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Commission conjointe de la justice et des affaires
sociales
Projet de loi no 65 Loi de la protection de la
jeunesse
Séance du jeudi 5 avril 1973
(Dix heures dix minutes)
M. HOUDE (Limoilou) (président de la commission conjointe de la
justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!
Je vous souhaite la plus cordiale bienvenue à la quatrième
séance de la commission conjointe des affaires sociales et de la
justice. Au tout début, je me permettrai de demander aux
représentants des partis de l'Opposition s'ils n'auraient pas objection
à ce que l'enregistrement sur "video-corder" soit fait. Ce sont de
jeunes étudiants en économie politique.
M. GUAY: Pas d'objection.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'accord est donné; vous
pouvez commencer.
J'inviterais immédiatement le porte-parole de l'hôpital
Sainte-Justine à s'approcher ici.
Nous allons passer aux suivants, les représentants de
Boscoville.
Auriez-vous l'obligeance de vous présenter et de présenter
vos collègues.
Boscoville
M. LAPOINTE: Très bien. Mon nom est Guy Lapointe, directeur
général de Boscoville. A ma gauche, M. Jean Ducharme, directeur
du traitement à Boscoville et, à ma droite, M. Jean McComber,
coordonnateur d'une unité de rééducation à
Boscoville.
M. le Président, MM. les ministres, MM. les
députés, Boscoville assume depuis au-delà de 20 ans la
rééducation des jeunes marginaux de 16 à 21 ans. Ces
jeunes nous sont confiés par des cours de Bien-Etre social de toute la
province en vertu soit de la Loi des jeunes délinquants ou de la Loi de
la protection de la jeunesse.
L'admission s'effectue non à partir du délit, mais
à partir d'un diagnostic multidisciplinaire indiquant clairement la
nécessité d'une rééducation en profondeur. Notre
collaboration constante, quotidienne avec les services de probation, les juges
des cours de Bien-Etre social et les cliniques d'aide à l'enfance fait
partie d'une approche globale du jeune. Cette approche est basée sur le
respect de l'individualité et vise à la fois à
guérir les problèmes de fond et à permettre une
construction interne chez le jeune, construction qui sera la garantie de sa
capacité de vivre dans un monde en évolution orienté vers
l'avenir, plutôt qu'attaché au passé ou figé dans le
présent.
Comme notre mémoire vous est déjà connu, ainsi que
notre apport à l'étude de la criminalité et à la
rééducation, et compte tenu du fait qu'au moment de l'ouverture
de la session il a été souligné que la commission
était prête à entendre des points de vue qui
dépassaient les cadres stricts de la terminologie de la loi, nous
voudrions, avant de répondre à vos questions, d'abord exposer
brièvement la situation de trois jeunes à Boscoville qui ont
actuellement, tous les trois, 17 ans et demi. M. Jean McComber, coordonnateur
de l'unité de rééducation de ces jeunes, s'en chargera; M.
Jean Ducharme, directeur du traitement, abordera des aspects concernant la
durée du traitement, l'action concertée entre les instances
responsables et certaines différences entre un cas de protection et un
cas de délinquance. Pour ma part, je terminerai ensuite par quelques
considérations particulières au niveau du projet de loi. Nous
tenterons d'être aussi brefs que possible et je laisse à M. Jean
McComber de présenter la situation de trois jeunes.
M.McCOMBER: M. le Président, MM. les ministres, MM. les
députés, je vais vous présenter très
brièvement la situation de trois garçons dont je m'occupe. Je
vais ensuite vous dire en quelques mots pourquoi j'ai choisi de vous parler de
ces garçons en particulier. André aura 18 ans au mois
d'août 1973, donc dans quatre mois. Il y a maintenant un an et trois mois
qu'il est dans mon groupe. Il a été confié à
Boscoville sous la Loi de la protection de la jeunesse, article 15; pourtant,
il était incontrôlable à la maison, il avait menacé
et même à certains moments utilisé la force physique contre
ses parents et il avait consommé de la drogue à de nombreuses
reprises. De plus, on le soupçonnait d'agissements homosexuels, qui se
sont vérifiés depuis.
En lisant les deux évaluations psychologiques faites
jusqu'à ce jour à Boscoville au sujet d'André, nous
retrouvons ceci: "André a une dynamique dépressive sous-jacente
à des comportements délinquants." La lecture de ces
évaluations indique par ailleurs qu'André a commencé
à se transformer; il prend conscience de sa dépression. Ceci
signifie en d'autres mots qu'André n'a plus besoin d'agir en
délinquant mais en même temps il a commencé à
souffrir de sa dépression profonde et n'a pas encore trouvé de
solution à celle-ci. On peut facilement imaginer qu'un jeune ainsi en
état de dépression tente certaines démarches pour se faire
dégager d'un milieu qui suscite la nécessité d'un
changement. Or, une libération serait néfaste parce qu'elle
viendrait interrompre un processus bien amorcé et aussi parce qu'elle
retournerait André à la société dans un état
encore plus vulnérable qu'à son arrivée à
Boscoville.
En effet les délinquants âgés servent souvent
à assurer aux jeunes une certaine invulnérabilité.
André est assez conscient du danger de libération pour aller voir
son juge et lui demander de le garder à Boscoville après 18 ans,
même si à un moment où l'autre il en vient temporai-
rement à changer d'idée. Le juge lui a demandé une
requête par écrit. Je ne sais pas si ce palliatif sera suffisant
pour assurer André contre une période dépressive.
Bernard aura 18 ans en janvier, dans neuf mois. Il présente au
départ les mêmes troubles qu'André, sauf un
événement qui devient majeur. Il a été
trouvé coupable d'un vol par effraction. Il a donc été
confié à Boscoville sous la Loi des jeunes délinquants. Or
en termes de diagnostic, on retrouve quasiment les mêmes maux:
Comportement de délinquant qui semble faire partie d'une structure
caractérielle défensive visant à couvrir une image
très négative de lui-même et une profonde
dévalorisation.
Les deux garçons présentent des antécédents
semblables, une dynamique interne semblable, et ils sont arrivés en
même temps à l'unité de rééducation. Ils sont
tous deux du district de Montréal. La question qui se pose en somme est
la suivante: Ces deux garçons aussi semblables que possible ont-ils
droit au même traitement, ont-ils besoin des mêmes soins? Je crois
que oui.
Dans l'état actuel des choses, il n'est même pas sûr
que Bernard demeure à Boscoville plus longtemps qu'André. Le juge
peut très bien les libérer et personne ne pourrait y redire, ce
qui se présente souvent. D'autre part, si André peut partir de
Boscoville à dix-huit ans et que Bernard ne peut pas, le vol par
effraction prend alors une importance extrêmement grande. C'est la chose
qui le retient à Boscoville. On peut se demander ici si on s'occupe plus
du vol que de l'individu.
Le troisième se nomme Claude. Il aura 18 ans en septembre 1973.
C'est un enfant de crèche qui connaît à Boscoville son
quinzième placement. Il a agi beaucoup et a été
placé à Boscoville en vertu de l'article 20 de la Loi des jeunes
délinquants. Le traitement sera probablement très long
étant donné qu'il présente le diagnostic suivant: Carapace
délinquante qui semble recouvrir des tendances schizoides. Le
problème qui se présente ici est que personne ne
s'inquiète de Claude. D'ailleurs, ça lui est déjà
arrivé, il a été oublié dans une institution
pendant six mois. André et Bernard ont des parents qui s'occupent d'eux,
qui les suivent, qui vont protester devant certaines décisions et en
approuver d'autres.
Claude, lui, est laissé à lui-même. La
société qui nous confie ainsi un enfant, nous fait une grande
marque de confiance; mais est-ce une confiance aveugle?
On sait qu'entre Boscoville et la cour il existe des mécanismes
de révision de cas. La loi doit prévoir des garanties analogues
pour tous ces jeunes et de façon particulière un service qui, au
nom de la société, voit à ce que l'enfant reçoive
toujours les mesures appropriées à travers tous les
réseaux de services destinés à l'enfance.
Je voudrais maintenant dégager certains aspects
généralisables des exemples que j'ai appor- tés. Il est
souvent néfaste d'interrompre un traitement d'une intensité telle
que celle vécue à Boscoville. La majorité des jeunes qui
interrompent le traitement récidivent. Le juge représente la
société et, à ce titre, il est souvent nécessaire
qu'il confirme au jeune toute l'importance d'assumer son traitement jusqu'au
bout. En fait, j'ai très rarement vu un garçon faire un
séjour complet à Boscoville sans qu'il provoque, par une demande
ou par une évasion, un certain nombre de comparutions. Je pourrais citer
de nombreux cas où une telle comparution a été le point
tournant d'une rééducation.
L'individu qui possède une structure caractérielle a un
fonctionnement basé sur le principe de plaisir. Il est bien connu que
face à une limite de temps prédéterminée il pourra
facilement devenir un bon prisonnier et faire son temps jusqu'au bout. Il ne
surviendra plus aucun changement significatif chez un individu qui
réagit ainsi. Tout adolescent, même tout à fait normal, est
sujet à ce qu'on appelle communément un coup de tête. Le
projet de loi dit qu'un jeune de 18 ans peut demeurer librement à
l'institution mais ne fait aucun cas de la possibilité de lui apporter
un appui pour continuer une orientation déjà amorcée. De
plus, il est connu qu'un jeune armé d'une structure caractérielle
défensive a besoin, pour se rééduquer, d'une organisation
à toute épreuve. Autant, à certains moments, il mettra
l'énergie du désespoir à se faire libérer pour
sauver son principe de plaisir, autant il nous remerciera, ainsi que son juge,
la crise passée, de ne pas lui avoir cédé.
L'article 20 a été utilisé à toutes les
sauces. J'ai connu un garçon qui a brisé une vitre pour s'assurer
de venir à Boscoville. Il me semble que les concepts de
prévention et de protection impliquent que la société
fasse tout en son possible pour aider les jeunes avant qu'ils n'aient commis
des passages à l'acte souvent irréparables. Devrons-nous,
à l'avenir, admettre en traitement seulement ceux qui ont commis un
délit?
Messieurs, je vous remercie de votre bienveillante attention.
M. DUCHARME: M. le Président, messieurs les ministres, messieurs
les députés, voici les différents aspects que j'aimerais
faire ressortir et sur lesquels je voudrais attirer votre attention.
Premièrement, depuis son existence Bcs-coville a toujours insisté
pour que la période de traitement des jeunes lui étant
confiés soit indéterminée ou du moins non
inférieure à deux ans.
Nous avons toujours refusé l'admission d'un garçon lorsque
le temps de séjour était fixé d'avance, et ceci pour les
raisons suivantes: premièrement, pour conserver l'optique de traitement.
En effet, nous croyons toujours qu'il est très difficile pour un
adolescent inadapté de croire que son placement chez nous est fait en
mesure d'un traitement parce qu'il a des diffi-
cultes ou qu'il a besoin d'aide au plan de sa personnalité si,
d'avance, nous fixons le temps de son séjour.
Fixer ce temps équivaut pour lui ou symbolise aller purger une
peine ou aller faire du temps. Le temps prend alors la signification d'une
condamnation, d'une sentence en regard de ce qu'il a fait. Lorsqu'il arrive
dans le milieu de traitement, il prend l'attitude conformiste du bon
prisonnier, espérant ainsi, par sa bonne conduite, pouvoir faire
raccourcir sa peine, sa période de détention. Il se
considère alors comme un détenu et non comme un individu en
difficulté qui a besoin qu'on l'aide.
Ce premier élément est capital pour le démarrage
d'un processus de rééducation ou de traitement, puisque la
première étape d'un processus vise justement à amener
l'individu à se voir comme quelqu'un qui est en difficulté,
à désirer se faire aider, sachant que le milieu où il se
trouve possède les ressources pour le faire. Donc, si l'individu se voit
plus comme un prisonnier, comme un détenu et que cela se confirme par
une sentence déterminée par le juge pour la durée de son
séjour, l'amorce de la rééducation devient presque
impossible.
Nombre de fois dans l'histoire de Boscoville, nous avons dû
retourner un jeune devant son juge après quelques jours ou semaines de
séjour, afin de clarifier cette question de temps, parce que, justement,
ceci n'avait pas été précisé entre lui et son juge.
Lorsque ce point avait été clarifié, le processus pouvait
commencer et connaissait une fin heureuse.
Deuxièmement, respecter le rythme du sujet. Le milieu de
traitement a, entre autres, la caractéristique de respecter le rythme
d'évolution et de transformation de ses sujets. Sinon, le danger devient
trop grave de passer d'un programme de traitement individualisé à
un programme de conditionnement. Si la loi n'est pas modifiée concernant
le temps de séjour, si la loi détermine et fixe la durée
du séjour, les institutions possédant un programme de traitement
individualisé et respectant le rythme des sujets se trouvent devant deux
possibilités: dépersonnaliser le programme de traitement et se
diriger vers des programmes de conditionnement, ce qui aura pour
conséquence de faire disparaître le traitement en profondeur pour
ceux qui en ont besoin; ou encore les institutions spécialisées,
ayant démontré les exigences d'un processus de traitement non
défini dans le temps, refuseront d'admettre des sujets dont l'âge
ne rendrait pas possible l'application complète du programme de
traitement. Cela aura comme conséquence que les garçons dont
l'âge se situe entre 16 ans et demi et 18 ans ne pourront pas
bénéficier d'un programme de traitement et seront en quelque
sorte sacrifiés.
De plus, nous savons par expérience qu'il est
préférable de ne pas commencer un programme de traitement en
profondeur si nous n'avons pas toutes les chances de le mener à terme.
En effet, il est plus dommageable pour un individu, au plan de
l'équilibre de sa personnalité, d'interrompre un processus de
traitement en cours que de ne pas le commencer parce que nous ancrons en lui le
désespoir qu'il éprouve de ne pas s'en sortir.
Nous structurons davantage l'image négative qu'il a de
lui-même.
C'est un peu comme si nous lui disions: Hier, tu avais des
difficultés. Nous avons tout mis à ta disposition pour les
régler. Aujourd'hui, parce que cela fait tant de temps que tu es ici ou
que tu as tel âge, débrouille-toi tout seul. Ou encore: Tes
difficultés viennent de disparaître comme par magie.
Cette façon d'agir serait un blâme à son rythme
d'évolution. Ne pouvons-nous pas traduire à ces adolescents
inadaptés le message que le temps importe peu, que nous allons y
consacrer le temps qu'il faudra, que la société est prête
à investir en lui, mais qu'elle ne se contentera pas de demi-mesures
à cause d'un facteur temps. Sinon, comment en arriver à faire
croire à un adolescent inadapté que la société dans
laquelle il va se retrouver est en pleine évolution positive si nous
n'avons pas mis tout le temps nécessaire à lui faire vivre,
ressentir et prendre conscience de sa propre évolution dans son corps,
dans sa personnalité?
Il y a environ un an, un de nos anciens dut répondre, lors d'une
émission radiophonique, à cette question: Crois-tu que la
société change, et pour le mieux? Il déclara: Avant, je
croyais que la société était mauvaise. Je voulais la faire
changer et vite. Mais aujourd'hui, je comprends parce que l'ayant vécue,
ce n'est pas facile de changer, il faut y mettre le temps, la patience.
Donc, au lieu de s'en prendre à la société et de la
faire changer, on doit accepter tout d'abord de changer soi-même, de
s'améliorer et, par le fait même, la société
deviendra meilleure.
Ainsi donc devons-nous prendre le risque, à cause d'une question
de temps, qu'une telle prise de conscience ne puisse s'effectuer sur un
individu inadapté. Une telle prise de conscience débouche sur une
participation active et positive dans la société.
Troisièmement, la phase d'apprivoisement, comme on pourrait
l'appeler. Combien de personnes connaissent le temps qu'il faut pour
créer un climat de confiance entre un inadapté et un milieu de
traitement? Combien de personnes connaissent le temps qu'il faut pour
créer une relation d'influence transformante avec un inadapté?
Combien de personnes savent le temps qu'il faut pour passer d'une
identité de soi négative à une identité positive?
Nous-même sommes incapables de répondre, de façon
précise, à ces questions et pourtant nous vivons, en moyenne, une
quarantaine d'heures par semaine avec des inadaptés depuis plus de dix
ans. Toutefois, ce que nous savons, c'est qu'un tel processus ne peut se vivre
en deçà de deux ans. Cette certitude fut d'ailleurs
démontrée par M. Landreville dans sa thèse de doctorat en
criminologie faite sur la population
de Boscoville entre 1954 et 1964. Cette recherche démontre, sans
équivoque, que le taux de réussite était directement
proportionnel à la durée du séjour. Ainsi, pour les sujets
ayant séjourné au-delà de deux ans, le taux de
non-récidive était d'environ 90 p.c. Pour ceux, ayant
séjourné entre un an et deux ans, le taux était d'environ
60 p.c. Ainsi donc le facteur temps, le facteur durée du séjour
est d'une importance capitale dans un processus de traitement.
Devons-nous prendre le risque, à cause d'une limite de temps, de
ne favoriser qu'à 60 p.c. les chances de réussite? C'est ce
risque que propose le présent projet de loi s'il n'est pas
modifié.
Voilà les trois raisons majeures qui nous incitent à
demander au législateur que la durée de séjour pour fins
de traitement soit indéterminée.
Le deuxième point sur lequel nous désirons attirer votre
attention est la nécessité d'une action concertée dans un
programme de traitement. Voici un autre aspect que Boscoville a toujours
essayé de faire valoir dans son expérience de la
rééducation, l'importance d'une action concertée entre les
organismes et les personnes impliquées dans le traitement des
adolescents inadaptés. Par personnes impliquées, nous entendons
les parents ou leurs substituts, l'officier de probation, le juge, le
travailleur social, l'équipe de traitement, les équipes de CLSC,
etc., autrement dit toute personne gardant ou ayant des contacts directs avec
le sujet à partir du moment où il est placé dans une
institution pour suivre un programme de traitements ou qu'il soit
inséré dans l'engrenage des services de protection.
Vous seriez fort surpris de connaître le nombre de juges,
d'officiers de probation, de psychiatres, de psychologues, de travailleurs
sociaux qui recommandent des placements à Boscoville sans vraiment le
connaître et sans jamais y avoir mis les pieds. Combien de fois
avons-nous été obligés de défaire de fausses images
auprès des adolescents qui nous arrivent, images qui leur avaient
été données par ces mêmes personnes, Depuis
plusieurs années, et encore plus particulièrement depuis l'an
passé, nous faisons parvenir aux juges et aux officiers de probation des
documents qui leur font voir l'importance de leur rôle dans un processus
de rééducation. Nous essayons de faire comprendre la
nécessité et l'importance d'une formation spéciale pour
les juges de la cour de Bien-Etre social, pour les officiers de probation, les
policiers, les avocats de l'assistance judiciaire à la cour de Bien-Etre
social. Nous avons toujours fait preuve de collaboration en ce sens.
Ici, je me permets strictement de vous donner les très grandes
lignes à savoir comment, par ces documents, nous définissons le
rôle du juge dans un processus de rééducation.
Pour nous, le juge du garçon tient une place de première
importance dans la rééducation du jeune, d'où la
nécessité, lorsque le juge a pris la décision de confier
le garçon à Boscoville, de le rencontrer et de mettre en
lumière avec lui les aspects suivants : 1.Que le garçon vienne
à Boscoville parce qu'il a des difficultés au plan de sa
personnalité et, par conséquent, c'est une mesure de traitement
et non une mesure punitive; 2. Qu'il aura une part active à prendre dans
son traitement et, par conséquent, qu'il est confié à
Boscoville pour une période indéterminée, puisque ce n'est
pas une question de temps qui est en jeu; 3.Par l'attitude du juge, le jeune
doit comprendre que la décision de placement n'a pas été
prise pour se débarrasser de lui mais, au contraire, pour mieux
répondre à ses besoins. Ceci peut se faire de la façon
suivante: J'ai décidé de te confier à Boscoville et
j'entends bien que tu puisses y vivre jusqu'à la fin de ta
rééducation.
Il arrive souvent que des comparutions doivent avoir lieu en cours de
rééducation. Voici le sens qu'on leur donne. Après une
certaine période de séjour, le garçon se trouve
confronté avec ses difficultés et, devant la
nécessité de changer lui-même, il croit difficilement
pouvoir y arriver et cherche alors à nier la nécessité d'y
parvenir.
A ce moment, il connaît et saisit très bien le message de
Boscoville qui lui fait voir l'importance de continuer le traitement.
Cependant, le garçon sait aussi que celui qui a juridiction sur
lui, qui rend la décision finale, c'est son juge. Le test peut se
présenter de deux façons. Avant la comparution, le jeune se met
de nouveau à agir de façon très délinquante. Il
espère ainsi ébranler la confiance de son juge en sa
capacité de changer. L'autre forme est qu'il fasse preuve d'un
conformisme presque parfait. Il espère ainsi pouvoir démontrer
à son juge que sa période de traitement est terminée et
que c'est Boscoville qui a des exigences extravagantes.
Dans un cas comme dans l'autre, le garçon a besoin de la position
ferme de son juge qui l'oblige à continuer son traitement. Il a besoin
de se faire réaffirmer par son juge qu'il quittera Boscoville seulement
au moment où les évaluations multidisciplinaires l'auront
jugé apte à le faire.
Il doit comprendre par son juge que la société ne doit pas
se contenter de demi-mesures puisqu'il est capable de beaucoup plus et qu'elle
exige le maximum de lui.
Je prendrai ici seulement certaines lignes d'un document au sujet du
rôle des officiers de probation, selon ce que l'on croit. Le rôle
de l'officier de probation par rapport à un jeune qui va suivre un
programme de traitement est de deux ordres: avant que commence le programme de
traitement, en cours de traitement et aussi à la fin.
Nous croyons important que l'officier puisse bien préparer le
garçon à son séjour en informant le jeune sur ce qu'est
Boscoville sur ce que
sera le milieu ou les mesures de traitement qui vont être prises.
Il doit lui dire que ces mesures sont prises vraiment non pas en fonction des
délits, non pas en fonction des situations extérieures dans
lesquelles il se trouvait, mais en fonction de lui.
Nous croyons aussi qu'incombe à l'officier de probation la
tâche de bien informer le juge sur les institutions à qui il doit
confier les jeunes en l'aidant à faire les distinctions entre les cas de
protection et les cas de délinquance. Que les organismes auxquels le
garçon va être confié puissent faire des rapports
précis, détaillés du comportement du jeune au moment
où ils l'avaient sous leur probation.
Ces renseignements sont nécessaires pour comprendre le
comportement et l'adaptation du garçon.
Donc, l'officier de probation est un sensibilisateur. Il sensibilise le
juge à un placement, le jeune au placement et il sensibilise l'endroit
qui va donner ce programme de traitement.
Durant le placement, il a un rôle capital en faisant le lien,
surtout pour les garçons qui viennent des régions
éloignées les institutions reçoivent des
garçons de toute la province entre le milieu de traitement et la
famille.
H a aussi un rôle important quand le jeune doit
recomparaître en cours de traitement. Il doit représenter autant
le garçon que les mesures de traitement et surtout aider le juge
à comprendre ce qui se passe, ce que le jeune vit.
Il a aussi un rôle bien important lorsque le jeune quitte
l'institution après son programme de traitement pour l'aider à se
réinsérer dans son milieu, parce que, souvent, il connaît
beaucoup mieux le milieu dans lequel le jeune veut se
réinsérer.
De toute façon, si vous désirez poser des questions sur
cet élément, M. Lapointe pourra vous donner les idées et
les réflexions que nous avons faites au sujet de l'organisation du
service de probation.
De plus, nous nous efforçons d'informer le juge et l'officier de
probation de la démarche que vit le sujet, où il en est rendu et
ce qu'il lui reste à travailler. Aussi, chaque fois que nous faisons une
étude de cas multidisciplinaires, nous invitons ces personnes à y
participer et, ensuite, nous leur faisons parvenir une synthèse de
l'étude.
Nous espérons que cet exposé vous fait clairement voir que
nous concevons le juge et l'officier de probation comme des collaborateurs
indispensables à la réussite d'un processus de
rééducation et non pas comme des personnes qui décident de
confier des sujets à une institution et en obligeant celle-ci à
les prendre.
Nous faisons référence ici à cette partie de la loi
qui confère au juge un pouvoir unilatéral, celui de
décider d'un placement en institution sans possibilité de refus
de la part de cette dernière. N'y aurait-il pas lieu plutôt
d'aller dans le sens suivant: établir une procédure amenant les
personnes impliquées à coopérer ensemble; une
décision définitive quant au placement ne devrait-elle pas
être prise après une certaine période d'observation
auprès du sujet? Aller dans le sens proposé par la loi comporte
de grands dangers, tels que, premièrement, les institutions recevant des
sujets par la force des choses, sans pouvoir être en mesure de leur
offrir des services de qualité, privent ainsi l'enfant ou l'adolescent
d'un droit fondamental, celui de recevoir des soins et des services de
qualité. Nous risquons fort de sacrifier la qualité à la
quantité. Deuxièmement, le nombre de lits disponibles risquerait
de devenir le premier critère dans la décision d'un placement,
sans préoccupation quant à la qualité du personnel qui s'y
trouve. Troisièmement, que le rôle du juge ne se confine
qu'à ordonner des placements et, lorsque cela est fait, ça ne le
regarde plus. Quatrièmement, que les officiers de probation fassent des
pressions auprès des juges pour qu'ils placent leurs sujets les plus
difficiles afin d'alléger leur fardeau lorsqu'ils en ont plein les
bras.
En effet, et c'est ce que nous considérons comme le plus
dangereux, nous ne savons pas quel esprit créera l'application d'un tel
pouvoir conféré au juge. Pour éviter cela, ne serait-il
pas plus sage répétons-le d'aller dans le sens
d'une procédure qui obligerait les personnes impliquées, et
celles pouvant l'être, à coopérer ensemble dans le sens
d'une action concertée. C'est d'ailleurs à cette conclusion qu'en
sont arrivés les juges, officiers de probation, avocats, psychiatres,
psychologues, policiers, travailleurs sociaux, criminologues et
psycho-éducateurs réunis en novembre dernier lors de sessions
d'étude pour la formation des juges. J'ai participé
personnellement à ces sessions qui ont mis en évidence les deux
dimensions du rôle du juge; ces deux dimensions ont été
magnifiquement résumées par un des juges participants lorsqu'il
s'est exprimé à peu près ainsi: Le rôle du juge
comporte donc deux dimensions, l'une juridique, l'autre sociale. La dimension
juridique se limite à analyser, évaluer et se prononcer sur la
matérialité des faits qui lui sont apportés et
déterminer si l'individu est coupable ou non. La dimension sociale
consiste à faire analyser la personnalité du jeune et à se
situer au centre d'une équipe multidisciplinaire qui pensera et
déterminera le programme de traitement approprié à cet
individu. Le juge devient alors la personne garante auprès du jeune et
de la société afin que ce traitement soit vécu de
façon qualitative.
Voilà, à notre avis, ce qui définit bien le
rôle du juge à une cour de Bien-Etre social, tout en faisant voir
qu'il n'y ait pas d'incompatibilité entre ces deux dimensions juridique
et sociale.
Le troisième point sur lequel je veux attirer votre attention,
c'est la différence entre un adolescent inadapté de protection et
de délinquance. Si, sur un plan juridique, il est relativement facile de
distinguer un cas de protection d'un cas de délinquance, c'est toute une
autre
affaire sur le plan social. En effet, sur le plan dynamique de la
personnalité, les besoins et les difficultés sont souvent
identiques, ce qui nécessite pour les deux cas des mesures de traitement
semblables, d'où l'importance de ne pas croire que parce qu'un individu
n'a pas de délit reconnu officiellement, il est moins perturbé,
qu'il n'a pas de conflit intériorisé aussi profond que celui qui
a commis des délits reconnus. Dans une optique de traitement, ce n'est
pas la quantité, la gravité ou l'absence de délit qui doit
déterminer la sorte d'intervention à entreprendre. C'est d'abord
et avant tout l'organisation intérieure de la personnalité en
termes d'équilibre. C'est aussi parce que des professionnels en sciences
humaines et des juges ont cru à ce principe que Boscoville a eu la
possibilité d'admettre des cas d'homicide. D'ailleurs, cette
expérience a été bien soulignée lors d'une
journée d'étude tenue à Boscoville en juin 1970. Le
contenu de cette journée a fait l'objet d'un numéro entier de la
revue des Services de bien-être à l'enfance et à la
jeunesse dont nous avons ici un exemplaire.
Quelle différence y a-t-il entre un adolescent inadapté
des articles 15 et 20? Si le temps nous l'avait permis, nous aurions
aimé vous présenter plus à fond, les cas que M. McComber a
apportés ici ce matin. Vu sous l'angle de la dynamique interne de la
personnalité, vous auriez alors constaté combien il est difficile
de pouvoir identifier les uns et les autres et combien le besoin de l'un et des
autres se ressemble. Nous constatons même que parfois les cas de
protection sont souvent plus atteints et plus détériorés
sur le plan de la personnalité que ceux de l'article 20. Ceci s'explique
par le fait que bien souvent l'adolescent délinquant au sens juridique a
su se bâtir une structure défensive caractérielle pour se
protéger de l'influence du monde extérieur. Bien sûr, cette
structure l'amène à agir de façon délinquante et
présente un certain danger pour la société.
Mais, d'un autre côté, elle protège son
équilibre interne et permet une moins grande détérioration
de leur personnalité. Bien souvent les cas de protection, au plan de la
personnalité, n'ont pas cette structuration caractérielle et par
conséquent ont été plus vulnérables à
l'influence du monde extérieur.
Par conséquent leur personnalité est beaucoup plus
atteinte et la nature de leur conflit intérieur est plus profonde. Ou
bien nous avons des cas de protection qui dynamiquement ont une
personnalité délinquante, mais qui ne sont pas reconnus comme
tels au plan juridique parce que personne n'a porté de plaintes sur les
délits qu'ils ont commis.
Tout ceci est dit pour mettre en lumière une question que nous
nous posons. N'y a-t-il pas danger que le jeune adolescent placé en
vertu des cas de protection soit tellement protégé qu'en fin de
compte nous camouflions ses difficultés réelles en le maintenant
dans un état de dépendance? Une fois libéré de
cette tutelle, à l'âge de 18 ans, nous nous trouvons devant un
jeune homme qui aura de fortes chances de vivre cette délinquance
demeurée latente.
Cette question nous laisse fort inquiets devant les garçons de
cas de protection et nous avons l'expérience de certains cas pour
appuyer cette inquiétude. Comment arriver à utiliser la Loi de la
protection sans que finalement nous ne réussissions qu'à masquer
les difficultés latentes? C'est sûrement un aspect qui
mérite que nous y apportions une attention particulière.
L'esquisse de solution serait de trouver des moyens d'évaluation
périodique pour s'assurer que le jeune ne vit pas un état de
dépendance et de conformisme tel qu'il ne fait que protéger ses
difficultés.
Lorsque l'évaluation démontrera qu'il a fait preuve d'une
participation active ayant comme résultat le traitement de ses
difficultés il pourra alors s'insérer dans la
société. Mais pour appliquer un tel principe, un tel esprit, cela
suppose la possibilité de pouvoir continuer à garder juridiction
sur les cas de protection après l'âge de 18 ans, advenant le cas
où la rééducation né serait pas
complétée.
Est-il nécessaire de dire que si une telle mesure existait dans
la nouvelle loi, nous en serions fort heureux? Il est évident que cela
nous appuierait dans notre mission de l'éducation auprès des
jeunes qui nous sont confiés en vertu de la Loi de la protection de la
jeunesse. Je vous remercie.
M. LAPOINTE: Les dernières remarques seront beaucoup plus
brèves. Nous avons débordé volontairement le champ pour
vous parler davantage de rééducation, champ que nous connaissons
le mieux. Maintenant, à la suite du mémoire, des remarques
déjà incluses dans le mémoire et des réflexions
déjà faites, nous présenterons immédiatement
quelques recommandations qui nous paraissent finales sur des aspects les plus
essentiels pour les adolescents inadaptés : 1 ) Que le jeune
inadapté jugé jeune délinquant puisse
bénéficier des mêmes mécanismes, structures et
mesures de protection et de traitement que les autres jeunes. A cet effet,
l'article 43 doit être retiré du projet de loi. 2)De la même
façon que le jeune jugé inadapté en vertu de la Loi de
protection de la jeunesse puisse bénéficier des mêmes
mesures de traitement que les jeunes délinquants quand le diagnostic les
rend nécessaires, à cette fin qu'aucune mesure fixant la
durée maximum pour le traitement ne soit
prédéterminée dans la loi. Donc, une modification à
l'article 28. Que les mesures entreprises avant l'âge de 18 ans puissent
être maintenues au besoin, au moins jusqu'à l'âge de 21 ans.
A cet égard, que des mécanismes de réévaluation
périodique soient prévues. 3)Que toute décision de la cour
repose sur une consultation obligatoire des professionnels et des organismes
concernés et qu'apparaissent,
aux minutes du procès-verbal de la cour, les motifs qui ont
entraîné la décision d'entreprendre, de poursuivre ou de
cesser la mesure prise. Donc, des modifications à l'article 22 ou 28.
4)Que des distinctions soient faites entre une mesure d'hébergement
obligatoire à court terme, dans des centres prévus et
équipés à cette fin, et des mesures d'hébergement
obligatoire à long terme pour fins de traitement. Dans l'un et l'autre
cas, les mécanismes de placement sont prévus par les
règlements de la loi sur les services de santé et les services
sociaux. Le projet de loi actuel doit y faire une référence
explicite, car il ne prévoit pour les institutions que l'obligation sans
condition de se conformer sans délai aux ordonnances de la cour ou aux
obligations imposées par un centre de services sociaux. 5)Que la notion
de service de protection dans la loi dépasse le champ des tribunaux, des
centres d'accueil et même des centres de services sociaux, pour recouvrir
l'action en milieu ouvert, et que la présence dans l'action
intégrée des organismes auxquels faisait référence
M. Ducharme, au moment du diagnostic ou des réévaluations,
prévoie la participation de ces instances.
Si ce projet de loi était appliqué à la lettre, les
institutions de traitement deviendraient d'autres l'ont
déjà dit des fourre-tout surpeuplés. Certains cas
de protection cesseraient de recevoir le traitement approprié. Nous
savons que telle n'est pas l'intention du législateur. En outre, nous
voudrions souligner un danger, une tentation qui pourrait prendre naissance
dans une société; il s'agit de celle d'économiser sur les
ressources de traitement.
Des statistiques ont démontré que la prolongation du
traitement était un facteur important de la réussite pour autant
qu'il y a une suite et des réévaluations d'assurées. Par
leur production au travail après leur traitement, par leurs
impôts, par l'absence de dépendance des mesures sociales leur vie
durant, ces jeunes rembourseront largement la société de
l'investissement consenti au départ.
En terminant, nous voudrions souligner notre accord sur la
nécessité de refaire une Loi de la protection de la jeunesse.
Comme il est rare qu'un gouvernement ait le temps ou le courage de refondre les
lois sociales et que nous avons à vivre longtemps avec celles-ci, nous
demandons aux législateurs une qualité telle qu'elle suscite
l'intérêt et l'espoir chez ceux qui sont confrontés chaque
jour avec le désespoir et qui oeuvrent justement à donner
à d'autres l'espérance et la possibilité d'un
mieux-vivre.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires
sociales.
M. CASTONGUAY: M. le Président, je voudrais remercier les
représentants de Boscoville pour le mémoire et les points qu'ils
ont soulevés dans leur présentation verbale. J'aurais quelques
questions à poser sur les aspects du traitement sur lesquels Us ont
davantage élaboré : durée de traitement, limite de
l'âge, le caractère exécutoire des décisions du
juge. Commençons d'abord par une espèce d'ordre chronologique. En
ce qui a trait aux décisions du juge, elles ne sont pas
présentement exécutoires dans une assez large mesure. Un des
problèmes qui se posent j'en ai eu plusieurs exemples
c'est qu'on retrouve des enfants que personne ne veut accepter. Vous avez eu
les exemples d'enfants dans les prisons communes. On va au Centre de jeunesse
de Tilly, ici à Québec l'ancien centre Muir et on y
retrouve un peu de tout. Il semble que, lorsqu'on n'en veut pas ailleurs, c'est
là, finalement, qu'ils se retrouvent.
Vous avez aussi des situations, au plan des services de santé qui
peuvent être requis, qui peuvent presque prendre un caractère
tragique à certains moments. J'ai encore un exemple à l'esprit
où une de ces maisons voulait obtenir des services, pour un enfant qui
avait tenté de se mutiler. On s'est buté à des refus dans
deux ou trois hôpitaux pendant une fin de semaine. H n'y avait, à
toutes fins pratiques, aucun recours. Il me semble que, face à des
situations comme celle-là, un aspect doit être
considéré. Peut-être qu'on doit faire des distinctions sur
les durées de traitement mais il me semble qu'on ne peut pas non plus
laisser le juge rendre une décision non exécutoire. Plus que de
préciser le centre où l'enfant doit être dirigé ou
le foyer nourricier spécifique, par exemple, ce qui importe le plus
c'est d'assurer qu'elle sera exécutée.
Vous soulevez, dans votre mémoire, le problème des
ressources. Je sais qu'il y en a un. Ce n'est pas par une loi qu'on va le
régler, il faut y mettre les sommes, au plan financier, et il faut aussi
du personnel compétent. Je pense qu'on n'a pas besoin d'élaborer
beaucoup plus. Il y a des progrès qui ont été
effectués au cours des années et il faut continuer. C'est clair
que maintenir une institution comme Boscoville requiert un effort de la
population. En même temps, comme vous le soulignez, cela apporte des
résultats valables. Mais ceci ne se développe qu'avec le temps,
on ne peut créer de toutes pièces des institutions valables
simplement par une décision administrative.
Alors, il y a ce premier aspect des décisons exécutoires
qui me paraît assez important. La situation, telle que vous la
décrivez par le projet de loi, face à une institution comme la
vôtre, peut soulever des problèmes. Par contre, la situation
actuelle, telle que vécue pour tout un autre type de cas, crée
également des problèmes. C'était mon premier point.
Le second, sur les durées d'hébergement obligatoire, parce
que c'est de cela qu'on parle en fait, ou encore les durées de
traitement, on a beau dire que c'est du traitement, je suis d'accord avec vous,
mais vous-mêmes avez mentionné qu'il faut que l'officier de
probation
convainque le jeune que c'est de la réadaptation, du traitement
qu'il va subir. Je comprends votre désir de faire un travail complet.
Mais d'un autre côté, est-ce qu'il n'y a pas une certaine... Il y
a un autre aspect aussi. On nous l'a souligné hier: C'est celui des
droits de l'enfant. Jusqu'à quel point peut-on aller dans des
hébergements indéterminés? Toutes les institutions ne sont
pas de même calibre et, encore là, il me semble que la question se
soulève et qu'elle n'est peut-être pas au même niveau tout
à fait que celle de la durée des exigences sur le plan du
traitement. Mais il y a assurément celle des droits de l'enfant.
Il y a également la question de l'âge, comme vous l'avez
mentionnée, lorsqu'on arrive à 18 ans, il y a évidemment
un problème. Nous allons le réexaminer sérieusement.
Enfin, j'aimerais poser une question sur l'évaluation. Vous dites
qu'il existe présentement des mécanismes d'évaluation
entre la cour et votre établissement. J'aimerais que vous les
décriviez un peu plus précisément de même que vous
nous donniez votre avis sur l'existence de mécanismes analogues ou
encore, selon les expériences que vous avez eues, par des enfants qui
ont été dans d'autres institutions. Quelle est la valeur des
mécanismes d'évaluation qui existent dans d'autres
institutions?
Finalement, sur la question de la réinsertion sociale des
enfants, vous avez fait état d'une étude qui portait sur une
période se terminant en 1964. On sait d'autre part que les choses
changent assez vite et que la jeunesse d'aujourd'hui n'est pas celle de 1960.
Est-ce que vous faites de nouveau des relevés, au fur et à mesure
que le temps passe, pour identifier ou essayer de dégager d'une
façon aussi rigoureuse que possible ce qui advient des enfants qui,
depuis 1964, ont quitté votre établissement?
C'étaient les quelques questions que je voulais poser.
M. LAPOINTE: Je vais tenter de répondre à ces questions
qui sont très vastes et je demanderai à mes confrères de
compléter au besoin.
Premièrement, par rapport à l'aspect exécutoire
d'une décision de juge. Quant à nous, il est très
important que la décision du juge demeure exécutoire. Ce qui nous
paraît préalable, c'est l'aspect d'un diagnostic qui permet de
déterminer la bonne mesure. Par exemple, si on prend des cas de
protection avec les problèmes décrits, ou les cas de jeunes
délinquants que nous recevons, nous demandons que le juge soit
réellement celui qui, au nom de la société, dit: On a un
bon diagnostic. On a un programme de traitement. Maintenant, c'est ce que le
jeune devra vivre, que les parents doivent accepter et que l'institution doit
accepter.
Au moment du diagnostic et de la prise de décision, autant de la
part de l'officier de probation que de celle des spécialistes de la
clinique et de l'institution on doit réellement étudier et dire
qu'on est certain que c'est réellement la mesure
préférable pour le jeune. Avec les réserves sur des cas
qui sont incertains et qu'on accepte même à un moment donné
sans être certain que c'est exactement celle-là, parce qu'il y a
des cas marginaux pour lesquels les sciences de l'homme ne peuvent pas, de
façon absolument précise, dire que c'est la seule, l'unique, la
mesure idéale.
Maintenant, je crois que la présence, au moment du diagnostic et
de la décision d'une équipe qui dit: On a tel problème en
main, qu'est-ce qu'on en fait? Que tout le monde s'implique, mais la
décision, c'est le juge finalement qui la prend et la rend
exécutoire. Cette décision, nous devons la vivre ainsi que le
jeune et les parents.
M. CASTONGUAY: Dans le projet de loi, on essaie de faire en sorte que,
pour tous les cas possibles, ce soit un service de protection de la jeunesse
qui prenne, sur une base multidiscipli-naire, en consultation au besoin
même, on peut mettre l'accent sur cette consultation les
décisions qui doivent être prises. Une gamme de mesures paraissent
possibles à ce moment-là. Ce n'est que les cas, en fait, plus
difficiles, soit au plan de la délinquance ou encore au plan de la
protection des droits d'un jeune, qui seront référés au
juge. Il me semble que, dans vos commentaires, vous ne faites pas tellement
cette distinction. Vous semblez situer tous les cas au même niveau,
à moins que je ne saisisse mal.
M. LAPOINTE: Voici, c'est que peut-être toutes les situations ne
sont pas analogues.
M. CASTONGUAY: Non.
M. LAPOINTE: Au plan du diagnostic, certains juges peuvent prendre des
décisions, actuellement, sans qu'il y ait de diagnostic et dire: Je
confie l'enfant à telle institution en particulier. Actuellement,
à cause de l'existence des formes de travail qu'on a prises avec la
cour, dans notre cas, il est rare qu'un juge dise: Je vous confie un enfant,
qu'il y ait ou non un diagnostic. C'est beaucoup plus rare.
Il y a eu, dans le passé, plusieurs tentatives pour le faire
comme tel. J'ai un jeune devant moi, j'ai un problème et je le place
chez vous. Qu'est-ce que c'est, son problème? On n'a pas pu le savoir.
Si le diagnostic est garanti au moment où l'enfant arrive à la
cour, déjà, je crois, que toutes les instances auront à se
prononcer ensemble. L'étude des cas implique la nécessité,
pour le juge, de continuer à suivre son jeune. Je pense que je vais en
dehors de votre question, si je continue.
M. DUCHARME: J'espère que cela va dans le sens de votre question.
Nous sommes favorables à cet élément que vous soulevez, M.
le ministre. Cependant, notre expérience nous montre que, souvent,
venant entre autres, des
services sociaux, des jeunes nous arrivent , dont l'histoire sociale
comporte de dix on vous a nommé un cas à quinze
placements. Souvent, on s'est rendu compte que les services sociaux, au moment
où les jeunes leur étaient confiés, où on demandait
une enquête, devant les problèmes de comportement qui
étaient soumis, faisaient systématiquement une action pour
éviter que l'enfant n'aille à la cour. Ils voyaient
eux-mêmes à essayer de faire des placements.
C'est là la confusion. Souvent, les gens pensent que, dans les
cas de protection, les problèmes ne sont reliés qu'au milieu.
Souvent, on croit que le séparer de son milieu, l'envoyer dans un foyer
nourricier va faire disparaître les problèmes. Nous, nous disons:
Oui, mais il y a une autre dimension qu'il faut faire ressortir. Il faut
regarder ce que ces situations ont laissé chez le jeune. Est-ce qu'elles
l'ont marqué? Est-ce qu'elles ont affecté sa personnalité?
Après cela, il faut voir s'il y a nécessité de traitement
ou simplement d'un placement dans un autre foyer nourricier qui aura
été évalué comme ayant les ressources
peut-être pour faire face aux difficultés que le jeune
présente. Souvent, c'est la lacune même des foyers nourriciers.
Ils reçoivent des jeunes ne sachant pas quels sont leurs
problèmes au plan de leur personnalité. Au fur et à mesure
que des interventions sont prises et qu'elles se soldent par un échec,
cela renforce les possibilités de traitement.
Nous sommes favorables dans ce sens. Mais nous voulons que l'on fasse
l'attention et que, lorsque l'on fera les évaluations, on ne fasse pas
simplement une évaluation sur les faits. Qu'on porte aussi, sinon plus,
attention à ce que cela a laissé chez l'individu, où il en
est lui, présentement.
M. LAPOINTE: Au niveau de la mesure exécutoire, je crois que si
elle repose sur un diagnostic, il y a passablement de problèmes
d'évités, autant pour ce qui concerne la protection que pour ce
qui concerne les jeunes délinquants. Aussi, au moment où l'enfant
doit recomparaître en cours de rééducation, on soulignait
dans le mémoire qu'on désirait que ce soit toujours, autant que
possible, le même juge, compte tenu des distances. Que le juge, à
ce moment-là, n'ait pas le pouvoir de le libérer sans qu'une
évaluation soit faite, simplement au gré du sentiment de l'heure.
Que le juge ne puisse pas confier le jeune à une institution sans une
évaluation, ni libérer ou dégager un enfant d'une mesure
de traitement ou de prévention sans qu'il y ait accord. Cela suppose
toujours un travail de groupe au sein des différents organismes. Le juge
n'est pas un élément isolé.
Je crois que de plus en plus, dans les faits, c'est vers cela que la
majorité des juges vont aussi.
Je ne sais pas, avez-vous d'autres questions?
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Montmagny.
M. LAPOINTE: C'est que vous aviez plusieurs autres questions. Je ne sais
pas si...
M. DUCHARME: Vous parliez des mécanismes d'évaluation.
Nous allons vous donner la situation que nous connaissons, nous autres,
à Boscoville.
Lorsque le garçon arrive à Boscoville, il y a une
période d'observation. A la fin de cette période d'observation,
qui dure en moyenne huit semaines cela peut aller de huit à douze
semaines il y a tout de suite, là encore, une étude sur le
comportement et les capacités du jeune à s'adapter. Cette
étude se fait en partant des rapports d'observation quotidiens que des
psycho-éducateurs vivant avec le garçon en observation ont faits.
Là s'établit, de par la nature des difficultés
observées, si nous avons les ressources pour aider ce garçon.
Lorsqu'il n'y a aucune équivoque là-dessus, nous
décidons de placer le garçon dans un groupe de
rééducation. Un mois après son placement dans un groupe de
rééducation, nous reconvoquons juge, officier de probation,
psychologue, psychiatre, travailleurs sociaux, toute personne ayant eu affaire
à l'enfant et qui est intéressée à son traitement.
Nous les convoquons pour refaire une étude, pour dire : Voici, nous
autres, ce que nous avons décidé. Voici où il en est
présentement. Voici les difficultés que nous croyons qu'il va se
présenter dans son processus de traitement et à peu près
jusque vers où nous pouvons l'orienter après.
C'est sûr que souvent la dernière phase est encore
difficile parce que devant l'ampleur du problème, parfois, nous ne
pouvons pas tellement nous prononcer plus de six mois à l'avance. Quand
même, avec ces personnes, nous pouvons, par exemple, faire comprendre au
juge que, dans telle et telle période du traitement, il y aura crise, il
y aura des difficultés et que c'est positif, que cela ne doit pas
être vu comme négatif.
Ensuite, il y a ce que nous appelons une compétence. Cela veut
dire qu'à peu près quatre mois plus tard une autre étude
se fait avec l'équipe de traitement, le psychologue, le travailleur
social, les responsables du traitement au plan de l'institution. Ensuite, il
s'en fait une à peu près un an plus tard, avec les mêmes
personnes et ensuite, à peu près six mois plus tard, une autre
évaluation. Cela fait à peu près, en tout, de cinq
à six évaluations sur une période moyenne de deux ans et
demi à trois ans.
A la suite de ces évaluations, si le juge et l'officier de
probation n'ont pu être présents, nous avons une personne qui a
comme responsabilité de faire le lien entre la cour et le service de
probation et de mettre au courant le juge et l'officier de probation. Le
travailleur social se charge de faire le lien avec la famille.
Ce sont les mécanismes je ne sais pas si cela
répond à votre question que nous avons à ce
moment-là.
M. CASTONGUAY: Selon votre expérience, compte tenu du fait que
vous recevez bien des fois des enfants qui ont connu des situations assez
difficiles dans le passé, qui ont fait d'autres stages, pourriez-vous
commenter un peu ou donner votre avis sur la valeur des mécanismes
d'évaluation de façon générale?
M. DUCHARME: Voyez-vous, le gros problème, au niveau des
évaluations, c'est que la plupart des professions, sauf peut-être
la psychologie et la psychiatrie, où ils ont des instruments
d'évaluation connus par des tests, n'ont pas réussi à
bâtir un instrument d'évaluation qui leur est propre
spécifiquement. La psycho-éducation a développé,
elle, dès le début, son propre moyen d'évaluation. C'est
peut-être cela qui manque le plus.
Je me souviens, pour avoir assité à plusieurs
études de cas, que ce soit à Pinel, à Berthelet, à
Saint-Vallier ou à d'autres institutions, que les gens n'ont pas
d'instruments reconnus pouvant dire d'une façon assez certaine, assez
objective: Voici comment l'individu se comporte, voici comment il vit, comment
il traduit ses difficultés. On fait cela encore d'une façon un
peu trop intuitive. C'est là qu'est le danger de ne pas saisir
réellement ce que le garçon vit ou de mal interpréter ses
comportements.
M. CASTONGUAY: II y a peut-être j'en conviens des
difficultés au plan du développement des diverses sciences ou
techniques.
Mais pour me référer à un cas que vous avez
mentionné, lorsqu'un enfant a fait quinze foyers nourriciers, est-ce
qu'à un moment donné, en dehors de toute connaissance
scientifique, il n'y aurait pas lieu de se demander peut-être, rendu au
quatrième ou au cinquième placement, ce qui se passe et si on va
continuer comme ça indéfiniment?
Est-ce que ce n'est pas un problème de manque de coordination
entre organismes, ou je ne sais trop?
M. LAPOINTE: II y a une question de coordination entre organismes. Il
peut y avoir aussi la question de la compétence des gens qui vont
prendre charge du jeune au cours de ces quatre, six et quinze foyers. C'est
là que nous paraît peut-être se dessiner le rôle de
celui qu'on peut appeler un officier de probation ou de protection et qui,
à travers le réseau scolaire, le réseau familiale, les
différents réseaux de protection de l'enfance qui existent,
pourrait suivre le jeune d'un bout à l'autre, aussitôt que
l'enfant entre dans l'engrenage de la protection. Il faudrait un organisme
central qui suive l'évolution et qui n'attende pas qu'on soit au
quinzième foyer. Peut-être que les mécanismes ne permettent
pas qu'on sache qu'on est rendu au sixième ou au huitième
foyer.
Je ne suis pas assez expert dans le domaine pour savoir s'il y a une
vérification constante. Mais pour l'enfant qui a des difficultés
durant trois ou quatre ans à l'école, qui a un système
d'évaluation à l'école mais seulement là, à
un moment donné si l'enfant entre dans l'engrenage d'un service de
protection ou à la cour de Bien-Etre social, il serait bon que
l'ensemble de ces suites puisse être fait par un service constant, une
forme "d'ombudsman" de l'enfant qui pourrait être le service de
probation.
Cela permet la suite du dépistage. Quand on est rendu à la
quatrième mesure, il y a déjà un diagnostic plus
sérieux à faire, certainement.
M. DUCHARME: Pour compléter, vous soulevez aussi un aspect
très réel. C'est l'aspect de cloisonnement entre les
différentes ressources. Et nous, nous espérons qu'il y aura
décloisonnement.
Dans le texte de tantôt je citais l'expérience de novembre
dernier avec des juges, avocats, policiers, psychologues, psychiatres,
travailleurs sociaux, psycho-éducateurs, des gens qui finalement
oeuvrent dans tout ce secteur. Cela a été pour nous une
révélation de voir comment nous travaillons les uns à
côté des autres sans nous connaître, sans vraiment savoir ce
que l'autre a comme ressources, comment elles peuvent être
utilisées et comment, moi, je peux bénéficier de celles
des autres qui, eux, peuvent bénéficier des miennes, etc. Cela a
été vraiment une révélation dans ce
sens-là.
C'est pour ça que nous avons dit qu'il ne faut pas que les
mesures pensées pour les jeunes le soient d'une façon
hiérarchique, mais beaucoup plus circulaire pour décloisonner les
ressources possibles. A tel moment, peut-être pour une période
très courte, il est peut-être nécessaire que le jeune aille
dans une institution spécialisée, mais il pourra peut-être
continuer son traitement en milieu ouvert, si le milieu plus fermé,
institutionnel a déclenché le besoin, a fait traverser la crise
que l'individu avait.
C'est ce qui nous incite à travailler ensemble, mais on doit nous
en fournir les mécanismes.
M. CASTONGUAY: Je veux seulement souligner ici la création des
conseils régionaux. Le regroupement des agences dans les centres de
services sociaux et les contrats de service ou d'affiliation vont dans ce sens
également. Il y a un certain nombre au plan législatif et
graduellement au plan concret de gestes qui ont été
posés et qui vont être posés dans ce but.
M. LAPOINTE: Vous aviez abordé tantôt l'aspect de cas
très marginaux qui embêtent réellement tout le monde et
qu'aucune institution ne prend, plusieurs cas marginaux qui n'aboutissent nulle
part.
M. CASTONGUAY: Ou cas d'urgence.
M. LAPOINTE: Je crois qu'il y a actuellement, au niveau des milieux
ouverts, des tentatives que les CLSC et la création de ces organismes
peuvent permettre. Une forme de
décentralisation comme celle-là va certainement permettre
de nouvelles expérimentations, même conjointes, avec des
organismes comme le nôtre.
Nous pensons même accepter, pour fins d'observation, non seulement
des cas qui seraient destinés à nous, mais qui seraient
destinés à des milieux ouverts pour permettre une relance et une
acclimatation du jeune par rapport à la société par un
séjour très court et travailler conjointement avec des milieux
ouverts qui ont déjà un certain équipement de base pour
permettre des expérimentations et voir si certains sujets, qu'on croyait
toujours destinés à des institutions, pourraient
bénéficier de mesures d'un autre genre comme celle-là.
Il y a lieu d'espérer qu'une évolution dans ce
sens-là va se faire. D'ailleurs, depuis quelques années on note,
par exemple dans le cas de Boscoville, qu'au fur et à mesure qu'existent
des ressources dans les milieux ouverts, les jeunes qu'on reçoit sont
seulement la crème de ceux qui sont les plus
détériorés. Ce pourquoi d'ailleurs nous sommes faits. Mais
auparavant nous avons déjà reçu des jeunes que nous
recevions, à défaut d'autres mesures, mais qui n'avaient
peut-être pas besoin d'être à l'institution.
M. CASTONGUAY: Si vous me le permettez, il y avait peut-être une
dernière question sur la réinsertion et l'évaluation des
résultats obtenus. Ensuite, j'écouterai avec grand
intérêt les questions et les réponses.
M. CLOUTIER (Montmagny): De toute façon, les questions
posées par le ministre valent pour tous les membres de la
commission.
H n'y a pas de compartimentation ici; on peut lire les questions que le
ministre pose. On a fait allusion tantôt à la compartimentation
entre les institutions; il ne faudrait pas qu'il y en ait, ici, à la
commission. Allez, M. le ministre, je parlerai après.
M. CASTONGUAY: Je m'excuse, je ne voulais pas vous interrompre, mais je
ne voulais pas que cette question, qui est bien importante, à un moment
donné...
M. CLOUTIER (Montmagny): J'aurais voulu faire juste un commentaire sur
ce qui vient d'être dit, parce que, plus tard, cela me ferait rouvrir
tout un autre débat. On a mentionné qu'il y avait une
compartimentation entre les différentes institutions; c'est vrai et
c'est une remarque fort importante. Vous dites que vous venez de
découvrir, à une occasion précise, comment les
institutions sont complémentaires l'une de l'autre et comment les
services dont l'une dispose pourraient être utiles et utilisés par
l'autre institution. Je voudrais seulement rappeler ceci aux membres de la
commission; je pense qu'il s'en souviennent très bien. Quand on a
visité une institution à Québec récemment, on nous
a appris qu'il commençait à y avoir des réunions entre les
différents directeurs ou directrices de ces établissements et
aussi au niveau des conseils d'administration. Là également, on
nous a fait part des bénéfices qui pourraient être
retirés de ces contacts entre les différents responsables des
institutions, soit au plan de l'administration, soit au plan des directeurs,
des responsables de la rééducation ou des différents
services qu'il y a au sein de l'institution. Je voulais enchafner
là-dessus pour dire que ce que vous avez constaté, d'autres, ici
à Québec, l'ont également noté. Je pense que c'est
une chose importante. Je reviendrai tantôt, M. le ministre.
M. CASTONGUAY: D'accord.
M. LAPOINTE: Quelqu'un voulait savoir si, depuis 1964, il y a eu une
étude assez rigoureuse sur la population qui a quitté Boscoville.
Honnêtement, il n'y a pas eu d'étude très rigoureuse. Les
seuls relevés qu'on peut posséder sont ceux qu'on a faits sur le
champ au fur et à mesure et de façon non systématique.
Peut-être par manque de ressources ou peut-être parce qu'on est
beaucoup plus centré sur ce que les jeunes vivent dans le moment et sur
ce qu'on vit au sein de l'institution, je ne dirai pas qu'on était moins
préoccupés d'eux, mais on était moins porté
à consacrer des énergies à ceux qui partaient. C'est
évident que c'est une étude nécessaire et des
démarches ont été faites en ce sens, même au niveau
du conseil d'administration. On a demandé à l'Institut de
criminologie s'il n'y aurait pas possibilité de poursuivre
l'étude qu'il a déjà entreprise, parce que toute recherche
ou étude permet une critique de certaines mesures prises à
l'intérieur et des modalités d'insertion sociale. Je dis qu'on
n'a pas fait d'étude rigoureuse. Les choses qu'on a faites, c'est tenter
d'organiser des services de suite et de travail auprès de ceux qui
quittent, mais, comme statistiques officielles, il n'y a rien de nouveau qu'on
peut offrir ici.
M. CASTONGUAY: Je voudrais mentionner c'est le dernier
commentaire la présence au ministère des Affaires sociales
du comité de recherche socio-économique qui donne des subventions
pour les projets de recherche qui sont jugés valables. Nous avons fait
des efforts depuis la création de ce comité pour en augmenter les
crédits. Nous recevons des projets de recherche qui ont vraiment de la
valeur; ils sont évalués par un groupe de professionnels de
diverses disciplines. Je voulais vous mentionner la présence de ce
mécanisme qui peut être utilisé pour mettre à jour
ce genre de travail ou de recherche qui, à mon sens, pourrait être
fort utile pas seulement pour un établissement comme le vôtre,
mais peut-être pour certains établissements présentant des
caractéristiques différentes.
M. LAPOINTE: Merci.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Montmagny.
M. CLOUTIER (Montmagny): Je voudrais vous demander s'il arrive souvent,
à cause de l'âge de l'enfant seize ans qu'on utilise
une loi plutôt qu'une autre. Est-ce qu'on utilise la Loi des jeunes
délinquants au lieu de la Loi de la protection de la jeunesse, justement
à cause de la limite ultime d'âge qu'il y a de 21 ans dans une
loi, et 18 ans dans l'autre?
M. LAPOINTE: Si on pense à un programme de traitement pour tel
jeune qui est très détérioré, qu'on sait que
ça ne pourra pas se faire à l'intérieur d'une
période de moins de deux ans, deux ans et demi ou trois ans et que le
jeune a 17 ans, comme on sait que la Loi de la protection de la jeunesse ne
permet pas actuellement de prolonger le traitement après 18 ans,
légalement, c'est évident qu'autant la cour que nous, nous aurons
tendance à favoriser l'application de la Loi des jeunes
délinquants, parce que le jeune va avoir une garantie qu'il va pouvoir
se rendre à la fin de son traitement, ce qui est nécessaire.
Malgré ça, on peut dire qu'il y a à peu près
10 p.c. de la population de Boscoville je le dis sous toute
réserve, ici, je ne sais pas si je devrais le dire publiquement
qui y sont en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse et qui continuent
à demeurer à Boscoville avec l'assentiment du ministère,
depuis toujours, après l'âge de 18 ans, et avec l'assentiment et
l'aide et le support des juges, pour qu'ils puissent continuer leur traitement,
parce qu'autrement ils n'auraient pas pu être acceptés à
Boscoville; il n'y avait aucune matière à une plainte officielle,
personne ne voulait assermenter une plainte, mais dynamiquement la personne
était aussi détériorée que le jeune
délinquant à côté.
On les accepte quand même à ce moment-là, sachant,
et avec la réserve que le traitement doit se continuer après
l'âge de 18 ans, même si c'est un cas de protection, officiellement
appelé, selon la Loi de la protection de la jeunesse.
M. CLOUTIER (Montmagny): Vous avez insisté sur la qualité
du travail du juge et celle du juge lui-même, et sur la qualité du
personnel dans les établissements. Dans votre mémoire, vous dites
qu'il y a des juges qui consultent et il y en a d'autres qui ne consultent pas.
Est-ce que la tendance est davantage marquée vers la consultation dans
les décisions qu'ils rendent au début d'abord, soit la
première fois que l'enfant comparait à la cour du Bien-Etre et,
ensuite, au moment d'autres comparutions ou au moment de sa demande...
M. LAPOINTE: La majorité des juges ont tendance à
consulter, avant de prendre une décision finale. H y a eu longtemps une
crainte de la part des juges, à savoir qu'en ayant consulté
beaucoup, puis en donnant un diagnos- tic très clair, d'être ce
qu'ils appelaient simplement un "rubber stamp". Je prends l'expression car elle
a été dite textuellement.
Maintenant, de plus en plus le juge découvre qu'il est au centre
d'une décision que quelqu'un doit prendre au nom de la
société, et c'est lui. C'est pour ça qu'on insiste
beaucoup sur la compétence du juge. On ne peut pas dire qu'elle est
généralisée à tous les juges et que leur formation,
avant d'arriver au tribunal soit nécessairement adéquate. C'est
pour ça que depuis le tout début de Boscoville, à chaque
comparution, du reste, on s'est organisé pour être présent
pour informer le juge. Je crois qu'il y a eu un enrichissement de part et
d'autre.
Mais, pour nous, la formation des juges est très importante.
M. CLOUTIER (Montmagny): Vous déplorez le fait que les juges
n'aillent pas visiter votre maison...
M. LAPOINTE: Ce n'est pas tellement visiter, parce qu'à
l'occasion d'une visite, c'est plus une question d'approfondir par
eux-mêmes ce qu'est un traitement, quels sont les genres d'intervention
qu'on y fait, les genres de diagnostic et comment lui-même, au niveau de
sa propre formation, profite de la venue d'un jeune devant lui et qu'il le
confie à Boscoville ou à un autre centre aussi. Je crois qu'alors
le juge s'enrichit d'une expérience qui fait qu'il n'a pas seulement un
dossier légal entre les mains, mais qu'il a aussi l'aspect psychosocial
du développement du jeune, non seulement d'une façon
théorique, mais d'une façon vécue. Il a eu l'occasion de
visiter, de voir, de constater, d'échanger des impressions.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous invitez ceux qui auraient
avantage à faire plus qu'une simple visite, à étudier vos
institutions, ceux qui travaillent en contact avec vous, comme les juges, les
officiers de probation, tous ceux de l'extérieur, les agences
spécialisées qui vous envoient des enfants? Est-ce facile de
visiter?
M. LAPOINTE: C'est très facile de les inviter et on ne manque pas
de la faire. Je pense qu'on insiste même beaucoup et même en
certaines occasions il a fallu, â cause des positions
diamétralement opposées par rapport au traitement, prendre des
positions qu'à défaut de visites ou d'échange de
compréhension commune, c'était préférable de ne pas
prendre tel enfant envoyé par tel juge ou par telle cour, si le juge
refusait carrément de penser que la mesure de traitement était
efficace et qu'il pouvait le libérer n'importe quand après un
mois, six mois, douze mois, sans consultation. A ce moment-là on demande
réellement une visite. Parfois c'est non seulement une demande, c'est
une exigence.
M. CLOUTIER (Montmagny): Quand vous parlez d'établir des centres
de diagnostic qu'avez-vous à l'esprit? Est-ce un genre clinique à
l'enfance ou l'utilisation du CLSC, ou quoi? Qu'est-ce au juste? Est-ce que
vous voyez du dédoublement quelque part?
M. LAPOINTE: II n'y a peut-être pas de formule uniforme à
choisir, si on regarde l'ensemble de la province. Nous recevons des jeunes de
toutes les cours de Bien-Etre social. Je pense que dans un district comme
Montréal, une clinique assez bien équipée, assez autonome,
autant du pouvoir judiciaire que du pouvoir social, peut être bien
placée pour servir à toutes les ressources et être aussi
une centrale de données.
Est-ce qu'elle doit être rattachée organiquement au CSS ou
quel est le rattachement officiel à faire? C'est évident qu'au
niveau professionnel comme au niveau du travail nous voyons la
nécessité de cliniques, d'endroits de diagnostic, de
réévaluation. On a dû, dans le passé, utiliser des
cliniques privées qui ont assuré une
complémentarité à ce niveau.
M. CLOUTIER (Montmagny): Quels sont les types de profession
représentés dans votre institution? Est-ce que vous avez des
professionnels qui n'y sont pas et qui devraient être là? Pour
ceux qui y sont, le travail en équipe est-il facile?
M. LAPOINTE: Je pense que le travail en équipe est facile. On a
fait des options, compte tenu du nombre de sujets qu'on a; par exemple, au
niveau de la psychiatrie, on ne pourrait pas songer à avoir un
psychiatre à plein temps. Dans un tel cas, c'est plus un service de
consultation avec une clinique ou avec un hôpital qui est
assuré
Au niveau du psychologue, c'est la même chose. Plutôt
d'avoir un psychologue dans la maison, on fait affaire avec une clinique qui a
un groupe de psychologues qui peuvent perpétuer, à un moment
donné, les modalités de diagnostic et s'échanger leurs
expériences. On a, au sein de la maison, une seule travailleuse sociale,
ce qui n'est pas suffisant à notre point de vue, qui assure le contact
au niveau des parents.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous avez quelqu'un dont la
responsabilité est de suivre l'enfant, de garder le contact une fois
qu'il a quitté la maison?
M. LAPOINTE: Conjointement avec la travailleuse sociale, qui continue
d'assurer certains contacts avec le service de probation et avec celui qui est
chargé des relations entre Bosco-ville, la cour et les services de
probation, il y a un membre du personnel dont c'est la principale tâche
d'assurer actuellement la postcure ou l'insertion sociale. Une personne qui ne
fait que cela, c'est récent dans la maison.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous pourriez nous dire à ce
moment-ci, si on vous le demandait, quel est le pourcentage de réussites
ou d'échecs après la réinsertion sociale? Est-ce que vous
auriez certaines statistiques qui montreraient l'importance et la
réussite du travail que vous faites?
M. LAPOINTE: Je disait tantôt que des statistiques rigoureuses ont
été faites en 1964; les statistiques qu'on peut présenter
seraient des estimations maisons bien à l'oeil. Je pense qu'elles
risqueraient d'être inadéquates. On estime, dans l'ensemble, que
les statistiques de 1964 ressemblent passablement à celles de 1974.
Depuis trois années et jusqu'aux cinq ou six prochaines années,
je pense que c'est à refaire aussi à cause de la population, de
l'existence de ressources dans le milieu externe.
C'est évident que la population qui arrive est plus
détériorée et que les statistiques vont risquer de changer
si on n'assure pas, par exemple, une plus grande compétence au niveau du
traitement.
M. LAPOINTE: Est-ce que cela répond? M. CLOUTIER (Montmagny):
Oui, merci.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dorchester.
M. GUAY: M. le Président, plusieurs des questions que j'avais
à l'esprit ont été posées, cela va m'éviter
de le faire. Vous semblez d'accord avec la majorité des organismes qui
ont présenté des mémoires, ceux qu'on a entendus, sur
l'approche plutôt sociale que judiciaire ou pénale.
J'aimerais savoir si, depuis son existence, Boscoville a
transformé sa vocation concernant, par exemple, la forme ou même
la durée du traitement. Est-ce qu'il y a eu des transformations assez
profondes dans l'organisation interne qui pourraient toucher la vocation
même de Boscoville?
M. LAPOINTE: Je pense qu'on parlera des transformations en
qualité. Au départ, si on prend les deux premières
années d'expérimentation un peu systématique, de 1954
à 1956, le personnel en place avait une certaine compétence au
niveau universitaire; au niveau de l'expérience vécue, il avait
une expérience plus relative. Au niveau de la clientèle
reçue, il n'y avait aucun critère d'admission sauf que le cas
était passé par la cour et nous arrivait. Cela a duré
plusieurs années.
Au fur et à mesure que les années ont passé, on a
continué à accepter des adolescents délinquants de 16 ans
à 21 ans. Au fur et à mesure que les ressources ont existé
à l'extérieur, qu'on a mieux connu et qu'on a su mieux faire le
travail à l'intérieur, les changements se sont faits en allant
vers des cas de plus en plus détériorés. Je ne sais pas si
cela répond, du moins en partie, à votre question.
Je crois que l'expérience faite nous amène à croire
qu'il y a une foule d'aspects vécus à l'intérieur de la
maison qui seraient généralisables à d'autres domaines.
Disons que le fait de travailler beaucoup plus en profondeur nous permet de
découvrir, par exemple, que dans un milieu ouvert on estime que les
concepts d'évolution d'un jeune, dans les différentes
étapes de l'éducation, sont généralisables avec
d'autres mesures moins dispendieuses pour des cas moins
détériorés. C'est là qu'on espère, avec un
ou deux CLSC de Montréal, certains juges et certains officiers de
probation, commencer un travail d'expérimentation au cours de
l'année qui s'en vient. Nous demanderions au ministère de
convertir une unité permanente de rééducation en une
unité d'observation à court terme par rapport au milieu ouvert et
de suivre cette évolution pour savoir si certains jeunes qu'on aurait
peut-être acceptés avant et pour lesquels les ressources dans le
milieu ouvert essaieraient de répondre, après une période
d'acclimatation et de relance pour supporter le milieu extérieur, ont
bien réagi sur l'implication du milieu extérieur dans
l'observation et en partie aussi du personnel d'observation dans le milieu
extérieur après.
Il y a différentes étapes à faire dans une
expérimentation comme celle-là. Mais je crois qu'on est rendu,
autant à Boscoville que dans le milieu ouvert, à vivre des
expériences communes avec la cour et le service de probation.
M. GUAY: Au moment de l'admission d'un jeune, est-ce que l'information
que vous recevez concernant le sujet est suffisante? Est-ce qu'il y a de longs
délais concernant certains documents qui vous sont indispensables ou
très utiles à recevoir à votre établissement?
M. LAPOINTE: Actuellement, non, pour une simple raison. C'est que je
crois que toutes les cours de Bien-Etre social et les services de probation
savent qu'on demande qu'il y ait un diagnostic avant l'admission. Quand le
diagnostic est fait et que le juge est éclairé, ainsi que le
service de probation et nous, l'admission se fait. Il peut y avoir une
période d'attente, à un moment donné, entre cette
décision et l'admission à cause du problème de places.
Mais d'un autre côté, je crois que le problème d'attente
d'un jeune est entre le moment de son arrestation ou d'une mesure temporaire et
un diagnostic complet. Il y a des cas plus spéciaux, je pense, qui sont
connus. En particulier, pour un cas de Québec, à cause du
délit même, à cause du problème de diagnostic, le
délai entre son délit, l'arrestation et son admission à
Boscoville a été de neuf mois, mais entre la fin du procès
et son admission, cela a pris peut-être un mois.
M. GUAY: Si vous avez la chance, plutôt partielle, de suivre les
sujets à la sortie de l'établissement, pouvez-vous nous dire
où vont les jeunes qui sortent de Boscoville?
M. LAPOINTE : Dans quel genre de milieu de travail en
général?
M. GUAY: Le milieu de travail ou encore... On s'est laissé dire
par différents groupes que j'ai l'occasion de rencontrer que les jeunes,
de plus en plus, choisissaient un milieu où il semblerait facile de
vivre et où il y aurait d'abord et avant tout de la
sécurité. Par exemple, je songe aux jeunes qui se dirigent vers
l'armée. Est-ce que c'est fréquent?
M. LAPOINTE: Non, l'armée, ce n'est pas très
fréquent. Ce sont les cas uniques, je pense, qui se dirigent vers
l'armée. Disons que la plupart des jeunes vont se diriger vers le milieu
du travail et ne retourneront pas, compte tenu de l'âge, 19 ans, 20 ans,
21 ans, nécessairement dans leur famille non plus. Ils vont surtout
aller dans un milieu de travail et quelques-uns vont poursuivre leurs
études. Le milieu de travail est assez diversifié. Il varie du
travail de banque, de pompier, de garagiste au travail de manutention dans une
compagnie.
M. GUAY: Vous dites également en conclusion dans votre
mémoire que si le législateur vous fournissait un délai
raisonnable, Boscoville serait prête à participer avec le
ministère des Affaires sociales et avec les organismes
intéressés à développer des réflexions et
des recommandations. Quelle serait la recommandation prioritaire, selon la
direction que s'est donnée Boscoville ou la vocation qu'elle s'est
donnée? En deux mots, quel est votre premier problème à
Boscoville?
M. LAPOINTE: Celui de Boscoville? Je croyais que vous vouliez dire par
rapport à l'ensemble. Celui de Boscoville, je crois que c'est la
possibilité, pour un jeune qui a des problèmes profonds de
bénéficier de la chance d'être jugé, ou qu'on
s'occupe de lui en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse ou de la Loi
des jeunes délinquants, qu'on lui donne la chance d'aller jusqu'au terme
de son traitement et qu'on puisse le poursuivre jusqu'à 19 ans, 20 ans
ou 21 ans au besoin. Pour celui qui nous arrive à 18 ans il est un mois
à Boscoville, parce que le juge a rendu sa décision avant qu'il
ait 18 ans, pour celui qui nous arrive à 17 ans et six mois, il est
évidemment impossible, dans six mois, de reconstruire ou de permettre
à un jeune homme de reconstruire quelque chose qui s'est démoli
progressivement.
Quand c'est rendu au désespoir, ce n'est pas possible qu'une
reconstruction se fasse en profondeur et dans un court laps de temps. C'est ce
qui nous parait prioritaire quant aux jeunes qui nous sont confiés, ceux
de 16 à 21 ans. Si ces jeunes ne peuvent pas bénéficier de
traitement, on sait qu'ils vont grossir les rangs des 18 à 25 ans qui,
actuellement, vont dans les prisons. IL n'y a pas de ressource pour eux.
M. GUAY: C'est la possibilité de les recevoir.
M. LAPOINTE : Pour le jeune de recevoir un traitement jusqu'à la
fin.
M. GUAY: C'est ça. Comme dernière question: Au moment de
l'évaluation d'un sujet à sa sortie de Boscoville, les
différents professionnels, qui participent à cette
évaluation d'un sujet, s'entendent-ils assez facilement ou si c'est
difficile pour ces professionnels de poser le même diagnostic, si je peux
dire?
M. LAPOINTE: Non. Je pourrais demander à un confrère de
répondre à cela. Nécessairement, parfois, il n'y a pas un
accord complet. En toute humilité, les sciences de l'homme, ce ne sont
pas des sciences mécaniques. Il n'y a pas de dogmes absolus. Mais, dans
l'ensemble, il y a réellement une compréhension, un consensus qui
s'établit au niveau du diagnostic qui a déjà
été fait et qui est refait par rapport à l'avenir du
jeune. Où on peut différer d'opinion, c'est sur des mesures
concrètes. Mais, dans l'ensemble, il n'y a pas de problème.
M. DUCHARME: Pour compléter la réponse à la
question que vous posez, dans le processus de traitement tel que
préconisé par nous, il y a une phase, la dernière du
traitement, où l'individu est rendu suffisamment autonome. Il a
suffisamment identifié ses difficultés. Lui-même va
choisir, avant son départ, les choses qu'il veut réellement
travailler et à travers lesquelles il veut passer. Habituellement, il
lui reste encore peut-être de six à huit mois. C'est dans ce
sens-là qu'on dit qu'il n'y a pas de question de temps pour nous. Si
toi, tu crois que c'est fondamental dans ta vie d'être capable de
résoudre et de passer à travers ces difficultés, on va
tout mettre en oeuvre. Mais c'est toi qui es le principal agent actif, à
ce moment-là. La fin du traitement, c'est comme cela que ça se
fait. Alors, terminer un processus de traitement dans une telle optique, cela
ne pose jamais de problème. Où cela en pose un, c'est quand
l'individu commence à prendre conscience de ses difficultés et
qu'il prend peur. A cause de cet état de non-confiance qu'il a toujours
de lui, de cette image négative qu'il a de lui, il croit qu'il ne s'en
sortira jamais et, là, on frappe le fond de désespoir de ces
jeunes. C'est ce qu'ils vont essayer ailleurs. Si un juge ne comprend pas
ça, il va le libérer s'en tenant juste au progrès qu'il a
pu faire en éducation. Mais pour l'individu, comme on dit, c'est plus
néfaste parce qu'il se retrouve devant des problèmes où il
est plus dépourvu, jusqu'à un certain sens, qu'au moment de son
arrivée.
M. GUAY: Vous appuyez très fortement, je le remarque, sur la
durée du séjour qui est très importante pour vous autres.
Un jeune, par exemple, qui est chez vous, est-ce comparable à quelqu'un
qui souffre d'une maladie physique et qui doit faire un stage ou une
période de traitement dans un centre hospitalier, où on ne peut
pas déterminer à l'avance la vitesse de guérison,
l'évolution rapide ou plus lente que prévue? Est-ce aussi
tranché que cela?
M. DUCHARME: Oui, disons que, pour nous, c'est un concept qui se
rapproche beaucoup d'un concept médical, quand on parle du traitement
d'une maladie physique. Oui.
M. GUAY: Merci.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Bourget.
M. LAURIN: Dans quelle proportion les cas qui sont à Boscoville
vous sont-ils envoyés par la cour? A 80 p.c, 85 p.c. ou 90 p.c?
M. DUCHARME: A 100 p.c.
M. LAURIN: A 100 p.c, bon! J'aimerais alors enchaîner sur la
question que le ministre vous a posée. Croyez-vous qu'on s'est trop
servi des juges et que, maintenant qu'une nouvelle loi prévoit un
service de protection de la jeunesse et d'autres dispositions, l'on va s'en
servir assez qu'il soit au ministère des Affaires sociales ou au
ministère de la Justice, cela est un autre problème pour
éviter et, si oui, dans quelle proportion, d'avoir recours aux juges?
Est-ce que cela va être plus efficace, selon vous?
M. LAPOINTE: H y a une question sous-jacente à celle-là,
c'est: Est-ce que confier un enfant à un centre d'accueil ou le retirer
de sa famille, doit être une mesure prise par la justice ou une mesure
sociale?
Ce qui, pour nous, est important, c'est qu'il y ait une personne, au nom
de la société, qui réponde du jeune. C'est un peu le
rôle du juge. Une même personne devrait en répondre si, dans
un autre service, on pouvait nous placer des jeunes à Boscoville. Au
niveau d'un centre de services sociaux, il devrait y avoir là une
personne qui serait garante que la société va maintenir la mesure
pour la famille,' pour le jeune et pour l'institution.
En soi, on ne peut se rattacher à l'aspect social à cause
du travail qu'on fait. Je pense que c'est beaucoup plus un rôle au niveau
de la personne qui va assurer cela, que cela s'appelle le ministère de
la Justice, que cela s'appelle le ministère des Affaires sociales. C'est
tout une autre question, pour nous, que nous n'avons peut-être pas la
compétence pour trancher, à savoir si cela demande une
compétence du ministère de la Justice pour le placer dans une
institution.
M. LAURIN: Mais est-ce que vous prévoyez qu'un nouveau dispositif
comme celui qui est prévu au projet de loi, qu'il soit rattaché
à l'un ou à l'autre des ministères, va diminuer de
beaucoup l'importance du juge en ce qui concerne son rôle comme
officier de placement, comme maître du placement?
M. LAPOINTE: Si je regarde l'ensemble de la population, l'ensemble des
jeunes autres que ceux de Boscoville, je pense bien qu'il était
prévu que plusieurs problèmes devraient être
réglés au niveau des centres de services sociaux, et qu'ils
n'auraient pas besoin d'aller dans l'appareil de la Justice.
En ce qui nous concerne, j'ai bien de la difficulté à
répondre à la question parce qu'il est évident, pour nous,
que tous les jeunes que nous recevrons doivent nous être confiés
par un organisme ou par deux organismes, si on apporte des modifications. Mais
pour le jeune lui-même, il devrait y avoir une personne qui remplirait un
rôle analogue à celui du juge ou que le juge remplisse un
rôle...
M. LAURIN: Mais il y a beaucoup de jeunes qui peuvent être
très inadaptés, très malades, socialement parlant, sans
qu'ils aient commis de délit.
M. McCOMBER: Je pense que dans ce sens, actuellement, même un
enfant qui nous est recommandé et confié par un hôpital
psychiatrique doit, actuellement, passer devant le juge avant de se rendre
à Boscoville.
M. LAURIN: C'est un peu ce que je voulais dire.
M. McCOMBER: Maintenant, d'un autre côté, si ce n'est pas
le juge, il faudra quand même avoir une personne qui reste responsable de
voir au développement de l'enfant, qui suive l'enfant dans le
processus.
M. LAURIN: Vous avez parlé de cette méconnaissance que les
divers spécialistes ont les uns des autres. Croyez-vous à la
possibilité de la constitution d'un dossier unique pour les enfants dont
l'un ou l'autre des éléments du dispositif a à s'occuper,
à un moment donné, que ce soit à Boscoville, que ce soit
à une. clinique, que ce soit à un centre
d'hébergement?
M..LAPOINTE: Sur la question du dossier unique, il y a un avantage
à avoir un dossier central quelque part.
M. LAURIN: II y a déjà un dossier central. M. LAPOINTE:
Oui.
M. LAURIN: Je ne sais pas jusqu'à quel point il est
utilisé. Mais le dossier unique va beaucoup plus loin.
M. LAPOINTE: Je ne sais pas si je peux répondre à votre
question.
M. LAURIN: Croyez-vous utile que la loi ou les règlements de la
loi prévoient la constitution d'un dossier unique?
M. LAPOINTE: Pour nous, il y a une relation avec le dossier unique et la
confidentialité, l'usage qu'on peut faire du dossier qui est sous-jacent
à cet aspect. Nous n'avons pas abordé, ce matin, l'aspect de la
confidentialité. C'est évident qu'il doit y avoir une
façon, quand un enfant va dans un organisme pour être
traité et être aidé, pour que cet organisme ait rapidement
toutes les données de ce qui a été fait
antérieurement.
D'un autre côté, il doit y avoir des garanties que
l'utilisation du dossier ne sera pas faite par des personnes qui ne peuvent pas
le lire, en termes de compétence. A ce moment-là, je pense qu'il
y a des mécanismes à prévoir.
M. DUCHARME: Je pourrais donner des exemples des fois où on avait
fait rapport au juge pour lui faire comprendre ce que le garçon avait
vécu. C'étaient des rapports de nous, des rapports du travailleur
social, des rapports du psychologue. Le juge arrivait à la comparution
et lisait, quasiment textuellement, les rapports qui lui étaient
envoyés. Il y avait souvent là la famille, il y avait souvent
là le jeune. Cela causait des drôles de problèmes. Je suis
convaincu que le juge le faisait en toute bonne foi.
Personnellement, je serais favorable à une telle mesure si
ça pouvait aider à décloisonner l'ensemble des ressources,
raccourcir les délais, faire mieux connaître les ressources qui
peuvent exister, mais en autant qu'il y aurait des garanties sur l'utilisation
de ces dossiers.
M. LAURIN: Votre réponse me ramène aux juges. Vous avez
semblé déplorer à quelques moments que les juges n'aient
pas, au moment où ils sont nommés, toute la formation suffisante
dans un domaine aussi nuancé et délicat. Vous avez même
parlé de juges qui deviennent excellents par suite de la formation
qu'ils acquièrent en cours d'emploi.
Mais vous avez semblé penser que cette formation en cours
d'emploi n'est qu'un expédient et qu'il vaudrait mieux qu'ils aient la
formation à partir du moment où ils commencent à exercer
leur emploi.
Est-ce que vous avez des suggestions à présenter au
législateur quant aux modes de nomination de ces juges, quant à
la formation préalable qu'on devrait exiger d'eux? Et
deuxièmement, est-ce que vous pensez qu'un juge du Bien-Etre social
devrait nécessairement être un avocat?
M. LAPOINTE: C'est une question assez vaste et importante, la question
de la sélection ou de la nomination. Comme le juge, pour nous, est
très important dans sa relation avec l'enfant, je crois qu'il y aurait
peut-être lieu je pense qu'il n'y a pas eu d'études de
faites à
ce niveau-là de voir au niveau de la personnalité,
s'il y a des critères qui le rendent apte à apprendre et
être capable d'assumer la relation qu'il aurait à assumer,
à ce niveau.
Il y a certains juges qui apprennent facilement, c'est que
déjà ils répondaient à certaines compétences
personnelles, certaines aptitudes au niveau de leur personnalité. Il y
avait des prérequis qui étaient présents. Je pense qu'il
faudrait essayer de les distinguer, de les tracer comme portrait. Je ne sais
pas si un comité d'évaluation peut être fait.
Au niveau du genre de formation, je crois que le juge a des aspects de
formation juridique, et ça ne tarde pas ordinairement à prendre
les aspects des lois propres à l'enfance. Même si ça fait
plusieurs années que tel avocat nommé juge n'a pas eu à
s'occuper de ces aspects, il réussit à les réapprendre
assez facilement puisque ç'a été appris il y a
déjà longtemps.
Et il y a aussi tous les services judiciaires qui existent à la
cour, services de consultants.
Au niveau de la compétence, est-ce qu'un juge devrait absolument
être avocat? Je ne crois pas que ce soit un critère absolu, que ce
soit nécessairement un avocat qui puisse devenir juge d'enfant. Au juge
d'enfant, il faut une connaissance des lois, une assistance même pour
l'éclairer au niveau des conseillers juridiques de la cour, mais je
crois qu'une formation aussi au niveau de la délinquance, des
mécanismes de défense des délinquants, du fonctionnement
en général, devrait être acquise à l'une ou l'autre
des personnes, que ce soit oui ou non un avocat. Mais je ne crois pas que le
fait qu'il soit avocat devienne un critère absolu pour poser avec
compétence une décision.
M. LAURIN : Tout au long de votre mémoire, vous laissez
sous-entendre que quelle que soit la valeur de la loi, si la
société n'est pas dotée des ressources que les
spécialistes en sciences humaines jugent ncessaires pour la
réadaptation et le traitement de ces enfants, la loi deviendrait vite
inopérante ou inefficace, absolument ou relativement parlant.
D'après votre expérience, quelles sont actuellement les
ressources qui nous manquent le plus, soit qualitativement, soit
quantitivement?
M. LAPOINTE: Je vais essayer de répondre. Je ne prétends
pas être capable d'épuiser cette question. Certaines recherches
ont démontré, par exemple, que dans certains cas de
délinquance à New York, il serait possible de faire un diagnostic
préventif vers l'âge de six ou sept ans. Le début de la
fréquentation à l'école pose tout de suite le
problème de la compétence des maîtres qui assurent
l'enseignement pour une capacité d'observation et de reconnaissance des
symptômes.
D'ailleurs, la CEQ faisait mention de la formation des maîtres. Le
jeune délinquant qui provoque chez les autres un rejet, une image
négative, ç'a commencé avant, et dès l'école
il continue à faire cette recherche d'une construction d'image
négative de rejet.
La formation des maîtres me paraît une première
ressource. Il y a un cloisonnement entre l'école et le milieu ouvert.
L'enfant termine l'école à quatre heures et certains adolescents
disent: On commence à vivre à cette heure-là. Je pense
qu'alors il y a déjà entre l'école et le milieu ouvert une
forme de décloisonnement recherché. Peut-être que des
compétences deviendraient plus actives avec un décloisonnement
parce qu'il y a quand même des ressources au sein des écoles qui
sont là et qui n'agissent pas après quatre heures de
l'après-midi, alors que les contacts se font toute la journée. La
présence de l'école dans le milieu ouvert cause des
problèmes au système scolaire actuel, en tout cas, pour l'enfance
inadaptée. Et c'est là qu'on voyait une forme d'ombudsman de
l'enfant parce que dès le départ, entre tout l'univers scolaire
et les autres réseaux, il doit y avoir une forme de
décloisonnement ou au moins un ombudsman de l'enfant qui va le suivre.
Je n'ai pas répondu à toute la question.
M. LAURIN: Vous avez commencé à y répondre. Dans
les ressources plus spécifiques au point de vue institutionnel, par
exemple, est-ce qu'il y a une carence particulièrement grave qu'il vous
paraît important de signaler, soit qualitativement, soit
quantitativement?
M. DUCHARME: Pour ma part, il y en aurait une. Je pense que
peut-être le facteur qu'on oublie le plus souvent dans un programme de
traitement est la qualité des personnes qui font le traitement. Je vous
le dis par expérience, cela ne fait pas loin de six, sept ans qu'on
essaie de faire comprendre ce que ça exige d'une personne d'appliquer un
programme de traitement, de transformer un individu. Ce qui semble des fois
plus ou moins compris, c'est que finalement ce n'est pas tel type de profession
qui fait la transformation, ce sont des personnes. Ma profession ne fournit que
des moyens à ma personnalité pour que je puisse être
capable de transformer des individus. Ce n'est pas parce que je suis de telle
profession que je transforme des individus. Cela rejoint peut-être ce que
M. Lapointe disait tantôt, c'est à la base, dans la formation des
personnes qui vont aller travailler dans ce secteur qu'il y a une très
grande lacune. On se soucie peu de la personnalité de la personne qui va
avoir à vivre avec des jeunes, qui va avoir à les transformer.
Selon notre expérience, on a beau avoir les plus belles techniques, le
plus beau milieu, le mieux organisé possible, ce n'est pas un milieu
transformant, ce n'est pas un milieu thérapeutique.
Nous avons justement, l'année dernière, à
Boscoville, publié une expérience au congrès de la
criminologie tenu à l'université McGill pour faire comprendre aux
gens ce qu'est le concept d'un milieu thérapeutique, ce qu'il faut pour
amener un jeune à participer à sa transformation, ce que cela
exige au plan de la personnalité de ceux qui le font. En termes de
lacune, je dirais que c'est peut-être cette chose qui est
encore la moins comprise mais c'est sûr que ça demande des
investissements, c'est sûr que ça demande aussi beaucoup de
ressources pour former ces gens.
M. LAPOINTE: Je pense que c'est l'investissement le plus difficile, la
formation du personnel. Je pense que c'est plus facile de construire un
immeuble; à Boscoville, je pense qu'on est bien équipé de
ce côté par le ministère, on doit le dire, c'est reconnu.
Le jour où la compétence du personnel serait réduite,
l'ensemble du milieu ne serait pas magique. C'est pour ça que c'est
difficile parfois de faire comprendre à un organisme, on a eu à
le vivre, que c'est peut-être plus important d'investir dans la formation
du personnel que dans le réaménagement de tel local. IL est
préférable de sacrifier tel ou tel local et de consacrer ces
sommes au recyclage, à l'approfondissement. Je pense que c'est la
compétence qu'on va fournir au personnel qui va assurer la
transformation.
M. CASTONGUAY: M. le Président, avant que nous terminions avec
les représentants de Boscoville, avant de les remercier, il y a une
remarque que j'aimerais faire quant au projet de loi, au fur et à mesure
que nous l'analysons et qu'on nous fait des représentations. J'aimerais
attirer l'attention des membres de la commission sur l'article 11. On a
parlé beaucoup du service de protection de la jeunesse et à
compter d'hier, dans les représentations qui nous ont été
faites, on a mis l'accent sur la nécessité que, d'une
façon assez continue, il y ait quelqu'un ou un organisme qui se
préoccupe de l'enfant. Si l'on regarde l'article 11, qui se
réfère aux centres de services sociaux, en fait, normalement,
c'est presque le point de départ. Une fois qu'un cas ou un enfant
nécessitant une protection a été identifié et qu'un
certain dossier a été monté, le centre de services sociaux
devient, en fait, ce point de départ.
Dans toutes les situations où il est possible de s'engager dans
un processus volontaire où les parents, l'enfant, les ressources sont
d'accord, l'article 11 est la clé qui ouvre cette porte. De même,
on peut voir, par l'article 12, l'esprit qui se dégage. Alors, il y a
peut-être des ajustements à apporter, par exemple sur la notion de
continuité, mais je crois qu'il y a là un aspect assez important
qui n'était pas ressorti dans les analyses qui ont été
faites jusqu'ici. Je voulais simplement mentionner ça, avant de
remercier les membres de Boscoville.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Autres questions des membres de la
commission? Alors, je remercie infiniment les représentants de
Boscoville.
J'invite les porte-parole de l'hôpital Sainte-Justine. Avant de
continuer, je suggère que le député de Saint-Laurent soit
nommé comme rapporteur de la commission. Adopté?
UNE VOIX: Oui.
Hôpital Sainte-Justine
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je voudrais porter à votre
attention aussi que les membres de la commission ont en leur possession le
mémoire. Alors, je voudrais que vous insistiez davantage sur les points
particuliers, au lieu d'élaborer, parce que la période de
questions est assez longue. Vous voyez que les membres de la commission ont
pris connaissance des mémoires. A ce moment-là, il serait plus
utile qu'on dise seulement ce qui est le plus important.
MME JELIU: Très bien, M. le Président, messieurs les
ministres, messieurs les députés, je tiens, tout d'abord,
à remercier les membres de la commission qui nous ont donné
l'opportunité d'exprimer ici nos vues et éventuellement nos
commentaires en rapport avec certaines dispositions de la nouvelle Loi de la
protection de la jeunesse, dispositions qui touchent à certaines
situations avec lesquelles nous sommes, à certains points de vue,
particulièrement familiers.
En effet, nous faisons partie d'un des deux seuls groupes de travail de
la province de Québec qui s'intéressent tout
particulièrement à un problème qui a reçu
jusqu'à présent une attention qui était souvent une
attention journalistique et qui n'a jamais été traité en
profondeur, je veux parler du problème de l'enfant maltraité.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Pardon, madame, j'ai demandé
tout à l'heure de vous identifier.
MME JELIU: Excusez-moi. Je suis le docteur Jeliu, pédiatre,
présidente du comité des enfants maltraités, à
l'hôpital Sainte-Justine; à ma droite, Mlle Jeannine Fillion,
travailleuse sociale, directrice du service social de l'hôpital
Sainte-Justine; à ma gauche, Mme Legendre-Roberge, assistante-directrice
médicale et, à ma toute gauche, le Dr Bernard Méthot,
pédiatre, membre du comité des enfants maltraités,
à l'hôpital Sainte-Justine.
Il est important, je pense, d'insister un peu sur des faits
d'information, car la compréhension de certaines particularités
de ce problème permettrait ou aurait permis au législateur de
mieux comprendre certaines dynamiques et d'éviter probablement ce que
nous considérons comme certaines erreurs à l'égard du
problème que nous exposons ici aujourd'hui.
Tout d'abord, qu'est-ce que l'enfant maltraité? Il en existe, en
fait, dans la littérature deux définitions. Une qui est
classique, qui est une définition restrictive, et l'autre qui est plus
élargie. La première, la définition restrictive, va
désigner tout enfant mineur qui va subir, par suite de violences
infligées délibérément, des blessures de
gravité variable. Ces blessures sont infligées par son gardien
légal, qu'il s'agisse de ses parents naturels ou de ses parents
nourriciers. Donc, cette première définition a trait à
des blessures physiques mettant en danger la vie et la santé de
l'enfant.
La deuxième définition de l'enfant maltraité, ce
qu'on appelle, en anglais "abused child", est plus élargie.
Elle va désigner tout enfant qui, pour quelque raison que ce
soit, ne reçoit ni les soins, ni la nourriture, ni le logement, ni le
climat psychologique propres à assurer son développement
harmonieux et propres à lui assurer l'accès à une vie
d'adulte responsable et digne de ce nom.
La deuxième question, qu'il est probablement utile de se poser
ici en ce moment: s'agit-il de cas isolés, s'agit-il de cas qui font les
joies et les délices des journalistes en mal de copie? La réponse
est non. En effet, si nous nous basons sur des statistiques absolument
sérieuses qui existent aux Etats-Unis et plus particulièrement si
nous nous référons aux estimations faites par le Dr Helfer, qui
est un expert en la matière, ce dernier tout récemment, en 1971
et en 1972 lors d'une conférence au Children's Hospital de
Montréal, avançait des chiffres précis.
Tout d'abord, il rappelait l'augmentation de l'incidence des cas
déclarés officiellement, dans la seule ville de New-York, qui
s'élevaient à 2,700 pour l'année 1970 par rapport à
700 pour l'année 1968. Il s'agit, bien sûr, des cas
déclarés. Le Dr Helfer mentionne et affirme que l'incidence
d'enfants maltraités se situe aux environs de 300 par million de
population et par an. Ceci, pour les cas maltraités définis
suivant la première définition, c'est-à-dire la
définition restrictive, celle où il y a violence physique et
blessures à l'égard de l'enfant.
L'incidence réelle dans la province de Québec, qui nous
concerne tous, est inconnue. Nous disposons, nous, de données
particulièrement fragmentaires. Notre groupe de travail à
l'hôpital Sainte-Justine, qui se penche sur le problème de
façon précise, est suivi au moyen de mécanismes de
consultations multidiscipli-naires, de conférences et d'études
longitudinales des cas, dispose des faits suivants: Pour les années
1971-1972 nous avons identifié, respectivement pour chaque année,
60 cas d'enfants maltraités dont certains sont
décédés. Evidemment, le Children's Hospital de
Montréal a un nombre équivalent par an, ce qui porte le tout
à un nombre relativement modeste. Nous sommes sûrs, cependant, que
si l'on ajoutait à ces cas tous les cas de décès d'enfants
qui trament dans les journaux et tous les cas qui sont identifiés de
façon isolée dans les hôpitaux et tous les autres cas qui
restent et demeurent non identifiés, nous serions probablement
relativement près des estimations avancées par M. Helfer.
Si nous acceptions les estimations des auteurs américains
il est relativement difficile de penser que notre culture, notre mode de vie
soient essentiellement différents de ceux de nos voisins du sud
nous verrions pour la province de Québec le nombre d'enfants
maltraités s'élever à 1,800 par an. Nous sommes loin du
compte avec nos malheureux 60 cas. Si la définition élargie
était acceptée, nous en aurions plus de 700 par million ce
sont de nouveau les estimations de Helfer ce qui porterait à
4,000 enfants par an, dans la province de Québec, les enfants qui sont
soit violentés physiquement, soit dans des conditions d'élevage
passez-moi l'expression absolument incompatibles avec le
développement harmonieux d'une personnalité et de la santé
pure et simple.
Ces chiffres, vous le concéderez, placent d'emblée le
problème au niveau des fléaux sociaux appelant l'attention du
gouvernement et de la communauté. Quand un médecin, quand un
adulte, quand un travailleur social, quand une infirmière, quand un
instituteur est confronté avec un enfant couvert de blessures,
infligées de façon évidente par des actes volontaires et
délibérés, il est en droit de se demander si les parents
sont des criminels ou des malades mentaux. Malheureusement, je dois
répondre: Non. En effet, les études menées par le groupe
de Helfer et de Kempe à Denver, Colorado, qui sont, je le rappelle, des
experts en la matière et qui ont publié plusieurs monographies
très complètes sur ce problème touchant à
différents aspects diagnostiques et thérapeutiques, les
études menées par ces auteurs sur un groupe de parents abusifs
démontrent qu'environ 10 p.c. seulement des parents abusifs entrent dans
cette catégorie de malades mentaux ou de psychopathes, donc que l'on
peut, dans un sens très large, peut-être inclure dans la
catégorie des "criminels".
Le reste, c'est-à-dire la majorité des parents abusifs
ceux qui évoquent en nous la colère, la rage et l'envie de
violence et de punition le reste sont des adultes qui, à toutes
fins pratiques, doivent être considérés comme normaux mais
qui, cependant, ont des caractéristiques particulières.
Ce sont des individus immatures. Ce sont et c'est là le
point crucial qu'il faut se rappeler des individus qui ont connu, durant
leur enfance, justement la violence, justement la carence, justement les
multiples institutions, justement les multiples foyers nourriciers et qui
émergent, à l'âge adulte, comme des individus incapables
d'établir des relations avec les autres, des individus méfiants,
isolés, hostiles, qui se méprisent eux-mêmes et qui
n'attendent rien des autres.
La seule gratification qu'ils espèrent est celle de retrouver,
dans leur conjoint, l'amour qu'ils n'ont pas eu durant leur enfance. Leur
dernier espoir, c'est de retrouver l'amour dans leur propre enfant. Il se
produit, de façon assez subtile et assez particulière, ce qu'on
appelle un renversement des rôles. Le parent abusif devient un individu
en quête de gratifications qu'il cherche auprès de son enfant et
qu'il va chercher souvent avec insistance et parfois avec rage. Donc, il attend
de l'enfant, alors qu'il doit donner à l'enfant. Il est incapable de
donner, n'ayant jamais reçu.
Les besoins de l'enfant ne sont pas perçus et, dans des
périodes de crise, ces parents immatures, ces parents isolés, ces
parents démunis perdent tout contrôle et vont agresser l'enfant au
point parfois de lui infliger des blessures que nous voyons dans les
hôpitaux, que les instituteurs voient parfois sans trop de commentaires,
parce qu'ils ne veulent pas aller plus loin dans les implications. Ce sont donc
des circonstances où l'acte d'agression est la conjonction de plusieurs
éléments. Le premier était celui que j'ai rappelé,
le potentiel abusif de parents qui ont vécu une enfance carencée.
Deuxièmement, c'est l'enfant lui-même. En effet, on doit dire et
on doit reconnaître que n'est pas agressé tout enfant. Il s'agit
souvent d'enfants qui ont besoin de plus de sollicitude, de plus de soins. Ce
sont souvent des enfants un peu hyperactifs, des enfants qui pleurent.
Je mentionne ici, à titre d'information, que ce sont souvent des
enfants très jeunes qui sont agressés. La majorité sont
agressés au-dessous de l'âge de trois ans. Les décès
observés chez les enfants maltraités se situent presque tous
au-dessous de l'âge de cinq ans. Ainsi, ces pauvres adultes, et je pense
qu'il est important, dès maintenant, de les considérer comme
étant en état de besoin, qui agressent leurs enfants continuent
et perpétuent le cycle de violence qu'ils ont eux-mêmes connu
durant leur enfance. Ces gens ont besoin d'aide, de compréhension au
même titre que leurs enfants et non de condamnation, de jugement qui va
renforcer chez eux l'absence d'estime à l'égard
d'eux-mêmes.
Le syndrome de l'enfant maltraité va se présenter à
nous et à tous comme une maladie avec des signes qui seront
présents chez l'enfant. Ce sont toutes les blessures possibles et
imaginables, des bleus, des fractures, des hémorragies intracraniennes,
des brûlures, des brûlures de cigarettes, des marques de fouet, de
signes qui sont présents chez les parents, cette incapacité
d'établir des relations de confiance avec leur propre père, ce
besoin de gratifications renversé qu'ils recherchent chez l'enfant.
Donc, les signes mêmes de la maladie existent. C'est une maladie qui va
exister avec des degrés de sévérité variables. La
mort survient dans 5 p.c. des cas apparemment. Les séquelles sont
nombreuses dans 30 p.c. à 40 p.c. des cas. Il s'agit d'enfants qui
peuvent avoir des troubles neurologiques, des enfants qui, à la suite
disons du climat dans lequel ils ont pu être élevés, vont
avoir de la pseudo- débilité, des pseudo-retards, des retards de
langage et surtout, la conséquence la plus grave, celle que je
considère personnellement probablement plus grave que la mort, c'est le
potentiel abusif.
Ces enfants que nous considérons tous comme étant des
martyrs aujourd'hui, que l'on veut protéger à tout prix, à
juste titre, vont devenir, s'ils ne sont pas protégés, des
parents abusifs. Le cycle va recommencer.
Quels sont maintenant les remèdes que nous pouvons apporter
à l'égard d'un problème que j'aimerais bien que nous
considérions comme important? Ce n'est pas une vue de l'esprit.
Croyez-moi, ce n'est pas une caricature que j'essaie de brosser devant vous.
Les remèdes sont de tous ordres.
Premièrement, il est important de savoir qu'avant de
présenter des remèdes il faut à tout prix éviter de
nier le problème. En effet, la négation est une attitude qui se
rencontre partout, aussi bien chez des professionnels, c'est-à-dire des
médecins, que chez les travailleurs sociaux ou chez n'importe qui. Le
premier réflexe, en présence d'événements qui nous
paraissent évidemment monstrueux, est de dire: Non, ce n'est pas vrai.
Il s'est passé un accident, il n'y a pas eu agression. Donc, il faut
éviter de refuser l'identification de tels cas, éviter de refuser
d'analyser plus avant des cas qui peuvent, à première vue,
paraître suspects et non certains.
Les remèdes sont, évidemment, à certains moments,
la séparation d'avec les parents, mais cette séparation doit
toujours être temporaire. C'est une mesure qui, en soi, si elle
était isolée et perpétuée, ne répondrait pas
essentiellement aux besoins de l'enfant. Le seul vrai remède, celui vers
lequel nous devons tendre en tant que médecins, en tant que travailleurs
sociaux, en tant qu'infirmières, en tant que législateurs, en
tant qu'individus, en tant qu'êtres humains, c'est la
réhabilitation de la famille. Cette réhabilitation de la famille
est un travail à long terme ; c'est un travail qui ordinairement
s'étale sur un an, sur deux ans. Lorsqu'il est bien fait, lorsqu'il est
fait avec compréhension, lorsqu'il est fait avec sympathie, lorsqu'il
est fait avec tolérance et non avec condamnation et avec jugement, il
permet de la part des parents une prise de conscience de leurs propres
difficultés, l'acquisition d'un meilleur contrôle à
l'égard de situations de crise et surtout de meilleures relations avec
leur père et de meilleures relations avec l'enfant qui, enfin, nous
intéresse.
D'après Helfer, la possibilité de réhabilitation se
situe au niveau de 75 p.c. à 80 p.c. Donc, il faut admettre, au
départ, que la solution de séparation de l'enfant d'avec la
famille doit être une mesure temporaire. Il faut également
réaliser dès maintenant que, si la séparation temporaire
n'est pas doublée d'un travail de réhabilitation au sein de la
famille, c'est peine perdue et c'est même dangereux. Vous concevez
aisément que l'enfant, qui, par une décision d'un juge ou de la
cour, a été placé sera marqué d'un stigmate en
même temps que ses parents, et, lorsqu'il va revenir dans ce même
milieu après un hébergement maximum de deux ans, il va être
éventuellement agressé de nouveau. Je vous le
répète, les agressions sont répétitives. Ces actes
peuvent se répéter. C'est pour cela que la situation est
potentiellement dangereuse pour l'enfant.
Donc, l'objectif est la réhabilitation du milieu familial. Les
remèdes préconisés par
différents auteurs sont multiples. En définitive, ils sont
tellement évidents et tellement simples. Malheuresement, ils sont
difficiles à atteindre.
La première sorte de remède, c'est une amélioration
des problèmes concrets dans lesquels vivent ces familles où sont
agressés les enfants, même si les auteurs américains disent
qu'il n'y a pas de démarcation économique que le syndrome de
l'enfant maltraité ne franchira pas. En d'autres termes, même si
nous acceptons tous que la violence à l'égard de l'enfant peut se
rencontrer dans des milieux socio-économiques favorisés
ceci est vrai les cas que nous avons observés à
l'hôpital Sainte-Justine appartiennent tous ou presque tous à des
milieux non seulement défavorisés, mais dont le revenu se situe
en dessous du revenu minimum. Ce sont, pour la moitié des cas, des gens
qui sont aidés par le bien-être social. Ils vivent dans des
logements et des conditions générales de vie dont nous ne
voudrions absolument pas, aucun d'entre nous.
Le deuxième type de remède préconisé, en
dehors de la solution des problèmes de type logistique, ce sont des
services d'aide qui permettent à la mère ou aux parents, d'une
certaine manière, de décrocher par rapport aux enfants. Ce sont
des pouponnières, ce sont des crèches qui peuvent
héberger, de façon très temporaire, parfois quelques
heures par jour, les enfants au lieu de les laisser, de façon
permanente, dans des logements qui peuvent être parfois très
exigus, avec une mère de plus en plus énervée.
Tout ceci est doublé d'autres mesures qui visent à
l'élargissement des intérêts des parents. Je vous ai
rappelé, tout à l'heure, très brièvement, en
esquissant la silhouette psychologique du parent abusif, que ce sont des gens
qui vivent de façon isolée. Le prototype, ce sont ces gens qui
descendent leurs persiennes ou leurs rideaux, qui s'enferment chez eux, et qui
ne communiquent avec personne. Ce n'est pas simplement parce qu'ils ont une vie
privée; c'est parce qu'ils sont incapables d'établir des
relations avec autrui.
Donc, l'objectif est d'essayer d'élargir les
intérêts de ces gens, de les insérer, d'une certaine
manière, dans une vie communautaire, de leur fournir du travail
lorsqu'ils n'en ont pas car, bien souvent, le chômage existe
également. Tout ceci doublé d'un travail non pas de
restructuration réelle de la personnalité il est
probablement vain et illusoire de vouloir restructurer la personnalité
d'un adulte mais au moins, par des moyens de communication
privilégiés et répétés avec ces gens, de
leur faire améliorer l'impression de mésestime qu'ils ont
à l'égard d'eux-mêmes, donc augmenter l'estime qu'ils ont
à l'égard d'eux-mêmes et, progressivement, rendre le milieu
familial non dangereux pour l'enfant, afin de permettre au bout d'un certain
temps ceci est possible la réinsertion de l'enfant dans la
famille.
Je le répète, ce travail de réhabilitation dans le
milieu familial suppose, vous vous en doutez, l'utilisation d'un certain nombre
de ressources, pas simplement des travailleurs sociaux, pas simplement des
psychiatres, pas simplement des médecins, mais des gens qui communiquent
avec ces parents abusifs et qui communiquent sur un plan purement humain. Les
auteurs américains utilisent ce qu'on appelle les "foster
grand-parents". Ce sont des gens qui n'ont aucune compétence
particulière mais qui, d'une manière précise, sont
appelés, payés de façon minime, à des taux qui sont
dérisoires, à représenter en somme les amis temporaires de
la famille. Cette forme d'amitié répétée dure
pendant un an, deux ans, jusqu'à ce que ces gens réapprennent un
peu à vivre en société.
Donc, ce sont les mesures thérapeutiques, très
brièvement esquissées. Vous voyez qu'elles sortent assez
considérablement des mesures d'ordre médical ou des mesures
d'ordre administratif.
On peut aussi parler de mesures de prévention. En effet, on peut,
jusqu'à un certain point, prévenir le syndrome de l'enfant
maltraité par le dépistage précoce du potentiel abusif
chez certaines mères. Ceci est possible dans les services de
maternité et sera possible éventuellement dans les CLSC,
là où on peut voir d'emblée, dès le début,
le type de relations que la mère entretient avec son enfant et les
difficultés de relations qu'elle peut avoir avec lui.
L'éducation, au niveau secondaire, est un autre point que peut
viser la prévention. La préparation à la maternité,
la préparation à la vie familiale et la préparation
à la vie adulte représentent également des sphères
de prévention où l'on peut faire quelque chose.
En quoi, maintenant, le nouveau projet de loi no 65, Loi de la
protection de la jeunesse, qui apporte certains éléments de
réforme du système de protection juridico-sociale de l'enfance,
répond-il aux objectifs de traitement esquissés? Les
favorise-t-il ou, au contraire, les empêche-t-il?
Nous pouvons examiner rapidement puisque nous avons probablement
tous faim la loi proposée à cinq niveaux: 1.La
déclaration des cas. 2.Les organismes et structures habilités
à recevoir ces déclarations. 3.Le processus d'analyse et
d'indentification des cas suspects. 4. Les mesures préconisées
pour la protection. 5.La philosophie générale.
La déclaration obligatoire, premièrement, telle que
prévue au terme de la loi, est je le répète
obligatoire et ceci est une mesure qui nous paraît, en effet,
indispensable.
Mais ce que la loi ne dit pas ou dit de façon peu explicite,
c'est quels cas déclarer.
La définition des cas susceptibles de déclaration tient,
comme vous le savez tous, en quatre sujets qui sont assez sommaires et assez
mal
définis. La Loi de protection de la jeunesse de l'Alberta
définit en quinze points très circonstanciés les cas
possibles de déclaration. Nous voyons ici la nécessité
d'introduite éventuellement dans un nouveau projet ou dans la loi
actuelle une meilleure étoffe du contenu des cas de déclaration
de manière à couvrir tous les cas où l'enfant peut
vraiment avoir besoin de protection.
La déclaration est donc mentionnée comme étant
obligatoire. Nous sommes d'accord. Mais il n'y a pas de sanction prévue.
Qu'est-ce qu'une déclaration obligatoire si celui qui est tenu de faire
la déclaration ne peut craindre absolument rien, si ce n'est la mention
d'une infraction? Ceci est textuel dans le projet de loi: II est passible
d'infraction. Je ne sais pas ce que ça veut dire.
Deuxièmement, il n'y a pas de clause d'immunité
protégeant le déclarant pour la déclaration des cas
éventuellement suspects et nous sommes d'accord que les cas suspects ont
tout autant besoin d'être déclarés que les cas
réels, évidents de sévices. En effet, si la
déclaration s'avère non fondée, même si elle est
faite de bonne foi, le déclarant pourrait se trouver aux prises avec des
poursuites en libelle ou de diffamation.
Les cas suspects qui ont besoin d'aide ne seront donc pas
déclarés aux termes de la loi, il n'y a personne qui va aller
déclarer un cas suspect alors qu'il sait fort bien qu'il n'est pas
protégé. Il n'y a aucune immunité pour le
déclarant.
Les cas de carence ne seront pas aidés. En effet, personne n'ira
déclarer des cas semblables.
Enfin, il faut réaliser et c'est là un point
crucial que le fait de porter à l'attention du service de
protection le cas identifié est dangereux pour l'enfant si l'enfant est
retourné chez lui parce qu'il n'y a pas suffisamment de preuves
évidentes et s'il n'y a pas de ressources appliquées en
même temps à l'égard de la famille.
Donc, le chemin dans lequel on s'engage au travers d'une
déclaration obligatoire risque d'être dangereux s'il n'est pas
assorti, d'abord, pour le déclarant d'une clause d'immunité;
deuxièmement, si le cas est débouté, s'il n'y a pas de
ressources qui quand même d'une certaine manière vont surveiller
cette famille qui a été éventuellement signalée
comme suspecte mais pour laquelle on n'a pas pu faire la preuve.
La preuve est difficile à acquérir et elle n'est jamais
d'un type judiciaire, jamais, jamais.
Il suffit d'identifier que le milieu soit dangereux pour que l'enfant
ait besoin d'être protégé. La déclaration donc,
à notre humble avis, lorsqu'elle est isolée, lorsqu'elle n'est
pas suivie de mesures réelles qui visent les remèdes en
profondeur, est un cataplasme sur la conscience de la
société.
Ce n'est pas en déclarant les cas que nous allons protéger
les enfants.
Deuxièmement, les organismes et structures habilités
à recevoir les déclarations. Les déclarations sont faites,
comme nous le savons tous, à trois niveaux possibles et finissent par
être centralisées en la personne du directeur du service de la
protection de la jeunesse. Il est placé dans la structure administrative
du ministère de la Justice et dans un organigramme immédiatement
en dessous du service de détention et de probation.
Donc, tous les cas sont centralisés vers un organisme
administratif clairement identifié aux structures du ministère de
la Justice. Nous pouvons dès maintenant dire que l'objectif de la
réhabilitation familiale qui nous paraft essentielle peut être
entièrement annulé de ce simple fait qui est l'insertion des
parents dans un contexte éventuellement judiciaire et menaçant et
va leur retirer toute envie de confiance qu'ils peuvent éprouver
à l'égard de thérapeutes éventuels
ultérieurs.
Troisièmement, le processus d'analyse des cas. Les commentaires
qu'on peut faire sont les suivants: l'expertise médicale apparaît
singulièrement absente; aucune évaluation des problèmes
complexes de croissance, de l'équilibre en nutrition, du
développement ou de la caractéri-sation de problèmes
douteux, tout simplement; aucune coordination n'est prévue avec certains
centres médicaux pédiatriques particulièrement
habilités à fournir cette expertise concernant l'enfant ou ses
parents. Cette coordination allégerait, au moins dans un certain nombre
de cas, ceux de Montréal, les procédures d'analyse. Ces
structures du service de protection qui auraient la responsabilité
d'analyse, j'allais dire d'enquête, sont très loin en fait de la
réalité sociale dans laquelle va vivre et vit l'enfant.
Enfin, le quatrième commentaire est le suivant: II nous semble
que cette centralisation des étapes préalables d'analyse ou
d'enquête met en danger tout le programme éventuel de
réhabilitation en plaçant les parents dans une conjoncture
prématurément menaçante. Nous doutons réellement
que seul le spectre de la loi puisse servir de stimulus efficace dans la
réhabilitation sociale d'individus qui sont démunis,
dévalorisés et méfiants. Il existera donc toujours un
danger pour l'enfant.
Enfin, quatrièmement, les mesures préconisées pour
la protection de l'enfant. Elles émanent en droite ligne du directeur du
service de protection et sont, de plus, exécutoires. Les centres de
services sociaux sont donc les exécutants d'un organisme
décisionnel qui est situé au sein du ministère de la
Justice. Les mesures d'hébergement obligatoire sont aux termes de la
loi, limitées à deux ans. Ce délai, dans certains cas,
nous paraft insuffisant. De plus, si aucun travail de traitement de
réhabilitation n'a été entrepris de façon
concertée au niveau de la famille, c'est une mesure qui est inutile et
dangereuse. Lorsque l'enfant retournera chez lui, il sera de nouveau agressif.
De plus, on n'entrevoit nulle part de programme utilisant les ressources
communautaires et locales qui
visent la réhabilitation à l'intérieur du foyer
identifié comme dangereux.
Enfin, dernièrement et cinquièmement, au niveau de la
philosophie générale, nous sommes particulièrement
concernés par l'absence d'un exposé de politiques
générales de bien-être et de santé de l'enfant qui
n'apparaît qu'en des termes très généraux dans le
préambule de la loi. Cette loi nous paraît malheureusement
très restrictive dans ses dispositons, très vague et c'est
là que je le déplore le plus en ce qui concerne les
ressources de substitution et surtout leur qualité.
Le placement d'un enfant en foyer nourricier et en institution, pour
être acceptable, pour être utile, pour être
thérapeutique, doit prévoir des garanties de conditions minimales
de qualité, à l'intérieur de cette ressource de
substitution, qui sont propres à assurer le développement et la
santé de l'enfant.
Nous frémissons à l'idée de ces centres d'accueil
obligés de prendre tous les enfants retirés de foyers
considérés comme inadéquats et qui vont être
submergés dans leurs ressources et leur capacité d'accueil,
devenant ainsi éventuellement des ghettos d'enfants. En substance, nous
nous permettons de critiquer cette loi pour plusieurs raisons. Nous pouvons les
résumer. H n'y a pas de décentralisation, de mécanisme de
décentralisation permettant de procéder de façon rapide,
et c'est important parfois de procéder de façon rapide et de
façon locale.
Les procédures prévues au niveau de l'analyse, de la
constitution de dossiers, de la référence d'un individu d'un
palier à l'autre nous paraissent très lourdes. Les expertises
nous paraissent également approximatives et incomplètes en ce qui
concerne les cas à protéger. La localisation du service de
protection à l'intérieur du ministère de la Justice met en
danger, à notre avis, en ce qui concerne le problème de l'enfant
maltraité, le processus même de réhabilitation sociale et
familiale.
Les ressources de substitution prévues dans la loi, visées
et suggérées dans la loi à titre de traitement temporaire
sont considérées a priori comme étant existantes, comme
étant coordonnées, comme étant suffisantes et de grande
qualité. Nous nous permettons d'en douter. Le rôle des services
sociaux n'est ni explicité de façon détaillée, ni
revivifié dans sa conception profonde, de manière à
présenter des garanties de succès. Le rôle des
hôpitaux pédiatriques est complètement ignoré, alors
qu'ils représentent une ressource adéquate de diagnostics,
d'expertises et éventuellement de catamnèses.
En définitive, il s'agit là d'un projet de loi et
c'est un reproche que nous considérons majeur superficiel, qui ne
va pas au fond des problèmes et qui essaie de remplacer une politique
éclairée de protection de l'enfant par des mesures judiciaires et
administratives. Notre seule suggestion est de repenser la loi dans un esprit
novateur et fertile en changements réels. Nous sommes surpris et
permettez-moi cette dernière remarque qu'il existe une telle
différence entre ce projet de loi, qui nous apparaît pauvre et
conservateur, et les lois sur les services de santé et le code des
professions qui contiennent des germes de réforme profonde et
probablement bénéfique.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Etant donné l'heure, est-ce
qu'il vous serait possible de revenir cet après-midi, à quatre
heures, afin que les députés puissent vous poser des
questions?
MME JELIU : Je vais être obligée de dire oui, mais j'avais
des obligations à Montréal, j'ai un comité universitaire
à quatre heures et demie. Vous ne siégez qu'après quatre
heures? Qu'en pensez-vous? Si c'est le seul moment, nous sommes prêts
à rester, bien sûr; c'est la seule fois que nous soyons venus au
Parlement.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): La commission suspend ses travaux
jusqu'à quatre heures, cet après-midi.
(Suspension de la séance à 12 h 26)
Reprise de la séance à 16 heures
M. HOUDE (Limoilou) (président de la commission conjointe de la
justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!
L'honorable ministre des Affaires sociales.
M.CASTONGUAY: D'abord, M. le Président, je voudrais remercier le
groupe des porte-parole de l'hôpital Sainte-Justine qui nous ont
présenté leur mémoire, de même que les remercier de
tous les commentaires qu'ils ont faits, afin de nous exposer d'une façon
aussi claire que possible l'ampleur du problème, l'acuité de ce
problème, la difficulté d'y répondre de façon
adéquate, et aussi afin de sensibiliser quelque peu tous les
intéressés à l'existence de ce type de problème qui
n'est pas tellement connu, de façon générale. Je voudrais
aussi les rassurer sur le fait que nous sommes devant un projet de loi et non
devant une loi et que, justement, le but des audiences de cette commission est
de faire en sorte que ce projet de loi soit amélioré, si
possible, de sorte qu'il réponde de la façon la plus
adéquate possible aux exigences de la situation.
Ce matin, j'ai écouté, de même que les
collègues de la commission, les divers commentaires qui ont
été faits, particulièrement quant à la
portée très limitée du projet de loi. Je pense qu'il y
avait lieu de faire quelques commentaires sur ce plan. C'est une
difficulté que j'ai déjà affrontée, face à
d'autres projets de loi qui ont été discutés en commission
parlementaire. Cela vient probablement d'un manque de contacts suffisants avec
les techniques législatives ou aussi la difficulté
d'interpréter la portée exacte d'un projet de loi par rapport
à l'ensemble législatif. Par exemple, lorsqu'on parle des droits,
je pense qu'il faut faire état qu'en plus de ce projet de loi, ou de la
législation actuelle touchant la protection de la jeunesse, il existe
d'autres lois, tel le code civil. Lorsqu'on parle de l'organisation
administrative des services, cette loi vient compléter la loi 65, sur
les services de santé et les services sociaux. Il nous apparaît
difficile, et les légistes, même de façon
générale, pour de très bons motifs, ont des objections
à répéter dans une loi des dispositions qui apparaissent
dans une autre, de telle sorte que l'économie de chaque loi puisse
être identifiée et lorsqu'une loi ayant un objet précis est
modifiée, qu'on ne soit pas obligé d'aller faire la
révision d'une série d'autres lois qui répéteraient
des dispositions analogues.
Au plan des contenus généraux, il y a aussi une
difficulté. On fait état du fait que le projet de loi de la
protection de la jeunesse ne met pas assez d'emphase sur des approches quant
aux traitements. On mentionnait, par exemple, qu'en aucun endroit, dans la loi,
on ne fait référence aux services pédiatriques ou
hôpitaux spécialisés en pédiatrie. Lorsqu'on examine
toute la loi sur les services de santé, les services sociaux, on
constate que c'est une loi qui donne le cadre général de
l'organisation des services, mais jamais on n'est entré dans les
modalités qui devaient être prises pour faire face à des
problèmes de traitements, que ce soit pour les alcooliques, que ce soit
pour les malades mentaux, etc. Si nous le faisions immédiatement, je
sais très bien quelle serait la réaction. Bien des groupements
professionnels nous diraient: L'Etat s'ingère dans un domaine qui ne lui
appartient pas. La ligne de démarcation doit être tranchée,
autrement on peut s'engager sur un terrain très dangereux.
D'autre part, je reconnais qu'il est nécessaire de s'assurer
qu'une telle loi ait toute la portée désirée pour que la
protection des jeunes soit assurée.
Je voulais faire ces quelques commentaires parce qu'il me paraît
se dégager, des conclusions que vous avez tirées quant à
la portée limitée de la loi, une conclusion qui me paraît
pour le moins quelque peu exagérée. Par exemple, lorsqu'on se
réfère à l'article 11, on voit que le centre de services
sociaux et l'article est assez clair a comme obligation de
prendre les mesures nécessaires pour assurer à l'enfant les
services, la surveillance, l'éducation, les soins et les conseils
propres à favoriser la sécurité, le développement
et la santé de cet enfant. On ne peut pas, d'après m m, aller
plus loin et donner les modalités de traitements. La
responsabilité est placée sur un organisme. C'est à partir
des liens que cet organisme peut établir avec d'autres organismes que le
mécanisme s'amorce, disons, au plan des traitements ou au plan des
mesures pour assurer la protection de l'enfant. La portée de cet article
est très large.
Alors, je ne nie pas que l'on doive se pencher très attentivement
sur chacun des problèmes, comme celui que vous nous avez soumis ce
matin. Mais.ce que j'essaie de faire ressortir, c'est que nous avons d'autres
lois qui viennent compléter celle-ci. D'autre part, il y a une
frontière que nous ne pouvons franchir sans commencer à
élaborer à moins que j'aie mal compris vos
représentations des modalités d'interventions et de
traitements qui pourraient être plus ou moins appropriées avec le
passage du temps, et on sait que ces lois ne sont pas toujours remises à
jour fréquemment. Aussi, on s'engagerait dans des problèmes qui
pourraient être fort délicats, compte tenu de l'autonomie que
réclament, je pense bien à juste titre, les professionnels tels
les médecins et autres dans l'exercice de leur profession.
Certains aspects, même au plan de la technique législative,
ont été touchés; par exemple, la nécessité
d'avoir une organisation plus décentralisée pour le Service de
protection de la jeunesse. La loi ne l'empêche pas, bien au contraire. Un
service est créé et, s'il est nécessaire qu'il y ait des
décentralisations administratives de ces services, et je pense bien que
cela s'impose, la loi ne l'empêche pas. Lorsqu'on se reporte à la
plupart des lois touchant des organismes de même nature, on voit que
cette
loi ne diffère pas des autres sur ce plan. Est-ce qu'il y aurait
lieu d'aller plus loin, de préciser, d'en faire une obligation
spécifique? Je pense que c'est un aspect qui mérite d'être
considéré. Dans son état actuel, le projet de loi
n'empêche pas cette possibilité, bien au contraire.
Il y avait ces quelques commentaires. Sans vouloir lancer un
débat et sans vouloir contredire au contraire, ce que vous avez dit,
j'ai pensé qu'il serait peut-être utile de les faire pour essayer
de rassurer à tout le moins et pour aussi que l'on saisisse
peut-être quelque peu mieux au moment où nous franchirons les
autres étapes qui mèneront éventuellement à
l'adoption de ce projet de loi.
Quant au contenu, vous avez évidemment soulevé un
problème qui est extrêmement pénible et il y a deux ou
trois aspects que j'aimerais discuter avec vous. On nous a fait état
hier, l'Ecole de service social de l'université McGill, du fait que dans
certaines juridictions un registre central est maintenu dans lequel des
renseignements peuvent être colligés lorsqu'un enfant qui a
reçu des mauvais traitements et été battu est
traité dans un hôpital. Ainsi, si la situation se
répète, l'information est disponible.
Si les parents déménagent, que cette situation ne puisse
pas se reproduire et que, par le fait d'un simple déménagement,
l'on perde totalement leur contact. De toute façon, Mme Griffiths, qui a
présenté le mémoire de l'Ecole de service social de
McGill, a insisté énormément sur ce point. J'aimerais
entendre vos commentaires parce qu'elle semblait en faire un
élément assez essentiel, de telle sorte qu'il y ait plus de
continuité, qu'il y ait une certaine coordination dans la collecte des
renseignements et dans l'identification des enfants qui peuvent être
soumis à des dangers tels que ceux que vous avez décrits.
Dans les mesures que vous avez proposées, je pense que vous avez
mis énormément d'accent sur le traitement des parents ou l'aide
à apporter aux parents. Je pense bien que sur le plan des principes je
suis tout à fait d'accord avec vous. Vous nous avez donné
certains aspects concrets de mesures qui peuvent être prises : aide
financière aux parents, la possibilité pour les parents je
prends l'expression que vous avez employée de "décrocher"
de temps à autre de telle sorte que le climat difficile dans lequel une
mère peut vivre, à un moment donné, elle puisse s'en
sortir de temps à autre. Et là vous avez parlé de
garderies, de pouponnières, de l'isolement qui semble résulter de
l'état d'esprit des personnes. Vous avez également parlé
je n'ai pas saisi l'expression exacte de "foster aid parents".
Un certain nombre de ressources existent dans le sens de celles que vous
avez indiquées, les deux premières : l'aide financière, je
conviens qu'il faut probablement faire davantage que ce qui est fait; les
garderies et les pouponnières constituent un sujet qui est constamment
débattu. Il y a eu un nombre assez considérable de garderies qui
ont été ouvertes, mais peut-être que ce n'est pas
suffisant. Est-ce que simplement la présence de ces mesures est
suffisante selon vous ou s'il faut vraiment... autrement ces personnes qui en
sont rendues au point de battre des enfants ou de les maltraiter, si personne
ne les atteint, ne les recherche, elles ne se serviront probablement pas d'une
façon appropriée de ces ressources. Nous avons au Québec
des agences de service familial. Est-ce que, dans vos travaux au cours des
années, ce type de problèmes a été abordé
avec les agences de service familial ou encore avec des organismes comme la
Corporation des travailleurs sociaux pour les sensibiliser de telle sorte
qu'ils puissent jouer ce rôle auprès de ces familles? J'avoue,
quant à moi, que, dans les programmes que j'ai vus et qui nous ont
été présentés au cours des mois et des
années, ces problèmes discutés par ces agences, à
moins que je n'aie pas été suffisamment attentif, qu'aucun de ces
groupements ne les a soulevés comme étant des problèmes
vis-à-vis desquels, eux, pouvaient apporter une aide quelconque. Est-ce
qu'on doit penser, encore une fois, à un autre type d'organisme
additionnel? C'est toujours le problème. Ou est-ce qu'on doit
plutôt s'axer sur ces ressources qui existent déjà? Si oui,
comment se fait-il que... il ne semble pas que, présentement à
tout le moins, ce soit un secteur dont ils se préoccupent de
façon prioritaire ou, disons, très attentive.
Pour le moment, ce seraient les deux ou trois points que je voulais
soulever.
MME JELIU : Je vais essayer de répondre dans l'ordre, M. le
ministre, aux différents points et surtout aux questions que vous avez
soulevées.
Tout premièrement, en ce qui concerne le registre central,
effectivement c'est une mesure qui est considérée par les
différents auteurs et experts du problème des enfants
maltraités comme un instrument utile. Bien entendu, il faut le
définir tant dans son utilité que dans la place qu'il occupe.
Le registre est tout simplement une liste de noms de parents chez
lesquels on a déjà identifié des cas d'abus ou de parents
chez qui on a pu retrouver des cas suspects. Vous avez très justement
indiqué l'utilité de ce registre qui est, en cas de
mobilité géographique des parents, de pouvoir dépister
ceux qui vont faire ce qu'on appelle, dans notre langage, du "shopping", car il
ne faut pas oublier que les enfants qui sont agressés et qui sont
blessés sont portés à l'attention des hôpitaux, des
salles d'urgence, des consultations externes, bien souvent, par leurs propres
parents. Il est bien évident que les parents ne retournent pas
nécessairement, et parfois même volontairement, au même
endroit qui les a déjà identifiés.
Donc, pour eux, l'accès à différentes ressources
représente une manière d'éluder des questionnaires ou des
questions parfois indiscrètes.
Pour eux, le fait d'accéder à des ressources qui sont
géographiquement distinctes les unes des autres représente un
moyen de traiter leur enfant au moment où il arrive quelque chose, sans
que nécessairement il y ait des suites à ce traitement
strictement médical. Donc, le registre central servirait à
éviter cela. C'est ici que les discussions peuvent survenir: A qui ce
registre est-il ouvert? Où se trouve-t-il? Qui le consulte? Cela
soulève des points qui sont bien importants. Quand est-ce qu'un nom est
retiré du registre? Une fois qu'un individu est inscrit dans ce
registre, pour des raisons qui parfois ne sont pas valables, qui décide
qu'on retire le nom de cette personne du registre? Tous ces points ont
été soulevés, peut-être comme vous le savez, au
comité national d'expertise sur les sévices infligés
à l'enfant, qui a tenu des sessions de deux jours à Ottawa, les
15 et 16 février. Disons que les recommandations ont été
de nature variée, parfois contradictoires. On en est quand même
arrivé à suggérer l'institution d'un registre central qui
serait utile pour les professionnels, afin de vérifier si le nom qui les
intéresse se trouve sur ie registre, sans réellement
accéder à la liste en tant que telle.
Cependant, il y a eu beaucoup de réserves quant au
mécanisme de désinscription, au mécanisme d'inscription et
à la confidentialité de ce registre. Donc, c'est un instrument
utile. C'est un instrument qui existe déjà et qui est
utilisé aux Etats-Unis. Il existe peut-être sur une base nationale
je n'oserais pas m'avancer mais il existe certainement sur une
base locale, dans les différents Etats et, à ce titre-là,
il est utile. Il pourrait être utile sur une base strictement
régionale, tout simplement pour éviter des visites
consécutives multiples dans différents hôpitaux d'une
même région. Si une ville comme Montréal avait un registre
central auquel pourraient accéder les consultations externes, les salles
d'urgence des différents hôpitaux pédiatriques et les
services pédiatriques des hôpitaux généraux, cela
représenterait certainement un élément utile. C'est
évident que, si on retrouve trois fois de suite le même nom sur le
registre lors de trois épisodes soi-disant accidentels, pour le
même enfant, l'attention et la suspicion sont évidemment beaucoup
plus facilement éveillées. Ceci pour le registre central. En
d'autres termes, c'est une mesure utile, dont les modalités
d'application doivent être soigneusement définies, compte tenu des
réserves et des inconvénients certains que certains aspects de ce
registre peuvent amener.
Deuxièmement, vous avez touché au problème du
traitement des parents. Vous avez semblé, M. le ministre, avoir eu des
difficultés à comprendre ce que j'ai évoqué, en
parlant de "foster-grandparents". Il s'agit tout simplement d'auxiliaires
laics; ce ne sont pas des professionnels de la santé. Ce ne sont ni des
travailleurs sociaux, ni des infirmières, ni des médecins, ni des
étudiants en quoi que ce soit. Ce sont tout simplement des citoyens qui
travaillent sur une base volontaire, "mercantile". Ce sont souvent des citoyens
âgés, sans travail particulier, qui ont beaucoup de temps libre et
qui sont sensibilisés à ces problèmes. Ils sont
utilisés par des centres de consultation et d'expertise comme il en
existe dans différentes communautés aux Etats-Unis,
particulièrement à Denver, au Colorado.
Ils sont donc utilisés par les centres et ils sont envoyés
comme des émissaires sympathiques. Ils travaillent avec ces parents sur
une base qui n'est pas une base professionnelle et établissent avec eux
des contacts purement humains, de manière à briser l'isolement
dans lequel vivent ces gens. C'est à travers ces communications bien
ordinaires, bien humaines, qui n'ont rien à voir avec, disons des
qualifications professionnelles, que souvent ces parents sortent de leur
isolement et finissent par retrouver une certaine confiance dans ce qu'on
pourrait appeler la société et le genre humain.
Autrement dit, le chemin de la réhabilitation passe par quelque
chose de bien simple qui est tout simplement la communication humaine. Or, la
communication humaine, comme vous le savez et comme nous le savons tous,
lorsqu'elle passe, souvent, par des instruments ou des filières
administratives, est souvent rompue. C'est probablement pour remédier
à cette difficulté, pour remédier aussi à la
carence extraordinaire de personnel qualifié que nous vivons tous que ce
moyen a été imaginé, il n'y a pas d'autres mots, par
certains médecins des Etats-Unis, et ce avec un succès que l'on
est obligé de reconnaître comme étant existant.
Personnellement, nous ne l'avons pas essayé. Nous sommes
obligés de travailler avec des ressources particulièrement
limitées. Je parle du groupe de consultations multidisciplinaires
à l'Hôpital Sainte-Justine et nous sommes particulièrement
conscients des déficits de notre traitement ou de nos essais de
traitement. Tout ce qui concerne le traitement à long terme est
particulièrement déficient parce que nous n'avons pas les
ressources. Tout ce qui constituerait vraiment la chose importante à
l'égard des parents, nous ne pouvons pas la leur donner. Tout ce que
nous pouvons... Pardon, oui.
M. CASTONGUAY: Je m'excuse de vous interrompre. Est-ce que vous verriez
comme moyen, comme tentative de mettre un tel support sur pied, comme base pour
le faire, un hôpital comme le vôtre, le Montreal Children's,
à partir peut-être de votre service social, à
l'intérieur de votre hôpital, ou si vous croyez qu'il serait plus
approprié de le faire à partir d'un centre de services sociaux ou
d'une agence, telle que la société des services sociaux à
la famille ou encore le Montreal Children's Centre? Est-ce que vous croyez
qu'on ajoute aux complications administratives? Est-ce qu'on s'engage dans des
voies où, justement, si on fait
affaires avec une agence plus spécialisée, on entre dans
des questions ou ordres de considérations qui feraient qu'on
utiliserait, comme vous le dites, des personnes qui n'ont pas
nécessairement une préparation sur le plan professionnel, mais
qui peuvent apporter ce qui, selon les expériences, est
nécessaire. De quelle façon est-ce que vous voyez le lancement
d'une telle approche, concrètement?
MME JELIU : Je pense qu'on pourrait un peu qualifier votre question de
question-piège, M. le ministre. En définitive, la réponse
est bien simple. Peu importe l'endroit d'où sera lancée une telle
opération. Ce qui est important, c'est qu'il y ait une coordination
entre les différentes ressources, que ce soit l'Hôpital
Sainte-Justine, que ce soit le Montreal Children's Centre, que ce soient les
services sociaux, peu importe. Ce qui est important, c'est qu'il n'y ait pas
nécessairement une centralisation, mais qu'il y ait une coordination
entre ces différentes ressources. A cet égard, c'est à peu
près le troisième point que vous avez soulevé qui est
celui de la coordination avec différentes autres agences et plus
particulièrement avec les agences du service social.
Cet essai de coordination et d'utilisation de ressources, en
définitive, pourrait et vous avez raison être
utilisé dans l'expertise diagnostique, d'abord et aussi dans le
traitement à long terme. Cette coordination, disons, a été
amorcée entre le comité de consultation des enfants
maltraités et certaines agences de services sociaux de Montréal
dans le but justement d'établir une espèce de communication qui
est une compréhension, d'abord, pour savoir de quoi l'on parle, pour
savoir si nos objectifs ou nos conseils pourraient être continués
et concrétisés par les agences de service social, en d'autres
termes, les prolongements. L'hôpital Sainte-Justine ne peut pas assurer
le traitement de tous les enfants maltraités de la ville de
Montréal ou de la province de Québec. C'est absolument
impossible. L'hôpital Sainte-Justine peut, à la rigueur, servir de
centre de consultation, de centre d'expertise, et il pourrait, si la
coordination est vraiment installée avec les différents centres
être utilisé à ce titre.
Donc, les ressources sont ailleurs. La coordination peut se faire avec
un endroit comme Sainte-Justine ou le Children's. A cet égard les
communications ultérieures devront être particulièrement
utiles.
M. CASTONGUAY: Quels ont été jusqu'à maintenant les
résultats dans ces échanges, soit au cours des années ou
au cours des derniers mois?
MME JELIU: Je pense que, si l'on veut être réaliste, on
parlera des derniers mois, M. le ministre. Les échanges ont
été sous forme de conversations. Les échanges ont
été sous forme de visites de certains travailleurs sociaux et
d'assistance à nos conférences multidisciplinaires au cours
desquelles nous discutons des cas concrets qui se sont présentés
à l'hôpital, durant lesquelles nous exposons, chacun de notre
côté, notre point de vue, notre opinion sur les décisions
qui pourraient être prises à l'égard de tel ou tel enfant,
de la meilleure formule thérapeutique à appliquer chez eux. Le
travailleur social qui vient d'une agence de l'extérieur assiste
à cette conférence multidisci-plinaire, retourne dans ses
structures à lui, et, éventuellement, assure la continuité
du traitement et de la surveillance de l'enfant. Donc, c'est une forme de
consultation qui, si elle pouvait être généralisée,
à notre avis, pourrait être bénéfique car elle
introduirait non seulement une continuité, mais une certaine
uniformité dans la connaissance des problèmes et dans la
poursuite d'objectifs qui seraient bien définis et concrètement
appliqués par rapport à la réalité.
M. CASTONGUAY: L'idée d'utiliser des personnes non
professionnelles a-t-elle été discutée avec les agences
et, si oui, a-t-elle été bien reçue?
MME JELIU: Cette idée n'a pas encore été
discutée avec les agences.
M. CASTONGUAY: Une des difficultés auxquelles je faisais allusion
plus tôt, est-ce dans une législation que l'on inscrit ce type
d'approche qui vient compléter, s'additionner à bien d'autres, ou
est-ce que la législation est là pour assurer un cadre,
définir des droits, assurer une protection lorsqu'un protection est
vraiment nécessaire? Sur le plan des interventions concrètes des
traitements, étant donné la gamme des possibilités,
étant donné aussi l'évolution, il ne me semble pas qu'on
puisse dans un projet de loi aborder ce type de question. C'est plutôt au
niveau des programmes concrets que nous subventionnons les initiatives qui
peuvent être prises par les organismes, que nous pouvons stimuler, au
besoin, que nous pouvons supporter. Je prends ça, ici, à titre
d'exemple pour essayer d'identifier une des difficultés que nous avons
lorsque nous rédigeons des projets de loi et lorsque nous examinons le
projet de loi tel que vous le faites.
MME JELIU: Je vous suis très bien, M. le ministre. Evidemment, la
loi est là pour définir les droits des enfants, en l'occurrence
les droits des parents, éventuellement, et les cadres, pour assurer la
protection. Si nous nous sommes étendus à tort semble-t-il, sur
les possibilités thérapeutiques de certains cas d'enfants
maltraités, c'est que nous avions l'impression à la lecture de la
loi que les étapes préliminaires d'analyses et d'enquêtes
pouvaient, d'une certaine manière, parce que localisées au
ministère de la Justice, même dans une atmosphère de
compréhension, mettre en danger le plan de
réhabilitation ultérieur. J'ai beaucoup insisté sur
le fait de la qualité et de la silhouette psychologique des parents
abusifs qui sont des gens qui ont toujours été rejetés et
violentés par la société. Le seul fait de les faire
accéder, au moment de ces épisodes que nous réprouvons,
bien sûr, dans leur existence, à un cadre qui est un cadre
coercitif, d'une certaine manière, ne les mène certainement pas
vers le chemin de la réhabilitation. Il accroit chez eux
l'hostilité et la méfiance, le retrait et l'isolement. En
définitive il n'y a aucun changement éventuel qui se fera chez
eux.
C'est là le point sur lequel je voulais insister. Les
premières étapes les auront violentés, d'une certaine
manière, et, il n'y aura aucun progrès effectué chez
eux.
M. CHOQUETTE: Mais, madame, il me semble que vous nous mettez dans un
dilemme que nous ne pouvons absolument pas résoudre. Vous soutenez une
thèse qui est peut-être valable sur le plan psychologique:
étant donné que ces parents sont plus eux-mêmes des
victimes que des coupables, l'exercice de la justice criminelle ne pourrait pas
s'appliquer à leur égard. Je crois que c'est un dilemme
intenable. Comment voulez-vous, en droit criminel, qu'on exempte l'application
de la justice à ces mêmes parents qui se sont rendus coupables de
sévices à l'égard de leurs enfants à moins que le
droit criminel ne se retire complètement de toute application à
l'égard de ces mêmes parents? Je ne pense pas que vous iriez
jusqu'au point de prétendre, même en vertu des théories
psychologiques que vous avez soutenues et qui sont peut-être valables
je ne suis pas compétent pour en discuter ...Je ne pense
pas que vous-même vous soutiendriez que la justice criminelle n'a aucune
espèce d'application à ces parents.
Il faut qu'elle ait une application, dans une certaine mesure, et c'est
dans le dosage, dans la façon, dans la technique et dans les
procédés employés à l'égard de ces
mêmes parents que la justice criminelle pourra se montrer adéquate
et tenir compte de l'autre partie de la réalité, la
réalité psychologique, sur laquelle vous avez insisté.
Dire que l'on va extraire nécessairement les cas de ces parents
du cadre coercitif et répressif de la justice criminelle, même si
en somme c'est assez modéré parce qu'après tout le service
de la protection de la jeunesse est quand même un service purement
administratif qui n'est pas la police, qui est composé et c'est
dit spécifiquement de travailleurs sociaux, de psychiatres, de
psychologues, d'avocats ou d'autres fonctionnaires jugés
nécessaires... Alors dire que nous allons même les abstraire de ce
contexte que vous considérez dans une certaine mesure répressif
ou coercitif... Je trouve que vous allez franchement assez loin quand vous
témoignez autant de sympathie pour ce genre de cas, même si vos
théories méritent d'être soutenues.
J'admets qu'il y a ici une difficulté à résoudre,
mais il faudrait quand même tenir compte des deux aspects de la
réalité.
MME JELIU: Je suis fort bien votre point de vue, M. le ministre. Il
n'est évidemment pas question de soustraire à ce qu'on appelle la
justice les parents qui ont tué leur enfant. Les choses sont cuites
passez-moi l'expression à ce moment-là, c'est bien
avant qu'il faut agir. Nous avons bien insisté sur le fait que les actes
sont répétitifs. A partir de quel moment allez-vous appeler cet
acte un crime? A partir de quel moment allez-vous le juger comme étant
un crime? C'est là que c'est horrible, c'est qu'à partir du
moment où vous le jugez comme un crime, il n'y a plus de
réhabilitation possible; c'est avant qu'il faut s'en occuper.
M. CHOQUETTE: Mais non, madame. Je me permets d'infirmer et de
contredire vos affirmations à cet effet. Je crois que vous partez de
prémisses qui sont complètement fausses parce que, justement, de
plus en plus la justice criminelle s'exerce dans des conditions où elle
cherche non seulement peut-être à punir dans une certaine mesure,
mais bien plus à réhabiliter le criminel.
Je sais que le problème est particulièrement aigu
étant donné la psychologie propre des parents abusifs dont vous
nous avez parlé plus tôt aujourd'hui, car ils ont une vision
d'eux-mêmes extrêmement dévaluée. Par
conséquent, leur appliquer la répression de la justice
criminelle, cela empire avez-vous semblé nous dire leur
propre état psychologique et en conséquence, ce n'est
peut-être pas un remède. C'est ce que vous avez tenté de
nous dire et je suis prêt à vous suivre dans une certaine mesure.
Mais je tiens à vous souligner ceci: la justice criminelle, aujourd'hui,
et les juges et à plus forte raison les juges des cours de Bien-Etre
social qui exercent une forme de justice qui, parfois, est de nature
criminelle, mais qui, la plupart du temps, est une justice que l'on ne peut pas
qualifier de criminelle, mais même les juges de nos cours criminelles...
L'objet de la justice criminelle, ce n'est pas tant de châtier que de
permettre, évidemment, la réhabilitation ultérieure de
celui qui a été condamné.
C'est la raison pour laquelle devant des cas psychologiques comme ceux
que vous nous avez décrits, le juge pourrait parfaitement tenir compte
de la dimension psychologique du problème que vous avez soulignée
pour permettre qu'en même temps il y ait une certaine probation des
parents et des mesures de surveillance appropriées.
Je ne nie pas du tout d'autres aspects sur lesquels vous avez
insisté, c'est-à-dire l'aspect de dépistage et de
prévention; il va de soi que si nous pouvions tout dépister et
tout prévenir, nous n'aurions rien devant nos tribunaux et je trouve que
ce serait l'idéal pour le ministre de la Justice comme pour les
tribunaux. Mais enfin,
personne ne peut prévoir qu'on en soit rendu à l'aube
d'une telle existence; par conséquent, il y aura toujours des cas.
Même si on doit insister sur cet aspect de dépistage et de
prévention, je dis qu'on aura toujours le dilemme, d'une part, de la
situation propre et personnelle, de l'histoire individuelle de chacun de ces
cas et de la sympathie qu'on peut ressentir malgré tout pour ces
personnes étant donné qu'elles ont été le plus
souvent abusées elles-mêmes dans leur enfance et, d'autre part,
l'action de la justice criminelle qui cherche par des méthodes sans
doute imparfaites à réprimer de tels actes.
Je crois que vous ingorez une dimension du problème qu'on ne peut
pas ignorer parce que la société a quand même le droit
d'exercer cette justice criminelle et de l'exercer sans doute dans les
meilleures conditions possibles, mais de l'exercer. Et d'autant plus, en plus
de cela, que ce n'est pas même de la compétence de la commission
parlementaire ici, que ce n'est pas même de la compétence du
Parlement ici puisque le code criminel est une loi de portée
générale qui a été adoptée par un autre
Parlement et que le code criminel ne peut pas commencer à faire des
distinctions entre des agressions qui seraient excusables ou traitables, enfin,
pour lesquelles on pourrait trouver des façons spéciales de
régler les problèmes, et des agressions, par ailleurs, qu'on
trouverait criminelles et qui devraient être traduites devant les
tribunaux.
Je crois qu'en tenant compte des deux dimensions, quand on regarde
l'article 5 du projet de loi et la constitution du service de protection, c'est
à ce niveau qu'on tient compte des deux dimensions et cela ne veut pas
dire nécessairement que le directeur va tout de suite mettre en marche
la justice criminelle pour punir ou réprimer ces parents-là; il
pourra prendre d'autres mesures plus préventives pour éviter la
répétition des actes. Je vous demande de tenir compte de cette
dimension.
MME JELIU: M. le ministre, si l'objectif du service de protection
était explicitement celui d'une réhabilitation des parents, je
pense que personne n'aurait fait de remarque particulière à cet
égard.
M. CHOQUETTE: II n'y a rien dans l'article qui dit que l'article 5 est
la négation justement de cette réhabilitation des parents; au
contraire, je trouve que le législateur, au moins dans la
rédaction de l'article, a fait un effort pour montrer que les
différentes dimensions du problème doivent être
conciliantes.
MME JELIU: II y a un autre point au sujet duquel nous sommes tous sur un
terrain glissant, c'est que les blessures qui, à un moment donné,
vont conduire les parents dans une cour criminelle sont d'une certaine
manière le fait du hasard par rapport à d'autres blessures qui ne
conduiront jamais d'autres parents en cour criminelle. Autrement dit, il y a
une différence essentielle pour certains incidents qui vont mener les
parents au criminel et d'autres qui ne les y mèneront pas et qui sont
essentiellement les mêmes. Nous n'y pouvons rien.
M. CHOQUETTE: Madame, vous avez une notion, je trouve,
complètement faussée de la justice, et une notion, je dirais,
courante de la justice. Votre intervention me permet de la rectifier. La
justice ne peut pas punir tous les actes coupables, c'est impossible; d'abord
ils ne sont pas tous décelés, c'est un très faible
pourcentage qui est décelé. Par conséquent, la
justicecomparaison, ça ne tient pas. Ce n'est pas parce que le cas d'un
tel va devant les tribunaux criminels et qu'un autre cas, parce qu'on n'a pas
de preuves, parce que les témoins ne veulent pas parler, parce que le
cas ne vient pas à la surface, parce que le cas n'est pas
dénoncé, qu'il ne va pas devant le tribunal criminel, que
ça veut dire que la justice n'est pas de la justice. La justice fait son
possible dans les conditions humaines qu'on vit sur terre. Aller me dire qu'il
y a des cas qui vont se terminer devant les tribunaux criminels et d'autres qui
ne se termineront pas devant les tribunaux criminels n'infirme pas du tout
l'action de la justice. Que voulez-vous que l'on fasse? La justice ne peut
être parfaite, pas plus que l'hôpital Sainte-Justine.
MME JELIU: M. le ministre, je m'excuse mais nous ne sommes pas ici,
surtout pas moi, pour faire le procès de la justice.
M. CHOQUETTE: ... Non, mais vous avez semblé dire qu'étant
donné que tous les cas de parents abusifs ne seraient pas
décelés et n'arriveraient pas devant les tribunaux criminels,
ceci était une raison de battre en brèche l'action de la justice
ou en somme de la considérer comme imparfaite dans une situation comme
celle que vous décrivez. Je suis parfaitement d'accord avec vous que
l'action de la justice est imparfaite, mais que voulez-vous. Les choses sont
telles qu'il n'y a pas moyen de faire autrement, mais ça ne dénie
pas la nécessité de cette action.
Et il y a un point, madame, sur lequel j'aimerais corriger un peu
l'exposé que vous avez fait ce matin. Vous nous avez dit que la
personne, en vertu de l'article 4, qui est obligée de dénoncer,
n'est-ce pas, qui a une obligation légale de procéder à
une dénonciation, n'a pas d'immunité. Il est exact que le projet
de loi ne dit pas spécifiquement qu'une telle personne
bénéficie de l'immunité et vous nous avez
recommandé d'introduire cela dans le projet de loi.
Cette idée peut paraître assez intéressante de prime
abord, mais je voudrais quand même attirer votre attention sur l'article
36 qui dit: Commet une infraction quiconque contrevient à l'article 4 de
la présente loi. Ceci veut donc dire qu'en vertu de l'article 36, il y a
une
obligation pour toute personne de se conformer à l'article 4. A
remarquer, d'abord, que c'est aller très loin que d'obliger quelqu'un
à en dénoncer un autre.
Il n'y a pas beaucoup de lois à ma connaissance où il y a
une obligation générale sur les citoyens de procéder
à des dénonciations.
MME JELIU: Si vous me permettez de rectifier à mon tour pour une
fois.
M. CHOQUETTE: Je veux dire qu'à partir du moment où il y a
une obligation légale, il y a une immunité implicite,
excepté au cas où l'acte de dénonciation aurait
été posé, dans un but dolosif ou dans le but de faire du
tort délibérément à quelqu'un, sans un motif
raisonnable. C'est le cas par exemple de quelqu'un qui va déposer une
plainte, une accusation criminelle contre quelqu'un d'autre à la cour.
Si elle l'a fait de bonne foi, avec des éléments enfin valables
de preuve, même si par la suite, l'accusé est acquitté,
cette personne ne peut pas être recherchée en dommages par
l'accusé.
Elle ne le peut pas, excepté si l'on prouve que le
dénonciateur a procédé dans le but de causer un dommage et
sans cause raisonnable et probable contre l'accusé. Nous avons suivi un
peu le même modèle lorsqu'il s'agit du dénonciateur en
vertu du projet de loi 65. Par conséquent, vous pouvez considérer
qu'il y a une immunité pour ceux qui vont dénoncer de bonne
foi.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Le député de Dubuc.
M. BOIVIN: Je félicite le groupe de Sainte-Justine de nous avoir
présenté ce mémoire. Même en étant
médecin, j'en ai appris beaucoup. Le résultat de vos recherches
vous fait dire ici qu'il y a 4,000 familles actuellement où des enfants
sont maltraités dans la province. Est-ce que c'est trop? Vous avez dit
300 par million?
MME JELIU: J'ai parlé de deux formes de mauvais traitements. Il y
a une définition premièrement restrictive où il y aurait
violence, blessures chez l'enfant. A ce moment-là, l'incidence serait de
300 par million, ce qui porterait le chiffre probablement, si on accepte cette
estimation, à 1,800 enfants dans la province de Québec par an. Le
chiffre de 700 par million s'applique à une définition beaucoup
plus élargie et ne vise pas seulement les enfants qui sont
agressés physiquement, violemment, mais des enfants qui sont
négligés, des enfants qui ne reçoivent pas les soins dont
ils ont réellement besoin pour vivre normalement, que ce soit pour des
raisons variables, des raisons de pauvreté, des raisons de maladie des
parents, des raisons de délibité parentale, de maladies
psychiques, etc.
Ce chiffre de 4,000 représenterait ce groupe d'enfants qui, d'une
certaine manière, mériteraient ce qu'on appelle la
protection.
M. BOIVIN: Oui, tout de même, il y en a 1,800. On peut dire, on
peut affirmer qu'il y en a 1,800 qui sont réellement
maltraités...
MME JELIU: II y en aurait 1,800.
M. BOIVIN: ... avec la définition restrictive. Evidemment, vous
nous affirmez le comportement psychologique des parents, de certains parents
dans la province, mais ne croyez-vous pas que ces enfants qui sont
maltraités deviennent des enfants problèmes? Ne croyez-vous pas
qu'un certain nombre de ces enfants sont rejoints par ailleurs par le soin de
garde par tout ce que la loi accorde actuellement à la protection de la
jeunesse? Ce comportement psychologique de ces parents, il me semble que la
suite qu'il devrait avoir, c'est qu'on sensibilise davantage par exemple, au
cours de leur formation dans les universités, les médecins, les
infirmières, les aides sociaux, tous ceux qui ont le soin de garde et
qui souvent ont la garde de ces enfants qui deviennent des enfants
problèmes.
Est-ce que c'est trop que d'affirmer, d'après le résultat
de vos recherches, que la plupart de ces enfants deviennent des enfants
problèmes et qu'ils sont déjà, actuellement, dans des
institutions où le gouvernement pourrait faire quelque chose, quelques
recommandations pour améliorer la situation?
MME JELIU: II est difficile de définir d'avance ce que deviennent
ces enfants. Ce qui est important de retenir, c'est qu'ils peuvent en mourir,
d'une part. D'autre part, ils peuvent rester handicapés; à ce
moment-là, ils vont recourir à des institutions ou à des
facilités hospitalières pour traitements. Surtout, ils vont finir
par devenir ce que sont leurs propres parents, c'est-à-dire
éventuellement des parents abusifs. C'est là le danger.
M. BOIVIN: Mais est-ce que le résultat de vos recherches ne vous
dit pas que ces enfants deviennent des enfants problèmes?
MME JELIU: Ils sont déjà des enfants un peu particuliers.
Ce sont des enfants...
M. BOIVIN: Ils aboutissent où, ces enfants? Je vous questionne
parce que réellement vous nous dites des choses...
MME JELIU: Je ne suis pas assez vieille pour vous répondre.
M. BOIVIN: ... très sérieuses. Mais je veux savoir parce
que vous avez fait des recherches qui méritent considération.
Vous nous faites craindre quand on sait que vous êtes à
l'hôpital Sainte-Justine, que vous rayonnez tout de même dans un
cercle très limité pour le
reste de la province. Qu'est-ce qu'il advient de ces enfants? C'est vrai
qu'à la campagne la dénonciation est peut-être plus facile
parce que les gens se connaissent plus. Mais, je voudrais réellement
savoir. Vous nous demandez, aux législateurs, de passer une loi sur une
chose très spécialisée. Vous nous dites que,
d'après le résultat de vos recherches, il y a 1,800 parents qui
ont un tel comportement psychologique. Ce qui m'inquiète, c'est de
savoir si tous ceux qui devraient être sensibilisés à la
chose, le sont.
MME JELIU: Pour répondre...
M. BOIVIN: Est-ce que vous êtes demandée en consultation
à l'hôpital Sainte-Justine? Est-ce que vous donnez des cours?
Est-ce que vous êtes demandée pour donner des cours, par exemple,
dans les universités, dans les écoles qui ont des contacts avec
ces enfants?
MME JELIU: ... de façon très précise à vos
dernières questions, il existe effectivement, dans le curriculum
prégradué de l'Université de Montréal, des cours
qui sont destinés à tous les étudiants en médecine
et qui touchent à ce problème en particulier. C'est moi qui donne
ce cours. Donc, tous les étudiants en médecine de
l'Université de Montréal sont nécessairement
sensibilisés au problème. Tous les résidents en
pédiatrie, qui passent par l'hôpital Sainte-Justine, sont
activement impliqués dans les conférences multidisciplinaires
concernant les problèmes qui sont identifiés au sein même
de l'hôpital Sainte-Justine. Tous ces pédiatres ultérieurs
vont rayonner dans la province. Donc, ils représentent un
réservoir professionnel qui possède les connaissances
suffisantes, d'abord du point de vue de la sensibilisation à
l'égard du problème et, deuxièmement, des connaissances
qui leur permettent d'utiliser les ressources communautaires à bon
escient pour régler une partie des problèmes. Donc, ceci
répond probablement à une partie de vos questions.
M. BOIVIN: Oui. Maintenant, du côté des travailleurs
sociaux et des employés du bien-être social, est-ce que vous avez
été demandée pour sensibiliser ces gens à ces
problèmes ainsi que dans les institutions, par exemple, comme
Boscoville, qui, à mon sens, rejoignent une partie de ces enfants qui
deviennent des enfants problèmes?
MME JELIU: Alors, pour répondre à cette dernière
question, j'aimerais demander au Dr Méthot, qui est pédiatre et
qui fait partie du comité des enfants maltraités, à
l'hôpital Sainte-Justine, de nous dire quelle est la manière dont
certaines autres institutions, comme la Société d'adoption et de
protection de l'enfance, ont été sensibilisés aux
problèmes. Dr. Méthot.
M. METHOT: M. le député, pour répondre à
votre question, je suis aussi médecin à la Société
d'adoption et de protection de l'enfance à Montréal. Par les
enfants maltraités, battus et présentés au comité
de Sainte-Justine, qui était sous la juridiction de cette agence
sociale, nous avons été amenés à aller discuter
avec la direction de l'agence pour établir un comité à
l'intérieur de l'agence, lequel comité fonctionne à raison
d'une fois par mois. On se réunit le 1er lundi de chaque mois pour
discuter des cas propres à l'agence et des problèmes qui peuvent
survenir soit chez les mères célibataires, soit dans les foyers
nourriciers. C'est un premier pas vers la sensibilisation d'une agence.
Maintenant, j'ai aussi entendu dire qu'à l'intérieur de la
Société du service social aux familles ainsi que de l'Agence
Ville-Marie, à Montréal, qui s'occupe aussi du problème
des filles-mères, on veut établir des comités.
J'ai fait savoir aux gens de ces deux agences qui n'ont pas encore de
comité que nous étions tout à fait disposés
à les accueillir à Sainte-Justine et à leur donner des
idées, à savoir comment faire fonctionner un comité, quoi
surveiller, etc.
M. BOIVIN: Je vous remercie. Réellement, vous nous avez fait
connaître des causes qui peuvent occasionner de la délinquance. Le
public doit être sensibilisé, c'est vrai. Tous ceux que cela
regarde, ceux que j'ai nommés et, en particulier, les médecins,
les hôpitaux, dans les cliniques externes des hôpitaux, afin que
tout le monde soit sensibilisé pour faire un diagnostic et pour apporter
les corrections qu'il faut.
Je m'imagine bien qu'il était peut-être assez difficile
d'inclure dans la loi le résultat de vos recherches, mais,
réellement, vous m'avez éclairé. Je pense que vous en
éclairez beaucoup; avec le travail que vous faites actuellement, vous
sensibiliserez tous ceux que la protection de l'enfance regarde.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dorchester.
M. GUAY: M. le Président, quelques brèves questions
à ajouter à celles qui ont déjà été
posées. Je dois dire que vous avez apporté une vision un peu
nouvelle comparativement à celle qu'on a eue jusqu'à maintenant
dans ce travail sur cette loi. Je remarque que, dans votre mémoire,
l'argument massue si je puis me servir du mot qui soutient votre
mémoire, c'est le droit respectif des enfants et des parents.
On a beaucoup parlé, déjà, d'une charte
éventuelle des droits de l'enfant. Croyez-vous non seulement possible,
mais essentiel que soient définis clairement les droits de l'enfant?
MME JELIU: Personnellement, je ne pourrais répondre que oui. Je
pense que c'est essentiel. Mais ceci demande évidemment un travail
d'élaboration vraiment en profondeur. J'aimerais demander à Mlle
Fillion de parler
plus longuement au sujet de la charte des droits de l'enfant.
MLLE FILLION: Je ne suis pas préparée, aujourd'hui,
à parler davantage de la charte des droits de l'enfant. J'admets que
j'avais préparé d'autres aspects de la question, mais pas
particulièrement celui-là. Bien sûr que je suis en faveur
d'une charte des droits de l'enfant dans la province de Québec, mais je
ne suis pas prête à en parler davantage.
M. GUAY: D'accord.
M. METHOT: Puis-je répondre au député de
Dorchester? Présentement, dans la Ligue des droits de l'homme, on a
décidé d'établir une agence de l'enfance. Notre premier
but est d'établir une charte des droits de l'homme. Dès que nous
nous serons réunis, que nous en aurons discuté et que nous aurons
un document à vous présenter, nous le ferons parvenir au
ministère.
M. GUAY: Croyez-vous cette charte essentielle pour la bonne application
d'une telle loi?
M. METHOT: Oui, parce que, quand on parle des droits de l'enfant...
Qu'est-ce que les droits de l'enfant? Personne ne peut nous répondre, ni
les avocats, ni les juges, personne. Personne n'a défini, d'abord, quels
étaient les droits des enfants dans la province de Québec.
M. GUAY: J'aimerais savoir, parmi les enfants qui sont traités
chez vous, d'où viennent ces enfants? Je m'explique. On a entendu dire
beaucoup de choses sur certaines institutions qui existent déjà.
Est-ce que cela peut arriver qu'il y ait des enfants maltraités à
l'intérieur d'institutions existantes? Remarquez bien que je ne voudrais
pas vous obliger à répondre. Je ne m'attendais pas non plus
à une réponse instantanée.
M. METHOT: Moi, je peux vous en donner une tout de suite. C'est que
dernièrement, justement, au comité des enfants battus de.la
Société d'adoption, nous avons été mis en face du
problème d'une fille-mère qui a vu une annonce de garderie dans
la Presse, qui est allée porter son enfant à cet endroit pour la
journée et qui, le soir, l'a trouvée pleine de bleus. Elle en a
parlé à sa travailleuse sociale, qui en a saisi le comité
et on va faire une plainte officielle à la cour du Bien-Etre social pour
obtenir une enquête sur cette garderie.
M. GUAY: A part les parents qui conduisent eux-mêmes leurs enfants
pour recevoir des traitements, comment sont dépistés les autres
cas?
MME JELIU: C'est assez variable, M. le député. Vous pouvez
avoir des parents, non pas les parents directs, mais les parents de la famille
de l'enfant, qui emmènent l'enfant à une salle d'urgence. Il peut
s'agir d'une plainte qui a été faite à la police par des
voisins ou par un membre de la famille. Alors les détectives vont mener
l'enfant, escortent l'enfant à la salle d'urgence avec ou sans les
parents. Parfois il peut s'agir dans d'assez rares cas malheureusement
d'enfants signalés par les instituteurs en passant par la police
ou par les services sociaux. Donc, c'est une répartition assez
égale entre toutes ces sources de référence, dont la
principale demeure les parents eux-mêmes, ne se présentant pas
nécessairement comme des parents abusifs, bien sûr, mais se
présentant accompagnés de leur enfant, disant que l'enfant est
tombé de façon triviale, présente telle blessure, et qui
demandent des soins pour l'enfant. C'est à l'institution, à la
salle d'urgence, à la consultation d'établir
éventuellement un diagnostic autre que celui d'un accident.
M. GUAY: Est-ce que l'âge de vos patients varie beaucoup?
MME JELIU : La répartition des cas relevés en 1972, sur 60
cas, plus de la moitié étaient âgés de moins de
trois ans. Je ne peux pas vous donner les chiffres exacts, je ne m'en rappelle
plus. Je ne sais pas si c'est 60 p.c. ou 70 p.c.
M. GUAY: Quelles sont les principales conditions d'admission à
l'hôpital Sainte-Justine?
MME JELIU: Qu'est-ce que vous entendez par les conditions d'admission,
la gravité?
M. GUAY: Soit la gravité des blessures ou encore la
gravité...
MME JELIU: C'est extrêmement variable. Cela va de la simple
ecchymose au niveau des joues à la multiplicité des ecchymoses
couvrant la totalité des téguments, couvrant également
d'autres blessures profondes telles que des fractures. Ce qui est important,
bien souvent les fractures sont d'âge variable signant ainsi la
répétition des actes d'agression. Il peut s'agir
d'hémorragie cérébrale, d'hémorragie
cérébro-méningite, d'hématome sous-dural, il peut
s'agir de blessure abdominale interne, il peut s'agir de brûlure de
cigarette, vous avez tout.
M. GUAY: En résumé, c'est tout cas qui présente une
anomalie.
MME JELIU: Non, il y a des travaux qui ont montré, ce ne sont pas
des nôtres, cela s'est passé à Rochester en 1966, si mes
souvenirs sont bons, en étudiant les enfants se présentant pour
traumatisme dans une salle d'urgence de pédiatrie, 10 p.c. des enfants,
après enquête, seraient, d'après eux, des enfants pour
lesquels les traumatismes des accidents ne sont pas accidentels.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Saint-Laurent.
M. PEARSON: Ce qui m'a frappé dans les développements que
vous avez faits, c'est un peu ceci, malgré la meilleure loi au monde,
même si nous faisons des efforts pour avoir les meilleures lois au monde,
on ne pourrait pas empêcher des gens qui n'ont aucun sens des
responsabilités ou qui n'ont pas la maturité voulue de se marier
et de mettre des enfants au monde. Vous avez établi une relation assez
forte entre la pauvreté et la quantité d'enfants qui vous
étaient emmenés. Je pense que dans une espèce de contexte
global, on peut peut-être réussir à dénoncer, mais
l'enfant est tout simplement le résultat de ce qui s'est passé
dans la maison parce qu'il n'y a pas un niveau de vie convenable, ou il y a des
parents qui n'ont pas la maturité voulue. Il faudrait même les
rééduquer pour leur donner un sens des responsabilités
vis-à-vis des êtres qu'ils mettent au monde. Chez d'autres, un
acte semblable peut arriver tout simplement parce qu'ils sont sous l'influence
de l'alcool. Il y en a pour lesquels il s'agit peut-être de s'affirmer
vis-à-vis de quelqu'un ou vis-à-vis de l'ouvrage où ils
sont. Ils ne réussissent pas à s'affirmer, alors devant un enfant
qui est sans défense, peut-être que psychologiquement, ils se
défendent sur lui. Je pense qu'avec toute cette espèce de
complexe, avec la loi, on peut peut-être aider à prévenir
le pire ou à réparer les pots cassés. A l'école,
par exemple j'ai enseigné pendant un certain nombre
d'années on a vu quantité d'exemples. Il y a un vieux
proverbe qui dit que l'enfant s'éduque à la maison,
l'école va instruire l'enfant. L'école peut réussir
à corriger peut-être en chemin. S'il y avait des lois qui
permettaient, par exemple, de castrer certains individus, on réussirait
à empêcher de mettre au monde des enfants. S'il y avait quelque
chose qui pouvait donner une intelligence un peu supérieure, une
affirmation individuelle des individus, mais la loi ne peut pas faire
ça. Même si on essaie d'améliorer, il en restera tout de
même toujours un certain pourcentage de ces enfants qui seront
malheureusement le résultat de gens qui ne sont pas prêts à
mettre des enfants au monde.
Le ministère des Affaires sociales, en essayant d'élever
le niveau de vie des parents, peut peut-être réussir à
diminuer le nombre des enfants maltraités. Maintenant, le reste, ce
serait quoi? Qu'est-ce que l'école pourrait faire quand il y a des gens
qui vont faire toutes leurs études primaires et secondaires pour essayer
de permettre l'affirmation de l'individu qui fera que lorsqu'il sera devenu un
homme, il ne sentira pas le besoin, même à l'occasion, de se
défendre sur un enfant. Quand ce ne sont pas des enfants, ce sont des
épouses.
MME JELIU: M. le député, votre sens de l'eugénisme
va très loin. Je suis sûre...
M. CHOQUETTE: Aussi loin que Billy Graham.
MME JELIU: ... que la loi en soi n'est pas un remède, mais elle
est certainement un instrument qui peut aider au dépistage et qui peut
aider à la mise en place d'autres ressources. Je pense que c'est ce dont
nous discutons aujourd'hui.
Il est évident que le texte de la loi ne changera pas la
réalité à laquelle nous faisons tous face. Le fait de
dépister les gens qui n'ont pas suffisamment de responsabilités
et de les castrer, comme vous avez dit, fait penser à d'autres
méthodes qui, je pense, n'ont pas leur place pour être
débattues ici. J'aimerais quand même souligner un point. Si j'ai
laissé, ce matin, l'impression que le syndrome de l'enfant
maltraité était un syndrome qui se rencontrait exclusivement dans
les couches défavorisées de la société, la
réponse est probablement non. Il est probable, il est sûr
d'après d'autres auteurs, que des cas de sévices existent dans
des milieux favorisés. Mais, ces cas de sévices ne sortent
pas.
M. PEARSON: Remarquez bien qu'il ne faudrait pas que vous le preniez en
mauvaise part. C'est simplement le contexte des remarques que vous avez faites
et des questions qui ont été posées qui m'a amené
à faire ces commentaires, tout simplement pour essayer, en somme,
moi-même, comme député, de me situer. C'est-à-dire,
je ne voudrais pas que, dans la population, on s'imagine qu'en amenant une loi,
même la plus parfaite possible, qu'on réussira à
régler quand même l'ensemble du problème. On réussit
en somme peut-être à diminuer son ampleur, à éviter
peut-être le pire. Le problème restera quand même toujours
là, parce qu'il y a des facteurs que la loi ne peut pas
régler.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dubuc.
M. BOIVIN: Ne croyez-vous pas que le registre que vous
préconiseriez serait un danger en dehors d'un milieu très
spécialisé comme le vôtre? Est-ce que le dossier de
l'hôpital ne comporte pas d'une certaine façon un registre
évidemment pour le rayonnement de l'hôpital Sainte-Justine?
MME JELIU: Disons que les cas que nous avons identifiés de
façon certaine ou de façon incertaine, sont tous inscrits, mais
ils sont inscrits pour nous, ils ne le sont pas pour d'autres personnes, disons
pour les gens de l'hôpital Maisonneuve, pour les gens de
Sainte-Jeanne-d'Arc, pour les gens de Notre-Dame, pour les gens du Children's.
Ils n'existent pas. Evidemment, le principe de la confidentialité ne
nous permet pas, jusqu'à ce jour, tant que nous ne parlons pas de
registre officiellement accep-
té, d'aller distribuer des listes d'individus que nous
soupçonnons à tort ou à raison d'avoir violenté
leurs enfants. Nous ne pouvons pas, dans l'état actuel des choses, nous
servir de ces listes et faciliter d'une certaine manière le
dépistage d'enfants maltraités. C'est impossible dans
l'état actuel des choses. Par contre, si, d'une façon officielle,
il existait quelque part dans la province ou dans la ville de Montréal
une liste de noms de patients ou de parents identifiés comme
étant des cas de parents abusifs, avec certitude ou de façon
incertaine mais plausible, cette liste, qui serait confidentielle, pourrait
être, non pas consultée en tant que telle, mais on pourrait
vérifier si le nom auquel nous pensons, nous, ou toute autre
institution, existe sur cette liste. A ce moment, il n'y aurait aucun
comment dirais-je il n'y aurait pas de... Le principe de la
confidentialité ne serait pas rompu. C'est la seule utilité que
je verrais à ce registre.
M. BOIVIN: Mais la première question que je vous ai posée
est: Est-ce que vous ne croyez pas que, hors d'un milieu très
spécialisé comme le vôtre, cela ne comporte pas un certain
danger, un tel registre?
MME JELIU: Certainement, oui, il en comporte un.
M. METHOT: M. le député, je voudrais ajouter à
ça la liste des parents naturels qui abusent de leurs enfants, mais
qu'on oublie et c'est pour ça que je veux le mentionner ici
c'est la liste des parents nourriciers. On connaît quelques
familles de parents nourriciers qui ont abusé des enfants qui leur
étaient confiés. Ce qu'on fait alors dans une agence sociale, on
retire l'enfant de ce foyer. On n'a aucun pouvoir de divulguer le nom aux
autres agences sociales, si bien que, par exemple, dans un foyer nourricier qui
appartient à la Société d'adoption, et où il y a un
enfant maltraité, on retire l'enfant. Mais ils peuvent très bien
aller dans n'importe quelle autre agence, y compris la cour de Bien-Etre
social, devenir foyer nourricier puis, recommencer leur petit manège
avec d'autres enfants. On n'a aucun moyen, actuellement, d'aviser la cour ou
d'aviser les autres agences que ces parents peuvent être
considérés ou ont été considérés par
une agence sociale comme était des parents abusifs.
M. BOIVIN: Est-ce que ces gens ne sont pas traduits en cour? Est-ce
qu'il n'y a pas des jugements qui sortent?
M. METHOT: Pas toujours.
M. BOIVIN: Est-ce que des cas ne devraient pas être
rapportés au procureur général et qu'il y ait poursuite
pour qu'on règle ces cas?
M. CHOQUETTE: II y a beaucoup de ces cas, j'imagine, qui sont
envoyés sous la couverture. Personne n'en entend parler.
MME JELIU: M. le ministre, sur 18 cas où nous avons
demandé la protection officielle de la cour et dont deux sont encore en
suspens il s'agit des statistiques de la fin de 1972 huit ont
été refusés. Donc, le fait de demander la protection
même à la cour de Bien-être ne veut pas dire que l'article
15 qui était l'article dont on se servait souvent avec une grande
facilité et qui nous a été très utile, cela ne veut
pas dire que nous avons toujours la protection... Cela reste à la
discrétion du juge et, si la protection n'est pas accordée, c'est
là que l'enfant est en danger. Donc, quand nous ne sommes pas absolument
sûrs de l'avoir, nous nous abstenons de la demander, parce que le danger
est trop grand pour l'enfant.
M. CHOQUETTE: J'imagine que le gros problème auquel vous avez eu
à faire face et que les juges ont eu également dans ces cas,
c'est la question de la preuve. Dans la plupart de ces cas, il est
extrêmement difficile de faire la preuve que les parents ont abusé
de leur enfant, parce que souvent, l'enfant sera terrorisé, ne parlera
pas ou est trop petit. D'autre part, il n'y a pas eu de témoin et les
parents vont inventer n'importe quelle histoire pour cacher la
vérité. Ces cas sont difficiles à démontrer devant
le tribunal. C'est la raison pour laquelle vous avez eu ces huit refus...
MME JELIU: Je suis tout à fait d'accord avec vous mais ce sont
justement des cas où il est particulièrement difficile
d'établir la preuve au sens criminel...
M. CHOQUETTE: Oui.
MME JELIU: ... particulièrement difficile. Donc, la protection
devrait être accordée pratiquement quand on la demande...
M. CHOQUETTE: Oui.
MME JELIU: ... avec des doutes suffisants et raisonnables.
M. CHOQUETTE: Je serais porté à être de votre avis
et alors, je ne pense pas que les règles de la preuve en droit criminel
devraient s'appliquer, parce que les règles de la preuve en droit
criminel sont très exigeantes et, lorsqu'on se trouve devant des cas de
cette nature, il faudrait qu'il y ait des indications suffisamment fortes
uniquement pour que la protection soit accordée.
M. BOIVIN: Est-ce qu'il n'y aurait pas des parents nourriciers? Des
possibilités?
M. CHOQUETTE: Pardon?
M. BOIVIN: Est-ce qu'il n'y aurait pas,
surtout pour des parents nourriciers, tel qu'on nous en parle
actuellement possibilité de la part du procureur général
de prendre des dispositions pour que les juges prennent en considération
les faits?
M. CHOQUETTE: Comme le député de Dubuc le sait, je ne peux
pas donner d'ordre aux juges. Je peux seulement porter des cas à
l'attention des juges pour qu'ils les jugent. Mais ici, nous sommes sur le plan
des principes, de la preuve qui devrait s'appliquer en matière de
protection d'enfants qui ont été violentés. Alors, quelle
serait la nature de la preuve? Je crois que, dans le contexte du projet de loi
65, la Loi de la protection de la jeunesse, les règles de la preuve sont
extrêmement larges et il suffirait que le juge acquière la
conviction qu'il y a un danger pour l'enfant pour qu'il puisse être
autorisé à prendre des mesures de protection en rapport avec cet
enfant. C'est-à-dire le retirer de l'autorité de ses parents ou
le placer ailleurs, enfin donner des ordres dans ce sens.
M. METHOT: Pour répondre à une de vos questions de tout
à l'heure, M. le député de Dorchester, quand vous avez
parlé de l'importance de la création d'un code des droits de
l'enfant, je pense, M. le ministre, que l'attitude des juges dépend
énormément, quand on dépose une plainte selon l'article
15, de sa perception à lui des droits. Si, pour lui, les droits
parentaux priment sur les droits inexistants de l'enfant, l'article ne
s'applique pas. Si, par contre, les droits de l'enfant priment sur les droits
parentaux, l'article s'applique.
M. CHOQUETTE: Ecoutez, docteur, je ne suis pas en mesure de confirmer ou
d'infirmer ce que vous dites, malgré que j'imagine qu'il y ait une bonne
part de vrai dans ce que vous dites. Pour moi, dans un cas comme
celui-là, il est incontestable que les droits de l'enfant devraient
primer, de prime abord. Je donne mon avis comme cela. Parce que les droits des
parents ne sont pas des droits absolus. Ils sont un peu de simples fiduciaires
ou mandataires pour ces enfants. Mais les membres de la commission auront
probablement à un certain moment des entrevues avec les juges ou
certains juges de la cour de Bien-Etre, concernant justement le présent
projet de loi. Nous pourrons aborder la question avec eux.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dorchester.
M. GUAY: Pour revenir à la liste dont il a été
question tantôt, pour fins de statistiques, si l'un ou l'autre des deux
ministères ou même les deux ministres vous demandaient cette
liste, est-ce que vous seriez disposé à la leur remettre?
MME JELIU: Qui demanderait cette liste? Je n'ai pas bien compris votre
question.
M. CASTONGUAY: Me permettez-vous un commentaire? Lorsque nous demandons
des données à des institutions et nous en demandons de
façon régulière pour les fins de
l'assu-rance-hospitalisation etc. nous les demandons toujours dans une
forme qui permet de ne pas dévoiler de renseignements confidentiels. Ce
sont purement des renseignements statistiques que nous demandons et, sur ce
plan-là, s'il y avait eu d'autres types de renseignements
demandés au cours des années, les administrations
hospitalières, les bureaux médicaux, les corporations
professionnelles en auraient fait état.
De toute façon, je ne voulais pas apporter ce renseignement pour
interrompre la question ni la réponse, mais je sais que ce sont les
mécanismes qui sont présentement pris au ministère.
M. GUAY: Est-ce que la loi sur la protection de la santé publique
autorise le ministre à obtenir de tels renseignements? Pas dans ces
cas-là?
M. CASTONGUAY: Non. Si vous vous souvenez, nous avions des
renseignements au plan de ce que nous appelions les maladies à
déclaration obligatoire, maladies infectieuses, contagieuses. Nous
avions pensé, dans la première version et c'était
une suggestion du Dr Gingras, directeur de l'Institut de réhabilitation
d'aller un peu plus loin pour identifier des cas. Il avait, à
plusieurs reprises dans le passé, fait état de la
nécessité, par exemple, d'identifier des enfants qui pourraient
souffrir de certains types d'handicap, pour avoir une meilleure connaissance
des besoins. Ceci a été rejeté comme pouvant aller trop
loin.
Nous en sommes encore, dans la Loi de la protection de la santé
publique, à des déclarations sur des maladies contagieuses,
infectieuses, des déclarations portant sur le statut des personnes,
mariages, divorces, décès, naissances. Mais cela ne va pas
au-delà de ça.
M. GUAY: Merci.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): D'autres questions de la part des
membres de la commission?
M. METHOT: M. le Président, je voudrais vous faire remarquer
qu'il y a un petit point technique. Après Mme Jeliu, Mlle Fillion devait
apporter des commentaires d'une travailleuse sociale qui oeuvre en milieu
hospitalier face au bill 65.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Très bien.
MLLE FILLION: M. le Président, MM. les ministres, MM. les
députés, plusieurs des commentaires que je devais apporter ont
déjà été touchés. Je m'en abstiendrai afin
d'épargner du temps. Evidemment, à l'hôpital
Sainte-Justine, nous voyons des enfants maltraités, mais,
d'après les chiffres qui vous ont été fournis par
le Dr Jeliu, vous avez pu en conclure vous-même que ce ne sont pas la
majorité des enfants qui sont diagnostiqués et traités
à l'hôpital Sainte-Justine.
Les commentaires qui suivent touchent plutôt les autres
catégories d'enfants qui sont vus à l'hôpital
Sainte-Justine et ils découlent de la pratique quotidienne des
travailleurs sociaux oeuvrant dans un hôpital pédiatrique. Les
commentaires se rattachent à certains des articles du projet de loi,
mais non pas à ceux qui ont déjà été
touchés dans le mémoire de l'hôpital Sainte-Justine.
Mes commentaires se rattachent également à certaines
abstentions, ce que nous considérons du moins comme des abstentions de
la loi, surtout en ce qui concerne une philosophie de la protection de
l'enfance. Le premier commentaire se rapporte à l'article 3 du projet de
loi.
Il nous apparaît bien arbitraire de poser la question de cette
façon, favoriser le maintien de l'enfant dans son milieu naturel comme
étant conforme à ses intérêts. Il nous semble que
c'est poser la question d'une façon un peu absolue et que cette
philosophie devrait certainement être à la base de toute pratique
dans le domaine de l'enfance. Mais l'établir comme expression absolue de
l'intérêt de l'enfant est faire abstraction de
l'individualité des besoins de l'enfant et de l'individualité de
son milieu naturel. Je pense que cette remarque est d'autant plus pertinente
après tout ce que vous venez d'entendre au sujet du syndrome de l'enfant
maltraité.
Le milieu naturel est la meilleure place pour l'enfant pour autant qu'il
est adéquat mais évidemment, s'il est gravement
préjudiciable et surtout s'il ne répond pas aux méthodes
thérapeutiques, je pense qu'il vaut mieux songer à d'autres
formes de solution.
Notre deuxième commentaire se rapporte aux notes explicatives du
projet de loi qui se trouve à la page 2-A et je cite : "Si l'affaire a
été déférée à la cour de
Bien-être social, celle-ci procède à une enquête
à huis clos, entend les intéressés ou leur procureur et
peut, avant de prendre sa décision, exiger la production d'une expertise
sur le comportement psychosocial de l'enfant." C'est très bien. D nous
apparaît cependant que la cour serait beaucoup plus apte à rendre
un jugement pertinent si elle avait également à sa disposition
l'évaluation psychosociale des parents et du milieu familial. Il est
vrai que d'autres articles incitent les CSS à compléter
l'évaluation familiale. Cependant, il nous apparaît bien que ce
soit dans les notes explicatives, que la cour non seulement "peut", comme dit
le projet, mais "devrait", avant de prendre sa décision, exiger la
production de l'expertise sur le comportement psychosocial, non seulement de
l'enfant, mais également de ses parents.
De plus, l'évaluation familiale était prévue par la
loi et c'est une remarque tout à fait pertinente à un
hôpital psychiatrique. En cas d'extrême nécessité,
cette prévision officialiserait le mandat des organismes comme
l'hôpital pédiatrique, qui ont à poser des diagnostics
globaux, c'est-à-dire qui couvrent l'aspect médical et l'aspect
psychosocial. Je fais ici allusion aux problématiques psychosociales qui
se présentent à prime abord dans les hôpitaux
pédia-triques sous forme de problème médical. Dans
certains de ces cas, le diagnostic médical ne peut être
confirmé, non plus que la thérapeutique appliquée, sans
une évaluation psychosociale et un traitement sur ce même plan
appliqué et intégré au processus médical. Dans
cette situation, les parents qui ont demandé un service médical
peuvent résister à des services qui leur apparaissent
étrangers à leur demande originale, mais il ne faut pas oublier
qu'ils viennent pour un problème qui est perçu par eux comme
étant médical et voilà qu'ils voient un service
social.
Dans la plupart des cas, grâce à leur formation et aux
techniques, les praticiens du service social réussissent à
vaincre cette résistance. Toutefois, une prévision officialisant
leur mandat pourrait peut-être, en dernier ressort, leur permettre
d'accomplir leur travail et faciliter conséquemment l'efficacité
du traitement médical et social. Encore une fois, je pense que vous
allez faire le rapprochement avec le genre de cas dont vous entendez parler
depuis ce matin.
A titre d'exemple aussi, exception faite de ces cas, toute maladie ou
perturbation psychique ayant pour cause les parents ou le milieu familial, tels
les exigences trop grandes vis-à-vis des capacités des enfants,
les abus psychologiques et verbaux, parce qu'il y a des abus physiques qui font
sensation et qui attirent notre pitié, bien sûr, les abus
psychologiques et les abus verbaux, dis-je, peuvent être tout aussi
graves, tout aussi traumatisants pour la personnalité de l'enfant, les
refus ou négligences d'application de traitements médicaux
prescrits, les conditions de vie physique tout à fait
inappropriées à l'humain. Une autre remarque se rapporte à
l'article 14, qui donne le droit aux CSS, en cas d'urgence, de prendre les
mesures nécessaires pour assurer l'hébergement obligatoire
provisoire de l'enfant. Il nous semble que ce droit devrait être
élargi aux hôpitaux pédia-triques. En effet, ces derniers
peuvent avoir à décider, durant les fins de semaine ou
après les heures de bureau des futurs CSS, l'hospitalisation d'un enfant
pour des raisons plus sociales que médicales, et cela arrive trop
souvent, malheureusement mais tellement grave que ces raisons ne
laissent aucun autre choix différent.
En référence à l'article 18...
M. CASTONGUAY: J'aurais une question ici. Lorsque vous parlez
d'étendre ce pouvoir...
MLLE FILLION: Aux hôpitaux pédiatri-ques.
M. CASTONGUAY: ... aux hôpitaux pédia-triques, est-ce
à cause du fait que, dans certains cas, vous croyez qu'il devrait y
avoir hospitalisation de l'enfant et que les parents refusent?
MLLE FILLION: Refusent ou ne refusent pas nécessairement, mais je
fais ici allusion aux hospitalisations qui doivent avoir lieu pour des raisons
sociales dans un but de prévention ou de protection de l'enfant.
Par exemple, si le médecin prévoit que l'enfant pourra
être abusé durant la fin de semaine, ce n'est pas le temps d'aller
recourir à la cour, etc. Alors, même s'il ne porte que des
ecchymoses, ce qui n'est pas une raison suffisante pour être
hospitalisé, et si les parents font une résistance, si la loi
prévoyait que l'hôpital peut hospitaliser même si la
situation médicale n'est pas très grave...
M. CASTONGUAY: Alors, c'est en définitive vis-à-vis du
refus des parents?
MLLE FILION: Un refus ou une résistance.
M. CASTONGUAY: Parce que les hospitalisations, je vous prie de me
croire, ne sont pas toutes justifiées au plan médical, dans la
province de Québec.
MLLE FILION: En effet, c'est si les parents refusent ou
résistent.
M. CASTONGUAY: Alors, disons que nous pourrons en discuter en d'autres
moments, mais j'ai des données assez intéressantes.
M. METHOT: M. le ministre, souvent on n'a pas d'autre choix.
M. CASTONGUAY: Je ne dis pas que c'est mauvais, mais j'essaie de
comprendre pourquoi on fait cette demande. Est-ce que c'est vis-à-vis
des règlements internes de l'hôpital ou vis-à-vis du refus
des parents?
MLLE FILION: Vis-à-vis du refus des parents; l'hôpital n'a
aucun droit légal pour hospitaliser si la raison médicale n'est
pas suffisante. Est-ce que ma réponse est claire et vous satisfait?
M. CASTONGUAY: D'accord.
MLLE FILION: En relation avec l'article 18 maintenant. L'article 18 me
paraît comporter certains dangers. Si un cas était porté
à l'attention de la cour par une école ou un hôpital et que
l'enfant passe à la maison les quinze jours qui précèdent
l'enquête, cette situation en elle-même bien
anxiogène...
M. CASTONGUAY: On discutait les admissions comme nécessité
médicale ou non.
MLLE FILLION: Je m'en doutais un peu.
Mais je ne veux tellement pas que vous manquiez l'autre point que j'ai
décidé de vous attendre.
M. CASTONGUAY: Excusez-moi.
MLLE FILLION: Si un cas est porté... C'est que l'article 18
prévoit un délai de quinze jours avant la comparution pour
l'enquête. Si un cas a été porté à
l'attention de la cour, par exemple par une école ou un hôpital,
et que l'enfant passe à la maison les quinze jours qui
précèdent l'enquête, cette situation qui devient bien
anxiogène, une invitation à passer à la cour dans quinze
jours pour un parent peut comporter des dangers pour l'enfant. Ici, je pense
particulièrement aux cas d'inceste ou aux cas d'abus parentaux d'enfants
d'âge scolaire. Il faut vraiment avoir travaillé avec ces enfants
et adolescents pour comprendre combien ils sont terrorisés. Alors,
lorsqu'ils parviennent à se confier, ce qu'ils font
généralement très difficilement, précisément
parce qu'ils sont terrorisés et qu'ils ne font plus confiance à
l'adulte... Il n'est pas nécessaire d'avoir énormément
d'imagination pour comprendre qu'il faut leur assurer une protection
immédiate et non pas dans quinze jours, au moment de
l'enquête.
Je faisais une référence à l'article 34, mais M. le
ministre de la Justice a répondu tantôt. Alors, des commentaires
généraux, particulièrement en relation avec ce que nous
considérons comme, peut-être, des abstentions philosophiques. En
l'absence d'une charte des droits de l'enfant dans la province de
Québec, la loi ne pourrait-elle pas proclamer les droits de l'enfant aux
besoins vitaux, bien sûr, mais également à
l'éducation, à la santé physique et mentale et aux
loisirs?
Puisque je représente un hôpital pédiatrique, je
désire m'arrêter aux droits de santé et d'éducation
pour tous, prévus, il est bien vrai, dans la Loi sur les services de
santé et les services sociaux. Cependant, il y a encore malheureusement
dans notre province des enfants handicapés physiquement, mais non sur le
plan mental, et qui ne peuvent recevoir des services d'éducation parce
que les écoles régulières ne peuvent les recevoir à
cause de leur handicap. Alors, ma phrase est mal construite: l'handicap de
l'enfant et non l'handicap de l'école. C'est ce que j'ai pensé
mais évidemment à cause de l'handicap de l'école aussi. Il
y a donc deux écoles, si mes connaissances des ressources sont bonnes,
dans la province de Québec, pour l'éducation des enfants
handicapés physiquement et c'est l'école Victor-Doré qui
dessert le territoire de la CECM à Montréal et
Cardinal-Villeneuve à Québec. Il y a plusieurs régions qui
demeurent non couvertes et plusieurs enfants handicapés physiques qui
sont privés d'éducation et qui sont complètement
illettrés. De plus, même s'il est compréhensible que les
soins ultra-spécialisés ne soient accessibles que dans les grands
centres, les dépenses marginales qui incombent aux familles
éloignées
de ces centres et dont les enfants ont un besoin indispensable de soins
ne devraient-elle pas être reconnues ipso facto comme inhérentes
aux droits de santé et être prises à la charge de l'Etat?
Je pense ici aux enfants de régions éloignées des grands
centres qui doivent être placés dans des foyers nourriciers
à Montréal durant des mois ou des années afin de recevoir
dans les cliniques externes des hôpitaux des soins essentiels à
leur survie.
Je pense même à un sujet qui a été
hospitalisé durant deux ans parce qu'un tel foyer n'a pu être
trouvé. S'ils en sont capables, les parents paient les frais de pension
en foyer nourricier, parce que les soins de santé ne sont pas
accessibles dans leur région et s'ils en sont incapables, ils doivent
subir le "meanstest" à cause d'une inaccessibilité de soins.
De plus, il me semble que la loi devrait être assez large dans sa
conception des droits de l'enfant, car ici il ne s'agit pas de
générosité pour permettre sans escalade d'efforts et de
luttes stériles, à ceux qui connaissent bien les besoins
médicaux et psychosociaux de ces enfants, de leur créer les
ressources appropriées des foyers de groupes appropriés ou foyers
nourriciers préparés à comprendre les implications de la
maladie ou de la pathologie de l'enfant. Ce sont là les principaux
commentaires que j'avais à faire en relation avec la loi.
Ici, j'en aurais un, un peu improvisé, qui serait un
complément de réponse à celle que le Dr Jeliu vous a
déjà faite, M. le ministre, en relation avec votre question
concernant la relation de l'hôpital pédiatrique avec les agences
sociales en ce qui concerne la problématique de l'enfant
maltraité.
Vous nous avez demandé si nous travaillions avec les agences et
quel était le genre de réponses que nous recevions des agences en
relation avec ces problématiques. D'une façon
générale, la réponse des agences, leur collaboration, je
dirais, est bonne et, pour certaines agences, elle est même excellente.
Seulement, la problématique de l'enfant qui souffre du syndrome de
l'enfant maltraité, on ne peut pas dire qu'elle est connue depuis plus
de dix ans. Elle n'est même pas identifiée, je pense, du moins au
grand jour depuis plus qu'une décennie dans notre culture
canadienne-française et même dans nos hôpitaux
pédiatriques. A plus forte raison, elle n'est pas connue dans nos
agences de service social à la famille et même à l'enfance.
Pourquoi? Bien, pour une raison très simple. J'ai moi-même une
expérience dans une agence familiale, moins prolongée
peut-être que dans un milieu hospitalier, mais quand même assez
prolongée pour pouvoir en parler. Cette problématique ne se
présente pas dans les agences sociales ou, du moins, elle n'est pas
identifiée. Si les parents emmènent leurs enfants blessés
à l'hôpital, ce n'est pas qu'ils veulent nous faire identifier
leur problématique psychosociale, mais c'est parce que certains d'entre
eux ont peur que l'enfant meure et ils ne veulent pas être meurtriers;
ils n'avaient pas l'intention de le tuer et ils viennent pour que
l'hôpital, le médecin le guérisse. Les agences ne le
connaissent pas. Tout ceci crée une philosophie de pratique
différente. Les services sociaux d'hôpitaux, s'ils se sont autant
engagés envers cette problématique, n'ont pas eu le choix. Ils
voient les enfants blessés et, je pense, que vous avez tous
expérimenté aujourd'hui la réaction que nous avons lorsque
nous nous faisons décrire les blessures des enfants maltraités.
Nous n'y croyons pas, ce n'est pas possible.
Les travailleurs sociaux et les conseillers sociaux des agences sociales
n'échappent pas à cette réaction. Or, dans le premier
temps de notre désir d'associer les praticiens des agences sociales
à développer une expertise, à développer une
expérience face aux diagnostics et aux traitements de ces enfants et de
ces familles sur le plan psychosocial, nous avons ressenti cette
première résistance, qui n'était pas un refus de
collaboration, mais une réaction très humaine de ne pas y croire.
Ils y croient beaucoup plus maintenant parce que malheureusement ils ont, eux
aussi, expérimenté dans leur foyer nourricier cette
problématique et ils commencent à comprendre qu'il ne faut pas
attendre que ces parents viennent nous demander de l'aide psychosociale, mais
qu'il faut aller vers eux.
La réponse que nous avons eue, au début, lorsque nous
avons voulu les associer, c'est que ce genre de parents ne sont pas
motivés pour recevoir une aide psychosociale. Il y a tellement de gens
qui sont motivés; il faut leur accorder d'abord notre attention et cela
peut être une perte de temps que d'aller vers ceux dont la motivation est
moindre.
En toute justice pour les agences sociales, je dois admettre que cette
réponse se fait de plus en plus rare et qu'ils travaillent de plus en
plus en collaboration avec nous à développer une
expérience et à acquérir une compétence dans
l'évaluation de ces foyers et surtout dans le traitement social
approprié envers ces foyers.
Comme le Dr Méthot vous le disait tantôt, nous en avons
déjà trois qui viennent à Sainte-Justine pour discuter de
ces problèmes avec nous, à l'occasion de cas très
particuliers. Une quatrième viendra très prochainement. C'est la
grande agence familiale de Montréal qui viendra très
prochainement assister et surtout participer, pas passivement, mais à
titre de participant très actif dans cette perspective. Cela a
été discuté avec les autorités de la
Société de service social aux familles de partager les
responsabilités par rapport aux développements de ces ressources
dont nous parlions tantôt, qui n'impliquent pas nécessairement le
temps de professionnels mais d'auxiliaires, pas nécessairement
bénévoles, mais d'auxiliaires que nous pourrions former,
superviser et à qui nous accorderions le support requis.
C'étaient là mes commentaires.
M. CASTONGUAY: M. le Président, je vou-
drais simplement attirer l'attention, compte tenu des commentaires que
vous avez faits sur les cas d'urgence, sur l'article 33 du projet de loi. Je
crois qu'il y a peut-être là un aspect qui n'a pas ressorti
lorsque vous avez parlé des cas d'urgence et des délais.
MLLE FILLION: Est-ce qu'il y aurait moyen, en fin de semaine?
M. CASTONGUAY: Bien oui, il s'agit de trouver le juge. Le juge, on ne le
fait pas se matérialiser par la loi; on essaie, et je pense qu'ils en
sont de plus en plus conscients. D'ailleurs, le problème a
été soulevé par certaines institutions et on en a
discuté avec les deux juges en chef aux fins d'assurer la
présence de juges, justement, pour de telles ordonnances, même en
fin de semaine.
Pour ma part, je voudrais remercier les personnes qui ont
collaboré à la préparation de ce mémoire ou des
commentaires et également ceux qui ont formulé les commentaires
qui ont été ajoutés et les assurer que, même si la
première réaction est parfois comme vous l'avez dit vers
la fin de ne pas croire que ces situations existent, je peux vous
assurer que nous allons prendre vos commentaires en sérieuse
considération et que nous sommes bien convaincus que les
problèmes que vous avez exposés ici sont des problèmes
réels, qui existent. Et je voudrais vous remercier.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je remercie infiniment les
représentants de l'hôpital Sainte-Justine.
J'inviterais le représentant de l'Association des officiers de
probation du Québec Inc.
Association des officiers de probation du
Québec Inc
M. AUDET (Réal): Puis-je procéder à la
présentation du mémoire, quitte à aller souper et revenir
discuter après?
M. le Président, mon nom est Réal Audet,
représentant de l'Association des officiers de probation du
Québec. J'ai le plaisir de vous présenter mes collègues: A
mon extrême gauche, M. Gérard Cyr, agent de probation; M. Claude
Racine, criminologue; à ma droite, Mlle Marie-Anne Harvey, criminologue,
et à mon extrême droite, M. Louis Martin, agent de probation.
M. le Président, MM. les ministres, MM. les membres de la
commission parlementaire, messieurs, l'Association des officiers de probation
du Québec Inc. apprécie l'occasion qui lui est maintenant
donnée de contribuer d'une certaine façon à l'étude
du projet de loi 65 sur la protection de la jeunesse. Soit dit en passant,
notre association est de celles qui ont le plus vivement souhaité une
participation authentique au niveau de l'élaboration et de la
préparation du projet de loi 65. L'AOPQ a été
fondée en 1967, en vertu des dispositions de la troisième partie
de la Loi des compagnies.
Dans la ligne des objectifs que lui confère sa charte,
l'Association professionnelle des officiers de probation s'est
particulièrement manifestée à plusieurs occasions depuis
sa fondation, notamment lors de la présentation d'un mémoire
à la commission d'enquête sur l'administration de la justice au
Québec en 1968, et, en 1971, lors de ses représentations
auprès du Solliciteur général du Canada, relativement au
projet de refonte de la Loi des jeunes délinquants.
H faut reconnaître que la présence de notre association
à cette commission parlementaire s'inscrit tout simplement dans le
processus de continuité du mandat qu'elle s'est donné en vue de
promouvoir les changements sociaux susceptibles d'améliorer notre
système de protection juridico-sociale au service de l'enfance. Si l'on
considère que les rôles et les responsabilités de la
probation des juvéniles se définissent spécifiquement en
fonction de la protection et de la réadaptation sociale des jeunes
délinquants et prédélinquants en milieu ouvert, nous
trouvons cependant déplorable que l'on ait négligé de
mettre réellement à profit la riche expérience des agents
de probation du Québec dans le processus de la préparation de la
présente pièce législative.
Est-il nécessaire de préciser que, depuis 1968, les
services de probation du Québec ont aidé plus de 35,728 jeunes en
difficulté? Cette clientèle était constituée de
jeunes délinquants, de prédélinquants et de
protégés judiciaires. Pour l'année 71/72, les statistiques
de la probation nous révèlent que 2,745 jeunes délinquants
ont bénéficié d'un traitement en probation tandis que
1,740 prédélinquants ont reçu l'assistance professionnelle
dispensée par nos services.
A partir de ces faits, nous tenterons de vous faire part des espoirs de
l'AOPQ face au projet de loi 65. Nous nous permettrons d'abord une brève
analyse de ce projet. Nous soulignerons ensuite les points saillants de notre
mémoire et, pour terminer, nous formulerons les recommandations que nous
considérons essentielles dans le corps de la préparation d'une
loi moderne axée sur les réalités actuelles de la jeunesse
et de la famille québécoises.
Les espoirs de l'AOPQ face au projet de loi 65. Les leçons
tirées de l'expérience, les conceptions modernes de la
prédélinquance et de la délinquance juvénile et
l'examen quotidien des problèmes actuels reliés à la
protection sociale et judiciaire de l'enfance ont toujours été
dans le passé des éléments de réflexion et de
sérieuse préoccupation de l'association.
Nos véritables préoccupations s'orientent donc vers
l'urgente nécessité d'une réforme globale de façon
à ne plus nous contenter de correctifs immédiats et temporaires,
mais à nous attaquer à des changements plus profonds et plus
durables. Evidemment, l'amorce de la préparation d'une nouvelle loi de
la protection
de la jeunesse venait renforcer les espoirs d'un renouveau prometteur
dans ce secteur de l'enfance, secteur si longtemps délaissé
à la réflexion sociale, comme l'a déjà reconnu le
ministre des Affaires sociales.
Cependant, cette nouvelle loi de la protection de la jeunesse telle que
présentée a diminué considérablement les espoirs.
Aujourd'hui, nous voulons profiter de cette commission parlementaire pour
apporter notre humble contribution. Cette contribution se situera dans la
tradition des espoirs exprimés dans le passé, à savoir que
l'actuelle Loi de la protection de la jeunesse doit faire l'objet d'une refonte
complète. Pourquoi? Pour mieux satisfaire aux besoins modernes des
enfants et des familles québécoises. Ces besoins en raison de
leur complexité et de leur interrelation, ne sauraient être
satisfaits par une loi timide telle que le bill 65 dont le cadre d'application
est trop restreint.
Le législateur, pour être efficace dans le domaine qui nous
préoccupe, doit dépasser les symptômes pour s'attaquer aux
causes des problèmes identifiés au niveau de l'organisation
sociale. A cet égard, une nouvelle Loi de la protection de la jeunesse
doit refléter une pensée psycho-juridico-sociale. On entre donc
ainsi de plain-pied dans la compréhension des phénomènes
individuels et collectifs de l'enfance et de la famille.
Dans l'optique de ces espoirs, il nous parait injustifié de
considérer comme extérieurs ou strictement corollaires les
aspects qui, dans les différents mémoires, se situent en dehors
du cadre très limité du présent projet de loi.
Ces aspects sont indissolublement liés à la protection de
la jeunesse et aux causes de la problématique sociale identifiées
sous ce chapitre. Les reléguer aux calendes grecques, sous
prétexte que le présent projet de loi ne constitue qu'une amorce
ou que des études sont actuellement en cours, serait, à notre
avis, faire preuve d'irréalisme.
En fait, il faut bien se rappeler tout le temps écoulé
avant que l'actuelle Loi de protection de la jeunesse ne soit remise en
question. Nous reconnaissons le bien-fondé d'une réforme
législative dans le domaine de la protection de l'enfance. Nous
reconnaissons certains aspects positifs du présent projet. Cependant,
nous sommes quand même forcés d'admettre, après
étude, que le bill 65 nous a particulièrement déçus
dans son ensemble.
Ce n'est pas notre intention de reprendre ici un à un les
nombreux aspects lacunaires de ce bill, étant donné que d'autres
organismes ont déjà eu l'occasion d'exprimer devant cette
commission des opinions que notre association partage dans l'ensemble. Nous
nous contenterons d'insister sur certaines lacunes qui nous paraissent
particulièrement inquiétantes.
Au lieu d'une réforme globale de la protection de la jeunesse, ce
projet nous propose des changements superficiels, qui ne garantissent
absolument pas un fonctionnement plus harmonieux de ce secteur
d'activités, en fonction des besoins. Ce projet de loi nous
apparaît comme étant de structure administrative plutôt
qu'une loi véritablement axée sur les droits, les besoins et les
aspirations des enfants et des familles du Québec. Une loi qui collerait
davantage aux réalités de 1973 est à souhaiter.
D'autre part, ce projet de loi ne mentionne pas l'accueil
réservé aux jeunes délinquants qui comparaissent devant
les cours de bien-être social, tout autant que les cas de protection
sociale ou judiciaire. Ces jeunes ont le droit d'être traités
comme des personnes qui sont dans une phase d'éducation et
d'évolution.
Ce projet de loi, par les articles 43 et 44, à toutes fins
pratiques, assimile le traitement des jeunes délinquants au traitement
des adultes criminels. Pourtant, la loi de la délinquance
juvénile, qu'on se plait à dire très punitive, garantit
à ces jeunes leur caractère d'enfants ayant besoin d'aide et
d'orientation. Il est inadmissible que, pour des raisons fort obscures, l'on
considère cette catégorie de jeunes comme des adultes criminels
et qu'on traite au même titre.
Ce projet de loi, au ministère de la Justice, crée un
service de protection de la jeunesse parallèle aux différents
services qui existent déjà au ministère des Affaires
sociales, dont les préoccupations sont avant tout d'ordre social et
rééducatif. Ce projet de loi semble ignorer les véritables
responsabilités qu'ont les parents et adultes envers les enfants. On ne
parle des parents et des adultes que pour leur imposer une amende s'ils
n'assument pas leurs responsabilités envers l'enfant. Cette menace ne
nous semble pas un moyen bien efficace de susciter chez les adultes et les
parents cette prise de responsabilité. Cette menace donne encore une
teinte répressive à la loi. Ajoutons que les dispositions
relatives aux adultes, dans l'article 39 de la loi actuelle en vigueur,
chapitre 220 des Statuts révisés du Québec, ne sont pas
conservées dans le projet de loi 65. Nous croyons que s'attaquer aux
effets sans pouvoir agir sur les causes n'est certes pas une solution
adéquate.
Après vous avoir présenté en introduction les
impératifs et l'esprit qui a présidé à la
préparation du mémoire de notre organisme, vous avez sans doute
constaté, à la lecture dudit mémoire, que les points
saillants de notre étude se résument comme suit:
Premièrment, les principes fondamentaux. Comme prémices
à l'élaboration de cette Loi de protection de la jeunesse, notre
association émet certains principes généraux de base, sur
lesquels le gouvernement est invité à s'appuyer, en vue de
l'adoption d'une législation sociale progressiste et surtout bien
adaptée. Vous trouverez ces principes aux pages 3 et 4 de notre
mémoire.
Deuxièmement, le respect des droits de l'enfant. L'AOPQ estime
que le projet de loi ne respecte pas les droits élémentaires de
l'enfant de toujours voir sa qualité d'enfant sauvegardée,
d'être éduqué ou rééduqué dans un
milieu de
vie le plus près possible du cadre qui lui est naturel.
(Référence à la page 9 de notre mémoire.)
L'enfant délinquant et l'enfant protégé. Notre
organisme déplore que le projet de loi 65 établisse une
discrimination inadmissible entre l'enfant qui a besoin de protection et
l'enfant traduit devant le tribunal des jeunes, suivant la Loi des jeunes
délinquants.
Nous nous demandons sérieusement pourquoi le jeune que l'on
étiquette "délinquant" ne peut pas, en vertu de ce projet,
bénéficier des services offerts aux jeunes qui ont besoin de
protection. (Référence aux pages 8, 9 et 16 du
mémoire).
L'article 43 et ses répercussions. En regard des dispositions
contenues dans l'article 43, ce projet de loi fait tomber le jeune
délinquant sous le coup de la loi de probation adulte et des
établissements de détention pour adultes. Cette disposition nous
paraît inacceptable pour de nombreuses raisons que vous retrouverez dans
les pages 17 à 20 du mémoire. Pourquoi veut-on faire du jeune
délinquant un être à part en associant son traitement
à celui de l'adulte criminel?
Cinquièmement, le milieu et l'enfant. C'est un fait que la
famille est la cellule fondamentale de la société et qu'elle est
tenue d'assumer prioritairement ses responsabilités face au
développement et à l'éducation des enfants. Or, à
l'étude du projet de loi 65, l'association se demande pourquoi ce projet
n'a pas prévu une implication autre que punitive du milieu de vie de
l'enfant dans la recherche et l'actualisation de solutions aux problèmes
de l'enfance. (Référence aux pages 13 et 15).
Et enfin, sixièmement, les implications du projet de loi 65 sur
le jeune délinquant. L'AOPQ donne son point de vue à ce sujet
à la page 21. Vous avez sûrement noté que notre
mémoire comporte un certain nombre d'amendements au projet de loi 65.
Ces amendements, à l'époque, n'avaient qu'un seul but:
éviter le pire. Aujourd'hui, nous voulons construire le mieux sur une
base que ne saurait nous garantir ce présent projet de loi. En
conséquence, et se basant sur le fait qu'une fois adoptée, une
loi l'est pour longtemps, l'AOPQ en vient à recommander ce qui suit: Le
retrait immédiat du projet de loi 65, et suite à cela, la
formation d'un comité ayant pour mandat l'élaboration d'une
loi-cadre pour définir les droits respectifs de l'enfant et de la
famille et servir d'amorce à la mise sur pied d'un tribunal de l'enfant
et de la famille.
A cette occasion, il serait opportun de prévoir
l'établissement immédiat de mécanismes permanents de
consultation et de participation impliquant tous les organismes officiellement
reconnus et représentatifs des praticiens et des cadres oeuvrant dans le
domaine de l'enfance et de la famille. Troisièmement, la
définition dans une telle loi du rôle et des fonctions des
services de probation pour mineurs.
Ceci termine la présentation de notre mémoire. Je me
permets, au nom de l'Association des officiers de probation du Québec
Inc. de vous remercier de votre attention et nous souhaitons, surtout à
la reprise des discussions tantôt, qu'étant donné que nos
recommandations sont assez brèves, cela ne veut pas dire que nous
n'avons rien à dire, ni que ce n'est qu'un embryon de participation.
Nous souhaitons également que, dans un proche avenir, nous aurons cette
occasion tant souhaitée de répéter ces approches avec le
législateur à la suite d'un projet aussi important que celui de
la protection de l'enfance et, surtout, du fait que les agents de probation du
Québec sont intimement liés à ce secteur et qu'ils y
oeuvrent depuis bon nombre d'années. Je crois qu'il est primordial que
nous ayons l'occasion d'échanger le plus souvent possible sur ces
questions dans les prochaines semaines, de façon comme c'est le
désir du ministre des Affaires sociales et du ministre de la Justice
de faire une loi mieux adaptée aux problèmes de la
jeunesse actuelle. Encore une fois, merci et on espère vous revoir dans
quelques minutes.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): La commission suspend ses travaux
à ce soir, vingt heures quinze.
(Suspension de la séance à 17 h 50)
Reprise de la séance à 20 h 20
M. HOUDE (Limoilou) (président de la commission conjointe de la
justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!
L'honorable ministre des Affaires sociales.
M. CASTONGUAY: M. le Président, je voudrais remercier
l'Association des officiers de probation du Québec pour son
mémoire. Au lieu de discuter très précisément
certains aspects du contenu, il me semble qu'il y aurait peut-être
intérêt à essayer de préciser certaines idées
ou certains concepts au départ.
J'aimerais que les représentants nous donnent leur conception de
ce qu'est la probation. J'aimerais faire référence, en même
temps, à ce qui a été abordé, je crois, par la
Ligue des droits de l'homme à l'occasion de notre séance de
mardi, c'est-à-dire la situation difficile dans laquelle se trouvent
actuellement les officiers de probation du fait qu'ils sont appelés
à intervenir avant, soit au moment de la rédaction des rapports
ou de la constitution des rapports soit présententiels, si l'enfant va
devant le juge, ou l'évaluation, et après. J'aimerais partir sur
cette base et essayer de clarifier pour savoir si on entend la même chose
par les mêmes mots.
M. AUDET (Réal): Vous aimeriez qu'on vous donne un peu une
description de nos conceptions de la probation, si j'ai bien compris votre
première question.
M. CASTONGUAY: Oui, c'est assez important, parce que le terme dans le
projet de loi a un sens très précis et peut-être que
justement il y a certains malentendus qui proviennent du fait qu'on discute,
d'une part, un projet où un mot a un sens et où, pour vous, ce
mot a un sens très différent.
ICI. AUDET (Réal): Si on prend une définition courante, on
peut dire que la probation, c'est une mesure juridico-sociale de traitement
pour les jeunes délinquants ou prédélinquants. Cela est
une définition académique, si vous le voulez.
A présent, la probation comporte quand même
différentes tâches, différentes étapes. La probation
débute, comme vous l'avez laissé entendre il y a quelques
minutes, avant que le juge prenne une décision, et après qu'il
l'a prise. Cela nécessite souvent des démarches assez
importantes, si vous le voulez, au niveau de la cueillette des données
sur la situation familiale, scolaire, physique et médicale d'un jeune.
Cela fait partie d'un tout, mais l'agent de probation a déjà
commencé une certaine amorce en prenant contact avec tout
l'environnement du jeune, en commençant par sa famille, son milieu
scolaire, son environnement et, même si la mesure n'est pas encore en
pleine vigueur il reste qu'il y a un embryon, une amorce. C'est sûr que
le travail nécessité par l'investigation psychosociale
nécessite un temps assez important de la part de l'officier de
probation. Il arrive souvent, dans certains cas, où un officier a un
"case load" assez chargé, que le fait de faire plusieurs enquêtes
psychosociales peut diminuer le temps dont il pourrait disposer pour faire une
vraie probation.
Je ne sais pas si quelqu'un pourrait compléter ces propos.
M. MARTIN: J'aimerais faire une distinction. Je pense qu'il est assez
important de distinguer entre le service et la mesure. Cela me paraît
important surtout que, historiquement, le service de probation a dû se
situer par rapport à cela et puis, il y a eu une évolution.
D'abord, au point de vue historique, au moins dans le Québec, le service
de probation a d'abord été un service et ce sont des affaires
complètement en dehors de l'officier de probation et de ce qu'il
concevait de ses fonctions. Je me rappelle très bien que quand j'ai
été engagé au gouvernement, en 1960, j'ai
été engagé comme officier de probation. Lors de mon
initiation, en cours de route, cela a été une affaire assez
claire.
Classiquement, l'officier de probation est chargé d'appliquer la
mesure de probation. C'était beaucoup plus de la spéculation que
de la réalité. J'ai découvert très rapidement que
le service de probation faisait toutes sortes de choses à l'exception
peut-être de la probation ou en dernier lieu, en faisant un peu de
liberté surveillée. J'ai été plongé dans ce
contexte. J'ai été absolument incapable de faire quoi que ce soit
pour changer ça. C'étaient des affaires qui étaient
là et je n'avais aucune possibilité de ramer contre ce courant
qui était là, qui était implanté et qui avait toute
une histoire. C'est à partir de ça quand même qu'il y a une
évolution qui se fait depuis 1960. Je pense que tout officier de
probation a toujours cette confiance très nette que, dans le fond, sa
fonction principale est d'appliquer la mesure de probation. Mais cette
réalité de l'application de la mesure de probation est une
affaire actuellement en bonne voie. C'est une affaire qui se fait surtout par
les officiers de probation mêmes. Je le vois un peu comme un combat.
C'est à force de lutter contre toutes sortes d'obstacles qu'on finit par
tailler cette place et qu'on voit la place que la mesure de probation doit
tenir dans l'ensemble des fonctions du service de probation.
Je pense que cette distinction est très importante. Est-ce qu'il
y a d'autres gens qui veulent ajouter quelque chose? M. le ministre, a-t-il des
précisions à demander?
M. CASTONGUAY: Justement, je vous écoute, et il me semble que ce
que vous décrivez est un contenu de la fonction de probation qui s'est
développé graduellement au cours des années. Il comporte
plusieurs aspects qui sont ceux que l'on retrouve ici comme étant
des fonctions qui, d'après le projet de loi, devraient être
dévolues au service de protection: toutes les évaluations
préalables aux centres des services sociaux pour uune action plus
continue, les mesures à prendre pour la protection de la santé,
l'éducation etc. de l'enfant tel que l'indique l'article 11. Le terme
probation, que l'on retrouve en fait à une seule place dans le projet de
loi lorsqu'on arrive à l'article 43, n'a pas du tout le même sens
que celui que vous lui donnez. A ce moment-là c'est restreint à
une fonction très limitée, très précise,
importante, beaucoup plus précise, qui ne s'appliquerait que dans le cas
d'un enfant considéré comme délinquant, où une
mesure plus ou moins contraignante lui est imposée par le juge, soit une
mesure de liberté surveillée ou un stage en institution
obligatoire.
A la base, au départ, sans nier en aucune façon
l'importance, bien au contraire, des fonctions que vous décrivez et que
vous introduisez dans le contenu du concept probation, il me semble que le
terme, à cause de notre évolution, ici au Québec, a pris
dans les faits ou par l'usage courant une portée passablement plus
large. Il me semble que c'est peut-être une des causes de malentendu de
l'analyse qui est faite de part et d'autre de ce projet de loi.
Pour continuer dans ce sens, j'aimerais aussi que vous nous disiez
comment dans les faits il me semble que ça pourrait aider la
discussion on décide si le cas d'un jeune ou d'un enfant doit
être traité en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse ou
en vertu de la Loi des jeunes délinquants, purement dans les faits.
M.MARTIN: Sans référence à un idéal
quelconque.
M. CASTONGUAY: Non, non. Comment cela se fait-il J'ai vu les rapports du
service de probation, et dans certaines régions, on constate que l'on
utilise beaucoup plus la Loi des jeunes délinquants pour les
garçons que pour les jeunes filles. Ce sont des différences qui
s'expliquent très mal à l'analyse et qui semblent trouver leur
racine dans l'application très concrète que l'on en fait. Je
pense que ce serait intéressant que vous nous décriviez cet
aspect également.
M. AUDET (Réal): En fait, comme vous venez de le faire voir, il y
a quand même des disparités opérationnelles dans chaque
cour de Bien-Etre, dépendant de la volonté du juge. Dans mon
secteur, par exemple, tous les jeunes qui sont amenés à la cour
de Bien-Etre social à la suite d'un délit, automatiquement
l'article 20 s'applique soit une ordonnance de probation qui nous confie le
bonhomme. Cela ne veut pas dire que la première fois que le jeune vient
à la cour, il sera confié à la probation; par contre,
d'une façon ou d'une autre, s'il a commis un délit, c'est selon
l'article 20 qu'un rapport est rédigé. Dans les autres cas, c'est
l'article 15. Si le jeune ne s'est pas fait prendre sur le fait, s'il n'y a pas
eu de plainte formulée par un policier l'article 15 est
appliqué.
M. CASTONGUAY: Justement, vous dites "s'il n'y a pas eu de plainte
formulée par un policier". Pourriez-vous élaborer un peu plus
concrètement, à savoir comment ce mécanisme de plainte
formulée par un policier se déroule et à quoi cela
mène par la suite?
M. AUDET (Réal): Aussitôt qu'un policier, que ce soit un
agent de la sûreté municipale ou de la sûreté
provinciale, est saisi d'une plainte, il fait une enquête et s'il
découvre que le jeune est coupable, ou présumé coupable,
immédiatement il rédige une déclaration, qu'il fait
assermenter par le procureur de la couronne. Finalement, c'est
véhiculé à la cour du Bien-Etre social qui convoque le
jeune et ses parents. C'est fixé au rôle.
C'est le seul type de référence normale par un policier.
La plupart sont comme ça, peut-être 80 p.c. Les autres, qui nous
sont référés, le sont souventefois par des organismes de
service social.
M. CASTONGUAY: Je m'excuse. Juste avant de passer aux organismes de
service social, dans le cas dr policier, il le fait en vertu de quelle loi?
M. AUDET (Réal): La Loi des jeunes délinquants.
M. CASTONGUAY: Pour quels types de délits?
M. AUDET (Réal): A peu près tous les délits qui
sont compris dans le code criminel, dans les règlements
municipaux...
M. CASTONGUAY: Donnez-en donc une description, seulement par
curiosité.
M. AUDET (Réal): Soit avoir enfreint la Loi des alcools ou avoir
commis un vol par effraction, cela relève du code criminel; il peut y
avoir l'immoralité aussi, cela relève encore des lois
pénales.
M. CASTONGUAY: Y a-t-il assez souvent des délits beaucoup plus
mineurs?
M. AUDET (Réal): La plupart du temps, mais il reste que le vol...
soit conduire un véhicule en état d'ébriété
ou sans permis, ainsi de suite. Mais les délits mineurs sont
peut-être plus fréquents que les autres.
M. CASTONGUAY: Conduire un véhicule sans permis, est-ce que vous
classez ce délit comme majeur ou mineur à 16 ans ou 17 ans?
M. AUDET (Réal): Mineur.
M. CASTONGUAY: Et, malgré tout, ça mène là
quand même.
M. AUDET (Réal): Décidément, il n'y a rien qui peut
empêcher cela, cela aboutit à la cour. Dans bien des cas, on
essaie de rencontrer les chefs de police ou les policiers qui font
enquête sur les jeunes pour leur demander de suspendre parfois une
plainte quand c'est possible de le faire lorsque le plaignant accepte que ce
soit remis à plus tard. Bien des fois, la plainte ne se rendra pas
à la cour, mais il y en a quand même un bon nombre qui ont
adopté cette procédure. Aussitôt qu'ils ont la moindre
plainte, c'est la cour de Bien-Etre social.
M. CASTONGUAY: S'il y avait une étape intermédiaire, elle
ne paraît pas dans le projet de loi, présentement. Ce qui ferait
en sorte que tous ces cas seraient révisés, avant que l'on
poursuive plus loin, par un service de protection. Alors, qu'est-ce que vous
diriez du projet de loi?
M. AUDET (Réal): Je trouve que ce serait formidable, à mon
point de vue. On éviterait énormément de
déplacements et de traumatis-mes chez ces jeunes. Dans une bonne
proportion de jeunes, qui ont à être confrontés devant le
tribunal on peut aller au-delà de 75 p.c. peut-être
ce sont des jeunes qui, pour la première fois, ont commis des
délits mineurs. En somme, ils ne sont pas de vrais délinquants.
Mais, il y a toujours la confrontation devant la cour qui peut, quelquefois,
déclencher une délinquance plus marquée. Cela, nous ne le
savons pas. C'est toujours assez imprévisible.
M. CASTONGUAY: Alors, oublions, pour le moment, où se situe, dans
les structures administratives, le service de protection.
M. AUDET (Réal): Oui.
M.MARTIN: M. le Ministre, je pense qu'il faut faire ici une remarque.
Tout en acceptant qu'il serait bien, qu'il serait intéressant, dans
l'intérêt du jeune, de faire une telle chose, cela peut poser des
problèmes au point de vue légal. Alors, je pense qu'il y a des
gens qui vont tenir à cela, et je crois que c'est justifié.
Dans le contexte légal actuel, je pense qu'il serait assez
difficile de défendre à un policier, qui veut le faire, de porter
une plainte en vertu de la Loi des jeunes délinquants.
M. CASTONGUAY: Oui, mais là, nous parlons de nouvelles lois.
UNE VOIX: C'est dans la nouvelle loi.
M. CASTONGUAY: Nous parlons d'une nouvelle législation.
M. MARTIN : Oui. Je comprends. Mais est-ce que la nouvelle
législation peut établir une espèce de primauté
à l'égard de la Loi des jeunes délinquants? Je ne le sais
pas. En tout cas, ce sont des problèmes légaux. Moi-même,
je ne les ai pas étudiés. Enfin, ce n'est pas notre
spécialité.
M. CASTONGUAY: Disons que si nous prenons l'hypothèse qu'il soit
possible de le faire...
M. MARTIN: Oui.
M. CASTONGUAY: Vous avez l'air sceptique.
M. MARTIN: Oui, je suis sceptique. Je connais nos amis à Ottawa,
qui...
M. CASTONGUAY: Oui.
Mais prenons l'hypothèse, parce qu'il reste qu'il y a une loi
fédérale et, on essaie de progresser. On nous a fait état
dans d'autres mémoires, comme celui de la Ligue des droits de l'homme,
de ce qui était fait dans d'autres provinces pour essayer
d'éviter cette situation. Je pense que le point soulevé et, si ma
mémoire est bonne, c'est la Ligue des droits de l'homme, qui avait un
bon mémoire, je crois. Elle avait un travail solide. Il me semble que
l'on peut au moins, à ce moment-ci, pour essayer de se comprendre,
prendre ceci comme hypothèse.
Alors, si nous donnons à "probation" un sens, tel que je lui
donnais tantôt, et que, nous retenons qu'il y a une autre fonction, qui
est celle que j'appelle celle de la "protection" parce qu'on nous a
mentionné des difficultés que peut soulever le cumul des deux
fonctions qu'on donne le sens strict de probation. Oublions la structure
administrative où se situe le service de protection de la jeunesse.
Comment verriez-vous le projet de loi, à ce moment-là? Oublions
où se relie le service de protection dans les structures
ministérielles. Tenons pour acquis que le projet permet une
régionalisation de ce service. Il n'y a rien qui l'empêche. Si on
doit le préciser dans le projet, on le fera. Distinguons bien entre le
concept de protection et celui de probation. Prenons comme hypothèse que
l'on peut avoir cette mesure intermédiaire. Quelle serait votre opinion
du projet de loi, à partir de ce moment-là?
M. AUDET (Réal): Lorsque vous parlez de protection, est-ce que
vous envisagez aussi la mesure dont vous venez de parler, à l'effet de
garantir aux jeunes une intervention immédiate, avant qu'ils ne passent
devant la cour?
M. CASTONGUAY: Disons que pour reprendre cela sur un plan chronologique,
un cas se présente. Qu'il arrive par un mécanisme ou par un
autre. Avant d'aller plus loin, une évaluation est faite par un service
de protection, qui peut être régionalisé et qu'on ne situe
pas, pour le moment, entre le ministère des Affaires sociales et celui
de la Justice.
Ce service dit: Voici, c'est purement un cas de protection. On le
réfère, au besoin, à un centre de services sociaux qui
voit à prendre des mesures pour assurer sa sécurité, sa
santé, les soins dont il peut avoir besoin, etc. Ou bien, il en arrive
à la conclusion que c'est vraiment un cas de délinquance.
Là, il remet toute son évaluation au juge. Le processus de la
cour se continue. Mais cela est réservé à un nombre
plutôt restreint de cas. Si le juge dit: On doit prendre telle et telle
mesure vis-à-vis de cet enfant, là, la présence et la
nécessité, à partir du moment où cette
décision a été prise, de l'officier de probation, entrent
en ligne de compte. Son rôle commence à ce moment. Mais ce sont
des individus différents.
M. BOIVIN: Est-ce que l'on doit comprendre que l'officier de probation
serait comme un tuteur de l'enfant? Mais qui le nommerait, même si cela
se passe avant? Qui le nommerait tuteur?
M. CASTONGUAY: Ce n'est pas tout à fait un tuteur.
M. BOIVIN: Est-ce que ce ne serait pas le juge qui limiterait la
liberté de cet enfant?
M. CASTONGUAY: Non, ce n'est pas tout à fait, à mon sens,
un tuteur. C'est plutôt l'intermédiaire qui voit à faire en
sorte que, si le juge dit à l'enfant de retourner chez lui, d'aller voir
l'officier de probation régulièrement afin qu'il s'assure que
l'enfant continue ses études, par exemple, ou d'aller faire un stage
selon toute l'évaluation qu'il avait en main de
réadaptation dans un établissement X... L'officier de probation
est celui qui fera le lien pour s'assurer que la réévaluation
périodique des progrès est bien effectuée, etc.
M. BOIVIN: ... cela passerait devant la cour quand même.
M. CASTONGUAY: Oui, pour les cas de délinquance.
M. BOIVIN: Oui.
M. CASTONGUAY: Le rôle de l'officier...
M. BOIVIN: Mais dans l'autre cas, si ce n'est pas un délinquant,
par exemple...
M. CASTONGUAY: Oui.
M. BOIVIN: ... si c'est un cas de protection de la jeunesse, qui
limiterait la liberté de cet enfant? C'est encore le juge !
M. CASTONGUAY: Non.
M. BOIVIN: Ce serait comme un protecteur du jeune citoyen?
M. CASTONGUAY: II n'y aurait pas de limitation à la
liberté de l'enfant. C'est que, si c'est un cas de protection, où
il est indiqué plutôt qu'il faut apporter de l'aide à la
famille, qu'il faut apporter des mesures additionnelles pour assurer une
meilleure situation il y en a toute une gamme à cet
enfant, cela va être le centre de service social, ou l'agence, ou le
centre de services sociaux, pour prendre les termes de la loi 65, qui verra
à ce que ces mesures soient apportées pour que les causes, qui
faisaient que l'enfant avait besoin de protection, soient
résorbées ou résolues.
M. BOIVIN: Mais qui va donner l'autorité à ce protecteur
ou tuteur de l'enfant? Ce n'est pas le juge. Il faudrait que les parents
consentent...
M. CASTONGUAY: Oui, c'est ça.
M. BOIVIN: ... autrement quelle autorité...
M. CASTONGUAY: C'est une mesure volontaire à ce
moment-là.
M. BOIVIN: C'est volontaire...
M. CASTONGUAY: C'est une mesure volontaire.
M. BOIVIN: ... donc on n'a pas besoin de passer devant un juge. Mais
est-ce que les officiers de probation ont assez d'autorité quand ils ne
passent pas par le juge? Je ne sais pas, mais en pratique, qu'est-ce qui
arrive?
M. CASTONGUAY: Là, ce n'est pas la probation. Dans ce que je leur
demande, je distingue probation de protection, un service de protection au
préalable.
MLLE HARVEY: Si j'ai compris votre raisonnement, est-ce que cela ne
revient pas à dire que c'est le service de protection qui va
décider ce qui est un délit et ce qui n'en est pas un?
M. CASTONGUAY: Dans une très large mesure, oui.
MLLE HARVEY: Mais est-ce que légalement, c'est faisable? Parce
que déterminer qui est délinquant, quelle est la structure
délinquante, cela peut aller au niveau du diagnostic; mais, strictement,
au niveau du délit, de quelle façon cela pourrait-il se faire? Je
me le demande.
M. CASTONGUAY: Tant qu'il n'y a pas de décision prise d'en faire
une plainte ou une charge... Il reste que cette question de délinquance,
si on regarde la loi, c'est à partir du moment où une plainte est
portée. Si un enfant vole, par exemple, mais qu'aucune plainte n'est
portée, il n'est pas délinquant face à la loi.
MLLE HARVEY: Mais si, effectivement, il y a une plainte de
portée, est-ce que vous pouvez donner au service de protection la
responsabilité de dire que ce n'est pas un délinquant et de lui
faire éviter la cour?
M. CASTONGUAY: Ecoutez, soit qu'on veut faire une loi à
caractère punitif ou qu'on veut en faire une qui ne l'est pas. Vous nous
dites que la loi est trop punitive. J'essaie avec vous, de faire une certaine
clarification des choses. Je prends une hypothèse qui, je crois, est
possible. Mais ne me retournez pas la balle parce que c'est vous qui allez
rendre la loi punitive.
MLLE HARVEY: Non, c'est parce que je pense aux cas des filles, si je
peux aborder ça.
M. CASTONGUAY: Oui.
MLLE HARVEY: Dans la plupart des cas, dans quatre cas sur cinq, ce sont
des cas de conduite immorale. Alors, si les parents viennent se plaindre que
leur fille a une conduite immorale, ça devient un cas de protection, et,
si c'est le policier qui la prend sur le fait, c'est un cas de
délinquance.
M. CASTONGUAY: Sauf que, dans ce que je vous mentionnais tantôt,
si c'est l'officier de police qui rapporte ce cas, lui, dans son jugement, peut
déterminer si c'est un cas de délinquance. Mais, avant que cela
aille plus loin, je suggère que si par hypothèse et je
sais que le texte de la loi ne comporte pas ça il y a une
évaluation de faite par une équipe multidisciplinaire, cette
équipe en vient à la conclusion que ce n'est pas de la
délinquance, mais que c'est un comportement anormal possiblement. Alors
il faudrait traiter l'enfant ou prendre des mesures vis-à-vis de son
milieu.
MLLE HARVEY: Ce serait idéal; notre but serait qu'on puisse faire
la même chose pour tous les enfants, même pour tous les
délinquants.
M. CASTONGUAY: Une seconde. Si un jeune tue un autre, par exemple,
à un moment donné, il y a une gradation dans les délits.
Je pense qu'à certains moments, à un moment quelconque, on entre
dans des délits qui font qu'une personne, même si elle n'a pas
l'âge de la majorité, commet un crime.
M. MARTIN: Excusez, M. le ministre ce que j'aimerais...
M. BOIVIN: Est-ce qu'il n'y a pas souvent abandon? S'il y a une
contribution volontaire de la part des parents, c'est plus facile pour eux,
mais s'il y a abandon, par exemple, des parents, s'ils laissent l'enfant
à ses caprices, ce ne sera pas facile. Il y a longtemps que le policier
attend de le prendre sur le fait pour le leur amener, dans ce
temps-là.
M. CASTONGUAY: Oui, mais...
M. BOIVIN: S'il y a une contribution volontaire des parents et qu'il n'y
a pas de...
M. CASTONGUAY: S'il y a abandon, encore là, il me semble que
c'est un cas au premier titre de protection. Ce qui importe le plus, c'est de
s'assurer, à ce moment-là, que l'enfant soit
hébergé convenablement, que si par le fait qu'il a
été abandonné, son comportement en souffre ou son
fonctionnement, il s'agit d'essayer de corriger ça. D'ailleurs, c'est
une des choses les plus frappantes. Si on allait au centre d'accueuil de Tilly,
au centre Berthelet, je pense qu'on trouverait la même chose. On trouve
indistinctement des enfants où c'est clair en parlant, en se faisant
raconter leur histoire, qu'ils ne sont pas au bon endroit et que ce dont ils
ont besoin, c'est de l'aide et non pas une mesure répressive. Je pense
qu'à ce moment-là le centre de services sociaux est bien
indiqué, comme l'agence le fait présentement.
M. LAURIN : Comme hypothèse, ce serait la constitution d'un
service de tamisage ou un service de première ligne qui filtrerait tout
ce qui lui arrive et, après cela, s'il y a lieu, on passerait, dans
certains cas, les moins nombreux possible, à l'étape suivante qui
est plus légale ou formelle, ou plus judiciaire.
M. CASTONGUAY: Mais vous voyez, le service de protection est
déjà là. Ce qui fait retrousser, c'est qu'il est
placé selon un certain nombre de ceux qui sont venus ici
au ministère de la Justice. Je pense que, comme il vient d'être
mentionné aussi, une autre des causes de difficulté, c'est que,
bien souvent, les jeunes entrent dans le mécanisme par la
première décision ou par le premier geste que le policier pose,
alors que, lui, n'a pas fait d'évaluation et qu'est-ce que vous
voulez? le policier se sert des moyens qu'il a. Je ne veux pas mettre en
cause la valeur de son travail, mais pour lui, il est policier et quand il a
une situation difficile, il a recours à la Loi des jeunes
délinquants.
M. LAURIN : II faudrait rendre la plus difficile et la plus rare
possible, l'accès au judiciaire; il faudrait que ça passe d'abord
par le social, étant donné la plasticité de l'enfant.
M. PEARSON: Je suis d'accord sur ça, parce que le même
policier, par exemple, s'il suivait la loi à la lettre pour un adulte,
à n'importe quel adulte qui va cracher sur la voie publique, il peut
bien lui signifier quelque chose, mais il ne le fait pas. Alors, que pour un
enfant... Mais, pour un adulte, tout ce qu'il y aurait de conséquence ce
serait de dire que le policier a
manqué de jugement. Mais la conséquence grave pour un
enfant, dès sa première expérience vis-à-vis du
judiciaire, c'est que ça peut le marquer, contrairement à un
adulte. Je pense qu'il faut diminuer le nombre de plaintes possibles.
Tantôt, le groupe qui est devant nous a mentionné qu'une
foule de délits mineurs, d'après eux, en autant que j'ai compris,
ne devraient pas aboutir au judiciaire. On devrait trouver soit un
mécanisme ou une espèce d'orientation qui ferait que le policier
hésiterait avant de signer définitivement une plainte. Par
exemple, il y a des choses mineures, comme le refus de signer...
M. LAURIN: Surtout après qu'il aura lu le rapport de
l'évaluateur, il va hésiter encore bien plus.
M. PEARSON: Oui. C'est ça, en somme, qu'il faut trouver. Je suis
d'accord avec le ministre là-dessus, et je pense que le groupe qui est
devant nous est également d'accord, au moins partiellement.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dubuc.
M. BOIVIN: Est-ce que le service de probation n'aura pas trop de
responsabilités? Est-ce qu'il serait prêt à assumer cette
responsabilité et est-ce qu'il aurait l'immunité du juge pour
prendre les décisions qu'il a à prendre devant de telles
responsabilités?
M. CASTONGUAY: Le service de protection, dans le sens qu'il a ici, ne
pourrait jamais priver un enfant de ses droits. Ce n'est que le juge qui pourra
imposer des mesures pouvant limiter, d'une façon quelconque, la
liberté ou les droits de l'enfant. Je pense que c'est important que ce
soit uniquement un juge qui puisse le faire. L'officier de probation n'agit que
par la suite; son intervention ne viendrait et ne vient, lorsqu'on examine le
projet, qu'après qu'une décision a été prise par le
juge, c'est-à-dire suivre l'enfant lorsqu'il est dans un
établissement, suivre l'enfant s'il est en liberté
surveillée, suivre l'enfant, au besoin, après qu'il a
quitté un établissement.
Dans tous les cas où la liberté, où les droits d'un
enfant sont limités, c'est une décision du juge.
M. BOIVIN: Est-ce que l'officier de probation aurait l'immunité
du juge? Il me semble que cette responsabilité...
M. CASTONGUAY: L'officier de probation, si son rôle est
subséquent à la décision du juge, est un
intermédiaire dans une certaine mesure.
M. BOIVIN : Cela passerait toujours devant le juge.
M. CASTONGUAY: Pour tous les cas de délinquance ou tous les cas
où la liberté en d'autres termes, d'un enfant ou ses droits
peuvent être limités, criconscrits. Ce n'est qu'après que
l'officier de probation devient comme un agent qui fait le lien entre la cour
et le juge pour permettre de suivre l'évolution.
M. BOIVIN: Mais je croyais que c'était un intermédiaire
avant d'aller devant la cour.
M. CASTONGUAY: Dans le moment, dans les faits; mais, ce ne l'est plus
dans le projet ici où c'est le service de protection qui fait une
première évaluation. Et si l'enfant ne va pas devant le juge, si
c'est purement un besoin de protection, cela va être fait de façon
volontaire, à moins que les parents ne s'y opposent. Si les parents s'y
opposent, il faut obtenir une ordonnance du juge.
M. CYR: M. le ministre, est-ce que vous voyez le service de probation
comme tel, dans un deuxième temps? C'est-à-dire que vous avez
d'abord le service de protection qui ferait l'analyse, le "screening", le
diagnostic et l'orientation de l'enfant vers la ressource, donc le service qui
pourrait rendre réellement quelque chose de potable pour envisager un
changement de cet individu dans la société, faire en sorte qu'il
s'adapte réellement à la société, d'une part.
D'autre part, le service de...
M. CASTONGUAY: Ou encore, au besoin, que les mesures soient prises
vis-à-vis du milieu, pas seulement vis-à-vis de l'enfant; la
famille, le milieu.
M, CYR: D'accord. Dans un deuxième temps, votre service de
probation, c'est-à-dire lorsque l'enfant est envoyé vers la
probation comme mesure en milieu ouvert, où ce service au point de vue
administratif se situerait-il? Est-ce qu'il serait autonome ou de qui
dépendrait-il à ce moment-là?
M. CASTONGUAY: Je n'ai pas voulu introduire des questions de structure
parce que je ne voulais pas qu'on parle de ministère de la Justice ou de
ministère des Affaires sociales parce qu'il me semble qu'au
départ, il est important de clarifier les concepts, ce qui est
nécessaire pour l'enfant et après ça, on pourra parler des
structures.
M. CYR: En d'autres termes, je veux en venir à ceci: le service
de probation, de quelle façon peut-on le voir? Est-ce que c'est quelque
chose d'autonome, un service spécialement pour l'enfant ou serait-il
rattaché à une autre structure? Donc, pratiquement parlant,
est-ce qu'il existerait dans votre hypothèse un service
spécifique à l'enfant et est-ce qu'à ce moment,
l'étiquette qu'on donne à l'enfant, soit de protection ou de
délinquance, changerait les besoins de l'enfant?
M. CASTONGUAY: ... Ce que je vois, c'est qu'une fois que le juge a pris
une décision et qu'il doit y avoir nécessité d'un lien
entre la cour et l'enfant, suite à cette décision parce
que le juge peut bien dire aussi: On referme toute l'affaire; s'il ne le fait
pas et qu'il doit y avoir un lien c'est l'agent de probation ou
l'officier de probation qui effectue ce lien.
M. CYR: Lorsque vous parlez d'agent de probation et lorsque vous parlez
aussi de protection, dans votre esprit ou dans votre hypothèse, est-ce
qu'il y a une distinction au niveau technique entre protection et probation?
Ou, est-ce que vous envisagez plutôt le service de probation à
l'intérieur du service de protection?
M. CASTONGUAY: Ce sont deux choses complètement
différentes, à mon sens.
M. CYR: Est-ce que vous pouvez élaborer un peu plus votre
pensée pour qu'on puisse saisir?
M. CASTONGUAY: Le service de protection est une équipe
multidisciplinaire qui peut être au plan de l'organisation. On peut
retrouver des équipes au plan régional et ce sont ces
équipes ou cette équipe multidisciplinaire qui fait
l'évaluation, qui constitue tout le dossier et qui détermine si,
au premier titre c'est un cas de protection ou un cas de délinquance,
à moins qu'il ne s'agisse d'un délit tellement grave, tellement
clairement identifié, que ce ne soit clairement un cas de
délinquance. Ce service a deux choix: il oriente l'enfant vers les
ressources par le truchement du centre de service social comme vous le disiez,
ou il l'oriente vers la cour pour deux motifs. Soit que les parents refusent,
alors le service n'a pas l'autorité, de lui-même, d'imposer des
mesures et il faut obtenir, si c'est purement de la protection, une ordonnance
de la cour; ou si c'est un cas de délinquance, il l'envoie à la
cour. Une fois que la cour prend sa décision, si c'est purement un cas
de protection et que le juge passe outre aux objections des parents, ça
peut et fort probablement, ce sera le centre de service social qui va assurer
les services requis par l'enfant. Si c'est un cas de délinquance et
qu'il doit y avoir une suite, un lien établi entre la cour et l'enfant,
ce sera l'officier de probation qui va établir ce lien.
M. CYR: Alors vous voyez, si je comprends bien, le service de probation
comme étant une ressource disponible auprès de la cour pour
traiter le jeune délinquant en vertu de la Loi des jeunes
délinquants.
M. CASTONGUAY: C'est ça.
M. CYR: Disons que l'Association des officiers de probation du
Québec que nous représentons depuis déjà longtemps
veut s'orienter vers cette optique et je pense aussi que c'est le même
voeu que la direction provinciale des services de probation fait, à
savoir que les services de probation comme tels devraient, à notre avis,
faire de la probation auprès des jeunes délinquants, mais en
milieu ouvert. Nous sommes heureux que vous apportiez ce point-ci mais par
contre, je pense que mes collègues pourraient peut-être renforcer
certaines observations ou certaines remarques que nous pourrions ajouter.
M. CASTONGUAY: Vous dites: En milieu ouvert. Est-ce qu'il n'est pas bon,
utile, nécessaire aussi, que ça se fasse en milieu de
réadaptation?
M. CYR: C'est-à-dire que la probation, dans le sens où
nous l'entendons est une mesure qui est donnée à l'individu en
milieu ouvert, dans sa famille, dans son milieu. C'est une action que
l'officier de probation ou l'agent de probation fait dans le milieu comme tel,
c'est-à-dire auprès de l'école, auprès de la
famille, dans le milieu de travail, dans les sports et loisirs, enfin, tout.
Son action se situe là, en milieu ouvert. C'est toute une
procédure au niveau de la thérapeutique, au niveau du traitement
du jeune, de l'amener à changer avec les structures en place. La
probation, à notre avis, se situe là, strictement en milieu
ouvert. Lorsqu'il est question, par exemple, d'orientation vers une
institution, est-ce qu'on peut parler de traitement en milieu ouvert? C'est
plutôt une question de comment dirais-je?
rééducation dans des structures bien données, comme , par
exemple, Bosco-ville ou une autre institution.
M. CASTONGUAY: Mais qui fait le lien entre la cour et Boscoville? C'est
l'enfant surtout.
M. CYR: L'enfant surtout, d'accord. Maintenant, il y a aussi...
M. CASTONGUAY: Non, mais qui fait le lien?
M. CYR: L'agent de probation. C'est-à-dire que l'agent de
probation aurait une autre dimension à ce moment-là, la
réinsertion sociale de cet individu, sortant des cadres de Boscoville
vers son milieu.
M. CASTONGUAY: Mais avant qu'il sorte de Boscoville, pendant qu'il est
là?
M. CYR: C'est ça, maintenir le lien entre l'individu qui se
trouve en institution et son milieu naturel, c'est-à-dire sa famille et
la cour.
M. CASTONGUAY: Alors, il y a deux fonctions.
M. CYR: C'est exact.
M. PEARSON: Justement, là-dessus, j'ai une question à
poser. Il semble, d'après ce que vous avez dit, en somme, que l'officier
de probation serait le lien entre le judiciaire et l'enfant. Les officiers de
probation qui sont ici ont manifesté le désir d'être
déchargés d'une foule de délits mineurs qu'ils n'ont pas
énumérés et qui pourraient être
énumérés éventuellement, c'est-à-dire qui ne
devraient pas normalement aboutir à la cour de façon que l'enfant
soit orienté plutôt vers les services de protection que vers vos
services à vous. Qui, au moment où l'enfant devrait aller
plutôt vers les services de protection, sert de lien entre l'enfant et
ces services de protection, étant donné qu'eux servent de lien
entre le judiciaire et l'enfant? Si l'enfant s'en va vers la protection, il
faut quelqu'un qui soit capable de le suivre. C'est cela que je ne saisis
pas.
M. CASTONGUAY: Le service de protection fait l'évaluation,
détermine quel genre de mesures peuvent être utiles pour assurer
une protection de l'enfant et il y a tout le réseau des services,
à partir des centres de services sociaux qui peuvent intervenir.
M. PEARSON : Je comprends, mais actuellement, les seuls
mécanismes que l'on connaisse, c'est qu'un policier signe une plainte
contre un enfant. A ce moment-là, le juge prend une décision et
ce sont les officiers de probation qui servent de lien. Mais, avant que cela se
produise, si l'officier ne signe pas de plainte pour un délit mineur,
par exemple, refus de circuler ou des choses comme celles-là, qui va
prendre la décision de l'orienter vers un service de protection, qui va
servir de lien, qui prendra la décision de l'orienter?
M. CASTONGUAY: Cela peut être fait de diverses façons. Cela
peut être fait, comme vous le disiez, par le policier au besoin. Mais
cela peut être fait par les parents, cela peut être fait par une
autre personne, cela peut être fait par une agence, cela peut être
fait par la cour, si le cas est rapporté à la cour. C'est
aussitôt qu'un cas est identifié.
M. PEARSON: Je comprends. Cela veut dire en somme que le juge
lui-même ne sera pas nécessairement obligé d'établir
que c'est l'officier de probation. Il peut diriger lui-même l'enfant vers
un service de protection plutôt que vers un service de probation. C'est
cela?
M. CASTONGUAY: C'est le service de protection qui est
préférable à l'action de la cour et qui a comme fonction
d'évaluer, d'essayer de déterminer vers quel type de ressource on
devrait orienter l'enfant lorsque c'est un problème de protection. Ce
n'est que dans les cas où les choses ne peuvent pas être faites
volontairement, où il peut y avoir limitation des droits, refus des
parents, qu'une ordonnance de la cour peut devenir nécessaire ou dans
les cas où il y a vraiment délit où la cour doit
intervenir.
M. BOIVIN : Est-ce qu'il serait possible de savoir d'où vous
viennent ces enfants? Pour faire suite à la question du
député, d'où vous viennent ordinairement ces enfants?
Est-ce que cela arrive qu'ils viennent des parents ou est-ce que cela arrive
qu'un chef de police vienne vous les conduire sans passer par la cour?
M. AUDET (Réal): Vous voulez savoir quelle
référence...
M. BOIVIN: D'où vous viennent les enfants qui vous tombent dans
les mains?
M. AUDET (Réal): Comme je le disais, à peu près 95
p.c. par les officiers de probation.
M. BOIVIN : Par la cour?
M. AUDET (Réal): Par la cour. Nous n'acceptons aucun cas si ce
n'est pas...
M. BOIVIN: Je me demande, sur le terrain pratique nous discutons
une chose théoriquement, ce serait peut-être idéologique
mais, en pratique, qu'est-ce qui arrive? Ils vous arrivent toujours par
la cour?
M. AUDET (Réal): Certainement.
M. CASTONGUAY: Pour répondre à votre question, disons que
la situation est telle qu'ils ne peuvent arriver autrement. C'est cela qu'il
faut essayer de changer.
M. BOIVIN : Je reviens encore à l'immunité, parce qu'il va
y avoir des poursuites je ne me rappelle pas les noms des lois
mais si l'officier de probation vient s'interposer entre la liberté de
l'individu...
M. CASTONGUAY: II ne peut pas. C'est seulement le juge qui peut faire
cela.
M. BOIVIN: C'est cela, mais c'est ce qui va arriver. Si on donne les
responsabilités aux officiers de probation, ce sont des espèces
de juges, des préjuges, si vous voulez, qu'on va nommer pour leur donner
l'autorité et l'immunité.
M. CYR: C'est-à-dire que vous avez quand même deux aspects
dans cette question, M. le député, à savoir que le service
de protection, selon M. le ministre Castonguay, c'est le service qui fera
l'étude tout d'abord des cas qui lui sont envoyés,
c'est-à-dire que l'enfant peut être référé
par ses parents il est souhaitable et préférable que
l'enfant puisse demander sa propre protection il sera aussi amené
par la police. Actuellement, les enfants nous parviennent de la façon
suivante. Les parents nous
amènent des enfants au contentieux pour une demande de
protection. Là, le procureur de la couronne étudie s'il y a motif
sérieux pour la protection. C'est ensuite orienté vers le
tribunal pour une enquête judiciaire et le juge décide,
après enquête, si réellement il y a motif à
protection ou non.
Cela, c'est pour les cas de protection actuellement. L'orsqu'il s'agit
de mesures de traitement en milieu ouvert, on nous réfère ces
cas-là, donc ces enfants, pour l'étude psychosociale et tout ce
qui s'ensuit et nous, nous faisons les recommandations qui s'imposent pour les
cas de protection.
Deuxièmement, vous avez les cas de délinquance. Les cas de
délinquance nous sont amenés à la cour sur un délit
quelconque. Cela peut être un vol d'automobile, cela peut être du
vol et du recel de différentes façons, cela peut être pour
possession de drogue, de narcotique, enfin toute la gamme de délits
possibles. A ce moment-là, une formule mémorandum est
envoyée au service judiciaire, ensuite au greffe et orientée vers
la cour, donc c'est à l'article 20. Si c'est un premier délit, le
juge peut dire tout simplement: J'ajourne la cause sine die. Si l'enfant
revient une deuxième ou une troisième fois, c'est alors qu'il est
déféré vers le service de probation et l'agent de
probation entre en ligne de compte. Vous avez deux aspects: les cas de
protection et les cas de délinquance, qui sont amenés, en
définitive, par les gens que vous énumérez. Il y a aussi
les agences sociales qui nous amènent des cas à la cour pour
protection.
M. CASTONGUAY: II faut lire de façon très attentive les
articles 5 et suivants et je pense que vous allez voir que les distinctions
sont faites de façon passablement claire.
M. MARTIN: II y a quand même une chose que je veux retenir, c'est
que, l'autre jour, dans votre hypothèse, que je trouve
intéressante on vous suit, on la développe, enfin je vous
laisse la développer davantage, s'il le faut il reste que telle
que vous la posez, on ne peut pas éviter de se prononcer sur l'article
43. Je voulais développer l'affaire, mais je vous demanderais vers la
fin de vous prononcer sur l'article 43 parce qu'il y a des suppositions. Vous
faites des hypothèses, vous donnez une fonction au service de protection
qui actuellement n'est pas claire, qui n'est pas comprise dans le projet. Vous
définissez un nouveau service de probation qui n'existe pas
actuellement, mais qui pourrait exister. Alors, logiquement, il faut se
prononcer sur l'article 43, parce que vous avez posé une question
intéressante. Vous nous dites: Si on introduit ces deux
éléments dans le projet de loi, est-ce que le projet de loi vous
satisfait? On va se prononcer quand vous vous serez prononcé sur
l'article 43.
M. CASTONGUAY: Nous avons donc deux services. Un service de protection
constitué par la section II et dans le projet, tel qu'il apparaît,
il est constitué au ministère de la Justice, il peut être
régionalisé, il remplit les fonctions qu'on vient de
décrire. 0 y a la cour, il y a aussi, constitué en vertu d'une
autre loi, le centre de services spéciaux et les autres ressources et on
voit par les articles 8, 9 et 10 comment le directeur de ce service peut faire
appel à ces ressources et, une fois passée l'action de la cour,
s'il y a action de la cour, il y a le service de probation ou l'officier de
probation. Evidemment, il doit être relié à nos structures.
Cet officier de probation, comme on l'a vu, joue deux rôles face à
l'enfant qui a passé devant la cour, où il est
considéré soit comme un jeune délinquant ou encore
où ses droits ou les droits de ses parents ont été
limités pour des raisons qui apparaissent évidentes, je pense,
soit le non-désir de faire les choses volontairement pour assurer une
meilleure protection de l'enfant. Si je comprends bien votre question,
lorsqu'on arrive à l'article 43, comme il va y avoir des officiers de
probation qui ne seront pas dans le service de protection, vous voulez savoir
s'ils vont être reliés au service plus large de probation pour
adultes.
La question que je vous pose est la suivante : Si, au niveau du
ministère de la Justice, où il existe un service de probation
pour adultes présentement, il existait une section à
l'intérieur de service, une section pour les jeunes, quelle serait votre
opinion sur cela?
M. RACINE: A ce moment-ci, M. le ministre, je crois qu'on touche une
question de fond qui a été la charnière de toutes les
critiques qu'on peut adresser au projet de loi lui-même. Quand on se
trouve devant cela, le sort qui est fait aux délinquants est quand
même différent. On distingue ici le délinquant, qui est
quand même un enfant qui a des problèmes, qui les exprime
peut-être différemment de celui qui a besoin de protection. Il les
exprime de façon active, de façon délinquante, mais c'est
le même enfant, au fond, qui a les mêmes problèmes souvent,
mais dont le moyen d'expression est différent.
Je pense que c'est sur ce point qu'il faut s'arrêter avant de
prévoir des structures qui vont les différencier dans la pratique
et les rattacher à des philosophies également différentes.
On ne les considère plus de la même façon. Je ne veux pas
faire le procès du ministère de la Justice ou celui d'un autre,
mais je pense qu'il faut retrouver exactement la même optique. Il reste
un enfant qui a le droit de voir respecter sa qualité d'enfant
jusqu'à ce qu'il soit adulte. Et c'est là-dessus que le
débat doit partir à notre point de vue.
M. CASTONGUAY: Je vais vous poser une question. En vertu du même
raisonnement, prenons l'adulte qui a des tendances délinquantes. Comme
c'est un adulte, on n'utilise plus le terme de délinquant mais parfois,
on pourrait
l'utiliser quand même. Supposons qu'il a des comportements
anormaux et qu'on juge qu'il est dangereux dans une certaine mesure pour ses
semblables ou pour lui-même, et on juge aujourd'hui que ce qu'il faut
faire de façon de plus en plus acceptée, c'est la
réhabilitation. On le considère donc comme quelqu'un qui doit
être traité également. S'il y a un service de probation
pour adultes, qu'est-ce qui s'oppose à ce qu'il y ait deux sections dans
un service de probation, une pour adultes et une pour enfants?
M. RACINE: Remarquez bien que...
M. CASTONGUAY: Je pose la question, parce que c'est très
important.
M. RACINE: Lorsqu'on compare les mesures de probation à la page
17 du mémoire, en trois points: Comparaison légale, comparaison
psychosociale, comparaison d'assistance rééducative, je crois que
ce sont deux perspectives bien intéressantes. Cela serait
peut-être un peu long de vous lire tout cela, mais je pense que vous
retrouvez là quand même que l'adulte est considéré
on présume, il y a une présomption au point de
départ comme un individu arrivé à plus de
maturité, à une certaine maturité, une certaine
responsabilité. C'est sûr, comme vous dites et je suis d'accord
là-dessus, que sa responsabilité peut être en bonne partie
diminuée à cause de problèmes antérieurs, mais
l'âge de 18 ans est peut-être une limite un peu facultative qu'il
faut mettre à un certain moment, et l'enfant lui-même est dans une
situation pas mal différente. C'est un enfant.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dubuc.
M. BOIVIN: Je ne sais pas si vous avez les statistiques du nombre
d'enfants qui passent devant les cours de Bien-être. Combien y a-t-il de
condamnations et d'ordonnances? En fait, est-ce qu'il y a des condamnations? Ce
sont pratiquement toujours des ordonnances. Cela n'a pas de suite. Un enfant
vole $100 et pour faire rembourser les $100 aux parents, il faut prendre des
procédures, même au civil. Ce sont toujours des ordonnances. Cela
ne serait-il pas plutôt un manque de ressources? Je me rappelle que,
lorsque j'étais au ministère, on avait même des
condamnations de cour, c'est-à-dire des ordonnances de cour qu'on
n'était pas capable de mettre en application parce qu'on n'avait pas de
ressources. On disait: On n'est pas capable d'exécuter les ordonnances
des juges. Je me rappelle avoir subi la colère des juges parce que nous
n'avions pas les ressources pour faire suite à leurs ordonnances. Est-ce
que ce ne serait pas plutôt cela que toute la structure qui manque
actuellement? Ce ne sont pas les officiers de probation, ce ne sont pas les
juges, ce sont plutôt les ressources qui nous manquent.
Cela serait peut-être bon de le dire pour ne pas se renvoyer la
balle, renvoyer la balle au juge, renvoyer la balle à l'officier
probateur, renvoyer la balle au ministère des Affaires sociales. Si on
manque de ressources pour suivre les ordonnances pour le bien de ces enfants,
qu'on organise des ressources. Il n'y a pas de condamnation. Il y a des
ordonnances la plupart du temps. Je n'ai pas une grande expérience dans
cela. J'ai été maire assez longtemps. Quand la police
arrête un enfant, cela fait longtemps qu'elle attend le moment
précis pour l'arrêter, pour essayer de le faire passer devant le
juge, pour le faire envoyer dans un meilleur milieu. Ce n'est pas une
condamnation, c'est une ordonnance. Alors, si vous n'avez pas les ressources,
pourquoi discutons-nous? Est-ce que la loi apportera quelque chose? Je pense
bien que la loi n'était pas si mauvaise, mais, en pratique... Je trouve
qu'on ne discute pas assez sur la pratique. Et si on n'a pas les ressources,
c'est le temps de le dire.
M. AUDET (Réal): Vous avez certainement raison, M. le
député, lorsque vous parlez de ressources. C'est clair que, si on
n'a pas d'instrument pour répondre aux besoins, même si vous avez
la meilleure loi possible, elle devient presque inopérante. D'ailleurs,
ce sont souvent les réflexions que certains juges nous font. Même
à l'heure actuelle, dans le contexte de la préparatinon du
nouveau projet de loi, je me suis fait dire à quelques occasions qu'en
somme, c'était bien beau tout cela, que le tamisage se fasse de
différentes façons. ILs ne veulent pas minimiser la valeur de
cette mesure, mais, par contre, si on n'a pas de ressources pour
répondre à certains cas je ne dis pas tous les cas, parce
qu'il y a quand même des cas où on peut réellement
réaliser un travail intéressant mais dans certains cas
marginaux qui nous restent sur les bras, soit par un manque de ressources, de
centres de dépannage auprès de chaque cour de Bien-être. Je
pense que le ministre est déjà au fait...
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dorchester.
M. CASTONGUAY: Me permettez-vous seulement un commentaire sur la
question des ressources? Il reste que de gros progrès ont
été faits au cours des années, et on en a vu un exemple
cet après-midi. Il y a 20 ans, Boscoville n'existait pas, et on pourrait
refaire l'historique des ressources. Il y a aussi un problème. C'est
que, présentement, il y a des enfants qui se retrouvent dans ce
système et qui n'ont pas d'affaire là. Cela mobilise des
ressources. C'est aussi un des problèmes.
M. BOIVIN: C'est parce que vous n'avez pas d'autres milieux à
leur offrir que celui-là, qui est...
M. CASTONGUAY: Quand on envoie un
enfant dans une institution comme le Centre d'accueil de Tilly où
on le garde...
M. BOIVIN: Comme un condamné.
M. CASTONGUAY: ... et qu'il n'a pas d'affaire là, on mobilise des
ressources inutilement, au mauvais endroit. Il y a le problème des
ressources. J'en suis bien conscient et je suis d'accord qu'il faut continuer
ce développement. Mais il y a aussi une sorte d'engorgement à
certains endroits, pour la bonne raison qu'il y a des enfants qui sont
placés dans certains endroits et qui n'ont pas d'affaire là.
M. BOIVIN : Cela, je le veux bien, mais l'autre ressource serait de leur
donner soit un foyer, soit une maison comme celle que nous avons visitée
l'autre jour, à Boscoville, où ils font un travail
extraordinaire, qui n'est pas une prison, qui n'est pas une condamnation pour
ces jeunes. Si ce sont ces ressources, il en coûte encore moins cher que
l'autre, parce que le punitif coûte encore plus cher. Je me demande si
cela ne serait pas bien de faire l'inventaire de nos ressources et d'apporter
à ces enfants les ordonnances de la cour qui nous viennent même du
service de probation.
M. AUDET: Je pense que la question de l'articl 43 n'a pas encore
satisfait à nos désirs. Mlle Harvey aurait quelque chose à
dire.
M. CASTONGUAY: Nous vous écoutons et, après cela, c'est
nous qui sommes les législateurs.
MLLE HARVEY: Je ne sais pas si vous avez bien compris ce qu'on
crée exactement avec le fameux article 43. C'est que, d'abord, s'il a eu
un tamisage au départ, si l'enfant est passé devant un juge et a
été confié à un service de probation, c'est que
déjà son cas est classé comme particulièrement
sérieux. Je pense que, déjà, il se perçoit
peut-être lui-même d'une façon plus négative.
Maintenant, si vous le placez dans un service de probation qui est
rattaché à celui des adultes, enfin qui en est une section
peu importe, à notre avis nous avons l'impression que cela
pourrait peut-être, à tort ou à raison, renforcer le
sentiment négatif par rapport à lui-même. C'est que cela
devient une partie de la probation qui est peut-être, un échelon
dans l'engrenage ou enfin dans la perception que l'enfant a de lui-même.
Pour la famille et pour la société en général, je
pense que cela a un aspect un peu négatif. C'est dans ce sens que nous
voulons dire que l'article 43 est...
M. LAURIN: Est-ce que vous savez si le service de probation des adultes,
dont le service de probation juvénile serait une partie, était
rattaché au ministère des Affaires sociales?
MLLE HARVEY: Nous, je ne sais pas si c'est parce qu'on travaille dans le
milieu, mais on est fixé. Du fait que ce sont des enfants, on tient
beaucoup à leur garder cette qualité, à en faire quelque
chose de tout à fait distinct, même s'ils sont délinquants.
Au moins, qu'on ne les rattache pas immédiatement au système
criminel des adultes. Je pense en faire quelque chose de bien distinct.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Dorchester.
M. GUAY: On a dit beaucoup de choses. Etant donné qu'on veut
éviter au maximum que tous les cas ou presque tous les cas se retrouvent
devant la cour, il y a peut-être une façon de le faire, on en a
discuté. Est-ce que cela transformerait le rôle de l'officier de
probation? Est-ce que l'officier de probation ne pourrait pas à ce
moment-là peut-être concentrer beaucoup plus d'efforts sur le
retour à la société d'un enfant qui a subi un traitement?
Est-ce que, dans le cadre où on en a discuté avec ce service de
protection décentralisé régionalement, cela transformerait
le rôle que vous avez actuellement, ou si le rôle que vous jouez
serait le même?
M. AUDET: Décidément, si le rôle de l'officier de
probation se limite à exécuter et à effectuer la mesure de
probation, qu'il soit libéré quand même de certains autres
travaux de recherche, d'investigation. Je comprends que pour répondre
aux besoins du bonhomme, il faut bien le connaître. Et pour le
connaître, il faut enquêter. Or, si ce travail d'investigation a
déjà été fait passablement grâce à un
premier tamisage par le service de protection, décidément cela
libère l'officier de probation pour qu'il se donne davantage à
son travail de réadaptation, de réinsertion sociale. Que l'enfant
soit dans son milieu, qu'il soit dans un foyer substitut ou qu'il soit
même dans une institution, l'officier de probation va faire un lien
continu entre cet enfant, son milieu et tout son environnement.
C'est ce qui pourrait modifier actuellement le rôle de l'officier
de probation, et sa clientèle serait davantage
sélectionnée parce qu'on enverrait seulement des jeunes qui ont
quand même des structures déliquantes, une conduite qui
nécessite un traitement thérapeutique approprié.
M. GUAY: Pour plusieurs cas, je pense que ce serait beaucoup plus
expéditif aussi, étant donné que cela pourrait enlever ce
qui existe actuellement, même pour les cas de protection, les
délais à respecter. Je pense au cas des ordonnances et tout cela.
Ce serait peut-être un moyen d'économiser les ressources qu'on a
actuellement dans ce domaine. Ce serait peut-être une façon
idéale. Je sais que notre comité de recherche en politique est en
train de penser ce qu'on a discuté ou de le reformuler et on
tente de faire la lumière, d'apporter des précisions.
C'est sans doute la formule de la décentralisation.
Ce que je veux surtout, ce à quoi on doit penser, c'est qu'on
doit utiliser les ressources au maximum, ne pas les dédoubler, ne pas en
ajouter si on en a assez dans certains cas. Il y a peut-être toute cette
question, autant pour l'officier de probation que pour d'autres personnes,
travailleurs sociaux ou autres, où on pourra économiser un temps
précieux. Cela permettrait peut-être aux cas qui
nécessitent réellement un traitement bien arrêté,
bien attentif... alors que, comme le disait tantôt le ministre, il y a
peut-être des cas qui ne sont pas dirigés au bon endroit,
là où on pourrait se dispenser de donner un traitement vraiment
prolongé. Du moins, cela m'apparaft comme étant une formule ou,
du moins, une partie de formule.
M. PEARSON: Oui, rien...
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Saint-Laurent.
M. PEARSON: ... qu'une petite remarque. Après avoir entendu les
officiers de probation, cela m'amène à la réflexion
suivante. Si je vous ai bien compris, le policier est celui, en somme, qui
signe à peu près 90 p.c. à 95 p.c. des plaintes pour
mettre en branle tout le mécanisme, autrement dit, c'est lui qui fait
une première évaluation, qui signe la plainte, qui décide,
qui pèse sur le bouton pour amener l'enfant devant un juge;
personnellement, je suis un peu surpris. Etant donné que c'est lui qui
pèse sur le bouton et qu'on a une loi dont les mécanismes sont
énormes je ne dis pas que c'est un manque d'intérêt
mais comment se fait-il qu'on n'ait entendu personne des corps
policiers?
Moi, je serais drôlement intéressé à ceux,
justement, qui pèsent sur le bouton, ce qui fait qu'ensuite, les agents
de probation et tous les autres mécanismes sont obligés d'agir
à la suite de la décision du juge. Est-ce qu'il y a des relations
entre les officiers de probation, par exemple, et les policiers? Est-ce que ces
choses se discutent entre vous ou bien s'il suffit que le policier signe la
plainte et décide que ça vient de finir? Vous êtes alors
embarqués dans l'affaire et lui s'en va chez lui. Il a
décidé. Il me semble qu'il y a cet aspect à examiner.
M. CASTONGUAY: Me permettriez-vous un commentaire sur ça? Le
policier, qu'est-ce que vous voulez, ne le fait pas nécessairement par
plaisir ou par goût. Il n'a pas d'autre moyen.
M. PEARSON: Je suis d'accord avec vous. Justement, c'est cet aspect; je
me dis qu'il y a une responsabilité entre ses mains qui est
énorme. Je ne dis pas que c'est par inconscience, mais on a vu
tantôt qu'il y a une foule de délits, parfois, ce sont simplement
des délits mineurs, mais ils vont embarquer l'enfant pour un certain
nombre d'années. Lui, il va signer une plainte contre quelqu'un pour
avoir troublé la paix publique ou simplement pour refus de circuler, ce
qui a l'air banal; seulement, lui, une fois que c'est signé, il
comparaît pour dire que c'est bien vrai qu'il a troublé la paix
publique et, ensuite, il s'en va et c'est l'enfant qui est embarqué.
M. CASTONGUAY: Cela dépend également de la décision
que prend le juge.
M. PEARSON: D'accord.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Bourget.
M. LAURIN: Pour ma part, M. le Président, étant
donné les questions que j'avais déjà posées
aujourd'hui, je me réjouis de l'orientation que prend la discussion et
des solutions vers lesquelles on semble se diriger.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Est-ce qu'il y a d'autres questions
des membres de la commission?
M. RACINE: J'aurais encore un mot à ajouter, s'il vous
plaît.
UNEE VOIX: II y a un autre organisme qui attend.
M. RACINE: Cela peut se faire brièvement. Nous avons
essayé de vous donner brièvement, M. le ministre, le rationnel de
notre motivation vis-à-vis de la non-appartenance du service de
protection à la Justice. J'aimerais que vous nous donniez le rationnel
de l'appartenance du service de protection au ministère de la Justice,
brièvement, au moins une piste.
M. CASTONGUAY: M. le Président, j'ai exposé le projet de
loi au début et je pense bien qu'on ne négocie pas ici un projet
de loi. Les membres de la commission c'est le but de ces commissions
posent les questions aux organismes qui viennent présenter leur
point de vue. Vous avez toute latitude, par divers moyens, d'exprimer vos
points de vue, mais le mécanisme de la commission est prévu pour
que les membres de la commission posent des questions à ceux qui veulent
faire entendre leur point de vue. J'aurai l'occasion de revenir sur ces
questions en deuxième lecture etc., mais ce n'est pas un
mécanisme qui fonctionne dans les deux sens.
Je voudrais, toutefois, vous remercier pour ce mémoire et les
explications que vous nous avoz données. Je crois que c'est une
séance positive et intéressante et je vous en remercie bien
sincèrement.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je
remercie l'Association des officiers de probation du Québec
Inc.
J'invite immédiatement l'Association provinciale des institutions
pour enfants.
Association provinciale des institutions pour
enfants
M. PAQUETTE: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de
la commission, permettez-moi d'abord de présenter notre équipe.
Celui qui vous parle, Roland Paquette, président de l'Association
provinciale des institutions pour enfants; à ma gauche, M. Armand
Tremblay, de l'institution Clair-Séjour, qui est un centre d'accueil
pour mésadaptés sociaux affectifs; à ma proche droite, M.
Normand Houde, qui est directeur général de notre association et,
à l'extrême droite, j'ai le plaisir de vous présenter M.
Antonio Boutin qui est de l'établissement Val-Estrie, un centre
d'accueil psycho-éducatif.
Notre association est heureuse de l'occasion qui lui est offerte par la
commission parlementaire d'apporter sa contribution à
l'élaboration d'une loi destinée à protéger la
jeunesse. Notre association groupe plus d'une centaine d'établissements
à vocations très diverses. Sans doute qu'il aurait
été extrêmement intéressant que chacune des
catégories de nos établissements se donne l'occasion de vous
présenter des mémoires particuliers, compte tenu de sa vocation
particulière.
Par exemple, Boscoville, ce matin, vous présentait un
mémoire auquel nous avons porté beaucoup
d'intérêt.
Donc, tenant compte de l'expérience acquise par nos maisons, nous
désirons vous communiquer certaines recommandations qui permettraient de
conserver les éléments vraiment positifs de la législation
actuelle et vous proposer les modifications qui nous semblent
désirables. Pour faciliter et pour que ce soit dans la forme la plus
expéditive mais aussi la plus efficace possible, si vous le permettez
nous aborderons le texte du projet de loi section par section.
En abordant la section I du projet de loi, nous aimerions souligner
cette première considération de notre mémoire. Les jeunes
que la nouvelle loi veut protéger offrent des caractéristiques
bien différentes. H faudrait, au niveau des définitions, apporter
des précisions au terme "hébergement", afin de distinguer entre
un hébergement qui n'a pour but que le retrait temporaire d'un milieu
nocif et l'hébergement en vue d'un traitement par des
spécialistes suivant une thérapie bien définie. De
là notre première recommandation que soit précisé
le sens du terme "hébergement obligatoire" en distinguant les formes
qu'il doit prendre.
Une deuxième recommandation nous paraît également
fort justifiée, que les jeunes puissent eux-mêmes se
prévaloir des dispositions de l'article 4 de la loi. Il va sans dire
que, dans notre esprit, cette dernière recommandation s'inscrit à
l'intention des jeunes dont l'âge serait compatible à un tel
pouvoir.
Concernant la section II du projet, la nouvelle loi ramène au
ministère de la Justice le service de probation. On se demande pourquoi
ce retour au ministère de la Justice. Malgré les avantages
d'ordre administratif qu'elle peut sembler présenter, cette mesure nous
paraît rétrograde et prématurée. Rétrograde,
parce qu'elle nous fait revivre une situation qui existait
antérieurement et qu'on a voulu corriger en transférant les
services de probation juvénile du ministère de la Justice au
ministère des Affaires sociales.
Prématuré, parce que les philosophies des services de
probation adulte et juvénile sont très différentes.
Même si, à la probation adulte, on pense de plus en plus à
la réhabilitation du détenu, tout le système de probation
est sous-tendu par une philosophie pénale.
Au service de probation juvénile, la réhabilitation est la
pierre angulaire d'un système alimenté par une philosophie
curative.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoulou): Vous donnez lecture du mémoire
que nous avons déjà en main. Pourriez-vous nous donner un
résumé des points les plus importants? H est 9 h 40 et nous
voulons terminer ce soir avec votre mémoire. Voulez-vous nous donner les
points les plus importants?
M. PAQUETTE: Bien, M. le Président. J'aimerais, en poursuivant et
en accélérant le plus possible, vous souligner quand même
que, à la suite des considérations que j'étais à
énoncer, nous recommandons particulièrement, à l'article
3, que soit institué au ministère des Affaires sociales un
service provincial de protection de la jeunesse avec ramifications sur le plan
régional ou local, tout en tenant compte, évidemment, des
disparités régionales.
Nous rejoignons, là aussi, la recommandation des
représentants de l'hôpital Sainte-Justine, que vous entendiez ce
matin et cet après-midi. Nous recommandons aussi le changement de "ou
autre fonctionnaire" par "et autre fonctionnaire" car le "ou" du texte original
ne nous semble pas devoir garantir les compétences professionnelles
énumérées précédemment.
Pour les recommandations se rapportant à la section III de la
première partie, nous voulons insister pour que soit changé "tout
centre d'accueil est tenu" par "compte tenu de sa vocation spécifique".
En vertu de l'article 14, au deuxième paragraphe, nous souhaitons
également que soit prévu un droit d'appel au directeur du service
de probation de la part du centre d'accueil qui ne dispose pas, par exemple, du
personnel ou de l'équipement pour répondre aux besoins d'un
enfant qui lui est envoyé ou qui constate que l'enfant est victime d'une
mauvaise orientation.
Concernant la deuxième partie de la section
III, nous dégageons les recommandations suivantes: Que soit
changé "peut demander au directeur" par "doit demander au
directeur".
Aussi, à l'article 24, concernant la confidentialité, on
voudrait que le législateur formule une défense bien stricte
concernant toute publication par les moyens de diffusion
d'éléments d'un dossier, d'une photo, d'un nom, d'une adresse,
des antécédents personnels de l'enfant et de la famille.
Notre association propose également que l'interprétation
des dossiers soit faite, aux personnes qui y ont accès, par les
spécialistes concernés.
Et, concernant l'article 25, nous considérons que la
période de trois jours de calendrier prévue à cet article
est trop courte pour monter un dossier.
Au sujet de l'article 28, notre association recommande que soient
modifiés les termes en tenant compte des facteurs suivants:
Premièrement, nul ne peut prévoir la durée d'un
traitement. Deuxièmement, le traitement ne saurait se terminer sur
décision de la cour ou à l'âge de 18 ans automatiquement.
Et le troisième point, autre que pour fin de traitement, un
hébergement obligatoire ne saurait dépasser trois mois.
Ainsi, nous recommandons que le traitement puisse être
continué par ordonnance de la cour au-delà de l'âge de 18
ans ou pour la période fixée par la première ordonnance
lorsque le centre d'accueil ou le service social pourra justifier une telle
requête.
Enfin, concernant les termes de l'article 36, et nous
référant aux articles 4 et 7, nous recommandons que soit
prévue l'immunité de l'informateur qui présente la
plainte. Cette recommandation vous a déjà été
mentionnée aujourd'hui.
M. le Président, telles sont les recommandations que nous
désirons soumettre à l'attention de cette commission. Nous sommes
maintenant à votre disposition pour répondre à toute
question que vous voudrez bien nous adresser.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires
sociales.
M. CASTONGUAY: M. le Président, je voudrais remercier les
représentants de l'Association provinciale des institutions pour enfants
aussi connue sous le nom de l'APIE, sans faire de jeu de mots du tout, parce
que vous avez été très bref. Pour l'information des
membres de la commission, est-ce que votre association groupe les diverses
institutions telles que celles auxquelles il a été fait
référence depuis deux ou trois jours, plus
particulièrement les institutions dans le domaine de la
réadaptation des enfants présentant des problèmes de
protection ou de délinquance, tels le centre de jeunesse de Tilly,
centre Berthelet, Boscoville etc.?
M. PAQUETTE: Pour vous donner un échan- tillonnage de tout
l'éventail des établissements qui se trouvent réunis dans
notre association, notre directeur général, M. Houde, pourrait
vous donner un inventaire très rapide de tous ces différents
types d'établissements qui se trouvent réunis dans l'APIE, par
exemple, Bosco ville.
M. HOUDE (Normand): M. le ministre, je ne peux sûrement pas vous
donner un chiffre exact parce que tout le monde n'a pas fini de payer sa
cotisation pour l'année. Mais, sur les 114 ou 116 établissements
qui fonctionnent à budget dans la province, nous dépassons
régulièrement le nombre de 100. Dans le secteur français,
il n'y a que Berthelet et Saint-Vallier, je crois, qui ne font pas partie de
l'association. Et, dans le secteur anglais, il y a deux ou trois maisons qui ne
font pas partie non plus de l'association. Tous les autres sont membres de
TAPIE.
M. CASTONGUAY: Quel est le caractère de permanence de TAPIE?
Est-ce que c'est plutôt orienté vers les problèmes de
relations de travail ou si vous avez des activités de diverses
natures?
M. PAQUETTE: L'APIE, depuis quelques années, a voulu
développer des services à l'intention des membres de son
association. Son action s'est particulièrement portée sur la
connaissance des développements au niveau de l'ensemble du secteur des
Affaires sociales. Vous mentionnez le service de personnel. Effectivement, nous
avons à nos bureaux un service de consultation pour les services
professionnels, service que nous partageons avec un autre organisme,
l'Association des foyers pour adultes.
A part ce mécanisme qui est conjoint aux deux associations, TAPIE
s'intéresse à former les membres, de la direction et du personnel
général des établissements et à éclairer les
conseils d'administration à la fois, et aussi le personnel sur les
nouvelles orientations, les politiques, et à faire connaître
davantage diverses thérapies qui sont bonnes à communiquer.
M. BOIVIN: Donc, votre association comprend toutes les institutions de
la province?
M. HOUDE (Normand): Nous commençons avec les mères
célibataires, je veux dire avant la naissance jusqu'à 18 ans.
M. BOIVIN: Et combien avez-vous de départements?
M. HOUDE (Normand): II y avait les mères célibataires, il
y avait les crèches, et ensuite tous les autres établissements
à partir des enfants déficients, légers, profonds,
très profonds, les caractériels, les délinquants, les
enfants qui sont victimes de leur milieu, d'un foyer désuni, et ainsi de
suite. Le nombre d'enfants total dépasse les 10,000.
M. BOIVIN: Est-ce que vous avez des places libres actuellement?
M. HOUDE (Normand): Certains établissements ont des places libres
parce que nous ne faisons pas de publicité. Nos maisons sont au service
des agences sociales et certains établissements sont obligés de
refuser des jeunes, faute d'espace; d'autres ont certains espaces libres mais
c'est plutôt exceptionnel, je crois.
M. BOIVIN: Alors, il manquerait des ressources dans ce domaine
aussi?
M. HOUDE (Normand): Dans certains secteurs, certainement.
M. CASTONGUAY: Lorsque vous nous avez parlé de la question de
l'hébergement obligatoire, si on se réfère à
l'article 23 g), il est dit: La cour peut ordonner, par l'intermédiaire
d'un centre de service social conformément aux dispositions de l'article
26, l'hébergement obligatoire de l'enfant dans un centre d'accueil, dans
une famille.
Le centre de services sociaux, avec les regroupements envisagés,
avec les fonctions prévues, aura d'abord un inventaire des ressources
dans le territoire desservi et devra être au fait de la situation quant
au nombre de personnes qui sont hébergées, aux places
disponibles, etc.. Alors, à partir de ce moment-là, justement
pour assurer que l'enfant soit bien orienté vers la ressource
appropriée, on a l'intermédiaire d'un centre de services sociaux
qui aura les données nécessaires, pour éviter que,
justement, des enfants se promènent d'un endroit à l'autre, avec
les difficultés que cela peut représenter. Pourriez-vous nous
dire, en fait, compte tenu des mécanismes qui sont prévus, ici,
qu'est-ce qui accroche, selon vous?
M. TREMBLAY (Armand): Je pense qu'il est très heureux que l'on
ait proposé que des décisions finales de placement ne
relèvent pas d'une décision de cour, mais plutôt d'un
organisme qui, lui, est à même de connaître et de choisir
les ressources qui sont les plus aptes à profiter à un
enfant.
Si on parle d'hébergement obligatoire, là il y a une
certaine inquiétude. Naturellement, vous allez me dire: II y a un
pendant dans les règlements, qui veut qu'il y ait un contrat de services
entre un établissement, un centre d'accueil et les centres de service
social. On se dit qu'un contrat de services devra être drôlement
précis pour qu'il garantisse à l'établissement qu'on lui
référera des cas qu'il est capable d'assumer. Par contre, il y a
une inquiétude en termes de centre de service social. On voit là
des places. Moi, je dirai que j'ai un centre, par exemple, qui n'a jamais de
places. Il n'y a pas de problème, à un moment donné. Le
seul problème, c'est que j'en refuse beaucoup et cela choque le monde,
mais je n'ai pas plus de places que cela. Il y en aura bientôt parce que
nous sommes à la veille d'entreprendre un projet de construction, de le
réaliser concrètement.
Le problème, c'est que l'on voudrait aussi que l'agence de
service social qui place un enfant assume une part des responsabilités.
Vous comprenez, si je me réfère aux enfants qui sont relativement
plus jeunes, il est très facile, si un enfant est
référé à la cour de dire: Cet enfant-là doit
être hébergé, on l'envoie chez vous. Si un enfant est
jeune, en l'envoyant à notre institution, cela peut être le type
de traitements dont il a besoin, mais ce n'est qu'un aspect des besoins d'un
tel enfant, cependant, parce qu'il doit y avoir aussi une action qui est
exercée sur sa famille, sur le milieu, et sur le milieu scolaire.
Ce qu'on sait, c'est qu'on nous dira peut-être de prendre
l'enfant, mais il n'y a rien qui va garantir à l'heure actuelle qu'eux
aussi vont assumer la part de responsabilités correspondante, celle
d'assurer à l'enfant une continuité, parce que le placement, dans
l'esprit de nos maisons, c'est une mesure de traitement. Dans certains autres
cas, c'est une mesure de protection relativement moins importante, parce que
c'est peut-être le fait de retirer plutôt l'enfant du milieu que de
lui assurer un traitement prolongé. Je pense à certains types
d'établissements comme Dominique-Savio. Mais peut-on être certain,
par exemple, qu'en vertu de cela, on va faire en sorte que les autres actions
qui doivent être exercées parallèlement à celle
d'obliger le Centre d'accueil à le prendre vont être faites? Rien
ne le dit. C'est une de nos inquiétudes.
L'autre inquiétude, naturellement, c'est que, quand on pense
traitement et qu'on pense centre de traitement, on pense à une
organisation là-dessus, je rejoins ce qui s'est dit pour
Boscoville ce matin on rejoint une forme de composition, par exemple, de
groupes d'enfants, une sorte de composition d'ambiance maison, une sorte de
composition de dynamique intérieure qui est reliée aussi à
la qualité du personnel et aussi à certains objectifs que la
maison poursuit. Et il arrive qu'on n'ait pas les moyens de le faire.
Si on disait à l'établissement: Fermez un des pavillons et
faites de l'hébergement temporaire. Cela peut toujours être fait,
mais est-ce que cela correspondra aux objectifs qui avaient été
visés par le ministère alors que l'établissement a
été construit? Cela, on ne le sait pas. Par exemple, on peut nous
imposer, en vertu d'un hébergement obligatoire, des types d'enfants
très malades qui auraient besoin d'une attention de nature beaucoup plus
psychatri-que. On prend d'énormes responsabilités en s'en
chargeant ou on prend également d'énormes responsabilités
en les refusant. Parce que, si on les refuse, on a les articles 34 et 35 qui
sont là, très sévèrement. Je pense à des
enfants prépsychotiques. Il y a des enfants psychotiques qui nous sont
référés. Dans certains cas, on peut
aider; dans d'autres, on se sent strictement incapable de le faire. Vous
avez des enfants, par exemple, qui font de l'automutilation, de la menace
constante de suicide; on est devant des situations où on se dit: Non.
Mais actuellement, il n'y a rien qui permet, par exemple, au centre de service
social que je sache à obliger un hôpital à
prendre un tel enfant. Il me semble que, dans la loi en tout cas, cela n'existe
pas.
Alors, vis-à-vis de l'hébergement obligatoire, vous
comprenez que le compte tenu des buts spécifiques que poursuit la maison
nous apparaît important. Si on apprend que, dans un établissement,
il y a trois places libres et qu'on décide qu'on a trois enfants en fin
de semaine qui devraient y aller... Le mécanisme d'admission
prévu dans le cas, par exemple, du centre de service social qui
réfère de façon normale et volontaire, n'existe pas dans
le cas d'un enfant qui subit le choc de l'hébergement obligatoire.
D'autre part, si un centre de service social décide de placer un
enfant, et qu'il n'y a pas réussi par les moyens ordinaires, il n'y a
rien qui l'empêchera de demander une protection de la cour et de nous
l'imposer de toute façon.
Vous allez dire que cela suppose peut-être un manque de
communication, mais dites-vous bien que les centres de service social sont
parfois aussi mal pris avec les enfants ou sont aussi à court de
ressources que peut l'être l'établissement auquel il
réfère l'enfant. A ce moment-là, il trouve un
débouché rapide.
M. CASTONGUAY: II faut, je pense bien interpréter cela, par
contre, dans le contexte des contrats de service, comme vous l'avez dit, et
aussi des règlements de l'établissement, quant aux normes
d'admission. Ces règlements, selon la loi 65, prévoient que ces
normes doivent être approuvées et connues. Je pense bien qu'il y a
là certaines dispositions, d'autant plus que vous avez
référé à la situation de l'hôpital, et vous
avez dit le centre de service social. Ce dernier n'est pas tenu d'obliger
l'hôpital parce que l'hôpital lui-même est tenu directement,
dans la situation que vous avez décrite, de prendre action.
M. TREMBLAY (Armand): Mais c'est là que ça devient parfois
embêtant, M. le ministre.
M. CASTONGUAY: Je le comprends, mais ce que nous essayons et
c'était la raison de ma question, voir quels étaient vos motifs
c'est qu'on ne se retrouve pas avec des situations comme celles que nous
avons vécues à certains moments.
M. TREMBLAY (Armand): Je comprends très bien la
préoccupation des législateurs là-dedans.
M. CASTONGUAY: Je vais vous donner un exemple récent, juste
à titre d'exemple. Ici, dans la région de Québec, à
un moment donné, je suis allé visiter un établissement et
on avait là un taux d'occupation loin du taux maximum. Dans un autre, on
était dans une situation où toutes les places étaient
occupées. Il y avait là un certain nombre d'enfants qui pouvaient
être transférés d'un établissement à l'autre
mais l'autre s'y refusait tout simplement, pour toutes sortes de motifs. Si on
se place du côté de l'enfant, je pense qu'il est assez important
de discuter cet aspect.
M. TREMBLAY (Armand): II est important de le discuter mais là on
est face à une obligation de recevoir l'enfant. Il est sûr
qu'à côté de cela, l'appareil administratif peut vouloir,
à travers les CRSSS, par exemple, que l'on répartisse mieux les
services. On peut avoir quatre centres d'un même type et il peut nous
manquer un centre d'un tel autre type. Cela est évident mais, à
mon avis, cela ne fait pas nécessairement partie d'un contexte de loi,
et cela me paraît plutôt administratif qu'autre chose.
M. CASTONGUAY: D'accord.
M. TREMBLAY (Armand): Mais quand un établissement, par exemple,
se détermine un cadre et qu'on lui reconnaît ce cadre comme
étant le sien, à ce moment-là, il est assez important que
ce soit respecté. Mais les cas difficiles à apprécier
seront ceux de la marginalité. Je ne parle pas de la marginalité
qui est due quelquefois à l'âge, comme un enfant de onze ans, par
exemple, que l'on ne veut pas prendre dans un centre pour enfants ni pour
préadolescents. C'est aux établissements à régler
cela et sur un plan administratif. Moi, je travaille depuis vingt ans dans le
métier, j'ai travaillé avec des délinquants à
Boscoville longtemps et dans l'observation de l'enfant qui était
à la cour et maintenant, avec des plus jeunes. Avec les plus jeunes,
d'abord, le nombre de cas et le nombre de types de situations que l'on
rencontre est surprenant. On a des situations graves. Je vous garantis qu'il
n'est pas facile d'apprécier des situations. Dans certains cas,
quelquefois, pour faire endosser la responsabilité d'une admission, il
faudrait faire signer quelqu'un, comme un psychiatre, parce qu'il est bien
reconnu et son geste sera endossé comme une espèce de
manière légale, après, quand il sera fait. Il reste que,
pendant que l'on est là, pendant que l'enfant se pend au
cinquième étage, dans les escaliers, et qu'il dit: Je vais
sauter... même avec un personnel très qualifié, les
questions se posent. Naturellement, je me dis que si je prenais cet enfant et
le ramenais au centre de services sociaux en leur disant:
Débrouillez-vous avec lui... On prend un risque trop grand et j'aurais
peut-être à me défendre de l'article 34, je ne le sais pas.
On dira de toute façon: Si tu n'es pas capable, serons-nous capables
nous? Mais il reste que le risque est important et le blâme sera
là après. Personne n'aimera qu'un enfant se suicide, que je
sache.
M. CASTONGUAY: Non, mais ce qui arrive bien souvent, dans le moment,
c'est cela qu'il faut apprécier.
M. TREMBLAY (Armand): Oui, mais encore là, il est bien sûr
que s'il y a des lits de libres dans un coin et qu'ils ne s'utilisent pas, et
que cela fait longtemps qu'ils ne s'utilisent pas, il peut y avoir un facteur
qui est relié au fait que la maison est peut-être mal
orientée et un autre facteur qui est relié au fait qu'on a mal
distribué les ressources.
M. CLOUTIER (Montmagny): Je voudrais continuer sur ce que l'on vient de
dire. Il y a une centaine d'institutions qui font partie de l'APIE. Or, vous
disiez tantôt que vous avez des préoccupations, des
responsabilités comme association. Je me demande si cet aspect de
complémentarité entre les différentes institutions a
été assez fouillé, a été assez
étudié ou discuté au sein de l'association. Le ministre
vient de souligner un des aspects que j'ai vécu aussi. Il arrive qu'une
institution est remplie à 110 p.c. ou à 115 p.c. de sa
capacité parce qu'elle a été obligée, à un
moment donné, d'accepter les enfants, il n'y a pas d'autre solution. Par
contre, une autre institution, pas éloignée, si vous voulez, ou
dans la même région, fonctionne à 75 p.c. ou 80 p.c. de sa
capacité. Il arrive que des cas qui sont dans l'institution
surchargée sont des marginaux, des cas qui sont dans des zones grises.
Il pourrait y avoir, entre les différentes institutions, la
définition de cette complémentarité et que des enfants
"border line" supposons, soit par l'âge, soit par le caractère de
la déficience, pourraient être classés comme des
polyvalents, si on veut. Ils pourraient aussi bien aller dans une institution
que dans l'autre. Cela devrait se faire, étant donné le manque de
ressources.
Il ne faut pas se faire d'illusion avec le manque de ressources. Ce ne
sera pas parce que nous avons la loi 65 que, demain matin, l'Etat va mettre des
budgets peut-être plus considérables dans ce secteur. Nous
n'aurons pas tout de suite les établissements et les projets de
construction auxquels vous avez fait allusion, cela prend encore 18 mois, deux
ans, deux ans et demi, trois ans. Pour cette période, je pense qu'il y
aurait une espèce de priorité à établir dans ce
secteur des ressources, afin de bien établir la
complémentarité. Je reviens sur une remarque que je faisais ce
matin ou hier. On nous a fait remarquer cela dans nos visites à
Québec. Nous avons visité deux institutions et à un
endroit la directrice nous a dit qu'on avait commencé des rencontres, il
y a quelques mois, justement pour discuter du problème de la
complémentarité des ressources. On nous a
représenté cela comme étant une initiative nouvelle. Cela
s'était peut-être fait, mais cela s'était fait d'une
façon sporadique. Et là, il semble que cela se fera d'une
façon beaucoup plus rigoureuse et beaucoup plus scientifique, beaucoup
plus suivie et cela pourrait nous permettre de déboucher sur une
solution. Pour ma part, je comprends que quand un cadre a été
tracé à une institution, elle ne peut pas recevoir n'importe quel
genre de clientèle, c'est évident. Comme vous l'avez
mentionné tantôt, vous allez vous retrouver avec des situations
qui sont pires, peut-être, que la situation que vous vouliez corriger. Il
y a des clientèles qui sont tellement disparates, un moment
donné, qu'il est absolument impossible de les loger à
l'intérieur de la même institution. On s'est même
déjà prononcé contre cela, la trop grande diversité
de la clientèle. Mais entre des deux extrêmes, pour une
période de temps, il y aurait peut-être un joint à trouver.
C'est pour cela que j'aimerais entendre des commentaires là-dessus.
M. HOUDE (Normand): Nous sommes parfaitement d'accord avec vous, M. le
député. Cela fait au moins un an que nous en parlons à
l'association, que nous sommes en train de sensibiliser nos gens, que nous
convoquons des réunions au niveau régional et que nous demandons
que, dans la plupart des régions il y a certaines régions
où il n'y a presque pas des ressources on puisse répondre
à 90 p.c. ou 95 p.c. des cas. Il y en a quelques-uns qu'il faut
retourner dans des grands centres comme Montréal ou Québec, mais
pour les autres, nous demandons qu'on puisse fournir des ressources aux enfants
de ces régions par une certaine polyvalence, parce que depuis toujours
nous avons eu des enfants assis entre deux chaises, et c'est inacceptable. Nous
en sommes les premiers conscients. Je pense que nous avons fait un bon travail
de sensibilisation auprès de nos membres, en ce sens.
M. CLOUTIER (Montmagny): Et je suppose que dans des régions
où la population est plus dense, vous pouvez davantage
spécialiser des institutions. Mais, je le vois difficilement en
Gaspésie ou en Abitibi, compte tenu de la densité de la
population, sauf si c'est dans un milieu urbain assez considérable. H
faudrait une plus grande polyvalence dans ces régions, à cause de
la clientèle, à cause des enfants et aussi à cause du
personnel qui est peut-être plus difficile à recruter dans des
régions comme celles-là que dans la ville de Montréal.
M. HOUDE (Normand) Pour ces raisons. Ensuite, il y a l'exception de
certaines catégories d'enfants auxquels M. Tremblay a fait allusion tout
à l'heure, des enfants qui sont malades mentaux. Pour eux, c'est
très difficile. Mais pour les autres, je crois qu'il est normal que
chaque région, par une certaine polyvalence, corresponde aux besoins de
sa population de jeunes.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de
Saint-Laurent.
M. PEARSON : Justement, sur le même sujet, étant
donné que vous êtes l'organisme qui regroupe à peu
près toutes ces institutions, en somme, vous devez avoir quand
même un inventaire qui détermine les principaux besoins qui
semblent assez bien identifiés. En combien de grandes classes les
variétés de vocations de ces institutions peuvent-elles se
cataloguer? Chacune n'est sûrement pas une vocation particulière
et ce ne sont pas 114 vocations particulières.
M. HOUDE (Normand): II est assez difficile de donner par coeur les
grandes vocations. On peut les rejoindre dans les classifications de centres
d'accueil de la loi 65, la loi des services de santé et des services
sociaux; en plus, on peut ajouter les subdivisions qui existaient dans
l'ancienne classification pour les rendre plus spécialisées.
M. TREMBLAY (Armand): Si on peut parler de catégories de
problèmes ou de situations, par exemple, les enfants qui sont
référés dans un centre de transition, pour être
là momentanément, ils y sont pour une période
d'observation, une période de probation, peut-être pas probation
compris au même sens de tout à l'heure où on cherche
à quel endroit placer ces enfants, mais des enfants pour qui on
développe des centres plus spécifiquement
spécialisés, je pensais à Boscoville, pour un certain type
de délinquants, je pense à Clair-Séjour qui est le centre
que je dirige pour des enfants caractériels jeunes, je parle du
caractériel, entendons-nous bien, avec des traits névrotiques
marqués, des fois de la prépsychose.
Vous avez d'autres centres de type plus spécialisé qui
reçoivent des enfants qui ont des problèmes de comportement ou de
personnalité, mais qui peuvent avoir comme handicaps, des handicaps
physiques, la surdité ou la cécité, et qui ont aussi
besoin d'une approche éducative particulière qui est
reliée à leur handicap. Je pense qu'en disant cela, vous avez
aussi des types un peu enfants qui sont... C'est une catégorie que l'on
néglige, pour qui on n'a peut-être pas encore trouvé la
vraie réponse. Les enfants qui ne peuvent pas rester chez eux, mais qui
ne doivent pas nécessairement aller dans un autre foyer sans avoir
nécessairement un trouble de personnalité grave. Il y a ceux qui
exigent un traitement en profondeur, appuyé sur les techniques de
travail les plus scientifiques possible. Vous en avez quand même d'autres
qui ont besoin d'être à l'extérieur de leur famille et qui
ont besoin d'une certaine forme d'attention parce qu'il y a des carences au
niveau de la famille. Mais il n'y a pas cette profondeur de problèmes,
ou il n'y a pas cette atteinte de la personnalité qui exige
nécessairement des mesures de traitements longs et
élaborés. Moi, je vous réfère en disant cela
volontiers au centre Dominique-Savio, à Montréal.
Je pense que cela fait pas mal le tour des types d'enfants. Vous avez
peut-être un cas que je n'ai pas mentionné, mais qui existera
encore longtemps parce que dans toutes les techniques de
rééducation, vous savez, il n'y a encore rien de trop magique. On
peut réussir à répondre à un bon nombre de cas,
mais vous avez des cas dont la multiplicité des facettes du
problème ne nous permettent pas encore d'avoir la solution
véritable. On peut bien le retirer et le mettre dans une institution,
mais cet enfant est pris avec la famille, est pris avec le milieu, puis cette
famille et ce milieu sont les siens. Soit qu'on ait du travail en milieu
ouvert, qu'on ait du travail dans les écoles, il y a encore tous les
éléments qu'on n'a pas et qu'on est obligé de garder un
peu dans des mesures protectrices parce qu'un enfant en milieu ouvert, je pense
à Boscoville... Boscoville est un milieu très ouvert. Vous avez
des garçons qui vont à Boscoville et qui résistent
à un point tel que Boscoville ne peut pas les garder, parce que le
milieu est ouvert. Cela arrive que pour ces enfants ils parlaient des
juges, ce matin ont besoin des juges, parce que le juge est la pression
sociale qui fait que le gars se fait dire: II y a la réalité du
contexte légal qui t'oblige à être là et on fait
appel à ça. Il y en a d'autres pour qui cet appel n'a absolument
aucune signification. A ce moment-là, cela exige un milieu un peu plus
privatif, si vous voulez, dans le sens des libertés de
déplacements, où le cadre ne peut pas être aussi ouvert.
C'est un peu le rôle, j'imagine, de Berthelet et c'est un peu le
rôle de Saint-Vallier. Je mets un grand point d'interrogation à la
fin de ma phrase.
M. PEARSON: J'ai cru comprendre tantôt que vous mentionniez que ce
réseau d'institutions répond assez bien, de façon
générale, aux besoins actuellement. Je voulais poser une question
auparavant, à savoir s'il y avait lieu de changer certaines
orientations, certaines vocations. Je ne sais pas si vous l'avez
affirmé, mais en tout cas, j'ai cru comprendre que vous disiez que de
façon générale, cela répond assez bien aux grands
besoins, en somme, du Québec pour le moment. Je voulais vous demander
quels sont d'après vous les services qui pourraient être
ajoutés de façon à pouvoir remplir plus
adéquatement leurs rôles.
M. PAQUET: Notre association voudrait et fera des démarches pour
se placer au service des conseils régionaux afin qu'à travers
chacune des régions administratives, elle puisse proposer Une meilleure
répartition des services, compte tenu des établissements
déjà en place. Nous serions peut-être portés
à souscrire à l'opinion du législateur lorsqu'il dit qu'il
y a peut-être suffisamment de lits disponibles. Le problème n'est
pas toujours en termes de lits, c'est peut-être aussi sa
répartition qui serait le plus à étudier.
Le ministre le mentionnait tantôt. Il y a des
établissements surchargés alors que d'autres ont des
places disponibles. Notre association veut donc apporter son appui aux conseils
régionaux pour qu'il se fasse une étude pour une meilleure
planification des disponibilités régionales. Mais, à
l'intérieur de ça, vous avez quand même des
établissements qui ont eu ou qui vont se donner des vocations
particulières, auxquelles on attachera un permis d'exploitation qui
définira l'établissement comme un certain type
d'établissement. Cela implique donc que l'établissement devra, si
ce n'est déjà fait pour la plupart de nos maisons c'est
déjà en place des structures rééducatives.
Elles sont extrêment importantes, parce qu'il y va du fonctionnement et
du rendement de l'établissement. Le problème, c'est qu'avec un
hébergement obligatoire nous aimerions qu'on établisse une
différence qualitative afin de ne pas mettre en péril cette
structure éducative qui est en place. Je prendrai comme exemple un
établissement pour déficients mentaux profonds et moyens
où on devra recevoir, par exemple, des cas psychiatriques ou encore des
cas psychotiques fort avancés. Il est sûr, et nous partageons la
préoccupation du législateur qu'il ne doit pas y avoir de cas
marginaux et des enfants qui restent en attente et qui ne reçoivent pas
les services. Mais il faut aussi et c'est là notre
préoccupation tenir compte de ces structures de
rééducation que nous voulons efficaces et qui ne puissent pas
être perturbées par la présence à la fois d'un seul
enfant au milieu d'un groupe qui vient tout démanteler le
mécanisme de la rééducation.
M. PEARSON: Cela veut dire que ce n'est pas absolu ce que j'ai cru
entendre en disant que cela répondait à l'ensemble des
besoins.
Si je pouvais me servir d'une comparaison, dans le service hospitalier,
par exemple, on a des services d'urgence, des services de soins intensifs, de
soins psychiatriques, de soins de c nvalescence et finalement de
surveillance.
Dans mon esprit, je m'imagine que, dans vos institutions, on devrait
retrouver une espèce de hiérarchie, sinon avec les termes que je
viens d'employer. Dans quelle proportion, par exemple, d'après vous, y
a-t-il des régions qui ont trop de services comparativement à
d'autres qui n'en ont pas suffisamment, et où on est obligé, en
somme d'envoyer les enfants à l'extérieur?
Ce que je veux dire, c'est qu'il y a peut-être une
réorientation ou peut-être un changement de vocation. Si vous
mentionnez qu'il y a des institutions surchargées tandis qu'il y en a
d'autres où il y a beaucoup de places libres, de façon
générale, j'ai l'impression qu'une telle institution pourrait
peut-être éventuellement changer d'orientation.
M. HOUDE (Normand): Pas de façon générale. Ce sont
des exceptions.
M. PEARSON: Ah bon!
M. HOUDE (Normand): On m'a demandé s'il y avait des places
libres. Si j'avais dit non, on aurait pu immédiatement citer telle
maison. On sait que, d'après les budgets, il n'y a plus de place libre.
Non, il n'y a certainement pas trop de ressources, il y a certaines
régions qui sont réellement en état de besoin, pour ne
citer par exemple que la région du Bas-du-Fleuve. Elles ont des besoins
réels. Il y a aussi d'autres régions. Il y a peut-être des
régions qui ont amplement de lits mais, au plan de la structuration, ce
n'est pas encore suffisamment au point, de façon qu'il n'y ait pas
d'enfants, comme je l'ai dit tout à l'heure, assis entre deux chaises.
Nous voulons apporter notre collaboration pour résoudre ce
problème.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Est-ce qu'il y a d'autres questions
de la part des membres de la commission?
M. GUAY: Pour utiliser une expression assez populaire, les loups avec
les loups et les moutons avec les moutons, je pense que dans différents
établissements, même s'il y a des disponibilités, on ne
peut pas toujours se permettre de prendre un enfant de tel type et l'envoyer
dans un autre établissement qui ne répondrait pas aux besoins.
J'ai eu justement des cas-problèmes dans le comté. On me les a
référés et j'ai eu énormément de
difficultés à trouver un établissement répondant
aux besoins. Il y en avait des endroits libres, sauf que ce n'était pas
le type d'établissements répondant aux problèmes. Je pense
que vous illustrez assez bien dans votre exposé, dans vos commentaires,
cette situation. Il s'agit de corriger ou de guérir de façon
qu'il n'y ait pas d'enfants quirestent sur le pavé, comme
vous le dites. C'est ce qui est important. Le problème peut se poser
à tous les niveaux, au niveau de l'établissement, au niveau du
service social et au niveau de la famille aussi. A partir de là,
qu'est-ce qu'on fait de ce cas? Il s'agit de les couvrir tous. Est-ce possible
dans une loi aussi de donner cet éventail ou de permettre cet
éventail?
M. HOUDE (Normand): C'est plutôt administratif que
législatif.
M. GUAY: C'est ça!
M. TREMBLAY (Armand): J'aurais une observation à faire; je ne
sais pas si on m'y autorise.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Avec la permission des membres de la
commission.
M. TREMBLAY (Armand): II existe, du moins un peu sous l'égide du
ministère des Affaires sociales, une charte des droits de l'enfant qui a
été publiée à l'intérieur d'un livre vert,
en 1969, si je ne me trompe pas. On a
accepté assez officiellement, au niveau des Affaires sociales, la
charte des droits de l'enfant qui a particulièrement pris naissance
à Beyrouth en 1963, que je sache, parce qu'on semblait nier
complètement l'existence de cela, ce matin, mais sans avoir un fondement
juridique complet. Cela existe comme un point de repère
déjà valable, je pense.
M. CLOUTIER (Montmagny): II y a tout ce qu'il faut à
l'intérieur du ministère pour faire une bonne charte des droits
de l'enfant dans le bill 65.
M. CASTONGUAY: Depuis 1970, c'est fantastique le travail qui s'est
fait.
M. CLOUTIER (Montmagny): Les mêmes officiers, M. le
Président, qui ont travaillé là-dessus j'en revois
des figures ici dans la salle sont encore disponibles. Ceux de
l'extérieur, ceux qui ont collaboré, tous les organis- mes qui
viennent ici, devant la commission parlementaire, s'étaient
penchés sur ce problème. Dans l'étape actuelle, surtout si
on a la période de l'été, avant que le projet de loi
réimprimé considérablement modifié
revienne à l'Assemblée nationale, on a le temps d'ajouter des
articles.
M. CASTONGUAY: Le député de Montmagny s'ennuie du temps
où il était ministre.
M. PAQUETTE: M. le Président, j'aimerais vous remercier et
remercier les membres de la commission de porter considération à
nos recommandations.
LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je remercie les membres de
l'Association provinciale des institutions pour enfants. La commission ajourne
ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 22 h 12)