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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le mardi 8 février 1977 - Vol. 19 N° 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude de la situation énergétique du Québec


Journal des débats

 

(Quatorze heures dix minutes)

Etude de la situation énergétique du Québec

Le Président (M. Laplante): A l'ordre, messieurs!

La commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts est réunie aujourd'hui pour entendre divers organismes concernant l'étude sur l'énergie.

Les membres de la commission sont: M. Baril (Arthabaska), M. Bérubé (Matane), M.'Bordeleau (Abitibi-Est), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Brochu (Richmond), M. Garneau (Jean-Talon), M. Forget (Saint-Laurent) remplace M. Giasson (Montmagny-L'Islet), M. Goulet (Bellechasse), M. Grégoire (Frontenac), M. Johnson (Anjou), M. Joron (Mille-Iles), M. Landry (Fabre), M. Larivière (Pontiac-Témiscamingue), M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata), M. Marcoux (Rimouski), M. Mercier (Berthier), M. Ciaccia (Mont-Royal) qui remplace M. O'Gallagher(Robert Baldwin).

Y a-t-il une suggestion pour un rapporteur, s'il vous plaît? M. Gilles Grégoire?

M. Grégoire: Non, non.

Le Président (M. Laplante): M. Jacques Brassard. Adopté. '

Les organismes qui se feront entendre aujourd'hui sont les suivants: SOQUIP, la Société québécoise d'initiatives pétrolières, la Compagnie pétrolière Impériale, l'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec, la Chambre de commerce de la province de Québec.

Je remercie les organismes qui se présentent aujourd'hui. Nous essaierons de les entendre d'ici à ce soir. Le premier organisme que j'invite à venir est SOQUIP, en la personne de M. Bernard Clou-tier.

M. Joron: M. le Président, avant de passer à l'audition des mémoires, si vous le permettez, j'aimerais dire un mot à la commission. Je pense que nos collègues de l'autre côté aimeraient le faire également.

Le Président (M. Laplante): Première expérience.

M. Joron: Puis-je vous demander la parole, M. le Président?

Le Président (M. Laplante): Oui.

Exposé préliminaire du ministre, M. Guy Joron

M. Joron: Je vous remercie. Alors, M. le Président, messieurs les membres de la commission, mesdames, messieurs, nous sommes réunis aujourd'hui, et pour plusieurs jours, afin d'écouter et d'interroger les organismes ou groupes invités qui s'intéressent, à divers niveaux, à l'avenir énergétique du Québec.

Il faut souligner que c'est là une préoccupation relativement nouvelle dans nos sociétés industrielles. En effet, avant ce que l'on appelle maintenant la crise du pétrole de la fin de l'année 1973, tout le monde, dans les sociétés industrielles, tenait pour acquis, non seulement que l'énergie, principalement sous forme de pétrole, était disponible en quantité illimitée, mais qu'elle l'était également à très bas prix. Tout cela s'est modifié , radicalement à partir de la fin de 1973. Du même coup, l'ensemble de la machine industrielle que nos sociétés avaient construite s'en est presque trouvé, en quelque sorte, remis en question. C'est un événement, je pense, d'une importance capitale dans l'histoire de l'humanité et dont on ne verra, finalement, les répercussions que dans les années à venir.

Il était donc normal que le gouvernement du Québec, comme la plupart des gouvernements des pays occidentaux, accorde désormais à cette question de l'énergie une importance primordiale. C'est parce que le gouvernement voyait également en l'énergie un secteur clé du développement de notre société qu'il a nommé un ministre spécifiquement responsable de ce secteur. Notre société deviendra de plus en plus dépendante des sources d'approvisionnement en énergie et les sommes pour les développer s'avéreront de plus en plus grandes. C'est pourquoi, à cause de la. taille des enjeux et parce que les choix que nous faisons aujourd'hui auront des répercussions jusqu'au tournant du siècle, il est indispensable de considérer cette commission, non pas comme un débat partisan, mais bien comme un débat public au profit duquel la collaboration de tous est nécessaire.

Devant le pourcentage croissant que réclame le secteur de l'énergie du produit national brut et devant les investissements énormes requis pour répondre à la demande, le Québec doit faire des choix. Comme je l'ai déjà indiqué à plusieurs reprises, ma première priorité sera d'établir un programme d'économie d'énergie. Ce programme vise, avant tout, à éliminer, dans la mesure du possible, le gaspillage auquel on assiste. Il serait peut-être intéressant de souligner, à ce propos, que des pays aussi industrialisés que le nôtre et dont la production industrielle per capita ou par habitant, si vous voulez, est même supérieure à nous... Je pense à la Suède, à titre d'exemple, dont les conditions de climat ressemblent à celles du Québec et qui a une consommation d'énergie d'à peu près la moitié par habitant de celle du Québec. Alors, vous voyez qu'il y a une marge considérable 'd'amélioration qu'on peut apporter dans cet exercice de rationalisation de l'utilisation de l'énergie auquel nous devons maintenant nous attaquer avant d'être obligés de parler de rationnement.

Parallèlement à ce programme d'économie, il faudra penser à rendre le Québec plus autarcique en matière énergétique. Lorsque l'on pense que plus de 75% de l'énergie consommée au Québec provient de l'extérieur, surtout des pays exportateurs de pétrole, un gouvernement responsable se doit de réagir pour éviter les crises qu'affrontent régulièrement les pays qui en dépendent; qu'il suffise dé penser, par exemple, aux Etats-Unis, ces dernières semaines. Il n'est pas souhaitable qu'un pays soit aussi dépendant de l'extérieur. Il faut se tourner vers l'exploitation de ressources qu'il peut lui-même produire. C'est pourquoi je recommanderai des mesures visant à modifier la répartition du bilan énergétique afin de favoriser une consommation plus importante d'énergie produite ici, au détriment de l'énergie importée qui, non seulement coûte très cher en exportation de devises, mais dont aussi la disponibilité à l'avenir est aléatoire.

Avant de présenter notre politique énergétique qui sera rendue publique sous la forme d'un livre blanc, avant la fin de cet été, pour faire comprendre davantage l'étendue du secteur énergétique et ses implications, j'ai demandé aux organismes intéressés de venir nous exprimer leur perception de la situation énergétique du Québec jusqu'à la fin du siècle. Les positions de ces groupes, heureusement nombreux, doivent être connues. Dans l'élaboration d'une politique d'un secteur aussi crucial, il est important que toute la population soit mise au courant des divers éléments qui amèneront les choix que le gouvernement aura à prendre. Non seulement nous avons tenu à en informer la population, mais nous en avons facilité la participation en invitant des groupes représentant différentes portions de la population tant au niveau des associations de consommateurs qu'au niveau des groupes préoccupés de la protection de l'environnement. Sans vouloir présumer des réformes qu'entend mettre de l'avant mon collègue M. Robert Burns, j'ose espérer qu'à l'avenir, les commissions parlementaires auront un cadre plus large pour en faire de véritables places publiques où des citoyens pourront être entendus et se faire représenter.

J'invite donc, individuellement, tous les membres de cette commission à être particulièrement actifs car l'énergie est beaucoup plus qu'un dossier. Elle deviendra très rapidement le facteur d'influence le plus marquant sur notre société et notre façon de vivre.

J'invite également la population à suivre les travaux de cette commission parlementaire. Les choix que le Québec aura à faire en ce qui a trait à une politique énergétique affecteront, d'une façon ou d'une autre, tous les citoyens. Il sera alors normal que ces derniers sachent pourquoi ces choix ont été arrêtés. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Laplante): Merci, M. le ministre. Est-ce que des membres de l'Opposition officielle veulent prendre la parole?

Commentaires de M. Raymond Garneau

M. Garneau: Oui, M. le Président.

La commission parlementaire qui s'ouvre cet après-midi se place dans un contexte extrêmement important et l'Opposition officielle entend bénéficier au maximum des avis qui seront fournis par les différents experts et groupes intéressés qui viendront témoigner devant nous.

Tout d'abord prévue pour la mi-novembre, cette commission parlementaire a dû être remise pour les raisons que tout le monde connaît. L'ex-ministre, Jean Cournoyer avait convoqué cette commission pour faire en sorte que dans un secteur aussi vital que celui de l'énergie, le gouvernement du Québec s'assure de la participation la plus éclairée possible de tous ceux que la chose intéresse au premier chef.

Au début de la présente décennie, la question de l'énergie n'attirait que rarement l'attention de l'opinion publique; la situation préférentielle dans laquelle nous nous trouvions, de même que la plupart des populations industrialisées, faisait en sorte que ce sujet n'était pas de première importance. Le pétrole et l'électricité qui constituaient nos principales sources d'énergie étaient disponibles en quantité suffisante et à des prix relativement bas. Nos approvisionnements étaient assurés en ce qui concerne le pétrole par une liberté de commerce qui garantissait la fourniture de cette denrée de base pour notre développement.

L'utilisation politique des réserves pétrolières par certains pays producteurs a amené un bouleversement de toute la situation, et depuis 1973, les règles du jeu ont été à ce point transformées qu'on a parlé de crise, non seulement en termes d'approvisionnement, mais aussi en termes d'équilibre du commerce international, de balance des paiements des différents pays industrialisés.

Pour trouver des solutions à court terme, les pays consommateurs et exportateurs se sont formés en association afin d'engager un dialogue susceptible de ramener un équilibre acceptable, non seulement entre les pays producteurs et importateurs, mais aussi entre les différents blocs que l'on appelle communément pays développés et pays en voie de développement.

Au début des années soixante-dix, le gouvernement du Québec avait voulu jeter les premiers jalons d'une politique de l'énergie qui comprenait un certain nombre de facettes et qui était reliée particulièrement autour des thèmes suivants: sécurité des approvisionnements, protection des individus et de l'environnement, augmentation de la valeur rajoutée au Québec, accroissement des intérêts québécois dans des activités reliées à l'exploration et à la distribution.

Les éléments de la politique québécoise de l'énergie en 1972/73, comme vous pouvez le constater, étaient de même nature que ceux de la plupart des pays industrialisés. La crise de 1973 a complètement modifié ces données et il fallait revoir en profondeur les principaux éléments de cette politique.

L'article no 1 tournait autour de la sécurité des approvisionnements qui était mise en exergue par la décision des pays arabes d'utiliser le pétrole comme arme politique dans leur conflit avec Israël. Le Québec a vite compris que la solution au problème qui le confrontait ne pouvait être élaborée en vase clos. Il fallait donc que la politique énergétique québécoise soit conçue dans le contexte canadien et international, à cause des impacts que constituaient, comme je viens de le dire, l'approvisionnement et aussi les paiements internationaux.

Le Québec a donc participé très activement aux conférences fédérales-provinciales sur l'énergie qui ont débouché sur certaines règles de base qui ont permis à l'Est du Canada de bénéficier d'une politique de prix qui égalisait davantage les possibilités de développement sur tout le territoire canadien.

La politique canadienne, en plus de garantir des prix plus bas, débouchait sur la construction d'un pipe-line de Sarnia vers Montréal afin de garantir, a moyen terme, un minimum d'approvisionnements pour le Québec et aussi pour les provinces maritimes.

Cette politique canadienne de l'énergie, à laquelle le Québec a participé activement, nous a permis de franchir, en minimisant le plus possible les inconvénients, les premières années de la crise énergétique. Nous sommes maintenant rendus à un point où il nous faut préparer l'avenir en tenant compte de données nouvelles, c'est-à-dire la possibilité, à moyen terme, d'une pénurie de pétrole, l'augmentation extrêmement rapide des coûts de la production marginale du pétrole et du gaz de même que l'organisation de son transport, soit en provenance du territoire canadien ou de l'étranger. Les questions qui se posent aujourd'hui ont plusieurs facettes et c'est notre intention, nous de l'Opposition officielle, comme je le disais au début, de profiter de cette commission pour poser aux différents intervenants des questions sur ce que devrait être la politique du Québec comme, par exemple: Devons-nous axer les interventions de l'Etat vers l'autosuffisance, à quel degré et à quel prix? Compte tenu de l'inflation, qui a engendré une augmentation rapide des coûts de production de l'électricité, le Québec a-t-il les moyens d'entreprendre la construction de nouvelles centrales afin d'accroître substantiellement la partie électricité dans son bilan énergétique?

Si le Québec pouvait disposer de capitaux, est-il sage de les investir dans l'accélération des programmes de développement de production électrique? En ce qui concerne les autres aspects qui sont reliés, par exemple, au prix du pétrole sur le marché canadien, doit-on continuer de favoriser l'augmentation du prix du baril de pétrole au niveau du prix international? Y a-t-il avantage pour le Québec à participer à des programmes canadiens d'exploration et de transport du brut de même que du gaz naturel? Si, au Québec, nous répondions par l'affirmative à ces deux questions, devrions-nous, en même temps, accepter d'appliquer les mêmes politiques en ce qui regarde l'électricité, c'est-à-dire participer activement à l'intercommunication des réseaux et supporter une politique canadienne visant à satisfaire les besoins internes du pays avant de songer à vendre nos surplus d'électricité aux Etats-Unis?

Parlant d'électricité, devons-nous continuer de favoriser, d'une façon prioritaire, le développement hydroélectrique plutôt que la production de cette même électricité à partir de centrales nucléaires? Peu importe les réponses qui pourront être apportées à toutes ces questions au cours de cette commission parlementaire, il y a certainement un point qui doit rallier tout le monde et c'est celui de la nécessité qu'il y a de changer notre comportement dans le domaine de la consommation de l'énergie. Il faut constater et reconnaître que le temps est révolu où l'énergie était disponible en grande quantité et à des prix relativement bas. La préoccupation de tous doit être la conservation de l'énergie et son utilisation la plus rationnelle possible. A ce chapitre, j'espère que les intervenants pourront nous dire si c'est par le mécanisme des marchés que nous pourrons obtenir plus sûrement nos objectifs ou si d'autres moyens peuvent et doivent être utilisés.

En conclusion, je dirai que l'Opposition officielle entend participer très activement aux séances de la commission parlementaire. Le Québec est une société développée et ses citoyens veulent continuer de profiter du niveau de vie que leur permet leur appartenance aux grands blocs économiques. C'est pourquoi le défi énergétique est tellement fondamental pour nous, puisque c'est de la façon dont nous relèverons ce défi que dépendra en grande partie le développement futur de notre société.

Vous me permettrez, en terminant, de dire, dans le contexte politique particulier qui est maintenant le nôtre, qu'autant je crois à la nécessité pour le Québec de se donner une politique énergétique, autant je suis convaincu que cette politique énergétique québécoise ne peut avoir de chances raisonnables de succès en dehors du contexte canadien. On fait présentement bien des efforts, en certains milieux, pour tout ramener à la seule dimension québécoise. Je crois bien que dans le domaine de l'énergie, ces efforts sont voués d'avance à l'échec. Une politique énergétique québécoise, cela doit assurément exister. Cela ne peut toutefois pas exister, nous semble-t-il, en mettant de côté la réalité canadienne.

Le Président (M. Laplante): Merci, M. le député de Jean-Talon.

Commentaires de M. Yvon Brochu

M. Brochu: M. le Président, parler d'énergie comme nous y invite aujourd'hui le ministre n'est en définitive pas une chose nouvelle. Le Parlement s'y est déjà attardé plusieurs fois et ce qui frappe, aujourd'hui, disons que c'est que jamais, je pense, nous n'avons abordé la question dans un contexte aussi global et dans une perspective aussi large.

L'Union Nationale pour sa part tient à féliciter le ministre et son gouvernement de cette initiative, d'autant plus qu'il s'agit d'une promesse électo-

rale qui concorde parfaitement avec son programme politique en matière de développement de nos richesses naturelles. Le Québec, à notre sens, doit se doter d'une politique véritable en matière énergétique. Comme le souligne si bien d'ailleurs SOQUIP dans son mémoire, il faut que les orientations et les stratégies de l'énergie que se propose de publier le gouvernement soient déterminées le plus tôt possible et que les actions qui en découlent soient engagées sans retard.

Je pense que les couloirs de marge de manoeuvre dans lesquels il nous est permis d'oeuvrer actuellement sont de plus en plus restreints. Les échéances, pour peu qu'on analyse la situation, nous apparaissent de plus en plus clairement proches et des décisions devraient être rendues assez rapidement. D'ailleurs, l'intérêt réel qu'a suscité l'annonce de cette commission parlementaire est une preuve suffisante de l'opportunité, je dirais même de la nécessité de tenir ce débat à l'heure actuelle.

Nous aurons l'occasion, dans les prochains jours, d'entendre les analyses et les recommandations des principaux intervenants dans ce domaine, que ce soient les producteurs, que ce soient les consommateurs ou encore la multitude de tous ceux qui oeuvrent en tant qu'intermédiaires ou à demidans l'un ou l'autre des secteurs. Compte tenu de l'ampleur de la crise actuelle et de son caractère permanent, il faut se rendre à l'évidence: le débat que nous entamons aujourd'hui ne touche pas uniquement nos politiques énergétiques comme telles, mais aussi l'ensemble de nos politiques économiques et de nos possibilités sociales. Je pense que les décisions qui vont être rendues ont quand même une série de ramifications dans le vécu quotidien de toute une population.

En somme, nous recherchons ensemble les moyens d'atteindre un heureux équilibre entre nos besoins énergétiques, lesquels contrôlent une bonne partie de notre croissance économique, et une plus grande qualité de vie, tant au niveau social qu'au niveau individuel.

Le ministre a raison de dire que nous sommes rendus — comme il le mentionnait il y a quelques minutes — à l'heure des choix d'une portée si globale, je pense, que chaque Québécois, qu'il soit d'Outremont, qu'il soit de Sainte-Clothilde, dans mon comté ou d'ailleurs, sera touché par les conséquences, de façon directe, à long terme qui s'y rapportent.

A titre d'Opposition responsable à l'Assemblée nationale, nous entendons apporter notre contribution positive aux différentes étapes qui précèdent ces choix. Le ministre nous a déjà fait connaître par la voie des media d'information quelques-uns des objectifs qu'il entend poursuivre et qu'il vient de mentionner à l'instant. Il a insisté particulièrement sur l'urgence de procéder à une utilisation plus raisonnable et plus intelligente de nos ressources énergétiques.

Si nous partageons le souci d'économie du ministre et de son gouvernement, nous nous interrogeons, cependant, comme tous ceux qui défileront, je pense dans les prochains jours devant cette commission parlementaire, sur les moyens à prendre pour conserver l'énergie, pour exploiter nos ressources potentielles d'énergie, ici même au Québec, pour développer les nouvelles sources d'énergie, tout en conservant l'environnement pur et simple. En plus, nous nous interrogeons également sur les moyens de le faire à un coût raisonnable, compte tenu du fardeau financier déjà très considérable actuellement sur le dos des contribuables québécois. Je pense qu'on doit poser le problème également dans toute cette dimension.

Le ministre n'a pas encore de réponse à toutes ces questions et, évidemment, il espère en trouver par le biais de cette commission parlementaire qui est la première étape dans l'élaboration de la politique globale de son gouvernement. La prochaine étape sera, comme il l'a mentionné tout à l'heure, la publication de son livre blanc dans quelques mois. Ce qui veut dire, par exemple, à toutes fins pratiques, que le gouvernement ne pourra pas passer à l'action dans ce domaine avant au moins une année complète.

Entre-temps, les problèmes — on doit le dire — demeureront les mêmes et peut-être certains iront en s'accentuant. A l'instar de plusieurs personnes qui viendront devant nous bientôt, j'aimerais savoir ce que le ministre et son gouvernement entendent faire dans un avenir immédiat pour apporter certains correctifs à des situations intolérables et qui ne peuvent plus attendre. Je les nomme à titre d'exemples et non pas ici par ordre d'importance. Par exemple, le système de facturation discriminatoire et injuste de l'Hydro Québec envers ses abonnés; les répercussions ou la hausse prochaine de l'huile à chauffage ou même de l'essence sur les consommateurs les plus démunis, d'une part, et sur une bonne partie de nos petites et moyennes entreprises, d'autre part, lesquelles sont déjà assaillies par la hausse des coûts de production qui les rend difficilement compétitives même actuellement sur le marché. Ces problèmes ajoutés à l'ensemble des situations qu'elles connaissent déjà, seront loin de faciliter leur expansion et leurs possibilités de faire compétition sur les marchés.

D'un autre côté, il y a l'existence aussi de mesures fiscales appropriées ainsi que de subventions suffisantes pour stimuler les recherches de nouvelles sources d'énergie de la part de nos propres sociétés, telles que SOQUIP et l'Hydro-Québec, et de la part de l'entreprise privée. Serait-il nécessaire d'attendre encore longtemps avant de trouver des solutions équitables et raisonnables à ces problèmes? Le ministre pourra nous en parler. Mais, avant qu'il le fasse, je voudrais l'assurer de notre désir, en ce qui nous concerne, de travailler étroitement avec lui et tous les Québécois, comme avec les membres de cette commission parlementaire, pour élaborer une politique énergétique réaliste, axée sur la conservation de l'énergie, bien sûr, mais aussi consciente de la position de force du Québec dans le domaine de l'électricité, d'une part, et également consciente de notre position de faiblesse, à l'heure actuelle, dans l'exploitation pétrolière et l'exploitation du gaz naturel. Consciente également que le système

fédéral canadien, devant les difficultés en approvisionnement de pétrole et devant la hausse des coûts en la matière, permet aux provinces de l'est du Canada, donc, au Québec notamment, de jouir en toute sécurité des stocks suffisants et des prix équitables qui sont bénéfiques au peuple québécois et à l'économie générale de la province.

M. le Président, il y a plusieurs données générales qui nous permettent d'analyser ou de poser assez clairement le problème énergétique actuellement: il y a la durée des réserves encore disponibles du pétrole, du charbon et des autres possibilités; le coût et les moyens d'exploiter ces moyens; les dangers, les difficultés que pose encore, par exemple, tout le secteur du nucléaire; toute la recherche qui reste encore à faire relativement aux autres sources d'énergie possibles. Ces mêmes données nous forcent à reconnaître que ce qu'on appelle actuellement la crise de l'énergie, dans son sens large, n'est pas un phénomène passager ou temporaire, mais est bel et bien devenu une réalité permanente, imbriquée dans notre quotidien en tant qu'individus, en tant que nation et en tant aussi que citoyens du monde.

Qu'on le veuille ou non, je pense que le mandat de la commission qui siège aujourd'hui est là pour le prouver, nous sommes maintenant engagés sans retour dans ce qu'on peut appeler, désormais, la course à l'énergie, où tous les pays du monde, en même temps, sont conviés devant le même problème. Par contre, on doit reconnaître aussi qu'il devient de plus en plus facile, dans un certain sens, d'identifier les problèmes en matière énergétique, mais en même temps, par un curieux phénomène, qu'il devient aussi de plus en plus difficile de percevoir, peut-être, les solutions adéquates à apporter à court terme et à long terme également aux problèmes qui se posent, comme s'il y avait un jeu d'inversement proportionnel qui jouerait en matière énergétique de sorte que plus les problèmes deviennent évidents moins les solutions apparaissent faciles et évidentes.

M. le Président, quant à nous, de l'Union Nationale, nous souhaitons bonne chance à cette importante commission parlementaire et nous soulignons que nous voulons apporter, avec beaucoup d'intérêt, toute la collaboration qu'il nous est possible d'apporter.

Le Président (M. Laplante): Merci, M. le député de Richmond.

Y a-t-il des commentaires de la part d'autres membres de la commission?

J'inviterais maintenant le premier organisme, SOQUIP, en la personne de M. Bernard Cloutier, à se présenter, s'il vous plaît. La seule restriction qu'on impose, c'est d'être clair et bref vu la quantité assez grande d'organismes à entendre; toutefois, il ne faut pas se gêner de dire ce que l'on a à dire, ouvertement. Cela me parait le plus important.

SOQUIP

M. Cloutier (Bernard): Très bien. M. le Président, MM. les membres de la commission, n'ayant pas l'habitude de ce genre d'exercice, je dois avouer que j'ai un trac terrible aujourd'hui, non pas tellement de parler en public, mais de mettre en rapport l'incidence des décisions qui auront à être prises en conséquence de l'analyse que l'on commence aujourd'hui, avec les moyens que l'on a à mettre en oeuvre.

Je me présente devant vous pour vous lire un discours préparé — ce que j'aime peu, parce que cela manque de spontanéité — en collaboration avec M. Jacques Plante, directeur de l'exploration de SOQUIP et M. André Marier, directeur des activités industrielles et commerciales. Ces derniers me seconderont durant la période des questions.

J'ai demandé d'ouvrir le débat de cette commission parlementaire sur l'énergie, car même si le Québec est riche en énergie hydroélectrique, je crois que c'est autour de l'approvisionnement futur en énergie pétrole que doit être structurée la politique de l'énergie du Québec. Le Québec, qui dépend de pétrole importé pour 70% de ses besoins d'énergie, ne peut se permettre de négliger des avertissements d'un nombre croissant d'experts qui prévoient que l'offre de pétrole brut, sur les marchés internationaux, ne satisfera plus la demande d'ici cinq ou dix ans si la reprise de l'accroissement de la consommation pétrolière mondiale, constatée en 1976, se confirme en 1977 et se maintient par la suite.

La probabilité de cette éventualité est élevée si l'on considère que les très fortes augmentations des prix pétroliers de 1973 et 1974 ont eu relativement peu d'effet sur les habitudes de la consommation et que les réductions du taux de croissance de la demande en 1974 et 1975 sont attribuables davantage à la conjoncture du niveau de l'activité économique mondiale qu'à l'élasticité des prix pétroliers. En clair, cela veut dire que les produits pétroliers qui nous paraissent chers maintenant, et qui le seraient plus si les prix pétroliers canadiens étaient au niveau mondial, sont appelés à devenir encore beaucoup plus chers à l'avenir. Cette augmentation pourra être graduelle si l'on réussit à contrôler l'accroissement de la demande mondiale, ou elle sera relativement brutale et elle surviendra dans un horizon rapproché si le maintien de l'accroissement de la demande mondiale nous conduit à une pénurie de pétrole avant que des sources alternatives d'énergie n'aient pu apporter leur contribution de façon significative.

Compte tenu des importants délais de mise en oeuvre dans le secteur de l'énergie, l'éventualité d'une pénurie mondiale de pétrole à moyen terme devrait inciter tous les pays à engager de réels efforts de conservation d'énergie et accorder une priorité aux sources autochtones d'énergie.

L'époque, maintenant révolue, de pléthore d'énergie-pétrole à bon marché a produit, chez les consommateurs, des habitudes de gaspillage. La modification de ces habitudes dans le sens de l'économie constitue une première réserve cachée sur laquelle il convient de tirer avant d'augmenter le volume de la consommation.

Dans le cas du Canada dont les réserves d'énergie-hydrocarbure sont également partagées

entre le pétrole et le gaz naturel mais qui consomme trois fois plus d'énergie-pétrole que d'énergie-gaz, l'orientation vers les sources autochtones d'énergie devrait se traduire par une augmentation de la part du gaz naturel dans son bilan énergétique.

Dans le cas du Québec dont le potentiel hydroélectrique n'est pas encore entièrement aménagé, une priorité raisonnable devrait être accordée au développement et à une meilleure utilisation de cette forme d'énergie autochtone et renouvelable.

Ces orientations très générales peuvent se traduire, pour le Québec, en un certain nombre de stratégies spécifiques. Un effort doit être porté vers une meilleure utilisation de l'énergie disponible de façon à réduire le gaspillage d'énergie et à nous permettre d'utiliser l'énergie ainsi économisée à d'autres fins. Dès l'hiver 1974, certains pays européens ont mis sur pied des mécanismes de subvention pour inciter leurs industries à réduire le contenu énergétique des biens qu'elles produisaient. Un grand nombre de mécanismes spécifiques doivent être imaginés et implantés car, même si chacun d'eux n'est que d'une portée réduite, leur effort cumulatif peut être important.

Mentionnons, par exemple, une tarification de l'électricité qui pénaliserait les consommations exagérées; des incitations à la recherche et à l'application de technologies d'emmagasinage d'énergie permettant l'utilisation aux heures de pointe d'énergie hydroélectrique accumulée durant les heures de faible demande, énergie qui, autrement, serait perdue au fil de l'eau; des normes de construction plus sévères; des subventions à l'isolation des constructions nouvelles; l'élimination des taxes sur les matérieux isolants; des incitations à la recherche et à l'application de technologies plus efficaces dans les appareils, équipements et procédés utilisant l'énergie; des normes limitant l'intensité lumineuse de l'éclairage dans les endroits publics intérieurs et extérieurs en fonction des besoins réels au cours de la journée et encore des frais d'enregistrement des véhicules progressant rapidement avec l'augmentation de leur consommation; la permission de tourner à droite sur une lumière rouge, etc.

La priorité qui devrait être accordée au développement de la part de l'énergie hydroélectrique dans le bilan énergétique du Québec, car il s'agit d'une forme d'énergie autochtone et renouvelable, doit être tempérée par le constat des contraintes financières associées à ce développement et par l'analyse coûts-bénéfices de cette voie comparativement aux autres moyens disponibles pouvant réduire la dépendance du Québec sur le pétrole importé des marchés internationaux.

L'accès du Québec au pétrole canadien par l'oléoduc Sarnia-Montréal améliore temporairement notre sécurité d'approvisionnement pétrolier, mais il est prévu que dès 1982, la production canadienne de brut ne suffira plus aux besoins des marchés présentement desservis et qu'en toute probabilité, cet oléoduc sera alors utilisé dans le sens inverse Montréal-Sarnia.

Le pétrole synthétique des sables bitumineux de l'Athabaska constitue une réserve d'énergie de première importance pour le long terme. Mais tout comme l'énergie hydroélectrique non aménagée du Québec, le développement de cette source d'énergie se heurte à des contraintes financières considérables et à des délais de mise en oeuvre qui reporteront l'échéance d'une contribution significative de cette source à un avenir lointain.

Il reste le gaz naturel déjà découvert et en ligne en Alberta, le gaz naturel découvert mais pas encore canalisé dans le bassin du Mackenzie et dans les îles de l'Arctique, le gaz du Labrador et enfin, et surtout à long terme, le gaz synthétique qui sera, un jour, produit à partir des énormes réserves de charbon de l'Ouest canadien.

La position de SOQUIP devant cette commission et qu'il serait dans l'intérêt, à moyen terme, des Québécois qu'un certain nombre de dispositions soient prises très prochainement de façon à augmenter la part du gaz naturel de provenance canadienne dans le bilan énergétique du Québec aux dépens du pétrole importé des marchés internationaux.

Pour atteindre cet objectif, il faut que le gaz puisse concurrencer les produits pétroliers aux points de consommation et, bien entendu, il faut qu'il soit disponible à ces points de consommation. Il en résulte donc certaines dispositions à prendre relativement à la disponibilité et à la concurrence du gaz.

Premièrement, il pourra rendre le gaz disponible à un plus grand nombre de consommateurs en développant le réseau gazier du Québec. Pour assurer ce développement au rythme et de la façon qui répondent le mieux aux intérêts des Québécois, il convient que l'initiative des opérations financières et techniques soit assumée par des intérêts québécois publics et privés plutôt que par des entreprises dont les décisions sont prises, comme il se doit, en fonction d'intérêts et d'opportunités situés principalement en dehors du Québec.

En conséquence, SOQUIP recommande l'acquisition, par la voie de négociations commerciales normales, du contrôle des entreprises de distribution gazière au Québec. C'est ici qu'intervient l'étude des coûts-bénéfices comparatifs des sacrifices financiers que le Québec doit consentir maintenant pour garantir la satisfaction future de ses besoins en énergie et l'étude de la meilleure allocation budgétaire de ses efforts entre les diverses formes d'énergie susceptibles de remplacer le pétrole importé des marchés internationaux.

Deuxièmement, il faut rendre le gaz concurrentiel avec les produits pétroliers. Sous ce volet, le Québec peut, en un premier temps, enlever la taxe de vente de 8% applicable à l'énergie-gaz dont sont dispensées assez curieusement l'énergie-pétrole et l'énergie électrique. L'effort principal devrait cependant porter sur des négociations à entreprendre avec l'Alberta et le gouvernement fédéral afin d'augmenter l'écart de 15% entre les prix du gaz naturel à l'entrée des villes et le prix du pétrole brut à l'entrée des raffineries, de

façon à permettre une concurrence réelle des prix au niveau des consommateurs de ces deux formes d'énergie, y compris les consommateurs industriels.

L'augmentation de cet écart pourrait être réalisée en permettant au prix canadien du brut d'augmenter vers le niveau mondial plus rapidement que n'augmenterait le prix du gaz naturel. La conjoncture est bonne pour cette négociation car la reprise de l'exploration en Alberta, au cours des deux dernières années, a produit un surplus temporaire. La Trans-Canada Pipe Lines Ltd, a déclaré qu'elle n'achèterait pas de gaz nouveau avant le 1er novembre 1978 faute de développement de ses marchés de l'Est. La concurrence entre ces deux formes d'énergie, au niveau des consommateurs, est essentielle si nous voulons réduire notre dépendance sur le pétrole importé.

A défaut d'obtenir cette concurrence par l'indexation du prix du gaz à un pourcentage adéquat du prix du brut, il est à prévoir que nous soyons amenés à imposer une taxe de vente sur le mazout lourd lorsque deviendra imminente l'éventualité d'une pénurie du brut sur les marchés internationaux. La question reste: Aurons-nous alors le temps de modifier notre bilan énergétique en faveur de formes d'énergie dont la disponibilité est plus sûre?

Enfin, il faut rendre le gaz naturel disponible en quantité suffisante, pour permettre le développement de son utilisation au Québec. C'est sous ce volet que se retrouvent les efforts d'exploration et de production de SOQUIP. Malgré des résultats positifs en Alberta et au Québec, les quantités de gaz obtenues par SOQUIP sont encore suffisantes pour permettre, à elles seules, un développement sensible du rôle du gaz naturel dans le bilan énergétique du Québec.

C'est ici où intervient la recommandation que le Québec obtienne par négociation avec le gouvernement central, l'assurance que les besoins de gaz naturel des marchés canadiens soient desservis en priorité avant que ne le soient les marchés d'exportation.

Dans ce contexte, les besoins des marchés canadiens comprennent, en plus des besoins actuels, les volumes requis pour le développement de l'utilisation du gaz au détriment du pétrole importé, et ce, particulièrement au Québec. En effet, si la consommation de gaz au Québec est gelée au niveau actuel jusqu'à l'arrivée en grands débits du gaz des frontières, l'infrastructure de transport, de distribution et d'utilisation n'aura pas été développée et ce gaz nouveau nous filera sous le nez vers les Etats-Unis ou l'Ontario.

Les dispositions préconisées en faveur de l'utilisation du gaz naturel pourraient faire passer à moyen terme la place de cette forme d'énergie de 5% du bilan énergétique du Québec à 15%, 20% ou au mieux à 25%. Le Québec n'en restera pas moins dépendant du pétrole importé pour une part primordiale de ses approvisionnements en énergie, part que l'on pourrait situer entre 70% et 50%, selon le degré d'application et le degré de succès des stratégies visant le transfert du pétrole au gaz.

Si aucun nuage ne se profilait à l'horizon, en ce qui concerne la disponibilité et les prix de l'énergie-pétrole, nous pourrions très bien envisager la décennie à venir en toute sécurité et s'en remettre aux mécanismes d'approvisionnement pétrolier présentement en place qui dans le passé ont été adéquats, sinon en ce qui concerne les prix, au moins en ce qui concerne la continuité des fournitures.

La position de SOQUIP devant cette commission est que le Québec ne doit pas prendre le risque de maintenir son niveau actuel de dépendance sur le pétrole importé et qu'il ne doit pas non plus s'en remettre aux seuls mécanismes d'approvisionnement présentement en place, c'est-à-dire les compagnies pétrolières multinationales, pour la sécurité d'approvisionnement du solde incompressible d'énergie qui devra être importé sous forme de pétrole dans les décennies à venir.

Cette position relative aux risques à prendre ou à éviter résulte, premièrement, de l'évaluation de la probabilité d'une pénurie dé pétrole sur les marchés mondiaux à moyen terme; deuxièmement, de l'évaluation de l'impact sur la qualité de la vie, dans une région froide et industrialisée comme le Québec, des effets d'une réduction de ses approvisionnements pétroliers lorsque l'offre ne satisfera plus la demande sur les marchés internationaux du pétrole brut; enfin, de l'évaluation de la compétitivité d'un Québec acheteur par l'unique entremise des fournisseurs actuels sur un marché où l'offre ne satisfait plus la demande. Autrement dit, de l'évaluation du degré auquel, en cas de pénurie mondiale de brut, les compagnies pétrolières multinationales seraient motivées à assurer la fourniture des besoins du Québec mieux que la fourniture des autres marchés qu'elles desservent.

Cette position nous conduit à recommander de réactiver le dossier de l'introduction de SOQUIP dans le raffinage et la distribution, non pas seulement comme secteur témoin de ces activités, mais surtout comme un outil d'approvisionnement dont pourra disposer le Québec avec l'assurance d'être le premier servi en cas de pénurie.

La Société québécoise d'initiatives pétrolières est l'aboutissement d'une longue réflexion entreprise dès 1962 à la Direction générale de la planification du ministère des Richesses naturelles.

Le concept d'une société d'Etat dans le secteur pétrolier, d'abord présenté en 1964, a presque vu le jour en 1967/68 alors qu'un premier projet de raffinage avait été élaboré. Ce n'est, cependant, qu'en novembre 1969 qu'était créée SOQUIP avec le mandat de rechercher, produire, emmagasiner, transporter et vendre des hydrocarbures bruts, liquides ou gazeux et de participer au raffinage des hydrocarbures bruts, liquides ou gazeux, à l'emmagasinage, au transport et à la vente des hydrocarbures raffinés.

Maintenant, quinze ans après le début des premières études du Québec sur ses intérêts par rapport au monde prestigieux du pétrole qui, alors, paraissait mystérieux et inaccessible et sept ans après le début de SOQUIP, elle est devenue

une entreprise mature, jouissant d'une excellente réputation dans le milieu pétrolier nord-américain, particulièrement dans le secteur exploration-production où elle s'est associée en opération conjointe avec une trentaine de compagnies privées, des plus petites aux plus grandes.

Au 31 mars, son actionnaire, le gouvernement du Québec, lui aura versé $35 millions d'un capital-actions autorisé de $100 millions. Les activités de SOQUIP rendues possibles par cet investissement commencent à donner des résultats positifs en Alberta et au Québec. En Alberta, elle contrôle déjà la disposition d'une réserve de gaz de l'ordre de 55 milliards de pieds cubes, répartis dans sept gisements. Les 15 milliards de pieds cubes qui lui appartiennent en propre dans ces gisements représentent, au prix actuel du gaz à la tête des puits, un actif d'une valeur brute non actualisée d'environ $1S millions. Ces gisements ont un potentiel de production de l'ordre de 30 millions de pieds cubes par jour et fournissent déjà 12 millions de pieds cubes par jour à SIDBEC, pour lequel le gaz naturel est une matière première essentielle.

Ici, au Québec, SOQUIP a procédé par élimination à un inventaire exhaustif du potentiel de nos bassins sédimentaires en faisant la synthèse des données qu'elle a recueillies par ses propres travaux et des informations qu'elle a obtenues en s'associant avec presque toutes les compagnies qui ont exploré nos bassins au cours de la dernière décennie. Ses travaux persistants lui ont permis d'identifier quelques régions qu'elle considère encore prospectives pour l'occurrence d'accumulation commerciale d'hydrocarbures. Il y a un a, SOQUIP a enfin découvert !e premier gisement gazier important du Québec dans une de ces régions prospectives, les basses terres du Saint-Laurent, plus précisément à Saint-Flavien, à 25 milles de la ville de Québec.

Le forage de puits de développement se poursuit dans ce gisement mais déjà des réserves de l'ordre de 20 milliards de pieds cubes ont été mises en évidence. Au prix de $2 les mille pieds cubes de gaz livré au consommateur, ces réserves représentent un actif d'une valeur brute non actualisée d'environ $40 millions, soit au-delà du seuil requis pour engager dès maintenant la construction d'un gazoduc vers les marchés de la capitale.

Grâce à l'expérience acquise et à son intégration dans l'industrie nord-américaine, SOQUIP envisage son introduction dans le secteur du transport et de la distribution du gaz naturel avec l'assurance de s'y développer aussi harmonieusement et de façon aussi efficace qu'elle l'a fait dans le secteur de l'exploration-production depuis 1970.

A cette époque, comme première société d'Etat à être créée en Amérique du nord dans le secteur pétrolier, elle a eu à remonter la côte de préjugés défavorables et à ouvrir une voie que d'autres sociétés d'Etat ont depuis lors empruntée.

Compte tenu de la tendance inéluctable de l'accroissement des responsabilités des gouvernements dans le secteur de l'énergie-pétrole et gaz naturel, le rôle de SOQUIP est appelé à s'accroître dans les années à venir.

SOQUIP remplit son rôle de témoin en vous présentant la perception spécifique que sa situation de charnière entre l'Etat et l'industrie, que ses activités et que ses liaisons dans le monde pétrolier, lui donnent des problèmes auxquels le Québec aura à faire face dans la décennie à venir.

Cette perception spécifique peut, dans le cadre d'une concertation étroite entre le gouvernement, l'administration et SOQUIP, apporter des éléments utiles à l'élaboration des stratégies de l'énergie du Québec. Mais, au-delà de ce rôle mineur de témoin, SOQUIP a maintenant l'expérience, l'expertise et les relations dans son milieu pour lui permettre d'assumer pleinement et selon les objectifs qui lui seront assignés son rôle d'instrument opérationnel du Québec dans l'application du volet hydrocarbure d'une politique de l'énergie.

Ce résumé avait pour objet de tracer les grandes lignes des orientations et des stratégies qui s'imposent dès qu'on prend au sérieux la possibilité d'une pénurie du pétrole brut sur les marchés mondiaux d'ici une décennie.

Le problème est que l'opinion publique est peu sensibilisée à cette éventualité qu'il est difficile d'évoquer de façon nuancée sans paraître alarmistes.

Les principaux agents économiques du secteur qui disposent des données techniques du problème, soit les compagnies pétrolières, sont mal placés pour y faire lumière, d'une part, car, ayant été taxées par l'opinion publique de certains pays, à tort d'ailleurs, d'avoir provoqué ou manipulé la crise de 1973/74 dans leur intérêt, l'annonce par ces compagnies d'une nouvelle crise beaucoup plus grave serait peu crédible et mal interprétée et, d'autre part, car l'aveu de la progression des événements vers une pénurie ne les favoriserait pas, tant sur le plan de leur image que sur le plan du rôle qu'elles entendent encore maintenir sur l'échiquier pétrolier mondial.

Il est désagréable d'être porteur de mauvaises nouvelles et dangereux de l'être si elles ne se confirment pas. Après avoir évalué cet inconvénient et pesé ce risque contre son devoir d'être un témoin dans le secteur énergie et pétrole, SOQUIP choisit d'ouvrir le débat sur l'insécurité des approvisionnements pétroliers à moyen terme et à long terme, tout en sachant, bien entendu, que d'aucuns n'y verront qu'un moyen intéressé de promouvoir son développement.

Reconnaissant la faiblesse de la crédibilité populaire de cette perception pourtant justifiée par les données disponibles, SOQUIP recommande qu'il est nécessaire de créer un groupe ad hoc d'une dizaine de personnalités québécoises désintéressées et jouissant de crédibilité dont le mandat spécifique serait de recueillir dans les trois mois les avis des experts qui ont déjà pris position sur l'avenir de l'offre et de la demande sur les marchés internationaux de façon à en dégager un consensus utilisable au Québec.

Il ne s'agit pas de cerner de plus près

l'échéance d'une pénurie physique de pétrole, mais plutôt de reconnaître l'ampleur que pourrait prendre le problème de l'énergie si cette prévision se réalise avant que le Québec ait pris les dispositions nécessaires pour mieux utiliser l'énergie hydroélectrique dont il dispose, pour augmenter la part du gaz naturel canadien dans son bilan énergétique et, enfin, pour augmenter la sécurité d'approvisionnement du pétrole importé dont il devra rester tributaire.

Dans cette optique, le temps et la continuité de l'effort sont des éléments essentiels. Le secteur de l'énergie reste soumis à d'énormes délais de mise en oeuvre, malgré la volonté la plus déterminée et Jes moyens financiers les plus importants, qu'il s'agisse de construire des centrales hydroélectriques ou nucléaires, de mettre en production des gisements pétroliers ou gaziers ou de changer les habitudes des consommateurs ou la structure d'un bilan énergétique.

C'est pourquoi SOQUIP recommande que les orientations et stratégies de l'énergie que se propose de publier le gouvernement soient déterminées le plus tôt possible et que les actions qui en découleront soient engagées sans retard.

M. le Président, MM. les membres de la commission, je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Laplante): Merci, M. Clou-tier. M. le ministre.

M. Joron: m. Cloutier, je voudrais vous remercier et vous féliciter pour la qualité de votre mémoire. Je pense qu'il a été présenté dans le sens dans lequel entend travailler cette commission, c'est-à-dire jetant un éclairage global sur le problème énergétique.

J'en retiens que le point peut-être fondamental dans votre argumentation, qui est à la base même de vos recommandations, c'est cette pénurie prévisible des approvisionnements pétroliers que vous situez à moyen terme. J'aimerais peut-être lancer la première question, vous demandant d'essayer de situer un peu mieux dans le temps ce que vous entendez par moyen terme, l'ampleur de cette pénurie prévisible et, enfin, d'où vous viennent ces prédictions.

M. Cloutier: Je reconnais qu'effectivement, les orientations que je propose s'asseoient principalement sur la sécurité des approvisionnements du pétrole importé. Il y a déjà deux ou trois ans, des premiers avertissements se sont faits entendre sur le problème de l'éventualité d'une pénurie de pétrole. Ce n'est pas nouveau, parce qu'à plusieurs reprises, au cours de l'histoire de l'industrie pétrolière, il y a eu de tels avertissements. Que ce soit dans les années trente ou autres, à diverses reprises on a dit: Le pétrole n'est pas inépuisable. C'est une chose qui s'est produite à diverses périodes. Au début, on a pris cela un peu à la légère en disant: Encore quelqu'un qui crie au loup. Mais la qualité des groupes et individus qui commençaient à penser de cette façon portait vraiment à réfléchir. Déjà, et c'est inclus dans le mémoire, il y a un an, on pensait à une possibilité de tension sur les marchés internationaux, dans une dizaine ou une quinzaine d'années. D'ailleurs, il y a un an, dans un texte appelé "Réflexions sur les objectifs et orientations d'une politique de l'énergie", on avait fait mention de cette possibilité.

Au courant de ces dernières années, un nombre croissant de chercheurs ou de groupes d'analystes de qualité, répartis également dans le camp des pays producteurs et des pays consommateurs, ont posé la question et plus que posé la question, ont avancé qu'il y avait un risque que l'offre de pétrole sur les marchés des échanges internationaux ne pourrait pas satisfaire la demande, plus particulièrement depuis six mois.

Effectivement, la question est réelle parce qu'après le fléchissement de la demande pétrolière en 1974 et en 1975, suite aux augmentations, on constate, cette année, une augmentation de 7,6% de la demande mondiale, ce qui est un retour à un niveau plus élevé que l'accroissement de la demande dans les années 1968 à 1973. A moins qu'une prise de conscience qui dépasse largement celle que pourrait prendre le Québec, mais une prise de conscience générale de la plupart des pays, ne mette frein à cette reprise de l'accroissement de la demande, les calculs que présentent des groupes qualifiés démontrent que, dans la décennie des années quatre-vingt, on arrivera à une demande mondiale sur les marchés des transactions internationales qui ne pourra pas être satisfaite par les meilleures projections de production des pays qui sont exportateurs.

Vous avez lu dernièrement, dans le Devoir, le 28 janvier, je crois, un article dans lequel on rapportant que l'OCDE s'en inquiétait. Présentement, des études sont en cours par divers groupes et organismes, et ces études viendront appuyer et reserrer cette orientation.

C'est très délicat de parler de cette question sans avoir l'air alarmiste ou avoir l'air d'un ange de la mort, mais je pense, par contre, qu'il est nécessaire de l'envisager, et si suffisamment d'organismes et de gouvernements en prennent conscience sérieusement, on peut effectivement éviter cette éventualité.

Le Président (M. Laplante): Le député de Saint-Laurent, s'il vous plaît.

M. Forget: M. Cloutier, vous avez établi certaines de vos recommandations carrément sur la prévision de pénurie dans le domaine pétrolier. Je pense en particulier à vos recommandations relativement à l'importance plus grande qui devrait être accordée au gaz naturel dans le bilan énergétique. D'autre part, est-ce que, il y a quelques mois ou peut-être un peu plus d'un an, la Commission canadienne de l'énergie n'a pas décliné ou refusé de donner suite à des demandes qui auraient eu pour effet d'accroître les exportations canadiennes de gaz naturel à destination des Etats-Unis, parce que, précisément, ces projections de disponibilité de gaz naturel étaient telles qu'il semblait peu prudent d'accéder à cette demande.

En faisant la recommandation que vous faites d'accroîtte la part du gaz naturel dans le bilan énergétique au Québec, n'êtes-vous pas beaucoup plus optimiste que la Commission canadienne de l'énergie? L'êtes-vous sur la base de données plus récentes? Anticipez-vous que cette attitude canadienne, qui a d'ailleurs été relâchée temporairement cet hiver, ces dernières semaines, à cause des circonstances spéciales que l'on connaît, sera éventuellement révisée? De façon plus générale, l'argument que vous apportez en faveur du gaz naturel vis-à-vis du pétrole n'est-il pas basé sur un élément de sécurité d'approvisionnement qui est encore moins valable quelles que soient les prévisions faites pour la disponibilité de gaz naturel dans l'Ouest canadien, étant donné que l'acheminement physique de gaz naturel, contrairement à l'acheminement de pétrole, rend un marché consommateur beaucoup plus dépendant d'une source d'approvisionnement, puisqu'il faut le transporter par pipe-line ou alors disposer d'une technologie de liquéfaction qui suppose des installations qui ne s'improvisent pas?

Ne serait-ce pas une stratégie qui, premièrement, pour me résumer, repose sur une estimation assez douteuse de la disponibilité de gaz naturel dans l'avenir? Deuxièmement, quelle que soit la réponse à cette première question, le gaz naturel n'est-il pas une source d'énergie qui nous lie davantage à un point d'origine bien déterminé, contrairement à une stratégie qui repose sur le pétrole pour lequel il y a de nombreux pays producteurs?

M. Cloutier: Les recommandations que je vous propose maintenant ont déjà été présentées dans un mémoire à notre actionnaire en février 1976, donc il y a un an, mais je les présente, maintenant, avec beaucoup plus de conviction pour la raison que je viens d'expliquer en ce qui concerne les perspectives d'approvisionnement du pétrole.

Dans la mesure où le gouvernement canadien voulait avoir et veut encore avoir une politique de "self-reliance", sans faire un mauvais jeu de mots, je veux dire de compter sur nos propres moyens, un raisonnement de boutiquier nous permettrait de dire qu'il faut d'abord faire l'inventaire de ces moyens.

Le Canada dispose en réserve, prouvées d'une quantité équivalente d'énergie sous forme de gaz, c'est-à-dire 57x1015BTU comparativement à 53 x 1015 BTU pétrole, tant dans la catégorie des réserves prouvées que des réserves exotiques, si l'on classe comme réserves exotiques le gaz des frontières pour une quantité de l'ordre de 180 x 1015 BTU, et que le pétrole synthétique tiré de l'Athabaska pour une quantité de BTU équivalente.

Donc, ce n'est pas une orientation nouvelle qui arrive d'une façon dramatique sauf que, maintenant, cela devient peut-être un peu plus crédible.

Il est clair qu'il y a des inconvénients à chercher la sécurité de nos approvisionnements plutôt du côté du gaz. Mais c'est bien dans ce sens que l'orientation que je propose est le résultat de l'éva- luation relative des inconvénients qui pourraient résulter du fait de compter sur l'approvisionnement en pétrole importé. C'est pourquoi d'ailleurs, conscient du fait que cette question est discutable et qu'elle sera largement discutée par les autres intervenants, que je proposais que l'on crée un groupe d'analyse pour bien examiner cette question des perspectives à long terme de l'approvisionnement.

En ce qui concerne la disponibilité du gaz que vous avez mentionnée, dans le moment actuel, il y a un surplus disponible en Alberta. Il y a une capacité de production de l'ordre de 300 millions de pieds cubes par jour, en Alberta, qui, présentement, n'est pas "shut in", n'est pas vendue.

Au point de vue du débit, on parle de 300 millions de pieds cubes par jour. Au point de vue des réserves, on parle de réserves de l'ordre de 20 mille milliards de pieds cubes de gaz qui ne sont pas connectés au réseau de "collect".

Ce surplus temporaire est le résultat de l'amélioration des conditions fiscales en 1975 et 1976, qui ont encouragé l'investissement dans l'exploration et le développement des gisements gaziers connus.

La situation actuelle est que l'industrie, ou qu'un industriel, ou qu'une compagnie qui a un gisement en Alberta capable d'une certaine production n'est pas encouragée à continuer son effort d'exploration tant que le gaz qu'il a à vendre n'est pas vendu.

La recommandation d'augmenter l'écart entre le prix indexé du gaz sur le pétrole brut a pour effet de créer des marchés, parce que, si ce gaz n'est pas vendu, c'est que le gaz n'est pas compétitif dans les marchés actuels, et c'est un cercle vicieux. Vous avez parlé des contraintes de transport, le cercle vicieux se casse au niveau de l'augmentation des marchés. Il s'agit d'abord d'ouvrir les marchés en rendant le gaz compétitif, ce qui va créer des commandes et ce qui va amener la compagnie responsable de la transmission entre l'Alberta et l'Est canadien à demander à l'Office national de l'énergie l'autorisation d'augmenter la capacité de ses facilités de transport. Il est évident que, tant que la demande n'est pas augmentée au Canada, la compagnie TransCanada Pipe Lines ne demandera pas d'augmenter sa capacité de transport.

Il est vrai que dans ce contexte le surplus actuel ne sera pas suffisant pour assurer tout l'intérim entre l'arrivée du gaz des frontières. Et c'est là qu'intervient la recommandation que le principe de desservir les marchés canadiens en priorité inclut non seulement le niveau actuel de la demande, mais inclut également l'accroissement désiré de la demande de façon à ce que, lorsque le gaz des frontières sera disponible, les infrastructures de transport, de distribution et d'utilisation soient prêtes à le recevoir et que, compte tenu des quanta économiques nécessaires pour mettre en exploitation ces gisements de frontière, la meilleure part de ce gaz nouveau ne doive pas être exportée à l'étranger. C'est pourquoi SOQUIP recommande que, si nécessaire, le gouvernement

centra! fournisse l'assurance que les marchés canadiens soient servis en premier, y compris les quantités de gaz requises pour atteindre la croissance désirée aux dépens du marché d'exportation. Les exportations de pétrole ont été réduites et les exportations de gaz peuvent l'être également. Dans le texte "Une stratégie canadienne pour l'énergie", publié par le gouvernement fédéral au printemps 1976, assez étonnamment on pouvait lire, en fil conducteur de ce document, la nécessité de passer du pétrole au gaz, mais la conclusion que le Canada devait effectuer un transfert dans son bilan énergétique en faveur du gaz et au détriment du pétrole n'était pas écrite noir sur blanc en conclusion, en grande partie, à mon avis, à cause de la conséquence de cette conclusion qui est une réduction des exportations de gaz vers les Etats-Unis, question qui est d'une sensibilité extrême.

Mais, je crois que, devant l'ampleur du problème, il faut que des positions soient énoncées clairement et défendues par les organismes et les gouvernements dont les intérêts sont les premiers impliqués dans ce sens-là.

Le Président (M. Laplante): Le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, premièrement, je dois dire que je crois que c'est très approprié que le premier mémoire nous soit donné par la société SOQUIP, parce que c'est une société du Québec et, deuxièmement, elle s'intéresse non seulement au domaine pétrolier, mais aussi au domaine du gaz naturel. Alors, vous ne semblez pas avoir des intérêts personnels seulement de ce type de compagnie qui développe seulement le pétrole ou qui veut développer seulement le gaz naturel, mais votre ligne de conduite est de penser aux intérêts du Québec et des citoyens du Québec.

On peut tirer certaines conclusions. J'aurais quelques questions, à titre d'information, à vous poser. D'après votre mémoire, d'après toutes les représentations que vous faites, il est évident que notre économie, l'ensemble de l'économie de notre pays est basé de plus en plus sur l'énergie. On ne peut pas avoir une politique économique sans, premièrement, avoir une politique énergétique. Cela s'applique pour l'industrie lourde, cela s'applique certainement dans l'industrie de la pétrochimie et cela a des retombées dans tous les domaines de l'industrie au Québec.

Vous avez souligné que vous réalisez que beaucoup de besoins énergétiques sont produits par l'Hydro-Québec. Il y a un certain pourcentage, je crois que c'est 20% maintenant, de l'énergie du Québec que produit l'Hydro-Québec. Maintenant, le reste, en gros 70%, vient du pétrole. Selon votre présentation, on ne peut pas se fier entièrement à ces chiffres. Au début, vous dites qu'il va commencer à y avoir une pénurie internationale de pétrole dans dix ans et ces chiffres prêtent donc un peu à interprétation. Le fait est qu'il va y avoir une pénurie, le fait est qu'en plus de cela, le pétrole sur lequel nous nous fions maintenant, vient à 40% de l'Alberta: à peu près 40% du pétrole au Québec vient de l'Alberta, le reste vient du Vénézuéla, soit des pays arabes. Au fur et à mesure que le pétrole de l'Alberta, vers 1983, ne sera plus disponible pour les besoins du Québec, on va se fier sur les marchés internationaux, on va se fier sur des pays qui, pour des raisons idéologiques ou pour des raisons économiques, pourront en déterminer non seulement le prix, mais aussi la disponibilité.

Alors, vous suggérez qu'on établisse un équilibre dans nos utilisations énergétiques. A part des questions de conservation, vous voulez distribuer l'énergie entre les produits hydrauliques et hydroélectriques, le gaz naturel et le pétrole, et peut-être en chiffres ronds, diviser cela en trois tiers, soit 30% en hydroélectrique, 25% ou 30% en gaz et, pour le reste naturellement, on doit encore se fier sur le pétrole.

En examinant le cas du gaz naturel, est-ce que vous avez fait des études sur la disponibilité du gaz de source, le gaz naturel, dans les îles de l'Arctique, et avez-vous fait des études sur la possibilité d'un gazoduc des îles de l'Arctique sur le côté de la baie James, sur le territoire de la province de Québec, vers Montréal?

M. Cloutier: II y a beaucoup de questions dans ce que vous m'avez dit. Je vais essayer de les reprendre à rebours. Au niveau de la qualité des études sur lesquelles je me fonde pour prendre ces positions — et c'est pourquoi au début j'ai dit que j'avais un trac énorme non pas à vous parler de ces questions— je reconnais l'ampleur du problème par rapport aux moyens dont SOQUIP a pu disposer pour rassembler et étayer une position devant la commission, d'autant plus que cette commission doit éventuellement mener à des décisions et que ces décisions seront d'une incidence, d'une importance énorme pour notre bien-être, non pas le bien-être de nos enfants, notre bien-être à nous. Nous vivrons ces choses.

Vous avez parlé de la crise de 1973. En évoquant la pénurie dont je signale la possibilité, je ne dis pas qu'il y aura une pénurie, je dis que si l'on ne réduit pas la consommation mondiale, l'accroissement de la consommation mondiale, il y aura une pénurie qui sera catastrophique. Ce que l'on peut faire au Québec est déjà quelque chose, mais le problème n'est pas au Québec, le problème n'est pas un problème limité au Québec ou au Canada, c'est un problème mondial. Nous aurons à subir les incidences d'un manque de prévoyance qui n'est pas seulement notre manque de prévoyance à nous, mais le manque de prévoyance de plusieurs gouvernements si cette crise se produit.

L'espoir, c'est que la prise de conscience de la situation et de la capacité de production des gi-sements connus et à découvrir amènera des politiques prises individuellement et indépendamment les unes des autres qui feront que l'on pourra éviter non pas une mini-crise politique comme celle de 1973, où il était seulement question de prix, alors qu'il y avait en réalité une pléthore de pétrole, mais une réelle crise de l'énergie où tous les gisements, où les marchés, où l'offre

physique ne répondront pas aux besoins physiques exprimés.

En ce qui concerne les relations interénergie, c'est dans ce contexte, je le dis bien, non pas d'une prévision alarmiste de l'inévitable crise pétrolière, mais de la possibilité d'une crise, qu'avec les moyens très limités dont on disposait, par rapport aux études que vous avez mentionnées, notre position est qu'il serait dans l'intérêt du Québec de ne pas prendre ce risque.

Que pouvons-nous faire devant le problème? C'est évident que le Québec ne peut pas avoir une grosse influence sur la situation mondiale que l'on décrit. On peut, dans une certaine mesure, parer aux coups en réduisant l'apport de 70% de pétrole importé actuel à 60%, 50% peut-être. Il est évident que, pour deux pays ou régions, toutes choses étant égales, une qui est dépendante à 70% et une autre qui est dépendante à 50%, il est évident que l'une des deux sera moins frappée que l'autre par l'éventualité que l'on mentionne. Vers quoi pouvons-nous nous tourner? En un premier temps, on a mentionné la conservation de l'énergie qui, sûrement, doit avoir une priorité. Dans un deuxième temps, on a mentionné une priorité raisonnable donnée aux sources autochtones et renouvelables, c'est-à-dire l'hydroélectricité. Je dis raisonnable comme étant le résultat d'une analyse coût-bénéfice et, dans le temps, des résultats escomptés d'un investissement en hydroélectricité ou en gaz. Puis, comme on doit rester de toute façon interdépendant avec d'autres entités économiques, eh bien, prendre le moindre des maux qui nous sont disponibles et reconnaître qu'une dépendance du gaz naturel canadien est un moindre mal à comparer à une dépendance du pétrole international, envers lequel les arguments de compétition que pourraient présenter le Canada et le Québec sont bien faibles à côté des arguments que pourront présenter des pays qui ont des contreparties plus importantes à offrir que les contreparties que nous pouvons offrir et des moyens de pression également plus importants. C'est dans ce sens qu'une fois que sera considérée sérieusement la possibilité d'une tension sur les marchés internationaux du pétrole, l'on voit certaines orientations se dessiner, qui pourraient amoindrir ou alléger les difficultés auxquelles on aura à faire face dans cinq, dix, ou quinze ans. Qui sait?

M. Ciaccia: Je pense qu'on dit la même chose, mais peut-être que je vais le dire d'une autre façon. Je vous ai questionné au sujet du gaz naturel qui vient d'autres parties du Canada. Vous êtes d'accord que c'est plus normal et plus sûr de se fier à ses sources d'énergie que d'essayer de se fier à d'autres pays qui sont sujets à d'autres pressions. Le Canada est un exportateur d'énergie.

M. Cloutier: Plus maintenant.

M. Ciaccia: Plus maintenant, mais avec les possibilités de développement du gaz naturel dans le delta, peut-être par le pipe-line de la vallée de la

Mackenzie, par les découvertes dans les îles arctiques, encore par un pipe-line qui peut ou se diriger par le Manitoba et l'Ontario du côté ouest de la baie James, ou se diriger du côté est de la baie James, c'est-à-dire le côté du Québec. Je pense qu'au Canada, on est encore à l'abri des chocs internationaux. Quand vous dites qu'il y a eu une crise physique en 1973, on n'a pas subi, malgré la crise physique internationale, au Canada, cette crise physique, parce que le gouvernement central d'Ottawa a pris des politiques, il a pris des mesures et, apparemment, il y a des mesures d'allocation en cas de crise au Canada. Je crois qu'aucun pays au monde n'en a.

J'en viens à ceci: Je prends vos conclusions quand vous dites: On ne devrait pas — je ne veux pas mettre des paroles dans votre bouche — se fier à 70% seulement sur une source internationale pour plusieurs raisons, d'accord? Alors, on devrait se diriger vers les sources qui sont plus fiables, dans notre pays même. Le Canada, c'est encore notre pays. Il peut avoir des politiques... Avant d'envoyer le gaz naturel à l'étranger, il va le garder au pays. Je trouve tout naturel et je trouve que c'est dans l'intérêt de tous les Québécois que vous fassiez cette recommandation. Mais ça me porte à certaines conclusions. On sait les problèmes, les discussions qu'on tient aujourd'hui. Je ne veux pas vous amener dans l'arène politique, parce que vous êtes apolitique. Mais c'est des conclusions que moi, après avoir lu votre soumission, je voudrais apporter à l'attention de cette commission pour prendre en considération les faits que SOQUIP vient de nous apporter.

On a intérêt non seulement à aller vers le gaz naturel, mais on a intérêt, pour des retombées économiques, par exemple, du gaz naturel de l'Arctique, à essayer de faire un gazoduc sur le côté du Québec, parce qu'il y aurait des investissements considérables. Ils ont estimé le coût d'un pipe-line de ce genre à $4 milliards ou $5 milliards. Ce sont des estimations. On aurait intérêt à faire ça. Mais ce que je me demande, dans l'atmosphère politique actuelle, après avoir lu votre mémoire, c'est comment pouvons-nous avoir cette politique d'énergie que vous préconisez? Admettons qu'on l'accepte — vous avez soulevé des points très impoitants — comment pouvons-nous mettre en vigueur cette politique avant qu'on décide si on va faire partie du Canada ou non? C'est une question que je me pose immédiatement en lisant ça, parce que si je suis un pays étranger, je ne me vois pas aller à Ottawa à genoux, comme les autres pays, l'Etat du North Dakota, I Etat de Washington et les autres pays, demander, s'il vous plaît, voulez-vous nous fournir du gaz naturel? Parce qu'il y a une pénurie aux Etats-Unis, ce gaz naturel peut être exporté aux Etats-Unis, même dans la crise d'il y a quelques semaines, il a fallu faire des provisions spéciales. Je suis porté à la conclusion qu'avant de pouvoir entreprendre une politique énergétique, même de la façon dont la société SOQUIP ou même les autres mémoires qu'on a eu l'occasion de lire, c'est de savoir quelle incertitude nous avons. Comment allons-

nous pouvoir convaincre le reste du Canada que le gaz naturel devrait venir ici avant d'aller aux Etats-Unis? Je crois que c'est une conclusion logique de quelqu'un, un investisseur, qui va vouloir... Parce que ce n'est pas tout...

Les gouvernements n'ont pas les fonds nécessaires pour faire le développement de toutes ces politiques. Il faut se fier aussi à l'entreprise privée. Cela ressort du mémoire de SOQUIP. Cela ressort aussi des autres mémoires. Il faut se fier à l'entreprise privée pour faire ces investissements et je voudrais porter à l'attention du ministre cette question assez importante: Comment pouvons-nous, premièrement, être sûrs d'avoir ces sources Québec et, deuxièmement, comment pouvons-nous attirer les capitaux nécessaires pour que ces investissements et que ces développements se fassent pour qu'on ne dépende pas pour 70% de nos besoins énergétiques des pays étrangers?

M. Cloutier: Je constate à l'écouter que je me suis mal exprimé.

Le Président (M. Laplante): Y aurait-il possibilité d'être bref, s'il vous plaît, parce que le temps avance et qu'il y a plusieurs membres qui désireraient poser des questions?

M. Cloutier: Je constate que je me suis mal exprimé. Le problème de l'énergie est d'une envergure telle qu'il faudra que tous les gouvernements impliqués réalisent une coordination. Il ne s'agit pas de voir si, par exemple, le pipe-line passerait du côté est ou ouest de la baie James ou si le Québec est dans une situation politique telle ou telle. Les réalités économiques vont rester, quel que soit l'avenir. Les besoins vont rester. Les marchés vont rester. Les sources vont rester. C'est dans ce sens que je pense qu'il est nécessaire d'entamer un examen de la situation qui soit au-delà de la politique de Lebel-sur-Quévillon, par exemple. L'intérêt du Québec par rapport à un gazoduc est d'avoir un approvisionnement gazier venant de l'Arctique au moindre coût à long terme. On construit un pipe-line pour 30 ans, 50 ans et les retombées de deux ou trois ans sur une municipalité quelconque sont — et c'est mon avis — moins importantes que l'approvisionnement en énergie à long terme du Québec.

Je pense qu'il faut situer le débat—je reconnais que c'est subjectif, mais je suis venu pour présenter notre position — à un niveau où on exclut des problèmes qui amèneront des aménagements, des négociations et en rester à l'essentiel, c'est-à-dire comment équilibrer la fourniture d'énergie disponible dans les dix ans ou vingt ans à venir avec les besoins que l'on peut prévoir et quels sont les mécanismes à mettre en oeuvre de façon à faire cela le plus efficacement possible.

Le Président (M. Laplante): Le député de Bellechasse.

M. Goulet: M. Cloutier, lorsque vous parlez d'accroître la part du gaz naturel, SOQUIP re- commande l'acquisition du contrôle des entreprises de distribution gazière au Québec. Cela irait-il même jusqu'à nationaliser ces entreprises, premièrement? Deuxièmement, si oui, lesquelles? Et je dirais même, troisièmement, dans quel délai?

M. Cloutier: Je crois avoir mentionné par la voie de négociation commerciale normale.

M. Goulet: Si l'éventualité se produit, mais si elles ne veulent pas aller par les voies de négociation commerciale normales, à ce moment, cela deviendrait de la nationalisation.

M. Cloutier: II faut commencer par envisager les voies de négociation commerciale normales.

M. Goulet: Ma question est la suivante: Dans l'éventualité où cela n'arriverait pas?

M. Cloutier: Vous me posez une question qui ne relève pas de ma compétence. C'est une recommandation que je faisais.

M. Goulet: I! me semble que, dans votre recommandation, vous auriez dû mettre un "deuxièmement". C'est simplement une remarque.

M. Cloutier: Disons que je ne l'ai pas mis. M. Goulet: Voilà.

Le Président (M. Laplante): Le député de Berthier.

M. Mercier: Toute votre thèse repose sur le fait qu'il y aura rareté. On constate que l'énergie est une ressource limitée qui le deviendra probablement de plus en plus. De plus en plus de gens sont sensibilisés à cela. Votre thèse repose réellement sur l'optique d'une poursuite des habitudes de vie actuelles, avec certains accommodements. Vous avez fait certaines suggestions, mais, quand même, cela demeure très limité.

D'autre part, vous situez un niveau de consommation élevé de 70% à 50% de pétrole pour le Québec et, à partir de tout cela, vous élaborez une stratégie d'approvisionnement, compte tenu du fait qu'on a peu de ces ressources ici et qu'on est dépendant de l'étranger et tout cela. Enfin, compte tenu de l'urgence de ces problèmes et des difficultés que cela occasionnera, on pourrait sans doute élaborer d'autres thèses qui analyseraient peut-être un peu plus en profondeur nos habitudes de vie. Par exemple, le fait de l'éloignement de plus en plus considérable des gens qui fuient les grandes villes, qui vont s'établir à l'extérieur, cet engorgement des principales artères de communication dans les grandes villes qui sont une perte d'énergie énorme. Bref, l'analyse de chacune de ces données qui sont liées à nos habitudes de vie permettrait sans doute d'en arriver à la possibilité de réduire sensiblement encore cette dépendance du pétrole étranger. Si, en bref, on pouvait avoir comme donnée qu'il est possible, modifiant des changements majeurs dans nos ha-

bitudes de vie, d'arriver à une consommation de pétrole de 30% par rapport à l'ensemble, c'est toute la stratégie qui serait influencée. A partir de cela, toute notre dépendance des marchés étrangers, en modifiant peut-être un peu l'emmagasinage, la proportion étant diminuée, la stratégie serait tout à fait différente et les applications et les investissements.

D'autre part, il y a une autre donnée, je pense, dont on ne fait pas mention, mais qui commence à être une préoccupation de plus en plus considérable dans les sociétés industrialisées; c'est l'effet polluant de ces sources d'énergie. Dans un sens, si on continue ce niveau de consommation d'énergie polluante, tôt ou tard, ce sont des montants considérables qu'on aura à dépenser, peut-être plus énormes encore, en luttes à la pollution, à la qualité de l'environnement. Bref, je me demandais si, au-delà de cette étude, vous avez entrevu la possibilité, par des changements un peu plus profonds de nos habitudes de vie, de diminuer sensiblement encore cette consommation de pétrole. Tout l'ensemble, tout le problème se pose à nouveau, mais dans un autre contexte, à mon avis, cette fois.

M. Cloutier: Je suis bien d'accord avec vous que le premier élément est de moins gaspiller d'énergie. C'est dans ce sens que je disais que les économies d'énergie que l'on pourra faire sur l'énergie disponible présentement constituent une réserve cachée, une réserve cachée sur laquelle on peut tirer en un premier temps, sans avoir à augmenter le niveau global de notre consommation d'énergie, mais autant pour toutes les formes d'énergie. Mais, en somme, je dois vous dire que nos préoccupations principales à SOQUIP ne sont pas de réfléchir sur des stratégies à long terme de l'énergie et que le document que je vous ai présenté ne trace que des orientations, des grandes lignes et qu'il n'appartient pas à SOQUIP d'étudier en détail les modalités que vous soulevez.

M. Joron: M. le Président, avant de poser une autre question à M. Cloutier, je voudrais peut-être prendre une minute pour répondre à une question du député de Mont-Royal. Le député de Mont-Royal a pris un bon bout de temps pour poser la question des approvisionnements éventuels en gaz au Québec, en mettant ce problème en relation avec l'éventuel statut constitutionnel du Québec, à ce moment.

La réponse, heureusement, prend moins de temps que la question parce qu'elle est, je pense, complètement divorcée des questions d'ordre constitutionnel. On n'a qu'à jeter un coup d'oeil à la géographie et on voit clairement que, quand on parle du gaz venant de l'Arctique, d'une part, qu'il vienne par le côté est ou ouest de la baie d'Hud-son, le premier marché touché, à ce moment, c'est le marché du nord de l'Ontario et du Québec, par une arrivée qui se branche sur un réseau déjà existant. Un des coûts principaux dans la livraison du gaz, c'est d'installer les canalisations nécessaires, les gazoducs. On ne peut pas vendre du gaz à prix concurrentiel s'il faut le transporter pendant quinze mille milles à travers un pipe-line, c'est évident. Alors, il y a une limite que la géographie impose, jusqu'où le gaz peut être vendable ou non. C'est déterminé aussi par les réseaux qui existent déjà.

Or, je lui rappelle que le réseau Trans-Canada Pipe Lines existe déjà et que le Québec, du moins la région de Montréal tout au moins, est raccordé à ce réseau. Si vous avez du gaz à l'avenir qui descend de l'Arctique, soit par un côté ou par l'autre de la baie d'Hudson, c'est su: le Trans-Canada Pipe Lines quelque part, soit dans le nord du Québec ou le nord de l'Ontario, que le raccordement se fait. Alors, le client est au bout de la ligne. Là, on parle d'arrivée de gaz dans les années 1982, 1983, 1985, quelque chose comme cela, entre 1980 et 1985. Si on pense à celui qui arriverait autour de 1990 ou dans les années subséquentes, venant des côtes du Labrador, la position géopolitique, si vous voulez, du Québec, est encore plus favorable parce que là on est en tête de ligne. On est le premier client servi si on imagine un gazoduc le long de la vallée du Saint-Laurent vers le centre industriel de l'Amérique. Le premier client servi, à ce moment-là, c'est évidemment le Québec. Notre situation géopolitique, à cet égard, est extrêmement favorable et a peu à voir, finalement, avec un statut constitutionnel.

Un autre élément qu'il est bon de se rappeler, qui est en parallèle à tout cela, c'est qu'en même temps, dans les années 1980, 1985, il ne faut pas oublier que le pipe-line de pétrole... Là, on parle de diminuer l'importance relative du pétrole dans notre bilan énergétique pour faire une plus grande place au gaz, mais le pétrole, on ne pourra pas s'en dispenser complètement. Evidemment, pour tout le réseau de transport, l'essentiel de notre réseau de transport, du moins le transport privé, les automobiles privées et le camionnage étant fondés sur le pétrole, à moins de refaire, dans un délai qui est impensable, toute notre structure de transport, ce qui implique de refaire nos villes, enfin toute notre façon d'organiser, d'aménager le territoire, on va rester dépendant du pétrole pour un bon moment à venir. C'est vrai pour nous comme c'est vrai pour le reste de l'Amérique et le reste du Canada également. Je veux rappeler que quelque part entre 1980 et 1985 aussi, le pipe-line Sarnia-Montréal doit servir en sens inverse. On prévoit l'épuisement des réserves connues actuellement de l'Alberta, ce qui va rendre l'Ontario en partie dépendante de pétrole importé "off shore", comme on dit, soit du Vénézuéla ou du Moyen-Orient. A ce moment-là, ce pétrole débarque à Montréal, plus haut, peut-être, par un raccordement, mais il part de Montréal vers Toronto. L'un contrôle un robinet, un autre en contrôle unautre. La position de marchandage du Québec, dans ce domaine, m'apparaît excellente.

Il y a une question que je voudrais poser à M. Cloutier. Une de ses recommandations c'est la participation de SOQUIP dans le domaine du raffinage des produits pétroliers et de la distribution des produits pétroliers, ce qu'on appelle le secteur témoin dont on parle depuis maintenant plus de dix ans au Québec. Evidemment, la question se

posait sous un tout autre jour avant 1973. Avant 1973, on n'arrivait pas à savoir très clairement pour ce qui est des compagnies multinationales, à cause de leur intégration à partir de la source même au Moyen-Orient via les réseaux de transport qu'elles contrôlaient elles-mêmes, via le raffinage pour en venir ensuite jusqu'à la distribution, où se situait le profit dans toutes ces opérations et s'il était possible que les consommateurs québécois aient été pénalisés par ce qu'on a appelé les profits "off shore". C'était un des raisonnements de base derrière l'idée du secteur témoin, en plus, évidemment, de l'à-propos d'une participation domestique à cette industrie.

Evidemment, depuis que les sources à la production même ne sont plus contrôlées — règle générale, elles le sont de moins en moins pour ce qui reste par les multinationales dans les pays producteurs eux-mêmes, la plupart des pays producteurs ayant nationalisé les puits eux-mêmes — l'approvisionnement, le souci d'approvisionnement ou le rôle des multinationales dans l'approvisionnement des marchés est passablement différent de ce qu'il pouvait être avant 1973.

Ma question est la suivante: Sous ce nouvel éclairage — et d'autant plus que si on suivait vos recommandations et qu'on s'orientait davantage vers le gaz cela équivaudrait, à toutes fins pratiques, à ralentir considérablement, non seulement ralentir l'expansion de l'industrie pétrolière au Québec, mais même à la freiner — dans ce cadre, comment voyez-vous aujourd'hui le secteur de SOQUIP, secteur témoin dans le domaine pétrolier? Vous avancez un argument. SOQUIP devrait, à cet égard, jouer un rôle d'outil d'approvisionnement. Ce que je veux vous demander, en résumé, c'est comment SOQUIP pourrait, si sa taille était élargie pour inclure le raffinage et la distribution, mieux assurer ce rôle d'approvisionnement que ne le pourraient les compagnies multinationales.

M. Cloutier: Voyons. Devant un problème quel qu'il soit, il me semble raisonnable d'envisager les moyens d'atténuer le problème auquel on peut faire face en commençant d'abord par les moyens les moins coûteux et les plus faciles. C'est dans ce sens-là d'ailleurs qu'en ce qui concerne le prix du gaz naturel, au point de vue de la compétitivité, je recommandais de commencer par enlever la taxe de 8%, qui est une chose que l'on peut faire sans avoir des négociations avec des agents extérieurs.

Devant l'ensemble du problème de l'énergie tel que je vous le présente, on peut d'abord commencer à gaspiller moins, ensuite voir les moyens vers lesquels on peut se tourner qui, dans une analyse coûts-bénéfices, peuvent réduire l'insécurité à laquelle on prévoit faire face. C'est dans cet ordre-là que dans notre mémoire on a présenté une série de stratégies spécifiques pour faire face aux problèmes que l'on peut prévoir. Il n'en reste pas moins qu'ayant épuisé ces moyens d'action et admettant que les stratégies soient adoptées, appliquées et qu'elles aient un certain succès, le Québec restera tributaire de pétrole importé des marchés internationaux. C'est là le fond du pro- blème, problème d'ailleurs qu'il convient de faire étudier en profondeur et publiquement, de façon qu'il s'établisse une prise de conscience, non pas chez quelques individus, mais dans la population en général. Il n'en restera pas moins que le Québec restera dépendant, pour une part primordiale de ses besoins en énergie, de pétrole.

Il peut advenir, dans le pire des scénarios, bien sûr, qu'effectivement la demande mondiale continue à croître, avec le genre d'imprévisions qu'on a vues aux Etats-Unis; à preuve que c'est possible, les problèmes qu'ils ont maintenant. Pourtant, ils ne sont pas bêtes, mais ils ont une organisation qui les a empêchés d'agir. Viendra le moment où on verra se rapprocher la capacité de production des gisements et la demande. A ce moment, on peut prévoir, en un premier temps, une flambée des prix et au-delà d'une flambée des prix, devant une telle concurrence comme on le voit déjà maintenant, l'intervention croissante d'accords de gouvernement à gouvernement, des tentatives d'harmonisation par l'Agence internationale de l'énergie, mais, devant les besoins réels d'énergie-pétrole, une véritable concurrence entre les divers régions et gouvernements pour la répartition de l'énergie-pétrole disponible.

Dans ce cas, les compagnies multinationales qui, comme le soulignait le ministre, ont, jusqu'à dernièrement, joui du contrôle des décisions stratégiques en ce qui concerne les flux d'approvisionnement pétrolier, les plans de développement de telle ou telle région, mais qui ont, du fait des événements que nous connaissons tous, graduellement perdu ce pouvoir de décision stratégique au profit d'abord des pays producteurs et, graduellement aussi, au profit des gouvernements des pays importateurs. Ces compagnies multinationales qui, dans le passé, pouvaient et étaient en mesure de nous assurer pleinement la sécurité des approvisionnements ne sont pas, aujourd'hui, placées dans cette même situation. Les événements et ces transferts de pouvoir stratégique font que le rôle des compagnies multinationales — je dis, des compagnies multinationales, mais aussi des grands indépendants qui sont presque des compagnies multinationales — tend à se transformer d'un rôle de pouvoir de décision stratégique vers un rôle d'entrepreneur au service des Etats, rôle essentiel d'ailleurs, parce que, au point de vue de la compétence, de la capacité d'effectuer des opérations, il ne saurait être question de remplacer l'appareil gigantesque existant par d'autres organismes, mais la qualité de leur rôle est modifiée. L'on peut penser que, tout en restant un élément essentiel de l'organisation mondiale de l'approvisionnement pétrolier, ces compagnies deviennent, progressivement, comme je le mentionnais, pour ainsi dire, des entrepreneurs au service de leurs clients Etats.

On peut penser aussi que, face à une situation de vive concurrence entre Etats, les Etats qui pourront offrir à ces compagnies les plus importantes contreparties, que ce soit sur le plan fiscal ou autre, et où les Etats qui pourront exercer sur ces compagnies les plus vives pressions seront,

comme il se doit, mieux servis que les clients Etats qui ont de moindres contreparties et de plus faibles leviers à manier.

C'est dans ce sens que l'on pense, que l'on peut penser, que les Etats qui sont les pays hôtes de compagnies internationales ou de grandes compagnies pourront obtenir de leurs entrepreneurs compagnies des services plus adéquats que des Etats qui n'ont pas ces avantages. Les Etats qui ont dés compagnies nationales bien établies et puissantes seront également mieux servis. C'est dans ce contexte et avec ce sens précis que SOQUIP recommande que soit rouvert le dossier de l'introduction de SOQUIP dans le domaine du raffinage, non pas comme un secteur témoin, pour voir ce qui se passe ou mieux comprendre le secteur, mais bien dans l'optique qu'il pourrait être utile au Québec d'avoir un outil qui aurait comme priorité de desservir les besoins du Québec, plutôt que les besoins d'autres pays qui pourraient exercer de plus fortes pressions et offrir de plus grandes contreparties.

Le Président (M. Laplante): Le député de Jean-Talon.

M. Garneau: M. le Président, dans mon introduction à l'ouverture, je soulevais un certain nombre de questions par rapport aux principes généraux qui devraient guider une politique énergétique pour le Québec. Je soulevais la question de l'autosuffisance. A l'exception d'une remarque que vous faites dans votre rapport, dans votre mémoire, concernant l'hydroélectricité, vous suggérez à l'Etat québécois de mettre une partie de ses oeufs dans le développement du gaz et aussi dans le pétrole en achetant des distributions privées actuelles sur une base commerciale et également en participant à la recherche dans les provinces voisines, particulièrement en Alberta.

Quand on constate que le produit provincial brut actuellement est de l'ordre d'à peu près $40 milliards et que la seule source d'énergie véritablement autochtone que nous ayons est l'électricité, si l'on suivait et si le Québec suivait la suggestion que vous faites, il ne pourrait pas disposer, à mon sens, des capitaux nécessaires pour accroître, dans son bilan énergétique, la part qui pourrait être liée à une source d'énergie qu'il contrôle, c'est-à-dire l'hydroélectricité. On sait qu'il y a une limite là aussi dans le développement de l'hydroélectricité en termes de potentiel. Ce potentiel pourrait éventuellement satisfaire aux besoins du Québec peut-être jusqu'aux années 1990 ou 1995, mais cela va nécessiter des capitaux énormes. La question est de savoir si le Québec ne devrait pas favoriser une partie plus grande de son bilan énergétique dans des secteurs qu'il contrôle, soit l'électricité, quitte à laisser le marché et les autres intervenants agir dans les autres domaines énergétiques, et ainsi pouvoir se placer dans une situation où la découverte d'énergie nouvelle, qui sera peut-être de l'énergie solaire, le vent ou d'autres méthodes, pourra être mise au point et éviter ainsi peut-être des investissements dans des sec- teurs énergétiques qui deviendront peut-être désuets dans vingt ans.

M. Cloutier: Oui.

M. Garneau: Pourquoi n'avez-vous pas voulu aborder ce problème d'une façon plus directe?

M. Cloutier: Je suis d'accord avec vous qu'intellectuellement et théoriquement, on devrait accorder une priorité à des sources autochtones et renouvelables comme l'hydroélectricité. Le mémoire que nous avons présenté recommande une priorité raisonnable, c'est-à-dire une priorité qui serait tempérée par l'ampleur des besoins financiers dont vous faites état et qui résulterait de l'analyse coûts-bénéfices en fonction de nos disponibilités financières de la sécurisation — si je peux faire un mauvais mot — de nos approvisionnements pétroliers, soit par la voie du développement de l'hydroélectricité ou par des investissements moins importants en termes de dollars par milliards de BTU sécurisés dans le domaine du gaz.

Cette recommandation s'inscrit dans une prévision que l'on pourrait qualifier de pessimiste, et, encore une fois, je répète l'importance d'en faire l'analyse ouverte, publique et de la meilleure façon possible, et si cette prévision devait être prise au sérieux, agir en fonction de cette prévision maintenant ne représente en somme que l'étalement des besoins de trésorerie sur plusieurs années pour faire face au problème. Advenant le cas où elle ne soit pas prise au sérieux maintenant et que l'on reporte le problème en disant que peut-être le Messie descendra sur terre et qu'on découvrira une nouvelle source d'énergie révolutionnaire qui ne coûte rien en dedans de trois ans, et que le problème va s'en aller tout seul, si le Messie ne vient pas et si on ne découvre pas de nouvelles sources, nous aurons, à ce moment, à faire face au problème dans sa totalité et nous n'aurons pas le temps que nous avons devant nous maintenant pour améliorer la situation dans laquelle nous serons placés dans une dizaine d'années.

M. Garneau: Actuellement, le système de transport de gaz pourrait satisfaire une croissance de quel ordre de grandeur dans le bilan énergétique, si on le prend tel qu'il est là?

M. Cloutier: Dans le moment, les canalisations de Trans-Canada Pipe Lines sont pleines. TransCanada est présentement en audience devant l'Office national de l'énergie pour demander un accroissement de ses disponibilités, mais un accroissement qui est négligeable par rapport à l'orientation d'une pénétration sensible du gaz naturel dans nos marchés, à juste titre d'ailleurs, parce que les marchés ne se développent pas. Alors, n'ayant pas de marché, la compagnie n'est pas justifiée à demander un accroissement de sa capacité de transport. Si Ion réussit à obtenir que le gaz naturel soit indexé à un prix inférieur au prix des produits pétroliers, le marché se dévelop-

pera, et, conséquence logique de l'occasion que cela représenterait pour Trans-Canada Pipe Lines, celle-ci demandera l'autorisation d'augmenter sa capacité de transport et pourra satisfaire le marché.

M. Garneau: Développer un marché si vous n'avez pas de gaz, évidemment, je comprends que c'est le chat qui court après sa queue, mais...

M. Cloutier: C'est...

M. Garneau: ... même si vous étiez propriétaire d'une compagnie de distribution de gaz demain matin, comment pourriez-vous venir me voir... Vous savez, on a eu ensemble le problème d'approvisionnement de SIDBEC pour ses usines Midrex. On en a discuté assez longtemps. A un moment donné, vous aviez un marché. On sait fort bien, vous et moi, et il y en a d'autres que le savent, que, quand on pensait à une troisième usine Midrex, on se bloquait sur la capacité de TransCanada Pipe Lines. Là, il y en avait un, marché. Est-ce que ce n'est pas mettre la charrue un peu devant les boeufs? Le fond du problème est d'abord au niveau politique; en établissant, dans une politique énergétique québécoise ou de l'Est du Canada, une augmentation du gaz, nous avons là un problème de nature politique qui doit se discuter au niveau des gouvernements et de l'Office canadien de l'énergie. En effet, il y a un décalage tel entre le moment où vous décidez d'accroître la capacité du pipe-line et le moment où le gaz rentre dans les usines ici, au Québec, dans les parcs industriels, que ie développement du marché m'ap15 paraîtrait extrêmement difficile. On a assez parlé du gaz. Je voudrais plutôt revenir à d'autres aspects.

M. Cloutier: J'aimerais répondre à cette première partie de votre question. Vous présentez très bien la nature du cercle vicieux. Par rapport au cercle vicieux dans le cas de SIDBEC, on a, sinon cassé le cercle vicieux, réduit son étreinte par le développement de gaz en Alberta qui, maintenant, est livré à SIDBEC. Il en est de même dans le cas du cercle vicieux que vous présentez entre la capacité de transport des canalisations et le développement des marchés. Ce que nous proposons, c'est que ce cercle vicieux doit être brisé au niveau de la pénétration du gaz par les conditions de prix.

Le Président (M. Laplante): Le député de Rimouski, s'il vous plaît.

M. Garneau: J'aurais eu une autre question.

Le Président (M. Laplante): C'est parce que ça fait déjà trois, M. le député de Jean-Talon. Donnez une petite chance aux autres.

M. Garneau: Non, mais ça dépend à quelle heure vous arrêtez.

Le Président (M. Laplante): A 4 h 15, j'avais l'idée, mais il y en a encore deux qui ont demandé la parole.

M. Marcoux: Le ministre Joron a introduit la question que je voulais soulever surtout en référence à la lettre que vous lui écriviez le 22 décembre 1976 où vous disiez que votre principale préoccupation, c'était la sécurité des approvisionnements. A ce moment-là, vous disiez: Les coordonnées, les cartes sont changées. Maintenant, les pays producteurs sont propriétaires de leurs ressources. De plus en plus, les pays consommateurs deviennent propriétaires de leurs systèmes de distribution et de transformation et, entre les deux, il y a les multinationales; leur rôle est rétréci.

Vous avez répondu en partie ou vous avez essayé de répondre à la question du ministre Joron en disant: Si le gouvernement du Québec contrôlait ce secteur — celui de la mise en marché des produits pétroliers — il serait mieux placé pour négocier dans une éventuelle crise politique ou une nouvelle crise d'approvisionnement du pétrole.

La question que je voulais poser précisément, c'est: En quoi le fait que ce soit plutôt une compagnie d'Etat que des compagnies privées qui nous approvisionne, change-t-il fondamentalement le rapport de forces du Québec par rapport aux pays où, vous le dites, ces multinationales ont leur maison mère et qui, en définitive, auraient le gros bout du bâton ou de la carotte, comme vous le dites dans votre lettre? C'est ma première question. Ma deuxième question, qui est encore liée au secteur témoin: D'après les informations que vous avez — un des objectifs de votre société, c'était d'être témoin — est-ce qu'il y a une véritable concurrence entre les compagnies multinationales qui s'occupent du champ du pétrole? Compte tenu de cette réponse, est-ce que ce serait un des arguments qui pourraient justifier l'existence de votre société dans ce secteur?

M. Cloutier: D'abord, je dois dire que vous avez dépassé ma pensée en interprétant mon intervention comme un souhait du contrôle du secteur du raffinage et de la distribution des produits pétroliers. Il ne s'agit pas du tout de ça. Il s'agit que l'on ouvre le dossier pour en faire l'examen non pas dans le sens seulement d'un secteur témoin, mais dans le sens de voir de quelle façon SOQUIP pourrait être utile pour matérialiser des accords possibles, de gouvernement à gouvernement, entre les pays producteurs et le Québec.

En effet, si vous vous souvenez, en 1973, lorsque le ministre fédéral de l'Energie, M. Macdonald est allé au Venezuela, la presse a rapporté qu'il est revenu avec une expression de bonne volonté de la part dez Vénézuéliens en ce qui concerne les accords entre le Venezuela et le Canada. Mais M. Macdonald a dû dire que les Vénézuéliens lui avaient exprimé que de tels accords devaient se concrétiser par l'intermédiaire de compagnies

d'Etat et que le Canada, à leur connaissance, n'en avait pas. Ce à quoi le ministre Macdonald avait mentionné qu'il existait SOQUIP mais que SOQUIP n'était pas active dans le secteur de l'approvisionnement. Je crois que face à la réalité d'aujourd'hui, quand on parle de ce dossier, il s'agit beaucoup plus du dossier de l'approvisionnement pétrolier que du dossier du raffinage ou de la distribution.

En ce qui concerne votre deuxième question sur les avantages d'une compagnie d'Etat par rapport à une compagnie privée, je n'en vois pas de spécifiques en ceci que si le Québec était doté d'une compagnie dont les intérêts étaient essentiellement reliés au Québec, comme pourraient l'être d'autres Etats qui disposent d'outils ou d'agents économiques capables de concrétiser les accords dont je vous parle, ceci pourrait être entrepris par des intérêts québécois privés.

Enfin, en ce qui concerne la concurrence entre les compagnies, j'ai exposé qu'en sept ans, SOQUIP, malgré, au départ, des préjugés idéologiques défavorables à l'égard de compagnies d'Etat, avait su réaliser son intégration dans le milieu de l'exploration et de la production. Je crois que malgré des oppositions au départ, s'il est le choix de l'actionnaire de SOQUIP que SOQUIP soit présente dans le secteur de l'approvisionnement, les modalités de cohabitation et de coopération et de fonctionnement dans le secteur de l'approvisionnement sauront se développer et s'établir dans une bonne harmonie.

M. Marcoux: Actuellement, est-ce que la concurrence existe?

M. Cloutier: C'est une question qui est fort complexe et qui, pour avoir une réponse détaillée doit faire intervenir dans quelles circonstances et à quel niveau. Au niveau de la concurrence entre les stations-service, c'est très évident qu'elle existe et qu'elle est violente.

Au niveau de la mise en exploitation des gisements, il y a, bien sûr, une concurrence, mais il y a aussi une coopération, une collaboration, une espèce de fraternité qui est la même qui fait qu'après sept ans, SOQUIP a pu s'associer, tout en étant compagnie d'Etat, à une trentaine de compagnies privées, des petites et des grandes, et fonctionner harmonieusement et de façon efficace.

Alors, il faut définir ce que vous voulez dire par concurrence. Cela veut-il dire agressivité et à quel niveau?

M. Marcoux: A partir des autres mémoires. Plusieurs autres mémoires nous affirment qu'il faut conserver le système de mise en marché actuel parce qu'il assure la concurrence, qu'il assure des plus bas prix.

M. Cloutier: Je croyais avoir répondu à cette question en précisant au départ qu'il ne s'agissait pas de contrôle.

Le Président (M. Laplante): Le dernier intervenant, le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci, M. le Président. J'avais une question qui s'adressait à M. Cloutier, mais d'autres intervenants m'ont déjà précédé, mais je me servirai de mon droit de parole, M. le Président, avec votre permission, pour demander au ministre de préciser sa pensée lorsque, tout à l'heure, il a fait des commentaires sur l'intervention de mon collègue de Mont-Royal.

Avons-nous bien compris que, selon lui, il est indifférent que le pipe-line d'acheminement du gaz naturel, s'il doit y en avoir un éventuellement en provenance des îles de l'Arctique, passe d'un côté ou de l'autre de la baie James?

M. Joron: Non, je n'ai pas dit... Je ne me suis pas avancé là-dedans. Non, ce n'est pas indifférent, évidemment, mais à un égard, c'est relativement indifférent. C'est que, qu'il arrive par un côté ou par l'autre, à un moment donné, cela se rejoint sous la baie d'Hudson et les premiers marchés desservis sont ceux du nord de l'Ontario et du Québec. Au point de vue de l'arrivée, cela n'occasionne pas un transport plus long, à toutes fins pratiques, dans un sens ou dans un autre. Je n'ai pas voulu aborder la question. Evidemment, il y a des retombées économiques autres qu'il faudra considérer. C'est sûr qu'à bien d'autres égards il y a des avantages à ce que ce soit du côté est plutôt que du côté ouest pour le Québec.

Le Président (M. Laplante): Je vous remercie...

M. Brochu: M. le Président, un instant s'il vous plaît. Je pense qu'on a quand même laissé passer un certain nombre de questions. En ce qui nous concerne, on a posé une couple de questions rapidement. J'aimerais, si vous me le permettez, étant donné que tout le monde a pu s'exprimer quand même un peu, peut-être avoir la possibilité de poser une dernière question.

Le Président (M. Laplante): Ce que je ne voudrais pas, c'est créer un préjudice vis-à-vis des quatre autres qui avaient déjà demandé la parole avant vous. Si la commission veut, à l'unanimité, accepter une question de plus de votre part, je n'ai pas de... Allez-y pour une dernière question.

M. Brochu: J'aimerais aussi souligner en posant ma question qu'après la lecture du mémoire et les remarques de M. Cloutier, ce n'est pas être alarmiste, je pense, que de poser le problème avec réalisme parce que, qu'on le veuille ou non, la réalité est quand même ce qu'elle est. Cela ne la changera pas que de ne pas vouloir la reconnaître. Je pense qu'il ne faudrait pas non plus maintenir ou tomber encore, si vous voulez, dans une espèce de fausse sécurité dans laquelle plusieurs pays sont maintenus depuis plusieurs années en ce qui concerne l'énergie et les ressources,

comme si c'était quelque chose d'inépuisable qui ne finirait à peu près jamais.

Le problème qui s'est posé, je pense que vous le soulignez assez pertinemment, c'est que la réalité à laquelle on a à faire face, c'est une dépendance à un haut degré vis-à-vis du pétrole actuellement, tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas vraiment dans les faits des solutions d'appliquées concrètement qui vont nous permettre de sortir de cette étreinte. Je pense que l'étreinte que vous avez décrite et qu'on peut percevoir est double. C'est-à-dire qu'il y a l'échéance qui est une réalité, l'échéance des réserves mondiales en ce qui concerne le pétrole. De l'autre côté, il y a l'éventualité possible de l'utilisation par le bloc des pays producteurs de la question du pétrole comme facteur d'action politique sur le plan international. Ce qui pourrait, à un moment donné, nous amener à devoir rechercher des solutions encore à plus court terme que prévu dans les réserves en termes d'années, avant dix ans ou avant quinze ans même. Si, par exemple, cela devenait une arme politique dans l'échiquier international, à ce moment, le Québec ou le Canada auraient à prendre des positions définies ou chercher d'autres moyens très rapidement.

Devant cette situation, j'aimerais demander: Est-ce que vous croyez qu'on puisse, en se mettant à la tâche immédiatement, installer les structures nécessaires à la consommation de gaz naturel au Québec? Je comprends qu'il y ait des impondérables dans cette question et je serais même tenté, si le temps me le permettait, évidemment — cela ne me le permet peut-être pas — de greffer à cela la question de Saint-Flavien, du potentiel là-bas par rapport à notre consommation et au coût que cela pourrait...

M. Cloutier: Je vais être très bref pour répondre parce que je me rends compte que j'ai largement abusé du temps de la commission et je prie les autres intervenants de m'en excuser. Mais effectivement, j'espère qu'en prenant les positions que nous avons adoptées, on n'a pas paru alarmistes. Je veux préciser qu'on n'a fait que signaler la possibilité de problèmes très graves à moins que n'interviennent des décisions qui ne sont pas seulement les décisions du Québec tendant à approcher ce que l'on peut prévoir être nos besoins, ce qu'on peut prévoir être les disponibilités physiques de l'énergie-pétrole.

Admettant au départ que le Québec ne peut faire grand-chose sur le plan mondial, on a tracé certaines lignes d'orientation qui pourraient alléger le problème au Québec. Je pense que si les disponibilités financières peuvent être trouvées, là, c'est avec un grand réalisme que je dis: Si on peut consentir les sacrifices que cela représente d'agir maintenant, si on agit maintenant on peut, je crois, effectivement, se mettre dans une meilleure situation dans cinq, dix ou quinze ans, peut-être.

Le Président (M. Laplante): Merci, monsieur. Je vous remercie de l'apport que vous avez voulu apporter à cette commission.

M. Grégoire: M. le Président, si vous me permettez, avant que l'on entende le prochain témoin, j'aurais une question à poser au ministre.

Le Président (M. Laplante): Allez-y.

M. Grégoire: Etant donné la tournure des explications qui nous ont été données, je voudrais demander au ministre s'il existe, s'il possède un tableau, une ventilation, de la consommation des différentes sources d'énergie par secteurs et des études de possibilité de transformation des énergies dans un tel secteur en une autre énergie. Par exemple, quelle est la consommation d'huile pour le chauffage des maisons et la possibilité que ce soit transformé en chauffage électrique et quelle consommation d'énergie électrique cela prendrait? Est-ce que cela existe dans tous les secteurs de consommation?

Et la deuxième partie de ma question, c'est encore un renseignement qui pourrait nous être fourni et qui nous aiderait. On a dit tout à l'heure qu'à moins que le Messie nous apporte, d'ici deux ou trois ans, une source d'énergie qui ne nous coûterait rien, je voudrais demander au ministre si son ministère se tient au courant des recherches qui peuvent se faire à l'heure actuelle, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe, au Canada, ou ailleurs, qui permettraient des développements nouveaux et radicaux dans le domaine de l'énergie, à moyenne échéance. Est-ce qu'on pourrait être mis au courant de ces recherches?

M. Joron: Pour répondre très brièvement à la première partie de la question... en somme, vous voulez savoir quelle est la répartition du bilan énergétique au Québec, à l'heure actuelle.

Si on regarde l'utilisation finale de l'énergie consommée, en gros, c'est 70% en pétrole, 22% en électricité, 5% ou 6% en gaz naturel et le solde en charbon et autres. C'est le partage actuel.

M. Grégoire: Ce n'est pas dans ce sens. Si on dépense 70% d'énergie en pétrole, quelle part de ce pétrole, de ce gaz ou de cette huile va au chauffage des maisons, quelle part va pour les automobiles, pour savoir dans quel secteur cela peut être transformé?

M. Garneau: M. le Président, tout à l'heure le député de Mégantic...

M. Grégoire: De Frontenac.

M. Garneau: ... de Frontenac, cela a changé de nom, de lire le mémoire de l'Hydro-Québeç et il va avoir toutes ces réponses-là.

M. Grégoire: Je ne crois pas qu'il contienne toute cette ventilation.

M. Garneau: C'est dans le mémoire de l'Hydro-Québec.

M. Joron: On en trouve, effectivement, une très grande partie dans les rapports. Ce serait

peut-être long de rentrer dans ces... Je n'ai pas d'objection à y répondre, c'est parce qu'on prend peut-être le temps de...

M. Garneau: Dans le mémoire de l'Hydro-Québec on le donne, mais c'est par groupes.

Le Président (M. Laplante): Maintenant, j'appelle la Compagnie pétrolière Impériale, M. Roger Hamel.

Compagnie pétrolière Impériale

M. Hamel (Roger): M. le Président, si vous le permettez, je vais me présenter ainsi que ceux qui m'accompagnent. Je suis Roger Hamel, directeur de la Compagnie pétrolière Impériale au Québec, je suis aussi président de la Compagnie des produits pétroliers Champlain Ltée et administrateur d'autres filiales de la compagnie au Québec. Je suis accompagné, aujourd'hui, à mon extrême gauche, par MM. Paul Donato, directeur de notre raffinerie à Montréal-Est; Jacques Lefebvre, directeur du transport et de la distribution pour la compagnie au Québec et R. Sperano, directeur des ventes à l'automobiliste.

M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, je n'ai pas l'intention de lire aujourd'hui notre mémoire dont le texte d'ailleurs a été soumis à cette commission fl y a déjà une semaine, tel que requis. Je vais me limiter à vous résumer les faits saillants de notre document et à souligner à cette commission les recommandations que nous jugeons les plus importantes. Je me ferai un plaisir de tenter de répondre aux questions que vous aurez peut-être l'intention de me poser à la fin de cet énoncé.

La Compagnie pétrolière Impériale, en réponse à l'invitation du ministère des Richesses naturelles, est heureuse de présenter un mémoire à l'occasion de cette séance spéciale de la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts.

Notre compagnie y voit l'occasion de faire le point sur plusieurs aspects du dossier énergétique et, plus particulièrement, sur la question capitale du pétrole. L'importance de l'énergie n'a que tout récemment frappé l'attention du grand public. La guerre du Yom Kippour en 1973 et l'embargo arabe qui suivit mirent en relief la dépendance de notre bien-être, de notre mode de vie et, finalement, de tout notre système économique sur l'énergie.

Si, dans le monde entier, le réveil fut brutal, pour nous, Québécois, il le fut d'autant plus en raison de notre climat très rude.

Il existe diverses sources d'énergie: pétrole, gaz naturel, charbon, énergie nucléaire et énergie hydroélectrique, domaine où le Québec est un leader mondial. Aussi, des sources expérimentales d'énergie, telles l'énergie solaire, la force marémotrice, l'énergie éolienne et l'énergie géothermique, contribueront peut-être un jour à notre bilan énergétique.

Toutefois, depuis plusieurs décennies, le pétrole s'est imposé comme la force d'énergie prédominante. À cause de ses quantités disponibles, de son bas prix et de sa grande adaptabilité, le pétrole compte pour 53% de la consommation mondiale de l'énergie. Au Québec ce chiffre est de 51%, toujours sur une base d'intrant, comme l'explique notre mémoire. Au niveau de la consommation le pétrole fournit 70% de nos besoins énergétiques.

Il faut, cependant, noter un fait primordial. Le Québec ne dispose d'aucune source de pétrole connue qui puisse être exploitée économiquement. LeQuébec dépend donc totalement de l'extérieur pour s'approvisionner. Il en va de même pour le gaz naturel.

Dans notre mémoire, nous dressons le bilan énergétique québécois et traitons de l'importance des hydrocarbures, à la fois sous forme de pétrole brut et de gaz. Mais, avant d'entrer dans le vif de nos propos, nous voudrions rappeler brièvement la place de notre compagnie dans ce contexte et dans celui de l'économie québécoise en général.

L'Impériale, qui. oeuvre ici depuis près d'un siècle, est un important fournisseur d'énergie et de services connexes dans toutes les régions du pays. Notre raffinerie de Montréal-Est, une des plus modernes, a une capacité de plus de 100 000 barils par jour, soit environ le sixième de toute la capacité de raffinage au Québec.

L'Impériale compte un réseau de 1000 débits d'essence pour approvisionner l'automobiliste québécois et une centaine d'agents qui assurent la livraison d'huile de chauffage à ses quelque 135 000 clients.

Au cours des cinq dernières années, elle a investi plus de $112 millions dans l'expansion et la modernisation de ses installations au Québec. Pour alimenter sa raffinerie et distribuer ses produits elle s'appuie, de plus, sur un réseau moderne de pipe-lines et sur une flotte imposante de navires, de wagons et de camions citernes. Son matériel brut et ses produits finis sont entreposés à la raffinerie de Montréal-Est et dans sept dépôts marins sur les rives du Saint-Laurent et du Saguenay. Elle utilise, de plus, une centaine de dépôts secondaires stratégiquement répartis sur tout le territoire.

La Compagnie pétrolière impériale et ses filiales québécoises emploient, directement, 2700 personnes auxquelles il faut ajouter tous ses détaillants, agents et leurs employés. La direction québécoise de notre compagnie témoigne clairement de son intégration à la réalité québécoise, ce dont nous sommes fiers.

Le mémoire que nous présentons aborde les quatre sujets suivants. Premièrement, les besoins énergétiques du Québec; deuxièmement, les sources d'hydrocarbures pour le Québec; troisièmement, l'économie de marché et les intérêts des consommateurs québécois; quatrièmement, la protection de l'environnement dans l'industrie pétrolière.

Permettez-moi de reprendre ces points un à un. D'abord, les besoins énergétiques du Québec. Pour répondre à ces besoins, le Québec a traditionnellement compté sur diverses sources d'énergie constituées principalement d'énergie hydroélectrique et interne et de pétrole importé.

En permettant à diverses formes d'énergie d'entrer en concurrence les unes avec les autres, le Québec a été bien servi, tant en termes de coût que de continuité de l'approvisionnement.

Au cours des 20 dernières années, les besoins énergétiques du Québec se sont accrus de 4,5% par année et la croissance économique du Québec a connu a peu près le même rythme. De 1965 à 1973, la demande énergétique s'est accrue, en moyenne, de 4,8% par année, légèrement au-dessus de la croissance économique qui s'est située à 4,3% par année.

L'étroite relation entre la croissance économique et la demande énergétique a été un trait caractéristique de l'ensemble du monde occidental. Malgré une légère progression du gaz en 1975, le pétrole demeure toujours notre principale source d'énergie, représentant 50% de l'énergie consommée, toujours sur une base d'intrants. Au niveau de la consommation, évidemment, c'est 70% de la consommation totale d'énergie. Peut-être, ici, devrais-je ouvrir une parenthèse. La définition est dans le texte que nous vous avons soumis, mais sur une base d'intrants; ce que nous avons fait, pour tracer le bilan énergétique, c'est convertir toutes les sources en unités comparables, pour nous, le baril de pétrole. Ce qu'on a fait pour amener sur le même niveau l'électricité, par exemple, nous avons décidé du montant de pétrole nécessaire pour produire le même montant d'électricité qui est produit maintenant par Manic, par Bersimis, etc. C'est cela que je veux dire, sur une base d'intrants, le montant de pétrole qui serait nécessaire pour produire l'électricité qui est maintenant produite par des sources hydrauliques.

L'électricité vient au second rang, avec une part de 44% sur une base d'intrants. La pénétration du gaz naturel a été modérée, surtout à cause de son incapacité d'entrer en compétition de façon vigoureuse avec l'énergie hydroélectrique et le pétrole importé.

Au cours des 20 dernières années, la croissance de l'hydroélectricité s'est située à une moyenne de 5,4% et celle du pétrole, de 5,7% par année. Le Québec a dû recourir à des importations de combustible fossile afin de répondre à ses besoins énergétiques; les importations venant d'ailleurs au Canada ou de l'étranger représentaient, en 1975, 65% de nos besoins énergétiques. En comparaison, ce même chiffre, pour l'Ontario, s'établit à 80%. Le Québec a la chance de tirer une contribution importante de ses propres ressources hydroélectriques. Environ 80% de nos besoins en énergie électrique sont produits à l'intérieur de nos frontières.

A l'avenir, nous croyons que la croissance de la demande énergétique au Québec sera inférieure à ce qu'elle a été depuis quelques années, en raison des plus faibles taux de croissance économique ainsi que des réactions à l'élévation des prix et à la conservation.

Toutefois, avec une croissance économique de 4% par an, une croissance annuelle de 3% à 4% de la demande énergétique constituera un niveau raisonnable jusqu'en 1990. Ces projections tiennent compte de la croissance démographique et économique, des prix énergétiques et des réactions au programme d'amélioration du rendement énergétique.

Pendant au moins les 20 prochaines années, le Québec devra faire grandement appel au pétrole comme une des principales sources d'énergie. L'Imperial ne croit pas que les énergies éolienne et solaire puissent être suffisamment développées pour jouer un rôle important dans l'approvisionnement énergétique avant cette époque. Et le prix de l'électricité tiré de l'énergie hydraulique et nucléaire sera probablement fixé de telle sorte à accroître sa part du marché.

J'en viens maintenant aux sources d'hydrocarbure pour le Québec. Les hydrocarbures étrangers, le pétrole et le gaz naturel canadiens forment les trois principales sources d'hydrocarbures pour le Québec. Il s'agit là de trois choix possibles pour la satisfaction de nos besoins énergétiques. Il importe de permettre leur libre concurrence sur le marché afin d'obtenir l'approvisionnement énergétique le plus économique ainsi que la continuité nécessaire de l'approvisionnement.

La perspective d'approvisionnement du Québec en hydrocarbures doit être évaluée en fonction de la situation future de l'énergie à l'échelle mondiale. Or, celle-ci laisse prévoir une rareté d'approvisionnement, un maintien et un accroissement de la dépendance envers l'OPEP ainsi que des prix à la hausse. Quant aux approvisionnements en pétrole brut canadien, ils pourraient bien, d'ici le début des années quatre-vingt, ne plus suppléer au pétrole importé au Québec.

Cependant, grâce à l'application d'une mise en valeur accélérée, de nouvelles usines de sables bitumineux et des approvisionnements venant des régions éloignées pourraient, à la longue, rétablir cette source d'approvisionnement. Une exploration et une mise en valeur de pointe de la part du secteur privé ne pourront se réaliser que si les politiques gouvernementales sont de nature à appuyer les efforts de l'industrie et que si elles sont prises au moment voulu.

Aussi, rien ne prouve que la population du Québec serait mieux servie par l'engagement direct du gouvernement dans l'exploration et la production du pétrole ou dans l'achat du pétrole importé. En ce qui a trait aux approvisionnements en gaz naturel, il semble que ceux en provenance de la région de la mer de Beaufort puissent être disponibles au début des années quatre-vingt. Ces approvisionnements contribueront à répondre aux besoins énergétiques du Québec. Le projet de pipe-line de la Canadian Arctic Gas, du point de vue de l'Impériale, constitue le moyen le plus rapide et le plus efficace de transporter le gaz de la région de la mer de Beaufort jusqu'à nos marchés.

M. le Président, notre mémoire traite en troisième lieu de l'économie de marché et des intérêts des consommateurs québécois. L'industrie des produits pétroliers englobe, d'une part, l'importation de brut et son raffinage en produits pétroliers finis tels que l'essence, l'huile de chauffage et les

lubrifiants, et, d'autre part, la distribution de ces produits, leur mise en marché et d'autres activités connexes.

Cette industrie a toujours regroupé un très grand nombre de participants. Ainsi, sept raffineries font affaires au Québec, mettent en vente leurs produits avec leur propre marque de commerce et les vendent aussi à un important et dynamique secteur de revendeurs composé d'une douzaine de grandes compagnies et de plus de 500 exploitants indépendants de moindre importance. L'industrie pétrolière n'est donc monolithique ni du point de vue des fournisseurs, ni de celui des consommateurs.

La concurrence réelle qui prévaut dans l'industrie pétrolière du Québec nous suggère qu'il n'est ni nécessaire, ni dans le meilleur intérêt des consommateurs de renforcer les contrôles gouvernementaux sur ces activités.

Les contrôles fédéraux du prix des produits pétroliers furent décrétés en septembre 1973, en raison de la montée en flèche du prix du brut importé et canadien. Les indicateurs fédéraux ont permis aux consommateurs de constater que toute augmentation des prix de gros se justifiait par une hausse des coûts. Il importe cependant de souligner que, depuis l'établissement des indicateurs, l'Impériale n'a jamais pu augmenter ses prix jusqu'au niveau permis, à cause de ja concurrence qui règne sur le marché.

Finalement, notre mémoire traite de la protection de l'environnement dans l'industrie pétrolière. A ce chapitre, reconnaissons que celle-ci a été et demeure un objectif primordial et une préoccupation constante des gouvernements, de l'industrie et du public.

Il existe des dangers pour l'environnement et pour la santé des citoyens, à toutes les phases de l'approvisionnement en énergie pétrolière, depuis la réception du pétrole brut et les opérations de raffinage, jusqu'à la distribution des produits pétroliers et à leur utilisation.

Depuis seize ans, les compagnies qui font partie de l'Association industrielle Laval, située à Montréal-Est, et incluant tous les raffineurs qui s'y trouvent, ont dépensé plus de $55 millions pour prévenir et réduire la pollution de l'air et de l'eau. Au cours de cette période, le volume de production a presque doublé, alors que le niveau absolu de la pollution a diminué.

Les deux principales sources de pollution de l'eau, les déversements de pétrole et les eaux de rejet des raffineries ont été efficacement combattues. L'Impériale et l'industrie pétrolière ont aussi orienté leurs efforts vers la lutte contre la pollution de l'air, tant contre les émanations des raffineries que contre celles des automobiles. La protection de l'environnement agit fortement sur le coût des opérations des raffineurs du Québec, qui doivent affronter la concurrence des fournisseurs du monde entier, en plus d'un excédent de capacité de raffinage dans l'ensemble de l'Est du Canada. C'est pourquoi les objectifs de la lutte antipollution doivent représenter un sain équilibre entre les frais en jeu et les avantages. Quoi qu'il en soit, l'Impériale poursuivra ses efforts dans ce domaine en collaboration avec le gouvernement du Québec et les municipalités concernées.

M. le Président, vous me permettrez maintenant de reprendre les six recommandations contenues dans notre mémoire.

Premièrement, le Québec devrait continuer à recourir à un ensemble de sources énergétiques diverses en concurrence les unes avec les autres sur le marché québécois pour obtenir l'énergie au meilleur prix et conserver la flexibilité nécessaire à la sécurité des approvisionnements.

Deuxièmement, le Québec devrait appuyer les politiques qui favorisent une vigoureuse mise en valeur des approvisionnements canadiens en pétrole et en gaz qui sont économiquement exploitables aux prix mondiaux afin de conserver au pétrole canadien la possibilité d'entrer en concurrence sur le marché québécois.

Troisièmement, le Québec devrait s'assurer d'un climat d'investissements qui porte le secteur privé à présenter des propositions de projets visant à répondre aux besoins énergétiques nouveaux de l'avenir.

Quatrièmement, le Québec devrait développer toutes les possibilités économiques d'améliorer le rendement de l'utilisation de l'énergie.

Cinquièmement, avec un minimum de règlements, le Québec devrait permettre au commerce des produits pétroliers de continuer, par l'intermédiaire de la concurrence, à remplir les besoins des consommateurs en services, en qualité et en permanence des approvisionnements.

Finalement, le Québec devrait continuer de travailler avec l'industrie pétrolière à résoudre les problèmes écologiques tout en maintenant un équilibre entre ce qu'il faut payer pour répondre aux normes et les avantages qu'en tirent les Québécois.

La Compagnie pétrolière Impériale espère que les opinions exprimées dans son mémoire aideront à formuler la politique énergétique qui convient le mieux aux intérêts des Québécois. M. le Président, MM. les commissaires, je vous remercie.

Le Président (M. Laplante): Merci, monsieur. M. le ministre.

M. Joron: M. Hamel, je voudrais vous demander quelque chose. Vous nous avez succinctement exposé d'une part les activités de l'Impériale au Québec, et tout en soulignant dans vos recommandations, entre autres, qu'à l'avenir, on devrait viser à s'appuyer sur des sources diverses d'énergie. Vous ne nous avez pas indiqué précisément quel partage vous voyez entre ces sources, quelles sont les sources qui seront en expansion, quelles seront celles qui seront en diminution relative et à quel coût. Vous évoquez la nécessité de mise en valeur d'autres sources canadiennes d'approvisionnements et on pense principalement aux sables bitumineux de l'Athabaska. Finalement, le pétrole qui pourrait en être tiré et qui pourrait compenser l'épuisement des sources traditionnel-

les albertaines, par exemple. Il y a un coût à ça. Cela dépend à quel prix?

En d'autres mots, la question que le Québec doit se poser, c'est est-ce qu'il faut investir là-dedans? Il faudrait avoir une idée à quel coût on va sortir un baril de pétrole de là pour pouvoir juger s'il ne vaudrait pas mieux développer l'électricité ou je ne sais trop quoi. Pour être en mesure de faire un choix, il faudrait avoir des coûts comparatifs.

Vous évoquez, comme M. Cloutier avant vous, une raréfaction des sources d'approvisionnement traditionnelles, mais vous apportez la possibilité de voir ces sources traditionnelles remplacées par de nouvelles sources. Moi-même, ce qui me préoccupe le plus à cet égard, ça, je veux bien, mais à quel prix? Si c'est à trois ou quatre fois le prix du pétrole tel qu'on le connaît aujourd'hui, la question se pose évidemment autrement.

M. Hamel: Comme vous le savez, l'industrie du pétrole est bien connue pour avoir, dans le passé, fait bien des estimations, et ces estimations étaient très précises. Je pense qu'on peut dire, sans se faire contredire, qu'on s'est fait brûler les doigts assez souvent en faisant' des prédictions du genre. Mais on a un tableau; dans la section numéro 3, le tableau numéro 3, nous avons montré graphiquement des estimations. Dans la section gaz naturel, vous voyez qu'il y a deux parties à ce tableau...

M. Garneau: Quand vous parlez de la section numéro 3, elle porte quel titre sur le...

M. Hamel: Le titre, c'est: Les besoins énergétiques du Québec. Chaque page est numérotée en chiffres romains suivis de chiffres arabes. Je pense que c'est raisonnable que, quand on parle de pétrole, on se serve de chiffres arabes.

M. Garneau: Cela dépend du prix.

M. Hamel: Je viens seulement d'y penser, oui. Dans ce tableau 111-3, on indique le partage estimé dans le futur, parce que je pense que la meilleure façon de répondre à votre question, c'est qu'à notre point de vue, le Québec doit se doter de sources d'approvisionnement qui soient — le premier critère — économiquement rentables. Si on arrivait à un point où les importations de pétrole du golfe Persique, par exemple, restaient économiquement rentables à long terme, je pense qu'on devrait rester avec ces sources.

Mais ce qu'on dit, nous, dans notre mémoire — je pense qu'on essaie de le dire assez clairement— c'est que le Québec doit avoir toutes les options possibles. On a prévu, dans cette partie du mémoire, les différentes possibilités. On a prévu les années 1975 jusqu'à 1990, qui est l'horizon dans notre mémoire, la part, par exemple, de l'hydroélectricité, qui s'accroît de 23% en 1980, à 24% en 1990. Maintenant, c'est la part d'une consommation qui est beaucoup plus accrue. On parle, par exemple, en 1980, de 118 milliards de kilowatts-heures. Cela s'accroît, en 1990, à 180 milliards de kilowatts-heures. Ce n'est pas indiqué sur le tableau, parce que nous, étant des pétroliers, on a tout converti ça en barils de pétrole, sur une base d'intrants. A l'échelle de la consommation, au niveau du consommateur, on voit une augmentation d'à peu près presque 80% dans la consommation de l'électricité au Québec, que ce soit hydroélectricité ou nucléaire ou par l'entremise de centrales thermiques.

La part du gaz, dans la section des sources d'hydrocarbures, est bien difficile à déterminer en ce moment. Tout va dépendre du prix des sources alternatives d'énergie à ce moment-là. Comme consommateurs québécois, je ne voudrais pas qu'on ait une politique d'énergie qui préconise le développement d'un réseau de gaz naturel qui ne soit pas concurrentiel avec le pétrole importé, par exemple. Je pense qu'on serait pénalisé par rapport aux autres provinces qui pourraient importer du pétrole, disons, à ce moment-là, à $15 ou $16 le baril si le coût équivalent du gaz naturel rendu au Québec est de $17 ou $18.

C'est à ce moment qu'on devra déterminer... Nous croyons que le gaz découvert dans le delta du Mackenzie pourra se rendre jusqu'au marché québécois, mais cette question n'est pas encore clairement définie.

Comme vous le savez, il y a une enquête à ce moment par l'Office national de l'énergie qui est en train d'examiner la rentabilité économique du gaz naturel rendu dans les différents marchés canadiens.

C'est pour cela que nous disons qu'une politique énergétique québécoise doit permettre à l'avenir toutes les options possibles.

M. Joron: M. le Président, j'aurais une question supplémentaire.

M. Garneau: M. Hamel devrait répondre à la première.

M. Joron: Pardon?

M. Garneau: J'aurais aimé, M. Hamel, que vous répondiez à la première, peut-être, d'une façon un peu plus précise, si vous en étiez capable. J'ai saisi dans, les propos du ministre qu'il vous demandait à quel prix le baril de pétrole d'Atha-baska pouvait être escompté. Je comprends que c'est difficile...

M. Hamel: Le prix du baril de pétrole de l'Athabaska? Comme vous le savez, notre compagnie a un tiers du projet Syncrude qui est maintenant en développement et qui sera en production en 1979. A ce moment-là nous espérons que le prix du pétrole au Canada sera arrivé au prix mondial, disons $15 le baril. Ce projet est économiquement rentable à ces niveaux.

Cela répond-il, à votre question? Tout en reconnaissant que le producteur de pétrole dans l'Ouest canadien ne reçoit qu'environ 25%, entre 20% et 25% de chaque dollar dans le prix du pé-

trole. Le reste, soit 75% à 80%, va aux gouvernements, soit provinciaux ou fédéral.

M. Joron: Ce que vous répondez, en fait, donne le prix de ce qui va sortir de Syncrude comme tel, mais la mise en exploitation de l'ensemble du potentiel des sables bitumineux impliquerait des investissements gigantesques qui modifieraient considérablement le coût. Nous parlons de 125 000 barils par jour, Syncrude? C'est à peu près cela. Bon.

M. Hamel: Pour un investissement d'environ $2 milliards, plus les investissements du provincial pour les pipe-lines, le développement de la municipalité, etc.

M. Joron: 125 000 barils par jour, c'est déjà bien petit, eu égard aux besoins de l'avenir, ne serait-ce que ceux du Québec, sans parler de ceux de l'ensemble du Canada. Mais ce qu'on cherchait à voir, c'est, s'il fallait produire, je ne sais pas, 1 million de barils par jour des sables bitumineux, à quel prix cela serait pour sortir 1 million de barils par jour de là.

M. Hamel: Comme je viens de vous le dire, le projet est rentable pour les compagnies et les gouvernements qui sont partenaires dans le projet en ce moment — il y a trois compagnies et trois gouvernements — mais ceci est mis en doute par d'autres compagnies. Une question de rentabilité, c'est une question de jugement. Si on emprunte de l'argent à 11% et qu'on fait du 10%, il y a certaines compagnies qui ne trouvent pas que c'est tellement rentable et je pense qu'on pourrait débattre ce point.

Le projet est rentable, mais les questions du partage des revenus du pétrole ne sont pas finalement décidées encore au niveau canadien et au niveau des provinces de l'Ouest. Je crois que c'est plutôt cela que d'autres questions qui empêche d'autres compagnies de s'embarquer dans des projets de développement des sables bitumineux. Nous savons qu'il y a des réserves énormes qui sont presque le double de toutes les réserves de pétrole classique trouvées au monde. Nous savons aussi qu'il y a probablement 10% de ces réserves qui pourraient se produire par une technologie connue. Nous savons que probablement aux deux tiers du prix...

Je vais revenir sur cela. Probablement qu'à un tiers du prix à l'échelle mondiale les projets seraient très rentables pour les investisseurs, mais, malheureusement, la formule de partage des revenus du pétrole ne donne pas aux investisseurs un tiers du revenu. Elle donne beaucoup moins que cela.

Alors, c'est cela qui a alarmé; parce que, comme vous savez, cela a été rapporté dans les media et tout cela. D'autres compagnies étaient intéressées à des projets. Pour le moment, il semble qu'elles aient abandonné ces projets. Mais nous sommes très favorisés au Canada, nous avons au moins le potentiel de développer ces ressources. Il ne faut pas confondre la rentabilité d'après le prix et le coût, parce que le coût de l'exploitation des sables bitumineux est bien différent du prix; parce que le prix inclut toutes les taxes, les redevances, les impôts, etc. Ce n'est pas le coût du pétrole...

M. Joron: Globalement, l'ensemble de vos suggestions donne un portrait passablement différent de celui qu'on entendait préalablement. Par exemple, il implique, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, d'accord, qu'en 1990, la quantité d'électricité disponible serait de 80% supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui pour équivaloir à une part de 24% de la consommation. Ce qui n'est pas beaucoup différent des 21%, 22% qu'on connaît dans le moment. Mais je voudrais simplement vous signaler que, avec le seul projet de la baie James, dont la fin des travaux, si on en suit ce que l'Hydro-Québec a déposé jusqu'à aujourd'hui, est prévue pour 1985, déjà, en 1985, on les aura atteints les 80% de plus que vous prévoyez pour 1990. Ce qui sous-tend dans votre raisonnement l'inverse par rapport à l'électricité de ce qu'on entendait dans la déposition précédente. C'est non pas une accélération du développement électrique au Québec, mais c'est même un ralentissement par rapport au calendrier des travaux que l'on connaît déjà. En somme, ce que cela vient à dire, c'est que la dernière centrale de la baie James entrerait en fonction en 1990.

M. Hamel: Moi, je vois...

M. Joron: Si vous me permettez juste pour résumer, pour ne pas revenir avec une dernière question, vous semblez nous recommander non pas de mettre l'accent dans le développement des ressources autochtones, eu égard à ce que je viens de dire, mais davantage dans le développement de sources de pétrole extérieures au Québec.

M. Hamel: Non, ce n'est pas cela qu'on recommande. Nous faisons des hypothèses dans notre mémoire, savoir qu'il faudrait ajouter environ 15 000 mégawatts aux 14 000 mégawatts qui sont déjà développés au Québec. Dans cela, on inclut plus de 10 000 mégawatts pour la baie James et le projet des Outardes qui est d'environ 450 mégawatts, Manic est de presque 800 mégawatts, etc. On a fait toutes ces hypothèses et on a aussi ajouté une centrale nucléaire, Gentilly II.

Maintenant, ce sont des hypothèses; mais je pense que, dans notre texte, on a exprimé assez clairement que le Québec se doit de développer toutes les sources domestiques, autochtones, d'énergie possible — c'est-à-dire l'énergie hydroélectrique — qui sont économiquement rentables, qui sont viables. Non, je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites. Non, vraiment, nous appuyons cette philosophie de développer tout ce qu'on a, parce que, même avec toutes les sources possibles, il est possible qu'on manque de l'énergie, avant la fin du siècle. On devra continuer d'impor-

ter du pétrole. Si on peut éviter ou réduire les importations du pétrole, ce sera à l'avantage du consommateur québécois. Mais il faudra toujours tenir compte des développements économiques.

M. Joron: J'aimerais vous poser une dernière question, si M. le Président le permet, sans vouloir abuser du droit des autres membres de la commission de poser des questions. De quelle manière Imperial Oil, comme telle, peut-elle nous aider à garantir notre sécurité d'approvisionnement énergétique pour l'avenir?

M. Hamel: Je pense que cela se manifeste par notre foi dans le marché privé, le marché libre. Il y a un marché important ici. L'Imperiale est au Québec depuis cent ans, ou à peu près, on a tout un réseau de distribution ici. Nous avons des investissements considérables, comme je l'ai mentionné dans mon texte; on a dépensé $60 ou $70 millions depuis deux ou trois ans au Québec. Nous sommes ici depuis longtemps. On a intérêt à y rester. Pour rester, il faut continuer d'assurer l'approvisionnement de pétrole.

On a eu l'avantage, en faisant partie d'une grande société internationale, ou multinationale, d'avoir des sources d'approvisionnement variées. C'est peut-être une des raisons. Je pense qu'il y a eu une enquête aux Nations-Unies qui a prouvé que les compagnies de pétrole durant la "crise du pétrole", en 1973/74, ont probablement mieux réussi que les gouvernements auraient pu le faire. Nous faisons partie de tout ce réseau. On a assuré aux Québécois, à ce moment — la preuve est là — qu'on n'a pas eu de problème au point de vue de l'approvisionnement.

Nous croyons qu'à l'avenir nous pourrons continuer de l'assurer, parce que nous avons, disons, l'expérience, nous avons des contrats avec les pays fournisseurs, nous avons la technologie, nous avons le réseau d'approvisionnement et de distribution en place. Je pense que la meilleure façon d'être bons "businessmen", la meilleure façon d'assurer l'approvisionnement ou la part de l'approvisionnement relative au pétrole, c'est de continuer d'agir comme on l'a fait dans le passé dans un marché concurrentiel qui nous intéresse. C'est pour cela qu'on est ici— il n'y a pas d'autre raison — comme dans une place où faire affaire. Je ne vois pas pourquoi cela devrait changer à l'avenir. Il n'y a pas de pétrole au Québec. On a fait de l'exploration ici. Je devrais dire: D'après nous. Ce n'est que notre opinion, mais on a fait de l'exploration pendant des années. On fait beaucoup d'exploration en ce moment pour trouver de l'uranium au Québec. Comme vous le savez, on a des équipes un peu partout dans la province qui cherchent. Si on en trouve, tant mieux. Peut-être que ce sera une autre source d'énergie domestique pour le Québec. Mais je pense qu'on peut vous assurer, comme on l'a fait depuis 100 ans, une source d'approvisionnement en pétrole. Evidemment, essayer de prédire l'avenir, ce n'est pas possible, mais je pense que laisser les modalités assurer la concurrence entre les compagnies de pétrole dans un marché grandissant de 4% par année, à peu près, c'est la meilleure façon de le faire.

Le Président (M. Laplante): Le député de Jean-Talon.

M. Garneau: M. le Président, dans votre mémoire, il ressort que l'hypothèse pessimiste qu'on a entendue tout à l'heure, si vous la retenez, vous ne l'exprimez pas aussi clairement. Quand on regarde votre tableau de la page III-3, dans les proportions, cela m'a l'air que le pétrole prendrait peut-être — peut-être pas deux fois en 1990, je ne sais pas si ma proportion est bonne — environ 800 000 à 900 000 barils par jour, comparativement à la situation en 1975. Est-ce que vous pouvez avoir suffisamment confiance dans la disponibilité de réserves pour être capable de faire une projection qui puisse être réalisée?

M. Hamel: Là, encore une fois, nous le croyons puisque, comme je viens de vous le dire, on vient de moderniser notre raffinerie — ce n'est pas tout à fait complet — à un coût de $60 millions. Evidemment, le remboursement de ces investissements ne se fait pas dans un an ou dans cinq ans. Cela prend plusieurs années. Nous sommes aussi en train d'investir plusieurs millions de dollars. Les investissements seront complétés à la fin de 1979, tel que le prévoit la loi sur l'assainissement ou la purification des eaux de la raffinerie. Si on ne pensait pas qu'on pourrait récupérer, dans les années à venir, ces investissements, je peux vous assurer qu'on ne les ferait pas. C'est cela qui est le jeu du marché privé, si vous voulez. On croit qu'on va continuer d'avoir l'approvisionnement nécessaire de pétrole. C'est notre point de vue, si vous voulez, et c'est sur cela qu'on se base pour faire les jugements des investissements que nous faisons, qu'on continue de faire.

M. Garneau: Dans cette possibilité où vous admettez que des réserves de pétrole sur le plan mondial et aussi sur le plan canadien soient disponibles pour répondre à la demande de pétrole au Québec, à quelle rapidité croyez-vous que la politique canadienne de l'énergie devrait atteindre le prix international? Comment, au Canada, peut-on atteindre le prix international, qui dépasserait le prix moyen américain? Est-ce que vous croyez que c'est possible ces choses-là?

M. Hamel: Le prix canadien est encore inférieur au prix américain de plus de $1 le baril, ce qui fait qu'il y a encore du jeu, et le prix américain va augmenter parce qu'on importe plus de 50% de la consommation de pétrole aux Etats-Unis. Les Etats-Unis sont encore le plus grand producteur de pétrole au monde. Il ne faut pas oublier cela. Ils sont aussi le plus grand consommateur. Les prix vont augmenter aux Etats-Unis. Pour répondre à la première partie de votre question, j'aimerais voir le prix, au Canada, monter au niveau mondial demain. Je reconnais les facteurs politiques pour

lesquels cela ne se peut pas. Le gouvernement fédéral a dit que le prix canadien tendrait vers le prix mondial en 1980, c'est-à-dire que, d'ici deux ou trois ans, le prix canadien atteindra le prix mondial. _

Cependant, ce qu'on n'a pas semblé reconnaître, c'est que le prix mondial augmente aussi à chaque année et, au fur et à mesure que l'on augmente — il y a eu une augmentation, de 70 cents le baril le 1er janvier de cette année — le prix mondial a augmenté de $1 environ. On a vraiment perdu un peu de chemin.

M. Garneau: Combien de temps cela prend-il, M. Hamel, pour mettre sur pied... Evidemment, l'expérience des premières unités est peut-être plus difficile à faire, mais combien de temps, pensez-vous, cela prendra-t-il entre la décision d'investir et le moment où il sortira des barils de pétrole d'autres unités de fabrication de pétrole à partir des sables d'Athabaska? Quel décalage de temps y a-t-il?

M. Hamel: Entre six et huit ans.

M. Garneau: Pour produire 125 000 barils par jour? Actuellement, il y a une unité de production?

M. Hamel: En ce moment, il y a une unité de production qui est la Great Canadian Oil Sands qui produit 45 000 à 50 000 barils par jour.

M. Garneau: Et il n'y a pas d'autres unités qui sont commencées? Cela veut dire qu'on ne pourrait pas compter là-dessus.

M. Hamel: Sauf le projet Syncrude. M. Garneau: Oui.

M. Hamel: C'est la Great Canadian Oil Sands qui est en production déjà depuis quelques années. Il y a le projet Syncrude qui sera en production en 1979. Il n'y a aucune autre usine de prévue pour le moment.

M. Garneau: Maintenant, pour ce qui est de l'approvisionnement de Imperial Oil — je m'aperçois, M. le Président, que nous sommes les seuls à employer le mot anglais; j'ai suivi l'exemple du ministre de l'Energie — actuellement, votre pétrole entre aux raffineries de Montréal par le pipe-line de Portland, ou comment arrive-t-il à Montréal pour votre compagnie en particulier?

M. Hamel: Nous avons deux sources d'approvisionnement. Il y a environ 40% du pétrole qui est raffiné à Montréal qui vient de l'Ouest canadien par l'extension du pipe-line interprovincial et 60% ou presque qui vient de Portland, par le Portland Pipeline et le Montreal Pipeline.

M. Garneau: Dans combien de temps pensez-vous que la capacité du pipe-line pourra résister à la croissance de la demande?

M. Hamel: Lequel?

M. Garneau: Le pipe-line Portland-Montréal?

M. Hamel: Pendant bien longtemps parce que le pipe-line Portland-Montréal a été construit pour transporter plus de 600 000 barils par jour et il transporte, en ce moment, seulement environ 350 000 barils par jour.

M. Garneau: Est-ce que vous croyez que le transport pétrolier par bateau, avec les problèmes de pollution qu'il y a eu, que l'on peut espérer qu'il n'y aura pas de réglementation quant au transbordement des pétroliers à Portland?

M. Hamel: Evidemment, il y a beaucoup plus d'intérêt avec ce qui est arrivé depuis quelques mois. Il y a eu une saison très difficile de navigation. Il y a eu des problèmes avec les cargos qui ont échoué et tout cela. Je sais qu'il y a des règlements plus sévères qui ont été proposés par la garde côtière américaine. Probablement qu'il y aura aussi des règlements plus sévères d'inspection au Canada.

Je ne pense pas que cela affecte le transport par Portland. Je ne le crois pas, mais c'est difficile à dire. Il y a énormément de cargos qui sont disponibles. Il s'en construit continuellement, etc. Il y a énormément, aussi, de compagnies de pétrole qui engagent, qui louent des cargos et tout ça, qui ont peut-être un peu moins de contrôle et qui, éventuellement, suivront les contrôles. Je ne prévois pas de pénurie, si vous voulez, de cargos pour faire le transbordement entre le Venezuela, le golfe Persique, etc. et Portland.

M. Garneau: L'objet de ma question, c'est de savoir si, dans l'établissement d'une politique énergétique québécoise, il aurait été prudent d'aller de l'avant avec l'établissement d'un port pétrolier quelque part, sur un niveau rentable, au Québec, pour s'assurer de l'approvisionnement du pétrole venant de l'extérieur du pays ou si la situation, telle que vous la connaissez, n'est pas suffisamment alarmante et ne nécessiterait pas des investissements dans ce secteur.

M. Hamel: On n'en connaît pas assez long en ce moment pour répondre à cette question. On parle depuis longtemps, au niveau du gouvernement central et des provinces, de la possibilité d'un superport dans l'Est du Canada, que ce soit au Québec, au Nouveau-Brunswick ou ailleurs. Il est possible que ce port devienne nécessaire pour d'autres raisons. Comme le ministre l'a mentionné tantôt, il est possible que le pipe-line Sarnia-Montréal soit renversé. Je dis possible, parce que ce n'est pas encore sûr. C'est possible qu'il soit renversé au début des années quatre-vingt pour approvisionner les raffineries de l'Ontario avec du pétrole importé de l'étranger.

A ce moment-là — et les études sont en marche — on devra décider si le port de Portland sera celui qui devrait être désigné pour l'importation du

pétrole. C'est vous qui avez posé la question. A ce moment-là, le pipe-line ne sera certainement pas assez gros pour transporter le pétrole. Ce sera alors le moment de décider si on devra construire un nouveau port.

En ce qui concerne l'approvisionnement des raffineries au Québec, je ne vois pas la nécessité, pour le moment, de construire un nouveau port, puisque la capacité à Portland et le pipe-line sont suffisants pour nos raffineries.

Le Président (M. Laplante): Le député du Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, en se plaçant dans une perspective de pénurie, comme l'expliquait tout à l'heure M. Cloutier, de SOQUIP, celle-ci arrive à la conclusion que le système actuel d'approvisionnement n'est pas adéquat, qu'il est inefficace et qu'il repose, qu'il est assuré par les multinationales. En admettant qu'il y a pénurie, vous aussi, vous arrivez à une conclusion complètement différente. Vous prétendez que le meilleur système d'approvisionnement du Québec c'est le système actuel, donc le maintien du statu quo. Vous prétendez que c'est le système le plus sécuritaire et le plus économique.

Ma question est la suivante: Comment pouvez-vous prétendre que c'est plus sécuritaire et plus économique alors qu'on sait pertinemment que les multinationales ont, presque partout dans le monde, perdu le contrôle et de la production et des prix?

M. Hamel: Bonne question. Il est vrai que... Vraiment, les compagnies de pétrole, c'est, en partie, un mythe qu'on ait jamais eu le contrôle du pétrole. Vous savez qu'en Alberta, par exemple, qui est au Canada, on n'a pas nécessairement le contrôle de ce pétrole. Les gisements qui se trouvent sous la surface ne nous appartiennent pas tels quels. On les produit en payant des redevances qui nous donnent des droits de production. Mais on voit qu'on ne les contrôle pas, puisque les gouvernements fixent les prix, nous disent combien on a droit de produire, où on va le transporter, etc.

Alors, depuis quelques années, la formule a changé, dans ce sens que les gouvernements hôtes, soit le Venezuela, l'Arabie Saoudite ou l'Irak, ont changé la formule par laquelle le pétrole est produit. On sait que les compagnies — cela a été mentionné par M. Cloutier, je pense — sont encore là qui dirigent, en bien des cas, la production du pétrole, qu'elles sont responsables du transport, de la mise en valeur et qu'elles ont accès au marché du pétrole.

Mais moi, et je vous réponds aussi honnêtement que possible, je pense que ce serait un désavantage. Je ne sais pas si c'est là où vous vous en allez avec votre question.

M. Brassard: Pourquoi c'est un avantage, le système actuel, dans une situation de pénurie, dans une perspective de pénurie?

M. Hamel: Moi, je pense que c'est un avantage de continuer avec le système actuel, parce qu'on a énormément plus de flexibilité. S'il y a une entente, un accord ou des accords entre deux pays, il n'y a absolument pas de flexibilité dans une situation semblable, tandis que les compagnies de pétrole, avec leurs réseaux étendus un peu partout dans le monde, peuvent faire des échanges continuellement. On sait qu'il y a un cargo qui part d'un endroit pour aller à un certain port, qui peut être dévié en cours de route pour aller ailleurs, pour répondre à un besoin qui est plus urgent, etc., et cela, continuellement.

On assure, on l'a assuré dans une situation actuelle de crise.

M. Brassard: C'est justement cela qui n'est pas sécuritaire, monsieur.

Le Président (M. Laplante): Laissez-le répondre.

M. Hamel: C'est quoi?

M. Brassard: C'est justement cela qui n'est pas sécuritaire, si vous prétendez que ces échanges peuvent être détournés. Ce n'est pas très sécuritaire pour le Québec.

M. Hamel: Je vois cela exactement d'une façon contraire, c'est qu'on est ici, comme j'ai répondu tantôt, pour servir un marché. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on est ici, cela fait depuis presque cent ans. On a toujours servi le marché et on a intérêt à servir ce marché et à s'assurer nous-mêmes, comme compagnie, l'approvisionnement. On prend toutes les mesures nécessaires pour s'assurer l'approvisionnement, pour continuer le fonctionnement de notre raffinerie et de tout notre réseau de marketing que nous avons dans la province.

Evidemment, c'est une question d'opinion. Honnêtement, je le crois et je le préfère, parce que le gouvernement peut toujours venir par après, s'il y a nécessité de le faire. Il n'y a rien qui en empêche le gouvernement. Le gouvernement contrôle tout dans le domaine du pétrole en ce moment, à tous les niveaux, au niveau du puits et au niveau du marché. Il n'y a rien qui l'empêche, si c'est nécessaire, de venir par après, mais je ne vois pas d'avantages à ce que les gouvernements s'introduisent dans la négociation des contrats d'approvisionnement à ce jour. Je n'y vois pas avantage du tout, même j'y vois de grands désavantages.

Le Président (M. Laplante): Le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Pourrais-je ajouter une remarque à la question du député de Lac-Saint-Jean? C'est que je crois qu'on ne peut pas envisager que SOQUIP fasse compétition à Imperial Oil. Je ne pense pas que ce soit le rôle de SOQUIP. L'important, c'est qui va contrôler la source. C'est pour cela que c'est important et cela me ramène à la

question que je voudrais poser à M. Hamel, celle de contrôler la source de pétrole dans le pays qui doit l'utiliser. Autrement dit, c'est plus avantageux pour le Canada d'avoir ses propres sources de pétrole, d'énergie. C'est plus avantageux pour le Québec d'avoir ses propres sources que de se fier à un autre organisme politique.

M. Hamel: Absolument. On voit le pétrole comme une source tampon, si vous voulez, d'énergie pour le Québec, non pas comme la source première. Si on avait du pétrole ici, on ne voudrait pas en importer, c'est entendu.

M. Ciaccia: Sur la question des coûts, quand on parle de rentabilité, quand on parle du développement des sables bitumineux de l'Athabaska en Alberta, on prévoit qu'après 1983, on va être obligé de se fier totalement à des sources de pétrole en dehors du Canada pour les besoins du Québec. Si on ne découvre pas d'autres sources d'énergie, si on n'importe pas de gaz naturel, même avec la croissance normale de l'Hydro-Québec, les besoins pétroliers du Québec seront entièrement comblés par des sources extérieures au Canada. Est-ce que c'est...

M. Hamel: Je crois que oui, vers le début des années quatre-vingt.

M. Ciaccia: Cela représente un coût de combien de dollars par année? Par exemple, ce serait approximativement 500 000 barils par jour?

M. Hamel: A ce moment, parce qu'il y aurait une certaine croissance d'ici ce temps, si vous voulez, c'est hypothétique, je n'ai pas de machine à calculer, mais si on a 600 000 barils par jour de consommation de pétrole au Québec à ce moment le prix est rendu à $15 le baril...

M. Ciaccia: Cela fait au-delà de $2,5 milliards par année.

M. Hamel: Cela fait à peu près... M. Ciaccia: Plus que cela? M. Hamel: $10 millions par jour. M. Ciaccia: ...

M. Hamel: $10 millions par jour. Si vous voulez multiplier cela par 365...

M. Ciaccia: Cela fait plus de $3 milliards par année.

M. Hamel: Oui. $3 milliards par année.

M. Ciaccia: Cela voudrait dire que si on n'a pas d'autre source d'énergie que le pétrole et que si on se limite aux besoins du Québec, on va dépenser à l'extérieur $3,5 milliards par année. Cela voudrait dire que, dans d'autres domaines, il va falloir combler ces $3 milliards pour pouvoir les payer.

Je crois que c'est une des raisons pour lesquelles l'opinion et la suggestion ont été émises de ne pas se fier totalement sur le pétrole extérieur; non seulement c'est une question de rentabilité, mais c'est une question de pouvoir payer. Si ces sources proviennent du pays, du Canada, ce sera moins un problème sur la question de déficit de paiement annuel global. Autrement dit, si on peut en obtenir, comme vous le suggérez, de la mer de Beaufort, par la Canadian Arctic Gas Pipeline, pour la moitié des besoins, on réduirait sensiblement le coût au Québec. Dans le pays, on ne réduirait pas le coût de l'énergie tel quel, mais on réduirait le besoin de combler les déficits internationaux. N'est-ce pas une des raisons? Je cite, par exemple, le président de Canadian Arctic Gas, qui a donné une allocution le 27 janvier. Un des arguments qu'il utilise pour le développement du gaz naturel, c'est exactement cet argument. Il dit que, si on ne développe pas le gaz naturel— il prend le pays globalement, les chiffres qui s'appliquent à tout le Canada — il y aurait un déficit de paiements d'au-delà de $7 milliards par année. Il dit qu'alors, le Canada ne pourrait pas se permettre un tel taux de paiements déficitaires par année. A part la question d'être une source d'énergie dans le pays même, c'est un des arguments qu'il utilise. Alors, cet argument s'appliquerait quand même de la même façon, j'imagine, au Québec aussi.

M. Hamel: M. le député, je peux répondre seulement d'une façon. J'espère que le Québec va développer toute l'énergie hydroélectrique possible. J'espère qu'il investira dans la mesure où c'est rentable — ce n'est pas notre domaine — dans des centrales nucléaires. J'espère qu'on aura accès à plus de gaz naturel, surtout s'il y a la production du delta du Mackenzie, parce que cette production équivaut à peu près à 400 000 barils de pétrole par jour. On peut substituer pour le pétrole importé du gaz naturel en provenance du territoire canadien. J'espère qu'on en découvrira peut-être même sur notre territoire; on n'a pas fait de découverte substantielle dans le moment. Tout ce que je dis, c'est qu'après avoir fait des estimations, des prévisions, des hypothèses, prenez-les comme vous voulez, aussi optimistes que possible sur l'approvisionnement domestique et aussi optimistes que possible sur la conservation, on arrive encore à la nécessité d'importer du pétrole qui demeure la source tampon d'énergie pour le Québec.

Le Président (M. Laplante): Le député de Rimouski.

M. Marcoux: Je vais poser une question peut-être un peu globale, parce qu'à la lecture du mémoire, si on le compare au premier mémoire qui nous a été soumis, il y a vraiment deux visions différentes qui se dégagent. Dans le premier mémoire, je dirais qu'il y a une vision clairement pessimiste des choses, sur la possibilité de s'approvi-

sionner, etc. Lorsqu'on lit votre mémoire, on a une perspective inverse. On se demande pourquoi la commission elle-même est convoquée. Il ne semble pas qu'il y ait de problème majeur, donc qu'il n'y ait pas besoin de changements majeurs. Alors, je vais vous poser une première question qui va peut-être vous paraître brutale, mais je pense qu'il faut être franc ici. Pour vous, est-ce qu'il y a de graves problèmes? Est-ce qu'il y a des changements majeurs importants qui doivent être apportés à la politique énergétique actuelle du Québec pour régler ces problèmes? Ou si les problèmes sont de telle nature que, par les mécanismes habituels que nous connaissons et qui existent présentement, ils vont se régler à peu près d eux-mêmes?

M. Hamel: Peut-être s'il y a un problème entre les deux mémoires que vous avez entendus cet après-midi, c'est que l'horizon est un peu différent. Je pense que le mémoire précédent, celui de SOQUIP, va un peu plus loin dans l'avenir. Assurément, nous sommes d'accord qu'il y aura un problème d'approvisionnement de pétrole, que le marché va se resserrer, que les prix vont au moins augmenter aussi rapidement que le taux d'inflation et qu'au Québec même, il y a une situation de surplus de raffinage.

Il y a une disponibilité de pétrole brut, etc. et on prévoit que, dans le futur, si on voit une courbe de croissance dans la demande d'énergie, à un moment donné, les courbes vont se croiser. Il y a la courbe de demande et la courbe de l'approvisionnement. Mais, au Canada, on a l'avantage, et je dirais en Amérique du Nord, si on prend les littoraux, etc. on a au moins la possibilité de mettre en valeur des sommes, des montants importants de pétrole. Les sables bitumineux ont été mentionnés. Le double du pétrole connu au monde pourrait se trouver, si on avait la technologie nécessaire, dans les sables bitumineux de l'Atha-baska, par exemple. Il y a énormément d'exploration qui se fait encore. On dit qu'éventuellement, si on veut se choisir un horizon qui est assez éloigné, le pétrole — on sait que ça ne se remplace pas — il n'y en aura plus. Mais pendant les 20, ou 25 ou 30 prochaines années, il faut continuer de dépendre du pétrole. Cela s'applique aussi au Québec.

Moi, je ne vois pas le problème aussi sombre peut-être que d'autres, mais on est dans le domaine des opinions. On parle du futur. Qui peut dire ce qui va arriver demain? On vous donne notre opinion. Il y a peut-être une question d'emphase ici, mais, par exemple, si on peut mettre en valeur le gaz naturel qui est déjà découvert dans le delta du Mackenzie, immédiatement on peut réduire les importations de pétrole. Le Canada est un exportateur d'énergie en ce moment.

M. Marcoux: Une deuxième question, très brève.

M. Hamel: Je pense que je n'ai peut-être pas bien répondu à votre question, mais je l'ai fait dans la mesure du possible.

M. Marcoux: Vous avez répondu, mais je pense qu'il y a un désaccord. Si on regarde votre tableau III-3. qui montre que jusqu'à 1990, il n'y a pas de problèmes d'approvisionnement pour le pétrole, la part de consommation du pétrole va encore être très grande, alors que, tantôt, on parlait peut-être de 1980, 1985, même de diminution à partir de ce moment-là, alors que vous parlez peut-être d'une possible augmentation. Vous dites que vos tableaux sont serrés, justes. Il y a quand même des problèmes d'interprétation.

Une question qui touche un tout autre aspect, celui de l'environnement. Dans votre mémoire, vous parlez de la possibilité de vous soumettre aux normes fixées par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Moi, j'aimerais savoir à partir de quand l'Impériale va concrétiser ou implanter des équipements qui vont lui permettre d'appliquer ces normes et ces critères visant à la protection de la qualité de l'eau et de l'air?

M. Hamel: Pour l'eau, on est en train de faire les investissements. Vous savez qu'il y avait un délai prévu dans la loi, parce que ça prend du temps. Ce sont des investissements substantiels, pour nous, dans notre cas, d'environ $25 millions, pour la purification des eaux de notre raffinerie qui sont rejetées dans le fleuve. Ces travaux-là sont en marche.

Deuxièmement, il y a les règlements sur l'assainissement de l'atmosphère, qui ne sont pas publiés officiellement encore, des règlements qui sont proposés, qui sont en train d'être discutés. Et quand les règlements seront publiés, l'Impériale mettra en marche les projets pour s'assurer qu'on va se conformer aux normes établies.

M. Marcoux: Par rapport aux autres provinces ou aux autres pays, est-ce que ces normes, jusqu'à maintenant, sont plus sévères ou moins sévères?

M. Hamel: Elles sont à peu près pareilles. Il y a eu certains changements dans certaines régions aux Etats-Unis où ils ont rendu les normes un peu moins sévères, parce qu'ils ont vu que c'était très difficile. Ce qu'il faut se rappeler, c'est que Montréal-Est, par exemple, est la région industrielle la plus concentrée, pas seulement du Québec mais de tout le Canada. C'est assez difficile, et on réalise qu'on a réduit la pollution tout en augmentant la production, en doublant la production. Il y a eu déjà beaucoup de progrès qui s'est fait. Il y en a encore à faire. Mais tout ce que je peux faire, c'est de vous assurer que nous et, je pense, les autres compagnies aussi, je ne suis pas ici pour les représenter, l'Impériale va se conformer aux normes telles qu'elles sont établies par la loi dans le délai prévu.

Le Président (M. Laplante): M. le ministre Bé-rubé, de Matane.

M. Bérubé: M. le Président, je pense que le député de Mont-Royal a mis l'accent sur un pro-

blème qui est réel en soulignant le déséquilibre, évidemment, de la balance commerciale. Je pense que c'est certainement le problème majeur que rencontrent les pays européens, comme la France et l'Allemagne, qui sont amenés à relever le défi, essentiellement de deux façons, soit par des mesures d'économie de l'énergie ou par une politique d'échanges commerciaux qui soient compensateurs avec les pays qui leur fournissent le pétrole.

Par conséquent, en commentaire, je dirais que dans la mesure où l'argent quitte le Québec pour aller, soit en Alberta ou dans les pays arabes, il y a toujours une fuite d'argent. Alors, ce problème est réel, à moins de trouver des mécanismes d'échanges commerciaux compensateurs; mais la question que j'aimerais poser au représentant de la Société impériale a pour but de me permettre d'avoir une opinion sur ce que vous pensez de la question.

Je pense que vous avez parlé de l'extraction de pétrole à partir des sables bitumineux et vous dites qu'il semble qu'un prix de $15 le baril puisse représenter une valeur économique pour l'exploitation de ces sables.

Cependant, il se pose un problème avec l'exploitation des sables bitumineux, c'est la quantité considérable de capital qui est impliquée. Il faut donc s'assurer un marché presque garanti.

N'est-ce pas significatif que la société Shell se soit retirée, par exemple, d'un projet semblable peut-être en soulignant, comme vous l'avez dit, le fait que cela soit d'une rentabilité marginale? Or, cela ne serait-il pas une stratégie logique de la part des pays arabes essentiellement de maintenir à un prix suffisamment bas de manière qu'il ne soit pas rentable de s'engager dans des projets de ce type, que ce soit la liquéfaction des charbons américains ou l'extraction de pétrole?

Dans cette hypothèse, quand pensez-vous que se produira le déséquilibre, c'est-à-dire quand pensez-vous que les pays arabes ne pourront plus soutenir les prix? Vers quelle date prévoyez-vous, éventuellement, un véritable problème de déséquilibre dans l'offre en pétrole?

M. Hamel: C'est bien difficile. C'est impossible de répondre à cette question. Le prix du pétrole est établi par les pays producteurs sur une base de remplacement. Ils ont regardé, par exemple... on voit qu'à $15 le baril, les autres sources énergétiques, par exemple, la gazéification du charbon ou les sables bitumineux, sont seulement rentables. Pour répondre à votre question, à savoir s'ils pourraient éventuellement baisser les prix, nous ne le croyons pas, parce que, malgré qu'ils aient des réserves importantes de pétrole, ces réserves s'épuisent et je pense que c'est dans leur intérêt de conserver, parce que le prix est un outil pour l'allocation des ressources, je crois. Une denrée doit se vendre à son prix qui est établi par le marché, non pas dans ce cas-ci du pétrole, mais par le marché de l'énergie. Les pays membres de l'OPEP et les autres... le Canada, vendent leur pétrole à un prix qui est concurrentiel, mais pas trop, avec les autres formes d'énergie.

Je ne le prévoirais pas, parce qu'il n'y aura pas— cela a été dit dans notre mémoire — un surplus de pétrole. S'il était pour en avoir un surplus, s'ils allaient perdre leur marché traditionnel, ils verraient une possibilité de retenir leur marché traditionnel. Ils baisseraient les prix.

Nous ne prévoyons pas cela. Au contraire. Nous voyons un marché qui continue de s'accroître malgré qu'il ne s'accroît pas aussi rapidement que dans le passé, mais sur une base encore plus importante, un marché qui va s'accroître où les pays... il y a un tableau, ici, dans notre mémoire, qui indique ce que les pays producteurs doivent produire à l'avenir. Il n'y a pas de raison qui leur permette de diminuer leur prix dans l'avenir. Mais, qui peut le prédire? Je ne le sais pas.

M. Bérubé: Je veux savoir de votre part, surtout, quand prévoyez-vous le déséquilibre. Vers quelle année? Au moment où les pays arabes ne pourront, effectivement, fournir...

Le Venezuela, cela se rapproche assez rapidement, mais dans le cas des pays arabes, c'est moins clair.

M. Hamel: Vous voulez dire leur production, la possibilité de production des pays arabes? Le rapport entre les réserves prouvées, publiées et la production actuelle... Les derniers chiffres que j'ai vus étaient de 31 ans.

Ces chiffres n'ont pas tellement changé depuis quelques années, parce qu'il y a eu de nouvelles découvertes. Par exemple, la Mer du Nord,la Prudhoe Bay, etc.

Ces chiffres sont publiés, c'est ce qu'on nous dit. En d'autres mots, on divise les réserves prouvées par la production actuelle. Les réserves prouvées, c'est toujours entre guillemets. Il n'est pas possible de savoir exactement... Il y a une certaine formule par laquelle on évalue quelles sont les réserves. Or, le rapport entre les réserves et la production, sur l'échelle mondiale, est d'environ 31, 32 ans.

Le Président (M. Laplante): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, M. Hamel, en juillet dernier, il y a eu une hausse du prix du pétrole brut canadien de $1.05 et une hausse de $0.70 est intervenue, toujours dans le prix du pétrole brut, le 1er janvier 1977.

M. Hamel: Oui.

M. Forget: En juillet dernier, un délai de 60 jours a été accordé par les producteurs et distributeurs canadiens aux consommateurs dans la répercussion de cette hausse. De la même façon, je crois, que la hausse du 1er janvier sera répercutée...

M. Hamel: Le 2 mars.

M. Forget: ... aux consommateurs le 1er mars. Est-ce qu'il y a eu... On se souvient également que,

dans le passé, des actions ont été prises par certaines provinces pour geler, pendant une période de temps plus longue, le prix aux consommateurs. Effectivement, le Québec adoptait, en juillet dernier, une loi permettant au lieutenant-gouverneur en conseil, au gouvernement d'imposer un plafond pour les prix à la consommation.

Quel est... enfin, je pense que vous avez dans votre mémoire une certaine allusion au moins indirecte à cette réglementation. Quelle est la situation, à ce moment, et quels sont les projets ou les intentions de votre compagnie relativement à l'extension possible de ce délai de 60 jours?

M. Hamel: Je dois répondre, je pense, d'une façon très générale au sujet de cette question des prix à cause des lois sur les coalitions. Je ne peux pas vous dire, par exemple, si on va augmenter... Mais je peux répondre dans ce sens, qu'effectivement, à partir, je crois, du 2 mars, en tout cas, c'est 60 jours après le 1er janvier, les règlements... C'est-à-dire que c'est volontaire, cette affaire. Les compagnies de pétrole ne reçoivent pas de subventions qui vont aux consommateurs s'ils n'observent pas cette condition de geler les prix pendant une période de 60 jours. Et après 60 jours, les compagnies de pétrole ont le droit, c'est permis, d'augmenter les prix, soit à partir du 2 mars. Je ne peux pas vous dire ce que fera notre compagnie, à ce moment.

M. Forget: II serait intéressant, M. le Président, de savoir si le ministre de l'Energie a l'intention de se prévaloir des pouvoirs que lui donne la loi no 34 adoptée en juillet dernier.

M. Joron: Je peux répondre au député de Saint-Laurent qu'il faudra voir quelles seront les positions adoptées, quand viendra le moment de traverser le pont, justement, comme vient de le dire M. Hamel, par les compagnies pétrolières.

D'autre part, je pense qu'il faut bien voir qu'en principe nous n'avons pas d'objection sur le fait que tôt ou tard les prix du pétrole brut au Canada doivent éventuellement rejoindre les prix internationaux. On ne peut pas indéfiniment maintenir artificiellement un paradis protégé et faire croire aux gens qu'ils peuvent indéfiniment échapper à une fatalité éventuelle. Je pense que ce serait un mauvais service à rendre à la population. Tôt ou tard on va rejoindre ces prix-là; alors, aussi bien le savoir à l'avance et y aller. Evidemment, cela peut être nuancé, son application peut être nuancée selon la période où cela se produit et le mois, ainsi de suite. Mais, comme principe général, je peux vous dire que cela me paraîtrait un mauvais raisonnement économique que de persister à vouloir se soustraire aux tendances mondiales des coûts de l'énergie.

M. Forget: Le problème se porte précisément sur le rythme auquel cet objectif, à long terme, sur lequel tout le monde semble s'entendre, va être rejoint. Est-ce que je pourrais demander au ministre si les discussions amorcées avant le 15 novembre avec les compagnies sur cette question se sont poursuivies sur ce problème de rythme d'accroissement?

M. Joron: Non.

Le Président (M. Laplante): Oui, monsieur.

M. Hamel: Peut-être que je pourrais ajouter une petite information pour M. le député. On a indiqué ici dans notre mémoire que nos bénéfices moyens étaient de $0.01,6 le gallon sur les produits vendus, ce qui ne laisse pas tellement de marge. Même s'ils ont prolongé dans certaines provinces le gel, ils n'ont pas pu le prolonger pour tellement longtemps parce que, même si on est une grande compagnie, on ne peut pas absorber indéfiniment le coût du pétrole brut beaucoup plus élevé sans l'inclure dans le coût de notre produit. Je pense que cela s'applique à toutes les institutions.

M. Garneau: Je pense bien, M. Hamel, que vous ne pouvez pas reprocher à l'Opposition officielle de constater le changement d'attitude du Parti québécois avant le 15 novembre et après le 15 novembre. Vous ne pouvez pas nous reprocher de faire cela.

M. Hamel: Je n'ai pas compris la question, je m'excuse.

Le Président (M. Laplante): C'est une question hors texte.

M. Garneau: Vous n'étiez pas à l'Assemblée nationale avant, au moment où l'Opposition officielle, les années passées, nous blâmait chaque fois que vous augmentiez le prix du pétrole et exigeait que le gouvernement intervienne. Nous avons voté une loi. Il arrive un curieux hasard; le parti qui nous a le plus critiqué va avoir à prendre la décision d'appliquer ses recommandations ou non. Je constate, aux propos du ministre, qu'il a changé d'attitude; ce n'est pas celle que son parti avait lorsqu'il était dans l'Opposition. Ce n'est qu'une constatation.

M. Joron: Je n'étais pas dans l'Opposition à ce moment-là, d'une part, et ensuite je répondrai: Autres temps, autres moeurs. A chaque moment...

M. Garneau: Plus ça change plus c'est pareil, comme on dit.

M. Joron: Non, je ne pense pas. Je pense que les problèmes changent selon le contexte.

M. Garneau: C'est comme le curé qui confesse son bedeau...

Le Président (M. Laplante): A l'ordre!

M. Garneau:... quand il change de place, il ne comprend rien.

Le Président (M. Laplante): A l'ordre, s'il vous plaît! Le député de Frontenac.

M. Grégoire: J'aurais une courte question sur le développement des sables bitumineux de l'AIberta.

M. Hamel: Oui.

M. Grégoire: Vous avez mentionné une différence entre le coût de production et les prix. Je voudrais vous demander: Est-ce que ce sont les conditions fiscales ou la technologie qui retarde le plus le développement des sables bitumineux?

M. Hamel: Evidemment, je ne peux pas parler pour les autres compagnies parce que nous sommes impliqués d'une façon très importante dans le développement des sables bitumineux en ce moment mais, d'après moi, ce sont les conditions fiscales, plutôt que la technologie, qui retardent. Quand j'ai parlé des $15, je parlais d'un chiffre grosso modo.

Je prédis l'avenir, mais je parlais vraiment des conditions. D'après moi, ce sont les conditions fiscales qui retardent le développement plutôt que d'autres conditions. Il y a une technologie développée. Il y a déjà une compagnie qui fonctionne depuis plusieurs années, qui produit un montant considérable, quand on pense à 50 000 barils par jour. Alors, il y a une technologie et celle-là a évolué depuis ce temps. Evidemment, il y aura des améliorations dans l'avenir. D'après moi, ce sont les conditions fiscales plutôt que d'autres conditions qui...

M. Grégoire: Maintenant, vous sembliez si confiant pour l'approvisionnement en pétrole. Est-ce parce que vous croyez que les conditions fiscales seront changées?

M. Hamel: Pour les sables bitumineux? M. Grégoire: Oui.

M. Hamel: Dans notre texte, on ne parle pas tellement du développement des sables bitumineux. Je pense que nos prévisions, les hypothèses que nous avons inclues jusqu'en 1990 sont relativement minimes pour le développement et la mise en valeur des sables bitumineux jusqu'en 1990. En d'autres mots, nous ne sommes pas tellement optimistes qu'il y ait beaucoup de développement du genre.

Le Président (M. Laplante): M. le ministre, dernière question.

M. Joron: Je voudrais vous demander... Une partie de votre vision de l'avenir me semble un peu plus sécuritaire, c'est celle qui prévoit un accroissement des fournitures de gaz naturel. On sait que cela existe, le développement des sables bitumineux, parce que les $15 dont on parlait tout à l'heure sont reliés aux barils de pétrole partant de

Syncrude, en 1979, et non pas à quel prix ou à quel coût sortirait le pétrole, sept, huit, neuf, dix ans plus tard, d'autres développements possibles dans les sables bitumineux, ça je ne pense pas que les $15 s'appliquaient à cette partie-là.

M. Hamel: Vraiment, j'aurais dû répondre que le pétrole Syncrude se vendra au prix du marché au moment où il sera en production.

M. Joron: Oui, O.K., je comprends.

M. Hamel: Ce sera $8 le baril ou $25. Ce sera le prix du marché à ce moment-là, et les compagnies qui participent au projet n'ont pas demandé de protection à ce sujet-là.

M. Joron: Bon. La dernière question que je voulais vous poser a rapport au gaz naturel dont les approvisionnements futurs semblent plus certains, en ce qui concerne le Canada, en tout cas, que les approvisionnements de pétrole. Mais pour que la pénétration au Québec, entre autres, de ce gaz naturel, se fasse, il y a une incidence, une relation entre le prix du pétrole et celui du gaz naturel. Quelle est votre position quant à l'indexation, en équivalent calorique, si vous voulez, du prix du gaz naturel par rapport au pétrole?

M. Hamel: Nous avons toujours dit que le gaz naturel devrait se vendre au marché — je ne sais pas quel est le terme français — en somme, au coût, comme denrée, "commodity value" est le terme en anglais, et que chaque forme d'énergie devrait se faire concurrence sur une base calorifique avec des ajustements pour la commodité, si vous voulez, des différentes formes d'énergie. Evidemment, le gaz naturel, comme, par exemple, combustible pour le chauffage est idéal. C'est un combustible très propre, il se transporte très facilement, etc.

Je pense que le gaz naturel, dans les automobiles ou les avions, on ne le verra pas servir de carburant avant bien des années, avant qu'il y ait toute une nouvelle technologie. A ce moment-là, c'est le pétrole, c'est l'essence. L'électricité aussi a son usage noble, si vous voulez.

On l'a mentionné aussi dans notre mémoire, le facteur probablement primordial, la raison la plus importante pour laquelle le marché du gaz naturel ne s'est pas développé au Québec, c'est qu'il n'a pas pu faire concurrence au mazout importé dans la province dans le passé. En d'autres mots, c'était beaucoup plus rentable pour les industriels d'importer du mazout lourd que de brûler du gaz naturel. Ce n'était pas le même cas en Ontario où le gaz naturel, c'était rendu, c'était concurrentiel avec l'huile à chauffage, avec l'électricité, etc.; il a pris une grosse part du marché.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, M. le ministre.

M. Joron: A cet égard, pour que le gaz soit concurrentiel au Québec, se situant dans le contexte où les prix sont fixés par le gouverne-

ment et réglementés par le gouvernement fédéral, à l'heure actuelle, il y a une relation entre... Le gaz ne peut pas s'accroître si son prix est rattaché à celui du pétrole et ce prix est déterminé par le gouvernement.

En d'autres mots, pour que... Oui, il est à 85%...

M. Hamel: Aujourd'hui, le pétrole se vend, au Québec, à peu près $4 plus bas que le prix mondial. Evidemment, le gaz ne peut pas être concurrentiel. Mais si on parle du gaz, des nouvelles sources de gaz...

M. Joron: Oui.

M. Hamel: ... qui ne seront pas disponibles avant 1982 ou 1983, comme je l'ai dit tantôt, c'est la politique du gouvernement central de laisser monter le prix du pétrole avant 1980 au niveau mondial et là, on verra le rapport entre les deux.

Le Président (M. Laplante): Messieurs, je vous remercie, au nom de cette commission, de l'apport que vous avez bien voulu y apporter. La séance est suspendue jusqu'à huit heures. Avant de partir, je voudrais m'assurer que l'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec sera ici à huit heures ainsi que la Chambre de commerce de la province de Québec. Est-ce que vous êtes ici toutes les deux? Oui? Merci.

M. Garneau: M. le Président, avant de suspendre...

Le Président (M. Laplante): Oui.

M. Garneau: ... est-ce qu'on doit comprendre que ces deux mémoires sont les deux seuls qu'on entendra ce soir? A quelle heure avez-vous l'intention de recommencer demain?

M. Joron: A deux heures demain après-midi. Le Président (M. Laplante): A deux heures.

M. Garneau: A deux heures. Et quels seront les mémoires qui seront entendus demain?

Le Président (M. Laplante): Je n'ai pas la liste.

M. Joron: On pourra vous le dire à huit heures ce soir.

(Suspension de la séance à 17 h 55).

Reprise de la séance à 20 h 8

M. Laplante (président de la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts): A l'ordre, messieurs! La commission continue ses travaux. J'appelle l'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec. M. Doyon.

Association des marchands d'huile à chauffage du Québec

M. Ducharme (Michel): M. le Président, MM. les membres, bonsoir. Je vous présente, pour m'assister lors de la période des questions, M. J.Alphonse Lapointe, vice-président exécutif de l'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec, ainsi que Me Michel Doyon, notre conseiller juridique.

L'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec fut fondée en 1959. Elle regroupe la majorité des détaillants indépendants de cet important secteur économique, qui distribuent annuellement un milliard de gallons et emploient plus de 5000 personnes en différentes régions du Québec.

Les travaux de votre commission ont donc pour nous une très grande importance et nous vous remercions de votre invitation à y participer. Cependant, nous comprenons que votre principal objectif consiste à étudier les besoins et les disponibilités d'énergie au cours des prochaines années, ce qui dépasse le cadre actuel de nos activités. Comme vous le savez, en effet, le rôle des distributeurs indépendants fut toujours limité à la vente au détail, par la volonté des raffineurs qui nous approvisionnent.

Cette situation, qui existe depuis un quart de siècle, pourrait bien évoluer rapidement au cours de la présente décennie, car rien ne nous interdit de penser que les détaillants indépendants pourront bientôt importer du pétrole brut ou des produits raffinés. En effet, suivant les recommandations du ministère des Richesses naturelles et du ministère de l'Industrie et du Commerce, une centaine de membres de notre association ont déjà constitué une compagnie dont les objets sont: acheter, vendre, importer, exporter, raffiner, transformer, entreposer, distribuer et généralement faire le commerce du pétrole, ses produits et ses sous-produits; acheter, vendre, importer, exporter et généralement faire le commerce de tout produit, article ou marchandise pouvant être utile aux distributeurs de produits pétroliers.

La réalisation de ce nouvel objectif aurait pour effet de diversifier les sources d'approvisionnement, d'animer la concurrence et de protéger la population contre la menace d'une pénurie de combustible comme celle que les sociétés multinationales ont fait planer durant l'hiver de 1973/74. Nos rencontres avec les distributeurs indépendants du nord-est des Etats-Unis et de plusieurs pays d'Europe nous ont mieux fait comprendre qu'il ne faut pas toujours se fier aux déclarations et aux conseils des grands experts à

la solde des multinationales. L'expérience démontre, en effet, qu'elles sont beaucoup plus soucieuses de réaliser des profits que de protéger l'intérêt national.

A ce sujet, nous citerons la mise en garde que le député Julien Schvartz, de France, a pris soin d'écrire dans son rapport de la commission d'enquête parlementaire, publié le 6 novembre 1974: "L'industrie pétrolière n'offre pas l'exemple d'une activité s'ouvrant spontanément aux investigations. C'est toujours avec une grande amabilité que les compagnies communiquent les renseignements demandés; mais l'on s'aperçoit vite que le contexte permettant de juger ces informations, ou bien est tronqué, ou bien est faussé, ou bien fait défaut. Votre rapporteur a été bien souvent fasciné par des déclarations présentées par des évidences, des raisonnements donnant tout à fait l'impression d'être l'expression du pur bon sens, des affirmations la main sur le coeur ébranlant le plus sceptique des auditeurs, et qui se révèlent en fin de compte autant de fausses pistes, autant de traquenards intellectuels, autant d'inexactitudes".

Considérant l'importance de la mission confiée à votre commission, nous nous permettons de citer un autre témoignage, extrait du livre publié en 1976 par Anthony Sampson, et considéré comme une oeuvre maîtresse en son genre. Dans cet ouvrage intitulé: "Les sept Soeurs", l'auteur écrit: "II n'est pas permis aux gouvernements occidentaux d'éluder le problème du contrôle des compagnies pétrolières, comme ils l'ont fait si souvent dans le passé. Hommes politiques et diplomates ont à tenir compte de toutes les implications qu'entraîne l'usage de ce combustible, qui a aidé à construire le monde où ils vivent, et il leur appartient de raccorder les activités des compagnies à des systèmes démocratiques de choix et de contrôle".

Nous comprenons la nécessité pour l'Etat d'agir avec prudence dans un domaine aussi complexe; mais nous croyons que les distributeurs indépendants constituent un actif important de ressources humaines, techniques et matérielles sur lequel le gouvernement doit compter pour approvisionner les consommateurs dans toutes les régions du Québec. L'élimination graduelle des indépendants au profit des sociétés multinationales étrangères qui exportent leurs bénéfices ailleurs, ne paient que très peu d'impôts au Québec et ne participent aucunement à la vie sociale de notre milieu, va à l'encontre des politiques nationales de l'énergie. De plus, ce phénomène transforme de nombreux chefs d'entreprises en de simples préposés au service des multinationales.

Par leurs activités multiples et diversifiées dans chaque région, les distributeurs indépendants contribuent au progrès économique et à la vie sociale de leur communauté et réinvestissent leurs profits dans la région.

La politique énergétique québécoise doit permettre aux indépendants de consolider leur position concurrentielle de façon que le Québec ne se voie pas imposer par les multinationales des conditions équivalant à un monopole des approvisionnements et de la mise en marché.

Pour contrer cette action, le gouvernement se doit de collaborer et de coopérer à la mise en place d'une infrastructure, qui permettra de rentabiliser les investissements nécessaires à une meilleure utilisation de ressources actuellement disponibles et le développement optimal de leurs entreprises.

Cette intervention de l'Etat se justifie d'autant plus que les entreprises concernées offriront des garanties personnelles que les dirigeants des sociétés multinationales ne peuvent pas assumer. S'assurer un approvisionnement à meilleur coût et garantir aux consommateurs la satisfaction au plus bas prix de ses besoins ne doivent pas être les seuls critères de référence d'une politique énergétique au Québec. La conservation et l'utilisation rationnelle de l'énergie doivent être une préoccupation majeure dans l'élaboration de toute politique de l'énergie.

Nous croyons qu'il est temps que le gouvernement cesse de s'en tenir uniquement à des mesures incitatives d'économie d'énergie. Il doit adopter des politiques aptes à sauvegarder l'énergie sous toutes ses formes. Ces politiques pourraient prendre différents aspects tels que réglementation stricte quant aux normes d'isolation de toute nouvelle construction immobilière, dégrèvements d'impôts fiscaux sur les dépenses pour amélioration des constructions existantes en vue de préserver l'énergie, abolition de taxe sur les matériaux isolants, adoption d'une politique de transport en commun vraiment efficace au niveau urbain. Il est souhaitable que SOQUIP, société créée par l'Etat québécois, développe ses activités dans les secteurs de la prospection, de l'extraction et du raffinage sans s'immiscer dans le secteur de la distribution.

Quant à l'Hydro-Québec, autre société créée par l'Etat québécois, nous croyons qu'il faudrait limiter toute publicité visant à favoriser une demande accrue de l'énergie hydroélectrique.

Le gouvernement devrait également créer un office de l'énergie qui serait chargé d'étudier, réglementer et appliquer une politique de l'énergie. Parmi les dirigeants de cet organisme, nous désirons que les multinationales et l'AMHQ aient un nombre égal de représentants.

Le gouvernement se doit de développer ses propres compétences dans le domaine de l'énergie plutôt que de recourir à celles formées par les multinationales. L'intérêt national est trop important pour qu'une politique soit établie par des entreprises étrangères qui drainent vers l'extérieur des capitaux énormes.

En conclusion, le gouvernement québécois se doit d'assurer sa pleine juridiction dans le domaine vital de l'énergie.

Pour éviter dans l'avenir des situations de pénurie et garantir aux consommateurs des prix concurrentiels, nous recommandons la création d'un office de l'énergie dans lequel les raffineurs et l'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec auront un nombre égal de représentants, qui sera chargé de vérifier les pratiques commerciales dans le secteur pétrolier et d'autoriser ou rejeter toute modification des prix de gros

et de détail. On sait que l'Office de la protection du consommateur n'a aucune juridiction en cette matière.

L'Association des marchands d'huile à chauffage du Québec offre sa collaboration pour réaliser les études préliminaires à l'élaboration des politiques et du programme d'action devant conduire à la rationalisation du marché pétrolier dans le meilleur intérêt de la population.

La confusion et l'incertitude créées par la crise du pétrole ont démontré la nécessité d'une intervention de l'Etat et du rôle des indépendants pour éviter, à l'avenir, des situations dont les consommateurs feraient encore les frais.

Nous vous remercions, M. le Président et messieurs les membres de la commission de l'intérêt que vous accorderez à nos suggestions et demeurons disponibles pour de nouvelles consultations.

Merci.

Le Président (M. Laplante): Monsieur le ministre.

M. Joron: Je voudrais vous demander, sans avoir fait une liste exhaustive des questions, — votre rapport touche des points fort intéressants — quelques éclaircissements. A la page 5, au deuxième paragraphe, vous dites: "Pour contrer cette action, le gouvernement se doit de collaborer et de coopérer à la mise en place d'une infrastructure qui permettra de rentabiliser les investissements nécessaires à une meilleure utilisation des ressources, etc..."

Pourriez-vous nous décrire plus précisément cette infrastructure que vous évoquez et dire comment vous voyez la collaboration et la coopération du gouvernement?

M. Ducharme: Puis-je vous demander que Me Doyon réponde à cette question?

M. Joron: Sûrement.

M. Doyon (Michel): Lorsqu'on parle d'infrastructure, je pense que nous avions en tête, à l'époque, lorsque nous avons travaillé à ce mémoire, toute la question de l'actuelle organisation du secteur pétrolier.

Présentement, il serait quand même très uto-pique de croire que les compagnies multinationales ne sont pas là pour rester. Je pense qu'elles font un travail nécessaire. Deuxième des choses: par leur grandeur et leur force au niveau international, on doit compter sur elles.

Cependant, nous pensons au domaine de la distribution, au domaine du raffinage. Nous croyons que le gouvernement québécois devrait avoir en main des données, puisse avoir des structures qui lui permettent de connaître exactement quel est le secteur pétrolier, puisse définir lui-même l'avenir en ce qui concerne les besoins énergétiques.

Présentement, je crois que l'Etat québécois n'a pas en main une politique qui lui permette véri- tablement d'être capable d'axer une politique quant à l'avenir, et ceci nous semble quand même un peu anormal. Les distributeurs indépendants, par exemple, lorsque le gouvernement parlait d'un secteur témoin dans son livre de 1972, voulaient, par l'entremise de SOQUIP, que cela soit dans le domaine de la distribution, du raffinage ou dans le secteur de l'importation, détenir des données — était aussi un des buts de la loi 90 qui était la Loi sur la commercialisation des produits pétroliers — pour être capables d'obtenir certaines informations, être aptes à connaître tout le secteur de l'énergie.

Je ne pense pas que la loi 90 ait servi à cela effectivement et je ne pense pas que l'on ait donné la vocation à SOQUIP de constituer cette infrastructure qui nous semble nécessaire.

M. Joron: Pourriez-vous essayer de nous faire le dessin rapidement de la situation idéale que vous entreverriez dans le sens suivant: quel serait le rôle du gouvernement, quel serait le rôle des détaillants, quel serait le rôle des raffineurs? Où se situent les multinationales dans tout cela? Qu'est-ce que vient faire SOQUIP là-dedans? Selon vous, votre image, de la structure idéale, ce serait quoi?

M. Doyon: La structure idéale, ce serait assez difficile à définir. Essayons de voir le rôle que chacun peut jouer. Je pense que l'énergie...

M. Joron: C'est cela que je veux dire. Quel rôle vous donner à chacun: aux multinationales, aux raffineurs, aux détaillants, au gouvernement là-dedans; y a-t-il des rôles que vous voyez exclusifs à l'un et vous ne voulez pas voir l'autre dans ce domaine? Comment organisez-vous cela? C'est exactement cela.

M. Doyon: En ce qui concerne le rôle de l'Etat, je pense que, peu importe, au point de vue politique, pays, Etat ou quoi que ce soit, le Québec constitue une région géographique où le froid, la température jouent un rôle considérable. Je pense que l'énergie chez nous, c'est un besoin essentiel, non seulement pour des besoins de consommation, mais même pour notre propre protection. Je pense que l'énergie, on ne peut pas s'en passer. On voit aux Etats-Unis, lorsqu'on a une crise d'énergie dans l'habitation, comment cela peut jouer sur le secteur industriel. Chez nous, c'est fondamental, il faut prendre conscience de cela. Je pense que ceci étant tellement important, un Etat ne peut faire abstraction de ses besoins énergétiques tant pour ses données de tactiques, qu'on emploie le mot militaires ou quoi que ce soit, ou stratégiques. Il doit, je pense, contrôler l'activité dans le domaine de l'énergie pour les besoins non seulement de son développement, mais aussi pour sa propre survie, d'une part.

Donc, le gouvernement se doit de jouer un rôle majeur dans ce secteur.

En ce qui concerne les multinationales, les multinationales ont joué et continueront de jouer

un rôle très important par leurs connaissances au point de vue du "know how", de capacité, de connaissances des gens qui ont travaillé à l'intérieur des structures, de par leur connaissance également du monde pétrolier, du monde de l'énergie, parce que les compagnies multinationales, étant de l'avant, ont peut-être investi dans d'autres secteurs que l'énergie pétrolière. Je pense qu'aux Etats-Unis, cela se voit; elles ont investi dans l'uranium, dans le charbon et continuent à faire des études dans le domaine énergétique; c'est fondamental. On croit que, sur le point des multinationales, le soleil, c'est un droit naturel, il brille pour tous. Sur ce, nous disons: Les distributeurs, les compagnies multinationales, lorsqu'elles avaient leur richesse aux têtes de puits, c'est-à-dire lorsqu'elles faisaient leur profit aux têtes de puits, n'avaient pas à aller dans le secteur du détail.

Pourquoi? Parce qu'elles pouvaient rentabiliser leur économie par leur richesse, par les redevances qu'elles retiraient et par les profits qu'elles retiraient sur les têtes de puits par la suite par le transport, par la suite par le raffinage, et par le gros et par le détail. Donc, le détail ne les intéressait pas parce qu'on ne faisait pas assez de profit. C'est là qu'on a demandé et on a créé, on a mis sur pied des indépendants parce qu'à ce moment-là on n'avait pas à faire d'investissements dans le domaine des camions et on n'avait pas à avoir des problèmes de main-d'oeuvre et c'était beaucoup moins intéressant.

Par contre, lorsque le monde pétrolier a changé avec la crise ou l'embargo arrabe dans les années 1973, 1974, à ce moment-là on a essayé d'évincer les indépendants et on a voulu aller à l'intérieur du secteur du détail. On pense qu'avec les outils monétaires elles peuvent jouer, elles peuvent faire une concurrence très déloyale aux indépendants et les éliminer.

En ce qui concerne également les indépendants, il faut dire que ces gens étaient des autochtones qui ont quand même investi chez eux, qui ont engagé du personnel de chez eux. Avant tout, leur seul souci était d'essayer de satisfaire le marché de consommation et d'avoir un rapport direct avec le consommateur. Sur ce, on pense que le rapport entre le consommateur et l'indépendant était très facile à établir parce que c'étaient des gens de chez lui, c'étaient des gens de son milieu et c'étaient des gens qui pouvaient oeuvrer dans son milieu. Je pense que sur les besoins du consommateur, l'indépendant est bien placé pour voir cela.

En ce qui concerne SOQUIP, le gouvernement a cru bon, à la fin des années soixante, de créer SOQUIP. Je pense que l'ancien gouvernement avait augmenté le budget énormément pour SOQUIP, parce que SOQUIP, au début, avait un budget restreint à un point tel qu'à ce moment-là c'était seulement lui dire d'acheter quelques volumes pour mettre dans sa bibliothèque. On pense que si l'Etat décide de créer un organisme étatique comme SOQUIP, on doit lui donner les outils pour être capable de le faire. Je pense que si SOQUIP peut réussir tout simplement dans le domaine de la prospection, dans le domaine du fo- rage, soit "off shore", soit à l'intérieur, ou trouver du gaz naturel et être capable d'exploiter le gaz naturel, le gouvernement devrait lui donner, quand même, la capacité de le faire, parce que cela semble quand même très important. Ce qu'on craint c'est que souvent les compagnies, même étatiques ou paraétatiques, deviennent des multinationales en soi. Je pense que le gouvernement français en a eu l'exemple avec ELF et ERAP lorsque justement les compagnies, même internes, c'est-à-dire les compagnies d'Etat, on joué le même jeu que les compagnies multinationales. Alors, on dit: Si la compagnie paraétatique doit être uniquement une question de profit, là on dirait: Cela ne devrait pas être le seul champ d'activité de SOQUIP, je pense que cela devrait être un secteur d'avant-garde pour le gouvernement pour être capable de contrebalancer les différentes influences.

M. Joron: Est-ce que je vous interprète correctement si je dis que vous semblez vouloir tracer une ligne entre le raffinage et la distribution? Quand vous dites que, si SOQUIP, à titre d'exemple, devenait raffineur, elle ne devrait pas entrer dans la distribution, appliqueriez-vous, par extension, le même raisonnement aux autres raffineurs?

En d'autres mots, est-ce que fondamentalement vous considérez — vous ne le dites pas tel quel dans le rapport, mais on le devine un peu — que le raffinage serait une activité et que les raffineurs comme tels ne devraient peut-être pas aller dans la distribution, la distribution étant réservée aux détaillants locaux ou régionaux? Est-ce une interprétation abusive de ce qu'on peut lire en filigrane dans votre mémoire?

M. Doyon: Je ne pense pas, M. le ministre. Vous savez, je pense que le représentant qui est venu a dit: II y a nous et les 500 petites compagnies de moindre importance au Québec. Nous sommes les 500 de moindre importance au Québec. Véritablement, s'il pouvait y avoir divorce entre le raffinage et la distribution, c'est ça qu'on souhaiterait. Pourquoi? Parce que, lorsqu'on parle de liberté de commerce, il ne faut pas se faire d'illusions parce que la liberté de commerce n'existe pas. Lorsque vous pouvez jouer sur différentes marges de profit, la liberté de commerce, pour le petit indépendant qui a seulement sa marge de profit au détail, entre le gros et le détail, elle n'existe que par la bonne volonté de la compagnie multinationale. La compagnie multinationale peut décider, demain matin, de dire que l'indépendant n'existe plus en augmentant le prix du gros et en laissant le prix de détail bas ou en le baissant, même si elle subit des pertes, elle. La vie est très aléatoire pour un indépendant et ça nous semble quand même fondamental. On se dit, deuxièmement, qu'on peut constituer un secteur de très grande importance pour l'Etat. Pourquoi? Parce que ce sont des autochtones, les distributeurs. Ils vont quand même demeurer ici et ils ne peuvent pas faire de pressions pour dire: Cela ne nous intéresse pas; s'il n'y a pas de profits à faire, on s'en va. Je pense que c'est un outil très grand pour un secteur témoin, pour pouvoir avoir les informa-

tions pour un gouvernement, un secteur comme ça où ce sont des gens de la place.

M. Joron: Une petite dernière question. En page 5, au premier paragraphe, vous dites: "La politique énergétique québécoise doit permettre aux indépendants de consolider leur position concurrentielle. " Vous venez d'élaborer sur une façon de la consolider vraiment. Je comprends que le souci est d'assurer la meilleure compétition possible et que la protection du consommateur s'en trouve peut-être mieux assurée comme ça, mais comment reliez-vous ça au problème des approvisionnements, par contre?

Je comprends que s'il y a 500 détaillants qui se partagent le marché au Québec et qu'ils se font concurrence entre eux, cela peut tenir les prix bas aux consommateurs; cela assure véritablement une situation concurrentielle presque parfaite. C'est une chose, au niveau de la vente au détail.

Mais comment reliez-vous cela comme ayant un effet sur les approvisionnements? J'imagine que, quand vous parlez d'approvisionnements, vous faites allusion aux approvisionnements en pétrole brut pour l'ensemble du Québec? Quelle est la relation entre les deux? En quoi est-ce que cette situation concurrentielle optimale nous procurerait de meilleurs approvisionnements, ou des approvisionnements plus sûrs?

M. Doyon: Disons tout d'abord que s'il y avait une union de tous les indépendants, en ce qui concerne la consommation, je pense qu'il y a suffisamment d'indépendants présentement pour une raffinerie de 100 000 barils/jour; parmi les études qui ont été faites en 1969 par le ministère des Richesses naturelles, il y avait une étude par un économiste de ce ministère qui démontrait que les indépendants, à l'époque, avaient suffisamment de gallonnage pour une raffinerie.

Le problème est le suivant: II faut essayer de consolider le marché des indépendants de façon à avoir une certaine autonomie. Le problème des indépendants, c'est le problème de leur survie. Cette survie ne peut se faire qu'avec un approvisionnement assuré.

On se dit, à ce moment-là, qu'il faut essayer de travailler dans des chemins permettant à l'Etat, par l'entremise d'organismes étatiques tels que SOQUIP, de penser à l'importation éventuelle d'une certaine gamme de produits et de les écouler, d'une part, par l'entremise d'indépendants, ou bien par les indépendants eux-mêmes, à long terme, de faire cet approvisionnement.

M. Jordon: D'accord.

Le Président (M. Laplante): Le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci, M. le Président. Un peu dans la même ligne de pensée que dénotent les questions que vous a posées le ministre, les réponses que vous venez de donner, ce qui serait, selon vous, le monde idéal, m'apparaissent à peu près se présenter comme ceci, vous me direz si j'interprète mal vos recommandations. Il me semble que vous souhaiteriez, pour être très clair et très concret, que SOQUIP reçoive de l'Etat des fonds suffisants pour lui permettre d'intervenir directement et à son propre chef dans l'approvisionnement et le raffinage, au Québec, de produits pétroliers, de manière que vous puissiez jouir d'une source d'approvisionnement alternative aux multinationales, et ceci peut-être à des conditions qui vous apparaissent plus avantageuses. Est-ce que c'est le sens qu'il faut voir dans les infrastructures dont vous souhaitez la création? Vous ne souhaitez pas que SOQUIP s'engage dans le raffinage ou l'approvisionnement?

M. Doyon: SOQUIP ne doit pas être une béquille pour les indépendants, n'est-ce pas? Lorsqu'on parle tout simplement d'un rôle de SOQUIP, je pense qu'on le dit, à un moment donné dans notre mémoire, une politique énergétique doit être dressée de façon très pensée. On ne peut aller de façon très urgente pour dresser une politique énergétique.

M. Forget: La commission, justement, veut savoir ce que vous mettriez comme ingrédient d'une telle politique. Ne faut-il pas comprendre de votre part l'intervention de SOQUIP comme raffineur, comme source d'approvisionnement? Qu'est-ce qu'il faut comprendre?

M. Doyon: II faut le comprendre. M. Forget, vous disiez tout à l'heure: Est-ce qu'on doit comprendre que SOQUIP doit pouvoir importer ou avoir les pouvoirs en ce qui concerne le raffinage pour permettre une concurrence vis-à-vis des multinationales, n'est-ce pas? C'est dans ce sens. Autrement dit, est-ce que cela ne peut pas être un contrepoids devant les multinationales pour vous permettre d'aller chercher SOQUIP plutôt que d'aller chercher aux multinationales, si SOQUIP sert à faire baisser les prix?

Sur ce sujet, on pense qu'une politique énergétique ne doit pas être fixée uniquement sur une question de prix vis-à-vis du détail. C'est pour cela qu'on dit qu'on peut s'approvisionner à meilleur coût, mais il ne faut pas garantir le meilleur coût possible au consommateur de façon que les prix soient bas et qu'on puisse gaspiller l'énergie.

Ce qu'on veut voir de SOQUIP, c'est que SOQUIP puisse construire un contrepoids vis-à-vis de toutes les activités des multinationales et puisse avoir les outils nécessaires pour être capable de faire les différentes recherches ou les investissements dans le domaine de l'énergie, mais qu'on ne s'appuie pas uniquement sur les compagnies multinationales.

M. Forget: Si vous me permettez, avant de faire le plaidoyer, j'aimerais qu'on soit bien sûr de comprendre votre pensée. Vous semblez confirmer l'interprétation que j'en ai faite, à savoir que vous souhaitez que SOQUIP intervienne au niveau de l'importation du brut et du raffinage pour le marché domestique?

M. Doyon: Oui, sur ce point, on ne verra pas cela d'un mauvais oeil.

M. Forget: Ce que vous avez ajouté à cela amène ma deuxième question sur le sujet. Votre allusion à des prix domestiques les plus bas possible et vos protestations à ce sujet me portent à croire qu'effectivement, si une telle stratégie était développée et si le Québec, à frais considérables, s'engageait dans cette voie — je ne sais pas comment il le ferait pour ajouter à une capacité qui est déjà excédentaire, présumément, c'est par l'achat d'un producteur existant, d'un raffineur existant, mais enfin, laissons cela de côté — vous semblez ne pas encourager que les économies qui pourraient résulter, pour vos membres, d'une nouvelle source d'approvisionnement soient passées au consommateur. Ce serait peut-être pour vous un moyen de stimuler le développement des indépendants ou de freiner leur déclin ou le déclin dans leur part du marché qu'ils occupent au Québec, je pense. J'aimerais que vous confirmiez cela, parce qu'on l'a eu dans la présentation précédente, savoir que depuis quinze ans, au Québec, la part des indépendants a été en diminution constante. Est-ce un remède à cela que vous cherchez, soit que l'économie possible venant d'une nouvelle source d'approvisionnement puisse être récupérée par les indépendants et leur permettre de tenir le coup dans un marché qu'ils trouvent peut-être un peu difficile depuis quelques années?

M. Ducharme: En principe, ce n'est pas une béquille, ce n'est pas une aide à ce niveau que l'on demande, parce qu'en définitive, l'indépendant, à l'heure actuelle, n'a pas les marges nécessaires parce que les multinationales ne les lui donnent pas, mais par contre, si SOQUIP vient dans ce milieu, vient contrebalancer les approvisionnements, à ce moment, on va maintenir les prix et la concurrence va continuer entre les indépendants, parce que de la concurrence, il va y en avoir. Des indépendants, il y en aura tout le temps par la suite. Si, par contre, on n'a pas cet appui qui vient aider le marché, l'indépendant disparaît, la multinationale s'en vient sur le marché avec ses marges. Elles, elles les auront, ces grandes marges, par la suite.

M. Forget: J'aimerais à nouveau insister sur ce point. Vous dites non, mais dans votre exposé vous confirmez ce que j'ai dit. Vous dites: On va consolider ou contrebalancer l'influence des multinationales. On va maintenir les prix. C'est exactement ce que j'ai dit. J'aimerais que vous le niiez si ce n'est pas vrai ou que vous le concédiez si c'est vrai. Est-ce que effectivement, vous envisagez cela comme une façon de soutenir... Laissons faire les principes. Vous dites qu'en principe, ce n'est pas cela. En pratique, si vous obtenez des approvisionnements à meilleur coût et que vous maintenez les prix actuels — je ne vois pas comment les indépendants pourraient réussir à changer les conditions du marché, alors qu'ils en occupent dans le fond une faible part — effective- ment, est-ce que ce n'est pas une forme indirecte de subventions pour l'activité des indépendants?

M. Doyon: M. le ministre, je comprends... Excusez-moi. M. Forget...

M. Garneau: Le recyclage pour tout le monde...

Une Voix: Adressez-vous au président...

M. Doyon: Lorsqu'on parle de s'assurer un approvisionnement à meilleur coût, on parle en termes de Québécois, on ne parle pas en termes d'indépendants...

M. Forget: Pour le consommateur ou pour les indépendants?

M. Doyon: Là, on parle pour les Québécois en général, autant le gouvernement que les indépendants. Lorsqu'on dit...

M. Forget: Oui, mais ce ne sont pas les mêmes intérêts.

M. Doyon: Pardon?

M. Forget: Les intérêts des consommateurs. Je comprends que les indépendants sont très importants au Québec. Je ne veux pas en minimiser l'importance. Il reste que l'intérêt des indépendants n'est pas nécessairement l'intérêt de tous les Québécois, du moins pas a priori.

M. Doyon: Oui, mais il ne faudrait pas oublier une chose. Sur le marché, si vous remarquez bien, quand vous n'avez pas eu d'indépendants, c'est très facile après de se réunir et de jouer sur les prix. On peut voir tout simplement, dans le domaine où vous avez seulement des multinationales et vous n'avez plus d'indépendants dans le marché, combien les prix peuvent jouer dans le détail de l'essence. Vous allez voir que les prix vont fluctuer. Allez seulement au Nouveau-Brunswick où vous avez une seule raffinerie qui joue sur tous les prix et vous allez payer votre gallon plus de $1. Ce qu'on veut, c'est que le gouvernement ou l'Etat québécois puissent s'approvisionner au meilleur coût possible. Lorsqu'on demande que SOQUIP puisse intervenir dans ce secteur, ce n'est pas fondamental, parce qu'on pense nous-mêmes y aller, être capables de le faire. Ce n'est pas seulement une question de marge de profits, disant: Si SOQUIP peut obtenir ce prix à meilleur coût et qu'on puisse le vendre au même prix, donc notre marge de profits au détail va augmenter, on va être très heureux. Finalement, cela va être une subvention déguisée, comme vous dites. Ce n'est pas cela qu'on vise. Ce qu'on vise, c'est qu'on puisse constituer un contrepoids pour que l'Etat ou le Québec ne soit pas à la merci des importations des multinationales, et qu'on puisse avoir un outil, si on juge que c'est rentable. Si on juge que ce n'est pas rentable... Voyez-vous, vous avez

SOQUIP qui est dans le domaine du gaz naturel. Si c'est plus rentable ou plus intéressant pour la compagnie de s'en aller dans le gaz naturel, on pense qu'on doit se diriger là et non vers l'importation de brut.

Il ne faudrait pas faire ce que le gouvernement fédéral a fait il y a quelques années lorsque est arrivée la crise de l'énergie, achetant à très haut coût. Il ne faudrait pas quand même partir en peur et dire: On veut tout de suite un appui, pour être capable de jouer sur notre marge de profits au détail. Ce n'est pas le cas. On se dit: Si l'Etat ou si le Québec peut bénéficier de ce secteur secondaire de la part d'une compagnie d'Etat, on pense qu'il devrait y aller, sinon qu'on n'y aille pas.

M. Forget: M. le Président, une dernière question sur le même sujet, puisque vous venez de faire allusion à la possibilité que les indépendants le fassent eux-mêmes. Vous dites qu'il n'est pas essentiel que SOQUIP le fasse, que peut-être les indépendants vont le faire eux-mêmes. Vous dites dans votre mémoire, que vous avez les pouvoirs de le faire, enfin, dans la charte de l'association ou ses lettres patentes. Qu'est-ce qui vous empêche pratiquement de vous unir comme les indépendants et d'intervenir à ce niveau, au niveau des approvisionnements, au niveau de l'accès aux marchés internationaux du pétrole, plutôt que de vous approvisionner auprès des multinationales qui oeuvrent ici au Québec?

M. Lapointe (J. Alphonse): M. Forget, je pense que votre question nous ramène à l'expression qu'on a utilisée dans le mémoire, le terme infrastructure, sur laquelle le ministre, tout à l'heure, nous a questionnés. Il faut d'abord dire — parce que je pense que le public, tout au moins, ne le sait pas — que les indépendants, au Québec, approvisionnent, dans le moment, 70% du chauffage domestique; c'est tout de même important. Lorsqu'on parle du chauffage domestique, évidemment on parle du petit consommateur. Pourquoi les grandes sociétés sont-elles moins intéressées à ce marché? C'est parce qu'il est moins rentable probablement. Si on regarde un peu en arrière, on voit qu'elles se sont plutôt intéressées aux grandes concentrations urbaines et qu'elles ne se sont tournées vers le marché rural, qui est plus disséminé, que lorsqu'il est devenu un peu plus rentable. Je pense que l'histoire des 15 ou 20 dernières années nous démontre qu'elles n'ont pas vraiment comme premier intérêt, directement, le service aux consommateurs. C'est un service qui doit être profitable.

Au fond, les indépendants ont la même ambition. Les indépendants ne resteront pas sur le marché s'ils ne font pas de profit, mais il ne faudrait pas en tirer une conclusion trop hâtive en disant que les indépendants demandent au gouvernement de subventionner leurs profits. Je ne pense pas. Je crois qu'il y a une relation entre cette infrastructure, qu'on souhaite, et la distribution des produits dans les prochaines années. Les indépendants pourraient importer directement. Vous demandez par quel moyen. Je pense que, s'il y a une forme de collaboration avec le gouvernement, il y a possibilité que les indépendants conservent leur marché actuel et même l'accroissent par une politique d'achat qui a déjà commencé à être examinée.

D'autre part, les indépendants peuvent aussi importer par l'entremise de SOQUIP ou SOQUIP peut importer et faire des ententes avec les indépendants pour la distribution, mais la concurrence des multinationales restera là quand même. C'est-à-dire qu'elles resteront sur le marché puisqu'elles ont sept raffineries à maintenir au Québec et — on l'a dit avant le souper — je ne pense pas que les multinationales fermeront les raffineries. Elles vont les maintenir, elles vont chercher, évidemment, à approvisionner le marché québécois, même si les indépendants devaient importer et faire des ententes de distribution. Ce qui veut dire que l'indépendant, au Québec, assure déjà un service important au moins à la famille québécoise et dans toutes les régions, mais il pourrait faire davantage et peut-être être un concurrent plus influent sur les prix s'il y avait déjà des modalités différentes dans les mécanismes qui interviennent pour fixer les prix au gros et au détail. C'est peut-être là le rôle de l'office de l'énergie que nous souhaitons. C'est qu'actuellement ce n'est un secret pour personne — les contrats les plus importants, qu'ils soient donnés par les gouvernements, les municipalités, les commissions scolaires ou ailleurs, les contrats qui impliquent de gros volumes sont, d'une façon presque totale, alloués aux multinationales. Cela représente un volume considérable.

Alors, lorsqu'on parle d'infrastructure, je pense qu'il faut déjà aller sur ce territoire, en ce sens qu'il faudrait que les indépendants puissent compter davantage sur un marché qui serait, dans une certaine mesure, non pas garanti mais plus accessible qu'il ne l'est dans le moment. Je pense que ce serait dans l'intérêt national d'y penser aussi. Actuellement, ils sont complètement éliminés de ce marché; donc, ils doivent se contenter du marché strictement familial.

Le Président (M. Laplante): M. le député de Bellechasse, y aurait-il possibilité, vu qu'il est près de 9 heures et qu'il reste encore trois intervenants, de raccourcir un peu les questions et les réponses, s'il vous plaît?

M. Goulet: Merci, M. le Président. A la suite des propos du député de Saint-Laurent, vous souhaitez dans votre rapport que SOQUIP fasse du raffinage. Ce serait une solution de rechange valable pour les multinationales au point de vue de l'approvisionnement. A un moment donné, dans votre rapport, on trouve: "La réalisation de ce nouvel objectif aurait pour effet... d'animer la concurrence et de protéger la population contre...". A un autre endroit, à la page 6, on trouve "sans s'immiscer dans le secteur de la distribution." Pourquoi souhaitez-vous que SOQUIP fasse du raffinage, ce qui serait une solution valable pour les multinationales au point de vue de l'approvisionnement, mais pourquoi souhaitez-

vous également qu'elle ne fasse pas la distribution? Pour le consommateur, ce serait également une solution valable.

Pourquoi souhaitez-vous que SOQUIP ne fasse pas de distribution?

M. Lapointe: Je pense qu'il nous apparaît plus rationnel...

M. Goulet: Pour compléter ma question, cela serait-il un compétiteur?

M. Lapointe: ... d'utiliser les équipements qui sont déjà disponibles que d'essayer de doter une société d'Etat de ces mêmes équipements qui coûtent très cher. On sait qu'un camion pour distribuer de l'huile peut coûter $40 000 aujourd'hui. On sait que les indépendants ont une quantité de matériel roulant qui est là. Si, évidemment, la société d'Etat disait: Je vais m'équiper pour faire la distribution dans toutes les petites localités de la province de Québec, je pense qu'il faudrait envisager des sommes considérables pour qu'elle puisse assurer un service à l'intérieur d'une période d'années assez courte, peut-être de deux ans ou de trois ans.

Les équipements sont disponibles. Le réseau de distribution existe, mais les mécanismes de fixation des prix dans le moment ne permettent pas à ce réseau de donner sa pleine efficacité. Je pense qu'il est assez rationel de dire que, lorsqu'on envisage la planification d'un approvisionnement et d'une consommation d'énergie, comme on est une des régions du monde où le taux per capita est le plus élevé en consommation d'huile à chauffage, il est important de penser qu'on doit se servir au maximum de ce qui est déjà existant au lieu d'essayer d'investir à côté dans un équipement concurrentiel.

M. Goulet: Ce que j'avais cru comprendre dans le rapport, c'est que vous souhaiteriez, je ne dirai pas le mot association, mais vous associer avec SOQUIP. Elle produirait et vous, vous distribueriez, de façon à concurrencer les multinationales. Est-ce dans l'ordre? Non.

M. Lapointe: C'est peut-être une modalité de réalisation quand on parle d'infrastructure. Là, on n'a pas été très à fond dans l'examen des différentes hypothèses. Cela pourrait en être une.

Le Président (M. Laplante): Le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: J'aimerais clarifier ici le rôle de SOQUIP et le rôle des indépendants. Si je vous comprends bien, votre perception de SOQUIP est qu'elle est une société d'Etat qui aidera les gens du Québec et non pas une société qui fera concurrence aux indépendants. Vous voudriez utiliser les méthodes, les ressources. Je crois que je suis d'accord avec vous qu'une société d'Etat ne devrait pas être créée pour déplacer, pour mettre hors de compétition, mettre hors des affaires des hommes d'affaires qui sont déjà au Québec. Ce n'est pas une question d'être subventionné...

M. Lapointe: Bien non.

M. Ciaccia: ... de SOQUIP. Ce n'est pas une question d'utiliser les ressources de la province pour vous donner un avantage, mais c'est seulement pour faire un complément. Est-ce que c'est cela, si je comprends bien? Vous ne voulez pas que SOQUIP fasse concurrence. Vous voulez que SOQUIP aille dans les domaines qui avantageront toute la province, tous les Québécois, incluant les marchands indépendants. Est-ce que je comprends bien cela?

M. Lapointe: C'est cela. SOQUIP peut jouer son rôle au niveau de la production, mais, lorsque arrive la distribution, il peut y avoir des ententes qui permettent d'exploiter ce qui est déjà en place.

M. Ciaccia: Parfois, on a tendance à toujours voir cela comme un rôle compétitif: SOQUIP, marchands indépendants, multinationales.

M. Lapointe: Pas comme cela.

M. Ciaccia: Y a-t-il possibilité de jouer un rôle complémentaire, parce qu'il y a certaines choses, en définitive, que les multinationales ne peuvent faire et est-ce dans ce sens que vous voyez le rôle de l'indépendant?

M. Lapointe: Je peux vous dire que, chez les membres de l'association, je ne crois pas qu'on ait jamais senti que SOQUIP était une concurrente. Pour le moment, SOQUIP n'a pas tellement été dans le même champ d'activités que nous, mais jamais, dans nos discussions, est apparue I'idée que SOQUIP pouvait, éventuellement, devenir une concurrente. Lorsqu'on a parlé de SOQUIP, c'est plutôt comme une possibilité de collaboration éventuelle dans l'avenir, mais qui n'est pas encore déterminée.

En ce qui concerne les multinationales, il n'est pas question non plus de parler de concurrence de notre part puisqu'elles nous approvisionnent. La concurrence vient plutôt du fait que, tout en approvisionnant les indépendants, elles concurrencent aussi dans le marché de détail les mêmes clients qu'elles servent.

Alors, je pense que là, la concurrence n'est pas créée par l'indépendant, mais elle est créée par le raffineur qui, lui, joue sur les deux tableaux.

Une Voix: Par la situation.

Le Président (M. Laplante): Le député de Rimouski.

M. Marcoux: J'aurais deux questions. Une première qui est sûrement dans le prolongement des précédentes questions. Aux pages 1 et 2 de votre mémoire, vous indiquez que c'est sur la recommandation de deux ministères, les ministères

des Richesses naturelles et de l'Industrie et du Commerce, que vous avez pensé former une association d'une centaine de vos membres, visant à acheter, vendre, importer, exporter, raffiner, transformer, etc. Je voudrais savoir combien il y a d'années que ces deux ministères vous ont fait cette recommandation? Est-ce qu'il y a des chances dans un avenir prévisible, c'est-à-dire d'ici quelques mois ou quelques années, que cette association qui, si je comprends bien, est actuellement une association qui n'a pas réalisé l'ensemble de ces objectifs, est-ce qu'il y a des chances, dis-je, à court terme, qu'elle réalise ces objectifs? Compte tenu de ces deux réponses, je préciserai peut-être, disons, une troisième question.

Ma deuxième question, je l'annonce tout de suite sans la préciser, concernera l'office de l'énergie que vous proposez. Je la clarifierai tantôt.

M. Ducharme: Cette association a été formée lors de la crise du pétrole en 1973. Elle a pris forme en 1974. Actuellement, elle serait presque prête à importer certains produits finis, mais, actuellement, les subsides ne sont pas en notre faveur à cet effet.

M. Marcoux: Si je comprends bien, dans le sens des questions qui ont été posées, vous souhaiteriez finalement que ces fonctions d'importer, raffiner, transformer et entreposer soient faites par SOQUIP, vous l'avez presque affirmé tantôt.

M. Doyon: Pas nécessairement. M. Marcoux: Non?

M. Doyon: Je veux dire que les indépendants pourraient le faire, on y songe, avec le groupe dont on parlait tantôt, qui est une compagnie qui a été faite à partir d'indépendants, qui étaient membres de l'association. Ce n'est pas la charte de l'association qui prévoit d'importer. C'est une compagnie qui a été formée par un groupe d'indépendants, qui a décidé d'agir comme grossiste. Or, présentement, elle existe. Cette compagnie vend actuellement, distribue parmi ses membres plus de 6C millions de gallons et on peut croître facilement. Lorsqu'on parle d'importation de brut, il faut prendre conscience d'un problème: dans un baril ou dans un gallon de brut, vous avez une certaine partie qui va faire du "bunker", une autre partie qui va faire un produit beaucoup plus raffiné, vous aurez de l'huile à chauffage. Présentement, l'association distribue de l'huile à chauffage, et dans le domaine de l'huile à chauffage et non dans le domaine de l'essence, sauf minoritaire.

Ce qui arrive, cette compagnie agit comme distributrice et approvisionne des indépendants. On y songe, sauf que vous allez comprendre que cela exige des coûts très élevés et avant de se lancer dans ce secteur, il faut se demander si on peut réaliser les objectifs parce que le "bunker", il faut le vendre après. Le "bunker", généralement, ce sont des commissions scolaires, les hôpitaux qui agiront dans ce domaine. Or, comme les multinationales, souvent, vendent les produits, lors de soumissions publiques, à des prix inférieurs au prix de gros des détaillants, à ce moment, il faut faire attention avant de se lancer dans le secteur parce que cela sera une faillite monumentale. Vous comprenez?

M. Marcoux: Si je comprends bien, cela ne se réalisera pas dans un avenir prévisible, à court terme?

M. Doyon: Si on parle à court terme, je vous dirais non.

M. Marcoux: Ma deuxième question porte sur l'office de l'énergie. Je trouve l'idée intéressante d'avoir un office de l'énergie. Je vous demanderais, parce que je trouve que vous êtes bref sur le sujet, de préciser la composition que vous voyez de cet office, ses rôles, ses fonctions. Vous dites: devrait être composée à part égale de raffineurs et de détaillants, de membres de l'association des marchands d'huile. Je trouve que, pour un office d'énergie, il y a beaucoup plus de monde que cela d'impliqué dans l'énergie au Québec. Deuxièmement, sur les rôles et fonctions, vous dites: doit protéger le consommateur, donc, avoir juridiction sur les prix au détail et au gros. En plus de cela, est-ce que vous voyez une composition plus étoffée à cet office, et des rôles et des fonctions plus polyvalentes?

M. Lapointe: C'est certain... M. Marcoux: Quels seraient-ils?

M. Lapointe: D'abord, vous avez raison de dire qu'on ne peut pas penser à constituer un office d'énergie seulement avec des représentants du secteur pétrolier. C'est évident. On s'est limité à faire cette suggestion parce que c'est notre sphère d'activité.

Il est bien certain que si le gouvernement décidait de créer un tel office, il devra voir à ce que tous les secteurs qui participent au domaine de l'énergie puissent y être représentés, s'il adopte cette formule-là. Actuellement, comme vous le savez, il y a la Régie du gaz et de l'électricité qui est pourvue de certains pouvoirs concernant les prix et qui joue un peu le rôle d'un tribunal. Un tel organisme n'existe pas pour le pétrole. Le champ est libre, pour des sociétés étrangères qui opèrent au Québec, de fixer les prix un peu à leur guise et de faire la forme de concurrence qui leur plaît parce qu'il n'y a aucun organisme qui s'occupe d'intervenir dans le champ de la fixation des prix.

On croit, nous, qu'il est temps maintenant, puisque le gouvernement a comme préoccupation majeure d'économiser l'énergie, non seulement d'approvisionner le Québec mais aussi d'économiser l'énergie. On croit qu'il va de soi que le gouvernement se dote, le plus rapidement possible, d'un organisme qui lui permettra justement de

surveiller de façon permanente la fixation des prix et, d'une certaine mesure, freiner la consommation exagérée. Ce n'est un secret pour personne dans le moment que les compagnies ou certaines compagnies multinationales font de tels profits dans l'Ouest du pays qu'elles peuvent se permettre momentanément de baisser leurs prix au Québec. Mais cette baisse qui semble actuellement profiter au consommateur peut durer combien de temps? Je ne crois pas qu'un gouvernement doive se fier aux aléas de quelques compagnies comme celles-là pour établir une politique dans l'avenir.

M. Marcoux: ... une façon de protéger les consommateurs pourrait être de hausser les prix dans des circonstances particulières?

M. Lapointe: II n'est pas question de hausser les prix. Il s'agit, pour le gouvernement, je pense, de ne pas être à la merci des sociétés étrangères qui, elles, peuvent jouer à leur guise à la hausse ou à la baisse. Le rôle de l'office serait précisément de surveiller les intérêts du consommateur ou de l'ensemble de la population. Ce serait cela le rôle de l'office. Tant mieux si l'office peut surveiller de telle sorte que les prix soient toujours plus bas que dans les autres régions. Je pense que tout le monde en serait heureux, et les indépendants en seraient heureux aussi.

M. Doyon: Cet office-là serait également consultatif de même qu'un organisme de contrôle, c'est-à-dire consultatif auprès du gouvernement pour qu'il puisse faire des études sur la prospection, la récupération, puisse voir quels seront les besoins. Autrement dit de toujours s'adopter au niveau énergétique, aux besoins énergétiques du Québec, donc qu'il puisse voir une politique d'ensemble qui soit constante, qu'il soit un organisme consultatif auprès des autorités gouvernementales compétentes.

M. Marcoux: Mais décisionnel également.

M. Doyon: Décisionnel également dans certains secteurs, c'est-à-dire qu'elle puisse jouer un rôle d'appoint dans le domaine de l'énergie. Et lorsque vous posez la question: Est-ce que pour protéger le consommateur on ne devrait pas augmenter les prix? Ce serait oui aussi dans certains cas. Parce qu'à un moment donné, le consommateur sera peut-être obligé de se voir imposer des prix pour être capable de penser qu'il faut protéger l'énergie à l'avenir. Je pense que les politiques incitatives, dans le domaine de l'automobile, pour taxer les grosses voitures ou les moteurs ou les climatisations, sont en ce sens qu'on hausse les prix pour essayer de dire au consommateur: L'énergie coûte cher, ne la gaspillez pas. Je pense qu'un office pourrait aller jusque là aussi.

Le Président (M. Laplante): Un dernier intervenant. Le député de Jean-Talon.

M. Garneau: M. le Président, il y a deux aspects des remarques qui viennent d'être faites sur lesquelles j'aimerais avoir des précisions. Dans votre formation de l'office de l'énergie qui serait consultatif et décisionnel, vous parlez de représentants des gens de l'industrie. Est-ce que vous ne croyez pas qu'en plaçant des représentants des indépendants ou des multinationales à un office de l'énergie, on place ces personnes dans un conflit d'intérêts, surtout si l'organisme est décisionnel, dans un conflit d'intérêts qui ne serait pas acceptable? C'est comme si on confiait le rôle de juge à un des accusés. Est-ce que c'est possible d'envisager la présence d'intervenants qui ont des intérêts directs à un office qui aurait un pouvoir décisionnel?

M. Doyon: En tant qu'avocat, je pourrais dire que c'est la même chose que la nomination des juges. Ce n'est pas parce que quelqu'un a milité, s'il est nommé juge, qu'il est partisan. Lorsqu'on parle d'un organisme...

M. Garneau: A ce moment-là ce serait à titre individuel qu'il serait nommé et non pas à titre de représentant.

M. Doyon: Oui, c'est à titre individuel et non à titre de groupe. C'est-à-dire que l'Etat va nommer ses propres représentants, les multinationales pourraient également avoir des représentants et également les indépendants, pour qu'on puisse avoir, quand même, une vue des trois secteurs, qu'on puisse véritablement les prendre en cause.

M. Garneau: Si c'était consultatif, je serais d'accord avec vous, mais pas si c'était décisionnel. Je ne peux pas voir que M. Hamel, qui était ici ce matin, ou que le président de l'association soit autour de la table pour dire: II y aura une augmentation ou il n'y en aura pas dans les prix. S'il y a une décision qui doit être prise, ces gens-là, c'est clair et net, vont être coincés joliment. Cela a besoin d'être des personnes qui sont dotées d'une grande capacité d'abstraction de leurs intérêts pour être capables de prendre une telle décision. En tout cas, je ne veux pas en faire un débat.

M. Doyon: Je pense que c'est faire abstraction du bon sens. C'est-à-dire que si on arrive pour une augmentation de gros et, d'autre part, au même moment où on augmente les prix de gros, la compagnie multinationale baisse les prix de détail et je vais lui dire: Pourquoi baissez-vous les prix au détail vis-à-vis des consommateurs et augmentez-vous les prix de gros? Je ne pense pas... Si vous avez des augmentations justifiées, elles devraient l'être sur toute la longueur, n'est-ce pas, autant au prix de détail qu'au prix de gros.

M. Garneau: Je ne voudrais pas aller plus loin là-dedans, parce que ça m'apparaîtrait assez cocasse de voir des gens cause et partie. De toute façon, sur l'autre aspect, il est passablement inté-

ressant, parce que j'ai eu, lorsque j'occupais d'autres fonctions, des discussions sur le secteur témoin et, chose assez curieuse, à ce moment-là, les gens qui analysaient cette situation, prévoyaient justement d'aller jusqu'au bout s'ils investissaient dans le raffinage, et c'était le cas pour SOQUIP qui devait avoir un système de distribution. Et même dans certaines des conversations que j'avais eues dans le temps, on plaçait même la nécessité d'avoir un système de distribution implanté avant d'investir dans la raffinerie.

Parce que, imaginez la situation, par exemple, si SOQUIP achète une raffinerie existante et qu'elle raffine du pétrole brut, qu'elle a de l'huile à chauffage, c'est fort possible pour des raisons x, y, z, que le prix de revient de l'huile à chauffage que pourrait faire SOQUIP serait plus élevé que celui de la société Impériale. Est-ce que les dépendants vont l'acheter de SOQUIP ou est-ce qu'ils vont l'acheter de l'Impériale? S'ils ne l'achètent pas de SOQUIP, elle n'a pas de réseau de distribution, qu'est-ce qu'elle va faire avec? C'est ça qui est, à mon sens, le hiatus dans votre analyse. Vous ne pouvez pas, je crois, demander à l'Etat, d'investir des centaines de millions de dollars dans une raffinerie et placer ces capitaux à la merci des personnes qui auraient le choix d'acheter ailleurs ou de ne pas acheter.

Si, par exemple, vous vendez votre huile à chauffage $0.47 le gallon et que le fournisseur, qui est SOQUIP, vous le vend à un prix plus élevé que l'Impériale, vous allez l'acheter de l'Impériale. A ce moment-là, si SOQUIP n'a pas de réseau de distribution, elle va rester collée avec. C'est ça qui était le sens de l'analyse et qui incitait les gens qui analysaient la possibilité d'installer un secteur témoin, d'avoir une distribution jusqu'au bout, autrement, ils restent collés avec les produits.

M. Doyon: Je vous répondrai par la négative à la question que vous me posez parce que, d'une part, il y a déjà de nos membres, qui, pour aider à la survie, vont payer plus cher leur prix de gros que d'autres et qui vont quand même payer plus cher pour assurer leur propre survie. Donc, une entente avec SOQUIP ne serait nullement irréalisable et à ce moment-là, il ne faut pas seulement penser au profit à court terme comme vous semblez le croire et dire: A ce moment-là, si Esso vous le vend moins cher que peut vous le vendre SOQUIP, vous allez voir Esso et vous allez laisser tomber SOQUIP. Je pense qu'il y a des questions d'entente qui peuvent être prises avec des compagnies ou avec une compagnie d'Etat.

Il ne faudrait pas voir uniquement une question de profit à court terme, d'une part.

Actuellement, ça se fait, de nombreux distributeurs paient présentement leur prix de gros plus élevé, pour assurer la survie d'un organisme.

Le Président (M. Laplante): La commission vous remercie, messieurs, de la coopération que vous avez bien voulu lui apporter.

M. Doyon: Merci.

Le Président (M. Laplante): La Chambre de commerce de la province de Québec, M. Pierre Morin.

Chambre de commerce de la province de Québec

M. Morin (Pierre): Je m'appelle Pierre Morin. Je suis directeur général des affaires publiques de la Chambre de commerce de la province de Québec. Je suis accompagné ce soir, de M. Andrew Winstanley de notre service de recherche.

Vous avez deux documents qui constituent notre mémoire. Je voudrais tout simplement vous signaler que le document jaune est une annexe sur laquelle je reviendrai un peu plus tard. Si vous me permettez, je vais peut-être aborder immédiatement le texte de notre mémoire.

D'un obscur thème débattu surtout par les académiciens, les économistes et les scientifiques, l'énergie s'est transformée au cours des cinq dernières années en une brûlante actualité touchant tous les citoyens individuellement et collectivement.

Pour actuelle qu'elle soit, la question n'en demeure pas moins complexe et le citoyen appelé, aujourd'hui, à payer l'addition demeure encore confus devant les questions fondamentales que sont la conservation, la sécurité d'approvisionnement, les coûts astronomiques impliqués, les prix continuellement à la hausse et le choix parmi les sources d'énergie connues et à être développées. A l'heure où le gouvernement du Québec a invité ses citoyens à soumettre à cette commission parlementaire opinions et avis qui pourront servir à l'élaboration d'une politique québécoise de l'énergie, quelle contribution peut y apporter la Chambre de commerce du Québec?

De tous les organismes à vocation économique au Québec, notre chambre de commerce croit détenir une position unique que lui confère sa composition. La chambre est la fédération volontaire des quelque 200 chambres de commerce et "boards of trade" locaux actifs au Québec, groupant ainsi plus de 31 000 membres individuels, principalement des hommes d'affaires, couvrant ainsi plus de 85% du territoire habité au Québec.

La chambre représente aussi près de 2600 entreprises actives au Québec qui y adhèrent volontairement et directement. A ces deux titres, qui font de la chambre l'organisme le plus représentatif de la communauté des affaires du Québec, s'ajoute la dimension pertinente à l'examen de la question énergétique: nous sommes conscients de représenter les consommateurs, les distributeurs, les producteurs d'énergie et que l'énergie est à la base même de notre développement économique.

La chambre s'est penchée activement, depuis plusieurs années, sur la question énergétique et plus particulièrement au printemps 1973, avant la période dite de crise, afin de cerner les principaux éléments du dossier énergie et d'établir ses positions.

Elle est intervenue pour communiquer ses pri-

ses de position auprès des gouvernements, lors des conférences intergouvernementales sur l'énergie, ainsi que par la réalisation d'une étude sur le prix de l'essence au Québec, publiée en juin 1976, et par la soumission d'un mémoire à la commission Berger sur l'opportunité de la construction d'un gazoduc dans la vallée du Mackenzie.

Il est opportun de souligner que la chambre, dans son examen de la question énergétique, a procédé à partir du postulat suivant: comment le mieux servir les intérêts du consommateur? Ce postulat peut sembler insolite pour un organisme tel le nôtre. Nous n'avons certes pas la réputation du chevalier sans peur et sans reproche, défenseur du consommateur. Et pourtant, le choix de la défense des intérêts du consommateur s'impose aussi bien dans la question d'énergie que dans la question générale de fourniture de biens et de services au consommateur.

Notre raisonnement ici est double. D'abord, le consommateur est la raison d'être de l'entreprise qui lui fournit biens et services. Effectivement, l'entreprise est l'organisation dont s'est dotée la société pour satisfaire aux besoins de ses membres.

Deuxièmement, à même notre membership, nous représentons petites et grandes entreprises, importatrices et exportatrices, autochtones et multinationales, productrices et distributrices, dont les intérêts divergent largement et peuvent même s'opposer. Le dénominateur commun des intérêts serait donc fort difficile à établir si, en définitive, la chambre ne pouvait s'appuyer sur le comment le mieux servir les intérêts du consommateur.

Cette préoccupation a présidé à l'adoption, par notre assemblée générale, des politiques suivantes en matière d'énergie. Je vous cite ici un texte qui est publié dans un document que tous les députés reçoivent au moins une fois l'an. Nous en avons tiré des principes concernant l'énergie. "Les aménagements hydroélectriques fournissent une partie importante de l'énergie consommée pour fins domestiques, commerciales et industrielles au Québec. Il serait cependant important que le gouvernement étudie tous nos besoins d'énergie et applique une politique globale pouvant nous assurer dans l'avenir de sources d'énergie sûres, variées, en quantité et qualité suffisantes, à des prix compétitifs. Cette politique devra nécessairement tenir compte de celles qui existent déjà au niveau national et international, ainsi que des besoins nouveaux de l'industrie. Elle devra favoriser, chaque fois qu'elle est économiquement rentable, l'exploitation des ressources énergétiques du Québec."

Par-delà ces principes, vous avez une suite de recommandations plus précises, adoptées annuellement par le gouvernement. La première, adoptée lors de notre dernier congrès — c'est pour cela qu'elle n'est pas encore imprimée — se lit comme suit: Encourager l'Hydro-Québec à planifier le développement de toutes les ressources hydroélectriques connues dans la province, en plus de poursuivre l'exploration nécessaire pour en dé- couvrir de nouvelles avant de considérer l'exploitation d'usines nucléaires.

Une autre: Recommander à la Société de la baie James et à ses filiales d'intensifier la réalisation de leurs projets compte tenu des possibilités et des ressources dont elles disposent et sensibiliser la population aux richesses et aux possibilités de son territoire par un programme d'information et de publicité à la grandeur du Québec. 120. En matière d'énergie: a) Définir clairement ses objectifs — il s'agit bien du gouvernement ici — en matière d'énergie; b) démontrer, préalablement à toute intervention dans le secteur pétrolier, l'opportunité d'une telle intervention; c) instituer, pour une utilisation optimale de l'énergie, des normes plus élevées pour obtenir un meilleur isolement des maisons et des bâtiments commerciaux et industriels; d) entreprendre un programme d'éducation visant à informer les consommateurs sur la situation énergétique au Québec, sur le besoin de conserver l'énergie et sur les moyens à prendre pour y parvenir. 121. Intensifier les démarches en vue d'obtenir l'installation du pipe-line amenant le gaz naturel de l'est de l'Arctique vers les marchés de l'Est du Canada et des Etats-Unis en suivant un tracé situé au Québec, à l'est de la baie d'Hudson. 122. Adopter, soit au gouvernement, soit à l'Hydro-Québec, une politique de tarification préférentielle de l'énergie électrique à être accordée, pour une période ou une quantité limitée, aux industries de transformation de matières premières qui s'implanteront dans les régions périphériques de la province. 123. Concernant les structures de l'Hydro-Québec: a) Faire en sorte que les demandes d'augmentation de tarifs et d'autorisation de mettre en chantier des projets de développement soient soumises à un organisme indépendant et spécialisé devant lequel pourront se produire toutes les parties intéressées. Après étude, l'organisme rendra un avis public au gouvernement; b) préciser les orientations à long terme de l'Hydro-Québec en matière d'occupation du marché de l'énergie; c)élargir la composition du conseil d'administration de l'Hydro-Québec et y faire siéger des administrateurs qui n'ont aucune responsabilité de la gestion quotidienne de cette société. Ces nouveaux administrateurs auraient pour mandat de veiller aux intérêts des consommateurs et voir à ce que l'Hydro-Québec soit aussi bien gérée que l'entreprise privée. 194. Etablir une politique de l'énergie en tenant compte des éléments suivants:

A— Le prix du pétrole brut — Le prix du pétrole brut produit au Canada devrait tendre à s'accroître graduellement sur une période de plusieurs années en tenant compte de la situation mondiale. Entre-temps, les modalités actuelles d'égalisation des prix devraient être maintenues.

B— Le transport.— Le coût d'approvisionne-

ment du Québec en pétrole brut canadien par oléoduc devrait être réparti selon la formule actuellement utilisée par le gaz naturel.

C— Le gaz naturel.— Pour leur part, les prix du gaz naturel devraient pouvoir s'établir graduellement à un niveau de prix équivalant au pétrole brut produit au Canada afin d'assurer et de maintenir un équilibre qui encouragera l'utilisation la plus rationnelle de ces sources d'énergie et des mesures pour leur conservation.

D—L'électricité. — Le Québec bénéficiera encore pendant quelque temps d'avantages quant au prix de l'énergie électrique, étant donné son potentiel de ressources hydrauliques. Il a intérêt à capitaliser sur cette situation en limitant l'augmentation du prix de cette source d'énergie à la moyenne de l'augmentation des coûts de production et de transport.

E— Les revenus gouvernementaux.— Les revenus additionnels gouvernementaux devraient être utilisés pour encourager la recherche et l'exploration de nouvelles ressources.

Il est peut-être opportun de signaler que ce dernier paragraphe s'adressait plus particulièrement au gouvernement du Canada dans le contexte du programme d'égalisation de subventions et de perceptions additionnelles. 12) Depuis l'adoption de ces politiques, la Chambre a réalisé une étude d'envergure sur le prix de l'essence au Québec, étude portant sur le prix aux pompes et les facteurs pouvant créer et maintenir des disparités. Cette étude est jointe en annexe. Nous l'avons jointe surtout parce que c'est une étude relevée comté par comté, faite en avril dernier; c'est le genre d'étude que fait au moins une fois l'an le ministère des Richesses naturelles, mais qui n'a jamais, à ce jour, été rendue publique. Nous avons cru qu'il était opportun de faire une étude d'une envergure peut-être un peu plus vaste, mais avec un caractère un peu moins scientifique de façon à informer les Québécois sur les disparités existant entre les prix de l'essence un peu partout au Québec et les facteurs qui pouvaient influencer ces prix.

De plus, la Chambre a soumis un mémoire à la Commission royale d'enquête sur l'acheminement du gaz naturel dans la vallée du Mackenzie pour appuyer la construction d'un gazoduc en tenant compte des droits des autochtones et de la protection de l'environnement. 13)Cette dernière intervention touchait à deux dimensions ajoutant à la complexité de la question énergétique. Le projet de mise en valeur de la baie James a permis au Québec de conclure une négociation agréable aux divers groupes autochtones détenteurs de droits sur certaines parties du territoire.

Cette expérience acquise sera, certes, utile dans les années à venir, mais demeure le problème de la protection de l'environnement, car l'énergie pollue l'air, la terre, la mer, visuellement et physiquement. Diminuer la pollution peut diminuer le choix des sources d'énergie et en faire augmenter le prix.

Sur ces questions, la chambre a fait valoir l'argument de l'équilibre des inconvénients — il s'agit ici, à la fois, de la question des droits des autochtones et de la protection de l'environnement — c'est-à-dire les inconvénients occasionnés aux personnes ou à l'environnement sont-ils aussi grands ou égaux aux inconvénients occasionnés par la privation d'une source d'énergie ou par les coûts additionnels encourus?

Les valeurs de notre société évoluent rapidement. Toute politique de l'énergie devra tenir compte de ces mutations et incorporer des références assez précises quant à la protection des droits de certaines minorités et de l'environnement, en tenant compte de cet équilibre des inconvénients. La chambre, citant ses politiques d'action, recommande au gouvernement du Québec d'établir une politique de l'énergie. La demande est de taille, nous en sommes conscients. Avant, cependant, d'entrer dans les divers éléments qui pourraient la composer, nous aimerions soumettre une problématique pour fins de discussions. Résumée en une phrase, cette problématique serait libellée comme suit: Le Québec devrait chercher à s'approvisionner en énergie au meilleur coût possible à moyen et à long termes.

Cette problématique comporte des choix fondamentaux impliquant la flexibilité et la sécurité d'approvisionnement. En matière de flexibilité, ceci implique que, face à la croissance prévisible de la demande d'énergie sur son territoire, le partage entre les sources d'énergie devra comprendre une bonne marge de souplesse afin de pouvoir bénéficier des avantages de coûts qui pourraient se manifester chez d'autres sources. Par exemple, une fois épuisées les ressources hydrauliques pour la production d'électricité, plutôt que d'investir exclusivement dans le nucléaire, il y aurait lieu d'investir aussi dans les centrales thermiques alimentées au pétrole, au gaz naturel et même, à la rigueur, au charbon solide ou liquéfié.

M. le Président, si vous me le permettez, je vais ouvrir ici une petite parenthèse, de façon que les gens de l'Hydro-Québec, qui souvent nous reviennent après de tels énoncés, saisissent immédiatement ce que l'on veut dire. On n'est pas contre le développement nucléaire, entendons-nous. C'est simplement que, dans la problématique que nous venons de vous soumettre, il va falloir aller vers le nucléaire. On dit simplement de ne pas mettre tous nos oeufs exclusivement dans le nucléaire pour la production d'électricité, une fois épuisé notre potentiel hydraulique. C'est simplement la portée de ce paragraphe.

De même, pour le pétrole et le gaz naturel, une fois déterminés leur utilisation la plus noble et leur taux d'occupation du marché global dans cette utilisation, il y aura lieu de conserver une marge appréciable de souplesse afin de permettre des substitutions. Dans cette perspective, des engagements à long terme d'approvisionnements globaux d'une source unique à prix déterminé, que ce soit le pétrole des sables bitumineux ou du Venezuela ou de l'Iran, ne seraient pas conseillés.

La recherche d'une telle souplesse comporte, cependant, des désavantages, principalement sur le plan de la sécurité des approvisionnements. Il s'agira, pour le Québec, dans sa politique, de défi-

nïr la marge de manoeuvre qu'il entend se réserver à l'intérieur des alternatives que sont souplesse et sécurité d'approvisionnement. Pour la chambre, l'accent devrait porter plus sur la souplesse.

Un autre argument militant en faveur de la souplesse nous est donné dans une étude d'envergure présentement en cours à la chambre, portant sur une politique québécoise de la population. Dans un chapitre consacré aux ressources naturelles et énergétiques, l'étude indique que, dans les conditions technologiques présentes, la fission nucléaire s'achemine rapidement vers un cul-de-sac comme source d'énergie à la fois à cause du danger posé à l'environnement par la disposition des déchets nucléaires et de la possibilité d'utilisation du plutonium pour la fabrication de bombes atomiques.

Par ailleurs, la technologie moderne permet déjà d'envisager la fusion nucléaire comme source d'énergie abondante, permettant de résoudre les deux principaux problèmes précités. Il s'agit ici simplement de citer le projet Phénix en France.

Si on accepte cette hypothèse, il serait donc inopportun de consacrer trop de ressources à la technologie de la fission nucléaire pour, éventuellement, se voir pris dans une situation où nous serions commis à une technologie et à ses problèmes, alors qu'une autre pourrait s'y substituer avantageusement.

Le même argument vaut aussi pour le pétrole, mais dans un autre contexte. Rien n'indique que le prix mondial du pétrole doive demeurer immuablement fixé artificiellement, tel qu'actuellement. Dans une perspective d'une génération et plus, les travaux de la Conférence Nord-Sud, sur un nouvel ordre économique mondial, peuvent trouver une conclusion heureuse. Les efforts de conservation pourront avoir un effet déterminant sur la croissance de la demande. La technologie pourrait permettre l'introduction du charbon liquéfié à un prix concurrentiel ou d'autres formes de substitutions, chacun de ces facteurs pouvant permettre la détermination du prix économique du pétrole. Il ne serait donc pas opportun de chercher à satisfaire la majorité des besoins pétroliers du Québec par un contrat d'approvisionnement d'une même source, à long terme et à prix ferme, même au prix international.

Enfin, si cette problématique de souplesse vaut pour une même source d'énergie, elle vaut encore plus dans la détermination du rapport devant exister entre les sources elles-mêmes. C'est ainsi que la part du marché que pourrait occuper l'électricité au Québec, au cours des 20 ou 30 prochaines années, devrait être exprimée entre un plancher et un plafond, le premier étant le seuil à atteindre et le deuxième, la marge de flexibilité disponible. Il en irait de même pour les autres sources d'énergie. C'est dans le contexte de cette problématique que la Chambre veut élaborer sur ses politiques d'action citées plus avant dans cette communication.

Les recommandations soumises par la Chambre à l'Etat, tout en atteignant une certaine cohérence, n'ont cependant pas l'avantage d'être homogènes. Elles reflètent les principales préoccupa- tions énergétiques de nos membres au cours des dernières années. Une préoccupation constante vient cependant de trouver un élément important de réponse dans la publication récente du Code québécois de la construction: la conservation de l'énergie. En effet, si ce code est effectivement bien adapté aux besoins climatiques du Québec et institue des normes plus élevées pour obtenir un meilleur isolement des maisons et des bâtiments commerciaux et industriels, il permettra une utilisation plus efficace de l'énergie et constituera ainsi une excellente mesure de conservation.

Il reste cependant beaucoup à faire en matière de conservation et nous réitérons notre demande pour un programme d'éducation visant à informer les consommateurs sur notre situation énergétique, sur les besoins de conserver l'énergie et les moyens à prendre pour y parvenir. La Chambre n'est d'ailleurs pas seule à réclamer de telles mesures. Entre autres, l'OCDE, dans un tout récent rapport publié à Paris le 25 janvier dernier, souligne l'urgence d'adopter, dans les pays industrialisés, des mesures de conservation susceptibles de limiter et même de faire décroître la demande énergétique. Ceci est particulièrement pressant au Québec.

Soulignons aussi le programme récemment annoncé par le gouvernement du Canada d'aider financièrement les citoyens des provinces atlantiques à améliorer l'isolement thermique de leurs résidences et édifices. Enfin, dans la recherche d'une politique de conservation de l'énergie, il faudra aussi examiner l'opportunité de modifier des comportements du travail et industriels, entre autres. Un exemple serait de favoriser, par une tarification préférentielle, la transformation intense de matières premières la nuit, alors qu'il y a surplus d'électricité. Les horaires flexibles de travail peuvent aussi favoriser la conservation d'énergie.

L'hydroélectricité, à part quelques petits puits de gaz naturel, est la seule source d'énergie actuellement exploitée sur le territoire du Québec. Il existerait certains dépôts d'uranium connus, mais aucun n'est encore en exploitation commerciale.

La Chambre favorise le développement maximal de nos ressources hydroélectriques, à la fois pour leurs caractéristiques renouvelables peu polluantes et comme sources, à moyen terme, de revenu d'exportation compensant nos déboursés totaux pour l'énergie. Pour être clair, il s'agit d'exporter plutôt vers les Etats-Unis que vers l'Ontario.

Comme tous nos concitoyens, nous sommes hydroquébécois et l'être apporte beaucoup de fierté, mais aussi des frustrations. Nos membres se sont adressés à ces frustrations en demandant à l'Etat du Québec d'apporter des modifications aux structures de l'Hydro-Québec afin de corriger certaines lacunes au niveau de l'approbation des augmentations de tarif et de ses plans de développement, lesquels bénéficieraient de plus de limpidité que celle témoignée jusqu'à maintenant. De plus, nous souhaitons voir le conseil d'administration de l'Hydro-Québec élargi pour y inclure des administrateurs n'ayant aucune responsabilité pour la gestion quotidienne.

La majorité des grandes corporations invitent

ainsi avantageusement des administrateurs extérieurs, soit des "outsiders" ou "outside directors", pour une meilleure protection des actionnaires et des consommateurs.

Quant aux autres sources d'énergie, le pétrole et le gaz naturel, une bonne partie de nos recommandations est en voie de réalisation, tout en notant l'accident de parcours actuellement à l'étude par la Commission canadienne de l'énergie, suite à la demande d'augmentation des prix du transport du pétrole albertain à l'est de Sarnia. La chambre espère voir le gouvernement du Québec s'y opposer vigoureusement.

Le Québec aura prochainement un corridor énergétique de la baie James à Montréal. Ce même corridor pourrait servir à acheminer éventuellement le gaz naturel de l'est de l'Arctique. En matière d'énergie, dix ans sont très vite écoulés. Déjà d'autres provinces plus à l'ouest se préparent agressivement à transporter ce gaz.

Plusieurs projets ont été préparés au cours des dernières années visant à permettre au gouvernement du Québec de prendre part aux activités de raffinage et de distribution du pétrole. Compte tenu des ressources financières du Québec et du coût qu'impliquerait une telle intervention, la chambre ne la croit pas opportune. Qui plus est, les sociétés d'Etat actives dans le secteur du pétrole n'ont certes pas fait la démonstration qu'elles protégeaient mieux les intérêts de leurs consommateurs.

Enfin, il est bon de se rappeler qu'historiquement le secteur privé nous a assurés une très bonne sécurité d'approvisionnement et des prix relativement avantageux.

Recommander ce qui équivaut à une augmentation, pour les consommateurs, des prix de l'énergie peut sembler contradictoire avec notre énoncé de principe. Cependant, lorsque la chambre recommande la recherche de l'équivalence du prix des diverses sources d'énergie, elle sait que la conséquence d'une telle mesure permettra d'équilibrer la demande et permettra un usage plus rationnel des ressources tout en évitant le gaspillage.

Enfin, en conclusion, si, dans cette communication, la chambre semble avoir mis plus d'accent sur la relation énergie-consommateur, elle n'a pas pour autant oublié que l'énergie est à la base même de notre développement économique.

Sa disponibilité et son prix peuvent faire la différence entre notre prospérité ou notre stagnation économique. Ce qui importe fondamentalement dans cette question est de noter que la problématique et l'argumentation demeureraient les mêmes.

Le Québec a grand besoin d'une politique énergétique. La chambre est consciente de la taille du défi auquel le gouvernement du Québec doit s'attaquer. Nous avons ici certaines considérations, pertinentes fort probablement mais combien imcomplètes, nous en sommes conscients. C'est dans cet esprit que la chambre vous soumet ce mémoire, qu'elle vous offre toute sa collaboration dans la préparation d'une politique québécoise de l'énergie.

Le Président (M. Laplante): M. le ministre.

M. Joron: Je tiens d'abord à féliciter M. Morin et le remercier du mémoire qu'il présente au nom de la Chambre de commerce de la province de Québec.

Il témoigne d'un effort de réflexion assez poussé et vous vous êtes efforcé, je pense, de couvrir à peu près tous les points les plus importants.

Votre mémoire contient des suggestions intéressantes. Nous sommes déjà favorables dès le départ à plusieurs, mais je voudrais d'abord vous poser trois questions sur trois points que vous évoquez dans votre rapport et qui m'apparaissent moins bien soutenus, dont l'argumentation ma paraît plus courte ou insuffisante.

Un premier point est quand vous parlez d'une politique énecgétique qui doit rester souple et flexible. Si c'était possible, cela paraît évident, mais il y a une contradiction quand on pense que les décisions qu'on prend en matière d'énergie impliquent des investissements dont le résultat n'arrive que sept ans, huit ans, neuf ans ou dix ans plus tard.

Ainsi, par exemple, si on doit faire le choix de développer telle ressource hydroélectrique ou tant de mégawatts en telle année, il faut commencer tout de suite. Là, on perd une grand partie de notre flexibilité. Si on entreprend la production de X centrales qui vous arrivent avec tant de mégawatts une année donnée, vous avez perdu une marge de flexibilité considérable. Ou alors si on pense qu'on aura, dans quelques années, des approvisionnements de gaz naturel suffisants et qu'on décide, pour recevoir ce gaz, de mettre sur pied un réseau de distribution beaucoup plus élaboré que celui que le Québec connaît dans le moment, en d'autres mots de faire des gazoducs et toute une canalisation, pour rentabiliser l'investissement que vous avez mis dans cette infrastructure, vous êtes lié au gaz, du moins pour une partie, pour un bon nombre d'années. Cela, c'est...

M. Morin (Pierre): Puisqu'il est question de façons et puisqu'il y en a trois, et celle-là est déjà fort complexe en soi, si vous me permettez d'y répondre immédiatement, je vais tenter d'être assez bref. Ce que l'on dit, M. le ministre, c'est qu'il y a deux grandes priorités en matière d'énergie. L'une, c'est une question de prix à moyen et à long termes; il faut bien s'entendre là-dessus; là, on parle de 20, 25, 30 ans pour le prix immédiat aujourd'hui, et, d'un autre côté, la sécurité d'approvisionnement. Or, au cours des trois, quatre dernières années, l'accent, en termes de priorité, a surtout été mis sur la sécurité d'approvisionnement. Lorsque des documents gouvernementaux ont été publiés à partir de 1973, il s'agissait surtout, fondamentalement, de mettre en évidence la sécurité d'approvisionnement. Or, ce que l'on dit, c'est que notre problématique est taxée précisément sur une autre priorité, celle de la souplesse, de la flexibilité, de façon à pouvoir profiter dans le temps de certains décalages de prix. D'accord? Ceci se traduit un peu plus loin dans notre mé-

moire lorsqu'on parle, en termes d'objectif, de fixer un plancher et un plafond en termes d'objectif d'occupation par secteur, c'est-à-dire que, plutôt que de dire: L'Hydro-Québec devrait occuper 26% du marché énergétique du Québec, ce serait peut-être un plancher de 24% à un plafond de 30% et de pouvoir effectivement jouer et faire la même chose plutôt que de dire que le pétrole doit nécessairement, même si on cherche comme un objectif de réduire notre dépendance du pétrole, passer à 60%; il y aurait peut-être encore là un jeu entre 60% ou 62% et 55%, mais dépendant de ce qu'on peut prévoir.

M. Joron: Oui, je comprends. Il reste quand même que ce n'est pas facile, ce que vous suggérez. Quand on dit, par exemple, quand vous dites: L'électricité devrait occuper quelque part entre 24% et 30% ou 24% et 28%, mettons, plutôt que de fixer un chiffre tel, c'est que le chiffre sur lequel vous jouez, ce n'est pas la quantité d'énergie que vous vous engagez à produire pour telle année, parce qu'il faut approuver les plans de développement longtemps à l'avance. On sait la quantité d'énergie qu'on va avoir; on ne sait pas quel pourcentage exact cela représentera dans le bilan total, parce qu'on est moins en mesure de déterminer quelles seront la demande et la consommation globales. Celle-là peut varier, mais la souplesse vient, à ce moment, de l'imprévisibilité, si vous voulez, de la consommation totale.

M. Morin: Non, pas seulement cela, M. le Président. Elle vient aussi du fait que si on prend l'hypothèse qu'à un moment donné, on a épuisé notre potentiel hydro-électrique et qu'on va dans le nucléaire, pour la production de l'électricité, il y a différentes options, il y a le nucléaire, c'en est une; même à l'intérieur du nucléaire, il y en a deux au moins, il y a deux filières particulières qui peuvent être suivies. Il y a encore les centrales thermiques, que ce soit au charbon, que ce soit au charbon liquéfié, que ce soit au pétrole. Ce qu'on recommande au gouvernement, c'est de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, parce que ce qu'on voit actuellement au niveau des prix du pétrole, on l'a vu aussi récemment au niveau des prix de l'uranium, qui, tout à coup, ont monté, ont grimpé énormément. Remarquez que ce n'est pas tout à fait le même phénomène en termes de relation directe pour le prix au consommateur, parce que, par rapport aux installations, c'est un peu moins important. Mais on peut voir ce même phénomène jouer, on peut voir aussi des baisses. D'acccrd?

M. Joron: D'accord. Ecoutez, on pourrait poursuivre longtemps pour savoir quelle est la marge de flexibilité qu'on peut avoir, c'est sûr que si on peut en avoir une, tant mieux. Personnellement, je doute qu'elle puisse être très très large...

M. Morin (Pierre): On dit simplement de privilégier une marge de flexibilité.

M. Joron: D'accord. Des deux autres questions que je voulais vous poser, une porte sur les tarifs préférentiels pour la transformation de matières premières qui s'implanteront dans les régions périphériques. Vous faites une suggestion qui me paraît fort heureuse quand vous évoquez la possibilité de tarifs de nuit, c'est-à-dire qu'ils ne viennent pas taxer la demande au moment de la pointe, qui est très coûteuse, et on pourrait ajouter aussi en certaines saisons plutôt que dans d'autres, enfin.

Par contre, pourquoi insister sur la transformation des matières premières comme telles, qui ont eu pour résultat, dans le passé, bien sûr, d'assurer au Québec une certaine activité économique, mais aussi d'introduire une faiblesse structurelle dans l'économie du Québec nous rendant un peu trop dépendants du secteur primaire et empêchant le développement du secteur secondaire. C'est curieux, je me serais attendu que vous auriez parlé peut-être de tarifs préférentiels favorisant la transformation secondaire et non pas celle des matières premières; parce que souvent, il arrive que quand on utilise de l'électricité qui coûte très cher à produire pour faire une transformation uniquement primaire, ce qu'on se trouve à exporter, finalement, c'est de l'énergie principalement. Au prix que l'énergie coûte aujourd'hui, je pense que c'est le genre de chose que tout le monde veut garder et non pas exporter. Je n'ai pas vu très clairement pourquoi vous en venez à cela.

M. Morin (Pierre): II ne s'agissait là que d'un exemple que l'on donnait ici. Non pas pour souligner d'encourager une nouvelle transformation de matière première, mais bien pour montrer le problème qui touche les individus, les travailleurs qui, actuellement, peuvent travailler en équipes où l'emphase est placée le jour, alors que là peut-être l'emphase serait placée sur la production de nuit, et cela implique des problèmes humains. C'était relié au problème de l'information. Effectivement, l'exemple, surtout venant de nous, aurait peut-être été mieux choisi au niveau de la transformation ou la fabrication de produits finis. C'est une optique industrielle; mais le point que l'on voulait porter à votre attention, ce sont les problèmes humains que cela importe et que cela comporte aussi, en termes de vouloir modifier un comportement de travail qui, actuellement, se fait le jour principalement, ou peut se faire à la journée, mais où l'emphase est surtout mise sur la production de jour, alors qu'ici, on voudrait changer l'emphase pour la porter la nuit. Il y aurait peut-être lieu, précisément, dans la transformation des matières premières, d'examiner assez rapidement ce qui se fait actuellement aux Etats-Unis en matière de ce qu'on appelle — j'utilise le terme américain — "bioconversion". Il y a une énorme compagnie américaine qui investit $75 millions pour se servir des résidus d'une matière qu'on a en grande abondance ici, l'industrie du bois, pour utiliser les résidus pour former l'énergie, pour servir sa transformation. C'est aussi d'autres hypothèses. Cela aurait pu

être un autre exemple que l'on aurait introduit ici. C'était beaucoup plus un problème humain qu'un problème de transformation.

M. Joron: Ma dernière question... J'en aurais une quatrième, je vous l'annonce seulement et vous y répondrez plus tard. Je voudrais savoir comment la Chambre de commerce peut nous aider auprès de ses membres dans l'application d'un programme d'économie ou de conservation de l'énergie. Il y a une collaboration très fructueuse qui, à mon avis, devrait s'établir entre le gouvernement et la Chambre de commerce pour nous aider à faire ce programme d'information auquel vous pensez.

La dernière question que je voulais vous poser portait sur l'intervention de l'Etat au niveau du raffinage et de la distribution. Vous vous y montrez défavorable dans votre mémoire, mais vous semblez l'expliquer assez sommairement en disant que des expériences semblables dans d'autres pays n'ont peut-être pas été au plus grand bénéfice des consommateurs. Je pense que cela ne m'apparait pas prouvé, parce qu'en Amérique, d'accord, il n'y a pas eu beaucoup d'exemples semblables, mais si on pense à certains pays d'Europe, l'Italie avec l'ENI par exemple, ou la France avec ELF-ERAP, la compagnie française des pétroles, qui est la plus importante compagnie française dont l'Etat français détient la majorité des actions, ou encore même British Petroleum qu'on ne perçoit pas comme une société d'Etat peut-être, mais dont la couronne britannique détient 56% des actions, ce sont là toutes des sociétés d'Etat, je pense, qui ont joué un rôle considérable dans la sécurité ou l'approvisionnement énergétique des pays concernés. Alors, pourquoi ne pensez-vous pas que SOQUIP pourrait être utile au Québec?

M. Morin (Pierre): La considération, M. le Président, qui nous fait dire cela, c'est qu'en termes des sommes impliquées, en termes de l'utilisation des sommes impliquées, actuellement, au Québec, divertir les quelques centaines de millions que cela prendrait pour s'impliquer dans le domaine, que ce soit simplement le raffinage, si on y ajoute les autres millions que cela prend pour la distribution, la question se pose: Est-ce qu'on ne peut pas mieux utiliser cet argent?

M. Joron: C'est une question d'allocation des ressources...

M. Morin (Pierre): C'est d'abord et avant tout...

M. Joron: ... dans le contexte de contraintes financières et budgétaires.

M. Morin (Pierre): Oui, mais pas seulement dans l'immédiat. On peut les examiner sur une base à moyen terme, même dans une perspective de sept ou huit ans.

C'est le principal point. L'exemple que vous avez donné, ELF-ERAP, dans le cas précisément de la crise, ou de la soi-disant crise, qui a été vécue comme crise en Europe, a eu un comportement semblable aux autres multinationales, auxquelles dans certains cas elle était associée et avec lesquelles, dans d'autres cas, elle était en concurrence sur le plan du consommateur durant la période 1973/74 en France. Pour ce qui est de BP, elle fait partie de ce qu'on appelle les "Seven sisters " et elle a aussi eu, en ce sens, un comportement fort semblable à celui des entreprises multinationales. Là, je ne veux pas dire que le comportement des multinationales était mauvais, c'est précisément là le point, mais est-ce qu'on va engager des sommes de l'Etat pour aller faire ce que, déjà, les autres font, si elles le font bien? D'accord? C'est ce point-là.

Si on détermine qu'elles le font mal et qu'on ne peut pas le corriger, là se pose vraiment la question. Mais jusqu'à maintenant, l'argument que l'on donne, c'est qu'elles ont fait aussi bien que les autres, non pas nécessairement mieux, mais dans l'ensemble, elles ont relativement bien fait.

M. Joron: Je ne vous dis pas que je souscris nécessairement...

M. Morin (Pierre): Non, non...

M. Joron: ... à votre argument, mais je le comprends.

Le Président (M. Laplante): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, merci. Vous avez fait référence tantôt aux problèmes humains. Habituellement, les mémoires des chambres de commerce ou des compagnies dans le domaine commercial se limitent aux aspects monétaires de certains problèmes. Je remarque ici que vous avez fait référence aux droits des minorités, vous avez fait référence aux autochtones qui ont conclu l'entente de la baie James. Je suis agréablement surpris de voir, dans le mémoire de votre chambre de commerce, que vous êtes soucieux et conscient des droits des minorités. Je crois que c'est un geste très responsable et je vous en félicite.

Je voudrais avoir quelques précisions sur des remarques, des recommandations que vous avez faites. A la page 4, no 44, il y a une recommandation au sujet de la réalisation des projets hydroélectriques. Corrigez-moi si je vous interprète mal, mais est-ce que je peux interpréter cette recommandation en ce sens-ci? Vous savez sans doute que l'Hydro-Québec développe le projet du complexe La Grande à la baie James avec un certain échéancier et a aussi, en planification, le projet NBR, les développements des rivières Nor-thway, Broadback et Rupert.

Premièrement, est-ce que vous seriez en faveur, quant au projet La Grande, si j'interprète bien votre recommandation, de maintenir l'échéancier que l'Hydro-Québec a établi pour ce projet, d'après les prévisions de la demande hydroélectrique au Québec? La première question: Est-ce que j'interprète ça comme une recommandation de votre part, de ne pas retarder ce projet?

M. Morin (Pierre): M. le Président, l'interprétation du député de Mont-Royal est exacte, et même si on pouvait accélérer le développement de la baie James, nous serions en faveur.

M. Joron: Vous allez nous aider à trouver le financement?

M. Morin (Pierre): Déjà, M. le Président...

M. Ciaccia: ... sujet aux contraintes financières, M. le ministre?

M. Morin (Pierre): Déjà... Si vous me permettez simplement d'ajouter un commentaire là-dessus, ce que l'on oublie peut-être, nonobstant les difficultés possibles de financement, c'est que déjà nous nous sommes adressés à lui et nous sommes à la disposition du gouvernement pour l'aider.

D'ailleurs, nous avons commencé, indépendamment du gouvernement, à tenter d'aider à aplanir ces difficultés de financement.

La mise en marche de ces projets nous procure, même si elle excède la demande, et lorsqu'on parle de la demande, c'est celle qui est prévisible au Québec, si on réussit à en vendre, elle nous procure aussi des devises étrangères. C'est pour cela tantôt que j'ai fait une parenthèse. J'ai bien dit, en clair, qu'il s'agit de vendre de préférence aux Etats-Unis qu'à l'Ontario. Vous vous souviendrez de cette parenthèse que j'ai ouverte un peu plus tôt. Ces devises étrangères nous permettent, pendant un certain temps au moins, alors que l'on est tributaire de l'importation d'autres sources d'énergie, d'amincir un peu le bilan de nos dépenses énergétiques vers l'étranger. Alors...

M. Ciaccia: Je comprends. Je n'entrerai pas dans le débat de la question d'exploitation parce que lorsqu'on à l'Hydro-Québec, on n'est pas tout à fait certain qu'il va y avoir assez de surplus de pouvoir hydroélectrique pour exporter, à moins que ce soit dans les périodes...

M. Morin (Pierre): C'est précisément une de nos inquiétudes.

M. Ciaccia: ... dites de pointe, au mois de juillet et au mois de février. Inutile de dire que vous êtes en faveur aussi du développement du projet NBR, cela va sans dire.

M. Morin (Pierre): Encore là, dans la mesure où, économiquement, c'est rentable. C'est une qualification que j'apporte ici, mais...

M. Ciaccia: Plus loin, dans votre mémoire, vous parlez de l'installation du pipe-line des îles arctiques sur le côté est de la baie James. Je suis heureux de voir que vous avez pris connaissance de ce projet qui serait très important pour le Québec. Je me permets ici, M. le Président, d'apporter une petite clarification aux remarques de ce matin; à la suite des remarques que j'avais faites, le ministre a semblé vouloir dire que l'important, c'était que le pipe-line soit construit. Vous préféreriez, après que mon collègue, le député de Saint-Laurent, vous l'eut demandé, vous préféreriez le côté est, le côté du Québec. Si je me souviens bien, vous avez dit que, même s'il est construit sur le côté ouest de la baie James, il va aller dans le Manitoba et dans l'Ontario. Vous semblez dire que ce serait, comme marché, aussi facile de ce côté-là, de venir au Québec.

L'argument que j'apportais était que si le pipe-line est construit du côté est, du côté du Manitoba, il va être plus...

M. Joron: Du côté ouest.

M. Ciaccia: Du côté ouest, excusez-moi, il va être plus près des marchés ontariens et américains que des marchés du Québec.

M. Joron: Pas...

M. Ciaccia: D'après le projet qui est décrit un peu dans les documents de la compagnie Shell, il démontre que s'il est construit du côté du Manitoba, physiquement, il va être plus près du marché américain que du marché du Québec. Cela ne veut pas dire qu'il va aller au marché américain. La thèse que j'essayais de faire ce matin, c'était que c'est encore un autre argument pour ne pas s'isoler du reste du Canada, parce que ces sources d'énergie, nous en avons besoin.

Je suis fort heureux de voir que vous recommandez qu'on soit dynamique pour que ce projet soit construit du côté du Québec. Je voudrais même signaler que dans l'entente de la baie James, à laquelle vous vous êtes référé, nous avons fait spécifiquement une prévision pour l'éventuelle construction d'un gazoduc des îles de l'Arctique au Québec, passant par le Québec. Pourriez-vous décrire quelques-uns des avantages, à part le fait d'avoir la source d'énergie plus près, d'une telle construction sur le côté du Québec, plutôt que de construire sur les Territoires du Nord-Ouest, au Manitoba et en Ontario?

M. Morin (Pierre): En plus de terminer la tête de pont, ce qui actuellement est Montréal, du réseau transcanadien, le tracé sur l'est de la baie d'Hudson, si les problèmes de technologie peuvent être résolus — parce qu'il y en a encore pour traverser les grandes étendues d'eau — amènerait les ruptures de charge au Québec. Plus tôt, lorsque M. le ministre faisait référence à l'avoir d'un côté ou de l'autre, le point de rupture de charge n'aurait pas été au Québec. Le point de rupture de charge marque une économie appréciable permettant, à partir de là, de le diffuser. Je sais que les gens du Québec attendent impatiemment aussi, pour leur développement industriel, le gaz naturel. SIDBEC l'attendait dans son dossier, initialement, et l'attend encore. L'avantage principal est un avantage économique que d'avoir le point de rupture de charge au Québec, de façon à bien le diffuser. Cela représente un avantage économique considérable.

Le Président (M. Laplante): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci. M. Morin, vous avez, dans votre mémoire, basé une partie au moins de votre argumentation sur l'opportunité d'une stratégie de flexibilité de manière que l'objectif prioritaire ou l'accent se déplace d'une préoccupation de sécurité d'approvisionnement vers une préoccupation, dans le fond, du prix le meilleur, le plus avantageux. Pour cela, pour favoriser une telle stratégie de prix le plus avantageux, vous avez suggéré qu'on évite de mettre tous nos oeufs dans le même panier.

Sans insister davantage sur les difficultés que le ministre a soulignées quant aux moyens de mettre en oeuvre une telle politique de souplesse dans une industrie qui implique des investissements massifs et très discontinus, j'aimerais poser quelques questions au sujet de l'objectif même de prix minimal. C'est peut-être un peu paradoxal, puisqu'on peut présumer que, dans toute espèce d'industrie, l'objectif sur un plan économique soit d'obtenir des approvisionnements aux meilleurs prix possible.

Cependant, on peut au moins avancer contre cela, dans ce secteur de l'énergie, un certain nombre de questions, d'interrogations à ce moment-ci.

En premier lieu, si on regarde du côté des consommateurs, il est évident qu'on pourra faire toute l'éducation qu'on voudra, mais, si l'on envisage, à moyen ou à long terme, des problèmes d'approvisionnement sérieux, parce que, même si on change la stratégie, cette réalité ne s'évanouira pas, cette éducation du consommateur se fera d'autant mieux que les prix s'élèveront graduellement, de manière que certaines habitudes de vie, de consommation soient changées, mais peut-être de façon plus significative si l'on envisage l'impact comme une politique d'énergie à bon marché sur l'industrie, sur sa capacité concurrentielle. N'est-il pas vrai de dire que, pour la plupart des industries de transformation, l'industrie secondaire si l'on veut, la facture énergétique correspond à, je pense, quelque chose comme 2% ou moins du total des frais de fonctionnement et que, même l'énergie à très bon marché ne constitue pas un facteur concurrentiel significatif, sauf pour une certaine partie de l'industrie secondaire — même si elle transforme la matière première, c'est de l'industrie secondaire — qui, particulièrement dans le raffinage ou l'affinage des métaux, elle, exige les quantités énormes et où la disponibilité et le prix de l'énergie est un facteur déterminant... Cela peut être une politique ad hoc pour des industries bien déterminées. Donc, sur un plan général tout comme pour les consommateurs, il semble que, pour l'industrie, il n'y a pas un avantage marqué à une politique de prix le plus bas possible.

Finalement, si l'on envisage, comme vous le faites, de stimuler les exportations afin de gagner des devises nécessaires pour payer certains éléments du compte énergétique, considérant les res- trictions qui existent sur les barrières indirectes ou implicites au commerce international, il y aura des difficultés à établir une discrimination des prix vis-à-vis des utilisateurs étrangers en vertu des accords internationaux existants si l'on a, sur le plan domestique, une politique de très bas prix. Enfin, ce n'est qu'une qualification. Finalement, il y a aussi une autre implication. C'est que, si l'on pratique une politique de prix les plus bas possibles, et particulièrement dans l'énergie hydroélectrique, est-ce qu'on n'est pas en même temps obligé — c'est l'envers de la médaille — d'avoir une politique d'autofinancement des investissements faits dans le domaine hydro-électrique, politique d'autofinancement beaucoup plus modeste qu'elle pourrait l'être? Ce qui veut dire que, finalement, les contribuables paieront indirectement ce qu'ils n'auront pas payé en tant que consommateurs d'énergie ou, si l'on veut, ce seront les consommateurs de demain qui paieront pour la consommation d'aujourd'hui.

A la lumière de tout cela, est-ce que votre objectif de prix minimum, à ce moment, n'est pas un peu désuet, même si vous avez peut-être raison d'attirer l'attention sur autre chose que simplement sur les problèmes d'approvisionnement? Parce qu'on ne s'est pas beaucoup entendu au début de la journée sur les différents points de vue ou les différents sons de cloche qu'on a entendus là-dessus. Pour certains, il n'y a pas de problème. Pour d'autres, il y en a. Enfin, on réglera cela à un autre moment. Est-ce que ce n'est pas malgré tout un peu désuet à cause de toutes ces considérations?

M. Morin (Pierre): M. le Président, c'est peut-être ici une question d'interprétation.

Ce que nous recommandons au gouvernement n'est pas la politique du plus bas prix possible, c'est la politique du meilleur prix possible, et cela sur l'ensemble du bilan énergétique. Je pense que c'est peut-être une question de nuance, il faut bien se comprendre, il ne s'agit pas d'encourager, en minimisant le coût de l'énergie, une consommation plus grande. C'est bien une question d'op-timalité et non pas du prix minimum dans ce sens-là. C'est l'ensemble du coût de l'énergie au Québec pour l'ensemble de ses citoyens, aussi bien les individus que les corporations, les sociétés ou les industries. Ce n'est pas, par exemple — je reviens à l'exemple du nucléaire — en engageant des sommes phénoménales, parce qu'elles vont être phénoménales. D'ici la première décennie de l'an 2000, je crois qu'on prévoit la nécessité d'à peu près 25 centrales nucléaires. Je ne sais pas si mon information semble... Avec les coûts impliqués au mégawatt, si le prix du pétrole revient à un prix non pas artificiellement fixé, mais à un prix économique qui serait aujourd'hui sensiblement plus bas que le prix artificiellement fixé, à ce moment, si on a engagé une trop grande part de notre bilan énergétique dans la production d'électricité, et qu'on reste effectivement pris avec celle-ci, on se retrouve à payer pour une partie, peut-être une bonne partie, de nos ressources

énergétiques un prix peut-être beaucoup trop élevé. C'est ce vers quoi on milite en parlant du meilleur coût possible et d'une politique de souplesse. Je ne sais pas s'il y a encore peut-être une question d'interprétation. Ce n'est pas de dire: Ecoutez, on peut encore produire de l'électricité moins cher aujourd'hui avec une centrale à l'essence ou au pétrole. C'est peut-être vrai aujourd'hui. On sait que, dans le délai qui est impliqué, peut-être de huit ou dix ans, les chances que ce soit vrai sont plus ou moins grandes. Mais, si on se lance dans 25 centrales nucléaires dans cette période et qu'on ne se donne pas de chance de prévoir le coût du pétrole, pendant ce temps où on peut amener du gaz, où on peut avoir un prix du pétrole qui permettrait un meilleur équilibre pour produire la même chose, c'est à ce moment qu'on paierait peut-être un coût excédentaire. C'est à ce niveau, et c'est dans ce sens qu'on emploie le terme "le meilleur prix possible" et non pas le plus bas prix possible.

Le Président (M. Laplante): M. le député de Rimouski.

M. Marcoux: J'ai été très heureux à la lecture de votre mémoire, entre autres en ce qui concerne la distinction que vous faites entre l'énergie et l'industrialisation pour les régions périphériques, mais j'ai vite déchanté dès que le ministre Joron vous a posé une question et où vous avez, en somme, rapetissé la pensée qui était énoncée dans votre mémoire.

Je vais faire ma remarque et poser ma question en même temps. Dans votre mémoire, à la page 4, vous recommandez d'adopter, soit au gouvernement, soit à l'Hydro-Québec, soit l'un ou l'autre, une politique de tarification préférentielle de l'énergie électrique à être accordée, pour une période ou une quantité limitée, aux industries de transformation — je présume donc que c'est du secondaire — de matières premières qui s'implanteront dans les régions périphériques de la province. Cela veut dire dans des régions qu'on appelle régions — ressources.

En somme, vous vouliez — je pense que c'est assez clair — qu'on se serve de la politique tarifaire de l'électricité pour faciliter l'implantation industrielle dans les régions périphériques qui sont des régions-ressources.

Je pense qu'il y a des types de ressources qu'on ne trouvera pas en plein coeur de Montréal et cela ne donnerait rien de faire des tarifications spéciales pour Montréal à ce moment. Mais par définition, les ressources sont dans les régions-ressources, qui sont des régions périphériques du Québec.

Lorsque le ministre Joron vous a posé la question et qu'il a associé cela à votre autre suggestion de faire travailler le monde la nuit dans les régions ou un peu partout, vous avez mêlé les deux et avez dit: Cela fait un tout. Je concevais que c'étaient deux choses distinctes. La question de faire travailler le monde la nuit, cela peut s'appliquer un peu partout selon un certain nombre de critères.

Mais la question de transformer les ressources, il faudra, autant que possible, les transformer là où elles sont. Et quand on parle d'industrialisation des régions, il s agit de savoir si, dans votre optique, de façon claire et nette, vous pensez que le gouvernement ou l'Hydro-Québec doit se servir de l'instrument de la tarification comme facteur pour favoriser la transformation des ressources dans les régions périphériques.

Si ce n'est pas clair, dites-le. Si votre pensée n'est pas claire, elle ne sera pas claire, mais si elle est claire, je voudrais qu'elle soit très claire pour la commission parce que je suis convaincu que ce sera un des débats importants ou une des quelques pages importantes de l'éventuel livre blanc.

Deuxième question qui est d'un autre ordre, mais que je peux énoncer tout de suite... Comme vous préférez.

M. Morin (Pierre): Je préfère répondre immédiatement à celle-là.

M. Marcoux: Oui.

M. Morin (Pierre): Je voudrais vous souligner à quelle date cela a été adopté, soit en 1973. On venait de vivre à la fois le problème récent de Pi-cheney, le dossier de Picheney, et nous avons, au sein de la chambre, énormément de gens qui nous viennent, comme vous, des régions-ressources et qui se sentent parfois défavorisés.

A ce moment, je dois vous dire que c'était très clair et c'était pour ne pas manquer personne qu'on demandait soit à l'Hydro-Québec ou au gouvernement parce que lorsqu'on s'adressait à l'Hydro-Québec, cette dernière nous disait: Demandez donc au gouvernement. C'est le gouvernement qui devrait le faire. Ce n'est pas notre travail de subventionner les taux ou de faire subventionner les taux. Sauf que la situation a évolué depuis ce temps. On peut encore l'envisager, mais ce que je veux vous dire, c'est qu'aujourd'hui c'est moins clair parce que, effectivement, et il faut se rallier à ce que le ministre a dit tantôt.

Subventionner les tarifs d'électricité pour la transformation de matières premières, si on est pour les exporter, c'est exporter de l'énergie. Or, il faut se poser la question: Est-ce qu'on peut d'abord se le permettre et, deuxièmement, est-ce qu'on peut, en plus de cela, se permettre de subventionner une telle opération? D'accord? Dans cette perspective, comme la situation a évolué et que, normalement, on a encore deux ans à franchir ou un an, tout au moins, avant que soit revue cette politique de la chambre en assemblée générale, son opportunité apparaît peut-être un peu plus mise en doute. Je ne voudrais pas remettre en cause le voeu de nos commettants, mais on doit réaliser concrètement que l'opportunité de le faire est peut-être un peu plus mise en doute.

M. Marcoux: Bon, à ce moment, je comprends ce que vous pensez. C'était clair à ce moment, mais votre pensée évolue parce que la situation évolue.

M. Morin (Pierre): Oui, effectivement.

M. Marcoux: Mais je vous demanderais, disons, peut-être, au nom de plusieurs personnes, de réfléchir à ce moment sur le fait suivant. Vous dites que vous vous préoccupez des consommateurs. On peut avoir des consommateurs qui vivent de paiements de transfert; on peut avoir des consommateurs qui vivent de travail. Alors, il faudrait aussi, par ailleurs, réfléchir sur la façon de faire en sorte que les consommateurs des régions périphériques ne vivent pas, ne consomment pas seulement à partir des paiements de transfert.

La deuxième question concerne le gaz naturel. Vous avez parlé d'une politique de souplesse. Si j'ai bien compris, c'est: Ne vous embarquez pas seulement dans l'hydroélectricité ou seulement dans le pétrole, ou seulement dans le gaz naturel.

Ce que vous conseillez au gouvernement, c'est de favoriser une multiplicité, une polyvalence des moyens pour suffire à nos besoins d'énergie. Face à cette politique de souplesse, la question est la suivante. Vous avez un article très clair, à la page 5, qui dit que le prix du gaz naturel doit au plus tôt rejoindre le prix du pétrole canadien. Vu que ce mémoire a été écrit il y a un certain nombre d'années également, j'aimerais vous demander ceci: Cet après-midi, on a rencontré un groupe qui nous a suggéré, pour arriver à cette souplesse — parce qu'elle n'existe pas actuellement, il y a environ 4% de notre consommation d'énergie qui est en gaz naturel — d'avoir une politique claire qui favorise l'établissement d'un réseau de distribution de gaz naturel, de transport, etc., par un premier moyen en supprimant une taxe de 8% qui existe actuellement pour ce secteur et non pour les autres secteurs d'énergie. Eventuellement, il souhaitait qu'on maintienne, pour une bonne période, en tout cas, un écart de 15% entre le tarif du pétrole, si j'ai bien compris, et le tarif du gaz naturel. Qu'est-ce que vous pensez de ces suggestions faites, si je me souviens bien, par SOQUIP?

M. Morin (Pierre): Excellentes et si, en plus, vous pouviez faire disparaître la taxe de 8% sur l'électricité qui, à ma connaissance, a toujours été un bien essentiel comme la nourriture, on l'apprécierait d'autant plus.

M. Marcoux: Sur le principe de l'écart de prix entre le gaz naturel et le pétrole, vous êtes maintenant d'accord avec cet écart?

M. Morin (Pierre): Encore là, c'est une question de temps. Vous me parlez de quelque chose qui est entre court et moyen termes. Essentiellement, la poussée du mémoire est beaucoup plus de moyen à long termes. C'est dans ce sens qu'on dit qu'une fois que ce sera établi, une fois que ce marché sera accaparé, il faudrait que les prix s'équivalent, de façon qu'un BTU, essentiellement, quelle que soit son origine, coûte sensiblement la même chose.

Une fois que les équivalences seront faites aussi, parce qu'on comprend que ce n'est pas encore réussi.

Le Président (M. Laplante): Le député de Bellechasse.

M. Goulet: M. le Président, ma question sera très courte. M. Morin, se peut-il que, dans votre rapport, vous fassiez allusion au fait que notre énergie hydroélectrique soit mal administrée, sinon mal administrée, elle pourrait être mieux administrée.

M. Morin (Pierre): M. le Président, non.

M. Goulet: J'aimerais, à ce moment-là, que vous commentiez la page 5 où vous notez, en parlant de nouveaux administrateurs à l'Hydro-Québec: "Ces nouveaux administrateurs auraient pour mandat de veiller aux intérêts des consommateurs et voir à ce que l'Hydro-Québec soit aussi bien gérée que l'entreprise privée". Cela veut dire qu'elle pourrait être mieux gérée qu'elle ne l'est actuellement. C'est vrai que cela a été décidé à votre congrès de 1973, mais cela a été dit tantôt.

M. Morin (Pierre): Non, ce n'est pas l'argument que j'invoquerais dans ce cas-ci, M. le Président. C'est bien plus une question d'apparence qu'une question réelle; on ne voudrait pas imputer à Hydro-Québec quelque défaut de gestion, sauf qu'au niveau de la structure, on a là une des plus grosses sociétés au Québec, une société d'Etat, qui nous appartient tous, et qui est gérée en fonction, sensiblement, des normes du secteur privé. Elle se compare à d'autres sociétés d'utilité publique, et favorablement, partout en Amérique du Nord, sinon partout dans le monde. Ce n'est pas contre cela qu'on en a; sauf que cette société d'Etat pourrait souffrir d'un peu plus de limpidité, ce que Security and Exchange Commission, aux Etats-Unis, appelle "disclosure" ou d'ouverture un peu. Ce qu'on constate, avec des fois un peu d'interrogation, c'est que précisément dans les prospectus, lorsque l'Hydro-Québec emprunte sur les marchés étrangers, toutes ses intentions, toute son organisation y est bien étalée, généralement, à la vue d'investisseurs étrangers et le consommateur québécois qui, en définitive, en est le propriétaire, souvent est moins bien informé sur la situation de l'Hydro-Québec que ne l'est l'investisseur américain. On trouve cela un peu paradoxal et c'est cela qu'on souhaiterait corriger. C'est à ce niveau qu'on suggère que soit élargi le conseil d'administration de l'Hydro-Québec pour y incorporer des gens qui n'ont pas de responsabilité quotidienne. Ce n'est pas le cas des commissaires qui sont, à la fois, malgré toute la bonne foi, non pas malgré, mais avec toute la bonne foi qu'on peut leur donner, on doit le constater, quelquefois, juges et parties dans les destinées de l'Hydro-Québec. Ils ont chacun un département pour lequel ils sont responsables et, ensemble, comme conseil d'administration, décident des orientations de l'Hydro-Québec. C'est dans cela qu'on croit que cela pourrait être un peu plus limpide.

M. Goulet: Mais vous admettez tout de même que, dans le domaine hydroélectrique comme ail-

leurs, normalement, une entreprise privée est mieux gérée qu'une entreprise d'Etat.

M. Morin (Pierre): Non.

M. Goulet: Non? Alors, c'était écrit.

M. Morin (Pierre): Les objectifs ne sont pas les mêmes.

M. Goulet: C'est très bien. Cela complète pour moi.

M. Morin (Pierre): On ne peut dire que les performances ne sont pas nécessairement aussi bonnes, mais ça ne veut pas dire qu'elles sont moins bien gérées.

M. Goulet: Les performances, ça veut peut-être dire...

M. Morin (Pierre): Les performances ne sont peut-être pas toujours aussi bonnes.

M. Goulet: Vous admettez que les performances sont normalement meilleures. Monsieur, vous le dites?

M. Morin (Pierre): Oui. Je vous dis que les objectifs ne sont pas nécessairement les mêmes.

Le Président (M. Laplante): Dernière intervention, M. le ministre, député de Matane.

M. Bérubé: Deux questions. La première est en relation avec la discussion qui s'est déroulée à propos de l'exportation d'énergie essentiellement sous forme d'aide à la localisation d'entreprises de métallurgie extractives dans les régions périphériques. Je pense qu'il est vrai que l'exportation de l'énergie brute n'est certainement pas à recommander. Par conséquent, dans la mesure où il ne s'agit que de produire un fer ou alliage, coûteux, par exemple, on pourrait la remettre en question. Mais je crois quand même que vous acceptez le fait que c'est la présence d'énergie à très bon compte qui a permis l'implantation de l'Alcan et en particulier, donc, le développement d'une région complète. Par conséquent, l'existence d'une source d'énergie à bas tarif peut générer tout un développement économique régional qui est quand même non négligeable. Croyez-vous donc que l'on puisse quand même faire appel à des tarifs préférentiels? Et là, je m'explique quand même. Dans le cas d'une aluminerie, je la vois de préférence à proximité des barrages, là où le coût de transport est quand même minimal. Je pense qu'il faut tenir compte de ce facteur. Je ne pense donc pas à accorder des tarifs à une entreprise, une aluminerie en plein centre de Montréal. Là, les coûts de transport de l'énergie électrique sont quand même considérables.

Ceci étant mis de côté, est-ce qu'on ne pourrait pas, en dépit de votre évolution, considérer le financement d'une industrie métallurgique pri- maire dans un but de développement régional? Moi, je vous...

M. Morin (Pierre): Oui.

M. Bérubé: ... repose la question compte tenu des remarques que je vous soulignais.

M. Morin (Pierre): Oui, je vous ai dit qu'on était en situation d'évolution qu'on n'avait pas classé la question. Fondamentalement, la réponse est oui. On pourrait fort bien envisager de subventionner, d'avoir un taux préférentiel pour une entreprise que l'on juge importante pour le développement du Québec, une industrie de transformation primaire des métaux, par exemple. Avoir un taux préférentiel, certes.

II n'y a pas d'objection idéologique à la question, au contraire. Ce n'est pas arrêté. Ce qu'on dit, par contre, c'est que se lancer dans l'invitation des entreprises à venir transformer nos richesses naturelles et les exporter avec un fort contenu d'énergie — je parle d'une invitation "at large", — c'est peut-être à repenser. D'accord?

M. Bérubé: J'aurais une deuxième question. J'ai noté avec beaucoup d'intérêt la méfiance que vous manifestez vis-à-vis de l'uranium comme source d'énergie. Je pense qu'elle est partagée dans beaucoup de pays. La question que votre méfiance suscite cependant dans mon esprit est reliée à l'importance de gros programmes d'exploration au Québec dans le secteur de l'uranium, par exemple, par la SDBJ et par SOQUEM. Est-ce que votre méfiance naturelle pour l'uranium vous inciterait à réduire l'importance de ces programmes de développement dans le secteur de l'uranium, toujours dans cet esprit que nous hésitons à exporter de l'énergie, c'est-à-dire exporter de l'uranium directement?

M. Morin (Pierre): M. le Président, c'est une question un peu plus compliquée. Notre méfiance de l'uranium n'est pas une méfiance naturelle dans ce sens-là. C'est une question d'option, en termes de filières. Pour être bien précis, ce que l'on dit, ce que l'on veut dire dans notre mémoire, il faut investir dans le nucléaire; ce n'est pas une question de ne pas investir dans le nucléaire, il faut investir dans le nucléaire.

Mais est-ce qu'on doit mettre tous nos oeufs dans le système CANDU? Est-ce qu'on doit mettre tous nos oeufs dans le système américain? C'est là où on dit peut-être que dans cette filière, dans une perspective de 30 ans, c'est un cul-de-sac technologique, parce qu'il y a la question de la disposition des déchets, il y a la question de la transformation ultime, de la possibilité de transformation du plutonium qui en résulte en bombe atomique.

Il y a d'autres filières. J'ai fait référence au projet Phénix en France, qui, à ma connaissance, utilise aussi de l'uranium. Ce n'est pas à l'uranium en soi, mais c'est aux problèmes occasionnés par une filière par rapport à une autre et au développement technologique dans ce sens-là.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, M. le ministre.

M. Bérubé: Non pas pour les programmes d'exploration, mais...

M. Morin (Pierre): D'accord.

Le Président (M. Laplante): Les membres de cette commission vous remercient de la coopération que vous avez bien voulu leur apporter.

M. Morin (Pierre): Cela nous a fait plaisir.

Le Président (M. Laplante): Ajournement à demain. Avant d'ajourner, j'aimerais donner la liste des organismes qui seront entendus demain, à deux heures. Club automobile de Québec, Albert Ethier Limitée, Aigle d'or Canada Limitée, le Cha- pelier, Pierre, Elf Hydrocarbures du Québec Limitée, Comité de protection de l'environnement de Lotbinière. La séance est ajournée à deux heures demain.

M. Morin (Pierre): M. le ministre délégué à l'Energie avait une quatrième question. Je voulais tout simplement lui donner une réponse, pendant que je puis encore officiellement vous dire que nous sommes à votre entière disposition pour l'élaboration d'un programme conjoint de notre part précisément pour encourager au sein des entreprises québécoises la conservation de l'énergie.

M. Joron: Je vous remercie de votre collaboration. Cela ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. On aura à s'en reparler.

(Fin de la séance à 22 h 20)

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