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(Douze heures quatorze minutes)
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît;
Nous allons permettre les photos encore quelques instants. Vous savez
que c'est la tradition, durant les commissions parlementaires, de permettre les
photos au début et de les permettre, ensuite, quand nous invitons de
nouvelles personnes à venir s'asseoir à la table. Je demanderais,
à tout le moins, que les lumières ne s'allument pas et qu'on ne
fasse pas de prises de vues pendant les interventions.
M. Paquette: Mme la Présidente. La Présidente
(Mme Cuerrier): Oui.
M. Paquette: Est-ce qu'on a l'accord du Parti libéral pour
la prise de photos?
La Présidente (Mme Cuerrier): II est de tradition, M. le
député.
M. Morin (Louis-Hébert): ...
La Présidente (Mme Cuerrier): ...que, durant une
commission parlementaire, on ne prenne pas de photos pendant les interventions,
mais au moment des déplacements seulement.
M. Ryan: On n'a pas besoin de cela pour gagner, nous autres.
M. Le Moignan: Mme la Présidente.
M. Ryan: On n'a pas besoin de photographes pour gagner.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît;
M. Le Moignan: Mme la Présidente, question de
règlement préliminaire.
M. Forget: C'est assez évident que le ministre des
Affaires intergouvernementales se trouve beau.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je vais tout de même
ouvrir la commission, à moins que vous n'ayez une question avant.
M. Le Moignan: Non, c'est une question d'ordre
général.
La Présidente (Mme Cuerrier): Oui.
M. Le Moignan: Je voudrais savoir si les membres de la commission
sont consentants pour que les journalistes puissent prendre des enregistrements
sonores pendant nos délibérations.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je tiens toujours en
réserve la décision du président de l'Assemblée
pour dire aux gens et aux membres de la commission que les journalistes ont
toujours le loisir de prendre les débats à l'aide de leur
"perroquet", dans leur bureau. Ici, ils peuvent aussi prendre les débats
de l'assemblée. Je vais vous lire la décision du 9 mai 1979 qui
s'adressait à un journaliste de la tribune de la presse, M. Louis
Falardeau. "Le comité consultatif sur la diffusion des débats
s'est réuni mercredi, le 11 avril - c'est daté de mai 1979 - pour
discuter du problème soulevé par votre lettre du 6 avril dernier
concernant la diffusion du son des commissions parlementaires. À cette
réunion, il fut convenu que le son des commissions parlementaires dans
les salles 81-A, 91-A, 101-B et le salon rouge serait maintenant
libéré, que les journalistes pourront donc suivre, sur leur
"perroquet", tous les media ne transmettant ni en direct ni en
différé le son de ces commissions. Seul le son en provenance du
salon bleu peut être utilisé, radiodiffusé ou
télévisé. À la suite de cette décision,
j'apprécierais donc que cette directive soit scrupuleusement
respectée. Veuillez accepter, M. Falardeau, mes salutations
distinguées." C'est signé du président de
l'Assemblée nationale.
M. Le Moignan: Si je comprends bien, même s'ils le prennent
sur le "perroquet", ils n'ont pas le droit de le diffuser au public
après.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est cela, vous avez
raison. Ils peuvent l'utiliser, mais pas le diffuser.
La commission de la présidence du conseil se réunit
aujourd'hui pour entendre les représentations de personnes ou organismes
relativement au projet de résolution du gouvernement
fédéral concernant la constitution du Canada.
Il y a une entente à savoir que M. de Bellefeuille, le
député de Deux-Montagnes remplacerait M. Bertrand, de Vanier,
comme membre de la commission et que M. Bertrand agirait comme intervenant. Les
membres de la commission de la présidence du conseil pour aujourd'hui
sont: M. Charbonneau, (Verchères), M. Dussault (Châteauguay), M.
Laberge (Jeanne-Mance) est remplacé par M. Charron (Saint-Jacques); M.
Le Moignan (Gaspé), M. Levesque (Bonaventure), M. Morin
(Louis-Hébert), M. Paquette (Rosemont), M. Ryan (Argenteuil).
Les intervenants sont M. Biron (Lotbinière), comme je le disais
tantôt M. Bertrand (Vanier), M. Laberge (Jeanne-Mance) remplace M. Fallu
(Terrebonne); M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Forget (Saint-Laurent), M. Guay
(Taschereau), Mme LeBlanc-Bantey (Iles-de-la-Madeleine) et M. Scowen
(Notre-Dame-de-Grâce). Est-ce que vous allez me proposer un rapporteur
pour cette commission?
M. Ryan: Madame...
La Présidente (Mme Cuerrier): Oui, M. le chef de
l'Opposition officielle.
M. Ryan: ... sur la composition de la commission, je voudrais
vous informer que M.
Jean-Claude Rivest remplace aujourd'hui M. Gérard D.
Levesque.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est déjà
fait, M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: Cet après-midi, M. le député de
D'Arcy McG.ee remplacera M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
La Présidente (Mme Cuerrier): D'accord.
M. Dussault: Comme rapporteur, je proposerais le
député de Rosemont, M. Paquette.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Paquette,
député de Rosemont, sera le rapporteur de cette commission.
Maintenant, j'aimerais donner la parole...
M. Ryan: Dernière précision, Mme la
Présidente. La députée de Prévost remplacera le
député de Saint-Laurent pour la séance de cet
après-midi aussi.
La Présidente (Mme Cuerrier): La députée de
Prévost remplacera M. le député de Saint-Laurent cet
après-midi. J'ai l'intention de donner la parole à un
représentant de chacun des partis politiques, évidemment, comme
nous le faisons habituellement au début d'une commission. On m'a dit que
M. le ministre des Affaires intergouvernementales avait une communication
à faire à cette commission, ce qui pourrait donner lieu à
une ou deux brèves questions. Nous aurons probablement terminé
nos travaux pour ce matin pour les reprendre cet après-midi.
M. le premier ministre.
Remarques préliminaires M. René
Lévesque
M. Lévesque (Taillon): Mme la Présidente, je vais
être très bref. On avait été un peu surpris, au mois
d'août, que je ne sois pas a la commission parlementaire qui se
préoccupait de ces questions-là. Il arrive que des contraintes
m'empêchent de participer parfois, mais j'essaie de suivre le mieux
possible. Pour des raisons que tout le monde comprendra, je ne pourrai pas
participer aux travaux demain non plus parce que je vais être en instance
de départ, bien accompagné, comme l'a souligné M. le
député de Jean-Talon ce matin. Mais je tenais quand même
absolument à participer à l'ouverture de cette commission parce
que je crois qu'elle a une importance stratégique que personne ne pourra
exagérer.
La tribune que l'Assemblée nationale inaugure aujourd'hui,
évidemment, est ouverte d'abord aux parlementaires puisque ce sont eux
qui l'ont constituée, mais je dirais qu'elle est ouverte aussi et
surtout, peut-être, aux groupes et aux citoyens, partout au
Québec, qui veulent participer parce qu'on est à un moment
particulièrement grave, lourd de conséquences pour le
Québec au point de vue constitutionnel, au point de vue politique au
sens le plus élevé du mot. C'est probablement le moment le plus
grave, à certains points de vue, qu'on ait jamais vu sous le
régime actuel depuis 113 ans. Là-dessus, au-delà des
problèmes qu'on peut avoir lorsqu'il s'agit de s'exprimer unanimement
dans cette enceinte et sur lesquels je ne reviendrai pas ce matin, je crois
pouvoir dire - je l'ai entendu encore évoquer par le chef de
l'Opposition officielle tout à l'heure à propos d'une loi de
référence à la Cour suprême - que tous ici, tous
ceux et toutes celles qui représentent des partis reconnus à
l'Assemblée nationale, sont quand même d'accord pour s'opposer, le
plus vigoureusement possible, le plus efficacement possible aussi, il faut
l'espérer, à un projet qui n'est pas un projet de rapatriement
comme on le présente, mais un projet de chambardement constitutionnel
qui est unilatéral, qui prétend passer par-dessus la tête
des tribunaux, par-dessus la tête aussi d'une majorité des
provinces et, éventuellement, aller se faire compléter par un
Parlement étranger.
Je crois que nous savons tous que le projet du premier ministre
fédéral, à mesure qu'on en discernait mieux les tenants et
les aboutissants, a créé un malaise de plus, en plus profond,
cela c'est vrai partout au Canada - on le voit de plus en plus clairement -
singulièrement et de plus en plus au Québec parce que je crois
que le Québec a le droit de se sentir plus dangereusement visé,
à certains points de vue, que quiconque par ce projet
fédéral. Or, il arrive que l'autre tribune parlementaire, qui est
présumément ouverte aux citoyens et aux groupes qui les
représentent, qui est celle du comité mixte de la Chambre et du
Sénat à Ottawa, ne s'est pas montrée
particulièrement accueillante, c'est le moins qu'on puisse dire, aux
groupes et aux citoyens du Québec, sauf - il faut espérer que
c'est une pure coïncidence, mais c'est un fait - pour ceux qui endossent
d'emblée le coup de force fédéral et qui, même dans
certains cas, voudraient en avoir davantage.
En pareille circonstance, la tenue de notre commission
québécoise, ici, devenait encore plus indiquée; on peut
même dire que cela devenait un impératif véritable. Elle va
donc s'ouvrir aujourd'hui par une mise en situation - c'est ce que Mme la
Présidente évoquait tout à l'heure -d'abord, afin qu'on
ait la perspective, le plus clairement possible, le plus complètement
possible, en répondant aux questions ou aux demandes d'informations que
l'Opposition ou les oppositions pourraient exiger de façon qu'on se
situe vraiment dans la perspective de ce qui se passe, pour commencer.
Autrement dit, qu'on voie bien ce qui est arrivé jusqu'ici, ce que nous
avons fait, nous, comme gouvernement, avec la responsabilité qui nous
incombe jusqu'à présent, ce qui va être fait dans les jours
ou les semaines qui viennent, autant qu'on puisse le voir clairement. Celui qui
ouvrira cette mise en situation, je pense que c'est normal, c'est celui de mes
collègues qui s'est dépensé - on peut même dire
qu'il s'est épuisé à l'occasion - depuis la fin de mai,
à peu près sans arrêt sur ce dossier et sur
l'évolution de plus en plus inquiétante des positions
fédérales, c'est-à-dire le
ministre des Affaires intergouvemementales.
Moi, j'aimerais mieux m'en tenir à ces brefs propos d'ouverture.
Je crois que le coeur de la question sera évoqué tout à
l'heure avec ceux qui l'entourent et aussi, au besoin, ceux qui travaillent
dans les équipes qu'on a constituées par l'entremise du ministre
des Affaires intergouvernementales.
La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Claude Ryan
M. Ryan: Mme la Présidente, il nous fait plaisir, du
côté de l'Opposition officielle, de participer à cette
démarche qu'on propose à la commission parlementaire de la
présidence du conseil. Je pense que le sujet en vaut la peine.
Même si nous nous exposons, dans la partie initiale du travail de la
commission, à certaines redites inévitables, je pense qu'il vaut
la peine de pousser la démarche plus loin afin que nous ayons
l'assurance que tout aura vraiment été fait afin que les
intérêts du Québec soient défendus avec le plus de
force possible.
Avant que je n'aborde des questions reliées de manière
plus immédiate aux objectifs du travail de cette commission, je voudrais
rappeler bien clairement la position du Parti libéral du Québec
et de l'Opposition officielle sur le projet de résolution
fédérale.
J'ai entendu toutes sortes de propos déformés à ce
sujet au cours des dernières semaines, autant à
l'Assemblée nationale qu'à l'extérieur. Je pense qu'il est
bien important que la position de mon parti soit établie clairement. Je
vais essayer de le faire sans partisanerie inutile, mais c'est toujours plus
difficile de respecter intégralement cette règle, même
quand on nous y invite, quand on se souvient que, la veille ou le lendemain,
les propos partisans reprennent de plus belle et finalement on ne sait pas
laquelle des deux théories ou laquelle des deux interprétations a
cours dans l'esprit des citoyens.
En ce qui touche mon parti, dès le début, dès le
lendemain du soir où le premier ministre du Canada a exposé son
projet de modification constitutionnelle, nous avons fait connaître
très clairement nos positions. Elles n'ont pas changé en cours de
route sur le fond du problème mais je pense pouvoir les résumer
dans trois propositions très simples que je rappelais l'autre jour
à l'occasion d'un discours que j'ai fait devant le National Press Club,
à Ottawa, et que je formulerai ainsi. D'abord, pour nous, nous avons au
Canada un système fédéral de gouvernement sous lequel
chaque ordre de gouvernement est soumis à une constitution qui lie
également les uns et les autres et dont la propriété
n'appartient en exclusivité à aucun des deux ordres de
gouvernement.
Deuxièmement, en vertu de cette constitution, chaque ordre de
gouvernement se voit conférer des responsabilités définies
et jouit également de pouvoirs précis pour s'acquitter de ses
devoirs. À l'intérieur de ses pouvoirs propres, chaque ordre de
gouvernement est souverain, c'est-à-dire qu'il possède la
plénitude de l'autorité politique. Et, enfin, aucun changement
substantiel ne peut être apporté à la loi fondamentale du
pays sans l'accord des deux ordres de gouvernement. Dans les questions qui
relèvent pour ainsi dire de sa constitution interne, chaque ordre de
gouvernement peut de sa propre initiative apporter des changements au texte
constitutionnel, mais quand il s'agit par contre de changements susceptibles
d'affecter l'équilibre des rapports fédéraux-provinciaux,
ces changements ne sauraient intervenir sans l'accord des deux ordres de
gouvernement à ce sujet.
Le projet fédéral qui est présentement à
l'étude au Parlement fédéral introduit des amendements
substantiels dans l'ordre constitutionnel existant. Par exemple, en
matière d'amendements, le projet fédéral va beaucoup plus
loin dans le sens de l'affirmation d'une prépondérance
fédérale que tout ce que nous avons connu jusqu'à
maintenant. Je me passe de détails pour le moment, mais il me semble que
ceci est très clairement perçu par un nombre croissant de
citoyens.
Deuxièmement, en matière de droits fondamentaux et de
droits linguistiques, le projet fédéral, s'il devait être
adopté dans sa forme actuelle, impliquerait logiquement et fatalement
une réduction des pouvoirs législatifs détenus
jusqu'à maintenant par les provinces. Vous savez que mon parti souscrit
au principe d'une charte des droits. Contrairement au parti ministériel
nous croyons que ce serait un progrès pour la démocratie
canadienne, mais nous soutenons en même temps que l'inclusion d'une telle
charte dans la constitution du pays devrait faire suite à un accord
intervenu entre les deux ordres de gouvernement à ce sujet.
Il nous apparaît que c'est un objectif hautement désirable,
mais pas au point qu'on devrait renverser la règle fondamentale de
l'accord nécessaire des deux ordres de gouvernement pour l'adoption
d'une telle modification constitutionnelle. (12 h 30)
Enfin, le projet fédéral introduit une autre dimension
inédite. C'est celle du recours à l'intervention du Parlement
britannique pour l'insertion dans la constitution canadienne de modifications
qui n'auraient pas fait l'objet d'un accord préalable des provinces.
Il appartiendra aux tribunaux, dans les démarches qui sont
maintenant instituées ou qui le seront prochainement, d'aller au fond
des prétentions de chaque ordre de gouvernement à ce sujet. Mais,
a priori, dans l'état actuel de nos connaissances, nous soutenons que
des changements susceptibles de diminuer en particulier les pouvoirs des
provinces ne doivent pas être apportés et surtout ne doivent pas
être soumis à l'approbation du Parlement britannique sans qu'il y
ait tout d'abord au Canada un accord entre les deux ordres de gouvernement
intéressés.
Vous savez que, pour ce qui touche le rapatriement de la constitution et
la formule d'amendement, j'ai déjà rappelé à la
Chambre que notre parti souhaiterait une attitude plus souple de la part des
gouvernements concernés, y compris évidemment celui du
Québec. Nous avons suivi les uns et les autres depuis nombre
d'années une ligne de conduite extrêmement rigide en ces
matières. Il me semble que voici un aspect sur lequel il faudrait
chercher honnêtement une ligne de compromis qui pourrait faire avancer
des choses. Quand le premier ministre du Canada -
c'est impossible qu'une personne ou un côté ait tort
complètement dans une affaire; il y a toujours des points sur lesquels
un côté, même celui auquel on s'oppose, peut avoir raison -
nous dit que nous devons entrer plus résolument dans une dynamique de
chanqement, je pense qu'il exprime une conviction qui répond à un
état d'esprit très largement répandu et à un besoin
objectif également de ce pays qu'on appelle le Canada. Il me semble que
cela implique une responsabilité de la part des autres détenteurs
de pouvoirs au Canada, celle de faire leur part pour qu'on essaie de
répondre à ce besoin objectif du pays et qu'on ne cherche pas
uniquement refuge dans des lignes de repli d'une nature extrêmement
négative.
Ceci étant dit, je pense qu'au fond du1
problème il y a deux conceptions du bien national ou du bien
commun. Je n'aime pas trop le mot "national" quand on en abuse au niveau du
Québec. Je ne l'aime pas davantaqe quand on en abuse au niveau du
gouvernement fédéral non plus. Il me semble que, dans un
régime fédéral, surtout dans un type de
société diversifiée comme celle où nous vivons, que
cela fasse l'affaire des uns ou que cela ne fasse pas leur affaire, c'est un
mot dont on doit user avec beaucoup de prudence et de discernement. Je trouve
que... À quelle heure dois-je terminer? J'ai commencé à 12
h 20.
Une voix: Oui, c'est cela.
M. Ryan: Je trouve qu'on doit en user avec beaucoup de
modération et de respect. I! me semble qu'il y a des conceptions
fondamentalement différentes, voire opposées, pour ce qui touche
la responsabilité du bien commun de tout le Canada. Le gouvernement
fédéral soutient que c'est sa responsabilité propre
à lui et qu'aux provinces incombent les affaires de caractère
local. M. Trudeau le disait récemment dans un discours qu'il a fait
à Toronto: Les affaires locales aux Parlements locaux; les affaires
nationales au Parlement national. C'est une formule qui pouvait valoir au
début de la fédération canadienne, en 1867, quand nous
avons commencé, mais, depuis ce temps-là, les choses se sont
développées d'une manière que personne ne pouvait
prévoir. Les provinces sont devenues dans les domaines de leur
compétence de véritables États. Les plus grandes d'entre
elles en particulier, au moins quatre ou cinq, ont le pouvoir objectif, les
ressources humaines, physiques, financières même qui pourraient
leur permettre de tenir très bien leur place dans la famille des
États souverains, si nous trouvions ensemble que c'était la
meilleure façon pour chacune de déterminer son avenir. Dire par
conséquent que le bien commun du pays, c'est l'affaire du
fédéral, tandis que c'est seulement le bien particulier des
provinces ou des collectivités locales qui est la responsabilité
des provinces, je pense que c'est percevoir la réalité d'une
manière hautement discutable.
Les affaires d'éducation, par exemple, sont la
responsabilité des provinces. Personne ne dira que les affaires
d'éducation ne concernent pas directement le bien commun de tout le
pays. C'est une dimension du bien commun du pays qui est conférée
à la responsabilité des provinces. D'autres dimensions nombreuses
et très importantes sont confiées à la gestion du
gouvernement fédéral, mais, tant que nous n'accepterons pas cette
loi de complémentarité organique et essentielle entre les deux
ordres de gouvernement et que nous serons enclins à penser qu'il y a un
ordre qui est supérieur à l'autre, je pense qu'il sera
très très difficile de trouver des solutions harmonieuses aux
problèmes actuels. Dans notre document constitutionnel, nous soutenons,
nous du Parti libéral, le principe de l'égalité des deux
ordres de gouvernement, chacun dans son domaine de compétence propre, et
c'est la base sur laquelle nous voulons travailler au sein de cette commission,
c'est-à-dire chercher des solutions à l'impasse actuelle.
Parmi les points qu'il nous intéresse d'approfondir, il y a
évidemment les bases juridiques et la position défendue par le
gouvernement. Nous aurons l'occasion, au cours de la séance de cet
après-midi - si j'ai bien compris - de recevoir ceux qui ont la charge
de préparer le dossier du gouvernement de ce point de vue. Je pense que
c'est bien important, sans que nous prétendions nous substituer aux
tribunaux, évidemment, que nous soyons informés à fond des
sources sur lesquelles on entend s'appuyer, des travaux qui sont
présentement en marche afin d'assurer une solide défense des
intérêts du Québec. De ce côté-ci, il semble
bien que l'ordre du jour qu'on a prévu répondra à nos
attentes. En tout cas, nous attendons cette phase du travail avec beaucoup
d'intérêt. Nous voulons être informés aussi de la
nature exacte des démarches qui sont présentement
envisagées ou en voie de préparation du côté du
gouvernement, à quelque niveau que ce soit, ainsi que, dans toute la
mesure du possible, des coûts et des autres implications de ces projets
ou de ces démarches.
En ce qui concerne les organismes qui veulent se présenter devant
la commission, nous n'avons pas d'objection à les entendre,
évidemment, mais j'espère qu'ils apporteront une contribution
valable au travail de recherche qui a été entrepris. Il y a bien
des choses qu'on a entendu redire à maintes reprises au cours des
dernières années. S'il s'agissait simplement de venir
réciter devant la commission des choses mille fois entendues sous la
même forme et avec les mêmes arguments, on comprendra que nous
serons pressés de passer à autre chose. Mais, encore là,
nous suivrons l'ordre des démarches qui sera proposé avec
beaucoup d'intérêt. J'ose souhaiter qu'il soit possible d'entendre
ici un éventail d'opinions qui sera plus représentatif de toutes
les tendances d'opinions que nous avons au Québec que ce que laisse
entrevoir la première liste d'organismes que nous allons entendre. Je
n'ai pas d'objection à les entendre du tout, mais je crois que
l'éventail des opinions politiques et constitutionnelles au
Québec est beaucoup plus large que cela.
C'est une chose que je voudrais rappeler avant de m'acheminer vers la
conclusion de mes propos, Mme la Présidente. Il faut que nous admettions
en partant qu'il y a diversité réelle et très
répandue d'opinions sur ces questions. Si nous voulons parler au nom de
l'ensemble de la collectivité québécoise, nous devons
laisser de côté nos rêves d'unanimité artificielle
pour assumer toutes les dimensions de cette réalité politique qui
est propre au Québec, essayer au moins de l'entendre, de la comprendre
et de
l'incorporer si possible dans nos vues. C'est une démarche que
nous, de l'Opposition officielle, avons la responsabilité
première d'assurer dans les travaux de l'Assemblée nationale et
de ses commissions. Vous pouvez être assurés que nous ne ferons
pas défaut à notre devoir en ce qui touche cette dimension de
notre rôle.
Nous aimerons également connaître les projets et
propositions du gouvernement en ce qui touche deux aspects capitaux de la
situation actuelle. D'abord, ce que le gouvernement envisage de faire afin
d'acheminer le problème vers une solution positive et
imprégnée par le véritable esprit fédéral
nous intéresse au plus haut point. On a obtenu des
éléments que j'appellerais très partiels, très
fragmentaires au cours des travaux de la commission de l'automne dernier.
J'espère qu'on voudra pousser plus loin les renseignements qu'on
daignera nous communiquer de ce point de vue et, évidemment,
par-delà le problème immédiat que pose le projet
fédéral, nous sommes toujours intéressés à
connaître les secrets de la démarche gouvernementale en ce qui
touche le problème beaucoup plus large du renouvellement du
fédéralisme canadien. Notre ligne d'intérêt à
nous, en conformité avec la volonté exprimée par la
majorité de la population lors du référendum du 20 mai
dernier, est de chercher loyalement, positivement et constructivement le
renouvellement du fédéralisme canadien par-delà les
conflits immédiats ou les chicanes plus ou moins aiguës qui peuvent
surgir dans le présent souvent confus où nous devons nous
débattre. Nous ne perdons jamais de vue cet objectif. Nous nous disons
que les personnes passent, que les gouvernements passent, que les écoles
de pensée évoluent elles aussi. Mais l'objectif fondamental que
nous poursuivons, tant que la population n'aura pas indiqué qu'elle veut
chercher son avenir dans une autre voie, nous ne le perdrons pas de vue et nous
essaierons de la servir de la manière la plus constructive et la plus
positive qui soit.
Et j'espère que le gouvernement, au cours des travaux de la
commission, ne voudra pas se servir de la commission uniquement comme d'une
tribune pour propager une façon de voir le problème, et
qu'ensemble, nous pourrons nous attacher à l'essentiel de cette
démarche qui est voulue par la majorité de nos concitoyens.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Michel Le Moignan
M. Le Moignan: Merci, Mme la Présidente. Je crois que les
délibérations que nous entreprenons ce matin arrivent à un
moment très opportun, alors que les manchettes des journaux sont
très préoccupées, depuis quelques semaines et même
quelques mois, à essayer de scruter un peu ce débat qui,
jusqu'à un certain point, sépare le gouvernement
fédéral de la plupart des autres provinces canadiennes.
Alors qu'un nombre très grandissant de Québécois et
de Québécoises commencent de plus en plus à prendre
conscience de l'enjeu de la réforme unilatérale qui nous est
soumise par le gouvernement canadien, et surtout en vue de mettre fin à
l'impasse constitutionnelle, je suis très heureux que nous, les
parlementaires de l'Assemblée nationale, nous ayons jugé bon
d'offrir à cette population québécoise un forum
privilégié où la discussion sera entièrement libre
et ne visera qu'un seul but. En ce qui nous concerne, nous de l'Union
Nationale, ce but est d'essayer d'informer les citoyens, de leur expliquer
toutes les facettes possibles et imaginables, non seulement de la
démarche fédérale, mais aussi des raisons qui incitent le
Québec de même que les autres provinces à poser des gestes
et aussi à continuer à poser d'autres gestes pour contrecarrer
cette offensive que j'ai qualifiée déjà, à
l'Assemblée nationale, d'odieuse, d'injuste, d'arbitraire et
d'inacceptable.
Évidemment, c'est odieux quand on pense à ce geste
posé par un ordre de gouvernement qui essaie d'imposer ses vues contre
le gré de l'un ou de plusieurs gouvernements, soit locaux ou
provinciaux. On a traité également de geste odieux le fait de
soumettre à un Parlement étranger des amendements, d'aller agir
à notre place, alors que nous avions demandé, au début,
que tous ces changements soient faits plutôt ici, au Canada. Il nous
apparaît tout à fait logique également de commencer nos
travaux par la comparution - si le terme est exact - d'experts juridiques et
autres qui sont à l'emploi du gouvernement québécois et
qui auront à nous renseigner un peu sur le sens, sur la portée et
aussi sur l'importance des initiatives gouvernementales jusgu'à ce
jour.
On sait gu'en ce moment, le Québec a engagé la bataille
sur plusieurs fronts en même temps. On a mentionné les tribunaux,
que ce soit ceux du Québec ou d'ailleurs. Il se fait actuellement aussi
une campagne de publicité à la radio, à la
télévision. Il y a, dans certains coins de la province, des
manifestations populaires, il y a des dépliants qui sont transmis par la
poste et distribués dans les foyers. Il y a eu ce débat que l'on
connaît à l'Assemblée nationale, et il y a en ce moment
cette commission parlementaire qui nous regroupe afin d'essayer surtout de
faire la lumière, d'y voir clair nous-mêmes, pour essayer aussi de
renseigner davantage la population québécoise. Alors comme
formation politique, nous sommes fiers d'avoir contribué à
sensibiliser la population et nous voulons continuer d'oeuvrer dans le
même sens. On sait que nous avons été les premiers à
dénoncer le coup de force que cherche à nous imposer le
gouvernement Trudeau. Nous avons demandé, également, dès
l'automne, la convocation d'urgence de l'Assemblée nationale du
Québec, toujours dans le but de mieux informer les
Québécois. fl2 h 45)
Troisièmement, nous avions mis de l'avant cette idée d'une
action commune de tous les partis politiques à l'Assemblée
nationale, en vue de combattre ce geste unilatéral d'Ottawa. Si nous
l'avons fait, de façon très rapide, dès le 3 octobre
dernier, dès le lendemain de l'annonce officielle des intentions du
gouvernement fédéral, c'est parce que nous avons vite compris que
ce geste niait, en quelque sorte, catégoriquement plus de guinze
années d'efforts, de négociations par tous les gouvernements du
Québec pour renouveler en profondeur la constitution canadienne et,
particulièrement, là où cela compte le plus, sur cette
fameuse question de répartition des pouvoirs.
C'est donc avec grand intérêt que nous prendrons
connaissance des observations et des recommandations des différents
groupes qui auront à nous soumettre des mémoires. J'espère
que toutes les mesures ont été prises pour nous fournir le plus
large éventail possible d'opinions et de positions et qu'aucune
discrimination ne viendra ternir le déroulement de nos travaux. Je pense
en ce moment, par exemple, à M. Gilles Loiselle qui pourrait nous
renseigner très bien sur le travail du "select committee" de Londres. Je
ne sais pas s'il est l'un des intervenants ou l'un des témoins. Mais un
personnage comme celui-là, je pense qu'il aurait été
très bon de l'avoir, en même temps, également, que d'autres
groupes de citoyens qui sont en désaccord avec la position du
gouvernement gui voient peut-être des avantages, eux, à laisser le
fédéral agir seul et faire un rapatriement unilatéral. Ces
groupes ne seront peut-être pas nombreux, mais si jamais ils se
présentaient, il serait bon que nous puissions connaître leurs
points de vue.
Avant de terminer, je voudrais exprimer un regret. Nous avions
souhaité que nos travaux soient télévisés. Or, ce
souhait n'a pas recueilli le consensus nécessaire, comme l'avait
demandé la présidence. Je pense qu'il aurait été
préférable que nous ayons pu bénéficier de ce
service public, pas nécessairement pour les parlementaires, mais pour
nos concitoyens, qui, dans le moment, auraient grand intérêt
à prendre connaissance de nos délibérations. C'est un
handicap, il me semble, qui nous 'défavorise, dans un certain sens, par
rapport à la commission mixte qui siège présentement
à Ottawa et qui siégera jusqu'au 6 février. En même
temps, les débats de cette commission sont rendus publics au fur et
à mesure des délibérations. À ce sujet, notre
formation politique, l'Union Nationale, a demandé à
comparaître et nous avons la conviction que notre demande sera
agréée par la commission mixte du Parlement du Canada. Merci Mme
la Présidente.
La Vice-Présidente: M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Claude Morin
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente.
Je vois qu'il reste à peu près un quart d'heure. Je vais essayer
de ramasser ce que j'ai l'intention de dire pendant ce temps. Il se peut que je
n'aie pas fini. Je ne sais pas quelle est la limite de temps que j'ai à
ma disposition; cela préparera les interventions et les questions cet
après-midi, qui seront adressées à ceux que nous avons
comme experts et comme fonctionnaires. Je vais aller jusqu'à 13 heures
et on verra où j'en serai, puis on avisera.
Mme la Présidente, je voudrais très brièvement -
pour qu'on se situe dans le même contexte et, ensuite, j'arriverai
à certains documents que je veux déposer - relater, ne serait-ce
que par des dates, certains événements des six derniers mois.
Cela me paraît capital pour qu'on voie d'où nous sommes partis et
où nous en sommes arrivés.
Je rappellerai d'abord le premier cas que nous avons eu, à la fin
du mois de mai, tout de suite après le référendum, soit
une tournée du ministre fédéral, M. Chrétien, qui a
été dans toutes les provinces du Canada et qui a demandé
à me voir moi-même, dès le lendemain du
référendum, en prévision d'une reprise des pourparlers
constitutionnels. Cela n'était pas un moment particulièrement
bien choisi. Alors plutôt que de recevoir M. Chrétien le lendemain
du référendum, comme il le voulait, je lui ai proposé de
le recevoir au début de l'autre semaine. Malheureusement, il
était en vacances à ce moment-là et je suis le seul
ministre responsable du dossier constitutionnel qu'il n'a pas vu au Canada.
Cependant, cette première tournée de M. Chrétien a
conduit à la réunion qui a eu lieu -c'est une autre date,
celle-là - le 9 juin, à Ottawa, qui a réuni les premiers
ministres des provinces avec le premier ministre fédéral et c'est
au cours de cette réunion que douze sujets de discussion ont
été retenus. Je passe vite là-dessus parce que les gens
s'en souviennent de ces douze sujets. Il y en avait dix gui provenaient de
conférences antérieures et deux sujets étaient nouveaux,
dont un qui était une déclaration de principes, qui a d'ailleurs
été rendue publique à ce moment-là, à
laquelle se sont opposés de très nombreux Québécois
de tous les partis politiques. Deuxièmement, il y avait un autre sujet
nouveau qui s'appelait à l'époque Pouvoirs sur l'économie
et dont on a perçu, au cours de l'été, l'ampleur parce que
ça représentait, on a pu s'en rendre compte, une offensive
fédérale contre les pouvoirs provinciaux en matière
économique.
Ces douze sujets ont donc été retenus à l'ordre du
jour de nos travaux pour l'été. À ce moment-là, le
9 juin, un horaire que beaucoup ont qualifié par la suite, avec raison,
d'infernal a été imposé aux ministres chargés du
dossier constitutionnel, lesquels se sont réunis le 17 juin à
Ottawa pour établir le travail de l'été. Cela a
donné lieu à ceci: trois semaines intensives de réunions
au mois de juillet; une à Montréal, une à Toronto et une
à Vancouver, suivies d'une quatrième semaine intensive à
la fin du mois d'août pour terminer le processus. Quand je dis
réunions intensives, je veux dire que c'étaient des
réunions les mardi, mercredi, jeudi et vendredi et très souvent
le soir aussi, de sorte qu'il n'y a jamais eu, je pense, une fréquence
de rencontres avec une telle intensité dans toutes les années
dont j'ai pu avoir connaissance des relations
fédérales-provinciales.
Je voudrais dire ici un mot - c'est une parenthèse que j'ouvre
parce qu'elle m'apparaît importante - sur la position ou l'approche que
le gouvernement du Québec a adoptée à l'époque, au
début des pourparlers constitutionnels, à l'été. Je
veux dire qu'il y a cinq catégories de principes qui nous ont
guidés - si je peux m'exprimer ainsi - ou cinq attitudes. Une d'abord
qui portait sur le respect, d'après nous, de certains principes
essentiels. C'est pour ça qu'ils ont été mentionnés
par le premier ministre du Québec, d'ailleurs, dès le 9 juin
à Ottawa. Il y en a deux de ces principes essentiels qui sont redevenus
d'actualité ces jours-ci.
Premièrement, si on devait avoir une nouvelle loi fondamentale au
Canada, il y avait quand même deux choses qui nous paraissaient
essentielles de maintenir ou de reconnaître: d'abord, qu'il existe au
Québec une société distincte avec ses
caractéristiques propres. Je pense que ça fait
l'unanimité. On voulait que ce
soit reconnu parce que c'est le Québec qui est à
l'origine, depuis des années, de la demande d'une nouvelle constitution
canadienne. Il n'était que normal qu'au moment où on s'engageait
dans ce qui devait être une entreprise sinon de longue haleine, parce que
l'haleine n'a pas été très longue, au moins aussi
fouillée que ce qui devait avoir lieu l'été dernier, on
reconnaisse au moins le cas particulier du Québec.
Deuxièmement, cette société distincte, ce peuple
québécois devait maintenir son droit de disposer de
lui-même librement, c'est-à-dire le droit à
l'autodétermination. Donc, première série de positions, si
vous voulez, portant sur des principes essentiels qui nous paraissaient
fondamentaux, qui nous paraissent encore fondamentaux.
La deuxième série de principes portait, elle, sur le
partage des pouvoirs. Il y avait douze sujets à l'ordre du jour. Sur
chacun des ces sujets, sur les onze qui portaient sur le partage des pouvoirs,
nous avons établi des positions que nous avons toutes rendues publiques
au cours de l'été, de sorte que la population soit bien
informée. Elles ont été essentiellement guidées par
un principe qui était que la nouvelle ronde de discussions
constitutionnelles ne devait pas et ne pouvait pas conduire à une
diminution des pouvoirs du Québec. Pour nous, c'est une règle
fondamentale que nous avons maintenue tout l'été.
Je rappelle seulement ici qu'il y a eu une commission parlementaire cet
été. Nous aurions peut-être voulu la tenir au début
du mois de juillet avant même que les négociations soient
entreprises, mais, pour diverses raisons, elle n'a pas pu avoir lieu. Donc,
elle a été tenue les 15 et 16 août. À cette
époque, on a quand même expliqué les positions que nous
avions adoptées sur chacun des points à l'ordre du jour; enfin,
on aurait voulu le faire pour chacun des points à l'ordre du jour, mais
on a été en mesure d'en regarder seulement quatre ou cinq parce
que le temps ne nous a pas permis d'aller plus loin. On se souviendra de cette
réunion qui, d'ailleurs, avait eu lieu dans cette salle-ci. Cela
concerne le partage des pouvoirs.
Une autre approche que nous avons maintenue concerne notre
méthode ou, si vous voulez, notre attitude par rapport aux autres
gouvernements et particulièrement par rapport aux autres gouvernements
provinciaux. Nous avons systématiquement, dès le départ,
essayé d'établir, sur ces douze sujets, une coordination et
même des positions les plus communes possible avec les autres
gouvernements provinciaux. Ce que je considérais, moi, comme
peut-être une des choses les plus difficiles à réaliser,
c'est-à-dire cette possibilité de position commune, s'est
avéré beaucoup plus facile à réaliser que je ne
l'aurais cru, pas tellement parce qu'on a été
particulièrement brillants, nous-mêmes, encore qu'on ait fait
notre possible de ce côté-là, mais parce que je dois dire
qu'il est intervenu un élément dans le contexte global politique
qui a aidé à cette cohésion des provinces. C'est que,
dès ce moment-là, les provinces se sont rendu compte que le
gouvernement fédéral mijotait quelque chose d'ultra-rapide et de
totalement déterminé, quels que soient les résultats des
négociations de l'été. Donc, je dirais que les provinces,
s'étant senties menacées à la suite de déclarations
faites par M. Trudeau, surtout par M. Chrétien, un peu par M. Lalonde et
d'autres aussi, notamment au congrès libéral de Winnipeg, ont vu
qu'il s'en venait une action unilatérale possible et, par
conséquent, ont manifesté plus de cohésion que cela
n'aurait été le cas autrement.
L'autre facteur qui a été présent, c'est que
beaucoup de provinces ont manifesté des vues similaires à celles
du Québec en matière de partage des pouvoirs non pas sur
l'ensemble des sujets, je dois le dire, mais sur quelques-uns d'entre eux,
notamment les richesses naturelles, les richesses minières en bordure
des côtes, les communications, etc. Donc, sur la méthode suivie,
nous avons voulu réussir et nous avons réussi, avec les autres,
à établir des positions communes auxquelles je reviendrai tout
à l'heure, parce que cela a été un élément
majeur de la négociation.
L'autre guide que nous avons eu, c'est que nous avons tenu à
tenir le public le plus constamment et le plus adéquatement
informé possible, de sorte que nous avons tout de suite, dès que
nous les faisions valoir au sein des comités qui se tenaient à
huis clos, rendu nos positions publiques. Tout cela a été
accompagné chaque jour, systématiquement, par moi-même ou,
à l'occasion, par les ministres qui m'accompagnaient - je pense au
leader parlementaire, M. Charron et au ministre de la Justice, M. Bédard
- d'une conférence d'information donnée à la presse.
J'avais obtenu à cet égard, appuyé notamment par le
Nouveau-Brunswick et d'autres de mes collègues des autres provinces, qui
s'en tenaient, eux, davantage au huis clos, je ne dirais pas la permission,
mais cette complicité, je pense, qu'il était nécessaire
d'avoir, qu'eux me laissaient m'exprimer au nom du gouvernement du
Québec alors qu'eux ne sentaient pas nécessairement, comme
gouvernements provinciaux, le besoin d'exprimer eux-mêmes leurs
positions. Cependant, le gouvernement fédéral aussi, chaque jour,
exprimait sa position de sorte que, je pense, contrairement aux règles
habituelles suivies en huis clos qui ont joué des tours au Québec
dans le passé, notre désir d'informer systématiquement la
population a amené le fédéral à faire la même
chose, de sorte que les gens, même si c'était en plein milieu de
l'été - cela aussi faisait partie de la stratégie
fédérale, on y reviendra tout à l'heure - ont quand
même pu suivre mieux nos travaux qu'ils n'auraient pu le faire
autrement.
Finalement, un autre guide que nous avons eu, il s'agissait de
déterminer quelle serait notre position compte tenu du résultat
du référendum. J'ai été très clair à
cet égard dès la première réunion, le 8 juillet,
dans une déclaration que j'ai rendue publique, d'ailleurs, à
l'époque; je ne l'ai pas ici avec moi, mais on peut facilement la
retrouver. J'ai dit que nous respections le résultat du
référendum et que, comme on n'avait pas été
donné au gouvernement du Québec le mandat de négocier la
souveraineté-association, ce n'était pas ce que nous viendrions
faire pendant l'été. (13 heures)
Cependant, comme M. Lévesque l'a dit à l'occasion de la
conférence publique du début de septembre, il y a plusieurs types
de fédéralisme; il y en a qui sont moins acceptables que
d'autres, ou d'autres plus tolérables. Si je résume, tout en
étant incomplet, je pourrais dire qu'il y a deux catégories de
fédéralisme, si je peux m'exprimer
ainsi. Une qui est celle que partage M. Trudeau de façon
constante depuis toutes les années qu'on le connaît et que je le
connais, c'est un fédéralisme centralisé, dominateur et
vraiment peu respectueux des principes mêmes du
fédéralisme. On en voit la preuve et, d'ailleurs, c'est ce qui
nous réunit ici aujourd'hui.
Il y a un autre type de fédéralisme qui en est un de
complémentarité, qui est décentralisé, et c'est
celui que partagent la majorité des provinces. Notre raisonnement,
très pragmatique, très simple, était le suivant:
étant donné que nous devons maintenir le régime
fédéral et que nous devons vivre à l'intérieur du
régime fédéral, le mieux est de trouver le meilleur
régime fédéral qui convienne et ne pas nous laisser
imposer la conception qu'a M. Trudeau de ce fédéralisme. Nous
avons donc opté avec les autres provinces pour le
fédéralisme décentralisé, toujours en tenant compte
de ce principe absolu que nous avions, de ne voir en aucune manière les
pouvoirs du Québec diminués.
Il n'y a aucune contradiction, d'ailleurs, entre cela et la recherche de
la souveraineté-association puisque, en ce qui concerne au moins le
partage des pouvoirs, la souveraineté-association est un transfert de
pouvoirs beaucoup plus massif bien sûr qu'un fédéralisme
décentralisé; mais si, par un fédéralisme
décentralisé, vous transférez des pouvoirs, même
partiels, vous avez une sorte d'acompte sur ce que peut être la
souveraineté-association. De la sorte - si je peux exprimer mon opinion
par une sorte d'image que je ferais - il ne s'agit pas de choisir de s'en aller
à droite alors qu'on voudrait s'en aller à gauche, mais
plutôt d'aller moins loin que là où on voudrait aller
normalement et, par conséquent, il n'y a pas de contradiction. C'est
comme quelqu'un, par exemple, qui veut aller de Québec à
Montréal, qui ne peut pas aller à Montréal pour diverses
raisons, mais le fait qu'il aille, par exemple, à Victoriaville ou
à Drummondville, le rapproche de Montréal et, par
conséquent, il n'y a pas de contradiction entre un voyage à
Drummondville et un voyage à Montréal dans cette perspective.
Cela l'éloigne du statu quo, justement.
Ce sont les guides que nous avions pour notre délégation
au cours de l'été. Il y a eu - je reviens à ma
chronologie, si vous voulez bien -trois semaines de discussions intensives en
juillet. À la commission parlementaire des 15 et 16 août que tout
le monde connaît puisque la plupart de ceux qui sont ici présents
y étaient, nous avons fourni tous les documents que nous avions à
notre disposition à l'époque; nous avons continué par la
suite. Il y a eu la conférence interprovinciale des premiers ministres
où le point à été fait, à Winnipeg, la
troisième semaine d'août. La quatrième semaine
d'août, il y a eu la réunion à Ottawa des ministres
chargés du dossier constitutionnel. Tout cela s'est terminé par
cette conférence télévisée, de cinq ou six jours,
des premiers ministres à Ottawa au début de septembre où
on a vu, d'une part, que la position commune des provinces s'était
maintenue d'une façon surprenante, je dirais, parce que je n'ai pas vu
cela souvent dans le passé, pendant toutes les années que j'ai
été dans ce domaine, et, deuxièmement, qui a
été, comme conférence fédérale-provinciale,
un peu rendue célèbre - je pense qu'on en parlera dans l'avenir
un peu à cause de ce que je vais mentionner - par la mise à jour
d'une stratégie secrète du gouvernement fédéral, ce
qui démontrait clairement qu'à Ottawa on s'attendait à un
échec et qu'on avait prévu comment tenir compte de cet
échec par une action unilatérale.
On avait même prévu, en donnant des conseils à M.
Trudeau, de faire passer les premiers ministres des provinces comme des
attardés sociaux qui s'opposaient aux vues ouvertes, positives et
éclairées du grand frère fédéral. Ce
document secret, dont j'ai eu connaissance et qui m'a été
effectivement remis, était tellement dans une certaine mesure
invraisemblable que, dans les premières minutes où je le
parcourais, j'ai cru à un faux, à ce qu'on appelle dans certains
milieux de l'intoxication, en ce sens que je ne pouvais pas croire que
c'était possible que le gouvernement fédéral ait
écrit un tel document, quoique j'aurais dû m'en douter, mais il
confirmait tout ce que nous avions soupçonné; quand je dis nous,
je ne parle pas uniquement de la délégation du Québec, je
parle des délégués des autres provinces au cours de
l'été.
On s'est rendu compte qu'on était à la veille d'un coup de
force et je me souviens ici même que j'en avais parlé, non pas du
document secret que nous n'avions pas, mais de la possibilité qu'Ottawa
procède à sa façon, sans tenir compte des vues des
provinces et ce dès la commission parlementaire des 15 et 16
août.
Ce document secret a été distribué à peu
près à tout le monde et je l'ai ici dans mes dossiers, si on veut
s'y référer, mais cela démontre clairement qu'on
était devant une entreprise qui ne visait pas, mais absolument pas,
à correspondre aux promesses référendaires faites aux
Québécois le 20 mai et qui ne visait absolument pas à
renouveler le fédéralisme d'une façon qui aurait
été le moindrement acceptable à un commun
dénominateur québécois. Cela a continué et je vais
arrêter avec cela, Mme la Présidente, quitte à reprendre
cet après-midi, parce que je veux déposer des documents. Cette
démarche fédérale a pris forme par les déclarations
du premier ministre du Canada le 2 octobre dernier.
Je voudrais, pour terminer maintenant, quitte à ce que je
revienne, parce que je veux les remettre à tous les membres,
formellement déposer devant la commission ici les documents suivants qui
viennent un peu illustrer tout ce que j'ai dit, dans l'actualité,
j'entends, parce qu'il ne s'agit pas de refaire toute l'histoire des derniers
mois. Je voudrais déposer une copie en anglais et en français -
parce que nous l'avons traduit depuis - du document remis au "select committee"
de la Chambre des communes de Londres. Alors, chacun en aura a sa disposition,
de même que les journalistes. Je donne la copie française et
anglaise aussi d'un document qui a déjà été
formellement déposé à l'Assemblée nationale,
c'est-à-dire le factum du Québec devant la Cour d'appel du
Manitoba. Je donne aussi un exemplaire d'un "background brief", avec
résumé en français, c'est-à-dire d'un document que
la délégation générale du Québec à
Londres -cela n'a pas encore été distribué à qui
que ce soit - a fait parvenir au cours des dernières semaines aux
parlementaires britanniques et à ceux que cela intéresse de
connaître ce qui se
passe ici pour les informer de la situation.
Chaque personne ici aura à sa disposition ces textes. Il est
possible, en cours de route, qu'on donne d'autres textes. Exemple: je serai en
mesure demain - parce que je n'ai pas le droit de le faire aujourd'hui - de
déposer deux opinions juridiques qui sont remises au moment même
où je vous parle au "select committee" à Londres de deux juristes
britanniques, M. Lauterpacht et M. Wade, et qui vous seront remises demain et,
aussi, un autre document que nous n'avons pas, mais qui serait disponible, du
Dr Marshall, qui a été aussi devant le comité britannique.
Tous ces documents, vous verrez, concordent pas mal avec la prise de position
que le Québec a fait valoir là-bas.
Je voudrais aussi - c'est la dernière chose que je dis, Mme la
Présidente, pour que le monde soit un peu guidé sur la suite de
nos travaux -dire que cet après-midi seront disponibles, pour
répondre aux questions, outre moi-même, bien sûr, M. Robert
Normand, le sous-ministre des Affaires intergouvernementales, qui pourra nous
parler de l'action que nous avons entreprise auprès des autres
gouvernements et à Londres. Mais je dois dire qu'à mon grand
regret M. Loiselle, pour des raisons strictement personnelles et familiales, ne
peut pas être avec nous aujourd'hui. Nous lui avions demandé de
venir, mais il ne peut pas être avec nous aujourd'hui. Alors, M. Normand
pourra, puisqu'il suit les opérations quotidiennement à Londres,
nous faire part de ce que nous faisons là-bas avec les autres provinces
et avec le gouvernement britannique.
Nous avons aussi M. Yves Pratte, qui est le conseiller du gouvernement
et qui a été, en grande partie, responsable de ce document qui
vous est remis, à qui vous pourrez poser les questions que vous voulez
sur ce document, bien sûr. Nous avons aussi Me Jean-K. Samson, qui
était à Winnipeg jusqu'à hier, je pense, pour notre
présentation devant la Cour d'appel de Winnipeg, et d'autres, si c'est
nécessaire, de mon équipe seront à votre disposition,
parce que je pense que c'est important qu'on sache à quoi s'en tenir au
point de départ sur l'action du gouvernement du Québec. Je dis
que, moi-même, je serai à la disposition de la commission pour
tout renseignement supplémentaire.
Mme la Présidente, j'ai à peu près terminé -
je viens de regarder mes notes - mon petit exposé chronologigue. Je n'ai
pas besoin de rappeler la résolution à l'Assemblée
nationale ni le fait qu'on a une commission parlementaire aujourd'hui et je
pense que je vais terminer pour le moment mes remarques ici, Mme la
Présidente, quitte, si c'est nécessaire, à l'heure
où nous reprendrons, à revenir avec des compléments
d'information si on le juge à propos.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je voudrais simplement faire
un rappel à cette commission. Quand on parle de dépôt de
documents, il est bien sûr que nous parlons toujours de la mise à
la disposition des membres de la commission des documents dont il est guestion.
Je rappelle aussi qu'ont été invités à se
présenter devant la commission: M. Robert Normand, Me Yves Pratte,
conseiller du gouvernement, M. Robert Normand, sous-ministre aux Affaires
intergouvernementales et M. Jean Samson, directeur du service juridique du
ministère des Affaires intergouvernementales.
Sur ce, nous suspendons les travaux de cette commission jusqu'à
15 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 10)
(Reprise de la séance à 15 h 23)
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente de la présidence du conseil et de la
constitution est appelée à reprendre maintenant ses travaux pour
entendre M. Robert Normand, sous-ministre au ministère des Affaires
intergouvernementales. Ensuite, nous appellerons Me Yves Pratte, conseiller du
gouvernement. Subséguemment, nous demanderons à M. Jean Samson de
se présenter à la commission. Pour la suite des travaux, il a
été prévu, avions-nous dit, une ou deux questions de la
part des oppositions à la suite de l'intervention de M. le ministre des
Affaires intergouvernementales.
M. Ryan: Je voudrais, si vous le permettez...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Ryan: Si vous me permettez, Mme la Présidente, je
voudrais que vous me précisiez ce que vous voulez dire. Il avait
été entendu qu'il y aurait une ou deux questions des oppositions
au ministre des Affaires intergouvernementales. Je ne sais pas si cela
s'applique aux témoins qui vont suivre également, mais qu'est-ce
que vous entendez par cela?
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est qu'au départ -
nous avions parlé de l'organisation de nos travaux ce matin - nous
avions convenu gu'après - j'allais dire le dépôt de
document -ces documents qui vous ont été fournis, vous pourriez
avoir une ou deux questions au ministre des Affaires intergouvernementales. Je
pense que nous serons très souples quant aux invités que nous
recevrons cet après-midi.
M. Ryan: C'est parce que l'exposé que le ministre des
Affaires intergouvernementales a fait ce matin était bref, mais il
contenait des points très importants sur lesquels, je pense, il serait
nécessaire que nous l'interrogions un peu, à ce stade-ci du
travail de la commission. Cela ne me fait rien que cela vienne à un
stade ultérieur, mais je ne voudrais pas que ce soit noyé. Je
vais vous poser quelques interrogations qui se posent dans mon esprit à
la suite de l'exposé. Je vais vous les formuler toutes ensemble. Si cela
peut tenir dans une intervention de ma part, je n'ai pas d'objection. Mais cela
serait à la condition que les réponses soient satisfaisantes sur
chacun des points. Très bien.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle, vous avez la parole.
Questions au ministre
M. Ryan: Très bien. Tout d'abord, le ministre, ce matin,
nous a résumé les principes
qui avaient guidé le gouvernement dans sa participation à
la démarche visant à la révision du système
fédéral canadien au cours des mois d'été et
d'automne. Il a énuméré une série de principes que
je ne veux pas reprendre, mais il y en a quelques-uns qui soulèvent des
difficultés dans mon esprit et sur lesquels je voudrais des
éclaircissements. Par exemple, le ministre a dit: Une règle
fondamentale en matière de partage des pouvoirs dont on s'est
inspiré au gouvernement, jusqu'à maintenant, c'est un nouveau
partage des compétences législatives ne saurait entraîner
une quelconque diminution des pouvoirs du Québec. Je pense qu'il serait
important qu'on ait des précisions là-dessus. Est-ce que cela
veut dire que le gouvernement interprète littéralement cette
affirmation à la manière de syndicats qui abordent une
négociation en disant: Tout ce que nous avons acquis jusqu'à
maintenant, il n'est pas question que ce soit remis en cause d'aucune
manière, on veut seulement des gains nouveaux; c'est la base même
de la négociation si le gouvernement est prêt à examiner
les problèmes nouveaux qui ont surgi dans la fédération
canadienne dans leur contenu objectif? Il pourrait arriver que la somme des
pouvoirs qui découleraient d'un nouveau partage des compétences
serait plus élevée que celle qui existait au départ mais
que, sur tel ou tel point particulier, il y aurait un changement de
compétence dicté par la nature même des choses. Est-ce une
perspective fermée ou si on doit s'attendre à une
interprétation plutôt libérale de ce principe-là qui
était affirmé?
Deuxièmement, le ministre a fait une affirmation qui m'a beaucoup
intéressé. Il dit qu'on est en présence de deux
conceptions du fédéralisme. Je pense qu'il n'y a pas de
problème là-dessus. Une conception met davantage l'accent sur la
décentralisation et sur l'égalité et la
complémentarité des deux ordres de gouvernement. Le gouvernement
actuel dit qu'il se raccroche à cette conception plutôt
qu'à celle qui veut asseoir de manière plus forte la
prépondérance du pouvoir fédéral. Je ne pense pas
qu'il y ait de difficulté à ce moment-ci. Mais le ministre ajoute
que dans la poursuite de cette forme de fédéralisme, le
gouvernement croit être capable de faire en sorte qu'il n'y ait pas de
contradiction entre sa démarche et celle que comporterait la recherche
de la souveraineté-association. Nous l'avions tous compris implicitement
à voir agir le gouvernement au cours des derniers mois.
Je pense que ça demande des explications parce que nous, du
côté de l'Opposition officielle, avons toujours
considéré qu'entre l'option du gouvernement et celle du
fédéralisme renouvelé, il y avait une différence de
nature et pas simplement de degré. On ne serait pas allé en
référendum seulement pour une différence de degré,
me semble-t-il. Il me semble que si vous entrez dans la démarche qui
consiste à rechercher un renouvellement du fédéralisme,
vous entrez dans une démarche qui va comporter une disposition à
donner et pas seulement la recherche d'avantages pour notre camp. En somme, on
ne voudrait pas retomber indirectement dans l'ornière du
fédéralisme rentable qui se limite à voir seulement
l'intérêt de chaque partie constituante, sans voir
l'intérêt et le bien de l'ensemble. Je voudrais que vous nous
précisiez quelle est l'attitude du gouvernement actuel sur cette
question extrêmement délicate.
Le troisième point sur lequel le ministre est passé
rapidement, et je ne veux pas insinuer quoi que ce soit au chapitre des motifs
à ce sujet, c'est le consensus qui s'était apparemment produit
entre les gouvernements provinciaux, vers la fin de la conférence
fédérale-provinciale, en septembre dernier. Le ministre nous a
remis en temps utile un document résumant l'essentiel de ce
consensus-là, mais le document, à la lecture, n'est pas toujours
aussi clair qu'il pourrait sembler. Souvent, on voit que c'était une
approche qui manquait de précision. Je pense que ce serait important que
le ministre nous donne des indications additionnelles sur la nature exacte de
ce consensus qui s'était apparemment produit entre !es provinces et sur
ce qui est arrivé à compter du moment où les points de ce
consensus ont été soumis à l'attention du premier ministre
fédéral.
Les derniers points sur lesquels j'aimerais obtenir des
précisions, c'est l'attitude actuelle du gouvernement pour ce qui
concerne le rapatriement de la constitution et la recherche d'une formule
d'amendement et le moment où pourrait intervenir le rapatriement
accompagné d'une formule d'amendement acceptable au Québec. (15 h
301
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je
pense qu'il ne faudrait pas détourner cette commission de son mandat te!
que défini, ce qui fait que nous sommes réunis ici aujourd'hui.
Ce n'est pas du tout une commission comme celle qui s'est tenue
l'été dernier alors que, des questions comme celles qui viennent
d'être posées par le chef de l'Opposition avaient
été élaborées et abordées. Ce matin, j'ai
essentiellement -c'était cela l'objectif d'ailleurs, comme je voudrais
qu'on continue peut-être cet après-midi -donné la toile
d'arrière-plan sur les événements qui se sont produits et
qui nous ont conduits là où nous en sommes aujourd'hui, quitte
par la suite - c'est ce que nous devons faire cet après-midi, je crois -
à ajouter de la part de nos experts des renseignements
supplémentaires. Or, les questions qui me sont formulées à
la suite de ma très brève intervention de ce matin, qui a
duré, je pense, seize minutes, parlent, traitent d'un
élément de mon intervention qui a peut-être duré
cinq minutes, où j'ai repris essentiellement ce que j'avais dit
l'été dernier à la commission parlementaire quant aux
principes qui nous guidaient.
Disons que je vais donner une réponse rapide à certaines
des questions qui ont été mentionnées par le chef de
l'Opposition, mais je ne veux pas que nous perdions de vue la raison
d'être de cette commission qui est d'écouter le public, en
commençant par écouter certains experts qui travaillent avec nous
sur les questions qui nous opposent maintenant à la démarche
unilatérale du gouvernement fédéral.
Très rapidement - je pense que c'est tout un autre débat -
il est exact, premièrement, que, comme position fondamentale, nous
considérerions tout à fait absurde que quelque
fédéralisme
renouvelé qui puisse exister - je parlais à ce
moment-là l'été dernier; le fédéralisme
renouvelé, on a vu ce que cela a donné dans l'intervention
unilatérale fédérale - ne pouvait pas, en
définitive, conduire à une diminution des pouvoirs du
Québec. C'est cela que nous avons comme principe de base. Quand je dis
"en définitive, ne doit pas conduire a une diminution des pouvoirs du
Québec", je parle, bien sûr, globalement. Il peut y avoir des
aménagements en cours de route, mais la somme totale des attributions du
Québec, en définitive, doit être supérieure à
ce qu'elle est avant que le processus de révision constitutionnelle ne
commence. Cela me semble tout à fait élémentaire comme
position de base parce que toute autre approche voudrait dire, soit qu'on
considère que le Québec a déjà trop d'attributions,
soit qu'on accepte d'avance que le processus de révision
constitutionnelle diminue le Québec. Nous n'acceptons pas, comme
politique gouvernementale, cette façon de voir les choses. C'est pour le
moment tout ce que je vais dire à ce sujet.
En ce qui concerne le fédéralisme rentable dont vous avez
parlé, il est bien sûr que nous n'avons pas envers le
fédéralisme une approche dite de fédéralisme
rentable. C'était celle qu'avait le Parti libéral avant. Ce n'est
pas une position que nous avons prise. Au contraire. Je suis moi-même une
des personnes qui ont le plus critiqué cette approche de
fédéralisme rentable parce qu'on réduisait le
système fédéral essentiellement à une
comptabilité et je pense que c'est à la fois moins et plus que
cela. Ce que j'ai dit ce matin - d'ailleurs je me souviens très bien de
mes mots - c'est qu'il y a plusieurs façons d'envisager le
fédéralisme. Il y a deux grandes catégories. En
simplifiant, il y a celle de M. Trudeau et du gouvernement
fédéral, qui est un fédéralisme dominateur, et
celle des provinces qui est un fédéralisme de
complémentarité et décentralisé. À choisir
entre les deux, nous choisissons la deuxième forme de
fédéralisme et c'est celle à laquelle nous nous sommes
ralliés avec les autres provinces cet été.
Troisièmement, vous avez parlé du consensus qui est
intervenu cet été. Nous avons à l'époque - si on ne
l'a plus, cela me fera plaisir de le distribuer de nouveau - rendue publique la
base du consensus qui est intervenu au niveau des provinces l'été
dernier et, plus précisément, le vendredi avant la rencontre
à huis clos avec le premier ministre fédéral. Je l'ai
encore ici. Je pourrai en distribuer des copies si c'est utile. Il s'agit d'un
résumé que vous avez reçu, d'un aide-mémoire. C'est
sûr qu'il ne peut pas être complet. Il est impossible, pour des
raisons que n'importe qui va facilement comprendre, en l'espace de quelques
heures, de rédiger un document complet à l'intention du premier
ministre fédéral, que toutes les provinces ensemble lui auraient
remis. Je vous rappelle encore que cela a été fait le jeudi soir
et le vendredi matin de la conférence fédérale-provinciale
des premiers ministres, donc, à l'intérieur de quelques heures.
Ce que je considère remarquable dans ce texte qu'on a réussi
à fabriquer, c'est qu'en aussi peu de temps il soit demeuré
autant de domaines où le consensus interprovincial a été
maintenu. Ce n'est pas complet. Nous l'avons même dit à
l'époque. C'est un aide-mémoire.
Ce qui s'est passé au cours de la réunion à huis
clos des premiers ministres avec le premier ministre fédéral, je
n'en étais pas témoin, n'ayant pas été, puisque je
n'étais qu'un ministre, pas plus que les autres ministres des autres
provinces, admis à cette réunion. Ce que j'en sais par toutes les
sources qui nous ont été disponibles, c'est qu'il a adopté
une attitude intransigeante et qu'il avait décidé, à ce
moment-là de ne pas céder en quoi que ce soit aux provinces en ce
qui a trait aux demandes, même celles qui faisaient l'unanimité
des provinces.
Nous avions à cette époque - on l'avait dit publiquement -
un ensemble qui, sans être flamboyant, pouvait, à la rigueur,
représenter un premier résultat valable des discussions de cet
été. Mais ce que j'en sais, n'ayant pas été
moi-même témoin - je le sais non seulement du premier ministre du
Québec, mais d'autres premiers ministres - c'est que l'attitude
fédérale a été tout à fait intransigeante et
même, je dirais, arrogante. Je n'étais pas témoin. Je
n'étais pas présent.
Vous me demandez, quatrièmement, comme question, ce que nous
avons à dire en ce qui a trait à la formule d'amendement et aux
autres solutions possibles pour dénouer l'impasse actuelle. Je ferai
deux commentaires là-dessus.
Premièrement, l'impasse actuelle a été
créée par le gouvernement fédéral. C'est devenu un
fait historigue qu'on peut démontrer n'importe quand. On n'a qu'à
revoir les bobines de la télédiffusion directe du mois de
septembre et on va voir qui, à ce moment-là, a
présenté les vues les moins susceptibles d'entraîner
l'adhésion. Je pense que c'est le gouvernement fédéral.
C'est à cette époque-là, d'ailleurs, que le premier
ministre du Québec a reçu des félicitations publiques de
trois premiers ministres d'autres provinces sur l'attitude que nous avions et
qu'il avait lui-même adoptée au cours des jours et des semaines
qui précédaient.
Deuxièmement, je peux dire ceci: Au moment où nous parlons
- et c'est tout ce que je veux dire pour aujourd'hui parce que ce n'est pas le
but de la commission; j'aurai peut-être l'occasion à d'autres
moments d'y revenir - il a été décidé entre les six
provinces qui s'opposent au geste fédéral - cela a
été décidé hier à la suite de longues
conversations et de rencontres qui ont eu lieu, dont peut-être M. Normand
nous parlera tantôt - au cours d'une conférence
téléphonique entre six premiers ministres, qui s'est tenue
à 13 h hier et à laquelle, bien sûr, M. Lévesque
participait, qu'une rencontre des ministres des Affaires intergouvernementales
ou de ceux chargés du dossier constitutionnel - ils n'ont pas tous le
même titre d'une province à l'autre - aurait lieu au mois de
janvier pour faire le point quant à la suite des
événements, laquelle réunion de ministrea
précéderait probablement, et très probablement, une
réunion de premiers ministres de provinces - toujours ceux des provinces
contestatrices, si je peux m'exprimer ainsi - quelque part au début de
février.
C'est là que nous en sommes rendus. Nous sommes en
négociation avec les autres et cela ne m'est pas possible aujourd'hui
d'aller plus loin à cet égard avant que j'aie repris
personnellement contact avec mes collègues des autres provinces. Mais je
puis dire - et je veux l'affirmer - que la cause du problème actuel est
double: d'abord, des
promesses qui n'ont pas été tenues au moment du
référendum par le gouvernement fédéral et ses plus
hauts représentants et, deuxièmement, une attitude intransigeante
par la suite dont des milliers et probablement des millions de citoyens
canadiens et québécois ont été témoins
à la télévision. C'est là que nous en sommes
rendus.
Il y a effectivement un blocage, mais la solution qu'a prise le
gouvernement fédéral a été de recourir à une
action unilatérale. Il ne faudrait pas aujourd'hui - je ne dis pas que
c'est ce que vous avez fait, M. le chef de l'Opposition - rendre les provinces
responsables d'un coup de force fédéral et unilatéral
qu'Ottawa avait planifié de longue main. Il ne faudrait pas
qu'aujourd'hui on nous demande à nous de résoudre
l'écheveau que le gouvernement fédéral s'est tissé
autour de lui-même et qui, je pense, est en train maintenant,
probablement, d'après toutes les indications qu'on peut avoir, de
conduire à une démarche fédérale qui va, en
définitive, si on se tient de notre côté et du
côté des provinces, être condamnée à
l'échec.
C'est là où nous en sommes, mais je pense que, pour le
moment, c'est ce que je me contenterai de dire, non pas parce que je veux
absolument qu'on passe à autre chose, mais je pense qu'on doit passer
à autre chose à cause de la nature de cette commission-ci. Je me
dis aussi que nous aurons l'occasion de reprendre ces questions entre nous, par
exemple, à des périodes de questions à l'Assemblée
nationale ou à l'occasion d'une commission qui pourra avoir lieu
strictement sur ce sujet en temps opportun. Nous n'en sommes pas là
aujourd'hui.
M. Ryan: Je voudrais signaler, Mme la Présidente, que le
ministre propose une interprétation très restrictive du mandat de
la commission. Il me semble que si on étudie le projet
fédéral, il faut qu'on soit bien saisi de ce qui l'a
précédé et causé, de la manière aussi dont
on pourra sortir de cette impasse. Je pense bien que, sur le projet
lui-même, la commission ne pourra pas éclairer beaucoup les
députés. En tout cas, si c'est un exercice de propagande qu'on
envisage pour garder le public en haleine, il faut le dire franchement. Mais,
nous autres, je pense que nous sommes plus intéressés à
résoudre le problème du renouvellement du
fédéralisme qu'à faire une action uniquement
négative. Il me semble que les questions qui ont été
posées se rattachent à cette compréhension du mandat qui
essaie d'inclure les causes du malaise actuel et les aboutissements possibles
dans un sens plus acceptable au Québec.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le chef de l'Opposition, Mme
la Présidente, les causes du malaise actuel - écoutez! - à
moins qu'on cherche des raisons que personne ne voit aujourd'hui, sont
très simples. Elles tiennent aux événements qui se sont
passés et, essentiellement, à deux attitudes. Il y a des
promesses qui n'ont pas été tenues, il y a des gens qui ont
été trompés. Ce n'est pas nous qui l'avons dit, c'est M.
Clark à Ottawa, en premier, et même à Québec des
représentants de votre parti. Deuxièmement, un coup de force
fédéral a été préparé et c'est le
fédéral lui-même qui nous met dans la situation où
tout le Canada est maintenant. Il ne faudrait pas penser que c'est ici
même, à cette table, que nous avons la solution à tous les
problèmes quand, du côté fédéral, encore
vendredi dernier, le premier ministre du Canada disait qu'il ne changerait pas
d'avis en substance sur sa démarche. Par conséguent, la meilleure
façon de faire cesser le problème actuel, ce serait que le
gouvernement fédéral retire complètement son projet et
qu'on continue là où on était rendu - on l'a dit à
plusieurs reprises - au mois de septembre, avant cette conférence
ratée dont tout le monde se souvient.
La Présidente (Mme Cuerrier): Avant d'accorder la parole
à M. le chef de l'Union Nationale, j'aimerais juste rappeler la motion
qui a été adoptée à l'Assemblée nationale en
tant que mandat de cette commission. C'est bien: La commission de la
présidence du conseil et de la constitution se réunira pour
entendre les représentations de personnes ou organismes relativement au
projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la
constitution du Canada.
M. le chef de l'Union Nationale et député de
Gaspé.
M. Le Moignan: Merci, Mme la Présidente. J'aurais trois
brèves questions à la suite de certains propos prononcés
par le ministre à la suspension ce midi.
Le ministre, je pense, a mentionné que M. Gilles Loiselle,
délégué général du Québec à
Londres, était dans l'impossibilité de venir siéger
à ce moment-ci. Si je comprends bien, si les travaux reprennent au cours
du mois de janvier, comme M. Loiselle a dû tâter le pouls des
Londoniens, le pouls de Sa gracieuse Majesté, en ce qui a trait à
ses ministres, au gouvernement, je crois qu'il serait très bien
placé pour nous renseigner. Est-ce que le ministre peut nous dire si M.
Loiselle va venir ici?
M. Morin (Louis-Hébert): Je pense, M. le chef
intérimaire de l'Union Nationale, que c'est simplement une
coïncidence de date et pour des raisons strictement personnelles et
familiales; il arrive qu'hier, aujourd'hui et demain le
délégué général du Québec à
Londres n'est pas disponible. Si la réunion avait eu lieu à un
autre moment, il n'y aurait pas eu de problème et je suis convaincu
gu'à une réunion ultérieure, selon les besoins et si la
commission le juge opportun, cela nous ferait tout à fait plaisir de le
faire venir ici et- je suis convaincu qu'il serait heureux de collaborer avec
la commission. Il n'y a pas de problème de ce
côté-là. C'est simplement des questions, comme cela arrive
dans la vie de chaque individu, qui parfois, parce qu'elles sont familiales,
sont plus importantes que celles du gouvernement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Votre brève question,
M. le chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Pour enchaîner sur le même sujet, je
pense que M. Pratte, que nous allons probablement entendre, a fait des voyages
à Londres.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui.
M. Le Moignan: Donc, il a peut-être eu des
contacts avec M. Loiselle et le "select committee".
M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela. J'aurais dû
compléter ma réponse, je m'excuse. Je peux vous dire que, de
toute façon, avec la présence ici de ceux que nous avons
aujourd'hui, M. Normand, M. Pratte et ses collègues, nous aurons
aujourd'hui, dans la mesure où c'est possible de le savoir, et je pense
que c'est possible, tous les renseignements qu'aurait pu nous donner M.
Loiselle, sauf que cela aura le désavantage, dans certains cas, de venir
indirectement de nous plutôt que directement de lui. Au fond, c'est en
substance la même chose. Vous aurez toutes les réponses.
M. Le Moignan: Dernière question, Mme la
Présidente. À l'heure actuelle, tout le monde ici s'oppose
à un rapatriement unilatéral de la constitution. En même
temps, j'ai mentionné ce matin que le but de nos travaux, c'était
peut-être aussi d'essayer de leur donner un caractère positif,
à cause de la présence des experts ou de ceux qui viendront nous
rencontrer. Quelle serait l'attitude du gouvernement du Québec advenant
le cas où le gouvernement Trudeau limiterait son geste, à ce
moment-ci, à deux choses? Premièrement, le rapatriement sans
aucun changement constitutionnel. Deuxièmement, la règle de
l'unanimité jusqu'à ce qu'un accord ait lieu sur une formule
d'amendement. Est-ce que ce sont des choses qui semblent possibles
actuellement? (15 h 45)
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, la
question que soulève le chef intérimaire de l'Union Nationale
fait partie de ces hypothèses qui ont été, je pense,
depuis deux mois, maintes fois mentionnées soit au cours des
conversations téléphoniques que j'ai eues avec mes
collègues des autres provinces, soit au niveau des sous-ministres et
d'autres fonctionnaires où vient souvent l'idée suivante: Y
a-t-il quelque chose qu'on pourrait faire, au niveau des provinces, qui
bloquerait de façon définitive, à Londres et même
ici au Canada, le coup de force fédéral? C'est une des
possibilités qui ont été mentionnées, celle que
vous dites exactement, avec des variantes. Je vais vous en donner une autre, la
proposition des conservateurs fédéraux, par exemple, qui dit: On
pourrait rapatrier la constitution avec la formule d'amendement de Vancouver,
et je vous rappelle que sa caractéristique essentielle et
intéressante à certains égards, c'est qu'elle permet
à une province, qui ne veut pas être soumise à un
amendement constitutionnel que les autres désirent, de ne pas y
être soumise. Il y a encore des raffinements à apporter à
la formule, mais ils ont beaucoup travaillé cela l'été
dernier. C'est la proposition de M. Clark. Cela supposerait, cette formule de
Vancouver, par exemple, qu'on prévoie une compensation pour une province
non participante à une modification constitutionnelle qui conduirait des
pouvoirs, disons, de provinces vers Ottawa. C'est une variante de la même
hypothèse.
J'ai deux commentaires à vous faire là-dessus. Le premier,
c'est que si c'est ça, à quoi conduisent tout le travail et toute
la discussion des derniers mois et des dernières années en
matière de renouvellement du fédéralisme? C'est presque
dérisoire. Si en définitive tout ce qui s'est dit, fait,
pensé, conçu, mijoté au Canada et dans les provinces
depuis des mois et des années, cela conduit, au fond, à rapatrier
ou à importer un vieux texte qui est l'importation, à toutes fins
utiles, du statu quo, surtout avec la règle de l'unanimité,
à ce moment, on est exactement comme on était avant, avec la
seule chose qui est très différente, cependant, c'est qu'il y a
des gens qui auront l'impression qu'on vient de changer le système.
Cela ne serait pas vrai. Ce serait une sorte d'illusion qu'il faudrait
combattre parce que cela n'est pas ce que les Québécois ont
voulu. Traditionnellement, ce n'est jamais cela que les Québécois
ont demandé. J'ai remarqué d'ailleurs, du côté du
Parti libéral - et je ne veux pas du tout faire de politique ici, c'est
un fait que je mentionne - qu'il semblerait que, du côté du
rapatriement, on ait modifié l'approche antérieure qui consistait
à dire, comme cela a été dit ici même à cette
table au mois d'août, que le rapatriement n'avait de sens que s'il
était au préalable précédé par des
changements substantiels, pas nécessairement toute la constitution
nouvelle, mais des changements substantiels en matière, notamment, de
partage des pouvoirs. Je me souviens qu'on a eu une discussion
intéressante là-dessus. Là, il semblerait que cela ait
évolué de ce côté.
Je réponds à votre question en vous disant que c'est une
hypothèse à laquelle le Québec n'a pas
adhéré, pour la bonne raison que l'hypothèse n'a jamais
été fondamentalement étudiée. Elle peut revenir
comme "solution" possible, avec des variantes ou non, mais d'avance je vous dis
que si c'est ça le fédéralisme renouvelé, ce n'est
pas grand-chose. Deuxièmement, c'est probablement une des questions qui
seront regardées aux mois de janvier et février, aux
réunions nouvelles qui sont annoncées.
J'ai dit tantôt, parce que je voudrais me corriger partiellement,
que la réunion réunirait les ministres et les premiers ministres
des provinces qui s'opposent au geste fédéral. Il est possible
que d'autres s'y joignent aussi, mais je ne peux pas m'engager davantage dans
ça. Il n'est pas exclu qu'il y ait plus de six provinces, mais je ne
sais pas encore. Disons qu'en ce qui concerne l'hypothèse que vous
mentionnez, je pense que le jugement qu'on doit réserver à une
hypothèse, c'est qu'on verra, si elle se présente, ce qu'il y
aura à faire et de quelles garanties il faudrait que ce soit
théoriquement accompagné pour le Québec advenant
l'hypothèse. Mais je dois dire que nous n'en sommes pas là, que
ça n'a jamais été formellement proposé encore.
Néanmoins cela a été mentionné dans des
conversations et ce n'est pas la première fois; dès
l'été dernier, je dirais qu'au cours de nos réunions de
cet été, des provinces disaient: On rapatrie la constitution.
Point. Tandis que le gouvernement fédéral a ajouté les
éléments que vous savez, une formule d'amendement,
accompagnée d'un référendum bizarre, et,
deuxièmement, une charte des droits qui bouscule les compétences
des provinces, ce que la majorité des provinces a fini par dire. C'est
là où nous en sommes, M. le chef intérimaire de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: Si je comprends bien, le Québec n'est pas
prêt à rapatrier la constitution
unilatéralement et sans amendement.
M. Morin (Louis-Hébert): Je ne veux pas me prononcer sur
une hypothèse qui a, au moment où je vous parle, au moins deux ou
trois variantes. J'attends de voir ce qui va se produire. Nous en discuterons
au Conseil des ministres. Je ne peux pas engager le gouvernement du
Québec à accepter ou à refuser ou à quoi que ce
soit, en supposant que l'hypothèse dont vous parlez se manifeste
formellement, mettons, par exemple, au cours d'une réunion des ministres
au mois de janvier. Il peut y avoir d'autres éléments d'ici ce
temps-là. Par exemple, qui aurait dit, il y a une semaine, que le
gouvernement fédéral, qui avait lancé son train d'enfer
pour le 9 décembre, se verrait dans l'obligation de reculer et
finalement d'accorder deux mois de plus. Alors il peut se produire des choses
d'ici à ce que nous nous voyions et nous en tiendrons compte.
La Vice-Présidente: À ce moment-ci, au nom de la
commission de la présidence du conseil et de la constitution,
j'inviterais M. Robert Normand, sous-ministre au ministère des Affaires
intergouvernementales, à bien vouloir venir s'asseoir avec la commission
de la présidence du conseil. M. Robert Normand.
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je ne
sais comment on procède dans ces cas-là. Est-ce qu'il ne serait
pas plus utile qu'au départ je situe moi-même, comme ministre -
quitte à ce qu'il y ait autant de questions qu'on voudra par la suite -
l'intervention de M. Normand et les sujets que j'aimerais personnellement qu'il
aborde pour compléter - puisqu'on est à l'époque des
renseignements qu'on se donne mutuellement -mais propres propos sur lesquels
j'aimerais qu'il nous donne quelques renseignements que je n'ai pas
abordés ce matin. Ensuite les questions pourront suivre. Il sera suivi
d'ailleurs par M. Pratte.
La Présidente (Mme Cuerrier): Très bien, M. le
ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): Ce que je veux dire
essentiellement, c'est ceci. Nous avons comme action au gouvernement du
Québec - c'est à ce sujet-là que j'aimerais que M. Normand
me fournisse des précisions supplémentaires - d'abord une action
interprovinciale, dont je viens de parler, à la suite d'une question qui
m'était posée par M. Le Moignan; deuxièmement, nous avons
une action à Londres, avec les autres provinces. Nous avons une action
devant les tribunaux ici au Canada. Nous avons une action aussi auprès
des Britanniques au plan judiciaire. M. Pratte pourra compléter cela
tout à l'heure.
J'aimerais personnellement, si vous étiez d'accord, que M.
Normand nous parle de l'action interprovinciale et, à la suite de cela,
de notre action à Londres.
La Présidente (Mme Cuenïer): Monsieur...
M. Rivest: Je m'excuse auprès de M. Normand.
D'après la façon dont le ministre vient de décrire le
travail et les témoignages que les témoins vont venir rendre
devant la commission, dans l'esprit du ministre, autant M. Normand que
M. Pratte vont-ils simplement venir donner ici une description des
démarches qui ont été entreprises? Est-ce que, dans
l'esprit du mandat de la commission, les membres de la commission seront
autorisés à obtenir de M. Normand, M. Pratte et des autres
témoins qui viendront par la suite, les groupes, etc., des opinions au
mérite sur chacun des aspects fondamentaux qui sont en cause par la
résolution fédérale, par exemple, sur le caractère
unilatéral de la demande, l'aspect juridigue, les fondements juridiques,
les éléments de contestation juridique du caractère
unilatéral, deuxièmement, la portée et
l'interprétation juridique que les conseillers du gouvernement et que le
gouvernement se font des dispositions de la Charte des droits et
libertés qui sont incluses dans la charte? Autrement dit, est-ce que,
dans l'esprit du ministre, M. Normand va venir simplement nous expliquer qu'il
a pris contact avec tel nombre de gouvernements au Canada, qu'il a eu tel type
de recontre, etc.? Est-ce qu'on va aller au fond de la question?
J'ai cru comprendre d'après l'intervention du ministre que, dans
son esprit... La présidente a tenu à relire le mandat de la
commission pour bien circonscrire l'ensemble des démarches de la
commission, c'est-à-dire qu'on ne peut sortir du texte ou du contenu de
la résolution fédérale. Je me demande si, à
l'intérieur de la résolution fédérale, on pourra,
tout au long des travaux de la commission, faire une analyse au fond des
différents éléments inclus dans le projet de
résolution fédérale.
M. Morin (Louis-Hébert): Je pense que c'est assez facile
et complexe en même temps que de répondre à la question que
vous posez. Dans mon esprit, il est clair - je pensais l'avoir dit - que quand
j'ai délimité un peu les domaines de responsabilité de M.
Normand, c'était simplement pour qu'au point de départ on puisse
faire la distinction, c'est-à-dire, d'une part, qu'il y ait une action
interprovinciale et une action à Londres sur lesquelles il serait
peut-être intéressant que nous ayons, comme membres de la
commission, des renseignements factuels.
D'autre part, cependant, pour ce qui concerne l'action judiciaire, si je
peux m'exprimer ainsi, et aussi notre démarche et le contenu du document
que nous avons déposé et que vous avez maintenant au "select
committee", il est tout à fait attendu et je suis sûr que cela
doit arriver et que cela va arriver que nous allions plus loin et que les
membres de la commission posent des questions sur le fond des choses aux
intervenants ici avec, cependant, cette précaution normale que la
responsabilité politique revient quand même au gouvernement du
Québec. Je m'expligue.
En ce qui concerne les démarches que nous avons faites
auprès du gouvernement britannigue, elles l'ont été
à ma demande, par notre délégué
général, sur les instructions du sous-ministre. En
conséguence, les guestions d'ordre politigue devraient plutôt
m'être adressées à moi, comme responsable du
ministère, ou à Me Marc-André Bédard, ministre de
la Justice, comme responsable de la démarche politique du gouvernement,
parce qu'il y a une démarche politique de ce côté comme il
y a une démarche politique d'ailleurs à la commission
elle-même. Je ne voudrais pas, par exemple - et je pense que tout le
monde va comprendre, j'ai moi-même été dans ce
cas-là
pendant huit ans et demi et cela m'est arrivé de présenter
des choses devant des députés et des ministres - que la
responsabilité politique des gestes ou des décisions soit
imputée à d'autres qu'au personnel politique, plus
particulièrement au ministre lui-même. Par conséquent, je
pense qu'il y a des questions d'ordre politique qui devraient plutôt
m'être adressées à moi, à M. Bédard ou
à d'autres qu'au sous-ministre lui-même. Nous en avons
parlé d'ailleurs. Je pense que vous êtes d'accord avec
ça.
M. Rivest: Oui, sauf qu'il y a une certaine
ambiguïté, étant donné la façon dont le
ministre et la présidente ont interprété le mandat. Les
questions d'ordre politique qu'on devrait adresser au ministre à la
suite des réponses qu'a obtenues le chef de l'Opposition m'apparaissent
extrêmement minces. Qu'est-ce que vous entendez par les questions d'ordre
politique? Le chef de l'Opposition vous a posé des questions au
départ afin que vous vous situiez comme gouvernement du Québec.
Vous vous situez dans quelle perspective? On a essayé d'avoir des
éléments additionnels pour savoir dans quelle perspective
politique, justement. Je sais très bien que je n'irai pas demander
à votre sous-ministre ou aux conseillers juridiques du gouvernement, et
le chef de l'Opposition non plus, le genre de questions et vous avez dit: Non,
le mandat, c'est simplement pour entendre des gens.
M. Morin (Louis-Hébert): Excusez, Mme la
Présidente.
M. Rivest: II y a un malentendu.
M. Morin (Louis-Hébert): II y a un malentendu. Ce que j'ai
dit tout à l'heure - et je l'ai démontré moi-même ce
matin dans mon intervention et dans mes réponses - c'est qu'il va de soi
qu'il est plausible - et ceci a été fait -que d'une part je vous
dise: La perspective que nous avons adoptée comme gouvernement au
début et pendant ces négociations, ce que j'ai fait ce matin, et
que tout à l'heure je réponde aux questions du chef de
l'Opposition relatives à cette intervention que j'ai faite ce matin. Ce
que j'ai dit, c'est: Très bien, vous allez le faire, mais il ne faudrait
pas perdre de vue que notre raison principale d'être ici, c'est
d'écouter ce que les gens ont à nous dire sur la démarche
fédérale. Je n'ai pas le texte devant moi. Cela n'exclut pas -et
ce serait ennuyeux si ça l'excluait - qu'on se pose mutuellement des
questions, qu'on s'informe mutuellement et qu'on réfléchisse
ensemble. Au contraire. Si on était ici seulement pour écouter
des gens sans commentaires, ce ne serait pas particulièrement
stimulant.
Ce que je voulais dire dans le cas qui vient de nous occuper, c'est que
les décisions politiques qui devaient être prises au niveau des
démarches que nous avons faites, que ce soit n'importe où, l'ont
été par le ministre et je ne voudrais pas à ce
moment-là qu'on en impute, en bien ou en mal, la responsabilité,
par exemple, au sous-ministre, ce qui ne l'empêche pas de répondre
-et je pense que vous allez le voir - aux questions que vous aurez à
poser sur à peu près tous les sujets. Mais, par moment, il peut
arriver - vous savez très bien ce que je veux dire - qu'une
décision politique prise par nous doive revenir à ceux qui l'ont
prise. (16 heures)
Tout à l'heure, j'ai quand même répondu, je pense,
aussi précisément que je pouvais le faire sans déborder
trop le sujet aux questions qui m'étaient posées par le chef du
Parti libéral et je pensais avoir répondu adéquatement
parce que, dans mon esprit, ce n'était pas l'objet de notre
réunion aujourd'hui d'essayer mutuellement, en quelque sorte, de se
dire: Vous avez fait ceci, vous auriez dû faire autre chose, parce
qu'à ce moment-là je pourrais très bien dire, moi aussi:
Vous avez pris une position sur le rapatriement que je ne comprends pas,
comment se fait-il que? Ce n'était pas à un dialogue entre nous
qu'on devait procéder, et c'est pour cela que j'ai volontairement
limité l'amplitude de mes réponses politiques.
M. Ryan: Mme la Présidente...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Ryan: ...je tiendrais seulement à signaler que, sur les
quatre questions que j'avais posées tantôt, j'estime qu'il y en a
une qui a reçu une réponse satisfaisante et que les trois autres
ont reçu des bouts de réponse qui ne m'ont aucunement
satisfait.
M. Morin (Louis-Hébert): On n'est pas obligés
d'être satisfaits au même moment. Il peut y avoir une satisfaction
qui s'étend dans le temps. On verra.
M. Rivest: J'aimerais donner un exemple pratique, de façon
que ce soit bien clair si on doit s'adresser au ministre ou aux témoins
invités par la commission, par exemple, le sous-ministre. Par exemple,
est-ce qu'on peut obtenir, au niveau de cette commission, une position ferme du
gouvernement, à savoir si c'est une bonne chose ou une mauvaise chose
que l'on enchâsse dans une future constitution canadienne les droits et
libertés fondamentales? Je ne veux pas discuter du fond, mais à
qui s'adresse-t-on? Est-ce que c'est un problème politique? M. Normand
peut me donner les avantages et les inconvénients juridiques. Mais, au
niveau de la commission, pour l'information du public sur cette question - je
prends juste cet exemple - est-ce que, un jour ou l'autre, dans le
déroulement des travaux de la commission, vous allez être en
mesure de nous dire: Oui, on est d'accord ou non, on n'est pas d'accord ou bien
on est d'accord pour tel et tel type de droits, mais on a des réserves
pour tel ou tel autre?
M. Bédard: Mme la Présidente, peut-être que
je pourrais suggérer que la manière de procéder avec le
plus de célérité serait de commencer à auditionner
les gens et de poser les questions.
M. Rivest: J'aime mieux que les règles du jeu soient
établies.
M. Bédard: Me permettez-vous de terminer? Concernant votre
question, je pense qu'il vaudrait mieux commencer à entendre les
témoins et, ensuite, poser les questions qu'on croit valables.
Pour ce qui est de la question précise que vous avez posée
pour savoir s'il y a avantaqe à ce qu'il y ait un enchâssement des
droits et libertés dans une constitution, cela me semble être une
question tout à fait pertinente qui devrait être posée en
particulier à M. Pratte parce qu'il l'a étudiée. Et on
pourra vous répondre, nous aussi.
M. Morin (Louis-Hébert): Et si vous me la posez à
moi, je dirai qui m'a convaincu de l'opinion que j'ai maintenant du sujet. Vous
serez intéressé à le savoir.
La Présidente (Mme Cuerrier): Est-ce que nous pourrions
trancher la question? Si nous établissions un parallèle avec la
question avec débat du vendredi où, à l'article 162Ac, on
dit: "Le ministre peut se faire accompagner des fonctionnaires de son choix et
les autoriser à prendre la parole et ils parlent alors en leur nom."
M. Morin (Louis-Hébert); C'est cela.
M. Rivest: Est-ce que ce sont des fonctionnaires ou si ce sont
des témoins? Est-ce que le ministre va parler au nom de tous les experts
qui vont être devant la commission?
M. Bédard: Le député de Jean-Talon est quand
même capable de faire certaines distinctions. Est-ce que la meilleure
manière de procéder n'est pas de commencer à auditionner,
à entendre ce que les témoins ont à dire?
M. Rivest: On veut savoir où on va.
M. Bédard: C'est peut-être confus dans votre esprit,
mais vous venez de poser une question qui semblait amener la confusion dans
votre esprit. On y a répondu tout de suite. Vous n'avez qu'à
poser la question à Me Pratte qui est chargé du dossier juridique
et il sera très intéressé, s'il le désire, à
donner son opinion sur la question de l'enchâssement des droits et
libertés.
La Présidente (Mme Cuerrier): Cette intervention du
ministre de la Justice m'amène à conclure que nous avons l'accord
de la commission pour qu'il intervienne. M. le chef de l'Opposition officielle,
vous aviez quelque chose à ajouter. J'aimerais bien que nous puissions
entendre M. Robert Normand immédiatement après.
M. Ryan: J'ai seulement une question à vous poser, Mme la
Présidente. Est-ce que vous prévoyez un stade dans la discussion
où les questions de politique fondamentale que j'ai commencé
à adresser au ministre tout à l'heure pourront lui être
posées avec des chances qu'elles reçoivent une réponse
convenable? Si vous nous dites que cela viendra à un autre stade, moi,
cela ne me fait rien que ce soit maintenant ou plus tard. Si vous vouliez que
nous attendions, cela va très bien, mais je voudrais avoir cette
assurance. Je voudrais avoir l'assurance aussi que le travail que nous faisons
ne sera pas l'objet d'une interprétation tellement restrictive qu'on
serait pris dans une espèce de canal qui nous conduit obligatoirement
à des conclusions négatives et stériles. Je veux qu'on
fasse un travail constructif. Si j'ai cette garantie, il n'y a pas de
problème. Si je ne l'ai pas, je vais être très
éclairé quant à la portée du travail de la
commission ici et je tirerai mes propres conclusions.
M. Bédard: Je pense qu'il ne s'agit pas d'être
restrictif. Il s'agit d'y aller de la façon la plus
élaborée possible. Quant aux questions que vous aurez à
poser, il me semble qu'on ne peut pas nous demander d'avance de dire qu'on aura
une réponse à toutes les questions. À mesure qu'elles
seront posées, on y verra.
M. Ryan: J'adressais ma question à Mme la
Présidente qui, tantôt, a indiqué une ligne de
conduite.
La Présidente (Mme Cuerrier): Ce que j'allais vous
répondre, M. le chef de l'Opposition officielle, c'est que nous
tâcherons de nous en tenir au mandat de la commission, que vous pourrez
relire. D'ailleurs, j'avais déjà donné une
interprétation quant aux interventions de M. Robert Normand en vous
citant l'article 162Ac de notre règlement.
M. Robert Normand.
Audition de témoins M. Robert Normand
M. Normand (Robert): Mme la Présidente, je vous remercie.
Vous me permettrez, avant de commencer, d'abord de remercier mon ministre pour
le parapluie qu'il m'a offert et qui pourrait être fort utile pour me
mettre à l'abri des questions qui seraient à caractère
trop politique dans le cadre de la nature de cette commission, de cette
institution.
Si vous me permettez, je ferai un court exposé sur la
concertation interprovinciale des derniers mois et, également, sur
l'action que nous menons à Londres depuis quelques mois, et ensuite je
serai à votre disposition pour répondre aux questions que vous
jugerez à propos de me poser.
En ce qui concerne la concertation interprovinciale, c'est devenu, je
pense, une nouvelle donnée du fonctionnement du
fédéralisme canadien au cours des dernières années,
plus particulièrement au cours des derniers mois, où cette
concertation interprovinciale s'est intensifiée singulièrement.
Cette concertation a pour objet, d'abord, un échange d'informations
entre les provinces qui y ont intérêt. Elle vise également
à assurer une coordination de l'action des provinces qui y ont
intérêt et, elle permet également, à l'occasion,
l'élaboration de politiques communes. Cette concertation
interprovinciale a été particulièrement importante dans
les moments qui ont précédé le vendredi de la
dernière conférence fédérale-provinciale des
premiers ministres à Ottawa et qui a permis l'établissement du
texte auquel le chef de l'Opposition faisait allusion tout à l'heure,
c'est-à-dire cette sorte de consensus interprovincial que les premiers
ministres ont amené chez M. Trudeau, le vendredi matin de cette
conférence constitutionnelle.
Cette concertation a également permis la
tenue à Toronto d'une réunion des premiers ministres des
provinces, après l'annonce par M. Trudeau du projet qu'il entendait
soumettre au Parlement fédéral. Elle a également permis
une rencontre des ministres de la Justice à Winnipeg, au milieu du mois
d'octobre, de façon à organiser la contestation devant les
tribunaux par les six provinces qui en font partie. Elle a aussi permis la
tenue d'une réunion à Winnipeg des fonctionnaires des six
provinces contestataires le 17 novembre dernier. Cette réunion a
été, je pense, fort utile. Elle a permis de faire le point un
mois, ou à peu près, après le dépôt du projet
fédéral par M. Trudeau sur un certain nombre de sujets. Par
exemple, on a pu faire le point sur l'action commune devant les tribunaux. Jean
K. Samson, qui est notre conseiller juridique au ministère, pourra vous
en parler de façon plus élaborée un peu plus tard dans
cette journée.
Elle nous a permis également de constater qu'un certain nombre
d'Assemblées nationales ou législatives s'apprêtaient
à adopter ou avaient adopté des résolutions d'un
caractère analogue à celles que le Québec a
adoptées également. C'est ainsi que l'Alberta a adopté une
résolution qui va dans ce sens; Terre-Neuve a fait de même et la
Colombie-Britannique, dont le Parlement s'est réuni la semaine
dernière, je pense, doit faire de même également.
En ce qui concerne les commissions parlementaires analogues à
celle-ci, le Manitoba en a constitué une qui a siégé de
façon itinérante, je pense, aussi à travers le Manitoba.
L'Alberta vient d'en constituer une avec le mandat de recevoir des
représentations ou d'aller chercher des opinions un peu partout au
Canada. Il est fort possible que cette commission s'amène au
Québec au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.
Également, il y a celle du Québec dont nous avons fait part
à nos collègues. À cette époque, il s'agissait
d'une hypothèse, elle s'est concrétisée depuis.
Cela nous a permis également de savoir un peu à l'avance
quelles étaient les provinces qui se rendaient comparaître devant
le comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat à
Ottawa. C'est ainsi que la Colombie-Britannique, l'Alberta, Québec,
Terre-Neuve et l'Ontario semblent avoir décidé de ne pas
comparaître devant ce comité, tandis que les provinces de l'Est,
l'Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et la
Nouvelle-Écosse, décidaient d'y aller, de même que la
Saskatchewan.
Cela nous a aussi et surtout permis de pouvoir faire le point sur
l'action qui était possible pour les provinces à Londres. J'avais
demandé à ce moment à Gilles Loiselle, notre
délégué général du Québec à
Londres, de venir nous faire valoir le point de vue qui était le sien
par sa présence à Londres, d'essayer de nous donner le pouls du
climat qui existait à Londres. Comme les provinces ne sont pas toutes
aussi bien représentées que le Québec à Londres,
cela a permis à mes collègues des autres provinces de se faire
une meilleure idée de ce qui se faisait, de l'état des
mentalités et aussi des possibilités qui s'offraient à
nous. C'est ce qui a d'ailleurs permis aux provinces de se concerter pour
déposer des mémoires harmonisés devant le comité
permanent de la Chambre des communes sur les affaires étrangères
qui siège à Londres. En somme, cela a été un peu le
point d'appui ou le point d'impact de la concertation interprovinciale au cours
des derniers mois. Cette concertation se fait par échanges soit de
télégrammes, soit de lettres, soit de téléphones,
de téléphones-conférences ou de réunions, dans
quelques cas, entre les agents des provinces soit au niveau des sous-ministres
ou même au niveau ministériel comme cela se fait
fréquemment. Je pourrai revenir, dans la période des questions,
sur d'autres aspects qui pourraient vous intéresser et que j'ai
peut-être omis de couvrir en ce qui concerne cette concertation
interprovinciale.
En ce qui concerne notre action à Londres, j'ai demandé
à Gilles Loiselle, au début du mois d'octobre, de venir à
Québec afin de discuter avec nous des possibilités d'action du
Québec à Londres. Bien sûr, le problème
constitutionnel auquel nous faisons face présentement se déroule
surtout et se réglera, j'espère, surtout au Canada, mais je
n'exclus pas, nous ne devons pas exclure la possibilité qu'il puisse un
jour atteindre Londres et il fallait appliquer à cet égard une
certaine sorte de médecine préventive au cas où ces
démarches pourraient se concrétiser à cet endroit.
Nous avons donc conçu un plan d'action diversifié, plan
d'action d'ailleurs que nous remanions périodiquement en fonction de
l'évolution de la situation et qui nous a incités à
accorder à ce dossier une attention prioritaire pour notre
délégation générale à Londres
présentement. Nous avons, dans un premier temps, recruté du
personnel juridique. Un jeune juriste québécois qui est
présentement à Londres, pour y rédiger une thèse de
doctorat, a accepté de nous prêter ses services pendant quelques
mois afin de nous donner un appui additionnel; il s'agit de Me
Frémont.
Nous avons également réussi à réunir une
bonne brochette des meilleurs constitutionnalistes de Grande-Bretagne de
façon à pouvoir nous aviser dans les méandres de la
procédure constitutionnelle et parlementaire britannique. Nous avons
également retenu les services d'une firme d'avocats à Londres, la
firme Simmons & Simmons, et nous avons retenu les services d'un agent
parlementaire, un M. Cash. Notre action a porté principalement sur le
gouvernement, le Parlement et les media.
Notre action auprès du gouvernement. Les contacts n'ont pas
été très fréquents. Cependant, M. Loiselle a pu
rencontrer à diverses occasions, par exemple, à l'occasion de
réunions sociales, particulièrement, plusieurs ministres du
gouvernement britannique, y compris Mme Thatcher et Lord Carrington, le
ministre britannique des Affaires étrangères. Ces réunions
ne permettent certes pas de pouvoir faire valoir l'ensemble du point de vue des
Québécois adéquatement, mais elles permettent de
sensibiliser les autorités gouvernementales britanniques aux positions
québécoises; elles permettent également de rappeler que
nous existons.
Il faut se rappeler que la Grande-Bretagne possède à
Ottawa un haut-commissariat dont c'est le mandat d'informer le gouvernement
britannique sur l'évolution de la situation et tout me laisse croire que
les représentants britanniques en poste au Canada font leur boulot
adéquatement à cet égard, de sorte qu'il ne nous a pas
semblé nécessaire d'embarrasser le gouvernement
britannique ou d'avoir des contacts trop fréquents qui auraient
pu être considérés comme impertinents. Je pense que le
moment où nous sommes, dans l'évolution de ce dossier, ne
justifie pas que nous ayons une action plus intense présentement,
quitte, cependant, à ce qu'on puisse la reprendre dans ce sens lorsque
le contexte pourra le justifier, si tel devient le cas.
J'ai pu sentir cependant, au cours des derniers mois, une
évolution assez significative, je pense, dans l'attitude des dirigeants
britanniques en ce qui concerne le problème constitutionnel canadien.
C'est ainsi qu'au cours de l'été dernier, ou même au
début de l'automne, les ministres britanniques qui se
prononçaient sur le sujet tenaient à ce que j'appellerais la
thèse orthodoxe, c'est-à-dire que, si le Parlement
fédéral adressait à Sa Majesté une demande de
législation, le gouvernement britannique se sentirait une sorte
d'obligation quasi juridique de donner suite à la demande qui lui serait
faite et de la faire adopter par le Parlement. Je pense que l'attitude des
ministres britanniques qui ont eu à se prononcer sur ce sujet au cours
des dernières semaines est plus évasive, plus neutre à cet
égard. Il en a été ainsi de M. Ridley, qui est le ministre
adjoint de Lord Carrington aux Affaires étrangères, qui, encore
interrogé la semaine dernière par les députés de
l'opposition a refusé de se prononcer de quelque façon sur la
teneur du débat constitutionnel qui se déroule au Canada, en
invoquant que ce débat faisait déjà l'objet de discussions
à Ottawa, d'une part, et au sein du "select committee" britannique,
d'autre part. Je pense que ce glissement d'attitude, même s'il est mince,
peut quand même être significatif en l'occurrence. Nous avons
également eu une action, non seulement auprès du gouvernement,
mais aussi auprès des parlementaires britanniques, étant
donné qu'ultimement, ce seraient eux qui pourraient être
appelés à décider sur ce sujet. C'est ainsi que M.
Loiselle a organisé plusieurs déjeuners et rencontres avec des
membres du Parlement britannique des deux Chambres et leur a fourni un certain
nombre de documents pour les sensibiliser davantage, documents que le ministre
a déposés ce matin devant cette commission. (16 h 15)
Nous avons eu également des contacts assez étroits avec un
groupe qui s'appelle The All Party Group et qui réunit des membres de la
Chambre basse de tous les partis intéressés par le
problème qui est susceptible de leur être soumis. Il existe
également un autre groupe de députés britanniques qui
s'appelle le groupe de 1922. Je dois vous avouer que je ne connais pas les
origines de cette appellation, mais il semble un groupe assez influent en
Grande-Bretagne et nous sommes en étroite relation également avec
les principaux membres de ce groupe. Nous avons eu également des
contacts variés avec les divers partis politiques de Grande-Bretagne.
C'est ainsi que les libéraux, dans un premier temps, nous ont
répondu qu'ils favorisaient les thèses du gouvernement
fédéral. Mais, après que nous leur ayons exposé
l'envergure du problème qui se présentait, j'ai senti là
aussi un certain glissement qui faisait en sorte qu'à tout le moins, on
pouvait nous prêter une oreille peut-être plus favorable que celle
qu'on nous avait indiquée au départ.
En ce qui concerne le Parti travailliste, je sais qu'ils ont eu des
réunions assez fréquentes récemment sur le sujet et, pour
des motifs de politique interne que vous comprendrez facilement, j'ai tout lieu
de croire que, si le gouvernement britannique décidait de forcer la main
du Parlement, d'introduire et de faire passer une résolution qui
émanerait du Parlement canadien, il est fort plausible que le groupe
travailliste puisse afficher une opposition assez forte au sein du Parlement
britannique. Ce sont du moins les renseignements qui me parviennent et qui sont
à cet effet. En ce qui concerne le Parti conservateur, beaucoup de
contacts ont été faits avec de nombreux membres, surtout sur une
base individuelle jusqu'à présent. En d'autres termes, notre
action a été surtout une action de sensibilisation visant
à démontrer au Parlement britannique et à ses membres
l'envergure du problème qu'ils pourraient accueillir
éventuellement, au terme des débats qui pourraient se
dérouler ou qui se déroulent ici au Canada.
Nous avons eu également une action assez forte auprès de
ce comité permanent de la Chambre des communes sur les affaires
étrangères dont je parlais tout à l'heure. Il s'agit d'un
comité dont les membres travaillent sérieusement et qui a
été constitué à la suite d'une réforme des
organismes du Parlement britannique qui a été instituée il
y a un peu plus d'un an. Les membres de ce comité nous ont
invités, par avis public, à déposer un mémoire, ce
que nous avons fait. Nous nous sommes concertés avec les autres
provinces contestataires au Canada, de façon à harmoniser la
teneur de ces mémoires et ensuite la rédaction en a
été faite à Londres par Me Pratte que vous pourrez
interroger davantage sur ce sujet, lequel a eu des contacts avec
également des représentants d'autres provinces aux fins
qu'ensemble, nous puissions déposer, auprès des membres de ce
"select committee", une position qui tienne compte bien sûr des positions
des gouvernements que nous représentons, mais qui puisse quand
même constituer un ensemble de positions conciliables l'une par rapport
à l'autre.
Cinq provinces ont ainsi déposé un mémoire devant
ce "select committee" et la sixième, le Manitoba, a indiqué par
télégramme qu'elle était généralement
d'accord avec la teneur des mémoires dont il s'agissait. Ces
mémoires devraient normalement être étudiés par le
"select committee" au cours des jours suivants. Le "select committee"
siège effectivement demain pour entendre deux constitutionnalistes dont
nous avons les textes qui vous seront remis demain, M. Lauterpacht ainsi que M.
Wade. Demain également, le "select committee" entendra des
fonctionnaires des fonctionnaires du Foreign Office britannique de façon
à les interroger davantage sur les aspects juridiques du problème
en cause.
Il est vraisemblable, me dit-on de Londres, que ce comité, qui
semble trouver plaisir à se pencher sur ce problème, puisse
étendre son mandat à la fois dans son amplitude ainsi que dans le
temps. Il est donc possible que le "select committee", qui s'est penché,
jusqu'à présent, exclusivement sur les aspects techniques du
problème, puisse également aborder, dans un deuxième
temps, les aspects politiques du
problème canadien qui pourraient lui être soumis. Il est
possible également, conséquemment, que le mandat du comité
à cet égard soit allongé dans le temps pour, je
présume, faire pendant aux décisions qui ont été
annoncées à Ottawa, la semaine dernière.
Il m'a semblé que l'ensemble des mémoires canadiens soumis
au "select committee", d'après les premiers échos que j'ai pu en
avoir, démontrait aux Britanniques que les provinces avaient une
approche sérieuse et faisait découvrir aux Britanniques l'ampleur
du problème dont il s'agit, non seulement sur un plan politique, mais,
aussi, sur un plan juridique. M. Pratte pourra vous entretenir davantage sur ce
sujet tout à l'heure.
Je pense que, de façon générale, les parlementaires
britanniques, lorsqu'on les contacte, ont été
étonnés de voir l'ampleur du problème qu'ils auraient
à trancher si jamais le problème leur parvenait, tant dans les
aspects juridiques que dans les aspects politiques du sujet.
Nous avons également eu une action assez intense auprès
des divers media britanniques. Nous avons ainsi rencontré plusieurs
journalistes britanniques en Grande-Bretagne, un certain nombre d'entre eux
sont venus nous rendre visite au Canada également. À
Québec, j'en ai reçu sept, il y a environ deux semaines, deux
autres la semaine dernière. Je pense que la roue s'est mise à
tourner et qu'au cours des prochaines semaines nous devrions en recevoir
d'autres également, ce qui indique l'intérêt des media
britanniques pour le problème dont il s'agit.
Nous avons également eu des rencontres avec les
représentants britanniques qui oeuvrent au Canada, soit le
haut-commissaire à Ottawa, le consul général à
Montréal et le consul à Québec. Nous avons eu
également à Londres des contacts avec les représentants
des autres provinces, je l'ai indiqué tout à l'heure, pour les
fins de la préparation de nos mémoires devant le "select
committee".
C'est un peu, tracé à grands traits et à vol
d'oiseau, l'ensemble des actions que nous avons entreprises à Londres
jusqu'à présent. Nous réajustons notre tir
périodiquement en fonction de l'évolution de la situation, sans
vouloir présentement embarrasser le gouvernement britannique, mais en
voulant, bien sur, le sensibiliser à l'ampleur du problème dont
il s'agit.
La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle,
vous aviez une question, parait-il?
M. Ryan: II y en a plus qu'une.
La Vice-Présidente: Plus qu'une. M. le chef de
l'Opposition officielle, vous avez la parole.
M. Ryan: Juste avant d'interroger le sous-ministre sur des points
qu'il a traités, je voudrais lui demander s'il est aussi responsable de
l'action auprès des media et de l'opinion publique au Québec. Si
oui, de compléter peut-être son exposé sur ce
point-là si, dans son esprit, ça vient à ce moment-ci.
La Vice-Présidente: M. Normand.
M. Normand: Le gouvernement du Québec a
décidé de sensibiliser la population du Québec au
problème constitutionnel qui se pose présentement. À cet
égard, le gouvernement a constitué un comité de trois
ministres qui est responsable de déterminer le type d'action qui doit
être entreprise. On m'a demandé de coordonner les travaux qui
doivent résulter des décisions ministérielles à cet
égard. J'ai pu recourir aux services de Roger Cyr qui était,
jusqu'à il y a un peu plus d'un mois, à la
délégation du Québec à Boston. J'ai pu
également recourir, au cours du dernier mois, aux services de M.
Jean-Paul Lallier, aux services de M. Carpentier et aux services de M. Jean
Fournier.
Essentiellement, notre action, jusqu'à présent, a
constitué en l'organisation ou la mise au point d'une campagne
d'information en utilisant la télévision, la radio, les journaux
et les panneaux-réclame. En ce qui concerne la télévision,
nous avons utilisé surtout des témoignages qui nous ont
été donnés par un certain nombre de personnalités
québécoises. Nous avons voulu sensibiliser la population sans le
faire cependant de façon agressive. Nous avons également produit
pour la radio des interviews sous forme de témoignages également,
d'une durée de 30 et de 60 secondes. Nous avons également
publié périodiquement dans les journaux quotidiens et hebdos du
Québec un certain nombre de ces témoignages-là, et les
panneaux-réclame que nous avons utilisés véhiculent le
même message à titre de support.
De plus, un dépliant a été publié et est
distribué présentement à tous les foyers urbains du
Québec, ainsi qu'à la majorité des foyers ruraux assez
facilement accessibles par un mode de distribution. Il existe en
français et en anglais. Il est également mis à la
disposition des associations qui voudraient l'utiliser pour leurs membres.
Nous avons également, dans cette perspective d'information, mis
au point au ministère un document hebdomadaire ou qui paraît deux
fois par semaine quelquefois qui s'appelle Constitution Express et qui est
destiné plus spécifiquement aux députés de
l'Assemblée nationale. Ce document vise à ramasser dans une
courte publication les données de l'évolution du problème
constitutionnel canadien au cours de la semaine qui a
précédé. Je présume que vous devez le recevoir
à vos bureaux.
Également, une tournée ministérielle a
été mise au point avec l'aide de Communication-Québec.
Elle a eu lieu la semaine dernière à travers le
Québec.
Nous donnons également ou nous offrons le support qui pourrait
être requis au mouvement Solidarité-Québec, par exemple, ou
à tout autre mouvement qui pourrait être susceptible de vouloir
également sensibiliser l'opinion publique au Québec sur les
données du problème actuel.
C'est un peu l'ensemble des actions qui ont été
réalisées à cet égard et qui, je pense,
répondent à la question du chef de l'Opposition.
La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la
députée...
M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: Je ne sais pas comment vous entendez que nous
procédions, Mme la Présidente. Quatre sujets ont
été abordés par le sous-ministre. Il y a la concertation
interprovinciale,
l'action au niveau de Londres, ensuite l'action auprès de
l'opinion publique et des organismes au Québec. Je ne sais pas si vous
voulez que nous prenions tout cela pêle-mêle ou que nous prenions
ces trois sujets-là l'un après l'autre ou si vous n'avez pas de
directive à nous donner là-dessus. On attend avec
tremblement.
La Présidente (Mme Cuerrier): Je pensais que la commission
serait d'accord que nous puissions répartir les questions. Je prends
simplement pour le moment le nom des gens qui veulent intervenir. M. le chef de
l'Opposition officielle, vous me dites que vous avez quelques questions. Je
vous demanderais si possible, comme nous le faisons habituellement en
commission, de considérer une intervention d'une vingtaine de minutes au
plus, pour qu'ensuite nous puissions passer à celle du chef de l'Union
Nationale, peut-être une du côté ministériel, si on
me demande la parole. Ensuite, je vois Mme Chaput-Rolland qui a levé la
main. Veuillez intervenir le plus rapidement possible s'il vous plaît,
parce que nous avons quand même à entendre Me Pratte et M.
Samson.
M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: D'abord, pour ce qui touche la concertation avec les
autres provinces, vous avez parlé de cinq provinces avec lesquelles
s'est nouée une concertation plus immédiate. J'aimerais bien
savoir quels ont été les rapports avec les autres provinces, en
particulier avec l'Ontario, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick pour ce qui
touche d'abord l'intervention auprès des tribunaux; deuxièmement,
l'intervention auprès de la commission parlementaire mixte, à
Ottawa et, troisièmement, les interventions auprès de Londres.
Des démarches ont-elles été faites auprès de ces
provinces? Quel est l'état actuel des rapports avec elles?
M. Normand: La concertation interprovinciale réunissait au
cours de l'été, au cours du début de l'automne
également non pas six, mais les dix provinces, jusqu'à la
réunion des premiers ministres des dix provinces, qui s'est tenue
à Toronto le 14 octobre. C'est à cette occasion que les provinces
se sont partaqées en deux groupes, les provinces contestataires, qui
sont les six que l'on connaît, et les autres qui ont décidé
de ne pas engager la contestation ou, du moins, qui l'ont engagée, mais
suivant des méthodes qui leur semblaient propres.
Conséquemment, c'est à la réunion des premiers
ministres des provinces à Toronto que le partage s'est fait au sein des
dix provinces. Par la suite, les contacts ont été gardés
uniquement et surtout, devrais-je dire, au sein des six provinces
contestataires pour harmoniser leur action commune, les autres ne
désirant pas participer à ce type d'harmonisation d'action. (16 h
3D)
J'ai eu quelques contacts téléphoniques avec des
représentants des autres provinces depuis, mais ils n'ont pas
été très nombreux, ni très significatifs. C'est
ainsi que, la semaine dernière, mon homologue de la Saskatchewan
m'interrogeait sur le climat qui existait à Londres, vu qu'il songeait
à ce moment à faire un voyage lui-même à Londres
afin de se rendre compte par lui-même de la situation. J'ai
également eu un contact une fois, mais très peu prolongé
et peu significatif, avec mon collègue de l'Ontario. Essentiellement,
depuis le milieu d'octobre, la concertation se fait entre les six provinces
contestataires dont il s'agit. La contestation devant les tribunaux a
d'ailleurs été décidée à cette
réunion du mois d'octobre d'où sont sorties les six provinces
désirant aller devant les tribunaux et, à ma connaissance, aucune
des quatre autres ne s'est pointée à Winnipeg devant la Cour
d'appel du Manitoba, par exemple.
En ce qui concerne la commission parlementaire à Ottawa, je n'ai
eu d'écho direct qu'au sein du groupe des six provinces et j'ai su par
voie indirecte ou en lisant les journaux ce qui arrivait pour les autres
provinces dont il s'agit, les quatre autres.
En ce qui concerne l'action à Londres, je n'ai pas d'écho
non plus sur le type d'action que peuvent mener ou que pourraient mener les
quatre autres provinces non "contestatrices" - si je peux les appeler ainsi
présentement - sauf peut-être pour la Saskatchewan qui me semble
manifester un certain intérêt dans le sens d'une action à
Londres, mais ça ne s'est pas encore concrétisé à
ma connaissance de façon manifeste.
M. Ryan: J'ai d'autres questions là-dessus. Dans les
contacts que vous avez eus, avec les autres provinces, avez-vous senti chez
elles un désir d'en arriver à une solution de compromis? Des
possibilités auraient-elles été mises sur la table au
pours des conversations par les fonctionnaires ou les représentants de
ces provinces avec qui vous avez été en contact?
Deuxièmement, avez-vous eu des contacts avec le gouvernement
fédéral au cours de cette période au niveau de
responsabilité qui est le vôtre et qu'est-ce que cela a
donné?
M. Normand: En ce qui concerne les provinces entre elles, je dois
vous avouer que depuis le dépôt du projet fédéral
par M. Trudeau, nous nous sommes concertés surtout sur la façon
de sensibiliser nos populations et de faire échec, soit par un recours
aux tribunaux ou par un recours à Londres, au projet de M. Trudeau.
Notre action a surtout été négative ou défensive
jusqu'à présent à cet égard. Le ministre indiquait
tout à l'heure qu'il était question d'une réunion de
niveau ministériel et même au niveau des premiers ministres au
cours des prochaines semaines. Un délai additionnel de deux mois nous
étant fourni maintenant à Ottawa, je présume qu'à
compter de maintenant les hommes politiques devront se pencher sur les aspects
du problème que vous évoquiez même si, à ma
connaissance, ils ne l'ont à peu près pas fait jusqu'à
présent, leur principale préoccupation ayant été
surtout une préoccupation défensive. Il est arrivé
cependant... J'ai pris connaissance d'un télex émanant de la
Colombie-Britannique où on demandait à M. Trudeau un moratoire de
deux mois, une reprise des discussions en indiquant la nécessité
d'un rapatriement avec une formule d'amendement. Cela n'a pas eu de suite,
cependant, à ma connaissance, cette demande de la
Colombie-Britannique.
M. Ryan: Une demande de la Colombie-Britannique.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Ryan: Maintenant, à propos du "select committee" de
Londres, quel est le statut du Québec et des autres provinces devant ce
comité actuellement? Je crois comprendre que vous avez
déposé un mémoire au nom du gouvernement du Québec.
Ils ont reçu ce mémoire. Est-il question que le Québec
soit entendu ou que les provinces soient entendues? Le comité a-t-il
pris une décision là-dessus ou si c'est une chose qui reste en
suspens pour l'instant?
M. Normand: Le comité dont il s'agit, comme je
l'expliquais, est un comité permanent de la Chambre qui s'est
donné le mandat d'examiner le problème canadien, mais uniquement
sous un angle très technique, c'est-à-dire quel pourrait
être légalement le rôle du Parlement britannique
vis-à-vis d'une demande qui pourrait lui parvenir du Parlement canadien.
C'est donc uniquement cet aspect technique que le comité a abordé
jusqu'à présent. Le comité a invité quiconque
à se présenter devant lui et à lui soumettre des
mémoires. C'est ainsi que des constitutionnalistes britanniques l'ont
fait. C'est ainsi que les provinces canadiennes dont il s'agit l'ont
également fait. Nous avons donc déposé des
mémoires. Il appartient au comité de déterminer si le
comité veut entendre ceux qui ont déposé des
mémoires de façon à pouvoir les interroger davantage.
Comme les mémoires dont il s'agit, qui ont été
déposés par les six provinces, émanent d'organismes
politiques, je pense que dans le râle technique que le comité
s'était donné jusqu'à présent, ce comité ne
souhaite pas, pour l'instant, voir les provinces ou des représentants de
provinces comparaître devant lui, de sorte que je pense que,
jusqu'à présent, le comité est heureux d'avoir reçu
ces représentations de la part des provinces, mais n'a pas émis,
à ma connaissance, le voeu de rencontrer des représentants des
provinces.
Toutefois, j'indiquais tout à l'heure également qu'il
semble que le mandat du comité pourrait être élargi et que
sa durée dans le temps pourrait être étendue. Je n'exclus
pas que, dans une telle perspective, si le mandat du comité devient plus
politique que technique, à ce moment-là, le comité
souhaite entendre les représentants des provinces, mais cela ne s'est
pas fait encore, au moment où je vous parle.
M. Ryan: J'aurais d'autres questions. On y reviendra
peut-être plus tard. Je voudrais revenir au troisième aspect dont
vous avez traité, c'est-à-dire l'action auprès de
l'opinion publique à Québec. Est-ce que vous pourriez nous dire
de quel budget vous disposez pour cette action, de quelle manière vous
employez ce budget, par exemple, pour les messages publicitaires à la
télévision et à la radio?
Deuxièmement, vous avez dit que vous travailliez en collaboration
avec certains organismes comme Solidarité-Québec. J'aimerais que
vous nous donniez des indications quant aux subventions que le gouvernement a
peut-être fournies à l'un ou l'autre de ces organismes et quant
à l'ampleur de ces subventions. Je pense que ce serait important que
vous nous disiez la nature des ressources qui ont été mises
à votre disposition pour cette opération, la manière dont
vous êtes en train de les utiliser et peut-être aussi, quant
à y être, des précisions sur la manière dont ont
été confectionnés les messages que nous entendons à
la radio et à la télévision.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Normand.
M. Normand: D'accord. En ce qui concerne le budget, le
comité ministériel m'a indiqué que j'avais une marge de
manoeuvre pouvant se situer aux environs de $1,000,000. C'est donc l'ordre de
grandeur, jusqu'à présent, des dépenses dont il s'agit.
Nous avons ainsi affecté jusqu'à présent un peu plus de
$220,000 à du temps à la télévision; un peu plus de
$220,000 également à du temps réservé à la
radio. Nous avons affecté un peu plus de $80,000 à des
dépenses de publicité dans les quotidiens et les hebdos et un peu
moins de $3000 pour de la publicité dans les magazines. Les
panneaux-réclame nous coûtent environ $85,000. La production et la
distribution des dépliants, dont je parlais tout à l'heure,
coûtent un peu plus de $300,000. Et les frais de production,
télévision et radio, nous ont coûté un peu plus de
$150,000. Le tout pour environ un peu moins de $1,000,000 jusqu'à
présent. Les factures ne sont pas rentrées de façon
précise, mais je me tiens dans l'ordre de grandeur qui m'avait
été imparti. Nous avons également une certaine
réserve pour faire face aux comptes qui pourraient être un peu
plus élevés que ceux que nous anticipons, si tel était le
cas.
En ce qui concerne les subventions aux mouvements auxquels vous avez
fait référence, à ma connaissance, nous n'avons pas
donné de subventions à de tels mouvements qui veulent,
d'ailleurs, m'a-t-on dit, garder leur autonomie par rapport au gouvernement du
Québec et pouvoir fonctionner de façon autonome. Nous leur avons
offert, cependant, notre aide et notre support, mais, jusqu'à
présent, la demande n'a pas été forte.
M. Ryan: Est-ce que vous avez d'autres arrangements du genre de
ceux qui avaient été faits avec le Conseil d'expansion
économique? Est-ce que cela faisait partie de votre programme ou si cela
a été fait avant?
M. Normand: Cela a été fait avant.
M. Ryan: Vous n'avez pas d'autres arrangements de cette nature,
soutien technique, aide indirecte?
M. Normand: Non. Nous avons réuni un groupe de
fonctionnaires il y a deux semaines, à Montréal, pour
préparer la tournée ministérielle et également pour
essayer de stimuler l'action du mouvement de Solidarité-Québec.
Mais, comme je vous le disais, l'appel n'a pas été fort, de sorte
que le groupe s'est démantelé deux ou trois jours après,
je pense, et présentement c'est la situation que je vous indiquais tout
à l'heure, à ma connaissance.
M. Ryan: Est-ce que vous êtes complètement
informé sur des initiatives qui pourraient être prises par des
ministères autres que celui dont vous avez la direction ou par des
sociétés d'État, en vue d'appuyer l'action du
gouvernement dans cette campagne?
M. Normand: Je n'en connais pas, Mme la Présidente. Pas
à ma connaissance.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: Pour rester dans le même sujet, j'aurais
peut-être quelques informations supplémentaires à demander.
Qui est le grand responsable de cette campagne de publicité?
M. Normand: II s'agit d'un comité ministériel
comprenant trois ministres ainsi qu'un certain nombre de hauts fonctionnaires.
Ce comité m'a demandé d'assurer la coordination des actions qui
pouvaient y être décidées. Pour assurer cette coordination,
j'ai recouru aux services d'un certain nombre de personnes que j'ai
indiquées tout à l'heure.
M. Le Moignan: Est-ce qu'il y a des personnes impliquées
qui ne sont pas nécessairement des fonctionnaires, en dehors du
gouvernement, des firmes?
M. Normand: J'ai mentionné tout à l'heure que
j'avais recouru à un moment donné aux services de M. L'Allier
à cette fin; il n'est pas fonctionnaire. Les autres ont tous un statut
de fonctionnaire, je crois.
M. Le Moignan: Vous avez parlé d'un budget de $1,000,000.
Étant donné que la campagne de publicité va
peut-être se prolonger au cours de l'hiver, est-ce que vous avez un
budget de prévu pour dépasser le million si le
fédéral continue également sa publicité? Est-ce que
c'est prévu dans vos estimations?
M. Normand: II n'y a pas eu de décision formelle de prise
encore, à cet égard, au moment où je vous parle. Je
présume que si une décision était prise dans le sens que
vous indiquez, a ce moment-là, les budgets seraient mis à ma
disposition de façon que je puisse les dépenser
conformément aux instructions qui me seraient alors données.
Mais, jusqu'à présent, une décision définitive n'a
pas été prise, même si c'est dans l'air, bien
sûr.
M. Le Moignan: Le ministre n'est pas prêt à
répondre à la question tout de suite, non?
M. Morin (Louis-Hébert): Ce qui vient d'être dit est
parfaitement exact. Nous sommes en train d'examiner, étant donné
le délai qui vient d'être apporté par le gouvernement
fédéral, l'action d'information qui pourrait s'étendre en
janvier et peut-être février. Nous avons commencé à
en parler, mais il n'y a pas d'annonce ou quoi que ce soit qui soit prêt
au moment où je vous parle. C'est une question que nous sommes en train
d'examiner au moment même où je vous parle.
M. Le Moignan: Cela veut dire qu'il n'y a pas d'ordre
d'établi. Ce n'est pas 50% du budget ou plus ou moins. Vous ne savez pas
trop.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais cela dépendra -
je pense que vous allez comprendre - parce qu'il y a deux facteurs qui entrent
en ligne de compte: d'abord, la durée, si nous estimons la durée
de cette information, et, deuxièmement, l'intensité. Alors, il y
a moyen d'avoir une durée plus longue avec une intensité moindre,
une intensité plus marquée avec une durée moins longue ou
les deux ensemble. Les coûts varient donc. Sauf que comme - je peux vous
dire d'avance - il y a, en supposant qu'il y en ait une, une continuation,
comme il n'y aurait pas, de toute façon, de dépliants autant que
je le sache, tout de suite cet aspect de la dépense est
éliminé. Il n'y aura probablement pas de panneaux-réclame
non plus; cela vient d'être éliminé. Je ne peux pas vous
répondre davantage pour le moment. On est en train et je vous dis qu'on
est en train de l'étudier, c'est sûr.
M. Le Moignan: ...
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, excusez-moi.
M. Le Moignan: Excusez-moi.
M. Morin (Louis-Hébert): Non.
M. Le Moignan: Je vois ici que vous avez un dépliant qui
semble très bien préparé. Est-ce que cela a
été fait par des fonctionnaires ou des gens de
l'extérieur? Avez-vous l'intention de produire un second dépliant
comme celui-ci?
M. Normand: C'est vraiment un travail de groupe à la base
qui a amené le texte que vous avez là. Ce n'est pas un texte
destiné à des intellectuels, si vous voulez. C'est un texte
destiné à l'ensemble de la population et qui vise à
sensibiliser la population. C'est donc l'oeuvre d'un travail de groupe qui est
là.
En ce qui concerne la production d'un deuxième dépliant,
aucune décision n'a été prise à cet effet.
Même il n'est pas question présentement que nous en publiions un
deuxième. Je n'exclus pas, cependant, qu'une décision puisse
être modifiée dans ce sens en cours de route en fonction de
l'évolution de la situation.
M. Le Moignan: Vous avez beaucoup parlé de concertation
interprovinciale. Vous en avez parlé comme s'il s'agissait un peu d'une
donnée, d'une règle permanente du fédéralisme
canadien. On sait que, les années passées, ces fronts communs ont
été de courte durée la plupart du temps. Croyez-vous que
l'évolution récente de cette concertation interprovinciale
revêt un caractère de permance et, si oui, pourquoi cela peut-il
revêtir un tel caractère?
M. Normand: II y a deux phénomènes qui expliquent
cette intensification de la concertation interprovinciale. Je ne peux jurer de
sa pérennité cependant. Les deux phénomènes sont
les suivants. D'abord, se sont constituées au sein de plusieurs
gouvernements provinciaux des équipes de relations
intergouvernementales. Il y en avait très peu qui existaient dans le
passé. Il y avait, à toutes fins utiles, le Québec,
l'Ontario et le gouvernement fédéral qui étaient bien
équipés à cet égard. Depuis lors, la Saskatchewan
s'est dotée d'une bonne équipe. L'Alberta a une équipe de
grande qualité et très considérable également.
Terre-Neuve s'est dotée d'une petite équipe aussi,
mais de très grande qualité. On sent poindre un peu
partout la naissance de spécialistes ou de groupes de
spécialistes en relations intergouvernementales. C'est ainsi qu'en
Colombie-Britannique ils sont en train de s'organiser à cette fin; en
Nouvelle-Écosse également. Cette existence de groupes de
fonctionnaires spécialisés dans les relations
intergouvernementales stimule, par voie de conséquence, la concertation
interprovinciale puisque - vous connaissez bien la fonction publique - il
suffit d'installer un fonctionnaire à une table pour qu'il essaie de se
trouver du travail pour justifier son maintien à cette table. Il y a un
peu de ce phénomène-là également qui intervient.
(16 h 45)
II y a un deuxième phénomène aussi. Devant les
désirs du gouvernement fédéral de vouloir réformer
la constitution dans un sens qui ne correspondait pas aux besoins des
provinces, il y a eu une sorte de menace, par le gouvernement
fédéral, qui a pesé de plus en plus lourd au-dessus de la
tête des provinces et qui les a incitées à se concerter
davantage vis-à-vis de cette menace dont elles étaient l'objet.
Quelle sera la durée de cette concertation? Je pense qu'il en restera un
minimum que nous ne connaissions pas il y a trois ou quatre ans, par exemple;
je doute, cependant, que cette concertation puisse demeurer aussi intense
qu'elle l'est présentement, dépendant, évidemment, de
l'évolution de la menace qui pèse présentement sur les
provinces dont il s'agit. Je ne sais pas si cela répond bien à
votre question, mais c'est vraiment le sentiment que j'en retire, en tout
cas.
M. Le Moignan: D'après ce que vous dites, dans chacune des
provinces on sent un besoin de cette concertation permanente, mais, comme le
problème constitutionnel ne sera peut-être pas réglé
dans les mois à venir, tout laisse indiquer qu'on va envisager de la
rendre encore plus permanente, de l'étendre aux différentes
provinces canadiennes, si je comprends bien.
M. Normand: Je pense que votre hypothèse est tout à
fait vraisemblable. En ce qui concerne les fronts communs interprovinciaux, je
dois avouer cependant qu'ils sont très ténus, qu'ils se forment
ad hoc et qu'ils durent ce que durent les roses habituellement, encore que les
derniers établis semblent avoir une certaine durée jusqu'à
présent.
M. Le Moignan: Pour revenir à un autre aspect que vous
avez touché en parlant de Londres, en parlant de cette concertation des
provinces, est-ce que la concertation progresse dans le sens de la
sensibilisation de la population britannique pour essayer de la rendre
consciente de l'enjeu réel du projet fédéral à ce
moment-ci, soit par le biais des media, soit par des rencontres ou des
conférences, je ne sais trop? Si vous avez déjà fait des
approches en ce sens, est-ce que vous avez déjà perçu une
réaction de l'opinion politique britannique? Est-ce que cela semble
être significatif, en d'autres termes?
M. Normand: En ce qui concerne la concertation interprovinciale,
pour notre action à Londres, je dois vous avouer que la réunion
de fonctionnaires que nous avons tenue à Winnipeg en présence de
Gilles Loiselle a été très utile. La plupart des
provinces, comme je l'indiquais tout à l'heure, ne sont pas
représentées à Londres ou, lorsqu'elles le sont, elles le
sont de façon variable en termes de qualité.
Conséquemment, cette réunion a permis de sensibiliser les
provinces sur les possibilités qui nous étaient offertes à
Londres et j'ai senti, à la suite de cette rencontre, vraiment un regain
d'énergie de la part des provinces vis-à-vis d'une
éventuelle action à Londres.
En ce qui concerne notre action auprès de la population
britannique proprement dite, je dois vous avouer que nous n'avons pas
visé jusqu'à présent à atteindre la population
britannique parce qu'en ce faisant nous nous trouverions à contester
jusqu'à un certain point le gouvernement britannique. Nous nous
trouverions à effectuer un certain nombre de démarches pour
mettre le gouvernement britannique en difficulté. Or, je ne veux pas
présumer, au moment où nous nous parlons, que le gouvernement
britannique nous sera hostile; bien au contraire, je veux éviter qu'il
le devienne. Conséquemment, notre action a eu comme points d'appui
beaucoup plus les parlementaires britanniques et les media britanniques que la
population elle-même. En ce qui concerne les media, cela a surtout
été des séances ou des rencontres d'information et de
sensibilisation. J'ai pu prendre connaissance d'un bon nombre d'articles au
cours des derniers mois dans les journaux britanniques qui sont pour la
plupart, de façon générale, je pense - c'est mon sentiment
- favorables aux thèses que défendent présentement les six
provinces contestataires sur le problème dont il s'agit. Incidemment, je
pense qu'on n'a jamais tant parlé du Canada et du Québec dans la
presse britannique qu'au cours des derniers mois.
M. Bédard: Mme la Présidente, je ne veux pas
interrompre M. le chef de l'Union Nationale. Je n'ai pas eu l'occasion de le
consulter, mais nous avons parlé avec l'Opposition officielle de la
possibilité de suspendre le témoignage de M. Normand, parce que
d'autres questions lui seront adressées, à ce qu'ont dit les
membres de l'Opposition, pour entendre - on comprendra certaines contingences -
Me Yves Pratte et son équipe qui sont chargés du dossier
juridique.
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, avec
votre permission, je voudrais, à cette suspension-ci, dire - et le
député de Jean-Talon va être tout à fait d'accord
avec moi - que, depuis son existence, le ministère des Affaires
intergouvernementales, comme vous le voyez encore aujourd'hui, a eu toujours
d'excellents sous-ministres.
M. Bédard: Ne partons pas une discussion
là-dessus.
La Présidente (Mme Cuerrier): II y aurait consentement de
la commission pour... Oui, vous disposez encore de quelques minutes, M. le chef
de l'Union Nationale. M. le sous-ministre, si vous acceptiez, puisque la
commission est d'accord, que nous entendions Me Pratte et que vous puissiez
revenir. La commission demande que vous vous teniez à sa disposition,
s'il vous plaît. Merci
beaucoup.
J'inviterais maintenant Me Yves Pratte et son équipe à se
présenter devant la commission. Me Yves Pratte est conseiller du
gouvernement. J'aimerais vous demander, Me Pratte, de bien vouloir nous
présenter les personnes qui vous accompagnent pour les fins du journal
des Débats, puisque nous devrons en tenir compte dans un éventuel
rapport, s'il vous plaît.
M. Yves Pratte
M. Pratte: Merci, madame. Je dois m'excuser d'avoir pris la
liberté d'avoir demandé à deux de mes conseillers qui
m'aident dans cette tâche, M. Emery à ma droite, M. Bouchard
à ma gauche, de se joindre à moi, cet après-midi, pour
m'aider à répondre à vos questions, parce que je suis ici
uniquement parce que vous m'y avez convoqué par
télégramme, hier après-midi, et votre
télégramme disait que je devais être présent pour
répondre aux interrogations de la commission; en conséquence de
quoi, je n'ai aucune déclaration à faire et je suis à
votre disposition.
M. Bédard: Mme la Présidente...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre de la
Justice.
M. Bédard: Comme on le sait, Me Pratte s'est vu confier
par le gouvernement du Québec la mission de diriger, de coordonner
l'équipe de juristes et de plaideurs chargée d'entreprendre des
procédures judiciaires qu'il a été décidé
d'entreprendre avec la solidarité de cinq autres provinces et qui se
concrétisent par des procédures qui sont entreprises au niveau de
trois provinces. Effectivement, Terre-Neuve, Manitoba et le Québec sont,
à la suite d'une décision des six provinces concernées,
les provinces qui ont été désignées pour aller
respectivement devant leurs Cours d'appel. Déjà, il y a des
procédures qui ont été entamées au Manitoba devant
la Cour d'appel. Nous avons fait une intervention, le Québec est
intervenu. J'ai d'ailleurs déposé hier en Chambre le factum qui
avait été préalablement déposé devant la
Cour d'appel du Manitoba. Également, nous avons aujourd'hui fait
connaître le mémoire qui sera déposé devant le
"select committee" de Londres.
Pour ce qui est de la Cour d'appel du Québec, tel que je l'ai
indiqué ce matin, au plus tard au début de la semaine prochaine
et peut-être même d'ici la fin de cette semaine, le gouvernement du
Québec fera connaître à la Cour d'appel les questions sur
lesquelles il demanderait que celle-ci se prononce. Il y a également de
prévues des interventions du Québec devant la Cour d'appel de
Terre-Neuve et M. le chef de l'Opposition me disait très gentiment ce
matin qu'il s'attendait que nous disions à notre équipe de
plaideurs - ici nous pouvons reconnaître également Me Lucien
Bouchard et Me Emery qui font partie de l'équipe avec Me Pratte - de ne
pas ménager les efforts pour défendre avec succès les
intérêts du Québec, face au coup de force constitutionnel
du fédéral. Je pense qu'il est inutile de dire que depuis sa
nomination comme conseiller principal du gouvernement, Me Pratte n'a
ménagé aucun effort et a employé toutes ses
énergies à constituer les dossiers et les convictions que nous
ferons valoir devant les différentes cours. On pourra peut-être
lui poser des questions qui sont reliées à celles qu'a
déjà posées le chef de l'Opposition. Me Pratte s'est
également rendu à Londres, à deux reprises je crois, et il
serait peut-être la personne tout indiquée pour discourir sur
l'ensemble du dossier qui est présentement devant le "select
committee".
Comme on le sait, le travail de Me Pratte comporte une large part
d'analyse de la situation et de ses conséquences juridiques pour le
Québec, si les amendements constitutionnels tels que proposés par
le gouvernement fédéral étaient adoptés. Je pense
que ce qui serait le plus important maintenant, étant donné que
c'est un travail d'analyse de situations, de toutes les conséquences
juridiques, le plus instructif serait sûrement d'entendre
l'appréciation de Me Pratte sur tous les aspects juridiques et les
conséquences que pourrait avoir le projet de "réforme
constitutionnelle" tel que proposé par le gouvernement
fédéral.
La Vice-Présidente: Je demanderais à Me Pratte s'il
a l'intention d'intervenir tout de suite ou s'il aimerait mieux avoir des
questions très précises des intervenants...
M. Bédard: De brosser un tableau des actions...
M. Pratte: Je préférerais répondre aux
questions, Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition
officielle.
M. Ryan: Tantôt, nous étions très curieux de
connaître les cheminements concrets de l'action du ministre et de ses
fonctionnaires immédiats. Ce n'est pas parce que nous passons notre
temps à faire du potinage dans cette enceinte, M. Pratte, que nous
n'essayons pas, de temps à autre, de faire du travail plus
sérieux. J'ai préparé à votre intention quelques
questions qui portent sur le contenu même de la démarche qui va
être entreprise. Je pense que ce serait de nature à nous
éclairer en ce qui touche notre action politique à nous, les
choses que vous pourriez avoir à nous communiquer là-dessus.
Avec votre permission, Mme la Présidente, je vais
énumérer une série de questions, et si M. Pratte et son
équipe voulaient nous fournir des indications au sujet de ces questions,
j'en serais fort aise.
D'abord, un des sujets qui reviennent continuellement sur le tapis dans
le débat actuel est celui qui porte sur la force contraignante des
soi-disant conventions constitutionnelles. Nous invoquons, du côté
de la thèse québécoise, une des grandes conventions qui
semblaient avoir été reconnues fermement par le gouvernement
fédéral, dans le livre blanc de M. Favreau sur l'amendement
constitutionnel publié en 1965. Le gouvernement fédéral
soutient aujourd'hui qu'il s'agissait d'une convention qui n'a pas de force
contraignante devant les tribunaux. J'aimerais beaucoup que vous nous
éclairiez quant au contenu et à la portée du concept de
conventions constitutionnelles.
J'ai remarqué que, dans un avis qui a été produit
par la Cour suprême, en réponse à une demande du
gouvernement canadien, en 1979, sur un projet de loi relatif à la
modification du Sénat, la Cour suprême avait fait mention, de
manière explicite, de l'existence de certaines conventions
constitutionnelles. Sans les ériger à l'état de loi, elle
leur donnait quand même beaucoup d'importance dans son jugement. J'ai
remarqué, depuis, que le gouvernement fédéral soutient que
ces conventions n'avaient aucune autre force contraignante que celle que
voulait bien reconnaître le gouvernement fédéral. (17
heures)
J'aimerais beaucoup que vous nous éclairiez sur la manière
dont vous entendez ce concept qui me semble capital dans le débat
actuel.
Deuxième question - elles ne sont pas nécessairement en
ordre logique; mais vous pourrez donner des réponses avec une meilleure
logique si bon vous semble; je ne serai pas du tout froissé de mon
côté - le projet fédéral que nous connaissons
affecte-t-il les rapports fédératifs au sens qui était
défini dans l'avis de la Cour suprême en 1979? Le gouvernement
fédéral, si j'ai bien compris, soutient qu'il ne modifie pas les
rapports fédératifs, qu'il donne même des pouvoirs accrus
aux provinces dans certains domaines et que ceux qu'il leur enlève, il
les enlève également au pouvoir fédéral pour les
remettre à la garde du pouvoir judiciaire. J'aimerais avoir votre
réponse à cette question-ci.
Troisièmement, il y a beaucoup de débats au sujet de
l'aire de responsabilité qui appartient à chaque gouvernemet en
matière de modifications constitutionnelles. J'aimerais que vous nous
disiez quelles sont les clauses de la constitution qui ne sont pas amendables
unilatéralement par le Parlement fédéral ou par les
provinces à l'heure actuelle, suivant votre jugement. Nous savons tous
qu'il y a un certain nombre, un bon nombre de clauses qui peuvent être
amendées soit par le Parlement fédéral, soit par des
provinces, sans qu'il y ait de débat à ce sujet-là.
J'aimerais que vous nous indiquiez les clauses qui, selon vous, ne font pas
partie de celles qui peuvent être l'objet d'une action unilatérale
de l'un ou l'autre ordre de gouvernement ou de Parlement.
Quatrièmement, on a dit - j'ai lu cela à bien des reprises
- que chaque fois qu'il s'est agi de proposer au Parlement britannique des
amendements constitutionnels susceptibles d'affecter l'équilibre des
rapports fédératifs, le gouvernement fédéral avait
toujours vu à obtenir auparavant l'assentiment des provinces. Or, il
existe apparemment un certain nombre de cas où telle ne fut pas la ligne
de conduite suivie par le gouvernement. Par exemple, c'est sûr que, quand
on admet une nouvelle province à l'intérieur de la
fédération, on peut soutenir qu'une modification importante
intervient dans l'équilibre des rapports fédératifs, parce
qu'il y a au moins une partie de territoire qui échappe à la
juridiction d'un niveau de gouvernement pour tomber sous une autre
responsabilité. Dans les cas de provinces qui ont été
annexées au Canada depuis 1867, il n'y eut jamais de consultation ou
d'assentiment préalable des provinces. De même, quand on a
adopté une loi très importante, vers 1930, confiant aux provinces
de l'Ouest la propriété de leurs resssources naturelles, il n'y
eut pas de consultation avec les provinces du reste du pays.
C'était pourtant un changement majeur dans l'équilibre
constitutionnel. Il est arrivé d'autres cas. Je pense qu'en 1949, quand
le Parlement canadien a demandé au Parlement britannique de lui donner
le pouvoir d'amender la constitution dans les clauses qui relevaient du
Parlement canadien, encore là beaucoup de provinces s'y étaient
opposées, mais on a procédé quand même dans la
démarche auprès du Parlement britannique et celui-ci a
donné son aval. De même, en 1943 et 1946, on a adopté des
amendements - on les a fait adopter par le Parlement britannique
également - qui modifiaient les normes de représentation à
la Chambre des communes. Le Québec en particulier s'était
opposé à ces amendements et, apparemment, ils furent
adoptés quand même. J'aimerais que vous nous disiez où on
en est au point de vue de la connaissance de la tradition qui a
été suivie jusqu'à maintenant dans ces questions.
L'interprétation qui a été donnée par la
Cour suprême des pouvoirs d'amendement du Parlement fédéral
en vertu de l'article 91.1 à l'occasion de la demande d'avis sur la Loi
relative à la modification du Sénat. Je voudrais savoir la
portée exacte de l'opinion qui a été émise par la
Cour suprême à cette occasion. Est-ce que c'est un avis qui visait
uniquement à donner une interprétation de l'article 91.1 ou
était-ce un avis de portée plus générale embrassant
tout le domaine de l'amendement constitutionnel?
J'ai lu dans le mémoire que le gouvernement du Québec,
sous votre responsabilité, a déposé, devant la Cour
d'appel du Manitoba, une affirmation où il est dit très
explicitement que, ni le Parlement fédéral, ni les provinces
n'ont le droit de procéder à des modifications dans des domaines
qui font partie de ceux sur lesquels vous nous fournirez des précisions
tantôt. J'ai lu, d'autre part, dans le mémoire que le gouvernement
fédéral a présenté à la même Cour
d'appel, une affirmation absolument contraire dans laquelle le gouvernement
fédéral soutient, si j'ai bien compris la prétention
émise dans ce document, que le Parlement fédéral pourrait
procéder à peu près à n'importe quelle modification
de la constitution canadienne. J'aimerais savoir quelle est l'opinion de
l'équipe que vous dirigez et, en particulier la vôtre sur cette
question tout à fait fondamentale.
Finalement, une dernière question. Je m'aperçois que dans
les démarches auprès du Parlement britannique, auprès du
"select committee" de la Chambre des communes britannique, vous avez
énormément insisté sur l'article 7 du Statut de
Westminster qui contient, selon toutes les indications, une disposition
très ferme voulant que les clauses de la constitution canadienne qui
affectent les rapports, les pouvoirs respectifs des provinces et du Parlement
fédéral ne puissent être l'objet de modifications sans que
soient respectées les lois antérieures. Cela soulève des
questions relatives à une autre loi. Je pense que... Comment cela
s'appelle-t-il? Est-ce le Colonial Validity Act ou quelque chose comme
ça? Apparemment, cette loi a une importance tout à fait centrale
dans les procédures susceptibles de s'engager, en Grande-Bretagne du
moins. J'aimerais que vous nous disiez quelle est la portée de cette loi
et comment vous entendez
servir les intérêts du Québec autour d'un sujet
comme celui-là.
Finalement, un dernier argument que nous avons entendu au cours des
derniers mois se résume à peu près comme ceci. On dit: Si
le Parlement fédéral adoptait une charte des droits comme
document uniquement canadien, comme loi du Parlement fédéral,
à ce moment-là, évidemment, c'est une loi qui pourrait
être contestée devant les tribunaux comme n'importe quelle autre
loi. Là, on nous dit: Comme il ne s'agit pas d'une loi, mais d'une
motion qui comporte une adresse à Sa Majesté britannique et une
demande faite au Parlement britannique d'adopter une loi, cette mesure, cette
démarche ne pourra pas faire l'objet d'une démarche en bonne et
due forme auprès des tribunaux canadiens, vu que ce ne serait pas une
loi canadienne. J'aimerais que vous nous disiez ce qui en est.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Yves Pratte.
M. Pratte: Est-ce tout, M. Ryan? Je vais essayer de
répondre le mieux possible à toutes vos questions,
peut-être pas nécessairement dans l'ordre dans lequel vous les
avez posées et si j'oublie de répondre à certaines, ne
vous gênez pas pour renouveler vos questions. Je vais essayer, cependant,
d'axer mes réponses sur le projet de réforme constitutionnelle
qui est actuellement débattu au Parlement parce qu'il est
extrêmement difficile, je pense, de donner des réponses
adéquates qui ne se rattachent pas à un projet particulier parce
que, à ce moment-là, cela devient de la théorie pure.
Je pense que si on examine de près les pouvoirs en matière
de modification constitutionnelle, il y a au moins deux choses qui sont
certaines: d'abord, les provinces ont le droit de modifier leur constitution,
sauf quant à la charge ou à la fonction du lieutenant-gouverneur
et, deuxièmement, le Parlement fédéral a le pouvoir de
modifier la constitution du Canada, ce qui a été
interprété comme signifiant la constitution
fédérale. C'est le deuxième amendement de 1949 à
l'article 91.1. On a pris soin en 1949 d'excepter du pouvoir d'amendement tout
ce qui était de nature à toucher au moins à la
compétence législative des provinces. Cela a été
exclu, de sorte qu'il ressort certainement de ça que lorsqu'il y a une
modification qui touche à la compétence législative de
l'un ou l'autre, du fédéral ou des provinces, ce n'est de la
compétence ni de l'un ni de l'autre seul en vertu de la constitution
actuelle. Ni l'un ni l'autre ne peut faire la modification au Canada. Je pense
que c'est une donnée qui m'apparaît à moi difficilement
discutable. Il s'agit de savoir, après cela, comment peut se faire la
modification, qui peut la faire, à la demande de qui et avec le
consentement de qui.
À ce moment-là, je pense que l'on peut poser deux ou trois
règles. La première, c'est que depuis 1867 - c'est dans le
préambule de la constitution de 1867 - l'État canadien est un
État fédéral. Si c'est un État
fédéral, cela veut dire qu'il n'y a pas un niveau de gouvernement
qui peut affecter la souveraineté de l'autre niveau de gouvernement sans
le consentement de celui-ci. En d'aures mots, les provinces ne sont pas dans un
état de subordination quant au fédéral, pas plus que le
fédéral n'est dans un état de subordination par rapport
aux provinces, chacun dans leur domaine législatif propre. Nous ne
vivons pas dans la même situation que celle où on vivrait si les
provinces avaient reçu leurs pouvoirs du fédéral par une
dévolution.
Cela veut donc dire qu'en principe on ne peut pas concevoir, d'une part,
avoir un État fédéral et, d'autre part, que l'une ou
l'autre des deux parties à la fédération puisse
unilatéralement procéder à la modification de la
souveraineté législative de l'autre partie. Autrement, à
mon point de vue, conceptuellement, c'est la négation de l'État
fédéral.
Si on laisse cette argumentation peut-être un peu théorique
pour en arriver à l'étude des statuts, on voit quoi? On voit
d'abord qu'il y a eu le Statut de Westminster en 1931. Je regrette, M. Ryan, si
je ne suis pas exactement l'ordre, mais je vais y venir. Je pense à
certaines de vos questions. Il y a eu le Statut de Westminster en 1931 qui a
accordé au Canada son indépendance législative. Il l'a
fait d'abord en disant que le Colonial Laws Validity Act ne s'appliquerait pas
à une loi adoptée par le Parlement du Canada ou par la
Législature d'une province. Cela voulait dire, dans les faits,
qu'à l'avenir le Parlement du Canada et la Législature de
n'importe quelle province pouvaient adopter des lois contraires aux lois de
Grande-Bretagne.
On a dit également que les lois de Grande-Bretagne ne
s'appliqueraient pas au Canada ou à un Dominion - c'est l'article 4 -
à moins qu'il n'y soit déclaré que ce Dominion a
demandé cette loi et a consenti à ce qu'elle soit
édictée.
Les provinces, à la suite de l'étude de ce projet à
Londres, ont manifesté des inquiétudes. Elles craignaient que,
par cet article 4, le Parlement fédéral n'acquière le
droit de modifier unilatéralement la constitution canadienne dans les
domaines qui affectaient directement les provinces sans leur consentement.
C'est à la suite de ces représentations qu'à la
conférence de Londres on a dit: On va accepter un article spécial
pour le Canada, qui sera rédigé par les Canadiens et que vous
nous direz, vous, Canada, d'insérer dans le Statut de Westminster. C'est
l'article 7.
Il y a eu une conférence en 1931, à Ottawa. Le premier
ministre du Canada d'alors était M. Bennett, le premier ministre de
l'Ontario était M. Ferguson et le premier ministre du Québec
était M. Taschereau. On a discuté et on a modifié les
propositions de l'article 7, toujours dans le but d'assurer que la
compétence législative, la souveraineté législative
nouvelle que le statut donnait au Canada ne permettrait pas au Parlement
fédéral d'accroître sa compétence dans le domaine de
la modification constitutionnelle. L'article 7 a été convenu et
initialé par chacun des premiers ministres provinciaux et par le premier
ministre du Canada avant que le tout soit renvoyé à Londres pour
adoption.
Donc, il m'apparaît une chose certaine. Du Statut de Westminster,
de la compétence législative accrue du Canada, de la
souveraineté internationale qu'il avait déjà obtenue, mais
que cela lui reconnaissait législativement, le Parlement
fédéral n'a certainement pas obtenu, en vertu du Statut de
Westminster, une compétence en matière de modification
constitu-
tionnelle, qu'il n'avait pas avant. Autrement, l'article 7 ne voudrait
absolument rien dire. (17 h 15)
S'il suffit aujourd'hui au Parlement du Canada de demander qu'une loi
britannique s'applique au Canada de façon à modifier la
constitution du Canada, ce serait l'article 4 qui pourrait être
interprété de cette façon-là et cela veut dire que
l'article 7 n'a plus d'effet.
Plus tard, en 1949, le Parlement du Canada a adopté une adresse
à la reine pour faire modifier l'article 91.1. C'était M.
Saint-Laurent qui était premier ministre et qui a à peu
près répété à ce moment-là ce qu'il
avait dit en 1931 alors qu'il était président de l'Association du
Barreau canadien. Il a expliqué qu'il voulait que le Parlement canadien
ait en matière de modification constitutionnelle un pouvoir
correspondant à celui que les provinces avaient en vertu de l'article
92.1. À la suite de questions qui lui étaient posées en
Chambre, quand on lui demandait de dire pourquoi il y avait toutes les
exceptions que l'on retrouve à l'article 91.1, à la suite de
l'énoncé principal, sauf en ce qui concerne les matières
entrant dans les catégories de sujets que la présente loi
attribue exclusivement aux provinces, etc., M. Saint-Laurent a expliqué
que le Parlement du Canada ne pouvait pas aller plus loin que le texte qu'il
soumettait, sans l'assentiment des provinces. En d'autres mots, la modification
constitutionnelle que le Parlement du Canada peut faire en vertu de l'article
91.1 et qu'il demandait d'avoir le droit de faire, parce que l'adresse
était discutée, était le maximum que le Parlement croyait
pouvoir obtenir sans le consentement des provinces.
De ceci, je pense qu'il n'y a qu'une seule conclusion.
Légalement, il n'est pas possible de dire que le Parlement du Canada a
directement ou indirectement la compétence constitutionnelle
d'opérer ou de faire opérer une modification dans un domaine qui
touche à la souveraineté législative des provinces parce
que, autrement l'article 91.1 tel que modifié n'aurait aucun sens,
l'article 7 du Statut de Westminster n'aurait pas de sens et l'État
fédéral tel que je le conçois n'aurait pas non plus de
sens.
J'en viens aux conventions constitutionnelles qui, à mon point de
vue, ne sont pas la source principale de l'obligation qui existe d'obtenir
l'assentiment des provinces lorsque leur compétence législative
est mise en doute, touchée ou affectée. Pour moi, les conventions
constitutionnelles dont on a fait grand état ne font que confirmer
l'existence du droit, tel que je l'ai d'abord exprimé. Si on tenait pour
acquis, par exemple, qu'il n'y aurait jamais eu aucune modification à la
constitution, sauf celle résultant du Statut de Westminster et le
deuxième amendement de 1949 a l'article 91.1, supposons qu'il n'y aurait
jamais eu aucune modification, de telle sorte qu'il ne pourrait pas être
question, à ce moment-là, de parler de conventions
constitutionnelles, à mon point de vue, l'obligation d'obtenir
l'assentiment des provinces serait exactement la même parce qu'elle
résulte du caractère fédératif du pays, tel
qu'établi dans le préambule de l'Acte de 1867, elle
résulte du Statut de Westminster et elle résulte de l'article
91.1. Quant à moi, je ne peux pas croire qu'il suffise d'une adresse
à la reine pour obtenir ce qu'on ne peut pas obtenir directement.
Une autre chose que je voudrais dire sur les conventions
constitutionnelles, c'est que c'est évidemment un principe de droit
britannique, et le Royaume-Uni ou l'Angleterre, c'est un pays unitaire, de
telle sorte que les conventions constitutionnelles dont on parle, ce sont des
conventions dont le gouvernement a lui-même accepté l'effet
obligatoire. Je suis porté à croire que les conventions
constitutionnelles dans un Etat fédératif ont un effet
obligatoire encore accru parce qu'à ce moment-là elles
régissent l'interaction qui doit exister entre d'autres au niveau du
gouvernement. En d'autres mots, ce que je veux dire, c'est qu'une convention
constitutionnelle qui s'applique et qui lie seulement un gouvernement peut
probablement, avec les précautions appropriées, être
modifiée par ce gouvernement-là, mais, si la convention
constitutionnelle lie deux niveaux de gouvernement, je ne vois pas en vertu de
quel principe un seul niveau pourrait la modifier.
Il ne faut pas se tromper. La convention constitutionnelle est plus
qu'un simple usage, c'est plus qu'une simple pratique. Ce qui distingue l'usage
ou la pratique d'une convention constitutionnelle, c'est qu'il résulte
de la convention constitutionnelle une obligation; et là où les
auteurs constitutionnels anglais ne sont pas tous d'accord, mais ce que la
majorité dit, c'est que l'obligation qui résulte de la convention
constitutionnelle n'est pas ordinairement sanctionnable devant les tribunaux,
mais l'obligation existe. Ainsi, si l'obligation existe dans le cas d'une
convention constitutionnelle qui affecte deux niveaux de gouvernement, il me
paraît certain que cette obligation ne peut pas être
modifiée ou que la convention ne peut pas être modifiée par
un seul niveau, ce qui pourrait peut-être être fait si on avait un
État unitaire. En Angleterre, il est peut-être plus facile de
modifier une convention constitutionnelle parce que la convention régit
seulement l'État unitaire et non pas deux paliers de gouvernement qui
sont souverains chacun dans son propre domaine.
Vous m'avez posé une question, M. Ryan, au sujet de cette
disposition dans le renvoi récent à la Cour suprême,
où on parle des rapports fédé-ratifs. Qu'est-ce qui
affecte les rapports fédératifs? Je pense que dans
l'espèce, ici, c'est une phrase que je voudrais éviter. Dans le
cas de la Cour suprême, de l'affaire du Sénat, du renvoi à
la Cour suprême, je vais en parler le moins longtemps possible parce que
j'étais parti du banc à ce moment-là et ce ne serait pas,
je pense, correct que je dise autre chose que ce qui a vraiment
été dit. Je ne veux pas interpréter la décision, je
veux simplement signaler que, dans l'espèce, il s'agissait d'une
modification au Sénat qui affectait la représentation que les
provinces avaient au niveau du Sénat et cela affectait possiblement les
pouvoirs du Sénat alors que le Sénat avait été
conçu comme étant un endroit où les populations
provinciales pouvaient et devaient être représentées.
L'expression "rapports fédératifs" pour moi, dans
l'espèce, ici, eu égard au projet de modification
constitutionnelle, est une expression beaucoup trop vague parce que,
théoriquement, on peut prétendre que toute modification affecte
les rapports fédératifs. Or, je pense qu'il faut, à mon
point de vue, du moins, circonscrire le débat. Il faut se demander,
premièrement, si les modifi-
cations constitutionnelles proposées touchent ou réduisent
l'autonomie ou la souveraineté législative, la compétence
législative des provinces. C'est, à mon point de vue, la
première question. Évidemment, cela pourra résulter ou ne
pas résulter de la charte des droits.
La deuxième question qui, à mon point de vue, se rapporte
à la formule de modification de la constitution, est si cela porte
atteinte au statut des gouvernements provinciaux au sein de la
Confédération canadienne. Ce que je veux dire par là,
c'est que dans le passé... Je pense, quand on regarde l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, qu'il y a les Législatures
provinciales qui ont reçu certains pouvoirs, le Parlement d'Ottawa qui a
reçu d'autres pouvoirs. Il est certain que quand il s'agit de
déterminer si ces pouvoirs doivent être réduits ou non,
jusqu'à maintenant - je pense que cela résulte de la lecture de
la constitution - c'étaient soit les Législatures, soit les
gouvernements provinciaux, d'une part, soit le Parlement du Canada, d'autre
part, qui donnaient les consentements requis quand il y en avait qui devaient
être donnés. On n'a jamais pensé que les populations des
provinces, pour les fins de l'autorité législative des
Législatures provinciales, pouvaient être
représentées par d'autres que par les Législatures
provinciales ou par les gouvernements provinciaux. C'est sur ce point, je
pense, que l'on peut se demander si les modifications proposées ou les
formules d'amendement proposées portent atteinte non pas aux rapports
fédératifs, parce qu'à mon point de vue, c'est trop vague,
mais portent atteinte au statut des gouvernements provinciaux au sein de la
Confédération.
Vous m'avez demandé également, M. Ryan, une question, je
pense, à laquelle je ne peux pas répondre. Vous m'avez
demandé quels sont les amendements, les modifications à la
constitution qui peuvent être faits par le Parlement
fédéral en vertu de 91.1. Je pense que c'est une question
à laquelle il est impossible de répondre parce que c'est un peu
trop théorique. Tout ce que je peux dire, c'est que, dans la
décision relative aux renvois de la Chambre haute, il est certain que ce
pouvoir de modification a été interprété de
façon extrêmement stricte et a été
interprété de façon qu'en vertu de 91.1 tel que
modifié en 1949, le Parlement ne puisse certainement pas toucher
à l'autonomie législative des provinces, non plus, à mon
point de vue, qu'aux statuts des gouvernements provinciaux au sein de la
Confédération. Je ne suis pas capable d'aller plus loin que cela.
Tout ce que je peux dire, c'est qu'une modification, à mon point de vue,
que le Parlement ne peut pas faire en vertu de 91.1, il m'apparaîtrait
illogique qu'il puisse la faire seulement par le moyen d'une adresse.
Cela m'amène à un autre sujet qui est relié, je
pense, à ce que vous m'avez demandé. C'est certainement
relié à la démarche pour laquelle j'ai été
responsable à Londres et au mémoire qui a été
présenté. Quel est dans l'espèce le rôle du
Parlement de Londres? On a dit, parce que le Canada est un État
internationalement souverain, que le Parlement britannique ne peut pas aller
derrière la demande qui lui serait formulée. C'est, à mon
point de vue, un argument qui est faux et ce pour plusieurs raisons. La
première, c'est que le rôle du Parlement britannique, lorsqu'il
s'agit de modifier la constitution, ce n'est pas vraiment le rôle d'un
Parlement ou d'une autorité étrangère en tant que pays
étranger. Cela n'est pas le pouvoir impérial qu'exerce à
ce moment le Parlement britannique. Il a abandonné son pouvoir
impérial par le Statut de Westminster et l'amendement de 49 à 91.
Si on regarde les amendements qui ont été faits depuis le Statut
de Westminster, on voit que le Parlement britannique a toujours pris le soin de
dire, lorsqu'une adresse lui était présentée, qu'il
agissait ainsi non pas proprio motu, mais à la demande du Canada. De
telle sorte que, pour employer une expression qu'on retrouve chez certains
auteurs, la compétence du Parlement britannique en la matière,
c'est une compétence dérivée. C'est une compétence
qu'il exerce parce que c'est nous, Canada, qui la lui avons laissée ou
qui avons demandé qu'il l'exerce et non pas une compétence qui
résulte de son pouvoir impérial. Parce qu'il est bien certain
que, si c'est la compétence impériale, alors tout est permis,
mais je ne pense pas que ce soit la position constitutionnelle établie
et ce n'est certainement pas la position constitutionnelle qu'a jusqu'ici prise
le Parlement britannique.
J'en reviens au statut international. Si c'est une fonction qu'exerce le
Parlement britannique en tant que partie du mécanisme canadien des
modification de la constitution, il est bien certain que ne se pose pas,
à ce moment, le problème de savoir qui est souverain. Ce n'est
pas un État souverain qui se mêle des affaires d'un autre
État souverain. (17 h 30)
De plus, s'il est vrai qu'à certains égards, le Canada est
souverain dans ses rapports internationaux, il faut se rappeler que cette
souveraineté, à l'intérieur du pays, est divisée et
que la souveraineté internationale que le Canada a acquise a
été jugée par le Conseil privé, autour de 1930,
dans la cause de Weekly-Rest, que cette compétence internationale ne
permettait pas au Parlement du Canada d'exécuter des obligations
assumées par un traité de passer des lois qui porteraient
atteinte à l'autonomie législative des provinces. Il
m'apparaîtrait donc assez étrange que, d'une part, dans le domaine
purement international, le gouvernement canadien puisse passer des
traités, que le Parlement canadien puisse les ratifier et ne puisse pas
ensuite, comme c'est le cas, passer des lois parce qu'elles tomberaient sous la
compétence du Québec ou des provinces, mais que, d'autre part,
à cause de ce même statut international, le Parlement
fédéral puisse modifier la constitution. Cela m'apparaît
assez illogique.
Une autre remarque, c'est quel est le rôle du Parlement
britannique? Ça ne peut pas, si on veut donner un sens aux dispositions
législatives confirmées par les coutumes ou les conventions ou ce
que le Statut de Westminster a appelé le Statut constitutionnel
consacré, Established Constitution Position, ça ne peut pas
être seulement que d'agir comme "rubber stamp", parce que ça met
totalement de côté les restrictions législatives qui sont
dans notre constitution et ça met de côté également
les rapports fédératifs parce que ça permettrait, si c'est
vrai, au Parlement fédéral, de passer une adresse et dire: On
demande l'abolition des provinces.
On dit, évidemment: Jusqu'ici le Parlement
britannique a toujours accédé à une demande du
Parlement canadien. C'est vrai, mais il n'y a jamais eu de demande du Parlement
canadien affectant la compétence législative des provinces qui
n'ait pas été accompagnée du consentement de toutes les
provinces. De telle sorte qu'il est inexact de dire - et le docteur Marshall
l'a affirmé mercredi dernier au "select committee" -qu'il existe un
précédent ou une convention constitutionnelle obligeant le
Parlement britannique dans tous les cas, quelle que soit la nature de la
demande, d'accéder à la demande du Canada.
Ce pourquoi cette convention existe telle qu'elle est, c'est qu'il n'y
en a jamais eu qui affecte la compétence législative des
provinces. D'ailleurs, il m'apparaîtrait assez illogique de dire qu'il
existe une convention constitutionnelle qui oblige le Parlement britannique
à sanctionner ce qui serait, à mon point de vue, une
illégalité constitutionnelle. L'objet d'une convention
constitutionnelle, ça ne peut pas être ça. De sorte
qu'à mon point de vue, le rôle du Parlement britannique ce n'est
certes pas, et je ne pense pas qu'on le prétende en Grande-Bretagne, de
juger du mérite d'une demande. Ce n'est pas non plus d'être
"rubber stamp". C'est simplement de s'assurer que c'est une demande conforme ou
appropriée - dans le texte on a dit "proper request" -
c'est-à-dire une demande qui réponde aux exigences
constitutionnelles. Et si c'est une demande qui - comme, à mon point de
vue, celle dont il s'agit ici - porte atteinte directement à la
compétence législative des provinces, il faut le consentement des
provinces, à mon point de vue.
Je ne sais pas si j'ai répondu à un certain nombre de vos
questions, M. Ryan, mais je regrette d'avoir été si long.
M. Ryan: II n'y en a qu'une à laquelle vous n'avez pas
répondu, c'est le projet fédéral. En quoi affecte-t-il le
statut des provinces à l'intérieur de la
fédération? La question était formulée autrement,
mais c'est la question principale, finalement.
M. Pratte: Je pense qu'on peut regarder le problème sous
deux aspects. Il y a d'abord la compétence législative, et je
pense que la compétence législative est fondamentalement
affectée par la Charte des droits. Toute charte des droits qui est
enchâssée dans une constitution, par définition, à
mon point de vue, comporte une restriction à ce qui serait, par ailleurs
une autonomie législative absolue. D'ailleurs, c'est l'objet de cette
Charte des droits. On dit qu'elle va avoir primauté, qu'elle va
prévaloir sur toute loi contraire. D'ailleurs, constitutionnellement, je
pense, conceptuellement, c'est difficile de concevoir le contraire. Si j'ai le
droit d'adopter toutes les lois que je veux dans le domaine de la
propriété et des droits civils, c'est une chose. Si je dis
subséquemment: Vous pouvez adopter toutes les lois que vous voudrez,
mais à condition qu'elles ne violent pas la Charte des droits, j'avais,
au départ, 100% de compétence, il m'en reste 75%. Ce n'est pas un
transfert de souveraineté, ce n'est pas un transfert de
compétence, c'est une réduction de compétence.
Je pense par ailleurs qu'étant donné les champs de
compétence respectifs des provinces, d'une part, et du
fédéral, d'autre part, les provinces se trouvent davantage
amputées de compétences législatives que le
fédéral parce que leur champ d'action est tel qu'il est davantage
susceptible d'être affecté.
Je voudrais vous référer, si vous me permettez, à
une allocution qui était prononcée au mois de mai 1980 par un de
ceux de qui j'ai beaucoup appris et que plusieurs ici connaissent, l'ancien
juge Louis-Philippe Pigeon. Il prononçait une conférence à
l'Université Laval qui était intitulée la
souveraineté du Parlement, les chartes des droits et libertés et
le pouvoir judiciaire. Évidemment, c'était après qu'il
eût cessé de siéger à la cour. Il y a deux passages
que je voudrais citer. Le premier, c'est le premier paragraphe: "Lorsqu'en
1947, j'ai commencé à m'intéresser au projet de
déclaration canadienne des droits - ce n'est pas hier, c'est en 1947 -
le regretté Jules-Arthur Gagné alors doyen de la faculté
de droit me demanda de donner au comité parlementaire sur les droits de
l'homme et les libertés fondamentales l'opinion que celui-ci invitait
tous les doyens à lui fournir. Le doyen Gagné était alors
juge à la Cour d'appel et ne pouvait évidemment se rendre
lui-même à cette invitation. Le professeur de droit
constitutionnel lui parut tout désigné pour le faire. Je n'eus
aucune hésitation à conclure qu'il n'était pas au pouvoir
du Parlement fédéral de décréter une charte des
droits de portée générale comme celle qui était
proposée sans égard au partage de compétences
législatives entre le fédéral et les provinces. Ce fut
également l'opinion prépondérante et le projet fut mis de
côté sans que l'on paraisse envisager la possibilité de le
restreindre au domaine fédéral. Mon avis sur cette question
n'avait pas changé lorsque le projet fut ressuscité sous une
forme nouvelle par feu John Diefenbaker et je me prononçais dans le
même sens dans l'article qui fut publié en 1959 dans la revue de
l'Association du Barreau canadien."
Plus loin, M. Pigeon réfère à un article du juge
Laskin qui a été publié en 1968. "The Fourteenth
Amendment". C'est le titre du volume. L'article était intitulé
"Constitutionalism in Canada, Legislative Power and a Bill of Rights". Dans cet
article, aux pages 174 et 175, le juge Laskin disait ceci: "The possibility of
an entrenched bill of rights raised deep concern about what would happen to the
balance struck over the years, by judicial decision and conventional practice
between national and state power. Promulgation of such a bill of rights, even
if agreement on its language and range was reached, would of course flout the
principle of parliamentary supremacy in a way which the mere distribution of
legislative power does not. It is one thing to divide all lawmaking authority
and Canada clings to a doctrine of exhaustiveness of the distribution between
two levels of government. It would be a completely different thing to deny to
both levels lawmaking authority in certain fields." De telle sorte que,
à mon point de vue, il m'apparaît certain qu'une charte des droits
quel que soit son contenu, une charte des droits qui veuille dire quelque
chose, qui comporte une restriction plus ou moins importante selon du contenu
de la Charte des droits, ait l'autonomie législative qui sera assujettie
à la Charte des droits dont il s'agit.
La deuxième partie de la question, je pense que j'y ai
répondu: Dans quelle mesure la formule d'amendement affecte-t-elle les
rapports fédératifs? Encore une fois, je pense que l'expression
"rapports fédératifs" n'est peut-être pas la mieux choisie
dans l'espèce. Je pense qu'il faut plutôt se demander si cela
affecte le statut des gouvernements provinciaux pour représenter les
populations des provinces lorsqu'il s'agit d'amendements qui touchent à
leur compétence législative.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères et M. le chef de l'Union Nationale. M. le
député de Verchères.
M. Charbonneau: Mme la Présidente, dans le texte qui a
été préparé pour la Cour d'appel - je ne sais pas
si c'est celle du Manitoba - il est indiqué à un moment
donné que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est un pacte.
Je voudrais savoir, en vertu du fait que c'est un pacte, si cela a des
conséquences. L'action du gouvernement fédéral
actuellement modifie-t-elle la teneur de ce pacte?
M. Pratte: Je ne pense pas. Je n'ai pas le texte ici.
M. Charbonneau: Moi non plus. J'ai essayé de le retrouver
tantôt. Je l'ai lu ce matin.
M. Pratte: C'est peut-être dit, je ne m'en souviens pas,
mais je ne pense pas qu'on puisse tirer quelque argument juridique que ce soit
de la prétendue théorie du pacte. À mon avis, il n'est pas
besoin de se servir de cette théorie qui, juridiquement,
m'apparaît fort discutable. Le meilleur article que j'ai lu à ce
sujet, c'est la conférence de M. Louis Saint-Laurent en 1931 où
il arrive exactement aux mêmes conclusions que celles auxquelles on veut
en arriver par la théorie du pacte, mais par des arguments qui, selon
moi, sont davantage juridiques. Il dit purement et simplement que les provinces
et le Parlement, les Législatures provinciales et le Parlement, de part
et d'autre, ont été investis par la constitution de certains
droits et qu'il est impensable qu'on puisse les dépouiller de ces
droits, quelle que soit l'origine des droits, sans leur propre consentement.
Évidemment, je simplifie beaucoup son allocution. C'est beaucoup plus
savant et beaucoup plus serré que cela comme raisonnement, mais je pense
que c'est un résumé assez conforme.
M. Charbonneau: Mme la Présidente...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères.
M. Charbonneau: ...seulement une autre question, parce que dans
l'intervention Me Pratte a répondu à plusieurs des questions que
j'avais notées. Il y a simplement une chose que je voudrais lui
demander. Je pense qu'il en a parlé à la fin de son intervention.
J'aimerais lui demander de préciser un peu plus la portée de la
notion de référendum qui est contenue dans le projet
fédéral, en termes de procédure d'amendement.
M. Pratte: D'abord, évidemment, vous savez beaucoup mieux
que moi que c'est une procédure assez complexe, mais tel que je le
comprends -oublions la période intermédiaire de deux ou trois ans
et je l'oublie - une fois cette période terminée, il sera
toujours possible au gouvernement fédéral d'obtenir une
modification constitutionnelle par le moyen du référendum,
même si tous les gouvernements provinciaux s'opposent à la
modification dont il s'agit. Dans la mesure où on permet à
l'autorité centrale d'aller directement à la population des
provinces, on change, je crois, le statut des gouvernements provinciaux tel
qu'il existe actuellement, parce qu'actuellement la seule façon dont le
consentement de la population des provinces peut être donné
à une modification constitutionnelle qui requiert ce consentement, ce
n'est pas par le moyen d'un vote populaire, d'un référendum ou
d'un scrutin, mais par le moyen du consentement du gouvernement ou des
Législatures, suivant la formule qui est employée à
l'occasion.
M. Charbonneau: J'aurais une question, Mme la Présidente.
Vous avez indiqué dans votre intervention qu'à votre avis les
provinces étaient plus affectées que le gouvernement
fédéral par la Charte des droits. Autrement dit, la diminution ou
la réduction des pouvoirs affecterait plus les provinces, à cause
d'un certain nombre de choses, qu'elle n'affecterait les pouvoirs
législatifs du Parlement fédéral. J'aimerais que vous
expliquiez cela.
M. Pratte: Ce que j'ai voulu dire par là - je me suis
probablement mal exprimé - c'est que, par exemple, il est évident
que la Charte des droits aura peu d'effet sur les lois qui pourraient
être adoptées en matière d'affaires extérieures qui
sont, à toutes fins pratiques, le domaine fédéral. En
matière de droit civil, par ailleurs, ce qui est essentiellement un
domaine provincial, il est bien évident que, là, la Charte des
droits aura un effet considérable. Cela ne veut pas dire que
théoriquement l'un est davantage amputé que l'autre, mais il est
fort possible, sans en avoir fait la vérification, mais cela serait
à mon point de vue logique, que, conceptuellement, on en vienne à
la conclusion que l'effet pratique de la Charte des droits se fera davantage
sentir à l'égard de la compétence législative des
provinces qu'à l'égard de la compétence législative
du Parlement, même si les règles sont exactement les mêmes
pour l'un et l'autre. (17 h 45)
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: M. Pratte, concernant la réunion de
Winnipeg, sur quels critères s'est-on fondé pour choisir les
questions que chaque province contestataire doit soumettre à sa cour de
dernier ressort? C'est peut-être une question un peu
indiscrète.
M. Pratte: À Winnipeg, le Manitoba a proposé une
série de questions qui ont été modifiées et qu'il
voulait poser à sa Cour d'appel. Les questions que le Québec
posera seront vraisemblablement légèrement différentes -
cela n'est pas ma décision - mais l'essence même est toujours la
même. Le critère a été de savoir:
Est-ce que vraiment, constitutionnellement, le fédéral
peut faire ce qu'il veut faire et quelle est essentiellement la
conséquence, s'il le fait?
M. Le Moignan: II a dû y avoir un consensus sur une
façon de faire la répartition des sujets qui seront soumis par
chacune des provinces à leur cour respective. Il va
nécessairement y avoir une différence d'approche pour chacune des
provinces et peut-être aussi pour le Québec en particulier.
M. Pratte: Pas nécessairement. Il y a, pour certaines
provinces, des conditions particulières, comme, par exemple,
Terre-Neuve. Lors de l'entrée de Terre-Neuve dans la
Confédération, ils ont obtenu par traité certaines
garanties, dont malheureusement je ne connais pas le détail, en
matière d'éducation par exemple, si mon souvenir est exact. Je
sais que les gens de Terre-Neuve se demandent si les modifications
constitutionnelles proposées auront pour effet de modifier ces
conditions particulières de leur entrée dans la
Confédération. Je ne connais pas la réponse à cette
question, mais ce sera vraisemblablement une question qu'ils poseront à
leur Cour d'appel, mais qui, évidemment, n'a pas d'effet pour autant que
le Québec est concerné. Les questions que le Manitoba a
posées ont été en fonction de sa conception du
problème qui, dans le fond, est le même partout. Il s'agit de
savoir comment poser la question de manière à cerner le
problème de façon aussi précise que possible. La
difficulté, c'est que les conventions constitutionnelles dont on a
parlé imposent des obligations comme des lois. Seulement, dans certains
cas, les lois sont sanctionnées par les tribunaux alors que plusieurs
prétendent que les conventions ne le sont pas. De plus, les conventions
constitutionnelles sont souvent difficiles à définir. Il est
difficile d'en retracer l'existence, dans certains cas, tandis que, pour des
lois, c'est relativement facile. C'est pour cela que le Manitoba a posé
une question: Est-ce qu'il existe des conventions constitutionnelles? À
mon avis, comme je l'ai déjà exprimé, ce n'est pas la
source de l'obligation ou la source du droit. Je pense que c'est plus profond
que cela.
M. Le Moignan: Je ne prendrai pas les trois questions du
Manitoba. La première est très courte et on y dit: Est-ce que les
propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral affectent
la relation fédérale-provinciale? Évidemment, cela peut
jouer pour toutes les autres provinces de la fédération
canadienne.
Maintenant, à partir de cela, est-ce que j'exagère en
disant que la position du Québec pourrait porter peut-être
essentiellement sur les conséquences du geste fédéral sur
la souveraineté législative des provinces et sur le statut des
gouvernements provinciaux au sein de la fédération
canadienne?
M. Pratte: On ne sait pas ce que sera la décision du
Conseil des ministres, ce n'est pas ma décision. À mon point de
vue, ce sont les deux éléments principaux qu'il conviendrait de
souligner.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai des demandes...
M. le ministre de la Justice.
M. Bédard: Outre l'obligation pour le
fédéral, que vous avez mentionnée, d'obtenir la
participation, le consentement des provinces à une demande de
rapatriement, vous avez dit, en vous référant également
à des auteurs, qu'en principe, une charte des droits qui a un contenu ne
peut faire autrement qu'affecter les souverainetés législatives,
puisque celles-ci y sont assujetties. En principe, je pense que c'est la
position de principe, en ce qui regarde - je pense en cela me faire
l'écho de la question qui a été posée par le chef
de l'Opposition - plus précisément le projet du
fédéral que nous avons devant nous, qui comporte une charte,
l'inclusion ou l'enchâssement d'une charte des droits et libertés,
est-ce que vous pourriez nous dire quels sont les pouvoirs, les lois ou les
règlements qui pourraient être affectés par cette charte,
si elle était adoptée telle que nous la connaissons maintenant?
Je comprends que c'est une étude très élaborée
qu'il faut faire, peut-être qu'elle n'est pas complètement
terminée, est-ce qu'il serait possible, avec l'étude que vous en
avez faite jusqu'à maintenant, de nous donner certaines indications qui
pourraient être...
M. Pratte: Directement...
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Bédard: ...de nature à éclairer les
membres de la commission?
M. Pratte: Voici ce que je voudrais dire à ce sujet, M.
Bédard. D'abord, l'étude n'est pas terminée. On a
commencé à la faire. Mes deux collègues ont
travaillé d'arrache-pied pour m'aider dans ce domaine. Il y a deux
observations préliminaires et, après, je vous donnerai quelques
exemples. La première est que la langue employée dans une charte
des droits, à supposer que le style soit bon, ce qui n'est
malheureusement pas le cas ici, est nécessairement une langue assez
vague. On énonce des principes plus qu'on établit des
règles extrêmement précises de telle sorte qu'il est
difficile, dans le meilleur des mondes, de dire exactement comment les
tribunaux interpréteront, dans un cas précis, une disposition
d'une charte des droits à moins d'avoir un historique. Donc, il s'ensuit
qu'une des conséquences nécessaires de l'adoption ou de
l'enchâssement d'une charte des droits dans la constitution sera de mener
pendant un certain temps à une situation de doute juridique.
Un grand nombre de lois ou de dispositions législatives ou
réglementaires qui existent actuellement et dont personne ne doute de la
validité, dont la validité n'est pas douteuse, seront, à
tort ou à raison, mises en doute pendant un grand nombre
d'années. C'est une chose de naître et de croître comme
nation avec une charte des droits comme les États-Unis - et, encore
là, on sait que cela crée bien des problèmes, ce qui ne
veut pas dire que ce n'est pas bon - mais c'est une autre chose que d'avoir une
charte des droits qui est imposée automatiquement sur un cadre de lois
et de règlements qui n'a pas été préparé en
fonction de l'existence de la charte des droits, de telle sorte
qu'au meilleur des mondes il y a, pendant une période X, une
instabilité juridique que, à mon point de vue, il est impossible
d'éviter avec la meilleure charte des droits possible.
Maintenant, au point de vue pratique, qu'est-ce que cela veut dire dans
le concret? L'inventaire n'est pas terminé et il ne faudrait pas que
vous preniez ce que je vais vous dire comme étant exhaustif et surtout
non plus comme étant définitif, mais je vous
réfère, par exemple, à l'article 15 de la Charte des
droits, qui a trait à la prohibition ou à la non-discrimination.
Tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même
protection de la loi, indépendamment de toute distinction fondée
sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion,
l'âge ou le sexe. Cela, en soi, ce n'est peut-être pas très
méchant. Seulement, le paragraphe 2 paraît donner une extension au
texte beaucoup plus grande que celle que moi, à tout le moins, j'aurais
été porté à lui donner à la première
lecture, parce qu'il dit: "Le présent article n'a pas pour effet
d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à
améliorer la situation des personnes et des groupes
défavorisés." On peut dire, on peut argumenter que, par
conséquent, le paragraphe 2 était nécessaire parce que,
autrement, ces programmes auraient été jugés comme
étant discriminatoires au regard du paragraphe 1, de telle sorte que la
règle relative à la non-discrimination dans cette optique prend
une ampleur qui peut être considérable.
Je vais vous donner des exemples: En matière d'éducation,
il y a une garantie de quatre sièges aux protestants et de seize
sièges aux catholiques dans la composition du Conseil supérieur
de l'éducation. Est-ce que c'est de la discrimination fondée sur
la religion? Il y a, dans la Loi des fabriques, l'article 5b qui confère
à l'évêque le pouvoir de faire des règlements pour
déterminer les conditions d'admission à l'inhumation dans les
cimetières catholiques romains. En vertu de la même loi, l'article
57 donne aux fabriques le pouvoir d'imposer des cotisations. Il n'y a aucune
autre Église qui a ce pouvoir. Est-ce que c'est de la discrimination? On
a, dans la Loi des évêques catholiques romains, le pouvoir qui est
accordé aux évêques de créer des corporations et des
sous-corporations pour des fins religieuses. Ce pouvoir n'est accordé
à aucun membre d'aucune autre communauté religieuse. Est-ce qu'on
ne peut pas prétendre que c'est de la discrimination? Vous avez
également la Loi sur les Églises protestantes... Pardon?
M. Ryan: Ce n'est pas l'exemple le plus éloquent,
celui-là, parce qu'il pourrait se justifier facilement, mais
passons.
M. Pratte: Écoutez, je ne dis pas que c'est clair. Je dis
qu'il est certain qu'on peut argumenter que c'est de la discrimination.
Ecoutez, je vous souligne qu'il y a un problème. La liberté
d'association qui est mentionnée à l'article 2c; est-ce qu'en
vertu de cet article, chacun a les libertés fondamentales suivantes:
liberté de réunion pacifique et d'association? Vous savez que,
chez nous, il y a des restrictions à la liberté d'association,
par exemple pour les corps policiers. Est-ce que ce sont des dispositions qui
vont devenir inconstitutionnelles? Est-ce que c'est ça qu'on veut dire
par liberté d'association?
Vous avez également à l'article 3: "Tout citoyen canadien
a le droit de vote et est eligible aux élections législatives
fédérales ou provinciales. Ce droit ne peut, sans motif valable,
faire l'objet d'aucune distinction ou restriction." Je comprends, que chez
nous, on ait des restrictions à l'éligibilité à
certaines charges publiques. Quand un avocat ou un notaire qui est membre de
l'Aide juridique ne peut pas être candidat, les membres de la
Sûreté ne peuvent pas être candidats, les substituts du
Procureur général ne peuvent pas être candidats, est-ce que
ce sont des restrictions qui sont là pour des motifs valables? J'en
reviens à l'absence de discrimination. On dit qu'il ne doit pas y avoir
de discrimination et que tout le monde doit être égal devant la
loi, indépendamment de l'âge. Quelle est la portée que va
avoir cette disposition? Est-ce qu'il sera encore possible d'empêcher les
propriétaires de débits d'alcool de ne pas accueillir des gens en
bas de 16 ans? La discrimination quant à l'âge, à l'article
15.1.
Ce que je veux signaler, ce n'est pas de dire que tout ce que j'ai
mentionné va nécessairement et automatiquement devenir
illégal. Il y en a certainement une certaine partie, mais il va
certainement résulter de tout ça, à mon point de vue, une
insécurité juridique qui va durer longtemps. Même dans des
pays où on a des textes plus clairs que ça, qui existent depuis
au-delà de 100 ans, cette insécurité juridique existe au
point que, par exemple, aux États-Unis, la Cour suprême ne fait
à peu près que se prononcer là-dessus, sur les
libertés fondamentales, et n'a pas le temps de se prononcer sur les
autres problèmes de droit. (18 heures)
C'est une conséquence. Il y a évidemment, je ne l'ai pas
mentionné parce que tout le monde le sait, les incidences de cette
charte-là quant au projet de loi 101. Quant à la Charte de la
langue française, tout le monde le sait, je pense que c'est
indiscutable.
Prenons, par exemple, la liberté de circulation et
d'établissement, à l'article 6. Je m'interroge, quant à
moi, sur ce que veut dire le droit de gagner sa vie, qui est mentionné
à l'article 2b, surtout quand on dit que ce droit-là est
subordonné aux lois d'application générale s'il
n'établit entre les personnes aucune distinction fondée
principalement sur la province de résidence antérieure ou
actuelle. Or, il y a plusieurs lois qui sont administrées par l'Office
des professions qui exigent, comme l'un des critères, du membre de la
profession, la résidence dans la province. Il y a, je pense, les
ingénieurs, les architectes, les arpenteurs-géomètres qui
doivent être résidents dans la province.
Est-ce que gagner sa vie, cela veut dire gagner sa vie au sens large ou
bien cela veut dire gagner sa vie selon la profession qu'on est capable
d'exercer? Je vous avoue que je n'ai pas de réponse. Tout ce que je
signale, c'est que c'est une expression qui m'apparaît assez vague. Il y
a également dans une expression dont je ne suis pas capable de
définir la portée, à l'article 1, où on garantit,
qui donne là la portée de la charte, "sous les seules
réserves normalement acceptées", et là le texte
français diffère du texte anglais, "dans une
société libre et démocratique de régime
parlementaire".
Mon objection à cela, si je peux en avoir
une, c'est que je ne sais pas ce que cela veut dire. Qu'est-ce que cela
veut dire "des réserves normalement acceptées" ou en anglais "to
such reasonable limits as are generally accepted" -c'est différent -
"normalement acceptées dans une société libre et
démocratique de régime parlementaire", à mon point de vue,
cela veut dire simplement ce que celui qui a à juger a dans l'esprit
à ce moment-là. C'est aussi vague que cela. Il n'y aura pas moyen
de prétendre que sa décision est contraire au texte de la loi. Je
pense que c'est une objection qui vaut à l'égard de plusieurs des
dispositions qui sont là, c'est que c'est tellement vague qu'on ne sait
pas ce que cela veut dire. À ce moment-là, vous avez comme
conséquence nécessaire, même si on admet le
bien-fondé d'une charte en soi et même si on admettait que cela
pouvait être fait, personnellement je ne le crois pas, sans le
consentement des provinces, vous allez nécessairement avoir une
situation, où pendant des années, un grand nombre de lois et de
règlements vont être contestés devant les tribunaux. Je ne
suis pas certain que ce soit à l'avantage des justiciables et des
citoyens en général dans un ordre juridique - à mon point
de vue du moins - de rendre aussi instable que cela le droit qui va s'appliquer
à eux.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre de la
Justice.
M. Bédard: On peut peut-être revenir
après.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai d'autres demandes. M.
le député de D'Arcy McGee, M. le député de
Deux-Montagnes et Mme la députée des Iles-de-la-Madeleine
voulaient aussi poser des questions.
M. Le Moignan: M. le ministre avait commencé à
répondre.
La Présidente (Mme Cuerrier): II vous restait une
question, M. le chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Oui.
La Présidente (Mme Cuerrier): II est l'heure de la
suspension des travaux. Me Pratte pourrait-il revenir avec nous à 20
heures?
Une voix: On lui donnera un avion pour s'en retourner.
La Présidente (Mme Cuerrier): Suspension des travaux
jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 5)
(Reprise de la séance à 20 h 18)
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre,
messieurs!
La commission reprend ses travaux à la suite de la suspension. M.
le chef de l'Union Nationale, vous m'avez dit que vous aviez une question ou
deux.
M. Le Moignan: Une pour M. le ministre et une autre pour M.
Pratte par la suite.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: Je pense que le ministre se doute
déjà de ma question. C'est à la suite de ce que j'ai
demandé à M. Pratte. Vous n'y étiez peut-être pas,
mais ce n'est pas grave.
M. Morin (Louis-Hébert): J'ai été là
tout le temps.
M. Le Moignan: Quand on pense au scénario qui s'est
dessiné à Winnipeg où chacune des provinces va poser
à sa Cour d'appel, à sa cour de juridiction, certaines questions,
évidemment, on dirait qu'il y a une espèce d'entente
là-dedans, une espèce d'approche. Est-ce qu'on peut
présumer que l'approche du Québec va porter essentiellement sur
les conséquences du geste fédéral sur la
souveraineté législative des provinces et, en même temps
aussi, sur le statut de gouvernement provincial au sein de la
fédération canadienne?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Voici, M. Le Moignan...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le chef intérimaire de
l'Union Nationale, en somme, ce que vous nous demandez et ce que vous me
demandez à moi, c'est quelles sont les questions que le Québec va
poser à la Cour d'appel.
M. Le Moignan: Etant donné que vous ne poserez pas les
mêmes que les autres provinces ont déjà posées,
j'imagine.
M. Morin (Louis-Hébert): Bon. Je pense qu'à ce
sujet je vais carrément passer la parole à M. Pratte, parce qu'il
y a des considérations juridiques qui entrent en ligne de compte. Il y a
aussi tout cet aspect qu'on appelle du respect des tribunaux. Comme les
questions ne sont pas encore soumises, j'aimerais mieux que M. Pratte prenne la
parole sur ce sujet précis pour vous donner les tenants et aboutissants
juridiques de la démarche sur laquelle vous me demandez des
précisions.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: Mme la Présidente, M. le chef
intérimaire de l'Union Nationale, je pense que, si l'on suit ma
recommandation - ce qui est loin d'être certain - l'accent des questions
serait dans le sens que vous venez d'indiquer; cela préciserait
davantage que les questions qui ont déjà été
posées au Manitoba, l'aspect de l'invasion, si vous voulez, ou de la
restriction de l'autonomie législative des provinces, de la
compétence législative des provinces, d'une part, et, pour ce qui
est de la formule d'amendement, du rôle du gouvernement provincial.
Disons que ce seraient
des questions dans le même sens que celles qui ont
déjà été posées, mais probablement plus
précises dans la mesure où vous venez de l'indiquer.
M. Bédard: Nous avons eu l'occasion d'avoir un Conseil des
ministres où une discussion a été faite sur un projet de
questions devant être adressées à la Cour d'appel. Je pense
que Me Pratte peut être de plus en plus certain que ces questions iront
dans le sens des suqgestions qui ont été faites et portées
à l'attention du Conseil des ministres.
Pour ce qui est de l'autre partie de la question du chef de l'Union
Nationale concernant l'entente qu'il y a eu entre les provinces, effectivement,
lors de la rencontre des procureurs généraux des six provinces
concernées à Edmonton, nous avons décidé d'une
stratégie qui nous amenait à porter la cause devant trois Cours
d'appel de trois provinces: le Manitoba, le Québec et Terre-Neuve, pour
des raisons bien compréhensibles. D'abord, pour une raison d'ordre
géographique puisqu'il s'agit de trois grandes régions du Canada;
également, pour ne pas multiplier indûment les procédures
judiciaires et dû au fait que les conditions juridiques de
l'incorporation de ces différentes provinces à la
fédération canadienne n'étaient pas les mêmes. Comme
on le sait, le Québec, c'est en 1867; le Manitoba, c'est à
l'occasion d'une loi qui a été adoptée à cet effet;
concernant Terre-Neuve, c'est à l'occasion d'un référendum
qui avait été tenu au niveau de la population.
Cela résume l'essentiel de la stratégie, qui n'est pas
très compliquée et qui a été mise au point, mais
qui suit son cours au moment où on se parle.
M, Le Moignan: En attendant, est-ce que je peux terminer ma
dernière question à M. Pratte, Mme la Présidente? J'aurais
une dernière question à poser à M. Pratte.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union
Nationale.
M. Le Moignan: À la suite du problème du Manitoba
que nous évoquons, les procureurs du gouvernement fédéral
se sont prononcés, et je vous lis un court extrait du Globe and Mail:
"The federal brief cause on the Court to dismiss some of the provinces'
questions because they do not deal with legal matters. It says: "The reference
process is not designed to require the Court to answer questions of political
science. It is designed to enable the Court to give legal advice." Mr. Twidle -
c'est le procureur du Manitoba - however said there are no restrictions on what
matters can be referred to the Court. He said: It is entirely proper for the
Court to rule on questions dealing with the limits of governmental power."
J'aimerais avoir vos commentaires sur l'avis de ces experts.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: Mme la Présidente, mes commentaires seront
assez simples.
L'argumentation du gouvernement fédéral, c'est que la
question de savoir s'il existe ou non des conventions constitutionnelles et
s'il existe ou non des obligations qui en découlent n'est pas une
question de droit, n'est pas une question légale parce que la sanction
de ces obligations-là, s'il en existe, ne relève pas du tribunal.
C'est, à mon point de vue, confondre deux choses: c'est confondre
l'existence de l'obligation, d'une part, et la sanction de l'obligation,
d'autre part. Les tribunaux ont reconnu, dans un certain nombre de cas,
l'existence de conventions constitutionnelles, même si, en même
temps, les tribunaux, ordinairement, admettent qu'ils ne sanctionnent pas la
violation de l'obligation qui résulte de la convention
constitutionnelle.
J'espère que la lumière de l'argumentation
fédérale, qui n'est pas totalement imprévue... Nos
questions éviteront peut-être cette situation, mais, à mon
point de vue, l'argumentation fédérale confond deux choses, comme
je l'ai dit, et, personnellement, cela ne me convainc pas de la même
façon que, dans une cause, en 1929 ou 1930, par exemple, le Conseil
privé a reconnu que, par convention, le Conseil privé
était une cour, alors qu'effectivement ce n'en est pas une parce que
c'est simplement un comité qui donne l'avis à la reine ou au roi;
on dit: À toutes fins utiles, c'est une cour. On a un certain nombre de
décisions comme cela où l'existence de la convention et des
conséquences qui en découlent ont été reconnues, ce
qui ne veut pas dire que, si l'obligation est violée, cela donne le
droit de prendre une action et qu'il en résulte la nullité.
Or, les avocats du gouvernement fédéral à Winnipeg
- c'est de bonne guerre, c'est une chose qui est fort acceptable - disent: Vous
ne pouvez pas demander à un tribunal de constater l'existence d'une
obligation alors que vous ne pouvez pas la sanctionner. C'est le
problème. Il ne faut pas s'imaginer que, dans ce domaine-là, tout
est absolument clair, que tout est absolument limpide. Ce n'est tout simplement
pas vrai. La confusion, à mon point de vue, que les gens du
fédéral font, c'est que, parce que ce n'est pas quelque chose qui
est sanctionnable par le tribunal, que le tribunal peut déclarer nul,
à leur point de vue, il n'y a pas d'obligation. À mon point de
vue, c'est complètement différent. On a reconnu, par exemple,
dans une cause du Sénat, si mon souvenir est exact, que le gouvernement
devait démissionner s'il avait perdu la majorité en Chambre.
Seulement, si un premier ministre, après avoir perdu les
élections, décide de continuer à gouverner, on
prétend que, même s'il viole l'obligation constitutionnelle de
démissionner, les actes qu'il pose comme premier ministre vont continuer
d'être valides. Mais cela ne veut pas dire que le premier ministre n'a
pas l'obligation de démissionner et que cela n'est pas reconnu.
Une voix: Cela va leur donner des idées. M. Pratte:
Mon exemple est mal choisi.
M. Bédard: Ne leur faites pas peur pour rien. Une chance
qu'ils n'ont pas su cela avant.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît.
M. Pratte, vous aviez la parole.
M. Pratte: Mon exemple était mal choisi.
M. Rivest: Cela nous met sur nos gardes.
La Présidente (Mme Cuerrier): Cela va? M. le
député de D'Arcy McGee, vous avez la parole maintenant.
M. Marx: Mme la Présidente, j'ai toujours cru que nous
avions une excellente cause, que nous avions une bonne cause, et je suis
sûr maintenant que ce sera bien plaidé et bien défendu. La
question qu'il faut se poser peut-être c'est: Est-ce qu'on va gagner? Je
pense que c'est une question qu'on pose aux conseillers juridiques.
J'ai deux questions. Première question, c'est sur la cause
elle-même. Ma deuxième question porte sur les effets d'une charte
des droits enchâssée dans la constitution, comme la charte
proposée par le gouvernement fédéral. Si je comprends
bien, on a dit qu'il y a des conventions constitutionnelles qui font en sorte
que le gouvernement fédéral ne doit pas proposer au Parlement de
Westminster de modifier la constitution canadienne si cela affecte le partage
des pouvoirs, si cela affecte les provinces. Je comprends aussi qu'il n'y a pas
de jurisprudence -je trouve cela très important - où les
tribunaux ont donné préséance à une convention
constitutionnelle sur une loi. C'est-à-dire que, s'il y a un conflit
entre une convention constitutionnelle, quelle qu'elle soit, et une loi, c'est
la loi qui a préséance. Je pense que c'est l'état du droit
au Canada et au Royaume-Uni et Me Pratte a bien exposé ce droit. (20 h
30)
Donc, supposons que, pour une raison ou pour une autre, le Parlement du
Royaume-Uni accepte d'adopter une loi pour modifier la constitution canadienne.
On a déjà dit qu'une loi aurait préséance sur une
convention constitutionnelle. Ma question est la suivante: Supposons que le
Parlement du Royaume-Uni adopte une loi pour modifier la constitution
canadienne dans le sens décrit dans la résolution
fédérale et qu'après, la Cour suprême du Canada
décide que c'est inconstitutionnel, qu'une convention constitutionnelle
devra empêcher le Parlement du Royaume-Uni d'adopter une telle loi,
est-ce qu'on aurait un recours devant les cours canadiennes?
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: M. Marx, vous posez l'hypothèse qu'il y ait une
décision de la Cour suprême qui intervienne disant que c'est
inconstitutionnel de faire ce qui aurait été fait. Le cas
échéant, j'ai l'impression qu'il en résulterait
nécessairement que la loi qui aurait été adoptée
par le Royaume-Uni, même si elle pouvait être jugée
théoriquement valide au Royaume-Uni, n'aurait pas d'effet au Canada. Je
me souviens d'avoir lu le texte d'une conférence que prononçait
le juge Rand peu de temps après avoir quitté la Cour
suprême, alors qu'il s'adressait aux membres de la faculté de
droit de Harvard - je suis convaincu que vous connaissez le texte beaucoup
mieux que moi - dans lequel il émettait l'hypothèse à
savoir: Qu'est-ce qui arriverait si le Parlement britannique, soit proprio
motu, soit à la demande du Parlement du Canada, abrogeait le Statut de
Westminster? Il concluait très catégoriquement que même si
la loi était jugée valide par les tribunaux britanniques, ce ne
serait pas une loi qui serait appliquée par les tribunaux canadiens. Je
pense que c'est une question qu'il faut se poser. Il n'est pas impossible, par
pure hypothèse, étant donné la théorie de la
suprématie du Parlement qui a cours en Angleterre, mais avec de moins en
moins de force maintenant par rapport à ce que cela avait dans le temps
de Dicey, qu"on puisse dire qu'une loi passée dans les circonstances que
vous décrivez puisse être jugée valable en Angleterre par
les tribunaux anglais. Mais le problème, c'est que ce n'est pas une loi
qui est destinée à avoir effet en Angleterre, c'est une loi qui,
par définition, est destinée à avoir effet au Canada.
À mon point de vue, il faut se poser la question: Est-ce une loi
qui a été adoptée conformément aux principes
constitutionnels de droit canadien? Si la réponse à cela est non,
j'ai l'impression qu'on peut prétendre, je ne dis pas avec 100% de
chances de succès, mais fort sérieusement que c'est une loi qui
ne devrait pas être reconnue par les tribunaux canadiens, à moins
qu'on ne puisse dire, ce que je ne crois pas, que le Parlement britannique
exerce son pouvoir impérial, parce que je pense que ce n'est pas cela.
De plus en plus maintenant en Angleterre, on reconnaît que le Parlement
britannique peut même s'imposer, comme vous le savez, des restrictions
quant aux lois qu'il peut adopter. On en est même rendu à dire que
le Parlement britannique pourrait même s'imposer à lui-même
une charte des droits, malgré la suprématie. On dit même
que c'est au nom de la suprématie qu'il pourrait le faire et que c'est
parce qu'il est souverain qu'il pourrait se contraindre lui-même à
ne pas légiférer dans un certain domaine. Mais je dois admettre
gue c'est une question extrêmement difficile et que, personnellement, je
préférerais qu'elle demeure hypothétique.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Cela prendrait donc une Cour suprême du Canada
courageuse pour dire que la loi telle qu'adoptée qui modifie la
constitution canadienne ne s'applique pas au Canada. D'accord.
J'aimerais passer à une autre question sur la charte des droits
elle-même, parce que Me Pratte a dit: Supposons qu'on ait une charte des
droits enchâssée dans une constitution, cela va donner ouverture
à beaucoup de doute sur beaucoup de lois, etc. Il a même
parlé de l'instabilité juridique. Personnellement, je n'ai pas
peur de l'instabilité juridique quand cela a comme effet de favoriser
les citoyens, de leur donner plus de protection. Il ne faut pas oublier que le
Canada a déjà une déclaration canadienne des droits qui a
été adoptée en 1960. Je ne pense pas que cela ait
donné beaucoup d'instabilité juridique, quoiqu'il y ait une
différence entre cette déclaration et une charte qui sera
enchâssée dans la constitution. On peut dire aussi que le
Royaume-Uni est lié par une charte européenne des droits et qu'il
y a même d'autres pays qui sont liés par une telle charte. Je ne
veux pas entrer dans le débat sur la valeur d'une charte des droits
enchâssée dans la constitution parce qu'on a déjà
fait ce débat dans cette commission au mois d'août, les 14 et 15
août. On peut lire les
positions du Parti québécois et du Parti libéral.
Tout ce que je veux dire, c'est que, dans le livre beige, il y a un chapitre
où on propose d'enchâsser une charte des droits dans la
constitution canadienne une fois qu'on prendra le pouvoir et qu'on aura la
possibilité de négocier avec le gouvernement
fédéral.
M. Bédard: Vous avez fait la discussion.
M. Marx: II y un point que je trouve bien curieux: dans le
programme du Parti québécois, ils sont en faveur d'une charte des
droits enchâssée dans la constitution une fois qu'ils
réaliseront la souveraineté-association, mais ils sont contre une
charte enchâssée dans une constitution canadienne
renouvelée. Mais c'est une contradiction qu'ils doivent résoudre
eux-mêmes.
Mme la Présidente, ce qui m'a intrigué...
M. Bédard: Mme la Présidente, on reconnaît
là le député qui n'est pas capable de s'empêcher de
parler d'une façon partisane alors qu'on a des invités à
qui il faut poser des questions.
M. Marx: Mme la Présidente, ai-je interrompu le ministre
de la Justice?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee, vous avez la parole.
M. Bédard: Mesquinerie.
M. Marx: L'ai-je interrompu? Non.
M. Bédard: Mesquinerie.
M. Marx: Quand cela fait mal aux péquistes, ils invoquent
des questions de règlement, de procédure et tout cela.
M. Morin (Louis-Hébert): Qu'est-ce c'est que cela?
M. Bédard: Le grand expert constitutionnaliste!
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre!
M. Marx: Cela commence à faire mal. Voilà!
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Bédard: Allez-y, le grand expert! Au contraire, je
trouve que vous vous faites mal.
M. Marx: Je suis prêt à céder la parole au
ministre de la Justice s'il a quelque chose à dire.
M. Bédard: Dites quelque chose qui a du bon sens.
Allez-y!
M. Rivest: Prenez l'exemple de votre ministre des Affaires
intergouvernementales. Il est calme, placide...
La Présidente (Mme Cuerrier): Je demanderais votre
collaboration.
M. Rivest: ...debout, les mains dans les poches.
La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! Je
demanderais votre collaboration pour que M. le député de D'Arcy
McGee puisse poser sa question.
M. Marx: Mme la Présidente, ce qui m'a beaucoup
intrigué, c'est quand Me Pratte a parlé d'une charte des droits
enchâssée dans la constitution qui aurait certains effets sur des
lois québécoises touchant, par exemple, les fabriques. Je pense
que Me Pratte a parlé d'une loi qui touche les fabriques. Vous savez que
la liberté de religion existe dans la Charte des droits et des
libertés de la personne du Québec. Il y a un article dans la
Charte des droits et libertés du Québec qui prévoit que
toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en
pleine égalité, des droits et libertés de la personne,
sans distinction, exclusion ou préférence fondée, entre
autres, sur la religion, ce qui est à peu près la même
chose que l'article 15 dans la charte fédérale qui prévoit
que tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même
protection de la loi, indépendamment de toute distinction fondée,
entre autres choses, sur la religion.
Est-ce que cela veut dire que, si le Québec veut adopter une
nouvelle loi sur les fabriques, une telle loi irait à l'encontre de la
Charte des droits et libertés du Québec? J'ai mes doutes.
Franchement, j'ai mes doutes, parce que, en interprétant une charte,
comme vous le savez, il faut procéder par une classification raisonnable
des lois. Dans l'article 15 de la charte fédérale, on parle de
l'âge de la personne, mais il y a une loi fédérale qui
prévoit que les jeunes en bas de seize ans ne peuvent pas acheter de
tabac. Je ne pense pas que cela irait jamais à l'encontre d'une charte
enchâssée dans la constitution. Je ne pense pas qu'il y ait un
juge au Canada qui dirait que la loi fédérale sur le tabac, qui
empêche les jeunes d'acheter le tabac, va à l'encontre d'une
charte des droits de la personne.
De la même façon, je pense qu'on a des lois d'impôt.
On taxe les riches plus que les pauvres. Je ne pense pas qu'un juge va dire
qu'une telle loi va à l'encontre de la charte parce qu'il y a, dans une
telle loi, l'inégalité des personnes devant la loi. Je pense
qu'il faut interpréter des lois en fonction d'une charte d'une
façon très raisonnable et en fonction aussi de la jurisprudence
canadienne. Il ne faut pas aller aux États-Unis ou ailleurs chercher la
jurisprudence. Je pense que c'est clair dans un sens, ce que les juges vont
faire.
Ma question est très simple. J'ai entendu des gens depuis des
semaines et j'ai lu des articles où les personnes ont parlé de la
portée de la charte fédérale sur les lois
québécoises. Il y a, par exemple, des personnes qui ont dit ou
qui ont écrit - je ne me souviens pas - qu'une telle charte, la charte
fédérale, si elle est adoptée et qu'elle entre en vigueur,
pourrait affecter les politiques d'achat du gouvernement du Québec.
Ils ont dit qu'une telle charte pourrait affecter les politiques de
subventions du gouvernement du Québec. Ils ont dit qu'une telle charte
pourrait rendre non valides des loi québécoises sur la protection
des terres agricoles où on empêche des non-résidents
d'acheter des
terres au Québec. Ils ont dit qu'une telle charte peut rendre
invalides les programmes d'assurance-stabilisation des revenus des producteurs
agricoles. Quelqu'un a même dit que la charte fédérale
rendrait invalide la loi sur les petites créances du Québec.
Finalement, on a même dit, dans un document du ministère des
Affaires intergouvernementales, qu'un article, tel l'article 6 dans la charte
fédérale, qui porte sur la liberté de circulation et
d'établissement, pourrait forcer l'uniformisation des systèmes
d'éducation au Canada pour que tout le monde ait une certaine
mobilité.
Je vous ai donné un certain nombre de lois du Québec et
j'aimerais savoir si vraiment, à votre avis, ces lois seront rendues
invalides si on adopte une charte des droits enchâssée dans la
constitution.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: M. Marx, bien honnêtement, votre question est
trop complexe et trop longue pour que je puisse y répondre de
façon bien précise. Tout ce que je veux vous signaler... (20 h
45)
M. Marx: Je m'excuse, Mme la Présidente, je ne peux
pas...
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
il faudrait...
M. Pratte: Voulez-vous me laisser le temps de répondre
deux secondes, s'il vous plaît?
La Présidente (Mme Cuerrier): ...abréger, s'il vous
plaît:
M. Marx: Je peux être plus précis, ce serait plus
facile pour vous.
M. Pratte: Je vais répondre à une partie de votre
question.
M. Marx: D'accord.
M. Pratte: Vous avez parlé de l'âge à
l'article 15. Vous avez dit que ce serait interprété de
façon raisonnable et qu'il ne fallait se référer à
aucune jurisprudence américaine ou autre, sauf à une
jurisprudence canadienne. Tout ce que je veux vous signaler, c'est que
l'âge est un critère nouveau qui ne se retrouve nulle part, de
telle sorte qu'il n'y a de jurisprudence nulle part. Tout ce que je veux vous
signaler, c'est que c'est extrêmement vague. Quand on dit qu'une personne
ne peut pas obtenir un permis de conduire avant d'avoir 18 ans, si c'est
l'âge, est-ce qu'on fait une discrimination à l'égard de
l'âge? C'est beau de dire que les tribunaux vont interpréter cela
raisonnablement. Mais toute ma question, ce n'est pas de dire que c'est
illégal, ce n'est pas mon propos. Tout ce que je veux vous signaler,
c'est que c'est tellement vague que cela pose des problèmes
sérieux d'interprétation.
Si vous en venez maintenant à la question de l'acquisition des
fermes - c'est une question que vous avez posée - cela se rapporte
à l'article 6. Je ne comprends pas et c'est pour cette raison que je ne
suis pas capable de répondre à votre question. Qu'est-ce que cela
veut dire, qu'un citoyen a le droit de gagner sa vie dans sa province et que ce
droit est subordonné aux lois d'application générale,
pourvu que ce ne soit pas fondé sur une distinction relative à la
province de résidence? Si je suis, par exemple, un
arpenteur-géomètre et que c'est cela qui me permet de gagner ma
vie, et si la Loi des arpenteurs-géomètres au Québec,
comme je pense que c'est le cas, exige que je sois citoyen canadien et
résident du Québec, est-ce que c'est en violation de l'article 6
et en violation de l'autre article qui donne des droits non seulement aux
citoyens canadiens, mais à ceux qui ont le droit de résider au
Canada?
Il y a une extension, dans la charte, au citoyen canadien, d'une part,
à celui qui est citoyen canadien, et à celui qui a un droit de
résidence permanente au Canada. Peut-être qu'aucune des lois que
vous mentionnez n'est affectée; personnellement, j'en doute fort. Je
pense qu'il y en a plusieurs qui vont être mises en question. On va
prétendre que si ça veut dire quelque chose, le droit de gagner
sa vie, ça veut dire le droit de gagner sa vie dans son métier,
pas nécessairement devenir balayeur de rue. Autrement, ça ne veut
rien dire. Surtout quand on dit: Gagner sa vie, pourvu que ça
n'établisse pas de distinctions fondées principalement sur la
province de résidence antérieure ou actuelle. Mon seul propos est
que cela pose des questions extrêmement sérieuses
d'interprétation; c'est tout ce que j'ai à dire. Je ne suis pas
capable de me prononcer pour dire qu'un certain nombre de lois, dix
plutôt que vingt-cinq, vont devenir invalides ou non; je ne suis pas en
mesure de le dire.
M. Marx: Une dernière petite question. Je comprends, Me
Pratte, que tout se plaide. Je sais que tout se plaide. Je peux prendre
n'importe quelle loi et voir 55 pépins dedans, surtout, par exemple, la
loi qu'on est en train de discuter à l'Assemblée nationale sur la
famille, une loi qui amenderait le Code civil.
Avez-vous fait une étude en ce qui concerne d'autres lois du
Québec, peut-être des lois que j'ai
énumérées, comme la loi sur les petites créances,
pour nous expliquer comment la charte rendra inconstitutionnelles d'autres lois
québécoises?
M. Pratte: Je n'ai pas été en mesure, le temps ne
m'a pas permis, je le regrette, de faire une étude en profondeur pour
pouvoir vous dire, de façon définitive, qu'à mon avis -
quoi que vaille mon avis - il y a un certain nombre de lois X ou Y qui vont
devenir invalides. À mon point de vue, au point de vue constitutionnel,
c'est assez "irrelevant" ou ce n'est pas tellement pertinent. Au point de vue
constitutionnel, ce qui est pertinent, je le soumets respectueusement, c'est de
savoir si ça diminue l'autonomie législative des provinces. C'est
cela, je pense, qui est important. Je ne dis pas que l'autre n'est pas
important, mais je dis qu'au point de vue de la constitutionnalité de la
démarche qui est proposée, il n'y aurait pas une loi qui serait
affectée et cela demeurerait tout aussi inconstitutionnel, à mon
point de vue,
M. Marx: Je suis tout à fait d'accord. La raison d'avoir
une charte, pour lui, était sûrement la souveraineté des
Parlements. Mais je m'excuse, Me Pratte, parce que le ministre de la Justice
a
mentionné en Chambre, depuis des semaines, qu'il a demandé
aux experts de faire une étude des lois du Québec pour voir
quelles lois du Québec seront inconstitutionnelles en fonction de cette
charte. J'ai pensé, malheureusement, que c'était vous qu'il avait
engaqé pour faire ce travail.
M. Pratte: M. Marx, ne blâmez pas le ministre,
blâmez-moi. Le fait est qu'il m'a demandé de regarder la
question...
M. Marx: Ah, bon!
M. Pratte: ...seulement, je n'ai pas eu le temps.
M. Marx: Même sans avoir eu votre opinion, il a fait
beaucoup d'affirmations; je vois maintenant que ce sont des affirmations tout
à fait gratuites.
M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, le
ministre de la Justice s'étant momentanément absenté,
j'aurais deux commentaires à faire. Premièrement, lorsque nous
avons parlé des effets possibles d'une charte des droits sur les lois
québécoises, je tiens à affirmer que nous avons toujours
utilisé le conditionnel.
M. Marx: Question de règlement, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): Question de
règlement.
M. Marx: Oui, sur le règlement. J'ai ici les débats
du 20 novembre 1980, débats de l'Assemblée nationale, à la
page 247. Le ministère de la Justice a complété une
étude exhaustive de l'ensemble des lois et règlements du
Québec qui pourraient être affectés par le projet Trudeau.
On demande cette étude depuis des semaines. Qu'est-ce qu'on a? On a des
excuses.
M. Morin (Louis-Hébert): Si j'avais pu, Mme la
Présidente, terminer mon intervention, j'ai dit que j'avais deux
commentaires à faire. Je vais terminer le premier et vous allez voir
quel est le deuxième. Le premier, c'est que nous avons utilisé le
conditionnel pour parler des effets possibles d'une charte des droits sur les
lois québécoises. Ce que Me Pratte a dit tout de suite en
terminant à 18 heures, ce soir - cela m'a frappé - c'est
l'incertitude juridique qu'entraînait une charte des droits à
savoir, on ne savait pas exactement quand, mais qu'il y avait toujours une
possibilité d'une décision de l'Assemblée nationale qui
puisse être mise en cause en vertu d'une charte des droits. Donc, le
conditionnel a toujours été utilisé par nous. Nous avons
fait valoir les possibilités qui ont été confirmées
d'ailleurs cet après-midi par Me Pratte de doute en ce qui concerne nos
lois à venir dans des domaines précis, même en ce qui
concerne nos lois actuelles.
Le deuxième commentaire, je le laisse au ministre de la Justice,
qui est revenu. C'est à propos de l'étude que nous avons
effectivement fait faire, mais qui n'est pas complétée pour une
raison qui va être très évidente dans une seconde.
M. Bédard: D'ailleurs, lors du débat, ce que ne dit
pas le député qui n'a qu'une préoccupation, celle de faire
de la politique partisane - j'en ai le texte ici - que nous avons fait à
l'occasion de la motion, nous avons effectivement employé le
conditionnel à savoir que certaines dispositions de cette charte
pourraient... et nous avons indiqué que l'étude exhaustive nous
donnait certaines conclusions préliminaires. Lisez comme il faut, vous
êtes mieux d'enlever vos lunettes pour regarder comme il faut. Quand nous
parlions entre autres des politiques d'achat, de concessions, de construction,
de contrats de service, ce n'était pas n'importe quel contrat de
politique d'achat, celles qui ont des clauses de préférence par
rapport à des citoyens du Québec à l'encontre d'autres
citoyens. Egalement, nous avons pris ces précautions sur l'ensemble de
ce que nous avons dit à l'Assemblée nationale à savoir que
c'était une étude préliminaire. Or la meilleure
manière et, je crois, la meilleure preuve que c'était dans mon
esprit une étude préliminaire qui devait être
complétée, être plus fouillée, c'est que - les
membres qui sont avec nous ici pourront en témoigner - j'ai
demandé, il y a à peu près une semaine, même plus,
je crois, que cette étude exhaustive qui avait été faite
par le ministère de la Justice soit remise entre les mains de nos
juristes de manière qu'ils en analysent les données pour
déboucher sur une étude plus approfondie et, je l'espère,
sur un document qui nous permettrait, qu'il nous serait possible, non seulement
qu'il nous serait possible, que nous avons l'intention, je pense que c'est
normal, de livrer à la connaissance de tous les parlementaires. Parce
que je crois que quand on parle des effets que pourrait avoir le projet
fédéral concernant, non seulement les pouvoirs de la
Législature du Québec, les effets que cela pourrait avoir sur
certaines lois et règlements du Québec, nous nous devons
d'être prudents. C'est dans ce sens que j'ai demandé une
étude plus approfondie pour que tous les parlementaires soient au
courant et plus que les parlementaires, que toute la population soit au courant
en temps et lieu.
La Présidente (Mme Cuerrier): La parole est maintenant
à M. le député de Deux-Montagnes.
M. Bédard: Arrêtez de charrier.
La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous
plaît.
M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais
poser une question à Me Pratte, mais auparavant je voudrais faire
observer au député de D'Arcy McGee qu'il n'y a pas du tout de
contradiction dans l'attitude du gouvernement du Parti québécois,
parce que ce n'est pas du tout la même chose de prévoir une charte
des droits dans la constitution toute nouvelle d'un tout nouveau pays unitaire,
d'une part, et d'autre part, en cours de route, d'imposer la charte dont il
s'agit - pas n'importe quelle charte, la charte dont il s'agit - dans la
proposition du gouvernement fédéral dans un pays
fédéral, document qui, comme Me Pratte l'a indigué cet
après-midi, apporterait certaines modifications aux pouvoirs de l'un ou
l'autre ou de l'un et l'autre des deux paliers de
gouvernement. Ce sont deux choses totalement différentes et il
n'y a par conséquent aucune contradiction.
La question que je veux poser à Me Pratte concerne les
mécanismes référendaires qui sont prévus dans le
projet fédéral. Si j'ai bien compris, Me Pratte estime que le
recours au mécanisme référendaire n'est pas souhaitable
comme méthode de modifier la constitution dans un pays
fédéral, dans la mesure où cette méthode peut
porter atteinte aux pouvoirs, à la souveraineté
législative de l'un ou l'autre des deux ordres de gouvernement.
Cependant, la question est devant l'opinion publique puisque ce
mécanisme référendaire figure dans le document
fédéral et j'ai l'impression qu'il y figure d'une façon
qui amène une certaine confusion dans l'opinion publique, à cause
de la structure même de la proposition du gouvernement
fédéral. Il y a deux parties du texte où on parle
particulièrement de référendum, la partie quatre qui est
intitulée: Procédures provisoires de modification et
règles de remplacement et la partie cinq qui est intitulée:
Procédure de modification de la constitution du Canada.
Pour avoir participé à un certain nombre de conversations
sur la question, pour avoir lu un certain nombre d'écrits et pour avoir
entendu un certain nombre d'émissions de radio et de
télévision, j'ai cru constater qu'il y a effectivement une
confusion dans l'opinion publique dans la mesure où les gens pensent que
la partie quatre, c'est pour les deux premières années
après l'entrée en vigueur de ce machin-là et que la partie
cinq, c'est à partir de la fin de cette période de deux ans. Par
conséquent, la partie cinq est prévue, on peut déjà
compter dessus. Il y a des gens qui soutiennent dur comme fer que même
à l'intérieur du mécanisme référendaire
prévu ici, le Québec serait assuré d'une espèce de
droit de veto référendaire parce qu'on trouve ça dans le
détail de la partie cinq. Mais ce qui me frappe, c'est que la partie
quatre prévoit la possibilité pour le fédéral de
modifier ça avant que cela entre en vigueur, de modifier, au moyen d'un
référendum, les mécanismes de la partie cinq, de telle
sorte qu'une fois qu'on se trouverait dans la procédure permanente de
modification, cette procédure permanente ne comporterait plus cette
espèce de veto référendaire du Québec. Ce n'est pas
dit dans la partie quatre que ce serait supprimé, mais la
procédure de la partie quatre ne comporte pas, elle, le veto
référendaire pour le Québec et, donc, ce
référendum pan-canadien pourrait modifier la partie cinq de
façon à priver le Québec de son veto
référendaire.
Je ne sais pas si Me Pratte me suit, mais la question que je lui pose
est: Quels sont les effets possibles des mécanismes
référendaires prévus dans la partie quatre sur les
mécanismes référendaires prévus dans la partie
cinq?
Est-ce que, comme je le crois, les mécanismes de la partie quatre
pourraient être utilisés par le gouvernement fédéral
de façon à modifier les mécanismes de la partie cinq, de
telle sorte que le Québec ne jouirait plus de ce veto
référendaire?
M. Pratte: Une première observation, c'est que je n'ai
jamais dit, je pense, cet après-midi qu'une chose était
souhaitable ou n'était pas souhaitable. J'ai tenté d'exprimer un
avis purement juridique, sans exprimer d'avis quant à l'opportunisme
politique ou autre. (21 heures)
M. de Beliefeuille: N'auriez-vous pas dit que c'est
indiqué ou pas indiqué?
M. Pratte: Pardon?
M. de Bellefeuille: Que c'est indiqué ou pas
indiqué?
M. Pratte: Non, tout ce que j'ai dit, c'est que, pour ce qui
était du référendum prévu à la partie V,
à mon point de vue, cela touchait sérieusement au statut des
gouvernements provinciaux tel que je concevais leur statut en vertu de la
situation actuelle, mais je n'ai pas dit que c'était souhaitable ou pas
souhaitable que ce soit comme cela. À ce moment-là, cela devient
purement et simplement une décision politique, dans le meilleur sens du
mot, que de décider si c'est souhaitable ou pas souhaitable que ce soit
cela. Il faut bien se rendre compte que le référendum, c'est
admis de façon générale comme un moyen de légitimer
la constitution, mais cela ne veut pas dire qu'étant donné ce qui
existe actuellement c'est conforme à la situation prévue dans la
constitution actuelle. Je n'ai exprimé aucun avis sur la question de
savoir si c'était souhaitable ou pas souhaitable, politiquement rentable
ou pas politiquement rentable. Cela n'est pas mon rôle.
M. de Bellefeuille: Mais vous avez bien indiqué que ce
n'est pas conforme aux lois ou à la coutume?
M. Pratte: J'ai dit qu'à mon point de vue cela portait
atteinte à ce qui était le rôle actuel des gouvernements
provinciaux dans la constitution actuelle, au point de vue légal.
La Présidente (Mme Cuerrïer): Mme la
députée des Îles-de-la-Madeleine.
Mme LeBIanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente. J'ai deux
questions. La première se rapporte aux conséquences possibles,
auxquelles Me Pratte a fait allusion, de l'enchâssement d'une charte des
droits dans la constitution. Je dois vous dire que je n'ai pas la
compétence du député d'Argenteuil pour évaluer la
pertinence de vos exemples, mais, en tout cas, vous m'avez suffisamment
inquiétée pour que j'aie envie de vous poser la question
suivante. Selon la politique d'achat du Québec, que nous avons mise de
l'avant depuis quelques années, pour qu'un pêcheur soit admissible
à la construction d'un bateau, il doit d'abord faire construire ce
bateau au Québec et non dans les Maritimes. D'autre part, malgré
tout ce qu'on sait déjà sur le dossier de la mine de sel, le
gouvernement du Québec a décidé d'investir et de
créer un projet comme celui de la mine de sel au Québec. Si des
citoyens d'autres provinces arrivaient à faire la preuve
qu'effectivement un projet comme celui de la mine de sel au Québec va
créer dans d'autres régions du pays du chômage, est-ce
qu'effectivement le gouvernement canadien, d'une
façon ou d'une autre, pourrait intervenir et juridiquement nous
empêcher de mettre de l'avant un projet comme celui-là en vertu du
droit de gagner sa vie qu'a tout citoyen canadien dans chaque province?
M. Pratte: Mme la Présidente, il n'est pas question de
savoir si le gouvernement canadien pourrait intervenir; il est question de
savoir si n'importe quel citoyen pourrait prétendre que la mesure dont
il s'agit est inconstitutionnelle ou illégale parce que contraire
à la charte des droits. Dès le moment où il y a une charte
des droits, une mesure qui viole la charte des droits devient
inconstitutionnelle ou inopérante - c'est ce que dit, à la fin,
l'article 25 - et toute personne qui y a intérêt - à toutes
fins utiles tout citoyen, j'imagine - peut demander que ce soit
déclaré inconstitutionnel ou inopérant. Donc, cela n'exige
pas l'intervention du gouvernement.
Votre exemple pour ce qui a trait à des subventions
données à des entreprises québécoises ou a des
pêcheurs québécois, tout cela est relié à la
question de savoir ce que veut dire gagner sa vie. En relation avec le
paragraphe 3 de l'article 6, c'est assujetti aux applications
générales pourvu que la distinction ne soit pas fondée sur
la province de résidence. Je vous avoue bien franchement que je ne suis
pas en mesure de vous donner une opinion précise, parce que je ne sais
pas ce que cela veut dire, le droit de gagner sa vie. Je n'ai pas eu le temps
d'y penser de façon suffisamment précise pour être capable
de vous donner une opinion formelle. Tout ce que je peux vous dire, c'est que
cela m'inquiète. Cela m'apparaît être un problème
sérieux, mais je ne suis pas capable de vous dire que tout cela
tomberait par-dessus bord. Cela n'est pas vrai.
Mme LeBlanc-Bantey: II reste que c'est sujet à
interprétation des juges et qu'on a lieu de s'inquiéter avant. Ma
deuxième question est d'un autre ordre. Supposons que le gouvernement du
Québec gagne ou perde sa cause devant les tribunaux et que, peu
importent les actions des différentes provinces quant au projet qu'on a
devant nous, le gouvernement du Canada s'entend avec le Royaume-Uni,
finalement, pour faire ce qu'il a bien envie de faire dans le moment,
existe-t-il des recours sur la scène internationale, par exemple, qui
permettraient aux provinces d'aller se faire entendre ailleurs? Je pense, par
exemple, au tribunal international de la justice. Aurions-nous une autre
façon, finalement, d'avoir justice?
M. Pratte: Non. D'après mes informations, d'après
ce que je peux savoir, la réponse à cela est
catégoriquement non. Il n'y a pas de recours qui serait possible
d'après ce que je peux savoir actuellement au tribunal de la justice ou
à des tribunaux autres que ceux qu'on connaît dans
l'hypothèse que vous mentionnez.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Verchères.
M. Charbonneau: En droit constitutionnel et en droit
international, est-il possible d'envisager une loi québécoise
signifiant, avant la décision du Parlement britannique, l'intention du
Parlement québécois de ne pas accepter ni reconnaître la
validité d'une décision diminuant ses pouvoirs rendue sans son
consentement et de surplus par le Parlement d'un pays étranger? Je
précise. Selon l'avis de certains juristes, une telle loi adoptée
avant une décision du Parlement britannique mettrait le Québec
hors de portée par suite de toute accusation de
désobéissance civile ou d'inconstitutionnalité parce qu'au
départ, avant que le Parlement britannique ait statué, le
Parlement québécois, souverain dans ses domaines de juridiction,
signifierait qu'il ne reconnaîtrait pas la validité de la
décision du Parlement britannique.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. Pratte.
M. Pratte: Mme la Présidente, je vous avoue que je ne vois
pas comment, parce que l'Assemblée nationale déclarerait qu'elle
est souveraine, cela va la rendre plus souveraine qu'elle l'est sans le
déclarer. Je ne vois pas quel effet cela pourrait avoir.
M. Charbonneau: Non. Ce n'est pas ma question. C'est de savoir si
l'Assemblée nationale...
M. Ryan: ...
M. Charbonneau: Je m'excuse, M. le député
d'Argenteuil. Contestez-vous le fait qu'on est souverains dans les domaines qui
nous sont reconnus par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique?
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le
député!
M. Ryan: Je n'ai pas d'examen de catéchisme à
passer avec vous.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député,
pourrais-je vous demander de vous adresser à la présidence, s'il
vous plaît?
M. Charbonneau: Donc, Mme la Présidente, ce que je veux
savoir, c'est si l'Assemblée nationale, le Parlement
québécois signifie qu'il est non seulement... Ce n'est pas
seulement une déclaration de souveraineté dans les domaines qui
lui sont reconnus par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. C'est
une déclaration, une loi qui signifie que le Parlement
québécois ne reconnaîtrait pas la validité d'une
intervention extérieure étrangère pour diminuer les
pouvoirs dans lesquels il est souverain selon l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique. Ce n'est pas uniquement une déclaration d'intention ou
une affirmation de l'existence de cette souveraineté. Elle est
affirmée par l'Acte de l'Amérique du Nord. C'est une
déclaration qui indiquerait que le Parlement québécois n'a
pas l'intention de reconnaître une diminution de ses pouvoirs qui serait
la conséquence d'une décision du Parlement britannique.
M. Pratte: Vous me posez une question politique et non pas une
question juridique.
M. Charbonneau: Écoutez, je... M. Pratte:
C'est...
M. Charbonneau: La question que je vous pose, c'est à la
suite de l'avis de certains juristes en droit constitutionnel et international.
Ce n'est pas du tout une question politique. Je voulais savoir si,
juridiquement, c'était une façon pour le Québec de se
prémunir.
M. Pratte: Je ne vois pas du tout qu'au point de vue juridique ce
que vous proposez changerait quoi que ce soit à la situation.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Châteauguay.
M. Oussault: Merci, Mme la Présidente. On sait que
l'approche qu'a utilisée le gouvernement fédéral pour en
arriver à son coup de force est celle d'une motion plutôt que
d'une loi. Cela rejoint, je pense, une question qu'a posée M. le chef de
l'Opposition pour laquelle il n'y a pas eu de réponse cet
après-midi dans l'exposé très intéressant de Me
Pratte. M. Chrétien, qui a été envoyé aux douches
récemment, comme on le sait, prétend partout que, par le fait
qu'on a utilisé une motion plutôt qu'une loi, cela met ce coup de
force à l'abri d'un jugement de la Cour d'appel. D'après vous, le
fait qu'on ait utilisé une motion pourrait-il faire que nos
interventions devant les cours pourraient être inutiles en fin de
compte?
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: C'est une question que m'a posée le chef de
l'Opposition cet après-midi à laquelle, malheureusement, j'ai
oublié de répondre. La difficulté dans le cas d'une
adresse par rapport à une loi, c'est qu'il est difficile au point de vue
procédural d'attaquer la validité d'une adresse par rapport
à la validité d'une loi. C'est pour cela que tout le monde a
été d'accord, après un certain moment de réflexion,
que la façon de faire décider si c'était valide ou non
valide, constitutionnellement conforme aux droits ou aux conventions
constitutionnelles, c'était par le moyen d'un renvoi à la Cour
d'appel. Autrement, cela pose des problèmes de procédure
extrêmement complexes. Mais par le moyen d'un renvoi, je pense qu'on peut
arriver au même résultat que si on avait une action en
déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi.
M. Dussault: Je vous remercie.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député
de Jean-Talon.
M. Rivest: L'aspect le plus central de l'argumentation que vous
avez développée cet après-midi ainsi que dans votre
mémoire à la Cour d'appel du Manitoba, c'est le rôle du
Parlement britannique, à savoir que le Parlement britannique n'aurait
pas un simple rôle neutre, c'est-à-dire entre, d'une part,
s'immiscer sur l'opportunité des amendements qui sont proposés
dans la résolution fédérale - chose que vous avez exclue -
et, d'autre part, un rôle passif, c'est-à-dire automatique;
aussitôt qu'il y a une adresse, il répond dans le sens positif.
Vous avez dit qu'il doit - je pense que c'est exactement le sens de votre
intervention - contrôler la conformité au droit constitutionnel
canadien interne de l'adresse du gouvernement fédéral. Je pense
que c'est fondamentalement votre approche.
Là-dessus, vous avez ensuite greffé l'idée du
consentement nécessaire, autrement dit, vous vous attaquez
fondamentalement au caractère unilatéral de la démarche.
Je pense que c'est le coeur du problème sur le plan strictement
juridique, avec le jeu de l'article 7.3 du Statut de Westminster et de
91.1.
C'est là-dessus que je voudrais avoir une explication
additionnelle. Dans le jeu des exceptions, en vertu du jugement relatif
à l'avis sur le Sénat, il a été bien établi
que 91.1, c'est la constitution du Canada, c'est constitution
fédérale. C'est fondamental, parce que je pense que le jugement
de la Cour suprême l'a très bien établi.
La question que je voudrais vous poser, c'est que toute votre
argumentation repose par la suite sur les exceptions à 91.1, qui
touchent essentiellement... D'ailleurs, dans votre mémoire, vous ne
citez à peu près que cet aspect des choses. Vous impliquez, par
votre raisonnement, que les exceptions qu'on trouve après la phrase
liminaire de 91.1 sont des exceptions fondamentales. On y retrouve entre
autres, et c'est là-dessus que vous basez l'essentiel de votre
argumentation, la structure, le partage des pouvoirs... enfin, 92,
fondamentalement.
Mais il y a d'autres sujets qui sont également exceptés.
Je suis d'accord avec vous. J'ai le sentiment, peut-être d'une
façon très amateur - mais il me semble que c'est l'argument
solide que vous avez - que cela modifie la structure des pouvoirs entre le
fédéral et le provincial. Vous évoquez par la suite toute
la question des droits fondamentaux où, bien sûr, persiste une
quantité assez considérable d'incertitudes juridiques.
Mais est-ce que vous diriez également, parce que, si vous
attachez l'idée du consentement des deux ordres de gouvernement au
premier sujet excepté à la suite de la phrase liminaire de 91.1,
c'est-à-dire les matières tombant sous la compétence des
provinces, est-ce que vous iriez plus loin pour soutenir également que
cela prendrait le consentement unanime des provinces lorsque c'est une
matière qui ne concernerait que certaines provinces, c'est-à-dire
le consentement des provinces concernées? C'est le deuxième
élément.
Le troisième élément, quand on parle des droits
scolaires, est-ce qu'à votre avis, un amendement...Ce n'est pas le cas
dans la résolution fédérale, mais, néanmoins,
est-ce que vous affirmeriez également que - c'est 93 qui est
visé, c'est cela, et 133, les droits du français et de l'anglais.
Même l'article 20, sur la durée de la session - est-ce que vous
diriez que ces exceptions, au premier paragraphe de l'article 93, sont de
même nature, sont à ce point fondamentales au contrat politique
auquel vous vous référez, au pacte - enfin, ce n'est pas le terme
"pacte" - mais à l'accord politique qui a créé la
fédération? (21 h 15)
Iriez-vous jusqu'à dire que cela prend le consentement unanime
des provinces, sauf la réserve lorsque que cela touche simplement
certaines provinces, par exemple, pour modifier l'article 93 et l'article 133,
la session du Parlement? Étant donné que toute votre
argumentation repose sur cet aspect du consentement, ne croyez-vous pas
que les tribunaux pourraient dire qu'il y a différents régimes
possibles? Par exemple, supposons qu'on modifie la durée de la session
du Parlement canadien. Je ne sais pas si vous pourriez soutenir que cela
prendrait une adresse qui serait également approuvée par
l'ensemble des Législatures parce qu'elles ne seraient pas
concernées. Elles auraient un intérêt, étant
donné que le Parlement canadien, c'est quand même essentiel.
Autrement dit, est-ce qu'il y a des différences de nature à ce
point que c'est le même régime juridique qui vaut pour toute votre
interprétation de l'article 91.1? Je ne sais pas si vous saisissez bien
la question.
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: Mon argumentation est nécessairement
fondée - je pense que vous l'avez bien senti - sur la réduction
de l'autonomie de la souveraineté ou de la compétence
législative des provinces qui, aux termes de la Charte des droits,
affecte toutes les provinces également et qui, en conséquence,
à mon point de vue, exige le consentement unanime des provinces. Mais je
ne suis pas prêt à dire qu'une modification législative ou
une modification constitutionnelle qui n'affecterait qu'une province
nécessiterait le consentement de toutes les provinces. Je ne suis pas
capable d'aller aussi loin que cela.
M. Rivest: Pour les droits scolaires qui sont garantis en vertu
de l'article 93, quel régime juridique le Parlement britannique
serait-il appelé à contrôler, quant à la
conformité aux droits constitutionnels canadiens? Est-ce que vous croyez
- je vous demande cela comme ça - même pour l'article 133, par
exemple, que cela prendrait l'accord, même s'il y a simplement deux
provinces qui sont concernées? Est-ce que ce sont des dispositions
à ce point fondamentales dans la constitution du Canada? Le partage des
pouvoirs, je comprends que cela concerne les provinces, mais cela reste une
catégorie. C'est la structure même. Les droits scolaires, c'est la
structure, ce sont des éléments fondamentaux du pacte de 1867,
les droits linguistiques également, le caractère
démocratique du Parlement canadien également. Ne pourrait-on pas
faire une argumentation pour dire que cela devrait être le même
système juridique? Comme, dans d'autres cas mentionnés à
l'article 93, on n'exige pas et on ne peut pas penser exiger le consentement de
toutes les provinces, selon votre interprétation, pourrait-il y avoir un
autre régime juridique que celui du consentement unanime?
M. Pratte: Pour ce qui est de l'article 93, M. Rivest, cela
commence par: "Dans chaque province et pour chaque province".
M. Rivest: Pour l'article 93, cela va.
M. Pratte: Si on veut modifier cela, j'ai l'impression, à
première vue, que cela comporte nécessairement le consentement de
chaque province.
M. Rivest: Oui.
M. Pratte: Pour ce qui est de l'article 133, qui est l'usage de
la langue française dans les Parlements du Canada et à la
Législature de Québec, au départ, je ne suis pas
prêt à dire que cela comporterait nécessairement le
consentement de toutes les provinces.
M. Rivest: Par exemple, si on voulait... M. Pratte: Si on
voulait modifier...
M. Rivest: ...abandonner l'article 133 pour ce qui concerne le
Parlement canadien, ne pourrait-on pas arguer que c'est une disposition
fondamentale, même si cela concerne uniquement une institution
fédérale?
M. Pratte: Je pense que cela peut s'argumenter, mais je ne suis
pas prêt à dire que cela comporterait nécessairement le
consentement de tout le monde. Je pense que cela comporterait
nécessairement le consentement du Québec parce que...
M. Rivest: Et du Manitoba.
M. Pratte: ...il est clair que l'article 133 a été
fait en fonction de la nécessité d'avoir du français au
Parlement fédéral, donc c'était le Québec. Est-ce
que cela comporterait nécessairement le consentement de
l'îÎe-du-Prince-Édouard, par exemple, pour en nommer une?
Peut-être, mais je ne suis pas en mesure de me prononcer
là-dessus. Dans le cas de l'article 93, je pense que, clairement, cela
prend le consentement de toutes les provinces parce qu'on modifie la charte des
provinces dans le domaine de l'éducation.
M. Rivest: Donc, vous concevez qu'à l'intérieur des
exceptions de l'article 91.1, il puisse y avoir différents
régimes juridiques qui pourraient faire l'objet d'un jugement de
conformité aux droits constitutionnels canadiens de la part du
gouvernement britannique. Dans certains cas, on pourrait dire que cela prend le
consentement, dans d'autres, uniquement celui d'un certain nombre de provinces
et, dans d'autres, peut-être uniquement celui du Parlement canadien.
M. Pratte: Je doute fort qu'une Cour dise que cela prend le
consentement des neuf dixièmes des provinces ou des sept
huitièmes.
M. Rivest: Mais celles qui sont spécifiquement
concernées, par exemple.
M. Pratte: Dans le cas qui nous occupe, qui est la charte des
droits fondamentalement, je pense qu'il n'y a aucun doute que c'est une
diminution de la souveraineté législative des provinces, et qu'il
n'y a aucun doute non plus , à mon point de vue, que ça prend le
consentement de tout le monde. Maintenant, on peut imaginer un certain nombre
de situations hypothétiques. Là, je vous avoue que selon les
situations, je suis plus ou moins en mesure de vous répondre de
façon bien intelligente.
M. Rivest: Pour les fins de la résolution
fédérale, c'est dans ce sens-là que dans votre
mémoire vous vous en tenez simplement au fait qu'au niveau de la
charte des droits cela affecte toutes les provinces. Vous n'allez pas plus
loin.
M. Pratte: Je ne vais pas plus loin, parce que j'ai l'impression
que ce n'est pas nécessaire d'aller plus loin. L'effet fondamental de la
charte, c'est cela et pas autre chose, c'est de diminuer la souveraineté
législative de toutes les provinces. Quant au reste, est-ce que cela
pourrait être autre chose? Quand le problème se
présentera...
M. Rivest: J'en ai... parce qu'à partir de cela, c'est
là-dessus que vous établissez votre convention
constitutionnelle.
M. Pratte: Ce n'est pas tout à fait cela, si vous me le
permettez. Ce que je dis - je ne prétends pas avoir raison - c'est que
l'analyse des textes m'amène à la conclusion que le consentement
est requis, parce que c'est un droit qui est garanti par les textes. Ce qu'on
appelle la convention constitutionnelle ne fait que prouver que c'est de cette
façon-là que les parties concernées ou
intéressées ont toujours compris les textes dont il s'agit, mais
je ne fais pas, à mon point de vue, des conventions constitutionnelles
la source du droit.
M. Rivest: Je comprends.
M. Pratte: Mais je fais des textes et du principe
fédératif la source du droit. À mon point de vue,
l'attitude des parties, l'attitude du fédéral, l'attitude des
provinces confirment cette interprétation. Je suis le premier à
admettre que c'est peut-être quelque chose de nouveau, cela n'a pas
été présenté comme cela, mais je pense qu'il y a
quelque chose de sérieux là-dedans.
La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires
intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, laissez faire, j'ai eu ma
réponse.
La Présidente (Mme Cuerrier): Puisque vous avez eu votre
réponse, M. le chef de l'Opposition officielle a demandé la
parole.
M. Ryan: J'aurais trois autres questions à vous adresser,
M. Pratte. D'abord, quelle serait votre opinion, dans l'hypothèse
où le gouvernement fédéral laisserait tomber sa charte des
droits, du projet de motion destiné au Parlement de Londres et qui
inclurait seulement dans son projet le rapatriement de la constitution plus la
formule d'amendement à l'unanimité, en première
hypothèse? Deuxième hypothèse: le rapatriement de la
constitution plus la règle de l'unanimité pour une période
de deux ou trois ans et ensuite un référendum devant
décider, de manière définitive, du choix d'une formule
permanente d'amendement. C'est ma première question.
Deuxième question. J'aimerais que vous nous donniez une
idée de l'échéancier que vous envisagez dans le
cheminement des causes qui seront entendues par les tribunaux, surtout celle
qui sera présentée à la Cour d'appel. Quelle durée
peut-on raisonnablement entrevoir pour l'examen de cette cause et la
publication du jugement et ensuite pour les démarches qui sont
susceptibles de suivre au niveau de la Cour suprême? Dans quel ordre de
grandeur, au point de vue du temps, ces démarches sont-elles
susceptibles de se situer?
Troisièmement, d'après les contacts que vous avez eus
à Londres, quelles perspectives peut-on envisager dans
l'hypothèse où cette affaire serait soumise à l'attention
des tribunaux canadiens, comme elle va sûrement l'être si le projet
fédéral n'est pas modifié? Quelles sont les perspectives
en ce qui touche l'action du Parlement britannique? Est-ce qu'on vous laisse
entendre ou est-ce que vous comprenez vous-même que le Parlement
britannique procédera probablement de toute façon, sans s'occuper
de ce qui se passe ici, prétendant ou affectant de ne pas en être
saisi, ou s'il sera influencé par cela? Dans l'hypothèse
où il agirait quand même, qu'est-ce qui arriverait dans
l'éventualité où les tribunaux canadiens
décideraient que cette affaire n'était pas constitutionnelle?
Est-ce qu'il faudrait recommencer le pèlerinage à Londres
à rebours?
La Présidente (Mme Cuerrier): Me Pratte.
M. Pratte: M. Ryan, sur votre première question, et
strictement au point de vue juridique, si la résolution ou la
proposition fédérale était à l'effet de rapatrier
la constitution avec une règle d'unanimité, je vous avoue que,
personnellement, je ne vois pas comment on pourrait contester cette formule du
point de vue juridique. Politiquement, c'est peut-être contestable pour
des raisons diverses, mais au point de vue juridique, je ne vois pas comment
les provinces pourraient s'opposer et dire que c'est inconstitutionnel dans le
sens que c'est illégal. Pardon?
M. Ryan: Cela n'aurait pas de coup de force.
M. Pratte: Je ne vois pas comment on pourrait s'opposer à
cela juridiquement. Si on dit que la règle de l'unanimité - parce
que votre première hypothèse, c'est la règle de
l'unanimité perpétuelle - va durer X années, deux ans ou
trois ans, et après cela il va y avoir un référendum,
à ce moment, je me pose la question à savoir si cela change, si
cela modifie la situation des gouvernements provinciaux. On revient au
même problème qu'on a discuté cet après-midi. Est-ce
qu'en somme, on substitue le référendum à la
décision qui est actuellement celle du gouvernement de chaque province
ou des assemblées de chaque province et du Parlement
fédéral?
Pour ce qui est de l'échéancier - c'est votre
deuxième question - je vous avoue que vous êtes aussi bon juge que
moi, vous avez autant d'expérience que moi des tribunaux. Quand on
soumet une question à un tribunal, on espère toujours gagner et
on espère toujours, en conséquence, que le jugement va arriver le
plus rapidement possible. Cela ne serait peut-être pas correct de ma part
de faire des prédictions. Je suis confiant, par ailleurs, que la Cour
d'appel va agir avec autant de diligence que possible. Seulement, si on veut
être réaliste, je pense bien qu'on ne pourrait pas estimer avoir
un jugement
de la Cour d'appel avant l'été. On ne peut pas les
blâmer actuellement. Le délai, c'est ma faute, ce n'est pas la
leur. Ce n'est pas de leur faute. La question va leur être posée;
arrive la période des Fêtes, il faut produire notre factum, il
faut des avis aux autres procureurs généraux. Après cela,
il y a l'audition et ils ont nécessairement droit à une
période de réflexion pour penser au problème, de telle
sorte que, d'ici à l'été, on peut espérer avoir une
décision et après cela, vraisemblablement, ce serait susceptible,
j'imagine, une question de cette importance, d'aller devant la Cour
suprême. Là, cela prendra le temps que cela prendra, mais je pense
qu'il serait irréaliste de penser que tout le problème va
être réglé d'ici à l'été prochain.
M. Ryan: ... au-delà du 15 novembre 1981. M. Pratte:
J'ignore ce genre de problèmes. Une voix: C'est l'urgence
fédérale.
M. Pratte: Votre troisième question, c'est l'attitude de
Londres. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai rencontré
à Londres aucun parlementaire britannique. J'ai rencontré un
certain nombre de constitutionnalistes. Il n'y en a pas un qui m'a dit que le
rôle du Parlement britannique, que le Parlement britannique était
obligé d'agir sans regarder. Il n'y en a pas jn qui m'a dit qu'il y
avait une convention obligeant le gouvernement britannique à agir comme
on l'a dit. Quelle va être l'influence du fait qu'il y a des
débats juridiques, des contestations juridiques qui sont pendantes ici,
c'est un jugement très personnel, mais j'ai senti que
l'indépendance des Chambres et des membres de la Chambre des communes en
Grande-Bretagne est telle qu'ils ne veulent pas se faire dire, directement ou
indirectement, par un tribunal britannique, et peut-être encore moins par
un tribunal canadien, ce qu'ils doivent faire.
Par ailleurs, ils sont par tradition tellement respectueux des
institutions que je serais fort surpris que cela ne soit pas un facteur
important dans leur décision et, personnellement, je serais
extrêmement surpris de voir, étant donné qu'il y a des
contestations que je crois sérieuses et que certains d'entre eux croient
sérieuses quant à la constitutionnalité du geste, qu'ils
prennent sur eux de passer l'éponge là-dessus et de
décider, de prendre une décision qui pourrait être finale,
qui serait susceptible d'être finale sans attendre le résultat du
débat pour savoir si la démarche constitutionnelle canadienne,
aux yeux du droit constitutionnel canadien, est valable ou non. Ça me
surprendrait. Je ne dis pas que c'est impossible, mais ça
m'apparaît contraire au tempérament que j'ai pu déceler. Je
ne sais pas si j'ai répondu à votre question. (21 h 30)
M. Ryan: J'émettais l'hypothèse également
où le Parlement britannique accepterait d'adopter la résolution
qui lui sera adressée et où l'affaire continuerait son cours
devant les tribunaux ici qui, éventuellement, invalideraient la mesure.
Qu'est-ce qui arrive à ce moment-là? Quelles sont les
conséquences juridiques?
M. Pratte: Dans cette hypothèse-là, à mon
point de vue, il serait possible de prétendre avec beaucoup de
sérieux que la loi adoptée par le gouvernement britannique ne
serait pas valable ou valide au Canada parce qu'il manquerait un
élément important dans le processus de la loi, qui aurait
été une demande constitutionnellement valide du Parlement
canadien au Parlement britannique. Mais de là à vous dire que
c'est aussi facile à résoudre que de prendre une action pour un
chèque sans fonds, je vous tromperais. Je pense que c'est un argument
extrêmement sérieux. Si un tribunal canadien disait - comme je
pense qu'il devrait le dire - qu'une adresse dans le sens de celle qui est
discutée actuellement n'est pas constitutionnellement valide au sens du
droit constitutionnel canadien, je pense qu'à ce moment-là, au
sens du droit constitutionnel canadien, il manquerait un élément
essentiel à la validité d'une loi britannique.
La Présidente (Mme Cuerrier): On me dit que...
M. Pratte: De la même façon que si - si vous me le
permettez - on présentait au gouverneur général une loi
adoptée seulement par l'une des deux Chambres et qu'il la sanctionnait
quand même, je pense qu'on pourrait attaquer la validité de cette
loi-là en disant qu'elle n'est pas constitutionnelle, elle n'a pas
reçu l'approbation des deux corps législatifs qui doivent se
prononcer sur le sujet.
M. Rivest: Me permettez-vous juste une précision sur votre
dernière affirmation? Est-ce qu'il n'y a pas une jurisprudence qui
établit que les tribunaux refuseraient de regarder même ce
fait-là, les vices de procédure d'adoption des lois?
M. Pratte: La jurisprudence est contradictoire. Il y a de la
jurisprudence en Afrique du Sud, je pense, en Rhodésie, qui dit que,
dans des vices purement de forme, les tribunaux n'interviendront pas. Il y a de
la jurisprudence du Conseil privé relativement à ces mêmes
pays où des lois avaient été assujetties à des
consentements particuliers, par exemple de la majorité des deux tiers au
lieu de la majorité absolue, alors que les certificats n'avaient pas
été apposés et qu'il apparaissait que les lois n'avaient
pas été adoptées par la majorité prescrite, et cela
a été déclaré invalide, même si cela avait
été sanctionné par le gouverneur général ou
l'équivalent.
Je ne veux pas vous laisser l'impression que tout cela est clair comme
de l'eau de roche. Je dis simplement qu'il y a un problème
sérieux et je pense que c'est légalement correct de dire qu'une
loi britannique qui aurait été adoptée à la suite
d'une adresse déclarée inconstitutionnelle par une cour
canadienne aurait de fortes chances de ne pas être valide aux yeux des
tribunaux canadiens.
La Présidente (Mme Cuerrier): On me dit que ce serait la
dernière question. M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: C'est une autre des questions que je vous avais
posées au début de notre rencontre, à laquelle vous n'avez
répondu qu'en partie cet après-midi. La question portait sur
l'avis émis par la Cour suprême en rapport avec le projet
comportant la réforme de la composition et les attributions du
Sénat. Vous avez dit que vous ne vouliez pas parler de cette
chose-là parce que vous faisiez partie de la Cour suprême a ce
moment-là, mais je vais reposer ma question pour voir si vous n'auriez
pas été trop modeste au début de la rencontre.
M. Pratte: Ce n'est pas ma principale qualité.
M. Ryan: Dans son témoiqnage devant la commission
conjointe du Parlement et du Sénat à Ottawa, le ministre de la
Justice fédéral a dit, en réponse à une question
qu'on lui posait, que cet avis émis par la Cour suprême n'avait
pas de rapport avec le projet actuel. Vous avez probablement pris connaissance
des déclarations qu'il a faites à ce moment-là. Ses propos
ont été repris à plusieurs reprises par des porte-parole
fédéraux au cours des audiences de la commission conjointe du
Parlement canadien. Je voudrais vous demander si, dans votre esprit, il y a
"relevancy" là-dedans, si vraiment il y a un lien entre l'avis
émis par la Cour suprême en décembre 1979 et le
problème dont seront saisis les tribunaux autour du projet de
résolution fédéral. Deuxièmement, en quoi cela ne
s'applique-t-il pas, s'il y a lieu?
M. Pratte: Dire qu'il y a un lien direct et que la
décision rendue par la Cour suprême décide du
problème actuel, je pense que c'est aller trop loin, mais je pense qu'il
y a un lien dans le sens suivant: c'est que la Cour suprême a clairement
décidé que la compétence législative du Parlement
du Canada de modifier sa propre constitution était une compétence
restreinte, qu'il ne pouvait pas, dans des domaines comme celui de la
réforme du Sénat, réformer le Sénat, adopter une
loi pour modifier ce qu'il pensait être sa propre constitution, parce que
cela affectait des aspects, ce qu'on a appelé les rapports
fédératifs, qui est une expression peut-être assez
floue.
De cela, je pense qu'on peut déduire, par voie de
conséquence nécessaire, que le Parlement ne peut pas affecter
directement la compétence des provinces quand il modifie sa
constitution. Si c'est cela la compétence législative du
Parlement fédéral, à ce moment-là, je ne vois pas
comment - et j'en reviens à ce que j'ai dit cet après-midi - on
peut faire indirectement ce qui ne peut pas être fait directement. En
d'autres mots, il doit y avoir dans le domaine constitutionnel quelque chose
qui ressemble à l'abus de pouvoir.
Je n'ai rien trouvé, mais cela ressemble un peu à cela.
Est-ce que la forme peut l'emporter sur le fond à ce point-là?
J'ai de la misère à le croire. Ce n'est pas logique de dire que,
parce qu'un document va s'appeler adresse plutôt que loi et que les
formalités de l'adoption sont exactement les mêmes, dans un cas,
c'est possible et ce sera valable, et, dans l'autre cas, ce ne sera pas
valable, surtout alors qu'on prétend que le rôle du Parlement
britannique est un rôle absolument automatique.
En d'autres mots, on dit: Ma décision d'adopter l'adresse sera
aussi définitive, finale, que la décision d'adopter la loi. Le
rôle du Parlement britannique est le même que celui du gouverneur
général. C'est cela dans le fond la position du gouvernement
fédéral. À mon point de vue, ce n'est pas
contitutionnellement correct, parce que cela fait fi de l'article 7 du Statut
de Westminster, cela fait fi de l'article 91 tel qu'il a été
interprété par la Cour suprême et tel que je pense qu'on
doit le lire.
La Présidente (Mme Cuerrier): II ne me reste plus
qu'à remercier Me Pratte et ses collègues pour avoir bien voulu
se présenter devant la commission de la présidence du conseil et
de la constitution.
Je ne crois pas présumer en vous disant que les membres de cette
commission ont apprécié votre témoignage. Je n'en veux
pour preuve que les remarques qui m'ont été faites pendant la
suspension à l'heure du dîner. Merci beaucoup, Me Pratte, merci,
Me Emery et merci, Me Bouchard.
Une voix: Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Cuerrier): Conformément à
la décision qui a été prise par cette commission cet
après-midi, je me devrai maintenant de rappeler Me Robert Normand.
J'entends des commentaires autour de moi. Voulez-vous me faire une
proposition?
M. Morin (Louis-Hébert): Je vais proposer, Mme la
Présidente, pour ce qui concerne M. Normand, comme il est quand
même plus facilement disponible que Me Pratte, qu'il vienne si on le juge
opportun, demain matin, pour continuer de répondre à certaines
questions. Ou encore - je pense que c'est le chef de l'Opposition qui me disait
cela tout à l'heure - il peut très bien faire une sorte de
rapport d'étape au mois de janvier, quand on recommencera. Enfin, on
pourra décider en temps opportun. Je suis tout à fait ouvert
à n'importe quelle suggestion. Je ne sais pas si...
La Présidente (Mme Cuerrier): J'aimerais vous entendre sur
cette proposition.
M. Ryan: Je crois comprendre que M. Normand doit partir en voyage
demain pour une mission qui comprend peut-être trop de personnes, mais
dont il sera un membre important et utile, je pense bien. Si M. Normand doit
partir demain, je ne voudrais pas qu'il soit obligé de nous attendre
pendant toute la matinée de demain jusgu'à la dernière
minute. Si on avait quelques questions pressées à lui adresser,
on pourrait peut-être le faire ce soir avant d'ajourner, quitte à
le retrouver au mois de janvier quand et si la commission se retrouve à
ce moment-là.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est comme on veut, mais...
M. Ryan: Je ne voudrais pas lui imposer cela, franchement. Je
pense que...
M. Morin (Louis-Hébert): Son départ est dans
l'après-midi de demain. On peut le prendre demain matin.
M. Ryan: Oui? Alors, au début de la séance de
demain.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est comme vous voulez.
La Présidente (Mme Cuerrier): Cette commission serait-elle
d'accord à ce que M. Normand revienne demain matin vers 11 h 30
après la période des questions? Est-ce bien...
M. Morin (Louis-Hébert); Non, on ne peut pas à
cause des questions. À moins qu'il n'y ait pas de période des
questions. Je n'ai jamais de questions. Pas de problème de ma part.
La Présidente (Mme Cuerrier): J'aurais un consensus?
M. Le Moignan: J'étais rendu à Londres avec M.
Normand au moment où il a été remplacé par M.
Pratte. J'aimerais retourner à Londres demain matin.
La Présidente (Mme Cuerrier): C'est adopté. Demain,
la commission de la présidence du conseil et de la constitution entendra
d'abord M. Robert Normand. Elle appellera ensuite le Conseil du statut de la
femme. Par la suite, elle entendra l'Association culturelle franco-canadienne
de Saskatchewan dont le porte-parole est M. Pinsonneault. Le dernier groupe
à être entendu est le Conseil d'expansion économique dont
le porte-parole est M. Rosaire Morin.
Je vous demanderais une motion pour que cette commission, si c'est son
voeu, puisse ajourner ses travaux.
M. le député de Verchères.
M. Charbonneau: ...Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Cuerrier): Motion d'ajournement
adoptée?
Une voix: Adopté.
La Présidente (Mme Cuerrier): Cette commission de la
présidence du conseil et de la constitution ajourne ses travaux à
demain après la période des questions de l'Assemblée
nationale.
(Fin de la séance à 21 h 43)