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Présidente. Pendant les minutes que j'ai à ma disposition,
je voudrais très rapidement, dans un premier temps, rappeler les faits
qui nous ont conduits à cette séance de la commission
parlementaire aujourd'hui, ensuite tirer quelques leçons des
événements des derniers mois et finalement m'interroger sur
certaines perspectives d'avenir et de la sorte peut-être préparer
les interventions des personnes et des groupes qui viendront nous
rencontrer.
En ce qui concerne les faits, j'ai déjà eu l'occasion, au
mois de décembre, d'en parler. Je vais simplement les
énumérer, sans trop de commentaires. Je parle des faits des sept
ou huit derniers mois, parce que c'est à partir de ces sept ou huit
derniers mois que nous avons vécu l'expérience du coup de force
fédéral que nous connaissons aujourd'hui.
Il y a tout d'abord eu - évidemment, tout le monde s'en souvient
- pendant le référendum, une intervention remarquée du
premier ministre fédéral qui, à toutes fins utiles, a dit
qu'un non au référendum voulait dire, en réalité,
un oui à un changement qui conviendrait aux besoins des
Québécois. En tout cas, c'est l'impression que les gens ont
retenue. Cette intervention - comme j'ai dit au mois de décembre et je
peux le répéter aujourd'hui - je pense, a été assez
déterminante pour une portion de la population québécoise.
Donc, elle a eu une influence.
Il s'ensuivit, tout de suite après le référendum,
une série de conférences constitutionnelles, d'abord au niveau
des premiers ministres au milieu de juin, suivies pendant tout
l'été, au niveau des ministres, de rencontres au cours desquelles
on a étudié un ordre du jour comportant douze sujets et
éventuellement un treizième qui a été ajouté
en cours de route. Cela a été des négociations, on s'en
souvient, extrêmement intensives. Ce furent les plus intensives, je
pense, de toute l'histoire de la fédération canadienne, en ce
sens que pendant l'été on a passé quatre semaines,
à raison de trois jours et demi par semaine, matin, midi et parfois le
soir, à discuter des questions de l'ordre du jour. J'étais
accompagné à l'époque par deux collègues du
gouvernement, M. Charron et M. Marc-André Bédard.
Au cours de ces discussions de l'été dernier, autre fait,
un événement s'est produit qu'il est quand même assez
important de noter, c'est qu'en ce qui concerne l'ensemble des provinces on en
est arrivé, particulièrement à la fin du mois d'août
et au début de septembre - et cela s'est confirmé au début
de septembre à la réunion des premiers ministres qui a
été télévisée pendant cinq jours - à
la constitution d'un front commun non pas sur les douze points de l'ordre du
jour, bien sûr, mais sur sept ou huit ou neuf de ces points, de sorte que
cette position commune des provinces a été
présentée au premier ministre du Canada qui, on le sait
maintenant, l'a refusée, ce qui a fait que la conférence, le
samedi 13 septembre, s'est terminée - tout le monde l'a vu à la
télévision - par un échec.
L'échec a conduit ensuite à l'annonce à la
télévision, le 2 octobre, d'un coup de force
fédéral, c'est-à-dire par la présentation, qui est
maintenant discutée en comité à Ottawa, d'une
résolution fédérale qui comportait d'abord, bien
sûr, le souhait de rapatrier la constitution canadienne qui est
maintenant une loi britannique; deuxièmement, une procédure quant
à une formule d'amendement; troisièmement, surtout, une charte
des droits extrêmement longue et extrêmement lourde de
conséquences en ce qui a trait aux compétences des provinces. Au
début d'octobre, quand cela a été présenté,
il semblait bien que l'opinion publique - c'est un autre fait à noter -
dans l'ensemble du Canada, probablement aussi au Québec, était,
je pense, acquise d'avance à l'idée que le contenu de la
proposition fédérale pouvait être acceptable. Du
côté d'Ottawa on s'est un peu laissé devenir victime de
l'illusion qui consistait à croire qu'on pourrait très
rapidement, c'est-à-dire pour le mois de décembre, non seulement
adopter à Ottawa cette résolution, mais aussi la transmettre
à Londres. Il y a un élément ici qu'il ne faut jamais
oublier, c'est le facteur temps. Pendant l'été, au niveau des
provinces, on s'est posé beaucoup de questions; on s'est dit: Pourquoi
il y a une telle insistance à faire aussi rapidement ce travail qu'on
nous propose avec les douze points à l'ordre du jour? Maintenant, on se
rend compte que le facteur temps était un élément capital
de la stratégie d'Ottawa pour en arriver à la réalisation
du coup de force qu'on connaît maintenant, sauf, comme on l'a vu par la
suite, que l'élément temps s'est tourné contre les
représentants fédéraux et, finalement, il semble bien que
maintenant le temps soit un de leurs handicaps les plus sérieux puisque
ce temps a permis à la population canadienne et québécoise
de se rendre compte du contenu de ce coup de force.
Ce qui s'est produit par la suite, c'est que les provinces n'ont pas
laissé ce coup de force se perpétrer sans intervenir,
d'où, le 14 octobre, réunion des premiers ministres des provinces
à Toronto. Au sortir de cette réunion - on l'a vu par la suite -
six provinces ont décidé - et je parlerai tantôt plus
particulièrement de ce que le Québec a fait - de contester devant
les tribunaux la légalité du geste fédéral. Ici,
j'introduis tout de suite une distinction fondamentale, c'est qu'au point de
départ le contenu du coup de force fédéral est
inacceptable politiquement. En plus de ça, non seulement il est
inacceptable politiquement, mais il a toutes les chances du monde, selon
nous, d'être illégal, en tout cas quant à certains de ses
aspects essentiels. Même s'il était légal, il serait
inacceptable. En plus de ça, il est peut-être illégal.
Alors, les provinces ont voulu savoir ce qui se passerait si on posait
la question à des tribunaux; c'est pour ça que des causes ont
été inscrites dans des cours d'appel du Manitoba - où le
jugement est imminent - de Terre-Neuve et du Québec. En somme, neuf ou
dix questions, dont trois au Manitoba, ont été posées aux
juges, à propos desquelles on aura des réponses, soit dans les
jours qui viennent, très prochainement en ce qui concerne le Manitoba,
et dans les mois qui viennent en ce qui concerne Terre-Neuve et le
Québec.
Les provinces ont donc décidé d'agir, au plan suivant. Je
viens de parler des cours de justice. Elles ont aussi décidé
d'agir chacune à leur façon au niveau de leur Assemblée
législative ou nationale, pour le Québec. Elles ont
également décidé d'agir au niveau de la population et
certaines d'entre elles ont aussi pensé à se présenter
devant le comité mixte fédéral pour faire valoir leur
opposition. En plus de ça, bien sûr, les provinces ont fait valoir
leur point de vue à Londres.
Maintenant, je parle plus particulièrement du Québec. Au
Québec, le premier geste a été cette rencontre avec les
provinces et la décision d'aller devant les tribunaux. La
deuxième décision a été de saisir
l'Assemblée nationale d'une résolution qu'on espérait
unanime, résolution très neutre quant à sa formulation,
qui ne devait pas, à notre avis, à l'époque, créer
de problèmes de partisanerie politique. Malheureusement, je le
déplore aujourd'hui, tout le monde s'en souvient, je pense que c'est un
événement majeur des mois qui viennent de s'écouler, nous
n'avons pas eu l'unanimité à Québec, le parti principal de
l'Opposition refusant de se joindre aux autres partis et au gouvernement donc,
quant au contenu de cette résolution. Elle s'opposait, on s'en
souviendra, au coup de force fédéral et demandait au gouvernement
britannique de ne pas - pour prendre une expression connue maintenant -se
laisser avoir dans le processus engagé par le gouvernement central.
En plus de l'action devant l'Assemblée nationale, qui a
continué et qui a résulté dans la commission que nous
avons aujourd'hui - ç'a été une autre décision,
celle-là - nous avons également entrepris d'informer la
population du Québec sur les conséquences de ce coup de force
fédéral, d'où l'information radiodiffusée,
télévisée et dans les journaux, qu'on a connue à la
fin du mois de novembre et pendant le mois de décembre, qu'on
connaît maintenant parce qu'on a décidé de continuer
à cause de la gravité de la situation.
On a ensuite maintenu une coopération constante avec les autres
provinces, constante au point où, parfois, deux fois par semaine, on a
des conférences téléphoniques de ministres chargés
du dossier constitutionnel pour faire le point. Il y a encore une dizaine de
jours, il y a eu deux semaines hier, on se réunissait à
Montréal pour établir notre action dans les semaines qui
viennent.
Donc, action et coopération du Québec avec les autres
provinces. On a aussi mené, à Londres, une campagne, je dirais,
de sensibilisation auprès des milieux britanniques; parce que, qu'on le
veuille ou non, c'est à ce genre d'humiliation que nous conduit le coup
de force fédéral. On est obligé de recourir à un
Parlement étranger pour le convaincre de ne pas faire, lui, chez lui, ce
que les libéraux fédéraux n'ont pas le droit de faire
à Ottawa. Je vais revenir sur ce point tout à l'heure, puisqu'on
a le rapport maintenant du comité britannique qui s'est penché
sur la question.
Autres faits: En plus de l'action du Québec et de l'action des
autres provinces, on a vu que l'opinion publique évoluait. De favorable
qu'elle semblait être au contenu de l'action fédérale, au
début, elle a maintenant évolué pour devenir
défavorable. Plus de 60% de la population de l'ensemble du Canada
maintenant, en tout cas d'après les derniers sondages Gallup, s'oppose
au coup de force fédéral. Je pense qu'il y avait une côte
à remonter, elle a été remontée. Et au
Québec aussi, on avait une côte à remonter. Le gouvernement
fédéral, les libéraux fédéraux utilisaient
une argumentation tout à fait tronquée pour justifier leur geste
auprès de la population canadienne, mais surtout auprès des
Britanniques. Ils disaient essentiellement ceci: Nous devons procéder
comme nous le faisons, parce que nous l'avons promis aux
Québécois au moment du référendum. Or, vous vous
souvenez tout le monde qu'au moment du référendum, il n'a
été question, à aucun moment, d'agir de la façon
dont le gouvernement fédéral a agi. (10 h 45)
Donc, premier accroc à la vérité. Deuxième,
on a dit: Nous nous sommes engagés à faire - c'est toujours le
gouvernement fédéral qui parle - des changements constitutionnels
majeurs, c'est dans notre mandat électoral de février 1980 lors
de élection fédérale. On se souvient qu'au moment de
l'élection fédérale, en février 1980, s'il y a un
dossier qui n'a pas été abordé, c'est celui de la
révision constitutionnelle.
Nous avons, auprès des Britanniques, à qui Ottawa servait
cet argument-là, montré que c'était un argument mensonger.
Par la suite - je reviens aux faits - Ottawa a présenté des
amendements à son projet de
charte et à sa démarche et ces amendements n'ont fait
qu'aggraver les choses. J'ai fait transmettre à la tribune de la presse
et à ceux qui le voulaient les commentaires et la réaction du
Québec à ces amendements il y a maintenant quelques jours,
plusieurs jours, et cela ne fait que rendre les choses pires que ce qu'elles
étaient avant, à notre point de vue.
Il y a eu cependant un événement majeur qui vient de se
produire. Le comité des affaires étrangères britannique a
rendu son rapport public. Nous l'avons maintenant. On l'a fait distribuer
à chaque membre de la commission. Il confirme que l'approche
fédérale est profondément inacceptable, ce qui veut dire
que, dans la perspective d'une sorte de lutte politique dans laquelle se sont
engagés les libéraux fédéraux, les Britanniques
n'acceptent pas, du moins d'après ce rapport qui n'engage pas le
gouvernement, mais qui a quand même un poids politique majeur, de faire
à Londres ce que les libéraux fédéraux ne peuvent
pas faire ici, au Canada. On a la confirmation de cela, le texte est ici devant
nous.
Il y aura, comme je l'ai dit aussi, finalement la réponse du
tribunal du Manitoba incessamment. Je vous rappelle à cet égard
que le gouvernement central a toujours prétendu que son geste
était totalement légal. Nous allons voir si tel est le cas.
Maintenant, il y a plusieurs leçons, mais je voudrais en tirer
une - c'est mon deuxième point - pour ce qui concerne le comportement
des libéraux fédéraux. Dans toute cette affaire, ils ont
un triple objectif. Le premier, c'est qu'ils ont tenté d'établir
définitivement la domination d'Ottawa sur les provinces. Le
deuxième, c'est qu'ils ont tenté de mettre une fois pour toutes
le Québec à sa place. Le troisième, qui est
évident, c'est qu'ils ont tenté de torpiller la politique
linguistique du Québec et, par conséquent, d'intervenir pour ce
faire dans un domaine de compétence québécoise exclusive
pour empêcher le Québec de protéger et de promouvoir le
français comme il l'entend. Ce triple objectif est évident tout
le long de leur démarche. C'est un objectif qu'ils ont le droit d'avoir,
mais il faut quand même se rendre compte qu'il existe.
Les libéraux fédéraux ont aussi fondé toute
leur politique constitutionnelle sur le cynisme et le mépris de la
vérité. Le cynisme, on l'a vu dans la divulgation d'un document
de stratégie, document secret, au mois de septembre dernier. On
s'attendait qu'il y ait un échec et on avait prévu, à
toutes fins utiles, un coup de force qu'on précisait d'ailleurs en
détail dans le texte. Cynisme et aussi mépris de la
vérité! Mépris de la vérité d'abord au
référendum, quand on a dit qu'un non voulait dire oui. On a
promis aux Québécois un changement qui conviendrait aux
Québécois. On sait maintenant que c'est faux. Mépris de la
vérité aussi, semble-t-il - c'est ce qui commence à sortir
ces jours-ci, à Ottawa -par rapport aux Britanniques dont les
libéraux fédéraux ont besoin ou il semblerait - on va le
voir plus précisément dans les jours qui viennent - qu'on n'ait
pas vraiment expliqué à la Grande-Bretagne de quoi il retournait;
mépris aussi de la vérité par rapport aux Canadiens et aux
Québécois parce qu'on ne leur a pas dit ce qu'on savait
dès le mois de novembre ou de décembre, semble-t-il, à
Ottawa, c'est-à-dire que le coup de force des libéraux
fédéraux avait de l'opposition auprès du gouvernement
britannique.
Aussi, une troisième leçon. Les libéraux
fédéraux, au fond, ne semblent pas vouloir de véritable
révision constitutionnelle, encore moins, j'imagine, de
fédéralisme renouvelé, parce que ce qu'on évite au
plus haut point, c'est justement la question du partage des pouvoirs et on
s'efforce de poser le problème en des termes qui, s'ils étaient
réalisés, conduiraient à ce que j'ai mentionné
tantôt comme ce triple objectif: la domination d'Ottawa sur les
provinces, mettre le Québec à sa place et torpiller la politique
linguistique du Québec. C'est assez dur, ce que je dis là, mais,
au fond, je ne fais ici en commission parlementaire que répéter
ce qui semble - à mon avis, en tout cas, et de l'avis de pas mal de
monde - être une déduction pas nécessairement très
sophistiquée qu'on peut tirer de l'examen des
événements.
En ce qui concerne le projet de coup de force fédéral
lui-même et son contenu, il était d'une part assez mal parti et on
semble aujourd'hui de plus en plus être sûr qu'il va mal arriver,
sauf que c'est l'effort conjugué de pas mal de monde, c'est l'effort
conjugué des provinces et la détermination que le gouvernement du
Québec a fait valoir - et je l'affirme de façon absolue - qui
sont en grande partie responsables avec, bien sûr, l'opinion publique et
des difficultés qu'heureusement rencontrent sur leur trajet cynique les
libéraux fédéraux.
Ce sont donc les faits et quelques leçons à tirer des
faits que je viens de vous énoncer. Maintenant, que reste-t-il à
faire? Deux mots là-dessus avant que je cède la parole au chef de
l'Opposition. Sur le fond, sur la démarche, on n'aurait pas dit cela il
y a quatre mois, mais maintenant il semble qu'au Québec, en tout cas,
sinon l'unanimité, du moins la vaste majorité de la population
est en train de devenir d'accord qu'il ne faut pas se faire avoir et je pense
que les gens ont décidé qu'on ne se ferait pas avoir. Par
conséquent, les intervenants pourraient utilement nous guider non
seulement sur le contenu de ce coup de force fédéral, mais sur
les orientations qui peuvent s'ouvrir
maintenant à nous du gouvernement du Québec et à
nous Québécois devant l'impasse constitutionnelle
invraisemblable, devant cet écheveau absolument imprévisible dans
lequel les libéraux fédéraux ont mis l'ensemble du Canada
et le Québec en particulier. Ce sont eux les responsables de la
situation, ce sont eux qui ont fait que les Canadiens, au cours des derniers
mois, alors qu'il y a pas mal d'autres problèmes importants à
résoudre, ont été obligés de consacrer, ne
serait-ce que pour éteindre le feu qu'ils avaient allumé, de
l'énergie, du temps et de l'argent aussi à combattre un
invraisemblable projet.
Devant cela, quelles sont les avenues qui s'ouvrent à nous? Nous
avons déjà publiquement dit - et je le répète, cela
fait même partie de notre campagne d'information, c'est évident -
que nous sommes, comme gouvernement, disposés à retourner
à la table de négociation. Nous avons demandé et nous
demandons encore au gouvernement central, aux libéraux
fédéraux, de revenir à la table de négociation, le
point de départ étant - je pense que tout le monde va être
d'accord là-dessus - ce consensus auquel les provinces étaient
arrivées à la fin du mois d'août dernier et au début
de septembre.
Mais il y a peut-être d'autres possibilités, il y a
peut-être d'autres priorités. Je vais terminer simplement en
disant, pour ceux qui interviendront aujourd'hui et dans les jours qui
viennent, que cela nous intéresserait, nous du gouvernement et
probablement aussi ceux de l'Opposition, d'entendre les suggestions qu'on
pourrait nous faire quant aux moyens non pas d'aller résoudre un
problème qu'Ottawa a lui-même posé, en somme, prendre la
responsabilité, nous, de la situation inacceptable dans laquelle tout le
Canada se trouve maintenant à cause des libéraux
fédéraux, mais, malgré tout, au-delà de cela, de
voir, une fois que la brume sera tombée, quel cheminement pourrait
suivre le Québec pour progresser dans la voie de l'acquisition des
pouvoirs qui lui manquent encore et qui sont nombreux à cet
égard. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Claude Ryan
M. Ryan: Mme la Présidente, je voudrais d'abord signaler
que c'est la première fois, à ma connaissance, que les travaux
d'une commission parlementaire sont télédiffusés.
La Présidente (Mme Cuerrier): De ce genre-ci, oui. Mais
pas les autres commissions.
M. Ryan: Tout en me réjouissant de cet
événement, je voudrais regretter le contexte partisan et
unilatéral dans lequel la décision de procéder aujourd'hui
a été prise. Jusqu'à maintenant, toutes les
décisions relatives à la télédiffusion des
débats de l'Assemblée nationale avaient été prises
à l'unanimité, avec l'accord de tous les partis. Par
conséquent...
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous demanderais quand
même de faire vos commentaires sur le mandat de la commission
d'aujourd'hui. Bien sûr, il ne faudrait pas utiliser tout le temps que
vous avez pour faire cela.
M. Ryan: Madame, nous discutons justement d'un geste, d'une
initiative qui procède d'un esprit d'unilatéralisme à
Ottawa. Je voudrais signaler que l'unilatéralisme n'est pas la faiblesse
d'un seul gouvernement, mais la tentation de tous les gouvernements. Dans ce
cas-ci, on a sauté des étapes pour satisfaire les
intérêts électoralistes du gouvernement, et je tiens
à enregistrer ma protestation sur la manière dont cette
décision a été prise, contrairement à toutes les
habitudes suivies jusqu'à maintenant. Ceci étant dit...
La Présidente (Mme Cuerrier): J'allais vous rappeler, M.
le chef de l'Opposition officielle, qu'il y a toujours des moyens, au niveau de
la commission parlementaire qui est maîtresse de ses travaux... Elle
pourrait toujours, même aujourd'hui, proposer le huis clos si elle le
désirait, vous savez. On pourrait débattre cette question.
M. Ryan: Ce que je veux souligner, c'est que la manière
dont la décision a été prise..
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est le règlement
qui nous permet de faire cela.
M. Ryan: ... consiste à laisser entre les mains du leader
du gouvernement toute la responsabilité dans une affaire comme
celle-là. Cela veut dire, si on suivait la logique observée pour
cette décision-ci, qu'à l'avenir, le leader du gouvernement aura
l'autorité pour décider seul lesquelles des commissions verront
leurs travaux télédiffusés et lesquelles
échapperont à ce moyen de communications. C'est là-dessus
que nous en avons. Nous croyons qu'on fait un précédent, cette
fois-ci, qui peut avoir des implications très dangereuses. Je voulais le
signaler avec le plus de clarté possible.
La Présidente (Mme Cuerrier): À ce propos, de toute
façon, M. le chef de l'Opposition officielle, je vous dirai que quand la
télévision des débats est arrivée à
l'Assemblée nationale, il y avait eu une résolution de
l'Assemblée nationale demandant au président de le faire. Moi,
j'ai présidé l'Assemblée nationale et, un jour, la
télévision est arrivée et j'ai travaillé de la
même façon. Quand les questions avec débat sont
arrivées, j'ai présidé régulièrement des
commissions sur des questions avec débat et, un jour, elles ont
été télédiffusées et j'ai continué
à faire le même travail.
Aujourd'hui, la télévision est arrivée. J'ai
présidé souvent des commissions comme celle-ci et, à moins
que vous ne vouliez intervenir par l'article 147 de notre règlement qui
propose le huis clos, je vous demanderais de faire vos commentaires quant au
mandat de la commission d'aujourd'hui.
M. Ryan: ...que nous pourrons reprendre ce débat dans un
autre forum. Je tenais à inscrire ma dissidence quant à la
manière dont on a procédé. Je vais maintenant continuer en
abordant les questions qui se rattachent immédiatement au mandat de
cette commission.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous avez la parole.
M. Ryan: Avec votre bienveillante permission, Mme la
Présidente, je vous demanderais de me donner un petit peu de temps,
parce que, là, nous venons de perdre dix minutes à propos de
cette incident-ci et je ne voudrais pas que ça compte parmi...
La Présidente (Mme Cuerrier): Trois ou quatre
minutes...
M. Ryan: ...les minutes que vous m'avez accordées pour le
fond du problème.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous ferai remarquer que
ce n'est pas moi qui l'ai abordé. De toute façon, je tiendrai
compte de cette intervention.
M. Ryan: C'est très bien. Le ministre des Affaires
intergouvernementales, dans son discours d'introduction, a résumé
les évévements des derniers mois. Je n'entends pas
répéter les choses qu'il a dites. Je vais essayer d'aller
au-delà de ce qu'il a dit sur certains points; peut-être
même m'arrivera-t-il d'être d'accord avec lui sur d'autres points.
Nous verrons en cours de route.
Je l'entendais parler - une simple remarque préliminaire - du
coup de force fédéral. J'ai remarqué que, vers la fin de
son intervention, il était déjà plus nuancé. Il
parlait du projet de coup de force fédéral. Je pense qu'il faut
signaler, en toute vérité, qu'un coup de force, c'est une mesure
qui vous est imposée d'autorité, sans que vous ne puissiez rien
faire pour l'arrêter ou pour en empêcher l'exécution.
Tandis, qu'ici, nous sommes en face d'un projet mis de l'avant par le
gouvernement fédéral, longuement discuté au parlement
fédéral, et devant lequel nous avons un très grand nombre
de recours possible. On peut être en désaccord avec le
gouvernement fédéral. Nous le sommes, de notre côté.
Mais de là à dire que c'est un coup de force avec tout ce que
cela implique, je pense qu'il y a quand même une limite.
Vous parliez tantôt, M. le ministre, de respect de la
vérité. Je pense qu'il faut le pratiquer sur toute la ligne. Dans
ce cas-ci, nous sommes en faveur de parler d'un projet inacceptable, mais qui
n'est pas encore rendu à l'état de coup de force. S'il avait
été possible de le réaliser jusqu'à la fin, de le
mettre en oeuvre, concrètement, là, on serait en présence
d'un coup de force. Actuellement, on est en présence d'un projet qui est
inacceptable. (11 heures)
Vous avez parlé de la résolution qui a été
présentée par le gouvernement à l'Assemblée
nationale, en novembre dernier. Je relisais, ce matin, en m'en venant de
Montréal, le projet de résolution dûment amendé que
l'Opposition avait soumis au gouvernement et le gouvernement a voté
contre ce projet de résolution dûment amendé,
conformément au voeu exprimé par la population à
l'occasion du référendum. Si le gouvernement avait
réellement voulu l'unité dans ces questions, il aurait
été très facile de l'obtenir et j'invite le ministre
à relire les amendements que nous avions proposés avec deux ou
trois mois de recul; il s'apercevra que c'étaient des amendements
extrêmement raisonnables.
Ceci étant dit, je considère que les développements
les plus importants qui sont survenus depuis nos dernières rencontres du
mois de décembre sont sans doute les suivants. D'abord, il y a eu le
dépôt au Parlement par le gouvernement canadien de ses amendements
au projet de résolution, des amendements très nombreux qui
modifient le projet sur plusieurs points qui, en particulier, en matière
de droits fondamentaux, contiennent plusieurs des garanties qui faisaient
défaut dans le projet initial. Cela ne change pas les objections que
nous avons à l'encontre du caractère unilatéral de la
démarche fédérale, mais je pense que tous les observateurs
sérieux et impartiaux conviennent que cette partie du projet
fédéral a été grandement améliorée
par les amendements qu'a déposés le gouvernement au début
de la présente année.
En matière de droits linguistiques, je pense que le projet
fédéral multiplie les complications au lieu de les amenuiser et
de les éliminer. En matière de procédure
référendaire, il y a certains assouplissements qui sont contenus
dans le projet fédéral qui ne rendent pas le principe même
d'un
référendum invocable à perpétuité
acceptable pour nous mais, quand même, il y a certains assouplissements
qu'on peut noter en toute bonne foi. Ceci étant dit, le projet, dans son
ensemble, demeure inacceptable aux yeux de l'Opposition officielle pour les
raisons que nous avons énoncées à maintes reprises,
surtout en raison de son caractère unilatéral et de l'absence,
par conséquent, d'un accord raisonnable entre les provinces et le
gouvernement fédéral.
Deuxième développement majeur que le ministre a
souligné et dont je suis heureux de parler à mon tour pendant
quelques minutes: le rapport du Foreign Affaire Committee de la Chambre des
communes britannique. J'ai eu l'occasion, au cours de la fin de semaine, de
prendre connaissance du texte du rapport que le ministre a eu la bienveillance
de nous faire tenir dès qu'il l'a reçu à Québec, et
je l'en remercie. Ainsi que je le disais à une réunion de mon
parti dimanche dernier, j'ai été très agréablement
impressionné par la haute qualité intellectuelle de ce document
dont je voudrais très brièvement résumer les principes
essentiels parce que, plus tard, j'aimerais beaucoup suggérer que la
commission parlementaire que nous formons exprime son adhésion à
l'endroit de ces principes. Je les résume comme ceci, suivant la lecture
que j'en ai faite.
D'abord, le Canada n'est pas seulement le gouvernement
fédéral, c'est le gouvernement fédéral plus les
provinces. Cela avait déjà été dit clairement par
la Cour suprême dans son opinion sur la validité d'un projet de
loi remontant à une couple d'années et touchant la modification
du Sénat canadien. Le Foreign Affaire Committee de la Chambre des
communes britannique exprime clairement cette vérité qui, pour
nous, est une vérité d'évidence.
Deuxièmement, l'intervention du
Parlement britannique dans cette affaire ne peut pas être
assimilée à l'intervention d'une puissance
étrangère dans les affaires du Canada, pour la raison suivante:
cette intervention fait partie, est un élément constitutif du
système constitutionnel canadien et ceci, de par la volonté
même des éléments qui constituent la
fédération canadienne, c'est-à-dire le Parlement
fédéral et les provinces. Quand on a adopté le statut de
Westminster, en 1931, les gouvernements du Canada, gouvernement
fédéral et provinces, ont insisté pour qu'on inscrive dans
le statut de Westminster un article spécial prévoyant que ce
statut ne devait, en aucune manière, entraîner la
possibilité d'amendement aux lois et à la constitution du Canada
comme elles existaient à ce moment-là. C'est par
conséquent à notre demande que le Parlement britannique continue
à avoir un rôle dans les affaires constitutionnelles canadiennes,
ce n'est pas du tout parce qu'ils veulent s'ingérer dans nos affaires et
on peut sentir, en lisant le rapport du Foreign Affairs Committee, qu'ils
seraient très soulagés de ne plus avoir à se mêler
de nos affaires.
Troisièmement, on a laissé entendre dans certains milieux
que le Parlement britannique n'avait à intervenir que d'une
manière pour ainsi dire automatique dans les affaires constitutionnelles
canadiennes soumises à son attention. Le comité du Parlement
britannique souligne avec raison que le rôle du Parlement britannique,
c'est plus que ça, c'est un rôle de fiduciaire, c'est un
rôle de mandataire et non pas simplement un rôle de maître de
poste. S'il avait dû s'agir uniquement d'un rôle de maître de
poste, on n'aurait pas eu à faire inscrire dans le statut de Westminster
l'article spécial dont je parlais tantôt.
Ce rôle de fiduciaire ne donne pas au Parlement britannique
l'autorité voulue pour se prononcer sur le contenu des propositions qui
peuvent être soumises à son attention. C'est évident que ce
sont là des matières qui relèvent de la
souveraineté canadienne, mais il lui appartient de vérifier la
convenance des voies par lesquelles un projet lui est soumis. Il faut qu'il
s'assure, étant donné la responsabilité de fidicuaire
qu'il a à l'endroit de tout le peuple canadien, qu'une requête
dont il a à disposer soit conforme à la volonté clairement
exprimée du peuple canadien. C'est sa responsabilité de
fiduciaire. Il n'a pas à dire: Ce projet-ci est bon ou n'est pas bon,
mais il a à s'assurer que le projet reflète la volonté
clairement exprimée de la population canadienne.
Lorsqu'il intervient, il doit le faire -c'est lui qui le dit, nous
sommes parfaitement d'accord là-dessus - d'une manière qui soit
consistante avec la nature fédérale du système politique
canadien. Je pense que ceci résume ce document magistral, il faut le
dire, très bien fait, très fouillé, qui a
été livré à la Chambre des communes britanniques
par le comité spécial chargé de l'étude des
questions de politique étrangère; je pense qu'il faut l'inscrire
comme un développement majeur des derniers mois.
En plus de ça, il y a bien d'autres événements
particuliers qui sont survenus, mais je pense qu'on peut en faire grâce
aux membres de cette commission pour l'instant. Ce que je suis enclin à
conclure pour l'instant - je tire des conclusions assez différentes de
celles que proposait tantôt le ministre des Affaires
intergouvernementales -c'est que je crois que la cause a été
abondamment entendue au Québec au cours des derniers mois. Sur le fond,
il y a accord entre les grandes formations politiques, et je ne sais pas si je
pourrais dire la plupart des organisations qui ont été
appelées à se prononcer sur le sujet ou qui pourraient
l'être, mais, en tout cas, dans les opinions que nous avons
entendues un peu partout à travers le Québec; je pense qu'un
consensus assez répandu va dans le sens d'un jugement considérant
le projet fédéral comme inacceptable dans sa forme actuelle et le
select committee de la Chambre des communes britanniques vient de
résumer, d'une manière excellente, les arguments qui ont
été invoqués à l'encontre du projet. Au stade
où nous en sommes, je crois sincèrement que nous n'avons pas
beaucoup de profits à retirer d'un examen interminable des objections
à l'encontre du projet fédéral: elles ont toutes
été entendues et formulées à maintes reprises. Je
suis convaincu que ce que nous entendrons au cours des prochains jours
n'apportera pas beaucoup de neuf en matière d'argumentation. Nous
écouterons avec respect les témoins qui ont été
convoqués par la présidence, mais je pense que vous comprendrez,
nos concitoyens partageront sans doute cette réaction, que l'essentiel a
été dit de ce côté.
Deuxièmement, nous continuons de penser du cûté de
l'Opposition - et je l'avais dit clairement dès le début de
novembre à l'Assemblée nationale - que le projet
fédéral, dans sa forme actuelle, n'a à peu près
aucune chance de se rendre à destination. Déjà, des
obstacles de plus en plus nombreux s'élèvent. Quand j'entends le
ministre des Affaires intergouvernementales s'attribuer le mérite du
point où nous semblons devoir aboutir, je pense que c'est passablement
excessif. Je pense qu'il y a beaucoup de gens, beaucoup de groupes qui ont
travaillé de manière que ce projet-là ne soit pas
accepté, mis en oeuvre dans sa forme actuelle. Je pense qu'il faut
élargir les perspectives quand il s'agit de commencer à
distribuer les mérites.
Le vrai problème, dans la mesure même où le projet
fédéral perd pratiquement toute chance de réalisation
à mesure que les jours passent, redevient celui du renouvellement en
profondeur du fédéralisme canadien et de la direction qu'il
convient d'imprimer au renouvellement de la fédération
canadienne.
Troisième élément très important: nous
sommes maintenant entrés d'une manière certaine - le premier
ministre de la province de Québec l'a confirmé hier - dans une
période immédiatement préélectorale. Dans une
déclaration qu'il faisait hier au CEGEP Édouard-Montpetit,
suivant un compte rendu de la Presse canadienne que reproduit le Soleil
d'aujourd'hui, "le premier ministre René Lévesque a
déclaré qu'il ne voyait plus de raisons pour retarder la tenue
d'élections générales au Québec et qu'elles
seraient appelées bientôt. Il a indiqué que les projets du
fédéral ne pouvaient plus retarder la tenue de
l'élection?
En conséquence, le problème devient à chaque jour
qui passe celui qui consiste à donner à la population du
Québec la chance d'indiquer celui des partis politiques
québécois à qui elle veut confier la direction de ses
affaires au cours des prochaines années et, en particulier, la
responsabilité de faire en sorte que le système
fédéral canadien soit renouvelé en conformité avec
la volonté maintes fois exprimée par la population du
Québec et les nombreux gouvernements qui ont été
appelés à la représenter à cet égard.
Nous sortons, par conséquent, rapidement de la période
où nous étions l'an dernier. Nous sommes à quelques
semaines probablement des élections -et vouloir faire croire à la
population du Québec que l'on pourra procéder dans cette
commission à un examen serein, impartial et objectif des implications
d'un projet qui est déjà, à toutes fins utiles,
voué à l'échec, je pense que c'est demander à la
population un acte de foi passablement excessif. Le plus tôt possible
nous en viendrons à la véritable rencontre, qui est celle que
nous attendons tous depuis que le gouvernement a décidé de
s'accrocher au pouvoir, je pense que nous serons beaucoup plus proche de la
vérité politique dont parlait tantôt le ministre des
Affaires intergouvernementales.
Dans ces conditions, je voudrais vous prévenir, Mme la
Présidente, que je soumettrai à cette commission les deux
recommandations suivantes: d'abord, qu'elle exprime son adhésion aux
recommandations et conclusions contenues dans le rapport du Foreign Affairs
Committee de la Chambre des communes britannique et qu'elle exprime du
même coup son appréciation pour la haute qualité
intellectuelle du rapport publié par ce comité la semaine
dernière. Deuxièmement, j'entends recommander que cette
commission propose que le gouvernement fédéral sursoie à
la mise en oeuvre de tout projet unilatéral de modification de la
constitution canadienne jusqu'à ce que de nouvelles négociations
aient eu lieu avec les provinces au sujet d'une formule acceptable de
rapatriement et d'amendement et que de telles négociations soient
entreprises aussitôt qu'auront eu lieu les élections
générales en Ontario et au Québec.
C'est évident que retourner à la table des
négociations au moment où tout le monde se prépare
fébrilement à se lancer en campagne électorale, ce serait
du plus haut irréalisme. L'Ontario a décidé d'aller en
élection. Je pense qu'une fois que le peuple aura scellé par sa
volonté souveraine le sort de l'élection, en Ontario et au
Québec, nous serons beaucoup mieux placés pour envisager la
reprise de ces négociations, sans lesquelles aucune solution ne peut
être apportée au problème constitutionnel canadien et,
à plus forte raison, au problème découlant du projet du
gouvernement fédéral.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Michel Le Moignan
M. Le Moignan: Mme la Présidente, au nom de notre
formation politique, je dois dire que nous sommes très heureux de la
reprise de cette commission. D'ailleurs, au cours de l'automne, l'Union
Nationale avait demandé un débat d'urgence à
l'Assemblée nationale et nous avions même proposé la
télédiffusion des débats dans le simple but de mieux
sensibiliser le public à l'importance de cette question. Je dois dire
qu'à ce moment-là personne, je pense, ne clamait que la
proposition du gouvernement Trudeau était vouée à
l'échec et, dès les premiers jours, M. Trudeau se
félicitait déjà de sa victoire. Je dis que c'est
très heureux qu'il y ait eu à travers le Québec et
même à travers le Canada certains mouvements de protestation qui
ont donné l'heureux résultat de ralentir l'ardeur du gouvernement
Trudeau qui a tenté de faire adopter son projet de résolution. Au
cours des dernières semaines, il y a tout un éclairage nouveau,
grâce au rapport du Foreign Affairs Committee, certaines
réticences de certains députés libéraux qui
siègent à la Chambre des communes et de nombreux groupes à
travers le Québec et le Canada protestent et apportent tout de
même de très bons arguments. La force des sondages nous indique
que le peuple canadien en général ne veut pas accepter ce projet
de résolution.
Personnellement, je suis très heureux aujourd'hui de voir que
nous avons une occasion peut-être unique de sensibiliser la population.
Les gens ne sont pas encore au fait de tous les détails, parce que,
quand on voyage, quand on rencontre des gens, on voit qu'ils sont loin d'avoir
tout l'éclairage nécessaire et plusieurs disent bien haut:
Cessons donc d'en parler, passons à autre chose. On dirait que les gens
ne sont pas tellement renseignés et la commission que nous tenons cette
semaine aura pour effet de les mieux renseigner.
Quand on a parlé, dès le mois d'octobre, du coup de force
de M. Trudeau, nous l'avions dénoncé à ce
moment-là. Nous n'avons jamais changé d'idée. Nous avions
même demandé la convocation d'urgence de l'Assemblée
nationale et, au mois de décembre, nous avons eu l'occasion, ici
même, pendant deux jours, d'entendre les représentants du
gouvernement, l'ancien juge Pratte, entre autres, et Me Normand qui ont
donné le point de vue du Québec et qui nous ont expliqué
un peu les conséquences néfastes de ce projet de
résolution, si jamais M. Trudeau réussissait à obtenir
gain de cause dans un domaine aussi complexe et aussi sacré, surtout
pour ce qui concerne particulièrement l'avenir du peuple
québécois.
On s'est aperçu que cette sensibilisation du public
dépassait grandement les murs de l'Assemblée nationale. Nous
avons été très heureux en cours de route de voir que de
nombreux groupes se sont donné la main, qu'il y a eu des
pétitions et, finalement, que tout ceci a créé un peu de
gêne à la Chambre des communes alors qu'on mentionnait
dernièrement qu'environ une vingtaine de députés de la
formation libérale à Ottawa n'acceptaient pas, par exemple, le
principe du bilinguisme que l'on voulait imposer au Québec alors qu'on
voulait en dispenser la province de l'Ontario. Je ne veux pas entrer dans ces
détails pour le moment, mais on voit qu'il y a là deux poids,
deux mesures et que le Québec, étant donné sa situation
géographique et historique surtout, quand on pense à toutes les
luttes que nous menons ici depuis 300 ans, ne peut laisser passer
inaperçue une occasion - même si le projet semble voué
à l'échec - pour dételer, une occasion pour dire: Enfin,
la chose va se régler et on va garder le silence au Québec. Je
pense que c'est le moment d'enfoncer les derniers clous afin qu'on ne trouve
pas là-bas d'autres arguments peut-être pour venir affaiblir la
position du Québec et de tous les Québécois et aussi des
francophones qui s'inquiètent également dans les autres provinces
face aux droits linguistiques, entre autres.
Je voudrais maintenant attirer l'attention des membres de cette
commission et du public en général sur des observations des
évêques du Québec. Je crois que c'est très
important, étant donné que tous les groupes
intéressés sont invités à exprimer leur opinion.
Les évêques, sans partisanerie, viennent de publier, ce matin, un
document très important et je voudrais vous faire part de quelques
commentaires. Ce document se termine par une citation de Jean Paul II, des
paroles qu'il prononçait à Rio de Janeiro le 2 juillet 1980, et
je cite: "En servant la cause de la justice, l'Église ne prétend
pas provoquer ou creuser des divisions, exaspérer des conflits ou les
rendre possibles. Au contraire. Par la force de l'Évangile,
l'Église aide à voir et à respecter en chaque homme un
frère. Elle incite au dialogue les personnes, les groupes et les peuples
pour que la justice soit sauvegardée et l'unité
préservée."
Les évêques nous rappellent que déjà, en
1867, à l'occasion de la Confédération, ils
s'étaient prononcés. Ils l'ont fait également au
centenaire, en 1967, et, aujourd'hui, les évêques
considèrent le projet tellement important - on nous le dit ici -
à l'occasion d'un projet d'importance exceptionnelle qu'ils ont
décidé de faire entendre leur voix. Les évêques
insistent sur des points, je pense, qui nous touchent, des points de nature
à faire réfléchir surtout les parlementaires de la Chambre
des communes et du Sénat
canadien. Je pense qu'il y a ici un excellent résumé de
points que nous avons nous-mêmes défendus et que la plupart des
députés aussi de l'Assemblée nationale du Québec
ont fait leur au cours des derniers mois.
Ici, en page 2, les évêques parlent des droits et des
valeurs en cause. Je cite donc: "Qu'il s'agisse des autochtones, de la
communauté anglophone ou de la communauté francophone dans
l'ensemble du Canada, nous estimons que le rapatriement de la constitution ne
devrait nullement restreindre les droits déjà reconnus par l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique et par les tribunaux en ce qui
concerne les valeurs fondamentales humaines et chrétiennes, telles que
le droit à la vie, la liberté de conscience et de religion, les
langues officielles, l'éducation, le respect des minorités, la
promotion humaine, etc. D'autre part, on comprendra que nous accordions une
attention spéciale à ce qui concerne le Québec, où
nous exerçons notre ministère, et à toute la
communauté francophone à laquelle, même en dehors du
Québec, nous sommes unis par des liens historiques." Les
évêques continuent: "Nous ne pouvons être
indifférents aux inquiétudes et aux fortes oppositions
suscitées à travers tout le Canada, et particulièrement au
Québec, par un projet de modification de la constitution du pays. Il
s'agit de droits acquis qui sont menacés, d'un partage des pouvoirs qui
risque de ne pas être équitablement défini, de la
personnalité et du râle historique du Québec et de la
communauté francophone au sein du Canada. Il y a là sans aucun
doute de graves problèmes de justice ainsi que des valeurs essentielles
à sauvegarder si nous voulons, comme c'est notre devoir de
chrétiens, assurer à tous les citoyens de ce pays la
prospérité et la paix." Je pense que les évêques
sont assez explicites sur ce point.
Maintenant, on continue ici, dans un autre paragraphe, où on
parle de la modification de la constitution et de la paix sociale. "Dans la
situation exceptionnellement difficile où nous nous trouvons, nous
sommes convaincus que les hommes politiques doivent s'appliquer avant tout
à la réalisation d'un consensus aussi large que possible. Une
constitution doit exprimer un vouloir vivre collectif et des valeurs
fondamentales acceptées par l'ensemble d'un peuple. "Nous ne voyons pas
comment la paix sociale pourrait être bâtie sur une constitution
qui n'a pas obtenu l'accord des parties contractantes et des grands partenaires
de l'autorité publique. Cette paix serait encore moins possible au
Canada puisque, selon l'esprit de la Confédération et la
tradition juridique, toute modification substantielle de la constitution, pour
des motifs enracinés dans la dualité fondamentale du pays,
requiert l'accord du Québec".
Mme la Présidente, nous avons déjà insisté
sur ces points de vue, en montrant tout ce qu'il y avait de sacré dans
le pacte confédératif, et aussi, en même temps, sur la
nécessité de bien comprendre que le gouvernement
fédéral, que le Parlement du Canada, ne peut, à lui seul,
modifier unilatéralement une constitution qui, en somme, doit être
discutée, doit obtenir l'assentiment de toutes les provinces
canadiennes.
Je vous cite un dernier paragraphe de cette lettre des
évêques: "La solution des problèmes soulevés exigera
une grande prudence et sans doute plus de temps qu'on ne l'avait prévu
tout d'abord. Les divers gouvernements du Canada sont placés dans une
situation historique qui réclame une lucidité, une
générosité et une souplesse plus grandes que jamais. Sous
peine de s'engager dans une impasse, ils devront éviter toute forme
d'obstruction, en particulier celle que pourrait suggérer la recherche
égoïste de certains avantages dans le partage des biens et la
redistribution des revenus."
Quand le gouvernement du Canada nous dit que cela fait 53 ans qu'on
tourne en rond, les évêques, sans insister sur ce point-là,
semblent nous dire qu'il est mieux de prendre encore quelques mois ou quelques
années pour être capables de régler nous-mêmes, ici
au Canada, ces différents problèmes qui nous touchent.
Maintenant, Mme la Présidente, en me référant au
comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, tout le
monde sait, je pense, que l'Union Nationale a été la seule
formation politique à comparaître devant ce comité à
Ottawa, le 17 décembre dernier. Je reprenais à ce
moment-là ce que j'avais déjà affirmé ici, à
l'Assemblée nationale. Je voudrais vous citer simplement un paragraphe
qui résume la position de notre formation politique et qui, en
même temps aussi, rejoint un peu les aspirations et les craintes de la
population du Québec en général.
Je déclarais donc ceci à Ottawa, le 17 décembre
dernier: "Nous sommes convaincus que toute cette question de rapatriement sert
présentement de subterfuge au gouvernement fédéral pour
justifier devant l'opinion publique canadienne et le recours à une
action unilatérale de la part d'Ottawa et la modification
immédiate de la constitution canadienne par un Parlement
étranger, c'est-à-dire le Parlement du Royaume-Uni, sur ces deux
points fondamentaux où il n'y a pas accord entre les deux ordres de
gouvernement à l'heure actuelle, soit l'introduction du
référendum comme formule d'amendement et, deuxièmement,
l'enchâssement d'une charte des droits et des libertés."
Je considère comme fort heureux le fait que ce Parlement
étranger, par la voie du select committee, ait fait preuve de plus
de discernement et de plus de bon sens que nos députés du
Québec qui nous représentent à Ottawa.
Quand on regarde, dans ce paragraphe du Foreign Affairs Committee, ses
conclusions et ses recommandations, il y en a deux, entre autres, qui ne
laissent planer aucun doute. Je veux parler des articles 7 et 8 des
recommandations.
À l'article 7, on dit ceci: "There is no rule, principle or
convention that the United Kingdom Parliament, when requested to enact
constitutional amendements directly affecting Canadian federal-provincial
relations, should accede to that request, only if it is concurred in by all the
provinces directly affected." (11 h 30)
Je pense qu'à ce moment-là, quand ce comité de
Londres refuse de marcher, parce qu'il n'y a pas l'accord unanime de toutes les
provinces du Canada avec le gouvernement central, ceci ne nous apprend rien de
nouveau. Mais c'est un gouvernement étranger qui vient rappeler au
gouvernement du Canada quels sont ses droits, quels sont ses devoirs et quelles
sont ses obligations et les limites où peut" aller notre gouvernement
central.
Dans l'article 8 de la conclusion, on nous dit ceci: "The United Kingdom
Parliament from the mental role in this matter is to decide whether or not a
request conveys the clearly expressed wishes of Canada as a whole, bearing in
mind the federal character of the Canadian constitutional system." Alors, ce
sont encore des étrangers qui viennent nous dire de quelle façon
nous devons interpréter notre véritable
fédéralisme.
Quand on regarde les débats qui se poursuivent à la
Chambre des communes, je pense qu'on n'a pas le droit d'être sourd. Il ne
faut pas s'enfoncer la tête dans le sable, à ce moment-ci. Il y a
un but qui est poursuivi là-bas - espérons qu'ils ne
l'atteindront pas - c'est d'être capable de faire avaler, par les
Québécois et par les Canadiens, un projet de résolution
qui répugne à tout le monde et qui va à l'encontre du
véritable fédéralisme que l'on prétend
défendre là-bas, à la Chambre des communes.
Je pense qu'il y a énormément de choses ici à
retenir et cette commission va nous fournir l'occasion... Nous avons
déjà entendu certains mémoires à l'automne. Nous
aurons l'occasion, ce matin, d'écouter M. Dion qui n'est tout de
même pas le dernier venu dans le domaine constitutionnel. Nous en aurons
d'autres également au cours de la journée. En ce qui nous
concerne, nous allons être très heureux de retrouver à
Montréal, le 7 février, M. Dion qui viendra à l'Union
Nationale, comme il l'a fait, j'imagine, devant les autres formations
politiques, nous apporter de l'éclairage et de la lumière, alors
que l'Union Nationale n'est pas morte encore, est loin d'être morte. Je
n'en parlerai pas, parce que Mme la Présidente va me rappeler à
l'ordre. Vous me regardez déjà. Je veux simplement vous dire que
nous aurons une journée très intéressante où nous
allons regarder ces problèmes qui concernent les
Québécois.
Mais, en ce moment, quand j'entends certains réflexions, Mme la
Présidente, cela me fait penser à ce que je lisais pas plus tard
qu'hier soir, une citation de Maurice Barrès, en parlant des
politiciens, des députés ou des hommes politiques, cela peut
s'appliquer parfois. C'est drôle. Je ne dis pas à qui. Je ne vise
personne. Maurice Barrès dit ceci: "L'homme politique est un
équilibriste. Il s'équilibre en disant le contraire de ce qu'il
fait." Je pense que ce serait bon de méditer cette pensée de
Barrès parfois et de nous demander si nous sommes toujours logiques dans
nos déclarations à l'Assemblée nationale ou dans nos
déclarations qui ne sont pas complètes parfois ou dans certaines
mesures aussi que nous prenons.
C'est une des raisons pour lesquelles nous allons, pendant cette
commission... Je suis très content, personnellement, qu'elle
siège. Nous l'avions demandé. Nous étions au moins
d'accord, notre formation politique. Avec ce que les groupes nous diront
aujourd'hui, avec ce que nous savons déjà, je crois que ceci sera
certainement un SOS vis-à-vis de nos députés à
Ottawa, pour leur indiquer que le Québec n'est pas mort, que le
Québec ne croit pas à l'échec et que le Québec va
intensifier ici son travail pour que ce véritable échec - nous le
souhaitons -puisse contribuer à ce véritable
fédéralisme que nous avons préconisé et que nous
allons continuer de défendre. Le seul moyen - on l'a déjà
demandé à M. Trudeau, le 12 septembre - c'était de revenir
à la table de négociations. C'était de reprendre les
négociations là où elles en étaient le 12
septembre. Mais le gouvernement du Canada a décidé le contraire
et nous allons continuer de le talonner. Nous allons continuer aussi d'apporter
notre contribution pour que les prochaines semaines, en particulier, soient
décisives, qu'elles fassent avorter ce projet et qu'elles puissent
donner raison surtout aux Québécois qui sont les plus
menacés dans les circonstances.
Si jamais ce projet de résolution s'avérait une
réussite, ce sont 300 années d'efforts, de luttes pour la survie
d'un peuple qui sont menacées et je ne vois pas comment, à
l'avenir, on pourrait s'en sortir si jamais nos députés
québécois allaient sur la scène fédérale
voter eux-mêmes notre arrêt de mort. Mme la Présidente, je
termine sur ces remarques pour ce matin.
La Président (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Claude Morin (réplique)
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente.
Je prendrai brièvement mon droit de réplique pour relever trois
choses dans ce qu'a dit le chef de l'Opposition tout à l'heure.
Premièrement, je vais rétablir un fait. Le chef de l'Opposition a
donné l'impression, en parlant que j'avais tenté de m'attribuer
le mérite du progrès que le Québec a fait au cours des
dernières semaines et des derniers mois dans cette action que nous avons
entreprise pour bloquer le coup de force fédéral. J'ai pourtant
pris bien soin, chaque fois que j'en ai parlé, de dire que
c'était une oeuvre de collaboration avec les autres provinces et que
c'était aussi dû en bonne partie à l'évolution de
l'opinion publique du Québec. Mais j'ai quand même
mentionné, parce que c'est vrai, que le gouvernement du Québec,
et non pas moi en particulier, avait sa part de responsabilité dans ce
déroulement plus heureux des événements qu'on n'aurait pu
le croire.
Le deuxième point que je veux relever, Mme la Présidente,
c'est que - j'espère qu'on comprendra mon sens de l'humour
j'écoutais le chef de l'Opposition et il m'a donné l'impression
d'avoir un peu, si on me permet l'expression, les remords du pécheur
repenti sur le lit de mort du projet fédéral. Maintenant, que les
choses sont assez clairement définies - enfin, il semblerait, selon
toutes les indications qu'on a, que le projet fédéral va avorter;
il est très mal engagé et il va mal finir - il prend des
attitudes que moi, j'aurais beaucoup aimé qu'il prenne et que nous
aurions aimé qu'il prenne au moment de notre résolution à
l'Assemblée nationale. Cela, tout le monde s'en souvient. J'ai
été consterné personnellement de voir que, sur une
résolution qui était écrite avec autant de soin...
M. Ryan: Mme la Présidente, question de
règlement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Question de
règlement.
M. Ryan: Si le ministre veut bien relire les comptes rendus des
débats à l'Assemblée nationale en novembre dernier autour
du projet de résolution du gouvernement, il trouvera très
clairement inscrite mon opinion disant que le projet fédéral
n'avait aucune chance de se rendre jusqu'au bout. Ce n'est pas une chose qui
est née d'aujourd'hui. Franchement, vous déformez les faits.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je pense, M. le chef de l'Opposition officielle, que de toute
façon, au cours de la journée, vous aurez des occasions, lors des
questions aux experts ou des échanges, de faire valoir vos points de
vue. M. le ministre, votre réplique.
M. Morin (Louis-Hébert): Cela m'amène justement
là où j'allais. Si c'est ça l'attitude du Parti
libéral du Québec, on aurait aimé que cela paraisse depuis
plus longtemps et plus souvent parce que, chaque fois que le gouvernement du
Québec a pris une initiative (la résolution, la campagne
d'information, cette commission même) il y a toujours eu des
réticences du côté de l'Opposition libérale - je
vais en parler du référendum, dans une seconde - comme si on
voulait bien la fin, mais sans vouloir les moyens. C'est pour cela que j'ai dit
que parfois vous me donnez l'impression - et on va voir si vous pouvez la
corriger - que vous vous opposez à ce geste fédéral du
bout des lèvres seulement, c'est-à-dire par des discours.
M. Ryan: On n'a pas besoin de votre approbation.
M. Morin (Louis-Hébert): Troisièmement, j'ai
évité dans mon intervention de parler d'échéance
électorale et de considérations comme celle-là. Le chef de
l'Opposition a jugé opportun - il en a parfaitement le droit - d'y faire
allusion en disant notamment que les Québécois auront
bientôt à choisir, en somme, qui peut mieux défendre leurs
droits et intérêts auprès du gouvernement
fédéral. C'est vrai. Je suis d'accord là-dessus, sauf
qu'il y a une considération que je tiens maintenant à faire
valoir étant donné cette intervention du chef de l'Opposition. Ce
sont eux qui se sont associés et qui ont invité le printemps
dernier leurs collègues fédéraux à venir prendre
part à la campagne référendaire, ce sont eux qui ont
invité M. Trudeau à faire ses promesses. De deux choses l'une: ou
bien ils savaient ce qui se tramait comme coup de force à
l'époque et alors ils sont coresponsables aujourd'hui, ou bien ils ne le
savaient pas et, à ce moment, ils se sont fait avoir. Je pense que les
Québécois vont tenir compte de cet élément dans
l'avenir, au moment où ils prendront leur décision.
J'espère que le chef de l'Opposition a le sens de l'humour, car je
termine avec une remarque qui est la suivante: Quelquefois - je ne l'applique
à personne, ceux à qui le chapeau va, ils le mettront -
l'attachement aux droits du Québec, c'est comme la confiture, si je peux
m'exprimer ainsi, moins on pense en avoir, plus on veut l'étendre.
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): À ce moment-ci, j'ai
le plaisir d'inviter à participer à la commission de la
présidence
du conseil et de la constitution M. le professeur Léon Dion.
M. le professeur Léon Dion, j'ai vu un document que vous nous
avez fait parvenir. Je vous demanderais, si c'est votre avis, d'en faire
connaître l'essentiel et, ensuite, les membres de la commission de la
présidence du conseil et de la constitution vous poseront des questions
auxquelles vous voudrez bien répondre, si vous voulez. M. le professeur,
vous avez la parole.
Mémoires M. Léon Dion
M. Dion (Léon): Merci beaucoup. Mme la Présidente,
mesdames et messieurs les députés, je dois d'abord dire que je
suis très heureux d'avoir été invité à
rendre mon témoignage devant vous. Il me semble, pour moi en tout cas,
que c'est un moment extrêmement important et j'ose espérer que
vous jugerez que, pour vous-mêmes, ce fut également un moment non
négligeable dans le cours des débats que vous avez eus et que
vous aurez dans les prochains jours, sur la question.
En effet, j'ai un vade-mecum, je ne le lirai pas, mais je pense que je
vais le présenter quelque peu. J'ai l'impression que vous avez eu le
temps, depuis qu'il a été déposé ce matin, d'en
prendre connaissance. Je vais quand même dire quelques mots pour indiquer
les points sur lesquels, il me semble en tout cas, nous pourrions nous
interroger.
Il apparaît évident que M. Trudeau a voulu introduire un
élément de contrainte dans le processus constitutionnel qui
semble ne pas pouvoir démarrer d'une façon qui permette
d'aboutir. Eh bien, je suis d'accord avec cette idée, mais je ne suis
pas d'accord avec la façon dont cette idée a été
définie, proposée par M. Trudeau. Il me semble, en effet, qu'une
constitution - je rejoins ici les propos de M. Le Moignan tout à l'heure
- ne peut pas être autre chose ou reposer autrement que sur un large
consentement de la population. C'est le très grand constitutionnaliste
anglais, Dicey, qui, je crois, disait: Sur quoi repose le droit d'un gendarme
d'arrêter un citoyen? C'est sur un règlement municipal qui lui
permet d'agir de la sorte. Mais sur quoi ce règlement municipal
lui-même repose-t-il? continuait-il. Il disait: Ceci repose sur une loi
du Parlement qui autorise ainsi, par délégation, les
municipalités à faire des réglementations. Mais,
continuait-il, sur quoi repose le droit d'un Parlement de faire une loi qui va
permettre aux municipalités de faire agir les gendarmes? Sur la
constitution d'un pays, disait-il.
Eh bien, sur quoi repose la constitution d'un pays? Il disait: Sur rien.
Sur rien, sinon le consentement des citoyens, consentement, bien sûr,
vérifié selon certaines procédures que les
sociétés démocratiques ont mises en oeuvre depuis une
couple de centaines d'années. Je crois que c'est le point de
départ fondamental. (11 h 45)
Comme bien d'autres, bien entendu, je m'oppose au projet
fédéral concernant la constitution canadienne, parce qu'il me
paraît à la fois antifédéraliste,
antidémocratique et même illégal. Je ne reprendrai pas
aujourd'hui les arguments qui furent présentés ici même
devant vous, par Me Yves Pratte, et devant le comité conjoint
fédéral, par le professeur Gil Rémillard.
Au-delà des vices de forme et des procédés
outrageants auxquels les parrains du projet ont recours, ce projet pose pour le
Québec une question fondamentale que je veux aujourd'hui poser
moi-même. Pourquoi convient-il que le Québec, dans ses corps
organisés aussi bien que dans ses collectivités
spontanées, oppose d'un même élan une fin de non-recevoir
absolue au projet fédéral?
Il n'entre pas dans mon propos aujourd'hui de faire une critique
détaillée du projet de résolution. Je suis tout à
fait d'accord avec M. Ryan, quand il disait que ce n'est pas le lieu
d'entreprendre de nouveau une démarche qui a été si
souvent reprise depuis quelques mois. Mon propos, c'est d'éviter
peut-être que nous cédions à un certain triomphalisme
à la suite d'événements qui ont pu survenir ces derniers
temps, et je songe notamment au rapport du comité du Parlement anglais
sur les affaires étrangères.
Bien que le projet fasse l'objet d'oppositions de plus en plus
nombreuses au Québec même et dans les autres provinces, il me
semble qu'il faille continuer dans ce sens, parce qu'il y a deux... Si c'est
vrai qu'une constitution repose sur le consentement des citoyens, il faut que
la population, les citoyens soient bien informés des enjeux, ce qui, je
pense, n'est pas encore tout à fait le cas. Peut-être
également pouvons-nous viser à ce que nos députés
et nos sénateurs fédéraux qui nous représentent,
enfin qui représentent la population à Ottawa, mettent plus de
dents dans leur opposition à certains aspects du projet.
L'impasse actuelle, l'impasse constitutionnelle m'apparaît un
excellent indicateur d'une crise de société tant au Canada qu'au
Québec même et je pense que je voudrais que ce soit un peu
l'accent de mon témoignage, ce matin. Il me semble que tant dans ses
corps organisés que dans ses collectivités spontanées, le
Québec notamment manifeste, par les problèmes... il faut les
comprendre, il ne faut pas les juger trop vite et prendre une attitude trop
hautaine devant les divergences de vues que nous avons au Québec, mais
ces divergences
de vues manifestent, selon moi, qu'il y a des confusions, sinon une
crise profonde dans plusieurs des parties organiques de la
société québécoise.
Je sens que la commission ici même est chargée
d'électricité et je ne voudrais pas y ajouter, moi-même, et
faire déclencher une explosion. Mon but, en me présentant devant
vous, n'est pas de provoquer les partis ou quelque parti que ce soit. Mais
peut-être réussirai-je quand même là où M.
Trudeau lui-même a échoué, c'est-à-dire faire
l'unanimité contre moi.
Je pense que la constitution d'un pays est extrêmement pertinente
pour ceux qui veulent se donner des projets de société et les
poursuivre. Je songe notamment à la fois aux orientations pour les
années quatre-vingt que le Parti québécois a
proposées il y a quelques mois. Je songe au livre rouge que le Parti
libéral du Québec a proposé, il y a quelque temps,
à ses membres. Je songe à d'autres documents que j'ai eu
l'occasion de lire, notamment, le manifeste de l'ex-comité MÉOUI
qui propose également un projet de société. Eh bien, en
regardant ces documents, il m'a semblé qu'il serait difficile, au moins
sur certains aspects importants, qu'on puisse donner suite à des
éléments de ces projets de société, à moins
que la constitution qui régit le Québec puisse être
amendée sous des aspects fondamentaux. Parce que, dans un projet de
société, tout est lié, tout doit être
cohérent; les structures juridiques et les structures politiques ou
socio-politiques d'un pays ne sont pas indépendantes les unes des
autres. Parfois en lisant ou en prenant connaissance de certaines
réactions, j'ai l'impression que nous avons une façon
extrêmement étroite, unidimensionnelle et linéaire de
considérer la constitution comme étant un ouvrage purement
juridique. En réalité, à mon avis, les aspects juridiques,
bien entendu, comptent comme les cadres généraux qui vont
permettre à l'ensemble institutionnel de fonctionner et qui vont
légitimer ce fonctionnement, mais il n'en reste pas moins que ces cadres
généraux comme tels ne peuvent pas influer sur une
société au point de la distorsionner, de faire en sorte que cette
société se renie dans des aspects qui lui sont fondamentaux.
J'aimerais passer très rapidement sur certains points. Il me
semble qu'un projet de société doit, dans les années
quatre-vingt, à la fin du XXe siècle, insister à la fois
sur l'écologie, la démographie, la technologie,
l'économie, les classes, les groupes sociaux, la culture et la politique
elle-même. J'ai aligné un certain nombre d'éléments
ici qui, peut-être, nous permettraient au moins de vérifier les
aspects les plus forts des projets de société qui nous sont
présentés depuis quelque temps et également
peut-être aussi de porter un jugement sur le type de constitution que le
Canada et le Québec lui-même devraient se donner, parce que la
société de l'avenir, celle pour laquelle il nous faut une
constitution sur plusieurs points importants, majeurs, essentiels, va
différer de celle qui existait au moment où la constitution qui
nous régit actuellement, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
de 1867, avait été élaborée.
J'aimerais indiquer certaines implications de ces problèmes
contemporains sur la question constitutionnelle. Il me semble que plusieurs des
questions qui nous touchent aujourd'hui, tant du domaine de l'écologie
que de la culture elle-même, ont à la fois une dimension
planétaire et une dimension locale ou régionale. Il est possible
que le type d'organisation socio-politique que nous avons appelé
l'État-nation soit peut-être une formule qui, dans l'avenir,
n'aura plus l'importance, comme structure d'organisation des
sociétés, qu'elle a pu avoir à la fin du XIXe
siècle et dans la première moitié du XXe siècle.
Ceci est, bien entendu, du domaine de l'avenir, mais je pense qu'on doit
considérer qu'il y a, au-delà des solidarités dites
nationales, des solidarités maintenant planétaires; il y a des
problèmes qui ne peuvent être envisagés, pour ne pas dire
résolus, qu'au niveau de l'ensemble du monde, de l'ensemble de la
planète au moins. Également, par ailleurs et par opposition, on
sent qu'il y a des solidarités nouvelles qui réapparaissent en
deçà des structures socio-politiques traditionnelles, celles que
nous avons eues depuis une centaine d'années au niveau des
régions, des sous-groupes sectoriels et autres. C'est un
problème, bien entendu, qui est posé à la constitution
canadienne d'aujourd'hui et qui est, je pense, posé à ceux qui
s'attachent à faire cette révision.
Il m'apparaît que nous aurions peut-être tort de nous en
prendre exclusivement aux hommes. Je pense, par exemple, à M. Trudeau
qui, en définitive, ne sera pas là dans cent ans quand cette
constitution sera encore en vigueur et régira toujours les
générations qui viennent. Je ne pense pas que ce soit vraiment
lui... Je pense qu'il faut vous faire comprendre à vous-mêmes, si
vous voulez, mesdames et messieurs, mais également à l'ensemble
du public qu'une constitution est là pour répondre aux besoins
d'une société et que, par conséquent, c'est dans cet
esprit qu'il faut travailler et non pas dans un cadre purement politicien, dans
le sens qu'il faut sauvegarder certaines données pour pouvoir conserver
un certain prestige dans la vie politique.
Pour ma part, toute la position de M. Trudeau, je la comprends et je
l'admets dans une très grande mesure. Il est animé par un sens
d'urgence et, moi-même, je partage ce sens d'urgence. Il m'apparaît
toutefois que le sens d'urgence ne peut pas être poussé
jusqu'au point où on déformerait un processus absolument
essentiel de révision de la constitution, ce processus devant engager,
bien entendu, des données concernant la démocratie, le
fédéralisme et les aspects proprement légaux
eux-mêmes.
Eh bien! l'impasse constitutionnelle m'apparaît
révélatrice de la difficile problématique canadienne. Il
ne faut pas nous le cacher, nous aurons, nous avons et nous avons eu des
difficultés à pouvoir définir les dénominateurs
communs à partir desquels l'instrument constitutionnel pourrait
être élaboré. Il est clair que ce pays est soumis à
des stress, à des tensions externes et internes très fortes et
l'un de ceux qui a été le premier et le plus conscient de ces
difficultés, de ces problèmes a été M. Trudeau
lui-même, il y a plusieurs années. Vous savez que, dans l'ensemble
du monde occidental, dans nos pays "surindustrialisés" qui s'en vont
dans une direction où la qualité de la vie et d'autres
préoccupations au niveau social seront peut-être plus importantes
pour les générations de demain que ce ne le fut dans notre cas,
les questions relatives à la production, à la
productivité, à l'accroissement de l'économie, il semble
bien que M. Trudeau est très conscient d'orientations qui pourraient, au
niveau externe aussi bien qu'interne, rendre difficile la survie du Canada. Un
des thèmes majeurs de la science politique d'aujourd'hui, c'est
précisément celui de la "governability", la
"gouvernabilité" des sociétés. C'est un thème, je
crois, que M. Trudeau a repris très souvent à l'élection
de 1973. Par conséquent, je crois qu'il faut tenir cela à
l'esprit. Ce n'est pas facile. J'ai moi-même certaines orientations que
j'ai déjà proposées à plusieurs reprises. M.
Trudeau propose un modèle centralisé et moi, je crois que nous
n'aurons pas la possibilité de construire un pays nouveau, fondé
sur une constitution acceptable, si nous allons dans cette direction ou du
moins si nous poussons trop fort dans cette direction.
Il m'apparatt également que le pays, la constitution prochaine ne
devrait pas viser à une uniformité absolue des statuts entre les
unités composantes. Il y a actuellement un élément de
théorie qui se développe en sciences politiques concernant les
problèmes dissymétriques et asymétriques concernant les
fédérations. II me semble que le Canada, étant
donné sa grande diversité non seulement en ce qui concerne le
Québec, mais également en ce qui concerne d'autres provinces,
d'autres régions du pays, gagnerait à assortir, à essayer
d'assortir les problèmes concernant le besoin de plus grande
centranté du pays et d'autres questions qui pourraient, sans dommage
pour personne, être laissées à une plus grande
décentranté. Moi-même, je propose ici qu'on puisse
envisager l'équilibre entre ces deux modèles de centralité
et décentralité ou de symétrie et dissymétrie selon
une distinction tirée de l'informatique entre le "software" et le
"hardware".
En ce qui concerne le "software" -langue, culture, communications,
affaires sociales - il me semble qu'on pourrait permettre une
décentralité très grande dans un pays comme le Canada. Il
me semble d'ailleurs que c'est là la seule formule. Par contre, en ce
qui concerne le "hardware", l'économie et la technologie, je crois
-toutes les études récentes me paraissent l'avoir montré -
qu'il faudra viser à une intégration plus poussée que ce
n'est le cas aujourd'hui. Toutefois, cette intégration peut être
poursuivie au plan constitutionnel, au plan juridique, de deux manières
différentes: ou par l'attribution de pouvoirs ou de compétences
très poussés au gouvernement fédéral, au
gouvernement central, ou encore par la tentative d'en arriver à des
formules de collaboration entre les provinces. Il y a des études
actuellement. Je voudrais en mentionner une au passage de mes collègues
Albert Breton et Anthony Scott. C'est "The Design of Federations" qui
étudie exactement cette question de la décentralité et de
la centralité et des coûts qui, évidemment,
résulteraient d'un choix ou de l'autre. Les coûts, quand nous
choisissons plus de centralité, c'est que la distance entre les citoyens
et les groupes organisés est plus grande et que, par conséquent,
certaines des préférences de ces citoyens, de ces groupes
organisés ont beaucoup plus de difficulté à être
retenues. Le coût pour une orientation plus décentralisée,
c'est que les coûts de collaboration, les coûts de mise en
concertation des unités composantes sont élevés.
Nous avons des choix et je pense que la révision
constitutionnelle qu'on doit se donner - je n'ai pas actuellement les formules
juridiques, je ne suis pas un juriste, je suis un politicologue - c'est dans ce
sens, je crois, qu'il faut pousser des examens consécutifs. ( 12
heures)
En ce qui concerne le Québec - vous le savez autant que moi - il
y a des problèmes auxquels nous nous confrontons et auxquels les partis
politiques eux-mêmes sont confrontés et que peut-être
même, dans certains cas, les partis politiques eux-mêjnes vont
amplifier. Si vous le désirez, je serai extrêmement heureux que
nous échangions sur l'une ou l'autre de ces questions. Une qui
m'apparatt extrêmement importante, c'est celle de la
spécificité du Québec. Dans quelle mesure, dans le
contexte d'aujourd'hui, faut-il encore retenir l'idée d'un Québec
qui a des caractères spécifiques tels, surtout reliés
à la langue et à la culture, qu'ils ne puissent être, en
aucune manière, concédés à ce qu'on appelle la
polyarchie, c'est-à-dire la
simple loi des majorités et des minorités qui se font et
se défont selon certaines orientations, certaines conjonctures dans une
société? J'ai ma position là-dessus, que vous connaissez
bien, et je voulais simplement le mentionner.
Quant à la question linguistique, j'ai également des
positions extrêmement précises à ce propos qui sont
fondées non pas sur des émotions, mais, au contraire, sur les
meilleures études dont nous disposons actuellement concernant la
question linguistique au Canada et au Québec. Â ce propos, je
voulais soumettre au comité fédéral, au comité
conjoint, mes idées sur la question linguistique non seulement pour le
Québec, mais pour l'ensemble du pays, aussi bien au niveau
fédéral qu'au niveau des provinces. Malheureusement, cela ne m'a
pas été passible. Mais des journaux en ont publié certains
extraits. Je pense qu'il y aura une publication prochaine de l'ensemble de mon
document. Tout ce que je demandais au comité, ce n'est pas d'agir dans
l'orientation que je préconise. Je demandais au comité de
surseoir à toute réforme tant qu'une étude
indépendante poussée de cette question fondamentale, qui est si
source de passions entre nous, surtout au Québec, bien entendu, n'aura
pas, encore une fois, procuré au Québec, au Canada, aux
Québécois et aux Canadiens des orientations plus précises
concernant les orientations à donner en matière linguistique.
Je pense que M. Louis Duclos et ses collègues
députés fédéraux font montre d'un certain courage
en s'opposant à certains points de l'article 23 du projet de
résolution. Mais il me semble qu'eux-mêmes sont mal
orientés en ce qui concerne leur propre option concernant les
propositions d'amendement qu'ils font à ces articles.
En ce qui concerne l'avenir du nationalisme québécois, il
m'apparaît que nous devons voir dans le problème constitutionnel
qui nous confronte aujourd'hui comme un écho de cette tension qui existe
chez les Québécois à propos de leur identité
propre.
Nous pouvons distinguer de nombreuses variétés de
nationalismes. Il me semble qu'une façon de voir actuellement la
problématique du nationalisme québécois - et je prends ici
le mot "nationalisme" dans son sens le plus neutre possible - c'est de le
considérer dans sa définition de lui-même aujourd'hui. Ce
qui s'est produit au début des années soixante - et ce pourquoi
j'étais tellement fier moi-même et plusieurs de ma
génération - c'était un éveil national qui
était dans une direction quelque peu différente de l'orientation
traditionnelle. Au lieu que ce fût un nationalisme, une conscience de soi
collective poussée vers la recherche de la sécurité, la
défense de ce que nous avons, etc., poussée par
l'insécurité et le statut de minorité, il m'a
semblé, durant les années soixante - ce pour quoi j'ai tellement
vibré moi-même - que les Québécois étaient
enfin parvenus à l'âge adulte, contents d'eux-mêmes et
assurés qu'ils pouvaient maintenant être maîtres de leur
destin, agir, la Manicouagan étant le symbole de cette nouvelle
capacité d'agir collectivement.
Il me semble que, depuis quelque temps, les éléments plus
défensifs dans ce sens de l'identité collective chez les
Québécois ont repris de nouveau plus d'importance et que, par
contre, à l'inverse, des éléments qui agissaient pour
faire s'épanouir le sens de la fierté individuelle et collective
chez eux sont en déclin.
Si cette orientation était fondée, il faudrait en chercher
les causes. Et certainement qu'une des causes, c'est l'impasse
constitutionnelle dans laquelle nous nous trouvons et
l'insécurité que les Québécois,
profondément, sans peut-être se l'avouer et le dire
eux-mêmes trop fort, commencent à ressentir concernant les cadres
protecteurs dans lesquels ils ont appris à évoluer depuis le
début des années soixante, par suite des réformes de toute
nature, d'ordre institutionnel, d'ordre économique,
socio-économique et culturel dans la texture même de la
société québécoise.
Un point que j'aimerais également mentionner, porter à
votre attention, c'est la nouvelle problématique qui pourrait exister,
advenant que le projet de résolution passe tel qu'il est ou sans
changement vraiment majeur concernant la possibilité de poursuivre
l'idéal de l'indépendance au Québec. Vous savez que je ne
suis pas moi-même un indépendantiste. Je pense qu'il y a des
moyens plus économiques pour les Québécois d'obtenir le
statut constitutionnel politique qui leur donnerait la sécurité
pour pouvoir fonder, construire une société qui soit conforme
à leurs aspirations, mais, néanmoins, je suis parmi ceux qui
estiment que c'est là une option ou une orientation parfaitement
légitime et nécessaire qui sera toujours là et qui devra
être reprise d'une façon ou de l'autre.
Dans le projet de résolution, il m'apparaît qu'il y a
là un danger réel que cette orientation ne puisse plus être
poursuivie de façon démocratique. Je mentionne ici trois raisons,
peut-être qu'il y en a d'autres. En raison de la
prépondérance qu'aurait le gouvernement fédéral
dans la réorientation du fédéralisme canadien, en raison
de la nécessité de l'accord formel d'autres provinces
conformément à la formule d'amendement adoptée, il ne faut
pas oublier une chose, quelle que soit la formule d'amendement adoptée,
ce que les Québécois pourraient détenir,
éventuellement, c'est un veto négatif. S'ils ne voulaient pas
de tel changement, ils pourraient dire non. Mais ils ne pourraient pas
faire quelque chose de positif, à moins que les autres provinces, selon
la formule d'amendement agréée, soient d'accord.
Par conséquent, il me semble que c'est là un danger
formidable, très important pour ceux qui voudraient
éventuellement poursuivre de nouveau cet idéal de
l'indépendance par des moyens constitués des mouvements sociaux
et des partis politiques ou, autrement, par les moyens que la démocratie
actuelle met à leur disposition et, finalement, en raison de la
procédure prévue d'un référendum à
l'échelle du Canada, qui, je pense, neutraliserait, au départ,
toute possibilité de mettre en oeuvre, d'actualiser le projet
d'indépendance.
Nous avons vu combien déjà, au niveau du Québec
même, il était difficile d'avoir un référendum qui
pourrait créer certaines voies dans cette direction et non pas, comme
vous le savez très bien, créer une voie royale à
l'idée de l'indépendance, mais au moins, disons, entrouvrir
quelque chose pour un statut amélioré pour le Québec.
Il faudrait alors craindre le recours à la violence et qu'il ne
finisse par apparaître à certains comme la seule voie d'action
possible. C'est ce que nous devons éviter. Si nous avons le minimum de
prudence et de sagesse, nous ne pouvons permettre une situation dans laquelle
notre constitution serait révisée de telle sorte que
l'idée d'indépendance ne pourrait pas être poussée
à son terme logique pour ceux qui désirent que cette idée
devienne le projet politique du Québec.
Ce vers quoi il faut tendre, à un point de vue
fédéraliste qui se veut accordé aux réalités
contemporaines, c'est vers une formule qui, d'une part, satisfasse les besoins
et les aspirations des Québécois au point où la tentation
souverainiste serait, sinon entièrement supprimée, du moins
fortement atténuée, parce que c'est souvent l'obstacle qui fait
naître le désir d'agir. Nous n'avons qu'à penser au chat,
qui, poussé au mur par le feu qui gagne la pièce, sort ses
griffes. Il tente de se défendre. Ou bien, du moins, fortement
atténuée et, d'autre part, que ce soit une formule qui garantisse
la poursuite d'un projet souverainiste de façon démocratique.
S'il n'est pas possible d'obtenir une telle formule, du moins que le
Québec insiste sur le droit à l'autodétermination. C'est
l'un ou l'autre. Les deux ne sont pas nécessaires en même temps,
mais nous devons avoir l'un ou l'autre. Si pareille orientation ne peut
être poursuivie, par souci de tolérance, du moins, qu'on se laisse
convaincre par le principe plutôt machiavélique suivant lequel le
meilleur moyen de neutraliser une façon de voir ou de faire qui
déplaît, c'est encore de la légitimer. Cela a
été, évidemment, prouvé abondamment dans l'histoire
contemporaine, l'histoire moderne.
J'ai également un chapitre sur la question des intellectuels et
de la société. C'est évident que je n'ai pas écrit
ce chapitre-là dans un désir d'autodéfense. Les
intellectuels ont un certain rôle dans la société, de
même que les artistes. Mais je voulais constater une chose, que... Je
vois M. Ryan, Mme Solange Chaput-Rolland, M. Jacques-Yvan Morin,
peut-être M. Le Moignan. Nous sommes à peu près de la
même génération, cette génération, qui,
depuis 20 ou 30 ans, a eu comme premier objet de créer pour le
Québec une place dans le Canada si possible intégrée au
pays. Où en sommes-nous aujourd'hui? Je n'ai pas mentionné mes
confrères de la même génération qui oeuvrent dans un
autre domaine à Ottawa. Où en sommes-nous? Serons-nous
voués à un échec? Ce sera l'échec de notre
génération après laquelle quelle génération
pourra reprendre toute cette problématique dans laquelle nous avons
sacrifié le plus fort de nos énergies et mis ce que nous avons de
compétence? J'ose croire que nous n'aboutirons pas à cet
échec et que cette génération pourra continuer encore
pendant de nombreuses années parce qu'elle se sera trouvée utile
à certains moments dans d'autres secteurs de la société.
Il y a un point que j'avais oublié. Nous nous disons fatigués du
problème constitutionnel. J'entendais très souvent à
l'Assemblée nationale M. Rodrigue Tremblay dire à chaque fois
qu'il intervenait: II faut parler de la constitution, mais j'aimerais tellement
parler de l'économie.
Il faut être extrêmement prudent. L'économie est
très importante pour les citoyens de même que la culture, bien
entendu. Les affaires sociales peut-être encore davantage. Mais comment
peut-on croire que nous allons laisser le processus constitutionnel encore
pourrir et croire qu'en parlant de l'économie davantage, nous
réussirions à nous donner la société qui est celle
qui nous conviendrait ainsi qu'aux générations à venir? Au
contraire, plus la question de la constitution pourrit, plus elle devient en
quelque sorte piégée, plus nous devons nous en occuper et plus
nous devons dire au public que c'est essentiel pour lui de ne pas fermer
l'oeil, de ne pas se laisser leurrer. Parce que la constitution qui pourrait
être adoptée demain pourrait très bien heurter, contredire
les aspirations, les besoins qu'il ressent.
J'ai également une section sur les partis politiques, leur
impuissance. Je voudrais l'aborder avec le plus de
sérénité. Maintenant, je vous laisse à vous le soin
de voir ou non s'il y a lieu de le faire ici-même. Il me semble,
néanmoins, pour parler des partis fédéraux, pour ne pas
nous lier... et je songe à un article célèbre de
Pierre
Trudeau, dans les années cinquante, je crois, qui s'intitulait,
écrit en anglais, publié en anglais dans la revue Canadian
Economies and Political Science sur "sortie obstacle to democracy in Quebec".
L'obstacle qu'il identifiait, c'était le Parti libéral du Canada
qui, selon lui, gagnait les votes des Québécois trop facilement
en faisant appel à des facteurs d'ethnicité, des facteurs
symboliques, etc. Il me semble - peut-être que j'exagère - que M.
Trudeau a pratiqué d'une façon admirable les leçons qu'il
tirait à ce moment du succès que remportait le Parti
libéral du Canada.
Quant au Parti conservateur canadien, depuis 60 ans, ce parti se
recherche une façon de se faire adopter par les Québécois,
à part cet épisode très court de M. Bennett et la
période très courte également de Oiefenbaker, c'est un
parti qui, vraiment, a énormément de difficultés à
comprendre le Québec. Nous en avons ici la preuve dans les amendements
qu'il préconise concernant le projet de résolution
fédéral. Après avoir lu ses amendements, je conclus que
certains des amendements prévus au projet de résolution
fédéral seraient pires que le projet lui-même s'ils
étaient mis en oeuvre. Dans d'autres cas, bien entendu, il y aurait
certaines améliorations.
Quant au NPD, dans le début des années soixante, j'avais
travaillé un peu avec lui, je crois que M. Jacques-Yvan Morin
était là également, pour essayer de faire comprendre
comment il se pouvait que ce parti, ayant des racines tellement anglaises,
pourrait éventuellement prendre un peu racine au Québec. Nous en
sommes toujours là actuellement. Je dirige actuellement une thèse
d'un de mes étudiants et on cherche les raisons pour lesquelles le NPD,
malgré des efforts comme ceux des deux nations au début des
années soixante, etc., n'a pu pénétrer. Les
Créditistes sont morts à Ottawa. C'est peut-être le parti
qui a le mieux représenté certaines...
Je m'excuse, Mme la Présidente, il semble y avoir des choses
extrêmement drôles de ce côté. Est-ce que je pourrais
les entendre?
M. Morin (Louis-Hébert): C'est parce qu'on vient
d'apprendre des activités politiques de M. Jacques-Yvan Morin qu'on
avait ignorées.
M. Dion: Je laisse à votre choix de poursuivre plus avant
dans cette question des partis politiques et, si vous me le permettez, je
lirais les conclusions et certaines voies de solution que je préconise.
(12 h 15)
II me semble que la constitution d'un pays ne peut reposer que sur le
consentement des citoyens et celui-ci doit pouvoir être
vérifié suivant des méthodes accréditées par
la tradition démocratique, telle qu'elle a été
vécue au Canada. Il me semble également que la question
constitutionnelle met en cause des enjeux trop considérables pour tous
les citoyens, pour qu'elle soit laissée entre les mains des seuls hommes
politiques. Il ne faudrait pas se satisfaire d'un autre échec et mat
entre les protagonistes parce que, dans ce cas, on rendrait illusoire toute
recherche de nouveaux projets de société accordés aux
besoins actuels d'aujourd'hui.
Il me semble également que le Canada est constitué d'un
gouvernement fédéral et de provinces et non pas d'un seul de ces
niveaux de gouvernement. Là-dessus, je rejoins entièrement les
propos que formulait, il y a quelques minutes, M. Claude Ryan. Le but de la
révision constitutionnelle du point de vue du Québec ne peut que
renforcer le Québec, il ne peut pas le diminuer. Il serait absurde de
prétendre rénover la constitution conformément aux
aspirations du Québec si, à la fin du processus, il devait se
retrouver plus faible qu'avant.
Le gouvernement fédéral, à propos de la question
constitutionnelle, a réussi à créer artificiellement un
sentiment d'urgence. Je ne dis pas que l'urgence n'est pas là, mais le
sentiment que le gouvernement fédéral a créé
m'apparaît avoir été artificiellement défini. Il
importe d'épurer le problème constitutionnel et de revenir
à ce qui était l'essentiel au départ, il y a vingt ou
trente ans, c'est-à-dire la spécificité
québécoise et la dualité canadienne. Autrement, on finira
par considérer comme étant une victoire des compromis qui
auraient été perçus naguère comme une cruelle
défaite et qui, d'après tous les standards admissibles, seraient
toujours une défaite. En ce qui concerne l'essentiel, par
conséquent, le Québec ne saurait faire confiance au simple jeu de
la polyarchie.
Dans les circonstances actuelles, où la méfiance a
gagné toutes les parties, comment consentir au rapatriement de la
constitution sans ou même avec une formule d'amendement? Il faut que les
groupes organisés et les collectivités spontanées
reprennent la parole et opposent un refus péremptoire à toute
manipulation politicienne, d'où qu'elle vienne. Les
Québécois doivent prendre conscience de la
nécessité de susciter des mouvements d'action socio-politiques en
dehors des partis.
S'il est vrai que le Canada est soumis à de fortes pressions
internes et externes qui menacent sa stabilité, cela est encore bien
plus vrai pour le Québec qui doit s'accommoder de multiples contraintes
émanant de son environnement, tout en cherchant à se
développer conformément à son identité propre.
Quant aux voies de solution que je
propose, du moins que je soumets à votre attention,
premièrement, est-ce possible que les Québécois et les
partis s'entendent au moins sur ce point: c'est entre Québécois
qu'il convient d'abord de poser la question du statut constitutionnel du
Québec et de chercher à s'entendre sur les orientations de base.
C'est, en tout cas, la raison pour laquelle j'ai convenu de venir me
présenter devant la commission constitutionnelle de l'Assemblée
nationale.
Deuxième point, peut-on comprendre que le débat
constitutionnel est devenu une véritable épreuve de force entre
Ottawa et Québec et que, par conséquent, on risque d'en revenir
aux beaux jours de l'autonomisme plutôt négatif, ou de simple
opposition, de Maurice Duplessis?
Troisième point, peut-on comprendre que la question
constitutionnelle constitue un tout, un ensemble et qu'elle ne souffre pas
d'être traitée en pièces détachées (charte
des droits, langue, péréquation, etc.) et que, notamment, il
serait extrêmement pernicieux pour le Canada et pour le Québec de
séparer la question linguistique, la culture et les affaires sociales de
l'économie?
Quatrième point, peut-on souscrire à l'idée de
laisser tomber le projet de résolution et avoir l'humilité et la
sagesse de tout recommencer en adoptant une démarche opposée
à celle suivie jusqu'ici? Quand je dis "opposée", je pense
notamment à une convocation éventuelle qui pourrait être
faite des premiers ministres provinciaux et du premier ministre canadien. Je
crois que cette formule des rencontres, des conférences des premiers
ministres a été pesée et jugée trop
légère. La formule ne m'apparaît pas non plus être de
voir entre nous quel serait le sage possible qui pourrait lui-même et
seul nous donner une constitution. Je songe ici à Solon au VIe
siècle; les Athéniens étant en besoin d'une constitution
firent appel à celui qu'ils considéraient le plus sage d'entre
eux, Solon, et lui dirent: Faites-nous une constitution, s'il vous plaît.
Ce qu'il a fait et ce fut une excellente constitution.
Mais ce n'est pas notre cas. Il nous faut adopter d'autres voies; c'est
malheureux, mais je ne crois pas. Les voies que je proposerais sont les
suivantes: Premièrement, demander à Londres le rapatriement de la
constitution, assorti d'une formule d'amendement agréée par les
provinces selon une formule comprenant obligatoirement le Québec. Ou
encore, selon la suggestion du professeur Rémillard, procéder
à la révision constitutionnelle sans requérir au
préalable l'autorisation de Londres.
Deuxième point: Procéder à de nouveaux examens de
situation devant se faire dans le cadre d'un groupe d'étude ou d'une
commission constituée conjointement par le fédéral et les
provinces, ce que nous n'avons jamais eu au pays.
Troisièmement - il me semble que c'est extrêmement
important parce que, sur des questions essentielles, nous sommes loin d'avoir
fait le point, d'avoir inventorié suffisamment la situation actuelle et
à venir dans tous ces points majeurs - former une assemblée
constituante qui scruterait les recommandations de ce groupe
d'étude.
Quatrième point: Faire adopter les conclusions de cette
assemblée constituante par les assemblées législatives et
par le Parlement fédéral.
Cinquièmement, procéder enfin à un
référendum à l'échelle du pays, conformément
à une formule agréée, afin de faire sanctionner
solennellement la nouvelle constitution par l'ensemble des citoyens. Il me
semble que c'est là à la fois une formule
fédéraliste, démocratique et légale. Il faut voir
si on est actuellement capable de procéder de cette manière,
quels éléments de contrainte il faut accepter au départ,
mais j'aimerais que nous puissions discuter de quelques-uns au moins de ces
points.
Sixième point: En l'absence d'une solution véritable de la
question constitutionnelle du genre de celle que je propose ou d'un genre
équivalent, peut-on faire savoir par les voies autorisées et
d'une manière unanime que, dans les circonstances actuelles, le
Québec réclamera son droit à l'autodétermination et
s'opposera à toute clause dans une nouvelle constitution qui
déterminerait le statut juridique et fixerait l'usage du français
et de l'anglais au Québec sans que ce dernier, le Québec, n'ait
donné son accord autorisé? Qu'il refusera de se lier à de
semblables causes, même advenant qu'elles deviennent partie de la loi
fondamentale du pays, imposée bien entendu de l'extérieur?
Mettre ici l'avenir constitutionnel du Canada et du Québec entre
les mains des tribunaux et encore se fier au Parlement britannique
m'apparaîtrait faire peu preuve de courage. Il nous faut faire plus,
c'est à nous de dire ce que nous voulons et non pas simplement nous fier
aux autres. C'est évident que nous devons accepter toute arme, tout
argument qui serait proposé de l'extérieur, mais c'est à
nous-mêmes de décider ce que nous voulons. Si nous voulons
être capables de décider de notre destin futur, commençons
par être capables de décider de la constitution qu'aujourd'hui
nous voulons bien nous donner.
Bien entendu, je suis au courant de certaines orientations, de certains
développements récents dont l'un m'apparaît relativement
majeur, celui auquel M. Ryan a fait allusion au début de son
exposé; je n'ai pas à ajouter. C'est le rapport du comité
du Parlement anglais sur les relations extérieures du Parlement
britannique et il me semble qu'au moins ce rapport, qui est une étape,
une pièce dans une étape d'un
long processus, devrait avoir un certain effet et peut-être nous
donner plus de confiance dans notre capacité de neutraliser ce
projet.
Cette position adoptée par le comité peut être un
indicateur de la position éventuelle du Parlement britannique, mais,
pour ma part, je ne crois pas qu'elle puisse indiquer que ce sera
nécessairement la position que le Parlement britannique prendra. Il en
tiendra compte, mais se sentira-t-il lié par ce rapport?
Légalement, non. Il peut se sentir lié moralement, je n'en sais
rien, par le poids de ses députés qui sont membres de ce
comité et que je ne connais pas.
Cette position pourra également amener M. Trudeau à
modifier son tir et à vouloir changer la constitution sans la rapatrier,
comme nombre de juristes ont dit qu'il était possible de faire.
Très bien, le Parlement britannique s'y oppose, laissons-le s'y opposer;
nous Canadiens, nous changeons notre loi fondamentale par nous-mêmes.
Elle pourra enfin convaincre M. Trudeau de se satisfaire d'un simple
rapatriement sans amendement ou avec un amendement que nous aurions
agréé. Mais ce n'est n'est là qu'une première
bataille; la guerre n'est pas encore gagnée. L'ultime stratégie
des opposants doit toujours être de faire échec au projet de
résolution à la Chambre des communes même (en agissant sur
les députés que nous avons élus, qui sont, en
définitive, nos représentants à Ottawa) au Sénat
également et surtout de tenter de priver M. Trudeau de l'appui de
l'opinion sur lequel il comptait tant au début de ce processus, au mois
de septembre.
Le sixième point: peut-on comprendre qu'une formule d'amendement
qui procurerait au Québec un veto purement négatif serait
insatisfaisante s'il fallait que ce dernier, le Québec, soit au
préalable contraint d'accepter des changements à l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique qui lui seraient préjudiciables?
Là-dessus, Mme la Présidente, je conclus mon
témoignage.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. le professeur. Les
membres de la commission désirent maintenant échanger avec vous.
Je vais d'abord donner la parole à M. le ministre d'État au
Développement culturel et scientifique.
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, il
était fort important, on s'en rend compte, que le professeur Dion ait
l'occasion de venir exposer ses idées sur la conjoncture
constitutionnelle actuelle. Comme cela eut été profitable au
comité des Communes s'il avait daigné inviter le professeur Dion
à comparaître devant lui! Je suis sûr que ses propos
auraient pu éclairer les membres du comité fédéral.
Qu'à cela ne tienne, la comparution du professeur Dion devant
l'Assemblée nationale, devant cette commisssion permettra sans doute aux
fédéraux de prendre connaissance de ses propos et je me
réjouis que nous ayons pu lui donner cette occasion de nous faire part
de ses observations sur la situation actuelle.
Vos propos, M. le professeur, ne peuvent pas nous laisser
indifférents. Je ne vous cacherai pas que nous les partageons dans une
large mesure. Ici et là, bien sûr, nous pourrions avoir des
discussions plus approfondies. Je me proposerais, tout d'abord, de vous
demander une précision sur la démarche que vous nous avez
proposée à la fin de votre exposé. Vous nous proposez une
démarche d'humilité, de sagesse, laquelle serait la suivante:
après avoir fait échec, s'il est possible, au projet
fédéral, au coup de force, il conviendrait de tout recommencer,
c'est-à-dire de se remettre à table, de recommencer à
négocier, bien sûr, sans négliger pour autant - du moins,
n'ai-je pas interprété vos propos de la sorte - tout l'acquis des
derniers mois, car il y avait, vous le savez, un certain nombre de points sur
lesquels les provinces s'étaient mises d'accord et que,
néanmoins, M. Trudeau a rejetés du revers de la main.
Vous nous avez proposé une démarche sur laquelle je ne
reviendrai pas dans son entier qui commence par un rapatriement accepté
librement et assorti d'un mode d'amendement qui serait agréé par
les provinces, y compris, évidemment et surtout, le Québec. Vous
nous proposez ensuite, après une démarche qui consiste en
plusieurs points, un référendum qui serait pratiqué
à l'échelle du Canada, conformément, nous dites-vous,
à une procédure qui serait agréée, afin de faire
sanctionner, de faire approuver la nouvelle constitution par les citoyens, de
lui donner un caractère plus solennel. J'aimerais là-dessus vous
demander une précision. Je suis sûr, mais j'aimerais vous
l'entendre dire, parce que ce n'est pas tout à fait
précisé dans votre mémoire, qu'il ne s'agit pas du genre
de référendum pancanadien auquel se réfère le
projet fédéral actuel où toutes les majorités sont
confondues et où le résultat du référendum
dépendrait du vote majoritaire dans l'ensemble du Canada sans tenir
compte des frontières provinciales, ce qui veut dire que le
Québec pourrait se trouver en minorité et néanmoins se
voir imposer la volonté de la majorité anglophone du pays qui
correspondrait, en l'occurrence, au projet fédéral. J'ai
l'impression, à le lire et selon le contexte de votre mémoire,
que ce n'est pas à cela que vous songez. Vous songez sans doute à
une démarche plus subtile que celle-là, mais je vous inviterais
à la préciser car l'effet d'un référendum qui
serait tenu à la grandeur du pays, toutes provinces confondues, pourrait
être d'aboutir à un résultat comme celui, par exemple,
du
plébiscite sur la conscription où le Québec avait
voté non, le reste du pays oui et où néanmoins cela a
été oui en dépit du Québec. (12 h 30)
M. Dion: Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur Léon
Dion.
M. Dion: Oui. Je présume qu'il y aurait, au départ,
une formule d'amendement agréée et cette formule d'amendement qui
serait agréée pourrait être acceptée comme
étant la base à partir de laquelle on pourrait ensuite
dénombrer les vues, les opinions par voie de référendum
que les citoyens canadiens auraient émises et je vais plus loin et c'est
peut-être là-dessus que... Ce serait la formule de Victoria
autrement, mais mon propos, c'est d'aller plus loin que cela. Je suis un
héritier des pages bleues d'André Laurendeau, de la commission BB
et je suis persuadé quant à moi que rien ne satisfera le
Québec qui ne passera pas, en quelque sorte, par la dualité sur
les questions que le Québec a jugées fondamentales et qu'il juge
toujours fondamentales: la langue, la culture et peut-être ajouter
d'autres éléments qui sont dans notre société
contemporaine jugés si essentiels comme les communications,
peut-être l'immigration. Il me semble qu'il faudra certaines questions
réservées; nous avons eu dans la constitution actuelle des
comtés réservés. Ils ne sont plus là. Nous
pourrions avoir dans une prochaine constitution des questions
réservées, des domaines réservés à propos
desquels il faudra que les nombres soient comptés exclusivement en ce
qui concerne le départage au sein du Québec même et en ce
qui concerne toute réforme constitutionnelle - et je sais qu'aujourd'hui
on semble bien loin de cela et c'est ce vers quoi il faut revenir. Pour ces
questions que nous aurons jugées essentielles, pour tout processus
d'examen constitutionnel autant que de réforme constitutionnelle et de
mise en application de cette réforme par des sanctions comme le
référendum, il faudra compter sur une majorité du
Québec et non pas sur une majorité québécoise qui
pourrait être annulée par d'autres majorités en sens
inverse venant d'autres provinces.
M. Morin (Sauvé): Je vous remercie de ces
précisions, M. le professeur. C'est d'ailleurs ce que j'avais cru
comprendre d'après le contexte de votre mémoire.
Vous avez rappelé fort opportunément à mon avis le
rapport de la commission sur le biculturalisme et le bilinguisme, le rapport de
la commission Dunton-Laurendeau dans lequel vous avez joué un rôle
si important. Je regrette pour ma part qu'on ne revienne pas plus souvent aux
fameuses pages bleues, à l'introduction du rapport de la commission
Dunton-Laurendeau qui contenaient, à vrai dire, toute la
problématique et l'une des démarches de M. Trudeau depuis cette
époque a été essentiellement de faire exactement le
contraire de ce que Dunton et Laurendeau avaient recommandé dans ces
fameuses pages bleues, particulièrement au niveau de la
problématique.
Me permettez-vous, Mme la Présidente, de revenir maintenant sur
un autre point précis, à moins que M. le professeur veuille
ajouter quelques mots à ce que je viens de dire?
M. Dion: Puis-je faire un commentaire, s'il vous plaît, sur
cette dernière observation?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.
M. Dion: II me semble qu'il faut faire attention, quand nous
parlons de la commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, de distinguer
les pages bleues et le reste. Les pages bleues, bien entendu, ont
signifié aux Canadiens qu'il y avait deux sociétés, la
dualité essentielle du pays, etc. Il me semble que c'est l'essentiel
peut-être du message, mais ce qui a été retenu
politiquement, c'est les parties, les recommandations pratiques concernant les
aménagements linguistiques au Canada et qui reposent sur une conception
du bilinguisme institutionnel qui est précisément celle
qu'aujourd'hui M. Trudeau veut imposer au pays. Par conséquent, cette
distinction m'apparaît absolument essentielle parce que M. Trudeau est,
d'une certaine manière, l'héritier de la commission. D'ailleurs,
il me l'a déjà dit à moi quand je discutais avec lui. Il a
dit: C'est, en définitive, de votre rapport que cette conception du
bilinguisme, je l'ai adoptée. II faut distinguer, en ce qui concerne le
bilinguisme au Canada, le plan fédéral et le plan des provinces.
En ce qui concerne le plan fédéral, il me semble, la Loi sur les
langues officielles que nous avons actuellement au Canada est une loi
excellente, en tout cas une bonne loi, et c'est sa mise en application, bien
entendu, qui est difficile non seulement en raison de la mauvaise
volonté des fonctionnaires, des agents, mais en raison de la
difficulté du pays au plan de sa composition linguistique.
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, puisque M. le
professeur Dion mentionne l'aspect linguistique qui, d'ailleurs, est au fond de
la plupart de nos problèmes - ce sont des problèmes de culture et
de civilisation qui ont des aspects économiques, sociaux et autres -
permettez-moi de lui poser une question sur les propos qu'il tient dans son
mémoire au sujet de la langue et,
en particulier, de la langue au Québec.
Sur ce point, l'attitude des fédéraux ne laisse pas de
nous inquiéter très fortement. Non seulement le projet
fédéral actuel, le coup de force a-t-il pour effet de maintenir
l'article 133 à l'endroit du Québec, c'est-à-dire le
bilinguisme officiel dans les institutions québécoises, sans
garantir les mêmes droits aux francophones de l'Ontario, mais il
s'attaque à la Charte de la langue française de façon
extrêmement précise.
Or, cette Charte de la langue française, au moins dans ses
composantes qui touchent à la langue scolaire, à la langue de
travail, à la langue de l'affichage, cette Charte de la langue
française relève de la compétence exclusive du
Québec, de sorte que le projet fédéral a pour effet de
passer par-dessus la compétence exclusive du Québec, par le
truchement d'une constitution qui serait adoptée par le Parlement
britannique, et de nous imposer des obligations que nous n'avons jamais eues
jusqu'ici. Et on sait en particulier l'effet qu'aurait le coup de force
fédéral en ce qui concerne la langue scolaire. Actuellement, en
vertu de la charte, les enfants des immigrants vont à l'école
française, ce qui a marqué un cran d'arrêt dans
l'anglicisation automatique des immigrants.
Or, dès la première version du coup de force
fédéral, les libéraux fondaient le droit d'accès
à l'école anglaise sur le critère de la langue maternelle.
Nous avons fait observer, à plusieurs reprises - et il y a eu, je pense,
des intervenants qui sont allés le dire devant le comité à
Ottawa - que cela avait pour effet, au minimum, de créer deux
catégories d'immigrants: ceux qui auraient le droit d'aller à
l'école anglaise et ceux qui n'auraient pas ce droit.
Nous avons fait observer également que la situation, en
réalité, est pire que cela. Comme le critère de la langue
maternelle est vague à souhait, comme l'était d'ailleurs celui de
la connaissance suffisante de la langue anglaise que proposait la loi 22, il y
a des chances qu'on aboutisse, à toutes fins pratiques, au libre choix,
surtout si le critère de la langue maternelle est appliqué par
les principaux intéressés, comme c'était le cas au moment
de la loi 22, première version, c'est-à-dire que ce sont les
principaux des écoles anglaises ou les administrateurs du système
anglophone qui choisissent les enfants de langue maternelle anglaise ou ceux
qui ont la connaissance suffisante de l'anglais.
L'expérience nous enseigne qu'avant la Charte de la langue
française les mécanismes administratifs, à toutes fins
pratiques, avaient été faussés et qu'on aboutissait
quasiment au libre choix. Nous avons fait observer cela mais, malheureusement,
dans la version modifiée du projet fédéral, le
critère est repris tel quel. En dépit de toutes les
représentations qui ont été faites devant le comité
des Communes, on a maintenu le critère de la langue maternelle.
Je n'insisterai pas sur les effets tout à fait
dévastateurs que cela peut avoir pour le Québec. À toutes
fins pratiques, cela brise, à notre avis, l'équilibre que la
charte a réussi à instaurer, non seulement l'équilibre
linguistique, mais l'équilibre social au Québec.
Je vous donnerai peut-être un exemple parmi d'autres, que je vous
demanderai de commenter, M. le professeur, sur les effets du critère de
la langue maternelle. Les citoyens dont un enfant a reçu ou
reçoit son enseignement primaire ou secondaire en anglais, n'importe
où au Canada, pourraient également envoyer leurs enfants à
l'école anglaise au Québec. Et là aussi, par voie de
conséquence, les descendants de ces enfants, bien sûr, jouiraient
des mêmes droits.
Dans la première version du projet fédéral, cette
disposition était soumise à la condition qu'un citoyen change de
province. Dans la deuxième version, cela s'est aggravé et,
désormais, cette condition n'est plus requise et la brèche
qu'ouvrent les libéraux fédéraux dans la Charte de la
langue française est encore plus vaste qu'auparavant. Il suffirait, par
exemple, à un Québécois d'envoyer ses enfants ou l'un de
ses enfants en pension à l'extérieur du Québec, de lui
faire donner l'enseignement en anglais dans une école à
l'extérieur du Québec et puis de ramener cet enfant au
Québec par la suite pour que tous ses frères et soeurs aient
droit et tous les descendants de cet enfant et de ses frères et soeurs
aient droit à l'enseignement en anglais au Québec.
Nous pensons que c'est grave, que cette atteinte aux droits du
Québec et à la compétence exclusive du Québec dans
le domaine linguistique est un véritable coup de force. Là, on le
sent dans toute sa vigueur, le coup de force fédéral.
Dans votre mémoire, vous décrivez la situation actuelle
découlant de l'article 133 qui impose, dites-vous, une asymétrie
entre le Québec et l'Ontario, une asymétrie en ce sens que le
Québec est lié par des dispositions constitutionnelles qui
l'obligent à être bilingue officiellement, tandis que l'Ontario,
où vivent quand même 600,000 francophones, n'est pas astreint aux
mêmes obligations.
J'aimerais vous poser une question sur cette asymétrie. Vous
proposez qu'on se fonde sur une asymétrie en sens contraire.
C'est-à-dire que le Québec serait dégagé des
contraintes de l'article 133, étant donné que, de toute
façon, l'anglais n'a pas besoin d'être protégé en
Amérique du Nord, tandis qu'en Ontario, celui-ci serait astreint, cette
province serait astreinte à l'article 133.
Est-ce que j'ai bien interprété vos
propos, enfin, votre mémoire, puisque vous n'avez pas
insisté sur ce point dans votre présentation orale? Non seulement
nous devons nous opposer au projet fédéral, mais nous devons agir
en vue de faire supprimer l'article 133 dans son application au Québec.
Est-ce que je vous ai bien interprété, M. le professeur?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.
M. Dion: Mme la Présidente, il y a là, en effet,
beaucoup d'éléments de pensée ou de nourriture pour
l'esprit. Je vais quand même indiquer certains points qui m'apparaissent
majeurs. Nous avons la chance extraordinaire au Canada d'être la
société qui a le mieux étudié les aspects
pertinents à la langue et cela, depuis au moins 20 ans. La commission
sur le bilinguisme a lancé, en effet, tout un train d'études que
nous pouvons lire aujourd'hui et non seulement nous ont-ils procuré des
connaissances extrêmement importantes sur le contexte social dans lequel
nous devons étudier la question linguistique et le comportement, le
statut et l'usage des langues, mais aussi nous avons contribué largement
au Canada au développement d'une science, d'une discipline, qui
s'appelle la sociolinguistique. Il y a eu de nombreuses études qui se
sont inspirées de l'exemple canadien, du cas canadien et des
spécialistes canadiens ont collaboraré dans de nombreuses tables
rondes et à de nombreux travaux au développement de cette
discipline.
Dans un mémoire que j'aurais aimé présenter, je me
suis appesanti sur la question linguistique. En fait, je ne parle que de cette
question que je considère une question élémentaire, mais
absolument essentielle pour un pays comme le nôtre. Nous avons à
concilier la coexistence de deux grandes langues universelles plus un grand
nombre d'autres langues qui n'ont pas le même statut, mais qui ont quand
même un certain droit historique et, sans aucun doute, juridique à
l'existence.
Il me paraît néanmoins qu'en dépit de ces
études, beaucoup d'hommes ou de femmes politiques, de personnes
politiques ne voient dans la langue qu'une question unidimensionnelle,
unilinéaire, qui n'a qu'une dimension. Ils considèrent la langue,
pour ainsi dire, indépendamment de la société dans
laquelle cette langue existe, est parlée, est utilisée. Bien non,
au contraire, la langue est une variable dépendante de beaucoup d'autres
variables sociales et, notamment, des variables économiques. Le statut
d'une langue dans une société est exactement celui de ceux qui
parlent cette langue. Si les parlants, ceux qui parlent une langue, ont un
statut social inférieur, la langue dans cette société aura
un statut inférieur et inversement, quels que soient les nombres, quels
que soient les autres facteurs. Il y a certaines constatations, conclusions de
la sociolinguistique. Une d'entre elles - je ne peux pas toutes les rappeler
ici; j'en mentionne quelques-unes dans un autre texte - qui m'apparaît
importante, c'est que, dans un contexte de bilinguisme intégral
où toutes les personnes dans une société
connaîtraient également les deux langues qui coexistent, la langue
dont le statut social est inférieur disparaît à plus ou
moins longue échéance. (12 h 45)
Bien sûr, ici, on fait souvent appel à ce qu'on peut
appeler le sophisme de Zénon d'Élée. Je ne sais pas si
vous vous souvenez de Zénon d'Élée qui prétendait
qu'une flèche lancée vers un but ne pourrait jamais atteindre son
but parce qu'à chaque instant, à chaque moment, elle ne parcourt
que la moitié de la distance. Elle n'arriva jamais à son but.
Cette image, ce sophisme, on peut l'appliquer, malheureusement, à
quelques-unes de nos minorités dans la diaspora canadienne, mais
certainement pas au Québec; au Québec, la langue française
ou la langue anglaise, bien entendu, ne sont pas en voie de
disparaître.
Bien entendu, j'ai critiqué les deux articles principaux majeurs
du projet de résolution. En ce qui concerne l'article 21, j'ai
regardé les projets d'amendements de M. Chrétien et ils sont
pires sur la question linguistique. En ce qui concerne les droits fondamentaux,
les droits démocratiques, je suis d'accord, je crois qu'il y a beaucoup
d'amélioration. Il y a une certaine amélioration. Sur les droits
démocratiques -c'est assez étonnant, je ne sais pas si cela vous
a frappés; je veux passer vite, mais c'est important - il est dit
à l'article 23.1: "Les citoyens canadiens dont la première langue
apprise et encore comprise est celle de la minorité linguistique
française ou anglaise de la province où ils résident." Si
cette clause était adoptée, mise en vigueur pour les francophones
canadiens venant au Québec, plusieurs d'entre eux devraient aller
à l'école anglaise.
Voyez-vous, je veux simplement signaler - je ne veux pas aller dans les
détails, c'est ce que j'aurais voulu faire à Ottawa - que nous ne
faisons pas une constitution à partir de virgules et en corrigeant des
virgules. Le comité conjoint, souvent, me fait penser à un jeu de
chaise musicale. On va changer tel point dans notre projet si vous nous
accordez vos votes etc. Ce n'est pas de cette façon qu'on va se donner
une constitution.
Ce que je voudrais vous proposer, c'est que nous étudiions la
question linguistique d'une façon beaucoup plus détendue parce
que précisément elle évoque tellement de passions. Je ne
prétends pas moi-même avoir toutes les formules, toutes les
solutions. Je voudrais qu'on les réétudie. En ce qui concerne le
133, je vais simplement indiquer
que nous étions près au Canada, assez proches, en tout
cas, à la suite notamment du rapport Pépin-Robarts, de faire
accepter que l'article 133 puisse être abrogé ou modifié au
Canada, s'il devait aller à l'encontre de la loi 101 ou des aspirations
nettement exprimées par les francophones. Il me semble que ce n'est pas
purement symbolique.
L'article 21 ou l'article 133, revenons plutôt à l'article
133, doit être modifié ou abrogé, parce qu'il a
été démontré, étudié, de
façon, à mon avis, extrêmement sérieuse, entre
autres par Jacques... - en tout cas, je l'ai cité ici - que l'article
133 a créé une asymétrie au pays qui a été
extrêmement favorable à ceux qui étaient déjà
plus forts, les anglophones à travers le pays, et qui a
été défavorable à ceux qui, même au
Québec, étaient sous plusieurs points les plus faibles, les
francophones du Québec.
Quand on dit qu'il faut que tout le monde porte également le
collier, que l'on étende simplement l'article 133 à l'Ontario
-laissons le Manitoba, qui est un cas bien spécial, et le
Nouveau-Brunswick - à la condition que le Québec conserve cet
article, je dis non. Ce qu'il faut, dans toute bonne démarche
sérieuse au plan de la sociolinguistique, c'est que le Québec
soit dispensé de l'article 133 en ce qui touche les provinces, parce
qu'il y a d'autres clauses de cet article qui touchent l'appareil
fédéral et qu'au contraire les provinces comme le
Nouveau-Brunswick et l'Ontario soient assujetties à l'équivalent
de cet article. C'est ce vers quoi doit tendre toute bonne problématique
de sociolinguistique et non pas l'inverse, c'est ce qu'il faut faire
comprendre.
Je sais qu'aujourd'hui nous sommes bien loin de là, mais c'est,
à mon avis, la seule solution possible, parce que, encore une fois,
c'est bien entendu une question qui relève de la langue du Parlement, de
l'administration, etc., des tribunaux. Dans le cas du Québec, il
faudrait l'étudier dans son contexte, dans le principe
général. C'est beaucoup plus qu'une question symbolique, c'est
une question qui vise, de façon immédiate et extrêmement
directe, le statut d'une langue, son statut officiel dans un pays, pour les
citoyens de ce pays et, bien entendu, pour les citoyens des autres pays qui
viennent. En outre, il y a un effet d'entraînement dans le statut
officiel d'une langue, sur l'ensemble des autres activités dans
lesquelles la langue est parlée.
Je vais laisser de côté l'article 21 du projet de
résolution. Quant à l'article 23, je ne vois rien d'autre que de
l'abroger. Quand même on changerait un point, on ajouterait une clause,
on va avoir une formule complètement inapplicable pour les francophones
des autres provinces et même injurieuse pour eux. Contrairement à
ce que l'article veut bien faire, je crois, il réduirait plutôt
leur chance du point de vue de l'école que de l'améliorer, et, du
point de vue du Québec - en tout cas, je ne veux que dire cela
aujourd'hui - lui imposerait des formules qui ne conviennent pas à
celles de la loi actuelle du Québec, qui a été
adoptée par un Parlement légitime, un gouvernement
légitime et qui n'a pas encore été... Même s'il y a
d'autres positions qui sont tenues par des partis politiques influents au
Québec, ceux-ci n'ont pas encore la possibilité d'imposer par la
loi cette orientation, de la rendre autorisée.
Je m'en tiens à cela pour l'instant, en ce qui me concerne; bien
entendu, je peux aller dans d'autres détails concernant cette question.
Je sais que nous aurons peut-être éventuellement un débat
entre nous, Québécois, à ce propos, mais j'aimerais que
nous le tenions ensemble et que nous voyions quelles sont les orientations.
J'ai, évidemment, à ce propos-là une formule. Je pense que
nous n'avons pas actuellement toutes les études et les connaissances
voulues pour peut-être corriger sur certains points la loi 101, mais si
nous devions la corriger dans les années qui viennent, dans les mois qui
viennent, eh bien! il faudrait s'équiper, je pense, d'une façon
majeure, parce que nous soulevons là un problème dont les
conséquences sont inestimables.
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, j'aurais
encore de nombreuses questions à poser au professeur Dion.
Peut-être pourrais-je y revenir plus tard dans sa comparution, mais je
pense qu'il est temps maintenant que l'Opposition puisse également poser
des questions.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est justement ce que
j'allais dire. M. le chef de l'Opposition officielle, vous avez maintenant la
parole.
M. Ryan: Je voudrais vous demander une orientation pour
commencer, Mme la Présidente. Quels sont vos projets au sujet du
témoin actuel? Est-ce que nous allons revenir cet après-midi avec
M. Dion ou si vous entendez compléter le témoignage ce matin?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle, si nous nous en tenons à la formule qui avait
été adoptée, vous vous souviendrez que dans le cas des
experts, Me Pratte et Me Normand, nous avions allongé la commission
parlementaire, ce que nous faisons habituellement. Si tel était le
désir de la commission, nous pourrions peut-être fonctionner de
cette façon, quitte à ce que, quand les gens viendront
présenter les mémoires, nous nous en tenions à cette
fameuse formule du total d'une heure que la
commission s'accorde pour recevoir les mémoires.
M. Ryan: Dans ces conditions-là, Mme la Présidente,
je serais enclin à vous demander si ce ne serait pas
préférable d'ajourner maintenant, vu qu'il ne reste que cinq
minutes d'ici à la fin de la séance, pour qu'on ne coupe pas
cette partie-là de la session en deux. Je pense que ce serait plus utile
autrement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Si tel était le
désir de la commission...
M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, si le chef de
l'Opposition ne veut pas utiliser le temps précieux que nous avons et le
peu de temps que nous avons à consacrer au professeur Dion, je serais
prêt à continuer. J'avais d'autres questions auxquelles je
renonçais pour donner à l'Opposition la chance d'en poser.
M. Ryan: Mais vous avez déjà pris une
demi-heure.
M. Morin (Sauvé): Mais j'avais d'autres questions
et...
M. Ryan: Quand on arrive cinq minutes avant la fin, les trucs de
procédure, on connaît ça, M. Morin, franchement.
M. Morin (Sauvé): Enfin, je veux bien qu'on ajourne
maintenant, si telle est la volonté de la commission, mais j'aurai
d'autres questions à poser au professeur Dion éventuellement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Quitte à ce que nous
revenions probablement. Après avoir passé la parole au chef de
l'Opposition officielle et au chef de l'Union Nationale, je pourrai vous
redonner la parole. Si tel est bien le voeu de la commission de la
présidence du conseil et de la constitution, nous suspendrions
maintenant jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 55)
(Reprise de la séance à 15 h 10)
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente de la présidence du conseil et de la
constitution reprend ses travaux après cette suspension.
Nous avons avec nous, à la commission parlementaire, M. le
professeur Léon Dion qui agit à titre d'expert auprès de
la commission aujourd'hui.
Nous en étions rendus à donner la parole à M. le
chef de l'Opposition officielle, mais, auparavant, j'aimerais simplement vous
rappeler que les groupes et organismes que nous recevrons avant la fin de la
journée seront, à la suite de M. le professeur Dion,
l'Association canadienne-française de l'Ontario, l'Union populaire et Me
Guy Bertrand.
Je donne la parole à M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: Merci, madame. J'ai écouté avec
intérêt les observations soumises ce matin par M. Léon
Dion. Son texte contenait beaucoup d'éléments intéressants
et d'autres éléments déjà familiers pour ceux qui
l'ont fréquenté ces dernières années.
J'étais intéressé à l'écouter parce que j'ai
moins le temps de le lire depuis que je suis dans la politique active,
étant donné que ses articles sont généralement
très longs.
M. Dion: Dommage!
M. Ryan: Mais c'était très intéressant. Il y
a un certain nombre d'observations qui me sont venues à l'esprit. Je
vais essayer de les formuler brièvement pour ensuite terminer avec
quelques questions.
M. Proulx: ...
M. Ryan: Oui, de ce côté-là, on se
complétait bien.
La Présidente (Mme Cuerrier): Ne me forcez pas à
faire remarquer à la commission que c'est M. le chef de l'Opposition
officielle qui a la parole.
M. Ryan: Deux choses me frappaient dans la présentation
que M. Dion a faite. J'avais l'impression que sa conception de la nation qui
sous-tend son jugement général sur l'évolution de la
situation et les positions des partis est une conception très
englobante, une conception qui est beaucoup plus englobante que celle que je me
fais moi-même et que celle que je crois observer dans la vie de tous les
jours. Il me semble que l'appartenance à une nation, ce n'est pas un
phénomène aussi chargé de tension ou
d'insécurité presque morbide que celui qu'on essaie de nous
présenter souvent. Il me semble que c'est quelque chose d'un peu plus
léger, d'un peu plus dégagé que cela, en tout cas. Cela me
frappe beaucoup, surtout dans la présentation qu'on a faite ce matin;
c'est une conception à propos de laquelle j'aime inscrire une certaine
distance intellectuelle.
Deuxièmement, je trouve que les jugements que porte M. Dion sur
le processus politique concret sont empreints d'un pessimisme qui est
peut-être caractéristique des milieux qu'il fréquente, mais
qu'ils diffèrent sensiblement de la perception qu'il m'est donné
de cueillir dans la réalité de
tous les jours. Je vous en donne deux exemples. Vous dites, par exemple:
Depuis le référendum, les Québécois sont
démobilisés. Vous affirmez cela avec beaucoup de fermeté,
je pense, autour de la page 16 de votre mémoire de ce matin et vous
concluez ailleurs à l'impuissance - vous parlez même de
l'impotence - des partis politiques. Sur le premier point, je ne suis pas
d'accord avec vous du tout. Je vis à l'intérieur du Parti
libéral du Québec une expérience d'engagement et de
mobilisation qui prend sans cesse de l'ampleur. Je rends hommage, de ce
côté, au parti ministériel aussi qui a un degré
d'engagement très élevé de la part de ses militants. Je
pense que jamais dans l'histoire politique du Québec vous n'avez eu deux
partis principaux manifestant une telle capacité de mobilisation des
énergies, du dévouement et de la disponibilité des
citoyens. Cela se manifeste par la facilité avec laquelle ils arrivent
à mettre au point des positions sur différents sujets, par la
facilité avec laquelle ils mobilisent des ressources financières,
par la facilité aussi avec laquelle ils mobilisent des ressources
humaines. Je ne pense pas que ce soit très proche de la vie que de
parler sur le ton pessimiste et péjoratif dont vous le faites dans votre
mémoire. Je vous pose la question parce que, encore une fois, mon
expérience est très différente.
Quand vous parlez de polarisation, vous semblez voir là-dedans un
phénomène tragique, terrible. Cela ne m'inquiète pas du
tout. Il me semble que c'est la loi de la vie, en particulier la loi du
processus politique en démocratie parlementaire et peut-être qu'un
progrès que nous faisons ces années-ci, c'est dans le sens d'une
clarification des positions. Il est arrivé des périodes où
les partis flottaient sur un consensus indéfini qu'on n'osait point
attaquer. (15 h 15)
Depuis quelques années, je pense que les deux partis principaux,
de manière toute spéciale, vont davantage au fond du
problème, en arrivent à définir leur position d'une
manière beaucoup plus nette que ce n'était le cas autrefois. Il
pourrait arriver que la position du Parti québécois l'emporte. Il
semble devoir arriver que la nôtre l'emporte dans l'immédiat, sans
poser au prophète. Je pense que c'est la loi de la vie et il me semble
que la loi de la vie adulte, c'est le choix, c'est de choisir. Quand on n'a pas
de choix, on ne peut pas choisir. On pourrait bien rester dans la bonne vieille
unanimité dont on rêve tous à certains moments de
nostalgie, mais il me semble que c'est mieux un alignement vigoureux où
les gens se font face comme des adultes. Il y en a un qui gagne, il y en a un
qui perd. L'autre se reprend la fois suivante. Il me semble que la roue tourne,
la roue de la démocratie et de la vie, et qu'il n'y a personne qui meurt
dans le processus, sauf ceux qui sont des collectionneurs d'insectes.
J'en viens plus immédiatement à des questions qui
découlent de la présentation de M. Dion. Vous dites, aux pages 30
et 31 de votre présentation, deux choses: D'abord, le but de la
révision constitutionnelle, du point de vue du Québec, ne peut
être que renforcer le Québec. Et la page suivante continue dans la
même veine: C'est entre Québécois qu'il convient d'abord de
poser la question du statut constitutionnel du Québec et de chercher
à s'entendre sur les orientations de base.
Je vous dis ici que mon parti est en désaccord avec vous. Nous
autres, nous disons que le but de la révision constitutionnelle doit
être de renforcer le Québec et le Canada. Si nous abordons la
révision constitutionnelle à partir d'une perspective aussi
étroite que celle qui est proposée dans votre papier, je pense
qu'elle va déboucher tôt ou tard sur une perspective qui va
être assez proche du séparatisme.
Et si nous optons pour la perspective fédéraliste, il faut
que nous assumions notre part du fardeau et du défi de l'ensemble du
pays, comme Québécois, évidemment, et en pensant à
nos intérêts, en pensant aussi aux intérêts de
l'ensemble. Et cette dimension ne me semble pas totalement absente de votre
communication. Je pense qu'au début vous étiez bien parti, quand
vous disiez: II y a des problèmes que le Canada éprouve, je
sympathise avec M. Trudeau, je comprends qu'il y a des choix à faire. Je
pense que, de ce point de vue, nous sommes assez près.
Mais j'aimerais que ces prémisses que vous posiez au
début, vous nous disiez pourquoi vous les avez laissées tomber
dans les conclusions.
Deuxième question. Vous proposez, à la page 32, un
cheminement pour en venir à un nouvel ordre constitutionnel au Canada.
En premier, vous dites qu'il faudrait faire le rapatriement assorti d'une
"formule d'amendement acceptée par les provinces selon une formule
comprenant obligatoirement le Québec. J'aimerais bien que vous nous
donniez des précisions sur la formule que vous
préféreriez.
Ensuite, vous dites: On laisse le processus parlementaire et
gouvernemental et on forme un groupe d'étude. Pépin-Robarts,
Laurendeau-Dunton, peut-être Dion... plus tard, Dion-Solon. Je n'ai pas
dit Solo. Un groupe d'étude, ensuite une assemblée constituante.
Je vous avoue que ce sont deux étapes qui m'inquiètent un peu. Je
ne sais pas comment on peut soustraire le processus à ce moment
délicat qui suivrait le rapatriement assorti d'une formule d'amendement,
comment on peut le soustraire à la responsabilité des élus
du peuple.
Je ne sais pas en vertu de quel
jugement de légitimité ou de légitimisation on
pourrait en arriver à la conclusion qu'un autre groupe aurait une
légitimité plus grande qu'un groupe comprenant les parlementaires
élus au suffrage universel et le pouvoir exécutif qui
découle de l'élection démocratique. C'est un point qui
fait difficulté dans l'esprit d'un grand nombre au sujet de vos
propositions. Autant je serais d'accord sur l'idée
qu'éventuellement on pourrait arriver à une assemblée
constituante comprenant, au premier chef, des parlementaires et,
complémentairement, peut-être d'autres citoyens, autant j'ai de la
misère à penser que, pour un temps, on va dire aux parlementaires
et aux gouvernants: Vous autres, vous allez nommer quelques personnes.
Mettez-vous de côté et on vous appellera plus tard, quand il y
aura une constitution. Franchement, je ne vois pas, au point de vue organique,
comment cela peut fonctionner sous notre type de gouvernement.
Un dernier point sur la politique des langues, deux petites questions.
Vous parlez d'asymétrie, un bien grand mot pour proposer une politique
qui pourrait aboutir à la confusion la plus complète. Je crois,
si nous vivons en régime fédéral, que nous ne pouvons pas
dire: Le "software" aux provinces, le "hardware" au fédéral. Vous
dites vous-même en conclusion, d'ailleurs: II ne faut pas séparer
l'économique du culturel. C'est curieux, parce que au début vous
étiez porté à faire la distinction entre le "software" et
le "hardware".
Il me semble qu'on doit viser à obtenir un minimum de droits qui
vont valoir pour tout le monde dans ce pays fédéral où
nous habitons, quitte à ce que, pour un certain nombre d'autres droits,
chaque province ait sa liberté de législation. Je ne vois pas au
nom de quel principe on dirait en partant: Cela va être d'abord
l'asymétrie, le reste, on n'en a pas besoin. Moi, je me dis: Si on peut
s'entendre - c'est la position de mon parti et je sais que vous l'avez
critiquée parfois, mais on n'a pas l'occasion de se parler tous les
jours - nous autres, nous favorisons l'inclusion de certains droits
linguistiques dans une constitution renouvelée, par exemple. Je ne vois
pas en quoi cela peut faire du tort à qui que ce soit que de garantir
certains droits fondamentaux. Je l'ai déjà demandé au
premier ministre en Chambre; je l'ai demandé au ministre des Affaires
intergouvernementales, ici. Je n'ai jamais eu de réponse à cette
question-là, en quoi ça peut menacer la langue française
que le contribuable de langue anglaise puisse avoir accès à la
justice dans sa langue au Québec et que le contribuable de langue
française puisse avoir accès à la justice, au moins
criminelle, en Ontario.
Je trouve que si on avait cette garantie-là dans un pays comme le
Canada, il me semble que le niveau d'acceptation réciproque serait plus
élevé. En tout cas, ce n'est sûrement pas un objectif
auquel je serais prêt à renoncer en partant et je vous poserais
une question, en complément de ceci, sur l'article 133 dont vous avez
parlé. Nous autres, dans notre programme, nous disons: Nous aimerions
que l'article 133 reste là, mais qu'il s'applique pour l'Ontario et le
Nouveau-Brunswick, en plus de continuer à s'appliquer pour le Manitoba
et pour les autres, éventuellement, aussi, mais nous n'en ferions pas
une contrainte immédiate.
Je voudrais vous demander en quoi l'article 133, dans
l'interprétation qu'on lui a donnée jusqu'à maintenant et
sans préjuger de la décision que rendrait la Cour suprême
dans la question qui lui a été soumise à la suite du
jugement sur la loi 101, en quoi l'article 133 a-t-il nui ou est-il de nature
à nuire à l'épanouissement d'un Québec
prioritairement français, mais où on a aussi le souci de
respecter les droits linguistiques de la minorité anglophone? L'article
133 prescrit deux sortes d'obligations: l'obligation de respecter le droit de
chacun d'user de sa langue dans la Législature à
l'Assemblée nationale et dans ses commissions et, deuxièmement,
le droit du justiciable de transiger avec les tribunaux en français ou
en anglais, quelle que soit sa langue. On pratique ça depuis 113 ans au
Québec et franchement on a un très bon système de justice.
Je ne pense pas qu'il y ait plus de respect des droits des uns et des autres
que celui qu'on a vu au Québec dans le système judiciaire et la
preuve, c'est que jamais des demandes de modifications ne sont venues de
sources judiciaires ou des milieux du Barreau. C'est venu de théoriciens
de l'extérieur. Je me dis, moi, plutôt que de supprimer l'article
133, j'aimerais mieux qu'il reste, en s'appliquant également au
Nouveau-Brunswick et à l'Ontario.
Je suis d'accord, cependant, si ces provinces ne veulent pas du tout
entendre raison, que nous refusions 1'espèce d'asymétrie que nous
impose l'ordre constitutionnel actuel. Mais j'aimerais avoir vos opinions sur
ces questions.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Dion.
M. Dion: Merci, Mme la Présidente. C'est évident
que ce sont des questions qui, s'il fallait y répondre d'une
manière complète, mettraient plusieurs heures et je pense que je
pourrais, à ce moment, revivre certaines des heures, en effet, que j'ai
déjà vécues dans l'ancien temps avec M. Ryan.
Mais il reste que je pense que, sous-tendant les interrogations que me
pose M. Ryan, il y a quand même des conceptions assez différentes
de vue que nous devons accepter entre lui et moi concernant
l'aménagement constitutionnel qui conviendrait au Canada et au
Québec, non
seulement le Québec, mais l'ensemble du pays, pour encadrer d'une
manière juridique nos institutions. En ce qui concerne la conception de
la nation, je ne crois pas avoir une conception de la nation qui relève
d'une théorie faite. J'ai l'impression que, selon les conditions, selon
les questions posées, selon les conjonctures également qui se
présentent à la société, je vois le problème
de la réaction collective à des questions posées comme
pouvant être ou bien de caractère détendu, ou bien de
caractère beaucoup plus serré et beaucoup plus tendu.
Ce que je voulais dire ce matin, c'est qu'il faudrait éviter de
créer des conditions, notamment par la constitution d'un pays, qui ne
permettraient pas de procurer aux Québécois la
sécurité dont ils ont et auront toujours besoin non seulement sur
le plan démographique, parce que, pour moi, ce n'est pas là
l'essentiel, mais sur le plan socio-économique, sur le plan culturel.
C'est la raison pour laquelle, pour moi, ça devient une priorité
importante de regarder quel système nous allons mettre en oeuvre et
quelles seront les réactions affectives qui en résulteront chez
les francophones du Québec.
Ce matin, je ne critiquais que le point de vue du projet de
résolution qui nous est présenté par M. Trudeau. Il me
semble que ce projet de résolution, tel qu'il est, est susceptible
d'engendrer une série de réactions négatives
d'insécurité, de complexe, fondées sur le fait qu'on
maintient beaucoup trop, à mon point de vue, le statut de
minorité politique aux Québécois francophones. C'est la
raison pour laquelle j'étais tellement heureux au début des
années soixante, parce qu'il m'apparaissait, eu égard au
développement de la société québécoise, eu
égard aux engagements que prenait, à l'époque, le
gouvernement de M. Lesage, eu égard également à certaines
orientations du gouvernement fédéral dirigé à ce
moment-là par M. Pearson, aux sortes d'orientations que
préconisait Maurice Lamontagne par son fédéralisme
coopératif, que nous pouvions mettre en oeuvre une série de
cadres institutionnels qui réduisaient d'autant la tension, le sentiment
d'insécurité que partageaient tellement de francophones, de
Québécois, durant la décennie antérieure.
Il m'apparaissait que, dans les années soixante, nous
étions en train de constituer au Québec les cadres d'une
société qui permettrait aux Québécois de s'affirmer
sans crainte dans leur monde québécois, bien entendu, et
également dans le monde de l'extérieur. Je me suis toujours
considéré comme un optimiste modéré; on peut, d'une
certaine façon, définir cela comme étant du pessimisme.
Mon pessimisme vient du fait que - je ne fais pas état des orientations
constitutionnelles que préconise le Parti libéral du
Québec, bien que l'on pourrait également étendre cela
à ces orientations; je m'en prends, pour l'instant, exclusivement au
projet fédéral - ce projet, à mon point de vue, est de
nature à ressusciter des types de sentiments, de réactions dont
on avait un peu perdu l'habitude au Québec ces derniers temps.
Je pense, notamment, à nos rapports avec les anglophones et les
allophones au Québec, qui risquent non pas de s'améliorer par ces
changements préconisés, mais au contraire, à mon point de
vue, de se détériorer de nouveau, comme c'était le cas
avant que nous ayons ces dispositions institutionnelles qui, sans aucun doute,
avaient posé au moins un certain nombre de bornes qui offraient aux
francophones un territoire d'action où ils pouvaient agir librement tout
en indiquant assez bien pour les anglophones quelles étaient
néanmoins les prérogatives qu'ils conservaient. Là-dessus,
je renvoie simplement au rapport Pépin-Robarts, qui est un rapport
fédéral et qui indique que la loi 101 propose pour les
anglophones un modus vivendi qui doit leur apparaître comme
suffisant.
En ce qui concerne la démobilisation des Québécois
après le référendum, c'est évident que nous n'avons
pas eu la victoire du oui. Nous aurions vu quelle aurait été la
réaction et au Québec et à l'extérieur du
Québec, mais il m'apparatt nettement que la façon dont le
référendum - le résultat du référendum - a
été interprété par certains, a été de
nature à démobiliser les Québécois.
Ceci s'est exprimé, de plusieurs façons et l'une de ces
façons, je crois, compréhensible par M. Ryan, notamment, c'est
que c'est un peu dommage que cette discussion constitutionnelle, telle qu'elle
s'est déroulée durant le référendum et qu'elle se
déroule depuis lors, est devenue une affaire de famille pour ainsi dire.
Une affaire entre Québécois, soit qui oeuvrent à
Québec, soit qui oeuvrent à Ottawa. Je n'ai pas l'impression que
ce type de débats entre nous est de nature à vraiment susciter
beaucoup d'enthousiasme parmi ceux qui nous écoutent.
J'entendais Mme Chaput-Rolland durant certaines phases de nos
débats à l'Assemblée nationale, ici, indiquant que
peut-être la population n'était pas nécessairement
très fière de ce qui se déroulait là et j'ai
l'impression que nous avons tous contribué quelque peu à ce
sentiment chez beaucoup de personnes dans le public, que les questions
étaient devenues telles que finalement on ne savait plus quelle
orientation il fallait prendre. (15 h 30)
Ceci m'amène évidemment à la mobilisation partisane
du débat constitutionnel. Je suis d'accord qu'il y a un rôle pour
les hommes politiques, évidemment. Il y a un rôle pour les hommes
politiques dans un débat comme celui-ci, comme dans
tout débat. Ce qu'il m'apparaît s'être produit depuis
une couple d'années, c'est que le débat constitutionnel, comme
presque tous les débats engageant des questions fondamentales sur
l'avenir des projets de société, est devenu presque un monopole
des partis. Peut-être que j'exagère ici, c'est ma façon de
percevoir les choses, mais je pense que les partis politiques, qu'il s'agisse
du Parti québécois ou du Parti libéral du Québec,
ont en quelque sorte la défense de certaines orthodoxies
institutionnelles dont il est extrêmement difficile de sortir.
Je me souviens, par exemple, que, dans les media, ce qu'on nous demande
de faire, c'est toujours de réagir par rapport à un point de vue
exprimé par l'un ou l'autre membre de partis politiques. C'est comme si
- on pouvait revenir au rôle des intellectuels dans la
société - ceux-ci avaient, soit par leur faute ou autrement,
perdu en quelque sorte la possibilité de s'exprimer eux-mêmes en
dehors des partis.
Je remarque également - je l'éprouve dans ma vie presque
quotidienne - que ce que nous disons comme personnes, à
l'extérieur de partis politiques, risque d'être
interprété par l'un ou l'autre comme allant bien dans le sens
d'un parti et allant mal dans le sens d'un autre parti. Je dois dire, Mme la
Présidente, que ceci ne m'a pas convaincu de devenir membre d'un parti
politique, au contraire, je crois qu'il faut revendiquer pour les
intellectuels, que j'appelle indépendants, et les engager, revendiquer
leur place au soleil. Évidemment, c'est à eux de la chercher,
cette place, et de s'y maintenir.
M. Ryan a dit que la polarisation était la loi de la vie; je ne
le crois pas. La manichéisme n'est pas la loi de la vie. La
manichéisme ne nous mène pas à la vérité. La
manichéisme est au contraire une structure de pensée qui risque
de paralyser l'action, qui risque de faire oublier beaucoup d'aspects
essentiels dans une situation, parce qu'on essaie constamment de ramener la
problématique de la vie et de la société à deux
pôles: le bon pôle et le mauvais pôle. Bien entendu que,
soi-même, on se situe dans le bon pôle, l'autre parti étant
le mauvais pôle. Comme mon professeur à Rimouski le disait: Il y a
deux principes, il y a le bon principe et le mauvais principe. Les bons
élèves suivent les bons principes et les mauvais
élèves suivent les mauvais principes.
Il me semble, en effet, qu'il y a des questions à propos
desquelles il faut la polarisation partisane, parce qu'il faut décider
rapidement. Nous le voyons chaque jour à l'Assemblée nationale.
Il faut le faire pour les lois ordinaires, pour les questions sur lesquelles,
au fond, il existe un consensus dans la société et surtout pour
les lois qui pourront être reprises très prochainement, s'il y a
un autre gouvernement. Si un autre parti n'est pas d'accord, il les
ramène avec sa majorité, défait ces lois-là.
À mon point de vue, c'est la seule façon de pratiquer une
politique. Autrement, la politique doit se faire, si on ne compte pas les
votes, on va étêter, on va couper les têtes. C'est la raison
pour laquelle, d'ailleurs, nous avons adopté la règle de la
majorité comme procédure d'action politique. Ce n'est pas parce
que c'est la bonne formule au plan de la vérité, au plan de la
recherche de la réalité telle qu'elle peut être
définie, selon des normes trouvées par l'humanisme ou par la
science, c'est parce qu'il faut agir.
Mais quand il s'agit des questions fondamentales, comme celles qui
engagent un avenir illimité, des générations futures aussi
bien que soi-même dans tous les cadres de la vie quotidienne, parce
qu'une constitution va enserrer tous les aspects de la vie individuelle et
collective des citoyens, à mon point de vue, il faut faire plus que de
la polarisation; il faut rechercher, bien entendu, les cadres,
l'identité, des pluralismes.
Dans la société, il y a du pluralisme et, si M. Ryan a
voulu signifier que, par là, il reconnaissait l'existence du pluralisme
qui s'impose, bien entendu, aux hommes politiques comme à tous les
autres, je suis parfaitement d'accord. Nous n'aurons jamais une identité
de vues, une unanimité de vues sur toutes les questions.
Cependant, pour ce qui concerne les questions constitutionnelles, c'est
ce vers quoi il faut tendre. Je me souviens qu'à l'automne 1966, je
crois, le parti de l'Union Nationale qui était au pouvoir et le Parti
libéral s'étaient mis d'accord pour la création d'un
groupe auquel je pense, Mme Solange Chaput-Rolland, a participé, les
États généraux du Canada français. Nous
étions d'accord qu'il y avait un problème pour le Québec,
pour le Canada, bien entendu. C'est évident, nous ne sommes plus dans la
même situation et je dois comprendre que c'est très difficile pour
les partis de pouvoir se mettre d'accord même sur ces questions
essentielles. C'est la raison pour laquelle je conclus qu'il faut que ces
débats puissent en même temps se faire à l'extérieur
des partis politiques et à l'extérieur même des
Assemblées nationales. Je prêche pour un retour par les citoyens,
par les groupes organisés, les collectivités spontanées
afin qu'ils se reprennent en main et qu'à leur tour, ils disent ce
qu'ils veulent et le fassent connaître autrement que par le truchement
des voies partisanes proprement dites.
Quand on dit que le but ne peut pas être exclusivement de
renforcer le Québec, cela dépend de la façon qu'on voit
les choses. Je pense que je n'ai pas ici à indiquer que je me situe dans
un contexte canadien. J'ai toujours oeuvré dans un contexte canadien.
C'est la première fois de
ma vie que je me trouve à parler publiquement dans une
assemblée politique, l'Assemblée nationale, en dehors d'Ottawa.
J'ai toujours été discuter de ces questions à Ottawa. J'ai
participé à des groupes de travail fédéraux et je
voyais la position du Québec dans le cadre fédéral, et
Dieu sait s'il me semble que cette position s'impose aujourd'hui encore
davantage. Il faut sans aucun doute chercher les voies d'insérer le
Québec dans la fédération canadienne. C'est encore pour
moi, comme je le disais ce matin, la voie la plus économique, mais
n'allons pas faire le travail des autres; faisons d'abord notre travail. Si
nous ne sommes pas d'accord à propos de la question linguistique - pour
prendre cette question-là - je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui
nécessairement en débattre dans les détails, mais
commençons par en discuter vraiment entre nous. Sortons-les, nos
études sur lesquelles nous nous fondons pour indiquer ceci, indiquer
cela, etc., et les orientations que nous prendrons. Montrons au moins à
l'extérieur, aux anglophones canadiens qui ne comprennent rien dans nos
débats, montrons-leur quand même que nous avons, nous, pris une
certaine orientation et que nous savons de quoi il retourne.
J'en suis personnellement, en tout cas, arrivé à la
conclusion - c'est une conclusion que j'ai exposée à plusieurs
reprises devant la commission Pépin-Robarts elle-même -qu'il ne
sera pas possible d'aménager une situation constitutionnelle, juridique
pour le Québec et qui permette en même temps au Québec de
jouer son rôle plus positif, plus enthousiasmant dans l'ensemble du pays
si, d'une certaine façon, on ne lui octroie pas un statut particulier,
et non pas en raison de questions affectives ou émotives pour le
Québec, mais en raison de la nature des problèmes qui se posent
au peuple canadien.
Je pense notamment à la question linguistique. Je ne vois pas la
possibilité d'en arriver à une formule uniforme à travers
le pays à propos de la question linguistique. La situation des sept
provinces anglophones dans lesquelles nous avons moins de 4% de la population
qui énonce que sa langue d'usage est le français - même si,
dans certains cas, à propos de groupe ethnique et de la langue
maternelle, ils étaient 14% comme groupe ethnique, 7% dans la langue
maternelle, il y en a seulement 3,8% dont la langue d'usage est encore le
français. C'est la situation du Manitoba actuellement qu'on veut
déclarer officiellement bilingue. Faites-le. Déclarons le
Manitoba officiellement bilingue, mais quel résultat, quelle
conséquence pratique cela aura-t-il sur une population qui est en voie
de disparaître? 3,8% qui ont la langue française comme langue
d'usage, cela ne veut pas dire 3,8% qui accepteraient d'aller à
l'école française si elle était disponible, parce qu'ils
ont d'autres objectifs que d'aller à l'école française.
Ils savent très bien que, dans la province du Manitoba, il est
impossible de vivre en français du point de vue institutionnel, du point
de vue du travail, du point de vue de la langue des communications. On ne
choisit pas une langue pour des raisons purement affectives. On choisit une
langue pour des raisons d'utilité et je pense que le Manitoba et le
Québec ne peuvent pas être situés de la même
manière à propos de la question linguistique.
C'est la même chose, bien entendu, pour le Nouveau-Brunswick et
l'Ontario. Dans le cas du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec,
nous rejoignons actuellement 96% des personnes parlant français au
Canada. Même pour l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, on me dit:
L'asymétrie ne ferait pas de mal au Québec. Elle a fait du mal au
Québec depuis 1867 en ce qui concerne l'attribution de contraintes
particulières au gouvernement du Québec, à
l'Assemblée nationale, à l'administration du Québec, aux
cours de justice du Québec en lui imposant le caractère officiel
du français. Dans certains cas et pendant très longtemps, au
niveau des tribunaux, la langue des tribunaux fut beaucoup plus l'anglais que
le français, en ce qui concerne les procès qui impliquaient les
compagnies, notamment. Cela avait été un des points qui avaient
été soulevés. Vous me dites: Les juges n'ont jamais fait
allusion à ces problèmes. C'est évident. Quand les juges
vont-ils parler de ces questions? Ils ne peuvent pas le faire. J'ai fait
moi-même - et M. Ryan, vous l'avez fait vous-même - on a fait des
conférences aux juges. C'est évident que le judiciaire a un
statut particulier dans notre système politique et qu'il n'appartient
pas aux juges d'aller discuter de ces questions. Quant au Barreau, je crois
que, si nous revoyions les déclarations du Barreau, nous verrions quand
même, à certains moments, des jugements sur cette situation.
Comme je le mentionnais ce matin, le caractère officiel d'une
langue a un effet d'entraînement formidable sur une
société, tant du point de vue des gens à
l'intérieur que du point de vue des personnes de l'extérieur. Et
pour moi, le statut du français au Canada ne peut pas être
autrement qu'asymétrique parce que, en ce qui concerne le
Nouveau-Brunswick et l'Ontario, c'est évident que ce serait pour eux une
chance formidable si la langue française était reconnue au niveau
des provinces comme langue officielle. Et quel dommage cela ferait-il à
une majorité qui possède tous les moyens de contrôle pour
la promotion de la langue anglaise, qui possède toutes les institutions
économiques, qui a les mass media, qui a l'éducation, etc.?
Inversement, si on se pose la question pour les anglophones du
Québec,
personnellement, je n'ai absolument rien contre le développement
et la promotion de l'anglais au Québec. J'ai toujours pensé que
c'était bon pour le Québec que l'Université McGill existe
et qu'elle soit forte et excellente. Néanmoins, quand nous regardons la
situation de la langue anglaise au Québec, elle est tellement dans un
statut supérieur, elle a des possibilités d'action tellement
supérieures au français, au Québec même, qu'il n'y a
pas de danger, même si nous maintenions quelque chose qui ressemble
à la loi 101, que la langue anglaise au Québec sibisse des
préjudices importants, majeurs, au plan de l'éducation. C'est
bien certain qu'il y a au niveau élémentaire - on en fait
état -certains problèmes de la relève des
élèves du système scolaire anglais. De la même
manière y en a-t-il un problème de relève au niveau du
système scolaire français. Quant aux chances et aux
possibilités d'avenir, actuellement, il y en a qui vont dans le
réseau anglais encore davantage que la proportion des anglophones au
Québec. Et quand on regarde le taux d'assimilation de la population
active au français et à l'anglais, ceci peut peut-être
surprendre, mais la proportion de ceux qui s'assimilent à l'anglais, au
Québec, est beaucoup plus grande, 5,4% contre 3,2%, actuellement,
à peu près.
C'est évident que les allophones sont très importants,
comme l'enjeu un petit peu captifs, d'une certaine manière, de ces deux
grands groupes linguistiques. On fait état qu'il ne serait pas
très difficile, qu'il ne serait pas très grave de modifier les
règles actuelles qui existent d'après la loi 101. Je pense qu'il
faut avoir une vision un peu plus lointaine de l'avenir. Actuellement - et ceci
est assez remarquable - les anglophones qui immigrent au Québec se
maintiennent encore autour de 27% de l'ensemble des immigrants.
Néanmoins, la proportion, le nombre total, comme vous le savez, a
diminué beaucoup. Au lieu d'être environ 30,000, ils sont
d'environ 10,000 ou 12,000 actuellement. Ceci veut dire qu'environ 3000
immigrants sont de langue anglaise quand ils viennent au Québec.
Nous aurons, à partir de 1990-1991, de nouveau une main-d'oeuvre
insuffisante. Il va falloir faire appel de nouveau à une grande
proportion d'immigrants pour la relève de cette main-d'oeuvre.
D'où viendra-t-elle la main-d'oeuvre? Est-ce qu'elle viendra des milieux
proprement francophones, qui n'ont pas été jusqu'ici tellement
propices à l'immigration? On peut dire: Cela dépendra des
gouvernements en présence. Moi, je ne fais pas confiance à ces
gouvernements pour ces questions.
Encore une fois, je ne voudrais pas soulever tout le débat
concernant la question linguistique, mais s'il fallait qu'un parti politique
ouvre d'une façon considérable la question que semblait avoir
fermée la loi 101, certainement que je serai partie de ce débat,
non pas parce que je m'oppose aux anglophones, non pas parce que je crains que
les francophones québécois vont disparaître -ils ne
disparaîtront pas - mais parce qu'ils ont besoin d'une protection
linguistique considérable pour leur promotion économique.
Nous savons actuellement qu'au niveau qualitatif nous n'avons pas
à comparer les deux systèmes d'éducation. Plus nous
montons, nous arrivons au niveau universitaire; imaginez, du côté
anglophone, un doctorat par 6800 personnes au Québec et un doctorat pour
environ 37 000 personnes parmi les universités francophones. C'est
évident qu'il n'y a pas de comparaison. Le système anglais est
bien supérieur au système français pour toutes sortes de
raisons, historiques et autres.
Si vous allez du côté de la profession, vous allez
remarquer - ce sont des études très nombreuses que j'ai
apportées avec moi et que je peux étudier avec vous tant que vous
voulez - à propos des revenus pour les plus hauts salarités,
à propos des revenus pour les diplômés d'université,
il est évident qu'une personne qui parle l'anglais est favorisée
du point de vue de ses chances de carrière et de son revenu au
Québec même. (15 h 45)
Si vous regardez la langue d'usage dans les entreprises - on dit que la
question du français est réglée, elle n'est pas
réglée au Québec - plus nous montons les échelons
dans l'activité économique, plus l'anglais devient la langue
d'usage. D'ailleurs, je ne suis pas nécessairement contre le fait que
l'anglais soit là, mais je veux que les conditions restent ce qu'elles
sont pour la promotion du français.
En ce qui concerne le contrôle de l'économie, il y a des
études qui montrent que le contrôle de l'économie est en
train, en quelque sorte, non pas de changer de main du camp de l'anglais au
français, mais il y a quelques percées ici et là du
français, des Français du point de vue du contrôle de
l'économie. Une étude de Maurice Sauvé sur les dirigeants
d'entreprise, des quelque 1000 entreprises qui ont 1000 employés et
plus, avec un certain niveau d'"output", montre que moins de 10%, 9% des
dirigeants d'entreprise québécois sont francophones et qu'en ce
qui concerne les dirigeants au sommet la proportion descend à 3%, etc.
Mais, évidemment, là, les nombres peuvent varier. Dans les plus
grandes compagnies dont le président peut être identifié,
il y a eu une baisse dans les dernières années. C'est une baisse
accidentelle, sans doute, à la suite des remplacements.
Je pourrais continuer ainsi très longtemps pour montrer que le
problème linguistique au Québec, ce n'est pas une question de
savoir si on va mettre telle
mesure, la langue française, la langue maternelle ou la langue
qui a été la langue d'enseignement des parents. C'est beaucoup
plus que ça. C'est une question, comme je le mentionnais ce matin, de
société. Il faut l'envisager comme telle et c'est la raison pour
laquelle je crois encore qu'il nous faut poursuivre des études, non pas
parce que je prêche pour mon clocher; j'ai fait suffisamment
d'études, mais je suis prêt à en faire encore. Je suis
prêt aussi à améliorer, à réorienter mon tir.
Mais, avec mes confrères anglophones, au lieu de se lancer des mots
à travers le journal la Gazette, etc., j'aimerais que nous nous mettions
ensemble et nous regardions vraiment ce qui est la situation au Québec
pour l'anglais et pour le français et que nous en arrivions à
constater la situation et à proposer, par conséquent, certains
moyens d'action qui peuvent être, éventuellement, des
modifications à loi 101, quand la vie économique, notamment, aura
davantage été sous le contrôle des francophones.
En ce qui concerne, par conséquent, l'ensemble de la question
linguistique, il m'apparaît qu'il faut retourner à l'école.
Et je dirais la même chose pour les autres questions. Nous avons
actuellement à faire face à un problème majeur qui est
celui des communications dans un monde très différent de celui
que nous avons connu, dans lequel les media auront un rôle autrement plus
considérable. Ce n'est pas à coup de livres verts faits dans un
bureau de ministre - je ne m'en prends pas à M. L'Allier ni
nécessairement à d'autres - je crois qu'il faut compléter,
il faut lancer le débat et que nous comprenions très bien dans
quel contexte il faut situer les communications, les affaires sociales, etc.,
et toutes les autres questions, malgré tout, malgré la commission
BB, qui, à mon avis, a mal tourné dans ses orientations - nous
étions dix ans antérieurement - malgré la commission
Pépin-Robarts, qui, à mon point de vue, avait quelques bonnes
orientations mais, malheureusement, elles ont été mises de
côté ou elles ont été oubliées depuis quelque
temps. Il nous faudra continuer.
Quant à l'assemblée constituante, une fois que nous
aurions eu des orientations précises émanant d'un groupe
d'étude, je n'ai aucune objection à ce que l'assemblée
constituante soit constituée des premiers ministres, personnellement.
C'est possible qu'on puisse, en même temps, allouer des personnes qui ne
seraient pas des élus qui pourraient être nommés par les
Assemblées nationales, si l'on voulait.
Mais si nous convoquions aujourd'hui une conférence
fédérale-provinciale, constituée des premiers ministres,
selon la formule que nous avons adoptée avec des travaux faits par des
fonctionnaires, etc., je suis persuadé que nous aboutirions, quelle que
soit la bonne volonté au départ des personnes concernées,
néanmoins, aux mêmes conclusions. Quant au reste, je pense que les
députés - je voudrais revenir là-dessus - les politiciens,
les hommes politiques ont un rôle à jouer. Mais, moi, je
prêche également pour un rôle pour ceux qui ne sont pas dans
la vie politique, mais qui peuvent, par leur expérience personnelle ou
leurs travaux, également, s'être mérité une certaine
compétence qui leur permet de se prononcer sur des questions à
l'ordre du jour.
M. Ryan: M. Dion...
M. Dion: J'avais encore un point, mais je ne le ferai pas.
Software et hardware. J'ai oublié. Le software et le hardware, je les ai
mis de côté. Allez-y. J'en parlerai tantôt.
La Présidente (Mme Cuerrier):
Rapidement, parce que le temps avance. M. le chef de l'Union Nationale,
vous dites que vous avez une simple remarque?
M. Ryan: Je voulais dire...
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai encore fait un
lapsus.
M. Ryan: II faut croire que vous avez un syndrome, Madame, qui
est typique de votre parti.
La Présidente (Mme Cuerrier):
J'apprécierais que vous ne me parliez pas maintenant de choses
comme celle-ci, pas à ce moment-ci, M. le chef de l'Union Nationale.
Ici, je me sens très neutre. Je l'ai encore dit? Je vais l'écrire
en gros, M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: Je ne pensais pas que c'était si
avancé.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle, c'est sans doute parce que je dois maintenant passer la pqarole au
chef parlementaire de l'Union Nationale. J'apprécierais si vous vouliez
bien me pardonner les lapsus.
M. Ryan: Très bien, Mme la Présidente. Juste un
mot. Moi, je n'ai jamais suggéré de ma vie et cela ne m'est
même pas venu à l'esprit de penser que des gens en dehors des
partis politiques n'aient pas de rôle à jouer dans le débat
constitutionnel. Toute ma carrière antérieure témoigne
d'une conviction contraire. Le parti que je dirige a ouvert ses portes
très grandes à des experts, à des spécialistes,
à des témoins ordinaires venant de tous les milieux possibles. Il
n'est pas question de ça du tout. Vous pouvez garder l'assurance qu'avec
nous, surtout, vous
pourrez continuer à écrire des articles dans les journaux
et témoigner devant toutes les commissions que vous voudrez, M. Dion, il
n'y a pas de problème. Mais ce que je vous dis, c'est que j'ai de la
misère à accepter ce qui est écrit dans votre texte,
à la page 28, quand vous dites en toutes lettres que les partis sont
incapables d'être des guides fiables en ce qui concerne la question
constitutionnelle.
Je vous dis: Si vous voulez substituer une autre
légitimité à celle des partis politiques, vous êtes
libre de lutter pour cela aussi. On a toutes les libertés en
démocratie. Mais vous dites: Moi, je vais lutter pour l'objectif
contraire et je trouve que les partis politiques sont de bien meilleurs
véhicules pour l'expression des aspirations et des problèmes des
citoyens que des cours des professeurs, que je respecte, par ailleurs, mais
nous avons un véhicule public pour l'expression des aspirations des
citoyens, ce sont les partis politiques. Jamais ils n'ont été
aussi productifs que ces dernières années, surtout sur la
scène québécoise. Ce n'est pas au moment où ils
sont productifs comme ils l'ont été que n'importe qui va pouvoir
conclure: On regrette, ces gens ne sont pas des guides fiables. C'est la
population qui va les choisir et je ne pense pas qu'on pourra avoir deux
systèmes de suffrage universel. Il y en a un et il s'exerce mieux par
l'existence de partis politiques qui se font concurrence les uns les
autres.
Je voulais simplement souligner qu'en matière constitutionnelle,
le râle des partis politiques est et doit demeurer primordial. Que tous
ceux qui ont des idées à émettre les émettent et,
si vous faites une critique qui invalide une position de mon parti, tant mieux
pour vous et tant mieux pour la démocratie. Nous n'avons rien contre
cela. Ce n'est pas l'objet du débat. Ce sur quoi je vous interroge,
c'est le jugement que vous portez sur les partis politiques qui me paratt
déphasé et irréaliste.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.
M. Dion: C'est une question d'appréciation, mais je vais
alors préciser ma pensée. Je vais tourner la vis un peu plus. En
effet, je pense que les partis politiques -je parle ici du Parti
québécois et du Parti libéral du Québec - se sont,
dans ces dernières années, attribué une certaine
orthodoxie en ce qui concerne la pensée constitutionnelle. Pour moi,
cette orthodoxie n'est pas valable. Les deux partis, tant le Parti
québécois que le Parti libéral du Québec, se sont
entravés au point où, à mon point de vue, ils ne sont plus
considérés par une bonne partie de la population comme des guides
fiables.
Il m'apparaît - et ici je fais la part des deux: j'avais dit au
début qu'il est possible qu'on fasse l'unanimité contre moi, ce
qu'il n'a pas été possible de faire contre M. Trudeau. Le Parti
québécois, c'est évident, a une entrave dans le
débat constitutionnel et là-dessus, je renvoie simplement aux
propos de M. Ryan lui-même, c'est un parti dont l'orientation
constitutionnelle ne prévoit pas un fédéralisme comme fin
d'un processus de révision. Comment voulez-vous que ce parti, qui est
actuellement le gouvernement, puisse vraiment être
considéré par une bonne partie de la population comme fiable?
Je ne juge pas, encore une fois, des personnes, quoique très
honnêtement, au cours de l'été, je l'ai dit, M. Claude
Morin et bien d'autres ont eu une attitude très honnête, ils ont
travaillé. Mais s'ils allaient, si la cause qu'ils défendent dans
le processus en cours allait triompher - c'est la fin du premier projet, du
premier article de ce parti, c'est la fin du projet indépendantiste,
c'est la fin de la souveraineté-association.
Très bien. Passons au Parti libéral du Québec. Le
Parti libéral du Québec, à mon point de vue, s'est
également...
M. Rivest: ...d'accord avec vous.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Dion.
M. Dion: Le Parti libéral du Québec s'est
également mis une entrave importante à l'occasion... Oh non, oh
non! Évidemment, on a parfois des propos avec M. Ryan, je le respecte
beaucoup, ce n'est pas là le problème, je pense qu'il le sait.
C'est ma façon de voir le rôle du Parti libéral du
Québec depuis qu'il est chef du parti et surtout, évidemment,
depuis la campagne du référendum. A mon point de vue, sans le
vouloir et bien honnêtement, dans la défense du
fédéralisme, ce qui était évidemment son
rôle, le Parti libéral du Québec s'est mis une entrave
majeure en acceptant, sans condition, de collaborer avec le premier ministre du
Canada. En ceci, il m'apparaît que, pour une partie de la population, il
est à son tour non fiable comme guide pour une réforme
constitutionnelle, parce que, lui aussi, il a cette entrave et il faudrait en
plus discuter d'une orientation qui n'a pas été à l'ordre
du jour durant la campagne référendaire, à la demande
même de M. Ryan, à savoir le livre beige.
Comme M. Ryan le soulignait, j'ai émis des critiques sur le livre
beige et si, éventuellement, le Parti libéral du Québec
venait au pouvoir et s'il voulait mettre en loi des orientations
préconisées dans le livre beige au plan constitutionnel, nous en
parlerions et nous ne lutterions certainement pas tout à fait du
même côté de la clôture. C'est dans ce sens que, pour
moi, les partis politiques sont insuffisants, comme guides,
pour l'action constitutionnelle.
En outre, à mon point de vue, le livre blanc est mis de
côté dans ses aspects les plus importants. Le livre beige de
1978-1979, je crois qu'il faudrait qu'il soit révisé assez
considérablement, à la suite de l'expérience que nous
vivons actuellement et que nous vivrons. Mais pour ce qui concerne la reprise
du débat, ce que j'ai proposé ce matin comme moyens, qui
paraît bien long à M. Ryan, je crois qu'il va falloir accepter de
demander à des gens qui sont indépendants de dire: Voici,
donnez-nous quand même des orientations à partir d'études
solides, et il y en a. Grâce à Dieu, nous avons beaucoup
progressé, non seulement depuis la commission B.B., mais même
depuis Pépin-Robarts; depuis les deux ou trois dernières
années, il y a beaucoup d'études.
Je demanderais que nous demandions à ces personnes de nous dire
quelles sont les grandes dimensions des problèmes au plan
constitutionnel et ensuite les partis politiques, qui n'ont jamais
été construits, qui n'ont jamais été
créés pour discuter, pour élaborer des questions
fondamentales... Ils sont là pour proposer aux citoyens des enjeux qu'on
appelle programmes ou plates-formes, dans lesquels les citoyens se partagent
plus ou moins, dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.
Je veux avoir un bon mot, néanmoins, pour l'Union Nationale, que
j'ai laissée de côté aujourd'hui, qui me paraît avoir
été victime, dans le passé récent, de cette
polarisation dont faisait état M. Ryan. Je crois qu'il y a de la place -
je le dirai samedi - pour l'Union Nationale dans le prochain débat,
parce que je ne crois pas que les citoyens se retrouvent complètement
dans les deux pôles qui sont actuellement proposés; je parle ici
au plan de certaines questions majeures.
C'est, encore une fois, ma façon de voir la politique, notre
problématique québécoise et canadienne. C'est
évident que je n'ai pas l'autorité pour l'imposer et, même
si je l'avais, je ne le ferais pas.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef parlementaire de
l'Union Nationale.
M. Ryan: Seulement une rectification que je suis obligé de
faire. M. Dion a dit tantôt que nous avions collaboré avec le
Parti libéral fédéral, sans restriction, sans condition,
c'est faux. Le livre beige de mon parti était public, avait
été approuvé en congrès général avant
la tenue du référendum. Cela a toujours été notre
politique depuis ce temps, y compris pendant la compagne
référendaire, mais nous ne l'avons pas imposée aux autres
partenaires pendant cette campagne. Notre position a toujours été
claire. Depuis que le gouvernement fédéral a fait connaître
son projet de réforme, notre position a été parfaitement
claire. (16 heures)
M. Dion: Madame, est-ce que je pourrais ajouter seulement un mot,
pour répondre? Je pourrais répondre très longtemps, parler
beaucoup, mais, durant la période du référendum, vous
savez que j'ai dit oui et j'en suis profondément heureux. La question
que je posais, qui m'aurait persuadé de dire non, c'était: Quel
fédéralisme renouvelé nous promettez-vous? Or, d'un
côté comme de l'autre de tout le camp du parapluie du non, on nous
disait: Attendez! D'abord, battons les séparatistes et, ensuite, nous
vous dirons quel fédéralisme renouvelé. Quant à
ceux qui estimaient que M. Trudeau s'était assoupli, etc., etc., ou ils
n'ont pas voulu s'ouvrir les yeux à la personnalité réelle
de M. Trudeau que je présente un petit peu dans mon texte ici, ou encore
ils ont été naïfs, parce que M. Trudeau n'a jamais dit qu'il
avait changé d'idée. Il faut voir dans quel esprit il est
allé dans la politique fédérale. Il a commencé
à s'opposer à l'orientation du fédéralisme canadien
que poursuivait M. Lesage dès 1963. C'est dans cet esprit-là
qu'il a dit que cette orientation conduisait tout droit au séparatisme,
continuant, bien sûr, avec le débat de M. Johnson en 1967, qui l'a
monté sur la scène fédérale et qui lui a permis
d'obtenir le leadership du Parti libéral du Canada.
Pourquoi aurait-il, au mois d'avril ou de mai dernier, tout à
coup changé son fusil d'épaule et serait-il devenu plus souple?
Cela ne m'apparaissait pas évident en tout cas. C'est la raison pour
laquelle je demandais qu'on nous dise quel fédéralisme
renouvelé on proposait contre l'option souveraineté-association,
mais, malheureusement, il n'y a pas eu de précisions à ce
moment-là. Aujourd'hui, à mon point de vue, nous sommes tous
victimes de ce silence qu'on a concédé.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef parlementaire de
l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Mme la Présidente, j'avais noté tout
à l'heure certaines remarques de M. Dion quand il porte un jugement sur
les partis politiques. Ce n'est pas pour le féliciter d'avoir
oublié l'Union Nationale parce que je savais que j'aurais l'occasion de
revenir et qu'on doit le rencontrer également en fin de semaine, mais
sur ce qu'il dit dans son jugement, je suis parfaitement d'accord avec lui.
Actuellement, si on prend les deux grands partis comme des guides fiables, on
peut certainement se poser des questions. M. Dion nous a parlé de la
polarisation. Je sais qu'on a accusé l'Union Nationale d'avoir
participé à cette polarisation en nous rangeant dans le
comité du non. Je pense bien que, si nous
avions été dans le comité du oui, nous aurions
joué en faveur d'une polarisation d'une façon ou d'une autre.
Alors, je pense que, quant au jeu que nous avons joué, nous, à
l'occasion du référendum, nous n'avions pas le choix. Mais nous
avions également pris certaines distances - je ne le regrette pas
aujourd'hui - non pas vis-à-vis du président du comité du
non - on a essayé de collaborer le mieux possible - mais
vis-à-vis de M. Trudeau; j'avais émis certains doutes et je pense
bien que les événements nous ont donné entièrement
raison.
Il reste que les idées que M. Trudeau se fait sur le
fédéralisme, il les a développées, comme M. Dion
vient de nous le dire, déjà depuis une quinzaine d'années.
M. Trudeau n'a jamais changé d'idée. Il a sa vision à lui
d'un Canada et, devant ces choses-là, ce n'est pas étonnant qu'on
voie aujourd'hui tellement de gens, de groupes, de provinces ne pas concourir,
alors que normalement le premier ministre du Canada aurait dû, dans son
projet de résolution, essayer de rejoindre les tendances les plus
communément acceptées dans l'ensemble du peuble canadien. On sait
que ce n'est pas facile à cause des groupes, à cause des
différences de langues, etc., etc.
M. Dion, on sait très bien que la polarisation n'est pas
terminée et qu'il y a une tendance, d'après les sondages,
à vouloir bannir cette polarisation pour donner aux gens un
troisième éventail, une troisième voie qui puisse un jour
permettre à ceux qui ne veulent pas se situer dans l'une des deux
grandes tendances, que ce soit la souveraineté-association ou encore ce
que préconise le Parti libéral actuel, de se reconnaître au
moins dans une autre formation. C'est dans ce sens-là que nous
travaillons dans le moment.
Vous avez mentionné ce matin, M. Dion, que si le projet de
résolution de M. Trudeau était accepté comme tel, si j'ai
bien compris, le droit à la dissidence, en somme, n'existerait pas. Le
droit à l'autodétermination serait-il automatiquement banni? Ceux
qui oseraient proclamer soit la souveraineté-association ou
l'indépendance du Québec ou une autre formule seraient-ils
automatiquement, par le fait même, des hors-la-loi, si jamais ce projet
de résolution était adopté tel que M. Trudeau l'entend?
Que deviennent les gens qui aimeraient oeuvrer, dans le sens où eux
l'entendent, pour la libération du Québec?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.
M. Dion: Je vais répéter ce que j'ai dit ce matin
à ce sujet. Mon point de vue à ce propos, c'est que, dans l'ordre
actuel des choses, si le projet de résolution devait être
adopté substantiellement comme il est maintenant, il deviendrait sinon
légalement impossible, du moins extrêmement difficile de
poursuivre activement l'idée d'indépendance, soit en se donnant
un mouvement, ce qu'il serait évidemment possible de faire, soit par un
parti politique qui oeuvrerait, préconisant cette idée, ce qui
serait possible. Il serait même possible, je crois bien, pour ce
parti-là de prendre le pouvoir, mais il lui serait impossible de mettre
en oeuvre, selon en tout cas ma façon de voir le projet de
résolution, le processus du déclenchement de
l'indépendance politique comme telle et cela pour au moins trois raisons
qui sont dans le projet de résolution.
Je crois que le projet de résolution accorde une
suprématie tellement importante au gouvernement fédéral
dans tout l'aménagement constitutionnel, dans tout l'aménagement
des cadres institutionnels sociopolitiques qu'une province aurait
énormément de difficultés à mettre en oeuvre un
processus qui irait dans le sens de l'indépendance au plan
politique.
La deuxième raison, c'est que nous nous serions entendus à
propos d'une formule d'amendement. Nous n'avons pas actuellement de formule
d'amendement. Nous avons accepté que le Parti québécois
gagne ses élections et procède selon son programme à une
certaine demande. Nous avons accepté que ce soit légitimé
en quelque sorte par le référendum québécois, mais
tel ne serait plus le cas, advenant la situation où nous aurions
accepté une formule d'amendement qui impliquerait que d'autres provinces
se mettent d'accord pour un changement constitutionnel venant d'une autre
partie. Comme je l'expliquais ce matin, Québec pourrait probablement
obtenir, dans une formule comme celle-là, un droit de veto,
empêcher que les choses se fassent à son détriment, mais il
ne pourrait plus poursuivre, par les mêmes raisons d'un processus
d'amendement, des objectifs qui seraient non admis par les autres composantes
du pays.
La troisième raison pour laquelle l'indépendance ne
pourrait plus être poursuivie comme projet politique, c'est qu'il
faudrait procéder éventuellement par des
référendums canadiens qui pourraient bloquer tout processus
d'indépendance politique pour le Québec, parce que les autres ne
seraient pas d'accord; d'où, pour ma part, j'en arrivais à cette
conclusion.
Dans toute réforme de la constitution, il faudra modifier ces
clauses, de façon à permettre au Québec ou une autre
province sans aucun doute - mais le Québec en aura, à mon avis,
au niveau de l'histoire, à l'avenir plus besoin et sera plus
tenté de le faire - de le faire selon des mécanismes
prévus par la constitution ou encore déclarer officiellement dans
la constitution même le
droit d'autodétermination pour le Québec, ce qui, en
dépit de toutes ces clauses, lui permettrait, pour cette
raison-là, d'agir.
C'est ma façon de voir. J'indiquais que permettre une
constitution de bloquer l'idée d'indépendance, nous pouvons
toujours le faire, que le droit de sécession n'est plus admis en
l'inscrivant dans la loi ou par les implications de la loi. À ce
moment-là, nous déclarons, nous acceptons d'avance que sera
illégal le procédé. C'est dans ce sens-là que j'ai
parlé ce matin.
M. Le Moignan: Mais quand Terre-Neuve est entrée dans la
Confédération canadienne par voie de référendum
provincial, les autres provinces n'ont pas été consultées.
À un moment donné, Terre-Neuve, se sentant à son point de
vue trahie ou pas assez bien traitée, a menacé de se retirer.
Comment les choses se seraient-elles organisées à ce
moment-là? Terre-Neuve aurait-elle pu, par un autre
référendum, sortir du Canada sans que les autres provinces
n'aient un mot à dire?
M. Dion: Je présume que la même règle se
serait appliquée à Terre-Neuve comme elle s'appliquait au
Québec s'il avait voulu, le printemps dernier. Par voie de
référendum, Terre-Neuve aurait pu se retirer de la
Confédération, comme elle y est entrée en 1949 par voie de
deux référendums, je crois, et avec une majorité qui n'a
pas été forte, quelque 53%. Eh bien! ce serait la même
chose, mais, à partir du moment où nous aurions adopté une
formule d'amendement à la constitution qui lierait Terre-Neuve,
Terre-Neuve ne pourrait plus le faire.
M. Le Moignan: Au point de vue linguistique, je comprends que nos
groupes francophones sont tellement minoritaires qu'ils ont beaucoup de
difficulté à survivre et à continuer à utiliser
leur langue. Ils sont au nombre de 35% ou 36% au Nouveau-Brunswick. La
reconnaisance des langues officielles là-bas peut leur aider. Ils y a en
Ontario environ, je crois, 600,000 francophones qui parlent leur langue, mais
leur proportion est peut-être de 400,000 qui l'ont comme langue d'usage.
Je ne suis pas trop certain des chiffres. Vous avez dit tout à l'heure
qu'on choisit une langue en fonction de son utilité. Je le crois
beaucoup pour ce qui concerne les autres provinces, mais ici, au Québec,
vous avez mentionné aussi la loi 101, qu'il faudrait attendre quelques
années pour en apprécier, en juger davantage les
conséquences. On sait très bien que, dans le passé, les
anglophones au Québec, les allophones et tous les nouveaux immigrants
choisissaient toujours la langue anglaise puisque c'était pour eux une
langue d'utilité. On sait que, encore aujourd'hui, les anglophones vont
continuer et que même certains francophones vont étudier l'anglais
à cause de l'utilité et non pas pour des questions
émotives, patriotiques et le reste.
Il y a quelque chose de très important dans la loi 101 en
fonction du projet du gouvernement du Canada. Si le gouvernement
réussissait, dans l'article 21 ou 23, à s'impliquer exactement
dans les droits linguistiques - je comprends que cela met les
Québécois dans une position assez compliquée, surtout
vis-à-vis de l'Ontario qui n'aura pas du tout à subir les
mêmes désavantages - comment verriez-vous un tel projet de loi et
ses conséquences sur la loi 101 qui existe actuellement, alors qu'elle
n'a peut-être pas fait un rodage assez avancé? Vous avez
mentionné tout à l'heure - ce que j'ai lu ailleurs - que dans
sept ou huit ans il faudrait peut-être faire appel à des
immigrants, donc, des ouvriers qui ne parleront pas le français quand
ils vont venir ici. Cela peut créer un problème dans les
années 1990, alors que le Québec aura besoin d'aller les
chercher. Je comprends qu'il y a des ajustements qui vont peut-être se
faire en cours de route d'ici là mais, dans la situation
présente, vis-à-vis du projet du fédéral et la loi
101...?
M. Dion: Oui. Je pense, M. Le Moignan, que ce ne doit être
un mystère pour personne que d'énoncer le principe suivant: au
Canada, c'est le français qu'il faut protéger partout, y compris
au Québec. La situation de la langue française en Amérique
du Nord est telle qu'il faut, si l'on veut que les citoyens puissent vivre
pleinement en français et vivre une vie d'homme complète, que le
français soit protégé partout au Canada, mais y compris au
Québec. Néanmoins, il faut tenir compte des conditions
socio-politiques, socio-économiques existant dans chaque région
du pays, dans chaque province et qui sont tellement inégales.
Nous faisons état du Nouveau-Brunswick et, vue du Québec,
la position de l'Acadie, les Acadiens, ce sont des parlant français, ils
n'ont pas de problème. Allons-y voir. La situation des
Nouveau-Brunswickois est difficile. J'admets que depuis plusieurs
années, depuis le gouvernement de M. Robichaud, notamment, et de M.
Hatfield, il y a beaucoup de progrès au plan officiel, au plan
institutionnel, mais au plan de la vie quotidienne ce n'est pas très
facile de vivre pleinement en français au Nouveau-Brunswick et le taux
d'assimilation à l'anglais est relativement élevé,
même pour nos Acadiens, les Acadiens eux-mêmes.
Si nous allons en Ontario, où nous faisons état de la
grande masse de quelque 600,000 francophones, le pourcentage d'assimilation
à l'anglais est effarant et, vous savez, c'est une courbe
géométrique, mais
quand une personne perd sa langue, les enfants qui viendront l'ont
perdue également. On ne la retrouve jamais, de sorte que le taux
d'assimilation à l'anglais en Ontario est quelque chose qu'il faut
surveiller. Il y a d'entières régions de l'Ontario où le
français est en train de disparaître et, finalement, on se rend
compte que même en Ontario ce sont les Franco-Ontariens qui sont plus
agglutinés sur la frontière, la "clay belt" le nord-est et le
sud-est de l'Ontario, qui ont des chances plus grandes de vivre. Les
écoles françaises n'y font presque rien. Les media n'y font rien.
C'est un problème de société, encore une fois, un
problème de densité culturelle et de densité
économique. Néanmoins, je suis d'accord que nous avons un devoir,
en tant que pays, pour permettre le maximum de ce que nous pouvons faire,
racheter au moins quelque chose des crimes politiques qui ont été
commis à l'endroit des francophones canadiens.
En ce qui concerne le Québec, je dis: C'est la situation inverse.
Les anglophones ne sont menacés aucunement au Québec. Les
anglophones de langue maternelle qui viendront au Québec, même
s'ils allaient à l'école française, resteraient
anglophones au Québec facilement. Ils sont adossés sur un
continent de 240,000,000 de parlant anglais, alors que nous, francophones,
sommes à peine 2% de parlant français. Il faut penser en termes
d'Amérique du Nord et non pas de Canada, d'Ontario et de
Nouveau-Brunswick.
Les anglophones du Québec, regardez les réseaux
institutionnels dont ils disposent, dont je fais état dans mon texte et
que personne ne peut nier. Au point de vue des mass media, il y a plus de
postes de télévision que vous pouvez syntoniser à
Montréal en langue anglaise qu'en langue française. Au point de
vue de tous les moyens économiques, les moyens de communications, etc.,
il n'y a aucun problème de ce côté-là. Comment
pouvez-vous croire que vous allez pouvoir, à ce moment-là,
assortir des situations socio-économiques et culturelles si
différentes en adoptant des mesures, des normes juridiques uniformes
pour des situations si diverses? Ce qu'il faut faire, ce qu'il faut faire
comprendre à tous les Canadiens et d'abord aux Québécois,
d'après ce que je peux voir, c'est que le français a besoin
d'être protégé partout. (16 h 15)
Que la loi 101 sur certains points, du point de vue de ses
réglementations, soit mauvaise, c'est bien possible. Mais j'ai
l'impression, en ayant eu l'occasion à plusieurs reprises depuis
plusieurs années de rencontrer des groupes d'affaires à
Montréal, qu'ils sont beaucoup plus préoccupé par les
impôts de M. Parizeau que par les dispositions de la loi 101.
M. Le Moignan: J'aurais une dernière question. Je n'ai pas
d'inquiétude pour l'avenir des anglophones du Québec parce que je
sais que, par l'environnement, les 240,000,000, ils sont protégés
à tous points de vue.
Mais, avec ce projet de résolution, si c'était
appliqué intégralement, nous ici, les francophones du
Québec, est-ce que cela peut nous affaiblir, est-ce que cela peut nuire
à la cause dans les prochaines années, si jamais ce projet
était adopté?
M. Dion: Voici, Mme la Présidente. Si nous disons que cela
peut nuire au point de faire disparaître les francophones du
Québec, certainement pas. Je ne crois pas qu'une collectivité de
5,000,000 et plus, qui a ses cadres institutionnels solides, son réseau
d'éducation, son emprise maintenant dans la vie économique,
puisse disparaître en raison de dispositions juridiques. Je ne crois pas
cela.
M. Le Moignan: Mais comme société, s'affirmer.
M. Dion: Néanmoins, c'est de nature à
"désaccélérer" le processus de prise en main par les
francophones de la société québécoise dans tous les
aspects.
M. Le Moignan: C'est dans ce sens-là que je vous pose la
question.
M. Dion: Et je pense que, si je m'adresse aux anglophones qui
sont ici, à M. Marx, par exemple, l'avenir des anglophones du
Québec est de comprendre cela. Ce n'est pas la disparition de
l'anglophonie au Québec, c'est l'acceptation par les anglophones que
leur intégration au Québec passe désormais par une
société qui est définie à travers un prisme
français.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai des demandes
d'intervention de la part de plusieurs des membres de la commission. Est-ce que
nous pourrions nous entendre pour que chacun puisse aller rapidement au but,
que nous fassions un effort? Il y a d'autres groupes qui attendent pour se
présenter devant la commission et j'aimerais bien que nous ne soyons pas
obligés de les reporter à demain, au risque d'en voir d'autres
qui ne pourraient pas être entendus.
M. le ministre d'État au Développement culturel et
scientifique, vous aviez la parole.
M. Morin (Sauvé): Merci, Mme la Présidente. Je
serai très bref. Je voudrais revenir sur un aspect de la question
linguistique. Ce matin, nous avons consacré presque tout notre temps
à l'article 133. Je pense avoir dit clairement au professeur Dion que
nous étions passablement d'accord avec
son analyse. D'ailleurs, est-ce que la Charte de la langue
française n'était pas précisément la mise en oeuvre
des idées dont il nous a fait part ce matin?
Mais le chef de l'Opposition nous disait tout à l'heure qu'il
7favorise plutôt le maintien de cet article 133, son extension ailleurs.
Il va même plus loin. Il favorise l'inclusion d'une charte des droits
dans cette nouvelle constitution. Il nous donne l'exemple des droits devant les
tribunaux. Mais il se garde bien de nous parler de l'inclusion, dans cette
charte des droits, de la question scolaire, des droits d'accès à
l'école anglaise, droits qui sont bien mentionnés, clairement,
dans le projet fédéral, lequel retient le critère de la
langue maternelle comme condition d'accès à l'école
anglaise au Québec.
Or, justement, ce critère de la langue maternelle, retenu par les
libéraux fédéraux, est également le critère
retenu par les libéraux du Québec. C'est le critère du
"red book", du livre rouge des libéraux du Québec.
À votre avis, M. le professeur, ce critère de la langue
maternelle est-il acceptable pour le Québec, soit dans le projet
fédéral, soit dans le projet des libéraux provinciaux?
M. Dion: J'ai le document du PLQ ici, mais il faudrait que je
cherche trop longtemps dans ma malle. Je crois que je l'ai un peu dans
l'esprit.
Si je comprends bien, c'est la langue maternelle qui serait
identifiée principalement par la langue dans laquelle les parents
auraient été instruits à l'école, mais
également par d'autres moyens, dans certains cas.
M. Rivest: Par le critère de la loi 101.
M. Dion: C'est à peu près cela. C'est difficile,
vous savez, de dire: C'est mauvais, c'est bon. Pour ma part, j'estime que nous
sommes en train d'atteindre, avec les dispositions actuelles de la loi, un
certain équilibre, un équilibre qui est extrêmement
précaire et qui ne pourrait être renversé facilement en
raison des motivations des usagers, soit surtout des allophones et des
anglophones.
En ce qui me concerne, j'aime la disposition qui est actuellement dans
la loi 101, non pas parce qu'elle est techniquement la meilleure, mais parce
qu'elle n'a pas causé apparemment trop de dommages; elle a
été applicable, d'une certaine manière, et cela
m'apparaît important. Moi, je pense que toute problématique
linguistique qui créerait deux catégories de venants au Canada,
d'immigrants, serait mauvaise. Il faut qu'on sache, à
l'extérieur, que nous soyons du Pakistan, des États-Unis, de la
Belgique ou de la France, qu'en venant au Québec nous irons à
l'école française ou que nous irons à l'école
anglaise, mais que nous fassions un choix. Ils le savent d'avance; s'ils
acceptent de venir, c'est pour d'autres considérations. Genève
est une ville qui est à peu près de la taille de Québec,
je crois, ou un peu plus considérable, qui comprend environ 20% de
Suisses allemands et d'Allemands. Chaque Allemand qui va à Genève
sait qu'il ira à l'école française publique. Il n'y a pas
de problème.
Le jour où on commence, comme c'est le cas à Bruxelles,
à avoir une école qui pourrait être accessible à
l'un ou l'autre groupe, nous créons des difficultés. Je pense que
nous maintenons deux systèmes au Québec; j'en suis heureux et il
faut maintenir un système anglais. Il n'est pas question de le faire
tomber, mais il faut avoir des précisions, des critères pour
l'accès à l'un ou l'autre de ces systèmes. Pour moi, des
critères qui permettraient à des personnes de l'extérieur,
qui ne sont pas au Québec et, notamment au Canada, de pouvoir se
définir comme ayant le choix et d'autres n'ayant pas le choix, c'est un
mauvais système. C'est un système qui va provoquer des
difficultés très grandes.
Mais il y a un deuxième problème, c'est le problème
de l'équilibre. L'équilibre au niveau scolaire est
extrêmement fragile actuellement. C'est exact que la proportion des
enfants qui vont à l'école anglaise diminue. Mais elle est encore
supérieure en 1979-1980 à ce qu'elle était en 1975-1976.
C'est assez remarquable. C'est environ quelque 15%, alors que la proportion
d'anglophones au Québec est de quelque 12%. Ils sont encore
supérieurs.
Néanmoins, si nous modifions les clauses, les règlements
permettant ainsi à des immigrants de langue maternelle anglophone
d'aller à l'école anglaise, nous risquons de débalancer,
dans l'avenir, cet équilibre que nous avons créé. Qui nous
dit combien d'immigrants anglophones il nous faudra au Québec à
partir du moment où, la main-d'oeuvre active ayant diminué, il
faudra la remplacer par beaucoup d'immigrants dans dix, quinze ans d'ici? On
peut dire: On choisira des immigrants francophones. On sait par l'histoire que
les immigrants francophones ne viennent pas tellement nombreux et que
peut-être le type de main-d'oeuvre qu'il nous faudra - ce seront sans
aucun doute des techniciens ou au moins des professionnels - il faudra aller le
chercher dans les pays anglophones qui sont plus industrialisés, qui
sont plus forts au plan technique et au plan de la science.
Pour moi, je dirais que la sagesse et la prudence - même si nous
admettons que nous ne savons pas exactement quelles seraient les conditions si
nous modifions les clauses -demandent que nous n'agissions pas actuellement. Je
pense que je fais état dans
une étude qui, malheureusement, n'a pas pu être
présentée au comité conjoint de suffisamment de
données en ce qui concerne le Québec pour indiquer qu'au
Québec même il vaudrait mieux ne pas toucher à cette loi,
du moins dans ses parties majeures. Je ne parle pas, encore une fois, de
certaines réglementations qui, d'ailleurs, ont été
maintenant, je crois, adaptées à certaines situations de
façon assez tolérante.
M. Morin (Sauvé): Je remercie le professeur Dion. J'ai
terminé mes questions.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
de Prévost.
Mme Chaput-Rolland: M. Dion, vous avez dit tout à l'heure
qu'il vous apparaissait très important de reconnaître au
Québec un statut particulier, selon le rapport Pépin-Robarts.
Nous avons fait bien attention de ne pas reconnaître un statut
particulier, précisément pour ne pas lever contre le
Québec les neuf autres provinces qui entendent toujours "statut
privilégié" lorsque l'on dit particulier, mais nous avons retenu
un caractère distinctif au Québec pour garder les
éléments de sa spécificité. Ce n'est pas une
question; c'est simplement pour rétablir les faits.
Il y a deux questions que je voudrais vous poser. Si elles sont trop
longues, Mme la Présidente, j'accepte volontiers de les retirer, parce
que je ne veux pas moi non plus allonger le débat. Vous avez dit tout
à l'heure que les amendements proposés par les conservateurs de
M. Clark vous apparaissaient être plus nocifs au Québec que ceux
qui étaient dans les propositions de M. Trudeau. Je voudrais savoir
pourquoi. Ma deuxième question serait une question que M. Ryan vous a
posée et à laquelle vous n'avez pas répondu. Quelle serait
la formule d'amendement que vous-même, M. Dion, accepteriez?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
professeur.
M. Dion: Je n'ai pas la longue habitude parlementaire de Mme
Chaput-Rolland.
Mme Chaput-Rolland: C'est difficile mais on l'apprend.
M. Scowen: On n'a pas l'habitude d'écouter les questions
courtes.
M. Dion: Cela viendra. Vous vouliez rétablir les faits
à propos du statut particulier de la commission Pépin-Robarts, on
devrait en faire une exégèse, mais moi je suis d'avis que la
commission Pépin-Robarts a en fait procuré au Québec un
statut particulier. Je dis bien statut particulier de fait. Elle a
renoncé à ce que ce soit un statut particulier de jure pour
certaines raisons, mais cela ne veut pas dire que cela ne devrait pas
être cela. Pour rétablir les faits, je crois que le Québec
aurait, dans le cadre de la mise en oeuvre des propositions de la commission
Pépin-Robarts, effectivement un statut particulier en ce qui concerne la
langue, en ce qui concerne la culture, en ce qui concerne les communications,
en ce qui concerne l'immigration et également, sur un certain plan, les
affaires sociales. Mais nous ne pouvons reprendre tout cela. C'est probablement
plutôt une question d'interprétation des choses.
Je veux aller plus loin. Je dis qu'il faut aller plus loin que cela. Il
va falloir que le Québec, pour avoir un statut constitutionnel qui lui
convienne, qui convienne aux aspirations des Québécois, aux
besoins des Québécois, fasse accepter par les anglophones du
reste du pays que ce qu'il faut pour le Québec, c'est un statut
particulier de droit en ce qui concerne les aspects que je viens
d'énumérer. Bien entendu, il semble presque stupide de ma part de
faire une telle proposition à ce moment-ci surtout après le
résultat du référendum. Si, personnellement, malgré
les réticences que j'avais en ce qui concerne l'option proposée
par le Parti québécois, j'ai voté oui, c'est
précisément parce qu'il me semblait, à ce moment, qu'il
fallait que les anglophones, nos compatriotes des provinces anglaises, se
fassent asséner un autre choc. Ils avaient besoin d'un choc pour
comprendre ce que nous voulions. Ils ne l'ont pas eu le choc. Ils comprennent
ce que nous voulons, mais ils ne comprennent pas comme nous voudrions qu'ils
comprennent.
Je me suis aperçu au cours de l'été en ayant
été surtout dans les provinces occidentales, en Alberta et en
Colombie-Britannique, jusqu'à quel point nous parlions de
démobilisation au Québec même et jusqu'à quel point
le résultat du référendum et notamment
l'interprétation qui en a été donnée par la suite
par le premier ministre du Canada ont désamorcé auprès de
nos compatriotes anglophones la petite bombe que nous, les
Québécois, nous avions préparée pour eux. Ceci me
rappelle le choc que la commission du bilinguisme et du biculturalisme avait
voulu procurer aux anglophones en parlant de la crise canadienne. Il y avait eu
un choc à ce moment et par la suite, quand on voulait expliquer le
Québec au reste du pays, on se faisait moins dire: "What does
Québec want?". Ce sont des questions qui m'étaient
répétées tellement souvent qu'à un moment
donné, et c'est de là que cette expression vient, je crois que
c'était à Saskatoon, j'ai dit: "I am a tired federalist". Je suis
un fédéraliste fatigué d'avoir à
répéter constamment la même chose avec des
données importantes, etc., qui sont indiscutables et qui sont
souvent venues de source anglophone, d'ailleurs, et de me faire répondre
après mon exposé: II noircit le tableau. "What do you want? What
does Quebec want?"
C'est dans ce sens que je crois que pour ma part il faut reprendre le
débat. Il faut dire que, malgré le résultat du
référendum, la question constitutionnelle reste exactement ce
qu'elle était. Il n'y a rien de modifié en ce qui concerne le
statut qui convient au Québec. Pour ceux qui ont des idées
à propos de ce statut, que nous en discutions et, je reviens
là-dessus, il est très important que nous en refassions un
débat au Québec même de façon que nous puissions
à l'extérieur montrer au moins que nous avons un petit peu
assorti les choses et que nous nous sommes mis un peu d'accord entre nous parce
que le désaccord qui, actuellement, est tellement visible à
l'extérieur nous dessert, dessert la cause du Québec, que ce soit
la cause du Québec telle qu'interprétée par le Parti
québécois ou telle qu'interprétée par le Parti
libéral. (16 h 30)
En ce qui concerne les conservateurs et leurs amendements, je vous
renverrais à l'article de Me Robert Décary dans le Devoir.
J'aurais à reprendre plusieurs de ces idées, probablement
renforcer certaines autres idées, mais je crois que Me Décary a
exprimé, à propos de ces amendements, des points de vue qui me
paraissent passablement justes. Mme Chaput-Rolland, si vous n'êtes pas
d'accord avec cela, dites-le moi et on pourra en discuter.
Quant à la formule d'amendement, c'est évident que si je
pouvais proposer une formule qui vous agréerait à tous et
agréerait au reste du pays, nous aurions réglé le
problème. Pourquoi insistons-nous tellement pour avoir une formule qui
nous agrée? C'est parce que nous savons qu'après cette formule
viendront les échanges de pouvoirs, le partage des pouvoirs et qu'il se
fera selon la formule qui sera accréditée. Pour moi,
actuellement, je pars du principe qu'en ce qui concerne - je sais que je suis
un hérétique jusqu'à un certain point au niveau de
certains d'entre vous - l'économie et la technologie je crois que le
Québec doit faire le jeu de la polyarchie canadienne. Nous sommes
partie, non pas d'un Canada -le gouvernement canadien ne contrôle pas
l'économie canadienne, vous le savez très bien, il en
contrôle à peine 20% - nous sommes partie d'un continent dans
lequel nous sommes intimement liés au plan économique et je pense
qu'il faut l'accepter et, à ce niveau, je ne crois pas que le partage
des pouvoirs soit une source - pour moi, en tout cas - importante de malheurs
éventuels pour le Québec, à moins qu'il n'ait tout
aliéné.
C'est en ce qui concerne la langue, la culture, je crois, que nous avons
un cas particulier. C'est nous seuls qui possédons cette richesse
inouïe d'avoir une culture, une langue pleinement française,
ça n'existe nulle part en Amérique du Nord. Quand je dis
pleinement française, je dois qualifier, parce que, Mon Dieu,
sommes-nous anglicisés, assimilés, dans plusieurs de nos aspects.
En cela, je prendrais les écrits mêmes de Mme Chaput-Rolland. Il
faut se protéger contre cela. Je vais à Montréal et, comme
Québécois, chaque fois que je vais à Montréal, je
suis scandalisé de voir de mes compatriotes francophones parlant anglais
entre eux, encore aujourd'hui, à Montréal, à partir du
moment où il y a un Anglais quelque part dans le voisinage. Ainsi de
suite.
Par conséquent, pour moi, toute formule d'amendement qui sera
acceptable pour le Québec, au moins sur les aspects langue et culture,
devra faire en sorte que le Québec non seulement ait un droit de veto,
mais que ce soit lui qui puisse décider ce qui lui convient.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes, vous aviez demandé la parole.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. M. Dion,
vous nous avez parlé tout à l'heure de cette fausse
symétrie selon laquelle beaucoup de gens voudraient que l'on
établisse un parallèle entre l'anglais au Québec et le
français dans les autres provinces. Comme tout le monde a pu le noter,
la proposition du gouvernement fédéral tombe dans ce
piège, de mettre les deux dans le même sac, de prétendre
protéger de la même façon, par les mêmes articles,
par le même libellé, l'anglais au Québec et le
français dans les autres provinces.
J'ai été particulièrement choqué, au cours
des derniers mois, d'entendre des porte-parole du gouvernement
fédéral, en particulier M. Jean Chrétien, affirmer
à plusieurs reprises que le projet du gouvernement fédéral
aurait pour effet de protéger le français dans les autres
provinces. Il me paraît évident que la proposition
fédérale n'aurait pas cet effet, qu'elle n'apporterait rien aux
francophones des autres provinces, pour plusieurs raisons, en particulier
à cause des mots, "là où le nombre le justifie", qui sont
difficiles d'interprétation par les tribunaux, on l'a vu
récemment en Saskatchewan. C'est difficile d'interprétation par
les tribunaux et ça pourrait même être invoqué par
des gens qui voudraient faire reculer le français, tout aussi bien que
par des gens qui voudraient faire avancer le français.
Puisqu'il y a cette espèce de gros mensonge qui est
diffusé dans la population
par M. Chrétien et par d'autres, pour que ce soit clair,
j'aimerais vous demander, M. Dion, si j'ai raison de considérer que dans
l'hypothèse où le Québec voulait user de la loi du talion,
oeil pour oeil, dent pour dent, et ne reconnaître aux anglophones du
Québec que les droits qui seraient reconnus aux francophones des autres
provinces - je ne préconise pas la loi du talion, mais dans
l'hypothèse où le Québec voudrait faire ça -est-ce
qu'il est exact de dire qu'à ce moment-là, le gouvernement du
Québec supprimerait les collèges et universités
anglophones du Québec, qu'il supprimerait les commissions scolaires
anglophones, qu'il supprimerait les maternelles, les écoles primaires et
les écoles secondaires là où le nombre ne le justifierait
pas, qu'il supprimerait à peu près toute forme de bilinguisme
gouvernemental où il pourrait peut-être choisir pour règle
la mesure extrêmement modeste de bilinguisme gouvernemental qu'on trouve,
par exemple, en Ontario, et qui est bien moins considérable que ce qui
est pratiqué au Québec?
Je pense que si c'est ça la situation, il faudrait le dire pour
que les gens cessent de prétendre qu'il y a, dans cette proposition
fédérale, soit une protection du français dans les autres
provinces, soit une protection de l'anglais au Québec, étant
donné que l'anglais au Québec est protégé à
la fois par l'histoire, par la tradition, par ce dont vous avez plusieurs fois
parlé, M. Dion, c'est-à-dire le voisinage de 240,000,000
d'anglophones qui entourent les anglophones du Québec,
protégé aussi par la loi 101, protégé par le fait
qu'au Québec, la clause "là où le nombre le justifie"
n'existe pas, ce qui fait qu'au Québec, les écoles anglaises, de
la maternelle à l'université, sont fournies selon les besoins de
la population, sans qu'il y ait l'obstacle de cette clause
d'interprétation extrêmement difficile.
Est-ce que cette image de ce Québec qui appliquerait la loi du
talion est exacte, M. Dion?
M. Dion: J'aimerais d'abord peut-être un peu qualifier vos
propos initiaux. En ce qui concerne l'orientation du projet de
résolution, quant à l'article 23, il n'introduit pas
l'uniformité des statuts linguistiques au Canada. Il maintient
l'asymétrie en faveur de l'anglais. C'est ce qu'il faut comprendre.
M. de Bellefeuille: ...
M. Dion: Bien entendu. Je disais ce matin que ce n'est pas non
plus l'orientation de M. Louis Duclos et de ses collègues
députés, qui voudraient qu'on étende à l'Ontario et
au Nouveau-Brunswick l'article 133 qui serait maintenu pour le Québec,
qui est la bonne formule. Je pense que leur lutte qui est honorable est quand
même mal inspirée. Ce vers quoi il faut tendre, c'est une
asymétrie en faveur du français partout, c'est-à-dire que
le français doit être officiel comme l'anglais au
Nouveau-Brunswick et en Ontario au moins et que l'anglais ne doit pas
être langue officielle au Québec, comme, actuellement, le
français n'est pas reconnu langue officielle en dehors du Québec,
sauf depuis quelque temps au Nouveau-Brunswick. Pour moi, ce n'est pas parce
que je veux la mort de l'anglais au Québec, ça ne changera
strictement rien en définitive à ce qui est le dynamisme propre
de cette langue, le dynamisme extraordinaire d'une société, la
plus forte au monde.
Quant à M. Chrétien, quand il dit que le but de ces
règlements, de la disposition, notamment, de l'article 21, est de
protéger le français, il a raison. Il protège
effectivement le français dans les autres provinces. Il y aura des
écoles qui seront créées au Manitoba en raison de ces
dispositions-là. J'ai essayé de voir combien d'écoles il y
aura au Manitoba en prenant comme base le rapport du conseil consultatif des
districts bilingues. Il n'y en aurait aucune en Colombie-Britannique par ces
dispositions-là. Il n'y en aurait aucune en Alberta, sauf maintenant,
apparemment, Calgary et Edmonton, il y a peut-être des raisons, mais
enfin, il n'y en aurait à peu près aucune; je crois qu'il y en
aurait quelques-unes en Saskatchewan, très peu au Manitoba même.
Ce n'est, en définitive, que là où ils ont des
écoles, au Nouveau-Brunswick et en Ontario, que les dispositions de M.
Chrétien auraient des effets; s'ils en avaient, parce que
déjà ils ont leurs écoles.
En ce qui concerne le nombre, cela ne me scandalise pas; il faut quand
même qu'il y en ait un certain nombre pour créer des
écoles. Je ne vois pas comment on pourrait avoir des écoles s'il
n'y a personne pour y aller. C'est évident que ce sera là
où, selon les calculs que peuvent faire les ministères de
l'Éducation, le nombre sera suffisant. Je ne sais pas, pour une
école élémentaire, il faut quand même un noyau de
3000 ou 4000 personnes. Cherchez-les, ces noyaux de 3000 ou 4000 personnes au
Canada, noyaux assez serrés pour avoir une école dans le
voisinage, qui ne soit pas à 20 milles ou 30 milles. Il y en a
très peu. Regardez ces études qui, d'ailleurs, ont abouti
à un fiasco total. Les deux tentatives ont été un fiasco
total, disant: Tout le Québec sera un district bilingue. C'était
la formule. Même M. Trudeau n'a pas pu accepter cela. Il y en aurait eu
en Ontario et au Nouveau-Brunwick. Il y en a déjà, en
définitive.
Le problème qui se pose n'est pas dans l'article 21. Il n'est pas
posé par le projet de résolution. Le problème, c'est le
contrôle des commissions scolaires par ces communautés. Qu'elles
aient non seulement
des écoles en français, mais qu'elles les aménagent
selon leur esprit et leurs besoins. C'est cela qu'elles demandent en Ontario et
c'est cela qu'elles n'ont pas actuellement. C'est ce qu'elles demandent
également au Nouveau-Brunswick et c'est ce qu'elles commencent à
avoir au Nouveau-Brunswick. Quant aux autres provinces, cette demande,
formulons-la tant que nous voulons, en pratique, elle n'aura pas tellement de
résultats tangibles, parce que trop peu nombreux sont les francophones
pour organiser et aménager des écoles, avoir l'équipement
qu'il faut, l'infrastructure et la capacité de les gérer.
Pour l'ensemble, il est évident que le projet actuel de
résolution passe complètement à côté de la
question en ce qui concerne les minorités françaises. Par contre,
il touche directement et beaucoup plus les Québécois francophones
par les mêmes dispositions de l'article 21 qui fait du Québec ce
qu'il était avant la loi 101. La Cour suprême, qui doit juger
selon la loi, a jugé, selon l'article 133, que la loi 101 était
ultra vires sous plusieurs aspects. Je les ais notés dans mon ouvrage.
Eh bien, elle pourrait également juger que d'autres aspects, en raison
de ce même article 133, sont également ultra vires. C'est la
raison pour laquelle je suis d'accord avec la Commission Pépin-Robarts
qui recommandait, si l'article 133 devait être jugé ultra vires
par la Cour suprême, qu'à ce moment-là on modifie l'article
133 et qu'on l'abroge en ce qui concerne le Québec.
J'en suis là. C'est donc une position que je voudrais, de
nouveau, voir affirmer plus souvent chez nous. Ce n'est pas l'équilibre.
Cela paraît extrêmement dur actuellement d'accepter que les
francophones du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario bénéficient de
l'actuel article 133 alors que nous, Québécois francophones,
demandons d'en être libérés, mais c'est parce que nos
conditions sont tout à fait différentes, à l'inverse.
C'est la raison pour laquelle il faut des études
socio-économiques, des études sociolinguistiques avant de
procéder à des corrections de virgules ou de bouts de phrases
comme M. Chrétien propose et comme peut-être d'autres vont en
proposer, M. Louis Duclos lui-même.
Je ne sais pas, Mme la Présidente, s'il y avait d'autres aspects
à la question. Oh! la loi du talion. Monsieur, vous dites
vous-même que vous n'êtes pas nécessairement d'accord sur
cette loi. Personnellement, j'y suis complètement opposé. Ce
n'est pas parce que nos frères ont pu être maltraités
quelque part ailleurs que nous devons tenter de faire de même.
D'ailleurs, ceci jouerait contre nous. Ce n'est pas ce vers quoi je veux que le
Québec et les Québécois s'orientent dans leurs relations
avec leurs compatriotes anglophones et allophones. Nous avons une
société à bâtir ensemble et, même si
actuellement il y a certaines discussions à propos des orientations
à prendre, je suis toujours d'avis qu'il est possible de le faire. Ce ne
sera pas facile et je pense que, si les francophones du Québec veulent
être respectés par leurs compatriotes anglophones, il faut qu'ils
soient fiers et qu'ils se tiennent debout. C'est ce qu'on attend d'eux.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Merci, Mme la Présidente. Tantôt, M.
Dion, vous avez accepté de vous mêler un peu de la politique
québécoise et de la loi 101. Vous avez proposé la prudence
et l'équilibre en ce qui concerne les changements. Je pense que je suis
parfaitement d'accord avec vous. On cherche tous à réaliser un
équilibre et à agir avec prudence. La question, c'est simplement
pour chacun de définir ce qui est pour lui la prudence et
l'équilibre.
Je veux simplement soulever un aspect du problème, parce que le
temps presse, je le sais. Je ne vais pas vous scandaliser, je vais m'exprimer
entièrement en français.
M. Dion: Vous pouvez parler anglais, cela ne me fait rien. (16 h
45)
M. Scowen: Je vais surtout parler de la question des anglophones
du Québec. Je suis complètement d'accord avec vous, M. Dion, que
les anglophones, sur le plan nord-américain ou canadien, ne sont pas
menacés. Je suis aussi d'accord qu'il n'y a pas d'assimilation des
Anglais envers le secteur francophone, mais je pense que vous n'avez pas
touché un problème très réel qui est quand
même quelque chose que les anglophones québécois vivent ces
jours-ci et j'espère que vous serez ici demain quand nous aurons la
visite de l'organisation des anglophones de l'Estrie. Je suis originaire de
l'Estrie, d'un village qui s'appelle East Angus. Comme vous le savez, dans ce
village, les Anglais étaient les premiers. Les pionniers des Cantons de
l'Est étaient des Anglais. Il y a 50 ans, dans la ville de
Saint-Boniface, une centaine d'années peut-être, c'était
possible de vivre en français et, peu à peu, c'est devenu plus
difficile de vivre en français dans une partie du Manitoba, plus
difficile de trouver des écoles très près, les services
très près, les services du gouvernement et le travail en
français. Je pense que c'est quelque chose que tout le monde ici peut
déplorer: une société française, autonome, en voie
d'extinction. Je peux vous dire que les Anglais d'East Angus qui étaient
un peu dans cette situation il y a 50 ans ont vécu la même
expérience. Oui, en gros, ils sont des Anglais et des
Nord-Américains, dont la langue est la plus
dynamique du monde. Ils font partie d'un grand ensemble, mais ces gens
ne vivent pas en Amérique du Nord, ils vivent à East Angus. Il y
a 50 ans, ils avaient la capacité de vivre une vie autonome, de
travailler en anglais, d'être servis en anglais, de recevoir les services
en anglais et, de plus en plus, je peux vous assurer que c'est devenu
impossible de vivre en anglais à East Angus. Je pense que notre
réaction ici au Québec, instinctivement, c'est le contraire de
celle qu'on a pour les gens de Saint-Boniface. On dit: C'est bon que les
Anglais ne puissent pas vivre en anglais à East Angus. C'est le temps
qu'ils s'intègrent à la collectivité française.
C'est un peu, je pense - un peu, je ne veux pas exagérer - deux poids
deux mesures et, demain, les gens vont être ici pour exprimer cela
à leur façon à eux.
East Angus, c'est petit. Sherbrooke, qui est une ville plus grande, qui
était aussi une ville anglaise au début, est devenue une ville
francophone. Les Anglais ne se sont pas assimilés. Ils sont partis. Les
enfants des parents qui sont morts à Sherbrooke sont partis soit pour
Montréal, soit pour l'Ouest du Canada, soit pour les États-Unis.
C'est une société autonome, un des deux peuples fondateurs, un
des peuples qui ont fondé le Québec dans le sens qu'ils ont
été les premiers sur la terre après les autochtones, qui
sont, même en dépit de tout ce que vous avez dit qui est
parfaitement vrai dans le sens global de l'Amérique du Nord, en voie
d'extinction dans ce coin. Je pense que, quand nous essayons d'établir
un équilibre et quand nous étudions votre projet d'une politique
linguistique asymétrique, il faut penser un peu en fonction de ce
problème parce qu'à toutes fins pratiques - je pense que je
n'exagère pas - il n'est plus possible de vivre comme une
communauté anglophone au Québec à l'extérieur de la
ville de Montréal. En effet, les Français du Québec ont
fait éteindre la vie autochtone et complète des anglophones
à l'extérieur. Cela n'a pas été fait par les lois
101 ou 22. Cela a été fait par la démographie, par les
circonstances, mais c'est ce qui est arrivé.
La question, je pense, que le Parti libéral a essayé de se
poser quand il a essayé de recréer cet équilibre avec
prudence dans le livre beige, dans la recherche de cet équilibre entre
les Anglais du Québec et les francophones de l'extérieur, a
été de penser en termes des humains et des communautés. Je
pense que la guerre, la lutte qui reste à faire, c'est, si vous voulez,
à Montréal. La question qu'on pose, que la minorité
anglophone est en train de poser à la majorité francophone,
c'est: Est-ce que vous voulez que Montréal devienne une ville
française, oui ou non? Si oui, il est clair que vous n'avez pas
l'intention de respecter le droit d'une société anglaise de
s'épanouir et de se développer à sa façon.
Cette situation est très complexe. J'accepte qu'il faut trouver
une ligne très délicate, l'équilibre est difficile
à trouver. En terminant, M. Dion, je pense que c'est une
exagération pour vous de dire, et je pense que je vous cite
fidèlement: "Les anglophones ne sont nullement menacés au
Québec." Globalement, concernant la langue, c'est possible, mais je peux
vous démontrer des cas spécifiques, des villages, des
communautés qui ne seront pas du tout d'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.
M. Dion: Merci, Mme la Présidente. En vous écoutant
et en vous entendant dire que vous venez de l'Estrie, je vous dirais que c'est
dans l'Estrie que j'ai appris l'anglais, en étant boursier. Etant
étudiant au séminaire de Rimouski et ayant eu un résultat
assez bon, on m'a permis d'aller apprendre l'anglais à Stanstead,
où il y avait une école de géographie sous la direction de
l'Université McGill. À ce moment-là, il m'apparaissait que
c'était un très bon endroit pour un francophone d'apprendre
l'anglais.
Mais ce que vous dites à propos de l'équilibre, je
présume que par équilibre vous n'entendez pas le statu quo ante,
la situation antérieure. C'est évident qu'il y a eu une
évolution au Québec. Les marches du Québec, si vous
voulez, les régions excentriques, se sont francisées: la
Gaspésie, où il y avait beaucoup de noyaux anglophones, et
l'Estrie.
Est-ce que c'est une tragédie? On avait le choix. Si nous voulons
bâtir une société française, il va falloir que la
dominance anglaise disparaisse, surtout dans les milieux ruraux. Étant
donné le peu de densité culturelle, il y a relavivement peu de
moyens de bâtir deux sociétés qui vont coexister.
Il y a eu, comme vous le savez, des transferts de population. Quand,
à partir d'un certain moment, le taux de densité d'une
population, que ce soit la langue, que ce soit la race ou d'autres facteurs,
atteint le seuil critique, l'autre partie s'en va. Les anglophones sont
disparus à partir du moment où les francophones sont devenus
suffisamment nombreux. Ceci s'est produit partout et c'est une règle
générale.
Quant à moi, je ne crois pas que ce soit si dommage pour les
anglophones. Il faut quand même accepter que dans ces régions,
encore une fois, peu denses au plan culturel, au plan économique, au
plan démographique, il va falloir que ce soient les anglophones qui
dominent ou les francophones. Dans ces lieux, il y a peu de possiblités
d'une coexistence des deux. C'est l'un ou l'autre. Dans le cas du
Québec, ce sont les anglophones qui sont partis. Dans le cas des autres
provinces, ce sont les francophones
qui sont disparus et qui sont partis. Actuellement, le processus est
bien en cours au Canada. Les anglophones quittent le Québec. On ne peut
pas se le cacher. La proportion des anglophones diminue constamment au
Québec. D'environ 8%, c'est passé à environ 5%
maintenant.
Les francophones des autres provinces, quand ils le peuvent, viennent au
Québec. Le processus est là. Ce n'est pas une question de
personne, de volonté machiavélique de l'un ou de l'autre, c'est
une question de société, comme j'ai voulu l'indiquer ce matin. Il
n'y a aucun doute qu'il y a là une densité sociale et culturelle
qui fait en sorte que le Québec se francise, alors que le reste du pays
s'anglicise, quelles que soient les volontés des gouvernements et les
dispositions légales que nous ayons. Ce n'est pas le lieu, je pense, de
discuter du livre beige. Pour ma part, je ne crois pas que le livre beige
procure cet équilibre ou permette le maintien de cet équilibre.
Mais c'est évident que vous avez raison, M. Scowen, le coeur du
problème est à Montréal.
Ce que je propose comme solution pour Montréal, c'est que
Montréal soit une ville française du point de vue de sa culture
dominante, contrairement à ce qu'elle a été jusqu'ici et
à ce qu'elle est toujours, une ville anglaise du point de vue de sa
culture dominante. Qu'elle soit une ville française dans sa culture
dominante, dans laquelle il y aura de la place - et il y en aura, qu'on le
veuille ou qu'on ne le veuille pas, étant donné ce qu'est le
continent - pour les anglophones, mais non pas une ville pour permettre aux
anglophones d'être là, une ville qui resterait en
prédominance une ville anglaise, ce qu'elle a été
jusqu'à maintenant, au plan de sa culture et de son économie
dominante.
M. Scowen: Si vous me permettez, Mme la Présidente. Je ne
veux pas commencer un débat du tout, mais simplement soulever... Vous
avez parlé, M. Dion, de l'inévitabilité de quelques
mouvements des anglophones au Manitoba et des francophones au Québec qui
avaient pour effet d'épuiser les minorités. Je suis d'accord pour
dire que c'est arrivé. Vous avez aussi parlé de votre vision
personnelle. Très bien, c'est une vision parmi d'autres.
Mais la question, c'est: Est-ce que les gouvernements doivent intervenir
pour essayer de garder un équilibre en faveur de la minorité
menacée? Est-ce qu'ils doivent faire quelque chose pour s'assurer, dans
la mesure du possible, que la minorité, même à
contre-courant des mouvements démographiques, ait le droit, au moins,
d'avoir un minimum de services dans sa langue? C'est cela, la question; pas
pour vous, parce que, comme vous l'avez dit à plusieurs reprises, vous
n'êtes pas politicologue, mais les hommes politiques cherchent cet
équilibre.
Moi, je ne suis pas convaincu - je le répète, en terminant
- qu'aujourd'hui, tenant compte de tous les faits, dont celui que vous avez
mentionné, il y a un flux migratoire des anglophones du Québec,
que ce n'est pas nécessaire de penser en termes d'à peu
près le même niveau de protection pour la langue anglaise, ici au
Québec, que celui que vous avez dans les autres provinces du Canada et
qui est prévu pour la langue française.
En effet, vous ne m'avez pas tout à fait convaincu avec votre
argument d'asymétrie.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Léon Dion.
M. Dion: Pour moi, la loi 101 propose, permet suffisamment de
protection institutionnelle à l'anglais au Québec. C'est
d'ailleurs l'opinion de la commission Pépin-Robarts, encore une fois,
qui énonce ce jugement-là. Je crois que oui. Il n'y a pas
simplement au-delà des protections juridiques et M. Scowen, vous le
savez très bien. C'est toute une société, encore une fois.
L'anglais est tellement protégé par lui-même, par sa seule
présence d'entité socio-économique que des protections
institutionnelles juridiques lui sont moins requises que ce ne serait le cas
pour le français au Nouveau-Brunswick ou en Ontario. Cela
m'apparaît clair.
Maintenant, c'est évident qu'il y a une migration. La migration
ne peut pas être empêchée. Elle est due à des
facteurs d'abord culturels, à des affinités culturelles que des
anglophones de Montréal, des étudiants de l'Université
McGill, notamment, ressentent davantage. Quand même on leur donnerait des
protections institutionnelles, des cadres juridiques dans lesquels l'anglais
aurait plus de facilité qu'il n'en a aujourd'hui, cela ne changerait
rien dans leur motivation.
Vous-même avez insisté combien de fois pour dire qu'il y a
également des raisons économiques qui incitent un bon nombre
d'anglophones, comme de francophones également de certains niveaux,
à quitter le Québec et ce sont des raisons qui sont
au-delà des considérations linguistiques. Ce sont des facteurs,
encore une fois, de la société qui échappent à des
décisions de courte période et qui, éventuellement, bien
entendu, pourraient avoir un certain poids dans une longue
échéance, si nous connaissions les données du
problème, si nous connaissions toutes les données du
problème, ce que nous n'avons pas.
Quant à moi, même si c'est vrai que les anglophones
quittent - il faut faire bien attention, il ne faut pas dramatiser - ils ne
quittent pas en nombre tel qu'ils sont menacés de disparaître au
Québec. Au contraire, ils sont là pour toujours, j'en suis
persuadé. Ils ont des institutions
extrêmement fortes. Mais on ne peut pas empêcher un certain
processus de mobilité par affinité culturelle, de part et
d'autre, et par recherche aussi de certains intérêts
économiques.
Mme Chaput-Rolland: Un instant, s'il vous plaît. La
commission Pépin-Robarts a, en effet, quelquefois apprécié
la loi 101, mais en l'assortissant constamment de la clause canadienne. Je
pense qu'il faut faire cette mise au point.
M. Dion: Si vous voulez, je peux vous lire le texte.
Mme Chaput-Rolland: Mais moi aussi, je l'ai même
écrit, monsieur. Alors je le connais.
M. Dion: Cela peut être intéressant.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je sais que M. le
député de Vanier, que M. le député de
Deux-Montagnes, que M. le député de Jean-Talon auraient eu
l'intention de poser une nouvelle question. Mais tous me disent maintenant
qu'ils accepteront de la retenir, parce que nous devons recevoir maintenant
l'Association canadienne-française de l'Ontario. Il me reste à me
faire le porte-parole de la commission de la présidence du conseil et de
la constitution pour remercier notre invité d'aujourd'hui pour tout le
temps qu'il a mis à se préparer et pour tout le temps qu'il a mis
à notre disposition. Merci, M. le professeur Léon Dion. (17
heures)
M. Dion: Merci beaucoup.
Association canadienne-française de
l'Ontario
La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerais maintenant
l'Association canadienne-française de l'Ontario.
Pendant que les représentants de l'association prendront place,
j'aimerais simplement rappeler de quelle façon fonctionne la commission
parlementaire pour les auditions de mémoires quand il s'agit
d'organismes ou d'individus. Habituellement, la commission parlementaire
s'accorde une heure au total pour entendre les intervenants et pour leur poser
des questions. Le temps habituellement est réparti de la façon
suivante, c'est-à-dire que l'association qui se présente à
la commission parlementaire dispose d'une vingtaine de minutes pour
présenter son mémoire. À la suite de cela, les membres de
la commission ont 40 minutes pour poser des questions. Ces 40 minutes sont
réparties ainsi: 20 minutes aux membres du gouvernement et 20 minutes
pour les partis de l'Opposition. Nous vous demanderons maintenant, les membres
de l'Association canadienne-française de l'Ontario, de bien vouloir
identifier un porte-parole et ce porte-parole pourrait-il nous nommer ceux qui
sont avec lui, s'il vous plaît, pour permettre d'abord à
l'enregistrement au journal des Débats de prendre ces données et
pour qu'ensuite nous puissions identifier les intervenants à qui les
membres de la commission auront l'intention de poser des questions? Vous avez
la parole.
M. Saint-Denis: Salut Québec, berceau de nos aïeux.
Plaise à Dieu que tu restes glorieux! Voici, mon nom est Yves
Saint-Denis et je suis de Chute-à-Blondeau, Ontario. Je suis le
président général de l'Association
canadienne-française de l'Ontario, appelée communément
l'ACFO. À ma gauche, vous avez Mme Denise Matte, de Vanier, Ontario. Mme
Matte est membre du conseil d'administration de l'ACFO. Également, elle
est conseiller scolaire au Conseil des écoles d'Ottawa. À ma
droite, Gérard Lévesque, d'Ottawa, le secrétaire
général de l'Association canadienne française de
l'Ontario.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Saint-Denis, vous disposez d'une vingtaine de minutes pour
présenter le mémoire de l'association.
M. Saint-Denis: Merci, Mme la Présidente. Hier, le premier
ministre Davis a déclenché le processus des élections
provinciales. Au cours de la campagne électorale, les candidats de tous
les partis ontariens auront à se prononcer sur le statut du
français en Ontario. Nous invitons la population du Québec et,
particulièrement, les membres de l'Assemblée nationale du
Québec à être attentifs aux prises de position qui se
feront quant à la place réservée à la langue et
à la culture françaises en Ontario, ainsi qu'aux services
à la population franco-ontarienne. Toutefois, tout comme au temps du
référendum de mai 1980, nous vous demandons d'être plus que
prudents face aux belles paroles des politiciens de l'Ontario.
Les dirigeants de l'Association canadienne-française de l'Ontario
tiennent à exprimer leur plus sincère reconnaissance aux membres
de la commission parlementaire de l'Assemblée nationale du Québec
sur la constitution qui ont accepté d'entendre le point de vue des
Franco-Ontariens sur l'actuel projet de réforme constitutionnelle. Notre
présence devant les membres de la commission parlementaire aujourd'hui
se veut un gage de profond sentiment de solidarité fraternelle qui, tout
au long de leur histoire respective, a lié les Franco-Ontariens au
peuple du Québec. Dans notre mémoire, nous tenons d'abord
à rappeler que nos objectifs
constitutionnels, en tant que francophones hors Québec, reposent
sur le principe légitime du traitement égal et équitable
des minorités au pays et que, conséquemment, les francophones de
l'Ontario revendiquent l'obtention de droits et de services équivalents
à ceux dont bénéficient, dans les faits, la
minorité anglo-québécoise. Or, l'actuel projet de loi
fédéral constitutionnel de 1981 consacre l'asymétrie de la
réalité politique canadienne en matière de droits
linguistiques, en perpétuant la situation de deux poids, deux mesures
entre Franco-Ontariens et Anglo-Québécois.
En effet, alors que le Québec serait lié par l'article 133
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, l'Ontario en serait
dispensé. Il s'agit là d'un recul par rapport à la charte
de Victoria, puisqu'à ce moment-là l'Ontario était, entre
autres, d'accord à s'engager constitutionnellement à ce que les
lois ontariennes soient imprimées et publiées en anglais et en
français et à reconnaître les droits des Franco-Ontariens
à communiquer en français avec les ministères et
organismes du gouvernement de l'Ontario.
À notre avis, il est inacceptable qu'en 1981 les lois de
l'Ontario ne permettent même pas à un résident de la
capitale nationale d'enregistrer un testament rédigé en langue
française.
À un moment donné, ce matin, le chef de l'Union Nationale
a parlé de mortalité, que cela n'était pas encore
arrivé dans son parti; nous, on n'a même pas le droit de mourir en
français encore.
Parce qu'ils ne sont pas maîtres de leur destin scolaire, les
Franco-Ontariens ont une histoire tissée de luttes scolaires, le conflit
de Penetang, qui se poursuit toujours dans les faits en dépit d'une
entente de principe intervenue à la veille du référendum
québécois, n'est que le plus récent exemple de cette
odieuse situation. Ce que nous voulons, c'est l'équivalent, en Ontario,
de ce que la minorité anglo-protestante du Québec a, grâce
à l'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
L'Ontario a deux systèmes scolaires: l'un séparé
catholique, l'autre, public. Dans ces deux systèmes, le francophone ne
peut être élu, en tant que francophone, au niveau
décisionnel, soit à celui des conseillers scolaires. En tant que
francophone, il ne peut être élu qu'à un comité
consultatif rattaché au système public. Il s'agit ici d'un fait
brutal; les Franco-Ontariens ne sont pas maîtres de leur destin scolaire.
Sous ce rapport, ils sont tenus pour des pupilles, comme des orphelins mineurs,
sous la direction de tuteurs anglophones. Tout au plus peuvent-ils, en tant que
tels, être élus membres d'un comité consultatif de langue
française. Ils n'y sont pas des "décideurs".
À ce point de vue, les membres de la collectivité
franco-ontarienne ne sont pas des citoyens à part entière. Le
redressement de cette situation s'impose d'urgence. Selon nous, la
démocratie repose sur l'élection des dirigeants par les
intéressés. Or, à l'heure actuelle, c'est la
majorité anglophone qui choisit les dirigeants scolaires de la
minorité francophone en Ontario. Elle désigne naturellement des
anglophones qui sont ensuite appelés à régler nos
problèmes. On a beau leur reconnaître et leur prêter un sens
très vif de la justice, ces anglophones ne sont pas à même
de saisir le bien-fondé de nos revendications et c'est tout notre
système scolaire qui en pâtit. Avant de quitter tantôt, le
professeur Dion faisait justement état de ces faits.
Ce que nous réclamons depuis plusieurs années, c'est la
gestion scolaire. Dans les régions comme Ottawa-Carleton, nous demandons
que les francophones soient habilités à diriger leurs
écoles. Nous n'acceptons pas que le gouvernement ontarien persiste
à croire "qu'il n'est pas dans l'intérêt des Ontariens que
soit créé un conseil scolaire homogène de langue
française."
Le droit à l'instruction sans le droit à la gestion des
institutions qui la dispense risque fort d'être un droit illusoire. C'est
souvent, en effet, comme ce fut et c'est encore le cas dans les provinces en
majorité anglophone où le droit à l'instruction en
français est présentement accordé par les
Législatures, une invitation à des instances locales ou
régionales peu éclairées a frustrer l'intention du
législateur. Est-il nécessaire que nous rappelions ici le triste
épisode, de 1975 à 1977, de l'établissement de
l'École secondaire l'Essor dans la région d'Essex-Windsor?
Malheureusement, ce n'est pas un cas isolé. En voici d'autres
exemples.
À Sturgeon Falls, les francophones de cette région ont
à traiter avec le Conseil scolaire de Nipissing qui leur refuse une
école secondaire de langue française. C'était en
1971-1972. Ce conseil est à majorité unilingue anglais. Les
manifestations organisées par la population francophone locale
coïncident avec une campagne électorale provinciale. Le
gouvernement obtient la fin de la grève étudiante en nommant un
médiateur, Thomas Symons, et en s'engageant à donner suite
à ses recommandations. L'École secondaire Franco-Cité est
enfin fondée.
Un petit peu plus près, en 1973, le cas de Cornwall. Les
francophones de cette région ont à traiter avec le Conseil
scolaire Stormont-Dundas et Glengarry qui leur refuse une école
secondaire de langue française. Ce conseil, encore une fois, est
à majorité unilingue anglais. Le gouvernement ontarien
répond aux manifestations organisées par les francophones en
nommant un médiateur, à nouveau Thomas Symons. Ses
recommandations sont adoptées et l'École
secondaire La Citadelle est enfin fondée.
L'année suivante, en 1974, les francophones de la région
d'Elliot Lake ont à traiter avec le Conseil scolaire de la Rive Nord qui
leur refuse à nouveau une école secondaire de langue
française. Ce conseil est à majorité unilingue anglais.
Après bien des démarches de la population francophone,
l'École secondaire Villa française des jeunes est enfin
fondée.
Et nous avons Penetanguishene. Depuis 1977 - et ça dure encore -
les francophones de la région de Penetanguishene-Lafontaine ont à
traiter avec le Conseil scolaire de Simcoe qui leur refuse une école
secondaire de langue française. Dois-je le répéter, ce
conseil est à majorité unilingue anglais. La Commission des
langues d'enseignement de l'Ontario nomme un médiateur, M. Berchmans
Kipp, mais le conflit ne se règle pas. Une école secondaire
parallèle, l'École secondaire de la Huronie, est
créée grâce au fonds de solidarité lancé par
notre association, l'Association canadienne-française de l'Ontario.
Devant la publicité nationale faite par les media, le
gouvernement de l'Ontario annonce, pas longtemps avant le
référendum du 20 mai 1980 au Québec, qu'une entente est
intervenue concernant la mise en place d'une authentique école
secondaire de langue française. Or, jusqu'à tout
récemment, rien n'avait bougé encore. La semaine dernière,
après d'autres rencontres, finalement on accepte de changer le lieu de
la construction de la future école. La construction devait commencer en
janvier, si on voulait que les enfants y entrent en septembre. Ce n'est pas
commencé. Maintenant, il n'y aura plus de règlement de zonage
interdisant la construction d'une école, mais encore là
faudrait-il que les francophones de Penetanguishene obtiennent un permis de
construction de la ville. Or, on sait que c'est la ville qui mène une
obstruction systématique. Donc, la politique municipale se mêle du
scolaire. À l'heure actuelle, le Conseil municipal de Penetanguishene
continue donc à mettre toutes sortes d'obstacles à la
construction de notre école.
Dans Ottawa-Carleton, au mois d'octobre 1976, le Dr Henry Mayo remet au
gouvernement ontarien son rapport sur le remaniement de la région
Ottawa-Carleton dans lequel il recommande la mise sur pied d'un conseil
scolaire de langue française. Or, le gouvernement ontarien
prétend "qu'il n'est pas dans l'intérêt des Ontariens que
soit créé un conseil scolaire homogène de langue
française" - phrase que je citais tantôt -dans la région de
la capitale nationale. Entre-temps, les décisions concernant les besoins
éducatifs et culturels des milliers de francophones d'Ottawa-Carleton
sont prises par l'un ou l'autre des quatre conseils scolaires de la
région qui, en 1981, sont tous à majorité unilingue
anglais.
Ces luttes constantes - nous n'avons mentionné que celles qui ont
retenu le plus l'attention des media, des moyens d'information - sont
pénibles. Elles sont source de lassitude, de découragement,
parfois, d'espoirs déçus dans un domaine tellement primordial
pour des parents: l'éducation de leurs enfants. Quand on obtient une
école, c'est par le combat. Ça me rappelle les vers de
Lafontaine: "Car quoi, point de franche lippée, tout à la pointe
de l'épée". Et c'est le combat perpétuel. Voilà
donc pourquoi la gestion scolaire, en plus de l'article 133, constitue une
exigence sine qua non en deçà de laquelle l'ACFO ne peut appuyer
un projet de charte des droits dont certains prétendent que l'objet
fondamental est l'égalité de droits et libertés. (17 h
15)
L'Assemblée nationale du Québec s'oppose au projet de
rapatriement unilatéral de la constitution. Quant à nous, nous
dénonçons les arguments soulevés pour justifier la
non-ingérence du fédéral dans les affaires de l'Ontario,
lorsque, pour plusieurs provinces, le projet de rapatriement lui-même
constitue une imposition unilatérale.
Le chef du Parti libéral du Québec, M. Claude Ryan,
affirmait même à Toronto, le 8 janvier dernier, que le premier
ministre de l'Ontario ferait mieux d'accepter le bilinguisme institutionnel
pour sa province, sans quoi il deviendra de plus en plus difficile de l'imposer
au Québec. M. Ryan a également déclaré que la
crédibilité - je ne sais pas comment les journaux ont cité
cela - des Québécois vis-à-vis du Canada - j'ai
l'impression qu'il s'agit d'une déclaration de M. Ryan au sujet de la
crédibilité du Canada aux yeux des Québécois, de la
crédibilité canadienne - ne serait acquise que lorsque les
promesses faites au Québec lors du référendum auront
été respectées.
Nous vivons des heures graves de notre histoire qui seront
déterminantes pour notre survie en tant que francophones en Ontario.
C'est pourquoi nous sollicitons encore une fois l'appui de nos frères du
Québec pour faire entendre raison aux auteurs du projet de loi
constitutionnel de 1981. Il ne faut pas adopter un texte constitutionnel
où les droits des Franco-Ontariens ne seraient pas inscrits. Nous sommes
convaincus que les citoyens du Québec qui ont dit non lors du
référendum de mai 1980 ne voulaient pas ainsi dire oui à
une révision constitutionnelle qui laisserait de côté les
droits individuels et collectifs des Franco-Ontariens.
Comme l'affirmait le premier ministre, M. René Lévesque,
dans une lettre qu'il m'adressait, le 19 décembre dernier:
Québécois et Franco-Ontariens défendent les mêmes
valeurs d'identité et de langue, de droit et de justice et c'est
pourquoi notre
solidarité, dans ce combat, doit demeurer entière.
Vous trouverez la caricature jointe à notre mémoire qui
illustre fort bien la réaction des Franco-Ontariens devant le
présent projet fédéral de loi constitutionnel.
Mme la Présidente, je vous remercie.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Mme la Présidente, je suis heureux
d'être le premier à interroger mes amis franco-ontariens, puisque
je suis né Franco-Ontarien et que j'ai habité à Ottawa
pendant plusieurs années. J'ai travaillé au Droit qui a
été fondé pour mener la lutte contre l'infâme
règlement 17 qui, peu de temps avant la première grande guerre,
avait interdit, en Ontario, toute instruction, tout enseignement du
français et en français.
Depuis l'époque du règlement 17, il y a eu des
progrès qui ont été réalisés, mais il faut
se demander, à l'heure actuelle, dans quel sens va la courbe; il faut se
demander si, à l'heure actuelle, la cause franco-ontarienne progresse ou
si elle recule.
Les endroits que vous avez mentionnés en Ontario, M. Saint-Denis,
Chute-à-Blondeau, Vanier, Ottawa, me sont familiers. Vanier, quand
j'habitais Ottawa, madame, s'appelait Eastview. Il y a eu un petit morceau de
francisation. Il y a un nom de lieu qui avait un nom anglais à qui on a
donné un nom français. C'est à peu près la mesure
des progrès qui se réalisent en Ontario pour la cause du
français, parce que, quand on regarde ce qui se passe sur le plan
scolaire, il n'y a pas de progrès équivalent; il y a au
contraire, comme vous venez de l'indiquer, M. Saint-Denis, des
difficultés à n'en plus finir.
Vous nous dites que vous revendiquez pour les Franco-Ontariens
l'équivalent de ce dont jouissent les Anglo-Québécois. Je
ne sais pas, M. Saint-Denis, si vous vous rendez compte que la commande est
énorme. Vous demandez à l'Ontario de vous donner des commissions
scolaires françaises. Vous demandez à l'Ontario de supprimer la
clause "là où le nombre le justifie". Vous demandez à
l'Ontario de vous fournir, selon vos besoins, des collèges et des
universités entièrement français et non pas bilingues.
Vous demandez à l'Ontario de multiplier les services gouvernementaux en
français qui n'existent à l'heure actuelle qu'à un
état extrêmement rudimentaire. Vous demandez à l'Ontario
beaucoup plus que cela, en réalité. Vous demandez à
l'Ontario de permettre l'émergence d'un véritable milieu de vie
français comme il y a au Québec un véritable milieu de vie
anglais. Cela implique toutes sortes de choses. Cela implique des institutions
sociales qui fonctionneraient en français. Cela implique des milieux de
travail qui fonctionneraient principalement ou même totalement en
français. Cela implique des media beaucoup plus répandus que ceux
qui existent à l'heure actuelle. À part la couverture de CKCH
dans la région d'Ottawa, le journal Le Droit et quelques petits
hebdomadaires et la télévision, oui, bien sûr, les media
français en Ontario n'ont pas du tout atteint le degré de
développement des media anglais au Québec. La commande est
énorme, M Saint-Denis, mais, quant à moi, je crois que vous avez
tout à fait raison de placer vos revendications à ce
niveau-là, de leur donner cette ampleur, parce que la vie
française en Ontario n'aura de sens que lorsque ces revendications
seront largement, sinon totalement réalisées.
Je voudrais vous poser essentiellement deux questions, une de fait et
l'autre d'interprétation. La question de fait, c'est à propos de
l'assimilation des francophones de l'Ontario, assimilation à la langue
anglaise et au milieu anglophone. Les chiffres qu'on nous présente
varient. Il y en a un qui est dans votre mémoire: 500,000 francophones.
On lit aussi 600,000 francophones et, lorsque M. Wells veut diminuer
l'importance des Franco-Ontariens, il parle en pourcentage; cela fait seulement
6%. Mais j'ai vaguement souvenance que les Ontariens de souche
française, de descendance française sont beaucoup plus nombreux
que cela, que ça dépasse le million. La question que je vous
pose, c'est si vous avez des données sur les taux d'assimilation,
passés et actuels.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Saint-Denis.
M. Saint-Denis: Merci, Mme la Présidente. Il est vrai que
l'assimilation dans certaines régions de l'Ontario se fait de
façon effarante. Si je retourne aux francophones d'origine, selon les
données que j'ai, ce serait environ 775,000 à 780,000
francophones d'origine, ce qui est plus de trois quarts de million, quand
même. Pour ce qui est du français langue maternelle, c'est
là que nous parlons grosso modo du demi-million. Lorsqu'on parle de
langue d'usage de tous les jours, c'est en deçà du demi-million.
S'il est vrai que, dans une région comme l'est ontarien, Hawkesbury,
où dans les comtés tout simplement à l'ouest de
Montréal, il ne se fait pas d'assimilation, par contre, vous allez dans
des régions comme Windsor où il reste de 30% à 35% de nos
francophones qui parlent français. C'est la même chose dans la
région de Penetanguishene - puisque la région est connue -
où vous aviez 80% de francophones. On parle actuellement de 40% qui
utilisent toujours le français. Ces données nous font peur.
L'assimilation est un processus qui a été engagé il y a
longtemps et les outils que
nous avons pour nous défendre sont très
limités.
Vous avez mentionné que nous avions des services en langue
française, qui ne sont pas toujours, évidemment, à la
hauteur de la situation. À titre d'exemple, nous avons 35 coordonnateurs
de services en langue française. Dois-je ajouter que dix d'entre eux
sont des unilingues anglais, que certains ne sont à ce travail
qu'à temps partiel? D'accord, les services chez nous ont augmenté
au cours des dernières années, mais très en
deçà de nos espoirs et en deçà de nos besoins.
Avons-nous d'autres statistiques pour ce qui est de l'assimilation?
M. Lévesque (Gérard): Dépendant à
quel statisticien on parle, Mme la Présidente, on a un pourcentage
différent suivant qu'on va utiliser les statistiques d'origine
française, de langue maternelle ou de langue d'usage. Mais, règle
générale, les travaux du professeur Claude Castonguay, de
l'Université d'Ottawa, indiquent qu'on a, au niveau de la province, un
taux d'environ 27% d'assimilation, ce qui est quand même assez difficile
à accepter de nos jours, compte tenu des moyens qu'on devrait avoir
à notre disposition pour pouvoir respirer adéquatement dans la
langue de notre choix.
Quand on regarde jusqu'à quel point les francophones ont pu
maintenir leur langue et leur culture, en Ontario, on doit rendre hommage
à ceux qui ont été les pionniers de la cause, à
ceux qui nous ont précédés dans les démarches pour
avoir justice pour les francophones en Ontario.
Comme le faisait remarquer le professeur Séraphin Marion,
l'historien franco-ontarien, dans l'édition du 30 décembre
dernier du Devoir, nos prédécesseurs ont eu très peu de
moyens à leur disposition pour lutter pour avoir un minimum de respect
pour la langue et la culture françaises en Ontario. On doit leur rendre
hommage, parce que, en dépit de tous les obstacles que notre
Législature provinciale a mis devant eux, ce sont eux qui nous ont
légué cet héritage et on se bat maintenant à cause
d'eux, pour, à travers leur action, obtenir un minimum de justice dans
le territoire, où nous en avions eu auparavant. Si vous vous souvenez,
le territoire de l'Ontario, à la suite de l'Acte de Québec,
était partie du Québec et même à ce
moment-là, sous l'acte constitutionnel qui a suivi l'Acte de
Québec, en 1791, l'Assemblée du Haut-Canada, en 1793, avait
voté pour que les lois soient dans les deux langues, dans le territoire
qui est maintenant l'Ontario.
Cela nous montre jusqu'à quel point les politiciens de l'Ontario
sont un peu hypocrites, du moins ceux qui prétendent à l'heure
actuelle qu'on n'aurait pas besoin de garanties constitutionnelles similaires
à celles dont les anglophones du Québec ont
bénéficié, parce que, vu qu'on n'avait pas ces garanties
constitutionnelles, cela nous a été enlevé, par exemple,
lors de l'Acte d'union et cela a été consacré lors de
l'acte confédératif de 1867.
Je pense que cela remet en évidence, d'une part nos droits
historiques dans le territoire de l'Ontario, en tant que francophones, et,
d'autre part, la nécessité d'avoir, dans le nouveau pacte, au
moment où il arrivera, un minimum de reconnaissance pour le groupe
francophone de l'Ontario.
M. de Bellefeuille: M. Saint-Denis...
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous ferai remarquer que
vous avez déjà utilisé dix minutes et que si...
M. de Bellefeuille: Une dernière question. La
dernière question, Mme la Présidente.
M. Saint-Denis, ce que M. Gérard Lévesque vient de dire
m'amène tout droit à ma deuxième question. C'est par
rapport à la politique que pratique le gouvernement Davis en Ontario.
Chaque fois qu'on exerce des pressions sur l'Ontario, par exemple pour accepter
d'être soumis à l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, bilinguisme parlementaire et devant les tribunaux, M. Davis
et les autres membres de son gouvernement se défendent ou cherchent
à se défendre en affirmant que par leurs propres moyens - qui
sont d'autres moyens - ils s'arrangent, petit à petit, pour faire
progresser la cause du français. C'est ce qu'on pourrait appeler la
politique des petits pas.
Quand on réfléchit à ce que c'est qu'une politique
des petits pas, on se rend compte qu'il peut y avoir deux sortes de politiques
des petits pas. Il y a une politique des petits pas qui est conçue pour
faire avancer le français le plus possible, ou bien une politique des
petits pas conçue pour faire avancer le français le moins
possible.
Ma question c'est: Qu'est-ce que c'est dans le cas de M. Davis? Le plus
possible ou le moins possible?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président
général.
M. Saint-Denis: Merci. C'est une question. Et j'y réponds.
D'abord, M. Davis, lorsqu'on fait pression sur lui ou sur son gouvernement,
évoque toujours ce problème du ressac anglophone qui se
créerait s'il nous donnait trop de choses, parce qu'il y a toujours le
mot "trop".
Pour nous, au commencement, nous croyons que ce ressac dont il nous
entretient souvent existe surtout, disons-le, dans son parti et peut-être
même jusque dans son
caucus, plutôt que chez la masse anglophone, chez la population
anglo-ontarienne.
Cette politique de petits pas dont vous parlez si bien, moi je l'appelle
la politique de miettes, c'est ce qui nous manque. On ne nous a jamais servi,
en Ontario, un bifteck. Quand on a très faim, on nous met un morceau de
viande et nous avons eu le temps de le digérer - croyez-moi - avant que
le deuxième morceau qu'on vient nous couper soit ajouté à
notre assiette. (17 h 30)
Je ne veux pas nier qu'il y ait eu des progrès, mais ils sont
beaucoup trop lents et, devant ce phénomène de l'assimilation
dont on a parlé précédemment, c'est nettement insuffisant.
Alors, ce sont des petits pas lents et ce sont des miettes qui nous laissent
sur notre appétit nettement.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale - et cette fois-ci ce n'est pas un lapsus - on me dit que M. le chef
de l'Opposition officielle sera ici dans quelques instants, voulez-vous
utiliser votre droit de parole?
M. Le Moignan: Vous êtes bien aimable, Mme la
Présidente. Il y a un point que j'aimerais discuter. Vous mentionnez
dans votre mémoire - je ne veux pas le reprendre vous avez fait un peu
l'historique de vos écoles. J'ai déjà lu des choses sur
ça qui m'ont toujours passionné, parce que le problème
francophone ne peut pas nous laisser indifférents. Vous mentionnez en
page 8, par exemple, si je comprends bien, que dans votre idée les
francophones de l'Ontario, vous aimeriez voir inscrits dans une charte les
droits des minorités, donc, en ce qui vous concerne, les
francophones.
Ici, au Québec, je ne suis pas tellement certain que la
population francophone, la population québécoise désire
les mêmes choses que vous. Actuellement, vous n'êtes pas
protégés par votre gouvernement local ou provincial, alors, vous
croyez que l'insertion dans la charte des droits d'une garantie pour vos
écoles pourrait vous aider. Mais quand on remonte dans le passé,
après 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, surtout en
ce qui a trait à l'article 92, en ce qui touche l'éducation, si
jamais une province empiétait ou ne donnait pas justice à sa
minorité francophone ou anglophone, selon le cas, le gouvernement
fédéral se devait de voter une loi réparatrice ou
remédiatrice.
Vous connaissez vos problèmes dans le passé, ceux du
Manitoba, ceux du Nouveau-Brunswick et le reste. Le fédéral n'a
jamais voté une telle loi, à tel point qu'à un moment
donné, pour ne pas poser de gestes et ne pas déplaire à la
majorité anglophone du pays, on a fait appel au pape qui a envoyé
un délégué - cela ne concerne pas l'Ontario; ça
concerne les provinces de l'Ouest, le Manitoba - mais il reste que vous n'avez
jamais eu tellement de satisfaction avec le fédéral. Là,
est-ce que vous êtes assurés, convaincus qu'en demandant, en
exigeant cette chose-là ça pourra vous aider dans l'avenir?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Saint-Denis.
M. Saint-Denis: Merci, Mme la Présidente. M. Le Moignan,
vous parlez justement de l'article - je ne sais plus si c'est 92 ou 93...
M. Le Moignan: 93.
M. Saint-Denis: D'accord, on s'entend là-dessus. C'est
venu justement à la suite de notre mécontentement ou, si vous
voulez, de notre manque de confiance face à notre gouvernement ontarien.
À ce moment-là, nous nous sommes dit: Si nous ne pouvons pas
obtenir ce que nous cherchons dans notre province, adressons-nous au
fédéral qui a un devoir, une obligation morale - c'est là
dans la charte - et un rôle de palliatif.
Nous avons cherché nettement à éveiller la
conscience d'un nombre plus grand de gens ou de sensibiliser le gouvernement du
pays à nos problèmes.
M. Le Moignan: Mais quand on sait que l'éducation, c'est
de juridiction provinciale, alors, là, vous vous butez, en somme,
à un gouvernement provincial qui n'est pas prêt d'accepter...
D'ailleurs, M. Trudeau n'impose pas non plus l'article 133 à l'Ontario,
alors qu'il voudrait le réimposer aux gouvernements du Québec et
du Nouveau-Brunswick. Alors vous êtes placés dans un conflit qui
n'est pas facile pour vous autres. J'aimerais savoir quels sont vos espoirs
d'en sortir, d'une façon ou d'une autre, dans les mois à
venir.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président
général.
M. Saint-Denis: Mme la Présidente, il est vrai que nous
sommes placés dans une situation fort difficile, puisque les
anglo-québécois, ici, ont été
protégés depuis 113 ans. Peut-être qu'une bonne
façon de faire serait d'imposer l'article 133 à l'Ontario et le
laisser tomber pour 113 ans au Québec. Cela pourrait rétablir ces
deux poids deux mesures qui ont toujours existé. Par contre, nous n'en
voulons absolument pas à nos anglo-québécois. Nous disons:
Tant mieux s'ils ont été bien traités depuis toujours au
Québec, si c'est une des minorités les mieux traitées au
monde et ceci, ce n'est pas moi qui le dis. C'est reconnu par bien des gens et
depuis fort longtemps. Nous cherchons simplement à obtenir un juste
équilibre.
Peut-être que mon collègue, si vous le permettez, M.
Lévesque, pourrait ajouter à cette réponse.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gérard
Lévesque.
M. Lévesque (Gérard): Mme la Présidente, je
crois que la question du chef parlementaire de l'Union Nationale illustre
très bien pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. En somme, le
Québec, comme l'a déjà dit le ministre des Affaires
intergouvernementales du Québec il y a quelques années, a un
devoir moral vis-à-vis des francophones à l'extérieur du
Québec et beaucoup plus aujourd'hui, alors que nous sommes dans une
situation où tous les partis à Ottawa et tous les partis à
Toronto nous ont abandonnés. Si nous faisons le tour des trois partis
à Ottawa, nous avons un Parti néo-démocrate qui, au tout
début de la révision constitutionnelle, il y a quelques mois,
disait: II faut imposer à l'Ontario le respect des droits de la
minorité, au moins l'article 133, vu que d'autres provinces y sont
liées. Maintenant, qu'est-ce qu'ils font? Ils ont réduit leurs-
démarches à une simple invitation au gouvernement de l'Ontario.
On n'a pas vu le texte encore. On nous le promet pour les prochains jours.
Le gouvernement conservateur, c'est-à-dire le Parti conservateur
à Ottawa n'a qu'un de ses membres qui a dit, cette semaine, le
sénateur Asselin: Oui, l'Ontario doit se plier à l'article 133.
Il a été le seul dans son parti à avoir cette position.
Les autres ont dit: Non, on ne veut pas imposer à l'Ontario. Le Parti
libéral a troqué les droits des Franco-Ontariens pour l'appui
politique de l'Ontario. En ce qui concerne les trois partis à
l'Assemblée législative de l'Ontario, c'est la même chose.
Je viens de classer le gouvernement de l'Ontario puisque le Parti conservateur
a appuyé publiquement le projet fédéral, dans la mesure
où l'Ontario n'aurait pas constitutionnellement à respecter sa
minorité. On a des belles paroles de M. Wells qu'on pourrait citer. On
se promène souvent avec des citations intéressantes de nos partis
à Toronto, parce qu'au niveau des paroles, on a beaucoup de citations,
on peut puiser des citations à n'en plus finir.
Je veux seulement vous en donner une assez intéressante, parce
qu'à un moment donné, le ministre Wells dit même: "Les
francophones en Ontario devraient être d'égal à
égal". C'est au mois de février 1978, alors que notre ministre
des Affaires intergouvernementales de l'Ontario était à ce moment
ministre de l'Éducation. "J'appuie les efforts de la minorité
francophone de notre province, l'Ontario, en vue d'atteindre les objectifs
qu'elle s'est fixés: préserver sa langue, maintenir son
identité culturelle sans avoir à se sentir mal à l'aise ni
étrangère au milieu et, dans la mesure du possible, obtenir de
pouvoir vivre et travailler dans sa propre langue. Je n'ai pas l'impression que
les Franco-Ontariens demandent la lune. Les fondations sur lesquelles repose
notre nation leur donnent le droit de se sentir ici chez eux, d'être
fiers de leur culture, d'exiger qu'on les traite sur un pied
d'égalité avec leurs concitoyens de langue anglaise - c'est
presque d'égal à égal - et de se réaliser
pleinement sans que leur vie soit constamment troublée par des querelles
politiques". Les représentants de ce gouvernement nous laissent dans une
situation où, à l'heure actuelle, de par les lois de l'Ontario
telles que le Registry Act, le français est considéré en
quelque sorte comme une langue étrangère dans notre territoire et
même dans la capitale du pays.
Les deux autres partis de l'Opposition ont également des paroles
ou des promesses intéressantes à notre égard, mais ils
sont prêts eux aussi, dès qu'il y a un vent quelconque qui semble
souffler, surtout un vent électoral, à dire: On n'est pas
prêt à aller si fort. Le Parti néo-démocrate,
à un moment donné, semblait même être prêt
à demander que le français soit langue officielle en Ontario.
C'était sa position en 1978. Là, ils ont même
imploré la Parti NPD national pour que leur position soit
diminuée, pour que l'Ontario ne se fasse pas imposer l'article 133. Les
libéraux disent chez nous, le Parti libéral de l'Ontario, qu'ils
préfèrent une loi provinciale telle que le projet de loi no 89 du
mois de juin 1978 à l'article 133. Nous, ce que nous disons, c'est
qu'à la fois la Législature doit nous garantir des services et
à la fois la constitution nationale doit nous donner la protection
constitutionnelle pour que nos droits soient à l'abri d'un changement de
gouvernement qui ferait qu'à ce moment, nos droits pourraient être
changés sans qu'on puisse en appeler à des instances
supérieures.
J'ai peut-être été un peu long, mais je pense que
c'est essentiel qu'on replace dans son contexte la question de M. Le Moignan.
Nous en sommes presque à jouer notre dernière carte. Le
Québec, dans la révision constitutionnelle, doit non seulement
regarder ses intérêts, mais, en plus de ses intérêts,
il doit aller au-delà et rencontrer un devoir moral qu'il a à
l'égard de la francophonie hors Québec et, dans notre cas,
spécialement à l'égard des francophones de la province
voisine.
M. Le Moignan: Une question...
La Présidente (Mme Cuerrier):
Rapidement, M. le chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: C'est très rapide. Vous parlez au nom des
Franco-Ontariens, je comprends que vous vouliez faire insérer
dans la charte ce qui vous protège. Mais quand vous mentionnez
les paroles de M. Ryan qui affirmait que le premier ministre de l'Ontario
serait mieux d'accepter le bilinguisme institutionnel, sans quoi il deviendra
très difficile de l'imposer au Québec, je ne sais pas si vous
avez analysé les implications pour le Québec ou si le
gouvernement du Parti québécois est d'accord avec vous autres sur
ça.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Lévesque.
M. Lévesque (Gérard): Mme la Présidente,
à l'heure actuelle, le Québec est lié par l'article 133.
Si nous rouvrons tout le paquet, à ce moment-là, nous discuterons
de ce qui devrait arriver au niveau des deux minorités. Il y a une chose
qui est certaine et qui a été continue dans les revendications
des Franco-Ontariens, c'est qu'on s'est toujours mis comme barème
d'avoir chez nous, dans les faits et en droit, des services équivalents
à ceux de la minorité anglophone du Québec. C'est
sûr que, si l'objectif est moins haut à atteindre, on aura moins
de travail. Mais nous cherchons, chez nous, un minimum de ces droits et nous
sommes un peu jaloux de leur situation, puisque nous aimerions en avoir un peu
chez nous. C'est un objectif.
Si le débat est rouvert sur l'article 133 pour le Québec,
à ce moment-là, nous pourrons reconsidérer la chose, mais
je pense qu'il faut tenir compte des situations différentes des
minorités. Je pense que le professeur Dion s'est attardé
longuement aujourd'hui sur le fait que les situations étaient
très différentes et que, s'il y a une minorité qui
nécessite à l'heure actuelle des protections constitutionnelles,
c'est bien la minorité franco-ontarienne.
La Présidente (Mme Cuerrier): Tout en réservant le
temps qui serait alloué à M. le chef de l'Opposition officielle,
je donne maintenant la parole à M. le député de
Vanier.
M. Bertrand: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais poser
mes questions le plus rapidement possible pour vous donner le temps d'y
répondre avant que M. le chef de l'Opposition arrive. Je pense que vous
avez mentionné tantôt une technicité ou ça demande
peut-être des explications plus poussées, mais vous avez
présenté Mme Matte comme étant un conseiller scolaire en
Ontario. Or, il semble qu'un des problèmes soit de faire élire
des conseillers scolaires francophones. J'aimerais, quand j'aurai
terminé, que vous apportiez des précisions sur la présence
de Mme Matte comme conseiller scolaire. Est-ce que c'est l'exception qui
confirme la règle ou si c'est un début de pied dans la porte qui
permettra à la porte de s'entrouvrir? Tant mieux pour vous, alors.
M. de Bellefeuille: C'est peut-être parce qu'elle est
femme.
M. Bertrand: Non, j'en douterais.
Mme LeBlanc-Bantey: C'est un très mauvais commentaire.
M. Bertrand: Je douterais que ce soit ça.
Mme Leblanc-Bantey: Elle a certainement d'autres mérites
que celui-là.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président.
M. Saint-Denis: J'aurais la tentation, Mme la Présidente,
de laisser Mme Matte répondre elle-même à ces
questions.
M. Bertrand: Ce serait bien si on le faisait
immédiatement, je pourrais continuer avec une autre question, Mme la
Présidente, par la suite.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme
Denise Matte.
Mme Matte (Denise): Je vous remercie, Mme la Présidente.
Je vais appeler ça un heureux hasard. Lors d'élections scolaires,
qui arrivent au même moment que les élections municipales,
personne n'est élu en tant que francophone. Nous nous présentons
en tant que "public" ou bien en tant que "catholique", mais, comme nos
écoles secondaires françaises, depuis maintenant douze ans, sont
sous la juridiction ou la tutelle des conseils publics qui sont unilingues
anglophones, lors de la création en 1968, le ministère de
l'Éducation de l'Ontario a pensé tout de suite qu'il ne serait
pas bon que les écoles secondaires françaises soient uniquement
sous la juridiction des conseils anglophones. Ils ont dit: Probablement que
là on va s'attirer un paquet de problèmes. Alors c'est là
qu'ils ont - peut-être après une nuit de sommeil ou enfin d'une
autre façon - dit, un peu peut-être comme lors de la
création: II ne faut pas que l'homme soit seul, il faut lui donner une
compagne, et là ils ont dit: On va créer quelque chose. C'est
là qu'ils sont arrivés avec l'invention des comités
consultatifs de langue française. (17 h 45)
Au début, ça nous a souri, on a dit: Notre gouvernement ne
nous a pas oubliés et on va y voir à la gérance et
à tous les services de nos écoles françaises. Mais vous
savez ce que veut dire un comité consultatif. Un comité
consultatif c'est simplement de la
consultation. Nous faisons des recommandations au conseil qui, comme on
l'a dit précédemment, est composé d'unilingues
anglophones. Je suis conseiller scolaire, mais c'est par hasard que j'ai
été élue, c'est en tant que catholique et, sur dix-sept
conseillers, nous sommes trois francophones et quatorze unilingues anglophones.
Les débats sont uniquement en anglais, je n'ai pas besoin de vous le
dire.
Le rôle des comités consultatifs se limite à
proposer et à faire des recommandations au conseil. Je vous assure qu'il
se livre des débats et des combats parce que, autour d'une table de
conseil, quand arrivent ces recommandations, d'abord elles sont souvent
appelées "non nécessaires". On vous dit: L'utilité. On n'a
pas ça dans les écoles anglaises. Il y a alors une espèce
de discussion qui, parfois, est très humiliante et finalement il faut
dire que dans quelques conseils scolaires on obtient ce que nous demandons. Par
contre, il y a une espèce d'épée de Damoclès
au-dessus de la tête des conseillers parce que, si le conseil scolaire
refuse une recommandation proposée par le comité consultatif de
langue française, il doit donner dans les 30 jours qui suivent la raison
du refus. À partir de ça le comité consultatif
amène sa cause à la Commission des langues.
Un conseil scolaire qui a un peu d'honneur, en général, ne
veut pas aller à la Commission des langues parce que ça ferait la
manchette des journaux et de la radio. Mais ça, ce sont des conseils
scolaires très spéciaux, il n'y en a pas beaucoup en Ontario. La
majorité continue à livrer des luttes, à se promener en
amenant des causes et ils perdent de l'énergie et du temps.
Je pense que tout ce genre de luttes a été vécu et
il me semble que, maintenant que nous sommes en 1981, on devrait
peut-être changer un petit peu l'arène du combat parce qu'on a
déjà perdu plusieurs victimes par l'assimilation. Il me semble
que de revendiquer un conseil scolaire homogène de langue
française, où on pourrait avoir l'élection de nos
conseillers qui auraient les pouvoirs d'administrer, qui auraient aussi les
pouvoirs de créer, de penser et de concevoir des services pour les
élèves francophones. Alors, il me semble que l'autogérance
de nos écoles françaises serait notre droit et aussi notre salut.
Merci.
M. Bertrand: J'aime beaucoup vous entendre parler, Mme Matte, de
cette questions scolaire et, pour reprendre les termes qu'utilisait
tantôt le député de Deux-Montagnes, je suis quand
même fasciné de constater que les minorités francophones
hors Québec, et particulièrement en Ontario et au
Nouveau-Brunswick, en sont toujours à se battre sur le dossier scolaire.
On ne parle pas encore des dossiers comme ceux des communications, des media
d'information, des services sociaux, des services gouvernementaux, toutes
choses qui, ici, à mon avis, sont dispensées, et Dieu sait
qu'elles le sont bien, à la minorité anglophone, non seulement
dispensées, mais elles sont prises en charge par la minorité
anglophone. J'ai hâte que vous puissiez sortir de votre combat scolaire
pour en entreprendre d'autres qui vous permettraient de vous inscrire comme une
minorité vivante et non pas simplement comme une minorité en
survivance.
J'ajouterai simplement une dernière question, Mme la
Présidente, et c'est relativement à des commentaires. Je ne sais
pas si c'est M. Saint-Denis ou M. Lévesque qui les apportait
tantôt dans une question à mon collègue de Deux-Montagnes
qui disait, dans le contexte politique actuel, comment est reçu votre
combat dans la population ontarienne. Vous disiez qu'il semblait que le fameux
ressac anglophone dont on parlait, c'était davantage un ressac chez les
troupes conservatrices de M. Davis que dans la population.
Or, vous venez de tomber en période de campagne
électorale, je ne sais pas si on peut vraiment dire, pour la
minorité francophone, que vous venez de tomber en campagne
électorale, mais toujours est-il que le dossier constitutionnel et le
dossier des luttes des francophones vont probablement constituer un des enjeux
de cette campagne électorale. Il semble bien, si on se fie à des
attitudes que M. Davis a déjà prises lors de certaines
élections partielles et qu'on semble voir se confirmer pour la prochaine
campagne électorale, que vous allez constituer un des
éléments moteurs, dynamiques de la campagne électorale de
M. Davis, mais pas nécessairement de façon positive, j'oserais
dire de façon négative. Il semble, de la façon que M.
Davis aborde cette campagne électorale, qu'il se fie bien sur un
quelconque ressac de la communauté anglophone à votre endroit
pour capitaliser sur ce ressac et s'assurer, cette fois-ci, une majorité
parlementaire qu'il ne détenait pas au cours des dernières
années.
Nous avons pris connaissance de certains éléments de
campagne électorale utilisés lors d'élections partielles.
Je pense, entre autres, à celle de Carleton, je pense que vous l'avez
à l'esprit, où, effectivement, le Parti conservateur de M. Davis
se flattait - je reprends des mots traduits ici en français - "Bill
Davis travaille pour l'Ontario puisqu'il a réussi à
empêcher le fédéral d'imposer le bilinguisme officiel
à sa province". J'essaie de mesurer, parce qu'on a vécu ici le
débat sur la loi 101, et il ne m'a pas semblé que la population
francophone du Québec, bien que très majoritairement favorable
à une plus large francisation, se soit montrée hostile de quelque
façon que ce
soit, non seulement au maintien, mais aux possibilités de
développement de la communauté anglophone, pas simplement sur le
plan scolaire, mais sur tous les plans. J'essaie de voir, par analogie, comment
réagit la population ontarienne aux attitudes du premier ministre de
l'Ontario qui semble vouloir capitaliser sur ce qu'on pourrait peut-être
appeler un ressac anglophone et aussi sur les attitudes du premier ministre de
l'Ontario face à la minorité francophone ontarienne. Il me semble
que, toute proportion gardée et considérant - pour revenir aux
termes de M. Dion - les difficultés supplémentaires que vous avez
à affronter comparativement à la minorité anglophone du
Québec, il m'apparaît que vous ne recevez pas, de la part de la
population ontarienne - et ce n'est pas simplement, à mon avis, le Parti
conservateur qui est en cause - l'appui que cherche à trouver M. Davis
dans sa majorité; il ne semble pas que vous receviez le genre d'appui
que la majorité francophone ici a témoigné à
l'endroit de sa minorité anglophone. Est-ce que je me trompe? Est-ce que
vous accepteriez d'interpréter dans leurs justes perspectives les propos
que j'émets à l'endroit de l'Ontario?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Yves Saint-Denis.
M. Saint-Denis: Oui, Mme la Présidente. J'ai
peut-être certains problèmes à interpréter la
conduite, si vous voulez, de la population ontarienne. J'ai nettement
l'impression qu'elle est probablement plus passive que celle du Québec.
Est-ce parce qu'elle ne jouit pas de sang latin comme ici, si on parle de la
population, de l'ensemble de la population puisqu'elle est anglophone? Nous
avons quand même reçu certains, si on parle du conseil
homogène de langue française pour la région
d'Ottawa-Carleton. Les quatre conseils scolaires de cette région, qui
sont en majorité anglophones, ont tous recommandé la fondation
d'un conseil scolaire homogène français pour Ottawa-Carleton. De
nombreux appuis d'anglophones sont venus à ce moment-là pour la
création de ce conseil scolaire homogène et c'est le premier
ministre de l'Ontario qui a dit non.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je regrette de devoir dire
à Mme la députée des Îles-de-la-Madeleine qu'elle
n'aura probablement pas le temps de poser sa question. M. le chef de
l'Opposition officielle, vous avez la parole.
M. Ryan: Si vous êtes prête à prolonger la
séance de cinq minutes, je n'ai pas objection à ce que Mme la
députée pose sa question.
Mme LeBlanc-Bantey: Je me reprendrai...
La Présidente (Mme Cuerrier): Après... M. Ryan:
Oui. Après, après?
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il y avait consentement,
à ce moment-là, bien sûr que nous donnerions la parole
à Mme la députée. Vous pouvez maintenant poser votre
question ou vos questions, M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: Je m'excuse d'avoir été absent pour le
début de la discussion parce que j'étais appelé par
d'autres rencontres dans cette enceinte. J'ai pris connaissance avec
intérêt des représentations que vous faites. Je voudrais
vous dire brièvement ceci. Je pense qu'il y a deux droits
complémentaires qui sont revendiqués dans votre
présentation; d'abord, le droit des parents de langue française
d'exiger que leur enfant reçoive dans votre province l'enseignement
primaire ou secondaire dans sa langue maternelle et, deuxièmement, le
droit de la collectivité francophone d'avoir un pouvoir de gestion, de
direction sur les écoles qui sont destinées aux enfants de langue
française.
Comme je crois l'avoir déjà écrit... Est-ce que
c'est Mme Séguin qui est présidente de votre association?
M. Saint-Denis: Mme Séguin, si vous le permettez,
était présidente jusqu'en septembre dernier et je l'ai
remplacée depuis.
M. Ryan: J'ai écrit à l'un de vous deux, il y a
quelque temps, résumant la position de notre parti sur ces questions. Je
pense que vous savez que, dans la position officielle de notre parti en
matière constitutionnelle, nous réclamons, d'abord, le droit de
toute personne de langue française ou anglaise ou de tout autochtone
d'exiger que son enfant reçoive, dans la province où il habite,
l'enseignement primaire ou secondaire dans sa langue maternelle;
deuxièmement, le droit des collectivités francophones,
anglophones et autochtones de gérer les institutions publiques
dispensant l'enseignement dans leur langue maternelle, partout où ces
collectivités seront regroupées en nombre suffisant. Nous
revendiquons aussi le droit de toute personne d'avoir accès à des
services sociaux dans sa langue, partout où le nombre le justifie. C'est
la position de notre parti.
Par conséquent, nous appuyons fermement les deux volets
essentiels de la revendication que vous présentez. Ceci est un secteur
où nous ne sommes pas en faveur d'une asymétrie trop
poussée. Nous avons
entendu toute la journée un plaidoyer en faveur de
l'asymétrie. Je suis content de voir que vous autres, vous demandez un
peu plus de symétrie. Si on bâtit un pays uniquement sur
l'asymétrie, autant dire qu'on n'en bâtit pas, qu'on
prépare la division et la désintégration pour tôt ou
tard. 3e veux vous dire que, sur des points fondamentaux comme celui-là,
nous autres, nous exigeons avec fermeté que le reste du pays, en
particulier les autorités de la province de l'Ontario, livrent la
marchandise, comme le Québec a essayé de le faire pendant
longtemps.
Je suis allé à Toronto récemment, comme vous en
avez peut-être eu connaissance. Je ne veux pas que le Parlement
fédéral impose d'autorité, de manière
unilatérale, une clause comme celle-ci à la province de
l'Ontario, pas plus que je ne voudrais, si l'Ontario ne doit pas être
lié, que le Québec soit lié par la volonté du
Parlement fédéral. Mais je vous assure que nous allons continuer
à travailler très fort auprès des autorités de
votre province pour qu'elles embarquent dans le club des larges d'esprit au
Canada, de manière qu'on puisse avoir un pays qui commence à
signifier quelque chose.
Je ne sais pas si la position de notre parti, comme je l'ai
exposée, répond aux attentes que vous avez formulées de
votre côté. S'il y avait des critiques que vous avez à nous
faire là-dessus, cela pourrait nous instruire pour que nous la
précisions davantage. Mais je veux vous assurer, sur le fond, que telle
est l'orientation de notre parti, confirmée par les documents qui la
décrivent, d'ailleurs.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gérard
Lévesque.
M. Lévesque (Gérard): Mme La Présidente, je
pense que le chef de l'Opposition officielle vient de résumer les
objectifs que nous poursuivons d'une façon assez claire. Nous avons
nous-mêmes étudié énormément des documents
tels que le livre beige du Parti libéral du Québec. À ce
moment-là, nous avons vu plusieurs objectifs qui étaient communs,
par exemple, la maîtrise par chaque communauté de ses moyens
d'instruction, de ses moyens d'enseignement.
Malheureusement, nous avons énormément de
difficulté à faire accepter ça par les gouvernements au
Canada anglais. Dans le premier territoire à l'ouest du Québec,
dans le territoire de la capitale nationale, nous trouvons que c'est
inacceptable qu'en 1981 on ne puisse pas être habilités à
diriger nous-mêmes nos écoles. Dans ce sens, l'appui de tous les
partis du Québec représentés à l'Assemblée
nationale pourrait nous être utile pour que dans un premier temps, au
moins dans la capitale du pays, on puisse bénéficier de ce que la
communauté anglo-protestante a obtenu ici via l'article 93 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique.
Je pense que, dans un premier temps, notre communauté a fait
énormément la preuve, depuis quelques années, que nous
étions rendus adultes, que nous pouvions diriger nos moyens
d'éducation et partager ensemble avec les conseils scolaires qui
seraient responsables de l'éducation en langue anglaises des services de
gré à gré, faire des ententes de gré à
gré, mais nous ne pouvons plus tolérer, et surtout pas dans la
capitale canadienne, d'être sous la tutelle d'unilingues anglais qui
prennent pour nous les décisions. Compte tenu de la répartition,
à laquelle faisait référence Mme Matte tantôt, des
sièges entre contribuables séparés et contribuables du
secteur public au sein des conseils publics qui régissent nos
écoles secondaires, je pense que c'est inacceptable aujourd'hui qu'on
n'ait pas voix au chapitre au niveau décisionnel pour qu'ensemble on
puisse être en quelque sorte en sécurité dans nos
décisions et partager, à ce niveau-là, avec la
communauté qui nous entoure, la prospérité au niveau de
l'éducation. (18 heures)
Je pense que dans ce sens il faut réaliser que les principes mis
de l'avant pour la maîtrise des moyens d'éducation ne sont pas
reconnus à l'heure actuelle ni par le gouvernement fédéral
ni par les gouvernements des provinces, tel celui de l'Ontario. Nous avons un
petit exemple au Nouveau-Brunswick, au niveau de la gestion scolaire. C'est un
exemple assez intéressant. Nous essayons de l'imiter chez nous, mais la
partie est très loin d'être gagnée.
Notre président général a fait un appel de
dernière heure au premier ministre Trudeau la semaine dernière,
alors que le comité mixte à Ottawa a étudié
l'article 23, paragraphes 1, 2 et 3 qui mentionnent l'accès à
l'instruction. Mais, nous, ce que nous mentionnions, c'étaient les
paragraphes 4 et 5 sur la gestion scolaire, parce que les paragraphes 1, 2 et 3
en Ontario, à force de passer de conflit scolaire en conflit scolaire,
nous avons mis le pied dans la porte. Nous avons des installations, nous avons
des pavillons ou des écoles. Nous n'avons pas complètement le
réseau auquel nous avons droit. Mais nous avons un début quand
même. Compte tenu de notre population étudiante, nous avons
près de 100,000 étudiants qui sont dans nos écoles,
à la fois secondaires et primaires en Ontario. C'est quand même un
acquis. Alors, ce qu'il nous faut maintenant, c'est la reconnaissance pour
diriger ces moyens. À ce niveau-ci, c'est critique et
particulièrement dans le territoire de la capitale nationale, à
Ottawa.
M. Ryan: Quelle est la proportion de
vos enfants de langue française qui sont dans des écoles
françaises au niveau élémentaire actuellement?
M. Lévesque (Gérard): La proportion? M. Ryan:
Est-ce que c'est 92%, 95%?
M. Saint-Denis: Oui, à peu près. Mme la
Présidente, la presque totalité des enfants inscrits dans les
écoles françaises sont francophones.
M. de Bellefeuille: Quelle proportion des francophones sont
à l'école française?
M. Saint-Denis: On a peut-être mal saisi la question. S'il
y a possibilité de reprise.
M. Ryan: Quelle est la proportion des enfants de langue
française qui sont inscrits dans des écoles françaises au
niveau élémentaire?
M. Lévesque (Gérard): C'est assez
élevé. Je crois que c'est dans les 90% mais, encore là,
cela dépend du fameux débat des statisticiens. Si on veut
utiliser comme statistiques le français, langue d'origine en Ontario ou
français langue d'usage, à ce moment, on va dire: Près de
90%. D'autres vont dire: Même plus que ce pourcentage de la population
francophone a accès déjà à ces écoles
élémentaires. Mais il faut dire que ces écoles ont
été reconnues de par la loi de l'Ontario à peine il y a
douze ans, en 1968. Nos pères et nos prédécesseurs ont
dû se débattre contre le règlement 17 auquel on a fait
référence tantôt. Après que le règlement 17
eût été enlevé, qui voulait assimiler nos
écoles, il n'y a pas eu de reconnaissance légale des
écoles françaises en Ontario jusqu'en 1968. En 1968, c'est la
première fois que le gouvernement a dit: Oui, nous reconnaissons un
statut légal aux écoles qui existent. À ce moment, nos
écoles existaient depuis plus de 300 ans dans le territoire de
l'Ontario. On peut se référer à des volumes très
intéressants publiés dernièrement par le professeur Robert
Choquette et un autre par le professeur Arthur Godbout qui montrent
l'historique des écoles françaises en Ontario et qui montrent
jusqu'à quel point nos gens ont dû travailler d'arrache-pied pour
gagner ces institutions et maintenant, nous essayons de gagner la
gérance politique de nos écoles.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mon rôle est parfois
ingrat. Je me dois de faire remarquer à la commission que nous avons
déjà dépassé le temps qui nous était
alloué. Je me fais le porte-parole des membres de la commission pour
remercier M. Yves Saint-Denis, le président général de
l'association, Mme Denise Matte, est conseillère scolaire,
M. Gérard Lévesque, qui est le secrétaire
général, je crois, de l'Association canadienne-française
de l'Ontario. Merci beaucoup à cette association pour avoir bien voulu
participer aux travaux de la commission de la présidence du conseil et
de la constitution. Merci.
M. Saint-Denis: Merci du chaleureux accueil que nous avons
accordé ici.
La Présidente (Mme Cuerrier): Sur ce, puisqu'il est
déjà dépassé l'heure, nous devons suspendre.
Suspension des travaux jusqu'à 20 heures, au moment où nous
recevrons l'Union populaire et ensuite Me Guy Bertrand.
(Suspension de la séance à 18 h 4)
(Reprise de la séance à 20 h 15)
La Présidente (Mme Cuerrier): La commission parlementaire
de la présidence du conseil et de la constitution reprend ses travaux
après cette suspension pour accueillir ce soir l'Union populaire.
Auparavant, s'il y a consentement de cette commission, je dois faire un
changement quant aux membres de la commission, il s'agirait de M. le
député de D'Arcy McGee qui remplacera ce soir à la
commission M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Morin (Louis-Hébert): Ce n'est pas un changement pour
le mieux.
La Présidente (Mme Cuerrier): Consentement? Consentement.
M. le député de D'Arcy McGee, vous serez membre de cette
commission pour ce soir, c'est-à-dire que M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce est intervenant.
M. le représentant de l'Union populaire, je vous demanderais de
vous identifier comme porte-parole, s'il vous plaît. Je pense que vous
avez observé les travaux de la commission cet après-midi, vous en
connaissez les règles. Il s'agit d'une heure que la commission s'accorde
pour entendre le représentant de l'Union populaire, dont vingt minutes
pourront être utilisées à présenter votre
mémoire, vingt minutes pour les questions et les réponses des
membres du gouvernement dans cette commission parlementaire et vingt minutes
pour les Oppositions, questions et réponses incluses, bien
sûr.
M. le représentant de l'Union populaire.
L'Union populaire
M. Laberge (Henri): Je suis Henri Laberge, président de
l'Union populaire. Comme vous le savez sans doute, l'Union
populaire est un parti exclusivement québécois qui a
choisi d'oeuvrer sur la scène fédérale et comme vous le
voyez, dans le texte du mémoire que nous vous avons
présenté, l'Union populaire a inscrit parmi ses objectifs
fondamentaux permanents de promouvoir la souveraineté politique totale
du Québec, ainsi qu'une plus grande indépendance
économique, dans le cadre d'un marché commun avec les diverses
régions du Canada actuel.
L'Union populaire, pour éviter toute ambiguïté
à ce sujet, n'est pas une formation ethnique, elle est ouverte aux
Québécois de toutes les régions sans égard aux
origines ou à la langue maternelle de chacun; elle se définit,
par contre, comme un mouvement national voué à la défense
et à la promotion des intérêts collectifs de la nation
québécoise.
Dans le débat actuel, notre rôle est un peu celui, en tant
que mouvement indépendantiste, d'un locataire qui projette de devenir
propriétaire de sa maison, mais qui, en attendant, pour le temps qu'il
est locataire, se voit imposer, par son propriétaire, des conditions
inacceptables. Voilà qu'on s'aperçoit - on est capable de s'en
rendre compte avec les autres locataires - que le propriétaire vient se
mêler de nous dire où placer nos meubles, comment nous habiller,
etc. À ce point de vue là, nous sommes capables de faire alliance
avec les autres locataires pour dire que cette ingérence du
propriétaire est inacceptable.
Il est bien entendu qu'à partir du moment où le
propriétaire renonce à ses ambitions inacceptables de se
mêler de ce qui doit nous regarder ça ne nous enlève
absolument pas notre objectif de vouloir devenir propriétaires de notre
maison. Il est bien entendu que, pour l'Union populaire, l'objectif de
l'indépendance nationale demeure un objectif permanent qui va continuer
quel que soit le résultat de la ronde actuelle de révision
constitutionnelle qui a été inaugurée depuis le lendemain
du référendum. Nous croyons que l'indépendance nationale
est la solution normale pour un peuple qui se respecte, mais que cette
indépendance nationale ne doit se réaliser qu'avec le
consentement de la majorité de la population du Québec et que,
par conséquent, on doit protéger à la fois le droit du
Québec à l'autodétermination - et cela est un objectif que
tous les fédéralistes devraient soutenir avec nous - et, en
même temps, nous devons essayer de défendre des conditions qui
sont acceptables au sein de la fédération pour le temps où
nous y restons.
Vous avez sans doute remarqué, Mme la Présidente, que
notre mémoire est daté de septembre 1980. Nous l'avons
écrit à la fin du mois d'août et nous l'avons remis au
premier ministre et aux chefs des partis d'Opposition au début de
septembre, avant même la dernière ronde de négociations
fédérales-provinciales qui s'est tenue dans la première
semaine de septembre. Cela veut dire que notre mémoire ne tient pas
compte d'une façon spécifique du projet Trudeau tel qu'il a
été déposé par la suite, mais il tient compte de
l'objectif général de révision constitutionnelle tel qu'il
était envisagé déjà dès septembre et tel
qu'il continue d'être, objectif principal du gouvernement
fédéral auquel nous nous opposons, quelles que soient les
technicités ou les formes dans lesquelles il se présente.
Je ne vais pas insister de la même manière sur chacun des
chapitres de notre mémoire, étant donné que certaines
parties ont peut-être perdu une partie de leur actualité, mais je
pense qu'on ne pourrait retirer absolument rien des objectifs qui sont
exprimés ici.
Je vais insister surtout sur le premier chapitre: Éviter le
piège des mots, parce que le premier ministre du Canada, en particulier,
nous a invités à éviter le piège des mots et nous
constatons qu'au contraire c'est lui qui, continuellement, essaie de nous
prendre au piège avec l'utilisation de certains mots. Dans notre
mémoire nous relevons, en particulier, la définition qu'il
propose de certains termes avec lesquels nous devons établir très
clairement nos positions pour que tout le monde comprenne bien où nous
nous situons dans le présent débat.
Le premier ministre du Canada parle du peuple canadien et il retient
comme critère d'appartenance à un peuple le fait d'être
soumis à un même gouvernement et aux mêmes lois.
Nous disons que, selon le critère de la soumission aux
mêmes lois, il est évident pour tout observateur honnête de
dire que le Québec a joui effectivement, depuis 1774, d'un statut
particulier au sein de l'empire britannique. L'Acte de Québec est
à proprement parler un acte de reconnaissance d'un peuple distinct. Ce
statut particulier a été maintenu même sous le
régime de l'union des deux Canada. Alors que nous étions soumis
à un seul Parlement, nous continuions d'avoir deux systèmes
juridiques tout à fait différents dont témoigne, par
exemple, le fait que le Code civil du Bas-Canada a été
adopté en 1866 sous le régime de l'union.
Selon ce critère de la soumission aux mêmes lois, il y a
sans doute, au-delà de la pluralité des législations
provinciales distinctes, une dualité fondamentale dont témoignent
notamment les articles 94, 98 et 128 du BNA Act qui précisément
confirment ce caractère particulier du Québec.
Toutes les provinces du Canada, à l'exception du Québec,
ont adopté en bloc la loi d'Angleterre comme base de leur
législation particulière. Elles ont choisi d'être
britanniques du point de vue juridique. Dès
avant la Confédération, avant l'union de 1840 et
même au cours de l'union, les Ontariens et les habitants des autres
colonies de l'Amérique du Nord britannique partageaient, du point de vue
juridique, une option fondamentale qui en faisait déjà en un
certain sens un même peuple et qui les distinguait nettement du peuple
québécois.
Cette option fondamentale et la distinction qu'elle implique existent
toujours avec la différence qu'elles s'expriment maintenant au sein de
la fédération canadienne.
La dualité que nous évoquons ici n'a rien a voir avec une
dualité de race ou d'ethnie. Je tiens à bien insister
là-dessus, parce que, très souvent, quand on parle de la
dualité canadienne, on risque d'aboutir à un dialogue de sourds
quand certains parlent d'une dualité ethnique alors que nous parlons
d'une dualité de sociétés.
Il y a deux sociétés distinctes et c'est ce dont nous
parlons et non pas d'une dualité ethnique.
Quand nous disons du Québec qu'il constitue une
société française, en comparaison aux neuf autres
provinces, que nous appelons des provinces britanniques, nous ne parlons pas de
la composition ethnique des provinces concernées, mais bien des options
fondamentales de chacune d'elles quant à leur projet de
société, options fondamentales qui remontent historiquement
à plusieurs décennies, même deux siècles.
Il y a d'autres termes que le premier ministre du Canada utilise pour
essayer de nous confondre. À plusieurs reprises, il a essayé de
nous comparer à une tribu et il a parlé du nationalisme
québécois comme d'un appel à la solidarité raciale
ou une solidarité du sang. Or, M. Trudeau, à ce moment-là,
se réfère à un vocabulaire dépassé
où, dans les années trente, par exemple, on utilisait parfois le
mot race au sens de ethnie et le mot nation au sens de ethnie également.
Nous tenons à préciser que nous n'acceptons absolument pas que
notre nationalisme soit identifié à une option raciale ou une
option ethnique au sens étroit. Premièrement, il n'y a pas de
race française, encore moins de race québécoise, et il n'y
a pas non plus de race canadienne-française, il n'y a même pas
d'ethnie québécoise comme telle. La race et l'ethnie se
distinguent par la nature des caractères qui servent à fonder
l'appartenance des individus à l'une et à l'autre. Pour la race,
ce sont des caractères biologiques et pour l'ethnie des
caractères culturels, mais il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, de
caractères individuels. Il ne faut pas confondre ces caractères
avec ceux d'une nation.
Nous ne méprisons pas les valeurs ethniques. Nous
prétendons, au contraire, que les valeurs ethniques doivent être
respectées et nous pensons que tout projet politique valable doit
comporter la volonté arrêtée d'exclure toute discrimination
fondée sur l'origine ethnique, la langue maternelle ou les valeurs
culturelles qui inspirent ou animent la vie privée de chacun. Aucun
individu ne doit être empêché de transmettre à ses
enfants, s'il le désire, sa langue maternelle et sa manière de
vivre dans la mesure où celle-ci ne compromet pas l'ordre public. L'Etat
ethnique, c'est-à-dire celui où la conformité à un
modèle ethnique serait une condition à l'exercice des droits
politiques, est à rejeter totalement. Si c'est ce genre d'Etat que veut
dénoncer M. Trudeau sous le vocable d'État-nation, nous sommes
d'accord sur le fond avec lui, mais nous n'oublions pas que le choix du
vocable, quand il utilise le mot Etat-nation, n'est pas indifférent
à l'effet que veut produire le premier ministre du Canada. Il veut
mêler les cartes.
Pour notre part, nous rejetons tout aussi catégoriquement
l'État biethnique et pour les mêmes raisons. Nous rejetons tout
projet de société qui amènerait les individus à
devoir choisir entre deux modèles culturels au niveau de leur vie
privé pour être reconnus valablement dans la vie politique. Nous
nous opposerons donc à une reconnaissance spéciale des groupes
ethniques canadiens-français et canadiens-anglais, comme il en a
été question à un certain moment au cours de la discussion
constitutionnelle. Nous nous opposons à toute reconnaissance de groupes
ethniques en tant que groupes ethniques dans la constitution ou encore à
ce que M. Trudeau appelle "les deux principales communautés
linguistiques et culturelles du pays dont la française - je le cite - a
son premier foyer et son centre de gravité au Québec". Cette
dernière formule peut être considérée comme une
façon habile de refuser toute reconnaissance du caractère
distinctif de la société québécoise en tant que
société globale, tout en donnant l'impression de jeter du lest.
En fait, elle ne reconnaît que deux groupes ethniques principaux, en y
ajoutant une précision quant à la répartition
géographique de l'un deux.
La reconnaissance spéciale dans une constitution de deux groupes
ethniques principaux est, au mieux, tout à fait inutile. Au pire, elle
pourrait servir à justifier une discrimination positive en faveur des
membres de ces deux groupes, discrimination qui serait donc négative
à l'endroit de tous les autres groupes ethniques. Il faut donc rejeter
une telle reconnaissance spéciale, s'y opposer catégoriquement et
dénoncer vigoureusement toute tentative de la substituer à la
reconnaissance, nécessaire celle-là, de nations distinctes dans
l'ensemble canadien.
Et là, nous en arrivons à ce que nous entendons par la
nation. Contrairement à la
race et à l'ethnie qui se définissent par les
caractéristiques des individus qui en font partie, la nation est une
réalité proprement collective. Elle implique l'habitation commune
d'un territoire national ou, à tout le moins, l'appartenance à un
territoire national.
A la page 15, nous disons que la nation, ce n'est pas un ensemble
d'individus possédant, un à un, des caractéristiques
physiques ou culturelles communes. Elle comprend tous ceux qui, quelles que
soient leurs caractéristiques individuelles, vivent ensemble dans un
milieu possédant sa propre cohérence culturelle
caractéristique et sur un territoire marqué par cette
cohérence. C'est en ce sens que nous parlons de la nation
québécoise, société globale nettement
caractérisée en tant que telle par rapport au reste du Canada, au
reste de l'Amérique du Nord et au reste de la planète.
Il y a un pays socioculturel québécois et nous voulons
qu'il soit reconnu comme tel. Nous voulons défendre le droit à
l'existence de ce pays socioculturel et nous croyons que c'est
précisément contre l'existence de ce pays socioculturel que le
projet fédéral d'amendement constitutionnel est
particulièrement dirigé.
Le gouvernement fédéral n'a pas d'objection à
reconnaître les groupes ethniques. Il ne veut pas reconnaître un
espace socioculturel particulier qui est différent de l'ensemble
canadien. Le rêve du gouvernement fédéral, c'est
d'homogénéiser le plus possible l'ensemble économique
canadien afin d'enlever tous les obstacles au fonctionnement de ce
marché commun canadien. (20 h 30)
Nous pensons qu'il y a des valeurs culturelles à défendre
dans l'espace socioculturel que nous avons créé et c'est à
la défense de cet espace socioculturel que nous nous employons. Nous
pensons que, justement, la cohérence caractéristique du
Québec par rapport au reste du Canada s'exprime en particulier par la
langue commune qui est différente du reste du Canada et aussi par un
système juridique différent. Il y a une cohérence
juridique et une cohérence linguistique qui sont celles d'une
société globale sur le territoire qu'elle occupe.
Nous croyons que, dans l'état actuel de l'humanité, on
devrait considérer comme un droit fondamental de la personne le droit
à un pays socioculturel juridiquement et linguistiquement
cohérent; à un pays dont il sera possible pour l'individu de
connaître les grandes articulations de la loi et du système
juridique de façon simple, de façon accessible et, par
conséquent, où l'individu sera à l'abri de l'arbitraire;
à un pays où il saura d'avance qu'une seule langue est vraiment
indispensable pour participer à la vie économique et politique,
les autres langues demeurant facultatives; à un pays où chacun
pourra librement conserver et cultiver sa langue maternelle ou tout autre
langue de son choix, en sachant que la même faculté
accordée aux autres langues ne le privera pas de la possibilité
de communiquer avec tous, étant donné l'existence d'une langue
commune,
A une société originale historiquement constituée
et au pays socioculturel qui lui sert d'assise correspond
généralement un pouvoir politique distinct. Ceci est tout
à fait normal, puisque les institutions politiques et l'exercice du
pouvoir politique constituent des expressions privilégiées de la
culture d'un peuple adulte. Même quand il s'agit de peuples conquis, la
préexistence de lois et de coutumes distinctes et la volonté des
peuples concernés de les conserver distinctes incitent souvent les
conquérants à leur octroyer des structures politiques distinctes
sur cette base. C'est ce qui est arrivé au Québec où le
conquérant britannique n'a pu faire autrement que de reconnaître
le caractère distinctif de notre pays socioculturel. Il en a bien
modifié l'étendue géographique en 1791 pour permettre la
création d'un espace juridique distinct au profit des Loyalistes, mais
il reconfirmait, par le fait même, la reconnaissance de notre
spécificité et le droit de la vivre dans un pays distinct et sous
une autorité politique distincte.
Alors, je pense que toute l'histoire du Québec depuis la
conquête de 1760 confirme justement le fait que, même pour un pays
conquis, une cohérence linguistique et juridique préalablement
établie incite les conquérants à reconnaître cette
spécificité en accordant des institutions politiques
distinctes.
Évidemment, nous disons que la correspondance entre l'État
et la nation, si elle est normale, n'est cependant pas automatique. La nation
polonaise a survécu aux nombreuses éclipses de l'État
polonais et la nation québécoise a survécu à
l'éclipse du pouvoir politique québécois distinct entre
1840 et 1867. Il faut bien voir que la définition que nous adoptons du
mot "nation" pourrait bien ne pas être universellement acceptée
comme telle. Nous n'avons pas d'objection à ce que certains aient des
particularités lexicales et utilisent le mot nation dans un autre sens.
Ce qu'il faut bien voir, c'est que, si nous utilisons ce terme en lui
appliquant le principe du droit des nations à disposer
d'elles-mêmes, ce ne peut être que dans le sens que nous avons
défini. Le droit à l'autodétermination incluant le droit
à la séparation et le droit de constituer un État
souverain ne peut manifestement pas s'appliquer à la race ou à un
groupe ethnique ou à une communauté spirituelle extraterritoriale
fondée, par exemple, sur une foi commune ou sur une langue commune.
Il
suppose, pour s'exercer valablement, une assise territoriale.
D'autre part, s'il ne s'appliquait qu'aux populations des États
souverains déjà constitués, il n'aurait pas de
signification réelle. Ce serait tout simplement une confirmation d'un
statu quo éternel. Enfin, ce serait un non-sens de le faire correspondre
à un territoire défini uniquement en fonction de critères
relevant de la géographie physique. Le droit à
l'autodétermination doit correspondre à un territoire, mais
défini en fonction de critères relevant de la géographie
humaine, c'est-à-dire à un territoire national,
c'est-à-dire enfin à un pays socioculturel.
Parmi les autres termes qui sont faciles à piéger, il y a
les mots "Canada" et "Canadiens". Cela tient au fait que le mot "Canada" a
autrefois désigné le pays que nous appelons aujourd'hui le
Québec et qu'encore aujourd'hui il évoque pour de nombreux
Québécois notre passé national, les racines historiques de
notre peuple. Bien souvent, encore aujourd'hui, les gens, quand ils veulent
parler de notre histoire nationale, vont parler de l'histoire du Canada, mais
en fait, quand on regarde le contenu, il s'agit effectivement de l'histoire du
Québec.
Notre pays socioculturel, notre patrie, comme disent les libéraux
québécois, s'est appelé officiellement Bas-Canada de 1791
à 1840 et on a continué à le désigner ainsi durant
la période de l'union. À témoin, le Code civil du
Bas-Canada rédigé en 1866. Pendant tout ce temps, les habitants
de ce pays se sont appelés eux-mêmes et ont été
appelés les Canadiens. Ils avaient conscience de constituer une vraie
nation distincte de toutes les autres et qu'ils appelaient volontiers la nation
canadienne. Dans la décennie qui a précédé 1837,
notamment, ils ont exprimé leur rêve d'une indépendance
nationale conquise progressivement et dont ils prévoyaient
l'achèvement avant la fin du siècle. Le parti politique qui
incarnait et véhiculait cette ambition nationale s'appelait le Parti
canadien ou le Parti populaire.
C'est de ce peuple canadien que Lord Durham a dit qu'il était un
"peuple sans histoire", empruntant à Hégel une expression qui
voulait surtout signifier un peuple sans avenir, un peuple qui ne remplissait
pas les conditions pour se prolonger historiquement. Mais la remarque de Durham
fut comprise comme une expression de mépris à l'égard de
notre passé et a voulu lui répondre. C'est alors que naquit comme
discipline organisée l'histoire systématique de notre peuple.
François-Xavier Garneau lui donne un nom, Histoire du Canada. À
l'époque, c'est le nom qui lui convenait le mieux, mais il ne faut pas
s'y tromper, c'est essentiellement l'histoire de la nation que nous appelons
aujourd'hui québécoise que relatent François-Xavier
Garneau et ses continuateurs.
À ne pas lever certaines ambiguïtés, on peut aboutir
à des contresens grossiers. C'est peut-être le cas lorsqu'on
adopte, comme hymne national du Canada fédéral, un hymne
manifestement composé dans une perspective toute
québécoise. "Ton bras sait porter l'épée" ne
s'applique-t-il pas d'abord et avant tout au courage et à l'acharnement
avec lequel nos ancêtres ont combattu pour la Nouvelle-France contre
l'envahisseur britannique?
Depuis la conquête, en effet, nous n'avons pas souvent
porté l'épée avec enthousiasme. Qu'on se rappelle la
guerre des Boers et les conscriptions de 1917 et 1942. Depuis que le Canada
fédéral existe, le port de l'épée a
été beaucoup plus une occasion de conflit entre la nation
québécoise et la majorité canadienne qu'une occasion de
rapprochement. L'intention de l'auteur est encore plus manifeste dans le
deuxième couplet, "près du fleuve géant", c'est
évidemment le Saint-Laurent, et le troisième où il parle
du patron, précurseur du vrai Dieu, couplets qui indiquent de
façon incontestable le caractère essentiellement
québécois de cet hymne. Évidemment, le premier ministre du
Canada a tellement joué sur les mots qu'il a même utilisé
un vieux refrain, "on est canadien ou bien on l'est pas" qui justement, encore
une fois, a été composé dans une perspective
québécoise au sens où je l'ai dit tout à
l'heure.
L'histoire du Canada, pour autant que le mot Canada désigne la
Fédération canadienne actuelle, ne commence qu'en 1867, alors que
l'histoire du Québec, qui s'est appelé Canada à une
certaine époque de son histoire, commence 260 ans plus tôt. Ce
sont des réalités qu'il ne faut pas oublier dans le débat
actuel.
Le deuxième chapitre, je vais simplement faire une remarque
rapide, c'est que nous prétendons que, dans l'état actuel des
choses, l'autorité fédérale au Canada et les provinces
n'ont aucunement besoin de se rendre à Londres pour avoir le droit de
faire des modifications à la constitution, soit du Canada, soit du
Québec.
Le Statut de Westminster dont nous allons célébrer en
décembre le 50e anniversaire règle définitivement, en
1931, cette question. Le Parlement britannique déclare à ce
moment-là que les Parlements des dominions - et par l'article 7 on
attribue les mêmes pouvoirs aux Législatures des provinces
canadiennes - peuvent légiférer de façon non compatible
avec les lois britanniques adoptées précédemment et le
Parlement britannique s'engage, par l'article 4, à n'adopter aucune
nouvelle loi s'appliquant aux dominions, à moins que ce ne soit à
la demande expresse des dominions.
Or, si le Canada et les provinces peuvent légiférer de
façon incompatible, ils n'ont besoin d'aller chercher aucun document
à Londres, ils n'ont qu'à adopter des constitutions qui
les concernent. Mais le hic, c'est que justement il y a une procédure
qui est établie par la coutume, c'est celle de l'unanimité entre
les provinces et le fédéral et c'est cette unanimité que
le gouvernement fédéral ne veut plus respecter. C'est pourquoi il
s'adresse au Parlement impérial de Londres pour lui demander de faire,
à sa place quelque chose qu'il n'a pas le droit de faire lui-même
au Canada.
Or, quand il dit que le gouvernement impérial, le Parlement de
Londres a le devoir de lui accorder ce qu'il demande, je pense qu'il faudrait
relire l'article 4 du Statut de Westminster qui dit que le Parlement de Londres
ne votera plus de lois s'appliquant aux dominions, à moins qu'elles
n'aient été demandées par les dominions, mais il n'est dit
nulle part que le Parlement de Londres doit voter les lois qui lui sont
demandées par les dominions. D'autant plus qu'aucune de ces lois n'est
vraiment nécessaire; si, entre les provinces et le
fédéral, il y a une entente pour modifier la constitution, nous
n'avons absolument pas besoin d'aller rapatrier quelque vieux document que ce
soit.
Dans le chapitre suivant, nous recommandons l'adoption d'une
constitution québécoise. Nous prétendons que ce qui est
surtout important dans le débat actuel, c'est d'abord d'établir
notre approche constitutionnelle sur nos propres bases.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Laberge, je regrette, votre temps est déjà
écoulé. Est-ce que vous pourriez conclure rapidement, s'il vous
plaît?
M. Laberge (Henri): Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): Quitte à
peut-être faire valoir ce que vous alliez...
M. Laberge (Henri): Dans les réponses aux questions,
oui.
La Présidente (Mme Cuerrier):
D'accord.
M. Laberge (Henri): Comme ce mémoire a été
déposé depuis un certain temps, j'imagine que les gens ont eu le
temps de le lire, mais je veux simplement, pendant quelques minutes, rappeler
les grandes lignes de notre intervention.
Nous prétendons qu'une inclusion de droits fondamentaux dans une
constitution fédérale qui lie les deux niveaux de gouvernement en
même temps, c'est une erreur. Que cette inclusion soit imposée par
un Parlement étranger ou qu'elle soit agréée, c'est
également une erreur. Nous nous opposerions à ce que, dans une
négociation ultérieure, le gouvernement du Québec inscrive
dans une constitution fédérale des droits fondamentaux qui
lieraient les deux niveaux de gouvernement, pour la raison très simple
que ça lie la forme dans laquelle les droits sont définis d'une
façon quasiment irréversible.
Or, les droits fondamentaux sont en évolution constante et on le
voit, par exemple, dans toutes les législations qui ont
été amenées par l'Assemblée nationale du
Québec, dans les dernières années, pour essayer de mieux
préciser les droits fondamentaux de la personne, les droits des
consommateurs, les droits des travailleurs, etc. Il faut qu'il y ait une
révision qui puisse se faire; autrement, on se met à la merci du
pouvoir judiciaire.
Nous demandons qu'on inscrive dans la constitution du Québec la
charte québécoise des droits fondamentaux et qu'on inscrive
également dans la constitution du Québec une déclaration
du droit du Québec à l'autodétermination, et toutes les
lois que le gouvernement du Québec déclarerait être des
lois constitutionnelles deviendraient des lois constitutionnelles faisant
partie de sa constitution, puisque l'Assemblée nationale a actuellement
le pouvoir d'amender la constitution du Québec.
Je pense que c'est l'essentiel de ce que j'avais à dire. J'aurais
bien aimé aussi rappeler les grandes lignes de notre conclusion. Je vous
invite à lire en particulier les pages 69 à 73 où je cite
un communiqué que nous avions publié cinq jours avant le
référendum et où nous avons raconté ce qui s'est
produit depuis ce temps-là.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Laberge, vous qui êtes le porte-parole de l'Union populaire,
j'aimerais vous rassurer quant au mémoire que vous avez
présenté et même quant à l'annexe ou
complément. Chaque fois que des mémoires sont
présentés en commission parlementaire, ils sont toujours
disponibles pour ceux qui relisent les débats. On peut en faire la
demande à la bibliothèque n'importe quand.
L'autre chose que je voudrais préciser, c'est en ce qui regarde
la procédure même de la commission maintenant. On me dit que M.
Forget (Saint-Laurent) remplacerait ce soir M. Ryan (Argenteuil), s'il y avait
consentement de la commission.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est une
amélioration.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai le consentement. M.
Forget sera considéré comme un membre de la commission pour cette
soirée, en remplacement de M. Ryan (Argenteuil) et, comme nous l'avions
dit précédemment, M. Marx, député de d'Arcy McGee,
remplacerait M. Scowen (Notre-
Dame-de-Grâce) comme intervenant.
M. le ministre des Affaires intergouvernementales, vous avez la parole.
(20 h 45)
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente.
Ce n'est pas une question que je vais poser à partir de ce que M.
Laberge a dit; c'est une remarque que je vais faire en lisant, à
la page 64 de son texte, deux très courts paragraphes. M. Laberge ou
l'Union populaire dit ceci: "À notre avis, la révision
constitutionnelle est d'abord et avant tout une affaire relevant d'un accord
entre les provinces. Celles-ci devraient refuser de se laisser bousculer par le
fédéral dans la présente ronde et reprendre tout le
processus sur leur propre base."
Le commentaire que j'ai à faire, c'est le suivant. Au moment
où on parle, il y a six provinces qui sont activement impliquées
dans la contestation à tous égards du geste fédéral
et peut-être une ou deux autres qui vont s'y joindre plus tard. Mais la
remarque qui est là est une remarque que je considère un peu
idéaliste et théorique, parce que, dans la présente ronde
de discussion, il y a justement une province, entre autres, qui est l'Ontario,
qui est l'alliée la plus fidèle du gouvernement
fédéral dans son coup de force contre les autres provinces.
Pourquoi? Parce que ce coup de force vise, à toutes fins utiles,
à centraliser davantage le régime fédéral dans
lequel on se trouve présentement et tout cela serait à l'avantage
de l'Ontario.
Je mentionne cela parce que ce qui a pu découler de mon
expérience dans le domaine des affaires intergouvernementales, c'est
qu'il est très rare de réussir un consensus de provinces et qu'on
ne peut pas compter a priori là-dessus pour résoudre les
difficultés constitutionnelles, encore que l'été dernier -
j'ai parlé de cela ce matin - sur huit ou neuf des douze points à
l'ordre du jour de la conférence constitutionnelle, les provinces
étaient d'accord et c'est Ottawa qui s'y est refusé. Tout cela
pour dire que je ne vois pas comment actuellement on pourrait compter - je le
dis carrément - sur l'Ontario, par exemple, pour faire front commun avec
nous contre le coup de force fédéral d'abord et,
deuxièmement, pour faire front commun avec nous et les autres provinces
pour réorganiser le système sur une meilleure base. Ce n'est pas
une question que je vous posais, c'est un commentaire. Je trouve que la
remarque est beaucoup plus théorique que pratique dans ce
contexte-là.
M. Laberge (Henri): Elle n'est pas complètement
théorique, M. le ministre. J'admets que, sur certains points, il y a des
difficultés à faire des consensus. Par exemple, si l'objectif est
de faire un consensus sur une façon commune d'administrer certaines
législations qui relèvent des provinces, je suis d'accord que le
consensus est difficile, mais la divergence des points de vue entre les
provinces prouve justement qu'elles ont à légiférer sur
des choses différentes, qu'elles ont des intérêts
différents à défendre, qu'elles ont des points de vue
différents et que, par conséquent, ce qui est important, c'est de
les laisser légiférer chacune comme elles l'entendent dans les
domaines qui les concernent.
Par exemple, si on voulait négocier une charte des droits ayant
autorité sur toutes les législations provinciales au lieu de se
la laisser imposer par législation de Londres, je suis d'accord qu'on
n'y arriverait probablement pas, mais je dis: Que chaque province
établisse dans sa propre constitution la charte des droits en fonction
de son régime juridique particulier, en tenant compte des
problèmes particuliers qui se posent dans chacune des
sociétés et, à ce moment-là, qu'on ne se donne pas
comme objectif impossible de définir de la même façon tous
les droits qui vont s'appliquer d'une façon impérative aux
législations qui vont venir. Je pense que c'est important de distinguer
les constitutions des provinces de la constitution de l'instance
fédérale. Si on faisait cette distinction-là,
déjà, ce serait beaucoup plus simple dans le paysage.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: M. Laberge, vous avez établi, au début
de vos remarques, que l'Union populaire, comme les gens le savent, poursuit
comme objectif premier et non remis en cause, en tout cas pour ce qui concerne
l'Union populaire, la souveraineté politique du Québec. Remarquez
que, dans cette Assemblée nationale, depuis le référendum,
il est rare d'entendre un souverainiste s'exprimer aussi clairement. Du
côté du Parti québécois, on n'entend à peu
près jamais ces gens-là dire qu'ils maintiennent leur objectif de
la souveraineté et de l'indépendance politique du Québec.
Vous l'avez établi.
Cependant, je voudrais vous demander quelle est votre démarche.
Vous parlez dans votre mémoire d'une constitution fédérale
et fédérative et vous avez donné l'exemple du
propriétaire et du locataire au début de vos remarques. Vous
tenez vraiment, vous croyez essentiel, dans l'état actuel du dossier,
pour votre formation politique, de participer, d'apporter une contribution au
renouvellement du fédéralisme pour un certain temps, n'est-ce
pas? Dans votre mémoire, ce qui est intéressant aussi, vous y
allez quand même d'une façon extrêmement large, vous avez un
projet relativement concret de renouvellement du fédéralisme. Je
voudrais vous demander, dans cette optique, quels sont les pouvoirs... Parce
que renouveler le
fédéralisme ce n'est pas un exercice purement
théorique, c'est pour qu'il existe un pays qui continue d'exister et qui
s'appelle, en l'occurrence, le Canada. Vous avez parlé - malheureusement
vous avez été coupé -des pouvoirs que le Québec
devait avoir, ou, enfin, que les provinces devaient avoir, et parlons
spécifiquement du Québec. Dans votre optique, à
l'intérieur d'un régime fédéral, quels sont les
pouvoirs qui vous paraissent essentiels, les pouvoirs que le gouvernement
fédéral ou que le gouvernement canadien, en tant que tel, puisse
avoir parce qu'il va y avoir des responsabilités générales
qui vont s'appliquer à tout le pays? Et, là-dessus, dans la
dernière partie de votre mémoire dont vous n'avez pas eu le temps
de faire état, vous n'êtes pas très spécifique sur
les compétences particulières que vous attribueriez au
gouvernement fédéral dans un renouvellement du
fédéralisme.
M. Laberge (Henri): Pour une raison très simple. Nous,
nous sommes prêts à travailler solidairement avec des groupes
fédéralistes pour défendre des compétences que,
d'un commun accord, nous considérons comme fondamentales pour le
Québec. Mais, si vous me demandez, à moi, quelles
compétences je veux attribuer au fédéral, moi,
personnellement, je n'en veux aucune. Mais cela ne m'empêche pas,
à partir de cette position de principe qui est la mienne, de travailler
solidairement avec ceux qui disent: II y a un certain nombre de
compétences que nous considérons comme fondamentales tout de
suite pour le Québec et c'est celles-là que nous avons
mentionnées. Ce n'est pas à nous de mentionner des
compétences que...
M. Rivest: Et c'est ce point que j'arrive difficilement à
comprendre, pour ma part, et je pense bien que c'est la même chose pour
d'autres gens, mais puisque vous êtes là et que votre parti existe
et que les gens connaissent son orientation, quelle est, finalement,
l'utilité, ou quelle est la motivation profonde de votre démarche
de continuer d'essayer de vous inscrire pour un certain temps dans l'optique
fédérale alors que vous la contestez globalement et que votre
combat et votre engagement politiques se situent plutôt au niveau de
l'objectif de la souveraineté politique du Québec? Dans quelle
optique, dans quelle perspective croyez-vous que votre contribution peut
être utile au renouvellement éventuel du fédéralisme
puisque votre démarche est la négation du
fédéralisme en lui-même?
M. Laberge (Henri): Justement, je pense qu'à
l'intérieur du peuple Québécois il doit y avoir des
solidarités qui s'expriment au-delà des options radicales qu'on
peut exprimer de part et d'autre. C'est à ce niveau que nous offrons
notre collaboration à ceux qui veulent faire le bout de chemin avec
nous. Nous ne demandons pas à ceux qui pourraient partager une partie de
nos objectifs de devoir obligatoirement partager le reste. Mais il ne faudrait
pas qu'à l'inverse on nous demande de renoncer à notre objectif
ultime pour pouvoir travailler aussi à la défense de l'autonomie
du Québec. Je pense que j'ai très bien expliqué, au
début, que le fait que nous songions à devenir
propriétaire de notre maison, cela ne peut pas nous disqualifier de
vouloir améliorer nos conditions de locataire pour le temps où
nous sommes encore locataire.
M. Rivest: Pour reprendre votre analogie, je reviens à mon
premier élément de question. Dans ce contexte-là, et
compte tenu des réserves assez globales que vous avez, pour que le pays
qui existe qui est actuellement un pays de type fédéral... Je
comprends que vous voulez avoir le plus de pouvoirs pour le Québec parce
que cela fait avancer la cause que vous défendez. Mais,
néanmoins, quels sont les pouvoirs ou les responsabilités que
vous consentiriez à abandonner - même si dans votre optique c'est
pour simplement un temps - au pays fédérai, si vous voulez?
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Laberge.
M. Laberge (Henri): Je résumerai cela en disant: Les
compétences que les provinces ne voudront pas retenir comme étant
des compétences dont elles ont besoin. Je pense que c'est par la
négative qu'il faut répondre parce que les provinces se sont
unies pour former une fédération et ce n'est pas la
fédération qui est préalable à l'existence des
provinces. Les provinces, à un moment donné, se sont unies parce
qu'elles ont cru -théoriquement, en tout cas, on peut penser que ce
serait cela, ce n'est pas tout à fait comme cela que cela s'est
passé historiquement - selon la théorie d'une adhésion
démocratique des provinces au fédéralisme, que certains
domaines pouvaient être mieux gérés d'une façon
commune. À partir du moment où les provinces ne croient plus que
certains domaines sont mieux gérés par l'instance
fédérale, nous pensons qu'elles doivent avoir le droit de les
reprendre.
M. Rivest: Je conclus là-dessus, car je ne veux pas
prendre tout le temps de mes collègues. Vous avez fait au début
des précisions au niveau du langage et des notions très
précises. Est-ce que ce que vous proposez finalement, enfin, ce que vous
acceptez pour un certain temps, jusqu'au moment où l'objectif de la
souveraineté que
vous poursuivez pourrait être atteint... Je trouve que, de la
façon dont vous répondez, ce ne serait pas du
fédéralisme, ce serait plutôt du
confédéralisme, si vous voulez. Ce que les provinces ou ce que
les États membres consentiraient à mettre en commun, ce n'est pas
du fédéralisme. Dans ce sens-là, je me demande en quoi
votre démarche est une démarche, comme vous l'avez
exprimé, de bonne foi, de renouveler le fédéralisme
canadien.
M. Laberge (Henri): Quelle que soit la définition qu'on
donne au mot fédération ou confédération, il y a
une réalité historique qui est la suivante: le Québec
existe en tant que nation depuis très longtemps. À un moment
donné, ce peuple a été conquis, ensuite, on l'a
ballotté d'un régime à l'autre et, finalement, on l'a
inclus dans une fédération.
Aujourd'hui, si on nous dit que le lien colonial n'existe plus de la
part de la Grande-Bretagne, je pense que cela veut dire que le Québec
doit avoir la possibilité de renégocier la place qu'il occupe au
sein de la fédération et, si ce n'est pas acceptable pour lui, il
doit avoir la possibilité d'en sortir. Qu'on appelle cela
fédération ou confédération, cela m'importe assez
peu.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef parlementaire de
l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Je voudrais aborder seulement un point, Mme la
Présidente. Si je comprends bien votre mouvement, M. Laberge, c'est un
parti politique qui est exclusivement québécois et vous
désirez oeuvrer sur la scène fédérale. Je n'ai
aucune objection à cela. J'espère que vous atteindrez votre but
un jour. Mais du fait que vous allez oeuvrer là-bas, si jamais vous avez
une formation politique et des députés, dans le concret, tout en
ayant un certain respect, pour le moment, pour les valeurs
fédéralistes, parce qu'on vit dans un système
fédéral, vous évoquez la possibilité, le droit du
Québec à son autodétermination. Je crois bien que toutes
les formations politiques ici seraient d'accord avec vous, peut-être pas
sur les moyens à prendre.
Comment, dans le concret, allez-vous être capables de poursuivre
vos objectifs, alors que nous avons déjà ici, sur la scène
politique québécoise, un parti souverainiste? Vous poursuivez un
peu les mêmes buts, et même vous vous opposez, vous parlez de
souveraineté politique, vous ne parlez pas, par exemple, d'association,
mais tout de même vous avez vos distances, vous avez cette entente ou ce
rôle économique que vous définirez en temps et lieu, si ce
n'est pas déjà fait. Mais comment vous situez-vous? Vous allez
poursuivre votre bataille sur la scène fédérale, il y a
déjà un Parti québécois ici. Il y aura
peut-être d'autres partis québécois qui porteront d'autres
noms et qui poursuivront également des buts d'indépendance
totale, de souveraineté ou d'autres modalités.
J'aimerais que vous nous expliquiez un peu comment vous allez vous
situer - ce n'est pas une question hypothétique - dans le concret, pour
les moments, les semaines, les mois et les années à venir?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Henri Laberge.
M. Laberge (Henri): Je pense que les événements des
derniers mois illustrent très bien le genre de travail que nous
pourrions faire en opposition aux visées du gouvernement
fédéral.
Nous vivons, depuis 1867, dans une situation un peu paradoxale. Nous
avons des politiciens au niveau provincial qui revendiquent une certaine vision
du fédéralisme, une certaine place pour le Québec au sein
de la fédération canadienne, et nous avons de nos politiciens
québécois au Parlement fédéral qui ne
représentent absolument aucune des thèses défendues par
les partis provinciaux. On considère cela comme tout à fait
normal de voter à une élection fédérale pour une
option et à une élection provinciale pour une autre option et
cela, indépendamment de l'existence d'un parti souverainiste à
Québec ou à Ottawa. Je parle uniquement à partir des
thèses défendues par les partis québécois depuis
Lomer Gouin, Alexandre Taschereau, Maurice Duplessis, Daniel Johnson et tout
cela, et des thèses défendues par les partis politiques
correspondants sur la scène fédérale. (21 heures)
Cela n'a jamais correspondu quand il s'est agi de définir la
place du Québec dans la Confédération canadienne. C'est
une situation anormale et nous, notre rôle, ce n'est pas un rôle de
parti de gouvernement. Nous ne voulons pas former un gouvernement; nous voulons
exprimer le point de vue des Québécois vis-à-vis du
régime fédéral et nous pensons qu'actuellement, il y a
place pour un parti indépendantiste, parce que,
précisément, ce serait anormal que, dans l'opposition qui
s'exprime au gouvernement fédéral, il n'y ait que le point de vue
fédéraliste qui soit représenté, puisque tout
près de la moitié de la population du Québec est
maintenant acquise ou près d'être acquise à l'option de la
souveraineté-association.
M. Le Moignan: Est-ce que vous renoncez encore à cette
idée quand on parle d'autonomie provinciale? Les batailles du
Québec... Vous avez évoqué certains noms d'anciens
premiers ministres, qu'ils soient de l'Union Nationale, libéraux ou
autres. Dans le
cadre actuel de la fédération, si on se revenait à
l'esprit de 1867 et si le Québec obtenait son entière autonomie
dans tous les domaines de sa compétence et le reste, pensez-vous que
c'est encore possible de s'épanouir à l'intérieur du cadre
actuel ou bien est-ce qu'il faut rompre, est-ce qu'il faut briser, est-ce qu'il
faut sortir de ce cadre-là?
M. Laberge (Henri): Nous pensons qu'on peut être plus ou
moins bien traité comme locataire, mais nous pensons que, pour un peuple
normal, il est préférable d'être propriétaire dans
sa maison. Maintenant, qui veut le plus veut le moins. Alors, c'est
évident qu'un parti souverainiste va défendre toutes les
positions autonomistes, mais il ne se contente pas des positions autonomistes,
il va plus loin.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay.
M. Dussault: Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, M. le
président de l'Union populaire. J'ai lu avec intérêt votre
mémoire. J'ai trouvé particulièrement intéressante
la partie que vous avez vous-même développée tout à
l'heure relativement aux définitions et à la confusion de
vocabulaire que l'on a connue et que sans doute on connaîtra encore,
parce qu'il est exact que, du côté des libéraux
fédéraux, il y a un effort, particulièrement du
côté de M. Trudeau, pour utiliser les mots à des fins bien
spécifiques. Je pense que votre apport est original et sera utile pour
la poursuite des travaux constitutionnels.
J'aurais deux questions à vous poser. La première: En
lisant votre mémoire d'un bout a l'autre, je n'ai pu m'empêcher de
le regarder en fonction du décor, celui du coup de force
fédéral actuel, et je n'ai pas trouvé, dans votre
mémoire comme tel, de position sur la démarche
unilatérale, des libéraux fédéraux. J'aimerais que
vous me disiez ce que vous pensez du caractère unilatéral,
particulièrement, de la démarche constitutionnelle d'Ottawa.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Henri Laberge.
M. Laberge (Henri): L'Acte de l'Amérique du Nord
britannique de 1867 a réparti un certain nombre de pouvoirs. C'est une
loi constitutionnelle, ce n'est pas une constitution, c'est-à-dire que
c'est une loi qui a des incidences constitutionnelles se rapportant au Canada
et aux provinces.
Mais, au moment où le Parlement de Londres a adopté le BNA
Act de 1867, il est clair qu'il avait encore le pouvoir d'abolir le BNA Act, de
l'amender, de modifier le partage des compétences, de créer un
État unitaire ou de redonner aux provinces leur pleine autonomie. Le
Parlement de Londres avait plein pouvoir. Cela, jusqu'en 1931. En 1931 arrive
le Statut de Westminster qui détermine, dans son article 2, d'abord,
trois choses: qu'aucune loi postérieure à 1931 va s'appliquer au
dominion, sauf à la demande, évidemment, des dominions, ensuite
que les Parlements des dominions peuvent déroger aux lois britanniques -
donc, théoriquement, cela aurait pu comprendre également le BNA
Act; le Parlement des dominions peut déroger aux lois britanniques - et,
troisièmement, qu'il peut même modifier les lois britanniques si
elles font partie de sa propre législation.
À l'article 7, on dit que les pouvoirs accordés au
Parlement fédéral s'appliquent également aux provinces.
Donc, on peut déroger à toutes les lois britanniques. On dit
quand même, dans un paragraphe de l'article 7, que rien, dans la
présente loi, ne doit s'appliquer à la modification de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, mais on dit bien la modification; on ne
dit pas qu'il n'est pas possible d'y déroger. Il est possible d'y
déroger sous la seule réserve que chacun des deux ordres de
gouvernement agisse dans un domaine qui lui est propre ou bien, si c'est dans
le domaine du partage des compétences, en respectant le partage des
compétences. Cela implique donc à ce moment, s'il doit y avoir
une modification du partage des compétences, que cela se fasse avec
l'accord de toutes les parties intéressées. Alors, à ce
moment, il n'y a absolument aucune nécessité pour le Parlement de
Londres de venir dénouer un problème qui ne peut pas être
dénoué chez nous, puisque le Statut de Westminster a donné
tous les pouvoirs qu'on peut utiliser pour dénouer le problème
constitutionnel, sauf qu'il y a des modifications qui peuvent être
apportées par le Parlement fédéral, si cela concerne la
constitution de l'instance fédérale, il y a des modifications qui
peuvent être apportées par les provinces, si cela concerne la
constitution des provinces, et le partage des compétences doit
être respecté jusqu'à ce que les parties décident de
le modifier.
C'est cette partie que le gouvernement fédéral ne peut pas
toucher. Il ne peut pas imposer aux provinces une modification du partage des
compétences. C'est là qu'il s'adresse au Parlement de Londres
pour lui demander de venir faire à sa place ce qu'il n'a pas le droit de
faire chez nous. Le Parlement de Londres, qui ne peut pas, depuis 1931,
modifier nos lois sans notre demande, n'est quand même pas obligé
de modifier nos lois, surtout quand il juge que cette démarche est tout
à fait unilatérale. Le point de vue de M. Trudeau est tout
à fait curieux dans l'affaire, puisqu'il dit: Le Parlement de Londres se
mêle de nos affaires en refusant de s'en mêler.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
députée... M. le député de Châteauguay.
M. Dussault: Je conclus donc, M. le président de l'Union
populaire, que vous vous situez dans la lignée de tous ceux au
Québec qui actuellement refusent le coup de force d'Ottawa de par le
principe de l'unilatéralité.
M. Laberge (Henri): Vous permettez une petite remarque à
ce sujet. C'est que, même si ce n'était pas unilatéral, si
cela avait été obtenu par négociation, la plus grande
partie de la loi présentée par M. Trudeau serait inacceptable. Je
pense que nous demanderions au gouvernement du Québec de s'opposer
à un tel aménagement constitutionnel canadien même
négocié.
M. Dussault: Je vois. Ma deuxième question, c'est relatif
à votre conclusion. À la page 67, vous dites que "tous les
Québécois dignes de ce nom - et vous les nommez, ils sont soit
fédéralistes, soit pour le statut particulier ou pour la
souveraineté-association ou l'indépendance totale - doivent
aujourd'hui faire front commun sur cette question fondamentale du droit
à l'autodétermination du peuple québécois." Vous
savez, M. le président de l'Union populaire, qu'il y a de ça
quelques mois le gouvernement actuel a tenté d'obtenir à
l'Assemblée nationale l'unanimité des partis politiques sur une
motion qui visait fondamentalement à parler assez fort collectivement
pour que nous soyons entendus particulièrement à Londres
puisqu'on sait que c'est là fondamentalement que la question va se
poser. Vous savez aussi que, quelques semaines après, face au coup de
force des libéraux fédéraux, il y a eu une concertation de
différents mouvements et de différents partis politiques au
Québec pour faire en sorte, puisqu'on n'avait pas réussi à
faire l'unanimité sur la motion du gouvernement, ce qui était
quand même énormément souhaitable, qu'on puisse
peut-être y pallier par une pétition qui a été
signée déjà par énormément de
Québécois, par plusieurs milliers de Québécois, et
qui continue encore. Nous voyons encore l'Opposition officielle, les
libéraux de Québec, refuser de se mouiller officiellement
à ce mouvement des Québécois pour protéger leur
avenir.
Devant une telle réalité, est-ce que vous croyez encore
qu'il est possible - est-ce que vous ne pensez pas plutôt que c'est
illusoire et irréaliste - compte tenu de l'attitude de nos amis d'en
face, du PLQ, d'en arriver effectivement, même sur la question de
l'autodétermination du peuple québécois, à un front
commun qui soit des plus profitables pour les Québécois? C'est ma
question.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Laberge.
M. Laberge (Henri): J'ai deux réponses à ça.
Premièrement, le mémoire a été écrit et
daté en septembre 1980; alors, nous ne pouvions pas prévoir ces
événements. Vous allez me dire que c'était peut-être
naïf de ne pas les prévoir; nous préférons, quant
à nous, être naïfs plutôt que cyniques et nous
continuons à penser qu'il y a des conversions possibles.
Quand on parle de la reconnaissance du droit à
l'autodétermination, je voudrais bien ajouter une remarque à ce
sujet. On a parlé, à diverses reprises au cours du débat
constitutionnel depuis l'été, de l'inscription possible du droit
du Québec à l'autodétermination dans la constitution
fédérale, ce contre quoi je n'ai personnellement rien, mais nous
pensons que ce serait sûrement bien indiqué pour le Québec
de commencer par inscrire dans sa propre constitution le droit du peuple
québécois à l'autodétermination et, ensuite,
revendiquer son inscription dans une constitution fédérale, s'il
y a lieu.
De toute façon, ce n'est pas l'inscription dans la constitution
fédérale sous forme d'un voeu ou sous forme d'une
déclaration dans un préambule ou autrement qui est importante, ce
sont des mécanismes qui assurent que le droit à
l'autodétermination va pouvoir être effectivement respecté.
Je pense que le mécanisme que nous suggérons, sans en faire une
proposition ferme, dans le document que nous avons remis, est un
mécanisme qui permet justement l'exercice de ce droit à
l'autodétermination, sans qu'on ait besoin de l'inscrire dans quelque
préambule que ce soit.
La Présidente (Mme Cuerrier): La personne qui m'a
demandé la parole est Mme la députée des
Îles-de-la-Madeleine.
Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M.
Laberge.
M. Laberge (Henri): Bonjour.
Mme LeBlanc-Bantey: Tout au cours de la journée, autant
lors du témoignage de M. Dion que lors du témoignage de
l'association des Franco-Ontariens, on a eu l'impression que ce qui rendait
encore plus dramatique le geste du gouvernement fédéral, c'est la
question linguistique, bien sûr, c'est-à-dire la survie des
Franco-Ontariens, entre autres, et des francophones hors Québec, tout
comme le plein épanouissement économique, social et culturel des
francophones du Québec.
On a entendu, avec les Franco-Ontariens, un son de cloche contraire
à ce que certains leaders du non avaient laissé entendre lors de
la campagne référendaire, c'est-à-dire: II faut voter non,
parce
qu'autrement nous abandonnons les francophones hors Québec
à leur sort. C'est pour ça que c'est important de rester à
l'intérieur du système pancanadien. On a vu que, depuis le 20
mai, il n'y a certainement pas eu de miracle en Ontario, entre autres, et qu'au
contraire tout semble se détériorer à une vitesse
vertigineuse. Il nous est même permis de penser que, si M. Davis a pris
tant de plaisir à s'impliquer dans la campagne
référendaire au Québec, c'est qu'il savait fort bien que,
plus il affaiblirait les droits du Québec sur le plan canadien, plus il
affaiblirait aussi la position de ces francophones en Ontario.
Je vous dis ça, parce que ma question est la suivante, elle a
trait à l'article 133 de la constitution. M. Dion nous a dit cet
après-midi que l'article 133 avait été néfaste pour
le Québec, qu'il avait été finalement une entrave au plein
épanouissement des francophones du Québec, mais il
considérait qu'il serait extrêmement sain pour la survie des
francophones hors Québec que cet article soit appliqué, entre
autres - pour ne pas mentionner le cas du Manitoba qui est spécial, tout
le monde le reconnaît - en Ontario et au Nouveau-Brunswick.
Vous dites, à la page 46, dans les recommandations que vous
faites au gouvernement comme prioritaires, que le gouvernement du Québec
devrait avoir le pouvoir de définir le statut de sa langue nationale
sans l'entrave de l'article 133 du BNA Act. J'aimerais vous entendre parler
plus longuement là-dessus.
M. Laberge (Henri): Sur ce point de l'article 133, je serai en
désaccord avec le professeur Dion. Je pense que l'application de
l'article 133 à l'Ontario ne garantirait pas nécessairement les
droits des individus francophones. Je pense qu'on risquerait d'être
passablement déçu de l'application de cet article. Je vais
m'expliquer là-dessus. Je pense que ce qui serait beaucoup plus
adéquat serait l'application de l'équivalent de ce qu'accordait
la loi 101 et qui a été déclaré inconstitutionnel
en vertu de l'article 133 précisément. (21 h 15)
Par exemple, dans l'article 133, on peut distinguer un certain nombre de
dispositions dont certaines étaient retenues par la loi 101, par exemple
la faculté de parler français ou anglais à
l'Assemblée nationale, la loi 101 maintenait ça. On n'a pas
d'objection à ça; pourvu qu'il y ait un journal des Débats
qui puisse donner des traductions et que tous les citoyens puissent avoir
connaissance de l'ensemble des débats, on n'a pas d'objection à
ce que les députés puissent parler l'une ou l'autre langue.
Il y a aussi la possibilité pour tout individu de s'adresser aux
tribunaux en français ou en anglais, à son choix. La loi 101 le
maintenait également. Il y avait aussi la traduction des textes
législatifs en anglais, la loi 101 le maintenait. Cela est garanti par
l'article 133 et la loi 101 le maintenait.
Qu'est-ce qui est différent? Qu'est-ce que l'article 133 impose
que la loi 101 n'imposait pas? C'est, par exemple, la possibilité pour
ceux qui intentent des procédures de le faire dans la langue de leur
choix. Je fais remarquer tout de suite que ça ne donne aucune garantie
au justiciable qu'il va recevoir les procédures dans sa langue.
Ça ne donne même pas de garantie à
l'Anglo-Québécois qu'il va recevoir ses procédures
judiciaires en anglais. Ça donne uniquement la garantie à celui
qui intente la procédure de pouvoir le faire dans la langue de son
choix. Ce n'est un droit individuel ni pour les francophones ni pour les
anglophones.
Je pense que l'article 133 s'oppose même à ce qu'une
législation provinciale qui dirait à un moment donné...
Si, dans une province donnée, on décidait que le justiciable a le
droit de recevoir les procédures qui le concernent dans la langue de son
choix, je pense que cette loi-là serait déclarée ultra
vires si l'article 133 s'appliquait à ladite province.
L'article 133 non seulement n'est pas une garantie pour les droits
individuels, il est même un obstacle à ce qu'une
Législature provinciale, en l'occurrence, le Québec, le Manitoba
et le Nouveau-Brunswick, puisse garantir certains droits individuels qui,
actuellement, ne sont pas garantis. D'ailleurs, la loi 101 accordait le droit
à tout individu d'exiger que les procédures qui lui sont
adressées lui soient adressées en français. Actuellement,
par l'article 133, cette garantie qui est un droit individuel pour tous les
Québécois de pouvoir exiger des procédures en
français s'ils le désirent, l'article 133 empêche
l'application d'un tel article, c'est déclaré ultra vires.
Prenons le cas de l'Ontario maintenant. Si un Franco-Ontarien... On
applique l'article 133 à l'Ontario. On peut présumer que la
majorité des justiciables franco-ontariens vont continuer à
recevoir leur procédure en anglais. Qu'est-ce qu'il y a de
changé? Il n'y a rien de changé.
Un autre élément dont il faut tenir compte dans ça,
c'est quand on dit que les deux textes de loi sont équivalents. Cela
veut dire que si on veut connaître toute la portée d'une loi, tous
les individus, dans chaque province qui est soumise à l'article 133,
doivent connaître les deux langues pour être capables de comparer
les deux textes législatifs, puisque les deux s'interprètent l'un
par l'autre. Quel avantage cela donne-t-il à un Franco-Manitobain qu'il
y ait une colonne en français si, de toute façon, il veut
connaître toutes les subtilités de la loi qui s'applique à
lui, il faut qu'il puisse lire
aussi la colonne anglaise, puisque les deux textes s'interprètent
l'un par l'autre.
Cela est d'autant plus grave que c'est la jurisprudence qui, en vertu de
l'article 133, se fait parfois en français, parfois en anglais. Au
Québec, vous avez des jugements qui sont rendus en français,
d'autres en anglais.
M. Ryan disait ce matin: "Les juges ne se sont jamais plaints de
ça et les avocats non plus." Je comprends, mais la loi n'est pas faite
seulement pour les juges et les avocats, elle est faite pour le monde. La loi
comprend aussi, dans notre système, si on veut être capable de
l'interpréter, la jurisprudence. Or, un syndiqué, par exemple,
qui veut comprendre les divers jugements qui ont été rendus
concernant le droit du travail, est obligé de recourir parfois à
des textes anglais, parfois à des textes français et je pense que
c'est une injustice. Et donner aux Franco-Manitobains le privilège que
certains juges puissent rédiger leurs jugements en français,
ça ne leur donne pas la garantie qu'il y en aura un très grand
nombre. Je serais très surpris qu'au Manitoba, même s'il est
permis à un juge de rédiger ses jugements en français, il
y en ait plus qu'un ou deux par année et même là, ça
m'étonnerait qu'il y en ait même.
À ce moment-là, même si la moitié des
jugements étaient écrits en français, ça ne
dispenserait pas les Franco-Ontariens d'être obligés de savoir
l'anglais pour pouvoir lire le reste de la jurisprudence.
Le système des deux langues officielles dans un pays n'est
à l'avantage de personne, ni des majorités, ni des
minorités. Je pense qu'au contraire, un système d'unilinguisme
officiel, c'est le meilleur système qui garantit les gens contre
l'arbitraire et qui met tous les citoyens sur le même pied, parce qu'ils
savent qu'il y a une seule langue indispensable pour comprendre les lois qui
s'adressent à eux et les autres langues sont facultatives au niveau de
la vie privée. À partir d'un unilinguisme officiel, il est
possible ensuite de donner des garanties particulières à
certaines minorités, par exemple donner le droit aux autochtones de
s'adresser aux tribunaux dans leur langue. Je pense que, si un jour le
Québec voulait donner aux autochtones le pouvoir de s'adresser dans leur
langue à certains tribunaux dans les régions qu'ils habitent,
cette loi-là pourrait être déclarée ultra vires en
vertu de l'article 133, parce que l'article 133 précise qu'il y a deux
langues officielles. Je le dis sous toute réserve, mais c'est une
possibilité qu'une telle loi puisse être déclarée
ultra vires.
Si on disait, par exemple, qu'un autochtone a le droit de recevoir un
jugement dans sa langue, ce serait sûrement déclaré ultra
vires, puisque l'article 133 dit que ce ne peut être qu'en
français ou en anglais, au choix du juge. On ne peut pas imposer des
choses aux juges.
Je pense que l'unilinguisme officiel est une bien meilleure garantie des
droits fondamentaux de la personne humaine qu'un système de bilinguisme
qui crée une situation arbitraire.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Laberge, je regrette, d'autres intervenants voulaient vous poser des
questions. Malheureusement, le temps qui nous était imparti est
écoulé. Je vous remercie, au nom de la commission permanente de
la présidence du conseil et de la constitution, pour votre participation
à ces travaux. Merci, M. Henri Laberge, de l'Union' populaire.
Merci.
J'appellerai maintenant Me Guy Bertrand.
Une voix: Du groupe dissident.
La Présidente (Mme Cuerrier); Me Guy
Bertrand, la commission a déjà reçu votre
mémoire. Je sais que vous avez observé les travaux de la
commission. Vous savez donc que vous disposez d'une vingtaine de minutes pour
résumer ce mémoire. Je pense que vous allez devoir le
résumer. Nous utiliserons ensuite quarante minutes pour les questions
des membres ou intervenants à la commission. Me Guy Bertrand, vous avez
la parole.
M. Guy Bertrand
M. Bertrand (Guy): Mme la Présidente, M. le ministre,
mesdames et messieurs les députés, M. le chef de l'Union
Nationale, je voudrais, sans qu'on empiète sur mon temps, faire deux
corrections à mon texte, deux malheureuses erreurs qui se sont
glissées; à la page 12, une citation de Lord Durham... Il faut
surtout la laisser dans son contexte. À la page 12, la dernière
phrase, on dit: "C'est pour les tirer de cette minorité..." On devrait
lire... "infériorité que je veux donner aux Canadiens notre
caractère anglais." Également, à la page 17, au dernier
paragraphe, on devrait lire, à la troisième ligne, à la
fin, "... de l'Ouest représentant 50% de la population dans cette
dernière région", au lieu de "... représentant
respectivement 80% de la population de chacune de ces régions."
Ceci étant dit, Mme la Présidente, il me fait plaisir que
vous ayez permis à un simple citoyen de venir s'exprimer sur un sujet
aussi important et je suis convaincu que, si tous les citoyens
québécois avaient la chance de venir s'exprimer, plusieurs vous
diraient ce que j'ai l'intention de vous dire ce soir.
J'ai, comme avocat, eu l'occasion de participer à des
débats politico-juridiques et
à des débats évidemment juridiques qui
intéressaient au plus haut point le sort de la collectivité
québécoise.
Je voudrais vous dire tout de suite que c'est à l'occasion de mon
entrée à l'Université McGill, lorsque j'ai
étudié le droit, que j'ai noté une remarque d'un ami
anglophone, alors que nous discutions de l'indépendance du
Québec, à l'époque où Marcel Chaput avait
démissionné d'Ottawa, qui m'avait dit: S'il y avait au Canada
neuf provinces françaises et si le Québec était anglais,
nous n'accepterions jamais, d'aucune façon, la domination
française. Mais il avait ajouté: Vous n'aurez jamais le courage
de faire l'indépendance. Je dis, Mme la Présidente, qu'il faut,
à un moment donné, avoir le courage de sortir de ce régime
fédéral qui nous a été imposé pendant qu'il
en est encore temps et avant que nous soyons tous avalés et
complètement. Je crois qu'après que Londres aura voté il
sera vraiment trop tard puisque nous serons à tout jamais à la
merci de la majorité anglophone au Canada.
Nous sommes actuellement victimes d'une invasion du
fédéral et, personnellement, je n'ai pas l'intention de pleurer
devant vous; je m'en réjouis, parce que, comme indépendantistes,
elle nous fournit enfin l'occasion de faire le véritable débat
sur l'indépendance du Québec.
Je voudrais poser une question: Si jamais les démarches
entreprises par le gouvernement québécois permettaient à
M. Trudeau d'échouer dans sa démarche, qu'est-ce qu'on fait
après? On continue à pleurer sur les invasions du gouvernement
fédéral? J'ai vécu deux de ces invasions
particulièrement comme avocat. D'abord, lors de la crise d'octobre, j'ai
représenté des dizaines de personnes qui ont été
arrrêtées et appréhendées, alors que les droits de
ces individus ont été bafoués. J'ai vécu, plus
récemment, la crise des Gens de l'air où, pour la première
fois depuis 1840, on a suspendu le français au Québec et nous
avons plaidé devant les tribunaux que le français devait jouir du
statut juridique de langue en possession d'état. Malgré tout
cela, on a donné raison à M. Trudeau qui, par un simple
arrêté ministériel, vous vous le rappelez, avait
humilié le peuple québécois. Et c'est la troisième
invasion fédérale, celle de 1980-1981 qui, celle-là, est
vraiment, à mon point de vue, catastrophique.
Je veux être respecteux de ceux qui ne pensent pas comme celui qui
vous parle, mais je crois qu'il y a trop de loups dans la bergerie
québécoise. Lors du référendum, on croyait qu'il
n'y avait que des moutons qui ne s'entendaient pas entre eux, des moutons
québécois, et la population a choisi celui qui était le
plus beau des moutons, M. Trudeau. Mais, tout de suite après le
référendum, on s'est aperçu que c'était finalement
un loup travesti en mouton. Il nous a montré ses véritables
crocs, il était prêt à dévorer les moutons
québécois. Je crois qu'en toute honnêteté il a
humilié M. Ryan, il a humilié bon nombre de libéraux
québécois en leur faisant croire que le non était un oui
et que, à toutes fins pratiques, leur non était
québécois.
Une chose m'intrigue; je serais curieux de savoir, Mme la
Présidente, combien de personnes ont déjà lu ce qu'on
appelle la constitution canadienne, l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique. Je serais curieux de savoir combien de personnes ont lu le projet
de M. Trudeau ou les amendements de M. Chrétien il y a quelques semaines
et je serais même curieux de savoir combien de parlementaires ont lu ce
document. C'est pour cela que j'appelle cela une invasion tellement
néfaste parce qu'elle est juridique, elle est subtile. On se dit: La
population se désintéresse. Bien sûr que, si c'était
une invasion militaire comme en 1970, les gens se révolteraient. Mais
quand c'est un document épais comme celui que je vous présente,
qu'est-ce que vous voulez? Même les avocats ne s'entendent pas quand on
fait la lecture de ce document. A plus forte raison, on ne peut pas demander
à la population de s'intéresser à ce débat.
J'ai examiné longuement ce document et j'en suis arrivé
à la conclusion que le projet de M. Trudeau était un projet en
trois dimensions: le rapatriement d'une part, les amendements dans un
deuxième temps et la formule d'amendement dans un troisième
temps.
En ce qui concerne le rapatriement, je n'ai pas grand-chose à
dire parce que c'est tout simplement vouloir faire d'une loi anglaise une loi
canadienne. Mais ce qui est amusant, c'est que M. Trudeau n'a jamais dit qu'en
rapatriant le vieux papier, le document, cette loi anglaise, il rapatriait en
même temps, alors qu'il veut faire du Canada un pays indépendant,
la reine d'Angleterre, de sorte que la reine des Anglais continue à
être la reine des Canadiens et le chef d'État véritable des
Québécois. Cela, je pense que la population doit le savoir. Il
semble qu'il y a quelque chose d'anormal. Où c'est un État
indépendant, on n'a pas besoin de la reine des autres. (21 h 30)
En ce qui concerne la deuxième dimension du projet de M. Trudeau,
c'est la charte des droits dont on entend parler depuis plusieurs mois. Je ne
vais pas me plaindre à mon tour de ce qui est néfaste parce que,
vous le savez tous, je suis sûr que je vous ennuierais, mais je dis que
cette incorporation d'une charte des droits dans la constitution canadienne est
une blessure sérieuse à la dignité ou à la
fierté du peuple québécois parce qu'elle est une
ingérence
dans notre âme, dans notre vie, entre autres, en ce qui concerne
la langue. J'ai, dans mon mémoire, tenté de démontrer
pourquoi ce projet est inacceptable sur le plan même des amendements
proposés à la constitution ou de la charte. On parle entre autres
au niveau de la langue. On dit qu'il met fin au régime du
français au travail. A cause de la liberté d'établissement
et de circulation, tout citoyen canadien pourra s'installer au Québec et
décider de faire affaires en anglais et pourrait invoquer la
discrimination. Un Chinois, à Montréal, pourrait faire affaires
dans un quartier chinois en chinois et en anglais et personne ne pourrait lui
dire: Est-ce que moi, comme francophone, je pourrais être servi en
français? Même chose pour un Italien, même chose pour un
Hongrois. Mais, finalement, on ne sait pas dans quelle société on
vivrait.
Il est également discriminatoire pour les travailleurs
québécois - et cela le gouvernement québécois a
longuement expliqué pourquoi - parce que, dorénavant, on ne
pourrait pas favoriser la politique d'emploi préférentiel pour
les Québécois. Et cela aussi est inadmissible.
Ce qui n'a peut-être pas été dit, c'est que le
projet de M. Trudeau refuse de reconnaître le droit exclusif du
Québec sur ses richesses naturelles. Ceci veut dire en pratique - et le
peuple doit le savoir - que dans quelques années, lorsque nous
traverserions nos années de vaches grasses avec Hydro-Québec,
peut-être, par son pouvoir déclaratoire et son pouvoir
référendaire, Ottawa voudrait contrôler cette richesse
naturelle du Québec.
Il y a également quelque chose qu'il est important de souligner,
c'est que ce projet de M.Trudeau donne la priorité à la loi sur
les mesures de guerre. La charte ne définit pas les modalités du
pouvoir d'urgence, de sorte que ce dont j'ai parlé tout à
l'heure, qu'on a vécu en 1970, il s'agirait qu'un bon matin, à
quatre heures, M. Trudeau se réveille et pense que les intellectuels lui
en veulent et qu'il y a une insurrection appréhendée, et l'on
déclencherait le mécanisme de la loi sur les mesures de guerre.
Vous savez que tous les pouvoirs sont entre les mains du gouverneur en
conseil.
Je voudrais parler maintenant de ce qui m'apparaît le plus grave
et dont on n'a pas tellement parlé, c'est la formule d'amendement. La
formule d'amendement est une blessure mortelle à la nation
québécoise dans le sens qu'elle empêche à toutes
fins pratiques l'indépendance du Québec.
On sait que pour faire l'indépendance il faut
récupérer les pouvoirs de l'article 91 qui sont les pouvoirs
d'Ottawa, tous les pouvoirs politiques, juridiques, économiques et
financiers qui sont incorporés à l'article 91. Or, pour pouvoir
récupérer, il faudrait à ce moment-là, selon la
formule proposée par M.
Trudeau, avoir le consentement de l'Ontario. J'imagine pour un instant,
pour simplifier, que demain matin le gouvernement du Québec, à la
suite d'un référendum, ou à la suite d'un vote
majoritaire, décide de faire l'indépendance qui est la
récupération totale des pouvoirs. Avec la formule d'amendement,
nous avons besoin du consentement de l'Ontario. Est-ce que vous croyez qu'on
l'obtiendrait? Peut-être. Peut-être pas. Mais nous aurions besoin
aussi du consentement de deux provinces des Maritimes qui forment 50% de la
population. Nous aurions besoin du consentement de deux provinces de l'Ouest,
également, qui forment 50% de la population. Et nous aurions besoin du
consentement d'Ottawa.
Mais ce n'est pas tout, Mme la Présidente. Au-dessus de tout
cela, M. Trudeau a prévu un référendum pancanadien qui
viendrait, à toutes fins pratiques, annuler l'espoir que les
Québécois auraient pu faire valoir à l'occasion d'un
référendum québécois. Ceci veut dire - et le
professeur Dion est d'accord sur cela, nous avons eu un débat la semaine
dernière ou il y a deux semaines à l'Université Laval et
il est parfaitement d'accord - que l'indépendance démocratique
n'est plus possible. C'est pour ça que cette situation m'apparaît
dramatique, parce qu'on n'a pas le droit d'empêcher un enfant de devenir
grand et, une fois adulte, d'assumer ses responsabilités, il en va de
même pour un peuple. On n'a pas le droit de dire a un peuple aujourd'hui:
Tu ne pourras pas demain assumer ta pleine responsabilité. Cela se
pourrait - je vous le concède - que le peuple québécois,
la nation québécoise ou l'État québécois,
dont on parle, décide pour sa vie de rester un grand "tarlet", comme un
enfant à l'âge de 25 ans qui préfère vivre aux
crochets de son père. Ce sera un choix qu'on fera un jour, mais au
moment où on se parle personne n'a le droit de priver le Québec
d'accéder un jour ou d'avoir l'espoir d'accéder un jour à
l'indépendance.
Dans les circonstances, nous disons que le seul moyen d'éviter ce
que certains ont appelé un coup de force, ce que d'autres ont
appelé en Chambre un assassinat contre un peuple, ce que d'autres ont
appelé le dépouillement de nos richesses naturelles, devant un
tel coup de force, nous sommes en position de légitime défense.
Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on se laisse manger? Est-ce qu'on attend que le
loup ait commencé à nous dévorer et, ensuite, on fait un
référendum pour savoir s'il nous a assez mangé pour
l'abattre, pour le sortir, à toutes fins pratiques, de la bergerie ou
si, dans une situation d'urgence, on ne lui fout pas le pied au
derrière, quitte à consulter la population?
Si vous me permettez, Mme la Présidente, sur ce, je voudrais vous
exprimer
le choix des moyens. Est-ce que nous avons le choix des moyens? Parce
que certains nous disent: La démarche que vous voulez entreprendre est
illégitime. Moi, je dis non. Dans une situation d'urgence, un citoyen a
le droit d'utiliser toutes les armes qu'il a à sa disposition pour
éviter qu'on le dépouille; il en va de même pour un peuple,
à la condition qu'on soit en situation d'urgence. Il s'agit pour nous de
savoir: Sommes-nous en situation d'urgence? Je crois que oui. Je crois que tous
ce que les parlementaires québécois, y compris ceux du Parti
libéral ou de l'Union Nationale, ont dit, c'est: Nous sommes vraiment en
situation d'urgence. À ce moment-là, le tribunal de la
légitimité, c'est le peuple, le tribunal de la
légalité, ce sont les tribunaux que l'on connaît et c'est
le peuple qui devrait, à ce moment-là, accepter ou ne pas
accepter la mesure que l'on a prise pour éteindre le feu, avant qu'on
lui demande s'il est d'accord pour éviter que la maison ne
brûle.
Je pose, en terminant, les questions suivantes: Dans les circonstances,
est-il sage, comme peuple, de nous en remettre à la décision d'un
Parlement étranger - Londres -pour stopper l'initiative
fédérale? Mais qu'est-ce qui arrive si on ne nous entend pas?
Est-il sage comme peuple de porter le litige Québec-Canada devant les
tribunaux, quand on sait qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une question
politique et que le jugement final qui, de toute façon, risque d'arriver
trop tard pourrait être préjudiciable à court et à
long terme au Québec?
En effet, ce précédent serait utilisé contre nous
sur le plan national et international, peu importe le résultat. On
imagine fort bien le Parti libéral, sur la base de ce
précédent, se précipiter devant les tribunaux pour
contester toute procédure éventuelle d'accession à
l'indépendance, notamment toute procédure
référendaire. Ici, je voudrais donner un exemple et il serait
légitimé de le faire. On sait comment on fonctionne, les avocats,
à partir d'un précédent. Demain matin, on a un
référendum qui donne 55% pour la souveraineté-association
ou, qui mieux est, l'indépendance et on proclame une loi qui serait: les
impôts payables au Québec seulement.
Qu'est-ce qui arrive en pratique? Deux choses. Contestation devant les
tribunaux, parce qu'on n'a pas suivi le code de procédure d'amendement
qu'on s'est donné qui est la formule d'amendement, c'est-à-dire
obtenir le consentement des provinces et d'Ottawa. Mais, en même temps,
les citoyens qui croient au régime fédéral seraient
justifiés, eux, obéissant à une loi
fédérale, de continuer, malgré la loi
québécoise, à payer leurs impôts à Ottawa.
Ceux qui croient à l'indépendance, donc payer strictement les
impôts au Québec, ne paieraient leurs impôts qu'au
Québec. Résultat pratique: la Gendarmerie royale serait
justifiée d'enquêter chez ceux qui ne paient que leurs
impôts au Québec et la police, la Sûreté du
Québec serait justifiée d'enquêter sur ceux qui
n'obéissent pas à loi du Québec, jusqu'à temps que
la Cour suprême se soit prononcée.
Une fois que la Cour suprême s'est prononcée, vous avez
compris ce qui arrive. La Cour suprême n'a d'autre choix que de dire:
Votre loi est inconstitutionnelle et nul ne peut y désobéir. Si
on y désobéit, l'étape suivante est celle que j'ai
vécue en 1972 avec les trois chefs syndicaux que j'ai
représentés: requête pour outrage au tribunal, un an de
prison. A ce moment, tous les syndiqués se sont écrasés et
je pense que le peuple s'écraserait aussi. Est-il sage que le seul
gouvernement national francophone en Amérique du Nord, devant
l'agression vicieuse du Parlement anglophone canadien, mettant en péril
l'avenir du Québec francophone, se limite volontairement, en situation
de légitime défense, à prier ou supplier l'agresseur sous
forme de publicité, de pétitions et de discours pour que cela ne
passe pas? Mais à quoi sert alors notre Parlement dans les situations
d'urgence nationale? Est-ce l'impuissance du peuple québécois qui
l'empêche d'agir ou cette vieille peur ancestrale des peuples
colonisés, cette peur à base d'ignorance et de rêverie
morbide en face de l'inconnu? Faut-il porter jusqu'à la fin de nos jours
l'échec accidentel et temporaire du 20 mai 1980 au point
d'écarter même l'indépendance du Québec comme ultime
solution pour combattre le coup de force d'Ottawa?
Ce serait un étrange paradoxe qu'un homme puisse décider
d'imposer par la force une constitution contre la volonté de tous les
partis politiques québécois. Mais, lorsque cet homme
décide aussi de s'en prendre à une minorité en
hypothéquant lourdement son devenir, on est en droit de parler d'un
véritable hold-up constitutionnel. Je dis que ce serait un plus grand
paradoxe si le gouvernement actuel devait assister au dépouillement
éhonté des droits du Québec sans pouvoir offrir d'autre
résistance que la formulation de ses regrets. C'est pour cela que je dis
en terminant, modestement, comme citoyen, en respectant le jeu de la
démocratie, que c'est notre devoir de surveiller ce qui se passe et,
jusqu'au moment où Londres s'apprête à voter, d'avoir le
courage de proclamer l'indépendance et de faire ratifier par le peuple
cette mesure d'urgence ou, à l'occasion d'une élection, et je
pense que cela pourrait s'appliquer également au Parti libéral,
on devrait également obtenir le mandat, si nécessaire, de faire
l'indépendance pour bloquer le coup de force fédéral.
Voilà ce qu'il y a de plus démocratique.
L'indépendance du Québec, c'est aussi la seule voie qui
permette aux Québécois de se donner une constitution compatible
avec leurs intérêts dans le domaine politique, économique,
social et culturel parce que, pour moi, Mme la Présidente,
l'indépendance, contrairement à ce qu'on peut dire, c'est
véritablement le progrès. Je pense que le système actuel a
eu la chance de faire ses preuves et maintenant, place à l'avenir, place
à un autre système. Je suis sûr, je le dis pour le
bénéfice de mes amis anglophones - contrairement à ce
qu'on peut penser, j'en ai plusieurs - que les anglophones du Québec
seraient beaucoup plus heureux dans un pays où la majorité
francophone serait elle-même heureuse et cesserait de pleurer comme on le
fait depuis 113 ans. Je vous remercie de l'attention que vous m'avez
portée.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): On applaudit avant que je parle.
C'est gentil.
Une voix: C'est pour vous, M. le ministre.
M. Rivest: Vous n'avez pas beaucoup d'indépendantistes
autour de la table. Vous n'avez pas été applaudi, Me Bertrand, si
vous avez remarqué.
Une voix: On va applaudir après.
La Présidente (Mme Cuerrier): De toute façon,
puisque vous le soulevez, je me dois malheureusement de dire aux gens qui sont
dans l'assistance qu'ils ne doivent pas manifester, ni pour ni contre. C'est le
style qui a été adopté depuis toujours à
l'Assemblée. Je pense que vous pourrez toujours dire à
l'extérieur si vous êtes d'accord ou non. M. le ministre des
Affaires intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, madame. Je vais prendre
quelques minutes, non pas pour poser des questions, mais pour présenter
quelques observations à partir du texte de M. Bertrand. Je connais M.
Bertrand depuis longtemps et nous avons eu l'occasion de discuter ensemble.
J'ai lu son texte; comme toutes les choses qu'il m'a dites ou beaucoup d'entre
elles et comme ce texte que j'ai lu aujourd'hui, c'est stimulant et c'est
intéressant. Cela ouvre des perspectives, même si, comme M.
Bertrand le sait, je ne suis pas toujours d'accord avec lui sur divers
points.
Mes deux observations sont les suivantes. Dans son texte, à un
moment donné, ou tout à l'heure dans ses remarques, il a
parlé de cette opération qui s'est passée au cours du
référendum où, contrairement à toute logique, on a
essayé de faire croire aux Québécois que non voulait dire
oui et que oui voulait dire non. On se rend compte aujourd'hui, comme on
l'avait prévu d'ailleurs à l'époque, que non veut dire non
et que ce qui s'est passé par la suite a été la
démonstration évidente qu'on avait fait preuve, à
l'égard des Québécois, de duplicité évidente
et je pense que ça restera longtemps dans la mémoire des gens.
C'est une chose sur laquelle on aura l'occasion de revenir au cours des
semaines et des mois qui s'en viennent. (21 h 451
L'autre remarque que je veux faire traite davantage de ce qui est
à la page 21 de votre mémoire; c'est justement le dernier point
que vous avez soulevé: est-ce qu'on a le choix des moyens? Je ne suis
pas tout à fait d'accord sur ce qui est écrit là-dedans.
Je résume ici ma pensée. Quand le coup de force
fédéral ou la tentative de coup de force fédéral a
été lancée le 2 octobre dernier, il y avait trois
hypothèses que le gouvernement fédéral avait en
tête, que les libéraux fédéraux avaient en
tête; la première, c'était que les gens étaient
d'accord avec le contenu de leur coup de force. S'il est vrai qu'au
départ on pouvait présumer que la population était assez
d'accord, aujourd'hui, on se rend compte que ce n'est plus vrai. Donc,
progrès de ce côté.
Deuxièmement, on nous a dit à l'époque - je l'ai
dit ce matin encore - Londres va être d'accord avec ce qu'on va proposers
c'est ce que disaient toujours les libéraux fédéraux.
Depuis la semaine dernière, on sait qu'à Londres, après
avoir vu beaucoup de rumeurs à cet égard, il y a des
parlementaires britanniques qui viennent de présenter un remarquable
document qui démontre que justement, pour les libéraux
fédéraux, ça n'ira pas aussi bien que prévu
à Londres.
Troisièmement, autre idée que les libéraux
fédéraux avaient, c'est que toute leur entreprise était
absolument légale, sans aucun doute. Depuis aujourd'hui, avec la
décision de la Cour d'appel du Manitoba, on voit qu'au contraire il y a
des doutes suffisants - j'ai entendu ça tout à l'heure à
la radio - pour que le Manitoba aille en Cour suprême pour en appeler de
cette décision parce que, justement des doutes subsistent. Cela veut
dire que - ce n'est pas une question, j'achève mon commentaire - ce qui
paraissait être une offensive fédérale inexpugnable - c'est
un mot qui est peu fréquent - une offensive fédérale
victorieuse d'avance, à l'époque, au mois de septembre ou
octobre, s'avère aujourd'hui quelque chose qu'on peut, au contraire,
bloquer. Je ne dis pas que la bataille est finie; au contraire, elle n'est pas
finie. Il y a une étape qui vient d'être franchie, il faut
absolument continuer. C'est un des buts de cette
commission, d'ailleurs.
Je pense qu'il ne faut pas négliger les moyens qu'on a à
notre disposition. Là-dessus, on n'a pas été d'accord, M.
Bertrand et moi. Mais je pense qu'au contraire l'expérience vient
d'être faite qu'à cause de la détermination que le
gouvernement du Québec, entre autres, a démontrée dans la
défense des droits et des intérêts du Québec on est
en train de réaliser ce que les gens disaient, à l'époque,
qu'on ne pouvait pas réaliser, c'est-à-dire bloquer une machine
qui semblait totalement invincible.
C'est tout ce que j'ai à faire comme commentaire. Je pense que
l'expérience démontre que, jusqu'à maintenant, devant ce
coup de force, on ne s'en tire pas si mal. Cependant, il faut demeurer
vigilants, parce que, même si on règle le cas du coup de force, on
n'aura pas réglé le problème constitutionnel du
Québec. Voilà ce que j'avais à dire, Mme la
Présidente. Ce ne sont pas tellement des questions que des commentaires
qui ont été suscités chez moi par l'audition et la lecture
du texte de M. Bertrand.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me
Bertrand.
M. Bertrand (Guy): À la suite des commentaires de M. le
ministre, j'ai eu l'occasion, peu de temps après qu'Ottawa annonce son
projet d'aller en Cour suprême, de rencontrer, par hasard, des amis qui
sont ministres dans le gouvernement d'Ottawa, pour me rendre compte d'une
chose: que, strictement sur le plan des droits individuels, il serait assez
facile pour M. Trudeau de faire une bataille - c'est mon opinion - pour
l'incorporation dans une charte des droits, parce que ça se
défend bien de dire que tous les citoyens auront le droit de consulter
un avocat, de ne pas être arrêtés sans mandat, etc. Mais ce
n'est pas ça qui est inquiétant, M. le ministre. Vous dites: Tout
le monde, au départ, pensait... en tout cas, Ottawa laissait croire que
Londres donnerait son accord et là, on a M. Kershaw, dans son rapport,
qui ne recommande pas... Ce que le rapport dit qui m'inquiète, c'est
qu'il est d'accord pour la formule d'amendement et, sur cela, M. le ministre,
il rejoint tous les partis fédéraux actuels. Même le Parti
conservateur a fait une proposition d'amendement. Il a dit: Laissez tomber les
amendements, la charte et tenez-vous en au rapatriement avec la formule
d'amendement. Pour nous, les indépendantistes, à tort ou à
raison - nous formons peut-être 20% de la population, peut-être 25%
ou 30%, je ne sais pas - nous croyons que c'est la formule d'amendement qui
constitue la fin. C'est ce que j'ai appelé tout à l'heure une
blessure mortelle parce que la charte des droits, spécialement au niveau
linguistique, c'est une blessure sérieuse, mais on pourra toujours se
rattraper. Je comprends qu'on pourrait parler de Montréal, qu'on n'a
qu'à perdre quelque centaines de milliers de voix à
Montréal et Montréal devient une ville majoritairement
anglophone, etc. C'est inquiétant aussi, mais sur ça, M. Kershaw
dit, sur la formule d'amendement, qu'il serait d'accord.
Qu'est-ce qui va se produire? En dernier ressort M. Trudeau est
allé très loin pour avoir le consensus populaire; en fin
stratège, il va probablement retraiter sur les amendements dans le
domaine linguistique pour garder sa formule d'amendement et pour nous, je n'ai
pas besoin de le répéter, c'est ce qui est inacceptable beaucoup
plus que la charte des droits.
Au surplus M. Trudeau est un homme fort de sa personnalité, il
sait se servir de son magnétisme pour endormir les
Québécois; depuis dix ans qu'il nous joue tour après tour,
qu'il insulte les Québécois et malgré tout les
Québécois le suivent. M. Trudeau n'a qu'à proclamer
unilatéralement l'indépendance du Canada et il pourrait faire
mieux que ça. Il pourrait tout simplement le demander à Londres.
Londres pourrait faire ce qu'il veut de cette loi britannique. Il peut modifier
le Statut de Westminster. M. Trudeau pourrait très bien dire:
Dorénavant la constitution est une loi canadienne avec formule
d'amendement. Je comprends que ce serait illégitime, mais
déjà ce qu'il entreprend est illégitime.
À cause de ça, M. le ministre, je suis d'accord pour vous
dire que les moyens que vous avez pris ont sensibilisé la population,
lui ont fait comprendre que c'est une invasion dans nos droits, mais ce qui
m'inquiète c'est qu'on n'a pas tellement parlé de la formule
d'amendement. Vraiment ça, ça m'inquiète et ça
inquiète les indépendantistes parce que ça met fin
à l'indépendance d'une façon démocratique. Je ne
voudrais pas être pessimiste, mais pour avoir défendu les jeunes
du FLQ en 1967-1968, pour avoir connu un gars comme Pierre-Paul Geoffroy, M. le
ministre, je peux vous dire une chose, je ne voudrais pas que l'on donne
à cette jeunesse le seul espoir de se tirer dans l'expression
malheureuse de la haine, de la frustration, du désespoir, voire
même de la violence politique parce qu'elle n'aurait pas d'autre choix
pour faire l'indépendance.
Actuellement, contrairement à Léon Dion, qui, lui, parle
de violence possible, je ne crois pas que ce serait la violence. Je l'ai
écrit dans mon texte, c'est une possibilité, mais je croirais
plutôt à la fatalité, c'est-à-dire que le peuple
québécois en vienne à accepter qu'il n'y a
véritablement plus d'espoir de former un État avec les pleins
pouvoirs, un État qui, sur le plan international, pourrait faire ses
preuves de solidarité mondiale, qui n'ait plus
à demander, Mme la Présidente, la permission pour aller se
promener à Dakar -parce que c'est humiliant - pour aller se promener au
Gabon.
Nous avons besoin, comme État, de respirer l'air sur le plan
international. Nous avons besoin d'une présence sur le plan
international. On ne peut pas constamment, chaque fois qu'on étouffe,
demander à Ottawa: Voulez-vous nous donner de l'oxygène? et
entendre M. Trudeau dire: Un petit peu d'oxygène pour les
Québécois. Et là, on respire pour une autre année.
Un autre ministre vient lui aussi demander de l'oxygène. Il faut que
ça cesse et c'est pour ça que le projet de l'indépendance
m'apparaît la seule façon de régler tous les
problèmes qui confrontent la société canadienne et la
société québécoise.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député...
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente,
j'ajouterais juste un mot, seulement pour apporter une précision. Je
n'ai pas dit que la bataille était gagnée et je suis tout
à fait d'accord que la formule d'amendement recèle de très
nombreux dangers. C'est pour ça que j'ai dit qu'il fallait continuer
d'être vigilant. Tout ce que j'ai fait tout à l'heure, c'est de
dire qu'avec les moyens que nous avions, parce que vous posiez une question
là-dessus, on a quand même réussi jusqu'à
maintenant, comme vous l'avez dit, à sensibiliser les gens parce que
ça les intéresse beaucoup plus que nous-mêmes on pouvait le
croire à un moment donné et, deuxièmement, à faire
dérailler, je pense, le train fédéral.
Il reste une chose, c'est de le faire tomber dans le ravin, mais
ça, on continue et on est vigilant.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Saint-Laurent.
M. Forget: Merci, Mme la Présidente. Me Bertrand je
voudrais vous poser quelques questions sur la dernière partie de votre
texte où vous en venez à des conclusions d'ordre pratique
à la lumière de vos observations sur le projet
fédéral. Vous en arrivez à un certain nombre
d'observations sur les actions possibles. J'aimerais m'attarder avec vous, avec
votre permission, sur l'affirmation assez dramatique, que certains même
pourraient juger mélodramatique, à la page 15, où vous
faites une affirmation catégorique, à savoir que le Québec
n'a plus de choix qu'entre l'indépendance ou l'assimilation. Si vous le
voulez bien, j'aimerais comprendre le sens de ce choix dramatique.
Présumément, vous vous adressez aux membres de
l'Assemblée nationale. À supposer que vous reteniez le premier
terme de l'option, l'indépendance, je ne sais pas si vous cherchez
à persuader tous les membres de l'Assemblée nationale, vous
pourriez peut-être déjà, à première vue ou a
priori, abandonner l'espoir de nous persuader de ce côté-ci et je
pense qu'il est de notoriété publique que, publiquement au moins,
à moins qu'on ne vous ait dit le contraire privément, vous n'avez
pas réussi à persuader le parti dont vous êtes toujours
membre, je crois, d'opter pour l'indépendance de façon tout
à fait catégorique. À ce moment-là, à qui
s'adresse votre invitation? Revenez-vous à la charge auprès du
ministre pour l'inciter peut-être à changer d'avis?
M. Bertrand (Guy): Je crois qu'elle s'adresse au gouvernement
actuel. Il est sûr que, moi, comme citoyen et comme d'autres citoyens,
j'écoute mes parlementaires et je me dis: On m'a montré une
situation extrêmement dramatique. M. Biron a parlé d'assassinat
contre un peuple; le ministre Bédard a parlé du
dépouillement de nos richesses naturelles; M. le premier ministre a
parlé d'un coup de force. Bref, moi-même, après avoir fait
l'analyse du document, une analyse serrée au point de vue juridique,
j'en suis arrivé à la conclusion que, pour ce qui concerne la
charte, M. Forget, l'assimilation était inévitable, parce qu'on a
un problème particulier à cause de Montréal. Il y a
1,000,000 de parlant anglais à Montréal sur une population de
2,500,000. Il s'agit d'un déplacement de quelques centaines de milliers
et Montréal devient une ville majoritairement anglophone. Donc, le corps
étranger devient plus important que le corps lui-même et c'est la
fin du Québec, à toutes fins pratiques.
À cause de cela, je parle d'assimilation. Évidemment, cela
peut être dans cinquante ans, dans cent ans qu'un peuple se laisse
assimiler. En attendant, c'est du folklore, mais je voudrais que vous
compreniez une chose, pour finir sur ce point-là de l'assimilation: ce
qui est important, ce n'est pas de protéger la minorité anglaise
au Québec ou au Canada, c'est de protéger la minorité
française en Amérique du Nord, 2% seulement de Français
sur 235,000,000 de parlant anglais.
Tout récemment, je recevais une lettre de M. Griffith, le
propriétaire des Canucks de Vancouver, qui me soulignait qu'il n'avait
pas de sympathie pour ma requête pour que les contrats français
soient acceptés dans la Ligue nationale au même titre que les
contrats anglais. Il me disait: Les Nordiques de Québec, ou les joueurs
que vous représentez, savent que nous fonctionnons en anglais qui est la
langue officielle sur ce continent et, au contact avec ce monde
nord-américain qui est anglophone, les petits Québécois
que vous représentez auront vite
fait d'apprendre la langue de la majorité sur ce continent. C'est
pour la question de l'assimilation, M. Forget.
M. Forget: D'accord, si on revenait à l'autre
question.
M. Bertrand (Guy): Pour la deuxième question sur
l'indépendance, vous me dites: Qui voulez-vous convaincre? Je dis que le
gouvernement actuel, si on est en état de drame, si vraiment le loup se
prépare à manger les brebis québécoises, a le fusil
entre les mains, il a le Parlement québécois. Le Parlement
canadien agresse la nation québécoise, le peuple
québécois s'en est remis à ses gardiens de la bergerie qui
sont vous tous ici. On lui a remis un fusil qui est le Parlement
québécois et on n'attend pas que le loup nous dévore. Nous
disons à ce moment-là: L'indépendance, c'est le fusil qui
empêche le loup de dévorer les Québécois. Cela
s'adresse également à vous qui, peut-être, formerez un
gouvernement très bientôt. Vous aussi, vous devez garder
présent à l'esprit ce que tous les premiers ministres ont
gardé, c'est-à-dire l'arme possible de la sécession du
Québec. M. Johnson a dit: S'il n'y a pas de possibilité de faire
l'égalité dans ce pays, ce sera non seulement notre droit, mais
notre devoir de faire l'indépendance. Alors, si vous formez le
gouvernement demain matin... Vous devez aussi, je pense, dire clairement
à la population, lors des prochaines élections, que, si c'est
nécessaire, nous irons jusqu'à l'indépendance pour
empêcher cette nation de mourir, à toutes fins pratiques, que ce
soit d'ici cent ans. (22 heures)
Si vous me le permettez, seulement pour terminer, je voudrais dire,
parce que je l'ai oublié dans mon exposé, que même le
projet de l'Union Nationale, repris par M. Roch LaSalle,
l'égalité ou l'indépendance, le projet de M. Johnson,
n'est plus réalisable parce que, dans les amendements proposés
par M. Chrétien, il dit carrément, maintenant, qu'on est en face
d'une société multiculturelle. Alors, ne nous imaginons plus
qu'on va faire une nouvelle constitution sur la base de l'égalité
des deux peuples. Ce n'est pas vrai. Alors, M. LaSalle, s'il veut être
logique, doit, pour réaliser son égalité, commencer par
faire l'indépendance. Dans un sens, je dirais à M. Forget que ma
requête s'adresse, pour le moment, au gouvernement actuel et, pour
demain, à celui qui lui succédera ou au même
gouvernement.
M. Forget: Me Bertrand, je dois dire que vous faites un
mémoire au sujet d'une situation présente et vous dites aux
parlementaires qu'il n'y a que deux possibilités. Si je comprends bien,
cela doit exclure une situation où il y aurait trois
possibilités. On parle d'aujourd'hui. On ne parle pas dans cinquante ans
ou dans dix ans, on parle d'aujourd'hui. Vous dites qu'il n'y a qu'une seule
chose possible, si on veut s'opposer au projet fédéral, c'est de
proclamer immédiatement l'indépendance. Vous portez donc ainsi un
jugement sur les actions du gouvernement actuel. Vous vous en dissociez
complètement, vous les condamnez même. Je crois que vous dites, un
peu plus loin, à la page 21, qu'il s'agit là de
précédents malheureux, que le recours aux tribunaux, le recours
au Parlement britannique. Ce que vous nous dites, essentiellement, c'est que,
si le gouvernement n'est pas prêt à faire l'indépendance,
il devrait cesser ses actions dans ces domaines-là, se résigner
carrément à l'assimilation et le dire. Ou est-ce qu'il faut
comprendre que, malgré tout, ce dilemme dramatique n'est pas si
dramatique que cela et que vous êtes prêt à vous
résigner, finalement, à appuyer le gouvernement dans ses actions
aujourd'hui?
M. Bertrand (Guy): La seule autre possibilité serait que
M. Trudeau retire entièrement son projet et, à ce
moment-là, ceux qui ne sont pas nécessairement pour
l'indépendance, mais qui sont pour l'indépendance si
nécesssaire, retireraient le projet de l'indépendance. Mais celui
qui vous parle n'est pas un indépendantiste à rebours ou un
indépendantiste négatif. Je suis carrément pour
l'indépendance, dans quelque contexte que ce soit. Mais je dis: Fort
heureusement, M. Trudeau vient de nous fournir une occasion pour faire
l'indépendance, occasion que nous ne retrouverons peut-être pas
avant cent ans. Alors, je dis: tant mieux, parce qu'il permet à tous les
indépendantistes, ceux qui sont pour l'indépendance si
nécessaire et ceux qui sont d'abord pour l'indépendance, de se
rallier. Évidemment, le gouvernement actuel est peut-être en face
de dossiers que moi je ne connais pas comme citoyen, M. Forget; peut-être
a-t-il des raisons de ne pas croire que c'est un moyen efficace. Tout ce que je
peux vous dire, c'est que, s'ils ont vraiment des choses que nous ne
connaissons pas, il me semble qu'on devrait les connaître; sinon, je
regrette que, dans le débat actuel, on n'ait pas parlé de
l'indépendance alors que M. Johnson en a parlé. M. Duplessis en a
parlé lors de la dernière guerre mondiale. Honoré Mercier
a parlé de l'indépendance. Voici une occasion rêvée
de faire l'indépendance, et je le regrette, le gouvernement actuel n'en
parle jamais.
M. Forget: Me Bertrand, on est bien conscient de votre opinion
sur le caractère souhaitable de l'indépendance et nous respectons
cette opinion. Il demeure que ce n'est pas là le sens de ma question. Je
vous
ai demandé: Face aux initiatives du gouvernement actuel, les
appuyez-vous ou les condamnez-vous sans rémission? Lorsque vous nous
dites qu'il y a deux choses possibles, qu'il y a une alternative avec deux
options possibles, vous ne mentionnez pas au contraire, que vous condamnez
explicitement ce que fait le gouvernement actuel. Je vous demande si c'est cela
qu'il faut comprendre, que vous condamnez cette action, que vous la jugez
regrettable et que vous dites: À défaut de faire
l'indépendance, nous perdons notre temps. Est-ce que c'est cela que vous
nous dites?
M. Bertrand (Guy): J'ai le choix de mes mots, je suis
témoin. J'ai choisi d'utiliser: "Est-il sage?" Personnellement, je crois
que ce n'est pas sage.
M. Forget: Donc, vous condamnez ces actions.
M. Bertrand (Guy): Mais je n'ai pas le monopole de la
vérité. Peut-être qu'eux trouvent que c'est sage et je me
dois de les respecter, comme je respecte votre opinion. Personnellement, je
crois que ce n'est pas sage pour les raisons que je vous ai données tout
à l'heure. Qu'est-ce que les gens vont lire demain matin? Malgré
l'opinion que M. Morin peut avoir, c'est que Trudeau vient d'avoir raison
devant la Cour d'appel du Manitoba. Probablement qu'il va avoir raison devant
la Cour suprême. Je crois que le geste de M. Trudeau, strictement sur le
plan légal, il est légal, sauf peut-être l'article 93 qui
concerne la langue dans le domaine de l'éducation.
Demain matin, comment voulez-vous, comme indépendantiste, que
j'aille dire a mon père qui a 75 ans ou au citoyen
québécois, le chauffeur de taxi: C'est peut-être
légal ce que M. Trudeau fait, mais ce n'est pas légitime? Il faut
que je commence à expliquer la différence entre la
légalité et la légitimité. C'est pour cela que je
dis: De deux choses l'une: ou la situation est dramatique au point que la
nation québécoise est en péril, ou ce n'est pas si
dramatique que cela, mais dans un cas comme dans l'autre il faut faire
attention. Si on a crié au loup et qu'on n'a pas tué le loup et
qu'il dévore les brebis, il sera trop tard et on sera
blâmés, comme gardiens de la maison québécoise, de
ne pas avoir tué loup. Ou bien il n'y avait pas de loup et la prochaine
fois que l'enfant de Trudeau, l'enfant spirituel, un autre comme Trudeau, sera
véritablement un loup, personne n'y croira. C'est pour cela que je dis
qu'il me semble que les moyens utilisés actuellement sont hors de
proportion avec l'alarme qu'on a déclenchée dans la population
québécoise. Je vous jure que cela m'apparaît hors de
proportion.
Faire des pétitions quand la nation est en péril, je vous
pose la question: Cela sert a quoi? Quand j'étais étudiant, on a
signé une pétition; 400,000 noms pour que le Reine Elizabeth
s'appelle le Château Maisonneuve. Vous vous rappelez cela, Mme Solange
Chaput-Rolland, une bataille avec François-Albert Angers. Cela s'est
appelé quand même le Queen Elizabeth Hotel et on nous a
concédé une traduction "Le Reine Elizabeth". Cela a donné
quoi, 400,000 noms? Or, tout ce que nous obtiendrons moins que les 1,600,000
voix que nous avons obtenues lors du référendum, ceux qui ont
voté pour le oui, pourrait être considéré par M.
Trudeau, habile politicien, comme un échec. 600,000 noms? Vous avez
obtenu 1,600,000, dira-t-il.
Des discours dans une situation où on a un Parlement qui a la
légitimité! J'ai écouté M. Ryan prétendre
que le gouvernement actuel n'a plus la légitimité. Sur ce, je
suis en désaccord. Le gouvernement actuel a la légitimité,
la légalité, pour agir jusqu'à la fin de son mandat. Il
aurait même la légitimité de faire l'indépendance
pour sauver la nation québécoise, quitte à la faire
ratifier.
M. Forget: Je suis content que vous abordiez le sujet de la
légitimité, Me Bertrand, quoique vous précédez un
peu l'ordre dans lequel je voulais aborder les questions. Mais je ne comprends
pas exactement vos remarques sur la légalité et la
légitimité. Il semble que vous jugiez que le gouvernement actuel,
parce qu'il est légal, peut poser n'importe quel geste et que ce geste,
parce qu'il est posé par un gouvernement légal, est
automatiquement légitime. Je pense que c'est dit presque en toutes
lettres dans une page.
La page suivante, vous l'appliquez même, et vous venez de le faire
à nouveau, à l'indépendance. Le gouvernement actuel
pourrait proclamer l'indépendance en dépit du fait que le
référendum, me semble-t-il, ne l'invite pas beaucoup - le
référendum de l'an dernier - à aller dans cette
direction-là. C'est le moins qu'on puisse dire, je pense, sans
partisanerie.
Alors, c'est un concept assez curieux. Vous semblez affirmer que tout ce
qui est légal est légitime, du moins quand ce sont des gestes
posés par le gouvernement du Québec. Mais, à la page
suivante, vous mettez en question la légitimité d'actions qui
sont beaucoup moins extrêmes que celles-là posées par le
gouvernement central, en disant: Quelle est la légitimité de,
quelle est la légitimité de, etc., alors qu'il me semble que, sur
le strict plan de la légalité, le gouvernement central est au
moins sur un pied d'égalité. Il a un mandat même plus
récent; à toutes fins pratiques, si la légalité
s'épuise en même temps que la légitimité, la sienne
est plus fraîche et plus forte que
celle du gouvernement d'ici.
Alors, je ne comprends pas beaucoup. Est-ce que tout ce qui est fait au
Québec -est-ce que ce serait cela, la raison - est légitime et
tout ce qui est fait à Ottawa ne l'est pas? Est-ce que c'est cela qu'il
faut comprendre?
M. Bertrand (Guy): Non, M. Forget. Il y a sûrement une
distinction fondamentale entre la légalité et la
légitimité. J'ai dit tout à l'heure que le tribunal de la
légalité, c'est les tribunaux que l'on connaît et le
tribunal de la légitimité, c'est le peuple. Souvent, il y a des
gestes qui sont fort légitimes qui sont illégaux. On voit dans
les conflits ouvrier, en particulier, des gestes que les ouvriers
considèrent très légitimes et qui sont nettement
illégaux. Cela les amène à désobéir à
des injonctions. Eux, croient que c'est vraiment légitime.
Ma démarche, c'est à partir du résultat du
référendum. Le résultat du référendum, pour
moi, c'est que les Québécois... Je ne peux pas blâmer mon
peuple, le peuple québécois, parce que le
référendum est utilisé habituellement dans tous les pays
du monde dans une situation d'impasse. Or, au mois de mai dernier, il n'y avait
pas d'impasse au Québec. C'était le calme plat sur le plan
constitutionnel. C'était le printemps. Les fleurs poussaient. Tout le
monde était heureux. Le peuple québécois, instinctivement,
a compris que le référendum ne servait pas à régler
une impasse, mais créait une impasse constitutionnelle et il a
rejeté - moi, c'est comme cela que je l'interprète - le oui,
parce que les Anglais avaient déjà dit: Nous ne
négocierons jamais la souveraineté-association. Ils sont venus le
dire aux Québécois. Ceux-ci ont dit: Nous autres, cela ne nous
intéresse pas de créer une impasse. L'été s'annonce
bien et, finalement, ils ont dit non.
Actuellement, il y a une impasse. Il y a une invasion des
fédéraux dans les droits de la nation québécoise et
je suis sûr que, si nous faisions un référendum demain
matin, les Québécois dénoueraient l'impasse en faveur du
Québec. Je suis même sûr que vous n'accepteriez pas de
prendre la même position. À partir de cela, je dis: Nous sommes
dans une situation d'urgence, d'impasse. Il y a une des deux impasses qui va
triompher sur l'autre. Je m'explique. Les fédéraux, les
fédéralistes de bonne foi, les Canadiens anglophones s'imaginent
que l'indépendance du Québec, c'est une menace à
l'intégrité et à la sécurité du territoire
canadien et il faut en finir, un jour, avec des menaces de sécession de
l'Alberta, du Québec, etc.
Pour eux autres, les indépendantistes, c'est une menace.
Actuellement, nous, nous répondons: M. Trudeau, par son projet de
rapatriement unilatéral, est une menace à l'endroit du
Québec et, particulièrement, des indépendantistes.
Laquelle des deux menaces va l'emporter sur l'autre? C'est sûr qu'il y en
a une qui doit disparaître. Ou c'est la menace de l'indépendance
qui triomphe, parce que M. Trudeau va réussir à imposer sa
formule d'amendement et qu'il n'y aura plus d'indépendance possible, ou
c'est l'indépendance qui fait disparaître la menace du
rapatriement unilatéral qui blesse sérieusement la nation
québécoise.
Je dis, à ce moment: Le gouvernement actuel a la
légitimité de défendre la maison québécoise
parce qu'il y a un pyromane qui s'apprête à mettre le feu et on
n'a pas le temps de consulter les mineurs, les agriculteurs, les chauffeurs de
taxis et dire: Êtes-vous d'accord pour qu'on sauve la maison, qu'on fasse
venir les pompiers? Ils arriveraient le soir et ils nous blâmeraient et
vous blâmeraient tous pour ne pas avoir sauvé les meubles. Dans
cette situation, c'est le devoir de faire venir les pompiers
Je pense qu'à ce moment l'Opposition elle aussi est gardienne des
droits de la société québécoise. Écoutez,
vous êtes responsables des conséquences de ce projet. On ne peut
pas demander à des chauffeurs de taxis ou des travailleurs ordinaires
d'éplucher tout cela. Ils vont vous dire: Écoutez, on vous paie,
vous êtes 110 professionnels du métier, on vous paie,
défendez-nous. Si le feu prend, appelez les pompiers et après
vous nous expliquerez pourquoi les pompiers ont fait du dommage. C'est dans ce
sens que je dis qu'ils sont légalement au pouvoir pendant cinq ans, ils
ont la légitimité de sauver et vous avez la
légitimité de les appuyer dans les gestes qu'ils vont poser pour
sauver la nation québécoise.
La Présidente (Mme Cuerrier): Plusieurs personnes m'ont
demandé la parole.
M. Forget: J'ai encore un autre point, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
nous reviendrons si nous avons encore du temps. Je vous accorderai la parole.
J'ai déjà une longue liste. M. le chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Merci, madame. J'ai écouté M.
Bertrand avec beaucoup d'intérêt et je remarque qu'il a
consacré deux ou trois pages à évoquer certains anciens
premiers ministres de l'Union Nationale, M. Bertrand et M. Johnson, en
particulier. Je vais transmettre vos revendications à M. LaSalle. Quand
vous parlez d'égalité des deux peuples fondateurs, je pense que
nous avons toujours défendu cela depuis de nombreuses années,
depuis Maurice Duplessis. Vous parlez du titre du volume de M. Johnson:
Égalité ou
indépendance. Vous inversez des rôles, vous marquez:
Indépendance et ensuite égalité. Je ne suis pas tout
à fait d'accord avec vous, mais je ne voudrais pas m'arrêter
à discuter de cette dimension. (22 h 15)
Vous parlez beaucoup de brebis. Je vois que cela vous touche. Nous
sommes tous également... Il y a quelques semaines, le 18 janvier, je
crois, le dimanche de l'unité des chrétiens, il y a un texte
d'Ézéchiel qui m'avait frappé et j'avais essayé de
le mémoriser à cette époque. Je me suis dit: J'aurai
besoin de m'en servir un jour, non pas quand je recontrerai M. Bertrand, mais
peut-être que l'occasion se présentera. Le texte disait quelque
chose comme ceci: "J'irai délivrer mes brebis dans tous les endroits
où elles ont été dispersées par un jour de
brouillard ou d'obscurité", quelque chose du genre. Vous vous
référez à nos erreurs, d'après vous, de politique,
les erreurs fédéralistes et vous dites que nos pauvres brebis ont
besoin d'être récupérées une par une; je suis
d'accord avec vous. Le jour de brouillard et d'obscurité, vous semblez
le rattacher au référendum du 20 mai, c'est encore votre
privilège. Mais il y a quelque chose qui me chicote dans votre texte, je
voudrais vous poser une belle question tout à fait directe, c'est vous
qui l'affirmez d'ailleurs, page 18. M. Forget a posé quelques questions
tout à l'heure et vous n'étiez pas obligé de
répondre. Étant donné que c'est vous qui l'écrivez,
qu'arrivera-t-il si un véritable parti indépendantiste renaissait
au lendemain de la loi constitutionnelle de 1980?
Je voudrais que vous me l'expliquiez un peu quand vous parlez d'un
véritable parti indépendantiste qui pourrait sortir de terre.
Pour vous, le Parti québécois, qui prône la
souveraineté-association, si je comprends bien le sens de vos mots,
n'est pas un véritable parti indépendantiste. Est-ce que vous
aimeriez avoir à sa place un parti qui affiche réellement
l'indépendance du Québec, qui ne veut pas retarder
l'échéance à quatre ans ou à cinq ans, qui veut
foncer dès demain matin ou dans les prochaines semaines, parce qu'il y a
une élection générale qui s'en vient? Si je vous
comprends, vous croyez à la nécessité d'avoir un
véritable parti indépendantiste reconnu et qui l'affiche
déjà aux élections provinciales. Est-ce votre
pensée? Est-ce que je l'interprète mal?
M. Bertrand (Guy): C'est exact. Je pense qu'on est ici pour se
dire la vérité et parler de nos inquiétudes. Je pense
pouvoir parler au nom de la plupart des indépendantistes que j'ai
rencontrés à travers la province, les jeunes, les moins jeunes
et, tout récemment, à Rouyn-Noranda, la Société
nationale des Québécois, le Mouvement national des
Québécois. On a véritablement l'impression que ceux qui
ont voté oui au référendum, c'est-à-dire 40% de la
population totale ou, si vous voulez, 50% de francophones ne se sentent pas
représentés; c'est-à-dire qu'il n'y a personne qui parle
actuellement des indépendantistes, de ceux qui ont voté oui
à la souveraineté. Pour moi, la souveraineté ou
l'indépendance, ou la souveraineté-association ou
l'indépendance, c'est la même chose.
On se dit: Pourquoi cette inquiétude? Si un véritable
parti indépendantiste renaissait... Le Parti québécois
peut renaître de ses propres cendres tel un phénix. Il est
possible qu'un autre parti indépendantiste vienne au monde. Il est
possible que l'Union Nationale - je le souhaite - s'interroge en fin de semaine
sur ce qu'est la société québécoise et
qu'elle-même accepte que l'indépendance, c'est une des voies
possibles. Il est même possible que le Parti libéral opte, un
jour, pour l'indépendance.
M. Rivest: Ne soyez pas inquiet, M. Bertrand.
M. Bertrand (Guy): M. le député de Jean-Talon, me
permettez-vous, juste pour terminer avec la question du chef de l'Union
Nationale? J'ai mis la main sur un magnifique volume, dans ma
bibliothèque, L'humanité en marche. M. Ryan, le chef actuel de
votre parti, a fait une analyse assez extraordinaire, depuis la conquête,
de ce qu'est la société québécoise et, à la
toute fin, à la page 40 - c'est très intéressant pour vous
montrer que je ne désespère pas qu'un jour il réalise que
l'indépendance, c'est la seule voie - voici ce qu'il disait: "Mais le
malaise canadien ne sera pas résolu pour autant - il parlait,
évidemment, des problèmes avec le Canada anglais et tout cela -
il ne disparaîtra que le jour où les Canadiens français
auront obtenu le genre d'association nouvelle qu'ils recherchent depuis la fin
du dernier conflit mondial avec le Canada anglais. Plutôt, disait-il, que
de renoncer à cet objectif qui leur a été jusqu'à
maintenant refusé par leurs partenaires, ils choisiront probablement
l'indépendance." C'est lui qui parle après avoir fait
l'analyse.
M. Rivest: L'association dont M. Ryan parlait ne faisait
qu'annoncer le livre beige.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député.
M. Morin (Louis-Hébert): Association, cela ne veut pas
dire association.
M. Rivest: Cette association nouvelle évoquait le livre
beige; c'est une préface au livre beige.
La Présidente (Mme Cuerrier): À
l'ordre!
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, cela veut dire non. Non,
cela veut dire oui.
Une voix: Très bien.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaîtl Je vais accorder la parole maintenant...
M. Le Moignan: J'aurais une autre question, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier):
Rapidement, monsieur.
M. Le Moignan: C'est toujours rapide, moi. M. Bertrand vient de
dire que 41% des Québécois qui ont voté pour le oui
désirent vraiment l'indépendance du Québec. M. Bertrand
n'est pas sans savoir que, parmi ceux qui ont voté oui, il y a des
membres de l'Union Nationale. Il y a également des membres en
règle du Parti libéral qui ont voté oui parce qu'ils
voyaient là, eux, un mandat de négocier et non pas un mandat de
réaliser immédiatement l'indépendance du Québec.
Alors, je pense que cela déplace vos chiffres.
M. Bertrand (Guy): Peut-être. Oui.
M. Le Moignan: Si je me base sur une étude d'un
indépendantiste - je ne dis pas qu'il est le plus célèbre
- il considère qu'il y a environ 15% de véritables
indépendantistes au Québec. Alors, de 15% à 40%, il y a
tout de même une petite marge. Cela peut toujours augmenter, les 15%,
avec les années ou diminuer, je ne sais trop.
M. Bertrand (Guy): Les indépendantistes inconditionnels,
positifs qui voient l'indépendance, évidemment, comme une
solution pour le progrès surtout économique du Québec, on
ne le sait véritablement pas, mais il y a aussi les
indépendantistes si nécessaire, un peu comme M. Johnson
l'était; je l'ai bien connu. Si nécessaire, on va faire
l'indépendance, ça, je ne suis pas sûr qu'on ne serait pas
majoritaire au Québec dans une situation comme celle qu'on connaît
aujourd'hui. C'est sûr qu'on peut mettre en question les 41% à
savoir si ce sont ceux qui optent pour l'indépendance si
nécessaire ou nécessairement l'indépendance.
M. Le Moignan: Merci, on va en discuter en fin de semaine.
M. Bertrand (Guy): D'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous sommes très
près d'avoir terminé. M. le député de Rosemont, je
vous accorderai la parole, mais le temps passe rapidement.
M. Paquette: Mme la Présidente, je pense que l'analyse que
M. Bertrand fait du coup de force fédéral et de ses dangers, je
l'endosse sans réserve, et je pense que le coup de force d'Ottawa est
inacceptable, pour les raisons qui sont mentionnées là, et qu'il
faut l'arrêter. Cependant, il y a un point sur lequel j'aimerais que vous
précisiez votre pensée davantage. Vous dites, à la page
17: "L'indépendance du Québec est un acte nécessaire pour
sauvegarder son avenir, mais le projet fédéral rend cette option
impensable et irréalisable démocratiquement."
Vous nous avez expliqué tout à l'heure que c'était
lié à la formule d'amendement. Est-ce qu'il n'est pas exact que
dans la situation actuelle, sans la résolution fédérale,
l'indépendance n'est réalisable que si Ottawa le veut bien et que
Londres l'accepte?
M. Bertrand (Guy): C'est la question, M. Paquette?
M. Paquette: Oui.
M. Bertrand (Guy): Oui, l'indépendance est
réalisable...
M. Paquette: Je parle sur le plan légal.
M. Bertrand (Guy): ... bilatéralement, parce qu'on sait
qu'il y a trois façons de faire l'indépendance:
unilatéralement, bilatéralement et par la violence. Or, la
violence étant écartée en Amérique du Nord, au
Québec - on sait pourquoi - il reste bilatéralement et
unilatéralement. Dans la situation actuelle, le référendum
a été un exercice quand même valable et positif parce qu'il
nous a permis de connaître l'opinion de nos amis anglophones du Canada
qui n'ont pas contesté la légalité du geste, qui ont dit:
Si les Québécois veulent accéder à
l'indépendance, veulent se séparer, c'est leur droit; nous, on
pense qu'ils font mal, mais c'est leur droit.
Donc, l'exercice permet aux politiciens de s'exprimer, de dire: Vous
avez le droit de le faire. Au milieu de l'exercice, il y a eu un
résultat; on a été défaits, les partisans du oui,
mais le résultat est là de sorte qu'on peut dire maintenant que,
dans le contexte actuel, c'est faisable. Évidemment, je suis d'accord
avec vous à savoir que, si Ottawa ne consent pas et décide
d'utiliser son pouvoir d'urgence, ce n'est même plus possible
bilatéralement, et vous avez raison. Pourquoi? Parce que la loi sur les
mesures de guerre dit que si la sécurité de l'État
canadien ou l'intégrité est atteinte, il y a une insurrection
appréhendée. On pourrait toujours dire que cela menace
l'intégrité et l'empêcher, mais l'exercice du mois de mai
vient nous donner la réponse maintenant que
c'est possible de la faire démocratiquement, sans violence.
M. Paquette: Oui. Enfin, moi, ce qui m'intrigue, c'est que vous
dites que le projet fédéral rendrait l'indépendance
irréalisable démocratiquement et, comme remède à
cela, vous proposez de la faire unilatéralement.
Je pense que dans un cas comme dans l'autre, avant comme après la
résolution Trudeau, face à ce problème, on est pas mal sur
le même plan. C'est le seul aspect de votre critique.
M. Bertrand (Guy): D'accord.
M. Paquette: Je pense que cela infirme pas mal, à ce
moment, les moyens que vous proposez pour répondre au coup de force
fédéral.
M. Bertrand (Guy): Si vous me permettez, Mme la
Présidente, pour répondre à la question de M. Paquette,
tout État démocratique qui se donne un code de procédure
d'amendement doit le respecter. Or, actuellement, il n'y a pas de code de
procédure d'amendement. Trudeau en propose un qui voudrait que,
dorénavant, non seulement le consentement d'Ottawa soit
nécessaire, mais celui des provinces et, particulièrement, il y a
au-dessus de tout cela un référendum pancanadien, alors que dans
la situation actuelle, il n'y a pas cela. Et, comme nous avons
été forcés - je dis bien forcés, c'est mon opinion
personnelle -d'accepter la cinquième constitution, celle de 1867, qui
découle d'une conquête militaire, nous ne sommes pas
gênés pour dire, comme nation, comme peuple: Nous voulons
accéder à l'indépendance, parce que votre constitution,
juridiquement, peut-être que le Canada c'est notre pays, parce qu'on nous
l'a imposé, mais dans les faits, de facto, ce n'est pas vrai que notre
pays, c'est le Canada. Le seul coin de terre du monde qui nous appartienne,
c'est le Québec.
Alors, ce n'est pas gênant de dire: Nous voulons faire
l'indépendance dans le contexte actuel, mais cela sera gênant et
drôlement emmerdant, si vous me permettez l'expression, juridiquement que
d'avoir un code de procédure où on serait obligé de
regarder les articles, pour dire: Maintenant, il faut le consentement de
l'Ontario et faire du lobbying. On ne l'a pas, allons voir les provinces de
l'Ouest, des Maritimes, etc. Donc, c'est de se créer des
embêtements que nous n'avons pas actuellement.
M. Paquette: Mais n'est-il pas exact qu'à ce moment, dans
votre perspective, on pourrait le faire tout aussi bien après la
résolution Trudeau qu'avant. Si le peuple québécois le
décidait démocratiquement, lors d'un référendum,
par exemple, le gouvernement du Québec serait autorisé autant
après la résolution Trudeau qu'avant...
M. Bertrand (Guy): Non.
M. Paquette: ...à faire l'indépendance
unilatéralement, si tel est le désir de la population.
M. Bertrand (Guy): Non, parce que sur le plan...
M. Paquette: C'est comme cela que je définis
l'indépendance démocratique, mais quel est votre point de
vue?
M. Bertrand (Guy): Je dis non parce que, légalement, les
adversaires de l'indépendance seraient justifiés d'utiliser le
code de procédure d'amendement pour aller devant les tribunaux et dire:
Pour faire l'indépendance, qui est la récupération des
pouvoirs de l'article 91, c'est d'obtenir...
M. Paquette: Ils le peuvent maintenant aussi.
M. Bertrand (Guy): ...le consentement de l'Ontario et des autres
provinces. La Cour suprême sera obligée de dire: Messieurs, vous
étiez de grands enfants en 1981 quand vous avez signé le
document, la procédure d'amendement ou quand le Parlement de Westminster
a décidé que c'était légal, vous avez
accepté de jouer le jeu. Nous l'avons joué jusqu'à
maintenant; tellement, M. Paquette, que, quand la Cour suprême a
décidé que la loi 101, au niveau de la langue, devant
l'Assemblée nationale et les tribunaux, était illégale et
inconstitutionnelle, on a été obligé de traduire toutes
les lois et aujourd'hui, devant les tribunaux, on peut utiliser la loi. On sera
obligé de la respecter.
On ne peut pas empêcher le Parti libéral d'utiliser le
précédent d'aller devant les tribunaux pour contester le fait
qu'on ne respecte pas le Code de procédure. Je comprends que,
théoriquement, ce que vous voulez dire, c'est que, si le peuple a
parlé, tout le monde devrait se soumettre, mais, tant qu'il y aura des
tribunaux, cela ne se passera pas comme cela.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous avons
dépassé le temps qui était alloué.
M. Rivest: Consentement pour quelques minutes.
Des voix: Consentement.
M. Morin (Louis-Hébert): On consent à ce que M.
Marx pose une question, pourvu que ce soit une question intelligente.
M. Paquette: J'ai une autre question, Mme la
Présidente.
M. Morin (Louis-Hébert): Ah, bon!
La Présidente (Mme Cuerrier): Rapidement, M. le
député de Rosemont. Je donnerai la parole ensuite, pour une
courte question, au député de D'Arcy McGee.
M. Paquette: Mme la Présidente, c'est simplement un
commentaire pour terminer. Je pense que cette analyse - on est un peu en
désaccord là-dessus - fait en sorte que le coup de force d'Ottawa
est inacceptable, mais que les moyens choisis jusqu'à maintenant sont
proportionnés à l'attaque qui est faite. Je ne pense pas qu'il y
ait négation, dans l'absolu, du droit à
l'autodétermination du Québec pour l'avenir et je pense que les
moyens légaux qui ont été pris, les pétitions -
j'ai fait du porte-à-porte en fin de semaine dernière dans mon
comté - ne sont pas simplement un moyen futile; c'est un moyen de
sensibilisation de la population, la publicité également,
à tel point qu'aujourd'hui, on a manifestement une majorité de la
population contre le coup de force d'Ottawa, ce qui le rend
antidémocratique parce qu'il n'est pas accepté par la
majorité de la population. Sur cette base, je pense qu'on a choisi les
moyens adéquats. Je suis en désaccord avec vous
là-dessus.
M. Bertrand (Guy): Je respecte...
M. Paquette: Je respecte votre idée également.
M. Bertrand (Guy): J'ai signé la pétition, mais je
continue à croire qu'une pétition est l'arme de ceux qui n'ont
pas de pourvoir; en d'autres mots, c'est l'arme des faibles. Quand on n'est pas
au pouvoir, qu'est-ce qui nous reste avant d'être
dépouillé? C'est de vous supplier de ne pas nous
dépouiller par des pétitions. Quand on a le pouvoir, il me semble
qu'il y a d'autres moyens.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai lu attentivement le mémoire du témoin
que j'ai trouvé fort original. Je pense que tous les membres de la
commission l'ont trouvé fort original. J'aimerais rappeler, avant de
poser ma question, que le Parti libéral du Québec trouve
inacceptable le projet de résolution sur la constitution. Nous l'avons
dit dès le début et même avant dans notre livre beige.
J'aimerais rappeler au ministre des Affaires intergouvernementales que c'est le
chef du Parti libéral du Québec qui a été le
premier à demander au gouvernement de soumettre la
légalité de ce projet de résolution aux tribunaux. Donc,
le Manitoba l'a fait, le Québec et ainsi de suite. (22 h 30)
J'aimerais poser des questions assez techniques étant
donné que le témoin est avocat. Premièrement, vous avez
écrit que l'article 6 du projet fédéral va mettre fin au
régime du français au travail et qu'il est discriminatoire pour
les travailleurs québécois. Ce qui m'a beaucoup surpris dans
votre mémoire, c'est que ce sont des affirmations sans
référence à la jurisprudence, sans référence
aux revues juridiques, sans référence aux livres juridiques, etc.
Ce sont seulement des affirmations. Je pense que j'ai même trouvé
ces mêmes affirmations dans un discours que le ministre de la Justice a
fait le 20 novembre 1980 et, à cette époque, le ministre de la
Justice a dit que son ministère avait complété une
étude exhaustive de l'ensemble des lois et règlements du
Québec qui pourraient être affectés par le projet
fédéral. À maintes reprises, j'ai demandé au
ministre de la Justice de déposer son étude. Il ne l'a jamais
déposée. Mais, le 18 ou le 19 décembre 1980, le leader du
gouvernement a pris un engagement solennel que cette étude serait
déposée avant que cette commission siège aujourd'hui.
L'étude n'a jamais été déposée et je vous
demande, Mme la Présidente, de vérifier pourquoi le leader n'a
pas tenu sa parole.
Sur cet article 6, j'ai fait une étude qui a été
publiée dans le Devoir le 27 novembre 1980, qui s'intitulait "L'article
6 de la charte fédérale des droits, l'interprétation
péquiste est outrancière". Dans mon étude, j'ai fait
état de la jurisprudence, j'ai donné des
références, etc. Je vous demande si vous avez quelque chose pour
appuyer vos affirmations que j'ai lues au début de votre
intervention.
Ma deuxième question porte sur la loi sur les mesures de guerre.
Même avant 1970, j'ai écrit des articles pour dénoncer la
loi sur les mesures de guerre et comme vous, en octobre 1970, j'ai
dénoncé sur la place publique, dans les journaux, la mise en
application de cette loi.
Vous avez écrit, à la page 8 de votre mémoire: Le
projet fédéral est inacceptable parce qu'il donne priorité
à la loi sur les mesures de guerre sur la Charte des droits. J'aimerais
suggérer - et demander votre opinion, bien sûr - que la
dernière version de l'article 1 du projet fédéral
restreint plutôt la mise en application de la loi sur les mesures de
guerre. Aujourd'hui, si le fédéral met en application la loi sur
les mesures de guerre, c'est aux détenus de prouver qu'il n'y a pas
d'état d'urgence. En vertu de l'article 1 du projet
fédéral, ce serait au gouvernement fédéral de
prouver que l'état
d'urgence existe. Cela veut dire qu'il y a un renversement du fardeau de
la preuve. Donc, je dirais que l'article 1 du projet fédéral est
plus protecteur des droits de la personne, surtout en ce qui concerne la loi
sur les mesures de guerre.
Pour résumer mes questions et pour les préciser, est-ce
que vous avez des arguments pour appuyer vos affirmations en ce qui concerne
l'article 6 du projet? J'aimerais avoir votre opinion à nouveau en ce
qui concerne l'article 1 et la loi sur les mesures de guerre.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Guy Bertrand.
M. Bertrand (Guy): Tout le monde sait que c'est en vertu d'un
article de la constitution pour le maintien de l'ordre, la paix et le bon
gouvernement qu'on a fait la loi sur les mesures de guerre. M. Chrétien,
dans son annexe B, ou le gouvernement central, dit, en ce qui concerne la
charte: "Ils ne peuvent - en parlant des droits et libertés - être
restreints que par une règle de droit dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans les
cadres d'une société libre et démocratique." À la
toute fin de son projet, à l'article 52, il dit que la constitution du
Canada est loi suprême du Canada.
Comme il n'y a pas de disposition concernant la loi sur les mesures de
guerre, il faut donc prendre la loi telle qu'elle est, telle qu'elle a
été appliquée en 1970 - elle n'a pas été
modifiée, que je sache, depuis ce temps - prendre la constitution
actuelle et, dans le cadre d'une société libre et
démocratique, une société libre et démocratique a
le droit d'utiliser un pouvoir d'urgence, et il n'a pas été
modifié dans le texte de M. Chrétien, ni dans les amendements.
C'est dans ce sens que je pense...
M. Marx: Mais le fardeau de la preuve est renversé. Comme
avocat, vous savez que c'est fort important.
M. Bertrand (Guy): Oui, c'est vrai. Je vous avoue que l'opinion
que vous avez émise, j'y ai réfléchi, de même que
sur ce que vous avez écrit dans le Devoir, le 27 novembre 1980,
concernant la liberté d'établissement et de circulation. J'y ai
réfléchi avec un professeur également de
l'Université Laval. Personnellement, je n'étais pas d'accord - je
ne parlerai pas pour lui -mais si j'étais l'avocat d'un anglophone qui
venait me voir pour me dire que, en vertu de l'article 6, on lui dit qu'il a le
droit de gagner sa vie dans toute province au Canada et qu'il me disait: Moi,
je suis brimé parce qu'il y a une loi au Québec qui dit que je
dois apprendre le français, parce que je suis un professionnel, etc., je
suis convaincu qu'en vertu de cette loi, liberté de circulation de
gagner sa vie, je plaiderais que ce bonhomme n'a pas à apprendre le
français pour gagner sa vie, parce que ce serait discriminatoire.
Si lui croit qu'il sert une clientèle anglophone et qu'il n'a pas
à utiliser la langue de la majorité au Québec, je
plaiderais que c'est discriminatoire de le forcer à apprendre le
français. Vous plaideriez le contraire et cela ferait un joli
débat devant le juge.
M. Marx: Me Bertrand, comme avocat, vous comprenez que tout se
plaide.
M. Bertrand (Guy): C'est sûr.
M. Marx: Tout ne se gagne pas, mais tout se plaide.
Tout ce que je peux vous dire, c'est que dans l'état actuel du
droit au Canada tout citoyen canadien et toute personne qui se trouve au Canada
a le droit de s'établir n'importe où au Canada, partout au
Canada. Vous pouvez aller à Vancouver. Cela veut dire que l'article 6 ne
fait que répéter, en quelque sorte, l'état du droit actuel
au Canada.
M. Bertrand (Guy): On dit de gagner sa vie. Si moi je suis un
anglophone, je ne sais pas un traître mot de français, je plaide
devant la Cour, je ne peux pas gagner ma vie, parce que je ne connais pas le
français, cela devient discriminatoire. C'est dans ce sens que je dis
que c'est inacceptable, parce que...
M. Marx: Je vais vous lire de la jurisprudence canadienne qui
date - c'est la dernière lecture...
La Présidente (Mme Cuerrier): ... M. le
député de D'Arcy McGee.
Une voix: Vous êtes trop bonne.
M. Marx: ...j'ai attendu toute la journée pour lire cette
jurisprudence et cela peut être utile - comme le député
ministériel l'a dit, il a appris des choses aujourd'hui. C'est un
extrait de l'arrêt Winner qu'on retrouve dans les arrêts de la Cour
suprême du Canada 1951, à la page 919, où le juge Rand
écrivait: "Une province ne peut, en le privant des moyens d'y
travailler, forcer un Canadien à quitter son territoire. Elle ne peut le
dépouiller de son droit ni de sa capacité d'y séjourner et
d'y travailler. Cette capacité constitue un élément
inhérent à son statut de citoyen et est hors de portée
d'une action provinciale visant à l'annuler." Je pense que c'est clair.
Si vous ne voulez pas prendre ma parole, le juge Rand l'a bien
dit et je l'ai bien traduit en français.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Bertrand, si vous manifestez l'intention d'intervenir de nouveau, ce
sera la dernière intervention. Cela va? Je pensais que vous aviez
à répliquer è M. le député de D'Arcy
McGee.
M. Bertrand (Guy): II ne faudrait quand même pas se tirer
de la jurisprudence. Je n'en ai pas, je n'ai pas étudié ce point
particulier. Je respecte cette décision de la Cour suprême, mais,
comme vous le savez, comme avocat, toutes les décisions peuvent
être modifiées. C'est pour cela qu'il y a des avocats. S'il
fallait s'accrocher à des décisions des tribunaux qui seraient
immuables, ce serait triste pour notre métier.
La Présidente (Mme Cuerrier): II ne me reste plus
qu'à vous remercier, Me Guy Bertrand, pour votre participation & la
commission parlementaire. Je rappellerai à la commission que, demain,
nous entendrons l'Alliance des professeurs de Montréal, l'Association
des anglophones de l'Estrie, le Mouvement Québec français, M.
Jacques-Raymond Carrier, la Société nationale des
Québécois de Lanaudière, M. Hubert Gauthier, M. Paul de
Bané, l'Association du Labrador québécois.
Sur ce, cette commission de la présidence du conseil...
M. Marx: Question de règlement. J'aimerais savoir si le
ministre des Affaires intergouvernementales est ici.
M. Morin (Louis-Hébert): Certainement.
M. Marx: Le ministre Bédard a promis de déposer
cette étude sur le projet fédéral. C'est une promesse
qu'il a faite ou elle a été faite en son nom par le leader du
gouvernement. J'aimerais savoir si cette étude sera
déposée demain. Je sais que le ministre de la Justice est
à Ottawa aujourd'hui pour une rencontre avec d'autres de ses
collègues, mais j'aimerais le savoir. Cette étude a
été promise depuis des mois. Est-ce que les promesses du
gouvernement valent quelque chose ou si ce sont des promesses vides?
M. Rivest: Non, elles ne valent rien.
M. Morin (Louis-Hébert): En ce qui nous concerne, comme
les gens le savent, quand nous nous engageons à quelque chose, nous le
faisons. En ce qui concerne cette étude, je ne sais pas à quel
moment elle sera déposée. Je m'informerai au ministre de la
Justice dès que je le verrai. Je ne sais pas s'il est membre de la
commission, d'ailleurs.
M. Marx: Oui, mais le leader du gouvernement a dit que ce serait
déposé dès aujourd'hui ou même avant aujourd'hui, et
cela n'a pas été déposé.
M. Morin (Louis-Hébert): II a dit cela? M. Marx: Oui, il a
dit cela.
M. Morin (Louis-Hébert): Ah! C'est la première
nouvelle que j'en ai.
M. Marx: Est-ce que vous pouvez vérifier, M. le
ministre?
La Présidente (Mme Cuerrier): Votre message est
passé, M. le député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): La commission de la
présidence du conseil et de la constitution ajourne ses travaux à
demain matin, 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 43)