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Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes

Version finale

43e législature, 1re session
(début : 29 novembre 2022)

Le mardi 24 septembre 2024 - Vol. 47 N° 6

Consultations particulières et auditions publiques sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes


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Table des matières

Auditions (suite)

MM. Éric Martin et Sébastien Mussi

M. Steve Waterhouse

Mmes Maude Bonenfant et Alexandra Dumont

Action Toxicomanie

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Mme Marie-Pier Jolicoeur

Mme Julie Miville-Dechêne

Centre québécois d'éducation aux médias et à l'information (CQEMI)

Autres intervenants

Mme Amélie Dionne, présidente

M. Enrico Ciccone

Mme Marie-Belle Gendron

M. Alexandre Leduc

Mme Suzanne Tremblay

M. Stéphane Sainte-Croix

Mme Madwa-Nika Cadet

Mme Audrey Bogemans

Mme Elisabeth Prass

M. Yannick Gagnon

M. François St-Louis

*          Mme Émilie Poisson, Action Toxicomanie

*          Mme Audrey-Ann Lecours, idem

*          Mme Véronic Champagne, bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales

*          Mme Joanny St-Pierre, idem

*          M. Maxime Ouellette, idem

*          M. André Lavoie, CQEMI

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures quarante-six minutes)

La Présidente (Mme Dionne) : Alors, bon mardi à tous et à toutes. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes ouverte.

La commission se réunit afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux chez les jeunes.

Donc, Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Non, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Dionne) : Alors, ce matin, nous entendrons MM. Éric Martin et Sébastien Mussi, tous deux enseignants en philosophie et co-auteurs du livre Bienvenue dans la machine — Enseigner à l'ère numérique; M. Steve Waterhouse, chargé de cours en microprogramme en maîtrise de l'Université de Sherbrooke, en sécurité de l'information; et finalement Mme Maude Bonenfant, professeure au Département de communication sociale et publique à l'Université du Québec à Montréal.

Auditions (suite)

Donc, je souhaite la bienvenue à MM. Martin et Mussi. Donc, merci d'être avec nous ce matin. Je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous faire part de vos commentaires, votre exposé. Par la suite, nous allons procéder à une période d'échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la parole.

MM. Éric Martin et Sébastien Mussi

M. Mussi (Sébastien) : Oui. Bonjour. Merci tout d'abord à la commission de nous recevoir. Nous sommes ici, vous l'avez dit, avec un double chapeau. Nous sommes tous les deux professeurs de philosophie au cégep, moi, depuis 20 ans, et Éric Martin, depuis 12 ans. Et nous sommes aussi essayistes et chercheurs indépendants. Nous avons chacun écrit plusieurs livres et de nombreux articles sur l'enseignement et le système éducatif. Et, en 2023, nous publiions Bienvenue dans la machine, qui est une synthèse de l'expérience de l'enseignement en ligne qu'on a dû faire durant la COVID-19 et une réflexion plus globale sur l'informatisation de l'école présente et à venir.

Bienvenue dans la machine nous a amenés à formuler deux conclusions : la première, c'est la nécessité d'un moratoire, d'un moratoire sérieux sur l'informatisation de l'enseignement et, plus généralement, de l'école, y compris pour l'enseignement supérieur; et la seconde conclusion, c'est que, malgré une expérience de l'enseignement en ligne catastrophique, de l'avis de tout le monde, y compris de nombreux administrateurs, l'informatisation de l'enseignement se poursuit à vitesse grand V sans égard aux problèmes qu'elle peut poser.

Or, ces problèmes sont nombreux, ils ne sont pas limités à la petite enfance : anxiété grandissante, sentiment de solitude, addiction comparable à celle des drogues dures, perte des capacités de socialisation, retard dans le développement émotif, difficulté croissante à distinguer entre opinion, information et connaissance, retard dans les apprentissages de la lecture et de la maîtrise générale de la langue, perte de l'empathie, perte de l'intérêt pour l'autre. Ces problèmes sont soulevés par de nombreux chercheurs comme par des organismes officiels, par exemple l'Institut national de santé publique du Québec. Et pourtant les réponses de l'industrie intéressée et des promoteurs de l'informatisation de l'enseignement à ces problèmes consistent le plus souvent à ne pas répondre. Et c'est un peu court, considérant que c'est de nos enfants qu'il s'agit. C'est insuffisant, voire inacceptable.

Par contre, les promoteurs de l'informatisation de l'enseignement ne manquent pas de nous promettre monts et merveilles pour l'école de demain, cette informatisation qu'on ferait de nous, par un mystérieux procédé, des meilleurs professeurs et permettrait, par le même procédé, aux élèves d'apprendre plus, plus vite, mieux, le tout sans effort et dans la joie. Or, ces belles promesses ne sont pas documentées autrement que par des cas très spécifiques et sans considération pour le moyen et le long terme.

• (9 h 50) •

Les études sur la lecture numérique, par exemple, ont montré qu'elle est en réalité moins performante pour le développement de la capacité de compréhension que la lecture sur papier. Des pays l'ayant implantée à grande échelle, comme la Suède, reculent à ce propos en ce moment même. Les études sur la prise de notes par ordinateur mènent à la conclusion qu'elle n'apporte rien de plus que la prise de notes manuscrites, tout en entraînant des effets négatifs sur l'attention, notamment.

En réalité, nous sommes ici face à une véritable croyance, celle qu'à plus de technologie correspondrait à un meilleur apprentissage, le tout en laissant totalement de côté la question du contact humain, si fondamental dans le développement de l'enfant comme de l'adolescent. De tels fantasmes ont déjà existé dans le passé, avec des résultats pour le moins discutables. La télé n'a pas mené à la révolution de l'éducation que certains promettaient. Les tableaux électroniques dans les classes n'ont en rien amélioré les apprentissages. À qui le fardeau de la preuve, donc?

Bien entendu, ces technologies peuvent, dans certains cas, avoir leur utilité, mais leur utilisation devrait être ciblée, réservée à des cas spécifiques. En général, ni professeur ni élève ne bénéficient là d'une plus-value. Pourtant, l'implantation actuelle de ces technologies ressemble de plus en plus à une invasion. En termes d'offres d'enseignement en ligne, on est passés, pour les cégeps, de 9 000 inscriptions/cours à 265 000, entre 2019 et 2022, pendant que des cours universitaires ne sont tout simplement plus offerts en classe.

On peut évoquer aussi, un peu en vrac, les écrans partout dans les salles de classe au point de rendre les tableaux en partie inutilisables, les exigences de certaines administrations pour que chaque programme développe un projet numérique, les départements dédiés entièrement à la technopédagogie, des formations continues qui ne proposent plus que des mises à jour aux dernières mises à jour des logiciels en vogue.

On peut se demander, après tout ça, si le mur-à-mur, si l'adaptation dans les meilleurs délais des programmes d'enseignement de la maternelle à l'université, comme le recommandait, pour l'intelligence artificielle, le Conseil de l'innovation du Québec, ne seraient pas une fausse bonne idée. Il faudrait ici réfléchir à partir de deux principes : à partir du principe de précaution, qui stipule qu'il faut s'abstenir d'appliquer une technologie si les dangers et les problèmes qu'elle peut engendrer sont importants malgré les bénéfices potentiels, qui ici restent entièrement à démontrer; à partir aussi des finalités de l'école, qui ne peut et ne doit pas servir uniquement à produire des travailleurs ni à être inféodée aux exigences de l'économie. Cette réflexion s'impose d'autant plus au vu de l'absence de bénéfice pour les premiers concernés, nos enfants et nos élèves.

Je passe maintenant la parole à Éric Martin.

M. Martin (Éric) : Merci, Sébastien. Pour ma part, je voulais rappeler que le sociologue Michel Freitag, qui était l'auteur du livre Le naufrage de l'université en 1995, nous avait bien rappelé que l'éducation a toujours été, des Grecs jusqu'aux Lumières et même ici, au Québec, lors de la Révolution tranquille, pensée à partir d'un idéal, disons, humaniste, c'est-à-dire le développement intégral de la personne humaine et son inscription dans un monde commun.

Mais ce qui est particulier avec notre époque, c'est qu'elle a renoncé à cette idée de l'humain ou de l'humanisme parce que, désormais, la seule chose qui compte, c'est l'adaptation. Et c'est le mot qu'on entend maintenant partout : il faut s'adapter. À quoi? À un environnement économique, technologique, à un système. Donc, ce n'est pas la culture, ni le symbolique, ni une réflexion politique qui pilotent les réformes, c'est plutôt l'arrimage à ces processus ou ces systèmes économiques et technologiques qui sont, eux-mêmes, poussés par des organisations ou des entreprises, le plus souvent, d'ailleurs, des entreprises étrangères, notamment américaines.

On peut donc parler d'une forme d'impérialisme technologique, du moins, c'est comme ça que Marcel Rioux, lui aussi sociologue, avait qualifié le phénomène, donc un impérialisme technologique qui s'exerce à la fois sur la vie sociale, mais aussi sur l'éducation nationale, le prétexte étant que l'école est en retard et doit s'informatiser pour être plus en phase avec le marché du travail.

On opère, en faisant cela, une confusion complète entre deux espaces ou deux sphères de la société qui ont des fonctions complètement différentes, puisque le rôle de l'école, c'est la formation de la personne humaine ou du citoyen, de la citoyenne, et non pas seulement la profitabilité qui peut être celle des industries, et le rabattage de l'une de ces sphères sur l'autre cause un sérieux problème. Deuxième problème, c'est que ces processus ou ces systèmes deviennent de plus en plus, eux-mêmes, automatiques, comme c'est le cas de l'intelligence artificielle, dont le développement prend de plus en plus la forme d'une fuite en avant.

Donc, quand nous mettons à la remorque l'éducation, la vie sociale... donc, à la remorque de ces systèmes, nous favorisons une supplémentation du monde des images, des écrans et du virtuel, qui deviennent plus importants que la présence ou la socialité réelle ou concrète. Et les impacts de cela, négatifs, ont déjà été évoqués non seulement par Sébastien, mais aussi par plein d'experts à la fois au Québec et même à l'international, dont plusieurs ont comparu devant cette commission. Et il est assez évident que les avis convergent sur les impacts négatifs.

Pour ma part, je voulais simplement insister sur l'un d'entre eux, à savoir ce qu'on pourrait appeler la destruction du langage, des capacités cognitives et également des capacités de socialisation, ce qu'on pourrait appeler, avec Marcel Rioux, la fonction symbolisante de l'être humain. Il me semble que cette destruction constitue ce qu'Éric Sadin appelle une forme d'anti-humanisme radical. Et je pense qu'il est important pour nous, ce matin, à la fois Sébastien et moi, de s'inscrire en faux contre cet anti-humanisme qui nous dit qu'il n'y a pas d'alternative et que nous devons emprunter, donc, la voie de cet anti-humanisme. Puis c'est notre rôle, en tant que professeurs mais aussi à titre de philosophes, de rappeler aujourd'hui que l'éducation, les institutions, les écoles et aussi l'État ont un devoir d'opérer à partir d'autres choses, c'est-à-dire un souci du bien, celui des enfants, évidemment, mais surtout le bien commun.

Et en conséquence il nous apparaît crucial de reprendre le contrôle sur ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui un processus incontrôlé, de marquer un temps d'arrêt nécessaire pour prendre la pleine mesure des risques qui sont induits par l'informatisation des rapports sociaux sur les jeunes et sur la société. Il devient important de poser des limites législatives, car nous avons affaire à des gens dont l'autonomie n'est pas achevée, qui doivent être protégés, aussi bien que l'école, en tant qu'institution, doit être protégée, aussi, comme milieu de vie, par ces limites législatives.

L'idéologie actuelle nous dit : Plus on accélère la présence des écrans, plus nous préparons les jeunes au monde du futur, au monde cybernétique qui déferle sur nous, et nous devons fatalement, soi-disant, nous adapter. Sébastien et moi pensons, au contraire, que nous devrions appliquer deux principes opposés, que je vais maintenant expliquer.

Le premier, c'est une réflexion sur une idée de l'humain, de la culture, de la société, de l'héritage des civilisations, mais aussi du rapport à la nature. Voilà l'idée qui devrait guider les choix en matière d'éducation et les choix politiques, et non pas la seule adaptation à la fuite en avant, ou au processus empirique, ou au système technologique. C'est le rôle de la puissance publique de freiner les ardeurs des puissances privées qui sont en train de court-circuiter la socialisation normale.

Et le deuxième principe, c'est qu'en toute circonstance où ce sera possible la présence et la socialité concrètes doivent être préférées à ce qu'Éric Sadin appelle la vie spectrale ou la vie virtuelle. Autrement dit, si j'ai le choix entre lire un livre ou donner un cours dans une forêt — nous avons maintenant ça à mon cégep, on peut réserver une forêt pour y donner des cours — si j'ai le choix entre ça, donc, ou brancher les jeunes sur un écran, je devrais à chaque fois faire le choix de la présence concrète et je devrais être soutenu dans ce choix aussi bien par les institutions que par les lois et par l'État.

En terminant, je dirais simplement que l'éducation est une chose trop importante pour la laisser entre les mains de fabricants et de marchands intéressés. Je vous remercie de nous avoir écoutés aujourd'hui.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment, messieurs. Nous allons débuter la période d'échange. Alors, M. le député de Marquette, la parole est à vous.

M. Ciccone : Merci beaucoup. Merci beaucoup. Je tiens à souhaiter une belle semaine à tous les collègues membres de cette commission. Bonjour, Pr Martin, et bonjour également au Pr Mussi. Merci beaucoup d'être là aujourd'hui.

D'entrée de jeu, vous avez parlé d'un moratoire, vous avez parlé d'un temps d'arrêt également, vous nous avez parlé aussi de la problématique des écrans, des outils technologiques. Considérant le fait que, justement, tous les outils qui sont dans nos classes, au Québec... est-ce possible d'envisager, justement, un moratoire, comme vous le demandez? Comment on le fait?

M. Martin (Éric) : Bien, je veux dire, il me semble qu'il est toujours possible de faire des choix. Regardez ce que la Suède a fait, par exemple, récemment. Ou, dans le cas de l'Allemagne, il y a un exemple flagrant qui concernait, cette fois, les frais de scolarité. L'Allemagne, pendant des années, elle a essayé d'emprunter la voie à l'américaine, des frais de scolarité élevés, en calquant les États-Unis, et, à un moment donné, en s'apercevant que ça ne convenait pas à leur culture nationale et à leurs besoins, bien, ils ont fait marche arrière, ils ont rétropédalé, et ça a très bien fonctionné. Et je pense que tout ce qui a été fait peut être défait.

Et simplement, en terminant, dire qu'actuellement le danger, comme j'essayais de l'expliquer tantôt, c'est que les choix ne sont pas faits à partir d'une réflexion. C'est pour ça qu'un temps d'arrêt est nécessaire. Pour le moment, on est dans la fuite en avant, on est dans une adaptation qui prend la forme d'une sorte de déferlante où, finalement, on court après notre queue et on n'est pas en train de penser ce que nous faisons. Donc, je pense qu'il vaudrait mieux, avant de procéder plus avant, marquer ce temps d'arrêt. Et peut-être déciderons-nous que nous garderons une partie de ces outils, aucun d'entre eux, je ne sais pas, mais, chose certaine, au moins on le fera en pleine conscience.

M. Ciccone : Alors, ce que j'entends, ce que vous demandez, c'est d'arrêter vraiment l'utilisation des outils technologiques, des écrans dans nos classes du Québec. Est-ce que j'ai bien compris?

• (10 heures) •

M. Mussi (Sébastien) : Oui, on est en train de faire du mur-à-mur, et ça s'implante de façon tout à fait sauvage en ce moment. Les résistances qu'il peut y avoir sont souvent individuelles, c'est-à-dire,c'était le prof qui préfère que les élèves prennent des notes manuscrites. Il y a très peu de soutien de la part des institutions. Avant de dire qu'on va mettre des écrans partout... Parce que l'idée, c'est : Pourquoi je devrais donner un cours de philosophie avec des écrans? C'est quoi, la plus-value et pour moi et pour les étudiants? En réalité, elle est nulle, et le problème, c'est que les bénéfices pédagogiques qu'on peut attendre de ça, il faut les démontrer, il ne faut pas simplement les promettre. Il me semble que c'est hyperimportant de montrer : Oui, ce qu'on fait, c'est pour le bien de nos enfants. Et cette démonstration, elle n'est pas encore faite, et les indications qu'on a, ça va plutôt dans le sens contraire.

M. Martin (Éric) : ...apporter dans la mesure où la plupart des classes sont déjà équipées, en tout cas, dans mon collège et dans mon ancien collège également, Édouard-Montpetit, de matériel multimédia déjà existant, un qui est déjà en réutilisation. Donc ça, ce n'est pas... ce n'est pas cela qu'on remet en question, c'est ça, ça existe déjà, il n'y a pas de problème. Ce qui est dangereux actuellement, c'est la phase nouvelle qui vient, c'est-à-dire l'enseignement en ligne qui se multiplie partout, et aussi l'intelligence artificielle entre les mains des étudiants, mais aussi qu'on suggère fortement aux professeurs, par exemple, pour monter leur plan de cours. C'est de cette partie-là des choses dont on est inquiets. Donc, il faut bien entendre que nous ne sommes pas technophobes ou en train de dire qu'il faut retirer les ordinateurs des écoles. Ils y sont, et c'est normal qu'ils y soient. Mais là, présentement, cette nouvelle phase accélérée, voilà celle qui nous inquiète.

M. Ciccone : Merci beaucoup. On s'aperçoit, là, plus la commission avance, plus on commence à avoir vraiment un débat de société, là, à ce niveau-là, parce qu'on a les pour et les contre. Mais vous, avec votre position qui est quand même assez claire, là, vous dites quoi à tous ceux qui sont venus à cette commission nous dire : Bien, c'est présent, ça ne partira jamais, aussi bien l'apprivoiser?

M. Mussi (Sébastien) : Oui. Alors, évidemment, c'est présent, évidemment, il faut l'apprivoiser, mais il y a deux façons de le faire. La première, c'est de faire du mur-à-mur, c'est-à-dire de dire comme l'office de l'innovation du Québec l'a dit : Il faut mettre de l'intelligence artificielle dès la maternelle, il faut ploguer les enfants sur des écrans dès la maternelle.

Petite réflexion personnelle, je ne sais pas si elle est avérée, mais il me semble qu'on a plus ou moins tous, ici, appris à utiliser un ordinateur sans qu'on ne nous ait mis ça dans les mains dès l'âge de trois ou quatre ans, en tout cas, la plupart d'entre nous. Moi, j'ai plus de 50 ans, je veux dire, il n'y en avait pas, d'ordinateurs à l'école, pis ça ne m'empêche pas d'être capable de les utiliser, d'avoir appris.

Alors, évidemment qu'il faut apprendre à utiliser mais qu'il faut aussi surtout comprendre ce que c'est. On peut dire à nos enfants : Vous allez subir ça, on va faire de vous des utilisateurs ou on peut leur dire : On va vous fournir des outils de compréhension de ce que c'est qu'un ordinateur, de c'est quoi, les impacts sociaux, à quoi ça sert, pour leur redonner du pouvoir là-dessus. Et ces deux voies-là sont vraiment très différentes.

M. Martin (Éric) : Moi, j'aimerais revenir à ce que je disais tantôt sur la confusion entre les sphères. C'est-à-dire que c'est normal que dans la société, dans l'industrie, par exemple, dans des sphères d'activité économique, pour des innovations de procédés ou de productivité, on veuille aller vers ça, par exemple en foresterie où en... Bon, tant pis, c'est correct, ça leur appartient. Le danger, c'est que l'école se mette au diapason de ça et qu'il y ait une confusion entre les deux espaces.

Parce que l'école ne doit pas nécessairement fonctionner de la même façon que fonctionnent, par exemple, d'autres sphères de la société et au même rythme. À l'école, le temps est plus lent, le temps fonctionne différemment, et on n'est pas obligé de brancher les jeunes sur des écrans à toutes les heures de la journée. En fait, c'est néfaste, et, c'est ce qu'on voit, même en bas de deux ans, la recommandation, c'est : pas du tout d'écran. Et, même après, c'est un usage limité, parce qu'il y a une socialisation qui est en construction, ce qui n'est pas le cas dans l'industrie, où on a affaire à des gens qui sont, j'imagine, déjà socialisés. C'est la raison évidente pour laquelle on ne peut pas calquer le fonctionnement de l'institution scolaire sur le fonctionnement de l'industrie. Or, j'ai l'impression qu'aujourd'hui on procède à cette confusion-là, et c'est une des raisons du problème que nous avons.

M. Ciccone : Merci beaucoup à vous deux. Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Mme la députée de Châteauguay.

Mme Gendron : Merci. Bien, bonjour. Excusez-moi, je ne pensais pas que j'étais la prochaine. Enchantée de faire votre connaissance ce matin, heureuse de vous rencontrer. Merci pour votre explication ce matin. J'avais des petites questions par rapport au niveau scolaire. Que faites-vous des enfants avec un besoin particulier? Parce qu'on le sait que ces outils-là, règle générale, sont nécessaires pour la réussite des jeunes. Donc, vous, je comprends que vous placeriez un moratoire, mais qu'en est-il des outils pour les jeunes à besoins particuliers qui en ont vraiment besoin?

M. Mussi (Sébastien) : ...il y a des outils technologiques qui sont...

La Présidente (Mme Dionne) : Si vous voulez bien recommencer, votre micro n'était pas ouvert.

M. Mussi (Sébastien) : Mon micro, on me dit qu'il est ouvert. Vous m'entendez là?

Mme Gendron : Oui.

M. Mussi (Sébastien) : Alors, d'une part, pour les cas particuliers, les cas spécifiques, évidemment qu'il y a des applications intéressantes. Le problème, c'est quand ça vient remplacer des fonctions humaines et qu'on en met partout. Un moratoire ne s'appliquerait évidemment pas à ça. Ensuite, on a beaucoup le réflexe informatique. Qui nous dit que tel problème, qui auparavant se traitait différemment, se réglait différemment, requiert nécessairement le recours à l'informatique? Il y a là des choses à discuter.

Alors, évidemment, la question des élèves en situation particulière dépasse mes compétences en tant qu'essayiste et prof de philo, mais il y a, en tout cas, un réflexe informatique qu'on pourrait, dans certains cas, en tout cas, remettre en question. Puis évidemment il y a le problème qu'on pallie souvent à un problème de personnel par des moyens informatiques sans que ça ait la même efficacité.

M. Martin (Éric) : Oui, puis... (panne de son) ...on disait tantôt, c'est que, présentement, nous avons une politique qui dit : on en met partout, ça concerne tous les étudiants, ça concerne tout le corps enseignant. Et là on n'est plus en train de traiter avec les gens qui ont des difficultés particulières, qui est un cas à part qui doit être considéré en particulier. Ce dont on parle, nous, dans notre essai, c'est la généralisation de ça. Durant la COVID, on a tous subi l'enseignement en ligne, à tous les degrés scolaires, sans exception, handicap ou pas, là. Et c'est de ça dont il est question. Et c'est cette pression exercée par les GAFAM qui nous inquiète, nous.

Alors, bien sûr, dans certains cas, ça peut aider des gens qui ont, par exemple, des neuroatypies ou encore de la dyslexie. Et ça, ce n'est pas du tout un problème pour nous dans la mesure où c'est justifié médicalement. On n'est pas des médecins, on n'est pas compétents pour juger de ça, nous. Par contre, ce que nous pouvons vous dire ce matin, c'est que, présentement, le problème auquel fait face la société québécoise, c'est une pression extrêmement forte qui s'exerce, sur tous les degrés scolaires, d'inclure la technopédagogie dans l'ensemble des activités. Il n'y a pas une journée qui passe sans que je reçoive un courriel. Même avant la réunion de ce matin, j'en ai reçu un qui me disait que je devais aller vers des jeux vidéo en classe et du virtuel. Donc, il n'y a pas une journée qui passe sans que cette pression-là ne nous soit rappelée à tout instant.

Mme Gendron : Merci. J'avais une autre... une seconde question, en fait. Je comprends aussi que les jeunes doivent avoir certaines connaissances technologiques avant de rentrer sur le milieu du travail. Parce qu'on le sait, aujourd'hui, on a tous des écrans. Bien qu'on veut valoriser la présence en personne, c'est pratique, la technologie. La preuve, aujourd'hui, vous êtes en visioconférence avec nous, donc nécessairement que ça apporte des outils qui sont importants puis qui sont facilitants. En fait, ma question était : Que dites-vous de ces jeunes-là, en fait, qui veulent rentrer dans un milieu du travail puis avoir les outils technologiques pour pouvoir travailler puis être à l'aise avec ça?

M. Martin (Éric) : J'ai eu une conversation, récemment, avec un collègue qui enseigne l'informatique dans mon cégep, et il m'a dit que, même en informatique, il y a des compétences qu'on ne peut pas enseigner à distance, parce qu'à travers un écran je ne suis pas capable de lui montrer exactement comment tenir la souris, comment cliquer ici. Donc, même dans des domaines technologiques, il y a des choses qui ne s'enseignent qu'en présence. Et c'est là le danger, que, même dans les secteurs d'activité, disons, à haute technologie, on ne peut pas complètement escamoter la présence ou la socialité concrète.

On a eu un exemple, dans les médias, d'une étudiante de l'Université Laval qui suivait 80 % de ses cours en ligne et qui disait qu'elle était tellement démotivée qu'elle allait probablement quitter les études. Il y a quelque chose là-dedans, comme une catastrophe. Donc, vous voyez que, sous prétexte de préparer les gens au marché du travail, on est en train de ruiner, en fait, la possibilité d'une éducation et d'une socialisation fondamentales.

Et je ne pense pas que les employeurs vont non plus vouloir avoir des employés qui n'ont pas développé d'aptitudes de socialisation, qui sont des compétences clés, aussi, sur le marché du travail, hein, ce n'est pas seulement les aptitudes à utiliser les machines. Bien sûr que c'est important, mais ces aptitudes-là, c'est aussi... c'est relationnel également. Dans le travail, on emploie des compétences relationnelles. Et, si nous sacrifions les compétences relationnelles — je n'aime pas le terme «compétence», mais je l'utilise un peu, là, par défaut — ...de dire : Bien, si on sacrifie l'un pour l'autre, on n'est pas gagnants du tout, là. Donc, il faut faire attention.

L'adaptation au marché du travail, c'est une chose, mais l'école ne peut pas être pensée seulement à partir de l'adaptation au marché du travail. On forme aussi des acteurs sociaux, des citoyens, des citoyennes, des membres d'une culture, des gens qui s'inscrivent dans une histoire, et l'ensemble de ces facteurs-là doivent être pris en considération.

Mme Gendron : ...M. Martin. Merci, M. Mussi.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci, Mme la députée. M. le député de Hochelaga-Maisonneuve.

• (10 h 10) •

M. Leduc : M. Mussi. Salutations spéciales à M. Éric Martin, un vieux camarade de l'UQAM d'une autre époque où nous étions jeunes et fous. Je ne sais pas si on est encore fous, mais on est définitivement beaucoup moins jeunes.

Cela étant dit, vous êtes des philosophes; j'ai une formation d'historien, j'ai tendance à vouloir regarder le temps long et à me poser des questions sur le moment présent. Est-ce qu'on a assez de recul sur notre moment présent? Souvent, la réponse est non, mais l'évolution des technologies est une des questions qui nous portent le plus, je pense, à essayer d'avoir du recul sur notre moment présent.

Je me rappelle, notamment, quand j'étais plus jeune, c'était la question des calculatrices : Est-ce qu'on peut faire nos tests de mathématiques avec une calculatrice? Évidemment, au primaire et même un bout du secondaire, c'était non, il fallait qu'on apprenne nos calculs par coeur, nos tables de multiplication, etc., par coeur. Et, rendus plus vers la fin du secondaire, sur les opérations plus complexes, les racines carrées, et autres, là on pouvait utiliser la calculatrice, évidemment, parce que c'était un outil qui allait nous servir dans notre éventuel travail ou dans nos études, si on poussait un peu plus dans le domaine de la mathématique.

Je me pose des fois la question parce que, je vois, l'année passée, il y avait des articles qui disaient qu'il y avait des écoles qui commençaient à arrêter d'enseigner l'écriture en lettres attachées, parce que c'est vrai qu'objectivement, aujourd'hui, on se sert très peu de l'écrit, on n'écrit plus des lettres manuscrites. J'ai écrit une carte de fête cette semaine. C'était la dernière fois, je pense, que j'avais écrit un texte significatif en lettres attachées. Autrement, on écrit une liste d'épicerie, puis encore, la plupart du temps, on l'écrit sur notre téléphone, etc.

Je vous pose... je vous dis tout ça parce que je me pose souvent la question : Est-ce que notre réaction par rapport aux outils technologiques, étant l'ordinateur, les trucs en ligne, etc., le codage ou autres, est-ce qu'elle est forte parce qu'on veut le presser aux enfants qui sont très jeunes puis qu'on pense que ça va faire en sorte qu'ils n'auront pas la capacité d'apprendre des trucs de base, alors que, si on... s'ils étaient plus familiarisés à ça plus tard dans leurs processus, on serait moins inquiets?

J'ai aussi en tête la simple lecture d'une carte. Aujourd'hui, on ne sait plus comment lire une carte, on se dirige avec notre téléphone, Google Maps, et compagnie, puis, si Google Maps plante, on est complètement désorienté, alors qu'il n'y a pas si longtemps... Mon père nous a rejoints en vacances cet été, lui, il n'est pas très techno puis il se promenait à moto, il avait juste... puis il s'était mémorisé sa carte dans sa tête puis, quand il est arrivé, il était fier de me dire qu'il s'était rendu, lui, sans géomachin. Je ne sais même pas si moi, j'aurais réussi à me rendre à ma destination sans ce téléphone-là.

Bref, est-ce qu'on est en train de... Est-ce que ce qui nous inquiète vraiment, c'est qu'on veut trop pousser cette technologie-là aux jeunes enfants avant qu'ils apprennent les fondamentaux, puis ça serait moins grave qu'ils l'apprennent un peu plus tard, adolescence, adulte, ou est-ce qu'en soi vous dites que ces avancées technologiques là comportent des dangers significatifs, qui dit qu'on devrait, sans être dans la technophobie, comme vous le souligniez tantôt, M. Martin, sans être dans... là-dedans, qu'on la repousse le plus possible, voire qu'on ne l'utilise pas du tout?

M. Mussi (Sébastien) : Bien, c'est une question immense que vous posez. Je ne suis pas sûr que j'ai la réponse. Il y a deux choses qu'on peut dire, c'est que, quand on fait un calcul à la machine à calculer, il y a encore quelque chose que l'être humain fait, même si, effectivement, moi, je serais incapable aujourd'hui de calculer une racine carrée sans machine à calculer, alors que je l'avais appris à l'époque.

La deuxième chose, c'est toute... ce qu'on pourrait appeler : toute technologie remplace un certain nombre de fonctions humaines. L'écriture, c'est un support de mémoire, ça l'a toujours été dès, pratiquement, le début. Ici, on est en train, puis il y a quand même des études sur le long terme qui le montrent, de toucher à des choses qui ne sont plus seulement utilitaires. Quand on voit que des jeunes perdent la capacité d'éprouver de l'empathie pour l'autre, on a quelque chose qui touche au fondement de la possibilité de socialiser. Si je suis incapable d'éprouver de l'empathie pour quelqu'un d'autre, comment est-ce qu'on peut développer un lien avec les gens qui nous entourent? Et il y a un saut, ici, qui n'est quand même pas neutre, je pense qu'il y a un saut qualitatif, ici.

Et puis évidemment, Éric l'a souligné tout à l'heure, il y a la vitesse à laquelle ça se produit. On fait souvent la comparaison avec la révolution de l'imprimerie, hein, on banalise : Ah! l'informatique, c'est une révolution comme l'imprimerie, ça a déjà existé, on ne va pas résister à l'imprimerie. Est-ce qu'on peut rappeler qu'entre l'invention de l'imprimerie et l'école obligatoire pour que les jeunes, les enfants apprennent à lire, il s'est passé 400 ans? Là, on est en train de dire qu'on va mettre de l'informatisation partout dans l'école en 10 ans. Il se produit quelque chose, ici, d'essentiel, il y a une dépossession de nos enfants et de nos adolescents, à laquelle on est en train de procéder pour des raisons essentiellement... essentiellement économiques. Et, encore une fois, ça ne veut pas dire qu'il ne faut rien apprendre de l'informatique. Mais apprendre quoi? Et est-ce que c'est nécessaire d'en mettre partout?

M. Martin (Éric) : Peut-être ajouter aussi, réponse, donc, de philosophe, que Günther Anders, dans L'obsolescence de l'homme, dans les années 50, avait déjà identifié le phénomène dont on parle ici, phénomène qui ne se réduisait pas à l'école, mais qui concerne toute la société, qu'il appelait, donc, lui, à l'époque, le déchargement, l'extranéation, mais nous, on pourrait appeler ça le délestage cognitif, c'est peut-être la façon la plus simple de le dire. C'est que, de plus en plus, des facultés intérieures à l'esprit sont en train d'être déposées dans des systèmes extérieurs à nous, qui pensent à notre place. Alors, c'est l'exemple du GPS, par exemple, qui pense à ma place.

Évidemment, la question, c'est : Où place-t-on la limite, non seulement à l'école, parce que c'est là qu'on est censé acquérir ces facultés ou stimuler ces facultés-là, où place-t-on la limite, mais, dans notre société en général, jusqu'où voulons-nous automatiser le jugement, la prise de décision? Est-ce qu'en politique on veut que ce soit l'intelligence artificielle qui prenne la décision à la place des débats parlementaires? Vous voyez? Est-ce qu'en matière de justice on veut que les questions juridiques soient réglées par des algorithmes? C'est toute cette question qui est derrière. Alors, si on parle du temps long, c'est ce mouvement progressif de délestage ou de déchargement de l'esprit dans des systèmes extérieurs qui avait été identifié aussi par Michel Freitag dans la transition à la postmodernité.

Alors, c'est ça, la réponse à la question, d'un point de vue philosophique, c'est que, là, le vaste mouvement dans lequel on est engagés non seulement dans l'école, mais dans la société, c'est de s'en remettre de plus en plus à ces processus automatisés qui vont décider à notre place. Et, si on ne fait rien, s'il n'y a pas de frein qui est placé à ça dans le cas qui nous occupe particulièrement, la jeunesse, bien, je veux dire, de plus en plus, leur vie va être une forme de vie d'assistés technologiques où les décisions sont prises en charge par des processus cybernétiques, et il restera très peu d'autonomie, alors que l'école est censée construire l'autonomie. Mais c'est une critique qu'on peut adresser à notre société en général, cette direction vers le déchargement cognitif ou délestage cognitif.

Donc, je pense que, là, ça pose des limites aussi sur le développement de la cybernétique et de l'intelligence artificielle, par exemple, dans la société en général. Mais, puisque cette commission se concentre surtout sur la jeunesse, on peut ramener à l'école et dire que, certainement, lorsque c'est possible, alors que c'est encore possible, on devrait tout faire pour favoriser le développement des qualités de la personne à l'intérieur, hein, de la personne, et non pas tout de suite miser sur cette prise en charge d'assistance technologique, etc.

M. Leduc : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Mme la députée de Hull.

Mme Tremblay : Merci beaucoup. Alors, bonjour. Très, très... Vous amenez quand même une réflexion, puis je pense qu'elle va dans le sens de la réflexion qu'on a tous ici, ensemble, là, collectivement, c'est-à-dire l'enjeu de la technologie, les impacts que ça a. Vous allez jusqu'au moratoire, évidemment, on l'aura compris.

Mais ce que je veux savoir, puis je pense que vos réflexions vont quand même dans ce sens-là, là... Au niveau de l'enseignement, l'INSPQ est venu dire, là, que ça ne devrait pas être la méthode d'enseignement par défaut, les technologies, mais ça devrait apporter un plus à notre enseignement, qui autrement ne pourrait pas être fait. Donc, tu sais, ça vient vraiment être à des étapes importantes de notre enseignement. J'imagine que ça, ça va dans votre... dans votre pensée, dans le fond, ce que vous venez de nous dire aujourd'hui. C'est que... pas de mur-à-mur, pas partout, puis vraiment de réfléchir à l'utilisation des technologies, un peu comme l'INSPQ est venu le dire. Est-ce que j'ai bien compris, là, un peu, ce que vous nous avez apporté?

M. Martin (Éric) : Oui, absolument. Je pense qu'on n'est pas du tout en train de dire qu'il ne faut pas qu'il y ait de technologie dans nos écoles, mais qu'on doit faire la preuve que c'est un moyen qui va apporter quelque chose de plus ou quelque chose de positif lorsqu'on l'emploie. Présentement, ce n'est pas ce qu'on fait. On nous dit : C'est là pour rester, il faut s'adapter, il faut en mettre partout. On nous dit que les professeurs doivent faire leurs plans de cours avec ChatGPT, que les robots doivent même corriger les examens. C'est le cas, par exemple, au collège Sainte-Anne, où un logiciel a été développé pour corriger les copies en littérature, par exemple, alors que la correction, c'est une étape fondamentale de notre rapport avec l'élève ou l'étudiant, l'étudiante, parce que, quand on corrige quelqu'un, on voit à la fois ses qualités et ses défauts et, après ça, on peut réagir dans la relation avec la personne. Donc, ça fait partie de l'enseignement, le moment de la correction. Si on le confie à une machine, on arrive à une situation absurde où un cours pourrait être planifié par ChatGPT et les travaux rédigés par ChatGPT et corrigés par ChatGPT. Vous voyez bien qu'on arrive... qu'est-ce qui reste d'enseignement là-dedans, donc... Et c'est ça que l'on voit, maintenant, comme discours.

Donc, évidemment que la réaction à ça ne doit pas être de dire : On débranche tout et on revient à l'âge de pierre. Il y a des technologies qui peuvent être utiles. Mais, lorsque c'est utile, il n'y a pas de problème si... Moi, ça m'arrive de projeter, par exemple, une toile, une image, un documentaire sur Socrate, ça peut m'arriver à l'occasion. Mais il faut que ça reste quelque chose d'occasionnel. Et là ce n'est pas ce qui se passe. Ce n'est plus quelque chose d'occasionnel, ça devient quelque chose où on nous dit : Si vous n'êtes pas en train de le faire perpétuellement, vous êtes en retard. Vous voyez? Et c'est ça, le danger, et c'est qu'on ne réfléchit...

Et, comme disait Sébastien tantôt de manière très excellente, il y a plein d'impacts négatifs qui sont soulignés partout, et nous trouvons hallucinant que, malgré tous les signaux d'alarme qui sont allumés, la maison est en feu, là, et on continue, et c'est la fuite en avant, et ça n'arrête pas. Et, dans n'importe quel autre domaine, s'il y avait autant de signaux d'alarme, il y a des gens qui se poseraient des questions, mais là on dirait que, depuis quelques années, ça continue à avancer, malgré les... (panne de son) ...qui sont clairement démontrés.

Mme Tremblay : Vous avez parlé de limites, d'amener des limites législatives, là. Vous êtes passés rapidement, mais ça a attiré mon attention. Alors, quand vous avez parlé de limites législatives, vous entendez quoi?

M. Martin (Éric) : Bien, vas-y, Sébastien. Je ne sais pas si tu veux réagir à ça.

M. Mussi (Sébastien) : Vas-y, vas-y. Non, non, vas-y.

M. Martin (Éric) : Bien, un exemple qu'on peut donner, très simplement. On a une collègue, là, Julie Baribeau, qui vient d'écrire un mémoire qui a été déposé à cette commission, je pense, sur le Phone-Free Schools Movement, donc c'est le mouvement des écoles sans téléphone. Alors, déjà, il y a des mesures positives qui ont été prises pour interdire les téléphones à l'intérieur des classes dans les niveaux primaire, secondaire. C'est très bien, mais c'est insuffisant, parce qu'il y a des endroits, par exemple, aux États-Unis, où on les enlève carrément de l'édifice scolaire, de l'institution. Parce que les périodes de socialisation qu'il y a dans les pauses, par exemple, les jeunes, au lieu d'être sur leurs téléphones, bien, ils font des sports, ou ils vont dans un club d'échecs, ou je ne sais pas quoi, mais ils font des choses sociales.

Donc, vous voyez qu'on peut aller encore plus loin que ce qu'on a déjà fait. On a hésité, je pense, au Québec, à aller jusque là. Mais, dans l'enseignement supérieur, par exemple, on a laissé les téléphones, on a laissé les établissements et chaque professeur se débattre avec ça. Bien, il y aurait carrément possibilité de légiférer pour interdire les appareils... téléphones dits intelligents dans tous les édifices scolaires, par exemple. C'est un exemple, mais il y en aurait d'autres.

• (10 h 20) •

Alors, évidemment, je n'ai pas la réponse à quelles seraient toutes les lois qui pourraient être mises en place, mais il y aurait sûrement manière de s'inspirer de ce qui se fait en Suède, aussi, pour poser différentes limites. Parce que le problème actuel, c'est l'absence de limites. C'est qu'au fond on est dans une sorte de chaos où, finalement, il y a des endroits où il y a des projets pilotes qu'on ne connaît même pas, ça nous tombe dessus, et on s'y adapte un peu comme à la va comme je te pousse. Donc, pour éviter cela, il faudrait un cadre juridique réfléchi, à mon sens.

Mme Tremblay : Il y a plusieurs...

La Présidente (Mme Dionne) : ...

Mme Tremblay : Dernière question, ça va? Alors, il y a plusieurs écoles qui sont venues nous parler, justement, là... Bien, l'interdiction en classe, ça, ça va, il n'y avait pas... je pense que, majoritairement, les intervenants étaient en faveur. Cependant, pour l'interdiction dans les écoles, ça, c'était différent. Il y avait... bon, il y avait différentes pensées. Mais plusieurs sont venus nous dire : Mais, ça nous prend des balises, évidemment. Puis je pense que tout le monde, ici, qui sont venus sont conscients, là, des enjeux du temps d'écran, du contenu.

Alors, vous, d'avoir des grandes balises puis qu'après ça les milieux, eux, aient une réflexion, alors d'éviter, justement... bien, ce que vous autres, vous avez appelé un peu le mur-à-mur, mais d'avoir des balises, de donner des balises, justement, et de... après ça, chacune des écoles va décider de comment elle, elle applique ces balises-là, c'est-à-dire, bon, est-ce qu'elle interdit de façon complète le téléphone ou elle fait des moments d'interdiction, qu'est-ce que vous pensez de laisser après ça, à partir de grandes balises, les milieux, eux, décider puis de prendre des décisions selon ce qu'ils sont comme milieux? Parce que les milieux sont très différents les uns des autres.

M. Mussi (Sébastien) : Écoutez, deux choses. D'abord, on ne réglera pas la question avec des décisions au cas par cas. La deuxième chose, c'est que je suis un peu estomaqué par la question que vous posez. Il me semble que l'État a un devoir envers nos enfants. La nocivité de l'utilisation et la surutilisation des écrans, elle est démontrée sur les études longitudinales qui ont été faites sur 20, sur 30 ans. On voit des changements de comportement dans nos classes : des élèves qui ne sortent plus de la classe aux pauses, qui ne se parlent plus, on n'est plus capable de les faire se parler. Ne serait-ce qu'un étudiant qui rate un cours, qui doit demander les notes de cours à quelqu'un, il n'y arrive plus.

Ça fait que je suis désolé, il y a là un débat de société. C'est pour ça qu'un moratoire sérieux est nécessaire. Si on veut laisser les écoles choisir, parfait, laissons les écoles faire ce qu'elles veulent, la majorité des enfants vont continuer à faire ce qu'ils font en ce moment, on continuera à avoir les mêmes effets, les mêmes résultats. C'est votre responsabilité, au niveau de l'État, de faire quelque chose pour au moins qu'on sache où on s'en va de façon cohérente. Ce n'est pas aux institutions de faire ça puis ce n'est surtout pas aux profs de gérer ça.

J'ajoute une chose sur le comportement des élèves. Moi, j'ai des élèves, à l'enseignement supérieur, qui se comportent actuellement comme des enfants du secondaire, et encore, au point de vue émotif, au point de vue de l'autodiscipline, au point de vue la capacité à se gérer en classe. J'ai fait des trucs que je n'ai jamais faits avant. Faire de la discipline en classe pour dire aux élèves qu'utiliser le téléphone puis regarder des matchs de hockey pendant un cours, ce n'est pas acceptable, c'est surréaliste.

Ça fait que je m'excuse, non, ce n'est pas aux écoles, au cas par cas, de baliser ça sur des recommandations molles, vagues. Regardez ce qui se passe dans les écoles. Des organismes qui gèrent de l'électronique, de l'informatique, il y en a partout, c'est implanté mur à mur déjà, en ce moment, dans le système. Si l'État ne fait pas quelque chose, on va foncer droit dans le mur, et vous allez élever une génération qui ne sera pas capable ni d'autonomie, ni de réflexion critique, ni d'implication sociale. Ça fait que, si c'est ça que vous voulez, allez-y, faites du cas par cas.

Mme Tremblay : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, Mme la députée. M. le député de Gaspé.

M. Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, MM. Martin et Mussi, très heureux de vous avoir ici aujourd'hui. Je vous dirais que c'est un propos différent, dans le sens où vous faites aussi... vous êtes allés sur le terrain de l'enseignant, hein, l'usage au niveau... du côté de l'enseignant.

Écoutez, vous parlez de fuite en avant, vous parlez d'absence de réflexion, de généralisation de l'usage à des fins économiques et commerciales, vous avez même employé le terme «chaos». Je pense que votre position est assez claire à ce niveau-là. Vous êtes des tenants d'un moratoire, d'un temps d'arrêt nécessaire et, corrigez-moi si je suis dans l'erreur, à une réflexion, une réflexion de société visant, d'une part, la notion même, au-delà de l'apprentissage, de ce que je comprends de votre point de vue, dans la vie de tous les jours, l'usage à des fins pédagogiques ou autres par l'école, et j'insiste, par l'école. Ça, je comprends que vous avez là une réflexion profonde d'entamée à ce niveau-là. Mais je comprends aussi que vous faites une distinction entre l'apprentissage généralisé de l'informatique, là, de ce qu'on disait — moi, quand j'étais à l'école, on parlait d'informatique, là — pour l'informatique, dans le sens où ce sera dans nos vies de tous les jours, ce l'est déjà et ce le sera, et l'usage de ce que vous appelez la technopédagogie. Donc, il y a vraiment, là, deux distinctions que je fais, là, au niveau de votre rapport à la technologie.

Sachant qu'on a besoin d'une réflexion, qu'on a besoin d'avoir une meilleure connaissance, et on en a déjà, puis vous l'avez souligné, puis beaucoup de gens sont venus nous le dire ici, là, sur la nocivité, là, de l'usage des écrans, comment voyez-vous dans le temps... Parce que je suis aussi, moi, historien de formation et je m'intéresse aux changements de société dans la durée, parce que c'est là que ça se passe. Comment voyez-vous le temps nécessaire, pour la société québécoise, de mieux documenter l'impact de l'usage de notre société, d'une part, à des fins pédagogiques, hein, l'école? Et, autrement, sachant qu'on a besoin d'avoir des connaissances générales au niveau de l'usage de l'informatique, comment voyez-vous ce terme-là, comment voyez-vous le rapport à la recherche dans les années à venir? Quel est le rôle de l'État? Est-ce qu'on doit se mettre en mode accéléré et est-ce qu'on doit investir des budgets de recherche beaucoup plus conséquents en fonction de cet objectif-là? Puis comment voyez-vous, globalement, au niveau de la santé publique, cette démarche-là qu'on a à faire pour se repositionner de façon intelligente dans cet enjeu-là, là, qu'on a là?

M. Martin (Éric) : Bien, je trouve votre question très intéressante, parce que vous nous amenez sur un terrain qui me rappelle, évidemment, le classique, hein, c'est le rapport Parent. C'est-à-dire qu'il y a eu un peu le même enjeu au moment de la Révolution tranquille, un enjeu d'adaptation, de modernisation économique et technologique. On se disait : On est en retard sur la société post-industrielle américaine, jusqu'où on va s'adapter? Et la réponse, à l'époque, Guy Rocher appelait ça l'équilibre entre la culture et la technique, on a essayé de tenir les deux bouts de la chaîne. On a essayé de s'adapter aux États-Unis, tout en gardant un peu l'humanisme, la culture, etc. Ça a donné notamment les cégeps, qui sont un hybride entre ces deux idées-là, l'économie locale, mais aussi la formation générale, par exemple.

On est un peu dans un moment similaire, maintenant, où nous devons faire très attention parce que... Il y avait un article, il y a quelques années, qui s'appelait How Google Took Over the Classroom, alors Comment Google veut se saisir de la salle de classe. Il y a nécessairement, de ce côté-là, une velléité assez claire de dire que c'est maintenant la Silicon Valley qui va déterminer ce qui va arriver pour le futur. Et il me semble que notre société, elle doit, non seulement pour l'école, mais en général, actuellement, se demander si elle veut vraiment embarquer dans ce train-là. Puis c'est déjà le cas présentement, on est déjà en train de perdre le terrain face aux GAFAM, face aux Netflix, face aux Uber, une ubérisation générale de notre société.   Donc là, il y a un enjeu de dire... Là, vous avez évoqué la santé publique, l'éducation, on pourrait évoquer aussi l'environnement. L'État, actuellement, aurait une responsabilité de se dire : Bien, si ce n'est pas ce modèle-là que l'on veut suivre, quelle est la vision générale à partir de laquelle... Disons, une société du XXIe siècle qui serait une société écologique, démocratique, bien, de quel type d'éducation aurait-elle besoin? Et Michel Freitag, en tout cas, disait que, si on voulait former des gens pour le XXIe siècle, on aurait besoin de gens qui ont des capacités d'empathie, une compréhension des autres cultures, une compréhension, aussi, de l'écologie. Là, comme le disait Sébastien tantôt, ce n'est pas ça qu'on est en train de former, là. On forme actuellement des gens qui ont des défauts d'empathie, qui ont une perte de culture générale. Donc là, on fait exactement l'inverse de ce qu'on devrait faire pour préparer les citoyens et citoyennes du XXIe siècle.

Donc, il est certain que ça exige une vision d'ensemble à partir de laquelle les différentes actions pourront par la suite être pensées. Donc là, effectivement, quel type de recherche encourager? Est-ce que... Actuellement, on encourage beaucoup la recherche dans le domaine de l'intelligence artificielle, on la célèbre, même, on l'applaudit. Est-ce qu'on ne devrait pas, au contraire, réallouer une partie des budgets de recherche pour évaluer, justement, les impacts? Bien, il y en a déjà, de la bonne recherche que vous avez recueillie. Vous avez accueilli, par exemple, Caroline Fitzpatrick, j'ai vu qu'elle est venue devant la commission, Dre Mélissa Généreux, il y a plein de gens qui font déjà de l'excellente recherche sur ces questions-là. Mais on a besoin de davantage et on a besoin d'un portrait plus global de ce qui se passe à l'école et dans la société.

Mais c'est pour ça que, tantôt, j'insistais sur l'idée de penser ça à partir d'un lieu synthétique de ce que nous voulons pour le Québec. Parce que l'alternative inverse, c'est qu'on va nous imposer une direction, pas juste au Québec, hein, le monde entier va suivre, au fond, le projet de la Silicon Valley. Du moins, eux, ils ont une panoplie de systèmes qu'ils veulent nous proposer, pour ne pas dire nous imposer, avec lesquels ils veulent qu'on s'administre dans le futur. Mais je ne pense pas que c'est notre intérêt, d'un point de vue de spécificité culturelle et nationale, même, d'aller dans cette direction-là.

Donc, ce n'est pas les mesures... Évidemment, ça dépasse ma compétence. Moi, je ne travaille pas en santé publique, je ne peux pas vous dire ce que la santé publique doit faire, mais ce que je peux vous dire, par contre, c'est qu'il faut qu'il y ait un lieu synthétique à partir duquel ceci va être pensé, avec le temps nécessaire derrière. Alors, est-ce que c'est trois à cinq ans, comme la commission Parent? Peut être, mais quelque chose d'une réflexion, des états généraux ou d'une commission Parent 2.0, ça fait des années qu'on la réclame, mais où on aurait le temps de penser globalement ce que nous sommes en train de faire. Parce que, pour le moment, si on suit la voie de l'adaptation, là, c'est aussi la voie de notre dissolution collective dans un modèle d'américanisation, assurément.

• (10 h 30) •

M. Mussi (Sébastien) : Je peux ajouter une chose, c'est que vous faites une distinction qu'on a effectivement faite entre l'apprentissage généralisé, où on met de l'informatique partout, et la question d'utilisation et de connaissances informatiques. On a beaucoup dit, à une certaine époque, que nos élèves étaient des natifs du numérique. Pour eux, c'était comme naturel. Je peux vous dire que c'est très loin d'être le cas. Il y a des procédures simples, ça les dépasse, transformer un fichier .doc en fichier PDF, par exemple, on l'a vécu pendant la COVID. Il faudrait effectivement donner des connaissances et des savoirs à nos étudiants pour qu'ils puissent avoir une certaine maîtrise là-dessus — ...

La Présidente (Mme Dionne) : En 30 secondes, M. Mussi. Il nous reste 30 secondes.

M. Mussi (Sébastien) : …oui, parfait — et non pas subir passivement ce qui se passe, c'est-à-dire comprendre ce que c'est qu'un ordinateur, ce que c'est qu'un réseau, quelles sont les conséquences que ça a sur une société, etc. Si on veut une véritable culture informatique, c'est là qu'il faut commencer, et pas en faire des utilisateurs passifs.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment, M. Mussi et M. Martin, pour votre contribution.

Pour ma part, je suspends les travaux quelques instants pour accueillir notre prochain invité. Merci à vous.

(Suspension de la séance à 10 h 32)

(Reprise à 10 h 35)

La Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite la bienvenue à M. Waterhouse. Bienvenue à la commission.

Alors, je vous rappelle, M. Waterhouse, que vous avez 10 minutes pour nous faire part de votre exposé, vos commentaires. Et, suite à cela, nous allons procéder à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, la parole est à vous.

M. Steve Waterhouse

M. Waterhouse (Steve) : Mme la Présidente, merci. Chers membres du comité, merci de m'avoir invité. Je voulais vous présenter tout simplement une perspective ici d'un point de vue externe. Vous avez entendu, quand même, des experts d'un peu partout, et ce qui était de très bonnes interventions jusqu'à présent, il y en a d'autres qui sont annoncées, mais je voulais vous apporter la perspective, justement, que le temps d'écran peut être souvent utilisé à mauvais escient contre les gens. Et, en fait, qu'est-ce qui me garde éveillé la nuit, c'est cette constante préoccupation envers les prochaines actions des acteurs de la menace à un niveau international, envers notre société, envers nos jeunes et envers notre façon de vivre.

À l'échelle internationale, les acteurs de cybermenaces suivants sont toujours intéressés à recruter des jeunes, même des fois des moins jeunes, en manque de sensations fortes, comme avec les milieux criminels traditionnels, notamment les cybercriminels, dans le crime organisé, pour profiter de la cybercriminalité, des hacktivistes, autrement dit ceux et celles qui veulent faire valoir leur point de vue politique via des moyens électroniques, des cyberextorqueurs, pour aller chercher de l'argent, monétiser cette... ces vols, les «script kiddies», autrement dit, ceux et celles qui sont en gage de sensations fortes et les pirates informatiques parrainés par l'État, qui sont, encore là, très subtils dans leurs actions.

Les façons dont les acteurs de la menace s'y prennent sont de toutes sortes de façons, mais vous en avez entendu, comme en exemple, qui tournent autour de ces dernières : la cyberintimidation, les cyberprédateurs, les publications d'informations privées, le phishing, le harponnage, qui est du phishing ciblé vers des gens, tomber dans le piège de l'escroquerie, le téléchargement accidentel de logiciels malveillants, malgré… les gens prennent peut-être des dispositions, mais que ça devient chose faite une fois que c'est sur les appareils et que ça les compromet, les messages qui reviennent les hanter, un enfant plus tard dans sa vie, autrement dit, quelqu'un va diffuser un message, une vidéo, comme vous le savez, des fois, ça peut venir les remordre dans les moments qu'ils s'attendent moins, et évidemment aussi l'usurpation d'identité, qui est très subtile.

Malgré toutes les réglementations et lois en place, la responsabilité première d'accès aux contenus en... en provenance, pardon, de l'Internet et/ou de son accès, selon moi, incombe aux parents, donc à la maison principalement, ce qui, souvent… les parents sont dépassés par l'avancement technologique, et à l'école durant le jour. Des formations d'éducation appropriées, en collaboration des partenaires accrédités, pas seulement du réseau de l'éducation, parce qu'ils sont quand même assez chargés, doivent être apportées dans notre société pas seulement de manière… statique, pardon, avec du contenu en ligne, mais de façon dynamique, avec des gens.

Modérer le contenu en ligne ne révèle pas seulement des mesures techniques, comme vous le savez, ni les lois, mais l'accès aux applications... aux appareils, pardon, par lesquels les enfants peuvent y accéder. Ça prend un effort d'équipe, selon ma perspective, ça prend un effort d'équipe par les entreprises technologiques et le secteur privé, des applications de la loi et le système judiciaire, les services d'aide à l'enfance, comme vous avez entendu jusqu'à présent, les services aussi des écoles et des systèmes d'éducation. Les parents... Puis, quand je dis : Des systèmes d'éducation privés, publics, même l'entreprise privée qui peut être mise à contribution dans cette manière, la coopération internationale, on va jusqu'à cet... ce niveau-là, parce que vous avez des ONG qui vont être en mesure, justement, d'avoir une perspective là où ils interviennent un peu partout sur les continents, et, en même temps, favoriser que ces changements-là s'opèrent d'un point de vue international et que ça vienne nous aider ici aussi. Et finalement les services gouvernementaux qui... je vais préciser, un rôle très clé là-dedans.

Ces efforts doivent prendre la forme de programmes de sensibilisation et d'éducation plus présents, plus actifs dans le quotidien, et pas seulement pour la jeunesse, intégrés aux programmes scolaires, mais aussi pour les adultes. Car notre société accuse un grave retard dans la littératie numérique. Et ça se voit dans la rue, ça se voit à la maison, où les gens génèrent du contenu comme jamais vu avant dans l'histoire et, parfois, hypothèquent la vie privée des enfants, alors que ce qui a été filmé il y a 10 ans peut devenir un désavantage de demain pour ce jeune maintenant rendu adulte, surtout lorsqu'ils ont à soumettre la première demande d'emploi. Parce que les services de ressources humaines, si vous ne le saviez pas, font une recherche intensive sur le passé dans le monde électronique des jeunes.

Nous devons maintenant se préoccuper davantage de la vie privée numérique, d'autant plus important, les tendances récentes envers l'usage des innovations comme l'intelligence artificielle et aussi les algorithmes des plateformes des médias sociaux pour générer la désinformation et entretenir sa propagande prend de plus en plus de place dans le temps consacré en ligne maintenant et dans l'avenir.

Une éducation sur le sujet saura rendre les jeunes et les moins jeunes électeurs moins vulnérables à cette fausse information et aussi contribuera à développer une pensée critique à l'information présentée, comme dans le cas... avec une urgence sanitaire qu'on a vécue récemment.

Le leadership requis pour aider devrait comprendre des intervenants comme vous avez sollicités, mais aussi différents... de différents ministères, notamment le MCN, le ministère de l'Éducation, ministère de la Santé, incorporés dans un groupe de travail autonome afin que tout bouge rapidement sans que ce soit fait... et que ce soit fait à court terme, pardon, sans que ça s'éternise. La population, nos jeunes ne peuvent pas attendre six à 10 ans alors que la situation s'envenime année après année. Pourquoi pas des camps d'été avec intégration d'apprentissage des jeux électroniques qui sont des conséquences de l'année scolaire? L'encouragement au tournoi à capturer le drapeau, donc on dit l'activité dans le terme technique, «capture-the-flag», c'est des exercices qui sont menés soit dans des conventums, comme, exemple, le Hackfest qui a lieu ici, à Québec, ou bien internationalement, où on incite les jeunes à pouvoir, à ce moment-là, mettre à contribution leur apprentissage et surtout leurs aptitudes et habiletés, mais aussi au Canada, ailleurs dans le monde, comme je précisais, n'en feront pas des pirates notoires ni des cybercriminels, mais bien des gens compétents en technologies, qui ont mis en pratique ces meilleures pratiques, voire la cyberhygiène apprise, et prêts à faire face à demain.

Merci à nouveau pour cette opportunité d'échange. Et je suis prêt à répondre à vos questions.

• (10 h 40) •

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, M. Waterhouse. Nous allons débuter cette période d'échange avec Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Waterhouse. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Vous apportez, donc, un aspect, donc, de la thématique qu'on n'a pas encore abordée, donc je vous en remercie. Puis ça me permet de vous poser, donc, une question, donc, qu'on a posée à d'autres interlocuteurs sur la majorité numérique. Bien souvent, bon, plusieurs, donc, interlocuteurs, donc, sont venus, donc, ont eu, donc, des avis, donc, divergents sur la nécessité, donc, de l'imposer, donc d'avoir un âge minimal pour aller sur les différentes plateformes, mais on sait que ce serait soit une pratique symbolique, là, ce qui prévaut en ce moment, ou une pratique, donc, qui imposerait de faire la vérification de l'âge des utilisateurs afin, donc, de véritablement la mettre en place. J'aimerais savoir, donc, quel est votre avis quant à la nécessité, donc, de mettre en place, donc, une majorité numérique sur le plan de la sécurité des données des mineurs.

M. Waterhouse (Steve) : Il va de soi de la maturité des gens qui utilisent ces outils-là va faire en sorte que ça va faciliter la compréhension des impacts. Puis je m'explique. Ailleurs dans le monde, vous avez... j'ai une recherche BCG qui va faire partie du mémoire, qui dit que, donc, en Amérique du Nord, 92 % des jeunes s'initient à l'Internet à partir de l'âge de 12 ans, mais seulement 57 % à partir de l'âge de huit ans. Donc, de cette approche-là, il y a un élément, comme je mentionnais dans mon introduction, que le parent donne un accès facile à ses enfants, donc, pour aller consommer l'Internet. Mais la majorité des parents avec lesquels j'ai intervenu et j'ai parlé avec… quand je dis intervenu, c'est vraiment pour les aider dans l'appui de restreindre l'accès à un minimum d'informations, voire juste à des sites spécifiques. Mais le jeune, il n'en fait pas la distinction, il ouvre l'appareil, il y a connexion Internet, il consomme ce qu'il veut bien, et la journée va très bien. Mais la journée qu'il va à l'extérieur d'un cadre défini, c'est là que ça dérape, bien souvent.

Alors, de cette façon-là, il faut encore une fois que l'élément parental, qui est le plus souvent impliqué avec le jeune dans l'utilisation de ces moyens-là, puisse comprendre comment faire cet encadrement-là. Mais, si on revient avec l'environnement scolaire où est-ce que les jeunes passent peut-être, quoi, six heures, huit heures par jour, j'en ai monté, des systèmes pour faire ce filtrage à la population étudiante, filtrage pour dire : On ne permet pas des sites de gambling ou des sites illicites. Mais, en même temps, il y a toujours des mécanismes à côté. S'ils ne sont pas considérés ou bien évalués, bien, ça va donner une porte de sortie pour être en mesure, donc, de le consommer pareil durant le temps consacré pour l'apprentissage seulement.

Mme Cadet : Juste être sûre d'avoir bien saisi, puis je vais peut-être aussi réitérer ma question, c'est que, dans le fond, là, nous, on est en train de se dire : Est-ce qu'il faudrait, donc, interdire, donc, l'accès aux, disons, réseaux sociaux, ces différentes plateformes, donc, aux jeunes avant un certain âge? Mais l'un des enjeux de la mise sur pied, donc, d'une telle mesure, c'est de se dire : O.K., bien, si on dit, par exemple, donc on ne peut pas, donc, accéder, donc, aux plateformes, donc, de Meta avant l'âge de 15 ans, bien, il faut qu'on soit en mesure de le vérifier, sinon ce n'est pas tout à fait efficace comme mesure, ce serait une mesure plutôt symbolique. Mais, en faisant ça, on est... l'État, donc, viendrait dire : Bien, il faudrait capturer les données des enfants mineurs pour être capable de confirmer qu'ils ont bel et bien l'âge, là, de pouvoir accéder à ces plateformes-là.

Qu'est-ce que vous pensez de… bien, en fait, d'une telle mesure? Donc, qu'est-ce que ça voudrait dire pour la sécurité des données? Où seraient stockées ces données-là, donc, des jeunes? Est-ce que c'est l'État qui devrait les stocker? Est-ce que ce seraient les plateformes qui devraient le faire elles-mêmes? Qu'est-ce que ça signifierait, pour la sécurité des données, de mettre en place une majorité numérique?

M. Waterhouse (Steve) : Bien, déjà là, dans l'acceptation populaire, ça ne passera jamais le test, que l'État s'immisce à capturer de l'information, l'interpréter, la stocker, ça n'ira pas très loin. Alors, on peut peut-être se rapprocher de l'idée d'une identité numérique, mais, cependant, si on amène une identité numérique puis qu'on l'appose à des moins de 18 ans, là on rentre dans une autre arène légale par rapport à ça. Ça fait que ça... c'est pour ça, je ramène le... et je recerne la problématique vers le parent. S'il fait une bonne évaluation du risque, puis là il faudrait peut-être amener les outils nécessaires aux parents de faire cette évaluation du risque, là, quel est le risque que j'expose mon enfant aux médias sociaux, quel est... qu'est-ce qu'on retrouve, oui, les grandes plateformes, dans la meilleure des pensées, veulent que ça soit consommé par tout le monde, c'est à leur avantage, puis ils vont faire des pieds et des mains pour ramener ça jusqu'au plus jeune âge pour, après ça, leur faciliter la vie à consommer les produits que la plateforme offre.

Maintenant, cette modération-là, elle est parrainée par qui, selon quel principe? Parce que les… comme on dit, chez Facebook ou Meta, bien, les «community guidelines», donc les lignes directrices de cette plateforme-là, bien, sont... je ne sais pas qui qui les dessine, mais souvent sont à l'encontre de notre façon de vivre et de voir la vie, parce qu'eux disent que telle façon... une telle image ou un tel dire, ça va à l'encontre des lignes directrices, alors que, pour nous, ici, bien, c'est un usage humoristique commun. Alors, c'est des éléments comme ça, je vous donne un exemple bien banal, qui fait en sorte que qui va dire vrai là-dedans.

Il faut se ramener peut-être avec un consortium à l'extérieur, un peu comme présentement l'identité numérique, c'est dans la 10e année qu'il y a un tronc commun qui a été établi à travers le Canada, le conseil canadien de l'identité numérique, qui fait en sorte que tous les joueurs, les acteurs inhérents à l'usage d'une identité numérique, bien, ont été mis… ont été sollicités et mis à contribution. Et de là vient un cadre de référence neutre, gouvernemental, comme entreprise privée, qui va en faire usage. Mais là, en disant ça, ça, ça va être pour la consommation, utilisation de services publics, mais le jeune, là-dedans, il n'est toujours pas inclus. Alors, on est toujours à la case départ face à cette situation-là qui revient à : Quel est l'adulte qui est responsable envers l'enfant, qui va lui permettre l'accès ou pas? Je crois que le problème est situé à ce niveau-là.

Mme Cadet : D'où le principe de cyberhygiène, là, dont vous parliez à la fin de votre propos.

M. Waterhouse (Steve) : Bien, la cyberhygiène est pour tous et chacun qui font un travail en ligne. La cyberhygiène... Je vais vous donner juste l'exemple de… le fameux mot de passe, qu'on ne peut pas s'en dégager jusqu'à présent. Mais, si tout le monde continue d'utiliser 123456, que ça fait huit ans que c'est le numéro un mondial, on est toujours à la même place, on patauge dans la même mare. Alors, il faut changer ces habitudes-là, il faut changer la perspective que : C'est-tu important, un mot de passe? La réponse, c'est oui. C'est-tu encombrant? Pour la majorité des gens, ils vont dire oui. Ça fait que c'est pour ça que les gens le mettent facile. C'est une caractéristique humaine. Mais, quand on l'explique, qu'est-ce que ça peut apporter comme conséquences, bien, il y en a qui vont dire : Bien, c'est juste ma tablette, c'est juste mon téléphone. Mais alors donne les clés de rentrer dans votre maison à n'importe qui, ça ne dérangera pas, c'est la même analogie que le mot de passe facile à deviner.

Mme Cadet : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Mme la députée d'Iberville.

Mme Bogemans : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue. Moi, je voulais avoir votre opinion, parce qu'on a souligné, au travers les entrevues, vraiment la force du lobby puis à quel point, autant pour les adultes que dans le milieu de l'éducation, que, pour les jeunes, ils exerçaient une certaine pression. Puis une de vos suggestions principales était de joindre, de sensibiliser, mais même d'éduquer, comme vous venez de répondre à la question, là, sur les enjeux du numérique en général. Ce serait quoi, un plan, pour vous, qui serait porteur pour sensibiliser et éduquer quand même, donc, sur le long terme, la population en général pour bien être capable de le faire? Parce que c'est large?

M. Waterhouse (Steve) : C'est très large, et le temps est compté. Alors, j'y verrais très bien que le gouvernement soit le… assume le rôle de leadership pour être en mesure de tirer les lignes directrices par lesquelles tous et chacun qui veulent avoir une intervention qui en vaille la peine vont pouvoir s'influencer de cette ligne directrice là, parce que c'est un but ultime. Donc, le gouvernement peut amener, à ce moment-là, dans cinq ans, 10 ans, évidemment, comme on dit en anglais, les «milestones», les bornes à franchir pour, après ça, que les gens s'y adonnent.

Cependant, le danger que je veux souligner, par contre, à faire… à mettre en place cette pratique, c'est le manque de vérification. Donc, c'est-tu le Vérificateur général qui va dire : Aïe! Vous n'avez pas rencontré vos objectifs, là, il faut faire quelque chose. Dans ce cas-là, on a trop d'exemples à énumérer que, dans le passé, cette… cette méthode-là, pardon, ne fonctionne pas, surtout dans un temps fini. Alors, il faut amener, justement… C'est pour ça, je donnais l'exemple du consortium d'identité numérique canadien, qui a toutes sortes d'acteurs de toutes… de toutes confessions confondues, si je peux dire ça... viendront ensemble puis dire : Le plan d'action, il faut l'amener, puis on est obligatoire de faire une réaction rapide et donner, à ce moment-là, un consensus. Donc, s'il y en a quatre sur cinq qui sont d'accord ou qui ont répondu à l'appel, bien, on avance, parce que le cinquième, qui n'a pas répondu, il est peut-être embourbé ou il n'est pas intéressé, finalement, là.

Mme Bogemans : Donc, c'est d'arriver à un consensus sur des cibles à atteindre puis, après ça, de la communiquer de manière persistante au fil du temps ou de se donner des moments, dans la société, où on pourrait faire le tour de la question.

M. Waterhouse (Steve) : On est au-delà, je crois, de revenir fréquemment à se poser des questions, parce que les questions, vous les avez… vous les avez posées dans les dernières semaines. Et, je crois, vous avez fait un beau tour d'horizon, mais là on est à l'étape de l'action. C'est un peu le… mon discours que j'apporte aujourd'hui, là, pour cesser de juste jongler avec le sujet, mais prendre action pour que, rapidement, nos jeunes de demain, bien, ils ne soient pas hypothéqués, comme je disais.

Mme Bogemans : Parfait. Puis, tout à l'heure, vous suggériez la mise en place de groupes de travail interministériels, puis là on parlait de cibles. Ce seraient quoi, les premières cibles pour ces groupes de travail là, si on veut?

• (10 h 50) •

M. Waterhouse (Steve) : Bien, premièrement, reconnaître le problème, puis là, si ce n'est pas aussi… j'aurais dû indiquer là-dedans le ministère de la Justice pour définir un encadrement peut-être particulier face à ce que le jeune soit sous une forme d'identité numérique. C'est fort, qu'est-ce que je viens de dire là, mais c'est peut-être… Est-ce que c'est une avenue à explorer? Là, à ce moment-là, ces éléments légaux devront être adressés par ce ministère particulier. Mais, par contre, je verrais mal, à ce moment-là, qu'on ait un statut comme ça. Ailleurs dans le monde, je n'ai pas vu de législation qui confère à un jeune, moins de 18 ans, donc qui n'est pas en majorité, d'avoir cette identité numérique là qui lui soit donnée. Est-ce que le Québec va être précurseur là-dedans encore? Peut-être. Mais, par contre, c'est une pente qui est très glissante.

Mme Bogemans : O.K. Puis ma dernière question, c'était pour faire un petit peu de pouce, là, sur ce que ma collègue avançait, l'âge numérique, mais vous répondiez que c'était vraiment la responsabilité du parent, à la base, puis que ça partait de l'appareil. Est-ce que vous pensez qu'on devrait, au contraire, quand le parent achète un appareil pour un mineur, par exemple, que certaines programmations, comme le contrôle parental, soient mises par défaut dans l'appareil, qu'il y ait comme une programmation d'emblée, tout ce qui peut être activé pour la sécurité du jeune soit fait d'emblée de la part du fabricant?

M. Waterhouse (Steve) : Bien, c'est une bonne question et c'est une bonne suggestion. Cependant, est-ce que le marchand va vendre des tablettes avec déjà l'activation de la restriction parentale en place, et une autre tablette va avoir, donc, des tablettes, justement, avec la restriction parentale? Ça ne sera peut-être pas bien géré, justement, sur le marché. Alors, soit qu'ils sont de facto intégrées et activées, ce que les gens n'aiment pas beaucoup parce que, là, ils sont devant des restrictions qu'ils doivent apprendre comment désengager, alors que, là, on est... l'autre problème actuel, qui est : tout est ouvert, et là il faut travailler avec refermer les portes. Moi, je suis dans le... je suis de la chapelle où est-ce qu'il faut ouvrir au besoin, et, de cette façon-là, ça serait peut-être plus profiteur à tous et chacun, et en faisant des... en montrant des exemples que ça leur donne un avantage. Parce qu'actuellement, vu que c'est intangible, les gens n'y voient pas l'avantage, de fermer toutes les portes et de les ouvrir au besoin, et ce qui fait en sorte que les gens vont se dire : Bien, c'est ça, on veut nous museler, on veut nous bloquer de faire quoi que ce soit. Ça amène aussi cette discussion.

Mme Bogemans : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. Mme la députée de D'Arcy-McGee.

Mme Prass : Merci, Mme la Présidente. Merci pour votre présentation. Donc, en parlant de la question de l'âge numérique, on sait que les VPN sont facilement utilisés pour justement faire en sorte qu'on peut cacher notre identité, et puis, s'il y a un âge minimum, bien, ça nous permet de rentrer dans le système. Est-ce que vous pensez justement que le VPN fait en sorte que faire un âge... poser un âge numérique ferait en sorte que, tu sais, ce n'est pas réaliste? Parce qu'un VPN fait en sorte que le jeune peut facilement outrepasser cette mesure-là.

M. Waterhouse (Steve) : Bien, je veux juste mettre au point le terme «VPN», donc, un réseau privé virtuel n'est seulement que l'établissement d'un conduit entre un point de départ et une destination. Peu importe ce que... de quel appareil démarre cette connectivité sécurisée, qui est très sécuritaire, d'ailleurs, bien, si la personne transpire de l'information à la source, elle va ressortir l'autre côté, au bout du tunnel, comme on dit. Donc, si la destination, après ça, s'en va dans l'Internet et, après ça, s'éparpille partout, bien, l'identité aussi va s'éparpiller partout. Donc, c'est une fausse sécurité de dire : Le VPN nous protège de tout, protège l'identité. C'est juste que, présentement, si je suis connecté, par exemple, au réseau sans fil de l'Assemblée nationale et j'active mon VPN, bien, le transit que prend mes données à partir de mon appareil jusqu'à l'Internet, mon point de sortie, l'Assemblée nationale ne verra pas qu'est-ce que j'ai généré ou communiqué. Mais à destination, vers quelle destination je vais aller, si je vais chez Microsoft, par exemple, bien, chez... Microsoft va savoir que je me suis connecté, mais, oui, vous avez raison, pas à partir de l'Assemblée nationale, il sera à partir de mon point de sortie où j'ai terminé ma connexion. Donc, petit élément technique.

Alors, est-ce que c'est le bon moyen? Non, parce que, vous avez raison aussi, le jeune, il sait que ça existe, il y a des paquets de solutions de ce type-là, VPN, qui existent et qui vont faire des contournements de sécurité. Par contre, il y a des moyens techniques d'empêcher aussi qu'un VPN s'active et qu'il soit utilisé, puis on peut le... on peut le vivre à chaque jour, je veux dire, il y a des portails d'information, de médias qui l'empêchent, la consultation d'informations, alors que le VPN est activé, parce qu'ils connaissent déjà la banque d'adresses que cette compagnie-là de VPN utilise.

Alors, est-ce que c'est une solution technique qui peut favoriser ou non le VPN? La réponse, c'est oui. Demain matin, il va-tu y avoir une autre technique qui va apparaître? La réponse, c'est oui aussi.

Mme Prass : Et, quand vous parlez, justement, puis vous le mentionnez dans votre mémoire aussi, ça incombe aux parents d'être un petit peu l'exemple puis de faire un petit peu la surveillance, comment est-ce qu'on fait pour aller rejoindre ces parents pour les sensibiliser à cette réalité-là? Parce que, souvent, ils se disent : Bien, tu sais, c'est un travail qui va se faire à l'école, ce n'est pas nécessairement ma responsabilité. Comment est-ce qu'on fait pour aller les rejoindre?

M. Waterhouse (Steve) : Bien, de dire que le travail va se faire à l'école, c'est là qu'on travaille un peu de la pensée magique, parce que les professeurs le font, encore une fois, d'une façon... avec qu'est-ce qu'ils ont appris avec le temps d'une connaissance personnelle, puis ce n'est pas toujours les meilleures pratiques qui sont mises de l'avant, on ne le cachera pas. Est-ce que le prof d'aujourd'hui a le temps d'apprendre ce volet-là en plus du reste qu'on lui impose? Ça fait partie d'un sujet parmi les autres sur la pile. Ça fait que, s'il faudrait amener le prof dans l'équation, dans la solution, il faudrait l'enseigner... lui enseigner à ce moment-là. Puis j'ai déjà lancé une initiative, voilà quatre ans, de former les formateurs, former les profs de cégep, former les profs au secondaire, puis l'initiative a été froidement reçue parce que, là, c'était comme si je froissais certains ego, je froissais certaines personnes, que, là, bien, je venais leur dire comment faire leur travail. Mais la réponse, c'est oui, parce que je leur disais : Vous n'avez pas les connaissances à jour. Puis je l'ai vérifié à plusieurs aspects, ça. Autrement dit, je me suis inscrit à des cours qui étaient offerts, et c'était d'une piètre qualité que ça dérangeait et ça créait plus de problèmes que ça apportait une éducation utile pour que les gens puissent s'en servir équitablement.

Alors, à votre question, c'est là qu'il faut regarder ça d'une autre façon. Puis le parent, bien, je ne sais pas s'il y en a qui se souviennent, dans notre jeunesse, on avait, dans les années 80, dans les premiers balbutiements informatiques décentralisés, l'émission qui était à Télé-Québec sur… qui s'appelait, donc, je viens d'oublier le nom, et qui était une émission à caractère social pour donner aux gens cette éducation-là, qu'est-ce que c'est, une disquette, qu'est-ce qui est un ordinateur, comment le démarrer, etc. Est-ce qu'on doit retourner à cet enseignement-là, interactif, via une émission spécialisée? La réponse, je crois que c'est oui. Et Télé-Québec, je veux dire, c'est quand même un canal bien utilisé pour la documentation ici, je crois que ce serait un bon médium avec lequel pousser l'idée, qui était Octo-puce, l'émission du temps.

Mme Prass : Octo-puce, c'est ça? O.K., parfait. Puis j'aurai une dernière question pour vous : Vous avez mentionné, au début de votre intervention, toute la question de la cybercriminalité, cyberintimidation, etc. Pensez-vous que les forces de l'ordre ont assez d'effectifs qui sont mis à contribution pour suivre ces enjeux-là?

M. Waterhouse (Steve) : Au cours des dernières représentations que j'ai faites dans des comités similaires ici, j'ai toujours apporté comme conclusion : il faut donner plus de ressources financières, techniques et humaines aux services policiers pour accomplir ce travail-là. De même, on en a entendu parler justement hier, un sujet, dans la place publique, que la ville de Québec demande plus de ressources policières, donc, mais cet exemple-là, ça va aussi dans le domaine où est-ce qu'il faut tenir compte de la réalité sur le terrain. Est-ce qu'il y a plus de crimes technologiques où il y a plus de crimes à caractère traditionnel? Bien, le crime avec violence va prendre préséance sur un crime technologique. Il n'y a pas de violence, en principe, il y a une énorme violence psychologique qui sont rattachées souvent au vol d'identité, au vol de portefeuille, de quoi que ce soit. Il faudrait peut-être l'adresser, ça aussi. Même la capacité nationale, elle est présentement sous-évaluée, il n'y a pas assez d'argent pour le GNC3, donc la GRC, qui fait ce centre de coordination nationale pour la cybercriminalité... contre la cybercriminalité. Et ce n'est pas demain matin, eux autres aussi, que leurs rangs vont être comblés. Donc, globalement aussi, il y a des efforts aussi à l'échelle de la planète que tous y contribuent. Mais évidemment le problème croît par l'usage de la technologie. Puis aussi, bien, les éléments qui vont aider, des forces de l'ordre qui vont aider là-dedans, bien, ils ne sont nécessairement pas en pleine puissance, autrement dit, pour venir aider la population lorsqu'ils sont dans le trouble.

Mme Prass : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Mme la députée de Hull.

Mme Tremblay : Oui. Alors, bonjour. Au niveau des compagnies, là, Facebook, et tout ça, est-ce que... comment… est-ce qu'on peut agir envers eux, avec l'expérience que vous avez, pour leur imposer des règles? Puis là je parle d'eux autres, mais même chose pour les jeux, là, qui poussent du contenu publicitaire, qui rendent ça plus addictif par différents moyens, là, des coffres de récompenses, des loteries qui ressemblent à des jeux vidéo. Est-ce qu'on peut agir? Puis, si oui, comment pour, justement, faire en sorte… Tu sais, comme à la télévision, on a bien contrôlé le contenu dont les enfants… publicitaire, mais là est-ce qu'on peut les obliger puis comment, ces compagnies-là, justement, à arrêter, justement, d'atteindre les jeunes?

M. Waterhouse (Steve) : Vous avez apporté un bon point. Quelle est l'autorité nationale sur la gestion du contenu à l'affichage? Bien, c'est le CRTC. C'est le CRTC qui peut modérer aussi les réglementations envers tout qu'est-ce qui est télécommunications, incluant l'Internet. Maintenant, c'est facile de vraiment modérer qu'est-ce qui se diffuse à la radio, qu'est-ce qui se diffuse à la télévision, parce que la conséquence ultime, c'est de retirer le permis de transmission. Est-ce qu'on peut en retirer le permis de travail à un fournisseur d'accès à Internet qui ne ferait pas cette modération-là? Donc, il faudrait mandater les fournisseurs d'accès à Internet à faire la modération du contenu. C'est toute une job.

Il se fait actuellement une modération, puis ça, c'est le DMCA, donc un consortium contre le téléchargement de matériel à connotation «copyright», donc aux droits d'auteur, la protection du droit d'auteur. Et, si vous faites le téléchargement d'une musique ou bien d'un film sans que vous ayez payé les droits d'auteur, il y a un courriel qui va apparaître dans votre boîte à courriel parce que le fournisseur d'accès Internet a repéré que vous avez fait le téléchargement et vous faites probablement usage illégalement de ce matériel-là. Mais la conséquence, c'est quoi? C'est une tape sur les doigts parce qu'il est impossible d'identifier qui qui est au bout pour mettre des accusations de viol de «copyright», alors que c'est seulement qu'une adresse IP qui transpire dans les journaux d'audit de cette organisation-là.

Maintenant, est-ce qu'on revient à dire : Il faut mandater un fournisseur d'accès à Internet à faire cette modération du contenu Internet? Là aussi, vous allez avoir une levée de boucliers incroyable. Puis après coup, bien, les gens vont prendre tout simplement une technologie VPN, vont sortir dans un autre pays, ça ne s'applique pas, puis ils vont le consommer comme ça, alors que… On revient avec notre licence radio et télévision qui est vraiment régionale, locale, ça fait que ça ne va pas outre-frontière, bien souvent, là.

• (11 heures) •

Mme Tremblay : Et, au niveau de... parce que, là, les compagnies essaient un peu de s'autoréguler. Vous l'avez vu, ils ont fait des annonces, tu sais, pour justement moins atteindre les jeunes, moins amener de compagnies… Est-ce que vous pouvez... Est-ce qu'on peut leur faire confiance en lien avec ça, parce qu'ils s'autorégulent eux autres mêmes, ou nous, on peut plus les amener à s'autoréguler, justement?

M. Waterhouse (Steve) : Ça va compléter votre première question. Il est un peu de la pensée magique qu'ils vont se... Chaque compagnie dans le monde, avec des bassins d'utilisateurs, comme chez Meta, de 2 milliards quelque chose, vont dire : Le Québec, c'est un marché d'une dizaine de millions de figurants, probablement. Est-ce que ça pèse dans la balance pour dire : On va se plier, on va changer nos façons de faire? C'est un effort en commun. C'est pour ça que je disais que c'est un travail d'équipe. Si tous les horizons travaillent dans le même sens, la compagnie va avoir, à ce moment-là, à se remettre en question, ça, c'est évident.

Alors, des législations, des lois vont faire... vont aider parce que... Est-ce qu'une compagnie comme Meta veut avoir des problèmes légaux avec une entité légale, que ce soit une province, un pays ou autre? La réponse, probablement, c'est non, mais dépendamment qu'est-ce que ça leur implique, parce que, s'il y a un gros coût rattaché à faire un changement dans leurs façons d'être et de faire, ils vont tenter le tout pour le tout puis ils ont l'argent, je crois, pour supporter une bonne équipe d'avocats pour contrer la loi envers laquelle ça leur cause un petit problème peut-être même régional, si je peux utiliser ce terme-là. Alors, c'est là que les compagnies vont tout faire pour aider et satisfaire leur clientèle. C'est toujours une question d'argent. Ça fait que, si la mathématique dit que ça leur est profitable à moyen ou long terme, ils vont le faire, mais, si ça ne l'est pas, ils vont trouver toutes sortes de moyens pour le contrer.

Mme Tremblay : Ça fait que, dans le fond, c'est… plus, collectivement puis mondialement, il y a des pressions qui sont faites, parce que, là, le Québec agit puis, plusieurs autres pays, là, agissent aussi, c'est plus cette pression-là qui amène finalement... C'est chaque petit geste que, collectivement, on pose, finalement, qui va amener les compagnies, tranquillement, pas vite, à changer puis à modifier…

M. Waterhouse (Steve) : Oui, et il faut le faire constructif aussi. Il ne faut pas dire... encore là, rentrer sur les médias sociaux, peu importent lesquels, et, à outrance, négativement, défaire la compagnie puis dire : C'est une compagnie qui ne fait pas ci, ne fait pas ça, mais bien aller de façon constructive puis proposer des solutions. Alors, si, de ce comité, ressortent des propositions intéressantes pour la compagnie, c'est de les mousser, de vraiment maximiser la publicité de ces solutions-là à leur apporter. Puis, oui, effectivement, si on peut apporter après ça… dans la francophonie, qui est quand même dans la dizaine de millions d'utilisateurs, bien, ça fait un levier encore plus important qui va parler plus fort, justement, à ces grands conglomérats.

Mme Tremblay : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député de Marquette.

M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Waterhouse, merci beaucoup d'être là aujourd'hui. On a effleuré un peu la sécurité, mais, d'en parler avec un expert de renom comme vous, on est très... c'est très, très, très apprécié d'être parmi nous. Plusieurs éléments ont été évoqués aujourd'hui, là, mais, oui, c'est vrai qu'on parle d'une commission spéciale pour protéger les jeunes des écrans et sur la santé et leur développement, mais on sait que la sécurité, là, informatique, ça touche tout le monde, là. Je veux dire, il y a des tentatives d'hameçonnage. Même, si je demande à mes collègues, au moins une fois par semaine, là, on tente... on nous envoie un courriel puis on tente de nous hameçonner. Il y a les aînés aussi qui sont touchés énormément dans ça, les jeunes, mais, selon vos recherches, vos chiffres, votre expérience, qui est le plus susceptible d'être visé par les malfaiteurs?

M. Waterhouse (Steve) : La personne qui n'est pas attentive dans l'utilisation de moyens technologiques et la personne qui est émotionnellement chargée. Je dis ça de cette façon-là pour tout simplement dire… Comme vous vous dites, on reçoit un paquet de correspondance et souvent, dans l'instant d'un moment, on va appuyer sur le bon bouton ou le mauvais, et c'est là que, souvent, la malice va s'installer, parce qu'on n'a pas porté attention. Il y avait un hyperlien, l'hyperlien a téléchargé du code malicieux, et l'appareil est compromis, a rentré un rançongiciel dans l'organisation. C'est souvent le modus operandi.

Alors, c'est de cette façon-là que, quand on reçoit des transmissions qu'on ne s'attend pas… même quand on s'y attend, bien, il faut juste prendre le temps de le regarder et d'y porter attention, peu importe l'âge, parce que le jeune, lui, il va être curieux. Il va aller de façon... tête première, il va foncer puis il ne verra pas les conséquences. Une personne plus mature, voire plus âgée, bien là va le faire encore une fois avec cette même curiosité, mais peut-être avec un pas de recul, mais va y aller pareil. L'appareil va être compromis, puis, après ça, il va vivre avec les conséquences de soit un rançongiciel, du vol d'identité, un téléphone qui apparaît que... chez eux… qui sonne chez lui ou chez elle… et que Microsoft veut l'aider parce qu'il lui dit qu'il a été infecté tout simplement.

Alors, si on appelle la population à comprendre une bonne fois que, non, les grands conglomérats ne vous appellent pas en guise de prévention ni non plus le gouvernement, Revenu Québec, Revenu Canada... Il n'y a pas d'organisation qui appelle direct le citoyen. On est quand même à cette étape de base de rappeler que les services publics, les grandes compagnies n'appellent pas chez les gens. Ça, on fait juste envoyer ce message-là officiellement. Bien, les gens, à ce moment-là, sauront à quoi s'attendre, et ils pourront mettre fin à cette sollicitation-là non voulue, et, en ligne, bien, lorsqu'ils recevront ces messages non sollicités, ils pourront les détruire tout simplement.

M. Ciccone : Avez-vous des exemples concrets où, vraiment, là, les malfaiteurs vont cibler nos jeunes soit par Meta soit par ByteDance, par exemple, TikTok ou même chez les jeux vidéo? Il y en a... Il va y avoir des conversations, puis il y en a qui vont s'infiltrer. Avez-vous déjà des exemples concrets comment on cible nos jeunes avec les outils, dont les plus populaires chez nos enfants… de nos jeunes?

M. Waterhouse (Steve) : Tout à fait. Ça commence justement par les environnements sociaux, que ce soit par les plateformes, les Snapchat, Instagram. Mais, oui, les plateformes de jeux vidéo, c'est très subtil, et parce qu'il y a ce mysticisme, autrement dit, les gens sont tous avec un avatar, c'est difficile de connaître qui est à l'autre bout. Et donc, lorsqu'il y a une proximité qui se développe, c'est vu, dans plusieurs cas, lorsqu'il y a eu justement rapprochement entre un criminel ou une personne de mauvaise intention, disons, et un jeune dans l'environnement de jeu, ils vont s'allier, ils vont faire des conquêtes ensemble, si je peux utiliser cette analogie, et, après ça, donc, ils viennent «buddy-buddy», puis après : Aïe! Il faudrait peut-être se voir, ce serait le fun, prendre une petite liqueur ensemble, si ça se fait encore.

Mais après ça ils vont s'en aller justement à un endroit physique, et après ça le jeune peut en être désavantagé de cette façon-là, tout comme les jeunes filles qui sont sollicitées, que ce soit sur le terrain... le milieu d'environnement scolaire, mais que combien... Lorsque j'ai eu des discussions avec des adolescents et des adolescentes, bien, ils disaient… Ils sont submergés, comme on dit dans le bon jargon, de «dick pics», autrement dit des photos non sollicitées d'appareils génitaux masculins, et c'est rendu commun, ce n'est même plus une exception… aïe! rapporte-le à la police, malgré qu'à travers le monde on a le plus haut taux de rejet de ces éléments-là. Au de lieu de les rapporter, les gens... il y en a tellement, ils les effacent, tout simplement. Ça va... Ça passe à un autre appel.

M. Ciccone : Avec nos outils de protection qui sont disponibles présentement, là, il semble qu'on est toujours en retard. Il est-tu... Est-il utopique de penser qu'un jour on va être capables de prendre le dessus?

M. Waterhouse (Steve) : La réponse, c'est non, parce que les attaquants ont toujours l'avantage sur les moyens technologiques. Je parle pour les réseaux corporatifs, institutionnels, peu importe, c'est toujours plus facile pour un attaquant d'aller exploiter une vulnérabilité que personne ne connaît encore, et, au moment où est-ce que les gens vont s'en apercevoir, il y a déjà eu méfait de commis.

Alors, c'est pour ça... Je vous donne la vérité telle qu'elle est. Je n'essaie pas d'embellir la chose, mais je vous donne un exemple, là, où est-ce que ça va être d'un extrême versus un autre. Chez moi lorsque les enfants étaient adolescents, bien, c'est plate pour eux autres, j'étais le seul instructeur d'un produit de filtrage d'accès Internet, et j'avais le matériel nécessaire pour que la maison soit complètement filtrée pour l'accès Internet, et je pouvais voir en temps réel qu'est-ce qui se faisait, et ils étaient avertis, là. Je ne le faisais pas à couvert, mais j'étais en mesure de voir aussi les menaces qui venaient les chatouiller, tout comme, après ça, d'être en mesure d'intervenir vers les destinations et de prévenir… vers des sites illicites.

Bon, maintenant, est-ce qu'un parent devrait aller chercher toutes ces qualifications-là? La réponse, c'est, non, c'est impossible. Par contre, 15 ans plus tard, 20 ans plus tard, il y a des technologies qui se prêtent aujourd'hui à des moyens de base qui peuvent être installés, configurés chez les résidences et minimiser ces risques-là d'accès non voulus vers l'extérieur. Donc, il y a un élément de base qui peut être consigné à la maison, et le parent, à ce moment-là, bien, il aura cette assurance que, si jamais il y a un site malveillant qui émerge dans son environnement, que ce soit à caractère pornographique, à caractère pédopornographique ou quoi d'autre que le parent peut décider, bien, ça peut être filtré dès là. Aujourd'hui, la technologie est disponible, oui.

M. Ciccone : Merci beaucoup. Merci de responsabiliser les parents, parce qu'on a eu votre mémoire, là, il est tout chaud, il vient d'arriver, là…

M. Waterhouse (Steve) : Il n'est pas complet, en plus.

M. Ciccone : …puis vous responsabilisez les parents là-dedans, puis je pense que ça commence là. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Donc, à nouveau, M. Waterhouse, à l'instar de ma collègue de Hull, donc, je m'interroge, donc, sur les pratiques... bien, en fait, sur la régulation, donc, de certaines pratiques commerciales des plateformes. Elle en a nommé quelques-unes, donc, par exemple, donc, l'encadrement de la publicité en ligne ou les mécanismes, donc, de rétention d'information, de captation d'information des jeunes, donc, qui, donc, les gardent, donc, sur les médias sociaux. Moi, j'aimerais peut-être vous entendre sur... bien, en fait, voir si vous, vous en verriez d'autres, pratiques, notamment… encore une fois, c'est quant à la sécurité des données, parce qu'on sait le modèle d'affaires, donc, des entreprises de médias sociaux, donc, qui sont basés là-dessus, mais est-ce qu'il y a certaines pratiques sur lesquelles il serait plus critique de se pencher, nous, comme législateurs?

• (11 h 10) •

M. Waterhouse (Steve) : Oui, c'est de peut-être continuer dans la lancée de la loi n° 25. On sait que, présentement, elle a eu cette troisième phase qui a pris forme le 22 septembre dernier. J'ai eu l'occasion de contribuer aux travaux du projet de loi n° 64, et, à travers de ça, c'est qu'il faut davantage demander à la Commission d'accès à l'information du Québec qu'elle éduque la population envers ses droits, puis ses droits, ce que cette loi n° 25... dit quoi, bien, c'est le droit justement à ce que l'information que l'on confie, bien, on est en droit de savoir où elle va aller, l'information, à quelle fin elle va servir et, après ça, quel est son temps de retenue, comment ça va être détruit ou tout simplement, si je vais être oublié de l'Internet, de la facilitation… le droit à l'oubli qui est appelé.

Alors, si cette commission, la CAI, fait son travail que... Présentement, elle est très invisible… sur le public parce que, quand on jase avec n'importe qui, il se demande : Qu'est-ce que c'est que ça, cette loi n° 25 là? Ils ne savent rien, parce que, quand j'étais justement, de l'autre côté du rideau, j'étais en... je voulais faire un travail conjoint avec eux, puis il y avait une fin de non-recevoir incroyable, alors que… soit ils étaient submergés, tout simplement pas assez de personnes pour faire le travail.

Donc, il faut leur donner à eux autres aussi les ressources pour qu'ils aient à porter à la population cette éducation de base. Donc, s'ils font ce travail-là, ça va vous faciliter la vie, à la commission après ça, pour dire : Les données personnelles, bien, comment est-ce que vous, comme citoyens, vous devez en prendre connaissance et surtout restreindre la distribution? Parce que les gens donnent beaucoup trop d'information. Ils s'exposent inutilement, mais ils le font des fois sans malveillance, pour tout simplement avoir accès aux biens et services.

Alors, s'il faut... On peut questionner le narratif : Pourquoi vous avez besoin de mon adresse, pourquoi vous avez besoin de mon adresse courriel, à quoi va servir mon numéro d'assurance sociale si je vous le confie? Bien, ça, c'est qu'est-ce que le citoyen doit demander, le consommateur doit demander au commerçant, puis, le commerçant, s'il n'est pas capable de l'expliquer, bien, il a deux choix : Je ne vous vends pas le produit si vous ne me donnez pas l'information… Mais là, après ça, on peut questionner… il y a des pratiques douteuses, parce qu'il veut avoir toute mon information pour aucune fin.

Alors, c'est là qu'il y a... On est dans cet élément-là de changement, on peut considérer, peut-être dans un tourbillon, mais il faut y porter attention et il faut à ce moment-là, encore une fois, faire valoir nos droits, parce que, si on ne les fait pas valoir, ils vont être dissous à travers le temps, puis on va se demander comment ça se fait qu'on n'est pas protégés.

Mme Cadet : Ça fait que, pour vous, donc, la demande de ces renseignements personnels dans le cadre d'une transaction entre la plateforme et l'utilisateur, donc, ça, c'est quelque chose sur lequel on a un levier, là, vous le voyez.

M. Waterhouse (Steve) : Bien, vous avez toujours le choix, pareil comme quand vous entrez dans un établissement et qu'on vous dit : Vous êtes filmé, bien, ça, c'est l'avertissement comme quoi vous consentez, si vous rentrez, passez cet écriteau, que vous acceptez d'être filmé, mais, s'il n'y a pas d'écriteau qui vous avertit en ce sens, c'est une violation de la vie privée en soi.

Mme Cadet : Oui, c'est ça, puis là je pense, par exemple, donc, à… Parfois, il y a un peu, donc, ces jeux en ligne… Donc, on est, donc, sur Facebook, et là, donc, il va y avoir, donc, ces jeux, regardez, donc, de quoi vous aurez l'air quand vous aurez 65 ans, et là, donc, les gens, donc, cliquent là-dessus, donnent, donc, tous leurs renseignements personnels. Donc, il y a quand même, donc, une partie, donc, de reconnaissance faciale là-dedans, puis parfois il y a une demande, donc, de transmission de renseignements personnels qui accompagne ce clic-là, mais on va directement vers un autre fournisseur. Ça fait que j'aimerais vous entendre sur ce type de pratique.

M. Waterhouse (Steve) : Dans votre exemple, je ne peux que… m'empêcher de penser que lorsque ça a sorti, voilà six ans, peut-être, c'est un consortium russophone qui était derrière l'accumulation de cette information-là, puis on ne sait toujours pas à quelle fin qu'elle va servir, alors que Cambridge Analytica, bien, a été un cas à partir de dénonciations de l'interne, un cas tapant sur de la captation d'information sans le consentement de l'utilisateur… et servi à d'autres fins.

Ça fait qu'il y en a plein, de plateformes, qu'on pourrait passer la journée à jaser, qui en font, cette captation-là. Ça fait que, quand on amène ça dans la cour d'un enfant, d'un jeune, puis il se fait demander un paquet de questions : Ton papa a quel âge, ta maman a quel âge, puis, après ça, vous vivez à quelle adresse, le jeune, il ne se posera pas de question sur l'évaluation du risque, il va tout simplement dire... parce qu'il veut soit accéder à un niveau supérieur ou quoi que ce soit, et, subtilement, l'information va sortir, va percoler vers ce fournisseur de services là, puis ça a été vu dans le passé.

Ça fait que c'est pour ça qu'il faut avoir cette éducation-là de l'information, là, qu'est-ce que vous... en quoi vous êtes responsable et jusqu'où ça peut aller. Il faut en faire, des démonstrations.

Mme Cadet : Ça fait que, dans cet exemple-là...

La Présidente (Mme Dionne) : ...

Mme Cadet : O.K., merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Désolée, Mme la députée, c'est malheureusement tout le temps que nous avons. Alors, merci infiniment, M. Waterhouse, pour votre contribution à ces travaux.

Alors, pour ma part, je suspends la commission quelques instants pour accueillir notre prochain invité.

(Suspension de la séance à 11 h 14 )

(Reprise à 11 h 25)

La Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite la bienvenue à Mme Bonenfant et Mme Dumont. Alors, bienvenue à cette commission. Merci pour votre contribution. Alors, je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous faire part de votre exposé. Par la suite, nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Mmes Maude Bonenfant et Alexandra Dumont

Mme Bonenfant (Maude) : Parfait. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci à vous tous et toutes. On veut vous remercier beaucoup pour la mise en place de la commission. On doit vous dire que ça faisait longtemps qu'on attendait une telle action politique. Donc, on est vraiment très, très, très heureuses d'être là. On a beaucoup d'idées à vous présenter. On a essayé de le cibler sur six qu'on va vous exposer.

Je suis Maude Bonenfant. Je suis professeure au Département de communication sociale et publique à l'UQAM. Je suis aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en jeu, technologies et société. J'étudie le jeu vidéo depuis 20 ans et, depuis une douzaine d'années, je suis aussi dans les études de la surveillance. Donc, je comprenais bien ce que le précédent présentateur est venu vous parler. Donc, j'ai vraiment un pied dans les aspects très positifs des technologies, des jeux vidéo, mais aussi les aspects plus négatifs. Puis j'ai aussi une vue d'ensemble de l'objet lui-même.

Donc, vous avez beaucoup entendu parler des impacts. Nous, on va moins vous parler des impacts, mais plutôt de l'objet, l'interface, comment ça fonctionne, le design, mais aussi le système technoéconomique. Je travaille aussi avec des juristes, donc, on commence à bien connaître les lois, et avec des informaticiens. Donc, si vous avez des questions sur les objets…

Aujourd'hui, je suis accompagnée d'Alexandra Dumont.

Mme Dumont (Alexandra) : Bonjour. Je suis doctorante en communications à l'Université du Québec à Montréal également. Je me spécialise dans les jeux vidéo, dans l'étude des jeux vidéo, puis, plus particulièrement, dans le cadre de ma thèse, je me concentre sur les mécaniques de hasard dans les jeux mobiles. En parallèle à ça, je suis également codirectrice à la chaire du Canada en jeux vidéo, technologies et société, où on a, entre autres, réalisé une analyse sur un corpus de jeux mobiles pour enfants pour explorer, bon, les questions de vie privée et les mécaniques qui s'y retrouvent.

Mme Bonenfant (Maude) : Je dois dire que la chaire vient de changer de nom. Avant, c'était la chaire de recherche sur les données massives et les communautés de joueurs. Donc, vous voyez vraiment que l'aspect surveillance est très important pour nous.

Donc, vous avez entendu beaucoup de recommandations, mais il y a... des fois qui n'étaient pas dans la même lignée, mais je pense que, tout le monde, on s'entend qu'on veut essayer de mieux protéger les jeunes. Nous, on croit qu'il faut vraiment agir en amont. Je pense que Dre Généreux disait : En santé publique, si on agit à la source, on prévient beaucoup les problèmes en aval. Donc, on est un peu dans cette direction-là dans nos propositions. Comme je vous disais, on en aurait eu beaucoup. On a essayé d'en choisir six qu'on considère très importantes, mais aussi réalistes et très concrètes, et donc qui pourraient relativement facilement se mettre en place rapidement.

Donc, la première recommandation part d'un constat. Donc, la problématique : la classification actuelle est autorégulée par l'industrie. Et là je vais surtout parler des jeux vidéo. Je m'y connais moins en médias sociaux numériques. Et donc, en gros, pour aller rapidement, présentement, c'est le ESRB qui est l'institution, l'instance qui donne une cote sur les jeux vidéo, qui est, en fait, issue de l'industrie. Et donc, en fait, c'est le lobby de l'industrie qui a mis en place la classification des jeux vidéo présentement, et donc qui ont déterminé les cotes, et, bien, jusqu'en 2018, il y avait une cote qui s'appelait «petite enfance», «early childhood», mais elle était tellement peu apposée par l'industrie elle-même qu'elle a été éliminée.

Et donc, aujourd'hui, si vous regardez tous les jeux pour enfants, ils sont tous pour tous, et donc, déjà là, ça cause un problème parce que ce n'est pas... ça ne veut pas dire que le jeu est bon pour l'enfant. Ça veut juste dire qu'il n'y a pas de contenu mauvais pour lui. C'est une grosse nuance qui est apportée, et, évidemment, les jeunes… On a été très, très surpris de ça, quand on regarde des jeux pour enfants, les conditions d'utilisation s'appliquent pour les 13 ans et plus. Ça veut dire que, même un jeu pour un cinq ans, il est protégé comme un 13 ans et plus. Donc, présentement, nos jeunes de 12 ans et moins ne sont pas du tout protégés comme ils le devraient en termes de collecte de données, et ceci, légalement, puisque c'est écrit dans les conditions d'utilisation que l'on accepte. Et donc, ça, on pourra en parler. On a beaucoup travaillé aussi sur les conditions d'utilisation.

Parallèlement à ça, bien, les magasins d'applications donnent leurs propres cotes. Donc l'App Store et le Google Play Store donnent leurs propres cotes qui, souvent, ne concordent pas pour le même jeu. Ils rajoutent des cotes. Comme le Google Play Store va rajouter l'«approuvé par les enseignants», qui n'est pas valable non plus. On pourra vous le démontrer, si vous voulez. On a toutes les preuves à l'appui. Bref, il y a beaucoup de confusion. Il y a beaucoup de mauvais messages. On envoie des fausses informations aux parents, considérant la sécurité du jeu, qui devrait être pour les quatre à six ans, mais qu'en fait l'enfant n'est pas du tout protégé, puis ce n'est pas du tout adéquat pour lui.

• (11 h 30) •

Donc, nous, ce qu'on propose, c'est vraiment une instance indépendante qui viendrait faire de la classification, apposer des cotes sur les jeux vidéo et les plateformes numériques, avec des experts indépendants qui viendraient vraiment évaluer selon les stades de développement de l'enfant puis en fonction de sa protection, exactement à l'image de la Régie du cinéma, qui est maintenant sous le ministère des Communications et de la Culture, et donc on ferait ce travail-là. Donc, une instance comme ça, déjà on aurait fait un gros pas pour que... donner des informations aux parents pour prendre des bons choix.

Le deuxième problème, c'est que — et ça va dans le continuum — la classification actuelle, peu importe laquelle, elle n'est basée que sur le contenu. On ne tient pas compte des mécaniques, alors que c'est hyperimportant, surtout quand on parle de faire faire des actions à nos enfants, ça peut avoir un pouvoir persuasif très fort, et donc ça, ce n'est pas pris en compte. Parfois, on va indiquer certains éléments, par exemple si on collecte la géolocalisation, s'il y a des contacts sur Internet, s'il y a d'autres joueurs, bon, etc. Il va y avoir certains éléments, mais ça n'intervient pas dans la cote. Donc, ça peut être quand même une cote pour tous, mais avec des éléments qu'on ne voudrait pas pour nos enfants. Donc, nous, ce qu'on propose, c'est... parallèlement à l'instance indépendante, c'est qu'on crée une cote qui tienne compte de ces éléments-là, interactifs, qui tienne compte aussi de la collecte de données.

La cote dont je vous parlais pour petite enfance, elle était accotée sur la COPPA, qui est la loi états-unienne de protection de la vie privée des enfants qui est la plus restrictive. On pourrait se baser là-dessus pour dire : Bien, pour les jeux 12 ans et moins, on considère que ça protège les enfants comme la COPPA devrait la protéger. Donc, il y aurait des agencements quand même relativement faciles à opérer sans nécessairement faire une législation comme telle pour mettre en place à la fois une instance indépendante pour apposer des cotes, à la fois des cotes qui reflètent bien le développement, le stade de développement de l'enfant, ses besoins de protection, et on pourrait être très granulaire dans la cote, et donc dire : Bien, six ans et moins, il n'y a pas ça, 12 ans et moins, il n'y a pas ça, 16 ans et moins, etc., et là on pourrait vraiment aller... pour avoir une cote à laquelle les parents pourraient vraiment se fier.

Là, ici, je vais juste faire une petite parenthèse. On en a peut-être peu parlé ou, du moins, on a écouté beaucoup des personnes qui sont passées, mais c'est peut-être un élément qui est moins venu. Présentement dans le système économique, là, juste pour faire rapidement, là, avant, tu sais, on pouvait acheter un jeu, on jouait... qu'on joue 20 minutes ou deux heures, ça ne changeait rien. Et puis, à un moment donné, il y a eu un passage, des transformations dans les modèles économiques, et on est passés de ce qu'on appelle un jeu comme produit, un jeu en tant que produit, à un jeu comme un service, et donc c'est un jeu qui dure 5, 10, 15, 20 ans, avec du contenu qui est ajouté, et les jeux gratuits.

Et ce passage-là vers ces modèles économiques là, bien, évidemment, comme on ne paie pas à l'entrée, bien, il faut garder les gens connectés le plus longtemps possible, les faire dépenser, etc. Et c'est ce passage-là de ce nouveau modèle économique là qui a entraîné l'apparition d'une grande quantité de mécaniques malveillantes par rapport au design. Et donc, là, présentement, tout est dans... tout est dans... comme noyé. Donc, les bons jeux vidéo sont noyés à l'intérieur des mauvais jeux vidéo. Puis les deux, hein, on est très joueuses, on adore les jeux vidéo, donc comprenez-nous bien, là, c'est très frustrant, même nous qui connaissons ça, d'essayer de trouver des bons jeux dans le flot. Alors, j'imagine les parents qui n'ont pas le temps, il faut qu'ils trouvent un jeu à télécharger très rapidement.

Mais là, s'il y avait la cote québécoise qui dit : Ça, pour les 12 ans et moins, il n'y a pas de problème, tu peux le télécharger, ton enfant, il peut jouer, il est en sécurité, bien, le parent, c'est sûr qu'il favoriserait ça, c'est sûr qu'il irait voir cette cote de confiance là. Et là on donnerait un avantage économique aux bonnes entreprises qui veulent faire des bons jeux parce que, dans le flot, ils seraient facilement identifiables, les parents favoriseraient ces développeurs-là qui ont des bons produits, et là on viendrait rétablir un peu le ballant économique.

Parce que, présentement, ce qu'on voit, c'est que, même les bonnes entreprises penchent vers le côté obscur, si on peut dire, parce que l'argent est drainé là, parce que ça fonctionne d'avoir ces mécaniques-là, addictives et de dépenses. Et donc, là, si on pouvait aider... renvoyer... envoyer un signal clair : Mais nous, au Québec, ça, c'est des bons jeux, on favorise les entreprises qui développent ces bons jeux-là, et là on donne un avantage économique à nos entreprises. Et vous le savez sûrement qu'au Québec on est une grosse plateforme de production de jeux vidéo, on a plein de petits développeurs qui font des petits bijoux de jeux, et là ça, ça viendrait les aider à se démarquer dans ce flot-là de jeux et, justement, ne pas avoir besoin d'aller vers ces systèmes-là, économiques.

Je vais un petit peu plus vite. Un problème. Il y a des stratégies malveillantes et du design... du design persuasif malveillant qui sont utilisés. Ça, vous l'avez beaucoup entendu, je vais le passer rapidement, mais on pourra revenir éventuellement. Problème aussi... Oh! je ne vous ai pas dit notre solution pour ça. Ici, la recommandation, bien... Ah oui! Un encadrement législatif sur les interfaces truquées, les incitatifs comportementaux et autres mécaniques persuasives en fonction de l'âge, ça aussi, vous voyez, ça va avec la classification qu'on pourrait faire. Mais là, ici, renforcer un encadrement législatif, c'est assez fou qu'on n'ait pas encore d'interdiction d'interfaces truquées, alors qu'il y a d'autres législations qui l'ont fait. Mais il y a aussi plusieurs stratégies, là, pour essayer de modifier les comportements, ce qu'on appelle en anglais des «nudges», qu'on pourrait venir identifier aussi pour dire : C'est interdit.

Il y a une recherche qui vient de sortir, récemment, puis c'est vraiment extrêmement choquant, il y a plus d'interfaces truquées dans les plateformes pour enfants que pour les plateformes pour adultes. Alors, il y a vraiment quelque chose qu'il faut faire là, il faut agir, puis je pense que, là, il y aurait une intervention.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci, madame. On peut poursuivre la discussion avec les collègues, qui ont sûrement un tas de questions à vous poser. Alors...

Mme Bonenfant (Maude) : Oui. Je m'excuse. Je... Ça fait des années que j'attends ce moment.

La Présidente (Mme Dionne) : Bien, ça nous fait vraiment plaisir de vous accueillir. Puis on est tous très heureux aussi de cette commission spéciale. Alors, on va débuter avec M. le député de Marquette.

M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup à vous deux. Merci pour votre mémoire puis merci d'avoir mis des images aussi. Pour ceux qui ne sont pas familiers, là, avec les jeunes — moi, le mien est rendu à 25, là — il y a beaucoup de nouvelles technologies, des nouveaux jeux. Puis on les lit, mais on n'est pas capables de les mettre en images. Alors, merci beaucoup d'avoir fait ça.

Deux questions très rapides. Vous mentionnez, dans votre mémoire, le California's Age-Appropriate Design Code Act et, au Royaume-Uni, the Children's Code... the Children's Code. Selon vous, est-ce que ça fonctionne?

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, ça fonctionne.

M. Ciccone : Il y a des résultats probants, oui?

Mme Bonenfant (Maude) : Oui. Oui, ça fonctionne. C'est sûr que... Bien, peut-être que je vais te laisser répondre.

Mme Dumont (Alexandra) : Bien oui. En fait, tu sais, l'objectif, surtout, c'est d'établir des guides, des conseils aux développeurs pour dire : Voici les bonnes pratiques à réaliser, à implanter... à implémenter dans les jeux, mais aussi de partir à la base de Safety by Design aussi, de bien placer... comment dire, d'avoir l'intérêt de l'enfant en premier plutôt que d'avoir... Bon, évidemment, c'est sûr que les intérêts économiques sont là, mais... Est-ce que tu peux compléter?

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, ça marche. C'est sûr qu'on est dans un système qui est global, globalisé, puis j'ai bien entendu les arguments : Comment on peut être David contre Goliath?

Ceci étant dit, oui, mais, à un moment donné, on ne peut pas juste rester assis puis ne rien faire. Il faut commencer à mettre de l'avant. Puis c'est pour ça qu'avec des règles, même des lois qui sont énoncées, bien, les bonnes entreprises, les bonnes citoyennes corporatives vont vouloir embarquer dans le train.

Là, pour l'instant, c'est qu'il n'y a même pas ce train-là, donc il n'y a même pas cette distinction-là. À partir du moment où on commence à mettre des balises : Voici comment bien faire des jeux, bien faire des plateformes, etc., si vous, bonnes entreprises, vous voulez vous conformer à ça, bien, on va le reconnaître à travers x et y.

L'autre chose aussi, c'est que la législation... il faut vraiment le prendre, le comprendre en deux... dans deux volets : il y a vraiment l'énonciation de la législation, tel qu'au Royaume-Uni et tel qu'en California... en Californie, pardon, et il y a ensuite sa mise en application avec des poursuites judiciaires. C'est deux choses distinctes. Et moi, je pense que, déjà, d'énoncer une loi, déjà, de dire : Au Québec, nous, on interdit les interfaces truquées, on interdit telle chose, on interdit telle chose, on envoie un message, de un, aux entreprises et, de deux, à la population. Parce que la loi aussi, c'est un moyen d'éduquer.

Là, les parents ne le savent même pas, les gens ne le savent même pas, n'ont même pas une connaissance de ça. Donc, s'il pouvait y avoir... Là, il y a eu un problème avec la loi n° 25, où il faudrait en parler davantage, je suis tout à fait d'accord, mais, dans le cas d'une législation qui viendrait encadrer les jeux vidéo, les plateformes numériques comme ça, il faudrait qu'il y ait une campagne de sensibilisation pour dire : Voici, ça, ici, ce n'est pas tolérable, c'est parce que... il y a des experts, la recherche le dit, c'est mauvais pour les enfants.

Et après il y aura des poursuites. Et là il y en a, des poursuites. On a plusieurs exemples de poursuites judiciaires, d'entreprises qui ont cédé puis qui ont fait : Oui, on va se conformer à ça.

• (11 h 40) •

Mme Dumont (Alexandra) : Oui. Puis un des meilleurs exemples, c'est Fortnite, qui, aux États-Unis, ils ont reçu, bon, une amende de 520 millions de dollars US, dont un qui est un recours collectif où les parents pouvaient demander des remboursements en raison des ventes d'items à offre limitée. Donc, on misait sur l'urgence pour pouvoir favoriser les ventes.

Donc, ce n'est quand même pas anodin non plus et une petite somme non plus, là. Fortnite, c'est un des jeux les plus populaires auprès des enfants. Et donc ça prouve que, bon, il y a un désir d'encadrer, de pouvoir appliquer.

M. Ciccone : Merci. Dernière question. Moi, j'ai une marotte ici, là, puis mes collègues la connaissent. Puis vous êtes une spécialiste dans le domaine, vous avez étudié plus de 20 ans les jeux vidéo, là. Faux sentiment de sécurité, vous parlez de manipulation des enfants, des effets nocifs, ciblage publicitaire, microtransactions, risque de crise... d'une crise de santé publique en ce qui concerne le risque de développer une dépendance, vous parlez surtout sur les jeux compulsifs. Êtes-vous d'accord, vous, avec l'implantation des... programme de jeux vidéo dans les écoles, dans nos écoles du Québec?

Mme Bonenfant (Maude) : Alors, vous allez être surpris, mais oui.

M. Ciccone : Ah oui?

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, puis je vais vous expliquer pourquoi. C'est que, là, on vous parle des effets négatifs, on vous parle du côté négatif des jeux vidéo, mais les jeux vidéo ont énormément de côtés positifs. Et, moi, c'est ça, quand j'ai commencé, au début des années 2000, c'étaient les jeux en ligne, et je voyais la socialisation, la communication, l'entraide, le développement de compétences, même l'empathie, le partage, etc., et là je pourrais vous passer... l'apprentissage, il y a plein d'avantages là-dessus. Il y a plein d'avantages aussi pour des populations pour qui la socialisation en face à face ou pour une raison ou une autre peut être plus difficile : les personnes neurodivergentes, les personnes en situation de handicap, les personnes en région éloignée, les personnes LGBTQ+, etc. Et donc toutes ces personnes-là retrouvent une communauté au sein des jeux. Ils partagent une passion et ils développent aussi une confiance en eux.

Et là je vais vous faire une petite image que je fais souvent. Imaginez... on va prendre l'ado de 14 ans qui, lui, aime beaucoup les jeux vidéo et, à l'école, il peut en parler un peu avec ses amis proches, etc. Et là il joue, il joue, il joue, puis évidemment papa, maman : Déconnecte-toi, il faut que tu viennes souper, tu joues trop, c'est tannant. Et là l'enfant, dès qu'il se déconnecte de son jeu, on lui tape sur la tête puis on dit : Tu joues trop, tu ne fais pas ça. Puis il n'est pas très bon à l'école, et tout ça, mais lui, il se valorise dans le jeu, lui, il aime ça, lui, il est reconnu, il se connecte puis il a un sentiment d'appartenance, il prend de la confiance en lui, et ça, c'est extrêmement important, surtout à l'adolescence, où on veut construire son identité à travers ces dynamiques-là.

Mais imaginez si, à chaque fois, il n'est pas reconnu par ses parents, il n'est pas valorisé, il n'est pas... et donc c'est son identité elle-même qui l'est. Et donc, à un moment donné, tu sais, c'est l'oeuf ou la poule. Est-ce que le jeu vidéo est le problème ou est-ce qu'à un moment donné on crée le problème parce qu'on a une vision, disons, péjorative de l'activité?

Ceci étant dit... Puis là, vous le savez, il y a des mécaniques qui sont extrêmement mauvaises, il faut les enlever, mais il y a des très, très bons jeux aussi où il n'y a pas ce genre de mécaniques là. Si l'enfant, vraiment, il est à l'adolescence puis il commence à être... Je vais reprendre les mots de ma collègue Dufour, Magali Dufour, qui disait : Il y avait les verts, les jaunes et les rouges. Donc, les rouges sont pris par le système, les verts, tout va bien, mais c'est les jaunes qui ont besoin de e-sport à l'école. C'est les jaunes qu'on amène, qui sont sur le bord de vouloir trop jouer puis risquer l'école, on les amène dans un programme encadré. E-sport-études, là, c'est un privilège. Il faut que tes notes aillent bien, il faut que tu fasses de l'exercice physique, il faut que tu apprennes les bonnes habitudes de vie, c'est une affaire d'équipe, etc. Et donc on l'encadre comme ça, et là on se rend compte des bienfaits : il apprend à s'autoréguler lui-même, non pas à se faire cogner sur la tête par papa, maman, mais à, lui-même, dire : Bien là, j'ai assez joué et je vais aller faire autre chose.

Puis un dernier point... Ça fait longtemps que je veux vous parler, hein?

M. Ciccone : Vous auriez pu m'appeler, hein? Je veux dire, il n'y a pas de problème. Oui, oui.

Mme Bonenfant (Maude) : Mais juste un dernier point. Dans des recherches qu'on fait, parce que je viens de mener... au sortir de la pandémie, moi, j'ai trouvé ça magnifique parce que, le jour 1 de... quand le Québec s'est fermé, les communautés de joueurs et joueuses étaient déjà en train de s'organiser pour sortir de l'isolement, organisaient des activités, prenaient des 5 à 7, etc. Déjà, les communautés de joueurs étaient superorganisées pour s'assurer que tout le monde était correct, et ils ont commencé à se faire du soutien social entre eux. Ils ont commencé à se faire des petits organismes, à faire des gardiens virtuels. La Fondation des gardiens virtuels émerge de ça, et c'est vraiment... Et nous, on a fait une grosse recherche, c'est avec une autre équipe de recherche, là, une grosse recherche sur le soutien social et la pair-aidance dans les communautés de joueurs et joueuses, et c'est magnifique, qu'est-ce qui se passe là. Et c'est ça qu'il faut valoriser. Puis, s'il y a des programmes de e-sport-études très fixes, non seulement on valorise l'enfant, on le reconnaît dans sa passion, mais en plus on lui apprend à grandir avec les jeux vidéo.

M. Ciccone : Merci. On a deux visions, l'INSPQ et la vôtre. Merci beaucoup. On va se faire une tête. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. le député de Jonquière.

M. Gagnon : Bonjour. Je n'ai pas d'expertise comme vous. Je débute avec une question, là, plus technique d'un groupe de citoyens, particulièrement chez nous. Il y a quand même tout un marché, là, du jeu vidéo usagé... des spécialités. Les gens dans mon coin me demandaient : Quand un jeune va échanger un jeu ou va se procurer un jeu vidéo usagé, est-ce qu'il y a des traces du joueur précédent, si c'est un adulte, si c'est... s'il a acheté du matériel? Est-ce qu'on est capables d'aller rechercher...

Je vous donne l'exemple, si c'est un jeune de neuf ans qui achète un jeu vidéo, que la personne était adulte ou un grand consommateur, est-ce qu'il va y avoir des traces du précédent?

Mme Bonenfant (Maude) : Bien, ça dépend, ça dépend quel jeu vous... On est aux cartouches, ou on est aux CDs, on est aux... Tu sais, c'est ça, c'est que ça dépend quelle est la plateforme.

Mais normalement non, il n'y a pas... Il peut y avoir les parties enregistrées, mais là on parle d'anciennes technologies. Si on opère de la surveillance, là, je pense que la personne précédente avait... là il y a une collecte massive de données, particulièrement les jeux mobiles. Donc, si on a à s'inquiéter de tracer l'enfant, c'est vraiment... Les jeux mobiles sont vraiment un cheval de Troie pour rentrer sur les appareils puis collecter une quantité astronomique de données. Et ce n'est pas juste le développeur, hein? Quand on installe, c'est tous les tiers qui viennent s'installer. Et là, avant la loi n° 25, on ne savait pas combien il y en avait. Ça, c'est merveilleux de la loi, maintenant, on commence à savoir. Et certains... à certains sites Web, on monte jusqu'à 800, 800 tiers qui se connectent en même temps. Donc là, là, les... si, vraiment, on veut se soucier de la vie privée, là, il faut agir vraiment sur les applications mobiles parce que c'est là qu'il y a vraiment beaucoup de collecte de données qui est faite sur les enfants.

M. Gagnon : Très intéressant. Puis la question plus en lien avec moi plus personnellement, je veux vous parler de certification. Tout à l'heure, là, c'était quand même flagrant, là, vous le mentionnez haut et fort, là, il n'y a aucune protection pour les jeunes d'en bas de 12 ans. Puis, bon, on a en place quelques... certifications, pardon, Les Produits du Québec, qu'est-ce qu'une certification biologique, puis vous dites qu'au niveau des jeux vidéo on n'a pas de certification qui vient sécuriser le parent. En plus de ça, on vient faire accroire qu'il y a un consortium de professeurs qui vient mettre son étampe pour dire : Ça, c'est vraiment bien fait. Ça fait que...

Mme Bonenfant (Maude) : Oui. Là, ça, je n'ai pas eu le temps de me rendre là, mais il y a ce que, nous, en recherche, on appelle la «gamblification» du numérique, et donc il y a de plus en plus de phénomènes de gambling, mais des phénomènes qui se déclinent, et donc cette «gamblification-là» du Web... Excusez, j'ai oublié votre question.

M. Gagnon : Au niveau de la certification, on n'a rien puis en plus on utilise les enseignants.

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, c'est ça. Oui, c'est ça. Et donc nous, on a essayé de voir un petit peu : Est-ce qu'effectivement il y avait une «gamblification» des jeux pour enfants? Et, oui, il y en a, et en plus il y en avait dans les jeux recommandés par les enseignants. On a vu des mécaniques de gambling dans des jeux recommandés par des enseignants. Et donc à quoi peut se fier le parent?

Mme Dumont (Alexandra) : Dans le fond, le... c'est ça, le système de... approuvé par les enseignants, c'est une initiative un peu d'autorégulation de Google, en fait, qui vise à essayer de mettre de l'avant les bons produits. Il y en a qui sont... qui sont très bons dans les jeux qui sont présentés, sauf que, quand on essaie de chercher l'information sur qui sont ces enseignants qui testent les jeux, on ne trouve pas l'information.

Puis aussi, du côté des développeurs, quand ils reçoivent une analyse d'un jeu qui ne convient pas à la politique de Google, les... ce qui ressort, c'est que les développeurs ne savent pas pourquoi leur... tu sais, leur jeu a été refusé, et leur solution est de... juste de monter l'âge qui... à qui leur produit est destiné. Donc, il y a une faille dans cette tentative d'autorégulation, par exemple, de Google qui mène à, justement, de la confusion, qui augmente la confusion auprès des parents.

M. Gagnon : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Oui, merci beaucoup, M. le député. M. le député de Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux. Ma question est assez simple, dans le fond. On se questionne beaucoup sur la manière dont on pourrait intervenir autant sur les réseaux sociaux, mais éventuellement aussi sur les jeux vidéo. Puis on dirait qu'on a toujours une espèce de réflexe qui dit : Oui, mais c'est tellement des gros joueurs, un peu comme quand on a un débat sur les taxations des riches ou des grosses entreprises : Ah! c'est des gros, tu sais, ça ne marchera pas, ça ne marchera pas.

Est-ce que ça... Est-ce que ça peut fonctionner si on décide de serrer la vis, puis de réguler, puis de faire le ménage, en bon québécois, de l'industrie du jeu vidéo? Ça peut faire... ça peut fonctionner?

• (11 h 50) •

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, ça peut, parce que, si on... si, vraiment, on leur donne un avantage économique de le faire. Moi, je pense qu'on est beaucoup de parents... puis je travaille avec des équipes dans le Canada anglais, en Europe, en Australie, au Brésil, sur la planète en entier, on est tous dans la même affaire, là, et les parents de la planète cherchent des mentions auxquelles ils peuvent... en quelles ils peuvent avoir confiance. Il y a en Australie où ils font du bon travail, etc., mais c'est sûr que le parent québécois n'a peut-être pas la... le réflexe d'aller sur une plateforme australienne, là, mais ça se fait très peu. Et tout le monde, on est avec ça, on veut être capables de reconnaître les bons jeux pour nos enfants. Et c'est en ça que ça donne un avantage. Si on fait ça, c'est que, là, on a un... il y a un avantage économique aux bonnes entreprises. Celles qui veulent s'y conformer vont avoir cet avantage-là. Je suis aussi relativement près des entreprises de jeux vidéo, donc je comprends comment ça fonctionne, et je vois des bonnes entreprises qui s'en vont vers ces types de monétisation là parce que tout l'argent est là, puis c'est comme ça que ça fonctionne. Il n'y a aucun incitatif.

Donc, il faut... C'est sûr qu'on ne fera probablement jamais autant d'argent que ces stratégies-là, qui sont des stratégies de gambling, là, on est en train de créer des dépendants dès la petite enfance avec ça, mais les entreprises qui sont écoeurées puis qui ne veulent pas faire ça, bien, ils veulent faire autre chose, mais là il faut qu'on leur appose un avantage en disant : Là, si tu fais ça, les consommateurs et les consommatrices vont aller vers tes produits.

M. Leduc : J'ai l'impression qu'on parle de deux choses : d'une part, tu sais, les... la demande des parents de jeux de qualité, qui est une chose, le marché s'autorégulerait par la demande de parents conscientisés, puis l'autre où est-ce qu'on dit : Non, non, on va passer des lois, des règlements pour interdire, donc, par exemple, les microtransactions.

Mme Dumont (Alexandra) : Dans le fond, on a déjà des exemples qui existent, là, avec... si on pense à la Belgique. Ils ne sont pas... Ils ne sont pas tant plus que nous, là. Je veux dire, c'est quand même un petit marché, là, quand on y pense, au niveau de l'industrie, vraiment, ils parlent français, ils parlent néerlandais. Ce n'est pas... Ce n'est pas l'anglais, par exemple, qui est la langue première de... quand on pense aux jeux vidéo, et ils ont quand même réussi à empêcher la vente de «loot boxes». Donc, les jeux ont... les compagnies n'ont pas eu le choix de se plier. Par exemple, même FIFA, là, qui est un des jeux les plus populaires, les plus aussi cités, quand on pense... de mécaniques persuasives très flagrantes, là, au niveau du hasard, bien, ils n'ont pas le choix, et Electronic Arts n'a pas le choix de retirer ces options-là dans ses jeux. Donc, c'est déjà comme un très bon exemple que je pense que c'est possible, même si on est un petit marché, d'avoir un effet sur l'industrie puis d'au moins promouvoir des jeux avec des valeurs qu'on a au Québec, là.

Mme Bonenfant (Maude) : Là, il y a deux choses. Il y aurait une certification, une cote, des cotes, une classification qui n'est pas législative, tu sais. Ça, on peut apposer la cote, puis ça... c'est à des experts de déterminer, indépendants : C'est-tu pour les 13 ans? C'est-tu... Tu sais, ça, c'est une chose.

Puis il peut y avoir une loi, puis la loi, elle peut être très précise, hein? Et donc... Parce qu'on entendait aussi parler... Il y a beaucoup de confusion entre les coffres à butin, les «loot boxes», les microtransactions, même dans la commission, là. L'idée, là, les «loot boxes», ce n'est pas mauvais en soi. Un «loot box»... Moi, ça fait une heure que je joue, je suis en équipe, on est dans une mission, on va dans un donjon, on réussit le boss final puis on a un «loot box», on l'ouvre, ce n'est pas grave, c'est une récompense qu'on... Le problème, c'est quand j'achète des «loot boxes» dans les boutiques. Donc là, tu sais, ce n'est pas d'interdire les «loot boxes», c'est d'interdire la vente de «loot boxes», ce que la Belgique a fait, et Fortnite a reculé.

La même chose avec les microtransactions. Les microtransactions en soi, ce n'est pas mal, c'est les stratégies qui sont mises en arrière pour pousser les microtransactions. Donc, par exemple, si on obligeait à ce que les boutiques en jeux pour les 16 ans et moins — je dis n'importe quoi, là — mais qu'il n'y ait pas d'items rotatifs et que ça... il n'y ait pas d'items différés... Ça, ça veut dire que, si vous, vous jouez, moi, je joue, on ne voit pas les mêmes items parce qu'on a fait du ciblage sur vous, on a fait du ciblage sur moi pour pousser à la consommation. Bien là, si on interdit les boutiques avec des items différés selon vous et moi, des boutiques avec des items rotatifs, des boutiques avec du vrai argent et de l'argent en jeu... Là, ça, c'est toutes des stratégies pour augmenter les ventes. Mais ce n'est pas la boutique, ce n'est ni la microtransaction qui est le problème, c'est les stratégies qu'on a mises en place.

Donc là, ça ne serait pas de dire aux entreprises de jeux vidéo : Vous n'avez plus le droit de microtransactions, ce n'est pas du tout ça. Vous n'avez plus le droit de mettre de la pression par des stratégies de design pour pousser de manière malveillante à la consommation dans les jeux pour 17 ans et moins, par exemple.

M. Leduc : Vous parlez de la Belgique. Est-ce que ça fait longtemps que c'est appliqué? Est-ce qu'on a assez de recul pour constater que c'est applicable et surtout que ça a des effets positifs?

Mme Bonenfant (Maude) : Oui.

M. Leduc : Il y a des études là-dessus puis... O.K.

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, il y a... Oui.

Mme Dumont (Alexandra) : J'ai un... j'ai oublié son nom, mais on a des collègues en Belgique qui ont fait plusieurs études. C'est quoi, le nom du lab?

Mme Bonenfant (Maude) : Gam(e)(a)ble.

Mme Dumont (Alexandra) : Gam(e)(a)ble, qui ont fait... justement, qui ont... ils ont regardé les stratégies de détournement de ces... de cette loi-là, mais aussi quel effet ça avait vraiment auprès des joueurs. Puis, tu sais, souvent, ce qu'ils notent, c'est que, bien, c'est des efforts, puis les gens, ils ne font pas nécessairement les efforts pour détourner les règles, et ça a... ça a un effet sur... c'est appliqué, c'est respecté.

Mme Bonenfant (Maude) : Sauf que cette même équipe-là voit des phénomènes de «gamblification», voit des problèmes, là, chez les 15-17 ans, surtout avec tous les phénomènes récents de gambling qui ne sont pas considérés par la loi, et donc qui ont cours et qui devraient être inclus.

C'est pour ça que ça, c'était une de nos recommandations, parce que, là, eux, ils voient les cohortes qui suivent, ils ont fait des études longitudinales, et... entre autres, par exemple, des instavidéastes qui font la promotion du gambling ou... bon, tout ça, tous ces phénomènes-là qu'ils prennent dans l'ensemble. Et donc c'est pour ça que, nous, une de nos recommandations, c'est d'élargir la définition des jeux de hasard et d'argent pour l'inclure puis moderniser la loi sur les loteries pour que ça devienne illégal. Après, on viendra appliquer la loi puis faire des poursuites, mais d'abord il faudrait que ça soit illégal. Puis, en le rendant illégal, il faut informer les jeunes. Ils ne le savent même pas, que c'est du gambling. Les petits poux, là, qui jouent avec des roulettes, là, les roues de fortune... tu n'as pas eu le cadeau que tu veux, regarde une publicité, tu n'as pas eu le cadeau que tu veux, regarde une publicité, lui, entre cette mécanique-là, absolument nocive, puis une autre mécanique de jeu où il doit aller chercher le petit chat dans la... dans la pièce, bien, c'est pareil. Il n'y a aucun signe qu'on lui envoie pour dire que c'est nocif. Donc l'enfant grandit avec ça. Il ne sera pas capable de discriminer. Donc là, il faut vraiment que, déjà dans la loi, on dit : Non, ça, c'est interdit, qu'on envoie un message.

C'est pour ça que je parle aussi d'élargir le mandat de Loto-Québec pour inclure les 17 ans et moins, pour qu'on prenne compte de ces jeunes-là qui s'en viennent, parce que l'exposition à des jeux de hasard et d'argent en âge mineur augmente beaucoup les risques de développer une dépendance à l'âge adulte. Et là c'est majeur, ce qui s'en vient. C'est une très grave crise de santé publique si on n'agit pas. Donc, premièrement, déjà, rendre ça illégal, ça fait partie des...

Tu sais, la loi, elle est là. On n'a même pas encore à modifier. Tu sais, c'est pour ça, on a essayé de faire des recommandations où il y a une législation, oui, sur le gambling, mais sinon il y a des éléments qu'on pourrait déjà relativement facilement passer pour envoyer un message clair : Au Québec, on ne tolère pas ça, on protège nos enfants. Puis, parents, sachez que la roue de fortune qu'ils vont tourner dans le jeu est illégale.

M. Leduc : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député de Gaspé.

M. Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Merci, mesdames, d'être ici aujourd'hui avec un propos éclairant. J'aimerais revenir sur ce que vous qualifiez, là, d'interface truquée dans les jeux. Si j'ai bien compris, et corrigez-moi si je me trompe, vous dites qu'il y a plus d'interfaces truquées que d'interfaces réelles, disons ça comme ça. Du point de vue législatif, je comprends que vous êtes... Dans le fond, on ne devrait pas voir, rendre accessible ce type de conception au niveau des usages. Comment on s'assure, du point de vue du législateur, qu'on arrive à cette fin-là? Comment on deale avec ça, là, concrètement, là, par rapport à nos objectifs, qui est de contrer les impacts négatifs de l'usage, dans le cas qui nous occupe, chez les enfants? Comment voyez-vous cette articulation-là au niveau de nos mesures potentielles?

Mme Bonenfant (Maude) : Mais ça a déjà été formulé, entre autres, en Union européenne. Donc, c'est déjà là. Puis il y a d'autres législations aussi, on en a relevé quelques-unes, qui ont enchâssé les interfaces truquées, les «dark» ou «deceptive patterns», dans la loi puis en inscrivant des énoncés généraux qui est basé sur le fait de tromper la personne.

En fait, c'est quand on offre, par exemple, deux choix qui ne sont pas représentés de manière équitable, équivalente, bien là on trompe quand on favorise visuellement un. Il y a une volonté de tromper. Il y a une volonté d'envoyer la personne sur... Donc, ça, ça, c'est énonçable dans une loi. Plusieurs juridictions l'ont déjà fait. Et donc ce n'est pas d'aller pointer chaque actualisation du «dark pattern» comme tel, mais d'arriver avec certaines... certains énoncés comme ça qui permettent de rendre illégal le fait de tromper volontairement une personne quand elle navigue, ou un enfant quand il est dans une boutique en jeu, ou, bon, etc.

M. Sainte-Croix : Donc, ça existe.

Mme Bonenfant (Maude) : Oui.

M. Sainte-Croix : C'est connu, ça a fait ses preuves, de ce que je comprends. Ça peut représenter quoi comme... En termes de volume, là, concrètement, dans une année, pour des jeunes Québécois et Québécoises, là, c'est quoi, cette offre-là, concrètement, qui peut se présenter sur un marché?

• (12 heures) •

Mme Bonenfant (Maude) : Je ne suis pas sûre de vous comprendre. Des «dark patterns», là, il y a ça sur un site Web, il y a ça dans des boutiques de jeu, il y a ça sur TikTok, il y a ça... c'est...

M. Sainte-Croix : Je reformule.

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, c'est ça.

M. Sainte-Croix : Un jeune, dépendamment de son âge, comment il peut être exposé, au niveau d'une journée régulière, là, ordinaire, là? À quelle fréquence ça peut arriver, ça, dans son écran, là, ce type de... C'est dépendamment de ses sujets d'intérêt? Dépendamment de...

Mme Bonenfant (Maude) : Bien, c'est dépendamment des plateformes sur lesquelles...

M. Sainte-Croix : Ça va être ça.

Mme Bonenfant (Maude) : Oui.

M. Sainte-Croix : O.K. Je saisis. C'est beau. Merci.

Mme Dumont (Alexandra) : Je ne sais pas si je peux juste donner un exemple, là. Une des recherches qui a été faite, ça a été par l'Office de la protection du consommateur au Canada, et, sur les 146 sites Web, tout public testé, c'est 99 % des sites Web qui avaient des interfaces truquées. Puis, au niveau des enfants, dans les applications pour enfants, ce qu'ils ont remarqué, c'est le... c'était deux tiers plus présent.

M. Sainte-Croix : Donc, on s'entend pour dire que c'est une exposition quasi assurée à partir du moment où le jeune a accès à ce type de contenus. Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup. Alors, Mme la députée de Hull.

Mme Tremblay : Oui. Alors, bonjour. Moi, ma question, au niveau de la classification, je reviens sur la classification, là, qui est intéressante, là : Comment, à partir du moment où tu crées, là, cet organisme-là de classification, là, mais il en sort des milliers, là, donc comment, là où ça a été créé, il fonctionne? Parce que c'est presque impossible de tout classifier ce qui sort sur le marché. Donc, comment ça fonctionne... ceux qui ont mis ça en place, donc ce type de classification là? Parce que, vous le savez, des petites applications, il en sort à tous les jours, là. Puis mes filles m'envoient : Acceptes-tu ça? Acceptes-tu ça? Puis là tu es là à distance puis tu ne sais pas trop, oui, non, là, parce qu'il en sort beaucoup. Alors, je veux savoir est-ce qu'ils arrivent, comment ils font, comment ça fonctionne.

Mme Bonenfant (Maude) : Non, là, ce n'est pas possible. Même l'industrie n'est pas capable, ils sont en train d'automatiser. C'est semi-automatisé présentement, la classification des jeux, justement, à cause des jeux mobiles. Et là on n'a pas parlé d'intelligence artificielle, là, mais, avec l'intelligence artificielle générative, vous allez voir le flot de jeux mobiles déferler. Donc là, si on n'encadre pas avant ça, là, il va y avoir vraiment des problèmes parce que ça va se démultiplier.

L'idée avec l'instance indépendante, ce n'est pas de venir apposer une cote à tous les jeux, c'est de venir sélectionner des jeux sur lesquels on appose une cote et que ça soit ceux-là qui soient mis, si on veut, sur un piédestal. Et tous les autres qui sortent à... aux cinq minutes, ils n'ont a pas de cote, et donc ça sera aux parents, en informant, de voir : O.K., non, il n'est pas... il n'a pas été évalué par l'instance québécoise, tu ne télécharges pas ce jeu-là. Et donc ça va être d'aller cibler. Et là les entreprises, par exemple, pourraient soumettre leurs jeux à l'instance de classification, et là on commencerait à construire une banque de données comme ça, de jeux, et, pourquoi pas, qu'elle soit utilisée plus largement dans d'autres juridictions.

Mme Tremblay : Dans le fond, ça serait de dire aux parents : Voici la banque de jeux. Puis que le parent dit à ses enfants : Mais tes jeux, tu vas les choisir à partir de cette banque-là.

Mme Bonenfant (Maude) : Bien, un peu comme quand on écoutait les petits bonhommes quand on était jeune, hein? Tu sais, c'est : Tu peux écouter les bonhommes de telle l'heure à telle heure, c'est ceux-là qui passent à la télé, puis c'est... C'est ça, il y avait un contrôle, il y avait... Tu sais, ce n'était pas la démultiplication. On avait un certain choix, mais on était sûr, c'étaient des bons choix, validés par des adultes, par... bon, etc. Donc, c'est un petit peu le même principe, c'est dire : On se fait une banque, une base de données de bons jeux avec une certification, une cote reconnue, et les adultes peuvent se fier à ces cotes-là pour encadrer leurs enfants sans connaissance des jeux vidéo. Parce que, tu sais, moi, c'est simple, je connais bien ça, je sais discriminer : Ça, ce n'est pas bon. Mais les parents qui ne s'y connaissent pas, ce n'est pas de la mauvaise volonté, tout est sur le même plan. J'ai donné l'exemple de l'enfant, mais pour le parent aussi, les mécaniques sont toutes égales.

Mme Tremblay : J'ai une question en lien avec ça. Si... mais là je cherche comment bien poser ma question, parce qu'à partir du moment... Tu sais, dans toute la mécanique qu'ils mettent en place, l'industrie, là, il y a un objectif de passer certaines publicités, de faire de l'argent, il y a tout le temps quelque chose d'économique là-dedans. Ça fait qu'est-ce qu'on retrouverait, j'espère que vous allez comprendre ma question, mais, en cette classification-là, probablement des jeux qui sont probablement plus payants? Parce que... puis moins gratuits? Parce que l'objectif du jeu gratuit, il y a quelque chose, à un moment donné, il veut rentabiliser quelque chose, là, O.K.? Alors, on le trouverait probablement dans cette classification-là, fort probablement, puis peut-être à faible coût parfois, mais des jeux qui seraient probablement plus payants dans cette classification-là, est-ce que ça se pourrait, là? Est-ce que je me trompe?

Mme Bonenfant (Maude) : Absolument. Absolument. C'est sûr que les jeux gratuits, bien, il faut qu'ils rentabilisent, donc, tu sais, c'est ça. À moins qu'il y ait des institutions sociales, par exemple Télé-Québec, vous leur donnez le mandat de faire un jeu vidéo, ils en ont fait un avec Passe-Partout, par exemple, là, une plateforme mobile. Donc là, oui, c'est gratuit, mais là ça a été validé par une instance indépendante. Mais, sinon, les jeux gratuits, il faut qu'ils aillent faire leur argent quelque part, et c'est là que toutes les mécaniques malveillantes embarquent. Et donc...

Mais, si on sort de ce modèle économique là avec des jeux vendus, bien là il y a d'excellents jeux, des jeux où je laisserais mes enfants sans problème jouer à ces jeux-là. Et donc, oui, à ce moment-là, mais il y aurait cette... probablement que cette classification-là, cette cote-là favoriserait ces types de jeux là, mais il y a des jeux qui ne sont pas si chers que ça et il y aurait éventuellement des.... Tu sais, on subventionne beaucoup l'industrie. Est-ce que, là, il y aurait quelque chose à faire, de subventionner du côté de jeux comme ça qui rentreraient dans notre classification? Là, ça, ce n'est pas mon expertise du tout, mais c'est des avenues. Nous, ce qu'on voulait faire comprendre, c'est que, là, il faut qu'on... il faut agir sur le plan économique parce qu'on sait que c'est là que ça va bouger, mais il faut donner un avantage économique aux bonnes entreprises.

Mme Tremblay : Mais ça viendrait rassurer les parents qui diraient : Mais je paie un petit peu, mais au moins, tu sais, je n'embarque pas mon enfant dans des habitudes qui ne sont pas saines puis qui peuvent l'amener, tu sais...

Mme Bonenfant (Maude) : Au jeu compulsif.

Mme Tremblay : ...au jeu compulsif. Puis c'est ce qu'on ne souhaite pas comme parent. Il n'y a pas un parent qui souhaite ça.

En terminant, moi, j'aimerais ça savoir pourquoi vous avez ciblé Loto-Québec. Votre... Vous n'en avez pas parlé beaucoup, là, mais, tu sais, élargissement du mandat de Loto-Québec, parce qu'ils ne sont pas spécialisés du tout, là, dans l'enfance, dans en bas de 18 ans. Donc, en terminant, pourquoi Loto-Québec?

Mme Bonenfant (Maude) : Bien, parce qu'il y a du gambling présentement chez nos jeunes. Donc, moi, comme chercheuse, on trouve ça dans les jeux, on le voit et on voit une «gamblification». Bien, qui je contacte? Loto-Québec. Il faut faire quelque chose, mais j'ai bien compris, ce n'est pas dans leur mandat, mais c'est incroyable, parce que ces jeunes-là, ces enfants-là, vont grandir, ils vont être adultes, et il y a plus de risques de jeu compulsif. Donc, il faut qu'on agisse. Pas à partir de 18 ans, il faut qu'on agisse avant, il faut qu'on agisse présentement puis qu'on informe. Puis les phénomènes de «gamblification» sont relativement récents. Donc, c'est peut-être là où ça peut encore bouger du côté de cette instance-là, mais c'est une instance gouvernementale, une société d'État, il me semble qu'elle pourrait avoir le mandat de mieux protéger les 17 ans et moins face à la «gamblification» du numérique.

Mme Tremblay : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci, Mme la députée. Est-ce qu'il y a d'autres interventions? Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Je ne pensais pas avoir le temps de revenir pour terminer avec vous. Merci beaucoup. J'ai peut-être manqué, donc, une partie des échanges. Mais en fait je vous poserais la même question que j'ai posée, donc, à l'interlocuteur précédent sur la majorité numérique et ce que ça implique au niveau de la gestion des données personnelles des mineurs, si vous avez une opinion là-dessus. Vous disiez être familière avec le sujet aussi.

Mme Bonenfant (Maude) : Bien, d'abord, l'intitulé «majorité numérique» n'est pas bon. On s'entend, là, ça porte à confusion. «Majorité» et ensuite «numérique», de quoi on parle exactement? Donc, moi, de ce que je comprends, de ce que, par exemple, la France a mis de l'avant, c'est une interdiction d'accès à certains médias sociaux numériques. Là, on vient déjà de...

Mme Cadet : ...

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, c'est ça, ce n'est pas la majorité numérique, c'est l'interdiction d'accès à certains médias sociaux numériques, donc, et ces médias-là sont déjà à 13 ans et plus. Donc là, si on veut être cohérents, bien, il faudrait aller au-delà. Mais 14 ans, on a une majorité, une autonomie, là, pour les soins médicaux, travail. Donc, est-ce que, là, on mettrait au-delà de 14 ans la majorité numérique, alors qu'à 14 ans l'enfant peut aller consulter un médecin?

Mme Cadet : Au droit de consentir aux soins.

Mme Bonenfant (Maude) : Oui, c'est ça. Donc, tu sais, il faut qu'il y ait une certaine cohérence de ce côté-là. Parallèlement à ça, bon, comme je disais, c'est beaucoup plus les jeux vidéo, et donc, si on ne considère pas, dans le numérique, les jeux vidéo, donc on est vraiment sur les médias sociaux numériques, mais, dans les jeux vidéo, une classification avec des réelles cotes serait une forme de majorité numérique : Avant 12 ans, tu n'as pas accès à ce jeu-là.

Mme Cadet : À ce jeu-là, mais est-ce que vous diriez, par exemple, «pour les tout-petits»? Parce que vous parliez de la classification, dès le départ, que le milieu a enlevé. Est-ce qu'on mettrait une interdiction tout simplement pour les tout-petits pour ce qui est donc de ces jeux-là ou vous diriez tout simplement : Classification même pour ces jeux-là?

Mme Bonenfant (Maude) : Ah oui, mais il y a d'excellents jeux pour les trois à cinq ans, des jeux vidéo des trois à cinq ans, des excellents jeux adaptés à leur développement, à leur stade de développement. Et là il faut bien me comprendre, je digresse un peu de votre question, mais je pense que c'est important, tu sais, on a parlé beaucoup du temps d'écran, puis je pense que tout le monde s'entend que ce n'est pas juste une question de temps d'écran...

La Présidente (Mme Dionne) : Mme Bonenfant, on va devoir mettre fin à la conversation. Alors, nous sommes 12 h 10, alors désolée.

Alors, la commission spéciale suspend ses travaux jusqu'après les avis des travaux de commission, vers 15 h 15. Alors, un énorme merci pour votre contribution à ces travaux. Bon dîner, tout le monde.

(Suspension de la séance à 12 h 10)

(Reprise à 15 h 17)

La Présidente (Mme Dionne) : Alors, bonjour, bon après-midi à tous. La commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur le développement des jeunes reprend ses travaux. Donc, nous poursuivons les consultations particulières et les auditions publiques sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes.

Donc, cet après-midi, nous entendrons les témoins suivants : Action Toxicomanie, le Bureau des affaires de la jeunesse, Mme Marie-Pier Jolicoeur, doctorante en Faculté de droit à l'Université Laval, Mme Julie Miville-Deschênes, sénatrice indépendante du Québec, et finalement le Centre québécois d'éducation aux médias et à l'information.

Donc, sans plus tarder, je souhaite la bienvenue aux représentants d'Action Toxicomanie. Donc, peut-être vous présenter, d'entrée de jeu. Et je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour nous transmettre votre exposé, suite à cela nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, la parole est à vous.

Action Toxicomanie

Mme Poisson (Émilie) : Merci, Mme la Présidente, membres de la commission. Je me présente, Émilie Poisson, je suis directrice générale chez Action Toxicomanie. Je vous présente ma collègue, Audrey-Ann Lecours, qui est coordonnatrice clinique chez Action Tox et responsable de notre volet prévention.

La tâche qui vous a été confiée représente certainement un défi colossal. Mais c'est essentiel, le travail que vous ferez jusqu'au dépôt du rapport, pour l'avenir de nos jeunes. Puis, pour ça, on voulait vraiment prendre le temps de vous remercier.

Action Tox, c'est un organisme en promotion des saines habitudes de vie et en prévention des dépendances qui existe depuis maintenant 33 ans. 33 ans à travailler auprès des jeunes âgés de 10 à 30 ans et leurs proches, à nous adapter aux nouvelles réalités — si on se souvient bien, il y a 33 ans, Internet n'avait pas fait son apparition — donc à nous adapter à l'apparition d'Internet, aux téléphones intelligents, aux boissons énergisantes ou les vapoteuses ainsi que toutes les substances psychoactives.

Concrètement, Action Tox, c'est un organisme communautaire qui oeuvre annuellement dans quatre... dans toutes les écoles de quatre centres de services scolaires de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Donc, annuellement, nous travaillons auprès de 25 000 jeunes de la cinquième année du primaire à la cinquième année du secondaire ainsi que leurs proches et parents.

C'est aussi quotidiennement 21 employés qui se rendre dans... rendent dans 30 écoles secondaires ainsi qu'une... que plus d'une centaine d'écoles primaires afin d'y déployer notre programme d'ateliers en prévention des dépendances, en promotion des saines habitudes de vie et en développement des compétences personnelles. Bien entendu, notre programme, comprenant 19 ateliers, comprend également des ateliers sur les écrans. Nos 21 intervenants, intervenantes qui se déplacent dans les écoles, ils sont aussi dans les écoles secondaires. Ils sont là pour animer notre programme, pour le déployer, pour dépister et référer les jeunes... repérer et... dépister et référer les jeunes, pardon, vers les services spécialisés, là, en dépendance.

Donc, nous, notre travail, c'est de travailler avec les jeunes, les feux jaunes et les feux verts... les feux verts et les feux jaunes, comme on a entendu, là, dernièrement, ce qu'on appelle l'intervention précoce. Et lorsque le jeune est considéré... est en feu rouge... et on le réfère donc à travers notre mécanisme d'accès, là, de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

Notre mécanisme d'accès, la trajectoire de services qu'on a bâtie en Mauricie et Centre-du-Québec, est vraiment un mécanisme qui est efficient et qui mériterait d'être exporté dans toutes les régions du Québec. La trajectoire de services fonctionne. Globalement, le programme Dévelop'Action, dont je vous parle depuis tantôt, c'est le plus utilisé au Québec en promotion des saines habitudes de vie et en prévention des dépendances. Et, depuis peu, il est également exporté dans deux autres provinces canadiennes, soit l'Alberta et l'Ontario.

Comme bien d'autres organismes en prévention des dépendances ayant une mission similaire à la nôtre et déployant également le même modèle d'action préventive, nous sommes membres de l'AQCID, soit l'Association québécoise des centres d'intervention en dépendance, qu'on salue, là, au passage.

Et, parce que notre modèle, il a inspiré différents cadres de référence ministériels tels que la Stratégie québécoise sur l'utilisation des écrans et la santé des jeunes, qui a été publiée en 2022, ou le Programme de prévention des dépendances en milieu scolaire, aussi parce qu'il est cité dans le cadre de référence du projet Épanouir, parce que ce modèle-là fonctionne depuis des années, parce qu'il est déjà implanté dans plusieurs régions du Québec, parce que les jeunes, leurs familles, leurs proches et la communauté y adhèrent, on est venues vous le présenter aujourd'hui.

• (15 h 20) •

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Effectivement. Jour après jour, Action Toxicomanie déploie sur le terrain une vision globale de la prévention des dépendances et de la promotion de saines habitudes de vie. Aujourd'hui, cette vision-là globale, je vais vous la décliner en trois grands volets.

Le point de départ de ce travail de proximité là, c'est la prévention universelle. Quand on dit «prévention universelle», c'est les ateliers qu'on fait en classe, des ateliers qui visent à sensibiliser, informer, développer l'esprit critique des jeunes. Ça marche. Les jeunes sont intéressés par nos contenus. Ils sont surtout intéressés, les jeunes, quand on leur... quand on leur parle de sujets qui les concernent.

Ça ne fait pas juste intéresser les jeunes. Vous savez, chez Action Toxicomanie, c'est environ 400 demandes de parents, rencontres-parents qu'on fait par année. De cette quantité-là, c'est 23 % qui concernent uniquement l'utilisation des écrans, donc les parents aussi sont concernés par l'utilisation des écrans de leur enfant.

Ça les intéresse, les jeunes, quand on va les voir en atelier. Ça les intéresse de parler de désinformation, de mieux saisir les pièges pour ne pas tomber dans cette désinformation-là, de parler aussi d'auto-observation, des indices pour être en mesure de reconnaître si je suis en train de glisser vers une utilisation problématique. Ça, ça pogne. Ils aiment parler d'alternatives aux écrans. Nos jeunes, ils en ont, des alternatives, ils en ont, des intérêts et ils aiment en parler. Et ça, ça représente vraiment un facteur de protection pour eux, puis, bien, on est bien contents de ça. Ils aiment mieux comprendre aussi la relation qu'ils entretiennent avec les écrans puis aussi la fonction que ça a dans leur vie, ces écrans-là. Puis vous ne serez pas surpris d'apprendre que ces jeunes-là aiment aussi qu'on démystifie la demande d'aide. Ça marche. Au cours des trois dernières années, les demandes de services jeunesse concernant l'utilisation problématique des écrans a augmenté de 33 % chez Action Toxicomanie.

Quand on travaille en développement de compétences, inévitablement, on vise à ce que les jeunes puissent s'identifier des forces, bien entendu, on veut augmenter leur sentiment d'efficacité personnelle, mais c'est sûr aussi qu'on veut que les jeunes amorcent une réflexion, puissent identifier des zones de vulnérabilité afin qu'ils visent un meilleur développement de ces compétences-là. Puis, quand on parle de compétence, capacité à s'affirmer, capacité à gérer ses émotions, capacité à résister aux influences, là, je n'en ferai pas toute la nomenclature.

Vous savez, ce n'est pas tous les élèves qu'on rencontre en prévention universelle qui ont besoin d'aide. La plupart vont bien. Ils ont une utilisation assez équilibrée des écrans. Mais l'objectif, quand on fait des ateliers comme ceux-là, c'est de rejoindre ceux qui se posent des questions, qui ne sont pas certains d'avoir une utilisation équilibrée. Quelques exemples : c'est ceux qui se rendent compte qu'ils accordent peut-être un peu trop d'importance aux «like», c'est ceux qui conscientisent que les écrans, ce sont leur stratégie numéro un pour être en relation parce qu'ils sont trop timides, c'est celui qui a un TDAH qui a décidé d'arrêter sa médication puis qui se calme un peu cognitivement en utilisant les écrans, bien, le gaming, entre autres, c'est pour celle qui jette son lunch le midi parce qu'elle aimerait donc avoir le corps de son influenceuse préférée, c'est pour lui qui vient tout juste de se commander en ligne des produits dopants pour améliorer son apparence corporelle. Les profils des jeunes sont bien différents.

En plus de ça, vous savez très bien que les plateformes numériques visent étroitement la satisfaction d'un besoin fondamental chez l'être humain. On a juste à penser au besoin d'être aimé et la mise en place d'un symbole d'approbation sociale comme celui des «like», ce n'est pas plus compliqué que ça.

On veut agir vite pour limiter les conséquences liées à leur consommation des écrans et les soutenir dans leur développement. Puis ça, comment qu'on fait ça chez Action Tox, c'est ça qui est intéressant. C'est l'action n° 2, je vous dirais, ça s'appelle l'intervention précoce. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement, l'intervention précoce, c'est que l'intervenant qui fait un atelier en classe, c'est le même intervenant qui a un bureau dans l'école au même titre que le psychologue, le conseiller en orientation, le TES de l'école. Les jeunes, dans le fond, qui ont amorcé une réflexion pendant les ateliers, bien, ils peuvent se rendre dans le bureau de l'intervenant, continuer... bien, poser leurs questions, continuer leur réflexion puis amener aussi une réflexion par rapport aux particularités qui les lient aux écrans. Alors, voilà. Puis c'est là aussi qu'on va favoriser le recours à des alternatives, c'est là aussi qu'on va viser une meilleure utilisation, une utilisation plus équilibrée.

Ça marche. Non seulement la prévention universelle, ça fonctionne, mais, dans toutes les demandes jeunesse qui sont logées chez Action Toxicomanie, 49 % des demandes jeunesse, ce sont des jeunes qui viennent tout de suite après les ateliers. Ce n'est quand même pas banal. Ça veut dire qu'ils ont besoin d'être entendus, ces jeunes-là, et ils ont besoin d'un soutien adapté, ciblé selon leurs particularités, comme j'ai nommé.

Donc, l'intervenant les rencontre, les dépiste, hein, ces jeunes-là, grâce à des grilles, là, qui sont reconnues, là, comme le DÉBA-Internet quand on parle des écrans, et va évaluer les besoins, hein? Vous... Quand on passe une grille d'évaluation — Émilie l'a bien nommée, vert, jaune, rouge — on va octroyer des services en fonction des couleurs obtenues. Quand on est dans une utilisation problématique en dépendance, on va référer vers les services spécialisés en dépendance octroyés par le CIUSSS sur notre territoire, en Mauricie et au Centre-du-Québec. Mais, quand on est un intervenant en prévention des dépendances, bien, c'est sûr et certain qu'on va référer à d'autres professionnels parce que, bien, il y a la nutritionniste qui peut peut-être aider la jeune à explorer la notion du poids ou de l'alimentation, il y a aussi les psychologues qui vont aider les jeunes qui sont plus anxieux. Donc, on est un référent vraiment, vraiment important. On travaille tous ensemble, hein, ces professionnels... ces professionnels-là, à tisser un filet de sécurité signifiant pour nos jeunes.

Puis je vous dirais que la vision globale ne s'arrête pas juste à ce rapport de proximité là avec les jeunes. Notre vision globale, c'est que, tout à coup, bien, on est un intervenant expert, dans une école, qui est là pour soutenir les directions d'école, qui est là aussi pour répondre aux questions des enseignants, comment je fais pour repérer un jeune. On est là pour répondre à leurs questions. On contribue à de la formation. On accompagne le monde à ce que, tous ensemble, on puisse repérer ces jeunes à risque là et offrir un service adapté.

Alors, de cette expérience sur le terrain là, bien entendu, il en découle des recommandations. Je vous... laisse la parole à ma collègue Émilie.

Mme Poisson (Émilie) : Oui, des recommandations, on a aussi des pistes de réflexion ou de solution, là, dans le mémoire. On pourra en discuter.

La première recommandation qu'on aurait envie de vous faire, c'est que la mise en place d'actions globales continues et cohérentes, tel que le modèle qu'on vient de vous présenter en prévention des dépendances, qui est déjà en place dans son ensemble ou en partie dans la majorité des régions du Québec, le soit en totalité, et ce, dès le primaire. Le fait que le modèle soit déjà implanté, bien, va favoriser définitivement son exportation dans les autres régions du Québec.

Que toute orientation liée à la prévention et à la promotion en matière d'écran vise l'éducation et le développement de compétences personnelles et sociales de tous, et ce, dès le plus jeune âge.

Et finalement que les décisions que vous aurez à prendre, les orientations ou les projets de loi issus de cette commission soient orientés vers le développement de citoyens numériques critiques, responsables et en quête d'équilibre. Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment. Sur ces belles paroles, alors on va débuter la période d'échange. M. le député de Gaspé.

M. Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, mesdames. Très heureux de vous avoir ici avec nous aujourd'hui.

Vous parlez de surconsommation numérique, vous parlez de dépendance, hein, développement de dépendances qui se rattachent à d'autres types de substances. Voyez-vous quand même des différences dans le cheminement, là, qui accompagne nos jeunes à ce niveau-là, là?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Entre les substances et les écrans?

M. Sainte-Croix : Exact, exact.

• (15 h 30) •

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Tout à fait. En fait, ce qu'on observe souvent, c'est une comorbidité, hein? On peut voir autant des jeunes qui vont utiliser des produits dopants pour, bien, jouer plus longtemps ou rester éveillés plus longtemps, on va voir la double problématique. Les profils sont quand même différents, bien entendu.

Bien, en fait, je vous dis ça, puis pas vraiment. Parce que la dépendance en tant que telle, c'est un symptôme, hein? Il y a souvent quelque chose derrière. Donc, peu importe le comportement exutoire que je vais utiliser, que ce soient les écrans, que ce soit la consommation de substances psychoactives, souvent ça vient satisfaire un besoin. Et puis, dans le fond, l'objectif, nous, c'est d'identifier ce besoin-là chez les jeunes et de l'accompagner à ce que cette tâche développementale là puisse être assouvie plus sainement. Donc, oui, il y a des profils différents. Mais, vous savez, ce qui est un peu frappant dans notre travail actuellement, c'est qu'on se rend compte que la consommation d'écran a de forts impacts sur le développement de comportements dopants.

Je vous donne, par exemple, comme je vous l'ai cité un peu en exemple, le jeune qui, lui, veut améliorer son apparence corporelle, va tout à coup suivre des influenceurs qui vont lui proposer des stratégies miracles ou bien des produits dopants pour améliorer cette apparence corporelle là. On va... On a... Je ne sais pas si vous avez entendu parler, mais nous, on est un peu scandalisés par le fait que plusieurs influenceurs vont faire la promotion de microdosage de psychédéliques, le champignon magique, là. Donc, on a des jeunes qui arrivent dans nos bureaux puis qui ont des questions en lien avec la psilocybine. Puis ils se disent : Bien, c'est parce que moi, je suis très anxieux ou j'ai un TDAH puis j'ai vu, à l'intérieur de contenus consommés sur les réseaux sociaux, que ça pourrait être ma recette miracle. Donc là, nous, on travaille à démystifier tout ça, mais... Ça fait que, nous, ce qu'on voit, c'est que les écrans, dans certains cas, vont favoriser le développement de dépendances, on pense au gaming et boissons énergisantes. Ils sont bombardés de pubs pendant qu'ils gament : Bien, allez, prends-toi des boissons énergisantes, tu vas toffer plus longtemps dans ton jeu. Donc, c'est toutes sortes de contextes, là, auxquels on a été exposés.

M. Sainte-Croix : Les causes sont peut-être différentes, mais les conséquences sont assez similaires aux substances psychoactives auprès de nos... des surconsommateurs, c'est ce que je comprends un peu de votre...

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Bien oui, oui, effectivement, quand on parle de développement de problématiques en santé mentale, quand on pense à des impacts au niveau physique, au niveau financier, au niveau scolaire, c'est sensiblement pareil, honnêtement, tu sais.

M. Sainte-Croix : Est-ce que vous voyez que la clientèle est de plus en plus exposée tôt à ce type de dépendances là?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Bien, nous, depuis les trois dernières années... depuis cinq ans, là, c'est majeur, là, on a plus de demandes liées à l'utilisation des écrans. Mais, je vous dirais, la dernière année, entre autres, scolaire, là, on vient de débuter une nouvelle année scolaire, mais l'année passée, on avait plus de demandes pour octroyer des services ciblés à des jeunes d'âge primaire, effectivement. C'est... Souvent, c'est l'école qui nous interpelle ou des parents qui nous interpellent pour dire : Là, je sens qu'on est en train de perdre le contrôle, le comportement change, plus d'irritabilité, plus de conflits. Donc, on n'a jamais eu autant que l'an dernier des demandes d'intervention auprès d'enfants d'âge primaire. Tout à fait.

M. Sainte-Croix : Merci beaucoup.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Ça me fait plaisir.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci, M. le député. Mme la... oui, Mme la députée de D'Arcy-McGee, pardon.

Mme Prass : Vous avez fait, justement, un petit peu la distinction entre une bonne utilisation des écrans et des réseaux sociaux et celles qui ne le sont pas, puis il y en a qui ont fait cette distinction, il y en a qui ne l'ont pas faite. Et, quand on regarde le nombre d'heures qu'un jeune passe devant un écran, est-ce que vous pensez... Bien, deux questions. Premièrement, est-ce que vous pensez qu'il doit y avoir une distinction entre les heures qui sont utilisées pour la socialisation à des fins utiles et ceux qui sont... qui ne le sont pas, où il y a une possibilité où ils se font intimider en ligne ou quoi que ce soit? Donc, vous faites vraiment la distinction des heures de bonne utilisation et de mauvaise utilisation, si je comprends bien.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : C'est une combinaison de plusieurs variables quand on parle, là... on a... Vous l'avez entendu à la commission, le temps ne peut pas à lui seul représenter un facteur de risque trop signifiant. Il faut vraiment voir... C'est ça, il y a plusieurs variables : le temps, le contenu. Il y a des spécialistes qui vous ont entretenus là-dessus.

Maintenant, un bon... Je pense que les jeunes se font un peu prendre dans tout ça, tu sais, ils ne sont pas... ils ne sont pas outillés justement pour... Comment je vais faire pour m'affirmer par rapport à une situation d'intimidation? Vers qui je vais demander de l'aide?

Quand on travaille en développement de compétences, on vise à donner des outils aux jeunes pour qu'ils puissent être en mesure de voir venir les choses, se poser des questions, prendre du recul.

Quand on pense à la désinformation, entre autres, comment je fais pour savoir que ce qui m'est transmis comme information, bien, c'est vrai, bien, on a des outils, chez Action Tox, pour amener les jeunes à dire : Bien, peut-être en diversifiant tes sources, peut-être en en parlant avec quelqu'un, un spécialiste.

Donc, bonne utilisation, mauvaise utilisation, il faut que les jeunes eux-mêmes puissent être en mesure de détecter est-ce que c'est correct ce à quoi je suis exposé, est-ce que c'est correct qu'est-ce que je suis en train de vivre via les réseaux. Puis ça, bien, nous, notre travail, c'est ça qu'on fait dans les ateliers, on développe cet esprit critique là puis on les outille pour qu'ils puissent prendre de bonnes décisions numériques.

Puis l'enjeu, en fait, puis c'est pour ça qu'on est ici aujourd'hui, c'est pour promouvoir l'intervention précoce. À partir du moment où je sens que, hi! là, là, je ne suis pas sûre de ce que je suis en train de vivre ou : Ah non! J'ai envoyé une photo, tu sais, ça, là, quand ils vivent des enjeux importants, bien, on veut qu'ils puissent se sentir à l'aise d'aller vers quelqu'un. Puis le fait que ce soit le même intervenant qui a abordé le sujet, qui a fait preuve d'une posture non moralisatrice, qui est intéressé, bien, ça ouvre la porte. Les jeunes, ils viennent cogner à notre porte, des fois ça fait même la file aux pauses, hein, puis ce n'est pas une blague. C'est vrai, il y a vraiment un besoin.

Mme Poisson (Émilie) : Notre atelier sur les écrans qu'on déploie en secondaire I est celui qui génère le plus de demandes de services à la suite de l'atelier, c'est là que nos intervenants vont se retrouver avec beaucoup, beaucoup de demandes de services.

Là, les jeunes vont se questionner, on l'entendait avec Mme Dufour, je pense, plus tôt, la semaine dernière, qui disait : Des fois, les jeunes vont exagérer leur problématique, c'est-à-dire penser qu'ils ont développé une problématique, puis elle n'est pas... ce n'est pas... elle n'est pas réelle, ça fait qu'on va avoir ces jeunes-là aussi, mais c'est quand même l'atelier qui génère le plus de demandes à la suite de... bien, c'est ça, à la suite de l'atelier.

Mme Prass : Bien, je pense que c'est encourageant d'entendre que les jeunes, ils sont... ils veulent venir vous en parler puis ils veulent participer. Moi, par exemple, mon jeune, j'ai un petit garçon de 13 ans qui va souvent venir me dire : Ah! Il va me donner l'information, je vais lui dire : Tu as pris ça où? Sur l'Internet. Ça fait que moi, depuis deux ans, je lui dis : Bien, ce n'est pas une source d'information, parce que tout se dit, il faut que tu fasses des recherches pour aller trouver d'autres sources pour confirmer que c'est bien le cas. Donc, j'imagine que ça, ça fait partie des outils que vous voulez contribuer aux jeunes.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Dans un monde de licornes, dans un monde idéal, on est vraiment des gens très motivés et on aimerait pouvoir même mettre en place, puis on en a parlé avec des collègues de Pause de Capsana, de dire : Bien, est-ce qu'on ne pourrait pas établir des grands principes que, comme adultes signifiants, parents, intervenants, enseignants, on pourrait mettre de l'avant concernant l'utilisation des écrans? À titre d'exemple, par exemple, bien, promouvoir le fait que tout ce qu'on y trouve, ce n'est pas nécessairement vrai, tout ce que tu y mets, bien, ça peut être publié partout, diversifier tes sources, des grands principes du genre, quand je suis en interaction avec un jeune, bien, je le ferme, mon téléphone, tu sais. Donc, quelques grands principes comme ça que, collectivement, on se dit : Bien, on est... Hein, on parle de modèles, on a parlé des parents, à quel point ils pouvaient représenter un modèle, donc, bien, comment on ne pourrait pas avoir une ligne de conduite collective pour promouvoir une utilisation plus équilibrée des écrans.

Mme Prass : Puis juste une question pas rapport aux autres, mais l'utilisation des écrans dans les écoles comme outil pédagogique, est-ce que vous avez une opinion là-dessus? Est-ce que, pour vous, ça fait partie de la réalité du XXIe siècle, de nos jeunes? Est-ce que c'est un départ, justement, d'habitudes qu'on doit... auquel on... Est-ce qu'on part... des habitudes, par exemple écrire à la main, etc., des atouts qu'on perd avec l'introduction de la technologie?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Les outils pédagogiques, encore faut-il qu'ils le soient, pédagogiques. C'est-à-dire qu'un enfant qui a besoin d'un ordinateur, par exemple, parce qu'il a des difficultés en écriture, et tout ça, alors là, bon, bien, tu sais, peut être, là. Puis je sais qu'il y a eu des propos remettant en question certains outils pédagogiques, nous ne sommes pas les experts dans ce domaine-là, mais on peut quand même dire que, si c'est nécessaire, si on y voit des bénéfices, ça va, mais encore faut-il qu'ils le soient, pédagogiques. Ayant des enfants d'âge primaire, des fois, on se dit : Bien, coudon, ils ont passé beaucoup de temps sur les écrans aujourd'hui. Est-ce que c'était nécessairement du contenu pédagogique? Quand j'entends que mes enfants, sur l'heure du dîner, pendant... au service de garde, ils vont écouter des émissions que, moi, à la maison, c'est interdit d'écouter parce que je considère que les valeurs qui y sont véhiculées ne sont pas nécessairement des valeurs positives, bien là je me remets en question. Est-ce qu'on est dans un contexte pédagogique? Donc, c'est... Si on a vraiment un rapport avec des orthopédagogues, une réflexion scientifique derrière le fait que l'enfant a un outil pédagogique, bien, pourquoi pas? Ce qu'on veut, c'est leur réussite éducative.

Mme Poisson (Émilie) : On aimerait pousser la réflexion plus loin par rapport à ça, parce que, là, on entend parler des outils pédagogiques, mais je crois qu'il est sur la table aussi de peut-être interdire complètement les cellulaires dans les écoles. Nous, ce qu'on aimerait apporter comme bémol, c'est, justement, si on se rend dans une cafétéria sur l'heure du dîner, on a beaucoup d'élèves avec des portables parce que soit qu'ils l'ont comme mesure adaptative, ou ils sont dans un programme e-sport quelconque, ou il y a des écoles, même, qui ont aboli le papier, donc les jeunes ont des tablettes. Donc, si on abolit le cellulaire, qu'est-ce qu'on fait avec les jeunes qui ont des ordinateurs portables dans les cafétérias, qui, sur l'heure du midi, gament ou qui peuvent continuer à avoir accès à leurs réseaux sociaux?

On vous disait, on l'a entendu plusieurs fois, on vous le dit aussi, les grandes compagnies de ce monde se sont déjà adaptées et ils savent déjà que le vent risque de tourner, là, concernant l'accès au cellulaire dans les écoles. On a les montres intelligentes qui sont de plus en plus intelligentes. Nos intervenants nous disaient la semaine passée qu'ils n'ont jamais vu autant de jeunes dans la classe avec les montres intelligentes. Et les montres, là, on peut texter maintenant, pas juste répondre à un message, on peut décider, là, de texter qui que ce soit d'autre. Et donc, qu'est-ce qu'on fait? On abolit aussi les montres? On abolit les portables? Lorsque... bien, pas lorsque, parce que ça a toujours été comme ça, l'interdiction, là, de fumer, on voit les jeunes vapoter sur le coin en face de l'école, sur le coin de la rue, ce qu'on appelle, nous, le coin puff, est-ce qu'on va se retrouver avec des jeunes au coin cell à côté du coin puff? Est-ce qu'on va voir des jeunes, en fait, sortir de l'école, aller consommer leurs écrans, leurs réseaux sociaux en face de l'école? Quand on sait que l'école reste quand même un facteur de protection très important, est-ce que nous souhaitons éloigner les jeunes de ce facteur de protection là? On vous lance ça comme piste de réflexion, vous réfléchirez là-dessus.

Mme Prass : Merci beaucoup.

• (15 h 40) •

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : J'allais justement vous poser la question si c'était une bonne idée d'interdire ou pas le cellulaire en classe, mais voulez-vous développer un peu? Oui?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Mais, vous savez, tu sais, quand, récemment, en 2023, il y a eu la réglementation entourant les saveurs dans les produits de vapotage, hein, bien, on a vu, nous... La journée même, on était très contentes, on se disait que c'était un jour... une journée de fête. Mais non, en fait, c'est que l'industrie s'est adaptée pour offrir des saveurs à part, et les jeunes ont trouvé d'autres stratégies pour avoir accès à leurs produits contenant des saveurs. Donc, les jeunes et l'industrie s'adaptent, mais ça ne veut pas dire que... Mais, c'est ça, tu sais, on est conscient de ça.

M. Leduc : Mais la question devient quasiment philosophique, tu sais. On met une limite à 100 sur l'autoroute même si on sait que la plupart du monde roule à 115, 120. Mais, si on mettait la limite à 120, ils rouleraient probablement à 140. Ça fait qu'est-ce que le fait de dire : On l'interdit sur le territoire de l'école, il y a certainement du monde qui vont sortir sur l'heure du dîner avec leur cellulaire, mais est-ce que c'est tout le monde qui vont faire ça? Et est-ce qu'on aura quand même des effets bénéfiques, même si ce n'est pas appliqué de manière stricte?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : C'est une combinaison de facteurs, tu sais, c'est une combinaison de facteurs. Oui, peut-être que ça pourrait avoir un effet bénéfique. Nous, on dit : Attention, peut-être qu'il pourrait y avoir des éléments qui pourraient être non bénéfiques. Puis, bien, ce n'est pas juste ça. Il faut travailler à ce que ces jeunes-là deviennent des citoyens numériques, critiques, équilibrés, puis ça passe par la prévention, c'est inévitable pour nous, puis le soutien tôt. Si je commence à me poser des questions, si je me rends compte qu'une relation qui n'est peut-être pas nécessairement saine avec l'utilisation des écrans... je dois vite regarder ça en étant accompagné.

M. Leduc : Vous ne remettez pas en question la directive du... l'interdiction du cellulaire en classe? Là, c'était plus sur la question de l'école au complet.

Mme Poisson (Émilie) : L'école, oui. Non, mais c'est ça, là, depuis l'interdiction du cellulaire en classe, c'est là qu'on voit l'apparition des montres intelligentes. Ça fait que...

Mme Lecours (Audrey-Ann) : On a des jeunes qui ont des... deux cellulaires, donc ils vont déposer le téléphone...

Mme Poisson (Émilie) : Le vieux cellulaire. Les lunettes Ray-Ban, maintenant, qui permettent de filmer, on peut écouter de la musique. Puis, si tu es à côté, tu n'entends même pas que la personne... L'industrie s'est adaptée, les jeunes aussi. On a toujours un peu un pas de retard derrière l'industrie. Avec le modèle qu'on présente, c'est ça, c'est qu'on va s'adapter selon les tendances, en restant toujours avec les jeunes, en s'adaptant à ça puis en continuant à développer les mêmes compétences personnelles et sociales pour... chez les jeunes, pour les aider, là, à avoir une consommation plus équilibrée.

M. Leduc : Donc, si on interdit sur le territoire de l'école, on va être... on se magasine une déception, là.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Je pense que ça va prendre du temps...

Mme Poisson (Émilie) : Bien, des beaux défis, certainement, là.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui, c'est ça, exactement, tu sais. Puis il va falloir peut-être s'assurer qu'il y ait des ressources humaines, peut-être s'allier avec des organisations communautaires pour qu'il y ait plus de travailleurs de rue. Tu sais, il va falloir que... Les jeunes, ils vont sortir, ça, c'est sûr et certain. S'il y a de quoi dont on est certaines ici, parce qu'on le vit au quotidien, les jeunes, quand on les restreint, bien, ils vont trouver des façons de satisfaire leurs besoins. Et puis là, bien, ils vont trouver la façon. Donc, est-ce qu'il y aura d'autres initiatives pouvant limiter les conséquences de ça? Certainement, mais...

Mme Poisson (Émilie) : Je vois difficilement, par contre, comment interdire l'ensemble des outils technologiques. Là, ça va devenir un beau défi pour les écoles, les ordinateurs portables, les montres, les lunettes de ce monde, là.

M. Leduc : À l'époque, ils interdisaient les Tamagotchi à mon école secondaire, mais ça, c'est un autre...

Mme Poisson (Émilie) : Oui, puis là ça les faisait mourir parce que tu ne les nourrissais pas.

M. Leduc : Voilà. Quelle cruauté! Je finis avec une dernière question. Vous parlez beaucoup d'élèves qui viennent chercher des services à la fin de vos présentations. Est-ce que le système... Est-ce que vous, vous êtes assez équipés pour offrir ces services-là?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Bien, franchement, là, on peut en être fiers en Mauricie, au Centre-du-Québec, on a la trajectoire de services la plus efficiente. Vraiment, chez Action Toxicomanie, mettons, dans un rush, là, c'est environ un délai de deux semaines avant qu'un jeune soit rencontré, ce que nous considérons comme étant très raisonnable. Et, au niveau des services spécialisés en dépendance, c'est un 10 jours, 10 jours ouvrables avant que le jeune soit rencontré pour une première fois, pas pour une prise de rendez-vous, rencontré. Donc, c'est très, très, très rapide, et on a tous les outils, les grilles de dépistage validées qui nous permettent vraiment de voir le niveau de soins requis et d'orienter nos interventions en fonction du niveau de soins requis. C'est très, très, très efficace. Pour vrai, là, tu sais, je ne dis pas ça pour... ce n'est pas du violon, c'est vrai.

Mme Poisson (Émilie) : Nous, on l'est, ce n'est pas toutes les régions, par contre, qui le sont. Ce ne sont pas toutes les régions, par contre, qui ont un mécanisme d'accès aussi développé. Lorsque l'enveloppe du ministre Carmant, qui est descendu pour le programme de prévention des dépendances en milieu scolaire... une des choses qu'on a observées, c'est, quand on va dépister des jeunes, il faut les référer, et là il n'y avait pas... le terrain n'était pas prêt nécessairement, là, dans le sens, les CISSS et les CIUSSS de ce monde n'étaient pas nécessairement tous prêts à recevoir ces jeunes-là qui revenaient... qui se faisaient référer, parce qu'on en dépistait plus, bien évidemment, étant dans les écoles. Donc, il y a quelque chose à faire, à ce niveau-là, pour préparer le terrain, s'assurer qu'il y ait un filet qui va accueillir les jeunes lorsqu'ils seront référés.

Je vous le disais, ce modèle-là est, en majorité, là, déployé déjà dans d'autres régions du Québec. Il n'est pas nécessairement déployé dans son ensemble, c'est-à-dire que, dans beaucoup de régions du Québec, ça va être l'animation d'ateliers, la prévention universelle. Puis le financement, il n'est pas nécessairement assez grand pour qu'il y ait l'intervention précoce, c'est-à-dire, comme Audrey-Ann disait, que l'intervenant soit dans l'école avec son bureau, et tout ça. Ça fait qu'on va faire lever des lapins en allant animer nos ateliers, mais après ça le jeune se retrouve un peu... À quelle porte je vais frapper? On le sait, le professionnel scolaire... le personnel scolaire est débordé. Donc, des fois, un jeune qui va avoir des questions sur son utilisation des écrans, ça pourrait être long avant qu'il le voie.

Ça fait qu'en Mauricie—Centre-du-Québec, oui, parce que ça fait 33 ans qu'on existe, parce qu'il y a un autre organisme, qui est sur le territoire avec nous, qui existe depuis aussi longtemps et parce que le mécanisme d'accès existe, ça fonctionne. On est un des modèles... On a l'air de se vanter, là, mais c'est vrai, on est un modèle, là, qui fonctionne à ce niveau-là.

M. Leduc : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. Mme la députée de Hull.

Mme Tremblay : Oui, bonjour. Je voulais revenir un petit peu sur... Parce que l'interdiction, bien là on a compris que ce n'est pas nécessairement, à votre avis, la solution. Mais vous parlez... bon, les jeunes contournent. Mais est-ce que... Tu sais, on a interdit le cellulaire en classe, donc, bon, parce que c'est une source importante de déconcentration puis c'est... tu sais, c'est bon de... Mais... Puis, tu sais, vous dites : Mais il y a des petites façons de contourner, évidemment — deux cellulaires — mais on s'entend que ça doit être une faible majorité de jeunes. Donc, on est vraiment, là... La majorité, tu sais, ça va bien, ils comprennent le pourquoi puis... mais... Vous êtes d'accord avec moi là-dessus?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Tout à fait.

Mme Tremblay : C'est ce que vous entendez? Quand ils vous parlent, c'est ce qu'ils vont venir vous dire aussi, oui?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui. Vraiment. En classe, là, le niveau d'adhésion semble assez... tu sais, assez efficace. Même les jeunes, hein, on a... avec notre mémoire, on a envoyé un vox pop, là, que les jeunes exprimaient un peu... Bien, la question, c'était : Qu'est-ce que vous auriez à dire aux gens...

Mme Poisson (Émilie) : S'ils étaient ici aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils vous diraient, en fait.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui. Puis eux, ils le réclament, hein, ils réclament un meilleur encadrement, ils réclament de meilleurs outils, ils réclament des intervenants en prévention dans les écoles pour les accompagner. Donc, les jeunes, ils le disent, qu'ils en ont besoin.

Donc, dans le cadre... à l'intérieur des cours, là, jusqu'à maintenant... Il y en aura toujours, des jeunes qui tenteront de ne pas respecter les règles, mais la majorité des jeunes les respectent. C'est plus dans le contexte où on interdit totalement, là, il y a différents enjeux qui posent question.

Mme Tremblay : Est-ce que... Bon, si on ne va pas dans le sens de l'interdiction, quand même, vous l'avez dit, je pense, d'avoir une réflexion, des balises, je pense, puis, tu sais, d'avoir quand même cette réflexion-là, qu'est-ce qui se passe dans l'école pendant l'heure du dîner, aux pauses, tout ça, d'amener quand même une réflexion. Il y a d'autres intervenants qui sont venus dire, bien, tu sais, d'avoir des balises, puis après chaque école a une réflexion sur l'utilisation, qui pourrait aller jusqu'à l'interdiction, mais il n'y avait pas beaucoup de gens qui étaient nécessairement, là, jusqu'à l'interdiction complète, mais il y a quand même des écoles qui ont pris cette direction-là. Ça fait que d'avoir des grandes balises, puis après chaque milieu a une réflexion sur qu'est-ce qu'on fait pour diminuer le temps d'écran dans nos écoles puis travailler en prévention. Est-ce que, vous, c'est une réflexion que vous pensez qui est dans la bonne direction puis que les jeunes adhéreraient à ça aussi, tu sais?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Qu'il y ait des balises? Bien, pourquoi pas, tu sais. Puis moi, je pense que les jeunes aussi pourraient être nécessairement impliqués dans cette réflexion-là, de dire quelles pourraient être les balises, quels sont les lieux où on pourrait dire : Bien... Je ne sais pas, là, tu sais, pendant qu'on mange... Je ne sais pas, je n'ai aucune idée, mais, tu sais...

Mme Tremblay : Des dîners sans écran, tu sais, de les laisser...

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui.

Mme Poisson (Émilie) : Mais nous, on fait... on monte des équipes, des fois, dans... des intervenantes impliquées dans les écoles, elles vont faire un 72 heures sans écran avec les jeunes, et ça fonctionne, là, les jeunes le font, là. Je ne vous dis pas que c'est la majorité, là, c'est cinq, six, huit, 10 jeunes, là, peut-être, mais ils le font. Ils sont prêts à se prêter au jeu. Comme Audrey-Ann dit, je pense que oui, ça va être... ça serait important de les consulter, mais sans... Il va falloir garder en tête que les jeunes qui, eux, ont des problématiques, qu'ils ne voient pas qu'on est en train un peu de démoniser l'écran pour qu'après ça ils ne soient plus à l'aise d'aller parler aux intervenants en se disant : Bien là, tout le monde adhère au dîner sans écran, moi, je suis le seul qui n'est pas capable. Tu sais, il faut qu'on continue aussi, oui, à baliser, mais à s'assurer qu'il va y avoir un filet pour accueillir ces jeunes-là qui représentent... qui ont des difficultés eux autres mêmes.

• (15 h 50) •

Mme Tremblay : Parfait. Merci. Donc, éducation, prévention puis soutien.

Mme Poisson (Émilie) : Oui.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui, soutien. C'est... Oui, mais le... ensuite le soutien, c'est nécessaire pour éviter la détérioration des impacts. Quand on dit, hein : Les jeunes, ils en vivent, des impacts, mais on veut agir avant que ça soit à... de l'ordre de l'impact.

Mme Tremblay : Merci beaucoup.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Ça fait plaisir.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député de Marquette.

M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux. Vous savez qu'au début avant de débuter cette commission-là on a dû établir des orientations de la commission, puis vous les avez eues, puis vous avez répondu avec votre mémoire. Puis il y a un élément où on a débattu puis on l'a mis dans des catégories. Ici, je vois que vous réalisez des activités de promotion de la santé globale auprès des jeunes de 10 à 30 ans. Pour vous, qu'est-ce qui est un jeune? Puis ça touche qui, là?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Pour nous...

M. Ciccone : Qu'est-ce qui est un jeune? Est-ce que c'est zéro à 15, zéro à 18, jusqu'à 25 ans?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Notre mission nous dit d'agir... On agit auprès des 10 à 30 ans, des jeunes adultes qui vont venir vers nous, mais c'est difficile pour nous de... Les parents aussi ont besoin d'être informés et sensibilisés.

Mme Poisson (Émilie) : Bien, c'est ça, on a un volet de 18-24 ans aussi, on agit dans les établissements postsecondaires, ça fait que les 18-24 ans restent jeunes. En tout cas, j'espère que 24 ans...

M. Ciccone : Mais, je pense, je vais préciser ma question. Je vais préciser ma question. Les gens qui vont vous voir, là, voyez-vous une plus grande... un plus grand nombre de jeunes plus jeunes, de 10 ans? C'est-tu des adolescents, c'est-tu des jeunes adultes, c'est-tu des adultes? Parce que vous travaillez avec des 10 à 30 ans, là. Ça fait que je veux voir, là, la plus grande... La problématique de dépendance, est-ce que c'est plus jeune, ou plus vieux, ou c'est semblable?

Mme Poisson (Émilie) : Bien, en fait, on va avoir un petit peu de difficulté à répondre à la question, c'est-à-dire là où on oeuvre le plus et on voit le plus grand nombre de jeunes, c'est au secondaire. Donc, on ne peut pas... Quand on va au primaire, en cinquième et sixième année, on va... on est vraiment juste dans la prévention universelle. Donc, ça va être un faible taux de jeunes élèves de cinquième année, du primaire... voyons, cinquième année, sixième année qui vont entamer un suivi avec nous après. Donc, c'est plus au niveau du secondaire qu'on a des demandes à ce niveau-là. Puis, comme je le disais, en secondaire I, à la suite de notre atelier, là, on «toppe» les demandes.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : C'est environ... en moyenne, un atelier chez Action Toxicomanie va générer environ 2 à 3 demandes de services par atelier, puis on voit une augmentation à cinq demandes environ par atelier quand il est question des écrans. Donc, c'est... Puis l'élément clé de ça, de cette demande d'aide là, c'est le fait que les jeunes... On explore un petit peu, on a des outils d'auto-observation, on pose des questions, puis là les jeunes, tout à coup, ils font comme : Hein! Bien oui, effectivement, j'ai délaissé une activité que j'aimais. En tout cas, ça fait que cet élément-là, lié à l'auto-observation, fait comme : Aïe! Je pense que j'aurais le goût d'aller en parler, de mon utilisation.

Au primaire, mettons, rares sont les demandes de services. Souvent, les parents, ils vont nous appeler dans des situations très critiques. Mais par contre notre atelier au primaire génère énormément d'intérêt des jeunes. Ils sont très participatifs. Rares sont les fois où on est capables de compléter notre contenu tellement que les jeunes ont des choses à dire à propos de leur utilisation des écrans.

M. Ciccone : On voit ici, là, qu'une demande sur quatre, à peu près, dans votre région, là, c'est par rapport avec les écrans. C'est 23 %.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui, les parents.

M. Ciccone : Vous avez eu une augmentation de 33 % durant les dernières années. Avec votre travail, est-ce que vous voyez qu'on voit une diminution? Est-ce que les jeunes reviennent vous voir? Est-ce que vous êtes capables d'aller jusqu'au bout avec eux autres puis leur faire comprendre ou c'est vraiment, vraiment difficile avec tout ce qui nous entoure, puis on n'est pas capable de limiter, là, parce que la technologie développe toujours, puis il y a toujours quelque chose de nouveau? Puis vous avez parlé des lunettes tantôt. Tu sais, on voit des jeunes dans la rue qui parlent tout seuls, mais c'est parce qu'ils parlent à leurs lunettes puis ils demandent... Ils veulent une musique particulière, là. Ça fait que...

Mme Poisson (Émilie) : Bien, vas-y

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Bien, en fait, je vous dirais que oui, ça fonctionne. Les jeunes qui viennent à nos... C'est du six... Quand on a un jeune qui est vert, jaune, le vert, un peu moins de rencontres, nécessite un peu moins de soutien, là, mais, mettons, le jeune jaune, c'est du six à huit rencontres. Habituellement, quand on octroie du six à huit rencontres à un jeune qui est jaune, on voit vraiment une diminution de l'utilisation des écrans. On est capables d'amener le jeune à trouver des alternatives pour répondre aux besoins. C'est à dire, mettons, moi je suis... J'ai besoin de calmer mon anxiété. Je vais consommer, je vais «binge-watcher» du TikTok pour me calmer, bien, on travaille avec... on travaille les alternatives puis on voit vraiment une réduction au niveau de la consommation des écrans.

Est-ce que c'est toujours pareil? Est-ce que, parce qu'un jeune est passé par nos services, plus jamais il ne va avoir besoin? Non, hein, c'est... on le sait, la dépendance, c'est quelque chose qui est assez vivant. Il y a des phases, hein, dans le développement d'un être humain. Ça se peut qu'on retrouve, on revoit cet individu-là. Par contre, l'expérience, la demande d'aide chez Action Toxicomanie, elle est très positive. C'est très important, comme coordonnatrice clinique, que mon équipe offre un service chaleureux. Donc, vraiment, les gens, ils vivent une belle expérience. Puis, s'il y a quoi que ce soit, ils vont revenir demander de l'aide. Et aussi ils vivent aussi une bonne expérience quand ils arrivent dans les services spécialisés, ça, aussi, on le voit. Puis les jeunes qui nécessitent une rentrée... en entrée en thérapie fermée, hein, sur notre territoire, c'est Le Grand Chemin, bien, ils s'y rendent, ils sont accompagnés de façon très personnalisée. Et environ... Ils peuvent... On a eu une rencontre récemment, c'est environ huit semaines, donc ils peuvent passer de huit à 10 semaines en thérapie puis ils vont demeurer assez longtemps en thérapie, ces jeunes-là. Donc, c'est-à-dire que les gens qui embarquent dans un processus y demeurent, et ça fonctionne.

M. Ciccone : Ça fonctionne. Avez-vous les données, à savoir... Parce que, quand on parle d'écrans, là, c'est large, les écrans. Est-ce que c'est jeux vidéo? Est-ce que c'est les réseaux sociaux? C'est quoi? Les plus grandes demandes, ça vient d'où?

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Les réseaux sociaux, les influenceurs, les impacts de ces influences-là, les impacts de la désinformation, ça, là... ça, on le rencontre beaucoup dans nos bureaux. Les profils sont très différents, hein? Un jeune qui va consommer majoritairement les réseaux sociaux et un jeune gamer, ce n'est pas nécessairement les mêmes profils. On va avoir, par exemple, chez les jeunes gamers, des profils un peu plus introvertis, des défis parfois au niveau des habiletés sociales, tu sais, bon, il y a des profils différents. On va voir, parfois chez les gamers, plus de l'anxiété de performance, alors que, chez nos jeunes consommateurs de réseaux sociaux, plus une anxiété d'apparence.

Donc, c'est des profils qui sont différents, mais je vous dirais que là où on voit plus les ramifications des écrans, c'est vraiment en lien avec l'utilisation puis la consommation des réseaux sociaux. Les jeunes qui vont faire des demandes liées au gaming, souvent, ils vont venir faire une demande d'aide plus loin dans le spectre. C'est plus long avant qu'ils viennent, donc la détérioration est un petit peu plus présente.

M. Ciccone : O.K., parfait. Ça fait qu'il faut faire plus de sensibilisation sur, justement, les chats.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui, l'abri du gamer.

M. Ciccone : Il y a un groupe qui est venu nous voir qui dit qu'ils vont sur les chats puis qu'ils font de la sensibilisation, puis ils peuvent faire des rencontres, ils ont leurs contacts s'ils ont problème. Ça fait qu'il faut aller cibler plus ces jeunes-là parce que c'est eux autres qui ont de la difficulté à dire que... on a un problème.

Mme Poisson (Émilie) : Au niveau du gaming, oui, mais, comme on parlait, le développement de compétences personnelles... Une fois que le jeune... quand on estime, elle est bonne, quand tu es capable de t'affirmer, puis tout ça, habituellement, on ne se rend pas jusqu'à à la problématique bien établie parce qu'on est capable de s'affirmer, on est capable de dire non, on est capable de dire : Bien là, c'est assez, j'ai d'autres passions, je suis capable de faire autre chose.

Quand Audrey-Ann, elle vous parlait tantôt, tu sais... On va essayer de chercher c'est quoi, la fonction derrière le comportement, c'est quoi, c'est quelles compétences, c'est où que le bât blesse. C'est là qu'on va travailler avec eux. Ça fait que, oui, leur dire... être là puis leur dire : Il existe des ressources, je vois que tu es souvent en ligne, tu es là jusqu'à tard, etc., oui, mais il faut aussi voir pourquoi ce jeune-là passe ses nuits sur les jeux vidéo, là.

M. Ciccone : Merci beaucoup...

Mme Lecours (Audrey-Ann) : ...

M. Ciccone : Bien non, mais continuez, si vous...

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Non, mais je vais juste rajouter un élément. Vous savez, la stratégie numéro un que les jeunes... Quand, mettons, j'ai un jeune en suivi individuel, puis le jeune, il veut réduire sa consommation d'écrans, vous savez c'est quoi, la stratégie numéro un qu'il va mettre à son plan d'intervention? C'est de passer plus de temps avec mes parents. Mais c'est assez standardisé, là, donc, ça, c'est quand même important aussi, tout le noyau familial, la relation avec la famille. C'est un enjeu clé dans le rétablissement de ces jeunes-là par rapport à leur utilisation des écrans. En tout cas, du moins c'est ça qu'eux nous disent.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. Il reste... Ah! Oui.

M. Ciccone : Puis il faut... puis il faut que le parent dépose son outil... téléphone.

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Oui.

La Présidente (Mme Dionne) : J'avais une autre collègue, Mme la députée de Châteauguay, qui avait une question. Oui.

Mme Gendron : Merci, Mme la Présidente, je vais faire ça rapidement, mais ce que vous venez de dire, ça parle beaucoup. Je vais vraiment m'en souvenir. Puis un grand merci, là, j'aime votre approche, là. Vous dites que ça doit devenir des citoyens critiques qui peuvent réfléchir par eux-mêmes de leur utilisation également.

Je comprends que, dans un cadre scolaire, vous laisseriez quand même le cellulaire aux jeunes. Par contre, de quelle façon, à l'école, on pourrait quand même intervenir à ce niveau-là justement pour essayer de séparer l'étudiant de l'appareil? Puis est-ce que vous pensez que ça devrait faire... un atelier devrait faire partie d'un certain corpus scolaire? Est-ce qu'il devrait y avoir là, justement, des cours ou un atelier obligatoires à tous? J'aimerais vous entendre, en quelques secondes, j'imagine.

• (16 heures) •

La Présidente (Mme Dionne) : Il vous reste une minute.

Mme Gendron : Une minute.

Mme Poisson (Émilie) : Oh boy!

Mme Lecours (Audrey-Ann) : Certainement. Certainement. Vous savez, avec les nouveaux cours, là, Culture et citoyenneté québécoise, nous, nos intervenants, c'est à l'intérieur de ces cours-là qu'ils vont faire des ateliers de sensibilisation liés à l'utilisation des écrans. Donc, tu sais, oui, inévitablement, que ça soit assez systématique, que les jeunes puissent entendre parler d'utilisation des écrans aussi, de tout ce qui s'appelle cybercrime, et tout ça, tu sais, je pense qu'il faut aller assez large dans les informations qu'on transmet.

Mme Poisson (Émilie) : Les grands principes qu'Audrey-Ann parlait tantôt, je pense que ça aussi, ça peut être vraiment une idée dans le cadre scolaire aussi, comme enseignant, comme intervenant, comment on se positionne, c'est quoi, notre posture par rapport aux écrans. Et, oui, de répéter que tout ce qu'on voit sur Internet n'est pas nécessairement vrai, c'est là aussi qu'on va développer l'esprit critique des jeunes, puis de continuer à investir — sans pluguer le titre d'un de nos ateliers — investir dans leurs passions, en fait. Les enseignants les connaissent, les élèves, ils savent ce qu'ils aiment. Ça fait que de continuer ça, d'encourager ça.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup. C'est malheureusement tout le temps qu'on a. Donc, Mme Lecours, Mme Poisson, merci infiniment pour votre contribution à nos travaux.

Je suspends les travaux quelques instants pour accueillir notre prochain témoin.

(Suspension de la séance à 16 h 01)

(Reprise à 16 h 05)

La Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant la bienvenue aux représentants du Bureau des affaires de la jeunesse. Donc, merci de vous joindre à nous pour cette commission. Donc, je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour nous faire part de votre exposé. Peut-être vous présenter, d'entrée de jeu, et, suite à ça, nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, ceci étant dit, la parole est à vous.

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Mme Champagne (Véronic) : Parfait. Je vais me présenter d'ores et déjà. Donc, Véronic Champagne, vous l'avez mentionné, du Bureau des affaires de la jeunesse pour le Directeur des poursuites criminelles et pénales. J'ai la chance d'être la procureure en chef de ce magnifique bureau depuis maintenant deux ans. Je vais laisser les gens qui m'accompagnent se présenter, je vous ferai l'exposé par la suite.

Mme St-Pierre (Joanny) : Donc, bonjour. Joanny St-Pierre, procureure aux poursuites criminelles et pénales, coordonnatrice duComité de concertation contre la lutte à l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Alors, de mon côté, j'appartiens au Bureau des mandats organisationnels. Je pense que Véronic vous présentera un petit peu plus en détail mon bureau.

M. Ouellette (Maxime) : Bonjour à toutes et à tous. Me Maxime Ouellette, procureur au Bureau des affaires de la jeunesse de Saint-Jérôme, et, également, là, j'ai initié, avec quelques-uns de mes collègues et confrères, là, le projet SEXTO, qui a débuté à Saint-Jérôme il y a quelques années, je sais que Me Champagne va vous en parler. Donc, ça me fera plaisir de participer, évidemment, à la commission et de répondre à vos questions.

Mme Champagne (Véronic) : Donc, parfait, je vais me lancer, si ça vous convient. Donc, j'ai décidé, pour ce bref exposé, de vous parler, justement, de beaux projets qu'on a au DPCP, au Directeur des poursuites criminelles et pénales, et, c'est sûr, particulièrement trois qui sont au Bureau des affaires de la jeunesse, pour vous montrer un peu le travail d'intervention qu'on fait en amont en tant que poursuivant public, justement, pour répondre aux besoins des jeunes, aux besoins de la population concernant, justement, cet attrait pour les réseaux sociaux, Internet et la téléphonie intelligente.

Donc, au Bureau des affaires de la jeunesse, à la base, on est... évidemment, on est là pour intenter des poursuites criminelles et pénales contre les adolescents de 12 à 17 ans, 12 à 18 ans moins un jour, donc, mais on a, entre autres, trois super programmes. On a parlé de SEXTO brièvement, on aussi La Cour d'école et le #gardecapourtoi, qu'on va donner dans les écoles.

Je vais commencer par vous parler de #gardecapourtoi, qui est un programme qui est donné dans le coin de Gatineau. Toute la commission scolaire de Gatineau, tous les élèves de secondaire I de Gatineau, tant les écoles francophones qu'anglophones, privées ou publiques, reçoivent la visite de policiers, d'un procureur ainsi que d'un membre du CALACS pour parler... on appelle ça le «sexting» ou le «sextage», là, avec les adolescents. Ce qui est fait pendant cette rencontre-là, qui dure environ une heure, c'est vraiment de parler à tous les élèves de la séduction, du consentement, des ressources d'aide, et de la façon de bien utiliser les médias sociaux, et, peut-être, au lieu d'envoyer des photos sexy, des photos, là, qui pourraient être considérées comme de la pornographie, des moyens alternatifs, là, un peu sous le... de la blague, là, qui pourraient être faits pour, disons, se débarrasser de la situation des demandes de photos compromettantes. Donc, c'est un programme qui est très centré, là, Gatineau, mais chaque année, depuis quelques années, là, tous les élèves de secondaire I, comme je dis, sont rencontrés pour être, disons, sensibilisés, là, au «sextage» et à la diffusion d'images, là, sur les réseaux sociaux.

On a également un autre programme, qui s'appelle La Cour d'école, qui est là depuis plusieurs années. On en est à notre neuvième année cette année, et ce qui est magnifique avec La Cour d'école, c'est qu'il y a des procureurs formateurs qui se rendent dans les classes, de cinquième année du primaire cette fois-ci, pour parler avec les jeunes de différents sujets en lien avec le système judiciaire. L'année passée, pour vous donner une idée de grandeur, il y avait 172 procureurs formateurs qui formaient 50 équipes qui se sont présentées dans 74 classes du Québec pour parler avec les jeunes sur une durée de 17 semaines, ce qui est quand même, là, plusieurs séances où on va parler du système judiciaire, de l'absentéisme scolaire, de l'intimidation. On va parler également de l'importance de faire des bons choix, mais on a surtout deux nouvelles leçons, dans les dernières années, qu'on a mises en place, une qui est sur le respect de soi et le respect des autres, où on parle du consentement, et une autre, qui est soisprudent.ca, là, où on parle, justement, là, de la façon de se comporter sur les réseaux sociaux.

Ça fait que tout ça a été pris d'une idée, le programme était... s'appelait LEAD, au départ, et provenait des procureurs de la Californie. Avec les années, on a modifié le programme pour vraiment répondre de plus en plus aux besoins qu'on voyait chez les jeunes. C'est pour ça qu'une leçon sur le consentement a été ajoutée et une leçon sur le... comment se comporter sur Internet. La leçon sur le consentement, là, ne vient pas non plus montrer aux jeunes, là, en tant que tel, les techniques, là, quant au consentement, mais c'est vraiment sous la forme, là, d'exposer et de comprendre le respect de soi, le respect des autres, le respect du non, le respect... de s'écouter soi-même, également, lorsqu'on ne désire pas quelque chose, l'importance de choisir son réseau d'amis et de respecter un non, qui peut être... quand tu chatouilles ton petit frère qui te dit d'arrêter, bien, on cesse, là, les manipulations à ce moment-là.

• (16 h 10) •

Donc, une leçon très intéressante qui apprend vraiment aux jeunes à identifier leurs limites et également à les nommer, à fréquenter aussi, comme je vous disais, des amis de leur âge, à demander avant de toucher et à faire en sorte qu'on respecte leur non-désir d'être touché ou de toucher quelqu'un d'autre, ne serait-ce que de donner des bisous à des oncles ou à des tantes qu'on ne voit pas trop souvent, de reconnaître le malaise chez soi-même et chez les autres et d'identifier également les adultes de confiance et les ressources. Donc, cette leçon-là, elle est nouvelle, elle a été mise sur pied par le DPCP en collaboration avec des collaborateurs, là, qui travaillent auprès, là, des jeunes ayant pu subir, là, des abus sexuels.

Il y a également une leçon, comme je vous disais, en plus des 15 autres, là, qui parle de la... de sensibiliser les élèves à l'importance de la prudence sur Internet et sur les médias sociaux. En fait, on vient définir avec les jeunes, là, c'est quoi, un comportement prudent sur Internet, c'est quoi, les conséquences possibles de certains comportements ou gestes que je peux avoir sur Internet. Le fait de publier une photo, une image, un texte, jusqu'où ça peut aller, qu'est-ce qui peut se passer par rapport à ça. On se rappelle que c'est des enfants de 11 ans, qui sont en cinquième année, donc qui, pour la plupart, sont dans leurs débuts, là, d'apprendre à aller soi-même sur Internet, et, malheureusement, il y en a qui ont déjà, là, des... sont déjà sur les réseaux sociaux. Donc, de leur apprendre, là, à bien naviguer dans tout ça. Donc, ce qu'on veut faire, c'est illustrer les conséquences de certains comportements sur Internet, les renseigner sur leurs droits, leurs obligations en matière numérique. Il y a même la lecture d'un code de vie sur le Net, leur montrer vraiment, là, comment naviguer, exemple, de justement... un peu aussi pour qu'ils en discutent avec leurs parents, que l'ordinateur soit à la vue, de donner ses codes d'accès, toujours, à ses parents, des trucs pour qu'ils soient en sécurité, là, sur les réseaux sociaux.

Donc, comme je dis, La Cour d'école dure... il y a une notion introductive... 16 semaines. La dernière, ça se termine par un procès simulé où on amène les enfants, là, visiter le palais de justice et rencontrer, là, la magistrature et, également, là, les policiers, les intervenants du système judiciaire. Si je vous parle de ça... Je voulais principalement, comme je vous dis, vous parler des deux leçons, mais ça nous permet aussi d'aller voir les jeunes et d'avoir, également, là, mis en place des leçons à la fine pointe. On adapte le projet d'année en année pour vraiment répondre, là, aux besoins des jeunes, bon.

Me Ouellette s'est présenté tout à l'heure, notre coordonnateur SEXTO, SEXTO qui est un magnifique projet, également, là, du Bureau des affaires de la jeunesse. En fait, c'est en lien avec le Bureau des affaires de la jeunesse de Saint-Jérôme, le service de police de Saint-Jérôme, qui se sont rendu compte, bien, qu'il y avait de plus en plus de phénomènes de sextage chez les adolescents, et là on remonte en 2016, et ils se sont mis ensemble pour mettre en place le projet SEXTO, qui, maintenant, est vraiment devenu une mesure phare, là, du plan d'action pour prévenir et contrer l'intimidation et la cyberintimidation. Je vous dirais que, d'année en année, on est de plus en plus partout au Québec, je dirais qu'on a même... on est... Il reste quelques corps de police à se joindre à nous et quelques commissions scolaires.

Ce qu'est SEXTO, c'est une action concertée, rapide en situation de sextage. S'il y a un jeune, une jeune qui se plaint, en milieu scolaire, que sa photo a été distribuée ou un jeune qui va voir un intervenant, qui lui dit : Moi, j'ai reçu cette photo-là, il y a une intervention rapide, efficace. Le but de SEXTO : que cette photo-là cesse d'être propagée. Parce que c'est bien beau, dire : Nous, on est des poursuivants publics, on va poursuivre, on va faire ce qui s'ensuit, donner une sentence, une peine, mais l'important, pour la victime, pour la personne que la photo circule, c'est que la photo cesse de circuler. Donc, SEXTO, c'est une intervention rapide.

Je vous dirais qu'entre le moment où le geste est dénoncé et la prise de décision, qu'est-ce qu'on fait avec ce dossier-là, il y a un délai de 24 à 48 heures. C'est-à-dire que, dans ce délai-là, le policier rencontre l'intervenant scolaire, ils discutent de la situation, on demande à un procureur si on y va par méthode d'enquête traditionnelle, c'est-à-dire qu'on judiciarise le dossier, ou si on y va par la rencontre SEXTO. Comment on se base pour faire le choix? C'est bien simple, on va voir, chaque situation est un cas d'espèce, quelle est la motivation de l'adolescent à l'origine de tout ça, pourquoi il a transmis cette photo-là. Est-ce que c'était un coup de tête? Est-ce que c'était par vengeance? On valide toute l'information et on prend une décision, comme je dis, le but premier étant toujours de récupérer ces photos-là et de faire en sorte qu'elles ne circulent plus.

Je vous disais qu'on est presque partout au Québec avec SEXTO. En fait, il y a 24 corps de police municipaux, le SPVM et la Sûreté du Québec, qui sont, là, désormais formés SEXTO, avec les commissions scolaires, là... les centres de services scolaires qui y sont rattachés. En fait, là, il reste quelques corps de police, là, je ne veux pas... je ne veux pas mal les nommer, donc je laisserai peut-être Me Ouellette les dire, et on a même un corps de police autochtone qui est formé SEXTO, qui applique la méthode SEXTO. L'objectif, évidemment, est d'être partout, partout, partout, avec SEXTO, dans tous... dans tous les... dans tous les corps de police et dans toutes les écoles.

Pour vous donner une idée, là, depuis 2016, où SEXTO a vu le jour, il y a 1 625 dossiers qui ont été traités avec la méthode SEXTO, et ça, ça comprend 5 457 jeunes qui ont été impliqués dans ce genre de dossier là. Vous savez, une photo peut être partagée à une, à deux, à 10, à 12 personnes, transcende les écoles, peut se ramasser très loin. Donc, c'est beaucoup de jeunes qui ont été traités, dont juste l'année dernière, durant la dernière année scolaire, 413 dossiers qui ont été traités, là, par SEXTO. C'est dire que ça fonctionne.

La Présidente (Mme Dionne) : Je dois vous interrompre, Mme Champagne, désolée. Le 10 minutes est dépassé, mais ce n'est pas grave, je suis certaine que les collègues ont un tas de questions à vous poser. Alors, on va poursuivre avec mes collègues. Donc, qui veut débuter ces échanges? Oui, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Champagne, Me Ouellette, et... pardon, Me St-Pierre, je pense. Merci. Merci pour vos interventions. J'avais peut-être une question, donc, sur la tangente, donc, de ce que vous expliquez, donc, par rapport à SEXTO puis le rôle que nous, on peut jouer, comme législateurs. Une thématique, là, que quelques collègues, donc, ont abordée avec vos prédécesseurs, donc, c'est toute la question, donc, du droit à l'oubli, là. Donc, je comprends donc qu'on parle donc des photos, donc, diffusées, donc, vous dites, donc, à une, à deux, à 300 personnes. Donc, est-ce que vous voyez un bénéfice, est-ce que vous voyez, donc, que ce type d'action là, de la part du législateur, donc, pourrait vous aider, donc, sur le long terme face à cette initiative que vous avez créée, conçue?

Mme St-Pierre (Joanny) : Bien, en fait...

Mme Champagne (Véronic) : ...

Mme St-Pierre (Joanny) : Je peux me lancer. En fait, je vais y aller peut-être un petit peu différemment de votre prémisse, c'est-à-dire que... Votre question se terminait avec : Est-ce qu'on peut aller en complément avec votre projet SEXTO? En fait, moi, je vois l'opportunité de venir légiférer dans la possibilité de pouvoir rapidement intervenir pour enlever du matériel d'images intimes qui se diffusent sur Internet comme étant excessivement positive. Plusieurs provinces au Canada ont des lois qui permettent aux victimes d'obtenir de l'aide, du soutien pour pouvoir faire des démarches dans... ces démarches-là. Parce qu'on sait que ça peut être complexe, pour une victime, de faire enlever du matériel d'elle qui constitue des images intimes, et c'est bénéfique pour ces victimes-là d'avoir la possibilité de recourir à un cadre législatif pour pouvoir aller faire enlever ce matériel-là. Donc, je pense que cette possibilité-là, de légiférer au Québec, pourrait être très, très, très positive, et de rassembler, par exemple, des services pour ces victimes-là en un seul et même endroit où elles n'ont pas à aller cogner à plusieurs portes pour essayer de trouver comment je pourrais faire, avec qui je dois intervenir. Donc, je pense que c'est définitivement quelque chose qui pourrait être très positif pour les victimes québécoises, avec des services, évidemment, en français. Donc, je pense que ça pourrait être très, très bénéfique.

Mme Cadet : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : M. le député de Marquette.

M. Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour à vous trois. Merci de votre présence. Vous avez parlé de plusieurs programmes que vous avez mis en place pour sensibiliser les jeunes. Je veux vous parler de cyberintimidation, de... Il y a combien de cas que vous avez répertoriés? Est-ce qu'il y a beaucoup, beaucoup de cas qui se retrouvent devant vous, où vous devez, là, porter des accusations, où que vous devez vraiment faire votre travail pour, justement, avertir un jeune ou qu'il y ait des conséquences? Est-ce qu'il y en a beaucoup en matière de cyberintimidation ou ça se règle toujours avant d'arriver devant vous?

• (16 h 20) •

Mme Champagne (Véronic) : Ce serait une bonne nouvelle si ça se réglait toujours avant d'arriver devant nous. On aimerait ça. C'est sûr que le programme, entre autres, SEXTO, c'est vraiment pour la diffusion d'images intimes. La cyberintimidation, c'est drôle, parce que notre système ne me permet pas de vous donner des chiffres sur le nombre de dossiers de cyberintimidation parce que ça va être un chef d'accusation qui va être : du harcèlement, de l'intimidation, des menaces. Donc, moi, je n'ai pas la possibilité d'extraire la donnée, là, que vous me demandez, s'il y a des dossiers de cette nature-là.

Évidemment, comme procureur terrain, je peux vous dire que, oui, c'est des dossiers qu'on voit, il y en a beaucoup, malheureusement. Parfois, l'intimidation va commencer à l'école, va se poursuivre le soir par les médias sociaux. C'est beaucoup ce qu'on peut voir, c'est... En fait, le jeune n'a plus de pause, il n'a plus de moment, là, de répit, même chez lui, tu sais, on réussit à le rejoindre. Donc, on a beaucoup de ces dossiers-là, évidemment, de cyberintimidation.

Ce qu'il faut savoir en matière jeunesse, puis je ne sais pas si vous êtes... si vous connaissez bien le système de justice pénale pour adolescents, mais c'est qu'on a aussi ce qu'on appelle toutes les mesures extrajudiciaires. On essaie aussi beaucoup de sensibiliser les jeunes. Notre but n'est pas toujours de faire en sorte de judiciariser l'adolescent. On essaie de lui amener de l'aide, du soutien, de lui faire réaliser l'impact de ses comportements par des méthodes alternatives, par des méthodes extrajudiciaires. Donc, on a beaucoup de dossiers. C'est sûr que, quand on voit ce qui inclus des images intimes, de la pornographie, on a SEXTO, mais pour, effectivement, là, vraiment, la cyberintimidation, comme vous l'appelez là, on aura plutôt des dossiers, mais qui seront traités différemment parce que chaque cas, pour un jeune, est un cas d'espèce. Donc, on va le traiter, là, selon les besoins de l'adolescent qui est devant nous.

M. Ciccone : Les jeunes qui commettent des fautes, qui se retrouvent devant vous, là, toujours en matière, là... en parlant d'outils numériques, là, principalement, là, ça vient de quelle plateforme... ou c'est principalement des textos, là? Est-ce qu'il y a des plateformes particulières qui sont souvent nommées, qu'on a utilisées, justement, pour commettre des fautes?

Mme St-Pierre (Joanny) : J'ai envie de prendre la balle au bond. En fait, l'utilisation des plateformes, à mon avis, elle est changeante, c'est-à-dire que ça va aller selon les modes, si on veut. Parce que les jeunes, pour une période, ils vont aller sur une plateforme qui est préférée, et là, pour x ou y raison, cette plateforme-là va devenir moins intéressante ou il y en a une nouvelle qui va apparaître, avec des options supplémentaires, des options différentes qui vont amener les jeunes à aller vers cette plateforme-là. Alors, on pourrait vous dire, aujourd'hui, peut-être... et peut-être que Maxime pourra compléter la réponse, mais on pourrait vous dire qu'aujourd'hui, en date du 24 septembre 2024, il y a une plateforme en particulier qui est plus populaire que les autres, et, dans six mois, la réponse pourrait, à mon avis, être différente.

Donc, il y a à la fois quand on pense à l'utilisation de plateformes pour commettre des infractions, mais également à l'utilisation de plateformes pour des jeunes qui deviennent victimes d'infraction. Donc, dans l'un ou l'autre des cas, à partir du moment où un enfant, peu importe l'âge qu'il a, est en possession d'un appareil informatique qui se connecte sur Internet, il y a des risques qu'il soit victime ou qu'il puisse à son tour, là, par exemple, tomber dans les filets de... commettre de l'intimidation.

M. Ciccone : Me Ouellette, vous avez dit tantôt que vous étiez à Saint-Jérôme. Ici, on tente aussi de savoir, là, les impacts différents en matière de ruralité ou... urbains, là. Je suis persuadé que vous parlez avec d'autres collègues qui ont la même position que vous. Voyez-vous un achalandage au niveau urbain versus rural ou vice-versa?

M. Ouellette (Maxime) : Écoutez, moi, je coordonne SEXTO sur l'ensemble de la province de Québec, donc j'ai autant la chance de m'adresser à des partenaires locaux, comme Saint-Jérôme, dans des régions un peu plus rurales, que, par exemple, le SPVM, à Montréal, là, où on a fait le déploiement de SEXTO à l'automne dernier, donc en septembre 2023 jusqu'en avril 2024. Je vous dirais que la réalité, entre autres, du sextage chez les adolescents, elle est partagée à l'entièreté de la province. Le phénomène ne semble pas être plus important ou moins important en région, par exemple, qu'en milieu urbain. Donc, cette problématique-là, elle est vraiment, là, similaire, je vous dirais, et partagée par l'ensemble des jeunes.

Pour peut-être revenir à la question précédente, au niveau des réseaux sociaux, nous, ce qu'on voit beaucoup dans nos dossiers, c'est l'utilisation de Snapchat, qui est, depuis des années, une plateforme qui est beaucoup utilisée chez les jeunes, également Messenger, donc, Facebook, Meta, Messenger, qui sont... qui est aussi un outil qui est souvent utilisé pour créer des groupes de discussion entre élèves. Et, bien là, un adolescent, par exemple, ou une adolescente va décider de partager du contenu à ce groupe-là, donc on peut avoir 10, 12, 20 personnes, et les gens n'ont pas sollicité nécessairement le contenu, mais là on leur expose du contenu, parfois, bon, du contenu, par exemple, au niveau de SEXTO, là, qui peut s'apparenter à de la pornographie juvénile au sens de la loi. Donc, nous, SEXTO, on est en matière d'intervention. Contrairement aux autres programmes que Me Champagne a définis un petit peu plus tôt, qui sont vraiment des programmes davantage basés sur la prévention et l'information, SEXTO, lorsqu'il s'applique, c'est qu'on est en intervention. Donc, il y a eu un cas de sextage, il y a eu du partage d'images intimes, il y a une demande d'une adolescente ou d'un adolescent qui a besoin d'aide, et là on met en marche le protocole SEXTO.

Et l'objectif, bien, c'est d'éduquer les jeunes, et non pas de les judiciariser. C'est vers ça qu'on tente le plus d'aller avec SEXTO, parce qu'on s'était rendu compte que les moyens légaux, ce qu'on entreprenait au niveau judiciaire, bien, créaient des délais, la prise en charge n'était pas optimale, et, au final, bien, on ne répondait pas aux besoins des jeunes et on ne responsabilisait pas les adolescents qui se livraient au sextage. Mais, avec SEXTO, nous, on considère qu'on a beaucoup amélioré la situation, et des dossiers qui prenaient des mois à enquêter et à se régler au niveau judiciaire, maintenant, dans un délai de moins d'une semaine, on peut arriver à les régler. Puis ça, c'est la majorité de nos dossiers, on parle d'une proportion de près de 60 % des dossiers dont Me Champagne a parlé tout à l'heure qui se sont réglés via la rencontre de sensibilisation SEXTO et non vers la voie judiciaire.

M. Ciccone : Bien, bravo! Merci beaucoup. Merci beaucoup.

M. Ouellette (Maxime) : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Vous me rappelez combien de dossiers, tout à l'heure, vous avez parlé que vous aviez gérés?

M. Ouellette (Maxime) : Oui. C'est 1 625 dossiers depuis 2016. Seulement l'année dernière, on a constaté 416 dossiers pour l'année entière, en 2023. Et, entre janvier 2024 et juin 2024, donc la dernière période, nous, qu'on a comptabilisée, c'est 396 dossiers. Donc, on note une augmentation croissante depuis 2016. Évidemment, il y a une partie de l'augmentation qui est en lien avec le fait que le déploiement se fait d'année en année de façon plus importante, auprès de davantage de corps policiers, mais on note quand même une croissance, là, dans le traitement des dossiers, parce que, l'année dernière, ce qu'on a constaté, entre janvier et juin, c'est qu'à Montréal, qui était la nouvelle région où on a implanté SEXTO, il y a eu 68 dossiers qui ont été traités. Donc, en les déduisant du fameux 396 dossiers qu'on avait, bien, on en a quand même près... quasiment le même nombre que l'année d'avant seulement avec une demi-année, là. Donc, c'est vraiment... c'est vraiment préoccupant, comme phénomène.

La Présidente (Mme Dionne) : Et pourquoi vous pensez que... Si vous étiez législateurs ou à notre place en commission... comment est-ce qu'on pourrait contribuer? Est-ce que c'est au niveau de la prévention? Est-ce que... Là, c'est sûr que, oui, comme vous dites, il y a plus d'interventions, il y a le déploiement de SEXTO, donc, évidemment, il doit y avoir plus de dénonciations, mais comment on explique ce phénomène puis comment on peut contribuer à... Puis est-ce que le modèle de SEXTO aussi peut s'appliquer à d'autres actes de cyberintimidation, là, disons ça comme ça?

Des voix : ...

M. Ouellette (Maxime) : Joanny, tu vas te lancer?

Mme St-Pierre (Joanny) : C'est certain que, quand on parle de comment on peut intervenir en amont, je pense qu'il faut penser à sensibiliser la population très, très tôt. Je suis convaincue que je ne suis pas la première qui vous le dit, dans ce que vous entendez, mais, souvent, ce que je prononce comme souhait, c'est que, dès le moment où des enfants ont accès à des appareils informatiques qui se connectent sur Internet, on devrait être en mesure d'avoir avec eux des discussions de sensibilisation sur les impacts potentiels, à la fois sur les impacts qu'ils peuvent subir... parce que ces jeunes-là peuvent devenir victimes. Plus on est sur Internet, plus on est vulnérable à se faire approcher par des gens qui vont tenter de commettre des infractions à notre égard.

Donc, ça, c'est important, mais je pense aussi qu'il faut qu'on informe à la fois les parents et les enfants. Tout à l'heure, j'entendais une intervenante qui disait que la clé de la solution pour diminuer la dépendance, c'est de remettre les enfants en présence des parents davantage, mais je pense que les parents aussi sont un petit peu dépourvus face à ce phénomène-là, parce qu'ils ne savent pas quoi regarder, ils ne savent pas les plateformes qui sont utilisées par leurs enfants. Ils ne sont, je pense, pour la plupart, pas conscients des dangers, des risques à la fois de la surutilisation, mais aussi qui... desquels s'exposent les enfants. Donc, je pense qu'il faut que les parents soient au courant rapidement, plus intéressés et sensibilisés au fait qu'il y a des dangers avec Internet et quels ils sont. Et je pense que les enfants aussi doivent être conscients de ce à quoi ils doivent faire attention.

Et je pense que, comme législateur, une des choses qui est importante, c'est peut-être le langage qu'on emploie, notamment dans les communications qu'on a avec la population. Parce que, par moment, des fois, quand on parle, même comme gouvernement, quand on s'exprime à la population, on va entretenir des mythes, des stéréotypes. De façon tout à fait involontaire, mais, par rapport, par exemple, à la violence sexuelle en ligne, de penser que c'est uniquement des gens qu'on ne connaît pas qui utilisent des faux profils pour venir s'intéresser aux enfants, donc, c'est d'entretenir des mythes et des stéréotypes, parce que ça pourrait être un oncle, une tante, ça pourrait être un cousin, un ami de la famille qui nous approche et qui fait de nous une victime, de la même manière que, pour les jeunes, l'intimidation va se faire entre personnes qui se connaissent d'abord et avant tout. Donc, je pense que, dans le langage qu'on emploie et dans la façon dont on s'exprime pour dénoncer ce phénomène-là et sensibiliser, ça fait partie d'une des possibilités. Donc, Maxime, je ne sais pas si tu veux compléter.

M. Ouellette (Maxime) : Bien, nous, dans SEXTO, quand on applique la rencontre de sensibilisation, en fait, ce sont les policiers, parce qu'il faut comprendre que SEXTO, c'est un partenariat entre les écoles, les services policiers puis le DPCP. Lorsque nous, on oriente le dossier au niveau de la rencontre de sensibilisation, les policiers vont accueillir les jeunes impliqués ainsi qu'au moins un de leurs parents au poste de police. C'est des rencontres qui se font en individuel. Donc, chaque jeune, avec un parent, va être rencontré, on va les sensibiliser au phénomène du sextage. On va leur demander, entre autres, de remplir un engagement de destruction de photographies pour s'assurer que les images qui auraient pu être partagées, là, entre les jeunes, bien, soient effacées. Et toutes ces informations-là vont être consignées au niveau de la banque de données policière pour qu'on sache, bien évidemment, s'il y a d'autres interventions plus tard et qu'on soit capables de définir : Bien, tels jeunes ou tels jeunes ont déjà été impliqués.

• (16 h 30) •

Donc là, la prochaine fois, ce ne sera peut-être pas une intervention préventive qu'on va faire. Et, dans le processus, ce qui est magnifique puis ce qui rejoint un petit peu les propos de Joanny, c'est qu'en fait les parents sont présents et c'est... En tout cas, à en discuter avec nos partenaires, que ce soit au niveau policier ou au niveau scolaire, c'est très dur de mobiliser un parent pendant 20 à 30 minutes pour être capable d'avoir un échange avec lui sur, bien, c'est quoi, les risques associés, par exemple, à l'utilisation des réseaux sociaux puis dans SEXTO, plus spécifiquement en lien avec le partage d'images intimes sur les réseaux sociaux, et là on a l'opportunité de le faire avec SEXTO.

Puis ce qu'on entend de nos partenaires policiers, c'est que les parents, là, c'est un peu ce que Joanny nous disait, ils ne sont pas informés de l'ensemble des risques que ça peut comporter, de laisser accès, un libre accès aux réseaux sociaux à leurs jeunes. C'est comme si on laissait entrer un enfant dans une jungle, qu'on ne connaissait pas cette jungle-là et qu'on ne connaissait pas les risques qui y étaient, mais on le laisse quand même y aller puis on espère que, trois heures, quatre heures plus tard, bien, il en sorte indemne. C'est un peu comme ça qu'on peut comparer le cyberespace… en tout cas, moi, j'aime bien utiliser cette métaphore-là, et les parents ne s'en rendent pas compte.

Et souvent, dans notre dynamique à nous, au niveau du sextage, les parents ne savent pas non plus que le fait d'échanger du contenu de nature sexuelle entre adolescents peut correspondre à de la pornographie juvénile au sens de la loi. Donc, ils ont beaucoup à apprendre. Ce n'est pas des mauvaises personnes, c'est vraiment des gens qui ne connaissent pas, en fait, cet univers-là, et c'est compliqué de s'y intéresser quand on part de zéro. Donc, pour moi, tout passe par la prévention, l'information et l'éducation, parce qu'en matière d'intervention on est rendus beaucoup plus loin dans le processus.

Donc, c'est certain que, si on est capables de trouver des solutions en amont, bien, en tout cas, moi, de mon expérience personnelle avec SEXTO principalement, c'est certain que ce serait gagnant, puis je le vends toujours à mes partenaires. SEXTO, c'est une chose. On va aider ces jeunes-là, mais, idéalement, ils ne se rendraient pas jusque-là. Donc, comment on va faire? Bien, on va mettre des campagnes de prévention en place. On va les informer. Puis, bien, évidemment, nous, on a des limites au niveau du DPCP. Notre mandat est un service de poursuites, comme Me Champagne le disait, mais je pense qu'ensemble… l'ensemble des acteurs peuvent trouver des solutions pour en arriver, là, évidemment, à ce résultat-là.

La Présidente (Mme Dionne) : Puis, si je reprends votre métaphore, puis connaissant les menaces qui règnent sur les plateformes, est-ce que... je ne le sais pas, peut-être que vous ne vous voudrez pas me répondre, mais est-ce qu'on devrait retarder l'âge d'accès aux plateformes et aux réseaux sociaux? Je comprends qu'il y a une responsabilité parentale, je l'entends bien, prévention, tout ça, mais est-ce que vous seriez en faveur de retarder le plus possible l'accès aux réseaux sociaux pour les jeunes?

Mme St-Pierre (Joanny) : Je pense que, pour nous, c'est difficile de prendre une position avec la posture qu'on a comme poursuivant public. Par contre, encore une fois, je pense que, si une telle mesure était décidée, par exemple, au terme de vos travaux... Je pense qu'il ne faut pas mettre de côté le besoin criant d'information et de sensibilisation, parce qu'une seule mesure prise toute seule pourrait passer à côté du problème, et je pense qu'il faut vraiment que les gens soient sensibilisés aux risques que ces enfants-là courent pour que les enfants et les parents soient en mesure d'identifier dans quel moment mon enfant est à risque ou moi-même, je suis à risque, en tant qu'enfant.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Gaspé.

M. Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Mes Champagne, Ouellette et St-Pierre, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour ce que vous faites pour les jeunes Québécois et Québécoises. Je pense que ça mérite d'être souligné, parce qu'on comprend que ce n'est pas quelque chose nécessairement de facile et d'évident, j'imagine, autant pour les victimes que les parents, d'être dans une situation de cette nature-là. C'est quand même quelque chose d'assez complexe.

Moi, j'aimerais savoir, à l'intérieur des cas que vous... qui sont rapportés à vous, est-ce que vous voyez une certaine... un certain équilibre au niveau des victimes, au niveau du genre, ou vous voyez une prédominance d'un genre par rapport à l'autre? Est-ce… Généralement, mon opinion, c'est que je pense qu'il y a plus de filles ou de jeunes femmes qui sont victimes de ce type... si je parle... je pense aux sextos. Est-ce bien le cas ou c'est vraiment assez équilibré comme phénomène?

Mme St-Pierre (Joanny) : J'ai envie de vous dire qu'on voit, en matière de violence sexuelle comme en matière d'exploitation sexuelle des enfants sur Internet, une prédominance où les femmes et les filles sont davantage victimes que les garçons. Maintenant, je ne sais pas si mes collègues veulent compléter pour peut-être d'autres types… en matière d'intimidation, mais, pour la violence sexuelle, ça se répertorie de la même façon quand c'est fait en ligne, malheureusement.

M. Ouellette (Maxime) : Pour ce qui est du sextage, on remarque également la même tendance, là. C'est généralement des filles qui sont victimes du phénomène, que ce soit le leur ou même le repartage d'images intimes. On fait confiance à notre partenaire, et là, oups! tout d'un coup, il y a une rupture qui survient ou… bien, la personne décide de partager, et, malheureusement, la plupart du temps, c'est les garçons qui vont décider de repartager l'image. J'ai des statistiques récentes. Elles sont peut-être trop récentes pour que je puisse m'avancer par rapport à ça, mais c'est quand même une proportion… majoritairement, là, en fait, femmes, filles qui sont victimes, là, même dans nos dossiers de sextage. C'est une donnée qu'on ne compilait pas avant la dernière demi-année. On a commencé à la compiler parce qu'évidemment on s'y intéresse puis on voulait développer… voir quelle tendance se développait, puis on la voit déjà se manifester.

M. Sainte-Croix : Au niveau de votre intervention, est-ce que vous êtes en mesure d'établir une certaine forme de profil des jeunes qui sont poussés vers des gestes de cette nature-là? Tu sais, il y a-tu des... en bon français, il y a-tu des patterns que vous êtes en mesure d'identifier?

M. Ouellette (Maxime) : Je peux peut-être... pendant que, Joanny, tu réfléchis de ton côté, moi, rapidement… parce que, dans le cadre de mon mandat de coordination, évidemment, je vois beaucoup les dossiers aussi qui nous sont soumis, là, qu'on oriente vers les services policiers. Je ne suis pas en mesure aujourd'hui d'identifier nécessairement, là, un profil cible qui se livre plus ou qui serait davantage vulnérable au niveau du sextage chez les adolescents. Ce que je peux vous dire, par contre, c'est que, généralement, les garçons sont un petit peu plus âgés que les filles. On remarque une différence d'environ une année entre les jeunes filles qui sont victimes et les jeunes garçons qui les sollicitent pour partager des images. Donc, la moyenne des filles, c'est environ 13 ans, les garçons, 14 ans. Donc, on se situe davantage là. Donc, évidemment, c'est un peu en adéquation avec les principes de notre loi, sous le système de justice pénale pour adolescents, c'est-à-dire, quand les jeunes… bien, plus ils sont jeunes, moins ils ont un niveau de maturité important, donc, peut-être, de ce fait, sont plus vulnérables ou plus propices à se livrer à ce type de comportement là.

Mme St-Pierre (Joanny) : Pour ce qui est de la violence sexuelle ou de l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet, malheureusement, on n'a pas de profil cible. C'est-à-dire que n'importe quel enfant, à un moment ou un autre de sa vie, peut se retrouver victime d'une personne mal intentionnée qui va tenter d'atteindre cet enfant-là. C'est certain que l'enfant qui est dans un état momentané de vulnérabilité, avec des facteurs plus faciles à aller exploiter par le contrevenant, a des chances davantage de se rendre loin dans cette victimisation-là, mais il y a des enfants de tous les milieux, malheureusement, de toutes, toutes les sphères sociales qui vont pouvoir tomber dans les filets. C'est des gens habiles. C'est des gens habiles qui vont aller vers ces enfants-là, qui vont être capables de trouver la faille ou les failles pour réussir à aller… le lien avec ces enfants-là et obtenir ce qu'ils souhaitent avoir éventuellement, soit des images ou une rencontre avec eux. Donc, je reviens à mon message de tout à l'heure, je pense qu'il faut éviter de catégoriser pour que les gens soient conscients que, nos enfants, ils peuvent tous... ils ont la possibilité, tous, d'être victimes. Donc, il n'y a personne qui est à l'abri, malheureusement.

M. Sainte-Croix : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : M. le député de Joliette.

M. St-Louis : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci à vous trois d'être ici aujourd'hui. C'est très apprécié, votre participation aux travaux de notre commission.

Est-ce que... En tout cas, j'espère que ma question va être quand même assez claire, mais je pars un peu d'une réflexion où ce n'est pas un peu la pointe de l'iceberg qui se retrouve... En fait, les situations qui tournent mal se retrouvent… des statistiques chez vous, alors que peut-être qu'en 2024 la cybersexualité fait partie, en tout cas, peut-être pas pour tous et toutes, mais, pour certains et certaines, de l'apprentissage adolescent ou… Bon, bien, moi, je viens d'une autre époque, on appelait ça jouer au docteur, là, mais... puis je ne veux pas banaliser la chose, mais est-ce que vous ne pensez pas que c'est tristement un peu là pour rester? Parce que l'outil est là, puis il y a une certaine facilité, puis vous avez parlé de confiance puis de spontanéité, de naïveté. Vos 1 600 quelques cas, est-ce que ça ne cache pas derrière peut-être une façon de faire d'une nouvelle génération?

• (16 h 40) •

M. Ouellette (Maxime) : La problématique de ça, c'est que, maintenant, ça se fait sur les réseaux sociaux, et, quand un jeune perd le contrôle de cette image-là, bien, ce n'est pas seulement l'individu avec lequel il avait partagé une image, par exemple, qui est impliqué avec cette personne-là. Rapidement, les conséquences du partage d'images intimes sont telles qu'elles... On se doit de trouver des solutions puis on ne peut pas entretenir ces...

Puis ce n'est pas un reproche que je fais, ce type de réflexion là, parce que nos jeunes, on se doit de les protéger parce que, justement, bien, ils sont plus vulnérables. Ils sont moins matures. Ils sont portés à peut-être justement expérimenter certaines choses.

Puis, dans le cadre de nos discussions dans SEXTO dans les dernières années, bien, c'est évident, vous avez raison de dire qu'il y a un volet d'exploration à la sexualité puis de... D'une certaine façon, certains jeunes qui vont se livrer au sextage peuvent s'épanouir sexuellement de cette manière-là quand c'est fait dans des conditions favorables où les gens sont dans une relation de confiance et que les images ne sont pas repartagées, mais, moi, ce que je dis tout le temps en formation puis quand je m'adresse à des partenaires, c'est qu'on ne peut jamais garantir que ces images-là, peu importe le contexte dans lequel elles sont partagées, vont demeurer entre les mains de la personne à qui on fait confiance.

Puis c'est ça, la problématique de l'utilisation des réseaux sociaux puis de s'exposer de cette manière-là. Là, je parle pour le sextage puis je suis persuadé que Me St-Pierre va être capable de donner plus de détails, je la vois sourire, mais, nous, ce qu'on voit dans SEXTO, c'est cette problématique-là puis c'est ça qu'on veut adresser par, évidemment, le protocole puis en insistant auprès des partenaires pour qu'on essaie de développer, là, des moyens, là, de prévenir en amont tout ça puis d'informer les parents, parce qu'on va... On peut peut-être le dire 10, 15, 20 fois, mais il faut que les parents soient en mesure d'encadrer leurs adolescents dans l'utilisation des réseaux sociaux. C'est avant tout la responsabilité du parent, à mon avis.

Joanny, peut-être que tu veux compléter?

Mme St-Pierre (Joanny) : Bien, en fait, ce qui, moi, me préoccupe par rapport à cette dynamique-là qui se dessine tranquillement, c'est toujours la notion de consentement également, parce que les enfants qui ne sont pas conscients qu'ils sont en train d'être manipulés pour produire des images, c'est un problème. Si on ne leur enseigne pas à déterminer dans quel moment je suis en train d'être manipulé ou…

Par exemple, mon copain ou ma copine me fait de la pression parce que ça fait 20 fois, 30 fois, 40 fois qu'il me demande des images, moi, je n'ai pas le goût, ça ne me tente pas, mais là ça fait 40 fois qu'il me le demande puis qu'il est insistant ou, encore, il me dit qu'il va aller voir ailleurs si jamais je ne le fais pas, on tombe dans une dynamique qui est criminalisable. Donc, on est dans du leurre informatique, dans du leurre.

Donc, c'est ça qui est préoccupant, parce que, si on ne connaît pas les limites acceptables ou pas, on se retrouve dans des situations où des jeunes femmes, principalement, mais aussi des jeunes garçons vont se retrouver face à une obligation... impression d'obligation de produire ce matériel-là, et, comme Maxime le disait si bien, la problématique avec Internet, c'est qu'à partir du moment où ce matériel-là est en potentiel de dissémination, c'est à l'infini. Donc, une image qui est publiée une seule seconde sur Internet a un potentiel d'être par la suite... de réapparaître à l'infini. Il suffit d'une seconde pour que quelqu'un en fasse une capture d'écran et l'enregistre sur un support différent pour que cette image-là soit remise sans cesse en circulation.

Donc, il faut garder ça en tête parce que… Peut-être qu'il y a un aspect d'épanouissement sexuel pour ces adolescents, mais il faut garder en tête que le contexte dans lequel cet épanouissement-là peut se faire représente un risque différent de l'épanouissement qui va se faire dans une chambre à coucher où personne n'a accès. À partir du moment où l'épanouissement se fait dans une chambre à coucher avec la porte fermée, que personne ne les voie, il n'y a pas de risque de dissimulation, mais, à partir du moment où l'image se retrouve sur Internet, il y en a un, et c'est là où la ligne est difficile à trancher et c'est important de garder en tête qu'il y a un risque.

M. St-Louis : Il y a des mécanismes qui permettent... En fait, il y a des organismes qui demandent la suppression de ces images-là, puis c'est fait, puis tout ça, mais... parce qu'on l'a entendu en commission la semaine dernière, ces images-là, des fois, réapparaissent quelques mois, voire même quelques années plus tard. Puis il y a toujours le pendant du «dark Web» qui fait en sorte que, des fois, bien, même si c'est supprimé, bien, ça continue de circuler. On peut faire quoi? Je veux dire, là, je vous entends, puis, pour moi, comme papa, ce que je me dis, c'est : sensibilisation, éducation, éducation, éducation. Mais, comme législateurs, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre?

Mme St-Pierre (Joanny) : C'est une bonne question, mais je suis d'accord avec vous qu'effectivement c'est une problématique. Puis, vous avez raison, le Centre canadien de protection de l'enfance a développé Arachnid, qui est un magnifique projet et qui donne beaucoup d'espoir aux victimes, mais je pense qu'il faut s'assurer d'encadrer nos enfants et les parents pour les accompagner dans la meilleure connaissance, dans la conscience du fait qu'à partir du moment où moi, je publie quelque chose sur Internet il y a un risque que ce que je publie soit là jusqu'à la fin de mes jours.

À partir du moment où on est conscients de ça, la capacité de prendre une décision, je pense, elle est meilleure, mais je ne suis pas convaincue que nos enfants sont à ce point conscients de ce risque-là. Je ne pense pas qu'on leur... on les éduque suffisamment à cet effet-là. Est-ce que c'est une obligation du législateur? Est-ce que ça passe par un travail concerté de tout le monde? Moi, je pense que c'est là où ce sera gagnant, de le faire en concertation avec peut-être plusieurs portions du gouvernement, mais, une chose est certaine, le risque est là, et effectivement c'est difficile, une fois que c'est sur Internet, d'y mettre fin, même s'il y a des outils qui existent.

M. St-Louis : Est-ce que je peux... une dernière, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Dionne) : Oui. Il reste une minute.

M. St-Louis : Rapidement, l'arrivée de l'intelligence artificielle fait en sorte que, des fois, on peut prendre juste le visage. On n'a pas nécessairement une photo compromettante, mais les résultats sont les mêmes, ça, on le sait. Vous en pensez quoi? Est-ce que vous avez eu des cas déjà?

Mme St-Pierre (Joanny) : Bien, en fait, quand on parle d'hypertrucage, donc, de prendre le visage de quelqu'un puis de le mettre sur un corps nu et de donner l'impression que c'est l'image de quelqu'un d'autre, c'est une certitude que l'impact chez la personne qui est visée par cette image-là est le même que si c'était son image à elle-même parce que la personne qui va avoir cette photo-là va être convaincue que la photo, elle est inédite. Ça ne va pas faire la différence. Alors, pour la personne qui le vit, l'impact est exactement le même.

Donc, je pense que c'est important de le garder en tête, et, effectivement, avec nos jeunes, on le voit, il y a des applications qui sont de plus en plus accessibles, qui permettent, en deux clics, la possibilité de créer ce genre d'image là, et on le voit qu'ils le font par moment en trouvant ça drôle, un peu en blague, en se disant : Ha, ha, ha! Je vais faire ce type de photo là. Encore une fois, je pense que la sensibilisation est la clé. Quand on n'a pas le choix, on va se rendre à l'intervention et éventuellement la criminalisation de l'acte, mais je pense qu'il faut les éduquer sur le fait que ça a de l'impact chez l'autre s'ils font ça, et cet impact-là peut durer jusqu'à la fin de leurs jours parce que cette image-là est diffusée sur Internet. C'est infini, l'impact sur ces victimes-là.

M. St-Louis : Merci pour vos réponses, mais, surtout, merci, comme le disait mon collègue le député de Gaspé, pour tout ce que vous faites pour nos jeunes Québécois et Québécoises.

La Présidente (Mme Dionne) : Alors, Mes Champagne, Ouellette, St-Pierre, merci beaucoup pour votre contribution à ces travaux.

Et nous, on suspend quelques instants pour accueillir nos prochains témoins. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 48)

(Reprise à 16 h 55)

La Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Jolicoeur. Alors, merci de votre présence.

Donc, je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour nous faire part de votre exposé, et, suite à cela, nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, je vous cède la parole.

Mme Marie-Pier Jolicoeur

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Mmes et MM. les députés, bonjour. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée aujourd'hui à venir vous entretenir sur les enjeux qui occupent cette commission. Il y a des enjeux qui m'intéressent particulièrement à titre de doctorante en droit des enfants dans l'environnement numérique, qui est, oui, vraiment devenu un sujet de recherche à part entière. Je me sens vraiment privilégiée de pouvoir vous partager mes observations sur ces questions dans une perspective de droits de l'enfant.

Je souligne que je collabore régulièrement avec plusieurs des intervenants qui se sont adressés à vous ou qui vont le faire dans les prochains jours et je déclare également que je n'ai pas de conflits d'intérêts professionnels ou personnels à venir vous parler aujourd'hui, mes recherches étant financées par des organismes qui sont indépendants.

Et donc cette perspective collaborative, et très souvent interdisciplinaire, que j'adopte dans mes travaux m'amène à formuler d'entrée de jeu une mise en garde à l'égard d'un faux dilemme qui s'est créé depuis quelques années autour des questions qui nous concernent, soit celui qu'on aurait à choisir entre des solutions éducatives ou des solutions juridiques ou entre un acteur ou une autre... un acteur ou une autre pour protéger les enfants dans le monde numérique. J'invite vraiment la commission à adopter une vision large, une vision complémentaire des responsabilités de chaque acteur de la société dans la recherche de solutions.

Je mentionne aussi d'entrée de jeu que de parler de droit lorsqu'on réfère aux enfants, ça peut sembler un acquis en 2024, mais sachez que la reconnaissance de l'enfant comme personne à part entière, qui jouit d'une capacité et qui possède des droits, c'est une situation pour laquelle il a fallu militer à une certaine époque qui n'est pas si lointaine où l'enfant était considéré comme un être qui était incapable, défini par ses manques par rapport à l'adulte. Il est vraiment passé d'objet de droit à un véritable sujet de droit. Puis c'est vraiment sur cette vision que repose la convention sur les droits de l'enfant, qui est un instrument juridique international qui a été ratifié par les gouvernements du Québec et du Canada en 1991, et donc le Québec s'est engagé à faire appliquer et à respecter les principes qu'elle contient en ligne et hors ligne.

Et donc les principes de droits de l'enfant, ce ne sont pas juste des beaux principes, c'est des engagements, c'est des obligations. Et donc, en ce sens, le paragraphe 35 de l'observation générale n° 25 est sans équivoque à l'égard des responsabilités de l'État par rapport à l'industrie du numérique, et je cite : «Les entreprises ont des incidences sur les droits de l'enfant dans le cadre de la fourniture de services et de produits liés au numérique. Les entreprises sont tenues de respecter ces droits, de prévenir et de réparer les atteintes, le cas échéant, et les États ont l'obligation de veiller à ce que les entreprises assument ces responsabilités.»

Comme mon temps est restreint, je vous soumets, à la lumière de ces premiers commentaires, la très large recommandation, mais importante, que l'ensemble des éventuels projets de loi et initiatives de l'Assemblée nationale du Québec qui découleraient de cette commission spéciale tiennent compte de l'outil d'évaluation des répercussions sur les droits des enfants, le ERDE, fondé sur la convention pour aider les parlementaires à évaluer leurs répercussions éventuelles sur les enfants.

Vous savez, en 1977, lorsque le Québec a adopté la Loi sur la protection de la jeunesse, cette dernière a été reconnue comme une loi d'avant-garde. Cette loi a été imitée, d'ailleurs, dans d'autres juridictions à travers le monde. Elle a permis au Québec de se positionner sur la scène internationale. Donc, on a l'occasion aujourd'hui de nous placer comme précurseurs, d'agir avec leadership, de suivre la mouvance actuelle qui a débuté aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et ailleurs pour s'assurer de protéger les droits de l'enfant en ligne par des messages forts et des initiatives concrètes.

Pour ce faire, dans mon mémoire, je ne vous soumets pas moins de 18 recommandations basées sur cinq principes clés en droit des enfants. Je ne vais pas avoir le temps de passer au travers, mais je vais insister sur deux principes clés, puis on pourra revenir sur le reste dans le cadre de nos échanges.

D'abord, premier principe, et je vais faire sourire les personnes avec qui je collabore régulièrement si jamais elles écoutent cette audition puisque je le martèle souvent, le principe des capacités évolutives de l'enfant. Les enfants ont besoin de protection, mais ils ont aussi besoin de participation. Ils ont besoin d'autonomie décisionnelle. Ces différents besoins vont varier selon les contextes, selon l'âge, selon les domaines de décision, et ce principe va avoir des conséquences importantes dans leurs relations numériques.

Par exemple, dans la petite enfance, c'est une période au cours de laquelle l'enfant va se développer rapidement. Bon, on vous l'a dit, plusieurs intervenants vous l'ont dit, il y a une vulnérabilité singulière dans les toutes premières années de la vie. On pense que ce serait justifié, dans le cadre d'initiatives législatives pédagogiques à caractère symbolique, par exemple, ou à travers des normes de santé publique, de suggérer, au nom du principe des capacités évolutives de l'enfant et en raison des données probantes qu'on vous a présentées, des balises d'usage des écrans qui seraient distinctes entre la petite enfance, l'enfance et l'adolescence.

• (17 heures) •

Il y a différentes propositions de lois actuellement dans le monde qui incarnent cette vision nuancée de ce qui est optimal entre les catégories d'âge, du degré de maturité et de compréhension de chaque enfant, le fameux projet de loi sur la majorité numérique, je crois, est sur votre… peut-être dans vos réflexions présentement, ceux qui portent sur le renforcement de la protection des mineurs sur les réseaux sociaux, les projets de loi autour de la vérification de l'âge à l'entrée des sites pornographiques et les mesures d'encadrement du contenu télévisuel et cinématographique.

Pour évaluer ce qu'est la capacité de l'enfant, il y a différents critères qui sont recommandés par l'UNICEF. D'abord, la capacité de l'enfant de comprendre c'est quoi, les alternatives qui sont disponibles. L'enfant doit aussi être capable d'exercer un choix indépendamment de toute contrainte et manipulation, un critère que l'on peut questionner dans le cas des réseaux sociaux en jeune âge, la capacité aussi de pouvoir mesurer les conséquences néfastes qui pourraient naître du traitement de ces données personnelles, par exemple. La capacité d'évaluer les avantages, les risques, les dommages potentiels sur son développement : difficile pour un enfant du primaire, par exemple, dans le cas de la pornographie.

Cette reconnaissance de l'acquisition progressive de l'autonomie de l'enfant, c'est un concept qui devrait guider les travaux des parlementaires pour éviter de tomber dans un paternalisme juridique envers les enfants, certes, mais pour aussi, en même temps, s'assurer de les protéger adéquatement et d'agir sur le plan législatif lorsque c'est requis.

Deuxième principe, celui de l'intérêt supérieur de l'enfant, et je vais terminer mon allocution sur ce principe, dont on vous a, d'ailleurs, déjà parlé. On l'a dit souvent, les écrans, plus largement le numérique, bon, offrent des opportunités aux mineurs, ils peuvent aussi provoquer des risques, et le nerf de la guerre réside en grande partie dans cet exercice qui consiste à séparer le bon grain de l'ivraie en matière de numérique dans l'enfance. Et je vous propose que le guide, la boussole dans cet exercice, ce soit le meilleur intérêt de l'enfant, comme nous le requièrent, d'ailleurs, nos engagements internationaux en matière de protection des mineurs.

Et je réitère que ce n'est pas seulement un principe qui est intéressant, l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est une obligation qui découle de l'article 3 de la convention. On dit : «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, [que ce] soient [les] institutions [privées, publiques], [les] autorités administratives [...] les organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.» Et donc cette obligation s'applique à tout moment, en tout lieu, dans tous les contextes du monde numérique et de la vie hors ligne.

Et donc de parler de considération primordiale, ça fait en sorte qu'en cas de conflit avec d'autres droits, ceux de l'entreprise, des entreprises du secteur du numérique ou ceux des parents, on va accorder un poids, une priorité qui va être plus élevée à l'intérêt de l'enfant, comme la Cour suprême l'a fait dans l'arrêt Irwin Toy en 1989, une décision qui est historique pour le Canada, où on a vraiment fait passer l'intérêt de l'enfant en priorité. Et donc le plus haut tribunal du pays a conclu que c'était «raisonnable, de la part du législateur, d'empêcher les annonceurs d'exploiter la crédulité des enfants». Je reprends les mots de la décision.

Et donc cette évaluation de l'intérêt supérieur de l'enfant, ça doit faire une place aussi au respect du droit de l'enfant d'exprimer son opinion, du droit d'être entendu dans toutes les affaires qui le concernent. Je salue l'intention de la commission en ce sens, de faire participer les écoles, et je pense qu'il ne faut pas hésiter à aller le plus loin possible dans cette implication et cette participation des enfants.

Il paraît aussi une avenue prometteuse d'intégrer le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant comme étant prioritaire aux intérêts commerciaux de l'industrie, comme on le retrouve, d'ailleurs, dans des lois au Royaume-Uni ou dans certaines législations américaines.

À propos de la participation des enfants, le rapport de l'important organisme Digital Futures Commission, au Royaume-Uni, est sans équivoque à l'égard du modèle d'affaires des plateformes et de ce qu'en pensent les mineurs. Le rapport révèle que les enfants ont exprimé vouloir «un monde numérique qui est moins addictif, moins préjudiciable et qui ne les exploite pas sur le plan économique». Je reprends les mots des enfants.

Et donc je souhaite terminer par les propos éloquents de l'éminent professeur en droit des technologies au Québec, Pierre Trudel, qui a exprimé dans un article aux médias au sujet de l'encadrement de l'industrie du numérique : «Il faut cesser de prétendre que les lois d'un État ne peuvent pas s'appliquer lorsqu'une activité se déroule sur Internet. Ce qui manque pour assurer l'efficacité des lois aux activités qui se déroulent en ligne, c'est la volonté des autorités de les appliquer et de les assortir des risques proportionnés pour ceux qui choisiraient de passer outre.» Donc, j'invite la commission à réfléchir à ce que le Québec prenne les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'il devienne risqué pour les entreprises de faire fi des lois qui s'appliquent pour protéger les enfants, en ligne comme ailleurs.

Je vous remercie de votre attention et je suis disponible pour échanger avec vous.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, Mme Jolicoeur. Nous allons débuter cette période d'échange avec M. le député de Jonquière.

M. Gagnon : ...plaisir de vous accueillir. J'ai bien entendu certaines balises en fonction de l'âge, mais vous avez dit quelque chose qui m'accroche, vous avez dit : Une certaine autonomie décisionnelle. Et, de manière très courte, ce que j'entends, c'est... vous proposez, puis reprenez mes propos, mais vous proposez une certaine liberté aux enfants, dans leurs choix. C'est ce que j'entends. C'est-à-dire, on peut parler d'école, on peut parler du parent, on peut parler de formation, on peut parler d'éducation, mais vous ramenez une vision qui dit : En fonction de l'âge, en fonction de certaines balises, les enfants peuvent faire certains choix. C'est là-dessus que j'aimerais vous entendre.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, c'est le principe des capacités évolutives de l'enfant, c'est au coeur de toutes les lois en protection de la jeunesse, là, cette idée de dire que l'enfant est titulaire de droits, donc de ne pas rentrer dans une attitude qui est paternaliste ou qui serait... autant dans les mesures éducatives que dans les mesures juridiques. Cependant, le besoin... la reconnaissance du principe de l'acquisition progressive de l'autonomie, ça n'exempte pas le fait qu'on a aussi un devoir de protection de l'enfant. Et donc c'est vraiment un principe qui est évolutif, qui est contextuel également et qui ne fait pas en sorte, puis j'espère avoir été claire là-dessus dans mon audition, que l'État n'a pas d'obligation d'encadrer les entreprises, l'industrie du numérique, là, lorsque nécessaire.

M. Gagnon : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : D'autres interventions? Oui, Mme la députée d'Iberville.

Mme Bogemans : ...de la qualité du contenu puis que ça reflète bien, finalement, l'intérêt de l'enfant. Ça serait quoi, le meilleur processus pour que le matériel puis le contenu qui est présenté aux enfants dans les écoles soit adéquat, selon vous?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, je pense qu'il faut suivre les données probantes à ce sujet-là. Dans les écoles, sur les technologies pédagogiques, il y a des gens qui ont vraiment des expertises spécifiques, là, sur cette question-là, si votre question, tu sais, s'adresse vraiment au contexte scolaire. Encore une fois, ça aussi, ça découle de nos engagements internationaux envers les enfants, que d'être capables de leur fournir un contenu de qualité. Puis je pense que ça ressort assez clairement de la commission que tout ce qui mobilise des stratagèmes basés sur l'économie de l'attention, sur des... vraiment de la surstimulation, tout ça, ça ne correspond certainement pas à ce qui est optimal, là, pour le développement de l'enfant. Donc, j'espère répondre à votre question par rapport au contexte scolaire. Je n'ai pas d'expertise spécifique, là, à la question des outils pédagogiques en contexte scolaire, là.

Mme Bogemans : Mais, en fait, est-ce que... Pour respecter le principe que vous venez de mettre de l'avant, finalement, est-ce que le mieux, ça serait, par exemple, de dire : Nous avons le droit, dans les écoles, d'utiliser telle plateforme ou tel outil parce qu'on a les études probantes, indépendantes ou avec une transparence de qui a financé les études pour être capables de dire que c'est du bon matériel?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Je pense que vous mettez le point sur un enjeu qui est très important, là, la transparence, aussi, du financement de ces études-là, tout à fait. Mais je pense que, si on revient au fait que la boussole, le guide, c'est le meilleur intérêt de l'enfant, bien, ça serait d'évaluer au cas par cas. Bien, par exemple, l'interdiction du cellulaire dans la classe peut avoir une justification parce que c'est dans le meilleur intérêt de l'enfant d'être concentré, de ne pas être distrait durant ses périodes de classe, peut-être même de l'élargir, effectivement, dans des contextes plus vastes. Pour ce qui est, après ça, d'utiliser des outils qui sont bien balisés, il y a eu des associations, là, de... qui sont venues vous parler, qui sont vraiment dans le secteur des technologies éducatives. Mais, à ce moment-là, en utilisant ce principe-là de l'intérêt supérieur de l'enfant, ce serait d'évaluer contextuellement, effectivement, si ça peut être dans l'intérêt de l'enfant de bénéficier d'outils pédagogiques en classe lorsque c'est opportun.

Mme Bogemans : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve.

• (17 h 10) •

M. Leduc : Merci, Mme la Présidente. Bonjour. Merci pour votre présentation. Pouvez-vous nous dire, ça m'intéresse, là, le concept de l'intérêt supérieur de l'enfant, dans combien d'autres lois québécoises on utilise ce concept-là?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, en fait, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, il est dans notre droit commun, là, dans notre Code civil du Québec. C'est une obligation, un engagement international qu'on a. Là, je ne veux pas rentrer dans trop des considérations techniques, mais on a un enjeu au Canada, au Québec, de ne pas avoir intégré la convention par une loi habilitante dans nos lois. Ce qui ne veut pas dire que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas un engagement, là, qu'on doit respecter, mais le fait de l'intégrer spécifiquement dans une législation, par exemple, Me Levac, qui vous a recommandé de le faire dans une loi sur la protection des renseignements personnels, moi, je pense que ce n'est jamais une mauvaise idée.

Je veux dire, pour l'argumentaire, aussi, qu'elle mettait de l'avant, l'idée de la protection parapluie, là, je trouve ça assez intéressant. Et aussi parce que, bien, il y a un peu une présomption d'interprétation des lois, que le législateur ne parle jamais pour rien dire, donc le fait de marteler qu'on met de l'avant une loi qui a pour but de protéger les personnes physiques dans le cyberespace, dans... sur Internet, bien, le fait d'inscrire qu'on valorise l'intérêt supérieur de l'enfant et qu'on protège un groupe vulnérable, je pense que c'est une avenue qui est intéressante, là, pour le gouvernement.

M. Leduc : Vous parliez de Me Levac, ça, c'était avec Option Consommateurs?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui, exact.

M. Leduc : Oui, c'est ça. C'est ça. Donc, leur proposition de dire : On devrait intégrer ce concept-là dans la loi sur les renseignements personnels et confier à la Commission d'accès à l'information un certain pouvoir décisionnel sur l'objet d'une plainte, de potentiellement interdire des fonctionnalités de réseaux sociaux... quelque chose que vous pensez qui est une piste intéressante?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, tout à fait. Je dirais que, de manière générale, quand une loi comme celle-ci cherche à protéger un groupe vulnérable, de mettre l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est une avenue qui est intéressante. Ce que j'ai essayé aussi de vous dire dans mon exposé, c'est que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, il s'applique en tout temps, en tout lieu, tout le temps, dans notre vie en ligne et hors ligne. Donc, le fait que ça ne soit pas inscrit dans la loi, ce n'est pas un justificatif pour dire : Bien, on passe outre le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais le fait de le mettre dans une loi, ça donne, c'est ça, une protection peut-être supplémentaire, effectivement.

M. Leduc : Vous parliez tantôt de prioriser, donc, l'intérêt supérieur de l'enfant par rapport aux intérêts économiques des entreprises de jeux vidéo ou de réseaux sociaux. Comment on le concrétise? Parce que je ne suis pas sûr qu'il y a beaucoup de monde qui serait en désaccord avec cette hiérarchisation que vous faites de ces deux principes-là. Mais, concrètement, là, on parle, donc, par exemple, de l'intégrer, faire de la solution d'Option Consommateurs une réalité, mais est-ce qu'il y a d'autres manières que vous pourriez nous suggérer, vraiment plus concrètes, de le concrétiser, alors, cette...

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, vous dites qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui sont en désaccord, par contre...

M. Leduc : Officiellement et publiquement.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui, oui, officiellement et publiquement, tout à fait.

M. Leduc : Après ça, quelques investisseurs pourraient nous dire autrement, on s'entend, là.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui. Mais en fait, par contre, quand vient le temps d'agir pour contraindre l'industrie, même si on est d'accord avec le principe, des fois, on se questionne nous-mêmes. Bien, je l'ai entendu dans l'espace médiatique, je l'ai un peu entendu aussi en commission, de dire : Bien là, qui qu'on est, David contre Goliath, contre l'industrie du numérique? Moi, je vous dirais : Il n'y a rien qui est censé être au-dessus du gouvernement et de l'industrie, sauf les droits et libertés de la personne. On est dans une constitution où, bien, ce qui est supralégislatif, c'est les droits et libertés de la personne. Mais, sinon, l'industrie n'est pas censée être au-dessus des lois. Et donc je comprends l'asymétrie de pouvoir qui s'est créée, je comprends cette espèce de réflexe-là de dire qu'on est...

Mais moi, j'invite la commission à vraiment chercher à avoir la certitude que ça fait partie de ses devoirs, de ses obligations envers les enfants que d'encadrer l'industrie, si jamais il y a préjudice puis qu'on viole l'intérêt de l'enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant. Donc, c'est un mythe, hein, qu'on ne peut pas encadrer Internet, que, parce qu'il y a des sites qui sont hébergés dans d'autres pays, les lois ne s'appliqueraient pas. Il y a une décision de la Cour suprême, célèbre, qu'on nous enseigne dans nos séminaires de droit des technologies, où une injonction extraterritoriale a été demandée, dans Google et Equustek, en 2018, donc, pour forcer Google à appliquer... c'était dans un cas de propriété intellectuelle. En tout cas, peu importe. Mais, vraiment, c'est ce mythe-là, là, qu'on n'a pas de pouvoir sur l'industrie parce que l'industrie est toute puissante. En tout cas, je pense qu'il faut rétablir l'asymétrie de pouvoir qui s'est créée.

M. Leduc : Je ne veux pas parler au nom de mes collègues, mais, mettons, moi, ce qui pourrait me faire réfléchir, ce n'est pas tellement l'idée qu'on peut légiférer, ça, je sens qu'on a ce pouvoir-là, c'est notre fonction première ici et dans ce beau parlement, mais c'est plus la question : Est-ce que ça va fonctionner? Est-ce que ça va être efficace?Est-ce qu'on va réussir à, pour de vrai, réglementer ce secteur-là, mettre au pas les... Ça fait que c'est plus ce truc-là.

Tu sais, on parlait tantôt des VPN, est-ce qu'on peut... La dernière chose que je voudrais, c'est qu'on légifère, puis qu'on bombe le torse, puis on dit : Au Québec, c'est comme ça qu'on vit, pour paraphraser certaines personnes, mais qu'après ça ça ne fonctionne pas puis qu'on devienne presque une risée internationale : Bien, eux autres, ils ont dit qu'ils allaient tout changer, puis finalement rien ne change. C'est plus l'applicabilité de ce qu'on tenterait de faire.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Je vous rassure par rapport à l'aspect, tu sais, d'être une risée. Tu sais, il y a une mouvance actuelle dans les lois, au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, où vraiment on adopte des lois pour encadrer l'industrie. Je pense que c'est vraiment l'occasion de suivre cette mouvance-là. Le UK Age... Age Code, là, sur le design de... Pardon, le titre exact, mais vous savez lequel... UK Children's Code, là, pour agir vraiment sur le design du numérique. Il y a une étude qui a été faite par Children and Screens, qui est un organisme indépendant aux États-Unis, pour mesurer l'effectivité de cette loi-là, et ils ont dénombré 128 changements qui ont été faits suite à l'adoption de ce code-là.

C'est sûr que c'est difficile de dénombrer, de ce nombre-là, c'est quoi, qui réellement et directement corrélé avec l'adoption de la loi ou qu'est-ce qui a été de l'autorégulation de l'industrie, qu'ils se sont dit : O.K. on sent l'eau chaude, et donc on adopte des changements. Mais, quand même, c'est sûr que, pour l'enjeu de l'effectivité du droit puis qui, moi, comme doctorante en droit, m'intéresse beaucoup aussi, et c'est normal... Je pense que c'est un enjeu, l'efficacité du droit, qui n'est pas présent seulement dans le monde numérique. Tu sais, on se questionne sur l'effectivité des normes dans le monde non numérique, et je pense qu'on est dans des démarches très prospectives, donc l'efficacité réelle, si on la mesure, parce qu'on ne mesure pas toujours l'efficacité de toutes les lois, mais on va le savoir, c'est sûr, par après. Mais je pense que, sur des enjeux... particulièrement René Morin, qui est venu vous parler des enjeux qui concernent la délinquance sexuelle en ligne, les enjeux de vie privée, les enjeux que Maude Bonenfant vous a parlé ce matin, concernant les stratagèmes, Magali Dufour, je pense que, sur ces enjeux-là, il y a vraiment quelque chose à faire sur le plan législatif.

M. Leduc : C'est sûr que je pourrais vous parler longtemps des normes du travail qui ne sont pas à 100 %...

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Tout à fait.

M. Leduc : ...appliquées au Québec. Bien, ce que je retiens de votre témoignage, c'est que, même si on n'est pas à 100 % certains que ça va 100 % s'appliquer, on est quand même suffisamment certains que ce droit nouveau là aura un impact pour s'y lancer.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Oui. Puis je pense qu'on vous a parlé de force symbolique, aussi, du droit. C'est sûr qu'en sociologie du droit on va s'intéresser aussi à ces effets-là de la norme, au fait que le gouvernement prend une posture. Récemment, je parlais aussi avec... d'effectivité, justement, du droit sur Internet, et on me parlait de la stratégie que, d'ailleurs, je pense, le centre canadien de la petite enfance... de protection de l'enfance, pardon, met en oeuvre, l'idée d'être en réseau avec les autres pays qui ont adopté une législation similaire, qui fonctionne très bien dans le cas de la pédopornographie. Donc, ce n'est pas parce que le contenu problématique vient de l'Irlande, par exemple, qu'on va se retenir d'agir et donc de développer des partenariats en réseau, comme ça.

Bien là, si, un jour, on a un commissaire à la protection de l'enfance au Québec, là, il y a un projet de loi... ça pourrait être d'être en réseau avec les ombudsmans de protection de l'enfance de d'autres juridictions. La Sûreté du Québec, je pense qu'elle n'est pas venue encore témoigner, mais, en tout cas, les polices... les corps policiers peuvent travailler aussi en réseau, les protections de la jeunesse, les commissariats à la vie privée, la CNIL en France, tout ça. Donc, ce travail-là en réseau, ça peut être un levier pour s'assurer de l'effectivité des lois adoptées.

M. Leduc : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Moi, je vais me faire l'avocat du diable pour... J'essaie de voir, tu sais, au niveau de l'intérêt supérieur de l'enfant, des fois, dans une certaine mesure, si ça peut s'appliquer. Parce qu'on a... bon, on a entendu plusieurs témoins, puis, au niveau, bon, bien, de l'interdiction du cellulaire, complètement, dans les écoles, bien, certaines visions, c'est que, bien, ça serait dans l'intérêt de l'enfant parce que, sur l'heure du dîner, les jeunes sont tous sur leurs cellulaires, puis il n'y a plus personne qui socialise, l'activité physique est moins là.

Donc, dans un... Comment on arrive à jongler avec ça, alors qu'on a deux écoles de pensée, sur l'interdiction des cellulaires, complètement, à l'école, quand certains prônent que, bien, l'intérêt supérieur de l'enfant, ce serait de l'interdire et d'autres disent : Bien non, si vous faites ça, on va créer d'autres problèmes ou ils vont aller... c'est ça, ils vont sortir de l'école puis ils vont aller visiter leurs plateformes? Alors, c'est dans ce... devant ces dilemmes-là que je me dis : Comment on applique ce principe?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, c'est une très, très belle question, parce que l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est quelque chose qui est contextuel. Puis je me mets à votre place, là, ça fait presque deux semaines que vous recevez de l'information de... puis de l'information qui peut sembler contradictoire mais qui est la démonstration... Puis ça, c'est une recommandation aussi que j'ai dans mon mémoire, de segmenter les sujets, parce qu'il y a plus d'une trentaine de problématiques, là, qui sont abordées dans le document de consultation, puis ça peut créer, des fois, cette impression-là de : Ah! bien là, dans ce cas-ci, l'écran, il est bénéfique; dans tel autre, il ne l'est pas, puis là... Donc, peut-être qu'en segmentant, aussi, les enjeux ça peut aider.

Et moi, comme juriste, je le vois, là, cet enjeu-là de la nuance, qui est important, là, de ne pas tomber technophobie ou technophilie, être dans un juste milieu. Mais, moi, ma crainte, parfois, dans certains discours, c'est que cet accueil-là de la nuance fasse un peu basculer dans la complaisance par rapport à certains risques, tu sais, le fait de... Puis c'est des débats, là, qu'il peut y avoir entre... Mais il y a des risques qui sont extrêmement importants, extrêmement sérieux. Tantôt, vous avez Mme Miville-Dechêne qui va venir vous parler de l'accès à la pornographie, il y a des intervenants qui vous ont parlé de cyberdépendance, donc il y a des enjeux qui sont très, très... qui n'occultent pas le fait qu'effectivement, pour certains... Puis moi, j'y suis sensible, bien sûr, comme... dans une perspective de droits de l'enfant, des enfants en situation de handicap, pour qui la technologie va être bénéfique, va leur permettre d'être un outil d'inclusion.

Ça fait que tout ça pour... une longue réponse pour vous dire, finalement, que je pense qu'en segmentant les sujets et en accueillant cette complexité-là, qui est vraiment propre à... Ça semble être un gros problème, les écrans et les enfants, mais c'est finalement plusieurs problématiques différentes, plusieurs enjeux. Il faut prendre le temps de les évaluer, il faut prendre le temps de les analyser et... Voilà, longue question, finalement, puis la question était dans les écoles, mais... longue réponse. Mais, merci, c'est une question qui est importante, vraiment.

• (17 h 20) •

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. C'est éclairant. Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Jolicoeur. Merci pour votre mémoire. En fait, donc, vous l'avez abordé un peu, donc, dans votre énoncé, donc vous dites, donc : On s'intéresse, donc, à la question de la majorité numérique. Une des expertes qui vous a précédée, donc, nous a un peu corrigés dans notre nomenclature, puis j'aimerais, en fait, avoir votre opinion là-dessus, donc, en fait, à l'égard, donc, du principe des capacités évolutives de l'enfant, comment est-ce que vous abordez ce sujet-là et, le cas échéant, donc, si vous mettriez, donc, un certain âge qui soit conséquent avec ce principe-là que vous évoquiez dans votre mémoire.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : J'aurais trois choses à dire. Je savais que vous alliez me parler de la majorité numérique. Donc, je pense que c'est Maude Bonenfant qui vous a parlé.

Mme Cadet : Oui, c'est ça.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Je partage ces réserves-là, sémantiques. D'abord, premier commentaire, celui de la forme, je pense effectivement qu'il y a une confusion qui peut se créer et peut-être même une espèce de... c'est comme si on... une espèce de valorisation des réseaux sociaux, comme si, finalement, être dans le... avoir des outils numériques ou avoir un contact avec le numérique, ça se limitait aux réseaux sociaux. Puis, tu sais, le consentement, aussi, on ne parle pas de majorité médicale, on parle... Tu sais, je pense que ce n'est peut-être pas le bon choix stratégique. Puis d'ailleurs il y a un maître de conférence, en France, qui a critiqué le choix du titre «majorité numérique», là, pour essentiellement les mêmes raisons.

Pour ce qui est de l'âge exact, tu sais, c'est plus des experts en éducation, en développement de l'enfant, qui vont trancher ce débat-là. Mais je pense que l'idée de nommer la loi pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une loi qui vise à limiter l'accès des jeunes de moins de 14 ans, par exemple, aux réseaux sociaux... Ou même, j'irais peut-être plus loin, de dire, en fait... À la base, l'industrie avait créé ces outils-là pour des jeunes de 13 ans et plus, donc c'est presque une mesure de renforcement de l'efficacité de l'interdiction qui a été mise, à la base, par l'industrie. Donc, il y aurait un choix à ce niveau-là.

Après ça, sur le fond, je pense qu'il y a beaucoup d'arguments favorables au fait de dire qu'avant la préadolescence, pour les critères que je vous ai exposés, aussi, dans mon allocution, sur la capacité à mesurer les avantages et les inconvénients, la capacité à pouvoir vraiment comprendre tous les risques, quand... Il y a un organisme super... je ne sais pas si je l'ai déjà nommé, mais Children and Screens à Washington, aux États-Unis, qui travaille à faire de la recherche. Et, l'an dernier, j'assistais à un congrès international, et il y a une chercheure qui a présenté une étude où elle avait analysé des profils Instagram de jeunes de moins de 13 ans de manière qualitative. Donc, elle avait fait ressortir... et elle n'avait même pas eu besoin de faire de demandes d'amitié, elle avait simplement évalué. Et le titre de sa présentation est assez éloquent, là, le titre était... je m'excuse pour l'anglais, mais c'était : I'm 10 and I'm single, donc j'ai 10 ans et je suis célibataire. Pour... C'était très très percutant, comme titre. Et elle a fait ressortir de son étude qu'il y avait beaucoup de contenu hypersexualisé, que les jeunes mettaient leur statut matrimonial publiquement sur les pages, qu'il y avait des adresses, des renseignements sensibles, etc. Et donc moi, quand j'entends cette science-là, je me dis : Il y a quand même des arguments qui sont favorables, dans le respect, la... de cette capacité-là progressive de l'autonomie de l'enfant, de dire : Bien, avant 13, 14, 15 ans, ce n'est peut-être pas un outil qui est approprié.

Et après ça, pour le déploiement, parce que, là, c'est là que... Bon, O.K., sur la question de la vérification de l'âge, la semaine dernière... Là, je ne sais pas si je peux continuer, je ne sais pas s'il me reste du temps. La semaine dernière, j'ai assisté à un Global Summit of Age Verification, donc c'est un... il est disponible en rediffusion. D'ailleurs, si jamais vous voulez aller le voir, c'est le Age Verification Association Providers qui a organisé un sommet pour faire le point sur les connaissances techniques qu'on a sur la vérification de l'âge. Et, parmi les constats qui sortent de cette rencontre-là, il y a cinq ans, ils avaient fait un exercice similaire, et il y avait cinq manières de vérifier l'âge en ligne et, maintenant, il y a 12 façons de le faire. Donc, la technologie évolue en cette matière-là.

Un aspect qui est très important aussi, c'est que, vérifier l'âge, ce n'est pas la même chose que vérifier l'identité. Donc, c'est deux choses qui sont... la seconde manoeuvre étant plus intrusive sur le plan de la vie privée. Mais on peut opérer une vérification d'âge, puis peut-être que Mme Miville-Dechêne vous en parlera, en respectant le double anonymat, en faisant un tiers de confiance qui fait la vérification. La question de la protection des renseignements personnels, c'est une objection qui est importante, vraiment, c'est sûr. Évidemment, on est dans un contexte où c'est une lutte de tous les instants, là, de protéger les renseignements personnels en ligne. Par contre, je pense que, tôt ou tard, on va être confrontés à résoudre ce dilemme-là... cette problématique-là technique d'être capables... ne serait-ce que parce que nos services publics se dématérialisent, on est de plus en plus dans un monde où nos rapports se passent dans le monde numérique. Et donc la question de la vérification d'âge, je pense que c'est une question, sur le plan technologique, qu'il va falloir résoudre.

Et, quand on parle de vérification de l'âge, particulièrement pour l'accès à des sites pornographiques, qui est vraiment un fléau, là, un jeune sur trois qui a accès à du contenu avant 12 ans et le trois quarts des jeunes garçons qui en écoutent à l'âge de 16 ans, c'est vraiment un enjeu de taille. Et donc c'est toujours la réplique qu'on entend, le fait de... bon, comment on va réaliser ça sur le plan technique, dans le respect de la vie privée. Mais l'organisateur de ce sommet-là a terminé en disant : Si on a réussi à faire marcher l'homme sur la lune, bien, on va être capable de trouver une manière de vérifier l'âge dans le respect de la protection des données personnelles. Donc, c'est là... c'est ce que j'aurais à dire pour ça. Mais je pense qu'il faut rester optimiste.

Mme Cadet : Merci pour cette réponse très complète. Puis là-dessus, je pense, vous avez dit quelque chose, donc, de très intéressant en disant : La vérification de l'âge, ce n'est pas la même chose que la vérification de l'identité, donc ça pourrait permettre, donc, le double anonymat, donc, de l'individu, de l'utilisateur, de l'usager. Donc, je comprends, donc, par exemple... Donc, je pense qu'un autre interlocuteur, donc, nous mentionnait que... bien, en fait, avec toutes les images qui sont diffusées, donc, avec tout ce que... tout le contenu qui est produit par l'utilisateur en ligne, les plateformes sont, de façon indirecte, en mesure d'identifier, à tout le moins, là, environ, donc, l'âge de l'utilisateur. Est-ce que c'est un peu ce que vous voulez dire ici? Ce serait en utilisant, donc, des informations parallèles, c'est-à-dire les sites qui sont... les pages qui sont suivies, le type de contenu qui est produit. Est-ce que c'est avec ce type de renseignements là qu'on pourrait inférer l'âge?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Vous me parlez un peu de... d'informations qui sont anonymisées ou dépersonnalisées. Effectivement, c'est une écoute qui est assez aride, là, écouter ce sommet-là, dans le sens que, sur le plan technique... Tu sais, je ne suis pas ingénieure informatique, bien sûr, mais ma compréhension, c'est celle-ci, effectivement, qu'on anonymise la donnée et que... Et parmi, même, les méthodes... Tu sais, moi, il y avait certaines méthodes, tu sais, pour lesquelles j'étais sceptique, par exemple.

Et il y a un élément qui est important pour l'évaluation de ces méthodes-là. Il y a l'International Standard Organization qui est en train d'adopter des lignes, justement, avec des clauses qui parlent de la sécurité, de la protection des données, de la performance aussi. Parce que, si on met un... tu sais, une mesure de vérification de l'âge de l'avant puis que, finalement, elle ne fonctionne pas, bien, ça ne sert pas... Donc, il y a vraiment ce souci-là d'encadrement de ces balises-là.

Et effectivement que... je sais que les organismes, bon, sont encore... on est encore en train de découvrir sur ça, mais ce qui semble être l'avenue, là, la plus porteuse et intéressante pour le respect de la vie privée, c'est : double anonymat avec un tiers. Évidemment qu'on ne veut pas que l'industrie pornographique ou les GAFAM se retrouvent avec les données, effectivement.

Mme Cadet : Merci. Je peux poser une dernière question?

La Présidente (Mme Dionne) : Bien sûr. Il reste un beau gros neuf minutes.

Mme Cadet : Merci. Vos... en fait, les interlocuteurs qui vous ont précédée, donc, ont parlé, donc, de la classification, donc, des jeux vidéo. D'autres avant elles, donc, nous ont parlé, donc, de ce système de classification là qui existe aussi, donc, en Australie, donc, par exemple, donc, sur des jeux sur des applications téléphoniques. Donc, vous, j'aimerais savoir, donc, comment est-ce que vous percevez ce type de mesure là, toujours dans le respect, donc, des différents principes de capacité évolutive de l'enfant et de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, je pense que c'est une excellente idée. Je pense que... En fait, l'industrie du cinéma le fait de manière indépendante. Il y a une loi sur le cinéma, au Québec, qui encadre. Et donc je pense que c'est vraiment dans l'intérêt supérieur de l'enfant, justement, que, les jeux vidéo puis les... ce qui se retrouve dans les contenus, on ait une évaluation objective et indépendante, là, des contenus. Je pense que c'est une avenue intéressante.

Mme Cadet : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Est-ce qu'il y a d'autres interventions?

Mme Cadet : ...

La Présidente (Mme Dionne) : Aucun problème, Mme la députée.

Mme Cadet : ...d'autres questions, mais je voulais laisser la place. Parfait. Votre troisième principe, la participation des enfants dans les discussions sur les enjeux qui les concernent dans l'environnement numérique, comment est-ce qu'on le met en oeuvre, selon vous, ce principe-là?

• (17 h 30) •

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, vous avez eu une très bonne proposition, encore une fois, je pense que c'est Me Levac qui l'a faite, par rapport à l'idée de créer des comités consultatifs, donc d'avoir une participation qui est un tout petit peu plus régulière. Aller dans les écoles, bien, tu sais, c'est intéressant, c'est sûr, c'est un peu plus ponctuel, sporadique. Vous savez, je pense que c'est le 22 septembre, là, qu'on a adopté le pacte numérique, là, l'ONU vient tout juste d'adopter ce pacte-là, et il y a 5Rights... 5Rights Foundation, qui est une organisation où il y a des jeunes ambassadeurs, au Royaume-Uni, qui participent dans les pourparlers, qui vraiment sont très, très actifs, de manière organisée, là, tu sais, il y a vraiment un organisme. Donc, on pourrait s'inspirer de modèles similaires. Mais d'avoir, c'est ça, des comités consultatifs. Je pense que l'Assemblée nationale a des... parfois, fait participer dans des exercices de simulation des jeunes, des choses comme ça. En fait, ces mesures-là, c'est important d'entendre la voix des enfants. C'est quelque chose qui est superimportant. L'observation que je cite dans mon mémoire, on a fait participer 729 enfants à cet exercice-là, leur parole est citée dans des paragraphes de l'observation, c'est une très belle démonstration, justement, du respect de la parole de l'enfant. Oui.

Mme Cadet : Merci. Puis enfin on a entendu précédemment, donc, le Bureau des affaires de la jeunesse, là, du DPCP sur la diffusion d'images sexuellement explicites ou d'images intimes. Selon vous comment le législateur québécois, donc, peut encadrer de telles pratiques?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Ça, c'est un... c'est un enjeu qui est superimportant, qui est très alarmant aussi, parce que, je pense... je n'ai pas entendu, là, l'intervention juste avant moi, mais je pense qu'il y a une banalisation, peut-être, ou une méconnaissance des conséquences. Donc, moi, je suis animatrice pour le CIEL — donc, vous avez eu Emmanuelle Parent — je pense que cette... c'est... il y a une clé de sensibilisation, vraiment, de faire connaître, de savoir que, quand on partage, ça peut être diffusé, tout ça, de faire... faire prendre conscience pour les jeunes, mais, sinon, d'avoir une rapidité, si jamais il y a une photo qui circule. Le Centre canadien de protection de l'enfance fait un travail vraiment extraordinaire pour ça. Mais je pense que d'avoir vraiment une concertation avec les écoles, les corps policiers, pour que ce soit le plus rapide possible... C'est ça, je pense qu'on ne réalise pas, les conséquences psychologiques, là, vraiment, de... Tu sais, on... Je me rappelle, en droit des technologies, j'avais lu un article. On parlait de choc post-traumatique, là, vraiment, quand on sait que notre image peut circuler. Puis là, avec l'hypertrucage, ça peut être des fausses images, mais les conséquences sont les mêmes, essentiellement. Donc...

Mme Cadet : Est-ce qu'avec les moyens technologiques on est en mesure de véritablement effacer ces images-là?

Mme Jolicoeur (Marie-Pier) : Bien, je sais que l'intelligence artificielle se raffine, là, des fois, pour, des fois... Il y a justement le... Ça donne beaucoup plus de munitions à des gens qui sont mal intentionnés, mais, à l'inverse, on peut l'utiliser à notre avantage. Je pense que le Projet Arachnid fait un travail vraiment extraordinaire pour repérer le matériel pédopornographique. Après ça, je pense que c'est... ça fait partie justement des exemples où la technologie peut être vraiment dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Mme Cadet : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Est-ce qu'il y a d'autres interventions? Alors, merci infiniment de votre présence et de votre contribution surtout à ces travaux. Donc, c'est ça, de belles... des questions parfois quand même complexes, alors c'est toujours intéressant d'être... de se faire mieux éclairer par les différents intervenants qui viennent nous voir.

Alors, sur ce, moi, je suspends les travaux pour accueillir notre prochain témoin.

(Suspension de la séance à 17 h 34)

(Reprise à 17 h 38)

La Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Miville-Deschêne. Donc, merci d'être avec nous en cette fin de journée. Donc, je vous rappelle, vous avez 10 minutes pour nous transmettre votre exposé, puis, suite à cela, on procédera à une période d'échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la parole.

Mme Julie Miville-Dechêne

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Donc, je remercie bien sûr la commission de m'avoir invitée à parler d'un enjeu que je porte depuis quatre ans, soit la volonté de protéger les enfants de l'exposition à la pornographie en ligne, qui s'incarne dans le projet de loi n° S-210.

Ma longue bataille montre bien la difficulté de légiférer dans le monde numérique. Bien que les parents réclament de l'aide, je fais face à une forte opposition du gouvernement libéral fédéral à l'idée d'assurer par voie législative que seuls les adultes puissent avoir accès à la porno en ligne. Mon bureau a commandé, en février dernier, deux questions de sondage à la firme Léger pour en avoir le coeur net. 73 % des répondants estiment que l'accès facile des mineurs à la porno en ligne est un problème important et 77 % veulent qu'on impose une vérification d'âge pour en limiter l'accès.

Il y aurait aujourd'hui plus de 4 millions de sites de porno à travers le monde. On parle du tiers de la bande passante. L'écosystème a radicalement changé, il y a une quinzaine d'années, quand les plateformes pornos ont choisi un modèle de contenu téléversé par les citoyens et ont donc opté pour la gratuité. Toute barrière à l'accès a donc disparu.

C'est entre 11 et 13 ans que les enfants ont leur premier contact avec la porno en ligne, de plus en plus «hard-core», il faut le souligner. Au Canada, 40 % des garçons du secondaire en ont vu, seulement 7 % des filles. Au Royaume-Uni, le quart des enfants de 11 ans et moins ont regardé de la porno.

• (17 h 40) •

La réputée pédiatre ontarienne Megan Harrison a livré un témoignage poignant au Sénat. Je la cite : «Les images que voit un enfant affectent sans contredit le développement de son cerveau. La plasticité synaptique est à son apogée chez les enfants et plus particulièrement chez les adolescents, ce qui signifie que les comportements, les images, les idées et les valeurs constamment répétés qui sont captés par le cerveau puis intériorisés pendant l'enfance et l'adolescence peuvent avoir une incidence durable, ce qui n'est pas le cas chez les adultes.»

La pédiatre poursuit ainsi : «Les adolescents que je reçois dans mon bureau vivent une très grande confusion par rapport à leur corps, ce que l'on attend d'eux sur le plan sexuel et ce qui est normal ou non.»

Le pédiatre que vous connaissez, Jean-François Chicoine, ajoute, et je le cite : «Trop jeunes, trop souvent, trop intensivement, l'exposition à la porno est toujours une blessure, mais, chez certains enfants, c'est une réelle cassure qui brise leur estime de soi et le rapport avec les autres, et pour toujours.»

La sexologue Marie-Christine Pinel, quant à elle, a fait des constats troublants chez les jeunes dans sa pratique. Je la cite : «Je vois émerger des tendances destructrices, une recrudescence des relations de dominance, une anxiété de performance qui entraîne des douleurs à la pénétration, un dysfonctionnement érectile, une explosion dans la demande de chirurgie esthétique génitale. Tous ces problèmes sont dus à l'influence de la porno.»

La recherche scientifique fait de plus en plus d'associations, et non de liens de cause à effet, je le précise, donc des associations alarmantes. Le visionnement fréquent de la porno par les adolescents peut mener à une consommation compulsive, créer des attentes irréalistes quant aux pratiques attendues, créer de la peur et de l'anxiété, entraîner des symptômes de dépression et être lié à un niveau d'intégration sociale plus faible.

Que retiennent les jeunes? La consommation répétée de porno par les ados renforce les stéréotypes de genre et perpétue les croyances sexistes et... l'objectification des femmes. Au moins 40 % des scènes de porno en ligne mettent en scène des actes de violence contre les femmes. Cette vision brutale de la sexualité risque de traumatiser les enfants et les jeunes et de nuire à l'image qu'ils ou elles se font d'eux-mêmes et des relations amoureuses.

Selon le Centre canadien de protection de l'enfance, qui a été cité par votre précédente témoin, la pornographie entre adultes n'est pas seulement néfaste, dit le Centre pour le développement cérébral des enfants, elle peut aussi les préparer à d'éventuelles agressions sexuelles en normalisant et en banalisant l'activité sexuelle dans leur esprit. C'est troublant.

Au Royaume-Uni, enfin, la commissaire à l'enfance a publié un rapport choc. Je la cite : «Les jeunes voient des choses qui déforment leur vision de ce qu'ils croient être une véritable relation sexuelle.» Des filles m'ont dit que leur premier baiser avec le petit copain... avec leur... lors de leur premier baiser avec leur petit copain, celui-ci a essayé de les étrangler parce que c'est ce qu'ils avaient vu dans une vidéo pornographique. Une récente enquête auprès de 1 000 jeunes Britanniques — ils font plus de recherche là-bas qu'ici, comme vous le voyez — donc des jeunes de 16 à 21 ans, ça indique que 47 % d'entre eux croient que les filles s'attendent à ce que la sexualité comprenne des agressions physiques comme du quasi-étranglement ou des claques, 42 % disent que les filles aiment ce genre d'agressions.

Il est clair que l'autoréglementation est un échec. Ces sites gratuits tirent leurs revenus de la publicité et des jeux vidéo à caractère sexuel qui ciblent les jeunes. Plus il y a de clics, quel que soit l'âge des clients, plus les profits rentrent.

Le projet de loi n° S-210 limitant l'accès en ligne des jeunes à la porno s'attaque donc à un enjeu grave de santé et de sécurité publique. S-210 criminalise le fait pour toute organisation de rendre accessible à un mineur du matériel sexuellement explicite à des fins commerciales. Et ce n'est pas de la censure. S-210 énonce que le matériel sexuellement explicite qui a un but légitime lié à la science, à la médecine et à l'éducation ou aux arts n'est pas couvert par l'interdiction. J'ai toujours défendu fermement l'importance d'une éducation sexuelle complète à l'école. Il ne s'agit pas de ça sur les sites pornos. De plus, la jurisprudence montre que le terme «matériel sexuellement explicite», tel qu'utilisé dans le Code criminel, ne peut pas être appliqué à n'importe quelle scène de nudité. On vise des activités sexuelles intimes représentées de manière détaillée et non équivoque dans le but de stimuler sexuellement ceux qui la visionnent.

Comme les sites Web... Comment... La question, c'est bien sûr de savoir comment les sites Web devraient-ils vérifier l'âge de leurs visiteurs avant qu'ils aient accès à du matériel porno. La bonne nouvelle, c'est qu'il y a des percées technologiques et qu'elles ont réduit au minimum les risques de la vérification d'âge des clients. Selon les experts, l'estimation d'âge, notamment, serait un moyen particulièrement sécuritaire car on ne recueille aucune donnée.

Parce que les technologies évoluent, S-210 ne détermine pas quelle méthode devrait être utilisée, sinon qu'elle soit fiable et sécuritaire. Le choix des méthodes est laissé à la réglementation. Bien sûr, à cause des VPN, des jeunes vont contourner la loi, mais il est improbable que des enfants de huit, 10, 12 ans en soient capables. Cette vérification d'âge ne devrait pas être faite par des sites pornos eux-mêmes mais par des fournisseurs de services tiers spécialisés. C'est une précaution essentielle pour éviter que les sites pornos aient accès aux données personnelles de leurs clients.

Voici comment l'Age Verification Providers Association décrit le processus : «La vérification d'âge n'est pas synonyme de vérification de l'identité. Il s'agit de deux choses complètement distinctes. En ce qui nous concerne, nous essayons de recueillir puis de conserver le moins de données possible. Dans bien des cas, il n'est même pas nécessaire de conserver des données personnelles des utilisateurs.»

Rappelons également que la liberté d'expression n'est pas un droit absolu, ça a été beaucoup évoqué dans ce débat, mais un droit qui peut être restreint en vertu de la charte dans les limites du raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique. Lorsqu'il faut soupeser les droits en jeu, l'atteinte d'un objectif aussi essentiel que la protection des membres les plus vulnérables de notre société devrait prévaloir sur un inconvénient mineur, soit se soumettre à une vérification d'âge.

Certains clament quand même que la responsabilité de protéger les mineurs de la porno en ligne devrait incomber seulement aux parents. Encore une fois c'est un argument qui ne tient pas la route. Les Canadiens voudraient-ils que les ventes d'alcool et de cigarettes et les activités de jeu soient laissées à la seule surveillance des parents? Bien sûr que non. On oublie que les parents n'ont pas tous le même niveau de littératie numérique. Si le contrôle parental fonctionnait, on le saurait. La vérité est que la plupart des parents n'ont aucune idée de ce que leurs enfants voient sur Internet et qu'ils ont besoin de notre aide.

Nos appuis sont nombreux, notamment la Société canadienne de pédiatrie, l'Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et l'Association des pédiatres du Québec. D'autres pays ont déjà pris des mesures en vue de protéger les mineurs de ce bombardement...

(Interruption) Woups! J'ai perdu mon texte. Excusez-moi. Il a défilé à l'envers. D'autres pays ont déjà pris des mesures en vue de protéger les mineurs de ce bombardement d'images pornos en ligne. Les sites pornos ont répliqué avec des poursuites, mais ils ont échoué jusqu'à maintenant. L'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Union européenne ont adopté des lois et des directives de vérification d'âge, l'Espagne doit lancer un projet pilote bientôt, l'Australie également, une douzaine d'États américains ont emboîté le pas.

Qu'attendons-nous? C'est toute une génération de jeunes et d'enfants qui font leur éducation sexuelle sur les sites pornos, avec les conséquences qui viennent avec. Comme mère, comme féministe, je juge qu'il n'appartient pas aux pornographes de décider ce que nos filles et nos garçons regardent. Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment, Mme Miville-Deschêne. Donc, nous allons débuter cette période d'échange avec la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme la sénatrice. Très heureuse de vous revoir, même si ce n'est que par le biais de la vidéoconférence. Mais merci pour votre exposé.

Vous nous avez fait mention, donc, de faits absolument troublants. Je pense que ma collègue et moi, on se regardait en se disant : Mon Dieu! C'est tout un univers.

Puis ma première question. Je pense que vous écoutiez Me Jolicoeur, donc, juste avant. Elle a bien mis la table en nous disant que vous auriez, donc, des précisions, donc, à nous offrir quant à la vérification de l'âge. Et là, donc, vous nous dites, donc, c'est possible, donc, de le faire de façon anonymisée, fiable et sécuritaire. Pouvez-vous, donc, nous donner, donc, quelques exemples? Je pense que, là, on a mis la table sur le fait que vérification de l'âge, ça ne signifie pas vérification de l'identité. Puis vous avez bien compris que c'est une question qui nous préoccupe beaucoup non seulement pour l'accès à des sites pornographiques, mais également, donc, à tout ce qui concerne, donc, l'accès à des... aux réseaux sociaux de façon un peu plus large, là, advenant le cas que les législateurs québécois voudraient aller dans cette direction.

• (17 h 50) •

Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...donc, de cette question... Donc, je vous remercie beaucoup de cette question importante. Je dois vous dire que la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre les choix de méthodes dans la réglementation d'un projet de loi, la réglementation, tout comme au Québec, est adoptée après, quand le projet de loi... après que le projet de loi soit adopté. Donc, on a repoussé les choix très précis de méthodes de vérification à ce moment-là, parce que, regardez bien, ça fait quatre ans que je défends ce projet de loi, depuis quatre ans, il y a eu plein de nouvelles méthodes, plein d'avancées technologiques sur toutes ces questions-là, et donc on n'est vraiment plus rendus au même point.

Donc, je peux discuter avec vous de cela, mais je ne me prétends pas une experte — il y en a beaucoup. Ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a évidemment des méthodes classiques, qui sont les méthodes de cartes, qui peuvent être... qui peuvent être en ligne, qui peuvent être montrées, donc des cartes d'identité. Mais on a beaucoup dit récemment que l'estimation de l'âge à plus ou moins deux ans était une méthode qui permettait d'aller très rapidement et de ne recueillir évidemment aucune donnée. Parce qu'on estime l'âge de la personne qui veut entrer sur les sites pornos, et ce n'est pas... tu sais, on parle beaucoup d'intelligence artificielle, mais l'estimation d'âge ne recueille pas de données et elle est pas mal fiable et surtout très sécuritaire.

Ça pourrait être une des méthodes. Mais ce qui se passe, par exemple, dans les pays comme la Grande-Bretagne, où on a passé une loi et on a de la réglementation, ce qu'on dit, c'est : Ce sera aux vérificateurs d'âge de proposer des méthodes, et nous évaluerons leur degré de fiabilité et de sécurité. Donc, ça peut être un éventail de choses. Je vous donne l'exemple de l'Allemagne, qui a une loi sur la vérification d'âge depuis plus d'une dizaine d'années et qui a plus d'une centaine de méthodes différentes par, évidemment des tierces parties, des vérificateurs d'âge qui sont approuvés. Donc, ça peut être des petites différences entre les méthodes, mais ça montre bien qu'il y a plusieurs méthodes possibles. Et, dans le cas de l'Allemagne... Je sais qu'on est très inquiets pour les données, mais, dans le cas de l'Allemagne, il n'y a jamais eu de fuite de données depuis qu'on a commencé cela.

Donc, bien sûr, quand on n'aime pas un projet de loi, on a tendance à le couvrir de tous les maux. Et on a beaucoup entendu que ce serait impossible, que ce serait trop dangereux, mais, comme vous le savez, Mme la députée, nous sommes tout le temps sur Internet, nous faisons des transactions bancaires, nous faisons beaucoup de choses qui impliquent de la sécurité et nos données, donc, évidemment, il y a toujours un risque minimal. Mais on est dans un pays où il y a des lois, et les vérificateurs d'âge devront obtenir une certification du gouvernement, c'est ce qui se passe, des... d'un régulateur ou des autorités, donc seules ces tierces parties vérifiées pourront effectivement faire de la vérification d'âge.

Je vous parle aussi d'une méthode qui a été développée en France, qui effectivement travaille sur ces questions-là depuis l'adoption de sa loi, et donc ça s'appelle le double anonymat. Ce que ça veut dire, c'est que, quand le client vient frapper à la porte, par exemple, de Pornhub, qui est un site porno qu'on connaît bien, il est renvoyé automatiquement vers une compagnie qui vérifie l'âge. Et la compagnie qui vérifie l'âge ne sait pas qu'il a frappé à la porte de Pornhub. Donc on lui demande juste une vérification d'âge. Et, quand on lui donne un jeton prouvant qu'il a plus que 18 ans, ce même client retourne, par exemple, vers Pornhub, qui n'a pas de données autres que celle-là. Donc, ça s'appelle un double anonymat, dans la mesure où les données ne sont pas partagées. Donc, ça, les Français disent qu'ils ont réussi à trouver la façon de le faire et ils vont commencer bientôt des projets pilotes.

Donc, je n'ose pas vous dire, là, que c'est... que tout est réglé, et tout, mais on est suffisamment en avance pour que des pays comme la Grande-Bretagne, qui travaille depuis des années sur ce dossier, soient maintenant à la veille de mettre en place leur loi en disant aux vérificateurs d'âge : Proposez-nous des solutions, et on va les évaluer. Et évidemment il y a différents degrés de complication dans ces méthodes-là.

Mme Cadet : Merci. Est-ce que... Bien, en fait, on a entendu, donc, le Directeur des poursuites criminelles et pénales, un peu plus tôt, donc, nous parler, donc, du partage d'images intimes, donc, d'images sexuellement explicites. Donc là, on ne parle pas, donc, des plateformes, donc, des entreprises elles-mêmes, mais, donc, d'adolescents, là.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non. Il faut que ce soit... Ce n'est pas couvert par mon projet de loi.

Mme Cadet : Non, c'est ça. Parce que c'était un peu ma question, à savoir si ça, c'était couvert par votre projet de loi. Non.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Parce que vous remarquerez, mais évidemment j'avais beaucoup de données, ce ne sont que les organisations qui sont touchées et non les individus. Et c'est clair que, pour éviter que, par exemple, deux jeunes qui s'échangent des images intimes soient passibles d'une infraction criminelle, on a limité le projet de loi à des organisations, que ce soient des plateformes, bien sûr, mais que ce soient aussi des sites pornos. Il y en a sur la plateforme X et, de la pornographie, il y en a beaucoup. Il y en a beaucoup partout. C'est... Pour moi, ça a été une découverte. Parce que, comme c'est très payant, ça a vraiment augmenté de... il y a eu une montée fulgurante de la pornographie sur Internet. Ce n'est pas pour rien qu'il y a des images qu'on appelle des pop-up qui sortent. Quand les enfants regardent Internet, ils peuvent... il peut, tout à coup, y avoir une image de pornographie qui sort. Écoutez, c'est un peu affolant.

Mme Cadet : Oui. Parfait. Merci. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : ...je reviendrai vers vous, Mme la députée. M. le... Mme la députée de Hull, pardon.

Mme Tremblay : Oui. Bonjour. J'aimerais ça que vous me parliez un petit peu plus des pays, là, justement, là, qui sont allés de l'avant, qui... tu sais, qui ont pris des décisions importantes pour protéger, bien, nos enfants, leurs enfants, ce qu'on souhaite faire ici, évidemment, de ces images et de tout ce que l'on retrouve sur les réseaux. Est-ce qu'ils ont vu une diminution? Comment ça se passe? Est-ce qu'il y a des études là-dessus? Est-ce que vous avez de l'information sur cela? Est-ce que...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : J'ai de l'information, mais ils prétendent qu'il y a des études. L'Allemagne est certainement le pays qui a en place une loi depuis le plus longtemps. Les plateformes nationales, c'est-à-dire allemandes, les plateformes pornos se sont conformées assez rapidement pour la protection des enfants. Mais ce qui se passe, c'est qu'en ce moment il y a une bataille rangée entre les différents pays et les plateformes pornographiques qui ne peuvent... qui ne veulent pas perdre leur avantage de pouvoir vraiment avoir n'importe qui qui peut regarder de la porno, et donc leur procurer des revenus supplémentaires.

Donc, en ce moment, il y a eu une bataille pendant plusieurs années en Allemagne. Pornhub, qui est maintenant possédé par Ethical Capital Partners, a poursuivi l'Allemagne en disant qu'ils n'avaient pas le droit d'avoir cette loi et, cette loi, que ce n'était pas constitutionnel, et tout. Ils ont finalement perdu. Mais ce qu'ils ont fait, et ça vous montre la ténacité de ces plateformes, c'est que, plutôt que de se soumettre à la loi, Pornhub a décidé de changer son adresse URL et est encore présente en Allemagne avec une adresse légèrement changée. Donc, ça vous montre la férocité de cette bataille, le fait que ces plateformes ne veulent pas se soumettre aux lois nationales. Et donc ce qui va se passer en Allemagne, c'est qu'ils vont retourner devant le Parlement, passer une autre loi pour éviter que les adresses légèrement changées puissent être utilisées. Donc, ça, c'est la bataille en Allemagne. Elle n'est pas gagnée. Mais je dois vous dire que c'est... les règlements... les régulateurs là-bas ne lâchent pas prise.

En Grande-Bretagne, la loi a été passée, le Online Safety Act a été passé il y a environ un an, devrait bientôt entrer en vigueur. Il y a eu des changements de régime. Il y a un premier projet de loi qui a été abandonné. Donc, dans ce cas-ci, c'est un projet de loi très complet qui protège aussi les enfants sur les médias sociaux, qui demande aux médias sociaux de s'assurer qu'eux-mêmes mettent des précautions en place, mais demande, pour la pornographie en particulier, de la vérification d'âge ou de l'estimation d'âge. Donc, c'est à peu près la même approche que celle qu'on a prise. On n'a pas encore, évidemment, de résultats puisqu'elle n'est pas en vigueur. La France doit commencer aussi des projets pilotes et, comme je vous dis, ils ont décidé que le double anonymat serait une façon de faire.

Aux États-Unis, la question est un peu plus complexe parce qu'il y a à peu près une douzaine d'États qui obligent des vérifications d'âge. Mais ce qui s'est passé, c'est que Pornhub en particulier a décidé de quitter les États où on faisait cette demande. Donc ils se sont carrément retirés des États. Il y a aussi eu des poursuites qui ont été engagées, et maintenant c'est à la Cour suprême des États-Unis de déterminer si les droits des sites pornographiques de diffuser sans restriction de la pornographie sont supérieurs au droit des enfants d'être protégés. Donc, c'est un cas de liberté d'expression — aux États-Unis, la liberté d'expression est encore plus protégée qu'au Canada — et ça va être une décision intéressante.

Il y a là-bas, en Louisiane, un cas où Pornhub est resté sur place. Et ce qu'on a fait comme vérification d'âge, c'est que, là-bas, les permis de conduire peuvent être numérisés, sont numériques, contrairement à ici, tous tes papiers officiels sont numériques, donc c'est le permis de conduire qui permet aux clients de la Louisiane de pouvoir consulter Pornhub. Ce que Pornhub a dit par la suite, elle a fait des études et Pornhub a dit que la... qu'il y avait eu une véritable chute, une importante chute du nombre de clients, et donc c'était le résultat de la vérification d'âge. C'est possible, on s'entend, il y a sans doute des clients qui n'iront pas vers des sites pornos qui demandent la vérification d'âge. Mais, après tout, nous ne sommes pas là pour protéger les profits des sites pornos mais plutôt pour protéger les enfants.

• (18 heures) •

M. Tremblay : Effectivement. Donc, la vérification... Ça fait que ça fonctionne, finalement, mais on ne peut pas... Quand vous dites qu'il y a eu une importante chute des clients, ce n'étaient pas nécessairement des enfants, mais c'est qu'à partir du moment où des contrôles, c'est que ça...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non, non.

Mme Tremblay : Ça va des deux sens, c'est ça.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Exact.

Mme Tremblay : Exactement.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : On ne peut pas mesurer, franchement, jusqu'à maintenant, on n'est pas encore en mesure… Et c'est des questions... Et ça se fait sur des années. Vous savez, ce qui m'inquiète le plus, c'est que ça fait 15 ans qu'on a la gratuité, donc ça fait quand même toute une génération d'enfants qui sont passés par là. Et je parle souvent d'urgence parce que, de mon point de vue, les relations sexuelles, les relations intimes sont une partie importante de la vie. Et les mentalités sur l'égalité hommes-femmes… peut se faire dans ces situations-là. Ce n'est pas pour rien que la violence, les agressions se font beaucoup dans l'intimité. Et donc je pense qu'il est très important que… surtout au Québec, on a fait de grands pas dans l'égalité des femmes et des hommes. Mais cette espèce d'explosion de la pornographie en quelques années fait augmenter des stéréotypes qu'on avait réussi, d'une certaine façon, c'est beaucoup dire, réussi, mais qu'on avait quand même… dont on avait diminué la fréquence. Alors, ça, ça m'inquiète. C'est des choses un peu moins faciles à mesurer, mais, quand on voit des femmes toujours dans les positions de servitude dans l'acte sexuel, sans compter la violence, sans compter tout ce qui vient avec, ça finit par avoir une empreinte dans le cerveau de ces jeunes-là.

Mme Tremblay : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de D'Arcy-McGee.

Mme Prass : Merci, Mme la Présidente. Bien, ma question a été posée par ma collègue, mais je vais élaborer un peu. Vous parlez, par exemple, en Louisiane, du permis numérique. Mais qu'est-ce qui ferait en sorte qu'un jeune ne prenne pas celui d'un frère qui est plus vieux, son père, quoi que ce soit? Parce que les jeunes, malheureusement, ils sont bien contournés puis connaissent bien comment utiliser l'Internet et les ordinateurs. Donc, je comprends qu'il n'y aura jamais de solution ultime qui fera en sorte... Mais, j'imagine, c'est l'aspect dissuasif également qui fait en sorte qu'on ne veut peut-être pas prendre cette chance-là, on ne veut peut-être justement pas prendre le permis de notre père ou notre frère et qu'eux ils sachent. Mais est-ce que vous avez une idée, dans les pays européens, si, statistiquement, ils ont réussi, eux également, à diminuer la fréquence de personnes qui vont visiter ces sites-là? Ou des jeunes plutôt?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors, on le... jusqu'à maintenant, on n'a pas d'étude là-dessus. C'est assez difficile à mesurer. On n'a jamais su, par exemple, combien d'enfants, quelle est la proportion d'enfants qui visitaient, qui entraient dans des sites pornographiques. Je pense qu'il y a eu des estimations à l'effet que les mineurs pouvaient constituer peut-être 10 % des clients. Mais je pense qu'il faut être très, très prudent avec ces chiffres, parce que sur quoi on se fie pour dire ça? Et évidemment, ceci dit, laissez-moi vous dire que les sites pornographiques doivent ramasser de l'information parce que, quand on consulte un site puis qu'on va jouer… Alors, tout ça fait que les sites pornographiques, on a beau clamer que c'est très dangereux, faire de la vérification d'âge, mais les sites pornographiques ont déjà beaucoup, beaucoup d'informations sur leurs clients.

Ce que je vais vous répondre sur la question des cartes qui peuvent être… les permis de conduire qui peuvent être empruntés ou volés aux parents, c'est que c'est vrai pour tout. Prenez le jeu en ligne, il faut une carte de crédit. Dans certains cas, les jeunes prennent la carte de leurs parents. Ce qu'on veut en faisant une loi, c'est que le jeune de huit, 10, 12 ans ne puisse pas, sans aucune barrière, rentrer sur un site porno. Pour l'instant, tout ce qu'il y a, c'est... on leur demande : Avez-vous 18 ans? Ils cliquent sur le bouton et ils rentrent. Donc, ce n'est pas vrai que tous les enfants de cet âge-là vont trouver des moyens détournés pour se rendre sur ces sites. Il y a une espèce de message qui est donné, là, de la société : Ce n'est pas pour toi et tu ne peux pas y entrer. Alors, est-ce qu'ils vont vraiment essayer de déjouer un système de vérification d'âge?

En tout cas, on ne pourra pas protéger tous les enfants. L'Internet est un immense défi dans tous les domaines. Moi, je me suis intéressée à la pornographie, mais il y a beaucoup d'autres préjudices. Et ce qu'il faut faire, c'est s'assurer que le plus grand nombre ne sombre pas et protéger le plus grand nombre. Et c'est ce qu'on fait aussi dans la société non-Internet. Prenez l'alcool, on demande des cartes, mais on sait bien qu'il y a des enfants qui consomment de l'alcool et qui l'obtiennent par toutes sortes de moyens. Donc, ce sera la même chose sur l'Internet.

Quand on me dit : Votre projet de loi, c'est une passoire, bien, je dis : Pas tout à fait, pas vraiment, mais aucune loi n'est suivie de façon absolue. Ce sont des signaux qu'on donne. Et surtout, là, ce qu'on fait, c'est qu'on dit aux plateformes pornos, aux sites pornos : Attention, vous allez... vous pouvez être poursuivis, il y aura une infraction criminelle qu'on veut qui... qui devient réelle si vous permettez à un mineur de regarder de la pornographie. Voilà, donc ce n'est pas rien, le Code criminel. Et on prend ça justement à cause des effets graves de la pornographie sur le cerveau des enfants.

Mme Prass : Et quelle serait la façon, justement, si un jeune, disons, se fait passer pour plus de 18 ans? Ce que vous suggérez pour les... pour les pénalités pour les entreprises, c'est s'ils permettent volontairement à des jeunes de jouer avec les systèmes.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, pas juste volontairement. Il faut... tu sais, ils seront condamnés pour une infraction criminelle s'ils n'ont pas mis en place un système de vérification d'âge qui sera approuvé, qui sera dans la réglementation. Il y aura une série de contrôles, mais ce n'est pas en ne faisant rien puis en se fermant les yeux qu'ils vont échapper à la loi. C'est une loi qui oblige ceux qui, en ce moment, bénéficient de cette absolue liberté. Les sites pornos de toutes sortes, on leur demande de prendre leurs responsabilités et d'agir, parce que c'est eux qui mettent les enfants en danger. Ce sont des entreprises commerciales, et toute entreprise commerciale se doit de minimiser les torts qu'elle fait, surtout quand la recherche scientifique montre que de plus en plus de torts existent. On a toujours... on a toujours cru, dans notre société, que la pornographie, qui est légale pour les adultes, par et pour des adultes consentants, demeurait un divertissement d'adulte. Il n'y a pas grand monde qui considère que c'est sain pour les enfants de regarder de la pornographie. Donc, c'est ce consensus social qu'on doit reporter sur l'Internet.

La société, sans doute à certains égards, est devenue plus permissive. Le niveau de pornographie qui a déjà été «soft-core» est maintenant «hard-core» plus, plus, plus. Mais pourquoi est-ce qu'on laisserait les choses aller ainsi au nom de la liberté d'expression, alors qu'on met en danger ce qu'on a de plus précieux, c'est nos enfants? Je m'emporte. C'est parce que ça fait longtemps que je travaille sur le dossier.

Mme Prass : Question pour vous. Vous avez mentionné que dans certains États, aux États-Unis, que les Pornhub, par exemple, ils se sont retirés du marché. Vous n'avez pas dit la même chose pour les pays européens. Vous avez dit qu'en Allemagne ils ont changé le URL. Mais qu'est-ce qui a fait en sorte qu'ils ont... Est-ce que la façon dont ils ont mis cette restriction de l'avant aux États-Unis... Quelle est la distinction entre les deux pour qu'ils soient toujours présents en Europe mais qu'ils se soient retirés de certains États en Amérique?

• (18 h 10) •

Mme Miville-Dechêne (Julie) : J'imagine que c'est des décisions de marché. Quand c'est un petit marché, ça ne vaut pas la peine de rester si c'est plus compliqué de faire des vérifications d'âge. Il me semble que Pornhub a dit qu'ils n'étaient pas satisfaits de la façon dont la vérification d'âge allait être faite dans les États qu'ils ont quittés. Mais, en général, c'est vraiment des décisions d'affaires. Parce que vous comprenez ce qui se passe, c'est que plus les États veulent mettre des lois, plus ça va diminuer le nombre de clients de ces entreprises pornographiques. Et donc, en ce moment, c'est un combat pour... avec des poursuites contre plusieurs pays en même temps pour s'assurer que le marché demeure ouvert comme il l'a été au début de l'Internet. C'est un net refus, vraiment un grand refus d'accepter que les pays légifèrent. Et, moi, ça me scandalise parce que, comment dire, ça fait quand même une quinzaine d'années, ils ont eu une quinzaine d'années pour essayer de trouver des façons de protéger les enfants, et rien n'a été fait. Tout ce qu'on a fait, c'est empocher de l'argent. Et en plus, vous le savez, ces sites-là, parce qu'il y avait des millions et des millions d'images qui y étaient, on a permis très longtemps, maintenant il y a des entreprises qui font un peu mieux, mais à n'importe qui de téléverser des images non seulement de pornographie avec des adultes consentants, mais des images d'exploitation sexuelle, des images de jeunes filles qui n'avaient... de jeunes femmes qui n'avaient pas consenti à ce que leurs images soient partagées. Pornhub et ses anciens propriétaires ont dû payer assez cher aux États-Unis, il y a eu des poursuites, on a interrompu des poursuites en les obligeant à faire mieux dans la vérification des images qui circulaient.

Donc, il y a eu des efforts, je dois dire, beaucoup plus aux États-Unis, en terme légal, qu'au Canada, je suis un peu triste de ça, pour essayer de contrôler ces plateformes qui se croient tout permis et qui mettent en vedette l'intimité des gens sans même que les gens, parfois, soient au courant ou soient consentants. Ce n'est pas comme YouTube, là, ce n'est pas des joueurs de guitare, là, c'est des gens tout nus qui font toutes sortes de choses et dont la vie peut être détruite parce qu'on a téléversé leurs images. Alors, Ethical Capital Partners dit que ses méthodes, maintenant, de vérification sont meilleures, mais ce n'est qu'un site, il y a des milliers de sites.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député de Gaspé, puis j'ai aussi M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve. Donc, vous nous quittez à quelle heure, déjà, Mme la sénatrice?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je vous quitte à 25, dans 13 minutes.

La Présidente (Mme Dionne) : D'accord.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Donc, je vais essayer de répondre plus brièvement. Je m'excuse, je suis intarissable.

La Présidente (Mme Dionne) : Il n'y a aucun... C'est très intéressant. Il n'y a aucun problème.

M. Sainte-Croix : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, Mme la sénatrice. Vous remercier d'abord de votre présence avec nous aujourd'hui. C'est très intéressant d'écouter votre propos, puis très troublant aussi, très honnêtement. Moi, je vous écoute depuis, quoi, là, 15, 20 minutes, avec tout ce que vous nous avez partagé comme information, avec ce que vous avez nommé aussi, le consensus social. Comment vous expliquez-vous la résistance du législateur canadien devant votre projet de loi? Qu'est-ce qui explique qu'on n'aille pas de l'avant?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors, écoutez, je... C'est une excellente question. D'abord, dans ce cas-ci, c'est moi la législatrice, parce que j'amène ce qu'on appelle un projet de loi d'initiative sénatoriale, mais les partis sont libres ou non d'accepter cette proposition. Et ce qui m'a beaucoup, beaucoup troublée, c'est que, du côté du gouvernement libéral actuel, c'est là que j'ai eu le plus d'oppositions et qui ont changé au gré des mois.

Donc, la dernière en date, c'est de dire que, parce qu'on veut interdire aux mineurs le matériel sexuellement explicite, qui est la définition du Code criminel de la pornographie, eh bien, ce que ça va donner, c'est que des films où on voit soit un sein soit une paire de fesses sur Netflix ou sur HBO, ces films-là vont être censurés. Donc, c'est de prendre ce projet de loi, qui est vraiment ciblé avec une expression connue, «matériel sexuellement explicite», et de dire que c'est... ce sera de la censure et que tout ce qui montre un peu de chair sera censuré. Alors, c'est tellement gros que, comment dire, enfin... Ça a été démonté et... démonté par des experts de la question, qui ont dit : Bien, voyons donc! Alors donc, ça, c'est une raison.

Une autre, c'est évidemment, dans les questions sérieuses que vous posez, c'est : Ça va être très dangereux pour les clients, ils vont devoir donner leurs informations personnelles à des sites peu... qui ont une mauvaise réputation. Ça, c'est le premier ministre Trudeau qui a dit ça. Bien, je regrette, mais plein de pays commencent à le faire, ont passé des lois, avec de la réglementation, il n'y a aucune raison que ce soit mal fait. Ça dépend essentiellement de la mise en vigueur de la loi, donc.

Et l'autre grand... c'est la liberté d'expression. Bien, quand même, est-ce que vraiment c'est une atteinte majeure à la liberté d'expression que de demander à quelqu'un, pendant 30 secondes, une minute, un peu comme vous faites quand vous faites des vérifications pour avoir accès à des informations bancaires ou quoi que ce soit... De quelle façon c'est une... c'est une atteinte à la liberté d'expression?

Donc, moi, j'ai l'impression qu'il y a une espèce de confusion entre la liberté sexuelle pour les adultes, soit, et la pornographie. Et je crois... Quand je parle à des parlementaires, je me rends compte que beaucoup ne savent même pas ce qu'on peut voir sur ces sites pornos. Ce n'est pas fleur bleue, là, ce n'est pas de l'érotisme. C'est dur, très, très dur. Alors, que des adultes consentants veulent voir ça, c'est une chose, mais qu'on juge que, non, non, c'est mieux aucune loi que celle-là, c'est mieux de ne rien faire que de faire quelque chose… Et entendons-nous, dans l'Internet, vous qui êtes justement en train d'étudier toute cette question-là, vous savez bien que, quand on légifère dans un domaine nouveau, il y a des risques d'erreurs. C'est compliqué, on n'a pas de barème, on essaie, mais vaut mieux essayer de protéger les enfants que de ne rien faire au nom d'une liberté d'expression absolue. Quand je vous dis que la Cour suprême est en train de se pencher là-dessus aux États-Unis, c'est que la crise, cette crise-là, est rendue assez grave.

Alors donc, oui, comme gouvernement, il y a une décision de ne pas appuyer ce projet de loi. Il y a certains libéraux qui ont choisi de ne pas respecter cette règle, ont voté pour en deuxième lecture. Du côté des néo-démocrates, il y a un peu de division. Le Bloc québécois nous appuie fermement, les conservateurs aussi. On est rendus à la troisième lecture. On va voir comment les choses vont se terminer, c'est impossible à prédire. Mais je vous avoue que, si le gouvernement jugeait qu'il y avait des choses vraiment dans ce projet de loi qu'il fallait changer, il pouvait très bien les changer, ça s'appelle un amendement. Mais on n'a jamais eu cette discussion. Le projet de loi, à leur avis, était vicié, et ils ne voulaient rien entendre. Donc, écoutez, c'est ça, la démocratie. Je vais... J'essaie de récolter le plus de voix de parlementaires possible, et on verra comment le vote se déroulera.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le...

M. Leduc : Bonjour, Mme Miville-Dechêne, toujours un plaisir de vous entendre. J'étais sur la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs il y a quelques années, votre témoignage avait été percutant à ce moment-là, il l'est encore aujourd'hui. Très rapidement, dans les deux minutes qu'il nous reste, vous avez fait référence tantôt à des jeux vidéo sexualisés que les enfants peuvent voir sur des plateformes. Je ne suis pas familier avec ça. Pouvez-vous nous expliquer un peu de quoi il en retourne?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui. Alors, écoutez, pour être bien franche, c'est mon fils qui m'a parlé de ça, alors... qui est un peu plus jeune que moi, comme vous pouvez l'imaginer, et qui avait regardé sur ces plateformes parce qu'il savait que je travaillais là-dessus. Alors, on regarde des vidéos, mais il y a aussi des jeux vidéo auxquels on peut participer et qui sont souvent, cela dit, payants, ces jeux vidéo, et c'étaient des jeux qui mettent en scène une certaine sexualité aussi. Donc, c'est une autre façon de faire des sous pour les plateformes.

M. Leduc : Et ça, c'est de la publicité entre deux vidéos pornographiques?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Il y a aussi... il y a aussi de la publicité, les deux, les deux existent. Il y a des jeux vidéo et il y a de la publicité. La publicité, c'est le nerf de la guerre. C'est ça qui fait que les sites pornos récoltent de l'argent. Et la publicité est payée, c'est comme à la télé, au nombre de clics, au nombre de clients. Donc, plus il y a de clients, plus les taux publicitaires sont élevés et plus la plateforme fait de l'argent, qu'elle peut parfois redistribuer à certains créateurs de contenu, à certaines travailleuses du sexe qui peuvent... qui peuvent faire des performances sur ces plateformes-là. Mais...

M. Leduc : Et la publicité, c'est des... c'est des grands... des grands constructeurs de voitures, des prochains films à l'affiche?

• (18 h 20) •

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non. Non, non, ce n'est pas des grands constructeurs de voitures. Il y a beaucoup de gens qui se sont retirés du marché publicitaire de ces sites-là, particulièrement quand il y a eu le scandale entourant Pornhub et les images de mineurs. Le grand article du New York Times de Kristof, là, ça a fait fuir pas mal de compagnies et aussi Visa et MasterCard, qui maintenant n'autorisent plus les transactions sur... sur Pornhub, en tout cas, peut-être sur d'autres plateformes. Donc, il y a eu une réaction, quand même, du marché, mais ça existe encore. On ne sait plus exactement maintenant qui est le premier. À l'époque, on disait beaucoup que la plateforme Pornhub était la plus regardée. Je ne suis plus sûre que c'est le cas.

M. Leduc : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Parfait. Alors, oui... bon. Mme la sénatrice est disponible jusqu'à et 25, alors on peut... on peut poursuivre.

M. Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour... Bonsoir, Mme la sénatrice. Justement, je vais faire du pouce sur ce que mon collègue a dit. Je vois que votre projet de loi est appuyé pour... par plusieurs, puis je pense que c'était très important de le faire. Maintenant, ceux qui sont contre votre projet de loi ont... c'est leur opinion, là. Cependant, si... Il y a-t-il moyen d'empêcher... On a vu Visa et MasterCard qui ont décidé librement de ne plus accepter les paiements de ces sites. Je ne sais pas si c'est juste Pornhub ou tous les autres sites, là, qui...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'était... Toute la bataille, à ce moment-là, était focussée sur Pornhub.

M. Ciccone : Pornhub. O.K.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je ne suis pas sûre que c'est tous les sites.

M. Ciccone : Parce que Pornhub a plusieurs tentacules, si je ne m'abuse, j'ai vu… j'ai lu l'historique.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'est Ethical Capital... Maintenant, c'est Ethical Capital Partners qui a racheté. Donc, c'est Aylo, qui a plusieurs... qui a plusieurs sites, notamment Pornhub. Donc, c'est un peu tentaculaire, hein, chaque compagnie a plusieurs sites pour avoir différents publics. Mais ce que vous devez... Excusez-moi. Allez-y avec votre question.

M. Ciccone : Mais, en matière de... Serait-il possible d'envisager, en matière de législation, d'empêcher justement de publiciser sur ce genre de sites là? Est-ce que ce serait possible de le faire ou ce serait impossible? Parce que c'est des compagnies privées, puis on ne peut pas leur dire comment se gérer, mais parce que c'est comme ça qu'ils vont aller chercher... Puis c'est la même chose avec les blogues. Puis ce n'est pas juste la pornographie, il y a des blogues sportifs qui vont... qui utilisent beaucoup, puis c'est des fausses nouvelles, puis c'est complètement ridicule, là, puis c'est comme ça qu'ils font de l'argent.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Ce qu'il faut comprendre, c'est que la pornographie pour les adultes est légale. Donc, ces sites agissent dans la légalité parce qu'on n'a jamais fait de loi précise qui leur empêche de montrer de la pornographie aux enfants. Parce qu'avant ça ne marchait pas comme ça. Avant, il fallait montrer une carte, les sites n'étaient pas disponibles, tout le monde ne pouvait pas les voir. Donc, on est dans une espèce de vide qui fait qu'ils peuvent faire ça.

Mais ce que je voulais ajouter, c'est sûr que, quand on les prend par l'argent… les cartes de crédit, ça leur a fait très mal. Mais je voulais revenir sur une chose, c'est que le gouvernement fédéral a présenté un projet de loi qui s'appelle C-63, qui est censé, en partie, protéger les jeunes et aussi minimiser le discours haineux. Et ça aurait très bien pu être un cadre où le gouvernement aurait pu présenter sa version d'un projet de loi qui fait appel à la vérification d'âge pour certains préjudices jugés graves, et ils ne l'ont pas fait. Ils ont... ils se sont attaqués à certains préjudices, mais, clairement, ça ne fait pas partie de leurs priorités.

M. Ciccone : Parfait. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Il reste 1 min 30 s. Je ne sais pas, Mme la sénatrice, on ne veut pas vous bousculer dans votre temps non plus.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non, parce qu'il faut que je parte, que je coure vers la salle.

La Présidente (Mme Dionne) : Oui, c'est ça. Il nous reste une minute. Ça fait que, bon, je pense qu'on va vous laisser aller à vos obligations.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, je vous remercie.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci d'avoir été là.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui, puis je voulais vous remercier parce que vous faites un travail beaucoup plus large. Moi, quand j'ai commencé à travailler sur la porno, on ne parlait pas beaucoup de l'effet des écrans, des médias sociaux sur les enfants il y a quatre ans, beaucoup moins que maintenant, en tout cas. Et vous, vous avez pris le sujet de façon plus large. Et aujourd'hui je le prendrais de façon plus large parce que c'est toute une question de circonstances. Moi, j'ai commencé à travailler sur ce sujet-là pendant la pandémie et toute... J'avais participé à une manifestation devant Pornhub et je me disais : Mais qu'est-ce qu'ils font, les enfants, pendant la pandémie? Ils regardent des écrans, donc ça va augmenter. Alors, je m'étais vraiment concentrée là-dessus pour toute une série… à cause de toute une série de hasards. Mais il y a beaucoup d'autres choses sur les réseaux sociaux qui sont complexes pour les enfants, si ce n'est que dans regarder trop, point. Et donc je trouve que votre commission est très à propos et j'espère qu'on va travailler sur ces questions-là à Ottawa aussi.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment pour le commentaire. Et d'autant plus que c'est une commission transpartisane, alors c'est agréable.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui, parce que c'est un...

La Présidente (Mme Dionne) : On est tous...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'est un sujet transpartisan.

La Présidente (Mme Dionne) : Exactement.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Moi, les conservateurs, là-dessus, sont d'accord avec le projet de loi. Ils l'ont été depuis le début. Ils ont fait que ça a passé un peu plus vite que ça aurait pu passer à travers les différentes étapes, parce que, souvent, l'opposition fait obstacle. Donc, la protection des enfants, ce n'est pas une question partisane et ce n'est pas non plus... On peut être en désaccord sur plein d'autres choses, sur l'éducation sexuelle, par exemple, et tout, mais, sur cette question-là, il faut absolument mettre des barrières là et, de mon point de vue, renforcer l'éducation sexuelle. Je sais que vous le faites, au Québec, avec un nouveau programme. C'est très bienvenu, parce que ça n'avait pas de sens avant. Mais ça, ce sont aussi des outils pour que les enfants eux-mêmes se rendent compte que ce n'est pas ça, la réalité. Parce que c'est ça qui est le plus grave, ils regardent ça, là, puis ils pensent que c'est ça, la réalité des relations sexuelles. Imaginez quand ils arrivent puis que...

La Présidente (Mme Dionne) : Vous avez raison. Je vais vous interrompre parce que vous allez être en retard pour votre vote.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Très bien, au revoir. Merci de m'avoir écoutée.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment.

Et nous, on suspend la commission quelques instants pour accueillir notre prochain invité.

(Suspension de la séance à 18 h 26)

(Reprise à 18 h 32)

La Présidente (Mme Dionne) : La commission reprend maintenant ses travaux. Donc, nous avons le bonheur d'accueillir comme dernier invité M. Lavoie du Centre québécois d'éducation aux médias et à l'information. Bienvenue.

Centre québécois d'éducation aux médias
et à l'information (CQEMI)

M. Lavoie (André) : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Donc, je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour nous faire part de votre exposé. Suite à cela, nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission.

M. Lavoie (André) : Parfait.

La Présidente (Mme Dionne) : Alors, à vous la parole.

M. Lavoie (André) : Alors, bien, je vous remercie beaucoup de m'accueillir au nom du CQMI et en mon nom personnel aussi. André Lavoie. Je suis journaliste indépendant, critique de cinéma. Je collabore depuis 26 ans au journal Le Devoir. Je collabore également au magazine Québec Science et je suis un des membres cofondateurs du Centre québécois d'éducation aux médias et à l'information.

Officiellement, on est né en mai 2021. Mais, au cours de ma présentation, je vais vous faire un peu la petite histoire de notre organisation, vous présenter un peu qu'est-ce qu'on fait, comment on fonctionne et surtout quelle est la philosophie qui nous anime, et donc qu'est-ce qu'on fait auprès des jeunes particulièrement.

D'abord, évidemment, on est parti de différents constats quand on a commencé à élaborer le programme, parce que les journalistes... Enfin, moi, je n'étais pas là au moment où on a commencé à élaborer des programmes de formation, avant que le CQMI existe. C'était en 2018. Ça fait que, rappelez-vous, en 2018, c'était l'époque de... l'époque glorieuse de Donald Trump à la Maison-Blanche lors de sa première... et, on espère, seule présidence. Et donc des journalistes, comme... j'imagine, comme les élus voyaient qu'il y avait prolifération de fausses nouvelles, de théories du complot, et tout ça. Et donc ils ont compris aussi qu'il y avait une certaine fragilité dans la population et particulièrement chez les jeunes pour faire... pour distinguer le vrai du faux, pour savoir c'est quoi, une vraie nouvelle versus une fausse nouvelle.

Donc, on a élaboré des programmes puis on a parti de certains constats qui ont été confirmés dans un sondage qu'on a demandé à la firme Léger, qu'on a fait en 2023. Donc, vous voyez un peu les chiffres. De mon point de vue, ils sont effectivement alarmants. Parmi les 18-35 ans, il y aurait environ six jeunes sur 10 qui ne font pas confiance aux médias. Il y aurait 90 % des personnes qu'on a sondées qui ont un doute sur au moins une théorie complotiste. Et je vous rappelle qu'une théorie complotiste, ça peut être autant... et on en a entendues beaucoup sur, par exemple, les vaccins, mais il y en a qui sont encore convaincus que la terre est plate. Il y en a d'autres qui croient que vous êtes des reptiliens, que vous êtes des francs-maçons, que vous êtes des... vous faites partie des Illuminati. On rigole, mais, sincèrement, il y a des gens qui pensent ça. Et, parmi les 18-34, bien, il y en a 84 %, de ces gens-là, qui sont incapables de distinguer le vrai du faux sur les réseaux sociaux pour une raison très simple, et ça, on l'explique quand moi, je vais en classe, parce que je suis journaliste formateur aussi pour le CQMI. C'est qu'avant... j'allais dire «dans mon temps», quand j'ai commencé à m'informer, on ouvre un magazine, on ouvre un journal ou on écoute Le téléjournal. Les choses sont hiérarchisées et elles sont explicitées. On a un éditorial. On a une chronique. On a un reportage. On a le courrier du lecteur. On a une nouvelle brève. Sur les réseaux sociaux, tout se mélange. Les gens ne savent pas nécessairement si on a affaire à une chronique, ou à un reportage, ou à un éditorial. Et donc les 18-34, eux qui n'ont pas du tout, du tout grandi avec un magazine et un journal entre les mains, eux ont beaucoup de difficulté à distinguer le vrai du faux sur les réseaux sociaux.

Nous, notre mission avec ce constat-là, comme je vous disais, qu'on trouve un peu alarmant, évidemment, en tant que journaliste, mais je vous dirais aussi en tant que citoyen, c'est ce qui nous anime au CQMI. On a... Je vous dirais, on a deux... notre mission est à deux volets, si vous voulez. D'abord, on veut aider les citoyens, pas juste les jeunes. C'est sûr qu'on rencontre et on va à la rencontre de beaucoup de jeunes, mais on s'adresse aussi aux citoyens de tous les âges pour mieux les aider à avoir les meilleurs outils pour mieux s'informer puis à développer leur esprit critique aussi. Et ça, c'est un excellent moyen pour combattre la désinformation. Mais on veut aussi faire oeuvre utile à l'égard de notre profession, on veut faire connaître le journalisme. On veut leur expliquer que le journalisme, même si, certaines journées, je suis sûr que certains d'entre vous ne sont pas d'accord avec moi, mais on... le journaliste, ça a un rôle essentiel dans notre démocratie, et on est un rouage important, que vous aimiez ça ou pas, et on veut aussi essayer de faire comprendre ça aux jeunes, qui... Je voulais... Ensemble, on partage la même chose ce soir, c'est qu'en général les jeunes se méfient pas mal des politiciens mais se méfient aussi parfois beaucoup des journalistes. Donc, on prêche pour notre paroisse, mais laissez-moi vous dire que, personnellement, étant assez politisé moi-même, j'essaie aussi de vous inclure dans ma gang et de vous aider.

Là, évidemment, comme je m'en doutais... Ah! voilà. Alors, pas besoin de vous dire que c'est un défi permanent. Je vous dirais que c'est un défi que je qualifierais d'une classe à la fois, parce qu'on va dans toutes sortes de milieux. On va beaucoup dans les écoles... On va, depuis l'année... Depuis cette année, en fait, on va... En fait, depuis l'année dernière, on va dans les écoles primaires, mais on va aussi beaucoup, beaucoup dans les écoles secondaires. Moi, je vous avoue que ce qui est assez fascinant dans mon travail de journaliste formateur, c'est que, depuis trois ans à peu près, je suis allé dans les écoles des quartiers les plus favorisés de Montréal et, à côté de ça, je suis allé dans les écoles les plus défavorisées de Montréal. Et laissez-moi vous dire que ne ça ne change pas nécessairement d'un quartier à l'autre, mais d'une école à l'autre. Et ce n'est pas parce que les gens sont dans un milieu favorisé qu'ils sont nécessairement mieux informés. Donc, l'idée de sensibiliser, de faire comprendre aux gens l'importance des médias d'information, l'importance d'être bien informé comme citoyen dans une société démocratique, je vous dirais que c'est un défi dans... en tout cas, personnellement, dans toutes les écoles que j'ai fréquentées.

Au CQMI, la large part de notre travail, c'est bien sûr de donner des formations, des activités, mais aussi on veut... on fait beaucoup d'activités, d'événements pour se faire connaître, mais aussi faire connaître notre mission. Alors, des débats... on participe à des rencontres. Le printemps dernier, on était parmi les gens invités dans une journée de réflexion et de partage avec le Secrétariat de la jeunesse, parce que nous sommes soutenus par le Secrétariat à la jeunesse. Et aussi c'est une façon pour nous de faire connaître, dans le fond, le fondement même de notre mission, qui est de permettre aux gens d'aiguiser leur sens critique et de comprendre l'importance de bien s'informer.

Je vous donne quelques chiffres pour nous... pour vous expliquer concrètement, là, où je vous dis... où je vous dis ce qu'on fait. Mais est-ce que ça a un impact? Est-ce qu'on est quelque part? Oui. Depuis 2018... À cette époque-là, le programme était... a été conçu par quelques journalistes qui étaient principalement liés à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, donc c'est à ce moment-là que ça a commencé. Et le CQMI est arrivé en 2021 comme un... comme un... On a fondé un OBNL pour accueillir le programme parce que la Fédération professionnelle des journalistes trouvait que le programme commençait à prendre beaucoup de place, et, comme... ce n'est comme pas nécessairement une grosse organisation, la FPJQ, ils ont jugé bon de faire en sorte que le programme puisse en quelque sorte voler de ses propres ailes. Mais donc, depuis 2018, on a rencontré 60 000 participants, on a fait plus de 2 000 formations dans les écoles. Moi, je suis allé dans les centres communautaires. Il y en a qui sont allés beaucoup dans les bibliothèques aussi. On a... On est allés... En fait, on a été à la rencontre... on a été visiter 500... 520 établissements. On compte sur une équipe de 70 journalistes formateurs, et c'est des gens de toutes les générations, des gens de tous les... de tous les milieux. Il y a des retraités aussi de Radio-Canada, Le Journal de Montréal, moi, du Devoir, des gens de La Presse, des gens de Radio-Canada et beaucoup de photojournalistes aussi, qui font du reportage à l'étranger. Donc, le profil des formateurs est très vaste, mais, en fait, la seule... la seule caractéristique, si on veut, c'est que... ce qu'on exige, c'est que les journalistes soient membres soit de la FPJQ, ou de l'Association des journalistes indépendants du Québec, ou des bozos, comme moi, qui sont membres des deux associations.

• (18 h 40) •

On a un taux de satisfaction moyen de 97 % et un taux de renouvellement de 85 % des enseignants, et ça, ça nous... on en est très fiers parce que ça veut dire qu'on a un certain impact auprès des gens qu'on rencontre. Je l'ai encore vécu pas plus tard qu'hier parce que j'ai parlé avec une enseignante du programme Culture et société québécoise. Je suis allé dans sa classe il y a deux ans. En fait, j'avais rencontré cinq de ses groupes il y a deux ans dans le cadre de l'ancien cours Éthique et culture religieuse, et là elle donne le cours de Culture et citoyenneté québécoise. Et là je rencontre... ou, à la fin octobre, début novembre, je vais rencontrer six groupes de son école, et donc ça, ça veut dire que de retourner chez elle, dans son école, c'est signe qu'elle a apprécié notre présence. Et on a une vingtaine de partenaires dans la francophonie. D'ailleurs, je ne sais pas si on peut... Non, excusez-moi. Ah! voilà, j'ai les partenaires. Écoutez, pas pour faire du... pas pour vous étaler mon agenda mondain, mais, dimanche soir, je quitte pour Paris dans le cadre du Sommet de la Francophonie et je vais rencontrer... Parce que, depuis quelques années, on est en lien avec des partenaires français et belges, le CLEMI, le Centre pour l'éducation des médias à l'information en France et, en Belgique, le Conseil supérieur de l'éducation aux médias, deux organismes qui sont gouvernementaux, qui sont liés par... avec l'État. Et c'est deux organisations qui sont très... très, très engagées dans la question de l'éducation aux médias, et ils veulent élaborer un réseau international d'éducation aux médias, réseau international francophone. Alors, c'est la raison pour laquelle ils ont invité le CQMI. C'est moi qui sera le représentant québécois, et on va jeter les bases d'un réseau international francophone. Le modèle est encore à discuter.

Mais tout ça pour vous dire que ces organisations-là... Juste pour vous donner une idée, là, le Conseil supérieur de l'éducation aux médias, ils sont sept employés et ils couvrent une population, qui est, en fait, la Wallonie francophone, d'environ 1,8 million d'habitants. Alors, nous, on est un OBNL. On a une employée à... relativement à temps complet et on a une stagiaire, et tous les autres... toutes les autres personnes impliquées, comme moi, nous sommes tous des bénévoles. Alors, c'est sûr qu'on apprécie beaucoup le soutien du Secrétariat à la jeunesse, mais on n'est pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur et de moyens. Quand moi, je parle avec mes interlocuteurs européens, c'est évident que moi, je leur dis : Écoutez, telle chose, on ne peut pas le faire; telle chose, il faut y penser. Parce que nous, on est une petite organisation en croissance puis on a beaucoup, beaucoup d'enthousiasme, mais c'est sûr qu'on ne se compare pas au Finnish Society on Media Education, qui est... en fait, qui est, pour nous... En fait, si on avait un idéal ou si on avait un rêve, c'est de ressembler à cette organisation-là, qui est extrêmement dynamique. Et il faut dire aussi qu'en Finlande et dans les pays scandinaves, l'éducation aux médias est extrêmement, extrêmement valorisée. Et évidemment, une fois de plus, je m'emmêle dans mes pinceaux. Désolé.

La Présidente (Mme Dionne) : M. Lavoie, votre temps est terminé, mais...

M. Lavoie (André) : Oui.

La Présidente (Mme Dionne) : ...est-ce que vous... Ah! O.K. Bien, s'il y a consentement pour que vous puissiez faire part de vos recommandations.

M. Lavoie (André) : J'aurais une... Il me resterait...

La Présidente (Mme Dionne) : Bien oui...

M. Lavoie (André) : ...une diapositive qui est, en fait, la... recommandations...

La Présidente (Mme Dionne) : Allez-y.

M. Lavoie (André) : ...par rapport au travail formidable que vous faites à cette commission, nos réflexions terrain et nos souhaits.

Alors, nous, notre appel à vous aujourd'hui... D'abord, bien, si on avait à élaborer des politiques ou à réfléchir sur des choses à faire pour aider les jeunes à soit s'éloigner des écrans temporairement ou les utiliser de manière plus intelligente et efficace, bien, d'abord, c'est justement de former les jeunes à un usage éclairé des écrans et des outils numériques. Parce que l'interdiction totale, on s'entend, là, ni vous ni moi on va voir ça de notre vivant, là. Et, comme on dit, le génie est sorti de la lampe, et le dentifrice est sorti du tube, donc essayons de faire en sorte que les jeunes aient une utilisation éclairée et judicieuse de leur téléphone et des écrans.

Deuxièmement, favoriser l'élargissement de l'éducation aux médias et à l'information dans le programme scolaire et intégrer une formation critique sur l'utilisation de l'intelligence artificielle. Ça, écoutez, j'ai l'impression que, dans quelques années puis dans pas longtemps, on va peut-être faire une commission sur l'intelligence artificielle parce que ça se développe à vitesse grand V. Il y a énormément d'enjeux qui entourent ça. Bien, c'est sûr que je pense que de réfléchir à l'école dans le cadre du cursus scolaire à ces questions-là, ça serait une bonne chose, dans le cadre du... du cours, pardon, Culture et citoyenneté québécoise — je ne suis pas pédagogue, je ne suis pas spécialiste en éducation — peut-être.

Troisième point : promouvoir et valoriser les programmes d'éducation aux médias et à l'information tels qu'un de nos programmes qui s'appelle #30 secondes avant d'y croire. Donc, c'est sûr que toutes les initiatives que les organisations utilisent, entre autres, par exemple les médias, parce que les médias aussi font des émissions, il y a... Tout récemment, il y a La Presse, entre autres, qui a fait des nouvelles initiatives pour permettre aux gens d'avoir... d'une manière synthétisée, de mieux comprendre l'actualité. À Radio-Canada, les Décrypteurs font un travail formidable. Donc, il y aurait peut-être lieu de valoriser ça aussi.

Accompagner les enseignants en leur fournissant des contenus de qualité lorsqu'il est question d'éducation aux médias et à l'information. Ça, écoutez, moi, si je me base sur les commentaires, les échanges, les réflexions que j'ai avec les enseignants que je rencontre, c'est sûr que beaucoup d'entre eux nous demandent... demandent nos services, parce qu'ils sont... elles sont un peu démunies devant tout ça. Vous le savez mieux que moi... aussi bien que moi, ils sont débordés. Ils ont beaucoup d'enjeux, beaucoup de choses à gérer. Donc, c'est clair que la question de l'éducation aux médias, rajoutée à tout le reste... C'est pour ça que je pense que... Nous, en tout cas, on a l'impression qu'on fait quand même aussi un petit travail d'accompagnement, mais on devrait être plusieurs à le faire.

Et finalement, bien, sensibiliser les parents et l'ensemble des intervenants qui gravitent autour des jeunes à l'importance de bien s'informer. Ça, c'est clair. Écoutez, c'est comme la lecture. C'est comme bien manger. C'est comme faire du sport. C'est comme... Écoutez, si les parents passent leur temps sur leur... Vous savez, écoutez, je vais plutôt donner un autre exemple, un exemple de vieux, ce qui est mon cas. Je veux dire, un parent, à une époque où tout le monde fumait... Moi, j'ai connu ça, là. Je ne fume pas, Dieu merci, mais un parent qui fume puis qui demandait... qui exigeait que son enfant ne fume pas, ce n'était pas très crédible.

Alors, aujourd'hui... Alors, Dieu merci... il y a une législation qui fait en sorte que le tabagisme a beaucoup diminué au Québec. Bien, je pense qu'il va peut-être falloir réfléchir à l'utilisation des écrans chez les jeunes et en faire un enjeu de santé publique aussi. Alors, c'est évident qu'un parent qui a toujours le nez sur son téléphone est moins crédible lorsque vient le temps de gronder son enfant en disant : Fais d'autres choses que de passer ton temps sur ton téléphone ou ta tablette.

Donc, c'est sûr que je pense que... Et, en ce moment, je lis constamment, dans mon journal et dans d'autres médias, toutes sortes d'études scientifiques très crédibles sur le fait que, pour les enfants en bas âge, c'est extrêmement nuisible, l'utilisation excessive des écrans. Donc, c'est sûr que de sensibiliser les parents juste à ça, ça serait, à mon avis, une bonne chose, mais c'est clair qu'il y a pas mal de travail à faire puis il y a pas mal de gens à convaincre.

Alors, sur ce, j'ai dépassé mon temps — je suis désolé — mais je vous remercie de votre attention. Et ça fait un peu le tour de ce que fait le CQMI.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, M. Lavoie. On va débuter cette période d'échange avec M. le député de Marquette.

M. Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour... Bonsoir, M. Lavoie.

M. Lavoie (André) : Bonsoir.

M. Ciccone : J'ai une question pour vous. Je ne serai pas trop difficile avec vous, j'ai une question. Vous savez que, quand on parle d'écrans, là, moi, je mets... on met tous les écrans dans le même sac puis par la suite, après nos travaux, on va être capable de départager les écrans. Puis là je me fie à votre grande expérience au niveau des médias. Vous en avez vu. Vous avez commencé, il y avait seulement les journaux. Vous êtes au courant que... C'est sûr que vous êtes au courant qu'aujourd'hui les médias d'information sont passés au numérique, on le sait. Et là je ne veux pas vous mettre dans le trouble avec ma question, mais avez-vous des exemples...

M. Lavoie (André) : Vous voulez me tasser dans le coin comme au hockey, vous, là, là.

M. Ciccone : ...mais avez-vous... avez-vous des exemples ou de l'information à l'effet que les médias d'information utiliseraient, puis je le mets au conditionnel, là, c'est une de vos tactiques journalistiques, là, utiliseraient certaines tactiques pour garder ses lecteurs sur leurs écrans? Puis là je parle ici puis je mets... Tu sais, là, des stations de sports, par exemple, ils vont avoir des pools. Ils vont avoir des lumières, des couleurs, un chronomètre. Vous savez, là, ça fait que, là, on les garde, là. Ça fait qu'est-ce qu'on utiliserait les mêmes tactiques au niveau des médias d'information que les autres plateformes?

• (18 h 50) •

M. Lavoie (André) : Moi... Écoutez, moi, je peux vous dire une chose. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Peut-être que oui, peut-être que non. Par contre, je vais vous dire une chose. C'est évident que les médias ont fait un constat que moi, je fais et que vous faites aussi, que peut-être vous-même, dans votre quotidien de citoyen, d'élu, je ne sais trop, on fait, c'est-à-dire que notre capacité collective d'attention a beaucoup diminué, ce qui fait en sorte que — et moi, je le vois dans mon média puis je le vois ailleurs aussi — on est plus réfractaires aux textes longs. On aime beaucoup les vidéos. On aime beaucoup les brèves. On aime beaucoup...

Moi, écoutez, je suis vraiment d'une autre école, parce que, je veux dire, jamais dans ma vie... puis moi, je lis Le Devoir depuis 40 ans cette année. Je veux dire, jamais dans ma vie, j'aurais réclamé que Le Devoir ait des photos couleur à une époque, mais, finalement, ça prenait des photos couleur pour attirer le lecteur. Donc, maintenant, un journal...

Écoutez, je vais juste faire une parenthèse, là. Il y a deux semaines, je suis allé dans une école, dans un cégep, et j'avais mon Devoir papier avec moi. J'avais une classe de 50 cégépiens. J'ai sorti mon Devoir papier et j'ai demandé : Qui d'entre vous avez déjà tenu un journal papier dans vos mains? Il y a une personne sur 50 qui a levé la main, O.K.? Donc, on parle... Et moi, quand je parle de journal, j'ai l'impression que j'ai grandi en même temps que les dinosaures du Parc jurassique, parce que là, là, les journaux... On parle de médias, et donc que ça soit Le Devoir, le 98,5, Radio-Canada, tout le monde fait des images.

Cet été, j'ai fait un article sur... j'ai fait une série d'articles sur les médias publics étrangers, internationaux. Et un des quatre textes, je l'ai consacré à un média français public qui s'appelle France Bleu, qui est spécialisé en information régionale. Ils ont 44 stations régionales à travers la France. Et le gros débat, c'était : la direction de France Bleu veut faire rentrer les caméras dans les studios de radio. Il y a eu une résistance pas possible. Il y a même eu un mouvement de grève. Vous allez me dire qu'en France on a fait pour moins que ça.

Mais donc tout ça pour vous dire, M. Ciccone, que les médias, est-ce qu'ils ont une stratégie obscure pour faire en sorte que... C'est clair que oui. Mais est-ce que c'est une stratégie qui est semblable à celle dont nous parlait Mme Miville-Dechêne tout à l'heure par rapport... Je ne crois pas, mais c'est évident que les médias cherchent des façons de séduire un auditoire qui leur échappe de plus en plus. Dans mon journal, au Devoir... Je dis «mon journal». Écoutez, je suis pigiste au Devoir, là. On s'entend que je n'ai pas... je ne suis pas dans les officines et la haute direction, mais, je veux dire, on a une équipe vidéo. Donc, c'est évident que les jeunes qui sont abonnés... Parce que la classe où je suis allé, dans le cégep où je suis allé il y a quelques semaines, le professeur a abonné tout le monde au Devoir. Moi, je suis convaincu que les jeunes de cette classe-là consultent bien davantage la section vidéo qu'ils lisent mes longs articles sur les... des écrivains oubliés dont ils n'ont jamais entendu parler.

Alors, regardez, c'est la vie, là. Mais donc je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Mais tout ça pour dire que les médias, c'est clair qu'ils essaient d'accrocher les jeunes. Ont-ils des techniques machiavéliques? Je ne sais trop.

M. Ciccone : Bien, on parle de notifications, des pages sans fin. Tu sais, c'est...

M. Lavoie (André) : Oui. Ah oui! Tout à fait. Tout cet attirail-là, que tout le monde utilise de toute façon, c'est évident que les médias s'en servent. Mais, en même temps, eux, je veux dire, on s'entend, là, c'est... Tu sais, la... on parle beaucoup de la crise des médias, là. Ce n'est pas une lubie de journaliste, là, la crise des médias. C'est réel, elle est profonde. Et, moi, laissez-moi vous dire que... Quand je vais dans une école et que je pose la question : Qui d'entre vous avez une application d'un média d'information sur vos téléphones? Je vous le dis : Quand qu'il y en a deux sur 30, je suis content parce que... Et, en plus, la question des... de l'argent est un... n'est pas un enjeu, là. Je veux dire, moi, j'ai l'application de la BBC. J'ai l'application de la... de NPR. J'ai l'application de Radio-Canada. J'ai plusieurs applications de médias d'information, et c'est gratuit, alors... Et les jeunes aujourd'hui lisent beaucoup plus l'anglais que moi, je pouvais le lire à leur âge, et ils n'ont pas de raison de ne pas avoir une application de médias d'information gratuite sur leur téléphone, mais ils n'en ont pas. Et je vais... Et j'ai posé la question aussi bien dans une des écoles les plus huppées de Montréal que je la pose dans une polyvalente — je m'excuse de trahir mon âge — bien, dans une école secondaire publique, et c'est pareil. Il y a aussi peu de jeunes qui ont des applications des médias d'information sur leur téléphone.

M. Ciccone : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. Le temps file, et on a... j'ai beaucoup de collègues qui ont des questions. Alors, Mme la députée de Hull, la parole est à vous.

Mme Tremblay : Oui. Bonjour.

M. Lavoie (André) : Bonjour.

Mme Tremblay : Alors, quand même, vous avez dit : Les 18-34 ans ont beaucoup de difficulté à distinguer le vrai du faux.

M. Lavoie (André) : Oui.

Mme Tremblay : Donc là, si je me ramène aux plus jeunes, ça veut dire que ça doit être encore d'autant plus vrai.

M. Lavoie (André) : Et d'autant plus pire.

Mme Tremblay : Vous leur dites quoi? Qu'est-ce qu'on leur dit? Comment vous travaillez avec eux pour les amener à... Là, j'ai vu le... ici, l'«hashtag» 30 secondes avant d'y croire, là, ça fait que j'imagine, c'est dans l'esprit...

M. Lavoie (André) : Oui, c'est le nom de notre programme.

Mme Tremblay : ...mais... Oui?

M. Lavoie (André) : Bien, en fait, ce qu'on leur explique dans nos formations, c'est qu'on leur présente ce que c'est qu'une fausse nouvelle et on leur dit : Qu'est-ce qu'on doit vérifier? Qu'est-ce qu'on doit voir pour reconnaître un média d'information? On leur dit, par exemple... Par exemple, on leur dit : Si vous allez sur un site de médias d'information avec une... avec un vrai code de déontologie, vous devriez avoir l'adresse, le numéro de téléphone, le nom de l'équipe, un courriel pour contacter les gens et vous devriez voir le nom du journaliste. Et aussi on leur explique... on leur explique tout ça puis on leur donne des exemples de vraies nouvelles puis de fausses nouvelles. On leur présente, par exemple, des sites, Infowars, par exemple, pour ne pas le nommer, qui était le site de... Bon, visiblement, tout le monde le connaît. Donc, on leur explique que ça, quand on lit la description du site, c'est clairement dit que c'est un site de fausses nouvelles et que... c'est ça. Et donc, on... Et aussi l'idée de départ du titre de notre programme, 30 secondes avant d'y croire, c'est qu'on invite les jeunes à prendre un temps de recul de 30 secondes et de regarder la nouvelle, de la lire, de voir d'où elle provient, de quelle source. Est-ce vérifié? Y a-t-il une date? Y a-t-il un nom? Et attendre un moment avant de la partager. Parce que c'est ça aussi, le problème qu'on a vu, c'est que... Et ça, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Massachussets Institute of Technology. Ils ont fait une étude pour expliquer que les fausses nouvelles voyagent six fois plus vite que les vraies, donc... et, en plus, les rectificatifs... Quand un média fait une erreur ou fait une faute quelconque et une mauvaise information, il y a un rectificatif. Souvent, il n'est pas... on se concentre sur, mettons, l'erreur de la nouvelle, et tout ça.

Donc, ce qu'on fait concrètement, c'est qu'on explique aux jeunes où aller, c'est-à-dire, quand on est sur un moteur de recherche puis qu'on fait une recherche, on va vous amener sur des sites. Vérifiez. C'est quel type de site? Avez-vous beaucoup d'informations? Et aussi on leur demande de prendre un temps de recul quand vient le temps de partager, parce qu'ils peuvent partager des choses calomnieuses, mensongères, dangereuses. On leur donne des exemples aussi sur la santé, parce qu'il y a beaucoup de jeunes filles qui s'informent sur Instagram pour des questions de nutrition. Et c'est prouvé... Et encore là, ce n'est pas moi qui le dis, c'est une lanceuse d'alerte qui travaillait chez Meta qui a expliqué que Meta, délibérément, faisait en sorte que les jeunes filles étaient littéralement scotchées sur Instagram sur ces questions-là. Ils allaient... Le parcours classique, là, c'était la fille qui allait chercher une recette ou des conseils pour maigrir et qui, là, se retrouvait dans un vortex de fausses informations sur des fausses... des faux régimes spectaculaires.

Donc, ce qu'on fait avec les jeunes, c'est qu'on essaie vraiment... Et c'est là... c'est pour ça que je vous dis que notre mission est double, c'est-à-dire, oui, sensibiliser les gens aux dangers des fausses nouvelles parce qu'il y a des dangers. Je veux dire, vous avez juste à regarder la campagne électorale américaine, là, présidentielle. À tous les jours, on en voit, des dangers des fausses nouvelles. Mais, à côté de ça, vous allez me dire : On prêche pour notre paroisse. Puis je vais vous dire : Oui, certainement. Mais on essaie de dire aux jeunes : Écoutez, si vous voulez... Moi, là, mon plaidoyer, là, de curé, là, c'est : Informez-vous. Soyez éclairés. Soyez conscients de ce qui se passe autour de vous. Soyez alertes. Essayez de comprendre les choses qui se passent. J'essaie vraiment avec tout mon coeur de les inviter à essayer de comprendre le monde dans lequel il vit. Et ça, un des moyens, c'est bien sûr de sortir dehors puis de lâcher leurs écrans, mais, quand ils sont devant, d'aller lire et consulter des médias d'information qui, eux, vont leur donner une vision, peut-être pas toujours juste, certainement partiale... Ça aussi, je leur explique que les médias, c'est aussi des entreprises. Ils sont teintés politiquement. Ils sont teintés idéologiquement, c'est clair. Sauf que nous, comme journalistes, peu importe où on travaille, on a un code de déontologie.

Alors, on leur explique tout ça puis on espère qu'ils vont cheminer là-dedans puis qu'ils vont développer des réflexes, on espère, des comportements, mais au moins des réflexes de dire : Bien, ah, tu sais, il faudrait peut-être que je fasse attention. Ah! il faudrait peut-être... Est-ce que c'est vraiment un média d'information crédible? C'est ça qu'on essaie de faire. Est-ce qu'on réussit tout le temps? On les rencontre 1 h 30, deux heures, une heure, mais on se dit : Au moins ils sont conscients qu'il y a des possibilités de bien s'informer puis de mieux comprendre le monde dans lequel... dans lequel ils vivent.

• (19 heures) •

Mme Tremblay : Parce que, quand ils accèdent à des mauvaises... de la mauvaise information, le problème, c'est, par les algorithmes après...

M. Lavoie (André) : Oui...

Mme Tremblay : ...on leur présente d'autres mauvaises informations...

M. Lavoie (André) : ...c'est ça. C'est... Les algorithmes...

Mme Tremblay : ...ça fait que ça devient une boucle, là.

M. Lavoie (André) : Oui, oui.

Mme Tremblay : Ça fait que...

M. Lavoie (André) : Bien, en fait, c'est pour ça qu'on appelle ça... en anglais, ils appellent ça le «rabbit hole», le trou de lapin. Et c'est pour ça que... et vous l'avez vu, chers élus, moi, je l'ai vu comme citoyen puis laissez-moi vous dire que ça m'a affolé, mais, pendant la pandémie, là, je veux dire, le trou de lapin avait la grosseur du stade olympique, là. Je veux dire, les gens, là, qui avaient décidé, là, que les vaccins, ce n'était pas bon, puis que le gouvernement nous cachait des affaires, puis que... puis Bill Gates puis George Soros, ça allait tous nous éliminer, là, je veux dire, il y a des gens qui sont littéralement tombés là-dedans puis ils n'en sont jamais ressortis, là. C'est ça que ça fait.

Et la lanceuse d'alerte de Meta, c'est ça qu'elle disait. Elle disait : Les jeunes filles... et les jeunes hommes aussi, parce que la dynamique est un peu différente. Les gars veulent prendre du volume, puis les filles veulent maigrir, là. Je schématise, mais, en gros, c'est ça, là. La lanceuse d'alerte, c'est exactement ce qu'elle disait : Ils veulent... Elle ne le disait pas dans mes mots, là, comme ça, mais c'était ça qu'elle voulait dire : Ils veulent que les utilisateurs, les utilisatrices tombent dans le trou de lapin puis qu'ils y restent. C'est ça, l'idée, parce qu'en ce moment, là, l'enjeu de tout ce que vous discutez, là, c'est un enjeu incroyable, c'est l'enjeu de l'attention. C'est ça que les compagnies veulent, elles veulent de l'attention, c'est-à-dire qu'elles veulent vous garder le plus possible pour que vous utilisiez leurs plateformes puis que vous restiez là. Après ça, ce que vous en faites, ils s'en foutent pas mal, là, puis ils vous offrent un peu n'importe quoi, pourvu que vous restiez avec ces plateformes-là.

La Présidente (Mme Dionne) : ...beaucoup de questions. Mme la députée, s'il me reste du temps, je reviens vers vous, parce que c'est un sujet qui suscite l'intérêt de tous. Le député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : L'Internet est arrivé de manière massive dans nos foyers, quoi, fin 90?

M. Lavoie (André) : Moi, j'ai eu l'Internet en 1999, puis il y en avait d'autres qui l'avaient avant, ça fait qu'on peut dire les années 90.

M. Leduc : Bon, ça fait que ça fait, quoi, une trentaine d'années, grosso modo. Est-ce que vous estimez qu'il a participé à élever l'humanité ou, j'oserais dire, à abrutir l'humanité?

M. Lavoie (André) : Je vous dirais qu'il y a des gens qui ont cru au départ qu'Internet allait révolutionner les esprits et tous nous élever collectivement, puis moi, je respecte les gens qui pensaient ça dans les années 90. Aujourd'hui, au-delà du fait que... Écoutez, soyons clairs, tout le monde, là, ici puis à l'extérieur, là, il n'y a personne qui voudrait revenir à avant. Il n'y a personne qui voudrait revenir à leur téléphone pour rejoindre les gens, les courriels, télécharger des documents, visionner des choses, sauf que moi, je vois... Je ne sais pas si je devrais le dire. Des fois, je vois une sorte d'abrutissement collectif. Et puis je m'excuse de revenir là-dessus, là, mais autant la pandémie a fait en sorte qu'on a pu, collectivement, mieux s'en tirer parce que le télétravail, parce qu'on pouvait voir du cinéma à la maison, parce que… bon, mais, en même temps, quand je voyais et que j'entendais la somme astronomique de niaiseries qui non seulement étaient dites, mais étaient faites, et parfois au plus haut niveau, bien là c'est sûr que je partage l'idée que cet outil-là peut être extrêmement dangereux.

Écoutez, moi, là, personnellement, je dis toujours, par rapport à n'importe quoi, le «junk food» ou un joint, je ne sais pas si je devrais le dire, mais, en tout cas, je vais le dire de même, tout est bon. C'est la façon dont on s'en sert qui fait que c'est bon ou pas. Alors, qu'on soit branché sur Internet, qu'on ait un téléphone intelligent, qu'on ait un compte Instagram, en soi, il n'y a pas de mal à ça. Le problème, c'est l'excès. Le problème, c'est de penser qu'il n'y a que ça, de penser que... Écoutez, moi, là, je suis devant des étudiants, devant des jeunes, et, des fois, après 10 minutes, ils dorment sur leur table, sur leur pupitre. Écoutez, peut-être que vous me trouvez plate puis vous êtes fin, vous ne le dites pas, mais j'essaie, en tout cas, d'être un peu comme... tu sais, mais les jeunes ne prennent pas de notes, ont beaucoup de difficulté à se concentrer. On en a tous, de la difficulté à se concentrer, là, c'est évident, selon le travail qu'on fait, mais moi, je vois des jeunes qui sont… mais dans une autre dimension, là, mais vraiment, là.

Alors, c'est sûr que ni vous ni moi, on ne veut revenir en arrière par rapport aux progrès que ça a apportés, à la vie plus facile que ça nous apporte, d'avoir Internet, mais, à côté de ça, il y a des méchantes dérives. Et je reprendrais le mot d'un ami essayiste qui a écrit un essai récemment sur la déconsommation, et il décortique plein d'aspects de notre quotidien, puis il parlait de la télévision, puis il écrivait... Puis je suis parti à rire parce que je pense la même chose que lui. C'est toujours réconfortant quand on lit un livre puis que les gens disent la même chose qu'on pense, là. Il disait : Moi, je n'ai vu aucune révolution se faire en regardant la télévision. Bien, moi, je vous dirais qu'il n'y a aucune révolution qui se fait en passant son temps sur le téléphone.

Je veux dire, honnêtement, là, mettons, parlons du printemps érable, là, c'est évident que ça se serait passé autrement si ça avait eu lieu en 2002 qu'en 2012, parce que c'est clair que l'arrivée des téléphones intelligents, la facilité des communications virtuelles, ça a favorisé les échanges entre les étudiants. Ça fait que c'est clair que l'Internet, pour ça… Il y a peut-être même une thèse de doctorat à faire là-dessus. C'est clair que le printemps érable, il y a une partie de ça qui a été organisée, nourrie parce qu'il y avait Internet. Combien de personnes inconnues, sorties de nulle part, deviennent tout à coup des vedettes, ce qui, il y a 25, 30 ans, aurait été impossible parce qu'il y a 25, 30 ans c'étaient les médias qui fabriquaient les vedettes? Aujourd'hui, ce ne sont plus les médias qui fabriquent les vedettes, ce sont les réseaux sociaux et c'est Internet. Les médias sont maintenant à la remorque des vedettes que, souvent, les réseaux sociaux fabriquent.

M. Leduc : Petite relance pour vous. Est-ce que vous voyez un lien entre… plus de temps on passe sur Internet et plus on est susceptibles de trouver des contenus malveillants, de s'y abrutir, si on veut reprendre le terme de tantôt, là?

M. Lavoie (André) : Je vais vous répondre...

M. Leduc : Il y a-tu une corrélation entre le nombre d'heures passées puis...

M. Lavoie (André) : Bien, pour une fois, je vais vous répondre rapidement : les algorithmes, c'est les algorithmes. Plus vous êtes sur Internet, plus les algorithmes vous connaissent, plus ils vous ciblent, et donc plus ils vont vous amener du contenu attractif, et plus vous allez...

M. Leduc : Plus ils nous mettent des oeillères.

M. Lavoie (André) : Et, je le répète, les algorithmes, et les grandes compagnies ne veulent pas savoir de quoi sont faits leurs algorithmes.

M. Leduc : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Dionne) : Mme la députée de D'Arcy-McGee.

Mme Prass : …sur les algorithmes. Donc, vous avez un petit peu fait le tour là-dessus, mais, juste pour renforcer ce que vous dites, c'est sûr qu'une fois qu'on détermine comment on peut attraper une personne selon ce qu'elle veut croire, les algorithmes vont juste faire en sorte de renforcer ce message avec plus de reportages, etc. Puis surtout, comme vous dites aussi, et j'aime ce que vous dites aux élèves, de vérifier la source, la date, c'est qui… la publication, parce qu'on prend pour acquis...

Comme je disais tantôt, moi, j'ai un fils de 13 ans. Mon fils de 13 ans vient me voir puis il me dit : Ah bien! J'ai appris ça. Il me raconte quelque chose. Je lui dis : Tu l'as appris où? Il me dit : Sur l'Internet. Ça fait que, moi, ce que je lui ai demandé de faire, j'ai dit : Il faut que tu commences à faire des recherches, il faut que tu trouves au moins deux, trois autres sources pour valider que l'information est bonne, parce que, comme vous dites, les sources de nouvelles, maintenant, ça s'invente. Donc, malheureux de savoir que les algorithmes servent les compagnies de réseaux sociaux. Donc, comme vous dites, ils n'ont pas d'intérêt à vraiment poser de questions ni à mettre en place des mesures…

M. Lavoie (André) : Et ils n'ont surtout pas d'intérêt à vous expliquer comment ils les conçoivent, c'est pour ça… et, c'est ça, les gouvernements… beaucoup de gouvernements font des pressions là-dessus parce que, s'ils comprenaient comment ça fonctionne, peut-être qu'ils pourraient légiférer d'une meilleure façon, mais le problème, c'est que c'est une recette magique que les conglomérats ne veulent pas partager.

Mme Prass : Puis il n'y a pas de données que les gouvernements peuvent donner justement pour essayer de tirer… de savoir comment ça fonctionne?

M. Lavoie (André) : Ça, je vous avoue que ça dépasse ma compétence. Je ne saurais pas vous dire. Je ne saurais pas vous dire, mais c'est clair que... C'est clair que les algorithmes jouent un rôle très important dans nos comportements. Et, comme disait M. Leduc, c'est clair que plus on abuse, plus on passe du temps là-dessus… C'est clair qu'on nous cible. C'est-à-dire que… Non, c'est parce que non seulement c'est clair qu'on nous cible, mais on nous cible mieux. Alors, c'est toujours l'exemple classique, là. Vous allez... Ça m'est encore arrivé récemment, parce que je m'en vais en Europe dimanche, là, j'ai eu le malheur de consulter trois sites à Bruxelles pour des activités culturelles. Bien, sur Facebook, comme par hasard, j'avais une publicité sur Bruxelles. Alors, bon, c'est un exemple banal, mais, répété continuellement, ça finit par être un peu troublant.

• (19 h 10) •

Mme Prass : Oui. Bien, merci pour votre intervention.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci. M. le député de Joliette.

M. St-Louis : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci de participer aux travaux de la commission. C'est très apprécié. Depuis tantôt, je me dis : Le côté éphémère, la durée de vie d'une nouvelle ne vient pas de façon... ne vient pas brouiller un peu les cartes en ce sens où les gens n'ont pas envie et pas... surtout pas le temps d'aller valider les sources et la véracité de la nouvelle, parce que c'est quoi, c'est sept minutes? Je ne sais pas, là, je sors un chiffre, mais ça dure... c'est très rapide. Donc, ça s'enchaîne, c'est la surinformation…

M. Lavoie (André) : Oui. Moi… Écoutez, tous les rédacteurs en chef et les responsables des médias d'information vont vous dire… Puis d'ailleurs vous êtes à la fois les vedettes et les victimes de ça, c'est-à-dire les cycles de nouvelles, hein, comment une nouvelle va durer. Mettons, vous vous mettez le pied dans la bouche, puis là, tout à coup, là, ça fait la nouvelle pendant 24... Avant, ça pouvait faire la nouvelle 48 heures. Ce qui est le fun pour vous, c'est que, maintenant, ça fait 24 heures. Pourquoi? Parce que... des fois moins, parce que ça va très vite.

Moi personnellement, je le redis, puis je pense que c'est ce qu'on devrait faire, c'est-à-dire que… d'essayer d'expliquer aux gens : Trouvez-vous des médias d'information crédibles puis, oui, allez butiner, mais essayez de fréquenter ces médias-là crédibles, qui donnent une information vérifiée, le plus régulièrement possible pour avoir une continuité sur l'information qui se déroule et qui évolue, des fois, d'heure en heure, des fois, de jour en jour. Moi, c'est ce que je suggère aux jeunes, c'est pour ça que je leur dis : Mettez-vous une application d'un média d'information sur votre téléphone puis, régulièrement ou une fois par jour, 20, 30 minutes, 15 minutes, allez consulter ça.

Mais je suis d'accord avec vous, puis le problème, c'est que, comme ça va très vite et, comme on dit dans le milieu des médias, il faut nourrir la bête, bien, les nouvelles défilent à une vitesse, mais folle, là. Et pourtant il n'y a pas plus de médias, mais le problème, c'est que les médias produisent beaucoup, beaucoup de nouvelles, beaucoup de nouvelles brèves. Et, quand l'actualité s'emballe, comme par hasard... comme par exemple, par hasard, au Proche-Orient, bien, c'est clair que, là, c'est le délire, là.

Et donc c'est sûr que, comme citoyens, comme individus, on se sent un peu submergés par ça. C'est pour ça… Moi, ce que j'appelle l'hygiène informationnelle, moi, c'est ce que je pratique, c'est-à-dire que moi, je ne passe pas mon temps à butiner dans 25 médias, là. J'ai certaines émissions que j'écoute. J'ai certains médias que je consulte tous les jours. Puis des fois, quand j'ai à faire des recherches, bien là je butine ailleurs parce que c'est pour mes articles, mais moi, je m'en tiens à ça. Mais c'est très drôle, parce que j'ai fait rire et pleurer certains de mes collègues au dernier congrès de la FPJQ, dans un atelier, et on parlait de la fatigue informationnelle, concept que vous avez peut-être entendu parler, surtout pendant la pandémie, où les gens ne voulaient plus rien savoir, fermaient la radio, arrêtaient d'écouter les téléjournaux, arrêtaient de lire les médias.

Bien, moi, des fois, quand je suis avec des jeunes, j'ai développé le concept un peu triste de la négation informationnelle. Il y en a qui ne veulent pas s'informer. Ça ne les intéresse pas. Et, moi, il y a des collègues qui m'ont dit que des jeunes leur ont dit : Ça me donne quoi de savoir ça, puis sur ce ton blasé là, là, alors… Mais c'est sûr que l'idée du flot, du flux, des vagues qui déferlent dans notre subconscient par rapport à l'information, c'est vrai que c'est un enjeu, mais moi, personnellement, j'ai, entre guillemets, réglé le problème. C'est-à-dire que je consulte quelques médias, puis plusieurs quand j'ai un travail à faire ou que j'ai quelque chose... je veux me faire une tête, mais, en général, je n'essaie pas de consulter 1 000 journaux puis 10 téléjournaux, parce que je sais que ça va me submerger, que ça va... Donc, je veux dire, par exemple, quand il se passe quelque chose au Proche-Orient, personnellement, mon premier réflexe, c'est la BBC, mais je ne demanderai pas à un jeune de secondaire de faire pareil comme moi, ça, je vous rassure tout de suite.

M. St-Louis : Vous avez parlé du médium. Une personne sur 50 avait déjà pris un journal dans ses mains. Le côté interactif, je veux dire, le journal, il ne te saute pas dessus, là. Il est sur la table. Si tu ne veux pas le lire, tu ne le lis pas puis... tandis qu'à l'inverse, aujourd'hui, l'interactivité de nos médias, toute forme de média, ça nous tombe dessus comme ça.

M. Lavoie (André) : Oui, c'est ça.

M. St-Louis : Donc, tu sais, ça ajoute, en tout cas...

M. Lavoie (André) : C'est parce que ce qui arrive aussi, c'est qu'avant, dans mon temps, mettons, on va dire ça, je ne pensais jamais dire ça un jour, mais ça a l'air que je suis rendu là, on allait vers le média, et là le média ou le réseau social, il vient à nous. Il est dans notre poche. Il est dans notre chambre. Tu sais, c'est un peu comme le... tu sais, comme le téléphone, la fameuse blague, à savoir que, depuis que le téléphone est sans fil, on n'a jamais été autant attaché à lui, là. Il y a ça aussi, là, parce qu'avant le téléphone était chez nous, puis, quand on sortait, personne ne pouvait nous rejoindre, mais là le problème, c'est que, partout où on est, tout le monde peut nous rejoindre. Alors, c'est ça aussi que ça crée, une dépendance. Et donc les médias, et surtout les réseaux sociaux, on peut les consulter partout. Donc, ils nous suivent, et ce n'est pas étonnant qu'on en soit accros, hein?

M. St-Louis : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme Cadet : Merci. Merci pour votre exposé extrêmement intéressant. Votre statistique, là, de 84 %, là, des 18-34 qui ne savent pas déceler le vrai du faux, ça aussi, ça m'a choquée parce que je me dis : Ce n'est pas... ce n'est pas ce que je vois autour de moi. Ça fait que je me demandais : Est-ce que vous voyez, donc, une certaine différenciation entre les cohortes, par exemple, les 18-24, 25-29, 30-34? Puis je me demandais : Est-ce que le fait d'avoir connu la vie d'avant, là, que… le 30-34, ça, c'est un peu... ça, c'est ma cohorte à moi, puis moi, j'ai connu la vie d'avant, donc, puis je me souviens qu'au début, bien, les fausses nouvelles, quand elles arrivaient sur Internet, on a été cette génération-là qui était capable de dire : Bien non, ça, c'est faux, ça, c'est vrai, dès qu'on a eu cette éducation-là en ligne, quand ça a commencé. Puis moi, j'ai l'impression que les gens qui sont dans les 30-34, ils savent très bien faire la différence puis que ça va plus être le 60 et plus qui va avoir, donc, énormément de difficulté. Ça fait que ce que je me demande : Est-ce que le fait d'avoir connu la vie d'avant… est-ce que c'est un facteur de protection quant à la capacité de déceler le vrai du faux?

M. Lavoie (André) : Écoutez, d'abord, moi, je dois vous dire que j'ai beaucoup de contacts avec des ados à cause de mon travail de journaliste formateur, dont un peu au cégep, un peu à l'université. Et donc c'est tous des gens qui, entre guillemets, contrairement à vous et moi, n'ont pas connu la vie d'avant. Est-ce que.... Est-ce qu'effectivement c'est... Ça vous a surpris. Est-ce que c'est trop? Est-ce que... Moi, je pense qu'il y a... Oui, il y a une question générationnelle, mais je pense qu'il y a une question, aussi, culturelle, dans le sens que... dans quel milieu on a grandi. Est-ce que lire, c'est valorisé? Est-ce que s'informer, c'est valorisé? Moi, il y a quelqu'un qui m'a dit dans une classe de cégep… il m'a dit : Moi, j'écoutais Le téléjournal quand j'étais jeune parce que mes parents l'écoutaient et, quand mes parents ont arrêté de l'écouter, je ne l'ai plus écouté.

Donc, est-ce que c'est une question générationnelle? Tu sais, probablement, parce que, comme je vous dis, j'étais tellement content… et ce n'était pas du tout du fait que j'allais vous voir, là, puis que je voulais vous mettre de la poudre aux yeux puis vous impressionner, mais j'étais tellement content d'avoir mon Devoir avec moi, papier, puis de le montrer aux cégépiens, parce que mon intuition, en tout cas, du moins, avec ce groupe-là, parce qu'on s'entend que c'est zéro scientifique, là… Mes collègues des universités, là, ils seraient déjà en train de me jeter de l'eau bénite, là. C'est uniquement une classe, 50 étudiants, là, mais, sincèrement, là, j'ai sorti mon journal, écoutez, j'aurais sorti un crucifix, je pense qu'ils auraient été moins surpris, là. Là, je leur montrais le journal, puis là je leur montrais la page éditoriale. Je vous dis, là, j'avais vraiment l'air… J'étais à deux pas du centre d'accueil, moi, là. Je leur montrais l'éditorial, puis le courrier du lecteur, puis la page Idées, puis ils me regardaient, là, ils se disaient : Mais lui, il sort de quelle planète? Il est-tu égaré dans un autre système solaire? C'était incroyable. Vraiment, je vous dis, là, le monde d'avant, là, moi, c'était vraiment le monde... c'était avant le monde d'avant, là, moi, là, là, vraiment.

Mme Cadet : Puis à partir de quand est-ce qu'on développe le goût de l'information? Est-ce que ça, ça a vraiment changé par rapport à, justement, le monde d'avant? Parce que moi, je me souviens, quand j'étais au cégep, des... c'est là que ça commençait, mais c'est aussi parce que je prenais le métro. Donc là, on me donnait un Journal Métro puis un journal 24 heures dans les mains, ça fait que je n'avais pas le choix. C'est comme ça que ça a commencé, mais est-ce que ça a vraiment... c'est vraiment plus tard que ce l'était?

M. Lavoie (André) : Moi, je pense que c'est une question d'environnement, c'est une question d'éducation. C'est sûr que... Moi, l'exemple que je donnais par rapport à moi, c'était de dire : Bien, moi, quand j'étais... Moi, vous savez, quand... à chaque fois que je m'en vais dans une classe, là, surtout les ados, je prends un petit 30 secondes pour me rappeler l'ado névrosé que j'étais parce que ça me permet d'être plus bienveillant et tolérant envers ceux que je vois. Ils ne sont pas pareils complètement à celui que j'étais, mais, tu sais, mêlés, pas savoir quoi faire. Bon, moi quand j'étais ado, je ne lisais que la section Arts et spectacles du Soleil. Moi, les reportages internationaux puis les éditoriaux, ça ne m'intéressait pas. Là, maintenant, c'est effrayant comment je m'intéresse à la politique puis que je m'intéresse à l'actualité internationale, mais, ado, ça n'annonçait pas ça pantoute. Moi, c'était, genre, je voulais être critique de cinéma puis c'est ce que, malheureusement ou heureusement, je suis devenu, mais… Mais donc, moi, je me rappelle tout le temps de ça. Donc, moi...

La Présidente (Mme Dionne) : …M. Lavoie, il nous reste 10 secondes.

M. Lavoie (André) : Oui. Je ne juge pas un jeune qui ne s'intéresse pas à ça. J'espère juste qu'un jour il va l'être… puis lui tendre quelque chose, peut-être pas un journal papier, par exemple.

Mme Cadet : Merci beaucoup.

M. Lavoie (André) : Merci.

La Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment, M. Lavoie, très intéressant.

Alors, sur ce, je suspends la commission jusqu'à jeudi 26 septembre, après les avis touchant les travaux des commissions. Alors, bonne fin de soirée, tout le monde. Merci.

(Fin de la séance à 19 h 20)

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