. Lavoie (André) : Oui, c'est ça.
M. St-Louis : Donc, tu sais, ça
ajoute, en tout cas...
M. Lavoie (André) : C'est parce que ce qui arrive aussi, c'est qu'avant, dans
mon temps, mettons, on va dire ça, je ne pensais jamais dire ça un jour, mais
ça a l'air que je suis rendu là, on allait vers le média, et là le média ou le réseau social, il vient à nous. Il est dans notre poche. Il
est dans notre chambre. Tu sais, c'est un peu comme le... tu sais, comme le
téléphone, la fameuse blague, à savoir que, depuis que le téléphone est sans
fil, on n'a jamais été autant attaché à lui, là. Il y a ça aussi, là, parce
qu'avant le téléphone était chez nous, puis, quand on sortait, personne ne
pouvait nous rejoindre, mais là le problème, c'est que, partout où on est, tout
le monde peut nous rejoindre. Alors, c'est ça aussi que ça crée, une
dépendance. Et donc les médias, et surtout les réseaux sociaux, on peut les
consulter partout. Donc, ils nous suivent, et ce n'est pas étonnant qu'on en
soit accros, hein?
M. St-Louis : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Mme la
députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci. Merci pour votre
exposé extrêmement intéressant. Votre statistique, là, de 84 %, là, des
18-34 qui ne savent pas déceler le vrai du faux, ça aussi, ça m'a choquée parce
que je me dis : Ce n'est pas... ce n'est pas ce que je vois autour de moi.
Ça fait que je me demandais : Est-ce que vous voyez, donc, une certaine
différenciation entre les cohortes, par exemple, les 18-24, 25-29, 30-34? Puis
je me demandais : Est-ce que le fait d'avoir connu la vie d'avant, là,
que… le 30-34, ça, c'est un peu... ça, c'est ma cohorte à moi, puis moi, j'ai
connu la vie d'avant, donc, puis je me souviens qu'au début, bien, les fausses
nouvelles, quand elles arrivaient sur Internet, on a été cette génération-là
qui était capable de dire : Bien non, ça, c'est faux, ça, c'est vrai, dès
qu'on a eu cette éducation-là en ligne, quand ça a commencé. Puis moi, j'ai
l'impression que les gens qui sont dans les 30-34, ils savent très bien faire
la différence puis que ça va plus être le 60 et plus qui va avoir, donc,
énormément de difficulté. Ça fait que ce que je me demande : Est-ce que le
fait d'avoir connu la vie d'avant… est-ce que c'est un facteur de protection
quant à la capacité de déceler le vrai du faux?
M. Lavoie (André) : Écoutez, d'abord, moi, je dois vous dire que j'ai beaucoup
de contacts avec des ados à cause de mon travail de journaliste formateur, dont
un peu au cégep, un peu à l'université. Et donc c'est tous des gens qui, entre
guillemets, contrairement à vous et moi, n'ont pas connu la vie d'avant. Est-ce
que.... Est-ce qu'effectivement c'est... Ça vous a surpris. Est-ce que c'est
trop? Est-ce que... Moi, je pense qu'il y a... Oui, il y a une question
générationnelle, mais je pense qu'il y a une question, aussi, culturelle, dans
le sens que... dans quel milieu on a grandi.
Est-ce que lire, c'est valorisé? Est-ce que s'informer, c'est valorisé? Moi, il
y a quelqu'un qui m'a dit dans une
classe de cégep… il m'a dit : Moi, j'écoutais Le téléjournal quand
j'étais jeune parce que mes parents l'écoutaient et, quand mes parents
ont arrêté de l'écouter, je ne l'ai plus écouté.
Donc, est-ce que c'est une question
générationnelle? Tu sais, probablement, parce que, comme je vous dis, j'étais
tellement content… et ce n'était pas du tout du fait que j'allais vous voir,
là, puis que je voulais vous mettre de la poudre aux yeux puis vous
impressionner, mais j'étais tellement content d'avoir mon Devoir avec
moi, papier, puis de le montrer aux cégépiens, parce que mon intuition, en tout
cas, du moins, avec ce groupe-là, parce qu'on s'entend que c'est zéro
scientifique, là… Mes collègues des universités, là, ils seraient déjà en train
de me jeter de l'eau bénite, là. C'est uniquement une classe,
50 étudiants, là, mais, sincèrement, là, j'ai sorti mon journal, écoutez,
j'aurais sorti un crucifix, je pense qu'ils auraient été moins surpris, là. Là,
je leur montrais le journal, puis là je leur montrais la page éditoriale. Je
vous dis, là, j'avais vraiment l'air… J'étais à deux pas du centre d'accueil,
moi, là. Je leur montrais l'éditorial, puis le courrier du lecteur, puis la
page Idées, puis ils me regardaient, là, ils se disaient : Mais lui, il
sort de quelle planète? Il est-tu égaré dans un autre système solaire? C'était
incroyable. Vraiment, je vous dis, là, le
monde d'avant, là, moi, c'était vraiment le monde... c'était avant le monde
d'avant, là, moi, là, là, vraiment.
Mme Cadet : Puis à partir de quand
est-ce qu'on développe le goût de l'information? Est-ce que ça, ça a vraiment
changé par rapport à, justement, le monde d'avant? Parce que moi, je me
souviens, quand j'étais au cégep, des...
c'est là que ça commençait, mais c'est aussi parce que je prenais le métro.
Donc là, on me donnait un Journal Métro puis un journal 24 heures
dans les mains, ça fait que je n'avais pas le choix. C'est comme ça que ça a
commencé, mais est-ce que ça a vraiment... c'est vraiment plus tard que ce l'était?
M. Lavoie (André) : Moi, je pense que c'est une question d'environnement, c'est
une question d'éducation. C'est sûr que... Moi, l'exemple que je donnais par
rapport à moi, c'était de dire : Bien, moi, quand j'étais... Moi, vous savez, quand... à chaque fois que je m'en
vais dans une classe, là, surtout les ados, je prends un petit
30 secondes pour me rappeler l'ado névrosé que j'étais parce que ça me
permet d'être plus bienveillant et tolérant envers ceux que je vois. Ils ne
sont pas pareils complètement à celui que j'étais, mais, tu sais, mêlés, pas
savoir quoi faire. Bon, moi quand j'étais ado, je ne lisais que la section Arts
et spectacles du Soleil. Moi, les reportages internationaux puis les
éditoriaux, ça ne m'intéressait pas. Là, maintenant, c'est effrayant comment je
m'intéresse à la politique puis que je m'intéresse à l'actualité
internationale, mais, ado, ça n'annonçait pas ça pantoute. Moi, c'était, genre,
je voulais être critique de cinéma puis c'est ce que, malheureusement ou
heureusement, je suis devenu, mais… Mais donc, moi, je me rappelle tout le
temps de ça. Donc, moi...
La Présidente (Mme Dionne) : …M.
Lavoie, il nous reste 10 secondes.
M. Lavoie (André) : Oui. Je ne juge pas un jeune qui ne s'intéresse pas à ça.
J'espère juste qu'un jour il va l'être… puis lui tendre quelque chose,
peut-être pas un journal papier, par exemple.
Mme Cadet : Merci
beaucoup.
M. Lavoie (André) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment, M. Lavoie, très intéressant.
Alors, sur ce, je suspends la commission jusqu'à
jeudi 26 septembre, après les avis touchant les travaux des
commissions. Alors, bonne fin de soirée, tout le monde. Merci.
(Fin de la séance à 19 h 20)