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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le mardi 27 septembre 1977 - Vol. 19 N° 194

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Étude des problèmes de rentabilité de l'industrie des pâtes et papiers du Québec


Journal des débats

 

Étude des problèmes de rentabilité

de l'industrie des pâtes et papiers

du Québec

{Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): À l'ordre, s'il vous plaît! Il s'agit de la commission parlementaire des richesses naturelles et des terres et forêts qui est réunie ce matin en vertu d'un ordre de la Chambre qui apparaît au feuilleton et qui se lit ainsi: "Avis est donné que la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts se réunira au salon rouge le mardi 27 septembre, à 10 heures, afin d'étudier les problèmes de rentabilité de l'industrie des pâtes et papiers du Québec".

Les membres de la commission pour la séance d'aujourd'hui sont: M. Baril (Arthabaska), M. Bérubé (Matane), M. Bordeleau (Abitibi-Est), M. Grenier (Mégantic-Compton) en remplacement de M. Brochu (Richmond); M. Desbiens (Dubuc), M. Russell (Brome-Missisquoi) en remplacement de M. Goulet (Bellechasse); M. Landry (Fabre) en remplacement de M. Grégoire (Frontenac); M. Léger (Lafontaine) en remplacement de M. Joron (Mille-Îles); M. Larivière (Pontiac-Témiscamingue), M. Marcoux (Rimouski), M. Marquis (Matapédia), M. Brassard (Lac-Saint-Jean) en remplacement de M. Mercier (Berthier); M. Picotte (Maskinongé) en remplacement de M. O'Gallagher (Robert Baldwin); M. Gagnon (Champlain) en remplacement de M. Perron (Duplessis); M. Pagé (Portneuf) en remplacement de M. Garneau (Jean-Talon), M. Mailloux (Charlevoix) en remplacement de M. Giasson (Montmagny-L'Islet); et M. Gendron (Abitibi-Ouest) en remplacement de M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata).

Il y aurait lieu maintenant de désigner un rapporteur pour cette commission.

M. Marquis: Je suggère le député d'Abitibi-Est.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Cette motion sera-t-elle adoptée?

M. Pagé: Adopté.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député d'Abitibi-Est est nommé rapporteur de cette commission. Avant d'inviter le ministre et les ministres du gouvernement qui ont travaillé à ce dossier à prendre la parole de même que les différents représentants des partis de l'Opposition officielle et de l'Union Nationale, j'aimerais informer les intervenants et l'assistance présente que, du consentement de tous les partis politiques, le temps de présentation des mémoires et des questions touchant à ces mémoires est limité à deux heures, ce qui veut dire, en somme, que vous pourrez utiliser 45 ou 50 minutes pour présenter un mémoire comme vous pourrez en utiliser 15, et que la période de temps qui restera appartiendra aux députés des différents partis politiques qui pourront faire des interventions ou questionner tout simplement les intervenants.

J'aimerais également vous aviser que cette commission parlementaire suspendra ses travaux à 13 heures et les reprendra à 15 heures cet après-midi. Elle suspendra ses travaux à 18 heures, les recommencera à 20 heures et les ajournera à 23 heures; en ce qui concerne la journée du mercredi 28 septembre, c'est-à-dire demain, la commission entreprendra ses travaux à 15 heures et les terminera à 18 heures, conformément au règlement habituel de la Chambre. En ce qui concerne l'ordre du jour de la journée de jeudi, je vous en ferai part demain.

Là-dessus, j'invite le ministre des Terres et Forêts à... Oui, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: C'est deux heures par mémoire, mais le temps alloué à chaque parti est-il déterminé ou est-ce une période de questions large?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Non. En fait, nous ne voulons pas faire trop de procédure; c'est tout simplement deux heures pour chaque intervenant, et nous n'avons pas cru bon de diviser Je temps des partis politiques.

M. Grenier: D'accord. Deuxièmement, est-ce que j'ai bien compris que demain on siégeait à 15 heures au lieu de 10 heures?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): C'est cela, de 15 heures à 18 heures.

M. Grenier: De combien de membres la commission est-elle composée au total?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): La commission est composée de 17 membres.

M. Grenier: Avec un quorum de dix ou de neuf?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): De neuf. Or, là-dessus, j'invite le ministre des Terres et Forêts à adresser la parole.

Déclarations préliminaires des ministres

M. Yves Bérubé, ministre des Richesses naturelles et des Terres et Forêts

M. Bérubé: M. le Président, la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts est réunie ce matin pour entreprendre l'étude des perspectives d'avenir de l'industrie des pâtes et papiers au Québec. En fait, cette convocation même laisse supposer que l'on craint pour l'avenir de cette industrie au Québec, à cause d'une série de problèmes structurels qui existent

depuis déjà un certain temps mais qui n'ont été révélés dans toute leur acuité que tout récemment. Je crois, M. le Président, que je n'aurai pas à énumérer tous les problèmes qui affligent l'industrie québécoise des pâtes et papiers, car les membres de cette commission en sont bien au fait. Ces problèmes ont d'ailleurs fait l'objet de plusieurs interventions à l'Assemblée nationale, de même qu'ils ont été décrits assez bien par les média.

Je dirai simplement, M. le Président, que l'industrie des pâtes et papiers est d'une importance capitale pour le Québec, puisque le papier journal compte au premier rang des exportations québécoises et que les pâtes comptent au huitième rang.

Ce secteur de l'industrie québécoise permet donc une importante entrée de devises au Québec. Je dirai également que, même si la production québécoise a augmenté, la proportion du marché mondial prise par le Québec n'a cessé de décroître, et le Québec a perdu peu à peu son rôle de chef de file quant à la fixation des prix. Cependant, faut-il souligner d'ailleurs que, même avec une production aussi importante que celle des États-Unis, l'industrie québécoise n'a plus accès aujourd'hui qu'au marché résiduel d'exportation et que, de ce fait, nos producteurs sont devenus marginaux. J'ajouterai, en contrepartie, M. le Président, que cette commission parlementaire n'est valable que parce que le Québec possède toujours plusieurs avantages comparatifs, tels une forêt abondante, une bonne qualité de fibres, une abondance d'énergie hydroélectrique et d'eau douce, la compétence de sa main-d'oeuvre, pour ne mentionner que ceux-là, avantages comparatifs qui, mis en valeur au maximum et de façon rationnelle, sont de nature à aider au redressement de la situation.

En fait, M. le Président, ce que le Québec entier doit réaliser aujourd'hui, c'est que son industrie des pâtes et papiers, qu'il a toujours considérée comme acquise, est loin de l'être.

Mais la situation n'est pas désespérée, si ses principaux problèmes et leurs causes sont bien circonscrits, si les façons de promouvoir ses points forts sont évalués, l'industrie québécoise des pâtes et papiers pourra continuer d'être ce qu'elle est pour l'économie du Québec.

Je crois, M. le Président, que nous sommes présentement sur la bonne voie et que la présente commission parlementaire constitue l'étape la plus importante de tout le processus entrepris depuis quelques mois, puisqu'elle permettra un échange direct entre les principaux intéressés.

Permettez-moi, M. le Président, de faire un retour en arrière qui jettera un peu d'éclairage sur toutes les étapes qui ont été franchies depuis quelques mois. L'une des premières constatations du nouveau gouvernement du Québec devait porter sur l'état précaire de l'industrie québécoise des pâtes et papiers.

Ce premier constat de la situation de l'industrie des pâtes et papiers a immédiatement amené un second constat. Le secteur des pâtes et papiers a toujours été laissé entièrement à lui-même, ce qui n'est pas mauvais en soi mais peut poser des problèmes lorsque la situation se présente comme aujourd'hui. Le ministère des Terres et Forêts, l'interlocuteur gouvernemental privilégié du secteur des pâtes et papiers, a toujours été confiné à un rôle de pourvoyeur de matières premières et ne s'est jamais vu confier le mandat de suivre l'évolution de cette industrie.

L'État s'est impliqué dans la création de nouvelles industries papetières ou le sauvetage de celles en difficulté, mais n'a suivi que d'un oeil distrait les progrès ou les retards de l'industrie existante. D'ailleurs, le Québec n'est pas le seul État à s'être comporté de cette façon et l'action des gouvernements pourrait avoir contribué partiellement à la déstabilisation de l'industrie existante. De fait, nul ne peut nier l'étroite interrelation qui doit exister entre l'État, la population et l'industrie. La forêt apparaît aux Québécois comme une richesse collective. Le pillage, la surexploitation mettant en péril l'héritage à léguer aux générations à venir, ne sont plus acceptés.

De la même manière, les collectivités locales voient d'un mauvais oeil leurs forêts coupées pour servir d'approvisionnement à de lointaines usines alors qu'un taux élevé de chômage les afflige et que l'approvisionnement de leurs propres petites scieries s'en voit menacé. Faut-il souligner aussi le délicat équilibre à maintenir entre forêts privées et forêts publiques, entre coopératives forestières et opérations commerciales de coupe? Bref, l'État doit aujourd'hui se mêler de gestion des forêts et la grande opération de révocation des concessions ne doit pas être remise en question.

L'État se voit, cependant, contraint d'intervenir encore plus avant. L'industrie forestière représente sans nul doute la principale cause de pollution de nos cours d'eau. Le Québécois exige des correctifs et l'État devra raffermir ses normes de protection de l'environnement.

Ainsi donc, toutes ces interventions de l'État ne peuvent manquer d'influencer la rentabilité de notre industrie, d'une industrie qui peut aujourd'hui assurer des salaires élevés à ses travailleurs et qui devra continuer à pouvoir le faire. Le temps est venu de réconcilier les partenaires de cette industrie, d'examiner ensemble les forces et les faiblesses de notre industrie et surtout d'assurer pour l'avenir une concertation de tous les intervenants, de manière à léguer aux prochaines générations une économie dynamique bien intégrée à la collectivité québécoise.

Le gouvernement s'est donc engagé dès le lendemain de son élection dans un processus de réflexion. Un groupe de travail a été formé sous la présidence du ministre des Terres et Forêts et comprenant le ministre d'État au développement économique, le ministre délégué à l'environnement et le ministre de l'Industrie et du Commerce.

Le gouvernement a également autorisé le regroupement, sous l'égide du ministère des Terres et Forêts, d'une équipe de onze fonctionnaires de divers ministères possédant une expérience dans des domaines reliés à cette activité industrielle, équipe complétée par l'apport de consultants de l'extérieur.

L'attention de cette équipe interministérielle a d'abord porté sur une analyse technique, usine par usine, de la situation de l'industrie des pâtes et papiers. Une bonne partie des données provenait d'ailleurs d'une analyse détaillée effectuée récemment pour le compte du MTF par la firme Conibec. En parallèle, une étude prospective portant sur l'ensemble de l'industrie forestière a fait ressortir les grandes caractéristiques de notre industrie et ses perspectives d'avenir. Ces éléments devaient conduire à une ébauche synthétique de modernisation de l'ensemble de l'industrie des pâtes et papiers au Québec. Une telle programmation, reposant sur des hypothèses, des analyses incomplètes, doit cependant subir le test de la confrontation afin d'en raffiner les éléments de solution sinon d'en modifier profondément certains aspects.

Nous en sommes donc rendus, M. le Président, à l'étape la plus importante, celle du dialogue avec les protagonistes de l'industrie québécoise des pâtes et papiers. D'ailleurs, pour amorcer le dialogue avec ces intervenants, je leur ai soumis, il y a quelque temps, un questionnaire qui a fait l'objet d'une déclaration ministérielle à l'Assemblée nationale et qui a par la suite été remis à chaque député.

Ce questionnaire a été élaboré à partir des éléments de la programmation que j'ai mentionnés tantôt. On est donc en droit d'espérer que les mémoires substantiels qui seront soumis à cette commission ajouteront à notre connaissance de l'industrie et constitueront l'occasion idéale de contrôler la validité de certaines données ayant servi de base à notre réflexion.

On est aussi en droit d'espérer que, de ce choc des idées, jaillira la vérité sur des affirmations véhiculées de longue date, par exemple des affirmations qui veulent que les salaires payés aux travailleurs québécois des pâtes et papiers soient trop élevés, que les coûts de bois soient également trop élevés, que les réinvestissements des profits soient insuffisants.

Cette commission parlementaire doit également permettre de discuter des objectifs de chaque intervenant et en particulier du secteur privé face aux défis à relever. De cette grande discussion ouverte, on peut espérer une politique des pâtes et papiers qui tiendra compte de l'intérêt de chacun des protagonistes de ce secteur de notre économie qui visera à maintenir, à améliorer la position mondiale du Québec, qui visera l'élimination de la pollution engendrée par nos usines et qui tiendra compte d'un facteur de rentabilité pour la collectivité québécoise. M. le Président, je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci, M. le ministre. Je cède maintenant la parole au ministre délégué à l'environnement.

M. Marcel Léger, ministre délégué à l'Environnement

M. Léger: M. le Président, la détérioration de la qualité de l'environnement, que ce soit l'eau, l'air ou le sol au Québec, justifie une intervention en vue de donner aux citoyens l'environnement sain auquel ils ont droit. De nombreuses études ont en effet démontré que plusieurs de nos cours d'eau ont atteint un niveau de pollution élevé. Le Saint-Laurent, la Yamaska, l'Outaouais, la Saint-François, le Richelieu, etc., que, dans plusieurs villes du Québec, il y a des problèmes importants de pollution atmosphérique: Montréal, Noranda, Beauharnois, Arvida, et qu'il est nécessaire d'intervenir pour remédier à cette situation.

L'augmentation rapide de la population vivant dans des centres urbains de plus en plus concentrés et l'industrialisation sont considérées comme les principaux facteurs responsables de cette situation, la large part revenant cependant à l'industrie. Ainsi, en se basant sur les paramètres généralement utilisés, à savoir les solides en suspension et la demande biochimique en oxygène, la DBO, rapport de la pollution d'origine industrielle peut être considéré comme le plus important. Cependant, cet apport est encore plus considérable si l'on pense à la pollution de l'eau causée par différents produits chimiques et souvent toxiques.

L'industrie des pâtes et papiers est l'industrie la plus importante au Québec et contribue donc de façon importante à la pollution de l'eau et de l'air. La rentabilité de l'industrie des pâtes et papiers passe par une modernisation, et la modernisation de l'industrie amène, en même temps, une amélioration de la qualité de l'environnement et la diminution des pertes de déchets polluants.

Les 59 usines de pâtes et papiers du Québec déversent donc actuellement dans les cours d'eau environ 700 millions de gallons par jour d'eau usée comprenant 690 tonnes par jour de matières en suspension et 1250 tonnes par jour de demandes biochimiques en oxygène, c'est-à-dire la DBO5. Cette dernière valeur représente une population équivalant à 18 millions de personnes, soit environ trois fois la population du Québec, uniquement par les 59 usines des pâtes et papiers au Québec. De plus, ces eaux usées contiennent de nombreux autres polluants toxiques. À cette pollution de l'eau s'ajoute celle de l'air, telle que les mauvaises odeurs caractéristiques en provenance des usines à cuisson chimique ainsi que les matières particulaires.

Enfin, aussi, il existe un problème de déchets solides qui représente un volume assez important à disposer. Mais le problème principal au Québec est cependant les usines de sulfite ne possédant pas de système de récupération de la liqueur usée de cuisson et quelques vieilles usines kraft. Ainsi, ces quelque 20 usines contribuent pour environ 85% de la charge en DBO aux effluents. Il en va ainsi pour l'ordre de grandeur des coûts afin d'apporter des correctifs à cette situation. Comme vous le savez, la modernisation de l'entreprise amènera, en même temps, une plus grande rentabilité et une diminution importante de la pollution, cela va de pair, et des emplois.

Les objectifs des services de la protection de l'environnement sont donc de réduire les polluants déversés de la façon suivante: Nous voulons réduire de 70% les matières en suspension et

de la DBO5, ce qui porterait alors les rejets bruts des 59 usines du Québec à environ 200 tonnes par jour de matières en suspension et de 400 tonnes par jour de DBO5. En ce qui concerne ces objectifs que nous voulons atteindre, le contrôle de la pollution de l'air, les objectifs sont l'élimination des problèmes d'odeurs, de SO2, c'est-à-dire d'anhydride sulfureux, et des matières particulai-res en vue d'atteindre des niveaux de qualité d'air ambiant acceptables.

Dans les investissements que l'industrie des pâtes et papiers a faits depuis les 18 dernières années, de 1960 à 1977, dans le but d'améliorer la productivité — et, à l'intérieur de cela, il y a eu un peu d'investissement pour l'environnement, mais à peine perceptible — une partie de ces investissements — un mémoire de l'association parlait tantôt de $2 milliards — a servi, en réalité, à cinq nouvelles usines, ce qui veut dire qu'il resterait à peine $750 millions dans les 17 dernières années qui auraient été investis dans le domaine de la productivité, ce qui fait à peine $700 000 par usine par année.

Et du côté des équipements pour protéger l'environnement, on a investi à peine $90 millions dans les dix-sept dernières années, moins $11 millions qui ont bénéficié du programme des droits de coupe qui ont été rapportés, et ceci veut dire à peine $100 000 par année, par usine, pour la dépollution. Les possibilités qui s'offrent aujourd'hui pour résoudre les problèmes les plus aigus des usines à cuisson chimique sont les suivantes, il y a trois hypothèses: ou bien l'usine choisit de garder le statu quo de son procédé, mais installe des équipements antipollution requis, ce qui coûterait très cher. Deuxième hypothèse: l'usine décide de fermer son atelier de pâte chimique et installe une nouvellle technologie permettant la fabrication de pâtes mécaniques produites par raffineur sous pression ou autres. Et finalement, une troisième hypothèse: l'usine décide de fermer son usine de pâtes chimiques et installe quelques éléments de procédé pour la fabrication de pâtes thermomécaniques et achète un faible pourcentage de pâtes chimiques sur le marché pour mieux contrôler la qualité de son produit.

Ces trois possibilités ou la combinaison de ces possibilités offrent des solutions assurées au problème de pollution causé par ces usines. D'ailleurs, il y a une usine qui a déjà commencé à mettre de l'avant une de ces hypothèses et va récupérer, au lieu de 46% de la quantité de bois utilisé, jusqu'à 92%. Ce qui veut dire une perte d'à peine 8%. Ceci améliorera la production et diminuera les charges polluantes pour l'environnement. Par contre, il devient beaucoup plus avantageux de s'orienter vers les nouveaux procédés thermomécaniques qui, en plus de permettre la fabrication prouvée de produits de qualité, va permettre une utilisation beaucoup plus rationnelle de la forêt.

En effet, ces derniers donnent des rendements de pâtes de 90% à 95%, en comparaison actuellement de 50% à 65% pour les procédés à cuisson chimique. De plus, et je crois que c'est ici le joint le plus important à mentionner, ce nou- veau procédé de défibration de la matière ligneuse va permettre en même temps de satisfaire les normes qui seront requises par l'environnement sans investissement direct élevé dans le domaine. Il est donc presque bénéfique que l'application des normes ait été retardée jusqu'à aujourd'hui puisque la technologie vous offre maintenant d'heureuses alternatives prouvées qui apportent des solutions élégantes à vos problèmes.

J'espère donc, en terminant, que cette commission parlementaire vous permettra de nous indiquer votre pensée vis-à-vis des solutions qui doivent être envisagées et qui pourront permettre de résoudre en même temps les problèmes de pollution et d'assurer une meilleure rentabilité de vos usines tout en assurant ainsi une part grandissante sur le marché international qui est important pour vous et pour le Québec. Sachant que la technologie existe, appuyés par de nombreux exemples à travers le monde — j'arrive d'un voyage en Suède et en Allemagne où j'ai pu remarquer ces choses — il vous reste à l'adapter dans vos usines suivant le type de produit fabriqué, permettant ainsi de satisfaire aux objectifs des Services de protection de l'environnement précédemment énoncés. Ce qu'il faut pour l'environnement, et je l'ai toujours dit et je le répète, ce n'est pas de s'opposer aveuglément au progrès, mais de s'opposer au progrès aveugle. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je cède maintenant la parole au député de Portneuf.

Remarques de l'Opposition M. Michel Pagé

M. Pagé: Merci, M. le Président. M. le Président, en juillet dernier, le titulaire du ministère des Terres et Forêts annonçait, par déclaration ministérielle, la tenue d'une commission parlementaire sur la situation de l'industrie des pâtes et papiers au Québec. Dans cette déclaration, le ministre alléguait que l'industrie québécoise des pâtes et papiers était en crise, crise provoquée surtout par un vieillissement des entreprises qui fait que l'industrie serait moins productive et, par conséquent, moins compétitive sur le marché international.

Peu de temps auparavant, dans une déclaration rapportée dans les journaux, l'honorable ministre faisait savoir que 20 nouvelles usines devraient être construites au Québec, et ce pour la rondelette somme de $6 milliards. Nous n'avons cependant jamais eu vent de ce plan Bérubé, depuis, ni trouvé son expression dans un autre document.

Au moment de ces événements, l'Opposition officielle réclamait pour sa part la convocation de cette commission pour étudier en priorité des cas spécifiques: l'usine Wayagamack, par exemple, la Consolidated-Bathurst au Cap-de-la-Madeleine, la Domtar de East Angus et, quelques semaines plus tard, le cas de la Canadian Glassine, ici à Québec, dont la fermeture venait de nous être annoncée au début du mois d'août dernier.

Le ministre nous répondit alors que c'était son intention de convoquer la commission non seule-

ment pour étudier ces cas précis et spécifiques mais aussi l'ensemble du secteur et que les travaux seraient entrepris à la fin du mois d'août.

Quelques semaines plus tard, le ministre annonçait que les travaux de la commission ne seraient entrepris qu'à la fin de septembre, advienne que pourra de Wayagamack ou d'East Angus. Finalement, nous apprenions, vendredi dernier, et même pas par la voix de la compagnie, mais bien par celle de M. le ministre, que l'usine de Wayagamack fermera définitivement ses portes le ou vers le 15 octobre prochain.

Pourquoi, M. le Président, le ministre des Terres et Forêts a-t-il répondu tout l'été que la présente commission résoudrait ce genre de problèmes s'il est incapable de proposer, comme dirait son chef, pour utiliser une expression qui le caractérise, le commencement du bout de la queue d'une solution dans ce cas précis? Y a-t-il un plan de relance de l'entreprise? Y a-t-il un comité de reclassement des travailleurs? Le gouvernement est-il intervenu auprès de la compagnie pour qu'elle attende au moins les résultats des travaux de cette commission avant de poser un geste aussi draconien et définitif? Quels sont les commentaires et opinions du ministre sur les graves conséquences socio-économiques de cette fermeture pour la région de Trois-Rivières et du Cap-de-la-Madeleine?

Il est regrettable, M. le Président, finalement, de constater que, par l'attitude qu'il a adoptée dans le cas de la Wayagamack, le ministre risque de discréditer les travaux de cette commission qui, pour les syndicats, les travailleurs impliqués, ne pourrait être qu'une vaste supercherie destinée à faire porter l'odieux de cette fermeture sur leur dos ou sur celui de la compagnie.

L'Opposition officielle, à l'instar de la trentaine d'organismes et d'individus qui auront à défiler devant cette commission, se présente ici de bonne foi. Nous entendons écouter ces interventions et poser beaucoup de questions. Nous entendons aussi poser des questions au gouvernement. L'Opposition officielle reconnaît l'importance du secteur des pâtes et papiers dans l'économie du Québec et entend apporter sa contribution au règlement des problèmes qui touchent ce secteur.

Soulignons d'ailleurs que la préoccupation des libéraux pour la question forestière s'était clairement manifestée par l'adoption de la réforme forestière dont l'actuel ministre a d'ailleurs reconnu les grands mérites.

Nous espérons aussi que les perspectives, à moyen et à long terme, qui se dégageront de ces auditions ne sont pas pour le gouvernement un moyen de se laver les mains dans ce qui peut se présenter à court terme dans le cas de Wayagamack. M. le Président, nous formulons le voeu qu'à la lueur des travaux de cette commission, dans les conclusions de l'étude et de l'analyse que fera cette commission du problème qui préoccupe actuellement le secteur des papiers, nous formulons le voeu, dis-je, M. le Président, que nous pourrons dégager des éléments de solution concrets et spécifiques à des problèmes aussi particuliers que ceux que vivent actuellement les travailleurs et la population en général de certaines régions du Québec, notamment dans le cas du Cap-de-la-Madeleine, de East Angus et dans le cas de la région de Québec avec le dossier de Canadian Glassine.

Nous espérons de plus, M. le Président, que, de façon générale, les travaux de cette commission pourront nous permettre de jeter une base définitive et de voir plus clair dans la solution à apporter aux problèmes à long terme que rencontre l'économie des pâtes et papiers actuellement.

Premièrement, en ce qui concerne la situation générale, est-ce que le problème se retrouve de façon générale dans toutes les industries au Québec ou si ce problème de l'avenir de l'entreprise ne touche que certaines régions du Québec? Qu'est-ce qui arrivera des concessions forestières? Quel est le vrai problème des coûts de production? Quel est le degré de concurrence du Québec actuellement et dans sa perspective d'avenir? Qu'est-ce qu'il en est, M. le Président? J'espère que cette commission sera le moment le mieux choisi pour que nous puissions entrevoir ce qu'il en est du projet qu'on peut qualifier de projet Bérubé énoncé par le ministre, il y a quelques mois, et faisant état de la construction éventuelle de 20 usines pour un coût de $6 milliards au Québec.

M. le Président, je vous remercie, et j'espère que nous aurons suffisamment de temps pour entendre toutes les parties. On a parlé tout à l'heure d'un délai limite de deux heures pour chacun des mémoires.

J'espère que nous n'aurons pas à nous tirailler sur des questions de minutes entre les questions qui seront posées, d'une part et, d'autre part, j'espère qu'à la fin de nos travaux, nous pourrons faire une déclaration, au nom de chacun des partis, en guise de conclusion à apporter aux travaux et à l'étude qu'on aura faits par l'audition des mémoires et des gens intéressés à venir nous rencontrer. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Fernand Grenier

M. Grenier: M. le Président, il n'y a pas de doute, dans notre esprit, que tous les intervenants dans le dossier de l'industrie des pâtes et papiers au Québec s'entendent pour reconnaître que cette industrie est malade. Personne ne se fait plus d'illusions, il n'existe pas de solution miracle qui pourrait régler, une fois pour toutes, le sort de cette industrie fortement intégrée et dont les problèmes se situent à tous les niveaux du système, que ce soit au niveau de la qualité de la matière première, de sa distribution, de son exploitation, de sa transformation ou de sa régénération.

L'Union Nationale voudrait que l'on aborde les travaux de cette commission avec le plus de réalisme possible. Il ne s'agit plus de définir les

problèmes: je pense qu'ils sont bien connus. Il faut trouver les solutions les plus applicables à court terme afin de sauvegarder une des industries les plus importantes au Québec, tant en termes d'emplois, d'exportation que de valeur totale de ses expéditions, soit environ $2 milliards. La réunion qui s'amorce aujourd'hui n'est rien d'autre qu'un sommet économique semblable au mini-sommet tenu récemment par le ministre d'État au développement économique sauf qu'ici, les représentants de la majorité de la population du Québec, c'est-à-dire les partis d'Opposition, auront droit de parole et droit d'écoute et pourront ainsi participer, tel que leur devoir le leur commande, aux discussions concernant l'avenir économique de leur pays.

Je voudrais maintenant aborder la délicate question de la responsabilité gouvernementale dans le secteur que nous étudions présentement. Vous savez tous que le parti que je représente ne favorise pas l'étatisation ou la nationalisation comme solution aux problèmes de la province. Par contre, nous croyons fermement que, dans l'état actuel des choses, le gouvernement doit intervenir, et le plus rapidement possible. La première façon dont il peut intervenir serait en mettant un peu d'ordre dans la distribution et l'exploitation des forêts publiques. Toute cette question de l'approvisionnement en matières ligneuses devrait être révisée. Actuellement, on sait que 50% environ des ressources disponibles annuellement sont exploitées. Il ne s'agit pas de viser à accroître inutilement cette exploitation, mais plutôt de la rationaliser. En effet, il est illogique de voir des scieries ou des usines de transformation aller chercher la matière première à plus de 100 milles de son site d'exploitation alors que, tout près, il existe des concessions non exploitées.

L'impératif d'une intervention étatique dans ce domaine est justifié par plusieurs facteurs. Les entreprises de pâtes et papiers tout comme les entreprises de sciage ont besoin, pour survivre, de, minimiser les coûts d'approvisionnement et de garantie d'approvisionnement. Il faudrait également s'assurer que les diverses qualités de bois sont utilisées aux fins pour lesquelles elles sont les plus rentables. Si l'État prenait en charge la distribution, voire l'exploitation des forêts publiques par un organisme tel que REXFOR, il nous semble qu'un des problèmes importants qu'affrontent les industries concernées serait partiellement résolu. D'ailleurs, il est permis de se demander si l'uniformisation de l'exploitation des forêts du Québec ne permettra pas des économies substantielles sur le prix de la matière première, ce qui aurait pour effet de rendre plus concurrentielle l'industrie québécoise des pâtes et papiers qui doit subir de fortes pressions, surtout de la part de l'industrie du Sud des États-Unis. N'oublions pas que 50% de la production est vendue sur les marchés extérieurs, d'où l'importance de réduire au maximum les coûts de production.

Un autre domaine dans lequel l'État pourrait intervenir est celui du développement des marchés extérieurs pour d'autres types de produits que le papier journal. Il ne s'agit pas d'enlever tout dynamisme aux entreprises comme telles, mais plutôt d'ouvrir, par négociation, de nouveaux marchés. Et les compagnies devront alors négocier elles-mêmes sur ces marchés.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l'ensemble du dossier, mais nous ne voulons pas utiliser les arguments des futurs intervenants avant même qu'ils aient témoigné devant la commission. Nous avons voulu, par ce bref exposé, souligner l'importance d'aborder cette discussion dans un esprit de réalisme et inviter le gouvernement à prendre position et à poser des gestes concrets pour solutionner, dans la mesure du possible, les problèmes auxquels fait face l'industrie la plus importante du Québec.

Avant de terminer, je voudrais disserter quelque peu, d'abord, sur le traitement fiscal des entreprises de pâtes et papiers et, ensuite, sur le problème des relations de travail dans le secteur des usines de transformation. On note, à la lecture des différents mémoires, que le taux de taxation des entreprises opérant au Québec est plus élevé que chez le principal concurrent américain. Les statistiques indiquent qu'au cours des douze dernières années l'augmentation de la charge fiscale, en dollars courants, a été de 153%, soit en valeur courante une augmentation réelle de 38%.

D'une façon générale, on paie 49% d'impôt sur le revenu au Canada contre environ 37% aux États-Unis. Les compagnies qui, sans le faire formellement, reconnaissent qu'on devrait améliorer les installations de production voudraient voir ce taux d'imposition allégé. Pour mesurer la véracité de leurs affirmations, on devrait leur accorder l'allégement fiscal demandé pourvu qu'il serve à financer une partie de leurs investissements ici même au Québec. À court terme, cela permettrait d'activer la relance économique et de sauver les emplois menacés dans ce secteur. À moyen terme, la position concurrentielle de l'entreprise devrait s'améliorer, les coûts diminuant d'autant. Par la suite, les ventes augmenteront et, en valeur absolue, l'État ne perdrait que très peu de revenus, voire même, éventuellement, ses revenus pourraient s'accroître.

Au plan des relations de travail, nous ne pouvons que constater avec regret que la situation se détériore depuis quelques années. Les compagnies prétendent que le syndicat est trop exigeant et qu'il grève la rentabilité de la compagnie en demandant des salaires trop élevés. À notre avis, trop souvent, on a vu les compagnies user d'intimidation en menaçant de fermer l'usine si les travailleurs refusaient les offres de la compagnie.

Nous reconnaissons l'importance pour les compagnies d'être concurrentielles pour garder leur part de marché, mais tout le monde sait également que ce n'est pas strictement en grevant le salaire des ouvriers qu'on y parviendra. Pour revaloriser tout le secteur, il faudra trouver des moyens d'améliorer les produits et d'accroître les marchés sans demander aux travailleurs de se sacrifier continuellement. Ces derniers sauront faire leur part quand ils seront assurés que les compa-

gnies et le gouvernement ont fait tous les efforts nécessaires pour remédier à la situation. Les discussions que nous entamons aujourd'hui devraient éclairer les deux parties sur la situation réelle de leur milieu de travail.

Enfin, j'espère que sous peu le gouvernement nous fera part des politiques d'action qu'il entend proposer pour régler les problèmes du transport du bois et des produits finis, le flottage du bois sur nos rivières. Il nous presse de connaître les normes de reboisement et de protection de l'environnement que le ministre veut mettre en application. M. le Président, il nous presse d'entendre nos invités que nous avons conviés à cette table.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci, M. le député de Mégantic-Compton. J'inviterais maintenant le premier organisme convoqué, l'Association des industries forestières du Québec Ltée et M. Anatole Côté, son président, à nous faire part de son mémoire. Je demanderais à M. Côté de présenter les membres qui l'accompagnent, s'il vous plaît.

Audition de mémoires

Association des industries forestières du Québec Ltée

M. Côté: M. le Président, l'Association des industries forestières du Québec qui se présente devant vous aujourd'hui groupe une trentaine d'entreprises dont la plupart des sociétés de pâtes et papiers de la province. Les membres de ce secteur apprécient hautement l'occasion qui leur est donnée de soumettre à cette commission parlementaire sur les perspectives d'avenir de l'industrie des pâtes et papiers du Québec un mémoire portant sur l'évolution de cette industrie. Permettez-moi maintenant de vous présenter, à ma droite, M. Stuart Hermon, président du conseil d'administration de l'association; à mon extrême gauche, M. Oscar Stangeland, vice-président du conseil d'administration et, plus près de moi, le Dr Paul Lachance, longuement associé à l'industrie des pâtes et papiers dans la province et conseiller de l'association qui sera aujourd'hui notre porte-parole officiel. M. Lachance.

M. Lachance: M. le Président, comme présentation, je ne lirai que le résumé du mémoire et les conclusions que nous trouvons à la fin du mémoire. Le présent mémoire se propose de montrer le plus fidèlement possible l'évolution de l'industrie des pâtes et papiers du Québec, son profil actuel et ses problèmes.

Même s'il n'existe pas d'issue magique on trouve, dispersés ici et là dans le texte, quelques éléments de solution. Les moyens d'améliorer la situation sont nombreux et complexes si bien qu'ils ne peuvent être énumérés de façon détaillée et exhaustive dans le cadre de ce mémoire.

L'industrie a plusieurs suggestions à faire pour relever ces défis et elle sera heureuse d'en discuter en profondeur avec les trois niveaux de gouvernement. En termes socio-économiques, l'industrie des pâtes et papiers se situe, comme vous le savez, parmi les plus importantes industries manufacturières du Québec. Elle emploie, en usine et en forêt, plus de 40 000 ouvriers, tout en créant un minimum de 25 000 emplois indirects. Elle est bien intégrée à l'économie québécoise puisque ses importations de matières premières et d'équipement ne représentent que 17% de la valeur de ses expéditions. Sa production annuelle de pâtes et papiers est de 6,8 millions de tonnes et est constituée de 63% de papier journal, 24% de carton et autre papier et de 13% de pâtes commerciales.

Les États-Unis sont, de loin, le principal client du papier journal québécois. La clientèle des cartons et papiers se trouve au Québec et dans les autres provinces du Canada, alors que le marché des pâtes commerciales se répartit à peu près également entre les États-Unis, le Québec et les autres provinces canadiennes.

L'industrie québécoise des pâtes et papiers en est une principalement d'exportation. Elle doit donc faire face à la concurrence de plus en plus vive sur le marché international. La situation du marché pour les produits québécois des pâtes et papiers peut se résumer ainsi: Papier journal: Les États-Unis sont et demeureront notre principal client de papier journal. L'Europe de l'Ouest, les pays de l'Asie, plus particulièrement le Japon et l'Amérique latine ont tous tendance à s'autosuf-fire, mais les États-Unis sont également notre principal compétiteur par les efforts considérables qu'ils font pour accroître, surtout dans les États du sud, leur production de papier journal. Bref, le Canada, y compris le Québec, est devenu un fournisseur de papier journal ayant surtout accès au marché résiduel d'exportation. Il est donc le premier à subir les mauvais effets d'une conjoncture économique défavorable.

Carton et autre papier: Le marché extérieur de ce groupe de produits est difficile à accaparer. Les États-Unis, principal consommateur, 40% de la consommation mondiale, ont réussi à s'autosuffire et même à devenir exportateur.

L'importateur le plus important, la Communauté économique européenne, 50% des importations mondiales, achète ses produits du plus grand exportateur au monde, la Scandinavie. Le Japon, auter consommateur important, a également atteint l'autosuffisance.

Pâtes commerciales: Le Canada est le plus important exportateur de pâtes commerciales au monde, mais le Québec occupe, pour des raisons historiques et économiques, une très faible place dans le marché.

En résumé, la concurrence dans le secteur des pâtes et papiers est très forte sur les marchés internationaux. À moins de trouver les moyens de réduire radicalement le coût de fabrication de ces divers produits par rapport à celui de ses concurrents, l'industrie québécoise des pâtes et papiers connaîtra des problèmes économiques de plus en plus graves dans les années à venir.

Les défis à relever sont nombreux mais, cependant, loin d'être insurmontables. L'ensemble de l'industrie forestière, pâtes et papiers, sciage,

déroulage et autres, exploite actuellement au Québec environ 10 millions de cunits par année, alors que la possibilité annuelle de coupe pourrait être supérieure à 20 millions de cunits, selon l'intensité de l'aménagement forestier et la technologie d'exploitation retenue.

On se trouve donc, en principe, dans une situation confortable face aux possibilités d'approvisionnement des usines. Cependant, si l'on distribue ce surplus global par région, tenure, essence, qualité et produits, et si, de plus, on y introduit des notions d'économique, la réalité est bien différente. Si l'on fait le bilan de la situation forestière au Québec, on se rend compte qu'il existe en effet des surplus de matières ligneuses dont l'importance dépendra de la technologie d'exploitation et de l'intensité d'aménagement, mais que ces surplus sont en grande partie constitués d'essences feuillues de moindre qualité, ont, en général, une valeur économique marginale et sont surtout disponibles pour l'industrie des pâtes et papiers ou pour tout nouveau produit, méthanol, protéine et le reste, à base de fibre de bois de faible qualité.

Les sources d'approvisionnement en matière ligneuse de l'industrie ont changé depuis 1960. À ce moment-là, l'industrie contrôlait 70% de son approvisionnement; elle n'en contrôle plus que 55% en 1977 et il y a danger que ce pourcentage baisse à 40% d'ici 1980. Un tel lien de dépendance vis-à-vis des sources externes d'approvisionnement (bois des forêts privées et résidus de scierie) prive l'industrie d'un important moyen de concurrence, soit la diminution du coût de sa matière première par l'accroissement de sa productivité en forêt. À titre d'exemple, la matière ligneuse en provenance des scieries non intégrées sous forme de copeaux et autres résidus lie l'industrie des pâtes et papiers à la technologie de l'arbre, (celle des sciages) alors que pour réduire radicalement ses coûts, elle devra s'orienter de plus en plus vers la récolte de fibre.

En effet, on prévoit, à plus ou moins brève échéance, qu'on exploitera plusieurs arbres à la fois et qu'on produira des copeaux sur le parterre même des coupes. Une telle technologie n'aura pas un impact seulement sur le coût du bois, mais également sur la possibilité de la forêt publique puisque les âges de révolution seront considérablement réduits et/ou que le volume récolté à l'acre sera augmenté.

À cette forte dépendance d'une technologie qui deviendra de moins en moins adaptée à ses besoins, l'industrie est soumise, en regard de ces sources externes, à un système et à des lois de fixation de prix qui ne tiennent absolument pas compte des problèmes de concurrence du secteur des pâtes et papiers sur les marchés internationaux.

L'utilisation optimale de la matière ligneuse et la rentabilité même de l'industrie forestière supposent une certaine intégration des secteurs du sciage et des pâtes et papiers. Bien qu'il n'existe pas, de la part de l'industrie des pâtes et papiers, de volonté collective de contrôler le secteur des sciages, elle croit que l'intégration devrait se pro- duire de façon ponctuelle lorsque deux entreprises jugeront avantageux d'unir leurs forces pour améliorer leur approvisionnement. L'industrie croit fermement qu'aucune intervention extérieure ne devrait empêcher de telles ententes.

La technologie québécoise d'exploitation forestière et de transport des bois se situe parmi les plus modernes au monde. L'industrie des pâtes et papiers a accru sa productivité de 5% par année au cours des 15 dernières années, et elle pense qu'une technologie révolutionnaire, que l'on voit venir à brève échéance, pourra accentuer cet accroissement de productivité.

La production annuelle des usines du Québec est passée de 4,5 millions de tonnes en 1960 à 6,8 millions en 1976, d'où une augmentation annuelle de 3,5%. Au cours de la même période, sa productivité en usine passait de 8,5 heures-homme/tonne de papier journal à 6,10, d'où un gain annuel moyen d'environ 3%.

Entre 1965 et 1976, l'industrie a investi $1,6 milliard en nouvel équipement et près d'un milliard en frais d'entretien.

Les investissements faits par l'industrie québécoise des pâtes et papiers dans l'équipement de fabrication de la pâte mécanique par raffineurs à disques représentent environ 50% de l'ensemble des investissements canadiens dans ce domaine.

Le procédé par raffineur (pâtes thermomécaniques et autres) étant encore jeune, il possède quelques inconvénients dont l'un des plus importants, sans doute, est sa grande consommation d'énergie. Les recherches se continuent dans ce domaine. D'autres procédés de fabrication de pâte mécanique à fort taux de rendement sont en voie de développement ou déjà en exploitation. Ces pâtes possèdent les mêmes qualités que celle au bisulfite mais consomment beaucoup moins d'énergie que le procédé par raffineur.

La main-d'oeuvre forestière d'aujourd'hui vient encore du milieu rural mais doit être hautement spécialisée. L'industrie fait de nombreux efforts pour lui fournir une formation adéquate, une plus grande stabilité d'emploi, des conditions de travail et de vie en forêt plus faciles et plus agréables, et une diminution des périodes d'isolement. En raison de son caractère essentiellement cyclique, l'industrie ne peut toutefois offrir la sécurité totale d'emploi.

Chaque ralentissement de l'économie, comme celui que nous vivons présentement, accentue l'exode rural et risque de créer une grande crise de rareté de main-d'oeuvre forestière à la moindre reprise de l'économie. Consciente de ces sérieux problèmes, l'industrie fait partie, depuis quelques années, du Conseil de la main-d'oeuvre de la forêt où se retrouvent à une même table patrons, représentants des ouvriers et fonctionnaires du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre du Québec. Le conseil a pour but premier d'élaborer une politique rationnelle de main-d'oeuvre forestière.

En général, l'industrie n'a guère éprouvé de difficultés, par contre, à recruter et à retenir son personnel à l'usine. Les emplois y sont stables et bien rémunérés.

Jusqu'en 1970, les relations patronales-ouvrières ont été assez bonnes et les différends se sont généralement réglés par le système de la convention collective, sans avoir recours aux grèves. Cependant, la situation s'est détériorée depuis 1970 et la plupart des compagnies de pâtes et papiers ont dû faire face à des grèves prolongées durant la période 1973-1977, suivant en cela la tendance générale dans l'industrie manufacturière canadienne. Ces grèves ont été déclenchées par la combinaison d'un ensemble de facteurs dont quelques-uns se situent en dehors de l'action de l'industrie et des syndicats.

Les compagnies de pâtes et papiers font de sérieux efforts pour améliorer leurs relations industrielles en rencontrant des représentants de leurs principaux syndicats en dehors des tables de négociations.

L'industrie a élaboré et mis en place des programmes précis de conservation d'énergie, tant en forêt qu'en usine.

L'industrie est consciente des problèmes de la protection de l'environnement et est engagée financièrement dans des programmes de dépollution, en conformité avec les règlements en vigueur ou proposés par le gouvernement. Cet engagement financier s'est élevé à $77 millions au cours des cinq dernières années. L'industrie croit que le programme de dépollution doit être appliqué selon un rythme qui ne met pas en péril la rentabilité des usines et que le gouvernement devrait agir cas par cas, en tenant compte de l'interaction des facteurs sociaux, économiques, énergétiques et de l'environnement spécifique à chaque usine.

L'industrie est également consciente de ses responsabilités face à la conservation du milieu d'exploitation forestière et appuie pleinement les efforts consacrés par le gouvernement à cette question. Elle admet toutefois difficilement l'application parfois trop rigide de normes qui, selon elle, devraient être régionalisées.

Le flottage du bois, faible consommateur d'énergie, demeure pour plusieurs compagnies le moyen de transport le plus économique. L'industrie souhaite que le flottage ne soit pas interdit dans les années à venir.

L'industrie achète environ 50% de son équipement au Québec. Cette donnée n'inclut pas cependant les commandes placées au Québec d'équipement partiellement manufacturé au Québec, de même qu'elle ne comprend pas les commandes placées hors Québec mais dont une partie des pièces sont manufacturées chez nous, de sorte que l'importance des achats au Québec est beaucoup plus grande que l'indique le pourcentage précité.

Les principaux efforts de recherche de l'industrie sont intégrés dans deux organismes différents, l'Institut canadien de recherche en génie forestier et l'Institut canadien de recherche sur les pâtes et papiers, ce dernier ayant atteint une renommée mondiale par la qualité de ses travaux. De nouveaux procédés de fabrication inventés au Québec sont exploités non seulement chez nous, mais dans le monde entier. Les dépenses globales en recherche ont été d'environ $15 millions en 1976 et ont augmenté en termes de dollars constants de 7% par année.

Les relations de l'industrie avec les divers niveaux de gouvernement sont généralement cordiales et positives. Cependant, l'industrie doit traiter avec une quarantaine de ministères, services ou agences gouvernementaux, si bien que ses relations avec le gouvernement sont fort complexes. De plus, avec un tel nombre d'organismes, les gains fiscaux réalisés dans un secteur particulier, après présentation par l'industrie des raisons qui militent en faveur d'une diminution, sont parfois annulés par des augmentations de taxes décidées par d'autres services. L'industrie se réjouit des efforts que fait le gouvernement du Québec en vue de rationaliser sa politique de développement et d'aménagement du secteur forestier et est très favorable à l'idée qu'il n'y ait qu'un seul interlocuteur au gouvernement.

L'analyse de la situation économique de l'industrie québécoise des pâtes et papiers porte surtout sur le papier journal, son principal produit, et sur des comparaisons avec le sud des États-Unis, son principal compétiteur.

Cependant, les constatations qu'on fait sont généralement valables pour les autres produits. Je tiens particulièrement à attirer votre attention sur l'annexe 4 de ce mémoire qui traite de l'industrie des papiers fins dont 40% de la production canadienne est fabriquée au Québec. Elle affronte des problèmes très sérieux et qui sont présentés et expliqués dans cette annexe.

Le prix du papier journal sur le marché de New York est passé de $139 la tonne en 1960, en dollars canadiens, à $318 en 1977, pour les premiers six mois, ce qui, en apparence, constitue une très forte augmentation. Cependant, si on ramène ces prix en dollars constants, on constate qu'il n'y a eu aucune augmentation réelle de prix.

Les investissements de l'industrie québécoise des pâtes et papiers correspondent à 32% des investissements canadiens dans le même secteur industriel, ce qui équivaut également à l'importance relative de l'industrie québécoise par rapport à l'ensemble canadien.

Les profits de l'industrie suivent évidemment les cycles du marché. Le taux de rendement sur les actifs nets après impôt a été en moyenne de 5,8% depuis 1970, ce qui est bien inférieur au taux de 10% que l'on considère comme minimum pour engendrer les capitaux nécessaires à la modernisation et à l'expansion des usines.

Le coût pertinent moyen du bois directement exploité par les compagnies papetières est d'environ $70 le cunit livré à l'usine, ou de $56 la tonne de fibre. Celui du bois provenant des forêts privées est de $61 le cunit, FAB usine, ou de $55 la tonne de fibre. Le bois des forêts privées a une densité moyenne plus faible que celui des forêts publiques.

Le prix des copeaux, FAB usine papetière, est d'environ $52 la tonne, toujours pour l'année 1976. En 1970, le coût du bois du Québec était de $8 la tonne de papier journal supérieur à celui du sud des États-Unis, alors que l'écart en 1977, sept ans plus tard, est d'environ $25 la tonne. La cause de

cet élargissement de l'écart se trouve principalement dans des augmentations de salaires et de prix supérieures à l'inflation canadienne, cette dernière étant déjà supérieure à l'inflation américaine.

Les salaires payés en forêt, excluant les avantages sociaux, sont de 70% à 75% supérieurs à ceux des États du sud des États-Unis. L'écart des coûts de transformation par rapport au sud des États-Unis varie entre 0 et $15 en faveur de ce dernier pays. Les salaires horaires de la main-d'oeuvre en usine sont à peu près de 20% supérieurs à ceux des États-Unis. Cependant, le Québec possède un net avantage en ce qui concerne le coût de l'énergie, avantage que le gouvernement devrait voir à conserver à l'industrie dans les prochaines années.

Le Québec est nettement défavorisé pour ce qui est du transport par chemin de fer de ses produits finis. Alors que les compagnies ferroviaires américaines ont fait de nombreux efforts pour maintenir leurs taux de fret en vue d'augmenter leur volume de transport et de demeurer concurrentielles par rapport à l'industrie du camionnage, les compagnies canadiennes n'ont pas fait preuve de la même agressivité et ont profité de toutes les occasions pour augmenter leurs taux, faisant supporter, par exemple, les pertes encourues dans le transport du grain par les revenus provenant d'autres sources et dont les produits forestiers constituent une large part.

Il découle de tout ceci que le coût de transport par tonne de produit fini est au Québec de $10 à $15 supérieur à celui de ses concurrents américains. En résumé, l'écart entre le coût total d'une tonne de papier journal fabriquée au Québec et livrée aux États-Unis est d'environ $45 par rapport à la tonne fabriquée dans les États du sud américain.

De tous les facteurs qui ont eu un effet négatif sur la rentabilité de nouvelles usines ou l'expansion d'usines existantes, l'escalade rapide des prix d'achat de nouveaux équipements a certes été le plus important.

En effet, le coût d'implantation de nouvelles unités a quadruplé en dix ans. En 1965, une nouvelle usine constituée d'une seule machine à papier journal — machine moderne de 3000 pieds-minute, 300 pouces de largeur — revenait à $70 000 par tonne-jour, alors que la même usine revient aujourd'hui à plus de $270 000. Un tel accroissement fait que la rentabilité de nouveaux projets est très douteuse et qu'aux États-Unis mêmes on a abandonné, pour cette raison, la réalisation de certains projets officiellement annoncés.

L'industrie estime que l'accroissement de vitesse de plusieurs machines existantes peut se réaliser à un coût bien inférieur à celui d'une toute nouvelle usine, soit environ $140 000 par tonne-jour. Pour peu que cet accroissement soit bien programmé par rapport aux conditions du marché, l'augmentation de la capacité de production des usines existantes comporte l'avantage d'éviter de sérieux déséquilibres dans l'offre et la demande.

Le taux moyen sur le revenu des sociétés a été, en moyenne, au Canada, de 46% durant la période 1970-1976, comparativement à 37% aux États-Unis.

Les taxes diverses versées au Québec — provinciales et municipales — sont passées de $34,4 millions en 1965 à $87,1 millions en 1976, soit une augmentation de 153%. Une partie importante de cet accroissement est due à l'inflation, mais si l'on ramène ces valeurs en dollars de 1971, il existe une augmentation réelle de 38%.

Au cours de la même période, les profits nets après impôt des entreprises de pâtes et papiers ont été très cycliques, mais se sont maintenus, en moyenne, à près de $100 millions par année. Les revenus réels ont donc diminué à un taux correspondant à celui de l'inflation, soit environ 6% par année. On peut donc conclure que le fardeau fiscal est de plus en plus lourd à porter. Il faudra, avant qu'il ne soit trop tard, que les gouvernements, et la société en général, se demandent s'ils ne vivent pas au-dessus de leurs moyens et s ils ne sont pas en voie de tuer les industries qui assurent leurs revenus.

Si vous voulez vous reporter à la page 81, maintenant, pour les conclusions.

L'industrie des pâtes et papiers du Québec a fait preuve de dynamisme. Elle a accru son volume de production de 4,5 millions de tonnes en 1960 à 6,8 millions de tonnes en 1976, soit un taux annuel d'augmentation d'environ 3%, je l'ai dit précédemment.

Elle a, dans le domaine forestier et dans celui de l'approvisionnement en matière ligneuse, exploité la forêt selon les prescriptions de plans d'aménagement approuvés par le ministère des Terres et Forêts et conformément aux lois et règlements de ce même ministère; elle a accru considérablement son utilisation des résidus des scieries, soit 10% de son approvisionnement en 1965, comparativement à 25% en 1975; elle a accru également son utilisation des essences feuillues — 400 000 cunits en 1965 contre 730 000 cunits en 1976; elle a augmenté appréciablement la productivité en forêt de ses divers agents de production — 5% par année — en dépit de conditions difficiles d'exploitation; elle a contribué largement au développement de la voirie forestière et de réseaux modernes de communication et de transport; elle a investi de fortes sommes dans la recherche d'une technologie d'exploitation de pointe; elle a acheté, bon an, mal an, un fort volume de bois des petits propriétaires forestiers; elle a aménagé intensivement ses propres forêts privées et, dans plusieurs cas, joué un rôle de pionnier dans l'établissement de pépinières.

Dans le domaine de la fabrication, elle a amélioré la capacité moyenne de production de ses machines — 42 000 tonnes-année en 1960 contre 63 000 tonnes en 1976 pour le papier journal et sa vitesse moyenne de 1600 pieds par minute en 1965 contre 2000 pieds par minute en 1977; elle a augmenté la productivité moyenne de ses usines en termes d'heures-homme par tonne, soit 8,5 heures en 1960 comparativement à 6 heures en 1976 pour le papier journal.

Et si l'on compare la productivité des usines de pâtes et papiers du Québec, l'ensemble des usines du Québec, comparativement à l'ensemble des usines aux États-Unis, en ne tenant compte que des employés payés à l'heure, pour que ce soit sur la même base, la comparaison est la suivante: Pour le Québec, 4,4 heures-homme par tonne. Aux États-Unis, 4,5 heures-homme par tonne. Elle a modernisé ses usines par l'installation de machines à toile jumelée, par l'implantation graduelle du procédé de fabrication de pâtes mécaniques par raffineurs à disques, par le remplacement de machines désuètes et par la mise en place de nombreux autres moyens modernes de fabrication.

Elle a investi dans l'industrie du sciage afin de maximiser l'utilisation de la matière ligneuse et d'être moins vulnérable en regard des cycles du marché des divers produits forestiers. Elle a abaissé, de façon appréciable, le niveau de pollution de ses usines. Elle a investi des capitaux importants dans la recherche de nouveaux procédés de fabrication.

Dans le domaine de l'énergie, elle a mis en place des programmes précis de conservation, tant en forêt qu'en usine.

Dans le domaine de la main-d'oeuvre, elle a offert en forêt et en usine des conditions de travail largement améliorées. Les nombreux efforts faits en forêt pour améliorer les conditions de travail et de vie et pour diminuer la durée des périodes d'isolement sont assez impressionnants.

Elle a formé un groupe d'études pour assouplir ses relations patronales-ouvrières. Elle a participé activement au Conseil consultatif de la main-d'oeuvre en forêt, formé de représentants de l'industrie, des syndicats et du ministère du Travail, l'objectif premier de ce conseil étant d'élaborer une politique rationnelle de main-d'oeuvre forestière.

Dans le domaine de ses relations avec les trois niveaux du gouvernement, elle a toujours accepté avec empressement leurs demandes de consultation et le dialogue, en général, a été franc, cordial et positif.

L'industrie a cependant plusieurs défis à relever pour demeurer concurrentielle.

L'industrie continue d'accorder beaucoup d'efforts aux divers domaines précités et aux nombreux éléments qui les composent en vue d'améliorer sa capacité de concurrence et de lui permettre de jouer son rôle de principal moteur de l'économie québécoise. Il n'existe, malheureusement, pas de solution magique aux nombreux problèmes qu'elle affronte. Elle réussira à reconquérir une plus forte présence sur le marché international à partir d'un ensemble d'éléments de solution bien analysés, bien coordonnés, face aux conditions du marché et aux exigences de notre société moderne. Son défi majeur consiste évidemment à réduire radicalement le coût des produits vendus, de façon à "autogénérer" suffisamment de capitaux qui assurent des dividendes raisonnables à ses actionnaires et qui lui permettent de relever les autres défis, tels l'aménagement plus intensif de la forêt, la protection de l'environnement, la conservation de l'énergie, la modernisation et l'expansion des usines, l'accès à de nouveaux marchés.

Les solutions aux problèmes sont nombreuses et nous en avons déjà souligné quelques-unes dans le cadre de ce mémoire. Chacune d'elles est cependant fort complexe et exige de ce fait une étude particulière. On ne peut donc les aborder ici, mais l'industrie a plusieurs suggestions à faire pour relever ces défis et sera heureuse d'en discuter en profondeur avec les trois niveaux de gouvernement ainsi qu'avec les principaux organismes paragouvernementaux concernés. Les divers mémoires présentés par les membres de notre association feront d'ailleurs des recommandations précises relatives à leur cas particulier.

Nous aimerions, toutefois, souligner quatre points majeurs: a)Eviter dans l'immédiat l'application de toute mesure législative ou règlement qui pourrait contribuer à accroître davantage le coût de nos produits. b) Etudier en profondeur les aspects positifs et négatifs de tout programme à long terme visant à résoudre les problèmes de l'industrie et surtout s'assurer au départ d'être bien au courant des faits.

L'industrie voudra bien collaborer étroitement à ces programmes, pour autant qu'ils seront élaborés en connaissance de cause et qu'ils pourront l'aider à résoudre ses problèmes. c) Concevoir au plus tôt, comme il a déjà été suggéré, un régime fiscal constructif ayant comme principal objectif d'encourager l'industrie à relever ses nombreux défis. d) Instruire correctement et systématiquement le grand public non seulement sur les problèmes de l'industrie des pâtes et papiers, mais sur les principaux problèmes économiques de la société dans laquelle il vit et sur les contraintes économiques qui se présentent, eu égard au standard de vie et au services sociaux qu'il désire obtenir.

Les divers niveaux de gouvernement devraient consulter l'industrie avant de voter des lois qui la touchent de près. Dans le même ordre d'idées et toujours en vue d'accorder à l'industrie des pâtes et papiers de meilleures chances de concurrence, il semble opportun de recommander que les divers niveaux de gouvernement se concertent afin de trouver un mode de consultation avec l'industrie sur tout projet de loi tant au niveau du secteur primaire que secondaire qui pourrait avoir certaines conséquences sur sa rentabilité. À ce sujet, l'industrie a souvent été placée devant des faits accomplis qui lui ont été préjudiciables. Je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup, M. Lachance. M. le ministre.

M. Bérubé: Je vous remercie du très intéressant mémoire que vous nous soumettez ce matin. Je pense que nous avons choisi un mémoire parti-

culièrement substantiel pour commencer les travaux de cette commission. Nous aurons sans doute passablement de questions à poser. Immédiatement, j'aimerais mettre mes collègues,— d'ailleurs mes collègues de l'Opposition le sont déjà — au courant de la technique que nous entendons suivre. Du côté gouvernemental, comme nous avons travaillé en équipe ces mémoires, que nous les avons étudiés ensemble, nous avons cru devoir modifier un peu la tradition des commissions parlementaires et confier à différents membres de notre députation le soin de poser les premières questions. En d'autres termes, je céderai donc mon droit privilégié de parole dans un certain nombre de mémoires de manière à créer une certaine rotation. Je pense que si les députés de l'Opposition ne s'opposent pas à cette technique, cela pourra nous permettre d'avoir un peu plus de variété dans les questions.

À tout seigneur tout honneur, je me réserve le droit du premier mémoire. J'aurai donc un certain nombre de questions. Un commentaire au tout début. Je pense que votre recommandation b) en particulier ne soulèvera pas beaucoup d'enthousiasme de la part de l'Opposition libérale, puisque vous demandez d'étudier en profondeur les aspects positifs et négatifs de tout programme à long terme, et nous avons très bien remarqué, dans la présentation de M. Pagé, que, effectivement, il s'agirait plutôt d'utiliser la technique dite de la queue de veau, qui consiste à se garrocher dans toutes les directions, chaque fois qu'un problème est soulevé plutôt...

M. Pagé: Encore de la politique, M. le Président. Le problème est tellement important. Passez-donc aux choses concrètes.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): À l'ordre, s'il vous plaît, M. le député de Portneuf! À l'ordre! M. le ministre.

M. Bérubé: ... justement que d'étudier... Par conséquent, j'aurais un certain nombre de questions à vous poser, en particulier en ce qui a trait au contrôle de l'approvisionnement. Vous semblez fortement préoccupé par le contrôle des approvisionnements par les compagnies du Québec. Je pense que, tout au long de votre mémoire, vous faites des comparaisons entre la situation au Québec et celle des États-Unis. Ce qui me frappe cependant aux États-Unis, c'est que, d'après votre rapport, c'est près de 60% de l'approvisionnement en forêt qui vient des petits propriétaires forestiers et moins de 10% qui vient de la grande forêt publique. En d'autres termes, aux États-Unis essentiellement, ce pays que l'on cite en référence, l'industrie s'approvisionne essentiellement à la forêt privée, contrairement à la situation au Québec. Vous utilisez comme argument que, effectivement, obliger l'industrie forestière à s'approvisionner au Québec sur la forêt privée pourrait la dérentabiliser. Pourriez-vous préciser cet aspect de votre mémoire que j'ai de la difficulté à comprendre?

M. Lachance: Évidemment, M. le ministre, je tiens à vous rappeler les mémoires qui vous ont été soumis dans le passé au sujet de ce problème. Ces mémoires étaient probablement beaucoup plus complets que ce que je pourrais dire ce matin. Ce que nous recherchons, c'est la stabilité d'approvisionnement à long terme et à un prix raisonnable, un prix concurrentiel. Quand l'exploitation se fait chez nous, nous sommes plus maîtres de l'application de toute nouvelle technique quant à la récolte qu'à d'autres moyens, transport et autres. Là-dessus, nous croyons que nous avons un avantage à ce que chaque compagnie exploite elle-même à long terme les bois dont elle a besoin.

Elle peut mettre à profit toute une mécanisation coûteuse, mais qui l'aide par contre et qui l'a aidée dans le passé à augmenter sa productivité.

C'est un des éléments sur lesquels nous insistons et, évidemment, plus il y a de bois dont elle se sert et qui provient des sciages ou de la forêt privée, plus le bois qu'elle coupe elle-même sur ses terrains lui coûte cher, étant donné l'installation de machinerie et le personnel qui y est affecté.

Stabilité et coût de production et de transport, c'est ce que nous recherchons.

M. Bérubé: Dois-je comprendre que l'approvisionnement en provenance de la forêt publique — puisque vous retirez à peu près 50% de votre approvisionnement en matière ligneuse sur la grande forêt publique — que ces 50% en provenance de la forêt publique ne sont pas responsables des coûts élevés de votre matière première, mais que, au contraire, les bois que vous obtenez sur la forêt publique vous reviennent à un coût moindre que ceux que vous achetez de la forêt privée?

M. Lachance: C'est exact que le coût du bois que nous exploitons est légèrement plus cher que celui que nous achetons de la forêt privée, mais plus on va augmenter la coupe sur la forêt privée, plus on augmentera les coûts sur la forêt publique, justement parce qu'on ne pourra pas couper le volume. Plus le volume est gros, moins le coût est élevé. Plus on va couper de bois sur la forêt privée, plus le coût du bois, dans l'ensemble, sur la forêt publique, va être élevé, justement pour les raisons que je viens de mentionner.

M. Bérubé: Ce serait dans la période de transition entre un régime où on privilégie la forêt privée et un régime où l'on privilégie antérieurement la forêt publique qu'il pourrait y avoir augmentation de coût, du fait de machinerie non utilisée dans les coupes forestières de l'industrie, si je comprends bien.

M. Lachance: Je pense que les toutes dernières années expliquent à peu près le cheminement qu'on peut anticiper.

M. Bérubé: Mais cela pourrait ne pas être le cas à long terme, si je comprends bien. C'est-à-dire, si l'industrie réduisait le niveau de ses exploitations forestières sur la forêt publique, à long

terme, le surplus de coût qu'elle encourt du fait d'une mauvaise utilisation de sa machinerie s'en trouverait réduit, étant donné qu'évidemment...

M. Lachance: Je ne pense pas que c'est ce qui se passera à l'avenir parce que je ne crois pas, dans le moment, que nous sachions tellement bien, que le gouvernement lui-même sache quelle est la possibilité des terrains privés. Surexploite-t-on la forêt privée? Je ne le sais pas, je pense que le gouvernement lui-même ne le sait pas dans le moment, mais ce qu'on sait, par contre, c'est que la forêt privée à elle seule ne pourra jamais suffire à fournir de façon constante, stable, avec prévision d'avenir, tous les bois dont l'industrie a besoin. Il faudra toujours compter, et pour une très large partie, sur le bois à exploiter dans la forêt publique.

M. Bérubé: J'aimerais que vous soyez peut-être un peu plus explicite relativement à un régime fiscal constructif. Je pense que c'est une des recommandations positives de votre mémoire, la première étant que le gouvernement ne s'en mêle pas ou intervienne le moins possible, la deuxième étant que le gouvernement introduise un régime fiscal constructif. Pourriez-vous détailler ce régime fiscal?

M. Lachance: Là-dessus, je vous avoue qu'il y a des experts comptables qui nous ont assistés pour en arriver aux chiffres solides que nous vous avons présentés d'une façon très globale. Je ne pense pas avoir la compétence pour m'aventurer dans toutes sortes de suggestions qui pourraient vous aider à ce sujet, sinon de dire que, de façon générale, ce que nous recherchons, c'est une diminution du fardeau fiscal, que ce soit celui de l'impôt, que ce soit celui des taxes et redevances de toutes sortes auxquelles on est soumis. C'est là le problème. Je pense qu'il y aurait avantage, à ce sujet, que vous formiez un comité qui compterait des experts de chez nous qui pourraient vous assister et vous montrer peut-être de façon plus précise ce qu'on entend par cela. En plus, je suis certain que les compagnies qui vous présenteront des mémoires, et je le sais, détailleront le sujet parce que ce qui peut faire l'affaire d'une, nécessairement, ne fait peut-être pas l'affaire de l'autre.

Les compagnies, dans les mémoires qu'elles vont vous présenter, vont faire état de ce qu'elles entendent par le régime fiscal le moins élevé.

M. Bérubé: Pourriez-vous envisager, par exemple, un régime fiscal qui permettrait la mise de côté des bénéfices avant impôt, en d'autres termes, un programme incitatif de réinvestissement du type de la loi que le ministre de l'Industrie et du Commerce vient d'adopter? Est-ce que vous envisagez ou bien, carrément, une réduction des taux d'imposition?

M. Lachance: Non, je pense que le projet de loi d'assistance que vous avez pour la petite entreprise pourrait fort bien s'appliquer à quantité de nos membres.

M. Bérubé: Maintenant, vous avez utilisé beaucoup de données assez intéressantes, je dois dire, des données comparatives sur les coûts dans le sud des États-Unis et le Québec. Est-ce que vous pourriez identifier l'origine de vos coûts, les sources, les références bibliographiques, étant donné que, dans le cas des sources québécoises, vous avez toujours plusieurs références, mais, dans le cas des données américaines, nous n'avons malheureusement pas pu trouver de références?

M. Lachance: La question, M. le ministre, ne me surprend pas du tout parce qu'il est très difficile d'obtenir des coûts des différents producteurs américains. Nous l'avons fait, de façon discrète, et nous sommes certains des chiffres que nous avançons. Maintenant, il y aurait peut-être moyen qu'en particulier on puisse vous révéler certaines sources, mais je ne pense pas pouvoir le faire ici en commission parlementaire.

M. Bérubé: Mais, relativement à ces coûts, vous soulignez l'importance relative des salaires dans le coût d'une tonne de papier. Selon vous, parce que je n'ai pas pu trouver dans votre mémoire ailleurs qu'à la page 70 une comparaison entre le coût de main-d'oeuvre aux États-Unis et au Québec, quel est le pourcentage du coût représenté par la main-d'oeuvre dans une tonne de pâte?

M. Lachance: Comme vous le disiez vous-même à la télévision, il n'y a pas très longtemps, vous savez, l'apport de la main-d'oeuvre, le coût de la main-d'oeuvre, dans l'ensemble, peut varier. En fait, il varie. On peut tout de même dire qu'en général, le coût de la main-d'oeuvre dans le coût de production est d'environ le tiers. Si vous prenez, par exemple, près de $2 milliards, pas tout à fait $2 milliards, de valeur aux expéditions en 1976 et que vous comparez cela aux $600 millions versés en salaires, vous voyez là qu'on arrive à peu près à 27% dans l'ensemble, si on prend Statistique Canada, par exemple. Cela donne déjà un indice de l'apport que peuvent avoir les salaires sur le coût de production.

Il y a aussi la question de productivité en forêt et à l'usine, où, si on multiplie cela par la moyenne des salaires, on en arrive aussi à un chiffre. Mais ce que je peux dire, c'est que le coût du travail varie suivant les procédés que nous faisons. Le coût de la main-d'oeuvre pour un papier fin n'est pas le même que celui d'une pâte mécanique ou d'une pâte kraft, par exemple, ou de papier journal. Alors, il varie pour chaque type de produit que nous faisons. Mais, dans l'ensemble, c'est à peu près le tiers du coût de production.

M. Stangeland: M. le ministre, si je peux ajouter un mot, le coût de la main-d'oeuvre, disons, dans une tonne de papier journal, représente approximativement 35%, comme le Dr Lachance l'a exprimé. Le coût du bois représente aussi à peu près un tiers du coût d'une tonne de papier journal. Mais, dans le coût du bois qui constitue un

tiers, la main-d'oeuvre est approximativement la moitié. Si on prend un tiers par tonne de papier journal pour le coût de la main-d'oeuvre, et si la moitié du coût du bois est aussi représentée par la main-d'oeuvre, je crois qu'en général, pour une tonne de papier journal, on peut dire que 50% du coût est représenté par le coût de la main-d'oeuvre.

M. Bérubé: Vous mentionnez également, dans un autre ordre d'idées, les problèmes de l'intégration du sciage et de l'industrie de fabrication de pâtes et papiers. En particulier, vous soulignez que cette intégration doit se faire sur une base volontaire. Or, un point d'interrogation nous vient tout de suite à l'esprit, c'est le problème d'un aménagement de la forêt et surtout de l'exploitation de la forêt en fonction de son potentiel et donc de la possibilité de diriger au sciage préfé-rentiellement le bois qui devrait normalement aller au sciage plutôt que de le diriger vers la pâte de papier.

Quelle serait l'incidence économique d'une politique de ce genre qui dirigerait au sciage le bois propre au sciage et réserverait les copeaux et le bois impropre au sciage pour la fabrication de la pâte?

M. Lachance: Je pense que je peux dire là-dessus, M. le ministre, évidemment, que, dans l'ensemble de l'industrie, il n'y a peut-être pas d'objection à cela, pour autant que le prix chargé pour les bois qui iront aux pâtes et papiers correspondra à la valeur fibre des grosses billes qui s'en iront au sciage, parce que la manutention devient considérable si seulement les petits bois et les bois défectueux sont dirigés vers les pâtes et papiers. Actuellement, c'est un "mixte" de gros bois et de petits. S'il faut que le gros bois, à un prix égal, soit envoyé au sciage, c'est-à-dire que si un cunit de gros bois est envoyé au sciage au même coût que le petit bois est envoyé à l'usine de pâtes et papiers, cela ne marche pas du tout, car notre coût va être joliment supérieur, énormément supérieur, peut-être six ou sept fois supérieur, si on tient compte de la manutention et du transport.

M. Bérubé: II y a peut-être un dernier concept. J'aimerais avoir vos réflexions d'ensemble sur le rôle des petites usines par rapport aux plus grosses entreprises. En d'autres termes, on peut débattre l'avantage de répartir l'industrie forestière un peu plus également sur le territoire, d'avoir des unités de production qui, au lieu d'atteindre 1500 tonnes-jour, pourraient, disons, osciller autour de 300 à 500 tonnes, de manière à rapprocher l'usine de la forêt, souvent de rapprocher l'usine des communautés locales.

Quelle est la philosophie générale des gens de l'industrie relativement à ce concept? Est-il véritablement préférable de tendre vers la grosse entreprise ou, au contraire, ne revient-on pas, présentement, vers le concept d'une unité plus petite de production?

M. Lachance: Là-dessus, j'aimerais mieux que des experts se prononcent, mais je peux peut-être vous donner mon idée personnelle. Évidemment, dans certains coins, on construit de petites usines, mais étant donné le contexte nord-américain, notre haut standard de vie, je doute énormément qu'on en arrive à des usines rentables qui soient de petit calibre. Aux États-Unis, en Amérique latine même et au Canada, nous nous aventurons vers des usines de plus en plus grosses. Étant donné le coût de la main-d'oeuvre surtout, je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir une petite production, et principalement pour le Québec, quand on considère les distances de transport.

Voyez-vous de petites usines placées à 100 milles, 150 milles, ou 200 milles, ce que serait le transport et les primes d'éloignement qui seraient exigées par les employés qui demanderaient évidemment les mêmes salaires que ceux payés dans les grosses? Personnellement, je ne vois pas d'avenir pour la petite usine, j'en vois pour les grosses usines, et j'en vois surtout dans la transformation et l'amélioration des usines en place beaucoup plus que de nouvelles, quand on considère le coût de la machinerie aujourd'hui, qui a tellement monté en flèche.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. D'abord, je tiens à remercier l'association pour la qualité du mémoire qu'elle nous présente ce matin. Il aurait certainement été souhaitable qu'on ait plus de temps à vous accorder, afin que la commission puisse prendre connaissance non seulement du résumé, mais de tout le mémoire. Je ne commencerai pas mes commentaires, comme l'honorable seigneur de la commission l'a fait, par des attaques partisanes, parce que le sujet est trop important pour que cette commission devienne le véhicule d'attaques purement partisanes et politiques.

Ma question s'adresse à M. Lachance. Vous ne faites pas beaucoup état, dans le mémoire que vous nous présentez, du problème du vieillissement des usines au Québec qui semble, dans plusieurs cas, être le motif de la préoccupation, du problème qu'on retrouve actuellement. Selon vous, en quoi le vieillissement de nos usines constitue-t-il le jalon important du problème que nous connaissons actuellement, c'est-à-dire la difficulté d'être en concurrence sur le marché international?

M. Lachance: J'apprécie que vous mentionniez le vieillissement des usines et non de l'industrie, parce qu'il faut faire une jolie différence entre cela. Que nous ayons de vieilles usines, je n'ai pas besoin de vous énumérer les dates de construction, mais je reviens encore sur la même chose, vous savez, les cadres d'une usine, qu'elle ait été construite au début du siècle ou non, n'ont rien à voir avec les renouvellements de la machinerie. Je pourrais prendre une bonne demi-heure à vous

expliquer tous les changements que moi-même, en 35 ans — parce que, depuis 1940, je m'intéresse à l'industrie des pâtes et papiers et, depuis 1940, je visite des usines de pâtes et papiers...

Si je commençais a vous énumérer tous les changements qui sont survenus dans la machinerie, dans la tuyauterie, dans les filtres, dans la machine à papier, j'en aurais pour plus d'une demi-heure. Alors, inutile... On parle de vieillissement d'usines, d'accord. Il y a certaines usines qui, étant donné leur position géographique, étant donné l'endroit où elles ont été construites... Parce qu'au début, il n'y avait pas d'électricité. Il fallait que certaines usines s'aménagent à la force des rivières, avec des turbines sur place. On ne peut pas très facilement demander à ces usines, aujourd'hui, de mettre en place de l'équipement qu'elles voudraient bien placer et qui apporterait peut-être une solution, dans certains cas, à des problèmes de pollution.

Quand on parle de vieillissement, il faut faire attention. Je pense que le problème, et surtout la question que vous posez, vous pourrez facilement la poser à certaines compagnies puisque la plupart de nos compagnies vont présenter des mémoires; elles seront beaucoup plus en mesure que moi d'apporter des précisions sur certaines de leurs usines. Dans l'ensemble, il faut faire attention. Je ne pense pas que ce soit profitable à qui que ce soit qu'on répande dans le public l'idée que notre industrie est vieille, désuète, que notre management n'est pas dynamique. Je pense que nous n'avançons pas avec cela. Au contraire, on se nuit, on nuit à l'industrie, on nuit au Québec.

M. Pagé: En réponse à la dernière question que vous a formulée M. le ministre tout à l'heure, vous avez dit que la solution n'était pas nécessairement dans la construction de nouvelles usines, ce qui va dans le sens de la réponse que vous venez de donner. Est-ce à dire que le projet — parce qu'il faut en parler; cela a quand même été énoncé par un représentant du gouvernement, en l'occurrence M. le ministre des Terres et Forêts — de construction de 20 usines nouvelles au Québec n'apparaît pas comme une solution réaliste à votre association?

M. Lachance: Pour notre industrie? M. Pagé: Oui.

M. Lachance: Pour le moment, sans aucun doute. Je pense qu'aussi longtemps que les conditions économiques ne se seront pas améliorées et que l'industrie en place ne sera pas capable de payer des dividendes intéressants, comparables à ceux des autres entreprises, je pense que ce serait prématuré, étant donné les hauts coûts de construction et surtout étant donné le fait que nous sommes loin d'être certains dans le moment que la fabrication de pâtes thermomécaniques soit la solution de tous les problèmes et que, même si on sait très bien que la production thermomécanique est de nature à améliorer considérablement le problème de pollution qu'on connaît dans nos usines de pâte et de sulfite... On le sait que ce sont les usines qui polluent le plus. Malgré tout, on s'est aventuré au Québec à investir, dans les pâtes thermomécaniques, la moitié de ce qui s'investit au Canada. Malgré tout cela, on est loin d'être certain encore, non seulement nous, mais les Finlandais, les Suédois, le monde entier est loin d'être certain que la solution repose dans la pâte thermomécanique. Dans des raffineurs, d'accord. Dans de nouveaux procédés comme celui que connaîtra une de nos compagnies prochainement, d'accord.

Là-dessus, je tiendrais non pas à déposer, mais à porter l'attention des chercheurs sur deux articles qui ont été publiés dans Pulp and Paper International sur la pâte thermomécanique, une en juin 1977 et l'autre en juillet 1977, où on fait rapport d'une réunion qui a eu lieu, je pense, à Helsinki en Finlande et où l'on mentionne exactement ce que je viens de dire. Évidemment, le texte est en anglais. Je ne sais pas si je peux me permettre de le lire. Si oui, je vais vous le lire ici. Merci.

Je cite, à la page 70 d'un de ces articles: "No immediate technical breakthrough is likely to revolutionize thermomechanical pulping, but there are indications that chemical pre-treatment may become more important. Much interest is being shown in the highly secret process that Canadian International Paper is installing at its Gatineau mill for start up in 1979. If CIP's claims for the new process proof correct, says Mr. Waldren, it could completely stop thermomechanical pulp.

Je pense qu'il faut y aller avec prudence, même si on y voit beaucoup d'avenir, il faut y aller avec prudence.

M. Pagé: Une question bien concrète sur la question du procédé par fabrication de pâte thermomécanique. Vous dites qu'en ce qui concerne les raffineurs, c'est possible, c'est bien. Vous dites, de plus, dans votre mémoire, que dans le cas d'un raffineur, c'est une consommation plus grande d'énergie. Alors, en quoi la récente augmentation des tarifs de l'Hydro-Québec peut-elle affecter le coût de production avec ce type de mécanisme?

M. Lachance: Dans l'ensemble, pour le problème de l'industrie québécoise, je ne peux pas vous le mentionner, mais ce que je peux vous dire, c'est que je connais certaines usines ici au Québec qui auront à payer $1 million de plus cette année que l'an dernier.

M. Pagé: Et cela en vertu des récentes ententes, des nouveaux tarifs?

M. Lachance: En vertu des nouveaux taux et des nouvelles ententes.

M. Pagé: Au niveau des coûts de production, M. Lachance, votre mémoire touche plusieurs sujets. On parle du coût du bois comme tel. On parle de coût de transport. On parle des charges fiscales. On parle des salaires et des taux de salaire payés aux employés. Dans vos conclusions, vous faites état qu'il n'y a pas de solution miracle, et

cela, je pense que tout le monde y souscrit. Croyez-vous qu'une amorce de solution devrait se concrétiser par une action gouvernementale au niveau de la gestion des forêts ou plutôt un effort au niveau de la recherche et de la technologie ou encore strictement au niveau des mesures gouvernementales comme les charges fiscales, les rentes à payer, etc.?

Selon vous, à la lumière de l'expérience que vous avez, des représentations qui vous sont formulées par les membres de votre association et qu'on aura l'occasion d'entendre dans les jours qui suivront, à quel niveau de ces différentes questions le gouvernement devrait-il agir a priori?

M. Lachance: Dans les priorités à donner à votre énoncé, je commencerais par la fin. Je prétends que ce qui est important et qui doit être fait au plus tôt, c'est une étude de la part des gouvernements de notre charge fiscale. Quand j'entends charge fiscale, c'est l'impôt sur le revenu, ce sont les taxes et redevances. Je mettrais cela en tout premier lieu. En deuxième lieu, je placerais la recherche étant donné les sommes que nous dépensons ici en recherche, $15 millions l'an dernier, et aussi le travail des chercheurs dans l'industrie des pâtes et papiers. Vous savez que l'Institut canadien des pâtes et papiers est ici à Pointe-Claire et c'est à Pointe-Claire que se fait la recherche, non seulement pour le Québec, mais pour tout le Canada, et c'est reconnu, c'est un institut de renommée mondiale et j'insiste là-dessus, il y a un lien tellement serré entre l'institut de recherche de Montréal, les instituts suédois, finlandais et autres, que, dans ce domaine, je pense que la recherche est très bien conduite.

Mais qu'ils aient des budgets augmentés et que les gouvernements contribuent davantage à la recherche, nous sommes tout à fait d'accord. Quant à la location, eh bien, j'ai énoncé précédemment ce que j'entends, c'est une stabilité à long terme d'approvisionnement à des coûts raisonnables, des coûts comparatifs.

M. Pagé: Au niveau des coûts de production, il y a souvent un élément qui revient et c'est le sujet du coût de la main-d'oeuvre. Je pense que tous les membres de la commission en ont entendu parler, à un moment donné. Souventefois et peut-être trop souvent, on dit, on veut laisser croire, dans le public ou chez tous ceux qui sont concernés par cette question importante des pâtes et papiers, qu'un des éléments importants du problème que l'industrie connaît actuellement, c'est le coût de la main-d'oeuvre. M. le Président, je devrais vous dire que je regrette particulièrement, ce matin, que vous n'ayez pas été en mesure de nous produire des chiffres comparatifs avec les États américains.

Trop souvent, je le dis, c'est une opinion de l'Opposition officielle, c'est une opinion personnelle aussi, trop souvent, il est facile de dire que le problème important réside dans le coût de la main-d'oeuvre. C'est trop facile, selon moi, d'en faire état comme cela. J'aurais aimé et j'aimerais avoir vos commentaires sur une affirmation qui est faite dans un mémoire qui devrait normalement nous être présenté ce soir de la part de la CSN, c'est un très bon document, selon moi.

Mais étant donné que vous n'aurez pas l'occasion de revenir après que ce mémoire sera présenté, c'est pour cela que je me permets la question tout de suite.

Ce mémoire fait état... Grosso modo, ce qu'il dit, c'est que le problème n'est pas à ce niveau et que les salaires payés aux États-Unis sont comparables à ceux payés au Québec. Il cite entre autres le cas de l'Alabama où le salaire moyen serait de $6.83.

M. Lachance: De quoi?

M. Pagé: De l'Alabama. De $6.83 comparativement à $7.07 au Québec. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. Je me dis: Est-ce que c'est possible, est-ce qu'on peut espérer, en tant que commission, que, d'ici la fin de nos travaux, soit sous l'égide de votre association ou encore sous l'égide de vos membres et représentants qui viendront se faire entendre devant nous, on puisse, une fois pour toutes, vider cette question du coût de la main-d'oeuvre? Il en a été question tantôt, mais j'aimerais, s'il vous était possible, avoir davantage de précision. Je suis d'accord qu'il y a beaucoup de chiffres. On parle de production par rapport à tonne/homme, production par heure, 35% du coût de la tonne va à la main-d'oeuvre par rapport à un tiers environ pour le coût du bois. J'aimerais avoir des précisions en ce sens.

M. Lachance: Je ne pense pas que ce soit une question qu'on puisse solutionner en commission parlementaire parce que vous savez que, dans le coût, il y a toujours moyen d'inclure telle chose ou de ne pas l'inclure. Il faut, pour que les coûts soient comparables, qu'on parle de la même chose. C'est la même chose quand on parle de productivité. Il faut que les facteurs entrant en ligne de compte soient les mêmes, autrement on arrive avec des chiffres différents. Ce n'est pas surprenant.

M. Stangeland pourrait ajouter quelque chose ici. Je pense tout de même que, quand il s'agit de comparaison de coûts, ce sont des choses qui doivent se faire au niveau de gens spécialisés dans les deux domaines, c'est-à-dire que nos gens spécialisés dans le domaine des coûts de travail se réunissent avec ceux du gouvernement et que vous alliez voir ou vérifier certains chiffres qu'on peut avancer. Je pense qu'il n'y a pas d'autres moyens. C'est très difficile. On ne prend pas le téléphone pour appeler une compagnie en Alabama et une autre au Texas. Malgré tout, on a ici une étude qu'on a présentée, à l'appendice 4-8. Je ne sais pas si vous avez regardé ce tableau de notre mémoire où on parle des usines de papiers fins, entre autres, comme exemple. La compagnie Rolland pourra en discuter. Je pense que ces gens présenteront à peu près le même genre de tableau.

À l'appendice 4, page 8, vous verrez le tableau

3, les salaires comparés, usines de papiers fins du nord-est et du centre-nord des États-Unis, comparés à nous. Vous avez toutes les bases avec... Ce sont les salaires américains ici, avec les taux de base. Vous avez, à la page 4-7, les salaires au Québec et, à la page 8, les salaires payés dans plusieurs usines qui sont mentionnées dans New York, Vermont, New Hampshire, Maryland. Vous voyez les différences. Si vous comparez, par exemple, la moyenne, salaires comparés, on en a à la page 7 et c'est en pourcentage. À brûle-pourpoint comme cela, je ne peux peut-être pas vous donner la réponse, mais je pense que vous allez trouver les éléments là-dedans.

M. Pagé: De toute façon, on pourra y revenir avec chacune des compagnies qui se fera entendre devant nous.

M. Lachance: M. Stangeland aimerait ajouter quelque chose au sujet de votre question.

M. Pagé: D'accord.

M. Stangeland: Je voudrais dire que je crois que ce n'est pas seulement le coût de la main-d'oeuvre qui nous préoccupe et sa croissance, mais la croissance de tous nos coûts. Comme la main-d'oeuvre représente, comme j'ai dit, pour le papier journal, à peu près la moitié, on en parle assez souvent. En regardant ce qui s'est passé dans les derniers quatre ans ou cinq ans ici, dans l'Est du Canada, je voudrais bien souligner que ce n'est pas un problème québécois, c'est un problème à travers l'Est du Canada. Tous les facteurs de coûts ont augmenté d'environ 17% à 20% par année. On parle de l'inflation et des prix où la consommation qui montent de 7% à 8% et tout le monde est inquiet.

Je peux vous assurer que l'inflation industrielle est beaucoup plus inquiétante et c'est justement l'énergie de l'Hydro-Québec, le coût de l'huile; il y a un taux de croissance chaque année d'environ 17% à 20%. Cela ne prend pas beaucoup d'imagination, si on continue dans cette veine. Les prix sont fixés par les marchés mondiaux, qui varient avec le domaine "supply", mais cela varie aussi avec les coûts dans chacun de ces pays. Or, notre province et le Canada font face chaque année à une croissance des coûts qu'il faut arrêter, si on veut rester concurrentiel. Je pense que l'industrie parle du coût de la main-d'oeuvre non pas pour parler seulement de ce coût, mais le fait est que cela représente la moitié du coût de fabrication d'une tonne de papier journal, et c'est de tous les coûts qu'on devra se préoccuper.

M. Pagé: D'accord. À l'article 29 du résumé de votre mémoire, vous dites: "Le taux de rendement sur les actifs nets, après impôt, est en moyenne de 5,8% depuis 1970". Serait-il possible d'avoir le pourcentage pour la période de 1960 à 1970?

M. Lachance: Je ne peux pas vous soumettre cela par coeur, comme cela, s'il n'est pas dans le mémoire, mais on pourrait vous le fournir volontiers, si vous aimez l'avoir.

M. Pagé: Je l'apprécierais, M. Lachance. M. Lachance: Entre 1960 et 1966? M. Pagé: Entre 1960 et 1970. M. Lachance: Entre 1960 et 1970.

M. Pagé: Une dernière question. Vous avez, à plusieurs reprises, fait état du coût du transport, et vous pourrez me corriger avec la vaste expérience que vous avez. Il apparaît que le coût du transport est important dans le coût du produit fini parce que, de plus en plus, l'essence est éloignée de l'usine de transformation comparativement à nos concurrents. À la lumière des études que vous faites, je présume, régulièrement sur les projets gouvernementaux, pour les usines présentement en opération au Québec, quel est l'impact de la suspension ou de l'arrêt du flottage du bois sur nos rivières?

M. Lachance: Très considérable.

M. Pagé: Comment cela se définit-il concrètement par rapport aux usines déjà existantes ici?

M. Lachance: Ne prenons qu'une rivière. Quand on réalise que plus d'un million de cordes de bois circulent sur le Saint-Maurice, par exemple, et que ce bois provient d'une distance d'au-delà de 200 milles, vous imaginez-vous, s'il fallait transporter un million de cordes par camion, quel genre de construction de chemin il faudrait avoir et le coût que cela demanderait? Les compagnies ont fait et continuent de faire un effort pour transporter le bois par camion sur de petites distances; la drave, en général, on n'en fait pas sur toute rivière d'une longueur de 75 à 80 milles. Tout ce bois est acheminé à l'usine par camion. Autrefois, on le faisait par la drave, mais s'il fallait arrêter le flottage sur nos grandes rivières, le coût du bois exploité dans ces régions lointaines serait réellement prohibitif.

M. Pagé: Est-ce que votre association, jusqu'à maintenant, a fait des études particulièrement dans le cas du Saint-Maurice? Ou encore, les usines concernées ont-elles fait des études sur l'effet économique de la cessation du flottage du bois pour les industries de Shawinigan, du Cap-de-la-Madeleine et de Trois-Rivières?

M. Lachance: Nous l'avons mentionné dans les rapports déposés à la commission des terres et forêts en 1972. Je ne me souviens pas exactement, je pense que c'était à un coût douze fois plus élevé, c'était de cet ordre, c'est mentionné dans l'étude que nous avons soumise en 1972.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: M. le Président, je voudrais d'abord vous remercier de la présentation de votre mémoire. Il est bien sûr qu'il correspond à la valeur de votre association. Ce mémoire est vraiment bien étoffé; on s'y attendait, puisqu'on connaissait la réputation du travail que vous livrez généralement à de pareilles commissions.

Je voudrais être bien court pour vous poser des questions. Inutile de vous le dire, c'est peut-être bon de le répéter, c'est vous autres qu'il faut entendre et non pas les députés, mais les gens qui viennent en commission, c'est vous qu'on interroge. Vous parlez, à la page 12 de votre mémoire, et vous reprenez cela succinctement dans votre résumé, des expéditions au Royaume-Uni, qui ont augmenté d'environ 70%. Est-ce qu'il y aurait lieu de savoir pourquoi les autres pays de la Communauté économique européenne semblent fermés aux compagnies du Québec?

M. Lachance: Je ne sais pas si je peux trouver cela assez rapidement. En tout cas cela a peu d'importance, je peux vous dire qu'au Royaume-Uni, il y a énormément d'usines à papier qui ont fermé depuis dix ans. Je pense que c'est une trentaine, et trois seulement l'an dernier, en 1976, trois usines complètes ont fermé leurs portes au Royaume-Uni. Évidemment, si on demande au Royaume-Uni d'importer davantage, nous sommes bien placés ici pour suffire à ses besoins. Quant à la Communauté économique européenne, étant donné les ententes tarifaires qui existent entre la Communauté économique européenne et les Scandinaves, le marché ne nous est à peu près pas ouvert, étant donné les coûts de transport qu'il nous faut assumer pour y transporter le papier.

Les Scandinaves sont donc très avantagés comparativement à nous. Ils sont même exempts de certains tarifs qui nous sont imposés pour livrer des papiers à la Communauté économique européenne.

M. Grenier: Vous avez parlé, bien sûr, des politiques fiscales. S'il y avait un changement dans la politique fiscale, est-ce que cela pourrait permettre à l'industrie d'économiser suffisamment pour relancer des investissements significatifs?

M. Lachance: II n'y a aucun doute là-dessus. Si vous regardez le fardeau, en page 78, vous allez voir que, quand on est rendu à des chiffres comme cela, avec une augmentation de 38%, qu'on est passé de $34 millions, en 1965, et qu'en dix ans on paie $87 millions, s'il y a un allégement fiscal, il n'y a aucun doute que cela aidera l'industrie. Ce ne sera non pas tellement à augmenter ses dividendes. Peut-être que certaines compagnies en profiteront pour le faire, je ne les blâmerais pas non plus, mais elles voudront investir davantage. Je regardais récemment le rapport entre les dividendes payés aux fonctionnaires et les nouveaux investissements. J'ai été renversé, même surpris, de voir que les nouveaux investissements, depuis nombre d'années, je pense qu'on pourrait même remonter à l'après-guerre, on pourrait remonter à ce temps. J'ai été étonné dis-je, de voir que les nouveaux investissements au Québec ont été de deux à trois fois et même quatre fois supérieurs aux dividendes payés aux actionnaires.

M. Grenier: Avec ce que vous dites ce matin, vous tombez dans le vrai, vous tombez dans le coeur du problème, et je pense bien que le ministre est sensibilisé à vos propos. Est-ce qu'on pourrait avoir une certitude ou presque, vous êtes placé pour le savoir, que les compagnies mettront moins dans le bas de laine et voudront davantage investir? Est-ce qu'il y a une certaine garantie morale au moins qu'on peut avoir?

M. Lachance: Je pense qu'il est difficile pour moi de me prononcer là-dessus, parce qu'il faudrait tout de même consulter les administrateurs, mais je pense qu'il n'y a aucun doute à cela. On sent le besoin tout autant que vous — j'écoutais M. Léger dans son exposé, que j'ai aimé parce qu'il est plein de vérité — on est tout à fait d'accord avec lui qu'il faut remédier à l'environnement, améliorer la qualité de l'eau, la qualité de l'air; nous sommes tout à fait d'accord, mais il faut avoir l'argent pour le faire. Et pour le faire, il faut aussi, étant donné que le montant est limité, que le gouvernement établisse des priorités.

On ne peut pas tout faire à la fois. On ne peut pas moderniser les usines, on ne peut pas verser dans l'environnement, on ne peut pas s'occuper de ceci, de cela, tout ensemble. Là-dessus, je pense que les relations sont excellentes; les comités qui existent fonctionnent bien, il faudrait peut-être qu'il y en ait davantage.

C'est là qu'on pourra probablement ensemble établir des politiques qui feront que les allégements d'impôts pourront profiter à l'ensemble de l'industrie et aux travailleurs.

M. Grenier: J'ai une dernière question. Quand notre tour reviendra, mon collègue de Brome-Missisquoi, M. Russell, interviendra bien sûr. Vous parlez dans votre résumé de mémoire, à l'avant-dernière page, et vous semblez y insister, d' "éviter dans l'immédiat l'application de toute mesure législative ou règlement qui pourrait contribuer à accroître davantage le coût de nos produits ". Vous reprenez cela à la toute fin et vous dites dans les dernières lignes de votre résumé, à ce sujet: "L'industrie a souvent été placée devant des faits accomplis qui lui ont été préjudiciables". Est-ce que vous pourriez me dire — vous avez touché seulement à certains problèmes tout à l'heure — ce qui serait le plus inquiétant d'après vous, quel secteur peut être touché par le gouvernement, par une loi qui pourrait être la plus encombrante, disons?

M. Lachance: II y en aurait plusieurs, mais je ne pense pas que je devrais, ou que j'aie la compétence dans le domaine pour vous indiquer réellement quelles seraient ces priorités. J'aimerais pouvoir le faire, mais je ne pense pas réellement apporter une priorité. Je pourrais vous en nommer, mais ce ne sont peut-être pas les princi-

pales. Encore là, c'est une excellente question qu'on va noter et qu'on pourra discuter avec le ministre et ses comités en temps et lieu.

M. Grenier: D'accord, merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Dans l'ordre, le ministre de l'environnement, le ministre de l'Industrie et du Commerce, les députés de Berthier, de Maskinongé, Charlevoix, Brome-Missisquoi et Rimouski. M. le ministre de l'environnement.

M. Léger: M. le Président, le gouvernement comprend que les problèmes auxquels votre industrie fait face sont des problèmes de taille. On n'a pas nécessairement l'intention de vous demander l'impossible. Cependant, il faut reconnaître que l'industrie américaine à laquelle vous vous comparez souvent a eu à faire face aussi aux mêmes problèmes que nous vivons ici, mais qu'elle y a apporté des solutions, des correctifs.

M. Grenier: Je pense que la salle comprend mal, pourriez-vous parler de plus près?

M. Léger: M. le Président, à titre d'exemple des problèmes auxquels l'industrie américaine a dû faire face et auxquels elle a quand même apporté certaines solutions, je note qu'une trentaine d'usines de sulfite, sur les 33 qu'il y a aux États-Unis possèdent des systèmes de récupération et même un traitement biologique dans plusieurs cas, alors qu'au Canada seulement quatre industries sur 44 possèdent un système de récupération des liqueurs, que même au Québec une usine récupère complètement sa liqueur, vous la connaissez, je ne vais pas faire de publicité pour elle plus que pour une autre, tandis que d'autres récupèrent une partie des pertes. Je pense qu'il faut souligner que plusieurs officiers du gouvernement étudient les problèmes d'environnement ainsi que d'autres problèmes de votre industrie de pâtes et papiers depuis de nombreuses années, peut-être une dizaine d'années, mais spécifiquement d'une façon intense depuis au moins trois ans.

Il ne faudrait pas repartir à zéro, mais utiliser les compétences qu'on a pu obtenir par ces rencontres. Il y a des mécanismes de consultation qui existent actuellement entre le gouvernement et l'industrie, vous l'avez mentionné tantôt, et je pense que l'objectif d'échanges de connaissances, comme vous l'avez dit tantôt, doit continuer.

Cependant, il y a des choses qu'il faut admettre. Vous avez affirmé tantôt que vous avez mis beaucoup d'efforts sur l'environnement, mais vous semblez avoir une certaine réserve à vous lancer dans des expériences comme celles que la CIP veut tenter. On semble attendre une expérience de la CIP qui offre des avantages actuellement, qu'elle ait prouvé que c'est parfait, que cela va bien, etc. C'est correct pour la CIP. Quand on dit qu'on attend actuellement, je sais qu'il y aura probablement d'autres sources ou d'autres procédés qui seront en préparation. On dira peut-être encore qu'on va attendre, qu'il serait peut-être mieux d'attendre, que d'autres sources, encore meilleures, seront peut-être préférables, plutôt que de commencer à prendre des méthodes comme celles que la CIP met de l'avant.

J'ai l'impression, et vous me corrigerez là-dessus, qu'on semble un peu étirer le temps en alléguant toutes sortes de raisons. On n'agit pas. Il y a deux ans, on attendait les résultats, comme Domtar est en train d'essayer de le faire actuellement avec l'expérience de la pâte thermomécanique.

Ma question est la suivante: Vous semblez craindre des mesures gouvernementales unilatérales. Cela ne sera pas le cas, mais il semble que ce soit très lent à réaliser.

J'ai ici un genre de tableau qui démontre que, de 1968 à 1972, il y a eu des correctifs apportés par l'industrie des pâtes et papiers qui démontrent une baisse de matières en suspension, en tout cas, et là, on s'est aperçu quand même que l'attrait premier était la rentabilité puisque cela amenait une sorte de mariage entre la rentabilité et une diminution de la pollution, et, de 1972 à 1976, on est resté au même point parce que là, il aurait fallu qu'il y ait des investissements et qu'ils ne semblaient pas immédiatement être aussi rentables.

Pour quelles raisons semblez-vous toujours avoir une certaine réserve à toucher l'aspect de la protection du milieu de vie en même temps que celui de cette modernisation essentielle?

M. Lachance: Je suis entièrement d'accord avec vous, M. le ministre, mais je pense que c'est une prudence qui est de bon aloi. À quoi bon dépenser des millions et des millions si on est obligé de "scraper" cela — pour prendre une belle expression québécoise — dans quelque temps alors qu'on sait qu'il y a des procédés? Je pense bien que, si le procédé de CIP était connu de tout le monde, cela susciterait encore beaucoup plus d'intérêt, mais on ne peut pas en parler, on ne connaît pas son procédé. Je pense que, quand cela sera connu, on verra percer un peu partout dans le monde des procédés qui semblent meilleurs et moins coûteux et satisfaisants. Je pense qu'on va sauter dessus, mais de là à se lancer dans des changements trop rapides... Je pense qu'on a fait un bel effort. Si 50%, comme on le démontre, de la force thermomécanique de tout ce qui se passe au Canada est au Québec, ce n'est pas si mal, somme toute, mais je pense qu'on agit avec prudence parce qu'on n'a pas les capitaux voulus pour aller de l'avant plus rapidement que cela. C'est aussi simple que cela, et je pense que vous avez la réponse vous-même. Ce que vous dites est vrai, on hésite et on va hésiter aussi longtemps qu'on n'aura pas les capitaux nécessaires pour s'aventurer dans quelque chose qu'on sait prometteur.

M. Léger: À la page 50 de votre mémoire, vous affirmez que, si on construisait aujourd'hui une usine de papier journal, on utiliserait une technologie différente de mise en pâte qui minimiserait le coût occasionné par les mesures antipollution. De quelle technologie s'agit-il? Est-ce de celle qu'on parle actuellement?

M. Lachance: Des raffineurs.

M. Léger: Celle des raffineurs. Pensez-vous que cela pourrait être utilisé dans les vieilles usines aussi?

M. Lachance: Sans aucun doute, pour la plupart sinon toutes les usines.

M. Léger: D'accord. Je pense que mon collègue de l'Industrie et du Commerce a des questions à vous poser aussi.

M. Tremblay: Merci beaucoup, M. Léger. M. Lachance, je commencerai par l'aspect fiscal. Votre association suggère qu'une étude soit faite en comité sur la structure fiscale. Vous savez qu'il y a quatre ou cinq ans, le gouvernement fédéral, en collaboration avec l'industrie, a fait une étude qui a été effectuée par Price Waterhouse & Cie au coût de $200 000 qui comparaît justement les taux d'imposition en Scandinavie, en Géorgie, au Canada et au Québec et qui est arrivée à la conclusion qu'il y avait presque égalité entre les trois régions. La raison pour laquelle il y avait presque égalité — et ceci amène à mettre en doute des comparaisons de taux d'imposition brute — c'est qu'il y a énormément de taxes qui sont cachées ou connexes, de sorte que les charges fiscales ne sont pas nécessairement les mêmes que les taux d'imposition.

Je me demande, à la suite de cette étude, pourquoi vous recommandez qu'on en fasse une autre.

M. Lachance: Je vous avoue que je n'ai pas la compétence pour répondre à votre question. Il faudrait d'abord que je revoie le rapport que vous mentionnez, et je pense que, si vous le désirez, à n'importe quel moment, nous pourrions regrouper certains de nos gens compétents en matière fiscale qui pourraient discuter du problème avec vous avec profit. Vous n'aurez qu'à nous le faire savoir et nous serons heureux, n'importe quand, de regrouper avec vous certaines gens capables d'en discuter.

M. Tremblay: On a l'impression, lorsqu'on lit votre mémoire et ceux des autres organismes, que tout le problème de l'industrie des pâtes et papiers tourne autour de la capacité concurrentielle. Il y a un certain paradoxe dans cela puisque vos affirmez que l'industrie a été très dynamique, etc., au cours des dernières années. Pourrait-on voir certains indicateurs de ce dynamisme au niveau des parts de marché, par exemple? Je pense que je ne les ai pas vus.

Est-ce que l'industrie du Québec a réussi à maintenir ses parts de marché à l'intérieur du Canada, aux États-Unis et en Europe, ou si notre industrie a pris une part décroissante de l'accroissement naturel des marchés des pâtes et papiers?

M. Lachance: Elle n'a pas réussi à conserver certains marchés qu'elle avait aux États-Unis, justement à cause d'une question de prix. Quand les usines du sud pouvaient fournir un papier journal à meilleur compte que nous dans une ville américaine quelconque, eh bien, on perdait nos clients. C'était aussi simple que cela. Alors, graduellement, le marché s'est rétréci aux États-Unis qui est notre principal client, qui prend 72% de ce qu'on produit en papier journal, par exemple. Le marché européen est très difficile à aborder parce que la Scandinavie est à sa porte et on a des frais de transport par bateau très élevés. Et même, il a été très heureux que la Scandinavie se contente, si je peux dire, du marché européen il y a quelques années et n'envahisse pas, comme elle l'avait fait dans le passé, certains États américains.

Alors, c'est une question de concurrence. On n'est pas maître des prix qui nous sont offerts. Et là-dessus, il faut toujours réaliser qu'il faut payer les frais de transport. Il n'y a pas à se surprendre. Vous savez, de façon générale, même si nous aimerions que la production de nos usines soit beaucoup plus considérable que 3%, cela nous ferait bien plaisir au gouvernement et aussi à l'industrie, mais il n'y a tout de même pas tellement à se surprendre que l'apport des pays producteurs diminue graduellement quand on connaît l'effort qui se fait dans le monde pour que les pays qu'on appelle le tiers monde, les pays sous-développés, produisent eux-mêmes un peu du papier dont ils ont besoin.

La consommation en Afrique, il y a quelques années, était de trois livres par année. La nôtre est de 350 livres par année à peu près. Je pense que l'Afrique est rendue à peu près à douze livres par année, par personne, per capita, j'entends. On aide ces pays, les États-Unis et le Canada entre autres, pour nommer seulement ces deux pays. Nous avons de l'aide aux pays sous-développés. Qu'est-ce qui arrive? C'est que nous-mêmes nous leur vendons de la machinerie fabriquée à Montréal, ici, des machines à papier fabriquées à Montréal pour qu'eux puissent faire du papier en Afrique ou en Amérique du Sud ou au Mexique. On fait cela depuis nombre d'années. C'est ce qu'on appelle un certain équilibre dans le monde. Et je pense qu'on aurait tort de voir d'un mauvais oeil ces pays sous-développés qui ont besoin, eux aussi, de refaire leur économie, de les arrêter et de leur dire: Écoutez, nous autres, on a le "know-how " et vous autres, venez ici acheter le papier, même si vous n'avez pas tout l'argent qu'il faut. Forcez-vous un peu. Payez le papier qu'on produit. Non?

C'est un certain équilibre qui s'établit dans le monde et qu'on va voir de plus en plus prononcé, surtout dans les pays tropicaux ou semi-tropicaux qui ont la réserve en matière ligneuse. Il faut essayer tout de même d'être dynamique le plus possible pour garder le marché américain qui est à notre porte. C'est là le plus grand atout qu'on puisse avoir. Mais de là, par exemple, à s'opposer à ce que les pays un peu éloignés et à standard de vie très bas produisent un peu ce dont ils ont besoin, je pense qu'on aurait tort de s'y opposer.

M. Tremblay: Si on est d'accord, justement, pour obtenir un dynamisme continuel de l'indus-

trie, il faut quand même regarder le passé. Vous dites, à l'article 13 du résumé, que les investissements effectués par l'industrie de 1965 à 1976 ont été, en nouvel équipement, d'environ $1,6 milliard alors que les frais d'entretien représentaient environ $1 milliard. Donc, lorsqu'on a une industrie qui dépense pratiquement autant dans ses frais d'entretien que dans ses équipements, est-ce qu'il n'est pas normal qu'il y ait un retrait des marchés et que l'industrie soit moins dynamique qu'elle ne le serait si les investissements avaient été plus abondants?

M. Lachance: Vous croyez que l'investissement dans le renouvellement de la machinerie n'a pas été suffisant?

M. Tremblay: Je vous demande si les investissements dans l'équipement et dans les nouvelles usines ont été suffisants. Est-ce que vous avez été suffisamment dynamiques au niveau des investissements?

M. Lachance: Nous prétendons que nous l'avons été au maximum de ce qu'il y avait moyen. Maintenant, est-ce qu'on empêchera malgré tout cela la fermeture graduelle de certaines usines? C'est un gros point d'interrogation, quand on réalise que tous les pays producteurs ont fermé certaines de leurs usines.

M. Tremblay: Votre réponse m'amène à vous demander si vous croyez qu'il est nécessaire pour l'industrie des pâtes et papiers qu'on mette sur pied un programme de modernisation des secteurs. Si vous me dites que les investissements ont été faits...

M. Lachance: Ce programme existe.

M. Tremblay: ... au maximum, est-ce que vous laisseriez entendre qu'il n'est pas nécessaire de mettre sur pied un programme de modernisation et d'accroissement des investissements?

M. Lachance: Je pense que le programme de modernisation existe et que nous le suivons de mois en mois, d'ailleurs, les compagnies vous le feront certainement valoir dans leurs mémoires. Chaque compagnie est bien intéressée à augmenter le plus possible sa production et sa modernisation. Personne ne tient à rester en arrière.

M. Tremblay: II y a un paradoxe. Vous faites allusion au fait que le taux de rendement est de 5,6%, qu'il n'y a pas suffisamment de capitaux. J'aimerais vous entendre dire que vous seriez prêts à accélérer un programme de modernisation, que celui que vous mettez de l'avant vous-mêmes n'est pas suffisant pour améliorer votre capacité concurrentielle. On parle d'un problème de capacité concurrentielle et on dit qu'en termes relatifs notre industrie des pâtes et papiers recule. Si on veut qu'elle cesse de reculer, on ne peut pas simplement supposer que ce qui se fait présentement est suffisant.

M. Lachance: Même si on modernise et qu'on arrive à une production trop élevée, il faut tout de même penser à vendre ce qu'on produit. La Scandinavie a connu cela dans les années 1975, où elle n'a pas modéré. Chez nous, on a eu des grèves, des ralentissements temporaires aux usines, ce qui fait que notre production moyenne s'est maintenue à un rythme raisonnable. En Scandinavie, on n'a pas arrêté la production, et on s'est retrouvé à la fin de l'année à regorger d'une quantité énorme de produits non vendus. Il faut toujours que la production soit conforme à la demande. On ne prévoit pas une grande amélioration dans la demande d'ici quelques années.

M. Tremblay: D'accord, est-ce que vous prévoyez... Il y a une augmentation positive?

M. Lachance: II y en a une, mais elle est très faible.

M. Tremblay: Cela est en termes généraux, mais, en termes de produits spécifiques, par exemple, devant la demande pour les papiers spéciaux, qui utilisent surtout de la pâte mécanique, genre de papiers spéciaux qui sont utilisés dans des magazines comme Time et Readers' Digest, est-ce que vous croyez qu'on a fait suffisamment d'efforts pour accaparer des marchés spécifiques comme ceux-là, surtout aux États-Unis, qui croissent très rapidement?

M. Lachance: Ils sont en demande constante. C'est difficile pour moi de répondre exactement à votre question. Je pense que l'industrie s'efforce d'améliorer ses marchés et de trouver des clients un peu partout, surtout quand on connaît la structure de chaque compagnie ou de chaque groupe de compagnies qui sont à l'affût de nouveaux clients. Je doute énormément... D'ailleurs, c'est une bonne question que vous pourrez poser à des compagnies en particulier, parce qu'elles sont bien en mesure de répondre. C'est une question trop spécifique pour moi, pour que je puisse y répondre avec avantage pour vous.

M. Tremblay: Je vais passer, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Berthier.

M. Mercier: Notre industrie des pâtes et papiers s'est développés sous le modèle économique de la très grande entreprise. Ce n'est pas un hasard, mais ce modèle qui a dominé dans les 20 ou 30 dernières années et il a été responsable pour la majeure partie de notre croissance économique non seulement québécoise, mais nord-américaine, puisque cela présentait des avantages: d'abord, une plus grande accesssibilité aux marchés, une plus grande possibilité de contrôler, d'exporter, de prendre place sur les marchés internationaux, la possibilité de développer une technologie de pointe, la possibilité de développer du personnel très spécialisé, mais ceci amène aussi certains inconvénients. La très grande entreprise amène

aussi une augmentation de certains coûts au niveau de la lutte à la pollution qu'on constate depuis plusieurs années. Elle amène également depuis quelques années des problèmes d'administration de personnel plus considérables, parce qu'on est en présence d'une masse de travailleurs plus importante.

Également, ce modèle, à cause de son très grand besoin de matières premières, amène à travailler sur un territoire de plus en plus vaste. Ma question est la suivante: Est-ce qu'un modèle économique différent est envisageable dans le domaine des pâtes et papiers? Pourrait-on concevoir des industries, non pas des petites boutiques, mais quand même de taille respectable qui utiliseraient davantage des ressources qui seront devenues plus coûteuses? Autrement dit, ne faudrait-il pas réviser un peu la notion d'économie d'échelle qui s'inscrivait dans une optique de modèle économique de très grande entreprise où la matière première était bon marché, où l'énergie était également bon marché, et où, finalement, on s'inspirait d'une économie de gaspillage? Je voudrais tout simplement souligner un cas précis qui apparaît dans votre mémoire pour illustrer ce que je veux dire.

Sur ce modèle de la très grande entreprise, en fait, on est arrivé à avoir une technologie d'exploitation de la forêt ultra-moderne, on a fait des coupes à blanc, ce qui amène la nécessité d'augmenter notre réseau routier considérablement, d'aller travailler dans des forêts beaucoup plus éloignées des moulins, avec construction de ponts et tout cela, ces coûts sont de plus en plus élevés parce que le coût de la construction a augmenté énormément pendant ces dernières années, le coût du transport des matières premières vers l'usine a augmenté considérablement. Donc, je me demande s'il ne serait pas possible — entre autres, par des coupes sélectives, par une meilleure utilisation du réseau routier, de l'environnement immédiat de l'usine, en réévaluant tous ces facteurs de la production, mais dans une autre optique — de concevoir un modèle économique qui permettrait une rentabilité plus grande des entreprises par une meilleure utilisation des ressources avec des économies d'échelle, mais, cette fois, conçu dans une optique de société de conservation.

M. Lachance: Les études que j'ai consultées concernent des usines à grande production. Qu'il y ait moyen d'avoir des usines plus petites qui produiraient des sous-produits, j'entends le méthanol, par exemple, ou des choses de ce genre, je ne peux pas dire — cela demanderait des études absolument particulières, à savoir si ce serait rentable — parce que je connais des usines qui transforment des sous-produits, qui extraient des sous-produits qui sont vendables et leur rentabilité semble assez douteuse dans certains cas.

M. Mercier: Mais ceci, également, vous a fait ressortir un autre élément de votre rapport où vous disiez que, dans le Sud des États-Unis, il y avait une plus grande part d'approvisionnement sur les forêts privées. Nous, traditionnellement, au Québec, on a des forêts immenses qui se prêtaient bien à une exploitation très intensive avec un approvisionnement considérable sur les forêts publiques, mais cela amène, par le biais des concessions forestières, l'industrie à assumer des coûts d'infrastructure qui sont considérables, ce que vous n'avez pas, par exemple, lorsque vous pouvez vous approvisionner dans des forêts privées où les gens utilisent plus rationnellement ces...

M. Lachance: Évidemment, aux États-Unis, la tenure de la forêt est totalement différente. Il y a à peu près 15% seulement de la forêt des États-Unis qui est la propriété de l'État, tout le reste est propriété privée. Les usines du Sud s'approvisionnent évidemment dans la forêt privée, et chaque compagnie essaie d'intéresser les propriétaires privés à lui fournir son bois. Il y a une concurrence absolument libre entre les différentes usines. Vous allez voir trois à quatre usines pas tellement distantes les unes des autres, et chacune d'elles a ses fournisseurs, plus ou moins, qui lui viennent de la forêt privée.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Maskinongé.

M. Picotte: M. le Président, la déclaration du ministre de l'environnement tantôt nous laisse sans doute voir que le gouvernement tend vers des objectifs de dépollution et veut protéger à tout prix l'environnement, ce que, d'ailleurs, je ne veux pas discuter. De plus, parallèlement, le ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche déclarait en Mauricie dernièrement qu'il avait l'intention de demander l'interdiction du flottage du bois sur le Saint-Maurice dans le but de lui donner sa vocation première, c'est-à-dire sa vocation de rivière à saumons.

Face à ces déclarations et sachant, du moins selon les rapports, que la Mauricie serait peut-être la région la plus touchée face au vieillissement des usines en place de pâtes et papiers, je me suis posé de sérieuses questions. Déjà, le problème social causé par la fermeture de la Wayagamack est très aigu et, malheureusement, on n'a pas pu y trouver de solution à ce jour. J'espère bien qu'on n'aura pas d'autres problèmes en Mauricie à cause de ce vieillissement des usines et à cause de l'environnement. À partir de là, j'aimerais savoir si votre association a déjà brossé un tableau de ce qu'elle désirait suggérer selon ses capacités financières, un tableau de ce que dans X temps, à moyen terme ou à un peu plus long terme, elle pourrait suggérer au ministère de l'Environnement pour apporter des correctifs à la pollution du milieu face aux usines de pâtes et papiers. En deuxième lieu, j'aimerais savoir jusqu'à quel point la déclaration du ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, c'est-à-dire la décision d'interdire le flottage du bois sur le Saint-Maurice pourrait affecter les usines en Mauricie ou ailleurs, peu importe si on étend cela à toute la province, jusqu'à quel point, en tout cas, cela pourrait affecter notre milieu?

M. Lachance: Comme je l'ai dit plus tôt, le flottage sur nos rivières est important, et même si le ministre a dit, je ne sais pas s'il l'a dit, mais même s'il a mentionné ce fait, je suis certain qu'il consultera les autres ministres du gouvernement avant de patronner une suggestion comme celle-là. Quant aux suggestions à faire au ministère de l'environnement, je tiens à rappeler à la commission que nous avons eu plusieurs réunions avec les officiers du ministère de l'environnement et que nous continuerons, je l'espère, à être en contact avec eux pour apporter le plus rapidement possible une solution qui, nécessairement, doit être à long terme. Je ne pense pas qu'on puisse tout faire rapidement, mais nous sommes d'accord avec les services de l'environnement qu'il faut en arriver à une solution pour épurer nos eaux et l'air que nous respirons.

M. Picotte: Par hypothèse, si la première partie de la question à laquelle vous avez répondu s'avérait vraie, est-ce que vous seriez en mesure de me mentionner combien d'usines pourraient être touchées par des décisions semblables, du moins dans le secteur de la Mauricie?

M. Lachance: Une décision comme celle-là affecterait toutes les usines de La Tuque, Grand-Mère, Shawinigan et Trois-Rivières, parce que, quand on considère que 1,2 million de cordes à peu près flottent sur la Saint-Maurice, toutes les usines en seraient affectées énormément.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Charlevoix.

M. Mailloux: M. Lachance, plusieurs ont dit avant moi, ce matin, que, pour que chacun des partenaires qui sont dans les pâtes et papiers soit heureux, il faudrait que vous demeuriez concurrentiels. Quand je regarde devant moi la carte de la localisation des usines, des quelque cinquante usines que l'on connaît dans le Québec, je demeure un peu perplexe pour les prochaines décennies et je me demande si des exemples tels ceux qu'on a connus cet été ne se reproduiront pas dans un avenir prochain.

Dans votre mémoire, vous soulignez qu'actuellement 10 millions de cunits sont exploités au Québec alors que c'est 20 millions que la forêt québécoise pourrait fournir. Dois-je comprendre que ce surplus de récolte est situé hors du territoire qui dessert actuellement les usines qui sont connues dans le Québec, comme le territoire de l'Abitibi ou ailleurs. Est-ce que ce potentiel supplémentaire que vous n'employez pas peut, à des coûts de concurrence, servir les territoires où sont situées les usines actuelles?

M. Lachance: Nous disons bien dans le mémoire que nous utilisons non seulement nous, mais l'ensemble de l'industrie forestière, à peu près la moitié de ce qu'on peut économiquement retirer du Québec. Évidemment, vous avez raison de dire que l'exploitation de certains bois, au loin, va présenter des coûts supérieurs, parce qu'il y a toute une infrastructure qu'il faudra faire.

Mais je pense qu'avec l'aide de la mécanisation, avec de bonnes routes, des camions plus gros et pas toujours soumis aux règlements en vigueur dans la voirie publique, je pense que, si on tient compte de toutes ces choses et de la demande mondiale qui, elle, va continuer à augmenter, vous savez — la population du monde augmente et les gens deviennent de plus en plus cultivés, le standard de vie augmente dans plusieurs pays — alors, la demande pour le bois va continuer à se faire sentir et nous sommes chanceux, au Québec, de disposer d'autant de bois, même si on trouve qu'il nous coûte cher et qu'on voudrait abaisser son coût. Il y en a qui n'ont pas de bois et qui voudraient bien en avoir comme il y en a qui n'ont pas de belles rivières comme on en a qui nous permettent aussi un pouvoir relativement bon marché et qu'on aime conserver. Il n'y a pas seulement des désavantages au Québec. Nous avons des avantages et il s'agit d'en tirer profit. C'est ce que nous essayons de faire et c'est ce que nous nous proposons de continuer à faire avec le gouvernement, c'est-à-dire essayer ensemble de trouver les solutions qu'il nous faut pour que l'industrie continue à progresser et toutes celles qu'on a en place.

M. Mailloux: Mais vu l'éloignement, vous venez d'affirmer qu'il faudra que le gouvernement vous concède la possibilité de continuer à vous servir des rivières pour faire flotter le bois qui vient de très longues distances.

M. Lachance, c'est le deuxième volet de mon interrogation. Vous faites référence au territoire sud-américain d'où vient votre principale concurrence et où d'autres essences dont la valeur de remplacement vient à échéance à peu près à 25 ou 30 ans, si ma mémoire est fidèle, sont employées là-bas. Qu'arrivera-t-il dans un avenir prochain, la forêt renouvelée s'éloignant des usines dont je parlais tantôt alors que les nouvelles plantations, dans notre climat nordique, de résineux dont vous vous servez n'arrivent à maturité qu'entre 75 ans et plus, dans quelle position précaire se retrouveront les multiples usines construites il y a 75 ans et plus? Quel a été, dans ce territoire, l'effort qu'a fait l'industrie dans le reboisement de la forêt publique qu'elle a exploitée depuis ce temps? Vos recherches vous permettent-elles d'affirmer qu'on trouvera d'autres essences — on connaît le cyprès, dont vous vous servez également, mais d'autres essences— qui viendraient à maturité dans ce climat nordique plus vite que le sapin et l'épinette que l'on connaît et qui pourraient vous permettre de continuer à approvisionner ces usines?

M. Lachance: Je pense que toutes les essences vont devenir importantes. Que ce soit du bois mou, du bois feuillu, toutes les essences vont devenir de plus en plus importantes. Vous parliez de croissance dans les pays nordiques. Il n'y a aucun doute que la révolution, ce qu'on appelle le temps requis à un arbre pour sortir du sol et être prêt à être coupé, cela va être très long dans le nord. On doit parler de 80, 100 et 120 ans avant qu'on soit capable de retourner dans ces endroits. Il faut

qu'une compagnie tienne compte de l'aménagement global et du territoire qu'elle dessert pour que le cycle se fasse.

M. Mailloux: Je comprends mal vos affirmations. Vous nous dites que le potentiel de la forêt québécoise est suffisant pour que les usines même existantes depuis très longtemps continuent à survivre devant la concurrence qui est faite par le marché américain où les usines sont construites, je pense, de manière plus récente que celles qu'on connaît au Québec et vous parlez d'un prix de concurrence à garder. Je comprends que, dans ces usines, vous devrez apporter une technologie peut-être plus moderne, une machinerie qui soit un peu moins désuète, mais je comprends mal que vous puissiez, dans les prochaines décennies, le bois s'éloignant, la matière ligneuse s'éloignant, réussir à concurrencer le marché américain qui produit à des salaires, semble-t-il, moins élevés que ceux du Québec. Vous affirmez que, malgré tout cela, si l'ensemble des facteurs sont revus, il n'y a pas de problème pour l'ensemble des usines.

M. Lachance: De concert avec l'État qui est propriétaire de la forêt publique, on a confiance d'être capable d'en arriver à un aménagement à long terme et qui nous fournira suffisamment de bois. Évidemment, n'oubliez pas une chose. C'est que, dans le régime, si je me reporte au régime de concessions forestières qui était sous aménagement soutenu, la plupart de nos compagnies sinon toutes nos compagnies, quand elles ont ouvert ces territoires, ont commencé à couper, évidemment, en montant le long des rivières. Le bassin n'a pas été ouvert par la tête, mais il a été ouvert par son embouchure.

Il y a quantité de territoires, s'ils nous sont encore disponibles où, je l'espère, les compagnies vont en revenir à couper. C'est le mélange de coupes qui va coûter moins cher, au début des rivières, c'est-à-dire moins loin des usines, et qui va compenser pour le bois plus éloigné qu'il faudra couper. Avec cela, on compte aussi sur une technologie différente qui nous permettra réellement, et je pense que cela s'en vient, de faucher la forêt et d'utiliser non seulement les fibres, les billes qu'on connaît aujourd'hui, mais l'écorce y passera, sinon les aiguilles, quitte à les extraire par après. Quant au mode de coupe, on s'attend que cela change assez rapidement, pas tout de suite, mais les études qui se font et l'argent qui se dépense en recherche nous encouragent en ce sens. On sait très bien que la révolution dans le nord va être très longue et que cela va prendre des années et des années avant d'y retourner, mais il y a tout de même des territoires où la croissance est bonne au Québec, et c'est sur ces territoires qu'on compte pouvoir couper le bois dont on aura besoin. Évidemment, il y a bien des hypothèses. On a eu des épidémies de tordeuse qui nous ont préoccupés pendant nombre d'années, mais cela semble un peu au ralenti de ce temps-ci. On ne peut pas tout prévoir. La seule chose, c'est qu'il faut être dynamique, investir dans la recherche et, là-dedans, le gouvernement est le bienvenu d'investir davantage s'il le veut, ce sera très bien vu de l'industrie, j'en suis sûr. Mais, avec la recherche, avec le dynamisme que l'on connaît chez nos compagnies, je n'ai pas peur de l'assurer, j'ai confiance en l'avenir.

M. Mailloux: M. Lachance, une dernière question. En réponse à une question que vous posait le ministre des Terres et Forêts sur l'intégration possible du sciage aux compagnies de pâtes et papiers, vous avez répondu que, forcément, si le bois de meilleure valeur était dirigé vers le sciage, cela augmenterait davantage les coûts des pâtes et papiers. Je poserai peut-être également la question sur le sciage, mais est-ce que si le bois de valeur était dirigé vers le sciage presque au complet, cela n'apporterait pas une saturation complète du bois de sciage dans le Québec? Est-ce que le marché d'exportation ou le marché intérieur serait capable d'accepter que tout ce bois soit dirigé par le sciage? Je ne le pense pas.

M. Lachance: Votre question est très bonne, mais j'aimerais mieux, comme vous le dites, que vous la posiez à l'industrie du sciage parce que j'ai suffisamment à m'occuper de l'industrie des pâtes et papiers sans trop entrer dans le sciage, même si nous en produisons à peu près 15% dans le moment. Je ne peux réellement pas répondre à votre question.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Brome-Missisquoi.

M. Russell: M. le Président, M. Lachance, je vous remercie d'abord comme mes collègues du mémoire que vous nous avez présenté, il est très informateur, et merci surtout d'avoir répondu à plusieurs de nos questions. Vous avez certainement éclairé les membres de cette commission. Par contre, j'aurais une couple de petites questions à vous poser sur des points qui ne semblent pas tout à fait clairs dans mon esprit. En ce qui concerne d'abord la question du flottage du bois sur le Saint-Maurice. Vous avez dit tout à l'heure que s'il n'était pas possible de faire flotter le bois sur le Saint-Maurice, cela augmenterait les coûts de quatre fois.

Est-ce que vous utilisez ces coûts...

M. Lachance: Dix fois.

M. Russell: Dix fois. Vous utilisez ces baisses de coûts pour en arriver au moins à dire que le coût moyen du bois de pâte au cunit coûte $70 sur des territoires publics ou les territoires qui appartiennent aux compagnies. Je vais reformuler ma question de cette façon. Si vous n'aviez pas le flottage du bois, quel serait le coût du cunit au moulin à papier?

M. Lachance: Je ne peux pas répondre à cela par coeur. Il faudrait simplement appliquer les

frais de transport, parce que seulement les frais de transport seraient affectés, mais vous pouvez y ajouter plusieurs dizaines de dollars.

M. Russell: La grosse partie du flottage du bois se fait dans la région du Saint-Maurice?

M. Lachance: Oui.

M. Russell: En dehors de cela, en province, il ne s'en fait pas tellement.

M. Lachance: Et dans le nord du bassin.

M. Russell: C'est ce que je m'explique mal. Je connais certaines opérations à l'intérieur de ce territoire du Saint-Maurice. Lorsque des individus sont prêts à faire de la coupe pour des compagnies et à rendre le bois à leur usine à meilleur marché que $70, on refuse de leur payer ce montant. Si je tiens pour acquis que le bois qui flotte sur cette rivière et qui arrive à leur usine leur coûte $70, je me comprends mal dans cet...

M. Lachance: Écoutez, il faut tout de même considérer l'"overhead" là-dedans. Celui qui coupe du bois près de chez lui et qui le verse dans la rivière n'a sûrement pas les frais de transport, les frais d'administration que la compagnie qui coupe à 2000 milles au nord.

M. Russell: Si je comprends bien votre exposé, M. Lachance, vous donnez ceci avec les données que vous possédez, mais si je le comprends bien, si je l'interprète de la façon que vous le présentez, si le flottage du bois est arrêté sur le Saint-Maurice, cela voudrait peut-être dire la fermeture de toutes les usines de cette région, Grand-Mère, Shawinigan, Trois-Rivières et les autres.

M. Lachance: Cela les mettrait dans une situation très difficile. Je ne peux pas vous dire si elles fermeraient, mais je vous assure que cela les mettrait dans une situation très difficile.

M. Russell: Parce qu'on semble dire qu'il n'est pas possible d'exploiter le bois sur ces limites et le rendre à l'usine à $70 le cunit, c'est cela qu'on semblait dire.

M. Lachance: Pas dans notre mémoire.

M. Russell: Vous ne le dites pas dans le mémoire, mais, verbalement, est-ce que c'est cela qu'on dit?

M. Lachance: Vous pourrez poser la question aux compagnies qui sont intéressées parce que les compagnies qui sont sur le Saint-Maurice vont présenter des mémoires.

M. Russell: D'accord, on le fera certainement si vous nous remettez à cette commission pour le faire. Dans ce cas, M. Lachance, vous parliez tout à l'heure d'un investissement de $1,6 milliard en onze ans. Est-ce que ceci représente beaucoup plus que la dépréciation que les compagnies prennent sur leur équipement d'année en année?

M. Lachance: Je ne peux pas répondre non plus à cela parce que je n'ai pas fait les calculs.

M. Russell: Vous n'avez pas fait les calculs. Par contre, si j'ai bien compris, le $1,6 milliard comprend aussi l'immobilisation de deux nouvelles usines installées au Québec, ce qui représente un montant assez important.

M. Lachance: Absolument, elles sont comprises là-dedans.

M. Russell: Cette question-ci, je pourrai la poser aux compagnies pour savoir si cela représente plus.

M. Lachance: Sans aucun doute.

M. Russell: D'accord. Pour mes autres questions, M. le Président, je vais terminer là-dessus. Je crois que plusieurs ont été posées. Ce serait éterniser le débat. On pourra revenir et poser les questions aux compagnies plutôt qu'à M. Lachance sur certains points qui ne sont pas clairs actuellement.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Rimouski.

M. Marcoux: Je sais qu'il reste très peu de temps; alors, une première question très brève. Vous avez parlé de l'augmentation du coût de l'électricité tantôt. Vous avez dit que le coût de la main-d'oeuvre représente environ 50% des coûts de l'industrie des pâtes et papiers. Le coût de l'électricité représente quoi dans le coût global d'une tonne de pâtes et papiers?

M. Stangeland: À peu près 15% pour le papier journal.

M. Marcoux: Bon. Cela veut dire qu'une augmentation de 27% des coûts de l'électricité pourrait représenter, en fait, une augmentation de 4% des frais de production d'une tonne de pâtes et papiers.

M. Stangeland: Je pense que c'est oui, cela arrive à cela.

M. Marcoux: Bon. Une deuxième question beaucoup plus générale ou vaste. Le ministre, dans son introduction, indiquait qu'un des principaux buts de la commission parlementaire était d'arriver à une concertation entre l'industrie, les syndicats et le gouvernement concernant l'avenir des pâtes et papiers. Votre mémoire est ambigu sur les chances; cela va mal sur certains aspects, cela va bien sur d'autres. On ne sait plus trop ce qui va arriver, mais je suis porté à être un peu plus

pessimiste, comme le député de Charlevoix, en indiquant que, quand on regarde la carte de localisation des usines, où est le bois, etc., il va certainement y avoir des transformations et, quand on pense aussi au cas de la Wayagamack, dont on ne peut éviter de parler et que nous sommes en train de vivre, je me dis: II va falloir aboutir; en tout cas, l'objectif du gouvernement est d'aboutir à une concertation.

D'après vous, qui êtes le représentant de l'ensemble des usines de pâtes et papiers, est-ce que l'industrie est prête à une concertation qui signifierait qu'il y aurait une entente entre syndicats, gouvernement et industrie sur la vitesse, si vous voulez, de fermeture de certaines entreprises, sur le moment où seraient ouvertes d'autres entreprises et sur la localisation de ces nouvelles entreprises, pour faire en sorte qu'on ne soit pas un peu comme devant un fait accompli, à deux ou trois mois d'une fermeture, pour ramasser tous les pots cassés en l'espace de deux ou trois mois? Est-ce que, de votre côté, est-ce que l'ensemble des usines, de l'industrie est prêt à une concertation qui signifierait un échéancier d'implantation de nouvelles usines? Un échéancier de fermeture d'usines, s'il y a lieu? Un échéancier, également, des investissements majeurs qui doivent se produire en termes d'investissement, d'amélioration d'équipement, de dépollution, etc.? Est-ce que vous êtes prêts à une concertation qui signifierait — pas simplement des mots — en somme un plan précis pour les cinq ou dix prochaines années pour l'ensemble de l'industrie des pâtes et papiers au Québec?

M. Lachance: Comme association, je dirais non. D'abord, parce que ce n'est pas possible et, deuxièmement, parce que les compagnies elles-mêmes le font. Si vous vous reportez en 1975, toutes les fermetures temporaires d'usines ont été annoncées bien à l'avance par les compagnies. Alors, je pense qu'il appartient aux compagnies de faire cette planification et non pas à une association.

M. Marcoux: Cela veut dire que les industries ne sont pas prêtes à vous donner le mandat à leur place ou avec elles le mandat de parler au nom de l'ensemble, je ne veux pas seulement dire de parler, mais de négocier avec le gouvernement ou le syndicat un plan de développement de l'industrie des pâtes et papiers?

M. Lachance: Pas dans des cas comme ceux que vous mentionnez là. Cela n'a pas été mentionné et je ne peux pas dire si ce serait pratique ou non.

M. Marcoux: Pour vous, la concertation se résumerait à quoi à ce moment-là?

M. Lachance: À des énoncés de faits, à des énoncés de politique générale comme celui que j'ai fait ce matin.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II me reste deux dernières interventions. J'aurais peut-être besoin de la collaboration des députés pour dispenser l'association de revenir cet après-midi. Le ministre de l'environnement avec une question et le ministre des Terres et Forêts.

M. Léger: M. le Président, seulement une courte question à M. Lachance. Actuellement, concernant le flottage, on peut dire qu'il y a une perte d'environ 240 000 tonnes par année de matières en suspension provenant des écorces à cause du flottage. Il y a aussi à peu près la même quantité, environ 240 000 tonnes-année, provenant des pertes des usines. Le règlement sur l'environnement qui va venir amènerait une diminution de 240 000 tonnes à 65 000 tonnes-année pour les pertes des usines. Il resterait encore le même problème des écorces provenant du flottage. Qu'est-ce que vous pensez réellement faire pour améliorer cette situation? Entre autres hypothèses, allez-vous envisager la possibilité d'écorcer en forêt? Est-ce que vous avez évalué les coûts? Est-ce une chose qui serait possible pour qu'en même temps que les usines polluent moins, il y ait aussi une diminution du côté du flottage?

M. Lachance: M. Léger, votre question est très intéressante, je ne pense pas pouvoir y répondre. Par contre, on va l'avoir dans l'énoncé des débats et je pense que cela vaudrait la peine de répondre par écrit à votre question, parce que c'est une question qui peut être discutée avec vous et vos officiers; quelle que soit la réponse que nous apporterons; je pense qu'elle peut être intéressante. Mais je ne crois pas vous aider en donnant une réponse qui soit la mienne et qui ne serait peut-être pas la bonne.

M. Léger: Peut-être y aurait-il d'autres intervenants qui pourraient me donner une réponse?

M. Lachance: Peut-être que des compagnies pourront aussi vous en parler.

Le Président (M. Boucher): M. le ministre des Terres et Forêts.

M. Bérubé: Merci, M. le Président. D'une part, je tiendrais à rassurer M. Lachance à savoir que les 20 nouvelles usines ne sont pas pour demain et que le ministre des Terres et Forêts, comme d'ailleurs on l'avait reconnu, n'a jamais fait de déclaration publique. Il a cependant appris quelques tours en politique, soit de ne jamais citer de chiffres hors contexte parce qu'il retrouvait toujours ces chiffres, mais hors contexte.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Si vous voulez vous rapprocher...

M. Pagé: C'est la faute des journalistes!

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bérubé: Le point que je voudrais soulever, c'est que vous avez souligné à un moment donné au cours de votre présentation qu'il y avait eu de gros avantages à ce que la Scandinavie n'ait pas choisi de concurrencer nos producteurs sur le marché américain au cours des dernières années, sinon, nous aurions pu avoir certaines difficultés. Or, je voudrais terminer par une dernière question. Effectivement, lorsqu'on prend des chiffres de salaires, et j'avais des chiffres de 1974 et qui sont, semble-t-il, vérifiés aujourd'hui, toujours, les salaires en Suède sont supérieurs aux nôtres, c'est-à-dire que pour 1974 j'ai des chiffres, $5.64 l'heure, en moyenne, contre $5.17 en moyenne au Canada. Le coût de la main-d'oeuvre est donc supérieur en Suède à celui du Canada. Mais le coût de la matière ligneuse également est plus élevé par suite de l'exploitation intensive de la forêt, puisqu'on dit que le coût est autour de $76 à $86 par tonne de papier alors qu'ici, au Québec, ce serait autour de $70. Donc, les coûts de la matière ligneuse livrée à l'usine, qui représentent le tiers des coûts, tel qu'il a été présenté dans votre mémoire, sont plus élevés en Suède. Le coût de la main-d'oeuvre est également plus élevé en Suède. Le coût de transport, forcément, pour amener du papier de la Suède au Canada ou aux États-Unis sera également forcément plus élevé que le même coût assumé par nos industriels. Par conséquent, on s'étonne de ce qu'on puisse craindre la concurrence des Suédois sur le marché américain alors que, finalement, nous avons des avantages comparatifs absolument remarquables. Je me demande dans quelle mesure il n'y a pas un problème de productivité et de modernisation dans notre industrie qui pourrait expliquer pourquoi notre industrie qui, pourtant, fait face à des avantages comparatifs marqués, n'arrive pas à concurrencer les Suédois sur le marché américain. J'aimerais terminer par cette question et voir ce que vous en pensez.

M. Lachance: Évidemment, comme je le mentionnais la grande part du marché Scandinave est en Europe. Les frais de transport y sont très minimes. Le marché d'Europe est à sa porte. Il a comme nous accès à la mer Baltique, la mer de Botnie, qui lui permet de transporter son papier par bateau à très bon compte. De plus, il a l'aide des gouvernements dans le transport de ses pro- duits. C'est le cas pour les Finlandais et la Suède a un régime tel que cela lui permet de transporter à meilleur compte que nous. Elle a une flotte marchande qu'on n'a pas. Je pense que c'est plutôt une question de transport qui a empêché ces pays ou qui les a rendus incapables de fournir certains papiers aux États-Unis. Ce qui réside là, je ne pense pas que ce soit dans la productivité. Je pense que c'est beaucoup plus une question de structure financière, de structure fiscale et de transport que de productivité.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. Lachance, et messieurs les membres de l'Association des industries forestières du Québec, il me reste à vous remercier de votre participation à cette commission. Avant de suspendre les travaux jusqu'à 15 heures, vous savez que cette commission parlementaire siégeait ici ce matin, en vertu d'un ordre de la Chambre. Nous siégions donc au salon rouge, mais des problèmes d'affluence à la commission des consommateurs, chargée d'étudier le projet de loi no 67 font que j'aurais besoin d'un consentement unanime des membres de cette commission pour, que cet après-midi, à 15 heures, la séance se tienne à la salle 81-A. Est-ce que le consentement unanime est acquis?

M. Grenier: Est-ce qu'il y aura possibilité de revenir ici demain à 15 heures, j'imagine, si c'est terminé en haut?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le consentement que je demande est pour la séance de cet après-midi et de ce soir, quitte à voir pour demain.

M. Grenier: Pas de problème. Nous sommes d'accord.

M. Pagé: D'accord! Une voix: Adopté.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Ce consentement étant acquis, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, à la salle 81-A.

(Suspension de la séance à 13 h 2)

Reprise de la séance à 16 h 5

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): À l'ordre, s'il vous plaît!

Il s'agit de la continuation de la séance de ce matin, donc de la même séance. J'inviterais maintenant la Confédération des syndicats nationaux et la Fédération des travailleurs du papier et de la Forêt à présenter son mémoire. Je demanderais au porte-parole du groupe de bien vouloir nous présenter ceux qui l'accompagnent.

Confédération des syndicats nationaux

et Fédération des travailleurs

du papier et de la forêt

M. Morin (Jean-Guy): Mon nom est Jean-Guy Morin, secrétaire général de la CSN. Je commence par la gauche. Vous avez Guy Lévesque, du conseil central de Sherbrooke; Georges Cantin, président de la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt; François Aubry, du Service économique de la CSN; Etienne Giasson, coordonna-teur à la fédération du papier et de la forêt; Guy Tétreault, président du syndicat d'East Angus, et Marcel Roberge, vice-président du syndicat d'East Angus.

Avant de commencer, je ferais remarquer qu'il va falloir parler assez fort parce que les travailleurs du papier subissent la pollution par le bruit dans les usines et ce matin ils avaient de la difficulté à comprendre. Un autre point, je ne sais pas si c'est le manque d'investissements, mais la salle est plus petite cet après-midi que celle de ce matin et on a autant de monde.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): C'est pour satisfaire aux besoins d'une autre commission qui avait des problèmes encore beaucoup plus graves.

M. Morin (Jean-Guy): Oui?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Mais je sais que la salle 91 est actuellement dotée de haut-parleur, de telle sorte que toutes les personnes qui veulent y assister y assistent. Alors, à vous la parole.

M. Morin (Jean-Guy): L'industrie des pâtes et papiers et son importance au Québec. Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de nous attarder longuement sur l'importance de l'industrie des pâtes et papiers dans l'économie québécoise. Le gouvernement, de même que toutes les parties intéressées comparaissent devant la présente commission parlementaire, peuvent, à notre avis, s'entendre sur le fait que cette industrie est l'un des principaux piliers de l'économie. Ainsi, son évolution future aura un grand effet sur l'état de toute l'économie. Selon une étude récente de l'Office de planification et de développement du Québec, l'industrie des pâtes et papiers occupait, en 1974, le premier rang des industries manufacturières québécoises quant à la valeur ajoutée. Son impor- tance a progressé depuis une quinzaine d'années. En 1961, c'était l'industrie des aliments et boissons qui occupait le premier rang, alors qu'en 1974 cette industrie a été devancée par l'industrie des pâtes et papiers.

L'importance de l'industrie des pâtes et papiers est encore plus capitale pour l'économie québécoise, économie dépendant des importations de plusieurs nécessités quand on apprécie le niveau de ses exportations. En 1973, 42,8% des expéditions de cette industrie étaient destinés aux marchés internationaux. Durant chaque année, de 1970 à 1975, le papier à imprimerie a constitué le principal produit d'exportation du Québec, alors que les pâtes de bois occupent le huitième rang en 1975. Évidemment, perdre ces marchés au profit d'autres pays producteurs diminuerait de beaucoup la capacité du Québec d'importer les biens qu'il ne peut produire à l'intérieur.

Au niveau de l'emploi, l'industrie des pâtes et papiers n'est dépassée que par deux autres industries en 1974: celle du vêtement et celle des aliments et boissons. L'état de mécanisation de l'industrie des pâtes et papiers a donc pour effet de ramener l'importance de l'emploi dans l'économie en dessous des deux autres industries dont la valeur ajoutée est moins importante, mais qui, elles, sont moins hautement mécanisées.

En 1974, l'emploi dans les trois industries était le suivant: vêtement, 80 900; aliments et boissons, 65 900; papier et produits connexes, 52 700. Cependant, à cause des salaires plus élevés qui sont payés dans cette dernière industrie, la masse salariale dans l'industrie du papier atteint presque le premier rang dans ce domaine puisque, pour l'industrie des aliments et boissons, elle est de $510,5 millions; pour le papier et produits connexes, $505,6 millions et le vêtement, seulement $415,9 millions.

Contrairement à d'autres industries manufacturières qui sont concentrées dans des régions urbanisées où il existe beaucoup d'autres sources d'emploi, l'industrie des pâtes et papiers constitue la base de la vie économique de plusieurs régions québécoises plus éloignées des grands centres urbains. Son importance, dans les différentes régions, a été établie par le ministère de l'Industrie et du Commerce, dans une étude complétée en 1970, avec des statistiques de 1964, et qui n'a pas été renouvelée depuis. On pouvait y constater le rang qu'occupe la transformation des produits forestiers. Ceci inclut l'activité des scieries et l'industrie du meuble parmi les autres activités manufacturières du Québec.

En 1964, sept travailleurs industriels sur dix, dans la région de l'Outaouais, gagnaient leur vie dans l'industrie de transformation des produits forestiers. Dans le Nord-Ouest, cette proportion dépasse six sur dix. Dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, c'est plus de cinq sur dix. Sur la Côte-Nord, près de cinq sur dix, alors qu'en Mauricie et au Saguenay-Lac Saint-Jean, c'est un travailleur sur trois.

L'importance que l'industrie peut avoir pour la survie d'une région particulière est devenue mani-

teste depuis l'annonce de la fermeture du moulin Domtar. À part les 540 employés de Domtar qui seront directement affectés si l'usine ferme, tous les secteurs économiques de la région seront touchés: les producteurs de bois, incluant les agriculteurs, les entreprises de produits chimiques qui approvisionnent le moulin, la construction domiciliaire, les commerces, les employés des écoles et de la municipalité. Le directeur régional du centre de main-d'oeuvre estime que plus de 2000 mises à pied seront effectuées dans la région d'East Angus si la fermeture, d'abord annoncée pour le 30 septembre 1977, mais temporairement remise depuis, se réalise éventuellement.

Cette fermeture entraînerait donc l'effondrement économique de cette région et probablement l'émigration forcée d'une bonne partie des habitants de cette municipalité de 5000 personnes. La situation d'East Angus pourrait se reproduire dans de nombreuses autres municipalités du Québec où une entreprise de pâtes et papiers constitue la base économique de la région. Cela démontre, pour nous, la nécessité et l'urgence d'appliquer des mesures garantissant la viabilité continue de l'industrie, mais surtout des communautés qui en vivent actuellement. Il faut constater que même un déclin partiel de l'industrie des pâtes et papiers au Québec se traduirait par le déclin économique total de certaines régions; déclin total dont les effets sont déjà connus dans certains coins du Québec: chômage persistant qui peut toucher la majorité des travailleurs en hiver; émigration des jeunes; bien-être social comme principale source de revenu.

L'état actuel de l'industrie. Dans la section précédente, nous avons vu que l'importance de l'industrie des pâtes et papiers, dans l'économie québécoise, s'est maintenue et s'est même accrue, en terme de valeur ajoutée et d'emplois, comparativement à d'autres industries manufacturières. En effet, l'industrie de papier et produits connexes employait 38 500 personnes, en 1961, et en employait 52 700, en 1974, soit 36,9% de travailleurs de plus.

Le fait qu'au Québec on ait pu augmenter le nombre d'emplois dans cette industrie s'explique parce que nous avons bénéficié d'une expansion nord-américaine de l'industrie des pâtes et papiers. Mais malgré cette croissance apparente, la situation de l'industrie au Québec est de plus en plus précaire. Même si la production totale des pâtes et papiers au Québec s'est accrue d'une façon plus ou moins constante, l'augmentation québécoise est plus lente comparativement à celle d'autres régions productrices.

Au Canada, en 1961, 35,8% de la valeur ajoutée dans l'industrie du papier et dans les industries connexes provenait des installations québécoises. En 1974, la part québécoise avait baissé à 30,3%, c'est-à-dire qu'en treize ans, le Québec a perdu 5,5% de la production canadienne, un phénomène qui s'explique en grande partie par l'expansion très rapide de l'industrie en Colombie-Britannique. Mais le Canada dans son entier a perdu, durant cette même période, une partie de ses marchés au profit d'autres producteurs, comme l'indiquent les statistiques suivantes concernant la production de papier journal, produit qui constitue la principale exportation de l'industrie et dont la production est surtout concentrée au Québec. Or, en 1950, 55,4% de la production mondiale de papier journal se trouvaient au Canada. En 1975, cette proportion est tombée à 34,7%.

Bien qu'il y eut une augmentation absolue de la production mondiale, on constate donc que ce sont des pays autres que le Québec qui ont bénéficié le plus de l'expansion majeure de la consommation mondiale des produits de papier survenue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Les États-Unis, par exemple, produisaient en 1950 seulement 17,1% du papier journal consommé à l'intérieur du pays. En 1975, cette proportion a atteint 39,8%. Inévitablement, la perte pour l'industrie québécoise d'une partie du marché des pâtes et papiers entraîne des répercussions sur les producteurs. Comme l'a noté le ministre des Terres et Forêts, M. Bérubé, 60% des usines ont plus de 40 ans. Quand il y a beaucoup de commandes, toutes les usines produisent à pleine capacité mais, lorsqu'on arrive dans le creux du cycle de la demande, les fluctuations étant très fortes, on fait face à des fermetures d'usine.

Dans la période de récession actuelle, deux fermetures sont déjà annoncées, celles de Waya-ganak et d'East Angus. D'autres fermetures pourraient survenir avant que le marché ne reprenne ou, alors, elles surviendront dans trois, quatre ou cinq ans lorsque la demande sera encore à la baisse. Il est évident que l'industrie québécoise n'a pas réussi à tenir tête aux producteurs des autres provinces ou de l'étranger.

Il existe plusieurs points de vue quant aux causes de cette situation, c'est-à-dire la faiblesse de l'industrie face aux concurrents. Le présent gouvernement, si on se fie aux déclarations de M. Bérubé, a lui-même mis de l'avant nombre d'explications qui, à notre avis, essaient de faire partager par les producteurs du bois, par les syndicats ouvriers et par l'industrie la responsabilité de la situation actuelle de l'industrie des pâtes et papiers.

À cause du peu de temps qu'on nous a alloué pour la préparation du présent mémoire, nous n'avons pu examiner aussi en profondeur que nous ne l'aurions voulu tous les problèmes de l'industrie.

Cependant, nous avons examiné trois aspects qui, à notre avis, sont importants parce que des déclarations publiques, qu'elles viennent de l'industrie ou du gouvernement, ont laissé certaines impressions dans l'opinion publique quant aux conditions de l'industrie des pâtes et papiers au Québec.

Nous nous proposons donc d'examiner, brièvement, les trois points suivants: Le coût du bois, le niveau des salaires, la productivité.

Le coût du bois au Québec. On prétend qu'un des facteurs nuisant à la rentabilité de l'industrie

est le fait que le coût de récolte du bois au Québec est plus élevé que dans d'autres régions.

Le coût dont on parle n'est pas toujours le prix directement payé par le producteur de pâtes et papiers puisque la principale source de bois, ce sont les concessions forestières accordées aux compagnies.

En effet, c'est le coût de transport du bois de la forêt jusqu'à l'usine qui est le principal facteur de ce coût. On prétend que les arbres mettent plus de temps pour arriver à un point de maturité qu'ils n'en prennent dans les régions telles que le Sud des États-Unis. On est donc obligé d'aller plus loin afin de s'approvisionner d'une quantité de bois suffisante avant que les arbres ne repoussent.

En faisant des comparaisons avec des régions telles que le Sud des États-Unis, où le climat est moins froid, il serait juste de spécifier que le bois en question n'est pas tout à fait comparable. Il est bien connu que le bois québécois est plus dense en matière ligneuse que ne l'est le bois poussé dans des conditions sous-tropiques, ce qui rend une corde de bois québécoise plus productive qu'une corde ayant moins de densité et rend le bois québécois particulièrement doué pour la production de certains papiers de haute qualité.

Même si, en tenant compte des différences de qualité, on peut trouver que les coûts du bois québécois sont plus élevés que ceux du bois du Sud des États-Unis, par exemple, cela ne prouve pas, à notre avis, que la situation ne puisse pas être améliorée.

Or, dans le Sud des États-Unis, on constate que l'industrie du bois bénéficie d'un reboisement et d'une sylviculture intensifs, souvent sur d'anciennes terres agricoles et que le bois est récolté selon une coupe sélective de sorte que les mêmes terres peuvent être constamment productives. De cette façon, le coût du transport en est restreint.

Au Québec, par contre, même si on constate que la coupe à blanc est moins répandue qu'elle ne l'était il y a quelques années, il y a encore très peu de reboisement fait par les compagnies, de sorte qu'une très longue période de temps est nécessaire avant que la forêt ne redevienne productive, dans les cas où cela est encore possible après l'utilisation de certaines pratiques destructives.

Contrairement au sud des États-Unis, les forêts québécoises sont, pour la majeure partie, du domaine public. Ce sont donc des propriétaires privés qui ont adopté des politiques de sylviculture donnant aujourd'hui des résultats aux États-Unis. L'État étant le principal propriétaire au Québec, il serait tout à fait normal que le gouvernement québécois gère les forêts publiques et les exploite de façon à préserver la productivité des forêts et ainsi diminuer les coûts de transport à l'usine. À ce sujet, nous apporterons des recommandations concrètes à la fin du présent mémoire.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. Morin, excusez-moi, s'il vous plaît, de vous interrompre. Je constate que votre mémoire a au-delà de 70 pages et je constate également que vous en faites une lecture intégrale. Je voudrais simple- ment vous rappeler que deux heures sont allouées à chaque organisme, et d'après certaines comparaisons que je suis en train de faire, si vous lisez tout votre mémoire, il ne restera environ que 30 minutes aux membres de la commission pour vous interroger. Évidemment, vous avez la liberté et la discrétion de lire votre mémoire en entier et de prendre tout le temps que vous voulez à l'intérieur des deux heures, mais je voulais tout simplement soumettre cela à votre considération.

M. Morin (Jean-Guy): Nous avions considéré cette partie, mais étant donné que la composition du mémoire est faite, il faut absolument donner tous les détails afin de pouvoir comprendre toutes nos propositions à la fin. On a choisi de lire le mémoire intégralement de façon à pouvoir donner tous les renseignements.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Vous en avez le droit, M. Morin.

M. Morin (Jean-Guy): Le niveau des salaires dans l'industrie du Québec. On va essayer de procéder un peu plus rapidement. On prétend qu'au Québec les salaires dans l'industrie des pâtes et papiers sont plus élevés que dans d'autres régions et qu'à cause de cela, les opérations québécoises sont moins rentables que celles des régions à plus bas salaire. Le pays de comparaison préféré, c'est les États-Unis où, dit-on, les salaires sont substantiellement moins élevés que ceux payés au Québec. Quand on compare le coût de la main-d'oeuvre, il ne faut pas regarder seulement les salaires, mais aussi les primes et autres bénéfices qui s'ajoutent à ce que coûte un travailleur pour son employeur.

Il se peut que certains bénéfices comme l'assurance-maladie qui est sous régime public au Québec, mais gérée par des agences privées aux États-Unis coûtent plus cher aux employeurs américains, mais nous n'étions pas en mesure d'entreprendre une étude exhaustive de toutes ces questions. Nous nous sommes limités seulement aux salaires et nous avons des données à vous présenter à ce sujet. En regardant les salaires payés sur une base horaire, nous pouvons constater que dans l'industrie papetière le salaire moyen payé aux États-Unis est plus bas que le salaire québécois. Il y a cependant beaucoup de variations entre les différents États aussi bien qu'il y en a entre les différentes provinces canadiennes. On constate ainsi que le salaire moyen de l'industrie au Québec est inférieur à la moyenne canadienne pour l'industrie des pâtes et papiers. Or, des données sur les salaires moyens d'un pays de plus de 200 millions d'habitants n'ont pas beaucoup de signification. Nous examinerons donc les données pour certains États individuellement. Les comparaisons sont souvent faites avec le sud des États-Unis sur le plan du coût du bois ainsi que pour d'autres facteurs. Elles devraient être tout aussi bonnes pour ce qui est des salaires.

Si nous prenons l'État d'Alabama à titre d'exemple, un État où l'industrie des pâtes et papiers a connu une croissance rapide depuis la

deuxième guerre mondiale, nous constatons que le salaire moyen dans l'industrie était de $6.48, soit environ $6.83 en dollar canadien, cela se compare avec un salaire moyen au Québec dans l'industrie de $7.07, soit $0.24 de plus qu'en Alabama, un écart qui est loin de justifier les déclarations alarmantes qu'on entend souvent à ce sujet. D'ailleurs, nous sommes certains qu'un écart d'au moins cette envergure se justifie par les différences dans le coût de la vie entre le Québec et le sud des États-Unis.

Dans d'autres États, on observe que le salaire moyen dans l'industrie des pâtes et papiers est de beaucoup supérieur au salaire québécois: $7.59 en Oregon, $7.77 à Washington, en dollar canadien. L'écart est même plus grand quand on compare le salaire québécois avec les salaires payés en Norvège et en Suède ainsi que dans la province canadienne de la Colombie-Britannique où le salaire horaire était de $8.92 en mars 1977, soit de $1.85 de plus qu'au Québec. Selon l'hypothèse qui veut que les salaires trop élevés payés au Québec expliquent la mauvaise posture de l'industrie des pâtes et papiers d'ici, cette industrie aurait dû disparaître il y a longtemps dans ces régions; mais cela n'est pas le cas, au contraire, en Scandinavie et en Colombie-Britannique, ainsi que dans la plupart des États aux États-Unis où le salaire est plus haut que la moyenne nationale où l'industrie est en pleine croissance.

Naturellement, les employeurs peuvent bien trouver des régions à bas salaire pour bâtir des comparaisons qui servent leurs causes.

Dans l'État du Vermont, par exemple, le salaire moyen payé dans l'industrie des pâtes et papiers était de seulement $4.97, en mars 1977. Ceci n'a pas empêché l'emploi total de descendre de 2200 travailleurs en 1947 à 2100 travailleurs en 1975. Malgré des salaires presque les plus bas de tous les États-Unis, cela n'a pas signifié l'essor de l'industrie au Vermont. Évidemment, il faut regarder ailleurs qu'au niveau des salaires si on veut trouver la cause des problèmes de l'industrie pour pouvoir ensuite trouver des solutions. Essayer de faire des travailleurs et de leurs organisations syndicales les boucs émissaires des problèmes actuels de l'industrie n'aidera pas à trouver les solutions appropriées.

La productivité dans l'industrie des pâtes et papiers au Québec. Outre le coût des matières premières et de la main-d'oeuvre, un autre facteur détermine la position concurrentielle de l'industrie, c'est l'efficacité de la production. L'indice normalement utilisé pour refléter l'efficacité d'une industrie est le taux de productivité, la productivité établissant un rapport entre la production et l'emploi.

Donc, si par personne employée dans une installation québécoise, la production est inférieure à celle d'une personne employée dans une autre installation, l'installation québécoise sera moins rentable, à moins que ce taux de productivité plus bas ne soit compensé par des économies dans les coûts de production. On argumente justement que les installations québécoises sont souvent moins rentables que d'autres et que les coûts de production ne sont pas moins élevés, mais, au contraire, sont souvent plus élevés. Nous avons déjà examiné certaines prétentions concernant le coût du bois et de la main-d'oeuvre.

Pour éclaircir vraiment la situation au sujet de la productivité, il faudrait que les compagnies rendent publics les états financiers de chaque usine, en y incluant les données sur les ventes et sur les coûts de production. Avec de tels renseignements, nous serions mieux en mesure d'analyser les problèmes des installations particulières et d'apporter des recommandations concrètes. Il n'a pas été dans la politique des sociétés de pâtes et papiers implantées au Québec de privilégier les syndicats en fournissant de tels renseignements. Notre discussion sur ce sujet est donc nécessairement plus générale à cause de la nature plus globale de données qui nous sont fournies par les agences publiques et privées.

Des statistiques à la fois complètes et comparables sur le plan régional sont disponibles pour les provinces canadiennes. Nous faisons donc notre analyse à partir d'elles. Dans le tableau I, nous présentons les données sur un indice de productivité, la valeur ajoutée par employé dans l'industrie du papier et produits connexes pour les trois grandes provinces productrices. À partir de ce tableau, on peut constater que, depuis 1961, la productivité de l'industrie au Québec a été légèrement supérieure à celle de l'Ontario, contrairement à la situation dans beaucoup d'autres industries où les travailleurs se font dire régulièrement par leur employeur qu'ils sont moins productifs que leurs confrères ontariens. On constate, par exemple, qu'en 1974 le taux de productivité était de 2,2% plus élevé au Québec qu'en Ontario.

La Colombie-Britannique, par contre, avait un taux de productivité qui devançait de loin celui des deux autres provinces. En 1974, la productivité dans cette province était de 55,3% plus élevée qu'au Québec. Avant de procéder à l'analyse de ces comparaisons, il est bien de comprendre ce qui peut causer une augmentation de l'indice de productivité. Or, des fluctuations dans l'indice de productivité s'expliquent souvent par des fluctuations dans les ventes totales qui suivent le cycle économique. Les fluctuations dans les demandes sont particulièrement élevées dans l'industrie des pâtes et papiers.

Une baisse de la demande explique justement la chute de productivité subie par l'industrie à travers le Canada en 1967. L'emploi est resté presque constant, pendant que la valeur ajoutée passait de $1,48 milliard en 1966 à $1,06 milliard en 1967. Un changement dans la productivité dû à un tel phénomène n'a rien à voir avec l'efficacité de la production dans les installations. Le changement ne reflète que les fluctuations dans le cycle économique, qui sont une caractéristique de l'économie capitaliste.

Un indice de productivité définit un rapport entre la production et le travail, mais peut varier selon un troisième facteur qui n'entre pas dans le calcul: l'équipement et la machinerie qui sont mis

à la disposition des travailleurs pour effectuer la production. Évidemment, une entreprise qui possède les installations les plus modernes, la technique la plus récente produira plus relativement au nombre de travailleurs qu'une autre entreprise dont les installations sont plus vieilles, moins mécanisées et sujettes à des bris. C'est justement à cause de ces différences que, dans l'industrie des pâtes et papiers, les usines d'une région comme la Colombie-Britannique ont un niveau de productivité plus élevé que les usines québécoises. Le tableau II démontre cet état de choses par des statistiques sur les investissements effectués par employé dans l'industrie du papier et produits connexes dans les provinces de Québec et de Colombie-Britannique. Chaque année, au cours de la période 1961 à 1974, les dollars investis par employé en Colombie-Britannique sont beaucoup plus élevés qu'ils ne le sont au Québec. Au cours de certaines années, les investissements par employé en Colombie-Britannique représentent plus de quatre fois le niveau des investissements québécois.

En moyenne, durant la période de 1961 à 1974, pour chaque dollar investi au Québec il y en avait $2.79 en Colombie-Britannique. On ne devrait pas se surprendre alors du fait qu'en 1974 la productivité dans les usines des pâtes et papiers de la Colombie-Britannique soit de 55,3% plus élevée qu'au Québec.

La productivité est plus basse au Québec parce que les compagnies ont tout simplement refusé de renouveler et de moderniser les installations d'ici au même rythme que l'ont fait les compagnies implantées dans une région comme la Colombie.

Par contre, il est évident que la situation financière des sociétés contrôlant l'industrie des pâtes et papiers au Québec n'est pas pire que celle des compagnies qui dominent l'industrie colombienne. En effet, si on regarde les statistiques de 1974, ce serait plutôt le contraire, comme le témoignent les chiffres présentés dans le tableau III.

Pour les deux compagnies qui sont fortement implantées en Colombie-Britannique, MacMillan-Bloedel et Crown-Zellerbach, le rapport entre bénéfices nets et actif total était de 6,1% et de 7,2% respectivement; pour les trois compagnies fortement implantées au Québec: Price, Conso-lidated-Bathurst et Domtar, le rapport était de 8,8%, 9,8% et 11,8%. Bien que ce soient des données pour une seule année qui était d'ailleurs plutôt favorable dans l'ensemble de l'industrie, on peut conclure, à tout le moins, que l'évidence ne démontre pas que l'état financier des compagnies de pâtes et papiers québécoises, relativement à d'autres compagnies, est trop précaire pour permettre des investissements.

D'ailleurs, les travailleurs dans plusieurs moulins de pâtes et papiers au Québec savent, par leur propre expérience, que les compagnies n'ont pas daigné réinvestir ne serait-ce qu'une partie des profits générés par ces installations, de sorte que les installations commencent à se détériorer et, éventuellement, l'existence des usines est mise en cause. C'est le cas, notamment, au moulin Price de Kénogami, au moulin de Domtar à Windsor et à East Angus. Dans les deux derniers cas, la CSN, conjointement avec les travailleurs de ces usines, a récemment effectué des études sur l'état des usines et l'histoire des investissements. Cela nous a permis de confirmer que la compagnie n'a effectué aucun investissement depuis plusieurs années, qu'elle a systématiquement rejeté toute suggestion d'amélioration faite par les employés, qu'elle a effectué des réparations avec de l'équipement usé ou n'a pas fait de réparation du tout. Dans le cas d'East Angus, elle a même négligé d'entreprendre l'entretien régulier nécessaire au fonctionnement de l'usine.

Le résultat de cette politique patronale est que les travailleurs sont obligés d'exercer leur métier dans des installations qui sont à la fois inefficaces et dangereuses et, lorsque l'usine n'est plus rentable, la compagnie menace de la fermer et, ainsi, de mettre fin à leur source d'emploi, à moins que les travailleurs n'acceptent des sacrifices importants. C'est le cas, notamment, au moulin d'East Angus comme nous l'exposons en détail en annexe.

La CSN prétend que c'est le refus des compagnies de pâtes et papiers de réinvestir leurs profits dans les régions où ils ont été générés qui conduit à des situations comme celle vécue actuellement à East Angus. C'est ce qui constitue le principal problème vécu au Québec. Nous croyons que toute politique gouvernementale visant à résoudre les problèmes de l'industrie des pâtes et papiers doit prioritairement faire en sorte que les profits soient réinvestis dans le secteur, au Québec, et surtout dans les régions qui vivent de cette industrie. Nous formulons des propositions concrètes en ce sens, mais avant d'en arriver là, nous vous proposons d'examiner rapidement la structure de l'industrie des pâtes et papiers au Québec afin de comprendre comment peuvent se produire des situations comme celles décrites ici, situations dues à un refus d'investir.

Les monopoles des pâtes et papiers. En 1971, la CSN et la fédération ont entrepris une étude sur l'état de l'industrie forestière au Québec et son avenir. Après quelque 18 mois de recherches et de consultations auprès des travailleurs du secteur, on a abouti à la publication, en 1973, d'un document intitulé: "On est pas pour s'Iaisser passer un sapin", document qui a connu une diffusion et une étude très large parmi les travailleurs membres de la fédération. Dans la préparation et l'étude de ce document, on a constaté que la principale caractéristique de l'industrie des pâtes et papiers au Québec en est l'emprise des monopoles. On a constaté qu'un petit nombre de producteurs possèdent les principales installations de pâtes et papiers au Québec et contrôlent les matières premières nécessaires à la fabrication. La concentration dans l'industrie s'est effectuée depuis le début du XXe siècle et selon toute probabilité se poursuivra dans l'avenir.

Les entreprises papetières au Québec sont liées à des groupes financiers de grande envergure sous la direction des principales banques

nord-américaines. La plupart des entreprises pa-petières ont des liens financiers entre elles et plusieurs ont des capitaux industriels en commun, ce qui forme une toile d'araignée ou un réseau d'influence d'entreprises interreliées de multiples façons. C'est pourquoi on peut dire que les compagnies de pâtes et papiers ont plus de choses en commun que d'intérêts qui les séparent.

En complétant cette étude on a constaté que les sept plus grandes compagnies de pâtes et papiers employaient 87% des travailleurs dans les usines, tandis que les quatre grandes qui dominent l'industrie du Québec, CIP, Consol, Domtar et Price, employaient près de 70% des travailleurs des pâtes et papiers. Au niveau de la production, quatre compagnies possédaient 70% de la capacité de production de papier journal, deux compagnies produisaient 63% de la capacité de la pâte kraft et deux, 72% de la capacité de production des papiers de carton et d'emballage. En gros, on constatait que les quatre grandes contrôlaient 75% de tous les produits des pâtes et papiers au Québec.

À l'échelle nord-américaine, les entreprises papetières qu'on trouve au Québec sont loin d'être négligeables. On notait que CIP était le premier producteur nord-américain de papier journal, Abi-tibi le troisième et Price le quatrième. Cette situation a déjà changé avec l'acquisition de Price par Abitibi en 1974. Abitibi-Price est devenu le géant mondial du papier journal. Après Abitibi-Price, CIP (avec l'International Paper, des États-Unis) est maintenant au deuxième rang sur le plan nord-américain. Une autre des quatre grandes, Consolidated-Bathurst, se trouve au cinquième rang. Deux autres producteurs québécois qui ne sont pas parmi les quatre grandes, Ontario Paper — propriétaire de Quebec North Shore — et Kruger, se trouvent respectivement au septième et au neuvième rang quant à la production nord-américaine de papier journal. L'autre des quatre grandes au Québec, Domtar, est au douzième rang, cette compagnie ayant un rang plus important au niveau de la production d'autres produits des pâtes et papiers.

Au cours de 1974, Abitibi a, en 22 jours, planifié et accompli la conquête de Price en achetant 60% des actions de cette dernière, devenant ainsi le premier producteur mondial de papier journal. Cette action de concentration n'est pas la première dans l'industrie des pâtes et papiers et, si le gouvernement ne s'y oppose pas, elle ne sera pas la dernière. Comme dans toute autre industrie importante de notre économie capitaliste, la propriété se concentre de plus en plus entre les mains d'un petit nombre de sociétés qui dominent et qui mènent toute l'activité d'un secteur économique. En effet, dans l'industrie papetière cette concentration se poursuit depuis au moins un demi-siècle. La compagnie Consol, par exemple, est née de la fusion de quatre compagnies en 1928, auxquelles se sont ajoutées, au cours des années soixante, quatre autres compagnies, pour s'achever avec la fusion entre Consol et Bathurst en 1967. Aujourd'hui le groupe Power Corporation, qui contrôle Consol, essaie d'obtenir le contrôle du groupe Argus et s'approche ainsi de la compagnie Domtar contrôlée par Argus.

En plus de contrôler la majeure partie de la capacité de production dans l'industrie, les géants du papier contrôlent également les meilleures forêts du Québec et détiennent ainsi l'emprise sur les matières premières. Quelque 88 000 milles carrés de concessions forestières sur les forêts publiques ont été donnés par le gouvernement aux compagnies privées, ces concessions accordant le droit d'exploitation exclusif à une compagnie. Neuf compagnies papetières se partagent, à elles seules, 92% des concessions forestières, tandis que 120 autres concessionnaires — des scieries pour la plupart — ont accès aux autres 8%. Et ces chiffres ne tiennent pas compte de la concession déguisée — droit de coupe exclusif — de 26 000 milles carrés, accordée à la compagnie ITT sur la Côte-Nord.

Nous avons noté un point fondamental concernant les géants du papier au Québec; le fait qu'ils font souvent partie de complexes financiers dont l'exploitation des pâtes et papiers au Québec n'est qu'un intérêt parmi d'autres. En effet, en plus de la concentration croissante du pouvoir économique, on peut constater aussi une tendance vers la diverisification, c'est-à-dire l'expansion, par une même société financière, dans plusieurs régions et dans plusieurs champs d'activité différents. Ainsi on constate que plusieurs sociétés papetières installées au Québec ont acquis des installations de pâtes et papiers en dehors du Canada. Abitibi et Price, même avant leur fusion, ont toutes deux investi dans des usines dans le Sud des États-Unis. Domtar et Consol ont acquis des intérêts dans l'industrie du papier en Europe. Quant à International Paper, elle possède des installations de pâtes et papiers dans quatre continents.

Mais ce n'est pas seulement au plan géographique qu'on peut dire que l'industrie des pâtes et papiers au Québec appartient à des capitalistes ayant des intérêts diversifiés. International Paper, par exemple, est liée au groupe financier Rockefeller dont les principaux instruments financiers sont la First National City Bank et la Chase Manhattan Bank. Le groupe Rockefeller est aussi présent chez deux compétiteurs de l'International Paper, Kimberley-Clark, fabricant de Kleenex, et ITT-Rayonier, mais ses intérêts s'étendent à beaucoup d'autres secteurs. Les sociétés suivantes sont toutes liées à l'empire Rockefeller: Exxon, Boeing, United Aircraft, Colgate-Palmolive, etc. Un autre groupe financier américain, le groupe Morgan (Bankers' Trust) est lié à trois sociétés papetières: Scott Paper, American Can et Crown Zellerbach. Ce même groupe financier a des liens avec des grandes sociétés industrielles telles que General Motors et Johns-Manville.

Bien que ces groupes financiers ne soient pas les propriétaires majoritaires des sociétés en question, souvent ils détiennent un contrôle sur leur gestion par la possession d'une proportion prépondérante des actions, par leur présence au sein des conseils d'administration et par le contrôle de

la ligne de crédit de ces compagnies. Ainsi, ils peuvent réussir à diriger toutes les décisions importantes concernant les investissements, les acquisitions, etc. Les mêmes sortes de liens expliquent l'intégration de Consol au complexe Power Corporation de Montréal et Domtar au groupe Argus. Power est présentement dans un bon nombre d'autres secteurs par l'entremise de sociétés telles que Canadian Steamship, Dominion Glass, La Presse, Voyageur, Davie Shipbuilding, Kingsway Transport, Laurentide Finance; Power possède aussi beaucoup de propriétés immobilières. Argus, pour sa part, est présente dans les sociétés suivantes: Hollinger Mines, Massey-Ferguson, Dominion Stores, British Columbia Forest Products, Standard Broadcasting, ainsi que dans les firmes immobilières.

Il y a d'autres compagnies de papier au Québec qui tombent sous le contrôle exclusif d'une société mère qui détient la majorité des actions de la compagnie en question. Il y a, par exemple, E.B. Eddy, qui appartient à 100% à Weston; Price qui appartient majoritairement à la compagnie Abitibi de Toronto; QNS, dont le propriétaire majoritaire est le Chicago Tribune.

Il existe, bien sûr, une certaine rivalité entre les différentes sociétés de pâtes et papiers ainsi qu'entre les groupes financiers auxquels elles appartiennent, surtout en ce qui concerne l'accumulation des profits et l'acquisition des nouveaux intérêts. On découvre cependant un grand nombre de liens entre ces sociétés rivales qui laissent penser que ces compagnies ont assez d'intérêts en commun pour constituer une grande famille qui monopolise l'industrie et la gère selon ses intérêts. D'abord, il y a des liens existant par l'entremise des banques. Dans la recherche qu'on a faite, on constatait que la Banque Royale avait quatre directeurs en commun avec Abitibi, trois fois la rivale d'Abitibi, Consolidated-Bathurst, et trois avec son autre rivale, Domtar. D'autres banques canadiennes, telles que la Banque impériale de Commerce et la Banque de Montréal ont des liens semblables avec plus d'une société des pâtes et papiers. Comme déjà mentionné, les banques peuvent exercer une influence déterminante dans les décisions concernant des activités importantes comme les nouveaux investissements en accordant ou en refusant d'accorder une ligne de crédit. Par exemple, en 1974, c'étaient les dirigeants de la Banque Royale qui donnaient à Abitibi le mot d'ordre pour procéder à l'achat de Price en lui accordant un prêt de $125 millions. Le tableau IV reproduit un graphique démontrant les liens financiers et administratifs entre les différentes sociétés des pâtes et papiers. Il est à noter que ce graphique publié par la CSN en 1973, est déjà quelque peu dépassé par les événements depuis l'acquisition de Price par Abitibi, en 1974. Les liens entre les membres de la famille se resserrent.

À part les liens par le biais des banques, il y a d'autres liens importants entre les différentes sociétés. Six sociétés détiennent en commun la société Canadian Overseas qui est chargée de la vente du papier journal dans les pays d'outre-mer. Treize compagnies sont organisées dans l'Eastern

Canada Newsprint Group et presque la totalité des entreprises canadiennes sont regroupées dans l'Association canadienne des producteurs des pâtes et papiers. Cette association dont le Conseil producteur des pâtes et papiers du Québec est le prolongement québécois, dispose d'un personnel d'environ 60 employés pour compiler des statistiques, entreprendre des études, effectuer une liaison entre les différentes sociétés, etc.

Les conséquences pour les travailleurs québécois. La concentration de l'industrie des pâtes et papiers dans les mains d'un nombre de plus en plus petit des sociétés géantes n'est pas le fruit du hasard. Ceci est une tendance qui se poursuit dans tous les grands secteurs économiques et dont l'objectif fondamental est d'accroître l'exploitation de la classe ouvrière. En tant qu'ouvriers qui sont obligés de vendre leur force de travail aux capitalistes, les travailleurs font face à des stratégies patronales qui ont manifestement fait l'objet d'une concertation entre les employeurs. Des exemples: La lutte patronale pour enlever le droit acquis de l'indexation dans tous les secteurs et particulièrement dans les pâtes et papiers; le déclenchement des lock-out durant les négociations; et, dernier phénomène au Québec, le chantage de menacer la fermeture pour forcer un recul dans les salaires et les conditions de travail.

En tant que consommateurs qui constituent la grande majorité de la population, les travailleurs font aussi l'objet d'une exploitation qui augmente avec la concentration accrue de l'industrie. Puisqu'il a la capacité d'exercer un contrôle monopolistique sur le marché du papier, le cartel du papier peut restreindre la production totale pour forcer une augmentation du prix. En juillet 1971, par exemple, alors que l'industrie était en pleine récession avec un surplus de production, les géants du papier ont annoncé une hausse de $8 la tonne de papier journal. Selon la loi de l'offre et de la demande qui, selon l'idéologie de la libre entreprise, est censée s'appliquer dans une économie capitaliste, une telle situation de surplus de capacité aurait dû provoquer une baisse de prix, une augmentation des ventes et un réembauchage des travailleurs mis à pied.

Au lieu de cela, les prix augmentaient et les mises à pied se poursuivaient. Au cours de la période de récession économique qui a débuté en 1975, on fait encore face à des hausses de prix pendant que certains moulins ferment et que d'autres travailleurs travaillent sur une base réduite. Qui subit les frais des crises cycliques que produit l'économie capitaliste est un fait évident pour les travailleurs de l'industrie des pâtes et papiers: Les travailleurs sont mis en chômage, les coûts des biens nécessaires augmentent tandis que leurs employeurs augmentent les prix pour protéger leurs profits et resserrer leur emprise sur le marché.

Il serait facile de dire que, si les sociétés des pâtes et papiers avaient négligé des possibilités de vente ou d'investissements intéressants, de nouvelles entreprises auraient pu être formées pour saisir l'occasion de prendre la place des entreprises existantes. Une appréciation du contrôle

exercé par les géants de l'industrie nous donne la réponse à une telle spéculation. Nous avons déjà parlé du contrôle des meilleures forêts par ces géants, contrôle laissant peu de place à de nouveaux concurrents. Depuis que la compagnie Kru-ger a acheté le moulin à Bromptonville, elle se trouve obligée de se rendre à plusieurs centaines de milles au nord, au lac Relique, pour aller chercher son bois, alors qu'il y a d'importantes forêts non exploitées dans la région environnante, les Cantons de l'Est, forêts détenues, entre autres, par la compagnie Domtar et la compagnie Mégantic Lumber.

Ces dernières années, deux communautés québécoises, Cabano et Témiscamingue, ont tenté de mettre en place des entreprises avec la participation des travailleurs afin de reprendre les opérations abandonnées par des entreprises de pâtes et papiers. Dans les deux cas, les travailleurs ont dû accepter des sacrifices énormes, dépendre de la largesse de l'État et faire des concessions à des compagnies pour la mise en marché. Pourquoi de tels problèmes? Parce qu'en plus de contrôler la matière première, les monopoles des pâtes et papiers ont l'accès exclusif aux importants réseaux de vente et ont accès à d'énormes sources de crédit en payant des taux d'intérêt privilégiés, pour ne pas parler d'autres privilèges qui ne sont pas disponibles au nouvel arrivé. La compagnie Consolidated-Bathurst, par exemple, par ses liens avec Power, contrôle des forêts et des moulins à papier, transforme ceux-ci en produits d'emballage par Bathurst et St. Regis, utilise les services de transport Kingsway et Canada Steamship, vend son papier journal à la chaîne des journaux TransCanada, à la Presse et à Montréal-Matin, et peut instantanément avoir accès à plusieurs millions de dollars de crédit à la Banque Royale.

De la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu'à la fin des années soixante, l'industrie canadienne des pâtes et papiers a connu une croissance plus ou moins stable dans des conditions assez favorables. Selon plusieurs observateurs, l'industrie canadienne a eu la vie facile durant les années soixante, avec des ventes assurées, sans avoir besoin de moderniser les équipements et sans faire d'innovations sur le plan de la mise en marché. Une maison de courtage fait remarquer, par exemple, que "les niveaux peu élevés du dollar canadien pendant les années soixante ont caché des problèmes structuraux fondamentaux qui s'accumulaient pendant cette période."

On peut énumérer plusieurs autres avantages dont les producteurs québécois ont particulièrement joui, non seulement durant les années soixante, mais depuis leur installation au Québec. En s'installant au Québec, les producteurs de papier ont pu bénéficier du bois vierge à la porte du moulin, le droit de transporter le bois sur les rivières, ce qui implique des coûts très minimes, et de l'électricité à des coûts très favorables (surtout pour les compagnies comme Price qui possèdent leurs propres installations hydroélectriques). Avec ces avantages "naturels", les producteurs québécois ont pu rester concurrentiels tout en négligeant le renouvellement et la modernisation des installations avec des producteurs dans des régions comme le Sud des États-Unis qui devaient compter sur des usines modernes, l'utilisation sélective des forêts aménagées et de nouvelles pratiques de mise en marché pour devenir concurrentiels.

Depuis le début des années soixante-dix, la conjoncture a changé pour l'industrie québécoise qui a vu l'augmentation de la demande ralentir, la valeur du dollar canadien remonter par rapport au dollar américain — bien que le dollar ait encore baissé depuis la fin de 1976 — les sources de bois vierge s'éloigner des usines, le droit de transport sur les rivières aboli à cause des effets nocifs sur l'environnement, et la perspective de voir les coûts de l'électricité augmenter. Le fait que ces entreprises ont fonctionné dans un secteur presque fermé à de nouveaux investisseurs a certainement contribué aux attitudes négligentes qui se sont traduites au Québec par une absence de modernisation et un manque de vigueur sur le plan des innovations techniques et de la mise en marché. Dans les usines, les travailleurs ont été conscients d'un changement dans les attitudes des compagnies durant cette période; au lieu de faire des efforts spéciaux pour produire du papier de bonne qualité, on a sacrifié la qualité pour produire la plus grande quantité possible pour un marché en croissance. Cette politique, bien que temporairement rentable pour les compagnies, a certainement diminué la réputation privilégiée du papier québécois et a également contribué à la perte de fierté dans la production d'une bonne qualité de papier qu'avaient les travailleurs antérieurement.

Maintenant qu'existe la concurrence d'autres installations plus modernes, les compagnies songent à fermer des installations qu'elles ont le plus laissé se détériorer. Évidemment, les compagnies se sont protégées en investissant ailleurs, mais les travailleurs n'ont pas ce luxe; eux, ils subissent les conséquences des fermetures d'usines. De par sa fonction même, c'est-à-dire l'accumulation des profits dans des mains privées, l'entreprise capitaliste n'assume pas les coûts sociaux que ces activités engendrent, à moins que ses travailleurs ou la communauté ne forcent l'entreprise, contre sa volonté, à les assumer.

Il n'est pas impossible alors que, dans une société capitaliste, les effets nuisibles de la pollution ou des maladies industrielles produits par une entreprise excèdent les effets bénéfiques de la production utile. Nous ne proposons pas d'entreprendre ce genre de calculs concernant tous les effets positifs et négatifs engendrés par l'industrie papetière, mais nous pouvons observer qu'en ce qui concerne le choix des investissements, les compagnies n'ont aucunement tenu compte des coûts sociaux dans leurs décisions. À notre avis, ce problème est accentué par l'intégration des entreprises papetières dans les empires financiers diversifiés.

Avant de donner des exemples, nous allons expliquer nos motifs de faire cette déclaration. Dans un régime de petites entreprises indépendantes, on peut s'attendre que l'entreprise produise selon les demandes du marché et réinves-

tisse ses profits dans l'entreprise concernée puisqu'il n'y a pas d'autre débouché. Mais, aussitôt que l'entreprise est liée à des réseaux financiers qui sont eux-mêmes liés à d'autres secteurs, une perte de capitaux vers d'autres secteurs ou d'autres régions peut se produire. Pour nous, il n'est pas question de proposer un retour au régime des petites entreprises: Une telle proposition est illusoire dans la société capitaliste dominée par les monopoles et ne sert qu'à masquer les vrais problèmes posés par un régime d'entreprise privée qui ne peut être réglé que par la collectivisation des moyens de production. La saignée des profits d'une région ou d'un secteur pour favoriser l'expansion d'un autre est une autre caractéristique de l'économie capitaliste sous l'emprise des sociétés multinationales. Nous avons déjà vu comment l'industrie papetière au Québec est défavorisée au niveau de l'investissement par rapport à la Colombie. Au Québec, le cas d'East Angus, dont nous avons déjà parlé et dont nous parlerons encore, est un exemple parfait du peu de cas que l'on fait des conséquences sociales.

En ne tenant aucun compte de ses engagements légaux avec le gouvernement, Domtar a proposé de fermer le moulin d'East Angus en même temps qu'elle s'est engagée dans des projets de construction augmentant la capacité de production à Lebel-sur-Quévillon et à Oolbeau et impliquant des investissements de plusieurs dizaines de millions de dollars. Bien que ces pratiques soient peut-être rentables au niveau de l'entreprise — ce que nous demandons — pour la grande majorité québécoise, c'est-à-dire pour les travailleurs et les contribuables, les coûts d'une telle pratique sont énormes: assurance-chômage et bien-être social pour 2000 travailleurs, baisse de valeur des propriétés à East Angus et construction de nouvelles routes, écoles, hôpitaux, aménagements publics, dans des régions peu peuplées.

Des conséquences de même nature dues à d'autres pratiques patronales peuvent aussi être mentionnées. À Drummondville, la compagnie Dennison, qui fabrique des articles de papier, décide, pour des raisons de marketing, de déménager la moitié de la machinerie à Bowmanville en Ontario, mettant à pied une centaine de travailleurs dans une région durement frappée par le chômage. Après l'achat de Price par Abitibi en 1974, on décide d'arrêter un projet de rénovation de $18 millions déjà entrepris par la première compagnie, ce qui démontre peut-être les conséquences de l'intégration d'une compagnie dans une autre ayant des intérêts concentrés dans une autre région.

La compagnie Price était contrôlée par des intérêts étrangers, bien sûr, et avait des capitaux répartis dans beaucoup de régions, incluant le Sud des États-Unis, mais, au moins, Price avait son siège social au Québec et le gros de ses installations y était concentré. Maintenant que Price est absorbé par Abitibi, le centre de décision est rendu à Toronto et les capitaux québécois sont devenus minoritaires dans l'empire. La possibilité de voir les profits engendrés dans une région être transférés dans une autre région ou secteur est encore plus grande quand la compagnie en question a des liens étroits avec des groupes financiers ayant des intérêts diversifiés tels que Power, Argus ou le groupe Rockefeller de New York.

Un tel groupe financier peut en effet exercer son influence pour favoriser l'expansion de certains secteurs aux dépens de certains autres et il se pourrait que ce soit le secteur du papier, en l'occurence, qu'on laisse stagner en rapatriant les profits qui pourraient y être réinvestis pour servir à l'expansion d'industries ou régions favorisées.

Nous n'entreprendrons pas ici un examen de tous les investissements et de toutes les acquisitions des trois groupes financiers mentionnés ci-dessus, mais on a déjà pu voir des exemples de négligence des installations papetières dans le cas de chacun des groupes.

L'intérêt premier des groupes financiers auxquels ces compagnies sont liées, il faut se le rappeler, n'est pas la production des pâtes et papiers, mais la création de profits et l'accumulation du capital.

Si un autre secteur que l'industrie des pâtes et papiers québécoise apparaît temporairement plus alléchant à ces géants financiers, c'est l'industrie papetière québécoise qui sera défavorisée et l'économie québécoise dans son entier qui en souffrira. Cette situation ne changera pas tant que ces sociétés continueront de dominer l'industrie papetière québécoise.

Prévisions pour la production. Avant d'arriver aux propositions pour de nouvelles politiques gouvernementales, nous suggérons d'examiner brièvement les possibilités futures de l'industrie quant à la disponibilité du bois et quant à la progression de la demande. À notre avis, il est important d'éclaircir ces points parce qu'évidemment les politiques gouvernementales ne seront pas les mêmes pour une industrie où les possibilités d'expansion à long terme sont énormes que pour une industrie où toutes les matières premières sont épuisées et la demande en déclin.

Je crois que, dans cette partie, où il y a beaucoup de chiffres, ce qu'on démontre, c'est qu'il n'y a pas de problèmes en ce qui concerne les approvisionnements pour l'industrie et qu'il y a des possibilités d'expansion en conséquence.

Ce qu'on propose. Programme de la CSN pour l'industrie des pâtes et papiers. De tous les problèmes subis par les travailleurs de l'industrie des pâtes et papiers au Québec, celui de l'insécurité d'emploi est ressenti aujourd'hui comme le problème le plus aigu. Évidemment, ce n'est pas seulement dans l'industrie papetière que le travailleur vit constamment sous la crainte de perdre son emploi: L'insécurité de l'emploi est une caractéristique du travail dans une économie capitaliste, et les travailleurs se servent souvent de cette insécurité pour dicter les conditions de travail. Pour le travailleur, sa force de travail est la seule possession qu'il a lui permettant de vivre convenablement, et la possibilité de perdre son emploi pourrait entraîner pour lui une situation désastreuse, surtout quand le niveau de chômage a atteint des

niveaux tels que ceux qu'on connaît actuellement. En juillet 1977, le taux de chômage officiel a atteint 10,3% au Québec.

Mais si l'insécurité de l'emploi caractérise l'économie capitaliste en général, elle est devenue particulièrement manifeste dans l'industrie pape-tière à la suite des politiques de négligence et de refus d'investir pratiquées par la plupart des compagnies. C'est pour cette raison que la CSN, dans son programme pour l'industrie des pâtes et papiers, poursuit comme premier objectif le respect du droit au travail de la classe ouvrière. On recherche ainsi la protection des emplois et des communautés qui dépendent actuellement de l'industrie des pâtes et papiers au Québec.

Nous avons démontré dans le présent mémoire le sérieux de la menace aux emplois et aux communautés que présente actuellement l'état de certaines installations de pâtes et papiers au Québec. Nous avons démontré ensuite que cette situation découle de l'emprise de l'industrie par des sociétés géantes liées aux principaux groupes financiers du continent qui cherchent à agrandir leur emprise sur tous les secteurs de l'économie aux dépens des travailleurs et des ressources naturelles.

Après avoir pillé les forêts et les rivières québécoises pendant de nombreuses années, ces sociétés ont, durant les récentes années, négligé le renouvellement et la modernisation de l'industrie pour arriver aux problèmes qu'on a cités. La CSN considère qu'un développement rationnel de l'industrie des pâtes et papiers qui bénéficierait aux travailleurs québécois ne peut être accompli que par les travailleurs eux-mêmes dans une économie socialiste.

Tout en reconnaissant les limites d'un gouvernement qui ne remet pas en cause le régime capitaliste, nous considérons que le gouvernement actuel est en mesure de prendre des moyens pour favoriser un développement planifié et auto-centré de l'industrie des pâtes et papiers où les profits engendrés dans cette industrie seraient réinvestis dans les régions qui ont été négligées dans le passé. Ceci est le deuxième objectif que nous mettons de l'avant. La CSN propose le programme qui suit comme moyen de poursuivre ces deux objectifs-.

La reprise en main des forêts québécoises par le gouvernement. Nous considérons que c'est une première étape essentielle pour l'État, le propriétaire légal de la plupart des forêts, pour pouvoir planifier l'utilisation des forêts et négocier efficacement avec les compagnies. On recommande aussi la révocation de toutes les concessions forestières accordées aux compagnies et la nationalisation des gros terrains privés, terrains excédant 2000 acres. Le gouvernement, par l'entremise de REXFOR ou d'une nouvelle société proposée ci-dessous, deviendrait l'unique producteur de bois sur les terrains supérieurs à 2000 acres et serait le vendeur exclusif de bois aux compagnies.

La monopolisation des meilleures forêts par des géants du papier donne lieu à de nombreuses situations absurdes dont nous ne donnons ici que quelques exemples: la compagnie Kruger doit trans- porter son bois d'une concession située à 400 milles vers le nord jusqu'à Bromptonville tandis que Domtar et d'autres compagnies détiennent des forêts non exploitées dans les régions environnantes; la CIP qui doit traverser les concessions de la Consol pour expédier son bois de La Trenche au moulin de La Tuque; la scierie Gagnon et Frères, de Roberval, ne peut pas produire, parce que même s'il y a beaucoup de bois disponible, il est entre les mains de la Consol qui détient les limites frontières.

Tous ces cas d'inefficacité et de gaspillage pourraient être corrigés si une régie gouvernementale était l'unique exploitant et l'unique vendeur du bois des forêts publiques. La régie gouvernementale pourrait également mettre fin à la négligence de certaines compagnies qui abusent des forêts publiques en coupant des arbres sans égard au gaspillage du bois non utilisé ou à la détérioration de l'environnement.

L'ancien gouvernement avait déjà entrepris une politique de révocation des concessions forestières, mais le gouvernement actuel est en train de la réexaminer, car il considère que le prix payé pour l'achat des aménagements est trop élevé. Nous appuyons les efforts visant à épargner l'argent des contribuables, surtout dans des circonstances comme celles-ci. Nous trouvons absurde l'idée de payer les compagnies pour des routes qu'elles ont construites afin de profiter des forêts publiques, alors que ces routes n'ont parfois aucune utilité économique immédiate à cause de l'état de dégradation des forêts après leur exploitation par ces compagnies. Nous suggérons, comme formule de remboursement des aménagements, que le gouvernement déduise de leur valeur le coût de reboisement des limites révoquées. Nous sommes convaincus que, dans bon nombre de cas, le gouvernement se verrait obligé de facturer les compagnies, plutôt que de les payer pour les concessions révoquées.

L'établissement d'une caisse de stabilisation de l'emploi. Pour éviter la répétition de situations comme celles que les travailleurs vivent à East-Angus et à Wayagamack et celles qui sont en train de se produire à Windsor et Kénogami, la CSN recommande la mise en place d'une caisse de stabilisation de l'emploi, telle que déjà suggérée par la centrale au Sommet économique de La Malbaie en mai 1977. Tous les employeurs du Québec seraient obligés de contribuer à cette caisse à raison d'un montant par heure-homme travaillée dans leur entreprise et l'argent accumulé servirait à maintenir les revenus des travailleurs touchés par des mises à pied, des fermetures d'usines ou des changements technologiques. Le but principal de cette caisse serait de forcer les compagnies à réinvestir pour maintenir la viabilité des installations. Comme nous l'avons expliqué au Sommet économique, l'organisme administrant la caisse pourrait "évaluer si un employeur investit suffisamment dans le renouvellement de sa machinerie, s'il planifie, en temps utile et en accord avec le syndicat, ses changements technologiques ou s'il réduit inutilement la main-d'oeuvre, compte tenu de son seuil de rentabilité. Les employeurs incompétents

pourraient alors être pénalisés par une hausse de leurs cotisations".

En d'autres mots, un employeur qui menace les emplois de ses travailleurs en négligeant de réinvestir suffisamment de profits se verrait imposer une amende par la caisse. Si les pénalités sont assez élevées, une telle mesure constituerait une incitation suffisante aux employeurs pour qu'ils évitent la dégradation de leurs installations en refusant d'investir. Au Sommet économique, nous avons précisé aussi ce qui suit: "L'organisme, pour s'assurer que l'argent de la caisse ne soit pas dilapidé, devrait avoir les outils de vigilance, c'est-à-dire connaître les livres des employeurs, leurs prévisions afin d'intervenir à temps et réduire au maximum les coûts publics de ces effondrements".

Il serait essentiel, nous l'avons dit dans le cas d'East Angus, que les employeurs soient obligés de rendre disponible à l'organisme et aussi au syndicat directement concerné un bilan financier individuel pour chaque usine leur appartenant. Cette mesure très simple permettrait aux parties intéressées de prévoir le développement de situations comme celle d'East Angus et elle permettrait à la caisse la stabilisation de l'emploi de mieux accomplir son travail.

Loi pour permettre une ordonnance ministérielle en cas d'urgence. Une fois mis en place et en fonction, l'organisme suggéré au point 2 pourrait éviter la répétition de situations comme celles qu'on connaît à East Angus, à Wayagamack et à d'autres endroits. Mais en attendant que ce programme ait ces effets incitatifs qu'on souhaite, plusieurs cas d'urgence se présentent et, en effet, nécessitent une intervention immédiate. Nous proposons donc que le gouvernement adopte dans les plus brefs délais une loi qui comporterait les dispositions suivantes: a) quand une compagnie avise le gouvernement de son intention de diminuer l'emploi total d'au moins dix personnes, le ministre de l'Industrie et du Commerce serait engagé à faire une enquête publique sur la situation de l'entreprise, enquête où l'entreprise serait obligée de divulguer les renseignements nécessaires. Aucune réduction du personnel ne serait permise avant que l'enquête soit complétée. b) sur la base de l'enquête, le cabinet des ministres peut ordonner à une compagnie de continuer la production et de maintenir ses employés à leur emploi pour une période déterminée ou, si une fermeture ou réduction d'emploi est autorisée, ordonner à la compagnie de payer une compensation adéquate aux employés mis à pied. Avec une telle loi, on aurait l'assurance que les fermetures complètes ou partielles ne seraient pas entreprises unilatéralement par l'employeur sans que les travailleurs et le public soient le moindrement au courant des circonstances qui motivent une fermeture.

Là où les dégâts sociaux et économiques seraient trop graves pour permettre à la compagnie d'agir de la façon dont elle l'entend, le gouvernement aurait le droit d'empêcher temporairement la fermeture ou, au moins, de faire assumer une partie des coûts sociaux par l'employeur en le forçant à payer une compensation aux travailleurs affectés.

La mise en place d'une société d'exploitation forestière. La CSN considère que le gouvernement québécois devrait s'impliquer plus énergiquement dans l'industrie des pâtes et papiers à tous ses niveaux si on veut modifier la situation de négligence et le développement anarchique qui caractérise l'industrie sous la domination des sociétés papetières privées. Nous pensons qu'une société d'État, dont les responsabilités relèveraient du gouvernement provincial plutôt que d'un complexe financier multinational, serait plus susceptible de se comporter de façon à ce qu'elle réinvestisse régulièrement les profits générés par les usines et qu'elle tienne compte des coûts sociaux de ses activités. La société d'exploitation aurait les fonctions suivantes: a) Elle pourrait se charger des fonctions décrites dans la première recommandation au sujet de la récolte et de la vente du bois, fonctions qui, autrement, seraient accomplies par Rexfor. Cette société serait donc l'unique producteur de bois au Québec, sauf sur les terrains privés inférieurs à 2000 acres. Elle serait aussi l'unique vendeur de bois au Québec, même pour celui provenant des terrains privés dont les propriétaires vendraient le bois à la société publique qui, à son tour, alimenterait les entreprises utilisatrices. Cette méthode de vente de bois éviterait, à notre avis, la concurrence destructrice entre plusieurs petits propriétaires pour obtenir un contrat de bois d'une grosse société de papier, cette dernière étant, en définitive, la seule bénéficiaire de cette concurrence.

La répartition de la production du bois entre celle de la société publique et celle provenant d'achats de petits propriétaires privés est une question délicate que la Société d'exploitation forestière doit trancher. Nous croyons que le premier objectif de la société d'État devrait être de préserver les emplois des travailleurs forestiers pour qui ce travail est généralement la seule source de revenu. On constate, par ailleurs, que les propriétaires de petits terrains privés sont des agriculteurs, pour la plupart, et qu'ils sont obligés de vendre du bois pour boucler leur budget. En effet, le piètre état de l'agriculture au Québec depuis quelques années a entraîné une surexploitation de plusieurs petits terrains, surexploitation qui mènera inévitablement à un épuisement de ces forêts. Nous déplorons l'état actuel de l'agriculture qui force les agriculteurs à couper plus de bois que les limites naturelles permissibles et nous suggérons au gouvernement de prendre des initiatives pour permettre aux agriculteurs de vivre convenablement de leur vocation première, l'agriculture.

Nous proposons, ensuite, que la Société d'exploitation forestière travaille à l'uniformisation du coût du bois à travers le Québec. Le bois étant une ressource naturelle comme l'électricité, une telle politique serait conforme aux pratiques déjà adoptées dans cet autre secteur étatisé. L'objectif de cette politique serait d'éviter que les usines plus vieilles, situées dans le sud de la province, ne

soient pénalisées par rapport aux nouvelles qui s'établissent dans les régions vierges du nord. Nous croyons que les coûts sociaux importants qu'impliquent de nouvelles usines dans le nord (routes, écoles, hôpitaux, services publics, etc.) justifient pleinement une telle politique d'uniformisation du coût du bois. b) Le rôle primordial de la Société d'exploitation forestière serait sa participation dans de nouveaux projets de fabrication et de transformation des pâtes et papiers. Dans certaines circonstances, il pourrait s'avérer favorable que la société d'État s'engage dans des projets conjointement avec les sociétés privées de façon à pouvoir bénéficier de l'expérience de la technologie de ces sociétés. Cependant, nous croyons fermement que la société d'État devrait toujours être majoritaire dans de tels projets conjoints. Les pratiques de négligence et les refus d'investir que nous avons cités dans le présent mémoire découlent de la fonction même des sociétés papetières privées, intégrées comme elles le sont dans des complexes financiers dont les intérêts dépassent le secteur du papier. De telles pratiques risquent de se répéter, même dans des projets où le gouvernement serait présent à titre minoritaire, parce que le pouvoir de prendre des décisions importantes resterait entre les mains de la société privée. Dans des projets de fabrication contrôlés par la société d'exploitation forestière et dont les autorités répondraient aux élus du peuple, nous croyons qu'il y aurait une forte tendance de voir l'entreprise adopter des pratiques tenant compte de ses responsabilités sociales.

Nous n'avons pas besoin d'expliquer notre opposition complète à toute forme de subvention à l'entreprise privée afin d'inciter celle-ci à se comporter d'une façon plus responsable. Si les entreprises, de par leur comportement, infligent des coûts sociaux au peuple, c'est à l'entreprise d'en assumer les coûts et non aux contribuables. Refuser des subventions, cela veut dire également ne pas accorder aux entreprises participantes aux projets conjoints avec le gouvernement une part des bénéfices supérieure à la part du capital total mise dans le projet. c) La société d'exploitation forestière aurait aussi comme rôle d'examiner les possibilités de nationalisation des usines existantes et d'effectuer des rationalisations sur l'ordre du gouvernement. Quant à nous, il n'est pas question que la société publique agisse comme dépanneur des sociétés privées en reprenant des usines délabrées que celles-ci veulent abandonner, en laissant ainsi leurs responsabilités sociales à la charge de l'État. Deux critères doivent orienter la société d'exploitation forestière en matière de nationalisation: 1) Les installations en question — il peut s'agir d'une usine ou de l'ensemble des opérations québécoises d'une compagnie — démontrent une viabilité économique et complètent les autres installations appartenant à la société d'exploitation forestière; 2) l'entreprise propriétaire des installations en question a systématiquement délaissé ses responsabilités sociales envers les travailleurs et envers la population. Nous croyons que le deuxième cri- tère s'applique facilement à la plupart des firmes présentes dans l'industrie des pâtes et papiers au Québec.

Pour ce qui est des moyens financiers pour accomplir les points b) et c), la CSN a déjà fait des propositions concrètes lors du sommet économique, propositions qui permettraient à l'État de récupérer les épargnes des citoyens qui servent présentement les intérêts des multinationales. Comme la CSN l'a dit, à ce moment-là, actuellement nous empruntons souvent sur les marchés financiers notre propre argent qui a été drainé à l'extérieur du Québec et nous payons des intérêts aux capitalistes locaux ou étrangers. En exigeant que les épargnes, comme les fonds de retraite privés et les primes d'assurance soient versés à la Caisse de dépôt, le gouvernement aurait accès à d'amples ressources pour effectuer les projets recommandés ici sans avoir besoin de quêter sur les marchés financiers de New York.

L'autre rôle important de la société d'exploitation forestière serait de faire la mise en marché des produits forestiers québécois. Son objectif serait évidemment de rechercher de nouveaux marchés que les géants du papier n'ont jamais explorés sérieusement. L'expérience de la société Kru-ger, une jeune compagnie qui réussit à vendre beaucoup plus de papier qu'elle n'en fabrique, démontre les possibilités pour une société ayant une politique de vente dynamique. Une régie de mise en marché, d'ailleurs, a déjà été proposée par le gouvernement précédent et nous avons l'impression que le gouvernement actuel y est favorable aussi.

Nous croyons, cependant, que la mise en marché de la société d'État doit surtout être intégrée avec la production qu'elle a entreprise, c'est-à-dire mettre en marché ses propres produits. Nous insistons sur ce point parce que, si la société d'État faisait uniquement la mise en marché des produits venant d'autres sociétés, elle ne pourrait jamais compter sur des approvisionnements stables puisque les autres serviraient d'abord leurs propres clients et ne voudraient verser à la société d'État que les surplus de production. Pour réussir à percer dans de nouveaux marchés, il est impérieux pour la société d'exploitation forestière de disposer de ressources d'approvisionnement fiables qu'elle contrôlerait. Les points 1, 2, 3 et 4 constituent les éléments majeurs du programme pour l'industrie des pâtes et papiers proposé par la CSN. Les recommandations qui suivent ajoutent à ces points: L'établissement d'un comité consultatif de la politique forestière, des projets d'aménagement et de sylviculture pour développer des activités de loisirs en forêt, la création d'un institut de recherches forestières, l'application des normes de pollution, de santé et de sécurité au travail.

Cette dernière question, je pense qu'il est important qu'on la développe. C'est prioritaire pour nous, à la CSN. La question de l'application de normes établies par le gouvernement québécois concernant les émissions polluantes et préconisant la santé et la sécurité au travail est souvent mise en relief dans le cas de vieilles usines de pâ-

tes et papiers. À l'usine de Domtar à Windsor, par exemple, le syndicat a demandé, aux dernières négociations, que des améliorations soient effectuées dans l'usine afin de diminuer les dangers pour la santé et la sécurité des employés, dangers qui se présentent, selon un rapport du ministère du Travail, à cause de l'état détérioré de la machinerie utilisée. Malgré le fait que l'état de l'usine a déjà entraîné des morts et des blessures graves, la compagnie a répondu aux demandes du syndicat que, si on maintenait ces demandes, l'usine serait fermée.

Un chantage semblable est pratiqué par des compagnies qui veulent éviter de se conformer aux normes de pollution, normes qui sont connues depuis plusieurs années déjà et pour l'application desquelles le gouvernement a déjà accordé plusieurs années de délai. Si on est obligé d'appliquer les normes de pollution, disent les compagnies, on va fermer. À East Angus, la même compagnie Domtar a posé comme exigence de ne pas fermer, entre autres exigences, que le syndicat l'appuie dans ses démarches auprès du gouvernement pour avoir le droit de continuer à empoisonner la population. Évidemment, le syndicat s'est opposé à cette exigence ainsi qu'à d'autres conditions que la compagnie voulait imposer.

Nous croyons que le problème de la pollution venant des usines de pâtes et papiers ainsi que les dangers pour la santé et la sécurité des travailleurs sont intimement reliés au problème fondamental de l'industrie souligné dans le présent mémoire, soit le refus des compagnies d'investir dans le maintien et la modernisation des usines.

Nous croyons donc que les propositions mises de l'avant par la CSN, pour forcer un réinvestissement des profits dans les usines, régleraient ainsi une grande partie des problèmes de la pollution et des dangers pour la vie des travailleurs. Une usine plus moderne est à la fois plus productive, moins polluante et moins dangereuse pour ceux qui y travaillent. En même temps, nous nous opposons fermement à tout marchandage de la santé et de la vie des travailleurs ou de la pollution en général, contre le mieux-être financier des compagnies de pâtes et papiers. Ainsi, la CSN exige l'application sans aucun délai additionnel des normes légales de pollution, de sécurité et de santé dans les usines et dans les forêts.

Considérant que notre devoir est de faire respecter les droits des travailleurs de l'industrie des pâtes et papiers et considérant la façon avec laquelle ces droits ont été violés par les sociétés pa-petières, les propositions que nous mettons de l'avant reflètent une modération considérable. D'autre part nous revendiquons des mesures législatives pour limiter les pratiques anti-sociales des compagnies papetières, pratiques ayant pour effet de négliger et ensuite de fermer des entreprises qui constituent la base et les richesses naturelles locales pendant des générations. D'autre part, nous proposons un rôle plus actif de l'État pour l'industrie, ce qui semble rencontrer certains objectifs du nouveau gouvernement, et, pour ce qui est du point 8, nous demandons tout simplement l'application des lois déjà en vigueur.

Ces mesures ne régleront pas, évidemment, tous les problèmes de nos membres, les travailleurs de l'industrie. Même si des mesures législatives peuvent empêcher des fermetures subites, elles n'arrêteront pas d'autres formes d'exploitation que les travailleurs doivent combattre au niveau du lieu de travail en luttant pour des meilleures conditions de santé et de sécurité, une amélioration des salaires et d'autres conditions de travail. Si une société d'État prend une place importante dans l'industrie, comme nous le proposons, ces problèmes d'exploitation doivent être combattus de la même façon. Nous ne constatons pas que les sociétés d'État comme Rexfor, où les travailleurs forestiers connaissent six mois de chômage par année, tout comme les employés des compagnies privées, ont mieux respecté le droit des travailleurs jusqu'à présent. La CSN entend mener les efforts de ses membres, de combattre l'exploitation capitaliste au lieu de travail, tout en insistant sur l'adoption des mesures législatives qui mettront fin aux pratiques les plus abusives des entreprises privées.

Nous ferons remarquer que ce mémoire a été préparé en consultation et en collaboration avec les travailleurs que nous représentons. Pour ce qui reste en annexe, je pense, on va demander au président de la fédération, de parler de la situation de East Angus. C'est un cas qui est urgent, c'est un cas sur lequel on ne voudrait pas avoir des déclarations annonçant la fermeture. Alors, on aimerait entendre le porte-parole, le président de la fédération.

M. Cantin (Georges): M. le Président, je ne vous lirai pas tout le mémoire de East Angus, parce que le temps est avancé, il est déjà 16 h 20, on voudrait que le monde pose des questions; alors je vais vous lire le préambule, la vraie situation à East Angus, et je vous donnerai les grands titres de ce qui se passe à East Angus dans le moment et après cela on pourra passer aux questions.

Le 16 juin 1977, la CSN et le Syndicat national des travailleurs de la pulpe et du papier de East Angus et le Syndicat des employés de bureau de East Angus rencontraient le ministre Yves Bérubé pour lui faire part tant de leurs inquiétudes en rapport avec la fermeture éventuelle de l'usine Domtar, à East Angus, que des réelles possibilités de continuer la production à East Angus. Ce que nous allons dire ici, et sans doute ce qui est le plus lassant, est en grande partie déjà connu du ministre. Cela est déjà connu aussi de la compagnie Domtar, les chiffres précis, les coûts, les détails, Domtar les a dans ses dossiers depuis longtemps. Il y a donc là déjà une première matière à scandale: le secret dont s'est entourée et continue de s'entourer la compagnie Domtar, comme d'ailleurs les autres entreprises du secteur des pâtes et papiers, est inacceptable. Ces compagnies pensent planifier leur croissance et, c'est le cas actuel, leur fermeture, sans le moins du monde être inquiétées par des regards qu'elles jugeraient — quel scandale, encore une fois — indiscrets. Car au Québec et à East Angus en parti-

culier, il est indiscret de savoir quels sont les profits réels de l'usine; il est indiscret de savoir à l'avance si la ville de East Angus vivra ou non; il est indiscret pour les travailleurs de connaître au jour le jour, l'état réel de l'entreprise qu'ils font vivre par leur travail.

Nous voici donc en commission parlementaire pour vous redire ce que Domtar et le gouvernement savent déjà sans doute; pour vous dire à vous, membres de la commission, et à la population, que les travailleurs de East Angus et la CSN n'acceptent pas cette situation. Si la compagnie Domtar met en effet sa menace du 6 mai 1977 de fermer son usine à East Angus, nous savons que ce sera une fermeture odieuse, planifiée, décidée, voulue et non pas forcée.

Et autre scandale, même si nous réussissons à percer une partie du secret, quelle garantie les travailleurs d'East Angus ont-ils? Qui contrôle leur avenir? Tel est le scandale permanent du contrôle du développement par des entreprises privées qui n'ont de comptes à rendre à personne. L'objectif pour East Angus, par exemple, n'est pas de faire de la pâte et du papier, mais de faire de l'argent le plus possible sans faire de réinvestissement raisonnable. Les conséquences d'une éventuelle fermeture — vous l'avez vu dans le mémoire présenté, c'est plus détaillé dans ce mémoire — des milliers d'emplois en moins. C'est un autre titre à l'intérieur du mémoire. J'espère que les membres de la commission vont le lire.

Il y a une fermeture préméditée. On raconte l'historique de la fermeture. On raconte ce qu'ont fait la CSN et la fédération du papier, lors de la grève de 1968, à Windsor et à East Angus, ce qui est arrivé là-dedans. Il en a été question tout à l'heure aussi avec un certain ministre Gosselin qui nous a fait une bonne bataille là-dedans, qui nous a fait une bonne lutte favorisant la compagnie. On relate aussi l'historique d'un certain 14 octobre. Vous allez voir là-dedans l'historique du mémoire qu'on a préparé en 1970. Ensuite, on a "225 travailleurs confirment". C'est une enquête qui a été faite dans tous les départements, parmi 225 travailleurs qui confirment la négligence de la compagnie, la négligence et l'incompétence des cadres.

Vous allez voir là-dedans des achats faits par la compagnie dont une fournaise à recouvrement qui n'a jamais donné de réelle production et qui n'a jamais donné ce qu'elle devait donner, qui a été même mise à l'abandon en cours de route. Vous verrez aussi une installation des "nozzles" comme on les appelle en bon français. Les gars disent cela dans leurs propres mots. Vous verrez aussi un système antipollution qui n'a jamais fonctionné. L'incompétence érigée en système, vous pourrez lire cela. On ne vous donnera pas tous les détails, parce que le temps manque.

L'incompétence des cadres. On aurait pu ajouter d'autres choses là-dedans, parce que le gérant du personnel à Domtar d'East Angus a été pour s'engager pour la même compagnie à Donnacona, Domtar, et il a été refusé.

On n'a pas eu le temps de l'écrire. Cela a été fait après. Les travailleurs, lorsqu'ils parlent de l'incompétence des cadres, ne se trompent pas, puisque la compagnie Domtar elle-même n'engage même pas ses propres employés. Vous verrez aussi là-dedans des rapports de la Commission des accidents du travail à savoir que les accidents ont dépassé la moyenne des accidents établis à l'intérieur de l'industrie du papier au Québec, à East Angus. Tout ce que nous disons là-dedans pour nous autres: Un engagement légal pour continuer la production; le maintien de l'usine. Attendez, on va essayer de se retrouver. Comment nous prétendons que l'usine d'East Angus pourrait rouvrir ses portes et être capable de continuer.

D'abord, l'installation d'une nouvelle fournaise à recouvrement d'une capacité d'au moins 450 tonnes par jour ou de 140 400 tonnes par année. Augmenter la capacité des lessiveuses à pâte, ainsi que les accessoires en conséquence de cette augmentation de production. Aménager une salle de contrôle adéquate et moderne pour les moulins à pâtes. Environ un coût de $30 millions.

Augmenter la capacité des bouilloires actuelles et réaménager l'installation de celles-ci afin d'en améliorer l'efficacité et, s'il le faut, en installer une nouvelle de bonne qualité, $300 000. Augmenter la vitesse de la machine no 3 en y installant une table de treillis moderne, en y installant au bout humide un système de presses modernes et plus efficaces, en installant des roulements à billes antifriction sur la chaîne de séchoir, en modernisant son système de commande et en installant un système hydraulique sur l'embobineuse primaire au lieu du système à l'air qui s'y trouve, en augmentant la vitesse de son embobineuse secondaire, environ $4 millions.

Enfin, certains autres détails moins coûteux devraient être faits, ce qui permettrait d'augmenter sa vistese d'environ 33%, donc d'augmenter sa productivité d'autant. Quatrièmement, augmenter la vitesse de la machine no 4 en modifiant sa "head box" et en y installant un système de siphon, de section plus efficace et en modifiant légèrement son système de commande, en modernisant son système de contrôle, en rendant son système de ventilation plus efficace, ainsi que son système de séchage de feutre. Coût: environ $1,5 million.

La machine no 1, qui est la plus ancienne et la plus petite machine, pourrait aussi augmenter sa vitesse maximum de 600 pieds minute à 800 pieds avec une nouvelle "head box" ainsi qu'une nouvelle embobineuse en passant par un système pour enfiler la feuille. Coût, environ $1 million.

Quant à la machine à carton, un nouveau système de "lay boy", dispositif qui sert à recevoir les feuilles et à les empiler automatiquement, améliorerait sûrement son opération, ainsi qu'un système de roulement antifriction sur ses séchoirs et un système d'enroulement du carton. Coût, environ $2 millions.

Quant aux départements de service, comme les départements des broyeurs, les départements de finition, etc., il est sûr que des améliorations seraient bienvenues; les coûts de ces améliorations ne sont pas énormes, mais nécessaires.

En résumé, nous pensons que l'investissement immédiat et nécessaire peut être de l'ordre

de $40 millions, en incluant $3 millions pour l'amélioration du système électrique et la manutention du bois pour placer l'usine sur un plan très avantageusement compétitif. On nous informe aussi que pour $40 millions supplémentaires toute l'usine pourrait être reconstruite de façon plus rationnelle, regroupée d'un même côté de la rivière sur des terrains que Domtar possède déjà. On est loin, très loin des $300 millions nécessaires actuellement pour la construction d'une usine neuve. Tout cela, Domtar le sait et le gouvernement le sait. Nous demandons que Domtar continue de faire fonctionner son usine à East Angus. Domtar a pris nos forêts, nos rivières, notre sueur au travail; nous voulons la sécurité d'emploi, notre ville et notre avenir. Nous disons non à l'assurance-chômage et à l'assistance sociale.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci, M. Morin et les autres membres de la CSN. J'inviterais maintenant le député du Lac-Saint-Jean à prendre la parole.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier la CSN, de même que la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt d'avoir bien voulu accepter de présenter leur point de vue à cette commission sur l'industrie des pâtes et papiers. Je félicite en même temps M. Morin pour sa performance remarquable de lecteur. Je ne pense pas qu'on puisse vous reprocher de ne pas être clairs sur les objectifs que l'État devrait poursuivre et atteindre dans le secteur des pâtes et papiers. Il me paraît évident que vous souhaiteriez, au fond, la nationalisation complète de tout le secteur des pâtes et papiers au Québec, mais que, comme moindre mal, vous vous rabattez, à court terme, sur la prise en charge par l'État non seulement des forêts et de leur exploitation, mais aussi de la mise en marché des produits forestiers québécois, de sorte que c'est l'État qui contrôlerait le stade primaire du processus par l'exploitation des forêts et le stade final aussi, soit la commercialisation des produits forestiers par l'intermédiaire d'une société d'exploitation forestière.

Ceci étant dit, vous identifiez le faible taux de productivité, dû à des investissements insuffisants de la part des entreprises des pâtes et papiers au Québec, comme étant un facteur déterminant qui explique les difficultés actuelles de l'industrie ou du secteur des pâtes et papiers au Québec. C'est à ce sujet que je voudrais poser ma première question au représentant de la CSN. Vous savez très bien que, si on procède, au Québec, à une modernisation de l'industrie des pâtes et papiers, aussi bien au niveau de la mise en place d'équipements nouveaux que de l'introduction de technologies nouvelles, cela va nécessairement entraîner des réductions de personnel. Or, votre mémoire est muet, silencieux sur ce phénomène quasiment, à mon avis, inévitable de réduction de personnel dans le cas de modernisation de l'industrie.

Vous parlez de réduction de personnel dans le cas de sous-investissement ou d'absence d'investissements et vous faites certaines recommandations, entre autres, la caisse de stabilisation de l'emploi, mais c'est dans le cas où les entreprises n'ont pas investi, où il y a eu sous-investissement. Dans le cas où il y aurait des investissements massifs, c'est-à-dire dans le cas où l'industrie s'engagerait dans l'application d'un plan de modernisation du secteur des pâtes et papiers, comment votre centrale et votre fédération se comporteraient-elles devant un plan de modernisation qui entraînerait d'une façon presque inévitable des réductions de personnel, des réductions de main-d'oeuvre? Quelle serait votre attitude? Est-ce que ce serait une attitude d'opposition systématique ou de collaboration avec l'entreprise et l'État pour résoudre les problèmes au niveau de la main-d'oeuvre qui résulteraient de l'application d'un plan de modernisation? En d'autres termes, vous ne semblez pas prendre conscience,' ou en tout cas, cela ne paraît pas dans votre mémoire, qu'en réclamant une plus grande productivité de l'industrie des pâtes et papiers au Québec, et donc des investissements majeurs dans ce secteur, cela risque d'affecter le nombre, non seulement cela risque mais cela va affecter le nombre de travailleurs dans cette industrie. Comment allez-vous réagir? Ce serait ma première question.

M. Morin (Jean-Guy): II est clair pour nous qu'avoir des investissements et augmenter la productivité n'amène pas nécessairement des mises à pied, une diminution de main-d'oeuvre. Dans le secteur des pâtes et papiers, on est au niveau international, on est au niveau mondial en ce qui concerne la possibilité de prendre des marchés. C'est pour cela qu'une de nos propositions devient si importante: que le gouvernement ait eu main mise en marché des produits fabriqués. La demande mondiale a toujours augmenté, dans ce secteur. Il y a des fluctuations économiques temporaires qui, comme on l'a démontré, sont voulues aussi par l'industrie afin de pouvoir augmenter les prix, même si on est dans une période qui n'est pas très favorable au niveau économique.

La demande mondiale étant toujours croissante, c'est un des secteurs, dans la plupart des industries, qui sont favorisés. Une des raisons pourquoi, au Québec, on pourrait subir des mises à pied, c'est si on demeure captif du marché américain seulement. Si on va sur d'autres marchés internationaux, on est capable de faire des investissements, d'avoir une productivité plus grande et, en même temps, augmenter l'emploi dans ce secteur. Certaines compagnies m'ont déjà affirmé, personnellement, qu'elles refusaient certaines commandes de certains clients parce que les machines à papier existantes n'étaient pas assez grosses, n'étaient pas assez grandes, n'avaient pas assez de vitesse, ne produisaient pas assez. Et les compagnies se sont toujours référées aux marchés américains et aux États-Unis dès qu'elles n'ont pas besoin de nous ou qu'elles ont des problèmes chez elles. Elles ne prennent pas leurs commandes ici, au Québec, elles se servent elles-mêmes chez elles, tandis que si on était sur d'autres marchés, si on pouvait faire l'équilibre dans ces marchés, je pense qu'on n'aurait pas les problèmes que vous mentionnez.

M. Brassard: Si je comprends bien, vous prétendez qu'une modernisation de l'industrie, une amélioration de la productivité au niveau de l'industrie des pâtes et papiers permettrait à celle-ci d'occuper des marchés nouveaux, donc d'accroître substantiellement ses ventes, ce qui lui permettrait de maintenir à tout le moins le niveau de l'emploi, même en se modernisant. C'est cela, en fait.

M. Morin (Jean-Guy): Et même l'augmenter.

M. Brassard: II y a une partie importante de votre mémoire qui porte sur la monopolisation assez poussée dans le secteur des pâtes et papiers, et vous affirmez que cette monopolisation, d'ailleurs, constitue la caractéristique principale de l'industrie des pâtes et papiers au Québec. Vous parlez des quatre grands, entre autres, qui contrôlent plus de 70% de la production dans ce secteur.

Dans notre région, je veux parler du Saguenay-Lac-Saint-Jean, nous avons vécu, il y a quelques années déjà, une phase qu'on pourrait qualifier, je pense, de capitale, cette monopolisation, cette concentration dans le secteur des pâtes et papiers, par l'achat de Price, des installations de Price au Québec, dont la majorité se retrouve dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, par Abitibi Paper. Le Parti québécois avait réclamé, à ce moment-là, jusqu'à l'élection du 15 novembre, une commission parlementaire pour connaître à fond les conséquences de cette transaction au Québec. Le ministre actuel a, en quelque sorte, répondu, il faut dire, à cette demande, à cette revendication en élargissant cependant le mandat de la commission.

Malheureusement, je dois dire qu'il n'y a que la compagnie Abitibi Price qui traite assez en détail de ce problème-là et de cette transaction et qui expose, on le comprendra facilement, ce qu'elle considère, elle, comme étant des avantages. Dans son mémoire, que la compagnieie déposera dans quinze jours, on peut dire que dans son mémoire, en tout cas, elle considère comme très avantageuse cette transaction, cette vente de Price à Abitibi.

Moi j'aurais aimé que les syndicats, et j'espérais que cela se produise ainsi, en tout cas les syndicats de la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt du Saguenay-Lac-Saint-Jean dévoilent à la commission et à ses membres une autre facette de cette transaction. Je ne pense pas qu'on puisse demander à la compagnie Abitibi Price de dévoiler cette facette-là. Et malheureusement vous ne faites qu'effleurer ce problème à quelques occasions, dans votre mémoire.

Alors, cela amène ma deuxième question, cela explique ma deuxième question: quelles sont selon vous, les conséquences néfastes, pour les travailleurs, pour l'économie québécoise, de cette transaction, de cette prise en main, par Abitibi, de Price, au Québec? Pour ce qui est des travailleurs et de leur organisation syndicale, est-ce que vous vous êtes rendu compte d'un déplacement du centre de décision, au sein du complexe Abitibi-Price? Est-ce qu'au niveau des travailleurs, au niveau des syndicats, vous avez perçu, d'une façon néfaste, désavantageuse, le déplacement du centre de décisions vers Toronto? Est-ce que, selon vous, cela a eu des effets néfastes en ce qui concerne les investissements prévus par Price, en particulier dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, au Québec? Est-ce qu'au niveau des relations patronales-ouvrières vous avez constaté, comme je me suis laissé dire que c'était le cas, des changements assez profonds, assez importants, dans le style de négociation? Vous venez à peine de négocier une convention collective, les travailleurs de Price dans la région, est-ce que vous avez constaté des changements fondamentaux dans le style de négociations Price et dans ses méthodes de négociations, bref des changements dans son comportement au niveau des relations patronales-ouvrières?

Moi j'aurais aimé que l'on retrouve un peu cela dans votre mémoire, c'est pour cela que je vous pose la question verbalement.

M. Morin (Jean-Guy): Sur ce point-là, dans la convocation qu'on a eue nous informant de la tenue d'une commission parlementaire, il n'apparaissait pas qu'il était question de cette fusion Abitibi-Price. Alors on a dit l'objet de la commission parlementaire actuellement, fort probable, ne doit pas toucher à cela ou ce sera dans un autre temps. Alors cela a été une des premières raisons qui nous ont amenés à ne pas nous pencher plus directement sur ce problème.

Sauf que ce qu'on met dans le mémoire qui représente l'ensemble de l'industrie et le fait qu'il y a eu des fusions de cette façon et les conséquences que cela a et les intérêts qui jouent vont autant pour Abitibi-Price que pour les autres qui sont dedans. D'accord, on ne touche pas de façon plus élaborée la question d'Abitibi-Price parce que, dans notre convocation, il n'était pas question de cela. Vous demandez quelles sont les conséquences néfastes pour l'économie québécoise; il est clair qu'il faut regarder toute l'opération. Il y a eu des échanges là-dedans et il y a des contrôles qui se font et les pouvoirs de décision sont beaucoup moins au Québec, avec Abitibi, qu'ils ne l'étaient avec Price.

On a pu constater ce déplacement de centres de décision même localement, à l'intérieur de l'usine. Les travailleurs nous ont rapporté que, même pour toute demande de réparation qui exigeait certains investissements en haut d'un certain chiffre, ils étaient obligés de communiquer à Toronto pour avoir ces décisions. C'était dans l'opération courante, au jour le jour. Les effets néfastes: II y avait des projets d'investissements qui étaient annoncés par la compagnie Price et qui étaient dus depuis plusieurs années. Depuis le fait qu'il y a eu la fusion, ces investissements ne se sont pas réalisés et la compagnie n'a pas encore dit si elle était pour en faire ou pas.

Dans les relations patronales-ouvrières, il est très clair que cela a amené des changements. On avait eu déjà une grève avec la compagnie Price; suite au règlement de cette grève, la compagnie avait dit: On comprend ce que vous voulez comme

groupe et quelle est votre orientation dans les relations patronales-ouvrières et dans les conditions de travail. On croyait qu'à la négociation suivante, qui a été la dernière, nous nous rencontrerions sur la base de ce qu'on avait décidé lors du règlement de la première grève. Cela a été tout le contraire. On s'est frappé à une position de la compagnie... enlever des droits acquis tels que l'indexation. Il y avait une clause d'indemnité de licenciement, etc. Il y a eu la grève et il y a eu menace de fermeture si les gens ne voulaient pas régler aux conditions imposées par la compagnie.

Il est clair que les relations, actuellement, avec la compagnie sont très difficiles parce que les pouvoirs de décision ne sont pas au Québec, ils sont en Ontario.

M. Brassard: Est-ce que vous voulez dire que cette menace de supprimer certains droits acquis au cours de la négociation est une conséquence du regroupement Abitibi-Price? En quel sens affirmez-vous cela? Les conditions de travail des travailleurs dans le complexe Abitibi étaient moins bonnes que chez Price et il y a une volonté d'uniformisation?

M. Morin (Jean-Guy): C'est cela. Avec la compagnie Price, on avait établi, comme j'ai dit, lors de la première grève, certaines conditions de travail. La compagnie avait dit: Oui on comprend, c'est vers cela que vous vous orientez. Quand Abitibi a pris le contrôle, elle avait une autre position et elle avait une autre orientation au niveau de ce qu'elle donnerait comme conditions de travail aux travailleurs. Elle a mis cela en pratique. Cela a été complètement à l'encontre de ce qu'on avait réglé, sur ce qu'on s'était entendu lors de la première grève avec Price.

M. Brassard: Je voudrais simplement préciser à M. Morin que, dans la déclaration ministérielle du ministre des Terres et Forêts sur le thème des impacts sur la société, la question 6-2, on disait quelles sont les conséquences des regroupements d'entreprises et on donnait en exemple Abitibi-Price. Donc, vous auriez pu, je pense, en parler un peu plus en détail.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. D'abord je voudrais remercier M. Morin et le groupe de la CSN, de la fédération qu'ils représentent, pour le mémoire qu'ils déposent aujourd'hui. Celui-ci témoigne d'une étude approfondie de la question et, dans plusieurs de ses aspects, il est très intéressant. M. le Président, j'avais plusieurs questions à formuler, je vais quand même me limiter à seulement quelques-unes, en raison du temps limité que nous avons.

M. Morin, je tiens à vous remercier, parce que c'est certainement une démarche très positive que d'en arriver à des recommandations précises. On doit dire que, jusqu'à maintenant, vous êtes les premiers à avoir fourni des recommandations pré- cises. Somme toute, à l'analyse du document que vous déposez, vous préconisez une nationalisation des entreprises au Québec. Quant à la production, en termes de marché, nous sommes largement tributaires des marchés étrangers, particulièrement des marchés américains et canadiens. Ne croyez-vous pas qu'une nationalisation des entreprises impliquerait des réinvestissements majeurs des compagnies nationalisées ou expropriées, peu importe le terme qu'on utilise, et que cela pourrait éventuellement venir couper nos propres marchés de l'industrie québécoise?

Dans un premier temps, c'est la question que j'ai à vous formuler. J'aimerais bien avoir vos commentaires sur cette possibilité, à la lueur des pourcentages qui ont été cités abondamment depuis le début des travaux de cette commission en ce qui a trait aux marchés étrangers et au fort pourcentage de notre production qui est vendue à l'extérieur et du Québec et du Canada?

M. Morin (Jean-Guy): II y a un premier point, on ne propose pas la nationalisation de toute l'industrie des pâtes et papiers. On dit qu'en ce qui concerne les forêts cela nous appartient, cela appartient déjà à l'État, cela appartient au peuple et on doit le contrôler. Tout ce qu'on dit c'est qu'on est d'accord avec la position du gouvernement qu'on ne doit pas payer pour cela. Si on fait un bilan, là on va demander que les compagnies payent pour le reboisement des forêts qu'elles n'ont pas fait; elles ont une responsabilité. On pense qu'en faisant cela les compagnies vont être obligées de payer pour remettre les forêts. Alors, cela n'est pas nationalisé, c'est déjà quelque chose qui nous appartient.

En ce qui concerne la partie des ventes, la mise en marché, c'est un moyen qu'on dit qu'il faut se donner, parce qu'on est dépendant du marché américain. Si l'on veut réellement prendre les marchés et ne pas se retrouver dans le problème qui avait été souligné que, si on augmente la productivité, on va avoir des mises à pied, il faut aller sur des marchés que nous on a intérêt, comme Québécois, à prendre et que les compagnies, elles, n'ont pas intérêt à prendre. Mais on n'a pas nationalisé grand-chose en faisant cela. L'autre point, en ce qui concerne l'industrie même, on sait que les compagnies, dans leurs démarches, ce qu'elles veulent, ce sont des subventions, c'est qu'on leur donne de l'argent, mais qu'on ne se badre pas de la façon dont cela fonctionne en dedans. Nous, on dit: Si on est obligé, dans la situation actuelle — on est un régime nord-américain — de mettre de l'argent là-dedans, de l'argent de la population, que le gouvernement y soit majoritaire. S'il est minoritaire, il ne pourra pas prendre les décisions qu'il doit prendre.

Alors, il faut qu'il devienne majoritaire, quand on met de l'argent là-dedans. Puis on ne veut pas que le gouvernement soit mis dans la situation de prendre seulement les usines qui sont désuètes aussi. Cela est facile, quand ça n'a pas fonctionné, de les remettre entre les mains du gouvernement et de dire: Placez de l'argent là-dedans. Puis là on fait la démonstration que, parce que c'est le gou-

vernement qui s'en occupe, ce n'est pas rentable. On a vu cela trop souvent. Les compagnies, on sait bien qu'elles n'accepteront pas de gaieté de coeur de prendre soin des intérêts de la population. Si elles ne veulent pas fonctionner là-dedans, si elles veulent remettre à la population seulement les usines qui sont désuètes, on doit aller beaucoup plus loin; on va prendre aussi les usines qui sont payantes, pas seulement celles qui ne sont pas payantes. Cela c'est la démarche qu'on propose.

M. Pagé: D'accord. Somme toute, vous dites: Premièrement, révocation des concessions forestières immédiatement, meilleure gestion des forêts par le gouvernement et participation du gouvernement du Québec au niveau de la mise en marché. À quelques reprises déjà, depuis l'élection du nouveau gouvernement, on a entendu parler de nationalisation. Iriez-vous jusqu'à dire que le gouvernement devrait prendre l'initiative, suite à une nationalisation ou autre dans une partie du secteur, d'agir pour avoir un secteur témoin, un secteur qui pourrait témoigner des prix, des marchés, des conditions de travail, etc.? Iriez-vous jusque-là?

M. Morin (Jean-Guy): Oui.

M. Pagé: D'accord. Au début et tout au long de votre mémoire vous faites état de problèmes sociaux engendrés par la fermeture d'usines. On a eu l'exemple de East Angus, on a celui de la Wayagamack, on a plusieurs exemples actuellement. Vous avez des recommandations précises et particulières, entre autres, l'établissement d'une caisse de stabilisation de l'emploi et l'adoption d'une loi qui permettrait une ordonnance ministérielle. Avez-vous envisagé d'autres possibilités dont le gouvernement pourrait se doter pour agir dans de plus brefs délais ou de façon plus particulière lorsqu'on rencontre, en tant que collectivité, des problèmes comme ceux-là? Personnellement, je souscris à cela; ayant beaucoup d'usines de pâtes et papiers dans mon comté, je suis en mesure de saisir toute l'importance que revêt l'existence d'une usine dans des cas comme East Angus, par exemple, où la fermeture entraîne un problème social qui se reflète sur toute la région.

Croyez-vous d'une part, que des efforts autres que ceux proposés pourraient être mis de l'avant par le gouvernement? D'autre part, vous formulez le voeu, somme toute, que l'entreprise privée et le gouvernement s'associent dans des démarches particulières pour sauvegarder les usines dans les régions. Le deuxième volet de ma question serait celui-ci: En quoi les employés sont-ils disposés à s'associer à toute démarche visant à sauvegarder les entreprises dans ces régions en plus des démarches faites par les compagnies et par le gouvernement?

M. Morin (Jean-Guy): Quant à la question de la possibilité de faire d'autres efforts, il s'agirait de savoir lesquels. Des expériences ont été vécues, l'expérience Tembec, l'expérience Cabano; il y en a eu une dans le bout de Kingsey Falls aussi il y a quelques années. Ce type d'opération, où les travailleurs investissent d'une façon ou de l'autre, soit en acceptant des conditions de travail moindres que les autres ou en investissant de l'argent directement, n'a pas donné aux travailleurs ce qu'ils voulaient. Il est bien clair que dans un système nord-américain capitaliste, ce genre d'opération n'a pas de chance de réussir. Certains intérêts vont mettre la main sur cela, malgré tous les efforts qui auront été faits, et cela servira les intérêts de quelques-uns encore, seulement. Cela n'assure pas automatiquement la survie à long terme de ces entreprises ou d'autres entreprises. Pour nous, ce n'est pas une voie vers laquelle on se dirige. Ce qui nous préoccupe actuellement, c'est le droit au travail, c'est la façon dont on peut respecter ce droit. Quant à l'autogestion ou à la gestion des entreprises, si on était dans un système d'autogestion, je pense qu'on aurait d'autres suggestions à faire, mais dans le système actuel, je ne pense pas qu'on puisse s'embarquer dans un système d'autogestion où c'est récupéré, pris par quelques groupes qui ramassent tous les profits alors que d'autres ont fait tous les sacrifices.

M. Pagé: Vous avez attaché, dans votre mémoire, beaucoup d'importance à la productivité en alléguant que les compagnies auraient dû réinvestir une large part des profits dans l'équipement.

Croyez-vous que cette question soit l'élément principal, ou encore le seul élément, qui fait que nos prix ou le coût de production n'est plus concurrentiel actuellement?

M. Morin (Jean-Guy): II y a certains points qu'on a soulevés sur les coûts où se situaient les vrais problèmes, comme le coût du transport du bois. On avait fait toute une analyse lors de la présentation de mémoires dans le passé, sous l'autre gouvernement, concernant les politiques forestières. En conséquence, beaucoup de monde était arrivé à la conclusion que c'est le coût du transport du bois qui était le problème majeur dans la question du coût du bois, et cela était l'effet des coupes à blanc et que le bois était éloigné.

Au niveau du coût de la main-d'oeuvre, si j'ai bien entendu ce qui s'est passé un peu ce matin, il est clair que ce qu'on donne, ce sont des taux de salaires comparables. On peut prendre les hauts et on peut prendre les bas, et on peut faire une bataille de chiffres assez longue ici. Un des critères sur lesquels on peut se baser dans l'industrie privée, c'est le coût de la main-d'oeuvre par unité de production, sauf que, comme il est démontré à bien des places dans le mémoire et comme vous le savez, vous autres aussi, ce n'est pas l'intention des compagnies d'administrer de façon transparente. Tout est secret et elles vous l'ont dit ce matin; il n'est pas possible de sortir certaines données, c'est leur thèse, c'est cela. Mais devant cela, on n'est pas capable d'obtenir les renseignements réels pour faire des comparaisons valables; mais on sait, par exemple, que le problème de l'industrie des pâtes et papiers n'est pas une question de coût de main-d'oeuvre. Quand, ce matin, on a

mentionné le fait que cela représente 33%, je peux vous dire que selon Jes connaissances que j'ai, moi aussi...

M. Pagé: 35%!

M. Morin (Jean-Guy): ... c'est 35%. On n'est pas pour se contredire pour 2% mais, en tout cas, 35%. Il y a assez longtemps que je suis dans ce secteur, les chiffres que j'avais, quand on était en négociation, on parlait du coût de la main-d'oeuvre par unité de production et c'était plutôt de 16%. Cela dépend sur quoi on se base et quelle sorte de chiffres on prend pour faire nos relevés, mais quand on vient dire qu'il y a 35% et on ajoute les 15% de la main-d'oeuvre dans le coût du bois, ce qui monte à 50%, si on augmente le coût de la main-d'oeuvre par rapport à la machinerie pour additionner un coût, le coût de la main-d'oeuvre par rapport à l'énergie, par rapport aux bâtisses, au transport, on va se réveiller à plus de 100% du coût de la main-d'oeuvre. Je comprends que si on veut pousser à l'extrême pour démontrer que c'est le coût de la main-d'oeuvre qui est le problème de l'industrie, on va se réveiller avec ces données. Cela peut peut-être démontrer, par exemple, l'importance de la main-d'oeuvre dans tout le processus, et ce n'est pas lui qui reçoit les bénéfices de ce qui se produit. Je pense que cela fait cette démonstration; mais ce n'est pas le coût de la main-d'oeuvre. Au niveau de la productivité, il est bien clair que quand vous êtes dans une situation et dans le système où on est actuellement, vous produisez, et ce que vous faites n'est pas productif, vous êtes dans un état de concurrence dans lequel vous n'êtes pas capable d'arriver. Et ce qui est bien démontré, c'est que le fait qu'il n'y a pas eu d'investissements, c'est que la productivité a diminué. Cela prend absolument des investissements pour remettre l'industrie où elle doit être.

M. Pagé: Dans les coûts de production, vous faites état du coût élevé du transport. Je pense que tout le monde y souscrit et tout le monde accepte ce postulat. Dans les dernières recommandations que vous avez formulées, celles relatives à l'environnement, vous dites accepter les mesures mises de l'avant par le gouvernement du Québec au chapitre des normes qui sont édictées ou qui pourraient être édictées et qui visent à protéger l'environnement. À ce moment-là, quelle est la position de votre organisme sur le flottage du bois?

M. Morin (Jean-Guy): Sur le flottage du bois, cela a été la même position de notre part, étant donné que cela a comme conséquence de polluer, cela doit être arrêté. Dans le temps, quand des recherches et des études avaient été faites à savoir si on devait arrêter le flottage du bois dans certains endroits, on avait clairement démontré que le flottage du bois n'était pas moins dispendieux que le transport par camion parce qu'il y a beaucoup de perte dans le flottage du bois.

Il y a des endroits où on a vidé des rivières et on s'est rendu compte qu'il y avait plusieurs pieds de bois dans le fond des rivières. Quelqu'un avait été payé pour couper ce bois qui avait été transporté pour une certaine partie, mais il s'en trouvait aussi au fond de l'eau. Cela ne se rendait pas et il se perdait un peu du potentiel de nos forêts, qui s'en allait au fond des rivières, au lieu d'être utilisé pour les fins pour lesquelles on le coupait.

Si on fait du reboisement, aujourd'hui, cela ne prendra pas cinquante ans, parce que les billes utilisées au niveau de l'industrie des pâtes et papiers sont beaucoup plus petites qu'anciennement. On peut dire que, d'ici 25 ou 30 ans, le reboisement sera fait.

Si vous l'avez entendu ce matin, quelqu'un a dit: Si on fait du camionnage jusqu'à telle distance, on n'a pas besoin de penser au flottage du bois. On va plutôt choisir le camionnage, parce que cela coûte moins cher.

M. Pagé: Vous soucrivez à la politique du gouvernement du Québec de cesser le flottage du bois?

Ma dernière question est relative et spécifique au cas d'East Angus. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en faire état, d'en formuler le voeu, dans la déclaration de l'Opposition officielle. J'espérais que cette commission pourrait, dans un premier temps, avec des problèmes immédiats comme ceux de la Wayagamack et d'East Angus, apporter l'ébauche d'une solution particulière à ces deux cas, en outre de jeter la base des solutions qui peuvent être envisagées à long terme pour l'ensemble du problème.

C'est simplement une question que je vous adresse, quitte à ce que M. le ministre puisse y ajouter ses commentaires. La Tribune de Sherbrooke, du lundi 26 septembre 1977, dit, en manchette: "L'usine sauvée à East Angus. Lévesque parle d'un plan général de modernisation à la Domtar et ce, suite aux délibérations du conseil national du parti qui forme le gouvernement, en fin de semaine, dans la région de Sherbrooke".

J'aimerais savoir, d'une part, si votre syndicat a été consulté sur cette question, s'il a été informé, et comment cela pourra se traduire concrètement dans les faits.

M. Morin (Jean-Guy): On a su cette nouvelle comme bien du monde, en lisant le journal, quelqu'un nous a apporté le journal, on l'a lu. On dit que c'est sauvé, mais on ne dit pas comment. Le syndicat n'a pas été consulté; nous non plus. On ne sait pas comment non plus cela va se réaliser.

M. Pagé: M. le Président, je ne sais pas si vous me permettrez une question à M. le ministre, je suis pas mal certain qu'il me la permettra et que mes collègues me la permettront. Étant donné l'importance du sujet, j'espère que cette déclaration n'a pas été faite dans l'enthousiasme d'une présence du gouvernement dans la région. J'aimerais peut-être avoir des détails supplémentaires de la part de M. le ministre.

M. Bérubé: Nous sommes toujours enthousiastes. À voir d'ailleurs les résultats des sonda-

ges, nous devenons de plus en plus enthousiastes...

M. Pagé: Sur la loi 101, celle-là? Est-ce du sondage sur la loi 101 que vous faites état?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bérubé: Vous regarderez la première page du Montréal-Matin.

Je pense que non, il est beaucoup trop tôt pour que le gouvernement se prononce. Comme vous le voyez d'ailleurs, c'est le résultat de la commission parlementaire actuelle. Il existe une volonté du gouvernement d'intervenir dans le secteur de l'industrie des pâtes et papiers, et cette volonté se traduit, au départ, par une réflexion qui a eu cours à l'intérieur du gouvernement, qui, maintenant, débouche sur une confrontation avec les intervenants et qui aboutira finalement à des décisions gouvernementales. Je laisserai le gouvernement prendre des décisions nécessaires.

M. Pagé: À long terme, tout cela. Mais, concrètement, à East Angus, la nouvelle dit: "Usine sauvée. Le premier ministre Lévesque..." et on cite sa déclaration. Encore là, vous pourrez peut-être dire que c'est la faute des journalistes. M. Lévesque aurait déclaré: Celle-là, nous avons réussi à la sauver, en parlant de l'usine d'East Angus.

M. Bérubé: J'évite de commenter les déclarations des journalistes.

M. Pagé: Ce n'est pas un cadeau.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Pagé: Merci, M. le Président.

M. Grenier: M. le Président, je voudrais remercier M. Morin et la CSN du mémoire présenté ici cet après-midi. Il était attendu, inutile de vous le dire. Je pense que la présentation de votre mémoire est tout à fait correcte et dans l'esprit que vous avez l'habitude de le faire aux différentes commissions parlementaires, puisque vous présentez, en général, des mémoires qui collent à des réalités bien précises. S'il en est un, c'est bien celui que vous présentez aujourd'hui. Je veux vous en remercier. Tout, dans cette déclaration, m'a intéressé mais, vous vous attendez à cela, évidemment, la partie qui m'a davantage intéressé, comme député, c'est la partie qui porte sur l'usine d'East Angus, qui est dans ma circonscription électorale.

Je suis peut-être plus sensible à ce problème, puisque je le vis plus intensément et j'aimerais vous rappeler que, lors de l'annonce de la fermeture de cette usine, je me suis personnellement rendu rencontrer la direction de l'usine pour, ensuite, rencontrer le syndicat local et, ensuite, les autorités de la municipalité d'East Angus. Ensuite, a éclos de ces rencontres la formation du comité ad hoc qui témoignera devant cette commission au cours de la deuxième semaine d'octobre. Nous serons, bien sûr, plus largement informés après le dépôt du mémoire de la Domtar, qui viendra au cours de la deuxième semaine d'octobre, et celui du comité ad hoc dont j'ai d'ailleurs pris connaissance et qui, sur plusieurs points, ressemble étrangement au mémoire qui nous est présenté aujourd'hui par le syndicat. Je pense qu'il y avait de vos représentants qui ont très bien travaillé à l'autre comité. On se rendra compte qu'il y a des recommandations qui sont tellement semblables qu'il serait difficile qu'elles ne soient pas acceptées du gouvernement.

Évidemment, la déclaration qui a été commentée tout à l'heure par le député, personnellement, ne me surprend pas. On est habitué ici à ces sortes de déclarations. Le premier ministre nous dit une chose et le ministre, après, dit: Ce n'est pas tout à fait sûr que cela va être comme cela. Cela fait quelques-unes qu'on vit. Pour East Angus, je demanderais au gouvernement de faire un peu ce que j'ai fait et d'être prudent dans ses déclarations. C'est de nature à créer des appétits ou à encourager les gens. Quand ils sont trop encouragés par certains, recevoir une douche, cela fait d'autant plus mal. Dans une même entrevue, le premier ministre déclare que la question est réglée, que celle-là ne fermera pas. Je pense que le journaliste est de bonne foi; c'est exclusif à laTribune. Il dit: "Pas celle-là; nous avons réussi à la sauver. Nous avons préparé un plan général de modernisation et de rationalisation. ' C'est bien clair. C'est cité entre guillemets. C'est le premier ministre qui le déclare. Tout de suite après, on a rencontré le ministre des Terres et Forêts dans un autre corridor ou dans le même, et M. Bérubé, à la veille de la commission parlementaire sur l'industrie québécoise des pâtes et papiers, a toutefois été plus avare de précisions. Je cite l'article du journal: "Selon l'évaluation faite — et je pense que c'est assez pondéré — par nos fonctionnaires, a-t-il confié, il y a une possibilité de solution dans le cas de l'usine Domtar, à East-Angus, vu le potentiel forestier de la région. La solution que nous envisageons engloberait à la fois Domtar et East-Angus. Il est trop tôt pour dire s'il s'agit de modernisation ou de construction nouvelle. De toute façon, selon nos rapports, il est possible d'avoir une industrie forestière rentable dans l'Estrie." C'était là la citation du ministre.

M. Bérubé: Bonne citation.

M. Grenier: Oui, excellente. Je vous félicite, à part cela. Elle est pondérée. Elle va dans l'esprit de celles que vous faites régulièrement, sauf que celle du premier ministre n'est pas dans le même sens. Le premier ministre nous dit que c'est réglé, qu'elle ne fermera pas et que c'est un plan de rationalisation. C'est peut-être celle-là qui est délicate. J'aimerais bien que les ministres aient une rencontre, avant de rencontrer les journalistes, pour dire à peu près la même chose. On s'attend que les ministres vont déclarer la même chose,

surtout quand c'est le premier ministre. Pour moi, je ne m'en fais pas, après avoir siégé autour de cette table sur la loi 101 et avoir entendu le premier ministre dire: On va être humain et on va être correct, et le ministre dire après: Non, on n'a pas envie de l'être, on a été habitué à ces réponses qui n'étaient souvent pas les mêmes, dépendant du ministre qui la faisait.

J'ai travaillé dans ce dossier avec beaucoup de gens qui sont de l'autre côté et beaucoup d'autres qui viendront. J'ai toujours voulu ne pas politiser le dossier de la Domtar et le ministre, je pense bien, en sait quelque chose. Les discussions qui auraient pu l'être, on les a faites au moyen de rencontres personnelles. Les questions que j'ai posées en Chambre n'étaient jamais des questions à caractère politique, mais bien des questions pour informer la Chambre et informer les gens du milieu d'East Angus principalement, tant du comité ad hoc que du comité syndical. Vos réponses étaient toujours dans l'attente de cette commission. Aujourd'hui, nous sommes à cette commission.

Nous allons poser une couple de questions aux gens qui sont là. Bien sûr, à la toute fin de la commission, on tâchera de faire vérifier cet article pour voir si on se dirige vers quelque chose de sérieux pour East Angus. M. Morin, sur votre mémoire qui est bien, j'aimerais quand même avoir une précision. Est-ce que vous entendez bien?

Du côté des salaires à East Angus, est-ce que, d'après vous, c'est assez régulier dans le domaine des pâtes et papiers? Est-ce comparable avec d'autres?

M. Morin (Jean-Guy): Ils sont plus bas qu'ailleurs.

M. Grenier: Ils sont plus bas qu'ailleurs.

M. Morin (Jean-Guy): C'est clair et regardez, on le dit dans notre mémoire pour d'autres situations aux États-Unis. Généralement, là où les salaires d'une industrie étaient plus bas que pour le reste du secteur, normalement, c'est toujours une industrie où on a eu, après, des problèmes de fermeture.

M. Grenier: Très brièvement, il y a un autre chiffre qui nous a été donné ce matin dans un mémoire qui a été présenté ici par l'association des industries et qui nous parle de $270 000 par tonne par jour pour la construction de nouvelles usines. Est-ce que vous trouvez que c'est un chiffre raisonnable, d'après vous, un chiffre réaliste?

M. Morin (Jean-Guy): II faudrait examiner leurs chiffres; on n'a pas eu ces mémoires. Prendre ces chiffres et vous dire si c'est valable ou non, c'est plus compliqué.

M. Grenier: C'est plus compliqué. J'aimerais ça quand même...

M. Morin (Jean-Guy): II y aurait les sources à vérifier aussi.

M. Grenier: Oui. Une autre question. Vous parlez de nationalisation du secteur. Il semble, d'après les chiffres que nous avons ici, qu'on absorbe, au Québec, 6,3% de notre production en 1976, si ces chiffres sont exacts. Je sais qu'on peut jouer sur les chiffres. Est-ce qu'en nationalisant ce serait possible de régler le problème de la concurrence qui va quand même rester bien présent, même après la nationalisation, et qui sera peut-être plus aigu à ce moment-là?

M. Morin (Jean-Guy): Je ne pense pas que la concurrence soit une question de nationalisation ou pas. Je sais bien qu'au niveau de l'électricité on peut faire concurrence à pas mal de monde et aller en vendre à d'autres, à des coûts bien meilleurs que ce qui est produit ailleurs dans l'industrie privée. Pour nous, il faut que le gouvernement intervienne, parce que ce sont des compagnies qui utilisent nos richesses naturelles. Elles n'utilisent pas seulement la forêt; elles utilisent l'électricité et elles utilisent l'eau. Il y a beaucoup d'eau utilisée dans les usines à papier. Elles les utilisent à leurs fins personnelles. C'est clair. Je pense qu'on n'a pas à "questionner" ça; c'est comme ça que ça se passe. On dit que le gouvernement doit intervenir de façon que nos richesses naturelles servent au bien de la population et non au bien de l'entreprise privée et de quelques personnes qui mettent de l'argent dans leur poche.

M. Grenier: Merci. Le monsieur qui est là, est-ce qu'on l'a présenté comme quelqu'un capable de répondre à nos questions?

M. Morin (Jean-Guy): Le président?

M. Grenier: Alors, je vais prendre le monsieur là-bas. Le président est-il à la table aussi? M. Té-treault. Le premier ministre dit dans l'article que c'est un problème de rationalisation et M. le ministre Bérubé dit que c'est peut-être un problème de modernisation. D'après vous, est-ce que c'est plus de la modernisation qu'il faut faire à East Angus que de la rationalisation?

M. Cantin: Bien sûr qu'à East Angus il s'agit d'une modernisation complète de l'usine. Dans le mémoire d'East Angus qu'on n'a pas détaillé à cause du manque de temps, vous allez vous apercevoir que c'est une modernisation complète de l'usine. Mais la compagnie dit qu'à l'intérieur, à cause du vieillissement de l'usine, elle ne peut pas moderniser. Quand on sait que Kruqer est allée chercher une machine jumelle, la no 3 — vous allez voir ça dans le mémoire, on donne l'exemple — qu'elle l'a transportée à Bromptonville, elle a modernisé et aujourd'hui, dans l'industrie du papier, Kruger est un des plus gros vendeurs de papier. Elle est obligée d'aller chercher son bois au lac Relique. Prendre un char de bois au lac Relique pour le descendre à Bromptonville, ça prend une semaine exactement de transport.

Quand Kruger est capable de produire et de faire de l'argent, il est sûr qu'à East Angus, c'est une modernisation complète de l'usine qu'il faut à

l'intérieur et non pas une fermeture d'usine, comme ça se fait dans le moment. Il y a possibilité de la moderniser.

M. Grenier: On parle de mises à pied; tout tourne autour de 570 personnes environ directement impliquées dans la compagnie, comme on le sait. Cela impliquerait combien d'autres personnes en secondaire, d'après vous, à East Angus; les mises à pied de combien de personnes au total? Est-ce que ça doit dépasser 1000 personnes?

M. Cantln: 2000 employés dans la région d'East Angus sont touchés directement et indirectement.

Dans l'Estrie au complet, pas seulement à East Angus, dans l'Estrie, il y a des usines où on fournit la chaux à l'intérieur et des usines qui fournissent des produits secondaires, des produits chimiques. Toutes ces compagnies seront touchées automatiquement et les autres usines connexes, comme Domtar Packaging où ils font des sacs en papier. Je n'ai pas l'impression que cela va rester longtemps. On a entendu dire qu'il y avait une vente, mais il n'y a rien d'officiel. Je n'ai rien eu d'officiel encore. Mais Domtar c'est encore une autre usine qui va être affectée, à East Angus.

M. Grenier: Est-ce que vos 2000 comprennent les personnes travaillant en forêt pour la compagnie?

M. Cantin: Oui.

M. Grenier: Je ne veux pas parler plus longtemps, je vois qu'on dépasse l'heure. En terminant, vous dites: Nous voulons la sécurité d'emploi, notre ville et notre avenir. Nous ne voulons pas être des assistés sociaux et des gens sur l'assurance-chômage. Je voudrais bien que votre voix soit entendue par le gouvernement puisque je pense que c'est là que nous allons trouver des éléments de solution. Nous aurons certainement l'avantage de lire d'autres mémoires qui viendront d'East Angus. J'ai eu l'avantage de rencontrer votre syndicat avant le dépôt du mémoire, de même que le comité ad hoc. J'ai demandé à ces gens de continuer leur travail ensuite afin de diversifier, dans une ville comme celle-là, pour que cela ne devienne pas, comme vous le dites dans votre mémoire, une autre ville fantôme comme on en a connu une dans la région du Lac-Saint-Jean. Je vous remercie, M. le Président.

M. Cantin: J'aimerais ajouter quelque chose. Nous ne voulons pas être des assistés sociaux, comme je l'ai dit tout à l'heure, et nous ne voulons pas non plus d'une annonce comme celle que le ministre Bérubé a faite à Wayagamack selon laquelle l'usine sera fermée. On ne veut pas avoir de ces commissionnaires-là non plus.

M. Grenier: Le ministre du travail sera chez vous jeudi après-midi.

Une voix: Cela ne nous dérange pas.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Trois dernières interventions, le temps est déjà écoulé, trois dernières interventions très brèves, le député de Champlain, le député de Charlevoix et le ministre des Terres et Forêts.

M. Gagnon: Mon intervention est très brève. Je voudrais souhaiter bonne chance aux ouvriers d'East Angus. On sait que j'ai eu le même problème dans le comté de Champlain avec l'usine de Wayagamack. On a travaillé très fort pour essayer de la sauver, mais malheureusement on a appris qu'elle doit fermer. J'espère que vous aurez plus de chance. De toute apparence, cela semble tourner mieux pour vous. Votre rapport me plaît beaucoup parce que vous avez touché des points... J'ai travaillé avec un comité de citoyens pour essayer de sauver la Wayagamack et il y a beaucoup de points que vous touchez dans le rapport et que j'endosse certainement. Il n'y a qu'une chose que j'aurais souhaitée, c'est que vous mentionniez ce qu'on doit faire, à moyen et à long terme, poure redonner à l'industrie des pâtes et papiers la place qu'elle doit avoir au Québec. J'aurais aimé voir, dans votre intervention, un moyen à court terme à suggérer au gouvernement, pour qu'on puisse sauver des usines, et à ce moment-là, j'aurais espéré encore un peu pour la Wayagamack. Merci.

M. Morin (Jean-Guy): On dit qu'à court terme, il faut que le gouvernement passe une loi pour régler ces problèmes-là.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Charlevoix.

M. Mailloux: M. Morin, mes questions seront très courtes. Je veux d'abord vous féliciter pour la teneur de votre mémoire. Je pense que le but que vous souhaitez, sauvegarder les emplois de tous les travailleurs qui s'occupent des pâtes et papiers, est parfaitement louable. Vous faites certaines suggestions: reprise des concessions, que ce soit l'État qui soit le seul dépositaire de l'ensemble des approvisionnements, caisse de stabilisation et autres, modernisation des usines.

Je voudrais revenir sur un point que vient de toucher mon collègue, ici à ma gauche. Advenant que, pour une raison ou une autre, le gouvernement ne réussisse pas à convaincre les compagnies d'aller dans le sens que vous espérez et qu'il faille nationaliser. Vous avez vous-même fait le portrait des intérêts financiers qui sont à l'intérieur des compagnies qui viennent devant la commission parlementaire aujourd'hui. Les ramifications financières viennent des États-Unis, de l'Ontario, d'autres provinces canadiennes, du Québec. Tantôt mon collègue disait qu'effectivement nous ne consommons que 6,3% de la production des pâtes et papiers. Devant le portrait des financiers qui sont autour de ces intérêts, croyez-vous, malgré la réponse partielle que vous avez donnée tantôt selon laquelle l'électricité pouvant être vendue au gouvernement du Québec à meilleur marché s'il devenait possesseur de certaines de ces usines,

que les rivières lui appartiennent, que le bois lui appartienne et qu'il puisse mettre en marché du papier à meilleur compte que d'autres compagnies, devant la faible consommation du Québec, non pas d'un Québec séparé mais d'un Québec qui doit vendre à l'extérieur, aux provinces canadiennes ou sur le marché américain, pensez-vous que ces mêmes intérêts que vous avez décrits— je ne mets pas en doute votre description — permettraient, avec toute la finance et les contrôles dont ils disposent, que les pâtes et papiers continuent d'être un des éléments principaux des positions dont nos travailleurs ont besoin?

Est-ce que vous pensez que ce serait possible de nationaliser et d'arriver à une concurrence quelconque avec ces gens, avec notre faible consommation?

M. Morin (Jean-Guy): La question que vous posez peut ouvrir un très grand débat. Nous autres, on reste convaincus que quand les entreprises ont besoin de quelque chose, elles sont prêtes à négocier et à accepter certaines conditions. Il y a d'autres intérêts dans le monde qui ont aussi besoin de papier. Ce ne sont pas simplement les Américains qui en ont besoin. Ces autres intérêts peuvent être aussi puissants, parce que c'est un rapport de force. C'est bien clair, ce que vous dites. Le fait que les compagnies sont géantes et monopolisées, que c'est un système capitaliste et qu'il y a un gros rapport de force, on est obligé de se soumettre à eux, non. On peut peut-être établir un autre rapport de force. À ce moment, je pense que les compagnies, indépendamment de leurs rapports de force, si on est capable d'avoir d'autres personnes, d'autres gens qui sont intéressés à avoir ce qu'on produit, elles vont se protéger parce qu'elles tiennent à avoir ce qu'on a aussi. Cela ne me pose pas de crainte, le fait que le gouvernement intervienne dans l'intérêt de la population plutôt que dans l'intérêt de certains groupes financiers.

M. Mailloux: II faut quand même convenir que même dans les pays sous-développés actuellement, même en Afrique, on commence à faire certaines mises en place pour une autosuffisance. Les pays Scandinaves ont déjà envahi le marché européen qu'on pourrait convoiter.

J'aurais une suggestion à faire en terminant, si la commission le permet. Étant donné que les usines de pâtes et papiers sont, comme à East Angus, comme à Donnacona, comme à Windsor, dans certaines villes, petites ou moyennes, du Québec, les seuls moteurs de l'économie, quand le moteur arrête, toute la vie sociale et économique vient de se terminer. Ce sont des villes fantômes qu'on vient de créer. Je pourrais peut-être faire mon mea culpa, comme ex-membre d'un cabinet. Est-ce que le gouvernement ne devrait pas, dans un premier temps, dans toutes les usines qui ne sont que le seul moteur d'une ville, se pencher d'abord sur ces usines, regarder l'état de l'équipement et voir s'il y a un danger de fermeture dans la décennie qui s'en vient. Cela peut être dans l'année qui s'en vient, mais aussi dans la décennie qui s'en vient. Qu'une usine ferme à Trois-Rivières, cela peut être dramatique, il y a quand même d'autres industries qui peuvent employer les gens qui sont mis à pied. Qu'on ferme à Beaupré, qu'on ferme à Donnacona, qu'on ferme à Clermont, la vie vient de disparaître comme elle va disparaître à East Angus si cela ferme. Je pense que, dans un premier temps, de concert avec les compagnies, avec les syndicats, le gouvernement devrait voir, dans ces villes qui deviendraient des villes fantômes, s'il y a un danger que, dans les prochaines années, la vie économique et sociale soit complètement disparue.

M. Morin (Jean-Guy): D'ailleurs, dans la proposition qu'on fait de la caisse de stabilisation de l'emploi, une des conditions qu'on met là-dedans, c'est qu'on ait l'information. Que les employeurs, usine par usine, dévoilent les renseignements afin de prévenir, afin de voir ce qui s'en vient, de voir l'état actuel et de voir vers quoi cela s'en va. Dans le cas d'East Angus, ce n'est pas compliqué, ce qui s est passé, et Windsor non plus. On ne voudrait pas que le gouvernement bâtisse un autre moulin dans la région là-bas et ferme East Angus-Windsor et qu'on se ramasse avec 500 emplois, mais avec 1000 mises à pied. Cela a déjà été un projet de la compagnie. Le problème s'est soulevé dans le temps quand la compagnie a investi à Quévillon. Cela a coûté $100 millions. Nous autres, notre position, à ce moment, c'était peut-être de prendre $25 millions dans le temps, peut-être $15 millions à East Angus et $25 millions à Windsor, et d'investir là — il n'y avait pas d'autres coûts sociaux, les écoles, les services publics étaient déjà en place — au lieu d'aller à Quévillon. Je pense bien que Domtar regrette son péché, regrette sa décision d'aller à Quévillon. Elle a même congédié son président, à cette occasion. Elle n'a pas fait cela pour rien.

Ce qu'elle a fait là, au point de vue social, ce n'était pas la solution, elle aurait été mieux d'investir les sommes où les profits avaient été générés et où les travailleurs avaient fait cet argent. Cela n'aurait pas privé le monde de Quévillon de pouvoir travailler en coupant du bois qui était nécessaire pour ces usines.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Une dernière intervention, M. le ministre.

M. Marcoux: J'invoque le règlement, M. le Président. Compte tenu de l'importance du mémoire et qu'il reste, de toute façon, à peine 20 ou 25 minutes, je proposerais aux membres de la commission que l'on continue de poser des questions durant une dizaine ou une quinzaine de minutes avant de céder la parole au ministre. Je pense que tous vont le reconnaître, ceux qui ont regardé le mémoire; compte tenu du temps qui a dû être mis pour la préparation de ce mémoire et de la qualité du mémoire, je pense que cela peut justifier qu'on dépasse, de 15 ou 20 minutes, le temps alloué à ce mémoire. En tout cas, person-

nellement, j'aurais quelques questions; mon collègue d'Abitibi-Ouest, également, a des questions.

M. Pagé: Si ces interventions ou ces questions peuvent bonifier le débat et peut-être apporter des éléments de solution à ce que les travailleurs vivent actuellement, notamment dans le cas d'East Angus, on y souscrit; il n'y a pas de problème, on peut filer jusqu'à 18 heures avec le dossier de la CSN, quant à nous.

M. Grenier: M. le Président, je pense que dans le contexte actuel je serais bien malvenu de dire qu'il faut couper le temps, surtout quand on voit l'importance du problème à East Angus. Je pense qu'on devrait peut-être se servir de cette dernière demi-heure pour voir d'autres éléments de solution qui pourraient nous venir de l'autre côté de la barre. Alors, bien sûr, on a mon consentement.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je pense que l'intervention du député de Rimouski n'avait pour but que de lui permettre de poser une question. Je dois vous dire que nous avons dépassé notre temps de 15 à 20 minutes. Je comprends que tous les partis politiques sont d'accord pour accorder cette autorisation; il n'en reste pas moins que nous avons 30 mémoires à étudier et, de consentement unanime, tous les partis politiques ont accordé deux heures à chaque intervenant. À ce stade-ci, je permets une question au député de Rimouski, et je pense que c'était le but de son intervention. Après, une dernière intervention du ministre. Par la suite, nous demanderons au Conseil des hommes d'affaires québécois de venir présenter son mémoire. M. le député de Rimouski.

M. Marcoux: Remarquez qu'il est sûr qu'il n'y avait pas de cachette dans le fait que je sois intéressé au prolongement, mais j'ai également un de mes collègues qui avait la même intention.

Une remarque avant de vous poser une question. Vous faites la démonstration que ce n'est pas le fait que les salaires soient élevés, au Québec, qui est la cause des problèmes de l'industrie des pâtes et papiers; je pense que, en quelques pages à peine, vous défendez bien votre point de vue. Ce sont les entreprises les plus productives et les mieux équipées, les plus modernisées qui paient les meilleurs salaires, c'est-à-dire que le fait d'avoir de bons salaires est un indice de productivité. Si les salaires étaient encore plus élevés, ce serait un indice, de façon générale, de meilleur équipement au niveau de l'économie quoique, dans un cas praticulier, cela peut être mauvais que des salaires soient beaucoup en dehors d'une certaine grille. Mais, de façon générale, ce que vous soutenez se défend très bien comme façon de voir le progrès d'une économie.

La question que je voudrais vous poser est la suivante: Le ministre indiquait, au début de la commission que l'un des objectifs de la commission parlementaire était, autant que possible, d'aboutir à une concertation entre le gouvernement, les syndicats et les industries, sur l'avenir des pâtes et papiers. Vous avez abordé chaque cas au sujet de l'avenir de l'allocation du bois, au niveau de l'équipement, de la modernisation, au niveau de la conquête des marchés, etc. Voici ce que j'aimerais savoir. Vous étiez probablement là, j'ai posé la question aux représentants de l'association des industries, cet avant-midi. J'aimerais vous voir préciser un aspect de votre mémoire; vous l'abordez, vous dites que vous souhaitez la création d'un conseil semblable au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre qui réunirait chacune des parties impliquées. Cela est une réponse sur la structure que vous voyez pour atteindre ou à travers laquelle pourrait s'exprimer cette concertation. Mais j'aimerais savoir jusqu'où, d'après vous, pourrait ou devrait aller cette concertation, en répondant particulièrement aux questions suivantes: Verriez-vous d'un bon oeil ou pensez-vous qu'il serait possible, du côté des syndicats, de participer à une concertation qui impliquerait une entente entre le gouvernement, les entreprises et les syndicats, sur des échéanciers de modernisation d'entreprises, de fermetures?

Là où il y a de la vie au plan économique, il y a des disparitions d'emploi et des créations d'emploi. L'insécurité industrielle, ce que vous appelez les changements, ou les disparitions d'emploi, les créations d'emploi, vous dites que c'est lié au système capitaliste. Il y a au moins une bonne partie de cela qui est liée au système industriel lui-même. Il y a peut-être des caractéristiques supplémentaires liées au système capitaliste, mais il y a certainement des caractéristiques liées au système industriel.

Seriez-vous d'accord pour aboutir à une espèce d'échéancier sur ces modernisations, lorsqu'il doit y avoir mise à pied, sur les transferts d'usine à un moment, d'une région à une autre, en somme sur cette ensemble de l'évolution dans les dix prochaines années ou, supposons, les cinq prochaines années, si on veut être plus modeste, de l'industrie des pâtes et papiers au Québec? Dans la situation actuelle que vous avez décrite, il est bien sûr qu'il y a des décisions qui doivent être prises.

Jusqu'où, en ce qui vous concerne, le syndicalisme est-il prêt à aller dans cette concertation? Je comprends bien, comme vous l'avez dit très clairement dans votre mémoire, que votre pensée est le socialisme; or, ces objectifs de concertation sont des objectifs à court terme qui sont en fait contradictoires avec vos objectifs à long terme.

M. Morin (Jean-Guy): II est clair que, pour nous, on ne peut pas accepter de participer à des comités où il y aurait concertation de façon que les compagnies fassent plus de profits.

Cependant, il y a des situations de fermetures ou des cas précis où on est prêt à s'asseoir, non pas pour se concerter, mais pour présenter réellement les intérêts, les points de vue des travailleurs et pour protéger leurs intérêts, en participant à de tels comités, mais on n'ira pas plus loin.

M. Bérubé: Je dois dire, comme mon distingué collègue de Portneuf, que votre mémoire est

effectivement rempli de très intéressantes suggestions. Pour autant que je suis concerné, je le trouve très positif. Je trouve qu'il y a un effort pour régler des problèmes qui sont réels. On pourra toujours argumenter sur la nature de la solution, mais je pense que néanmoins il y a un effort qui est très clair.

Je pense à votre caisse de stabilisation de l'emploi, qui mérite certainement qu'on y réfléchisse. J'aurais peut-être une question à poser. En particulier, je me demande si vous avez envisagé l'ordre de grandeur de la contribution par heure de travail-homme qui serait fournie, donc de combien le coût de la main-d'oeuvre serait-il affecté? Evisagez-vous qu'une telle caisse ne soit financée que par l'industrie ou qu'elle soit financée conjointement par le travailleur, par les retenues sur son salaire, en même temps qu'elle pourrait l'être par l'entreprise? Donc, il y aurait un peu de précision de ce côté.

Je pense que les mesures d'urgence dans le cas de fermeture, il y a peut-être là moyen d'y réfléchir. Votre caisse de stabilisation aurait quand même déjà une conséquence considérable dans ce cas.

L'idée de la société d'exploitation m'apparaît aussi une approche intéressante. J'aurais deux petites questions relativement à cette société d'exploitation, en particulier en ce qui a trait à l'existence des coopératives de travailleurs forestiers qui exploitent la forêt sur le domaine public et qui, par conséquent, pourraient vouloir continuer à exploiter d'une façon autonome et pourraient même, je pense, s'assurer un milieu de travail, à une échelle assez humaine alors qu'une très grande société d'exploitation des forêts qui exploiterait tout le bois du Québec pourrait, très rapidement, devenir assez déshumanisante.

Je retiens, également, le comité consultatif qui m'apparaît comme une suggestion que l'on pourrait assez rapidement mettre sur pied. Cela m'apparaît très intéressant.

Donc, il y a plusieurs éléments de solution. Avant d'en venir à votre rapport comme tel, j'aurais quelques questions. J'aimerais peut-être avoir réponse à ces réflexions sur vos suggestions.

M. Morin (Jean-Guy): Quant au montant concernant la caisse de stabilisation, on n'a pas fixé de montant parce qu'on n'a pas les données pour connaître quelle est la situation, combien cela prend pour régler ces problèmes.

Il est clair aussi pour nous que, s'il y a contribution, c'est simplement une contribution des employeurs, parce que ce sont eux qui sont responsables de la situation.

En ce qui concerne la société d'exploitation et l'existence de coopératives, on a eu des expériences de syndicats coopératifs. Les syndicats coopératifs, pour pouvoir réussir à oeuvrer dans le système actuel, ont beaucoup de difficultés, parce qu'ils sont pris dans tout un système de concurrence auquel ils sont obligés de faire face et ils sont obligés de prendre les mêmes moyens pour exister que ces compagnies. Afin de pouvoir s'en sortir, souvent, parce qu'ils ont affaire à de gros monopoles, et quand on est dans une coopérative, c'est beaucoup plus petit, alors les moyens de concurrencer vis-à-vis des gros monopoles sont énormes, les conditions de travail sont moins bonnes, ils sont obligés de sacrifier certaines de leurs conditions de travail pour être en concurrence avec les gros monopoles.

Alors, ça prend un pouvoir beaucoup plus grand que ça et on pense que ce pouvoir plus grand, c'est l'État, c'est le gouvernement. Ce ne sont pas plusieurs petites coopératives.

M. Bérubé: Relativement à votre mémoire, on tire certainement une conclusion immédiate, la cause des problèmes que rencontre l'industrie des pâtes et papiers présentement, vous l'attribuez à une absence de réinvestissement des profits dans cette industrie. Vous citez un certain nombre de chiffres à l'appui de votre thèse, en particulier, vous comparez la productivité, soit la valeur ajoutée par homme, en Colombie-Britannique et au Québec. Il m'est immédiatement venu à l'esprit, en regardant cette comparaison, qu'on comparait des choses qui n'étaient pas vraiment comparables, puisque l'industrie de la Colombie-Britannique produit essentiellement de la pâte, alors que l'industrie du Québec produit du papier journal et que dans l'industrie de la pâte, évidemment, la productivité est généralement supérieure à celle que l'on trouve dans le papier journal. Par conséquent, la comparaison n'est peut-être pas complètement valable.

D'autant plus que si on considère la valeur des investissements, on constate qu'au cours d'une période de référence que j'avais, je n'ai malheureusement pas retenu les noms, 1961 à 1974, l'industrie a réinvesti de l'ordre de $2 313 000 000 au Québec contre $2 399 000 000 en Colombie-Britannique, soit à peine 1,5% de différence entre les deux provinces. Par conséquent, il m'apparaît à nouveau qu'au niveau de la valeur des investissements, ça ne supporte pas votre thèse.

D'autre part, ce que l'industrie a invoqué, ce matin, indique qu'elle réinvestit; malheureusement nous n'avions pas les chiffres qui démontraient cette prétention de l'industrie. L'industrie prétend réinvestir de deux à trois fois les bénéfices qui sont distribués aux actionnaires; donc déjà, l'industrie effectue un effort considérable de réinvestissement de ses bénéfices. Un autre aspect, c'est que le taux de rendement interne de l'industrie des pâtes et papiers nous a été présenté ce matin comme n'étant que de 5,8% sur une période de dix ans, donc que déjà, depuis 1970, le taux de rendement interne étant très bas, évidemment l'industrie prétend que c'est tout simplement faute de pouvoir produire des profits qu'elle n'investit pas.

Par conséquent, est-ce que vous pourriez commenter ces deux aspects, d'une part, les chiffres que vous avez utilisés et, d'autre part, ce qui nous a été invoqué ce matin comme argument?

M. Morin (Jean-Guy): Un des problèmes qu'on a, c'est qu'on n'a pas les chiffres des entreprises,

alors on est obligé de prendre ceux qui sont disponibles et faire des comparaisons avec ceux-là. Les porte-parole, ce matin, quand ils ont fait les déclarations, ils n'ont pas donné de source; c'est difficile de se prononcer sur de telles choses. Quant à nous, nous pourrions peut-être essayer de répondre, mais ça ne serait pas des réponses correctes, parce que tous les chiffres que nous avons soumis, vous avez leurs sources, vous savez où on les a pris et d'où ils viennent. Mais ce sont les seuls qu'on peut avoir.

En ce qui concerne la productivité des pâtes, là aussi, il faudrait qu'ils nous donnent des chiffres, parce que les informations que les employeurs nous ont données assez souvent, Wayagamack est une de ces usines ainsi que East Angus et Windsor, or elles produisaient de la pâte. Leur problème serait avec la pâte beaucoup plus qu'avec le papier. Il faudrait qu'ils nous donnent des informations plus claires pour faire la démarcation là-dedans.

En ce qui concerne les bénéfices, à savoir qu'ils ont investi deux ou trois fois plus que les bénéfices distribués aux actionnaires, encore là, il faudrait faire la comparaison. Est-ce que l'autofinancement d'une entreprise est considéré, de la part des entreprises, comme étant une dépense, comme étant quelque chose qui ne fait pas partie des profits? S'ils comparent cela avec les dividendes, si on ne compare pas les mêmes choses, on ne le saura pas. Sur quelle base va-t-on évaluer si une compagnie est rentable ou non? Est-ce que c'est sur le capital investi? Est-ce que le capital investi a été du capital tout simplement autofinancé ou si c'est du nouveau capital? Je pense que là-dessus, il y a eu des études, lorsqu'il y a eu la commission Alleyn sur l'opération en continu dans l'industrie des pâtes et papiers. Certains sont venus démontrer que le capital investi rapportait dans l'industrie des pâtes et papiers un pourcentage de l'ordre de 15%.

Je pense qu'il y a des choses qu'ils ont, sauf qu'on n'a pas toutes les données pour pouvoir réellement en faire l'analyse correctement.

M. Bérubé: Croyez-vous que s'il devait y avoir une concertation entre travailleurs, patronat et gouvernement, un des premiers objectifs de cette concertation serait peut-être justement de chercher à obtenir ces chiffres, à la satisfaction de toutes les parties?

M. Morin (Jean-Guy): C'est ce qu'on demande, maintenant. Ce n'est pas parce qu'on assisterait à certains comités qu'on se concerterait. C'est bien clair que nos objectifs sont l'emploi; c'est de protéger le droit au travail. On ne prétend pas que de s'asseoir à la même table, cela va être nécessairement de la concertation. Cela va être de pouvoir démontrer et dire où sont, d'après nous, les vrais problèmes, ce qu'on veut, comme solution, pour les travailleurs.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci à M. Morin et à ceux qui l'accompagnaient; merci à la CSN et à la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt.

J'inviterais maintenant le Conseil des hommes d'affaires québécois et ses porte-parole à se présenter à la table, s'il vous plaît.

M. Saint-Amour?

Conseil des hommes d'affaires québécois

M. Saint-Amour (Jean): Oui.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous demanderais de bien vouloir présenter ceux qui vous accompagnent et d'exposer votre mémoire.

M. Saint-Amour: Si vous voulez, je vais laisser la parole à notre vice-président, M. René Blanchard.

M. Blanchard (René): M. le Président, MM. les ministres, MM. les députés membres de cette commission, permettez-moi d'abord de vous présenter les membres du Conseil des hommes d'affaires québécois qui m'accompagnent. À ma droite, M. Normand Paquin, qui est directeur du conseil, administrateur, qui est le rédacteur de ce mémoire; à ma gauche, M. Jean Saint-Amour, qui est notre directeur général. Je m'appelle René Blanchard. Comme M. Saint-Amour vous l'a dit, je suis vice-président, je remplace ici notre président, Me André Bélanger, qui a été retenu à Montréal par ses fonctions professionnelles au Conseil de sécurité de la CUM. Il s'en excuse d'ailleurs.

Le Conseil des hommes d'affaires québécois, pour faire un bref historique, a maintenant quatre ans. Il compte 600 membres, qui sont des hommes d'affaires, des entrepreneurs, à la tête de petites et moyennes entreprises. Ces professionnels sont directement reliés à la condition économique des Québécois dans toutes les régions du Québec.

Signalons que notre organisme est indépendant. Il ne compte que sur les contributions volontaires des membres, qui sont fixées à $50. Il ne doit donc rien à qui que ce soit. Si nous avons demandé à comparaître devant cette commission, c'est que nous croyons que la solution du problème qui nous occupe tous est à la fois politique, économique et culturelle. On ne pourra maintenir, à notre avis, une nation francophone en Amérique si cette nation ne maîtrise pas son économie et surtout ses ressources naturelles. C'est une leçon de l'histoire qui s'est imposée à peu près partout depuis le début de l'ère moderne.

La reprise en main de notre économie présuppose un leadership dynamique du gouvernement québécois. Mais encore faut-il que ce gouvernement possède une volonté et les pouvoirs nécessaires à l'exercice de ce leadership. On ne pourra bloquer la concertation et la concentration du pouvoir économique aux mains des multinationales ni reprendre la part du marché intérieur qui nous revient et nous ouvrir aux marchés internationaux sans rapatrier au Québec les pouvoirs qui nous sont nécessaires, et surtout sans nous doter

d'outils essentiels d'exploitation rationnelle de nos ressources.

Essentiellement, le Conseil des hommes d'affaires québécois poursuit les objectifs suivants:

Premièrement, promouvoir l'autodétermination économique du Québec;

Deuxièmement, défendre les intérêts des entreprises québécoises;

Troisièmement, promouvoir la reprise en main et la transformation en sol québécois de toutes nos ressources naturelles;

Quatrièmement, favoriser l'accession des Québécois à des postes de cadre dans les entreprises, particulièrement celles qui nous occupent aujourd'hui;

Cinquièmement, travailler à établir le français comme véritable langue de travail et langue officielle au Québec;

Sixièmement, favoriser les communications entre les employeurs et les employés en subordonnant les valeurs économiques aux valeurs humaines;

Septièmement, collaborer à prévenir la vente d'entreprises et de terres québécoises à des intérêts détenus par des non-résidents;

Huitièmement, créer des services utiles à nos membres.

Je sais que l'heure est avancée. Je cède immédiatement la parole à M. Paquin, qui fera une courte synthèse du mémoire que vous avez en main, pour nous soumettre ensuite à de brèves questions.

M. Paquin: Merci, M. Blanchard. Nous tenons d'abord à remercier votre commission de nous avoir donné l'occasion de nous faire entendre sur un sujet que nous jugions vital pour l'avenir économique du Québec. Notre mémoire a été produit dans des délais assez brefs pour répondre à la première échéance, qui était alors fixée au 30 juillet. Nous vous prions donc d'excuser les lourdeurs de style qui s'y sont insérées et les quelques erreurs de transcription ou d'impression qui s'y sont glissées.

Par exemple, en page 6 du mémoire, il y a une erreur assez flagrante qui s'est glissée. Sous la rubrique Domtar, on lit "Argus Corp. USA", il faudrait évidemment lire: "Argus, Canada", c'est une compagnie canadienne. En page 12 de notre mémoire, à la rubrique A, première phrase, on lit: "le problème de coût au niveau de l'exploitation" et non pas "de l'expédition de la forêt". Il y a quelques autres petites erreurs qui se sont glissées dans le texte, mais ce sont des erreurs mineures.

Messieurs, nous n'avons pas l'intention de lire le mémoire, comme M. Blanchard vous l'a signalé, mais seulement de présenter l'essence. Le mémoire met en lumière l'opposition entre notre conception d'un vrai développement économique et la réalité vécue dans l'industrie des pâtes et papiers. Le développement économique, cela signifie pour nous, à moyen et à long terme, l'augmentation de la richesse collective. Cela ne peut se faire que par un travail en profondeur de transformation au niveau des produits, des processus de production et de gestion. En d'autres termes, le développement économique d'un pays, cela signifie le développement des ressources humaines, le développement de la technologie et le développement des produits. Cela ne va pas de soi. Avoir une usine en exploitation au Québec, cela ne signifie pas développer l'économie du Québec.

Pour développer, il faut d'abord en avoir la volonté, et cette volonté, elle s'acquiert par la prise de conscience d'un intérêt pour l'entreprise à développer le pays en question. En d'autres termes, il faut qu'une entreprise qui est localisée dans un pays perçoive un intérêt à ce que le pays se développe. Or, comme nous l'avons mis en lumière dans notre mémoire, cet intérêt et, par conséquent, cette volonté de développer un pays se retrouvent d'une façon inconditionnelle chez les agents économiques autochtones, et c'est bien compréhensible, alors qu'il n'en est pas ainsi pour les agents étrangers et multinationaux. Il n'y a pas de xénophobie dans tout ceci. L'entreprise qui opère dans plusieurs pays, surtout dans le domaine des richesses naturelles, a une rationalité différente des entreprises autochtones. L'entreprise multinationale a un avantage stratégique important par rapport à l'entreprise autochtone. Elle est mobile à moyen terme. Elle peut aller produire à l'étranger. En d'autres termes, si elle juge qu'elle peut faire des économies, notamment dans le secteur des pâtes et papiers, sur l'extraction, elle peut, à moyen terme, déplacer ses unités de production. Elle conserve toutefois sa capacité de distribution dans le pays d'où elle est partie. Nous croyons que c'est ce qui est en train de se passer dans le domaine des pâtes et papiers. On "désin-vestit" actuellement au Québec, parce que c'est plus rentable d'investir ailleurs. C'est tout à fait logique du point de vue de ces entreprises, mais qu'en reste-t-il au pays qui a fourni sa matière première et qui a fourni sa force de travail?

Par ailleurs, l'entreprise autochtone n'a pas le choix de faire du développement. C'est pour elle une condition de survie. C'est dans cette perspective que nous concluons, devant votre commission, que l'industrie des pâtes et papiers étant, dans un premier temps, vitale à la prospérité économique future du Québec et, dans un second temps, je pense qu'on l'a constaté aujourd'hui, étant dans un état passablement lamentable, compte tenu de ces deux facteurs, le gouvernement doit donc prendre des mesures énergiques pour pallier ce qui n'a pas été fait par les gouvernements précédents et faire ce qui n'a pas été fait par les grandes entreprises du secteur. Je vais donc vous résumer ou du moins vous lire nos recommandations au gouvernement.

Premièrement, nous recommandons que le gouvernement du Québec investisse dans l'aménagement de la forêt. Cette recommandation a fait l'objet d'une présentation lors d'une commission parlementaire en 1974. Deuxièmement, nous recommandons au gouvernement qu'il confie de plus en plus l'exploitation de la forêt à des agents économiques québécois, donc des agents économiques qui ont vraiment un intérêt à développer le

Québec. Troisièmement, nous recommandons au gouvernement qu'il fasse scrupuleusement respecter les lois dans le domaine de l'exploitation forestière.

Deuxième grande recommandation, nous recommandons que le gouvernement du Québec stimule la recherche dans l'utilisation des espèces, particulièrement les feuillus, de façon à augmenter la rentabilité de certaines forêts.

Troisième grande recommandation, le gouvernement du Québec devra aider à multiplier les expériences de type Donohue, Tembec, Cabano, etc., de façon à augmenter substantiellement le contrôle de la transformation du bois par des agents économiques québécois, de façon à moderniser les équipements de transformation et de façon à assurer, à long terme un développement de l'industrie qui tienne compte de l'évolution de la technologie au niveau international. Cette mesure rejoint le préambule de tantôt, à savoir que, comme stratégie à long terme, nous recommandons une reprise en main progressive par des agents économiques québécois du secteur des pâtes et papiers. Nous croyons que c'est un secteur trop vital pour qu'on le laisse sous le contrôle d'étrangers.

Quatrième recommandation, le gouvernement du Québec devra voir à augmenter la présence des francophones au niveau de la haute administration des entreprises des pâtes et papiers. À cet égard, la loi 101 est un outil privilégié qu'il ne faudra pas hésiter à utiliser.

Cinquième grande recommandation, le gouvernement du Québec devra voir à ce qu'une recherche dynamique, au niveau des débouchés, s'effectue, de manière à augmenter la rentabilité de certaines forêts et des équipements de transformation. Ce geste aura pour effet, à long terme, de réduire la dépendance relative du Québec face au papier journal.

Enfin, sixième et dernière grande recommandation, le gouvernement du Québec devra mettre en oeuvre des programmes de recherche, au niveau de la technologie de transformation. Ces programmes pourraient, dans un premier temps, procéder à un inventaire des technologies à travers le monde et, s'il y a lieu, en faire des recommandations au niveau de l'importation de technologie, dans le cas de nouvelles usines.

Voici, messieurs, le sens de notre mémoire. S'il y a des questions...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Voici, messieurs du cercle ou du Conseil des hommes d'affaires québécois. Étant donné que la commission doit suspendre ses travaux jusqu'à 20 heures, et ce, à 18 heures, avez-vous des objections à revenir à 20 heures ce soir?

M. Saint-Amour: Aucune, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Aucune. Compte tenu de l'heure avancée, les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 20 heures, à la même salle 81-A.

(Suspension de la séance à 17 h 57)

Reprise de la séance à 20 h 5

Le Président: (M. Vaillancourt, Jonquière): À l'ordre, s'il vous plaît!

S'il vous plaît, à l'ordre, non seulement aux membres de la commission, mais également à toutes les personnes de l'assistance, toutes les personnes présentes. Le mémoire de l'association qui est devant nous étant terminé, je demanderais maintenant au député d'Abitibi-Ouest, au nom du gouvernement, de prendre la parole.

M. Gendron: Merci, M. le Président. Comme les autres intervenants, je tiens quand même à remercier le conseil québécois des hommes d'affaires pour avoir présenté un mémoire sur cette question.

Je pense que seulement le fait de présenter un mémoire, quel qu'en soit le contenu, démontre quand même ou témoigne de votre intérêt à cette question et j'en suis très reconnaissant.

Essentiellement, le mémoire démontrait bien l'importance du secteur des pâtes et papiers, et particulièrement l'absence des francophones dans le secteur.

Une première question que j'aimerais voir approfondir est que, dans votre mémoire, vous mentionnez que, si l'industrie des pâtes et papiers veut être compétitive, il serait impératif de minimiser les frais d'infrastructure, à la page 3 de votre mémoire.

Pour le bénéfice de la commission, j'aimerais que vous puissiez expliciter davantage cette idée et donner quelques précisions. Dans quel sens mentionnez-vous qu'il y aurait lieu de minimiser les frais d'infrastructure et de quel type d'infrastructure parlez-vous plus précisément?

M. Paquin: En fin de compte, c'était simplement une phrase qui visait à dire... On a beaucoup parlé de l'importance des frais de transport en ce qui concerne, c'est-à-dire des conséquences des frais de transport en ce qui concerne le prix du produit fini, les pâtes et papiers. On se référait simplement à cet exemple, mais cela ne signifiait rien de particulier qu'on souhaitait développer. Je ne sais pas si mon confrère a quelque chose à ajouter...

M. Saint-Amour: Je pense que, lorsqu'on a écrit cette phrase, c'était non seulement de viser de de reprocher continuellement que les salaires des employés sont trop élevés... On devrait s'arrêter pour diminuer le coût de production. On devrait aussi se demander si les salaires versés aux cadres, aux présidents de ces industries... et le coût de l'exploitation, je pense que le conseil central qui est passé avant nous — la CSN — l'a bien prouvé. Nos forêts sont exploitées par n'importe qui à part les Québécois, par les multinationales, et sont laissées dans des états plutôt lamentables.

Il reste un fait. À peu près 40% des feuillus ne servent pas. On a même ajouté — ce qui m'a surpris — qu'on trouvait du bois dans le fond des rivières, qui avait été coupé pour servir à des fins autres que celles de pourrir dans le fond des riviè-

res. Alors, quand on parle d'une nouvelle infrastructure, je pense qu'on devrait s'arrêter et faire des calculs savants pour arriver à des résultats heureux et tant que cela sera laissé, à mon sens, entre les mains de multinationales, tant que le gouvernement ne prendra pas ses responsabilités et qu'on agira comme on a agi jusqu'à maintenant, comme colonisés, qu'on se croira obligé d'avoir des multinationales pour faire une piastre, je pense qu'il y a une spéculation outrageuse et outrageante qu'on est obligé de subir.

M. Gendron: Toujours à peu près dans le même sens... Je ne pense pas que votre mémoire en fasse état, mais j'aimerais quand même savoir si vous avez eu l'occasion de réfléchir à cette situation, à la possibilité de construire de nouvelles usines dans certains secteurs, où l'allocation de la matière ligneuse est quand même assez intéressante, ou de penser à des programmes de rénovation et de remodernisation Avez-vous eu l'occasion d'y réfléchir? Quelle hypothèse privilégieriez-vous davantage?

M. Saint-Amour: Je pense qu'on a surtout insisté sur le fait que le Québécois n'est pas représenté à sa juste valeur dans l'industrie qui nous appartient, dans notre Québec à nous, c'est tout le monde qui vient nous exploiter et même au sein de ces industries, les multinationales, quand on a dépassé le titre de gérant ou je ne sais pas quel titre on donne, dans les cadres élevés, il n'est pas question des nôtres. C'est surtout là qu'était notre visée. Je ne sais pas si mon confrère a autre chose à ajouter au point de vue des chiffres, mais c'est ça.

M. Paquin: On ne s'est pas penché vraiment sur un choix de possibilités ou d'options, à savoir construire de nouvelles usines ou remoderniser les anciennes; dans la mesure où nous ne sommes pas techniciens, nous ne sommes pas en mesure de le faire.

Le point sur lequel on s'interroge cependant, c'est de savoir qui va décider de ça. Je pense que si on peut résumer notre mémoire, il pose le problème fondamental des centres de décision, c'est-à-dire où se prennent les décisions d'investir et au profit de qui elles se prennent et en fonction de quel type de rationalité elles se prennent. Dans notre résumé, on disait tantôt que l'entreprise qui opère sur des marchés multinationaux, ayant un horizon international, prend ses décisions en fonction de critères internationaux; cela va de soi, c'est logique.

Ces critères ne tournent pas nécessairement à l'avantage du pays d'accueil et c'est d'ailleurs ce qu'on constate maintenant quand on observe une espèce de transfert qui se fait entre le Québec et le sud des États-Unis. Évidemment, on n'a pas vérifié l'hypothèse, mais la CSN disait tantôt que Domtar a aussi des entreprises dans le sud des États-Unis. C'est une hypothèse que j'émets, c'est une question que je pose: Qu'est-ce qui empêcherait Domtar, observant un coût d'extraction de matière première plus faible dans le sud des États-Unis, de "désinvestir" au Québec pour investir dans le sud des États-Unis?

Logiquement, d'ailleurs, elle devrait le faire, si elle est conséquente. Dans le Devoir du 14 juillet, il y a une espèce d'entrefilet, dans un article de Michel Vastel, sur les pâtes et papiers, qui dit entre autres: "Bref, récemment, le président de Domtar énumérait pas moins de douze bonnes raisons qu'il y aurait à choisir les États-Unis plutôt que le Canada pour installer de nouvelles usines."

Si je suis président d'entreprise, si j'ai le pouvoir de décider où vont mes investissements et si je dis à un journaliste que j'ai au moins douze bonnes raisons pour me localiser aux États-Unis, qu'est-ce que vous pensez que je vais choisir? C'est là tout le sens de notre mémoire, qui pose franchement le problème du pouvoir de décision par rapport au développement économique d'un pays. Est-ce que le développement économique d'un territoire donné peut se faire? Est-ce que c'est possible de penser à planifier à long terme quand les centres de décision d'investissement se situent à l'extérieur de notre territoire? Nous répondons non à cette question parce que, selon nous, tout vrai développement économique qui veut, par définition, être à long terme doit se faire par des agents économiques autochtones.

Quand on se pose la question à savoir s'il faut moderniser ou créer de nouvelles unités de production, nous ne nous sommes pas penchés sur cette question, mais nous disons que nous voulons pouvoir choisir l'alternative.

Je terminerais ma réponse comme ça.

M. Gendron: D'accord. Vous avez mentionné dans votre présentation qu'une des raisons de comparaître était que, pour vous, le problème, la situation — vous parlez même dans votre mémoire, à la page 9, de l'état anémique de l'industrie des pâtes et papiers — était d'ordre social, politique, économique et même culturel. Vous dites que même les quelques tendances démontrées actuellement pour améliorer la situation ne sont qu'un prélude, qu'il va falloir y aller de mesures très énergiques pour contrôler le malaise immédiatement à sa base. Sans reprendre intégralement vos propos, je pense que c'est ce que vous mentionnez. En tout cas, vous parlez de mesures très énergiques pour améliorer une situation que vous qualifiez de quasi alarmante.

J'aimerais avoir quelques précisions, à part l'élément qui est très transcendant, qui est manifeste dans tout votre rapport, sur l'entrée en plus grand nombre des francophones aux postes de cadres supérieurs. À part cela, est-ce qu'il y aurait d'autres éléments de suggestion dont vous aimeriez faire part à la commission, lorsque vous parlez de mesures énergiques à court terme?

M. Blanchard: Je crois qu'il faudrait tout de même qu'une bonne étude, faite en profondeur, permette à l'État québécois de réévaluer sa situation, par rapport à l'exemple finlandais ou à l'exemple suédois.

Si on prend l'exemple finlandais, on s'aperçoit que les Finlandais sont en train de rafler tout le marché du papier fin, parce qu'ils ont su innover; ils ont su, à partir d'une machinerie fabriquée chez eux, tenant compte de leur spécificité de production, acheminer tranquillement leurs produits sur des marchés et conquérir ces marchés.

Si on prend l'exemple suédois, on s'aperçoit bien que c'est assez différent de ce qu'on retrouve au Québec. On retrouve en Suède une mesure qui pourrait probablement être adaptée au Québec; les problèmes y sont sensiblement les mêmes. Il y a, en Suède, 50% des boisés, des forêts, qui sont confiés à des producteurs forestiers, à des cultivateurs, à des Suédois qui sont regroupés en coopératives locales, en coopératives régionales et en une coopérative nationale.

Il y a là une loi de la mise en marché qui est très sévère. La coopérative locale achemine ses produits à la coopérative régionale et, ensuite, c'est la coopérative nationale qui s'en empare et qui distribue aux usines, selon leurs besoins, et à un prix déterminé à l'avance, la production.

Il y a des exemples qui peuvent être assez éclairants, même l'exemple américain. C'est exactement la situation inverse. Alors qu'aux États-Unis 15% des forêts sont entre les mains des compagnies, vous avez l'inverse au Québec, 90% des forêts sont du domaine public, mais sont concédées à des compagnies.

Il y aurait peut-être moyen de voir pourquoi la concurrence est si désastreuse pour le Québec et ce qui, chez nous, étant tellement différents, nous empêche de rivaliser avec les autres pays. Je pense que le ministère a envoyé des ingénieurs forestiers en Finlande dernièrement. Il s'agirait de leur demander leur rapport. On verrait tout de suite ce qui en est.

M. Gendron: Dans vos solutions, à la fin, vous mentionnez un premier élément de solution. Il s'agirait de confier de plus en plus l'exploitation à des agents économiques québécois. En partant du fait que la situation n'est pas celle-là au moment où on s'en parle aujourd'hui — vous-même vous acceptez que 90% de la forêt dite publique est exploitée par des compagnies autres que québécoises — si on retient cette hypothèse, pour vous, est-ce que c'est la nationalisation pure et simple à court terme, qui réglerait le problème, de confier l'exploitation à des agents économiques québécois. Ce que vous préconisez, autrement dit...

M. Blanchard: II n'y a pas de nationalisation à faire. Si on reprend l'exemple de la CSN, les forêts appartiennent déjà à l'État. Il s'agit de savoir qui va les exploiter et comment, selon quelles normes.

M. Gendron: Bien sûr. Je parlais de la nationalisation, au niveau de la capitalisation, que l'État, comme tel, se préoccupe de développer l'exploitation même des forêts. Est-ce que c'est cela que vous mentionnez quand vous parlez de l'exploiter avec des agents québécois?

M. Blanchard: Cela peut être par des coopératives.

M. Gendron: Cela peut être une formule coopérative.

M. Blanchard: Vous prenez une coopérative forestière, ensuite, vous apportez une formule qui mène des coopératives à une plus grande coopérative régionale et finalement, une coopérative québécoise, qui serait effectivement l'agent de la mise en marché de la forêt, pour cette part qui lui serait réservée, soit 50%. Ensuite, si on reprend l'exemple de tout à l'heure, en Suède, l'État en possède 25% et les compagnies en possèdent 25%. On peut juger, à ce moment-là, des écarts de productivité dans l'un ou l'autre cas.

M. Gendron: J'aurais une dernière question. Dans votre mémoire, au tableau I, vous donnez des chiffres concernant le nombre d'usines, le nombre d'employés et les montants de salaires égaux dans l'industrie des pâtes et papiers. Entre les années 1973 et 1974, pour une augmentation du nombre d'employés de près de 3000, il y a quand même une diminution des salaires et gages cette année.

Je voudrais juste savoir si c'est une représentation du tableau, ou si vous avez pu observer, à l'intérieur de cette figure ou de ce tableau, certaines coordonnées comme celles-là qui m'apparaissent contradictoires si on n'y trouve pas une explication valable, une augmentation de 3000 employés qui se traduit par une réduction de salaire entre 1973 et 1974.

M. Paquin: Nous nous sommes penchés sur cette question, parce que nous trouvions cela bizarre, nous aussi, et on en est venu à la conclusion — nous ne savons pas si c'est la vraie réponse — qu'il y avait peut-être eu des mises à pied assez massives qui avaient été comptabilisées comme emplois, mais qui avaient évidemment diminué la masse salariale. C'est l'explication qu'on avait trouvée à cette situation. Ce n'est peut-être pas la bonne explication cependant.

M. Gendron: Vous n'avez pas eu d'éléments de vérification pour voir si c'était la juste explication?

M. Paquin: Non.

M. Gendron: J'ai terminé. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Messieurs, c'est avec beaucoup d'attention que j'ai lu votre mémoire. Je dois vous dire que votre poésie de première page m'a particulièrement frappé. Étant donné que je n'ai aucune compétence particulière dans ce chapitre de notre littérature, je me limiterai à vous dire qu'elle contribue notamment à amener une note mélancolique ou poétique à ce moment-ci de nos travaux.

Ma première question est la suivante. Messieurs, dans votre mémoire, vous ne faites pas

beaucoup état, ou je n'ai pas pu percevoir d'endroit où vous faisiez état de la pollution et des mesures à envisager par le gouvernement pour régler cette question, d'une part, et, d'autre part, des mesures qui devraient être adoptées par le gouvernement, possiblement comme soutien à l'entreprise ou comme incitation à l'amélioration de nos industries, au chapitre de la protection de l'environnement. J'aimerais connaître votre position là-dessus.

M. Paquin: En ce qui concerne ce problème, il y a, premièrement, une question logistique au fait qu'on n'ait pas traité de cette question. C'est une question de temps parce qu'on a produit notre mémoire pour la première échéance; alors, on a un peu brûlé les étapes. Mais nous avons quand même des opinions là-dessus. Pour aller dans notre ligne de conduite de donner une plus grande partie du développement économique du Québec à des agents québécois, je pense que, premièrement, dans nos conceptions, une entreprise n'est pas quelque chose de parachuté ou de désincarné. C'est quelque chose qui s'intègre à un milieu. Lorsque nous parlons d'un développement réel qui se fait par les gens d'une région ou d'un pays, cela veut dire, entre autres, que l'entreprise, que l'organisation se développe en harmonie avec son milieu naturel. En ce qui concerne les questions d'environnement, il est bien clair pour nous qu'une entreprise ne doit pas produire ou ne doit pas faire supporter à la société, à son milieu environnant, des désavantages ou des coûts. En ce qui concerne cette question, il est bien clair pour nous que les entreprises de pâtes et papiers, à brève échéance, devraient tenter de minimiser le plus possible ce qu'on pourrait appeler le genre de "déséconomie" qu'elles imposent à la société. Parce que, finalement, c'est un coût social qu'elles font subir à leur milieu. Évidemment, nous n'avons pas traité de la question, mais notre principe fondamental est qu'une entreprise, une organisation doit s'intégrer de façon harmonieuse avec son milieu. Et cela va de pair avec le concept de développement.

M. Blanchard: Pour compléter, ce qui nous étonne, c'est que, si on prend l'exemple du bassin de la Saint-François, on s'aperçoit qu'il y a trois grands polluants: East Angus, Windsor Mills, Bromptonville et aussi une autre ville. Il y a là à peu près 450 emplois. Et il y a 225 000 personnes dans ce bassin qui voient leur environnement un peu pollué, une rivière qui est inutilisable aux fins récréatives et des villes qui sont obligées de payer des sommes épouvantables pour assainir l'eau.

Si vous calculez tous ces coûts, si vous comparez toute cette économie, on doit tout de même réaliser qu'il y a là un manque d'économie sociale et peut-être aussi humaine. Il faudrait mesurer exactement ce que coûte la pollution des rivières et savoir exactement qui tire profit réellement de cette opération. En fait, que les usines polluent encore les cours d'eau au Québec en 1977 à ce taux, cela nous semble assez inaccepta- ble, puisque ailleurs... Même la Tamise, à Londres, est maintenant dépolluée, on y trouve des poissons. Dans la Saint-François, en 1912, on péchait le saumon, et maintenant, il n'y a même plus moyen de tirer une barbotte.

M. Pagé: Concrètement, sur cet aspect, sur ce sujet, la position de votre organisme sur cette question du flottage du bois... Je donne l'exemple qu'on a soulevé ce matin à l'association dans le cas du Saint-Maurice. L'association dit: Advenant le cas où on interdirait le flottage du bois sur le Saint-Maurice, les industries de pâtes et papiers dans la région de Trois-Rivières, de Shawinigan, de Cap-de-la-Madeleine et même de La Tuque, leur avenir pourrait être mis en péril en raison de l'augmentation des coûts que comporterait le transport du bois. Quelle est votre position là-dessus? Qu'est-ce que le gouvernement devrait faire face à une telle possibilité?

M. Blanchard: II faudrait tout de même examiner la profondeur de billots qu'il y a dans les trois branches du Saint-Maurice et réaliser que ce n'est peut-être plus la méthode économique d'acheminer le bois et que les pertes encourues et par l'environnement et aussi par les compagnies doivent être énormes. Maintenant, qui va mesurer cette perte, sinon l'État québécois dans une analyse assez poussée? Il s'agirait peut-être de mesurer exactement ce que vaut la flottabilité ou ce que coûterait un autre procédé. C'est d'ailleurs utilisé dans la plupart des pays d'aujourd'hui. On achemine le bois par chemin de fer, par bateau ou par camion. D'ailleurs, l'exemple qu'on donnait de cette usine de Kruger qui est placée à Bromptonville nous montre bien que le rendement d'une usine, selon son dynamisme, est absolument indépendant parfois du procédé que l'on utilise pour acheminer le bois.

M. Pagé: À la page 9 de votre mémoire, vous affirmez que le problème majeur des pâtes et papiers est la vétusté des usines. Est-ce que vous vous êtes fondés sur une étude particulière pour faire cette affirmation?

M. Paquin: Où exactement à la page 9? Pouvez-vous répéter la phrase? Je n'ai pas entendu.

M. Pagé: À la page 9.

M. Paquin: Oui, mais à quelle phrase faites-vous allusion?

M. Pagé: On va se relire.

M. Saint-Amour: Si on parle de vétusté.

M. Paquin: Ah bon! D'accord.

M. Saint-Amour: C'est un fait très flagrant que nos industries de pâtes et papiers manquent d'instruments ou de machineries adéquats en 1977

pour devenir concurrentes avec d'autres marchés. C'est clair. Si vous avez visité les usines dont vous faites mention, c'est même dangereux pour un être humain d'aller travailler sur ces machines. Vous ne voyez même pas d'employés qui peuvent attendre leur pension de vieillesse, parce qu'ils respirent toutes sortes d'odeurs. Il y a cette pollution constante pendant huit heures de temps des employés, II n'y a même pas le minimum dans ces usines, le minimum de sécurité. C'est assez facile, même si on n'est pas dans cette industrie, de constater qu'elles ont besoin d'être transformées ou d'être au moins rajeunies, et que c'est un danger, même pour la société, de garder, dans la périphérie d'une ville ou d'un village, des industries qui devraient au moins être rajeunies.

M. Pagé: Est-ce que je dois comprendre, par la réponse que vous nous donnez, par l'affirmation que vous faites, que vous considérez qu'il n'y a pas de sécurité dans les usines?

Dois-je interpréter cela comme voulant dire que vous considérez comme inefficaces les services de contrôle, au chapitre de la sécurité, qui sont appliqués par le ministère du Travail?

M. Saint-Amour: Je parle des services de sécurité pour l'employé d'abord. Au départ, il est mal payé et, deuxièmement, il travaille dans des conditions qui ne sont pas sécurisantes, qui sont dangereuses à cause du mauvais outillage de ces manufactures.

M. Paquin: II n'y a pas seulement l'aspect sécurité et coup d'oeil, mais on a fait allusion, précédemment, aujourd'hui, au fait que ça ne semblait pas être le problème de la main-d'oeuvre qui rendait non rentables certaines entreprises; cela ne semblait pas être le problème du coût de la matière première, puisque, ailleurs, on a des coûts de matière première plus élevés et qu'on est plus rentable. Ce ne semble pas être les frais de transport, alors, que reste-t-il? Ce sont peut-être les frais de transformation, et c'est la conclusion à laquelle on était arrivé en lisant plusieurs études qui ont été présentées à des commissions parlementaires précédentes. On n'a pas fait d'étude sur le terrain pour en arriver à cette conclusion, mais cela a été le fruit de notre réflexion de nous dire que si ce n'est pas le coût de la main-d'oeuvre qui rend les entreprises d'East Angus et de la Wayagamack non rentables, si ce n'est pas le coût de la matière première et si ce ne sont pas les frais de transport, mon Dieu, qu'est-ce que c'est? C'est la transformation.

Comme on l'a vu ce matin, la transformation est peut-être fonction du fait que les investissements n'ont pas été faits en quantité suffisante ou ont été faits d'une façon inadéquate. Comme le type de la CSN disait tantôt, on a dit qu'on avait rénové certaines machines, mais on changeait une pièce et c'était cela l'investissement de remplacement. Notre diagnostic à ce sujet, quand on parle de vétusté, c'est l'inefficacité des équipements à cause d'un investissement insuffisant.

M. Pagé: Sur ce sujet, je prends note de votre opinion.

Ailleurs, dans le mémoire, vous souhaitez que le gouvernement du Québec multiplie les expériences comme celles de Tembec, de Cabano, de Donohue, etc. Croyez-vous que des propositions comme celles-là pourraient s'appliquer dans les cas d'East Angus et de Wayagamack?

M. Paquin: II faut bien s'entendre; quand on parle de multiplier les expériences de ce type, on ne pose pas de jugement sur les modes de gestion comme tels, mais plutôt sur le fait que ce sont des expériences de prise en main de certaines entreprises par des agents écnomiques locaux. Or, il est bien évident que s'il y avait moyen, d'une façon ou d'une autre, d'augmenter, soit à Trois-Rivières ou soit à East Angus, par un moyen quelconque, la propriété d'agents économiques locaux, on l'appuierait. Maintenant, on ne se prononce pas sur la formule par laquelle cela pourrait se faire.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Brome-Missisquoi.

M. Russell: M. le Président, je serai très bref. Je crois bien que personne ne met en doute la compétence du personnel qui a préparé ce mémoire. Je crois qu'il est très instructif, très informateur, pour la décision à prendre, chose qui nous est très nécessaire. C'est certainement le but principal de votre mémoire et le but de la commission.

Par contre, il y a certaines questions qui me laissent un peu "jongleur"; entre autres, dans votre mémoire, à la page 6, lorsque vous parlez de Domtar qui est possédée, à 16,9%, par Argus Corp., U.S.A.

M. Paquin: Oui, mais...

M. Russell: Je m'excuse... Si je comprends bien, il s'agit là de Domtar, d'une compagnie publique. Les actions de Domtar sont sur le marché et je pourrais donc — je ne dis pas que je le ferais — demain matin, comme Canadien français, aller à la Bourse de Montréal et acheter les actions de Domtar, si j'avais les fonds pour le faire, n'est-ce pas?

M. Paquin: J'ai fait une correction au début; ce n'était pas Argus Corp., U.S.A., c'était Argus, Canada; il y a eu une erreur de transcription.

Deuxièmement, on sait très bien que, dans le cas de grosses corporations, le fait de posséder un bloc d'actions de cette envergure équivaut, en pratique, à un contrôle effectif. Or, il est bien certain que je peux avoir des actions de Argus ou de Domtar sans avoir le pouvoir de décision des grandes politiques d'investissement ou de gestion de cette entreprise.

M. Russell: Si je pouvais acheter 20% des actions de Domtar, je pourrais être contrôleur de Domtar, n'est-ce pas?

M. Paquin: Oui, seulement je pense que cela vous coûterait cher.

M. Russell: Cela coûterait cher! Il faut quand même regarder la situation en face, telle qu'elle est actuellement. Domtar est une compagnie canadienne.

M. Paquin: Oui.

M. Russell: En majorité, à 85% en chiffres ronds, ses actionnaires sont des Canadiens, à la Bourse publique. Donc, tout le monde peut acheter des actions sur le marché. Suis-je dans l'erreur?

M. Saint-Amour: Je me demande pourquoi ce ne seraient pas des Québécois, des francophones qui achèteraient cela.

M. Russell: Un instant.

M. Saint-Amour: Je suggère au gouvernement actuel s'il n'y aurait pas moyen — c'est là qu'on parle de suggestions — que le gouvernement prenne des dispositions à cet effet.

M. Russell: Remarquez bien que je ne tente pas de défendre Domtar. Je tente de clarifier une situation en vue d'informer tous les membres de cette commission. Domtar, si je comprends bien, est une compagnie qui fonctionne dans le Québec.

M. Paquin: Oui.

M. Russell: Elle a aussi beaucoup d'opérations dans d'autres parties du Canada.

M. Paquin: Oui.

M. Russell: Donc, c'est une corporation canadienne.

M. Paquin: Oui, mais contrôlée par un groupe de financiers anglophones de l'Ouest du Canada.

M. Russell: Si on veut poursuivre plus loin cette explication, j'étais pour vous demander quelle était la partie de Consolidated-Bathurst qui était détenue par des étrangers. Avez-vous cette information?

M. Paquin: On n'a pas l'information. On sait que le siège social, évidemment, est à Montréal.

M. Russell: Oui. Les contrôleurs de Domtar ne sont-ils pas des Canadiens français?

M. Saint-Amour: Je suis positivement certain que ce ne sont pas des Canadiens français.

M. Russell: Vous êtes positif? M. Saint-Amour: Oui.

M. Russell: Quel pourcentage est détenu par des étrangers?

M. Saint-Amour: Je pense que vous pouvez mettre une proportion de 75% à 80% qui ne sont pas Québécois ici.

M. Russell: Est-ce une affirmation que vous faites?

M. Saint-Amour: Elle n'est pas gratuite. C'est une affirmation que je fais pour avoir déjà fait des recherches. Vous n'avez qu'à regarder la composition des conseils.

M. Russell: Pourrais-je vous suggérer de reprendre vos recherches?

M. Saint-Amour: J'irai à la même université où je suis allé, soit à l'Université de Montréal, aux HEC.

M. Russell: Je vous suggérerais de reprendre vos recherches là-dessus. Mon autre question serait la suivante: En quoi cela changerait-il la rentabilité de ces compagnies dont on a parlé cet après-midi, comme East Angus, si elles étaient détenues totalement par des Québécois, avec le même équipement?

M. Saint-Amour: Nous, ce qu'on cherche, c'est que le réinvestissement soit fait à 100% au Québec. C'est cela qu'on veut.

M. Paquin: La rentabilité à court terme pourrait ne pas changer, mais la rentabilité à long terme le pourrait dans la mesure où, lorsqu'on décide de "désinvestir" pour investir aux États-Unis ou dans l'Ouest du Canada ou dans d'autres secteurs de l'économie, c'est une décision qu'une entreprise ou qu'un centre de décision étranger prend, tandis que, si vous avez une entreprise locale qui se développe localement, elle est intéressée à réinvestir...

M. Russell: J'accepte vos affirmations et je vais vous poser une question. Pouvez-vous me donner le pourcentage d'actions que détient Domtar en dehors du Canada, dans d'autres compagnies, à l'extérieur des États-Unis? Avez-vous cette information?

M. Paquin: D'actions?

M. Russell: Quel intérêt? Quel investissement?

M. Saint-Amour: On n'a qu'à consulter Moody's et on va le savoir.

M. Russell: Pardon?

M. Saint-Amour: On n'a pas apporté le livre. On va voir Moody's et vous aurez tous ces renseignements. Dans le moment, on ne les a pas.

M. Russell: Dans quelles parties du monde Domtar a-t-elle des investissements autres qu'au Canada?

M. Saint-Amour: Si vous voulez me laisser 24 heures, je vais vous répondre. Je vais aller...

M. Russell: Je pense que c'est extrêmement important, à l'étude de votre mémoire, que les membres de la commission qui sont de bonne foi, qui sont ici pour prendre note d'une situation de fait, possèdent ces renseignements parce que cela peut changer bien des décisions.

Je pense bien que le ministre des Terres et Forêts est drôlement intéressé de le savoir et surtout le ministre des Finances.

M. Saint-Amour: Je comprends, mais je pense que le but de notre mémoire n'était pas de jouer avec des chiffres et de faire du funambulisme avec des proportions ou des pourcentages. Ce n'est pas cela qu'on voulait. On voulait vous prouver que le Québécois francophone n'a pas sa place dans ce genre d'industrie, d'ailleurs, dans presque pas d'industries.

M. Russell: M. le Président...

M. Saint-Amour: On est chez nous ici. C'est cela qu'on déplore. Je pense que dans le mémoire, avec les félicitations que nous a faites M. le député... Je ne me rappelle pas votre nom, vous m'excuserez.

M. Pagé: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. Saint-Amour: Mais il reste une chose.

M. Pagé: M. le ministre se plaint toujours d'être mal interprété par les journalistes. Je ne voudrais pas avoir à me plaindre d'être mal interprété par les interlocuteurs. Ce que j'ai dit, c'est que, sans avoir de compétence au sujet de la poésie de votre première page, à laquelle je ne souscris nécessairement pas. je disais que ça pouvait au moins contribuer à amener une note mélancolique et poétique à cette heure-ci de nos travaux.

M. Saint-Amour: On n'a pas fait l'erreur du Dr Lachance, on n'a rien cité en anglais pour respecter le bill 101. C'est tout simplement ça que je voulais vous dire. Pour continuer, le but de notre mémoire n'était pas de faire des calculs savants et de vous présenter un texte d'ingénieur forestier. On ne l'est pas. Mais on voulait prouver que le Québécois n'a pas sa place au Québec, et plus précisément dans l'industrie des pâtes et papiers; au niveau des cadres, encore moins. Il l'a au niveau des employés, des journaliers et dans des conditions minables; c'est ça qu'on déplore, c'est tout.

M. Russell: M. le Président, j'ai certainement mal compris tout à l'heure. Parce qu'à la question que je vous ai posée, comme c'étaient Domtar et l'autre compagnie dont on discutait tout à l'heure, le nom m'échappe...

M. Saint-Amour: C'est parce que vous me demandez...

M. Russell: ... un instant, Consolidated, c'étaient des compagnies à fonds publics. Je pourrais, demain matin, comme Québécois, Canadien français — même si je possède un nom anglais, je suis natif du Québec, j'ai fait mes études au Québec; je n'ai pas été longtemps à l'école cependant — je pouvais aller acheter, si j'en avais les moyens, des actions majoritaires sur le marché et devenir le Québécois qui contrôlerait Domtar du Canada, pas seulement du Québec, du Canada. Et je pourrais, comme Canadien, si je voulais, si j'ai bien compris la situation, même contrôler des usines en Ontario et dans d'autres parties du Canada comme Québécois.

M. Saint-Amour: Si vous avez une solution... M. Paquin: ... vous le pourrez.

M. Russell: C'est ça, je vous ai posé la question...

M. Paquin: Potentiellement, vous le pourriez, mais, dans les faits, on s'aperçoit que ce n'est pas ça. En ce qui concerne les administrateurs de ces grandes entreprises, vous pouvez consulter ce qu'on appelle le Pulp and Paper Directory et vous allez vous apercevoir qu'il n'y a pas beaucoup d'administrateurs francophones dans ces entreprises.

M. Russell: Dans la Consolidated-Bathurst? M. Paquin: Dans toutes les entreprises.

M. Russell: Je ne sais pas, il va falloir réviser la liste avec vous.

M. Paquin: Vous dites que vous n'êtes pas allé...

M. Russell: On va faire ça ensemble. Écoutez, je connais quelques-uns des administrateurs de Consolidated-Bathurst pour des raisons que je pourrais vous donner plus tard, mais ceux à qui je me suis adressé m'ont parlé en français. Pour autant que je sache, ce sont des Québécois.

M. Paquin: Je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas.

M. Russell: Ils sont un peu comme moi, il y en a quelques-uns qui ont des noms anglais, mais ils sont natifs du Québec, ils ont fait leurs études au Québec et ce sont des administrateurs. Vous avez dit vous-même tout à l'heure que le siège social était à Montréal. Pour autant que je sache, Montréal est encore dans le Québec. Je tiens ça comme acquis, j'essaie de clarifier une situation. Je ne

voudrais pas que la commission reste dans l'ambiguïté. Je veux revenir à une chose que vous avez affirmée tout à l'heure et ça m'inquiète un peu. Vous avez parlé de l'usine qui fonctionnait dans des conditions anormales. Je sais qu'il y a des usines dont le fonctionnement est organisé par un équipement qui pollue les cours d'eau, je suis d'accord, l'air, la senteur et autre chose.

Mais, lorsque vous parlez d'équipement désuet, dangereux pour les ouvriers, je me pose des questions, parce qu'on a quand même des inspecteurs au ministère du Travail qui sont censés vérifier cela dans ces usines et prendre des mesures lorsque la compagnie ne veut pas se conformer à des normes de sécurité pour les employés. Je voulais simplement vous poser la question suivante: Avez-vous visité ces usines pour vous rendre compte des faits que vous avez exposés devant la commission? Parce que c'est une accusation assez grave, à mon sens. Parce que je vais être obligé de me retourner et de demander au ministre de faire en sorte que les inspecteurs du ministère du Travail révisent leurs positions. Si c'est réellement le cas.

En ce qui concerne la pollution, d'accord. En ce qui concerne la senteur, quand je passe par East Angus, je trouve qu'il y a une drôle de petite senteur que je n'aime pas; c'est plus fort que le parfum. Mais quand on parle d'équipement non rentable, je suis d'accord, mais dangereux pour l'ouvrier, je ne suis pas d'accord. Il y a deux choses qui ne marchent pas. Il y a quelqu'un qui ne fait pas son travail et, si cette personne ne fait pas son travail, on doit prendre des mesures. C'est le rôle, le devoir, l'obligation de la commission de faire en sorte que ces gens prennent leurs responsabilités et de fermer ces usines.

M. Saint-Amour: Cela fait longtemps que j'ai vu cela. Peut-être qu'aujourd'hui, avec le gouvernement actuel, ils prennent leur rôle au sérieux. Mais je peux vous dire qu'il y a deux ans, j'ai visité trois entreprises, il y avait de la place pour de l'amélioration et je pense que les inspecteurs ne devaient pas rendre leur travail efficace.

M. Grenier: Une chance qu'on a eu le 15 novembre.

M. Russell: M. le Président, je m'excuse. Je dis simplement que s'il y a un danger à ce point-là, on doit le faire pour chaque usine du Québec. J'espère qu'on est sévère sur ce point-là. De l'amélioration, il y en a à faire dans chaque usine. Chaque jour, on doit faire en sorte d'améliorer les conditions de travail des ouvriers et surtout en ce qui concerne la protection de l'ouvrier.

M. Saint-Amour: Je peux vous dire que j'ai des parents qui travaillent à l'usine de Windsor Mills et ils m'ont donné l'occasion de constater des faits assez durs pour l'ouvrier. Je peux vous le dire. Ma famille porte un nom à consonnance non française, qui s'appelle Murphey, c'est aussi dangereux que Johnson, votre nom, je ne le sais pas.

M. Russell: Russell.

M. Saint-Amour: II reste un fait, c'est qu'on m'a avoué humblement qu'il y avait de la machinerie qui était même dangereuse pour l'ouvrier. Moi, je n'irais pas travailler dans des conditions comme celles-là.

M. Russell: Si je peux m'exprimer ainsi, les Irlandais, tout en étant des conservateurs, sont quelquefois libéraux en expression.

M. Saint-Amour: Oui.

M. Russell: M. le Président, j'aurais d'autres questions à poser, mais comme la commission ne vient que de commencer, je pourrai me reprendre.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): D'accord. M. le député de Rimouski.

M. Marcoux: Je pense qu'il faut prendre votre mémoire pour ce qu'il est. C'est peut-être davantage un mémoire idéologique, qui définit un peu des valeurs sur lesquelles vous voudriez que le gouvernement se fonde pour définir sa politique, qu'un mémoire technique ou économique comme tel.

Ma question va être un peu dans le même style. Vous voulez que les Québécois prennent le contrôle du secteur des pâtes et papiers, contrôle qui leur échappe actuellement. Mais il y a différents niveaux d'intervention. Supposons que le gouvernement du Québec ne peut pas arriver à contrôler ou à donner aux québécois les moyens de contrôler à la fois la récolte du bois, la transformation de ce bois, au niveau de la mise en marché, du contrôle des marchés, à quel secteur d'intervention accordez-vous la priorité parmi les différents secteurs d'intervention possibles, dans tout ce qui concerne le secteur des pâtes et papiers? Disons que le gouvernement du Québec a $500 millions à investir dans le secteur des pâtes et papiers d'ici trois ou quatre ans, à quel endroit les mettez-vous? Est-ce que vous les mettez au niveau de la récolte du bois, de la sylviculture, de l'aménagement, pour faire en sorte qu'il y ait des approvisionnements sûrs de la reprise, donc le contrôle des concessions forestières. Est-ce que vous les mettez au niveau de l'achat ou de la construction de deux, trois ou quatre nouvelles usines de pâtes et papiers qui seraient la propriété des Québécois? Vous les mettez au niveau de la création d'une régie de mise en marché des pâtes et papiers par laquelle toutes les pâtes et papiers seraient obligées de passer? Quel serait le secteur prioritaire d'intervention, si vous aviez des choix à faire?

M. Blanchard: Je pense qu'on serait tous d'accord pour reconnaître qu'il faut repartir, à pied d'oeuvre, une économie générale de la sylviculture au Québec. À ce moment-là, qu'est-ce qui empêcherait le gouvernement de se pencher sur une loi spéciale de la sylviculture, comme on l'a fait dans d'autres pays?

Le gouvernement n'est pas obligé d'investir tellement. Il s'agit de normaliser l'entretien des forêts, par exemple, de préserver les forêts qui sont jeunes, qui sont très mal exploitées, parfois, qui sont abattues avant même d'arriver à maturité; de prévoir des coupes sélectives; — ce sont des normes que le pouvoir public peut prévoir — de prévoir le drainage des terrains forestiers marécageux. Si vous allez sur les routes du Québec, vous remarquerez que, dans bien des coins, il y a des cimetières forestiers où les souches sont abandonnées et où il n'y a aucun drainage. Il faudrait définir les procédés de coupe. On fait des coupes à blanc. C'est une première mesure à laquelle il faut penser.

M. Marcoux: Je vous interromps.

M. Blanchard: II faut ensuite préciser la dimension des arbres à couper. Si vous avez déjà vu la machinerie à l'oeuvre, on rase complètement les gros, les petits et les moyens. On sélectionne après, dans certains cas. Sur les terres de l'État, par exemple, qu'est-ce qui empêche l'État de déterminer lui-même quels seront les arbres à couper? Qu'est-ce qui empêche les inspecteurs forestiers de déterminer comment les coupes seront faites?

C'est une loi qui ne demande pas de déboursés épouvantables, mais c'est une première loi qu'il serait peut-être sage d'adopter. Pensons aux cultivateurs aussi, à changer la mentalité des cultivateurs qui ont des boisés et qui les détruisent actuellement parce qu'ils manquent de ressources. Il faudrait peut-être transformer peu à peu la mentalité et considérer qu'un boisé est en fait comme n'importe quelle autre récolte végétale. On entretient un boisé comme on entretient un champ de céréales. On prend des mesures qui sont adaptées à la reproduction de ces productions. Vous avez là une première phase, quant à moi, qui doit être faite, qui doit être amorcée par l'État. Dans un deuxième temps, la modernisation des usines qui sont incapables de se moderniser par leurs propres ressources. À East Angus, par exemple, la CSN nous a bien montré ce qu'il y avait à faire. Si cela prend $40 millions pour moderniser East Angus, pour éviter d'envoyer 300 ou 400 personnes sur le bien-être social, je pense que l'État ne doit pas hésiter à aborder, avec la compagnie par exemple — il ne s'agit pas d'étatiser — une politique de restructuration et de modernisation.

M. Marcoux: Sous forme de subventions?

M. Blanchard: Pas nécessairement. Si l'État décide d'investir dans cette entreprise, il peut posséder, comme le député Russell le signalait, un portefeuille d'actions qui lui permettra d'aller mieux contrôler les livres de la compagnie, de savoir exactement à partir de quelles données les statistiques s'acheminent. La CSN se plaignait de ne pas pouvoir avoir de statistiques, de ne pas pouvoir vérifier. Peut-être qu'une façon très simple de le faire serait de prendre des actions et d'aller s'asseoir au bureau de direction.

M. Marcoux: Si je comprends bien votre pensée, l'intervention, plutôt qu'au niveau du contrôle de la mise en marché ou de la transformation, vous préférez que ce soit au niveau des approvisionnements et de l'aménagement sylvicole, etc. C'est au niveau primaire, en somme, que l'intervention du gouvernement du Québec devrait se faire?

M. Blanchard: Cela nous semble pertinent.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Messieurs les représentants du Conseil des hommes d'affaires québécois, je vous remercie beaucoup au nom des membres de la commission pour votre participation et pour votre collaboration.

J'invite maintenant l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec et M. Gilbert Chassé, son président, à venir à la table, s'il vous plaît.

À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Chassé, je vous demanderais de bien vouloir présenter les membre qui vous accompagnent.

Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec

M. Chassé: À ma gauche, Jean Perron et André McNeil, consultants; à ma droite, Napoléon Létourneau, notre directeur général.

M. le Président, MM. les membres de la commission parlementaire, l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec désire remercier l'honorable ministre des Terres et Forêts, M. Yves Bérubé, pour l'invitation qu'il lui a transmise de soumettre un mémoire devant cette commission et aussi pour le délai qu'il a bien voulu consentir dans la fixation des dates des réunions de cette même commission.

En soumettant ce mémoire au nom de l'industrie québécoise du sciage, notre association espère ajouter sa contribution à celle des autres participants qui veulent assurer le redressement de l'économie québécoise et la relance de son développement industriel. En plus du mémoire que nous avons déposé devant cette commission, nous avons également déposé un résumé de ce mémoire que le directeur général de notre association va maintenant vous lire.

M. Létourneau (Napoléon): M. le Président, MM. les membres de la commission parlementaire, avant de faire un résumé de notre mémoire, qu'il me soit d'abord permis de situer l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec par rapport à son caractère représentatif de l'industrie québécoise du sciage.

Fondée en 1953, l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec, plus souvent appelée AMBSQ, existe depuis près de 25 ans maintenant. Elle doit son origine au désir légitime d'industriels québécois de sciage de se regrouper afin de former leur propre association et se donner des services collectifs propres à leurs besoins particuliers. L'AMBSQ regroupe aujourd'hui la majorité des principaux industriels québécois de

sciage, membres d'associations reconnues, à savoir 158 membres sur 185, c'est-à-dire 85%. Elle compte dans ses rangs des scieries autochtones, des scieries intégrées aux pâtes et papiers, des scieries appartenant à un organisme paragouver-nemental, des scieries productrices de bois résineux, de bois feuillu, communément appelé bois franc, des scieries de bardeaux, de lattes, de dormants pour chemins de fer, etc.

Ses membres produiront, en 1977, quelque 1,75 milliard de p.m.p. de bois de sciage, ce qui représente 65% de la production totale québécoise de bois de sciage. Les industriels québécois de bois de sciage se sont donné, par leur association, des services collectifs de contentieux, de relations industrielles, de contrôle de qualité de leurs produits, de statistiques et d'économique, de relations publiques et de communications. Ils ont fait la preuve que des industriels peuvent se regrouper et se doter de services communs, tout en conservant une parfaite autonomie de gestion.

Nous avons tenu, MM. les membres de cette commission parlementaire, à vous renseigner sur le caractère représentatif de l'AMBSQ, parce que l'invitation transmise à cette dernière de présenter un mémoire précisait que l'objet principal des travaux de cette commission consistait à étudier les perspectives d'avenir de l'industrie des pâtes et papiers du Québec. En intitulant son mémoire Prospectives de l'industrie du sciage au Québec en relation avec celle des pâtes et papiers, l'AMBSQ ne veut pas déplacer l'intérêt et l'objectif de cette commission. Cependant, il lui est apparu évident que c'est en adaptant à l'industrie du sciage les thèmes suggérés dans le plan de travail attaché à l'invitation qu'elle pourrait apporter sa contribution constructive et positive aux travaux de cette commission.

Chacun des thèmes suggérés fait l'objet d'un chapitre de notre mémoire et, en les développant sous l'aspect du sciage, l'AMBSQ veut montrer que les préoccupations de l'industrie québécoise du sciage rejoignent à plusieurs égards celles de l'industrie des pâtes et papiers et qu'il s'établit une relation profonde entre les deux secteurs dans plusieurs activités économiques, sociales et techniques. Qu'il suffise de mentionner que les deux secteurs utilisent la forêt québécoise comme source de matière première, que les deux secteurs ont des unités de production disséminées dans toute la province de Québec, que les deux secteurs ont parfois des opérations analogues et, partant, une main-d'oeuvre similaire, et, enfin, que les deux secteurs s'appuient considérablement sur l'exportation dans l'écoulement de leur production.

Certaines recommandations de notre mémoire traduisent d'ailleurs cette affinité. Nous nous permettons de vous les citer en guise de résumé.

Que le ministère des Terres et Forêts confectionne un plan provincial d'approvisionnement pour les principaux utilisateurs de matières ligneuses.

Que le gouvernement, par son ministère des Terres et Forêts, poursuive la révocation des concessions forestières détenues par les industries papetières et de sciage.

Que les priorités de ce programme de révocation soient orientées vers celles dont dépendent directement les industriels de sciage pour leur approvisionnement et que ce même programme de révocation tienne compte des produits conjoints de sciage tels les copeaux, sciures et planures et de leur disponibilité.

Que, dans les forêts domaniales, le système d'allocation de la matière ligneuse, soit le contrat d'approvisionnement, soit maintenu et que ce contrat ait une durée initiale de dix ans et compte une clause de renouvellement pour une période additionnelle de dix ans.

Que la politique de droit de coupe présentement appliquée par le ministère des Terres et Forêts demeure, du moins à court terme, inchangée. Que les chantiers d'exploitation forestière fassent l'objet d'une inspection conjointe avant coupe par un officier du ministère des Terres et Forêts et l'utilisateur afin de réduire les infractions après coupe et favoriser une meilleure utilisation de la matière ligneuse.

Que la redevance fixe de $1 par unité de 100 pieds cubes de bois coupé, présentement demandée à certains utilisateurs de matière ligneuse, demeure inchangée tant et aussi longtemps qu'une formule adéquate de répartition des charges de construction et d'entretien de chemins forestiers publics n'aura pas été établie entre toutes les parties concernées.

Que le ministère des Terres et Forêts procède à l'élaboration des normes et méthodes de mesurage permettant d'établir le vrai volume de bois destiné à une usine.

Que le ministère des Terres et Forêts limite l'accès des groupements forestiers à la forêt publique à des cas bien précis.

Que le ministère des Terres et Forêts régionalise davantage l'émission des permis de coupe à des fins commerciales en commençant par ceux émis dans les forêts domaniales.

Que la réglementation du transport en vrac du bois soit régie d'une façon particulière et tienne compte des variables inhérentes au bois.

Que la surcharge permissible de 10% par essieu soit ajoutée à la charge totale dans les cas de transport du bois brut et des copeaux.

Que les accords de réciprocité soient rouverts avec les autres provinces pour abolir les frais inhérents au passage de transit.

Qu'un comité ad hoc soit formé par un représentant du ministère des Terres et Forêts, un représentant du ministère de l'Industrie et du Commerce, un représentant de l'AMBSQ et un représentant de la région concernée. Ceci dans le but d'évaluer l'impact de la fermeture de l'usine sur la région.

Deuxièmement, d'effectuer une prévision de rentabilité dans le cas où des fonds monétaires pourraient être prêtés à l'entreprise dirigée par le gestionnaire précédent ou nouveau.

Que les différents organismes gouvernementaux et paragouvernementaux ne soient pas réti-

cents à tout projet de concentration économiquement fiable. Ceci permettrait l'accessibilité à une meilleur position concurentielle sur le marché pour les entreprises qui autrement seraient dans l'obligation de s'éliminer.

Voilà autant de sujets qui, à notre avis, démontrent une interrelation profonde entre le secteur des pâtes et papiers et celui du sciage. À cet égard, ce mémoire rejoint l'objet de cette commission parlementaire. Le secteur sciage et le secteur des pâtes et papiers sont les deux partenaires les plus importants dans l'exploitation et l'utilisation de la matière ligneuse.

L'état actuel du secteur des pâtes et papiers ne laisse pas indifférent le secteur sciage. Les répercussions de cet état y sont ressentes profondément.

Le développement même de l'industrie québécoise du sciage est lié intimement aux solutions qui seront élaborées pour relancer le secteur québécois des pâtes et papiers. À ce dernier chapitre, l'industrie québécoise du sciage soutient qu'elle peut être l'un des éléments de solution, précisément à cause de son rôle de partenaire dans l'exploitation et l'utilisation de la matière ligneuse. En effet, l'industrie québécoise du sciage, par l'investissement répété de ses profits, se situe, aujourd'hui, à la fine pointe du développement technique. Cecte évolution technologique s'est traduite par des opérations en usine plus rationnelles et surtout par une récupération beaucoup plus considérable de matière ligneuse issue de l'arbre. Non seulement la quantité de bois d'oeuvre produite n'a pas diminué, mais en plus, 50% de l'arbre sont transformés en copeaux.

Ce dernier élément revêt une dimension considérable dans l'optique d'une utilisation maximale de la matière ligneuse et peut s'avérer une solution à la crise de rentabilité de l'industrie des pâtes et papiers quant au coût de sa matière première. Ainsi, l'industrie québécoise du sciage produira, en 1977, quelque 3,1 millions de tonnes anhydres de copeaux.

D'une part, cette matière première, en tant que source d'approvisionnement est fiable et stable et, d'autre part, le coût à la tonne des copeaux produits par les scieries est nettement inférieur à celui de l'industrie des pâtes et papiers.

Il nous apparaît évident que la solution réside dans une utilisation en priorité des copeaux de scieries par les pulperies qui, soit dit en passant, peuvent consommer à plein rendement environ 7,5 millions de tonnes anhydres de copeaux annuellement.

Cela ne saurait se concrétiser — et nous nous permettons de reprendre l'une de nos recommandations — qu'à la condition où le ministère des Terres et Forêts confectionnera un plan provincial d'approvisionnement pour les principaux utilisateurs de matière ligneuse.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup. Et je cède la parole, au nom du gouvernement, au député d'Abitibi-Est.

M. Bordeleau: Je voudrais d'abord remercier, bien sûr, l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec, de s'être intéressée à cette commission en y déposant son mémoire.

En prenant connaissance du mémoire, il m'est apparu comme étant un document très bien préparé et étoffé, comportant plusieurs tableaux comparatifs qui, je pense, aident à une meilleure compréhension.

Je crois donc que c'est un document qui sera utile à la commission d'abord et qui pourra servir également à l'avenir à différents intervenants dans le domaine du sciage.

Une petite remarque ici en passant — qui n'est pas nécessairement un reproche — d'ailleurs, vous l'avez mentionné dans votre résumé également. Votre mémoire traite bien des six points ou thèmes sur lesquels la commission doit se pencher, dans les prochains jours, mais les rapports toujours au domaine du sciage. Évidemment, vous le mentionnez.

Cependant, comme vous le mentionnez également, les préoccupations du sciage rejoignent tellement celles des pâtes et papiers que je pense qu'à ce moment, elles peuvent apporter un élément de solution au problème qu'on veut discuter ici, soit le problème de l'industrie des pâtes et papiers.

Je crois donc que votre mémoire saura sûrement éclairer cette commission.

À la lecture de votre document, particulièrement à la page 121, il m'a semblé que vous favorisiez le regroupement des usines de sciage. D'ailleurs, si on prend ce qui s'est fait dans le passé, c'est ce qui est arrivé alors que les usines ont grossi et se sont regroupées, mais par contre, vous ne semblez pas approuver l'intégration des usines de sciage aux usines de pâtes et papiers.

Là-dessus, j'aimerais que vous puissiez expliciter un peu vos raisons et en pendant à cette question, en prenant l'exemple d'intégration de la nouvelle usine Donohue à Saint-Félicien, que pensez-vous d'un tel type d'intégration?

Ce serait ma première question.

M. Létourneau: Pour répondre à votre question, disons d'abord que l'industrie du sciage désire un secteur autochtone de sciage fort. Elle mentionne dans son mémoire qu'elle ne s'oppose pas à l'intégration de certaines scieries aux pâtes et papiers lorsque ces mêmes scieries seraient menacées de s'éliminer s'il n'y avait pas intégration.

Dans le cas que vous mentionnez, la Donohue à Saint-Félicien, l'association ne s'est pas opposée à l'intégration des trois scieries en tant qu'association parce que si l'intégration signifie la non-élimination de scieries... L'impact social d'une scierie peut devenir aussi considérable, s'il y avait élimination, que la fermeture d'une usine de pâtes et papiers. Beaucoup de villes de la province de Québec dépendent en totalité, dans leur main-d'oeuvre, d'une industrie de sciage.

M. Bordeleau: D'accord. Maintenant, vous venez de répéter le mot. Vous parlez dans votre

mémoire d'entreprise autochtone. Je me demande comment cela peut s'intégrer...

J'aimerais savoir votre définition d'une entreprise autochtone, étant donné que vous favorisez le regroupement. Alors, en vue d'un regroupement, j'imagine qu'à un certain moment, où s'arrête une entreprise autochtone?

M. Létourneau: Une entreprise autochtone se définit pour nous comme une entreprise de sciage qui appartient à un Québécois, qu'il soit francophone ou anglophone, mais elle appartient à un Québécois.

Disons que notre mémoire ne dit pas que nous nous opposons à l'intégration.

M. Bordeleau: Vous ne semblez pas la favoriser plus que cela, mais il n'y a pas d'opposition systématique.

M. Létourneau: Bien sûr.

M. Bordeleau: Pour compléter... Vous venez de me dire... Si une compagnie est autochtone, elle appartient à un Québécois. Si c'est une compagnie québécoise qui aurait éventuellement des actions, même sur le marché, considéreriez-vous que cela serait une entreprise autochtone?

M. Létourneau: Oui.

M. Bordeleau: Également.

M. Létourneau: Une entreprise autochtone peut regrouper plusieurs unités de production.

M. Bordeleau: Pour revenir au domaine du sciage, dans votre mémoire, à la page 51, vous suggérez une formule qui permettrait de répartir adéquatement les frais de voirie forestière entre tous les usagers, y compris le grand public. Est-ce que vous auriez une formule plus précise ou est-ce que vous pourriez préciser un peu cette suggestion que vous faites?

M. Létourneau: Nous n'avons pas élaboré de formule, mais nous croyons qu'il y a beaucoup d'utilisateurs de la forêt québécoise et que, présentement, seuls les utilisateurs de matière ligneuse proprement dits ont à payer une redevance pour la voirie forestière. Nous croyons que si on veut ouvrir la forêt au grand public et en fait à tout le monde, que ce soit le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, on devrait développer une formule qui permettrait de répartir à chacun des utilisateurs le coût de la construction et de l'entretien des chemins forestiers.

M. Bordeleau: Au niveau du transport du bois, là aussi, vous demandez d'apporter une réglementation spéciale dans le cas du transport en vrac en ce qui concerne le bois. Est-ce que vous auriez quelque chose à proposer là-dessus? Vous parlez de 10%, est-ce que vous parlez aussi d'une formule différente pour le transport du bois?

M. Létourneau: Le bois lui-même peut varier en poids, à cause de sa densité, des conditions climatiques. Il y a un tas de facteurs qui vont faire que le bois peut changer de poids au cours de son transport. Si on fixe une réglementation sur le poids, il se peut fort bien qu'un transporteur ait une charge variable au départ par rapport à l'arrivée. On dit qu'il devrait s'établir une formule beaucoup plus juste, qui tiendrait davantage compte de cette variation climatique.

M. Bordeleau: À ce moment-là, avec 10%, ce n'est pas suffisant pour prendre la différence de poids?

M. Létourneau: Actuellement, on a 10% par essieu, on n'en a pas pour la charge totale. On souhaiterait que ce soit sur la charge totale. On comprendra facilement qu'il est difficile d'équilibrer une charge et dire: On a seulement 10% sur un essieu et on ne l'aura pas sur l'autre, mais on n'aura pas 10% de surcharge totale. Il arrive fréquemment que la surcharge permissible par essieu de 10% se répercute également sur la charge totale, on le comprend.

M. Bordeleau: D'accord. Par contre, est-ce que vous auriez une proposition pour modifier la façon de réglementer, soit par le volume ou par un autre système que le poids?

M. Létourneau: II y a plusieurs formules qui ont déjà été élaborées et présentées par l'association devant la Commission des transports; on y demandait que ça tienne compte de la densité du bois, des conditions climatiques, parce que le bois se mesure. C'est un élément qui se mesure au p.m.p. billot ou encore au p.m.p. sciage.

M. Bordeleau: Est-ce que ce serait une formule que vous aimeriez voir accepter.

M. Létourneau: Oui.

M. Bordeleau: D'accord. C'est tout pour moi, M. le Président.

Le Président (M. Brassard): Le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier les représentants de l'Association des manufacturiers de bois de sciage pour la qualité du mémoire qu'ils nous ont présenté. Le seul regret que j'ai, c'est que les membres de cette commission ne puissent avoir l'occasion de lire ensemble tout le document. Je comprends, parce qu'il est très volumineux, que, dans un délai de deux heures, cela aurait été difficile.

Votre association nous apporte plusieurs recommandations auxquelles nous souscrivons sans vouloir toutes les reprendre. Je dois d'ores et déjà vous dire que nous sommes solidaires de vos préoccupations. Nous espérons que le gouvernement saura donner une suite favorable à vos re-

présentations, notamment celles touchant les routes forestières et celles du transport.

M. le Président, vous me permettrez de faire état de l'expérience de mon comté, chez moi et dans Portneuf, où on a été confronté avec ces problèmes. On a beaucoup de manufacturiers chez nous et, avec nos routes forestières, je vous dis que c'est difficile pour ces industriels, bien souvent, dans la relation qu'ils ont avec le gouvernement.

J'invite le ministre à se pencher dans les plus brefs délais sur cette question, parce que, aussi surprenant que cela puisse paraître, j'ai déjà vu chez moi non pas des disputes, mais pas loin, entre les manufacturiers et le ministère du Tourisme, pour des routes sur la réserve de Portneuf, et j'ai toujours été très surpris de voir la position du gouvernement du Québec, par le biais du ministère du Tourisme, sur des questions comme celle-là.

J'aurais une première question. Parmi les recommandations que vous formulez, je vais me permettre de reprendre la 18e. Vous recommandez que, pour toute demande, pour un nouveau permis d'usine ou un agrandissement d'usine dans les régions où l'industrie du sciage dépend d'un approvisionnement outre frontière, principalement en provenance des États frontaliers américains, ce permis fasse l'objet d'une analyse économique sur l'ensemble des industries de sciage de la région concernée.

Je voudrais savoir quel est le pourcentage des industries au Québec qui peuvent s'approvisionner en dehors du territoire du Québec? Est-ce un problème général ou si c'est un problème spécifique à certaines usines seulement?

M. Létourneau: C'est un problème qui se retrouve principalement sur la rive sud et dans des régions qu'on dénomme la Beauce et les Appala-ches. On retrouve dans ces deux régions quelque 60 usines de sciage qui, pour leur approvisionnement, dépendent à 84% des États-Unis, principalement de l'État du Maine.

Ces usines, pour leur approvisionnement, n'ont d'autre alternative que d'acheter du bois en provenance des États-Unis. Certaines de ces usines font l'exploitation forestière elles-mêmes dans l'État du Maine; d'autres, par contre, achètent leur bois de fournisseurs américains.

M. Pagé: L'étude économique que vous demandez, c'est sur l'effet d'une telle entrée sur les autres usines de la région, c'est cela si j'ai bien compris la recommandation 18?

M. Létourneau: Présentement, le ministère des Terres et Forêts, pour émettre un permis d'usine, exige une garantie d'approvisionnement. Cette garantie d'approvisionnement est forcément assez aléatoire, parce que c'est un fournisseur qui va garantir à un industrie de sciage le volume de bois ou son approvisionnement.

Or, ce même fournisseur peut être à la fois fournisseur pour trois ou quatre autres usines. À ce moment-là, on s'interroge à savoir si ce même fournisseur a la capacité ou le volume nécessaire pour approvisionner autant d'usines. On demande au ministère, avant d'émettre un permis d'usine dans ces régions, de considérer l'ensemble de la région concernée, de façon à pouvoir évaluer si, en émettant un nouveau permis d'usine, on ne créera pas une surenchère au niveau de la matière première. En fait, si la demande devient très considérable par rapport à l'offre, on sait que le prix de la matière première va augmenter.

M. Pagé: D'accord. Merci de vos précisions. À la recommandation 32, vous demandez que le gouvernement vous consulte avant la présentation du projet de loi sur les parcs. Or, le gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi-cadre sur les parcs, à la dernière session. J'aimerais savoir si vous avez eu l'occasion de formuler des représentations au ministère du Tourisme sur cette question ou si vous avez sensibilisé le ministre des Terres et Forêts à vos préoccupations, eu égard au dépôt de cette loi.

M. Létourneau: Malheureusement, on n'a pas été informé. On est au courant qu'un projet de loi sur les parcs avait été avancé sous l'ancien gouvernement. Sous le nouveau gouvernement, je ne sache pas qu'on nous ait prévenus de présenter ou de soumettre un document pour dialoguer sur ce projet de loi.

M. Pagé: Mais il a présenté le projet de loi antérieur?

M. Létourneau: Oui.

M. Pagé: Le nouveau gouvernement a présenté un projet de loi-cadre sur les parcs qui reflète presque à un iota près l'ancien projet de loi et ce projet de loi est devant l'Assemblée nationale actuellement.

M. Létourneau: Je dois vous informer que nous ne sommes pas au courant.

M. Pagé: À la recommandation 43, vous formulez le souhait que le gouvernement du Québec, par ses maisons à l'étranger, fasse reconnaître comme officielle la certification de qualité émise par votre association, laquelle est demandée à la recommandation 41. Est-ce que vous pourriez vous expliquer davantage? D'abord, qu'est-ce que c'est que la certification dont vous faites état, d'une part? D'autre part, j'aimerais savoir ce qui, aux yeux de votre association, se fait actuellement dans les maisons du Québec à l'étranger, qu'est-ce qui se fait et est-ce que ce qui se fait va dans le sens des préoccupations de votre association?

M. Létourneau: Je vais commencer par votre dernière question parce que je peux y répondre plus rapidement; il ne se fait rien. Ensuite, pour reprendre votre première question, à savoir ce qu'on entend par certification de qualité, c'est

qu'on mentionne que le bois de sciage du Québec est exporté à l'extérieur du pays ou de la province de Québec. Or, généralement, l'importateur va demander un certificat de qualité sur le bois de sciage qui lui est livré. Présentement, l'association délivre de tels certificats de qualité, mais nous ne disposons pas encore de la reconnaissance officielle dans tous les pays à l'étranger et nous croyons que, sous cet angle, le gouvernement pourrait faire reconnaître comme officiel le sceau de qualité de l'AMBSQ. Ce sceau de qualité, d'ailleurs, ou cette certification de qualité est agréée aux États-Unis. Alors, on ne voit pas pourquoi on ne répéterait pas dans d'autres pays européens ou même nord-africains le même procédé.

M. Pagé: J'espère que le ministre prend bonne note de votre requête. À la recommandation 45, en ce qui concerne la mise en marché, le développement de nouveaux marchés, vous recommandez que les accords de réciprocités soient rouverts avec les autres provinces pour abolir les frais inhérents au passage de transit. Quel serait l'impact pour votre industrie, à court terme, d'une telle réouverture de dossier?

M. Létourneau: C'est au niveau du coût de transport. On sait que l'élément transport revêt une importance considérable lorsqu'on parle d'exportation, et les coûts de permis de transport sont très élevés. On pourrait citer comme exemple les moulins de sciage ou les industriels de sciage de l'Abitibi qui expédient du bois d'oeuvre aux États-Unis et qui doivent passer par la province de l'Ontario. On se demande pourquoi les transporteurs Québécois se doivent d'avoir des plaques ou encore un permis de transport de l'Ontario. Est-ce qu'ils ne pourraient pas, disons, avoir un passage de transit sans, obligatoirement, avoir des plaques de la province de l'Ontario?

C'est un coût qui peut devenir assez élevé dans certains cas et la plupart de nos moulins de l'Abitibi passent par l'Ontario pour expédier aux États-Unis.

M. Pagé: D'accord. Merci. Cela répond à ma question. Dernière question, maintenant, M. le Président. À la recommandation 53, vous demandez qu'une priorité soit accordée dans l'utilisation du bois du Québec par le gouvernement, les sociétés paragouvemementales, les municipalités et les corps publics subventionnés par le gouvernement. Est-ce à dire que vous demandez l'application de la politique d'achat qui a été énoncée par le gouvernement il y a quelque temps parce qu'elle ne s'appliquait pas jusqu'à maintenant ou quoi?

M. Létourneau: Oui, nous le demandons parce que nous avons constaté, dans certains cas, qu'on n'achetait pas toujours du bois du Québec.

M. Pagé: J'espère que M. le ministre en prend bonne note.

M. Bérubé: M. le ministre rappellera que nous sommes présentement à mettre sur pied des organismes qui vont permettre de mettre la politique d'achat en application.

M. Pagé: Continuez, c'est bien. Alors, M. le Président, en terminant, je voudrais réitérer les remerciements à l'égard de l'association pour la teneur de son mémoire qui est bien étoffé et aussi pour sa contribution aux travaux de cette commission. Merci.

Le Président (M. Brassard): M. le député de Brome-Missisquoi.

M. Russell: M. le Président, simplement quelques remarques. Je voudrais d'abord remercier l'association pour son objectivité. Je constate, par son mémoire, qu'elle relate un problème qu'elle vit peut-être quotidiennement, dans plusieurs points qui ont été soulevés. Simplement quelques questions pour clarifier un peu devant la commission la pensée du mémoire. Est-ce que, par les remarques qui sont faites dans le mémoire, vous seriez d'accord sur la limitation des scieries en province par le contrôle du ministère ou tout simplement par région, et, d'une autre façon, est-ce que vous seriez favorable à l'élimination de certaines petites scieries qui existent actuellement?

M. Létourneau: Non, l'association, disons, ne parle pas d'élimination de scieries. En fait, nous croyons que notre mémoire démontre qu'il y a effectivement deux catégories de scieries dans la province de Québec, celles qu'on pourrait appeler ou qu'on pourrait étiqueter de scieries de service, qui sont forcément très petites dans leur production et assez artisanales, et les scieries dites commerciales, qui sont de plus grandes dimensions et qui sont des unités de production qui, effectivement, fonctionnent à longueur d'année. L'association ne voit pas de quelle façon on pourrait éliminer les petites scieries ou limiter les scieries québécoises.

M. Russell: Vous parlez simplement de contrôle de scieries dans des régions plutôt éloignées, là où les territoires forestiers font partie de la vie économique globale de certaines régions. Si je comprends bien, vous suggérez qu'il y ait un contrôle afin qu'il ne s'installe pas plus de scieries que la région n'en peut absorber, au point de créer une disette, c'est un peu le point que vous voulez faire valoir, je crois.

Maintenant, en parlant d'éléments qui font évidemment partie intégrale des pâtes et papiers, vous parlez certainement de copeaux et de sciures qui sont produits par les scieries et qu'on peut s'empêcher de produire. Pour l'information de la commission, je sais que, dans le passé, il y a eu plusieurs scieries qui avaient des surplus de copeaux et qui ne pouvaient pas s'en débarrasser ou les vendre aux moulins de pâtes et papiers. Y a-t-il eu certains changements ou y a-t-il encore des scieries qui sont aux prises avec les mêmes difficultés et qui ne peuvent pas se libérer actuellement du surplus de leurs copeaux

M. Létourneau: Je demanderais à M. Perron, de notre délégation, de répondre à cette question.

M. Perron: Question très intéressante, M. Russell. Je crois que le problème des copeaux au Québec est relié très intimement à la source d'approvisionnement des compagnies papetières. Cela représente environ 25% de l'approvisionnement des usines de pâte et papiers au Québec. C'est pourquoi, dans notre mémoire, on a parlé beaucoup de plans d'approvisionnement. À l'occasion, il y a eu des problèmes de copeaux; il y en a encore actuellement; ce problème est peut-être régionalisé. Je pense que le problème est un peu plus grave dans la région du Nord-Ouest. Le Nord-Ouest est une région un peu plus éloignée; il devient peut-être une région plus marginale pour fournir les industries de pâtes et papiers au Québec.

Naturellement, lorsqu'il y a eu une grève très prolongée dans l'industrie des pâtes et papiers, si les industries de sciage voulaient continuer de fonctionner, il a fallu qu'elles empilent des copeaux au sol. Il y a encore des inventaires de copeaux actuellement dans la région du Nord-Ouest, environ 200 000 tonnes; naturellement, l'industrie du sciage produit à peu près à sa capacité actuellement, et les inventaires de copeaux continuent de s'accumuler.

À la fin de 1977, il y aura environ 100 000 tonnes additionnelles, soit environ 300 000 tonnes de copeaux au sol. Comment régler ce problème? Naturellement, on a démontré dans notre mémoire que nous vendons environ 3 millions de tonnes de copeaux par année, et les industries de pâtes et papiers consomment à pleine capacité au-delà de 7 millions de tonnes de copeaux. Naturellement, l'industrie des pâtes et papiers ne fonctionne pas à 100%, mais, si on fait un calcul rapide, disons à 80%, on pourrait quand même consommer actuellement 6 millions de tonnes, c'est-à-dire que les compagnies de papier se produisent elles-mêmes des copeaux à même les rondins.

On a démontré, et je crois que c'est accepté par tout le monde, que le copeau est une source de matière première moins dispendieuse que si les compagnies de papier produisent elles-mêmes les copeaux avec du bois rond. Même dans le mémoire de ce matin, l'association a démontré par des chiffres qu'une tonne de copeaux pouvait coûter environ $52 et qu'une tonne de bois rond équivalente pouvait coûter $56. Nous avons une matière première déjà semi-manufacturée tandis qu'à $56 la tonne, cette même matière première n'est pas encore semi-manufacturée; il faudrait ajouter quand même un montant additionnel, ce qui élargit l'écart.

Nous avons naturellement des problèmes parce que les compagnies de pâtes et papiers ont également des problèmes de réception, et ces problèmes demandent peut-être des investissements additionnels pour recevoir des copeaux supplémentaires. Le problème qui se pose pour les compagnies de pâtes et papiers également, c'est le fait qu'il n'y a pas de plan d'ensemble d'utilisation de la matière ligneuse; les contrats de copeaux sont naturellement pour un an, deux ans, ou peut-être parfois cinq ans, mais, après cette période, un vendeur de copeaux peut décider de vendre ses copeaux à une autre usine. Une usine de pâtes et papiers peut se réveiller, une bonne journée, avec plus ou moins de copeaux selon que les acheteurs décident de vendre.

Sans plan d'approvisionnement général, c'est toujours une négociation à reprendre et à recommencer. C'est pourquoi nous suggérons qu'un plan d'ensemble de la matière ligneuse doit également inclure les copeaux. Le ministère des Terres et Forêts doit accélérer son plan et en faire un plan d'ensemble qui inclura tous les copeaux produits au Québec qui seront dirigés, en somme, sur une base à long terme, de la même façon que la matière première sera dirigée à long terme. C'est pourquoi les compagnies de pâtes et papiers hésitent énormément avant d'accepter la rétrocession de leurs concessions. Je crois qu'elles accepteraient la rétrocession des concessions si elles avaient une garantie d'approvisionnement en retour. Nous, des sciages, pensons que nous pouvons fournir cette garantie d'approvisionnement pour autant qu'il y ait un plan d'approvisionnement.

Il faudra s'asseoir, un groupe de coordonna-teurs, ensemble pour établir ce plan. Il ne sera certainement pas parfait au début, mais il va certainement être ajustable en cours de route pour éliminer justement les frais de transport additionnels. Comme on l'a démontré dans notre rapport, il y a des copeaux qui voyagent dans une direction parfois contraire. C'est dans ce sens que nous proposons notre plan d'ensemble de la matière ligneuse; il n'y a aucune raison pour que les copeaux ne soient pas utilisés en priorité, parce que cela représente simplement 50% de tous les copeaux utilisés au Québec, même lorsque l'industrie du sciage est à pleine capacité.

M. Russell: C'est-à-dire, si je comprends bien, c'est 50% de la matière nécessaire pour la pâte à papier?

M. Perron: Le copeau est utilisé de différentes façons. Il y a des procédés où on n'utilise pas de copeaux. On peut dire qu'il se consomme actuellement 7 millions de tonnes de copeaux et l'industrie du sciage en produit 3 millions. Alors, c'est un peu moins de 50%. C'est-à-dire que les compagnies de pâtes et papiers se produisent des copeaux à même le rondin. Comme je le disais tout à l'heure, tant qu'il n'y aura pas cette garantie d'approvisionnement à long terme, la scierie peut décider au bout de quelques années de vendre ses copeaux ailleurs. Alors, elle hésite à s'embarquer dans un programme pour acheter encore plus de copeaux.

M. Russell: Simplement dans le but d'éclairer la commission, est-ce que le copeau qui est transporté du nord au sud coûte plus cher de transport que le bois de papier transporté, comparativement

tonne pour tonne, ou est-ce qu'il y a des tarifs préférentiels?

M. Perron: II n'y a pas de tarifs préférentiels. Naturellement, plus la distance est éloignée, plus que cela augmente le coût de transport.

M. Russell: D'accord.

M. Perron: II reste quand même un écart assez appréciable surtout pour les pulperies qui vont, disons, jusque dans la région de la Mauricie.

M. Russell: À moins qu'il n'y ait eu des changements dernièrement, je sais qu'il y a quelques années il y avait des usines à papier du coin qui achetaient du bois de papier qui venait du nord en cunits et qui achetaient aussi des copeaux. Ma question: Est-ce que les copeaux coûtent meilleur marché ou plus cher que le bois de papier à transporter?

M. Perron: Ils coûtent moins cher. Les copeaux coûtent moins cher à transporter, parce que c'est une matière plus solide et on peut mettre plus de pesanteur dans les wagons.

M. Russell: Est-ce qu'à ce moment vous seriez d'accord que beaucoup de scieries pourraient produire plus de copeaux qu'elles n'en produisent, s'il y avait des prix raisonnables? Elles pourraient intégrer la coupe en forêt et faire la mise en copeaux sur place ou à leur scierie.

M. Perron: Je ne crois pas que l'industrie du sciage pourrait produire beaucoup plus de copeaux avec les installations, disons, actuelles. Maintenant, dans certaines régions où il n'y a pas de scierie, je crois que les industries de pâtes et papiers doivent s'approvisionner à même le rondin et même il y a des procédés techniques de pulperie qui ne peuvent pas prendre de copeaux. Ce ne sont pas tous des copeaux qui sont utilisés dans les pulperies. Les 7 millions de tonnes, ce n'est qu'une partie. C'est la grosse partie, mais il y a des bois ronds.

Nous croyons que ce qui se produit actuellement devrait être utilisé par les pulperies sans problème s'il y a cette garantie d'approvisionnement à long terme. C'est ce qui est très important.

M. Russell: Est-ce que vous possédez les chiffres, à savoir quel est le pourcentage de sciures qui sont utilisées par les usines à papier actuellement?

M. Perron: Nous avons produit en 1977 quelque 1,2 million de tonnes de sciures et planures et il en sera utilisé environ 350 000 tonnes. Le reste est brûlé ou jeté aux rebuts.

M. Russell: Est-ce que cela comprend les planures en même temps lorsque vous parlez de sciures?

M. Perron: Les deux, sciures et planures.

M. Russell: Les deux ensemble. Donc, il y en a moins que 20% qui sont utilisés actuellement.

M. Perron: 350 000 tonnes par rapport à 1,2 million.

M. Russell: 20%.

M. Perron: Oui.

M. Russell: M. le Président, en ce qui concerne les questions de transport, je pense que la question a été posée tout à l'heure, inutile de revenir là-dessus. Cela me satisfait en ce qui concerne les copeaux. Je pense qu'on voit qu'il y a du terrain pour travailler et les sciures, je pense, pourraient bien être utilisées pour faire du papier ou de la pâte plutôt qu'être brûlées. Autant que je sache, à l'environnement, ils n'aiment pas cela voir monter la fumée dans les airs. Cela les agace pas mal. On pourrait peut-être faire un travail de concertation en sorte que les usines à papier utilisent ces sciures. M. le Président, je suis satisfait. Je pourrai peut-être revenir tout à l'heure avec d'autres questions lorsque d'autres présenteront d'autres mémoires.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: À la page 39 de votre mémoire, vous mentionnez que le coût du bois en provenance de la forêt privée a tendance à être plus élevé que celui produit dans les opérations forestières, bien sûr, dépendant directement de l'industrie du sciage. J'aimerais savoir l'ordre de grandeur de ce prix et pourquoi le bois en provenance des forêts privées, d'après le jugement que vous portez, est plus cher que celui qui est produit dans les exploitations forestières?

M. Létourneau: C'est à la suite d'expériences qu'ont connues certains industriels de régions bien particulières qui ont à acheter leur approvisionnement à partir de boisés privés. Des coûts comparatifs ont démontré que le bois ou l'approvisionnement en provenance des boisés privés était supérieur à celui de la forêt publique.

Maintenant, l'ordre de grandeur peut varier selon les scieries et selon la distance, surtout. Cela peut aller de quelques dollars à environ une dizaine de dollars.

M. Gendron: L'approvisionnement de l'Association des manufacturiers de bois de sciage, en somme, l'ensemble des scieries du Québec, se fait davantage, je pense, à partir des forêts publiques. Quelle est la proportion de l'approvisionnement à partir des boisés privés? Je pense que vous le mentionnez dans le mémoire.

M. Létourneau: Non, on ne le mentionne pas spécifiquement dans le mémoire. Il y a un éventail assez considérable des scieries et il serait assez difficile d'apporter une précision juste à votre question.

M. Gendron: Oui, mais en gros, la part des boisés privés, d'après moi — je ne sais pas si c'est un jugement de valeur que je porte — est peu significative par rapport...

M. Létourneau: À peu près 25%. M. Gendron: À peu près 25%.

M. Létourneau: 25%, et 75% est la forêt publique.

M. Gendron: Au niveau des projets de sylviculture, de reboisement et tout cela, il me semble avoir lu que vous pensez que cette responsabilité devrait être davantage dévolue à Rexfor et, éventuellement, devrait être une responsabilité gouvernementale. J'aimerais savoir si c'est exact, et si oui, pourquoi ne croyez-vous pas que les scieries, qui ont des concessions forestières, devraient avoir certaines responsabilités, elles également, au niveau des politiques sylvicoles et de reboisement?

M. Perron (Jean): M. Gendron, je ne crois pas que nous ayons mentionné que Rexfor doit être l'agent responsable de la sylviculture.

M. Gendron: Résolution 16, page 3, au début, vous dites: Que le rôle de Rexfor dans la réalisation des travaux sylvicoles de mise en valeur des forêts publiques soit amplifié. Tout de suite au début, dans vos recommandations, au numéro 16.

M. Perron (Jean): Je crois qu'on parle plutôt de la récolte des forêts dans des régions peu accessibles ou non économiques. Je pense que c'est dans ce sens.

M. Létourneau: C'est dans ce sens-là.

M. Gendron: D'accord, si c'est dans ce sens-là. Quand je vous posais la question, au départ, je voudrais savoir si c'est exact.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Voulez-vous approcher votre micro, s'il vous plaît?

M. Gendron: D'accord. Il me semble avoir lu, à un moment donné, que vous seriez d'accord pour dévoluer la responsabilité du reboisement et des travaux sylvicoles davantage au gouvernement comme tel. Il me semble avoir lu une recommandation à cet effet. Je voudrais savoir jusqu'à quel point vous pensez que ce serait de votre responsabilité également; vous avez des concessions forestières et vous vous préoccupez de reboisement et de travaux sylvicoles.

M. Létourneau: L'industrie du sciage, en général, n'est pas réticente au reboisement et elle pourrait accepter cette charge au niveau du reboisement.

M. Macneill (André): Pour avoir participé à la discussion à ce niveau, là où ce n'est pas clair, je peux dire que lorsque l'association a voulu un rôle présent et amplifié au niveau des travaux sylvicoles, c'est où Rexfor est présentement présente au niveau de la récolte. C'est peut-être ce qu'il manque. Dans les autres parties où déjà les industriels du sciage, par des garanties d'approvisionnement sur les forêts domaniales, doivent débourser $0.15 du cunit pour les travaux sylvicoles, je pense que les membres aiment mieux participer à l'exécution de ces travaux sylvicoles. Ici, il y a peut-être ambiguïté, le rôle de Rexfor, surtout qu'elle participe déjà à la récolte, on ne voit pas d'objection que son rôle, au niveau des travaux sylvicoles, soit amplifié. Où elle débourse déjà $0.15, elle aimerait participer à l'exécution. Cette recommandation aurait peut-être dû être ajoutée.

M. Gendron: Vous mentionnez, à un moment donné, que l'objectif principal de la présentation de votre mémoire est de nous faire valoir que vous considérez l'industrie du sciage en excellente santé et qu'elle offre des perspectives d'avenir très prometteuses et très intéressantes. Je ne sais pas, mais il me semble qu'avec ce que vous nous produisez comme document qui, en passant, est excellent, très bien étoffé et très bien articulé, on en vient à cette conclusion. Vous ajoutez que justement parce que c'est comme ça chez vous, dans l'industrie du sciage, vous auriez des éléments de solution à offrir à l'industrie des pâtes et papiers qui, elle, est peut-être dans une moins bonne posture et où les perspectives d'avenir sont moins intéressantes.

J'aimerais que vous nous donniez quelques précisions — à ma connaissance, je ne les ai pas vues dans le mémoire — aussi bien articulées que ce qui vous concerne en termes de suggestions pour aider le secteur des pâtes et papiers à atteindre peut-être un niveau prospectif aussi intéressant que le vôtre qui semble être celui des années à venir.

M. Létourneau: Notre élément de solution a été précisé à un moment donné lorsque nous avons parlé des copeaux comme source d'approvisionnement de l'industrie des pâtes et papiers. Il a été mentionné que les copeaux produits par l'industrie de sciage représentaient un coût nettement inférieur à celui de l'industrie papetière. Dans cette optique, nous croyons que l'industrie du sciage peut être un élément de solution.

M. Gendron: C'est bon. J'aurais une dernière question. Vous mentionnez un fait, en tout cas Jean en a parlé tantôt. M. Perron a dit qu'il existait, particulièrement dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue, des surplus de copeaux. Non seulement il existe des surplus de copeaux, mais vous avez ajouté qu'il y aurait lieu de regarder le plus rapidement possible l'utilisation des sciures et des planures, éventuellement, au niveau des pâtes et papiers. Est-ce que l'industrie du sciage a eu un niveau de recherche où il a été possible pour elle de regarder la possibilité que les sciures et adve-

nant qu'il n'y ait pas de marché — prochainement, au niveau des pâtes et papiers, que ces essences qui servent de rebuts, si vous voulez me passer l'expression, soient utilisées comme source d'approvisionnement énergétique? Jusqu'à quel point l'industrie du sciage a-t-elle fait de la recherche à ce niveau?

M. Perron (Jean): Naturellement, au niveau des sciures et planures, il s'est fait du développement et il y a des usines qui utilisent actuellement des sciures et des planures comme source d'énergie pour le séchage du bois. Il y a également l'écorce qui peut être utilisée à ce niveau. Mais je crois qu'on peut donner une valeur commerciale encore plus forte à la sciure et à la planure, en surplus de l'énergie. Il y a beaucoup de possibilités de développer des industries dans le secteur des panneaux, par exemple.

Mais l'industrie du sciage, même si elle est en bonne santé, comme on l'a mentionné ce soir, c'est peut-être une santé précaire. Nous avons tous aussi les mêmes problèmes peut-être que de l'industrie des pâtes et papiers, même si notre industrie, en général, a une très bonne technologie. Je crois que l'industrie du sciage, au Québec, est peut-être l'orgueil de l'industrie du sciage dans le monde parce que nous avons réussi à utiliser des billes de très faible diamètre comme on ne voit pas ailleurs, peut-être. La pousse est très lente; par contre, nous avons une fibre très dense et la technologie nous a permis de l'utiliser à bon escient. Mais on a des problèmes et on en a traversé dans notre industrie aussi. Le marché, par exemple; nous devons exporter et le marché est très cyclique. Lorsque la construction domiciliaire fonctionne bien aux États-Unis et au Canada, les prix fonctionnent bien, mais il y a des périodes où c'est difficile.

Pour réaliser ces projets, mettre des projets de l'avant, naturellement cela prend des capitaux. Il faut faire des investissements et certainement que le ministère de l'Industrie et du Commerce peut, avec des sociétés peut-être, aider au financement de certaines entreprises qui ont des projets viables pour développer des industries de base où les capitaux à investir ne sont peut-être pas des capitaux astronomiques. J'invite certainement le ministre des Terres et Forêts à prendre note qu'il y a des projets viables qui pourraient être utiles au Québec dans le domaine des panneaux, un exemple, mais c'est toujours un peu le problème des capitaux.

Je crois que les sociétés paragouvernementales peuvent jouer un rôle. Un exemple, la SDI, la Société générale de financement ou la Caisse de dépôt peuvent jouer un rôle dans l'investissement de capital qui permettrait de développer ces industries.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le ministre.

M. Bérubé: Oh, je serai relativement bref. Le problème qui se pose est un problème relié aux redevances forestières que les compagnies paient présentement lorsqu'elles sont situées sur des concessions appartenant à des entreprises de pâtes et papiers. Présentement, il me semble qu'en général, lorsqu'une scierie est située sur ces concessions, les redevances que vous avez à payer se situent entre $15 et $25, semble-t-il, suivant les compagnies.

Le problème qui se pose au gouvernement, c'est qu'en effectuant la révocation des concessions et en prenant à charge la construction de la voirie, évidemment, les coûts encourus par l'État vont se rapprocher sensiblement de ces prix. La question que l'on doit se poser au niveau du gouvernement est à savoir si l'industrie du sciage est en mesure de défrayer des redevances forestières de cet ordre. En d'autres termes, j'aimerais savoir, compte tenu des fluctuations inhérentes au prix du bois de sciage, j'ai l'impression que le diagramme que vous avez présenté dans votre mémoire est suffisamment explicite où on voit des variations absolument aberrantes, compte tenu également qu'il existe de très grandes variations dans la qualité des bois, j'aimerais savoir si votre association est en mesure d'obtenir des relevés moyens sur les coûts de production par mille pieds, par exemple, du bois de sciage, ce qui nous permettrait d'évaluer en gros la marge moyenne de profit dans l'industrie du sciage et de voir exactement quelle est la marge de sécurité avec laquelle on peut jouer. Avez-vous des données de cet ordre?

M. Létourneau: Présentement, M. le ministre, nous n'avons pas de telles données. Je peux vous assurer que, d'ici quelque temps, nous disposerons de ces données. C'est une recherche que nous sommes à faire actuellement parce que nous voulons établir le prix moyen, le revenu moyen de 1000 pieds de bois de sciage. Dans notre mémoire, lorsqu'on donne la variation du prix du bois, par exemple, du 2' x 4', ce n'est qu'un article parmi beaucoup d'autres, cela ne représente pas exactement le prix du bois sur le marché. Nous voulons connaître ce prix de vente par rapport au coût de production afin d'établir la marge rentable de l'industrie du sciage.

M. Bérubé: Et pour quand peut-on attendre cette estimation d'un prix moyen de production au Québec?

M. Létourneau: Nous souhaitons obtenir cette donnée avant la fin de la présente année.

M. Bérubé: J'aurais également une autre question qui est reliée au prix des copeaux. Quel est présentement le prix des copeaux que vous obtenez au Québec, et surtout obtenez-vous un prix qui est régionalisé?

M. Létourneau: Le prix actuel est très difficile à définir. Il fut un temps où on avait un certain critère qui nous permettait de dire: Le prix est à tel niveau présentement. Il semble y avoir des écarts, et ces écarts sont aussi difficiles à préciser.

M. Bérubé: Je vois, vous avez donc les mêmes problèmes que nous. Une dernière question qui porte sur une réticence que j'ai observée dans votre mémoire quant à l'implication des groupements forestiers sur la forêt publique. Vous semblez voir avec beaucoup d'hésitation les groupements forestiers opérer sur la forêt publique, et je suppose que vos réticences doivent s'appliquer aussi aux coopératives forestières qui travailleraient sur la forêt publique. Pourriez-vous détailler un peu ces réticences que vous manifestez?

M. Létourneau: Des expériences, comme je le mentionnais tout à l'heure, de certains industriels de sciage avec les groupements forestiers se sont avérées très malheureuses dans une région qu'on peut facilement identifier, et nous croyons que les groupements forestiers devraient davantage confiner leur action à la forêt privée plutôt que dans la forêt publique.

Ce qui amène cette crainte, c'est que nous croyons que les groupements forestiers pourraient, par une exploitation de la forêt publique, se créer un certain monopole et développer eux-mêmes leurs propres scieries. Nous croyons que ce n'est pas une bonne chose dans l'état actuel de la question.

M. Bérubé: Je comprends. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Charlevoix.

M. Mailloux: M. le Président, à ma première question, on comprendra que je suis un profane. Ai-je bien compris que l'association que vous représentez ne s'occupe essentiellement que de sciage et de rabotage? Les membres que vous représentez, qui font environ 80% de l'industrie du sciage, ne s'occupent-ils essentiellement que du sciage et du rabotage? Il n'est pas question de contre-plaqué, de panneaux, etc.

M. Létourneau: Non.

M. Mailloux: À la page 6, je pense, du mémoire que vous avez présenté, vous mentionnez la part qui est coupée sur les forêts publiques et les forêts privées, et vous donnez, entre la période de 1971 à 1976, un volume plus important coupé par l'industrie du sciage dans la forêt publique que celle qui est coupée par les pâtes et papiers. Est-ce exact?

M. Létourneau: Les chiffres que nous mentionnons... Vous vous référez sans doute au tableau III?

M. Mailloux: Oui, au tableau III.

M. Létourneau: Quant aux chiffres avancés, la source est mentionnée comme étant le ministère des Terres et Forêts. Nous croyons devoir nous fier à une telle source.

M. Mailloux: Cela voudrait dire qu'en 1976, quant à l'importance qu'a votre industrie, vous auriez coupé 3 751 000 cunits contre 2 680 000 employés par les compagnies papetières. C'est exact?

M. Létourneau: Coupés par les compagnies papetières.

M. Mailloux: Je comprends que dans la forêt privée, c'est l'inverse qui se produit, mais est-ce à dire que l'industrie du déroulage, le contre-plaqué, etc., serait aussi — je regrette d'employer l'expression — insignifiante que le nombre de cunits qui paraît sur ce tableau, environ 37 000 ou 26 000, ou dois-je comprendre que les essences dont cette industrie a besoin viennent en partie d'outre-frontière?

M. Chassé (Gilbert): Dans "autre nature", je crois comprendre qu'il s'agit ici de sciage de bois franc en même temps que de déroulage.

M. Mailloux: Mais cela serait seulement le potentiel qui est coupé dans les forêts.

M. Chassé: Oui, 26 839 cunits.

M. Mailloux: Tantôt, j'écoutais une suggestion de celui qui est à l'extrême gauche et qui disait que le ministre devrait penser à du contre-plaqué ou à des panneaux. Est-ce à cela qu'on faisait référence comme solution de rechange? Non? On ne parlait pas de cela.

M. Létourneau: Non. On parlait de sciure et de planure.

M. Mailloux: Pourriez-vous me dire quelle est la proportion — elle paraît peut-être dans le livre, mais je ne l'ai pas trouvée — de votre production qui est vendue dans le Québec, d'abord, dans les provinces voisines et sur le marché étranger, disons, outre-frontière?

M. Létourneau: Dans la province de Québec, le marché domestique représente 40%, le marché de l'Ontario environ 25%, le marché américain est de l'ordre de 24%. Je me réfère à des estimations de 1977. Dans les provinces maritimes, 2% et outre-mer, environ 3%.

M. Mailloux: Aux États-Unis, vous avez dit combien?

M. Létourneau: 24%.

M. Mailloux: 24%. Quand vous avez parlé de copeaux, tantôt, et que vous avez dit que vous disposiez de trois millions de tonnes par année, avez-vous dit, en réponse à une question précédente, qu'annuellement, en fin d'année, une partie de vos membres restait avec des volumes importants non vendus?

M. Létoumeau: Oui, nous avons mentionné qu'à la fin de l'année 1977, considérant que l'industrie du sciage produira 3 100 000 tonnes de copeaux, il en restera environ 300 000 tonnes au sol, non vendues.

M. Mailloux: Pour 100 000 cunits de bois qui servent au sciage et au planage et 100 000 cunits de bois qui serviraient à des fins de pâtes et papiers, en main-d'oeuvre, quelle est la proportion que cela prend pour faire une tonne de papier et la même proportion en bois de sciage?

M. Létoumeau: Référez-vous uniquement à la transformation?

M. Mailloux: Oui.

M. Létoumeau: Les chiffres disent quatre fois.

M. Mailloux: Quatre fois pour?

M. Létoumeau: Pour le sciage.

M. Mailloux: Quatre fois plus pour le sciage que pour la pâte et le papier?

M. Létoumeau: Oui.

M. Mailloux: Vous faites mention, au début de votre mémoire, d'une invitation au ministère de l'Industrie et du Commerce et à celui des Terres et Forêts d'aller dans les missions étrangères, comme les maisons du Québec à Paris ou autres, afin de faire davantage de promotion pour votre production. Est-ce à dire que dans les périodes creuses que vous vivez, vous auriez besoin d'une promotion très forte à l'étranger pour éviter ces périodes?

M. Létoumeau: Non seulement dans les périodes creuses, mais dans toutes les périodes nous croyons que le bois de sciage produit par le Québec est de très haute qualité et il peut facilement concurrencer non seulement au niveau du prix, mais au niveau de la qualité les autres bois en provenance d'autres pays, et même du Canada, exportés sur ces mêmes marchés.

M. Mailloux: Une question a été posée ce matin à l'Association des industries forestières par le ministre des Terres et Forêts.

Il a demandé si cela apporterait des inconvénients majeurs aux pâtes et papiers, si la partie la plus importante de l'arbre était dirigée vers le sciage et la moins importante vers les pâtes et papiers. On m'avait demandé de vous poser la question directement.

M. Perron (Jean): M. Mailloux, je crois qu'actuellement c'est ce qui se produit. Je crois que dans la mesure du possible, dans plusieurs cas au moins, la bille est orientée dans ce sens. Il est tout naturel, d'ailleurs, que les billes de dimension plus grosse soient propices au sciage et cela se fait dans plusieurs cas. Maintenant, il y a des régions où, à cause de position géographique où il faudrait déplacer le bois sur des distances trop longues, il n'est pas économique de le déplacer à certains endroits. Je crois que cette politique existe actuellement.

Peut-être qu'elle pourrait être améliorée dans certains cas. Il serait peut-être possible également, si la forêt québécoise pouvait soutenir davantage un potentiel plus élevé de coupe annuelle, on a dit qu'on utilise environ 11 millions de cunits au Québec et la forêt totale du Québec peut en utiliser 20 millions. Mais, ces 9 millions additionnels ne sont pas tous localisés dans des endroits propices. Des fois, c'est dans des régions très éloignées. Alors, si le ministère permettait de développer davantage des coupes, eh bien, certainement que ce devrait être le secteur du sciage qui soit le premier, car c'est le plus générateur d'emplois et l'industrie du sciage retourne 50% de sa bille sous forme de copeaux.

M. Mailloux: Quelle est la proportion, dans le volume complet que vous transformez, de cyprès, d'épinette et de sapin?

M. Perron (Jean): Je crois que c'est très fort en épinette. Le sapin et l'épinette naturellement sont classés ensemble, comme essence, soit l'épinette. Maintenant, comme le bois de sciage, il n'y a pas de distinction. Le pin, le sapin et l'épinette sont classés ensemble. On ne les sépare pas.

M. Mailloux: Si je vous pose la question, c'est parce qu'on me dit que le cyprès vient à maturité un peu plus vite que l'épinette et le sapin.

M. Perron (Jean): Oui.

M. Mailloux: II y a un avantage marqué pour l'industrie du sciages qui peut s'en servir de la même façon, avec le même rendement, parce que la plantation se fait en cyprès pour...

M. Perron (Jean): Naturellement, cela dépend des sols. Il y a des sols peut-être qui ne sont pas propices à recevoir des plantations de cyprès, mais je pense qu'il y a eu beaucoup de plantations dans ce sens actuellement.

M. Mailloux: Quant à la reprise des concessions forestières par le gouvernement, vous semblez appuyer la mesure. Vous avez fait une omission assez importante dans le résumé de votre mémoire. Quand vous vous dites en accord avec la reprise des concessions forestières, vous ne mentionnez pas de quelle façon cela doit être fait. Il est indiqué, par contre, dans le volume. Cet après-midi, on écoutait la CSN qui disait que ce sont des concessions qui appartiennent à l'État, on doit les reprendre sans payer. Quant à vous, vous faites la nuance, je pense.

M. Perron (Jean): Je crois qu'il faut faire la nuance et c'est très important. Parce que les

concessions forestières qui appartiennent, soit aux pâtes et papiers ou au sciage, ont été payées. Or ces concessions, naturellement, ont coûté de l'argent aux compagnies qui, actuellement, les utilisent. Il est tout à fait normal, je crois, qu'un dédommagement pour les investissements qui ont été faits dans ces concessions... d'ailleurs, c'est prévu par une loi, on le mentionne dans notre mémoire, que la rétrocession doit se faire en relation avec la loi qui a été proposée. Il serait certainement un moyen pour le ministère, en reprenant les concessions, de créer un certain dédommagement aux entreprises, soit sous forme de déduction de droit de coupe, pour permettre justement d'aider la rentabilité des entreprises et leur permettre de faire un certain profit pour réinvestir dans leur industrie.

Je crois que la rétrocession ne doit pas se faire carrément, simplement reprendre, car ces compagnies ont payé des montants et ont dû les entretenir également. Elles ont des infrastructures et des routes d'établies. Il serait tout à fait normal que des montants d'argent, soit sous forme de réduction de droit de coupe, puissent être accordés.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): MM. les représentants de l'Association des manufacturiers du bois de sciage du Québec, je vous remercie beaucoup de votre participation à cette commission parlementaire.

J'invite maintenant le dernier organisme convoqué pour aujourd'hui — je dois vous avouer que ces gens avaient une peur de ne point être entendus ce soir — la Chaîne coopérative du Saguenay-Lac-Saint-Jean, et son directeur général, M. Thomas-Louis Tremblay.

Chaîne coopérative du Saguenay-Lac-Saint-Jean

M. Tremblay (Thomas-Louis): Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord vous présenter un peu notre équipe. D'abord, le président de la chaîne, M. Léopold Harvey; le vice-président de la section forestière, M. Lavoie; le vice-président de la section agricole qui a dû s'absenter, M. Jacques Gauthier, qui est notre ingénieur-conseil; M. Paul-Antoine Laflamme qui est notre directeur des opérations forestières et, enfin, M. Gilles Poulin qui est notre vice-président de la section agricole.

J'aimerais d'abord, avant de commencer, vous dire qu'on va résumer notre mémoire; on ne lira pas tout ce qui est écrit à l'heure actuelle. La chaîne a un caractère un peu spécial, un caractère professionnel en ce sens que seuls les cultivateurs, les forestiers, les coopératives agricoles et les chantiers coopératifs peuvent en devenir membres. Nous avons donc à peu près 1500 membres cultivateurs, 450 forestiers, 7 chantiers coopératifs et une vingtaine de coopératives. Parmi les chantiers coopératifs qui sont membres de notre entreprise, il y en a quelques-uns qui font des expériences actuellement et qui produisent déjà depuis plusieurs années; entre autres, un chantier qui est associé avec un industriel et qui participe de façon minoritaire, quitte à devenir majoritaire peut-être lorsque l'industriel prendra sa retraite. Dans un autre cas, c'est un chantier qui explore en collaboration avec un industriel aussi d'une façon différente et, dans d'autres cas, c'est avec des compagnies.

Un autre volet de la chaîne aussi montre pourquoi on s'intéresse davantage à l'industrie forestière, à l'exploitation forestière. C'est qu'une bonne partie de nos membres, qu'on retrouve dans une vingtaine de paroisses, résident dans des paroisses à vocation forestière surtout. On veut éventuellement, dans un proche avenir, offrir à certains de nos membres une alternative dans le secteur des pâtes et papiers. Cette alternative permettrait à ceux qui ont des boisés de ferme d'expédier à certaines périodes une certaine quantité de leur bois qui ne trouverait pas preneur, par exemple, dans le secteur des pâtes et papiers.

Ceci dit, nous voudrions, en premier lieu, remercier le ministre des Terres et Forêts pour l'invitation qu'il a adressée à la Chaîne coopérative du Saguenay qui lui permettra de se faire entendre à la commission parlementaire sur les perspectives d'avenir de l'industrie des pâtes et papiers. Veuillez croire que nous apprécions à sa juste valeur l'opportunité qui nous est offerte de faire valoir notre point de vue sur un sujet aussi important. Mais, direz-vous, que vient faire dans cette galère la Chaîne coopérative du Saguenay, deuxième en importance dans la province et qui se range parmi les principales entreprises manufacturières du Québec? Parce que, précisons-le immédiatement, la chaîne coopérative a fait, en 1973, l'acquisition des actifs du chantier d'Argenson et se situe, de ce fait, parmi les industries de sciage du Québec.

Nous parlerons donc ici davantage au nom des mouvements coopératifs provinciaux et de chantiers coopératifs qu'au nom des manufacturiers de sciage qui, du moins nous le présumons, doivent être représentés ici par leur association dont nous faisons partie. Cependant, notre problème rejoignant sensiblement les leurs, nous avons l'impression que nous parlerons, sinon officiellement, du moins officieusement au nom de plusieurs industriels forestiers du Québec qui n'auront peut-être pas l'opportunité de se servir d'une tribune aussi prestigieuse.

Par ailleurs et même si les sujets proposés par le ministre s'adressent manifestement davantage à l'industrie papetière qu'à celle du sciage, il ne faudrait pas oublier que la participation de cette dernière à l'exploitation de la forêt québécoise, d'une part, et l'interaction très étroite de ses opérations avec la grande entreprise, d'autre part, la rendent absolument indissociable de toute action visant à résoudre les problèmes particuliers de l'industrie des pâtes et papiers.

L'ampleur des intérêts de la petite entreprise, le nombre d'industriels impliqués et l'importance de la population ouvrière concernée sont des éléments trop nombreux et trop sérieux pour qu'on puisse décemment les ignorer. En conséquence, toute action unilatérale et qui ne tiendrait pas compte de cette réalité vouerait cette commission

sinon à l'échec du moins au règlement d'un seul aspect du problème, ce qui, en soi, serait un demi-échec. En d'autres mots, on ne peut parler de l'avenir des papeteries sans y associer celui des usines de sciage.

Les problèmes qui confrontent présentement la Chaîne coopérative du Saguenay sont malheureusement communs à la majorité des petits industriels forestiers de la province. Voilà pourquoi l'étude des causes de ces problèmes et leurs conséquences, ainsi que la suggestion de solutions capables d'améliorer la situation, nous permettra de faire un pas vers la guérison d'un mal commun, à condition que les personnes chargées de tirer des conclusions et de suggérer des remèdes tiennent compte de nos justes revendications et proposent des solutions susceptibles de ménager les intérêts, mais aussi les droits fondamentaux de toutes les parties intéressées.

Nous n'apprendrons rien à personne en affirmant que, depuis un certain nombre d'années, l'industrie du sciage a radicalement changé de visage, sinon dans le produit qu'elle livre sur le marché, du moins dans ses méthodes d'exploitation.

Une main-d'oeuvre jadis apparemment inépuisable, docile et peu exigeante s'est modifiée peu à peu jusqu'à devenir aujourd'hui très rare, même si les chômeurs sont plus nombreux que jamais. Par ailleurs, celle qui est disponible ne l'est plus aux conditions et dans le contexte d'autrefois. À moins d'une récession économique qui ferait jeûner très longuement et très sévèrement toute notre classe ouvrière, il est impensable de vouloir revenir au "buck saw", même pas à la scie mécanique.

Pour s'ajuster à cette situation nouvelle, l'industrie a dû se mécaniser, se spécialiser, se sophistiquer. Les travailleurs y ont sûrement gagné, mais c'est quand même l'industrie qui a dû en assumer les frais. Des machines extrêmement coûteuses ont dû être achetées pour remplacer une main-d'oeuvre abondante et à bon marché et le cheval est devenu archaïque.

Fatalement, la multiplication des coûts ainsi encourus a nécessité des volumes de coupes proportionnellement élargis, de sorte que le moulin de sciage qui vivait très bien de 5 ou 6 millions de pieds de bois en 1940 ou même en 1950 est devenu, lui aussi, un archaïsme. Une multitude de petits établissements, incapables de suivre la marche du progrès, n'ont pas réussi à se maintenir à flot et ont coulé, entraînant souvent dans un chômage chronique les travailleurs qui gagnaient chez eux leur subsistance.

Certains autres ont réussi à surnager et flottent toujours aujourd'hui, la plupart très péniblement. Pourquoi? D'abord parce que les investissements nécessaires à leur survie ont, la plupart du temps, été hors de proportion de leurs réserves. Les impôts, les taxes, l'inflation sous toutes formes devaient élargir encore l'écart entre leurs disponibilités réelles et les immobilisations indispensables à une rentabilité malgré tout bien aléatoire.

Comme si ce n'était pas encore assez, l'augmentation du volume de coupes indispensable à amortir de tels investissements et à recréer un capital de roulement souvent disparu leur a rarement été consentie. Quand elle l'a été, elle l'a trop souvent été dans des endroits inaccessibles ou dans des peuplements de valeur médiocre ou à des distances inacceptables. De plus, dans certains cas, le remède a été donné trop tard et la petite industrie était déjà moribonde.

Souvent, les petits industriels ont risqué d'investir leurs réserves, puis de s'endetter lourdement, sans avoir obtenu au préalable aucune espèce de garantie d'approvisionnement adéquat. Ils ont donc risqué tout leur avoir sur un acte de foi pur et simple à l'endroit de gouvernements qui leur avaient pourtant toujours marchandé âprement les quantités de bois nécessaires à rentabiliser leurs entreprises.

Mais il semble que, tout au cours de l'histoire forestière du Québec, le Canadien français a développé une longue tradition d'audace, pour ne pas dire d'héroïsme, à moins que brutalement on admette qu'il a toujours été stupide ou masochiste ou que, en tout cas, il n'a pas eu le choix.

Cette situation dépend de plusieurs facteurs, dont l'inertie des gouvernements combinée à la sagesse agissante de la grande entreprise n'est pas la moindre.

Pendant que l'industrie papetière, avec la bénédiction de nos gouvernements qui n'avaient pas souvent d'autres promoteurs à entendre, il faut l'avouer, se taillait des empires à même nos immenses forêts — il fut un temps où, sur les 72 000 milles carrés de nos concessions forestières, 60 000 milles carrés étaient détenus par une quinzaine de compagnies, alors que plus de 100 petits concessionnaires se partageaient le reste — la petite entreprise devait se contenter des miettes tombées de la table du riche et après beaucoup de palabres pour les obtenir. Comme si elle avait voulu passer une marchandise dangereuse en contrebande, plutôt que fournir un appoint indispensable à la survie de nos régions périphériques.

Cela n'empêchait pas des territoires considérables de rester fermés à toute exploitation. Ils étaient les fiefs intouchables de certaines compagnies qui les laissait pourrir debout plutôt que d'en laisser profiter d'autres qui pourtant en avaient bien besoin. Nous avons ainsi connu un petit concessionnaire qui coupait 5 millions p.m.p. sur une concession de 50 milles carrés, alors que sur le territoire limitrophe d'une grande compagnie quelques centaines de milles carrés n'avaient pas été exploités depuis plus de 60 ans. Il y tombait chaque année en chablis de quoi doubler facilement la production de la petite industrie située à quelques milles seulement du coeur de cette concession. Etrange politique qui nous ferait songer à une ménagère qui récolterait une fois par année et à une seule date tous les produits de son jardin, mûrs ou pas, pourris ou pas.

On pourrait varier très longuement sur ce thème et sur quelques autres de la même cuvée, mais cela serait superflu. Chacun sait en effet que nos territoires forestiers n'ont pas toujours été dis-

tribués judicieusement et qu'on ne les a pas toujours exploités dans les meilleurs intérêts de l'homme et de la forêt elle-même.

Souvent, c'est la petite industrie qui en a assumé la note. Elle a dû investir puis découvrir qu'il n'y avait pas pour elle des quantités suffisantes de matière première. Ou encore que les coupes offertes étaient à des distances inacceptables, ou enfin dans des peuplements tout à fait impropres à des opérations de sciage intelligemment menées.

Pourtant, à des distances considérablement moindres, on peut régulièrement voir des camions chargés de bois de 12, 15 ou même 20 pouces de diamètre s'acheminer vers les pulperies, pendant que d'autres camions les croisent chargés de bois de 6 ou 7 pouces de diamètre moyen en route vers des scieries.

Mais cela n'est pas encore assez de handicaps. Il convient pour faire bonne mesure d'ajouter que, pour tant de privilèges, la petite entreprise doit régulièrement payer deux droits de coupe, parfois même jusqu'à trois. Nous pourrions vous nommer un industriel d'Alma qui paie $15 les 1000 pieds du bois de cette sorte et qui doit en plus payer près de $3 les 1000 pieds le "droit" d'emprunter une route qui aurait, paraît-il, été construite pour tout le monde et dans les meilleurs intérêts de la population jeannoise.

Voilà une autre des causes du marasme dans lequel s'enlise l'industrie du sciage. Ajoutons-y une politique routière extrêmement sévère eu égard aux charges permises; complétons avec la constatation que les approvisionnements ne sont pas souvent garantis à long terme, que parfois ils ne le sont même pas à court et à moyen termes et nous avons tous les ingrédients d'une salade à la fois indigeste et peu nourrissante pour les petits industriels forestiers québécois.

Et il y a encore un autre facteur dont l'importance est telle que nous ne pouvons le passer sous silence. C'est la proximité, dans certaines régions, de la grande entreprise. Il faut reconnaître que, partout où elle s'implante, la grande industrie constitue vite l'épine dorsale de l'économie d'une région. Ainsi, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, des villes entières sont nées des usines de papier et des alumineries. La grande industrie est donc éminemment bénéfique, mais elle n'offre cependant pas que des avantages. Un des premiers périls qu'elle suscite, c'est une indolence placide de la plupart des populations où elle s'implante. On croit que l'arrivée d'une usine de papier, par exemple, vient de solutionner tous les problèmes et on oublie que la petite ou moyenne entreprise doit occuper une place tout aussi importante dans l'économie régionale.

On cesse de créer, on arrête de chercher, on s'installe dans une apathie dangereuse. De plus, et cela est humain, l'employé de la petite entreprise, attiré par des salaires plus élevés, par des bénéfices marginaux plus considérables et par une plus grande stabilité d'emploi, délaisse son patron dès que l'occasion lui est offerte.

Comment l'en blâmer? Il n'en reste pas moins que c'est la petite entreprise qui l'a formé et lui a permis d'atteindre la compétence nécessaire à la grande entreprise. Alors, la petite entreprise qui veut conserver ses meilleurs éléments n'a pas le choix; elle doit emboîter le pas et offrir à ses employés des conditions de travail proches de celles offertes dans la grande entreprise ou se résigner à former inlassablement une nouvelle main-d'oeuvre. Voilà qui est excellent pour le travailleur, mais c'est quand même le petit industriel qui doit payer une facture qu'il n'a pas toujours les moyens d'assumer. Mais c'est à cette seule condition qu'il peut continuer de cheminer en compagnie de la grande entreprise. Devons-nous vous rappeler la fable du pot de terre qui avait décidé de courir contre le pot de fer? Non, mais avouez que, depuis un fameux bout de temps, le petit industriel doit se présenter au bâton avec deux prises et aucune balle contre lui. Qu'il réussisse parfois à frapper. 300 dans ces conditions confine un peu au miracle, mais ce n'est sûrement pas une raison pour continuer à en faire bon marché.

Il est grand temps qu'on étudie adéquatement son problème et qu'on fasse quelque chose de permanent pour lui, bien conscient que, ce faisant, on ne sauve pas qu'une barque en danger de sombrer très bientôt, mais également ses passagers.

En parlant de passagers, analysons brièvement la vie que les politiques que nous venons d'énumérer les ont forcés à vivre depuis des décennies. En premier lieu, le nomadisme. Des chantiers situés à des distances énormes les ont forcés depuis toujours à se cloîtrer pendant des semaines entières. Il ne semble plus que le travailleur contemporain ait la vertu de s'imposer d'être absent de sa famille la plus grande partie de son existence. En second lieu, le chômage. Là où les volumes de coupe sont insuffisants, les travailleurs forestiers sont régulièrement soumis aux arrêts de travail et même ceux qui travaillent à l'usine ne peuvent y gagner que tant que l'usine fonctionne. Par ailleurs, il faut bien admettre que le travailleur québécois n'est pas nécessairement un abruti et qu'il comprend très bien et très vite les problèmes de son employeur. Il peut être sympathique ou pas à sa cause, il n'en sait pas moins très bien que les problèmes de son industrie vont fatalement lui retomber sur le dos. Il est donc inquiet et de plus en plus depuis très longtemps maintenant. Il n'en faut pas plus pour en faire un homme insatisfait et mécontent avec toutes les répercussions familiales et sociales que cela implique. La seule façon de le garder dans l'industrie, c'est de lui permettre de gagner beaucoup d'argent et vite et, encore là, il laissera rarement passer l'occasion de se recycler ailleurs et particulièrement dans la grande entreprise, si elle est installée dans les environs.

Voilà la situation. Nous aurions sans doute pu détailler bien davantage, mais ne nous adressant pas à des profanes, nous croyons avoir suffisamment expliqué une situation que la plupart connaissent sans doute aussi bien que nous. Certes, le tableau n'est pas reluisant, mais aucun observateur objectif et honnête ne pourrait, croyons-nous, infirmer de façon significative nos affirmations sur l'état de fait que nous avons

constaté. On pourrait sans doute en nuancer davantage les causes, mais ce serait bien inutile. N'est-il pas préférable d'admettre sans plus que la situation n'est pas idéale et de s'ingénier vite à y apporter les correctifs qui s'imposent?

Les remèdes. Puisque l'État est à la fois base et catalyseur, il lui appartient de jouer le premier rôle dans cette pièce où la grande entreprise partagera fatalement la vedette. Mais que ces deux étoiles n'oubient pas qu'il faut des acteurs de soutien, à tout le moins un bon souffleur pour assurer le plein succès de la représentation. La commission, pour sa part, sera en quelque sorte le public chargé d'applaudir ou de huer le jeu des protagonistes.

Redistribution des aires de coupes. Mais quel sera le rôle de l'État? À notre humble avis, il devrait commencer par une redistribution des forêts québécoises dans l'optique d'une utilisation maximale des bois mûrs raisonnablement accessibles. Il est bien entendu que les compagnies pape-tières ont un besoin considérable de matière ligneuse et ce n'est strictement pas notre intention de leur contester le droit de l'obtenir.

Par ailleurs, l'État et la grande entreprise, tout autant, devraient reconnaître le droit de la petite entreprise à des approvisionnements suffisants, c'est-à-dire permettant la pleine exploitation de ses usines.

Il fut un temps où une très grande partie de nos boisés était régie par des systèmes de concessions. Ce mode de tenure, pour acceptable qu'il ait été, ne répond plus aux besoins de la masse. Le système de forêts domaniales, qui visait précisément à corriger cette situation, fonctionne, à notre avis, trop lentement et trop timidement; il faudrait accélérer le processus ou penser à un mode de tenure universel capable de donner satisfaction à chacun sans perdre des années en négociations et en suppliques aussi stériles qu'aberrantes. Quant à la forêt cantonale, c'est là, il nous semble, un concept dépassé. Bref, la forêt québécoise devrait appartenir à l'État, partant à tous ses citoyens, dans le respect des besoins de chacun et dans l'exigence des responsabilités de chacun. En regroupant les divers modes de tenure, l'État pourrait enfin assurer aux différents usagers les approvisionnements essentiels et éliminer plusieurs des inconvénients résultant de la dimension trop grande de certaines concessions ou de leur localisation gênante pour les petits exploitants coupés ainsi de leurs sources d'approvisionnement.

Sélectivité à l'intérieur de ce système. Nous savons qu'en théorie il n'est pas facile de fendre un cheveu en quatre; en pratique, c'est une autre histoire, mais personne ne niera qu'il y a place pour beaucoup d'amélioration dans la sélection des parterres de coupes destinés à l'industrie du papier. Nous ne souhaitons pas qu'on leur réserve que des peuplements d'épinette noire, mais il ne faudrait pas non plus qu'on nous les refile automatiquement. Il nous semble qu'une politique mieux éclairée devrait tendre à réserver le bois de sciage aux scieries. Cela peut vous paraître une lapalissade évidente, mais dans les faits l'industrie de sciage coupe plus souvent du bois à pâte que des billots. C'est une situation qui doit changer si on veut faire un premier pas efficace vers un meilleur rendement des scieries, un camionnage moins onéreux, des coupes moins chères, une meilleure qualité de produits, bref, une rentabilité nettement améliorée.

En réalité, que perdrait la grande entreprise dans l'application de cette politique? Rien. Si, en effet, on part du fait que les 2/3 des peuplements devraient être oeuvrés en bois de sciage et que 50% de ces volumes retournent à la pulperie en copeaux, cette dernière récupérerait, en réalité, les 2/3 du volume de nos boisés à billots. Cela ferait que la grande, aussi bien que la petite entreprise, y trouverait son compte.

Suffisance des sources d'approvisionnement. Cela n'est pas assez. Il ne suffit pas de nous garantir une sélection plus intelligente de nos sources d'approvisionnement, il faut encore nous les garantir, en quantité suffisante et à long terme, sinon l'industrie du sciage va disparaître inexorablement de l'échiquier économique du Québec. Aux coûts qu'atteignent aujourd'hui les investissements inévitables à une industrie désireuse de se maintenir à jour sur le plan de la technologie, il est absolument indispensable que les sources d'approvisionnement puissent faire marcher l'industrie onze mois par année et durant assez longtemps pour permettre l'amortissement des immobilisations et la création de réserves nécessaires au rajeunissement périodique de la machinerie, de l'outillage et même des bâtisses. Un profit raisonnable serait aussi un but louable vers lequel tendre.

Droits de coupe. De plus, le prix de ces coupes doit être équitable. Nous n'avons aucune espèce d'objection à ce que UT, par exemple, paie $0.50 le cunit le bois de la Côte-Nord, mais à la condition que tout le reste de l'industrie forestière paie le même prix. Qu'on n'essaie pas de nous faire croire qu'une multimilliardaire n'a pas les moyens de payer plus cher. Surtout, qu'on n'essaie pas de nous faire avaler du même souffle que le petit industriel forestier a, lui, les moyens de payer $5 ou $6 le même cunit. Sous prétexte que les sociétés papetières sont concessionnaires de la forêt québécoise, ce privilège ne devrait pas, croyons-nous, leur donner le droit de charger deux ou trois droits de coupe au pauvre bougre qui exploite les coins les plus sales de leurs concessions et leur vend ses copeaux par surcroît.

Prix des copeaux. Précisément sous ce titre, il nous semble injuste, aberrant et infiniment décourageant de n'avoir aucun accès au libre marché quand il s'agit de vendre nos copeaux. Nous parlons toujours pour l'ensemble des petits concessionnaires qui, coupant du bois sur le territoire d'une compagnie donnée, doivent, couteau sous la gorge, lui restituer les copeaux au prix fixé par elle et sans que le petit industriel ait tellement voix au chapitre. Cette pratique courante fait que les grandes compagnies obtiennent ainsi leurs copeaux à 65% ou 70% de leur propre coût de re-

vient, pendant qu'elles "ménagent" leurs limites, en prolongeant la durée et récupèrent une bonne partie d'un bois qu'elles ont déjà vendu très cher, puisqu'en réalité il ne leur appartient pas plus qu'à n'importe quel autre Québécois.

L'État devrait donc, du moins nous le croyon laisser le petit industriel négocier la vente de se copeaux avec qui bon lui semble ou, mieux, forcer la grande entreprise à l'absorber à un prix équivalent à celui de sa propre production. Le permis d'opération devrait être conditionnel à l'exécution de cette exigence qui n'a rien que de juste et d'équitable.

Voirie forestière. Les chemins d'accès construits par l'État, mais en premier lieu pour l'industrie devraient demeurer libres de toute contrainte quant au poids, largeur et hauteur des charges dans les limites du raisonnable, cela va sans dire. Nous voulons bien croire qu'une telle politique peut être un peu gênante et astreignante pour certains autres usagers, mais cela devrait être à eux de comprendre les impératifs économiques de ces principaux usagers et non pas à nous de céder à des exigences qui ressemblent parfois à s'y méprendre à des caprices de vieille fille. Quand on emprunte |es routes forestières pour chasser, pêcher ou faire du camping, on ne devrait pas avoir besoin de courir contre la montre, c'est du moins notre avis, et on devrait entrer en forêt avec, dans ses bagages, suffisamment de civisme pour admettre que les affaires passent avant le plaisir.

Nous comprenons que précisément parce qu'elles ont coûté très cher on doive protéger les routes et les utiliser avec discernement. Mais allez donc demander au camionneur qui a investi $50 000 pour l'achat d'une machine et surtout à la compagnie de finance qui l'a aidé que, parce qu'on est forcé de charger un camion aux deux tiers seulement de sa capacité portante, les termes et les intérêts devraient être diminués d'autant.

Si donc on doit diminuer la charge, il faudrait songer à un palliatif capable d'aider les exploitants à absorber une partie de la perte sèche qui s'ensuit et qui peut, dans certains cas, représenter plus de $5 les 1000 pieds. Il faudrait peut-être également songer à aménager des routes d'accès pour les industries qui en sont privées et qui en ont besoin pour atteindre leurs parterres de coupe.

Proximité des parterres de coupe. On devrait encore faire l'impossible pour que les approvisionnements soient le plus près possible de l'usine de sciage. Vous nous excuserez de citer un cas d'espèce dans une étude qui ne devrait comporter que des considérations générales, mais, dans notre propre cas, le fait que le gouvernement nous propose des parterres de coupe à un endroit nommé millage 130 plutôt qu'en un autre nommé millage 30 représente une différence de coût de transport de plus de $30 les 1000 pieds; autrement dit, la différence entre une opération rentable et une faillite aussi certaine que la rotation des saisons.

Voilà un autre aspect qu'un législateur désireux de voir fumer des cheminées d'usines plutôt que des tuyaux de HLM devrait prendre en considération.

Éparpillement des opérations. Il est une autre constatation facile à vérifier: plusieurs petites entreprises, surprises par la révolution forestière que nous avons décrite plus haut, ont réussi à survivre en obtenant des droits de coupe additionnels. Malheureusement, elles les ont pratiquement toujours obtenus dans des territoires trop éloignés pour les exploiter à partir de leur base originale d'opération. On a dû, en conséquence, construire plus loin d'autres installations et mettre en place une autre administration, bref multiplier les coûts fixes par deux. Voilà un autre facteur qui rend l'exploitation de plusieurs déficitaire.

Nous admettons volontiers qu'il n'est pas toujours possible d'agrandir un territoire donné dans ses environs immédiats. On ne crée pas par le vide, du moins pas dans l'industrie forestière, mais il n'en reste pas moins qu'on devrait exercer une vigilance extrême dans ce domaine et favoriser un agrandissement pouvant utiliser les installations de base chaque fois que la chose est possible.

Autres devoirs de l'État. Sans détailler, nous voudrions quand même souligner quelques autres secteurs où l'action de l'État est indispensable, en tout cas déterminante et entraînante également.

Il est notoire que tous les utilisateurs de la forêt en ont fait bon marché depuis 100 ans. Tous ont joyeusement violé la pauvre bougresse, tout naturellement, comme cela, parce que papa la troussait de même et grand-père avant lui.

Peut-on vraiment blâmer nos gens de polluer nos cours d'eau sans aucune espèce de vergogne? Non, n'est-ce pas, car, quand le mot "écologie" est réservé aux savants et aux rats de bibliothèques et que pas un utilisateur de la forêt ne sait ce que cela veut dire, on ne peut honnêtement pas lui tenir grief de ne pas l'avoir pratiqué. Voyons, une des conditions du péché, même véniel, c'est la connaissance du mal que l'on fait et son acceptation.

Il faudrait donc que l'État continue son travail et l'accentue, si possible, dans ce domaine précis, mais également dans ceux de la sylviculture, de la recherche et de l'éducation populaire. Nous pourrions vous suggérer que cette éducation soit positive. Aussi positive que dans les pays Scandinaves où on a réussi à si bien éduquer les citoyens que lorsqu'il y a danger extrême de conflagration, la radio et la télévision d'État incitent les gens à circuler en forêt. Ici, on en interdit l'entrée, on l'interdit même aux forestiers de carrière! Là-bas, bonne éducation positive et efficace, ici l'empêchement d'accomplir son devoir de citoyen parce qu'on n'est pas certain que Monsieur Tout-le-Monde ne soit pas un incendiaire. Pas un criminel, non, mais un incendiaire quand même.

Sur ce chapître, nous sommes heureux de signaler que la Chaîne coopérative du Saguenay a toujours été à l'avant-garde, autant par la reforestation que pour la protection de la forêt dont on lui a confié la gestion. Peut-être parce que le mouvement coopératif a toujours mis beaucoup d'emphase sur la conservation et l'amélioration de nos ressources naturelles. Elle s'est toujours efforcée d'éduquer ses membres dans cette ligne de pensée.

Accessibilité aux paliers des décisions. Un autre devoir de l'État nous paraît être son accessibilité. De deux choses l'une: ou le ministre peut seul régler les problèmes sérieux, et alors qu'il se rende disponible, ou il ne peut pas toujours être accessible, mais alors qu'il délègue des pouvoirs.

Nous nous excusons de citer encore notre cas, mais il nous semble éclairant et nous paraît également être le lot de plusieurs. Depuis des mois, nous tentons par tous les moyens de rencontrer le ministre. Pas, notez bien, que nous tenions plus que cela à l'importuner, mais puisqu'on nous répète depuis ce temps que lui seul peut décider de notre cas. Cependant, la décision qu'il doit prendre met en jeu le sort de 300 travailleurs, autrement dit de toute une paroisse. Malgré cela, nous n'avons toujours pas réussi à le rencontrer et, de plus en plus, nous avons l'impression d'être en face d'un Annapurna, dont seuls les alpinistes de haute voltige peuvent espérer atteindre la cime.

N'est-ce pas monsieur Lévesque lui-même qui disait, dernièrement, qu'il voulait, en 1977, décentraliser une administration devenue lourde et dépersonnalisée? Si on commençait par la forêt... Et pourquoi pas au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où la présence de plusieurs grandes compagnies, mêlée à celle de plusieurs petits concessionnaires, constitue un terrain de choix pour l'application d'une politique rénovée et qui devrait avoir pour un de ses objectifs prioritaires la réduction du coût actuel de la matière première. Pas seulement pour la grande entreprise, mais pour la petite également parce qu'il ne faudrait pas perdre de vue que pour la même consommation de matière première et pour des investissements infiniment moins élevés, la petite entreprise forestière est meilleure créatrice d'emplois que la grande.

Le rôle de la grande entreprise. Dans le passé, la grande entreprise n'a pas toujours eu un respect bien édifiant pour la forêt. Peut-être justement parce que certaines compagnies n'étaient pas venues au Québec dans le but d'y rester.

En conséquence, au lieu de récolter seulement les pommes, on a également arraché le pommier plutôt que de le cultiver avec un soin jaloux dans un effort louable pour le rendre plus productif encore. Puis, on s'en est allé sans rendre de compte à personne, laissant derrière soi des forêts vides, silencieuses et qui le seront encore pendant 50 ans ou 100 ans.

Voilà un reproche fait, notez-le bien, sans aucune animosité. Nous constatons un fait qui se voit comme le nez dans le visage. Nous ne sommes pas plus fiers de notre propre conduite. Nous avons été peut-être encore moins respectueux que vous d'un bien dont pourtant la vie de tant de gens dépend. Nous n'avions même pas l'excuse de pouvoir vider les lieux.

Ceci admis, il nous semble que la grande entreprise devrait coopérer davantage avec l'État et également avec la petite entreprise, qui, si elle lui empoisonne parfois l'existence, lui rend souvent de fiers services.

Elle devrait également, dans l'immense travail de recyclage et de réjuvénation qu'elle veut entreprendre, prévoir une place pour la petite entreprise, la place qui lui revient de droit, au droit le plus strict à une survie dans la dignité des citoyens que nous espérons, pour parodier la Sagouine, a part entière.

Elle devrait enfin encourager l'amorce d'un dialogue constant, honnête et constructif, convaincue que, ce faisant, c'est encore elle qui gagnera le plus à vivre dans une province qui n'a jamais lésiné à lui offrir le meilleur d'elle-même, et cela inclut, bien entendu, ses citoyens également.

Le cas de la chaîne. Nous avons, à quelques reprises, fait allusion au dossier de notre propre firme, même si les présentes audiences ne devaient, en principe, accepter que les considérations d'ordre général. Nous croyons néanmoins qu'un cas d'espèce et qui traduit, croyons-nous, assez fidèlement l'état de la généralité des industriels du sciage, ne peut qu'être révélateur et servir de base à des vérifications pratiques qui ne peuvent qu'éclairer agréablement et utilement des considérations autrement terriblement théoriques.

À cet effet, nous joignons aux présentes l'étude réalisée pour notre firme par la maison Gauthier, Poulin et Thériault Limitée. Cette étude pose en noir sur blanc les problèmes avec lesquels nous devons vivre, elle en analyse les coûts et elle en suggère les remèdes. Elle signale également l'urgence d'une action positive de la part de l'État qui, pour agir avec célérité, aura besoin de la coopération éclairée de la grande industrie.

Il est bien évident que nous comprenons qu'il n'est pas dans les attributions de la commission de régler notre problème. Elle peut tout au mieux suggérer les moyens d'améliorer la situation générale de la petite entreprise.

Nous devons cependant rappeler à l'État que les contraintes économiques peuvent rarement se mettre en veilleuse. La Chaîne coopérative du Saguenay, qui se débrouillait assez bien, merci, dans les différents secteurs agricoles de son activité, est venue à la forêt dans l'acceptation consciente et voulue de jouer un rôle dans un secteur difficile, mais intéressant un grand nombre de ses 2500 sociétaires de même que ses chantiers coopératifs.

Elle aurait pu rester tranquille à la gestion de ses principaux intérêts, mais elle a considéré de son devoir de s'impliquer dans un secteur économique d'autant plus près de ses membres qu'un grand nombre y trouvent un revenu d'appoint, notamment, dans les régions à vocation mixte: agriculture-forêt.

Cependant, malgré sa bonne volonté, sa longue patience et son infinie compréhension, elle devra bientôt fermer ses portes si une action déterminante n'est pas entreprise dans un avenir rapproché. La Chaîne coopérative du Saguenay veut bien aider ses semblables, mais elle n'est tout de même pas une société philanthropique. Il y a le feu chez nous. Nous voulons bien que les chimistes continuent d'étudier les propriétés physiques de l'eau sur le feu, mais, en attendant, nous aimerions qu'ils nous autorisent à utiliser l'eau, ou, si vous préférez, le bois, que nous avons en quantité bien suffisante, pour éteindre l'incendie.

Sinon, et si vous ne nous laissez vraiment pas d'autre choix, nous utiliserons nous aussi les moyens que nous réprouvons profondément et auxquels nous hésitons toujours à recourir parce qu'ils nous paraissent indignes du bon sens et du civisme les plus élémentaires. Malheureusement,

ils semblent de plus en plus devenir les seuls leviers capables de soulever l'inertie des gouvernements.

Combien nous préférions une discussion franche et objective avec un ministre et un chef de grande entreprise qui, ensemble, trouveraient la solution à un problème grave par ses implications mais, en somme, pas tellement compliqué dans ses solutions.

En conclusion, vous remerciant encore de votre aimable invitation et vous assurant de notre entière disponibilité au règlementdes problèmes où nous pourrions vous être utiles, nous voudrions souhaiter un franc succès aux assises de cette commission parlementaire et vous prier d'agréer l'expression de nos sentiments les plus cordiaux.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup, M. Tremblay, et au nom du gouvernement, je cède la parole à un député du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le député de Dubuc.

M. Desbiens: Merci, M. le Président. Je félicite la Chaîne coopérative du Saguenay pour la qualité de son mémoire autant que pour la couleur qu'on y retrouve; elle est bien représentative de nos automnes saguenayens. Comme vous le mentionnez vous-mêmes, au début, on peut se demander ce que vous venez faire dans cette galère, mais on comprend mieux, évidemment, lorsqu'on sait que la Chaîne coopérative du Saguenay a des montants de vente annuelle de quelque $60 millions et crée, si je me souviens bien, au-delà de 800 emplois au Saguenay-Lac-Saint-Jean, tout cela dans le domaine agricole principalement et que, d'autre part, la région Saguenay-Lac-Saint-Jean a un potentiel forestier de près de 19,5%. On sait aussi que le mouvement coopératif se développe et s'est développé plus facilement peut-être au Saguenay-Lac-Saint-Jean qu'ailleurs, et le développement de l'industrie québécoise du sciage est aussi lié intimement aux solutions qui seront sans doute détaillées pour relancer les pâtes et papiers.

À partir de ce mémoire que vous nous présentez, à la page 13, entre autres, quand vous parlez de la sélectivité à l'intérieur du système, vous mentionnez qu'une politique mieux éclairée devrait tendre à réserver le bois de sciage pour les scieries. À ce moment-là, que pensez-vous de l'idée d'un exploitant forestier autonome qui sélectionnerait et vendrait ses billes selon une utilisation rationnelle aux industries du sciage et de la pâte? Et relié à cette même question, j'aimerais savoir ce que vous pensez, si des organismes comme les coopératives, par exemple, étaient intéressés à assumer ce rôle?

M. Tremblay (Thomas-Louis): Voulez-vous reposer votre question, s'il vous plaît? Je n'ai pas compris.

M. Desbiens: Si vous avez bien saisi, dans la première partie, je vous demandais ce que vous pensez de l'idée d'un exploitant forestier autonome qui sélectionnerait et qui vendrait les billes selon l'utilisation rationnelle à tous les industriels du sciage et des pâtes? Deuxièmement, le système coopératif serait-il prêt à s'impliquer dans une telle démarche?

M. Tremblay (Thomas-Louis): Dans la discussion que nous avons eue lors de la réalisation de la scierie de Saint-Félicien, un genre d'étude comme cela a été fait, et on avait souscrit, dans le temps, à l'intégration de notre entreprise — si c'est de ce que vous voulez parler — à un genre de "gentleman's agreement" ou d'une entente semblable avec la compagnie Donohue à Saint-Félicien. On avait même dit qu'on était intéressé, à ce moment-là, à des échanges de fibres, ou quelque chose de ce genre, et je pense bien que, de ce côté, nous n'avons pas tellement d'objections à des échanges.

De toute façon, pour l'industrie de Saint-Félicien, on est relié à elle, parce que notre permis nous oblige à vendre toute notre production.

M. Desbiens: Je ne sais pas si vous avez bien saisi. Un organisme, un exploitant forestier, une espèce de régie qui revendrait ensuite le bois aux usines de sciage ou à l'industrie des pâtes et papiers, selon le cas.

M. Harvey: Je pense que la Chaîne coopérative du Saguenay est une entreprise comme toutes les entreprises. Que son bois arrive d'une façon ou d'une autre à l'usine, c'est assez peu important, mais ce qui est important c'est le coût de cette matière première quand elle arrive à l'usine.

Si votre proposition impliquait que par des économies d'échelles ou par des rapprochements des opérations forestières, que les coûts du bois rendu à l'usine de la Chaîne coopérative du Saguenay seraient plus bas qu'ils le sont aujourd'hui ou plus bas qu'ils le seraient sans une intégration comme cela, la Chaîne va y souscrire sans aucun problème. Le corrollaire, de l'autre côté, devient la même chose aussi. Oui, la Chaîne coopérative du Saguenay ou d'autres coopératives seraient intéressées à faire du bois pour d'autres, mais là aussi encore, à condition qu'elles puissent en tirer leur profit.

M. Desbiens: Je reviens, si vous voulez, maintenant, à la page 16 du mémoire où vous parlez de l'utilisation des copeaux. Vous dites: "L'État devrait donc, du moins nous le croyons, laisser l'industriel négocier la vente de ses copeaux avec qui bon lui semble, ou mieux, forcer la grande entreprise à l'absorber à un prix équivalent à celui de sa production." Vous avez de l'expérience dans le domaine des quotas, dans celui du lait, est-ce que ce type de marché vous semble être approprié pour la mise en vente ou en marché des copeaux?

M. Tremblay: Je vous ferai remarquer, dans un premier temps, que le mémoire a été rédigé en collaboration, mais surtout par le directeur du Conseil économique d'Alma, M. Bill Leblanc. Il englobait certains industriels qui ne sont pas

membres de la grande association qui voulaient avoir leur mot là-dedans. Il y a une différence, en ce qui nous concerne. Ce que nous voulons dire, du côté de la Chaîne, c'est qu'une clause comme nous avons dans notre contrat que le gouvernement nous fait passer, qui nous lie au ministère des Terres et Forêts, nous met en difficultés en ce sens qu'on n'a pas le choix d'offrir notre bois, ou même une compagnie sait qu'en achetant nos copeaux, d'ici deux ans ce sera fermé, c'est l'autre qui aura la priorité absolue. On est obligé d'aller là. C'est surtout cela qu'on voudrait voir de notre côté.

Du côté des industriels, les petits industriels qu'on connaissait à Alma, du fait qu'ils bûchaient, ils prenaient leur bois d'une compagnie, il fallait nécessairement qu'ils aillent livrer leurs copeaux à cette compagnie. Ce qu'on voulait dire, c'est que peut-être on aurait pu même leur laisser le choix de vendre leurs copeaux indépendamment à une compagnie ou à l'autre, à une compagnie de papier ou à l'autre.

M. Desbiens: Est-ce que vous croyez qu'il est possible d'avoir un libre marché au niveau régional ou au niveau national?

M. Tremblay: Je pense que vous avez raison là-dessus. Le libre marché dans le contexte actuel des copeaux, cela n'existe pas beaucoup.

M. Desbiens: Est-ce que ce serait possible selon vous?

M. Tremblay: Écoutez, il n'y en a pas beaucoup de marchés de copeaux.

M. Gauthier: Je pense qu'on est dans le cas où on a quelques clients et de nombreux fournisseurs. Sans vouloir trop s'avancer sur un terrain qui est un peu glissant, disons que les copeaux, vous en avez entendu d'autres qui sont venus avant nous dire que les copeaux sont des rebuts des usines de sciage. On parle toujours de rebut, de production secondaire. On ne parle jamais d'un produit. Ce n'est jamais un produit qu'on manufacture. Quand on regarde les copeaux, si on compare un cunit de bois qui entre dans une usine, qui coûte $50 du cunit, par exemple, à l'usine de sciage, si on l'écorce, si on le transforme en copeaux, cela coûte un autre $7 du cunit.

Cela veut dire que ces copeaux de bois, quand ils partent de l'usine de sciage, coûtent $57 du cunit et on en obtient $40 sur le marché. Cela veut dire qu'il y a $17 du bois de sciage qui s'en vont subventionner les copeaux qui s'en vont aux pâtes et papiers. Les pâtes et papiers le voient d'une autre façon. "L'overhead" qui est dans la coupe en forêt est appliqué aussi aux achats, alors qu'on sait très bien qu'une personne dans un service de "wood band" pourrait acheter tout le bois en copeaux et le bois de cultivateurs pour une usine complète, une ou deux personnes. Alors que si la compagnie fait ses propres opérations, ce sont des bureaux qui en ont 30, 40, des ingénieurs, des techniciens, tout un "overhead".

Tout cela vient s'appliquer pour que, du côté des pâtes et papiers, on dise que le bois des copeaux de l'industrie du sciage coûte aussi cher que notre bois de limite. Nous disons: Bien non, on vous subventionne. C'est un jeu de comptabilité, dans le fond. C'est un point de vue assez philosophique, mais cela nous coûte $17 chaque fois qu'on en envoie un.

M. Desbiens: Est-ce qu'on pourrait imaginer un type de marché intermédiaire, par exemple, dans lequel il y aurait une partie des copeaux qui serait fixe et une autre partie qui serait variable et négociable tant pour le prix que pour la quantité?

M. Gauthier: C'est difficile de jouer entre une position où on a un marché libre et une position où on a un marché complètement contrôlé. On essaie de mélanger deux aspects qui sont assez différents. On doit agir pour forcer les compagnies de pâtes et papiers à une compétition vis-à-vis des copeaux et laisser le marché libre ou on doit avoir un certain contrôle du marché presque absolu pour forcer un prix pour ces copeaux. C'est difficile d'arriver entre les deux et d'avoir quelque chose qui se tient.

M. Desbiens: Je sais, M. le Président, que le temps passe, mais j'en aurais peut-être une petite vite pour finir. Dans le mémoire précédent, on suggérait que le ministère des Terres et Forêts limite l'accès des groupements forestiers à la forêt publique à des cas bien précis. Avez-vous des réticences là-dessus aussi?

M. Gauthier: On a deux membres de groupements forestiers sur les cinq qui sont à la table ici; alors, on a peut-être un parti pris. Je suis membre d'un groupement forestier et le monsieur du bout, là-bas, est membre d'un groupement forestier. Peut-être que nos réponses seraient biaisées à ce moment-là.

M. Desbiens: Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. J'aurais quelques brèves questions. À la page 14 de votre mémoire, vous formulez le voeu que vos usines ou que les petites usines puissent fonctionner onze mois par année. Je pense que c'est le voeu formulé par tous ceux qui ont à travailler dans le bois de sciage. Étant donné que vos opérations sont intimement liées aux conditions du marché, comment croyez-vous que le gouvernement, par une démarche, par une mesure ou autrement, pourrait s'assurer que vos entreprises fonctionnent onze mois par année?

M. Tremblay (Thomas-Louis): J'aimerais faire entendre le directeur des opérations forestières, M. Paul-Antoine Laflamme.

M. Laflamme (Paul-Antoine): C'est tout simplement une question de volumes. Si nous avons assez de matière ligneuse à couper en forêt, automatiquement, les scieries vont fonctionner onze mois par année.

M. Pagé: Si vous avez le volume et que vous n'avez pas le marché?

M. Laflamme: Nous sommes comme tous les autres, le marché fluctue et nous essayons, autant que possible, d'avoir le maximum. Du bois invendu, je crois qu'il n'y en a pas tellement actuellement dans l'industrie du sciage.

M. Pagé: Cela dépend. M. Laflamme: Pardon?

M. Pagé: II a été une période, il n'y a pas longtemps, où il y en avait, du bois d'invendu.

M. Laflamme: II y a une situation de prix, qui est difficile, mais pour la question du volume, il n'y a jamais eu tellement d'encombrement du marché, que je sache, pour l'écoulement du produit du bois de sciage dans la province de Québec. Je pense que cela a été confirmé par d'autres avant nous, au cours de la journée.

M. Pagé: Vous faites longuement état dans votre mémoire des problèmes rencontrés particulièrement au chapitre de l'approvisionnement par les petites entreprises. Je pense que c'est un problème fort épineux qui touche plusieurs entreprises au Québec. Personnellement, dans ma région, tout au moins, j'ai de petites entreprises avec des volumes qui ne sont pas élevés et qui, à chaque programme triennal ou autre du ministère des Terres et Forêts, assistent à une diminution des permis et des droits qui leur sont alloués.

Ma question s'adresserait au ministre, si vous le permettez. Le ministère est-il sensibilisé à ce problème et est-ce que le ministère envisage d'établir, avant longtemps, un genre de plan d'ensemble pour assurer la survie de ces petites entreprises? Comme on l'a dégagé cet après-midi, autant la fermeture d'une usine, dans le secteur de la production du papier, peut être dramatique pour un petit pôle urbain, autant peut l'être le fait qu'une usine de sciage se voie couper son approvisionnement, n'ait aucune garantie à long terme pour son approvisionnement, d'une part, et par surcroît, n'ait pas le volume suffisant pour fonctionner onze mois par année.

Cela peut être tout aussi dramatique pour un petit village, la fermeture d'une usine comme celle-là, que celle d'une usine productrice de papier dans un centre urbain de densité moyenne. Est-ce que le ministère entend en arriver à une politique définie? Est-ce qu'il y a quelque chose d'amorcé dans ce sens-là? Si oui, qu'est-ce que c'est?

M. Bérubé: II n'y a pas de politique comme telle à l'échelle du Québec, si ce n'est que d'une façon générale on cherche à exploiter les forêts sur une base de rendement continu, donc en s'as-surant qu'il existera du bois à perpétuité. Malheureusement, cette situation ne se réalise pas partout au Québec. Dans certaines régions au Québec, au contraire, il faut pratiquer des coupes à liquidation, soit que la forêt soit vieille ou soit carrément qu'ayant été surexploitée on aura une rupture de stock dans les dix, quinze ou vingt ans à venir. Donc, dans certaines régions du Québec il faut carrément sacrifier le stock, c'est-à-dire qu'on doit également sacrifier à long terme l'industrie en question. Dans d'autres régions, le problème de rupture de stock ne se pose pas immédiatement mais il pourrait se poser dans un avenir plus lointain, 40 ans et plus, auquel cas on peut imaginer que des pratiques sylvicoles puissent améliorer le rendement de la forêt et nous permettre de répondre au problème. Il existe évidemment d'autres régions où il y a un approvisionnement adéquat. En d'autres termes, suivant les régions du Québec, on retrouve des situations qui varient énormément. La position du ministère, présentement, à la suite de la préparation des plans d'aménagement, vise essentiellement à garantir un rendement soutenu, donc à consolider les scieries existantes lorsqu'on fait face à un problème d'approvisionnement en bois et de ne pas, si vous voulez, encourager l'émission de nouveaux permis qui mettraient en danger les autres usines. En gros, c'est la politique du ministère, pour autant que nous sommes concernés.

M. Pagé: II n'y aucun programme particulier qui s'applique actuellement.

M. Bérubé: Régional. M. Pagé: Régional.

M. Bérubé: Par exemple, dans la Gaspésie nous venons de terminer un inventaire très sérieux de l'industrie du sciage; dans la région de Trois-Rivières, également, il y a une réflexion en cours. Donc, le problème se posant différemment suivant les régions, il faut plutôt penser à une politique adaptée aux problèmes locaux plutôt qu'à une politique dictée par Québec.

M. Pagé: D'accord. Sans vouloir prendre trop de temps, est-ce que je peux vous recommander, dans l'étude que vous faites dans la région de Trois-Rivières, d'inclure Portneuf en passant? Si je le fais publiquement comme cela, c'est peut-être parce que j'ai autant de difficulté que nos honorables interlocuteurs à rencontrer le ministre. Cela m'amène à une autre question. À la page 21, vous nous faites état que vous tentez depuis longtemps de rencontrer le ministre. En votre nom, je me permettrai une question. M. le ministre, quand allez-vous les rencontrer? À onze heures?

M. Bérubé: Dans quelques minutes, oui.

M. Pagé: Ah! Vous voyez, l'intervention de l'Opposition officielle aura certainement été très

utile. Là-dessus, messieurs, étant donné que je suis certain que vous avez hâte de rencontrer le ministre parce que vous attendez déjà depuis un bon bout de temps, je tiens à vous dire que vous avez une très bonne mémoire. J'ose croire et espérer que le ministre prendra bonne note des recommandations que vous lui avez formulées à la lueur de la bonne prise de conscience qu'il y a des problèmes qui touchent particulièrement les usines de bois de sciage.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Brome-Missisquoi.

M. Russell: M. le Président, vous me permettrez simplement quelques remarques, étant donné l'heure avancée. D'abord, je voudrais me permettre de vous féliciter pour la valeur de votre mémoire, qui démontre beaucoup de réalisme et qui est fait par des gens d'expérience dans le métier. Certaines remarques pouvaient paraître un peu humoristiques mais elles étaient placées au coin de la réalité. Je crois qu'on peut affirmer sans se tromper que ce mémoire a été conçu par des gens qui ont vécu cette expérience d'une façon pratique.

Brièvement, vous faites mention dans votre mémoire des droits de coupe de $15 à certains concessionnaires, plus un coût additionnel de $3, ce qui ferait $18 les 1000 pieds pour ces coupes. J'aimerais savoir si on oblige en même temps ce même exploitant forestier de vendre ses copeaux au concessionnaire à son prix. C'est vraisemblable et cela se produit dans d'autres régions, je pense bien.

Une question a été soulevée lors de la présentation du mémoire précédent, celle de l'utilisation de certains déchets de scieries comme les sciures, les planures et peut-être d'autres déchets qui, aujourd'hui, demeurent dans les forêts et qui pourraient être utilisés, comme le disait M. Perron tout à l'heure, par des usines de planches-particules. Celles-ci pourraient être financées par les organismes qu'il a mentionnés et être exploitées par un organisme comme le vôtre ou une scierie rentable.

Est-ce que vous croyez que cela pourrait être réalisable dans une région comme la vôtre, de façon avantageuse?

M. Tremblay (Thomas-Louis): Actuellement nos sciures sont toutes vendues. Nos sciures et nos planures sont vendues à 100% à une usine de papier. La question que vous posez... Cela se pourrait dans une région comme la nôtre; d'ailleurs je pense qu'il y a une étude qui se fait au niveau du ministère de l'Industrie et du Commerce, quelque chose dans ce genre. Cela pourrait aussi s'appliquer dans une région comme la nôtre, je pense.

M. Russell: Je rejoins la question que posait tout à l'heure le député de Dubuc en ce qui concerne l'opération forestière. Est-ce que vous êtes d'accord qu'un exploitant forestier pourrait faire sa coupe en longueur? Je pense que cela rejoint sa question. Est-ce qu'il pourrait sélectionner ce qui est réellement rentable pour une scierie et le reste, le mettre en copeaux avantageusement et faire la revente à des usines de pâtes et papiers?

M. Gauthier: Là encore, il y a un problème de rentabilité. Oui c'est vrai à condition que l'usine de pâtes et papiers paie le prix que cela lui coûterait elle-même pour aller chercher le bois, ou un peu plus, mais au moins le prix que cela lui coûterait. Si l'usine de sciage est obligée d'aller couper le bois, que cela lui coûte $50 pour le couper, $7 pour le transformer, cela fait $57 et ensuite la revendre $40 la tonne, cela ne peut pas marcher. C'est impossible en partant.

M. Russell: Si je comprends bien ce que vous dites, ceci est réalisable à condition que l'acheteur, qui est le transformateur de pâte en papier, soit réaliste au point de vue du coût, qu'il vous paye ce que cela lui coûterait pour faire cette même quantité de bois ou en l'achetant. Ceci ne vous semble pas possible à moins qu'il y ait une intervention gouvernementale.

M. Gauthier: Certainement pas avec la structure de prix des copeaux actuellement.

M. Russell: M. le Président, c'est tout.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je remercie les représentants de la Chaîne coopérative du Saguenay. Très rapidement, M. le ministre, d'accord? Avant d'ajourner les travaux à demain, 15 heures, au salon rouge, j'aurais besoin du consentement unanime des membres de cette commission pour faire en sorte que le député d'Orford, mon homonyme — parce qu'il y a eu omission au début de la séance à 10 heures ce matin — soit désigné comme remplaçant pour la présente séance de M. Larivière, du comté de Pontiac-Témiscamingue.

M. Pagé: M. le Président, on vous en a fait part tout à l'heure, M. Vaillancourt a participé à nos travaux toute la journée.

M. Bérubé: D'accord.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): D'accord. M. Vaillancourt, vous avez été membre rétroactivement de cette commission parlementaire.

M. Vaillancourt (Orford): Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les travaux de la commission sont ajournés à demain après-midi, 15 heures, au salon rouge.

(Fin de la séance à 23 h 3)

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