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(Dix heures vingt et une minutes)
La Présidente (Mme Cuerrier): La commission permanente de
la présidence du conseil et de la constitution se réunit de
nouveau pour entendre des personnes ou organismes en regard du projet de
résolution du gouvernement fédéral concernant la
constitution du Canada.
Je fais maintenant l'appel des députés membres et
intervenants de la commission. Il s'agit de M. Bertrand (Vanier), M.
Charbonneau (Verchères) remplacé par M. de Bellefeuille
(Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Laberge (Jeanne-Mance),
M. Le Moignan (Gaspé) me dit qu'il a un contretemps et qu'il ne pourra
pas être ici pour une partie de la journée à tout le moins,
M. Levesque (Bonaventure) remplacé par M. Rivest (Jean-Talon), M. Morin
(Louis-Hébert), M. Paquette (Rosemont) et M. Ryan (Argenteuil)
remplacé par Mme Chaput-Rolland (Prévost).
Les intervenants sont: M. Biron (Lotbinière), M. de Bellefeuille
(Deux-Montagnes) remplacé par M. Morin (Sauvé), M. Fallu
(Terrebonne), M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Forget (Saint-Laurent), M. Guay
(Taschereau), Mme LeBlanc-Bantey (Îles-de-la-Madeleine) et M. Scowen
(Notre-Dame-de-Grâce).
Le rapporteur de la commission est M. Paquette (Rosemont).
Les groupes ou personnes que la commission entendra aujourd'hui sont: la
Fédération des travailleurs du Québec,
représentée par M. Fernand Daoust, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal et celle de la Mauricie
représentées par M. Marcel Henry, l'Association
québécoise des professeurs de français
représentée par Mme Irène Belleau, le Mouvement national
des Québécois représenté par M. Raymond
Vaillancourt, M. Paul-O. Trépanier à titre personnel, la Centrale
de l'enseignement du Québec représentée par M. Michel
Agnaieff -II nous dira son nom mieux que je ne puis le faire - et M. Jacques
Cameron à titre personnel.
J'appelle maintenant la Fédération des travailleurs du
Québec représentée par M. Fernand Daoust. Je crois que la
Fédération des travailleurs du Québec s'est
déjà présentée devant les commissions de
l'Assemblée nationale et elle sait comment se font habituellement les
auditions de mémoires. Nous savons tous que vous disposez d'une
vingtaine de minutes pour la présentation du mémoire et
qu'ensuite il y aura des échanqes entre les membres et intervenants de
la commission et ceux qui sont nos invités aujourd'hui. Est-ce que je
pourrais vous demander, M. Daoust, de nous présenter la personne qui
vous accompagne?
Fédération des Travailleurs du
Québec
M. Daoust (Fernand): Mme la Présidente, en tout premier
lieu, je voudrais vous remercier de nous accueillir ce matin et de nous
permettre de vous présenter notre point de vue sur le problème
qui nous intéresse tous. Je suis accompagné de M. Jean
Lavallée qui est directeur-général de la Fraternité
interprovinciale des ouvriers en électricité et aussi
vice-président de la FTQ. Je voudrais excuser Louis Laberge qui a
malheureusement raté son avion et qui ne sera pas parmi nous ce matin.
Je voudrais vous lire, en tout premier lieu, le préambule de notre
mémoire.
Fédéralisme renouvelé ou fédéralisme
bafoué? Même si la crise constitutionnelle est devenue plus
aiguë et plus complexe... J'ai oublié de vous demander, Mme la
Présidente, je m'en excuse, de verser au procès-verbal ou au
journal des Débats, quel que soit le terme que vous utilisez, le contenu
de notre mémoire.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je comprends que vous allez
résumer. Il est bien clair que les gens qui liront le journal des
Débats pourront toujours... De toute façon, les gens qui seraient
intéressés à voir le mémoire intégral de la
FTQ peuvent toujours en faire la demande à la Bibliothèque de
l'Assemblée nationale et il y a toujours des copies de disponibles qu'on
peut leur faire parvenir. Ceci dit, votre mémoire sera en
dépôt à la bibliothèque, M. Daoust.
M. Daoust: Merci beaucoup. Mme la
Présidente, Mme la députée, MM. les
députés. Même si la crise constitutionnelle est devenue
plus aiguë et plus complexe du fait des revendications de plus en plus
radicales d'un nombre croissant de provinces, à cause surtout de
l'importance cruciale de la propriété et de l'affectation des
ressources naturelles dans un contexte de crise énergétique, il
reste que c'est le Québec, pour ne pas remonter plus loin que la
dernière guerre, qui s'est toujours montré le plus insatisfait du
statu quo et que c'est le référendum du mois de mai dernier qui a
poussé ce débat au paroxysme actuel.
Le projet Trudeau, logiquement, devrait donc être la
réponse des défenseurs du non, puisque ce sont eux qui l'ont
emporté, à l'alternative que ce référendum
demandait aux citoyens et aux citoyennes du Québec de trancher. Quelle
devait donc être cette réponse selon les termes mêmes du
débat référendaire? Le fédéralisme
renouvelé. Du côté du non, en effet, on n'a jamais
parlé que d'un choix entre le fédéralisme renouvelé
et la souveraineté-association. M. Pierre Elliott Trudeau lui-même
a solennellement promis qu'un non ne signifierait pas le statu quo.
Et tout le monde au Québec, péquistes comme
libéraux, tenants du non comme du oui, selon ce que tous les sondages
ont démontré, ont toujours vu en l'expression
"fédéralisme renouvelé" une reconnaissance et une
affirmation encore plus nette de la nation québécoise au sein de
la fédération et un renforcement de l'État
québécois qui se traduirait par un transfert de pouvoirs au
profit du Québec et aux dépens d'Ottawa. On observe, certes, des
différences d'opinions sur le degré de ce renforcement ou sur la
nature des aménagements requis, mais jamais sur le sens de ce
renouvellement qui, pour pratiquement tout le monde chez nous, doit conduire a
l'accroissement des pouvoirs réels du Québec dans les
compétences qu'il détient depuis 1867 et dans les nouvelles que
tous ses gouvernements ont successivement réclamées depuis la
dernière guerre, à mesure que l'épanouissement de la
nation en exigeait la maîtrise.
Mais ce n'est qu'avec le dépôt du projet Trudeau aux
Communes, en octobre dernier, que l'on a enfin pu prendre connaissance de la
véritable option des tenants du non ou, plutôt, de Pierre Elliott
Trudeau, puisque la plupart des ses alliés de la campagne
référendaire, aussi bien au Québec que dans les autres
provinces, cherchent maintenant à s'en désolidariser.
Et ce fédéralisme soi-disant renouvelé, qu'est-il
devenu dans le projet Trudeau? Le fédéralisme bafoué! M.
Trudeau prétend, en effet, nous imposer une option qui se résume
à ceci: 1) une démarche unilatérale qui bafoue l'essence
même de la fédération dont le moteur a été le
compromis, dont le ciment a été le respect de la
souveraineté attribuée à chaque province par la
constitution et dont la portée historique a été de
consacrer un pacte d'égalité entre les deux grandes nations qui
la composent. 2) un objectif exclusif de rapatriement pour le rapatriement qui,
en soi, est un faux problème, puisque personne ne s'en soucierait si la
grande majorité des partenaires s'entendait sur une formule d'amendement
ou s'ils faisaient l'unanimité sur le contenu d'une nouvelle
constitution. 3) une charte des droits et libertés qui, en plus
d'être imposée d'une faron inacceptable et d'avoir pour effet de
réduire unilatéralement les compétences respectives des
partenaires de la fédération, ne correspond absolument pas au
mandat issu du référendum qui était de satisfaire aux
demandes historiques du Québec en matière de partage des
pouvoirs.
(10 h 30) 4) Une formule d'amendement qui rompt, sans l'accord des
intéressés, avec la tradition de l'unanimité
respectée jusqu'ici et qui fournit, en plus, au pouvoir central l'arme
nouvelle du référendum pour amender la constitution dans
l'avenir, ce qui, en dépossédant les provinces de leur statut de
porte-parole exclusif de leur population respective en cette matière,
sape déjà le caractère fédéral du pays qui
est une union entre États et non entre citoyens.
Pierre Elliott Trudeau avait donc raison de dire que le non
n'était pas le statu quo lors du référendum car on voit
bien aujourd'hui qu'il s'agit d'un recul, que son fédéralisme
renouvelé n'est en fait qu'un pas de plus vers un pays unitaire. Mais
pourquoi ce pas en arrière, pourquoi ce coup de force unilatéral?
Pour préserver, avant qu'il ne soit trop tard, le véritable statu
quo qui est celui non plus des textes juridiques, mais des forces en
présence au sein de la fédération. Ce rapport de force -
on l'a répété cent fois - est celui qui a toujours
favorisé le pouvoir central, Ottawa, face aux pouvoirs provinciaux et
l'Ontario, la province traditionnellement riche, face aux autres provinces.
Leurs situations privilégiées sont en effet toutes deux
menacées aujourd'hui par l'évolution démographique,
politique et économique du Canada. Si on laissait aller cette
évolution sans intervenir, l'Ontario perdrait graduellement sa position
privilégiée à mesure que les autres provinces
amélioreraient la leur. Le pouvoir central lui-même serait
relativement affaibli face à l'émergence de nouvelles provinces
riches à l'est comme à l'ouest, chacune étant dotée
d'instruments publics et privés capables de rivaliser en imagination, en
compétence, en efficacité et en ressources avec cet axe
Ottawa-Toronto que la conjoncture avait toujours avantagé dans le
passé.
La vraie signification de l'offensive constitutionnelle actuelle n'est
donc pas de satisfaire les Québécois qui ont provoqué la
crise ni même les tenants du non qui ont gagné le
référendum en renouvelant le fédéralisme, elle
vise, au contraire, à consolider la position du pouvoir central et de
l'Ontario avant que l'évolution naturelle des choses n'achève de
désagréqer leur position de force. Voilà pourquoi, dans ce
débat, on retrouve Bill Davis et Pierre Elliott Trudeau
indéfectiblement unis sous le véritable parapluie du non pendant
que le reste du Canada, lui, dit oui à la négociation.
Voilà pourquoi, au Québec, il est urgent de refaire front
commun pour bloquer coûte que coûte un coup de force qui vise
à freiner le cours normal de l'évolution pour sauver le statu
quo.
Je vais essayer de faire un résumé le plus rapidement
possible, il nous reste peut-être quelques minutes. La première
partie aborde le problème de l'intérêt ou les
intérêts des travailleurs. Nous parlons de la nature et de la
mission d'une centrale syndicale comme la nôtre qui représente,
à travers ses adhérents, des hommes et des femmes, citoyens
à part entière, et qui constitue, de fait, le seul instrument,
cette centrale, qu'ils contrôlent pour leur faire valoir leurs droits,
améliorer leurs conditions et favoriser leur épanouissement.
Nous rappelons que la FTQ compte 350,000 membres et nous faisons quelque
historique à l'égard de sa formation. Nous rappelons que notre
centrale, quant à la question constitutionnelle, a toujours situé
ce problème au coeur de ses préoccupations, depuis 1961., alors
qu'elle réclamait déjà la reconnaissance des deux nations,
le droit à l'autodétermination et la nécessité pour
le Québec, en tant que consécration juridique et expression
politique du fait national canadien français, de s'affirmer pleinement
dans tous les domaines relevant de sa juridiction, mentionnant, entre autres,
les ressources naturelles, la planification économique,
l'éducation, la santé et les lois ouvrières.
Nous faisons un retour à cette prise de position quasiment
unanime de la FTQ lors du débat référendaire, à
l'occasion d'un congrès extraordinaire qui se tenait ici même,
dans la ville de Québec; 2187 délégués y
participaient et, au moment de la prise de position de la FTQ en faveur du oui
au référendum, il y a eu une centaine de personnes qui se sont
abstenues de voter, 40 ont manifesté leur opposition, alors que
l'immense majorité des délégués, 95%, appuyaient la
recommandation du conseil général de la FTQ, en vue d'un vote oui
au référendum.
C'est pour ça que nous croyons qu'il est de notre devoir
aujourd'hui, à cause de notre histoire, à cause de ce qui s'est
passé ces derniers mois, de réclamer de ceux qui ont
été les gagnants lors du référendum qu'ils livrent
la marchandise qu'ils promettaient sous le nom de fédéralisme
renouvelé.
Je reviens quelque peu à l'égard de la FTQ dans ce
document, en faisant état des relations que nous avons toujours eues
à l'intérieur du mouvement syndical canadien, et de l'affirmation
que nous avons fait valoir à l'égard de la dualité
culturelle ethnique et des aspirations fondamentales du peuple
québécois, revendications qui ont été
concrétisées dans des textes, dans des pratiques, dans des
habitudes et qui, pour nous, pourraient s'imaginer comme étant un
modèle, dans un certain sens, à l'égard des relations du
Québec et du gouvernement du Canada.
Nous parlons aussi, dans ce document, de la négociation et des
droits de la langue et nous disons que tout indique que l'affrontement actuel
entre les provinces et le pouvoir central découle largement d'un refus
de négocier de la part d'Ottawa. C'est pourquoi, même si le
contenu de cette proposition d'amendement et de projet devait être
calqué sur nos propres revendications, nous nous sentirions encore la
responsabilité, à la FTQ, de dénoncer la démarche
qui vise à imposer ce projet en court-circuitant les provinces et en
fixant aux soi-disant négociations une échéance aussi
arbitraire que déraisonnable. Sauf que cette démarche
invraisemblable correspond à la volonté d'imposer aussi une
charte des droits étriquée où l'on ne retrouve pas l'ombre
de la queue du commencement de ce qui constitue la base d'une vraie
reconnaissance des droits et libertés.
Il y a pourtant des années que la FTQ, comme tous les mouvements
populaires du Québec et des autres provinces dans bien des cas,
réclame une reconnaissance officielle des deux nations canadiennes et le
droit à l'autodétermination pour chacune, l'abolition d'une loi
des mesures de guerre totalitaire et l'affirmation des droits sociaux les plus
élémentaires, à commencer par le droit au
syndicalisme.
Quant à la formule d'amendement, il s'agit, selon nous, du cheval
de Troie du fédéral. Pour nous, qui réclamions il y a
déjà vingt ans la reconnaissance de l'État du
Québec en tant que consécration juridique et expression politique
de notre communauté, comment accepter maintenant que cet État
soit dépossédé de son statut par l'introduction d'une
formule d'amendement par référendum, dont le seul effet est de
permettre à Ottawa de passer par-dessus la tête des
représentants que nous élisons pour veiller sur nos
intérêts?
Nous développons cette thèse du cheval de Troie qui
permettra, par le truc du référendum contenu dans le projet
de
Trudeau, de refaire le partage des pouvoirs à la guise du
gouvernement fédéral. Nous faisons état des rencontres
fédérales-provinciales de l'été dernier qui,
à défaut de produire une nouvelle entente, ont en effet
été l'occasion pour Ottawa de déposer de nombreux
documents qui révèlent ses intentions sans détours. C'est
dans le champ de l'économie que ces prétentions se sont
révélées les plus dévastatrices; au nom du maintien
de l'union économique, de la redistribution des richesses, de la
planification de l'économie, de la conduite des relations
économiques internationales, le fédéral entend donc
s'assurer un contrôle à peu près absolu qui pourrait
même enqlober certains aspects des domaines culturel, social et politique
ayant des incidences directes sur l'économie.
La lutte à l'inflation, au chômage, aux disparités
régionales, l'étiquetage des produits, protection des
consommateurs, politigue d'achat des gouvernements et des
sociétés publiques, mesures d'incitation financières et
fiscales, etc., autant de champs de compétence partagés à
ce moment-ci ou exclusivement provinciaux qui risqueraient de passer ainsi sous
la gouverne exclusive d'Ottawa.
Nous faisons des commentaires à l'éqard du contrôle
de l'économie pour mentionner à quel point le Québec - et
les travailleurs du Québec ont pu le sentir -tous les grands projets et
les grands discours du gouvernement fédéral à
l'égard de l'abolition des disparités économiques,
à l'éqard même de cette conception du
fédéralisme que nous avons connu depuis le début ont
été, pour les travailleurs québécois et la
population du Québec, accompaqnés de taux de chômage, de
développement économique boiteux ou vacillant et d'une situation
globale, puisque l'économie conditionne le devenir des
sociétés modernes, qui suscite des protestations de la part de
l'ensemble des travailleurs. Nous faisons état de quelques cas
précis, tels que la politique tarifaire où le Québec est
laissé pour compte, l'implantation de l'industrie de l'automobile, alors
que le Québec consomme en gros 30% de tous les produits rie l'automobile
au pays et qu'il n'a que 5% de la production de ceux-ci. Ce sont des milliers
d'emplois qui nous sont enlevés ou dont on est privé par des
politiques gouvernementales qui ont fondamentalement à peu près
toujours oublié le Québec pour favoriser surtout l'Ontario. Nous
faisons état de cas, les programmes du MEER en 1971, la politique de
main-d'oeuvre, où il y a un chevauchement et un dédoublement
extraordinairement coûteux pour l'ensemble de la population de cette
province.
La deuxième partie parle des mensonqes du projet Trudeau. On n'a
pas trouvé d'autre mot ou d'autre expression qui puisse refléter
les sentiments profonds qui nous animent. Nous parlons de ces citations de M.
Rémillard ou d'autres personnes. Pour nous, le pouvoir central n'est ni
l'initiateur de ce pays, ni l'unique détenteur du bon droit. Il se
plaît pourtant, le pouvoir fédéral, à en forger
l'impression dans l'opinion publique en présentant toujours les
provinces comme des entités mineures, égoïstes, chauvines,
irresponsables - c'est le discours que, de plus en plus, on entend de la part
des porte-parole du gouvernement libéral fédéral surgies
de nulle part dans ce débat, comme autant de rapaces séparatistes
qui voudraient mettre le pays en lambeaux après s'en être
partaqé les richesses.
En vérité, selon nous, c'est le gouvernement
fédéral qui est la créature des provinces et, comme le
rappelle Me Rémillard, la Confédération qu'elles ont
réalisée en ]867 fut un compromis fort difficile. Mais il faut
faire de ces retours historiques pour les gens qui semblent avoir oublié
ce qui s'est passé au moment de la mise sur pied de cette
Confédération. "Le fédéralisme, conclut-il - on est
d'accord avec lui - est beaucoup plus qu'un système politique. Il est
avant tout une philosophie, une façon d'être, une faron de penser,
basée sur le concept du compromis". Mais Ottawa refuse aujourd'hui tout
compromis, provoque l'échec des négociations, néglige
l'opposition majoritaire des provinces et de l'opinion publique, ignore
particulièrement les aspirations historiques du Québec auxquelles
il s'était pourtant engagé à répondre au moment du
référendum et se lance, à la place, dans une
démarche unilatérale auprès de Londres, démarche
qui a pour but, non seulement de rapatrier la constitution, mais de faire
amender d'office ce document par un Parlement étranqer et, devant les
réticences de Londres, on a le culot maintenant de crier à
l'ingérence.
Pour nous, cette démarche unilatérale est un objectif
frauduleux au nom de la décolonisation et c'est bien sûr une
série d'amendements importants sous la forme d'une charte des droits et
libertés et d'une formule d'amendement qui se trouveraient les uns comme
les autres imposés aux provinces sans leur consentement.
Je termine. Peut-être que plus tard, nous parlerons des autres
sujets qui sont abordés de cette page jusqu'à la fin de notre
mémoire. En terminant, je dis nous croyons, quant à nous, en
dernière analyse que la seule vraie garantie pour nos droits et
libertés, c'est notre propre vigilance à nous tous et nos luttes
quotidiennes, quant à nous, contre toutes les formes d'oppression,
l'avènement d'une société construite par et pour nous. Et
personne ne nous fera croire qu'une charte qu'on nous impose, entre autres,
pour bafouer nos droits - droits des travailleurs sur les chantiers, de
majorité
francophone au Québec, de nation distincte dans la
fédération - servira ensuite à garantir nos
libertés. La vigilance aujourd'hui, c'est de voir qu'avec cette charte
des droits qui sert de paravent à une attaque directe et sans
précédent contre nos droits, le Québec subit une
deuxième crise d'octobre. Pacifique, celle-là, menée au
nom des libertés, elle n'en renforce pas moins la tutelle d'Ottawa sur
nous plus profondément que l'armée en 1970. Voilà.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M. Daoust, du
mémoire que vous nous avez soumis. Il est très clair et il est
complet. Je laisserai à mon collègue, M. Paquette, le soin de
poser tout à l'heure quelques questions directement reliées au
mémoire. (10 h 45)
J'en ai une qui peut vous surprendre, mais elle provient d'une
préoccupation que j'ai de temps à autre et je vous la pose
directement, encore que je commence moi-même à apporter la
réponse à la question que je vais vous poser. On nous dit souvent
que toutes ces questions constitutionnelles n'intéressent pas la
population, que cela nous émeut, nous, les hommes et femmes politiques
ici présents et une certaine élite, et on dit
péjorativement, en somme, qu'il s'agit d'un débat en cercle
fermé qui ne touche pas la masse de la population. Vous êtes ici
pour représenter la Fédération des travailleurs du
Québec, donc, pas des hommes ou des femmes politiques, pas non plus des
intellectuels en cénacle fermé. Je vous pose carrément la
question. On n'en a jamais parlé. D'après vous, d'après
l'expérience que vous avez, d'après les contacts que vous avez
dans les milieux que vous fréquentez, la question dont on débat
ici dont vous venez de nous parler, dont nous parlons, nous, depuis des jours
et dont on n'a pas fini de discuter, est-ce que cela intéresse les gens?
Si oui, à quels égards et, sinon, sommes-nous en train de faire
fausse route - et c'est la dernière partie de mon intervention - parce
qu'au mois de septembre ou d'octobre, juste à la veille du coup de force
des libéraux fédéraux, à Ottawa, on nous disait
assez allègrement: Vous ne pouvez rien faire contre ce qui va arriver
parce que, de toute façon, les qens ne sont pas attentifs, ils en ont
assez entendu parler, ils ne veulent plus en entendre parler, ils veulent
passer à autre chose et nous allons profiter, dans les trois mois qui
viennent, de ce désintérêt de la population pour
régler le problème une fois pour toutes. Ce ne sont pas
exactement les mots que nos amis fédéraux utilisaient, mais c'en
est la substance.
Aujourd'hui, on est à plusieurs mois de ce moment. Il semble que
le projet fédéral a des difficultés, c'est le moins qu'on
puisse dire, sauf que la question demeure toujours chez moi. Je vous le dis
très sincèrement, c'est ma responsabilité comme ministre
des Affaires interqouvernementales de consacrer une bonne partie de mon temps
à ce sujet. C'est mon métier. Si j'étais ministre d'autre
chose, je m'occuperais d'autre chose. Je suis ministre de ça. Sauf que
c'est toujours intéressant de savoir si ça intéresse ou
non la population, si on est complètement à côté de
la coche. Alors, vous qui représentez les travailleurs, qui êtes
en contact avec eux, ou votre collèque qui vous accompagne, pensez-vous
que cela intéresse le monde?
M. Daoust: Je pense que ceux qui prétendent que la
population et les travailleurs ne manifestent pas d'intérêt pour
une telle question font preuve d'un cynisme et d'une démagogie
incroyables, et même d'une absence de sens démocratique. Je vois
poindre chez ces qens une espèce d'attitude méprisante et
totalitaire à l'égard de la population. Les travailleurs sont
quotidiennement affectés par toutes les retombées des lois,
quelles qu'elles soient, des rapports entre le Québec et le gouvernement
central, des rapports entre les qouvernements souverains que sont les provinces
dans notre pays et par une constitution qu'à ce moment-ci on veut leur
imposer. Ils sont quotidiennement affectés parce que c'est leur devenir
comme individus qui est en jeu par les lois de l'économie, les lois de
toute nature de protection sociale, les lois qui garantissent les droits et
libertés et, comme citoyens à l'intérieur de groupements
comme le nôtre ou à l'intérieur d'une société
comme le Québec, ils sont directement impliqués par toutes les
retombées de ces lois.
On ne conteste pas qu'il s'agisse de problèmes extraordinairement
complexes et que des gens, à certains endroits un peu
éloignés d'ici, ont tout intérêt à
complexifier le problème et à le noyer sous des
considérations tellement remplies de technicités qu'on s'y
retrouve avec beaucoup de difficultés. Mais quand on dépouille
les textes, qu'on les examine profondément et qu'on voit ce qui va se
passer si le gouvernement fédéral réussissait dans son
projet de rapatriement unilatéral, dans ses amendements, dans sa charte
des droits et libertés et qu'on se penche sur les conséquences,
on est effarouchés, bouleversés, terriblement inquiets. Quand on
en parle aux travailleurs et qu'ils nous posent des questions, qu'ils
réfléchissent eux-mêmes, eux qui vivent un cheminement, ils
nous font voir à quel point on touche du doigt les problèmes
fondamentaux.
Lors du référendum que nous avons eu au Québec, au
mois de mai dernier, on a
fait le tour du Québec, quelques-uns d'entre nous, Jean en
était, Louis Laberqe, enfin, la plupart des dirigeants de la FTQ ont
fait le tour d'une vingtaine de régions où environ 3000 militants
ont eu l'occasion de participer à des assemblées.
Nous-mêmes, en toute honnêteté, nous avions peut-être
été conditionnés nous aussi en nous disant: Mon Dieu,
c'est un sujet dont on parle tellement, depuis tellement longtemps - pas le
référendum comme tel ou la question qui nous a été
posée, mais tout le problème constitutionnel - qu'on se disait:
Peut-être qu'il n'y aura pas d'intérêt qui va être
manifesté dans les assemblées syndicales. On a été
renversé de rencontrer 3000 militants, on a été
bouleversé et émerveillé de voir qu'au congrès
extraordinaire que la FTQ tenait, au mois d'avril dernier, il y a eu une
participation de 2187 délégués et, au-delà du
nombre, un peu partout, on a été vraiment impressionné de
la gualité des débats chez les travailleurs, dans les usines, un
peu partout; les travailleurs de l'automobile, qui se penchent sur leur
devenir; les travailleurs du textile, qui crient leur désespoir à
l'égard des politiques gouvernementales fédérales et les
indécisions ou les piétinements à l'égard des
accords du GATT, ou à l'égard des contingentements et tout ce gui
en découle; les travailleurs de la construction, dans le domaine de la
mobilité et de la main-d'oeuvre.
Alors, un peu partout, les qens, dans leurs mots à eux, gui sont
toujours les mêmes et qui rejoignent les nôtres - dans le fond, il
n'y a pas tellement de différence -touchent du doigt des
problèmes fondamentaux, des problèmes liés à
l'économie, liés au chômage, aux politiques de
main-d'oeuvre; c'est une des grandes revendications du mouvement syndical et de
la FTQ depuis je ne sais pas combien de temps. Et les travailleurs payent de
leur chômage, de leur insécurité économigue, des
chevauchements, des dédoublements entre deux ordres de gouvernement,
dont un est terriblement lointain et l'autre terriblement plus près de
nous, et dans lequel on se reconnaît.
Alors de dire, cyniquement - moi, je trouve ça d'un cynisme
inouï - que la population se balance, comme de sa dernière chemise,
du débat constitutionnel, je trouve que c'est mépriser la
population et, encore une fois, je trouve ra nettement antidémocratique.
Je trouve que c'est dangereux pour la santé des débats publics
dans notre société et ceux qui croient cela font erreur,
très sincèrement. On pourrait donner des dizaines d'exemples chez
nous et on sait fort bien, au-delà de la réalité
guotidienne, que les gens vont vivre avec ça, pas seulement une vie,
mais des générations et des générations,
d'où leur intérêt à l'égard de ces
problèmes qui se manifestent de toutes sortes de façon.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Saint-Laurent.
M. Forget: M. Daoust, j'ai pris connaissance de votre
mémoire, j'ai écouté votre présentation avec un
très grand intérêt. C'est un mémoire qui
mérite, sans nul doute, une étude très attentive, d'autant
plus qu'il est rédiqé de manière fort subtile et que ce
n'est qu'avec une deuxième, et une troisième lecture parfois,
qu'on peut véritablement en apprécier la valeur.
En particulier, la première impression que j'ai eue en lisant le
début de votre mémoire, c'était que votre mouvement avait
opéré un retournement assez rapide et, pour tout dire, avec un
extrême couraqe, puisqu'il n'y a pas si longtemps, on se souvient que la
FTQ avait porté un jugement d'échec définitif sur le
fédéralisme, avait décidé d'appuyer le mouvement
souverainiste et de se joindre à la campagne du oui. D'ailleurs, je
crois que vous avez donné une conférence de presse à
l'Assemblée nationale elle-même, à ce sujet, il y a environ
un an.
Il me semblait, à une première lecture, que vous adoptiez
désormais la perspective d'un fédéralisme
intéqriste et sans reproche pour critiquer l'initiative
fédérale.
Mais je pense que ce n'est qu'une fausse impression qu'on peut dissiper
rapidement lorsqu'on lit attentivement votre texte une deuxième et une
troisième fois. Je pense que, si on cherchait à
caractériser par une seule phrase l'ensemble du début du
document, c'est que, selon vous, l'initiative fédérale - et je
vous cite ici - "vise à freiner le cours normal de l'évolution
pour sauver le statu quo." Ces mots sont quand même un peu difficiles
à comprendre à la page 4. On pourrait dire que cela vise à
freiner le cours normal de l'évolution vers l'indépendance pour
sauver le fédéralisme ou quelque chose dans ce genre. C'est
peut-être le sens qu'il faut donner, dans le fond, à votre prise
de position. À ce moment-là, c'est moins étonnant que vous
arriviez, moins d'un an après le référendum, avec une
position qui pourrait sembler fédéraliste.
Il y a également d'autres éléments
intéressants et paradoxaux; je crois que vous reprenez, à la page
12 en particulier, parmi d'autres arguments, le procès du
fédéralisme ou du régime fédéral en parlant,
en particulier, de l'industrie du textile. Cela m'a toujours surpris gue le
mouvement syndical porte un jugement si sévère sur la politique
tarifaire canadienne en matière de textile parce que j'ai entendu - et
je l'avais pris au sérieux à l'époque - l'avis du ministre
des Finances actuel et peut-être aussi celui du ministre responsable du
Développement économique gui s'étaient réjouis de
la façon dont le gouvernement
fédéral s'était rangé aux vues du
Québec relativement à la politique des contingentements
d'importations et à la politique tarifaire, je pense qu'il y a de cela
maintenant deux ans et demi ou peut-être trois ans. Il semble donc qu'il
y a eu un effort assez systématique du côté du gouvernement
fédéral pour épargner à une industrie qui est
sévèrement menacée par la concurrence internationale,
surtout en provenance des pays du Tiers-Monde, par des mesures tarifaires
protectionnistes - il faut le dire, je pense - suffisamment ou passablement -
même si ce n'est pas suffisamment aux yeux de tous - rigoureuses et qui
ont un impact important sur le consommateur, comme on le sait. Je ne veux pas
insister plus qu'il ne le faut sur une question de détail comme
celle-là, mais on reprend, à l'occasion, une argumentation qu'on
a abondamment entendue il y a un an.
La question de l'autodétermination revient aussi. Cette question
a été abondamment discutée l'an dernier. D'ailleurs, on a
entendu dans certains mémoires, à la commission parlementaire
hier, en particulier, des jugements de certains groupes pour qui cette question
avait été réglée dans les faits. Pour eux, le droit
à l'autodétermination du Québec était acquis en
pratique puisqu'on l'a exercé sans obstacles juridiques, sans obstacles
politiques et sans autres obstacles et toute tentative d'inscrire un droit
à la sécession dans une constitution fédérale
amènerait plus de complications et plus de restrictions qu'on n'en a
actuellement.
Relativement à des choses qui touchent de plus près vos
membres, il y a un certain nombre de remarques à la page 23 où
vous parlez de la circulation des travailleurs et des "menaces" que ferait
planer le projet de charte fédérale sur la mobilité des
travailleurs. Vous visez tout particulièrement le règlement de
placement des travailleurs dans l'industrie de la construction à la
défense duquel vous vous portez maintenant, semble-t-il. Il me semble
qu'il y a plusieurs observations qui doivent être faites et plusieurs
précisions qui devraient être apportées de ce
côté.
En premier lieu, vous semblez donner l'impression - je vais vous poser
toutes mes questions et vous pourrez peut-être y répondre en
même temps - que ce règlement favorise les Québécois
aux dépens, en quelque sorte, des travailleurs d'autres provinces. Je ne
sais pas sur quoi vous vous basez exactement parce qu'on pourrait
prétendre qu'il fait le contraire, parce qu'il restreint l'accès
à l'industrie de la construction à un nombre considérable
de Québécois qui ne sont pas qualifiés au titre du
règlement. Je pense aux étudiants, je pense à des
travailleurs pour qui l'accès à cette industrie
représenterait une promotion sociale, car ce n'est pas tout le monde, au
Québec, dans le secteur privé, du moins, qui est payé $15
l'heure de nos jours. Pour certains, cela représenterait l'ambition de
leur vie d'accéder à un métier de la construction, mais
parce qu'ils n'y ont pas été l'an dernier ou l'année
d'avant, on sait que le règlement de la construction leur dit: Vous
n'avez pas le droit de devenir ou d'aspirer devenir des travailleurs de la
construction, à moins que l'économie prenne un essor tel qu'on
ait finalement besoin de vous. Cependant, certains travailleurs de la
construction d'autres provinces qui satisfont à certaines conditions
prévues dans le règlement ne sont pas admis à venir
travailler sur des chantiers de construction du Québec. (11 heures)
Ce n'est pas absolument clair qu'une règle qui
décréterait la mobilité serait pire que la situation
actuelle et ça, c'est si on regarde la situation au Québec.
Ma deuxième question, il est de notoriété publique,
M. Daoust, mais vous pourrez me contredire là-dessus, que l'état
de l'industrie de la construction au Québec est assez
déprimé depuis quelques années; je pense que c'est un
fait, qu'on ne me taxera pas de partisanerie. Je soulignerai que la moyenne
d'heures est d'environ 1000 pour les employés de la construction durant
les dernières années; ça ne correspond même pas
à six mois de travail, donc, on est dans une situation difficile. II
semble de notoriété publique que plusieurs milliers de
travailleurs de la construction québécois ont trouvé des
emplois dans d'autres provinces, non seulement en Ontario où il y a eu
cette espèce de contestation, il y en a sûrement quelques-uns en
Ontario, mais même aussi loin qu'en Alberta sur les grands chantiers
énergétiques, etc., même dans l'industrie de la
construction; on a tous vu des travailleurs de la construction du Québec
donner des entrevues à la télévision.
La mobilité ne joue pas toujours dans le même sens.
L'expérience la plus récente du Québec, c'est que cela a
joué en faveur des travailleurs québécois qui sont
allés ailleurs et on ne voudrait certainement pas que les autres
provinces se mettent à ériger des exigences et des
barrières les empêchant d'avoir accès à ces
emplois.
Il me semble que votre dénonciation est catégorique;
catégorique ou peut-être pas catégorique, parce que vous
dites des choses comme celles-ci, par exemple: Les conséquences du
principe de mobilité, de circulation des travailleurs pourraient
toutefois faire plus de mal que de bien. Je pense qu'à ce moment-ci du
débat il s'agit plus que de traiter d'hypothèses
générales. C'est sûr que l'on peut soulever toutes sortes
de spectres dans l'interprétation d'un projet de loi ou dans un projet
de charte
quelconque. Vous avez sûrement des experts qui sont versés
dans l'interprétation du droit relativement à ces questions. Je
vous dis ça, parce qu'il sennble que le qouvernement a
répété vos affirmations, à moins qu'il ne les ait
inspirées - je ne sais pas dans quel sens l'influence a pu jouer - mais
que lui n'a pas eu les moyens de trouver l'expertise pour documenter ces
danqers. Il nous a promis, à plusieurs reprises, de nous expliquer en
quoi ce projet de charte, sur ce point de la mobilité, rendrait non
valides les lois et les règlements du Québec; il nous a toujours
promis ces données pour plus tard, on ne les a pas encore, alors qu'on
devrait déjà les avoir en main. Peut-être que vous avez une
expertise juridique qui nous permettrait d'affirmer catégoriquement que
telle clause, telle que rédigée, emporte nécessairement
l'abrogation du règlement. Ce serait précieux.
Évidemment, ce n'est qu'une opinion d'avocat, ça ne vaut
que ce que ça vaut, mais ça vaut peut-être plus qu'une
simple spéculation. Au moins, ça permet de renverser le fardeau
de la preuve, je crois.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
pendant que vous faites une petite pause, j'ai un rôle un peu ingrat.
M. Forget: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous avez déjà
utilisé la moitié du temps et je pensais qu'il faudrait
probablement réfléchir à le répartir au moins pour
donner autant de temps pour la réponse.
M. Forget: Oui, je termine ici...
La Présidente (Mme Cuerrier): Alors, voulez-vous...
M. Forget: ...quelques secondes...
La Présidente (Mme Cuerrier): ...faire rapidement?
M. Forget: ...Mme la Présidente, je termine dans quelques
secondes. Je pense qu'il était nécessaire de bien préciser
que sur cet aspect critique et d'intérêt primordial pour les
membres de la FTQ, dans le secteur de la construction, s'il y a un danger,
c'est le moment de bien expliquer comment le problème se pose et aussi
d'obtenir des éclaircissements les plus autorisés possible.
Un dernier point, je vais tous les mentionner, puisque ça vous
permettra de faire une réponse synthétique, ce sont les
affirmations que vous faites relativement à la langue de travail.
À la paqe 7.6 de votre mémoire, vous affirmez que les
dispositions du projet fédéral auraient pour effet d'affaiblir
les dispositions de la loi 101, enfin la force morale. Je ne sais pas ce que
vous voulez dire par ça. La loi 101 demeurerait, mais elle aurait une
force morale réduite, tout en ayant une force juridique
inchangée. Il y aurait peut-être une précision à
apporter, mais ce qui est plus important, ce qu'est vraiment l'objet de ma
question, c'est que ce projet fédéral menacerait les dispositions
relatives à la langue de travail dans la loi 101. J'avoue que c'est la
première nouvelle que j'en ai. Je n'ai vu dans aucune disposition du
projet fédéral quoi que ce soit qui puisse influencer la langue
de travail. Je pense que personne, où que ce soit, n'a jamais mis en
doute la nécessité du maintien des dispositions de la loi 101 sur
la langue du travail qui, de toute façon, correspondent à une
espèce de consensus très large puisqu'elles reprennent, dans une
très large mesure, ce qui était déjà dans la loi ?2
relativement à la langue de travail.
Il y a donc un consensus qui est accepté non seulement,
semble-t-il, par toutes les formations politiques, mais par tout le monde au
Québec relativement à la langue de travail et il me semble
paradoxal et étonnant de suggérer que ces dispositions pourraient
être affaiblies. Évidemment, vous tempérez cette mise en
garde en disant gue c'est la force morale qui serait diminuée. Je ne
sais pas ce qui affecte la force morale des lois quand elles demeurent en
vigueur, par ailleurs. On tombe dans la psychologie collective ou la
psycholoqie sociale et je dois avouer que je pense bien que ni vous ni moi ne
sommes des experts de la psycholoqie sociale, mais il pourrait être
intéressant de vous entendre sur le sujet malgré tout.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le secrétaire
général de la Fédération des travailleurs du
Québec.
M. Daoust: Je vais commencer par commenter vos remarques au sujet
de ce qui vous sennble être la prise de position de la FTQ à
l'égard du fédéralisme.
Vous avez bien raison de ne pas voir dans ce document une profession de
foi dans le fédéralisme que nous vivons à ce moment-ci. La
FTQ, depuis fort longtemps - on a des textes qui peuvent l'établir - a
toujours été très critique des retombées des
politiques économiques du gouvernement du Canada au Québec, de
ses politiques fiscales, de ses politiques d'investissement, de ses politiques
de disparités économiques régionales ou des politiques en
vue de la disparition des inéqalités régionales. On a
toujours été fort critigue de cela et je pense qu'on ne s'est
jamais contredit dans ce domaine-là, je ne le pense pas.
Ce qu'on a voulu souligner surtout, tout au long du document, c'est
gu'on veut et on voulait gue ceux qui, pendant des mois et
des mois, ont prié le peuple québécois de donner un
vote pour le non lors du dernier référendum livrent la
marchandise. Ces gens-là nous ont parlé, comme ils nous ont
parlé, on s'en souvient tous, ont fait miroiter des projets, ont
suscité des espoirs, ont engendré toutes sortes de
possibilités et on s'aperçoit que, dans la réalité,
c'est un recul; ce n'est plus du fédéralisme, c'est de
l'unitarisme qu'on veut, un État très unitaire, très
central. Cela peut se concevoir dans un pays homogène où il n'y a
pas de dualité culturelle et linguistique, où il n'y a pas
d'enracinements comme ceux qu'on a connus et qu'on connaît au pays,
où il n'y a pas une nation comme telle qui s'affirme ou deux nations,
peu importe qu'on conteste ou non qu'il y ait une deuxième nation, la
nation canadienne, on ne veut pas entreprendre un débat
là-dessus.
On veut donc rappeler à ceux qui nous ont orientés dans un
sens, toute la population du Québec, qu'ils ont une marchandise à
livrer. On ne trouve pas d'autres mots à ce moment-ci. "They should
deliver the goods", pour leur dire en anglais. C'est eux qui ont fait les
promesses et, à ce moment-ci, on ne retrouve absolument rien dans tout
ce qui est suggéré, un État centralisé, unitaire,
qui va maintenir une forme de statu quo, le statu quo qui existe, l'Ontario qui
a pris la place que l'on connaît et tout cela. C'est un peu dans ce
sens-là qu'on a voulu aborder la présentation de ce
mémoire.
Vous avez parlé du textile et du vêtement. J'ai cru
comprendre - je ne veux pas vous interpréter, à ce moment-ci -
que vous vous réjouissiez quelque peu de l'intervention - vous n'avez
pas dit énergique du gouvernement fédéral - du
gouvernement fédéral. Puis-je vous rappeler qu'on a dû
drôlement leur pousser dans le dos. Ce n'est pas possible!
Ici au Québec, tous les gouvernements et ce gouvernement actuel,
les centrales syndicales et les syndicats n'ont jamais cessé de mettre
tout en oeuvre afin que ne disparaissent pas une centaine de milliers d'emplois
au Québec. On sent que le goût est là et que, si on n'avait
pas cette vigilance-là au Québec... Le goût est là,
chez certains grands technocrates du gouvernement fédéral, et
peut-être chez certains ministres, sans aucun doute, puisgue c'est eux
qui décident en dernier lieu, de rayer quasiment d'un coup de plume les
emplois des travailleurs des secteurs mous au Québec, le textile, le
vêtement, la chaussure et le meuble.
D'ailleurs, on peut se rappeler qu'au moment de ces $0.03 de taxe qui
avaient été enlevés, le gouvernement du Québec a
choisi une tout autre option qui a permis à ces industries de ne pas
péricliter, de surnager et de vivre un peu mieux. C'est le gouvernement
fédéral qui avait pensé à une formule qui, encore
une fois, allait favoriser l'Ontario.
À l'égard du textile, vous êtes sans aucun doute
familier qu'on appuie, que tous nos syndicats appuient et, je pense bien, que
l'ensemble de la population appuie les efforts du gouvernement du
Québec. On sait qu'il y a un projet de $80,000,000 d'investissements
gouvernementaux pour qu'il y ait une reprise, une relance dans l'industrie, ce
qui permettrait, par voie de conséquence, selon des données que
nous avons, des investissements qui pourraient peut-être totaliser
$200,000,000 ou $300,000,000. On ne se chicanera pas sur les chiffres, mais on
sait qu'il faut continuer de pousser dans le dos et être
extrêmement alerte.
Nous autres, nous qualifions la politique du qouvernement
fédéral de remplie d'incertitudes et d'atermoiements et on est
inquiété. On sait que des commissions qui ont été
mises sur pied par le qouvernement fédéral ont
étudié la question et ont fait des recommandations que nous
approuvons, mais il faut inlassablement pousser dans le dos du qouvernement
fédéral pour que l'industrie du textile, de façon toute
particulière, et du vêtement ne disparaisse pas.
Je tiens à vous rappeler - c'est intéressant, si vous me
le permettez - qu'il y a eu une manifestation à Montréal, je
pense, à l'automne, à laquelle Jean Lavallée participait,
entre autres, des travailleurs amalgamés du vêtement et du
textile. On retrouve dans ce syndicat beaucoup de travailleurs qui viennent des
communautés ethniques, une très grande concentration, et qui
n'ont pas hésité à descendre dans la rue pour manifester
pacifiquement contre les hésitations du gouvernement
fédéral à l'égard des politiques qui tardaient
à venir dans leur domaine. J'ai mentionné qu'il y avait beaucoup
de gens de plusieurs communautés linguistiques et ethniques pour vous
dire que ce n'était pas un truc ou une mise en scène qui se
situait dans le débat référendaire. Ce sont des gens,
Québécois et Québécoises, Canadiens et Canadiennes,
qui se sentent menacés dans leur emploi, qui crient au qouvernement
fédéral de bouger et qui pressent le gouvernement du
Québec, par tous les moyens, d'intervenir. (11 h 15)
On présentait un mémoire au gouvernement du Québec
tout récemment et on lui rappelait qu'il devait intervenir avec toute
l'énergie voulue auprès du gouvernement fédéral
afin que ne disparaissent pas 100,000 emplois dans le secteur du textile. C'est
un peu cela, le fédéralisme qu'on conteste et qu'on critique.
Peut-être que Jean Lavallée va parler des problèmes
de la construction. À l'égard de la loi 101, évidemment
qu'on est nerveux. Il y a l'éducation. D'autres l'ont abondamment
abordée. On est nerveux et on
a de drôles de bonnes raisons d'être nerveux quand on lit,
dans le programme d'un parti politique, que l'affichaqe unilingue au
Québec risque d'en prendre pour son rhume. On commence comme cela, petit
à petit: clause Québec, clause Canada et le reste. Vous
connaissez ce sujet sans aucun doute. On est nerveux. On est inquiet. Les
efforts de francisation dans les entreprises, il faut parler aux travailleurs
qui les vivent. Ce sont eux qui, quotidiennement, font face à cette
réalité. On est nerveux. Il faut pousser dans le dos de bien des
gens. Il y a l'Office de la langue, la Commission de surveillance. Vous le
savez aussi bien que moi. Il faut tordre les bras à bien des qens.
Dès qu'on laisse poindre à l'horizon certaines
possibilités, on ouvre des portes. La force morale, c'est bien beau,
mais, dès qu'il y a des discours faiblissants dans ce domaine, tenus par
certains hommes politiques - je dois vous le dire parce que c'est le fond de
notre pensée - et des prises de position, c'est terriblement dangereux
pour le climat social au Québec de jouer avec ces lois linguistiques
qu'on a réussi, de peine et de misère, à aménager
et à l'égard desquelles on vit un certain contentement, pour
être bien franc.
Le gouvernement fédéral, d'un côté, a ses
idées à l'égard d'une charte avec tout ce que cela peut
impliquer. On a lu les interventions de M. Pratte devant votre commission -
c'est un des plus grands juristes que l'on connaisse - et lui-même nous
dit: II y a des zones grises. On ne sait pas, il y a des gens qui vont
peut-être se prévaloir de cette charte des droits et
libertés contenue dans le projet du gouvernement fédéral
pour tenter un tas d'interventions et là, on va se réveiller
devant les tribunaux. Il y a des qens qui vont s'asseoir confortablement et qui
vont peut-être bouger un peu moins ou gui vont devenir nostalgiques d'une
époque que nous avons douloureusement vécue au Québec.
C'est un peu tout cela qu'on veut dire dans notre document. Là,
on s'en prend, évidemment, au projet du gouvernement
fédéral, mais on ne peut pas ne pas s'inquiéter de voir
qu'il y a des gens au Québec qui ne manifestent pas toute la
satisfaction qu'ils devraient manifester à l'égard de la loi 101
et qui sont prêts à la taillader ici et là et à
l'amputer de certains de ses éléments essentiels. Je vous le
répète, je pense que c'est générateur de troubles
et de perturbations sociales dont on pourrait drôlement se priver dans le
contexte actuel au Québec.
Je voudrais peut-être que Jean commente quelque peu le
problème que vous avez soulevé.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
vice-président.
M. Lavallée (Jean): M. Forget, en réponse à
vos différentes questions en ce qui a trait à l'industrie de la
construction, je pense que je suis très bien placé pour pouvoir
en discuter en tant que président de la FTQ-Construction. Nous n'avons
pas d'opinion juridique en ce qui a trait à l'effet comme tel de ce qui
est inclus dans la charte, à la section 6, qui dit que "tout citoyen
canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au
Canada ont le droit de gagner leur vie dans toute province." Quand on fouille
les textes, nous aussi, on a peur et on est inquiet. Nous ne sommes pas les
seuls à l'être. Hier, je prenais connaissance de l'intervention de
l'Alliance qui, elle aussi, a posé à peu près les
mêmes questions à ce sujet.
L'industrie de la construction, pour nous, est extrêmement
importante. Au cours des dernières années, qu'en pensent les
différents partis politiques au Québec en ce qui a trait au
règlement de placement dans l'industrie de la construction, le
règlement no 5? Pour nous, on a réussi à créer un
certain équilibre dans cette industrie. C'est une industrie qui avait,
à un moment donné, 250,000 travailleurs et qui, à vrai
dire, n'en a besoin que d'environ 100,000. On avait toutes sortes de personnes
qui venaient travailler dans l'industrie de la construction dépendamment
des situations. Je pourrais vous citer que les policiers venaient à
l'occasion, les pompiers venaient à l'occasion, dépendamment de
leur horaire de travail. Les agriculteurs, dépendamment de la saison. Il
y avait aussi beaucoup de patronage qui se faisait. C'était un peu plus
difficile au niveau des métiers spécialisés, qui eux
requièrent un certificat de qualification. Mais au niveau des
occupations, des manoeuvres ou des différents qroupes qui n'ont pas
nécessairement besoin de certificat de qualification, ce monde
était à la merci de toutes sortes de pressions. Donc, le
rèqlement de placement, nous sommes d'accord avec, nous avons certaines
réticences à certains articles du rèqlement, mais nous ne
voudrions pas que par un tel article inséré dans une charte le
fédéral se place les pieds dans les relations de travail en
termes de faire disparaître le rèqlement de placement.
Vous posez aussi la question: Est-ce que le rèqlement de
placement ne donne pas des droits aux travailleurs de l'Ontario et que cela ne
vous occasionne pas plus de problèmes à vos travailleurs du
Québec qui pourraient éventuellement être privés de
travailler dans ces différentes provinces?C'est vrai que
nous avons peut-être quelques milliers de travailleurs
québécois qui travaillent dans d'autres provinces à
travers le Canada, mais il y a aussi des travailleurs ontariens qui travaillent
dans la réqion frontalière au Québec et pas seulement
l'Ontario, les autres régions frontalières du
Québec. Le problème auquel on a à faire face, c'est de
protéger cette industrie pour les vrais travailleurs de la construction.
Vous mentionniez qu'on privait les étudiants de pouvoir entrer dans
cette industrie, quand bien même les gars gagnent des salaires de $15
l'heure, mais vous avez dit un peu plus tard que les gars travaillent 1000
heures par année. C'est effectivement le cas.
C'est bien beau d'avoir de gros salaires, mais, lorsque tu ne travailles
pas, cela devient des salaires de $6 ou $7 l'heure. Ce qu'on veut faire, on
veut protéger ces travailleurs. Dans l'industrie privée, il y a
des conventions collectives de travail qui existent qui ont des clauses
d'ancienneté. Avant de prendre d'autres travailleurs, il faut qu'on ait
donné le travail à ceux qui l'ont perdu, qui ont
été "layoffés", les réembaucher avant de prendre de
nouveaux travailleurs. Mais c'est un peu ce que le règlement de
placement vise dans l'industrie de la construction. Pour nous, insérer
à l'intérieur de la charte un tel article, cela pourrait mettre
en péril le règlement de placement dans l'industrie de la
construction. Je peux vous dire que les travailleurs que je représente
tiennent à maintenir ce règlement de l'industrie de la
construction.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Rosemont.
M. Paquette: Mme la Présidente, j'ai écouté
avec intérêt l'échange entre le député de
Saint-Laurent et les représentants de la FTQ. En écoutant ces
questions, je peux vous dire, Mme la Présidente, que je comprends un peu
mieux pourquoi le Parti libéral du Québec défend aussi
faiblement les droits du Québec. Par ces questions, on se rend compte
que, selon eux, le seul problème du geste d'Ottawa, c'est la
démarche, c'est le fait qu'il s'agisse d'une démarche
unilatérale qui se fait sans l'accord des provinces. Nous partageons
cette idée, mais cependant il n'y aurait pas de danger sur le plan
linguistigue, très peu. Il n'y aurait pas de problème non plus
quant à la priorité d'emploi que certaines lois du Québec
accordent aux travailleurs québécois. En fait, ce que les
libéraux provinciaux sont en train de faire, ils sont en train d'essayer
de convaincre les Québécois que ce n'est pas très
dangereux. Ce n'est pas surprenant puisque sur le fond, quand on lit leur livre
beige, ils sont d'accord essentiellement sur le plan des mesures linguistiques
contenues dans le coup de force fédéral, sur le plan
également de la mobilité de la main-d'oeuvre "from coast to
coast". Sur ces deux points, le livre beiqe est d'accord avec le contenu de la
résolution fédérale.
Je dois vous dire, Mme la Présidente, que si jamais les
libéraux provinciaux réussissaient à convaincre les
Québécois qu'il n'y a pas de danger sur le plan linguistique,
qu'il n'y a pas de danqer sur la mobilité des travailleurs, je me
demande comment on pourrait faire, sans l'appui de l'opinion publique sur des
questions aussi fondamentales que celles-là, pour bloquer le coup de
force qu'Ottawa nous prépare? Moi, je pense, au contraire, qu'il y a
d'énormes risques sur le plan politique, il y a d'énormes risques
éqalement sur le plan économigue.
Je voudrais poser deux questions à M. Daoust; d'abord, l'une sur
la question linguistique. Bien sûr, la résolution
fédérale se concentre sur la question de la lanque
d'enseignement, elle ouvre considérablement l'école anglaise
à d'autres personnes que les Québécois anglophones. C'est
une deuxième attague, après celle qui est déjà dans
la constitution, à l'article 113, qui a rendu illégale une partie
de la loi 101, partie gui portait sur la lanque des tribunaux et de
l'Assemblée nationale.
Vous semblez dire, dans votre mémoire, que ça peut avoir
une implication sur les autres parties de la loi TOT, dans le sens qu'il y
aurait une certaine influence dans les attitudes. Est-ce que vous avez senti,
dans l'application de la loi .101, en ce qui concerne le chapitre sur la lanque
du travail, des difficultés, des chanqements d'attitude récents
qui pourraient vous laisser penser qu'il y aurait un tel impact? Parce qu'il y
a tout le chapitre de la loi 101 qui est largement basé sur un
échange entre l'Office de la langue française et les milieux de
travail, sur des comités de francisation. Cela demande beaucoup de bonne
volonté des différents intervenants dans te milieu du travail, et
cette bonne volonté tient à la compréhension qu'ils ont de
la volonté politique du gouvernement et du peuple
québécois de franciser le Québec. C'est la première
question.
La deuxième porte la mobilité des travailleurs. Est-ce que
la difficulté de la résolution fédérale à ce
point de vue de l'article 6, en particulier, tiendrait au fait de
différences culturelles, d'abord et avant tout? C'est bien beau de dire:
On va favoriser la mobilité des travailleurs, mais on sait que les
travailleurs francophones, de fait, à cause de raisons culturelles, sont
moins mobiles que les travailleurs anqlophones. Est-ce que vous avez pu
constater ce fait et est-ce que c'est là-dessus que se base votre
critique?
Finalement, en ce qui concerne la question du ministre des Affaires
intergouvernementales tout à l'heure, concernant l'intérêt
de la population, je pense que vous participez au mouvement
Solidarité-Québec et que vous avez fait circuler une
pétition dans les milieux de travail. Qu'est-ce que ra a donné
comme réponse des travailleurs qui sont affiliés à la
Fédération des travailleurs du Québec?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le secrétaire
général, le signe que je vous faisais était simplement
pour vour demander si vous et M. Lavallée vouliez répondre aux
questions.
M. Daoust: Peut-être, un peu plus tard.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Daoust, malheureusement,
nous avons à peu près terminé le temps qui nous
était alloué, alors...
Une voix: Consentement.
M. Daoust: Très rapidement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Ron, mais j'espère au
moins que la commission vous accordera autant de temps pour répondre que
le temps utilisé pour poser les questions.
M. Daoust: Les trois questions de M. Paquette sont vivement
intéressantes. Je vais essayer, très rapidement, de leur donner
des réponses.
À l'égard de la loi 101, laissez-moi vous dire - et c'est
intéressant qu'on le dise publiquement - qu'à l'occasion d'un
sondage -et on a tous les réserves que vous savez à
l'éqard des sondages - que nous faisions il y a déjà
quelque temps, à l'intérieur de la FTQ, nous avons
constaté - il y a déjà quelque temps, remarquez - que la
loi qui avait suscité le plus d'appui, à l'intérieur de
notre centrale tout au moins, c'était la loi 1.01. C'est
intéressant que je rattache ça un peu à ce que M. Morin me
posait comme question plus tôt; des gens qui pensent que les travailleurs
ne s'intéressent pas aux problèmes culturels, aux
problèmes constitutionnels font souvent fausse route.
Ce qui, à l'égard de la loi 101, nous inquiète, ce
sont les effets d'entraînement et une espèce de climat
psychologique. C'est de notoriété publique - en tout cas, je
pense que ça se sent, ça se voit; ça se voit sans aucun
doute dans le domaine de l'affichaqe. On sent que les gens attendent quelque
chose. Ce sont les effets d'entraînement. On sent que les gens prennent,
à ce moment-ci, les bouchées moins grandes dans le domaine de la
francisation. Ils sont un peu à un rythme... Comment appelle-t-on ce que
font les cyclistes? (11 h 301
Une voix: Du surplace.
M. Daoust: Du surplace. Bon, ils font du surplace. Ils sont en
attente, espérant qu'un de ces bons jours, des oreilles plus
sympathiques et des législateurs moins énergiques dans le domaine
de la francisation pourraient peut-être chanqer des choses. Peu importe,
je pense que cela se sent, en toute honnêteté. On pourrait, je
oense bien, en faire une démonstration plus étoffée.
À l'égard de Solidarité Québec, la
pétition, comme vous le savez, a connu un sprint, un marathon qui se
terminait au tout début rie cette semaine. À ce moment-ci, c'est
la période de cueillette des pétitions qui est en cours. Chez
nous, dans les milieux de travail, on l'a fait signer partout. Des qens qui
avaient voté non au référendum l'ont signée avec
beaucoup de plaisir. De fait, Louis Laberge et moi-même sommes
allés au siège social de Bell Canada; ce ne sont pas
nécessairement seulement des syndigués, il y a des cadres, il y a
des gens fort bien rémunérés, il y a encore des
anglophones qui occupent des postes imposants dans cette entreprise. Le
"encore" veut dire qu'il y en a, c'est une constatation, il n'y a pas de malice
là-dedans.
Je vous raconte cela comme anecdote. Peut-être un peu à
notre surprise, on s'est aperçu qu'on avait quasiment autant de
facilité, sinon plus, à faire signer la pétition par des
anglophones que par des francophones. Elle était toute en
français et, peu importe, ils la signaient spontanément,
dès le moment qu'on leur expliquait le sens de cette pétition.
Pour nous, cela prouve, cela confirme un peu ce que je disais ce matin; les
travailleurs sont intéressés par ces questions, mais, en temps et
lieu, on commentera cette pétition qui connaîtra un aboutissement
d'ici quelques jours, une semaine ou deux, peu importe, et on aura l'occasion
de faire des commentaires un peu plus précis. Peut-être
qu'à l'égard de la deuxième question, Jean voudrait... Je
pense que vous avez parlé de la mobilité liée au
problème culturel ou linguistique.
M. Paquette: C'est cela. Je pourrais répéter la
question, Mme la Présidente. Les craintes que vous avez concernant
l'article 6 sont-elles causées par... Quand on parle de mobilité
qénérale, est-ce que cela n'a pas un sens très
différent pour des travailleurs francophones et pour des travailleurs
anglophones? Est-ce que vous sentez, dans les syndicats membres de la FTQ, un
sentiment assez répandu chez les travailleurs selon lequel c'est
beaucoup plus difficile pour eux d'aller travailler à l'extérieur
du Québec que ça peut l'être pour un anglophone?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Lavallée.
M. Lavallée: Ce sentiment existe au niveau de certains
travailleurs de la construction, selon la réqion d'où ils
viennent. J'ai eu, personnellement, certaines discussions avec des travailleurs
de Québec,
ici, qui ne savaient pas parler anglais et qui ont eu à aller
travailler en Alberta. Ils n'ont pas pu y demeurer très longtemps,
étant donné qu'ils avaient de la misère à
comprendre; ils sont revenus. Ce problème est un peu moins vécu
chez les travailleurs de Montréal; ces gars sont allés, à
plusieurs reprises, travailler soit aux États-Unis ou en Ontario ou dans
d'autres provinces du Canada. Selon les régions, nous avons cette
crainte des travailleurs.
Généralement, ce sont à peu près toujours
les mêmes qui voyagent, c'est un certain groupe. Ces gars, de par la
pratique et l'habitude aussi, ont appris l'anqlais et, normalement, ils n'ont
pas de problème à ce niveau.
La Présidente (Mme Cuerrier: II me reste à
remercier la Fédération des travailleurs du Québec pour sa
collaboration aux travaux de la commission. Merci à M. Jean
Lavallée, qui est vice-président de la Fédération
et président, je crois, de la Fédération des
électriciens, n'est-ce-pas, et à M. Fernand Daoust, qui est le
secrétaire qénéral. Merci beaucoup de votre
collaboration.
J'appellerai maintenant la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal. On m'informe que la Société Saint-Jean-Baptiste
de la Mauricie avait proposé d'être entendue, elle aussi, et
qu'elle se serait jointe à la Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal aujourd'hui pour ne pas multiplier les mémoires, me
dit-on. Est-ce que M. Marcel Henry est le porte-parole de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal?
Juste avant que vous vous présentiez, pour les intervenants
précédents, j'avais encore, entre autres, Mme la
députée des Îles-de-la-Madeleine qui voulait poser une
question et j'avais d'autres questions ailleurs. Pour la bonne marche des
travaux, je vous demanderais, à chacun - cela s'adresse aussi bien aux
membres de la commission qu'aux intervenants - autant que possible, de
concentrer les questions pour permettre que les gens qui sont là devant
nous puissent avoir, au minimum, autant de temps pour répondre qu'on en
met à poser des questions.
M. Marcel Henry, de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, je vous demanderais de présenter aux membres et aux
intervenants de la commission les gens qui vous accompagnent ce matin.
SSJB de Montréal et de la Mauricie et SNQ du
centre du Québec
M. Henry (Marcel): Mme la Présidente, d'abord, nous avons
deux sociétés soeurs qui ont voulu s'associer avec nous dans la
présentation de ce mémoire et qui ajouteront un mot à la
fin de la présentation. M. Yves Rocheleau est président de la
Société Saint-
Jean-Baptiste de la Mauricie et M. Georges Dumaine est le
représentant de la Société nationale des
Québécois du centre du Québec. J'ai, à ma gauche,
le premier vice-président de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, M. Jean-Marie Cossette, et le
deuxième vice-président, Me Yvon Groulx, ensuite, nous avons le
trésorier qénéral de la société, M. Gilles
Rhéaume. Nous avons aussi, parmi nos collègues qui sont ici dans
la salle, parce qu'il n'y a pas assez de place à la table, l'adjoint du
président, M. André Vien; nous avons M. Jacques Bergeron et M.
Guy Bouthillier qui sont membres de note conseil général.
J'espère que je n'en oublie pas. Nous allons vous présenter notre
mémoire, il n'est pas très long. Je vais vous le lire et ensuite,
on sera prêt à répondre aux questions.
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal lutte
depuis 1834 pour les intérêts du peuple du Québec. Notre
position politique fondamentale est bien connue. Ce que nous voulons, ce
pourquoi nous luttons, c'est la souveraineté politique totale du
Québec. C'est pourquoi nous avons voté oui le 20 mai dernier. Les
raisons qui nous ont conduits à nous prononcer alors pour le
renforcement du Québec, comme le proposait le gouvernement du
Québec, sont les mêmes qui nous conduisent aujourd'hui à
nous prononcer contre son affaiblissement, comme tentent de le faire Trudeau et
son gouvernement.
M. Groulx (Yvon): Le projet Trudeau, un coup de force contre le
Québec. Plus précisément, nous nous opposons au projet de
Trudeau pour les raisons suivantes: d'abord, ce projet dépouillerait le
Québec de pouvoirs importants, notamment dans les domaines de
l'éducation et de la politique linguistique, c'est-à-dire dans le
domaine, capital pour nous, de l'identité collective.
Deuxièmement, ce projet nie le caractère français
du Québec. Cette constatation découle aussi bien de l'article 23,
qui vise à détourner de l'école française ceux qui
viendraient vivre au Québec, que de l'article 21 qui, en confirmant
l'article 133 du BNA Act, renforce le caractère de bilinguisme officiel
imposé au Québec. Mais cette constatation découle aussi et
peut-être surtout de l'omission dans le projet de Trudeau d'une
déclaration de reconnaissance de la spécificité nationale
du Québec.
Troisièmement, ce projet nie le Québec comme État
constitué et constituant. Cela découle de ce que le gouvernement
fédéral tente d'imposer au Québec une constitution sans
obtenir son accord. Cela découle aussi de ce que le
référendum constituant, prévu à l'article 42 du
projet, permettrait aux autorités fédérales de faire fi de
l'État du Québec et même d'obtenir l'abolition pure et
simple de ce dernier.
Quatrièmement, bien entendu, tout ceci
est proposé sans que l'on ait obtenu ou même demandé
le consentement du Québec. Qui, en effet, au Québec, pourrait
consentir à pareil affaiblissement collectif?
Or, cette absence de consentement vicie toute la démarche de
Trudeau et transforme son projet en coup de force contre le Québec, car
rien ni personne ne peut imposer au Québec une constitution sans son
consentement. Cela découle aussi bien du droit constitutionnel actuel
que du principe du droit à l'autodétermination.
Selon le droit constitutionnel actuel, une révision
constitutionnelle qui porterait atteinte à la position des provinces ne
peut être réalisée sans l'accord unanime des provinces.
C'est ce qu'à l'époque du Statut de Westminster avaient
demandé et obtenu les premiers ministres Ferguson, de l'Ontario, et
Taschereau, du Québec, et qu'avait reconnu le premier ministre Bennett
du Canada, en ces termes: " Au cas où l'on prétendrait que les
droits des provinces définis dans l'Acte de l'Amérique
britannique du Nord sont diminués, modifiés ou abroqés,
nous faisons dans le statut même une affirmation qu'il n'en est rien. On
veut établir clairement que cette loi n'accorde aux Législatures
provinciales aucun pouvoir d'accroître la juridiction qui leur a
été conférée par la constitution, ou au Parlement
fédéral d'accroître ses pouvoirs en se prévalant de
cette loi."
Et c'est ce qui fut pratiqué chaque fois qu'une révision
constitutionnelle portait atteinte à la position des provinces. En 1940,
sur la question de l'assurance-chômage, en 1951, sur la question des
pensions de vieillesse, en I960, sur la question des juges et, en 1964, sur la
question des pensions de vieillesse. Enfin, c'est ce que le gouvernement
fédéral devait reconnaître en 1964 par la voix de son
ministre de la Justice, M. Guy Favreau: " Le Parlement du Canada ne
procède pas à une modification de la constitution
intéressant directement les rapports fédératifs sans avoir
au préalable consulté les provinces et obtenu leur
assentiment."
Mais ce nécessaire consentement du Québec à toute
modification de sa position constitutionnelle découle aussi du droit du
Québec à l'autodétermination. Il ne faut ni l'oublier, ni
même le passer sous silence quelques mois à peine après le
référendum du 20 mai 1980. Il serait paradoxal, en effet, que les
autorités fédérales, qui, en mai dernier, reconnaissaient
au Québec le droit de rompre ses rapports avec la
fédération canadienne, lui refuseraient aujourd'hui le droit de
se prononcer sur une simple modification de ces rapports. Qui peut le plus,
peut le moins! Qui a le droit de se prononcer sur le plus, a le droit de se
prononcer sur le moins!
M. Cossette (Jean-Marie): Le projet Trudeau, un certain
dérèglement de l'esprit. Ce projet est aggravé par le fait
que, pour réussir à l'imposer, Trudeau doit recourir à
l'arme de l'équivoque, de la duplicité et de la fourberie. Qu'on
en juge!
Trudeau promettait naguère de ne rien faire sur le plan de la
réforme constitutionnelle que dans la compréhension mutuelle, la
patience et les accommodements, mais il vient de rompre cette promesse en se
lançant dans sa folle aventure unilatérale.
Trudeau s'apprête à changer fondamentalement, à
dénaturer la constitution actuelle pour la remplacer par une toute
nouvelle. Mais l'importance de ce changement, la gravité du
bouleversement qu'il propose, Trudeau tente de les masquer en ne parlant jamais
que d'un simple rapatriement.
Trudeau invoque volontiers dans cette affaire l'indépendance du
Canada, mais c'est pour mieux masquer l'ingérence
étranqère qu'il appelle de ses voeux en suppliant Londres de
voler à son secours et de faire à leur place ce que les
autorités constituantes du Canada ne veulent pas faire.
Aux Québécois, il a promis, et solennellement, de
renouveler le fédéralisme, mais il rompt cette promesse, car son
projet nie le fédéralisme en engaqeant le Québec et le
Canada dans la voie de la centralisation et du régime unitaire.
Aux Québécois, encore, il a promis un Québec fort
(Parle fort, Québec!\ mais son projet, loin de le renforcer, affaiblit
le Québec, loin de lui donner des pouvoirs nouveaux, lui en
enlève, et des plus importants.
Trudeau parle volontiers de défendre les minorités, mais
c'est à la majorité anglo-canadienne qu'il accorde toute sa
sollicitude, et non à la minorité franco-canadienne, allant
même jusqu'à dépouiller cette dernière des moyens
qu'elle vient enfin de se donner au Québec. Car, au fond, son projet n'a
pour but que d'immuniser contre la langue et l'école françaises
17,000,000 d'Anglo-Canadiens hors Québec en dépouillant 5,000,000
de Québécois des moyens qu'ils se sont donnés pour faire
partager ici leur langue aux non-francophones. Et tout cela au nom des droits
qu'il n'arrive même pas à assurer à 800,000 francophones
hors Québec, (11 h 45)
Trudeau place son projet sous le signe de la bonne entente, du respect
mutuel et de l'unité nationale, mais pour le faire adopter il s'appuie
sur l'Ontario dont la fermeture à la vie et à la langue
française, la francophonie, vient encore une fois de se manifester. Son
projet, au fond, n'est sans doute rien d'autre que la liberté reconnue
aux Anglo-Canadiens de venir vivre au Québec dans le refus et le
mépris de la vie
française.
Trudeau se drape sous son manteau de défenseur des
libertés, mais c'est l'homme -ne l'oublions pas, ne l'oublions jamais -
qui, non content d'avoir déclenché la razzia policière
d'octobre 1970, s'en déclare, dix ans plus tard, très fier et
bien décidé à recommencer à la première
occasion.
C'est seulement en s'attaquant aux causes que nous éviterons la
répétition de pareille situation. À notre avis, deux
facteurs se conjuguent ici:
Une première cause, ancienne et en quelque sorte enracinée
dans notre vie et dans notre système politique, c'est le fait qu'au plan
fédéral le Québec vit en situation de parti unique,
toujours si néfaste pour la démocratie. Dans ces conditions, quel
homme politique résisterait à la tentation du pouvoir personnel,
du coup de force policier, comme en octobre 1970, et du coup de force
constitutionnel, comme en octobre 1980?
Mais la cause la plus directe, la plus immédiate, c'est, bien
entendu, le résultat malheureux du référendum du 20 mai
dernier. C'est du non de mai 1980 qu'est sorti le coup de force d'octobre 1980.
Trudeau fait ce qu'il fait aujourd'hui parce qu'il a gagné le
référendum. Et il a gagné le référendum,
parce qu'il s'y est présenté comme l'homme du Québec fort
et du fédéralisme renouvelé et qu'il a trouvé au
Québec même des affidés politiques pour lui faire
écho.
Messieurs, mesdames du camp du non, vous avez appuyé cet homme et
sa promesse du fédéralisme renouvelé. Avant de faire son
lit, que n'avez-vous pas eu la prudence de lui demander, d'exiger de lui qu'il
précisât ses promesses et ses idées constitutionnelles! Cet
homme vous a possédés et c'est parce qu'il vous a
possédés hier qu'il croit aujourd'hui pouvoir posséder le
Québec tout entier. Votre attitude ne met sans doute pas en cause votre
bonne foi, mais elle accuse votre crédulité, votre
naïveté et votre piètre sens politique. C'est pourquoi vous
devez, plus que quiconque, en y mettant même la passion de celui qui
n'accepte plus d'être trompé, dénoncer le projet, l'homme
et son imposture constitutionnelle. Cette obligation s'impose tout
particulièrement aux libéraux du Québec, en raison du
rôle qu'ils ont joué auprès de lui et au nom de
l'étiquette politique qu'ils partagent avec lui.
M. Henry: De cette analyse, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal tire les conclusions suivantes:
Que l'Assemblée nationale et le gouvernement du
Québec...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Henry, je m'excuse de
vous arrêter. C'est une petite difficulté technique que nous avons
simplement. Parce que les présentations se sont faites un peu
rapidement, au niveau du journal des Débats, quand on veut identifier
les personnes qui parlent, c'est très difficile présentement.
J'aimerais juste vérifier. La première personne à
intervenir a été M. Henry; la seconde a été M.
Groulx, n'est-ce pas?
M. Groulx: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): Ensuite, c'était M.
Cossette.
M. Cossette: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): Voulez-vous, les prochaines
personnes à intervenir, d'abord vous identifier, simplement pour qu'on
puisse faire les rectifications voulues au journal des Débats de la
commission. M. Henry, je regrette cette intervention.
M. Henry: Merci. Que l'Asssemblée nationale et le
qouvernement du Québec disent et, au besoin, répètent aux
autorités de Londres qu'elles ne doivent pas donner suite à la
demande illégale et inconstitutionnelle qu'Ottawa veut leur
présenter. Tout autre comportement de la part de Londres serait un acte
de complicité dans le coup de force constitutionnel ainsi qu'un acte
d'inqérence dans les affaires du Québec et dans celles du Canada,
car, en ne respectant pas les rèqles établies, Londres sortirait
de son rôle de constituant canadien pour prendre ou reprendre, son
rôle de puissance coloniale. Cette ingérence aggraverait le
conflit Québec-Ottawa d'un conflit Québec-Londres et pourrait
compromettre les chances de voir le Québec, une fois souverain, demeurer
au sein du Commonwealth.
Cette démarche auprès de Londres ne s'adresse ni à
la souveraineté, ni au bon plaisir du Royaume-Uni et elle ne constitue
ni une supplique, ni un acte de foi. Au contraire, elle est un rappel des
obligations contractées en 1931 à l'égard du Québec
et des provinces canadiennes et elle est un appel au respect de la parole
donnée.
Que l'Assemblée nationale et le qouvernement du Québec
invitent les députés et les sénateurs du Québec qui
sièqent actuellement à Ottawa à exprimer fermement leur
opposition à Trudeau et à refuser catégoriquement leur
concours, au besoin jusqu'à la dissidence de parti, à tout coup
de force diriqé contre le Québec; que l'Assemblée
nationale et le gouvernement du Québec renouvellent le refus de toute
disposition constitutionnelle qui n'aurait pas leur accord; que
l'Assemblée nationale réaffirme solennellement le
caractère national distinctif du Québec et le droit du
Québec à l'autodétermination. Cette déclaration
solennelle apparaît d'autant plus urgente qu'Ottawa se comporte en
l'espèce
comme s'il ignorait la réalité nationale et les droits
fondamentaux du Québec. Enfin, que l'Assemblée nationale affirme
dès maintenant qu'elle tiendrait pour nulle et non avenue toute
modification constitutionnelle imposée au Québec contre son
gré et qu'elle y verrait la fin du régime fondé en 1967;
que, pour sortir de la vacance de la constitutionnalité qui serait ainsi
créée, l'Assemblée nationale et le gouvernement du
Québec prennent les dispositions pour convoguer une assemblée
constituante avec mission de préparer le texte de ce qui deviendrait,
après l'approbation du peuple par référendum, la
constitution du Québec. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): La première question
sera posée par... M. Rocheleau, vous vouliez intervenir?
M. Rocheleau (Yves): Oui. Yves Rocheleau, président de la
Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie.
Mme la Présidente, tout en appuyant le mémoire soumis par
la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, la
Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie, qui compte 22,000
membres répartis en 40 sociétés locales, voudrait informer
cette commission et, par son intermédiaire, toute la population du
Québec, que nous sommes d'avis que le gouvernement fédéral
n'a aucune forme de mandat pour procéder, comme c'est son intention,
à la réforme constitutionnelle actuellement proposée. En
effet, ni lors de la consultation électorale du 18 février 1980,
ni par leurs interprétations de l'exercice référendaire du
20 mai 1980, il ne nous est apparu que les diriqeants du gouvernement canadien
avaient l'intention de procéder à la réforme
constitutionnelle qu'ils nous proposent aujourd'hui.
Lorsque ces derniers ont promis de mettre, au besoin, leur sièqe
en jeu advenant un non au référendum, les Québécois
ont cru en cette promesse, mais ils se retrouvent aujourd'hui victimes, un peu
comme Mme Thatcher, du même qenre de restriction mentale gui
caractérise le comportement particulier de M. Trudeau. Jamais il ne nous
est apparu, comme sans doute à la très grande majorité des
Québécois, gu'une telle révision aboutirait à
guelque réduction que ce soit du pouvoir et des droits de
l'Assemblée nationale du Québec. C'est là, à notre
avis, quant à sa forme, le caractère le plus inacceptable des
propositions du gouvernement fédéral envers les
Québécois.
Par ailleurs, sur le fond, le projet fédéral vise à
faire du Canada un qrand tout politique où les provinces qui, au
départ, ont donné naissance à ce même gouvernement
fédéral, se verraient réduites à un rôle de
gouvernements subalternes. Dans un tel contexte, non seulement le Québec
se retrouverait-il une province comme les autres, mais il se verrait nier son
identité propre et son caractère distinctif et ce, contrairement
à l'affirmation du rapport Laurendeau-Dunton quant à l'existence
de deux majorités au Canada et à la notion des deux peuples
fondateurs qui constituent, de tout temps une des assises sur laquelle se sont
appuyés dans le débat constitutionnel les divers gouvernements
qui se sont succédé à Québec.
Aussi, nous sommes ici pour demander -pour ne pas dire supplier - aux
parlementaires de l'Assemblée nationale du Québec de se reqrouper
et de faire front commun devant l'urqence de la situation et ce, au-delà
de la partisanerie politique. Il nous apparaît en effet que le danqer gue
court la nation guébécoise exige l'unanimité de nos
parlementaires face à ce projet machiavéligue. Nous faisons un
appel pressant aux députés de l'Opposition pour gu'ils appuient
le gouvernement dans sa présente démarche, tant à ceux de
l'Union Nationale, en leur rappelant simplement gue ce parti s'est
historiguement fait le défenseur de l'autonomie du Québec,
gu'à ceux du Parti libéral du Québec, parti qui a
réalisé fièrement la révolution tranquille et qui a
eu le couraqe de dire non à Victoria, en 1971. Pourguoi ne feriez-vous
pas preuve aujourd'hui de la même fierté d'être
Québécois et du même couraqe gue ceux gui vous ont
déjà animés dans des circonstances presgue analogues?
Face à la menace très grave gui pèse sur le
Québec, nous demandons conséguemment à tous les
parlementaires québécois de dénoncer unanimement le projet
Trudeau et d'affirmer clairement, une fois pour toutes et avec la même
unanimité, le caractère distinctif du peuple
québécois et son droit à l'autodétermination.
La Présidente (Mme Cuerrier): Pourriez-vous identifier,
s'il vous plaît?
M. Dumaine: Georges Dumaine, directeur général de
la Société nationale du centre du Québec.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Duhaime ou M.
Dumaine?
M. Dumaine: Dumaine.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je connais mieux Duhaime. Je
voulais simplement vérifier. M. Dumaine.
M. Dumaine: Nous avons voulu, la Société nationale
du centre du Québec, appuyer le mémoire de la
Société nationale parce que nous sommes d'accord sur les
principes énoncés dans ce mémoire, même si nous
aurions préféré, à certains moments, un
style différent peut-être dans la présentation. Pour
rétablir certains faits et en toute honnêteté pour nos
membres, je devrais signaler qu'à l'occasion de la campagne
référendaire, même si la majorité des dirigeants de
notre société et toute notre campagne d'information à ce
moment avaient une tendance vers une réponse affirmative à la
question référendaire, nous n'avons pas donné
officiellement de directive à nos membres sur le vote à cette
occasion.
J'aimerais également, Mme la Présidente, rappeler que la
Société nationale du centre du Québec a été
la première à prôner la souveraineté du
Québec dans les années 1967-1968 et ça, dans la
foulée des grandes orientations des partis politiques d'alors - et je
pense que le Parti québécois n'existait pas - Québec fort,
Québec d'abord, égalité et indépendance. Bien des
choses ont changé depuis ce temps, mais la Société
nationale du centre du Québec, elle, n'a pas changé son
orientation. Elle continue toujours à prôner la
souveraineté du Québec. C'est pourquoi nous avons voulu
aujourd'hui appuyer le mémoire de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
En guise d'appui, je voudrais vous donner ici la position officielle du
conseil d'administration de notre société, position officielle
qui fait présentement l'objet d'un communiqué de presse qui doit
être publié dans les journaux locaux de notre région:
Considérant, Mme la Présidente, que l'Assemblée nationale
du Québec doit posséder les compétences suffisantes pour
assumer le développement du milieu et l'épanouissement de sa
population; considérant que l'Assemblée nationale du
Québec doit conserver le droit d'établir les politiques
économiques nécessaires au développement du Québec,
que le Québec doit demeurer le foyer national des Canadiens
français et conserver ses compétences exclusives en
matière de langue, de culture et de communications; que le
fédéralisme centralisé prévu par le projet de
réforme constitutionnelle fait du Québec un ghetto linguistique
et culturel soumis aux volontés de la majorité anglophone du
Canada; considérant que le rapatriement unilatéral est le premier
jalon de la disparition des droits des provinces et de l'abolition du
fédéralisme canadien fondamentalement basé sur l'entente
traditionnelle entre les deux peuples fondateurs; considérant que ce
projet constitutionnel fait du Québec une province comme les autres dans
un pays unitaire gouverné par une seule majorité, créant
sur le plan linguistique deux catégories de citoyens ayant des droits
inégaux au Canada;
En conséquence, nous nous opposons à ce projet de
rapatriement unilatéral et de modification non négociée du
pacte confédératif, soumis à l'approbation d'un
Parlement étranger, celui de Londres. Nous invitons nos
concitoyens de toute allégeance politique à s'opposer à ce
projet et à manifester cette opposition à leurs
députés en leur rappelant qu'ils ont d'abord été
élus pour défendre prioritairement les droits du Québec et
qu'ils doivent, à ce moment de notre histoire, représenter
fidèlement la conscience nationale du Québec.
De plus, Mme la Présidente, nous demandons au gouvernement
central de renoncer à ce projet contraire à l'esprit du
fédéralisme et à la volonté clairement
exprimée de la majorité des États provinciaux
constituants. Nous demandons dans une ultime démarche aux instances
fédérales et provinciales de s'entendre, d'abord, sur les
éléments constitutifs de ce pays, en particulier, la
reconnaissance du principe des deux nations fondatrices; (12 heures)
Deuxièmement, de déterminer en conséquence les
champs de compétence des différents paliers de gouvernement,
notamment en matière de taxation et de dépenses.
Troisièmement, de créer un conseil
confédéral, chargé de rédiger une nouvelle
constitution offrant aux deux nations l'égalité et les
mêmes garanties d'impartialité et ayant pouvoir de gérer
tout processus éventuel d'amendement de la constitution.
Nous demandons que le projet de constitution canadienne soit soumis
à l'approbation des ressortissants de chacune des provinces par leur
gouvernement respectif.
Nous demandons qu'après un tel référendum et
moyennant la règle de l'unanimité déjà reconnue la
constitution soit promulguée par tous les pouvoirs constitués
participants et reconnue par le Parlement de Londres, telle reconnaissance
rapatriant automatiquement la constitution.
Conscient des dangers qui menacent présentement l'ensemble
canadien et les droits fondamentaux des Québécois, la
Société nationale du centre du Québec invite tous les
citoyens à s'opposer au rapatriement unilatéral, parce qu'il est
contraire au fédéralisme, qu'il représente un
empiétement du gouvernement central sur les pouvoirs des provinces,
qu'il attente à la souveraineté du pays en soumettant un projet
constitutionnel à un gouvernement étranger, celui de Londres.
Parce que, finalement, l'actuelle démarche ne résoud aucunement
nos problèmes constitutionnels et ne règle en rien nos
différends entre peuples fondateurs. Merci, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, madame. J'ai
écouté, dans les représentations
que vous avez faites, plusieurs arguments qui militent contre le coup de
force fédéral; je ne veux pas revenir là-dessus.
Il y a cependant une chose que je trouve à la page 11 du
mémoire qui nous a été soumis et c'est ceci: On souhaite
"que l'Assemblée nationale réaffirme solennellement le
caractère national distinctif du Québec et le droit du
Québec à l'autodétermination. Cette déclaration
solennelle apparaît d'autant plus urgente qu'Ottawa se comporte, en
l'espèce, comme s'il ignorait la réalité nationale et les
droits fondamentaux du Québec".
Je vais vous poser une question - et je le fais en espérant que
je n'entreprendrai pas, par ma question, un débat politique ou
même partisan - je veux très objectivement dire qu'à propos
du droit à l'autodétermination, il existe deux écoles de
pensée dont, je pense, de part et d'autre, les positions peuvent se
défendre. D'une part -vu qu'on est devant une tentative
fédérale d'en arriver à une nouvelle constitution, mais
par un coup de force, et que, de toute façon, tant que le régime
fédéral durera, éventuellement on arrivera à une
nouvelle constitution, peut-être! - dans cette perspective où les
règles fondamentales du Canada vont être redéfinies, il
existe deux écoles de pensée. Une qui dit: Si on ne
réaffirme pas clairement, dans le texte même, le droit du
Québec ou des Québécois à décider
eux-mêmes librement de leur avenir, cette omission peut servir plus tard
à nier l'existence de ce droit. En d'autres termes on nous dira: Vous
n'en avez pas reparlé à ce moment où on faisait la
nouvelle constitution, donc c'est parce que vous l'avez abandonné. Donc,
première école de pensée qui dit qu'il faut affirmer
concrètement - donc l'écrire noir sur blanc -ce droit à
l'autodétermination pour le Québec.
Une autre école de pensée - c'est celle de nos amis
libéraux ici et, si je fais erreur, je pense qu'ils me corrigeront -
c'est de dire: Le droit à l'autodétermination, les
Québécois l'ont, ils l'ont exercé au mois de mai dernier.
Personne ne met ça en doute et, comme personne ne met ça en doute
ou que ce n'est pas un objet de discussion dans le débat actuel, ce
n'est pas nécessaire de l'écrire noir sur blanc.
Je résume; certains disent qu'il faut l'écrire, d'autres
disent qu'il ne faut pas l'écrire. Moi, j'opte plutôt, on le sait,
pour qu'on le précise en vertu du vieux principe que, quand on se parle
à demi-mot, on se comprend à moitié; alors c'est aussi
bien de l'écrire clairement.
D'après ce que je viens de lire et d'entendre, vous avez l'air
d'opter, vous aussi, pour que soit reconnu clairement ce droit à
l'autodétermination et que c'est d'autant plus nécesssaire de le
faire maintenant qu'on est face à un coup de force.
Je dois quand même dire, en étant très objectif, que
l'autre point de vue se défend aussi; ça se défend aussi
de dire qu'on n'a pas besoin de le mentionner, puisqu'il est déjà
reconnu.
Je voudrais que vous me précisiez, par rapport à ces deux
écoles de pensée... Je ne veux pas que vous preniez partie contre
ou pour qui que ce soit, mais c'est vraiment une question qui
m'intéresse profondément; je suis responsable de la
négociation de ces sujets et je pense personnellement qu'il faut
être plus précis que moins précis. Si ce n'était pas
mentionné dans une nouvelle constitution que le Québec a le droit
à l'autodétermination, pensez-vous que cela nierait ce droit, le
seul fait de ne pas le mentionner? Je ne sais pas à qui poser la
question, vous avez plusieurs intervenants. M. Henry.
La Présidente (Mme Cuerrier): ... a manifesté
l'intention de répondre.
M. Henry: Notre réponse là-dessus, je pense bien,
serait ceci. Même si on ne l'affirmait pas, on maintiendrait que le droit
existe.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, mais ma question, ce n'est
pas cela.
M. Henry: Non, d'accord. J'y arrive. On juge plus utile de le
redire parce qu'il y a un grand danger, si on refait une nouvelle constitution
où ce n'est pas écrit, que l'école de pensée dont
vous parliez revienne avec cela. On se dit: II n'y a pas de chance à
prendre, redisons-le clairement; comme cela, il n'y aura pas
d'ambiguïté. C'est pour cela qu'on pense que le droit du
Québec à l'autodétermination existe. Tous les
précédents internationaux confirment qu'on a le droit à
l'autodétermination, on l'a exercé au mois de mai, mais on pense
qu'il est bon de le réécrire parce qu'il y a un danqer que
l'autre interprétation prenne le pas si on ne l'écrit pas.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): Si vous permettez, je vais
continuer l'argumentation. Supposons qu'on est dans le système
fédéral actuel. On ne peut pas, le Québec seul, changer la
constitution pour que cela convienne seulement aux intérêts du
Québec. C'est la règle du système fédéral,
on est dépendant des autres. Cela, on le sait. Supposons que, comme
négociateur du gouvernement, je soulève la question dont on vient
de parler: Le droit à l'autodétermination, on veut que ce soit
écrit
dans la constitution. Supposons que les autres s'y refusent et que
ça n'y est pas parce que la majorité fédérale est
contre. Est-ce que le fait que je me serais fait refuser, comme
négociateur du gouvernement au moment d'une conférence
fédérale-provinciale, par les autres de l'écrire, met en
cause ce que vous considérez comme un droit fondamental ou si ça
n'a pas d'effet?
Si on me refuse de l'inscrire, est-ce qu'on me refuse que le droit
existe ou si on pense que ce n'est pas nécessaire de l'inscrire, vu
qu'il existe? Je ne sais pas si je suis clair. Il y a un danger, là.
C'est un problème concret qu'on a quand on négocie avec les
autres. Je serais peut-être mieux de ne pas le soulever du tout, c'est ce
que je veux dire.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Henry.
M. Henry: Je pense qu'il y a vraiment un danger. À ce
moment-là, il faudrait que l'Assemblée nationale du Québec
le réaffirme que même si on n'a pas réussi, que cela n'a
pas été écrit, cela existe. Je pense qu'il faut absolument
qu'on n'accepte pas de modifications de la constitution qui ne consacreraient
pas ce droit.
M. Morin (Louis-Hébert): En somme, vous êtes d'avis
que c'est un domaine où, à cause de l'évolution des choses
- vous me direz si je vous traduis bien - on n'a pas de risque à courir.
Par conséquent, on est mieux de dire clairement ce qu'on croit que de
présumer que les autres vont supposer qu'on a un droit parce que nous
pensons que nous l'avons. C'est mieux de le dire.
M. Henry: Étant donné que c'est l'avenir du
Québec qui est en cause, on ne peut pas prendre de risque.
M. Morin (Louis-Hébert): Bon, sauf qu'il y a l'autre
problème. Si, comme négociateur, le représentant du
Québec insiste pour que ça y soit et que les autres, pour des
raisons X, ne veulent pas que cela y soit, est-ce que le fait que je me ferais
refuser cette inscription nie, en fait, le droit?
M. Henry: Je pense que si le Québec l'affirme et qu'on lui
impose autre chose, il n'a jamais accepté autre chose; alors, à
ce moment-là, son droit est maintenu.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: II y a, dans les différents groupes qui
viennent devant la commission parlementaire dont la plupart nous disent,
très franchement et très courageusement, qu'ils poursuivent les
objectifs de la souveraineté politique du Québec, partout
beaucoup de sollicitude à l'endroit des députés de
l'Opposition et des députés libéraux provinciaux, cette
fois, nous invitant à affirmer nos objections au projet
fédéral de rapatriement de la constitution.
Remarquez - je n'ouvre qu'une parenthèse - que sollicitude pour
sollicitude, personnellement, je m'attendrais que des groupes comme vous, qui
avez le courage d'affirmer vos convictions souverainistes, étant mis en
situation et en présence des représentants du parti qui, au
Québec, véhicule l'idée de la souveraineté, exigiez
d'eux qu'ils aient également le même courage de dire très
clairement à la population qu'ils s'inscrivent dans la poursuite de la
souveraineté ou de l'indépendance politique du Québec.
Ceci étant dit, je voudrais également noter un autre
aspect qui s'adresse constamment aux députés de l'Opposition.
Tantôt, vous avez - je crois que c'est M. Cossette - fait la remarque ou
adressé vos commentaires à 60% de nos concitoyens du
Québec qui ont répondu non à la question
référendaire, question qui, faut-il le rappeler, portait
essentiellement sur la souveraineté-association. Je pense que le non
correspondait à cette dimension essentielle de la question.
L'adhésion des Québécois, qui ont répondu non
à la souveraineté-association, n'est pas une adhésion
simplement artificielle ou accidentelle, cela correspond à des
convictions profondes de nos concitoyens et je trouve un peu simplistes les
affirmations disant que ces gens-là ont été
trompés; cela implique presque nécessairement, dans les propos
que certains intervenants nous tiennent, que ces gens, allègrement,
vont, demain matin, se ranger dans le camp de la souveraineté. Je pense
qu'il faut avoir plus de respect des convictions profondes de nos concitoyens.
Vous savez, tout le débat, M. Cossette, qui existe au Québec
autour des questions du fédéralisme et de la souveraineté,
dure depuis dix ou quinze ans; quand est arrivé le moment du
référendum, les gens n'ont pas pris une décision en
disant: On veut être des Québécois à part
entière, mais également des Canadiens. Ils n'ont pas pris une
décision irréfléchie. Cela témoignait d'un
attachement profond au pays.
D'ailleurs, même pour ces gens, ces 60% que vous dites avoir
été trompés et dont vous dites qu'ils changeraient
éventuellement d'option, il ne faut pas oublier non plus l'autre
dimension. Je comprends que, vous inscrivant dans une optique de
souveraineté, vous êtes peut-être porté... Vous me
permettrez de vous rappeler une chose, c'est qu'il n'y a pas seulement 60% de
Québécois qui ont dit non et qui, pour la grande majorité,
ont des réserves sur le projet fédéral. Il y a aussi - et
c'est très important, Dieu sait que, du côté du
gouvernement du Québec, on a fait des efforts pour bien s'assurer
de l'adhésion de ces gens - un nombre considérable de Canadiens,
de nos concitoyens du Canada qui s'opposent au projet fédéral tel
qu'il est libellé actuellement. Il y a des gouvernements, des
organisations syndicales, des partis politiques, des commentateurs politiques
qui n'ont pas vécu l'exercice référendaire et ils se font
du Canada une conception qui est sensiblement analogue à celle, je
pense, de la grande majorité des Québécois qui ont
voté pour le non. Ils continuent leur démarche. Ce n'est pas
parce qu'on rencontre une difficulté sérieuse et importante qui
est inhérente au projet fédéral que ces gens, pas plus que
les Québécois qui ont répondu non, vont abandonner leur
attachement profond à l'idéal d'un pays qui s'appelle le
Canada.
La deuxième remarque que je voudrais formuler, à la suite
de vos commentaires, c'est que je ne sais pas si vous suivez très
attentivement l'actualité, peut-être qu'il y a des
éléments de l'actualité politique qui vous
échappent, mais, lorsqu'on entend, depuis le début, de la part de
groupes souverainistes, des appels au Parti libéral du Québec
d'afficher ses couleurs au titre du rapatriement de la constitution et du
caractère unilatéral du rapatriement de la constitution, je pense
que, pour nous qui sommes attachés à la formule
fédérale, je suis convaincu - je pense qu'on l'a
démontré - qu'on s'y intéresse au premier chef. Les gens
qui ne sont pas intéressés au fédéralisme peuvent
dire, du bout des lèvres, qu'ils sont contre toute idée de
rapatriement de la constitution, toute formule d'amendement, enfin, contre
chacun des éléments, et on les comprend, c'est contre leur option
profonde.
Mais nous, on est attaché au fédéralisme, il se
pose un problème au niveau de la structure fédérale, donc,
on y met des efforts. Je ne sais pas d'où certains d'entre vous... Je ne
vise pas particulièrement M. Cossette, ou peut-être qu'il a omis
de le mentionner, mais vous savez que le projet fédéral a
été annoncé le 2 octobre 1980, ou dans ce coin-là.
Or, le lendemain, le 3 octobre, le chef de l'Opposition officielle, M. Claude
Ryan, le chef du Parti libéral du Québec... Je vous le donne,
parce que ça recoupe exactement votre mémoire; d'ailleurs, votre
mémoire et tous les mémoires, sur la substance et sur le fond, il
n'y a pratiquement rien de changé là-dedans. Je vous donne la
prise de position le 3 octobre, au lendemain même de l'annonce par le
premier ministre du Canada de son projet de proposition.
M. Ryan disait, vous me permettrez de le citer: "C'est la méthode
de l'unilatéralisme que j'ai rejetée à plusieurs reprises
dans le passé et que je rejette évidemment encore une fois. Un
principe est un principe ou il n'en est pas un. Si c'est un principe qui
était bon il y a trois mois, il est encore bon aujourd'hui. J'affirme
bien simplement et bien calmement que notre position là-dessus demeure
ce qu'elle était il y a deux mois, six mois, un an ou deux ans." Il
disait, pour être plus spécifique: "Ce que je redoute
personnellement" - je pense que ça rejoint l'essentiel de votre
mémoire, lorsque M. Groulx parlait de la nature du
fédéralisme, de la nécessité du consentement; voici
ce que M. Ryan disait, le 3 octobre, au lendemain même du
dépôt fédéral - "dans la manière dont les
choses s'amorcent, c'est que nous ne soyons conduits, par étapes,
à des changements profonds dans la nature même du régime
fédéral qui nous gouverne." (12 h 15)
C'est là, je pense, l'essentiel des objections que nous avons aux
propositions fédérales, ces mêmes objections que, j'en suis
convaincu, une très grande majorité des 60% des gens qui ont
voté non continue de maintenir et que de très nombreux Canadiens
continuent d'affirmer actuellement dans le débat public qui confronte le
pays. Qu'on ne vienne pas à la commission, pour toutes sortes de raisons
ou par omission ou même peut-être de bonne foi, je ne sais trop,
lancer de soi-disant appels pathétiques au Parti libéral du
Québec, lui disant: Quelle est votre position?, lui disant de se joindre
à vous.
Au fond, dans la situation bien concrète, c'est bien plus vous,
les souverainistes, qui, par le résultat du référendum et
respectant le référendum, vous vous joignez à nous, les
fédéralistes, qui essayons de défendre un type de
fédéralisme au Canada qui corresponde aux réalités
du pays et à l'idée que nous nous en faisons. Si vous ne voulez
pas embarquer ou, enfin, nous suivre dans cette démarche - on respectera
bien légitimement votre opinion, nous ne vous ferons pas d'appels
pathétiques pour vous demander de vous joindre à nous - continuez
de défendre votre objectif souverainiste et essayez de faire pression et
de vous adresser à ceux-là qui sont vos interlocuteurs,
c'est-à-dire le Parti québécois et le gouvernement du
Parti québécois, pour qu'à la prochaine
échéance - il y a une autre échéance très
importante sur le plan électoral - l'article premier du programme de ce
gouvernement l'affirme avec le même courage que vous avez, vous de la
Société Saint-Jean-Baptiste, de la FTQ, de la Centrale des
enseignants du Québec, etc., qui êtes venus et d'autres groupes
qui viendront. Dites à ces gens-là: Nous allons travailler pour
lutter contre les aspects négatifs du projet fédéral,
très bien, mais nous allons affirmer en toute franchise et en toute
lucidité à l'endroit de tous nos concitoyens du Québec nos
convictions souverainistes.
Exigez ça de la part de vos porte-parole ici, au niveau de
l'Assemblée nationale, et sur le plan politique et, surtout, relisez les
textes déjà publiés, qui sont publics. Je vous cite celui
du 3 octobre, le lendemain. Je pense que M. Ryan a été le premier
à prendre position comme chef ou leader de l'opinion publique au
Québec. Ensuite de ça, il y a eu trois, quatre, cinq et six
autres précisions. Et encore, si vous êtes sceptiques à
l'endroit des convictions profondes - et je pense que vous ne devriez pas
l'être si vous connaissez bien M. Ryan -au Conseil général
du Parti libéral du Québec, regroupant tous les comtés du
Québec - ce sont quand même des Québécois qui ont le
droit de s'exprimer - le 18 janvier, ici à Québec, une
résolution formelle a été adoptée indiquant
très clairement et, confirmant, de la part des libéraux, les
prises de position du chef du Parti libéral du Québec.
Je pense que c'est important d'affirmer ca à ce moment-ci.
Surtout, quand on voit la façon dont cette commission parlementaire se
déroule, je pense que c'était essentiel de le dire. Dans un
certain sens, M. Cossette, M. Groulx et les autres de la Société
Saint-Jean-Baptiste, ainsi que M. Rocheleau de la Mauricie et M. Dumaine, je
vous remercie de m'avoir invité par cette affirmation de votre
mémoire à faire cette précision qui m'apparaît
essentielle dans le débat actuel.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Jean-Marie Cossette.
M. Cossette (Jean-Marie): J'aimerais répondre au discours
de l'intervenant. Je souhaiterais qu'il défende avec autant de vigueur
l'option de son chef, M. Ryan, qui s'oppose au rapatriement unilatéral,
qu'ils l'ont fait pendant la campagne référendaire. Ce n'est pas
accidentel si beaucoup de personnes qui viennent présenter des
mémoires ici attirent l'attention et rappellent la participation
considérable des gens du Parti libéral à la campagne
référendaire. C'est qu'elle fut active et, en
réalité, elle a commencé le lendemain de novembre 1976, la
campagne pour le non. Lorsque nous voyions de grandes pancartes un peu partout
à travers le Québec qui disaient: "Au Canada, j'y suis, j'y reste
pour mes libertés," cela indiquait la ligne de force qui était
véhiculée dans les milieux, particulièrement dans les
strates faibles de notre population québécoise.
J'ai entendu des choses qui m'ont fait sursauter lors de cette campagne
référendaire, des allusions, des déclarations nous
rappelant les fours crématoires, nous rappelant les camps de
concentration, qui furent largement véhiculées, notamment dans
les milieux allophones montréalais. Je vous avouerai que cela a pu
fausser considérablement les règles du jeu. Je pense que la
bataille fut inégale et, malheureusement, elle est très
conséquente puisqu'elle a ouvert la porte justement à M. Trudeau
qui s'est dit: Si les Québécois ont réussi à avaler
et à digérer tout cela, ils sont capables d'avaler le restant.
C'est exactement ce qui se produit. Ce implique directement la
responsabilité des députés du Parti libéral. S'ils
sont si convaincus que cela que la tactique, que la manoeuvre de M. Trudeau,
qui en est une qui s'inscrit dans une tradition
anti-franco-québécoise, anti-canadienne-française... On a
assisté, depuis le début de ce pacte, à un grugeage
continuel, à des emprunts temporaires, à des lois et des mesures
de guerre de toute nature et, chaque fois, le Québec y a perdu des
plumes.
Si la Société Saint-Jean-Baptiste a fait son lit de son
option - cela remonte à 1964 - ce n'est pas accidentel, c'est parce
qu'elle fut de toutes les luttes et qu'elle ne croit pas que ce système
ait des chances finalement d'être équitable pour la nation
canadienne-française dans son territoire national, le Québec.
Mais cela ne veut pas dire que nous devons nous exclure du débat. Comme
le dit le mémoire: Qui veut le plus veut aussi le moins. Nous n'allons
quand même pas nous résigner à perdre le peu de garanties
que nous avons garanties dans ce document sous le principe que nous ne sommes
pas fédéralistes. Il est bien sûr que nous avons toujours
prétendu que le document de la constitution canadienne était plus
en sécurité dans le "frigidaire" londonien qu'à la
disposition de cette multitude de gouvernements qui, on le sait très
bien, traditionnellement, n'ont pas favorisé l'évolution et
l'émancipation de notre peuple. Je pense que l'alliance que nous avons
actuellement est plus circonstancielle qu'autre chose. Nous ne combattons pas
la même chose exactement. Je pense que tous nos alliés
circonstanciels se rallieraient très bien à l'enchâssement
des droits dans la charte, alors que nous, au Québec, nous allons nous
battre jusqu'à la limite de nos capacités contre cette ouverture
qui serait le point final de notre dégradation nationale. Voilà
pourquoi nous nous intéressons à cette bataille.
Je vois des sourires amusés. Je pense qu'on devrait se rappeler
que toutes les mises en scène du fédéral, toutes ces
commissions, notamment... Nous avions refusé de participer à la
commission - je vois sourire madame, qui participait intensivement et
sincèrement à cette commission - parce que nous jugions qu'il
s'agissait là d'un exercice inutile.
M. Rivest: Me permettez-vous...
M. Cossette: Voilà que les circonstances nous ont
donné raison. C'est un autre rapport
qui est sur les tablettes. Tout cela, ce sont des manoeuvres pour gagner
du temps et épuiser finalement les militants qui se battent peur plus de
droits pour notre peuple, pour plus de liberté.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député...
M. Rivest: Est-ce que vous me permettez une question en tant
que...
La Présidente (Mme Cuerrier): Voulez-vous attendre un
seconde?
M. Rivest: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): II y a M. Dumaine qui avait
proposé de répondre à votre question, M. le
député de Jean-Talon.
M. Dumaine: Sur la question référendaire, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je donnerai la...
M. Rivest: Je vais seulement poser une courte question.
La Présidente (Mme Cuerrier): Si vous permettez, M.
Dumaine.
M. Dumaine: Oui.
M. Rivest: Ce ne sera pas long. Si vous me permettez, M.
Cossette, vous dites que vous avez refusé, sans doute en tant que
souverainiste, de vous rendre devant la commission Pépin-Robarts
à laquelle vous référez. Il existe un véhicule
politique qui essaie de faire avancer l'idée de la souveraineté
au Québec; comment jugez-vous le gouvernement du Québec actuel
qui dit -on doit prendre sa parole jusqu'à preuve du contraire -
s'inscrire de bonne foi dans une démarche du renouvellement du
fédéralisme alors que vous, souverainistes qui partagez les
mêmes ambitions que le gouvernement péquiste actuel, nous dites
que vous avez refusé d'aller vous faire entendre devant une commission
qui traitait de la même question, une commission qui n'était pas
décisionnelle, qui traitait de la même question, parce que vous
considériez cela comme une perte de temps?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Jean-Marie Cossette et M.
Dumaine ensuite.
M. Cossette: La chose que je remarque, c'est que la pensée
indépendantiste fait du progrès au Québec. Il y a une
vingtaine d'années, nous étions quelques douzaines et,
maintenant, nous sommes des centaines de milliers qui partageons cette
option.
Le rôle de la société n'est pas d'indiquer à
un gouvernement en place comment fabriquer son programme politique quel qu'il
soit, mais je pense qu'actuellement les exercices publics faits devant la
population depuis quatre ou cinq ans sont de nature à faire comprendre
le problème à de plus en plus de Québécois. Je
pense que, finalement, il y a une progression dans l'éducation populaire
dans la conscience populaire, qui était souhaitable parce qu'on l'induit
constamment en erreur. Lorsqu'on parle du Canada, pour ceux qui ne le
connaissent pas, on entretient cette naïveté que le Canada est
aussi à notre image, que l'Ontario, que l'Ouest canadien, etc. sont des
répétitions de ce qui existe au Québec.
Voilà qui est de fausser l'image d'une situation et on ne peut
pas s'attendre que 6,000,000 de Québécois aillent vérifier
sur place la façon dont doivent vivre nos frères Canadiens
français à l'extérieur du Québec, au racisme
quotidien auquel ils doivent faire face. C'était comme cela il y a 30
ans, lorsque j'ai commencé à travailler dans les autres provinces
sur le plan professionnel, et c'est encore exactement comme cela aujourd'hui.
Ce qu'ils ont, ils l'ont gagné à la force des dents et c'est
très peu, c'est minime.
Ce sont des gens tolérés lorsqu'ils sont nombreux et ce
sont des gens piétinés au niveau des lois, au niveau du seul son
français sur la rue. Ils sont simplement en instance de disparition et
les pourcentages sont implacables. Vous pouvez les consulter, ce sont les
chiffres du fédéral. Vous voyez les populations françaises
décroître chaque année régulièrement.
L'illusion qu'on a toujours entretenue de protéger nos frères
hors Québec en étant conciliants, alors qu'à mon avis nous
avons été bonasses, nous avons été
inconséquents, nous avons traité les non-francophones au
Québec comme ayant des droits intrinsèques et cela inclut tout un
paquet de gens qui n'ont aucune racine du Royaume-Uni, qui sont majoritaires,
si on compare aux véritables descendants du Royaume-Uni, nous avons fait
tout cela au nom de la bonne entente.
Et voilà que cette bonne entente, nous prenons conscience que ce
fut un exercice inutile et le programme continue depuis la conquête
puisque nous vivons les résultats d'une conquête militaire - ne
l'oublions pas. Il y a une des deux races fondatrices qui est arrivée
deux siècles après l'autre et qui a pris les terres faites. Ne
l'oublions jamais. Notre droit d'appartenance au sol québécois
ici est indiscutable et c'est ce que nous défendons. S'il n'est pas
exprimé clairement et partagé par une majorité de
Québécois conscientisés, éventuellement, par la
compression du continent nord-américain qui n'est pas - vous le savez -
à l'image du Québec, nous finirons aussi dans 50 ans, dans
100 ans, par devenir une nouvelle Angleterre comme on voit le sort
là-bas où la disparition de l'identité des nôtres
est flagrante, est presque totale.
C'est ainsi que nous avons acquis la certitude que la cause que nous
défendons, que le combat que nous menons est juste et si nous disons aux
députés libéraux ou si nous le mentionnons aussi souvent,
c'est que nous considérons qu'ils devraient mettre autant
d'énergie à défendre la position Ryan, celle du 2 octobre,
qu'ils en ont mis à combattre les tenants du oui lors du dernier
référendum.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Dumaine.
M. Dumaine: Sur la question référendaire, Mme la
Présidente, il y a un grand nombre de nos concitoyens qui ont
répondu non parce qu'ils avaient mal compris la question. Je sais
aujourd'hui, par exemple, qu'un grand nombre de ces répondants du non ne
s'attendaient pas à l'option qu'on leur propose actuellement.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Vanier.
M. Bertrand: Merci, Mme la Présidente.
Les représentants des sociétés Saint-Jean-Baptiste
ont eu droit à la charge du député libéral de
Jean-Talon qui, pour résumer, nous a dit une chose: II faut que tout le
monde se respecte et que chacun dise vraiment ce qu'il pense. J'espère
que vous aurez la même ouverture, Mme la Présidente, pour me
permettre, tout en respectant les opinions de ceux qui ne sont pas d'accord
avec nous, de dire, par contre, très fondamentalement, ce qu'on pense et
à partir de l'exposé de la Société
Saint-Jean-Baptiste.
Est-il besoin de rappeler, Mme la Présidente, que le
député libéral de Jean-Talon reproche presque à
ceux qui, à cette table aujourd'hui, viennent prendre la défense
des droits et des intérêts du Québec de ne pas s'attaquer
au gouvernement actuel, pour dire à ce gouvernement: Ayez donc la
même franchise et dites donc clairement ce que vous pensez. Je pense
qu'effectivement je vais répondre à cette invitation. (12 h
30
Le Parti québécois est souverainiste et démocrate.
En d'autres mots, il n'acceptera de souveraineté que lorsqu'elle sera
acceptée par la population. Il ne favorise pas une souveraineté
imposée. Nous n'avons aucune honte à affirmer très
solennellement ces choses. Mais, si nous regardons, devant nous, l'attitude de
ceux qui nous invitent à être clairs, dans quelle confusion
nagent-ils? Nous avons devant nous des gens qui sont censés être
fédéralistes et démocrates. Or, ce qui se passe en ce
moment, relativement au coup de force constitutionnel, c'est que nous faisons
face à quelqu'un qui n'est ni fédéraliste, ni
démocrate. Les gens qui, du côté libéral provincial,
étaient sur les mêmes tribunes que cet homme se
prétendaient aussi fédéralistes et démocrates.
Aujourd'hui, ils sont obligés de préciser leur pensée en
tentant de s'identifier comme des fédéralistes démocrates
face à quelqu'un qui, sur la même tribune qu'eux,
prétendait les mêmes choses qu'eux et qui, par la suite, s'est
révélé être ni fédéraliste, ni
démocrate.
Parce qu'à la limite, on pourrait toujours dire: Si, au moins, ce
qu'on nous proposait, c'était du fédéralisme
imposé, au moins ce serait du fédéralisme. À
défaut d'être démocrate, ce serait au moins
fédéraliste. Mais c'est que, n'étant ni démocrate,
parce qu'il n'a pas respecté la décision des
Québécois du 20 mai dernier... La décision des
Québécois du 20 mai dernier, à ce que nous disent les
libéraux provinciaux, c'était un fédéralisme
renouvelé, c'étaient des changements constitutionnels qui
allaient enfin répondre aux besoins et aux aspirations du Québec.
Ils applaudissaient à tout rompre celui qui disait: Je mets ma
tête en jeu parce que, si vous dites non, moi je vais changer la
constitution et le reste du Canada devra accepter de le faire avec nous. Il n'a
pas été démocrate. Il a été à
l'encontre de la décision des Québécois, le 20 mai. En
d'autres mots, ou il le savait, ou il ne le savait pas, mais ceux qui savaient
qui était Pierre Elliott Trudeau pouvaient deviner ce qu'il pensait
vraiment. Sur les mêmes tribunes que ces gens, il disait aux
Québécois: Moi, à toutes fins pratiques, je
n'obéirai pas à la décision des Québécois.
J'ai besoin d'un non pour continuer d'imposer des coups de force que,
succcessivement, j'ai tenté d'imposer et que je n'avais pas eu la force
politique d'imposer. Maintenant, je l'ai, vous avez dit: non.
À partir de là, on a découvert un Pierre Elliott
Trudeau qui n'était pas démocrate, c'est-à-dire qui
n'était pas respectueux et le député de Jean-Talon disait
tantôt: II faut se respecter les uns les autres. On pourrait au moins
espérer que celui qui, aujourd'hui, est l'auteur du coup de force
constitutionnel ait vraiment respecté la décision des
Québécois. Mais il ne l'a pas fait. Il n'est pas
démocrate. Il aurait pu au moins nous imposer le
fédéralisme; au moins, à ce moment, les gens, les
libéraux provinciaux auraient pu dire: Écoutez, ce n'est
peut-être pas tellement démocratique, mais, au moins, c'est du
fédéralisme qu'on veut vous imposer. Les provinces, le
gouvernement central, les gens s'entendent pour imposer du
fédéralisme. Or, on ne nous impose même pas du
fédéralisme. On nous impose un système politique dont les
provinces ne veulent pas, elles qui ont donné
naissance à la Confédération.
On nous impose un régime politique et on apprend tranquillement
que la Grande-Bretagne ne veut pas le laisser passer, parce que elle-même
- et c'est une vieille tradition, c'est paradoxal dans notre système
politique-la Grande-Bretagne s'est toujours préoccupée de savoir
si, oui ou non, quand on proposait des changements constitutionnels, les
provinces et le gouvernement central pouvaient être d'accord. Il n'y a
pas d'accord à l'heure actuelle. C'est pour cela que je dis au
député libéral de Jean-Talon que, dans le fond, pourquoi
vous sentez-vous... Malgré le fait que, dans la situation actuelle, tout
souverainistes que nous soyons, nous n'ayons pas la possibilité
d'imposer cette idée, parce que la population ne nous a pas donné
l'autorisation de le faire le 20 mai dernier. Nous sommes démocrates.
Comment se fait-il que vous, qui réaffirmez votre conviction
souverainiste, vous vous sentiez aujourd'hui davantage près des
attitudes du gouvernement du Parti québécois? C'est parce que,
dans le fond - on le note par les gens qui viennent devant cette commission, et
on le note par le mouvement Solidarité Québec, et on le voit par
ceux qui expriment clairement leur conviction quant à ce coup de force
constitutionnel - c'est qu'on a plus de facilité à concilier le
fait qu'on a été souverainiste le 20 mai dernier et
qu'aujourd'hui, on dit très fort qu'on s'oppose au coup de force
constitutionnel alors qu'à l'inverse ceux qui ont voté non le 20
mai dernier sont mal à l'aise d'exprimer fortement et clairement leur
opposition au coup de force constitutionnel. C'est assez curieux de voir, dans
les sondages, qu'il y a un groupe, au Québec, qui n'accepte pas avec
force de manifester son opposition au coup de force constitutionnel et c'est la
minorité anglophone du Québec. Regardez tous les sondages
à ce point de vue, le Gallup qui a été fait ou d'autres
qui ont été faits au Québec; la minorité
anglophone, quant à elle, est davantage favorable au coup de force de M.
Trudeau que les anglophones des autres provinces. C'est assez curieux de
remarquer ça et c'est assez curieux de remarquer que ceux-là
même qui sont les militants libéraux au Québec vont
applaudir M. Ryan quand il fait un discours pour s'opposer au coup de force
constitutionnel et, en même temps, sont 3000 au Reine Elizabeth, à
Montréal, pour aller applaudir et voter à l'unanimité une
résolution appuyant le coup de force constitutionnel de M. Trudeau. Il
faut donc savoir où logent vraiment ces gens qu'on voit placés
dans une situation d'ambiguïté, situation qui prévaut depuis
le référendum, parce que non seulement le discours était
ambigu sur les tribunes du référendum, mais il est ambigu depuis
ce temps, parce qu'ils sont divisés entre eux, ces militants
libéraux, Trudeau à Ottawa, Ryan à Québec,
incapables franchement de dire solennellement et fortement leur opposition
à ce coup de force, de voter à l'Assemblée nationale,
à l'unanimité, une résolution pour que cette
Assemblée dise clairement: Nous sommes tous d'accord pour nous opposer
au coup de force.
Voilà pourquoi, aujourd'hui, nous nous sentons bien dans notre
peau de souverainistes. En tentant de nous opposer à ce coup de force
constitutionnel nous respectons la volonté des Québécois,
nous demeurons fidèles à un objectif qui ne sera jamais
imposé aux Québécois, que nous ferons accepter
démocratiquement par les Québécois. Dans ce sens, je me
sens mieux de ce côté-ci, dans ma peau souverainiste et
démocrate, que, je ne pense, les libéraux d'en face peuvent se
sentir bien dans leur peau, supposément fédéraliste et
supposément démocrate.
Cette réponse étant faite, je vous remercie d'avoir
été les gens qui, ce matin, nous ont apporté cette
position, parce que vous avez piqué au vif l'Opposition libérale
du Québec et, en même temps, vous nous permettez de dire
très clairement un certain nombre de choses qui méritent
d'être connues par la population du Québec.
Ceci étant dit, il y a une question que j'aimerais vous poser
relativement à un des éléments que vous mentionnez
à la toute fin de votre mémoire et qui porte sur la
non-obéissance du Québec, éventuellement, à la
décision qui serait entérinée par le Parlement de Londres,
s'il fallait que le coup de force de M. Trudeau réussisse. Vous dites,
à la page 11, "que l'Assemblée nationale affirme dès
maintenant qu'elle tiendrait pour nulle et non avenue toute modification
constitutionnelle imposée au Québec contre son gré et
qu'elle y verrait la fin du régime fondé en 1867."
Je vous pose la guestion à partir de ceci. Vous savez
probablement qu'on a voté une résolution à
l'Assemblée nationale; malheureusement, on n'a pas réussi
à faire l'unanimité, vous savez ça. Cela leur a fait mal,
vous savez, aux gens de l'Opposition libérale du Québec,
ça leur a fait très mal, tellement mal que, assez paradoxalement,
aujourd'hui, on voit le chef libéral, M. Ryan, qui vient proposer, au
début de cette commission, qu'on adopte ici, en commission
parlementaire, une résolution, à l'unanimité, qui ne fait
même pas référence au référendum du 20 mai
dernier. On se demande pourquoi. Il nous disait, à l'Assemblée
nationale: Moi, je ne veux surtout pas m'allier sur le plan des moyens avec ces
méchants souverainistes et, là, tout à coup, il demande
aux souverainistes de voter avec lui une résolution unanime. Il a
dû se rendre compte que, dans les sondages,
cela a fait très mal!
Alors, la question que je vous pose c'est parce que les libéraux
eux-mêmes nous ont demandé d'introduire un amendement à
notre résolution qui se lisait comme suit -ça, c'est l'amendement
proposé par les libéraux et qu'on a intégré
à notre résolution - "L'Assemblée nationale met le
Parlement britannique en garde contre toute intervention dans les affaires
canadiennes par l'adoption de quelque modification à l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, qui n'aurait pas l'appui des provinces
du Canada." Est-ce qu'à votre avis cet amendement proposé par le
Parti libéral du Québec, mettant en garde le Parlement
britannique contre toute ingérence dans les affaires canadiennes
où une modification a la constitution n'aurait pas l'accord des
provinces et du fédéral, amendement libéral que nous avons
accepté, et les remarques que vous formulez à la toute fin de
votre mémoire permettraient - je ne parle même pas
légalement ou juridiquement politiquement au Parlement du Québec
-grâce à l'amendement libéral et je les en remercie - de
s'opposer politiquement et, par le fait même, de ne pas obéir
à une décision qui aurait été prise par un
Parlement étranger à partir d'une résolution votée
à Ottawa sans l'accord des provinces, sans l'accord du principal parti
politique, le Parti conservateur, et sans l'accord des partis politiques du
Québec.
La Présidente (Mme Cuerrier): On me fait des remarques. Je
pourrais très bien préciser, M. le député, que
tantôt nous avons laissé filer le temps, nous avons
dépassé le temps prévu. J'ai permis aux gens de
répondre aussi longtemps ou presque que vous l'avez fait pour poser vos
questions. Vous avez parlé 15 minutes, M. le député.
M. Forget: Faites observer le règlement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Les gens, au niveau de la
commission, ont laissé filer; ils auraient pu protester.
M. Forget: C'est ce que je fais dans le moment.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'essaie de distribuer le
temps alloué aux gens. Disons que les 20 minutes qui sont
allouées aux questions, j'essaie de les diviser en deux en permettant 10
minutes aux intervenants et 10 minutes aux gens qui répondent.
Tantôt, on n'a pas protesté. Je vous ai fait des signes, je vous
ai demandé de laisser suffisamment de temps, je vous ai même
demandé de permettre que les intervenants disposent d'autant de temps
que la commission vous en a accordé au moment où vous avez
posé vos questions.
Ce n'est pas parce qu'on a créé des
précédents ou parce qu'il y a eu des tolérances quant au
règlement qu'il ne faut pas le faire observer maintenant, je suis tout
à fait d'accord avec vous. Si vous me dites, maintenant, que vous aimez
mieux que les gens n'utilisent pas autant de temps que celui qui est
intervenu...
M. Forget: C'est cela.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous auriez pu protester au
moment où M. le député faisait son intervention...
M. Forget: Je vous attendais, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): ... pour dire: Vous avez
probablement utilisé suffisamment de temps. Merci quand même de
votre collaboration.
Je pense que M. le président de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal a manifesté l'intention de
répondre.
M. Henry: Oui, Mme la Présidente, ma réponse sera
courte. Ce qu'on demande, c'est que l'Assemblée nationale - on s'adresse
à tous les partis, la Société Saint-Jean-Baptiste est une
société non partisane et, évidemment, on s'adresse
à tous les membres de l'Assemblée nationale, à
l'Assemblée nationale comme telle - affirme qu'une modification qui nous
serait imposée, qu'un coup de force n'aurait aucune valeur ni juridique,
ni politique pour le peuple du Québec. On ne sera pas lié par une
décision qui aura été prise non seulement sans nous, mais
contre nous. Je ne sais pas si cela répond à votre question, M.
le député. C'est ce que nous disons: II n'y a pas de
possibilité, on n'accepte jamais de se plier à un coup de force,
cela n'a aucune valeur à aucun point de vue.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. le
président. Vous voyez, nous en sommes presque à l'heure et nous
avons quand même dépassé le temps que la commission
s'alloue pour rencontrer les intervenants. Il me reste à remercier, au
nom de la commission de la présidence du conseil et de la constitution,
la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour sa
collaboration à nos travaux et les deux groupes qui se sont joints
à elle, soit la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie
et la Société nationale du centre du Québec. Merci
à vous tous pour votre collaboration aux travaux de la commission.
M. Henry: Merci, Mme la Présidente. (12 h 45)
La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerais maintenant le
Mouvement
national des Québécois dont le porte-parole est M. Raymond
Vaillancourt. Je regrette. J'espère que je n'allais intervertir l'ordre
des intervenants aujourd'hui. Le groupe que je dois appeler maintenant est
l'Association québécoise des professeurs de français.
C'est Mme Irène Boileau, je crois, qui en est le porte-parole. Mme
Irène Belleau.
Mme Irène Belleau, sans doute avez-vous observé les
travaux de la commission et savez-vous que vous disposez d'une vingtaine de
minutes pour faire un résumé du mémoire. Je vous
demanderais de présenter la personne qui vous accompagne, s'il vous
plaît.
Association québécoise des professeurs
de français
Mme Belleau (Irène): Oui, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): Et de décliner vos
titres.
Mme Belleau: Et de?
La Présidente (Mme Cuerrier): Je disais de décliner
vos titres, c'est-à-dire, dites-nous...
Mme Belleau: Je ne crois pas que mes titres puissent
impressionner la commission. Je suis présidente de l'Association
québécoise des professeurs de français et celui qui
m'accompagne, M. André Gaulin, est professeur à la faculté
des lettres de l'Université Laval. Il est écrivain, il est
poète et il est aussi le porte-parole en matières politiques de
l'AQPF. Avant de vous lire le mémoire, j'aimerais bien vous dire
quelques mots de l'AQPF, au cas où certains parmi vous
connaîtraient plus ou moins l'AQPF.
L'Association québécoise des professeurs de
français est assez jeune. Elle a treize ans, mais je crois vraiment que
son passé témoigne d'une maturité certaine. Toutes les
actions et toutes les batailles que l'AQPF a menées et livrées
depuis sa naissance ont été liées à la
reconnaissance du statut français du Québec. En 1969, elle
publiait un livre noir, oublié un peu aujourd'hui, mais qui demeure
encore sur des rayons de bibliothèque que certains parmi vous
peut-être auraient avantage à consulter, même encore
aujourd'hui. Ce livre était sous-intitulé: De
l'impossibilité presque totale d'enseigner le français. Vous
voyez, c'était en 1969.
C'est pour nous un document très important. Ensuite, les lois 63
et 22 ont cimenté chez nous une action politique d'opposition qui s'est
transformée, depuis l'adoption de la loi 101, en une action que nous
appellerions de vigilance. En effet, autant nous nous sommes farouchement
opposés aux lois 63 et 22, autant maintenant nous surveillons la
politique linguistique scolaire avec beaucoup d'attention et d'esprit
critique.
La moindre atteinte susceptible de diminuer la loi 101 nous
aiguillonnera, soyez-en sûrs. D'ailleurs, c'est un peu beaucoup pour
ça que nous sommes aujourd'hui devant cette commission parlementaire.
Notre présence se veut donc un geste de continuité par rapport
à notre vécu d'association. Nous avons rédigé un
mémoire pour vous et pour dire aussi, à la face de tout le peuple
québécois, pour affirmer clairement que nous nous opposons au
projet de rapatriement unilatéral du gouvernement fédéral.
Ce projet ne nous semble rien d'autre qu'une imposture. Nous l'avons voulu dans
une perspective uniquement québécoise. Pour nous, l'essentiel est
là.
Je cède donc la parole à notre porte-parole en
matière politique, M. André Gaulin.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gaulin.
M. Gaulin (André): Je voudrais commencer ce
mémoire, Mme la Présidente, en citant Gaston Miron, dont M.
Trudeau a parlé, en même temps que des poètes du
Québec, en disant, à l'occasion des pourparlers constitutionnels
de l'été, que les poètes québécois seraient
mieux d'apprendre leur langue que de faire de la politique. Ce poète qui
a une réputation internationale a très bien décrit la
situation qui nous occupe depuis 200 ans.
Dans ses notes sur le non-poème, et le poème, il dit que
le non-poème, c'est la dépolitisation maintenue de ma permanence,
et le texte se lit comme suit: " Le poète qui disait: J'avance en
poésie comme un cheval de trait dit: Je me hurle dans mes harnais, je
sais ce que je sais, ceci, ma culture polluée, mon dualisme
linguistique; ceci est le non-poème qui a détruit en moi
jusqu'à la racine, l'instinct même du mot "français". Je
sais, comme une bête dans son instinct de conservation, que je suis
l'objet d'un processus d'assimilation comme homme collectif par la voie
légaliste, le statu quo tant structurel et démocratique, le
rouleau compresseur majoritaire. Je parle de ce qui me regarde, le langage, ma
fonction sociale comme poète, à partir d'un code commun à
un peuple. Je dis que la langue est le fondement même de l'existence d'un
peuple, parce qu'elle réfléchit la totalité de sa culture
en signe, en signifié, en signifiance. "Je dis que je suis atteint dans
mon âme, mon être. Je dis que l'altérité pèse
sur nous comme un glacier qui fond sur nous, qui nous déstructure, nous
englue, nous dilue. Je dis que cette atteinte est la dernière phase
d'une dépossession de soi comme être, ce qui
suppose qu'elle a été précédée par
l'aliénation du politique et de l'économique. Accepter ceci,
c'est me rendre complice de l'aliénation de mon âme de peuple, de
sa disparité en l'altérité. Je dis que la disparition d'un
peuple est un crime contre l'humanité, car c'est priver celle-ci d'une
manifestation différenciée d'elle-même. Je dis que personne
n'a le droit d'entraver la libération d'un peuple qui a pris conscience
de lui-même et de son historicité. "
C'est à partir et à travers les résolutions
adoptées en assemblées générales, à chacun
de ses congrès, que l'AQPF veut vous présenter son
mémoire. C'est à partir aussi de certains articles du projet de
résolution fédérale que l'AQPF a jugé bon de
demander d'être entendue, considérant que le sort même de
ses membres, professeurs de français, était menacé par ce
qu'il est convenu d'appeler le coup de force du gouvernement canadien.
L'AQPF n'a jamais cessé de revendiquer un Québec
français. Une peur et une crainte profondes nous habitent depuis que le
projet de rapatriement unilatéral de la constitution canadienne est
connu. Nous voudrions vous faire part de nos volontés, de nos
appréhensions, de nos inquiétudes comme professeurs de
français du Québec.
Il n'est pas inutile de rappeler à cette commission que
l'Association québécoise des professeurs de français,
fondée en décembre 1967, avait assis sa fondation même sur
l'idée du territoire du Québec, de son peuple, de sa langue et de
sa culture. Puisque toute association a ses lettres de noblesse, son
cheminement et son évolution, nous vous rappelons que la dynamique de
notre association trouve son point d'appui sur l'idée même d'un
pays, à savoir, selon le Petit Robert, un "territoire habité par
une collectivité et constituant une réalité
géographique."
Aussi, avec les années, l'AQPF a-t-elle été
appelée à définir davantage le lieu historique de son
action. Déjà, le congrès de 1971 de notre association
proclamait, dans la première de ses 19 résolutions, que "le
Québec est une nation originale ayant droit de se donner tous les
instruments politiques, économiques et culturels pour s'épanouir
pleinement en tant que communauté distincte". Aussi, ceux qui nous
connaissent savent que nous avons été parmi les instigateurs d'un
Québec proclamé français. Notre livre noir était un
cri de notre refus d'un suicide culturel larvé, notre volonté de
dépasser les frontières de la survie et notre engagement pour
l'illustration collective de la langue et de la culture françaises au
nord de l'Amérique.
Il s'en est trouvé pour nous accuser, agissant ainsi, de faire de
la politique. Nous disons que c'est là une accusation qui nous honore.
En tant que professeurs de français dans un pays français, nous
étions autre chose que des mercenaires sans vision d'ensemble d'un lieu
de vie qui nous façonne et conditionne toute notre action
professionnelle et pédagogique. Nous avons appris qu'enseigner, qu'on le
veuille ou non, est un acte politique dans la Cité. Nous avons pris voix
au chapitre de tous ceux qui font l'histoire, surtout quand l'histoire de la
longue naissance d'un peuple et d'un pays atteint la courbe d'une nouvelle
trajectoire. C'est pourquoi, au congrès de 1978, nous affirmions, dans
la première des 21 résolutions de notre congrès, que "les
Québécois, à nos yeux, constituaient une nation et que
l'AQPF s'engageait à prôner un cadre politique qui favorisait le
plein épanouissement d'un peuple de langue française et de
culture québécoise." Nous ne vivions pas en marge de l'histoire
collective qui nous acheminait vers un référendum sur notre
statut politique en tant que peuple. Aussi, les deux premières
résolutions du congrès de 1979 continuaient de définir
notre pensée politique en tant qu'association. La première
reconnaissait à nouveau l'existence du peuple québécois et
affirmait son droit légitime à son autodétermination,
droit reconnu universellement pour tout peuple de la terre. La deuxième,
nous la citons dans le texte. "Que, sans préjuger du statut politique
à venir pour le Québec dans le Canada, avec ou sans lui, l'AQPF
recommande à ses membres de dire oui à la prochaine consultation
populaire par voie de référendum sur l'avenir constitutionnel du
Québec." Il n'est pas inutile d'insister ici sur le fait que
n'étant pas un parti politique, mais une association professionnelle,
peu nous importait en soi que le Québec soit
infédéré, c'est-à-dire dans le Canada,
associé, c'est-à-dire avec le Canada, ou indépendant,
c'est-à-dire sans lui. Nous affirmions plutôt le fait que le
Québec, comme peuple historique tricentenaire vivant sur un territoire
inaliénable, avait légitimement le droit et le devoir de penser
sa réalité d'Amérique dans sa langue natale, le
français. Et je cite aussi le poète de l'Ode au Saint-Laurent:
"Je prends pied sur une terre que j'aime, l'Amérique est ma langue et ma
patrie."
Aussi aujourd'hui sommes-nous dans l'obligation de déclarer que
le plan de rapatriement du gouvernement Trudeau constitue à nos yeux une
imposture qui n'a même pas pour égal le plan d'union de Lord
Durham lui-même. Ce plan Trudeau nous réduit, nous occulte et nous
inféode. Tout le peuple québécois est nié. Il se
fond et s'agglomère dans le grand tout du "Dominion of Canada". Son
Parlement lui-même est vassalisé dans des domaines exclusifs de sa
juridiction comme la langue et l'éducation. Nous reviendrons d'ailleurs
sur ce point plus loin. Son territoire est nié par un concept insidieux
de libre circulation des personnes.
Sa culture d'expression française elle-même est
confiée à un gouvernement central majoritairement unilingue
anglais. Sous les dehors d'une charte des droits individuels d'un grand
"melting pot" fédéral conçu comme juridiquement unilingue,
c'est le droit collectif du peuple québécois à assumer
souverainement sa vie culturelle qui est nié. Il n'est pas concevable
que nos relations internationales de pays de langue française et de
culture québécoise soient assumées par un gouvernement
central de langue et de culture anglaises. Le Québec devient ainsi un
pays contre-naturel, un territoire dont la population est sur le chemin de la
traduction et forcément de la trahison même de son
identité. On connaît l'adage italien: Traduttore, traditore.
Que l'on nous comprenne bien, nous ne sommes pas venus dénoncer
ici un gouvernement libéral à Ottawa. Nous sommes plutôt
venus dire non à une conception du Canada qui nous nie comme collectif
québécois, un peuple, une langue, une culture, un territoire, une
manière de voir le monde. Nous ne sommes pas non plus venus donner notre
aval à un parti politique, le Parti québécois, mais
à un gouvernement, celui du Québec qui a refusé depuis 53
ans une formule de rapatriement qui n'assure pas clairement notre
épanouissement en tant que peuple vivant depuis 373 ans sur le
territoire saint-laurentien.
Certains pourront toujours opter pour une vision pragmatique des choses
et décrier une approche idéologique du collectif national
québécois. Nous refusons pourtant de donner notre appui à
des réformes faites à la carte, tout comme nous refusons de
donner à un gouvernement central une signature qui niera par la suite
notre nom lui-même de peuple québécois.
L'Association québécoise des professeurs de
français ne veut rien de moins que la reconnaissance non
équivoque du statut de peuple, seul maître de sa langue et de sa
culture en territoire québécois retrouvé dans toute son
intégralité. Notre dernier congrès de novembre 1980, celui
qui suivait le référendum, n'a fait que confirmer cette exigence
du respect de notre peuple inaliénable, de notre langue natale, de notre
culture et de notre territoire intangible. (13 heures)
À cet effet, dix résolutions politiques ont
été adoptées par les membres de notre assemblée
générale annuelle. Je vous ferai remarquer qu'au congrès
nous étions 1400 et c'est unanime pour les résolutions. 1. Rappel
de l'existence du peuple québécois et de son droit
légitime à son autodétermination. 2. Réaffirmation
de toutes nos prises de position à l'égard de notre
identité comme peuple francophone d'Amérique. 3. Opposition
à toute mesure fédérale visant à affaiblir de
quelque façon que ce soit la loi 101 et demande de
réintégration du chapitre III annulé par la Cour
suprême du Canada. 4. Dénonciation de l'amendement Ryan exigeant
une profession de foi inconditionnelle au fédéralisme, alors
qu'un Québécois francophone sur deux a mis en doute le
fédéralisme canadien lors du référendum du 20 mai.
5. Condamnation du plan Trudeau comme accentuant davantage la dépendance
du peuple québécois. 6. Réprobation de l'intrusion du
gouvernement fédéral (article 23) dans un domaine de juridiction
strictement québécois. 7. Opposition à l'inclusion des
droits linguistiques dans la constitution du Canada parce que seule
l'Assemblée nationale a le pouvoir de légiférer en
matière de langue et d'enseignement. 8. Refus de reconnaître au
Parlement britannique le droit de changer la constitution canadienne tenant
pour illégitime tout changement imposé par le Parlement de
Londres sans l'accord du Québec. 9. Envoi de télégrammes
aux instances concernées pour manifester notre opposition à tout
rapatriement unilatéral de la constitution du Canada. Et enfin, 10.
Appui au mouvement Solidarité Québec.
Mme Belleau: Passant d'une vue d'ensemble au détail du
plan fédéral, nous voudrions formuler à cette commission
parlementaire de la présidence du conseil et de la constitution des
inquiétudes encore plus angoissantes, si on peut dire, parce qu'elles
touchent à notre être de professeurs de français.
L'ingérence du gouvernement fédéral dans le domaine de
l'éducation est un coup bas qui, sans attendre dix ans, chambardera tout
le système scolaire québécois.
En effet, le projet de charte fédéral, s'il était
adopté tel quel, rendrait la situation linguistique actuelle au
Québec pire qu'avant l'adoption de la loi 22.
Si nous comprenons bien les articles 6 et 23 de la résolution
fédérale, le secteur scolaire anglophone se gonflerait
indûment. Prenons quelques exemples types: l'immigrant de souche
anglophone qui vient d'un pays du Commonwealth ou des États-Unis, en
arrivant au Québec, pourra "automatiquement" inscrire ses enfants
à l'école anglaise québécoise. L'immigrant
allophone qui, après avoir passé X années aux
États-Unis, immigre de nouveau au Québec, pourra, lui aussi,
envoyer ses enfants à l'école anglaise québécoise.
L'immigrant canadien qui vient au Québec de n'importe quelle autre
province du Canada pourra "automatiquement" inscrire ses enfants à
l'école anqlaise québécoise. L'immigrant francophone qui
arrive au Canada, après avoir habité une province anglophone et y
avoir inscrit un seul de ses enfants à l'école anglaise, pourra,
s'il immigre au Québec, inscrire tous ses enfants à
l'école anglaise québécoise.
Et voilà que le système scolaire vient d'être
chambardé, renversé. Le vaste réseau scolaire francophone
actuel deviendra, et très vite, selon le plan Trudeau, un réseau
anglophone avec quelques écoles francophones.
Supposons qu'un projet fédéral vienne s'installer, un port
en eau profonde à Gros Cacouna, des usines de transformation de sel aux
Îles-de-la-Madeleine, une usine de nucléaire quelque part sur la
rive sud de Montréal et, immédiatement, les articles traitant de
"mobilité et de libre circulation" permettront à n'importe quel
travailleur de n'importe quelle province de s'installer au Québec. Et
comme la majorité, pour ne pas dire la totalité, seraient des
Canadiens anglais, leurs enfants envahiraient nos écoles et les
angliciseraient. Les Québécois se verraient réduits
à une minorité et l'expression "là où le nombre le
justifie" obligerait le Québec à créer d'autres
installations d'enseignement anglaises pour la "majorité" devenue
anglophone dans nos écoles.
Nous n'exagérons pas. Supposons encore une forte récession
en Angleterre ou une immigration de centaines d'Américains au
Québec. Les professeurs de français deviendraient-ils des
professeurs d'anglais? Le pire n'est pas fini. Nous n'avons pas parlé
des immigrants qui arriveraient au Québec et qui ne parleraient ni
français, ni anglais. Selon le projet Trudeau, ces immigrants devraient,
eux, s'inscrire à l'école québécoise francophone.
Dites-nous donc pourquoi? Serait-ce pour ériger en système la
discrimination? Nous voulons donc crier à l'injustice et dénoncer
vertement le plan Trudeau qui est à l'image de ce Canada que nous avons
toujours connu et qui même le renforce: deux poids, deux mesures.
Les professeurs de français ne peuvent rester indifférents
à ce projet. Après tant d'années d'efforts pour
bâtir un Québec français, asseoir solidement ici une
culture et une vie françaises, l'ingérence du gouvernement
fédéral dans le champ de l'éducation est inacceptable.
Nous n'accepterons pas que le gouvernement du Québec devienne le vassal
du fédéral dans ce champ de juridiction québécoise.
Nous n'accepterons pas que le plan Trudeau vienne perturber 100 ans d'existence
pédagogique. Nous refusons la moindre atteinte à la loi 101
susceptible de la diminuer de quelque façon que ce soit.
Voilà donc, mesdames et messieurs, ce qui explique aujourd'hui
notre présence à cette commission parlementaire: notre
volonté manifeste d'affirmer un peuple de langue française, de
culture québécoise souverainement assumée par le Parlement
du territoire québécois et ceci, sans préjuger des choix
collectifs des Québécois. Nous osons affirmer, avec nombre de
Québécois et de Québécoises de tous partis, de
toutes tendances et de toutes conditions, que le plan fédéral est
la négation de notre vécu de peuple parlant français au
nord de l'Amérique.
La Présidente (Mme Cuerrier): À moins que la
commission n'en décide autrement, nous avons déjà
dépassé l'heure de la suspension de nos travaux et, si je n'ai
pas une raison majeure justifiant une dérogation au règlement,
nous suspendons les travaux de la commission jusqu'à 15 heures.
M. Gaulin: Nous vous parlerons après.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je regrette, j'ai
déjà fait la suspension, mais nous vous attendons quand
même cet après-midi. J'ai déjà une liste
d'intervenants qui veulent poser des questions soit à Mme Belleau, soit
à M. Gaulin. Nous vous attendons.
(Suspension de la séance à 13 h 7)
(Reprise de la séance à 15 h 13)
La Présidente (Mme Cuerrier): La commission de la
présidence du conseil et de la constitution reprend ses travaux
après la suspension pour le déjeuner. Je demanderais à
l'Association des professeurs de français de bien vouloir s'approcher.
Ce sera M. le député de Deux-Montagnes qui posera la
première question.
Mme Irène Belleau et M. André Gaulin.
M. le député de Deux-Montagnes, vous avez la parole.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais
remercier Mme Belleau et M. Gaulin de nous avoir présenté le
très intéressant mémoire de l'Association
québécoise des professeurs de français. Nous avons
remarqué avec beaucoup de plaisir que les professeurs de français
du Québec ne considèrent pas que leur enseignement se fait en
vase clos. Ils ne se prennent pas pour des machines à enseigner une
langue. Quoi qu'il advienne et dans quelque circonstance que ce soit, ils se
rendent compte qu'une langue vit dans un milieu, qu'une langue exprime une
culture, que cette langue et cette culture exigent un cadre et qu'un aspect
important de ce cadre c'est le cadre politique.
On voit, par exemple, à la page 2 du mémoire, des
affirmations en ce sens et nous notons aussi avec intérêt que
l'association est parfaitement consciente des dimensions historiques des
problèmes que nous discutons ici en cette commission. À la page 4
du mémoire, on dit: "Nous ne sommes pas venus non plus donner notre aval
à un parti politique, le Parti québécois, mais à
un
gouvernement, celui du Québec, qui a refusé depuis 53 ans
une formule de rapatriement qui n'assure pas clairement notre
épanouissement en tant que peuple vivant depuis 373 ans sur le
territoire saint-laurentien." C'est donc une perspective très vaste dans
le temps et aussi à l'échelle géographique du
Québec que nous présente ce mémoire.
L'Association québécoise des professeurs de
français, comme un très grand nombre des intervenants qui se sont
présentés devant cette commission, se préoccupe
particulièrement des dimensions linguistiques - cela est normal - de la
manoeuvre des libéraux d'Ottawa, le coup de force constitutionnel
d'Ottawa. On retrouve aux pages 5 et 6 du mémoire une description
rapide, mais néanmoins assez exhaustive, des effets que le coup de force
fédéral aurait sur la politique linguistique du Québec,
cette espèce d'invasion dans un domaine qui, normalement, est de la
compétence du Québec, qui ferait que des aspects importants de la
politique linguistique que nous nous sommes donnés seraient compromis et
s'effondreraient par lambeaux.
Le ministre des Affaires intergouvernementales a noté hier que
c'est là la principale constante d'un grand nombre de mémoires
qui nous sont présentés. On voit une fois de plus que, ce qui est
en cause, ce qui est menacé, c'est la situation du français au
Québec et aussi dans le reste du Canada. Plusieurs intervenants ont
déjà dénoncé la connivence qui existe entre le
gouvernement central et le gouvernement de l'Ontario. On a
dénoncé devant nous ce marché qui a été
conclu entre le gouvernement d'Ottawa et celui de l'Ontario, sur le dos des
francophones, des francophones du Québec, des francophones de l'Ontario
et des francophones des autres parties du Canada, marché selon lequel le
coup de force du fédéral porte atteinte à la situation du
français au Québec, sans rien apporter de concret, de palpable,
de réel à la situation du français dans les autres
provinces.
Le gouvernement de l'Ontario a entrepris récemment une campagne
électorale durant laquelle il s'est déjà mis à se
vanter devant son électorat d'avoir stoppé le français en
Ontario, d'avoir refusé la bilinguisation de l'Ontario pour ce qui
concerne le Parlement et les tribunaux, c'est-à-dire le fameux article
133 de la constitution canadienne actuelle. C'est donc dans ce
contexte-là qu'il faut faire obstacle à cette offensive sans
précédent contre le français au Québec et dans le
reste du Canada. Je voudrais vous poser essentiellement deux questions dans
deux domaines assez différents l'un de l'autre. La première
question a trait à l'un des amendements que M. Jean Chrétien a
apportés au projet fédéral. Il s'agit de l'article 26, qui
apporte au projet un élément nouveau. Ce n'est pas un amendement
qui apporte une modification à quelque chose qui était
déjà là; c'est un amendement qui, au contraire, apporte
quelque chose de nouveau qui n'était pas dans le premier projet et qui a
étonné beaucoup d'observateurs, pour employer un langage prudent.
Il s'agit de l'article 26 que je vous cite: "Toute interprétation de la
présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien
et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens."
Dans l'histoire récente du Canada et du Québec, le langage
politique a toujours compris un certain nombre d'expressions qui
représentent des réalités qui, depuis quelque temps
déjà, paraissent fondamentales, par exemple l'expression "peuple
fondateur". Les gouvernements successifs du Québec ont toujours
exigé, revendiqué la reconnaissance de la
spécificité du Québec et un grand nombre de documents
politiques canadiens, comme le rapport de la commission Laurendeau-Dunton, ou
le rapport de la commission Pépin-Robarts, ou le livre beige du Parti
libéral du Québec, parlent - il y a peut-être un flottement
dans le vocabulaire, ce ne sont peut-être pas toujours les mêmes
mots - de la dualité essentielle qu'il faut protéger et garantir.
Cette notion de dualité, cette notion de peuple fondateur, cette notion
de spécificité du Québec sont des notions essentielles au
débat politique au Québec et au Canada depuis fort longtemps. Ces
notions sont disparues. Dans les idées des libéraux
fédéraux, ces notions n'existent plus. Elles sont
remplacées par cette chose qui arrive comme un cheveu sur la soupe, dans
des amendements de dernière minute, et qu'on appelle le patrimoine
multiculturel des Canadiens.
Je voudrais vous demander, Mme Belleau, quelles sont à votre avis
les implications pour la place du français dans la vie canadienne et
plus particulièrement dans la vie québécoise si, à
l'avenir, il devait arriver que la constitution canadienne soit toujours
interprétée de façon non pas à avantager une
dualité ou la partie française de cette dualité, mais
à avantager cette chose nouvelle, inconnue, inexpliquée qu'on
appelle un patrimoine multiculturel. C'est ma première question,
madame.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
présidente.
Mme Belleau: Je répondrai à M. le
député que tout le projet fédéral non seulement nie
le Québec, mais, sous des mots fallacieux comme patrimoine culturel, il
essaie de redorer un blason qu'il a essayé de faire valoir lors de la
dernière élection. Or, il a toujours voulu protéger les
minorités -entendons-nous, minorités au sens large - y
compris aussi la minorité francophone du Québec. Mais
jamais, à mon sens, le gouvernement Trudeau n'a fait vraiment quelque
chose pour protéger ce qu'il appelle aujourd'hui le patrimoine
multiculturel. S'il a vraiment fait quelque chose, c'est qu'il ne les a
vraiment pas aidées. Qu'est-ce qu'il a fait pour les minorités
qui vivent au Québec? Qu'est-ce qu'il fait dans le projet actuel pour
les minorités hors Québec? Il enlève même, si j'ai
bien lu la résolution fédérale, à la
minorité anglophone du Québec le droit de gérer ses
propres installations d'enseignement. Il ne reconnaît dans le nouveau
projet que des prestations nécessaires à l'installation
d'enseignement. Comment, à partir de ça, peut-il vraiment
protéger un patrimoine multiculturel?
Je ne crois pas vraiment que le français dans l'idée du
gouvernement fédéral occupe la place qu'il devrait occuper. Au
contraire, je trouve qu'il essaie de plus en plus de nier la place du
français, autant le français majoritaire au Québec que le
français minoritaire dans les provinces. S'il voulait vraiment le faire,
pourquoi n'accorderait-il pas aux minorités hors Québec les
mêmes privilèges que nous, le Québec, nous accordons
à la minorité anglophone depuis tant d'années? Si on
voulait pousser le raisonnement ou la logique jusqu'au bout, il me semble que
ce serait logique, en tout cas que ce serait juste, sans se
référer trop à la société juste qu'il
voulait. Si on accorde au Québec à la minorité anglophone
le droit de continuer de gérer dans l'avenir ses institutions, pourquoi
ne ferait-on pas la même chose pour les minorités dans les autres
provinces? Au Québec, si on continue à accorder, j'allais dire
"un traitement de faveur" aux anglophones en leur permettant de gérer
toutes leurs installations non seulement dans l'enseignement, mais aussi leurs
hôpitaux, leurs media d'information, peut-être qu'avec le temps les
Québécois diront: Cela en est assez de faire rire de nous. Si on
veut une société juste, qu'on accorde aux minorités
francophones hors Québec la même chose que le Québec
offrait et continue toujours d'offrir à la minorité anglophone du
Québec. Dans notre mémoire, nous parlons des deux poids, deux
mesures. C'est la situation qui a toujours duré, qui va perdurer encore
puisque ce n'est pas à notre sens la résolution
fédérale qui va changer quoi que ce soit. Le français dans
la conception qu'on se fait du Canada, à notre sens, n'a pas la place
qu'il devrait avoir dans le gouvernement fédéral.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député.
M. de Bellefeuille: Vous avez tout à fait raison de
signaler, madame, que le projet constitutionnel des libéraux d'Ottawa
n'apporterait pas de base constitutionnelle à ce qui existe
déjà pour les anglophones du Québec,
particulièrement, comme vous l'avez dit, la gestion des écoles
anglaises du Québec, qui est confiée aux anglophones
eux-mêmes. Il me paraît absolument évident que la raison
pour laquelle M. Trudeau ne veut pas mettre cela dans la constitution, c'est
tout simplement qu'il n'est pas prêt à le mettre dans la
constitution pour les francophones en dehors du Québec,
particulièrement en Ontario et au Nouveau-Brunswick, dans un cas la
collectivité francophone la plus importante hors Québec,
l'Ontario, et dans l'autre cas la collectivité proportionnellement la
plus élevée, celle du Nouveau-Brunswick. Comme il n'est pas
prêt à faire cela, il ne l'applique pas au Québec, sachant
fort bien que c'est au Québec qu'a été créée
la société juste au nom de laquelle M. Trudeau s'est fait
élire il y a treize ans. C'est au Québec qu'existe cette
société juste qui reconnaît par ses propres lois les
exigences d'une saine démocratie pour fournir à la
minorité anglophone les services dont elle a besoin pour
s'épanouir. Donc, cette société juste existant au
Québec, M. Trudeau sait fort bien que le Québec ne va pas
reculer, le Québec ne va pas faire un pas en arrière dans le
développement de cette société démocratique, de
cette société juste. Il compte, par exemple, que le Québec
maintiendra ce qui est acquis pour les anglophones et, d'autre part, il ne fait
absolument rien, ça lui permet de ne rien faire pour les francophones en
dehors du Québec.
Ma deuxième question, madame, est d'un tout autre domaine: c'est
au sujet de l'enseignement du français - pour employer le vocabulaire
habituel - langue seconde. Nous avons entendu, hier une association
l'Association des anglophones de l'Estrie, et je ne me souviens pas s'il s'agit
du mémoire lui-même ou des conversations que nous avons eues avec
les représentants de cette association à l'arrière de la
salle, après la présentation du mémoire, mais la dame qui
faisait partie de la délégation insistait beaucoup sur cette
idée que leur principale revendication, c'était d'avoir un bon
enseignement du français dans leurs écoles anglaises de
l'Estrie.
On sait que, depuis des années, au Québec, c'est un grief
constant. Les gens se plaignent soit de la mauvaise qualité, soit de
l'inefficacité de l'enseignement du français langue seconde, de
l'enseignement du français aux anglophones du Québec.
Je sais bien qu'il peut y avoir des problèmes: pas assez
d'enseignants, préparation insuffisante des enseignants,
problèmes de méthode, manque d'instruments d'enseignement, je ne
sais trop, mais il doit y avoir d'autres problèmes puisque que
ça
fait des années et des années que le ministère de
l'Éducation consacre ses efforts à améliorer
l'enseignement du français langue seconde et qu'il y met des budgets qui
se chiffrent à des millions de dollars. Comment se fait-il que ça
ne progresse pas plus? Et je vous pose la question précisément,
comme je le disais au début, parce que vous reconnaissez bien que la
situation d'une langue ne peut s'expliquer que par rapport à la
situation de l'ensemble de la collectivité et que les questions
d'enseignement de langue sont reliées aux questions culturelles, aux
questions politiques, etc. Pourquoi, donc, l'enseignement du français
langue seconde est-il toujours aussi problématique?
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
présidente.
Mme Belleau: Je vous ferai remarquer que vous pourriez à
peu près me poser la même question pour l'enseignement de
l'anglais langue seconde. Mon ami Gaulin vous spécifiera quelque chose
sur le terme "langue seconde" mais, avant qu'il intervienne sur ce terme, je
voudrais vous dire, concernant tout l'aspect de l'enseignement du
français dans les écoles anglaises, que jusqu'à maintenant
- je parle en tant que présidente de l'Association
québécoise des professeurs de français - nous n'avons pas
tellement tenté d'efforts de ce côté, pour deux raisons.
(15 h 30)
La première, c'est d'abord que, la plupart du temps,
l'enseignement qui se fait dans ces écoles ne se fait pas toujours par
des professeurs de français, j'allais dire, québécois; ce
sont parfois des professeurs d'anglais qui savent le français et qui
l'enseignent. C'est difficile pour nous de les recruter et, évidemment,
de les représenter. On ne peut pas dire qu'à l'intérieur
de notre association, il y ait tellement de professeurs de français qui
sont des professeurs de français langue seconde. Par contre, on se
souvient très bien qu'il y a quelques années, M. François
Cloutier, alors ministre de l'Éducation, avait lancé un vaste
plan qui nous semblait un plan utopique. Aujourd'hui, les réalisations
de ce plan viennent confirmer le peu d'efficacité qu'il a eu.
C'était le plan DEL où on accordait, par exemple, $45 millions au
perfectionnement des professeurs de français ou d'anglais langue
seconde, les deux, et moins d'argent pour le perfectionnement des professeurs
de français langue maternelle.
Or, le recyclage ou le perfectionnement des professeurs de
français langue seconde ou d'anglais langue seconde s'est fait, je
dirais, suivant une méthode qui n'a pas été vraiment
axée sur les besoins du milieu. À notre connaissance, cela s'est
fait en appliquant diverses méthodes qui ont peut-être
été éprouvées aux États-Unis et ailleurs,
mais qui ne collaient pas vraiment à la réalité
québécoise. Autant, dans le secteur francophone, il faut
absolument que les étudiants québécois soient
motivés à l'apprentissage de l'anglais, autant il faudrait aussi
que les étudiants anglophones soient motivés à
l'apprentissage du français.
À mon sens, indépendamment du problème des
méthodes, indépendamment de la non-préparation ou de la
préparation plus ou moins suffisante des professeurs ou de l'argent qui
a été injecté dans ce domaine, je crois qu'il y a
là un malaise véritable, celui de la motivation des
étudiants.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: Mme Belleau, tout d'abord, un bref commentaire sur
l'ensemble de votre mémoire. Évidemment, comme professeur de
français, vous avez fondé l'essentiel de vos
préoccupations, face à la charte fédérale, sur la
question proprement linguistique. Je voudrais simplement siqnaler - je sais que
vous êtes en mesure de le faire également -que l'ensemble du
problème constitutionnel doit être situé dans des
perspectives plus larges que vous n'ignorez sans doute pas, mais votre
mémoire s'intéresse strictement à la question
linguistique.
Deuxième commentaire. En vous référant au
résultat référendaire, vous affirmez qu'un
Québécois sur deux a répondu non ou oui à la
question. J'imagine que, dans votre vocable, un Québécois est un
Québécois uniquement francophone. Vous n'excluez pas en tant que
Québécois les autres Québécois qui ont fait que le
résultat référendaire est allé pour le non
jusqu'à 60%.
Dans la mesure où, depuis le début, on en parle beaucoup,
je voudrais particulièrement attirer votre attention - le
député de Deux-Montagnes a parlé justement de
l'enseignement et j'avais des questions sur les programmes proprement dits
d'enseignement des langues - sur la page 5 de votre mémoire. Analysant
les propositions du gouvernement fédéral, vous y faites trois ou
quatre affirmations, trois ou quatre paragraphes pour conclure que, si ces
dispositions étaient enchâssées ou incluses dans une
nouvelle constitution canadienne, le système scolaire
québécois - je donne votre conclusion et j'aurais quelques
questions à vous poser - serait "chambardé, renversé. Le
vaste réseau scolaire francophone actuel deviendra, et très vite,
selon le plan de M. Trudeau, un réseau anglophone avec quelques
écoles francophones."
C'est une affirmation assez forte. Pour en mesurer la justesse ou pour
apprécier dans quelle perspective vous avez fait une telle affirmation
où, à toutes fins utiles, vous dites que ce serait la fin du
réseau francophone, je voudrais, parce qu'on ne l'a
pas fait - tous les groupes évoquent les dangers de la
proposition fédérale au titre de l'avenir du français -
étant donné que vous êtes des spécialistes dans le
domaine et que vous avez probablement cette expertise - je voudrais, dis-je,
vous demander une chose. Je ne conteste pas les affirmations que vous faites,
mais je voudrais en évaluer l'importance et la signification
réelle. Vous dites dans votre mémoire: " Prenons quelques
exemples types: 1. l'immigrant de souche anglophone qui vient d'un pays du
Commonwealth ou des États-Unis, en arrivant au Québec pourra
automatiquement inscrire ses enfants à l'école anglaise
québécoise." Vous dites que c'est contraire à la loi 101.
D'après les statistiques - je ne sais pas si vous les avez, ces
statistiques - quel est le nombre exact de ces gens, en chiffre absolu? Je ne
parle pas en proportion relative, mais, d'après les chiffres et les
expertises que vous avez sans doute pour faire une pareille affirmation, je ne
sais pas si vous pouvez me donner ça, mettons, au moment de la loi 63 et
maintenant. Autrement dit, quel est le volume, le chiffre de l'immigration
anglophone de l'ensemble des pays dont la langue maternelle est l'anglais
à travers le monde qui vient s'installer au Québec?
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme
Irène Belleau, est-ce que c'est vous qui répondrez aux
questions?
Mme Belleau: Oui, je laisserai d'abord André donner une
première réponse et, ensuite, je compléterai.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. André Gaulin.
M. Gaulin: On n'a pas les chiffres précis sous la main,
mais il y en avait déjà de donnés approximativement dans
le Devoir avant-hier. On estimait environ à 1000 ceux qui entraient au
niveau scolaire au Québec chaque année et, de ceux-là, il
y aurait de 25% à 30% de clientèle immigrante anglophone. Mettez
25% ou 30% de 1000, ce qui fait 250 environ par année.
M. Rivest: Enfants et non immigrants. M. Gaulin: Oui,
c'est ça. Cependant...
M. Rivest: Qui seraient intégrés au réseau
anglophone en vertu des propositions fédérales, si c'est la
clause universelle.
M. Gaulin: C'est ça. Remarquez que ça fait
déjà une dizaine d'années qu'on discute comme ça
sur des chiffres...
M. Rivest: Oui.
M. Gaulin: ... et on ne sait pas exactement ce que ça va
donner, etc. Si je reviens plus largement à la question que posait M. de
Bellefeuille tantôt et que vous posez de façon plus précise
par des statistiques, au fond, ce que nous craignons, c'est que ce
multiculturalisme nous soit imposé par une langue qui sera
l'unilinguisme anglais. Plus on regarde le Canada anglais tel qu'il est, tel
qu'il s'est fait, tel qu'il s'est composé, plus on retrouve au Canada
anglais le modèle étatsunien, à savoir d'une population
multiculturelle où on a imposé la langue. Remarquez, on a entendu
très souvent, depuis dix ans, dire que les lois linguistiques ne
changeaient rien et on oublie très souvent de dire que, dans 30
États sur 50 aux États-Unis, on a imposé l'anglais par
législation, ce qui n'est pas connu généralement.
On pourrait dire - ce matin, on donnait des statistiques - que, si nous
étions tous francophones et restés francophones, des 60,000
immigrants que nous étions - parce qu'on a entendu M. Ryan, par exemple,
dire: Nous étions 79%, en 1867, et nous sommes 80% maintenant au
Québec - si nous étions tous là, francophones descendants
des 60,000 à 80,000 immigrants de 1759, nous serions sur le territoire
canadien ou nord-américain, non assimilés, environ 10,000,000.
Cela veut dire qu'il y a une perte de 5,000,000 de gens qui se sont
assimilés, ce qui exclut d'ailleurs les francophones hors Québec
qui ne le sont pas.
Au fond, c'est toute une espèce de dynamique qui fait
défaut là-dedans. De plus en plus dans le Canada, et surtout avec
la charte de Trudeau, non seulement on nie la loi 101 mais on ne
reconnaît pas que cette loi-là doit avoir une espèce de
souveraineté sur un territoire bien précis. Je pense que notre
mémoire a beaucoup insisté là-dessus. Jacques Ferron, le
grand écrivain, qui pourrait être un prix Nobel de la
littérature d'ailleurs, disait: La culture anglaise et la culture
française sont deux cultures trop puissantes, trop fortes avec deux
bibliothèques trop puissantes et trop fortes pour cohabiter sur le
même territoire. Il faut donc faire des compartimentations territoriales,
oe à quoi d'ailleurs sont arrivés des pays comme la Belgique et
la Suisse, enfin la Belgique avec plus de difficultés, le cas de
Bruxelles est épineux, mais ce à quoi on est arrivé, c'est
à une certaine paix sociale à la suite de législations
bien précises sur des territoires bien précis.
Je pense que ce que nous avons contesté surtout ici, c'est le
fait qu'au Canada nous ne nous sentons pas chez nous. Ce pays-là nous a,
à toutes fins pratiques, évacués. Il nous a à
toutes fins utiles assimilés. À une époque où on
aurait pu construire un Canada, au moment de la Confédération, la
ville de Toronto, par exemple, avait moins de population que la
ville de Québec, en 1867. On nous a vraiment vidés de ce
territoire-là. Au moment où on faisait entrer des Doukhobors dans
l'Ouest, on voyait un Québécois sur trois s'en aller aux
États-Unis. C'est cela que nous contestons. C'est cela que nous
refusons. Vraiment, pour nous, le Canada est un pays infâme,
c'est-à-dire sans réputation au sens étymologique du mot,
c'est un pays qui nous a trahis, qui nous a humiliés et qui continue de
le faire de façon plus forte encore par Trudeau.
M. Rivest: C'est une conception, mais remarquez qu'il y a des
Québécois francophones qui, aujourd'hui, peuvent soutenir,
probablement à juste titre, ce langage que je pense un peu alarmiste, ce
diagnostic - non seulement un peu, à mon avis, mais beaucoup alarmiste -
que vous venez de rendre.
Il y en a d'autres qui vont regarder aujourd'hui concrètement la
réalité de la société québécoise et
qui vont, finalement, comparer cette société
québécoise qui s'est développée à
l'intérieur du Canada, la comparer globalement, comme
société, à d'autres régions du Canada, que ce
soient les Maritimes, l'Ontario ou même tout le continent
nord-américain, la société américaine ou même
européenne. Ils vont se dire que le Québec et les
Québécois francophones, bien sûr, par là même,
ont bâti ici ou ont donné ici, au niveau du développement
politique, économique, les valeurs profondes de notre
société ce qui est loin d'en faire une
société...
En tout cas, personnellement, je prends acte de votre conception des
choses et de votre diagnostic mais, pour moi, je suis fier comme
Québécois du niveau de développement que la
société québécoise a atteint, tout en admettant les
faits historiques que vous relatez et qui sont sans doute incontestables. La
société québécoise a atteint un niveau de
développement tel qu'elle est, globalement, avec ses faiblesses, bien
sûr, dont on peut reconnaître certainement l'existence, très
comparable a n'importe quelle autre société. D'ailleurs, M.
René Lévesque lui-même, lors de la campagne
référendaire, le disait. Il s'en servait même comme d'un
argument et je pense qu'il avait raison. Il disait que si le Québec
devenait indépendant, en termes de développement de la
société, il se situerait, je crois, au septième ou au
huitième rang de toutes les nations modernes du monde.
C'est donc dire que cette existence du Québec à
l'intérieur du Canada, couplée avec la dimension culturelle et
linguistique qui nous est propre, loin d'avoir conduit le Québec
à être une société sous-développée au
sens où on peut l'entendre au niveau international, nous a fait
atteindre quand même des niveaux de développement importants. On
aurait peut-être pu faire mieux, sans doute, dans d'autres circonstances
mais, néanmoins, si on est rendu au septième ou su
huitième rang, comme le disait M. René Lévesque, je trouve
qu'on est pas mal, compte tenu de notre groupe.
J'ajoute qu'une des raisons qui me fait croire, personnellement, en la
valeur de notre appartenance à l'ensemble fédéral
canadien, c'est justement cette réalité des choses et ce
diagnostic. Je me dis: Si on est arrivé à ce niveau tout en
étant à l'intérieur du Canada, ajoutant nos propres
ressources et notre propre dynamisme québécois, qui sont
considérables, la part qui nous revient et qu'il faut chercher à
obtenir - parfois qui ne nous revient pas - de notre appartenance
fédérale, il me semble que pour l'avenir, en tout cas...
C'était sur l'orientation de fond.
Revenant à une question peut-être un peu plus
précise, vous dites qu'il y a 250 enfants annuellement qui nous viennent
de la grande communauté anglophone internationale. Parmi ceux-là
- je parlais du paragraphe 1, je reviens au paragraphe 3 -combien chaque
année viennent uniquement des autres provinces du Canada, les enfants
dont la langue maternelle est l'anglais? (15 h 45)
Mme Belleau: Remarquez que nous n'avons pas ici les chiffres,
mais ils existent. J'allais dire tout à l'heure, en fonction de votre
première question au début de votre intervention, que si dans
notre mémoire on semble tenir un langage peut-être un peu
outrancier quand on affirme que dans dix ans peut-être le réseau
scolaire sera devenu anglophone avec quelques écoles francophones, si
cela vous semble un peu outrancier, j'en suis heureuse. Je me dis: C'est
peut-être à partir de ça qu'il faut vraiment
réfléchir. On réfléchit toujours par rapport au
passé. Je dis: Depuis dix ans, il est peut-être arrivé 250
élèves anglophones dans le secteur anqlophone
québécois. Puis, on en reste là.
Mais vous voyez sans doute, j'imagine bien, qu'avec la résolution
fédérale, ce mouvement pourrait être multiplié par
cinq. Alors, si ce n'est pas dans dix ans, c'est peut-être dans moins de
dix ans que nos écoles francophones, qu'on est obligé de fermer,
dans bien des cas, à cause de la dénatalité, seraient le
lieu privilégié pour cette immigration anglophone.
M. Rivest: Je ne veux pas, parce qu'on n'aura probablement pas le
temps... Quand vous dites: Pour elles, bien sûr, on peut le dire. Sans
doute, je ne peux pas le contester. Mais, après cela, du même
souffle, vous invoquez le problème de la dénatalité, comme
si c'était simplement un phénomène propre à la
communauté francophone et ...
Mme Belleau: Elle existe ailleurs.
M. Rivest: ...cela existe autant maintenant.
Mme Belleau: Oui, bien sûr.
M. Rivest: C'est un phénomène de toutes les
sociétés développées. Il faudrait également
pondérer cela.
L'autre question - je trouve que, dans l'énumération de
vos paragraphes, il y a un certain déséquilibre; c'est pour
ça que je m'attache plus directement aux chiffres, si je ne prolonge pas
trop - vous mettez finalement un peu sur le même pied l'hypothèse
plausible - remarquez, selon l'analyse que vous avez faite de la
résolution fédérale - de l'immigrant allophone qui irait
aux États-Unis pendant un certain temps, qui viendrait après
ça s'installer au Québec et qui, en vertu de la résolution
fédérale, aurait le droit d'inscrire ses enfants. Cela
paraît assez illogique, mais il faudrait voir le nombre de personnes qui
feraient ce genre de circuit-là pour apprécier la valeur
intrinsèque du paragraphe que vous placez exactement au même
niveau, dans votre argumentation, pour conclure d'une façon
extrêmement pessimiste sur l'avenir du réseau scolaire francophone
au Québec; parce que ça m'apparaîtrait assez minime,
finalement. Je ne sais pas, je n'ai pas de chiffres...
Mme Belleau: Je ne sais pas si c'est si minime que cela. Je vous
apporterai comme exemple le fait, depuis quelque temps, pour ne pas dire
quelques années, des réfugiés, des "boat people", par
exemple, tous les réfugiés du Sud-Est asiatique; vous en avez
plusieurs qui arrivent au Québec, mais vous en avez plusieurs aussi qui
viennent au Québec parce que d'autres membres de leur parenté
sont arrivés - mais, attention - dont les parents ont
émigré aux États-Unis, il y a quelques années. Je
vous cite cet exemple, parce que je le vis dans mon école. Je suis
convaincu qu'il n'existe pas qu'à un exemplaire.
M. Rivest: Juste une dernière précision - une des
dimensions qui ne se trouvent pas dans votre analyse - est-ce que vous tenez
compte, dans tout ce mouvement, lorsqu'on parle de questions scolaires, ce qui
est très important, de la langue d'enseignement, des possibilités
qui sont ouvertes au gouvernement du Québec au titre des ententes qui
existent maintenant et dont, de part et d'autre, on est satisfait, de ce qu'on
appelle les ententes signées par les ministres Couture et Collins,
où le Québec a quand même un droit de regard, presque plus
qu'un droit de regard, pratiquement un droit de veto, sur l'installation des
immigrants? On pourrait, de ce côté-là également,
essayer de développer davantage les possibilités ou les
instruments qui seraient à la disposition de la société
québécoise pour renforcer son contrôle sur le mouvement des
immigrants, que ce soit à l'intérieur même du Canada ou
même à l'extérieur, pour éviter, au fond... Je pense
que, dans toutes les formules plus ou moins parfaites que l'on trouve - la
vôtre, celle de la loi 101 ou la nôtre, quelle que soit la formule
- où on essaie... Finalement, le problème central, ce n'est pas
tellement de brimer tel ou tel type d'individus. Je pense que tous, on a la
même préoccupation qui est essentielle à la
société québécoise, c'est de maintenir,
particulièrement à Montréal, un équilibre
démographique tel qu'il assure la prépondérance de la
société française, c'est-à-dire qu'on veut
éviter que, par le canal de l'immigration, de l'intégration
scolaire, le groupe francophone à Montréal ne soit vidé
comme ça se faisait par le passé. C'était effectivement
très dangereux. C'est un rapport numérique entre deux
collectivités qu'on essaie de maintenir. Il n'y a pas que l'instrument
de la politique linguistique au titre de la langue d'enseignement; il peut y
avoir d'autres types d'instruments. Vous qui êtes quand même
très près de ces questions, vous n'en faites mention nulle part.
Je pensais au contrôle de l'immigration et, après ça,
à d'autres formules, enfin à tous les programmes qui pourraient
aller dans ce sens.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. André Gaulin.
M. Gaulin: Comme vous le disiez, on n'est pas
nécessairement du même bord, mais je pense qu'on est tous
québécois. On peut faire un constat pessimiste. D'ailleurs, ce
n'est pas sur la société québécoise que je suis
pessimiste, c'est sur le Canada comme pays. On peut être pessimiste sur
le Canada, mais on veut tous essayer, ici dans cette commission, de revaloriser
cette société québécoise. Je reviendrais à
une définition, parce qu'on peut aussi, mettre des cautères sur
une jambe de bois. J'ai l'impression que c'est cela qu'on fait actuellement,
essayer de calculer tel pourcentage, tel endroit dans telle ville par rapport
à telle chose et telle chose. Ce qu'on a appelé des amendements
à la pièce, une législation à la pièce. On
n'a vraiment pas de plan d'ensemble.
Je reviendrais à la définition du professeur Charles
Castonguay, qui est un professeur de mathématiques du côté
d'Ottawa, spécialiste de la démographie, qui définissait
ainsi le Canada français. "Le Canada français, c'est le lieu
où le français a encore une force d'attraction". Dans les
années 1975, il disait, par des sondages, des questionnaires que le
Canada français allait
de Trois-Rivières environ, en passant par Québec et en
s'en allant du côté du Saguenay-Lac-Saint-Jean. C'était
cela, le Canada français. Une espèce de L. Voyez-y un L
libéral, si vous voulez, mais une espèce de L qui était
là, alors que maintenant, avec la loi 101, je pense que la culture, la
langue française a repris un mordant, un dynamisme de sorte qu'un
certain nombre de questions un peu vétilleuses ne se posaient plus.
Comme on est en train, avec le plan Trudeau de retoucher à cette
loi, de remettre en jeu un équilibre difficilement, péniblement
acquis, un consensus auquel le Québec a finalement accédé,
je pense qu'on remet tout en cause et qu'on peut, dès lors, recontinuer
d'être pessimiste parce qu'à ce moment, c'est le processus de
bilinguisation, puis de diglossie et, finalement, d'assimilation. Cela peut se
faire dans 50 ans, comme on l'a dit hier, mais ça se fera si on ne
renverse pas la vapeur.
La Présidente (Mme Cuerrier): II y avait M. le ministre
qui voulait parler. J'aurais une autre demande. Il reste deux minutes au temps
qui nous est alloué.
M. Morin (Sauvé): Oui. Mme la Présidente, je serai
très bref. On ne peut quand même pas laisser passer certains
propos du député de Jean-Talon. À l'écouter parler,
à cette table, nous nous battrions pour la défense du
français et tout le monde serait d'accord qu'il faut défendre la
langue française, particulièrement au niveau scolaire. Il n'y
aurait pas de différence; au fond, tout le monde est pour la langue
française. Il faut quand même juger les gens non pas à ce
qu'ils disent, mais à ce qu'ils font. Et ce qu'ils font, vous le savez
très bien: ils tentent, en ce moment, de modifier les critères
d'accès à l'école anglaise pour la rendre plus accessible,
en passant des règles objectives de sélection que contient la
Charte de la langue française à un critère flou à
souhait qui est celui de la langue maternelle et, de surcroît,
appliqué par les principaux intéressés qui sont les
commissions scolaires protestantes et anglophones.
Lorsqu'on discute de l'acceptation, de l'accès aux écoles
anglaises des enfants des autres provinces, avez-vous remarqué comme
ça ne porte pas à conséquence? Quelques petites centaines,
quelques dizaines. Cela ne porte pas à conséquence pour les
écoles du Québec. Alors, reculons là-dessus
également. Ensuite, avez-vous remarqué cette autre disposition?
Il faudrait passer l'éponge sur les illégaux.
M. Rivest: C'est ce que vous avez fait quand vous étiez
ministre de l'Éducation.
M. Morin (Sauvé): Ce que nous avons toujours refusé
de faire.
M. Rivest: Vous n'avez rien fait.
M. Morin (Sauvé): Nous avons - vous le savez, je n'ai pas
besoin de vous le rappeler - décidé que les illégaux
n'auraient droit à aucun diplôme. Bien sûr, on ne va pas
mettre la police dans les écoles, comme peut-être nos amis
auraient voulu nous le faire faire, pour rendre les choses absolument
invivables, mais nous avons décidé qu'il n'y aurait pas de
reconnaissance du diplôme de ces enfants, parce qu'ils sont là
illégalement.
Eh bien, on nous propose, de l'autre côté: Passons
l'éponge là-dessus. Je dis que ce sont là des attitudes
qui mènent directement à la déroute du français et
notamment au niveau scolaire. Je crois que je ne peux pas laisser passer cette
espèce de discours qui tend à laisser croire qu'il n'y a pas
vraiment de différence; tout le monde est d'accord pour sauver le
français au Québec.
Jugeons aux actes, c'est ça qui est important, pas aux belles
paroles dont on voudrait nous enfirouâper.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, s'il vous
plaît!
M. Rivest: Mme la Présidente, je voudrais simplement
brièvement invoquer l'article 96, à la suite des commentaires du
ministre.
La Présidente (Mme Cuerrier): Question de
règlement, M. le député de Jean-Talon?
M. Rivest: Oui, sur une question de règlement. Nous avons
eu une discussion avec nos invités; je m'étais abstenu de faire
tomber la discussion dans les sphères politiciennes auxquelles l'a
ramenée le ministre, et je pense que tout le monde aura jugé le
niveau de l'ex-ministre de l'Education.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
vous avez invoqué 96.
M. de Bellefeuille: Ce n'est pas justifiable en vertu de 96,
ça.
M. Rivest: Cela ne fait rien, c'est très important de le
dire.
M. Morin (Sauvé): Vous mêlez tout le monde!
M. Marx: Mme la Présidente, puis-je avoir, avec le
consentement des députés ministériels, quatre ou cinq
minutes pour faire un petit témoignage? Je pense que tout le...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député, avant que la commission ne vous accorde son
consentement, je me dois de vous faire remarquer que nous avons plusieurs
groupes qui attendent maintenant d'être entendus, que si nous
décalons maintenant, et encore une fois avec un prochain groupe, et
encore avec un prochain groupe, ça nous posera des problèmes
quant à notre horaire.
M. Marx: C'est la première et la dernière fois que
je vais parler, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
j'ai pris sur moi de vous dire ces choses, en tenant compte aussi que vous
n'êtes ni membre ni intervenant de la commission.
M. Marx: Je remplace quelqu'un; on m'a demandé...
La Présidente (Mme Cuerrier): De toute façon,
puisque vous me demandez de le faire, je puis fort bien le faire, à
moins que...
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, nous
consentons à ce que le député de D'Arcy McGee prenne une
fois plus la défense de la langue française; nous attendons de
voir ça.
M. Marx: Je suis très heureux que mon...
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous avez le consentement
pour cinq minutes, comme vous l'avez demandé, M. le député
de D'Arcy McGee; je vous arrêterai au bout de cinq minutes.
M. Marx: Je suis très heureux que mon ancien professeur
à l'Université de Montréal et mon collègue à
l'Université de Montréal consente à ce que je
défende la langue française.
La situation de la langue française, telle que décrite
ici, n'est pas la situation que je connais dans mon comté. Moi, je viens
d'un comté à 90% anglophone - et j'avoue tout de suite que j'ai
tous les votes des francophones aussi, dans mon comté - et le consensus,
dans mon comté, c'est que le français devrait rester la langue
commune et la langue prioritaire du Québec. C'est ça le consensus
dans mon comté, comté anglophone.
Je pense qu'on ne fait pas état de ça; on fait état
d'une situation qui n'existe pas dans les faits.
J'aimerais apporter un témoignage personnel, si vous me permettez
de le faire, sur l'enseignement du français aux anglophones au
Québec. Parlons de mon cas, un fils d'immigrant; savez-vous où on
m'a envoyé, où on m'a forcé à aller? On m'a
forcé à aller aux écoles anglaises. Ce n'est pas moi qui
ai choisi ça, ce n'est pas mon père qui a choisi ça, c'est
l'État du Québec qui a forcé des fils d'immigrants comme
moi à aller aux écoles anglaises protestantes, où, bien
sûr, on a appris l'anglais, on n'a pas eu le choix. On donnait
l'enseignement du français, c'était mauvais. Mais c'est
l'État du Québec qui nous a forcé à aller aux
écoles anglaises et un jour, à l'Assemblée nationale, les
gens se réveillent et on nous dit: Vous avez appris la mauvaise langue.
Ce n'était pas notre faute si nous avions appris l'anglais,
c'était le régime linguistique du temps au Québec.
Je peux vous dire que j'ai appris le français "on the job", j'ai
appris le français en tant qu'étudiant et professeur à la
faculté de droit de l'Université de Montréal et, comme
c'est ma langue de travail, j'ai essayé de l'améliorer. Je peux
même vous dire que, à l'Université de Montréal, j'ai
même eu l'occasion de franciser des anglophones dans mes cours. J'ai
aussi publié un livre en droit constitutionnel; c'est le seul livre en
français où se trouve la jurisprudence constitutionnelle et il
est utilisé dans toutes les facultés de droit francophones au
Québec. (16 heures)
Maintenant, j'aimerais passer à mes enfants. Heureusement pour
mes enfants...
La Présidente (Mme Cuerrier): Deux minutes, M. le
député, pour parler de vos enfants.
M. Rivest: Ils ne sont pas nombreux!
M. Marx: Comme je n'ai que deux enfants, je pense que ça
peut prendre une minute chacun. Mes enfants ont eu l'occasion d'aller dans des
écoles anglaises où il y a l'immersion française.
L'immersion française a prouvé sa valeur. Quoiqu'il y ait aussi
des écoles protestantes françaises à Montréal; mes
enfants étaient dans les classes d'immersion. En 1977-1978,
j'étais en année sabbatique, en France et j'ai amené ma
famille. Mes enfants sont allés aux écoles françaises en
France. Ils n'ont eu aucun problème avec la langue en France parce
qu'ils étaient dans des classes d'immersion française ici. Ils
ont bien réussi à l'école française en France, sans
aucun problème.
Je pense que les anglophones d'aujourd'hui au Québec ne sont pas
les anglophones des années quarante, cinquante, soixante ou même
soixante-dix. Je pense que vous devez être au courant de cette situation.
On ne peut pas vivre à Laval ou dans la ville de Québec et
être au courant de ce qui se passe dans mon comté; vous
n'êtes jamais allés dans mon comté.
Juste un autre mot. Vous avez dit qu'il fallait une raison pour
apprendre la langue française; on a la meilleure raison au monde
à cause du Parti libéral du Québec: parce que la langue de
travail est le français depuis le bill 22. C'est une bonne raison
d'apprendre le français. Si on veut avoir un bon job, il faut apprendre
le français, c'est évident. Avez-vous entendu beaucoup d'anglais
à l'Assemblée nationale ou dans la fonction publique du
gouvernement du Québec? Il y a beaucoup de bons jobs là-bas et,
si on les veut, il faut apprendre le français.
Je trouve que vos propos sont très pessimistes, alarmistes,
souvent outranciers, à mon avis, voire farfelus. Cela ne colle pas
à la réalité. Je comprends que le Parti
québécois veuille faire les prochaines élections sur la
question linguistique, c'est évident, parce qu'il ne veut pas parler du
scandale qui concerne la Société d'habitation, il ne veut pas
parler du trou de $500,000,000.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
vous aviez parlé, au départ, de cinq minutes.
M. Marx: Quand on attaque un peu le gouvernement péquiste,
la présidente commence à dire: Vous n'avez plus de temps pour
parler. Ce sont les faits. Les faits sont qu'ils ne veulent pas parler d'autre
chose que de la langue, mais il y a des autres problèmes au
Québec et ils ne veulent pas traiter des autres problèmes. Je
vous dis ceci: La question linguistique est réglée au
Québec. Quoi qu'il arrive...
M. de Bellefeuille: Pourquoi voulez-vous changer cela, alors?
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre:
M. Marx: ...le Québec est et va rester prioritairement
français!
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît!
M. Marx: Pourquoi veut-on faire des redressements concernant le
bill 101? Je peux répondre à cette question.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
s'il vous plaît!
M. Marx: Quand René Lévesque, le premier ministre
du Québec, propose de faire des changements à la loi 101,
personne ne dit quoi que ce soit. Je n'entends pas de péquistes dire: II
ne faut pas toucher à la loi 101. René Lévesque a
proposé qu'on fasse des redressements dans la loi 101. Où
étiez- vous à l'époque? Avez-vous fait des plaintes?
Avez-vous déposé des documents?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député...
M. Marx: Quand c'est le Parti libéral qui propose de faire
les mêmes redressements...
La Présidente (Mme Cuerrier): ... de
D'Arcy McGee, je vais être obligé de m'imposer,
malheureusement.
M. Marx: ... vous venez ici nous dire qu'il ne faut pas le faire.
Deux poids, deux mesures!
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député!
M. Marx: Parce que vous défendez une thèse
péquiste.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee!
M. Marx: Bonne défense de la langue, M. le professeur!
La Présidente (Mme Cuerrier): Je me dois de faire
respecter le règlement. Je vous ai dit, au départ, que la
commission vous accordait cinq minutes et vous en avez pris près de
huit.
M. Marx: Je vais rembourser trois minutes au gouvernement une
autre fois!
La Présidente (Mme Cuerrier): La commission a
déjà démontré qu'elle voulait bien vous entendre,
mais je pense - et je ne crois pas présumer - que la commission
accordera aussi aux gens qui sont avec nous les cinq ou huit minutes pour
répondre à l'intervention de M. le député de d'Arcy
McGee.
Mme Belleau: Mme la Présidente, je ne crois pas vraiment,
personnellement, que nos propos soient exagérés et qu'on n'ait
pas tenu compte de la situation montréalaise, même si on enseigne
à Québec ou si on enseigne à l'Université Laval.
Notre association représente des professeurs de français de tous
les milieux, de tous les coins du Québec et nous connaissons aussi bien
la situation de l'Université de Montréal que la situation de
l'Université Laval.
Je ne crois pas, non plus, que l'exemple que M. le député
veut nous donner soit multipliable. Nous n'avons pas, en tout cas, la preuve au
Québec que cette situation-là soit suffisamment multipliée
pour être intéressante pour les Québécois
francophones. Si elle était vraiment intéressante pour les
Québécois francophones, les Anglo-Québécois,
lorsque nous disons Québécois francophones ou
Québécois tout court, se sentiraient vraiment touchés par
cela et ils ne se sentiraient pas obligés de rétorquer en disant:
Nous sommes des anglophones, nous avons fait telle et telle chose pour
améliorer la situation du français au Québec et nous
sommes toujours d'accord avec la loi 101.
Évidemment, nous refuserons toujours -nous sommes prêts
à bien des batailles encore s'il faut lutter contre - des
réaménagements à la loi 101. Je dis cela fermement. La loi
101, pour nous, est essentielle et, s'il y a quelque chose à faire avec
la loi 101, c'est qu'elle devrait être davantage raffermie dans le sens
de toutes les classes d'accueil d'immigrants qui arrivent au Québec.
Pour nous, il n'y a aucun compromis à faire dans ce domaine-là.
Il s'agit de maintenir la loi 101 et je dirais, jusqu'à un certain
point, de la raffermir encore plus. D'ailleurs, on l'avait
dénoncée lors de notre congrès de novembre dernier; je
crois que la situation est à l'étude et qu'il pourrait même
y avoir des améliorations dans ce domaine-là avant longtemps.
Nous l'espérons.
Les Québécois francophones sont capables aujourd'hui, dans
leurs écoles francophones, d'impliquer tous les immigrants, qu'ils
soient anglophones, vietnamiens, belges ou de n'importe quelle
nationalité, dans un bain francophone pour qu'ils apprennent la langue
française et non pas qu'ils apprennent la langue française dans
un bain anglophone. Même si l'immersion recueille des adeptes
aujourd'hui, ici au Québec, remarquez qu'en Colombie-Britannique toutes
les classes d'immersion sont des classes d'anglicisation, rapido à part
ça.
Ici au Québec, pour nous, la situation des immigrants, la
situation des classes d'accueil doit relever de l'école francophone.
Nous n'accepterons jamais que la loi 101 soit diminuée de quelque
façon que ce soit.
M. Marx: Question de règlement. Mme Belleau:
André voulait...
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! S'il
vous plaît!
Mme Belleau: ... ajouter quelque chose, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît: Je veux juste faire une remarque...
M. Gaulin: Seulement une phrase. Ce que, personnellement, je ne
prends pas, Mme la Présidente, tout en respectant M. Marx, c'est
d'être traité d'outrancier. Il demande où on était
lors de l'adoption de la loi 101. Je suis venu ici depuis la loi 82; j'ai
demandé l'unilinguisme français au moment de la loi 92, en 1968.
Le lendemain, je lisais dans le Devoir, sous la plume de M. Ryan: " Que peut-il
sortir de la tête d'un petit professeur d'école normale?" Parce
qu'on demandait l'unilinguisme français au Québec. Je pense qu'on
n'est pas outranciers, madame, dans la mesure où on se demande pourquoi
il y a encore un demi-million d'unilingues anglais à Montréal, au
moment où on se parle. Nous ne sommes pas outranciers, nous sommes
patients.
La Présidente (Mme Cuerrier): Bon. Vous avez
disposé du temps que j'allais vous accorder; vous aviez deux minutes
tout au plus et vous êtes bien resté à l'intérieur
de ces deux minutes.
L'intervention que j'allais faire, c'était sur la question de
règlement. C'est simplement pour dire aux gens dans la salle qu'ils ne
savent sans doute pas que, ni au salon bleu, ni ici, les gens qui observent ne
devraient manifester soit leur approbation ou leur désapprobation. Je
sais que c'est difficile parfois et, s'il y a quelqu'un qui peut bien
comprendre ça, c'est celle qui vous parle présentement.
M. Rivest: Qu'est-ce que vous voulez dire?
Mme Chaput-Rolland: Voudriez-vous nous applaudir ou les
applaudir?
M. Marx: II y a des exceptions.
M. Rivest: Vous auriez applaudi? Ah, ah, ah, ah,l
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous laisse le choix.
Mme Chaput-Rolland: Eh bien! J'espère que c'est pour nous
un peu, de temps en temps.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est peut-être la
partie de mon travail la plus intéressante, celle de remercier les gens
qui collaborent avec la commission de l'Assemblée nationale. Je me fais
le porte-parole de la commission pour remercier les représentants de
l'Association des professeurs de français, qui ont été Mme
Irène Belleau, la présidente, et M. André Gaulin. Merci
beaucoup.
Mme Belleau: Merci de nous avoir entendus.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerai maintenant le
Mouvement national des Québécois dont le porte-parole
est M. Raymond Vaillancourt.
Le Mouvement national des
Québécois
M. Vaillancourt (Raymond): Mme la Présidente, de
même que madame et messieurs de la commission, je voudrais d'abord vous
remercier d'avoir accepté de nous recevoir. Je voudrais, en même
temps, vous présenter celui qui m'accompagne, M. Christian Morissette,
qui est permanent au Mouvement national des Québécois.
Le Mouvement national des Québécois est un organisme qui
regroupe quinze sociétés régionales... Oui?
La Présidente (Mme Cuerrier): M.Vaillancourt,
voudriez-vous répéter, s'il vous plaît? Je pense que les
membres voulaient noter les noms et la fonction de chacun. Votre prénom,
c'est Raymond?
M. Vaillancourt (Raymond): C'est cela.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Raymond Vaillancourt,
vous êtes...
M. Vaillancourt (Raymond): Le président du Mouvement
national des Québécois.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est cela.
M. Vaillancourt (Raymond): À ma gauche, M. Christian
Morissette, qui se trouve à être permanent au Mouvement
national.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci beaucoup. Vous
disposez maintenant d'une vingtaine de minutes pour la présentation de
votre mémoire.
M. Vaillancourt (Raymond): Merci. Comme je le disais, le
Mouvement national des Québécois est un organisme qui regroupe
quinze sociétés régionales affiliées et
représente plus de 165,000 membres répartis sur tout le
territoire québécois.
Ce n'est pas pour désavouer les précurseurs que notre
fédération a changé le nom de Saint-Jean-Baptiste pour
celui de Mouvement national des Québécois, il y a dix ans.
C'était, au contraire, pour s'ajuster à l'évolution qu'ils
avaient en quelque sorte imposée au Québec.
Depuis le début du mouvement, en 1947, nous avons eu comme
principale préoccupation de favoriser le développement et
l'épanouissement du Québec. Cet objectif nous a amenés
à nous impliquer dans tous les dossiers importants touchant la vie
québécoise. Les grandes batailles entreprises par le mouvement se
sont déroulées sur quatre thèmes majeurs, soit la langue,
l'éducation, la constitution et le développement
économique.
Ces sont toutes les interventions du mouvement depuis ses débuts,
ce sont tous les dossiers qui ont été étudiés, ce
sont tous les mémoires qui ont été présentés
aux commissions parlementaires qui ont amené nos membres à un
carrefour. En 1969, le Mouvement national des Québécois
était à l'heure du choix. C'est à ce moment que nous nous
sommes prononcés de façon claire et définitive en faveur
de la souveraineté totale du Québec, comme étant le seul
moyen pour notre peuple de s'épanouir.
En 1980, le Québec se trouve face au plus grand coup de force
constitutionnel jamais tenté par le gouvernement d'Ottawa. Ce n'est
pourtant pas la première fois que le fédéral essaie de
modifier le British North America Act.
En ce qui concerne la position du Mouvement national des
Québécois, contentons-nous simplement de rappeler qu'avant
même de s'être prononcé pour la souveraineté du
Québec, mais conscient des implications qu'entraîne un
rapatriement de la constitution, le mouvement avait adopté, au
congrès de 1962, une résolution visant à rejeter la
formule Fulton, car elle ne contenait pas les garanties nécessaires aux
Québécois. C'est sensiblement pour les mêmes raisons qu'en
1964 le Mouvement national rejetait également la proposition
Fulton-Favreau et prenait l'initiative d'un mouvement d'opposition à
cette formule préconisée par le fédéral. En 1965,
le Mouvement national présente aussi un important mémoire,
intitulé le Québec moderne, artisan de son devenir, au
comité parlementaire de la constitution d'alors.
Dans ce document, nous affirmions qu'en l'absence de garanties
constitutionnelles le fédéralisme canadien est un leurre dont il
nous faudra, nous du Québec, tôt ou tard, payer la facture. Cette
réalité fondamentale n'a pas changé depuis. (16 h 15)
En somme, la position de base du Mouvement national des
Québécois pourrait se résumer ainsi: le British North
America Act (ou la constitution canadienne) tel que modifié au cours des
ans, ce qui revient à dire le statu quo constitutionnel, ne satisfait
plus aux aspirations légitimes de la nation qui a besoin d'un
Québec fort politiquement, économiquement et socialement pour
être libre de s'épanouir et de réaliser à sa
façon et selon ses besoins les objectifs de toute nation adulte. Nous
sommes donc en faveur d'une constitution, mais d'une constitution
québécoise élaborée et adoptée
démocratiquement par les Québécois et qui
définirait de façon claire, rationnelle et précise les
droits, pouvoirs et devoirs de nos représentants dans notre pays, le
Québec.
Jamais encore le gouvernement canadien n'avait osé menacer le
Québec
comme il le fait actuellement. Il n'entre nullement dans nos intentions
ici de présenter un exposé juridique des dangers que le projet
d'Ottawa fait planer sur le Québec. Cependant, la collectivité
québécoise, si le plan fédéral passait, perdrait,
à court terme, son identité propre. Qu'il suffise de rappeler que
nos représentants à l'Assemblée nationale n'auraient plus
les pouvoirs réels pour protéger les droits linguistiques des
francophones; qu'il y aurait un recul sans précédent dans le
domaine de l'éducation (ce qui sont deux secteurs qui ont toujours
été de juridiction exclusivement provinciale); qu'il serait
dorénavant impossible de favoriser par des politiques d'achat, par
exemple, les entreprises de chez nous et que même les travailleurs
québécois pourraient perdre des opportunités au profit des
travailleurs d'autres provinces.
Une fois, néanmoins, que les menaces du plan
fédéral sur l'avenir du Québec sont connues, il faut se
demander comment il est possible qu'un gouvernement canadien puisse
présenter un tel projet qui, s'il devenait réalité,
conduirait le Québec à ne détenir qu'un rôle
d'observateur. C'est bien de cela, en effet, qu'il s'agit, car, dans la vision
des fédéraux, le particularisme de la nation
québécoise ne devient qu'un simple régionalisme à
l'échelle canadienne. La force de la position du gouvernement canadien
réside dans le fait que son chef a résolument et
définitivement fait un choix. Il choisit le Canada et le Canada
seulement. Il propose, en effet, un Canada unitaire et fort, ne laissant que
peu ou pas de champ de manoeuvre pour le Québec. Le gouvernement
fédéral force ainsi ses adversaires à faire leur propre
choix. Au Québec, notre ambiguïté légendaire nous a
orientés vers des choix multiples. Le Parti libéral, petit
frère de l'autre, a choisi le Canada et le Québec. Le Parti
québécois, en particulier son aile parlementaire, a choisi le
Québec et le Canada. Dans les deux cas, l'ambivalence est certaine et
fait apparaître la position du premier ministre canadien comme
étant plus claire et plus simple, donc plus logique.
Nous nous retrouvons, en conséquence, devant une situation
où, d'une part, une position tranche le débat, alors qu'ici,
d'autre part, on déplace des virgules pour trouver une unanimité
utopique. Cette position du premier ministre canadien, assurément
injuste et insultante pour les Québécois et possiblement
illégale en termes juridiques, est cependant claire et montre bien qu'il
a fait son choix, ce qui confère à son plan une force
réelle qui risque d'en attirer plus d'un.
Jamais donc auparavant la conjoncture politique n'a autant
favorisé l'urgence pour les Québécois de faire un choix.
Jusqu'à maintenant, les choix auxquels nous avons été
conviés ont été plus souvent qu'autrement des demi-choix
cherchant à ménager la chèvre et le chou. Même le
référendum du printemps dernier aura été une
occasion de plus de rendre ambiguë une position et un idéal qui
avaient déjà passablement perdu de luminosité. La lutte
pour l'indépendance du Québec a subi, depuis que le Parti
québécois en a pris le leadership, une mise en veilleuse qui a
laissé pantois plus d'un nationaliste convaincu.
Pour mieux comprendre les solutions qui s'offrent maintenant au
Québec, il faut mettre en lumière ici quelques
éléments importants. Premièrement, si, comme le
gouvernement québécois le répète souvent, le geste
que le fédéral tente de poser est effectivement un coup de force,
il faut donc convenir qu'il s'agit véritablement de quelque chose de
préjudiciable et de mauvais pour le Québec. En conséquence
- et c'est le sens que nous accordons aux paroles du gouvernement
québécois - la réforme fédérale est
inacceptable pour nous. Il faut alors se poser la problématique en
termes nets et se demander si l'on ne devrait pas sortir de ce cadre
confédératif.
Si, par ailleurs, le coup de force canadien passait, le Mouvement
national des Québécois demande au gouvernement quelle serait
alors sa position. Allez-vous accepter cette situation sans réagir et,
sinon, quels gestes entendez-vous promouvoir? En ce sens, il serait
peut-être possible de laisser pour quelque temps les
considérations stratégiques, de les mettre un peu de
côté pour peut-être voir un peu plus clair.
Selon nous, la seule façon pour le Québec de combattre
Ottawa est de poser la question en termes tout aussi clairs que l'ont fait nos
adversaires. Il est, pour nous tout au moins, inacceptable que le seul parti
souverainiste à jamais avoir pris le pouvoir au Québec aille
défendre le fédéralisme au Canada. C'est, d'ailleurs,
cette attitude ambivalente, difficile à expliquer et à
comprendre, qui empêche la population d'adopter sur cette question une
position claire. Là-dessus, nous ne sommes pas loin de rejoindre ce que
disait le professeur Dion, mardi, lorsqu'il laissait entendre, de façon
assez claire, qu'il se peut fort bien que les partis politiques actuels ne
soient plus tellement des éléments fiables dans le
débat.
Le gouvernement québécois n'a, à toutes fins
pratiques, que peu de latitude. D'un côté, Ottawa propose un plan
qui est la négation même du Québec et de sa
collectivité. Ce projet fédéral renie plus de trois
siècles d'histoire et de culture québécoise. Il faut alors
opposer à la vision canadienne totalitaire une position
québécoise qui le soit tout autant. Le Mouvement national des
Québécois exhorte donc le gouvernement québécois
à faire le choix qu'on attend de lui, c'est-à-dire à faire
le choix du Québec seulement.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre d'État
au Développement culturel et scientifique.
M. Morin (Sauvé): Merci, Mme la Présidente. Je
voudrais remercier les représentants du Mouvement national des
Québécois. M. Vaillancourt m'a rappelé bien des souvenirs
chemin faisant et, notamment, ce moment dans l'évolution des
sociétés Saint-Jean-Baptiste où elles ont choisi de
devenir le Mouvement national des Québécois.
Vous nous avez dit, M. Vaillancourt - je crois que c'est tout à
fait dans la foulée de certaines des prises de position du mouvement
national, du MNQ depuis quelques années - que vous avez opté pour
ce qu'on pourrait appeler peut-être, faute d'expression plus juste,
l'indépendance pure. D'aucuns diront pure et dure. Vous nous dites, dans
votre mémoire, que vous considérez que le gouvernement actuel a,
en quelque sorte, mis cette thèse en veilleuse. S'il s'agit,
effectivement, d'une indépendance qui ne serait pas accompagnée
d'une association, je pense qu'on doit vous donner raison.
Si telle est votre attitude, je dois vous remercier d'autant plus
d'avoir adhéré au oui pendant la campagne
référendaire. Cela devait être sans doute parce que le oui
se trouvait tout de même un peu plus près des
préoccupations des Québécois et un peu plus conforme
à l'avenir souhaité pour le Québec que ne l'était
le non.
Vous avez également fait allusion - j'ai trouvé la chose
fort intéressante - au fait que le premier ministre du Canada tire sa
force de choix purs et durs qu'il fait, des choix sans nuances. Vous dites que
cela joue en faveur du Canada et du premier ministre fédéral.
Personnellement, je n'en suis pas si sûr. Cette absence de nuances, cette
façon cavalière qu'il a de trancher des problèmes
complexes, subtils, cette façon dogmatique qu'il a de passer le scalpel
dans les chairs, de vouloir, à tout prix, que le pays lui ressemble ou
rentre à l'intérieur du moule de la conception qu'il s'en fait,
cette façon, aussi, de tenter d'écraser le Québec, de
tenter de priver le Québec de ses compétences exclusives dans le
domaine linguistique, par exemple, je pense que tout cela est en train de se
retourner profondément contre lui.
Je pense que, dans les attitudes du premier ministre Trudeau, à
l'heure actuelle, il y a des éléments d'avenir pour le
Québec. Vous savez, le Québec connaît une évolution
comme toutes les sociétés. Les choses changent rarement du jour
au lendemain. La vieille sagesse latine nous disait déjà que la
nature ne fait pas de sauts. Natura non facit saltus. Cela reste vrai pour
toutes les sociétés, y compris la société
québécoise.
J'écoutais récemment un sociologue qui disait à
propos du Québec mais, au fond, on pourrait le dire probablement
à propos de toutes les sociétés: "Au Québec, les
idées changent vite - je pense que vous en êtes la preuve - les
structures changent un peu moins vite, mais les mentalités alors!" Il y
a beaucoup de vrai là-dedans et je crois que, sur le chemin que parcourt
le Québec vers une plus grande émancipation, vers une plus grande
maîtrise de son destin, eh bien, sur ce chemin se trouvent des gens qui
l'aident, même lorsqu'ils prétendent s'opposer à sa marche
inéluctable. Il y a des situations historiques - je crois qu'on en vit
une à l'heure actuelle - où tout ce qu'on fait pour aider un pays
à se tenir debout l'aide, bien sûr et tout ce qu'on fait pour le
contrecarrer l'aide encore à se mieux définir, de sorte que je
suis de ceux qui pensent que les attitudes de M. Trudeau à l'heure
actuelle font avancer les Québécois, parce qu'ils voient les
choses plus clairement. Le mensonge dont nous sommes coutumiers quand on parle
des fédéraux, ce brouillard dans lequel ils enveloppent leurs
intentions est en train d'être dissipé. On voit beaucoup mieux que
le gouvernement fédéral, même quand il est aux mains de
francophones, travaille contre le Québec. Beaucoup de
Québécois ne le voyaient pas clairement avant. Ils pensaient
qu'il suffisait d'élire des francophones à Ottawa pour que tout
aille bien pour le Québec. Pas du tout. Même quand on envoie des
francophones, des Québécois francophones à Ottawa, ils
peuvent très bien travailler contre le Québec.
Mais, ce faisant, il n'est pas dit qu'ils aident leur cause, parce
qu'ils déchirent le voile et les Québécois voient les
choses de plus en plus clairement. Ils ne sont pas fous, les
Québécois, mais quand on leur ment, ils se laissent endormir
quelquefois. Là, tout à coup, c'est plus clair, et pour un nombre
croissant de Québécois. Il y a beaucoup de
Québécois qui découvrent les vraies intentions de M.
Trudeau à l'heure actuelle. Ils n'avaient jamais compris cela avant,
qu'un francophone québécois pouvait travailler contre le
Québec. Cela ne leur entrait pas dans la tête. Là, tout
à coup, ils le voient beaucoup plus clairement qu'avant. Les
Québécois cheminent et je sais bien dans quel sens ils cheminent.
Vous le savez comme moi, n'est-ce pas? Ils cheminent vers une plus grande
maîtrise de notre destin. Et de 40%, on passera à 45%, puis
à 50%, puis à 55%, puis à 60%, puis à 70%. C'est
une question de temps, d'évolution et ceux qui prétendent
même travailler contre le Québec, de fait, nous font avancer.
Mais tout cela est démocratiquement fait. C'est fait dans la paix
sociale. Cela s'échelonne sur un certain temps. Il ne peut pas en
être autrement. Que voulez-vous, les peuples évoluent et, quand on
n'est pas prêt à bouleverser les choses par les armes - je
ne pense pas qu'il y ait beaucoup de Québécois qui soient
en faveur de la violence il faut choisir la voie démocratique. C'est
celle-là, bien sûr, qui est plus difficile que les autres, parce
que cela prend du temps. Il faut convaincre. Il faut sortir et il faut aller
parler au monde. Il faut créer des mouvements comme le vôtre qui a
tellement fait dans le passé pour faire avancer les
Québécois, justement. C'est plus long. Nous allons faire le choix
auquel vous nous invitez. Je crois qu'on y va d'un pas ferme et résolu.
On va le faire avec les Québécois. On va le faire en respectant
le rythme des Québécois.
Voilà ce que je voulais dire, Mme la Présidente, en
réponse à ce mémoire qui, à tous égards,
contient des choses fort intéressantes et dont nous allons faire le plus
grand cas.
La Présidente (Mme Cuerrier): Monsieur, avez-vous une
intervention?
M. Vaillancourt (Raymond): Ce n'est pas tant une réponse.
La réponse que le ministre nous a faite, c'est un message comme, je
pense, on en a entendu très souvent. Je ne voudrais pas que mes paroles
soient mal interprétées, mais notre mémoire veut justement
signaler, au sujet de ces choses qui sont dites concernant la marche
inéluctable des Québécois - pour employer votre terme
-vers la souveraineté-association que nous en doutons un peu, que nous
ne partageons pas, en tout cas, le même optimisme que vous. Les
situations, les conjonctures politiques qui se sont présentées
dans le passé, où nous avions l'occasion de faire progresser les
gens - je pense, entre autres, à la création du parti dont vous
êtes membre, à se prise du pouvoir, à
l'élément clé qui devait être le
référendum lors du mandat - sont des éléments qui
nous laissent un peu songeurs par rapport à cette marche.
Nous pouvons souhaiter qu'effectivement les Québécois en
arrivent à une prise de conscience claire de la nécessité
pour eux de se retrouver chez eux. Au-delà de cette prise de conscience,
vous saurez aussi - et ce n'est sûrement pas à vous que je vais
l'apprendre - que toute cette question est aussi une question affective,
émotive. C'est une question de se retrouver comme peuple et là,
les arguments rationnels ont peu de poids. Nous l'avons vu lors de la campagne
référendaire où la thèse fédéraliste
a été défendue de façon émotive - lorsque
j'utilise ces mots, ça n'a pas du tout un sens péjoratif - alors
que, du côté du oui, ce message a passé plus difficilement.
(16 h30)
Nous aussi, bien sûr, nous faisons nos analyses "post mortem",
entre guillemets. Cependant, nous n'avons pas toutes les implications que l'on
retrouve sur le plan politique. C'est pour ça qu'il nous apparaît
important que le message que l'on dit soit dit, répété
particulièrement à ceux qui, je crois, sont là parce qu'il
y a eu des mouvements comme le nôtre.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député... Mme la députée de Prévost. Pour
une fois que c'est une femme, je ne vais pas dire M. le député,
n'est-ce pas?
Mme Chaput-Rolland: Vous direz bien ce que vous voudrez, Mme la
Présidente, si vous me donnez la parole, je vous en serai
reconnaissante.
Encore une fois, avec votre permission, je voudrais formuler quelques
commentaires à partir du mémoire que j'ai entendu aujourd'hui, de
ceux que j'ai entendus hier, de ceux que, probablement, j'entendrai en fin
d'après-midi et sur l'attitude de certains membres du gouvernement qui
semblent vraiment avoir beaucoup de courage pour siéger avec nous.
J'ai fait partie de ceux qui ont milité pour le non. Je suis
entrée dans la campagne électorale dans Prévost à
cause du référendum et j'ai travaillé ouvertement. La
première fois où je suis entrée à
l'Assemblée nationale, ces mémoires que vous nous
présentez qui sont, en grande partie, bien rédigés et qui
reflètent bien votre pensée, étaient
précisément ceux-là qui me faisaient dire que la
démocratie au Québec était très saine quand on
pouvait, dans une Assemblée nationale, venir dire au gouvernement,
très puissant: Je ne suis pas en accord avec vous. Vous avez mis de
l'avant un référendum pour permettre aux Québécois
d'être associés au plan de la souveraineté-association. J'y
suis venue pour vous dire non et je vais travailler pour cela.
J'ai visité 58 villes au Québec; je n'ai pas fait la
campagne sur le rapatriement unilatéral, jamais! J'ai fait la campagne
sur le renouvellement de la fédération, tel qu'il était
convenu dans le rapport Pépin-Robarts que j'ai signé avec honneur
et qui est contenu dans le livre beige que j'ai accepté avec le
même honneur, même si des pages ne sont pas de la même encre,
et c'était normal qu'il en soit ainsi.
Oui, M. le ministre; vous avez beau dire: Tu parles. En effet, je parle,
parce que la dimension canadienne et québécoise des deux rapports
était logique et je ne reviendrai pas sur cela ici, car je serais en
dehors du sujet, comme vous l'avez été tant de fois sans qu'on
vous rappelle à l'ordre.
Quand le premier ministre a mis de côté de rapport
Pépin-Robarts, je ne me suis pas cachée, j'ai dit publiquement ma
déception et mon amertume. Quand le projet unilatéral a
été proposé, j'ai supporté également la
position de M. Ryan et celle de notre parti qui était contre pour les
mêmes
raisons que ce gouvernement, mais pour d'autres raisons aussi.
J'ai cru au fédéralisme et j'y crois encore. Et, dans le
rapatriement unilatéral, il y a une erreur fondamentale qui brise
l'équilibre et l'harmonie d'un système fédéral et
qui empiète sur les droits des provinces. Et j'interdis à qui que
ce soit de croire que, parce que l'on veut amender un ou deux articles
ouvertement, dans les congrès régionaux qui ne sont pas en
catiminie... Il y a la position Lalande, il y a la position du livre beige, il
y a la position d'autres; je pense que c'est notre droit d'en discuter. Je suis
de cet âge et de cette génération qui n'a pas eu besoin de
loi pour protéger la qualité; l'esprit, l'amour et la
pureté de la langue française. Si nous avons été
capables, dans ma jeunesse, de faire cela tout seuls, imaginez, monsieur, ce
que nous pourrons faire aujourd'hui avec une loi que nous ne voulons pas
complètement transgresser, mais amender quelques fois.
J'ai appris à la commission Pépin-Robarts que, dans de
tels débats, devant de tels mémoires qu'on entend, il est plus
important d'écouter que de parler et c'est ce que, depuis deux jours,
j'ai essayé de faire. Seulement, il y a des bouts, à un moment
donné, à passer pour quelqu'un de crédule, de
berné, de faussé et pour quelqu'un qui n'est pas fier du combat
qu'elle a fait. Je ne suis pas particulièrement fière, monsieur,
de ce qu'on a fait de notre non et je n'ai pas attendu cette commission ou ces
mémoires que vous avez présentés et d'autres pour le
dire.
Je suis en désaccord total, quitte à perdre des votes
où que ce soit, avec la façon dont le gouvernement
fédéral, à l'heure actuelle, tente d'imposer une
constitution censée réunir toutes les régions et toutes
les provinces alors que visiblement elle les désunit. Je ne crois pas
que ce parti ait l'entière responsabilité de protester contre un
tel geste. Je me dois, pour la dignité du Parti libéral du
Québec, de prendre cette position. Je m'excuse de le faire, Mme la
Présidente; si vous voulez me rappeler à l'ordre, je suis
parfaitement consentante puisque j'aurai dit l'essentiel de ce que j'avais
à dire.
Si j'ai encore une minute, je voudrais ajouter ceci. J'ai dit hier - et
je le redis encore - que je suis profondément blessée par ce que
j'entends, non pas par ce qui nous est dit par les intervenants, mais par la
façon dont les membres du gouvernement réagissent à ce qui
leur est dit. J'ai cru profondément dans leur parole d'honneur quand ils
ont dit qu'ils respecteraient la volonté de ceux qui ont dit non
à la souveraineté-association; c'était bien de cela qu'il
s'agissait durant le référendum.
C'est votre droit de venir réclamer, dans ce salon rouge, qu'on
proclame unilatéralement l'indépendance du Québec; c'est
votre droit de le faire, à vous, mais c'est le devoir de ce gouvernement
de dire: Nous ne laisserons pas faire cela puisque nous avons pris l'engagement
devant toute la population de l'enrober, de l'englober, de l'associer à
un référendum que nous avons ouvertement gagné. Quand je
dis que jamais je ne me suis sentie aussi profondément blessée,
c'est ce que je veux dire. Non pas par ce que j'entends, parce que ce
même droit, je le prends ici pour dire ce que j'ai à dire, mais ce
que je ne comprends pas, c'est la pantalonnade constitutionnelle des membres de
ce gouvernement qui voulaient dire: Proclamons maintenant l'indépendance
d'une façon unilatérale, après un référendum
où 60% de la population des Québécois ont voté non
honnêtement, généreusement, avec autant de
difficultés que vous en avez eu parfois à dire oui.
Nous avons eu nos scrupules de conscience, nous avons eu nos
déchirements, nous avons eu nos affrontements entre
fédéralistes du Québec et fédéralistes du
Canada. Je pense que le Parti québécois a eu sur les ondes de la
radio ses affrontements avec les Pierre Bourgault et les siens, avec les
René Lévesque et les siens, mais je ne sache pas que nous en
ayons ri. Il me semble que, quand on commence a parler de respect de la
démocratie, le gouvernement qui s'en porte garant pourrait la respecter.
C'est tout ce que j'ai à dire, et pour la fin de ce débat. Merci,
Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président.
M. Vaillancourt (Raymond): Je voudrais réagir de
façon quand même assez brève à ce témoignage
de Mme la députée. Ce qui me surprend un peu dans cette
réaction, malgré que je la comprenne, c'est qu'il me paraît
y avoir une certaine ambiguïté. Si je peux me permettre de poser
une question, d'inverser les rôles, je vous dirai que ce qui me surprend,
c'est l'indignation que vous mettez à dire, d'une part, que vous
n'acceptez pas l'interprétation que le gouvernement
fédéral actuel fait de ce que vous appelez votre victoire
ouvertement acquise au référendum et que, d'autre part, vous
continuiez à accorder à ce régime qui peut permettre ce
genre de malversation, en utilisant une réponse pour autre chose que ce
qu'elle voulait dire, votre confiance.
Mme Chaput-Rolland: Mme la Présidente, est-ce que je peux
répondre?
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
députée.
Mme Chaput-Rolland: Monsieur, je suis
très fière d'appartenir au peuple québécois,
mais il y a des Québécois avec lesquels je ne suis pas en accord
et, pour autant, je ne renie pas le peuple québécois. Je ne suis
pas en accord avec tous les fédéralistes du Canada, ni avec
toutes leurs versions. Tous les premiers ministres du Québec,
d'Honoré Mercier jusqu'à M. René Lévesque, ont eu
une version du fédéralisme qui a rarement été dans
notre histoire celle de la plupart des gouvernements fédéraux et,
pour autant, je ne sache pas que je doive renoncer à croire dans cette
formule. L'ancien ministre de l'Éducation disait tout à l'heure
que les choses se font démocratiquement. Si elles se font
démocratiquement dans la thèse qu'il représente, je pense
qu'elles peuvent se faire avec autant de démocratie, autant,
hélas, de lenteur, dans le sens du fédéralisme que dans le
sens de la souveraineté.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay.
M. Dussault: Merci, Mme la Présidente. Je ne ferai pas de
grand discours du genre de celui que vient de faire Mme la
députée de Prévost que je respecte pour ce qu'elle a fait,
pour ce qu'elle a écrit, mais je pense que le fait d'émettre des
réticences, comme celles qu'elle vient d'émettre à
l'égard de ce que M. Trudeau fait maintenant ne peut plus
émouvoir personne.
Mme Chaput-Rolland: Je n'en demande pas tant.
M. Dussault: Je pense que ce que l'on pouvait exiger de Mme la
députée de Prévost, c'était d'émettre ses
réticences au moment même où M. le député de
Gaspé, alors chef de l'Union Nationale, l'a fait, vers la fin du
débat référendaire, où il a dit: Je pense qu'il y a
des limites. On ne peut plus tout à fait admettre ce qui se passe.
C'était à ce moment-là qu'il fallait émettre des
réticences, c'est à ce moment-là que ça aurait pu
avoir du poids.
Aujourd'hui, les propos que tient Mme la députée de
Prévost doivent être pris avec un gros grain de sel parce que
ça ne change plus rien. C'est au moment où il y a eu le
débat à l'Assemblée nationale sur la motion qu'il fallait
émettre vos grandes réticences. On ne les a pas entendues, ces
réticences, à ce moment-là et aujourd'hui vous profitez
d'une commission parlementaire, où il y a de nos invités qui
viennent nous donner leur point de vue, pour venir encore nous faire votre
espèce de credo qui ne mène nulle part et qui ne dénonce
pas profondément le vice de la situation qui est celui du geste
unilatéral à Ottawa. Là-dessus, madame, je regrette de
vous le dire...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay.
M. Dussault: ... je le prends avec un gros grain de sel.
M. Rivest: Mme la Présidente...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay.
M. Rivest: ... je voudrais soulever une question de
règlement, très brièvement. Question de règlement.
Je comprends l'invitation pressante du député de
Châteauguay, mais je voudrais simplement rappeler une chose. On a eu le
débat auquel il s'est référé. Néanmoins, ces
positions-là et notre conception du fédéralisme, c'est une
question de fait.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
vous invoquez une question de règlement.
M. Rivest: J'invoque l'article 96.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous permettrais une
intervention plutôt, et si vous me demandiez la parole, je vous la
donnerai ensuite.
Une voix: Vous n'êtes pas intervenu.
M. Rivest: J'invoque l'article 96. Oui, je suis intervenu. La
position du parti a été définie...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député...
M. Rivest: ... au mois de février, bien avant le
débat dont il parle.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon...
M. Rivest: Je me suis essayé, je n'ai pas trop
réussi.
La Présidente (Mme Cuerrier): Malheureusement... Vous vous
êtes essayé! Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre?
M. Rivest: On ne réussit pas toujours.
Mme LeBlanc-Bantey: Le paternalisme des hommes.
La Présidente (Mme Cuerrier): Boni M. le
député de Jean-Talon, j'aurais préféré que
vous me demandiez la parole parce qu'il reste encore un peu de temps.
M. Rivest: Je ne le ferai plus, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je demanderais à M.
le député de Châteauguay de bien vouloir s'en tenir
à notre mandat et de poser maintenant des questions ou de faire des
commentaires quant au mémoire des gens qui sont avec nous
présentement. (16 h 45)
M. Dussault: Mme la Présidente, je vous remercie. Je n'ai
pas de question comme telle à poser à nos invités. Ils ont
défendu un point de vue qui se tient, qui relève d'une approche
qui n'est pas la mienne pour le moment. Je ne veux pas dire que je ne pourrais
pas partager, a un moment donné, leur point de vue. Je pense qu'il faut
voir aller les choses encore avant de tirer de telles conclusions. Parce que
leur mémoire développe une thèse avec laquelle je ne suis
pas d'accord pour le moment, puisqu'elle remet en question une démarche
du gouvernement, d'une certaine façon, il m'est difficile actuellement
de pouvoir la partager et, comme c'est clair, je pense qu'on n'a pas beaucoup
de questions à poser là-dessus.
Cependant, comme Mme la députée de Prévost en a
profité pour faire voir une fois de plus sa position sur une question
qui est autre, je pense, que celle qui est dans votre mémoire, il me
paraissait important qu'on vienne un peu pondérer la portée des
paroles de Mme la députée de Prévost. Cela me paraissait
important de le faire, c'est pour cela que je l'ai fait. Je vous remercie, Mme
la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Raymond Vaillancourt.
M. Vaillancourt (Raymond): Même si vous n'en faites pas une
question, j'aimerais quand même souligner que, justement, la
réaction que vous avez, c'est le genre de réaction en provenance
de votre parti qui nous a incités à produire un tel
mémoire.
Je pense qu'une chose est vraie. Quand vous dites que la position est
claire et ne permet pas beaucoup de débats et de tergiversations, je
pense que vous avez parfaitement raison. Ce qui m'étonne un peu, c'est
que vous ne semblez pas trop vous reconnaître dans cette
démarche-là. Cela m'étonne provenant d'un membre d'un
parti dont l'article premier, je crois bien, n'a pas encore été
effacé.
M. Dussault: Mme la Présidente, si vous me le
permettez.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay, j'ai un autre intervenant qui veut poser des questions.
Pouvez-vous faire rapidement, s'il vous plaît?
M. Dussault: Très brièvement, Mme la
Présidente. Je ne pense pas qu'on doive vraiment continuer ce
débat-là. Le point de vue que j'ai défendu n'est pas un
point de vue de parti, enfin, je ne l'identifie pas comme tel. J'ai
donné mon point de vue tout à fait personnel sur cette
question.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Notre-Dame-de-Grâce, vous aviez demandé la parole.
M. Scowen: Oui, très brièvement, Mme la
Présidente. J'ai été frappé par une phrase,
à la page 6, où le mouvement dit: "Le Parti
québécois, en particulier son aile parlementaire, a choisi le
Québec et le Canada." Les réflexions de Mme la
députée de Prévost m'ont incité à ajouter un
mot. Comme vous le savez, je partage son opinion à 100%,
c'est-à-dire que les démarches de M. Trudeau ne sont pas
acceptables. J'ai même dit, le lendemain de ses déclarations,
qu'il avait trahi l'esprit du système fédéral dans sa
démarche unilatérale et je suis très content de le
répéter aujourd'hui.
Je pense qu'il a mis le Parti libéral du Québec dans une
position très difficile à ce moment-là. On a souvent dit
que nous étions affiliés d'une façon très
étroite, mais je pense que la preuve la plus évidente pour dire
que ce n'est pas le cas, c'est cette démarche de M. Trudeau.
En effet, si je comprends les choses, le 20 mai dernier, 60% de la
population ont voté pour un renouvellement du système
fédéral. Je veux souligner que les 40% qui ont voté oui
n'ont pas voté, si je comprends bien, pour l'indépendance. Le
Parti québécois a tout fait pour essayer de persuader les gens
qu'en votant oui ils ne votaient pas pour l'indépendance, mais pour un
mandat, vous vous en souvenez, de négocier quelque chose, que rien ne
serait changé après un vote oui, qu'il y aurait un
deuxième référendum. En effet, les 40% qui ont voté
oui, tout le monde en est conscient, n'ont pas voté
nécessairement pour l'indépendance. Mais, quand même, 60%,
si je comprends bien, ont voté pour un renouvellement du système
fédéral. J'aurais pensé que, dans un tel cas, un
gouvernement fédéral respectueux de ce référendum
aurait attendu qu'un gouvernement fédéraliste soit en place au
Québec pour renégocier ce fédéralisme qui
était voulu par les Québécois.
Cela aurait été possible, j'imagine, que le Parti
québécois se réoriente dans un cadre
fédéraliste et présente un programme fidèle
à cet esprit, où cela aurait été possible d'avoir
une élection dans laquelle le Parti libéral ou l'Union Nationale,
un des deux partis fédéralistes, aurait pu être élu
comme gouvernement. Le premier ministre du Canada n'a pas accepté
d'attendre.
De plus - je parle d'une autre trahison envers les 60% - le premier
ministre du
Québec a décidé de ne pas respecter cette
décision de la population. Il s'est accroché au pouvoir jusqu'ici
avec l'excuse qu'il y avait une crise nationale. Il a déclaré
récemment, si je comprends bien, que la crise nationale est maintenant
terminée et qu'on peut avoir des élections.
C'est un peu un préambule à une question que je veux vous
poser qui sort un peu de cette déclaration que vous avez faite et que je
répète: "Le Parti québécois, en particulier son
aile parlementaire, a choisi le Québec et le Canada". Depuis le
référendum, le Parti québécois, je pense, est dans
une situation difficile. Ils sont nettement indépendantistes. Il n'ont
jamais caché leurs couleurs. Ils restent indépendantistes. Les
ministres, de temps en temps et même le premier ministre le disent
carrément. M. Landry, le ministre d'État au Développement
économique, l'a dit publiquement, par exemple, lundi soir. Mais ils sont
dans une situation où ils sont obligés de dire quelque chose d'un
peu plus nuancé que tout cela. Alors, ils disent, comme l'a dit le
député de Vanier ce matin: On est indépendantiste et on
est démocrate. Or, on se dirige vers une élection
générale. Nous avons l'intention de faire cette élection
sur la base d'un fédéralisme renouvelé. Nous avons le
livre beige et les amendements qui ont été faits à un
conseil général que tout le monde peut lire. Nos couleurs sont
claires. La population aura la possibilité de voir exactement ce que
nous pensons sur presque tous les aspects du système
fédéral. Nous ne sommes pas du tout d'accord avec la façon
unilatérale de procéder de M. Trudeau. Nous avons nos propres
idées. Elles sont là.
Je veux vous demander ceci: devant cette situation, une décision
référendaire de la population d'appuyer le renouvellement du
fédéralisme, le Parti libéral du Québec qui est
clairement en faveur du renouvellement du fédéralisme dans un
sens très québécois -je pense que, même, vous ne
pouvez pas dire que M. Claude Ryan n'est pas un Québécois que
doit faire le gouvernement pour présenter sa position électorale
devant la population? Qu'est-ce que cela veut dire pour vous? Que pouvez-vous
suggérer qu'il fasse pour expliquer à la population comment il
est possible d'être à la fois indépendantiste et
désireux de renouveler un système fédéral auquel il
ne croit pas? Je pose la question parce que vous avez dit: "Le Parti
québécois a choisi le Québec et le Canada." J'aimerais
beaucoup que vous expliquiez un peu, pour moi et pour les autres, exactement
comment, d'après vous, cette aile parlementaire doit présenter
son programme à la population, gardant nettement son opinion de base
qu'il est un parti souverainiste, indépendantiste et à la fois
trouver un moyen de persuader la population qu'il n'a pas l'intention de
promouvoir l'indépendance du Québec une fois rendu au pouvoir.
Que pensez-vous de toute cette confusion qui, pour moi, semble de plus en plus
évidente?
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vois les deux
écrire et je n'ai pas eu de signe. Je ne sais pas si c'est M. Morissette
ou M. Vaillancourt qui va répondre. M. Vaillancourt.
M. Vaillancourt (Raymond): Je ne pense pas qu'il nous
appartienne, à nous, de dire au gouvernement ce qu'il doit
présenter comme programme. Il y a, cependant, certains
éléments que je voudrais relever dans votre intervention, M. le
député, avec lesquels, personnellement, je ne suis pas d'accord.
Quand vous dites que 60% ont voté au référendum en faveur
d'un fédéralisme renouvelé, je dirais plutôt que 60%
de la population n'ont pas été d'accord avec la formule
proposée par le parti gouvernemental, parce que c'était ce dont
il était question.
Je voudrais revenir sur la partie du texte que vous avez citée,
peut-être pour l'expliciter davantage. J'ai l'impression, à la
suite de certaines réactions, qu'elle ne paraissait pas tout à
fait aussi claire. Ce que nous disons, c'est qu'à l'heure actuelle nous
nous trouvons ici au Québec dans une situation confuse dans les choix
qui sont faits. Lorsque l'on dit que le Parti libéral, par exemple,
choisit le Canada et le Québec, ce que l'on veut dire par là,
c'est que le Parti libéral, même si c'est le Parti libéral
du Québec, pense d'abord comme étant membre d'un pays qui
s'appelle le Canada et d'une province qui s'appelle le Québec. Le livre
beige, d'ailleurs, propose des amendements ou propose une réforme du
système fédéral canadien pour satisfaire certaines
aspirations québécoises.
Dans ce sens-là, à mon avis, l'ordre de priorités,
c'est d'abord être Canadien et être Québécois
ensuite. Le Parti québécois, mais en particulier l'aile
parlementaire, fait un choix différent. Il fait le choix suivant, de se
définir d'abord comme Québécois et de tenter de
négocier une nouvelle entente avec ce qui s'appelle le Canada. Dans
l'ordre de priorités, il y a d'abord le Québec et le Canada.
Ce que nous, nous disons, c'est que, dans la situation actuelle, nous
avons un gouvernement fédéral canadien qui choisit le Canada et
le Canada seulement. Il nous apparaît important, à nous, qu'ici,
au Québec, nous fassions un choix et un choix clair, le Québec et
le Québec seulement, et que ce soit sur cette base-là que, s'il y
a un choix à faire, le choix se fasse clairement comme ça. Dans
le moment, ce n'est pas tout à fait comme ça que le choix se
présente. Mais il ne nous appartient pas à nous de tracer le
programme de l'un ou l'autre des partis, mais simplement de faire
des commentaires.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Quelques mots, Mme la Présidente,
à l'adresse des représentants du Mouvement national des
Québécois dont le mémoire peut être jugé
plutôt sévère à l'endroit du gouvernement. Je veux
tout simplement signaler que, dans ce mémoire, on fait allusion à
une vision canadienne totalitaire, qui est celle que représente le coup
de force constitutionnel des libéraux d'Ottawa. Dans le mémoire,
on nous invite à opposer à cette vision canadienne totalitaire
une position québécoise qui le soit tout autant.
Je pense que je me dois de dire, Mme la Présidente, que, moi, je
ne peux pas accepter ce point de vue là. Je ne peux pas accepter que,
parce qu'Ottawa se comporte de façon totalitaire, le gouvernement du
Québec devrait aussi se comporter de façon totalitaire. Je pense
que le Mouvement national des Québécois est plus pressé
que nous. Il a peut-être raison, mais, quand on agit avec
précipitation, on peut faire de graves erreurs, et c'est justement ce
que M. Trudeau est en train de faire, de bousculer tout le monde, de
brûler les étapes, d'empêcher l'émergence de
véritables accords. C'est le grand tort de M. Trudeau. Nous n'allons
pas, messieurs l'imiter là-dessus. Nous n'allons pas bousculer la
population du Québec. Nous allons continuer, quoi qu'il advienne, tant
que ce parti existera, à dire aux gens que nous considérons que
la meilleure solution politique pour le développement,
l'épanouissement du Québec, elle se trouve du côté
de la souveraineté. Nous allons continuer d'affirmer cette conviction.
Mais nous allons le faire, en respectant les décisions que cette
population prend. Elle en a pris une au référendum; elle en
prendra d'autres. Il y aura d'autres échéances.
J'ai confiance, quant à moi, qu'une démarche patiente,
ferme va nous mener plus loin que la précipitation, les gestes brusques
et totalitaires.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci beaucoup au Mouvement
national des Québécois d'avoir pris part aux travaux de la
commission de la présidence du conseil et de la constitution. Merci
à M. Vaillancourt. Merci, M. Morissette.
J'appellerai maintenant M. Paul-O. Trépanier, qui a
demandé à être entendu par la commission à titre
personnel. M. Paul-O. Trépanier. (17 heures)
M. Paul-O. Trépanier
M. Trépanier (Paul-O.): Mme la Présidente, voici,
je me présente devant vous aujourd'hui, en ma qualité de
Québécois francophone. Fier de la longue lignée de mes
ancêtres, de ceux qui ont découvert mon pays, expatriés de
celui qu'eux avaient déjà, de ceux qui ont défriché
la forêt, de ceux qui ont labouré, semé et
récolté, de ceux qui ont résisté à
l'envahisseur, de tous ceux et celles qui ont fondé des paroisses,
serrés les uns contre les autres, de pères et mères en
fils et filles, de terres en terres, de familles en familles, de paroisses en
paroisses, en préservant leur foi et leur langue, préservant ce
pays de culture française, je suis fier de cet héritage. Mon
héritage, hélas, est encore menacé. Je dois, avec
d'autres, continuer le combat.
Seul et isolé, je ne peux rien. Solidaire des autres
Québécois, de tous ceux et celles issus de l'épopée
française en Amérique et encore debout, je veux qu'ensemble, les
uns avec les autres, en grand nombre, nous disions non à la tentative
concertée et perfide de modifier ce qui est.
Dans une proportion de 50%, nous avons voté oui à un pays
nouveau lors d'un référendum national sur notre avenir, nouvelle
étape vers notre indépendance politique. Au milieu du
siècle dernier, une basse tentative d'assimilation, tramée entre
les maîtres anglophones du Canada et ceux de Londres, échoue car
mes ancêtres vaincus se sont servis de l'Acte d'Union du Bas et du
Haut-Canada pour faire de nouveaux gains politiques.
Le pays, à ce moment, est devenu ingouvernable et les
libéraux des deux Canadas veulent l'union législative. Les
fédéralistes, eux, favorisent un Parlement, un gouvernement, un
pays. Les provincialistes réclament une union fédérative
constituée de deux niveaux de gouvernement avec des compétences
exclusives à chacun. Le 29 mars 1867, la reine Victoria sanctionne
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. L'union
fédérative est consacrée par Londres. Les provinces
possèdent des pouvoirs définis et le gouvernement central s'est
vu attribuer des pouvoirs d'ordre général.
Selon les stipulations de ce pacte confédératif, les
provinces signataires, ainsi que celles qui se sont jointes au groupe initial
ont conservé leur souveraineté intérieure selon les termes
de l'entente librement consentie. Le gouvernement fédéral,
cependant, d'un précédent à l'autre, a occupé
année après année, décade après
décade, des champs de juridiction provinciale grâce à son
grand pouvoir de dépenser. Non content de cette action provocatrice, ce
gouvernement désire maintenant unilatéralement modifier les
termes du pacte confédératif.
Seul notre gouvernement national, le gouvernement du Québec, peut
en notre nom
combattre ce projet unilatéral de rapatriement de la constitution
et la procédure d'amendement contraire à nos
intérêts supérieurs et à notre forme de gouvernement
décentralisé. Les hommes justes de notre pays ne peuvent accepter
que le contrat de 1867 soit modifié sans que les États
signataires en viennent à un accord réciproque. Le projet
d'Ottawa veut en appeler au peuple souverain afin d'obtenir son acceptation
d'une charte modifiée.
Mme la Présidente, j'ai vécu, durant la dernière
guerre mondiale, un premier référendum, le 27 avril 1942.
À la question: Consentez-vous à libérer le gouvernement de
toute obligation résultant d'engagements antérieurs restreignant
les méthodes de mobilisation pour le service militaire? 2,900,000
Canadiens répondent oui et 1,160,000 Canadiens répondent non. Et
le non du Québec, dans une proportion de 72%, équivaut à
plus de 80% du vote francophone: 1,000,000 répondent non et 376,000
répondent oui.
En temps de guerre, le Canada n'est qu'une seule nation et le vote
national seul est pris en ligne de compte. Les Québécois,
malgré leur opposition farouche, sont conscrits à la suite de
raids, fouilles et razzias dans tous les villages. La voix du Québec
est, encore une fois, noyée dans le grand ensemble canadien.
J'ai vécu la loi des mesures de guerre en 1970 pour mater une
insurrection dite appréhendée. Mon deuxième
référendum fut celui du 20 mai 1980, alors que les
Québécois - et le mot n'est pas trop fort -ont été
littéralement assassinés par une attaque publicitaire sans
précédent dans notre histoire. Tous les spectres de la peur ont
été dressés à la vue des plus démunis de
notre société. Aux perspectives de l'émancipation
nationale, on a opposé la peur de la perte de l'emploi; à l'appel
à la fierté de l'homme libéré, on a opposé
la peur de la perte de l'assistance sociale; aux personnes âgées
à qui l'on offrait une fin de vie riche de la liberté des
ancêtres retrouvée, on a opposé la peur de la perte des
pensions de vieillesse; à tout un peuple, enfin, qui pouvait se
reconnaître dans un pays, dans ses dirigeants, dans son génie, on
a opposé les promesses fallacieuses d'un fédéralisme
renouvelé.
Je me présente devant vous aujourd'hui à titre de
Québécois bafoué et trahi. Trahi par celui qui m'avait
promis un nouveau contrat politique dans le respect de mes droits. Trahi par
celui qui m'offre un plat de lentilles pour me réduire au rang de
minoritaire à perpétuité. Trahi par celui qui veut
m'enchâsser dans une charte des droits de la majorité. Trahi par
celui qui veut modifier ma charte constitutionnelle par la seule volonté
des anglophones majoritaires. Trahi par celui qui veut m'enlever à tout
jamais mes désirs d'une libération nationale. Trahi par celui qui
veut m'imposer une charte où toutes les modifications deviendront
possibles sans mon accord. Trahi par celui qui veut m'enlever ma distinction de
Québécois francophone pour m'inclure dans un ensemble de
minorités qui s'additionne en un pays. Trahi par celui qui veut
m'imposer un bilinguisme dont il affranchit les anglophones.
Je ne veux pas du projet de réforme préconisé par
Ottawa. Je ne veux pas, non plus, des amendements du ministre de la Justice. Je
ne veux pas, je ne veux plus d'un pays multiculturel.
Je me présente devant vous aujourd'hui, mes concitoyens
dotés du mandat démocratique de l'élu, à titre de
Québécois en quête de l'espoir d'un pays nouveau. En
communion avec des milliers et des milliers de mes frères, de mes
concitoyens, je cherche la lueur rassurante d'un projet collectif de
réforme pouvant assurer mon avenir et celui de mes enfants.
J'ai une longue expérience du contact intime avec l'autre; j'ai
été président de nombreux organismes nationaux. À
ce titre, j'ai dû travailler dans la langue de l'autre, me diminuant
nécessairement dans mes possibilités. Président de la
Fédération canadienne des municipalités, il y a à
peine trois ans, j'ai présidé les réunions dans la langue
de l'autre et ce, même dans les réunions tenues au Québec,
ici même, dans la ville de Québec. Ce fut mon dernier bout de
route à titre de Canadien.
Je sais maintenant que mon pays s'arrête à Hull, à
Cabano, à Vaudreuil, à Saint-Anicet. Hors du Québec, je ne
suis plus moi; je parle une autre langue dans un milieu étranger
à ma spécificité de Québécois.
Des milliers et des milliers d'autres comme moi attendent les
changements promis d'un nouveau contrat social et politique. Je désire
vivre dans un Québec égal aux autres provinces canadiennes, sinon
souverain.
Pour moi, un nouveau partage des pouvoirs et des ressources
équivaut à accorder plus d'autonomie aux provinces canadiennes.
C'est un minimum qui n'arrêtera pas la marche du Québec vers
l'indépendance. Si cette négociation vitale s'avère
impossible, la seule issue est justement la proclamation de
l'indépendance totale du Québec, pays francophone, en
Amérique du Nord.
L'action unilatérale du gouvernement fédéral,
depuis le début du siècle, a faussé l'esprit du pacte
confédératif. Seule une volonté réelle de nos
dirigeants à Québec peut freiner cette agression, en s'alliant
avec les autres provinces pour exiger la décentralisation
nécessaire.
Les Québécois veulent un changement
dans le sens d'une décentralisation et d'un renforcement des
droits du Québec, et non le contraire. Il faut faire échec au
projet Trudeau.
La commission Pépin-Robarts recommandait que: "Le
préambule de la constitution devrait inclure une déclaration
énonçant que le peuple canadien reconnaît l'association
historique des Canadiens anglophones et francophones et la
spécificité du Québec". Ottawa a jeté ce rapport
à l'incinérateur, pour que les cendres se dissipent au vent, sans
laisser de trace.
Quatre intellectuels québécois ont répondu à
Pierre Elliott Trudeau que: "La souveraineté politique est la seule
façon de mettre fin à la logique de notre impuissance
collective,structurée par un système politique qui
perpétue, en l'aggravant, notre état minoritaire et conduit
à l'érosion progressive de notre existence. Nous gouverner
nous-mêmes nous apparaît non seulement une ambition
légitime, mais une nécessité pour échapper au lent
génocide culturel inscrit au programme des intérêts
économiques dominants. Un peuple qui accepte un système politique
qui le condamne à demeurer par définition minoritaire et
contraint à une stratégie défensive permanente n'a pas
d'avenir. Il gaspillera ses forces vives dans une résistance
perpétuelle. Il s'épuisera à survivre sans jamais vivre
véritablement. Nous avons besoin de la liberté collective non
seulement pour assurer notre développement, mais aussi pour
établir, dans l'égalité, des rapports adultes de
coopération avec les autres peuples du monde".
Je suis devant vous aujourd'hui pour vous témoigner publiquement
que j'ai, hélas, perdu espoir en ce pays qui ne fut jamais un pays.
Mais, pour vivre avec la fierté d'un homme debout, il me faut un pays,
un pays en lequel je peux me reconnaître, un pays garant de mon
identité, dirigé par des hommes dont le courage me donnera cette
fierté essentielle. Collectivement, nous devons avoir confiance en nous,
en notre force. Oui, le gouvernement du Québec doit mettre en
échec le projet de rapatriement. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. M.
Trépanier, je voudrais corriger la dernière phrase de votre
très beau mémoire, qui se lit comme suit: "Le gouvernement du
Québec doit mettre en échec le projet de rapatriement". La
correction que je veux apporter est de dire: Le gouvernement du Québec,
avec la population du Québec, va mettre en échec le projet de
rapatriement. C'est votre témoignage qui m'amène à vous
proposer cette correction. Je crois profondément que c'est avec le
concours, l'appui de personnes comme vous qu'effectivement nous allons
réussir à mettre en échec ce coup de force des
libéraux d'Ottawa.
Comme plusieurs membres de la commission et comme, j'en suis sûr,
beaucoup des personnes qui nous entendent, j'ai eu l'occasion
déjà de faire votre connaissance. Je connais, dans ses grandes
lignes, votre carrière, en particulier, dans les affaires municipales
où vous avez joué un rôle éminent. Vous êtes,
par ailleurs, très connu comme architecte. Au-delà de tout cela,
vous êtes ce qu'on appelait autrefois un honnête homme - personne
n'en a jamais douté - un homme de substance, un homme dont le
témoignage nous est particulièrement précieux.
J'apprécie d'autant plus votre mémoire qu'il
élargit le débat à plusieurs égards à ses
véritables dimensions. Il y a, dans votre mémoire, des rappels
qui sont extrêmement opportuns. Vos allusions au référendum
de Mackenzie King durant la dernière guerre sont extrêmement
opportunes puisqu'elles préfigurent ce que pourrait être un
référendum tenu en vertu de ce projet de constitution que M.
Trudeau veut nous imposer. Vous nous rappelez la loi des mesures de guerre de
1970. Vous nous rappelez le référendum du 20 mai dernier,
à l'occasion duquel il y a eu ce que vous appelez justement une attaque
publicitaire sans précédent, autre forme d'attaque. Il y a
là, dans la suite de votre mémoire, cette déclaration
d'une rare vigueur, que je ne citerai pas puisqu'elle vient d'être lue,
mais qui, je crois, exprime en profondeur le sentiment d'un très grand
nombre de Québécois quant aux éléments essentiels
de la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant. (17 h 15)
Vous signalez aussi des choses subtiles et importantes. Vous rappelez,
par exemple, qu'à titre de président de la
Fédération canadienne des municipalités ou en d'autres
qualités vous avez eu à travailler dans la langue de l'autre.
Vous ajoutez: "Me diminuant dans mes possibilités". Et cela est vrai et
cela est important. Au Canada, il a fallu toujours vivre dans un bilinguisme
à sens unique. C'est qui, les bilingues au Canada? Très
majoritairement ce sont les francophones qui sont bilingues. Beaucoup trop de
gens ne se rendent pas compte qu'on a beau être très bilingue, on
ne peut jamais donner sa pleine mesure dans l'autre langue. Et il y a là
une injustice subtile et pernicieuse que les francophones de ce pays ont
toujours subie.
Vous rappelez aussi, et je pense que ça encore, c'est
extrêmement opportun, que l'action unilatérale du gouvernement
fédéral n'a pas commencé au mois d'octobre 1980. Vous
affirmez avec raison que cette action
unilatérale dure depuis le début du siècle. Nous en
sommes donc rendus à un nouveau chapitre d'une histoire que nous
subissons depuis deux générations ou plus.
Vous citez une déclaration de quatre intellectuels
québécois qui affirment que nous avons besoin de la
liberté collective et vous nous apportez ce témoignage qui
représente le point où vous en êtes dans votre
réflexion d'homme libre.
Je n'ai, M. Trépanier, qu'une seule question à vous poser
à propos de la page 7 de votre mémoire où vous
déclarez que vous désirez "vivre dans un Québec
égal aux autres provinces canadiennes, sinon souverain". La
déclaration est sobre, très peu de mots. Vous expliquez que ce
"nouveau partage des pouvoirs et des ressources équivaut à
accorder plus d'autonomie aux provinces canadiennes. C'est un minimum,
ajoutez-vous, qui n'arrêtera pas la marche du Québec vers
l'indépendance." Et vous parlez de négociation. " Si cette
négociation vitale s'avère impossible, la seule issue est
justement la proclamation de l'indépendance totale du Québec,
pays francophone, en Amérique du Nord."
La question que je veux vous poser est à propos de cette
idée d'un Québec égal aux autres provinces, sinon
souverain. Qu'elle est la différence entre ça et la
souveraineté-association qui a été proposée
à la population du Québec?
M. Trépanier: Eh bien, voici; C'est sans doute très
semblable. Si on prend, par exemple, la Suisse des cantons où on voit
que les cantons ont une très large autonomie, je considère que la
souveraineté-association où un Québec aurait une
très large indépendance, c'est vraiment un minimum. Le professeur
Dion, que j'admire énormément, était ici, il y a deux
jours, et parlait de l'asymétrie, ce qui est extrêmement
important. On a beau émettre des opinions contraires, il demeure que le
statut particulier pour nous en Amérique du Nord, c'est
l'évidence même; il demeure que ce qui est bon pour les
Québécois au Québec n'est pas nécessairement ce qui
est bon pour les Québécois hors du Québec, dans les autres
provinces canadiennes, et aussi que ce qui est bon pour les anglophones au
Québec n'est pas nécessairement ce qui est bon pour les
anglophones hors du Québec et vice versa. Vous pouvez aussi renverser
les rôles.
Quand je militais au sein du Parti progressiste conservateur, il y a
maintenant six ou sept ans, il était beaucoup question de statut
particulier et pour moi - cela est extrêmement important - le grand vice
que je vois dans le projet Trudeau, c'est justement d'essayer d'en arriver
à un pays uniforme. C'est impossible au Canada. Il faut que les
Québécois de langue française - et là je ne parle
pas des Canadiens de langue française dans les autres provinces
obtiennent des droits spécifiques au sein d'une constitution que l'on
veut renouveler. Or, dans le projet Trudeau ce n'est pas ce qu'on propose
actuellement. On perd les droits que nous avons actuellement, nos droits
spécifiques.
Le rapport Kershaw, que j'ai étudié dans nos journaux, a
mis le doigt vraiment sur le côté vicié du projet de Pierre
Elliott Trudeau qui veut, unilatéralement, modifier ce qui est. On ne
peut pas déchirer un contrat. Surtout dans une province où on a
le Code civil, on est très conscient que, quand on signe un contrat, il
y a deux parties. Le contrat, c'est-à-dire notre constitution de 1867,
eh bien, deux parties l'ont signé, ce contrat. M. Trudeau veut
maintenant changer ce qui est. Il nous menace d'un référendum
à l'échelle du pays. Je crois avoir démontré, cet
après-midi, ce que peut donner un référendum à
l'échelle du pays et, selon moi, il ne doit pas être
accepté par les Québécois.
Pour répondre à votre question, ce Québec qui
obtiendrait une très large autonomie au sein du Canada, cela ressemble
certainement à la souveraineté-association mais, selon moi, c'est
un minimum. Si je ne peux pas obtenir cette souveraineté-association, je
désire l'indépendance. Je voyage beaucoup à travers le
monde. L'année dernière, j'ai eu l'occasion d'aller en Europe, en
Afrique et en Chine où j'ai passé trois semaines. Quelles
étaient les questions que les jeunes Chinois nous posaient? Nous
étions un groupe d'architectes. Les questions nous étaient
surtout posées par les jeunes Chinois. Je parle de ceux qui ont de 18
à 25 ans, les étudiants. Ils étaient au courant du
référendum québécois et, fait assez curieux, Mme la
Présidente, on voulait avoir des explications sur les 40% de oui. En
aucun moment, en Chine, aux antipodes du Québec, ne m'a-t-on
demandé d'expliquer les 60% de non. J'ai trouvé cela assez
caractéristique et j'ai réfléchi sur cette situation.
Donc, dans un grand pays comme la Chine, il semble que, là-bas,
les media, la télévision, la radio et les comités
populaires en aient parlé et les écoles où
étudiaient ces jeunes Chinois ont dû apporter des
réflexions et étudier ce phénomène des 40% de oui,
cette velléité d'émancipation des Québécois.
Selon moi, c'est extrêmement important. Voyageant beaucoup et rencontrant
beaucoup de personnes, surtout des industriels en Europe, je sais
aujourd'hui... Je me suis débarrassé, il n'y a pas tellement
d'années, d'un complexe d'infériorité vis-à-vis des
Français, entre autres, - parce qu'évidemment on ne parle pas le
français comme les Français - des Allemands, des Italiens et des
Espagnols. Venant d'une petite ville, d'une petite province, on a en nous ce
fameux complexe d'infériorité et on a
toujours beaucoup de difficulté à s'en débarrasser.
Je m'en suis débarrassé il y a trois ou quatre ans. Maintenant,
quand je vais en Europe, comme Québécois, je me tiens debout et
je n'ai plus de complexe d'infériorité.
Je crois qu'un Québec indépendant est viable
économiquement, si on ne pegt pas avoir cette
souveraineté-association, j'en suis persuadé - je termine
là-dessus, Mme la Présidente - au moins aussi viable que la
Suède. Nous avons des ressources énormes. Dans mon métier,
par exemple, chez les architectes, nous avons les trois plus grands bureaux
d'ingénieurs au monde, à Montréal, nous avons de
très grandes ressources, nous pouvons rayonner dans 26 pays, les
250,000,000 de francophones à travers le monde, et on peut vivre. Un
Québec indépendant est une entité viable. Merci,
madame.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Si vous me le permettez, Mme la Présidente. M.
Trépanier, quand je lis votre document et que j'écoute vos
commentaires, je ressents une certaine schizophrénie dans votre position
qui est un peu, je pense, celle du gouvernement actuel. J'ai soulevé
cela un peu, il y a quelques minutes, devant le groupe qui vous a
précédé et je veux élaborer davantage.
Vous avez dit: Je veux la souveraineté-association et, si je ne
peux pas avoir la souveraineté-association, je veux
l'indépendance. Dans le document, vous avez dit: "Je désire vivre
dans un Québec égal aux autres provinces canadiennes, sinon
souverain". Ce n'est pas tout à fait la même chose.
Je pense que nous avons réussi, pendant le débat
référendaire, à expliquer à la population que la
souveraineté-association et l'indépendance sont en fait la
même chose. La souveraineté politique, l'indépendance
politique, c'est la même chose. La proposition du Parti
québécois,qui était une proposition très
sérieuse, c'était d'associer ce pays souverain avec le Canada sur
le plan économique; c'était l'association économique de
deux pays indépendants.
La population a étudié la proposition. Elle a voté
non à un pourcentage que tout le monde connaît. Vous, je
présume que vous avez voté oui. Vous avez voté pour cette
souveraineté-association. Je comprends qu'aujourd'hui vous veniez devant
cette commission et disiez: Je ne veux rien savoir du Canada comme pays. Vous
l'avez dit à deux ou trois reprises ici: Je ne me sens plus canadien et
je veux qu'on se retire du Canada. J'essaie, pour le moment, de comparer votre
problème à celui du gouvernement, parce qu'il ne faut pas oublier
que 60% des gens ne sont pas d'accord avec vous, au moins 60%. Ils veulent que
le système fédéral soit renouvelé. 60% des gens
veulent qu'on continue d'élire des députés
fédéraux, même le député de Mont-Royal, M.
Trudeau peut-être, et qu'on continue de donner à ce gouvernement
central des pouvoirs réels sur les citoyens québécois. Ils
veulent également que le gouvernement du Québec reste un
gouvernement ayant des responsabilités pour d'autres secteurs de la vie
collective.
Dans le document que vous avez présenté, j'ai cité
une phrase où vous avez dit que "le Parti québécois a
choisi le Québec et le Canada". Je pense que ce n'est pas vrai. C'est un
slogan qui a été volé d'un document qu'on a sorti il y a
deux ans, "Choisir le Québec et le Canada", qui est la position du Parti
libéral du Québec. Mais le Parti québécois, dans le
moment, n'est pas capable de dire la même chose. Ils ne sont pas capables
de dire: Nous choisissons le Canada. Ils disent: Nous sommes souverainistes,
nous respectons la démocratie. Les gens disent qu'ils veulent rester
Canadiens. Nous ne sommes pas d'accord, mais on va rester à
l'intérieur de cette situation pour le moment. Mais quand vous leur
posez la question suivante: Comment pouvez-vous renouveler la
fédération, quels pouvoirs voulez-vous laisser au gouvernement
central dans un fédéralisme renouvelé, quels pouvoirs
voulez-vous donner en permanence au gouvernement central, ils sont
obligés de dire, comme vous: Aucun pouvoir. En principe, on ne veut
laisser aucun pouvoir au gouvernement central. On ne veut pas de gouvernement
central. On veut un pays souverain. Après, on va peut-être former
une association, si les autres en veulent.
Devant la situation actuelle, comment le Parti québécois
peut-il agir? Il ne peut pas dire: On veut rester fédéraliste.
Comme tout le monde l'a constaté maintenant depuis six mois, le
Québec est dans la situation la plus impuissante possible devant le
reste du Canada parce que, chaque fois que nous faisons une protestation ici,
contre l'action unilatérale, M. Trudeau est capable de dire: II ne faut
pas écouter ces gens, ils sont séparatistes, ils ne veulent pas
de système fédéral. Ils veulent qu'Ottawa ne garde aucun
pouvoir. Ils n'ont pas de crédibilité. Le refus de ce
gouvernement de laisser la population choisir un gouvernement qui veut vraiment
rester dans le cadre fédéral, qui prêt à
négocier face à face avec Trudeau, qui a une
crédibilité dans tout le Canada, a mis la population du
Québec aujourd'hui dans une situation d'impuissance totale dans ce
débat.
On se dirige vers la fin de cette situation, comme vous le savez, parce
que le premier ministre a dit que la crise constitutionnelle est
terminée maintenant et qu'on peut tenir des élections. Que
vont-ils
faire? La population sera obligée de décider si elle veut
voter, pour un deuxième mandat pour un gouvernement péquiste qui
a l'intention de rester dans le cadre fédéral, mais avec
l'intention, chaque fois qu'une décision est prise dans le cadre de ce
renouvellement, d'essayer d'arracher de plus en plus de pouvoirs d'Ottawa.
C'est un "one-way street" porté à la limite. Je pense que vous
êtes d'accord parce que vous croyez, comme ils le croient, qu'Ottawa ne
doit garder aucun pouvoir. Mais après que le Parti
québécois a perdu le référendum sur ce point,
comment peut-il retourner devant la population en disant: On veut rester
à l'intérieur d'un système fédéral, à
moins qu'ils ne renoncent au désir de l'indépendance? S'ils
renoncent au désir de l'indépendance, comment peuvent-ils
continuer de dire à la population: Nous sommes souverainistes et
démocrates? Cela ne tient pas debout. Je pose la question, parce que
j'ai vu ici dans votre document le même conflit, au moment où vous
dites: "Pour moi, un nouveau partage des pouvoirs et des ressources
équivaut à accorder plus d'autonomie aux provinces canadiennes".
Alors, vous parlez un peu comme M. Duplessis, nationaliste
québécois. C'est très respectable, mais c'est quand
même canadien. (17 h 30)
Dans un autre paragraphe, vous dites: Je n'ai plus le désir de
rester à l'intérieur de ce pays. Cela est un conflit très
difficile pour vous et pour beaucoup de Québécois, un conflit
très honnête, parce que tout le monde est un peu tiré, mais
un problème fondamental pour un parti politique qui est obligé de
dire précisément où il se trouve dans ce débat.
Moi, je vous propose, à vous, M. Trépanier, que c'est impossible
de faire une élection devant la population en disant qu'on est
indépendantiste, alors qu'on veut, dans la mesure du possible, rester
à l'intérieur d'un système fédéral avec
l'intention de faire tout ce qui est possible, pendant quatre ans, cinq ans,
pour détruire ce même système fédéral.
La Présidente (Mme Cuerrîer): M.
Trépanier.
M. Trépanier: Mme la Présidente, je n'ai pas
à répondre pour le gouvernement, mais, selon ma perception
à moi, j'ai constaté - étant donné que je suis
architecte, je fais un peu de mathématiques que la proportion du vote du
Parti québécois, lors de toutes les élections partielles
que le gouvernement a perdues, a augmenté. Il y a donc une satisfaction
accrue des Québécois vis-à-vis d'un gouvernement qui,
selon moi, est un bon gouvernement - je l'ai dit dans des circonstances
fracassantes dans l'Ouest, il y a quelques années - un gouvernement qui
répond à nos aspirations, un gouvernement qui nous aide sur le
plan économique.
Au Québec, en 1980, on a eu une très bonne année,
si on la compare à l'Ontario. Au point de vue économique, les
affaires ont été meilleures au Québec qu'en Ontario. Donc,
cela compte quand on parle d'un gouvernement. En ce qui concerne le
problème que vous soulevez quant aux velléités
séparatistes et à la démocratie, sans répondre pour
le gouvernement, moi, je considère que cela se peut aussi, parce que
vous avez parlé de démocratie. Or, les citoyens du Québec
ont voté à 60% pour un fédéralisme
renouvelé. Je ne vois pas pourquoi un gouvernement qui voudrait
éventuellement créer un nouveau pays ne pourrait pas se
présenter devant les citoyens du Québec, en disant: Voici, nous
vous avons donné un bon gouvernement. Nous acceptons la volonté
démocratique des citoyens québécois et nous allons essayer
d'arriver à une entente avec le gouvernement fédéral et
les autres provinces canadiennes.
Ce n'est pas ce qui se passe actuellement, parce que M. Pierre Elliott
Trudeau est fort par la faiblesse de ses adeptes. Il est fort par la faiblesse
visuelle. Pour moi, cela me fait de la peine de voir ça, des
députés fédéraux libéraux
enrégimentés à l'intérieur d'une ligne de conduite
partisane. C'est infiniment regrettable que tous ces députés
ensemble, qui sont si forts à Ottawa, disent tous la même chose
que le grand chef, M. Trudeau, que je connais bien; je suis allé
à l'école avec lui à Brébeuf, il y a bien des
années. Alors, Trudeau est fort; il est puissant; il est autoritaire.
Mais, si nos députés libéraux du Québec
étaient honnêtes avec eux-mêmes au lieu d'être
honnêtes dans les caucus fermés ou dans les assemblées que
l'on ne voit pas, il me semble qu'ils pourraient porter la voix du
Québec aux Canadiens.
Ici aussi au Québec, il est extrêmement important - on a
constaté depuis quelques jours que votre chef, M. Ryan, modifie ses
positions et maintenant embarque avec le gouvernement; c'est regrettable que
cela n'ait pas été fait en décembre dernier - que le
Québec, comme dans le temps de Duplessis, comme dans le temps de Lesage,
qui a été un grand premier ministre, ait une seule voix.
Autrement, si nous sommes divisés vis-à-vis des autres provinces
canadiennes, étant donné que nous sommes minoritaires, notre
position est beaucoup trop difficile.
Mais votre question fondamentale est celle-ci: Est-ce qu'un gouvernement
qui a des velléités séparatistes peut se présenter
à la population québécoise lors d'une élection et
demander un renouvellement de mandat et être cru? Je crois que oui, qu'il
peut être cru par les Québécois.
M. Scowen: M. Trépanier, finalement, parce que ce
n'était pas clair, est-ce que vous êtes, au fond, pour
l'indépendance du Québec?
M. Trépanier: Je crois que c'est clair dans mon texte. Je
ne fais partie d'aucun parti politique comme maire de ma ville. Par exemple, je
suis ici à titre privé. Je n'ai pas de carte de parti. J'ai
démissionné du Parti conservateur il y a maintenant plusieurs
années. Moi, personnellement, je suis rendu à dire,
peut-être un peu comme le Mouvement national des Québécois,
que selon mon long trajet personnel, je le répète - je donnais
l'exemple tantôt de trois des dix plus grandes entreprises
d'ingénieurs au monde qui sont à Montréal - je suis
très sincèrement et d'une façon non partisane, M. le
député, Mme la Présidente, convaincu qu'un Québec
indépendant est vilable. Je suis persuadé que je vais continuer
à pratiquer de façon lucrative ma profession d'architecte, et mes
enfants après moi, dans un Québec indépendant.
Je réponds à votre question. Aujourd'hui, je ne crois plus
qu'il soit possible, selon ma propre démarche personnelle à
travers le Canada - et je suis bilingue, comme vous le savez - que
l'expérience canadienne puisse continuer dans l'état actuel des
choses, d'une part. D'autre part, je suis persuadé - et je le
répète pour la troisième ou la quatrième fois -
qu'un Québec indépendant, qu'un État indépendant au
Québec en Amérique du Nord, ici, est viable
économiquement, est viable politiquement, est viable socialement. Cela
ne me fait pas peur ni pour moi, ni pour mes enfants, ni pour les enfants de
mes enfants.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
des Îles-de-la-Madeleine.
Mme LeBlanc-Bantey: Mme la Présidente, je fais appel
à votre tolérance. Je vais essayer d'être le plus
brève possible. Je fais appel, en tout cas, à la même
tolérance dont vous avez fait preuve pour la députée de
Prévost. Pardon?
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous disposez encore d'un
certain temps. Je ne fais pas preuve de tolérance. Vous avez le droit de
parole.
Mme LeBlanc-Bantey: Je veux dire que je n'ai que des commentaires
à faire. Je n'ai pas de question à poser au témoin.
M. de Bellefeuille: II y a d'innombrables
précédents tant du côté du gouvernement que de
l'Opposition.
La Présidente (Mme Cuerrier): Autant que possible sur les
interventions de M. Trépanier, Mme la députée.
Mme LeBlanc-Bantey: II n'y a aucun doute. Sur les paroles qui
viennent d'être prononcées il n'y a pas si longtemps, il y a
quelques minutes. Je voudrais d'abord féliciter M. Trépanier pour
son mémoire et ajouter à ce qu'a dit le député de
Deux-Montagnes que, si beaucoup de Québécois se sont reconnus
à travers les paroles qu'il a dites, il ne s'agit pas seulement de
Québécois qui ont voté oui, comme vous, mais aussi de
beaucoup de Québécois qui, en toute confiance et de bonne foi,
ont voté non. Je pourrais vous apporter les témoignages nombreux
que j'ai reçus, entre autres, de mes commettants madelinots. Je n'ai pas
de question à poser parce que dans le fond votre mémoire est
extrêmement percutant de la réalité actuelle. Il est
extrêmement digne et je me sentais dans l'obligation de vous dire, comme
je viens de le mentionner, que beaucoup de "non" doivent se sentir
diminués par les paroles que vous venez de prononcer.
Ceci étant dit, cela fait deux fois que le député
de Notre-Dame-de-Grâce essaie de mettre en doute la
crédibilité du gouvernement actuel parce que nous avons un
objectif qui est celui de la souveraineté-association ou de
l'indépendance, appelez-le comme vous le voulez, et que les
Québécois ont répondu non à cet objectif le 20 mai
dernier. Comme quelqu'un l'a fait remarquer cette semaine à la
commission parlementaire, ce n'est pas parce qu'on n'a pas encore les moyens
d'être propriétaire de sa maison qu'en tant que locataire on doive
accepter que le toit nous coule sur la tête et qu'on doive agrandir
nous-mêmes le trou qui fait passer la pluie en se contentant de supplier
la personne qui verse la pluie du haut du toit d'arrêter de le faire et
en espérant compter sur sa bonne foi pour qu'un jour elle en vienne
à la raison et qu'elle cesse de nous tyranniser. Effectivement, les
Québécois ont voté non au mois de mai dernier à la
proposition du gouvernement du Parti québécois, sauf qu'au
même moment le Parti libéral du Québec encourageait les
gens à voter non en leur promettant un fédéralisme
renouvelé, en leur promettant un Canada qui tiendrait compte de leurs
aspirations, en leur promettant un pays parfait où finalement les
Québécois francophones auraient toutes les chances de
s'épanouir dans le meilleur des mondes.
Que s'est-il passé depuis ce temps? Les libéraux
fédéraux ont trahi les promesses qu'ils avaient faites aux
Québécois au moment du référendum et les
libéraux provinciaux n'ont jamais été capables
d'arrêter leurs amis de trahir leurs promesses. Quelle est leur
crédibilité? Comment se présentent-ils maintenant
devant
la population du Québec? Comme des gens qui doivent admettre - il
faut bien le dire, même si ça blesse la députée de
Prévost et je sais qu'elle est honnête dans sa démarche
qu'ils ont été bernés et qui, par conséquent,
volontairement ou non, ont berné la population du Québec.
Il y a donc en présence deux partis politiques, un dont on a
rejeté l'objectif fondamental. Nous l'avons accepté
démocratiquement et le gouvernement a suivi la ronde des
négociations constitutionnelles. Beaucoup d'observateurs impartiaux ont
admis que le gouvernement avait agi de bonne foi.
Quand le député de Notre-Dame-de-Grâce parle
d'impuissance, il faudrait tout de même lui rappeler que, si le train
fédéral a déraillé, ce n'est pas à cause du
Parti libéral du Québec) c'est à cause du gouvernement du
Parti québécois et des Québécois qui se sont
mobilisés pour faire dire à votre ami d'Ottawa ce que vous
n'étiez pas capables de lui dire, ou pour lui faire comprendre le
message que vous n'aviez pas été capables de lui faire
comprendre.
Je considère qu'à présent, s'il y a quelqu'un qui a
fait preuve d'impuissance dans le débat, ce n'est pas le gouvernement du
Parti québécois, mais bien le Parti libéral du
Québec. Les élections s'en viennent; les gens ont le choix entre
un gouvernement qui, bien sûr, garde son objectif - parce que nous
croyons que c'est la meilleure solution pour le Québec - un gouvernement
qui est fier d'être un gouvernement québécois pour la
défense de la majorité de ses citoyens et de son
épanouissement, et un parti qui s'en va devant la population dire: Cela
nous fait bien de la peine, on ne peut pas tenir les promesses qu'on vous a
faites lors du référendum. Quelle crédibilité
auront-ils? Quelle force auront-ils, si jamais ils devaient devenir le
gouvernement, face à leurs amis d'Ottawa? Pourquoi faut-il que, du jour
au lendemain, ils vous écoutent? Pourquoi faudrait-il que, à ce
moment, ils arrêtent d'envoyer leurs fiers-à-bras, à la
façon de Mussolini, faire avaler de l'huile de castor aux
Québécois et leur demander de dire merci?
M. Rivest: II y a toujours l'Union Nationale!
Mme LeBIanc-Bantey: Quand je parle de fiers-à-bras, je ne
fais pas seulement allusion au rapatriement unilatéral qu'on essaie de
faire avaler de force aux Québécois. Prenez les images que vous
voulez; si les miennes vous apparaissent radicales, c'est votre
problème. Moi, je trouve qu'elles s'appliquent très bien. Je
parle aussi de ce qui est en train de se passer aux Îles-de-la-Madeleine,
avec deux ministres fédéraux qui s'en vont supposément
faire des promesses mirobolantes - une somme de $15,000,000 dont on attend
toujours les résultats - sans consulter ni le gouvernement du
Québec, ni le conseil de comté là-bas, ni la
municipalité où le développement en question doit se
faire. Autrement dit, ils vont leur faire une offre qu'on ne peut refuser. Je
crois que mon image s'applique très bien à la tactique qui est
utilisée par vos libéraux fédéraux.
Je termine donc, Mme la Présidente, j'avais promis de ne pas
abuser. Si les libéraux n'ont pas été capables de faire
entendre leur voix jusqu'à maintenant, nous pouvons être
sûrs qu'ils ne seront pas davantage capables de la faire entendre si
jamais ils deviennent le gouvernement du Québec.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
de Prévost et M. le ministre, ensuite.
Mme Chaput-Rolland: Mme la Présidente, je voudrais vous
demander une directive, parce que je ne sais pas si, dans le cadre de cette
commission parlementaire, je peux répondre à Mme la
députée ou si je dois répondre à monsieur à
qui je n'ai pas posé de question. Alors, là, je suis un peu
mêlée. Me permet-on un commentaire qui va durer une minute?
M. Morin (Sauvé): Vous avez toujours été un
peu mêlée, mais on vous écoute.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, s'il vous
plaît!
M. Rivest: II vaut mieux être mêlé que de
reposer dans le fond d'un trou.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
de Prévost.
Mme Chaput-Rolland: M. Jacques-Yvan Morin, je vous croyais
capable de beaucoup plus de galanterie que cela.
M. Morin (Sauvé): Je n'ai que de bons sentiments à
votre endroit.
Mme LeBIanc-Bantey: J'accepte qu'on me réponde.
Mme Chaput-Rolland: Mme la députée, juste une
minute. Ce que je voulais dire et ce que je crois que mon collègue de
Notre-Dame-de-Grâce voulait dire, c'est que nous ne récusons pas
la légitimité de votre gouvernement pour parler au nom du
Québec en autant que vous serez réélus. C'est durant ce
mandat qu'on vous a dit non et c'est pour cela que nous avons
été, certains de nous, comme moi, si déçus. Ce
n'est pas l'appétit du pouvoir tellement - on l'a tous, vous comme moi -
mais c'est lorsque vous avez retardé les élections qu'à
mes yeux vous
avez perdu de la crédibilité. Celui qui décidera -
ce n'est pas moi et ce n'est pas vous - lequel de nous deux sera le plus
habilité à dire non ou à faire échec au
rapatriement de M. Trudeau, ce sera le peuple. C'est ce que je voulais dire,
Mme la députée, un point, c'est tout. (17 h 45)
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.
M. Morin (Sauvé): Je voudrais remercier M. le maire de ses
propos et lui dire à quel point je considère que ce qu'il nous a
dit est représentatif des Québécois. Tout ce qu'il nous a
dit révèle, je pense, un Québécois très
authentique, un Québécois qui se débat, comme tant de nos
compatriotes à l'heure actuelle, dans toute cette mélasse
constitutionnelle, qui essaie d'y comprendre quelque chose et qui se dit: Je
veux bien, à la rigueur, être canadien, mais à la condition
d'être avant tout québécois, de faire respecter ma langue
et d'être maître chez moi. C'est ce que vous nous avez dit. Combien
de Québécois partagent ce point de vue et comme je respecte, et
comme nous respectons tous, ce point de vue que vous avez si admirablement
représenté!
Mais, nous disent-ils - et là encore, c'est tout à fait
typique - s'il n'y a pas moyen d'être vraiment québécois et
si on veut nous manger la laine sur le dos, alors on est prêt à
faire un pas de plus pour aller plus loin, aller vers la
souveraineté-association, aller aussi loin qu'il faudra aller pour
affirmer notre personnalité et continuer le travail qui a
été entrepris par ceux qui nous ont précédés
dans la construction d'un Québec fort, développé par les
Québécois, pour les Québécois.
Je considère, M. le maire, que vous avez fait un exposé
tout à fait remarquable. Ne soyez pas trop impressionné par les
propos de M. Scowen. Mon Dieu, il est assez représentatif, lui aussi,
des anglophones du Québec qui sont bien sympathiques à
l'occasion, mais qui ne comprennent pas beaucoup nos aspirations. Je pense
qu'il nous a donné une belle démonstration de cela et, en
particulier, lorsqu'il citait M. Trudeau qui essaie de s'en prendre à la
crédibilité du gouvernement du Québec comme si ce
n'était pas, de toute évidence, dans l'intérêt de M.
Trudeau de miner la crédibilité du gouvernement du Québec,
c'est évident. Ce dont on doute de plus en plus au Québec, c'est
justement de la crédibilité de M. Trudeau qui a voulu nous faire
croire pendant le référendum, avec l'aide de ces messieurs dames
du Parti libéral du Québec, que voter non, c'était comme
si on voulait voter oui au renouvellement du fédéralisme et
à une meilleure place pour le Québec dans tout ce système.
Il essayait, le brave député de Notre-Dame-de-Grâce, de
déformer un peu notre position pour la rendre un petit peu moins logique
et, évidemment, c'est plus facile de matraquer les gens quand on
déforme leurs idées.
Je répète, pour le cas où... Je sais que vous en
êtes persuadé, mais je ne voudrais pas que vous partiez avec une
idée fausse de ce que nous voulons faire. Essentiellement, notre
position est de respecter la volonté, mais aussi le cheminement, des
Québécois. Comme vous, ils sont innombrables - et on en rencontre
tous les jours - qui nous disent: Ah, si j'avais su que mon non, ça
tournerait de même et que je me ferais avoir de cette
façon-là! Ah, si j'avais su! Il y en a beaucoup comme ça
et ça fait partie du cheminement pénible des
Québécois vers une plus grande maîtrise de leur destin.
Nous savons bien que, parmi les non, il y en avait qui voulaient
vraiment un Québec authentique, comme vous, et qui sont prêts
maintenant à reconsidérer leur position. C'est pour ça que
je considère que votre témoignage a été si
authentique, si vrai. Je vous en remercie, M. le maire, et tâchez de
revenir.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous n'avez pas eu beaucoup
d'occasions d'intervenir, parce que ce ne sont pas vraiment des questions qui
vous ont été posées, M. Trépanier. Je pense, quand
même, que la commission - on vous l'a déjà assez dit parmi
les membres - vous remercie de votre participation à ses travaux. Merci
bien.
M. Trépanier: Au contraire, madame.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'allais dire merci bien, M.
le maire. C'est parce que j'ai l'habitude de travailler avec de nombreux maires
dans mon comté.
M. Trépanier: Merci beaucoup, Mme la Présidente,
mesdames et messieurs les députés. Je considère que j'ai
eu amplement l'occasion d'exprimer mon point de vue. Merci de m'avoir
invité.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'appelle maintenant la
Centrale de l'enseignement du Québec et je vais demander au porte-parole
de me dire son nom. Je ne me risquerai pas une seconde fois à le dire
avant de l'avoir entendu.
Centrale de l'enseignement du Québec
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, si vous ne
connaissez pas les comparants, je ne sais pas qui les connaît.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est à cause de
l'orthographe.
M. Gaulin (Robert): Mme la Présidente,
mesdames, messieurs, je dois d'abord nous présenter: Robert
Gaulin, président de la Centrale de l'enseignement du Québec;
à ma droite, Michel Agnaieff, qui est le directeur général
de notre organisation, et, à gauche, Pierre Beaulne, conseiller dans les
questions économiques et politiques à la centrale.
M. Morin (Sauvé): M. le président, me
permettriez-vous une suggestion? Il est 5 heures 50. Je trouverais un peu
pénible de scinder votre exposé en deux. J'imagine qu'il doit
durer plus que dix minutes. J'imagine qu'il y a une séquence logique
dans votre mémoire. Pour ne pas avoir une césure au mauvais
moment - je voudrais que vous vous sentiez libre, je vous laisse le choix -
nous pouvons très bien, si ça fait votre affaire, suspendre nos
travaux maintenant pour les reprendre à 20 heures et vous donner,
à ce moment-là, le loisir de nous faire part de vos commentaires
d'une seule traite.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, j'aurais
mieux aimé que vous me proposiez de le faire. Je pense que c'est la
commission qui est maîtresse de ses travaux. Bien sûr, il fallait
d'abord aussi demander à M. le président s'il consentirait
à ...
M. Rivest: Avant que...
La Présidente (Mme Cuerrier): entendre nos
délibérations.
M. Morin (Sauvé): Je me tourne vers vous, Mme la
Présidente.
M. Rivest: Si vous me permettez...
La Présidente (Mme Cuerrier): Sur cette question?
M. Rivest: Oui. Avant que le président de la CEQ
réponde à l'invitation du ministre, est-ce que la commission
aurait objection à ce que nous poursuivions nos travaux, étant
donné qu'il nous reste la Centrale de l'enseignement du Québec et
un autre intervenant? Au lieu de revenir à 20 heures et de prolonger
jusqu'à 22 heures, nous pourrions facilement, je pense, terminer vers 19
heures ou quelque chose comme ça.
M. Morin (Sauvé): Cela peut aller à 20 heures ou
à 21 heures parce que je pense que la CEQ a certainement beaucoup de
choses à nous dire.
M. Rivest: Oui, mais elle est limitée dans le temps
à une heure, comme tout le monde.
La Présidente (Mme Cuerrier): Si nous essayons de faire
une projection, il est très exactement 17 h 40; nous vous accordons une
heure, donc 18 h 50, plus...
M. Rivest: Qu'est-ce que vous préféreriez, M.
Gaulin?
M. Gaulin: Nous sommes à votre disposition.
La Présidente (Mme Cuerrier): l'intervention de M.
Cameron, cela pourrait aller tout près de 20 heures, selon la forme que
prennent nos travaux habituellement. Vous êtes le juge.
M. Rivest: Consentement.
La Présidente (Mme Cuerrier): II y a consentement unanime.
M. le président de la Centrale de l'enseignement du Québec, vous
avez la parole et je vous demanderais... C'est déjà fait.
J'allais dire d'identifier ceux qui vous accompagnent. Vous savez, n'est-ce
pas, que vous disposez d'une vingtaine de minutes pour présenter votre
mémoire ou le résumer et, ensuite, nous vous poserons des
questions.
M. Gaulin: Je voudrais vous remercier de nous donner l'occasion
de nous faire entendre devant cette commission et souligner que, si notre
délégation est un peu réduite, ce soir, c'est que nous
sommes en ce moment même en réunion de notre conseil
général à Montréal et qu'on fait double travail en
même temps.
La Centrale de l'enseignement du Québec représente les
travailleurs du monde de l'éducation, les enseignants, les
éducateurs, les animateurs professionnels, le personnel de soutien de
différentes catégories. Elle est également une composante
importante du mouvement syndical québécois et donc solidaire du
point de vue de l'ensemble des travailleurs québécois.
À ce double titre, la CEQ a affirmé et
réaffirmé de façon constante, au cours des dix
dernières années, les principes fondamentaux qui justifient notre
opposition au projet du gouvernement fédéral de nous faire
imposer par le Parlement britannique une loi constitutionnelle qui modifie en
profondeur l'équilibre des relations entre le Québec et la
fédération canadienne.
En 1972, notre congrès affirmait le droit du peuple
québécois à l'autodétermination. Ce principe
constitue la pierre d'assise de notre politique d'intervention dans les
débats constitutionnels, étant entendu que, pour nous, l'exercice
de ce droit à l'autodétermination par le peuple du Québec
doit prendre en charge le point de vue spécifique des travailleurs et de
tous ceux qui, individuellement, sont économiquement et politiquement
faibles et pour qui, par
conséquent, les droits collectifs constituent le fondement de
leurs droits individuels.
Nous ne venons pas ici appuyer un gouvernement et encore moins le parti
au pouvoir. Nous ne venons même pas défendre l'État
québécois en tant que tel. Ce qui nous intéresse, c'est la
conquête de la plus grande autonomie possible du peuple
québécois face à tous les pouvoirs qui l'oppriment.
Nous refusons, quant à nous, de considérer l'État
comme la valeur suprême au niveau collectif et c'est pourquoi, notamment,
nous nous opposons à cette conception véhiculée par M.
Trudeau selon laquelle il suffit d'être soumis à un même
gouvernement pour constituer un seul et même peuple.
Si nous refusons de laisser dissoudre le peuple québécois
et les peuples autochtones dans un peuple canadien artificiel
créé de toutes pièces par l'État
fédéral et parce que nous refusons de considérer
l'État comme une valeur qui transcende toute autre réalité
collective, nous ne sommes pas pour autant des fanatiques de l'État
québécois tel qu'il existe en tant qu'organisation de l'exercice
du pouvoir. Nous savons d'expérience que l'État
québécois n'est pas, du seul fait qu'il est
québécois, au service des intérêts populaires
québécois. Qu'on se rappelle, à cet égard, dans le
domaine linguistique, les fameux bill 63 et 22; dans le domaine des relations
de travail, la série de lois spéciales répressives dont
les fameuses lois 62 et 113. Qu'on se rappelle l'emprisonnement des chefs
syndicaux et la complicité de notre gouvernement avec le
fédéral pour l'application de la loi des mesures de guerre en
1970 et pour la répression exercée a l'occasion des conscriptions
de 1917 et de 1942. Qu'on se rappelle que l'État québécois
subventionne toujours les entreprises capitalistes, alors qu'il coupe les fonds
dans les services sociaux et dans l'éducation par mesure
d'économie. Qu'on se rappelle la lutte de notre gouvernement contre
l'indexation des salaires au coût de la vie de concert avec les bons
anti-Québécois du monde patronal.
Nous savons aussi que l'État québécois exerce
à l'égard des peuples autochtones, notamment au
Nouveau-Québec, un certain impérialisme que nous
réprouvons et qui présente des analogies certaines avec
l'attitude du gouvernement fédéral à l'égard du
peuple québécois, car l'État québécois tel
qu'il existe présentement n'est pas une création populaire. Il a
été constitué d'en haut par le conquérant
britannique, d'abord pour servir les intérêts de celui-ci, et il
est devenu, avec le temps, un rouage de la domination fédérale
"Canadian" sur le peuple québécois en même temps qu'un
rouage de l'exploitation des travailleurs québécois par les
capitalistes québécois, canadiens, américains et autres.
Sans doute, au cours du dernier quart de siècle, a-t-on vu
s'accélérer la tendance à ce que l'État
québécois, sous la pression des luttes populaires, prenne des
initiatives favorables aux intérêts de la collectivité
québécoise et tente de faire contrepoids aux initiatives
antiquébécoises de l'État fédéral, mais il
serait naïf de croire que l'appareil d'État québécois
est pour autant sous contrôle populaire.
Nous sommes tout de même inquiets de l'agression
fédérale et de sa propension à envahir directement ou par
le biais d'une camisole de force judiciaire imposée aux provinces
à peu près tous les champs de compétence
législative car si l'État québécois n'est pas
spontanément au service des intérêts populaires
québécois, le peuple québécois a quand même
la possibilité d'influencer quelque peu son orientation et ses
politiques, possibilité qui n'existe pas ou presque pas quand il s'agit
de l'État fédéral. Mais l'agression fédérale
n'est pas dirigée uniquement contre les compétences de
l'État québécois. Elle s'attaque à l'existence
nationale distincte du peuple québécois. La philosophie qui
préside à cette agression fédérale s'accommode
volontiers de l'existence des groupes ethniques bien disséminés
dans l'ensemble canadien. Elle pourrait à la rigueur s'accommoder d'une
reconnaissance spéciale des communautés culturelles anglophones
et francophones, à la condition qu'elles se définissent comme des
communautés extra-territoriales. Elle est allergique à toute
reconnaissance de la nation québécoise.
La tendance historique de l'État fédéral à
faire main basse sur tous les aspects de la vie sociale des populations du
Canada est une donnée fondamentale qui répond, à notre
avis, aux principales préoccupations suivantes: d'abord, construire un
espace économique homogène servant de base d'accumulation
à une classe de grands capitalistes canadiens et gérer la
société selon ces intérêts; deuxièmement,
liquider la question nationale québécoise, c'est-à-dire
désintégrer autant que faire se peut un espace socioculturel qui
entrave la réalisation du "grand projet" canadien; troisièmement,
contenir, pour les mêmes raisons, les autres groupes nationaux en
puissance - qu'on pense aux autochtones, aux Acadiens - et les empêcher
d'acquérir un pouvoir politique autonome et de s'identifier à un
espace socioculturel qui leur soit propre.
Ce grand dessein historique rencontre des résistances
sérieuses. D'une part, le capital étranger et les capitaux
régionaux contestent à la bourgeoisie pancanadienne leur part de
l'exploitation des ressources et de l'exploitation de la force de travail.
D'autre part, la société québécoise tend à
se particulariser de plus en plus, malgré les efforts en sens inverse
déployés par le gouvernement fédéral et ses
agences. Enfin,
d'autres collectivités, comme les autochtones et les Acadiens de
la partie francophone du Nouveau-Brunswick, semblent vouloir s'inscrire de plus
en plus dans une dynamique d'affirmation nationale. Ce n'est donc pas par
hasard que les gouvernements de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick sont les deux
principaux alliés du fédéral dans son entreprise.
L'actuel processus de révision constitutionnelle est un nouvel
assaut pour briser de façon définitive les résistances au
grand dessein historique de l'État fédéral. C'est aux
espaces socio-culturels autonomes que celui-ci s'attaque. Nous pouvons
illustrer cette constatation générale par deux exemples: la
politique fédérale favorisant la mobilité interprovinciale
de la main-d'oeuvre, même au détriment de toute politique de
protection de l'emploi pour les mains-d'oeuvre locales; deuxième
exemple: la politique linguistique homogénéisatrice promise par
le gouvernement fédéral. (18 heures)
On sait très bien que ce ne sont pas les travailleurs et les
travailleuses qui souhaitent avoir à changer de province pour gagner
leur vie. Ils demandent plutôt des conditions qui n'obligent pas les
couples à se séparer et les parents à s'éloigner de
leurs enfants, qui n'obligent pas les travailleurs a devoir changer de langue
de travail. Les travailleurs demandent qu'on leur assure de l'emploi dans leur
région, dans leur milieu socioculturel. Les grandes entreprises
multinationales et pancanadiennes, au contraire, n'aiment pas devoir composer
avec les exigences de la main-d'oeuvre locale. Elles favorisent
l'uniformisation des méthodes de travail et des formes d'organisation.
Aussi voient-elles d'un bon oeil tout ce qui tend à faciliter la
mobilité de la main-d'oeuvre et l'homogénéisation de
l'espace économique.
En fonction du grand dessein historique de l'État
fédéral, la survivance française dans les provinces
anglaises n'est pas un objectif en soi, mais tout au plus la contrepartie
jugée politiquement nécessaire, dans les circonstances
présentes, à cet objectif à long terme, beaucoup plus
fondamental, de désintégrer l'espace socioculturel
québécois.
Nous croyons, quant à nous, que la tendance historique au
renforcement des espaces socio-culturels n'est pas une aspiration normale des
travailleurs, des consommateurs et des citoyens à vivre dans un milieu
linguistiquement et culturellement cohérent.
Ce qui intéresse le travailleur, c'est de n'avoir à
travailler, sauf pour des situations exceptionnelles, que dans une seule et
même langue, autant que possible dans sa langue maternelle, ou alors dans
la langue maternelle de la majorité des travailleurs de son milieu.
Ce qui intéresse le consommateur, c'est de pouvoir trouver
réponse à tous ses besoins essentiels en n'utilisant qu'une seule
et même langue, autant que possible sa langue maternelle, ou alors la
langue maternelle de la majorité de ses concitoyens dont il est
amené à faire l'apprentissage par souci d'intégration
à son milieu.
Ce qui intéresse le citoyen, c'est de pouvoir prendre
connaissance, au moyen d'une seule et même langue, de la
législation et de la réglementation qui le concernent, ainsi que
de la jurisprudence qui interprète et applique cette
législation.
Il est donc dans l'intérêt des travailleurs, des
consommateurs et des citoyens que, par-delà les langues maternelles que
tous doivent avoir le droit de conserver et de cultiver, il y ait une langue
commune; que cette langue commune soit la langue maternelle de la
majorité des travailleurs, des consommateurs et des citoyens; que cette
langue commune soit la seule langue indispensable pour participer valablement
à la vie économique et politique de la société dans
laquelle ils vivent.
Dans cet esprit, nous croyons que ce qui intéresse
présentement le citoyen ordinaire du Québec, ce n'est pas de voir
imposer le français à l'Ontario, encore moins au Manitoba, comme
langue de la législation et de la justice, mais bien de libérer
le Québec de l'obligation d'être et de demeurer juridiquement
bilingue. Ce que nous voulons, c'est pouvoir vivre en français au
Québec, avec tous les Québécois sans exclusion et sans
discrimination. Face à cette agression fédérale, nous
regrettons que la stratégie du gouvernement québécois soit
beaucoup trop exclusivement défensive et qu'elle ne fasse pas appel
à une véritable mobilisation populaire.
Il ne faudrait pas oublier les revendications positives que le
Québec formulait lors des rondes antérieures de
négociations fédérales-provinciales. Il ne faudrait
surtout pas se laisser entraîner à redéfinir à la
baisse notre minimum vital. Il y aurait lieu, au contraire, de le
redéfinir à la hausse. On devrait s'interroger
sérieusement à savoir s'il est sage, à ce moment-ci, de
laisser tomber ou de mettre entre parenthèses nos revendications
concernant le Labrador, par exemple. Nous voyons un double intérêt
à ce que le peuple québécois se mobilise sur la question
constitutionnelle, même si ce n'est pas facile, il faut l'admettre. Sous
un certain aspect, cet intérêt semble coïncider avec celui de
l'État québécois. Sous un autre aspect,
l'intérêt du peuple québécois pourrait entrer en
concurrence avec celui des groupes socio-économiques qui
contrôlent présentement l'appareil de l'État
québécois.
D'une part, en effet, l'agression fédérale est
tournée à la fois contre les
compétences de l'État québécois et contre
l'existence distincte du peuple québécois lui-même. L'un et
l'autre doivent prendre les moyens les plus efficaces pour contrer cette
entreprise. Même si le peuple québécois s'implique vraiment
dans le débat constitutionnel, il risque de s'engager ainsi dans un
processus de réappropriation interne de la constitution du
Québec, car il n'y a pas seulement la constitution
fédérale du Canada, il y a aussi la constitution du Québec
lui-même. Parce que la constitution du Québec n'est pas
codifiée, elle n'en existe pas moins. L'article 92 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique reconnaît, d'ailleurs, à la
Législature du Québec le pouvoir de modifier cette constitution,
ceci sous réserve d'un certain nombre de restrictions imposées de
l'extérieur et dont il faudra bien, un jour, se débarrasser d'une
manière ou de l'autre.
Cependant, notre Assemblée nationale a toujours été
très prudente et timorée dans l'exercice de son pouvoir
d'amendement constitutionnel. Nous lui rappelons que rien ne l'empêche de
codifier la constitution du Québec, de la moderniser et de la
compléter. Rien ne l'empêche de prévoir une
procédure d'amendement à cette constitution faisant appel
à une participation populaire directe. Rien ne devrait l'empêcher
de remettre au peuple du Québec le pouvoir souverain de se donner une
constitution. Nous croyons, quant à nous, que la constitution du
Québec doit appartenir au peuple du Québec, que c'est l'ensemble
du peuple québécois, dans toutes les régions, dans tous
les milieux de vie et à tous les niveaux de l'échelle sociale,
qui doit participer de plein droit à l'élaboration d'un projet de
constitution pour le Québec, lequel projet serait ensuite
confirmé par référendum.
L'élaboration populaire d'une constitution
québécoise nous apparaît comme la seule façon de
liquider vraiment le lien colonial. C'est aussi la seule façon d'assurer
une prise en charge québécoise au plan constitutionnel des
revendications concernant les droits fondamentaux de la personne humaine,
l'égalité des hommes et des femmes, les droits économiques
et sociaux collectifs des travailleurs et les droits des minorités
ethniques. C'est, également, d'un point de vue purement
stratégique, la seule façon d'associer de façon permanente
le peuple du Québec à la riposte contre l'offensive
fédérale, laquelle ne s'achèvera pas avec l'adoption, le
retrait ou le rejet du projet Trudeau actuel. Celui-ci n'est qu'un
élément d'une opération beaucoup plus vaste dont
l'objectif est à la fois de renforcer le pouvoir fédéral,
de consolider l'espace économique canadien et de briser les poches de
résistance à son projet d'homogénéisation
socio-culturelle de cet espace économique. Bien sûr, ceci n'est
pas une proposition formelle, c'est une hypothèse, c'est un point de vue
que nous véhiculons, c'est une alternative visant à "positiver"
l'action du Québec face à ce qui arrive actuellement sur le plan
constitutionnel.
Dans notre lutte contre le projet centralisateur et uniformisateur du
gouvernement fédéral, les peuples autochtones de tout le Canada
devraient être vus comme les alliés naturels du peuple
québécois. Eux aussi revendiquent le droit à
l'autodétermination. Nous verrions d'un très bon oeil que la
constitution du Québec leur reconnaisse explicitement ce droit. Notre
résistance n'est pas chauvine, elle s'appuie sur le principe
universellement reconnu et valable du droit des peuples à
l'autodétermination, défendu par les organisations populaires et
progressistes du monde entier. Aussi, faisons-nous appel à la
solidarité des travailleurs du Canada et des autres pays pour soutenir
les revendications démocratiques du peuple québécois et
des peuples autochtones.
Je crois qu'il faudrait également, face aux
événements que l'on vit depuis une semaine ou deux, faire une
mise en garde au gouvernement du Québec et aux Québécois
contre un certain triomphalisme facile. Je crois qu'il est toujours dangereux
de crier victoire avant le temps. Si notre analyse est partagée, si elle
est juste d'un certain point de vue, il serait prétentieux de croire que
le projet Trudeau est mort et que le fait qu'un comité à Londres
ne soit pas d'accord avec la procédure fait que la question
constitutionnelle nationale ou québécoise est
réglée à tout jamais. Je crois que ce serait tomber dans
un piège et ce serait, à notre avis, mal analyser les fondements
économiques et politiques qui président à l'attaque et au
coup d'État du fédéral. Nous avons été les
premiers à la CEQ à parler, je crois, du coup d'État du
fédéral. Si cette analyse est partagée, si vraiment il y a
une tentative de coup d'État, je ne crois pas qu'il faille crier
victoire) au contraire, il faut mobiliser, il faut être vigilant, il faut
organiser une lutte sur un front plus large. Je vous remercie.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre d'État
au Développement culturel et scientifique.
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, nous avons
devant nous les représentants des enseignants du Québec, donc des
personnes qui sont particulièrement sensibles, je pense, à tout
ce qui touche la langue et, en particulier, cela va de soi, la langue scolaire,
la langue de l'école. De par sa tradition également - et le
mémoire vient de nous le démontrer une fois de plus - la CEQ
s'est toujours intéressée à tout ce qui est droits
collectifs, droits individuels et à l'équilibre
toujours difficile à définir entre les droits collectifs
et les droits individuels.
Or, l'un des grands enjeux des difficultés actuelles, l'un des
grands enjeux des objectifs que s'est proposés M. Trudeau, c'est
précisément la langue scolaire. Cela touche de près non
seulement l'ensemble de la collectivité québécoise, mais
également le travail quotidien de nos enseignants. J'irais même
jusqu'à dire qu'à la limite cela peut avoir quelque importance
pour les emplois dans le domaine de l'enseignement puisqu'il y a quelques
années - on l'avait observé - la façon massive dont les
enfants des immigrants allaient à l'école anglaise avait
plusieurs effets fâcheux. L'un des effets fâcheux était,
évidemment, de créer des emplois du côté anglophone
et de n'en point créer du côté francophone alors que nos
universités faisaient un effort considérable pour mieux former
ceux qui étaient appelés à devenir des enseignants.
Vous avez, dans votre mémoire, fait allusion aux garanties
linguistiques que les anglophones du Québec possèdent par
opposition aux droits dont jouiraient les francophones dans les autres
provinces si le projet Trudeau, par malheur, venait à être
adopté. J'aimerais que, dans un premier temps, vous vous étendiez
quelque peu sur le contraste qui existe actuellement entre les droits dont
peuvent se réclamer les anglophones du Québec dans l'école
québécoise et les droits dont peuvent se réclamer les
francophones hors Québec quand ils veulent avoir accès à
l'école de leur langue maternelle, à l'école
française. Je crois que la CEQ, dans le passé, s'est
penchée sur ces problèmes et j'aimerais bien que le
président détaille quelque peu les propos un peu
schématiques qu'il y a dans le mémoire et, ensuite, une fois que
nous aurons regardé la situation actuelle, on pourra peut-être
parler, dans les autres questions, de l'avenir et de la façon dont la
CEQ voit l'avenir dans le domaine linguistique.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Robert Gaulin.
M. Gaulin: Sur cette question linguistique, c'est une tradition
de longue main. Comme vous l'avez dit, la CEQ a été de toutes les
batailles pour franciser, pour permettre à la majorité
québécoise de s'exprimer en français, de travailler en
français, d'être éduquée en français et nous
l'avons toujours fait de manière à ne pas nous engager dans une
lutte perçue comme une lutte contre les anglophones du Québec ou
les anglophones d'ailleurs. Je crois que nous avons en même temps
développé des politiques de respect des droits des anglophones
ici, au Québec, ce qui nous a amenés, depuis dix ou douze ans,
à travailler en cartel et en concertation très étroite
avec notre équivalent, l'association des enseignants anglophones, la
PAPT.
Dans notre analyse, ce que nous avons voulu marquer ici en reprenant le
point de vue linguistique, c'est qu'il n'y avait aucune raison, d'aucune
manière, pour le gouvernement fédéral d'introduire dans le
débat constitutionnel actuel et dans son projet de charte une question
linguistique. Nous pensons qu'en vertu des pouvoirs constitutionnels actuels la
culture et l'éducation relèvent exclusivement doivent relever
exclusivement des provinces. Il appartient à ce niveau de régler
les problèmes qui peuvent se poser et de garantir les conditions
favorisant vraiment l'accès à l'école pour les
minorités, pour les groupes d'une autre langue.
Le piège que tend Trudeau aux Québécois sur cette
question est le suivant. Ce qu'on veut fondamentalement, ce n'est pas s'occuper
des francophones hors Québec, ce qu'on veut, c'est remettre en cause la
politique linguistique du Québec. Nous avons souscrit à cette
politique linguistique et c'est une illusion - peut-être que des groupes
de francophones hors Québec ne partagent pas ce point de vue - de croire
que par le biais d'une constitution canadienne on va donner des garanties
suffisantes aux francophones hors Québec. Si c'était vrai, si
l'analyse était juste, il n'y aurait aucune raison pour ne pas imposer
la même règle à l'Ontario. Donc, la question linguistique,
dans le débat actuel, du côté fédéral, ce
n'est qu'un subterfuge, ce n'est qu'un élément d'un piège
tendu aux Québécois et nous n'avons pas l'intention de tomber
dans ce piège. C'est pour cela qu'un des éléments du
débat actuel est la question linguistique, mais ce serait dangereux de
vouloir régler toute la question constitutionnelle en faisant porter
l'essentiel du débat sur cette seule question linguistique. C'est
pourquoi dans notre mémoire nous avons développé un point
de vue là-dessus, mais nous avons évité de dire que nous
sommes ici seulement pour traiter de la question linguistique. (18 h 15)
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, j'avais
parfaitement compris que le mémoire de la centrale couvrait beaucoup de
terrain. En fait, c'est l'ensemble non seulement de la question
constitutionnelle, mais de la question économique et sociale.
D'ailleurs, toutes les choses étant liées, je n'en suis pas
étonné.
Mais je pensais que vous êtes particulièrement bien
placé pour parler aux Québécois de ces questions de langue
scolaire et de la façon dont ça peut affecter le Québec,
la vie des enseignants et même les
emplois des enseignants. Ce n'est pas une mince question.
Vous connaissez bien le système scolaire québécois
- s'il y a quelqu'un qui le connaît, c'est vous - sa structure, les
droits des anglophones, les droits des francophones. Est-ce que vous pourriez
ramasser toute cette question de façon qu'on puisse la comprendre? Quels
sont les droits des anglophones dans le domaine scolaire au Québec? Et,
quand on compare ça avec les francophones dans les autres provinces,
est-ce que c'est vrai, comme certains le disent, que les francophones hors
Québec sont aussi avantagés que les anglophones du Québec
ou encore, comme on le dit quelquefois, que les anglophones du Québec
sont bien à plaindre? Il faudrait peut-être que vous nous disiez
ça dans des termes assez simples. Vous avez l'expérience de la
chose et vous êtes peut-être, de tous les groupes qui sont venus
ici, les mieux placés pour nous parler de ces questions de langue
scolaire.
M. Gaulin: Nous souscrivons à la politique linguistique
essentiellement du Québec. Nous avons appuyé la loi 101,
même s'il y avait quelques nuances dans notre position par rapport au
Parti québécois, au gouvernement actuel. Nous avons cependant
dénoncé une certaine absence de volonté d'application
intégrale de la loi 101, particulièrement dans l'histoire des
classes illégales, à Montréal, qui étaient
financées de toutes sortes de manières. Là-dessus, je
crois qu'il y a peut-être eu, du côté du gouvernement, un
certain laisser-faire et qu'on aurait pu agir de manière plus
importante.
Nous sommes allés en Colombie-Britannique pour dénoncer
cette situation et rencontrer le syndicat du coin, qui nous invitait à
présenter la situation des anglophones et des francophones au
Québec. Nous avons dit que le Québec pouvait servir de
modèle dans toutes les provinces du Canada et que, si les
minorités, ailleurs, étaient traitées comme elles sont
traitées au Québec, il y aurait passablement moins de
problèmes.
Là-dessus, je crois qu'il n'y a pas de difficulté de notre
côté. Cependant, il ne faudrait pas voir, sur la base de notre
analyse, une question de protection d'emplois pour les enseignants. Nous avons
fait des revendications de sécurité d'emploi, bien sûr, et
nous avons fait ces mêmes revendications pour les enseignants anglophones
et le personnel anglophone de l'éducation. La protection de l'emploi,
c'est un problème syndical qui se négocie, mais le fondement
d'une politique linguistique et le fait d'avoir des classes françaises
et d'encourager les immigrants à aller à la classe
française, de combattre les espèces d'inscriptions
illégales aux classes anglophones plutôt qu'aux classes
francophones qui devraient exister, ce n'est pas seulement pour des questions
d'emplois; c'est pour des questions de respect d'une politique, c'est pour des
questions de principes fondamentaux. Il y a au Québec une
communauté francophone majoritaire et ce sont les droits de cette
communauté qui doivent primer. On doit garantir l'exercice plein et
entier de ces droits, au point de vue scolaire, au point de vue des tribunaux,
au point de vue des lois et au point de vue de l'emploi.
Là-dessus, je crois que Michel voudrait peut-être ajouter
quelques mots.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Michel Agnaieff.
M. Agnaieff (Michel): Merci, madame. Les quelques études
comparatives que nous avons menées pour essayer d'établir la
comparaison entre ce dont bénéficiaient la communauté
anglophone du Québec et les minorités du reste du Canada nous ont
amenés assez rapidement à la conclusion que la situation de la
communauté anglophone au Québec était tout à fait
incomparable.
La prétention, d'ailleurs amicale et un peu cocardière de
nos collègues anglophones avec lesquels nous entretenons des relations
d'amitié suivies, qui ont su résister à toutes les
épreuves de longues négociations - et Dieu seul sait si les
négociations sont longues et dures au Québec - est qu'ils
disposaient d'un des meilleurs systèmes - là, il ne s'agit plus
d'écoles - d'enseignement public en Amérique du Nord. Et d'aucuns
même prétendaient disposer du meilleur système
d'enseignement public en Amérique du Nord. Rien de tel,
évidemment, n'existe dans le reste du Canada, en particulier pour les
minorités francophones.
Ce qu'il faut ajouter - et c'est là, évidemment, le
constat que nous avons tiré des quelques expéditions de
reconnaissance que nous avons menées en dehors des frontières du
Québec, dans le cadre des relations amicales que nous entretenons avec
différentes organisations syndicales canadiennes, donc, en principe, des
gens qui devraient être assez bien informés de la
réalité vécue au Québec parce qu'ayant une
préoccupation sociale plus large que celle d'autres groupes, c'est qu'il
règne, dis-je, malheureusement, dans le reste du Canada une
véritable "désinformation" quant à la
réalité de la minorité ou de la communauté
anglophone au Québec. Cette "désinformation" s'appuie,
d'ailleurs, sur un certain phénomène de projection dans la mesure
où l'aile dite libérale et progressiste dans le reste du Canada
favorise évidemment les droits des minorités. Depuis, quelques
droits mineurs ont été effectivement acquis. La façon dont
la réalité québécoise leur a été
présentée, particulièrement dans la
grande presse ces dernières années, les amène
à surréagir par rapport à des faits qui ne sont pas
véridiques.
M. Gaulin: Pendant que nous nous occupons de voir à
contrer l'intervention du fédéral dans la politique linguistique,
cela nous empêche de regarder les problèmes actuels dans notre
système scolaire. On est bloqué par l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, alors que le système devrait évoluer pour
combattre cette espèce de dualité de structures qui existe depuis
une centaine d'années, et qui n'est certainement pas l'instrument
à point, à ce moment-ci, et encore là il y a des
handicaps. Je crois que l'action du gouvernement et les revendications
positives du gouvernement devraient être aussi de revendiquer des
changements importants à la constitution de manière qu'on puisse,
au Québec, organiser nos propres institutions selon les besoins actuels
du Québec.
M. Morin (Sauvé): II y a un lien, d'ailleurs - cela ne
vous échappe sûrement pas, M. le président - entre ce
à quoi vous venez de faire allusion et le statut des droits scolaires de
cette minorité dont M. Agnaieff vient de nous entretenir.
Malheureusement, la PAPT, les enseignants protestants, les enseignants
catholiques de langue anglaise, ne viennent pas devant la commission et je me
demande si vous avez eu des contacts avec eux justement à propos de
l'obstacle que constitue l'article 93. Quelle est leur attitude à
l'égard de cet article 93? Est-ce qu'ils sont prêts à
envisager des changements dans les garanties, en somme, qu'ils peuvent
percevoir dans cet article?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gaulin.
M. Gaulin: Vous comprendrez, M. le ministre, que je ne suis pas
un porte-parole autorisé pour parler au nom de la PAPT. Je crois que,
dans les relations que nous avons eues avec nos camarades anglophones, il y a
des problèmes d'ajustement entre nous. Ils n'ont pas la même
position que la CEQ sur ces questions et cela se comprend. Cela fait partie du
dialogue que nous soutenons avec eux. Je crois que nous sommes disposés
aussi à discuter, ils sont disposés à discuter de ces
problèmes et c'est déjà quelque chose d'important, je le
reconnais. Pour ce qui regarde les enseignants anglophones, ils ont une
approche très positive face aux problèmes du Québec et
c'est tout en leur honneur.
La Présidente (Mme Cuerrier): Monsieur...
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, j'aurais
d'autres questions, mais je vois que le temps passe et l'Opposition a des
questions, elle aussi. Je crois que, de notre côté, M. Dussault
aura des questions à poser également. Je cède la
parole.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: M. Gaulin, essentiellement, deux questions. Vous avez,
d'emblée, comme sans doute il se devait à la CEQ, étant
donné votre orientation sur le plan économique et social, enfin,
le sens de la démarche syndicale dans laquelle vous vous inscrivez,
situé la présentation de votre mémoire dans le rapport
propre à votre centrale syndicale au titre des droits collectifs et des
droits individuels. Vous dites, par exemple, au début, au sujet de votre
prise de position sur le projet constitutionnel en tant que centrale syndicale:
La CEQ a aussi la responsabilité de faire valoir le point de vue
spécifique des travailleurs et de tous ceux qui, pour la défense
de leurs droits fondamentaux, doivent compter sur la force collective des
organisations et des mouvements créés par eux à cette fin.
Et là vous dites que les propriétaires des moyens de production
qui utilisent la force du travail des autres à leur profit peuvent bien
se permettre d'opposer droits individuels et droits collectifs et
prétendre que ces derniers ne sont pas importants. Mais pour les
travailleurs, les petits agriculteurs, les artisans, les assistés
sociaux, etc., indépendamment de la question proprement
québécoise, de la dimension québécoise et
également indépendamment de la question de cette concertation que
le niveau fédéral et le niveau provincial devraient avoir au
titre du renouvellement de la constitution, en tant qu'organisation syndicale
vouée par sa nature même à la défense des
travailleurs et oeuvrant dans un univers avec une doctrine et une
idéologie que l'on connaît très bien, comment
appréciez-vous la prise de position du Nouveau parti démocratique
qui est, sur le plan canadien, l'expression politique des travailleurs
québécois, qui a exactement la même dynamique d'action que
vous, sauf que c'est à l'échelle canadienne? Encore là,
indépendamment de la dimension proprement québécoise, face
à l'appui du Nouveau parti démocratique et, en particulier, de M.
Broadbent, quelle est votre réaction en tant que militant syndical?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gaulin.
M. Gaulin: Là-dessus, nous ne partageons pas l'analyse du
NPD, quoiqu'il soit faux d'associer les positions de la CEQ -
ce n'est pas ce que vous dites exactement, mais le parallèle se
fait - aux positions du NPD canadien. Bien sûr, le NPD canadien, dans sa
position constitutionnelle - il est mieux placé que moi pour la
défendre; je vais plutôt la critiquer - a voulu se placer en
situation politique, compte tenu de l'électorat qu'il représente
et des provinces dans lesquelles il se situe. Bien sûr il a une approche
- le NPD - pancanadienne et ça explique peut-être son absence du
Québec. C'est historique, depuis que le NPD existe, il n'a jamais
réussi à s'ancrer au Québec autrement que dans certaines
couches intellectuelles. Il a donc une incapacité, à mon avis,
d'analyser et de reconnaître la réalité canadienne dans sa
dualité et dans ses composantes.
Donc, cette volonté du NPD de vouloir associer le Canada uni, je
crois que c'est une erreur importante, de même que de vouloir
reconnaître les droits des travailleurs au niveau national et dire: Tous
les travailleurs, dans tout le Canada, sont égaux ou ont les mêmes
caractéristiques. Cela aussi, c'est une erreur très importante,
particulièrement en ce qui regarde la question de la mobilité de
la main-d'oeuvre, quoique la mobilité de la main-d'oeuvre, si
c'était appuyé par le NPD, ça ne saurait être une
revendication du mouvement syndical. Au contraire, ce que le mouvement syndical
revendique, c'est la stabilité de la main-d'oeuvre et, dans un ensemble
canadien avec une majorité écrasante d'anglophones et une
minorité de francophones, on sait très bien que le jeu des
déplacements est toujours en défaveur des francophones qui sont
appelés à se déplacer à l'extérieur.
M. Rivest: Une sous-question et, ensuite, j'aurai une autre
question. Le NPD est un parti politique. Je ne veux pas être malin, M.
Gaulin, mais vous avez vous-même indiqué à quelques
reprises la possibilité que vous regardiez l'hypothèse pour le
mouvement syndical québécois d'entrer dans le champ politique. Je
n'ose pas vous demander votre position sur le fond de la question encore
là, indépendamment de la question nationale propre au
Québec, selon la démarche dans laquelle vous vous inscrivez en
tant que gardien premier des intérêts fondamentaux des
travailleurs. J'imagine, M. Gaulin, que s'il existait au Québec un parti
des travailleurs, en regard des propositions de la charte constitutionnelle
directement liées aux droits des petits salariés, des
travailleurs syndiqués, vous n'auriez pas nécessairement une
position différente de celle que vous exprimiez. C'est la raison pour
laquelle je vous ai demandé: Face au NPD, à l'échelle
canadienne, sur le plan syndical et sur le plan de sa référence
propre et de sa vocation première de défendre les
intérêts fondamentaux des travailleurs et des petites gens dans la
société, des laissés-pour-compte souvent, quelles sont vos
réflexions précises? Encore là, indépendamment,
j'entends de la compréhension que peut avoir le NPD de la
réalité québécoise. Comme articulation au niveau
politique du mouvement syndical, de l'expression politique du socialisme
à travers le Canada, c'est un élément de la culture
politique au Canada, comment réagissez-vous, comme leader syndical, face
à l'attitude du Nouveau parti démocratique et de vos
collègues syndicalistes canadiens qui appuient les propositions de M.
Trudeau? (18 h 30)
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gaulin.
M. Gaulin: Pour compléter le portrait là-dessus,
j'ai dit tout à l'heure qu'on est en désaccord fondamental avec
la manière de traiter la question constitutionnelle du côté
du NPD fédéral. Nous contestons, d'une certaine manière
aussi, le caractère représentatif ou la volonté de
défense des intérêts des travailleurs que vous semblez
affirmer dans le NPD. Nous ne reconnaissons pas aussi fortement que vous cette
volonté de défense des intérêts des travailleurs.
Enfin, sur la question des relations avec la politique, nous nous situons en
toute autonomie par rapport à quelque parti politique que ce soit,
actuel ou futur. La position de notre centrale, notre conception de l'action
syndicale, c'est que le mouvement syndical - c'est vrai à la CEQ - se
situe en marge, à côté des partis politiques et
n'entretient aucun lien d'aucune manière avec quelque parti politique
que ce soit. Nous reconnaissons, nous privilégions et nous
chérissons l'indépendance du mouvement syndical, ce qui ne veut
pas dire que l'action syndicale n'a pas une portée politique et que le
mouvement syndical n'a pas à s'occuper de questions politiques.
On nous reproche souvent dans certains milieux de faire de la politique
sans en faire. Je crois que le mouvement syndical a un rôle de critique,
de contestation, de surveillance, de défense des intérêts
des travailleurs et de surveillance de la législation. On est là
pour regarder ce que font les partis politiques, pour les critiquer, pour les
approuver aussi quand il y a des éléments qui répondent
à nos objectifs. C'est dans ce champ-là que se situe l'action
politique, si on veut, du mouvement syndical.
M. Rivest: Si vous me le permettez, M. Gaulin, dans un autre
ordre d'idées, il y a eu des groupes, cet après-midi, qui
étaient, eux, spécifiquement engagés - je pense au
Mouvement national des Québécois - dans la promotion de
l'idée de la souveraineté et de l'indépendance, qui ont
adressé des reproches au gouvernement, au Parti québécois,
qui est
le véhicule de cette idée au sein de la
société québécoise disant que ce n'était pas
clair, enfin qu'il se contredisait.
Vous, dans votre mémoire et, en particulier, vers les pages 30 de
votre mémoire, vous apportez une autre dimension qui m'apparaît
également importante, compte tenu de toutes les données qui
précèdent les pages 30, parce que ce serait injuste sans doute de
les citer sans tenir compte de toutes les dimensions et de toutes les
préoccupations que vous avez soulignées avant. Vous demandez au
gouvernement du Québec, dans le processus actuel, de ne pas se limiter,
de ne pas se cantonner dans des positions défensives. Vous avez
même dit dans vos notes d'introduction qu'une position défensive
dans ce domaine-là ne pouvait qu'amener des reculs. Vous avez
suggéré au gouvernement du Québec - je pense que
c'était le sens, vous me corrigerez si ce n'était pas le sens de
votre intervention -d'établir très clairement ses positions, de
remettre de l'avant des revendications positives, dites-vous, à la page
32, entre autres, au titre du pouvoir d'amender la constitution interne du
Québec, au titre d'une question qui vous intéresse au premier
chef, l'article 93, enfin tout le problème de la restructuration
scolaire qui est restée en plan sans doute en raison des dispositions
constitutionnelles, au titre de l'article 133, au titre du droit de la famille,
au titre des télécommunications, au titre de la
sécurité sociale, au titre de l'agriculture, au titre de la
main-d'oeuvre, au titre de l'immigration.
Est-ce qu'au fond - je ne sais pas si j'interprète cela mal - ce
que vous reprochez à l'attitude du gouvernement du Québec
actuellement, c'est de ne pas avoir mis de l'avant un programme quelconque de
révision constitutionnelle, qui n'aurait peut-être pas
rencontré l'idée que vous vous faites de cela, pour avoir au
moins un document positif qui établirait les positions du gouvernement
du Québec? Depuis la reprise des négociations, comme vous le
savez, il n'y a rien eu, sauf qu'on s'est collé aux priorités qui
avaient été définies par le gouvernement
fédéral en répondant, en faisant quelques petits papiers
sommaires reprenant les positions traditionnelles du Québec, mais sans
aucune nouvelle dynamique. Est-ce le sens des paqes 32 et 33 que vous avez
écrites et que vous avez lues devant cette commission?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gaulin.
M. Gaulin: Vous abordez une question très
intéressante qui est une partie importante de notre mémoire et
qui est livrée à titre de suggestion. On est très critique
par rapport à la stratégie actuelle du Québec dans la
lutte constitutionnelle. La première critique qu'on peut faire, c'est de
vouloir garder ce débat constitutionnel à un niveau de
spécialistes ou à un cercle assez restreint en disant: La
question constitutionnelle, c'est une question qui n'intéresse que les
politiques ou que les politiciens. Je crois qu'il y a une préoccupation
chez nous d'élargir et de dire qu'une constitution, c'est une
propriété collective. Ce n'est pas le fait d'un gouvernement qui
siège à un moment donné, mais c'est une
propriété que le peuple devrait se réapproprier.
Il serait important, en ce moment d'incertitude ou
d'interprétations de toute nature des résultats de
l'épisode référendaire, d'aller vérifier et de
remettre en débat, dans des instances larges, dans des activités
qu'on pourrait programmer dans tout le Québec, les revendications du
Québec, de faire des propositions, de dire: Chez nous, qu'est-ce qu'on
veut comme Québec? Quels sont nos besoins? Quels sont nos objectifs?
Quelle constitution voudrait-on d'abord comme Québécois? Est-ce
possible, comme
Québécois, dans le cadre actuel, de se donner une
constitution? Il y a un certain nombre de lois qui ont été
adoptées et qui ont - je ne suis pas un juriste, un spécialiste
de ces questions - un caractère prioritaire par rapport à
d'autres lois. Y aurait-il moyen de réunir tout cela?
On en a parlé et on a revendiqué une charte des droits
collectifs des travailleurs. C'est une pièce qui manque actuellement
dans la législation guébécoise. La Charte des droits et
libertés a besoin d'être réajustée et d'être
amplifiée. Il y a la législation qui concerne toute la structure
politique du Québec qui est notre propriété et qui
pourrait être ajustée. Il y a ces revendications que vous
retrouvez aux pages 32 et 33 qui pourraient faire partie d'un ensemble.
Nous critiquons également un peu la stratégie du
Québec de vouloir faire front commun avec quelques provinces, de
s'associer à ce niveau et d'établir à ce niveau une
espèce de revendication minimum ou de revendication commune. Il ne
faudrait pas que ce soit le seul aspect. On ne dit pas que,
stratégiquement, ce n'est pas un élément et une
pièce d'une stratégie comme aller faire des parades dans d'autres
pays. On ne conteste pas que ce soit une pièce de stratégie, mais
ce qu'on conteste, ce qu'on critique, c'est de vouloir mettre tous les oeufs
dans ce panier et de vouloir résoudre le problème du
Québec par ce biais. Nous disons que l'attaque du fédéral
est systématique; elle n'est pas appuyée seulement sur des
considérations culturelles. Ce n'est pas seulement le fait d'un homme
qui veut passer à la postérité, qui veut livrer son
testament; c'est le fait de pressions d'un pouvoir économique qui est
là, qui est présent. C'est le fait d'une restructuration
d'un capital canadien qui est nécessaire pour assurer le
développement et le maintien des taux de profit. Devant cette attaque
systématique appuyée par le gouvernement Trudeau et par le
gouvernement de l'Ontario - c'est drôle que ce front commun soit si fort
- face a tout cela, il ne s'agit pas seulement de mener une action
réduite, une action limitée, une action défensive, mais de
faire appel à la mobilisation populaire.
Chaque fois que le Québec a eu un coup dur, on s'en est sorti par
un appel à l'ensemble des forces du Québec. Quand on regarde
l'histoire, ce n'est pas la première fois qu'on a des problèmes
constitutionnels. Ce n'est pas la première fois que le
fédéral accroche un petit bout ou qu'on en perd un petit bout,
mais, chaque fois qu'il a été temps d'organiser la
résistance, cela a été par l'élargissement et c'est
dans ce sens-là que nous agissons. Là, on pourrait, bien
sûr, reprocher à la CEQ de ne pas s'associer à ce grand
cartel, à ce grand corps, mais ce que nous recherchons comme
organisation, c'est de créer à côté d'autres
groupements un rassemblement, un regroupement des forces syndicales et
progressistes de manière à véhiculer ce point de vue et
à faire pression sur le gouvernement du Québec dans ce sens ou
dans le sens d'autres propositions qui seraient équivalentes.
M. Rivest: En somme - si on me permet un dernier commentaire - M.
Gaulin, vous ne critiquez pas, vous ne déplorez pas les actions qui ont
été menées par le gouvernement du Québec au titre
des négociations sur le calendrier qui a été établi
par le gouvernement fédéral, non plus que les actions qui ont
été menées au titre des pétitions ou même
cette commission, toutes ces actions-là, mais cela vous apparaît,
étant donné l'importance des enjeux, insuffisant. Vous auriez
aimé que le gouvernement du Québec établisse clairement,
sur tous les éléments qu'on retrouve aux pages 30 et suivantes
que vous avez brièvement résumées dans votre
dernière intervention, un document d'appui et que le Québec
prenne, dans un certain sens, l'initiative.
M. Morin (Louis-Hébert): On l'a déjà
fait.
M. Rivest: Non, parce que sur l'article 93, VI. le ministre, je
m'excuse, vous avez complètement ignoré ce problème au
cours des derniers mois, alors que c'est un sujet majeur; même chose sur
les autres éléments qui sont mentionnés au titre de la
sécurité sociale, de l'agriculture, de la main-d'oeuvre et de
l'immigration. Je ne veux pas défendre le gouvernement, mais plusieurs
de ces éléments se retrouvent dans le programme électoral
du Parti québécois. À cause de l'option souverainiste du
Parti québécois, en fait, ils ont dit, au moment où on
leur a posé la question, qu'ils ne l'avaient pas fait parce qu'ils se
contentaient simplement de défendre les droits du Québec et que
toutes ces questions - celles-là mêmes que vous mentionnez au
titre de ce qu'on appelle la constitution interne du Québec:
l'organisation de nos pouvoirs législatif, exécutif et
judiciaire, les droits de la personne, les droits des travailleurs, le Code du
travail, ces éléments sont contenus dans le programme du Parti
québécois - ils ne les avaient pas projetées à
l'échelle canadienne dans une perspective de renouvellement du
fédéralisme parce que leur objectif fondamental était
celui de la souveraineté et que, une fois la
souveraineté-association acquise, ces choses nous seraient
données par surcroît et que toutes devaient arriver.
C'est dans ce sens que votre critique de la stratégie
adoptée par le Parti guébécois paraît tourner
peut-être un peu court.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gaulin.
M. Gaulin: Je ne veux pas faire d'arbitrage, vous réglerez
vos problèmes entre vous. Cependant, pour compléter mon
exposé, je crois que la question du droit du Québec à
l'autodétermination pourrait être ramenée en Chambre et
qu'elle pourrait faire l'unanimité de l'ensemble des partis. Je crois
que c'est un droit fondamental reconnu à tous les peuples, qu'on
reconnaît à travers le monde à peu près à
tous les peuples constitués qui veulent se libérer et se
développer par eux-mêmes. Le projet fédéral, c'est
une attaque importante contre le droit du Québec à
l'autodétermination; c'est un refus de reconnaître le
Québec, c'est un refus de reconnaître le peuple du Québec,
c'est un refus de reconnaître par conséquent le droit à
l'autodétermination.
Là-dessus, il y a peut-être un petit pas qu'on pourrait
faire rapidement sans entreprendre une réforme législative
importante. Cela pourrait certainement être fait et on pourrait
vérifier auprès des Québécois s'il y a une
adhésion très large à cette question du droit à
l'autodétermination. Dans notre centrale, on a eu des problèmes
à débattre de la question nationale, mais, depuis dix ans, on n'a
jamais eu de problèmes à faire reconnaître par nos
congrès, partout où on a mis cela en débat, la question du
droit du Québec à l'autodétermination. Il me semble que
c'est un droit reconnu assez largement, partagé largement par l'ensemble
des Québécois et que ce pas, en Chambre, on pourrait le franchir
assez rapidement.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député de Châteauguay.
M. Dussault: Merci, Mme la Présidente. De voir devant moi,
chaque fois que je suis en commission parlementaire, des gens de la CEQ,
ça me rappelle toujours des souvenirs puisque j'ai été
membre de la CEQ et que je vais sans doute, un jour, y retourner lorsque la
politique me laissera tomber.
J'ai regardé avec beaucoup d'attention le mémoire que vous
présentez ici aujourd'hui. Je le trouve dense, intéressant, et il
pourrait nous amener à échanger des propos durant de longues
heures, ce qu'on ne pourra pas faire aujourd'hui, malheureusement. Je voudrais
faire remarquer plus particulièrement, dans votre mémoire, un
chapitre qui s'intitule Une constitution pour le peuple, qui m'apparaît
être passablement novateur par rapport à ce que les autres
intervenants sont venus nous dire, ici, à la commission. Vous proposez
d'impliquer le peuple québécois pour codifier et moderniser la
constitution québécoise dans le cadre de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique. C'est un élément qu'on ne
nous a pas fait remarquer jusqu'à maintenant et cela m'apparaît
être une chose sur laquelle il vaudrait peut-être la peine qu'on se
penche assez sérieusement.
Ce que je voudrais davantage faire ressortir - et ça va faire
l'objet d'une question - c'est que, dans votre mémoire, on sent bien que
vous êtes contre l'inclusion d'une charte des droits de la personne
à l'intérieur de la constitution canadienne. Vous faites
même sentir que les droits fondamentaux reconnus par la charte
québécoise sont plus fondamentaux que ceux qu'on voudrait inclure
dans la constitution canadienne. J'aimerais que vous élaboriez
là-dessus; je pense que ça pourrait être
intéressant.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Gaulin.
M. Gaulin: Sur l'élément Une constitution pour le
peuple, je rappelle que c'est à titre de suggestion, ce n'est pas une
politique, une revendication de la CEQ. À ce moment-ci, c'est une
proposition qui est en débat dans nos instances et comités, qu'on
pourra formaliser plus tard, mais ça nous apparaissait un
élément à mettre dans le débat actuel et un
élément qui, en effet, a peu ressorti. C'est une suggestion qui
permettrait de positiver et d'élargir l'action du Québec.
Pour ce qui est de la charte des droits de la personne, ce que nous
contestons essentiellement, c'est le fait d'inclure dans la constitution
canadienne une charte des droits. À ce niveau-là, cela a pour
effet d'empêcher le Québec d'exercer son pouvoir
législatif, et cela a pour effet de soumettre les lois du Québec
au pouvoir judiciaire du fédéral. Cela veut dire que, chaque fois
qu'on aura une loi ici et chaque fois que quelqu'un ne sera pas content de la
loi ou chaque fois que quelqu'un voudra faire régler un problème
ailleurs, on prendra prétexte d'une inconstitutionnalité de telle
loi du Québec et on s'en ira parader d'une cour à l'autre,
jusqu'à la Cour suprême où ça prend sept ou huit
ans. Pendant ce temps-là, des travailleurs, des citoyens sont
lésés parce qu'on les place devant une situation impossible.
Également, je crois que, en vertu de l'autonomie du Québec sur un
certain nombre de questions, il appartient au Québec de
léqiférer et de trancher dans ses tribunaux, si besoin est, ou de
modifier lui-même sa législation et non pas de se soumettre
à toute cette procédure. C'est donc essentiellement un des
éléments importants. Voilà un encadrement anormal de la
capacité du Québec de légiférer dans son champ
propre.
Pour ce qui est de la charte des droits de la personne, je n'ai pas tous
les détails ici, mais l'analyse que nous avons faite nous a permis de
voir que la charte québécoise actuelle était plus
avantageuse que le projet qui est en train de se discuter au niveau du
fédéral, particulièrement tout ce qui regarde les
dispositions concernant la discrimination ou la lutte contre la discrimination
et les moyens de se protéger contre la discrimination. Il nous est
apparu que la charte du Québec était beaucoup plus précise
et beaucoup plus claire dans ses énoncés. De ce
côté-là, ça nous apparaît plus important, pour
une communauté, un peuple comme le Québec, de
légiférer lui-même et de développer lui-même
la charte des principaux droits qu'il veut donner à sa
communauté.
M. Dussault: En terminant, Mme la Présidente, - ce ne sera
qu'une seule remarque, d'ailleurs - comme ex-membre de la CEQ, je me permets de
regretter puisque vous êtes là, je peux vous le dire publiquement
- que la CEQ n'ait pas embarqué dans le mouvement de signature de
pétitions. Fondamentalement, il me semble quand même que la CEQ
n'accepte pas ce qui se passe à Ottawa, du côté de ce
rapatriement unilatéral. J'aimerais comprendre pourquoi la CEQ n'a pas
vraiment marché avec les autres travailleurs pour faire signer la
pétition contre le rapatriement unilatéral.
M. Gaulin: Si vous permettez, là-dessus, nous n'avons pas
marché avec la FTQ, mais nous avons marché avec les travailleurs,
avec le Mouvement Québec français où se retrouvent
plusieurs groupes de travailleurs. Nous avons effectivement fait signer la
pétition dans les rangs de la CEQ, sur papier à en-tête de
la CEQ. La pétition, qui était
celle du Mouvement Québec français, rejoint celle des
autres. Nous sommes en train de compiler et de ramasser ensemble des feuilles
qui circulent dans tous nos syndicats, et nous serons à même de
déposer un certain nombre de signatures à cette pétition.
Nous nous sommes donc joints au Mouvement Québec français
plutôt qu'à l'autre groupe dans cette campagne de signature de
pétitions.
M. Dussault: Je vous remercie.
La Présidente (Mme Cuerrier): II ne me reste plus
qu'à remercier la Centrale de l'enseignement du Québec d'avoir
bien voulu nous présenter un mémoire et d'avoir bien voulu
discuter avec les membres et intervenants de la commission de la
présidence du conseil et de la constitution. Merci à M. le
président, Robert Gaulin; merci à M. Agnaieff et à M.
Beaulne.
M. Gaulin: C'est nous qui vous remercions de votre attention.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerai maintenant M.
Jacques Cameron, qui a décidé de proposer un mémoire
à titre personnel. M. Jacques Cameron, vous avez la parole. Vous
connaissez, sans doute, les règles qui nous régissent ici.
M. Jacques Cameron M. Cameron (Jacques): Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous disposez d'une
vingtaine de minutes d'abord.
M. Cameron: D'abord, je serai bref et j'accepterai, étant
donné l'heure, que la période des questions soit courte aussi. Je
veux dire avant tout que, quand je vois la démocratie se
rétrécir dans le monde comme une peau de chagrin,
j'apprécie de pouvoir, en tant que simple citoyen, venir m'adresser
à cette commission.
Si la tentative québécoise d'en arriver à un
consensus parlementaire d'opposition au projet fédéral de
rapatriement unilatéral a échoué, c'est parce que le coup
d'Ottawa portait d'une façon soudaine au coeur même de notre seule
véritable faiblesse, cette douloureuse scission de notre
société en deux rêves opposés, cette guerre civile
tranquille, mais cruelle qui rougeoie sous les cendres, cette guerre tranquille
qui oppose fils contre père, fille contre mère, amitié
contre amitié, cette guerre sourde qui pourrit l'âme collective et
ferme les portes de notre avenir au seuil de l'intolérance.
Minoritaires, il nous fut parfois bien pénible de vivre avec les
Anglais de ce pays, mais comment accepter qu'il devienne encore plus difficile
de vivre entre nous? Il faudrait peut-être commencer à unir ce qui
est semblable avant de vouloir unir le dissemblable; s'entendre ici chez nous
d'un coeur à l'autre, avant d'espérer rebâtir ici ou d'une
mer à l'autre. Voilà le vrai sens du patriotisme: la
fidélité non pas à un drapeau, mais à ses
semblables, la fidélité non pas à un territoire, mais
à une présence.
Tous les partis politiques actuels sont alimentés d'une
même énergie vitale: l'énergie d'un peuple vigoureux en
pleine éclosion, un peuple qui a survécu courageusement, qui
renaît avec force et qui vivra un destin heureux s'il n'échoue
aujourd'hui sur les récifs de l'impatience. Alors, au lieu de se battre
entre nous pour prendre la direction du navire, au grand risque de le couler,
si on se fouillait le coeur pour trouver un restant de chaleur fraternelle?
Peut-être y a-t-il au fond de nous une vision plus grande que tous nos
rêves séparés? Moi, je veux bien quitter le lit de mes
préférences et de mes préjugés pour
considérer avec respect les choix qui s'opposent au mien.
Je suis Québécois, mais si seulement ceux qui se disent
aussi Canadiens voulaient être, mais vraiment être, Canadiens, si
seulement ils acceptaient non pas de rapatrier un simple document de
procédure, mais d'abolir le véritable symbole colonial: la
couronne d'Angleterre! Ah, si seulement ceux qui se disent Canadiens
abandonnaient la citoyenneté britannique pour vivre pleinement leur
citoyenneté canadienne! Alors, je pourrais plus facilement reprendre ce
nom qui, autrefois, désignait exclusivement et amoureusement mes
ancêtres.
Vous me direz que ce serait facile de s'entendre entre nous
là-dessus, mais que les anglophones, eux, ne voudront jamais renier ce
symbole de leur identité. Mais si, nous, on s'entend, qu'on aille
ensemble et fort leur demander non pas de renier, mais de rapatrier la couronne
britannique au niveau des provinces. Que celles qui désirent garder
fidélité à ce monarque le fassent, mais qu'elles jurent
avant tout fidélité au Canada et que le Canada ne jure
fidélité qu'à lui-même, fidélité
à ce contrat de souverainetés partagées par les
provinces.
J'irai plus loin. J'ai dans ma poche de rêves un double passeport,
une ouverture de plus sur le monde. Qu'on crée des États libres
ayant droit à l'autodétermination et ayant juridiction
internationale dans les domaines de leur souveraineté; des
indépendances, mais sans frontières, une citoyenneté d'une
mer à l'autre, mais des responsabilités et des droits
particuliers à la province qu'on choisit d'habiter. Qu'on crée un
gouvernement central qui gère les souverainetés mises en commun,
qui seul représente l'ensemble et qui seul siège à
l'assemblée des Nations Unies; ni l'indépendance totale, ni le
centralisme, mais
le juste milieu; non pas le Québec d'un côté, le
Canada anglais de l'autre, mais dix États souverainement unis dans
l'interdépendance; tous citoyens d'un État, citoyens d'un pays
et, par les deux, citoyens du monde.
J'irai encore plus loin. Pourquoi ne pas accorder aux Amérindiens
le statut d'État-réserve et juridiction internationale dans les
domaines de leur souveraineté? Pourquoi ne pas enterrer une fois pour
toutes cette hache de guerre qu'on a brisée sur leurs reins et leur
faire goûter à cette liberté qu'on dit le flambeau de notre
civilisation? Oui, se tenir enfin tous debout et rompre avec un passé
lourd de conquêtes, de dominations et d'amertume.
Maintenant la langue. C'est notre langue qui est la principale cause du
malaise canadien, mais c'est par elle que le Canada se distingue de son
puissant voisin, c'est par elle que le Canada est autre chose qu'un immense
dortoir au nord des États-Unis. On lui doit respect. Or, la plus grande
faute du projet fédéral de rapatriement, c'est de ne pas imposer
équitablement à l'Ontario les contraintes linguistiques qu'on
impose au Québec ou, beaucoup mieux, c'est de ne pas libérer le
Québec de ces contraintes constitutionnelles qui n'ont jamais
sévi en Ontario.
Cela dépasse l'entendement. Quel que soit notre choix politique,
même dans l'optique d'un Canada centralisateur, c'est carrément
injustifiable. C'est précisément ce qui arrive lorsqu'on cesse de
respecter démocratiquement ses adversaires, lorsqu'on méprise les
compromis honorables et qu'on louvoie de manigances en manigances pour
accoucher de sa "bébelle". Une langue, c'est comme le bébé
du roi Salomon; cela ne se coupe pas en deux, cela ne se vit pas à
moitié. C'est un bien, un phénomène entier qui appartient
à ceux qui s'en habillent le corps intérieur. Alors, qu'on laisse
aux provinces le loisir de s'entendre dignement entre elles pour donner justice
aux minorités et qu'on laisse au fédéral le bilinguisme
officiel dans le domaine de sa compétence. Le coup d'État
centralisateur, sous le couvert d'un rapatriement, que tente Ottawa n'a pas
plus de soutien dans la population que l'indépendance du Québec
pure et simple. Notre rêve collectif se berce et se cherche un visage au
centre de ces contradictions, quelque part entre la
souveraineté-association et le fédéralisme
renouvelé, quelque part entre les options actuelles des partis
politiques ici présents, à l'Assemblée. Alors, qu'on sorte
l'enjeu national de la lutte pour le pouvoir, qu'on crée une
constituante, qu'on trouve une vérité ouverte sur nous tous et
qu'on aille bercer l'oreille des autres provinces, en passant par l'Alberta qui
nous comprend maintenant si bien. Et qu'ensuite on rejoigne l'opinion publique
canadienne qui se chargera bien, elle, de mettre au pouvoir le parti
fédéral qui s'engagera dans cette direction.
Nous vivons une angoisse économique, l'éclatement possible
d'un pays, mais, surtout, nous vivons une tension internationale allucinante.
Or, nos problèmes sont moins aigus et nos crocs sont actuellement moins
acérés qu'en maints endroits de la planète. Ainsi, nous
n'avons pas d'excuse pour faillir à la tâche, nous n'avons pas
d'excuse pour refuser de dessiner sur la carte du monde une nouvelle
citoyenneté d'hommes libres, entre le particulier et l'universel, une
nouvelle citoyenneté d'hommes libres à la fois
protégés dans leurs droits et généreux dans leurs
partages. Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Merci. M. Cameron, parce que vous
êtes un citoyen qui venez ici à titre individuel, je pense que
tout le monde ici sera d'accord pour vous féliciter de l'initiative que
vous avez prise et pour reconnaître que vous avez, par votre
témoignage, soumis une opinion librement qui donne un éclairage
nouveau à certains égards sur le problème qui nous
préoccupe.
Je ne veux pas relever tout ce que vous avez dit. Il y a un sujet sur
lequel j'aimerais avoir une précision parce qu'on entend souvent cette
suggestion qui est faite. Elle est à la page 4 de votre texte et je la
lis. Je voudrais bien comprendre et j'aimerais que vous me précisiez
davantage ce que vous signifiez par les mots suivants: "Qu'on sorte l'enjeu
national de la lutte pour le pouvoir, qu'on crée une constituante."
"Qu'on sorte l'enjeu national de la lutte pour le pouvoir". Voulez-vous dire
que la question nationale, donc, la question constitutionnelle, la question
politique ou la question du statut du Québec ou du statut des provinces,
ce genre de question devrait être extrait, en quelque sorte, de la
préoccupation des partis politiques et être confié à
d'autres? Vous dites oui. Ne trouvez-vous pas que ce genre de souhait est assez
peu réaliste? Ce qu'il y a de plus politique dans la vie des partis
politiques, en tout cas ici, c'est justement cette question dite nationale.
C'est vrai ici, au Québec, et c'est rendu vrai aussi dans d'autres
provinces, c'est vrai au gouvernement fédéral. Pensez-vous
réaliste de croire que les partis politiques à Québec,
à Ottawa ou Dieu sait où vont, à un moment donné,
ensemble dire: Dépolitisons la question nationale, nous nous occuperons
d'autres choses et laissons à d'autres personnes - je ne sais pas
lesquelles, vous allez me le dire le soin de résoudre cette question
nationale?
Deux questions. Premièrement, croyez-vous vraiment qu'on devrait
extraire les
partis politiques de ce sujet? Comme je présume que vous allez
répondre oui à la première question - vous l'avez
déjà fait -deuxièmement - et c'est peut-être
davantaqe mon interrogation - qui va s'en occuper?
M. Cameron: Bon, d'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Cameron.
M. Cameron: C'est vrai que c'est assez utopique, mais quand je
dis de sortir l'enjeu national de la lutte pour le pouvoir, je ne dis pas
d'exclure les partis politiques. Je dis: Qu'ils se rencontrent sur un autre
terrain que sur le terrain électoral sur cette question-là. Une
constituante pourrait être formée des partis politiques autant que
des autres représentants de la population. J'admets que c'est assez
utopique, mais...
M. Morin (Louis-Hébert): Je vais poser ma question
autrement. Prenons un autre problème qui préoccupe les gens,
celui du chômage ou celui de l'inflation. Prenons celui du chômage.
Souvent, j'entendais, à l'époque où j'étais
fonctionnaire, des gens qui nous disaient: Si, au moins, on pouvait
dépolitiser cette question. En fait, c'est un sujet dont s'occupent les
partis politiques. Les uns disent: II y a du chômage, il faut remplacer
ce gouvernement parce qu'il y en a. D'autres disent: II y a de l'inflation, il
faut remplacer le gouvernement parce que l'inflation existe. D'autres disent:
Notre solution pour régler le problème du chômage est
meilleure que celle des gens qui voudraient nous remplacer; donc, gardez-nous.
En d'autres termes, cela me semble - à mon avis en tout cas, d'autres
peuvent avoir des opinions différentes - assez illusoire de le croire,
car pas plus que vous pouvez sortir le chômage de l'aire
d'intérêt des partis politiques, pas plus vous ne pourrez y
arriver avec la question nationale.
M. Cameron: Je ne parle pas de la sortir de l'aire
d'intérêt; je parle de la sortir du côté
électoral.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, je m'excuse de revenir
à cela, mais un parti politique a comme objectif - je sais que le
député de Jean-Talon n'est pas de cet avis -de se faire
élire. (19 heures)
M. Rivest: Je ne suis pas masochiste!
M. Cameron: II y a tellement d'autres sujets, de toute
façon; il y a tellement d'autres questions pour l'élection que,
même si les libéraux remportaient la prochaine élection, il
n'y a rien qui nous dit qu'ils la remporteraient pour leurs positions
constitutionnelles; ça pourrait être pour leurs positions
sociales.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, ça ne sera
certainement pas là-dessus.
Mme Chaput-Rolland: Ne dites pas: "Fontaine, je ne boirai pas de
ton eau!"
M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais je pose la question
sincèrement, parce que de temps en temps il m'arrive - ça doit
arriver à d'autres aussi - de voir des gens qui, comme vous le faites
aujourd'hui - je pense que ça provient d'un souci valable - disent
qu'ils aimeraient que les partis politiques soient moins intensément
mêlés à ces questions qui, à cause du fait qu'il y a
des partis politiques, prennent des tangentes qui s'éloignent du
véritable fond des sujets. Vous savez, des partis politiques, c'est en
lutte les uns avec les autres et, moi même, je l'ai déploré
à maintes reprises. Mais que voulez-vous, les partis politiques,
ça existe et c'est un peu comme la neige en hiver; il n'y a pas moyen de
faire autrement que d'en tenir compte.
Tout ce que je voulais dire, c'est que je comprends votre motivation,
mais je ne pense pas qu'on puisse espérer que les partis politiques vont
décider, d'un commun accord, d'évacuer cette question d'une
façon aussi substantielle que celle que vous suggérez. Si
c'était possible, ce serait déjà arrivé.
M. Cameron: D'accord, mais là, on est menacé, tout
le monde est menacé.
M. Morin (Louis-Hébert): Bon, si vous voulez dire qu'il
faudrait que les partis politiques fassent l'unanimité sur certaines
questions fondamentales, là, vous avez raison, on a essayé
ça.
M. Cameron: Mais j'irai plus loin dans le sens que, comme le
disait le général américain MacArthur: La défensive
à long terme, c'est la défaite. Si on peut dégager un
consensus d'opposition, peut-être peut-on dégager aussi un
consensus positif et, plutôt que de toujours être sur la
défensive, prendre l'offensive.
M. Morin (Louis-Hébert): Très bien. Là, je
suis d'accord avec vous et je pense que je comprends mieux la portée de
la remarque que vous avez faite dans votre texte. Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
de Prévost.
Mme Chaput-Rolland: Juste un commentaire, monsieur, pour vous
dire que moi aussi, je vous remercie d'être venu. Je sais combien ce
n'est pas facile de venir dans des commissions comme la nôtre ou comme
dans d'autres, à titre personnel, et
de faire un commentaire qui, en somme, rejoint beaucoup des idées
que j'ai déjà exprimées. On me les reproche très
souvent; vous, on vous en complimente, et moi aussi.
Je trouve que ça finit d'une façon très belle ces
débats d'aujourd'hui, quand vous nous demandez, dans la première
page, de finir avec "cette guerre sourde qui pourrit l'âme collective et
ferme les portes de notre avenir au seuil de l'intolérance." Je pense
qu'il faudrait qu'on retienne cela, nous, les politiciens, parce que c'est un
fait que nous sommes aux portes de l'intolérance et nous en avons eu la
démonstration pendant ces deux jours.
Tout ce que je veux dire, c'est que je pense qu'il doit y avoir un moyen
de nous diviser sans ouvrir la porte de l'intolérance, et je voudrais
tout simplement vous dire tout doucement: Merci de l'avoir dit si bien.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. M. Cameron,
votre mémoire propose une vision d'un Canada de l'avenir dans lequel les
provinces auraient une mesure beaucoup plus large de souveraineté et
d'autonomie qu'il n'en existe à l'heure actuelle. Mais il me semble
qu'il y a là une difficulté insurmontable qui vient de ce que
cette idée, les États-provinces libres, met les dix provinces sur
le même pied. Il me semble que ça a toujours été une
difficulté insurmontable.
Le Parti libéral du Québec ou, en tout cas, le principal
auteur du livre beige, le député d'Argenteuil, chef de
l'Opposition officielle, a eu tendance à mettre l'accent sur la
création de régions au Canada: les quatres provinces atlantiques;
les trois provinces des Prairies, qui seraient groupées, etc. C'est bien
beau, ça, pour des Québécois de chercher à
s'imaginer ce que les provinces de l'Atlantique et ce que les trois provinces
des Prairies devraient faire, mais il me semble qu'il appartient à ces
provinces de le décider et que c'est un peu perdre son temps, ici, au
Québec, que de dire: Les trois provinces des Prairies devraient se
grouper en une seule région-province. Cela ne marche pas et,
d'après ce qu'on peut observer, l'idée, par exemple, d'une fusion
soit des trois provinces maritimes ou soit des quatre provinces de
l'Atlantique, au cours des 20 dernières années, a reculé
plutôt que d'avancer. Il a été question, il y a quelques
années, d'une espèce de regroupement des provinces maritimes ou
de l'Atlantique et cette idée a perdu beaucoup de terrain. Il en est de
moins en moins question. Si on observe ce qui s'est passé
l'été dernier dans les discussions constitutionnelles, on se rend
compte qu'un certain nombre de provinces accepteraient un régime
fédéral amélioré légèrement dans le
sens des prérogatives provinciales exempt des effets du coup de force
actuel, bien sûr, au moins pour la plupart d'entre elles, et rejeteraient
tout aussi bien l'idée de se fusionner à d'autres que
l'idée de devenir des États-provinces libres. Tout ceci pour dire
qu'il me semble que nous, Québécois, sans oublier que nous avons
des partenaires avec qui il faudra s'entendre, notre premier devoir est de
définir ce qui paraît nécessaire pour le Québec, de
proposer des options pour le Québec, quitte à laisser la
population des autres provinces faire la même chose pour elles.
M. Cameron: Écoutez, je ne suis pas juriste, mais des fois
le profane a des trouvailles par le simple fait qu'il n'est pas dans le bain.
Il me semble que, quand on me dit, dans le Statut de Westminster de 1931 et
dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, que les provinces sont
souveraines dans certains domaines, soit qu'on joue avec les mots ou qu'on ne
prenne pas vraiment ce qui nous appartient. Pour moi, la souveraineté
signifie juridiction internationale. S'il n'y a pas juridiction internationale
dans un domaine, il n'y a pas de souveraineté. Soit qu'on n'est pas
souverain ou qu'on n'exerce pas notre souveraineté.
M. de Bellefeuille: Très brièvement, M. Cameron,
c'est un point très intéressant que vous mentionnez là
pour ce qui est du domaine international. Le gouvernement actuel du
Québec, comme jusqu'à un certain point les gouvernements qui
l'ont précédé, revendique pour le Québec des
compétences internationales à deux titres: d'abord, les domaines
de compétence provinciale selon la constitution actuelle;
deuxièmement, comme porte-parole de l'un des deux partenaires majeurs de
la Confédération, d'un des deux membres de la dualité
canadienne fondamentale, comme foyer national des francophones du Canada. A ces
deux titres, nous revendiquons des responsabilités, des
compétences internationales et nous n'avons aucunement l'intention de
lâcher prise là-dessus, même si Ottawa, au cours des
dernières années, a multiplié les obstacles.
Là-dessus, nous sommes d'accord quant au principe que les provinces
doivent pouvoir agir dans le domaine international; dans le cas du
Québec, pour les deux raisons que j'ai mentionnées. Il est bien
sûr qu'un de aspects du coup de force des libéraux d'Ottawa serait
de compromettre cette action internationale du Québec plus encore
qu'elle n'est déjà compromise. Je vous remercie, M. Cameron.
M. Cameron: Oui, vous le revendiquez, mais est-ce que, dans le
fond, elle ne vous
appartient pas déjà, cette souveraineté?
M. de Bellefeuille: Oui, nous l'exerçons dans toute la
mesure du possible, je vous l'assure.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay.
M. Dussault: Merci, Mme la Présidente. J'en ai pour
très peu de temps. Je pense que la participation de M. Cameron a
été intéressante et qu'il faut des gens pour faire valoir
des utopies, ne serait-ce que pour s'assurer que toutes les idées sont
dans l'air, parce qu'on sait que c'est à travers toutes les idées
qu'on peut faire des choix. Je pense que c'est dans la jeunesse et, même
si je ne me considère pas comme très vieux, je pense qu'à
l'âge de M. Cameron, j'ai eu aussi mes utopies.
M. Cameron: Je suis peut-être plus vieux que vous.
M. Dussault: Malheureusement, le temps a fait en sorte que je les
perde. Peut-être que d'autres pourront les reprendre. J'aimerais savoir
pour ma curiosité^ si ce n'est pas indiscret, M. Cameron, comment vous
gagnez votre vie.
M. Cameron: Je suis traducteur pigiste et chansonnier.
M. Dussault: Traducteur...
M. Cameron: Pigiste et chansonnier.
M. Dussault: Merci.
Mme LeBlanc-Bantey: C'est pour ça qu'il est
poète.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. Cameron, au nom de
la commission parlementaire de la présidence du conseil et de la
constitution, d'avoir bien voulu participer à nos travaux.
M. Cameron: Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous avons
épuisé l'ordre du jour. Avant d'ajourner cette commission, je
rappellerai que nous avons un avis demandant à la commission de
siéger mercredi prochain, le 11 février, à 10 heures. On
me dit qu'ils sont très nombreux les groupes qui ont demandé
à être entendus mercredi prochain. Parmi les groupes que le leader
du gouvernement a retenus pour mercredi prochain, ont été
invités le Conseil de la langue française; le Positive Action; le
Regroupement pour les droits politiques du Québec; la Ligue d'action
nationale; la CSN; la Société Makivik.
M. Rivest: Mme la Présidente... La Présidente
(Mme Cuerrier): Oui.
M. Rivest: ... j'aurais une question d'information. On a
reçu cet avis hier, je crois. Il avait été convenu au
départ que cette commission-ci ne siégerait que trois jours. Je
ne veux pas empêcher les autres groupes de se présenter, mais
à un moment donné il faudra qu'il y ait une certaine limite. Je
voudrais demander à la présidence si elle a vérifié
le caractère réglementaire des personnes ou des groupes qui
veulent être entendus. Est-ce qu'une date limite est fixée, date
que les groupes ou les personnes qui veulent se faire entendre devant cette
commission devront respecter? On ne peut pas continuer indéfiniment. Je
ne sais pas si la présidence s'est informée s'il y en avait une
au moment de la convocation par l'Assemblée nationale de cette
commission. Il me semble qu'il faudrait peut-être vérifier la
régularité. Je n'ai pas d'objection à la séance de
mercredi, mais vous venez de dire qu'il y a plusieurs autres groupes. Je
voudrais bien que nous puissions ensemble convenir d'une certaine organisation
du travail parce qu'on ne peut pas prolonger indéfiniment. Surtout que,
dans l'ensemble, beaucoup de mémoires ont dit qu'ils étaient
contre le rapatriement unilatéral. Les mémoires sont assez
répétitifs, vous savez.
M. de Bellefeuille: Nous sommes curieux, nous attendons celui qui
dira qu'il est pour.
M. Rivest: S'il y en a un, il faudrait peut-être faire un
appel à tous.
M. de Bellefeuille: Un appel à la population.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous vérifierons,
bien sûr...
M. Rivest: II sera très bien accueilli, qu'il ne craigne
rien.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous vérifierons
très certainement. Ce n'est pas mon rôle actuellement. Nous
vérifierons aussi quel était le libellé de l'invitation
dans la Gazette officielle du Québec. Sur ce, la commission de la
présidence du conseil, ayant terminé ses travaux pour
aujourd'hui, les ajourne à mercredi, le 11 février, à 10
heures.
(Fin de la séance à 19 h 14)