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(Douze heures cinq minutes)
La Présidente (Mme Cuerrier): La commission permanente de
la présidence du conseil et de la constitution se réunit de
nouveau aujourd'hui selon le mandat qui lui a été donné
par l'Assemblée nationale - je relis ce mandat -pour entendre les
représentations de personnes ou organismes relativement au projet de
résolution du gouvernement fédéral concernant la
constitution du Canada.
Le rapporteur de cette commission est M. le député de
Rosemont. Les membres de la commission - j'en fais l'appel maintenant - sont:
MM. Bertrand (Vanier), Charbonneau (Verchères), Dussault
(Châteauguay) remplacé par M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes),
Laberge (Jeanne-Mance) remplacé par M. Charron (Saint-Jacques), Le
Moignan (Gaspé), Levesque (Bonaventure), Morin (Louis-Hébert),
Paquette (Rosemont), Ryan (Argenteuil).
Les intervenants sont: MM. Biron (Lotbinière), de Bellefeuille
(Deux-Montagnes) remplacé par M. Dussault (Châteauguay), Fallu
(Terrebonne) remplacé par M. Laberge (Jeanne-Mance), Fontaine
(Nicolet-Yamaska), Forget (Saint-Laurent) remplacé par Mme
Chaput-Rolland (Prévost), Guay (Taschereau), Mme LeBlanc-Bantey
(Iles-de-la-Madeleine), M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce) remplacé
par M. Marx (D'Arcy McGee).
Mme LeBlanc-Bantey; Mme la Présidente, j'aimerais que vous
m'accordiez la permission, lorsque vous aurez entendu le Conseil du statut de
la femme, de me faire remplacer, comme intervenante, par le ministre des
Communications parce que je dois devenir membre de la commission de la justice
qui siège sur la réforme du Code civil et je crois que nous
sommes trop peu de femmes pour ne pas veiller au grain.
La Présidente (Mme Cuerrier): Le message est passé,
Mme la députée des Iles-de-la-Madeleine.
Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des
Communications sera intervenant après votre départ.
Le programme de la commission s'établit aujourd'hui comme suit.
Elle entendra d'abord Me Robert Normand, sous-ministre aux Affaires
intergouvernementales, ensuite le Conseil du statut de la femme, l'Association
culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan puis le Conseil d'expansion
économique.
J'appellerais, s'il vous plaît, Me Robert Normand pour la
poursuite des questions à son endroit.
M. le ministre des Affaires intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Avant qu'on n'aille plus loin,
comme j'avais promis hier que je déposerais aujourd'hui d'autres
documents que j'ai maintenant la permission de déposer, je voudrais
procéder. Il s'agit de trois avis juridiques de juristes britanniques
soumis devant le "select committee" à Londres. J'ai maintenant ces
textes ici avec un petit résumé en français de chacun de
ces documents qui seront maintenant à la disposition non seulement bien
sûr des membres de la commission mais également des journalistes.
Je voudrais les déposer. Il s'agit de celui des professeurs Wade, de
Cambridge, Lauterpacht, de Cambridge également et Geoffrey Marshall.
Deux ont déposé ces textes, le 10 décembre. Ils peuvent
être rendus publics dès aujourd'hui avec arrangement avec le
"select committee" britannique. Ces documents seront distribués au cours
des prochaines minutes.
La Présidente (Mme Cuerrier): Les documents sont
maintenant mis à la disposition des membres de la commission et
prêts à circuler.
Qui m'avait demandé la parole?
Mme la députée de Prévost.
M. Robert Normand (suite)
Mme Chaput-Rolland: M. Normand, lorsque nous nous sommes
quittés, il était question de concertation entre les provinces au
point de vue de la publicité. Ce qui me frappe beaucoup, c'est que, dans
ce gouvernement et dans cette enceinte, on a beaucoup parlé de
l'unanimité. Vous le savez. Les provinces qui rejettent la formule
unilatérale d'amendements, les rejettent pour à peu près
les mêmes raisons que nous, dans cette Chambre, tant du côté
du gouvernement que du côté de l'Opposition. Je demande s'il y a
eu concertation entre les provinces et si l'impact sur le public n'aurait pas
été infiniment plus grand si chacune des provinces avait fait le
même type de publicité au lieu d'avoir une publicité de la
Saskatchewan, une publicité du Québec, etc. C'est cela que je ne
comprends pas.
Je pense que, là, il y a eu une erreur grave. Je m'excuse,
à mon point de vue, je n'accuse personne. S'il y avait eu vraiment une
concertation entre les provinces qui s'opposent au rapatriement
unilatéral, si on avait fait tous la même publicité, est-ce
qu'on n'aurait pas eu infiniment plus d'impact? C'est ma première
question. L'autre, si vous voulez, je vous la pose tout de suite.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Robert Normand, vous avez
la parole.
M. Normand: Mme la Présidente, j'essaierai de
répondre à la première question, quitte à ce que
nous puissions passer à la deuxième par la suite.
Je pense que oui, si les provinces s'étaient concertées
pour adopter des mesures de publicité qui soient analogues ou identiques
et au même degré, cela aurait peut-être pu avoir, comme vous
dites, un impact plus grand au sein de chaque province.
Cependant, la concertation interprovinciale a des limites qui tiennent
à l'autonomie de chacune des provinces, que chacune veut exercer
jalousement. Cette concertation a aussi comme limite le fait que chaque
province est assez différente ou s'estime différente des autres,
de sorte que les recettes qui sont bonnes à un endroit ne sont pas
perçues nécessairement comme étant bonnes ailleurs.
En plus, le désir qui anime les gouvernements des provinces
contestataires n'est pas toujours le même, ne s'exprime pas au même
degré au niveau de la contestation ou des modalités d'assurer une
telle contestation, de sorte qu'il devient, en pratique, excessivement
difficile d'assurer une véritable harmonisation ou une concertation
interprovinciale poussée en matière de publicité. Nous
nous sommes contentés d'échanger de l'information sur ce que
chacun pouvait faire, chacun nous faisant état des mesures qui
étaient prises dans chacune des provinces, compte tenu des besoins
locaux.
Ainsi, Terre-Neuve a commencé avant nous. Elle a adopté
des mesures qu'elle estimait adaptées aux besoins de sa population. Les
ministres et le premier ministre se sont promenés beaucoup, à ma
connaissance, à travers la province. Ils ont rencontré des
représentants de beaucoup de commissions scolaires, de conseils
d'hôpitaux, etc. et ils ont également publié une brochure
ou un dépliant que j'ai vu, il y a quelques semaines. C'est
peut-être la province où il y a eu la plus grande sensibilisation
effectuée par voie de campagne d'information, à ma connaissance,
avec peut-être le Québec.
Dans d'autres provinces, cela a varié suivant les besoins de
chacun de sorte que si l'objectif que vous nous avez proposé
était méritoire, en fait, il est difficilement atteignable et il
n'a pas été atteint, encore que je ne suis pas sûr qu'une
publicité conçue de façon identique pour l'ensemble du
Canada, pour chacune des six provinces, eût été aussi
efficace. Je pense qu'il y a un degré de syncrétisme dont il faut
tenir compte et qui doit s'appliquer en l'occurrence. Je vous expose la
situation telle qu'elle est. Libre à chacun de porter son jugement ou de
tirer des conclusions.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
députée.
Mme Chaput-Rolland: Ma deuxième question peut sembler
impertinente, mais je vais la poser quand même. Il y a deux versions au
sujet du "select committee" de Londres. Quelques-uns disent que c'est un
comité extrêmement important et d'autres disent que cela fait un
peu penser, que cela n'a pas beaucoup d'importance. Vu d'ici, je suis incapable
de faire un jugement. J'ai discuté avec des gens de Londres qui m'ont
donné des versions à ce point controversées que je
voudrais avoir votre opinion. Quelle serait d'après vous, M. le
sous-ministre, l'importance et l'impact de ce "select committee" -sur la
population, le Parlement et les media d'information?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le sous-ministre.
M. Normand: Je pense que le "select committee" qui
résulte, me dit-on, d'une réforme des institutions parlementaires
ou du fonctionnement du parlementarisme britannique, réforme qui date
d'environ un an et demi, vise à regrouper un certain nombre de
députés intéressés par la politique
étrangère de la Grande-Bretagne. C'est essentiellement un
comité de la Chambre, comme il y en a plusieurs, qui vise à
occuper surtout, je pense, les députés d'arrière-ban en
général pour les faire participer davantage à
l'élaboration des travaux parlementaires. C'est un peu la nature du
comité dont il s'agit. Je devrais donc normalement conclure qu'il ne
s'agit pas, de par sa nature, d'un comité ayant une grande importance
sur l'élaboration des politiques du gouvernement.
Cependant, le problème canadien qui se pose au gouvernement
britannique et au Parlement britannique comporte une acuité assez
considérable. En d'autres termes - je vais peut-être exprimer ma
pensée d'une façon différente -les Britanniques ont
beaucoup de problèmes intérieurs présentement et,
lorsqu'ils pointent le nez ou les yeux sur d'autres horizons, ils sont beaucoup
plus préoccupés, en général, par une
possibilité d'invasion de la Pologne par l'Union soviétique, par
la guerre entre l'Irak et l'Iran, etc., de sorte que les problèmes
canadiens, le plus loin ils peuvent rester, le mieux ils seront, je pense, de
leur point de vue. (12 h 15)
Ce "select committee" comprenant des gens sérieux - les personnes
qui en font partie sont des personnes, me dit-on, sérieuses qui
travaillent adéquatement et sérieusement - conséquemment,
je pense que cela a fait l'affaire du gouvernement britannique de voir un
comité de la Chambre se préoccuper des tenants et aboutissants du
problème canadien pour permettre d'aérer le problème avant
que le gouvernement puisse en être saisi formellement. Il s'agit donc, de
par sa nature, d'un comité qui n'a peut-être pas normalement
l'importance qu'on peut lui attribuer, mais, en l'occurrence, il prend une
importance un peu particulière de façon à pouvoir
aérer le problème pour les fins du qouvernement britannique.
C'est ce qui nous a fait le prendre au sérieux, c'est ce qui nous
a fait déposer un mémoire que j'estime, quand même, assez
sérieux. Il n'y a pas de doute, non plus, que les textes qui sont soumis
sur le problème canadien à ce comité sont
véhiculés dans les officines des ministères, entre autres,
au Foreigh Office, de sorte que le gouvernement se trouve un peu saisi des
positions juridiques ou techniques des provinces jusqu'à présent
sur le sujet dont il s'agit. Donc, pour moi, le comité a quand
même une importance un peu plus grande que celle que normalement on
pourrait lui attribuer. Ce n'est pas le gouvernement cependant, mais c'est
quand même un comité du Parlement et je ne voudrais pas
minimiser, à cet endroit-ci, l'importance du rôle des
comités de la Chambre.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères.
M. Charbonneau: M. Normand, vous avez parlé hier de votes
qui ont été tenus à différentes Assemblées
législatives dans d'autres provinces. Est-ce qu'on a le résultat
des votes qui ont été tenus? Est-ce qu'il y a eu des
unanimités d'obtenues?
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, en Alberta...
M. Normand: En Alberta, les chiffres sont de 70-1. À
Terre-Neuve et en Colombie-Britannique, je ne sais pas si les
résolutions ont été adoptées et,
conséquemment, je ne connais pas le nombre de députés qui
ont voté pour et le nombre de députés qui ont pu voter
contre. C'est le type de renseignement que je peux obtenir assez facilement de
mes collègues des autres provinces, mais je ne les ai pas à
l'esprit au moment où je vous parle.
M. Charbonneau: D'autre part, on a parlé de la campagne
d'information auprès du public québécois. Le groupe que
vous avez constitué est-il en mesure de procéder à une
vérification de l'efficacité de cette campagne? Avant la
campagne, et maintenant qu'elle est engagée depuis un certain temps,
est-ce qu'on a pu vérifier si les arguments présentés
à la population, si la cause présentée, dans le fond,
à la population ont eu des échos et ont progressé?
M. Normand: Mme la Présidente, je pense qu'il s'agit d'une
bonne question sur un plan technique. Nous nous sommes effectivement
interrogés sur la possibilité de faire un sondage afin de
connaître l'état de l'opinion avant le début de la
campagne, quitte à compléter, au terme de cette campagne, par un
deuxième sondage afin de voir l'évolution de la population ou de
l'opinion de la population au cours de cette période qu'a duré la
campagne de publicité, de façon également à pouvoir
déterminer l'impact de cette campagne.
Les coûts, cependant, des sondages dont il s'agit, qui nous ont
été proposés nous ont semblé un peu forts, un peu
prohibitifs, compte tenu du budget dont nous disposions. Par ailleurs, nous
nous sommes dit que les organismes de sondage sonderaient sûrement
périodiquement la population sur ce problème, de sorte que,
même si nous ne pouvions pas disposer d'un sondage parfaitement
adapté aux besoins que nous aurions eus, nous pouvions et nous pouvons
également recourir à des produits qui nous sont livrés par
des sondeurs d'opinion publique et qui ont un intérêt pour nous.
Effectivement, l'actualité nous sert bien. Ce matin, les journaux font
état d'un sondage pancanadien qui a été
réalisé au début du mois de novembre. J'ai cru comprendre,
au cours du week-end également, qu'un autre sondage plus récent
était en voie d'être terminé. Il sera intéressant,
en ce qui concerne le Québec, de voir la différence de
pourcentage de personnes qui approuvent ou désapprouvent le projet de M.
Trudeau, ce qui nous fournira un indice sur l'efficacité de cette
campagne.
M. Charbonneau: Si je comprends bien, vous avez l'intention,
même si vous n'avez pas commandé des sondages, d'analyser les
résultats des sondages qui sont faits par des groupes
extérieurs?
M. Normand: C'est exact. De plus, nous n'avons pas exclu la
possibilité de faire un sondage qui soit conforme aux besoins
spécifiques que nous aurions, mais nous n'avons pas pris de
décision encore sur ce sujet. Je pense qu'il faudra, dans un premier
temps, analyser les sondages par ailleurs disponibles avant de
déterminer si nous en avons besoin d'un pour nos fins
spécifiques.
M. Charbonneau: Une dernière question pour
vérifier. Vous parliez d'actualité. Le sondage Gallup de ce
matin, publié par le Soleil, semble avoir été
effectué au début de novembre. Pouvez-vous me dire à
partir de quand a commencé la campagne d'information du gouvernement du
Québec?
M. Normand: Elle a commencé, je crois, le 20 ou le 21
novembre. Elle devait commencer un peu plus tôt, mais nous l'avons
retardée pour permettre aux députés de discuter
peut-être plus librement, sans avoir une campagne d'information en
même temps, de la teneur de la résolution de l'Assemblée
nationale dont le débat s'est terminé, je pense, le 21 novembre
dernier de sorte que, si ma mémoire est bonne, la campagne a
commencé le 21, effectivement. Elle devait commencer un peu plus
tôt, c'est ce qui explique qu'entre le 10 novembre et le 21 il y ait eu
à la radio, à l'occasion, quelques messages publicitaires qui ont
coulé même si nous avions donné des instructions à
tous les diffuseurs de ne pas diffuser les messages qui avaient
été enregistrés. On en a perçu quelques-uns, mais
cela a été exceptionnel.
M. Charbonneau: Pouvez-vous me dire...
M. Rivest: M. le député de Verchères, je
voudrais une précision sur votre dernière question.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: L'équipe dirigée par M. Cyr a
été constituée à quel moment?
M. Normand: Si ma mémoire est bonne, nous avons
reçu le mandat à la toute fin du mois d'octobre et on nous avait
demandé de pouvoir commencer cette campagne d'information à
compter du 10 novembre.
M. Rivest: Vous permettez? Le mandat que vous avez reçu
vous est-il venu d'une façon informelle ou s'il y avait des directives
précises?
M. Normand: Le comité ministériel dont j'ai
parlé hier s'est réuni, nous a demandé de participer
à sa réunion et, au cours de cette réunion, diverses
idées ont été mises sur la table; on nous a demandé
d'utiliser ces idées pour pouvoir organiser la campagne d'information
dont il s'agit.
M. Rivest: Dernière petite précision, je
m'excuse. C'est M. Cyr qui a la responsabilité au niveau de la
publicité, c'est cela? Les membres du comité ou du groupe,
à quel moment ont-ils été adjoints à M. Cyr?
À toutes fins utiles, j'imagine que c'est au début de
novembre.
M. Normand: Je pense, de mémoire, qu'il s'agit des tout
derniers jours d'octobre.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères.
M. Charbonneau: Simplement une constatation pour être
certain. C'est donc dire, finalement, à partir des informations que vous
nous donnez, que les résultats du sondage publiés ce matin ne
tiennent absolument pas compte de la répercussion du débat
à l'Assemblée nationale qui était
télévisé, ni de la campagne d'information qui a
été entreprise par le gouvernement. C'est donc dire que la
réalité d'aujourd'hui pourrait être encore
différente, et possiblement à l'avantage du Québec et des
autres provinces, de celle qui nous est présentée dans le sondage
de ce matin.
M. Normand: Vraisembablement, si la campagne a eu une
efficacité; c'est ce qu'on va s'apprêter à mesurer, depuis
qu'on connaît, ce matin, ce sondage. Il s'agit cependant d'un sondage
pancanadien, de sorte que l'échantillonnage, pour le Québec, est
peut-être un peu faible pour nous permettre de vraiment mesurer
l'efficacité de la campagne. C'est une des données dont il nous
faudra tenir compte dans l'analyse, mais je ne suis pas un spécialiste
en la matière.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee. M. le député de Vanier.
M. Marx: ...
M. Bertrand: Une très courte question. Est-ce que M.
Normand pourrait s'enquérir, en obtenant des informations plus
complètes du sondage Gallup, si l'information a été
donnée sur la base des distinctions entre communautés anglophones
et francophones? Je pense que ça peut être intéressant pour
le Québec, entre autres, d'avoir cette donnée.
M. Normand: Je prends bonne note de la remarque du
député, Mme la Présidente. Je n'ai fait que lire, comme
vous, les journaux ce matin, je n'ai pas pris connaissance du sondage
lui-même, de sorte qu'il m'est difficile de le commenter autrement que de
la façon que les journaux l'ont fait.
M. Ryan: Avec IQOP, il l'aurait eu avant!
M. Bertrand: Je dois dire que mes connexions sont bonnes.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Mme la Présidente, vous savez, comme nous tous,
que tous les partis politiques à l'Assemblée nationale sont
contre le rapatriement unilatéral de la constitution et la modification
unilatérale de la constitution canadienne. Nous sommes tous contre
l'imposition d'une charte des droits par le gouvernement fédéral
aux provinces et même le chef de l'Opposition officielle a fait une telle
déclaration à Ottawa, il n'y a pas longtemps.
Cependant, il y a une distinction entre les politiques du Parti
québécois et celles du Parti libéral, c'est-à-dire
que le Parti libéral du Québec est en faveur d'une charte des
droits enchâssée dans la constitution. Nous sommes pour le droit
de mobilité dans une telle clause enchâssée dans une charte
des droits dans la constitution. Nous sommes pour les droits linguistiques
enchâssés dans la constitution et ainsi de suite. Donc, il y a une
différence de philosophie entre ces deux partis. À mon avis, il
faut lutter contre le projet fédéral, mais il ne faut pas le
faire n'importe comment en utilisant n'importe quels mots et n'importe quels
arguments.
Je trouve que la publicité que le gouvernement du Québec
fait est une publicité fondée sur des arguments de peur, et je
m'explique. Je ne veux pas imputer cela au sous-ministre, ça va de soi.
Il a sûrement reçu des ordres du premier ministre ou du ministre
de la Justice ou du ministre des Affaires intergouvernementales de mener une
telle campagne de publicité. Lors de nos débats à
l'Assemblée nationale, le premier ministre lui-même a dit que
selon l'opinion des experts, si une telle charte était
enchâssée dans la constitution, cela rendrait inconstitutionnelle
la loi sur les petites créances du Québec. Le ministre de la
Justice a dit: Une charte enchâssée dans la constitution va rendre
inconstitutionnelles les politiques d'achat du gouvernement du Québec.
Il a dit aussi que ça rendrait inconstitutionnelles les politiques de
subventions du gouvernement du Québec, que ça rendrait invalides
un tas d'autres lois qu'il a énumérées, sans donner aucune
opinion juridique. J'ai même trouvé, dans un des documents du
ministère des Affaires intergouvernementales, qu'une telle charte
enchâssée dans la constitution peut aboutir à
l'uniformisation des systèmes d'éducation au Canada.
Ce sont, à mon avis, toutes des affirmations gratuites parce
qu'on a essayé de vérifier le bien-fondé de ces
affirmations hier, quand les conseillers juridiques du gouvernement
étaient ici. On a posé ces questions à Me Pratte et il
n'était nullement d'accord avec ces affirmations et...
Mme la Présidente, quand le député de
Verchères a parlé je ne l'ai pas interrompu...
M. Charbonneau: Mais dites la vérité,
batêchel
M. Marx: ... qu'il m'accorde la même... M. Charbonneau:
Voyons donc!
M. Marx: S'il a quelque chose à dire, je vais lui laisser
la parole, mais s'il n'a rien à dire qu'il se taise...
M. Charbonneau: Dites la vérité.
M. Marx: ... et qu'il laisse les autres parler.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il
vous plaît!
M. le député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Je répète qu'on a essayé de
vérifier certaines de ces affirmations avec Me Pratte et il a dit soit
qu'il n'a pas fait d'étude, soit que ce n'est pas clair, etc.
Je vais parler du dépliant que le gouvernement a fait imprimer.
Voici une question qu'on pose aux Québécois: "Voulons-nous deux
gouvernements ou un seul qui siège à Ottawa?" Je ne pense pas que
ce soit la question du projet fédéral. Si le projet
fédéral était adopté, on aurait encore onze
gouvernements. Il ne serait pas question d'avoir un État unitaire.
On voit dans le même paragraphe: "Non, il ne faut pas que le
gouvernement d'Ottawa prenne la place de celui du Québec." Je ne sais
pas ce que cela veut dire. Sur le plan juridique, ce n'est pas trop exact. Vous
êtes d'accord, Me Normand, que ce n'est pas trop exact?
On voit aussi: "Nos enfants parleront-ils français?" C'est une
question qui peut semer la peur chez certaines personnes. Je ne pense pas qu'il
y ait de problème avec cela. (12 h 30)
Je vois ici: "Alors que les autres provinces, elles, pourraient demeurer
unilingues anglaises..." Ce n'est pas vrai sur le plan juridique, parce que le
Manitoba serait lié de la même façon que le
Québec...
Une voix: C'est cela.
M. Marx: ... le Nouveau-Brunswick voudrait se lier de la
même façon que le Québec...
M. Morin (Louis-Hébert): Et l'Ontario?
M. Marx: Le charriage que je trouve ici c'est que... Je ne suis
pas d'accord avec la charte fédérale et le Parti libéral
n'est pas d'accord qu'on impose cela aux provinces, mais même si cela
était imposé, qu'est-ce que cela changerait à la loi 101?
Juste un petit paragraphe sur la langue d'enseignement que même le
gouvernement péquiste a voulu mettre dans la loi 101 dans le sens que le
gouvernement péquiste a voulu négocier une clause Canada avec les
autres provinces. Je trouve que... Mme la Présidente, peut-on demander
aux députés ministériels de se taire et de rester
tranquilles quand les autres parlent?
Une voix: ... mettre de la vie un peu.
M. Marx: II n'y a pas de politesse du tout.
Une voix: On est en train de remettre de...
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît; À l'ordre! M. le député.
M. Marx: Sur la question linguistique, dans ce dépliant,
on sème la peur. Il y a même des erreurs sur le plan juridique.
J'ai posé des questions hier à Me Pratte. Il y en a une autre un
autre endroit où on dit: "Sorry, no jobs". Je ne sais pas si c'est du
"jouai" ou si on a voulu cela en anglais. Je cite: "Nous perdrons ainsi un
instrument important pour combattre le chômage.", c'est-à-dire que
si le projet fédéral est mis en vigueur, le Québec serait
incapable de combattre le chômage. Le Parti québécois n'a
pas vraiment combattu le chômage, parce que le chômage a
augmenté...
Une voix: Sans la charte.
M. Marx: Oui, sans la charte, et depuis que le Parti
québécois est au pouvoir...
Mme LeBlanc-Bantey: II a diminué chez nous avec la mine de
sel, en tout cas!
M. Marx: ...il y a des statistiques qu'on a déjà
citées. Tout ce que j'aimerais demander au sous-ministre...
M. Charbonneau: Parlez-nous de l'Ontario. Il est encore dans les
patates! Cela a monté au Québec et cela a baissé partout
ailleurs, n'est-ce pas? Voyons donc!
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères, s'il vous plaît!
M. Rivest: C'est plein d'inexactitudes, tout ce qu'on dit!
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon!
M. Marx: En somme...
M. Rivest: Question de règlement, Mme la
Présidente. Il y a une chose qui est absolument difficile à
accepter dans les commissions parlementaires. C'est l'habitude du ministre de
passer constamment par- dessus votre tête et interpeller
l'Opposition.
M. Ryan: C'est très blessant pour nous.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est certainement une
taquinerie, M. le député de Jean-Talon. C'est M. le
député de D'Arcy McGee qui a la parole. À l'ordre, s'il
vous plaît!
M. Marx: En somme, en lisant ce pamphlet, je trouve que cela fait
partie d'une campagne de peur. Cela veut dire qu'on dit aux
Québécois: Ce sera invivable, on va perdre telle et telle chose
et ainsi de suite. Voici la question que j'aimerais poser au sous-ministre. En
préparant ce dépliant, a-t-on vérifié l'exactitude
sur le plan juridique de toutes les affirmations qu'on a faites?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Normand.
M. Normand: Mme la Présidente, il ne s'agissait pas de
faire une analyse juridique du projet de M. Trudeau pour la véhiculer
à la population. Je pense, par exemple, que M. Pratte a fait hier une
excellente analyse juridique du projet dont il s'agit et qu'elle aurait
été difficilement consommable par l'ensemble de la population. Il
s'agissait donc à la base d'une campagne d'information visant à
sensibiliser la population sur les dangers que pourrait comporter le projet mis
de l'avant par le gouvernement fédéral. Conséquemment, les
publicitaires nous indiquent que dans un tel cas, il faut adopter des formules
qui frappent la population...
Des voix: Oh!
M. Normand: ...sans cependant que les messages qui sont ainsi
véhiculés soient faux, de sorte que...
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! S'il
vous plaît: S'il vous plaît!
M. Normand: ... conformément aux avis que les
publicitaires nous ont fournis, ceux-ci ont essayé de trouver des images
qui frappaient la population pour la sensibiliser.
Nous avons examiné les textes qui nous avaient été
soumis, afin de déterminer s'ils étaient erronés par
rapport au projet de M. Trudeau. Et l'examen a démontré qu'il n'y
avait rien là-dedans d'absolument erroné mais que, dans beaucoup
des cas, c'étaient des conséquences possibles de la mise en
oeuvre du projet de M. Trudeau, un peu de la même façon qu'on vous
l'a expliqué hier.
En d'autres termes, l'élaboration d'une charte des droits,
à cause du niveau de généralité du langage, fait en
sorte qu'il est difficile de prévoir concrètement comment cette
charte aura des effets dans la réalité, des effets concrets. Il
est possible facilement, pour certains juristes, je pense, d'en arriver
à des conclusions analogues à celles qui sont potentiellement
évoquées ici. Vous remarquerez que, dans le dépliant dont
il s'agit, le conditionnel a été utilisé à peu
près partout.
M. Marx: J'ai une autre question.
M. Normand: En ce qui concerne votre autre remarque sur les
petites créances, j'aimerais apporter une distinction peut-être.
Je ne crois pas, de mémoire, que dans ce dépliant on fasse
état des petites créances. Au cours de l'été, il y
a eu un projet de charte qui a été communiqué par le
gouvernement fédéral dans le cadre des discussions
constitutionnelles de l'été. Ce projet de charte a
été remanié depuis pour constituer la charte qui se trouve
présentement contenue dans le document de M. Trudeau.
Mais le projet de l'été pouvait faire en sorte que la loi
des petites créances soit inopérante. Le gouvernement
fédéral a modifié son projet depuis. À ma
connaissance, le nouveau projet ne permet pas d'évoquer ce type de
conclusion qu'il était possible d'évoquer au cours de
l'été, d'après le texte qui avait alors été
déposé.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Concernant la loi sur les petites créances, c'est
le premier ministre lui-même qui a dit cela en Chambre il y a deux
semaines. J'imagine qu'il n'a pas commenté un projet de
l'été. J'imagine qu'il a commenté le projet
fédéral déposé le 2 octobre.
Vous avez dit que ce n'est pas absolument erroné. J'aimerais
prendre un paragraphe et vous demander, en tant que juriste, si c'est
erroné ou non. Et je cite: "Accepter le coup de force d'Ottawa, c'est
accepter le bilinguisme à sens unique. Alors que les autres provinces,
elles, pourront demeurer unilingues anglaises, le Québec deviendra la
seule province bilingue."
Sur le plan juridique, est-ce que c'est exact ou si c'est faux?
M. Ryan: Ce n'est pas absolument erroné.
M. Marx: Est-ce que c'est absolument erroné ou non?
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Normand.
M. Normand: Je pense, Mme la Présidente, que ce n'est pas
absolument erroné. C'est une conséquence potentielle qui pourrait
être atteinte, dépendant de la façon dont le projet de
résolution déposé par M. Trudeau pourrait être
appliqué au Québec ou dans d'autres provinces. C'est donc
potentiellement fondé - même si je ne peux pas vous assurer que
telle va être la conséquence ou la réalité.
M. Marx: Vous avez peut-être mal compris ma question. Sur
le plan juridique, le Québec serait sur un pied d'égalité,
disons, que la province du Manitoba. Sur le plan juridique, je ne vois pas
quelle sera la différence. C'est cela la question. Je vous pose une
question technique, M. le sous-ministre; je ne veux pas vous poser des
questions politiques et vous demander de prendre une position politique. Je
vous pose une question assez technique. Sur le plan technique, je trouve que
c'est absolument erroné.
M. Normand: Sur le plan juridique, l'article 133 s'applique
uniquement au Québec et au Manitoba dans le projet de loi de M. Trudeau.
Or, au Manitoba, si on va voir de facto ce qui se produit, on voit que les
conséquences ne sont pas identiques aux conséquences que l'on
trouve au Québec quant à l'application de cet article 133. Je
peux vous dire, par exemple, que, depuis le jugement de la Cour suprême
sur l'application de l'article 133 au Manitoba, les efforts qui ont
été faits pour que de facto la province devienne aussi bilingue
que le Québec, quant à ce qui est prévu à l'article
133, me semblent minimes et les conséquences de facto me semblent tout
à fait différentes de celles qu'on trouve au Québec.
Maintenant, c'est un mélange de droit et de réalité. Dans
le dépliant, nous n'avons pas voulu, non plus, essayer de faire une
étude juridique raffinée. Nous nous sommes attardés
à essayer de trouver des images pouvant frapper la population, mais qui
ne soient pas absolument fausses d'aucune façon. Ce sont des
conséquences possibles par un alliage du droit et de l'application qu'on
pourrait en faire.
M. Marx: Si on veut planifier une bonne campagne de peur, on fait
cela de cette façon, si je comprends bien.
Mme LeBlanc-Bantey: Vous avez l'habitude. M. Paquette: Mme
la Présidente...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Vanier.
Une voix: C'est le député de Rosemont, Mme la
Présidente, qui a demandé la parole.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, vous aviez
une précision, disiez-vous?
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, j'avais une précision
à ajouter qui est très importante. Le texte dont on parle a
été quand même distribué au moment où on
parle et il a été préparé avant, par exemple - je
donne un cas - que le Nouveau-Brunswick se présente à la
commission à Ottawa en disant: Moi, je voudrais que s'applique l'article
133 chez moi. Premièrement, il y a un élément de temps qui
intervient.
Mais, au-delà de tout cela, de deux choses l'une: ou le Parti
libéral est contre le projet fédéral ou il est pour. Il y
a des jours où il a l'air contre et il y a des jours où il a
l'air pour. Ce matin, je vois qu'on est en train de nous dire que les arguments
que nous utilisons contre ne sont pas des bons arguments, alors qu'on n'a rien
démontré de la sorte. Vous avez l'air de regretter d'être
obligés de dire que vous êtes contre le projet
fédéral. Il faudrait, quand même, que vous vous branchiez
à un moment donné. Si vous êtes contre, c'est pour des
raisons. Des raisons, pour nous autres, il y en a trois catégories et
elles ont été rappelées par M. Pratte hier: d'une part, la
charte des droits, qu'on le veuille ou non, enlève des pouvoirs aux
provinces. Cela a été dit, cela a été reconnu par
le député de D'Arcy McGee. S'il a la mémoire d'hier, il va
se souvenir qu'il a dit cela. Donc, c'est ce qu'on dit.
M. Rivest: Ce n'était même pas un régime
unitaire, un seul gouvernement, par exemple, comme vous le dites dans votre
papier.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaîtl À l'ordre, s'il vous plaît! M. le
député de Jean-Talon, s'il vous plaîtl
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je
remarque une chose dans ces commissions parlementaires: le député
de Jean-Talon passe toujours par-dessus votre tête pour interrompre les
députés des autres partis.
M. Rivest: Fâchez-vous, Mme la Présidente! (12 h
45)
M. Morin (Louis-Hébert): Deuxièmement, dans le
projet fédéral, il y a une chose évidente qui a
été mentionnée hier. La procédure d'amendement
constitutionnel par référendum est une procédure qui
change la nature des provinces et, par conséquent, la nature du
fédéralisme. Quand on pose la question: Un gouvernement ou deux?
Cela veut dire que le gouvernement important et dominateur serait le
gouvernement fédéral. C'est ce que cela signifie et c'est une
façon de l'illustrer.
Troisièmement, c'est peut-être ce que j'ai appris hier de
plus, car j'en apprends tous les jours, j'ai appris des choses en les
écoutant, c'est-à-dire que j'apprends que je ne sais pas
où ils se situent, j'ai appris hier de la déposition de M. Pratte
une chose importante et capitale, qui me semble plus importante que tout le
reste, c'est que cette charte des droits introduirait dans la pratique et dans
nos Législatures une incertitude juridique; or, s'il y a incertitude
juridique, cela veut dire qu'on n'est pas sûr de ce qui va arriver. Si on
n'est pas sûr de ce qui va arriver, cela veut donc dire qu'il y a des
possibilités sérieuses que des conséquences
néfastes se produisent; or, nous faisons allusion à cela dans le
dépliant.
M. Rivest: Un seul gouvernement?
M. Morin (Louis-Hébert): Même un seul
gouvernement...
M. Rivest: Voyons donc, c'est complètement fauxl
M. Morin (Louis-Hébert): ... parce que, actuellement on
est en train, si jamais le coup de force fédéral passait - si on
pouvait arrêter de m'interrompre - de changer la nature du système
contrairement aux promesses du référendum. Ce n'est pas ce qui a
été promis au moment du référendum, il faut quand
même s'en souvenir. Moi, tous les jours, j'aurai l'occasion de le dire et
je vais répéter qu'on s'est fait mentir au mois de mai et qu'il y
a des gens qui, involontairement ou non, ont contribué à cet
état de choses que je ne qualifie pas davantage. Fin de mon
intervention.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Rosemont.
M. Paquette: Je constate encore une fois qu'une journée,
on sait que le Parti libéral est contre le coup de force d'Ottawa et,
une autre journée, on se le demande. De toute façon, il nuit
beaucoup plus qu'il n'aide, je pense. On a eu des réponses assez claires
sur le plan juridique hier; on s'est aperçu qu'il y avait de fortes
probabilités que certaines des lois du Québec soient mises de
côté. Il y a des cas clairs; cela m'a étonné, il y a
le bout sur la loi 101. Je pense qu'il est assez clair que le fait
français au Québec est menacé par le projet de loi
Trudeau. Avant la loi 101 - on connaît le phénomène de
dénatalité il y avait une diminution des effectifs scolaires plus
forte du côté francophone que du côté anglophone.
Encore aujourd'hui, au moment où on se parle, la proportion des enfants
de langue anglaise, dans les écoles, est plus grande que la proportion
de la population. C'est bien clair qu'en l'absence de tout correctif on
retournerait à la situation antérieure. Je ne pense pas qu'il y
ait eu des changements significatifs dans le domaine de l'immigration. Dans le
dépliant - je suis en désaccord total, je tiens à le faire
savoir à M. Normand, avec ce que dit le député de D'Arcy
McGee - quand on dit que la langue française est menacée, c'est
un fait. Quand on dit que le régime pourrait évoluer vers un
régime unitaire, on ne dit pas que la résolution Trudeau ferait
du Canada un régime unitaire - relisez-le, arrêtez de charrier,
relisez-le - on dit que ça pourrait nous conduire vers ça.
Effectivement, quand les provinces commencent à perdre leur
souveraineté dans leur sphère de compétence, elles
deviennent de plus en plus des autorités qui fonctionnent par pouvoir
délégué. La caractéristique d'un régime
unitaire, c'est ça.
Vous regardez ça sur un plan strictement juridique et vous
oubliez la question des rapports de forces qui sont importants dans une
fédération et, quand c'est parti dans un sens, quand le
déséquilibre devient trop grand, il s'accentue. Je pense que vous
ne pouvez pas le nier, c'est une chose qui s'est produite ailleurs, qui
pourrait se produire ici.
Mme la Présidente, j'aurais trois questions à poser
à Me Normand après ces remarques
préliminaires. Concernant les démarches que vous avez
faites à Londres et suite au report du comité de la Chambre des
communes à Ottawa au mois de février, est-ce que vous pourriez
nous donner une idée de l'échéancier probable, advenant -
ce qui devient de plus en plus incertain, mais qui est toujours possible - que
le Parlement canadien adopte sa résolution quelque part à la fin
de février comme il...
M. Normand: Je dois vous avouer que je peux difficilement, Mme la
Présidente, répondre à cette question qui est hautement
conjecturale, je pense. Il a été dit dans le passé que le
programme législatif du Parlement britannique est un programme qui
devait être arrêté assez tôt au début de 1981
et qui, une fois arrêté, comportait une bonne dose de
rigidité, de sorte qu'il serait difficile de le perturber par la
suite.
D'après ce que j'avais cru comprendre, la résolution du
Parlement canadien aurait dû atteindre Londres en janvier pour pouvoir
être adoptée, en présumant qu'elle aurait pu l'être,
avant le 1er juillet et que tout report risquait de faire en sorte que la
résolution du Parlement canadien ne serait considérée que
plus tard dans le calendrier législatif du Parlement britannique. C'est
la seule donnée, que j'ai lue comme vous dans les journaux, qui m'a
été fournie à cet égard. Je ne peux pas
répondre de façon plus précise à cette
question.
M. Paquette: M. Loiselle, par exemple, n'a pas pu vérifier
auprès du leader du gouvernement britannique ou...
M. Normand: Les échos que j'ai de M. Loiselle vont dans le
sens de la réponse que je viens de vous faire, mais je n'ai pas plus de
précisions à apporter. En d'autres termes, je ne suis pas en
mesure de vous dire que si la résolution du Parlement canadien n'atteint
pas Londres le 1er février, ce sera reporté au mois de
décembre prochain. Je ne suis pas en mesure de vous livrer ce type
d'information.
M. Paquette: Deuxième et dernière question
concernant le programme de sensibilisation des Québécois au coup
de force fédéral. Il y a eu une question hier, je pense que c'est
le chef de l'Opposition officielle qui vous a demandé: Est-ce que vous
subventionnez Solidarité-Québec, par exemple? Vous aviez
répondu que non, à votre connaissance. Vous aviez
mentionné aussi que vous apportiez un support à
Solidarité-Québec. Quelle est la nature de ce support?
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Normand. M. Normand:
On a...
M. Paquette: C'est une offre que vous avez faite.
M. Normand: C'est ça, Mme la Présidente. Nous avons
fait une offre à Solidarité-Québec en indiquant, si ces
gens avaient besoin de nos services, qu'ils nous disent le type de besoins
qu'ils souhaiteraient que nous puissions les aider à combler, mais nous
n'avons pas eu, à ma connaisance, de demande de leur part. Est-ce qu'il
y a eu une demande? Ah oui! On me dit qu'on nous a demandé de leur
fournir un certain nombre de copies du dépliant dont il s'agit pour
qu'ils puissent en assurer la distribution. À ma connaissance, il n'y a
pas eu d'autres demandes qui nous ont été faites de leur
part.
M. Paquette: Dans votre esprit, cette offre que vous faisiez
à Solidarité-Québec était de cette
nature-là, c'est-à-dire fournir certains instruments, fournir des
services conseils ou...
M. Normand: Support technique, oui, et organisationnel, par
exemple, si besoin était, de façon à en expédier en
province, s'ils l'avaient souhaité, devant divers clubs sociaux ou
divers conférenciers, etc. Mais la demande n'a pas été
faite.
M. Paquette: Dernière question, Mme la Présidente.
Est-ce que cette offre s'étend également à d'autres
organismes, notamment si nos amis du Parti libéral se décidaient
de lutter contre le coup de force d'Ottawa et fondaient
Solidarité-Québec libérale, avec le Conseil du patronat et
la Chambre de commerce, par exemple, est-ce que vous offririez les mêmes
services? Est-ce que vous le feriez également pour un parti politique
qui voudrait lutter contre le coup de force d'Ottawa, par exemple, celui qui
nous fait face?
M. Normand: II n'y a pas de doute que, si on me demandait des
copies additionnelles du dépliant, cela nous ferait plaisir d'en
fournir. Pour ce qui concerne...
M. Morin (Louis-Hébert): On vient d'en donner au chef de
l'Opposition.
M. Normand: ... les autres demandes qui pourraient nous
être faites, je pense que je ferais comme celles qui auraient pu venir de
Solidarité-Québec, je les véhiculerais auprès du
comité ministériel responsable de la campagne d'information afin
qu'une décision puisse être prise.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Ryan: Je dois vous poser une question pour commencer, avant
d'émettre une opinion, si vous me permettez. Dans vos fonctions
antérieures au service du gouvernement, M. Normand, vous est-il
arrivé d'être impliqué dans des activités de type
publicitaire, d'information de l'opinion publique?
M. Normand: Un peu, Mme la Présidente. Pendant que
j'étais au ministère de la Justice, nous avons fait quelques
campagnes d'information pour publiciser, par exemple, les petites
créances, pour publiciser également certaines autres mesures que
nous avions adoptées au ministère de la Justice à
l'époque. Je ne suis pas un spécialiste des campagnes de
publicité ou d'information en aucune façon. C'est ce qui a fait
que, lorsqu'on m'a demandé de faire en sorte que la machine puisse
fonctionner, j'ai dû recourir aux services de personnes que j'estimais
être des spécialistes dans le secteur, de façon qu'elles
puissent remplir les commandes qui nous étaient
données.
M. Ryan: Ne vous est-il pas venu à l'esprit, par rapport
à vos expériences antérieures, qu'avec une chose comme
celle-ci vous franchissiez une frontière? Si c'était exactement
de même nature, ce que vous faisiez avec ceci que ce que vous faisiez
quand vous faisiez connaître la loi des petites créances ou de
l'aide juridique, par exemple, voyez-vous une différence entre les deux
ou n'en voyez-vous pas?
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Normand.
M. Normand: Mme la Présidente, je me suis posé
cette question et j'ai estimé que non, je ne franchissais pas une
frontière, pour diverses raisons. Premièrement, je me trouvais
à exécuter une demande ou une commande du gouvernement et non pas
d'un parti politique. Deuxièmement, il m'a semblé que sur
l'opposition québécoise au projet de M. Trudeau, pour diverses
raisons, il y avait quand même un certain degré de cohésion
entre les opinions qui émanaient des divers partis politiques,
même s'il y a beaucoup de nuances, bien sûr, à apporter.
J'ai suivi à cet égard les débats de l'Assemblée
nationale sur la motion avec beaucoup d'intérêt. Mais il m'a
semblé que le type d'action que nous faisions était une action
gouvernementale, mais comportant également, quant aux effets
recherchés, une certaine dose de cohésion, pour ne pas dire
d'unanimité dans l'ensemble de l'éventail politique
québécois, à tort ou à raison, Mme la
Présidente.
M. Ryan: Je pense que vous avez un problème. Vous
contredisez directement votre supérieur. Vous l'avez entendu parler
tantôt. Il dit qu'il ne voit pas de cohésion.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le sous-ministre.
M. Normand: J'ai parlé, Mme la Présidente, d'une
certaine cohésion sachant que je marchais sur des oeufs en
répondant à cette question.
M. Ryan: Excusez! Si vous voulez bien me laisser parler.
M. Normand: Le degré pourra être
apprécié différemment par les personnes en cause.
M. Morin (Louis-Hébert): J'ai été mis en
cause, j'aimerais bien pouvoir parler.
M. Ryan: Mme la Présidente, il nous reste quelques
minutes. Tantôt, le ministre a dit toutes sortes d'âneries. J'ai
bien pris soin de ne pas l'interrompre, pas plus davantage que je n'ai
interrompu le député de Rosemont. Qu'il nous laisse au moins
présenter notre point de vue pendant quelques minutes. Je pense que la
vérité en sera mieux servie. Je précise d'abord que toutes
les insinuations qu'on a entendues de la part des deux intervenants
antérieurs sont fausses, comme tellement de choses qu'on entend de la
part du parti ministériel. Tout ce que vous avez dit est faux et repose
sur une déformation, comme vous en avez, hélas! l'habitude, de
nos interventions. Les textes sont là. Ils sont abondants. Les sources
sont présentes partout.
C'est à vous de vous en servir, et si vous voulez poursuivre des
intérêts politiques partisans, continuez comme vous êtes
partis actuellement. Cela va très bien.
En ce qui touche...
La Présidente (Mme Cuerrier): Est-ce que je pourrais vous
rappeler, M. le chef de l'Opposition, que nous sommes ici pour poser des
questions à Me Normand?
M. Ryan: Je crois que nous avons le droit d'émettre des
opinions sur ce qui a été fait par M. Normand aussi. Je ne pense
pas qu'on est ici seulement pour poser des questions, Mme la Présidente.
Je regrette infiniment. Il me semble qu'on a le droit d'émettre des
opinions.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle, je vous fais confiance. Je pense que vous allez tenir compte de mes
remarques.
M. Ryan: Très bien. Ce que je voudrais dire, c'est qu'avec
un dépliant comme celui-ci, nous entrons dans une ère qui n'est
pas radicalement nouvelle parce que le gouvernement actuel le fait de
façon répétée depuis deux ou trois ans. Nous sommes
entrés avec le gouvernement actuel dans une conception de l'information
gouvernementale que, personnellement, je réprouve profondément.
Je trouve que l'information gouvernementale doit rester au niveau de
l'information objective, de l'information de type éthique. Dans des cas
où la santé ou la sécurité publiques sont
impliquées, je comprends qu'elle puisse revêtir la forme de
l'exhortation, du conseil ou de l'avertissement, par exemple, mais dans des
questions aussi controversées que celle dont il est traité dans
ce dépliant, je pense que le gouvernement a franchi une frontière
extrêmement dangereuse, et je voudrais exprimer très fortement
l'avis que le gouvernement devrait revenir à des pratiques plus
objectives. Il y a moyen de procéder à l'information du public
sans entrer dans l'interprétation comme on le fait cette fois-ci et
comme on l'a fait en d'autres occasions. Je vous préviens, M. le
ministre en particulier, que c'est un genre de méthode que j'assimile
à de la propagande. Je regrette infiniment. Et la propagande, ceux qui
la font la font toujours pour une bonne cause. Ce n'est pas la noblesse de la
cause qui est en discussion. C'est le moyen qu'on prend pour la promouvoir. (13
heures)
Je vous dis que si vous vouliez faire une chose de ce type-ci, le moins
que vous pourriez faire, ce serait de vous entourer d'un comité
impartial de personnes qui représenteraient... Le sous-ministre faisait
allusion a la cohésion des opinions qu'il devait observer, par exemple.
Je pense que c'est lui qui a raison et non pas le ministre, dans cette affaire.
Je suis de votre opinion. Il y a beaucoup de convergence entre les opinions
fondamentales qui ont été exprimées sur cette
chose-ci.
Si on avait voulu s'assurer qu'un dépliant financé
à même les fonds publics, adressé à tous les foyers
serait marqué de la note d'objectivité et d'impartialité
la plus élevée, il aurait été bien facile d'avoir
un comité consultatif pour en surveiller le contenu et pour conseiller
les
auteurs. C'est un conseil que je donne au ministre et à ses
collaborateurs pour l'avenir. De grâce, évitez de vous enfoncer
plus avant dans cette direction. Vous êtes dans une mauvaise voie, une
voie extrêmement dangereuse pour la santé de la démocratie
libérale bien comprise.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales, et ensuite M. le député de Jean-Talon.
M. Morin (Louis-Hébert): Je voudrais dire quelques mots
là-dessus, parce qu'il y a des affirmations qui doivent être
corrigées. Je viens d'entendre dire: Vous auriez dû avoir un
comité impartial, etc. Je vous rappellerai - et c'est un fait historique
- deux choses: Premièrement, le gouvernement vous a demandé de
travailler avec nous à la rédaction de la résolution
à présenter à l'Assemblée nationale. Vous avez dit:
Prenez vos responsabilités, nous jugerons.
Deuxièmement, nous vous avons même offert, de toute
façon, à nous désigner quelqu'un à mettre dans le
groupe de juristes que vous nommeriez, dans le groupe de M. Pratte, ce que vous
n'avez pas fait. Comment voulez-vous, dans ces conditions, quand arrive le
moment d'informer la population, qu'on vous demande de nous aider à le
faire, alors que cela fait deux fois que dans des domaines de cette nature,
vous nous faites des difficultés? Nous prenons nos
responsabilités. Il y a un raisonnement très simple et
très cartésien que vous allez comprendre.
De deux choses l'une. Ou on est pour le projet fédéral, ou
on est contre le projet fédéral. Si on est pour le projet
fédéral, j'admets qu'on n'aime pas que de l'information vienne
à l'encontre de ce projet. Je ne dis pas que c'est ce que vous dites,
mais je crois comprendre que vous êtes contre. Quelquefois, je me pose
des questions.
Mais si on est contre le projet fédéral, en vertu de
quelle logique ne faudrait-il pas prendre les moyens de s'y opposer? Un des
moyens, c'est d'informer la population, parce que ce projet est très
complexe. Ce projet est difficile. Nous l'avons informée de la
façon la plus objective possible dans les circonstances. On aurait pu
aller beaucoup plus loin que cela si on avait voulu charrier, selon certains
exemples qui qui datent de six mois. On aurait pu parler des pensions de
vieillesse ou inventer des situations invraisemblables pour vraiment faire peur
au monde. Nous avons dit exactement ce qui en était, à la
façon dont nous le voyions. Nous avons pris nos
responsabilités.
Il ne s'agit pas de propagande, il s'agit d'information. Les conseils
moraux, après coup, alors que ça fait deux fois qu'on vous
demande de nous donner un coup de main, je pense qu'ils sont
déplacés. Je le dis, sans vouloir envenimer ce débat, mais
nous n'avons caché absolument rien de l'information que nous faisions et
nous avons donné les budgets. S'il y a une autre campagne d'information
qui commence, vous la verrez. On vous en parlera aussi, parce que je pense que
c'est important dans les circonstances actuelles, étant donné la
menace qui pèse sur le Québec, que nous intervenions avec le
poids du gouvernement du Québec et tout ce que nous avons
d'institutions. Nous serions jugés par l'histoire comme étant des
êtres ayant eu peur de prendre leurs responsabilités si, par
hasard, à partir de Dieu sait quelles considérations que ne
respecte pas le gouvernement qui est en face de nous - c'est-à-dire le
gouvernement fédéral - il avait falllu qu'on se prive de moyens
qui sont fort démocratiques, que vous pouvez critiquer, mais Dieu sait
qu'on a fait tout ce qu'on a pu pour cette opération, pour avoir votre
accord, votre collaboration et votre participation.
Je regrette que, face à l'histoire, vous nous ne l'ayez pas
donné à l'Assemblée nationale. C'est
l'événement des derniers mois que je trouve
considérablement important pour l'avenir. Cela aurait facilité
énormément, vous le savez très bien, la tâche du
Québec en Grande-Bretagne s'il y avait eu l'unanimité de
l'Assemblée nationale.
La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Ryan: II y a bien des choses auxquelles je dois
répondre et je vais commencer par la toute dernière. Le ministre
affirme solennellement que cela aurait facilité les choses en
Grande-Bretagne. Avec les indications que nous avons reçues
jusqu'à maintenant de la part du sous-ministre et de ceux qui nous ont
parlé du "select committee" en Grande-Bretagne, le mieux qu'on puisse
dire, c'est qu'on ne sait pas grand-chose et qu'on ne peut tirer aucune
conclusion de cette nature. Il n'y a rien qui garantisse que les Britanniques
vont prendre leurs responsabilités là-dedans. Il est
arrivé des cas dans l'histoire où ils ne les ont pas prises. Il
est arrivé d'autres cas où ils les ont prises. Dans ce cas-ci, on
ne le sait pas du tout et de vouloir faire peser tout cela sur la faute de
l'Opposition officielle, sur la foi d'une interprétation d'un vote qui
est complètement tendencieuse et fausse, c'est absolument farfelu.
Le ministre a fait allusion à deux occasions où le
gouvernement a fait des avances à l'Opposition officielle. C'est vrai,
mais on va les replacer dans leur contexte exact. Le premier ministre nous a
demandé si nous voudrions participer à la rédaction d'une
motion condamnant ou dénonçant le projet fédéral de
résolution. Nous avons dit au premier ministre: Nous allons y penser.
Nous allons consulter nos collaborateurs et deux jours après, comme je
le lui avais promis, je l'ai appelé pour lui dire: Notre conclusion est
la suivante: Prenez vos responsabilités, nous prendrons les
nôtres. C'est clair. Le premier ministre m'a dit: C'est la réponse
à laquelle je m'attendais, d'ailleurs. C'est un premier point.
À la même rencontre, le premier ministre nous avait dit: Si
vous vouliez suggérer un juriste qui se pourrait joindre l'équipe
de M. Pratte, ce serait peut-être bon. Nous avons conclu que nous
n'avions pas besoin de faire une suggestion comme celle-là, que le
gouvernement devait, encore une fois, prendre ses responsabilités
normales et que nous jugerions l'arbre à ses fruits. M. Pratte est venu
hier et on ne lui a pas fait de difficultés. On ne s'est pas plaint de
ne pas avoir été dans l'équipe; ce n'était pas
notre responsabilité d'être dans cette équipe. Les
suggestions que vous avez faites, je comprends que cela servait vos
intérêts, à vous autres, d'essayer de créer une
unanimité artificielle, mais c'était contraire à l'esprit
de tout notre régime parlementaire, M. le ministre. Nous avons
fonctionné en fonction de l'esprit de ce régime. Ce n'est
pas compliqué.
Maintenant, un troisième point. Je trouve qu'il faut absolument
que le gouvernement arrive à distinguer entre ses oeuvres objectives
qu'il a le droit de faire connaître à la population dans leurs
effets et dans leurs modalités et ses opinions politiques qu'il doit
faire connaître à la population aussi, mais pas en se servant des
fonds publics, pas en se servant des voies de la propagande et de la
publicité commerciale, mais en se servant des canaux très
nombreux d'accès au public par les voies de l'information
régulière qui lui sont proposées. Le premier ministre
autant que le chef de l'Opposition, beaucoup plus, d'ailleurs, s'il veut faire
connaître son opinion, tient une conférence de presse. Je le lui
ai dit souvent et je n'ai pas été capable de m'entendre avec lui
là-dessus. Qu'il fasse connaître ses opinions politiques et les
opinions politiques de son gouvernement par les voies de l'information
régulière et qu'il ne se serve pas de la publicité
commerciale à cette fin. C'est là que commence le glissement, la
déviation ce qui devient éventuellement très dangereux. Je
n'irai pas employer le futur partout; je vais utiliser le conditionnel pour
rester au même diapason que le ministre, mais c'est cela l'avertissement
que je voulais vous servir ce matin et j'espère que vous allez y penser.
Cela fait au moins dix fois que je le fais depuis un an.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle, je me dois de faire observer le règlement et, comme nous en
sommes au moment de la suspension, j'ai encore trois personnes qui m'ont
demandé la parole, soit M. le député de Jean-Talon, M. le
chef de l'Union Nationale et M. le député de Verchères. Il
a été porté à l'attention de la commission que Me
Normand doit quitter très bientôt. Je n'ai pas de proposition.
Alors, je me devrai...
M. Rivest: Une petite question, s'il vous plaît. Juste pour
terminer, quant à nous, je pense qu'on pourra disposer du sous-ministre
dans quelques minutes.
La Présidente (Mme Cuerrier): Alors, je voudrais formuler,
de votre part, une demande pour que la commission puisse continuer à
siéger.
M. Rivest: J'ai une question de fait à poser.
La Présidente (Mme Cuerrier): Consentement?
M. Morin (Louis-Hébert): Si c'est une question de fait,
moi, je n'ai pas d'objection.
M. Rivest: Mme la Présidente, le sous-ministre a
indiqué hier que son budget pour l'ensemble de l'opération, selon
ce qu'on lui avait dit, était de $1,000,000. Ma question est double et
peut-être que j'ai trouvé la réponse ce matin dans le
budget supplémentaire. D'une part, est-ce que les crédits ne sont
dépensés qu'au niveau du ministère des Affaires
intergouvernementales? Est-ce qu'ils sont puisés à même les
crédits ordinaires des Affaires intergouvernementales ou bien si cela
fait partie des crédits additionnels que le ministre des Finances a
demandés ce matin à l'Assemblée nationale?
M. Normand: Mme la Présidente, cela fait partie des
crédits additionnels qui sont demandés par le ministre des
Finances et qui proviennent de deux sources. Premièrement, il y avait
déjà un montant de $500,000 ou $600,000 qui était
disponible au ministère des Communications, qui a été
stérilisé, je crois, au ministère des Communications et
qui est accordé au ministère des Affaires intergouvernementales
par voie de budget supplémentaire, je pense. Il y a également une
somme d'argent neuf qui est prévue dans le budget supplémentaire.
Je pense que le total dans le budget supplémentaire - je n'ai pas vu le
document ce matin - doit être d'environ $1,400,000, $1,500,000 à
cette fin.
Je vous ai indiqué hier que je disposais d'un budget qui m'avait
été accordé d'environ $1,000,000, une réserve a
été faite également, je pense, par le budget
supplémentaire pour dépenses additionnelles qui pourraient
être encourues et également pour une prolongation de la campagne
suivant diverses modalités, s'il était estimé
approprié de le faire.
M. Rivest: Est-ce que, sur le plan administratif, les budgets
dont vous disposez vous paraissent comparables avec ce que, par exemple en
Alberta, on vous avait indiqué, à savoir que l'effort de
sensibilisation de la population était aussi grand? Est-ce que cela vous
paraît du même ordre?
M. Normand: Je ne connais pas, Mme la Présidente, les
budgets qui sont mis à la disposition des gouvernements de l'Alberta et
de Terre-Neuve, là où la campagne a peut-être
été la plus forte. Je ne connais pas les montants qui sont
disponibles dans ces provinces. Tout au plus, puis-je vous
référer au budget qui aurait été octroyé au
gouvernement fédéral par le Parlement fédéral
à des fins de campagne d'information. Les journaux en ont fait
état et je n'ai pas d'autres sources que ce que nous avons tous lu
ensemble à cet égard.
M. Rivest: Dernière question. Sur la constitution de
l'équipe d'information, à toutes fins pratiques, l'équipe
était prête à travailler et travaillait sans doute sur des
textes à la fin d'octobre, à la mi-novembre.
M. Normand: Le mandat m'a été donné à
la toute fin du mois d'octobre, avec demande de commencer la campagne pour le
10 novembre, ce qui laissait des délais ultra-courts pour une
opération de cette nature. Nous étions relativement prêts
le 10 novembre et il a alors été décidé de
commencer la campagne uniquement au terme des discussions sur la
résolution qui était entre les mains de l'Assemblée
nationale.
M. Rivest: Répétez donc le nom des personnes qui
travaillent avec M. Cyr... M. Carpentier, vous dites?
M. Normand: Non. Je vais tenter de répéter ce que
j'ai indiqué hier. Il y a un comité ministériel qui est
responsable de l'opération.
M. Rivest: Au niveau de la publicité,
j'entends.
M. Normand: Je suis le coordonnateur; pour m'aider, il y a M. Cyr
en ce qui concerne l'information et la publicité, plus
particulièrement. Il a obtenu les services d'un certain nombre de
collaborateurs également pour l'assister. Pour d'autres aspects de la
campagne d'information, j'ai pu recourir dans le temps également,
à divers degrés, aux services de M. L'Allier, de M. Carpentier et
de M. Jean Foumier.
M. Rivest: Est-ce que c'est M. Carpentier qui est au bureau du
premier ministre?
M. Normand: C'est exact! II s'est joint au groupe, a
assisté à quelques-unes des réunions et ensuite il n'est
plus venu à ces réunions.
M. Rivest: Est-ce que cela vous paraît souhaitable, compte
tenu de la nature des informations en rapport surtout avec - sans vous demander
d'aller dans le dossier - les principes qui ont été émis
par le chef de l'Opposition, que les gens qui sont de la filière
politique par rapport à la filière administrative puissent
être impliqués d'une façon aussi formelle dans une campagne
d'information du gouvernement du Québec?
M. Normand: Je peux vous dire que, en ce qui concerne la
filière politique, je ne m'en suis occupé en aucune façon.
C'était la responsabilité du personnel politique dont il
s'agissait. Il assistait à nos réunions surtout pour
déterminer dans quel sens nous oeuvrions de façon que son action
pour ces fins puisse être complémentaire selon qu'il l'estimait
approprié. Je peux vous assurer qu'à cet égard je
n'exerçais aucune directive.
La Présidente (Mme Cuerrier): Aurais-je le consentement de
la commission pour la dernière question, celle du député
de Verchères?
Consentement.
M. Charbonneau: Mme la Présidente, la question que je veux
poser fait suite à celle qui a été posée par le
député de Rosemont. Si j'ai bien compris, un parti politique qui
voudrait, par exemple, produire lui-même de la documentation, engager
lui-même sa propre campagne d'action et de lutte pourrait avoir recours
à la documentation que vous avez, aux avis que vous avez et finalement
aux éléments qui lui permettraient de constituer un dossier
à présenter et à diffuser à la population.
J'ai bien compris? (13 h 15)
M. Normand: C'est exact, Mme la Présidente. Le plus bel
exemple, c'est le dossier hebdomadaire ou que nous publions quelquefois deux
fois par semaine, qui émane du ministère des Affaires
intergouvernementales et qui s'appelle Constitution Express. Ce dossier vise
à essayer de ramasser en quelques pages l'actualité ou
l'évolution de l'actualité à divers égards au cours
de la semaine qui précède, de façon à fournir aux
membres de l'Assemblée nationale une documentation qui leur permette
d'intervenir selon que bon leur semble.
M. Charbonneau: Juste un commentaire, Mme la Présidente,
en terminant; je ne pense pas avoir abusé. Après avoir entendu le
chef de l'Opposition officielle, je peux vous dire que, de ce c6té-ci de
la table, depuis un certain nombre de semaines que le débat est
commencé, on met au défi le Parti libéral d'engager sa
propre action contre le coup de force. Si ce gens ne sont pas d'accord avec la
pétition de Solidarité-Québec, qu'ils en fassent une.
S'ils ne sont pas d'accord avec les dépliants du gouvernement, qu'ils en
fassent un. Ils ont tous les moyens pour faire une campagne d'information ou
d'action politique selon la documentation qui pourrait leur être fournie.
Faites votre action. Arrêtez de parler, qu'on vous voie dans le
décor sur le terrain. Vous affectionnez le terrain? On ne vous a pas vus
sur le terrain depuis un mois.
M. Ryan: On l'a fait sur le terrain. Dans les quatre
comtés, on l'a fait, on a parlé de cela et on a gagné.
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît!
M. Ryan: Notre motion était devant la Chambre...
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre!
M. Ryan: ... quand les élections ont eu lieu.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît! J'ai eu des consentements pour des questions. C'est maintenant le
moment de la suspension des travaux. Je ne le ferai pas avant... Il m'est
agréable, à ce moment-ci, de remercier Me Normand et ses
collaborateurs pour avoir bien voulu se présenter à la commission
parlementaire de la présidence du conseil et de la constitution. Je
pense me faire le porte-parole des membres pour vous dire que nous avons
apprécié votre bonne collaboration. Merci, Me Normand. Sur ce, je
vous rappelle que nous entendrons le mémoire du Conseil du statut de la
femme dès la reprise des travaux à 15 heures.
Suspension des travaux de la commission de la présidence du
conseil et de la constitution.
(Suspension de la séance à 13 h 17)
(Reprise de la séance à 15 h 18)
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de la présidence du conseil et de la constitution
reprend ses travaux. À ce moment-ci, je demanderai à la
porte-parole du Conseil du statut de la femme de vouloir bien se
présenter devant la commission, Mme Claire Bonenfant est la
présidente du Conseil du statut de la femme. Nous vous souhaitons la
bienvenue, madame.
Mme Bonenfant: Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous vous demanderons au
départ, si vous me le permettez, d'identifier votre collègue et,
ensuite, de nous
présenter le rapport.
Auparavant, j'aimerais rappeler aux membres de la commission que nous
commençons maintenant l'étude des rapports. La commission avait
convoqué des experts. Maintenant, les groupes, organismes ou individus
se présenteront spontanément; ce seront eux qui auront
décidé de se présenter. Je pense qu'il y aurait lieu,
à moins que les membres de la commission désirent intervenir
là-dessus, que nous nous conformions à ce genre de tradition que
nous avons établie quant à la procédure pour l'audition de
mémoires, c'est-à-dire qu'habituellement nous consacrons une
heure en entier à la présentation des mémoires, y compris
les questions qui pourraient être posées aux porte-parole des
organismes qui se présentent à cette table. Habituellement, le
temps est départagé ainsi: 20 minutes pour la présentation
du mémoire et 40 minutes pour la période des questions qui se
divisent habituellement en parts égales entre les représentants
du parti ministériel et ceux des partis de l'Opposition.
Mme la présidente du Conseil du statut de la femme, nous vous
écoutons.
Présentation de mémoires Conseil du
statut de la femme
Mme Bonenfant (Claire): Mesdames, messieurs les membres de la
commission, je voudrais vous présenter Mme Louise Gingras qui
m'accompagne. Mme Louise Gingras est la directrice du service de l'information
au Conseil du statut de la femme.
Mme la Présidente, mesdames et messieurs les membres de la
commission, je voudrais d'abord essayer de situer notre mémoire. Je veux
d'abord vous dire que ce mémoire n'a pas été
spécialement préparé pour cette commission. Ce
mémoire a été préparé, à l'origine,
dans le but de participer à une conférence
fédérale-provinciale qui avait été convoquée
par le Conseil consultatif de la situation de la femme au Canada et comme vous
le savez, si vous vous en souvenez, cette réunion qui avait
été convoquée d'une façon préliminaire
à la conférence de septembre, n'a pas eu lieu à cause de
la grève des traducteurs et traductrices du gouvernement
fédéral. Notre mémoire étant prêt et devant
l'importance que nous avions donnée à ces travaux, nous avons cru
bon de nous servir de ce mémoire pour en faire un avis au premier
ministre du Québec qui devait participer à la ronde de
négociations, c'est-à-dire à la réunion de
septembre à Ottawa.
Fondamentalement, ce mémoire est basé sur cet avis que
nous avons légèrement modifié à cause des
circonstances. Étant donné les remaniements importants qui
pourraient découler de ces négociations, remaniements qui sont
susceptibles d'avoir un impact sur la vie des Québécoises, le
Conseil du statut de la femme, conformément à son mandat, croyait
de son devoir de transmettre au gouvernement du Québec un avis
concernant certains points faisant l'objet de négociations.
J'en profite pour dire combien nous avons apprécié
l'utilisation que le premier ministre du Québec a faite de ce
mémoire lors de cette conférence
fédérale-provinciale et le remercier aussi des bons mots qu'il a
eus à l'adresse de la qualité des travaux du Conseil du statut de
la femme.
Depuis lors, les règles du jeu constitutionnel ont
été largement modifiées, puisqu'en réponse au
désaccord des provinces, le gouvernement du Canada propose un
rapatriement unilatéral. Aussi, devant l'importance de
l'événement et de ses conséquences, devant l'urgence
d'intervenir avant que l'irrémédiable ne soit accompli, le
Conseil du statut de la femme a sollicité d'être entendu pour
reprendre, en substance, la prise de position qu'il avait déjà
élaborée en septembre.
Ce mémoire est le fruit de la réflexion du conseil qui
s'est inspiré des recommandations de la politique d'ensemble
rédigée en 1978. À cette époque, le conseil, comme
vous vous le rappelez, s'est penché sur tous les aspects de la condition
féminine et c'est à partir d'une approche globale de la situation
de la femme qu'il a cherché à envisager des solutions globales
à tous leurs problèmes. Cette approche globale nous avait permis
d'identifier certains changements nécessaires, tant au niveau provincial
qu'au niveau fédéral.
En outre, cette approche globale nous avait permis de cerner les
concertations nécessaires à différents niveaux du
gouvernement, afin que les citoyennes du Québec vivent dans un
environnement juridique et social cohérent et respectueux à un
même degré, autant de leurs besoins que de leur autonomie. Le
débat constitutionnel se situant au coeur des mécanismes de
concertation entre le fédéral et les provinces, il est important
que nous précisions, à ce moment-ci de la vie politique du
Québec, nos positions.
Il est évident que l'ensemble des sujets du débat
constitutionnel intéresse les femmes. Nous sommes impliquées dans
tout ce qui a trait au débat constitutionnel, qu'il s'agisse de la
voirie, de la défense ou de tout autre sujet, mais le mandat du conseil
nous force, évidemment, à nous' limiter aux sujets qui ont des
incidences sur la vie des femmes.
Ce qui nous avait frappé dans nos travaux, à
l'époque de la politique d'ensemble, c'était
l'enchevêtrement des juridictions qui rendait la réalisation de
nos revendications sinon impossible, tout au moins très difficile.
À ce chapitre, je voudrais seulement donner quelques exemples qui ne
sont pas intégrés formellement dans le mémoire pour vous
faire réfléchir sur cet enchevêtrement qui est un obstacle
à la réalisation du bien-être dé la condition
féminine.
Si nous regardons le travail, par exemple, nous voyons au niveau des
congés de maternité un enchevêtrement total,
c'est-à-dire que ce congé de maternité est basé sur
l'assurance-chômage. Le gouvernement du Québec a bien fait un
effort pour nous accorder $240 pour les semaines de carence, mais il reste que
si l'assurance-chômage était réduite d'un jour à
l'autre à 50% ou à 40%, notre congé de maternité
s'en trouverait affecté d'autant. Voilà un exemple.
Du côté de la fiscalité, un dossier qui nous tient
particulièrement à coeur, c'est le fameux dossier des allocations
de disponibilité. Je vous dis en passant que je viens d'être
obligée de rompre un rendez-vous que j'avais avec le sous-ministre des
Finances qui devait rencontrer le conseil, parce que nous avons de nouveau des
propositions à lui faire au sujet de la fiscalité.
C'est pour nous un dossier fondamental puisqu'il touche à la
fameuse condition des femmes au foyer. Nous avons constaté que dans ce
dossier, évidemment, le conseil était complètement
bloqué puisque, quand on touche à la fiscalité, on touche
aux allocations familiales fédérales, à l'allocation
familiale provinciale, au crédit d'impôt fédéral,
à l'exemption pour enfants à charge au fédéral et
au provincial, à l'exemption pour personnes mariées au
fédéral et au provincial, à l'exemption pour frais de
garde d'enfant au fédéral et au provincial, au programme de
garderies à frais partagés. Comment, devant un tel fouillis, les
Québécoises peuvent-elles espérer qu'une politique
cohérente, reconnaissant le caractère collectif de certaines
activités exercées au sein de la famille, puisse enfin voir le
jour? Voilà pour la fiscalité.
En éducation, on a beaucoup axé notre action sur
l'élimination du sexisme. Les media écrits, tout va bien. Puisque
le ministère des Communications a une juridiction sur les media
écrits, on peut toujours porter des plaintes, on peut toujours obtenir
justice dans certains cas. Quand il s'agit des media électroniques, tout
de suite on n'a plus d'impact, puisque, à ce moment-là, c'est le
gouvernement fédéral qui entre en jeu. Nous avons fait beaucoup
d'efforts pour "désexiser" les manuels scolaires. Le gouvernement a
répondu à nos attentes, mais quelle prise avons-nous, par
exemple, sur tout le domaine de l'éducation investi par le gouvernement
fédéral?
Au niveau de la formation professionnelle, encore les mêmes
distorsions; les fonds sont distribués par le fédéral en
fonction de l'emploi disponible alors qu'au Québec, en particulier chez
les femmes, on a identifié d'autres secteurs.
On peut aussi arriver au fameux dossier qui nous préoccupe
présentement, la réforme du droit de la famille. Je pense que les
partis d'Opposition, cette semaine, se sont, à bon droit,demandés
à savoir si on a le droit de légiférer dans ce
domaine-là, parce qu'on sait bien que le divorce, c'est
fédéral. On arrive toujours aux mêmes complications, aux
mêmes paliers de législation de sorte que, dans certains domaines,
le conseil en est venu à se dire que les provinces devraient avoir une
plénitude de juridiction dans les domaines comme l'éducation, le
travail, les affaires culturelles, les politiques sociales. Voilà pour
l'enchevêtrement.
Il y a dans la proposition de rapatriement de la constitution toute la
question de la garantie constitutionnelle des droits des femmes. Le projet de
charte canadienne des droits et des libertés déposé par le
gouvernement fédéral en juillet dernier contient un article se
référant à l'absence de discrimination. Le CSF ne peut que
manifester son accord avec une telle reconnaissance de l'égalité
de tous devant la loi. Je pense qu'on ne peut pas être contre la vertu et
surtout nous, les femmes, qui sommes traditionnellement là pour
défendre la vertu. Mais nous croyons, cependant, qu'un tel projet doit
être analysé essentiellement en fonction de ses
possibilités de garantir efficacement l'égalité entre les
hommes et les femmes au Canada, ainsi que les droits découlant de la
spécificité de la condition des femmes. Quelques
considérations s'imposent donc. (15 h 30)
Première considération, nous sommes un peu
inquiètes - inquiètes, ce n'est pas un mot suffisant - je pense
que nous sommes anxieuses dans le véritable sens du mot, à savoir
si les droits des femmes peuvent se résumer à l'article 7 qui se
lit comme suit: "Tous sont égaux devant la loi et ont droit à la
même protection devant la loi sans distinction ou limitation à
l'exception de celles qui sont prévues par la loi, si elles sont justes
et équitables, compte tenu de son objet." À notre avis, les
droits des femmes sont déjà plus que cela. Je pense, par exemple,
aux droits que nous avons acquis dans le domaine du travail. L'ordonnance 17 de
la Loi des normes du travail et la Loi sur la santé et la
sécurité du travail reconnaissent aux travailleuses le droit
à un congé de maternité et le droit à la protection
de la santé de la travailleuse enceinte. Nous pourrions même dire
que l'instauration des cliniques Lazure est une reconnaissance implicite du
droit des femmes à contrôler leur fécondité.
Ces quelques exemples illustrent que les principes actuels du droit
québécois à l'égard des femmes constituent
déjà un ensemble de normes qu'il faudrait faire accepter à
l'ensemble du Canada et inscrire dans la constitution si on souhaite que la
charte canadienne des droits et des libertés ne constitue pas un recul
pour les Québécoises. Le caractère global d'une
constitution peut-il s'accorder d'une telle gamme de droits pourtant
fondamentaux pour les femmes?
Il y a aussi la question de l'interprétation. Si on laisse les
droits des femmes enchâssés dans la constitution, à ce
moment-là, ce sera la Cour suprême qui devra interpréter
nos droits et, jusqu'ici, la Cour suprême n'a pas toujours
été favorable aux femmes. Par exemple, les programmes d'action
positive pourront-ils être considérés comme l'aide aux
défavorisés ou seront-ils jugés discriminatoires à
l'égard des hommes? Une telle interrogation suggère que le sens
et la portée des droits inscrits devraient donc être connus et
avoir déjà été éprouvés devant les
tribunaux, mais, comme je viens de le dire, qui donc interprétera les
droits de cette charte? Pour nous, un problème de plus se pose. Notre
Charte des droits et libertés de la personne au Québec est encore
très jeune. Il n'y a pas beaucoup de jurisprudence qui puisse nous
assurer que cette charte aura priorité sur une charte incluse dans la
constitution.
L'ensemble de ces considérations nous porte à croire que
l'enchâssement des droits dans la constitution n'est peut-être pas
le moyen le plus efficace de garantir des droits aux femmes. Toutefois, si
l'ensemble des provinces se ralliaient à ce projet de Charte canadienne
des droits et libertés, nous croyons d'abord que les droits des femmes
devraient être davantage développés de façon
à tenir compte du droit des femmes au travail, à la
reconnaissance de l'équivalence des traitements, du droit à la
santé et au contrôle de leur corps.
En terminant, je voudrais insister sur des mécanismes qui, il me
semble, à l'occasion de notre conférence de presse, lorsque nous
avons remis cet avis au premier ministre, n'ont pas été
très bien retenus.
Nous pensons que l'interprétation de ces droits pourrait
être confiée à un tribunal constitutionnel qui serait
composé de représentants de chaque région du Canada, de
façon à permettre une évolution respectueuse des
spécificités régionales. Ce tribunal devrait aussi
être composé d'un certain nombre de femmes afin d'assurer une
meilleure garantie constitutionnelle des droits de la moitié de la
population canadienne.
C'est, en substance, ce que je voulais dire. Mais je voudrais ajouter
aussi que la nécessité d'une politique globale de la condition
féminine ne fait plus de doute et l'État québécois
doit se doter des instruments nécessaires à la réalisation
d'objectifs d'égalité et d'autonomie de tous ses citoyens.
En regard des questions que nous venons d'examiner, il appert que les
revendications actuelles des femmes portent beaucoup moins sur les grands
principes juridiques que sur les mesures concrètes et précises
susceptibles de redresser des situations bien identifiées.
La condition féminine est en pleine mutation. Je ne pense pas
vous apprendre que bien des choses ont changé depuis quelques
années. En 1929, par exemple, on ne pensait pas nécessaire que
les femmes votent. Je pense que toute la problématique est
changée.
En plus de cela, je voudrais signaler, encore une fois, que les grands
absents du débat constitutionnel actuel sont les femmes. Elles sont
absentes de tous les paliers de négociation et les parties n'ont pas non
plus institué de mécanismes de consultation de la moitié
de la population canadienne. Pour que cette nouvelle constitution ne soit une
deuxième fois le reflet d'un consensus des nouveaux Pères de la
Confédération ou d'un consensus d'hommes, nous croyons qu'il
serait essentiel qu'on associe le plus rapidement possible des femmes à
tout le processus de négociation constitutionnelle.
Enfin, nous tenons à affirmer, puisque c'est là le but
premier de notre intervention d'aujourd'hui, notre plus entier désaccord
au dessein du gouvernement fédéral visant le rapatriement
unilatéral de la constitution. Un tel geste ne peut, à notre
avis, que retarder davantage la réalisation des objectifs
mentionnés plus haut, c'est-à-dire l'adoption de lois et mesures
cohérentes pour les femmes et les enfants.
Dans cette position, nous nous retrouvons en consensus avec les partis
politiques tant du gouvernement que de l'Opposition, de même qu'avec les
revendications de centaines de groupes de femmes au Québec. Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous remarquons, Mme la
présidente du Conseil du statut de la femme, que vous avez
résumé votre mémoire. Je tiens à vous assurer que
le texte intégral sera toujours disponible aux archives de
l'Assemblée nationale. Sur ce, j'accorderai la première question
à Mme la députée...
Mme LeBIanc-Bantey: Non, c'est au ministre.
La Présidente (Mme Cuerrier); M. le ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente.
Pour lancer le débat, je voudrais dire d'abord que je suis parfaitement
d'accord avec vous, Mme la présidente, quand vous dites que, dans le
domaine des relations fédérales- provinciales et des
négociations, les femmes ne sont pas suffisamment
représentées. Je sais que ce n'est même pas une
consolation, mais je peux vous dire qu'au cours des années, la situation
s'est améliorée; mais je le dis tout de suite, d'une façon
totalement insuffisante. Mais ce n'est pas là le but de mon
intervention.
Dans le projet fédéral qui est soumis, dans le coup de
force fédéral, il y a trois éléments. D'une part,
il y a l'élément rapatriement; d'autre part,
l'élément formule d'amendement et, troisièmement,
l'élément charte des droits. Je demanderais aux
députés de l'Opposition de ne pas me distraire quand je pose les
questions.
Mme LeBIanc-Bantey: Chaque fois qu'on a un groupe de femmes,
c'est la même chose.
M. Morin (Louis-Hébert): Bon, voilà.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): Je ne parlerai pas du premier ni
du deuxième point pour le moment. Je vais vous parler du
troisième, celui qui concerne la charte des droits. Vous avez dit, tout
à l'heure ou j'ai lu dans le document tout à l'heure une remarque
que j'ai cru comprendre comme signifiant à peu près ceci: la
Charte des droits et libertés de la personne du Québec et les
lois québécoises vont plus loin dans la protection des droits des
femmes que la charte fédérale proposée. Ma première
question: Est-ce que je vous ai bien compris? Ma deuxième question,
c'est que j'aimerais, si possible, que vous précisiez davantage ce que
vous avez voulu dire par cela, si c'est cela, effectivement, que vous avez
dit.
Mme Bonenfant: Oui, c'est cela que j'ai voulu dire. Je veux vous
faire remarquer que je ne suis pas juriste, mais cela nous...
M. Morin (Louis-Hébert): On en a un ici et vous allez
voir.
Mme Bonenfant: Ce qui m'est apparu, c'est que, par exemple,
concernant toute la protection qu'on a eue par la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, au niveau de la grossesse, on peut se
demander si l'article 7 comprend aussi cela. C'est là qu'on
s'inquiète devant les interprétations qu'on pourra donner
à la charte des droits. Au Québec, les entreprises qui sont
assujetties aux lois du Québec sont maintenant obligées de se
soumettre à ces règlements de la santé et de la
sécurité au travail. Mais qu'arrive-t-il des entreprises qui
dépendent des lois du fédéral comme la fonction publique
fédérale ou d'autres entreprises qui ont des chartes
fédérales? Est-ce que la charte des droits, qui demeure
très vague, les protégera autant que nos lois qui sont
spécifiques? C'est ce que j'ai voulu dire. À mon avis, on est
rendu beaucoup plus loin dans la protection de la santé des femmes au
travail, par exemple, au niveau de la maternité.
M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce que je peux me permettre
de continuer? Est-ce que, cela voudrait dire que dans votre esprit, il y aurait
le danger que la charte des droits, en supposant
qu'elle existe, étant présente, dorénavant la
mesure maximale des droits reconnus aux femmes devienne cette charte et non pas
les lois...
Mme Bonenfant: Exactement, c'est ce qui nous fait peur. C'est
là qu'on se pose des interroqations parce qu'il n'y a rien de
spécifique aux femmes, dans cette charte des droits. Il y a seulement
l'article 7 qui, en principe, doit nous protéger, mais il n'y a rien de
spécifié, alors que chez nous, on a déjà des lois
spécifiques qui protègent les femmes, dans certains cas
particuliers. C'est la question juridique qu'on s'est posée. Comme la
charte des droits n'a pas encore été utilisée
là-dessus, cela nous inquiète.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
des Îles-de-la-Madeleine m'a informée -je pense qu'elle l'a dit
à la commission ce matin - qu'elle doit siéger à la
commission du droit de la famille. Je lui accorderai la parole maintenant. Mme
la députée des Iles-de-la-Madeleine, il y a consentement.
Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente. Vous avez
laissé entendre que votre position dans le débat actuel
découle des principes qui étaient constitués dans votre
politique d'ensemble; vous avez même dit qu'elle était aussi le
résultat de consultation de centaines de groupes de pression de femmes
au Québec. Donc, vous entendez par là qu'effectivement les
groupes de pression des femmes du Québec sont solidaires de la position
que vous défendez maintenant, dans la mesure où vous dites aussi
qu'au Québec nous avons commencé à établir depuis
quelques années, même si tout n'est pas parfait dans le meilleur
des mondes, certains principes, certaines normes quant à la
défense de l'égalité des femmes qui sont un peu à
l'avant-garde par rapport à d'autres provinces du Canada.
Si on admet qu'il y a une solidarité des femmes au Québec,
je crois que vous avez parfaitement raison là-dessus. Mais est-ce qu'on
peut dire qu'il y a aussi une solidarité des femmes canadiennes quant au
refus ou, en tout cas, quant à la discussion de l'enchâssement des
droits de la personne dans la constitution?
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme
Bonenfant.
Mme Bonenfant: Vous savez, il ne faut jamais confondre la
solidarité avec l'uniformité, le nivellement et la
négation des spécificités. Il est vrai que certains
groupes de femmes au Canada ont avancé des positions contraires aux
nôtres. Nous leur avons fait savoir que pour ce qui est de leurs
problèmes particuliers, de leurs problèmes provinciaux, nous
étions solidaires d'elles, ce qui ne veut pas dire que nous pensons que
nous devons accepter pour nous, au Québec, des nivellements qui ne
seraient pas favorables aux femmes du Québec.
Maintenant, au niveau des femmes du Québec, je ne veux pas non
plus dire, par exemple, que je représente ici toutes les femmes du
Québec. Il y a, au Québec, 400 ou 450 groupes de femmes; il y en
a quelques-uns qui ne partagent pas l'opinion du conseil, mais je voudrais
demander si on demande aux hommes d'être toujours d'accord à 100%.
Je pense que nous aussi, les femmes, nous avons droit à quelques
dissidences. Le conseil s'est appuyé sur une consultation. Pour la
politique d'ensemble, premièrement, il a fait le tour du Québec,
il a consulté les groupes de femmes et essayé d'exprimer un
consensus. Il a aussi fait une autre tournée du Québec sur le
mémoire de l'Office de révision du Code civil.
Nous sommes évidemment prioritairement au service des femmes. Au
niveau de la charte, par exemple, nous avons vraiment essayé, avec les
moyens dont nous disposions - parce qu'il fallait agir rapidement - d'avoir des
consensus et là, je pense que nous les avons à peu près
à 98%, si vous voulez. Mais je ne pense pas qu'on puisse exiger des
consensus à 100%, pas plus des femmes que des hommes à travers le
Québec.
Pour ce qui est de la solidarité avec les femmes des autres
provinces, je peux vous dire qu'il est arrivé qu'on a appuyé les
positions des femmes, des épouses de pêcheurs à
Terre-Neuve, au niveau de l'assurance-chômage. Ce sont des cas qui nous
arrivent presque tous les mois, qu'on ait à soutenir des positions
à travers le Canada. Mais quand elles sont légitimes, nous les
soutenons, même si c'est pour les femmes des autres provinces. Quand il
s'agit d'embarquer les femmes du Québec dans des positions collectives
pour tout le Canada et que pour nous ça ne représente pas notre
avantage et nos droits, je pense qu'on ne peut pas nous demander ça.
Je demande aussi aux gens de ne pas jouer cette carte de la
solidarité des femmes à ce moment-ci. Pas plus que pour les
hommes, on ne doit jouer cette carte de la solidarité. C'est
extrêmement facile de jouer cette carte. (15 h 45)
Mme LeBlanc-Bantey: Je suis parfaitement d'accord avec ce que
vous dites, mais en fait, pour résumer un peu la question que j'avais
à l'esprit, est-ce qu'en général, les femmes canadiennes
admettent d'autres groupes de pression de femmes canadiennes, que la charte des
droits telle que conçue actuellement par le projet Trudeau ne
défend pas suffisamment les droits des femmes? C'est évident
qu'on n'arrivera jamais à un consensus sur tous les problèmes qui
peuvent concerner la question des femmes au Québec et ailleurs. Je sais
bien que c'est souvent le prétexte que nous ont servi les hommes pour
nous refuser des choses, en nous disant: Vous n'êtes même pas
d'accord entre vous, vous voyez bien que tant que vous ne pourrez pas vous
entendre, on ne peut pas vous donner ce que vous demandez, parce que, en
réalité, on ne sait pas ce que vous voulez. C'est un
prétexte facile, ce n'est vraiment pas dans ce sens que je posais la
question. Je suis très heureuse que vous ayez fait le point.
Est-ce que, au moins, il y a un consensus à l'idée que la
charte des droits telle que prévue est dangereuse parce qu'elle ne
protège pas suffisamment l'égalité des femmes et qu'elle
ne correspond même pas à la réalité de ce qui se
passe dans différentes provinces, dont le Québec, par
exemple?
Mme Bonenfant: Le Conseil consultatif canadien du statut de la
femme a comparu devant le comité mixte du Sénat et il a
exprimé, à peu de chose près ce que je viens
d'exprimer,
les inquiétudes devant la charte des droits, l'exclusion des
droits spécifiques des femmes de la charte des droits.
Mme LeBlanc-Bantey: Je vous remercie. Ma deuxième question
est d'un autre ordre. Je pense que depuis sa création, autant sous le
gouvernement qui nous a précédés que sous le gouvernement
actuel, le Conseil du statut de la femme a toujours cherché, à
mon avis en tout cas, à défendre une attitude assez distante
justement à l'égard du gouvernement pour pouvoir conserver un
regard critique par rapport aux différents dossiers qu'on
présentait pour la défense des femmes dans différents
secteurs.
Je n'ai pas la déclaration devant moi, mais si ma mémoire
est bonne le Conseil du statut de la femme a été accusé
dernièrement d'être un peu comploteur avec le gouvernement du
Québec dans votre position à l'égard du gouvernement du
Canada. On a même laissé entendre - je pense que c'est le chef du
Parti libéral - qu'en fait vous étiez un peu les porte-parole du
gouvernement du Québec, donc que votre position n'avait pas de
crédibilité en soi et que, d'autre part, si jamais on changeait
de gouvernement au Québec, on aurait des comptes à régler
avec vous. Comment réagit le Conseil du statut de la femme face à
des déclarations de ce genre?
Mme Bonenfant: Premièrement, je dois dire que cet avis que
nous avons donné au premier ministre n'a pas été
sollicité. C'est le conseil qui a décidé de donner son
avis, même si on ne lui posait pas de question. Deuxièmement, je
voudrais rappeler ce que je viens de dire tout à l'heure,savoir que
rien, dans cette prise de position, n'a son origine dans la politique
d'ensemble qui s'intitulait Pour les Québécoises:
Égalité et indépendance. Je voudrais faire remarquer
à Mme la Présidente et à cette Assemblée que cette
politique d'ensemble a été rédigée en 1978, que je
suis devenue présidente le 1er décembre 1978, que j'ai donc
dû adopter ce bébé, que je n'ai pas travaillé
à ce bébé, à cette bible de la condition
féminine et je pense que je peux ajouter que la présidente de
l'époque, qui a été l'âme dirigeante de cette
politique d'ensemble, n'a jamais caché ses allégeances politiques
et qu'elles n'étaient pas les miennes.
Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme Bonenfant.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
de Prévost, vous me disiez que vous vouliez intervenir. On me dit qu'on
permettrait votre question.
Mme Chaput-Rolland: C'est-à-dire que c'était un peu
dans la ligne de la position de madame. Vous avez dit tout à l'heure,
madame, que ce mémoire n'avait pas été
préparé spécialement à l'intention de cette
comission. Est-ce que j'ai bien compris? Deuxièmement, vous avez dit
tout à l'heure également que vous aviez fait le tour du
Québec pour obtenir un certain consensus contre le rapatriement
unilatéral. Est-ce que j'ai mal compris?
Mme Bonenfant: Oui, vous avez mal compris, madame, parce que j'ai
dit que nous avons fait le tour du Québec pour avoir un certain
consensus autour de la politique d'ensemble et sur l'Office de révision
du Code civil. Finalement, quand je dis que je suis représentative des
femmes du Québec, c'est parce que j'ai entendu un peu tout ça,
mais je ne suis pas allée solliciter et je n'ai pas eu le temps de faire
de tournées du Québec à ce sujet-là, Mme la
Présidente.
Mme Chaput-Rolland: Je pense que je vais laisser la parole
à d'autres, parce que ce n'est plus dans le même sujet. Je
reviendrai plus tard.
La Présidente (Mme Cuerrier): II me semblait, madame, que
de ce côté-là on vous laissait parler la
première.
Mme Chaput-Rolland: Ah bon! Vous êtes bien aimable.
La Présidente (Mme Cuerrier): II s'agit des femmes,
j'imagine que c'est un peu la raison pour laquelle on...
M. Marx: Non, ce n'est pas une question de femme, c'est une
question de justice.
La Présidente (Mme Cuerrier): Non? Je pensais qu'elle
avait...
Une voix: Le député d'Argenteuil n'est pas
là.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous savez, je suis en train
de m'immiscer dans des affaires, mais je pensais que les femmes étaient
davantage au courant des questions qui regardent les femmes.
Mme la députée de Prévost, si vous étiez
prête à poser votre question.
M, Marx: Oh je suis sûr, c'est la gauche qui a
préséance.
Mme Chaput-Rolland: Je ne voudrais pas qu'on complique davantage
toute cette histoire-là. J'ai fait partie de certaines commissions, mais
jamais d'une commission parlementaire. Il me semblait que les autres
étaient peut-être un peu moins compliquées comme
procédure, je ne sais pas très bien où j'en suis avec
toutes mes questions.
Ce que je veux dire, madame, c'est que si vous aviez fait le tour de la
province, au moment où nous sommes ensemble, que nous soyons
péquistes, séparatistes, fédéralistes ou n'importe
quoi - nous sommes des êtres humains; à peu près tout le
monde que je connais s'insurge contre cette forme de rapatriement
unilatéral, même si notre raisonnement de libéraux a une
virgule de moins que le raisonnement des autres - avez-vous l'impression que ce
que vous auriez récolté aurait été différent
de ce qu'à peu près vous nous dites, c'est-à-dire que les
femmes, règle générale, vont s'opposer comme tous les
autres citoyens à cette forme de rapatriement unilatéral qui
brime certains de nos droits comme êtres humains au lieu que comme
femmes? C'est ma première question. Avez-vous l'impression que vous
auriez entendu à peu près la même chose que nous
entendons?
Mme Bonenfant: Vous dites en tant qu'êtres humains, je dis:
Si j'avais fait la tournée, je l'aurais faite en tant que femme. Je
regrette, j'ai des préoccupations spécifiques. Si je l'avais
faite en tant que femme, je leur aurais posé les questions que je me
suis posées en rédigeant cet avis.
Mme Chaput-Rolland: D'accord.
Mme Bonenfant: Je pense que la réponse aurait
été la même qu'elles m'ont donnée, qu'elles ne m'ont
pas donnée, parce que ce n'était pas moi, mais qu'elles ont
donné au conseil lors de l'élaboration de la politique
d'ensemble.
Mme Chaput-Rolland: Bien sûr!
Mme Bonenfant: C'est dans ce sens-là que je dis: Je pense
avoir un consensus, puisque je parle des mêmes préalables.
Mme Chaput-Rolland: Le Conseil du statut de la femme qui est
apparu devant le comité mixte du Sénat et de la Chambre des
communes a fait une représentation, si je comprends bien, qui nous
laissait entendre que le texte de loi était discriminatoire au point de
départ, que chaque fois que des femmes ont plaidé en cour sur ce
que la loi dit, de la façon dont elle est exprimée, elles ont
toujours perdu leur cause. Pourriez-vous donner une explication
là-dessus, parce que, moi non plus, je ne suis pas juriste et j'ai un
peu de misère à comprendre cela? Si vous aviez à ajouter
quelque chose, selon la pensée du ministre, M. Morin, tout à
l'heure, si vous aviez à ajouter quelque chose à cette charte qui
serait protectrice davantage des droits des femmes, ce serait quoi?
Mme Bonenfant: Si j'avais à ajouter quelque chose, madame,
justement, ce serait vraiment très complexe. C'est pour cela que
même si, comme je vous ai dit tout à l'heure, par vertu, je ne
peux pas m'opposer à l'inclusion d'une charte, cela m'apparaîtrait
tellement compliqué vraiment d'y inclure toutes les
spécificités que comporte le respect des droits des femmes
présentement, dans la conjoncture actuelle qui est en pleine
évolution, en pleine mutation. Quand on pense qu'il y a cinquante ans,
on n'était pas une personne, quand il y a quarante ans, on n'avait pas
le droit de vote, on ne sait pas ce qui va se passer, cela m'apparaît
absolument une tâche de titan d'inclure les droits des femmes dans cette
charte-là. C'est pour cela que j'hésite à dire: Je suis
contre, parce que je vous assure que je vais être vertueuse, mais, par
contre, je trouve que c'est une difficulté épouvantable. Il faut
dire que le Conseil consultatif canadien a fait un grand effort. Il a
consacré des budgets à cela. Nos budgets ne nous permettaient pas
de faire une étude exhaustive du plan, du projet de charte des droits
pour aller aussi loin que cela.
Mme Chaput-Rolland: La vertu coûte plus cher au
Québec. Merci, madame.
M. Morin (Louis-Hébert): Le Québec a moins
d'argent.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
Mme Bonenfant: Plus exigeante.
M. Le Moignan: Mme Bonenfant, j'aurais quelques brèves
questions à vous poser. Vous dites que vous n'êtes pas juriste. Je
déplore non pas le fait que vous ne le soyez pas...
Mme Bonenfant: Moi aussi.
M. Le Moignan: ... mais le fait que je ne le sois pas
moi-même.
Mme Bonenfant: Ah bon!
M. Le Moignan: On est donc sur la même longueur d'onde
à ce point de vue. Vous dites que vous n'avez pas analysé,
fouillé les aspects juridiques. Comme vous représentez ou comme
il existe en somme 450 groupes de femmes au Québec, je comprends que
vous n'avez pas eu le loisir de les consulter tous, mais, d'après votre
perception, aux premières nouvelles du geste posé par le
gouvernement d'Ottawa qui a éclaté un peu comme une bombe, quand
on a parlé d'un rapatriement unilatéral, quelle a
été la réaction chez vous dans votre groupement et ce que
vous avez pu percevoir aussi chez d'autres groupes de femmes au Québec?
Est-ce qu'on sentait là-dedans une certaine atteinte, par exemple, aux
droits de la personne, à la justice, considérant toujours deux
ordres de gouvernement, un gouvernement central qui est là animé
par la même constitution et, ensuite, dix gouvernements provinciaux qui
sont partenaires, qui ont signé à parts égales ce pacte
confédératif? À un moment donné, on a dit que M.
Trudeau voulait un coupe de force, poser un geste unilatéral en passant
par-dessus la tête des provinces. Est-ce qu'il y a eu un mouvement chez
vous? Est-ce qu'il y a eu une réaction? Est-ce que vous vous êtes
demandé si c'était logique, normal, juste, légitime?
Quelle est votre réaction?
Mme Bonenfant: Oui. Avant la conférence qui n'a pas eu
lieu - cette conférence des femmes qui devait avoir lieu avant la
conférence de septembre sur la constitution - il y avait eu beaucoup de
consultations envers les groupes de femmes qui devaient participer à
cette conférence. Je peux dire, par exemple, que la
Fédération des femmes, le YWCA, les AFEAS, toutes ces femmes
s'étaient déjà proposé d'intervenir et
c'était dans le même sens que l'intervention du conseil. Ce sont
de grandes associations surtout. Pour ce qui est des petites associations,
elles n'avaient pas eu beaucoup de moyens pour se manifester, mais la
préparation de cette conférence était très
positive, dans le sens de l'intervention du conseil. Il est fort malheureux que
cette conférence n'ait pas eu lieu parce que je pense que cela aurait
été une très bonne démonstration, mais on apprend
que cette conférence aura probablement lieu en janvier.
M. Le Moignan: Je vois dans votre mémoire que vous
analysez surtout les aspects de la constitution qui concerne les droits de la
femme. Vous en faites une assez bonne description, mais, si on reste sur le
plan un peu plus politique...
Mme Bonenfant: Voilà! C'est intéressant, la
question que vous me posez. Pourquoi les femmes, même les femmes qui ne
sont pas juristes, se sont-elles intéressées et
passionnées pour cette question de rapatriement? C'est qu'elles ont bien
compris que les juridictions qui sont en jeu sont celles qui touchent le plus
à leur quotidien. C'est une règle qui est vérifiée
constamment que plus on touche à des problèmes quotidiens des
femmes, plus cela doit être légiféré au palier de
législation qui est le plus proche des gens. Cela a été
une des réflexions des femmes de se dire: Plus on centralise les
juridictions au fédéral, moins on a de prise sur les juridictions
qui président à notre quotidien. C'est une des raisons, par
exemple, qui nous forcent à revendiquer le rapatriement du droit
familial, parce que ce sont des questions qui touchent le quotidien des femmes
et des enfants. Plus le palier de législation est éloigné,
moins on a de prise sur ce palier de législation. C'est dans ce sens que
les femmes se sont senties davantage impliquées. C'est la même
chose quand on parle de législation sociale et d'éducation. Ce
sont des choses qui nous touchent quotidiennement et c'est pour ça que
les femmes sont très frappées par cette question de rapatriement
et que cela les touche particulièrement.
M. Le Moignan: Mais, si vous étiez devant un groupe de
femmes et qu'on vous demandait votre opinion claire et nette...
Mme Bonenfant: Je dirais...
M. Le Moignan: ...qu'est-ce que vous pensez du rapatriement, dans
quelle mesure peut-on dire qu'il y a une partie acceptable et une autre partie
inadmissible dans le geste politique que M. Trudeau veut le poser?
Mme Bonenfant: Excusez-moi, Mme la Présidente, j'oublie
toujours de m'adresser à vous. Mme la Présidente, toutes les
questions dont j'ai traité, quand il s'agit de travail, quand il s'agit
de famille, quand il s'agit d'éducation, je pense que ce sont des
questions réalistes. Si vous remarquez, je ne vous ai pas parlé
de transport, je ne vous ai pas parlé d'affaires internationales. Je ne
vous ai parlé que de choses qui touchent le quotidien des femmes et je
ne pense pas trahir la pensée des femmes du Québec en disant que,
dans ce domaine, elles veulent des paliers de législation qui seront les
plus proches possible des femmes et de leur quotidien. On va jusqu'à
dire qu'il faut aller vers le municipal et le régional, de sorte que
tous ces problèmes sont des problèmes qui touchent
viscéralement à la vie quotidienne des femmes et des familles, et
c'est là que je réclame des rapatriements. (16 heures)
M. Le Moignan: J'aurais une dernière question. Je suis
bien d'accord avec vous, les préoccupations des femmes concernent
peut-être en même temps les préoccupations de leurs
époux et de leurs enfants. Cela se rejoint un peu, puisque les
préoccupations qui sont d'ordre...
Mme Bonenfant: Mme la Présidente, si vous le permettez,
quand je dis que c'est la préoccupation des femmes, je déplore
qu'elle ne soit pas aussi celle des hommes, parce que la famille, c'est aussi
l'affaire des hommes. Mais, malheureusement, depuis longtemps, on nous en a
laissé la charge presque exclusive. C'est pour cela que, lorsque je vous
parle des revendications des femmes, je vous parle de ce qui se passe
présentement. J'espère que, dans cette grande mutation, les
hommes aussi se préoccuperont davantage des affaires de la famille.
M. Le Moignan: C'est ce que j'étais en train de vous dire.
J'espère que cela devient aussi la préoccupation de vos
époux, de vos enfants, de tous les hommes.
Mme Bonenfant: Je suis d'accord. Mais les faits sont là.
Ce sont les femmes qui ont cette préoccupation.
M. Le Moignan: Mais, sur la grande question politique, vous
n'avez pas l'air à vous aventurer beaucoup. Sur le geste, si vous aviez
à donner devant 5000 femmes ce soir un exposé, êtes-vous
pour ou contre ce geste? Et si vous êtes contre, qu'est-ce que vous allez
dire à vos gens?
Mme Bonenfant: Mais je suis pour le rapatriement de certains
pouvoirs, ceux que j'ai réclamés dans mon mémoire. Je n'ai
pas ici à me prononcer sur autre chose que sur ce que j'ai dit dans mon
mémoire.
M. Le Moignan: Je voulais vous faire avancer un peu plus loin sur
l'aspect politique.
Mme Bonenfant: Je regrette, je suis présidente du Conseil
du statut de la femme. Je ne suis pas ici pour faire une politique en dehors de
ce qui touche aux femmes.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Mme
Bonenfant, vous vous présentez devant cette commission en toute
intégrité, en acceptant le risque de vous trouver
confrontée à un homme politique qui a dit publiquement qu'il
avait des comptes à régler avec vous.
M. Marx: Question de règlement. J'aimerais voir le
document où il est dit qu'il avait des comptes à régler
avec le Conseil du statut de la femme.
M. Le Moignan: Est-ce que le député veut parler de
moi?
M. de Bellefeuille: Mme la Présidente, je voudrais
informer M. le député de Gaspé qu'il s'agit du
député d'Argenteuil, chef de l'Opposition officielle. Mais
passons.
M. Marx: Ce sont des affirmations gratuites. J'aimerais que vous
déposiez les documents. Cessez de faire des affirmations gratuites.
M. de Bellefeuille: Passons, Mme la Présidente, parce que
je sais que Mme Bonenfant n'aime pas beaucoup ce genre d'affrontement.
M. Rivest: Justement, fermez-vous.
M. de Bellefeuille: M. le député de Jean-Talon,
s'il vous plaît! Je pense par conséquent à une question
à laquelle vous avez déjà répondu en bonne partie
en répondant aux questions de M. le chef de l'Union Nationale.
Vous avez parlé dans votre mémoire de
l'enchevêtrement qui existe dans les lois et les politiques relatives aux
affaires sociales. Il y a évidemment deux façons de sortir de cet
enchevêtrement. Une façon, c'est de concentrer plus de pouvoirs
entre les mains de l'Assemblée nationale et du gouvernement du
Québec. Une autre façon, c'est de faire évoluer le Canada
vers une forme de gouvernement unitaire ou quasi unitaire. À mon sens,
c'est là le fond de la proposition du gouvernement central, de faire
évoluer le Canada vers un type d'organisation unitaire ou quasi
unitaire. Tout au long de la caravane constitutionnelle de l'été,
on a pu voir les réactions des porte-parole du gouvernement
fédéral qui, eux aussi, manifestaient beaucoup d'irritation
devant cette forme d'enchevêtrement et d'autres formes
d'enchevêtrement qu'on trouve dans le fédéralisme canadien
actuel.
Selon votre mémoire, il est clair - et vous venez de le
répéter - que vous croyez que la meilleure façon de sortir
de l'enchevêtrement, c'est en s'appuyant sur la juridiction
québécoise. Vous avez même dit tout à l'heure que
c'est le palier de gouvernement qui est le plus rapproché.
Mais j'aimerais que vous explicitiez les raisons pour lesquelles vous
croyez qu'une centralisation très poussée à Ottawa,
évolution vers un pays unitaire, qui effectivement simplifierait
beaucoup de choses, au moins au point de vue administratif, ne vous
paraît pas la meilleure des deux solutions.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme
Bonenfant.
Mme Bonenfant: Mme la Présidente, je pense que je vais me
répéter un peu. Dans les domaines qui régissent les
relations avec les individus, il est toujours très important que le
palier de législation soit très rapproché de l'individu
surtout, à mon avis, au Québec en particulier, où on a
beaucoup développé le système d'intervention
communautaire. Dans la province de Québec, on a beaucoup
développé ce système d'intervention de la
communauté d'identifier ses propres besoins, à mon avis, dans le
domaine, entre autres, des affaires sociales, de l'éducation populaire,
de l'éducation des adultes et, en particulier, au niveau des besoins des
femmes qui ont réussi des exercices très intéressants. Je
suis allée un peu partout au Canada et aussi en dehors du Canada et je
suis toujours très fière des mécanismes que nous avons
développés d'identification de nos propres besoins. Plus le
palier de satisfaction de ses besoins est éloigné, plus il
devient difficile de réaliser ses aspirations. C'est dans ce sens
qu'à mon avis, au niveau des affaires sociales, de l'éducation
et, de plus en plus, au niveau du travail, il me semble que de centraliser, au
niveau du Québec, les pouvoirs nous apparaît, pour nous les
femmes, beaucoup plus intéressant. Il nous apparaît
peut-être, par exemple, qu'aux affaires sociales on a beaucoup de
pouvoirs, mais, si on va au pouvoir de dépenser et au pouvoir de
subventions, on s'aperçoit que les choses ne sont pas si claires.
On pourrait aller aussi très loin, même dans des domaines
où le conseil ne s'est même pas aventuré à faire des
revendications. Je pense, par exemple, au domaine de la violence. Je pense, par
exemple, à tout le chapitre du viol qui est dans le Code criminel
où on s'est contenté de dire: Demandons à notre ministre
de la Justice qu'il insiste auprès du ministre de la Justice
fédéral pour que la législation sur le viol soit
modifiée, pour que la législation sur l'avortement soit
modifiée. Cela n'a pas donné grand-chose. C'est dans ce
sens-là qu'à mon avis, pour tout ce qui touche aux relations avec
les individus, le palier de législation doit être rapproché
des individus. C'est la philosophie du conseil et c'est inscrit dans la
politique d'ensemble.
M. de Bellefeuille: Merci, madame.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Premièrement, Mme la Présidente, je n'ai
pas compris la question du député de Deux-Montagnes. Je ne pense
pas que les droits de la femme dépendront des régimes
étatiques qu'on va avoir. Les droits de la femme peuvent être plus
protégés dans un État fédéral que dans un
État unitaire et vice versa. Si mes amis péquistes
réalisent la souveraineté-association, j'imagine qu'on va avoir
un État unitaire et j'imagine que, dans un tel État unitaire, les
droits de la femme seront très bien protégés, même
si c'est un État unitaire. Je ne pense pas que ce soit une question de
régime politique.
Pour revenir au Québec...
Une voix: Oui, Mme Bonenfant.
Mme Bonenfant: Mme la Présidente, je pourrai
peut-être répondre tout de suite à votre préalable.
Il y a une chose qu'il ne faut jamais oublier. On a toujours parlé de la
mosaïque canadienne. Je pense que les besoins des femmes du Québec
et les besoins des femmes de la Saskatchewan et du Manitoba, que je connais
bien pour les avoir rencontrées, ne sont pas les mêmes. II y a des
approches aussi et il y a aussi l'évolution de la pensée
féministe qui n'est pas du tout la même partout au Canada. Je
pense que cela est très important puisque cette pensée correspond
à des exigences et à des besoins que les gouvernements sont
appelés à satisfaire. Alors, je ne pense pas que ce soit
indifférent quand vous parlez de régime unitaire ou
diversifié. Cela ne peut pas être indifférent à
cause de cette spécificité. J'ai participé à des
dizaines de réunions de conseils consultatifs au Canada et je vous avoue
que cela prend beaucoup de temps avant qu'on se mette sur la même
longueur d'onde. Ce n'est pas péjoratif ce que je dis. Vraiment, on a
des intérêts spécifiques et divergents.
M. Marx: Sur cette question, avant que je passe à d'autres
questions, quelles sont les différences entre les femmes de la
Saskatchewan et les femmes du Québec? N'est-il pas possible que,
même au Québec, il y ait des différences entre les femmes
de l'Abitibi et les femmes de Montréal? Dans le même sens qu'il y
a des différences... S'il y a des différences entre les
femmes du Québec et les femmes de la Saskatchewan, ou entre les
femmes du Québec et les femmes de l'Ontario, pour moi, il est aussi
possible qu'il y ait des différences entre les femmes de l'Abitibi et
les femmes de Montréal.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente du
conseil.
Mme Bonenfant: Oui, mais il est quand même plus facile de
les régler à l'échelle d'une province qu'à
l'échelle du Canada, parce que vous les multipliez. Je prends, par
exemple, l'approche du travail entre l'Ontario et le Québec. Les femmes
de l'Ontario sont allées beaucoup plus tôt que les femmes du
Québec sur le marché du travail, de sorte que leurs
revendications sont très différentes de celles des femmes du
Québec. Les revendications des femmes au foyer du Québec sont
très différentes de celles des femmes de l'Ontario. Tout cela est
très spécifique.
M. Marx: Bon, je vais passer à un autre sujet. Je pense
que l'Assemblée nationale...
La Présidente (Mme Cuerrier): Voulez-vous faire
rapidement, M. le député, s'il vous plaît? J'ai encore
trois intervenants qui ont demandé la parole et nous devons terminer
dans une dizaine de minutes au maximum.
M. Marx: Oui, on va prendre trois minutes de plus; j'ai bien
attendu 50 minutes avant de parler.
La Présidente (Mme Cuerrier): Oui, allez-y.
M. Marx: Je pense que l'Assemblée nationale a
exprimé sa volonté sur l'égalité des femmes, je
pense que c'est bien clair, c'est dans la Charte des droits et libertés
de la personne adoptée sous le gouvernement libéral en 1975. Vous
avez bien mentionné qu'il n'y a pas beaucoup de jurisprudence en ce qui
concerne l'égalité des femmes et des hommes en vertu de cette
charte, mais il faut aussi reconnaître qu'il y a peut-être moins de
discrimination parce que la charte existe. Cela veut dire que la charte
empêche une certaine discrimination. Je tiens cela de première
main parce que j'ai été commissaire à la Commission des
droits de la personne pendant cinq ans et j'ai eu une certaine
expérience. Je pense que la Charte des droits et libertés de la
personne du Québec, ce n'est pas assez pour garantir les droits de la
femme.
J'aimerais revenir sur une question qui a été
soulevée avant, en ce qui concerne une charte constitutionnelle, comme
la charte fédérale qui a été proposée, et
une charte des droits du Québec qu'on a maintenant et que j'appellerai,
pour les fins de la discussion, une charte statutaire. On peut avoir une charte
constitutionnelle et une charte statutaire, c'est nécessaire. Cela veut
dire que la charte constitutionnelle donne des garanties minimales et la charte
statutaire donne d'autres garanties. C'est comme aux États-Unis, par
exemple, où ils ont "a bill of rights", c'est la charte
constitutionnelle, et ils ont aussi "human rights legislation", la loi donnant
plus de droits, pour mieux protéger les droits et les libertés de
la personne.
Le problème, à mon avis, au Québec est d'actualiser
les droits de la femme. C'est-à-dire, comme vous l'avez dit, qu'on a
besoin d'une législation particulière pour toucher tel domaine,
pour protéger les droits et les libertés de la femme dans tel
domaine. J'ai vu, dans la charte fédérale, qu'on prévoit
que l'action positive serait possible en vertu de la charte
fédérale. Je me souviens aussi que le premier ministre, lors du
discours inaugural à l'Assemblée nationale, a parlé des
programmes d'action positive. J'aimerais vous demander ce que vous pensez quand
vous discutez d'une loi particulière; est-ce que vous envisagez des
programmes d'action positive pour que les femmes soient vraiment sur un pied
d'égalité avec les hommes sur le plan du travail et dans d'autres
domaines?
Mme Bonenfant: À la suite du discours inaugural, j'ai
envoyé une lettre au sous-ministre de la Justice pour lui demander ce
qu'il entendait faire pour donner suite au discours inaugural. Nous sommes, au
conseil, pour l'introduction de programmes d'action positive et nous
travaillons étroitement avec la Commission des droits de la personne
afin que la charte soit amendée pour pouvoir les permettre.
À notre avis, présentement, il est impossible d'arriver
à l'égalité pour les femmes; même si on donne
beaucoup de chances aux femmes et qu'on fait des programmes
d'égalité des chances à l'emploi, à partir du
moment où on est là et que les hommes sont là, on va
toujours monter "croche". (16 h 15)
M. Marx: Donc, vous pensez que le gouvernement doit
légiférer...
Mme Bonenfant: C'est ce qu'on appelle de la discrimination
positive.
M. Marx: ...dans le sens...
Mme Bonenfant: On espère que la charte sera amendée
avant la fin de cette session.
M. Marx: La charte...
Mme Bonenfant: La Charte des droits et libertés de la
personne doit être amendée pour les permettre au
Québec.
M. Marx: ...au Québec, pour permettre... Mais ce n'est pas
à l'ordre du jour, je ne pense pas...
Mme Bonenfant: Oui.
M. Marx: Avant...
Mme Bonenfant: Oui. C'est déjà sur...
M. Marx: D'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai maintenant des demandes
de M. le député de Jean-Talon, de M. le député de
Verchères, de M. le député de Rosemont. Il ne nous reste
que sept minutes environ. S'il vous plaît...
M. Rivest: Je pense que j'ai l'ensemble des questions, mais je
veux simplement faire un
commentaire. Évidemment, je comprends que votre mémoire a
été rédigé en dehors du contexte précis de
la résolution fédérale et des travaux de la
présente commission parlementaire. Au niveau du texte, il y a un article
qui intéresse particulièrement les femmes, c'est le dispositif au
sein de la résolution fédérale, indépendamment de
votre prise de position contre le caractère unilatéral de la
démarche fédérale que vous avez affirmée ici.
Au niveau du texte de la charte fédérale, lorsqu'on parle
de la non-discrimination sur le sexe, etc., peut-être que le texte est
ma! rédigé, mais vous ne pouvez pas exiger, dans un texte
constitutionnel, qu'il soit dans un pays unitaire ou dans un pays
fédéral, plus d'éléments additionnels de garantie
qui vont actualiser les droits fondamentaux, qui sont des droits d'êtres
humains, qui vont les actualiser au niveau du travail, au niveau de
l'éducation, au niveau de la santé, au niveau de la famille,
ça fait partie des choix qu'une société, en tant que
telle, fait.
Quand on se situe dans l'ordre constitutionnel, on affirme les droits
fondamentaux et, ensuite, une société décide de
protéger, d'actualiser, même d'une façon positive, par
l'ensemble de la loi, ces deux ordres de choses. Je veux simplement vous
ramener au niveau du texte de la charte fédérale, strictement sur
le plan des droits de la femme. Est-ce que le texte de la résolution
fédérale - c'est ça, l'essentiel du débat - vous
apparaît restrictif des droits de la femme? Il n'est certainement pas
suffisamment explicite, comme vous l'avez souligné, mais ça, je
pense que c'est le droit statutaire ou le droit positif qui doit s'occuper de
cette partie. Je ne vois pas en quoi il peut être restrictif des droits
de la femme.
Mme Bonenfant: Je pense qu'il pourrait être plus explicite.
Ça ne veut pas dire entrer dans des pages de détails, mais il y
aurait sûrement des formules qui seraient plus explicites que l'article
7, quand on dit que tous sont égaux devant la loi. Cela m'apparaît
très restreint.
M. Rivest: Mme Bonenfant, prenez le texte de la charte des
droits...
Mme Bonenfant: Ce qui me fait peur, c'est l'interprétation
des tribunaux.
M. Rivest: Oui, oui, c'est ça. Le texte de la Charte des
droits et libertés de la personne, par exemple, est un texte - je ne
l'ai pas devant moi - probablement analogue, dans sa rédaction.
Mme Bonenfant: Oui, mais rappelez-vous qu'on a ajouté, par
exemple, les droits des homosexuels, on a ajouté des choses très
spécifiques dans la charte des droits, parce qu'on avait peur que ce ne
soit pas inclus dans l'interprétation. Je n'ai pas de proposition
à vous faire, mais je demeure persuadée qu'on devrait se pencher
davantage pour essayer de spécifier davantage les droits des femmes dans
cette charte, parce que j'ai très peur de l'interprétation des
tribunaux.
M. Rivest: D'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je dois donner la
parole...
M. Rivest: Une dernière question. Et vous nous avez
expliqué que vous n'avez pas eu le temps, avant de venir à cette
commission, de faire faire les recherches ou d'obtenir les expertises
juridiques pour obtenir un texte qui rencontrerait les vues du Conseil du
statut de la femme.
Mme Bonenfant: C'est sûr que ça doit aller plus
loin, nous allons travailler encore là-dessus.
M. Rivest: D'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères.
M. Charbonneau: Je voudrais vous demander si vous avez
évalué la problématique de l'expérience
américaine en regard de la charte des droits, d'une part, inscrite dans
la constitution et l'évolution des mentalités. Dans quelle
mesure, aux États-Unis, l'inscription... non, mais il y a des
problèmes qui sont reliés à ça, l'"Equal Rights
Amendment", entre autres. Je voudrais savoir si vous avez évalué
cette expérience américaine et si vous avez fait des comparaisons
avec ce qui est en train de se passer actuellement ou ce qui risque de se
passer.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente du
conseil.
Mme Bonenfant: Non, je ne peux pas vous faire part
d'expériences bien codifiées. On n'a pas d'expertise vraiment
valable, mais la sensation qu'on a quand on prend contact avec les groupes
américains, c'est qu'il y a des groupes de pointe, mais en ce qui
concerne la sensibilisation globale des femmes, je pense que le Québec
n'a rien à envier à...
M. Charbonneau: Non, ce n'est pas dans ce sens-là. C'est
que dans votre mémoire vous dites à un moment donné,
à la page 16: "Le congrès américain passait en 1972,
l'"Equal Rights Amendment". Pour que cet amendement soit inscrit à la
constitution américaine, 38 États doivent le ratifier, etc."
C'est cette partie de votre mémoire que je voulais que vous
explicitiez.
Mme Bonenfant: Les faits sont là. Pour le faire inscrire
dans la constitution américaine, il leur manque toujours deux ou trois
États - je pense qu'il leur manque deux États - et ils ne sont
pas capables de les obtenir. Ça veut dire qu'au niveau des
mentalités, il y a encore beaucoup de chemin à faire aux
États-Unis. Les faits sont là.
M. Charbonneau: Ce que vous dites c'est que les amendements sont
difficiles.
Mme Bonenfant: Oui. C'était un peu confus, un peu ambigu
de sortir cet exemple parce que finalement nous disons: Les Américaines
ont de la misère à faire inclure dans la constitution... Nous, on
dit: Si on l'incluait dans la constitution, on aurait du mal à faire
changer quelque chose puisqu'il faut... J'ai l'impression que l'exemple
était peut-être un peu mal choisi puisqu'il est
ambigu. Ce que veulent les Américaines, c'est d'inclure ça
dans la constitution. Nous, on dit: Si on l'inclut dans la constitution, ce
sera difficile à changer à cause de l'exemple des
Américaines qui ne sont pas capables de l'introduire dans la
constitution. C'est un peu ambigu.
La Présidente (Mme Cuerrier): Dernière question.
Rapidement, M. le député, je dois donner la parole
à...
M. Charbonneau: Je ne pense pas avoir... Écoutez! une
question à deux volets dans ce cas-là, Mme la Présidente,
d'une part, et d'un jet. Est-ce que des groupes de femmes vous ont
contacté pour que vous mettiez à leur disposition des avis ou des
commentaires pour leur permettre d'approfondir la question et le
problème en cause? Deuxièmement, comme vous avez
préparé cet avis sans que le gouvernement ne le demande, mais en
interprétant votre mandat, est-ce que de la même façon il
serait possible, par exemple, pour des cercles de fermières de mon
comté ou du comté de D'Arcy McGee - je ne sais pas s'il y en a
à Notre-Dame-de-Grâce - ou des AFEAS d'être contactés
par le Conseil du statut de la femme et d'être sensibilisés
peut-être plus qu'ils ne le sont actuellement aux problèmes que
vous soulignez dans votre mémoire et qui devraient les concerner
également?
Mme Bonenfant: Par notre service Consult-Action qui est en
région, on peut facilement faire part aux groupes de femmes de cette
comparution en commission parlementaire et nous le ferons probablement. Si nos
budgets nous le permettent on devrait pouvoir le faire.
M. Charbonneau: Mais il n'y a pas de groupes qui vous ont
contacté d'eux-mêmes?
Mme Bonenfant: Je vous avoue que présentement les groupes
sont très mobilisés autour de la réforme du Code civil.
Mais, par contre, par le biais de la réforme du Code civil, quand on
arrive au chapitre du divorce, il faut bien parler de ce chevauchement de
juridiction. C'est déjà une sensibilisation, et je trouve votre
suggestion très intéressante. Je pense qu'on pourrait faire
parvenir cet avis que nous venons de déposer en commission aux groupes
de femmes.
La Présidente (Mme Cuerrier): Dernière question, M.
le député de Rosemont.
M. Paquette: Oui, Mme la Présidente...
Mme Bonenfant: Excusez-moi, Mme Gingras me rappelle qu'avant la
conférence qui devait se tenir à Ottawa en août, beaucoup
de groupes s'étaient penchés sur ce problème et avaient
préparé des mémoires. J'ai cité tout à
l'heure la Fédération des femmes qui avait présenté
un mémoire. Il y avait l'AFEAS, il y avait aussi le YWCA et certains
comités de la condition féminine des syndicats qui devaient
être présents à cette conférence qui n'a pas eu
lieu.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Rosemont, rapidement, s'il vous plaît.
M. Paquette: J'aimerais quand même avoir cinq minutes parce
qu'il y a déjà une heure que j'attends pour poser...
La Présidente (Mme Cuerrier):
Malheureusement, à moins que nous n'ayons un consentement, nous
avions déterminé...
Une voix: Consentement.
M. Paquette: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais tout
d'abord remercier le Conseil du statut de la femme de nous avoir fait part de
ses préoccupations concernant la constitution parce que, effectivement,
comme il est dit dans son mémoire, je pense que dans tout ce
débat constitutionnel la plupart du temps on oublie cette
préoccupation fondamentale qui touche à des questions comme le
droit de la famille ou l'égalité de l'homme et de la femme,
à la question de la discrimination positive. Dans toutes les positions
constitutionnelles que j'ai consultées, y compris la commission
Pépin-Robarts, le livre beige ou d'autres projets de réforme de
constitution, c'est une question à laquelle on n'attache pas tellement
d'importance.
J'aimerais relever deux points de votre mémoire qui
m'apparaissent particulièrement importants. Le premier, c'est celui-ci:
Vous dites, à la page 15: "La définition des droits mêmes
des femmes pose certains problèmes. La situation des femmes est
actuellement en pleine mutation et à ces changements correspondent des
droits nouveaux". D'autre part, à la page 16, vous relatez
l'expérience difficile des femmes américaines alors que le
Congrès américain adoptait en 1972 l'"Equal Rights Amendment":
"Pour que cet amendement soit inscrit à la constitution
américaine, 38 États doivent le ratifier." Six ans plus tard, "en
1978, ce nombre n'était pas atteint et le Congrès
américain prolongeait l'échéance au 30 juin 1982." Ce qui
veut dire que cela prend dix ans et qu'ils ne sont même pas sûrs,
aux États-Unis, de pouvoir faire adopter l'"Equal Rights Amendment".
Est-ce que je vous interprète bien en disant que vous craignez que le
fait d'enchâsser dans une charte des droits fédérale les
droits concernant l'égalité des femmes gèle en quelque
sorte, fige une situation et empêche les groupes qui pourraient
être rendus plus loin dans leur cheminement, dans certaines provinces,
d'obtenir des réformes qui n'ont que trop tardé?
Mme Bonenfant: C'est exactement cela. C'est pour cela
qu'après la lecture j'ai trouvé que c'était un peu ambigu,
mais c'était exactement ce que je voulais dire. Si on fige cela dans la
constitution ou dans la charte des droits et qu'on veut faire modifier cela,
là, on aura tous les problèmes qu'on a pour faire modifier cela,
quel que soit l'article de la constitution.
M. Paquette: Oui, surtout qu'on ne sait même pas quelle
sera la formule d'amendement éventuellement. Ce n'est pas avant trois ou
quatre ans, d'après le projet fédéral, qu'on pourra avoir
de nouveaux amendements à la constitution. Non, on n'a pas beaucoup de
temps.
M. Rivest: On retire notre consentement.
Une voix: C'est oui?
Une voix: C'est un péquiste qui a du jugement.
M. Paquette: M. le Président, je déteste toute
forme de chantage.
Une voix: On va le laisser finir et on verra.
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! S'il
vous plaît!
M. Paquette: J'ai simplement une autre question. C'est parce que
cela fait une heure que j'attends, M. le député de D'Arcy
McGee.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous avions
déjà obtenu un consentement. Terminez votre question rapidement,
M. le député.
M. Paquette: Oui, j'ai simplement une autre question.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous verrons ensuite si nous
en obtiendrons un autre.
M. Paquette: D'accord, très bien.
La Présidente (Mme Cuerrier): N'est-ce pas?
M. Paquette: Mme la Présidente, la deuxième
question que je voulais poser... Vous avez souligné, à juste
titre, les difficultés qu'il peut y avoir dans un régime
fédéral, contrairement à un régime unitaire
où, comme il n'y a pas de partage de compétences entre deux
paliers de gouvernement, il n'y a pas de chevauchement, d'enchevêtrement
comme on a dans la constitution canadienne. Vous citez, je pense, un avis
quelque part - enfin je ne le retrouve pas - sur l'importance, pour qu'un
tribunal de la famille puisse vraiment faire son travail de façon
compétente, qu'il puisse s'appuyer sur un ensemble de lois
cohérentes. Je ne sais pas si vous partagez l'avis suivant: II est assez
curieux que, dans le projet de résolution fédéral, on ait
une charte des droits qui risque de figer certains éléments des
droits des femmes, alors qu'il n'y avait pas consensus là-dessus, alors
que, sur la question du tribunal de la famille, par contre, il y avait un
consensus aux conférences constitutionnelles et on ne retrouve pas cela
dans le projet de résolution fédéral.
Premièrement, auriez-vous souhaité qu'il y ait,
indépendamment de la question du processus unilatéral contre
lequel nous sommes tous... On espère. On ne se bat pas tous avec la
même énergie, mais je pense qu'on est tous contre.
La Présidente (Mme Cuerrier): Votre question, M. le
député.
M. Morin (Louis-Hébert): On est toujours interrompu.
M. Paquette: Auriez-vous souhaité que, dès
maintenant, on règle d'abord cette question, qui semblait faire
consensus, du rapatriement vers les provinces des juridictions concernant le
tribunal de la famille et, également, pensez-vous qu'on aurait dû
régler la question du partage des compétences non seulement sur
le tribunal de la famille, mais sur les autres questions, les juridictions dans
le domaine du travail, de l'éducation, des lois sociales qui
permettraient au tribunal de la famille de coordonner un ensemble de lois
cohérentes avant de faire le rapatriement comme M. Trudeau veut le
faire, parce que vous dites que cela va retarder les véritables
réformes. Est-ce que je vous interprète bien? (16 h 30)
Mme Bonenfant: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente du
conseil.
Mme Bonenfant: Mme la Présidente, tout ce qui est de
nature à retarder l'accomplissement de politiques qui donnent aux femmes
du Québec l'autonomie, l'égalité qu'on a
réclamée dans le mémoire du Conseil du statut de la femme,
à mon avis, c'est toujours de trop. Nous sommes pour que, rapidement, on
règle ces problèmes de juridiction. Quant au grand
problème de la constitution, il m'apparaît secondaire par rapport
aux exigences et aux besoins qui sont cruciaux, qui sont absolument vitaux pour
l'accomplissement de l'égalité pour les femmes du Québec.
C'est dans ce sens que je me suis préoccupée davantage dans mon
mémoire du rapatriement des juridictions que du rapatriement de la
constitution elle-même.
La Présidente (Mme Cuerrier): Bon! Je ferai remarquer
à la commission que nous avons obtenu un consentement pour une question
du côté ministériel. Pouvons-nous solliciter le
consentement pour que M. le député de D'Arcy McGee pose une
dernière question?
Consentement?
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, en faisant remarquer que,
dans la plupart des cas, être juriste est une profession, mais, dans
certains cas, c'est un défaut.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee, votre question.
M. Marx: Par rapport à tout ce que le ministre a dit
depuis deux jours, je vois que, dans cette commission, ce n'est pas un
défaut. C'est un atout et il n'est pas trop tard pour que le ministre
fasse un cours de droit. Il va avoir tout le temps bientôt. Sans
pension.
M. Rivest: II va avoir le temps. Dans quelque temps, il va avoir
du temps libre.
M. Marx: II va le faire sans pension de l'Assemblée
nationale.
M. Paquette: Est-ce qu'on pourrait choisir le professeur?
M. Morin (Louis-Hébert): On a accordé la permission
pour poser une question, mais pas pour des commentaires.
La Présidente (Mme Cuerrier): MM. les
députés, puis-je avoir la collaboration de la commission, s'il
vous plaît! Je demanderais à M. le député de poser
sa question rapidement, la
dernière que la commission posera à Mme la
présidente.
M. Marx: Du point de vue d'un juriste, une charte
constitutionnelle ne figerait rien en ce qui concerne les droits des femmes. Si
cela était, je serais contre une charte des droits dans la constitution
parce que je trouverais cela injuste de figer les droits des femmes dans une
constitution.
M. Paquette: Oui. Est-ce qu'on peut vous poser une question?
M. Marx: La question que j'aimerais vous poser est la suivante:
Etes-vous au courant de chartes des droits qui figent les droits de la femme?
Il y a des chartes dans beaucoup de pays au monde. L'effet de ces chartes
constitutionnelles dans d'autres pays est-il de figer les droits de la femme?
Supposons que l'article 15 de la charte fédérale soit
adopté -d'accord? l'article 15 qui protège les droits de la femme
- cela ne va pas figer les droits de la femme. Au contraire, cela va
établir le principe que les femmes sont sur un pied
d'égalité avec les hommes ou que les hommes sont sur un pied
d'égalité avec les femmes, si vous voulez, et cela va permettre
toutes sortes d'autres lois pour actualiser cette égalité le cas
échéant.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
présidente.
Mme Bonenfant: Si vous avez remarqué, je n'ai jamais dit
que j'étais contre une charte des droits qui inclurait les droits des
femmes. Ce que j'ai exigé, c'est que ce soit très
spécifique et qu'on en mette davantage. Quant aux chartes des autres
pays qui figeraient les droits des femmes, je vous avoue que je n'ai pas vu
beaucoup de chartes des droits, mais je voudrais bien savoir s'il y a beaucoup
de chartes d'autres pays qui ont vraiment pensé à
énumérer beaucoup de droits pour les femmes. Cela
m'étonnerait grandement.
M. Marx: Mais partout où il y a des chartes, ils ont
prévu l'égalité homme femme. C'est évident.
Mme Bonenfant: Tant mieux! C'est un préalable, mais,
à mon avis, ce n'est pas suffisant.
M. Marx: Je suis d'accord avec cela. Une voix:
Voilà!
M. Marx: Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas contre une
charte constitutionnelle mais vous êtes pour plus que cela.
Mme Bonenfant: J'ai dit que, telle qu'elle nous était
présentée, ce n'était pas suffisant, mais, s'il fallait
que tout le monde soit d'accord, j'exigerai, par contre, qu'on soit plus
spécifique. C'est dans le texte.
M. Marx: L'Opposition officielle partage votre opinion sur ce
point.
M. Rivest: Vous tombez dans le livre beige,
Mme Bonenfant.
M. Morin (Louis-Hébert): Oh, non! Je ne veux pas
intervenir à ce moment-là, mais si j'avais le droit
d'intervenir...
Mme Chaput-Rolland: Pas de consentement, M. le ministre.
M. Rivest: Pas de consentement.
M. Morin (Louis-Hébert): Parce qu'on est en train de
servir à madame... Enfin!
M. Marx: Elle a compris.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est écrit à la
page 17.
M. Rivest: Mme la Présidente, le règlement
s'applique également au ministre.
M. Marx: Au prochain témoin.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai maintenant le devoir,
qui est pour moi un très grand plaisir, de remercier - et je pense me
faire l'interprète des membres de la commission - Mme la
présidente du Conseil du statut de la femme et Mme Louise Gingras pour
leur apport qui nous amène à faire des réflexions. Merci
à Mme Claire Bonenfant.
Des voix: Merci, madame. Mme Bonenfant: Merci.
Association culturelle franco-canadienne de la
Saskatchewan
La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerai maintenant
à participer à la commission de la présidence du conseil
et de la constitution l'Association culturelle franco-canadienne de
Saskatchewan, dont le porte-parole est M. Rolland Pinsonneault.
La commission vous souhaite la bienvenue, M. Pinsonneault. Nous avons
déjà en main le mémoire que vous nous avez fait parvenir.
Il s'intitule "Considérations sur la situation des Fransaskois et la
réforme de la constitution canadienne."
Je ne sais pas si vous étiez là au moment où il y a
eu la reprise des travaux de la commission. Nous avons fait part à ceux
qui vous ont précédé que la commission dispose d'environ
une heure pour recevoir aussi bien votre mémoire que les questions qui
pourront vous être posées. Nous avons départagé le
temps en 20 minutes pour votre intervention et 40 minutes pour les questions
qui peuvent vous être adressées. Peut-être votre
mémoire est-il trop important. Si vous préférez le
résumer, je puis quand même vous assurer que la copie
intégrale de ce mémoire sera déposée aux archives
et que les gens qui pourront y être intéressés pourront
toujours le consulter.
M. Pinsonneault.
M. Pinsonneault (Rolland): Mme la Présidente, mesdames et
messieurs de la commission, je voudrais, dès le tout début, faire
une précision. La présentation que je dois faire,
je veux qu'elle soit bien comprise, est complètement apolitique.
Il peut y avoir des retombées politiques. Je crois que toute
minorité ou toute personne qui présente des idées ou un
mémoire, c'est qu'elle veut infléchir d'une façon ou d'une
autre des dimensions politiques.
Ma présence parmi vous aujourd'hui n'a qu'un seul but, celui de
vous faire part de mes sérieuses inquiétudes au sujet du projet
de révision de la constitution canadienne et surtout de la proposition
de M. Trudeau d'enchâsser les droits linguistiques dans la
constitution.
Je suis né au Québec, à Napierville, mais je suis
arrivé en Saskatchewan en 1917. J'avais alors quatre ans. J'ai eu la
chance de faire mes études en français, dans des institutions
privées. Ceux qui ne pouvaient jouir de cet avantage devaient se
contenter de l'école publique où seule la langue anglaise
était alors la langue d'enseignement.
Toute ma vie, en plus de mes occupations quotidiennes, j'ai
travaillé pour la cause du français dans ma province et
peut-être au niveau du pays. J'ai dépensé non seulement des
énergies, mais j'ai également dû payer pour donner à
mes enfants une éducation française. Même aujourd'hui,
considérant la gravité de la situation actuelle, je suis venu
à mes frais vous expliquer les motifs de mon inquiétude. Et je
pourrais préciser que je suis venu à mes frais, c'est très
vrai. Je suis membre de l'ACELF et c'est sous le haut patronnage de cet
organisme que je vais parcourir quatre endroits de la province de
Québec.
Depuis plus de deux ans, l'activité politique canadienne a remis
à l'ordre du jour les problèmes constitutionnels. Ce fut tour
à tour la création de la Commission canadienne sur l'unité
nationale, en 1977, le dépôt de la loi fédérale
C-60, en 1978, la ronde des conférences des premiers ministres
provinciaux et la série des rencontres constitutionnelles
fédérales-provinciales jusqu'à l'échec, en
septembre 1980. Puis, aujourd'hui, siège le comité mixte de la
Chambre et du Sénat sur la constitution pour étudier le projet de
résolution soumis par le gouvernement d'Ottawa.
Dans ce contexte actuel, les Fransaskois sont préoccupés
par l'évolution du débat car c'est leur avenir linguistique et
culturel qui se joue. En Saskatchewan, les francophones n'ont encore aucun
droit et sont dispersés dans une grande province. Mme Irène
Chabot, présidente de l'Association culturelle franco-canadienne,
décrivait très bien cette situation dans le mémoire
qu'elle a présenté au nom de l'association devant le
comité mixte du Sénat et de le Chambre sur la constitution du
Canada: "Lorsque le Canada a acquis le Nord-Ouest, les écoles
dispensaient l'enseignement en français, en anglais ou en cri. L'article
93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique garantissait aux
minorités le droit à des écoles confessionnelles, donc
françaises, dans les faits, pour les catholiques francophones. Ces
garanties vont d'abord être effacées par les ordonnances de
l'Assemblée des Territoires du Nord-Ouest. Au moment de la
création de la province de la Saskatchewan en 1905, la controverse
scolaire est grande et, en 1918, la loi no 31 établit l'anglais comme la
seule langue d'instruction à l'exception du grade 1 et de l'enseignement
du français comme une simple matière. En 1931, le gouvernement
Anderson abolit ces minces droits qui ne seront que partiellement
rétablis en 1934 avec l'heure quotidienne du français, qui devait
toutefois être enseignée en anglais." On a trahi, on a
été des bandits parce que jamais on ne s'en est occupé. On
a enseigné en français malgré que la loi était
claire et spécifique: "The sole language of instruction shall be
English". "Après avoir été utilisés par
l'administration des Territoires du Nord-Ouest à une certaine
époque, le français et l'anglais seront reconnus comme les deux
langues officielles du gouvernement par l'Acte des Territoires du Nord-Ouest.
Cependant, en 1892, l'Assemblée des Territoires émet une
ordonnance à l'effet d'abolir le français comme langue des
tribunaux et des Chambres. En 1980, les Fransaskois n'ont toujours aucun droit
dans la loi scolaire et le statut officiel du français demeure
controversé. La population francophone représente environ 3% de
la population totale de la Saskatchewan, soit quelque 30,000 âmes. Cette
population est dispersée à travers toute la province et plus de
la moitié se trouve en milieu rural. Les communautés francophones
sont situées, d'une part, dans les régions au nord de Saskatoon
et, d'autre part, au sud de Régina, laissant entre Saskatoon et
Régina une large bande exempte de communautés francophones. Les
Fransaskois se sont regroupés autour de certains centres urbains et
nombre d'entre eux habitent des fermes ou des villages de quelques centaines,
voire même quelques dizaines de personnes. Après la guerre, un
fort mouvement de centralisation et de régionalisation affecte les
structures scolaires et administratives de la province. Cela amène une
perte d'autonomie et de contrôle des communautés francophones qui
se retrouvent toujours minoritaires au niveau régional, étant
donné leur éparpillement. "Le recensement de 1976 de Statistique
Canada indique 2,9%. Le recensement de 1971 rapporte que quelque 56,200
âmes sont d'origine française, tandis que 31,605 sont de langue
maternelle française et 15,935 ont le français comme langue
d'usage."
Au cours de notre histoire, nous avons dû mener des luttes
incessantes qui nous ont parfois découragés. Nous avons subi des
frustrations qui nous ont usés, mais nous sommes encore pleins de
vitalité.
Ce fut le sort des Canadiens français en Saskatchewan. Chaque
petit gain de nos droits reconquis et chaque bribe d'enseignement en
français obtenue furent arrachés de haute lutte. La diplomatie
que nous avons déployée alors et que nous déployons encore
exigeait de nous une force incalculable pour affronter les refus
systématiques qu'on s'apprêtait à nous servir et les lieux
communs que notre gouvernement provincial évoquait pour justifier son
inaction.
Combien de fois l'envie nous prenait de briser toutes les règles
de procédure pour obtenir plutôt des droits gui nous semblaient si
simples à accorder. (16 h 45)
Nous étions aussi chogués du cynisme galant avec lequel on
écoutait nos demandes. Les autorités provinciales, en
acquiesçant, se sentaient obligées d'étendre les
mêmes droits à tous les autres groupes ethniques de la province.
Nous ne
nous opposons pas, au contraire, à ce que ces groupes ethniques
reçoivent des services, mais nous refusons d'être
assimilés. Les autorités ne comprennent pas que nous, les
Canadiens français, sommes membres de l'une des deux
sociétés de langue officielle, dont l'une a ses assises au
Québec où les francophones sont majoritaires, et environ
1,000,000 à l'extérieur.
En 1944, l'établissement des grandes unités scolaires
équivalent des commissions scolaires au Québec démontra la
volonté délibérée de diviser nos communautés
canadiennes-françaises pour mieux les fragmenter et mieux les assimiler.
En plus de lutter pour maintenir et améliorer les minces
privilèges durement acquis, il nous fallait être, par le
truchement de l'ACFC, le ministère de l'Éducation
française pour les francophones. Cette situation nous a imposé un
travail épuisant qui aurait dû être fait par le
ministère de l'Éducation provincial.
Il est vrai que la situation que j'évoque remonte aux
années très difficiles de 1905 à 1967. À partir de
1967, la reconnaissance du français comme langue d'enseignement a
amélioré quelque peu le climat des revendications.
Cette victoire de la reconquête de nos droits, nous la devons
à tous nos ardents défenseurs de la francophonie en Saskatchewan.
Un autre facteur qu'il me paraît important de souligner dans le
succès obtenu en 1967 fut sans doute l'éveil du Québec des
années 1960. Le Québec se caractérise alors par une
volonté ferme d'exiger et d'obtenir tous les droits qui lui sont
nécessaires pour assurer son plein développement, tant culturel,
social, économique, voire même politique.
Cette attitude nouvelle au Québec a éveillé nos
gouvernements. Nous avons constaté que nos revendications recevaient une
attention à laquelle nous n'étions pas habitués. Mais ils
hésitaient encore beaucoup à exaucer nos requêtes et
craignaient, par-dessus tout, les répercussions de leur
électorat.
Que dire, aujourd'hui, de l'effet du référendum
québécois de mai 1980 sur notre communauté. Tous le
savent, notre association avait souhaité un oui
référendaire car sans un Québec fort, notre avenir chez
nous est très aléatoire. Nous avions également
pensé que ce oui aurait des effets bénéfiques à
long terme sur notre avenir. Mais ce souhait d'un oui
référendaire a eu aussi un ressac: d'une part, des Fransaskois
eux-mêmes, n'ayant pas compris suffisamment le motif de la
décision de l'Association culturelle franco-canadienne, nous ont
forcés à donner de nombreuses explications. Maintenant, un nombre
grandissant de Fransaskois réalisent cette nécessité d'un
Québec francophone fort. D'autre part, le gouvernement de la
Saskatchewan fut grandement surpris, étonné, voire
offusqué de ce geste qui, pour eux, frisait l'ingratitude.
Pourtant, cette position n'était pas nouvelle.
Déjà, en 1965, aux membres de la commission Laurendeau-Dunton
l'ACFC déclarait: "Enfin, nous savons que notre survivance, même
appuyée par l'État, demanderait l'apport constant et puissant du
Québec. Aussi, nous sommes prêts à appuyer les mesures
jugées nécessaires par cette commission royale d'enquête
pour fortifier le Québec comme porte-parole du Canada français au
sein de la Confédération canadienne et répondre à
ses aspirations légitimes."
Cette position de certains groupes francophones hors Québec
d'appuyer le référendum québécois sert encore les
politiciens en mal de confusion qui ne comprennent pas le vrai sens de notre
intervention.
Pour mieux saisir le sens de mes remarques, permettez-moi de vous
rappeler très brièvement les jalons d'une histoire pas toujours
intéressante de notre épopée fransaskoise. Vous trouverez
ces dates en annexe au mémoire que je vous présente.
Je demeure convaincu que, dès le lendemain de la conclusion du
pacte confédératif de 1867, le sort de la francophonie en
était jeté. La disparition du fait français était
le but non avoué politiquement de la majorité anglaise. Tous les
moyens étaient bons et tous les procédés étaient
légaux, car la majorité a toujours raison, sauf au Québec,
pour atteindre cet objectif et ils furent pris.
Les conflits éclatèrent à propos de
l'éducation en langue française dès 1871 au
Nouveau-Brunswick; puis, en 1877, ce fut un problème semblable qui fut
soulevé à l'Île-du-Prince-Édouard. Suivirent le cas
du Manitoba en 1890 et celui de l'Ontario en 1916. Quant aux provinces de la
Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, elles ne
présentèrent pas leurs cas aux tribunaux, mais la même
attitude prévalait, à savoir celle d'assimiler les francophones
en les privant de leur droit le plus fondamental de recevoir l'éducation
française et d'autres services dans leur langue.
Ces tactiques auraient sans doute réussi, n'eût
été la présence québécoise avec ses lois
respectant la minorité anglophone de son territoire. L'exemple de cette
générosité a sans doute empêché les
gouvernements provinciaux d'étouffer les communautés francophones
comme ils l'auraient voulu. On peut retenir que nos droits nous ont
été progressivement enlevés jusqu'en 1929. À partir
de 1934, la reconquête a été entreprise en autorisant
l'enseignement du français une heure par jour de la première
à la douzième année. On en voit le résultat,
mesdames et messieurs.
Une bonne part des résultats positifs pour améliorer notre
situation en Saskatchewan revient aux luttes de l'ACFC. Tout au long de son
histoire, elle a soutenu et encouragé les efforts des parents et des
professeurs. Elle a été le maître d'oeuvre de toutes les
revendications des Fransaskois et c'est pourquoi notre groupe minoritaire
fransaskois est encore sur l'échiquier national.
Les anglophones du Québec pourraient-ils dresser un bilan aussi
négatif que celui que je viens d'évoquer? Combien cette
population est choyée, combien nous serions heureux si nous pouvions
avoir ce qu'ils ont ici. Ce qui me porte à penser que la justice a son
vrai sens au Québec, mais qu'à l'extérieur du
Québec la justice n'est pas la même.
Ces dernières années, on a pu constater un rythme plus
rapide de changements en éducation française. Je crois que cette
évolution s'explique par les facteurs suivants: la vitalité
québécoise de plus en plus agissante, revendicatrice a
suscité un éveil chez nous et chez nos dirigeants. La loi
fédérale des langues officielles a suscité chez les
nôtres un nouveau sens d'appartenance à l'une des
majorités de langue officielle. Enfin, l'action du
Secrétariat d'État, par sa politique d'aide aux organismes de la
minorité de langue officielle, nous a permis d'évaluer nos
propres besoins, d'entreprendre les actions capables de réaliser
certains projets et même d'obtenir une certaine reconnaissance.
Je tiens à préciser que les subventions que nous a
données le gouvernement fédéral, nous les avons
acceptées sans gêne, car l'honorable Gérard Pelletier nous
a assurés, en 1969, à Saint-Boniface, à l'occasion du
congrès de l'Association canadienne d'éducation
franco-manitobaine: Ce n'est pas la charité que nous vous ferons, ce
seront des octrois réparateurs vous permettant de complémenter
les projets nécessaires à votre survie.
Il est vrai que les facteurs que je viens de mentionner nous ont tous
aidés à améliorer notre situation en tant que groupe
minoritaire de langue officielle en Saskatchewan. Mais il ne faudrait pas
conclure qu'il n'y a plus rien à faire. Au contraire, la lutte doit
continuer, sinon reprendre de plus belle. Elle doit être menée au
niveau fédéral et au niveau provincial.
Malgré l'amélioration récente, bien que relative,
de la situation des Fransaskois laquelle, je viens de le dire, est surtout
attribuable à nos propres luttes - je considère que le projet de
M. Trudeau, tel qu'il est présenté, est absolument inacceptable.
Il ne nous garantit rien. Ce qui me déçoit davantage, c'est la
stratégie de chantage devant laquelle nous sommes placés, encore
une fois. Accepter le projet de M. Trudeau, c'est défavoriser la cause
de la francophonie canadienne car c'est, d'après moi, renoncer à
un Québec fort et le refuser, c'est se faire accuser de ne pas vouloir
affirmer nos droits francophones dans nos provinces.
Pour préciser mes propos, voici ce que déclarait Mme
Irène Chabot au nom de l'Association culturelle franco-canadienne devant
la commission mixte de la Chambre et du Sénat sur la constitution: "Ce
gui me blesse le plus profondément, c'est la question des droits
scolaires. L'intention de l'article 23 nous apparaît certes positive
parce que celui-ci nous reconnaît le droit à l'instruction en
français pour nos enfants. Mais la formulation de cet article nous
inquiète au plus haut point à cause de l'ambiguïté de
certains termes d'abord, mais surtout parce que nous voyons difficilement
comment en Saskatchewan nous allons arriver à pouvoir exercer ce droit,
compte tenu des restrictions mentionnées dans l'article. "Il faut bien
réaliser qu'en Saskatchewan, les écoles françaises
n'existent pas et les commissions scolaires françaises encore moins. Il
faudra donc un nombre d'élèves suffisant pour justifier la mise
sur pied de toutes pièces des installations scolaires
nécessaires. Ce nombre va vraisemblablement être
élevé et difficilement atteignable par une population
dispersée, en butte à l'incompréhension et à
l'hostilité de la majorité, et à laquelle on fera
supporter le poids psychologique et financier de tout recours en justice. "De
plus, l'issue même de tel recours appararaît incertaine. En effet,
si les tribunaux ont éventuellement à prendre une décision
concernant le caractère suffisant d'un certain nombre d'enfants par
rapport à une certaine région, sans plus de directives gu'ils
n'en ont à l'article 23, il est plus que vraisemblable que ces tribunaux
se référeront à l'opinion des législateurs et des
administrateurs scolaires. Ce qui équivaut en bonne partie à nous
livrer à la décision de la majorité."
Cette observation est réaliste. C'est ce qui se passe
présentement dans ma province. Deux groupes de parents, ceux de Vonda et
de Prince-Albert, ont dû recourir aux tribunaux afin d'obtenir le droit
à l'enseignement en français dans le cadre des écoles
désignées. Tous deux ont perdu non seulement à la Cour du
banc de la reine, mais aussi en Cour d'appel.
Après cette digression, je reprends le texte de Mme Chabot: "Le
principe de l'accès à l'école française risgue donc
de rester lettre morte et ce sera doublement humiliant pour les Fransaskois de
savoir qu'il y a un droit dans la constitution de leur pays et que ça ne
leur donne rien, mais que d'autres groupes comme les
Anglo-Québécois, et même certaines catégories
d'immigrants pourront exercer pleinement le droit à l'école de la
minorité à partir du même article et de la même
constitution du même pays.
Les définitions nous inquiètent aussi. À quoi fait
référence la notion confuse d'installations scolaires? S'agit-il
de commissions scolaires? D'écoles françaises? Ne pourrait-on pas
prétendre que les programmes d'immersion dispensés dans les
écoles anglaises constituent les installations d'enseignement pour la
langue française? Il n'est point besoin de rappeler ici, de concert avec
la Fédération des francophones hors Québec et d'autres
associations provinciales de francophones ainsi gu'avec les commissaires aux
langues officielles et de très nombreux éducateurs, gue les
écoles homogènes contrôlées par des francophones
sont un minimum absolument vital dans nos milieux, et que les solutions
mitoyennes qui sont certes inspirées par le bon vouloir ne sont en effet
que des milieux d'assimilation qui nuisent aux objectifs mêmes qui sont
visés.
Cette inégalité fondamentale des effets de l'article 23
sur les Anglo-Québécois, d'une part, et les Fransaskois et les
autres francophones hors Québec, d'autre part, nous apparaît
particulièrement blessante à nous qui sommes totalement
dépourvus de tout dans le domaine scolaire, ainsi que tout à fait
inacceptable dans un document qui doit établir les fondements de la
nation. Il nous apparaît évident que dans la situation
socio-linguistique complexe comme celle du Canada, ce qu'il faut viser, c'est
une égalité de fait et non pas une égalité de
principe. Ce sont donc des mesures qui vont aboutir à
l'égalité plutôt gu'un principe universel gui a des effets
divergents.
L'histoire a clairement montré que ce ne sont pas les
Anglo-Québécois qui ont souffert de la discrimination et qui ont
été l'objet de mesures assimilatrices conscientes et efficaces;
ce sont les Fransaskois et beaucoup d'autres francophones hors Québec.
C'est donc envers ces derniers qu'on devrait orienter les dispositions
linguistiques de la constitution, de telle sorte qu'ils puissent exercer ces
droits. Et si de telles dispositions ne peuvent pas s'appliquer au
Québec où la situation est radicalement différente
puisqu'il s'agit là encore de protéger les francophones, qui,
s'ils y sont majoritaires, demeurent néanmoins minoritaires dans le pays
et sur le continent, si donc on ne peut étendre au
Québec des dispositions qui protègent les francophones
hors Québec, qu'on formule alors des droits différents pour la
minorité du Québec. Ça n'en sera pas plus
incohérent que ce bilinguisme éclopé qui existe dans la
constitution actuelle et que le projet s'apprête à endosser de
nouveau. Et ça aura au moins l'avantage de répondre à une
vraie situation. (17 heures) "II ressort assez clairement de tout cela que nous
ne considérerons pas que c'est la position du Québec qui nuit aux
intérêts des francophones hors Québec dans ce dossier
puisque: "Premièrement, le projet actuel, rejeté par le
Québec, n'apporte aux Fransaskois que des droits surtout symboliques et
qui auront peu de chances de s'exercer en Saskatchewan; "deuxièmement,
si on voulait reformuler des dispositions qui donnent de véritables
droits aux Fransaskois, on pourrait le faire de telle sorte que ça
n'attaque pas la nécessaire autonomie du Québec pour
protéger sa population francophone et, au besoin, on pourrait concevoir
des mesures différentes pour le Québec et pour les provinces
anglophones, tout comme le projet de constitution actuel prévoit des
mesures particulières pour trois gouvernements, c'est-à-dire le
Canada, le Québec et le Manitoba, mesures qui ne s'expliquent pas
autrement que par des événements historiques. "Nous tenons
à nous dissocier clairement de la stratégie de chantage qui fait
du Québec le responsable des malheurs des francophones hors
Québec par sa position face au projet de rapatriement. En tant qu'unique
État majoritairement francophone en Amérique du Nord, le
Québec doit protéger sa population francophone et il est
important pour nous que le Québec francophone reste fort et dynamique.
"Malgré l'intention de l'article 23, la portée juridique du droit
à l'instruction dans la langue de la minorité n'a pas de
signification concrète importante pour les Fransaskois et nous nous
considérerions perdants si, pour obtenir cela, nous devions accepter que
le Québec perde les moyens qu'il s'est donné pour assurer sa
survie francophone. Nous considérons que ce sont, sauf exception, les
premiers ministres des provinces anglophones qui sont les responsables de la
faiblesse des droits qu'on est prêt à nous consentir dans la
constitution. Nous pensons en particulier à notre premier ministre qui
est resté étrangement silencieux sur le sujet, bien qu'il ait
été tenu au courant de notre point de vue. "Dans sa position
officielle en matière de renouveau constitutionnnel, notre gouvernement
ignore complètement sa responsabilité face à sa population
francophone et donne l'impression que cette question ne le concerne pas."
Donc, au plan fédéral, les promesses d'hier deviennent des
plans d'avenir et les changements profonds proposés s'avèrent
plutôt des reculs que des améliorations. Trudeau serait-il un
nouveau Laurier?
Le gouvernement de la Saskatchewan devrait profiter du débat
actuel sur la résolution Trudeau pour assumer volontiers et
reconnaître sans équivoque les droits de sa population
francophone, ce qui suppose également que les gouvernements provinciaux
acceptent le principe sous-jacent à cet article, l'existence de deux
peuples fondateurs ou l'existence de deux majorités de langue officielle
au Canada.
En mai dernier, nous avions espéré un oui au
référendum. Nous respectons le non que la population
québécoise a donné. Mais, chez nous, nous constatons
déjà qu'au niveau provincial l'urgence de
l'avant-référendum n'existe plus. Le gouvernement provincial
semble moins attentif à nos demandes et moins prompt à s'engager
réellement pour accorder à sa minorité francophone les
droits à l'éducation en français. Sur ce point, il n'a pas
besoin d'attendre quoi que ce soit d'ailleurs ou du fédéral
puisqu'il a pleine et entière juridiction sur l'éducation en sa
province.
Mes inquiétudes et celles de mes concitoyens seraient moins
grandes si le gouvernement fédéral et le gouvernement de la
Saskatchewan, et même les autres gouvernements provinciaux, s'engageaient
vraiment à garantir tous les droits nécessaires au
développement et à l'épanouissement de la
francophonie.
Merci, mesdames et messieurs.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. Pinsonneault.
J'accorderai d'abord la parole à M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je
voudrais, au nom des représentants ici du parti ministériel et je
pense que je peux le faire probablement au nom aussi des représentants
des autres partis, encore qu'il est fort possible qu'ils ne soient pas d'accord
sur tout ce que M. Pinsonneault a eu à dire, pour féliciter M.
Pinsonneault de deux choses; la première - et je tiens à le
souligner - c'est d'être venu de Saskatchewan ici, à ses frais,
pour nous parler de la situation des francophones chez lui et,
deuxièmement, de s'être quand même donné la peine de
faire le travail qu'il a préparé à si brève
échéance pour être reçu par nous. Je pense que je me
fais l'interprète de tout le monde, au-delà des partis
politiques, pour vous féliciter, M. Pinsonneault, du travail que vous
vous êtes imposé, de la sincérité et de la
conviction que vous démontrez par votre présence ici.
J'ai une question à vous poser. Je pense que c'est "la" question
et je sais que d'autres en auront probablement. C'est la suivante: dans le
projet de charte fédérale, au-delà du fait qu'elle est
inacceptable à cause, entre autres, de son caractère
unilatéral, il existe néanmoins une disposition dont, comme
ministre, j'ai eu à m'occuper une bonne partie de l'été au
cours des discussions constitutionnelles que nous avons eues avec tout le
monde, y compris avec les représentants de votre gouvernement. C'est une
expression en cinq mots, c'est-à-dire "là où le nombre le
justifie". Sachant que vous veniez aujourd'hui, mais ne sachant pas, ou que
j'ai pris connaissance du mémoire en même temps que vous le
lisiez, qu'il s'agirait de la même situation, j'ai ici devant moi un
article du Devoir du 3 décembre dernier où on parle justement des
problèmes auxquels vous faites allusion quand on essaie d'appliquer
l'expression "là où le nombre le justifie".
J'ai une question à vous poser et cela ne préjuge pas,
évidemment, de notre sentiment à nous en ce qui concerne le fait
que l'imposition de la charte est unilatérale, et cela ne préjuge
en rien de notre avis quant à une charte elle-même dans une
constitution. Donc, ma question -
ma phrase est très longue, je recommence - est la suivante: Si
l'expression "là où le nombre le justifie" n'était pas
là, si, en somme, comme certains l'ont proposé, le droit à
l'éducation en français et le droit au français vous
était garanti de façon absolue, pensez-vous que, malgré la
dispersion de la population chez vous, comme vous l'avez expliqué
tantôt dans votre mémoire, cela résoudrait une bonne partie
du problème que vous avez? Au fond, est-ce que c'est parce qu'il y a des
limitations dans cette charte relatives au nombre que vous y voyez des
problèmes concrets?
M. Pinsonneault: Absolument. Pour moi, MM. les membres de la
commission, lorsqu'on ajoute à ce que j'appelle mon droit, une
limitation disant "où le nombre le justifie", ce n'est plus un droit,
c'est un privilège qu'on m'accorde parce que ce n'est pas moi qui vais
décider si cela prend tant d'enfants pour faire une commission scolaire.
Si ce qualificatif était ôté, je suis convaincu que cela
nous permettrait de former dans des régions données des
écoles qu'on pourrait appeler nos écoles. Nous sommes aussi des
gens raisonnables, nous, les Français. Nous n'allons pas aller dans un
milieu où il y a deux familles et demander une école. Il faut
être logique. On est capable d'établir cette chose-là, mais
le fait demeure que, s'il n'y avait pas de limitation, nous avons deux
régions en Saskatchewan où il serait possible de faire
démarrer des écoles françaises. Présentement, on
nous a donné au moins quinze élèves, mais il y a une
école qui demande à être fondée avec dix
élèves. On ne peut pas la donner, il n'y a pas quinze
élèves. Pourtant, dix enfants, cela vaut la peine de les
conserver français. Je dis que, si cette chose-là était
ôtée, cela donnerait un stimulus aux parents pour se grouper
davantage et se donner ce service. Cela nous donnerait aussi la
possibilité d'établir des commissions scolaires françaises
où ce serait nous qui dirigerions notre école et non, comme
à présent, alors que, si je veux une école
française, je suis obligé de présenter mon cas en anglais
pour obtenir mon point. Sincèrement, à mon avis, si cette
chose-là était ôtée, cela nous faciliterait au moins
davantage la possibilité de nous régir nous-mêmes.
M. Morin (Louis-Hébert): Ce sera ma dernière
question avant de passer la parole à d'autres. Je ne sais pas si vous
pouvez répondre à ma question. Je ne veux pas non plus entrer
dans le contenu de nos discussions de l'été dernier au niveau des
ministres des Affaires intergouvernementales ou similaires, ni au niveau des
premiers ministres. Votre province, la Saskatchewan, et son gouvernement ne
font pas partie actuellement du groupe des provinces qui contestent devant les
tribunaux le projet fédéral, mais elle ne fait pas partie non
plus du groupe des provinces qui appuient le projet fédéral. En
d'autres termes, pour être clair, votre premier ministre, M. Blakeney,
est sur la clôture. Il a certaines exigences. Peut-être qu'il va
tomber du côté des provinces qui rejettent le projet
fédéral, peut-être que non. Nous ne le savons pas au moment
où je vous parle, même si l'attitude de la Saskatchewan
l'été dernier laissait plutôt entendre qu'elle était
opposée en principe.
J'ai entendu votre premier ministre dire à quelques reprises -
d'ailleurs, je le connais depuis des années - qu'il n'était pas
très d'accord avec une charte des droits, pour des questions de
principe, mais que s'il en fallait une et si tout le monde était
d'accord, cela irait peut-être. Mais je ne l'ai jamais entendu dire qu'il
était d'accord pour enlever la limitation là où le nombre
le justifie. Je sais que l'Ontario est opposée à cela. Non
seulement cela, mais elle ne veut pas l'imposition de l'article qui
l'obligerait à être bilingue, ce qui est là une source de
profonde injustice. C'est deux poids deux mesures, dans le cas de l'Ontario,
par rapport au Québec.
Peut-être ne pouvez-vous pas répondre à la question.
Si on enlevait la limitation, "là où le nombre le justifie",
comme expression, cela obligerait à ce moment-là, en supposant
que la charte est adoptée et tout cela - ceci est un autre sujet - cela
obligerait la Saskatchewan à vous fournir les services que vous voulez.
Est-ce qu'il se pourrait qu'à ce moment votre province devienne une
province contestatrice parce qu'elle ne voudrait pas être soumise
à l'obligation de donner l'enseignement en français?
En somme, est-ce que, dans votre milieu et au niveau de votre
gouvernement - parce qu'il y a des choses qu'on ne sait pas, nous, même
si on les connaît, on n'en parle pas autant qu'on devrait peut-être
- il y a un blocage systématique sur la question du français dont
vous avez pu vous rendre compte par votre expérience? Je pense que la
réponse, si je puis me permettre non pas de la suggérer, mais de
la deviner, d'après ce que je vois sur ce qui se passe chez vous, c'est
que le, gouvernement n'est pas particulièrement enthousiaste en ce qui
concerne le français? Mais votre sentiment, est-ce que c'est un
gouvernement suffisamment ouvert? Même si ce n'était pas
acceptable d'être obligé, mais étant obligé de
donner l'enseignement à tout le monde en français, en enlevant
l'obligation de ne le faire que là où le nombre le justifie,
est-ce que votre gouvernement pourrait s'opposer à la charte,
carrément, tellement il est opposé au français?
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Je ne crois pas que ce soit réellement...
Je crois que nous sommes un enjeu politique. Si on acceptait trop facilement la
proposition d'enlever la limitation "où le nombre le justifie",
politiquement, ce serait excessivement dangereux pour le gouvernement de notre
province. Mais je crois savoir, de source assez certaine, que c'est un des
éléments - et c'est cela qui me blesse - dans le marchandage que
M. Blakeney veut faire avec l'honorable Trudeau pour gagner davantage au niveau
des ressources minérales ou au point de vue économigue.
J'ai l'impression que nous sommes un des jetons. Si on élargit
grandement les cadres, peut-être qu'on nous donnera ces droits. Je ne
peux pas vous donner d'autre réponse. On dit que le gouvernement
Blakeney nous est sympathique, mais, chaque fois que nous voulons
établir une école française ou avoir une bribe de nos
droits, c'est une lutte à n'en plus finir. On y use notre monde; et
lorsque la chose nous est possible, on n'a plus de soldats sur le champ de
bataille.
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M.
Pinsonneault.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: M. le Président, notre groupe parlementaire
veut également se joindre au ministre, sans réserve aucune, parce
que les opinions que vous exprimez, on sait qu'elles font partie d'un
vécu que vous connaissez probablement mieux que nous, puisque cela fait
partie de la vie des gens qui vivent en Saskatchewan. Les opinions
exprimées, même si certaines n'ont pas rejoint celles de
l'Opposition officielle, méritent le respect autant que la nôtre.
Je n'ai aucune espèce d'hésitation à vous accueillir avec
autant de chaleur que le ministre l'a fait. (17 h 15)
Évidemment, tout votre mémoire pose le problème
fondamental des minorités, surtout des minorités francophones qui
vivent dans des provinces où, en termes numériques, la
densité de population est très faible. C'est sans doute un des
problèmes les plus difficiles qu'on peut envisager dans la perspective
canadienne, dans la mesure où, comme vous le dites, c'est absolument
incontestable. Puisqu'il s'agit de droits fondamentaux, en l'occurrence, le
droit d'une personne à sa langue, c'est un problème
extrêmement sérieux de limiter, de quelque façon, ce droit
en le conditionnant à une décision des autres. Comme vous le
disiez tantôt, cela finit non plus par être des droits, mais par
avoir l'air d'un privilège qu'on accorde. Ou bien ce sont des droits
fondamentaux ou ce n'en est pas. Pour les individus, je pense que c'est dans ce
sens-là que vous le considérez: ce sont des droits fondamentaux.
À titre de Canadiens appartenant à une des deux grandes
communautés linguistiques du pays, vous avez droit à ces
droits.
Par contre, bien sûr, il y a l'autre dimension, qui est
soulignée très souvent et à laquelle vous avez
commencé à répondre, au niveau de la praticabilité,
si vous me permettez cet anglicisme, de l'organisation des choses. Mais sans
aller plus loin dans ce sens-là, vous savez qu'on s'est prononcé
d'une façon unanime au Québec contre le caractère
unilatéral de la démarche fédérale au titre du
renouvellement du fédéralisme. Compte tenu de la réponse
elle-même que vous avez fournie au ministre au titre des réactions
de votre premier ministre où on tronquait les droits ou, enfin, on
semblait vouloir troquer les droits des francophones contre des
considérations d'ordre économique; compte tenu également
d'un certain manque de courage ou, enfin, de générosité de
la part du gouvernement fédéral dans sa démarche
unilatérale au titre de la protection des droits de la langue
française hors Québec, il aurait pu aller beaucoup plus loin en
Ontario et pour vos provinces. Face au document, tout en réservant notre
position au caractère unilatéral de la démarche, dû
au fait que le gouvernement fédéral en tant que tel exerce un
leadership au niveau de la reconnaissance du français et de l'anglais,
au niveau des services fédéraux - vous n'en avez pas
parlé, mais je suppose que vous êtes d'accord avec cette
disposition - et qu'il exerce même un leadership plus grand qu'il ne
l'exerce dans la résolution fédérale au niveau des droits
judiciaires et des droits dans les Assemblées législatives et,
troisièmement, au niveau des droits scolaires, ce qui a fait l'essentiel
de votre mémoire, et en allant peut-être... Si le gouvernement
fédéral avait été jusqu'à imposer à
votre gouvernement un texte analogue à celui de l'article 23 où
il n'y aurait pas eu la particule du nombre suffisant, est-ce que cela vous
paraîtrait la voie la plus pratique pour, effectivement, assurer aux
francophones hors Québec la protection des droits linguistiques?
Autrement dit, si on décidait de continuer, dans le domaine des droits
linguistiques, à suivre le mécanisme usuel - je pense qu'on devra
peut-être le faire si le projet fédéral échoue -
indépendamment des réserves qu'on peut avoir, le fait que la
charte soit sur la table, si le gouvernement fédéral, au niveau
du comité mixte, répondait à votre demande au titre de
l'article 23 en enlevant la particule du nombre suffisant et que vous vous
retrouviez, par exemple, l'automne prochain, avec la demande que vous avez
faite sur l'article 23 avec les droits linguistiques au niveau du gouvernement
fédéral, cela ne serait-il pas un progrès pour votre
communauté?
M. Pinsonneault: Je vais être très honnête
avec vous, monsieur. Cela fait 40 ans que je me bats pour les Canadiens
français. J'ai mis du temps, j'ai mis de l'argent, j'ai perdu mes
cheveux au fait. Tant que je n'aurai pas, de façon claire,
précise et nette, un article de loi, je sais que c'est risqué. Il
y a une autre chose qui m'inquiète aussi dans ce contexte. C'est que, de
plus en plus, le fédéral devient le grand-papa qui aurait le
dernier mot dans toutes les sauces. Cela, ça m'inquiète non
seulement pour le Québec, mais ça m'inquiète pour ma
province, chez moi. Je crois que les provinces ont des droits et des
rôles à remplir. Au niveau fédéral, à moins
qu'on ne puisse convaincre les provinces, par leurs ministères de
l'Éducation, d'inscrire dans leurs lois une reconnaissance officielle,
claire, nette et précise, pour moi, ce ne seront que des mots. Je vous
l'ai dit, je me gargarise avec des mots depuis 40 ans; je me laisse endormir
avec des promesses depuis 40 ans et c'est fini!
M. Rivest: Juste pour préciser ma question, dans ce
sens-là, est-ce que vous vous sentiriez plus près de l'objectif -
et dans le fond, la bataille que vous avez faite est quasiment celle d'une vie
dans ce domaine-là - si vous en arriviez à constater que le
gouvernement fédéral, devant tous les efforts à tort ou
à. raison, valables ou non valables qui ont été faits dans
le passé, est-ce que vous vous attendez que le gouvernement
fédéral impose cela aux gouvernements provinciaux ou si vous avez
plus confiance de laisser les gouvernements provinciaux, en dehors du
Québec, se laisser convaincre de la valeur de la cause que vous
défendez? Est-ce que vous exigeriez du gouvernement
fédéral qu'il impose cela aux gouvernements provinciaux ou si
vous préféreriez laisser se dérouler le processus actuel?
En autant que la volonté, au niveau du gouvernement
fédéral, est là.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Je vais peut-être patiner
encore, comme on dit. Cela me ferait énormément plaisir si
on pouvait convaincre les provinces de le faire, de l'imposer, à
condition que, tel que dit aussi le mémoire que j'ai cité... Je
n'accepterai jamais qu'on oblige les provinces anqlophones à accorder
ces droits à leur communauté francophone au détriment de
la grande communauté québécoise. Elle a été
respectueuse pendant 1]3 ans.
M. Rivest: Ces obligations n'étaient pas plus lourdes pour
le Québec que pour les autres provinces.
M. Pinsonneault: Après 60 ans, vous avez toute une
population; on vous l'a dit, nous sommes environ 2% à 3%. Le processus
d'assimilation s'est continué sans arrêt et se continue encore. Je
n'ai pas hâte de voir le résultat du recensement de 1981. Ce
serait peut-être la seule solution, celle qu'il l'impose, mais je
préférerais que le fédéral, s'il continue d'aller
de l'avant et accepte les revendications qu'on fait, puisse ni plus ni moins
que l'imposer aux provinces anglophones qui n'ont pas respecté l'esprit
de l'Acte de l'Amérique du Nord, s'il peut le faire de cette
façon-là. Je vais être très réticent à
donner mon appui, même si ça me donne quelque chose dont les
résultats seront peut-être très aléatoires et
prendront tellement de temps que, d'ici à ce qu'on les ait, il n'y aura
peut-être plus assez de francophones pour en profiter.
M. Rivest: L'autre réserve, c'est évidemment que
vous souhaiteriez, à un moment donné, un tel leadership, sauf -
et c'est le sens aussi de votre mémoire - que, si le gouvernement
fédéral prenait une telle attitude et l'imposait aux autres
provinces, vous êtes très conscient, et vous l'avez
souligné dans votre réponse d'ailleurs, qu'à ce
moment-là, cela pourrait comporter pour le Québec des contraintes
additionnelles qui risqueraient d'affaiblir la position du français au
Québec; affaiblissant ainsi la position du français au
Québec, comme vous l'avez souligné dans votre mémoire,
cela pourrait avoir également des effets négatifs dans la lutte
que vous menez dans l'Ouest.
M. Pinsonneault: Absolument. M. Rivest: Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: Merci, Mme la Présidente.
M. Pinsonneault, comme l'ont dit mes collègues, nous sommes
très heureux de vous voir partir de la Saskatchewan venir contempler le
Québec sous la neige. Je vous admire pour l'excellent travail que vous
nous avez présenté, une fresque de l'histoire que nous
connaissions déjà dans les grandes lignes, mais vous insistez
pour nous rafraîchir la mémoire un peu plus.
J'aurais une ou deux questions à vous poser. Je comprends le
destin tragique de votre peuple, quand vous parlez de 2% à 3% de
francophones dont 1,5% ont conservé l'idiome, parlent encore le
français. Ça représente pour vous, qui y avez
consacré votre vie, non pas à un échec, mais tout de
même un désir encore, face aux événements qui se
présentent, de maintenir cette flamme auprès de la jeunesse qui
va certainement continuer à oeuvrer sur vos traces.
Il y a un petit point que j'aimerais vous demander. Vous dites qu'au
référendum, vous auriez souhaité que le oui l'emporte. On
ne discutera pas de ça. Vous parlez aussi de la nécessité
d'un Québec fort, pour aider la diaspora française à
travers le Canada. Dans l'hypothèse d'un oui au référendum
et dans l'hypothèse qu'un Québec fort demeure à
l'intérieur du Canada, premièrement, quelle serait votre
réaction? Et deuxièmement, l'hypothèse du même oui
au référendum et d'un Québec séparé
indépendant, qu'est-ce que cela apporterait aux francophones de la
Saskatchewan ou des autres provinces? Ma question est assez claire, oui?
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Eh bien, M. Le Moignan, voici comment je
répondais à ceux qui posaient des questions sur mon option
personnelle, qui a été confirmée par une option de
l'association. En souhaitant le oui québécois, on ne voulait pas
dire aux Québécois quoi faire. On aurait été
heureux s'ils avaient dit oui. Nous respectons la décision qui a
été prise. Dès le lendemain de la décision
référendaire - c'est peut-être exagéré un peu
-ou dès les premiers temps après la décision, nous avons
senti déjà chez nous une indifférence qualifiée.
Ils ne pouvaient pas, du jour au lendemain, tout oublier; on était moins
pressé à nous offrir des solutions, et la question que nous avons
eue à Saint-Denis-Vonda-Prud'homme, si elle avait été en
cause au mois d'avril, on ne serait peut-être pas allés en cour,
parce qu'on voulait être les bons garçons pour encourager nos amis
québécois à rester dans le Canada.
Le fait demeure aussi, c'est ce que je disais, que la dimension
était: nous allons négocier une souveraineté-association,
et connaissant un peu la politique après 40 ans, je sais pertinemment
que ça ne se fait pas dans six mois. Je n'ai pas d'inquiétude
là-dessus, cela aurait pris deux, trois, quatre ou cinq ans.
Entre-temps, les provinces anglophones, pour démontrer réellement
la véracité des affirmations qu'elles ont faites lorsqu'elles
sont venues parler aux Québécois, on aurait pu leur dire,
mettez-les en oeuvre et nous autres, après ça, on va aller au
Québec et on va voir ce qu'on peut faire. Mais elles ne l'ont pas
fait.
Je l'ai vécu, il y a des endroits où, avant le
référendum, c'était bonjour monsieur, mais après le
référendum, c'était Good day. Accepte ça;
encaisse-le, ça ne fait pas de différence. Là, ils
étaient certains qu'il n'y avait plus de problème. C'est la
réponse que je donnais aux miens, que je vous donne bien
honnêtement ici. Je ne dis pas que c'était la solution
idéale, je ne suis pas ici pour convaincre qui que ce soit, mais c'est
ma dimension, telle que je l'ai vue.
M. Le Moignan: En somme, si je comprends bien, il y a eu une
espèce d'insatisfaction chez beaucoup de vos compatriotes là-bas.
Mais à présent que nous sommes placés devant ce qu'on
appelle un coup de force, le rapatriement unilatéral, évidemment,
ça va affecter les
francophones hors Québec. Au sujet de l'enchâssement des
droits linguistiques, est-ce que ça va vous aider, si on regarde
l'expérience du passé - je la connais assez bien - alors qu'on
vous a dépouillés de tous vos droits? Pensez-vous qu'à
l'avenir, si on posait ce geste, le gouvernement fédéral aurait
assez de pouvoir pour aller influencer un gouvernement provincial qui
s'opposerait à une telle mesure?
M. Pinsonneault: Je veux qu'on me comprenne bien. Je ne suis pas
contre l'idée d'enchâsser, je trouve que c'est un trop grand mot
pour ça, d'inclure dans la constitution la garantie linguistique pour
les minorités hors Québec. Je suis d'accord avec ça. La
seule chose avec laquelle je ne suis pas d'accord, c'est qu'on l'étende
au Québec. On inclut le Québec dans le paquet. Je n'accepte pas
ça. Je serais heureux si on pouvait trouver un compromis. Et là,
ça nous aiderait peut-être; mais moi, je suis encore convaincu que
malgré l'enchâssement des droits, les écoles
françaises en Saskatchewan ce n'est pas pour demain. (17 h 30)
M. Le Moignan: Une solution de compromis a déjà
été suggérée aux provinces. Si c'était de
ressort provincial les provinces pourraient s'entendre, pourraient
négocier, pourraient faire des arrangements.
M. Pinsonneault: Comme je vous l'ai dit au tout début, je
suis ici à titre absolument personnel parce que toute la chose
m'inquiète. Si on se tient chez soi et qu'on ne se parle pas, on ne
s'aide pas. Je ne suis pas encore convaincu que même avec
l'enchâssement, en donnant les pleins pouvoirs au gouvernement
fédéral, on pourrait exercer assez de coercition sur les
gouvernements provinciaux pour changer au point que cela nous serait tellement
utile. Je n'y crois pas.
M. Le Moignan: Une dernière petite question. Face à
l'avenir, étant donné que vous êtes dispersés, avec
toutes les meilleures garanties possibles, pensez-vous que si les
réajustements sont favorables à votre province, on peut songer
qu'ils vont s'implanter de façon assez ferme, assez solide pour se
perpétuer et garder la langue chez vous?
M. Pinsonneault: J'espère, j'espère, c'est tout ce
que je peux dire. Je le répète, je suis ici à titre
personnel, je ne suis pas membre du comité de direction de l'ACFC. Ils
ont des rencontres assez fréquentes avec le gouvernement, ils sont
très honnêtes et très ouverts dans leurs revendications et
ils lui signifient de façon non équivoque que c'est nos droits
que l'on veut et qu'ensuite on regardera ce qu'on fera, mais pas avant. Je
crois que c'est la seule alternative.
La Présidente (Mme Cuerrier): Ma liste de ceux qui ont
demandé la parole se lit comme suit: M. le député de
Rosemont, M. le député de Deux-Montagnes, M. le
député de D'Arcy McGee. On m'informe que Mme la
députée de Prévost doit guitter maintenant.
Malheureusement, je dois tenir compte du temps qui nous est alloué et
vous n'auriez plus que trois minutes si vous consentiez à donner la
parole... je pense que je m'exprime mal... Si vous consentiez à donner
la parole à Mme la députée de Prévost
immédiatement, elle ne disposerait plus que de trois minutes.
Consentement?
Des voix: Consentement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
députée.
Une voix: Consentement pour aller jusqu'à 18 heures. Ce
monsieur est venu de la Saskatchewan...
La Présidente (Mme Cuerrier): Consentement à
prolonger.
Mme la députée de Prévost.
Mme Chaput-Rolland: M. Pinsonneault, ce que je voudrais vous dire
c'est que ce n'est pas tellement le député... Je remercie le
député de Rosemont de me laisser la parole. Je vais vous dire
à vous ce que j'ai dit il y a deux ans à quelqu'un qui, devant la
commission Pépin-Robarts, nous a fait exactement la même chose. Il
me semble que quelle que soit l'application du nombre, si le nombre requis le
voulait, ce mot magique, ce chiffre magique, je suis d'accord avec vous, c'est
noyer le poisson, mais en définitive, monsieur, est-ce que si le
gouvernement fédéral n'avait pas maintenu la politique de la
commission Laurendeau-Dunton: un pays qui a deux langues officielles devrait
avoir deux cultures officielles, et est-ce que dans les faits ça n'est
pas, si vous voulez, le renforcement que l'on a fait au multiculturalisme qui a
mis beaucoup de vos premiers ministres dans un état de malaise
vis-à-vis de la première des minorités qui est la
francophone, puisqu'elle fait partie de l'histoire du pays? J'ai posé
cette question-là au juge Monet, vous pourrez vérifier, sa
réponse avait été oui. Est-ce que vous avez la même
impression que la politique du multiculturalisme, si valable soit-elle
vis-à-vis des manifestations culturelles des autres cultures, a
également aidé malheureusement le premier ministre à ne
pas vous donner vos droits et, comme vous l'avez dit tout à l'heure,
à vous accorder un peu plus de privilèges? C'est tout ce que je
voulais dire par simple honnêteté canadienne et
québécoise. Merci, Mme la Présidente, de m'avoir
permis...
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Moi, ça m'a complètement
bouleversé lorsque la politique du multiculturalisme a sorti. Cela a
complètement mêlé les cartes. Je reconnais que la Loi des
langues officielles a certainement créé un début
d'ouverture, mais cela a pris tellement de temps. Maintenant, aussitôt
que la minorité Fransaskoise demande quelque chose, on nous
répond immédiatement: II va falloir le donner aux autres, et cela
nous nuit énormément, c'est vrai.
Mme Chaput-Rolland: Merci, monsieur. Merci, M. le
député.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Rosemont.
M. Paquette: Mme la Présidente, j'ai eu l'occasion il y a
quelque temps, de vous rendre visite en Saskatchewan. Je ne sais si j'ai
rencontré M. Pinsonneault, mais on m'a fait un peu le même
exposé, je dois remercier M. Pinsonneault de son exposé
extrêmement éloquent qui nous fait part des
réalités, au-delà des droits qu'on peut mettre dans un
bout de papier, dans une constitution ou dans une loi vécues par les
gens là-bas. C'est une réalité extrêmement triste
qui nous touche profondément tous les francophones du Québec.
J'aimerais soulever un point. Il est assez curieux qu'après avoir
assisté pendant 113 ans à ce qu'on pourrait appeler un lent
génocide - tout n'est pas perdu, mais il y a des redressements
immédiats qui s'imposent - où un par un, on a retiré les
droits des francophones hors Québec, particulièrement en
Saskatchewan, à peine trois ans après que le Québec se
soit donné une politique des langues officielles, évidemment une
politique concernant le français, le gouvernement fédéral
se décide d'agir et décide d'appliquer l'article concernant la
langue d'enseignement également à toutes les provinces. Vous nous
soulignez à juste titre que les effets sont loin d'être les
mêmes au Québec qu'en Saskatchewan. Vous nous faites une
proposition intéressante qui d'ailleurs a été reprise il y
a deux semaines de cela, je pense, par un éditorialiste du Devoir; il me
semble que c'est M. Jean-Pierre Proulx qui disait tout en précisant
qu'il ne faut pas rêver: Si le fédéral voulait agir sur le
plan d'une charte des droits, s'il voulait véritablement donner une
égalité de statut aux francophones et aux anglophones dans
l'ensemble du Canada, il n'aurait pas besoin de légiférer pour le
Québec, il lui suffirait de légiférer pour les autres
provinces, pour les gens qui en ont besoin.
J'ai entendu le député de D'Arcy McGee dire que cette
idée était stupide. Elle n'est pas stupide du tout.
M. Marx: Je n'ai jamais dit que l'idée est stupide. Est-ce
dans la transcription?
La Présidente (Mme Cuerrier): Monsieur... M. Paquette:
Sous-entendu.
M. Marx: Vous avez mal entendu. Voulez-vous retirer...
M. Paquette: Je m'excuse, si je vous ai mal entendu.
M. Marx: Mme la Présidente, qu'il retire ses mots, parce
ce n'est pas dans la transcription.
M. Paquette: ...
M. Marx: Oui, il a un témoin de service. Ne faites pas
des...
M. Charbonneau: N'ayez pas peur de ce que vous dites.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
à l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît! À
l'ordre!
M. Marx: II m'a attribué des mots que je n'ai pas
employés.
M. Paquette: Mme la Présidente, je prends la parole du
député de D'Arcy McGee.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre! M. le député, est-ce que vous
accepteriez que, puisque vous affirmez ne pas avoir tenu ces propos, nous
en...
M. Marx: Qu'il retire ses mots.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député.
M. Paquette: Mme la Présidente, je prends la parole du
député de D'Arcy McGee, mais je l'avais bien entendu. Enfin,
peut-être que cela s'appliquait à autre chose.
La Présidente (Mme Cuerrier): Voilà. M. le
député, voulez-vous poser votre question rapidement s'il vous
plaît, nous ne disposons plus de beaucoup de temps.
M. Paquette: J'en arrive à ma question. M. Marx:
C'est terrible.
M. Paquette: Si le gouvernement fédéral dans sa
charte des droits décidait de faire en sorte qu'il y ait des
écoles françaises, pas seulement des classes ou de l'enseignement
en français là où le nombre le justifie, mais des
écoles françaises et que cette règle s'appliquait
seulement aux autres provinces, pensez-vous qu'il serait possible dans
l'état actuel des choses, compte tenu de ce que vous avez suivi des
négociations constitutionnelles, d'en arriver à un accord des
provinces concernées?
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Je doute très fortement -je lisais tout
récemment des textes au sujet de la crise du temps de Laurier qui a
divisé le Canada, en 1896 - et je suis convaincu que toute la population
anglophone du pays aurait une réticence à accepter le plus simple
des modus vivendi. J'en suis convaincu. Lorsque je reçois des lettres
anonymes, d'autres qui sont signées, cela me fait dire qu'en
Saskatchewan, on n'est pas près d'avoir des écoles
françaises, à moins de pressions très fortes auprès
des gouvernements. C'est ce que nous faisons. Il va nous falloir des voies, il
va falloir en ouvrir d'autres, mais je vois difficilement - je suis
peut-être pessimiste - à moins d'un changement radical de
compréhension du problème canadien...
M. Paquette: Vous nous avez souligné les résultats
du référendum, l'effet du référendum dans votre
province, c'est-à-dire une certaine indifférence, alors que
plusieurs personnes, au cours de la campagne référendaire,
avaient promis que, si les Québécois répondaient non
à la question qui leur était posée, les francophones du
Canada se verraient enfin reconnaître sur un pied
d'égalité. Quelle est l'opinion générale dans votre
province parmi les francophones? Vous nous avez donné la vôtre. Je
sais que c'est toujours difficile d'évaluer l'opinion d'une
minorité. Est-ce une situation ressentie actuellement que le non au
référendum a fait reculer - c'est ce que vous
avez dit, en fait - rend plus difficile, en tout cas, la reconnaissance
des droits des francophones en Saskatchewan?
M. Pinsonneault: Je crois que de plus en plus, M. le
député, nous avons des personnes qui sont obligées de se
rendre à l'évidence que la décision que l'ACSC avait prise
en avril et mai dernier était la bonne. C'est tout ce que je peux
répondre là-dessus. Il y a un nombre grandissant de personnes qui
disent: Elle avait peut-être raison. Donc, c'est déjà un
bon signe.
M. Paquette: Le projet fédéral, évidemment,
ne concerne que la langue d'enseignement, "là où le nombre le
justifie". Pensez-vous que ces droits et les autres droits - on parle de
l'utilisation du français dans les tribunaux, au Parlement,
également du droit de la minorité fransaskoise à ses
institutions sociales, par exemple, tous des droits qui sont reconnus au
Québec - pensez-vous que le meilleur moyen est par une charte des droits
enchâssée dans la constitution et amendable, quelle que soit la
formule, mais amendable avec le consentement d'une majorité de provinces
ou de toutes les provinces? Pensez-vous que cette voie est la meilleure ou si
vous avez l'impression que c'est beaucoup plus par... Comme le disait le
rapport Pépin-Robarts, est-ce beaucoup plus par des ententes
bilatérales entre le gouvernement du Québec et les gouvernements
des autres provinces, ou encore de réciprocité dans certains cas,
qu'on pourrait y parvenir le plus facilement, même si c'est difficile
dans les deux cas?
M. Pinsonneault: Honnêtement, je crois que, si on
reconnaissait peut-être d'une façon plus ouverte le fait des deux
majorités de langue officielle canadienne, cela permettrait une
négociation plus facile. Je ne suis pas un consti-tutionnaliste, je peux
difficilement vous donner une opinion, mais je ne crois pas que les
changements, même avec un enchâssement comme on se plaît
à l'appeler, je ne suis pas convaincu que ce soit la chose qui va nous
remettre nos droits. Il va falloir beaucoup plus que cela.
M. Paquette: Merci, M. Pinsonneault.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Vous avez
fait allusion, en réponse aux questions de M. le ministre tout à
l'heure, M. Pinsonneault, à l'attitude du gouvernement de votre province
dans le cadre des conférences constitutionnelles. Je me souviens - et je
pense que tout le monde est au courant de cela - qu'à un moment
donné M. Trudeau, en septembre, avait reproché à certaines
provinces atlantiques de faire ce qu'il appelait "trading freedoms against
fish". J'ai l'impression, d'après ce que vous dites, qu'on pourrait
reprocher, à la fois à M. Trudeau et à M. Blakeney, de
faire le "trading of French rights against potash", puisqu'il s'agit, dans le
cas de la Saskatchewan, d'une richesse naturelle. (17 h 45)
Je ne vais pas vous poser une question théorique, M.
Pinsonneault. Je vais plutôt vous demander de nous raconter, de
façon un peu plus concrète, ce à quoi votre mémoire
fait allusion à la page 16. Le ministre y a fait allusion dans la
question qu'il vous a posée. Les francophones de Vonda et de
Prince-Albert ont éprouvé des difficultés. Ils s'en sont
remis aux tribunaux, y compris le tribunal d'appel, et n'ont pas obtenu
satisfaction. Est-ce que vous pourriez, en quelques instants, nous raconter ce
qui s'est passé dans ces deux cas-là?
La Présidente (Mme Guerrier): M. Pinsonneault:
M. Pinsonneault: Je vais tenter très rapidement de le
faire, Mme la Présidente. L'école de
Saint-Denis-Vonda-Prud'homme, qui est devenue une école
régionale, a été déclarée école
désignée parce qu'on y enseigne au-delà de 50% du temps
des matières en langue française. C'était de la
première à la huitième année. Les autres classes
étaient hébergées au village voisin, le village
d'Aberdeen. Les neuvième, dixième, onzième et
douzième années étaient enseignées avec ce qu'on
appelait, dans le temps, le français de l'ACFC ou le français
supérieur, qui est le français à raison d'une heure par
jour, ce qui est difficile dans une école de 500 élèves
anglophones.
Le nombre d'élèves a diminué, comme partout
ailleurs. La commission scolaire Saskatoon-Est, l'automne dernier, leur a dit:
On ne donne plus de français à l'école d'Aberdeen. On va,
si vous le voulez bien, défrayer les coûts pour envoyer vos
enfants au collège Mathieu, à Gravelbourg, ou à
l'école de Holy Cross, à Saskatoon, à au-delà de 60
kilomètres de leur résidence.
M. de Bellefeuille: Et Gravelbourg, c'est à quelle
distancé?
M. Pinsonneault: Gravelbourg, à vol d'oiseau, c'est
à au-delà de 250 kilomètres. Comme on s'en servait dans le
temps, c'était à au-delà de 250 milles de Vonda.
Les parents n'ont pas accepté cela. Ils ont demandé
à la commission scolaire d'engager un professeur de plus, et que les
élèves qu'on refusait à Aberdeen seraient
intégrés dans l'école désignée de Vonda, en
neuvième, dixième et onzième années.
La commission scolaire - ce sont des anglophones, il faut les
comprendre; ils ne comprennent peut-être pas nos sentiments - a dit: Non,
cela coûte trop cher, on ne peut pas vous donner cela, il n'y a pas assez
d'élèves. Les parents ont eu deux rencontres avec la commission
scolaire et ils n'ont pas pu en venir à une entente. À ce
moment-là, ils se sont dit: Bien, on va tenter d'amener le gouvernement
ou la commission scolaire en cour. C'est ce qu'ils ont fait. Le premier
jugement a été que les parents n'avaient pas une raison
suffisante pour demander cela à la commission scolaire. Les parents en
ont appelé à la Cour d'appel et cette dernière - j'ai ici
une copie du jugement - en d'autres mots, laisse sous-entendre, si on veut
l'interpréter légalement, qu'une commission scolaire peut
déclarer une école désignée, jusqu'à la
première, la deuxième, la quatrième ou la huitième
année, mais qu'il n'y a absolument
aucune obligation pour elle d'ajouter des classes à cette
école. Les parents sont allés en Cour d'appel, ils ont
été défaits. Ils en ont donc appelé au ministre et
le jugement dit que le ministre répond à la reine et ne
répond pas aux citoyens.
À l'école de Prince-Albert, c'est un groupe de parents qui
veulent l'école française et l'école française,
c'est l'école de type A, si l'on peut dire. C'est une école
où les matières sont enseignées en français pour
jusqu'à 80%. La seule langue qui peut être enseignée en
anglais, c'est l'anglais. On est plus logique que les Anglais, parce que les
Anglais, les années auparavant, voulaient nous faire enseigner le
français en anglais, ce qu'on n'a pas fait d'ailleurs. La commission
scolaire a retardé sciemment notre demande pour avoir cette
école, les parents sont allés en Cour de magistrat et les
magistrats ont dit à la commission scolaire: Vous êtes
obligée de recevoir la demande. Elle a patiné tellement longtemps
que les parents se sont fatigués. Ils ont amené la commission
scolaire en cour et la même chose est arrivée. D'après le
juge, les arguments ne se prêtaient pas à leur donner ce
droit.
Donc, c'est encore le principe. M. Chrétien et M. Trudeau nous
l'ont dit carrément à Régina: "Si cela ne marche pas, vous
n'avez qu'à aller en cour." Mais on ne nous a pas dit qui paierait les
avocats. On ne nous a pas dit qui passerait à travers du moulin, ce qui
est épuisant pour des francophones qui se voient glisser tout le temps.
C'est la situation qui existe présentement. C'est le cas de
l'école Vonda et de l'école Prince-Albert.
M. de BeliefeuiIle: Merci, monsieur.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Mme la Présidente, j'ai déjà eu
l'occasion d'étudier le statut des minorités dans toutes les
provinces du Canada et j'ai bien étudié les droits linguistiques
des francophones hors Québec, au Manitoba, en Saskatchewan, dans les
Territoires du Nord-Ouest, au Nouveau-Brunswick, etc. Je suis très
familier avec ce que vous avez décrit et j'ai même écrit
une thèse sur ce sujet en 1967. Comme vous l'avez décrit, mais
pas mentionné ouvertement, souvent, des attitudes racistes dans l'Ouest
du Canada étaient à la base de la fermeture des écoles
françaises. J'ai même relevé, dans certains jugements des
cours au début du XXe siècle, des attitudes racistes des juges
dans les jugements. Si les jugements sont imprégnés d'une telle
attitude, c'est facile d'imaginer quelle était l'attitude d'autres
personnes.
J'aimerais souligner aussi que les gouvernements canadiens en
général et au moins certains gouvernements provinciaux n'ont pas
vraiment protégé leurs minorités soit linguistiques ou
autres; ces minorités n'étaient pas bien protégées
non plus par les cours. Par exemple, au Manitoba, c'est à cause d'une
décision du comité judiciaire du Conseil privé qu'on a
fermé les écoles françaises au Manitoba à la fin de
XIXe siècle et c'est à partir d'un jugement du comité
judiciaire du Conseil privé en Ontario qu'on a fermé les
écoles françaises en Ontario à partir de 1917.
Je suis tout à fait d'accord quand vous dites qu'il faut chercher
une égalité dans les faits et non pas l'égalité des
principes. Je pense que c'est l'essentiel. Si on inscrit des principes dans une
constitution, il faut que ce soient des principes avec des dents pour mordre et
non pas avec des dents pour sourire.
Ceci dit, j'aimerais mentionner que le livre beige du Parti
libéral du Québec propose, en matière de droits
linguistiques, que les minorités linguistiques soient
protégées dans toutes les provinces en matière
d'éducation, que ces minorités aient un contrôle sur leurs
institutions sociales et éducatives et que chaque minorité
linguistique de chaque province ait le droit d'avoir des émissions de
radio dans sa langue, qu'elle puisse suivre aussi des émissions à
la télévision dans sa langue. Donc, c'est la politique du Parti
libéral qu'on trouve dans le livre beige.
Je me souviens qu'au comité mixte de la Chambre des communes et
du Sénat, qui siège maintenant à Ottawa, il y a eu des
représentations de certains groupes qui ont proposé que le
fédéral fasse appliquer plutôt l'article 133 de la
constitution à toutes les provinces et qu'il y ait une clause dans la
constitution qui prévoie que chaque personne d'une minorité
linguistique ait le droit d'être éduquée dans sa langue
maternelle. À ceci, j'aimerais ajouter que ça va de soi, quand
vous avez souligné que les anglophones au Québec jouissent
déjà de certains droits linguistiques, donc l'article 133, donc
des droits scolaires, ceci depuis la Confédération et même
avant.
Ma question est la suivante. Admettons que le gouvernement
fédéral propose une charte des droits enchâssée dans
la constitution où on va étendre l'article 133 à toutes
les provinces, et où on va garantir les droits scolaires à toute
personne de chacune des minorités linguistiques et où on va
enlever "où le nombre le justifie", pour que ce soit un droit
individuel, c'est-à-dire que même s'il y a seulement un
francophone à Prince-Albert, il aurait le droit d'aller à une
école francophone payée par l'État, c'est-à-dire
que s'il n'y a pas d'école française à Prince-Albert, il
sera envoyé à l'école la plus proche de chez lui.
Donc, admettons que le gouvernement fédéral étend
l'article 133 à toutes les provinces et aussi les droits linguistigues,
tel que je les ai décrits, à toutes les provinces, est-ce que
vous serez d'accord avec de tels articles dans une charte
constitutionnelle?
La Présidente (Mme Cuerrier}: M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Voici, M. le membre de la commission, la
façon dont je le vois. Lorsque l'on demande à assurer le droit
légal garanti à toutes les minorités qui sont au Canada,
je crois qu'on va se créer tellement de problèmes...
M. Marx: Toutes les minorités, ça veut dire les
anglophones et les francophones. C'est ça, les deux minorités, il
n'y en a pas d'autres pour moi, quant aux droits linguistiques.
M. Pinsonneault: II y a des demandes qui ont été
faites tout récemment; d'autres minorités veulent avoir
exactement les mêmes...
M. Marx: Quand j'ai parlé des minorités
linguistiques, j'ai voulu que ce soit bien clair, c'étaient les
minorités anglophones et les minorités francophones. Ce sont les
deux communautés linguistiques et culturelles au Canada.
M. Pinsonneault: Ce serait certainement quelque chose
d'intéressant, mais là, M. le député de D'Arcy
McGee, je ne peux faire autrement que de dire que quand je verrai ça en
noir sur blanc, je le croirai.
M. Marx: Vous êtes prêt à accepter
ça.
M. Pinsonneault: J'accepterai ça à condition, je
répète ce que j'ai dit tantôt, M. le député,
que l'on soit bien certain de ne pas enlever ce droit et ces privilèges
que le Québec a donnés à ces minorités et que cela
soit garant de la culture canadienne-française au Québec. Si, ce
faisant pour le reste du pays, on affecte ces droits-là, moi je ne
marche pas. Nous sommes 3%, nous sommes environ 15,000 francophones en
Saskatchewan, et je crois que je serais malhonnête si j'étais
égoïste au point de dire que pour sauver quelque 15,000 personnes,
nous allons en vendre 4,500,000 ou 5,000,000. Je ne peux pas accepter
ça, je crois que je ne serais pas honnête ni avec moi-même
ni avec vous autres.
La Présidente (Mme Cuerrier):
Malheureusement...
M. Marx: Juste une autre petite intervention. D'accord, s'il veut
en faire une après.
Je ne veux pas diminuer non plus le pouvoir du Québec de
protéger la langue et la culture françaises. C'est clair pour
moi, et je ne veux pas diminuer le pouvoir du Québec de le faire non
plus. Pour moi, dans la charte fédérale proposée, il y a
très peu qu'on donne aux anglophones du Québec parce qu'ils
jouissent déjà de la grande partie de ces droits qu'on va
enchâsser dans une charte constitutionnelle. C'est-à-dire
l'article 133 s'applique déjà au Québec en matière
scolaire et, à mon avis - il y a des divergences d'opinions
là-dessus - cela donne très peu de droits nouveaux aux
anglophones du Québec. Donc, pour moi, la charte fédérale
va bénéficier davantage aux francophones hors Québec. Cela
va ajouter très peu aux anglophones du Québec, mais ça va
donner beaucoup aux francophones hors Québec, et surtout si la charte
était modifiée dans le sens que vous avez suggéré
au début de votre exposé. (18 heures)
Le Parti libéral et moi aussi sommes contre l'imposition d'une
charte des droits par le fédéral aux les provinces. Le Parti
libéral aimerait négocier avec le fédéral et avec
les autres provinces une charte des droits qui serait insérée
dans la constitution. Quand je dis, au cas où le fédéral
et les provinces s'entendraient pour que l'article 133 s'applique à
toutes les provinces et que les droits scolaires s'appliquent à toutes
les provinces, je ne vois pas comment ce serait nuisible pour le Québec
et je vois beaucoup d'avantages pour les francophones hors Québec.
La Présidente (Mme Cuerrier): M.
Pinsonneault.
M. Pinsonneault: Si vous permettez, je vais expliciter davantage
ma pensée; cette idée me rend très réticent. Vous
ne comprenez peut-être pas mon point de vue.
C'est que, à mon point de vue, le Québec dans le contexte
nord-américain a peut-être besoin de se donner des moyens
spéciaux pour assurer l'avenir de la francophonie. À
l'extérieur du Québec, les Canadiens français n'ont pas
cet appui massif de la finance de 240,000,000 d'anglophones, qui serait un
appui moral aussi sans s'en rendre compte, tandis qu'à
l'extérieur du Québec, il nous faut un Québec qui, au lieu
de voir à amoindrir sa population... Vous dites: Le droit à
l'école de son choix à chaque parent. C'est là la menace
et c'est là qu'ayant étudié...
M. Marx: Je n'ai pas dit le libre choix en matière
d'éducation. J'ai voulu dire... Ce n'est pas la position du Parti
libéral et cela n'a jamais été mon point de vue non plus.
Dans le livre beige, on donne le choix aux anglophones de langue maternelle
anglaise. Je ne veux pas entrer dans tous les détails, mais ce n'est pas
le libre choix "free for all" pour les immigrants. Je serais contre cela. Les
immigrants qui viennent des pays étrangers, qui ont une langue
maternelle autre que l'anglais, devraient aller à l'école
française au Québec et, s'ils veulent éduquer leurs
enfants dans la langue anglaise, il serait nécessaire qu'ils
s'établissent dans d'autres provinces ou aux États-Unis.
M. Pinsonneault: Ce serait peut-être un pas dans la bonne
direction, ce que je souhaiterais, mais je vais attendre.
M. Marx: D'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères, la dernière intervention, parce que nous...
M. Charbonneau: Oui, madame. C'est une intervention d'ailleurs et non
une question. C'est simplement à la suite de l'intervention du
député de Notre-Dame-de-Grâce, pour préciser une
chose... De D'Arcy McGee, c'est dans le même secteur. On a voulu laisser
entendre que le livre beige serait une bonne approche. Ce qu'on a oublié
de dire, c'est que le livre beige de votre parti propose d'ouvrir
l'école anglaise au Québec aux anglophones du monde entier. Pour
nous, c'est un recul. Pour nous, c'est inacceptable. Il n'y a aucune
justification pour les anglophones du Québec et du Canada de permettre
à cette communauté de se fortifier à même des
Australiens, des Hindous, des Pakistanais, des Néo-Zélandais, des
Britanniques et des Irlandais. Nous pensons qu'il n'en est pas question et on
ne doit pas, parce qu'en faisant cela on crée deux classes d'immigrants.
On a toujours été contre le fait de créer deux classes
d'immigrants et moi, pour avoir vécu dans le nord de la ville de
Montréal dans le quartier italien de Saint-Michel, près de
Saint-Léonard, j'ai constaté que s'il y a une chose qui a mis le
feu aux poudres, c'est justement qu'on créait des divisions, des
catégories d'immigrants. Je pense que c'est inacceptable. En faisant
cela, si jamais cela se
faisait, on réduit la force du Québec français et,
donc, on affecte la possibilité d'action des communautés
francophones hors Québec.
Il y a une autre chose aussi, soit de dire: Si tout le monde acceptait
l'article 133, si le gouvernement fédéral pouvait l'imposer
à tout le monde. Arrêtons de créer des illusions aux gens.
Le gouvernement fédéral n'a même pas le courage politique
de l'imposer à l'Ontario. Il préfère négocier les
droits, troquer les droits des francophones hors Québec, des
Franco-Ontariens pour un appui politique. C'est ça. Arrêtons de
créer des illusions.
M. Marx: Ce sont des hypothèses.
M. Charbonneau: Des hypothèses, oui, mais on ne fait pas
de la politique d'hypothèses, de la politique-fiction. On fait de la
politique de réalités.
M. Marx: On a fait cela beaucoup avant moi.
M. Charbonneau: Je ne suis pas certain qu'on ait fait beaucoup de
politique-fiction, mais ce que vous faites, c'est effectivement de la
politique-fiction. Au Québec, on a voulu sortir de la politique-fiction.
On a voulu inscrire dans la réalité, irréversiblement, un
Québec de plus en plus français et de plus en plus fort - je
termine, Mme la Présidente - pour les communautés...
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît!
M. Charbonneau: ...francophones hors Québec qui, à
notre avis, font partie de notre peuple. Ce sont des compatriotes.
M. Marx: Et moi?
M. Charbonneau: Vous êtes un concitoyen du Québec,
un Québécois.
M. Marx: Ah, bon! Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît:
M. Marx: Ah, ah! Le premier ministre ne le pense pas.
La Présidente (Mme Cuerrier): II me reste à
remercier chaleureusement M. Rolland
Pinsonneault d'avoir bien voulu se prêter à cette rencontre
avec la commission de la présidence du conseil et de la constitution. Je
dois dire à ceux qui sont ici présents que, ce soir, nous
recevrons le Conseil d'expansion économique.
La commission suspend ses travaux jusqu'à 20 heures. Merci, M.
Pinsonneault.
(Suspension de la séance à 18 h 7)
(Reprise de la séance à 20 h 16)
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, mesdames
et messieurs!
Conseil d'expansion économique
La commission de la présidence du conseil et de la constitution
reprend ses travaux pour entendre le Conseil d'expansion économique et
j'inviterais, au nom de la commission, M. Rosaire Morin qui en est le
porte-parole. Bienvenue, M. Morin. Comme nous en faisons une tradition en
commission, nous recevons d'abord les mémoires et le porte-parole de
l'organisme dispose d'une vingtaine de minutes. Ensuite, les membres de la
commission sont invités à poser des questions. Pour ce faire, la
commission s'accorde 40 minutes qui sont réparties ainsi: 20 minutes
pour les députés ministériels membres de la commission et
20 minutes pour les députés d'Opposition qui en sont membres ou
intervenants.
M. Morin, nous vous écoutons.
M. Morin (Rosaire): Mme la Présidente, messieurs les
députés, j'ai l'honneur de vous présenter un des mes
collègues - l'autre qui devait m'accompagner ce soir est peut-être
retenu à Ottawa - M. Germain Ostiguy, homme d'affaires de
Saint-Césaire.
La Présidente (Mme Cuerrier): Bonsoir, M. Ostiguy.
M. Morin (Rosaire): Quelques remarques préliminaires en
style télégraphique.
Premièrement, nous avons demandé au comité mixte de
la Chambre des communes et du Sénat à Ottawa d'être
reçus, le 7 novembre. Le 10, le coprésident, M. Joyal, nous
répondait et, le 11, le greffier du comité nous répondait,
accusant réception et nous attendons pour comparution.
Deuxièmement, ces dernières semaines, à cause d'une
certaine activité dans le domaine constitutionnel, j'ai reçu
quelque vingt lettres m'accusant d'être révolutionnaire; presque
autant me taxaient d'être séparatiste et j'ai même
reçu autant, si ce n'est pas plus, de lettres me disant que
j'étais fédéraliste. Voilà l'équivoque dans
laquelle nous voguons dans notre société.
Je résume en disant: Je ne suis pas péquiste, je ne suis
pas libéral, je ne suis pas créditiste. J'ai voté pour
Maurice Duplessis, j'ai voté pour M. Lapalme, j'ai voté pour M.
Lesage, j'ai voté pour M. Johnson, j'ai voté pour M. Bourassa,
j'ai voté pour M. Lévesque. J'ai été reçu
par les premiers ministres précédemment, sauf par le premier
ministre du présent gouvernement, ce qui indique que mes couleurs
politiques sont canadiennes-françaises ou québécoises.
Point final.
Le mémoire que vous avez entre les mains n'est pas le
mémoire que j'aurais voulu préparer pour cette commission
parlementaire. Nous avons été avisés hier et j'ai dû
prendre le texte du lancement du volume "Reproduction des dix dossiers
constitution et économie", qui ont paru du 3 octobre au 5
décembre dans le Journal de Montréal et dans le Journal de
Québec.
Ma façon d'envisager le problème n'est pas politique. Je
dis que nous sommes devant un grave problème constitutionnel, un
programme d'ordre national, d'ordre culturel et d'ordre social.
Quelles sont les raisons pour lesquelles nous nous opposons à la
résolution fédérale sur la constitution?
Premièrement, nous considérons que le geste de M. Trudeau sabote
ni plus ni moins le pacte confédératif. Je ne ferai pas, ce soir,
dans les quelques minutes qui me sont allouées, la
démonstration de ce fait que l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique est un pacte entre quatre provinces, un traité, un
compromis, tel que les lords spirituels et temporels de la Grande-Bretagne
l'ont constaté en 1866 en recevant les représentants du Canada et
tel que les Pères de la Confédération en ont
également témoigné à diverses reprises.
J'ai ici, par exemple, le relevé des onze Pères de la
Confédération qui, en des termes fort fermes, en
témoignent. Je vais prendre comme exemple John A. MacDonald qui
déclare, sans ambages, malgré sa foi en l'union
législative dans un seul gouvernement pour un seul pays, à
Londres, en février 1866, ce qui suit: "En ce qui concerne les avantages
comparés d'une union législative ou fédérale, je
n'ai jamais hésité à déclarer ma propre opinion.
À diverses reprises, j'ai déclaré en Chambre que si la
chose était praticable, je croyais qu'une union législative
serait préférable. J'ai toujours été d'avis que si
nous pouvions nous entendre pour avoir un seul gouvernement et un seul
Parlement, ce serait le système de gouvernement répondant sur les
bases les plus solides. Mais quand le sujet a été pris en
considération à la conférence de Québec, nous avons
constaté qu'une union législative serait impraticable. En premier
lieu, le Bas-Canada n'y aurait jamais consenti parce que les Canadiens
français, étant en minorité et possédant une
langue, une religion et une nationalité différentes de la
majorité, sentaient parfaitement qu'advenant l'union avec les autres
provinces leurs institutions et leurs lois pourraient être assaillies et
leurs associations ancestrales attaquées et mises en danger.
Pour toutes ces raisons, il était à présumer que
toute proposition quelconque qui entraînerait l'absorption de
l'individualité du Bas-Canada serait vue avec la plus extrême
défaveur de la population de cette partie du pays. Eussions-nous
répondu par la négative et déclaré que la question
restait ouverte, que les résolutions de Québec étaient
sujettes à modifications au sujet de l'union fédérale, le
Bas-Canada se serait levé comme un seul homme et adieu la
Confédération! Nous avons relevé, à l'heure
actuelle, de onze Pères de la Confédération, une
quarantaine de témoignages différents qui démontrent d'une
façon nette et claire que l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique est un pacte, un traité et certains ajoutaient un compromis.
Ces témoignages seront déposés le 5 février
prochain, la veille du comité mixte du Sénat et de la Chambre des
communes, dans une documentation qui relèvera non seulement les
témoignages des Pères de la Confédération, du
Conseil privé, de nos premiers ministres canadiens et de nos premiers
ministres québécois, mais qui fera une nomenclature de la
tradition établie ici, en ce pays, par nos autorités les plus
compétentes et les plus hautes, sur le plan politique, qui
démontrent que ce pacte, que ce traité ne peut pas être
unilatéralement modifié.
M. Trudeau déclarait lui-même en juin 1964 à
l'Université de Toronto qu'il était impensable que le pacte et le
compromis puissent être unilatéralement modifiés. C'est
là notre première raison. La seconde raison de notre opposition
à la résolution fédérale s'exprime à partir
de la négation que représente le projet Trudeau de la
réalité canadienne-française. Alors que les sociologues,
alors que les hommes politiques depuis toujours, tant
fédéralistes, comme M. Pearson, que québécois ou
nationalistes, à l'instar des Johnson et des Bertrand et autres, ont
affirmé d'une façon continue la réalité de la
nation canadienne-française qui possède sa culture, sa langue,
ses traditions, ses institutions, un vouloir-vivre collectif. M. Trudeau ne
reconnaît pas l'existence de cette nation. Il s'amuse même, avec
son secrétaire d'État, à en ridiculiser presque la notion,
folklore tricoté serré, et c'est ainsi qu'une communauté,
qu'un groupe ethnique, qu'un peuple, qu'une société distincte du
Québec qui regroupe la majorité des francophones du Canada n'est
pas reconnue dans un projet de résolution fédérale qui
modifie les règles juridiques des rapports entre le gouvernement central
et les provinces.
Le troisième motif d'opposition a trait à la charte des
droits. Une charte des droits qui s'ingère profondément dans les
droits des provinces: dans le domaine de l'éducation, par la langue
d'enseignement; dans les droits civils, dans la propriété par la
libre circulation des personnes. Une charte des droits dans un pays où
les droits sont peut-être menacés seulement par le gouvernement
fédéral avec sa Loi des mesures de guerre, avec sa Loi des
secrets officiels, avec ses diverses mesures dont l'impôt, qui fouille
jusque dans les secrets les plus personnels des familles; dans un pays
où les droits sont protégés dans toutes les provinces,
particulièrement au Québec, où la charte de Bourassa de
1976 constitue et représente presque un modèle de protection et
de garantie des libertés fondamentales des citoyens. On a inscrit une
charte des droits dans une constitution, laissant à la majorité,
par un référendum ou par une modification postérieure, la
possibilité de modifier ces droits que l'on veut accorder aux faibles,
à ceux qui ont besoin d'être protégés, aux
minorités.
Il est impensable qu'une charte des droits puisse être
modifiée par une majorité. Notre opposition à la charte
des droits s'inscrit aussi dans le cheminement de notre société
où les droits sont constamment en pleine évolution. Regardez dix
ans derrière nous et vous verrez une marche rapide dans la nature, dans
la détermination des droits, et alors que nous sommes en pleine
progression dans la définition des drois et libertés
fondamentales des citoyens, nous allons les enchâsser pour les geler
pendant de très longues années, ne respectant pas ainsi ces
mêmes citoyens que l'on veut protéger.
Enfin, la charte des droits établit pratiquement, comme on l'a
déjà dit, un gouvernement de juges qui auront à
interpréter, de façon perpétuelle, les législations
provinciales et même fédérales qui pourraient être
incompatibles avec les droits définis dans la constitution.
Ici, à la page 4, vous avez une juste analyse des lacunes
fondamentales de la charte des droits: II n'y a aucune mention de
déclaration internationale des droits; les garanties pour
protéger les libertés des minorités pourront être
dans l'avenir modifiées unilatéralement; l'égalité
de l'homme et de la femme n'est pas reconnue; l'égalité devant la
loi des handicapés n'est pas proclamée; les droits des peuples
autochtones ne sont pas expressément garantis, etc., etc.
Nous avons aussi une ferme opposition à la
langue d'enseignement inscrite, insérée, incluse dans la
charte des droits. (20 h 30)
Le Québec ne peut pas se permettre de voir la population
francophone, qui est déjà faible depuis nombre d'années,
de voir la société québécoise noyée par un
flot d'immigrants qui serait absorbé à 80% par le bloc anglophone
qui possède l'attraction, la force et la puissance économique. Il
est impensable qu'à ce chapitre nous revenions de nombreuses
années en arrière et que le bloc francophone accepte de se geler
dans son avenir sur l'obligation stricte et rigoureuse que le gouvernement du
Québec doit pouvoir, dans ce domaine qui est exclusivement de sa
compétence, définir les règles pour les nombreux
immigrants.
Si nous étions 200,000,000 en Amérique, il n'y aurait
aucune précaution de cette nature à devoir prendre, mais le
statut de minoritaires que nous avons nous oblige à de telles
précautions.
Ce que la charte offre pour les francophones hors Québec me
paraît tout à fait inacceptable. On garantit, là où
le nombre le justifie, au primaire et au secondaire, le droit de à
l'enseignement dans la langue française. Le nombre ne le justifie qu'en
peu d'endroits en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, en Alberta, à
Terre-Neuve, en Nouvelle-Ecosse, à l'Ile-du-Prince-Édouard. Le
nombre ne le justifie pas dans l'ensemble de l'Ontario où nos
francophones sont dispersés, éparpillés. Il faudrait
fondamentalement, si on voulait inscrire pour les francophones hors
Québec des droits, qu'on leur garantisse le droit à des
commissions scolaires à des organismes scolaires qu'ils
contrôleront. Nous savons tous que les écoles françaises
hors Québec sont contrôlées par les anglophones. Il
faudrait que les francophones aient accès à l'école dans
leur langue, de la maternelle, au postsecondaire et à
l'université.
Je dois, le temps passant, dire un mot seulement de la liberté de
circulation et d'établissement qui est inacceptable au Québec. Je
dirai lapidairement - cela vous donnera l'occasion de poser des questions pour
que je précise ma pensée - que le Québec ne peut pas
accepter que les conditions d'admission aux professions et,
éventuellement, l'uniformisation de la formation professionnelle soient
décrétées par le gouvernement central ou par des
associations pancanadiennes.
Je dirai rapidement, sans le motiver à ce moment-ci, que la
mobilité de la main-d'oeuvre n'est pas une norme acceptable pour le
travailleur québécois. Ainsi je passerai à vol d'oiseau
l'égalité des chances que l'on nous offre. J'établis la
relation entre les documents déposés par M. Chrétien en
juillet et en août dernier au comité permanent des ministres sur
la constitution où on demande, en pratique, de transférer un
grand nombre de pouvoirs au gouvernement fédéral,
particulièrement dans le domaine du développement
régional, et un nombre de mesures et de législations qui
deviendraient des entraves à la libre circulation des biens et des
capitaux des entreprises et des services et qui seraient
considérées comme des embûches au bon fonctionnement de
l'union canadienne.
J'aborde malheureusement trop rapidement la procédure provisoire
de modification. À l'article 33, vous constatez que deux ans
après l'entrée en vigueur de la résolution
fédérale, pendant les deux premières années,
à moins d'entente à l'unanimité, c'est le gel de toute
évolution des droits constitutionnels ou des réclamations
traditionnelles du Québec. À l'article 38.3, il est
stipulé que le gouvernement du Canada fera établir un
référendum au cours des deux années qui suivront les deux
premières années. Si les provinces veulent formuler une
proposition de procédure de modification à la constitution, il
faudra que huit provinces représentant 80% de la population s'entendent
sur une proposition unique. Or, croyez-vous que l'Ontario et le Québec
qui demeurent Haut-Canada et Bas-Canada depuis toujours en opposition
culturelle et linguistique, avec des intérêts économiques
diamétralement opposés, pourront trouver une formule d'entente
pour suggérer une formule unique de procédure d'amendement
à la constitution? Voilà ce que M. Trudeau, en pratique, dans une
formule très subtile, demande.
Si l'Ontario ne donne pas son accord et même si les neuf autres
provinces acceptaient une nouvelle procédure d'amendement à la
constitution, les provinces ne pourraient pas, par la voie du
référendum, proposer au peuple leur proposition, même s'il
y avait neuf provinces. Le fédéral réglementera seul la
tenue de ce référendum s'il devait avoir lieu, les provinces
n'étant probablement même pas consultées. Advenant
l'hypothèse presque impossible que l'Ontario et le Québec
s'entendent et qu'il y ait huit provinces représentant 80% de la
population qui proposent, une formule de procédure d'amendement, le
fédéral se réserve, à l'article 38.3, le
privilège de retirer sa formule soumise dans le projet
fédéral de résolution à l'article 41 pour une
éventuelle formule qu'il déposera à ce moment-là.
Quelle serait-elle? J'imagine que même M. Chrétien ne le sait pas.
Alors que l'on demande au cours des deux prochaines années après
l'entrée en vigueur de la résolution fédérale aux
provinces de déposer leurs propositions concrètes et finales, le
gouvernement fédéral se réserve deux autres années
pour une nouvelle proposition, faussant ainsi les jeux. Ce
référendum sera tenu à la majorité des citoyens
canadiens. M. Chrétien a admis lui-même, en réponse
à une question d'un sénateur du Manitoba, que si 80% des
Ontariens votaient pour la proposition fédérale et 65% des
habitants de toutes les autres provinces votaient pour la proposition
provinciale, la majorité l'emporterait étant donné le
poids démographique de l'Ontario. Vous voyez cette absence de consensus
national pour une procédure d'amendement qui engage le pays et son
avenir où l'on confie à la majorité ontarienne le sort de
décider.
S'il n'y a pas de référendum, c'est la Charte de Victoria,
décrite à l'article 41 de la résolution
fédérale, qui devient le mode de procédure d'amendement.
Je ne crois pas que M. Trudeau, si inspiré soit-il - il s'est
trompé dernièrement parce qu'il pensait parler au nom de toute la
population du Canada et un sondage, ce matin, révèle d'autres
facteurs. Alors, c'est la formule Victoria que M. Bourassa avait refusée
en 1971 qui décrétera toute étude d'amendement
constitutionnel par la suite.
Mais à l'article 42, on est au-dessus des provinces,
au-delà de la volonté des provinces,
au-delà de l'existence des provinces, de leurs droits de
partenaires dans ce pacte fédératif; on institue un
référendum où on établit des mécanismes,
s'il y a impasse - cela a été ajouté par après par
M. Chrétien - entre les provinces, s'il y a un blocus continental, comme
cela arrive souvent, surtout lorsqu'on le veut, pour procéder à
des modifications de la constitution. C'est ainsi que le fédéral
est le seul à pouvoir instituer un référendum. Même
si les dix provinces désiraient un référendum sur un
sujet, le fédéral a le privilège de refuser. C'est ainsi
que même si les dix provinces s'opposaient à un
référendum, le fédéral a le droit de le tenir. Ce
référendum pourrait aller aussi loin que l'abolition des dix
provinces canadiennes et l'institution. Cela a été
confirmé par M. Chrétien dans une réponse à un
sénateur au comité mixte. Bien, voici que nous sommes devant un
mécanisme impensable.
Je termine, Mme la Présidente, j'ai dépassé mon
temps? Ce sont des signaux?
Une voix: Non, prenez votre temps.
M. Morin (Rosaire): Je termine en disant qu'on introduit une
clause modifiant les pouvoirs du Sénat, qui me paraît odieuse,
surtout après le jugement de la Cour suprême rendu en janvier
dernier. Mon dernier mot, Mme la Présidente, sera pour dire qu'avant de
penser rapatriement, avant de penser d'enchâsser des droits de quelque
nature soient-ils, faudrait-il que l'on entende le cri du Québec qui,
depuis 40 ans, demande un partage des pouvoirs, demande un partage de la
fiscalité, demande des droits dont il a besoin pour s'épanouir et
protéger son caractère de société distincte.
Merci.
La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. Morin.
Je redonnerai la parole à M. Morin, l'autre, le ministre des
Affaires intergouvernementales.
Une voix: L'autre, l'autre...
M. Morin (Louis-Hébert): Je voudrais...
M. Rivest: On va en inculper deux, Mme la Présidente.
M. Morin (Louis-Hébert): ...devant les sarcasmes
appréhendés du député de Jean-Talon et autres
remarques appréhendées qu'il n'a pas encore exprimées,
dire un certain nombre de choses. La première, c'est que, malgré
la similarité de nos noms de famille, il n'y a pas de lien de
parenté entre M. Morin qui vient de s'exprimer et moi-même, parce
que la famille Morin est une des plus répandues et des plus
représentatives du Québec. Je suis fier d'y appartenir et je
pense que M. Rosaire Morin, de même que Jacques-Yvan Morin, qui n'est pas
avec nous ce soir, partagent, à cet égard, le même
sentiment. C'est le premier élément de mon commentaire sur
lequel, j'en suis persuadé, aucun membre de l'Opposition ici
présent n'a quoi que ce soit à dire.
Deuxièmement, il y a évidemment le nom de Marx auquel on
pourrait...
Des voix: Ah!
M. Morin (Louis-Hébert): Non. Je voudrais qu'on soustraie
du journal des Débats les onze dernières secondes. Je voudrais
aussi dire une autre chose. C'est peut-être une sorte de
témoignage personnel que je vais apporter; ce n'est pas une question. Je
connais M. Rosaire Morin, pas intimement, mais personnellement, depuis
peut-être une douzaine ou une quinzaine d'années à cause
des fonctions antérieures que j'ai eu à occuper. Le
député de Jean-Talon, d'ailleurs, à l'époque
où il était avec moi - c'est-à-dire que j'étais
secrétaire et qu'il était cosecrétaire du comité
parlementaire de la constitution - doit se souvenir des interventions de M.
Rosaire Morin et de celles qui ont succédé par la suite,
notamment les États généraux du Canada
français.
Je veux dire trois choses à propos de l'intervenant que nous
venons d'entendre et à propos de son témoignage. Ce sont trois
mots qui résument, je pense - je tiens à le dire parce que cela
ne m'arrivera pas souvent au cours des semaines qui viendront - un sentiment
que j'ai et qui pourrait être discutable peut-être. Mais je pense
qu'objectivement cela peut arriver parfois, ne serait-ce que par accident, que
les partis d'Opposition peuvent être d'accord. Il y a trois mots qui
caractérisent l'action de M. Morin au cours des années même
si - je vais le dire tout de suite - je ne suis pas toujours d'accord et je
n'ai pas toujours été d'accord avec les présentations, les
opinions, les actions ou les mouvements auxquels ont participé M.
Rosaire Morin et le Conseil d'expansion économique du Québec. Je
pense qu'il y a trois mots: l'honnêteté, d'abord, la
ténacité et la fidélité.
L'honnêteté. Je pense qu'une des caractéristiques de
M. Morin et de ceux qui l'accompagnent, c'est une honnêteté par
rapport à une conception du Québec. Je pense que, si jamais on la
fouille, on pourra trouver des divergences entre nous là-dessus, mais je
dois dire au point de départ qu'une des choses que j'admire chez les
citoyens, c'est l'honnêteté à l'idée qu'ils se font
de ce que nous sommes et de ce que nous devrions être. C'est
peut-être discutable dans certains cas, mais j'admire ceux qui ne
changent pas d'idée quant à nous, non pas parce qu'ils ne peuvent
pas changer d'idée, mais parce qu'ils ont des convictions profondes.
Cela m'amène à deux autres considérations que j'ai
mentionnées: la ténacité et la fidélité. Je
parle d'abord de la fidélité et je dirai un mot de la
ténacité parce que nous en avons un exemple physique que je vais
vous mentionner tantôt. La fidélité. Je pense qu'au cours
des années tout ce que j'ai pu lire, voir et entendre provenant du
Conseil d'expansion économique et de M. Rosaire Morin témoigne
d'une fidélité envers le Québec qui devrait faire notre
admiration à plusieurs égards, parce qu'il y a ceci de
particulier à la vie politique qu'elle met parfois en cause, parce que
nous avons des objectifs à court terme, la fidélité
à long terme que nous avons avec les objectifs à court terme que
nous nourrissons légitimement. (20 h 45)
Ce que j'ai remarqué de M. Rosaire Morin et des autres, c'est que
leur fidélité à long terme et leur fidélité
à court terme à eux ont toujours été
correspondantes et se sont toujours unies dans une même démarche.
Je voudrais pouvoir en dire
autant de nous et, quand je dis nous, je veux dire tout le monde ici
présent.
Il y a aussi la ténacité. Peut-être qu'au cours de
la discussion que nous aurons avec M. Morin viendra tout à l'heure la
question relativement saugrenue de savoir qui a financé ou comment s'est
organisée la préparation de cette documentation tout à
fait remarquable qui nous est soumise ce soir sous forme de volume et qui
s'appelle La réponse du Québec, qui a été
lancé lundi soir de cette semaine lors d'une réception à
laquelle je n'ai pas pu participer à cause du fait qu'on vit, comme
parlementaires, une vie invraisemblablement folle par moment, parfaitement
inhumaine et tout à fait inacceptable, ne serait-ce qu'en rapport avec
des critères strictement physiques. Je n'ai pas pu être
présent, j'aurais voulu l'être et je veux dire - c'est pour cela
que j'insiste sur la ténacité - que, de toutes les personnes que
j'ai connues ou vues au cours des dernières années, je pense que
M. Morin peut réussir, avec tellement peu de moyens, tellement de choses
que je m'étonne chaque fois que je vois une réalisation du
Conseil d'expansion économique. Je m'étonne toujours et je me
pose des questions, je me demande toujours comment ils ont pu réussir,
avec si peu de choses, à faire autant.
Je vais vous dire, ayant été moi-même, avec d'autres
ici présents, auteur de volumes, que je m'étonne de voir qu'on
ait pu, aussi rapidement, avec aussi peu de moyens - et j'insiste sur le "aussi
peu de moyens"... Je pense que M. Rosaire Morin sait ce que je veux dire et je
le dis parce que je suis convaincu que le député de Jean-Talon a
82 questions à poser sur le sujet dont 81 seront probablement à
côté de la coche.
M. Rivest: Mme la Présidente...
M. Morin (Louis-Hébert): Je veux dire une chose,
au-delà de toute boutade, je veux dire publiquement que je vous admire
pour avoir réussi en si peu de temps à ramasser ceci avec autant
de collaboration de gens de divers milieux qui ne sont pas - et je le
répète - nécessairement des partisans du gouvernement du
Québec. Vous avez peut-être mieux que les autres, par vos moyens
à vous, su rejoindre je ne dirais pas l'unanimité parce que,
selon certaines nouvelles vérités - je ne veux pas être
méchant, mais ça m'amuse de le dire en passant -
l'unanimité divise, n'est-ce pas, de même que le non veut dire oui
et le oui veut dire non. Mais, effacez tout cela, je ne l'ai pas dit.
Mme Chaput-Rolland: Vous parlez entre guillemets, M. le ministre,
j'en suis très flattée.
M. Morin (Louis-Hébert): Entre guillemets, c'est
ça. Je tiens à le dire, parce qu'on n'a pas souvent l'occasion de
parler. On ne me pose pas de questions à l'Assemblée nationale et
je ne fais jamais de discours, alors, pour une fois que j'ai le temps de
parler, je le dis.
M. Rivest: Ne nous attaquez pas en parlant.
M. Morin (Louis-Hébert): Je n'attaque personne, je dis ce
que je pense.
Mme Chaput-Rolland: Ne parlez pas de nous.
M. Morin (Louis-Hébert): Si vous avez quelque chose
à corriger sur l'honnêteté de M. Morin...
M. Rivest: On est d'accord.
M. Morin (Louis-Hébert): ...sur sa fidélité,
sur sa ténacité et sur celle du Conseil d'expansion
économique, vous le ferez. Je veux dire que sa ténacité a
ceci de remarquable qu'elle a réussi, mieux que tout organisme
gouvernemental, toute patente administrative ou structure complexe de
l'État, à faire ce que personne au Québec n'aurait
été en mesure de faire en aussi peu de temps. Je veux lui en
rendre témoignage ouvertement et publiquement. Je suis sûr que,
dans les années qui viennent, il y aura là-dedans une
série de témoignages auxquels on se référera parce
qu'ils auront une valeur historique, ne serait-ce que parce que le
député de Prévost y a contribué, ne serait-ce que
parce que d'autres personnes, d'autres horizons politiques y ont
contribué, ne serait-ce que parce que je n'y ai pas contribué.
D'abord, on ne me l'a jamais demandé et, deuxièmement, je pense
que c'est en toute liberté - et je mets qui que ce soit au défi
de dire le contraire - que ce document, qui est le résultat, en somme,
de ce qui a paru dans le Journal de Montréal et dans le Journal de
Québec, ceci, qui est le résultat de cette entreprise où
on a demandé plusieurs collaborateurs, n'a jamais été,
à aucun moment, directement ou indirectement, par biais ou par
sous-entendu, influencé par le gouvernement du Québec. Je mets
qui que ce soit au défi de dire que quelqu'un, de notre part, est
intervenu pour faire dire à qui que ce soit des choses que le qui que ce
soit impliqué aurait pu exprimer autrement. Je tiens à rendre
hommage à la ténacité de M. Morin et je voulais faire ce
témoignage ce soir. Je n'ai pas de question particulière. J'en
aurai peut-être tantôt à la suite de celles qui viendront
certainement du côté de l'Opposition. Mais il arrive des moments
dans l'histoire du Québec où il est important de souligner deux
ou trois choses. J'ai voulu le faire ce soir. Cela ne veut pas dire que je suis
d'accord avec tout ce que M. Morin a dit dans sa vie, ce qu'il a fait, ce que
son organisation représente; il y a des nuances, il y a tout ce qu'on
veut. Mais je pense qu'on vit, face au coup de force fédéral, une
période où la recherche qui doit nous inspirer est celle de ce
qui nous unit plutôt que de ce qui nous divise. Je sais que c'est un
truisme que de dire cela. C'est un lieu commun. C'est en quelque sorte une
platitude mais il y a des platitudes, à certaines époques de
l'histoire humaine, qui deviennent des nécessités.
Je pense que ce travail, que j'ai vu pour la première fois ce
soir, qui m'a été remis il y a quelques minutes à peine,
représente le résultat d'un effort que tous ensemble ici,
au-delà de nos allégeances politiques... Ce qui nuit d'ailleurs
dans la cause du Québec souvent, c'est l'existence de partis politiques,
si je peux m'exprimer ainsi, toutes proportions gardées et au
figuré; je m'empresse de dire au figuré parce que les partis
politiques sont nécessaires. Ce qui nuit parfois au Québec, c'est
qu'à cause des partis politiques nous sommes souvent plus divisés
que nous le sommes en réalité parce que nous devons, de part et
d'autre, jouer des rôles. Je pense que ce qui
est caractéristique du Conseil d'expansion économique et
de M. Morin, c'est qu'il ne joue pas de rôle et qu'il fait son travail,
qu'il le fait avec un cap très déterminé et qu'il sait
où il va, qu'il a confiance dans le but qu'il veut atteindre. À
cet égard, il mérite en quelque sorte l'hommage de tous ici
présents, que je termine à l'instant même sans poser de
question pour le moment, quitte à me réserver, Mme la
Présidente, le droit d'intervenir au moment où je le jugerai
opportun et où mes collègues le jugeront opportun, compte tenu
des questions que proposeront nos collègues des oppositions et
même du gouvernement. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): Vous aviez un commentaire,
M. Morin.
M. Morin (Rosaire): Un bref commentaire. Je veux rassurer les
députés de l'Opposition. Je n'ai pas demandé à
Claude Morin de me rendre un témoignage ici ce soir.
Deuxièmement...
M. Rivest: On est unanime contre le rapatriement
unilatéral.
M. Morin (Rosaire): Unanime?
Deuxièmement, je ferai remarquer que, dans la
fidélité à long terme et à court terme, je n'ai
aucun intérêt à protéger, c'est-à-dire aucun
pouvoir à conserver ou aucun pouvoir à acquérir.
Troisièmement, mes ancêtres venaient de
Sainte-Anne-de-Beaupré en 1649 et ils n'étaient de la
lignée ni de Claude, ni de Jacques-Yvan.
M. Morin (Louis-Hébert): Vous avez raison, les miens ne
venaient pas de la même région.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée
de Prévost.
Mme Chaput-Rolland: M. Morin, les deux MM. Morin, le premier, je
crois que je n'aurai aucune difficulté à m'associer aux fleurs
que vous avez répandues sur la tête de mon ami, M. Morin, l'autre,
puisque j'ai eu moi le plaisir et l'honneur de travailler à ses
côtés pendant quatre ans comme vice-présidente des
États généraux. Donc, à la fidélité,
à la ténacité, à la sincérité du
travail de M. Rosaire Morin, je pense que je n'ai rien à ajouter si ce
n'était que plus, mais on finirait par l'étouffer sous les
fleurs. Moi aussi je voudrais dire que, lorsque Michel Pelletier, qui a
été et qui est le représentant à l'intérieur
du conseil économique, du moins pour les besoins de ce livre, m'a
téléphoné, je n'ai posé aucune question à
savoir qui payait, pour qui, pourquoi, comment, et M. Fiset; de savoir que la
demande me venait de Rosaire Morin a suffi pour que j'y acquiesce avec beaucoup
de plaisir. Je n'ai appris que sur le parquet de la Chambre que le gouvernement
du Québec y était impliqué et si je l'avais su avant,
connaissant Rosaire Morin, j'aurais écrit dans ce livre peut-être
plus longuement que je l'ai fait.
S'associer aux États généraux qui ont
été en quelque sorte... Mme la Présidente, vous voudrez
bien me permettre, si vous avez permis à M. le ministre Morin de faire
une longue dissertation sur les qualités de M. Rosaire Morin, je ne vois
pas pourquoi je ne pourrais pas en faire autant. Ce que je veux dire, c'est que
les États généraux ont été à la base
de beaucoup de choses, des engagements politiques d'un certain nombre de
Québécois et de l'orientation d'autres Québécois
dont j'ai fait partie. Ce que je voudrais demander tout de suite à M.
Morin, pour le bénéfice de ceux qui peut-être ne le savent
pas très bien, j'ai honte d'avouer, M. Rosaire Morin, qu'avec toute la
vieille amitié que nous avons, je n'ai jamais très bien compris
quelles étaient les fonctions fondamentales et principales du Conseil
d'expansion économique du Québec. À chaque fois que je
vous ai vu, vous faisiez mille autres choses que cette fonction-là.
Alors ce soir, pour le bénéfice de ces humbles membres de
l'Opposition dont nous sommes, est-ce que vous voudriez nous dire, dans un
premier temps, ce qu'est le conseil économique, qui sont vos
alliés? Après, je vais vous poser une autre question qui va
porter sur une phrase de votre mémoire. Je pense qu'on pourra me
permettre une deuxième question, Mme la Présidente.
M. Morin (Rosaire): Le conseil est un organisme
d'éducation économique. Nous avons été probablement
l'un des seuls organismes au Québec à analyser de façon
constante la participation des Canadiens français dans tous les secteurs
de l'économie. C'est ainsi que, malgré la
prospérité dont on se vante et dont on se flatte la bedaine, dans
le domaine bancaire, par exemple, en 1980, nos entreprises francophones sont en
arrière de leur proportion de 1937. Dans le domaine de l'assurance-vie,
par exemple, nous maintenons les ]35 compagnies d'assurances qui existent au
Québec, nous analysons leurs placements selon les territoires. Notre
participation est à peu près 30% francophone, même si nous
comptons 83% de francophones, dans le domaine des fiducies, des fonds mutuels,
dans les secteurs des assurances générales, dans les secteurs du
crédit et de l'épargne. Ainsi, dans le secteur industriel, nous
avons eu particulièrement trois grandes enquêtes industrielles
où nous avons observé, de 1968 à 1972 et à 1976,
contrairement à tout ce que l'on pense, non pas une progression de la
proportion des francophones dans l'industrie québécoise, mais une
courbe presque descendante, particulièrement dans la première
décennie.
C'est dans ce domaine principalement que nous oeuvrons. C'est
très accidentellement qu'en juillet dernier, nous avons
été impliqués dans l'étude et l'analyse des
propositions, des pouvoirs touchant l'économie que M. Chrétien
déposait au comité permanent des ministres sur la constitution
les 8 et 9 juillet dernier.
Les conséquences et les répercussions des intentions
fédérales étaient telles qu'elles nous semblaient
affaiblir considérablement les pouvoirs économiques du
Québec et mettaient même en danger la participation francophone
dans le monde économique.
Ce n'est que par hasard que nous avons été
impliqués, le 5 octobre dernier, par le projet Trudeau, dans les
implications politiques et constitutionnelles. Originairement, au mois de
juillet, au mois d'août et au mois de septembre, nous ne faisions que
l'analyse et l'étude des implications économiques des
propositions Chrétien déposées au comité permanent,
tant à Montréal qu'à Vancouver, au mois d'août.
Lorsque le coup de force est arrivé, le 5 ou le 6 octobre, notre
premier numéro était déjà
presque en voie et là, nous avons décidé, à
l'unanimité, même si nous avons des libéraux chez nous, des
unionistes et peu de péquistes - parce que nous comptons 1200 membres
des PME, des industries, des commerces et services et des hommes de profession
associés aux affaires, alors les péquistes ne sont pas en grand
nombre chez nous - nous avons décidé, devant le coup de force, de
modifier notre tir pour la première fois et d'étudier le
problème constitutionnel. Pour nous, ce n'est pas un problème
politique, c'est une question nationale profonde.
Mme Chaput-Rolland: M. Morin, dans votre mémoire, vous
dites, à un moment donné, en marge de la proposition de M.
Trudeau, que "la mobilité de la main-d'oeuvre n'est pas une norme
acceptable aux Québécois". J'aimerais que vous me disiez
pourquoi. (21 heures)
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Morin.
M. Morin (Rosaire): J'ai presque l'idée, Mme la
Présidente, de prendre le problème de la main-d'oeuvre dans son
ensemble et de l'étendre aux professions, si vous n'y avez pas
d'objection.
Mme Chaput-Rolland: ... cela peut être l'heure.
M. Morin (Rosaire): Pardon?
Mme Chaput-Rolland: Ce n'est pas moi qui aurais des objections,
cela peut être l'heure ou Mme la Présidente.
M. Morin (Louis-Hébert): Consentement.
M. Morin (Rosaire): Ici, à l'article 6, il est
indiqué: Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada - je
n'ai pas d'objection et également tout immigrant, n'est-ce pas? - et
toute personne ayant le statut de résident permanent - qui ne
possède pas sa citoyenneté, a confirmé M. Chrétien
- a le droit de se déplacer dans tout le pays et d'établir sa
résidence dans toute province, de gagner sa vie dans toute province, y
acquérir des biens sans aucune distinction fondée principalement
sur la province de résidence antérieure ou actuelle.
Si vous reprenez les documents déposés par M.
Chrétien en juillet, à Montréal, et en août,
à Vancouver, vous y revoyez, d'une part, textuellement, les mêmes
termes, mais vous y avez en plus, d'une façon très
précise, une série d'entraves qu'il a indiquées. Il
considère des entraves au bon fonctionnement économique, les
distorsions qu'il y a dans les différentese conditions d'admission et
d'exercice de professions d'une province à l'autre. Il donne des
exemples précis, par exemple, les médecins, les avocats -je
pourrais me référer au texte même si vous le vouliez - des
différences qu'il y a d'une province à l'autre. Il
suggère, quelque part dans le document, l'uniformisation à
travers l'unité canadienne. Il dit, d'une façon très
précise, par exemple, qu'il faut: garantir la liberté de
mouvement et le droit d'établissement des citoyens ainsi que leur droit
de gagner leur vie, étendre la portée des compétences
fédérales pour qu'elles englobent toutes ces matières
essentielles au bon fonctionnement de l'union canadienne, de manière que
les lois et règlements pertinents puissent s'appliquer
uniformément dans tout le Canada et que toute dérogation soit
assujettie aux critères de l'intérêt public. Vous avez ici
vingt interventions différentes où M. Chrétien parle de
discrimination entre les pratiques qui existent d'une province à l'autre
dans l'exercice des professions. Il citait, par exemple, je crois que c'est
à Vancouver, la pratique des ingénieurs. Dans le Code de
déontologie, un examen au Québec doit être exercé.
Il trouvait que cette pratique était une entrave à la libre
circulation.
Or, nous ici, à partir de ce texte, on peut déjà
interpréter que la libre circulation des personnes, sans
considération des provinces, sans aucune considération du lieu
d'origine de province, présuppose - lorsqu'on relit dans le document les
intentions de M. Chrétien de juillet, - je n'ai plus de doute pour ma
part - clairement l'intention du fédéral d'uniformiser les
conditions d'admission dans les professions. Comment le fera-t-il? Le
fera-t-il, tel qu'il le décrit, par une loi fédérale qui
uniformisera? Le fera-t-il d'autres manières? Quelle que soit la
manière, je dis que le Québec ne peut pas se permettre d'accepter
l'uniformisation dans les conditions d'admission aux professions. Cette
uniformisation dans les conditions d'admission aux professions conduira
éventuellement à l'uniformisation dans la formation
professionnelle. Il s'agit de penser à notre société,
à ses caractéristiques, à son mode de vie, à notre
Régime d'assurance-maladie, à notre droit civil particulier pour
tout de suite répondre négativement à l'uniformisation de
la formation professionnelle. Nous perdrions notre entité nationale
presque en son entier. Là, je vais loin.
M. Marx: Mme la Présidente, puis-je enchaîner avec
une question?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
je regrette, j'ai déjà une longue liste de noms de
députés qui m'ont demandé que je leur accorde la
parole.
M. Marx: Ajoutez mon nom.
La Présidente (Mme Cuerrier): Nous sommes contraints aussi
par le temps et les règles.
M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce sur le même
sujet?
M. Marx: Sur le même sujet.
M. Morin (Louis-Hébert): Qui vient après? On
verra.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est M. le chef de l'Union
Nationale. Pouvez-vous le faire rapidement, monsieur, à moins que je
n'aie d'objection...
M. Marx: Sur le même sujet.
M. Morin (Rosaire): Rapidement, je vais terminer et je
répondrai à d'autres questions. La mobilité de la
main-d'oeuvre, nous avons environ, bon an mal an, 2000, 2300 travailleurs
québécois qui vont travailler, à cause de leur
spécialité, dans d'autres provinces, dans l'Office de la
construction particulièrement. Lorsque le gouvernement du
Québec n'avait pas une protection ou un protectionnisme à
accorder à ses travailleurs, il y avait 10,000, 12,000, 15,000
travailleurs ontariens qui venaient travailler de ce côté-ci de la
clôture. C'est pourquoi je dis, alors que la domination économique
est ontarienne et que nous sommes à leur frontière, que nous ne
pouvons pas nous permettre indéfiniment de subir la contrainte de
l'Ontario sur le Québec, qui devient discriminatoire pour nous.
M. Marx: Je vais seulement enchaîner parce que c'est sur le
même point.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee, rapidement.
M. Marx: J'aimerais seulement signaler, pour commencer, que dans
le livre beige du Parti libéral du Québec, nous avons une clause
qui propose qu'on ait un article dans la constitution pour prévoir la
liberté de circulation et d'établissement, c'est-à-dire
que même si le Parti libéral du Québec est contre le fait
que le fédéral veuille rapatrier et modifier la constitution
d'une façon unilatérale, sur certaines clauses qui se trouvent
dans la charte fédérale, nous sommes d'accord.
Quant au point que Mme la députée de Prévost a
soulevé, vous avez cité M. Chrétien, mais vous avez
cité ce que M. Chrétien a dit au mois de juin, au mois de
juillet, peut-être au mois d'août. À cette époque, il
parlait d'une autre charte. Il ne parlait pas de la charte qui a
été déposée le 2 octobre. Avec tout le respect que
je vous dois, je trouve que ce que vous avez dit en ce qui concerne
l'uniformisation de la formation professionnelle de Terre-Neuve à la
Colombie-Britannique... Je ne sais pas sur quoi vous pouvez baser une telle
proposition. Avez-vous eu des études juridiques vous indiquant que ce
serait cela l'interprétation de l'article 6 de la constitution?
Seulement pour... On n'a pas beaucoup de temps. J'ai écrit un article
dans le Devoir le 27 novembre 1980. Je vais vous en donner une copie. Je pense
que vous allez voir qu'on ne peut pas coller vos affirmations à la
charte. Même, hier soir, on a eu Me Pratte, le conseiller juridique du
ministère. Il n'était pas prêt à affirmer ce que
vous affirmez ce soir. J'aimerais savoir si vous avez eu un avis juridique ou
d'autres avis pour étayer ce que vous avez affirmé à la
page 8 de votre mémoire.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin.
M. Morin (Rosaire): Je ne suis pas... M. Marx: Pardon?
M. Morin ( Rosaire): ...un avocat ni un juriste, mais lorsque,
dans le projet déposé au mois d'octobre, on utilise les
mêmes termes que dans les documents du mois de juillet, j'y vois un
rapprochement. Au mois de juillet, par exemple, à la page 19 d'un
document déposé au comité, on déplore les entraves,
les discriminations, les avocats, toute personne désireuse de se faire
accréditer comme pharmacien... il y a trois pages de
discriminations.
M. Marx: C'est une déclaration générale. Ce
n'est pas un article précis. Il y a une différence.
M. Morin (Rosaire): Non, mais il reste, M. le
député de D'Arcy McGee... J'ai admiré ce père de la
Confédération, D'Arcy McGee, lorsqu'il disait: La
Confédération est un pacte entre deux races. Votre ancêtre
a fait beaucoup de déclarations célèbres qui confirment
l'affirmation du pacte fédératif.
M. Marx: Pas tout à fait. M. Rivest: Karl Marx?
M. Morin (Rosaire): Ici, je n'ai pas de doute sur les intentions.
Elles sont exprimées, non pas par moi-même, mais par le
fédéral et elles le sont sous diverses formes. Il y a même
des mesures, des dispositions juridiques dont on parle pour l'uniformisation.
Est-ce qu'ils les appliqueront? C'est autre chose, mais je dis que c'est une
hypothèse qui est dangereuse et que nous ne pouvons pas
agréer.
M. Marx: Non, seulement pour enchaîner, vous avez
même dit qu'il était possible que le fédéral
légifère en ce qui concerne les professions au Québec. Il
n'y a aucun fondement juridique à une telle déclaration, M.
Morin. Je m'excuse, mais vous pouvez... L'article 6 de la charte ne donne aucun
pouvoir au fédéral de légiférer. Je vous recommande
très humblement de vérifier le fondement juridique de votre
mémoire auprès des conseillers juridiques de
ministères.
M. Morin (Rosaire): Je vous relis, M. le député,
l'article 3 de la page 26: "Étendre la portée des
compétences fédérales pour qu'elles englobent toutes les
matières essentielles au bon fonctionnement d'une union
économique dans la libre circulation des personnes."
M. Marx: Oui, ce n'est pas ce que M. Chrétien a dit qui
compte, c'est ce qu'il y a dans la charte qui compte.
M. Morin (Rosaire): Je sais, M. le député, que nous
ne pouvons pas nous fier à ce que M. Chrétien nous dit, parce
que, lors du référendum, il nous a bien dit qu'un non signifiait
un oui et que nous aurions des changements constitutionnels conformes aux
aspirations des Québécois.
M. Marx: Ce n'est pas tout à fait pertinent au
débat qu'on a ici.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: Je n'ai pas de questions précises à
poser à M. Morin. Je n'ai aucun lien de parenté, d'abord, quoique
j'ai de la parenté chez des Morin, alors je ne veux pas prendre
ça comme argument pour m'attirer sa sympathie, je pense que je l'ai
déjà d'avance.
M. Morin sait très bien, je pense, le rôle, je ne parle pas
du référendum, même au référendum, je crois
qu'on a été logique dans nos positions, mais dès le 3
octobre, au nom de l'Union Nationale, j'avais dénoncé le projet
que M. Trudeau déposait. Avant cela, à la commission
parlementaire du mois d'août quand nous avions demandé un
certain consensus, l'unanimité à l'Assemblée nationale,
pour nous opposer une forme de rapatriement unilatéral, comme M. Trudeau
lui-même avait déjà annoncé avant même que les
premiers ministres ne se rencontrent, j'ai eu l'occasion, depuis notre retour
à l'Assemblée nationale, au mois d'octobre, d'appuyer la motion
du gouvernement... Nous l'avons appuyée franchement, nous l'avons
appuyée sans détour, sans diluer les termes et sans dire que nous
étions pour, tout en laissant entendre que nous voterions contre. Nous
étions contre le rapatriement unilatéral que j'ai
qualifié, dans le temps, avec beaucoup d'autres, d'un coup de force,
d'une décision arbitraire qui allait contre les droits des gouvernements
provinciaux qui sont tout de même maîtres dans leur sphère
de juridiction respective.
J'ai écouté votre mémoire avec beaucoup d'attention
et je n'ai aucune objection à tous vos énoncés. Je suis
parfaitement d'accord. Je pense que vous défendez la vraie cause, celle
que nous défendons, celle que j'ai exprimée à
l'Assemblée nationale à quatre ou cinq reprises depuis le retour
au mois d'octobre. Quand je regarde votre travail, la réponse du
Québec, l'immense travail que vous poursuivez, je veux simplement vous
dire que je suis entièrement d'accord avec vous, même s'il y a de
petits points peut-être qui peuvent nous séparer; c'est bien
normal, autrement, ça ne fonctionnerait plus.
Je vous félicite de votre travail et je vous demande de continuer
l'oeuvre pour dénoncer ce projet qui est vital pour l'avenir des
Québécois, pour l'avenir de notre race, pour l'avenir des droits,
pour l'avenir de ce que nos ancêtres ont défendu depuis
déjà tellement d'années. Merci, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Morin, avez-vous quelque
chose à ajouter?
M. Morin (Rosaire): Non, j'apprécie l'unanimité qui
se dessine autour de cette table.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je regrette, je vais devoir
fermer la liste des intervenants parce qu'il reste très peu de temps.
J'ai encore M. le député de Verchères et M. le
député de Rosemont. Je vous demanderais de faire vite pour que
vous puissiez, dans le temps qui nous est imparti, poser vos questions.
M. Charbonneau: D'abord un commentaire...
M. de Bellefeuille: Excusez-moi, Mme la Présidente, petite
question de règlement. Est-ce que la commission ne serait pas libre de
décider de prolonger légèrement la durée de ses
travaux ce soir?
M. Rivest: On prend le temps. On n'a pas d'autres groupes.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai besoin d'un
consentement unanime.
M. Rivest: Consentement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Alors, M. le
député de Verchères.
(21 h 15)
M. Charbonneau: Très bien. La première constatation
que je fais à la lecture du texte que vous nous avez remis, c'est
quelque chose qui est, à mon avis, important parce que, pour une rare
fois, j'y vois une cohérence - et j'ai l'impression que la
députée de Prévost sera d'accord avec moi - de
vocabulaire. C'est assez rare dans des textes de nationalistes
québécois, qu'ils soient indépendantistes ou
fédéralistes, qu'on retrouve une cohérence de vocabulaire.
On a plutôt l'habitude de une utilisation des mêmes termes dans des
sens différents. Bien que les gens de ma génération ne
veuillent utiliser que le mot "québécois", je pense que, d'une
certaine façon, il y a un avantage à utiliser le mot
"canadien-français", comme vous le faites. Il y a moins
d'ambiguïté sur le peuple et la nation dont on parle et cela ne
nie, d'aucune façon, l'ouverture de ce peuple vers le monde quand on
emploie, par ailleurs, l'expression "société
québécoise" ou "société distincte". Je n'ai pas
l'impression que, dans mon vocabulaire quotidien, je vais me mettre à
m'identifier comme Canadien français, bien que souvent au cours
d'interventions publiques que j'ai faites, j'ai utilisé l'un et l'autre
d'une façon synonyme. Mais je pense que cela est important dans certains
textes, en tout cas, dans des prises de position, qu'on ait un vocabulaire qui
soit logique d'un bout à l'autre et qui soit cohérent. J'ai
déjà eu l'occasion de déplorer ce fait et, je pense, Mme
la députée de Prévost également. J'ai l'impression
que cela peut permettre une meilleure compréhension.
Je voudrais savoir, par ailleurs - parce qu'on a eu l'opinion du
député de D'Arcy McGee cet après-midi par une question
qu'il posait à un autre témoin - ce que vous pensez de
l'éventualité, des avantages que pourrait comporter, pour les
Canadiens français hors Québec, l'imposition à toutes les
provinces de l'article 133.
M. Morin (Rosaire): Personnellement, je n'ai pas d'objection. Si
l'on veut vraiment être sérieux en ce pays, si le Québec
doit demeurer bilingue, chacune des dix provinces, dans son Parlement ou dans
ses Législatures et dans ses tribunaux, devrait également
l'être. J'ai l'impression que c'est là plutôt un symbole
qu'une réalité. Je mets l'insistance sur l'enseignement à
tous les niveaux hors Québec, non seulement aux niveaux primaire et
secondaire, mais je mets une insistance égale sur des organismes et des
commissions scolaires contrôlés par les francophones. Aussi
longtemps que nos écoles françaises hors Québec sont
contrôlées par des anglophones, nous vivons dans l'illusion,
à mon sens.
Je crois que la réalité, "là où le nombre le
justifie", doit être déterminée selon la même
règle qu'au Québec. Au Québec, si on regroupe quelque part
dans un petit village de la Gaspésie 20 étudiants de langue
anglaise, ils ont une école de langue anglaise. Ils auront quelque chose
comme 345 écoles primaires au Québec, un peu dans toutes les
régions du Québec. "Là où le nombre le justifie",
cela devrait avoir la même application hors Québec qu'au
Québec. Nous respectons l'anglophone au Québec. Il
possède, de la maternelle à l'université, ses
universités, ses organismes scolaires et ses commissions scolaires.
Qu'on accorde le même privilège aux
francophones hors Québec. C'est beaucoup plus important, à
mon sens, que l'article 133 qui est un symbole, selon moi. Parler
français au Parlement et devant ses tribunaux modifie peu dans la
formation de l'individu.
M. Charbonneau: Je n'ai pas eu l'occasion de lire
complètement le texte puisqu'on nous l'a remis au début de la
séance. Est-ce qu'à un endroit vous commentez la charte
fédérale ou le projet fédéral dans les implications
qu'elle aurait en termes d'immigration?
M. Morin (Rosaire): Oui, je l'ai commenté tout à
l'heure légèrement, mais tout de même, et je le
mentionne...
M. Charbonneau: Est-ce que vous pourriez reprendre cette
argumentation d'une façon plus...
M. Morin (Rosaire): Je le mentionne dans la langue
d'enseignement. "L'enchâssement du droit de la langue d'enseignement est
inacceptable au Québec. Le caractère français de la
société québécoise ne peut être noyé
dans le temps par l'assimilation continue et progressive des immigrants au bloc
anglophone qui possède la puissance de l'attraction économique.
Le devenir québécois ne peut être ainsi
hypothéqué. Les Canadiens français ne peuvent abandonner
à la majorité anglophone de ce pays la détermination de la
politique linguistique que le Québec peut établir selon les
exigences du présent et de l'avenir. Aucune autorité
fédérale n'a le droit d'amoindrir ou de nullifier la
compétence provinciale en ce domaine." On peut expliciter davantage,
mais je crois que c'est concis comme pensée.
M. Charbonneau: D'accord.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Rosemont.
M. Paquette: Mme la Présidente, j'aimerais tout d'abord
remercier M. Morin de son mémoire qui est tellement clair et
précis; j'ai eu le temps de le parcourir. J'aimerais plutôt
essayer d'aller au-delà de ce qui est écrit, connaissant le
travail antérieur de M. Morin. Je tiens à souligner que mon
collègue de Verchères et moi-même, lorsque nous avons
commis un volume il y a deux ans, nous nous sommes beaucoup inspirés de
certains textes...
Une voix: II y a beaucoup d'auteurs autour de la table.
M. Morin (Louis-Hébert): II reste juste M. Marx, son livre
n'est pas publié encore.
M. Rivest: Marx est publié.
M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce qu'il a publié son
livre? Ah, boni
M. Rivest: II y aurait seulement Lucien Lessard et moi qui
n'aurions pas écrit.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Paquette: Je me rappelle, en particulier, un article que vous
aviez écrit, je pense, autour de 1967 ou 1968 concernant le statut
particulier. Il y a un passage de votre texte qui m'a étonné
parce que j'y voyais une certaine contradiction. Lorsque vous parlez de la
formule d'amendement à la constitution, vous semblez privilégier
le droit de retrait pour une province concernant un amendement avec lequel une
majorité de provinces, par exemple, serait d'accord alors que l'une des
provinces ne serait pas d'accord. Vous semblez privilégier le fait
qu'elle en soit exclue. Cela me paraît mener à une certaine forme
de statut particulier.
M. Morin (Rosaire): Si nous avons à vivre en ce pays, il
nous faut, quand même, tenir compte de certaines réalités.
Personnellement, je n'ai pas d'objection à ce que nos compatriotes de
langue anglaise centralisent à Ottawa l'éducation, la
sécurité sociale, la main-d'oeuvre; ils ont une même
culture, ils ont une même langue et leurs intérêts
économiques, c'est de l'argent et cela a la même valeur en
Colombie ou à Terre-Neuve. Pour nous, qui avons des
caractéristiques très particulières (latin,
français, culture, langue, institutions et autres), nous ne pouvons pas
accepter cette centralisation à Ottawa. Qu'eux centralisent, je
l'accepte, mais il faut qu'on nous laisse nous la liberté d'organiser
notre vie sociale, notre rayonnement culturel, qu'on nous dote des pouvoirs
politiques et que nous ayons une capacité économique de nous
épanouir dans nos caractéristiques nationales à nous.
Nous ne pouvons pas, sur le plan de l'éducation, sur le plan de
la sécurité sociale et en nombre d'autres domaines, confier
à Ottawa -non pas parce que je suis contre Ottawa - notre
plénitude de vie, de développement et d'épanouissement.
Nous devons conserver pour nous, Québécois, le pouvoir tant
économique, politique que constitutionnel d'organiser ici le foyer des
francophones en Amérique du Nord, de l'organiser dans la
plénitude des droits qui nous sont nécessaires non pas pour une
survivance, mais pour un développement et un épanouissement
complets.
Ce privilège de droit de retrait que la Saskatchewan proposait,
moi, je l'agrée et j'en suis heureux. Je trouve que c'est une ouverture
pour vivre au Canada. S'ils veulent, eux, transférer des droits
linguistiques à Ottawa, je n'ai pas d'objection, mais ici, en tant que
Québécois, le Québec étant, comme le disait Jean
Lesage, l'État national des Canadiens français, j'ai objection
à transférer des droits linguistiques à Ottawa. Or, ils
veulent modifier la constitution sur un sujet de cette nature, nous nous
retirons et nous conservons la compétence exclusive que nous avons
à ce moment-ci. Je ne crois pas que ce soit détruire le Canada
que d'agir ainsi.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Rosemont.
M. Paquette: J'ai une autre question, Mme la Présidente.
Je pense que l'action de votre organisme et votre action personnelle
également partent de l'idée suivante, que vous venez d'exprimer
d'ailleurs: la question constitutionnelle, la question du statut politique du
Québec intègre étroitement à la fois la dimension
économique et
culturelle parce qu'on est un État national de culture
française et qu'on a certains objectifs économiques en
commun.
À ce point de vue, il y aurait deux éléments de
votre mémoire sur lesquels je souhaiterais que vous vous expliquiez un
peu plus. Le premier, c'est la controverse qui a été
soulevée tantôt avec le député de D'Arcy McGee
concernant la liberté de circulation. Moi, j'ai cru comprendre entre les
lignes - j'aimerais que vous me disiez si c'est bien cela - que l'objection que
vous avez à la libre circulation des personnes n'est pas une objection
de principe. On ne peut pas être contre la liberté de circulation
des personnes, mais, du fait que nous sommes un État national de langue
française, pour un travailleur québécois qui doit aller
travailler dans d'autres provinces, les conséquences sont autrement plus
dramatiques pour lui et sa famille, que pour un travailleur ontarien qui
viendrait travailler ici. C'est le premier point sur lequel j'aimerais que vous
élaboriez votre pensée.
Le deuxième point concerne les droits linguistiques. Pour le
moment, enfin, la résolution du fédéral qu'on a devant
nous concerne uniquement la langue d'enseignement, mettre de côté
la charte du français qui est en vigueur actuellement, mais dans son
chapitre qui concerne la langue d'enseignement, cependant, est-ce que vous avez
pu évaluer l'impact, est-ce que vous avez réfléchi sur
cette question de l'impact que cela pourrait avoir? Je ne parle pas de l'impact
juridique. Je parle de l'impact réel sur les autres parties de la loi
101 qui concernent la langue de travail.
Évidemment, la résolution de Trudeau n'attaque pas cette
partie sur le plan juridique, mais cette partie de la loi 101 requiert un
climat, une attitude d'ouverture, de coopération des différents
milieux économiques dans le but de franciser les entreprises, dans le
but de franciser le travail. Est-ce que vous pensez que si la résolution
Trudeau était acceptée telle quelle, cela pourrait avoir une
influence sur d'autres, que cela rendrait plus difficile, en quelque sorte,
l'application de la loi 101 dans d'autres secteurs que la langue
d'enseignement?
M. Morin (Rosaire): Je peux difficilement répondre
à votre question. Nous avons Robert Décary qui a analysé
en profondeur les dangers qui pouvaient atteindre ou affecter la loi 101. Je
n'ai même pas eu le temps de le lire au moment où il a
écrit son article. Au cours des prochains jours, j'en prendrai
connaissance. Je ne peux pas répondre à votre deuxième
question. Moi, je demeure, si vous voulez, à la langue d'enseignement
dans le secteur qui me frappe le plus et qui affecte la noyade des immigrants
que l'on estimait nos blocs anglo-saxons.
Alors que nous connaissons un problème démographique
très grave au Québec avec une courbe qui est presque nulle
d'augmentation de population, et nous ne pouvons pas permettre que ces 17,000
ou 18,000 immigrants que nous accueillons chaque année renforcent
à perpétuité le bloc minoritaire. Nous y perdrions
éventuellement notre proportion. Nous nous affaiblissons comme groupe
ethnique de plus en plus. Je ne crois pas que personne ne veuille veut en cette
province.
Moi, c'est cet aspect particulier de l'assimilation au bloc anglais. Je
ne suis pas contre les Anglais. N'allez pas croire cela, personne, même
pas le député de D'Arcy McGee. Moi, j'aime les Anglais. Ce sont
des gens pragmatiques. Ils savent ce qu'ils veulent et ils savent où ils
vont et nous, on ne le sait pas. On est divisé, éparpillé
en couleurs politiques et autre chose.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. Marx: Allez-vous me permettre une petite question? Comment
expliquer qu'au moment de la Confédération, en 1867, les
Canadiens français au Québec étaient 80% de la population
et qu'aujourd'hui ils sont 80% ou 81% de la population? C'est difficile
d'expliquer cela en fonction de votre exposé.
M. Morin (Louis-Hébert): J'interviendrai peut-être
tantôt parce qu'il y a des erreurs de démographie.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Morin, la question vous
était adressée.
M. Morin (Rosaire): Là, je n'ai pas de chiffres dans la
tête, ni en proportion, ni en nombre. J'ai écrit un volume sur
l'immigration, si je l'avais avec moi, je pourrais plus facilement vous
répondre. Peu importe, vous savez, que nous nous soyons maintenus au
même nombre. Je crois que c'est déjà là un
phénomène qui est anormal. Que la croissance de notre peuple soit
demeurée à zéro depuis 113 ans ne me paraît pas
être une contribution valable à l'épanouissement de la
communauté francophone. (21 h 30)
C'est presque anormal que nous n'ayons pas atteint, si vous voulez, une
dimension telle que celle que l'Ontario a connue. Nous devrions être 85%,
86%, 87%, sans exclure aucun sujet de langue anglaise de cette province. Nous
les conservons et nous les respectons dans leurs droits et ils sont assez bien
même chez nous pour y demeurer longtemps, lorsqu'ils contrôlent
près de 70% de l'économie québécoise. Ils sont bien
traités par les Québécois et nous consentons encore
à leur accorder la faveur économique. Nous les respectons dans
leurs droits scolaires et je suis pour ce respect intégral aussi
longtemps... Mais je ne crois pas qu'il soit normal, comme
phénomène démographique, que nous n'ayons que maintenu une
même proportion. Nous aurions dû connaître une courbe
ascendante. J'ai nettement l'impression qu'il faudrait que les gouvernements du
Québec, à l'avenir, mettent l'accent sur un peuplement
d'immigrés d'origine française et il faudrait que des
immigrés de langue étrangère qui viennent en cette
province s'intègrent au milieu francophone. C'est normal qu'il en soit
ainsi, autrement on va reculer indéfiniment ou on va piétiner sur
place dans la stagnation.
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente j'ai
seulement cinq dates...
La Présidente (Mme Cuerrier): Oui, M. le ministre.
M. Morin (Rosaire): II y a un autre
phénomène qu'il faut que vous notiez, c'est
l'émigration des francophones vers l'Ouest canadien, en Ontario et vers
les États-Unis qui a aussi affecté substantiellement et
considérablement le poids démographique du Québec.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): Juste un élément
d'information scientifique, Mme la Présidente. Il y a un certain nombre
de dates dans l'histoire du Canada français, trois que je vais
mentionner rapidement pour mémoire, 1492, 1534 et 1608. Bien sûr,
ça c'est le régime français et avant, ça la
découverte. Mais il y a aussi 1763, 1791, 1840 et 1867. Si vous voulez
faire une extrapolation ou une sorte de comparaison quant au poids
spécifique des francophones dans ce qui est devenu le Québec
depuis, il faudrait partir non pas de 1867 mais de dates antérieures.
C'est tout ce que je voulais dire pour le moment. Je pense que c'est quand
même important de le mentionner. Bien oui, justement...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député.
M. Marx: ... 100%.
M. Rivest: C'est intéressant.
M. Morin (Louis-Hébert): Je veux seulement relativiser la
date de 1867 que le député de D'Arcy McGee, manquant de
mémoire historique, a voulu invoquer.
M. Marx: Je suis d'accord avec l'objectif, le but qu'il a
souligné, mais pour moi...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
si vous permettez, je vais donner la parole à M. le député
de Deux-Montagnes.
M. Marx: ...le caractère français n'est pas en
danger.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente, je pense
que...
M. Morin (Louis-Hébert): II ne faut pas prendre de
chance.
M. de Bellefeuille: ... ce petit débat
démographique est peut-être terminé...
M. Morin (Louis-Hébert): Ma devise ce n'est pas: Je me
souviens, c'est: On ne sait jamais.
M. de Bellefeuille: ... je voudrais poser deux questions à
M. Rosaire Morin. Elles sont faciles à poser, peut-être qu'il est
moins facile d'y répondre. La première question est la suivante:
M. Rosaire Morin, à votre avis quel a été le sens du non
au référendum? Il y a près de 60% des
Québécois qui ont voté non...
Une voix: 59%.
M. de Bellefeuille: Oui. Quel est le sens de ça? Pourquoi
ces gens-là ont-ils voté non? Pourquoi, dans le sens de: Pour en
arriver à quoi? La deuxième question est: Quels ont
été les effets, les résultats du fait que près de
60% des Québécois ont voté non au
référendum?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin.
M. Morin (Rosaire): Je saisis toute la question; elle est
difficile pour moi. J'ai nettement l'impression - et je ne veux pas
m'insérer dans un débat politique, je n'ai participé
à aucun événement de la campagne
référendaire; j'aurais pu mais je me suis abstenu - qu'une partie
des non a été à cause d'un sentiment de peur, de trouille,
de frousse que nous avons. Nous sommes traditionalistes, nous sommes
conservateurs au Québec et on craint de perdre sa
sécurité. J'ai nettement l'impression que la dimension d'un pays
à bâtir n'a pas été suffisamment vendue comme
étant viable et rentable et que la population a choisi majoritairement
tout simplement sa sécurité plutôt que
l'insécurité, plutôt qu'une hypothèse dont elle ne
pouvait pas analyser mathématiquement les résultats.
Le non au référendum devait être un oui, c'est ce
que je retiens surtout pour ma part, ça devait être un oui
à des changements constitutionnels en profondeur. Ce non au
référendum a été interprété le 24
août à Winnipeg par les dix premiers ministres des provinces, de
la façon suivante: Ils se sont engagés à respecter les
engagement solennels pris envers les Québécois pour des
changements constitutionnels conformes à leurs aspirations. C'est
à peu près textuel, M. Claude?
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est cela et vous devriez
le répéter pour que le député de Jean-Talon en
prenne note; pour celui de D'Arcy McGee, j'ai perdu tout espoir.
M. Morin (Rosaire): Les dix premiers ministres, à
l'unanimité, à la conférence, par la voix de leur
président, ont accepté cette déclaration unanime et c'est
ainsi, je crois, pour une large part, que le Canada anglais a
interprété le non du référendum comme devant
être préalable à des changements constitutionnels. J'ai
nettement l'impression - je ne peux pas le dire avec une certitude morale - que
les consensus qui se sont dégagés des autres provinces vers le
Québec sont dus probablement, psychologiquement, à ce non du
référendum qui signifiait un oui. Je comprends que nous avons,
à l'heure actuell, des alliés naturels qui le sont davantage et
d'abord pour protéger leurs intérêts économiques. Je
comprends que les ressources naturelles nous feront des alliés de
Terre-Neuve. Si on donnait à notre cher premier ministre de Terre-Neuve
ses richesses à 200 milles au large des côtes, il cesserait
peut-être de nous appuyer, mais il demeure quand même... Le
même facteur existe pour la Saskatchewan qui négocie à
l'heure actuelle pour obtenir des avantages matériels. M. Hatfield va
recevoir la frégate de la marine. À Canso, la
Nouvelle-Écosse qui négocie va recevoir quelque $8,000,000,000 au
cours des prochaines années. C'est là une drôle de
façon, de tractation
pour rebâtir un pays.
Mais, momentanément, il reste que ces provinces - nous en avons
au moins cinq autres qui ont une position ferme; nous en avons deux autres qui
s'opposent également à la résolution
fédérale - sont pour nous des alliés. Je crois que la
conjoncture actuelle est favorable à ce que le Québec assume
l'initiative, comme Mercier jadis et comme Jean Lesage au début de son
régime, d'une conférence constitutionnelle, avec Ottawa comme
observateur, pour étendre davantage le consensus unanime qui s'est
dégagé lors des dernières négociations
constitutionnelles, dans la semaine du 8 au 12 septembre, où les dix
provinces ont accepté le même point de vue sur les
pêcheries, les communications, le droit de la famille, le rapatriement et
le mode d'amendement. C'était quand même formidable que d'avoir
réussi à s'entendre sur cinq sujets. Je souhaite fondamentalement
que le Québec assume un leadership, assume l'initiative d'une
conférence constitutionnelle, avec Ottawa, comme observateur pour
négocier ce que Jean Lesage voulait, une nouvelle constitution, ce que
Pearson demandait jadis et ce que Johnson souhaitait de tout coeur.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Deux-Montagnes.
M. Morin (Louis-Hébert): J'aurais bien des choses à
dire que je ne dirai pas, mais...
M. de Bellefeuille: Mme la Présidente, une petite
sous-question à M. Rosaire Morin. Cette conférence dont vous
parlez, où la situeriez-vous dans le temps par rapport au coup de force
constitutionnel du gouvernement fédéral, par rapport au
déroulement qu'on peut prévoir? Il y a eu une
échéance qui a été remise jusqu'en février
pour la présentation du rapport du comité mixte du Sénat
et de la Chambre des communes. La conférence dont vous parlez aurait
lieu avant cela ou après cela?
M. Morin (Rosaire): Dans mon optique à moi, elle aurait
déjà eu lieu.
M. Morin (Louis-Hébert): Un instant! M. Rivest:
Très bien, M. Morin.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.
M. de Bellefeuille: Merci, M. Rosaire Morin.
M. Rivest: Oui, le "très bien" s'adressait à
Rosaire et non à Claude.
M. Morin (Louis-Hébert): Ah bon! Il y a beaucoup de vrai,
Mme la Présidente. Ce n'est pas une question que je pose, c'est un
commentaire pour guider le député de Jean-Talon qui a besoin de
balises.
M. Rivest: Vous êtes mon guide depuis 15 ans. C'est
pourquoi je suis mêlé.
M. Morin (Louis-Hébert): J'ai remarqué que le
député de Jean-Talon - je voudrais que ce soit inscrit au journal
des Débats - reconnaît qu'il est mêlé.
M. Rivest: À cause de son guide.
M. Morin (Louis-Hébert): II y a une chose capitale qui se
passe présentement et je pense que c'est un élément qu'il
faut souligner. J'ai l'impression que qui que ce soit qui, de la part d'une
province, arriverait avec quelque solution que ce soit du genre de celle qui a
été suggérée, d'après la conférence
de presse de vendredi dernier de M. Trudeau, se frapperait à un mur,
c'est-à-dire que je pense qu'il a enclenché son train d'enfer -
je parle de M. Trudeau - et que quelque suggestion qui aurait tendance à
modifier l'échéancier ou la chute - parce que c'est ce qui peut
se produire - de sa comète constitutionnelle serait refusée a
priori. Ce que je veux dire, c'est que le milieu ambiant politique canadien,
à cause du comportement du chef politique fédéral, n'est
certainement pas propice actuellement à quelque proposition de cette
nature.
Je vais vous donner un exemple concret de cela. Le premier ministre de
la Colombie-Britannique a exactement proposé le genre de solution que
vous proposez et je dirais même -parce que cela adonne que j'y pense -
que le chef du Parti libéral, qui, parfois, s'arroge des pouvoirs ou des
compétences qu'il n'a pas, a cru opportun de suggérer des
démarches similaires et qu'il s'est lui-même fait rabrouer. Par
conséquent, on se trouve à avoir à Ottawa actuellement
comme premier ministre, sur le plan constitutionnel, un aveugle, un sourd et,
en quelque sorte, une sorte d'infirme sur le plan de la locomotion
constitutionnelle, de sorte que je n'ai pas l'impression que qui que ce soit
qui aurait quelque idée nouvelle que ce soit pour débloquer le
processus actuel serait écouté. La meilleure preuve, c'est qu'on
est devant un coup de force. Je suis sûr que le député de
Jean-Talon est totalement d'accord avec cela. S'il n'était pas d'accord,
il serait en désaccord avec son chef qui a lui-même proposé
des procédures ou des façons de procéder dans ce sens.
Etant donné ce que je viens de dire, je ne vois pas pourquoi le
député de Jean-Talon ajouterait quoi que ce soit à ce que
je viens de mentionner.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin, avez-vous
un commentaire?
M. Morin (Rosaire): Je ne modifie pas la stratégie que M.
Claude Morin vient d'énoncer. Je ne crois pas qu'une conférence
constitutionnelle bousculerait à l'heure actuelle les actions d'ordre
juridique ou autres qui doivent être poursuivies. Même si M.
Trudeau est battu dans les dix provinces par le sondage Gallup, je ne crois pas
que les Canadiens qui veulent un régime unitaire, ou les souverainistes
associés doivent partir prématurément pour la gloire,
parce que l'homme a de la force et le courant d'opinion peut être
modifié de par sa désinvolture qui renverse les populations. Mais
je crois qu'il y a au moins six provinces qui ont des intérêts
à défendre. La Loi des terres du Canada, qui s'empare des
richesses à 200 milles au large des côtes, etc., le budget
fédéral, l'invasion du pétrole de l'Alberta et le gaz
naturel de la Saskatchewan sont quand même des événements
qui, à l'heure actuelle, créent pour le Québec une
conjoncture favorable. Ils sont
contents de notre alliance. J'ai nettement l'impression qu'il y a
probablement huit provinces, à l'heure actuelle, qui peuvent faire front
commun. II s'agirait de rallier M. Hatfield. Il ne sait pas où il s'en
va.
M. Morin (Louis-Hébert): ...des fois.
M. Morin (Rosaire); Quant à M. Davis, avec la courbe de
Gallup en Ontario, il est peut-être dans une conjoncture où il
peut penser autrement. Je n'éloigne pas cela. Je n'ai pas voulu tendre
un piège au gouvernement pas plus que je veuille tendre un piège
à l'Opposition en disant, Mme la Présidente, qu'il ne faut pas se
contenter d'un rapatriement à la bonne franquette avant de s'être
entendus sur un partage des pouvoirs, sur un partage entre le gouvernement
central et les provinces. C'est à peu près, à l'heure
actuelle, la seule protection que nous ayons. Il faut penser qu'un rapatriement
pour le Canada anglais, c'est la réforme constitutionnelle. Nombre de
ministres des autres provinces l'ont déclaré à diverses
reprises. Selon la psychologie anglophone, le rapatriement de la constitution,
c'est le changement constitutionnel, c'est le grand changement. (21 h 45)
Pour nous, le rapatriement, ce n'est rien. Le rapatriement, ce n'est pas
ce que M. Bourassa a réclamé sous son régime, ce n'est pas
ce que Johnson a réclamé à maintes et maintes reprises, ce
n'est pas ce que Lesage a réclamé. Lesage a peut-être
été un de ceux qui ont été les plus affirmatifs et
plus durs dans ses réclamations à l'égard du
fédéral, mais, à l'heure actuelle, il n'y a aucun
déblocage du partage des pouvoirs, du partage de la fiscalité qui
se fait vers les provinces malgré 40 ans de réclamations
constantes du Québec. Si nous acceptons de rapatrier demain matin la
constitution sans formule d'amendement qui nous protège, je dis que nous
remettons aux calendes grecques un partage des pouvoirs et un partage de la
fiscalité conformes aux besoins et aux exigences du développement
du Québec. Je crois que c'est là une attitude que l'ensemble de
nos hommes politiques doivent partager parce qu'elle est conforme à la
tradition de ce pays et aux besoins de l'époque actuelle.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: M. Morin, une courte question, très courte, et
je vous demanderais de répondre. Vous allez voir que ma question est
lourde mais je vous demanderais d'y répondre simplement, le plus
simplement du monde. Compte tenu, de votre expérience qu'a
invoquée le ministre au début de ses remarques et avec laquelle
on concourt, vous avez tellement réfléchi sur l'ensemble des
données du problème, la donnée québécoise,
les régionalismes et tout ça, dans tous les rapports, toutes les
études que vous avez faits, si le projet de résolution
fédéral est écarté d'une manière ou de
l'autre, soit au niveau politique ou au niveau judiciaire, compte tenu de la
réalité du Canada d'aujourd'hui, y compris la question nationale
proprement dite, est-ce qu'il y a une condition ou un obstacle majeur
immédiat qui vous apparaît à un renouvellement du
fédéralisme en profondeur?
Quel serait, d'après vous - exprimé très simplement
et schématiquement, je sais que c'est peut-être trop vous demander
- le détonateur? En existe-t-il un? Si vous croyez qu'il n'en existe pas
et qu'on devrait penser à d'autres voies, vous pourriez le dire, si vous
voulez, ou non. Qu'est-ce qui vous apparaît le facteur le plus paralysant
actuellement dans le dossier, compte tenu des urgences pour le Canada et de
l'urgence pour la réalité québécoise?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin.
M. Morin (Rosaire): Je crois que la pierre d'achoppement, la
grande difficulté au renouvellement constitutionel, c'est
l'appétit insatiable d'Ottawa qui veut constamment augmenter son empire.
La centralisation continue, l'ingérence, année après
année, dans tous les secteurs de compétence exclusivement
provinciale, a déjà modifié la constitution. Si nous la
rapatrions, nous rapatrions en pratique des reliquats. J'ai déjà
relevé, dans ce que M. Paquet soulignait tout à l'heure, statut
particulier, un mirage d'optique, 131 empiétements sur des
privilèges exclusifs aux provinces. Je dis: C'est d'abord ce premier
fait, la centralisation outrancière d'Ottawa qui est continuelle
à travers notre histoire depuis presque le début de la
Confédération, d'une part. D'autre part, la commission
Laurendeau-Dunton et la commission Pépin-Robarts, de grandes commissions
royales, ont établi d'une façon très claire, d'une
façon précise, d'une façon nette, que le grand
problème, le défi de l'heure, c'était l'acceptation de ce
que ce pays comprenait deux nations, deux races, deux peuples. Ils ont
tenté de trouver une terminologie différente mais ça
revient fondamentalement à cela.
Un bonhomme comme Lesage, qui n'était pas un fou, disait: Si on
n'accepte pas - et c'est à peu près textuel - la nation
canadienne-française, on mettra fin à brève
échéance à la Confédération. Pearson a
déclaré la même chose. La commission Laurendeau-Dunton,
dans de multiples témoignages, a dit: II nous faut reconnaître la
dualité de ce pays et il nous faut reconnaître
l'égalité - la commission Laurendeau-Dunton est allée
jusqu'à l'égalité - des deux peuples. Si on accepte ce
dénominateur, j'ai nettement l'impression qu'on pourra s'entendre assez
facilement, centralisant pour les anglophones à Ottawa s'il le faut et
décentralisant pour le Québec. C'est ce que la formule de droit
de retrait de tout à l'heure proposée par la Saskatchewan offre
comme perspective au Québec, une ouverture vers un gouvernement
québécois qui possédera une plénitude de pouvoirs
conformes aux besoins de sa population et conformes au bien-être qu'il
faut accorder à la population que vous représentez.
Ce sont les deux grands facteurs: d'une part, l'appétit
fédéral et, d'autre part, il faudra qu'on accepte ici de
reconnaître la dualité, non pas simplement en termes culturels,
parce que cela m'apparaît presque du folklore, comme dirait le
secrétaire d'État... Il faut la reconnaître dans la
réalité fiscale. Il faut la reconnaître dans la
réalité économique. Si le Québec ne jouit pas d'une
économie qui soit stable et qui progresse, la culture sera
dépendante et asservie. La vie
sociale sera de bien-être, d'assistance et de
sécurité sociale et non pas de bien-être réel.
Les pouvoirs économiques, à mon sens, et les intentions de
M. Chrétien de les transférer à Ottawa, c'est impensable.
Le Québec doit renforcer ses pouvoirs économiques et dans toutes
les matières économiques. Il ne peut pas accepter des pratiques
fédérales qui seraient discriminatoires pour le
développement du Québec.
On pourrait parler longtemps, M. le député de Jean-Talon,
sur un sujet comme celui-là. On pourrait écrire un livre
encore.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin, j'ai
l'habitude, à la fin de la présentation de mémoires et des
échanges qui se font entre les membres de la commission et les gens qui
veulent bien y participer, de me faire le porte-parole et de remercier les
gens. Je pense que ce soir vos collaborateurs prendront quelques-unes des
fleurs qui vous sont parvenues. En tout cas, en toute simplicité et
toute liberté, je pense que je n'ai rien à ajouter. Je vous
remercie de votre collaboration de même que les collaborateurs et les
gens qui vous accompagnent. Merci bien.
M. Morin (Louis-Hébert): On avait bien des choses à
ajouter, mais on se reprendra.
La Présidente (Mme Cuerrier): Sur ce, puisque la
commission a terminé les travaux et le mandat qui lui étaient
confiés, elle ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 21 h 54)