Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
(Dix heures douze minutes)
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Mesdames et messieurs les membres de la commission, je déclare
ouverte la séance du jeudi 14 avril 1983 de la commission élue
permanente de la justice. Je vous rappelle simplement le mandat de cette
commission: entendre des personnes et des organismes en regard du projet de loi
no 106, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
personnes, et du projet de loi no 107, Loi portant réforme au Code civil
du Québec du droit des successions.
Les membres de cette commission sont: M. Bédard (Chicoutimi); M.
Dupré (Saint-Hyacinthe) remplace M. Brouillet (Chauveau); M. Charbonneau
(Verchères), M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe
(Chapleau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc
(Saint-Laurent); M. Marquis (Matapédia) remplace M. Martel (Richelieu);
M. Marx (D'Arcy McGee).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank
(Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Dupré
(Saint-Hyacinthe), M. Dussault (Châteauguay), M. Fallu (Groulx), Mme
Lavoie-Roux (L'Acadie); M. Polak (Sainte-Anne) remplace M. Marquis
(Matapédia); M. Paradis (Brome-Missisquoi), M. Saintonge
(Laprairie).
Je vais maintenant identifier les organismes et les associations et
j'espère que nous aurons le plaisir de les entendre tous aujourd'hui. Je
demanderais à leurs représentants de nous signifier si,
effectivement, ils sont présents ce matin.
L'Association des hôpitaux du Québec; je crois que les
représentants sont déjà en place.
L'Assemblée des évêques du Québec.
Une voix: Présent.
Le Président (M. Blouin): L'Association du Québec
pour les déficients mentaux.
Une voix: Présent.
Le Président (M. Blouin): L'Hôpital pour enfants de
Montréal et l'hôpital Sainte-Justine.
Une voix: Présent.
Le Président (M. Blouin): L'Association des centres de
services sociaux du Québec. Ils ne sont pas arrivés.
La Ligue des droits et libertés. Ils ne sont pas là non
plus.
Sans plus tarder, je vais demander aux représentants de
l'Association des hôpitaux du Québec de nous présenter
leurs commentaires et leur mémoire. Je vous demanderai d'abord, pour les
fins du journal des Débats, comme d'habitude, de vous
présenter.
Association des hôpitaux du
Québec
Mme Turenne-Thibault (Denise): M. le Président, M. le
ministre responsable de la présentation du projet de loi, mesdames et
messieurs les députés, il me fait plaisir de vous
présenter la délégation de l'Association des
hôpitaux du Québec pour la présentation du mémoire
concernant le projet de loi no 106. À mon extrême droite, M.
Robert Côté, membre du comité provincial de l'organisation
des services de santé de l'association et directeur
général adjoint de l'hôpital l'Hôtel-Dieu de
Québec; Dr Jacques MacKay, membre du conseil d'administration de
l'association, directeur général de l'hôpital
Rivière-des-Prairies et médecin psychiatre. À mon
extrême gauche, Mme Guyanne Garceau, directrice de l'organisation des
services de santé à l'association; Me Ghislaine Gosselin,
adjointe au directeur général des affaires juridiques à
l'association; M. Michel Cléroux, directeur des communications à
l'association, qui fait également partie de notre
délégation et qui est derrière moi. Enfin, je me
présente: Denise Turenne-Thibault, je suis administrateur au conseil
d'administration de l'Association des hôpitaux du Québec et membre
du comité exécutif. Je suis également président du
conseil d'administration de l'hôpital Fleury à Montréal. Je
vous soumets les regrets du président de l'association de ne pouvoir
participer à la présentation du présent mémoire; M.
André Brousseau m'a demandé de le remplacer aujourd'hui.
Dans notre présentation, nous avons l'intention de reprendre les
concepts énoncés au chapitre I de notre mémoire. Quant aux
modifications textuelles découlant de l'application de ces concepts, y
compris au chapitre II de notre mémoire, nous nous limiterons, tout en
vous soulignant
l'importance que nous leur accordons, à répondre, durant
la période des questions, aux interrogations des membres de cette
commission.
Le Président (M. Blouin): Avant que vous entamiez votre
présentation, je vous rappelle les consignes que nous nous sommes
données et qui, dans la mesure du possible, limiteraient votre
intervention initiale à vingt minutes et, ensuite, les interventions des
différents partis à vingt minutes également pour que nous
évitions de faire des déçus aujourd'hui.
Mme Turenne-Thibault: Nous essayerons d'être conformes
à vos demandes, M. le Président.
L'évolution socioculturelle du Québec a
précipité depuis quelques années l'évolution
juridique. À cet effet, plusieurs organisations, dont la nôtre,
ont, d'une part, véhiculé les modifications valoriales
consécutives de cette évolution et, d'autre part, ont
amené, afin d'en traduire les consensus sociaux, l'adoption de nouvelles
lois ou la modification de celles existantes. C'est le cas, entre autres, de
l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne, de la Loi
sur les services de santé et les services sociaux.
L'Association des hôpitaux du Québec, représentant
les centres hospitaliers de la province parties à cette évolution
sociale, désire dans ce contexte intervenir sur le projet de loi no 106.
En effet, les centres hospitaliers sont responsables, en tant
qu'établissements, de fournir les services de santé et les
services sociaux reconnus comme des droits publics individuels depuis
l'adoption, en 1971, de la Loi sur les services de santé et les services
sociaux. La responsabilité des centres hospitaliers s'exercera toutefois
à l'intérieur de l'ensemble des droits reconnus à chaque
personne, dont celui à la santé.
Comme ce droit à la santé est relié et
dépendant des dispositions du Code civil du Québec, lequel
établit le droit et constitue le fondement des autres lois, nous
désirons, par ce mémoire, vous sensibiliser à notre
étude relative aux questions issues dudit projet de loi.
À cet effet, les réflexions et les modifications que nous
vous soumettrons s'appuient tant sur les problèmes des
bénéficiaires, consommateurs de la gamme de services, que sur les
problèmes auxquels sont confrontés dans ces établissements
les administrateurs, les gestionnaires et les professionnels de la
santé.
Afin de circonscrire les sujets sous-jacents au droit à la
santé, nous limiterons notre présentation à ceux traitant
de l'articulation de ce droit par rapport à la réforme
proposée au Code civil du Québec. Ainsi, notre cadre d'analyse
sera développé en deux parties. La première partie
conceptuelle constitue une toile de fond relativement à certains droits
et obligations reliés à la personne tout en
énonçant les argumentations afférentes aux propositions.
La deuxième partie met en évidence les modifications qui
devraient être apportées à certains articles du projet de
loi no 106.
En terminant, nous tenons à vous souligner que notre
mémoire s'inspire tant du rapport sur le Code civil du Québec
produit à l'intention de l'Office de la révision du Code civil en
1977 que des études préparées par la Commission de
réforme du droit du Canada dans la série protection de la vie,
soit Le caractère sacré de la vie ou la qualité de vie, de
même que Le consentement à l'acte médical. Ces
études menées par le fédéral tiennent compte des
aspects sociaux, médicaux et juridiques des sujets que nous traiterons
et ce, dans l'ensemble des provinces du Canada, mais de façon plus
spécifique concernant des problématiques
québécoises.
La partie 1 concerne la base conceptuelle, comme on l'a
déjà mentionné. Nous désirons ici démontrer
l'importance que nous accordons à ces modifications qui sont
proposées et nous voulons développer dans ce chapitre sept
concepts sur lesquels s'appuie l'argumentation que nous allons
présenter. Les sept concepts sont les suivants: conservation de la vie,
intégrité de la personne, santé globale, traitement ou
intervention, régime de protection, traitement non thérapeutique
et expérimentation, établissement de santé en tant que
tuteur ou curateur à la personne.
Le premier concept: conservation de la vie. Afin d'évaluer notre
premier concept relatif à la conservation de la vie, il nous est apparu
opportun de se reporter à certains auteurs qui se sont exprimés
sur le sujet. Ainsi, Decocq considère que le caractère
sacré de la vie confère le droit a l'inviolabilité qu'il
décrit comme le droit au respect de la personne même. Il est
important de noter que Decocq ne reconnaît le respect de la vie humaine,
c'est-à-dire le droit à l'autonomie, que dans la mesure où
cette volonté vise à consacrer la vie.
Quant à Mayrand, il abonde dans le même sens lorsqu'il
décrit que: "C'est précisément dans le principe de
l'inviolabilité de la personne que l'on puise la justification d'une
intervention imposée. L'inviolabilité de la personne a pour but
sa protection; or, les droits doivent être conservés dans le sens
de leur finalité. Ce serait fausser le droit à
l'intégrité corporelle d'un malade que de lui permettre de
l'invoquer pour faire échec à ce qui peut conserver sa vie et,
par là même, son intégrité essentielle."
La doctrine en droit civil, reflétée par ces citations,
consacre la primauté du principe de la conservation de la vie par
rapport à celui de l'autonomie de la personne. Elle
représente l'approche vitaliste retenue à l'article 12 du projet
de loi où il faut tout mettre en oeuvre pour sauver une vie humaine,
nonobstant une décision contraire exprimée par la personne dont
la vie est en danger.
Pourtant, nous avons été à même de constater
dans nos établissements que, d'une part, plusieurs
bénéficiaires revendiquent le droit de refuser des traitements,
sachant pertinemment que la mort est imminente et, d'autre part, que plusieurs
professionnels de la santé appuient cette requête des
bénéficiaires au nom du respect de la qualité de vie.
Ces revendications s'appuient sur l'approche de la qualité de vie
par opposition à celle déjà présentée,
l'approche vitaliste. Pour bien la comprendre, il y a eu lieu de
préciser qu'elle implique deux dimensions. La première est
d'ordre environnemental, écologique et social et a une
propriété comparative. Elle réfère à la
qualité de la vie de la personne dans sa vision d'elle-même par
rapport à celle qu'elle a de l'ensemble de la société. La
deuxième est d'ordre médical et implique "un
élément de limitation, de restriction, de réduction et de
nivellement." Cette deuxième dimension repose également sur une
comparaison, mais le point de référence, cette fois-là,
c'est le patient lui-même; plus précisément, "la
véritable comparaison est donc entre ce que le patient est et ce qu'il
était, entre ce qu'il est et ce qu'il pourra encore ou ne pourra plus
être."
Même si l'approche de la qualité de la vie soulève
la notion d'euthanasie, nous avons exclu cette dernière volontairement
de la dynamique de notre réflexion. Nous nous sommes limités
à apprécier le droit à l'autonomie de décision
d'une personne lorsque sa vie est en danger et qu'elle estime avoir vécu
dans la dignité et refuse des traitements si sa dignité, selon sa
conception, ne peut être respectée.
Nous avons conclu, pour ce premier principe, que, dans une
société qui a évolué comme la nôtre depuis
les 20 dernières années, la valeur relative à la
qualité de vie a suffisamment été modifiée pour
reconnaître à une personne majeure le droit de refuser un
traitement, même si sa vie est en danger, lorsqu'elle peut exprimer sa
décision en temps utile. L'article 12 du projet de loi devrait
être modifié en conséquence, même si cela crée
une brèche dans le principe de la conservation de la vie.
Le deuxième principe, c'est l'intégrité de la
personne. Une meilleure compréhension de ce qu'est l'approche vitaliste
par rapport à celle de la qualité de vie, assortie de l'ajout de
la notion de "intégrité physique en danger" à celle de
"vie en danger" et des distinctions que ces notions obligeront à
apporter pour les fins de recevoir un consentement à l'article 12 du
projet de loi, nous conduit à définir le sens du mot "vie"
strictement par opposition à celui de "mort".
Pourtant, indistinctement de la portée légale qui pouvait
ou devait être accordée au mot "vie" dans l'expression "vie en
danger" employée dans les lois qui nous dirigent présentement,
les établissements de santé ont permis et les médecins ont
fourni les soins et traitements qui s'imposaient, lorsque "l'état de
santé" que nous jugions inclus dans la définition du mot "vie"
était en danger et qu'il n'était pas possible d'obtenir le
consentement de la personne en temps utile. Dans ces situations, les
médecins référaient à leur code de
déontologie.
Ainsi, nous ne pouvons que souscrire ce qui évitera dans l'avenir
toute ambiguïté à l'introduction par l'article 12 de
l'exception à l'obligation de requérir un consentement lorsque
l'intégrité physique d'une personne est en danger et que ce
consentement ne peut être obtenu en temps utile.
Nous désirons, toutefois, porter à votre attention
quelques aspects particuliers qui méritent d'être
développés lorsqu'on traite du concept d'intégrité
de la personne. Le premier réfère au qualificatif "physique" qui
accompagne la notion d'intégrité dans ledit article 12. Il
restreint, selon nous, le sens du mot "intégrité" prévu
à l'article 11 du projet de loi lorsqu'il s'agit de l'état de
santé d'une personne, lequel concept sera développé au
point suivant. La Charte des droits et libertés de la personne qui ne
référait auparavant qu'à l'intégrité
physique a été modifiée en décembre dernier pour
reconnaître le concept "intégrité" dans sa
globalité. Il devrait en être de même à l'article 12
du projet de loi. Ainsi, nul consentement ne sera requis, en cas d'urgence,
lorsque l'intégrité d'une personne est en danger et que son
consentement ne peut être obtenu en temps utile. Il sera alors possible
d'intervenir lorsque l'état de santé, physique ou mentale,
compromet l'intégrité de la personne en tant qu'être humain
biopsychosocial.
Le deuxième point que nous désirons vous souligner
réfère à une autre exception à l'obligation de
requérir le consentement d'une personne. Il s'agit des situations
où l'intérêt public prédomine sur
l'intérêt individuel. Dans ce contexte, la Loi sur la protection
de la santé publique prévoit, d'ailleurs, l'immunisation
obligatoire ou des traitements obligatoires. Si ces dispositions ou d'autres
similaires doivent être maintenues après l'adoption du projet de
loi no 106, il serait opportun, en conséquence, de stipuler à
l'article 12, qui réfère spécifiquement aux examens,
traitements et interventions, qu'une personne peut y être soumise sans
son consentement, si la loi les autorise.
Enfin, le dernier aspect, mais non le
moindre - étant conscients que nous abordons un sujet fort
délicat - concerne la possibilité de fournir certains examens et
traitements à une personne qui présente pour elle-même ou
pour autrui un danger réel en raison de son état mental et ce,
sans son consentement. En effet, une personne peut, selon l'article 24 du
projet de loi, être sous garde dans un établissement de
santé si elle est dangereuse pour autrui. Nous ne pourrions, dans cette
situation, invoquer les dispositions d'exceptions prévues à
l'article 12 pour lui fournir certains examens ou traitements. Pourtant, cette
personne est souvent agitée et agressive et des examens et des
traitements s'imposent pour la plupart de ces bénéficiaires afin
d'identifier et de contrôler les causes de ces comportements.
Comme la responsabilité même d'un établissement de
santé et de services sociaux est de fournir des examens et des
traitements prévus ci-dessus, pour préserver
l'intégrité même de ces personnes, ceux-ci doivent
être dispensés. La garde d'une personne dans un
établissement ne se justifie, d'ailleurs, que pour réaliser
adéquatement cet objectif.
De plus, tout en s'inspirant de l'encadrement à
l'intérieur duquel un titulaire de l'autorité parentale peut
consentir, au nom d'un mineur, à certains examens non
thérapeutiques, selon l'article 18 du projet de loi qui sera d'ailleurs
traité plus loin dans notre mémoire, nous proposons qu'un
médecin puisse sans délai et sans le consentement de la personne,
lorsque le danger est imminent ou sur ordonnance du tribunal dans les autres
cas, fournir les examens et traitements exigés par l'état mental
d'une personne, à l'exclusion d'une intervention chirurgicale, si ces
examens et traitements ne présentent pas un caractère permanent
ou irréversible et ne comportent aucun risque sérieux pour sa
santé. L'article 24 du projet de loi devrait être modifié
en conséquence.
Le troisième concept que nous abordons est celui de la
santé globale. Nous disons sur ce concept que la distinction entre
l'état de santé mentale et l'état de santé
physique, telle que préconisée par le projet de loi, est de plus
en plus difficile à établir et, en conséquence, nous
favorisons plutôt une approche globale de la santé, laquelle
reconnaît chaque personne comme un être humain psychobiosocial. (10
h 30)
Le quatrième point, traitement ou intervention. Dans quelques
articles du projet de loi, l'on réfère à "traitement et
intervention". Selon nous, le traitement est généralement
défini comme un ensemble d'interventions thérapeutiques
employées pour guérir ou atténuer l'effet d'une maladie ou
d'une manifestation morbide. L'intervention thérapeutique peut
être de deux ordres, soit médical ou chirurgical. Un traitement,
suivant cette conception, inclut donc toute intervention, quelle que soit sa
nature.
Nous nous référons, entre autres, pour soutenir notre
définition de traitement, à l'absence du mot "intervention"
à l'article 43 de la Loi sur la protection de la santé publique.
Pourtant, cet article constitue notre principale obligation de fournir les
services de santé et les services sociaux. Il énonce, en effet:
"Un établissement ou un médecin doit voir à ce que soient
fournis des soins ou traitements à toute personne dont la vie est en
danger". En conséquence, nous pourrions proposer d'exclure l'expression
"intervention" lorsqu'on fait référence dans le projet de loi
à un examen, à un traitement ou à une intervention.
Toutefois, certains traitements entraînent ou peuvent entraîner une
perte temporaire d'autonomie et comporter des risques plus grands pour un
individu et, sans contredit, affecter l'intégrité de la
personne.
Compte tenu, justement, de l'impact et des risques, pour une personne,
de certains traitements, le législateur a jugé opportun dans le
règlement d'application de la Loi sur les services de santé et
les services sociaux d'exiger un consentement spécifique pour une
intervention chirurgicale. Nous déduisons, à la lumière
des articles de lois et règlements cités ci-dessus, que le mot
"intervention" utilisé dans le projet de loi no 106 signifie une
intervention chirurgicale. En conséquence, il serait opportun de le
spécifier clairement en énonçant "à un examen,
à un traitement ou à une intervention chirurgicale".
Cette clarification est d'autant plus importante que l'article 16 du
projet de loi ne prévoit pas la possibilité pour un mineur de 14
ans de consentir seul à une intervention exigée par son
état de santé et ce, contrairement à la capacité
qui lui est reconnue à l'article 42 de la Loi sur la protection de la
santé publique. Si telle est l'intention du législateur et compte
tenu de la définition de "traitement" que nous avons
présentée, il serait, en conséquence, nécessaire
d'exclure spécifiquement le consentement à une intervention
chirurgicale à la capacité dudit mineur.
Le quatrième concept développé, c'est le
régime de protection. La notion "doué de discernement" est
introduite au Code civil du Québec par le projet de loi
déposé. La doctrine et la jurisprudence l'ont toutefois
élaborée pour interpréter l'expression "toute personne
capable de discerner le bien du mal" prévue à l'article 1053 du
Code civil du Bas-Canada. Ainsi, "sur le plan juridique, une personne peut
être considérée comme étant douée de
discernement dès l'âge de sept ans". Pourtant, un enfant de sept
ans, bien que doué de discernement, n'a pas généralement
la capacité intellectuelle et les schèmes de
référence qui lui permettent
d'apprécier pleinement la nature et les conséquences de
ses décisions. C'est pourquoi la loi le place sous un régime de
protection.
Incidemment, pour les mêmes raisons, tout majeur non doué
de discernement doit être, sans équivoque, placé sous un
régime de protection. Enfin, nous estimons que tout majeur, bien que
doué de discernement, mais incapable de prendre une décision
valable pour lui-même, à cause de son état de santé,
devrait également bénéficier dudit régime de
protection.
Ainsi, les causes d'ouverture d'un régime de protection pour un
majeur devraient référer à l'état de la personne et
non aux conséquences de cet état, comme le suggère le
projet de loi à l'article 199. Cette référence à
l'état de la personne pour déterminer les causes d'ouverture d'un
régime de protection évitera toute confusion dans
l'interprétation à donner au "consentement
éclairé". Selon nous, un consentement éclairé vise,
d'une part, la capacité juridique de la personne: elle agit seule ou par
son représentant lorsqu'il s'agit d'une personne protégée.
D'autre part, il commande l'information et les connaissances que la personne
est en droit de requérir avant de prendre une décision et
d'exprimer son choix. Une personne pourrait être incapable de former ou
d'exprimer un consentement libre et éclairé si, bien que capable
juridiquement de décider seule, elle n'a pas toutes les informations
pertinentes ou encore si elle est contrainte par autrui.
Même si l'on se réfère à l'état de la
personne pour déterminer les causes d'ouverture d'un régime de
protection, comme nous le proposons, il est intéressant d'introduire la
notion de "doué de discernement" prise dans son sens juridique, comme
nous l'avons citée au début de l'étude du présent
concept. Il permet à un mineur "doué de discernement", qui
s'oppose à la décision du titulaire de l'autorité
parentale ou du tuteur à la personne qui consent ou refuse un traitement
en son nom, de requérir l'autorisation du tribunal avant qu'un
médecin procède à quelque examen ou traitement. L'enfant,
selon nous, pourra expliquer au tribunal les motifs de son opposition et
exercer par cette mesure son droit à l'autonomie de la personne.
Le sixième concept, traitement non thérapeutique et
expérimentation. Il s'avérait impératif de
délimiter le cadre dans lequel un tuteur ou un curateur pouvait donner
un consentement valable au nom du mineur ou du majeur dont les facultés
mentales sont altérées ou qui est physiquement incapable
d'exprimer sa volonté, lorsqu'il s'appliquait pour un traitement non
thérapeutique ou une expérimentation.
Comme il s'agit, dans ces deux cas, de personnes
protégées, nous considérons que les mêmes conditions
devraient s'appliquer. En conséquence, cela implique que le consentement
à un examen, à un traitement ou à une intervention
chirurgicale non requis par l'état de santé d'un majeur
protégé ne pourrait être valablement donné par un
tuteur ou un curateur qu'à l'intérieur du même encadrement
que celui prévu pour un mineur, soit que le risque encouru n'est pas
hors proportion avec les bienfaits qu'on peut en espérer et que l'examen
ou le traitement ne présente aucun caractère permanent ou
irréversible, ni aucun risque sérieux pour sa santé.
En ce qui concerne le refus systématique de soumettre un majeur
dont les facultés mentales sont altérées ou qui est
physiquement incapable d'exprimer sa volonté à une
expérimentation, tel que préconisé à l'article 19
du projet de loi, nous croyons, à titre d'exemple, que cela
équivaudrait à empêcher toute évolution scientifique
dans le domaine de la médecine psychiatrique et, par conséquent,
les personnes souffrant de maladies mentales en seraient les premières
victimes. Elles ne pourraient bénéficier d'améliorations
dans leurs traitements et, par le fait même, dans leur condition de vie.
À ce chapitre, la préoccupation centrale devrait porter sur le
niveau suffisant de protection.
Nous vous soumettons que l'expérimentation soit permise
lorsqu'elle est reliée directement à la pathologie du malade et
qu'elle est effectuée selon les protocoles rigoureux établis
à cet effet et respectant les principes fondamentaux établis
d'éthique, soit le respect des personnes, la bienfaisance et la
justice.
Je demande maintenant aux membres de cette commission de se
référer aux deux pages modifiées de notre mémoire
qui leur ont été présentées hier. Nous avons donc
dit que la préoccupation centrale devait porter sur un niveau suffisant
de protection et que l'expérimentation devait être reliée
à la pathologie du malade. Eu égard à notre souhait
d'appliquer les mêmes conditions d'encadrement pour le majeur
protégé ou devant l'être et tout mineur, nous vous
proposons donc qu'ils puissent être soumis à une
expérimentation.
Depuis le dépôt de notre mémoire, nous avons
poursuivi notre réflexion à cet effet. D'une part, il
apparaît que pour les expérimentations thérapeutiques il y
a lieu de permettre que le consentement du majeur protégé ou du
mineur puisse être donné par son représentant, sans
recourir à l'autorisation du tribunal comme nous l'avions tout d'abord
suggéré. On ne saurait, en effet, sous-estimer le danger de trop
judiciariser. D'autre part, dans tous les autres cas où le processus
judiciaire est proposé, nous désirons vous souligner que les
délais impartis pour intervenir sont souvent déterminants.
En conséquence, on s'attend que le
tribunal, contrairement à ce qui existe actuellement, ait les
ressources adéquates pour répondre promptement afin de ne pas
compromettre la prestation des services de santé. Dans le contexte
économique actuel et du processus dont nous parlons, si notre attente
est irréalisable - et il se peut qu'elle le soit - il y aurait lieu de
référer à d'autres mécanismes de protection et
d'impartialité, tel un comité multipartite à
l'intérieur des établissements. Ceci permettrait l'atteinte des
objectifs fondamentaux, soit: éviter tout abus et répondre aux
besoins des malades. En d'autres termes, il n'y a lieu de recourir au tribunal
qu'en cas d'absence de consensus au niveau d'un tel comité. Toutefois,
toute décision concernant une expérimentation, qu'elle soit
thérapeutique ou non, devrait tenir compte des éléments de
référence que nous avons soumis précédemment et des
critères prévus à l'article 21 du projet de loi.
Au niveau de ces critères, nous désirons vous souligner
qu'un examen, un traitement ou une intervention chirurgicale à
caractère permanent ou irréversible ou une expérimentation
peuvent être dispensés sans atteinte fondamentale aux fonctions
physiologiques normales d'une personne, tout en créant de "simples
inconvénients". Nous pouvons avancer cependant que, la plupart du temps,
il n'y a qu'une perturbation temporaire, ce qui ne peut causer qu'un
préjudice minimal. Sachant qu'un des autres critères est
"opportun dans les circonstances", nous considérons acceptable de faire
reconnaître audit article 21 du projet de loi qu'il ne peut y avoir un
risque minimal. Enfin, la révocation de consentement à un examen,
à un traitement ou à une intervention chirurgicale, non
exigés par l'état de santé de la personne ou une
expérimentation, peut être, comme le projet de loi le propose
à l'article 22, acceptée verbalement. Il faudrait toutefois,
selon nous, encadrer cette révocation verbale et nous proposons une
formulation à cet effet.
Le septième concept développé, c'est
l'établissement de santé en tant que tuteur ou curateur à
la personne. Lorsque le directeur de la protection de la jeunesse exercera
d'office la tutelle à un mineur ou que le Curateur public exercera
d'office la tutelle ou la curatelle à une personne
protégée ou devant l'être, nous reconnaissons qu'il sera
pertinent qu'un établissement de santé ait la tutelle ou la
curatelle à la personne, le tout tel que préconisé aux
articles 156 et 203 du projet de loi.
Nous sommes bien conscients que le directeur de la protection de la
jeunesse ou le Curateur public n'interviendront d'office que pour
suppléer à l'absence d'autorité parentale ou d'un tuteur
ou curateur datif. Cette suppléance devra, d'ailleurs, revêtir un
caractère d'exception. Nous souhaitons que tout soit mis en oeuvre pour
permettre au mineur ou au majeur dont les facultés mentales sont
altérées ou qui est physiquement incapable d'exprimer sa
volonté d'avoir dans les meilleurs délais un tuteur ou un
curateur datif.
Nous assurons les membres de cette commission que les
établissements responsables d'assurer les services de santé et
les services sociaux seront garants du respect de l'ensemble des droits
biopsychosociaux de la personne placée sous leur tutelle ou curatelle.
Ainsi, nous supporterons cette nouvelle responsabilité de
représentant apportée par le présent projet de loi lorsque
la garde est de fait confiée à l'établissement.
À la suite de cette toile de fond au niveau conceptuel, comme je
l'avais mentionné au début, je rappelle que les modifications
textuelles découlant de l'application de ces concepts sont incluses dans
le document que les membres de la commission ont en main. Comme vous avez
été à même de le constater, l'Association des
hôpitaux du Québec, par le truchement des établissements
qu'elle représente, se soucie constamment tant des
responsabilités que les centres hospitaliers doivent assumer que du
mieux-être des bénéficiaires et ce en respectant leurs
multiples droits ou en se préoccupant du respect de ces droits par les
intervenants qui y oeuvrent.
La base conceptuelle, qui a servi de trame aux modifications
proposées, démontre le cheminement réflexif d'une
association comme la nôtre qui doit, en plus de représenter
dûment ses établissements, s'engager dans les débats
sociaux pour influencer le devenir de la société et de ses
institutions. Cet engagement est d'autant plus pertinent que les centres
hospitaliers sont au carrefour des multiples problèmes humains et
sociaux vécus par les bénéficiaires à travers le
phénomène de la maladie.
Ainsi, nous espérons, distingués représentants de
cette commission parlementaire, que vous accueillerez favorablement nos
modifications, vous sentant à votre tour interpellés pour
traduire dans le Code civil du Québec le consensus social mis en
évidence par ce mémoire. M. le Président, nous tenterons
maintenant de répondre aux questions des membres de cette commission et
les personnes qui m'accompagnent participeront également à cette
période. (10 h 45)
Le Président (M. Blouin): Merci, Mme Turenne-Thibault.
Avant de donner la parole au ministre, je dois relire la liste des
membres et des intervenants puisqu'il s'était glissé quelques
erreurs dans la liste qu'on m'avait remise
tout à l'heure.
Les membres sont: M. Bédard (Chicoutimi); M. Dupré
(Saint-Hyacinthe) qui remplace M. Brouillet (Chauveau); MM. Charbonneau
(Verchères), Dauphin
(Marquette), Mme Juneau (Johnson); M. Mathieu (Beauce-Sud) qui remplace
M. Kehoe (Chapleau); Mme Lachapelle (Dorion), MM. Lafrenière (Ungava),
Leduc (Saint-Laurent); M. Marquis (Matapédia) qui remplace M. Martel
(Richelieu); M. Marx (D'Arcy McGee).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Blank
(Saint-Louis), Boucher (Rivière-du-Loup), Dussault (Châteauguay),
Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie); M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace
M. Paradis (Brome-Missisquoi) et M. Saintonge (Laprairie).
La parole est à M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
Mme Thibault, de même que toutes les personnes qui l'accompagnent pour le
mémoire très important qu'elles ont déposé devant
les membres de la commission. Je pense que tous les membres de la commission
s'attendaient que l'Association des hôpitaux du Québec se fasse
entendre par ses représentants, étant donné l'importance
et la nature du sujet dont on traite et à cause des expériences
qui peuvent être vécues dans nos institutions de santé. Il
est évident que tous les jours des situations se présentent
où des décisions doivent être prises alors que la vie de
personnes est en danger. Comme vous l'avez mentionné il y a des
approches qui se heurtent et il est clair qu'il n'est pas facile de trancher ou
d'en arriver à un consensus pour concilier parfois même des choses
inconciliables.
Vous nous avez parlé de l'approche que vous avez qualifiée
de vitaliste par rapport à l'approche qualité de la vie. Il est
évident que, quelle que soit l'approche qu'on peut endosser, toutes les
personnes qui ont des responsabilités dans ces domaines, je crois, au
départ, le font avec un objectif qui est le respect de la vie et de
l'intégrité des personnes. On est à même de
constater, jusqu'à quel point, par l'étude de la réforme
du Code civil, nous avons à aborder des sujets extrêmement
délicats. Dans ces moments, nous sommes très heureux de savoir et
de constater que cette commission essaie de faire l'étude du projet de
loi de réforme du Code civil d'une façon vraiment non partisane.
C'est lorsqu'on traite de sujets tels ceux-là qu'on voit que l'approche
partisane ne mènerait nulle part. Cela explique, d'ailleurs, que depuis
le début des travaux de la réforme du Code civil, de part et
d'autre, l'Opposition et le gouvernement, quant aux attitudes, sont à
même de constater que tout le monde essaie de travailler pour en arriver
à avoir la réforme la plus valable possible pour l'ensemble des
citoyens et des citoyennes. Aussi, par des sujets comme cela, on voit
jusqu'à quel point le Code civil, même si c'est complexe, le sujet
dont on parle et que ce n'est peut-être pas facile à traiter
même pour les journalistes ou encore à comprendre pour tout le
monde, cela touche profondément la vie quotidienne de tous les
citoyens.
Je me limiterai à quelques questions en rapport avec des opinions
qui ont été émises par d'autres organismes. Par exemple,
certains organismes s'occupant de la défense des droits de la personne
à protéger ont suggéré que l'examen dont il est
fait mention aux articles 25, 26 et 27 ne relève pas exclusivement d'un
médecin, mais d'une équipe multidisciplinaire. Pourriez-vous nous
faire vos commentaires?
Mme Turenne-Thibault: Oui, M. le ministre. Tout d'abord,
j'aimerais vous souligner, à la suite des commentaires que vous avez
faits, que nous apprécions énormément l'approche qui
semble être prise par les membres de cette commission,
c'est-à-dire de tenir compte du vécu des centres hospitaliers
qu'on essaie de vous traduire et également des consensus sociaux qui
tentent actuellement de s'établir au Québec dans la
réforme du Code civil.
Pour répondre de façon plus précise à votre
question, M. le ministre, je pense que l'approche qui est
préconisée par l'Association des hôpitaux, c'est que
l'examen dont on parle aux articles que vous avez mentionnés
relève du domaine médical, parce que, fondamentalement, à
ce moment, la personne concernée est appelée à poser un
diagnostic. Maintenant, n'étant pas une spécialiste en cette
matière, j'aimerais demander au Dr MacKay, qui est membre de notre
délégation, de compléter cette amorce de
réponse.
M. MacKay (Jacques): La réponse est celle-ci: II s'agit
qu'on retrouve dans la loi le maximum de protection, en assurant que la
décision finale est remise à la personne qui a le maximum
d'expertise, à telle enseigne que, dans la Loi sur la protection du
malade mental, on exigeait, dans la plupart des cas où il y a une
décision majeure à prendre, l'expertise de deux psychiatres.
L'absence de disponibilité de psychiatres dans certaines régions
rend nécessaire qu'on élargisse cela à la notion de
médecin. Je crois qu'il faut s'y résigner. Cependant, cette
responsabilité ultime, qui est de l'expertise médicale, parce
qu'il s'agit vraiment de la personne qui dispose de la plus vaste expertise
clinique, de la meilleure formation clinique et, donc, sur qui repose la
responsabilité légale ultime des décisions, cela n'exclut
pas que, dans le fonctionnement habituel et dans le fonctionnement normal des
choses dans nos établissements, le
médecin soit toujours entouré de l'équipe
multidisciplinaire.
Je ne crois pas que la loi doive en définir le fonctionnement
interne. Cela devient une question de régie à l'intérieur
des établissements. Cette disposition qui donne la responsabilité
ultime aux médecins me paraît devoir être conservée.
Bien sûr, même avec leur formation considérable, les
médecins peuvent parfois errer. Je ne vois pas qu'on puisse
déterminer qui serait membre de l'équipe multidisciplinaire et
quel degré d'expérience clinique on exigerait d'eux. On peut
avoir un diplôme de psychologue et avoir une expérience à
peu près nulle en clinique, ou avoir une expérience
considérable en clinique. Je pense que seuls les médecins dans la
société où nous vivons disposent de l'expertise
complète qui permet que la loi leur accorde cette responsabilité
ultime. Je crois que c'est la meilleure façon de résumer la
nécessité pour le législateur de laisser la
responsabilité légale ultime de ces décisions entre les
mains du médecin.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: Sans qu'il y ait un droit de regard - je ne
parle pas de figer dans le ciment ce que devrait être légalement
une équipe multidisciplinaire - possible, comment pourrait être
constituée cette équipe multidisciplinaire, même si ce
n'est pas figé dans la loi?
M. MacKay: Je crois que l'intention pourrait se traduire de
façon fonctionnelle dans certains établissements. Cependant, la
loi doit être aussi rigoureuse que possible. Je vois là une porte
entrouverte à des difficultés énormes de fonctionnement.
Quand on sait que, dans certaines équipes multidisciplinaires, il y a
des conflits majeurs qui se présentent, des querelles d'écoles et
des querelles de corporations, je crois que ce ne serait pas prudent; du moins,
il me semble qu'il y aurait un risque plus grand à ouvrir cette porte
dans les textes de la loi. Cela n'exclut pas que, dans le fonctionnement
réel des choses, l'équipe multidisplinaire est, effectivement,
présente. Il reste un débat à faire à
l'intérieur de cette dimension à savoir s'il y a une façon
d'inclure l'obligation du médecin de consulter l'équipe
multidisciplinaire. Je ne dis pas que c'est répugnant en soi, mais je
pense que cela ouvrirait la porte à certains problèmes.
M. Bédard: Je suis un profane de la médecine. Vous
comprendrez d'autant plus certaines questions qui peuvent être
importantes pour nous et, sans doute, pour les personnes qui doivent être
l'objet de décisions qui sont prises, tenant compte justement du fait
que vous dites qu'il y a souvent des querelles d'écoles, des
manières de penser et d'évaluer carrément
différentes, inconciliables dans certains cas. S'il y a des querelles
d'écoles, en fait des divergences fondamentales d'opinions par rapport
à des médecins qui ont été consultés, est-ce
que c'est le médecin en titre qui devient l'arbitre final de tout
cela?
Mme Turenne-Thibault: M. le Président, j'aimerais demander
à Me Gosselin de nous présenter le point de vue juridique sur
cette question.
Mme Gosselin (Ghislaine): Je suis un peu gênée,
parce que ce n'est peut-être pas strictement en termes juridiques, le
complément de la réponse que je voulais donner au Dr MacKay
à la suite de votre deuxième question; c'est vraiment la
réalité tout simplement, lorsque vous demandez qu'on reconnaisse
dans la loi une équipe multidisciplinaire et qu'on l'identifie.
Je pense que le premier point qui est la réalité, c'est
que vous avez différentes catégories de centres hospitaliers,
vous avez de petits centres hospitaliers de soins de courte durée, vous
avez des centres hospitaliers universitaires. L'équipe
multidisciplinaire varie selon qu'il s'agit d'un tout petit centre ou d'un
centre universitaire, d'une part. D'autre part, vous avez aussi cette
réalité régionale. On n'a pas réglé tous les
problèmes et on aura sûrement d'autres tables d'écoute pour
d'autres problèmes, mais, si vous êtes à Montréal ou
à Québec, on vous dit normalement que vous êtes
peut-être privilégiés par rapport aux régions
éloignées où il n'y a pas toute l'équipe
multidisciplinaire qui serait souhaitable.
M. Bédard: Je vous remercie de le mentionner.
Mme Gosselin: C'est peut-être l'une de ces
réalités avec lesquelles il faut compenser. Si vous encadrez le
moindrement une équipe multidiciplinaire à l'intérieur de
la loi, cela crée un problème. Il y a aussi peut-être un
autre petit volet qu'il y a lieu de souligner, c'est celui du délai.
Dans la Loi sur la protection du malade mental qui gouvernait toute cette
question, le délai, avant de requérir l'ordonnance du tribunal
pour un examen psychiatrique, était beaucoup plus long que celui de 24
heures qui nous est maintenant proposé. Il appelle sûrement comme
commentaire qu'on espère que les cours soient disponibles pour nous
permettre d'aller chercher une ordonnance dans un délai de 24 heures.
Mais si, en plus, vous exigez, avant que l'examen soit fait et qu'on
requière cette ordonnance, qu'il y ait eu une étude par une
comité multipartite, cela
deviendra encore plus lourd et il y aura un problème de
délai. La notion de délai n'est pas à minimiser lorsqu'on
a à obtenir, justement, une ordonnance pour traiter quelqu'un.
M. Bédard: Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, M. le ministre. Je suis fort
consciente des difficultés qu'a soulignées le Dr MacKay
démontrant le fait qu'il peut y avoir des chicanes de chapelles etc. Il
y a aussi la réalité que Me Gosselin vient de signaler, que tous
les établissements sont différents. Est-ce qu'il n'y aurait pas
moyen que chaque établissement prévoie un comité? Il sera
formé différemment dans un hôpital de soins psychiatriques
peut-être que dans un hôpital général d'une
région éloignée. Dans le fond, ce qu'on veut, c'est une
espèce de - ne le prenez pas dans le sens péjoratif - garde-fou
ou un chien de garde. C'est même une protection pour le médecin
qui veut tenter une expérience thérapeutique ou une intervention
inhabituelle, nouvelle ou, enfin, de l'expérimentation comme c'est
signalé dans la loi, qu'il y ait d'autres personnes qui soient mises au
courant dans l'institution ou dans l'établissement. (11 heures)
Cela n'a peut-être pas besoin d'être ici, mais c'est
peut-être dans la Loi sur les services de santé et les services
sociaux que cette notion devrait être intégrée. Cela
m'apparaît une prudence à exercer pour le public. Tout en
admettant que tout le monde est de bonne foi et agit avec le plus grand esprit
professionnel, je pense que c'est à la fois une balise importante tant
pour le médecin qui ferait l'expérimentation que pour le patient
qui y serait soumis.
Mme Turenne-Thibault: Ce que vous nous traduisez
réfère essentiellement, il me semble, à la Loi sur les
services de santé et les services sociaux, c'est un fait. On n'a
qu'à penser à toute la réglementation adoptée en
vertu de cette loi. Je pense à la réglementation au niveau des
CMD, des conseils de médecins et dentistes, etc. Il ne faut pas
minimiser également le fait que les équipes multidisciplinaires,
dans le domaine de la psychiatrie, existent effectivement à
l'intérieur des centres hospitaliers, là où c'est
possible. Je n'ai pas l'impression que c'est à l'intérieur du
Code civil qu'il faut clarifier toutes ces choses-là. C'est vraiment au
niveau de l'application de la loi sur les services de santé qu'on se
situe vraiment à l'intérieur de cette dynamique.
M. MacKay: Puis-je ajouter, M. le Président, que les
articles du projet de loi dont vous avez fait mention visent les situations
d'urgence. En situation d'urgence, il serait assez intempestif aussi, je pense,
d'avoir à réunir une équipe et à discuter. Au
moment où le tribunal est saisi d'une question de tutelle, par exemple,
le tribunal a tout le loisir de faire venir des dossiers complets où
apparaîtront des rapports de psychologues et de travailleurs sociaux.
Donc, je pense qu'il ne faudrait pas interpréter les hésitations
qu'on a à tomber dans cette ouverture comme voulant exclure
l'équipe multidisciplinaire. Elle est très présente
effectivement dans la plupart des établissements et surtout dans ceux
qui ont une certaine importance. Je pense qu'au moment où il s'agit de
statuer sur une urgence, comme c'est le cas pour la cure fermée, par
exemple, on ne peut pas penser à consulter un nombre très
considérable de personnes. Ce sont des dispositions qui ont une
durée très brève dans le temps et qui sont, de toute
façon, l'objet de révision. Dans cet esprit-là, je pense
que nous avons toutes les garanties requises par rapport à l'utilisation
pertinente éventuelle de l'ensemble des professionnels qui oeuvrent avec
le médecin.
Mme Lavoie-Roux: Vous dites que c'est relié strictement
aux cas d'urgence. Je parlais en termes d'expérimentation aussi.
M. MacKay: Oui, dans les cas d'expérimentation, les
protocoles sont établis avec des comités qui sont, la plupart du
temps, à ma connaissance, multidisciplinaires ou qui ont avantage
à l'être, de toute façon.
Mme Lavoie-Roux: D'accord.
M. Bédard: Ils sont obligatoirement multidisciplinaires.
Concernant la nouvelle responsabilité confiée à
l'établissement qui a la garde d'un patient - je réfère,
entre autres, aux articles 156 et 203 - on nous a souvent souligné les
dangers de conflit d'intérêts entre l'établissement, d'une
part, et le patient, d'autre part. Est-ce que nous pourrions avoir vos
commentaires? D'ailleurs, ce conflit d'intérêts qu'on
évoque entre l'institution et le patient revient souvent. Comment
traitez-vous du sujet?
Mme Gosselin: Si vous me le permettez, je vais vous donner le
vécu d'une réalité principalement dans les hôpitaux
à vocation psychiatrique où vous aviez le médecin
psychiatre - parce que c'était le cas - qui décidait que telle
personne était incapable d'administrer ses biens. Il avisait à ce
moment-là le Curateur public, lequel devenait, faute de curateur datif,
curateur d'office à la personne. Cela impliquait que le Curateur public,
sans minimiser l'importance de son équipe, avait quand même
à intervenir pour tout consentement. Il a quand
même plusieurs personnes sous sa juridiction.
Dès 1976, je pense, on a entrepris des discussions avec le
Curateur public et nous sommes arrivés, quand même, à la
rédaction d'un protocole qui s'applique à l'heure actuelle,
à savoir que tel genre de traitements - les traitements usuels quand une
personne arrive à l'urgence, qu'elle soit ou non malade mentale - est-ce
qu'on peut les donner? Pour tel autre genre de traitement, on avait convenu
que, dans un centre hospitalier, le DSP autorisait le traitement au nom du
Curateur public, lequel conservait sa responsabilité et le Curateur
public était ipso facto avisé. Dans les cas d'interventions
chirurgicales, dans les cas d'électrochocs, dans les cas bien
identifiés où l'intérêt de la personne est vraiment
important, le Curateur public intervenait personnellement pour signer pour
chacun de ces traitements.
À l'Office de révision du Code civil, on a tenu compte de
cette réalité que je vous explique en parlant du curateur au
malade. On disait qu'à ce moment-là cela devait être le DSP
qui s'occupe de la curatelle à la personne, d'une certaine façon.
Cela ne faisait que confirmer, dans la réalité, dans le
vécu quotidien, les aménagements qu'on devait faire pour pouvoir
fonctionner à l'avantage de nos bénéficiaires.
Le curateur à la personne, la formule présentée par
l'office n'a pas été retenue comme telle. L'esprit est quand
même là et nous trouvions avantageux qu'on parle, entre autres,
d'une personne désignée par l'établissement parce que la
question du DSP - le DSP, pour le bénéfice de tout le monde,
c'est le directeur des services professionnels et c'est indéniablement
un médecin - ne couvre vraiment que les centres hospitaliers, alors que
vous avez des personnes qui seront protégées également
dans d'autres catégories d'établissements qui sont les centres
d'accueil. Je pense qu'il y a beaucoup de personnes protégées qui
sont dans les centres d'accueil. Donc, il fallait que ce soit peut-être
autre chose que des directeurs des services professionnels. On a pensé
que la proposition faite dans le projet de loi no 106, de dire qu'une personne
désignée par l'établissement exercera d'office,
était intéressante. Elle était intéressante parce
qu'elle permettait de fonctionner rapidement et faisait que
l'établissement assumait quand même les responsabilités
comme curateur.
M. Bédard: D'ailleurs, effectivement, comme vous le dites,
nous avons repris...
Mme Gosselin: Oui, nous nous sommes déclarés
favorables.
M. Bédard: ...l'essentiel de ce qui était dans le
rapport de l'office de révision. Nous l'avons élargi parce que
nous avons tenu compte d'une réalité qui fait que, dans les
centres d'accueil, il n'y a pas de directeur des services professionnels.
Mme Gosselin: À cela, nous nous sommes
déclarés favorables.
Le problème de conflit d'intérêts potentiel ou
éventuel que vous soulevez a fait sûrement l'objet de discussions
avant d'être présenté devant vous. On a retenu qu'il n'y
avait pas ce genre de conflit pour une raison bien simple; la personne qui
prescrit le traitement ou l'intervention, c'est le médecin traitant. Ce
n'est normalement pas le médecin traitant dans l'établissement
qui sera la personne désignée. Ce sera, je pense, à 95%,
le directeur des services professionnels qui sera désigné pour
tous les cas.
M. Bédard: Ce devrait être la même
personne.
Mme Gosselin: Pardon? Le DSP ne fait pas de pratique dans
l'établissement.
M. Bédard: Ah non! D'accord.
Mme Gosselin: Le conflit, c'est peut-être une
réaction humaine spontanée, quand on dit: Ce sont deux personnes,
médecin traitant et personne responsable, et dans le même
établissement, dans la même bâtisse. Mais je pense qu'ils
ont chacun des responsabilités bien particulières. À moins
qu'on ne me démontre qu'on ait déjà porté plusieurs
plaintes quant à la responsabilité qu'assumait le DSP, je ne vois
pas qu'il y ait vraiment conflit d'intérêts. On se crée des
problèmes en parlant de cela, je pense.
M. Bédard: Ce sera ma dernière question pour me
limiter aux 20 minutes. À remarquer qu'on voit facilement la nature du
sujet et qu'on pourrait en parler des journées complètes; c'est
ce qui se fait, d'ailleurs. On sait qu'une fois les travaux de la commission
terminés la réflexion continue. Le vécu quotidien continue
aussi.
Concernant la révocation du consentement à un traitement,
ne croyez-vous pas que l'encadrement que vous proposiez risquerait
peut-être d'entraîner une certaine pression auprès des
patients? Vous proposiez la révocation écrite ou verbale en
présence de la personne chargée de faire le
prélèvement ou l'expérimentation.
Mme Gosselin: C'est peut-être le phénomène du
pendule que nous vous proposons. Lorsque vous dites que le consentement peut
être donné verbalement sans préciser le contexte, vous avez
cette réalité dans nos établissements - encore là,
on revient à la réalité - que, comme patiente, je suis
incapable de distinguer si je
m'adresse à une infirmière, à une infirmière
auxiliaire, à un préposé aux malades et chacun a quand
même des responsabilités bien précises. Je ne suis pas
sûre si je m'adresse au préposé aux malades, dans notre
réalité, parce que c'est quand même beaucoup de personnes
qui oeuvrent dans un même établissement, et que cette
révocation, qui sera reçue de cette personne, soit
véhiculée à qui de droit. On ne voulait que s'assurer
d'une protection pour pouvoir respecter cela. Ce n'est quand même pas si
facile de dire: II s'agit que vous informiez quelqu'un qui travaille dans le
centre hospitalier pour que, automatiquement, ce soit réalisable. Il y a
un peu trop... On a même des ingénieurs qui travaillent dans nos
établissements, pour les édifices ou quoi que ce soit. Alors, on
désire quand même encadrer qui peut recevoir le consentement.
C'est pour cela que nous nous sommes référés à la
proposition qui avait été faite par l'Office de révision
du Code civil.
Le Président (M. Blouin): Je vous remercie, M. le
ministre.
M. le député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'ai deux questions: une
assez générale et une assez spécifique. Vous avez
parlé, dans votre mémoire, d'expérimentation et de
traitement. J'aimerais savoir quelle est la distinction entre
l'expérimentation et le traitement. Où est-ce qu'on tire la
ligne? De temps en temps, j'ai l'impression qu'il y a une distinction sans
différence. J'aimerais avoir votre opinion sur cette question.
M. MacKay: Le texte de loi avait une phrase qui nous paraissait
regrettable et qui excluait, sans la définir d'ailleurs, la personne en
protection de toute expérimentation. L'expérimentation, en
médecine, peut se définir de plusieurs façons; on pourrait
en parler pendant de nombreuses minutes. Le médecin qui essaie pour la
première fois un médicament avec un diagnostic relativement
incertain chez un patient est quotidiennement forcé de faire une
certaine marge d'expérimentation; ce n'est pas, je crois, de
celle-là que nous voulons parler.
Je pense que nous voulons parler ici d'expérimentations qui sont
encadrées dans un système de recherche scientifique
médicale pour l'avancement de la science et aussi parfois pour mettre au
point un médicament ou une forme de traitement qui pourra aider le
patient lui-même qui est l'objet de l'expérimentation. Je me
souviens, par exemple, quand on a fait les premières expériences
sur les antidépresseurs, qu'il fallait bien qu'on utilise ces
médicaments chez des patients psychotiques qui n'avaient pas la
possibilité d'y consentir eux-mêmes. Si on n'avait pas pu le
faire, si le Code civil nous l'avait interdit, on n'aurait pas pu mettre au
point les antidépresseurs. C'est un exemple d'une expérimentation
à portée thérapeutique qui exige qu'on ait le droit de
procéder. Dans ces cas, il n'y avait aucun danger particulier. Je pense
même qu'il est abusif, dans ces cas, de judiciariser et d'avoir recours
à une autorisation du tribunal pour prescrire un médicament qui
est dans un protocole de recherche chez un patient. Voilà pour
l'expérimentation médicamenteuse comme telle. Il peut y avoir
d'autres approches qui n'existent même pas encore, mais qui pourront
être l'objet de débats scientifiques.
M. Dédard: C'est d'autant plus vrai que le traitement
n'est pas irréversible; au contraire, c'est la maladie qui l'est, si on
ne fait pas quelque chose.
M. MacKay: Exactement. Or, prenons, par exemple, un cas plus
particulier où on voudrait faire une recherche dont la portée
thérapeutique n'est pas évidente chez les malades séniles.
Si vous voulez travailler sur des cerveaux de malades séniles sans leur
faire porter de risques graves, il faut quand même que vous ayez la
possibilité, l'autorisation de le faire. Même si la portée
thérapeutique, à ce moment-là, est moins évidente,
il y a une portée thérapeutique ultérieure dans le champ
de tous les patients qui pourront plus tard en bénéficier, y
inclus peut-être, dans une étape ultérieure, le patient qui
serait l'objet de l'expérimentation. Quand on sait à quel point
les protocoles de recherche sont bien contrôlés dans les
établissements universitaires, il ne faut pas que la prudence nous
entraîne à empêcher des interventions
bénéfiques, de la même façon que nous
avançons que notre désir de protéger la personne
handicapée mentale de certains abus ne devrait pas la priver de ce qu'on
autorise à des personnes douées de discernement. Je pense qu'il y
a toujours lieu de rechercher un juste milieu.
Le projet de loi, qui exclurait la personne en régime de
protection de toute expérimentation, nous paraîtrait bloquer le
progrès scientifique en étant nuisible aux patients. Je crois que
cela répond aux deux volets de votre question.
M. Marx: Oui, merci. Je ne veux pas continuer le débat sur
cette question. Bon, juste une autre question assez spécifique. À
l'article 24 et à l'article 25, on parle d'examen "psychiatrique". Nous
avons reçu des représentations pour changer le mot
"psychiatrique" pour "psychologique", que ce soient des examens psychologiques
plutôt que psychiatriques. Si je comprends bien, l'un englobe l'autre,
dans un sens.
(11 h 15)
Mme Gosselin: Pour peut-être aller plus loin, nous vous
demandons, par cet article, de nous autoriser à faire des examens sans
pour autant qu'ils soient psychologiques ou psychiatriques. Ils seront
probablement inclus tous les deux. Ce qu'il est important de noter, c'est qu'il
s'agit d'un comportement, d'un état mental chez une personne qui est
conduite au centre hospitalier, qui n'est probablement pas encore
protégée légalement, mais qui a tout intérêt
à l'être. On ne nous donne, à l'heure actuelle, que la
garde de cette personne. On dit: Cette personne a un trouble de comportement,
il faut être capable de l'identifier. Donc, il faut faire certains
examens et, quelquefois, les examens doivent être carrément
cliniques.
Un problème de comportement provient bien souvent d'un
problème physique et, si on n'est pas capable de déceler cette
source qui justifie le comportement, je ne suis pas sûre qu'on remplisse
adéquatement nos objectifs ou nos responsabilités comme centre
hospitalier. L'examen psychiatrique correspond, selon nous, à la
nécessité d'établir un diagnostic médical qui est
requis, entre autres, pour déterminer l'ouverture d'un régime de
protection, mais il ne faut pas, pour autant, exclure la possibilité que
d'autres examens s'imposent, compte tenu de l'état de la personne.
M. Marx: Aux articles 24 et 25, on parle d'ordonner un examen
psychiatrique; donc, cela exclut un examen fait par un psychologue. On nous
demande de modifier le mot "psychiatrique".
Mme Gosselin: C'est là où nous ne sommes pas
d'accord. Je pense que l'examen psychiatrique s'impose, mais d'autres examens,
dont des examens psychologiques, pourraient également être
requis.
M. Marx: Vous n'êtes pas prêts à accepter
l'argument que ce serait souhaitable de changer le mot "psychiatrique" pour
"psychologique"...
Mme Gosselin: Non.
M. Marx: ...ce qui n'empêche pas un examen
psychiatrique.
Mme Gosselin: Si nous acceptions cette modification, ce serait
contraire à l'argumentation que nous avons tenue tout à l'heure,
à savoir que c'est le médecin qui est le seul responsable pour
établir l'état de la personne. Si on parle d'examen psychologique
strictement, on ouvre la porte non plus à un comité multipartite
ou multidisciplinaire, mais à un psychologue qui pourrait, à ce
moment, déterminer qu'une personne est dangereuse pour elle-même
ou pour autrui et a besoin de régime de protection. C'est très
large.
M. Marx: C'est exactement cela. Les psychologues pensent qu'ils
ont une certaine expertise aussi. C'est cela, je pense.
M. Bédard: On entre jusque dans la phase du
traitement.
M. Marx: Merci.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee, merci. Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: À l'article 14, dans vos amendements ou
modifications proposées... Excusez-moi une minute. C'est où vous
parlez d'exclure les interventions chirurgicales pour le mineur - c'est
l'article 16, pardon - sauf pour une intervention chirurgicale. Je voulais vous
demander si vous considérez, par exemple, un avortement comme une
intervention chirurgicale.
Mme Gosselin: Cela peut être fait médicalement. Je
vais laisser le docteur répondre.
Mme Turenne-Thibault: Dr MacKay, est-ce que vous êtes
capable de trancher la question?
M. MacKay: Je ne la trancherai pas, car j'ai un doute.
Mme Lavoie-Roux: Cela est important dans la suggestion que vous
faites.
M. MacKay: Je pense, effectivement, que nous ne nous sommes pas
arrêtés sur ce point particulier et qu'il est très
important -je suis content qu'il soit soulevé - parce que, dans le cas
d'une jeune fille de quinze ans qui voudrait subir un avortement
thérapeutique et que sa famille l'ignore, la question pourrait se poser.
Je crois que, rigoureusement parlant - je m'avance un peu à mesure que
je réfléchis - l'avortement n'est pas une intervention
chirurgicale. Ce n'est pas, rigoureusement parlant, une intervention
chirurgicale.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous pourriez me réexpliquer
quelle était votre...
Mme Gosselin: Position sur le sujet?
Mme Lavoie-Roux: ...motivation pour soustraire l'intervention
chirurgicale à l'article?
Mme Gosselin: Je vais vous le dire avec beaucoup de plaisir.
À l'heure actuelle, en vertu de la Loi sur la protection de la
santé publique, un mineur de quatorze ans est
considéré majeur pour fins de consentement et on ne fait pas
cette exclusion, c'est-à-dire qu'il est reconnu capable, même s'il
s'agit d'intervention chirurgicale. Mais dans la réflexion qu'on vous
soumettait au niveau des concepts, "intervention" est compris dans la
définition "d'examen", sauf qu'il est nécessaire pour une
intervention chirurgicale vraiment de requérir un consentement
spécifique. On a noté qu'à l'article 16 le mot
"intervention" ne revenait pas, contrairement à sa présence dans
les autres articles. On s'est dit: Est-ce que vraiment il est de l'intention
d'exclure l'intervention chirurgicale de la capacité du mineur? Ce que
nous vous avons dit dans notre mémoire, c'est: Si telle est votre
intention, veuillez le spécifier. Mais, à l'heure actuelle, les
enfants de quatorze ans ont la capacité de consentir à un examen,
de consentir à une intervention chirurgicale ou de la refuser.
Je ne pense pas que l'association se prononce dans la recommandation
pour retirer de cette capacité l'intervention chirurgicale. Le
délai avec lequel il a fallu composer pour rédiger notre
mémoire ne nous a, malheureusement, pas permis de cogiter sur tous les
sujets qui nous intéressaient. Nous n'avons fait qu'un constat et sommes
arrivés à la conclusion qu'il y avait lieu, tout simplement, de
vous souligner que, comme le mot "intervention" n'est pas dans le texte, si
vous vouliez exclure l'intervention chirurgicale de la capacité du
mineur de quatorze ans ou plus, il fallait l'inscrire. Nous n'avons
été que conformes à votre texte, mais rédigé
autrement. C'est une question de sémantique, tout simplement.
Mme Lavoie-Roux: Vous l'avez fait dans un but de
clarification.
Mme Gosselin: C'est cela.
Mme Lavoie-Roux: Mais cela peut soulever certains
problèmes...
Mme Gosselin: Ah si!
Mme Lavoie-Roux: ...si vous l'excluez. Vous n'avez pas
examiné...
Mme Gosselin: Mais nous n'avons pas apporté une
réflexion spécifique pour dire s'il est avantageux ou pas de les
exclure.
M. Bédard: Avec la permission, on peut se rendre des
services mutuels.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Bédard: Étant donné l'importance du sujet
soulevé par Mme la députée de L'Acadie, si vous n'avez pas
terminé votre réflexion, on vous invite à la continuer et
à l'approfondir. Même si les travaux de la commission
parlementaire sont terminés, on serait en fait très heureux de
recevoir des commentaires additionnels sur ce point. Vous pourriez nous les
faire parvenir par écrit au ministère. À ce moment, nous
donnons une copie de toutes les communications additionnelles que nous recevons
aux membres de l'Opposition et à tous les membres de la commission.
Mme Gosselin: M. le Président, nous en prenons bonne
note.
Mme Lavoie-Roux: II peut y avoir d'autres cas que l'avortement.
On prend celui-ci parce que c'est toujours celui qui paraît le plus
dramatique. Peut-il y avoir d'autres situations où il y aurait une
intervention qui soit peut-être seulement auxiliaire, si je peux dire, et
qu'à ce moment l'enfant voudrait quand même...
Mme Gosselin: Vous êtes bien consciente, Mme Lavoie-Roux,
qu'il s'agit quand même d'avortement thérapeutique seulement ici,
c'est-à-dire nécessaire à cause de l'état de
santé de la femme, à ce niveau de l'article.
Mme Lavoie-Roux: On pourrait recommencer une autre
discussion.
Mme Gosselin: D'accord?
Mme Lavoie-Roux: Oui. J'accepte votre interprétation.
Il y a une remarque qui revient souvent sur le sujet de la curatelle.
J'aimerais vous référer à l'article 213 - j'ai vu que vous
n'en aviez pas parlé - sur les régimes de protection. C'est dans
la loi no 106. Vous ne l'avez pas dans votre mémoire ou, du moins, vous
n'en avez pas parlé. "Le jugement qui ouvre un régime de
protection est toujours susceptible de révision, que la cause ait
cessé ou que la condition, physique ou mentale de la personne, se soit
modifiée. Le tribunal peut prévoir la révision du jugement
à une date qu'il indique." Il y a quelqu'un à qui je posais la
question, hier, j'ai oublié son nom. Cette personne me disait:
Écoutez, c'est prévu dans la Loi sur la protection du malade
mental qu'il doit y avoir une révision tous les six mois. Mais, selon
les représentations qui nous ont été faites, - non
seulement à l'occasion de cette commission, mais à plusieurs
autres occasions - finalement, cela devient trop facile et presque routinier,
particulièrement pour les patients dans les hôpitaux de soins
prolongés. On pense en particulier aux patients psychiatriques
peut-être. Finalement, c'est comme une routine. Les gens verraient
davantage cette recommandation d'examen
périodique être incluse à l'article 213 et faire
l'objet d'une recommandation du tribunal plutôt que de la laisser telle
qu'elle existe présentement, parce qu'elle n'est pas satisfaisante.
Enfin, ce sont les représentations qui nous sont souvent faites.
Mme Gosselin: II y a peut-être le premier volet où
j'aurais aimé que le Dr MacKay prenne la parole, mais je lui laisserai
compléter la première approche. Effectivement, quant à la
Loi sur le protection du malade mental, il y a des révisions qui se
font. Elles sont faites par la Commission des affaires sociales. En termes de
qualité de ce qui est fait, nous n'avons que des éloges à
adresser à la commission. C'est vraiment sérieux et valable. Du
moins, c'est la vision que nous en avons.
Maintenant, quant au régime de protection, on va sûrement
couvrir des personnes protégées autres que des malades mentaux.
C'est une des ouvertures qu'on a faites. Donc, qu'une personne soumise à
un régime de protection puisse voir son évaluation remise en
question régulièrement, nous ne sommes que positifs à
cela. C'est peut-être pour cela qu'on n'a pas contesté l'article
213. A priori, on était satisfait qu'il y ait une possibilité de
réviser effectivement une position qui avait été prise
pour l'intérêt même des personnes.
Mme Lavoie-Roux: Les représentations sont dans le sens
qu'il y a trop de latitude dans l'expression "peut prévoir la
révision". Les gens aimeraient quelque chose de plus ferme que cela.
Mme Gosselin: Qu'on soit plus formel?
Mme Turenne-Thibault: N'est-ce pas sur demande seulement du
patient que cette révision se fait ou si c'est statutaire de par la Loi
sur la protection du malade mental? Je pose la question.
Mme Lavoie-Roux: Je pense que c'est statutaire.
M. Bédard: Hier, on nous a laissé l'impression...
J'essaie de me rappeler...
Mme Lavoie-Roux: Je l'ai ici. Je crois que c'est statutaire.
M. MacKay: M. le Président, je peux peut-être
ajouter deux points. En ce qui concerne la Loi sur la protection du malade
mental, la révision est obligatoire pour les cas de cure fermée,
ce qui est tout de même une très petite proportion des patients
qui sont déclarés incapables d'administrer leurs biens ou ayant
besoin de protection, à telle enseigne que, si on voulait une
révision automatique de tous les cas de handicapés mentaux dans
la province, on serait devant un processus absolument énorme.
Étant donné qu'il y a des cas qui sont réputés
à juste titre incapables de façon permanente, je crois qu'il y
aurait lieu, en effet, de laisser le soin au tribunal de prévoir une
date de révision ou non, selon que le cas est présumé
permanent ou pas.
En ce qui concerne les cas de psychoses sporadiques qui justifient des
cures fermées, le mécanisme actuel est très bien
appliqué. Je n'ai pas d'écho voulant que des citoyens aient
été brimés ou que le système ne fonctionne pas
bien. Là, on parle de tous les cas de protection. C'est un tout autre
chapitre, beaucoup plus considérable. Pour la majorité de ces
patients, l'incapacité est permanente. Dans ces cas, il serait logique
de laisser l'article 213 tel qu'il est, que le tribunal, au moment où il
déclare un régime de protection, statue sur la date prévue
pour une révision. C'est ce qui serait le plus fonctionnel.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Mme la
députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci.
Le Président (M. Blouin): Cela va.
M. Bédard: On vous remercie de vos représentations.
J'ai peut-être une dernière question que je conçois
très difficile. Vous nous avez parlé de l'approche vitaliste par
rapport à l'approche qualité de la vie et de la
nécessité dans nos travaux, comme on en est conscient, d'en
arriver au meilleur consensus, d'essayer de retrouver les consensus sociaux les
plus larges. Selon vous, quelle est l'approche qui se démarque ou qui
semble recueillir le plus large consensus social? Vous pouvez ne pas
répondre.
Mme Turenne-Thibault: Oui.
M. Bédard: Êtes-vous d'accord pour
répondre?
Mme Turenne-Thibault: M. le Président, notre
mémoire est clair sur le sujet. L'approche que nous préconisons,
c'est l'approche qualité de vie. Quand on dit qu'on suggère de
reconnaître à une personne majeure le droit de refuser un
traitement, même si...
M. Bédard: J'ai compris que c'était l'approche que
vous privilégiez avec toutes les nuances qui sont
nécessaires...
Mme Turenne-Thibault: Oui.
M. Bédard: ...que vous avez, d'ailleurs,
mentionnées. Mais si vous regardez la société, parce que
nous avons à légiférer
pour l'ensemble en essayant d'identifier où se situent les
consensus les plus larges là-dessus, auriez-vous une opinion? (11 h
30)
Mme Gosselin: Vous noterez que notre recommandation a
été quand même très prudente. Nous
désirerions nous assurer qu'elle soit retenue, effectivement. Mais cette
possibilité de refuser un traitement qui, imminemment, conduira au
décès de la personne, nous ne l'avons retenue que dans le cas
d'un majeur sain d'esprit. Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou qu'il s'agit d'une
personne protégée, nous n'avons pas fait cette exception. Donc,
nous avons été quand même très prudents sur
l'approche vitaliste par rapport à l'approche qualité de vie.
Nous étions conscients, malgré tout, que ce n'était pas
ipso facto, qu'il restait quand même pour cette catégorie de
personnes, c'est-à-dire enfants ou personnes protégées, la
possibilité de se référer au tribunal si on jugeait que la
qualité de vie pouvait l'emporter sur la vie même. C'est
strictement pour le majeur sain d'esprit qu'on a demandé l'ouverture.
Nous croyons que cela répond bien à ce qu'on est à
même de constater comme revendications dans nos établissements.
Pour le reste, c'est peut-être partagé, ce qu'on en sait, et,
étant conscients de la responsabilité que le législateur
peut avoir sur le sujet, on a été très prudents et on a
laissé quand même une possibilité d'ouverture au
tribunal.
Le Président (M. Blouin): Oui, Dr MacKay.
M. MacKay: M. le Président...
M. Bédard: Je me permets de voir la difficulté de
répondre à la question...
M. MacKay: Est-ce que je peux ajouter...?
M. Bédard: ...à laquelle nous devrons
répondre. Par rapport à nous qui devons légiférer,
qu'en pense la population? Étant des spécialistes - c'est clair
dans votre mémoire - vous avez fait un certain choix, exprimé une
tendance en tenant compte, encore une fois, de toutes les nuances. Cette
tendance que vous évoquez, est-ce que vous pensez que c'est vers cela
qu'on se situe, quant au consensus social?
M. MacKay: Nous croyons que le consensus s'en ira dans cette
direction, encore qu'il ne soit pas complet et qu'il ne le sera probablement
jamais. Mais si on peut traduire cela en termes très simples, je crois
que le législateur devrait s'assurer que, sous prétexte de
protéger la personne en besoin de protection, il ne lui interdise pas ce
qu'il permet aux citoyens normaux. Je pense que c'est un excellent principe
directeur, selon le vieux principe sur lequel se base une bonne psychiatrie,
à savoir qu'il faut se demander si on fait au patient ce qu'on voudrait
qu'on nous fasse à nous-mêmes, si on avait le choix.
M. Bédard: J'avoue que c'est un très bonne base de
réflexion que vous venez d'évoquer.
M. MacKay: Est-ce que vous me permettriez d'ajouter quelque
chose? Je voudrais répondre à une question qui ne nous a pas
été posée, mais qui a été posée hier,
lors des débats de la commission parlementaire. Elle nous est apparue
fort importante et nous y avons réfléchi depuis. Elle concerne le
fait que nous avons, dans nos propositions à l'association, exclu le
conjoint et les proches parents de la possibilité de faire certains
consentements. Notre première démarche était
d'empêcher le côté un peu arbitraire et, parfois
peut-être, ambigu de cette autorisation qui, au fond, pouvait simplement
retarder le démarrage d'un processus de mise en protection d'une
personne qui en aurait besoin. L'intervention du Dr Lazure hier nous a fait
beaucoup réfléchir qui soulignait le côté pratique
de laisser quand même une place au conjoint, surtout au moment de la
demande d'examen.
Nous avons cherché une solution à ce dilemme et nous vous
proposons une réflexion qui irait dans le sens suivant: pour soumettre
un patient qui s'y refuse à se présenter à l'hôpital
- et ce n'est pas nécessairement pour un état psychiatrique; cela
peut être quelqu'un qui est diabétique, cela peut être
quelqu'un qui a besoin de soins physiques, mais qui a peur ou qui est dans un
état d'instabilité émotionnelle - nous croyons que le
conjoint ou un parent pourrait avoir l'autorisation légale au Code civil
de signer le consentement. Mais en ce faisant, il assume une
responsabilité de tutelle provisoire et, du fait de sa signature
à cet effet, il déclenche par le fait même le processus de
mise en demande d'un régime de protection. Cela éviterait que des
parents ou des conjoints ne puissent, pour les commodités de la chose,
signer le truc qui n'aurait pas de suite; tout serait à recommencer la
semaine suivante et on n'aurait jamais une opinion ferme et
éclairée. Le fin mot qui résoudrait le dilemme, ce serait
que le Code civil prévoie que le conjoint ou, à défaut de
conjoint, un parent puisse signer le consentement à un examen, mais que,
de ce fait, il assume une responsabilité de tuteur provisoire et
enclenche, par le fait même, la demande d'un régime de protection
dont la qualité sera en fait évaluée par le juge, par le
tribunal.
M. Bédard: Comment conciliez-vous
cela avec votre demande à l'article 12?
M. MacKay: Cela modifierait l'article 12 en ce sens-là,
mais nous continuons de penser qu'il n'est pas pertinent de permettre au
conjoint, à tout hasard comme cela, de signer pour son conjoint, alors
qu'en réalité il y a peut-être des conflits
d'intérêts ou quelque chose de malsain dans le couple. Cela ne
peut être que provisoire, à notre avis, et ce doit être
suivi. Cela ne doit pas être suffisant que la signature soit là et
c'est tout.
M. Bédard: Merci. Nous allons en prendre bonne note.
Le Président (M. Blouin): D'accord?
Mme Gosselin: Juste un petit point pour compléter
cela.
Le Président (M. Blouin): Je dois vous dire, madame, que
nous avons excédé d'un bon nombre de minutes.
Mme Gosselin: Excusez-moi.
M. Bédard: D'accord pour quelques phrases.
Le Président (M. Blouin): Enfin, si vous voulez conclure
rapidement, il n'y a pas d'objection, mais je ne voudrais pas qu'on s'engage
dans un nouveau débat qui risquerait de retarder les autres groupes.
Mme Gosselin: C'est simplement pour compléter la question
qui avait été posée.
Le Président (M. Blouin): D'accord, allez-y.
Mme Gosselin: C'est très court. Notre proposition n'est
pas modifiée. Il s'agirait probablement de faire des amendements
à l'intérieur de la section "régime de protection" pour
bien démontrer que c'est en tant que responsable, en tant que tuteur ou
curateur qu'il intervient. Strictement à titre indicatif, je vous
réfère à l'article 210 qui parle même de la
possibilité pour le tribunal, de façon provisoire, de nommer
quelqu'un. Il faudrait peut-être le prolonger afin d'autoriser un
consentement aux soins. Cela pourrait atteindre l'objectif sans pour autant
enlever toute cette question de régime de protection, en laissant
toujours l'ouverture, au niveau de l'article 14, de permettre à un
conjoint de signer. C'est tout.
M. Bédard: Merci beaucoup.
Le Président (M. Blouin): Merci. Je remercie les
représentants de l'Association des hôpitaux du Québec de
leur présentation.
Mme Turenne-Thibault: Nous vous remercions aussi, messieurs et
mesdames de la commission.
Le Président (M. Blouin): Merci, madame.
J'inviterais maintenant les représentants de l'Assemblée
des évêques du Québec à prendre place à la
table des invités. Je salue et souhaite la bienvenue aux
représentants de l'Assemblée des évêques du
Québec. Je demande au porte-parole de l'assemblée de s'identifier
et de nous présenter les gens qui l'accompagnent.
Assemblée des évêques du
Québec
Mgr Couture (Maurice): Mon nom est
Maurice Couture, évêque auxiliaire à Québec.
J'ai, à ma droite, M. Ernest Caparros, qui est conseiller juridique de
l'Assemblée des évêques du Québec; à mon
extrême droite, M. Jacques Saint-Michel, qui est vice-chancelier du
diocèse de Québec et, à ma gauche, M. Paul Boily, qui est
adjoint à la secrétaire générale de
l'Assemblée des évêques du Québec pour les
communications.
Je n'ai pas, j'imagine, à détailler la composition et les
objectifs de l'organisme que nous représentons, même si c'est
probablement la première fois que, comme corps constitué,
l'Assemblée des évêques du Québec se fait entendre
devant une commission parlementaire. Précisons tout de même que
l'assemblée des évêques regroupe, comme il se doit, les
évêques en titre, non retraités du Québec, qu'ils
soient titulaires de diocèse ou simples auxiliaires comme c'est mon cas.
L'assemblée des évêques possède des comités
qui équivalent très modestement à ce que pourraient
être des commissions parlementaires par rapport à votre
façon de fonctionner et l'un d'eux s'occupe des problèmes de
législation et d'administration financière, les deux
regroupés; c'est moins lourd, évidemment, que ce que vous pouvez
avoir à traiter puisque nous les regroupons dans un même
comité. C'est mon homonyme, Mgr Jean-Guy Couture, l'évêque
de Chicoutimi, qui en est le président.
Je m'empresse de vous dire, pour éviter toute réflexion
malicieuse, que, s'il a été choisi, ce n'est pas parce qu'il est
évêque du diocèse où se trouvent le comté de
Chicoutimi et le ministre de la Justice, mais en raison de sa compétence
objective comme administrateur et comme légiste ou canoniste, comme nous
le disons dans notre langage.
M. Mathieu: II faut avoir les deux.
Mgr Couture: Voilà.
M. Bédard: J'en suis convaincu.
Mgr Couture: Notre mémoire a été
préparé par le comité en question, mais soumis en
assemblée plénière, au mois de mars dernier, à tous
les évêques, si bien que le mémoire qui est
déposé aujourd'hui représente vraiment, en raison d'une
consultation spéciale, la pensée des évêques du
Québec.
Comme aucun des membres dudit comité n'était en mesure de
se présenter aujourd'hui en raison des obligations pastorales
particulièrement lourdes en cette période de l'année, vous
le comprendrez, et que Mgr Louis-Albert Vachon était lui-même
retenu aujourd'hui pour une conférence de presse sur un autre sujet,
j'ai hérité d'une mission qui s'alourdit à mesure qu'elle
se prolonge et à mesure que notre délégation, elle,
s'allège. Je vous ai donc présenté ce qui restait de notre
délégation qui était là hier matin.
En plus de ce mémoire, intitulé La dignité de
l'être humain, que nous déposons devant la commission
parlementaire, nous avons également soumis à M. le ministre de la
Justice des observations sur la question du registre de l'état civil. Je
le signale, parce que d'autres groupements, je pense, vous en ont parlé
ici même. Comme ces observations sont d'un caractère plutôt
technique, nous n'avons pas jugé bon de les introduire dans notre
mémoire. C'eût été, à nos yeux,
dévaloriser un peu l'objet le plus important de ce mémoire que
d'introduire des questions qui nous paraissent d'ordre technique et sur
lesquelles des discussions subséquentes pourraient nous amener
probablement à nous comprendre. Nous ne cherchions pas, en ne les
introduisant pas, cependant, dans notre mémoire, à leur garder un
caractère privé et nous laissons M. le ministre bien libre d'en
faire part à la commission ou aux technocrates chargés de
préparer les documents relatifs à la réforme du droit
civil.
Le mémoire que nous déposons ce matin porte
essentiellement sur l'article 1 du projet de loi no 106 et, de la reformulation
que nous en proposons, découlent quelques autres retouches à
d'autres articles subséquents.
En substance, les évêques du Québec veulent
défendre fermement le droit à naître comme fondement de
tous les droits et insistent sur le besoin de protection générale
de l'enfant conçu. S'il en est un à qui il faut donner une voix,
parce qu'il n'en a pas, c'est bien, il nous semble, à l'enfant à
naître. S'il nous arrive d'élever la voix pour défendre
ceux qui n'ont pas une facilité de s'exprimer comme dans le cas, par
exemple, des chômeurs, des gens mal pris, il nous semble logique de
défendre l'enfant à naître. En cela, les
évêques sont cohérents avec leurs déclarations
antérieures, en particulier avec celle qu'ils ont émise le 9
décembre dernier sur l'avortement.
Avant de passer la parole à M. Ernest Caparros, je me contente de
lire avec vous la lettre de présentation du mémoire signé
par Mgr Vachon. Elle a été reproduite un peu
prématurément ce matin dans un journal. Vous la connaissez
peut-être, mais je la relis. "L'Assemblée des évêques
du Québec a pris connaissance du projet de loi no 106 sur la
réforme du Code civil que vous avez déposé à
l'Assemblée nationale, le 17 décembre 1982. Ce projet de loi
traite du droit des personnes et touche directement au projet de
société qui est nécessairement reflété dans
la législation civile. "Nous avons été surpris et
déçus de constater que le projet de loi no 106 n'avait pas retenu
la recommandation de l'Office de révision du Code civil de
protéger les droits de l'enfant dès sa conception. Vivement
concernés par l'élaboration des lois et leurs conséquences
sur l'éthique d'un peuple, nous soumettons à la commission
parlementaire de la justice le présent mémoire sur la
dignité de l'être humain. "Nous espérons fermement, M. le
ministre, que le gouvernement comprendra le bien-fondé de notre
position. À titre de responsables de la communauté catholique et
comme citoyens, nous ne pouvons accepter une législation qui
hésite à protéger le premier de tous les droits et le
fondement de tous les autres, le droit à la vie."
Sur ce, avec votre permission, M. le Président, je céderai
la parole à M. Caparros, notre conseiller juridique, qui, lui, vous
exposera le contenu plus détaillé de notre mémoire. (11 h
45)
M. Caparros (Ernest): M. le Président, je me
présente pour la première fois ici intégré dans un
groupe. Ce n'est pas la première fois que je viens en rapport avec le
Code civil mais c'est à titre personnel, toutes les autres fois, que je
suis venu manifester certaines opinions. Dans ce cas, on m'a demandé de
faire cette présentation qui coïncide pleinement avec les
idées que j'avais déjà émises à titre
personnel. Il est évident qu'il faut se réjouir de tout cet
effort pour protéger la personne dans le livre premier du Code civil. On
avait toujours le regret, quand on parlait du Code civil du Bas-Canada, qui est
toujours en vigueur - en fait, on a l'avantage d'avoir deux codes -d'avoir
cette insertion de la protection de l'enfant conçu seulement au niveau
patrimonial. Mais, après un chapitre dans le livre des personnes, qui
était le deuxième chapitre proposé par l'Office de
révision du Code civil où le principe que l'enfant conçu
est tenu pour né, intégré à ce moment au niveau
général, on pouvait s'attendre que cette protection de l'enfant
conçu, toujours et en toutes circonstances, se retrouve au
niveau de ce Code civil du Québec qu'on est en voie de mettre en
vigueur.
Évidemment, il faut que cet enfant naisse vivant et viable, mais
lorsqu'on intervient pour l'empêcher de naître vivant et viable,
c'est là que se pose la question parce qu'on fait finalement obstacle
aux droits qu'on est en train de lui accorder. D'un côté, on parle
de toute une série de droits qui sont remis à la personne
humaine; en même temps, si on l'empêche de naître, c'est
exactement la même chose que de ne pas lui en donner.
Le fondement, finalement, c'est son droit de naître. On a beau
avoir l'article 1, tel qu'il se trouve dans le projet de loi no 106, l'article
5 sur le plein exercice des droits civils, l'article 11 sur
l'inviolabilité et l'intégrité de la personne humaine,
l'article 30 sur les droits de l'enfant à la protection, la Charte des
droits et libertés de la personne...
Des voix: Oh!
M. Caparros: ...si cet être qui est conçu n'est pas
né, tout cela, ce ne sont que des mots creux. On est en train de se
gargariser de mots puisque, effectivement, on l'empêche de jouir de tous
ses droits. Si on ne protège pas cet enfant conçu depuis la
conception, ce n'est pas une question idéologique, c'est la
vérité biologique qui entre en ligne de compte. Effectivement, ce
qu'il y a là, ce n'est pas un tissus adipeux, ce n'est pas un serpent,
ce n'est pas un éléphant, dans le sein d'une femme quand elle est
enceinte; c'est un enfant, c'est un être humain.
À ce moment, si on ne le protège pas, il n'a pas de
droits. On pourrait dire: Qu'arrive-t-il lorsque l'enfant ne naît pas
vivant et viable? Il n'a aucun droit. Si cette absence de naissance se produit
naturellement, il n'a pas de droit. Mais que penser de la situation dans
laquelle, pour obtenir certains droits qui seraient dévolus à
l'enfant conçu, la mère demande un avortement? En fait, on peut
prendre l'exemple du testateur qui lègue ses biens à un enfant
à naître; c'est toujours possible. Du moment que l'enfant est
conçu, il a droit de recevoir ces biens. Si le même testateur
établit que, s'il n'y a pas naissance, ce sera la mère qui aura
les biens dévolus à l'enfant, si le testateur
décède alors que la mère est enceinte et qu'il y a
avortement, c'est là où on voit - j'ai essayé de trouver
un exemple -qu'il y a un conflit très évident et qu'on doit
protéger ces droits de l'enfant à naître de façon
absolue pour éviter que des situations de conflit aussi brutal ne
puissent se présenter. Ce besoin de protection de l'enfant conçu
doit exister toujours et en toutes circonstances. Cela doit se faire contre les
agissements de personnes qui voudraient éventuellement enlever à
cet enfant conçu le droit de naître. Si le législateur
n'accorde pas une protection pleine et entière et de façon
générale à l'enfant conçu, à ce moment, tous
les droits qui sont établis pour protéger la personne ne
dépendent plus du législateur. Le législateur,
s'étant lavé les mains, a remis ces droits entre les mains de
certaines personnes qui voudraient éventuellement accorder ces droits
à l'enfant conçu.
Je ne prétends pas que vous ne pouvez pas toujours retirer ces
droits, mais effectivement, si la protection n'y est pas, à ce moment,
ce n'est pas le législateur qui est en train d'accorder des droits. Ce
sont des individus qui décident s'ils vont ou non accorder des droits
à cet enfant conçu. Même, à la rigueur, des
dispositions comme les articles 32 et 120 du futur Code civil -parce que le
projet n'a que deux articles -ne semblent pas applicables puisqu'il faut qu'il
y ait un litige en justice lorsqu'il y a des intérêts en
conflit.
Il ne faut pas oublier que le conflit d'intérêts le plus
frappant est celui qui peut exister entre l'enfant conçu et ses
progéniteurs. Cela est un conflit d'intérêts que le
législateur a pris soin - un soin que je ne voudrais pas qualifier - de
maintenir, en écartant systématiquement toute protection à
l'enfant conçu dans le projet de loi. S'il n'y avait jamais eu de
propositions de faites pour établir la présomption que l'enfant
conçu est tenu pour né concernant les dispositions relatives aux
enfants dans le Code civil, on aurait pu penser que c'était un oubli.
Mais quand on voit qu'on a enlevé systématiquement du projet de
loi toute référence à l'enfant conçu au niveau des
personnes et que la protection de l'enfant conçu, toujours et en toutes
circonstances, ne s'est pas faite telle que prévue, on peut se poser des
questions.
C'est pour cela que, comme première recommandation, on propose
que l'article premier du futur Code civil du Québec comporte un
deuxième alinéa dans lequel on établit le principe qui
nous vient du droit romain - on peut dire: C'est vieux, tous les Romains sont
morts, mais c'est quand même un principe qui est sous-jacent dans toutes
les législations - l'enfant conçu est tenu pour né pourvu
qu'il naisse vivant et viable. L'article premier qui établit que
l'être humain possède la personnalité juridique et qu'il
est sujet à des droits depuis sa naissance jusqu'à sa mort
devrait comporter un deuxième alinéa établissant cette
présomption que l'enfant conçu est tenu pour né pourvu
qu'il naisse vivant et viable.
Les autres recommandations sont des conséquences logiques de ce
premier article. À l'article 16 - on discutait de cela il y a quelques
minutes - on propose qu'on insère au deuxième alinéa
après le mot "soumis",
les mots "à une intervention chirurgicale ou". Les termes
"intervention chirurgicale", on les a introduits après avoir pris des
renseignements dans les milieux médicaux où on nous a clairement
indiqué qu'un avortement était une intervention chirurgicale. Ce
sont les renseignements que nous avons obtenus. Peut-être qu'il peut y
avoir des opinions différentes, sauf que, dans certains cas, il ne
s'agit pas d'opinion, mais il s'agit de la réalité, il s'agit
d'une vérité qu'il faut voir, constater. On n'est pas dans des
domaines d'opinion dans certains cas.
D'un autre côté, l'article 30 devrait aussi être
modifié afin d'insérer, après les mots "tout enfant", les
mots "depuis sa conception". C'est l'article 123 qui est peut-être le
plus frappant dans cet effort de limiter les droits de l'enfant conçu.
Cet article comporte, d'ailleurs, une certaine contradiction puisqu'on
précise que les père et mère sont également tuteurs
de leur enfant conçu, mais seulement par rapport à ses
intérêts pécuniaires. Or, la tutelle, selon l'article 115,
s'étend à la personne et aux biens. Pourquoi a-t-on un tuteur aux
biens si, d'après ce que l'article 123 dit, il semblerait que l'enfant
conçu n'ait d'existence que par rapport à l'aspect
pécuniaire? Il faudra quand même enlever le mot
"pécuniaires" de façon que les parents soient les tuteurs de
l'enfant conçu, avec tous les droits que cela comporte. Sinon, lorsque
l'article 123, parle des parents comme tuteurs aux intérêts
pécuniaires de l'enfant conçu, en toute logique avec l'article
115, il faudrait nommer un tuteur à la personne de l'enfant
conçu.
Enfin, l'article 120 devrait aussi prévoir la possibilité,
éventuellement, s'il y a conflit d'intérêts, d'avoir un
tuteur ad hoc à l'enfant conçu. Pour cela, une modification
devrait être introduite aussi après le mot "mineur" pour le
préciser clairement.
Il y a des choses qui vont peut-être sans dire, mais elles vont
toujours mieux en les disant. Comme, dans certains cas, on peut
interpréter certains termes dans différents sens, on fait ces
propositions afin qu'ils puissent être interprétés toujours
dans le sens de la dignité de l'être humain et toujours dans le
sens de défendre l'enfant conçu, pourvu qu'il soit un être
vivant et viable.
Le Président (M. Blouin): Merci, Me Caparros. M. le
ministre.
M. Bédard: M. le Président, je remercie d'une
façon tout à fait spéciale l'Assemblée des
évêques du Québec d'avoir bien voulu créer un
précédent, comme on l'a mentionné, en se présentant
pour la première fois devant une commission parlementaire en tant
qu'assemblée constituée par les représentants que nous
avons le plaisir d'accueillir, Mgr Couture et ceux qui l'accompagnent. 3e pense
que ce précédent est peut-être la meilleure illustration de
l'importance du travail que nous avons à faire comme membres de cette
commission, l'importance de ce qu'est le Code civil comme texte fondamental qui
rejoint le vécu de tous les jours de l'ensemble d'un peuple.
Je voudrais bien être de ceux - ce n'est pas une remarque
négative que je fais - qui voient peu de difficultés à
concilier la protection des droits extrapatrimoniaux de la personne dès
sa conception avec le caractère d'inviolabilité de la personne,
du respect de l'intégrité de la personne. On sait que ce n'est
pas un sujet très facile. Sur le principe fondamental de respecter la
vie, tout le monde est d'accord. Peut-être que la réalité
sociale de tous les jours est très complexe quand il s'agit de se
pencher sur les moyens à prendre, que ce soit législativement,
socialement ou autrement, pour assurer la meilleure des protections au
principe. Sur les manières, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'y
a pas d'unanimité qui se dégage; je pense, au sujet particulier
auquel vous vous référez. Je dis bien quand on parle des
manières de le faire. La réalité sociale est souvent
très complexe. Vous êtes les mieux placés pour le savoir.
Même si les principes sont très clairs, plusieurs voix se font
entendre, la vôtre aujourd'hui, celle des femmes non seulement du
Québec, mais de toutes les sociétés qui, elles aussi,
parlent au nom de principes importants tels que le respect de
l'intégrité de la personne, de l'inviolabilité de la
personne. Je pense que le témoignage que vous nous avez fait entendre
sur le plan des principes est reçu - je n'ai pas besoin de le dire -
très respectueusement par l'ensemble des membres de la commission, je
dirais par l'ensemble du gouvernement, de l'Assemblée nationale. (12
heures)
Lorsqu'on parlait de la protection du foetus, vous étiez dans la
salle à ce moment. M. le bâtonnier du Québec a
évoqué une prise de position. J'aimerais savoir si vous avez des
commentaires. Il a évoqué, en fait, une situation, lorsqu'on
parle de la protection du foetus, qui fait - c'est l'état de nos lois -
qu'il y a une protection; on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de protection
d'accordée dans le droit. Cela se retrouve, par exemple, dans le droit
criminel. S'il y a un sujet où il n'est pas question de parler des
juridictions, c'est bien celui-là. On vient d'entendre également
les représentants de l'association des hôpitaux qui faisaient
état des différentes approches qui existent: l'approche
vitaliste, l'approche qualité de la vie. J'aimerais avoir de plus amples
commentaires de votre part.
M. Caparros: En fait, ce que j'ai retenu par rapport à
l'approche vitaliste, c'est qu'elle coïncidait pleinement avec ce que
nous demandons, puisque l'approche qualité de la vie ne
s'appliquait qu'aux majeurs lucides. Nous sommes en train de parler de l'enfant
conçu non encore né. Donc, je pense que nous sommes exactement
dans la même situation, d'une approche vitaliste dans cette situation.
Si, pour les mineurs en bas âge...
M. Bédard: Je m'excuse, je ne voulais pas avoir l'air de
vous poser une question sur un autre sujet.
M. Caparros: Excusez-moi.
M. Bédard: J'en parlais parce que vous étiez
présent et qu'il y a quand même des relations entre ceux qui
vivent et ceux à naître. Je sais bien que ce sur quoi porte votre
mémoire, c'est sur ceux qui ont été conçus mais qui
ne sont pas encore nés. Ma question pourrait être à double
volet: de plus amples commentaires sur le premier sujet et aussi, je me permets
de vous le demander, sur le deuxième sujet qui a été
évoqué tout à l'heure par l'organisme qui vous a
précédé.
M. Caparros: D'accord. L'approche vitaliste coïncide avec
nos propositions. Quant à l'approche qualité de la vie, dans le
contexte des majeurs lucides, je pourrais éventuellement vous donner des
opinions personnelles, mais je ne peux pas, évidemment, parler au nom de
l'Assemblée des évêques du Québec.
En fait, on revient souvent sur la question de la réalité
sociologique. Je me rappelle, en commission parlementaire, pour mettre de
l'avant certaines demandes sur lesquelles je n'étais pas d'accord, qu'on
m'avait servi l'argument de la vérité biologique. J'ai le
souvenir de la question du désaveu de paternité fait par la
mère. Personnellement, je trouvais que le fait que la mère puisse
désavouer son mari comme père de son enfant ne favorisait pas
tellement les relations familiales. À ce moment, on m'avait dit que la
vérité biologique devrait l'emporter. Je pense que la
vérité biologique pourrait aussi l'emporter dans une situation
comme celle-ci. Effectivement, l'enfant conçu biologiquement, la
vérité biologique, c'est qu'il est un être humain, que,
s'il termine sa gestation, il aura normalement ses deux jambes et ses deux bras
comme tout le monde et qu'après il grandira et pourra faire bien des
choses.
Le Président (M. Blouin): Mgr Couture. M. le
député de D'Arcy McGee sur le même sujet.
M. Marx: Oui, j'ai une question qui porte plutôt sur la
forme que sur le fond. Mgr Couture a bien résumé le contenu du
mémoire en une seule phrase quand il a dit: "II s'agit de
protéger le droit de naître." Je pense que c'est là le fond
du problème. Il me semble que ce droit pourrait seulement être
garanti dans le Code criminel, c'est-à-dire que ce n'est pas dans ce
Parlement qu'on pourrait garantir ce droit. Admettons qu'on modifie l'article 1
du projet du loi pour prévoir le droit de naître. Étant
donné qu'en vertu du Code criminel on permet l'avortement, étant
donné qu'il y aurait un conflit entre ce projet de loi et le Code
criminel, ce serait le Code criminel qui l'emporterait. Je pense que le but que
Mgr Couture aimerait atteindre, par la modification proposée ne serait
pas atteint. Je sais que c'est une intervention assez juridique, mais...
Mgr Couture: Je laisse M. Caparros y songer un peu. Je reviens,
cependant, sur la question précédente. L'optique dans laquelle a
été envisagée tout à l'heure la question d'approche
vitaliste et approche qualité de vie, je pense qu'elle se situait
plutôt, je dirais, à l'autre extrémité de la vie.
Notre mémoire porte essentiellement sur la dignité de
l'être humain, mais nous nous limitons à un aspect...
M. Bédard: Je l'ai dit, d'ailleurs.
Mgr Couture: Oui, je sais, mais je ne veux pas éviter, non
plus, tout à fait la question pour vous dire quand même que, sur
cette question, même les moralistes peuvent avoir des nuances assez
prononcées. Par exemple, entre l'euthanasie, qui consisterait à
dire: Essayons de rendre la fin de la vie tellement agréable qu'à
la fin on les soulage à un point tel qu'on abrège la vie, et
l'autre attitude qui consisterait à dire: On prolonge
indéfiniment la vie, même avec des moyens artificiels, comme on
l'a vu dans certains cas qui ont eu une grande publicité, je pense qu'il
y a une solution mitoyenne sur laquelle la plupart des moralistes s'entendent
et disent: On n'est pas obligé de recourir à des moyens
extraordinaires pour prolonger une vie qui, de toute façon, est
terminée. Qu'on prenne tous les moyens, qu'on fasse preuve de beaucoup
de prudence. Je connais un cas, par exemple, de quelqu'un qu'on
considérait comme "fini". On m'a demandé: Est-ce qu'on le
débranche? Et 24 heures après, il a repris vie. S'agit-il d'un
miracle? S'agit-il de je ne sais trop quoi? Évidemment, il faut une
prudence et il faut plutôt favoriser la vie, mais de là à
dire qu'on prenne des moyens extraordinaires pour prolonger et prolonger, c'est
une autre chose. Je crois que, sur ce point, les moralistes sont assez
d'accord.
Je laisse M. Caparros réagir, quitte à compléter
après sur la dernière question.
M. Caparros: C'est évident que le partage des
compétences existe toujours. C'est évident aussi que
l'Assemblée
nationale, dans certains cas, a procédé tout en tenant
compte des besoins du Code civil et a sanctionné des dispositions qui ne
sont pas en vigueur parce qu'il n'y a pas cette compétence. Le
problème est entier, mais il y a quand même toute une série
de droits civils de l'être humain qui doivent être
protégés par le Code civil. C'est clair que, par nos demandes on
ne peut pas arriver à ce que le Code criminel soit modifié, mais
on veut que le Code civil ait le plus de ce qu'il peut avoir et non pas le
moins possible. La limitation de la tutelle des parents sur leur enfant
conçu aux droits exclusivement pécuniaires m'apparaît... Je
ne sais pas comment la qualifier; il y a deux ou trois mots qui me sont venus
à l'esprit en faisant la présentation, mais maintenant je
préfère ne pas les mentionner, c'est enregistré et on ne
sait jamais. Il y a quand même une chose qui est très claire.
Établir que l'enfant conçu est tenu pour né, pourvu qu'il
naisse vivant et viable, cela veut dire que tous les droits qui sont reconnus
à l'être humain dans le Code civil lui sont reconnus. Mais dire
que cela se limite aux intérêts pécuniaires
m'apparaît restreindre énormément la compétence de
l'Assemblée nationale du Québec. Ce ne sont pas seulement les
aspects pécuniaires et c'est pour cela qu'on est intervenu au niveau du
Code civil. On n'intervient pas au niveau du Code criminel et on sait que le
Code criminel contient des dispositions concernant l'avortement
thérapeutique, soi-disant.
M. Marx: Si je comprends bien, vous voulez qu'on mette dans le
Code civil l'article tel que proposé par l'Office de révision du
Code civil. C'est cela?
M. Caparros: C'est cela. Qui est la présomption
générale qui a existé et qu'on invoquait toujours dans les
cours en latin, que l'enfant conçu, pour tout ce qui se rapporte
à son intérêt, est tenu pour né.
M. Marx: Oui. Est-ce que le ministre a bien expliqué
pourquoi il l'a rejeté?
M. Bédard: Je m'excuse.
M. Marx: Je vais poser une question bien simple, M. le ministre.
Est-ce que vous avez bien expliqué pourquoi vous avez rejeté ou
écarté cet article qui était contenu dans le projet de
l'Office de révision du Code civil? Dans ce projet de loi, on n'a pas de
notes explicatives. Donc, de temps à autre, il est nécessaire que
le ministre nous explique vraiment pourquoi il a écarté une
recommandation de l'Office de révision du Code civil pour en
préférer un autre. Je pose la question au ministre.
M. Caparros: Si vous le permettez, pendant que le ministre
consulte, à titre absolument personnel et comme professeur, je trouve
que cela nous donnera une grande chance de dire ce qu'on voudra ou de faire
dire à la loi ce qu'on voudra. On n'aura pas les rapports des
commissaires de notre bon vieux code et cela pourrait être une
difficulté assez importante. Je l'ai commenté en privé et
j'en profite, maintenant qu'on est en train d'enregistrer. Il me semble que ce
serait fondamental, dans un nouveau code -je parle à titre absolument
personnel - où on a une documentation de base fort étayée
et quelque chose qui diffère, de savoir un peu pourquoi. Autrement, ce
sera la doctrine et les tribunaux après - d'ailleurs, cela devrait
être le principe qui devrait passer avant -qui interpréteront et
finiront peut-être par faire dire au législateur des choses qu'il
ne voulait pas dire. Une fois que c'est écrit, cela devient du domaine
public et c'est chacun qui tord l'article pour lui faire dire ce qu'il
considère plus opportun. Je m'excuse de cette parenthèse.
M. Marx: Vous parlez pour tous les professeurs de droit à
l'Assemblée nationale.
M. Caparros: Sans avoir aucune représentation, mon cher
collègue.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: Mais, fondamentalement, ce que nous retrouvons
dans le projet de loi, peut-être formulé autrement, c'est ce qui
existait déjà dans notre Code civil, dans celui que nous avons
présentement. Pour ce qui est de la formulation de l'office, il y a
quand même des nuances à apporter. Eux-mêmes apportent des
nuances et des conditions. On dit: "L'enfant conçu est tenu pour
né - ils ne garantissent pas la naissance - pourvu qu'il naisse vivant
et viable." En fait, ce que nous retrouvons présentement -c'est
formulé différemment - c'est ce qui existe déjà, ce
avec quoi nous vivons présentement dans notre Code civil, étant
très conscients que, sur la protection du foetus, il y avait des
dispositions prévues dans le Code criminel. Le député de
D'Arcy McGee l'a souligné tout à l'heure.
Maintenant, concernant les représentations qui nous sont faites,
à savoir s'il y aurait lieu d'élargir la portée de
l'article 123...
M. Leduc (Saint-Laurent): Et l'article 163.
M. Bédard: ...nous allons prendre en considération
les représentations qui nous sont faites par l'Assemblée des
évêques du Québec, comme nous essayons de prendre bonne
note de toutes les représentations qui
nous sont faites par les différents organismes.
(12 h 15)
Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le
ministre. M. le député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous mentionnez que vous voulez ajouter
un deuxième alinéa: "L'enfant conçu est tenu pour
né pourvu qu'il naisse vivant et viable." Je veux revenir
là-dessus. Est-ce que vous seriez satisfait qu'on reprenne la
recommandation de l'ORCC: "L'être humain possède la
personnalité juridique", sans ajouter votre deuxième
alinéa et, ensuite, également, qu'on adopte la proposition de
l'ORCC pour l'article 123 qui serait, je pense, l'article 163 de l'ORCC qui
mentionne que les père et mère, s'ils sont majeurs ou
émancipés...
Une voix: Non, ce n'est pas cela.
M. Leduc (Saint-Laurent): Non, ce n'est pas l'article 163.
Une voix: Quel article?
M. Leduc (Saint-Laurent): En tout cas, il le fait sauter. L'ORCC
ne reproduit pas le deuxième paragraphe.
M. Marx: L'article 23. Voici l'article.
M. Bédard: L'article 23, dans l'office. Non.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je l'avais tantôt.
M. Bédard: L'article 28? Une voix: L'article 163?
M. Bédard: Non.
M. Leduc (Saint-Laurent): Est-ce que vous seriez satisfait - on
revient à l'article 1 - si on enlevait la deuxième phrase: "II
est sujet de droit depuis sa naissance jusqu'à sa mort"? Donc, l'article
1 se lirait comme suit: "L'être humain possède la
personnalité juridique" sans ajouter "vivant et viable" et, que
l'article 123, on conserverait seulement le premier paragraphe.
M. Bédard: Si on faisait cela, cela donnerait moins de
protection qu'il n'y en a actuellement.
Le Président (M. Blouin): Est-ce que vous adressez votre
question à Me Caparros?
M. Leduc (Saint-Laurent): Ou à monseigneur, l'un des
deux.
M. Caparros: Cela se rattache un peu à ce que je disais
auparavant, puisqu'on n'aura pas toute l'explication pourquoi on l'a fait ou
pourquoi on ne l'a pas fait. Si l'enfant conçu n'est pas
mentionné, il y a des gens qui vont tordre l'article pour dire qu'il
n'est pas là.
M. Leduc (Saint-Laurent): On définira le foetus, mais si
on parle de l'être humain, si on dit que le foetus est un être
humain, le problème...
M. Caparros: Si on enlevait "il est sujet"; en fait, il est sujet
de droit depuis qu'il est conçu, à condition... C'est un sujet
conditionnel de droit. Dans toute loi, la condition, c'est qu'il naisse vivant
et viable. Il y en a même qui exigent qu'il soit vivant et coupé
du cordon ombilical au moins depuis 24 heures. Il y en a qui vont
jusqu'à cela. C'est clair qu'il est sujet de droit depuis la conception,
mais à la condition de la naissance. C'est très évident.
Il nous a semblé qu'il était préférable de le dire.
Peut-être que ce qui va sans dire va mieux en le disant. Je conviens que
normalement on essaie de le faire. En cela, il faut quand même rendre
hommage à ceux qui sont en train de rédiger les textes parce que
ce sont des textes beaucoup plus clairs, beaucoup plus concis, etc., mais dans
certains cas, il me semble qu'il est préférable de le
mentionner.
M. Bédard: Si vous me le permettez, ce que vous reprochez
à l'article 123, c'est que c'est limité seulement aux
intérêts pécuniaires et que cela peut donner l'impression
que les autres droits, les autres intérêts, on ne s'en soucie pas.
Il ne faut pas charrier, de part et d'autre. On était au niveau de la
tutelle légale; pour les autres droits, il y a quand même d'autres
principes dans le code. A partir du moment où il y a la
personnalité juridique, il y a d'autres dispositions qui assurent des
protections. La plupart des lois emploient toujours l'expression "les
intérêts qui l'exigent" en parlant de l'enfant, la protection de
ses intérêts d'une façon générale.
Peut-être que, pour élargir l'article 123, on pourrait simplement
enlever le mot "pécuniaires" et ce serait satisfaisant.
M. Caparros: Si vous me le permettez, effectivement...
M. Bédard: Vous nous dites que cela irait.
M. Caparros: ...quand on inclut un terme, normalement, on
interprète cela comme si on était en train d'exclure les
autres.
M. Bédard: Pardon?
M. Caparros: Dans une disposition, inclusio unius est exclusio
alterius. Si on parle explicitement des intérêts
pécuniaires, normalement, en bonne interprétation, on dit que les
parents ne sont tuteurs de l'enfant conçu que pour les
intérêts pécuniaires. Tuteurs.
M. Bédard: Par rapport aux droits que protègent le
tuteur. Quand ses droits ne sont pas protégés par un tuteur, cela
ne veut pas dire qu'ils ne sont pas protégés par d'autres
dispositions.
M. Caparros: J'en conviens.
M. Bédard: C'est simplement qu'il y a une relation
très continue entre "tuteur" et "intérêts
pécuniaires". On essaie de s'expliquer. Je veux dire: Au moins, on ne se
fera pas de procès d'intention. Je vous pose la question: A partir du
moment où on ferait disparaître la spécification
c'est-à-dire, le mot "pécuniaires", ceci, selon ce que vous me
faites signe, serait satisfaisant?
M. Caparros: C'est exactement ce qu'on demande parce que
l'article 115 dit que le tuteur est "à la personne et aux biens". En
fait, à l'article 123, on dit que le tuteur est seulement aux biens. On
se demande qui est le tuteur de la personne de l'enfant conçu puisque la
tutelle est normalement aux deux. Si on enlève le mot
"pécuniaires" comme on l'a proposé, cela règle au moins ce
problème.
M. Bédard: Enfin, cela se lirait tout simplement, à
la fin: "ses intérêts l'exigent." Si vous nous le permettez, nous
allons prendre en bonne considération les représentations que
vous nous faites.
M. Leduc (Saint-Laurent): Que diriez-vous d'enlever le
deuxième alinéa de l'article 1?
M. Bédard: Continuons à faire nos travaux de la
manière dont je conçois qu'on puisse se donner toutes les chances
de les faire le mieux possible. Je ne veux pas trancher après chaque
mémoire. J'ai l'impression que j'aurais une série de
contradictions après avoir entendu tous les mémoires. Faisons le
travail comme on se doit de le faire; écoutons toutes les
représentations et, ensuite, nous essaierons ensemble de voir
jusqu'où on peut en arriver à de larges consensus ou à
l'unanimité.
Le Président (M. Blouin): D'autant plus que nous n'en
sommes pas à l'étude du projet de loi article par article.
M. Marx: M. le Président...
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: ...j'ai relu l'article 28 proposé de l'Office de
la révision du Code civil qui se lit comme suit: "Un enfant conçu
est tenu pour né pourvu qu'il naisse vivant et viable." En relisant cet
article, il n'y a pas de contradiction entre cet article et le Code criminel.
Je n'ai pas vraiment saisi peut-être le ministre peut-il nous expliquer
dans une phrase pourquoi il a écarté cet article de sa
rédaction du projet.
M. Bédard: Nous avons cru qu'il y avait lieu - je l'ai dit
tout à l'heure - de reproduire - c'est peut-être une terminologie
différente - le contenu du Code civil avec lequel nous vivons
présentement et qui, à mon sens, fait face aux situations.
M. Marx: Donc, le ministre est d'accord avec le contenu de
l'article 28 de l'ORCC?
M. Bédard: Non, non. Je vous dis que ce que nous
retrouvons dans le projet de loi dont nous faisons l'étude, c'est
essentiellement et fondamentalement ce qui existe déjà dans le
Code civil.
M. Leduc (Saint-Laurent): Ce qui existe dans le Code civil, ce
n'est pas cela. Tout être humain possède la personnalité
juridique.
M. Bédard: Prenez l'article 28 du rapport sur le Code
civil du Québec. Dans ses commentaires, l'office de révision,
à cet article, dit: "Cet article s'inspire - on en est dans les
formulations, quand même c'est pour cela que je ne veux pas conclure,
l'office lui-même a peut-être une formulation différente -
de l'article 608 du Code civil". L'article 608 dit: "Pour succéder, il
faut exister civilement à l'instant de l'ouverture de la succession;
ainsi sont incapables de succéder: "1. Celui qui n'est pas encore
conçu; "2. L'enfant qui n'est pas né viable". Je m'en remets
à cela.
M. Marx: Si vous êtes d'accord avec tout cela, vous
êtes d'accord avec l'article 28 de l'Office de révision du Code
civil.
M. Bédard: Pour expliquer un peu pourquoi on parlait
d'intérêts pécuniaires, c'est qu'à l'article 28 de
l'Office de révision du Code civil, pour expliquer le contenu, on dit
que cet article se réfère à l'article 608. Or, l'article
608 parle essentiellement des intérêts pécuniaires. C'est
ce qui explique pourquoi, nous, à l'article 123, on ait tiré une
conclusion qui est d'insérer le mot "pécuniaires" maintenant.
M. Marx: Ils ont bien dit qu'ils se sont inspirés; cela
veut dire qu'ils l'ont élargi.
M. Bédard: Ils n'ont pas expliqué qu'ils voulaient
aller plus loin.
M. Marx: Non, non.
M. Bédard: Je vous donne, tel que nous le pensons les
explications que je suis en mesure de vous donner maintenant. S'il y a d'autres
questions à poser à nos invités.
M. Marx: Si l'explication...
Le Président (M. Blouin): M. le député, je
vous signale que nous devons ajourner nos travaux dans quelques minutes. Si
nous avions d'autres interventions à requérir de la part de nos
invités, je crois qu'il serait...
M. Bédard: On a un petit problème humainement
majeur. C'est que nous avons également ici un organisme - je m'excuse je
n'ai pas le nom - l'Association du Québec pour les déficients
mentaux. Je pense que ce sont des gens qui viennent non seulement de
Montréal, mais de Hull et de différentes places. Ils nous avaient
demandé si on pouvait les entendre avant l'ajournement. Je n'ai pas
d'objection.
M. Marx: On ne peut pas les entendre tout de suite, parce qu'il y
a les caucus et la période des questions.
Le Président (M. Blouin): Je signale, à l'intention
des membres de la commission, que la motion qui a été
adoptée hier à l'Assemblée nationale fixe la fin de nos
travaux à 12 h 30 et que je ne pourrai excéder 12 h 30 à
moins d'obtenir le consentement des membres de la commission.
M. Bédard: On posera à nouveau la question. Nous
allons terminer avec nos invités.
Mgr Couture: Je voudrais dire, tout simplement, que nous nous
proposions d'être exemplaires dans la façon de présenter
brièvement notre rapport. Nous ne voudrions surtout pas brimer les
droits de ceux qui nous suivent. Je veux que cela soit bien clair.
M. Bédard: Soyez sans crainte.
Mgr Couture: Je voudrais dire également, M. le ministre,
que nous n'avions pas du tout l'intention de faire des procès
d'intention. Au fond, ce qui nous a amenés à réagir assez
fortement, c'est qu'en lisant le texte tel qu'il est: "II est sujet de droit
depuis sa naissance jusqu'à sa mort", cela nous paraissait une
brèche assez importante. Je crois comprendre par vos explications, car
je ne suis pas un juriste, que, dans votre esprit, c'était dans une
certaine optique et que cela n'excluait pas d'autres aspects. Je ne suis pas
prêt personnellement - M. Caparros l'est peut-être mieux que moi,
mais j'aimerais que nous nous concertions - à donner notre avis
définitif quant aux conséquences du fait de rayer l'expression:
"II est sujet de droit depuis sa naissance jusqu'à sa mort". Cela peut
vous embêter et cela peut aller plus loin. Si vous nous le permettez,
j'aimerais mieux que nous puissions réfléchir et vous envoyer
d'autres réactions si nous jugeons qu'à la lumière des
questions que vous avez posées nous pouvons vous donner des
réponses plus intelligentes.
M. Bédard: Je vous remercie, monseigneur.
Mgr Couture: Je remercie les membres de la commission de leur bon
accueil. (12 h 30)
M. Marx: M. le Président...
Le Président (M. Blouin): Non, je m'excuse, M. le
député de D'Arcy McGee. Il est maintenant 12 h 30 et, à
moins d'un consentement unanime, nous devrons ajourner nos travaux sine die.
Oui, M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je n'ai pas objection
à ce que nous poursuivions.
M. Marx: Juste pour terminer avec...
Le Président (M. Blouin): Non, je m'excuse, M. le
député de D'Arcy McGee. Nous en sommes maintenant à la
possibilité...
Mme Lavoie-Roux: II demande d'ajouter quelques mots au
mémoire qui est devant nous. Franchement, ce n'est pas pour deux
minutes.
M. Bédard: Je n'ai pas objection, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): D'accord. Alors, nous allons
poursuivre nos travaux, s'il y a consentement.
M. Bédard: M. le Président, nous sommes
d'accord.
M. Marx: Le ministre n'a pas vraiment expliqué d'une
façon claire - je vais relire le journal des Débats - pourquoi il
a écarté l'article 28 de l'ORCC. J'aimerais demander au ministre
de demander à ses fonctionnaires de nous préparer des notes
explicatives sur cette question afin que cela soit bien clair. Je trouve qu'il
est assez difficile de demander au ministre de nous donner une explication
assez compliquée sur-le-champ, parce que c'est une question assez
difficile. Comme Me Caparros l'a souligné, je pense que ce serait bien
utile d'avoir un mémoire
ou des notes explicatives au moins sur cet article. Cela permettra aussi
à l'Assemblée des évêques du Québec de
poursuivre ses réflexions d'une façon plus productive.
M. Bédard: M. le Président, nous allons continuer
nos travaux tels que nous les faisons présentement. Il n'est pas
question de fonctionner par mémoires. Il est évident, à
partir du moment où nous aurons à continuer nos travaux sur
l'adoption du projet de loi article par article, que j'essaierai d'apporter des
éclaircissements additionnels qui puissent mieux clarifier les
intentions, de la même façon, j'imagine, qu'il nous sera possible
aussi d'avoir très clairement exprimées les intentions de mon
collègue d'en face.
M. Marx: Mais, M. le Président, à ce
moment-là - je ne veux pas faire un procès d'intention - quand
nous ferons l'étude article par article, cela va passer assez vite qu'on
n'aura pas le temps de se pencher vraiment; on n'aura pas le temps d'avoir une
réflexion, par exemple de l'Assemblée des évêques du
Québec, ou la réflexion d'autres organismes...
M. Bédard: Non.
M. Marx: ...parce que cette question sera entendue à la
fin de la session.
M. Bédard: Je pense que le député de D'Arcy
McGee pourrait peut-être se rappeler que même l'assemblée
des évêques nous dit que, fort probablement, elle va nous faire
part d'autres réflexions, de remarques additionnelles. Si c'est par
écrit, je ferai parvenir, naturellement, une copie de ces
réflexions additionnelles à l'Opposition afin que cela soit
à l'avantage de l'ensemble des membres de la commission.
Le Président (M. Blouin): Je remercie les
représentants de l'Assemblée des évêques du
Québec de leur présence et des recommandations qu'ils nous ont
soumises. Je vous rappelle que, normalement, nous devrions maintenant ajourner
nos travaux à moins qu'il n'y ait un consentement pour que nous
poursuivions jusqu'à 13 heures. Est-ce qu'il y a consentement?
M. Bédard: M. le Président, me permettriez-vous de
suspendre une minute -je pense que cela aiderait tous les membres - avant de
formuler une demande? Peut-être que je n'en aurai pas à
formuler.
Le Président (M. Blouin): Les travaux sont suspendus pour
une minute ou deux.
M. Bédard: J'aurais une demande additionnelle à
formuler concernant l'association que nous entendrons. C'est qu'ils doivent
avoir terminé à 16 h 30. Si nous étions d'accord, il
s'agirait de convenir de commencer nos travaux immédiatement
après la période des questions, ce qui nous permettrait de
concilier les urgences de chacun.
Le Président (M. Blouin): Je vais demander au personnel
des commissions, ainsi qu'au personnel du journal des Débats
d'être présents dès après la période des
questions. Donc, nous pourrions recommencer nos travaux rapidement. D'ici
là, la commission permanente de la justice ajourne ses travaux sine
die.
(Suspension de la séance à 12 h 36)
(Reprise de la séance à 15 h 40)
Le Président (M. Blouin): La commission élue
permanente de la justice reprend ses travaux. Je vous rappelle le mandat de
cette commission qui est d'entendre des personnes et des organismes en regard
des projets de loi nos 106, Loi portant réforme au Code civil du
Québec du droit des personnes et 107, Loi portant réforme au Code
civil du Québec du droit des successions.
Les membres de cette commission sont: M. Bédard (Chicoutimi), M.
Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace M. Brouillet (Chauveau); MM.
Charbonneau (Verchères), Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M.
Mathieu (Beauce-Sud) qui remplace M. Kehoe (Chapleau); Mme Lachapelle (Dorion),
MM. Lafrenière (Ungava), Leduc (Saint-Laurent), M. Marquis
(Matapédia) qui remplace M. Martel (Richelieu); M. Marx (D'Arcy
McGee).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Blank
(Saint-Louis), Boucher (Rivière-du-Loup), Dussault (Châteauguay),
Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie); M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace
M. Paradis (Brome-Missisquoi); M. Lincoln (Nelligan) qui remplace M. Saintonge
(Laprairie).
Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Association du
Québec pour les déficients mentaux. Je demanderais au
porte-parole de bien vouloir présenter les gens qui l'accompagnent, s'il
vous plaît.
Association du Québec pour les
déficients mentaux
Mme Bigelow (Carmen): M. le Président et MM. les membres
de la commission, je suis Carmen Bigelow. Je suis, avant tout, parent d'un
enfant atteint de déficience mentale et présidente de
l'Association du Québec pour les déficients mentaux.
En premier lieu, j'aimerais vous remercier d'avoir accepté de
nous entendre à
cette commission parlementaire. Le projet de loi no 106 est très
important pour nous sur deux points: l'intégrité de la personne
et les régimes de protection.
Maintenant, j'aimerais vous présenter les personnes qui
m'accompagnent et qui interviendront au cours de cette présentation.
À ma gauche, M. Yves Genest, directeur général de
l'association du Québec; à ma droite, M. Pierre Legault, qui est
aussi parent d'une personne atteinte de déficience mentale et
administrateur de l'association du Québec; à mon extrême
droite, Mme Gisèle Fortier, coordonnatrice du service de formation de
notre association.
Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui va
comporter trois sections. La première, c'est l'association du
Québec, son rôle, son orientation et sa composition. En
deuxième lieu, il y a quelques concepts, statistiques et
l'impossibilité de prédire le développement de la personne
vivant avec une déficience mentale. Enfin, nous vous ferons
connaître nos interrogations et nos recommandations au niveau de
l'intégrité de la personne et des régimes de
protection.
Je débute donc par quelques mots sur l'association du
Québec. L'association fut fondée par des parents qui se
regroupèrent, en 1951, afin de donner des services adéquats
à leurs enfants. En 30 ans d'existence, vous comprendrez sûrement
que l'association de services qu'elle était au départ s'est
transformée en une association de revendications, de promotion et de
défense des droits et des intérêts des personnes vivant
avec une déficience mentale, une association qui préconise la
valorisation sociale de la personne, l'utilisation maximale des ressources
communautaires, c'est-à-dire l'utilisation des mêmes ressources et
services publics que vous et moi utilisons.
Cependant, j'aimerais vous signaler que, même durant ces 32 ans
d'existence, le conseil d'administration fut toujours majoritairement
composé de parents d'enfants ou d'adultes vivant avec une
déficience mentale. De plus, au cours des prochaines années, des
personnes vivant avec une déficience mentale siégeront comme
administrateurs.
Au niveau de la structure de l'association, je voudrais vous souligner
que nous fonctionnons sous le principe fédératif et que les
membres sont des associations locales autonomes. Présentement, nos
membres sont dans toutes les régions du Québec et on compte sur
plus de 45 associations-membres.
Je termine donc cette brève présentation en vous rappelant
que la personne vivant avec une déficience mentale est d'abord une
personne. Je cède donc la parole à Pierre Legault.
M. Legault (Pierre): M. le Président, nous allons, dans
cette section, comme vous le disait Mme Bigelow, brièvement, exposer
quelques concepts traitant de la déficience mentale qui permettront,
nous l'espérons, de faire mieux connaître l'état de la
personne déficiente mentale.
Au moment où l'association provinciale a pris naissance, la
déficience mentale était encore un sujet tabou, une honte. Les
termes utilisés alors pour décrire cet état montrent bien
l'état d'esprit qui prédominait. Les termes "idiotie",
"imbécilité", "arriération" ou "débilité
mentale" avaient cours. Souvent même, c'était perçu comme
une maladie. Le placement se faisait alors dans les établissements
hospitaliers de soins à long terme. D'ailleurs, certains de ces
établissements existent encore; que l'on pense à l'hôpital
Louis-Hippolyte-Lafontaine qui en est une preuve vivante.
De plus, aujourd'hui encore, les manuels de psychiatrie maintiennent des
appellations similaires. Mais, avec la venue de psychologues, de travailleurs
sociaux qui s'intéressent à la déficience mentale, la
personne déficiente mentale est caractérisée par le
quotient intellectuel ou l'âge mental. Ces deux notions furent monnaie
courante jusqu'au jour où le modèle médical fit place au
modèle développemental social. Pour les puristes du milieu, une
personne déficiente mentale réfère à un
fonctionnement sous la normale, à une lenteur et à une limitation
des apprentissages.
Cependant, pour ceux qui croient que la personne déficiente
mentale est d'abord et avant tout un individu qui possède un potentiel,
des besoins et des droits, elle est appelée à évoluer,
à être un actif pour la société.
Quelques statistiques. Les taux de prévalence
généralement admis comme barèmes au Québec montrent
que le Québec compte près de 190 000 personnes déficientes
mentales. De ces 190 000 personnes, 88% ont une déficience
légère et présentent une possibilité de
développement, un potentiel presque égal à celui d'une
personne dite "normale"; 7% ont une déficience moyenne et
présentent une possibilité de développement plus
restreinte, mais un potentiel certain; 5% ont une déficience
sévère et profonde, mais présentent une capacité
d'apprentissage certaine, peuvent avoir des limites, mais personne ne peut les
identifier clairement.
L'évolution et l'imprévisibilité. Cette
dernière partie traitant de la déficience mentale est fort
importante, car elle permettra au profane d'en apprendre plus et de saisir
l'importance que nous accordons au respect des droits et à l'expression
populaire qui dit: "Laissons la chance au coureur".
Depuis une dizaine d'années, les services de réadaptation,
les programmes, les
méthodes d'enseignement et d'apprentissage ont fait de grands
pas. De même, les résultats obtenus par les professionnels et les
parents dans leurs démarches en vue de permettre aux personnes vivant
avec une déficience mentale d'accroître leur autonomie
démontrent bien que beaucoup d'espoir existe, même pour les
personnes sévèrement handicapées.
Depuis les sept ou huit dernières années, le nombre de
personnes vivant avec une déficience mentale qui ont laissé les
institutions et à qui on ne voyait que peu d'avenir est très
révélateur de l'évolution des services et des
méthodes d'apprentissage.
Aux début des années soixante-dix, lorsque le gouvernement
a mis sur pied les premiers centres d'entraînement à la vie,
devenus des centres d'accueil et de réadaptation dans les
dernières années, la croyance populaire et professionnelle du
temps se bornait à "développer les acquisitions de base,
espérer que les personnes déficientes mentales puissent tout au
moins vivre en foyer de groupe et occuper un travail de type occupationnel."
Faut-il croire que les professionnels du temps qui transmettaient leur
connaissance et leur vision du monde aux parents aient mal mesuré, mal
évalué la capacité des "bénéficiaires" de
ces services?
Nous croyons que ce ne fut pas la seule et unique raison de la
différence entre la croyance du temps et les résultats
d'aujourd'hui. À notre avis, les professionnels et, par la même
occasion, les parents ont sous-estimé le potentiel des personnes et le
développement des techniques et méthodes d'apprentissage. Ce que
tous avaient oublié, c'est que la personne déficiente mentale a
une certaine difficulté à pouvoir "refuser d'apprendre"; que ce
n'est pas elle qui ne voulait pas, qui refusait de coopérer, mais bien
plus les éducateurs qui ne savaient pas, qui ne connaissaient pas
d'autres méthodes pour montrer, pour apprendre, que les ressources du
temps étaient peu développées.
Hier, on parlait des méfaits de l'informatique. On sait que
l'informatique peut aider aujourd'hui pour l'apprentissage. Les méthodes
peuvent changer et on y croit beaucoup. Évidemment, qui, aujourd'hui,
peut prédire que l'an prochain les professionnels de la recherche ne
trouveront pas des méthodes plus efficaces d'apprentissage: que les
méthodes de contraception connues aujourd'hui ne seront pas
considérées comme archaïques dans deux ou trois ans? C'est
donc dans cette optique que nous devons envisager l'avenir pour la personne
déficiente mentale et lui laisser toutes les possibilités de
s'épanouir, de se développer à son rythme et de compter
sur un développement accru et plus rapide de la technologie
éducative.
J'aimerais passer maintenant la parole à M. Yves Genest.
M. Genest (Yves): Mesdames et messieurs les membres de la
commission, la section que j'ai à traiter est basée sur des
principes qui nous ont permis d'analyser le projet de loi no 106 et de faire
des recommandations en fonction de ces principes.
Dans un premier temps, je traiterai des principes et des actions ou des
propositions que le ministère de la Justice fait sur la loi 106 qui
approuvent ou renforcent nos principes. Le premier principe qu'on traitera,
c'est le principe de l'égalité. Ce principe, la Commission des
droits de la personne le confère aux personnes déficientes
mentales. Les articles 12, 15 et 18 du présent projet de loi le
démontrent bien. Si on regarde ces articles attentivement, on
s'aperçoit que nul ne peut être soumis, sans son consentement,
à un examen, traitement ou intervention. C'est donc une reconnaissance
claire du droit à l'égalité que confirment ces articles et
que nous apprécions.
Le deuxième principe, un principe fort important pour nous,
s'appelle le principe de la participation. La participation de la personne
à toute décision la concernant est, pour nous, extrêmement
importante. D'ailleurs, certains articles du projet de loi soulèvent
cette importance, soit d'une façon claire et précise, soit d'une
façon sous-entendue. En effet, les articles 12, 15 et 18 sont clairs en
ce qui a trait à l'égalité dans l'exercice des droits.
Nous retrouvons également chez le mineur la nécessité
d'obtenir son consentement. De plus, même lors d'une décision
importante concernant le caractère permanent d'une intervention,
l'article 21, au troisième alinéa, stipule que le tribunal doit
recueillir l'avis de la personne et le respecter.
C'est donc pourquoi nous insistons pour que la personne
protégée, donc la personne vivant avec une déficience
mentale ou le mineur, soit présente avec son protecteur dans toutes les
décisions qui la concernent.
Le troisième principe qui a servi à l'étude du
projet de loi est un principe d'équilibre. Dans le présent projet
de loi, peu ou pas d'articles corroborent notre troisième principe.
À toutes fins utiles, nous ne pouvons le retrouver et cela, en y
accordant une extension de sens, que dans les articles 15, 17, 18 et 21. Ces
articles stipulent: Le mineur s'oppose; le mineur avec consentement; l'avis de
la personne concernée. Le rôle des parents au conseil à la
personne - ce qui revient dans le texte de loi au conseil de tutelle -
l'importance que nous reconnaissons à ce conseil et la participation de
la personne protégée au conseil sont des éléments
mis de l'avant pour respecter le principe de l'équilibre. Quand on parle
du principe de l'équilibre, on pourrait faire une figure en disant que,
finalement, c'est comme une balance. Il y a un droit que
tout le monde reconnaît à la personne et les parents ont
des devoirs qu'ils ont toujours assumés ou qu'ils ont assumés le
plus conformément possible. Il ne faut nier ni l'un ni l'autre.
En ce qui a trait à la terminologie, ce n'est pas le principe qui
est sous-entendu, ce sont les changements qu'on demandera. Cette seconde
tranche de nos commentaires signale la terminologie non souhaitable, les
manques dans la rédaction et les articles qui infirment nos principes de
base. L'expression "non doué de discernement", si nous la comprenons
bien, signifie que la personne est incapable de juger, incapable de porter un
jugement, que ce soit de façon temporaire ou permanente. D'un premier
coup d'oeil, la personne vivant avec une déficience mentale pourrait se
retrouver dans cette nouvelle catégorie de personnes, celles qui ne
peuvent discerner ou ont de la difficulté à discerner. Si cette
expression "non doué de discernement" était retenue, il faudrait
alors se poser la question: Les personnes qui maltraitent leurs enfants ou les
adultes - on n'a qu'à référer au Comité de la
protection de la jeunesse - est-ce qu'elles sont douées de discernement?
À notre avis, l'absence de discernement ne se retrouve donc pas
uniquement chez les personnes vivant avec une déficience mentale, mais
aussi chez la population d'une façon plus ou moins marquée.
En conséquence, la capacité de discerner devrait
être circonscrite à des choses précises,
révisée périodiquement et définie par la
capacité de "pouvoir apprécier les conséquences à
court, à moyen, à long terme, des actes à poser et
d'exprimer son choix".
De plus, cette capacité d'apprécier devrait être
évaluée non pas par un seul professionnel, comme le soulevait
l'Association des hôpitaux ce matin, mais par le conseil à la
personne, conseil pouvant et on devrait dire devant être obligatoirement
formé de la personne vivant avec une déficience mentale, d'un
allié à la personne, du ou des parents et de deux ou trois
professionnels dont les professions sont complémentaires. Quand on
émet le terme professionnels, dans notre conception - et je pense que
c'est implicite - il faut que les professionnels en question soient des
intervenants proches du cas duquel on discute en ce moment.
C'est dans cet esprit que nous proposerons certaines modifications au
présent projet de loi.
Je reviens un peu sur la partie "évaluation". Ma consoeur
Gisèle Fortier étayera un peu plus la façon
d'évaluer. Le terme traitement qu'on retrouve dans le présent
projet de loi fait référence à l'approche médicale.
D'ailleurs, on retrouve dans le petit Larousse la définition suivante:
"manière de soigner un malade ou une maladie, prescrire."
Dans le contexte d'une loi portant réforme au Code civil du droit
des personnes, il nous semble préférable d'utiliser, à
l'article 29 entre autres, "plan d'intervention" au lieu de "plan de
traitement" afin d'éviter toute connotation médicale. Ce n'est
pas que le domaine médical n'ait pas sa place dans la vie de toute
personne, mais il faut savoir utiliser les ressources à la bonne place
et au bon moment. Quant à nous, nous préférons de beaucoup
l'expression "plan d'intervention" qui permet de considérer la personne
sous divers aspects et cela, en vue d'intervenir d'une façon
précise dans un processus déterminé.
De plus, le plan d'intervention, selon ce que nous préconisons
toujours, ne peut être complet si la personne vivant avec une
déficience mentale et/ou son allié ne participe pas à la
décision qui la concerne. Les modifications proposées en
tiendront compte.
Je soulève quelques oublis qu'on avait déjà
soulignés lors de notre rencontre avec les gens du ministère de
la Justice. Dans les articles 12 et 16, on utilise quelquefois les termes
"établissements de santé", d'autres fois "établissements
de santé et de services sociaux". Pour nous, il nous semble important
que les mêmes expressions aient cours tout le long et on
préfère évidemment que les termes "établissements
de santé et de services sociaux" apparaissent et non pas que ce soit
restreint strictement au domaine de la santé.
Un autre principe important, c'est le développement et
l'adaptation. Certains articles font fi de la capacité des personnes
vivant avec une déficience mentale de se développer,
d'évoluer, de s'adapter et d'apprendre. Toute conception de
l'état statique de la déficience mentale démontre le peu
de connaissance qu'a la population à ce sujet, le peu d'espoir qu'ont
certaines personnes dans leur capacité d'évoluer. C'est lorsque
les attentes sont élevées, sans toutefois être
idéalistes, que la personne a le plus de chance d'évoluer
positivement.
La non-reconnaissance des capacités de développement et
d'adaptation va à contre courant et anéantira les efforts fournis
depuis plusieurs années tant par les parents, les premiers
éducateurs, les professionnels et les personnes vivant avec une
déficience mentale qui sont aujourd'hui autonomes. (16 heures)
II faut donc que l'on retrouve, probablement dans les premiers articles
du chapitre 3 du titre premier, cette reconnaissance que la personne vivant
avec une déficience mentale a la capacité de se
développer, peut s'adapter à des situations et à la
société qui l'entoure et cela, si nous lui
en laissons le temps et lui en donnons les moyens. D'ailleurs, le plan
d'intervention individualisé tient compte de cette préoccupation
en comptant sur la personne dans l'élément de la planification,
de l'élaboration et de la révision du plan et de son
évolution.
Si vous me le permettez, je vais céder la parole à
Gisèle Fortier.
Mme Fortier (Gisèle): Les personnes qui nous
intéressent, comme vous l'avez vu précédemment, sont soit
en processus d'intégration sociale ou déjà
intégrées à une société qui,
malheureusement, permet l'exercice des droits, mais souvent avec beaucoup de
limites. La société s'interpose malheureusement trop souvent,
parce que ces personnes qui vivent avec une déficience mentale sont
traitées trop souvent encore comme des enfants, alors même
qu'elles sont devenues des adultes autonomes.
Je veux revenir sur l'article 29 où on parle d'une planification
individualisée. Cette partie du projet veut sauvegarder la santé
et l'intégrité de la personne. Nous souhaitons aussi voir
sauvegarder la personnalité avec ses aptitudes, ses compétences,
parce que les interventions qui sont faites auprès de la personne
doivent aussi tenir compte des points forts et des points faibles. On tient
plus souvent compte des points faibles, mais très peu des points
forts.
Une intervention des professionnels et des services dans lesquels ils
travaillent doit pouvoir tenir compte de la personne dans sa globalité.
Compte tenu de la difficulté qu'ont souvent les professionnels et les
ressources à tenir compte de la personne et de ses véritables
besoins, nous recommandons d'étendre l'application de l'article 29 au
domaine scolaire. Ceci suppose une analyse par une équipe
transdisciplinaire, comme vous l'avez vu précédemment, incluant,
bien sûr, la personne, les parents et toute personne susceptible
d'intervenir auprès d'une personne en processus d'intégration.
Cette équipe doit couvrir les différents champs de
développement de la personne, le plan fonctionnel, affectif,
comportemental. Dans cette évaluation et la définition du plan
d'intégration de la personne, la personne concernée et la famille
doivent y avoir place, tant au niveau du processus qu'au niveau de l'aspect de
décision.
Notre principale préoccupation touche sûrement les
régimes de protection. Ici, je voudrais qu'on tienne vraiment compte de
la distinction que nous avons faite entre les régimes de protection du
malade mental et les régimes de protection tels qu'inscrits dans le
projet de loi. Au cours des présentes discussions sur ce texte de loi,
lorsqu'on a parlé de révision, on s'est souvent
référé à la Loi sur la protection du malade mental
et, pour nous, ce sont deux situations tout à fait
différentes.
Les régimes de protection touchent les mineurs et les majeurs. En
ce qui a trait à la population que nous voulons représenter, les
problèmes se situent principalement chez les majeurs qui sont en nombre
assez important et qui, trop souvent, malheureusement, sont laissés
à eux-mêmes, soit que les parents soient
décédés ou soit qu'ils ont été trop
longtemps en institution et pour qui il n'y a plus de liens parentaux. De ce
côté-là, nous voulons donner aux régimes de
protection tout l'encadrement requis pour que la personne soit vraiment le
centre de ces régimes et non seulement une chose, un objet sujet ou
assujetti aux régimes.
Je n'ai pas retrouvé, dans le projet de loi, le rôle que la
personne pouvait jouer dans le processus de l'implantation ou du fonctionnement
des régimes de protection. Peut-être que ceci sera prévu
dans le Code de procédure mais, pour nous, c'est une
préoccupation première.
La personne sujette à un régime de protection doit
être présente aux différentes activités
décisionnelles qui la concernent. Elle devrait pouvoir avoir
accès à un protecteur qui partage ses préoccupations
quotidiennes. Ici, je m'interroge sur le rôle du gardien ou du directeur
des services professionnels qui aurait cette responsabilité de garder
une personne résidant dans son établissement. Comment peut-il
être soucieux et préoccupé des besoins courants de la
personne qui y réside? Le conflit d'intérêts peut survenir
à ce moment. Ce n'est peut-être pas un conflit
d'intérêts, mais tout au moins un intérêt très
éloigné de ces personnes. Je m'interroge sur la
disponibilité de ces officiers face aux besoins de ces personnes. Le
régime de protection doit permettre à la personne
protégée, soit sur base partielle ou complète, de
participer au maximum à toutes les décisions qui la concernent,
qu'elle soit seule ou accompagnée. Le régime doit aussi aider
telle personne à satisfaire les besoins essentiels touchant sa
santé, sa sécurité et la protection de ses droits. De ce
côté, il y a une importance à donner à la protection
des droits parce que les personnes adultes en cheminement vers leur autonomie
sont, malheureusement trop souvent, sujettes à exploitation et, face
à leur intégrité aussi, on est peut-être trop
porté à abuser de ces personnes.
On doit aussi aider ces personnes à administrer leur avoir. On
doit aussi les assister dans leur développement et les aider à
recouvrer leurs aptitudes au maximum pour l'exercice des droits. C'est une
approche positive et non une approche de protection. La compétence de la
personne dans l'exercice des droits se développe par l'exercice, par la
pratique. Nous sommes
convaincus que par et pour le respect des droits et libertés de
chacun, il faut présumer de la compétence de la personne
d'exercer ses droits jusqu'à preuve du contraire. C'est par cette
présomption que l'on permettra à la personne d'évoluer et
de croître. Ce n'est pas, non plus, parce qu'une personne a un handicap
qu'il faut être plus exigeant envers elle, moins tolérant dans son
droit à l'erreur, à s'exprimer si son désir ne va pas en
opposition avec sa sécurité. Le régime de protection
confirme nos dires en tentant de limiter l'exercice des droits uniquement en
fonction des champs d'incompétence reconnus compte tenu des alternatives
possibles.
C'est pourquoi, par respect des droits et libertés de la
personne, nous recommandons que la présomption de compétence soit
reconnue, ainsi que l'obligation de fournir aux personnes vivant avec une
déficience mentale tous les moyens et circonstances favorisant leur
plein épanouissement et leur plein développement. L'article 23
répond un peu à cette préoccupation. Les modes
d'évaluation qui devront être mis de l'avant devraient aussi
permettre le respect de cette compétence et la révision
périodique du régime de protection est une autre condition qui
devrait faciliter ou reconnaître la compétence de la personne.
Je veux vous parler un peu du conseil à la personne qui
s'identifie au conseil à la tutelle dans le projet de loi. Dans les
mémoires antérieurs, on s'est interrogé sur la lourdeur de
ce mécanisme, mais, pour nous, il demeure important parce qu'il vient
aider la personne et non seulement être un organisme de surveillance
à la tutelle et c'est dans cette optique que nos recommandations ont
été formulées. Cette partie de loi nous donne l'impression
que le conseil de tutelle est un mécanisme de contrôle du tuteur
ou du curateur avec un champ très précis de
responsabilités, notamment, en ce qui a trait à la gestion des
biens excédant l'administration simple dont le tuteur a la charge. Que
ce soit aux chapitres de la tutelle au mineur, de la curatelle, de la tutelle
ou du conseiller au majeur, le mécanisme a au moins un rôle
à jouer, soit celui de conseiller. Pourquoi lui donner un titre qui
n'encadre pas les différents champs d'intervention?
Les mots conditionnent les agir. Le titre de conseil à la tutelle
signifie bien que les membres de ce conseil donnent leur avis au tuteur ou
curateur. Cet avis est-il formulé en épousant tous les besoins et
aspirations de la personne protégée? Si oui, pourquoi ne pas
utiliser l'appellation conseil à la personne pour amener ce conseil
à bien centrer ses décisions à partir des
préoccupations de la personne? Si nous reconnaissons le
bien-fondé de ce qui précède, nous jugerons utile de
modifier les obligations du conseil de tutelle pour les centrer davantage sur
l'exercice des droits de la personne. Afin de permettre aux membres de ce
conseil de bien comprendre les aspirations de la personne
protégée, la participation et la présence de la personne
protégée est essentielle dans la tenue de ces
délibérations. Le rôle du conseil s'avère aussi
important, compte tenu de ce qui précède, pour un régime
privé ou public de protection. Le projet de loi reconnaît ce
rôle auprès des tutelles ou curatelles privées, mais le
retire dans le cas du Protecteur de la jeunesse et du Curateur public. Dans ces
deux dernières situations, sans contrevenir aux responsabilités
légales qui sont confiées à ses officiers, le conseil de
tutelle ou à la personne doit pouvoir intervenir pour pallier les
lourdeurs administratives où la personne est parfois et même
souvent négligée, sinon oubliée, parce que perdue dans la
masse.
J'aimerais ajouter quelques mots sur le terme "allié à la
personne".
Le Président (M. Blouin): Nous nous étions entendus
pour que le plus possible les interventions soient d'une vingtaine de minutes.
Je vous ai laissés excéder ce nombre de minutes. J'espère
que maintenant votre conclusion, si possible, va être très
succinte.
Mme Fortier: Oui. Nous avons ajouté la connotation
"allié à la personne" parce que beaucoup d'adultes ont des
personnes qui leur sont très près, qui sont un peu des substituts
aux familles et qui dans leur cheminement pourraient leur être des
conseillers utiles. Dans certains cas, il y a les programmes de parrainage
civique qui jouent aussi ces rôles. C'est pourquoi dans le processus de
régime de protection, nous souhaiterions voir ajouter cette nouvelle
personne comme partie à la personne dans l'expression de ses droits.
J'aimerais ajouter juste un paragraphe sur la question de
l'indépendance ou de l'impartialité du tuteur ou du curateur. Une
des caractéristiques fondamentales d'une personne responsable de la
garde d'un mineur ou d'un majeur protégé est
l'indépendance dans l'exercice de ses fonctions. Cette
indépendance est essentielle si on veut que la personne responsable de
la garde soit en mesure d'être une alliée à la personne.
Malheureusement, on considère que trop souvent des conflits
d'intérêts peuvent exister au sein de la famille, entre la famille
et la personne ou entre les services et le bénéficiaire. C'est
pourquoi nous souhaitons voir modifier les articles 156 et 203 pour
éviter que les personnels de services sociaux, les concierges ou
propriétaires de familles d'accueil, les membres de la famille, dans
certains cas, ne soient désignés comme tuteur, curateur ou
conseiller. Les recommandations formulées
dans notre mémoire tiennent compte des principes
énoncés dans la troisième section de notre mémoire.
Nous souhaitons fortement que les membres de la commission les intègrent
à la loi future et nous vous en remercions d'avance.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, les membres de la
commission sont heureux de pouvoir prendre connaissance du mémoire de
l'Association du Québec pour les déficients mentaux,
mémoire très articulé où on s'aperçoit que
vous êtes un organisme qui est en continuel contact avec ceux qui ont
à vivre des situations humainement difficiles. Dans bien des cas, je
pense, vous parlez à partir d'expériences personnelles
très bien senties.
Nous avons eu hier l'occasion de rencontrer - vous le savez, vous
étiez, d'ailleurs, présents - l'association travaillant aux
mêmes objectifs que vous nous avez énoncés, l'association
du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Mme Bigelow: C'est une de nos associations membres.
M. Bédard: On s'aperçoit qu'il y a concordance avec
la maison mère. Lorsqu'on a eu l'occasion de prendre connaissance de
leurs représentations, on voit que beaucoup de ces
représentations se retrouvent, effectivement, au niveau de votre
organisme national. Il y a déjà pas mal de questions qui ont
été posées hier, entre autres, relativement à la
stérilisation des déficients mentaux. On en a parlé hier.
(16 h 15)
Maintenant, vous suggérez aussi dans votre mémoire que
l'intervention du tribunal soit limitée dans les cas où il n'y a
pas unanimité du conseil. C'est bien votre position? J'ai vu,
après, que cela rejoignait certaines des questions que nous avons
posées. Voulez-vous dire que dans d'autres cas, vous
préférez vous en remettre à la décision du conseil?
Autrement dit, lorsqu'il y a unanimité, si je comprends bien, la
règle générale serait que la décision finale se
prenne au niveau du conseil.
Mme Bigelow: Au niveau du conseil à la personne.
Une voix: C'est cela. Mme Bigelow: C'est cela.
M. Bédard: Nous allons épouser votre terminologie
pour fins de compréhension.
Mme Bigelow: C'est le conseil à la personne. Ce n'est pas
un conseil formé, comme cela, qui éclairerait des professionnels
ou d'autres gens; c'est le conseil à la personne.
M. Bédard: Oui, on se comprend. C'est seulement dans les
cas où il n'y a pas unanimité qu'on irait devant le tribunal.
Dans l'éventualité où on ne retiendrait pas cette
suggestion - je ne veux présumer de rien parce que d'autres groupes vont
également se faire entendre - dans l'éventualité où
le tribunal serait maintenu, êtes-vous de ceux qui croient que la
personne inapte doit être nécessairement consultée ou
entendue par le tribunal?
Mme Bigelow: Absolument.
M. Bédard: De la même façon au niveau des
délibérations, si, par exemple, on adoptait la structure que vous
proposez, est-ce que la personne visée...
Mme Bigelow: La personne concernée devrait toujours
être présente.
M. Bédard: ...devrait toujours être
présente?
Mme Bigelow: Oui.
M. Legault: Quand on parle des plans d'intervention,
évidemment, la personne doit toujours être en place. Quand on
discute des affaires d'une tierce personne, on n'a pas toujours les mêmes
vues quand la personne est présente.
M. Bédard: Quand vous dites "toujours présente",
est-ce que cela peut souffrir des exceptions? Si j'emploie votre remarque dans
un autre sens, qui est tout aussi positif, est-ce qu'il peut arriver qu'il soit
préférable, dans son intérêt, que certaines
discussions soient faites en l'absence de la personne concernée?
M. Legault: Je ne sais pas à quelle occasion. Auriez-vous
un exemple? Lors des discussions, nous croyons que la personne devrait
être présente à tout moment dans son plan d'intervention.
C'est ce que nous défendons, de toute façon.
Mme Bigelow: Si c'est absolument impossible, l'allié
à la personne devrait être présent, tout au moins.
M. Bédard: Dans le régime de protection du majeur,
vous suggérez que le curateur ne soit pas une personne ayant des
intérêts pouvant venir en conflit avec la personne qui fait
l'objet de traitement ou qui doit être protégée. Cela
pourrait, j'imagine, dans votre idée, ou devrait exclure le
conjoint, les personnes très proches, etc. Est-ce que cela exclut
ces personnes?
Mme Fortier: Dans le cas où c'est un proche parent, on
devrait vérifier jusqu'où il peut y avoir conflit
d'intérêts. On devrait éliminer toute situation susceptible
de venir en conflit.
M. Bédard: Tant pour les parents, les proches, que pour
d'autres personnes, éventuellement.
Mme Fortier: Oui, mais il y en a pour qui c'est clairement
établi qu'il y a conflit d'intérêts. Si on regarde ceux qui
sont dans le réseau des affaires sociales, qui sont des intervenants
directs ou indirects à cause de leur allégeance à des
employeurs, il se peut qu'à un moment donné ils soient en
conflit, dans le sens qu'ils ne seront pas prêts à défendre
les intérêts de la personne parce que cela vient un peu à
l'encontre des politiques d'un établissement.
M. Bédard: Concernant ces personnes, je dois comprendre
que vous êtes d'opinion qu'il faudrait présumer qu'il y a conflit
d'intérêts.
Mme Fortier: Oui.
M. Bédard: Oui? Cela va jusque-là?
Mme Fortier: II y a des lois qui ont été
établies en Alberta ou en Saskatchewan et qui sont claires sur ce point.
Je pense qu'aux États-Unis aussi on a une loi qui préconise cette
approche.
M. Bédard: Je vais me limiter; vous comprendrez qu'on
diminue le nombre de questions non pas que le mémoire ne soit pas
substantiel, mais déjà certaines ont été
posées et nous avons une bonne idée de ce que vous pensez avec le
mémoire articulé que vous nous avez présenté.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. Mme la
députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais également remercier
l'association pour son mémoire. Vous ne trouvez pas un peu lourde la
présence à la fois du conseil à la personne et du tuteur
dans toutes les décisions?
Mme Fortier: Le conseil à la personne aurait les
mêmes responsabilités que ce qui est prévu au projet de loi
par rapport au conseil de tutelle. C'est très précis comme type
d'intervention, c'est surtout sur l'administration des biens. De ce que j'ai
compris du projet de loi, le conseil de tutelle a une responsabilité
première par rapport à la pleine administration des biens.
Mme Lavoie-Roux: Ce n'est pas uniquement cela.
Mme Fortier: Ce que j'en ai compris.
Mme Lavoie-Roux: Ce n'est pas uniquement les biens.
Mme Fortier: Non?
Mme Lavoie-Roux: Pour l'ensemble des décisions qui
touchent la personne.
M. Bédard: L'ensemble. J'ai la même
interprétation que Mme la députée de L'Acadie. C'est
l'ensemble des décisions qui touchent la personne, pas seulement les
biens.
Mme Fortier: En fait, ce que j'avais compris du projet de loi,
c'est que le tuteur ou curateur agit avec la personne comme un père de
famille. Dans le quotidien, je ne pense pas qu'il réfère toujours
au conseil de la personne. Il doit y avoir des situations où le tuteur
ou curateur avec la personne peuvent agir; c'est ce que j'ai compris du texte
de loi proposé.
Mme Lavoie-Roux: Peut-être que ma question n'était
pas claire. Est-ce que vous prévoyez les deux formules, d'une part, le
tuteur, d'autre part, le conseil à la personne? Est-ce que dans votre
esprit ils auraient des fonctions différentes l'un de l'autre?
Mme Fortier: Exactement. Le conseil a un râle de
surveillance de la tutelle, c'est un rôle de surveillance, c'est ce que
j'ai cru comprendre.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Bédard: Dans la tutelle dative, quand ce sont les
parents qui sont les tuteurs à ce moment-là ils ont la
responsabilité de prendre des décisions concernant et les biens
et la personne. Lorsqu'il y a une tutelle dative, c'est là qu'entre en
ligne de compte le conseil de tutelle.
Mme Fortier: Par contre, dans les régimes de protection
pour les adultes, à un moment donné - je ne me souviens pas
à quel article - on dit que le conseil de tutelle a les mêmes
responsabilités vis-à-vis ces régimes de curatelle ou de
tutelle. C'est dit dans un article; malheureusement, je n'ai pas la
référence.
M. Bédard: On me dit que c'est à l'article 200.
C'est cela. "Les règles relatives à la tutelle au mineur
s'appliquent à la
curatelle et à la tutelle au majeur sauf
incompatibilité."
Mme Lavoie-Roux: À la page 24 de votre mémoire vous
indiquez qu'à l'article 56 il devrait y avoir des modifications dans le
sens que, lorsque la tutelle est exercée par le directeur de la
protection de la jeunesse, la personne qui a la garde du sujet devrait
être "choisie en dehors du personnel de l'établissement et elle
exerce alors des devoirs et pouvoirs du titulaire de l'autorité
parentale." Par contre, à l'article 110, dans le cas du majeur, vous ne
faites pas une restriction aussi grande. Je crois comprendre que là vous
suggérez que le tuteur ne peut être en aucun cas une personne qui
dispense un traitement ou un service ou une personne qui a des
intérêts. Mais elle peut provenir de l'intérieur de
l'établissement, alors que dans le cas du mineur vous dites qu'elle ne
doit pas provenir de l'établissement. Quelle est la raison?
Mme Fortier: C'est dit différemment, mais on voulait dire
la même chose.
Mme Lavoie-Roux: Ah, c'est cela!
M. Bédard: C'est dit très différemment.
Mme Lavoie-Roux: Dans le fond, votre préoccupation, c'est
qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts et qu'on mette les balises
nécessaires. Je suis très sensible à cela peu importe la
façon dont elle sera formulée éventuellement. Les
personnes de l'intérieur de l'établissement - je ne veux pas
utiliser le terme dangereux parce que c'est un terme exagéré - je
trouve que cela peut présenter des risques. Je connais le cas
particulier d'une déficiente mentale adulte qui a dû être
placée, après la mort de ses parents, dans un
établissement de soins prolongés, qui souffrait d'incontinence.
La personne s'opposait à ce qu'on lui mette un sac parce qu'elle n'y
était pas habituée. On s'était occupé d'elle d'une
façon différente quand elle était dans sa famille. Elle
est devenue très troublée, même si elle était
déficiente moyenne assez profonde. Elle a été très
perturbée. Même si elle avait eu quelqu'un à
l'intérieur de l'institution qui aurait été son tuteur ou
qui aurait servi de tuteur, à ce moment, ce sont les
intérêts de l'ensemble de l'institution qui priment. Cela n'avait
pas de conséquence, sauf que l'enfant a été
perturbée...
M. Bédard: Qui risquent de prévaloir.
Mme Lavoie-Roux: Oui, sur le plan administratif, sur le plan du
fonctionnement interne de l'institution. Il y a un tas de considérations
d'ordre administratif. Si on devait mettre des restrictions, je pense que cela
devrait aller pour les deux.
La question des doués de discernement ou de non doués de
discernement, cela a été discuté à plusieurs
reprises, comme le ministre l'a indiqué. Vous voudriez le voir
modifié par "inapte à exprimer son choix".
M. Genest: Ce ne sont peut-être pas des termes juridiques,
mais il nous semble que, quand on dit "inapte à exprimer", cela veut
dire aussi "exprimer de façon verbale ou non verbale un choix". Cela
démontre que la personne, finalement, est capable d'exprimer, capable
d'entrer en relation, capable de faire valoir d'une certaine façon son
point de vue. L'expression "non doué de discernement", à notre
avis, est tellement vaste qu'on va faire des recommandations pour que les gens
qui maltraitent les enfants soient classifiés "non doués de
discernement". Je ne pense pas qu'ils soient doués de discernement au
même titre que les autres. Cela porte beaucoup à confusion.
M. Bédard: Si Mme la députée de L'Acadie me
le permet, avec tout le respect que j'ai pour les efforts que vous avez faits
pour trouver une nouvelle formulation, je me demande si, en toute
honnêteté, la nouvelle formulation n'est pas autant porteuse
d'ambiguïté que l'autre.
M. Genest: II n'y a pas de formule magique.
M. Bédard: Si les deux sont ambiguës, cela
mérite réflexion.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie.
Le Président (M. Blouin): D'accord. M. le
député de Nelligan.
M. Lincoln: Très brièvement, parce que beaucoup de
questions que je veux poser ont déjà été
soulevées. Je suis parent d'un déficient mental qui a quinze ans
maintenant. Je m'occupe beaucoup de la déficience mentale au sein d'une
organisation que vous connaissez, les Promotions sociales Taylor-Thibodeau.
Toute la question de la curatelle, toute la question de la stérilisation
nous préoccupe beaucoup. On a des enfants qui étaient des mineurs
lorsqu'on a fondé le centre, il y a dix ans. Maintenant, ils sont
majeurs. On ne peut même pas retracer leurs parents, bien des fois. Il y
a le cas d'un petit garçon qui est mort la semaine dernière. Cela
nous a pris sept jours pour retracer ses parents. Malgré qu'on essaie de
garder le contact, c'est presque impossible. Ils bougent et ils ne donnent pas
signe de vie. Toute cette question de stérilisation, du conseil à
la personne, comme vous l'appelez, devient très importante pour nous.
J'aurais voulu vous demander ceci: En fait, la façon
dont vous voyez le conseil à la personne, c'est pratiquement la
même formule, excepté que vous mettez l'accent sur la personne
pour démontrer le principe de ce que vous défendez. Si je
comprends bien, c'est le même principe que le conseil de tutelle, mais
appelé différemment.
M. Genest: C'est le même principe que le conseil de
tutelle. Cependant, en le modifiant par le terme "à la personne", cela
oriente différemment, à notre avis, les discussions qui ont cours
à ce moment. Ce n'est plus un conseil en fonction de quelqu'un qui n'est
pas là ou d'un numéro de dossier, etc. Ce sont des discussions en
fonction d'une personne bien identifiée qui est présente et qui
doit participer, elle ou son allié. (16 h 30)
M. Lincoln: Comment voyez-vous, de façon idéale -
parce que la question est discutée dans toutes les organisations ayant
trait à la déficience mentale - si vous aviez le choix, le
conseil idéal à la personne? Parce que c'est là toute la
question soulevée par ma collègue au sujet des gens qui
travaillent dans ces établissements. Vous allez un petit peu plus loin
et vous dites: On assume la responsabilité. Souvent, il y a des gens qui
assument la responsabilité des services. Ce sont vraiment les gens qui
sont le plus près, qui ont le plus à coeur l'intérêt
de la protection du majeur ou du mineur. Est-ce que, parfois, on ne va pas trop
loin dans cette question en essayant de rendre la chose tellement impartiale
qu'on élimine des gens qui ont tellement à coeur... J'ai
simplement voulu avoir votre idée pour savoir comment, à votre
point de vue, vous voyez le conseil idéal à la personne.
M. Genest: Quand on parle du conseil à la personne, vous
posez la question: Comment on le voit idéalement? D'abord, la
première personne concernée est la personne vivant avec une
déficience mentale. Il faut qu'elle soit présente. Il y a aussi
un allié à la personne. Donc, si on faisait une comparaison,
c'est un tuteur, mais au mot "tuteur" on préfère le mot
"allié" et il a comme objectif de défendre les droits de cette
personne. Dans les cas où c'est possible - parce que, certaines fois,
c'est impossible - il y a les parents qui ont un rôle important à
jouer et qui ont joué un rôle important dans le
développement de la personne. Les autres éléments du
conseil à la personne, finalement, seraient constitués de un,
deux ou trois professionnels.
Quand nous parlons de trois professionnels, vous soulevez, monsieur, le
fait qu'il y a des professionnels qui ont à coeur les
intérêts des gens, qui ont mis beaucoup d'énergies, qui
travaillent consciencieusement, etc. Un professionnel en relation avec la
personne concernée devrait en faire partie pour aider, finalement,
à évaluer et à comprendre l'ensemble de la
problématique que vit cette personne et un ou deux autres professionnels
qui ont des intérêts ou des professions complémentaires.
Cela voudrait dire, finalement, peut-être cinq à sept personnes
à peu près, dans le cas soulevé ici, qui ont une optique
très claire: la meilleure solution possible dans le cas de cette
personne.
Je ne sais pas si c'est clair comme réponse concernant les
professionnels. On n'exclut pas les professionnels comme on ne veut surtout pas
exclure les parents, ni exclure la personne. Les professionnels ont un
rôle à jouer, ils sont capables de jouer leur rôle, mais il
faut s'en servir adéquatement et non pas pour régler toutes les
situations.
M. Lincoln: Je veux vous poser une dernière question parce
que le temps passe; c'est la question de discernement et de compétence
qui est la question clé pour les gens qui s'intéressent à
la déficience mentale. Le point qui nous concerne le plus, c'est la
protection des déficients mentaux lorsqu'ils sont mineurs, leur
évolution par rapport à un certain stade de leur vie comme
mineurs ou, peut-être, dans cinq, dix ans. Je connais le cas de mineurs
qui étaient tout à fait des végétaux, qui ne
savaient pas parler, qui ne pouvaient pas bouger, qui étaient dans le
Centre Butters et qui, aujourd'hui, sont mariés et gagnent leur vie.
Est-ce dans ce sens que vous voulez exprimer que les décisions
concernant la protection devraient se faire d'autant plus grandes quand ils
sont jeunes que peut-être, dans dix ou quinze ans, l'évolution de
la technologie leur permettra de vivre une vie pratiquement normale, dans le
sens de leurs moyens? C'est bien ce que vous comprenez?
M. Genest: C'est exactement dans ce sens. D'ailleurs, M. Legault
parlait de l'impossibilité de prédire, les développements
à venir. On n'a qu'à référer au ministère
des Affaires sociales. Beaucoup de personnes qui vivaient en institution et qui
étaient étiquetées comme "déficients moyens" ou
"déficients profonds" - c'était l'étiquette qu'on leur
mettait - pour qui on ne prévoyait presque rien sont maintenant
pratiquement complètement autonomes et fonctionnent d'une façon
normale. C'est donc dans cette optique. Cela peut être très
souvent pour les mineurs, mais aussi pour un majeur. C'est pour cela qu'on
demande aussi que la révision se fasse systématiquement. Ce ne
sont pas des discussions sur: Est-ce qu'il va y avoir ou pas de
révision, lorsque c'est sous un régime de protection? Parce que
la personne adulte est aussi appelée à évoluer. Elle prend
aussi de l'expérience et, comme
tout le monde, finalement, elle a une expérience de vie qui
s'acquiert et qui s'emmagasine. Elle peut donc développer davantage
certaines choses et, plus cela va, plus les techniques facilitent la vie
autonome des gens.
Le Président (M. Blouin): Merci, monsieur. M. le
ministre.
M. Bédard: Je comprends que vous teniez beaucoup à
la terminologie "conseil à la personne" plutôt que "conseil de
tutelle" parce que vous avez l'impression que l'autre terminologie que nous
employons met l'accent plutôt sur l'administration des biens que sur la
personne, quoique je pense qu'on peut convenir ensemble que la
réalité juridique est différente. Même si on
l'appelle conseil de tutelle, il est évident que ce conseil doit se
préoccuper énormément et même avec plus d'accent de
la personne. Prenez les fonctions aux articles 197 et 198.
Je fais ces remarques parce que cela répond un peu à la
page 14 lorsque vous dites: "La non-reconnaissance des capacités de
développement et d'adaptation va à contre-courant et
anéantira les efforts fournis depuis plusieurs années tant par
les parents, les professionnels et les personnes vivant avec une
déficience mentale qui sont aussi autonomes que possible". C'est
peut-être possible d'arriver avec ce jugement, si on croit que le conseil
de tutelle ne s'occupe que de l'administration, mais, lorsqu'on lit le projet
de loi, c'est surtout de la personne qu'il doit s'occuper.
L'article 197 dit ceci: "Les régimes de protection du majeur sont
établis dans son intérêt; - pas seulement pécuniaire
et administratif - ils sont destinés à assurer l'exercice de ses
droits et l'administration de son patrimoine". L'article 198: "Toute
décision qui concerne le majeur protégé doit être
prise dans son intérêt et dans le respect de ses droits et la
sauvegarde de son autonomie". Je pense que cela va dans le sens de ce que vous
désirez dans le passage que je viens de mentionner. Il y aurait les
articles 21 et 211 aussi qui sont axés vers la personne et non pas vers
l'administration.
Mme Bigelow: Donc, il s'agit d'appeler les choses par leur
nom.
M. Bédard: Vous savez, juridiquement parlant, il y a
peut-être des dénominations auxquelles, d'un autre
côté, la population est habituée. Ce n'est pas parce
qu'elle y est habituée qu'on ne doit pas penser à les changer.
Vous comme moi, ce qui nous intéresse fondamentalement, ce n'est pas
tant la terminologie que le fond même des choses. On verra. On nous dit
que des fois cela peut prêter à confusion. Comme on a un
conseiller au majeur un peu plus loin, cela peut à un moment
donné, si on change les dénominations, être porteur
d'ambiguïtés avec la réalité différente qu'est
le conseil de tutelle. Une chose qui est sûre, c'est que si on ne donne
pas suite à votre suggestion - je ne parle pas au fond, mais au niveau
de la terminologie - on en donnera de bonnes raisons.
Mme Bigelow: Surtout que le sens reste le même.
M. Bédard: Par exemple, vous dites à la page 15
qu'il faut présumer de la compétence de la personne d'exercer ses
droits jusqu'à preuve du contraire. À l'article 5, c'est
très clairement exprimé dans le sens de vos
représentations. Lorsque vous parlez de la nécessité de
l'indépendance d'une personne responsable qui a la garde d'un mineur
dans l'exercice de ses fonctions, je ne vous pose pas de question, je vous
demanderais seulement de regarder l'article 162 où on s'aperçoit
que le tuteur ne fait pas partie du conseil de tutelle, pour garder justement
son caractère indépendant. Il doit être appelé,
cependant, à donner son conseil étant donné la fonction
importante qu'il remplit.
Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le
ministre. Alors, je remercie, au nom de tous les membres de la commission, les
représentants de l'Association du Québec pour les
déficients mentaux.
Une voix: Merci.
Mme Bigelow: C'est nous qui vous remercions de nous avoir
entendus.
M. Bédard: Un bon voyage de retour.
Le Président (M. Blouin): Vous allez peut-être
pouvoir attraper votre avion de 17 h 15.
J'invite maintenant les représentants de l'hôpital pour
enfants de Montréal et ceux de l'hôpital Sainte-Justine à
venir s'asseoir à la table des invités, tout en leur demandant,
à leur tour, de faire un effort pour être concis dans leur
présentation et, également, si possible, d'éviter de
reprendre des sujets qui ont déjà été
traités, à moins que vous n'ayez des éléments
nouveaux à y apporter.
Je demande au porte-parole de nous présenter les gens qui
l'accompagnent.
Hôpital pour enfants de Montréal et
hôpital Sainte-Justine
M. Paterson (Alex): M. le Président, MM. les membres de la
commission, je veux présenter mes collègues. Premièrement,
à mon extrême gauche, le Dr Charters, directeur exécutif de
l'hôpital pour enfants
de Montréal; à sa droite, le Dr Pierre Limoges,
coordonnateur des soins intensifs de Sainte-Justine.
Une voix: C'est moi.
M. Paterson: Je m'excuse. À ma droite, le Dr Serge
Melançon, président du conseil des médecins de
Sainte-Justine; le Dr Michel Bureau, directeur de pneumologie et membre actif
aux soins intensifs, néonatalogie à l'hôpital pour enfants
de Montréal et le Dr Pierre Robitaille, néphrologue et
responsable de la transplantation rénale à l'hôpital
Sainte-Justine. Moi, je suis Alex Paterson; j'ai l'honneur de
représenter les deux hôpitaux aujourd'hui et je représente
plusieurs hôpitaux dans la région de Montréal depuis
quelques années.
Au départ, nous désirons souligner que les règles
dont nous discutons aujourd'hui touchent des problèmes si complexes et
délicats et qui changent si rapidement que, depuis la préparation
de notre mémoire en février, nous avons été
contraints de reconsidérer certaines de nos positions initiales en
regard de deux événements. L'affaire Steven Dawson de la Colombie
britannique a eu incontestablement un impact sur l'opinion de tous et chacun
relativement à la question de déterminer les personnes ou
l'autorité ayant la compétence de décider de la justesse
d'un traitement médical donné à des enfants
sérieusement handicapés mentalement. Le fait que, en date du 14
mars, un juge de la Cour provinciale soit arrivé à la conclusion
que ce qui était proposé en guise de soins pour le jeune Dawson
était un supplice cruel et inhabituel et ne devrait pas être
autorisé, alors que, quatre jours plus tard, un juge de la Cour
suprême concluait que l'intervention proposée était un
traitement approprié, de nature relativement simple qui visait à
prolonger la vie, porte à réfléchir. Est-ce que les
tribunaux sont bien placés pour décider ces questions?
Le deuxième événement à survenir depuis la
préparation de notre mémoire est le cas où la vie d'un
enfant âgé de quatre ans et demi, atteint de la leucémie,
pouvait être sauvé par une transplantation de la moelle osseuse
qui ne pouvait provenir que de sa soeur âgée de deux ans et demi.
Les parents, les médecins et les tribunaux étaient
confrontés au dilemme créé par l'article 20 du Code civil.
Selon l'interprétation stricte de cet article: Une personne non
douée de discernement ne peut consentir à l'aliénation
d'une partie de son corps. Cependant, tous ceux concernés savaient qu'il
n'y avait pratiquement aucun risque pour la donneuse et que, si la
transplantation était permise, on évaluait à 50% les
chances de sauver la vie du jeune patient.
Veut-on prohiber au Québec ces opérations qui sont
pratiquées régulièrement dans notre province, ainsi que
dans un nombre considérable de centres à travers le pays et aux
États-Unis ou préfère-t-on changer les règles afin
de rendre possible ce genre d'intervention qui sauve des vies tout en
protégeant le donneur, en s'assurant que ce qui sera fait le sera dans
son intérêt? (16 h 45)
Nous avons décidé de ne pas passer en revue chacun des
article du projet de loi devant la commission puisque notre mémoire est
explicite. Par contre nous faisons les commentaires suivants: dans un premier
temps, les règles du consentement telles que rédigées sont
contradictoires, imprécises et en conflit avec d'autres lois.
Nous n'avons pas discuté dans notre mémoire de l'article 1
qui changera fondamentalement la loi et régira les droits du foetus.
Nous appuyons les mémoires qui demandent un amendement pour
reconnaître la personnalité juridique et les droits fondamentaux
des enfants conçus, mais pas encore nés. Nous n'avons pas, non
plus, discuté des modalités de la stérilisation non
thérapeutique des handicapés mentaux parce que nous sommes d'avis
qu'avant d'amender la loi il faut, tel que mentionné par le Curateur
public dans son rapport annuel de 1980, dresser un bon dossier et avoir un
débat public comme aujourd'hui, mais avec plus de renseignements. Il
faudrait peut-être même avoir une loi en dehors du Code civil. On
trouve le problème tellement complexe qu'essayer de régler cela
avec un ou deux articles dans le Code civil peut créer des
problèmes énormes.
Quant à la question de l'autorisation judiciaire
nécessaire pour le traitement du mineur, les hôpitaux soutiennent
le principe que les parents, de concert avec les médecins, devraient
être seuls à décider ce qui est dans le meilleur
intérêt de l'enfant. L'autorisation judiciaire ne devrait
être nécessaire que dans les cas de désaccord entre ces
derniers ou dans les cas où on veut, aux fins de la transplantation,
opérer un jeune donneur.
Je demande au Dr Pierre Limoges de vous donner quelques exemples dans sa
pratique ou la pratique dans l'hôpital.
M. Limoges (Pierre): À titre d'exemple, je voudrais vous
présenter le cas d'un enfant de quatre ans qui se noie dans une piscine
surveillée. Cet enfant arrive à l'hôpital en coma profond.
Selon la littérature récente, ses chances de recouvrer son
état antérieur sans séquelles importantes sont de l'ordre
de 45% environ et ce, avec un traitement très agressif. Un traitement
moins agressif diminue, évidemment, les chances de guérison
parfaite, mais diminue aussi de façon importante le nombre de patients
qui
survivent avec des handicaps profonds.
Les parents, tout en se disant incapables de vivre avec un enfant
profondément handicapé, acceptent le traitement très
agressif dans l'espoir d'une récupération parfaite ou, au moins,
très bonne. Malheureusement, sept à dix jours plus tard, toute
l'équipe médicale ne peut que conclure que le traitement a
été un échec puisqu'il n'a permis de conserver en vie
qu'un être profondément handicapé. Il ne s'agit pas,
évidemment, d'une mort cérébrale. Les parents, en accord
avec les médecins, décident de cesser les traitements intensifs
chez l'enfant, ceci impliquant son décès sur une période
pouvant s'échelonner de quelques jours à quelques mois.
En guise de commentaires ou de questions, il nous paraîtrait
essentiel que le projet de loi 106 définisse très
précisément les limites du mandat de tuteur accordé aux
parents selon l'article 123. Si le législateur croit que l'enfant mineur
incapable en raison d'une lésion organique, type noyade ou trauma
crânien, doit se voir attribuer un tuteur autre que ses parents tant pour
la protection de l'enfant que pour celle de ses parents, il devrait en
définir les modalités dans un respect de simplicité et
d'efficacité. En effet, ces situations nous semblent trop
fréquentes pour que le recours au tribunal dans chaque cas pour faire
nommer un tuteur soit la procédure retenue.
M. Paterson: Merci, docteur. Nous voulons aussi attirer votre
attention sur trois situations qui sont visées par le projet de loi 106
soient les transplantations, l'expérimentation thérapeutique et
la cessation de traitements dans le cas d'un patient en phase terminale.
Aujourd'hui, comme je l'ai déjà expliqué, les dons
par les mineurs pour fins de transplantation sont permis à condition que
le mineur soit doué de discernement, qu'il ait donné son
consentement par écrit, que ses parents y consentent et que
l'autorisation judiciaire ait été obtenue. L'article 18, tel que
rédigé présentement empêcherait les greffes, lorsque
le donneur est un mineur doué de discernement, parce qu'aucune greffe ne
peut être effectuée sans risque pour la santé du donneur
et, dans plusieurs cas, tel que dans le cas d'une greffe des reins, celle-ci
comporte un caractère permanent et irréversible.
Nous pouvons discuter éternellement des aspects théoriques
et philosophiques de cette question. Cependant, je vous assure que,
confronté avec une famille de deux enfants dans cette situation, le
côté théorique est rapidement laissé de
côté afin de rechercher une solution pratique au problème.
Il n'est pas du tout suffisant de tourner le dos à un tel
problème et d'expliquer simplement aux parents et à l'enfant
atteint de leucémie ou d'insuffisance rénale qu'il n'est pas
permis de considérer la possibilité d'un don par le mineur,
même si le risque est négligeable pour celui-ci. Il est vrai que
nous devons protéger le donneur dans de telles circonstances, mais,
quand les risques sont minimes, il faut permettre l'aliénation ou le
don. Le Dr Pierre Robitaille, responsable de la transplantation rénale
à l'hôpital de Sainte-Justine, vous illustre le
problème.
M. Robitaille (Pierre): Merci, M. le Président. MM. les
membres de la commission, j'ai quelques commentaires spécifiques
à vous adresser en rapport avec le don d'organes. Le premier commentaire
c'est qu'à mon sens il convient de distinguer clairement entre
expérimentation et, d'autre part, aliénation d'une partie de son
corps devant servir à des fins de transplantation. En effet, la
transplantation d'organes, et plus particulièrement celle du rein, est
maintenant pratiquée sur une haute échelle dans le monde entier,
depuis au moins vingt ans. Cette procédure a largement
dépassé le cap de l'expérimentation et il y a au moins 40
000 personnes qui ont été greffées jusqu'à
maintenant et qui ont pu bénéficier de cette technique.
Deuxièmement, il est aussi capital d'établir une
distinction claire, quand on parle d'aliénation d'une partie de son
corps, entre le don d'un tissu qui se renouvelle, comme la moelle osseuse, et
un tissu qui ne se renouvelle pas, comme un rein. Il est bien évident
que, dans le cas d'un tissu qui ne se renouvelle pas, comme un rein, l'ablation
de celui-ci représentera toujours un caractère permanent ou
irréversible. Les meilleurs résultats ont toujours
été obtenus lorsqu'un rein greffé provient d'un donneur
vivant généralement apparenté. Par ordre, les taux de
succès à un an, cinq ans et dix ans sont de 84%, 68% et 48%
respectivement, ce qui est considéré comme très bon. Ces
résultats doivent être comparés à ceux qu'on obtient
quand on utilise des reins d'origine cadavérique, ce qui est la
principale source actuellement, qui proviennent forcément d'individus
non apparentés, en général des accidentés de la
route où les résultats sont de l'ordre de 65%, 58% et 35%
à un an, cinq ans et dix ans respectivement.
Le quatrième commentaire que l'on peut faire, c'est que ce sont
des considérations d'ordre moral surtout qui ont été
responsables du fait que, dans certains pays, les médecins ont
été plus réticents à prélever des reins chez
les membres d'une famille jouissant d'une bonne santé pour les greffer
à ses parents ou à un membre de la phratrie. Ceci explique les
variations considérables d'un pays à l'autre. Il n'en demeure pas
moins qu'aux États-Unis, en 1979, 28% des reins greffés
provenaient de donneurs vivants apparentés. En Europe, pour
1978, 13% des reins provenaient de donneurs vivants
apparentés.
La situation au Québec. Il y a présentement 163 patients
atteints d'insuffisance rénale dans notre province, qui sont
traités par rein artificiel dans l'attente d'une greffe rénale.
En 1981, il y a eu 113 greffes rénales ici; en 1982, 135. La
majorité de ces reins était de provenance cadavérique,
environ 94%; de ces 94%, au moins 85% provenaient des accidentés de la
route.
Depuis le début de décembre 1982 jusqu'à la fin de
mars 1983, donc essentiellement le dernier trimestre, le nombre de reins
d'origine cadavérique disponibles pour fin de transplantation a
diminué de façon surprenante. Le ministre de la Justice sera
sûrement content d'entendre que l'on croit que ce sont les
retombées positives de la loi qui rend obligatoire le port de la
ceinture de sécurité. D'autres gens disent qu'il y a moins
d'essence qui se vend parce que la situation économique est moins bonne,
mais j'aime penser que...
M. Bédard: Autrement dit, il y en a pour tous les partis
politiques. On va revenir au fond, d'accord.
Mme Lavoie-Roux: C'est exactement la réflexion que je me
faisais.
M. Robitaille: Mais il se vend moins d'essence.
M. Bédard: En tout cas, je ne passerai pas de
remarque.
M. Robitaille: Les considérations...
M. Bédard: Déjà, les accidents avaient
diminué.
M. Robitaille: Cela vous a beaucoup stimulés. Les
considérations morales qui sont responsables de cette réticence
de certains médecins à prélever des organes chez un
donneur vivant viennent du fait que, traditionnellement, nous ne sommes pas
habitués à soumettre un individu en santé à une
chirurgie majeure. Il est certain que tous les efforts sont mis en place pour
minimiser autant que possible le taux de morbidité susceptible d'en
découler. Il est évident que ce risque est pris dans l'unique but
d'améliorer substantiellement la vie du receveur qui est
sérieusement compromise du fait de l'insuffisance rénale dont il
souffre.
En dépit de ces précautions, il y a un certain nombre de
décès qui ont été rapportés chez des
donneurs à la suite de l'ablation d'un rein, bien que l'incidence soit
très basse, soit de l'ordre de 1 sur 10 000. Par contre, le taux
général des complications de toutes sortes, permanentes ou
temporaires, varie de 15% à 47% selon les publications. En fait, le plus
bas taux de complications majeures et permanentes rapporté provient
d'une étude de 214 cas publiée par des Suédois et se situe
aux environs de 2,3%. C'est faible, mais cela existe.
En conséquence de ces résultats, il est certain que
l'application de l'article 18, titre premier, chapitre 3, qui stipule que
"l'intervention ou l'expérimentation ne présente, pour lui, aucun
caractère permanent ou irréversible, ni aucun risque pour sa
santé", ferait en sorte que tout don d'organes de son vivant deviendrait
difficile, voire impossible. Les mêmes commentaires s'appliquent à
l'article 20 du même chapitre.
Enfin, pour ce qui est du mineur doué de discernement ou capable
d'exprimer un choix, de même que du majeur non doué de
discernement, nous sommes d'avis qu'un ordre de cour devrait être obtenu
avant de procéder à l'aliénation d'un de ses reins pour
fins de transplantation, après avoir obtenu le consentement des parents
ou, à défaut, du tuteur.
M. Paterson: Merci, Me Robitaille. Je vais prendre deux minutes
maintenant à cause de votre expertise sur les questions autres que
médicales. Aujourd'hui, le traitement par expérimentation
thérapeutique est très répandu, soit sur des mineurs
doués de discernement ou des mineurs non doués de discernement.
Les tribunaux peuvent-ils vraiment se pencher sur l'opportunité de le
traiter par expérimentation thérapeutique sous toutes ses formes
et de voir à ce que l'intérêt de l'enfant soit
sauvegardé? Nous en doutons. Il est certain que les parents, de concert
avec les médecins, sont plus aptes à décider qu'un
tribunal, surtout lorsqu'en présence d'un traitement expérimental
thérapeutique autorisé par le comité déontologique
de l'hôpital. Cela est pratique courante aujourd'hui.
Nous préconisons fortement une révision du projet de loi
106, à cet égard, car il ne fait aucune distinction claire dans
certains cas entre l'expérimentation thérapeutique et celle non
thérapeutique. La déclaration d'Helsinki, recommandation
destinée à guider les médecins dans les recherches portant
sur l'être humain, fait la distinction, et même, dans la plupart
des cas, les gens font une distinction. Nous croyons qu'une telle distinction
pourrrait être utile et plus claire.
Depuis l'avènement des techniques exceptionnelles, comme celles
des respirateurs, et les récentes décisions américaines,
les médecins sont non seulement confrontés avec des
problèmes d'éthique et moraux, mais aussi avec des
problèmes juridiques. Le problème a donné lieu à la
désormais célèbre affaire Karen Quinlan où, en
1976, les cours américaines ont eu à se prononcer. Comme la
commission doit sans
doute s'en souvenir, il s'agissait d'un cas où une jeune
Américaine de 21 ans est tombée dans un coma qui, de l'avis de
spécialistes, était irréversible et dont l'importance des
lésions cérébrales excluait toute possibilité de
récupération ultérieure.
Cette affaire fut portée devant la Cour suprême du New
Jersey qui décida qu'il fallait que certaines conditions soient remplies
avant qu'il puisse y avoir interruption de traitement. La première de
ces conditions était qu'il fallait obtenir le consentement du curateur
et de la famille. Il fallait, de plus, que les médecins chargés
du cas concluent qu'il n'y avait aucun espoir pour que Karen sorte de son
état de comatose et que ceux-ci y consentent après consultation
avec la commission de déontologie ou un autre organisme similaire de
l'institution. C'est seulement après cette consultation, ce consentement
et la conclusion que Karen ne pourrait sortir de son état que les
traitements extraordinaires pouvaient être interrompus. La cour
considérait dans son jugement qu'une pratique de faire une demande
à la cour pour confirmer une telle décision serait
inappropriée. (17 heures)
En 1978, la Cour d'appel du Massachusetts a rendu à peu
près le même genre de décision, mais faisant une
distinction entre le cas où il y avait un choix entre les traitements
qui sauvent une vie et les traitements qui prolongent la vie, et ceux qui
tentent la réanimation, mais qui n'aident en rien la guérison ou
le soulagement du patient. Dans ce dernier cas, la cour a statué que,
lorsque le patient est atteint d'une maladie irréversible en phase
terminale et que celui-ci subit une attaque cardiaque ou respiratoire qui n'a
aucune relation avec la maladie dont il est atteint, la justesse d'un ordre de
non-réanimation était une question médicale qui devait
être solutionnée par des pratiques médicales saines et en
tenant compte du pronostic, ainsi que de la condition spécifique du
patient.
Les recommandations de la Commission de réforme du droit du
Canada vont dans le même sens. Le Dr Bureau va donner quelques exemples
des causes.
M. Bureau (Michel): M. le Président, les histoires des cas
présentés ici sont réelles et elles illustrent la
nécessité de laisser conjointement au médecin traitant et
aux parents d'un enfant mineur un pouvoir décisionnel dans la pratique
raisonnable de la médecine. La proposition du projet de loi no 106
risque de rendre impraticables certains secteurs de la médecine.
Mme X demande un avortement pour un foetus mal formé.
L'avortement est accepté par le comité d'avortement de son
hôpital et des mesures adéquates sont entreprises pour
l'avortement. Cependant, à la première tentative, l'avortement
s'avère infructueux et la patiente est libérée de la
clinique. Elle doit revenir la semaine suivante pour un avortement
thérapeutique utilisant des moyens plus agressifs. Entre-temps, Mme X
commence à avoir des contractions utérines et elle se rend
à l'hôpital où elle accouche d'un prématuré
mal formé. Ce dernier pèse 525 grammes, ce qui en fait
légalement un bébé comme tout autre bébé et
non plus un foetus avorté spontanément. Cependant, comme il
respire faiblement, l'enfant requiert l'assistance du médecin pour
assurer sa survie. Son médecin, en accord avec le père de
l'enfant, décide de ne pas poursuivre les manoeuvres de support à
la vie du nouveau-né et même il décide de cesser la
réanimation de ce bébé mal formé qui, alors,
décède peu après. Cette décision pour un
nouveau-né compromis exigeait une prise de décision
immédiate.
La seconde histoire est celle du patient X qui a deux mois quand on
décèle dans son institution qu'il souffre d'une
hydrocéphalie majeure, qui est une accumulation d'eau à
l'intérieur du cerveau. Les examens révèlent que son
cerveau est, à toutes fins utiles, inexistant et que sa tête
grandit sans cesse sous l'accumulation d'eau dans ses ventricules
latéraux. Cet enfant vit dans un état végétatif et
ne peut espérer l'amélioration de son potentiel. Ses
médecins proposent une chirurgie dite de "nursing". Cette chirurgie
consiste à installer une valve dans les ventricules
cérébraux pour empêcher la tête de devenir
énorme. Cette méthode de traitement n'améliore en rien le
pronostic de cet enfant et ne lui donnera pas un nouveau potentiel
intellectuel, mais cette chirurgie offre un avantage majeur. Elle permet au
personnel infirmier de donner les soins requis à l'enfant en
évitant que la tête de ce dernier ne devienne gigantesque et nuise
aux soins usuels de l'enfant. La chirurgie est faite et il est prévu que
l'enfant sera admis en institution pour enfants retardés après
son départ de l'hôpital.
Voici qu'une semaine après son opération cet enfant vomit
et aspire du vomitus dans ses poumons. Il reçoit les soins usuels, mais
développe une insuffisance respiratoire qui nécessite
immédiatement l'usage de ventilateurs mécaniques. Le
médecin consulte au téléphone le père qui accepte
une approche thérapeutique raisonnable sans manoeuvre extraordinaire. Il
vient à l'hôpital. Entre-temps, le patient se
détériore et décède. En accord avec le père,
le médecin traitant a décidé de ne pas intuber cet enfant
et de ne pas assurer sa survie artificiellement. Cette décision
importante, mais logique, n'a pas laissé de recours à la
consultation quelle qu'elle soit.
Ces deux histoires citées illustrent
certains aspects de la pratique courante de la médecine qui sont
quotidiens dans nos hôpitaux respectifs. Il serait impossible de
judiciariser ces décisions qui, même majeures, doivent permettre
une latitude raisonnable au médecin traitant et à la famille
concernée. Dans ces deux cas, le projet de loi no 106 enlèverait
au médecin et aux parents la possibilité de prendre, en temps
opportun, ces décisions importantes. "Ces deux enfants" - entre
guillemets auraient été végétatifs s'ils avaient
été maintenus en vie en attendant que la cour intervienne.
M. Paterson: Merci, docteur. L'article 20 du projet de loi se lit
comme suit: "L'examen, le traitement ou l'intervention qui présente un
caractère permanent ou irréversible ou un risque sérieux
pour le mineur ou le majeur non doué de discernement ne peut avoir lieu
sans l'autorisation du tribunal, lorsqu'il n'est pas exigé par
l'état de santé." Cet article pourrait être
interprété par les tribunaux comme exigeant une autorisation du
tribunal chaque fois qu'un traitement doit être interrompu, lorsqu'il
présente un caractère permanent ou irréversible pour un
mineur ou un majeur non doué de discernement. Bien qu'on puisse
prétendre que le traitement ne concerne pas l'ordre de
non-réanimation ou les cas semblables, la situation juridique doit
être clarifiée pour que les règles ne laissent aucun doute.
Un patient dans une phase terminale peut recevoir des médicaments aptes
à éliminer ou à réduire la souffrance à un
seuil acceptable. Il est souvent nécessaire d'accroître
sensiblement le dosage. Un tel dosage supérieur peut avoir comme effet
secondaire d'abréger la vie du patient. Suivant l'article 20, seul le
tribunal peut autoriser un tel traitement.
Pour ces raisons, nous soumettons que ce que la commission sur la
réforme a déjà recommandé doit être mis dans
l'article 20 et nous avons proposé un sous-paragraphe qui se lit comme
suit: "Rien dans cet article ne doit être interprété comme
créant une obligation pour un médecin de continuer à
administrer ou d'entreprendre un traitement médical à
l'égard d'une personne non douée de discernement ou d'un mineur
âgé de plus de 14 ans, lorsque ce traitement est
médicalement inutile et n'est pas dans le meilleur intérêt
de cette personne, ou d'interrompre l'administration des soins palliatifs et
des mesures destinés à éliminer ou à
atténuer les souffrances d'une personne pour la seule raison que ces
soins ou ces mesures sont susceptibles de raccourcir l'expectative de vie de
cette personne. Dans ce dernier cas, le traitement sera discontinué ou
entrepris avec le consentement du patient ou d'une personne ayant une
autorité parentale, ou son tuteur dans le cas d'un mineur ayant moins de
14 ans, ou, dans le cas d'une personne non douée de discernement, son
représentant légal. "Lorsqu'il existe un conflit
d'appréciation sur la question de savoir quels sont les meilleurs
intérêts de la personne ou en l'absence d'un représentant
légal, une requête pour autorisation d'interrompre ou
d'entreprendre les traitements pourra être présentée
conformément à l'article 21 à un juge de la Cour
supérieure."
En concluant, je veux dire que, comme vous l'avez vu, nous avons
exposé devant la commission un principe peut-être un peu
négatif en disant que, dans toute la mesure du possible, c'est la
famille et les médecins et non pas les tribunaux qui doivent
régler ces genres de problèmes. Je peux vous assurer que, devant
les tribunaux, ces situations sont terriblement difficiles. Elles sont
difficiles pour les parents, elles sont difficiles pour les médecins,
elles sont difficiles pour tout le monde. Souvent, un juge, même
après avoir rendu jugement, voit le jugement porté en appel. La
Cour d'appel rend un autre jugement dans un autre sens parfois et, après
cela, cela peut faire comme la cause d'Ève, qui ira devant la Cour
suprême en septembre. Vous pouvez avoir un délai de cinq, six ou
sept ans avant de régler le problème d'un mineur, d'un patient
avec des problèmes mentaux. Je vous soumets que ce n'est pas la
manière de régler ces problèmes. On doit trouver d'autres
solutions. Merci, messieurs.
Le Président (M. Blouin): Merci, Dr Paterson. Je donne la
parole au ministre de la Justice.
M. Bédard: Je voudrais remercier très sincèrement
les représentants de l'hôpital pour enfants de Montréal et
de l'hôpital Sainte-Justine qui sont venus nous rencontrer avec une
délégation remarquable de spécialistes. Vous aviez raison
de dire que votre mémoire est très explicite. Je vous
félicite d'une façon plus particulière pour la
préoccupation que vous avez eue de rendre compréhensible avec des
cas précis l'ensemble de vos représentations. Si on peut dire que
des fois les hommes de loi ont des termes difficiles à comprendre, je
pense bien que là-dessus vous seriez prêts à
concéder que la médecine réserve ses complications aussi
en termes de compréhension. Que vous ayez senti le besoin d'y aller de
cas précis avec des termes que ceux qui auront à lire le journal
des Débats pourront bien saisir, je pense, témoigne de l'effort,
qu'on peut sentir, fait en vue d'apporter une contribution très valable
aux travaux de cette commission.
Je constate - ce n'est pas un reproche, il n'y a pas à s'en
surprendre, non plus - que vous privilégiez d'une façon tout
à fait
spéciale l'approche médicale plutôt que juridique
des problèmes posés par les différents degrés de
consentement requis pour effectuer des interventions chirurgicales ou encore
pour décider de la question des interruptions de traitements. Vous dites
que les médecins et les parents sont mieux placés dans ce
domaine. Je ne pense pas que le texte de loi aille dans le sens de contester
cette réalité parce que, si vous regardez les articles 12, 14,
lorsqu'il y a entente entre le médecin et les parents, les recours
devant les tribunaux sont presque carrément inexistants. C'est lorsqu'il
y a une divergence d'opinions entre les parents, les enfants ou encore des
associations de handicapés par rapport à des décisions
prises par des médecins qu'il y a l'intervention du tribunal.
Vous nous parlez de la décision de Dawson toute récente.
Je ferai remarquer que si le tribunal a dû rendre un jugement, c'est
qu'il a été saisi de la question par les médecins et par
l'Association des handicapés qui n'étaient pas d'accord avec une
manière de voir des parents concernant ce cas. Je pense que non
seulement le projet de loi, mais les hommes de loi et les tribunaux ne
contestent en aucune façon les capacités plus évidentes
que vous avez de régler ces questions. Lorsqu'il n'y a pas entente,
à un moment donné, c'est ce qui occasionne des procès.
Pour ce qui est du travail législatif que nous avons à
faire, vous comprendrez, en fait, que nous en mesurons toute la
complexité surtout à vous entendre parce qu'il faut bien, au plan
législatif, essayer de traduire cette réalité
extrêmement complexe que vous avez évoquée aujourd'hui. Je
pense que, si nous ne nous attardions pas à essayer de traduire au plan
législatif cette complexité avec toutes les difficultés
que nous aurons et sûrement les erreurs que nous pourrions faire, les
médecins et les autres organismes seraient les premiers à nous le
reprocher, parce qu'ils ont besoin d'une certaine sécurité au
niveau de la responsabilité pour pouvoir continuer un travail essentiel
pour l'ensemble de la société.
J'aimerais quand même profiter, sans exagérer, de votre
expérience pour vous poser une ou deux questions. Vous avez, entre
autres, mentionné qu'il y avait des jugements où une cour se
prononçait d'une façon et l'autre cour, en appel, se
prononçait différemment. Je pense que vous avez le même
genre de problème des fois quand vous avez des cas sur lesquels
plusieurs médecins doivent se prononcer, surtout dans le domaine de
l'expérimentation, quand il s'agit d'arrêter des traitements. J'ai
l'impression que l'unanimité n'est pas toujours là. La bonne
volonté est toujours là. La bonne foi est toujours là de
la part de tout le monde.
Je pense que vous avez la même sorte de problème que nous
concernant l'unanimité.
(17 h 15)
Je vous fais ces remarques en toute déférence et je sais
que vous ne les prendrez pas négativement par rapport à celles
que vous avez faites. Je pense qu'on réalise tous, de part et d'autre,
que c'est extrêmement difficile, en fait, de traiter ces
sujets-là. Je vous demanderais, par exemple, s'il arrive souvent des
désaccords entre les représentants juridiques et l'avis des
médecins. Est-ce que cela arrive souvent?
M. Paterson: Je vais demander à l'un des médecins
de répondre, mais je veux répondre à deux autres choses.
Premièrement, quand j'ai donné l'exemple de la cause
d'Ève, où la Cour suprême a dit une chose et la Cour
d'appel une autre, ce n'est pas pour soulever des contradictions. C'est la
question d'urgence. Les exemples que mes collègues, les médecins,
vous ont donnés sont des causes d'urgence. On ne peut pas avoir un
système où on commence avec la Cour supérieure, un autre
jugement de la Cour d'appel, un autre jugement de la Cour suprême pendant
six ou sept ans pour régler ces problèmes. Maintenant, je
comprends que vous avez un article sur la question d'une personne en
danger.
M. Bédard: Quand il y a urgence, nul consentement n'est
requis. C'est dans l'article 12.
M. Paterson: Ce que l'autre commission a dit - et je pense
qu'elle a raison - c'est que, quand vous mettez des règles pour aller
devant les tribunaux dans ces causes, chaque fois que le médecin est
devant une situation comme cela, il doit décider si c'est une cause pour
laquelle il doit aller devant les tribunaux ou si c'est quelque chose qu'il
peut traiter. Nous ne sommes pas contre une règle faisant appel à
une tierce personne, à un ombudsman ou à toutes sortes d'autres
solutions. Mais, quand vous envoyez cela devant tribunaux, je pense que presque
tout le monde maintenant: les cours des États-Unis, le Law Reform
Commission of Canada, The President's Commission qui a fait un rapport il y a
un mois, à Washington, sont tous d'accord sur le fait que ce n'est pas
devant les tribunaux qu'on doit régler ces problèmes. On n'a pas
une solution parfaite, non plus. Mais je pense que c'est à peu
près l'attitude de tout le monde. Maintenant, c'est quand il y a un
conflit. Et dans l'affaire Dawson, il y avait un conflit. Une autre chose dans
la cause Dawson: je vais vous citer un paragraphe, si je peux, du juge de la
Cour suprême. Il dit: "In considering the application, I recognize that
the central concern is to discover what is in Steven's best interest. This is
not a "right to die
situation" like Karen Quinlan". C'est cela qu'il dit. "A situation in
which the courts are concerned with people who are terminally ill from
incurable conditions". C'est là où on discute la question de
non-réanimation. "Rather it is a question of whether Steven has the
right to receive appropriate medical and surgical care of a relatively simple
kind". C'est là où se trouve le débat. Et je pense qu'il y
a une distinction totale entre l'affaire Steven Dawson et l'affaire Karen
Quinlan.
M. Melançon (Serge): Je peux peut-être ajouter un
commentaire. Concernant l'unanimité qui est, effectivement, parfois
difficile à faire entre les médecins et les parents, vous pouvez
juger d'après le nombre de causes qui se sont produites au Québec
que cela ne doit pas se présenter souvent. D'autre part, la
difficulté qui peut exister entre les parents et le médecin
traitant concernant un enfant provient le plus souvent du défaut ou de
la mauvaise information échangée entre ces personnes. Elle
provient aussi très souvent d'un nombre considérable
d'intervenants du côté médical qui se présentent
plus ou moins bien aux parents et qui peuvent être des consultants
médicaux. Quand M. le ministre mentionnait tout à l'heure que
l'unanimité médicale ne se fait pas, l'une des raisons pour
lesquelles elle peut ne pas se faire, c'est qu'il y a des avis qui sont
différents, qui sont valables et qui doivent être transmis
à des parents par une seule personne. Et quand on parlait tout à
l'heure d'une personne qui devait servir de communicant à la personne,
je pense que le médecin peut être cet individu-là, le
médecin traitant.
Le même problème se crée aussi au niveau du tribunal
et plus vous augmenterez le nombre d'intervenants pour aider à
conseiller la famille, que ce soit des juges ou des avocats plus vous allez
avoir un nombre considérable d'opinions variées, diverses, sur
laquelle l'unanimité ne se fera nécessairement pas. En restant
avec un nombre minime d'intervenants, un nombre le plus petit possible, je
pense que la solution va arriver beaucoup plus rapidement.
M. Bédard: Je pense que vous répondez bien à
ma question. Les causes sont quand même très rares, ce qui
explique que souvent, même en regardant notre Code civil, de nombreuses
demandes sont faites pour essayer de simplifier l'appareil judiciaire. Ces
dispositions sont quand même assez rarement utilisées. La
réalité est que l'unanimité, je veux dire celle des
médecins par rapport à l'avis des parents, est souvent
très présente. On a bien d'autres questions. Peut-être une.
Pour un profane, j'aimerais avoir des précisions sur ce qui distingue
l'expérimentation thérapeutique par rapport à
l'expérimentation non thérapeutique. Pour-riez-vous
éclairer un peu plus ma lanterne?
M. Bureau: L'expérimentation médicale a
sûrement trois applications qui ne peuvent pas être
séparées l'une de l'autre. Il y a des expérimentations
diagnostiques, par exemple, comment diagnostiquer le cancer du poumon avant
qu'il soit trop étendu. Il y a des stratégies qui sont
imaginées par les chercheurs pour dépister l'une ou l'autre des
maladies. La première phase de ces stratégies est purement
expérimentale. C'est une expérimentation diagnostique. Je cite un
exemple: quelqu'un propose qu'une bonne manière de voir le cancer du
poumon avant qu'il fasse trop de ravages serait de faire une radiographie une
fois par année. Il le propose à l'intérieur d'un protocole
de recherche bien précis, qui est approuvé par une institution.
Les hôpitaux ont leur comité d'éthique qui étudie le
pour et le contre de cela. Il y a une proposition qui est faite par le
chercheur qui passe cette évaluation et qui est proposée
maintenant à un patient. Le patient se fait dire, ou une personne tout
à fait normale: Voulez-vous volontairement être inclus dans cette
expérimentation diagnostique par laquelle vous
bénéficierez possiblement du dépistage d'un cancer avant
qu'il soit là? Votre danger est d'avoir une radiographie pour rien.
Chacune de ces expérimentations diagnostiques a un risque. Il est
minime, me direz-vous, mais on ne peut jamais dire qu'elle soit sans
risque.
L'expérimentation thérapeutique, par exemple, pour un
enfant qui serait atteint d'un cancer; prenons la leucémie, puisque cela
est relativement courant. Il n'y a aucun traitement définitif à
cette maladie. Toutes les médications utilisées maintenant sont
expérimentales. Elles ont un taux de succès variable et,
l'année prochaine, une autre thérapie viendra remplacer celle qui
existe déjà puisque celle de 1983 est insuffisante. On
espère en mettre au point une prochaine et ainsi de suite. Chaque
médicament utilisé est une expérimentation
thérapeutique faite avec l'approbation des institutions
concernées, quelles qu'elles soient. Le risque et les avantages sont
bien évalués. Ceci est vrai, quels que soient les
médicaments que vous avez utilisés dans votre vie. Ils sont tous
passés par cette expérimentation thérapeutique.
Dans les expérimentations thérapeutiques médicales,
il y a un aspect qui n'est pas négligeable. Il y a, d'un
côté, des méthodes médicales qui ont comme objet
l'usage des médicaments. D'autres, où il y a un aspect
d'intervention chirurgicale. Par exemple, certaines maladies doivent-elles
être abordées en vue de les traiter par une approche chirurgicale
ou bien par l'usage de médicaments qui auront un meilleur effet?
C'est le sens qui est donné à thérapeutique. C'est
l'essai d'un traitement, c'est en relation avec une maladie donnée.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: Je vous remercie. Je vais renoncer à la
tentation d'abuser de la présence de ces experts pour tenter d'obtenir
des réponses à toutes nos questions et à toutes nos
interrogations. Je laisse la parole à un collègue.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Vous avez soulevé plusieurs problèmes
très pratiques et très intéressants. Je ne sais pas
comment on va vraiment trouver des solutions à certains problèmes
que vous avez soulevés. Premièrement, en ce qui concerne la
transplantation d'un rein d'un mineur à un autre, si ce n'est pas
couvert par le projet de loi, je me demande comment faire, M. le ministre. Si
j'ai bien compris l'explication qu'on nous a donnée, il y a une impasse
dans la loi.
Mme Lavoie-Roux: Parce que ce n'est pas irréversible.
M. Paterson: Vous allez voir à la fin de l'article 18, "ni
aucun risque pour sa santé". C'est ce qu'on appelle "le mineur
doué de discernement".
M. Marx: En effet, ce serait empêcher une telle
transplantation. C'est cela.
M. Bédard: II n'y a pas d'impasse, si le donneur est un
majeur, au départ.
M. Marx: Non, non. Ma question est d'un mineur à un
autre.
M. Paterson: Non, non.
M. Bédard: Oui. Nous allons étudier la proposition
d'amendement que vous proposez.
M. Paterson: On propose que cela doit aller devant les tribunaux,
mais avec une certaine flexibilité où les tribunaux peuvent
décider sur la question du risque, etc.
M. Bédard: Cela peut nous aider. Actuellement, on dit
qu'un mineur peut donner une partie de son corps avec l'autorisation d'un juge
de la Cour supérieure.
M. Paterson: Mais à l'article 18...
M. Bédard: Non, non, mais il y a tout...
M. Paterson: Parlez-vous du Code civil maintenant?
M. Bédard: Oui.
M. Paterson: Ah! Je m'excuse. Oui, aujourd'hui, il y a seulement
un problème sur les mots "doué de discernement". Maintenant, on
fait des transplantations de moelle osseuse sur des enfants de deux ans, trois
ans, quatre ans, et il n'y a pas de risque, sauf le risque de
l'anesthésie.
M. Bédard: Oui. Maintenant, à quel point y a-t-il
une impasse? Les articles 19 et 20 se lisent ensemble. On me laisse entendre
que, dans notre esprit, on parle de l'autorisation du tribunal.
M. Paterson: Non, mais l'article 18 dit "aucun risque pour sa
santé". S'il n'y a aucun risque, il n'est pas possible de faire de
don...
Mme Lavoie-Roux: Ensuite, il ne faut pas que ce soit
irréversible.
M. Paterson: ...ni pour les reins ni pour autre chose.
Mme Lavoie-Roux: L'irréversibilité.
M. Bédard: C'est possible, en ce qui nous regarde, avec
l'autorisation du tribunal qui est prévue à l'article 20.
M. Paterson: Je m'excuse, mais je ne le vois pas dans l'article
18 et je pense que c'est là que vous avez le problème.
M. Bédard: Les articles ne sont pas un tout en
eux-mêmes. Dans une loi, les articles s'interprètent les uns par
rapport aux autres. Il est évident que, si on reste à l'article
18, il y a des complexités en médecine. Il peut y en avoir du
point de vue législatif aussi. Nous croyons que l'article 18, en
relation avec l'article 19 et l'article 20, rend la chose possible avec
l'autorisation du tribunal. La situation n'est pas changée.
M. Paterson: J'espère, au moins, que vous allez le revoir
parce que vous allez voir que le mémoire du droit comparatif de
l'Université McGill et celui de l'Association des hôpitaux,
presque tous les mémoires de ceux qui ont discuté de la
transplantation en sont arrivés à la même
interprétation que la nôtre. N'est-ce pas une raison pour le
revoir, au moins? Les tribunaux vont peut-être arriver à la
même conclusion.
M. Bédard: II est très heureux que vous le
souligniez. Remarquez qu'il y a bien des choses que j'ai de la
difficulté à comprendre en médecine, étant
donné la complexité. Mais je pense que, juridiquement
parlant,
quand on lit l'article 18 avec l'article 20, c'est notre conclusion.
Peut-être y a-t-il lieu de rendre cela plus clair pour que chacun puisse
bien le saisir, mais nous croyons que cela répond à la
situation.
M. Marx: II nous manque un juge, à la commission, pour
trancher la question.
Le Président (M. Blouin): M. le député
D'Arcy McGee.
M. Bédard: II y a sûrement lieu d'essayer de le
préciser. Que vous souleviez la question, c'est déjà
très important. (17 h 30)
M. Marx: Comme Me Paterson l'a suggéré,
c'était déjà soulevé par trois juristes. Donc, il
doit y avoir quelque chose là-dedans. Supposons qu'on retienne le juge
comme l'arbitre - vous avez dit que cela cause des difficultés que ce
soit le juge qui tranche; un des problèmes que vous avez
soulevés, ce sont des appels d'une cour à l'autre et, finalement,
à la Cour suprême et cela prend trop de temps - avez-vous
examiné la possibilité, par exemple, d'une espèce de
clause privative pour que ce soit seulement le juge de première instance
qui prenne la décision et qu'il n'y ait pas d'appel? Je vois le
problème avec les appels, cela ne finit jamais. Le juge dans ces cas,
j'imagine, autorise une certaine intervention médicale. Il ne prend pas
la décision vraiment. Il donne le consentement. Je vois le
problème, comme je l'ai dit, avec des appels d'une cour à l'autre
et je pose la question parce que je ne l'ai pas vraiment étudiée.
Est-ce qu'on peut prévoir une clause privative quelconque pour que ce
soit seulement, disons, le juge de première instance qui prenne la
décision et qu'il n'y ait pas d'appel? Donc, cela peut être fait,
décidé assez rapidement.
M. Paterson: J'en doute parce que, premièrement, qui va
accepter qu'un juge puisse le décider? C'est le même
problème.
M. Bédard: On a le même problème que lorsque
deux...
M. Marx: Non, non, mais...
M. Bédard: ...médecins ne sont pas d'accord.
M. Paterson: Sur ces questions, c'est mieux d'avoir un genre de
comité à l'hôpital, ou je ne sais quoi, que d'aller devant
les tribunaux. C'est cela qu'on prétend.
M. Marx: J'ai dit: Admettons que le ministre insiste pour
prévoir un recours au tribunal...
M. Bédard: C'est lorsqu'il y a désaccord.
M. Marx: Quand il y a désaccord.
M. Bédard: Quand il y a désaccord. Les tribunaux
n'ont pas d'affaire là quand tout le monde est unanime.
M. Marx: Supposons, M. le ministre, qu'il y a désaccord et
qu'on va devant les tribunaux; on veut éviter des appels d'une cour
à l'autre parce que, si l'on va à la Cour suprême, il n'y a
pas de garantie qu'il va y avoir une meilleure décision. Pardon?
M. Paterson: Même pas un traitement parce que, pendant tout
cela, le patient attend. Le juge peut refuser. Dans votre exemple, le juge
donne son consentement, mais le juge peut refuser. La cause va en appel et le
patient attend.
M. Marx: Si le juge refuse de donner son consentement,
peut-être il a raison.
M. Paterson: Peut-être qu'il n'a pas raison.
M. Marx: Peut-être que les médecins n'ont pas
raison, non plus.
M. Bédard: Si les médecins ne sont pas capables de
s'entendre, le tribunal a le droit de ne pas être d'accord.
M. Marx: C'est cela. Cela veut dire qu'on va...
Une voix: Les médecins ne se trompent pas!
M. Marx: Non. Je ne veux pas mettre en cause les médecins.
De temps en temps, on voit un médecin et il dit: Oui, mais c'est
essentiel que vous subissiez une intervention chirurgicale. On va à un
autre et il dit: Non, pas question. Prenez quelques pilules, cela va bien
aller. Finalement, tu sais...
M. Paterson: On règle ces problèmes avec le
comité de déontologie aujourd'hui dans certaines causes et, dans
d'autres causes, peut-être qu'on doit avoir un autre genre de
comité. C'est tout ce qu'on dit. On ne dit pas que ce n'est pas
nécessaire d'avoir une tierce personne de temps en temps dans certains
cas. Ce n'est pas notre prétention. C'est juste que nous sommes d'accord
avec toutes les personnes depuis cinq ans qui ont examiné l'affaire. Les
avocats, les médecins, les théologiens sont tous arrivés
à la même conclusion: Ce ne sont pas les tribunaux qui vont
régler ces problèmes d'une manière rapide, pratique et
efficace. Ce n'est pas juste notre idée. Vous
allez voir cela même dans tous les jugements des tribunaux
américains.
M. Marx: D'accord, dans d'autres provinces, dans les États
américains, est-ce qu'ils ont légiféré dans le sens
que vous avez suggéré? Est-ce qu'ils ont écarté les
tribunaux de la décision?
M. Paterson: Je ne peux pas vous dire, sauf que dans trois
États, le Massachusetts, le Connecticut et, je pense, New York, ce sont
les jugements Quinlan, Dinnerstein et l'autre qui règlent le
problème pour le moment. C'est eux autres qui ont fortement
recommandé un comité dans l'hôpital, dont quelques-uns avec
les médecins, d'autres avec les médecins et d'autres personnes,
etc. Mais ils ont carrément affirmé que ce ne sont pas les
tribunaux, sauf lorsqu'il y a un conflit impossible à régler avec
une telle procédure.
M. Marx: C'est ce que le ministre a dit, que ce sont les
tribunaux qui vont intervenir...
Le Président (M. Blouin): M. le député.
M. Marx: ...dans le cas d'un désaccord.
Le Président (M. Blouin): D'accord! Je crois que, sur
cette question, M. Paterson, les avis ont été clairement
exprimés et que les membres de la commission ont entendu votre opinion
de façon très nette.
Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: II me semble qu'on ait de la difficulté
entre les avocats ici et même les avocats là-bas. Je ne veux pas
entrer dans des questions d'interprétation, parce que je ne suis
même pas juriste, mais, parfois, le monde ordinaire sait lire aussi.
L'article 18, M. le ministre - on va y revenir à d'autres occasions -
c'est le prolongement de l'article 17. C'est dans le cas de l'aliénation
d'une partie de son corps pour une greffe ou quelque chose, tandis qu'à
l'article 20, c'est le cas d'un examen, d'un traitement ou d'une intervention.
Je ne pense pas que l'objet soit le même dans les deux articles 17 et 18
que dans les articles 19 et 20. En tout cas, cela n'a pas d'importance; on
réglera cela en famille, à un moment donné.
Je veux vous demander pourquoi vous souhaitez que soit
réintroduite la notion de foetus dans le projet de loi, parce que vous
avez dit cela au point de départ, si je ne m'abuse.
M. Paterson: Oui. Est-ce que quelqu'un peut répondre?
Des voix: Non, non. C'est mieux de répondre.
M. Paterson: Non? Je pense qu'aujourd'hui il y a une règle
dans l'article 18 du Code civil que les tribunaux ont eu l'occasion
d'interpréter d'une certaine façon. Je pense aussi que, dans ce
domaine, on devra passer vite maintenant. On a toutes sortes de
problèmes qu'on n'avait jamais regardés il y a même cinq
ans à dix ans. Peut-être que le Dr Charters peut expliquer un peu
ce qui a été fait dans le domaine génétique
à l'hôpital. Comme cela, on doit avoir un certain statut pour le
foetus. Si on laisse l'article 1 comme il est, je pense que le foetus n'a aucun
statut. Maintenant, si je peux me référer au mémoire du
professeur Crépeau, il a traité longuement de la question. Je
pense qu'il vient demain et, probablement qu'il est bien plus qualifié
que moi pour exprimer la pensée des juristes sur la question. Je pense
qu'il y a un danger de mettre l'article 1 dans le projet de loi no 106 tel
qu'il est, parce que cela remet totalement en question les droits fondamentaux
du foetus.
Si on laisse le code comme il est à l'article 18, je pense qu'au
moins on a une règle qui commence à être
interprétée. Tout le monde commence à se comprendre
à l'intérieur de cette règle. Je ne veux pas en dire plus
que cela, sauf que je vous réfère encore au mémoire du
droit corporatif, parce que c'est très détaillé,
puis...
Mme Lavoie-Roux: Ce que je comprends, c'est que ceci est
davantage une préoccupation de juristes que des médecins qui vous
accompagnent.
M. Paterson: Je m'excuse, c'est quoi?
Mme Lavoie-Roux: C'est parce que j'ai eu des distractions;
quelqu'un me chuchotait dans les oreilles. Mais j'ai cru comprendre que
c'était davantage une préoccupation de juristes qu'une
préoccupation des représentants des deux hôpitaux qui vous
accompagnent.
M. Paterson: Ah bon! Ah bon! Allez-y!
M. Melançon: Oui, vous avez en grande partie raison,
madame. La raison pour laquelle cela préoccupe les juristes, c'est
qu'ils ont peur d'être obligés de défendre des
médecins et de ne pas pouvoir s'appuyer sur des articles précis
au niveau civil, alors qu'il existe déjà une expérience
qui s'accumule et qui a donné à des foetus un certain nombre de
droits sur le plan civil et sur le plan criminel.
La technologie qui est en évolution constante fait qu'on pourrait
relativement facilement s'entendre sur les droits actuels d'un foetus, mais,
dans un an, dix ans et 20 ans, alors que peut-être cette règle de
loi sera encore en vigueur, la technologie aura
permis d'amener une survie peut-être à 90% des foetus
pesant 500 grammes, alors qu'aujourd'hui on accepte que ce ne sont pas des
personnes humaines.
C'est dans ce sens-là que les deux hôpitaux, les
médecins et notre avocat se sont inquiétés de l'absence de
définition ou de tentative de définition de ce qu'est le
début des droits pour un individu qui est conçu. Je ne pense pas
qu'on aille jusqu'à la limite qui a été mentionnée,
au cours de la matinée, puisqu'on a même de la difficulté
à décider du moment de la conception. Mais, entre la conception
et la naissance, il peut y avoir une possibilité de survie autonome, une
description de survie autonome, d'un nouveau-né, qui pourrait
être, à une certaine limite, acceptable.
Mme Lavoie-Roux: Dans l'état actuel des connaissances en
matière de natalité et de maternité, les enfants
prématurés qu'on récupère maintenant de plus en
plus jeunes, quel poids ont-ils et à quel mois de la grossesse sont-ils
nés? Enfin, les plus petits qui ont survécu pour lesquels,
maintenant, la médecine dépense énormément
d'efforts pour essayer de les faire survivre.
M. Bureau: Je ne crois pas que je vais vous éclairer
beaucoup. Je vais peut-être jeter beaucoup de confusion dans les
perspectives d'avenir de la médecine.
À mon premier travail dans une unité de soins intensifs de
nouveau-nés, en 1975, à l'Université de Sherbrooke, la
politique à peu près internationale était qu'un
nouveau-né de 1000 grammes, un kilo, avait une chance suffisante de
survie pour que tout moyen soit tenté pour lui. Une année
après, nous disions que le nouveau-né pesant 900 grammes devait
pouvoir subir toute intervention possible. Nous sommes rendus maintenant
à un nombre de survivants non négligeable de nouveau-nés
dont le poids est de 600 grammes. Il y avait encore, dans la Gazette
d'aujourd'hui, des exemples. On est rendu à une limite que la
médecine n'avait pas prévue il n'y a pas longtemps. Il y a quatre
ou cinq ans, elle n'avait pas prévu pouvoir se rendre jusque-là.
Pour un nouveau-né de 26 semaines qui pèse environ 600 grammes,
dans notre institution, toute tentative est faite, s'il naît, pour le
réanimer. Ses chances sont petites, mais elles sont réelles.
Mme Lavoie-Roux: Ce problème se présente dans une
autre perspective au fur et à mesure du développement de la
médecine. On n'a pas de réponse à cela.
Je veux vous demander si vous avez des objections majeures - j'ai cru
comprendre que non, mais vous en avez certaines - à ce qu'on recoure aux
tribunaux. Je ferai remarquer au ministre qu'à l'article 20, si je
l'interprète bien, même si on doit recourir au tribunal si c'est
un traitement qui n'est pas exigé par l'état de santé, par
exemple le cas d'une stérilisation, ce n'est même pas une question
de discernement, c'est-à-dire que c'est la question de non-discernement
ou la question de mineur ou majeur non doué. Il semble y avoir
nécessairement recours au tribunal. L'exemple qui me vient à
l'esprit, c'est la stérilisation qui peut ne pas être requise par
l'état de santé et alors cela devrait aller devant le tribunal.
Je comprends que vous voulez éviter le plus possible la judiciarisation.
Par contre, est-ce que vous admettriez qu'à l'intérieur de vos
établissements - vous avez parlé du comité de
déontologie - il y ait un comité de médecins qui soit plus
multidisciplinaire? L'exemple qui me vient à l'esprit, c'est celui du
comité thérapeutique dans le cas de l'avortement. Là
aussi, je pense que les parents qui vous ont précédé ont
indiqué, dans ce sens-là, des préoccupations, à
savoir ce que pourrait être l'avenir d'un enfant qu'on considère
très arriéré. (17 h 45)
II ne faut pas remonter si loin dans l'histoire du Québec pour
savoir qu'à un moment donné, dès qu'un enfant, à sa
naissance, souffrait par exemple, de mongolisme il était envoyé
en institution parce qu'on disait: Ce sont des enfants absolument
irrécupérables. J'en ai connu quelques-uns que, finalement, les
institutions ont été obligées, il y a quelques
années, de renvoyer parce que, sauf pour l'entretien physique, en
dépit des conditions extrêmes de non stimulation dans laquelle ils
se trouvaient, ils ont fini par se développer souvent. Parce qu'ils
montraient un signe d'intelligence que d'autres ne montraient pas, on s'en
occupait davantage que peut-être d'autres qui étaient autour. N'y
aurait-il pas lieu qu'il y ait un comité qui ne soit pas formé
uniquement de médecins, mais d'autres spécialistes ou un
comité interdisciplinaire? Par exemple, je prends les cas de
stérilisation. Dans un hôpital, pour les fins du bon
fonctionnement de l'hôpital ou pour faciliter le fonctionnement sur un
étage ou dans une salle, maintenant qu'on a pu tout diviser,
garçons, filles, et pour qu'il n'y ait plus de va-et-vient dans les
institutions et tout cela, on peut décider que cela va être plus
simple si on en stérélise quelques-uns sur qui on a des doutes et
qu'à ce moment il y ait d'autres considérations que celles
strictement d'ordre médical ou du réel bien-être du
patient, du bénéficiaire, mais peut-être plus des
considérations que je vais appeler d'ordre administratif, pour
résumer.
N'y aurait-il donc pas lieu de penser, si on veut moins recourir aux
tribunaux, que, par contre, dans les établissements, on remplace cela
par des comités interdisciplinaires qui pourraient juger du
bien-fondé de ces gestes médicaux, des
interventions médicales qui seraient posées.
M. Paterson: Madame, je peux vous affirmer que, dans notre
hôpital et dans plusieurs hôpitaux, les comités de
déontologie ne sont pas composés seulement de médecins;
ils sont maintenant multidisciplinaires. Chez nous, il y a des médecins,
des membres de l'équipe du nursing, il y a un citoyen qui n'est pas
médecin, qui n'est pas professionnel dans l'hôpital; c'est un
mélange de personnes qui étudient des problématiques chez
nous. Ce n'est pas rare maintenant que, dans les hôpitaux, les
comités soient multidisciplinaires. Je pense que, maintenant et dans
l'avenir, cela va arriver plus souvent que dans le passé.
Mme Lavoie-Roux: Je pense que, dans le cas des parents, cela les
sécuriserait de toute façon de savoir que la décision
qu'ils prennent a été étudiée par plusieurs
spécialistes. En tout cas, je serais assez sympathique à cela
pour éviter le plus possible la judiciarisation qui souvent n'est pas
fonctionnelle et n'est pas nécessairement dans le meilleur
intérêt de la personne traitée, du milieu social et de la
famille. Je vous remercie.
Le Président (M. Blouin): Merci, Mme la
députée de L'Acadie. M. le ministre, peut-être. M. le
député de Nelligan.
M. Lincoln: M. Paterson, est-ce que je vous ai bien compris sur
la question de la stérilisation, particulièrement, quand vous
avez discuté de cette question? Vous voudriez que ce soit en dehors de
tous les amendements de la loi ou ai-je mal compris ce que vous avez dit
là-dessus? Vous avez fait une remarque que j'ai mal comprise.
M. Paterson: Je n'ai presque rien dit. Dans ce que nous avons
dit, on n'a pas touché ce sujet dans notre mémoire parce qu'on
pense que c'est une question complexe, que c'est probablement une question qui
doit être réglée en dehors du Code civil.
M. Lincoln: C'est donc cela que j'avais compris.
M. Paterson: En tout cas, nous n'avons pas tranché la
question en proposant une solution. On n'a pas de solution pour le moment. Ce
que j'ai dit en passant, c'est que je pense que cela doit être
laissé à notre imagination de trouver une solution en dehors des
tribunaux. Sauf que, dans tout cas de conflit, il reste que ce sont les
tribunaux qui doivent trancher.
M. Lincoln: Une dernière question à M. Paterson.
Excusez, je connais mieux les termes anglais je vais donc poser ma question sur
les "bone marrow transplants" en anglais. I have heard about the bone marrow
transplants quite a bit in connection with problems that would be created.
Could you give us an idea about the number of bone marrow transplants that
hospitals do, on an average, in a year, the complications and the problems?
M. Paterson: Well, I can tell you this much and then...
At the Children's Hospital - I think this is true everywhere - you can
only do one at a time. There is a very specialized sterilized room where the
child goes after the transplant. And, therefore, I think we have done it once,
we have done two in the same room, but, normally, you can only do one at a
time.
The whole process takes three to four weeks, I think, but the patient is
in the hospital for at least that long. So that means, at the Children's
Hospital, probably twelve a year is probably the outside limit.
Maisonneuve-Rosemont has the same type of facility.
But the distinction, I think - that is where I come back to the
Minister's question - it is terribly to relook at that 18, it is that, today
and only in the last years, probably two to five years, they are saving 50% of
the lives of children with leukaemia, with certain types of leukaemia, if they
can get a donor. It must be a member of the same family. And the risk to the
donor is the risk of an anaesthetic. And there are no cases in the literature
that show any untoward signs to the donor. The chance of saving the life of the
other is 50%. If I can just give you one personal example, we had a case three
weeks ago and that child was finished, I mean, there was no way that child
could survive without that transplant. Dr Charters and I saw that child in the
hospital yesterday sitting watching television.
This law is just jumped over without anybody taking me seriously when I
say that means you cannot do it because there is a serious risk. That kind of
life will not be able to be saved in this province. And it will be saved in
Connecticut, it will be saved in Boston, it will be saved in New York, but, in
Quebec, we will not be able to do it because there will be a risk. The law
says: II n'y a aucun risque pour sa santé. Je pense que c'est
très important qu'on règle le problème, parce que nous
sommes dans une position de sauver, je présume, 25, 30, 35 enfants, je
ne sais pas, par année.
Mme Lavoie-Roux: L'Association des hôpitaux a fait la
même recommandation ce matin. Ses porte-parole ont parlé de risque
minimal.
Le Président (M. Blouin): Est-ce qu'il y
a d'autres intervenants? M. le ministre, rapidement.
M. Bédard: Je comprends que cela retarde un peu, mais
c'est pour nos travaux à venir. On n'a pas parlé des articles 39
et 40, des prélèvements sur un cadavre, "à défaut
des volontés connues du défunt". On nous a parlé de la
difficulté - souvent, c'était tragique - des transplantations qui
devraient être faites, à cause des consentements qui sont
nécessaires. On sait que c'est un sujet qui n'est pas macabre, mais ce
n'est pas facile d'en parler. Si je me réfère aux
mentalités sociales et aux manières de voir les réactions,
les sensibilités qui s'expriment lorsqu'on parle de ces choses qui sont
quand même extrêmement importantes pour l'avancement de la
médecine et, en même temps, pour le respect des personnes, est-ce
que cela améliore les choses? Beaucoup de représentations nous
ont été faites. Nous sommes conscients que nous ne sommes pas
allés aussi loin que certains auraient voulu qu'on aille au nom du
principe, au nom des motifs de l'avancement de la médecine, qui sont des
motifs louables. Pourriez-vous me donner votre idée?
M. Robitaille: Je pense que ces deux articles sont excellents.
J'espère que je ne fais pas preuve d'ignorance, mais, à ma
connaissance, le deuxième paragraphe de l'article 39 représente
une innovation, à mon sens. Si on avait le droit de faire cela avant, je
ne l'ai jamais fait. Ce paragraphe dit: "Ce consentement - le consentement d'un
proche parent - n'est pas nécessaire lorsque deux médecins
attestent, par écrit, l'impossibilité de l'obtenir en temps
utile, l'urgence de l'intervention et l'espoir sérieux de sauver une vie
humaine." Cela semble quelque chose de nouveau qui ouvre une porte. Je pense
que ces deux articles font tout pour nous faciliter la tâche et je ne
peux que vous en être reconnaissant.
M. Bédard: Merci. Il y a beaucoup de choses qui, parfois,
sont difficiles à concilier. Vous parliez, tout à l'heure, de la
protection du foetus, M. le bâtonnier nous disait hier, à juste
titre - et cela a été répété par des membres
de la commission - que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de dispositions
très spécifiques au Code civil qu'il n'y a pas de protection en
ce qui concerne le foetus. Cela se retrouve essentiellement au Code criminel.
On voudrait des choses de plus concernant l'article 1, au nom d'un grand
principe que tout le monde respecte: le droit de naître. Lorsqu'on parle
des grands principes séparément, c'est toujours assez facile: le
droit de naître, l'inviolabilité de la personne humaine, le droit
à l'intégrité physique. Quand on en parle d'une
façon cloisonnée, pas de problème. Quand on essaie, par
exemple, d'arriver dans des cas où ces différentes notions, ces
différents grands principes jouent ou doivent jouer en même temps,
où il y a une pondération à faire, je pense qu'on est tous
d'accord que là c'est pas mal plus difficile de concilier ces grands
principes que d'en parler comme s'ils existaient indépendamment les uns
des autres.
J'essaie de voir le cas, par exemple, d'une mère de famille qui
est alcoolique, dont l'alcoolisme met en danger le foetus. Je suis convaincu
que dans votre pratique il y a bien d'autres exemples que vous pouvez avoir
à l'esprit où ces principes se heurtent d'une certaine
façon. Qu'est-ce qu'on fait? Comment traduit-on dans les lois le respect
de ces grands principes? C'est pour cela que c'est difficile de trouver des
moyens législatifs de mettre des choses très précises en
ce qui concerne le Code civil. Est-ce qu'on se donne des droits contre la
mère qui a le droit à l'inviolabilité de sa personne,
à son intégrité physique et qui par ses agirs met en
danger - je ne parle pas de l'avortement, il y a même la question de
l'avortement - en fait le foetus qu'elle porte? Vous êtes avocat, Me
Paterson. J'aimerais avoir vos commentaires.
M. Paterson: Je pense que je vais vous donner une réponse
très simple. L'article 1: "II est sujet de droit depuis sa naissance
jusqu'à sa mort". Cela dit tout de suite qu'il n'est pas sujet de droit
avant sa naissance. C'est le problème. Dans le code aujourd'hui, je n'ai
pas le no 18 avec moi, mais cela part... Le professeur Marx va vous le donner.
Non, non, mais dans l'article 18 du Code civil, cela parle d'être humain
et d'avoir une personnalité juridique. Est-ce que ce n'est pas comme
cela? Je ne vois pas le problème avec le Code civil aujourd'hui. C'est
vraiment ma réponse. Je ne vois pas de raison pour changer l'article
18.
M. Bédard: Vous avez parlé de la protection du
foetus. Est-ce que vous pensez qu'il serait, autrement dit, peut-être
mieux protégé en reproduisant tout simplement la terminologie
existant déjà dans notre Code civil et en laissant aller les
habitudes, en attendant la transformation des mentalités.
M. Paterson: II appartient aux tribunaux d'interpréter
l'article 18.
Le Président (M. Blouin): Cela va? M. Bédard:
Cela va.
Le Président (M. Blouin): Au nom de la commission, je
remercie les représentants de l'hôpital pour enfants de
Montréal et de l'hôpital Sainte-Justine d'être venus
nous
présenter leur opinion. Je signale aux membres de la commission
qu'il est presque 18 heures. Je crois que, de part et d'autre, les partis ont
convenu que nous poursuivions nos travaux au-delà de 18 heures. Donc,
dans les circonstances, je demande maintenant aux représentants de
l'Association des centres de services sociaux du Québec de bien vouloir
-merci, messieurs - se rendre à la table des invités.
M. Marx: Consentement.
Le Président (M. Blouin): Je demanderais, pour les fins du
journal des Débats, au porte-parole ainsi qu'à ceux qui
l'accompagnent de bien vouloir se présenter, s'il vous plaît. (18
heures)
Association des centres de services sociaux du
Québec
M. Thibault (Louis-Philippe): Merci, M. le Président. Mon
nom est Louis-Philippe Thibault, président de l'Association des centres
des services sociaux du Québec. Les personnes qui m'accompagnent
aujourd'hui sont, à ma gauche, M. Michel Léger,
vice-président de l'association. Immédiatement à ma
droite, M. Jean Beaudry, qui est un permanent à notre association, et,
à l'extrême droite, M. Oscar D'Amour, directeur du service du
contentieux au CSS Montréal métropolitain.
Je voudrais, en commençant, remercier les membres de cette
commission d'avoir accepté de nous entendre. Nous avons,
dernièrement, déposé un mémoire auprès de
cette commission. Nous voulons, très sommairement, aujourd'hui rappeler
certains éléments qui nous apparaissent être davantage
portés en lumière aujourd'hui et possiblement répondre aux
questions qui concerneront en particulier ces éléments.
Le Président (M. Blouin): Je vous demanderais, s'il vous
plaît, de le faire le plus brièvement possibble.
M. Thibault: Je vais m'astreindre à cette invitation. Les
centres de services sociaux déposent le présent mémoire
étant conscients que nous sommes une institution qui a un rôle
important à jouer dans la dispensation des services sociaux. On est
aussi, de par notre mission, particulièrement concerné par des
clientèles à qui vont s'appliquer certaines dispositions du
projet de loi no 106. On pense plus particulièrement aux
clientèles d'enfance en besoin de protection, aux personnes
handicapées physiquement et mentalement ainsi qu'aux personnes
âgées. En termes statistiques, juste pour les présenter
brièvement, aux centres des services sociaux, au 31 mars 1982, nous
avions 2100 projets d'adoption en cours.
Parmi ces 2100 adoptions, on a estimé qu'environ 600 enfants
pourraient faire l'objet d'une tutelle de la part du directeur de la protection
de la jeunesse. Concernant d'autres enfants présentement
abandonnés et qui ne sont pas encore déclarés adoptables,
nous avons estimé que ce nombre pouvait totaliser, au 31 mars 1982,
environ 600.
Du côté des adultes et des personnes âgées, au
nombre de 7500 dans les différentes familles d'accueil au Québec,
notre estimation nous porte à croire qu'environ 1500 personnes
pourraient faire l'objet d'un régime de protection pour majeurs. Tout en
souscrivant aux objectifs visés par le projet de loi no 106, en ce qui
concerne la jouissance et l'exercice des droits civils, on reconnaît que,
dans certaines situations, il est sage que le législateur prévoie
que, dans certains cas d'exception, on puisse déroger à certains
principes fondamentaux mis de l'avant dans la loi. Au chapitre de ces
exceptions, on aimerait porter à votre attention quelques cas et, sans
reprendre toutes les situations ou toutes les remarques que nous mettons dans
notre mémoire, j'attirerais votre attention sur la recommandation 2.22
à la page 3.
À l'article 13 du projet de loi 106, on remarque que le
consentement d'un mineur est donné par le titulaire de l'autorité
parentale ou à défaut par le tuteur. On s'interroge sur le fait
qu'on donne une préséance aussi formelle au titulaire de
l'autorité parentale. Pourquoi? On peut déjà, au
départ, reconnaître que la règle générale
sera que la personne titulaire de l'autorité parentale et tuteur sera
une seule et même personne dans les faits pour la majorité des
cas. Toutefois, cela prend une signification différente quand on regarde
les bénéficiaires des centres de services sociaux, en particulier
les enfants.
Dans le cas des enfants confiés aux centres de services sociaux,
la règle générale n'est plus que la personne titulaire de
l'autorité parentale est la même que le tuteur, mais la
règle générale devient ce qu'on appelait tout à
l'heure l'exception, c'est-à-dire que, pour beaucoup d'enfants
confiés aux centres de services sociaux, au directeur de la protection
de la jeunesse en particulier, il existe, dans les faits, un titulaire de
l'autorité parentale et un tuteur. Lorsqu'on est devant de telles
situations, on peut déjà présumer que, s'il y a eu
nécessité de nommer un tuteur, c'est qu'il y a eu, quelque part,
quelqu'un qui a jugé que le titulaire de l'autorité parentale
n'agissait pas adéquatement à l'égard du jeune.
Or, on s'interroge sur la pertinence de maintenir, dans cet article de
loi, la préséance du titulaire de l'autorité parentale.
Notre recommandation irait davantage dans le sens que le consentement du
mineur
devrait être donné par le titulaire de l'autorité
parentale ou par le tuteur. S'il y avait désaccord entre les deux, on
pourrait, à ce moment-là, se prévaloir des dispositions de
l'article 121 et soumettre le différend à un tribunal.
Dans le cas des clientèles desservies par les centres de services
sociaux, cet amendement serait de nature à mieux servir leurs
intérêts, croyons-nous. Il y aurait aussi lieu, à ce
moment-ci, de préciser que, lorsque le consentement peut être
donné par le titulaire ou le tuteur, il faudrait explicitement exclure
le tuteur aux biens, de manière que ce soit exclusivement le tuteur
à la personne qui puisse donner ce consentement.
Il y a un autre point sur lequel j'aimerais attirer votre attention,
à la page 4, le point 2.2.4. On mentionne qu'un enfant de quatorze ans
peut donner son consentement non seulement à un examen mais à un
traitement même prolongé exigé par son état de
santé. On suggère qu'il puisse aussi donner son consentement pour
être gardé dans un établissement de santé et que, si
cela devait effectivement dépasser douze heures, le titulaire ou le
responsable de l'enfant devrait en être informé.
Lorsqu'on lit l'article 16 en question, nous avons l'impression que ce
droit existe pour le jeune. Toutefois, il n'est pas explicitement
affirmé. Dans ce sens-là, il nous apparaissait important de
reconnaître cette capacité du jeune de donner son consentement au
traitement en question et à sa garde dans les établissements de
santé.
Pour ce qui est des autres dispositions de la loi, en particulier le
droit à l'audition - je vous réfère à la page 5, le
point 2.3 -l'article 32 prévoit que le tribunal peut entendre un jeune.
Il nous semble que l'article de loi pourrait être plus formel à
l'égard du respect du droit de certains jeunes et qu'il devrait
être modifié dans le sens de reconnaître à un enfant
mineur de dix ans doué de discernement le droit de
bénéficier d'auditions. Dans ce sens-là...
M. Bédard: Le droit de bénéficier? M.
Thibault: Le droit d'être entendu... M. Bédard:
D'accord.
M. Thibault: ...lorsque le juge apprécie son cas.
Présentement, dans le projet de loi, c'est laissé à la
discrétion du juge.
Pour ce qui est de la tutelle, plus particulièrement du directeur
de la protection de la jeunesse, on se réjouit que le Code civil
reconnaisse le bien-fondé de nommer le directeur de la protection de la
jeunesse tuteur d'office à l'égard de certaines situations de
jeunes. On veut, toutefois, souligner que la tutelle assumée par le
directeur de la protection de la jeunesse tient davantage à la fonction
qu'il occupe qu'à sa personne même. Ceci nous paraît
important puisqu'on peut immédiatement faire apparaître les
difficultés lors de cette tutelle lorsque le titulaire de la fonction de
directeur de la protection de la jeunesse changera. Donc, dans le but
d'apporter une continuité de services auprès des jeunes et
éviter des procédures inutiles liées au changement de
tuteur, nous recommandons que le projet de loi prévoie que, lorsque la
tutelle est exercée par le directeur de la protection de la jeunesse, la
tutelle passe à son successeur.
En regard de la Loi sur l'adoption, le directeur de la protection de la
jeunesse peut être reconnu tuteur des enfants abandonnés. Il nous
apparaît qu'il y a présentement des situations qui sont
très bien campées, en particulier, lorsqu'une personne donne un
consentement général à l'adoption, il est
déjà prévu dans la Loi sur l'adoption que le directeur de
la protection de la jeunesse devient tuteur de l'enfant. Toutefois, lors de la
déclaration judiciaire d'adoption prononcée par un tribunal, il
pourrait y avoir des situations où le juge pourrait confier la tutelle
de l'enfant à une personne autre que le directeur de la protection de la
jeunesse. Nous pensons que la loi devrait prévoir des dispositions de
manière qu'en prononçant un jugement pour déclarer un
enfant adoptable, le directeur de la protection de la jeunesse soit d'office
nommé tuteur de l'enfant. On sait qu'en vertu des dispositions de la Loi
sur la protection de la jeunesse, le directeur peut toujours confier l'exercice
de cette responsabilité à d'autres personnes. S'il devait y avoir
des membres dans la famille ou des gens intéressés à
adopter l'enfant, le directeur pourrait toujours leur en confier
l'exercice.
Enfin, une dernière remarque. On prévoit dans le projet de
loi que le domicile du tuteur est son domicile à lui. Pour le directeur
de la protection de la jeunesse, comme il s'agit d'une personne travaillant
dans un centre de services sociaux, nous suggérons que le domicile du
directeur soit identifié comme étant le siège-social dans
l'établissement dans lequel il travaille. En substance, ce sont les
grandes remarques que l'on voulait porter à votre attention plus
particulièrement. Il nous fera plaisir de répondre à vos
questions.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Thibault. Je
vais donner la parole à M. le ministre de la Justice.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
l'Association des centres de services sociaux du Québec de s'être
fait entendre. Je crois que, comme vous l'avez
d'ailleurs mentionné, étant donné le rôle
important que vous jouez dans la dispensation des services à la
population, c'était non seulement indiqué - mais cela vous fait
honneur, je suis très heureux de le constater - que vous ayez
consacré des énergies tout à fait particulières
pour essayer d'y aller de représentations substantielles. Plusieurs des
représentations que vous avez faites, sur lesquelles on ne s'attardera
pas, sont très intéressantes. Je pense simplement à la
dernière que vous avez évoquée concernant le domicile. Je
crois que c'est vraiment une chose à laquelle il faudrait penser. Cela
irait presque de soi. Il y a plusieurs autres suggestions sur lesquelles je ne
m'attarderai pas. Maintenant, étant donné aussi les
clientèles dont vous vous occupez, vous nous parliez des personnes
âgées, des handicapés, il est clair que l'éclairage
que vous pouvez nous donner est très important pour les membres de la
commission.
À la page 3 de votre mémoire, vous demandez que le
consentement du représentant des mineurs, j'espère qu'on vous
interprète bien, ait préséance sur celui des titulaires de
l'autorité parentale, en affirmant que, de cette façon, les
droits du mineur, à savoir l'inviolabilité de la personne, le
respect de son intégrité physique, etc., seront mieux
assurés. Puisque nous instaurons par le projet de loi la tutelle
légale des parents, suggérez-vous que nous devions faire nommer
un tuteur distinct à la personne? Première question. C'est sur la
deuxième partie. Sur la première, si on vous interprète
bien, c'est quand même une suggestion lourde de conséquences.
J'aimerais vous entendre élaborer votre pensée un peu plus sur
cette suggestion.
M. Thibault: Je veux m'assurer que vous en avez une bonne
compréhension. Ce qu'on dit nous, c'est que le projet de loi
présentement prévoit une préséance au titulaire de
l'autorité parentale sur le tuteur. On dit que la loi ne devrait pas
donner une préséance comme cela. Elle devrait davantage dire:
C'est l'un ou l'autre, étant conscient que, dans la
réalité, la règle générale dans la
population, c'est que le tuteur et le titulaire vont être une seule et
même personne. Pour les centres de services sociaux et
particulièrement les clientèles desservies par le directeur de la
protection de la jeunesse, la règle générale, c'est
l'inverse. C'est qu'il y a toujours deux personnes dont l'une est titulaire de
l'autorité parentale et l'autre est tuteur. (18 h 15)
Justement, ce que nous mentionnons dans ces cas-là, s'il y a eu
nécessité de nommer un tuteur, c'est qu'on s'interroge grandement
sur le fait qu'on donne préséance au titulaire de
l'autorité parentale. Il a certainement dû y avoir
incapacité quelconque si un juge a dû prononcer un jugement de
tutelle à l'égard de l'enfant.
Est-ce que M. D'Amour voudrait compléter?
M. Bédard: Est-ce que vous voulez ajouter quelque
chose?
M. D'Amour (Oscar): Non, cela va.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: Sur un autre sujet, si on reprend votre
raisonnement sur l'objectivité qui doit présider aux
décisions du tuteur d'un enfant, quelles sont les remarques que vous
pourriez nous faire concernant plusieurs représentations qui nous ont
été faites ici à propos des conflits
d'intérêts possibles de l'institution par rapport au patient qui
est traité? Nous l'avons demandé à presque tous les
organismes.
M. Thibault: Dans les conflits dont on peut parler, je pense
qu'il faut quand même être conscients d'une chose. La personne qui
est susceptible de recevoir une tutelle au centre de services sociaux, c'est le
directeur de la protection de la jeunesse. Lorsque celui-ci prend des enfants
ou des adolescents en charge, il compte sur un certain nombre de professionnels
qui agissent en son nom. Dans le vécu quotidien, ce qui se produit,
c'est que le professionnel qui est en contact avec le jeune, qui le prend en
charge, n'assume pas de fait la responsabilité de la tutelle. C'est le
directeur. Lui, il prend charge du jeune, lui prodigue des services, lui vient
en aide. Dans ce sens-là, lorsqu'on parle de conflits, cela
m'apparaît plus théorique que pratique parce que, dans les faits,
c'est le directeur de la protection de la jeunesse qui est nommé tuteur,
et des balises sont déjà déterminées dans le cadre
de la Loi sur la protection de la jeunesse. Le gros volume des enfants dont il
est susceptible de devenir tuteur...
M. Bédard: Ces balises vous semblent adéquates,
suffisantes?
M. Thibault: II y en a une qui nous semble importante. D'abord,
toutes les décisions que le directeur doit prendre doivent être
prises dans le respect des droits des enfants, dans l'intérêt de
l'enfant et, lorsqu'il prend charge d'un enfant abandonné, donc un
enfant qui est susceptible d'avoir une tutelle du directeur, il doit, par tous
les moyens - et cela est une disposition expresse dans la Loi sur la protection
de la jeunesse -favoriser l'adoption de l'enfant.
Dans la loi qui crée le directeur de la protection de la
jeunesse, il y a déjà un ensemble de dispositions qui
garantissent le
respect des droits et de l'intérêt de l'enfant. Dans ce
sens-là, je pense que, lorsqu'on parlait de conflits, cela
m'apparaît davantage théorique que pratique.
M. D'Amour: Si on me permettait de mentionner certains cas qui
ont été vécus, lorsque le directeur de la protection de la
jeunesse a dû intervenir dans des dossiers, c'était d'abord parce
que le mineur était en conflit flagrant avec son tuteur et que celui-ci
ne voulait plus rien savoir du mineur. Il n'avait pas l'intention non plus de
poser les gestes administratifs pour régler les successions. Chaque fois
que le directeur a dû intervenir, c'était très souvent pour
suppléer.
Le principe de base est à l'effet, au niveau du directeur de la
protection de la jeunesse, de tenter de voir dans le milieu, des personnes le
plus près possible de l'enfant, parenté, famille d'accueil, si
ces personnes sont en mesure d'assumer la tutelle. Si oui, il n'intervient pas.
Il interviendra seulement à titre supplétif.
Je pense qu'il est important, pour essayer de garder une certaine
objectivité par rapport aux personnes qui ont déjà fait
des remarques particulières en disant que si le tuteur est trop
près de la personne, il peut y avoir ce qu'on appelle de la
manipulation, de dire que la loi prévoit que le directeur de la
protection de la jeunesse, étant une personne, un individu qui exerce
des fonctions à l'intérieur d'un CSS, il n'a à prendre des
décisions que dans l'intérêt de l'enfant et, je le disais
tantôt, lorsqu'une étude a été faite d'abord pour
savoir qui pourrait être nommé tuteur avant le directeur...
M. Bédard: Est-ce que quelqu'un veut ajouter quelque
chose?
Dans un autre ordre d'idées, concernant toujours les mineurs,
quelle est votre position - c'est un sujet délicat, on en a parlé
tout à l'heure - concernant les greffes et les dons d'organes, à
partir des exemples donnés par les représentants des
hôpitaux pour enfants?
M. Thibault: Je pense qu'on y touche par le biais de la
recommandation qu'on formulait à l'article 223. On remarque que les
articles 18, 19 et 20 semblent prévoir des situations pour le jeune
doué de discernement, des gens majeurs sous régime de protection
et, ensuite, dans lesquelles on met en relation beaucoup de variables. Entre
autres, on parlera non seulement de la variable du mineur doué, non
doué, du majeur non doué, on met aussi en relation des
interventions à risque, sans risque, ce n'est pas suffisamment
quantifié, d'autant plus que, quand on dit aussi qu'il n'y a pas de
risque, il faudrait peut-être penser à qualifier ce risque, s'il
n'y a pas de risque sérieux par exemple.
On a une recommandation qui va dans ce sens, qui est de faire un seul et
même régime de protection pour les deux types de personnes
visées, soit le mineur qui est doué de discernement et le majeur
en régime de protection, donc avoir un même régime
plutôt que d'avoir des dispositions différentes qui peuvent porter
à confusion. Ce qu'on propose aussi essentiellement, pour les mineurs
doués de discernement et les majeurs en régime de protection,
c'est qu'ils puissent effectivement, lorsqu'il n'y a pas de risque
sérieux, consentir, avec l'accord de leur représentant,
c'est-à-dire le tuteur ou le titulaire de l'autorité parentale,
et, lorsqu'il s'agit d'événements où il y a des risques
sérieux ou encore des expérimentations, nous sommes d'avis que
cela devrait être soumis à un tribunal.
M. Bédard: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. Vous avez soulevé
le problème de la coordination en ce qui concerne le Code civil et les
lois statutaires. Il va sans dire que nous aurons une loi d'application pour
faire cette coordination, soit à la fin de cette année, soit l'an
prochain. J'aimerais poser une question: Vous avez écrit dans votre
mémoire que l'article 32 du projet de loi no 106 devrait être
modifié pour permettre à tout mineur de dix ans doué de
discernement d'être entendu; pourquoi dix ans?
M. Thibault: M. D'Amour va répondre.
M. D'Amour: Je pense que la jurisprudence veut qu'un enfant de
huit ans soit trop jeune pour saisir son intérêt. La Loi sur la
protection de la santé publique et les dispositions relatives à
l'adoption dans le Code civil, les dispositions de la Loi sur la protection de
la santé publique disent donc qu'un enfant de quatorze ans est en mesure
de donner un consentement où, selon ces lois, les procédures
doivent lui être signifiées. On prévoit aussi dans la loi
18, constituant la réforme du Code civil pour permettre l'application du
droit de la famille, qu'on peut signifier des procédures à un
enfant de dix ans. On prévoit aussi dans la Loi sur la protection de la
jeunesse - je pense que c'est à l'article 88, sous réserve -que
lorsque le tribunal considère que l'intérêt de l'enfant est
en opposition avec celui de ses parents, le tribunal doit lui permettre de se
constituer un procureur. Dans le cas d'un enfant de dix ans, compte tenu de la
jurisprudence, compte tenu des orientations dans notre droit et compte tenu
aussi, peut-être, de la précocité des enfants, je pense
que cet enfant de dix ans est en mesure d'exprimer un désir ou de
verbaliser ses besoins. Cela n'exclut pas la possibilité pour le
tribunal de faire entendre un enfant de moins de dix ans, mais, dans le cas
d'un enfant de dix ans, de lui permettre, s'il veut se faire entendre, que ce
soit un droit pour lui. S'il est sujet de droit, cela doit commencer par la
représentation.
M. Bédard: Même pour les moins de dix ans, le
problème peut se poser. L'article 32 dit: "Le tribunal peut, chaque fois
qu'il est saisi d'une demande mettant en jeu l'intérêt d'un
enfant, donner à cet enfant la possibilité d'être
entendu."
M. Marx: Je pense que le sens de cette recommandation est que ce
soit un droit accordé à l'enfant de dix ans, quoique le tribunal
pourrait entendre n'importe quel enfant, mais que le tribunal doit entendre un
enfant de dix ans.
M. Bédard: Oui, oui.
M. Marx: Votre explication a du bon sens.
M. Bédard: II y a déjà eu un débat
lors de l'étude de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais revenir à l'article
13. L'article 13 me paraîtrait satisfaisant. On mentionne qu'au cas
d'empêchement, on devrait s'adresser au tuteur. Evidemment, il faudrait
peut-être savoir quel est l'empêchement. Il y a peut-être
là une définition. Je ne sais pas si le ministre a pensé
à une certaine définition. Je pense qu'il faudrait se brancher.
Si on regarde le texte que vous proposez, vous dites: Le consentement devrait
être donné par le titulaire de l'autorité parentale ou par
le tuteur. À supposer qu'on doive demander le consentement, on s'adresse
à qui? Si on pense qu'on va obtenir un oui de l'autorité
parentale, est-ce qu'on doit s'adresser à cette autorité
plutôt qu'au tuteur parce que peut-être il pourrait dire: Non? Je
voudrais bien savoir. Votre proposition où cela ne me semble pas
être une bonne solution, je pense que cela peut prêter à un
imbroglio. Je préférerais le texte de l'article 13 quitte
à ce qu'on définisse ce qu'est un cas d'empêchement. Est-ce
que cela vous satisferait si on définissait, si on établissait ce
que sont les cas d'empêchement?
M. D'Amour: M. le Président, je pense que si l'on reprend
toute l'économie du projet de loi no 106, il stipule que le titulaire de
l'autorité parentale exerce les attributs de l'autorité
parentale, mais, en même temps, la loi dit qu'il est tuteur légal.
C'est donc dire que lorsque, dans l'ensemble des cas, comme M. Thibault le
mentionnait tantôt, le tuteur et le titulaire de l'autorité
parentale seraient la même personne ou les deux mêmes personnes.
D'accord? Mais lorsque le titulaire de l'autorité parentale et le tuteur
sont deux personnes distinctes, exemple: Déchéance partielle de
l'autorité parentale. D'accord? Quelle sera la partie de
l'autorité parentale qui sera exclue, l'autorité des parents.
À ce moment, à supposer que c'est la garde, lorsqu'il y a
déchéance d'autorité parentale, le directeur de la
protection de la jeunesse peut être tuteur. S'il y a une décision
à prendre. Exemple: L'enfant est en famille d'accueil, la famille
d'accueil doit se rendre en Europe et décide, comme elle veut
l'intégrer dans la famille, d'amener l'enfant et d'obtenir, pour ces
fins, un passeport. Le titulaire de l'autorité parentale dit: Non. Le
tuteur dit: Oui. Si c'est le titulaire de l'autorité parentale qui a
préséance, cela veut donc dire qu'il n'y a pas de
différences. Mais si on les met sur un pied d'égalité, on
se retrouve dans la situation où on peut saisir le tribunal pour
trancher le différend dans l'intérêt de l'enfant.
M. Leduc (Saint-Laurent): Cela veut dire que vous allez
constamment vous retrouver devant le tribunal. Ce n'est plus le oui parce que
si vous dites: On obtient un non, on va essayer d'aller obtenir un oui.
M. D'Amour: Ce que l'on demandait, c'est qu'il y ait aussi, dans
le cas d'un tuteur, que le tuteur ait préséance. Cela permettait
de clarifier la situation du cas de l'enfant qui aurait un parent et un tuteur
distincts.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous donnez la préférence
à qui?
M. D'Amour: Au tuteur.
M. Leduc (Saint-Laurent): En vertu de quoi? Si je lis votre
article 13, ce n'est pas mentionné. C'est où...
M. Thibault: Vous soulevez, dans les faits, une difficulté
d'application par la suite. Je pense qu'il faut reconnaître, au
départ, que le libellé de l'article, qui donne
préséance au titulaire est contre-indiqué à
l'égard des tutelles que le directeur de la protection de la jeunesse
peut assumer. Il est nettement contre-indiqué parce que si le directeur
de la protection de la jeunesse a été nommé tuteur, c'est
définitivement parce qu'il y avait une incapacité parentale
quelque part. Donc, on s'entend parce qu'il ne faut pas qu'il y ait
préséance du titulaire parental
sur le tuteur. On suggérerait que ce soit l'un ou l'autre.
Effectivement, cela peut présenter des difficultés d'application.
Par exemple, quelqu'un va obtenir une autorisation, il peut dire: Le tuteur va
dire oui et le titulaire va dire non. Je vais m'adresser à celui qui va
dire ce que j'attends comme réponse. Donc, il y aura des
difficultés d'application. Ce qu'on voulait mettre de l'avant dans le
fond - et là il faudra trouver le libellé adéquat - c'est
qu'idéalement ce devrait être un consentement des deux
parties.
Lorsqu'il y a différend, et que l'un n'ait pas
préséance sur l'autre, qu'on soumette un tribunal. Si vous pensez
que cela risque de faire en sorte que tous les cas seront soumis au tribunal,
je ne le pense pas nécessairement et il faut quand même aussi
entretenir auprès du titulaire de l'autorité parentale une
certaine responsabilité à l'égard de son jeune. Une
décision conjointe nous paraît à la fois de nature à
protéger les intérêts du jeune, mais aussi de nature
à sauvegarder la responsabilité que doit continuer d'assumer le
titulaire de l'autorité parentale. Il doit continuer d'être
impliqué dans les décisions concernant son jeune. Dans ce
sens-là, on allait dans le sens de l'un et l'autre, finalement, s'il y
avait différend. (18 h 30)
M. Leduc (Saint-Laurent): Je serais peut-être d'accord mais
il faudrait réécrire l'article parce que ce n'est pas ce qu'il
dit du tout.
Le Président (M. Blouin): Merci.
M. Bédard: On vous remercie très
sincèrement.
Le Président (M. Blouin): J'en profite à mon tour,
au nom de tous les autres membres de la commission, pour remercier les
représentants de l'Association des centres de services sociaux du
Québec d'avoir bien voulu nous présenter leur avis.
J'invite maintenant les représentants de notre dernier groupe
pour aujourd'hui, ceux de la Ligue des droits et libertés à venir
s'asseoir à la table des invités. Je demande à son
porte-parole de bien vouloir s'identifier ainsi que la personne qui
l'accompagne.
Ligue des droits et libertés
M. Tardif (Gilles): Gilles Tardif et Gaétan Nadeau qui a
travaillé à la rédaction du mémoire. Je voudrais
d'abord vous saluer, M. le Président, ainsi que les membres de la
commission qui tiennent encore le coup à cette heure-ci. On essaiera de
ne pas vous écraser.
M. Bédard: Voulez-vous parler un peu plus fort, s'il vous
plaît?
M. Tardif (Gilles): Je n'ai pas une voix forte, comme vous le
savez.
M. Bédard: Je vous en prie. C'est ce qui est dit qui est
important.
M. Tardif (Gilles): Dans le mémoire qu'on a soumis et que
vous avez devant vous, la ligue tient à vous souligner quelques aspects
qu'elle trouve importants. Cela concerne les aspects particuliers du projet de
la réforme et non pas tous les aspects. Cela est dû bien
sûr, à la quantité des énergies et à notre
capacité de pouvoir traiter tous les dossiers. C'est, parmi tous nos
membres, nos militants, le dossier qu'ils pouvaient traiter et qu'ils
considéraient important. C'est pour cela qu'on a insisté sur ce
sujet d'une part et aussi parce que par ces deux aspects qu'on a
déposés devant vous, on trouve qu'il y a matière à
réflexion et on espère que cela pourra vous être utile.
Ce sont les chapitres 1 et 5 de ce projet de loi qui nous ont beaucoup
intéressés. Cela concerne les banques de données
privées et le renoncement à l'exercice de certains droits civils
particuliers.
Notre objectif n'est donc pas de discréditer le projet de loi
mais bien d'essayer de trouver les façons de vous sensibiliser à
des éléments qui deviennent, selon nous, de plus en plus
importants.
En fait, si on considère les travaux qui ont suivi ce projet de
réforme, c'est-à-dire peut-être depuis 1956, tout l'effort
qui a été fait a été aussi suivi d'efforts de la
société québécoise pour faire beaucoup de
réformes et de changements. On arrive peut-être à une
époque où les changements se font de plus en plus rapidement, ce
qui fait que nous osons dire que par certains aspects, la réforme du
Code civil n'est pas assez rapide pour certains changements.
Il y a eu bien sûr, l'introduction de droits fondamentaux. Je
pense que la charte québécoise a introduit de nouvelles
façons de concevoir les droits, ce qui devrait influer sur la
façon de réformer le Code civil.
Il y a aussi un virage technologique important qui s'effectue de plus en
plus rapidement et qui, surtout ces derniers temps, nous oblige à
essayer de souligner l'importance que cela peut représenter, surtout
dans un code qui concerne la vie de la plupart des citoyens.
En fait, M. Nadeau pourrait vous indiquer les éléments les
plus importants par rapport à certains articles sur lesquels nous
voulons vous faire des recommandations.
M. Nadeau (Gaston): On pourrait souligner, au tout départ,
que la problématique des banques de données privées est au
moins aussi vaste que celle des banques de données gouvernementales.
On
sait qu'il existe une loi particulière pour cela. Il nous est
donc apparu un peu étrange que le problème des banques de
données privées soit abordé avec seulement quatre articles
de loi. C'est là-dessus que nous en aurons. D'une part, sur le peu de
marge de manoeuvre que cela offre et l'incapacité, à toutes fins
utiles, d'expliquer concrètement ces articles de loi. Pour
procéder à une étude un peu pratico-pratique, nous avons
regardé le rapport de l'Office de révision du Code civil pour
nous apercevoir d'une chose fondamentale: Entre les positions des commissaires
et le texte de loi qui nous est soumis aujourd'hui, il y a un net recul
concernant la question de la protection de la vie privée. Les
commissaires, par exemple, avaient retenu un article qui était d'une
simplicité et d'une clarté assez étonnante qui, quant
à nous, nous agréait parfaitement. On disait qu'il était
interdit de surveiller par quelque moyen que ce soit une personne dans sa vie
privée. Cela nous semblait simple, clair, facile d'application et cela
pouvait mettre fin aux agissements de certaines compagnies d'investigation de
toutes sortes ou d'agences d'information qui abusent de leur introduction dans
la vie privée des gens.
Alors, cette position avait le mérite de s'inscrire dans une
logique structurée. Notamment, les commissaires, à l'article 12
à l'époque du rapport des commissaires, apportaient un
éclairage suffisant sur ce que peut signifier le respect de la vie
privée. Paradoxalement, on incluait l'article 12, qui était une
répétition de l'article 5 de la charte québécoise,
pour offrir aux entreprises ou aux personnes morales certaines protections
concernant leur vie privée ou leur réputation. Les commissaires
parlent nommément dans leur rapport conjoint d'espionnage commercial et
industriel. Donc, on pourrait penser, étant donné que cette
partie a été ramenée à l'article 33 de la loi, que
finalement on pourrait, en fouillant, en grattant et en exposant toute cette
acrobatie juridique, que s'il existe un espionnage industriel, il existe un
espionnage privé et que si on se fie aux commentaires qu'on trouve
là, on devrait être capable d'intervenir.
On se demande si finalement ce n'est pas une faille dans la loi
puisqu'on ne retrouve vraiment rien de précis, de clair, disant que
c'est ce qu'on veut protéger. On a l'impression qu'il s'agit d'une
faille qui va être dans l'intérêt des citoyens, donc, nous
allons réclamer le maintien de cette faille. En ce qui concerne la
question des droits extra-patrimoniaux, les commissaires en avaient
donné une définition qui nous semblait intéressante bien
qu'un peu difficile parce que la doctrine, à cet égard, est pour
le moins ambiguë et assez enchevêtrée. C'était quand
même un exercice intéressant. L'article 13 nous semblait le plus
important, probablement.
Je vais me permettre de donner le contenu exact de notre mémoire
là-dessus. Revenons à cet article proposé par la
commission. Comme nous l'avons déjà dit, sa conception nous
plaît, nous comprenons mal son retrait.
On objectera que de façon générale le Code criminel
prévoit déjà ces situations, qu'il est donc inutile de
faire de la redondance.
Je pense que vous avez les textes des commissaires entre les mains,
donc, je ne vous en ferai pas la nomenclature. C'est le cas des alinéas,
1, 2, 3 et 6: Les contrevenants sont passibles de certaines sanctions au moment
où l'on se parle.
Nous pensons que les commissaires n'étaient pas sans
connaître cette réalité. Pourtant, il n'en est pas question
en ce qui concerne les commentaires. Cette inclusion au Code civil est
probablement une volonté des commissaires de qualifier plus exactement
certains délits même si, par ailleurs, l'article 1053 de l'actuel
Code civil possède en principe toute l'élasticité
voulue.
Cet article a le mérite de clarifier ce qu'on entend par
protection de la vie privée. Il donne du corps à un principe qui,
autrement, risque de chercher longtemps son contenu. Alors que l'article 5 de
la Charte québécoise des droits et libertés de la personne
reste insaisissable dans sa réalité, voilà que l'article
12 proposé par l'office de révision - l'article 33 dans le projet
de loi no 106 - prend une allure précise. Ce n'est pas une redite
inutile, c'est une qualification, partie intégrante d'un
système.
Maintenant, il y a eu beaucoup de choses qui ont été
modifiées concernant cet article. Quant à nous, nous avions
opté pour l'inclusion au Code civil de ces qualifications.
Quant à l'alinéa 7, nous pensons que la Loi sur
l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des
renseignements personnels l'a repris avec justesse.
L'alinéa 5 est repris en partie, à l'article 34 du projet
de loi.
Quant à l'aliéna 4 qui est de droit nouveau, son retrait
nous préoccupe. Nous ne retrouvons pas son pendant ailleurs au sein
d'autres lois. C'est pourtant au noeud de la problématique; nous
regrettons cette modification.
C'était à peu près les choses principales. On
retient une chose entre le texte soumis par les commissaires de révision
du Code civil et celui qu'on retrouve aujourd'hui, il y a diminution nette, il
n'y a pas le parti pris vraiment clair et précis envers le respect de la
vie privée.
Quant au projet de loi no 106 lui-même, deux préoccupations
comme nous le disions au début. Au sujet de la question des
banques de données, est-ce que, effectivement, on va pouvoir les
contrôler et la question de la capacité d'exercice des droits
civils. On a tout de même plusieurs cas, et c'est de plus en plus
fréquent, d'atteinte à la vie privée dans ces
domaines.
Concernant l'article 10 qui dit qu'on ne peut renoncer à
l'exercice de ses droits civils que dans la mesure où le permet l'ordre
public, on pose les questions à savoir, si on se fie à l'ordre
public qui représente des frontières assez instables. Par
exemple, l'ordre public n'interdit pas les formules de consentement autorisant
les atteintes à la vie privée. Si c'était le cas, nous
serions fort aises. Si l'ordre public interdisait les formules de consentement
autorisant l'utilisation des détecteurs de mensonge, les enquêtes
de moralité, les enquêtes sur la famille et les amis, les
échanges de dossiers médicaux, nous serions bien aises. Si
l'ordre public prévoyait déjà qu'il est intolérable
que l'on troque, un bien, un service ou un emploi pour de telles formules de
consentement, nous serions bien aises, mais ce n'est pas le cas. À ce
moment, l'article en question malgré son fond généreux ne
peut pas trouver d'application. Sur ce sujet, je vous réfère au
cas tout récent des détecteurs de mensonge que les gens
étaient obligés d'accepter sous peine de perdre leur emploi.
Article 33. Je vais essayer de vous le résumer. Cet article dit:
"Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie
privée; il ne peut y être porté atteinte sans son
consentement ou sans que la loi ne l'autorise". Il peut nous sembler un simple
fait que cela pourrait ouvrir certains recours à des victimes de ce
genre de pratique. Notamment, on nous en signalait au niveau syndical, mais
apparaissent, depuis quelques mois, d'autres cas de citoyens qui sont victimes
de surveillance et d'atteinte à la vie privée par des actions
policières qui ne sont pas généralement autorisées
par la loi. Le fait de retrouver au Code civil cette chose pourrait permettre,
pensons-nous, des procès qui auraient des fins concluantes à ce
sujet si on laissait aux citoyens le loisir d'aller jusqu'au bout. Enfin, cela
reste difficile parce que je pense qu'il y a une difficulté quant au
cumul des preuves, mais on pourrait peut-être reparler tout à
l'heure de cas précis que nous avons traités à la
ligue.
L'article 34, qui parle de l'utilisation du nom, de l'image ou de la
voix d'une personne sans son consentement et à une autre fin que
l'information légitime du public donne à cette personne, outre
tout autre recours le droit de demander qu'il y soit mis fin, je ne pense pas
que cela ait été mis là pour essayer de contrôler
les médias ou certains journaux, mais on voit d'ici l'utilisation
abusive qu'on pourrait être tenté de faire. Évidemment, ce
sont les tribunaux qui devront user de leur sagacité à ce sujet
mais cela pourrait être utilisé à cela.
L'article 35, qui semble être la partie principale. Cet article
devrait permettre un contrôle des banques de données
privées. Force nous est d'admettre cependant que l'économie
générale de cet article ne figure rien de vraiment
révolutionnaire dans le domaine, ce sera même inefficace. On parle
de banques de données montées dans le but d'informer un tiers. On
ne voit pas bien quel genre de banques de données tombera sous cette
définition. La très grande majorité des banques de
données existe pour informer leur seul propriétaire, rarement des
tiers. Les membres d'une association de propriétaires qui
s'échangent des dossiers personnels sont-ils des tiers? Les caisses
populaires, qui possèdent 4 000 000 de dossiers et qui les gèrent
en commun, sont-elles des tiers? Les compagnies d'investigation engagées
à contrat pour faire des enquêtes de moralité sont-elles
des tiers? Quel est le statut d'un dossier de police remis à un
employeur au moment de l'embauche? C'est un curieux mélange des genres
qui causaient le plus d'un mal de tête aux juristes. Un individu ne peut
avoir accès à son dossier pour des raisons de
sécurité nationale mais son employeur en a une copie qu'il peut
vendre à une agence qu'il revendra à d'autres employeurs. De
plus, les banques de données privées sont secrètes,
inconnues du public dans la plupart des cas. Le droit d'accès, sans la
connaissance c'est une serrure sans clé, un objet de contemplation.
À ce sujet rappelons l'existence des judicieuses recommandations du
rapport Paré qui déjà suggérait des choses
très précises concernant les banques de données. Pour la
rectification des données soulignons simplement
l'ingéniosité des informaticiens qui peuvent prévoir deux
ou trois clés d'accès chacune révélant une partie
des informations. Le véritable dossier sera inconnu mais circulera sous
le manteau. D'ailleurs, une des interventions des assureurs, lorsqu'il a
été question du bill C-3 à Ottawa, les assureurs avaient
affirmé de façon publique que quant à eux, s'il y avait
une loi pour contrôler leurs banques de données internes, ils y
résisteraient, ils garderaient des dossiers secrets pour eux. On n'est
pas à la veille d'avoir le contrôle de cela. (18 h 45)
Un point important concernant cette figure de style qu'on emploie,
à savoir que l'article 35 fait figure d'un pédalo se
lançant à l'assaut du Nimitz, je vous ferai remarquer qu'à
toutes fins utiles les banques de données s'internationalisent et qu'on
peut très bien les situer au Nouveau-Brunswick, en Ontario ou dans le
Maine et que les télécommunications n'étant pas de
juridiction provinciale, à cause du commerce interprovincial, etc., la
loi deviendrait
difficile à appliquer. Par contre, il y a peut-être des
solutions facilement applicables à ce niveau. Nous y reviendrons tout
à l'heure.
Concernant les conditions et modalités du droit d'accès
déterminées par les tribunaux, cela pose des problèmes,
parce que les ordinateurs n'ont pas toutes les vertus de simplicité
qu'on veut bien leur accorder. Cela se fait dans certains pays
européens, mais c'est assez difficile et ce n'est pas toujours
concluant. Ce qui est pire, les tribunaux vont devoir se spécialiser,
évidemment. La charge des témoins-experts va revenir aux
citoyens. Ce sera assez coûteux.
Il y a un autre problème, c'est que les tribunaux seront
confrontés à la tâche, devenue nécessaire, de juger
de la validité ou de la pertinence d'un document provenant d'un appareil
électronique, alors qu'aujourd'hui de tels documents sont
relégués au rang du ouï-dire pour des raisons fort valables,
c'est-à-dire qu'ils sont facilement altérables par le temps, par
un réseau électrique insuffisant, par un transfert, par toutes
sortes de choses qui sont accidentelles, mais qui peuvent entraîner des
modifications aux renseignements contenus.
Nous apportons quelques suggestions qui ne sont pas une bible - il faut
bien s'entendre là-dessus - mais qui pourraient permettre tout au moins
d'apporter de la matière pour la discussion. Quant à nous, il
serait simple de contrôler les banques de données en obligeant les
personnes qui font des banques de données, qui ramassent des
renseignements, à aller faire la cueillette directement chez les gens
concernés. Automatiquement, les gens seraient au courant qu'il existe
une banque de données sur leur personne.
On fait une petite annonce en passant: Des notions comme "droits
civils", "droits extra-patrimoniaux", "ordre public", etc., mériteraient
une attention plus soutenue, mais cet effort de réflexion doit
être partagé largement pour tenter de fabriquer, sinon des normes
minimales, tout au moins un consensus social. Autrement dit, M. le ministre, on
vous annonce un colloque pour bientôt.
M. Bédard: C'est bien, cela.
M. Nadeau: Le principe des "fins socialement acceptables" est
retenu en Australie. On donne des permis pour les banques de données
privées, ce qui est notre point de vue aussi; c'est ce qu'on devrait
faire et se fier à ce concept de "fins socialement acceptables". Ce qui
fait que des listes noires des propriétaires sur les locataires ne
correspondent pas à des fins socialement acceptables. J'entends les
listes où on fiche les gens qui ont fait appel à la
Régie du logement ou qui sont sur ces listes uniquement de par
leur statut d'assisté social. À notre point de vue, ce sont des
banques de données qui ne devraient pas exister et qui ne correspondent
pas à des fins socialement acceptables.
Nous osons avancer la proposition d'une société de gestion
mixte, c'est-à-dire que le contrôle des banques de données
étant difficile, vu leur éparpillement et leur
multiplicité, pour faciliter l'émission des permis et le
contrôle du genre d'information qu'on y insère, non pas les
renseignements, mais le type de renseignements qu'on ramasse, et pour permettre
aux citoyens d'y avoir un accès direct, sans problème, il
semblerait qu'on pourrait utiliser la formule de la concentration des banques
de données qui appartiendraient quant au contenu à leurs
propriétaires, mais qui seraient gérées par une forme
d'institution publique ou mixte où participeraient les
propriétaires, les usagers et des représentants
gouvernementaux.
Cela a plusieurs mérites, parce qu'on s'aperçoit notamment
que la sécurité quant aux banques de données, un chiffre
qui est déjà vieux, mais qui ne s'est pas beaucoup
amélioré, 60% des banques de données sont laissées
sans aucun système de sécurité, sécurité
dans tous les sens du terme: capacité d'écoute
électronique, pas de surveillance physique des lieux où sont
entreposées les banques de données, pas de mesures qui ont
été prises pour éviter des chutes de courant
électrique, toutes sortes de matières qui abîment les
banques de données. Comme c'est coûteux, tous ces systèmes
de sécurité, l'industrie privée dans la plupart des cas
n'est pas capable de se payer cela. Nous pensons que cela milite pour la
question des centres mixtes.
Quant au problème des interconnexions, il nous semble que,
minimalement, on devrait interdire les interconnexions parce qu'on peut
recueillir en très peu de temps tous les renseignements disponibles sur
une personne. Nous avons déjà fait faire des dossiers. On obtient
le contrat de mariage, les raisons du divorce, le divorce, la pension
alimentaire, les poursuites de toutes sortes, les faillites, les
dépôts volontaires, les fréquentations des gens, le
problème avec la dive bouteille... On obtient tout cela, ce qui nous
semble un peu anormal, et les interconnexions permettent ce genre
d'interrelation très rapidement.
C'est en gros ce que nous proposons. Quant à l'exercice des
droits civils, il nous semble qu'il ne faudrait pas que ces formules de
renoncement soient liées à un service, à un bien ou un
emploi, parce que cela place les gens dans une position contractuelle un peu
difficile, surtout dans les périodes que nous connaissons
actuellement.
Le Président (M. Blouin): Merci, messieurs. En conclusion,
M. Tardif.
M. Tardif (Gilles): Un de nos autres comités nous a
ajouté un tout petit texte que je vous résume. Il porte sur les
aspects du projet de réforme qui concerne les personnes malades
mentalement, notamment celles qui doivent recevoir des soins en psychiatrie.
Nous suggérons deux choses. Premièrement, qu'il y ait dans le
projet des dispositions voulant que toute personne, lorsqu'il n'y a pas
d'urgence à prescrire un traitement requis par son état de
santé, soit informée des conséquences de ce traitement et
puisse décider si elle y consent ou pas. Cela impliquerait, pour les
personnes soumises à un régime de protection où il y a
représentation de leur personne, qu'elles puissent utiliser leur droit
judiciaire articles 23 et 24 de la charte - si elles ne sont pas d'accord avec
les décisions prises pour elles.
Nous croyons aussi que tout régime de protection doit être
accordé par un tribunal et que la personne pour qui on le demande soit
entendue et puisse utiliser ses droits judiciaires s'il y a conflit. Dans le
cas où une personne serait hébergée pour une durée
prolongée, nous trouvons important que la personne qui a la garde soit
libre de toute affiliation avec l'établissement de santé ou de
services sociaux.
Ce sont deux petits aspects qui permettraient peut-être à
certaine catégorie de gens qui reçoivent des services de recevoir
plus de protection pour leur personne.
En terminant, j'aimerais rappeler deux choses. Nous croyons que le Code
civil, qui est un document volumineux et pas toujours très connu,
devrait recevoir peut-être plus de temps et d'énergie pour
diffusion sous certaines formes ou certains aspects de façon que plus de
citoyens soient au courant des chapitres les plus importants. À titre
d'exemple, on vous citerait certains avocats qui travaillent
bénévolement à la ligue. En relisant leur Code civil, en
faisant leur devoir, ils ont découvert qu'ils avaient le droit de
critiquer certaines lois, ce qu'ils avaient oublié. Ne serait-ce que
pour ce bienfait, il serait peut-être important que le gouvernement ou
les commissaires trouvent des moyens pour diffuser le Code civil, le faire
connaître et que plus de citoyens puissent savoir qu'ils ont là un
code qui les concerne.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Tardif.
La parole est au ministre de la Justice.
M. Bédard: Je voudrais remercier les représentants
de la Ligue des droits et libertés, entre autres MM. Tardif et Nadeau,
de leur présentation. Un mémoire qui est présenté,
comme ils l'ont dit, non dans un sens critique mais pour essayer d'apporter les
suggestions positives qui seraient de nature à améliorer...
Vous êtes, avec d'autres groupes plus restreints, nous en avons
entendu un hier, je crois que vous étiez dans la salle au moment
où ils se sont fait entendre... Non?...
M. Nadeau: Non.
M. Bédard: Des groupes ont fait porter leurs
énergies sur le problème des banques de données, sur le
virage technologique, avec tout ce que cela représente de
transformations au niveau des mentalités, du contexte social et de la
vie de tous les jours aussi des citoyens concernant entre autres ces
renseignements qui peuvent être accumulés sur eux et qui,
éventuellement, pourraient être utilisés d'une
manière qui n'est en aucune façon respectueuse des droits et
libertés de chaque individu.
Je pense que lorsque vous soulignez la nécessité qu'il n'y
ait pas connexion entre les banques de données, c'est un point majeur.
Je crois que là-dessus, déjà, l'opinion est très
claire à savoir que c'est une pratique qui doit être bannie,
à moins qu'il y ait des raisons tout à fait particulières.
Il est évident que quand on fait ces connexions, on peut avoir le
portrait rapide de tous les éléments qui concernent une personne,
un individu, alors qu'il a droit - cela concerne sa vie privée -
à ce que sa vie privée soit respectée. Il est clair, on
l'a déjà dit, ce n'est pas à cause de l'heure tardive de
nos travaux, mais nous avons rencontré, hier, l'association des
locataires qui, d'une façon spéciale, a souligné la
question des listes noires, des banques de données, enfin, l'essentiel
de ce que vous nous avez présenté, ce soir, mais en y ajoutant
beaucoup d'autres éléments fort valables qui, je peux vous le
dire, vont certainement représenter une matière à
réflexion pour l'ensemble des membres de la commission.
Quand vous nous dites que la formulation du présent projet de
loi, selon votre perception, marque un recul par rapport à la
formulation de l'Office de révision du Code civil, dans le respect des
opinions, sincèrement, je pense qu'il faudrait peut-être parler un
peu de technique législative. Ce que dit le chapitre 3 de l'Office de
révision du Code civil, vous l'avez à l'article 12, à
l'article 13. Ce sont les questions de principes fondamentaux. Ce sont des
exemples. Ce n'est pas limitatif. On y va d'une série d'exemples ou de
sujets qui peuvent être touchés par les principes
généraux, cela n'est pas limitatif. Cela peut s'appliquer aussi
à d'autres sujets que ceux qui sont évoqués après
le mot "notamment" qu'on retrouve dans la formulation de l'Office de
révision du Code civil. Tout simplement, quand vous lisez l'article 33,
c'est la reproduction intégrale ou presque de
12 et 13 concernant les principes généraux.
Le fait d'ajouter des exemples ne semble pas nécessaire parce que
ces exemples ne sont pas limitatifs et ils indiquent une attention
particulière du législateur par rapport à des situations
données en ce qui a trait aux principes généraux qui sont
énoncés.
M. Marx: Est-ce que le ministre serait d'accord avec les exemples
à l'article 13 du rapport de l'office?
M. Bédard: On voit...
M. Marx: Est-ce que vous êtes d'accord?
M. Bédard: Écoutez, vous ferez vos interventions
quand ce sera le temps. Vous me donnerez votre opinion.
M. Marx: Vous êtes souvent intervenu quand j'étais
en train...
M. Bédard: Je suis bien d'accord.
M. Marx: Nous sommes des égaux sauf que vous êtes
plus égal que moi, comme je l'ai dit l'autre jour.
M. Bédard: Non, je n'ai pas tellement de prétention
de ce côté. Si le député de D'Arcy McGee veut
commencer à poser des questions, je n'ai aucune objection.
M. Marx: Je vous pose cette question.
Le Président (M. Blouin): Je crois que les travaux
jusqu'à cette heure ce soir se sont bien déroulés. Je
redonne la parole au ministre de la Justice et ensuite je permettrai au
député de D'Arcy McGee d'intervenir.
M. Bédard: M. le Président, quand on regarde chacun
de ces articles, premièrement, "pénétrer chez autrui et y
prendre quoi que ce soit", vous le retrouvez dans le Code criminel. La
même chose pour l'article 2. Quand on dit: "Toute personne a droit
à sa vie privée, on ne peut pas y porter atteinte sans son
consentement ou sans être expressément autorisé par la
loi", cela implique nécessairement ces choses-là même si
elles ne sont pas mentionnées. (19 heures)
Ce que je veux dire, c'est que, même si le libellé de
l'article 33 du présent projet de loi ne fait pas
référence aux exemples, aux sujets particuliers que l'on retrouve
à l'Office de révision du Code civil, il les touche très
directement. En ce qui concerne les tribunaux, ils auront à faire des
interprétations en conséquence et probablement que ceux-ci en
arriveront à des jugements qui toucheront d'autres sujets pouvant
être l'objet de préoccupations, outre les sujets mentionnés
par l'Office de la révision du Code civil. Prenez l'article 34,
où vous avez l'utilisation du nom. Si j'ai bien compris, vous trouvez
que l'énumération de l'Office de révision du Code civil ne
prête pas à danger. Entre autres, l'article 5 parle de
l'utilisation du nom, de l'image, de la ressemblance ou de la voix d'une
personne. On retrouve cette formulation à l'article 34. Je ne vois pas
pourquoi il ne représente pas de danger quand c'est dit par l'Office de
révision du Code civil et que cela représente du danger quand
c'est dit dans le présent projet. Peut-être qu'il pourrait y avoir
des remarques. Quand vous regardez un autre exemple souligné par
l'Office de révision du Code civil à savoir: "Nul ne peut
surveiller par quelque moyen que ce soit une personne dans sa vie
privée", c'est évident, si le principe général,
c'est le respect de la vie privée; donc cela implique
nécessairement la défense aux autres personnes d'y aller de
surveillance. On peut avoir chacun sa perception des choses, mais le danger
d'une énumération, c'est que vous pouvez en oublier tandis que,
quand vous y allez du principe général, à ce moment, cela
s'ajuste mieux à toutes les situations particulières lorsque
c'est nécessaire, lorsque les cas sont soulevés.
J'aimerais que vous précisiez les raisons qui vous amènent
à croire que les tribunaux ne pourront préciser
adéquatement le concept de vie privée tel qu'évoqué
par l'article 33 ou s'adapter à la réalité nouvelle des
ordinateurs. Vous l'évoquez à la page 11 de votre mémoire;
nous, nous touchons cette réalité un peu par l'article 36. Je ne
vous dis pas que je pense qu'à juste titre vous puissiez au
départ vous attendre qu'il y ait plus de dispositions en ce qui a trait
au Code civil; le Code civil, c'est une loi générale. Quand on
regarde toute la complexité du monde des ordinateurs, des banques de
données, etc., après avoir instauré les principes
généraux au sujet du Code civil, c'est peut-être beaucoup
plus vers un projet de loi spécifique qu'il faudra s'orienter qui, lui,
pourra beaucoup plus tenir compte de l'ensemble de cette
réalité.
M. Nadeau: Sur la question de la définition de la vie
privée et de son respect, étant donné que c'est dans les
moeurs actuellement, que c'est admis comme étant possible d'avoir des
agences d'information qui vont fort loin, je ne pense pas qu'un juge
déciderait demain matin que ce genre de travail ou de compagnie fait un
travail de type illégal. Le rapport des commissaires avait le
mérite, à ce sujet, d'offrir des possibilités de rendre
à toutes fins utiles illégal ce genre de compagnie, ce qu'on ne
trouve pas à l'article 33. On s'est posé la
question: Est-ce que le Code civil, tel que l'on nous le soumet, va
permettre d'interdire et d'arrêter ces intrusions? On s'est dit qu'on
n'avait rien de vraiment substantiel sur quoi s'appuyer et que l'on ne pouvait
pas arriver devant un juge avec un dossier préparé par une
compagnie, cela existe déjà depuis nombre d'années, c'est
passé dans les moeurs, à toutes fins utiles. Le problème,
c'est que cela se multiplie très rapidement. Sur cela, la question de la
vie privée est tellement élastique. Remarquez que c'est possible,
avec les articles de loi qui sont là. Cela va demander beaucoup
d'acrobatie et je trouve qu'il va falloir démontrer que les commissaires
l'ont introduit. Prenons par exemple l'article 12, qui devient l'article 33, si
ma mémoire est bonne.
M. Bédard: L'article 13 qui devient l'article 33; il y a
l'article 34 aussi; il y en a d'autres.
M. Nadeau: C'est cela. On dit qu'on a inclus cela pour
protéger les compagnies contre l'espionnage industriel. On peut partir
de ce principe pour dire que comme le mot "personne" se rapporte à tout
le monde, finalement, les personnes morales et les personnes physiques, on
pourrait en déduire, par une espèce de cheminement un peu
tortueux que, oui, effectivement, on peut intervenir, mais j'aimerais voir le
juriste qui se paiera cela; cela risque d'être compliqué. Quant au
libellé, cela nous apparaissait plus clair. J'admets avec vous qu'une
nomenclature comme celle-là pouvait avoir une partie restreinte et l'une
des difficultés qu'on connaît dans la législation actuelle,
que ce soit dans le domaine de la protection du consommateur ou même de
la Régie du logement, c'est que lorsque que cela devient tellement
complexe, tellement restreint...
M. Bédard: ...spécifique...
M. Nadeau: Oui, c'est cela, cela devient finalement facile de
passer à côté et on n'a pas de moyen d'intervenir. On voit
cela souvent dans ces deux lois. Nous sommes conscients de cela, il n'y a pas
de problème. Notre point de vue se rapproche du vôtre, à
savoir qu'il faudrait une loi spécifique parce que les banques de
données se développent et qu'il y a de curieux effets dans la
technologie. Nous parlons ici des banques de données. Toute la question
des systèmes de paiements électroniques qui semble anodine, mais
j'ai avec moi une petite carte à mémoire intégrée
avec un petit ordinateur à l'intérieur. Le gérant de la
banque décide quel montant d'argent il met là-dedans, à
condition que tous vos revenus aillent là et qu'il administre vos
dépenses incompressibles, ordinaires, comme le loyer, les
hypothèques, la pension alimentaire et tout cela. Cela lie la personne
à son institution financière presque ad vitam aeternam, et
l'ordinateur, qui a sa propre logique, n'admet pas facilement un rythme de
dépense que nous réussissons à contrôler. On sait
qu'on peut faire un achat impulsif, mais qu'on restreindra ailleurs, mais
l'ordinateur n'admet pas cela; il lui faut des preuves précises. Alors,
il y a comme un blocage qui s'en vient. Ces inventions ne sont pas tellement
loin - on attend d'en avoir terminé avec les jeux vidéo - la
télévision interactive, bidirectionnelle, par définition,
qui vous permet de "pitonner" pour dire si vous êtes d'accord ou non avec
le dernier discours de M. Bédard à la
télévision.
M. Leduc (Saint-Laurent): ...
M. Nadeau: Pardon? Enfin, l'ordinateur, quant à lui, garde
toutes les réponses, évidemment. Si on veut faire le calcul, les
contre et les pour apparaissent au bas de l'appareil automatiquement. La police
américaine se sert de ces banques de données pour tracer des
portraits idéologiques des gens qui utilisent ce principe de
façon courante. On voit comment des choses anodines peuvent avoir des
effets très importants. Les cocardes métalliques commencent
à se répandre dans les usines pour suivre les employés
dans leurs déplacements. En principe, c'est pour une meilleure gestion,
éviter les déplacements inutiles, voir combien de temps se perd,
les gestes qui pourraient être améliorés pour augmenter la
production. On voit d'ici les autres utilisations. Enfin, l'informatique, c'est
la télématique.
M. Bédard: On peut dire que vous êtes très au
fait de...
M. Nadeau: Un bon vendeur... M. Bédard: ...cette
réalité.
M. Nadeau: Je ne sais pas comment fonctionne ma montre, par
exemple.
M. Bédard: Non, on ne voit pas passer le temps. C'est
très intéressant. Je laisserai la chance à un de mes
collègues de vous poser une question.
Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Sur ce même article que le ministre a
commenté, si le ministre a d'autres commentaires, il peut m'interrompre
n'importe quand; cela me fera plaisir.
Le Président (M. Blouin): Je prends note de votre
consentement, M. le député.
M. Marx: Ah! oui. Pas de problème.
M. Bédard: Disons que je n'ai pas l'intention de
l'interrompre.
M. Marx: Bon, ce sera la première fois. Le ministre a bien
décrit la théorie en droit civil, c'est-à-dire qu'on
émet les grands principes et on laisse aux tribunaux le soin de
raffiner, de spécifier le contenu de ces principes. Souvent, il faut 75
ans avant que les tribunaux arrivent à spécifier le contenu d'un
principe; je pense, par exemple, à l'article 1053 du Code civil; il a
fallu au moins 75 ans avant que les lords, au comité judiciaire du
Conseil privé, ne donnent toutes les nouvelles interprétations et
ainsi de suite. Donc, il pourrait arriver, comme le ministre l'a bien dit,
qu'avec l'article 33, dans un certain nombre d'années, les tribunaux
nous donneront des interprétations qui iront dans le même sens que
les paragraphes 1 à 7 qu'on trouve à l'article 13 du rapport de
l'Office de révision du Code civil.
Il faut maintenant se demander ce qu'on vise comme but. On pourrait, par
exemple, reproduire l'article 13 de l'ORCC afin d'aviser les
Québécois que c'est cela la vie privée et qu'on met tout
le monde en garde tout de suite. Avant d'avoir toute une série de
décisions des tribunaux, on dit: Voici des exemples. Je n'ai pas peur du
mot "notamment" comme dans l'article 13 du rapport de l'ORCC,
c'est-à-dire "notamment" ce sont des exemples. Comme le ministre l'a
dit, ce n'est pas limitatif, les tribunaux pourraient ajouter des paragraphes
à cet article comme, implicitement, les paragraphes 8, 9, 10, 11, 12,
etc.
Je me pose la question et je pourrais peut-être la poser au
ministre. S'il est tout à fait d'accord avec les dispositions des
paragraphes 1 à 7 de l'article 13, pourquoi ne pas les spécifier?
Pourquoi ne pas dire aux gens: Voilà ce qu'on entend par cette
disposition qui traite de la vie privée. Est-ce que...
M. Bédard: M. le Président, je crois avoir
déjà exprimé mon point de vue. Le député de
D'Arcy McGee peut maintenant exprimer le sien.
M. Marx: Est-ce que le ministre refuse de...
Le Président (M. Blouin): Sur cet échange de points
de vue. M. le député de D'Arcy McGee.
M. Bédard: Je ne refuse pas. Vous avez des oreilles comme
les autres à cette commission. J'ai exprimé mon point de vue tout
à l'heure. Vous avez le droit d'avoir un point de vue différent,
je le respecte et c'est tout.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le
député de D'Arcy McGee, je dois vous référer au
journal des Débats...
M. Bédard: Prouvez-nous vos avancés.
M. Marx: À mon avis, il me semble que le ministre n'a pas
vraiment la volonté politique de traiter de ce sujet. C'est aussi simple
que cela. Il n'est pas prêt à...
M. Bédard: M. le Président, je tiens à
m'inscrire en faux. Jusqu'à maintenant, je crois que nous avons eu...
C'est une attitude partisane que le député affiche
présentement, ce que nous nous sommes gardés de faire dans nos
travaux. Je crois que chacun exprime son point de vue. Nous aurons amplement
l'occasion de le faire de nouveau lors de l'étude article par article.
Nous écouterons avec beaucoup de considération l'argumentation du
député de D'Arcy McGee comme celle d'autres groupes qui se sont
fait entendre.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre, M. le
député de D'Arcy McGee, je crois que je n'ai pas besoin de vous
relire le mandat de la commission qui est d'entendre des personnes et des
organismes. Compte tenu des circonstances, je crois qu'il serait
préférable d'entendre les invités et les questions que
vous avez à leur poser.
M. Marx: Dois-je invoquer la charte des droits pour
protéger ma liberté d'expression?
Le Président (M. Blouin): S'il vous plaît, M. le
député de D'Arcy McGeeJ
M. Nadeau: Est-ce que je pourrais apporter des commentaires?
M. Marx: Quand j'ai dit que le gouvernement n'a pas... Oui,
allez-y!
M. Nadeau: Je pourrais peut-être apporter deux brefs
commentaires sur ce que vous venez de proposer. D'abord, je sais que le Code
civil peut demander un certain nombre d'années pour se raffiner et
prendre toute sa signification. Le problème, avec la question des
ordinateurs, c'est que cela demande quatre ans entre une
génération d'ordinateurs à une autre. On peut voir le
problème d'ici, s'il faut attendre 65 ans pour obtenir quelque chose de
précis. C'est un problème auquel on a à faire face.
La rapidité avec laquelle cela se développe, c'est
absolument alarmant. Quant à nous...
M. Bédard: Je crois que c'est plutôt par une
législation, spécifique, tout en ayant...
M. Nadeau: Je le sais, c'est ce que j'allais dire. Pour
nous...
M. Bédard: ...les grands principes au niveau du Code
civil, en tenant compte de vos représentations, mais en axant la
préoccupation vers la mise en place d'une législation
spécifique.
M. Nadeau: On voyait comme des mesures transitoires, finalement,
ce qu'il y avait dans le rapport des commissaires. Cela peut paraître
étrange d'avoir des mesures transitoires dans un Code civil, mais tant
et aussi longtemps qu'il n'y aura pas eu de législation adaptée
à cette nouvelle technologie... (19 h 15)
M. Bédard: Par rapport aux organismes gouvernementaux vous
avez déjà une loi concernant l'accès à
l'information qui va avoir l'oeil sur les banques de données. Fort
heureusement. Il reste le secteur privé. Je pense qu'on doit y mettre la
pression.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Maintenant, je comprends que le ministre me donne
raison. Quand j'ai dit que le ministre ou le gouvernement n'a pas la
volonté politique de faire quelque chose, ce n'était pas
péjoratif. On peut ne pas avoir la volonté politique aujourd'hui,
mais on peut l'avoir dans six mois, dans un an dans une loi spéciale,
spécifique et ainsi de suite. C'est une constatation que j'ai faite. Je
n'ai sûrement pas voulu attaquer le ministre de quelque façon que
ce soit. Je répète qu'on n'a pas l'intention de vraiment aller
dans le même sens que le rapport de l'Office de révision du Code
civil qui, à mon avis, aux articles 12 et 13, va plus loin que les
articles 33 et 34. Le ministre a implicitement admis...
M. Bédard: On ne commencera quand même pas une
discussion.
M. Marx: Ce n'est pas nécessaire de me...
M. Bédard: M. le Président, vous avez
rappelé à l'ordre le député de D'Arcy McGee tout
à l'heure. L'affirmation du député de D'Arcy McGee est
complètement fausse, nous sommes en train de parler d'une
rédaction qui existe au niveau de l'Office de révision du Code
civil sur ce problème. J'ai donné mon idée. Ce n'est pas
du tout ce que prétend le député de D'Arcy McGee, une
non-volonté d'agir dans le domaine. Au contraire, je dis que c'est
plutôt, à partir de principes généraux
exprimés dans le Code civil, vers une loi spécifique tenant
compte de la complexité de la situation qu'il faudrait se diriger.
M. Marx: Est-ce que ce serait une loi spécifique pour
modifier le Code civil ou dans une autre loi?
M. Bédard: Vous verrez en temps et lieu. C'est à
vous de parler.
M. Marx: Donc, vous n'avez pas la volonté politique
aujourd'hui. Ce sera en temps et lieu que vous l'aurez.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee, je souhaiterais...
M. Marx: J'ai une autre question.
Le Président (M. Blouin): ...que vous reveniez à la
lettre du mandat de cette commission, que vous abordiez ce genre de question
lors de l'étude du projet de loi article par article et, avec toute la
déférence que nous devons à nos invités, que vous
poursuiviez l'échange que vous avez entamé avec eux.
M. Marx: Parfait, M. le Président. Honnêtement, je
commence à trouver que ce que j'ai dit avant se révèle
vrai dans les faits...
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee, je vous invite à poursuivre le dialogue avec nos
invités, s'il vous plaît.
M. Marx: Nous sommes des égaux mais le ministre est plus
égal que moi. Oui, d'accord. Je n'ai pas interrompu le ministre. Je
laisse le ministre m'interrompre et quand je veux faire un commentaire,
après trois jours d'auditions, je n'ai pas le droit de faire un
commentaire, j'ai juste le droit de poser des questions.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee, je vous signale que, si vous désirez que votre droit de
parole ne soit pas interrompu, je m'engage - je crois que c'est ce que j'ai
essayé de faire depuis le début - à conserver intact votre
droit de parole pendant les 20 minutes habituelles auxquelles vous avez
droit.
M. Marx: M. le Président, êtes-vous d'accord pour
dire que j'ai aussi le droit de faire un commentaire de temps à autre et
de ne pas seulement poser une question? Est-ce que j'ai le droit de faire un
commentaire comme le ministre, comme tout le monde a fait depuis trois jours ou
est-ce que, maintenant, on change les règles du jeu?
M. Bédard: Question de règlement. J'avais dit que
je n'interviendrais pas lors du
temps réservé au député de D'Arcy McGee, qui
est consacré, comme vous le dites, à poser des questions à
nos invités, mais à partir du moment où le
député de D'Arcy McGee, contrairement au mandat, commence
à prêter des intentions au ministre, au gouvernement, vous
comprendrez qu'à ce moment il le fait intentionnellement. C'est pour que
nous répondions. Lorsque le député fait des affirmations
inexactes, je ne peux quand même pas laisser passer.
M. Marx: Le ministre fait des commentaires. Tout ce qu'il dit,
c'est toujours exact. Il ne se trompe jamais. Il ne fait jamais de...
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Bédard: Vous ne comprenez pas. M. Marx: J'ai une autre
question. Le Président (M. Blouin): Très bien.
M. Marx: Je vais laisser cela pour le moment. Ceux qui vont lire
le journal des Débats vont trouver les réponses assez
claires.
M. Bédard: Oui, très bien.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: On devient nerveux quand on a tort.
M. Bédard: Vous avez l'air nerveux.
M. Marx: Est-ce que le ministre veut prendre la parole?
Allez-y.
M. Bédard: Vous avez l'air nerveux, vous avez raison de
dire cela.
Le Président (M. Blouin): Je vous rappelle que nos
invités attendent toujours que vous leur parliez.
M. Marx: En ce qui concerne les banques de données qui ne
se trouvent pas au Québec. Je pense que l'Assemblée nationale a
une certaine juridiction sur ces banques de données au moins sur les
personnes qui vont les utiliser au Québec.
M. Nadeau: II y a un problème. La communauté
européenne possède une législation assez précise
sur les banques de données privées. Effectivement, les
interconnexions, les flux interfrontières sont contrôlés.
Cependant, la Belgique est un pays qui n'a pas signé cette convention.
Les sièges sociaux s'installent là, les ordinateurs s'installent
là et on ne retrouve dans les autres pays concomitants que les
terminaux. Cela pose un problème.
M. Marx: Supposons que la banque de données est à
Toronto, ne peut-on pas empêcher les gens qui se trouvent au
Québec d'utiliser ces données?
M. Nadeau: Je pense que votre formation de constitutionnaliste
devrait vous donner beaucoup plus de possibilités de réponses que
je peux en avoir. Je pense que cela ne pourrait pas être comparable. Des
gens pourraient protester et dire qu'ils ont le droit, en vertu de la
constitution canadienne, de procéder comme cela, à notre
avis.
M. Marx: Je ne suis pas sûr... M. Nadeau: Tant
mieux.
M. Marx: Je ne veux pas faire de débat sur le droit
constitutionnel, mais le commerce interprovincial ne permet pas le commerce de
tout produit, mais une fois que le produit est ici, l'Assemblée
nationale, le Québec, a une certaine compétence. En ce qui
concerne les listes noires des locateurs, vous proposez, comme en Australie,
qu'on légifère par le biais d'un permis. C'est cela?
M. Nadeau: Oui. Il nous semblait, dans le texte soumis par les
commissaires, qu'il y avait des ouvertures pour cela. Maintenant, ce
n'était pas d'une clarté claire.
M. Marx: ...de votre mémoire, oui.
M. Nadeau: Oui, je sais. Quant à nous, c'est certain que
les banques de données privées devraient obtenir des permis. Ces
permis, sur le même modèle que la loi 65, contiendraient le type
de renseignements qu'on peut y accumuler, comment on les traite, à qui
ils vont servir et comment on va les cueillir. Enfin, ce sont toutes des
informations pertinentes. Cela nous semblerait important à l'heure
actuelle.
M. Marx: Parce que vous avez écrit qu'en ce qui concerne
l'émission d'un permis, on pourrait se référer au concept
de fins socialement acceptables.
M. Nadeau: Oui, pour décider de l'octroi des permis. Si
les personnes disent: Je veux faire une banque de données sur tous les
individus qui ont fait appel à la Régie du logement, comme on
voit dans le cas des propriétaires, je vous réponds
automatiquement: À quoi cela peut-il vous servir sinon faire de la
discrimination?
M. Marx: Je veux juste leur écrire des lettres.
M. Nadeau: Oui. Ce sont des choses qui peuvent arriver,
d'ailleurs. Tout de même, ce seront des choses acceptables.
M. Marx: Oui, mais je me demande si c'est un standard qui est
"manageable", si on peut utiliser ce mot, par les tribunaux. C'est
extrêmement suggestif.
M. Nadeau: II faudrait peut-être voir les résultats
en Australie.
M. Marx: En Autralie, oui.
M. Nadeau: De toute façon, comme je le disais, ce n'est
pas une bible que nous présentons. Ce sont des suggestions. Il y a
tellement de débats à mener là-dessus, de discussions et
de recherches qu'il serait un peu prématuré de dire que c'est la
vérité absolue.
Le Président (M. Blouin): M. le député?
M. Marx: Non.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: Je vous remercie, encore une fois.
Le Président (M. Blouin): Je remercie aussi, au nom de la
commission, les représentants, MM. Tardif et Nadeau, de la Ligue des
droits et libertés.
Sur ce, la commission élue permanente de la justice ajourne ses
travaux sine die.
(Fin de la séance à 19 h 25)