(Dix heures vingt minutes)
Le Président
(M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! À
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant
constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission des relations
avec les citoyens ouverte. Je vous
souhaite la bienvenue et je demande à toutes les personnes dans la salle
de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
La commission
est réunie afin de procéder aux consultations
particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 103, Loi visant à renforcer la
lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs
transgenres.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Kotto (Bourget) est remplacé par Mme Hivon (Joliette); Mme Lavallée (Repentigny) est remplacée
par M. Jolin-Barrette (Borduas).
Le
Président (M. Picard) : Merci. Ce matin, nous débuterons par les remarques préliminaires et
ensuite nous entendrons Mme Françoise Susset, psychologue. Comme la
séance a débuté à 10 h 20, y a-t-il consentement pour poursuivre jusqu'à
11 h 20? Consentement.
Remarques
préliminaires
À l'étape
des remarques préliminaires, nous avons une demande de Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, qui aimerait avoir des remarques
préliminaires. J'aurais besoin d'un consentement pour des remarques de deux minutes. Consentement.
Donc, j'invite maintenant la ministre de la
Justice à faire ses remarques préliminaires. Mme la ministre, vous disposez de
six minutes.
Mme Stéphanie Vallée
Mme Vallée : Alors, bonjour, M. le Président. D'abord,
permettez-moi de souhaiter la bienvenue à Mme Susset, Dre Susset, qui a accepté de partager avec
nous son expertise sur les questions des trans, dans la question
dans son ensemble, mais aujourd'hui tout particulièrement pour nos jeunes, les jeunes trans, qui attendent beaucoup
du travail qui sera fait au cours des prochains jours, des prochaines
heures. Alors, je tiens à saluer les collègues du côté gouvernemental, les collègues
de l'opposition puis le public qui suit avec intérêt les discussions qui
entourent ce projet de loi.
Donc, le projet de loi qui a été déposé, le projet
de loi n° 103, c'est une
continuité avec des mesures entreprises il y a déjà un moment qui visent à lever les obstacles administratifs qui nuisent à la reconnaissance de
la réelle identité et de l'expression
de genre de certaines personnes. Peut-être qu'il est important, pour savoir
qu'est-ce qui nous amène ici aujourd'hui, de retracer un petit peu, de
retourner en arrière, de faire le chemin parcouru.
Donc, le
6 décembre 2013, la Loi modifiant le Code civil en matière d'état civil,
de successions et de publicité des
droits était adoptée. C'est une loi qui est venue modifier le Code civil,
notamment pour éliminer l'exigence d'avoir à subir des traitements médicaux et des interventions chirurgicales pour
demander et obtenir le changement de la mention du sexe qui figure à l'acte de naissance pour une personne majeure, des
modifications qui étaient tributaires de modifications réglementaires
qui devaient exceptionnellement être étudiées en commission parlementaire.
Alors, au
printemps dernier, printemps 2015, le projet de règlement modifiant le
règlement sur le changement de nom et
d'autres qualités de l'état civil a fait l'objet de vastes consultations,
consultations particulières mais quand même relativement larges, qui se sont tenues ici, à l'Assemblée nationale,
devant la Commission des relations avec les citoyens. Et, au sortir de ces consultations, la commission
a fait part de ses recommandations et de ses observations unanimes. Et ça,
c'est important de le mentionner parce qu'autour de la table il y avait un réel
consensus des parlementaires quant aux recommandations
à formuler. Et parmi les principales observations, la commission a enjoint le
gouvernement d'entreprendre des
actions pour faciliter la vie des mineurs trans, notamment en leur permettant
de modifier la mention figurant à leur acte
de naissance, parce que les modifications réglementaires et les modifications
apportées au Code civil ne s'adressaient qu'aux majeurs.
Donc, le
1er octobre 2015, les modifications qui avaient été étudiées en commission
parlementaire sont entrées en
vigueur, et, depuis cette date, évidemment, un demandeur adulte n'a plus
l'obligation de subir des traitements médicaux ou des interventions chirurgicales pour obtenir le changement de la
mention du sexe qui figure à son acte de naissance. Je pense qu'il est important de rappeler que de
telles exigences avaient fait l'objet d'une attention toute particulière par
les tribunaux un peu partout au pays et que plusieurs provinces avaient déjà
apporté des amendements législatifs.
Donc, pour
éviter que la mention du sexe ne soit pas harmonisée avec la réalité vécue par
les mineurs trans et qui oblige ces
derniers à vivre plusieurs années avec des documents d'identification qui ne
correspondent pas à leur identité de genre et à leur apparence physique, il est donc
proposé par le projet de loi n° 103 d'aller de l'avant et de permettre à
un mineur, à certaines conditions, d'obtenir
le changement de la mention du sexe à son acte de naissance, et ce, évidemment,
sans devoir subir quelque traitement médical que ce soit, quelque
chirurgie de réassignation.
Je
tiens à rassurer l'ensemble des parlementaires et les gens qui nous écoutent
qu'évidemment il y a des conditions qui
doivent être rencontrées pour permettre que soit accordé le changement de la
mention du sexe à l'acte de naissance, et
la demande pour un jeune de moins de 14 ans doit être présentée par le
parent; pour le jeune de 14 ans et plus, peut être présentée par le jeune, mais le respect de
l'autorité parentale est toujours pris en considération dans la démarche. Mais
il y a également l'exigence que la demande soit accompagnée d'un avis d'un
professionnel de la santé qui est d'avis que le changement de la mention de sexe est approprié. Évidemment,
cette demande-là s'accompagne... Parce
que la plupart des enfants et leurs familles qui entreprennent cette
démarche-là sont accompagnés par des gens, des professionnels du milieu de la santé pour accompagner cette transition-là,
c'est tout à fait normal pour un jeune et pour les membres de la
famille.
Alors,
l'autre élément qui est apporté, qui n'était pas touché par les recommandations de la commission, c'est une
modification apportée à la Charte des droits et libertés de la personne pour ajouter l'identité de genre aux motifs de
discrimination interdits. La discrimination à l'encontre des personnes transsexuelles ou
transgenres, elle est déjà interdite par la Charte des droits par l'entremise de la mention de sexe. Par contre,
en l'expliquant clairement, pour moi, il était important
d'identifier clairement... Parce
que la lutte à la transphobie, la
lutte à l'homophobie, les luttes aux discriminations passent
d'abord par une discussion, par une identification du problème, et, pour moi, c'est un message très
clair à l'effet que ce type de
discrimination là est clairement intolérable dans une société libre et
démocratique comme celle dans laquelle nous vivons.
Alors,
avant de laisser la parole aux collègues, à Mme Susset, je tiens à
rappeler à l'ensemble des collègues que nous devons être encore plus attentifs à la réalité qui est vécue par
les jeunes trans, qui ont besoin de notre soutien pour construire
aujourd'hui les adultes accomplis et épanouis qu'ils seront demain, membres à
part entière de cette société ouverte, inclusive qui est la nôtre. Je vous
remercie.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme la ministre. J'invite
maintenant la porte-parole de l'opposition officielle et députée de
Joliette à faire ses remarques préliminaires pour une durée de
3 min 30 s.
Mme Véronique Hivon
Mme Hivon :
Bonjour. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour à tous les collègues.
Salutations, bien sûr, à la ministre,
à toute sa valeureuse équipe, à mon collègue de Borduas et à ma collègue de
Sainte-Marie—Saint-Jacques,
qui a eu un rôle important aussi,
bien sûr, dans l'avancement de ce dossier-là. Je veux aussi saluer ma collègue
d'Hochelaga-Maisonneuve, qui a travaillé, lors des consultations, sur ces
enjeux qui concernent les personnes trans et sur la question des personnes mineures aussi, et ultimement,
peut-être qu'on pourra en reparler... des fois, le mieux est l'ennemi du bien,
donc ce n'est pas le sens de notre propos
aujourd'hui, mais des personnes, aussi, immigrantes qui sont trans, qui peuvent
aussi avoir des défis. C'est une question que ma collègue
d'Hochelaga-Maisonneuve avait notamment soulevée.
Alors,
je pense qu'il faut saluer qu'on a vécu un beau moment, la semaine dernière,
qui a été médiatisé, notamment entre
ma collègue de Sainte-Marie—Saint-Jacques et la ministre, parce qu'il y a cette volonté consensuelle
de tous les partis politiques de
procéder rapidement avec diligence pour l'adoption de ce projet de loi. Bien
sûr, nous allons poser les questions
qui s'imposent, on va faire un travail sérieux et on va être heureux d'entendre
aujourd'hui Mme Susset, bien entendu,
mais c'est un grand pas qu'on va franchir avec ce projet de loi parce que je
pense qu'au coeur de notre rôle de législateur
devrait être celui d'apporter des réponses à des situations qui créent de
l'exclusion et de la souffrance humaine, et c'est ce qui devrait donner le plus grand sens à notre rôle. Alors,
je me réjouis vraiment qu'on puisse avancer rapidement et, on l'espère, que tout cela puisse être en
place avant l'automne prochain, pour la prochaine rentrée scolaire, bien
entendu. Donc, ce n'est peut-être pas
le discours habituel de l'opposition, mais il faut faire les choses de manière
constructive, et c'est important, dans ce cas-ci, de les faire de
manière très constructive.
Donc,
dans l'ensemble, on va avoir, bien sûr, quelques questions et on va être
intéressés d'entendre notamment notre
experte aujourd'hui sur la question des mineurs de moins de 14 ans versus
de plus de 14 ans, donc la structure, un peu, qui est prévue dans le projet de loi, aussi, bien entendu, qu'elle
rassure ceux qui peuvent peut-être avoir encore des questionnements sur le processus, donc comment un
enfant ou un jeune vit avec cette réalité-là, de sentir qu'il n'appartient
pas au bon corps, qu'il n'est pas dans la
bonne identité de genre. Alors, c'est avec beaucoup d'intérêt qu'on va vous
entendre aujourd'hui et c'est avec
beaucoup d'intérêt qu'on amorce ces travaux qui vont vraiment changer la vie de
personnes, et je pense que ça, c'est la plus belle chose qu'on peut
faire. Merci beaucoup, M. le Président.
• (10 h 30) •
Le Président
(M. Picard) : Merci, Mme la députée. J'invite maintenant
le porte-parole du deuxième groupe d'opposition et député de Borduas. Vous
disposez de 2 min 30 s.
M. Simon Jolin-Barrette
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. À mon tour de vous
saluer, de saluer la ministre de la Justice, de saluer les collègues de la partie gouvernementale, ma
collègue de Joliette ainsi que ma collègue de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Je tiens à saluer également toutes les personnes qui nous écoutent et
tiens à remercier les différents groupes qui nous ont fait parvenir leurs mémoires, et également,
Mme Susset, que vous participiez à la présente commission parlementaire.
Donc, le projet de
loi n° 103, Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à
améliorer notamment la situation des mineurs
transgenres, illustre l'évolution de la société québécoise. À ce titre, les
lois du Québec se doivent de suivre cette évolution. En 2013, nous avons appuyé le projet de loi
n° 35, qui modifiait entre autres l'article 71 du Code civil du Québec, au nom de la dignité et des
droits et libertés des personnes transgenres. En 2015, nous avons également
appuyé le projet de règlement relatif au
changement de nom et d'autres qualités de l'état civil. Nous en sommes rendus,
donc, aujourd'hui, par le biais du projet de
loi n° 103, à modifier le Code civil, la Charte des droits et libertés de
la personne et le règlement sur le
changement de nom et d'autres qualités de l'état civil. Ce projet de loi, entre
autres, vise à permettre à une
personne de moins de 18 ans de déposer une demande de changement de nom ou
une demande de changement de la mention de sexe au Directeur de l'état
civil, et ce, en respectant certaines conditions.
D'emblée,
je tiens à souligner que, ma formation politique, nous sommes très sensibles à
la réalité des enfants trans. Nous
comprenons les situations difficiles auxquelles ces enfants et leurs parents
peuvent être confrontés. Nous avons d'ailleurs
joint notre voix, le 17 mai dernier, lors de la Journée internationale
contre l'homophobie et la transphobie, à celles de tous les partis politiques
en affirmant que nous devions continuer à travailler pour assurer le droit de
tous les citoyens du Québec, sans exception.
Cela
dit, nous aurions aimé avoir plus de temps pour étudier le projet de loi afin
d'entendre les différents groupes, différents
experts qui auraient pu nous permettre d'éclaircir certaines situations. Parce
que, vous savez, M. le Président, ça devient une habitude d'avoir des
consultations extrêmement rapprochées du dépôt et de la présentation d'un
projet de loi, et je dois vous dire que
cette façon de procéder là m'irrite globalement parce que le gouvernement avait
tout le loisir de déposer un projet de loi bien avant, où nous aurions
pu vraiment prendre le temps de consulter, d'étudier la question. Parce que, vous savez, la venue d'une nouvelle pièce
législative, parfois ça entraîne des réflexions, ça entraîne aussi un
ajustement. Et je trouve qu'à si court terme, lors de la dernière semaine...
Le Président
(M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : ...pour étudier le projet de loi, M. le
Président, bien, ça fait en sorte qu'on va être un peu coincés par le
temps.
Ceci
étant dit, M. le Président, nous joignons notre voix à celles des autres
formations politiques pour étudier en collaboration le présent projet de
loi. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président
(M. Picard) : Merci, M. le député de Borduas. Maintenant,
nous passons aux remarques de Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques,
deux minutes.
Mme Manon
Massé
Mme Massé :
Merci, M. le Président. Bonjour, tout le monde. Eh bien, oui, c'est avec
beaucoup de plaisir qu'on entame ce
processus-là aujourd'hui. Je pense que le projet de loi qui est devant nous est
un projet de loi qui vient colmater une
brèche qu'on avait identifiée, comme parlementaires, lors de l'étude des
règlements du projet de loi n° 35. Effectivement, je peux comprendre que certains se sentent bousculés
dans cette étude-là. Il y a énormément d'éléments qui ont été apportés à
pareille date l'an dernier, lorsque nous avions étudié la question des
règlements. Et, dans ce sens-là, ma formation politique se sent à l'aise d'aborder l'étude du projet de loi avec cette
grille d'analyse qui nous avait été transférée par l'ensemble des experts l'an dernier.
On
est contents d'y voir apparaître des éléments au niveau de la charte, une
modification au niveau de la charte. On
discutera de la question de l'expression de genre. Je pense que pour les
personnes, et j'en suis, toute la question de l'expression de genre est aussi fondamentale, et on pourra en discuter
rendus là. Bien sûr que la question des personnes immigrantes ou à tout le moins les non-citoyens
relève encore un défi. On le sait, que ce n'est pas au projet de loi, mais
on pourra aussi se rappeler que les parents trans aussi ont un défi.
Mais,
pour le moment, ce qui est sur la table, c'est les enfants. Nous en sommes
heureux, à Québec solidaire. Nous voulons
nous assurer aussi que les articles qui sont dans ce projet de loi là
permettent réellement aux enfants, d'ici la fin de la semaine, de
recevoir le message de leurs parlementaires...
Le Président
(M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
Mme Massé :
...qu'on reconnaît qui ils sont, et on va tout faire pour les protéger. Merci,
M. le Président.
Auditions
Le
Président (M. Picard) : Merci. Merci pour ces remarques
préliminaires. Nous allons maintenant débuter les auditions. Quelques consignes importantes. Compte
tenu que l'audition se fait par le biais de la visioconférence, je vous
rappelle de ne pas interrompre la
personne qui a la parole, car cela occasionne des coupures de son. Donc, je
souhaite maintenant la bienvenue à Mme Françoise Susset. Vous
disposez d'un maximum de 10 minutes pour votre exposé. La parole est à
vous.
Mme Françoise Susset
(Visioconférence)
Mme Susset (Françoise) : Merci.
Merci, M. le Président, Mme la ministre, MM., Mmes les députés, de cette
invitation. Je suis heureuse de me retrouver une fois de plus convoquée afin
d'apporter un éclairage à cette question qui peut sembler complexe pour
certains.
Je
veux préciser quand même aussi que je suis membre de l'association mondiale des
professionnels en santé transgenre,
ex-présidente de l'association canadienne des professionnels
en santé transgenre, et que j'offre
des formations accréditées par l'Ordre des psychologues
du Québec sur la question des enfants et des adolescents trans, autant dans le milieu de l'éducation que dans le milieu de la
santé et des services sociaux. Je suis aussi collègue proche avec Dr Shuvo Ghosh, que vous avez déjà eu le
plaisir d'entendre ici avec son épouse, Dre Gorgos, pour parler, justement,
de la question des enfants et des adolescents.
Je
me réjouis de savoir qu'en fait, depuis 2013, cette question est apportée systématiquement
à travers le dossier qui concernait
principalement les adultes, hein? Alors, on a eu la visite autant de
représentants d'Enfants transgenres Canada, qui est un grand regroupement de parents qui ont des enfants trans, des
enfants qui expriment leur genre de façon non conforme, des enfants créatifs dans leur genre, comme on dit; on a eu
Dr Ghosh, bien sûr; je suis venue aussi. On a eu déjà plusieurs personnes qui se sont permis
d'avancer des questions qui se rapportent aux enfants et aux adolescents, même
lorsqu'il s'agissait des adultes.
Alors, je suis ici
pour vous parler des enfants. Mme la ministre Vallée, vous avez parlé de la
continuité des travaux, et je pense que
c'est justement dans cet esprit de continuité des travaux que j'aimerais aborder
certaines questions avec vous. Je
pense que la question qui est vraiment la plus problématique souvent pour les
gens qui ne sont pas très proches de
cette question dans leur vie quotidienne, si j'ose dire, c'est la question de
la stabilité de l'identité de genre. Il faut savoir que notre identité de genre à tous et à toutes est
déterminée bien avant l'adolescence. Parce que je pourrais vous poser la question à chacun et chacune d'entre
vous : À quel âge — et d'ailleurs, Mme Vallée, je pense que je vous avais posé
cette question quand on s'était
rencontrées — avez-vous
su que vous étiez une fille ou un garçon, hein? Et la réponse ne sera pas «14 ans», la réponse ne sera pas
«11 ans», la réponse ne sera pas «8 ans», la réponse va être
«beaucoup plus jeune que ça».
L'identité de genre pour tous les jeunes se précise au même moment. Donc, à peu
près vers l'âge de, déjà, deux, trois, quatre ans, on sait qu'on est une
fille, un garçon, et vers l'âge de cinq, six ans, on acquiert ce qu'on appelle
en psychologie la constance du genre. Alors,
la constance du genre, ça veut dire : Ah! O.K., qu'est-ce qui fait que mon
genre va rester constant? Ah bien, je
me rends compte que, que j'aie les cheveux courts ou que j'aie les cheveux
longs, ça reste pareil, et donc je
suis assuré de la constance du genre. Donc, c'est à des très jeunes âges que
ces questions se précisent comme ça
s'est précisé pour chacun et chacune d'entre vous dans vos jeunes âges. Alors,
ça, c'est vraiment une chose importante à savoir.
La
question de la souffrance associée à l'identité de genre avant la puberté chez
les jeunes enfants est reliée presque entièrement
à la permission qu'on donne de vivre une identité de genre qui nous correspond.
Alors, ce que je fais souvent avec les familles, c'est de les aider, justement,
à accompagner leurs jeunes, à faire ce qu'on appelle une transition
sociale. Alors, la transition sociale se
distingue de la transition médicale, si on veut, car il s'agit d'une question
simplement de se présenter dans le
genre qui nous correspond, qui n'est pas nécessairement le genre qu'on nous a
assigné à la naissance, hein? Et
cette question-là se règle assez rapidement à partir du moment où les parents
comprennent l'importance d'ouvrir cette porte toute grande à leurs
jeunes.
• (10 h 40) •
Je
vais vous dire que je rencontre des parents, mais que je ne rencontre pas
souvent les enfants. Je ne vois pas l'utilité dans la plupart des cas, étant donné que ce sont les parents qui, eux,
ont leur mot à dire par rapport à l'accès qu'ils vont accorder à leurs enfants. Je rencontre les écoles
et je rencontre les parents. Je préfère, en tant que psychologue, le moins
possible d'intervenir auprès d'enfants qui n'en ont pas besoin afin justement
d'éviter de médicaliser, pathologiser la question
du genre chez ces jeunes enfants pour qui c'est vécu tout à fait naturellement.
Alors, vous savez, on a beau dire : Tu vas aller voir la petite madame,
puis la petite madame, elle va te parler, les enfants sont très sensibles
et se retrouvent dans mon bureau en train de me demander : Mais qu'est-ce que je fais ici? Ils me le demandent, d'une façon ou d'une autre, de cette façon-là. Et ils demandent à leurs
parents : Pourquoi on va voir la madame? Alors, si la réponse, c'est «bien,
ton genre pose problème» ou «on
voudrait s'assurer que», bien, ça intériorise chez l'enfant un sentiment que
son identité de genre, qui pour lui
ou pour elle est perçue tout à fait naturellement, est, quelque part, un sujet qui doit être traité au plan médical, au plan de la santé. Alors, si c'est une première
intervention, je rencontre les parents, je ne rencontre pas souvent les
enfants.
Il
faut aussi savoir qu'on a souvent nommé, dans ces commissions parlementaires,
l'étude Trans PULSE chez nos voisins
ontariens parce que c'est une étude absolument importante, une étude vraiment
révolutionnaire par rapport à sa méthodologie, qui est allée vraiment
chercher en profondeur l'expérience des personnes trans à partir de l'âge de 16 ans. Alors, c'est sûr qu'on ne s'est pas
penchés chez les enfants, mais, quand on a posé la question aux adultes :
À partir de quel âge vous avez su que
vous étiez trans, que votre identité de genre ne correspondait pas à l'identité
qu'on vous a assignée à la
naissance?, il faut savoir que 59 % ont répondu «avant l'âge de
10 ans», et 80 % «avant l'âge de 14 ans».
Il
est bien entendu que cette question
d'identité de genre est réglée bien avant la puberté. Il est bien entendu aussi
qu'il est important de mettre à la
disposition des jeunes des moyens afin d'affronter la puberté avec des moyens
qui vont réduire leurs souffrances au
niveau du développement corporel. Mais il faut savoir qu'avant la puberté les
corps sont pareils, les garçons et
les filles sont faits pareils, et la question de la transition sociale se fait
rapidement. À partir du moment où on change
l'habillement, on laisse pousser les cheveux ou on les coupe, on change les
lunettes et, hop, le tour est joué, c'est très simple. Et cette
simplicité, justement, j'aimerais qu'on pense à la conserver.
Au
niveau des écoles, le problème qu'on rencontre — et j'interviens souvent auprès des
écoles — c'est
que les écoles sont pleines de bonne
volonté. Au mois d'août, je suis occupée de bord en bord avec les familles et
les écoles pour l'intégration et la
rentrée scolaire des jeunes, que ce soit l'école primaire ou secondaire. Les
écoles, je n'ai jamais vu une direction
qui disait autre chose que : Oui, oui, oui, on est tout à fait contents et
prêts à accueillir des jeunes trans, sauf que, dans la réalité, ce n'est pas le cas. Alors, même si on a une bonne
volonté, ça ne suffit pas, on le sait, il faut aussi avoir des outils en
place.
Quand
la CSDM a publié ses très importantes lignes directrices pour l'intégration des
élèves transgenres à partir de la
maternelle, on sait parce qu'il y a eu une sortie dans les journaux de
plusieurs commissions scolaires qui se sont permis de prendre position
en disant : Nous, on n'a aucune intention d'adopter ces lignes
directrices. Ces lignes directrices, rappelons-nous,
sont basées sur les droits fondamentaux des enfants. Vous savez, ce qui me
dérange beaucoup — et ça,
je le dirais de façon très large en tant que
psychologue qui travaille avec les jeunes enfants — c'est que, dans notre société, souvent, les enfants, les besoins et les droits
des enfants sont laissés pour compte parce qu'ils ne sont pas autant là pour
parler de leur réalité.
Vous avez
entendu des enfants parler de leur réalité, vous avez entendu des enfants qui
sont, d'habitude, autour des âges de
la puberté. Moi, j'entends les enfants beaucoup plus jeunes que ça parler de la
question trans, de la question de
l'identité, et je peux vous dire que tout ce qu'ils nous demandent, c'est qu'on
les laisse tranquilles, c'est qu'on les laisse vivre leur vie et qu'on les laisse aussi aller à l'école avec
l'expression de genre et l'identité de genre qui leur correspondent. Le problème, c'est que, quand cette question est
remise entre les mains d'une direction d'école, ça veut dire qu'elle est
remise entre les mains de tout le personnel scolaire et qu'il faut compter sur
la bonne volonté et la bonne mémoire de chacun
et chacune des membres du personnel scolaire afin de ne pas se tromper et de ne
pas faire l'erreur de parler des jeunes sous une identité de genre qui ne
leur correspond pas.
Je suis en ce moment en situation où j'ai
plusieurs jeunes dans ma pratique, et des adolescents et à l'école primaire, qui ont été obligés de terminer leur
année scolaire à la maison non pas parce que le harcèlement ou la violence
scolaire des pairs, hein, les autres élèves,
était problématique, mais parce que l'école n'a pas su accommoder ces jeunes
par rapport à leurs besoins de confidentialité et de vie privée quant à leur
identité et quant à leur identité de genre.
Donc, malgré
la bonne volonté, il y a un manque profond de compréhension qui amène une
détresse profonde. Alors, si on veut
parler de détresse, la question qui est devant vous en ce moment chez... pour
la question de changer les papiers
avant 18 ans et certainement avant la puberté, c'est cette question-là,
c'est de laisser ces jeunes-là et leurs familles décider. Vous savez, je
suis aussi thérapeute conjugale...
Le Président (M. Picard) :
En terminant, s'il vous plaît, Mme Susset. En terminant.
Mme Susset
(Françoise) : Je suis aussi
thérapeute conjugale familiale, donc j'accompagne les familles, et je peux vous dire que, pour moi — ma
position de thérapeute conjugale familiale, c'est que je suis coach — les
spécialistes des enfants, ce ne sont
pas nous, ce sont les parents. Alors, je
pense qu'il faut aussi avoir une
attitude de confiance en les parents que, quand les parents viennent
nous dire : Notre enfant souffre, on leur fasse confiance. Merci.
Le
Président (M. Picard) : Merci. Merci pour votre exposé. Je cède maintenant la parole à Mme la ministre pour une période de 16 minutes.
Mme Vallée : Donc, merci
beaucoup, Dre Susset, de votre participation aux travaux de cette commission. Vous comprenez,
puis je pense que vous avez bien ciblé, il y a quand même
plusieurs interrogations suite au dépôt du projet de loi. On a pu lire dans les médias ou entendre
différents commentaires à l'effet que c'était quand même
assez particulier de permettre à un
enfant, surtout à un enfant de moins de 14 ans, de s'identifier à un genre
autre qui celui qui lui était assigné.
Vous avez
parlé tout à l'heure, vous avez fait état que l'identification à un
genre se manifestait quand même très tôt chez
un enfant. J'aimerais vous entendre davantage sur cette question-là parce que
je pense que c'est probablement la pierre
angulaire des échanges que nous aurons aujourd'hui. Vous avez donné quelques exemples, mais
j'aimerais peut-être que vous puissiez élaborer davantage.
Est-ce qu'il est possible, par
exemple, qu'un enfant change
d'opinion ou que les parents changent
d'opinion, qu'il y ait des modifications? Dans les enfants que vous avez suivis au cours
des années, dans les familles que
vous avez suivies au cours des années, avez-vous constaté des changements ou
est-ce que cette identification
à un genre, elle est intrinsèque et donc
elle n'est pas malléable? Parce qu'on
craint, et je l'ai entendu, je l'ai lu dans les médias au cours des dernières semaines, une influence indue sur des
enfants, une influence sociale, une influence du milieu. Est-ce que c'est quelque chose qui, dans votre
réalité de praticienne, existe ou est-ce que c'est quelque chose qui est un
petit peu plus rare?
Le Président (M. Picard) :
Mme Susset.
Mme Susset
(Françoise) : ...Mme la
ministre. Vous avez raison, il y a une influence sociale majeure sur ces
enfants, sauf que l'influence sociale
majeure est complètement dans l'autre sens. Le conditionnement social à
l'identité de genre qui a été assigné
à la naissance est un conditionnement et une pression sociale écrasante et un
conditionnement social de tous les
moments chez tous nos enfants. Donc, il faut savoir que les jeunes qui
revendiquent... et c'est vraiment... je dirais que ce mot-là me vient en bouche parce que ce sont des jeunes qui
m'impressionnent. À partir de l'âge de cinq, six ans, j'ai des enfants qui me disent : Mais c'est
quoi, votre problème, là, les adultes? Pourquoi vous en faites tout un cas?
Moi, je sais qui je suis, un point, c'est tout.
Et, quand on leur demande... Parce que, parfois,
on a l'idée qu'ils sont peut-être mêlés, ils n'ont peut-être pas compris les bonnes affaires, ils n'ont peut-être
pas compris c'est quoi, un garçon, c'est quoi, une fille. Quand vous les
questionnez, ces enfants-là, ils sont tout
sauf mêlés, ils savent très bien quelles sont les normes et quelles sont les
attentes à leur sujet. Et en fait ils
m'impressionnent par leur affirmation, par leur capacité de dire haut et fort à
leurs parents et à nous tous, en tant
que société : Je sais très bien ce que vous attendez de moi, mais ça ne me
correspond pas. J'utilise des grands mots d'adulte, mais, dans leurs
petits mots à eux, c'est exactement le message qu'ils nous renvoient.
Donc,
le conditionnement social fait un travail incroyable de mettre de la pression
sur ces enfants-là. Il n'y a personne qui
élève ces enfants avec l'idée qu'ils ne vont pas correspondre à l'identité de
genre assignée à la naissance. Il
faut savoir que les parents qui viennent nous voir, Dr Ghosh et moi, c'est
des parents qui ont essayé pendant des années de faire confirmer leurs enfants, évidemment de leur donner, donc...
bien, tu ne préfères pas peut-être porter telle affaire, tu ne préfères pas peut-être... qui ont gentiment
et subtilement, et des fois moins subtilement, encouragé une expression de genre, un intérêt et une identification qui
correspond à ce qu'on a affirmé à la naissance à partir d'informations très,
très sommaires qui seraient les organes
génitaux externes d'un enfant, qui ne nous dit pas grand-chose par rapport à
leur identité de genre.
Le Président
(M. Picard) : Merci. Mme la ministre.
• (10 h 50) •
Mme Vallée : Est-ce qu'au cours de vos travaux, au cours de
votre expérience, vous avez rencontré des enfants, des adolescents qui sont revenus à leur identité
de genre assignée à la naissance? Est-ce que ça arrive? Est-ce que ce retour en
arrière, c'est quelque chose qui arrive fréquemment? Parce que c'est aussi une
question, un commentaire que l'on peut entendre,
à savoir : Oui, mais, si on permet à des enfants de changer la mention du
sexe à leur acte de naissance, peut-être qu'ils vont évoluer, peut-être que les choses vont changer, puis ce sera
à recommencer. Est-ce que c'est une situation qui se produit?
Le Président
(M. Picard) : Mme Susset, allez-y.
Mme Susset (Françoise) : C'est une situation extrêmement rare. Je ne peux
pas dire que ce n'est jamais arrivé. Ça
peut arriver, mais c'est très rare. Et je vous dirais que, certainement, à
partir de la puberté, on a une étude... — on a une étude! — on a des
études assez impressionnantes, d'ailleurs, sur la stabilité de l'identité de
genre à partir de la puberté. Mais ce
qu'on voit, et on commence à voir des études aussi, c'est que l'identité de
genre est stable même bien avant la puberté. Donc, on a une stabilité à
ce niveau-là.
Je
pense aussi que la question que vous posez et qui est souvent posée est posée
dans un paradigme ou un cadre où on
présume qu'il y a deux identités de genre : garçon, fille, homme et femme.
Et il faut savoir une chose, et je sais que ça peut sembler un petit peu extraordinaire comme énoncé, mais il faut
savoir qu'à travers la planète, et à travers l'histoire, et encore aujourd'hui, l'identité de genre se
conjugue de façon beaucoup plus complexe que simplement garçon et fille dans
énormément de cultures, y compris ici, en Amérique du Nord et dans les
Amériques, avant la venue des Européens, où
on reconnaissait, dans les peuples autochtones et des Premières Nations, une
multiplicité d'identités de genre. Alors, je pense que ce qui arrive, c'est que j'ai des jeunes qui vont se situer
quelque part dans un registre entre le masculin et le féminin, ce qui est tout à fait reconnu, ce qui
est reconnu par l'association mondiale des professionnels en santé transgenre, qui est reconnu par les chercheurs, qui est
reconnu dans le DSM-V. Dans la bible psychiatrique, on reconnaît que
l'identité de genre est plus complexe que simplement garçon et fille,
homme et femme. Donc, scientifiquement on reconnaît, anthropologiquement on reconnaît aussi qu'une identité de genre se
conjugue de façon plus complexe. Ça, ça veut dire qu'il y a des jeunes qui vont se situer quelque
part entre les deux. Et ces jeunes-là, parfois, sont très proches de la ligne
et vont dire : Non, finalement, je
crois que cette identité-là me convient mieux. Par contre, il faut savoir que
ça arrive aussi très jeune, à partir du moment où cette possibilité-là
est exposée aux jeunes.
Donc,
je dirais que la question de l'identité de genre, j'y reviens encore une fois,
plus on ouvre la question... Vous savez,
j'ai jeté un petit regard sur le programme du ministère de l'Éducation sur la
sexualité qui s'en vient en 2017, en principe,
à l'automne, et ma préoccupation, c'est que ce que j'ai vu, c'est que tout est
défini en tant que fille et garçon, fille
et garçon. Si on peut commencer à faire l'éducation de nos jeunes et de notre
société à la complexité des identités de
genre, au fait que nous sommes beaucoup plus complexes que simplement ces deux
cases-là, je pense qu'on va avoir des jeunes qui vont pouvoir se trouver
quelque part dans un lieu beaucoup plus confortable plutôt que de leur offrir
simplement ces deux cases qui sont assez rigides et, finalement, qui ne vont
pas encadrer tous les jeunes.
Le Président
(M. Picard) : Merci. Mme la ministre ou M. le député de
D'Arcy-McGee.
Mme Vallée :
C'est ça, j'ai un collègue qui a manifesté son intérêt.
Le Président
(M. Picard) : M. le député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum :
Merci, M. le Président. Bonjour, Dre Susset, et merci beaucoup de votre
intervention. Je comprends qu'on est
devant un enjeu tellement fondamental pour les gens qui ont à vivre ça. Et, à
notre honneur, on est en train de discuter
un projet de loi qui va, j'espère, faciliter leur intégration comme il faut.
Bien, on va s'entendre, j'imagine que voilà
une étape, entre autres, qu'ils doivent suivre après, si on parle de
l'acceptation de l'enfant au sein de l'école par ses pairs, et tout ça. Dans un premier temps, je
trouve ça tellement poignant et important, votre façon d'encadrer ça. Tout
simplement de demander aux gens : À
quel âge vous avez compris que vous étiez garçon ou fille?, je trouve ça une
chose fondamentale parce que... Bon,
M. et Mme Tout-le-monde risquent de dire : Bon, oui, c'est un beau geste,
mais ce n'est pas si viscéral et nécessaire que ça. Et en voilà la façon, je
trouve, de les faire comprendre qu'il faut faire ces gestes préliminaires.
Mais
il y a deux enjeux qui me fascinent et, dans le contexte de notre discussion,
j'aimerais avoir vos commentaires pour voir si notre projet de loi nous
met sur la bonne voie en ce qui concerne ces deux questions-là.
Vous
parlez de l'école, et je suis encouragé quand vous dites que, jusqu'à
date, votre expérience a l'air positive en termes, au moins, de leurs
réactions préliminaires. Mais est-ce
que les écoles sont prêtes à faire ce qu'il faut pour que l'enseignant,
l'enseignante va accueillir ce nouveau constat d'affirmation comme il faut?
Et l'autre
chose, bon, qui me fascine, j'imagine qu'il y a plein de parents ou des parents
dans ces situations-là qui ont de la grande difficulté, malgré les années,
d'être devant une évidence chez un de leurs propres jeunes, mais les parents
qui continuent à ne pas accepter cette
réalité. Une autre fois, ce n'est pas par voie de projet de loi qu'on va
résoudre ces problèmes-là, mais
est-ce que ce qu'on fait comme gestes préliminaires, comme je dis, dans ces
deux cas-là, nous met sur la bonne voie?
Le Président (M. Picard) :
Mme Susset.
Mme Susset
(Françoise) : Bien, écoutez,
vos questions sont tout à fait pertinentes. Je peux commencer avec les écoles. Je crois que les écoles ont besoin d'être
outillées. Et ce qui me préoccupe un petit peu, c'est qu'en fait nous ne
sommes pas beaucoup de spécialistes au
Québec. Par rapport aux enfants et aux adolescents, je dirais qu'il y a
Dr Ghosh, et moi-même, et
l'équipe du Dr Ghosh, et nous sommes un centre spécialisé. Et justement
j'avais misé beaucoup sur ce programme
qu'on doit dérouler l'année prochaine, l'enseignement à la sexualité, pour
amener, justement, la question trans. Je
crois que les écoles ont besoin d'outils et d'être outillées par rapport à ces
questions-là. Ce ne sont pas des questions complexes, mais je crois que ça doit être reflété dans le curriculum. On
doit parler de la question de l'identité de genre, comme on doit parler de la question des familles
homoparentales, etc., à partir d'un très jeune âge aussi parce que ces jeunes qui, comme j'ai dit, sont déjà en situation
de reconnaître une identité de genre différente assignée à la naissance ont besoin d'être représentés dans les écoles. Ils
ont besoin d'être représentés à partir de la maternelle, on a besoin de pouvoir
en parler.
Maintenant,
si ces jeunes-là ont la possibilité de changer la mention du sexe à partir de
l'âge qu'ils veulent... Et, en passant,
je me permets de dire qu'à travers tout le Canada il n'y a aucun âge minimum
pour changer. Dans les provinces où
cette possibilité existe, il n'y a aucun âge minimum de fixé pour changer la
mention du sexe sur les papiers. Alors, on serait, en fait, en porte-à-faux par rapport au reste du Canada sur
cette question si on installait un âge minimum. Mais par rapport aux écoles, les écoles ne sauront pas
nécessairement qu'ils ont des jeunes personnes trans à l'école, surtout si on pouvait changer des choses pour ceux qui
n'auront pas accès nécessairement au changement de mention du sexe
immédiatement pour la rentrée scolaire, si on pouvait déjà interpeler le
ministère de l'Éducation sur la question des codes
permanents et de pouvoir modifier le code permanent de façon plus facile plutôt
que de mettre le fardeau sur chaque école
d'ajuster à l'intérieur de l'école les dossiers de l'élève afin de préserver sa
confidentialité, ce qui met vraiment un poids sur les écoles, qui en ont
déjà bien assez à gérer, merci. Alors, ça, je dirais que, pour les écoles, le
ministère de l'Éducation pourrait vraiment faire quelque chose, à ce niveau-là,
qui servirait beaucoup.
Maintenant,
ce qu'on s'est fait dire par rapport au ministère de l'Éducation, c'est qu'il
faut absolument avoir des registres
exacts par rapport au nombre de garçons et de filles pour les études, etc. Mais
le problème, c'est que vous n'avez pas
des registres exacts si vous ne tenez pas compte des personnes trans parce que
vous êtes en train de compter parmi les
filles des personnes qui sont en fait des garçons, et parmi les garçons des
personnes qui sont en fait des filles. Donc, les statistiques, au niveau
recherche, au niveau méthodologie de recherche, c'est un problème à considérer.
Par rapport
aux parents, ce que je dirais, c'est que les parents ont besoin de soutien. Je
pense que ce projet de loi montre
l'exemple, dit que nous, en tant que province, nous prenons position pour
reconnaître la complexité de l'identité de genre chez les enfants et de reconnaître que les enfants peuvent
exprimer cette identité de genre et réclamer le droit à l'expression de cette identité de genre à l'âge où
tous les jeunes réclament le droit à l'expression de leur identité de genre.
Donc, ça fait déjà un grand pas. Vous êtes
en position d'être modèle, en fait, pour la province et pour toutes les
familles de la province sur cette
question-là. C'est bien certain qu'encore une fois c'est de mettre un poids
énorme sur les épaules des parents
que de cheminer seuls par rapport à cette réalité-là, qui ne sera pas
mentionnée à l'école, qui ne sera pas intégrée.
On se retrouve un petit peu comme dans les
années 60 par rapport à la question de l'homosexualité, où ces questions-là sont complètement occultées. Vous
savez, quand une question est occultée, elle n'existe pas. Et, quand elle
n'existe pas, ça laisse place à beaucoup de
préjugés et à beaucoup de fausses routes par rapport aux services qu'on voudrait donner et au
respect de l'identité de tous les jeunes.
• (11 heures) •
Le
Président (M. Matte) :
Merci. Il reste une minute au gouvernement. Est-ce
que, Mme la ministre, vous voulez
profiter de cette minute qui vous reste?
Mme Vallée : Bien, en fait, je vais profiter de la minute
pour remercier Dre Susset d'échanger avec nous encore une fois. Je
dis «encore une fois» parce que je crois que c'est votre troisième
participation à différents travaux de la commission. Et merci beaucoup, une
fois de plus, de mettre vos connaissances au service des parlementaires.
Le
Président (M. Matte) :
Je vous remercie. Nous sommes rendus à l'opposition
officielle pour
9 min 30 s. La députée de Joliette.
Mme Hivon : Oui, merci
beaucoup, M. le Président. Alors, merci beaucoup de vous rendre disponible aux parlementaires pour une autre occasion. J'imagine que vous vous réjouissez de voir
que les choses évoluent. Donc, dans ce
temps-là, c'est moins pénible de revenir témoigner que quand c'est pour plaider
bec et ongles quelque chose que les parlementaires ne semblent pas
partager. Mais merci beaucoup d'être ici.
Je
voulais poursuivre sur la question de mon collègue sur les parents. Je sais que
c'est toujours dur, peut-être, de mettre
des chiffres ou tout ça, mais, puisque dans le projet de loi on prévoit quand même
la possibilité, bien sûr, lorsque les
parents ou un des parents s'opposent à un changement de genre, qu'on puisse
saisir les tribunaux, est-ce que, selon vous,
ça va être une réalité qui va se présenter assez souvent, de par votre
pratique, de par vos travaux sur la question?
Le Président (M. Matte) :
Mme Susset.
Mme Susset
(Françoise) : Merci. C'est
une situation qui se présente surtout, je dirais, en début de
cheminement quand les parents sont
mal informés par rapport à la question trans ou, je dirais, aussi quand, comme beaucoup
d'autres situations qu'on peut retrouver de séparation de deux parents,
l'enfant est triangulé, donc un petit peu pris en otage, si j'ose dire, par les deux parents pour des questions, en fait, qui n'ont rien à voir avec l'enfant et
qui ont à voir avec les problèmes non
résolus entre les deux parents. Donc, c'est sûr que l'enfant peut devenir un
enjeu qui sert à se lancer des situations très difficiles d'un parent à l'autre. Et la question
transgenre, évidemment, quand elle est présente, est un des
enjeux qui peut être réapproprié pour des questions qui n'ont en fait rien à
voir avec l'enfant.
Alors, des
fois il s'agit vraiment de démêler ces questions-là, mais il s'agit aussi
de bien informer, de bien éduquer le
réseau de la santé et des services
sociaux. Parfois, les travailleurs
sociaux de la protection de la jeunesse sont impliqués dans ces dossiers-là parce qu'un des parents va appeler la DPJ en
disant : Mon conjoint est en train de transformer notre fille en garçon ou garçon en fille, etc. Donc, il
y a des enjeux de ce genre, et je pense que, là, il s'agit vraiment d'accroître
les connaissances du réseau de la santé et
des services sociaux et de l'éducation, où j'ai vu des situations vraiment
tragiques où des travailleurs
sociaux, malgré la bonne volonté, ont posé des gestes qui ont fait énormément
de tort à ces familles-là et à ces jeunes-là.
Alors, c'est
la question aussi, que vous apportez indirectement, d'éducation au réseau. Je
me bats... et d'ailleurs je m'engage
en le disant ici, que je vais passer mon été à composer une lettre à notre
ministre Barrette sur la question de l'accès
au réseau de la santé et des services sociaux pour les personnes trans en
général, que ce soient les enfants, les ados ou les adultes. J'offre ces formations depuis des années. Même quand ma
formation est payée par un groupe communautaire et on demande aux CLSC de libérer des psychologues, des travailleurs
sociaux, etc., du personnel, ils ne sont pas libérés, on se fait dire par les CLSC que ce problème-là n'est
pas couvert au CLSC. Si je dois être impliquée, il n'y a pas de fonds débloqués. Même si on reconnaît que nous, on
n'offre pas ce service, on ne développe pas de fonds pour payer des services
spécialisés à l'extérieur. Il y a un immense
problème. Il y a des personnes trans qui se présentent au CLSC avec un problème
d'ongle incarné sur l'orteil droit qui se
font dire : Nous, on ne peut pas vous aider parce que vous êtes trans et
on ne traite pas de la question de trans. C'est absolument
inadmissible et inacceptable, et donc cette question-là doit absolument être
abordée.
J'en profite
pour en parler parce que vous me posez la question par rapport aux parents et
que les parents ne vivent pas en vase
clos, que les parents vivent en société comme nous tous. Et, quand on arrive à
l'hôpital, quand on arrive au CLSC
avec notre enfant trans et qu'on se fait dire : Nous, on ne connaît rien
là-dedans, vous ne pouvez pas amener votre enfant ici, on ne sait pas quoi faire avec votre enfant, même s'il
s'agit d'une gastro, alors vous comprendrez que, pour les parents, ça devient une confirmation qu'il y a
un problème énorme avec leur enfant. Alors, si c'est un parent qui a peur...
Parce qu'il faut comprendre une chose par
rapport à ces parents-là, ce n'est
pas des parents qui ont de la mauvaise volonté,
c'est des parents qui sont effrayés. Et les parents qui s'opposent à la
transition sociale d'un enfant, ce ne sont pas des mauvais parents, ce
sont des parents qui sont mal informés et surtout qui sont terrifiés pour leur
enfant.
J'ai fini une
thèse de doctorat sur les familles qui ont des enfants entre six et 12 ans
qui ne se conforment pas aux stéréotypes
du genre, et ce que j'ai trouvé, c'est que ces parents-là, même les parents qui
ont le plus de difficultés à accepter leur enfant, sont des parents qui sont principalement terrifiés de ce
qui va arriver à l'enfant si on laisse l'enfant cheminer. Donc, il faut rassurer les parents. Et il faut,
pour rassurer les parents, créer des milieux invitants pour leurs familles et
pour leurs enfants, et ça, ça veut dire l'école et les soins de la santé
et des services sociaux.
Mme Hivon : Vous amenez un très bon point, je pense,
c'est un point général, c'est-à-dire l'accès, c'est certain, aux services sociaux généraux, qu'on appelle, donc
d'avoir accès... La population en général a des difficultés d'accès à des
services en psychologie, travailleurs sociaux dans nos CLSC, donc c'est un grave enjeu, je pense,
de manière générale. Mais là ce que
vous nous soulevez, c'est que, pour les personnes trans, pour les enfants
trans, c'est comme si — je veux que vous clarifiiez ça, là — il n'y a pas moyen d'avoir vraiment de
soutien dans le réseau. Donc, j'aimerais que vous me disiez... Des parents trans
qui voient que leur enfant n'est pas né nécessairement dans le bon corps ou ne
se sent pas petite fille alors qu'il
est physiquement, dans ses organes génitaux, petite fille, ne seraient pas
capables d'avoir une aide adaptée, donc, vers qui ces personnes-là se
tournent-elles? Elles doivent aller vers des services privés, assurément.
Est-ce que c'est ça que vous êtes en train de nous dire?
Et la
deuxième question... Parce que vous avez amené ça comme si les enfants trans,
on les voyait d'abord et avant tout
par leur identité trans et que, donc, un CLSC pouvait dire : Moi, je ne
peux pas m'occuper de cet enfant-là, même si la problématique a à voir
avec un problème de santé physique. Donc, j'aimerais ça comprendre, que vous
élaboriez peut-être là-dessus.
Le Président (M. Matte) :
Mme Susset.
Mme Susset (Françoise) : Absolument,
absolument. Et, vous savez, vous parlez de la difficulté d'accès, je reconnais très
bien que la question
de l'accès, pour toute la population du Québec, est problématique à bien des niveaux, mais là je parle d'une situation
à l'accueil du CLSC, je parle d'une situation quand on se retrouve devant un professionnel
de la santé. Donc,
l'accès, en principe, le problème d'accès est réglé dans ce moment-là, et dans
ce moment-là où des jeunes et des
adultes se font dire : Je suis désolé, je ne peux pas vous aider, je ne
connais rien à la question trans, et qu'on doit se battre pour dire : Mais là il ne s'agit pas
de question trans, il s'agit d'une gastro, il s'agit d'autre
chose. Donc, il faut savoir que le...
Je siège aussi sur le comité... en fait, je suis
présidente du comité d'éducation de la CPATH, l'association canadienne
pour la santé des personnes transgenres, parce qu'on doit absolument
interpeler tous les réseaux qui forment les professionnels de la santé et des services sociaux et de l'éducation par rapport, justement, à la réalité trans. On essaie d'agir en amont avec les programmes
d'éducation. On agit aussi directement en essayant
d'atteindre, de rejoindre le réseau public,
mais le réseau public, c'est clair qu'il
y a... on se fait dire et se l'est
fait dire explicitement en 2009, au moment où le guichet administratif a été
mis en place pour l'accès aux chirurgies, que le réseau public n'avait pas... qu'on
ne pouvait pas libérer, justement, de professionnels dans le réseau
public pour s'occuper des personnes trans. À la clinique du Dr Shuvo
Ghosh, où je travaille, il y a plus de 300 jeunes qui sont rencontrés.
Et je dois vous dire aussi que le problème va
beaucoup plus loin parce que l'exigence, que vous imposez, d'évaluation fait en sorte qu'étant donné qu'on a
très peu de services pour les adultes, que la plupart de ces services sont dans
le secteur privé, vous pouvez diviser encore plus les services disponibles aux
enfants et aux ados. Je vous dirais que, pour les enfants, les mineurs, on est peut-être deux ou trois à travers
le Québec qui voyons et qui pouvons évaluer ces enfants-là. Et «pouvons
évaluer», ça veut dire quoi?
Mme Hivon : Vous
avez dit deux ou trois?
• (11 h 10) •
Mme Susset
(Françoise) : Oui. Pour les
jeunes enfants? Oui. Il y a très peu de services. Donc, avec votre projet
de loi, je comprends que, pour vous
rassurer, vous voulez avoir une lettre de professionnels, mais je reviens à ce
qu'on a dit pour le projet de loi
n° 35, c'est la question, justement, de qu'est-ce que vous voulez, au
juste, qu'on vous dise dans cette
évaluation. Je vais m'asseoir devant un ti-pit qui va me dire : Bien oui,
moi, je suis un garçon, puis c'est tout. Puis moi, je vais vous écrire
«c'est un garçon» parce que je n'ai aucune façon d'évaluer. Je vous l'ai dit
pour le projet de loi n° 35, je n'ai aucune façon, ni moi ni mes collègues,
d'évaluer...
Le Président (M. Matte) : À
conclure, madame.
Mme Susset
(Françoise) : ...je n'ai
aucune façon d'évaluer une identité de genre. Tout ce que j'évalue, c'est ce
que j'appelle la dysphorie, ce qu'on
appelle la dysphorie, c'est-à-dire la souffrance associée à l'incongruence entre
l'identité et la réalité physique
et/ou sociale. Donc là, on me met en position d'avoir, encore une fois, à accomplir quelque chose que je ne peux pas, ni moi ni mes collègues,
accomplir, de vous confirmer l'identité.
Le
Président (M. Matte) : Je vous remercie. Je vous remercie. Nous sommes rendus à la deuxième opposition
officielle pour 6 min 30 s, et j'invite le député de Borduas.
M. Jolin-Barrette : Bonjour, Mme Susset. Merci de participer à
nos travaux. Peut-être pour compléter sur ce que ma collègue de Joliette a abordé, dans le fond, au niveau de l'évaluation, vous dites : On n'est pas capables
d'évaluer, ce n'est pas quelque chose qu'on est capables de faire parce
que c'est vraiment
l'enfant qui, lui, dit comment il se sent. Dans le projet de loi, on prévoit une attestation, une attestation de
suivi — qu'est-ce que vous en pensez, de ça? — par
un professionnel, que ce soit par un psychologue, un psychiatre, un sexologue
ou par un travailleur social.
Le Président (M. Matte) :
Mme Susset.
Mme Susset
(Françoise) : Si je peux me
permettre, je vais me permettre de vous donner un petit exercice si vous
voulez bien me faire ce plaisir, juste de penser, en 15 secondes, à la
façon dont vous me convaincriez — en tant qu'adulte,
on ne parle même pas d'enfant — que vous êtes un homme ou que vous êtes une
femme. Mais ne me parlez pas de votre
réalité physique parce que ça, c'est une réalité qui ne correspond pas à
l'identité de genre nécessairement. Donc,
je vous donne 15 secondes, 30 secondes, convainquez-moi que vous êtes
un homme ou une femme — et je m'adresse à vous, évidemment, M. le député, mais à
tout le monde — convainquez-moi.
Quels mots vous allez utiliser pour me convaincre
que vous êtes un homme ou une femme, un garçon ou une fille? Vous allez me
dire : Mais je ne sais pas, c'est comme
ça que je me sens à l'intérieur de moi, je me sens fille, je me sens garçon.
D'accord. Alors, moi, c'est tout ce que je vais avoir.
On n'a pas
d'échelle miracle, on n'a pas de prise de sang, on n'a pas de baguette magique
pour être capables de confirmer
l'identité de genre de quelqu'un. Et c'est pour ça... On a insisté beaucoup sur
ce point quand il s'agissait du projet
de règlement pour le projet de loi n° 35. On ne peut pas nous mandater de
ce travail-là parce que ce n'est pas un travail qu'on fait. Ce que nous faisons en tant que professionnels,
c'est d'évaluer la dysphorie de genre, la souffrance qui peut accompagner cette incongruence entre
l'identité de la personne et son identité sociale et/ou sa réalité physique.
C'est la seule chose que nous pouvons faire.
La question des enfants est une question
intéressante, puisque les jeunes enfants, n'ayant pas encore eu une exposition aux hormones sexuelles de la puberté,
souvent, si on les laisse tranquilles, si on les laisse exprimer leur genre,
si on les laisse changer, justement, leurs
papiers, ne souffrent pas de dysphorie, sont en harmonie avec eux-mêmes. Ce n'est pas la petite différence — et elle est toute petite à cet âge-là — dans la puberté, au niveau des organes
génitaux, qui va
créer chez la grande majorité des jeunes une détresse, c'est la question de ne
pas être reconnu socialement dans leur identité.
Donc, on me les amène pour que je fasse quoi? En
fait, pour que je me retrouve à appeler l'école, parler aux parents, etc., mais l'intervention est une
intervention auprès des parents et de l'école et non pas auprès des jeunes. Il
y a des parents qui ont fait tout ce
travail-là, il y a des parents qui ont toutes les informations, il y a des
parents qui vont à l'école et qui vont faire un très beau travail de
sensibilisation. Enfants transgenres Canada le fait aussi. Bravo!
Donc, encore
une fois, on fait appel aux deux, trois professionnels de la santé au Québec
qui se penchent sur la question des
enfants pour nous demander de faire une tâche, en fait, qu'on ne peut pas
accomplir. Je ne peux pas vous dire :
Oui, je garantis, en tant que psychologue, que c'est l'identité de genre de
l'enfant, ou de l'adulte, ou de l'adolescent. La seule personne qui peut
vous garantir son identité de genre, c'est la personne elle-même.
Le Président (M. Matte) :
Merci. M. le député, il vous reste 2 min 50 s.
M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, peut-être juste un commentaire, là. Ce
qui est proposé dans le projet de loi, ce n'est pas précisément ça, là, ce n'est pas une évaluation, mais c'est
davantage une attestation, là, d'un des quatre professionnels qu'on a déjà mentionnés, donc, par rapport au
processus, par rapport à l'encadrement, par rapport à la famille. Mais je
voulais vous demander : Vous avez dit tout à l'heure, à la clinique, vous
avez suivi environ 300 jeunes, c'est exact?
Le Président (M. Matte) :
Mme Susset.
Mme Susset (Françoise) : Oui.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et puis un peu plus tôt, lors de votre
intervention, vous avez dit : Bon, l'identité de genre, elle est vraiment cernée, il n'y a pas d'âge
précis pour cerner l'identité de genre. Vous ne dites pas : C'est à partir
de l'âge de 14 ans, parfois
c'est 10 ans, parfois c'est huit ans, mais vous avez mentionné :
À partir de l'âge de cinq à six ans, c'est à ce moment-là qu'il y a la constance
de genre.
Le Président (M. Matte) :
Mme Susset.
Mme Susset (Françoise) : La question?
M. Jolin-Barrette : La question, en fait, c'est : Comment est-ce qu'elle, cette constance-là, est sentie par l'enfant? Comment ça s'exprime? Parce que
vous dites, dans le fond : À partir de cinq, six ans, c'est là qu'on voit
la constance. Bien, comment ça se matérialise, là, cette constance-là,
vous, selon votre expérience clinique, là?
Le Président (M. Matte) :
Mme Susset.
Mme Susset
(Françoise) : Oui, alors, ce
qu'on sait, c'est que les enfants sont capables de distinguer les deux sexes,
les deux genres à partir de quelques
mois de vie, hein? Ça, c'est intéressant. Ils ont capables de voir qu'il y a deux cases.
Bon, ils ne sont pas dans l'identification complexe, non binaire encore, mais
ils voient qu'il y a deux différences déjà à
quelques mois d'existence. Ensuite, ce qu'on constate, c'est que vers l'âge de
deux, trois ans, l'enfant commence à se définir, hein, il se définit en tant que garçon ou fille, mais ne
comprend pas encore tout à fait que c'est quelque chose de stable et de permanent. Et, si vous avez des
enfants, vous vous souviendrez peut-être de cette étape-là, parce que c'est une étape où l'enfant rentre de la garderie à
quatre ans et vous annonce tout fier qu'ils ont tout compris maintenant : les garçons ont les cheveux
courts, les filles ont les cheveux longs, c'est réglé. Puis vous les regardez
avec un petit sourire en coin, on
dit : Bien, pas tout à fait. Et la semaine d'après, ils arrivent, ils
disent : Ah! mais non, mais ce n'est pas ça, là; là Marie, elle a les cheveux courts puis Julien,
là, il a les cheveux longs, ça ne marche pas, mon affaire. Alors, ce n'est
pas une question de cheveux. Bon, O.K., c'est une question de quoi, alors?
Alors, il
faut voir qu'avant que les jeunes eux-mêmes comprennent que, si on leur coupe
les cheveux, ça ne change pas leur
identité de genre, avant qu'ils comprennent que leur identité de genre
ressentie est stable, qu'on ne peut pas leur enlever, qu'on ne peut pas la transformer, donc il y a une sécurité par rapport à cette identité, là on parle de cette constance de genre entre
cinq et sept ans.
Le Président (M. Matte) : Je
vous invite à conclure. Ça va?
Mme Susset (Françoise) : Entre
cinq et sept ans, à peu près.
Le Président (M. Matte) :
Merci. Alors, j'inviterais la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques pour les trois
prochaines minutes.
Mme Massé : Merci, M.
le Président. Bonjour,
Mme Susset. Merci d'être là. J'aimerais revenir sur la question de
la lettre. C'est quelque chose que vous nous aviez en effet parlé l'an dernier
qu'aucun spécialiste ne peut dire : Moi, je sais qu'elle est l'identité de genre de cette personne-là. Mais mon
collègue a raison, le projet de loi dit que, dans
le fond, soit un des... que ce soit
un médecin, un psychologue, un psychiatre ou un sexologue, peuvent évaluer
ou... attendez un peu, «qui déclare avoir évalué ou suivi l'enfant et qui est d'avis que
le changement de cette mention est approprié». C'est exactement ce que
dit le projet de loi.
J'aimerais que vous
me parliez de deux choses, parce que c'est probablement le seul temps qu'on va
avoir. Premièrement, c'est : Est-ce
que, si je vous dis, en tant que
professionnelle, que ce que je veux savoir, c'est est-ce que
vous suivez cet enfant-là et que vous êtes d'avis que le changement de cette
mention de sexe, donc, est approprié, est-ce
que vous sentez que ça... en tout cas, je veux vous entendre là-dessus. Et l'autre élément : Est-ce que
vous sentez que les exigences, que ce
soit avant 14 ans, pour une telle lettre, et après 14 ans... Est-ce qu'il y a quelque chose d'enjeu
pour vous là-dedans?
Le Président
(M. Matte) : Mme Susset.
• (11 h 20) •
Mme Susset
(Françoise) : Écoutez, moi, comme je vous dis, je rencontre les
parents, surtout chez les jeunes enfants, je
rencontre les parents pour les informer, justement, des questions qui se
rapportent à l'identité de genre, qu'ils puissent bien accompagner leur enfant, mais je ne me mets pas, à moins
que l'enfant ait des problèmes, à moins que l'enfant exprime une souffrance quelconque, je... Ce sont
les parents qui vont intervenir en ouvrant la porte toute grande à l'enfant
pour exprimer son identité de genre.
Je
comprends qu'en tant que société on n'est peut-être pas encore rendus au point
de faire confiance simplement aux
enfants de pouvoir nous dire leur identité de genre. Donc, je comprends que ça
peut nous rassurer, que ça peut nous rassurer
en tant que société, mais je me permets de dire que nous devons être conscients
que ce n'est pas parce que les enfants
ont nécessairement besoin d'une évaluation, d'un suivi que c'est de médicaliser
une réalité tout à fait naturelle qui
a toujours existé, mais que c'est peut-être une démarche intermédiaire avant
que la société ait rattrapé la réalité de ces jeunes, qui nous indique,
en fait, une réalité qui a toujours existé.
Alors,
ces évaluations, je veux bien. En même temps, on se retrouve
dans une situation où vous avez nommé des tas de professionnels de la santé. Votre collègue
a rajouté les travailleurs sociaux, ce que je trouve être une très bonne idée...
Le
Président (M. Matte) : Je vous remercie, Mme Susset, de votre contribution à nos travaux et je vous
souhaite une agréable journée.
Mme Susset
(Françoise) : Merci.
Une voix :
...
Le Président
(M. Matte) : Pardon?
Mme Vallée :
Est-ce qu'on pourrait laisser terminer Mme Susset? Je pense que, pour tout
le monde, on était vraiment dans le corps d'une intervention. Je ne sais pas,
mais...
Le
Président (M. Matte) :
Ça prend le consentement, à ce
moment-là. Est-ce qu'il y a un consentement? Alors, Mme Susset, on vous invite à
poursuivre votre réponse. Merci.
Mme Susset
(Françoise) : Donc, il faut que je retrouve mon idée.
Le Président
(M. Matte) : C'est ça, oui.
Mme Susset (Françoise) : Bon. Bon. Oui, alors, ce que je disais, c'est que
c'est une solution intermédiaire, mais... Ah oui! Le problème, évidemment,
c'est le manque de professionnels disponibles. Alors, vous allez demander une
lettre... Combien de professionnels,
et c'est le même problème qui se posait avec le projet de loi n° 35 et le
projet de règlement, sont formés? Et ensuite ce que je dirais, c'est
que, si on fait ce geste-là, s'il vous plaît, interpellons en même temps le ministère de l'Éducation, le ministère de la Santé
et des Services sociaux afin que, justement, on puisse donner cet accès avec des professionnels. Il n'y a pas beaucoup de
professionnels qui vont être d'accord de signer une telle lettre, on le disait par rapport aux adultes. Vous connaissez
toute l'hésitation par rapport aux enfants. On ne peut pas croire qu'il y aura
plus de professionnels qui seront prêts à
signer ces lettres-là pour un enfant de six ans que pour un adulte de
35 ans. Donc, je veux simplement dire qu'il y a des choses à
rajouter et des choses à faire.
L'autre
détail, s'il vous plaît, c'est qu'on laisse de côté complètement les enfants
immigrants dans ce dossier-là, qui ont aussi, donc, à attendre et
maintenant qui sont complètement exclus de ce projet de loi.
Le Président
(M. Matte) : Alors, merci. Et je vous redis merci de votre
contribution à nos travaux et je vous souhaite une agréable journée.
Mémoires déposés
Avant de conclure, je
vais procéder au dépôt des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus
lors de l'audition. Je vous les remets.
Et
la commission ayant accompli son mandat, elle ajourne ses travaux sine die.
Bonne fin de journée à tous. Merci.
(Fin de la séance à 11 h 23)