(Neuf heures sept minutes)
Le
Président (M. Picard) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de
la Commission des relations
avec les citoyens ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de
bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission
est réunie afin d'entreprendre les consultations particulières et auditions
publiques dans le cadre du mandat
d'initiative concernant les conditions de vie des femmes autochtones en lien
avec les agressions sexuelles et la violence conjugale.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Bernier
(Montmorency) est remplacé par Mme Tremblay (Chauveau); Mme Rotiroti (Jeanne-Mance—Viger), par Mme Nichols (Vaudreuil);
M. Rochon (Richelieu), par M. Leclair (Beauharnois); et
Mme Lavallée (Repentigny), par Mme Roy (Montarville).
Le
Président (M. Picard) : Merci. Comme la séance a commencé à
9 h 7, y a-t-il consentement pour poursuivre nos travaux au-delà de l'heure prévue, soit
jusqu'à 12 h 7? Consentement. Oui, Mme la députée
d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme
Poirier : Étant donné l'horaire que nous aurons cet après-midi,
est-ce que vous pouvez nous donner des indications comment vous comptez
avoir nos travaux en après-midi?
Le
Président (M. Picard) : En après-midi, suite à des
consultations des différents bureaux de leader, nous avons convenu que les séances dureront une heure. Les
témoins vont avoir quand même 20 minutes, et par la suite les échanges
vont durer pour compléter l'heure. Donc, si nous terminons nos travaux au salon
bleu à 16 h 30, nous allons siéger jusqu'à
18 h 30, mais c'est toujours en fonction, là... Parce qu'on a essayé
de trouver d'autres arrangements, mais c'était difficile, avec tous les
événements qui se sont passés. Ça va, Mme la députée?
Mme Poirier : Merci.
Auditions
Le Président (M. Picard) :
Cet avant-midi, nous entendrons les représentants du Comité administratif de
l'Administration régionale Kativik et du Regroupement des centres d'amitié
autochtones.
Je souhaite la bienvenue au Comité administratif
de l'Administration régionale Kativik. Mme Hervé, je vous invite à vous présenter ainsi que les personnes
qui vous accompagnent. Vous disposez ensuite de 20 minutes pour votre
présentation, par la suite il y aura des échanges avec les membres de la
commission. La parole est à vous.
Comité administratif de
l'Administration régionale Kativik
Mme Hervé
(Caroline) : Bonjour. Mon
nom est Caroline Hervé, je suis directrice de Saturviit, l'Association des
femmes inuit du Nunavik. Je suis également anthropologue, j'ai eu mon doctorat
à l'Université Laval en 2013. J'ai travaillé
avec les Inuits du Nunavik depuis presque une dizaine d'années. Donc, je suis
accompagnée de Pascale Laneuville, qui travaille comme assistante à la
direction Saturviit, qui est également anthropologue, titulaire d'une maîtrise
en anthropologie à l'Université Laval. Je suis également accompagnée d'Annie
Baron, qui est une «Inuk» originaire de Kangiqsualujjuaq, sur la côte est de la
baie d'Ungava, et qui est membre du bureau de direction de Saturviit. Donc, l'Administration
régionale Kativik nous a demandé de les représenter aujourd'hui devant cette
commission.
• (9 h 10) •
Donc, nous allons commencer notre présentation.
Donc, Saturviit est une association qui a été créée en 2005 suite au regroupement
de plusieurs dizaines de femmes inuites à Puvirnituq, dans la communauté de
Puvirnituq. Donc, ces femmes avaient décidé
de se regrouper pour discuter des problèmes qui agitent la région. Et, durant
cette rencontre, qui avait été faite
dans un camp de chasse à l'est de la communauté de Puvirnituq, elles avaient émis un certain
nombre de recommandations, et ces recommandations touchaient la
violence, la guérison, les questions d'éducation des enfants, d'abus sexuels face aux enfants, de suicide et également
d'éducation et de langage. Et, durant cette réunion, elles
avaient décidé qu'il était important,
pour représenter leurs intérêts, de créer une association donc qui les
représenterait, et c'est de là qu'est
née Saturviit. «Saturviit» signifie «celles qui redonnent de l'espoir». Durant
cette réunion également, elles avaient rédigé un manifeste, donc,
qui avait été rédigé en inuktitut et qui s'appelait Arrêtons la violence,
Stoppons la violence, donc un manifeste qui criait contre les
problèmes de suicide dans la région et de violence conjugale, de violence
sexuelle auxquels on va pouvoir discuter aujourd'hui.
Depuis
2005, Saturviit a le mandat de représenter les femmes dans les instances régionales,
nationales, internationales. Nous
avons également le mandat de défendre leurs droits et les droits des enfants,
parce qu'une femme inuite n'est jamais qu'une
femme, c'est aussi une mère, une mère de famille et une épouse. Nous avons
aussi le mandat de développer des activités pour améliorer les
conditions de vie des femmes au Nunavik.
Donc, maintenant, je vais laisser la parole à ma
collègue Annie Baron, qui va vous présenter les conditions géographiques,
historiques de son peuple.
Mme Baron
(Annie) : Bonjour. Merci
pour nous inviter. Et j'espère que, si vous ne comprenez pas, vous allez
me le dire, hein? On va avoir une «question period» aussi.
Donc, je
commence. Caroline le disait, mon nom est Annie Baron, je viens de
Kangiqsualujjuaq. Je suis une maman de quatre enfants et grand-maman
aussi.
Quand on
regarde la vie des jeunes aujourd'hui et la vie de ma mère quand j'étais jeune,
c'est très différent. Elle a grandi
dans un... à Kuururjuaq, Tasiujaq, c'est à 30 kilomètres du village. Et, quand
les gens sont allés à Kangiqsualujjuaq, c'était pour que les jeunes aillent à l'école; ma mère était trop
vieille, donc elle a travaillé à l'école. Donc, elle n'a pas appris l'anglais comme les autres frères et
soeurs. Et après ça les frères plus jeunes sont allés à l'école dans le village
et ils sont allés ailleurs pour
apprendre plus à l'école, ils pouvaient aller à Churchill, Manitoba; mon oncle,
lui, est allé à Ottawa. Donc, ils
parlent bien en anglais. Si tu veux leur parler, c'est très courant, leur
anglais, c'est ça que je voulais dire. Quand ils sont revenus, la
manière que mes grands-parents élevaient ces enfants n'était plus pareille
parce qu'il y avait un «gap» de... ces enfants sont partis... Mon petit-fils,
s'il va à l'école aujourd'hui, c'est notre choix, mais nos grands-parents n'avaient pas choisi que ces
enfants aillent à l'école, c'est le fédéral qui a dit : «They're going to
school», tu n'as pas de choix. Donc,
ça, c'est quelque chose qui est très triste pour les grands-parents et les
jeunes qui sont allés à l'école.
Après ça, je suis la deuxième génération, pour
ceux qui sont allés à l'école en français. Donc, je suis contente que ma mère
m'ait envoyée à l'école en français, parce que je suis trilingue. Après la
convention de Baie James et du Nouveau-Québec, la commission scolaire Kativik
est sortie, et on va à l'école en inuktitut de maternelle, première, deuxième année, juste en inuktitut. Après deuxième
année, ils commencent à introduire l'anglais ou le français. En troisième
année, c'est la moitié en français, en
inuktitut ou anglais et inuktitut. Pour aller à l'école après le secondaire V,
on va à Montréal, pour le cégep... ou à l'université.
Il n'y en a
pas beaucoup, de jeunes qui finissent l'école. Ma théorie est
que les gens qui ont souffert l'abus à l'école fédérale ne voient plus de la même façon l'école, ils ont vécu la
mauvaise école, et aujourd'hui ça, c'est une des raisons que... c'est peut-être une des raisons que
ça ne marche pas fort, l'école. Mais il faut dire aussi qu'il y a
plus de gens qui finissent, comparé à
il y a 15 ans, parce que, chez nous, quand j'ai gradué le secondaire V, il
y avait moi et mon cousin, donc
c'était beaucoup. Avant ça, c'était mon cousin, juste un, qui
graduait. Donc, il y en a plus qui finit l'école, secondaire V.
Mais, pour dire ça, on a aussi l'école à
Inukjuak, «technical school». Ça, c'est le fun aussi. On reste dans la communauté du Nord et on parle notre langue. Les
gens sont gentils, mais, comparé à Montréal, les gens, quand tu souris, ils pensent que tu es en train de «cruiser» la
personne. Pour dire ça aussi, quand je suis arrivée à Montréal,
j'essayais de sourire à tout le monde, mais, non, ils ne souriaient pas. Chez nous, quand quelqu'un ne sourit
pas, ça veut dire qu'il y a
quelque chose qui ne va pas dans sa vie, c'est ça que je voulais dire.
Puis, les
autres choses, pour les gens qui sont malades, on a des CLSC avec les
infirmières, infirmiers qui sont là, le
docteur vient à toutes les six semaines, le dentiste arrive de temps en temps
aussi dans les plus petites communautés. Quand quelqu'un est très
malade, ils vont les envoyer à Kuujjuaq ou à Puvirnituq, parce qu'il y a des
hôpitaux dans ces deux communautés, mais, si
c'est trop grave, ils vont nous envoyer à Montréal. Donc, si quelqu'un va à
Montréal, c'est 2 700 $,
hein, un billet d'avion. Si c'est un cas urgent, c'est un Challenger, un
Medevac qui les envoie en avion. Donc, ce n'est pas facile pour la
santé, pour donner le bon service de santé, parce que ce n'est pas comme à
Québec : si j'ai mal à la gorge, je vais à l'hôpital et je vais attendre
deux heures. Si quelqu'un est très gravement blessé, ils vont nous envoyer le lendemain à Montréal pour avoir le bon
traitement. Les traitements de cancer, c'est pareil aussi, il faut aller
à Montréal, c'est très loin de la famille. Donc, le service de santé pourrait
améliorer aussi.
Les services
sociaux, protection de la jeunesse, ce n'est pas facile non plus parce que les
gens qui viennent travailler au nord,
ce n'est pas les Inuits, ils ne connaissent pas la culture et ils imposent leur
culture, leurs coutumes, leurs valeurs, ce n'est pas les mêmes. Tu connais les
Inuits depuis longtemps, et tes valeurs et mes valeurs sont différentes. Donc,
c'est pareil. Il y a toujours des
gens qui sont comme : O.K., je vais régler les problèmes de ces gens, mais
ça ne marche pas, il faut vouloir par
nous-mêmes. Et ça va arriver bientôt, mais ça prend de l'aide de nos deux
gouvernements, de vous autres.
Une des choses que je voulais dire aussi, c'est
que ce n'est pas facile d'être une femme au Nunavik. Je suis à Québec depuis deux ans, mais ce n'était pas
facile, il y a des bons et des mauvais côtés. J'étais contente d'être avec ma
famille, mais, si quelqu'un veut se séparer avec son mari, je vais aller où? Je
vais aller chez ma mère?
Il y a
beaucoup de gens qui sont dans leur maison avec plusieurs personnes dans la
maison. Dernière chose que je voulais vous demander : Vous êtes combien
dans votre maison, chez vous? Oui, toi. Deux? Dans combien de chambres? Quatre? Oh! c'est... Tu devrais en prendre deux
autres, personnes. Non, mais ce n'est pas par choix qu'on est cinq, six,
sept, huit, neuf personnes dans un
trois-chambres ou quatre enfants, deux parents dans un deux-chambres. Donc,
c'est une chose à penser. Ce n'est
pas tout le monde qui a les moyens de faire construire des maisons non plus,
donc c'est ça que je voulais dire.
J'aurais bien aimé faire plus de... de vous
donner plus d'informations, mais on va faire la présentation de recherche que
Pascale avait faite.
• (9 h 20) •
Mme Laneuville
(Pascale) : Merci, Annie. O.K., ça fonctionne. Bonjour, tout le monde.
Une voix : ...
Mme Laneuville (Pascale) : Comment?
Le Président (M. Picard) :
Mme Laneville?
Mme
Laneuville (Pascale) :
Laneuville. Donc, oui, c'est ça, moi, je vais vous parler principalement de
l'étude que j'ai menée pour
Saturviit. Avant, je veux juste ajouter une chose. On avait préparé un petit
PowerPoint, là, mais je vais juste...
Pour ceux peut-être qui sont moins familiers avec la région, le Nunavik, ça
comprend 14 villages qui sont séparés
d'environ 200 kilomètres entre chaque village. Et donc, pour se connecter
entre les villages ou aller dans le Sud, il faut prendre l'avion, mais, comme Annie a mentionné, un billet d'avion
pour Montréal, aller-retour, c'est au-dessus de 2 500 $, donc c'est très dispendieux. Quand on dit que les
personnes... qu'ils ont de la difficulté à... qu'ils ont des problèmes, disons, à la maison, dans leur communauté, ils ont
peu d'options pour fuir ou trouver de l'aide. C'est qu'il y a peu de ressources
dans les communautés, il y a peu de moyens
pour en sortir. Et qu'est-ce que je voulais dire par rapport à ça, il faut dire
aussi que les communautés du Nunavik, là,
sont à 90 % composées d'Inuits, les Blancs sont principalement les
travailleurs qui sont professionnels ou qualifiés, là.
Donc, l'étude
en question, certains ont déjà pu voir le rapport, le lire. Il y a deux versions,
rapport long et court, disponibles
sur le site Web de Saturviit. Et puis donc c'est en 2013, l'association
Saturviit a décidé de lancer une enquête. Donc, c'est moi-même qui l'ai menée, j'ai été très chanceuse d'avoir
cette opportunité-là d'apprendre énormément sur la société inuite. J'ai été dans sept villages et à
Montréal pour interviewer 108 femmes de façon individuelle, en entrevues
semi-dirigées, là, donc le but, c'était
vraiment qu'elles parlent d'elles-mêmes sur les enjeux dont elles avaient envie
de parler, là, sur leurs expériences aussi. Les femmes étaient âgées de
18 à 85 ans.
Donc, c'est
une recherche plutôt qualitative, là, tu sais, on est en anthropologie aussi.
Donc, comme on l'a dit tout à
l'heure, on est anthropologues puis on voulait laisser les femmes parler, mais
on a quand même fait quelques statistiques, disons, selon le... parce qu'on avait quand même un gros échantillon, de
108 femmes. Pour donner une idée, vous en avez quelques-unes à l'écran, ça peut donner une image,
là, de comment ça... qu'est-ce qui se passe là-bas. Donc, quand on parle de logements surpeuplés, il y a au moins
30 % des femmes qui vivent dans des logements surpeuplés, c'est-à-dire
qu'il y avait plus qu'une personne par
chambre, même en comptant les couples comme une personne. Donc, ça veut dire
que des parents ou des enfants, des frères
et soeurs, ou des oncles et des enfants, en tout cas, partagent une chambre ou
dorment dans le salon, là. 40 % des
femmes, des participantes à l'étude, avaient obtenu diplôme d'études
secondaires. 38 % ne travaillaient pas au moment des entrevues.
49 % souffraient d'alcoolisme, que ce soit un alcoolisme qu'elles avaient guéri en quelque sorte à travers des
thérapies ou des femmes qui buvaient encore de façon, disons, jugée excessive,
là. 74 % avaient expérimenté de la
violence à la maison, donc, que ce soit de la part d'un conjoint, d'un parent,
d'un enfant ou tout autre résident
d'une maison. Sans qu'elles ne soient des victimes directes ou indirectes, ça
affecte évidemment tous les résidents de la maison quand il y a de la
violence. Au moins 46 % des participantes avaient été sexuellement abusées, donc avaient vécu des expériences en lien
avec... à caractère sexuel, des expériences d'abus. Quand on dit au moins 46 %, c'est qu'étant donné que c'était
une recherche qualitative et que ce n'étaient pas des questionnaires systématiques, donc, on n'avait pas nécessairement
abordé le sujet avec toutes les participantes, et certaines d'entre elles
ne voulaient pas aborder certains sujets. Donc, c'est pour ça que je dis au
moins 46 %, on peut juger que certaines personnes
n'ont pas voulu parler de certaines choses intimes. Au moins 75 % avaient
tenté de se suicider ou avaient perdu un
proche parent ou un ami suite à un suicide. Donc, c'est pour dire que le
suicide touche tout le monde de près ou de loin au Nunavik. 48 %
des femmes étaient mères, des participantes. 34 % d'entre elles étaient
monoparentales.
Donc, je sais
que ça intéresse particulièrement la commission aujourd'hui, la question de la
violence familiale et des abus
sexuels. Donc, c'est évidemment des enjeux dont on a parlé beaucoup pendant
l'étude, et c'est des questions qui
préoccupent beaucoup les femmes, c'est des enjeux prioritaires. C'est connecté
à beaucoup d'autres enjeux, comme vous
pouvez vous en douter, par exemple les questions du logement, les questions de
prendre de l'alcool, les questions d'abus
sexuels — ça, on
l'avait mentionné déjà — les questions de suicide, l'éducation, la protection de la
jeunesse et le système de justice en
général. Donc, on ne peut pas vraiment aborder en profondeur tous ces enjeux-là
si on... Annie a déjà parlé... Bien,
quand on parle de violence familiale, on veut évidemment mentionner toutes les
formes de violence, là, qui sont physique, verbale, psychologique,
économique ou sexuelle, qui surviennent la plupart du temps dans les maisons,
dans les foyers dont Annie parlait, là, qui sont beaucoup surpeuplés. Donc, le
problème de logement puis la surpopulation
des logements, c'est vraiment un enjeu prioritaire, là. On en parle déjà
beaucoup, mais on continue à en parler parce que c'est la première chose
à laquelle il faut faire face, là, pour donner une chance aux familles.
Donc, il faut
savoir que les logements sociaux, c'est la seule option viable dans le Nord. Il
y a très, très, très peu d'Inuits qui
ont acheté une maison privée, parce que c'est des prix faramineux, là. Donc, on
estime le besoin actuel à à peu près
1 000 unités pour répondre aux demandes, là, de maison. Donc, toutes
les participantes à l'étude ont expérimenté un jour dans leur vie ce
problème-là, là, dans leur maison.
Puis ça
affecte la santé physique, évidemment, problèmes d'hygiène certaines fois,
manque d'eau parce qu'il n'y a pas
d'eau courante, là, c'est des réservoirs d'eau. Ensuite, ça affecte la santé
mentale aussi, de vivre dans des logements surpeuplés, puis ça favorise... le surpeuplement d'une maison provoque
plus des comportements agressifs, hein, à cause du manque d'espace, là,
surtout quand on ne vit pas ensemble par choix mais par obligation. Ça
augmente, bien, les risques d'être affecté... d'être exposé à la violence et
aux abus.
Aussi,
comme on disait, une femme qui veut fuir une relation difficile, abusive n'a
pas d'option pour déménager, là. Donc, c'est très difficile de faire le
choix de quitter un conjoint, de laisser sa famille quand il y a des enfants et
quand il n'y a pas de possibilité de trouver
un autre logement dans sa communauté. Les refuges pour femmes, il y en a trois
au Nunavik, à Kuujjuaq, Salluit et
Inukjuak, puis toutes les femmes à qui j'ai parlé voudraient en avoir un dans
leur propre communauté, parce que
c'est fréquent que des femmes cherchent un refuge et n'en trouvent pas... ou ce
n'est pas tout le monde qui veut les
accueillir chez elles quand elles ont bu ou quand elles ont peur de la personne
agressive. Donc, même si les refuges
sont souvent des solutions temporaires, partielles, parce que ce n'est pas à
long terme, bien c'est quand même important d'en avoir, puis de cette
façon-là il faut apporter de l'aide aux victimes.
Le Président (M. Picard) : Il
vous reste une minute.
Mme
Laneuville (Pascale) : Une
minute? Parfait. Donc, comme d'habitude, on a parlé beaucoup de logement,
là. J'ai parlé aussi de la consommation d'alcool.
On dit souvent que c'est relié à la violence. C'est une cause souvent directe,
mais ce n'est pas une explication. Donc, la
relation à l'alcool est très difficile dans le Nord, mais il faut comprendre
toute la relation historique à l'alcool, le contexte social, le contexte
dans le Nord.
Donc, la
violence ne vient pas vraiment de l'alcool, mais ça vient d'un passé, des
changements importants dans la
société qui ont bouleversé les moeurs sociales et la culture. Donc, les
relations conjugales, les relations parents-enfants sont très difficiles. Il y a beaucoup de
communication, il faut travailler sur la communication. Les jeunes ne
comprennent pas pourquoi il y a tant de misère aujourd'hui parce qu'ils
ne connaissent pas leur passé. Souvent, comme une jeune m'a dit, elle a dit : Tu es anthropologue, tu en connais plus sur
moi que moi-même, tu sais, parce que les parents ne vont pas nécessairement parler de leur histoire, de
pourquoi ils sont comme ça aujourd'hui. Donc, ça, c'est un enjeu important.
Donc, pour
terminer, comme Annie disait, les services, il y a beaucoup de travail à faire
sur les relations avec les policiers, les relations avec la DPJ, avec
les travailleurs sociaux...
• (9 h 30) •
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît.
Mme
Laneuville (Pascale) : Oui,
c'est ça. Donc, bien, je vais vous laisser poser des questions,
parce qu'il y a beaucoup de choses à dire encore, puis j'imagine que vous
allez... on va pouvoir développer sur ce qui vous intéresse le plus.
Le
Président (M. Picard) :
Exact. Merci beaucoup. Nous allons entreprendre la période d'échange.
Je vais vous donner la répartition du
temps : le parti gouvernemental, 33 min 15 s; l'opposition officielle, 19 min 57 s; le deuxième groupe d'opposition, 13 min 18 s;
et Mme la députée indépendante, 3 min 30 s. Ça va?
Du côté de Mme la députée de Crémazie.
Mme
Montpetit : Je vous remercie. Permettez-moi d'abord, dans un premier temps, de saluer mes collègues,
en ce début de mandat, mes collègues de la partie gouvernementale mais également
de l'opposition.
Je vous
remercie beaucoup de prendre le temps, aujourd'hui, de venir nous rencontrer, de venir partager avec nous du vécu personnel mais également
de l'information plus factuelle. Et je me permettrai, là, d'entrée
de jeu, de débuter par des chiffres
que vous avez présentés, là, c'est difficile de demeurer insensible, là, aux
chiffres que vous présentez dans votre
étude, là, à savoir que 74 % des
participants avaient expérimenté de la violence à la maison puis 46 %
avaient été abusés sexuellement. Je
pense que c'est exactement la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui,
pour aborder ces enjeux-là. Et je
comprends, à la lumière de ce que vous nous dite, que c'est une problématique
qui est complexe, qui est très
complexe, qui est multifactorielle également, et qu'il est nécessaire
d'intervenir à plusieurs niveaux, autant en amont qu'en aval, là, pour pouvoir s'y adresser, mais je voulais voir
avec vous, dans le fond, à vos yeux, quels sont les aspects qui sont plus prioritaires ou plus urgents
pour avoir des conditions incontournables, dans le fond, pour retrouver des milieux de vie qui sont sécuritaires, qui sont
plus harmonieux pour les familles, là. Je sais que c'est une question large,
mais on est vraiment là pour vous entendre,
aujourd'hui, donc prenez du temps pour élaborer, pour nous répondre également.
Le Président (M. Picard) :
Mme Baron.
Mme Baron
(Annie) : Le prioritaire que
je dirais, c'est les maisons. Je peux inviter ma fille pour venir chez nous
la fin de semaine, mon petit-fils, mais je
ne peux pas me voir vivre avec elle des semaines, des mois et des années de
temps. J'ai essayé de... Non, ça ne
marche pas. Donc, je pense que la priorité serait d'avoir des maisons pour les
jeunes, qu'ils n'habitent pas avec les parents, les grands-parents.
Mme
Laneuville (Pascale) : Si je
peux rajouter quelque chose, c'est que la maison, c'est là vraiment
que les liens affectifs se
développent et on éduque les enfants, on apprend les bonnes manières, on crée
les fondations pour une vie harmonieuse, des relations saines, mais,
quand les parents vivent avec leurs propres parents, donc qu'ils élèvent leurs enfants avec des parents ou avec des oncles, tout
ça, souvent il y a des personnes là-dedans qui ont des problèmes
d'alcool ou des problèmes
de violence... ou juste le fait de ne pas avoir assez d'espace pour tout le monde, ce n'est pas des conditions propices
pour éduquer un enfant d'une bonne façon. Donc, souvent, les enfants se
retrouvent seuls, à eux-mêmes, dans ce
tourbillon-là de la vie difficile, là. Ce n'est pas pour rien qu'il y a
beaucoup de dépressions. Les femmes reconnaissent la vulnérabilité des jeunes, il y a beaucoup
de dépressions, de suicides. Donc, c'est ces jeunes-là qu'on perd, là, tu sais,
dans cette situation-là.
Donc, c'est pour ça que...
Le lien mère-enfant est important, la relation familiale. C'est pour ça qu'on
parle beaucoup de la maison, c'est là que ça commence. C'est là qu'il faut
donner de l'aide en premier.
Mme Hervé
(Caroline) : Je vais donner
du pouce à ce que disent mes collègues. Effectivement, c'est ce qui ressort le plus de cette
rencontre avec les 108 femmes du Nunavik, elles ont toutes parlé de ça, et
c'est l'aspect qui nous a frappées au départ, quand on a lu les premiers
résultats de ces entretiens avec les femmes, elles ont toutes mentionné l'importance d'avoir des logements, plus de
logements mais aussi des logements appropriés, donc des logements d'une taille respectable pour accueillir des familles
nombreuses, parce qu'il y a beaucoup de familles nombreuses. En ce moment, ce qui se fait, au Nunavik,
c'est beaucoup de logements avec deux chambres, donc, quand on a
trois ou quatre enfants, déjà on est serrés dans ces logements-là. Et en ce moment c'est pratiquement les seules formes de construction. Donc, c'est probablement
aussi pour désengorger un petit peu le surpeuplement, mais ça ne répond pas non
plus totalement aux réels besoins.
Et aussi il
y a toute la politique de
construction de logement. On est dans des logements en rang d'oignons, dans
des façons très linéaires de construire les
logements. Pascale vous a dit que les logements sociaux sont pratiquement la
seule forme d'accessibilité à un logement, ce qui fait que ça crée des grandes
injustices aussi. Des femmes qui ont les moyens
de se payer un logement n'auront peut-être pas assez de points pour acquérir un logement, et
donc elles, ces femmes qui travaillent, qui ont des revenus réguliers,
vont mettre des années à acquérir un logement.
Et aussi ce
logement, bien, il va être attribué de façon assez aléatoire : Bon, vous,
Mme Baron, on va vous donner la maison 18. La maison 18,
elle se trouve à côté, par exemple, d'une famille à côté de qui Mme Baron
et sa famille, depuis des générations et des
générations, n'ont pas de lien d'affection. Donc, ils ne choisissent pas leur
maison, ils ne choisissent pas
l'emplacement de leur maison, et, pour des sociétés qui étaient
habituées, donc, à nomadiser, à construire leurs habitats de façon volontaire, ils choisissaient là où ils
voulaient habiter, avec qui ils voulaient habiter, ça crée des conflits
au sein des communautés.
La sédentarisation date des années 1960, c'est
tout récent, et ce qui fait que... En fait, ce sont des familles qui vivaient dans des camps plus ou moins éloignés des villages qui ont été mises ensemble dans ces villages, petit à petit on leur a attribué des logements. Et donc, en fait, toutes les relations
sociales, qui étaient tournées vers l'harmonie sociale parce que les Inuits sont un peuple non violent à
la base, un peuple qui privilégie l'harmonie sociale, en fait ils se sont
retrouvés dans des situations de conflits sociaux, de relations sociales
imposées, et c'est ce qui explique aussi parfois certaines violences dans les
villages. Voilà. Merci.
Mme Baron
(Annie) : L'autre chose que
je dirais après le «social housing», je pense, ce serait de travailler sur
le bien-être de la personne, comment on fait
ça. Les travailleuses sociales, la DPJ devraient avoir plus de fonds pour faire
plus de travail profond pour aider les familles, les femmes, les hommes. Après
ça...
Mme
Laneuville (Pascale) : ...sur
les services, c'est ça, donner les ressources aux travailleurs, là, parce
qu'ils n'ont pas beaucoup de moyens
pour faire le travail. Puis les travailleurs ont besoin d'outils puis ont aussi
besoin d'être informés sur la société inuite, peut-être qu'ils ne le
sont pas nécessairement suffisamment, parce que c'est difficile de travailler
avec une autre culture aussi, là.
Mme Baron
(Annie) : Je dirais, la
troisième chose que je trouve importante, c'est de créer des emplois dans notre
région. Quand on reçoit un chèque à chaque
deux semaines, c'est toujours bon pour le moral : Oh! je vais acheter
telle chose. Les gens qui reçoivent
un chèque de bien-être social après un mois : Oh! finalement je vais
acheter... Mais tout est très cher. Donc, des petites entreprises dans
le Nord, ce serait très bon pour les gens, leur estime de soi.
Le
Président (M. Picard) :
Merci. M. le député d'Ungava. J'aurais besoin d'un consentement pour permettre
à M. le député... Ça va?
M.
Boucher : ...je sais, bon, on parle souvent que l'expertise des Blancs
n'est peut-être pas toujours au rendez-vous, là, en regard avec la culture, hein? Quelqu'un formé à l'Université
Laval, dans un milieu du Sud, se ramasse travailleuse sociale ou travailleur social dans ton village,
puis il n'a pas peut-être toujours le cadre de référence, puis des fois, sans
vouloir mal faire, fait des choses qui ne conviennent pas ou...
Il y avait eu des initiatives locales comme les
«community wellness workers» qui avaient été implantés il y a quelques années.
Est-ce que vous avez des nouvelles de ça? Est-ce que ça a porté les fruits
qu'on souhaitait avoir? Pouvez-vous nous en parler un petit peu?
• (9 h 40) •
Mme Laneuville
(Pascale) : Quand j'y ai
été, en 2013, il y en avait plusieurs, pas dans toutes les communautés
mais dans au moins la moitié des communautés il y avait un ou deux «wellness
workers», puis les gens voyaient ça comme
quelque chose de très positif, parce que c'est des travailleurs inuits. Donc, elles partent des demandes, des envies
de leur communauté à elles pour
proposer des activités puis donner de l'aide aux gens qui en ont de
besoin, comme je sais qu'il y avait
des dons de vêtements, il y avait des soirées pour les femmes, des activités
pour différents groupes, les jeunes aussi.
Donc, je ne
sais pas à quel point en ce moment ça a atteint les attentes, je ne connais
pas, évidemment, toutes les attentes
de ces... les objectifs de ce projet-là, de ce programme-là, donc, mais je sais
que c'est quelque chose... Oui, je pense que c'est une bonne initiative,
il faut que ça continue.
Puis c'est de permettre aux jeunes,
aux femmes qui sont des modèles souvent pour leur communauté de travailler
pour leur communauté, mais ce que j'ai
entendu dire, par contre, c'est que c'est difficile de recruter, parce que les
personnes qui sont des modèles pour
les autres sont très sollicitées pour plusieurs emplois, puis ce n'est pas le
programme de bien-être qui a les
meilleures conditions de travail à offrir.
Donc, ça, c'est difficile aussi de recruter des bonnes personnes qui vont
rester dans ces emplois-là.
Est-ce que tu voulais
rajouter par rapport à ça? Non?
Le Président (M.
Picard) : Ça va?
M.
Boucher : J'avais une autre petite question. Bon, on sait qu'au
Nunavik, puis souvent, dans plusieurs villages, il y a beaucoup de gens
qui ont des dossiers criminels, sauf que, de mon avis à moi, il n'y a pas
vraiment, tu sais, de criminels comme tels,
des gens se ramassent avec un dossier suite à une bataille, un acte posé soit
sous le coup de la colère ou sous le
coup de l'émotion, ou suite, bon, à une consommation de substances. Dans le
village d'Annie, il y avait justement un
comité de justice réparatrice ou de justice communautaire qui est présentement
en train d'être implanté, qui souvent, bon,
de mon avis à moi, pourrait très bien pallier des fois à un système judiciaire
modèle du Sud qui ne convient peut-être pas toujours à la réalité. Comment vous voyez ça? Puis comment ça
performe? Et puis pouvez-vous me parler de ça un petit peu, là?
Le Président (M.
Picard) : Mme Baron.
Mme Baron (Annie) : Je fais la traduction pour la cour. Je pleure souvent avant d'aller...
de partir en avion, parce que, ces
gens-là, je les vois, hein, je traduis qu'est-ce qu'ils ont fait, qu'est-ce que
le juge, les avocats vont dire, je vois la famille qui sont affectés. Je
ne pense pas qu'on va changer les lois, les lois sont là pour la sécurité de
tout le monde, mais il y a des juges qui
sont très «compassionate» aussi, ils comprennent notre culture aussi. Il y a
des gens dans la cour qui comprennent moins aussi notre réalité.
Mais
il faut dire aussi que, les gens qui travaillent là, c'est un numéro de
dossier, il ne connaît pas la personne. Si j'ai besoin d'un avocat, je ne vais pas aller à ces gens-là, parce
que je suis juste un numéro. Ça prend quelqu'un qui a le temps pour
voir. Ces avocats n'ont pas le temps d'étudier les cas, c'est qui, c'est quand,
qu'est-ce qui s'est passé.
Donc,
ce n'est pas mauvais, le... mais ils ont besoin de plus de personnes, plus de
temps à passer dans le Nord pour
finir les dossiers, parce que la loi est là pour nous protéger, mais... «They have to come more often to do the
judging.» Donc,
si je vole, j'aimerais que la loi me dise : Ce n'est pas correct,
qu'est-ce que tu as... mais il n'y a pas assez de temps pour qu'ils
viennent juger. Donc, c'est ça que je voulais dire.
Il
y a beaucoup de gens qui sont dans le système, ils sont là pour quelque chose
qu'ils ont fait, ça date de longtemps, il y a un an, deux ans. Ça prend plusieurs
mois, même années avant qu'ils sont jugés. J'ai vu quelqu'un qui a été
«acquitted» parce que ça faisait trop
de temps qu'il avait été «charged» avec un crime qu'il a fait. Ce n'est pas de
leur faute non plus, parce que c'est
une journée par trois mois qu'ils viennent, mais, à cause de la météo, ils ne
viennent pas dans mon village. Donc, ça, c'est un exemple.
La traduction, pour
les gens qui sont dans la cour, ce serait bon, parce que ce n'est pas tout le
monde qui va comprendre l'avocat. Donc, les
gens qui vont à la cour ont besoin de leur traductrice, traducteur quand ils
voient leur avocat, parce que moi, je suis là pour la cour seulement.
Pour
les jeunes qu'ils vont faire sortir de leur maison, la DPJ dit : Il faut
avoir une bonne maison, les enfants sont en sécurité, manger, tout ça, oui. Le temps qui est donné aux parents
pour dire : O.K., je me prends en main, ce n'est pas beaucoup,
O.K.? Si je prends beaucoup de drogue, alcool ou, un exemple, je suis «in
pain» quand la DPJ prend mon enfant,
tu as six mois de s'en sortir. Six mois, ce n'est pas beaucoup
parce que la première chose, quand la DPJ prend ton enfant, tu es fâché, et tu vas être fâché pour des
mois. Et j'ai vu des parents qui ont commencé à boire parce que
la DPJ avait pris ses enfants, donc c'est triste.
La
réalité, pour nous, j'avais dit tantôt : Les gens qui travaillent dans le
Nord viennent imposer leur culture, leurs coutumes, leurs valeurs. Il faut penser aussi à la famille qui veut
aider aussi, inclure toutes les possibilités de notre culture aussi quand ils prennent
les enfants.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Je vais céder la parole à M. le député de D'Arcy-McGee.
M.
Birnbaum : Merci, M. le Président. Bonjour, Mmes Hervé, Baron et Laneuville,
et merci pour votre exposé à la fois douloureux mais très important. Et,
j'espère, ça risque de nous aider dans le coeur de notre mandat, qui est d'alimenter un plan d'action gouvernemental contre
les agressions sexuelles, et de nous assurer que ce plan va avoir des
mesures qui répondent à votre situation très difficile.
Nous
avons à apprendre que les défis sont énormes et les solutions ne sont pas très facilement
à la portée. Dans cette optique, je
vais vous inviter, surtout Mme Baron, si je peux, de nous parler plus de...
et peut-être de nous dresser un portrait d'une famille, sans les identifier, évidemment,
mais pour qu'on puisse comprendre l'enjeu du problème du logement dans
deux optiques.
Dans
un premier temps, on va en convenir, ce problème-là ne se réglera pas demain,
il n'y aura pas des logements qui
vont apparaître d'ici demain. On parle d'un problème qui ne peut pas attendre, évidemment,
on parle de femmes en détresse, et il faut mutuellement parler des
façons de venir à son aide tout de suite.
Alors, compte tenu qu'on parle beaucoup,
beaucoup du problème de logement, il
me semble qu'il faut qu'on le comprenne
davantage, mais aussi dans l'optique
de vraiment comprendre ce qui se passe dans une famille, où les enfants sont devant ça, et il n'y a pas de porte de sortie,
ou la conjointe est dans la présence du conjoint qui vient de perpétrer cet acte-là, est-ce que vous pouvez, ça doit être
douloureux, mais nous faire comprendre comment c'est difficile pour une
telle famille lorsqu'un tel incident se présente? Il me semble que c'est
important qu'on comprenne comme il faut.
Mme Baron
(Annie) : Sorry, I didn't understand your
question.
M.
Birnbaum : What
I'm getting at is it's so clear that the problem of housing is central to the
problems of dealing with sexual and physical
aggression, you know as I do that we'll have to deal with that problem, but it
won't be tomorrow that it gets solved, with
new housing appearing in every one of your 14 communities. For us to
understand, it seems, to me,
essential that you help us, it will be painful, but really understand, maybe
giving us an example of one family, how
this terrible dynamic happens and is lived out, with the children there,
present, with the woman there, in the presence of the man who beat her or sexually abused her, and having to live
there. We need to understand exactly what happens.
• (9 h 50) •
Mme
Baron (Annie) :
OK, I'll give you an example of someone I know in my community. She had a
child, and then they eventually got married...
O.K., je
vais dire ça en français, je m'excuse. Il y a une femme dans ma communauté,
je vais dire son exemple. Elle a eu
un enfant plus jeune, sa mère l'a adopté, et elle s'est mariée avec le bonhomme, ils ont
eu d'autres enfants. Mais, quand ils se sont séparés, c'est lui qui a eu
la maison. Et donc maintenant elle se promène d'une famille à l'autre, et,
quand ça ne va pas dans la famille, elle va à quelqu'un d'autre, chez les amis,
au point qu'elle pense de déménager à Montréal pour avoir sa place à elle avec ses enfants.
Donc, ça, c'est un exemple de quelqu'un... Elle est sortie de sa relation de
violence conjugale, verbale, mais ce n'est pas correct, qu'est-ce qu'elle vit.
M.
Birnbaum : Et, dans ces
circonstances, souvent, comment réagissent les voisins? Est-ce que
cette femme est écartée de la communauté, même de ses amies femmes? Est-ce
que, les hommes, ça se parle? Il y a un silence?
Mme Baron
(Annie) : Les hommes, ça ne
se parle pas. Les femmes, comme ça, ne voient pas l'espoir. Le bonhomme qui bat sa femme va en prison, et après
son «bail hearing» il va sortir, il va revenir à la maison. Donc, c'est un cercle vicieux, elle ne va pas s'en sortir
jusqu'à temps qu'elle dise : C'est assez. On a besoin de plus de support
pour ces femmes, pour qu'elles arrivent à réussir à dire : C'est
assez, c'est assez, parce qu'on voit des femmes qui font ça, il y a des femmes qui ont dit : Non, je ne
veux pas être enterrée par cette... pour être battue, mais ça prend plus de
support pour ces femmes-là.
M.
Birnbaum : Et, si je peux, M. le Président, dans une telle situation,
on pense aux enfants qui ont à vivre ça. Y a-t-il de l'aide quelconque pour les enfants dans une telle situation?
Est-ce que l'école risque d'être avisée du fait que, bon, ces enfants auraient témoigné un acte de
violence ou même pire? Y a-t-il de l'accompagnement d'une sorte ou une
autre pour ces enfants dans une telle situation?
Mme Baron
(Annie) : Dans les écoles,
on a des conseillères aux étudiants, ils vont faire... On va savoir c'est qui
qui a battu qui parce qu'on voit un beurre
noir. Donc, les conseillères aux étudiants vont rencontrer les jeunes, mais ce
n'est pas assez.
Mme
Laneuville (Pascale) : Il
manque de ressources, là, c'est beaucoup d'enfants qui vivent dans des maisons
surpeuplées qu'il y a des problèmes. Avec un conseiller à l'école, ce n'est pas
suffisant.
Puis souvent
c'est la DPJ qui va intervenir, et là rentrent des problèmes de communication,
de compréhension entre une famille
qui ne parle pas nécessairement anglais ou français et l'agent de la DPJ. Des
fois, il y a des travailleurs inuits
qui travaillent avec la DPJ, pas toujours. Donc, souvent, c'est la DPJ qui va
entrer, puis donc on sait où ça mène, puis ça blesse beaucoup les gens.
C'est un problème important.
C'est dur de
comprendre c'est quoi, le quotidien des gens qui vivent là-bas dans des maisons
surpeuplées. Ce n'est pas toutes les familles, tu sais, qui vivent ça,
mais c'est dur de comprendre quand on ne l'a pas vu ou on ne l'a pas expérimenté. Pour ça, je vous invite à lire le
rapport que j'ai écrit, parce qu'il y a beaucoup de citations puis de récits de
vie qui peuvent vous amener à comprendre
tout ce qui découle de ça. Et on en connaît, des femmes, tu sais, on en connaît
plein, des femmes qui sont restées dans des relations abusives parce que
notamment il n'y avait pas de logement, là, tu
sais. Il y a plein d'autres raisons qui entrent là-dedans, il y a beaucoup de
tabous, il y a beaucoup de silence. Annie le dit, on sait qui se fait battre, les gens le sentent ou
l'apprennent, mais il y a beaucoup... les gens ne parlent pas, souvent il
manque de ressources ou de places de confiance où ils peuvent aller pour
parler, où qu'il y a un respect de la confidentialité, il y a un respect de la culture, parler dans leur langue. Pour ça, il
faut impliquer les Inuits, les conseillers, les leaders, les aînés, dans les services. C'est pour ça qu'on
parle beaucoup de Maison de la famille. Maison de la famille, ça va intégrer
les... dans chaque communauté il faudrait avoir quelque chose comme ça ou un
service en inuktitut où il y a des spécialistes
qui peuvent aider, où les enfants peuvent aller, où les familles entières
peuvent être conseillées, parce qu'on veut des interventions axées sur
la famille, pas sur l'individu.
Donc, c'est
tout le contexte actuel qui laisse des trous partout, qui ne répond pas aux
besoins puis qui n'est pas adapté aux familles inuites.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Mme la députée de Crémazie, il reste huit minutes.
Mme
Montpetit : Je vous remercie.
Vous avez abordé tour à tour la
question du manque de ressources. Pour aller un petit peu plus loin, pour valider, là, mon collègue a abordé aussi la
question des différences culturelles, puis je voudrais juste bien comprendre
entre le manque de ressources et le lien de confiance avec ces ressources-là
qui sont présentes. Les femmes,
justement, qui sont victimes de violence conjugale ou d'agression sexuelle, est-ce
que le lien de confiance est présent
avec... vous parliez des travailleurs sociaux, avec la DPJ, si nécessaire?
Est-ce que ce lien-là est présent ou est-ce que justement les différences culturelles posent certains problèmes?
Pouvez-vous nous éclairer davantage là-dessus, là?
Mme
Laneuville (Pascale) : Bien,
tu pourrais peut-être parler, Annie, de ton expérience, là, mais certaines personnes, oui, font confiance, vont parler. Par
contre, vraiment de suivi avec un travailleur social, qui est vraiment débordé,
il y a rarement un suivi sur un dossier, sur
une personne. Il y a un gros roulement de personnel, donc ça, c'est difficile
de construire la confiance sur le long terme
à ce moment-là. Donc, beaucoup de gens n'ont pas envie de recommencer à conter leur histoire, s'ils ont des problèmes. Il
y a tellement de placements d'enfants dans des familles d'accueil que les
gens hésitent énormément à aller voir un
travailleur social, un agent de la DPJ, parce qu'ils ne veulent pas se faire
enlever leurs enfants. Donc, c'est une raison pourquoi beaucoup de gens
ne parlent pas.
Puis donc,
quand on parle... Problèmes de communication, oui, problèmes de communication à
cause de différence de la langue,
différences de culture. Manque de confiance qui... développé aussi à cause de
toutes les relations historiques entre les Blancs puis les Inuits, on ne
se le cachera pas, là. Donc, il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer
la relation, puis il faut supporter les
travailleurs blancs en leur donnant... peut-être en les outillant mieux, en
donnant plus de ressources.
Mme Baron
(Annie) : La DPJ, les
travailleuses sociales, les gens de l'extérieur ne vont pas rester très
longtemps, peut-être quelques années,
ils vont partir quand leurs enfants vont aller à l'école en maternelle. Ça,
c'est la plupart que j'ai vus. Parce que l'école est moins forte chez
nous, ils vont retourner au Sud. Donc, oui, ils investissent mais pas
permanent, donc ça, c'est une chose qui joue contre nous aussi. Donc, les gens
ne sont pas permanents.
Les gens
locaux qui travaillent à la DPJ ou travailleuses sociales sont une ou deux
personnes, et ils travaillent avec les
gens dans leur famille, donc ce n'est pas facile. Il y en a qui sont très
fatigués parce qu'ils reçoivent... si quelqu'un est suicidaire, ils vont
appeler la travailleuse sociale, et ça pourrait être à 1 heure le matin, à
3 heures. Donc, ils sont très courageux de travailler... Je parle de
quelqu'un dans mon village. Ils ont besoin de plus de personnel.
Mme
Laneuville (Pascale) : ...ça
prend un service 24 heures aussi, les femmes ont beaucoup mentionné ça,
avoir un service au moins
téléphonique de soutien 24 heures, parce que c'est à tout moment de la
journée qu'ils peuvent avoir besoin d'aide, questions de violence ou de
pensées suicidaires. Donc, ça, c'est un besoin aussi.
Le Président (M. Picard) :
Mme la députée de Crémazie.
Mme
Montpetit : Ou, bien, pour continuer, Mme Laneuville, sur ce que vous
abordiez, là, vous dites, dans le fond...
Puis c'est vraiment pour nous aider à identifier des pistes de solution très
concrètes, là. Quand vous dites : Il faut mieux outiller les ressources qui sont présentes pour renforcer ce lien
de confiance là, pour le mettre en place ou pour le renforcer, là, l'un ou l'autre, est-ce que vous
avez des idées en tête sur ce qui peut être mis en place, justement, comment
on peut les outiller davantage, ces professionnels...
• (10 heures) •
Mme
Laneuville (Pascale) : Bien,
une idée simple, là, que... Je ne sais pas à quel point les travailleurs du Sud...
Ça dépend dans quel secteur ils travaillent, peut-être en éducation je sais
qu'il existe déjà des formations. Donc, seulement
une formation, parce qu'il y a beaucoup de préjugés, veux veux pas, tu sais,
dans les peuples québécois, les Canadiens,
il y a beaucoup de préjugés envers les autochtones. Si on va travailler là-bas
puis on arrive avec des préjugés, c'est
difficile. Puis il y a beaucoup d'Inuits qui se sentent jugés puis pas
respectés, puis des fois c'est peut-être inconscient aussi. Ça fait que juste avoir une meilleure
formation sur l'histoire, pourquoi ils sont comme ça aujourd'hui, qu'est-ce
qu'ils vivent, sur la réalité quotidienne
des Inuits, donc une formation culturelle et sociale, historique sur... ça, je
pense que c'est important, là, pour un travailleur qui va dans le Nord.
Ensuite de ça, bien, les ressources, je ne connais
pas assez bien comment fonctionnent, comment travaillent les policiers
ou les travailleurs sociaux, mais, le personnel, évidemment, c'est un problème,
là, justement, de garder le personnel plus longtemps. D'augmenter le nombre de
personnel, ça aussi, parce que c'est difficile pour un travailleur social qui est tout seul dans une communauté à
travailler sur beaucoup de cas, des fois, s'il y a des appels la nuit,
tout ça. Donc, ils ont besoin de soutien.
Mais il faut travailler sur la formation et
l'embauche de travailleurs inuits. Ça, c'est une priorité, si on veut améliorer
les services, parce qu'eux, ils vont rester dans leur communauté, eux, ils
parlent la langue inuite.
Donc, ça, ça ramène au problème d'éducation, au
problème aussi de rigidité des pratiques des institutions occidentales. Donc, c'est difficile pour un Inuit
de devenir assistant, disons, d'un agent à la DPJ s'il sent que ce qu'on
lui demande de faire, c'est contre ses
valeurs, c'est contre sa façon d'être en société ou... tu sais, donc, il y a
beaucoup de barrières là-dessus. Donc, il faudrait peut-être faire de la
place aux travailleurs inuits, il faut les former.
Quand on
parle d'éducation, il y a beaucoup d'efforts à faire pour améliorer le système
d'éducation au niveau secondaire,
primaire, secondaire, et beaucoup de femmes voudraient voir la création d'une institution d'enseignement
collégial ou universitaire dans le Nord parce que, comme Annie disait, le taux
de décrochage scolaire est énorme au secondaire
et encore plus énorme au cégep, au collège. Ceux qui viennent à Montréal
pour étudier, il n'y en a pas beaucoup, puis la plupart décrochent, pour plusieurs
raisons, là. C'est très difficile pour elles de venir ici. Si elles ont des
enfants, elles viennent toutes
seules, c'est difficile d'étudier. Elles ont du retard à reprendre, elles sont...
Elles ont un choc culturel aussi, tout ça.
Donc, on fait le tour de plein de choses, mais, je
pense, ça répond à la question, là.
Mme
Montpetit : Effectivement, ça répond à la question, là. C'est très concret, là, comme pistes de
solution puis comme portrait, là, que vous tracez. Puis j'en profiterais
également pour venir à une autre... Oui?
Mme Baron (Annie) : Les organisations
du Nord, la régie régionale de la santé et services sociaux et la commission scolaire Kativik donnent les services essentiels pour la région du Nunavik.
Quand ils vont venir demander de l'argent, tu ne devrais pas couper l'argent
qu'ils demandent. Ce n'est pas pour : Ah oui! on veut, on veut, on veut,
c'est les services essentiels qu'ils donnent. L'argent qu'ils demandent,
ça devrait être respecté.
Mme Hervé
(Caroline) : Je voudrais également
ajouter que, quand on parle de services, on parle aussi de... pas seulement
de services pour répondre à des urgences, là, donc arrêter quelqu'un,
enlever un enfant d'une famille, mais on parle aussi de services qui apportent un support à long terme. Et c'est
ça qui manque, en fait, au Nunavik aujourd'hui.
C'est-à-dire
qu'une fois que, par exemple, un homme a été arrêté dans une famille parce qu'il a frappé sa femme, parce
qu'il est alcoolique, il va en prison, il revient, et après il n'y a plus rien,
il n'y a plus aucun soutien pour lui... ou pratiquement
pas. Une femme qui souhaite quitter une
relation malsaine va avoir beaucoup de difficultés à trouver un support, rien qu'un
support, un groupe de support pour lui donner des conseils, pour l'aider à
guérir elle-même, parce qu'en général...
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît. Le temps...
Mme Hervé
(Caroline) : Bien oui, mais
là, excusez-moi, je vous dis quelque chose de très important qui peut
bénéficier à tout le monde, je pense.
Le Président (M. Picard) :
Mais vous pourrez poursuivre aussi lors des échanges.
Mme Hervé (Caroline) : Bon, bien
j'arrête.
Une voix : ...
Le Président (M. Picard) :
O.K., c'est beau, on recommence. Allez-y.
Mme Hervé
(Caroline) : Merci. Et donc
une femme qui souhaite quitter une relation conjugale malsaine n'a aucun
soutien après. Ça veut dire, concrètement,
qu'elle va être obligée de payer son billet d'avion, parfois c'est les services
sociaux qui vont l'aider, parfois ils n'ont pas les programmes pour ça, elle va
être obligée de payer son billet d'avion, aller
à Kuujjuaq ou Montréal pour aller rencontrer un psychologue, qu'elle va voir
une fois, ou deux, ou trois dans sa vie, en fonction de ses moyens. Et
ça, c'est des histoires qu'on nous a racontées, des femmes qu'on connaît.
Il y a un
psychologue, un et demi poste de psychologue au Nunavik, donc ils ne font que
du travail de... on met des
pansements, et ça ne marche pas, on ne peut pas construire une relation s'il
n'y a pas de travail sur le long terme, en profondeur, d'accompagnement
de ces personnes qui sont en souffrance et qui demandent de l'aide. Et parfois,
nous, même, parfois il y a des gens qui
viennent voir l'association et qui disent : Mais aidez-nous, on... voilà,
une femme qui vient :
Aidez-nous, je veux sortir de cette relation de brutalité avec mon mari, mais
je n'ai pas de logement, je ne sais pas où aller, qui est-ce qui va
m'aider?, et en fait on est impuissantes, nous, à répondre à ces demandes.
Donc, je pense que, s'il y avait, comment dire,
des structures qui permettraient un suivi à long terme, un accompagnement des
personnes qui sont en souffrance, ça pourrait aider énormément.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme
Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Bonjour,
chers collègues. Très heureuse que l'on puisse débuter nos travaux.
Dans votre
rapport, qui est fort intéressant et très nourrissant pour notre commission, je
lis un paragraphe puis j'aimerais ça
que vous puissiez aller plus loin à partir de ce que vous avez écrit, c'est à
la page 69, qui est Difficultés dans les relations conjugales :
«La dispute, l'infidélité, l'instabilité et la méfiance définissent trop
souvent les relations conjugales aujourd'hui.
Selon les participantes, cette situation est en partie causée par le manque de
communication et les sentiments d'impuissance et de colère chez les
hommes, sentiments ancrés dans un déséquilibre des rôles dans la société inuite
moderne.» Pouvez-vous m'expliquer ça?
Mme
Laneuville (Pascale) : C'est
un sujet qui a été discuté par d'autres chercheurs, travailleurs, le fait qu'il
y a beaucoup de changements dans la
vie des Inuits, hein, dans les modes de vie, le fait que les femmes seraient
mieux adaptées que les hommes à la
nouvelle vie moderne. Les femmes sont, disons, sorties de la maison, comme
elles nous ont dit, ne sont plus
seulement des femmes qui éduquent les enfants, qui s'occupent de la maison et
tout. Les femmes travaillent, gagnent de l'argent, s'impliquent beaucoup
dans la vie, même si elles n'ont pas nécessairement des grands postes de décideur, tout ça, tandis
que beaucoup d'hommes sont un peu... ils n'ont pas les capacités de continuer à...
d'être pourvoyeurs de leur famille.
Donc, encore
aujourd'hui, l'image d'un homme, un modèle d'homme, c'est un chasseur, par
exemple. Beaucoup d'hommes n'ont pas
les moyens d'aller à la chasse, parce que c'est très dispendieux. Tout pour
dire que les femmes sentent que les
hommes ont de la misère à communiquer, qu'ils ont beaucoup de souffrance, de
colère aussi à cause de l'histoire, à cause... Les tueries de chiens,
ça, ça a affecté beaucoup les hommes, parce que c'est comme si on les attaquait
eux-mêmes. Ils ont perdu leur moyen de
vivre, d'être des hommes, d'aller à la chasse, de voyager. Donc, les femmes
sentent ça chez les hommes et
reconnaissent que les hommes communiquent très peu. Donc, quand ils expriment,
c'est souvent par la violence, pour
reprendre un peu de... tu sais, donner un peu plus de valeur. Donc, c'est ça
aussi qu'on veut dire par là, là. C'est un problème... C'est un sujet assez
complexe à parler, là. Je ne sais pas si, Caroline, tu veux ajouter quelque
chose.
• (10 h 10) •
Mme Hervé
(Caroline) : Oui.
Effectivement, les rôles masculins sont en difficulté aujourd'hui, les modèles
sont... les hommes ont du mal à se trouver un modèle, un rôle masculin
qui est valorisé au centre de cette société qui est en changement, donc... Et on a du mal aussi à impliquer les hommes dans la
guérison de la société. Donc, il y a, par exemple, une association des
hommes à Inukjuak qui est une association locale, ça s'appelle Unaaq. Alors,
ils font un travail fantastique auprès des
jeunes, des jeunes hommes, qui sont souvent plus susceptibles de se tourner
vers le suicide parce que justement
ils ne savent pas comment s'exprimer en dehors qu'à travers des gestes,
autrement que par des gestes, mais cette... Les hommes ne sont pas
habitués à parler, donc c'est vrai que ce n'est pas eux qui vont forcément
créer une association régionale où ils vont
aller exprimer la voix des hommes dans les instances régionales, nationales.
Donc, je pense que c'est vrai qu'il y a un vrai soutien à faire à ce
niveau-là pour les aider à se revaloriser.
Et en fait il
y a aussi des projets, des projets qui sont dans la région, sur lesquels on
travaille en ce moment, par exemple
que les hommes qui réagissent, enfin, qui deviennent violents ne soient pas
systématiquement emmenés en prison,
mais qu'on les emmène dans un centre pour dégriser, en fait, pour jusqu'au
lendemain matin, parce que, sinon, un homme qui est ivre et qui fait un peu le bordel dans sa maison, sans pour
autant être violent, va parfois... s'il est incontrôlable, il va aller passer la nuit en prison, donc là on
criminalise déjà ce type de comportement. Donc, on réfléchit beaucoup, en ce moment, à des types, en fait,
d'alternatives, d'actions alternatives dans lesquelles la question de l'alcool
ne serait pas directement liée à la
criminalité. Donc, ça, je pense,
c'est des choses qui pourraient aider les hommes aussi.
Mme Poirier : Est-ce que ce
type de centre de dégrisement existe pour les femmes?
Mme Hervé
(Caroline) : Non, de tels
centres, au Nunavik, n'existent pas. Il n'y a aucune alternative, pour
l'instant, à la prison, quand on est intoxiqué.
Mme
Poirier : Pour le
bénéfice de tous, quand vous me parlez de la tuerie des chiens, pouvez-vous
nous parler de quoi on parle?
Mme
Laneuville (Pascale) : Oui.
Donc, je n'ai pas étudié ce sujet-là, moi, j'ai seulement récolté des
témoignages, là, des gens qui ont
parlé de ça. J'ai parlé à des femmes, donc des jeunes femmes, qui m'ont
dit : Ah! j'ai entendu dire par
mes grands-parents ou mes parents... il s'est passé quelque chose, ça a été vraiment dur. Donc, on ne veut pas... C'est un sujet politisé aussi, là. Il y a
déjà une étude qui a été faite là-dessus par un collègue, là, au postdoctorat,
Francis Lévesque, qui a une thèse là-dessus, donc, très intéressante. On
ne croit pas qu'il y a eu des tueries systématiques mais plusieurs expériences dans une même période de temps par
différentes familles. L'important, c'est que l'acte qui a été causé, que
ça ait été causé dans différents contextes,
par les agents de la GRC dans le Nord ou autres, là, le fait important, c'est
que, quand les chiens ont été tués parce qu'ils étaient dangereux,
malades ou parce qu'ils n'étaient pas attachés, à cause... malgré les lois, des règlements, le fait de tuer
des chiens était très, très difficile pour les Inuits parce que les chiens
étaient une partie d'eux-mêmes, étaient leur façon de survivre. Donc,
quand c'est arrivé, ça a gravement marqué les hommes surtout mais toutes les
familles.
Mme Poirier : Il y a un
rapport qui est sorti récemment, et c'est un rapport qui parle de La
judiciarisation et le non-recours ou l'usurpation du droit du logement — Le
cas du contentieux locatif des HLM au Nunavik. On parle qu'il y aurait un
taux inexpliqué d'éviction des locataires dans les HLM. Pouvez-vous nous parler
de ça?
Mme Hervé
(Caroline) : En fait, moi,
je n'ai pas lu ce rapport, donc je vais juste réagir par rapport à ce que je
connais. C'est que les HLM, il y en a
quelques-uns, il n'y en a pas beaucoup, donc il y en a dans quelques
communautés. C'est souvent des
logements... des nids explosifs, comme des poudrières, en fait, et c'est vrai
qu'il y a cette idée que c'est souvent
dans ces HLM qu'il va y avoir beaucoup de problèmes sociaux. Donc, c'est tout à
fait possible qu'il y ait un fort taux
d'éviction dans ces logements, où finalement sont placés souvent, bien,
peut-être des gens qui ont aussi des problèmes mentaux, qui ne sont pas forcément diagnostiqués. Enfin, je m'exprime
mal, là, mais souvent, dans ces logements sociaux... Je ne connais pas les politiques d'attribution,
mais moi, je pense que le fait que ce soit... l'entassement de personnes les
unes sur les autres, en fait, ça aggrave encore ce qui existe déjà dans les
maisons.
Mme
Poirier : Vous avez, tout à l'heure, mentionné que le modèle
linéaire d'attribution des logements ne respectait pas, dans le fond, la façon de vivre. Selon vous,
quelle serait la façon de faire pour régler, dans le fond, cette imposition
des Blancs d'un certain modèle, versus un modèle qui serait acceptable?
Mme
Hervé (Caroline) : Je pense qu'il faudrait qu'il y ait des grosses
discussions dans la région entre les décideurs,
donc ceux qui décident des critères d'attribution des logements sociaux, et des
organismes communautaires comme le
nôtre. Il faudrait qu'il y ait un plus gros travail de discussion sur...
Justement, par exemple, on pourrait très bien demander à ce que des femmes qui souhaitent quitter une relation
malsaine aient accès plus facilement à un logement. Ça, c'est des choses
sur lesquelles on va devoir travailler.
Et une des solutions
serait aussi d'envisager des alternatives au logement social. Donc, il y a la
possibilité d'accéder au logement privé, à
la propriété privée, il y a des programmes de la SHQ qui financent à 75 %
le prêt nécessaire à la construction d'un logement au Nunavik, donc ce
qui est énorme. Le problème, c'est que les 25 % restants sont très difficiles à obtenir parce que les banques ou les
assureurs sont assez frileux à prêter ou à assurer aux Inuits, parce que,
là encore, on est dans un système qui n'est
pas bien connu et pratiqué par ces peuples inuits, qui ne vivaient pas selon
l'épargne mais plutôt selon un mode de vie
où on consomme ce qu'on a tout de suite, ça fait qu'il y a un problème. Et je
pense qu'il faudrait imaginer des types d'attribution de logement ou des types
de logement différents.
Mme
Poirier : À la page 65 de votre rapport, vous nous parlez
de la nécessité de développer des cercles de guérison collective. Qu'est-ce
que c'est?
Mme Laneuville (Pascale) : Bien, «cercle», c'est un terme utilisé beaucoup
chez les autochtones, mais le but, c'est
des activités de guérison, des ateliers, des conférences, comment on peut les
appeler. L'important, c'est d'avoir la communauté qui est toute
invitée, tu sais, toutes les générations.
Évidemment,
la société inuite, les familles, les communautés ont besoin de guérison, là, tu sais, à cause de
tout ce qui s'est passé. Guérison, ça
veut dire surtout parler, tu sais, parler de ce qui s'est passé, de parler de
leur souffrance, tu sais, donc ils
ont besoin d'avoir... Tu sais, de temps en temps, il arrive d'y avoir des
ateliers comme ça, des gens qui vont dans
le Nord, qui organisent ça, que ce soit la régie de la santé ou d'autres qui
organisent des ateliers comme ça, mais les Inuits aimeraient ça en avoir
plus, tu sais, plus d'activités, d'occasions d'aller sur le territoire, parce
que disons que la sortie sur le territoire
est toujours bénéfique, pour les Inuits, et c'est plus propice
aussi à la guérison et au bien-être, donc
des activités intergénérationnelles pour inviter les gens à se confier, à
parler, à partager, c'est ça qu'on veut dire par la guérison. Il y a plein de gens, Inuits ou
non-Inuits, qui sont formés pour ça, pour accompagner, pour soutenir. Quand ça
arrive, ça prend des gens qui vont soutenir,
tu sais, parce que c'est difficile, ce qui va se passer. Donc, c'est
ça dont on parle. Il faut soutenir. Pour un gouvernement ou pour les administrations,
je pense, il faut soutenir les initiatives pour créer des occasions comme ça,
tu sais, des programmes de... des ateliers de guérison dans les communautés
inuites.
Mme Poirier :
Vous nous parlez que le...
Mme Baron (Annie) : ...chose que je voulais dire aussi, il y a une organisation à Kuujjuaq, c'est les femmes locales de Kuujjuaq, Martha Greig, Mary Mesher, Eva Lapage, Lena
Metuq qui est retraitée maintenant depuis quelques mois. Ces
femmes ont été engagées, et ça a suivi «the federal day school compensation»,
pour aider à guérir les plaies qu'elles ont vécues. Quand les femmes sont invitées dans les communautés,
elles vont rencontrer la famille pour travailler sur les personnes qui
sont en peine.
Leurs
programmes vont finir l'année
prochaine ou en 2017. Donc, ce serait bon de continuer ce programme-là.
Mme Poirier :
Il s'appelle comment, le programme?
Mme Baron
(Annie) : Inuit values.
Mme Laneuville
(Pascale) : ...à la régie, ça?
Mme Baron
(Annie) : Oui.
Mme Laneuville
(Pascale) : C'est le programme pour l'école résidentielle ou...
Mme Baron
(Annie) : Oui.
Mme Laneuville (Pascale) : Bien, c'est un programme de soutien aux
pensionnaires des écoles résidentielles. Donc, il y a des conseillères inuites qui sont payées, elles ont un
local à Kuujjuaq, donc, elles ont une ligne d'écoute, donc elles sont là pour aider les gens qui ont à
guérir, là, c'est des conseillères, des thérapeutes un peu, là. Donc, c'est ça,
ce serait bon que ça, ça continue, là.
Et
juste mentionner une chose. Ça peut paraître simple, quand on dit : Il
faut qu'on aille sur le territoire pour parler, là, mais, si on dit que c'est important que ça arrive puis on demande de
l'aide, c'est que ça coûte très cher, là, tu sais, je veux dire, on ne peut pas dire juste : On va
sur le territoire, on va parler. Le gaz pour aller sur le territoire, un
campement, la nourriture, payer les
professionnels, je veux dire, ça, c'est beaucoup d'organisation et de sous,
donc c'est pour ça que ce n'est pas... les communautés ont besoin de
soutien pour réaliser ces choses-là.
Mme Poirier :
Vous nous dites que le suicide touche particulièrement les adolescents. Donc,
si, à partir de l'adolescence, on souffre déjà, on va le répercuter dans sa vie
d'adulte et tout au long de sa vie, donc on va avoir un taux de décrochage plus
élevé, on va avoir les problèmes psychologiques qui vont s'ensuivre, etc.
Pourquoi
à l'adolescence on a un taux de suicide... Est-ce qu'il est plus élevé que le
reste du Québec? Est-ce qu'il a les mêmes causes? Est-ce qu'il a des causes
différentes?
• (10 h 20) •
Mme Hervé (Caroline) : Oui, il
est définitivement plus élevé. Je n'ai pas les chiffres en tête, mais c'est sûr
que...
L'adolescence, c'est
une période qui est plus fragile, donc il faut bien... Imaginez-vous vivre dans
un petit village de 200, 300 habitants.
Vous ne pouvez pas en sortir à moins de prendre l'avion et d'avoir de l'argent
pour acheter un billet. Votre mère a
été violée, votre soeur a été violée par un oncle; cette personne-là, vous la
croisez tous les jours quand vous
allez faire des courses. Vous êtes un jeune homme, et votre père est un
alcoolique. Comment envisager le futur,
son avenir, en ayant des paysages un peu traumatisants comme ça autour de soi
et qui se multiplient tout le temps?
Donc, je pense qu'effectivement
les jeunes femmes et les jeunes hommes plus particulièrement trouvent dans le suicide une façon de... bien, de s'exprimer et
de dire : Non, moi, je ne veux pas vivre là-dedans. Et moi, j'ai une
amie qui a décidé de ne pas avoir
d'enfant, parce qu'elle ne veut pas mettre au monde un enfant au Nunavik
dans les conditions actuelles, donc...
Et, ces jeunes-là, je
connais une jeune fille qui s'est suicidée. Elle était allée voir la
travailleuse sociale les semaines d'avant,
elle avait demandé de l'aide, et la travailleuse sociale lui avait dit :
Bien, je n'ai pas de place pour toi en
ce moment. Cette jeune fille voulait
aller dans le Sud, dans une institution du Sud. La travailleuse sociale lui a
dit : Je n'ai pas de place pour
toi, il faut que tu attendes quelques semaines, je vais finir
par t'en trouver une. Bien non, c'était maintenant qu'il fallait réagir.
Il était trop tard.
Mme Poirier :
Vous nous parlez de la vente illégale d'alcool dans votre rapport. Pouvez-vous
élaborer?
Mme Hervé (Caroline) : Je veux bien réagir là-dessus.
En fait, l'alcool, c'est l'un des principaux problèmes... Vous nous
demandiez tout à l'heure quels étaient les principaux problèmes : le
logement, mais l'alcool, c'est le multiplicateur
de tout. Les gens qui font des violences conjugales, enfin, qui perpétuent des
violences de toutes sortes, souvent c'est parce qu'ils sont intoxiqués,
c'est des choses qu'ils ne feraient pas s'ils n'étaient pas intoxiqués, pas
forcément.
Depuis
un an, la police, le corps régional de police Kativik a doublé ses saisies
d'alcool illégal au Nunavik. La criminalité
a baissé. Je n'ai plus les pourcentages, mais je vous invite à lire ces
articles dans le Nunatsiaq News, donc, qui est le journal hebdomadaire qui couvre tout l'Arctique canadien,
il y a des articles qui sont très parlants sur la relation entre
l'alcool et la criminalité.
Mme Poirier :
Donc, pour vous...
Mme Baron (Annie) : Si on veut arrêter n'importe quelle addiction dans la vie de quelqu'un,
ça prend le vouloir de... que lui, il
veut arrêter, hein? Même si on lui dit comme membre de famille, il ne va pas
vouloir arrêter. Donc, il faut
faire des préventions à des jeunes, des un petit peu plus vieux et offrir les services pour aider les gens qui sont
alcooliques ou qui prennent de la drogue.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée
de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le
Président. D'entrée de jeu, permettez-moi, mesdames, et vous tous, membres de la commission, de m'excuser pour mon retard de ce matin,
c'était impossible pour moi d'être ici à 9 heures. Cela dit, c'est important d'être ici et de
vous écouter. Philippe a pris plein de notes, et on lit avec beaucoup
d'intérêt votre mémoire. Ce que vous nous dites est extrêmement
important.
Et j'aimerais
poursuivre, faire du pouce sur ce que ma collègue la députée d'Hochelaga-Maisonneuve
disait à l'égard de l'alcool. Vous disiez qu'il y a
eu une diminution du taux de criminalité, compte tenu du fait qu'on
s'est attaqué à la problématique de l'alcool. Pourriez-vous poursuivre un petit peu là-dessus?
Puis j'aurai d'autres questions par la suite.
Mme Hervé (Caroline) : Donc, dans les communautés du Nunavik, juste pour
vous resituer le contexte, alors il y
a un bar dans une seule communauté,
qui est Kuujjuaq. Il y
en a un deuxième qui va probablement s'ouvrir à Puvirnituq...
Une voix :
...
Mme Hervé
(Caroline) : Et il y a un bar également à Kuujjuarapik.
Dans
les autres communautés et dans ces communautés aussi, la seule façon d'acquérir
de l'alcool, c'est de s'en faire...
enfin, d'en acheter à distance, donc. On peut s'en faire envoyer par la poste,
on peut s'en faire envoyer par cargo, par avion.
Ensuite,
dans certaines communautés, il y a des règlements municipaux,
donc il y a des listes de personnes qui sont autorisées à commander et
des listes de personnes qui sont non autorisées à commander de l'alcool.
À
partir de là, il y a eu toute une réflexion dans la région à savoir est-ce que
ces freins à la commande d'alcool étaient
aussi un multiplicateur de vente par contrebande. Donc, on essaie aujourd'hui
de faire des expériences. À Kuujjuaq, la
coopérative, qui est l'un des trois magasins de Kuujjuaq, vend actuellement de
la bière, donc, en vente libre, on est en train d'observer les
répercussions de ces ouvertures-là.
Et le problème de la vente illégale
d'alcool, c'est que quelqu'un qui va revendre de l'alcool, il vend à n'importe
qui, donc il va vendre à des jeunes de 10, 12 ans. Et c'est quelqu'un qui
veut se faire de l'argent, visiblement, parce qu'il vend de l'alcool de façon illégale, alors il ne va
pas avoir de... pas forcément de barrières qui vont l'empêcher, donc il
n'y a aucun contrôle sur à qui cet alcool est vendu, donc.
Alors,
je voudrais bien répondre à votre question, à votre attente. Après, donc, ce
que les policiers, en fait, font depuis un an, un an et demi, c'est
qu'ils vont chercher des mandats et donc ils vont chercher les boîtes d'alcool
qui arrivent, donc ils vont stopper l'alcool illégal. Et ça, on voit des
répercussions, et les gens le disent dans les villages. Il y a moins d'appels à la police, moins de gens qui sont envoyés en
prison, les villages sont plus tranquilles. Et en fait ce groupe-là qui discute à l'ouverture de centres
de dégrisement, c'est aussi des gens qui discutent avec le ministère de la
Justice pour adapter aussi certaines peines.
Au lieu d'envoyer quelqu'un en prison, on va lui demander plutôt de faire des
travaux d'intérêt général ou autre chose. Donc, je ne sais pas si je réponds...
Mme
Roy
(Montarville) : Bien, ce qui est intéressant, c'est que vous nous dites qu'on pourrait
commencer à voir un lien de cause à
effet entre le contrôle de l'alcool et justement la façon de se procurer de l'alcool, de façon
légale, contrôler, vérifier que des mineurs n'en achètent pas. Donc, déjà,
il y a un effet bénéfique. Alors, ça, c'est une bonne chose.
Est-ce
que c'est bien vu dans la communauté, ce contrôle-là, le fait qu'on pourra
retrouver, par exemple, la bière sur des tablettes à tel endroit et qu'on interdit à des contrebandiers
de vendre à qui que ce soit? J'imagine... Je présume, mais je ne veux pas présumer. Dites-moi comment
c'est reçu de la population. Vous dites : On en parle. Comment est-ce
que c'est reçu?
Mme Hervé (Caroline) : Moi, je n'ai pas entendu de mot négatif vis-à-vis
de ça. Je ne sais pas si toi, Annie, tu as entendu vent de... par
rapport à ce qui se faisait à Kuujjuaq, comment réagissaient les gens, ou à
Puvirnituq.
Mme Baron (Annie) : Ça dépend d'une personne à l'autre toujours. Quand ils ont ouvert
la coop qui vend la bière, une bonne chose, c'était : On va pouvoir
boire de la bière ou du vin à la maison au lieu d'aller au bar, mais en même temps il y a
des gens qui ont dit : Ils ont trop d'accès. Donc, c'est comme ma fille
qui, à l'Halloween, elle a eu plein de bonbons, elle veut tout le temps.
Donc, il y a des bons et des mauvais côtés.
• (10 h 30) •
Mme Laneuville
(Pascale) : C'est ça, c'est sûr que c'est ambigu. Des gens ont peur
d'un plus grand accès à l'alcool, voudraient
moins d'alcool, et d'autres, au contraire, croient que c'est ça qui va changer
un peu la relation abusive à
l'alcool, tu sais, de dire : Bon, bien, si tu as accès à l'alcool tous les
jours, tu ne vas pas vouloir... tu n'as pas l'impression que tu as juste une occasion dans le mois pour
boire, tu peux boire quand tu veux, donc ta consommation va devenir moins
excessive. Parce qu'on voyait aussi que la communauté où l'alcool est accessible
deux fois par mois, aux deux semaines seulement...
on voit que la violence augmentait à ce moment-là parce que, quand les gens
reçoivent leur alcool, ils vont tout boire ce qu'ils ont pendant deux
jours, puis là il y a des excès de violence. Donc, c'est un cycle. Là, s'il y a
de l'accès à l'alcool tout le temps, il va y avoir des changements.
C'est
pour ça qu'à Puvirnituq ils ont éliminé les contraintes, tout le monde peut
commander de l'alcool quand il veut, il n'y a pas de limite, tu sais.
Donc, beaucoup de gens, ça leur faisait peur, ils disaient : Il y a plus
de gens qui conduisent intoxiqués.
Mais tout ça, c'est comme des essais, disons, on essaie,
voir est-ce que ça va améliorer la situation. Par
exemple, aussi, certaines personnes
m'ont dit que, d'après elles, avoir un bar, c'est une bonne chose. Oui, ça
donne accès à l'alcool quotidiennement,
mais au moins les gens boivent dans le bar et non à la maison avec les enfants.
Donc, il y a différentes façons de
voir les choses, différentes situations, donc c'est quelque chose à creuser, je pense,
et à analyser, surtout avec les
changements qui arrivent en ce moment. C'est difficile de trouver une solution, surtout
que les Inuits eux-mêmes ne s'entendent pas sur ce qu'il faut faire
selon les générations, l'expérience des gens.
Mme
Roy
(Montarville) : Ça répond bien à la question. Maintenant, j'aimerais aller un petit peu plus loin à
l'égard des autorités policières.
D'abord, quelles sont les ressources policières qui sont présentes chez vous,
au Nunavik? Puis quelle est la relation des citoyens avec ces ressources
policières là? Oui, oui, allez-y.
Mme Baron
(Annie) : Mon père aime bien la police qui est dans notre communauté,
mais les plus jeunes qui arrivent ont moins
d'expérience, il y en a qui sont comme un petit peu machos. Comme je disais,
les gens qui ne connaissent pas la
culture... Il y a des bonnes polices qui travaillent avec les gens, mais, je
pense, ils devraient être sensibilisés de notre culture, parce qu'il y a des polices qui parlent du Nord, ils pensent
que tous les Inuits sont mauvais parce que tous les gens qu'ils ont vus,
ils les ont arrêtés. Donc, c'est ça.
Mme Laneuville (Pascale) : ...juste rapidement, les travailleurs blancs,
policiers et autres, même enseignants, sont
souvent jeunes, c'est des jeunes sans enfant souvent qui vont travailler dans
le Nord, donc ils ont moins d'expérience de vie, de travail. Ça, les
Inuits le reconnaissent aussi. Ça affecte leur travail aussi, là.
Mme
Roy
(Montarville) : D'où viennent ces policiers-là?
Est-ce que ce sont des gens qui viennent de l'extérieur... ou y a-t-il
des gens de la communauté aussi qui joignent les rangs des forces policières?
Mme Baron (Annie) : C'est des gens
qui viennent de l'extérieur, parce qu'on a eu des policiers qui venaient de
notre village, mais c'est trop, pour les gens, d'arrêter leurs membres... la
famille, donc ils ne toffent pas. Le plus longtemps, je pense, c'est un gars de Tasiujaq,
qui est un policier depuis longtemps, mais, je pense, la plupart de mon
village, ils ne toffaient pas plus que deux ans.
Mme Roy
(Montarville) :
Et, si je...
Mme Baron
(Annie) : Arrêter ton frère, ton oncle et... Ce n'est pas fait pour tout
le monde.
Mme Roy
(Montarville) :
C'est trop intime, c'est trop personnel.
Mme Baron
(Annie) : Oui.
Mme
Roy
(Montarville) : Si vous aviez des recommandations à faire pour les futurs policiers qui iraient
travailler chez vous, ce serait quoi? Allez-y, vous avez tout le
plancher.
Mme Baron (Annie) : Faire de la promotion aux jeunes, jeunes et qu'ils ne voient pas la
police comme les méchants qui vont
arrêter mon père ou ma mère, que les polices soient... qu'ils jouent avec les
jeunes. Donc, ça, c'est la première
chose à faire «so they won't be seen» négatif. Si c'est des «role models», les
jeunes vont vouloir faire le travail. Et promouvoir le... Si tu habites
à Kangiqsualujjuaq, tu peux aller travailler à Tasiujaq plus.
Mme Roy
(Montarville) :
Promouvoir, pour les policiers, même le déplacement à l'intérieur des...
Mme Baron
(Annie) : Quand les jeunes Inuits sont rendus plus vieux, oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Je vais poursuivre. Il me reste du temps, M. le Président?
Le Président (M.
Picard) : ...
Mme
Roy
(Montarville) : Parfait. Je vais poursuivre. Vous dites dans votre document : Une des priorités, c'est «retrouver
un milieu de vie sécuritaire et harmonieux». C'est vraiment... L'importance du foyer, pour les
femmes, on le sait, mais pour toutes les générations à la maison.
Concrètement,
vous avez besoin de quoi? Vous nous dites : Il y a une pénurie de
logements sociaux. Qu'est-ce que ça prendrait? Qu'est-ce que vous avez
besoin pour retrouver ce milieu de vie sécuritaire?
Mme Baron (Annie) : «House». La maison, la nourriture, le travail pour tout le monde,
l'amour. Comment montrer la bonne vie
aux jeunes... Pour survivre, on a besoin de nourriture, de bien dormir,
l'éducation, la bonne santé mentale, physique. Donc, je pense, c'est les
nécessités qui nous manquent souvent.
Mme Laneuville (Pascale) : Oui, parce
que, c'est ça, le foyer, quand on n'a
pas un foyer sécuritaire, là, où on se
sent bien, tout ça... Beaucoup de jeunes ne mangent pas à leur faim aussi, ne
dorment pas assez, donc c'est très difficile pour les enseignants et les élèves à l'école ensuite. Donc, c'est des
trucs de base mais qui sont simples, là. Construire une maison, c'est plus simple que de guérir du passé,
même si ça prend beaucoup de travail pour construire une maison aussi, là.
Donc, oui, c'est ça, il faudrait augmenter
la construction des logements sociaux puis supporter l'éducation; l'économie, comme elle disait, créer plus d'emplois, là. C'est
quelque chose qui est difficile mais sur lequel il faut travailler dans le
Nord, là.
Mme
Roy
(Montarville) : C'est vraiment les nécessités de
base, là, qui sont manquantes, qui sont déficientes puis qui pourraient,
là, donner un coup de pouce pour aller vers l'avant, aller vers des jours
meilleurs, là.
Mme Laneuville (Pascale) : Puis aussi c'est dur de guérir, là, mentalement
quand tout ce qu'on pense, c'est la question de survie quotidiennement,
là, survie matérielle même.
Mme Hervé (Caroline) : Mais c'est les nécessités de base mais à chaque
fois des programmes culturellement appropriés,
parce qu'on peut importer 10 000
programmes dans le Nord, s'ils ne sont pas adaptés à la réalité du Nord, à
la culture inuite, ça ne fonctionnera pas.
Et il y a bien des gens qui travaillent à la régie de la santé ou dans d'autres
institutions du Nunavik qui veulent
vraiment faire des belles choses et aider, mais souvent ils apportent des modèles
du Sud. Et même si sur, parfois, ces
modèles-là ils vont dire qu'on va les adapter culturellement, ils ne le sont
pas, parce que personne n'est formé. Les policiers ont zéro formation
sur la culture inuite, ils arrivent du jour au lendemain dans les villages. Les
enseignants, je pense qu'ils ont cinq jours
de formation à Kuujjuaq quand ils arrivent, dont un après-midi sur la culture
inuite, et ce n'est pas assez, ce n'est pas assez.
Nous,
on travaille depuis des années avec les Inuits et on voit le décalage entre des
tentatives de faire fonctionner des
modèles, imposer des modèles, et la réalité, et en fait nous, à Saturviit, on
essaie de développer des programmes... enfin,
des activités qui sont faites par les femmes pour les femmes. Ils ont
l'expertise. Les Inuits ne seraient pas là aujourd'hui s'ils n'avaient
pas l'expertise de régler leurs propres problèmes, ils ont toute leur
expertise, c'est juste que parfois on essaie
de... La régie essaie de développer, par exemple, des programmes de
«parenting», donc d'éducation, apprendre à élever ses enfants. Est-ce
qu'ils ont vraiment...
Le Président (M.
Picard) : Mme Hervé...
Mme Hervé (Caroline) : Merci.
Le
Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à
Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, 3 min 30 s.
Mme Massé : Bonjour. Merci d'être
là. Bonjour, chers collègues. Je repars sur cette idée de programmes culturellement adaptés, besoin de ressources, logement,
je pense que c'est... Vous avez nommé d'entrée de jeu qu'il y avait sur l'ensemble du territoire trois maisons
d'hébergement pour femmes en difficulté, je crois, pas nécessairement victimes
de violence conjugale mais en
difficulté — vous me
rectifierez si je me trompe, là — et ce que je me demandais, c'est :
Est-ce qu'effectivement ces maisons ont été culturellement adaptées ou, dans le
fond, les femmes n'y vont pas parce qu'elles
ne s'y reconnaissent pas, dans notre approche du Sud, comme vous dites? Ça, ça
serait ma première question. Je vais vous les poser tout de suite parce
qu'après vous aurez le temps.
Et vous avez nommé aussi quelque chose de majeur
tantôt, c'est la question des préjugés, donc la nécessaire formation chez les non-autochtones pour arriver à
travailler intelligemment ensemble pour relever ces défis-là. Est-ce que
vous croyez qu'une des choses que pourrait faire notre gouvernement, c'est de
s'attaquer de façon spécifique à la question du racisme et à la discrimination
face au peuple inuit ou aux Premières Nations en général? Deux questions.
• (10 h 40) •
Mme
Laneuville (Pascale) :
Rapidement, si on veut s'attaquer au racisme, c'est facile à dire, mais ce
n'est pas juste une question
d'individus. Donc, on peut essayer de former les individus, les éveiller un peu
à... ou les ouvrir à la différence,
mais c'est tout un système, là, tu sais, c'est toutes les pratiques, les
procédures auxquelles les Inuits sont... ils ont de la misère à
fonctionner avec ça.
Donc, pour
ça, je ne sais pas vous avez une réponse pour ça, mais finalement c'est faire
plus de place aux Inuits, éduquer les
Inuits pour qu'ils soient capables de prendre en main leurs propres
institutions, leur faire plus de place, plus les intégrer dans les interventions. C'est les pratiques du quotidien qu'il faut changer, tu sais, puis ce
n'est pas juste les préjugés des individus.
Mme Baron
(Annie) : Le système
de logement pour les femmes battues, c'est un modèle du Sud. Ils essaient
fort de travailler avec les femmes pour remonter
son estime de soi. Traditionnellement, s'il y
avait une violence conjugale,
c'était le monsieur qui était rencontré par les personnes aînées. Ça ne se fait
pas comme ça aujourd'hui, c'est ça.
Mme Hervé
(Caroline) : Je pense... Les refuges pour femmes, moi, je ne connais pas bien comment ça se passe
à l'intérieur, donc je ne serais pas capable de répondre spécifiquement à votre question.
Je n'ai jamais entendu
vraiment de... Les femmes se
retrouvent entre elles, et c'est souvent des femmes inuites qui sont à la tête
de ces refuges, donc je pense
qu'à l'intérieur elles aménagent bien le travail qu'elles font ensemble. Je n'ai pas entendu tellement de réticences de la part des femmes à
aller dans ces structures-là.
Quant à la formation, je n'ai pas parlé de discrimination
mais d'un réel besoin, effectivement, de former les travailleurs qui viennent à
une vision beaucoup plus holistique, de laquelle ils sont très
éloignés. Et ça, je pense, ça passe... je suis anthropologue, mais je
pense que ça passe par une formation,
une sensibilité plus anthropologique et historique aux conditions de vie des Inuits.
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Merci, Mmes Laneuville, Baron et Hervé, pour votre apport aux travaux de
la commission.
Je vais suspendre quelques instants afin de
permettre au Regroupement des centres d'amitié autochtones de prendre place.
Merci.
(Suspension de la séance à 10 h 42)
(Reprise à 10 h 48)
Le Président (M. Picard) :
Nous reprenons nos travaux en recevant les représentantes du Regroupement des centres d'amitié autochtones, Mme Edith
Cloutier et Mme Tanya Sirois. Vous disposez d'une période de
20 minutes pour faire une présentation, il va s'ensuivre des
échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.
Regroupement des
centres d'amitié
autochtones du Québec inc. (RCAAQ)
Mme Cloutier (Edith) : Merci. (S'exprime
dans une langue autochtone). Merci beaucoup de nous recevoir aujourd'hui, on accepte humblement cette invitation. Je sais que le temps se fait
court. Alors, j'ai aussi avec moi la directrice générale du Regroupement
des centres d'amitié autochtones qui pourra complémenter la présentation. Je
n'ai pas de document officiel de ce que je vais vous présenter, on aura
l'opportunité de déposer un mémoire lors des travaux de la commission. Toutefois, on va vous remettre un document
de référence qui est un document qui porte sur la prostitution en Abitibi-Témiscamingue, une étude qui a été produite par un partenaire
du centre qui est le Gîte L'Autre porte. J'en ferai référence dans ma
présentation.
Je ne peux pas débuter cette présentation sans
faire référence à ce qui a secoué le Québec, ce qui a secoué les femmes autochtones, ce qui a secoué Val-d'Or
le 22 octobre dernier, lors de la diffusion de l'émission Enquête,
qui a mis au grand jour la grande
vulnérabilité des femmes autochtones mais surtout un cri du coeur de femmes qui
souhaitent briser le silence et de
dire que c'est assez, c'est assez, la violence, c'est assez, les abus, c'est
assez, les abus de policiers. Et donc c'est évidemment teintée encore de
toute cette réalité que je me présente à vous aujourd'hui.
• (10 h 50) •
J'aimerais souligner aussi que ces femmes, dans
leur courage, à travers leur grande fragilité mais leur grand courage ont pris la parole publiquement, ont osé
prendre la parole publiquement pour dénoncer des abus. Eh bien,
elles ont déjà maintenant
tracé un sentier d'espoir pour d'autres femmes autochtones, parce qu'à peine deux semaines... je perds
la notion du temps depuis, mais, depuis
presque trois semaines maintenant, d'autres femmes se manifestent, d'autres
femmes dénoncent les abus provenant d'autorités, de personnes en autorité, des
femmes non seulement de Val-d'Or, de l'Abitibi, du Témiscamingue, mais
aussi de la Côte-Nord et d'ailleurs au Québec.
Lorsque nous
avons tenu la conférence de presse, le lendemain du reportage, nous avons
demandé l'assurance que ces femmes
soient en sécurité, que toutes les femmes, que tous les citoyens et citoyennes
du Québec, qu'ils soient autochtones
ou non, soient protégés, protégés par la sécurité publique, protégés comme tout
citoyen a le droit et protégés dans leurs droits et libertés. On a posé la
question, le 23 octobre dernier, en disant : Combien de femmes
autochtones doivent être abusées ou
assassinées et combien doivent encore disparaître pour sortir le Québec et le
Canada de l'indifférence face à ces
femmes-là? On a demandé aussi combien
d'enfants autochtones doivent trouver la mort avant qu'une commission
d'enquête publique au Québec se tienne pour parler des conditions de vie des
enfants, mais maintenant surtout de la relation
de l'autorité policière et les femmes autochtones. Le cumul d'histoires
violentes d'enfants et de femmes autochtones traduit une réalité qui est insupportable, insupportable et
inconcevable, et inacceptable pour un Québec où tout
le monde vit librement et devrait se sentir protégé et être égaux comme
citoyens. On avait dit à ce moment-là que ne pas agir, qu'on soit l'État québécois, les Premières Nations, la société
civile, ne pas agir équivaut à se rendre complice d'un génocide culturel qui est perpétré à l'encontre des peuples
autochtones, dont le régime des pensionnats indiens en a été l'instrument
privilégié.
Plusieurs
enjeux ont donc été soulevés à travers ce volcan, comme un aîné nous l'a si
bien ramené, ce qu'on a vécu, ce qui
a secoué le Québec. Donc, les enjeux qui ont été soulevés, évidemment, la violence faite aux femmes autochtones, toute la question, je l'ai mentionné, de
l'autorité policière, de la protection de ces femmes-là, de leur grande
vulnérabilité, mais ça a soulevé
aussi toute la question du racisme systémique, des facteurs systémiques qui
maintiennent en marge les autochtones et qui font que nous sommes malheureusement trop souvent considérés comme des citoyens de seconde zone au Québec
et au Canada.
Un autre
enjeu, c'est qu'on a été face à la question des autochtones et la ville, parce qu'on parle beaucoup des autochtones,
des Premières Nations, des réserves, de la responsabilité fiduciaire du gouvernement fédéral, du gouvernement
canadien à l'égard des peuples autochtones, mais la violence et
l'abus des femmes autochtones s'est passé à Val-d'Or, s'est passé en ville. Ce sont des femmes qui vivent en
ville, qui sont des citoyennes du Québec, dont la responsabilité relève du gouvernement du Québec pour
assurer leur sécurité pleine et entière. Il n'y a aucune, aucune
ambiguïté juridictionnelle autour de la question des autochtones en
milieu urbain au Québec ou ailleurs au Canada.
Pour vous
parler de cette réalité très brièvement,
je sais que le temps est compté, les autochtones qui vivent en ville ne sont pas assujettis à la Loi sur les
Indiens, contrairement à ceux qui vivent dans les réserves. Je l'ai mentionné,
la juridiction pleine et entière revient au gouvernement du Québec, quoique les
Premières Nations, les chefs et les autorités
représentent l'ensemble de leurs citoyens, peu importe où ils vivent. Au
Canada, c'est 60 % des Indiens statués qui vivent à l'extérieur des réserves. En Ontario, on parle même de
70 %, 75 % des Indiens statués qui vivent à l'extérieur des réserves, donc qui se retrouvent dans les
villes. Au Québec, la tendance va en augmentant. On a des études, des
recherches, vous allez recevoir
Carole Lévesque, avec qui on travaille, de l'INRS, depuis quelques années, on
parle de... près de 50 % des
autochtones vivent dans les villes du Québec. Dans une ville comme
Val-d'Or, la population autochtone a augmenté de 270 % entre 2001 et 2006. Ces chiffres-là reposent sur
Statistique Canada, on est à mettre à jour les récentes données, mais, juste pour vous dire, 270 %
d'augmentation de la population autochtone dans une ville comme Val-d'Or, sans
parler que Val-d'Or est un lieu de convergence et de rencontre pour les
Cris du Nord, les Anishnabe du territoire, et donc il converge annuellement 15 000, 20 000 autochtones à
l'année pour différentes raisons. Et évidemment le centre d'amitié autochtone... les centres d'amitié autochtones du
Québec, parce qu'il y en a 10, sont donc au coeur de l'action urbaine
autochtone.
Un mot sur la question des femmes autochtones et
la ville. Donc, la ville crée des conditions qui accentuent l'insécurité des femmes autochtones. Elles vivent
déjà de l'insécurité dans leur propre communauté. Quand elles quittent la communauté et arrivent en ville, cette
insécurité-là est accentuée. La vulnérabilité de ces femmes, parce qu'on parle
beaucoup de vulnérabilité, en fait n'est que
le constat d'une insécurité, et, dans ce constat d'insécurité et ce contexte,
ces femmes ont très peu de chances de s'épanouir.
Arrivées en ville, elles sont déjà des personnes
blessées par des conditions difficiles, des conditions sociales, économiques liées à la vie dans la réserve. Elles
arrivent donc avec un héritage de souffrance. Elles sont des personnes à qui on a refusé de s'épanouir dans leur propre
culture et leurs propres valeurs, on a refusé qu'elles s'épanouissent dans
leur propre culture et leurs propres
valeurs. Elles arrivent en ville avec un cumul de ruptures, de détresse,
d'incompréhension face à leur
réalité. L'addition de ces ruptures se fait au niveau des liens personnels,
familiaux mais aussi communautaires. Donc, la solution, ça va prendre
des solutions qui ne seront pas simples pour amener ces femmes à améliorer
leurs conditions de
vie et surtout à améliorer leur sécurité. Il faut les amener à retisser des
liens dans l'ensemble de leurs relations, que ce soit les relations avec leurs enfants, les relations avec leur
famille, les relations avec la communauté, les relations avec la société
québécoise.
Ces
femmes, arrivées en ville, sont enfermées dans une dynamique qui multiplie les
blessures. Même, au lieu de parler de vulnérabilité, c'est insuffisant,
parler de vulnérabilité, quand on parle des femmes autochtones, c'est même inadéquat, parce qu'on parle d'un enfermement
identitaire. Elles sont prisonnières d'un état de vie à multiples barrures,
à multiples barrures, ce qui veut dire que, pour sortir de cet enfermement, il
faudra ouvrir plusieurs barrures et avoir plusieurs
clés pour ouvrir ces barrures. Les autochtones se retrouvent dans une marge
créée par cet enfermement mais créée par
l'héritage colonial, cette histoire qui nous lie et dont on vit aujourd'hui
encore des séquelles intergénérationnelles, mais également le racisme,
la discrimination, les préjugés qu'on a à l'égard des autochtones, des
Premières nations, mais aussi la grande
pauvreté dans laquelle on maintient les peuples autochtones. Je l'ai mentionné,
ça va prendre plus qu'une clé pour
débarrer toutes ces barrures multiples que les femmes, que les autochtones,
quand elles arrivent en ville, subissent.
En
ville, on retrouve donc des centres d'amitié autochtones, un des secrets les
mieux gardés au Québec, 45 ans d'histoire. Pour vous en parler, je
vais laisser ma collègue, Tanya Sirois, vous définir rapidement ce qu'est un
centre d'amitié autochtone, dans une ville, pour ces femmes.
• (11 heures) •
Mme Sirois
(Tanya) : Oui, bonjour. Tanya Sirois, directrice générale du
Regroupement des centres d'amitié autochtones. Je vous remercie de
l'invitation.
Effectivement,
comme Mme Cloutier disait, le secret le mieux gardé au Québec, mais j'ai
envie de dire du Canada. Vous savez,
les centres d'amitié autochtones sont la plus grande infrastructure de services
urbains pour les autochtones dans les villes au Canada et au Québec. Ils
ont été créés il y a 60 ans au Canada pour répondre à une demande des autochtones, de plus en plus présents dans les
villes, qui avaient besoin d'un lieu, un lieu de rassemblement, un lieu pour
vivre leur culture. Et vous comprendrez qu'en
au-delà de 45 ans d'histoire au Québec les centres d'amitié autochtones sont
devenus de véritables centres multiservices, à différents niveaux.
La
mission d'un centre d'amitié autochtone a trois volets, mais la principale et
non la moindre : améliorer la qualité de vie des autochtones dans les villes, un grand défi pour les centres
d'amitié autochtones. Des infrastructures créées par et pour les autochtones, c'est important de le mentionner, donc des instances
démocratiques dans les villes qui répondent à des besoins concrets. Donc, un centre d'amitié autochtone à Val-d'Or
répond aux besoins de Val-d'Or, un
centre d'amitié autochtone de
Sept-Îles répond aux besoins spécifiques de la ville de Sept-Îles. Et, comme
Edith disait, on est présents dans 10 villes.
Au
cours des dernières années, les centres d'amitié, le mouvement des centres
d'amitié autochtones a développé plusieurs
programmations. Au début, on parlait de programmation culturellement
pertinente, donc comment qu'on fait en
sorte qu'un programme qui existe déjà... que nous pouvions lui donner la petite
«twist» pour que ça puisse répondre concrètement à notre monde.
Ensuite,
il nous manquait quelque chose : Pourquoi les gens viennent dans les
centres d'amitié et ne fréquentent pas
le réseau québécois? Avec nos collègues chercheurs, nous avons parlé de la
sécurisation culturelle. Donc, le centre d'amitié autochtone ou autre organisation présente un espace sécurisant.
Les gens passent au travers les portes du centre d'amitié autochtone. Elles ne sont pas jugées, malgré leur situation,
leur condition, et elles se sentent respectées, et ce lieu de rassemblement, qui a été créé il y a
60 ans, il s'en ressent à ce niveau-là. Un centre d'amitié autochtone
offre une réponse en termes de
respect et d'écoute, et on crée et recrée ces conditions-là. Donc, il est
important de le mentionner, que l'aspect de sécurisation culturelle est
un incontournable quand on parle de politiques publiques.
Un
espace de médiation également. Un des aspects de la mission d'un centre
d'amitié autochtone est le rapprochement
entre les peuples. Et, à la suite de l'émission Enquête à Val-d'Or, il y
aura tout un travail de médiation, qui
a débuté, mais ce fameux rapprochement entre les autochtones et les
non-autochtones, il doit se faire et vient répondre à une grande problématique que nous vivons au Québec
et ailleurs au Canada, tout ce qui est le racisme et la discrimination.
Les
centres d'amitié autochtones sont en mesure de saisir la complexité des
problématiques, des besoins de plus en
plus complexes, des besoins de plus en plus nombreux, en 2015, en ce qui a
trait à cette réalité-là des autochtones dans les villes. Quand on parle d'améliorer la qualité de vie des autochtones
dans les villes, il faut comprendre que les organismes de première ligne, les organismes autochtones, ont
une expertise, et cette expertise-là doit être reconnue. Quand on parle de mieux-être global, comment qu'on doit agir avec
les autochtones face aux séquelles des politiques d'assimilation ou les séquelles des gens... des femmes quand elles
arrivent dans les villes, qu'on parle de violence physique, psychologique,
sexuelle, la consommation abusive de
drogues, d'alcool, la pauvreté, taux de chômage élevé, taux de suicide élevé,
déclin des compétences parentales, on
est présentement dans un cercle qui fait en sorte que, si on n'agit pas, la
situation n'ira pas en s'améliorant.
La reconnaissance de cette réalité urbaine autochtone est un incontournable, en
2015, de faire en sorte que cette richesse, parce que la présence des
autochtones dans les villes n'est pas un problème mais bien une richesse collective... l'importance de construire et
définir des politiques publiques ensemble, pas le gouvernement d'un côté qui
construit sa politique publique et vient la
présenter ensuite à des organisations terrain, il faut construire maintenant
ensemble ces politiques publiques là.
Également,
tout ce qui est venu de cet héritage-là, des effets de la colonisation, des
politiques d'assimilation, a porté
atteinte directement à l'identité et l'estime de soi des femmes autochtones. Et là je vois le temps passer et je sais qu'on a d'autres sujets, mais les barrières
systémiques telles que la langue, les autochtones qui arrivent dans les villes,
la langue est un obstacle, le racisme et la
discrimination empêchent les femmes autochtones, présentement, d'avoir accès
à des logements décents et des emplois de qualité.
Donc, je vous ai fait un portrait très rapide,
considérant le 20 minutes, pour repasser la parole à Edith.
Le Président (M.
Picard) : Il vous reste deux minutes.
Mme
Cloutier (Edith) : D'accord.
Je vais juste compléter pour peut-être lancer une discussion sur, justement, toute cette question des facteurs systémiques qui nuisent, justement,
aux relations entre les premiers peuples et les instances québécoises.
On parle de
racisme systémique, mais, en fait, Tanya l'a souligné, il y a en fait des politiques
et des programmes qui sont définis
par les gouvernements, et, lorsque ces politiques et programmes ne
tiennent pas compte de la spécificité des
peuples autochtones, de leur histoire... Ça s'inscrit, à ce moment-là,
dans une idéologie de l'égalité où toute la société devrait adhérer. Or,
lorsqu'on ne prend pas en compte, justement, l'héritage, les effets de la colonisation, des politiques
d'effacement, d'assimilation des peuples
autochtones dans l'élaboration de programmes et politiques destinés aux
peuples autochtones, eh bien, on vient créer de l'inégalité, on vient
accentuer l'inégalité des autochtones. Donc, ça prend des changements
systémiques, on commence à en parler, des changements systémiques qui doivent
modifier les outils de gouvernance qui
s'appliquent à la population. Il faut faire une distinction non pas pour
privilégier les autochtones, mais de
faire une distinction particulière à cause de cette histoire de colonisation
qui nous lie et de ses impacts. Donc, oui, quand on parle d'éducation, de protection de la jeunesse, de justice, de
logement, d'habitation, de santé, on ne doit pas reproduire les mêmes systèmes, on doit plutôt tenir compte,
justement, de ces héritages et de cet effet de la colonisation sur les peuples
autochtones, lorsque vient le temps de concevoir ces politiques publiques.
Alors, je
vais juste terminer en disant qu'on vous a remis un portrait de la prostitution
en Abitibi-Témiscamingue, c'est un
travail très récent qui a été fait par des partenaires. Juste pour vous
souligner l'envergure des problématiques, ça a été produit en avril 2015, et on a rencontré 395 femmes et
jeunes filles en Abitibi-Témiscamingue. Ce qui ressort, c'est que 60 % des répondantes qui vivent de la
prostitution, 60 % sont issues des Premières Nations, alors que la
population totale de notre région représente 1,5 %. Donc, pour
nous, c'est clair qu'il y a une problématique où les femmes se retrouvent justement dans la forme qui se retrouve
au plus bas de l'échelle de la prostitution, celle de la rue. Et, dans la
vision d'une organisation de services, elle
doit davantage... Les collègues inuits l'ont souligné, vous allez en entendre
probablement parler toute la journée, de toute la question d'être
culturellement pertinent dans la façon de livrer ces services, de mettre au coeur de l'action les autochtones eux-mêmes. Nous
sommes les mieux placés pour savoir quels sont nos besoins mais aussi
comment faire pour qu'on puisse justement réduire et éliminer ces écarts.
Alors, je m'arrête là.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Cloutier. Merci. Nous
allons entreprendre avec la députée de Crémazie.
• (11 h 10) •
Mme
Montpetit : Je vous remercie beaucoup, Mme Cloutier et
Mme Sirois. On pourrait en parler extrêmement longtemps, là, je sens l'apport que vous faites à
cette rencontre aujourd'hui. Vous avez abordé beaucoup de choses, puis
je veux vous laisser le temps aussi de...
Là, c'est un survol, hein, évidemment, quand on n'a que 20 minutes pour
faire une présentation, mais il y a
des choses sur lesquelles je souhaiterais que vous puissiez nous informer
davantage, à commencer...
Mme Cloutier,
vous abordiez la question du phénomène urbain qui accentue l'insécurité puis
vous faisiez référence, bon, aux
ruptures, au tissu social, dans le fond, qui est rompu. Et là j'imagine qu'il y
a un lien qui peut être fait avec les centres
de proximité, les centres d'amitié dont vous nous parliez, et je voulais voir
comment ces centres-là exactement sécurisent
les personnes qui sont à risque. Et, plus précisément aussi, est-ce qu'il y a
des mécanismes de dénonciation qui sont mis en place dans ces
centres-là? Et de quelle façon, dans le fond, concrètement, là... Puis prenez
le temps d'y répondre pour qu'on comprenne bien l'apport qu'ils peuvent faire.
Et vous parliez aussi de l'adéquation, en fait à
quel point ces centres-là sont adaptés aussi aux différentes régions où
ils sont implantés. De quelle façon, justement, cette sensibilité-là est mise
en place, là?
Mme Cloutier (Edith) : Bien, je vais
commencer.
Le Président (M. Picard) :
Mme Cloutier.
Mme Cloutier
(Edith) : Bien, merci pour
votre question. On l'a mentionné, les centres d'amitié autochtones, c'est des organismes communautaires créés par et
pour les autochtones au Québec. Celui de Val-d'Or a été fondé en 1974, mais le plus ancien est à Chibougamau. En 1969, il
a été fondé avec la mission d'améliorer la qualité de vie des autochtones dans
les villes.
Au fil des
ans — donc
nous, on va souligner les 43, 44 ans à Val-d'Or — en fait, le centre d'amitié autochtone,
les centres sont devenus davantage des espaces
de manifestation citoyenne autochtone dans les villes. La particularité,
dans les villes, de nos organisations, c'est
que nous avons une politique portes ouvertes. Donc, dans les centres, on
retrouve une diversité de Premières
Nations, Inuits; Montréal, elle est très diversifiée sur le plan des Premières
Nations également parce qu'on a des
autochtones à travers le Canada, même des États-Unis, ce qui fait qu'un centre
d'amitié autochtone est donc devenu
un lieu de manifestation citoyenne, de construire une communauté autochtone
dans la ville où on peut se retrouver et partager des valeurs.
Donc, le fait
que... à travers le centre d'amitié, c'est à travers cet espace communautaire,
démocratique, apolitique que s'est
manifesté, justement, le collectif de femmes qui ont pris leur courage, combiné
à différents autres éléments, là, il y
a une série d'éléments qui ont mené à ce que cette journée-là de mai elles
s'ouvrent sur la place publique à travers les médias, ça, c'est pour d'autres raisons, mais, ceci étant dit, les
centres, donc, sont devenus ces espaces-là. Est-ce que c'est le fait qu'on se
construit sur la base des besoins communautaires? Parce que, les centres, on
retrouve des services de garde à la petite enfance, des CPE, on pilote des
projets de logements sociaux, on développe des services en périnatalité, en
passant par les aînés. Donc, il y a
vraiment une communauté dans la ville qui ne veut pas vivre en marge ou se
ghettoïser, loin de là. C'est de
manifester notre spécificité à travers l'espace communautaire mais l'espace
citoyen qu'on se donne également.
Mme Sirois
(Tanya) : Et, pour bonifier
la réponse à Edith, quand vous parliez au niveau de l'apport des centres
d'amitié en ce qui a trait... les
dénonciations, et tout ça, bien, vous le savez, depuis l'émission Enquête,
dans les neuf autres villes, il y a eu des manifestations, et on
travaille justement, présentement, à bien encadrer des manifestations de
dénonciation, mais je dois vous dire qu'il y a eu beaucoup de manifestations de
colère, les gens, les autochtones se présentaient
au centre d'amitié et avaient envie de parler, et il y a eu plusieurs cercles
de partage. Le centre d'amitié, par sa
politique de portes ouvertes, par son lieu de sécurisation... C'est sûr que
rarement on cogne à la porte puis on dit : Bien, moi, je viens au centre d'amitié, je viens
dénoncer. Il faut créer ce lien de confiance, qui est beaucoup plus facile à
créer via une organisation démocratique autochtone, versus toute la
méfiance que les autochtones dans les villes ont envers le système québécois, il ne faut pas se le cacher, il faut nommer un
chat un chat, je crois, donc cette méfiance-là qui a été accentuée à la suite de l'émission Enquête
quand on parle de policiers, donc, en qui on doit avoir confiance. Donc, il y a
cette méfiance-là, donc ça a afflué dans les centres d'amitié.
Au niveau de
l'adéquation, en lien avec services offerts versus besoins, comme on disait,
c'est des organisations démocratiques,
donc à chaque année il y a une assemblée générale, les centres d'amitié
s'assurent d'écouter les gens qui fréquentent
l'organisation, et on est très près au niveau de l'évaluation des besoins, on
connaît nos gens, ils viennent se confier.
Pour ceux qui ont déjà été dans un centre d'amitié, même les directions font de
l'intervention, je veux dire, c'est vraiment...
C'est propre à nous, c'est propre à notre culture, la façon de donner les
services, et c'est ce qui fait que les gens se reconnaissent en cette
infrastructure de services là de première ligne.
Mme Montpetit : Je vous remercie.
Et, pour revenir également à ce que vous abordiez, il faut comprendre qu'aujourd'hui, en fait, un des objectifs du travail, un des
objectifs de ces rencontres-là, dans
le fond, c'est d'enrichir et de bonifier le travail qui est fait sur la
rédaction des... l'élaboration des plans d'action, notamment
en matière d'agression sexuelle. Et
vous faisiez référence... je pense que c'est Mme Cloutier qui faisait
référence aux différents changements systémiques
auxquels il faut porter attention. Est-ce que vous pouvez développer davantage
et peut-être plus spécifiquement
également sur ces enjeux-là auxquels il faut vraiment porter très, très, très attention pour s'assurer, justement, que ça ait une portée chez les
communautés autochtones?
Mme Cloutier (Edith) : Oui. Vous
savez, ce qui a mené à cette mise à l'écart des peuples autochtones, c'est justement... — et
là je vais aller à l'échelle du Canada — ce
sont des politiques d'effacement, des politiques d'aliénation,
qui a commencé par la Loi sur les Indiens.
Donc, c'est l'État qui adopte des lois, des règles, des politiques
gouvernementales, et, dans ce cas-là,
plusieurs ont mené à un effacement, à une aliénation culturelle, territoriale,
identitaire et même parfois politique. Alors, l'État est responsable d'orienter des politiques
pour assurer le mieux-être de tous ses citoyens. Alors, quand on développe des politiques
publiques, et c'est ce qu'on dit, et je sais que vous allez l'entendre aussi
dans d'autres présentations, c'est
important que l'on tienne compte, justement, de l'héritage de ces politiques
colonialistes, l'impact intergénérationnel
du système des pensionnats indiens, dont on vit encore avec
les séquelles, mais c'est qu'il faut tenir compte de cette histoire dans
la manière de donner des services.
Je vais vous
donner un exemple de politique publique. Notamment, il y avait
celle sur l'intimidation où on a eu un forum
distinct qui a été... dont on a offert aux Premières Nations pour justement
se pencher de façon plus précise sur la question de l'intimidation. Maintenant, de réunir des représentants, des porte-parole des milieux autochtones à travers le Québec pour mieux définir et cerner une politique
contre l'intimidation, qui est étroitement lié, en ce qui concerne les peuples autochtones, à la question du racisme et à
la discrimination, eh bien, l'écoute doit se traduire par des plans d'action
concrets qui justement offrent des réponses
sur le terrain par la suite pour mieux, justement, cheminer dans une
cohabitation harmonieuse.
Donc,
oui, on est prêts à participer et à être entendus lorsqu'invités par le gouvernement en commission parlementaire, que ce soit dans le cadre de
consultations publiques, mais encore faut-il qu'on sente que cette écoute-là se
traduise clairement dans des orientations gouvernementales pour que
nous, nous ayons les instruments ensuite en place pour agir concrètement, encore là, en fonction de nos
réalités, de nos valeurs, de notre culture et qu'on tienne compte de cette
histoire qui lie les peuples autochtones au Québec.
Le Président (M. Picard) :
Oui, M. le député de D'Arcy-McGee.
• (11 h 20) •
M. Birnbaum : Merci, M. le Président.
Merci, Mme Cloutier, Mme Sirois, pour votre exposé et pour votre
courage et dévouement à la suite des événements mais, j'en suis sûr, bien,
bien, bien avant ça.
Écoutez, il
me semble qu'on est devant un contexte à la fois tragique mais, vous
comprendrez le sens de mon mot, une opportunité
aussi. La société civile est à l'écoute, les citoyens sont à l'écoute, nos
forces policières doivent être à l'écoute et sont surveillées davantage suite à ces événements-là. Les problèmes
sont énormes, les solutions ne seraient pas faciles.
Je veux vous
entendre sur la suite, les dernières trois semaines, parce que je trouve qu'on
a besoin de parler d'une façon
chirurgicale des difficultés et des opportunités, parce que les solutions
pan-Québec ne seront pas au rendez-vous pour demain malgré... on a besoin, évidemment, de continuer là-dessus. Durant les trois semaines, qu'est-ce qu'on a appris? De façon
très spécifique, une femme qui s'est montrée courageuse dans l'extrême de se
divulguer, de parler de la situation
pas juste devant la société complète, devant ses pairs, qu'est-ce qu'on a
appris dans ces dernières trois semaines? Comment ces
femmes-là auraient été accueillies par leurs propres familles, par leurs
voisins, par la communauté non autochtone? Qu'est-ce qu'on note, dans les dernières trois
semaines, en termes du comportement des forces policières? Y a-t-il des petits indices, des pistes
ponctuelles faisables dans le court terme, ajustements qui risquent d'avoir
l'air banal mais qui sont faisables,
des petites choses? J'aimerais vous entendre sur ces dernières trois semaines
et ce qu'on aurait appris là-dessus.
Mme Sirois
(Tanya) : Je vais y aller
d'un niveau provincial, et ensuite Edith ira d'une façon... au niveau plus
Val-d'Or.
Effectivement,
suite au choc de l'émission Enquête et de plusieurs reportages qu'on est
témoins dans les dernières semaines, on ne peut pas avoir les yeux fermés
là-dessus, effectivement on essaie d'être aussi en mode solution. Et, au
cours des trois dernières semaines,
qu'est-ce que ça a permis, toute cette histoire-là, c'est de lever le voile, de
lever le voile. On parle souvent, les autochtones, d'un peuple
invisible, mais, dans les villes, c'est encore un peuple plus invisible. Donc, de lever le voile sur cette réalité, sur ces
réalités urbaines, en ce qui a trait aux autochtones, ça, pour nous, c'est déjà un gros plus.
Ça fait
45 ans qu'on travaille, au Québec, sur ce dossier-là, mais je crois qu'il y a
eu un réveil, et non pour jeter le blâme sur qui que ce soit, mais je
crois que ça nous a forcés à trouver des solutions, ça nous a forcés à nous
asseoir avec le gouvernement provincial, les gouvernements municipaux également, nous avons eu plusieurs rencontres à cet effet-là avec nos collègues au niveau des gouvernements des
Premières Nations. Donc, s'il y a eu quelque chose qui a été soulevé au cours des trois dernières semaines, c'est ça,
enfin nous levons le voile sur une réalité qui existe depuis longtemps au
Québec.
Et pour un niveau plus...
Mme
Cloutier (Edith) : Bien, en
fait, je pense que sur le plan collectif, au Québec, autochtones et
non-autochtones, Québécois,
Québécoises, on a traversé une série d'émotions. On a eu un choc, on a ressenti
de la colère, on a même récemment vu
un déni total que ça s'est passé, et maintenant on est dans l'émotion. C'est ce
qu'on ressent. On a une remise en question profonde sur nos relations,
sur l'état de nos relations, sur la mise au grand jour des réalités des
autochtones.
Vous savez,
on parle... le contexte des femmes à Val-d'Or a levé le voile, comme disait
Tanya, mais à à peine 120 kilomètres
de Val-d'Or il y a une communauté qui s'appelle Kitcisakik, et Kitcisakik n'est pas une réserve
indienne, c'est un
établissement, au sens de la loi, qui... les familles vivent sans eau, sans
électricité. Alors, on est au Québec, je vous rappelle, dans un Canada qui est un des pays les plus prospères au
monde. Et c'est ça qu'il faut qu'on prenne conscience. Et, la réalité des femmes, ce témoignage des femmes est le
témoignage d'un peuple qui est maintenu à l'écart, qui est mis à
l'écart, et il n'est plus possible maintenant de fermer les yeux.
Il y
a chez les femmes, parce que vous me posez la question... il y a encore énormément de peur, la terreur est
présente. On ne corrige pas le bris, la rupture de confiance entre les
autorités policières, la justice du Québec... on ne restaure pas une confiance
que sur quelques actions et mesures d'urgence, quoique nous accueillions...
Nous avons accueilli favorablement les
mesures concrètes qui ont été mises en place par le gouvernement, je crois que
ça traduit la volonté gouvernementale
d'agir, de mettre en place des ressources à Val-d'Or, c'est un pas dans la
bonne direction, mais ça va prendre plus que ça. Ça va prendre du
temps, mais ça va prendre de l'écoute pour mener à des actions.
Bon, encore la semaine dernière, il y a un cri
du coeur du chef innu McKenzie. Le chef McKenzie d'Uashat Mani-Utenam, à la
suite du suicide de Nadeige Guanish, il a réitéré la demande qui est faite
depuis les événements de Val-d'Or, où
maintenant il est incontournable de tenir une commission d'enquête publique
québécoise qui se penche sur les
facteurs systémiques qui nuisent à la relation entre les Premières Nations, les
peuples autochtones, et les instances québécoises.
Et, de façon particulière, il faut se pencher à travers une commission
d'enquête publique sur cette relation entre les autorités policières et
les Premières Nations.
Le Président (M. Picard) :
Autre question? M. le député d'Abitibi-Est.
M.
Bourgeois : Bien, moi, je...
Tantôt, vous parliez de la situation qui est vécue des autochtones qui viennent
habiter en ville, et la question qui me venait à l'esprit, de la manière que
vous l'avez mentionné, c'est : Est-ce que c'est un choix, qu'ils viennent en ville, ou c'est parce
que dans la communauté ils ne retrouvent pas non plus les outils ou le support
auxquels ils souhaiteraient avoir accès et ils espèrent donc avoir cette
possibilité-là en ville? Tu sais, on a, dans le fond, des réalités en ville et dans les communautés qui sont
différentes. Comment on peut mieux supporter les femmes là-dedans, dans
ces deux enjeux-là qui sont la violence et les abus?
Mme Sirois
(Tanya) : Il y a plusieurs
facteurs qui fait en sorte que les gens quittent la communauté, mais on ne
parle pas juste de quitter la communauté,
parce qu'on sait que beaucoup de gens dans la ville retournent en communauté.
Les autochtones sont mobiles, il y a une
grande mobilité au sein du Québec, et nos collègues chercheurs l'ont démontré.
Mais, oui, effectivement, il y a beaucoup de
facteurs qui expliquent... que ce soit la recherche de logement — vous ne serez pas sans savoir la problématique de logement dans les
communautés — aller à
l'école aussi au niveau des études postsecondaires,
donc le cégep, l'université, ce qui fait en sorte que dans des villes comme
Trois-Rivières, Chicoutimi, Saguenay
arrivent des jeunes familles qui veulent retourner au cégep, retourner à
l'université; oui, fuir des situations de violence, ça aussi, c'est un des facteurs qui fait en sorte que les gens
quittent la communauté; la recherche d'un travail. Donc, c'est différents facteurs qui font en sorte
que les femmes, entre autres, et les jeunes familles... — parce qu'on ne peut pas parler de
femmes sans parler de famille, une femme qui arrive en ville arrive avec ses
enfants — donc
qui font en sorte que,
dans les villes, les besoins, comme on disait plus tôt, deviennent de plus en
plus grandissants et de plus en plus complexes.
Mais il y a
aussi ce rapport-là de : On retourne en communauté, on retourne dans la
ville. Je crois que c'est dans la
ville de Joliette, avec la communauté de Manouane, on pouvait estimer qu'en
moyenne un autochtone faisait sept fois la transition. Donc, ce
rapport-là à la communauté, il est toujours présent, les gens sont attachés à
leurs communautés. Donc, ça, il faut prendre ça en compte.
Également, il
faut prendre aussi en compte qu'il y a une génération d'autochtones qui est née
dans les villes, qui n'a jamais connu la vie sur communauté. Donc, ces
gens-là ont aussi des besoins à prendre en compte.
Donc,
plusieurs facteurs fait en sorte que, oui, on quitte les communautés, mais il y
a ce mouvement-là entre la communauté et la ville.
Le Président (M. Matte) : D'autres
questions? Il nous reste deux...
• (11 h 30) •
M.
Bourgeois : ...complément. C'est parce que je pense aussi à une
initiative qui a eu lieu cet été, à la fin de l'été, avec la communauté de Lac-Simon, où on a facilité
un service de transport entre la communauté et la ville pour justement permettre l'accès au niveau de la formation, au
niveau du travail, au niveau, dans le fond, du quotidien, des besoins qui
ne sont pas nécessairement répondus dans la
communauté, donc de pouvoir venir à Val-d'Or. Et ça permet, par exemple,
à une entreprise comme Tecolam qui a... La
plus grande proportion de ses travailleurs sont des travailleurs algonquins.
Donc, je me
dis, ça, on est-u sur des bonnes pistes, à travailler des projets, des
initiatives complémentaires? Ça ne
règle pas le problème des femmes au niveau des agressions, au niveau des abus,
mais le fait d'avoir des modèles qui permettent
aux individus de se réaliser... J'aimerais voir l'importance que vous attachez
à, justement, ce phénomène-là, parce
qu'on parle d'habitation, d'accès au logement, on parle d'accès à l'emploi, et,
dans les communautés, le développement de
ces réalités-là du logement et de l'emploi ne sont pas évidentes. Donc, faire
autrement, est-ce qu'on est sur une bonne piste dans des initiatives de
ce type-là?
Le Président (M. Picard) : En
une minute, s'il vous plaît.
Mme
Cloutier (Edith) : Bien, je
dirais, oui, des bonnes pistes, mais il faut aller en amont de tout ça. Il y a
une démographie qui est croissante dans les communautés, une surpopulation, une
pénurie de logements, des conditions socioéconomiques qui ne permettent
pas l'épanouissement économique des communautés, qui fait qu'il y a un débordement vers les villes, que l'attrait de la
ville devient une option mais qui n'est pas toujours la bonne, mais, ceci
étant dit, pour avoir accès à de l'emploi,
pour avoir accès à la prospérité, et ça va être mon seul commentaire peut-être
plus politique, c'est qu'il faut aussi avoir accès au territoire et aux
ressources et partir de la base qu'il y a la reconnaissance
des droits des peuples autochtones sur ce territoire traditionnel et ancestral.
Et je ferme ma parenthèse politique parce que je ne fais pas de
politique, moi.
Le
Président (M. Picard) : Merci. Maintenant, je cède la parole à
Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier : Merci, M. le
Président. Bonjour, mesdames. Ça me fait plaisir de vous revoir.
Dans le
document, l'étude que vous nous avez déposée, le portrait de la prostitution en
Abitibi-Témiscamingue, des données
importantes sont nommées, particulièrement au niveau de la prostitution de rue,
et on a vu dans le reportage que
c'était un des facteurs importants. J'aimerais ça peut-être, pour le bénéfice
de nous tous, que vous nous décriviez elle a l'air de quoi, la prostitution de rue, chez vous, qui sont ces femmes
qui font de la prostitution de rue. Parce que faire de la prostitution
de rue, ce n'est pas faire de la prostitution de bar, ce n'est pas faire de la
prostitution d'escorte, c'est très différent,
et vous le nommez comme étant — je vais prendre votre terme, là — première forme de prostitution la plus
rencontrée, donc la prostitution de rue est
la première. Qu'est-ce qui mène une femme... Et vous dites que principalement
ce sont des femmes autochtones. Qu'est-ce
qui mène une femme autochtone à se retrouver... Parce qu'on se retrouve...
je suis persuadée que ce n'est pas un choix
de vie, là... Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve à faire de la prostitution
de rue à Val-d'Or? C'est quoi, le cheminement?
Mme
Cloutier (Edith) : D'abord,
j'aimerais préciser qu'on travaille étroitement, justement, avec des femmes
qui oeuvrent directement auprès des femmes
en prostitution, je veux les nommer, le Gîte L'Autre porte qui est un organisme
qui a piloté... qui est un partenaire étroit
du centre d'amitié autochtone, qui en savent beaucoup plus que moi sur cette
question-là.
Ceci étant
dit, à Val-d'Or, la prostitution de rue est étroitement liée à l'itinérance des
femmes. Encore là, nous sommes à
finaliser, à réaliser et finaliser une recherche, une étude avec Carole
Lévesque, qui vient vous rencontrer cet après-midi, sur la question de l'itinérance et les autochtones à
Val-d'Or. Probablement qu'à l'intérieur des travaux et de ce qui ressort de ça on aura des précisions à cet
effet pour mieux définir la question des femmes, itinérance et prostitution.
Ceci étant
dit, je l'ai mentionné, ce sont des femmes qui ont un cumul de ruptures, qui
sont des femmes qui vivent dans la
grande pauvreté, qui ont eu des enfants, qui sont séparées de leurs enfants,
souvent placés en famille d'accueil non
autochtone à l'extérieur de la ville... pardon, à l'extérieur de la communauté,
avec des contacts limités; des
blessures, probablement aussi des femmes qui ont vécu les pensionnats
indiens ou qui vivent... que leur mère ou leur père ont vécu des pensionnats indiens. Tout ce contexte de mise
à l'écart, la discrimination, c'est tous des éléments qui amènent ces femmes-là à complètement s'oublier aussi à
travers cette vie. Et le rapport nous l'indique clairement : quand on a
parlé à ces
femmes-là, 89 % de celles
interrogées souhaitent une sortie de rue. Et c'est justement ce que... le
travail, heureusement, avec les
mesures d'urgence qui ont été déployées dans le contexte de Val-d'Or, que le
centre d'amitié, avec les CALACS, parce
qu'on travaille étroitement avec les instances québécoises, il faut s'unir,
hein, dans ce travail-là, et le Gîte L'Autre porte... qu'on pourra
mettre en place des services directs à ces femmes-là, mais des services qui
sont culturellement pertinents et
sécurisants et qui vont tenir compte de leur réalité. Et ça se fait à travers
la participation, à mettre au centre de tout ça les autochtones
eux-mêmes.
Mme
Poirier : Dans la même étude, vous nous parlez de la
criminalisation des femmes en situation de prostitution. Moi, je
comprenais que, depuis la loi fédérale, les femmes étaient moins criminalisées.
Pourquoi les
femmes sont particulièrement criminalisées à cause de la prostitution? Est-ce
que c'est à cause de la prostitution?
Est-ce que c'est à cause de la dépendance aux drogues ou à l'alcool ou la
combinaison de tout cela ensemble qui crée une situation de violence,
nommée comme ça, qui fait qu'elles sont criminalisées?
Mme Cloutier (Edith) : Je ne
pourrais pas me prononcer parce que je n'ai pas suffisamment d'information autour de la criminalisation des femmes. Par
contre, ce que je peux vous dire, c'est que, dans le contexte de l'itinérance,
il y a clairement une surjudiciarisation de
ces femmes et des hommes, qui se retrouvent à occuper l'espace public et qui
évidemment viennent déranger la quiétude,
hein, des citoyens et citoyennes. On est une petite ville, on a
32 000 habitants, un
centre-ville «boomtown». Si vous êtes venus à Val-d'Or, vous connaissez la
3e Avenue. On sait que l'itinérance, dans les villes, est visible
dans les centres-villes.
Alors, je
vous dirais qu'actuellement ce qui mène à l'incarcération de ces femmes — là, je parle par expérience et de travailler auprès de ces hommes et ces
femmes — c'est la
surjudiciarisation liée à des infractions de règlements municipaux qui s'accumulent, avec donc des
contraventions qui se cumulent et une incapacité de payer, alors on rentre
dans un autre type de cycle qui n'aide pas
personne, là. Alors, c'est ce que je pourrais vous apporter sur cette
question-là.
Mme
Poirier : Dans l'étude, on mentionne particulièrement qu'il y a
des services pour les 18-35 ans, mais que les femmes qui se prostituent ont plus de 40 ans. Donc, je
comprends, absence de services pour les femmes qui se prostituent, en
tant que tel.
Une des
recommandations du rapport est le fait de mettre en place un lieu de répit
exclusif aux femmes ayant un vécu de prostitution. Vous en pensez quoi,
d'avoir un lieu comme ça?
• (11 h 40) •
Mme Cloutier (Edith) : Non seulement
on en pense quelque chose, on est en train de le mettre en place présentement avec les partenaires. Encore là, les
mesures qui nous ont été déployées, à Val-d'Or, vont nous permettre
d'ouvrir un lieu de répit spécifique aux femmes mais aussi avec un volet pour
les personnes en situation d'itinérance, il
y a effectivement une absence de services de jour, de centre de jour pour les
personnes itinérantes, et davantage pour les femmes en prostitution, qui
manifestent clairement une volonté de vouloir sortir de la rue et d'être
accompagnées dans cette sortie de rue là, et
d'être accompagnées sur du long terme, parce que, je vous le mentionnais, ce
sont des femmes qui cumulent des
blessures, des ruptures, plusieurs barrures, donc ça va pendre plusieurs clés
pour débarrer et les sortir de cet
enfermement, qui est lié pas juste à
un mode de vie, mais un enfermement qui est lié à la rupture identitaire, à
tous ces impacts que je vous ai parlé depuis le début de notre
présentation.
Mme Sirois
(Tanya) : Puis, si je peux
me permettre, votre question est très pertinente, c'est un bel exemple de
pourquoi qu'il faut travailler avec les autochtones, avec les
organisations sur le terrain pour justement mettre en place des services qui répondent concrètement et des actions
qui répondent concrètement à un besoin. Donc, la politique publique, une
fois qu'elle descend, il faut qu'elle réponde à ce besoin-là.
Et, pour
ajouter à ce que M. Bourgeois disait, qu'est-ce qui est bon, est-ce que
c'est bon, qu'est-ce qu'on fait, tout ça, je vais vous dire, qu'est-ce qui est bon présentement, c'est d'inclure
les organisations, les autochtones dans la création de programmes, et tout ça. Donc, à partir de cet
élément de base là, je crois qu'on peut construire beaucoup de bonnes choses
et qui vont répondre concrètement à des besoins sur le terrain.
Mme
Poirier : Le groupe qui vous a précédés nous a parlé des
problèmes de logement. Lorsque l'on vous a visités, vous nous avez parlé entre autres du fait que les
enfants devaient quitter leur communauté pour, entre autres, aller à l'école
secondaire et que bien des fois, bien, la
famille aussi voudrait suivre, mais il y a un problème de logement. Est-ce que
le problème est aussi criant que le
groupe précédent qui nous a dit : Nous, c'est 1 000 logements,
là, qu'on a besoin demain matin, là?
Mme Sirois
(Tanya) : Tout à fait, tout
à fait. Si on regarde une ville comme Sept-Îles où, dans les bonnes années,
l'économie était à son plus haut... où le taux d'inoccupation était en bas de
0,01 %, et tout ça, c'est sûr que, suite à du racisme, à de la discrimination, les familles autochtones qui se
retrouvaient dans la ville de Sept-Îles avaient de la difficulté à se procurer un logement et, j'ajoute, décent. Je
crois que c'est important que nos familles aient accès à un logement décent
qui réponde aussi aux réalités des familles
autochtones, un trois et demie n'est pas suffisant. Donc, c'est à ce genre de
réalité que sont confrontées quotidiennement les familles autochtones dans les
villes.
Et on sait
qu'ils n'ont pas le droit... un propriétaire n'a pas le droit de refuser un locataire,
mais ça m'ouvre une porte de vous dire : Les autochtones ne portent
pas plainte à la Commission des droits de la personne, à la Régie du logement. Donc, je crois que ça, c'est important
d'en parler aussi, O.K? On va le subir et on retourne à la maison, on essaie
de se trouver un
logement, mais les systèmes actuels de dénonciation au niveau de la Commission
des droits de la personne et de la
Régie du logement... Et c'est pour ça que nous, on tient des ateliers pour
dire : Vous avez des droits, c'est quoi, vos droits, en tant que
citoyens dans les villes, et : Vous devez vous faire respecter. Donc, on
part quand même, dans quelques occasions,
assez loin par rapport à la question du logement, mais, comme je vous dis, qui
va beaucoup plus loin par rapport à ça.
Mme
Poirier : J'ai cité tout à l'heure une étude qui a été faite
par Martin Gallié et Marie-Claude Bélair en lien avec les HLM au
Nunavik. Il y a un taux très, très, très élevé, là, qui est 10 fois plus
élevé que ce qui se fait comme évictions à
Montréal au niveau des HLM. Est-ce que c'est quelque chose que vous retrouvez...
Entre autres, je lis juste une ligne,
là : «Par exemple, en 2011, la régie a rendu 791 décisions, dont 773
par un seul régisseur, et dont toutes les causes ont été entendues en
quatre jours d'audiences.» Si on prend, par exemple... «À titre d'exemple[...],
la régie a rendu 604 décisions
impliquant l'Office municipal [...] de Montréal...» Alors, 604 pour Montréal,
mais 791 décisions pour le
Nunavik. Il me semble que juste des chiffres comme ça, ça parle, là. Il y a un
problème d'accès au logement, mais la capacité
de payer, en tant que telle... Est-ce que ce même type de problème... Parce que
ça, c'est des femmes monoparentales, bien
des fois, qui sont dans ces logements-là ou des familles qui sont évincées de
leur logement. Alors, comment vous... Je n'ai pas de données pour chez
vous, mais, chez vous, est-ce que c'est un problème qui se pose, en tant que
tel?
Mme Cloutier (Edith) : Bien, je vais
parler en Abitibi, puis probablement que ça a écho sur la Côte-Nord ou ailleurs où on retrouve une population autochtone
importante. Pour Val-d'Or, actuellement, je crois qu'il n'y a aucune famille qui occupe un HLM qui est administré par
un OMH. Depuis maintenant
six ans, la communauté autochtone de Val-d'Or, via son centre
d'amitié autochtone, a manifesté le souhait et le besoin clair d'avoir du
logement social non seulement pour avoir une habitation, un logement adéquat,
décent, qui leur permet de payer en fonction de leurs revenus, mais
aussi pour se créer une communauté qui est en mesure de répondre pas juste à la
question de l'habitation, mais à la question du soutien social, de créer un
filet de sécurité, de créer une organisation de services qui tient compte des besoins des enfants en matière d'éducation, de santé; pour les mamans enceintes, de
périnatalité. Et c'est sur une base d'un
modèle innovateur, porté par les autochtones eux-mêmes que le projet de
logement social Kijaté, qui finalement fait partie aussi des mesures... Mais ce projet-là était dans le système
depuis six ans. Donc, le 6,1 millions, il y a 5 millions qui va via Kijaté, et on s'en réjouit, parce que
c'est 24 unités de logements sociaux pour familles autochtones qui
répondent donc, oui, à des besoins
criants en matière d'habitation et de logement mais le souci dans lequel on
veut travailler et le besoin avec
lequel on veut répondre, c'est de garder les enfants unis avec leurs parents,
de travailler avec les parents sur les problèmes
de dépendance, sur les difficultés de
la vie, à les accompagner vers du développement des compétences dans la perspective de
mettre en valeur leurs talents et d'accéder à des emplois valorisants. Et c'est
ce que nous faisons à travers... À Val-d'Or,
c'est le centre d'amitié autochtone. Montréal, il peut y avoir d'autres organisations, mais c'est de concevoir
dans une approche... Et nos collègues inuits l'ont souligné, c'est ça, l'approche
holistique, une approche globale, une
approche intégrée qui tient compte des réalités des Premières Nations dans la manière d'organiser, de concevoir des services qui
répondent adéquatement à leurs besoins et, encore là, qui met au coeur des
décisions des autochtones eux-mêmes.
Mme Poirier : Je suis un peu surprise, là. Vous me dites qu'il
n'y a aucun logement social à Val-d'Or occupé par des autochtones?
Mme Cloutier (Edith) : Je vais...
Administré par l'OMH...
Mme Poirier : C'est ça, il y
a des logements sociaux...
Mme
Cloutier (Edith) : ...parce
qu'il y a des logements sociaux par une corporation qui s'appelle la
Corporation Waskahegen, qui est une organisation.
Mme Poirier : C'est ça, effectivement.
O.K.
Mme Cloutier (Edith) : Donc, c'est
la nuance à faire.
Mme Poirier : Pourquoi, pourquoi, à ce
moment-là, il y a une exclusion, je dirais,
des communautés autochtones à l'intérieur des logements de l'office municipal, qui est l'office pour
tout le monde, à ce que je sache, là? Oui, je comprends que Waskahegen administre... ils en administrent dans mon quartier, dans
Hochelaga, là, des logements sociaux pour les autochtones, mais pourquoi
l'office municipal de Val-d'Or n'est pas inclusif, justement, dans une question
de mixité sociale, à faire en sorte que quelqu'un de... que des
autochtones côtoient des non-autochtones? Je veux juste comprendre pourquoi il y a un choix de fait comme ça, alors
on met les autochtones d'un côté, chez Waskahegen, puis les Blancs de l'autre côté.
• (11 h 50) •
Mme
Cloutier (Edith) : Bien, je
ne pourrais pas répondre, il faudrait poser la question à l'OMH, mais un
élément qui est important, je crois,
dans la façon de concevoir ou de comprendre... Vous savez, nous, on a une
démographie qui est en pleine
croissance. Les Premières Nations, on a une population qui est jeune. 60 %
de la population, je pense, 60 % ont moins de 30 ans. Les familles, ce n'est pas rare d'avoir trois,
quatre, cinq... On a deux familles en attente qui ont huit enfants chacune, sur notre liste.
Il a fallu même travailler... Encore là, les cadres, on ne fittait pas dans la
case de la SHQ, dans le programme
AccèsLogis, il faut, encore là, toujours, travailler pour que le carré devienne
un cercle, en ce qui nous concerne.
Mais donc
cette réalité-là, quand on la transpose à la réalité des besoins de la
population québécoise, bien on a développé
du logement social — mon
observation — autour
d'une population vieillissante, des personnes à la retraite, des aînés, il y a eu beaucoup d'unités de logement, dans le cadre du volet 1 ou
3 du programme AccèsLogis à Val-d'Or, qui a répondu à ce besoin de la communauté. Donc, quand on est une jeune famille autochtone...
Et on connaît la dynamique familiale,
qui est une famille élargie où tu as souvent la grand-maman qui habite dans la
famille. C'est pour ça que ça prend aussi
des modèles conçus par les autochtones eux-mêmes pour répondre adéquatement à
une réalité sociale du Québec
dans les villes.
Mme
Poirier : En tout cas, s'il y a un mot qu'on doit se rappeler de votre
présentation, c'est «culturellement pertinent».
Mme Cloutier (Edith) : Et
sécurisant.
Mme Poirier : Et je pense que
ça devrait, en tout cas, faire partie de notre nouveau vocabulaire dans cette commission.
Merci.
Le Président (M. Picard) :
Vous avez terminé? O.K., merci.
Je vais
prendre mon chapeau de député du deuxième groupe d'opposition,
parce que ma collègue est indisposée. Vous parlez beaucoup de logement social, mais quelles sont les
perspectives, pour les autochtones, d'accéder à la propriété? Comment
peut-on créer un environnement social qui permettrait aux autochtones de
véritablement acquérir leur indépendance, que ce soit en communauté ou hors
communauté autochtone? Allez-y.
Mme Cloutier (Edith) : C'est
tellement une grande question! Par où commencer?
Le Président (M. Picard) :
Par où vous voulez.
Mme
Cloutier (Edith) : Puis je
n'ai pas toutes les réponses, hein? Quand on est autochtone... On ne peut pas
être à la fois avocate, philosophe,
fiscaliste, juriste. Et c'est souvent ce qu'on nous demande d'être quand on est
devant des commissions parlementaires ou ailleurs, d'avoir toutes les
réponses à toutes les questions, qui sont si complexes et multiples.
Par où
commencer? La lutte à la pauvreté? L'exclusion sociale? L'accès au territoire,
aux ressources? Reconnaître les
droits des peuples autochtones? On peut lire le rapport de James Anaya, qui est
le rapporteur spécial des Nations unies sur les questions autochtones,
qui est venu au Québec, qui est venu au Lac-Simon en 2013, je crois, qui
reconnaît qu'il y a effectivement, pour un Canada qui se dit un des pays les
plus prospères au monde... Qu'on maintienne une population, et au Québec également, dans des conditions du tiers-monde... Quand on regarde l'indice du développement humain, le Canada se situe souvent dans un des cinq premiers rangs
où l'indice du développement humain est à son meilleur. Quand on extrapole la population
autochtone du Canada et du Québec dans les communautés et hors communauté, nous
dégringolons au 68e rang de cet indice du développement humain.
Alors, par où
commencer, l'accès à la propriété, lutte à la pauvreté, la prospérité? Bien,
partage du territoire, les ressources, les redevances, la
reconnaissance des droits. C'est à peu près tout ce que je pourrais dire en une
minute.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Mesdames, merci d'être là. J'ai plusieurs
chapeaux aujourd'hui, excusez-moi, je bouge, je bouge. J'ai
pris des notes, par exemple, quand vous parliez, vous avez dit des choses fort intéressantes. Et vous avez dit une chose, et là
vous pourrez nous aider, vous nous dites : C'est important
que l'on tienne compte de l'impact des
pensionnats indiens, il faut tenir compte de cette histoire sur les politiques
publiques. C'est extrêmement important. Je
pense que... Le coeur du mal se situe
là, si je comprends bien. Alors, il faut absolument
tenir compte de cette histoire sur les politiques publiques.
Ma question :
Nous sommes les législateurs, donnez-nous des pistes de solution. Comment est-ce qu'on fait ça? Si on a des lois à écrire, si on a des choses à
changer, comment on fait ça? Dites-nous comment faire.
Mme Sirois
(Tanya) : Bien, votre question
fait suite à la question de M. Picard,
je trouve toujours une opportunité de
faire une continuité, mais, quand vous parlez de politiques publiques puis
comment qu'on peut les rédiger et faire en sorte... on en a parlé un peu
plus tôt, on a parlé au niveau de mettre partie prenante les autochtones au
coeur de cette rédaction-là, mais également
on parlait, là, de, oui, l'héritage des pensionnats, et tout ça, mais c'est
vraiment de le prendre d'une façon
holistique, d'une façon globale. On aurait pu parler d'éducation, on aurait pu
parler au niveau des mesures d'employabilité.
Donc, il y a plusieurs choses à travailler en même temps. On ne peut pas
traiter juste quelque chose... on ne
peut pas parler juste de prostitution sans parler lutte à la pauvreté, on ne
peut pas parler accessibilité à la propriété privée sans qu'on parle du
haut taux de chômage ou du faible taux de diplomation chez les autochtones.
Donc, il faut... Je propose ça comme ça, mais,
quand on parle de stratégie interministérielle, quand on parle... ce n'est pas la responsabilité d'un ministère,
la question des autochtones dans les villes, c'est la responsabilité de tous les ministères du
gouvernement du Québec. Donc, est-ce que c'est de monter... travailler ensemble
à différents niveaux de responsabilité
populationnelle, que ce soit le MSSS — on n'en a pas parlé encore — au
niveau de la santé et services sociaux? Est-ce que c'est au niveau du
Secrétariat à la jeunesse? Est-ce que c'est au niveau du ministère de l'Emploi,
Loisir et Sport?
Donc,
il y a beaucoup de travail à faire, il y a
un grand chantier à démarrer, à mon sens à moi, et ce n'est pas non plus juste de la responsabilité du Secrétariat
aux affaires autochtones. Ça a été longtemps l'automatisme du gouvernement, de balancer ça au niveau du Secrétariat aux
affaires autochtones, mais chaque ministère a une responsabilité en ce qui a trait les autochtones dans les villes, on va parler de notre
expertise. Et ça doit commencer par cette prise de conscience
là, et ensuite on s'assoit et on
bâtit des politiques publiques avec différents aspects, comme je vous
dis : jeunesse, la santé, les services sociaux, l'éducation,
l'emploi, le développement économique, l'économie sociale. Donc, il y a
plusieurs choses à travailler. Je ne sais pas, Edith, si tu voulais rajouter.
Mme Cloutier (Edith) : Oui. Je voulais juste ajouter... Vous avez
entendu parler de la Commission de vérité et réconciliation. Elle a remis son
rapport, 93 recommandations. Je crois qu'il y a de grandes pistes à
l'intérieur de ça qui pourraient justement vous donner des réponses.
Mme Roy
(Montarville) :
Je peux poursuivre, M. le Président?
Le Président (M.
Picard) : Oui, madame.
Mme
Roy
(Montarville) : Vous avez dit également qu'on a besoin d'une commission
d'enquête publique pour faire la
lumière sur les relations... les activités policières et les Premières Nations, la relation entre les deux. Nous, de notre côté, la Coalition
avenir Québec, on est d'accord avec
l'idée, effectivement, d'une vaste commission pour faire la
lumière entre pas juste les policiers
mais tout le système judiciaire, parce que c'est particulier,
avec les Premières Nations, les juges, les avocats qu'on envoie en avion, puis qui reviennent, puis qui ne sont
pas là tout le temps, bon, et on est d'accord avec vous sur cette idée-là, vraiment
d'accord, parce que c'est de juridiction provinciale également,
donc on peut agir là-dessus. Et qu'est-ce que vous attendriez d'une
telle commission?
Mme Cloutier (Edith) : Ce qu'on comprend d'une commission
d'enquête publique québécoise, c'est que ça va au-delà de la question
d'étudier un phénomène, hein? Ce que j'en comprends, parce que je ne suis pas
juriste, mais les exemples qu'on a, il y en a eu un, entre autres, en Saskatchewan
où il y a eu une commission d'enquête publique sur la mort de trois jeunes autochtones qui avaient été abandonnés en
hiver sur des routes isolées par les policiers, Neil Stonechild, qui a donné des résultats extrêmement intéressants. C'est en se penchant sur ce modèle que cette volonté
de vouloir faire cheminer, justement, la volonté gouvernementale à ouvrir une commission
d'enquête comme celle-là permettrait,
certes, d'entendre des policiers et d'entendre des femmes, d'entendre des
individus, des institutions. Ce qu'on en
comprend aussi, de ce type de commission, qui est différent d'une commission parlementaire, c'est qu'on oblige... je ne veux pas dire «obliger», mais il y a
des gens qui sont convoqués, sommés à se présenter devant des commissaires; que
découle de cette commission
un rapport et des recommandations concrètes que le gouvernement met en oeuvre. Alors donc,
oui, je crois que c'est aussi, effectivement, l'angle de la justice, pour avoir aussi entendu
les chefs des Premières Nations
sur cette question, qui est nécessaire devant le grand défi auquel nous sommes
confrontés comme société au Québec.
Mme
Roy
(Montarville) : Je vais poursuivre. Le document que vous nous avez rendu concernant la
prostitution en Abitibi, les chiffres
sont troublants. Ce que vous nous avez dit, quand vous avez dit que 60 % des répondants sont issus des Premières Nations, 60 % des répondants,
c'est plus que la moitié des femmes sur 300 quelques qui ont été interviewées,
c'est énorme. Ça nous donne une idée...
Mme Cloutier
(Edith) : La population autochtone compte pour 1,5 %.
• (12 heures) •
Mme
Roy
(Montarville) : Et voilà, c'est là que j'allais, la
population compte pour 1,5 %. Je pense que ça dénote l'ampleur de
la problématique, il y a vraiment quelque chose là. Et, quand on lit tous les
facteurs qui mènent à... c'est épouvantable, ce qui est écrit là-dedans. Je
pense que ça parle, ça parle en soi.
Alors,
vous avez dit une phrase tout à l'heure, puis je fais le lien avec ça, on est
dans un cercle, un genre de cercle vicieux,
on est rendus là. Il y a eu enquête, il y a eu des révélations, ça a fait
bouger les choses, mais vous dites : Si ça ne s'arrête pas
maintenant, les choses ne vont pas en s'améliorant.
Est-ce qu'on est
rendus à un point de non-retour?
Mme Cloutier (Edith) : Moi, je
pense qu'on est à une croisée des
chemins importante, historique.
Je pense qu'il ne faut pas avoir peur des mots. La juge en chef
de la Cour suprême du Canada a utilisé une tribune internationale pour parler du génocide culturel perpétré à l'encontre
des peuples autochtones. Le premier
ministre du Québec a
parlé d'un génocide culturel perpétré
à l'encontre des peuples autochtones. On a tous été secoués, autochtones, Québécois,
Québécoises, par les révélations, qui ne sont que la pointe
de l'iceberg, à travers la voix de quelques femmes courageuses qui tracent le sentier
d'espoir présentement. Et, je l'ai mentionné, ne pas agir maintenant, c'est se
rendre complice.
Le Président (M.
Picard) : Trois minutes.
Mme Roy
(Montarville) : C'est la raison pour laquelle vous êtes ici, d'ailleurs. Il faut agir. Puis on vous écoute puis on a tellement à apprendre, et je
vois aussi, en vous écoutant puis en vous lisant, qu'il y a toute cette... nous
devrions, nous, nous adapter ou comprendre
minimalement. C'est la culture, il y
a un clash de cultures ici. Alors, je pense qu'il
faut s'apprivoiser, il faut comprendre la culture de l'autre pour savoir
comment travailler ensemble, parce
qu'elle est là, la différence, elle
est vraiment à cet égard-là. Quand vous dites qu'il faut approcher la problématique
d'une façon holistique, ce n'est pas
des mots qu'on entend souvent au Parlement, ça. Alors, vous comprenez qu'il
faut vraiment qu'on s'adapte puis qu'on nous l'enseigne aussi, cette
culture, pour être capable, je pense, de trouver des solutions.
Outre
ceci, vous nous avez dit... Le terme que vous employez, le sentier de l'espoir
que ces femmes courageuses ont tracé,
quand j'ai quitté, mon collègue du gouvernement vous posait la question, à
savoir, bon, il y a d'autres femmes qui
ont dénoncé, vous disiez, davantage de femmes qui se sont mises à dénoncer des
abus provenant... qui auraient été commis
de personnes en position d'autorité. Je ne sais pas si ma collègue a élaboré,
mais a-t-on des chiffres, une idée de grandeur, combien de femmes se
sont manifestées?
Mme Sirois
(Tanya) : Non, pas pour le moment. Nous avons mis en place des plans
d'urgence dans notre structure, qui est les
centres d'amitié, mais beaucoup trop tôt pour voir l'ampleur du problème. Mais
une chose est sûre : Val-d'Or était la pointe de l'iceberg.
Et
vous disiez que vous aviez beaucoup à apprendre, justement, mais je crois que
d'avoir cette ouverture-là — et je la sens, cette ouverture-là, autour de cette
table — de
vouloir connaître, pas juste de dire : Oui, il y en a, des autochtones,
soit sur ou hors communauté... Mais je sens
vraiment que le gouvernement a une volonté de vouloir non seulement connaître
la culture, mais connaître les différentes
réalités en lien avec les autochtones dans les villes, dans notre cas. Donc,
c'est un premier pas à l'avant.
Mais, pour ce qui est
des chiffres, beaucoup trop tôt, beaucoup... Tu sais, on parlait tantôt des
logements, et tout ça. Il y a beaucoup de travail terrain. On en connaît un
peu, nous, par notre expertise, mais il y en a beaucoup à connaître. Et, avec
nos collègues de la recherche, on va continuer à démystifier beaucoup de
questions sans réponse, mais on a des bons
indices qui nous portent à croire qu'il y a beaucoup de choses à dénoncer ou à
travailler sur ces dossiers-là.
Mme Cloutier (Edith) : Peut-être juste en complément, si je peux me
permettre, de cette réponse, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le SPVM est en cours d'enquête, il y a un
numéro qui a été diffusé, leur mandat ne se limite pas qu'aux femmes de Val-d'Or ou des communautés.
Alors, ça, c'est d'autres éléments que nous, on n'a pas accès non plus.
Donc, il y a aussi le SPVM qui accueille présentement des plaintes.
Le Président (M.
Picard) : Je cède maintenant la parole à Mme la députée de
Sainte-Marie—Saint-Jacques.
Mme Massé :
Pour 3 min 30 s.
Le Président (M.
Picard) : 3 min 30 s.
Mme Massé :
Merci. Merci, mesdames, pour votre présentation. On voulait, comme commission,
que ces premiers moments de rencontre soient
des moments de formation, plusieurs questions
extrêmement pertinentes ont été posées.
Ce qui me frappe comme militante qui a milité toute sa vie et travaillé main
dans la main avec les femmes pauvres de
la société, ce qui me frappe, c'est comment, dans le fond, la pauvreté crée ces
situations intolérables. Et je pense que vous avez à plusieurs moments donnés nommé l'impact particulier que
vivent les femmes autochtones et les autochtones en général.
Moi,
j'aimerais attirer le regard sur la question du racisme systémique, parce que
je pense que j'ai été une de celles qui
disaient : Bien, avant d'aller à la rencontre des autochtones, il faut
qu'on déconstruise un certain nombre d'affaires. Dans ce sens-là, je sais qu'il y a
déjà eu des démarches, par le passé, qui ont été faites pour voir, avec le gouvernement du Québec, d'agir sur ces
questions-là. Est-ce que vous savez où on en est? Est-ce que
vous savez où on s'en va? Et en fait quelles sont vos demandes
spécifiques par rapport à ça?
Mme Cloutier (Edith) : Je ne suis pas certaine qu'on l'a nommé aussi clairement
présentement dans le système,
les systèmes gouvernementaux, de parler de facteurs systémiques qui nuisent
à la relation entre les peuples autochtones et les instances québécoises, le gouvernement, de parler de racisme systémique qui existe à
travers... Là, on parle de la justice
et de l'autorité policière. Il y a un rapport fort intéressant, fort éloquent qui
vient de l'Ouest sur la question du racisme systémique dans les réseaux de santé, une recherche extrêmement intéressante produite par une chercheure autochtone. On pourrait
parler du système de la protection de la jeunesse. J'ai déjà fait une
présentation en commission parlementaire, lorsqu'on a travaillé à l'amendement de la loi n° 125,
et on avait titré à cette époque-là même notre mémoire conjoint avec Femmes autochtones du Québec Le
système de protection de la jeunesse pour les enfants
autochtones — Est-ce qu'on répète l'histoire des pensionnats au Québec?, et je vous dirais qu'à travers l'application de cette loi on est carrément à côté, complètement à côté de, justement,
ce qu'on pourrait faire pour faire en sorte qu'on ne se retrouve pas avec des
femmes qui témoignent de leur grande
détresse et de leurs ruptures nombreuses à la télévision, dans le cadre d'une
émission, si on n'était pas en train
d'avoir ce regard beaucoup plus systémique sur le traitement, le traitement
des peuples autochtones, et ça passe à travers la façon dont on traite
les enfants de ces femmes-là dans le système.
Le Président (M.
Picard) : Merci, Mmes Cloutier et Sirois, pour votre
apport aux travaux de la commission.
Et la commission suspend ses travaux jusqu'après
les affaires courantes, c'est-à-dire vers 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 8)
(Reprise à 16 h 32)
Le Président
(M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des
relations avec les citoyens reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir
éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Nous poursuivons les consultations particulières
et auditions publiques dans le cadre du mandat d'initiative concernant les conditions de vie des femmes
autochtones en lien avec les agressions sexuelles et la violence conjugale.
Je comprends
que nous avons le consentement pour permettre au député de Masson de remplacer
la députée de Montarville pour cette partie de cette séance.
Nous
entendrons cet après-midi Mme Carole Lévesque, professeure titulaire de
l'Institut national de recherche scientifique, et Mme Michèle
Rouleau, ancienne présidente de Femmes autochtones du Québec.
Comme la
séance a commencé à 16 h 32, y a-t-il consentement pour poursuivre
nos travaux au-delà de l'heure prévue, soit jusqu'à 18 h 32?
Consentement.
Je souhaite
la bienvenue à Mme Carole Lévesque. Je vous invite à vous présenter et à
faire votre exposé. Vous disposez d'une période de 20 minutes, va
s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.
Mme Carole Lévesque
Mme Lévesque (Carole) : Merci. Merci
beaucoup de m'accueillir ici aujourd'hui. J'ai divisé mon propos en trois points. Évidemment, il y en aurait plusieurs
autres à aborder, mais, de manière un peu synthétique, j'ai cru important
de mettre en évidence ces trois aspects-là.
Le premier, c'est de s'informer sur les conditions de vie actuelles des
autochtones au Québec de manière
générale; le deuxième, c'est vraiment de s'intéresser à l'ampleur des
manifestations liées à la violence dans
les villes et dans les communautés; et le troisième point, finalement, des
pistes pour aller de l'avant avec certaines solutions, certaines idées,
certaines perspectives.
Je dois
d'abord vous dire que je suis anthropologue de formation et que je travaille
avec les communautés et les organisations autochtones depuis 1972. J'ai
vécu de très nombreuses années dans les communautés et je continue aujourd'hui
d'être très active. Évidemment, sur le plan professionnel, j'ai travaillé sur beaucoup
de thèmes, mais, ces dernières années, je me suis beaucoup intéressée à la question
des autochtones en milieu urbain. J'ai travaillé sur ces questions notamment
avec ma collègue Edith Cloutier, que vous avez entendue ce matin.
Lorsque l'on
parle de la population autochtone au Québec et qu'on essaie de voir
quels sont les points de similarité, comparaison
avec la population québécoise, on a un portrait un peu désolant. Vous savez,
le Canada se classe depuis de très nombreuses années parmi les 10 meilleurs
pays au monde en fonction des indices de développement qui sont
développés aux Nations unies. Lorsque l'on considère les populations autochtones au Québec, le score atteint est
70e rang, c'est-à-dire l'équivalent du Bangladesh.
Alors, dès
leur naissance, les autochtones, de tous âges, hein, hommes, femmes, s'exposent
à des risques nettement supérieurs
que les Québécois, les Canadiens, et ce, dans toutes les sphères de
leur vie, personnelle, familiale et sociale.
Rapidement : incidence plus élevée de
maladies chroniques et d'accidents, surpeuplement des maisons, problématiques
psychosociales majeures, consommation accrue
de drogues et d'alcool, agressions physiques et psychologiques, suicide — en hausse d'ailleurs actuellement chez les
jeunes et les femmes — séquelles des pensionnats, traumatismes intergénérationnels, fréquence très élevée du placement
d'enfant, décrochage scolaire — en hausse également — espérance de vie moindre.
De plus, les
inégalités de genre, donc entre les hommes et les femmes, exacerbées par les
violences, les agressions et les
abus, dont les femmes et les jeunes filles font les frais bien plus que les
hommes, ces violences, ces agressions sont encore plus marquées
qu'ailleurs, non seulement au Québec, mais à l'échelle du Canada.
Non seulement font-ils face à ces difficultés de
la vie, mais, lorsque les autochtones se retrouvent en ville aujourd'hui, dans les villes... Ce n'est pas rien,
quand même, cette population. Si on parle des Premières Nations, des Inuits,
de la population métisse, c'est 60 % de la population autochtone totale au
Québec qui vit dans les villes. Il y a des difficultés
supplémentaires qui s'ajoutent : accès limité aux services de santé,
services sociaux du réseau québécois — bien souvent le réseau n'est pas
capable de répondre à la pression exercée par cette présence des autochtones
dans les villes — manque de soins et de ressources appropriés,
isolement social, surreprésentation parmi la population itinérante, surreprésentation en milieu carcéral, conditions
de logement insalubres, non sécuritaires, insécurité alimentaire. Donc, de très nombreux enfants, jeunes, femmes, hommes,
aînés doivent sans cesse relever des défis importants pour répondre à
leurs besoins immédiats.
En 2013, le
rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones,
James Anaya, annonçait une crise majeure au Canada, exacerbée par le
non-respect de leurs droits, la violence envers les femmes, la faible scolarisation et le surpeuplement des maisons. La
situation mise au jour récemment à Val-d'Or et dans d'autres villes du
Québec est à l'image de cette crise qui était anticipée il y a à peine deux
ans.
Alors, pour
vous donner un aperçu de cette situation, il y a deux fois plus de familles
monoparentales dirigées par des
femmes en contexte autochtone. Les enfants de moins de 15 ans se
retrouvent sept fois plus fréquemment en famille d'accueil. Parallèlement, le taux de croissance de
la population autochtone est de quatre à cinq fois supérieur à celui de la
population québécoise.
Les femmes
autochtones sont plus nombreuses que les hommes à résider dans les villes.
Alors que dans les communautés le ratio
hommes-femmes est à peu près égal, dans les villes il y a une proportion
supérieure de femmes. La perspective
d'une vie meilleure, l'espoir de vivre dans un environnement plus sécuritaire,
donc moins violent, de donner davantage
de chances à ses enfants constitue la seconde raison, après les études, qui
explique le départ des communautés. Ce contexte particulier explique
aussi le nombre grandissant de familles monoparentales dans les villes.
• (16 h 40) •
D'un autre côté, de
manière générale, les femmes autochtones sont plus instruites que les hommes.
Elles sont également plus nombreuses que les hommes à effectuer un
retour aux études après l'âge de 30 ans, et il faut tenir compte de
ces caractéristiques-là dans l'optique de développer des moyens de prévention
dans l'avenir.
On ne sait pas, en
général, qu'il y a plus de 50 villes québécoises qui comptent une population
autochtone significative au Québec. Et pourtant très peu de services et de
ressources permettent de répondre aux besoins de ces personnes. 50 villes.
Alors,
il faut savoir que, de nos jours, la présence autochtone dans les villes n'est
pas un accident de parcours dans la
trajectoire de la vie des femmes et des hommes autochtones, elle est une
réalité incontournable et elle va en s'accroissant. Dans la même
optique, les dynamiques de mobilité entre les communautés et les villes
augmentent et se diversifient.
Le
deuxième point que je souhaite aborder concerne plus directement les manifestations de la violence, mais vous avez déjà un portrait du milieu dans lequel ces violences
se manifestent et s'expriment, et il ne faut jamais oublier ce contexte
très particulier.
Alors, la violence en
contexte autochtone, et je crois que les autres collègues, personnes qui
prendront la parole ici, dans cette commission, iront dans le même sens, cette
violence s'inscrit dans un continuum de pertes, de ruptures, de dépossessions
et d'impuissance qui s'intensifie de nos jours avec la croissance démographique
et la transformation des conditions
objectives d'existence. Monoparentalité, grossesses adolescentes, par exemple, 18 fois plus de
grossesses adolescentes de 15 ans et moins chez les femmes autochtones,
chez les jeunes filles autochtones. Il
y a au moins, sur un plan structurel, systémique, quatre types d'aliénation
dont il faut s'informer, je dirais, dont il faut
tenir compte : il y a
une aliénation territoriale avec la mise en réserve; une aliénation culturelle
avec le régime des pensionnats, l'éducation forcée; une aliénation identitaire dont les femmes ont été les premières
concernées avec les dispositions de la Loi sur les Indiens, qui les privait de leur statut lorsqu'elles épousaient un non-Indien; une aliénation politique avec l'imposition
de l'administration gouvernementale qui a mené à la sédentarisation.
Alors,
cette violence en contexte autochtone, elle a des racines profondes qui
tiennent aux systèmes et aux structures. Ça fait au moins 40 ans que les associations de femmes autochtones,
au Canada comme au Québec, dénoncent la violence perpétrée à l'encontre des femmes; il est, je crois,
temps de les écouter. Déjà en 1980, selon les statistiques de l'époque,
il était établi que l'incidence de la violence envers les femmes autochtones
était de trois à quatre fois supérieure que dans
le cas des femmes non autochtones. 35 ans plus tard, la situation
n'a pas changé, et, si elle a changé, c'est pour amener des constats sur
une incidence qui peut aller jusqu'à cinq fois et six fois.
La
violence à l'égard des femmes autochtones se caractérise par la fréquence des
agressions et leur intensité. De nombreuses
femmes sont confrontées à la violence sur une base quotidienne. Les blessures
infligées sont également plus importantes et nécessitent davantage
de soins.
Les impacts de cette violence se répercutent sur
l'organisation familiale, sur la vie de la maisonnée, sur la qualité des
relations entre parents et entre parents et enfants. Un climat de tension
existe en permanence. La grande majorité des femmes concernées par la
violence sont jeunes, elles ont entre 15 et 34 ans, et 90 % d'entre
elles ont des enfants.
Sur
un plan personnel, il existe deux formes de violence qui affectent les femmes
autochtones. Celle qui met en cause
les proches des personnes atteintes, ce qu'on appelle la violence latérale,
c'est dans l'environnement familial, dans la parenté, dans les personnes qui évoluent à l'intérieur de la maison,
dans le réseau familial que cette violence se manifeste, et il y a celle
qui met en cause non seulement des autochtones, des non-autochtones, comme on
l'a vu dans le cas de Val-d'Or. Et cette
violence qui met en cause des non-autochtones, elle se produit à la fois dans
les communautés et dans les villes.
Cependant, tous les agresseurs, quels qu'ils soient, bénéficient d'une certaine
impunité. Dans les communautés, la
loi du silence prévaut sur les dénonciations et les réactions collectives,
pourtant connues. De manière générale, on ne dénonce pas pour ne pas mettre en péril la cohésion de la communauté. À
l'extérieur des communautés, dans les villes, le racisme exacerbe les abus de pouvoir et les rapports de domination
entre hommes et femmes. La violence à l'égard des femmes autochtones, que ces dernières résident dans les villes ou
les communautés, évidemment, ne peut être isolée des conditions auxquelles je faisais référence tout à l'heure,
conditions socioéconomiques très défavorables, pauvreté, chômage
chronique, autant de conditions qui contribuent à accroître le climat de
tension déjà existant.
Mais,
la violence, quand on parle de la violence en contexte autochtone, on a souvent
tendance à penser que c'est une
affaire de femmes. La violence ne concerne pas que les femmes. Elles en sont
les victimes bien souvent, bien sûr. Ce
n'est pas un problème de femmes, c'est une affaire de société. En conséquence,
un nouveau projet de société serait à définir et à mettre en oeuvre.
Une
campagne de sensibilisation mise de l'avant par Femmes autochtones du Québec en
1987 — ce n'est
pas hier — avait commencé à donner des résultats
encourageants à l'échelle des communautés autochtones au moins jusqu'au début des années 90. Cette campagne de
sensibilisation avait été organisée alors que Michèle Rouleau était présidente
de Femmes autochtones du Québec. Faute de ressources financières, les efforts
n'ont pu être poursuivis, et pourtant il y avait déjà des manifestations
positives à cette époque.
Alors, de
nombreuses initiatives destinées à diminuer l'incidence de violence ou de
soutenir les victimes ont vu le jour
au cours des deux dernières décennies, des maisons d'hébergement ont été
instaurées dans plusieurs villes à l'instigation de groupes de femmes et aussi de
Femmes autochtones du Québec. Toutefois, dans tous les cas, le déploiement
de ces initiatives, donc leur potentiel pour
donner des résultats positifs et changer des comportements ou des pratiques,
ce déploiement est sans cesse freiné par le manque de moyens financiers
adéquats mais aussi récurrents, la difficulté à assurer une continuité dans les services offerts, le peu d'occasions de
revoir et de renouveler les pratiques et la lourdeur des pratiques,
auxquels le personnel est souvent sans moyens pour poursuivre le travail
commencé.
• (16 h 50) •
Alors, face à tout
ça, on peut sans doute se poser la question : Mais qu'est-ce qui fait que,
dans l'histoire, la violence s'est ainsi installée en contexte autochtone?
Alors,
à l'époque traditionnelle, mais dans certains cas «traditionnelle» veut dire il
y a 40 ans, il y a 50 ans, la survie et la reproduction des groupes sociaux reposait sur l'existence
de mécanismes de régulation sociale auxquels les membres du groupe adhéraient. Ces mécanismes ou pratiques permettaient
d'intervenir lorsqu'il y avait des difficultés, des dissensions. C'est
des pratiques, des mécanismes qui reposaient sur des valeurs et des principes
qui favorisaient l'entraide, le partage, la
cohésion, de préférence à l'individualisme ou à la compétition. Ces valeurs,
ces principes étaient transmis d'une génération à l'autre, ils étaient
valorisés à travers les obligations et les responsabilités quotidiennes et
saisonnières.
La
mise en réserves, l'épisode des pensionnats indiens, la sédentarisation ont
profondément modifié l'ordre des choses,
ont coupé les filières de transmission et ont érodé les pratiques qui
favorisaient l'équilibre des groupes de même que les modes d'interaction et de collaboration qui présidaient aux
relations entre les groupes au sein d'une même bande, mais les principes fondateurs, l'essence même des
règles qui régissaient le vivre-ensemble et favorisaient la cohésion sociale
existent toujours. Il devient essentiel de les régénérer, en tenant compte toutefois des impératifs de
la vie moderne et des enjeux de la
société contemporaine. Les mesures,
ressources, pratiques à déployer à partir de maintenant, et je dis bien à partir de maintenant, pas dans un an, pas dans deux ans, pas dans cinq
ans, à partir de maintenant, doivent s'inspirer de ces valeurs, de ces principes, sur lesquels ont
peut aujourd'hui construire. Ce que je propose, tout en étant
quelqu'un de l'extérieur des communautés mais qui a quand même beaucoup
travaillé dans les communautés : Je crois qu'il serait important
de créer des chaînes de protection pour les femmes autochtones et les enfants, des
alliances de protection qui déborderaient le cadre communautaire.
Aujourd'hui, ce qu'on
constate, c'est que les communautés autochtones sont atomisées, c'est-à-dire
qu'elles fonctionnent presque en vase clos, et ça ne favorise pas les actions
concertées. Et en plus cette atomisation contribue à neutraliser les efforts des intervenants, des intervenantes surtout,
qui se retrouvent isolés et diminués devant de si lourdes problématiques.
Il importe aujourd'hui d'identifier, et ça doit être identifié par les
autochtones eux-mêmes, par leurs leaders,
les vecteurs de la vie communautaire qui permettraient de transformer la
réalité de la violence et mobiliser les savoirs et les pratiques sur
lesquels il faudrait s'appuyer.
Il
faudrait aussi reconnaître et respecter l'expertise de Femmes autochtones du
Québec en matière de violence faite
aux femmes et aux enfants et créer les conditions financières, matérielles et
organisationnelles pour que cette expertise soit mise au service des communautés et de la population autochtone en général,
ce qui veut dire aussi dans les villes. Il faudrait étendre et diversifier le réseau des maisons d'hébergement pour
femmes autochtones et fournir à Femmes autochtones
du Québec les moyens récurrents et suffisants pour remplir son mandat à long
terme à cet égard. Il y a une quinzaine
de maisons d'hébergement au Québec pour femmes autochtones, je crois qu'il
faudrait qu'il y en ait déjà demain 30 au minimum.
Il
faut évidemment soutenir les initiatives locales et communautaires en matière
de lutte à la violence par une plus grande implication des leaders
masculins et des conseils de bande au sein d'initiatives orchestrées par les
femmes, favoriser, par exemple, l'adhésion à
une déclaration d'engagement autochtone citoyen contre la violence dans toutes
les communautés et les villes. Il
faut former de nouvelles cohortes d'intervenantes autochtones en développant
une formation sur mesure et continue qui repose autant sur la prévention
que sur l'accompagnement et l'intervention.
Il
faut mettre de l'avant une réelle culture de prévention au sein des communautés
et des villes. Pour l'heure, la plupart
des mesures mises en place au regard de la violence ciblent plutôt les
symptômes et les situations conjoncturelles. Une culture de prévention agit en amont des situations et constitue un
filet de protection et de sécurité. Une culture de prévention est à
construire.
Il
faut également accroître la participation des femmes autochtones à la prise de
décision en matière de violence latérale
et communautaire, et ce, à toutes les échelles de gouvernance. Il faut
promouvoir la mise en oeuvre de démarches de sécurisation culturelle, en d'autres mots créer des environnements
sécuritaires sur le plan sanitaire, éducatif, social et culturel et
propices au plein épanouissement des individus de tous âges, à la fois dans les
villes et les communautés.
Et il faut finalement
s'inspirer des actions mises de l'avant au sein du Regroupement des centres
d'amitié autochtones du Québec et des différents centres d'amitié établis dans la
province en matière de compétences et de sécurisation
culturelles. La présence permanente ou temporaire d'une population autochtone
grandissante dans les villes vient
transformer les dynamiques relationnelles et collectives de toutes les
générations et engendre une nouvelle gamme de besoins inédits. Je vous
remercie.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Lévesque. Nous allons
entreprendre les discussions avec les parlementaires du côté de la
partie gouvernementale. Mme la députée de Crémazie.
Mme
Montpetit : Oui, je vous remercie. Bonjour, Mme Lévesque, et
bienvenue. C'est un privilège pour les membres
de cette commission de vous recevoir aujourd'hui, puis on vous remercie, je pense que mes
collègues se joignent à moi également
pour vous remercier de prendre de votre temps pour venir nous partager votre
expertise indéniable, quand on regarde la carrière exceptionnelle que
vous avez sur le dossier des populations autochtones.
Et
on s'excuse également, là, du retard, hein? Vous savez, les travaux parlementaires... C'est une journée un peu exceptionnelle aujourd'hui, et c'est pour ça qu'on
vous laissait le plus de temps. Et je vais faire mes questions très courtes
parce que je veux vous laisser le maximum de
temps, justement, pour pouvoir continuer, si vous aviez d'autre chose à dire.
Je vous cite, puis je ne veux pas mal vous
citer, mais vous disiez que, dans les communautés autochtones, les populations
autochtones ne dénoncent pas pour ne pas mettre en péril la cohésion du groupe,
là, de la communauté. Comment on peut
favoriser, justement, un contexte qui va mettre les conditions en place
pour favoriser, justement, cette dénonciation-là?
C'est une question vaste, là, je le conçois, là, mais, si vous pouvez alimenter
un peu notre réflexion à ce sujet-là, ce serait bien apprécié.
Mme
Lévesque (Carole) : Oui. Je
crois qu'on ne peut pas mettre de l'extérieur ces conditions propices, je crois
que ça ne peut venir que de l'intérieur. Il y a de la violence dans les
communautés, elle est régulière, j'aurais presque tendance à dire qu'elle est en hausse, et la balle est dans le camp des
communautés à ce niveau-là. Et c'est vrai, les femmes le disent entre elles, c'est connu : Entre
dénoncer... Et, vous savez, dans une communauté, même s'il y a
5 000 personnes, ça reste un univers assez fermé, d'une certaine
manière, dans le sens où tout le monde connaît tout le monde. Vous ne
pouvez pas gérer des situations de violence comme si c'était une ville de
2 millions d'habitants, où l'agresseur et la personne agressée peuvent être séparés et même évoluer dans la même
ville mais sans jamais se rencontrer, il faut réfléchir à des modes
différents de... je ne dirais pas «gérer», mais des modes différents de
transformation des relations entre les hommes
et les femmes. Il faut non seulement qu'il y ait davantage de femmes qui
puissent prendre la parole et participer aux instances de gouvernance, il faut, je crois, une espèce de
mobilisation communautaire, et ça ne peut venir que de l'intérieur.
Mais, quand je dis que ça ne peut venir que de
l'intérieur, je ne parle pas nécessairement de la communauté, j'entends : Ça ne peut venir que de
l'intérieur du monde autochtone. Les conditions propices, on peut les soutenir,
on peut les favoriser lorsqu'elles
sont définies, lorsqu'elles sont identifiées, mais je suis persuadée que les
décisions doivent être prises par les autochtones eux-mêmes.
Le Président (M. Picard) :
Mme la députée de Crémazie.
Mme Montpetit : Je vous remercie.
Oui, on constate que c'est complexe, hein?
Mme Lévesque (Carole) : Très
complexe.
Mme
Montpetit : Et comme l'ensemble du dossier. Et, pour parler peut-être
davantage en amont... Puis, encore là, je
fais ma question très, très courte, là, pour vous permettre de développer, mais
c'est très large aussi, là, donc vous faites ce que vous pouvez comme réponse. On essaie aujourd'hui, évidemment,
avec les rencontres qu'on fait, de bonifier le plan en matière d'agression sexuelle. Et, spécifiquement sur les moyens
de prévention qui pourraient être mis en place pour le futur, parce que, comme vous le dites, bon, c'est une situation
qui n'est pas nouvelle non plus, et on cherche à la résoudre, est-ce que
vous avez des pistes de solution qui pourraient nous alimenter aussi à cet
effet-là, donc en amont vraiment du problème?
• (17 heures) •
Mme Lévesque (Carole) : Je parlais tout
à l'heure de cette culture de prévention qui n'est pas vraiment là, c'est-à-dire que les problèmes sont tellement intenses et quotidiens qu'on est dans
l'intervention de manière continue. On n'a pas le temps, je crois, parce
qu'il manque de moyens, parce qu'il manque de ressources, parce qu'il manque d'intervenants, d'intervenantes, on n'a pas le
temps de développer une réelle culture de prévention. Je ne parle pas seulement de moyens de
prévention ou de mécanismes, je parle d'une culture, c'est-à-dire quelque chose qui va justement prendre sa
source dans ces valeurs, ces principes qui existent et qu'il faut non pas reconstruire,
rebâtir mais régénérer, dans le sens où ils sont là, ces valeurs, ces
principes, on peut s'en inspirer.
Cette
démarche dont je parlais tout à
l'heure, la démarche de sécurisation
culturelle, c'est quelque chose qui est très
peu connu au Québec pour l'instant
mais qui est beaucoup plus connu au Canada anglais, en Australie, en Nouvelle-Zélande, des pays... partout où il y a
d'importantes populations autochtones. Cette démarche de sécurisation culturelle, «cultural safety» en anglais, contient
des éléments pour intégrer, justement, ou définir cette culture de prévention.
La culture de prévention ne va pas permettre
de répondre à toutes les situations de violence, mais elle peut contribuer à
construire des environnements à travers la
collaboration, des environnements qui seraient plus favorables. Vous parliez
de conditions propices tout à l'heure. Avant
de parler de conditions propices, je crois qu'il faut créer des environnements
propices, des environnements sécurisants.
Cette
sécurité dont on parle, ce n'est pas une sécurité dans le sens juridique du
terme, hein? Au Canada anglais, on a
adopté... ou du moins à Ottawa, là, on a adopté, il y a quelques mois à peine,
un plan d'action pour lutter contre la violence
faite aux femmes autochtones, il n'y avait pas de contribution du Québec dans
ce plan-là. Et ce qu'on observe, c'est qu'on met l'accent sur les
agresseurs et on veut s'assurer que les agresseurs soit sont punis, entre
guillemets, subissent des peines, des
amendes, sont mis en prison, mais, quand on fait ça, on nourrit la machine qui
est déjà là. Alors, avec une approche
un peu plus large, plus intégrée, qui permet en même temps que de répondre aux
demandes immédiates, hein...
Lorsqu'une femme est en situation de violence, ce n'est pas le temps de faire
l'examen de l'histoire, et du passé, et
de demain et aujourd'hui qu'est-ce qu'on va faire, c'est le temps de répondre.
Et les moyens sont si rares que, oui, on peut parfois répondre, mais on n'a pas le temps de dégager une réflexion
collective qui permettrait justement d'assurer ces filets de protection, ces chaînes de collaboration autour des
femmes. De quelle façon le faire? Je crois qu'il faut faire l'exercice, mais je crois qu'on est rendus là, au
Québec, et qu'il y a des moyens pour faire ça, des moyens basés justement sur ces savoirs, ces valeurs, ces pratiques, qui
existent toujours mais qui sont, je dirais, recouverts par cette gamme de
problèmes, de problématiques auxquelles il faut faire face.
On ne
pourrait pas non plus dire : Occupons-nous de la violence et laissons
faire les problèmes de logement, laissons faire les problèmes de
chômage, on ne peut pas. À l'échelle gouvernementale, je crois qu'il faut
quelque chose de beaucoup plus intégré; non
pas attendre d'avoir tout réglé ces problématiques pour parler de la violence,
mais bien de parler et de réfléchir
aux situations de violence en même temps qu'on fait d'autre chose, que le
travail se fait à d'autres niveaux, et non pas un petit morceau de
violence, un petit morceau de ceci, un petit morceau de ça.
Le problème,
peut-être, par le passé, ça a été soit qu'on s'occupe de la violence seulement,
sans tenir compte des autres problématiques, soit qu'on s'occupe des
autres problématiques et on se dit : Bien, ça va avoir un impact sur la violence. Je crois qu'on est rendus à un stade où
passer par des détours pour tenter de régler des situations de violence peut amener encore plus de violence, je crois
qu'on est rendus à une étape... Parce que les situations de violence, elles
augmentent. Les problèmes sociaux, dans les
communautés autochtones, augmentent depuis moins de 10 ans. On pourrait penser, avec les investissements des gouvernements, que quelque chose commence à se passer. Non,
c'est le contraire, c'est le
contraire, parce que je crois que les politiques, les mesures mises
en place sont trop calquées sur ce qu'on fait dans notre propre société.
Ces mesures, ces politiques doivent être définies à partir des principes, des
valeurs, des règles éthiques, des mécanismes
qui pouvaient exister, qui sont disparus, d'une certaine façon, c'est-à-dire que ces mécanismes de
régulation sociale n'avaient plus le contexte pour donner des résultats
positifs. Tant qu'on va développer des réponses qui sont calquées sur nos façons
de faire, on va se retrouver en
porte-à-faux. Et je crois que cette hausse que l'on remarque dans plein
de sphères de la société maintenant depuis une dizaine d'années, hausse du
décrochage scolaire, hausse du placement
d'enfant, des signalements, hausse du chômage, tout ça est l'expression, je
crois, du besoin de reprendre les politiques publiques, les programmes et de les
définir de l'intérieur.
Mme Montpetit : Je vous remercie. À
ce stade-ci, je laisserais la parole à mon collègue le député d'Ungava.
Le Président (M. Picard) : M.
le député d'Ungava.
M.
Boucher : Merci beaucoup,
M. le Président. Bonjour, Mme Lévesque. Bienvenue à l'Assemblée nationale.
Écoutez,
j'entends vos propos, puis c'est fort intéressant. Vous parliez... Woups! Un petit retour de son.
Alors, c'était fort intéressant comme je vous entendais parler, bon, de votre
expérience, votre vécu au sein des communautés autochtones.
Votre
expérience, bon, au sein des communautés, combien d'années que vous avez vécu sur
des communautés? Juste circonscrire ça un petit peu, là.
Mme Lévesque (Carole) : Au total,
cinq années, à peu près.
M.
Boucher : O.K.,
cinq années. Et puis c'est ça, c'est sûr que, du côté autochtone, souvent, bon...
Vous parliez des autochtones en
milieu urbain. Souvent, bon, des gens, souvent des femmes aussi idéalisent un
peu peut-être la ville en
disant : Bien là, écoutez, je
vais quitter mon milieu, je vais quitter... je vais abandonner mes problèmes,
peut-être un conjoint violent, je
vais me retrouver en ville, me trouver un emploi, je vais avoir une belle
petite maison ou un appartement, mes
enfants vont aller à l'école, puis on idéalise ça, souvent, et puis la réalité
de la ville est souvent aussi terrible, sinon plus que la réalité du milieu autochtone. Et puis souvent, bien, on sait
que, dans le milieu des itinérants à Montréal, il y a un fort pourcentage de ces gens-là qui sont issus
des Premières Nations. J'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu
là-dessus, sur votre expérience puis ce que vous en savez.
• (17 h 10) •
Mme
Lévesque (Carole) : Oui.
Dans le cas de... Les derniers mots que vous avez dits, une part importante de
personnes autochtones parmi la population itinérante à Montréal, une part
importante d'Inuits aussi qui se retrouvent à
Montréal en situation d'itinérance. Ce sont des problématiques relativement
différentes de celles des Premières Nations. Donc, on dit «autochtones»
de manière globale, mais il y a des différences importantes.
C'est vrai
que souvent, lorsque l'on quitte sa communauté, lorsque ce n'est pas pour les
études, on pense améliorer ses
conditions de vie. Ça arrive, mais, pour une majorité de gens, peut-être même
la moitié, ça ne se produit pas comme ça, on fait face à encore plus de
problématiques dans les villes, difficultés à se loger...
Et ce qu'on
remarque, c'est que les personnes quittent la communauté sans connaître la
ville, et je crois qu'il est temps, dans les communautés, d'envisager la
ville non pas comme l'opposé de la communauté mais bien comme un prolongement. Il y a suffisamment... la population
autochtone est suffisante en ville pour que ce ne soit pas, comme je
disais, un accident de parcours, c'est une réalité qui est incontournable.
Maintenant, je me rappelle, il y a 20 ans, je parlais
avec Marcelline Kanapé, une grande dame innue qui a été dans le milieu de l'éducation, et son projet à
l'époque, elle a été chef de sa communauté à Pessamit, elle disait : Mon
grand rêve serait de préparer les
étudiants à aller étudier à
l'extérieur, les préparer à ce que
c'est que vivre dans une grande ville. Et parfois, au début, c'était Sept-Îles,
hein, on n'était pas rendu à Québec, Montréal, mais elle était préoccupée par
la nécessité de s'instruire de la ville avant d'y arriver.
On a longtemps
vu les communautés comme étant le milieu à l'intérieur duquel
grandissaient, s'épanouissaient et
évoluaient les Premières Nations, les Inuits, mais, dans cette optique-là, tout
ce qui concernait la ville, dans laquelle se retrouvaient notamment des femmes qui avaient perdu leur statut, des
femmes dont les dispositions de la Loi sur les Indiens avaient amené une sortie de la communauté, on voyait la ville
comme étant le lieu où on perdait sa culture, le lieu où on perdait ses valeurs,
on était dans un monde de Blancs. On est en 2015, et la réalité est tout autre.
Vous voyez, avec les mouvements
d'affirmation citoyenne, que ce soient ceux qui sont développés à l'intérieur d'Idle No More, la prise de
parole citoyenne des autochtones, le mouvement des centres
d'amitié, qui contribuent à créer une société civile autochtone,
on n'est plus dans cette logique où la ville est l'envers de la communauté et
où la communauté est l'envers de la ville. Il y a un arrimage qui doit
être fait et qui devrait permettre...
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît.
Mme
Lévesque (Carole) : ...qui
devrait permettre aux gens, lorsqu'ils arrivent en ville, de savoir un peu ce qui
va se passer.
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier : Merci, M. le
Président. Bonjour, Mme Lévesque. Merci d'être là.
Vous savez
que cette première partie de notre commission est pour que l'on apprenne, que l'on... on est en
mode vraiment apprentissage. Ce matin, Edith Cloutier nous a
dit qu'il fallait une approche holistique; vous, vous nous dites une
démarche de sécurisation culturelle. Entre ces deux approches, qu'est-ce qu'on
fait?
Mme
Lévesque (Carole) : En fait,
c'est la même approche, elle est appelée différemment. Permettez-moi
d'être professeur. Donc, je parle de
sécurisation culturelle. Holistique, du côté autochtone, ça signifie une
approche intégrée qui s'adresse à la
fois à l'individu mais aussi à la collectivité. La sécurisation culturelle est
basée justement sur une sécurité collective et non pas seulement
une sécurité personnelle. C'est l'avantage de ces démarches, disons, intégrées,
et les deux termes sont finalement très complémentaires et signifient souvent
la même chose.
Mme Poirier : Selon vous, la
Loi sur les Indiens actuelle, est-ce qu'elle brime les femmes?
Mme
Lévesque (Carole) : Oui,
d'une certaine façon. Même s'il y a eu des amendements aux clauses discriminatoires
de la Loi sur les Indiens, il continue d'y avoir des difficultés dans la
reconnaissance du statut.
Mais cette
loi, qui est quand même une loi coloniale, hein, il ne faut pas se le
cacher, est toujours basée sur un système patrilinéaire,
patriarcal, patrilocal, dans le sens où, si vous mariez un non-autochtone, vous
quittez... Donc, l'autochtone, l'Indien
inscrit, comme on disait, reste sur place, donc ça amène, au niveau des mariages et de la résidence, des choix.
Dans un
système patriarcal, avec les conseils de bande, qui sont issus de la Loi sur
les Indiens, on a peu de place pour les femmes. Elles ont gagné, après
de longues batailles, elles ont gagné une place, mais je crois que ce n'est pas
suffisant. Ça fait 50 ans que les
femmes autochtones au Québec se battent
pour être reconnues et que l'on respecte aussi leur savoir, leurs expertises. Elles sont connues pour des batailles au niveau du statut et de l'identité, mais ça veut
dire aussi dans l'éducation. La
parole des femmes, les savoirs des femmes sont importants. Sur le territoire,
on ne parle jamais des liens. En
matière de développement durable, par exemple, on ne parle jamais des liens de
femmes avec le territoire. Le système actuel ne permet pas facilement
d'écouter les femmes.
Mme
Poirier : Entre autres, une des pistes de solution que vous
avancez, là, c'est de soutenir les initiatives locales et communautaires en matière de lutte à la
violence par une plus grande implication des leaders masculins des conseils
de bande au sein d'initiatives orchestrées par les femmes.
Mme Lévesque (Carole) : Oui, les
femmes.
Mme
Poirier : Alors, on sait que les conseils de bande sont à forte
majorité masculine. Donc, comment vous voyez cet arrimage-là d'un «empowerment» par les femmes mais à l'intérieur
d'un conseil de bande gouverné par des hommes?
Mme
Lévesque (Carole) : C'est
pour ça que je crois qu'il est important que les femmes de chacune des
communautés ne soient pas isolées. Je ne sais pas quelle organisation...
en fait quelle culture organisationnelle il faut développer, mais les femmes, lorsqu'elles se retrouvent, à l'intérieur des
communautés, à l'intérieur aussi de conseils de bande majoritairement masculins sont vites démunies. Est-ce qu'il est
possible de créer — et il
faudrait poser la question aux autochtones eux-mêmes — des
formules qui protégeraient les femmes lorsqu'elles tentent d'agir à l'intérieur
des communautés?
Vous savez...
Vous dites : Il n'y a pas beaucoup de femmes qui font partie des conseils
de bande. C'est encore drôle, il y a
40 % des conseillers du conseil de bande qui sont des femmes maintenant.
Et, selon mes informations, il n'y a que
37 % de députées femmes à l'Assemblée nationale. Donc, si on veut
comparer, il y a quand même des efforts qui sont faits de ce côté-là. Ce ne sont pas encore des postes de chef. Il y a eu
quelques femmes qui ont été chefs, mais il faudrait qu'il y en ait
davantage.
Donc, des structures, des pistes qui
permettraient aux femmes, dans les communautés, de ne pas être isolées.
Mme
Poirier : ...même avec mes collègues, nous sommes toutes
d'accord que 27 % de femmes à l'Assemblée nationale, ce n'est pas
assez.
Mme
Lévesque (Carole) : 37 %, ce n'est pas assez.
Mme Poirier :
On est 27 %, on est 27 %.
Mme Lévesque
(Carole) : C'est 27 %? Ah bon! Bien, c'est...
Mme Poirier :
Oui, oui, on a reculé. On a reculé, on est à 27 %.
Mme Lévesque
(Carole) : Je n'ai pas les dernières statistiques.
Mme Poirier :
Alors, vous voyez comment c'est. On n'a pas avancé, on a reculé.
Vous
nous parlez, entre autres, de la culture de prévention. Cette culture de
prévention là, moi, je fais un lien avec un des premiers points que vous avez soulignés, qui est le fait du
manque de ressources en santé et services sociaux, mais surtout vous dites que le réseau n'est pas capable
de répondre aux besoins mais tout particulièrement aux 60 %, dans le
fond, de la population qui est...
Mme Lévesque
(Carole) : Dans les villes.
Mme
Poirier : ...qui est dans les villes. Alors donc, le système de
santé que l'on a, est-ce qu'il répond mal aux autochtones qui vivent en
ville ou il répond mal, point?
• (17 h 20) •
Mme Lévesque (Carole) : Je ne dirais pas qu'il répond mal, je dirais
qu'il est dépassé. Je dirais aussi, ce que je constate des acteurs du réseau de santé et services sociaux québécois,
c'est souvent une impuissance, manque d'information, bien sûr, mais une impuissance, en disant :
Mais qu'est-ce qu'on pourrait faire? C'est plus de cet ordre que d'une question
de mal ou pas.
Mais,
avec une croissance importante de la population autochtone dans les villes, qui
échappe aux possibilités de recevoir
des services de la part des conseils de bande, puisqu'on est dans un autre type
de territoire, la responsabilité populationnelle qui est au
coeur des initiatives en santé et services
sociaux au Québec,
je crois qu'elle doit être repensée.
Mais
c'est plus une impuissance. Je rencontre souvent des gens dans les ministères,
et ce que je constate, ce n'est pas
le manque de volonté, c'est l'impuissance, parce que, dès qu'on explique
qu'on est face à des modes d'être différents, que ce sont des valeurs différentes... Lorsqu'on a comme réflexe de
fonctionner avec nos propres valeurs, bien on ne sait pas comment faire.
Et c'est là que l'input des autochtones eux-mêmes qui sont les personnes qui
sont impliquées en intervention, qui ont une
grande expérience dans les communautés ou dans les villes, peut avoir un impact
pour aider à revoir les politiques.
Alors,
ce n'est pas mal ou bien, ce n'est pas comme ça que je le vois, c'est une
impuissance, parce que la réalité des autochtones dans les villes, c'est relativement nouveau, on ne s'en préoccupait pas. Il y a des questions
de juridiction aussi, hein, entre le
fédéral, le provincial. Mais je crois qu'aujourd'hui, avec toutes les
possibilités qu'offrent les nouveaux modes de gouvernance, il y aurait
moyen de répondre davantage à cette obligation populationnelle du gouvernement.
Mme Poirier :
Mais, quand vous nous parlez de culture de prévention... Parce que, pour moi, il
y a quelque chose là, il y a
une résolution à l'énigme, là. Avoir du personnel mieux préparé à répondre mais
à partir des valeurs de la communauté, c'est, pour vous, une façon
d'avoir une culture de prévention?
Mme Lévesque (Carole) : Oui, mais c'est aussi un moyen... S'il y a plus d'intervenants, ou plus de
ressources, ou plus de moyens de
différents ordres, c'est aussi la possibilité de ne pas toujours être à la
course après les problèmes, c'est une
possibilité de cesser de jouer aux pompiers, finalement, parce qu'il y a un feu
à éteindre. Vous savez, dans un centre
d'amitié ou dans une communauté, les problèmes sont parfois si lourds,
l'intensité des problèmes est telle que c'est un travail quotidien
incessant, et vous avez des personnes qui interviennent, des travailleurs de
rue, des travailleurs communautaires,
différentes catégories d'intervenants qui peuvent très vite s'épuiser parce que
c'est lourd. Alors, il faut, dans cette culture de prévention, prévenir
aussi ces roulements de personnel, ces épuisements professionnels, il faut redéfinir ces choses. Et une culture de prévention,
ça veut dire qu'on va penser au départ à prévenir les problèmes qui
pourraient surgir demain, les situations qui pourraient permettre de pallier au
départ à certaines difficultés.
Le Président (M.
Picard) : Merci, Mme Lévesque. Je cède maintenant la parole à
M. le député de Masson.
M.
Lemay : Merci, M. le Président. Merci, Mme Lévesque, d'être ici avec nous.
Vous avez plus de 40 ans auprès des
communautés autochtones, c'est quand
même assez exceptionnel. Donc, vous
avez développé toute une expertise.
Et
puis la députée de Crémazie l'a mentionné tout à l'heure, mais moi, je
veux juste revenir sur un petit passage que vous avez... le même
passage qu'elle a ciblé, là, tu sais, on ne dénonce pas pour ne pas mettre en
péril la cohésion de la communauté.
Puis, vous savez, ma réflexion, c'est : Mais comment... qu'est-ce qu'on
peut faire de différent pour obtenir
des résultats différents?, parce que, si on essaie toujours
de faire les mêmes choses, on ne peut pas espérer d'avoir
des changements.
Donc, avec
votre expertise, là, dans les solutions que vous apportez, là, dans la dernière
page de votre mémoire, est-ce que ce sont des solutions qui ont déjà été
testées sur le terrain ou c'est des nouvelles solutions qui n'ont jamais été
mises en application?
Mme
Lévesque (Carole) : En fait,
ce n'est pas tant des solutions que des pistes à explorer, je crois, mais ce
sont... toutes ces possibilités-là ont été identifiées à un moment ou à un autre par des personnes avec
lesquelles je travaille, par des situations que j'ai observées. Je crois
que ça peut être indicateur de pistes à suivre, mais c'est mon point de vue.
Néanmoins, ce
besoin d'aller chercher dans la culture autochtone même, les cultures autochtones,
je devrais dire, des savoirs, des
principes de vie qui permettraient d'éclairer différemment les situations, je
crois qu'il faut se donner le temps
d'identifier ces piliers, je dirais, de la transformation sociale, je les
appelle comme ça, ce sont des piliers du changement social, qui dans
certains cas est commencé. Il y a beaucoup d'initiatives qui ont été prises
dans des communautés à l'égard de la
violence, pour le placement d'enfant. Il
y a des initiatives, on ne les
connaît pas, il y en a plus qu'on
pense, mais toutes font face à des difficultés de suivi, de continuité. Si on avait même une
cartographie de ces initiatives, on
pourrait être surpris, mais, comme c'est souvent isolé, hein, c'est éparpillé
sur le territoire, l'information
ne circule pas suffisamment, bien on a l'impression qu'il ne se fait rien. Mais, non, il se fait
des choses. Et, dans les choses qui
se font, dans les initiatives qui sont prises, à différentes échelles, parfois
très petites, il y a là des pistes pour identifier ce que
madame disait tout à l'heure sur les conditions propices. Elles sont là, il
faut les faire apparaître.
M.
Lemay : À ce moment-là... Demain, on va avoir un rapport qui va être
déposé par la ministre de la Famille concernant
la lutte à l'intimidation dont le ministre des Affaires autochtones a participé
aussi, il y avait un volet sur la situation
des autochtones au Québec. Donc, ça, ce que je comprends, par rapport à votre
réponse, c'est que ça prend une mesure concertée équivalente, égale en
même temps sur l'ensemble du territoire, et non des mesures isolées, pour parvenir à solutionner une fois pour toutes la
situation? Est-ce que c'est ça que vous voulez nous dire, dans le fond, que
les mesures isolées sont présentes mais pas
suffisantes parce que ça reste... c'est isolé dans une communauté à un moment
donné, alors que, si on y va de façon générale et globale, on aurait des
meilleures chances de succès?
Mme
Lévesque (Carole) : Pas tout
à fait, peut-être que je me suis mal exprimée là-dessus. Ce que je propose,
d'une certaine façon, c'est que ces mesures
isolées, justement, ces initiatives, hein, qui sont nombreuses quand même,
puissent se référer à quelque chose qui
serait commun mais à une échelle... pas d'imposer une formule à tout le monde,
mais... Si on est dans une approche
holistique, comme madame disait tout à l'heure, ou de sécurisation culturelle,
voilà un moteur qui peut être partagé
par tous, mais chacune des Premières Nations pourra définir à l'intérieur de ça
ses propres initiatives selon, d'abord, sa situation géographique, sa
culture interne.
Mais, si les
valeurs, les principes pouvaient être partagés différemment... Actuellement, ce
n'est pas le cas. Et on essaie, hein?
Ce que fait Femmes autochtones du Québec, c'est vraiment à l'échelle de la
province, essayer de trouver des
vecteurs qui seraient communs à tous, mais chacun, chaque groupe, chaque
initiative peut s'y référer. C'est beaucoup plus d'appartenir à quelque chose qui est commun que de développer une
approche qui serait collective. C'est de créer l'appartenance à une orientation beaucoup plus que de développer une
politique qui s'appliquerait mur à mur à tout le monde.
M. Lemay : Merci. M. le Président,
il me reste combien de temps?
• (17 h 30) •
Le Président (M. Picard) :
1 min 30 s.
M.
Lemay :
1 min 30 s. Vous savez, vous vantez beaucoup
les mérites de Femmes autochtones du
Québec. On va les entendre après vous. Donc, on a bien hâte de les
entendre.
Je vais
revenir à vos principes fondateurs, parce que vous l'avez mentionné dans votre
réponse, puis justement vous l'avez
mentionné à la page 6 de votre mémoire, là, tu sais, que les principes
fondateurs, c'est «l'essence même des règles
qui régissaient le vivre-ensemble et favorisaient la cohésion sociale». Puis
ces principes-là existent toujours, puis c'est vrai, parce que, pour avoir
discuté avec plusieurs communautés, effectivement, c'est des beaux principes. Donc, vous
dites : Basé là-dessus, dans
le fond, c'est là qu'on doit baser
pour fonder l'espoir, pour mettre en place nos solutions.
Mme Lévesque (Carole) : Oui, il faut
se baser sur ces piliers. Mais maintenant ça prend des moyens et des ressources
pour que ces piliers-là puissent se déployer à leur juste valeur.
M. Lemay : Merci beaucoup.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques pour trois minutes.
Mme
Massé : Merci, M. le Président. Bon... Bonsoir, je pense, madame. Merci pour
votre présentation et en fait l'ensemble du regard que vous portez sur
l'expérience de cohabitation, je dirais, pas seulement de...
J'avais
quelques questions, plusieurs ont déjà été posées, notamment sur la question
de mobilisation des leaders, et
ensuite une question au
niveau de... il ne faut pas que les
femmes soient isolées. Alors, sur la mobilisation des leaders, vous avez déjà... mais, si vous aviez d'autre chose à nous dire,
parce qu'eux autres aussi, et femmes et hommes, on va les rencontrer la semaine prochaine. Et, sur la question
que les femmes ne soient pas isolées, je me disais, c'est ça, il y a FAQ, il y a Femmes autochtones du Québec
qui a un réseau, qui a depuis, je
pense, 42 ans maintenant
ce réseau-là, il y a le réseau des
femmes élues qu'on a rencontré ici même, à l'Assemblée nationale, l'an
dernier, on a créé des liens, le réseau de maisons d'hébergement pour femmes autochtones, le réseau des centres
d'amitié autochtones, alors j'imagine que vous référiez peut-être à
autre chose quand vous disiez qu'il ne faut pas que les femmes restent isolées
chacune dans les 52 communautés.
Mme Lévesque (Carole) : J'aime bien le terme «cohabitation» parce que,
au-delà des communautés, ce qui se passe dans les villes, c'est aussi la rencontre de citoyens
différents, hein? Il y a une société civile autochtone, mais il y a une société
civile québécoise, et elles ne doivent pas être mélangées dans le sens où une
absorberait l'autre.
Mais,
pour revenir à Femmes autochtones du Québec,
bien sûr, Femmes autochtones du Québec, qui est une des plus anciennes associations de femmes au Québec, d'ailleurs, toutes origines confondues, peut à
peine, dans une année, faire le tour
de la province. Donc, oui, il y a des possibilités mais, encore là, des
coupures, manque de moyens. Et, quand une
tournée se fait, ce n'est pas dans toutes les communautés, c'est impossible,
c'est une communauté dans une première
nation.
Donc, la volonté est
là, l'expertise est là, mais les moyens ne permettent pas de réaliser,
justement, ces types d'alliance, je dirais,
entre femmes qui pourraient grandir, qui pourraient avoir un autre impact.
Femmes autochtones du Québec n'a même
pas, cette année, les moyens de faire une assemblée générale. Donc, hein, oui,
il existe des mécanismes, des organisations, mais les moyens pour que ça
puisse se déployer, hein... Ce n'est pas Montréal-Québec, là, c'est Montréal—Val-d'Or, Sept-Îles, Chibougamau. Vous allez à
Chibougamau : pour aller à Val-d'Or, il faut quasiment revenir à
Montréal. Ça demande beaucoup de sous, ça demande beaucoup de moyens.
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
Mme Lévesque (Carole) : Donc, oui, c'est possible de valoriser ce que
fait Femmes autochtones du Québec, mais encore faut-il qu'il y ait les
moyens pour lui permettre de remplir son mandat autrement.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Lévesque. Je vous
remercie pour votre contribution aux travaux de la commission.
Je suspends les
travaux quelques instants afin de permettre à Mme Rouleau de prendre
place. Merci.
(Suspension de la séance à
17 h 34)
(Reprise à 17 h 37)
Le
Président (M. Picard) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux en recevant
Mme Michèle Rouleau, ancienne
présidente de Femmes autochtones du Québec. Mme Rouleau, vous disposez de 20 minutes
pour faire un exposé, et après il va y avoir des échanges avec les
parlementaires. Donc, la parole est à vous.
Mme Michèle Rouleau
Mme Rouleau (Michèle) : Merci. «Kuei». Bonsoir, bonne fin de journée.
J'ai tenu à être ici aujourd'hui en tant qu'ancienne présidente de Femmes
autochtones du Québec depuis... En fait, j'étais présidente depuis fort longtemps,
il y a longtemps de ça, mais je pense que
c'est important d'être ici aujourd'hui pour vous parler de cette question-là.
J'ai bien peur que je vais sans doute
répéter des choses que vous venez d'entendre, que vous avez entendues plus tôt
ce matin, mais, que voulez-vous,
c'est notre histoire, c'est notre situation. Et je pense qu'on a tous et toutes
un point de vue de cette histoire-là
et je voulais en profiter pour vous donner ma vision des choses et aussi vous
parler d'un sujet, évidemment, qui me
tient à coeur et qui est tout à coup arrivé sur la sellette, depuis quelques
semaines, mais ce sont des questions qui sont là depuis fort longtemps,
et il était temps qu'on s'en préoccupe.
Juste
vous dire que j'ai été directrice du centre d'amitié autochtone de Senneterre
en 1980, j'ai été présidente de Femmes
autochtones du Québec de 1987 à 1992. Alors, je suis vraiment ce qu'on appelle
une ancienne présidente et je vais
vous parler peut-être de choses anciennes, en ce qui me concerne. Je sais que
vous allez avoir une présentation de Femmes
autochtones du Québec demain, mais je voulais quand même faire un petit rappel
de l'historique de Femmes autochtones
du Québec et du mouvement des femmes autochtones parce que ce qu'on voit, ce
qui sort des communautés aujourd'hui,
ce qui sort de certaines collectivités dans les villes aujourd'hui, ce n'est
pas étranger à notre histoire, ce n'est pas étranger au mouvement des
femmes non plus.
Le
mouvement des femmes autochtones au Canada, je dirais, a débuté comme mouvement
dans les années 70, au début des
années 70. On a eu la création d'une association nationale qui s'appelle
Femmes autochtones du Canada, et de là ont été créées des associations
de femmes provinciales, de femmes autochtones.
• (17 h 40) •
Femmes
autochtones du Québec a été fondé en 1974. Dans ces années-là, il y avait
évidemment des femmes qui se plaignaient ouvertement de la
discrimination qui leur était faite par la Loi sur les Indiens. La Loi sur les
Indiens, à l'époque, on s'en souviendra,
contenait entre autres un article, l'article 12.(1)b, qui faisait qu'une femme
indienne qui épousait un non-Indien
perdait son statut indien, était donc rejetée de sa communauté, était donc
ignorée de sa communauté, et perdait ses droits, perdait le droit de
résidence, perdait le droit à certains services qui étaient accordés aux
familles autochtones. Le mouvement qui est
issu des années 70 vraiment était autour de cette situation-là
particulièrement. C'est un mouvement
qui a été issu en partie dans les villes, puisque les femmes avaient dû quitter
leurs communautés. C'étaient souvent
des femmes qui avaient, de toute évidence, épousé des non-Indiens, qui vivaient
dans les villes et qui ne pouvaient plus retourner chez elles, qui
étaient carrément rejetées de leurs communautés.
En
même temps, au Canada, il y a eu des femmes qui ont porté des causes devant les
tribunaux contre la Loi sur les
Indiens. Entre autres, je voulais vous parler de Jeannette Corbiere Lavell, qui
se plaignait de discrimination quand elle s'est
rendu compte qu'elle avait perdu son statut d'indien par rapport à son mariage
avec un homme non indien. Elle avait perdu sa cause en première instance dans
un tribunal de l'Ontario, le juge déclarant que de toute façon elle avait amélioré son sort du fait qu'elle avait épousé un
Blanc. Il y a eu aussi des femmes comme Sandra Lovelace qui ont amené
leur cause jusqu'à un comité des droits de l'homme des Nations unies. Il y a eu
un énoncé du Comité des droits de l'homme, à
cette époque-là, qui dénonçait la discrimination de la Loi sur les Indiens. En
même temps, au Québec, il y a eu une
femme mohawk qui a parti un mouvement, je dirais, dans sa cuisine, Mary Two-Ax
Early, qui a parti le mouvement qui
s'appelait Droits égaux pour femmes indiennes, et le but de ce groupe-là était
uniquement de s'attaquer à la discrimination dans la Loi sur les
Indiens.
C'étaient
des femmes de peu de moyens financiers mais avec une très grande détermination.
Pour Mary Two-Ax, de faire changer la
Loi sur les Indiens, ça voulait dire de pouvoir retourner vivre dans sa
communauté, de pouvoir être traitée de la même façon que les autres
citoyens de sa communauté, et ça voulait dire aussi pouvoir être enterrée dans
sa communauté à sa mort, puisqu'une femme non indienne, une femme non statuée
ne pouvait être enterrée dans sa communauté
à sa mort. Juste vous dire que Mary Two-Ax Early est décédée en 1996 et elle a
bel et bien été enterrée chez elle, à Kahnawake.
Le
mouvement des femmes autochtones a été un mouvement qui a lutté difficilement,
avec peu de moyens contre une loi fédérale, contre un establishment
autochtone qui était plutôt insensible à ces préoccupations, qui voyait les revendications des femmes un peu comme venant à
l'encontre des revendications des Premières Nations en général. Ça n'a pas été une lutte facile, ça a été des années
même extrêmement difficiles. Et finalement ce qui a fait changer les choses,
au bout du compte, c'est l'avènement de la Charte canadienne des droits et
libertés, en 1982, et la mise en vigueur de l'article 15
sur le droit à l'égalité, qui a forcé le gouvernement fédéral à retirer la
discrimination de la Loi sur les Indiens. Le gouvernement fédéral, à l'époque, avait adopté le projet de loi C-31
qui éliminait une fois pour toutes cette discrimination dans la Loi sur
les Indiens.
Je
vous disais que ça a été une période difficile pour les femmes, pour les femmes
qui militaient, parce que la Loi sur
les Indiens a aussi amené son legs de discrimination même à l'intérieur des
nations autochtones. Des femmes qui se sont battues contre la
discrimination se sont souvent fait rabrouer dans leur propre milieu, par leur
propre famille, et toutes les années qui ont
suivi la réinscription aussi ont été difficiles, surtout pour des communautés
qui étaient plus près des centres
urbains, où il y avait eu un grand nombre de mariages avec des non-autochtones.
La Loi sur les Indiens a implanté aussi
une mentalité discriminatoire, et il n'est pas rare qu'on entende, en milieu
autochtone, des gens qui s'interpellent de par leur catégorie de statut indien ou encore qui sont identifiés à
une lutte ou à une autre. Le milieu autochtone n'est pas exempt de
discrimination, le milieu autochtone n'est pas exempt de mesquinerie.
À
l'association, comme le disait tout à l'heure Mme Lévesque, à la fin des
années 80, nous avons entrepris une campagne contre la violence familiale, et c'était vraiment une première
initiative où pour une première fois des femmes parlaient ouvertement de la question de la violence familiale chez
elles. On avait entrepris une campagne très prudente, on avait commencé par des affiches, par des
pamphlets et par quelques messages dans les radios communautaires. C'était
tout simplement pour que les gens puissent
en prendre conscience et qu'on réalise qu'on puisse en parler ouvertement.
Dans
les mêmes années, les femmes autochtones de l'Ontario avaient fait une étude
sur la question de la violence chez
les femmes autochtones, et les femmes autochtones de l'Ontario estimaient à
l'époque que 80 % des femmes avaient vécu une certaine forme de violence ou avaient vécu cette violence dans
leur entourage. Sans avoir fait d'étude au Québec à l'époque, on ne
doutait pas de cette donnée et on estimait que c'était sans doute semblable au
Québec.
Il y a eu par la
suite différentes initiatives de consultation sur la question de la violence
faite aux femmes autochtones au Canada, je
vous inviterais peut-être à consulter les recommandations de ces rapports. Vous
savez, il y a eu, en 1992, un comité
canadien sur la violence faite aux femmes, et, à l'insistance de Femmes
autochtones du Québec, ce comité
canadien sur la violence avait ajouté un cercle autochtone pour encourager et
faciliter la participation des femmes autochtones,
et ça a été vraiment, vraiment une initiative qui a ouvert la porte, qui a
donné la parole à des femmes autochtones.
Il y a eu évidemment la commission royale d'enquête sur les peuples autochtones
qui a remis ses recommandations en
1996. 20 ans plus tard, nous parlons des mêmes sujets, des mêmes choses,
des mêmes problématiques; rien n'a changé. En 2015, on a eu la
Commission de vérité et réconciliation, qui vient de remettre son rapport. La
commission a des recommandations qui sont fort pertinentes et qui auraient
intérêt à être regardées de plus près.
Pour
comprendre pourquoi on se retrouve devant de tels drames aujourd'hui — je pense que je ne viendrai pas vous révéler une vérité de La Palice — bien c'est qu'après 150 ans de
colonisation tout ce qu'on peut récolter aujourd'hui, ce sont ces effets dévastateurs. Oui, la Loi sur
les Indiens a créé cette négation, premièrement, des nations indiennes comme
entités. Nulle part dans la Loi sur les
Indiens on ne retrouve le terme «nation»; on retrouve les termes «Indien»,
«bande», «conseil de bande». Avec la
Loi sur les Indiens est venue la création des réserves et tout ce qui s'en est
suivi de dépossession, d'acculturation,
de déresponsabilisation des individus et de dépendance : dépendance à des
services, dépendance à un gouvernement
local, dépendance à des drogues, dépendance à toutes sortes d'autres choses.
S'en est suivie aussi l'histoire des
pensionnats, des pensionnats où les enfants ont été arrachés à leurs parents, à
leur milieu, où la plupart, je dis bien la plupart, pas tous, mais une très grande majorité ont subi des sévices,
de la violence, des abus sexuels. Encore aujourd'hui, on peut comprendre
quelles sont les suites de ces abus et de cette situation. On est trois
générations plus tard, et la troisième
génération en subit encore les séquelles. On a eu des adultes qui ont perdu des
habilités parentales, on a eu des enfants
qui ont été négligés. On a des gens qui sont polytraumatisés, qui peut-être ne
s'en remettront jamais, qui tentent de
s'en sortir mais qui vivent encore avec ces problèmes-là. Et c'est un peu ça,
la toile de fond, dans les communautés autochtones.
Je ne dis pas toutes les communautés autochtones, bien entendu, parce qu'elles
ne se ressemblent pas toutes, mais, si on regarde en général, surtout
dans les communautés isolées, éloignées, c'est le cas.
Alors,
ces communautés-là sont aux prises avec de très graves problèmes sociaux, je
pense que tout le monde vous les a
énumérés, je vais les énumérer à nouveau, mais toute la question de la violence
familiale est très, très répandue. On pensait qu'avec des campagnes de sensibilisation
on viendrait à bout de changer des choses, les gens en ont parlé plus, et finalement ce dont on s'est rendu compte, après
quelques années, c'est que cette violence-là, elle existe toujours, elle
est peut-être parfois simplement plus
sournoise. On a un taux de toxicomanie fort élevé, des problèmes d'alcoolisme
très élevés dans les communautés, des
suicides, des vagues de suicides, des suicides d'enfants, des suicides
d'adolescents, des suicides de jeunes
adultes, taux de chômage, faible niveau de scolarité, manque de logement, des
maisons surpeuplées — ce
qui engendre d'autres problèmes — manque d'infrastructures, manque de
ressources.
• (17 h 50) •
Des solutions, c'est certain qu'il y en a. Il y a des petites solutions. Il n'y
a pas une solution, mais il peut y
avoir des solutions. Mais, comme, je
pense, on vous l'a dit tout à l'heure, tout est interrelié, il faut
agir sur plusieurs plans à la fois. Il faut un travail en continu, et évidemment
c'est un travail de longue haleine. Il ne faut pas que la question
de la violence en milieu autochtone
soit quelque chose qu'on écoute au téléjournal pendant les trois
prochains mois et qu'on oublie, et
que ça disparaisse, et qu'on revienne. Moi, je ne serai pas ici pour venir vous
le redire dans 20 ans, mais il ne faudrait pas que quelqu'un
d'autre revienne vous dire les mêmes choses.
Sur la question de la
violence familiale faite aux femmes, la violence faite aux femmes, ou encore
toutes les problématiques sociales des
communautés, il faut agir avec cohérence. Il faut
un travail de concertation non seulement
avec les organismes politiques,
mais avec des organismes qui regroupent des intervenants du milieu, qui
regroupent la société civile autochtone. Femmes autochtones du Québec
est un organisme de la société civile. Le regroupement des maisons
d'hébergement autochtones est un organisme de la société civile. Les centres d'amitié autochtones
du Québec sont des centres qui sont fréquentés par les gens de la
société civile autochtone.
Les
centres d'amitié autochtones font un travail extraordinaire dans les villes.
Ils se sont débrouillés de par leurs propres moyens, à l'époque, avec
toujours peu de financement, et ils ont créé une véritable collectivité. Les
gens qui fréquentent les centres d'amitié
autochtones dans les villes ont souvent accès à des services et sont peut-être
plus aptes à collaborer ou à participer à la vie en société et changer
leur vie.
Il
y a aussi des ressources québécoises qu'il ne faut pas ignorer, des ressources
qui travaillent avec les autochtones. Quand on pense aux maisons
d'hébergement québécoises, quand on pense aux CALACS, ce sont des organismes
qui travaillent en collaboration et qui
auraient sans doute besoin de plus de moyens pour travailler davantage en
collaboration avec les autochtones.
Il
faut des mesures pour contrer l'indifférence, élaborer des stratégies pour
contrer l'ignorance et combattre le racisme,
parce que le racisme aussi, il est omniprésent. Il est aussi sournois, il peut
se faire discret, mais, quand on est dans
les régions, quand on sort dans les régions, ce qu'on entend souvent, c'est du
racisme pur et dur à l'égard des autochtones. Il faut aussi faire de
l'éducation populaire. Entre autres, je vous signale cette merveilleuse
brochure qui s'appelle Mythes et réalités,
qui a été produite par Pierre Lepage pour la Commission des droits de la
personne et droits de la jeunesse. Je
pense que, déjà là, c'est un travail colossal qui a été accompli dans ce
document, qui est toujours pertinent aujourd'hui. Il faut davantage de
formation pour les professionnels qui interviennent auprès des autochtones.
Et,
en terminant, je vous dirais que la question de la violence ne doit... — et c'est peut-être un peu ironique que
je vous dise ça à vous — que
la question de la violence faite aux femmes autochtones ne doit pas devenir un
dossier politique. C'est un dossier de
droits humains avant tout. C'est une question de justice sociale, une question
de santé, une question de sécurité, et c'est une question de société.
Ce serait facile de
blâmer la Loi sur les Indiens de tous les maux. On peut le dire
aujourd'hui : Oui, la Loi sur les Indiens a causé énormément de problèmes,
le système colonialiste de la Loi sur les Indiens a mis les autochtones à l'écart du contrôle de leur propre vie. Une fois
qu'on a dit ça, on ne peut pas s'en laver les mains non plus. Alors, je pense qu'il n'en tient qu'à vous de trouver
ensemble, avec les gens du milieu, des solutions qui permettront à ce qu'on ait
une véritable relation de nation à nation, qui passera par des gestes concrets,
qui passera par une reconnaissance de la nécessité
de rétablir un équilibre entre nos sociétés, un équilibre qui nous permettra de
ne plus faire ressortir le pire de nous mais peut-être le meilleur de
nous. Merci.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Rouleau. Nous allons
entreprendre les échanges avec M. le député d'Ungava.
M.
Boucher : Alors, bonjour, madame. Propos fort intéressants. Vous
savez, pour moi, ma belle-famille... Ma conjointe est une autochtone, est une Innue de la Côte-Nord, et puis sa
mère a connu les pensionnats, a connu... a été élevée par les religieuses. Et puis, pour vous donner une anecdote, par exemple, les plus vieux se souviennent qu'autrefois, quand on avait besoin de ce qu'on appelle aujourd'hui un certificat de naissance, mais dans le temps on appelait ça un
extrait de baptême, il fallait aller dans la paroisse où on avait été
baptisé, puis le curé nous faisait un petit... pour obtenir un passeport ou peu importe. Alors, sa mère avait
besoin de son extrait de baptême, s'est donc rendue à l'église où elle avait
été baptisée à l'époque dans sa réserve, et
puis sur le papier c'était écrit, bon : Madame XY, née de monsieur ABC, là, je
ne les nommerai pas, et de
mère sauvage, pas de nom. C'était ça qui était son... Après ça, bien, elle a
fait les démarches pour faire ajouter
le nom de sa mère sur son certificat de naissance, pour que, bon, on régularise
ça, mais c'était la façon, là...
Donc, je comprends qu'aujourd'hui être dépossédé de votre identité... Et puis même ma conjointe, bon, a su à
l'âge d'à peu près 10, 12 ans qu'ils étaient autochtones, c'était comme un
secret de famille, c'était caché. Eux vivaient dans une ville qui n'était pas près d'une réserve, puis
elle, aller jusqu'à l'âge de 10, 12 ans, elle n'avait aucune idée de ses
racines et de ses souches. Donc,
on comprend qu'aujourd'hui, là, tout ça peut laisser encore des traces. Même
des fois on dit : Bien là,
franchement, on est en 2015, il y a l'Internet, tout va bien, écoutez, rentrez
dans le rang, puis ça va être tellement plus simple, mais c'est beaucoup
plus complexe que ça.
Vous parliez,
bon, de violence domestique, la violence familiale, qui souvent, là, prend des
formes... bon, entre conjoints mais aussi envers les personnes âgées. Est-ce
que c'est des choses qui sont observées, selon vous, ou...
Mme
Rouleau (Michèle) : Bien
sûr. C'est pour ça que j'utilise souvent l'expression «violence familiale»,
parce que... D'ailleurs, dans une
communauté, quand on vit à 10 dans une maison, la violence, c'est tout le monde
qui la subit, des grands-parents aux petits-enfants. Alors, oui, ça
touche tout le monde.
M.
Boucher : Une personne qui décide de casser ce cycle-là puis de
dénoncer ça, comment elle sera perçue, là, dans la communauté? Souvent,
bien, vu de l'extérieur, bon, ça brasse un peu, mais c'est quand même du bon
monde, ils sont travaillants, ils font ci,
ils font ça. Puis là woups! quelqu'un a dit : Bien là, regardez, là, moi,
je suis victime de ceci, cela, puis je dénonce ça, je fais les
démarches. Comment cette personne-là est perçue dans les communautés?
Mme
Rouleau (Michèle) : Bien,
c'est difficile de répondre à ça juste par une seule façon, parce qu'évidemment
tous les cas sont différents, mais ce n'est
pas plus facile... je pense, c'est le cas partout ailleurs, là, même au Québec,
pour une femme québécoise, ce n'est
pas facile, un, de briser le cycle de la violence, de dire : Non, il faut
que ça arrête, et de dénoncer cette violence-là. Alors, c'est la même
chose dans une communauté autochtone.
Si, par chance, il y a une maison d'hébergement
pour femmes autochtones dans cette communauté-là, cette femme-là peut avoir un soutien, mais il n'en demeure pas moins que c'est
difficile de dénoncer des agresseurs parce que les milieux autochtones sont très petits, tout le monde se connaît, tout
le monde a un certain lien de parenté, souvent ça peut être même avec les gens qui sont au pouvoir
ou même avec les policiers, alors ce n'est pas facile. Alors, c'est pour
ça qu'il faut... Je pense que le défi qui se
pose pour certaines communautés, c'est ça, c'est de trouver une façon
d'intervenir, en cas de situation de
violence ou de dénonciation, pour justement que ce ne soient pas les mêmes
personnes qui aient à intervenir sur
une situation où ils sont touchés peut-être plus directement. Alors, ce n'est
pas facile, mais je pense que ça va demander davantage de discussion
puis de se doter de moyens qui sont peut-être innovateurs.
M. Boucher : Merci beaucoup.
Le Président (M. Picard) :
Mme la députée de Crémazie.
Mme
Montpetit : Oui, bonsoir. Merci d'être avec nous pour nous aider à
alimenter nos réflexions sur cette question.
Question relativement large. Vous soulignez le
fait que c'est un travail de longue haleine, puis j'ai posé la question à d'autres intervenants qui étaient
présents ce matin, je vous repose la même parce que ça fait partie des
réflexions qu'on doit faire. Dans les
pistes de solution à prioriser — puis je sais que c'est une question et large
et complexe également, mais comme
vous dites c'est ça, c'est de longue haleine — est-ce qu'il y a des pistes, selon vous, à
court terme qui sont plus importantes que d'autres, dans le fond, à
mettre en place?
• (18 heures) •
Mme
Rouleau (Michèle) : Bien,
écoutez, moi, je ne suis pas intervenante sur le terrain, mais je pense qu'il
faut assurément bâtir sur les acquis. Il y a
des groupes qui interviennent actuellement, il y a des groupes qui ont des projets en marche, et il y a des choses qui fonctionnent. Alors, je pense que c'est de s'allier avec ces personnes-là, ces
ressources-là pour les aider, justement,
à construire davantage sur des projets qui sont bien ancrés dans la
communauté puis qu'ils puissent avoir
une meilleure intervention, je dirais, ou rayonner davantage.
Alors, je pense qu'il faut vraiment travailler avec les
intervenants du milieu et aider ces gens-là, les soutenir dans leurs démarches,
mais en même temps peut-être leur permettre
d'étendre cette démarche-là à
l'extérieur de leur communauté, je
veux dire, peut-être à d'autres communautés aussi.
Mme Montpetit : Donc, éviter de
réinventer la roue puis de construire sur les acquis présents, dans le fond.
Mme Rouleau (Michèle) : Bien, en
fait, oui, sur les acquis, parce que, s'il y a des choses qui fonctionnent, mon Dieu, il
faut vraiment qu'on les encourage
et qu'on les aide, et plutôt que de tout
simplement, souvent, élaborer un
programme très large où peut-être les objectifs sont louables, mais qu'ils ne s'appliquent pas
dans certaines communautés.
Alors, je pense
qu'il faut vraiment faire confiance aux gens de la communauté, il faut vraiment
prendre le temps d'entendre ce qu'ils
nous disent. Je pense que, quand on parle de différences culturelles,
quand on parle d'une approche particulière, c'est ça aussi, c'est... Il
y a peut-être un rythme qui est différent, il y a peut-être une façon de faire,
il y a peut-être une approche qui est différente, mais je pense qu'il faut
l'entendre; il faut l'écouter, il faut l'entendre.
Et, oui, s'il y a
des choses qui fonctionnent, habituellement, là, je vais utiliser une
expression populaire, mais ça pogne aussi chez les gens. Alors, je pense
que les gens sont avides, d'ailleurs, dans les communautés, de solutions. Si ça
vient d'eux, si c'est fait en collaboration avec eux, c'est sûr qu'il va y
avoir une plus grande participation.
Mme Montpetit : Je vous remercie,
Mme Rouleau.
Le
Président (M. Picard) :
Ça va? Est-ce qu'il y a d'autres personnes? Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier : Merci, M. le
Président. Bonjour, Mme Rouleau.
Tout à l'heure, Mme Lévesque nous a dit la mise en réserves, l'épisode des
pensionnats, la sédentarisation, vous nous
avez répété exactement ces trois événements, ces trois moments, je
dirais, de la génération adulte. La génération des jeunes, là, qui est là n'ont pas vécu cet épisode-là de se faire
mettre... Ils sont nés là. Ils n'ont pas été dans les pensionnats, c'est leurs parents. La sédentarisation, c'est les
années 70. Alors, les jeunes qui ont 15 ans, qui ont 20 ans présentement, pour
ne pas que tout ce qui s'est passé avant ait de l'influence sur eux, qu'est-ce qu'on fait? Parce que, oui, il
y a... ce qu'ont vécu leurs parents, ça fait partie de
l'identité des familles, mais comment on peut essayer de faire que ces
jeunes-là... Parce que tout à
l'heure on nous a dit que toute la
violence qui est reliée à l'ensemble de ces événements-là a causé des blessures importantes, mais, les blessures, c'est
les parents qui les ont eues. Comment on fait pour que les enfants et pour
que la prochaine génération qui est là ne soient pas les victimes de ces
événements-là précédents? Comment on fait
pour pousser par en avant et faire en sorte que... Sans oublier, sans penser
que ces choses-là n'existent pas,
mais eux ne sont pas les victimes directes de ces événements-là. Comment on
fait pour mettre une coupure, là, dire : Oui, il s'est passé ça, on
met une coupure et on se projette dans l'avant? Comment on fait ça pour ces
jeunes-là?
Mme Rouleau (Michèle) : Bien, je
pense que, dans un premier temps, je
serais tentée de vous dire, c'est déjà
un peu tard, parce qu'ils sont déjà les
descendants de ces gens-là, ils ont déjà... Ils vivent dans les mêmes maisons. Parfois,
ils ont vu ces situations-là, ils ont vu des
parents alcooliques, ils ont vu des parents négligés. Alors, même si on parle
de jeunes de 15 ans, ils en subissent déjà les répercussions.
Pour
que ça arrête, je vous dirais bien naïvement, bien c'est le soutien aux
familles, le soutien à la petite enfance, le soutien aux parents, le soutien aux jeunes parents. C'est aussi
l'éducation, aussi simple que ça, c'est l'éducation, que les gens puissent se sortir de cette situation-là.
Et je pense qu'ils ont besoin d'être encouragés à poursuivre
des études, mais, pour être encouragé
à poursuivre des études, encore faut-il vivre dans un milieu qui soit adéquat.
Alors, je pense que le soutien aux jeunes familles, là, tout ce
qui est habiletés parentales, tout ce qui peut venir en aide à des jeunes
familles est important.
Mme Poirier :
Et je comprends qu'il y a des organismes comme le centre d'amitié autochtone
qui est sur le territoire, mais, lorsqu'on parle particulièrement... Parce
qu'on a dit tout à l'heure que 60 % étaient en
ville. Je prends une grande ville comme Montréal, où il y a des
ressources. Est-ce que l'on croit sincèrement que ces jeunes-là ou ces familles-là vont aller s'adresser à ce que
j'appellerais des ressources de Blancs, là, qui, on l'a vu tout à l'heure, n'étaient pas adaptées et, Mme Lévesque disait même,
n'étaient pas, j'ai bien aimé ça... étaient impuissants?
Mme Rouleau
(Michèle) : Bien, effectivement, je pense que ce n'est pas évident
pour un autochtone qui se retrouve en ville,
si on parle de Montréal particulièrement, d'aller chercher des services et de
s'y retrouver, premièrement, dans un
ensemble de services existants. Alors, je pense qu'il faut établir des ponts
peut-être au lieu de départ de ces gens-là, établir davantage de services de liaison avec les communautés
autochtones, parce que ce n'est pas... Et on en a parlé, je sais que Mme Lévesque en a parlé plus tôt,
d'autochtones qui quittent leurs communautés, qui se retrouvent en ville et
qui se retrouvent vraiment devant... qui se
retrouvent démunis devant ça, et qui abandonnent, et qui se retrouvent à la
rue, puis qui n'avaient pas de moyens et qui étaient mal préparés.
Alors,
c'est sûr que, du côté autochtone, on a peut-être une responsabilité de
préparer les gens, de préparer les jeunes
étudiants qui vont dans les villes à ce qui les attend dans le monde extérieur,
mais je pense qu'il devrait peut-être y
avoir davantage d'arrimage avec la société non autochtone, c'est-à-dire créer
des liens davantage que... Ce n'est pas parce qu'on vit dans une réserve
qu'on vit sur une autre planète. Ce n'est pas normal qu'on quitte une
communauté, qu'on arrive dans une ville et
on est un étranger, pratiquement. Alors, je pense qu'il doit y avoir des choses
qui soient bâties et qui soient en continu.
Mme
Poirier : On a vu des gestes qui ont résulté, là, des
événements de Val-d'Or, le projet de logements Kijaté, Chez Willie, le gîte... Alors là, c'est Val-d'Or.
Tout le monde le dit, il y a des problèmes aussi ailleurs, ce n'est pas juste
des problèmes à Val-d'Or, il y en a
ailleurs. Comment on fait pour multiplier ces initiatives-là, à partir du
moment où... Est-ce que ce sont les
centres d'amitié autochtones qui sont les ancrages dans chacune des communautés
qui vont faire jaillir les projets, les communautés elles-mêmes? Les
projets en réserve, c'est autre chose. Comment on fait cette mixité-là? Le gouvernement du Québec n'ira pas
faire un projet de logement social à l'intérieur d'une réserve, parce que
c'est en réserve, ce n'est pas en ville.
Comment on fait, là, pour sortir de ça, là, puis un peu abaisser les barrières
qui font en sorte... qui nous limitent dans nos actions?
Mme Rouleau (Michèle) : Bien, c'est sûr que la situation des autochtones
en milieu urbain est fort différente justement
parce qu'on n'est plus sous la Loi sur les Indiens, on est carrément sur le
régime provincial, si je peux le dire ainsi.
Il
est évident que les centres d'amitié autochtones, c'est une communauté, et ce
sont des gens qui se sont pris en main.
Alors, c'est sûr que, quand on mise sur des organismes comme les centres
d'amitié autochtones, ce n'est pas des énergies
perdues, bien au contraire, parce que ces gens-là sont venus à bout de survivre
et sont venus à bout de s'organiser et de se donner des moyens.
Le
Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or est un centre qui est des plus
dynamiques au Canada. Ils n'ont rien eu de gratuit, c'est des gens qui ont travaillé fort, c'est des gens qui ont
créé une communauté. Je pense que, presque heureusement pour les femmes qui sont là, heureusement il y avait le
centre d'amitié autochtone pour les soutenir, parce que sinon je ne suis
pas sûre de comment tout cela serait sorti et quelles suites on aurait eues à
ça.
Alors,
moi, je pense que, oui, les centres d'amitié sont vraiment ancrés dans la
communauté puis je pense que c'est...
on n'a pas à se poser la question. Quand on sort de la communauté, des
organismes de services en place, ce sont les centres d'amitié. Certains sont à des rythmes différents, ils n'ont
pas tous le même niveau d'organisation, mais par contre ce sont des gens qui travaillent vraiment sur le terrain et qui
sont très près de la communauté autochtone urbaine.
Pour ce qui
est des communautés, c'est plus complexe, effectivement, parce que, là, on
tombe dans un régime fédéral de la
Loi sur les Indiens, mais je pense que même encore il va falloir trouver des
façons de... je ne dirais pas de contourner mais de quand même travailler avec les
communautés. Et il y en a eu dans certains cas, je veux dire, il y a des
garderies, des garderies qui sont sur réserve mais qui sont financées par le
gouvernement provincial. Alors, il y a des initiatives
qui fonctionnent déjà, et je pense qu'il faut aussi, à partir de là, je ne
dirais pas copier mais peut-être reproduire certains exemples de
certains projets qui fonctionnent.
• (18 h 10) •
Mme Poirier : Vous nous avez
dit qu'il fallait agir avec cohérence mais entre autres avec la société civile.
Vous nous avez donné des exemples de ce que, pour vous, représente la société
civile.
Quand on est en réserve, la société civile,
c'est qui?
Mme
Rouleau (Michèle) : Quand on
est en réserve, la société civile, c'est chacun de ses habitants. Par contre,
la Loi sur les Indiens a instauré un système
de gestion de la communauté qui se fait par le haut, le conseil de bande est
redevable au ministre des Affaires indiennes avant d'être redevable à sa propre
communauté.
Alors, il y a
un système qui a été instauré depuis longtemps dans les communautés autochtones. La
participation citoyenne n'a pas
toujours été encouragée, dans les communautés autochtones, c'est quelque chose
qui est relativement récent, et c'est
avec les mouvements comme les mouvements de Femmes autochtones du Québec où,
là, des citoyennes ont pris la
parole. Je dois vous avouer que parfois ça dérange, mais aussi ça fait partie
de l'évolution du monde autochtone. Et
on ne pourra pas sortir de 150 ans de tutelle de Loi sur les Indiens du jour au lendemain, alors
c'est sûr qu'il y a des accrochages en cours de route, mais il y a un
mouvement qui est amorcé.
D'ailleurs,
on en a glissé un mot tout à l'heure, sur le mouvement Idle No More, qui est issu de la
ville mais qui a aussi des
participants qui sont dans les communautés. C'est un mouvement qui est un peu
flou, Idle No More, ce n'est pas une association comme telle. C'est des gens qui participent à des activités, et qui
prennent la parole, et qui se donnent un rôle comme, justement,
participants à la société civile.
Alors, il y a
des mouvements qui s'amorcent. C'est pour ça qu'il ne faut pas, je dirais, se
fier uniquement à des discours
politiques, mais je pense que... Même comme on le fait pour
le Québec, on fait souvent la distinction entre le Québec,
son gouvernement et sa société civile, bien maintenant on devra faire la
même distinction en milieu autochtone. Il y a le leadership autochtone
et il y a la société civile.
Mme
Poirier : Vous venez
de dire quelque chose qui... Moi, j'apprends quelque chose. Donc, le conseil de bande est
redevable au ministre et non à ses membres. Le conseil de bande, il est
élu par ses citoyens, mais il n'a pas de... dans le fond, il n'a pas à donner des comptes à ses citoyens mais
donner des comptes au ministre.
Mme Rouleau (Michèle) : Oui.
Mme Poirier : Est-ce qu'il
peut donner des comptes différents?
Le Président (M. Picard) : En
quelques secondes, Mme Rouleau.
Mme
Rouleau (Michèle) : Non,
mais en fait c'est que les conseils de bande sont des créatures de la Loi sur
les Indiens et ils sont là pour gérer
les affaires de la réserve, comme on dit dans la loi. Alors, un conseil de
bande, ils le font, ils rendent des comptes à leur population, mais ne
seraient pas tenus de le faire selon la loi.
Alors, c'est
pour ça que le système de la Loi sur les Indiens est extrêmement malsain, parce qu'il n'y a
pas de place à l'expression de la
société civile, parce qu'il n'y a pas de place pour la vie démocratique autre
que des élections. Alors, ce sont des effets pernicieux de la Loi sur
les Indiens. Mais, comme je vous dis, il y a un mouvement qui tend maintenant
à ce que les citoyens des communautés prennent plus de place, et on questionne évidemment
les actions des élus. Mais, selon la
loi, les comptes à rendre, ce sont au ministère des Affaires indiennes, sur les comptes à rendre
de la gestion de la Loi sur les Indiens.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Masson.
M. Lemay : Merci, M. le Président.
Bienvenue, Mme Rouleau, à l'Assemblée nationale.
Vous savez,
dans vos propos de la Loi sur les Indiens, vous avez parlé aussi du combat que
les femmes ont mené dans les
années 90, si je ne me trompe pas, par rapport à la
discrimination, puis elles ont réussi à faire un bout, elles ont... dans
le combat qu'elles ont fait, mais, dans le fond, qu'est-ce qui resterait à
faire? Ce serait quoi, la prochaine étape?
Puis en même
temps, si je peux faire un lien avec la nouvelle loi fédérale, là, la loi C-31,
est-ce que, selon vous, c'est suffisant pour régler les problèmes reliés
à la discrimination?
Mme
Rouleau (Michèle) : Eh mon
Dieu! Bien, écoutez, qu'est-ce qu'il reste à faire... Je pense qu'il
reste tout à faire. Je pense qu'il reste à reconstruire la société,
il reste à reconstruire la société autochtone, parce qu'elles ont été anéanties,
un, par une loi fédérale, par des comportements colonialistes, alors il faut
reconstruire l'ensemble des choses. Mais
il faut aussi, pour les nations autochtones... et là je ne suis pas une
politicienne, là, mais il faut aussi que les nations autochtones
puissent reprendre leur place au Canada et au Québec, c'est-à-dire retrouver un
certain contrôle sur le territoire, avoir
accès au partage sur les richesses, sur la richesse, et avoir une participation
pleine et entière sur ce qui les
concerne. Alors, tout ça, ça doit changer, mais ça ne changera pas du jour au
lendemain. Mais je pense qu'il faut, d'une part, reconnaître la place
des autochtones, des Premières Nations, et ensuite commencer par des actions
concrètes.
Est-ce que ça passe par l'abolition de la Loi sur
les Indiens? Certains pensent que oui, d'autres pensent que non. Mais, chose certaine, c'est que les Premières Nations... puis là je ne veux pas parler au nom des Premières Nations, là, mais c'est que les gens
ne veulent pas non plus perdre leur identité, et, pour certaines personnes, la
Loi sur les Indiens, c'est le dernier
retrait. Les gens ont tellement peur de perdre des acquis, de perdre le peu qu'il
leur reste qu'ils en sont rendus à
protéger le territoire de la réserve et de la Loi sur les Indiens. Et
c'est ça qu'il faut qui change. Il faut qu'on ait accès à plus grand de territoire,
accès à plus grand d'espace, plus d'espace pour construire des maisons. On a un
manque de logements épouvantable dans les communautés autochtones, déjà
là c'est inhumain pour certaines communautés.
Alors, il y a
tellement de choses à faire! Si vous me dites : Par où
commencer?, je vais vous dire que je ne le sais pas.
M. Lemay : Bon...
Mme Rouleau (Michèle) : Mais je
pense qu'il faut commencer par un peu partout.
M.
Lemay : Parfait. Justement,
on va parler du logement, là, vous en avez parlé, qu'on a un problème de logement, c'est surpeuplé. Mais, si on veut favoriser
l'accès à la propriété, est-ce que vous croyez que ça pourrait être des mesures
intéressantes? Comme, dans les communautés autochtones, comment qu'on peut
faire pour créer des situations, des conditions
gagnantes qui faciliteraient l'accès à la propriété? Dans le fond, c'est quoi
qu'on doit faire de différent, si on veut,
pour qu'il y ait plus de propriétés dans nos réserves ou hors réserve, peu
importe, là, pour que nos autochtones, ils puissent justement arrêter
d'être surpeuplés?
Mme
Rouleau (Michèle) : Bien,
oui, l'accès à la propriété est déjà quelque chose dont on fait la promotion
dans les communautés, je pense que la
SCHL a déjà des programmes sur réserve qui visent à ça, mais encore faut-il
avoir du terrain pour construire ces fameuses maisons, et c'est souvent
le cas pour la plupart des communautés, il n'y a plus d'espace dans la réserve.
M. Lemay : Dans les réserves.
Mme Rouleau
(Michèle) : Alors, dans un
premier temps... Et ça, je pense que, là, c'est une question de territoire
et ça concerne le gouvernement du Québec
particulièrement. Je pense qu'il faut revoir la question de partage du
territoire avec les communautés autochtones.
M.
Lemay : Merci. Si je reviens à ce que vous avez mentionné tantôt, que
certaines communautés, ils croient, là, dans le fond, qu'ils sont... ils ne veulent pas perdre leur identité,
mais pourtant je regarde, il y a 30 ans de ça on a fait notre entente de nation à nation. Tu sais, de revenir
encore aujourd'hui... Puis vous avez mentionné, là, tout ce qui a été fait,
là : en 1992, le Comité canadien
sur la violence faite aux femmes, un autre comité en 1996, le comité de vérité
et conciliation.
Là, il va y
avoir une nouvelle enquête nationale sur les femmes autochtones. Est-ce que
vous fondez des espoirs différents
avec cette nouvelle enquête? Dans le sens que, je veux dire, tu sais, au final,
il me semble qu'il faut arriver puis de
faire des solutions concrètes sur le terrain puis d'agir, il faut que les
communautés autochtones soient consultées puis qu'elles participent à la
prise de solution. Vous croyez qu'on est sur la bonne voie?
Mme
Rouleau (Michèle) : En fait,
il y a plusieurs choses dans votre... plusieurs éléments dans votre question.
Oui, une commission d'enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou
assassinées est nécessaire pour comprendre
ce qui se passe dans le système canadien de justice, le système policier
canadien, on a un sérieux problème. Je
dirais la même chose pour une commission d'enquête publique au Québec sur la
question, justement, aussi des femmes autochtones, sur la question des
relations avec les autochtones, sur les questions policières.
Oui, il y en a eu plusieurs, enquêtes, dans le
passé. Ça ne veut pas dire qu'on n'en a pas besoin, d'un nouvel éclairage, parce que les choses ont quand même...
il y a des choses qui ont quand même changé, malgré tout. Mais, ceci dit, on peut avoir autant d'enquêtes qu'on voudra,
s'il n'y a pas de volonté politique de faire quoi que ce soit par la suite, on
va en faire encore pendant des décennies, des enquêtes.
Alors, d'une part, oui, il y a eu une résolution
du gouvernement du Québec en 1985 sur la reconnaissance des nations. 30 ans plus tard, peut-être qu'on
pourrait avancer un peu plus là-dessus et avoir des gestes plus concrets,
peut-être.
Mais moi, je
pense que, oui, il doit y avoir des commissions d'enquête, il faut qu'il y ait
une réflexion générale, parce qu'à
chaque fois qu'on parle devant une commission d'enquête on a l'impression de se
répéter, mais je pense que vous
apprenez aussi des choses sur la question autochtone, ce que personne n'a
appris à l'école, ce que personne n'apprend jamais nulle part. Et, tant qu'on ne se connaîtra pas, tant que les élus
ne connaîtront pas la question autochtone, tant que vous ne saurez pas de quoi on parle et ce qu'on
vit, on va tourner en rond. Alors, oui, il faut qu'il y ait des commissions
d'enquête, il faut qu'on se penche sur ces
questions-là et de façon sérieuse, pas juste en parler pour dire : Ah! les
pauvres Indiens, les pensionnats, la
loi. Ce n'est pas ça. C'est vraiment de démontrer qu'est-ce qui ne fonctionne
pas dans notre système et qu'est-ce qu'on peut changer.
• (18 h 20) •
M. Lemay : Merci beaucoup.
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Trois minutes.
Mme Massé :
Merci. Merci beaucoup, Mme Rouleau, pour votre présentation. En fait, ce
que j'ai beaucoup apprécié, c'est... en tout cas, pour moi, ma formation à moi, vous avez réussi à mettre en place des morceaux qui créent une
toile de fond à tout ce qu'on a entendu avant et, j'ai bien l'impression, à
tout ce qu'on va entendre après, et, dans
ce sens-là, je trouve ça intéressant.
Il y a un
élément qui n'a pas été ramené par mes collègues... Non, juste avant d'aller...
Vous avez parlé de l'establishment
autochtone, vous êtes la première qui en parlez. Je posais tantôt
une question, à savoir : Comment arriver à
mobiliser les leaders? Alors, si vous aviez quelque indication là-dessus, j'en
serais intéressée.
Le
colonialisme a eu des impacts sur vous et en a eu sur nous. Et la façon à nous
de l'exprimer, c'est souvent par les préjugés
et le racisme, et vous avez aussi parlé du combat urgent sur le racisme.
Pouvez-vous — il vous
reste probablement deux minutes, je suis sûre qu'ils vont vous en
laisser trois — nous
parler de ça, s'il vous plaît?
Mme
Rouleau (Michèle) : Oui,
bien, écoutez, quand j'ai dit «l'establishment autochtone»,
oui, je suis la première qui vous en parle et peut-être que je serai la
seule.
Moi, je vis
dans la ville, je n'ai jamais eu à subir de l'intimidation dans une communauté.
Ça a été à l'époque des conférences constitutionnelles où on a parlé aussi... où on a
posé certaines conditions à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. À cette époque-là, on
disait : Oui, l'autonomie gouvernementale, mais on doit avoir des
garanties que notre vie sera meilleure par l'autonomie gouvernementale.
À l'époque, on parlait de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés sur toute entente de l'autonomie
gouvernementale, jusqu'à ce qu'il y ait autre chose qui nous rassure.
Alors, oui, j'ai toujours été une de celles qui
parlaient de l'establishment autochtone et je n'ai pas changé ma position
là-dessus, il existe bel et bien un establishment autochtone comme il existe un
establishment dans la société québécoise. Et
on vous l'a dit tout à l'heure, il y a beaucoup de femmes qui sont conseillères
sur les conseils de bande, cependant il y a très peu de femmes chefs. Et
certains d'entre vous le savent pour avoir participé à la journée avec les femmes élues autochtones, certaines d'entre elles
ont la vie dure simplement parce qu'elles sont des femmes et parce qu'elles
ont dérangé l'establishment local. Alors, on
aura beau dire ce qu'on voudra, on aura beau dire que Femmes autochtones
du Québec a un siège à l'Assemblée des
premières nations du Québec et du Labrador, c'est un siège qu'on a gagné, ce
n'est pas un siège qu'on nous avait offert
sur un plateau doré, à l'époque. Ceci
dit, quand les femmes prennent la parole, habituellement ça dérange. Et
ça, je n'ai pas de raison de nier ça. Et je pense qu'on n'est pas les
seuls non plus, je pense que ça se passe dans d'autres sociétés,
et ce n'est pas le propre de la société autochtone, d'être sexiste à certains égards.
Alors,
l'establishment, comment les faire participer ou prendre part? Je pense
qu'il y a une chose, on a toujours eu cette... il y a une méfiance entre nous
du fait qu'on se connaît mal, et, sur le plan politique, il y a
encore peut-être une plus
grande méfiance du fait qu'il y a des enjeux qui sont quand même
importants. Alors, je
pense qu'il faut aussi peut-être
parler de choses très concrètes, sans que ce soit menaçant pour un
establishment autochtone, mais de voir qu'on veut travailler en collaboration. Et malheureusement je
pense que les exemples qu'on a eus
dans le passé n'ont pas toujours
été très probants là-dessus,
il y a eu beaucoup d'expériences de rendez-vous ratés ou de
discussions qui n'ont pas abouti, mais
je pense qu'il
faudra vraiment travailler sur la base de projets concrets et de trouver une
façon de travailler ensemble, en, autant que possible, s'éloignant des
questions politiques.
Mais c'est
sûr que... Je reviens là-dessus, malheureusement, mais tout est interrelié. Et
c'est bête à dire, mais, tant qu'on
n'aura pas de territoire plus grand où les gens pourront vivre confortablement,
on aura toujours les mêmes problèmes.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Rouleau. Merci
infiniment pour votre participation aux travaux de la commission. Je
remercie tous les députés et le personnel qui nous a accompagnés en cette belle
journée.
Et la
commission ajourne ses travaux au mercredi 25 novembre 2015, après les
affaires courantes, afin de poursuivre son mandat. Bonne soirée à tous.
(Fin de la séance à 18 h 25)