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Présentation de mémoires sur la
réforme du droit de la famille
(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Jolivet): La commission permanente de la
justice est réunie pour entendre des mémoires. Les membres de
cette commission sont: M. Alfred (Papineau), M. Bédard (Chicoutimi), M.
Blank (Saint-Louis), M. Charbonneau (Verchères), M. Clair (Drummond), M.
Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Lacoste (Sainte-Anne), M. Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), M. Samson (Rouyn-Noranda), M. Vaillancourt
(Jonquière). Est-ce qu'il y a des changements à la liste? Il n'y
en a pas.
Nous pouvons donc commencer. Quand les intervenants viennent, ils sont
inscrits.
Voici les organismes dont nous entendrons, ce matin, les
mémoires: L'Association des centres de services sociaux du
Québec, Mme Janine Boynard-Frot, l'Association des consultants
matrimoniaux du Québec et Parents uniques de Laval Inc, Ano-Sep, le
Service de pastorale familiale de Montréal, Separated and Divorced
Catholic Group (Beaconsfield), ces derniers forment un seul groupe.
Nous siégeons jusqu'à 13 heures, en matinée, et
après le déjeuner, c'est à la convenance de
l'Assemblée nationale. Normalement, ce sera après la
période des questions.
Le premier groupe est l'Association des centres de services sociaux du
Québec. Son porte-parole, M. Gilles Sabourin.
M. Clair: M. le Président, j'aimerais simplement signaler
à mes collègues et aux groupes qui seront entendus au cours de
cette matinée, que le ministre de la Justice, député de
Chicoutimi, est actuellement retenu au Conseil des ministres. Il m'a
demandé, avec mon collègue de Jonquière et les autres
membres de la commission parlementaire, qui ont suivi de façon stable et
régulière les travaux de cette commission, de le remplacer, de
l'excuser pour la matinée. Son absence ne dénote aucunement un
manque d'intérêt à l'endroit des gens qui seront entendus
ce matin. C'est simplement que sa présence était requise au
Conseil des ministres. Il s'excuse, tant auprès de ses collègues
de l'Opposition que des groupes qui seront entendus ce matin.
Nous serons, soyez assurés, tant les collègues de
l'Opposition que les groupes à être entendus ce matin, tout
ouïe, tout oreilles et nous transmettrons le contenu des recommandations
des groupes de ce matin au ministre de la Justice.
M. Blank: M. le Président, seulement pour ajouter un mot
dans le même sens. Notre porte-parole à cette commission, le
député de Marguerite-Bourgeoys il n'est pas au Conseil des
ministres remplit ailleurs une fonction absolument nécessaire. Je
transmets ses excuses aux groupes qui sont ici aujourd'hui et j'agirai à
sa place.
M. Fontaine: ... au grand complet.
Le Président (M. Jolivet): M. Sabourin, vous avez la
parole, veuillez présenter les membres qui sont avec vous.
Association des centres de services sociaux du
Québec
M. Sabourin (Gilles): A ma droite, M. Oscar D'Amours, responsable
du contentieux aux centres de services sociaux du Montréal
métropolitain. A l'extrême droite, Jacques Larin, directeur des
services professionnels de l'Association des centres de services sociaux du
Québec et, à ma gauche, M. Louis Paré, responsable du
service d'adoption aux services sociaux de Québec.
Vous savez sans doute que notre organisme, M. le Président,
regroupe les 14 centres de services sociaux du Québec. La réforme
que vous nous proposez d'étudier ce matin touche la grande partie de la
population que nous desservons. Nous tenons aussi à vous faire remarquer
que près de 50% de notre clientèle sont des jeunes de moins de 18
ans. C'est pourquoi vous trouverez, dans notre mémoire et dans nos
représentations, une grande place que nous faisons à
l'enfant.
Au moment où le ministre de la Justice a donné l'avis que
la commission parlementaire de la justice entendrait différents groupes
intéressés à la révision du Code civil, nous avons
mobilisé nos membres pour faire l'analyse du projet à
l'étude. Vous avez en main le mémoire qui contient nos
commentaires et nos recommandations.
Sachez que l'association a été attentive aux travaux de
l'Office de révision du Code civil et s'est impliquée, au cours
des dernières années, à différentes étapes
du processus de consultation, en produisant des mémoires, tant sur le
tribunal de la famille, la filiation et l'adoption, que sur l'autorité
parentale et la tutelle.
Notre analyse du projet de réforme du Code civil a
été conduite dans la perspective des démarches que nous
avons entreprises depuis un certain temps, celles de voir s'adapter le cadre
juridique aux éléments de la réalité du vécu
de notre société. La Loi sur la protection de la jeunesse nous
donne un bon encrage en ce sens. Elle définit les droits de l'enfant et
l'inscrit, à l'intérieur de la vie familiale, comme un sujet de
droit.
Dans cette optique, M. le Président, nous apprécions
hautement l'effort qu'a fait l'office pour adapter les dispositions du Code
civil aux conditions du vécu contemporain. Le projet essaie
véritablement de tenir compte de l'évolution des
mentalités et des changements au niveau des moeurs.
Nous n'allons pas vous présenter ici ce matin notre
mémoire dans son ensemble. Les éléments
étudiés par la commission sont multiples et variés et nos
commentaires sont filtrés, évidemment, à
travers nos préoccupations majeures. Nous avons regroupé
les points qui nous paraissent essentiels autour de trois thèmes
principaux: le droit familial, l'adoption et le tribunal de la famille.
Nous allons d'abord traiter du droit familial. Sous ce titre, vous
constatez dans notre mémoire que nous avons traité des questions
de filiation, de séparation, de divorce, de l'obligation alimentaire et
de l'autorité parentale. Nous ne reviendrons pas ce matin sur ces
dimensions.
Permettez-nous, par contre, de vous signaler notre grande satisfaction
à trouver inscrit dans le projet de réforme du Code civil un
chapitre intitulé: Dispositions relatives aux enfants.
L'introduction de telles dispositions nous apparaît fondamentale
dans l'adaptation du Code civil à révolution du milieu social. Il
inscrit dans le droit et la procédure la considération
fondamentale des droits et de l'intérêt de l'enfant. Les principes
énoncés dans ce chapitre du projet de réforme ont
guidé toutes nos réflexions. C'est à travers la
perspective de l'enfant que nous avons analysé les dispositions
concernant la séparation et le divorce.
Lors de la séparation et du divorce, il ne s'agit pas seulement
de la rupture des liens entre les époux, mais il s'agit la plupart du
temps de la dislocation d'une unité familiale où l'enfant est une
partie au même titre que ses parents. Que la société
reconnaisse à des époux le droit de mettre fin à un
contrat qui les lie, nous en convenons. Néanmoins, il y a le plus
souvent impliqués dans une situation de rupture des liens conjugaux des
tiers qui sont seulement créanciers de droit. Ce sont les enfants et,
quelle que soit l'issue de la démarche de rupture, ils conservent leur
droit à une famille. Encore faudrait-il que le système de rupture
des liens du mariage cesse d'être un système accusatoire et, par
définition, où il y a un perdant ou un fautif. Il faudrait
plutôt, M. le Président, entrevoir le nouvel esprit du Code
civil le permettrait l'établissement d'un système
fondé sur la théorie du non-perdant.
L'idée majeure que nous développons à ce chapitre,
c'est de traduire, dans les faits, ces notions en faisant en sorte que, dans
les cas de dissolution d'une famille, l'enfant soit une partie au même
titre que ses parents et que, de ce fait, ses droits et ses
intérêts soient représentés devant l'instance
judiciaire qui prend les décisions affectant sa vie. Nos
réflexions nous amènent aussi à penser à des
formules nouvelles d'arrangements postdivorce. On comprend facilement que,
malgré la dissolution de la famille, l'enfant a toujours les mêmes
besoins d'affection, d'attention et de compréhension vis-à-vis de
l'un et de l'autre de ses parents. Il faut penser à des arrangements qui
impliquent les deux parents dans la poursuite des soins, de l'entretien et de
l'éducation de l'enfant.
En clair, et par référence à la théorie du
non-perdant, nous pensons à la garde conjointe des parents,
c'est-à-dire au maintien ou à la continuité des
responsabilités parentales de chacun des parents. D'autre part, on
observe, dans le texte de l'étude, un effort d'adaptation à la
réalité du vécu des familles en voulant davantage prendre
en considération les dimensions psychologiques et sociales de la
dissolution d'une unité familiale. Les services d'expertise
psychosociale déjà assumés par les Centres de services
sociaux et le service de conciliation sont déjà des mesures dont
l'application a servi avantageusement les intérêts des parties en
cause.
L'esprit de réforme proposée, au niveau du Code civil,
incite à penser à un développement de ces services et
à une considération plus large des dimensions psychosociales de
l'unité familiale. Devant ces faits, nous avons deux courts
commentaires: L'appareil judiciaire et l'appareil social ont des fonctions
distinctes. Chacun doit agir dans le cadre de sa compétence, mais en
complémentarité, dans les cas de dissolution d'une cellule
familiale. Deuxièmement, pour que la considération des facteurs
psychosociaux soit à la hauteur, la consolidation des services sociaux
appropriés constitue, selon nous, un impératif de premier
plan.
Nous voudrions maintenant aborder la dimension de l'adoption. Le
phénomène de l'adoption est une autre réalité
sociale qui évolue au rythme de notre société et la
législation qui l'encadre se doit également d'évoluer au
même rythme. L'ensemble des intervenants sociaux, témoins
quotidiens des enfants en situation d'abandon ou en situation d'adoption, n'ont
cessé de réclamer, au cours des dernières années,
des modifications importantes à la législation.
M. le Président, permettez-nous d'abord de vous signaler notre
désaccord fondamental de voir inscrites dans le Code civil toutes les
dispositions relatives à la loi de l'adoption. Nous voulons vous
exprimer brièvement certains des fondements de notre position. Je ne
crois pas qu'il soit nécessaire ici d'argumenter très longtemps
pour démontrer l'accélération des changements sociaux au
Québec. Aussi, les instruments juridiques doivent suivre, à notre
point de vue, de façon régulière et relativement rapide,
les mouvements des phénomènes sociaux sur lesquels ils agissent.
Pour nous, le Code civil est plus stable qu'une loi statutaire. La
faculté de l'amender est plus restreinte. Les principes
généraux et la philosophie qui sous-tendent ces
éléments sont plus constants.
Le phénomène de l'adoption est un événement
influencé dans ses modaliés par les caractéristiques du
contexte social où il s'inscrit. Ce contexte est essentiellement mobile
et il faut le prévoir de plus en plus mouvant. L'instrument qui le
régularise devrait donc se situer dans les mêmes perspectives de
changement. Modifier le Code civil nous apparaît une opération
compliquée du fait de la concordance qui doit exister entre ces
différentes parties. Pour nous, l'amendement d'une loi spécifique
ou statutaire est beaucoup plus facile. Il se peut que le Code civil ne soit
pas, en principe, un appareil figé dans le béton.
Néanmoins, l'expérience des dernières années nous
démontre que les ajustements du Code civil ne se font pas avec
facilité.
L'Office de révision du Code civil travaille aux propositions
dont nous discutons aujourd'hui depuis déjà plusieurs
années. Il est à prévoir que l'adoption finale du code
révisé ne se fera pas dans des délais très
courts.
Deuxièmement, le principe fondamental qui semble régir la
structure de notre droit est que le Code civil statue sur des questions de
droit général régissant des rapports communs entre les
personnes dans la société et que la régulation des
conduites particulières relève du droit statutaire. Or, comme
l'adoption est une mesure visant l'intégration d'une personne dans une
cellule familiale et que cela ne constitue pas un aménagement des
rapports généraux entre des individus et la
société, mais un aménagement particulier, la structuration
du système juridique concernant l'adoption se doit, à notre point
de vue, de continuer à être régie par la législation
statutaire.
Troisièmement, si les dispositions relatives à l'adoption
devaient être insérées dans le Code civil, il faudrait
inévitablement introduire des législations spécifiques
pour réglementer l'exercice du droit concernant, par exemple, l'adoption
internationale ou l'adoption privée. On se retrouverait alors face
à une structure juridique fort complexe.
Quatrièmement, les dispositions légales régissant
les activités d'ordre administratif, comme il en existe dans la Loi
d'adoption, réclame d'être assorties de règlements
spécifiques encadrant de façon précise les actes
posés régulièrement et pouvant s'adapter aux changements
des circons-tantes. Les dispositions du Code civil ne sont pas associés
à desréglementations de ce genre.
Cinquièmement, il existe aussi un fondement juridique essentiel
à la position que nous tenons et que nous retrouvons aux paragraphes 7
et 13 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Sixièmement, enfin, le Tribunal de la jeunesse, nouvellement
constitué par la Loi sur la protection de la jeunesse, a pour champ de
compétence l'application de lois particulières. De plus, sa
procédure se trouve déterminée dans le cadre de ces lois
particulières. Telle que constituée, si la Loi d'adoption reste
une loi statutaire, il peut efficacement en assumer l'application.
Bref, M. le Président, on ne manifeste pas dans nos milieux,
généralement, de mécontentement profond sur la structure
présente de l'appareil législatif concernant l'adoption. Si l'on
apportait un certain nombre de modifications à la loi actuelle, les
besoins des enfants en situation d'adoption seraient facilement
comblés.
L'inclusion des stipulations légales régissant l'adoption
dans le Code civil, de toute façon, n'a jamais paru comme une
nécessité ni même comme un avantage. Toutefois, il faut
l'avouer, M. le Président, nous reconnaissons que certaines dispositions
nouvelles sont apportées dans le projet d'étude et qu'elles
entrent en concordance dans notre ligne de pensée et dans le cadre de
nos revendications. Il s'agit de la disparition de la distinction entre les
enfants légitimes et illégitimes. (10 h 30)
La déclaration judiciaire d'adoptabilité est un
élément important que nous revendiquons depuis plusieurs
années. La limite de 90 jours mettant fin au droit des parents
biologiques de revenir sur leur décision de confier leur enfant pour
adoption, l'adoption posthume, la discrétion accordée au tribunal
dans les cas d'adoption de personnes majeures sont des éléments
de législation que les spécialistes en adoption réclament
depuis plusieurs années.
Par contre, nous vous signifions que le chapitre portant sur l'adoption
est fort incomplet, en ce sens qu'il n'apporte aucun encadrement légal
à des dimensions toutes aussi importantes que l'adoption privée,
l'adoption internationale, l'adoption subventionnée, la mise en rapport
de l'adopté et de ses parents naturels, la reconnaissance des personnes
vivant en union de fait comme adoptants potentiels, l'inclusion des
dispositions relatives au droit d'appel d'une décision du tribunal, le
rapatriement des dossiers de l'adoption privée et, enfin,
l'élimination du recours à l'adoption pour effectuer un
changement de nom.
M. le Président, tant les éléments qui appa-
raissent déjà dans le cadre du projet que vous nous proposez que
les éléments qui n'y sont pas présents, on
considère que ce sont des demandes et des besoins qui sont
immédiatement utiles.
Nous nous occupons d'enfants qui ont la fâcheuse
propriété de vieillir. Nous revendiquons ces
éléments depuis déjà cinq, six et même sept
ans et nous croyons que c'est suffisant et qu'il faudrait actuellement que ces
dispositions soient reconnues pour que ces enfants puissent en profiter. Il
suffirait à court terme d'ajouter quelques amendements à ceux
déjà proposés par le ministère des Affaires
sociales à la Loi d'adoption pour que dès cette année, des
enfants puissent bénéficier de ces privilèges que leur
accorderait la loi.
Enfin, le tribunal de la famille: L'association, dans la suite de ses
mémoires, a constamment soutenu l'idée de l'institution du
tribunal de la famille. Nous nous réjouissons que l'office en fasse
encore la proposition et l'articule de façon aussi
détaillée. Cependant, il faudrait échapper à la
tendance habituelle au Québec de faire table rase de ce qui est
institué et de restructurer de façon globale et neuve des
organisations aussi complexes sur des bases théoriques.
Dans des démarches de réforme aussi majeure, il arrive le
plus souvent qu'on ne perçoive pas les coûts inhérents
à une réorganisation totale et que, par conséquent, il
existe une disparité entre le modèle qu'on veut créer et
les capacités réelles qu'on a de les réaliser.
Nos expériences concrètes avec l'implantation du chapitre
48, du moins en ce qui concerne nos établissements, et plus
précisément avec l'implantation de la Loi sur la protection de la
jeunesse, nous suggère ces réflexions et nous incite à la
prudence. La réorganisation des structures n'a pas toujours l'impact
qu'on pense sur l'exercice des pratiques. Les investissements majeurs sont
à
faire au niveau des mentalités et des façons de faire et
moins au niveau des structures.
En regard de ces considérations, nous proposons dans notre
mémoire que l'institution du tribunal de la famille se fasse par
étapes et qu'elle soit liée à la rétroaction de
l'expérimentation.
Les étapes que nous percevons comme les premières sont les
suivantes: d'abord créer le poste d'avocat de l'enfant; ensuite former
un comité conjoint Affaires sociales-Justice pour aviser les
ministères concernés dans le processus d'institution et de
fonctionnement du tribunal de la famille; troisièmement, regrouper sous
un même toit la Chambre de la famille de la Cour supérieure et le
Tribunal de la jeunesse; enfin, mettre sur pied une expérience pilote
visant la constitution graduelle d'un tribunal de la famille.
M. le Président, ce sont là nos considérations et
nous attendons vos questions, s'il y en a.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Drummond.
M. Clair: Merci, M. le Président. Premièrement,
j'aimerais remercier l'Association des centres de services sociaux du
Québec pour la présentation de son mémoire, qui est
axé, comme on a pu le voir, sur un point de vue du vécu. Les
centres des services sociaux occupent un rôle de première ligne
dans notre société et je pense que cela transpire beaucoup, ces
préoccupations des centres de services sociaux dans le sens d'apporter
un point de vue collé sur le vécu et je pense que cela peut
être profitable pour les travaux de cette commission.
En ce qui concerne l'adoption, dans un premier temps, l'Association des
centres de services sociaux du Québec a émis plusieurs voeux
concernant l'amélioration du droit de l'adoption et plus
particulièrement en matière d'adoption privée, d'adoption
internationale et d'adoption subventionnée.
Hier, justement, avis a été donné au feuilleton de
l'Assemblée nationale que la Loi modifiant la Loi de l'adoption serait
déposée ces jours prochains pour la première lecture par
M. Denis Lazure, ministre des Affaires sociales.
Cette loi est préparée en collaboration avec le
ministère de la Justice. Dans un premier temps, elle reprend ces trois
aspects de l'adoption que vous soulevez. Dans ce sens, vous pouvez être
assuré que nous prenons bonne note de vos commentaires, qui seront
sûrement utiles lors de l'étude de ce projet de loi.
Par ailleurs, votre association semble fortement défavorable
à l'idée, et vous l'avez reprise ce matin, d'inclure des
dispositions sur l'adoption dans le Code civil et peut-être même
quant aux articles relatifs aux enfants.
Vous invoquez surtout l'absence de souplesse du Code civil et son haut
degré de généralité.
A ce sujet, je voudrais vous faire deux remarques. Premièrement,
le Code civil est et doit être, dans une certaine mesure, une loi
relativement stable, je pense que ce n'est contesté par person- ne. Ce
n'est cependant pas une loi moins mobile pour autant, moins amendable. Depuis
1866, par exemple, je peux vous souligner que plus de 200 lois modifiant le
Code civil ont été votées et ces lois ont modifié
plus de 700 articles du Code civil du Québec et en ont ajouté
plus de 150 autres.
Enfin, rien ne s'oppose à ce que les principes fondamentaux
régissant les conditions et les effets de l'adoption soient
intégrés au Code civil. Il me paraît que ça peut
être permanent, ces choses-là, et que d'autres aspects plus
mouvants de l'adoption, comme vous le soulignez, notamment les aspects
administratifs, soient régis par une loi sectorielle assortie de
dispositions réglementaires détaillées.
On trouve de nombreux précédents dans le Code civil
actuel, tels les registres d'état civil, l'enregistrement, etc. Ce qui
importe, je pense, c'est que les règles essentielles des grandes
institutions civiles se retrouvent dans le Code civil, en tant qu'instrument
vital de notre culture modelé sur notre identité collective.
C'est un commentaire que je voulais faire, M. le Président. Au
niveau des questions, dans votre mémoire, à la page 17 plus
précisément, vous proposez que l'adopté et ses parents
d'origine puissent entrer en communication pourvu que l'adopté majeur et
ses parents d'origine le demandent ou l'acceptent et que l'on ait
consulté l'adoptant. C'est un premier point sur lequel j'aimerais que
l'association précise le sens et la portée de cette consultation
auprès de l'adoptant.
M. Sabourin: Je pense qu'il faut se situer dans le contexte des
réalités actuelles. Vous savez que, maintenant, des
bébés pour adoption, ça n'existe presque plus. Beaucoup de
mères gardent leur enfant et décident de le placer
elles-mêmes. De plus en plus, actuellement, on se situe dans un contexte
d'adoption ouverte, c'est-à-dire que l'ensemble des personnes
concernées, c'est-à-dire la mère naturelle, l'enfant et la
famille adoptive, se connaissent. C'est une première partie d'une
réponse. De plus en plus, l'adoption s'en vient ouverte.
M. Clair: Je m'excuse de vous interrompre. Est-ce que vous avez
une idée de la proportion de cas ou des statistiques de la situation que
vous décrivez? Une idée vague ou précise, si vous en avez
une?
M. Paré (Louis): M. le Président, je pense que,
dans les jugements d'adoption qui sont prononcés dans la province de
Québec actuellement, ce ne serait pas exagéré de dire que,
dans 75% des jugements d'adoption qui sont prononcés, tout le monde se
connaît. Par exemple, la mère célibataire, qui marie
quelqu'un d'autre que le père, et son conjoint demandent l'adoption de
l'enfant; les gens divorcés qui se remarient alors, tout le monde
se connaît les familles d'accueil qui gardent des enfants et,
à un moment donné, l'enfant devient légalement adoptable
et la famille d'accueil l'adopte. Les parents biologiques savent
où l'enfant est placé et qui vont devenir les parents
adoptifs de l'enfant. Les enfants âgés, parce qu'on en est rendu
à faire adopter des enfants de 10, 11 et 12 ans, connaissent
l'identité de leurs parents biologiques et pourraient facilement les
retracer. Il reste le cas de ce qu'on appelle les adoptions
régulières, qui sont des adoptions de bébés,
où ce n'est pas complètement ouvert. Encore là, de plus en
plus, dans les centres de services sociaux, ce n'est plus la façon de
procéder. Autrefois, une mère célibataire nous faisait
presque un chèque en blanc, excusez l'expression, pour son enfant. Elle
a tellement de possibilités de le garder que, lorsqu'elle le confie pour
adoption, elle veut s'assurer que, par notre intermédiaire, son enfant
trouvera un bonne famille.
On lui présente, habituellement à sa demande, un dossier
d'adoption anonyme, évidemment, mais avec des caractéristiques
assez précises. Et si elle veut, dans un deuxième temps,
rencontrer les parents adoptifs éventuels de son enfant de façon
anonyme, mais de façon physique, c'est une possibilité et nous le
faisons.
Il resterait le troisième temps qui, à mon avis, viendra.
Ce sera le cas où tous les gens se connaîtront.
M. Clair: Si je comprends bien ce mécanisme de
consultation informelle que vous avez expérimenté, est-ce que
cela se fait au moment de l'enquête en vertu de l'article 25 de la Loi de
l'adoption? Si ma mémoire est fidèle, c'est bien cet article.
M. Paré: Non. C'est au moment où nous
plaçons l'enfant en vue de l'adoption, les centres de services
sociaux...
M. Clair: C'est après le rapport du CSS?
M. Paré: Avant le rapport. A l'article 25, ce sont des
adoptions qui ont été faites privément, qui n'ont pas
été faites par les centres de services sociaux. Par exemple, la
mère célibataire qui épouse un autre que le père,
où les centres de services sociaux n'interviennent qu'à la
demande du tribunal qui, selon l'article 25, nous demande une expertise
psycho-sociale sur la requête qui est présentée au
tribunal.
L'article 25, en gros, représente environ 70% à 75%,
peut-être un peu moins, des adoptions légales qui sont
prononcées.
M. Sabourin: Le point qu'on veut faire connaître, c'est
que, compte tenu du changement des mentalités, il ne faut pas oublier
qu'il y a des adoptions qui se font au Québec depuis je ne sais quand,
soit depuis 25, 30, 40 ans, peut-être davantage. On a beaucoup de
demandes, compte tenu des changements de mentalité, d'enfants
adoptés qui ont 25 ou 30 ans, et même moins, qui viennent faire
des démarches pour connaître leurs parents.
Il arrive parfois que dans nos dossiers parce que nos dossiers
sont conservés on sait qu'il y a eu une démarche
équivalente par la mère biologique, pour avoir des informations
sur son enfant, ou même pouvoir le rencontrer. Quand, dans les deux cas,
l'enfant et les parents sont d'accord, on se dit: Si on avait l'autorisation,
si on pouvait, par la loi, briser un peu la confidentialité, avec
l'accord des parents adoptifs parce qu'il me semble que c'est un contrat
à trois, cela devrait se faire dans le cadre de l'accord des trois
on devrait le faire, compte tenu de la liberté un peu plus large
que nous avons maintenant dans la pensée sociale.
M. Clair: Dans votre mémoire, vous parlez d'enfants
majeurs ou d'adolescents matures je ne me souviens pas de l'expression
que vous employez est-ce qu'il y a moyen de préciser davantage ce
point? Ce serait à compter de quel âge? Est-ce que ce serait
précisé dans la loi? Ou est-ce que ce serait ad hoc, chaque cas
à son mérite?
M. D'Amours (Oscar): M. le Président, avant de donner une
réponse précise à votre question, je voudrais
préciser ceci. L'adoption existe au Québec, depuis 1925. De 1925
à 1969, il y a une question de mentalité qu'on retrouvait dans
l'ensemble des législations, où un enfant né hors du
mariage n'était pas toujours accepté dans la
société, par conséquent des gens faisaient de longs
trajets pour aller accoucher dans les régions extérieures
à leur domicile. Ces gens-là aujourd'hui, soit les parents
biologiques, ou l'enfant devenu adulte, demandent à se rencontrer.
Comme on l'a mentionné, la dimension de l'adoption est
tripartite, même si les enfants sont majeurs. Selon l'opinion de
l'association, relativement à l'ouverture de ces dossiers, ce serait
possible, dans le cas où les adoptés seraient devenus majeurs,
pour autant que ce ne soit pas dans les cas de mineurs.
M. Clair: Jamais?
M. D'Amours: Je pense que dans les cas de minorité, si
vous décidez d'un âge, on va dire: Pourquoi pas quatorze ans?
Pourquoi pas dix ans? La Loi de l'adoption prévoit que l'enfant peut
donner son consentement, à l'heure actuelle, alors qu'il est
âgé de dix ans. Les autres législations, de nature sociale,
vont prévoir la possibilité, pour un enfant, de requérir
certains services, à l'âge de quatorze ans.
Je pense qu'il faut tenir compte des dimensions humaines et des aspects
psychologiques, relativement aux adoptants et aux adoptés.
M. Clair: Oui.
M. Paré: Si vous le permettez, j'aimerais faire une
distinction entre les adoptions qui ont été
réalisées autrefois et les amendements possibles de la loi
actuelle. (10 h 45)
Autrefois, on a promis aux mères célibataires la
confidentialité et, personnellement, je ne crois pas qu'on puisse
rétroagir et briser un contrat à moins que les deux personnes,
l'adopté et la mère biologique, ne nous aient fait la même
demande. Par exemple, supposons qu'actuellement il y ait un adopté qui
m'écrit et qui me dit: J'aimerais connaître ma mère.
J'ouvre le dossier et j'y trouve une demande analogue de la mère
naturelle qui me dit: J'ai eu un enfant à telle date. Il a
été enregistré sous tel nom et tel prénom fictif.
Si jamais mon enfant désire me connaître, je suis d'accord. A ce
moment-là, les deux parties, de façon parallèle et
réciproque, nous demandent la même chose. Il y a la
troisième partie, les parents adoptifs, qui doit en être
avisée, à mon avis. Peut-être qu'ils n'auront pas un droit
de veto, mais ils seront au moins avisés, toujours à la
majorité. Les amendements, ce serait pour l'avenir. Mes collègues
me corrigeront si je me trompe, c'est que, pour l'avenir, à la demande
de l'un ou l'autre, on pourrait contacter l'autre, essayer de le rechercher et
lui dire: Ton enfant que tu as confié pour adoption en 1979 te
recherche, es-tu d'accord ou pas? Si la mère nous disait: Non, je ne
suis pas d'accord pour toutes sortes de raisons, très bien. Actuellement
on ne peut pas les rechercher, parce qu'on irait briser un contrat de
confidentialité qui a été fait et qui a été
promis dans le temps.
M. Clair: Vous parlez des cas d'adoption antérieurs
à l'adoption de la future loi. Vous parlez d'aviser les parents
adoptifs. Est-ce que vous emploieriez le même terme pour après
l'adoption de la future loi? Ce que j'aimerais savoir, finalement, c'est dans
quelle mesure cette consultation des trois parties serait formelle avec des
documents écrits, une autorisation écrite pour éviter des
problèmes d'interprétation par la suite, où l'un pourrait
dire: Un consentement verbal, ce n'est pas tout à fait ce à quoi
j'avais consenti, etc. J'aimerais qu'on précise encore plus. Est-ce que
les parents adoptifs seraient simplement avisés ou est-ce que tout le
monde serait consulté? Est-ce que ce serait une consultation formelle
avec un minimum d'écrit pour être certain de bien
interpréter la volonté de chacun?
M. D'Amours: Je pense que cette consultation-là devrait se
faire dans une approche thérapeutique ou une approche professionnelle au
niveau des relations humaines. Par expérience, des adoptants ont
manifesté, lorsque l'adopté était devenu majeur, leur
assentiment à ce qu'il puisse faire des démarches pour retrouver
sa mère biologique. Que ce soit par écrit ou verbalement, c'est
sûr que la preuve est beaucoup plus facile à faire lorsqu'il y a
un écrit. Dans certains cas, je pense qu'il y a des parents adoptifs qui
vont s'opposer à ce que l'enfant recherche le parent biologique pour des
raisons très simples, parce que l'un des deux est le parent biologique
et qu'il y a des réalités qui ont été
cachées et qu'ils ne veulent pas rouvrir ce dossier qu'ils ont
classé depuis plusieurs années. Effectivement, ces situations
existent.
Or, je pense qu'en pratique cela devrait être l'adopté qui
soit incité à discuter avec ses parents adoptifs et, si les
parents adoptifs sont d'accord, ils pourraient donner un consentement ou
manifester leur désir par écrit. Dans certaines autres
circonstances, je pense que les adoptants ne pourront pas le donner ce
consentement par écrit.
M. Clair: Pensez-vous qu'il y aurait lieu à ce
moment-là d'aller outre le consentement des parents adoptants?
M. D'Amours: Dans certaines circonstances, oui et je pense que,
comme on l'a mentionné tantôt, comme il s'agissait d'un contrat
à trois, même si l'adopté est majeur, il reste quand
même que, si on regarde le Code civil à l'heure actuelle, au
niveau des dispositions de l'article 245 et suivants, vous savez qu'il y a une
clause qui est peut-être de style, mais, encore là, les enfants
même devenus majeurs doivent respect et honneur à leurs parents.
C'est peut-être une clause de style, mais c'est une clause aussi qui
manifeste un esprit. Dans certains cas, je pense qu'il y aurait peut-être
lieu de prévoir que cette situation soit tranchée par le
tribunal. Il y a peut-être des raisons, mais je pense qu'il faut
respecter cette réalité.
M. Clair: Vous reconnaissez, par vos propos, que c'est une
matière particulièrement délicate. Cela touche...
M. D'Amours: C'est une matière très délicate
lorsque vous touchez des types de relations humaines de cette nature, parce
qu'il ne faut pas oublier qu'il y a des parents qui ont adopté des
enfants et qui n'ont pas mentionné à leur enfant qu'il
était un enfant adopté. S'ils l'ont adoptée en 1940 ou en
1935, nombreuses sont les situations où la personne apprend, devenue
majeure ou âgée de 35 ou 40 ans, qu'elle avait été
adoptée. Il faut respecter une réalité qui a
déjà existé. Il faut être très délicat
au niveau de ces problèmes, mais cela n'empêche pas de
prévoir une possibilité d'ouverture à la
confidentialité, parce que, pour certaines personnes, ce serait
très bénéfique.
M. Clair: J'aurai une autre question avant de laisser mes
collègues y aller. Au niveau du tribunal de la famillle, vous nous avez
fait part, vous nous avez mis en garde, lors de la présentation de votre
mémoire, "contre la réorganisation totale du tribunal de la
famille". Vous proposez plutôt, c'est le cas à la page 30 de votre
mémoire, "la création, dans un premier temps, d'un embryon de
tribunal de la famille regroupant sous un même toit la chambre de la
famille de la Cour supérieure et le Tribunal de la jeunesse,
exerçant respectivement leur juridiction. Vous proposez, en outre, que
cet embryon de tribunal de la famille fasse l'objet d'une expérience
pilote, qu'il y ait rapidement de mis sur pied le service d'un avocat de
l'enfant et quelques autres précisions.
J'aimerais que vous précisiez davantage votre pensée sur
ce que vous entendez par la création
d'un embryon de tribunal de la famille. S'agit-il d'un regroupement
physique ou d'intégration de services et de juridictions? En pratique,
vous nous mettez en garde contre la réorganisation totale qui risquerait
de ne pas atteindre le but visé, faute de moyens financiers ou faute
d'acceptation par les fonctionnaires ou les juges ou les personnes qui auraient
à traiter, à mettre sur pied ce tribunal, vous nous mettez en
garde contre une réorganisation trop rapide, trop globale. J'aimerais
vous entendre préciser un peu plus en pratique comment vous voyez la
mise sur pied de cet embryon de tribunal, ce que serait cet embryon de
tribunal, comment il fonctionnerait, également l'expérience
pilote, à quoi vous faites référence.
M. D'Amours: M. le Président, je n'annonce pas ici quelque
chose d'inconnu à cette commission. Dans aucun pays, on n'a
réussi à établir d'une façon intégrée
les tribunaux familiaux. En Angleterre, on a tenté de faire une
réorganisation. On dit ceci: Si vous réussissez à faire
une intégration, une création d'un véritable tribunal de
la famille, prière d'envoyer immédiatement le projet.
M. Sabourin a mentionné que c'est à l'esprit du tribunal
de la famille que doivent apparaître les modifications. Ce n'est pas au
niveau d'une structure. Vous pouvez changer des structures, mais non pas
changer les mentalités. Qu'est-ce qu'il y aurait à faire au
niveau d'un embryon de tribunal de la famille? Il reste des problèmes
constitutionnels à régler, mais ce n'est pas sous cet angle qu'il
faut envisager le tribunal de la famille. Il faut d'abord le voir comme le
moyen de protéger les droits des enfants. Vous savez, dans notre
société, il y a une certaine schizophrénie entre les mots
et la réalité. Lorsqu'on parle du tribunal de la famille, c'est
lorsqu'on dissout la famille. C'est paradoxal.
Je pense qu'il faudrait, dans une expérience pilote, créer
d'abord le poste de l'avocat de l'enfant qui agirait un peu comme le procureur
du roi, en Belgique ou en France, mais n'ayant pas une obligation d'intervenir
dans l'ensemble des dossiers, seulement dans les dossiers où il est
important d'intervenir pour protéger les droits des enfants. Le Barreau
du Québec a déjà émis une opinion sur la
représentation des enfants en disant que ce serait soit à la
demande du tribunal, soit à la demande d'une des parties, soit aussi
à la demande de la Commission des droits de la personne ou du
Comité de protection de la jeunesse, qui est au courant de la situation,
ou du directeur de la protection de la jeunesse.
M. Clair:... même la possibilité pour le service
d'avocat à l'enfant d'intervenir de son propre chef.
M. D'Amours: C'est ça, dans les situations qui sont
portées à son attention. Si on pouvait regrouper, à
l'intérieur physiquement, les deux dimensions du tribunal de la jeunesse
et de la Chambre de la famille de la Cour supérieure, on permettrait
d'éliminer des recours en même temps au tribunal de la jeunesse et
à la Cour supérieure.
A titre d'exemple, nous avons eu à étudier une situation
où un enfant faisait l'objet de cette requête devant les deux
tribunaux. Avant 1977, il y avait des ambiguïtés quant à la
juridiction, mais, depuis 1977, vous retrouverez, dans les recueils de la Cour
supérieure, à la page 344, pour l'année 1977, une
décision de la Cour supérieure qui disait que, reprenant un
obiter du juge Casey de la Cour d'appel, le jugement qui devrait avoir
préséance, c'est le jugement du tribunal de la jeunesse
relativement aux droits de l'enfant, et la Cour supérieure, à ce
moment-là, décidait soit de reporter à plus tard sa
décision sur l'ensemble des requêtes qui étaient
portées à son attention ou soit tout simplement de
décliner juridiction.
Le regroupement physique de ces deux divisions permettrait de voir
exactement ce qui pourrait être modifié quant aux
procédures qui sont de juridiction de la province et un
aménagement quant aux juridictions. On pourrait facilement
décider que toute la question de la garde des enfants fasse d'abord
l'objet d'une étude au tribunal de la jeunesse et,
postérieurement, que ce jugement, relativement à la garde des
enfants, soit entériné par la Cour supérieure en
même temps qu'elle prononce le divorce. De toute façon, dans la
loi du divorce, à l'heure actuelle, on sait que la Cour
supérieure a juridiction pour refuser de prononcer un divorce si le
prononcé de ce divorce va à l'encontre de l'intérêt
des enfants. Déjà là, il y a des dispositions
législatives et, en faisant des expériences pilotes qui
pourraient être situées dans un milieu urbain et dans un milieu
soit semi-urbain ou rural, de façon à pouvoir saisir les besoins
relativement aux droits des enfants dans ces matières...
Je pense qu'au départ l'avocat de l'enfant pourrait être
celui qui accumule ces connaissances et pourrait faire des recommandations au
ministère de la Justice et au ministère des Affaires sociales, et
vous empêcherez, à ce moment-là, le dédoublement des
services sociaux. Présentement, vous avez un service d'expertise
psychosociale rattaché à la Chambre de la famille de la Cour
supérieure et ça, ça couvre tout le territoire du
Québec; vous avez aussi des services d'évaluation-orientation en
matière de protection de la jeunesse rattachés au Tribunal de la
jeunesse. (11 heures)
Je pense qu'en regroupant on pourrait, d'une part, voir où il y a
des changements et, d'autre part, être en mesure par la suite,
d'étendre cette expérience-là. Il ne faut pas tomber dans
le panneau de l'étendre immédiatement à travers toute la
province. C'est ce qui a été évité au niveau
d'expertise psychosociale, en la commençant graduellement et,
aujourd'hui, je pense que ce service a une excellente
crédibilité, fait un excellent travail, mais on a
procédé par étapes.
M. Clair: M. le Président, je vais permettre à mon
collègue de Saint-Louis de poser ses questions.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Saint-Louis.
M. Blank: Je n'ai que quelques questions. Je constate à la
lecture de la page de vos recommandations principales, que le mécanisme
de vérification des conventions établies par les époux
soit institué afin d'assurer le respect des droits de l'enfant.
Du côté pratique, il existe des conventions signées
par les parties en cause, préparées par leur avocat avec leur
consentement; d'après mon expérience personnelle, je sais que les
juges lisent ces conventions et quelquefois posent des questions sur la base
des normes établies dans ces conventions. Prévoyez-vous un autre
système, soit pour déférer ces cas à des
groupements spéciaux, sociaux ou à des comptables, pour savoir si
c'est vraiment un bon règlement?
M. D'Amours: Je pense, M. le Président, qu'il y aurait
lieu de situer cette fonction au niveau de l'avocat de l'enfant,
peut-être pour éliminer certains abus qui peuvent se produire,
tout comme le chantage entre le règlement pécuniaire et la
question de garde de l'enfant: "Tu renonces à $35 000 je te donne
l'enfant". Je pense qu'à ce niveau-là il est important que
l'avocat de l'enfant puisse en prendre connaissance et s'il y a des
représentations particulières à faire au tribunal
relativement à cette convention, il pourra le faire comme avocat de
l'enfant.
Cette façon de procéder existe déjà dans
certains pays, notamment en Belgique et en Angleterre, mais plus
particulièrement en Belgique, où toutes les conventions sont
vérifiées et le procureur du roi doit donner son assentiment sur
ces questions de conventions entre parties, toujours en ce qui a trait aux
enfants.
M. Blank: Vous dites que l'avocat de l'enfant fait partie de la
cause, qu'il doit donner son consentement à chaque convention.
M. D'Amours: S'il a des représentations à faire au
tribunal, il devra le faire, s'il n'y en a pas, je pense qu'il ne faut quand
même pas alourdir le système judiciaire.
M. Blank: Vous dites aussi cela me paraît
intéressant que la pension alimentaire devient de plus en plus
une mesure transitoire visant à permettre au bénéficiaire
de recouvrir son autonomie. C'est-à-dire qu'à un moment
donné vous voulez exempter une des parties de payer une pension
alimentaire parce que l'autre partie doit essayer de subvenir elle-même
à ses besoins? Je lis tout cela dans vos recommandations
principales.
M. D'Amours: Vous savez, dans des causes comme celles-là,
il y a des gens qui attendent toujours le chèque à la fin du mois
pour maintenir une espèce de présence psychologique dans la vie
de l'autre et maintenir de cette façon un état de
dépendance vis-à-vis, par exemple, de l'ex-mari.
Nous pensons que la pension alimentaire doit aider la famille, ou la
mère ou les enfants, à se reprendre en main graduellement et que
ce ne soit pas une pension qui s'inscrive dans la vie de cette famille de
façon définitive et inéluctable, presque indexée au
coût de la vie de façon régulière. Nous pensons que
ce devrait être un moyen d'aider la famille à se remettre un peu
sur pied et mettre en situation la différence entre le besoin et les
sommes d'argent qui existent. Nous pensons que ce devrait être plus
souple comme application.
Le Président (M. Jolivet): Avez-vous autre chose à
ajouter?
M. Blank: Ce serait un moyen de pression afin de forcer la
personne à travailler ou, enfin, à faire quelque chose.
M. D'Amours: Comme certains auteurs l'ont déjà
mentionné, le mariage ne doit pas être une assurance-vie. Je pense
qu'au niveau des enfants il est important, comme nous l'avons mentionné
dans notre mémoire, que l'autorité parentale et les obligations
de chacun puissent, à l'égard des enfants, être
respectées. Quant au conjoint, dans certaines situations, si le mariage
n'a duré qu'un an, est-ce que cela donne droit à une pension
alimentaire permanente? L'idée de la pension alimentaire, c'est de
permettre à des personnes... Par exemple, il y a des femmes qui sont
demeurées au foyer pour assurer l'éducation des enfants; je pense
que ces personnes ont droit à une indemnité pour leur permettre
d'acquérir une certaine autonomie, soit de retourner sur le
marché du travail si les enfants sont âgés. C'est dans cet
esprit qu'une recommandation particulière a été faite.
M. Blank: Je comprends votre esprit, mais, en pratique, je
trouverais difficile de l'imposer.
M. D'Amours: M. le Président, cela a déjà
été mentionné à cette commission parlementaire,
vous savez que 70% des pensions alimentaires ne sont pas payées et,
très souvent, on a recours à l'aide sociale à titre de
pension alimentaire.
M. Blank: J'ai une question très simple. Vous parlez de
trouver un arrangement pour la garde conjointe des enfants. Encore du
côté pratique, comment va évoluer cette garde
conjointe?
M. D'Amours: Encore là, M. le Président, c'est une
question un peu de mentalité à créer relativement aux
enfants. Vous savez que beaucoup de personnes qui divorcent seraient d'accord
sur des arrangements pour autant qu'ils aient un droit de regard sur
l'éducation, pas seulement un droit de visite, parce que le Code civil
actuel prévoit cette possibilité: quelle que soit la personne qui
a la garde de l'enfant, l'autre a le droit d'aller vérifier. Si le
tribunal doit décider qui des deux aura la garde, à ce
moment-là, vous devez trouver un perdant et ce que l'on mentionne dans
le mémoire, c'est que si les parents ont le droit de mettre fin à
leur contrat, cela ne doit jamais brimer le droit
qu'a l'enfant, lui, de conserver un père et une mère. Je
pense que la question de la garde conjointe qui est déjà
appliquée dans d'autres provinces, comme l'Ontario, fait en sorte que
les parents ne se considèrent pas comme perdants par rapport aux
enfants. Si l'on examine le Code civil actuel, au niveau de l'autorité
parentale, il y aura toujours possibilité de s'adresser au tribunal dans
le cas où les personnes qui exercent l'autorité parentale ne
s'entendent pas. C'est vraiment mettre l'accent sur les droits de l'enfant et
je pense qu'en pratique il n'y aurait pas de difficulté à le
faire, parce que s'ils ne s'entendent pas, de toute façon, ils vont
aller en cour et ils vont retourner en cour. Combien de fois voyez-vous rouvrir
un dossier pour une garde d'enfant?
M. Blank: A ce moment, il y aurait un perdant.
M. D'Amours: Oui, à ce moment-là, il y aurait un
perdant, mais je pense qu'au départ on doit donner la chance aux deux
coureurs, dans la perspective du droit de l'enfant.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gaspé.
M. Le Moignan: M. le Président, j'aurais peut-être
quelques brèves questions. D'abord, vous savez qu'il y a une agence,
l'AREA, je pense que c'est l'Agence de recherche des enfants abandonnés,
qui est située, je crois, dans la région de Sherbrooke. Est-ce
que vous entretenez des relations avec elle? Quel est le but que poursuit cette
agence en fait?
M. Paré: Le but poursuivi... C'est peut-être
difficile de répondre au nom d'un autre, mais j'ai rencontré le
président de cet organisme qui a pour but d'essayer de faire le lien
entre un enfant adopté et ses parents biologiques. Comment s'y prend-on?
A ce qu'il m'a dit, il reçoit, à un moment donné, une
demande d'un adopté. Il ouvre un dossier. Il reçoit une demande
d'une mère biologique, il ouvre un dossier et il essaie de voir si les
deux dossiers peuvent concorder. Mais comme il n'y a pas de dossier, il ne peut
à peu près jamais être assuré qu'il s'agit des
bonnes personnes, parce qu'il n'y a pas de dossier préalable, i! les
ouvre au fur et à mesure des demandes.
Nous avons les dossiers d'adoption, qui doivent d'ailleurs être
conservés pendant cent ans. Dans la plupart des dossiers d'adoption
d'autrefois, nous n'avons pas le nom des parents biologiques de l'enfant, mais
la mère biologique ou le père biologique sait très bien
que l'enfant qu'il nous a confié a été enregistré
sous tel nom et tel prénom fictif, parce que, dans le temps,
c'étaient des noms et des prénoms fictifs choisis par les
autorités des crèches du temps. C'est évident que s'il y a
une mère naturelle qui m'écrit pour me dire: J'ai eu un enfant
à l'hôpital de la Miséricorde de Québec, le 2 mai
1940, il a été enregistré sous le nom de Pierre Beaudin,
au départ, je pense qu'une mère naturelle cherche son enfant,
elle ne cherche pas l'enfant d'un autre.
C'est facile de vérifier à même les
antécédents que nous avons, parce que nous avons dans les
dossiers l'âge de la mère, la provenance, une foule de
renseignements pour bien savoir que c'est la bonne mère qui recherche le
bon enfant. Si l'enfant, de son côté, nous écrit pour nous
dire: J'ai été adopté par M. et Mme Untel, c'est
très facile de trouver le dossier, parce que les fichiers sont faits au
nom des parents adoptifs et, souvent, les adoptés connaissent le nom
primaire sous lequel ils ont été enregistrés.
Alors, on est sûr de trouver les bonnes personnes en cause. Je
n'ai pas à répondre, encore une fois, au nom de cet organisme. Je
dis, si vraiment des gens se recherchent, qu'ils aillent au bon endroit.
Peut-être qu'on manque de publicité là-dessus, on pourrait
peut-être le dire plus qu'actuellement. Même selon la loi actuelle,
lorsque dans le même dossier, on a une demande d'un adopté et
d'une mère biologique, de façon réciproque et
parallèle, avec un jugement du tribunal qui est très facile
à obtenir quand on prouve que c'est l'intérêt de tout le
monde, après une expertise psychosociale, on peut faire le lien entre
les deux et nous l'avons fait. Nous l'avons fait et nous sommes sûrs que
ce sont les bonnes personnes.
Ces organismes, M. le Président, sont partis à la suite de
certaines pressions, particulièrement d'adoptés; il y a beaucoup
moins de mères naturelles qui recherchent l'enfant qu'elles nous ont
confié pour adoption, et pour une raison bien simple, c'est que, dans le
temps, cette naissance hors du mariage était cachée à tout
le monde, même souvent à sa propre famille. Aujourd'hui, cette
mère peut être mariée, son mari n'est possiblement pas au
courant de cette naissance hors du mariage, ni ses enfants, si elle en a; pour
elle, c'est difficile d'intervenir. Pour les adoptés, c'est plus facile,
parce qu'ils savent qu'ils sont adoptés, dans un bon nombre de cas.
En termes de statistiques, on peut dire que, pour une demande de
mère naturelle que je peux avoir, dans une semaine, je peux avoir dix
demandes d'adoptés, il y a dix fois plus d'adoptés qui font cette
demande que de mères naturelles. Je ne sais pas si je réponds
à votre question.
M. Le Moignan: Quelles sont les causes ou les prétextes?
Je connais des enfants adoptés qui aimeraient bien rencontrer leur
mère. Je sais que c'était impossible dans le passé, parce
qu'ils ont été adoptés, s'il y avait des noms fictifs,
mais...
M. Paré: D'abord, les demandes que nous avons, ce n'est
pas toujours dans le but de rencontrer la mère naturelle. Dans un grand
nombre de demandes, c'est pour obtenir ce qu'on appelle leur patrimoine, leurs
antécédents sociaux, leurs antécédents
médicaux, l'heure de la naissance avec l'astrologie. On a beaucoup de
demandes de ce genre, un peu ce qu'ils étaient, leurs origines. Un
certain nombre voudraient faire le lien avec la mère naturelle, pour
toutes sortes de raisons, il peut y avoir une raison de curiosité, il
peut y avoir une autre raison. Les adoptions n'ont
pas toutes été des miracles, il y a eu de mauvaises
adoptions, peut-être que l'enfant n'a pas été heureux avec
ses parents adoptifs; dans certains cas, c'est possible.
Il voudrait peut-être rechercher une famille biologique, mais il y
a beaucoup de demandes pour les antécédents sociaux et
médicaux qu'on donne actuellement; parce que la loi nous permet de les
donner, alors, on le fait. Peut-être aussi que ce qu'on fait n'est pas
assez connu, qu'on le dit peut-être pas assez. Mais c'est difficile
parfois d'avoir de la publicité sur des sujets comme ceux-là,
alors que les organismes qui se créent vont aller à la
télévision, à la radio et qu'un individu va dire: Je
cherche ma mère. C'est prenant, devant le monde. (11 h 15)
II n'y a pas de mères naturelles qui vont à la
télévision ou à la radio pour dire: J'ai eu un enfant il y
a 25 ans et personne ne le sait. Je ne suis donc pas d'accord que vous me
recherchiez. C'est un peu ces sans-voix qu'on représente aussi ce matin.
Il n'y en a pas qui vont venir à la télévision pour dire:
J'ai eu un enfant il y a 25 ans et personne ne le sait. Et je ne le veux pas,
pour aucune considération.
Je peux vous dire que je commence à avoir occasionnellement des
lettres de mères naturelles qui m'écrivent et me disent: Si
jamais mon enfant me recherche, je vous défends d'entrer en
communication avec moi, parce que personne ne le sait. On a l'autre revers,
à la suite de ces articles de journaux. Vous avez, dans certains
journaux, le courrier des disparus, vous avez ces organismes à
Montréal il y en a deux; à Sherbrooke, il y en a un qui
suscitent peut-être des besoins qui n'étaient pas connus avant.
Est-ce que cela répond à votre question?
M. Le Moignan: Vous avez touché l'aspect médical.
J'avais une question à vous poser, vous répondez en partie.
Justement, c'est quand il y a une maladie et qu'on veut savoir si c'est
héréditaire, par exemple. A ce moment-là, est-ce que vous
pouvez aller chez les parents pour voir l'évolution de cette maladie,
les suites au cours des années, l'épilepsie, par exemple? Est-ce
que vous faites des recherches dans ce sens-là?
M. D'Amours: M. le Président, à ce niveau, il
existe un grave problème qui a fait l'objet d'études par
l'Association des archivistes médicales dont la présidente est
Mme Louise Beaudry. Présentement, dans les hôpitaux, c'est un
problème, parce qu'ils ne sont pas avisés du changement de nom
d'un enfant, à la suite d'un jugement d'adoption. Je pense que, sur ce
point, il serait important qu'il y ait une législation ou une
réglementation prévoyant la possibilité d'établir
les concordances.
Très souvent, les enfants sortent d'un centre hospitalier et
c'est le bébé X et le bébé Y. Mais, par la suite,
ils sont adoptés et les parents ne sont pas toujours au courant
conformément aux dispositions de l'article 30 du nom des parents
biologiques. Sur ce point, il existe un problème sérieux auquel
il faut trouver une solution, faute de quoi il y a des enfants qui vont avoir
des dossiers médicaux qui ne leur appartiennent pas. Je pense qu'une des
solutions qui pourrait être envisagée, c'est qu'une
société d'adoption reconnue, en l'occurrence un centre de
services sociaux d'une région, puisse être en mesure
d'établir des concordances entre le dossier avant l'adoption et le
dossier après l'adoption.
M. Le Moignan: Allez-vous proposer des amendements à la
loi pour cela?
M. D'Amours: Nous avons mentionné, dans notre
mémoire, le rapatriement des dossiers d'adoption privée, que ces
dossiers soient conservés par un centre de services sociaux. Vous savez
que tout le territoire du Québec est couvert par les centres de services
sociaux et, comme ils peuvent conserver ces dossiers pendant 99 ans, il y
aurait possibilité de faire cette concordance. Je pense que cela est une
responsabilité sociale et c'est un droit que l'on doit assurer à
l'enfant. Comme je vous l'ai mentionné, l'Association des archivistes
médicales du Québec fait face à un sérieux
problème à ce niveau.
M. Le Moignan: Je suis arrivé un peu en retard, mais, dans
vos premières remarques, vous sembliez être en désaccord
avec le Code civil; vous aimeriez que tout le problème dont vous avez
traité ne soit pas inscrit dans le code, soit enlevé,
c'est-à-dire que vous voulez conserver la situation actuelle. Qu'est-ce
que vous proposez à la place?
M. D'Amours: II y a quelqu'un qui pourrait peut-être
compléter, mais, M. le Président, je pense que l'adoption a
toujours été une mesure sociale. C'est la situation d'un enfant
à la recherche d'une famille. Le Code civil régit les relations
entre les individus, mais cette situation de l'adoption est d'abord une
situation sociale. L'on retrouve, à l'intérieur du Code civil,
les effets de l'adoption, c'est-à-dire tels qu'on les prévoit,
à l'heure actuelle, à l'article 38a de la Loi de l'adoption
où on dit ceci: "A compter du jugement prononçant l'adoption,
l'enfant devient à l'égard de tous et à tous égards
l'enfant légitime des adoptants. " Lorsque le jugement est
prononcé, l'enfant devient légitime et il est régi par les
dispositions générales prévues dans le Code civil.
Au niveau des fondements juridiques, nous avons mentionné
tantôt que la Loi de l'adoption a été classée par
une décision de la Cour suprême, sous réserve, 1938 ou
1939, un Readoption Act, au volume 71 des Canadian Criminal Cases, à la
page 110, vous retrouvez, à la fin de ce jugement, je pense que c'est de
la part du juge Duff: La Loi de protection de la jeunesse, la Loi de l'adoption
constituent des lois qui se retrouvaient dans le Poor Law System d'Angleterre,
ce qui fait que la Loi de l'adoption est une loi de droit public et elle n'est
pas incluse dans le paragraphe 13 de l'article 92 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique.
Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse, mais je pense qu'il
faudrait aussi revoir nos racines juridiques qui ont pris naissance en 1774
avec l'Acte de Québec qui dit que la question du droit public est
plutôt d'origine de droit anglais, alors que pour le droit civil, c'est
le droit français. Pour ces motifs, nous pensons qu'il est important
qu'aujourd'hui on ne perde pas cette tradition, parce qu'en matière
d'interprétation de lois, c'est aussi différent lorsque vous
interprétez le Code civil et lorsque vous interprétez une loi de
cette nature.
M. Le Moignan: J'aurais encore une question. J'ai
rencontré, hier, une demoiselle d'environ 25 ans...
Des Voix: Ah! le curé!
M. Le Moignan: Vous n'avez pas le droit d'écouter cela,
vous autres. Je suppose que son nom est Marie-Claire Belleville. C'est une
enfant adoptée. Actuellement, cette demoiselle aimerait bien retracer sa
mère naturelle. Quelles sont ses possibilités?
M. Paré: Cela dépend. Si elle a été
adoptée par l'intermédiaire...
Une Voix: ... une loi générale.
M. Le Moignan: Cela dépend des clauses que vous, avez
mentionnées tout à l'heure, si la mère a dit qu'elle
refusait toutes ces choses-là.
M. Paré: Je pense que j'ai répondu à la
question tout à l'heure; oui, si la mère nous fait la même
demande ou nous a fait la même demande.
M. Le Moignan: Mais, si le cas n'existe pas, si la demoiselle
sait où elle est née, dans quel hôpital, peut-elle avoir
des contacts qui lui permettraient, par l'intermédiaire d'un groupe
comme le vôtre qui entrerait en relation avec la mère qui
demanderait si elle consentait à...
Une Voix: Pas si...
M. Le Moignan: Si c'est un nom fictif qu'elle a reçu ou
non, on ne le sait pas.
Une Voix: Vas-y.
M. Paré: C'est peut-être un autre principe
général. C'est peut-être un droit, mais les adoptés
disent que c'est leur droit de connaître leurs parents biologiques. Je
pense qu'un droit d'une personne est toujours limité au droit de l'autre
aussi. Le droit de l'autre aussi doit être respecté.
M. D'Amours: Dans l'état actuel du droit et, notamment,
à l'article 31 de la Loi de l'adoption, je pense que la règle
générale est la suivante: Si les personnes savent quelle est la
société d'adoption qui a placé cette enfant et si cette
dernière s'adresse à cette société d'adoption et
si, d'autre part, la mère biologique a fait la même demande et
qu'enfin les adoptants sont d'accord, je pense que le tribunal de la jeunesse
pourrait être saisi de cette situation.
M. Paré: Je pourrais peut-être ajouter que si
certains adoptés prétendent que c'est leur droit de
connaître leur mère naturelle, je me demande pourquoi ce ne serait
pas leur droit de connaître leur père naturel, parce qu'il y a des
pères, aussi, de ces enfants.
M. Blank: C'est parce que la mère ne sait pas qui est le
père.
M. Paré: La maternité est peut-être plus
facile, mais il reste que la paternité existe aussi. Il y a
peut-être des gens qui seraient moins d'accord.
M. Le Moignan: Pour terminer, vous avez mentionné tout
à l'heure qu'il y a beaucoup moins d'adoptions en ce moment, parce que
plusieurs filles ou mères gardent leur enfant. Le "black market", le
marché noir, est-ce que vous avez des problèmes avec cela? Est-ce
que cela existe encore tellement?
M. Sabourin: D'abord, il y a 2500 adoptions par année au
Québec. Ce qui a baissé, c'est l'adoption des petits
bébés. Quant au "black market", paraît-il que cela existe,
mais nous, des institutions officielles, ne sommes pas en relation directe avec
eux et on n'a pas de contact particulier pour nous permettre de l'identifier
clairement. C'est dans l'état de ce marché d'être noir,
donc on n'y voit pas grand-chose.
M. Le Moignan: Merci.
M. Blank: Est-ce qu'il y a des problèmes d'adoption pour
des fins d'immigration? Est-ce qu'il y a beaucoup de cas d'adoption pour des
fins d'immigration?
M. D'Amours: Oui. Il y a beaucoup d'adoptions pour fins
d'immigration lorsque les gens entrent avec un visa de séjour et qu'ils
doivent quitter, sauf s'il y a un jugement d'adoption qui est prononcé.
Effectivement, c'est une réalité à laquelle on fait face
assez régulièrement.
Je voudrais peut-être ajouter un point à la question de M.
le député de Gaspé. Nous avons mentionné dans le
mémoire qu'il y avait peut-être moins d'adoptions, mais il y
aurait un moyen aussi de clarifier certaines situations lorsque l'on vous parle
de la déclaration judiciaire d'adoptabilité. Je pense que cette
disposition est extrêmement importante, urgente, de façon que la
situation de certains enfants puisse être clarifiée au
départ, avant qu'un processus d'adoption ou de placement en vue
d'adoption soit enclenché. A ce moment, plusieurs situations d'enfants
pourraient être réglées. Si l'on parle d'un processus de
déjudiciarisation bien compris, je pense que cette
décision de déclarer abandonner un enfant devrait se
retrouver au niveau d'un tribunal, en l'occurrence le Tribunal de la
jeunesse.
M. Sabourin: Vous savez que la Loi de protection de la jeunesse
exige du directeur de protection de la jeunesse de faire l'évaluation de
tous les enfants couverts par la loi au moins tous les six mois, ce qui lui
permet, dans tous les cas, de faire le point deux fois par année sur la
situation familiale. Dans bien des cas, relativement rapidement et d'une
façon obligatoire, on peut être amenés à
considérer qu'un enfant est effectivement abandonné par ses
parents parce que les parents n'ont vu ni aux soins, ni à l'entretien,
ni à l'éducation de celui-ci. Si on avait les moyens de
déclarations judiciaires, d'abandon, il y a plusieurs enfants qui
pourraient, à court terme, bénéficier d'une adoption
légale par la famille d'accueil qui les garde, par exemple. C'est un
élément important. C'est un instrument essentiel entre les mains
du directeur de la protection de la jeunesse actuellement pour les enfants
couverts par l'article 38.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Jonquière.
M. Vaillancourt (Jonquière): Non, c'est à Mme le
député des Iles-de-la-Madeleine.
Le Président (M. Jolivet): Mme le député des
Iles-de-la-Madeleine.
Mme Leblanc-Bantey: Je voudrais d'abord souligner que je trouve
le mémoire extrêmement intéressant et humain, si vous me
permettez l'expression. Comme vous le dites si bien, je pense qu'il est
confronté aux réalités mouvantes de la vie d'aujourd'hui.
Par contre, compte tenu de l'heure avancée et des nombreuses questions
que mes collègues ont posées, je poserai seulement une question
qui a trait aux unions de fait. Malheureusement, je n'avais pas le
mémoire sous les yeux, il n'y en avait plus de disponible; la prochaine
fois, vous en enverrez plus de copies. Par contre, il m'a semblé
entendre que vous recommandiez que les conjoints de fait puissent devenir des
adoptants, mais vous n'avez pas beaucoup explicité sur le sujet. Par
rapport à la protection de l'enfant justement, qui semble vous
préoccuper énormément, quels seraient les critères
qui permettraient que des conjoints de fait deviennent des adoptants, tout en
préservant la stabilité de l'enfant? (11 h 30)
M. Sabourin: Vous savez, j'ai le goût de vous poser la
question d'une façon différente: Quels sont les critères
pour placer un enfant dans une famille adoptive? Au fond, c'est une opinion sur
la stabilité des liens, c'est une opinion professionnelle qu'on pose
avec tous les risques que ça impose sur la stabilité des liens
d'un couple, et je pense que la meilleure façon d'évaluer la
stabilité d'un couple, c'est de voir comment, de façon
générale, il règle les problèmes courants de sa
vie. Un couple qui vit ensemble... Je pense que ça demanderait au moins
un couple qui a vécu au moins depuis trois ans ensemble, si on est en
mesure d'évaluer sa façon saine et normale de régler ses
problèmes de couple comme ses problèmes de vie quotidienne, je
pense qu'il ne démontre pas là d'une façon claire sa
capacité d'élever un enfant. Après tout, c'est ça
qui est demandé à un couple, qu'il soit marié ou non,
cette capacité qui lui est demandée pour élever un enfant.
S'il est en mesure de régler d'une façon saine et
équilibrée ses problèmes quotidiens de couple, comme
d'organisation de vie, je pense qu'il est capable de faire face aux
responsabilités qu'impose un enfant.
Une des conditions que je mettrais, moi, c'est que ce soit au moins
trois ans de vie commune avec une expertise psychosociale, évidemment,
comme dans tous les cas d'adoption.
Mme Leblanc-Bantey: Pour les couples qui sont déjà
mariés je ne connais pas la Loi d'adoption on leur demande
d'être mariés depuis combien de temps?
M. Sabourin: Trois ans.
Mme Leblanc-Bantey: Trois ans aussi?
M. Sabourin: Deux ans.
Mme Leblanc-Bantey: Alors, vous présumez que, quand un
couple a pris la décision de se marier au départ, ces gens sont
plus stables que des gens qui ont décidé de vivre en union de
fait.
M. Sabourin: En tout cas, ceux qui ne sont pas mariés ont
sûrement une preuve de plus à faire.
Mme Leblanc-Bantey: Avec le taux de divorces qu'on connaît,
je ne suis pas sûre que vous ayez raison.
M. Sabourin: Peut-être.
Mme Leblanc-Bantey: De toute façon, c'est la seule
question que je poserai pour le moment.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Drummond.
M. Clair: M. le Président, encore une fois, au nom du
ministre de la Justice et de mes collègues, je remercie l'Association
des centres de services sociaux du Québec pour son intéressant
mémoire. Au plaisir de vous revoir.
Le Président (M. Jolivet): Merci! Mme Janine Boynard-Frot.
Vous pouvez y aller, madame.
Mme Janine Boynard-Frot, à titre
personnel
Mme Boynard-Frot (Janine): M. le Président, mesdames,
messieurs...
Le Président (M. Jolivet): Excusez-moi. Pou-vez-vous
approcher le micro près de vous?
Mme Boynard-Frot: Certainement. Je suis actuellement
associée de recherche de l'Université de Sherbrooke et je vous
présente ce mémoire à titre personnel, au nom du concept
de l'égalité des personnes.
Tout d'abord, je vais vous faire une citation qui est extraite de La
Sainte Famille de Marx, qui vient en tête de ce mémoire. "Le
changement d'une époque historique se laisse toujours déterminer
en fonction du progrès des femmes vers la liberté parce que c'est
ici, dans le rapport de la femme avec l'homme, du faible avec le fort
qu'apparaît de la façon la plus évidente la victoire de la
nature humaine sur la brutalité. Le degré de
l'émancipation féminine est la mesure naturelle du degré
de l'émancipation générale."
Le projet de révision du Code civil s'est ouvert en 1955 sous
d'heureux auspices puisque le législateur, en s'abstenant de
définir "l'esprit qui devait présider à la
réforme", laissait toute latitude aux réformateurs de ne
considérer que l'esprit humain.
Le Code civil a, tout entier, été conçu en donnant
la primauté non pas à l'être humain, mais à l'avoir,
l'être n'étant dans cette optique qu'un instrument de l'avoir.
C'était, certes, un code de propriétaires et de rentiers, mais,
plus que cela, c'était un code de marchands d'esclaves puisqu'il y
était consigné, en toutes lettres, que la femme acquise par
l'homme par le biais du mariage était assimilée à une
incapable. Dès lors, les biens de la femme, le produit de son travail,
ses enfants et le produit du travail des enfants, tout cela était
confisqué par l'homme.
Le Code civil a grandement contribué au développement
d'une société dominée et dirigée par des hommes
avides de biens matériels, avides de pouvoirs et dont la forme
extrême s'identifie aux trusts coupés de l'humanité par
leur recherche de biens, non plus destinés à assouvir des besoins
naturels à l'espèce humaine, mais destinés à
assouvir des besoins sans nom car non nommés par la psychiatrie.
Le Code civil est pour la société "physique" ce, qu'est la
Bible pour la société "morale". Ces deux textes sont les outils
de base des deux pouvoirs que sont l'Etat et l'Eglise. Par conséquent,
tous les autres instruments du savoir qui circulent dans notre
société sont basés sur l'un ou l'autre de ces instruments
fondamentaux, ou même sur les deux. Qu'il s'agisse des livres de
grammaire, de mathématiques, de sciences, des romans, des films et en un
mot de toute la production destinée à la "formation" de la
population ou à sa "récréation", tout l'édifice
prend appui sur les énoncés du Code civil et de la Bible. Et pour
mettre en évidence l'importance du code dans notre
société, je ne citerai qu'un exemple: Dans un bon film, le voleur
est toujours puni et le voleur est toujours un homme car le code a
conditionné les populations à cette idée que seuls les
hommes pouvaient convoiter des biens matériels. La fem- me, elle, dans
le "bon" film, ne convoitera que le voleur. Les stéréotypes
proviennent des codes.
L'image que la société actuelle et vivante renvoie
à l'élite masculine dirigeante ne s'ajuste plus ni au code, ni
naturellement aux autres instruments de formation et c'est parce que le code
risquait de subir le sort du latin que les rénovations sont devenues
urgentes.
En affirmant que "tout être humain possède la
personnalité juridique" et en substituant le mot "personne" au mot
"homme", les réformateurs ont eu pour objectif de réduire
l'écart entre le fort et le faible, entre l'homme et la femme. C'est
là un projet qui vise à redonner quelque humanité à
notre société, mais qui demeure incomplet, car c'est l'abolition
de l'écart qu'il eût fallu préconiser. La première
oppression de classe coïncide avec celle du sexe féminin par le
sexe masculin et tout l'effort du Conseil du statut de la femme vise à
abolir les conflits dans les rapports des sexes en favorisant la
libération économique et l'émancipation sexuelle de la
femme. Les réformateurs se sont souciés de ces deux plans
fondamentaux, mais ont négligé de détruire l'oppression
qui persiste dans les structures mêmes du discours. C'est donc sur ce
plan particulier, au niveau formel, que va porter ma critique.
Le Code civil régit les rapports entre les personnes et, parce
qu'il doit être utilisé par différentes personnes de sexe,
d'éducation, de couches sociales et peut-être d'origine
différente, il ne doit laisser, idéalement, aucune place à
l'interprétation personnelle. Sa parole doit approcher un maximum de
neutralité, une sorte de "degré zéro de
l'écriture". La principale qualité du code sera son
objectivité. Seule l'objectivité du code fonde la justice et
permet de poser sans contradiction que "tout être humain possède
la personnalité juridique."
Or, ce principe fondamental est constamment battu en brèche par
le projet du code qui manifeste avec constance et régularité la
prépondérance de l'homme en donnant préséance au
sexe masculin sur le féminin dans son vocabulaire. Tous les articles qui
parlent de la mère et du père ou de filiation maternelle et
paternelle, à l'exemple des articles 38 et 34, pour ne citer que ces
deux-là, ne respectent ni l'ordre alphabétique qui voudrait que M
soit avant P, ni l'ordre biologique qui veut que la fonction maternelle soit
nécessaire tandis que la fonction paternelle n'est que contingente, ni
même l'ordre de la galanterie qui veut que la femme passe avant
l'homme.
L'ordre du code, c'est l'ordre patriarcal, c'est-à-dire l'ordre
du plus fort. Cet ordre immuable domine dans le chapitre III du livre I qui
traite du nom et de l'identité physique.
Le rapport d'appropriation de l'enfant par l'homme se voit à
nouveau confirmé puisque l'enfant porte le nom patronymique de son
père (article 33).
Or, il faut encore le souligner, la fonction maternelle est
nécessaire, celle de l'homme contingente, puisqu'il n'est qu'instrument
de transmission de la vie. L'enfant est donc l'oeuvre de la
mère, sa propre création. La filiation paternelle n'est
qu'une détermination socioculturelle. En persistant à affirmer
cette filiation au détriment de la filiation maternelle, le projet du
code affirme encore la prépondérance de l'homme et accentue ainsi
la division entre les sexes.
Je recommande que l'article 38 soit ainsi modifié: L'enfant porte
les noms de la mère et du père enregistrés
conformément à l'ordre alphabétique. A sa majorité
ou lors de son mariage, l'adolescent opte pour l'un des deux noms, celui de la
mère ou celui du père.
La validité de l'article 41 est subordonnée à cette
modification puisqu'il stipule que les époux ont, en mariage, les
mêmes droits et les mêmes obligations. De même serait
validé l'article 42 qui dit que les enfants sont communs. A
défaut d'une telle modification, ces deux articles sont
foncièrement viciés puisqu'ils n'ont aucune possibilité
d'être réalisés au niveau de l'existence des individus.
Cette question de la filiation paternelle arbitrairement maintenue et
source de conflits à une époque où tant de femmes
recherchent leur identité et s'affirment, a certainement effleuré
l'esprit des réformateurs qui ont produit un article
particulièrement sibyllin pour masquer l'iniquité, article qui se
lit comme suit: Les époux conservent en mariage leur nom patronymique,
ainsi que leurs prénoms respectifs.
La conservation est une chose et l'utilisation autre chose. Le nom de la
femme, dans le couple, sera-t-il conservé comme sont conservées
les archives, les espèces en voie de disparition? Le nom de l'homme
sera-t-il utilisé, lié aux biens matériels et aux enfants,
comme par le passé? Une équivoque de même nature est
entretenue dans l'article 40 où il est dit: Les prénoms de
l'enfant sont choisis par ses parents. En cas de désaccord, chacun d'eux
lui donne un prénom. Quel prénom sera enregistré en
premier? Lequel sera utilisé? Cet article contient les germes de
conflits.
Le livre II attire des remarques générales du même
ordre que celles émises pour le livre précédent à
savoir que l'ordre alphabétique serait à privilégier et la
préséance des termes masculins sur les termes féminins
à bannir dans les énumérations. Par ailleurs, l'emploi
abusif du terme "époux" pour désigner la personne au singulier
nuit à l'objectivité du code. Ce terme n'a pas d'emploi
spécifique, il peut désigner une partie du couple uni,
désuni, non uni, articles 27, 27, 30, 33, 36, etc. Occasionnellement, le
mot "personne" est utilisé, articles 25, 29, etc., de même que
"partie", articles 28 et autres, ou encore le terme "conjoint".
L'utilisation généralisée de "personne" ou "partie"
débarrasserait le Code civil de toute connotation morale ou
paternaliste. Ce texte y gagnerait en homogénéité et
objectivité. La non-observance d'une neutralité absolue est
parfois beaucoup plus évidente ainsi qu'en témoigne l'article 17
qui traite de la célébration du mariage et pour ce faire donne
préséance au ministre du culte sur le protonotaire. Il s'agit
d'un Code civil qui devrait donner priorité à ses officiers. Une
telle hiérarchisation dans le discours est lue et
interprétée dans le sens indiqué.
Il serait souhaitable également que les préoccupations du
code fussent manifestement de l'ordre de l'être plutôt que de
l'avoir quand il s'agit de l'enfant. D'où la nécessité de
parler du bien-être de l'enfant plutôt que de son
intérêt, articles 25, 27 du livre I et articles du livre II.
Ces quelques éléments de critique démontrent que le
projet du code n'est pas encore basé sur l'égalité des
personnes en dépit des affirmations contenues dans l'article 1.
Par certains artifices de discours, le projet du code conserve à
l'homme sa place prééminente dans la société. La
confusion qui entoure certains articles traitant du nom et de l'identité
des personnes reflète l'injustice sur laquelle se fonde le code pour
poser de tels articles. A cette obscurité, qui laisse aux juges toute
latitude quant à l'interprétation, s'oppose une clarté,
une évidence, de mauvais aloi et qui porte tout autant atteinte au
principe de justice fondamental. L'article 150 constitue un exemple, lui qui
stipule que les époux "sont présumés avoir choisi le mari
comme administrateur de la communauté, à défaut de
stipulation expresse dans le contrat de mariage".
Le projet du code perpétue ainsi la conception surfaite que
l'homme a de lui-même. Cet article devrait donc être banni du code,
car il importe moins de réduire l'écart entre les sexes que de
viser à son abolition si les réformateurs prétendent
à une société humaine.
Je remercie les membres de la commission parlementaire de
l'intérêt qu'ils ont bien voulu porter à ce document et les
prie de croire à mes sentiments les meilleurs.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Drummond.
M. Clair: Merci, M. le Président. D'abord permettez-moi de
remercier Mme Boynard-Frot de la présentation de son mémoire.
J'aimerais lui dire, dans un premier temps que c'est toujours avec beaucoup
d'intérêt que les membres d'une commission parlementaire
reçoivent les mémoires de groupes organisés. C'est
également avec beaucoup d'intérêt que les mêmes
membres de cette même commission reçoivent les mémoires de
personnes qui, de leur propre chef, décident de venir se faire entendre
en commission parlementaire. J'aimerais également lui dire que la
clarté de ses positions et de ses messages, de même que la
conviction et la détermination avec lesquelles elle nous a fait
connaître ses messages, l'honorent et que ça ne peut que porter
chacun d'entre nous à réfléchir. (11 h 45)
J'aurais une question à poser à Mme Frot. Vous indiquez
votre désaccord, à la page 4 de votre mémoire, avec la
proposition de l'office relative au nom de l'enfant. Vous proposez que l'enfant
porte les noms de sa mère et de son père
à la naissance et soit tenu d'opter, à sa majorité,
pour l'un des deux noms à son choix. Est-ce que vous ne craignez pas que
ce processus de l'option par l'enfant, à sa majorité, devienne
trop lourd de conséquences pour l'enfant qui aurait à choisir et
qui risquerait d'être confronté entre choisir son père ou
choisir sa mère, d'une part, donc une lourdeur à l'égard
de l'enfant? D'autre part, n'y aurait-il pas risque de lourdeur administrative
qui pourrait nous amener dans une situation où, à la
majorité, pour celle ou celui qui ne ferait pas le choix, l'Etat devrait
prévoir, dans le Code civil, un choix contre la volonté, si vous
voulez, pour faire face à la négligence de celui ou de celle qui
refuserait d'opter à sa majorité?
Tant au point de vue de l'enfant qui aurait à choisir, au moment
de sa majorité, qu'au point de vue de l'administration, est-ce que vous
ne voyez pas des inconvénients sérieux à la mise en
pratique d'un tel procédé?
Mme Boynard-Frot: Non. Je ne pense pas qu'il y ait tellement
d'inconvénients. Finalement, tout, dans notre société,
n'est qu'habitude, déjà. D'autre part, c'est l'année de
l'enfant, c'est-à-dire qu'on cherche à considérer l'enfant
comme une personne et à lui donner certaines responsabilités.
Lorsqu'à sa naissance on décide pour lui que c'est le nom du
père, en fait, on décide pour lui, on ne lui laisse aucun choix,
on ne le considère pas comme une personne, on impose, parce que,
vraiment, on décide que c'est le nom du père et non celui de la
mère. Il y a donc une sélection qui est effectuée à
ce niveau, automatiquement.
Je crois qu'en laissant à l'enfant le choix à 18 ans, on
le considérerait vraiment comme une personne humaine et il aurait
réellement le choix à assumer. D'un autre côté, je
considère que ça ne pourrait être que
bénéfique à un certain point de vue pour le couple, parce
qu'il y aurait un certain même si le mot "honneur" n'a plus
beaucoup de sens à notre époque souci de conserver le nom,
en ce sens qu'il y a certainement bien des enfants qui ont 18 ans et qui ne se
sentent pas très heureux de porter le nom du père quand le
père peut être en prison. Il y a beaucoup plus d'hommes que de
femmes qui sont en prison et qui commettent des actions sociales
répréhensibles.
Je crois qu'à ce moment-là, pour l'enfant majeur,
même si c'est la mère, même s'il y a autant de femmes que
d'hommes, peu importe, ce serait une manière pour l'enfant de refaire
son chemin dans la vie sans nécessairement traîner le passé
d'un parent ou de l'autre et d'avoir toujours ce passé accroché
après lui. Ce serait une manière de s'en débarrasser.
En ce qui concerne le choix qui pourrait l'affecter moralement, je ne le
pense pas, parce que je me dis que la femme, quand elle épouse un homme,
est obligée elle-même de sacrifier son nom. On ne s'est jamais
préoccupé du fait qu'elle faisait un sacrifice, qu'elle
abandonnait son nom. On ne l'a jamais considéré, cet aspect de la
question et il est là, pourtant. Il peut y avoir un traumatisme de
même nature. Je crois que là, simplement, ce seraient des
habitudes socio-culturelles, tout simplement, des faits de cette nature. En ce
qui concerne la lourdeur administrative, eh bien, on en vient vers cet aspect,
puisque maintenant, on permet à la femme de conserver son nom et on lui
refait ses cartes avec le double nom. Je crois qu'il y a déjà un
mécanisme amorcé de ce côté, il n'y aurait tout
simplement qu'à réenvisager la structure. Je ne vois pas du tout
d'inconvénient à ce point de vue.
M. Clair: Avant de poser ma prochaine question, j'aimerais
seulement vous souligner que je partage votre avis sur les statistiques,
à savoir qu'il y a plus d'hommes que de femmes qui se retrouvent dans
les prisons, mais quant à savoir s'il y a plus d'hommes que de femmes
qui commettent des actes répréhensibles, ça peut
être la conséquence d'un préjugé que de
préjuger du chiffre noir de la criminalité qu'on appelle, soit
les crimes non découverts. Est-ce qu'il y a autant d'hommes que de
femmes qui en commettent ou autant de femmes que d'hommes? C'est une question
sur laquelle on pourrait discuter longtemps.
Si je reviens au nom, le Conseil du statut de la femme nous propose,
quant au nom des enfants, une solution par laquelle le nom et du père et
de la mère serait transmis à l'enfant. Quand il y a mariage d'un
couple qui a déjà un double nom, à ce moment-là le
père transmettrait le nom de la lignée des hommes, si vous
voulez, et la femme transmettrait le nom de la lignée des femmes.
Est-ce que cette proposition vous apparaît intéressante?
Pour la simplifier au maximum ou la dire d'une autre façon, si on a un
nom composé, le nom de la femme est le premier nom, le nom de l'homme
est le deuxième nom. Au moment du mariage, les parents transmettent
à leurs enfants leur nom de la façon suivante: la mère
transmet la première partie de son nom et le père transmet la
seconde partie, perpétuant ainsi la lignée, les femmes
transmettant le nom de la lignée des femmes, et les hommes, le nom de la
lignée des hommes.
D'autre part, la Commission des services juridiques propose plutôt
l'universalisation du nom de la femme, qu'il soit transmis aux enfants.
J'aimerais vous entendre sur ces deux propositions.
Mme Boynard-Frot: En ce qui concerne la proposition du Conseil du
statut de la femme, je m'érige absolument contre cette proposition qui
viserait tout simplement à accentuer la division entre les sexes. Je me
dis que toute action doit tendre justement à réconcilier ces
rapports entre les sexes et à oeuvrer pour qu'il y ait une certaine
égalité, une harmonie, entre les sexes.
Procéder de cette manière, ce serait associer, d'une
manière définitive, la fille à sa mère et le
garçon, à son père. C'est-à-dire que tous les
stéréotypes culturels qui existent déjà à
l'heure actuelle ne feraient que s'amplifier, parce qu'il y aurait une
identification très forte, dès l'origine, à cause de cela,
à cause du fait que le garçon sait
qu'il va hériter du nom du père et la fille de celui de la
mère; il y aurait une division des sexes et une identification, chez les
parents, très forte et très dangereuse.
Je crois personnellement que c'est ne pas aller dans le sens d'une
harmonie des rapports entre les hommes et les femmes, mais c'est, au contraire,
peut-être installer là les germes d'une division plus grave que
celle qui existe à l'heure actuelle.
M. Clair: Avant de laisser la parole à mon collègue
de l'Opposition, j'aimerais simplement vous souligner cependant que les
arguments du Conseil du statut de la femme pour le nom tel que proposé
ne tenaient pas, comme j'ai pu le laisser voir, qu'à la
généalogie; je pense que vous avez dû avoir l'occasion de
prendre connaissance du mémoire du Conseil du statut de la femme. Je
voulais simplement vous dire cela. Je pense qu'il y avait d'autres arguments
que la généalogie au point de vue de la transmission du double
nom, pour faire justice au Conseil du statut de la femme. Je vous remercie,
madame.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Saint-Louis.
M. Blank: Madame, je veux simplement vous dire que je trouve
votre mémoire très clair et que je n'ai pas de question.
Le Président (M. Jolivet): Mme le député des
Iles-de-la-Madeleine.
Mme Leblanc-Bantey: Vous commencez votre mémoire par une
citation de Marx que je ne connaissais pas, qui commence très bien
d'ailleurs: "Le changement d'une époque historique se laisse toujours
déterminer en fonction du progrès des femmes vers la
liberté parce que c'est ici, dans le rapport de la femme avec l'homme,
du faible avec le fort..."
Et c'est ici que je trouve que cela se gâte. Vous vous servez
d'une citation de Marx pour dénoncer toute l'inégalité des
sexes là où, à mon avis, Marx lui-même emploie un
vocabulaire extrêmement sexiste, en parlant du faible et du fort,
justement en parlant du sexe faible et du sexe fort, alors que, normalement,
tout le reste de la citation devrait tendre à abolir cette vision
caricaturale du rapport de l'homme avec la femme.
Comment expliquez-vous ce vocabulaire chez Marx, alors que, normalement,
selon tout ce qu'on entend, il aurait peut-être pu dire, d'une
façon plus neutre, l'opprimé, l'oppresseur, enfin, tout le
vocabulaire qu'on entend autour de cela? Est-ce que ce n'est pas consacrer une
forme de sexisme que d'utiliser ces deux termes?
Mme Boynard-Frot: C'est très simple. Quand Marx l'a
écrit, il n'avait qu'à lire le Code civil pour se rendre compte
que, dans le Code civil, c'était le rapport du fort et du faible.
C'était tout. Quand Marx a écrit cette citation, la
société était comme cela. Naturellement, maintenant, il y
a un désir d'améliorer, de changer ces rapports. Mais, à
l'époque où cela a été écrit, c'était
ce rapport.
Mme Leblanc-Bantey: Vous admettez que Marx lui-même, dans
sa citation, fait preuve de sexisme?
Mme Boynard-Frot: Je dirais tout simplement qu'il se met en face
des faits et il décrit les faits tels qu'ils sont. C'est une vision
très objective des choses.
Mme Leblanc-Bantey: On ne continuera pas la discussion. On
pourrait dire que, de toute façon, beaucoup d'hommes qui ont
préparé des mémoires ou même le Code civil se sont
mis en face de faits et ont préparé des choses, compte tenu des
faits qu'ils vivaient à l'époque. On pourrait trouver la
même excuse finalement aux autres hommes qui nous ont, selon votre
mémoire, opprimées, avilies, etc. Vous avez avoué
je trouve que c'est très bien que c'était à titre
personnel... Vous ne vous attendez pas que toutes les femmes soient d'accord
nécessairement avec les énoncés qu'il y a dans votre
mémoire, parce qu'évidemment, quand vous dites qu'on est dans une
société dominée, dirigée par des hommes avides de
biens matériels, avides de pouvoirs, etc., où tous les
défauts sont du côté de l'homme, où les femmes sont
parées de toutes les vertus, je pense que c'est difficile d'être
d'accord avec un énoncé aussi rigide, si vous voulez, aussi
comment pourrais-je dire? dénonciateur, dans la mesure
où toute l'histoire nous prouve aussi qu'il y a eu des femmes, au niveau
de la royauté ou autrement, qui ont aussi été avides de
pouvoirs et qui ont été avides de biens matériels, etc.
Vous terminez votre citation en disant: "non plus destinés à
assouvir des besoins naturels à l'espèce humaine, mais
destinés à assouvir des besoins sans nom car non nommés
par la psychiatrie." Dans le contexte où je pense que la psychiatrie est
encore dominée ou est encore majoritairement analysée par des
hommes, parce que je crois qu'il y a plus d'hommes psychiatres que de femmes
psychiatres, pouvez-vous préciser davantage ce type de phrase?
Mme Boynard-Frot: Tout d'abord, je pense que vous avez fait une
interprétation de mon texte, parce que, quand vous dites que les femmes
sont parées de toutes les vertus dans mon texte, je crois que c'est
inexact. Il n'y a aucune vertu. Je ne peux pas dire cela. C'est une
interprétation du texte, parce que les femmes...
Mme Leblanc-Bantey: Mes collègues sont complètement
bouche bée de l'autre côté. Vous voyez, ils n'ont
même plus de questions.
Mme Boynard-Frot: Non, vos collègues, je ne pense pas
qu'ils soient bouche bée, je les mets en présence de faits. Ils
considèrent ces faits et, ensuite, ils envisagent peut-être la
manière d'intégrer ces faits qui ne sont que des faits dans
une
réalité actuelle. Je pense que vos collègues ont
très bien senti la portée de mon intervention, que c'est en fait,
justement, pour aller vers une réconciliation des sexes et ni pour
marquer la division, ni pour l'accentuer, ni pour dénoncer. Ce
n'était pas du tout le but de mon mémoire.
Pour ce qui concerne cette phrase qui a pu vous heurter, parce qu'elle
parlait de la psychiatrie, je dirais simplement que le Code civil,
c:était un code de propriétaires. Vous trouvez cela
dans la préface du code. Je n'ai donc rien inventé là,
cela a été senti par des hommes, comme cela. Simplement, quand on
parle d'accumuler des biens matériels, c'est passé, cela a
été certainement un aspect de la vie qui est passé avant
celui du développement des êtres et je crois que les trusts
représentent, avec tout ce qu'il y a d'attaché autour d'eux de
puissance et finalement d'utilisation de l'être humain pour
acquérir, parce que l'être humain est mis tout simplement au
service de l'avoir, je pense qu'on n'est plus du tout dans l'humanité,
qu'on est au niveau effectivement d'une défectuosité de la
mentalité humaine. On n'est plus du tout dans la mentalité quand
l'être humain est asservi, comme à l'heure actuelle, aux fins de
l'avoir. C'est simplement cela. Effectivement, ce n'est pas
dénommé par la psychiatrie, mais je crois que c'est une
maladie.
Mme Leblanc-Bantey: Vous ne niez pas que les femmes aient aussi
une certaine responsabilité dans cette vision du monde que vous pouvez
avoir?
Mme Boynard-Frot: Si les femmes avaient une participation, au
niveau politique, de 50% avec les hommes, je dirais: Oui, elles ont une
responsabilité. C'est loin d'être le cas. Les femmes n'ont aucune
responsabilité, elles sont des moyens pour les hommes, mais elles n'ont
aucune participation politique, ce qui fait qu'elles n'ont aucune
responsabilité, absolument pas.
M. Clair: M. le Président, permettez-moi, s'il n'y a pas
d'autres questions, de remercier Mme Boynard-Frot de la présentation de
son mémoire. Au plaisir de vous revoir.
Mme Boynard-Frot: Merci. (12 heures)
Le Président (M. Jolivet): Merci. L'Association des
consultants matrimoniaux du Québec. M. Adrien Théoret, s'il vous
plaît.
Oui, vous pouvez y aller.
Association des consultants matrimoniaux du
Québec
M. Théoret (Adrien): Je voudrais, en commençant,
remercier les distingués membres de la commission parlementaire qui nous
donnent cette occasion de soumettre à leur attention les
préoccupations et les recommandations que l'Association des consultants
matrimoniaux du Québec formule en partie dans son mémoire et que
nous nous proposons de compléter dans notre présentation.
Le Président (M. Jolivet): Voulez-vous nous
présenter votre collègue, s'il vous plaît, pour le journal
des Débats?
M. Théoret: C'est M. Michel Lemieux, qui est
président de l'Association des consultants matrimoniaux du
Québec.
Le Président (M. Jolivet): Merci.
M. Théoret: Je voudrais, au début, rappeler le fait
que l'Association des consultants matrimoniaux du Québec, qui regroupe
des professionnels tant du secteur privé que public, s'intéresse
vivement à toutes les questions qui touchent les couples et la famille
et que déjà, antérieurement, nous avons apporté
notre collaboration à différents paliers, particulièrement
au moment de la révision de la loi du ministère
fédéral de la Justice en organisant des colloques qui
réunissaient des personnes concernées par le mariage, le divorce
et ses conséquences, c'est-à-dire les juges, les avocats et des
professionnels du traitement des problèmes conjugaux, des
problèmes familiaux. Nous nous sommes d'emblée prononcés
pour la création d'un tel tribunal de la famille au Québec, dans
le cadre de politiques familiales réalistes.
Nous nous inscrivons dans la ligne de pensée de la philosophie
sous-jacente à tout l'ensemble du document. C'est pourquoi, dans la
présentation de notre mémoire, nous avons voulu nous limiter aux
aspects avec lesquels nous étions moins d'accord.
Nous considérons comme fondamental et très important
d'arriver à sortir le couple de ce système actuel,
c'est-à-dire du système adversaire et de déjudiciariser sa
démarche dans le cadre de l'échec du mariage ou de conflits
majeurs qui mènent à la séparation. Lorsque la commission
parlementaire fut annoncée, nous avons mobilisé nos
énergies pour apporter, à partir de notre expérience du
vécu des couples et des familles en difficultés, un
éclairage et des recommandations quant au droit de la famille et au
tribunal de la famille.
Face à l'ampleur des questions soulevées par le document
de l'office, et tenant compte du temps et des moyens restreints dont nous
disposons, il nous a fallu faire option. Aussi, dans notre mémoire, nous
nous limitons à présenter nos recommandations quant au tribunal
de la famille, et particulièrement, quant au chapitre V sur
l'organisation du tribunal. Conscients que la mise en place d'un tribunal de la
famille est une opération complexe et qui peut prendre encore du temps,
nous voulons également présenter un certain nombre de suggestions
qui pourraient, à court terme, être réalisées pour
assurer une période de transition entre le système actuel et le
futur tribunal.
Nous nous disons entièrement d'accord avec les articles 245
à 252 du deuxième livre du docu-
ment de l'Office de révision du Code civil, à savoir que
le tribunal doit s'assurer qu'il y a eu tentative de conciliation. Le
deuxième élément, c'est que le tribunal peut faire appel
à une personne compétente pour concilier les conjoints.
Je pense que le tribunal devrait pouvoir offrir également dans le
cadre du tribunal à la famille des services de bureau de consultation,
soit à l'intérieur de la cour, soit à l'extérieur
de la cour, où il y a des professionnels tels que définis dans le
document de l'office, services, en somme, qui feraient fonction
défavoriser, autant que possible, la réconciliation dans les cas
où cela devait se faire, ou de promouvoir la conciliation des
différends des conjoints ou d'améliorer leur relation, surtout
là où il y a des enfants, pour assurer leur plein
épanouissement.
En revenant au document de l'office et particulièrement aux
aspects du document avec lequel nous sommes peut-être moins d'accord,
nous proposons les modifications suivantes: Au chapitre II, à partir de
l'expérience déjà faite à la Chambre de la famille
de la Cour supérieure du Québec qui se poursuit actuellement, on
a parlé de l'expertise pour la garde des enfants, je pense que ça
nous amène à conclure qu'il est urgent d'établir un
tribunal de la famille.
Au chapitre V, le texte se lit comme suit: "Que les juges du tribunal de
la famille soient, en principe, choisis parmi les avocats." Ici, nous avons eu
quelques restrictions. Nous reconnaissons que les problèmes
reliés à cette section du Code civil telle que décrite
dans le rapport relèvent de la compétence de professionnels de la
consultation conjugale et familiale. Quand les difficultés entre les
parties sont d'ordre pénal, nous comprenons l'importance d'avoir des
hommes de loi pour trancher les différends, cela va de soi.
Par contre, face à des demandes de divorce, de la garde des
enfants, etc., il y a tellement d'implications psychologiques et personnelles
que nous estimons que ça requiert des gens rompus à ces
disciplines pour porter des jugements et trancher des questions. L'appareil
judiciaire, de par sa nature, a tendance à créer, dans le
contexte actuel, un esprit d'adversaires, un esprit de lutte entre les parties.
Il faut à tout prix tout mettre en cause pour éviter d'aggraver
la situation de conflit et, aussi, il faut prendre les décisions qui
soient le plus près possible des personnes et de leurs besoins.
On s'opposera peut-être en disant qu'il y a trop d'implications
légales face à un divorce pour remettre le jugement entre les
mains de spécialistes en relations humaines et on prendra soin d'ajouter
que le juge-avocat ne portera pas de jugement avant d'avoir consulté des
spécialistes en sciences humaines.
Nous pensons plutôt que le divorce, la garde des enfants et les
autres mesures accessoires requièrent des spécialistes en
sciences humaines pour porter des jugements qui tiendront compte avant tout du
besoin des personnes, tout en restant à l'intérieur des cadres
légaux et ces juges pourraient être facilement aidés dans
leur tâche par des avocats de ce tribunal de la famille.
En somme, nous rejetons cette recommandation du comité, d'autant
plus que la Commission des services juridiques a souligné que, dans
certaines provinces canadiennes, les juges des tribunaux pour mineurs n'ont pas
tous une formation juridique.
Notre recommandation serait la suivante: Que les juges du tribunal de la
famille soient, en principe, choisis parmi des gens ayant une expertise des
personnes (enfants et adultes), du couple et de la vie familiale. Cette
recommandation rejoint également une constatation qui a
été faite par la Commission des services juridiques dans son
deuxième rapport annuel du 31 mars 1974 qui disait: "Les vrais
problèmes du couple en voie de désintégration sont
rarement des problèmes purement juridiques. Il peut s'agir d'un
problème de relations humaines, d'économie, de psychologie ou de
psychiatrie et le tribunal, actuellement, n'est pas équipé pour
traiter de ces problèmes, pas plus que le juriste n'est formé
à la psychiatrie, à la psychologie, à la thérapie,
à la comptabilité et à tant d'autres disciplines."
Un autre article, au chapitre V, article 23, le texte se lit comme suit:
"Que les médiateurs, dans l'organisation et la structure du tribunal,
soient choisis par les avocats et les notaires." Nous proposons plutôt la
recommandation suivante: Que chaque médiateur de la section civile soit
une équipe de trois personnes dont deux professionnels de la
consultation conjugale et familiale et un avocat ou un notaire.
Quant à la section pénale, nous ne proposons aucune
modification.
Nous proposons une équipe de trois personnes pour composer la
personne morale du médiateur, parce que c'est à ce niveau que la
grande partie des décisions sera prise face au divorce, à la
garde des enfants et les autres mesures accessoires. Ces décisions sont
d'une telle gravité pour les personnes en cause et d'une
complexité psychologique assez sérieuse pour nécessiter un
vrai travail d'équipe au niveau même de la prise de
décision.
Pourquoi deux spécialistes en sciences du comportement et un seul
avocat ou notaire? Exactement pour les mêmes raisons invoquées
pour le choix des juges de la section civile.
Nous vous faisons remarquer également que ceci rejoint, encore
une fois, une position de la Commission des services juridiques dans son
deuxième rapport quand elle disait: "La formation pratique et
l'expérience de l'avocat dans les autres domaines du droit ont
même développé chez lui des attitudes contraires à
la réconciliation. Il voit plus spontanément les qualités
de son client et les défauts de la partie adverse que l'inverse et il
est plus spontanément porté à la réclamation
qu'à la concession."
Egalement, au chapitre V, à la recommandation 36, on indique qui
fera partie de l'équipe d'admission: juristes, travailleurs sociaux,
psychologues, personnes de soutien. Nous recommandons pour la partie civile le
texte suivant: Que le
service d'admission soit composé d'une équipe de juristes,
de professionnels de la consultation conjugale et familiale et d'un personnel
de soutien approprié et compétent.
Nous avons préféré parler des professionnels de la
consultation conjugale et familiale pour souligner l'importance d'avoir
été directement préparés aux problèmes et
aux conflits des couples et des familles. Les professionnels de la consultation
conjugale et familiale sont des éducateurs, des travailleurs sociaux,
professionnels, des psychologues et autres, qui ont ajouté à
l'information de base une spécialisation en conjugal et familial ou,
alors, ce sont des professionnels qui ont complété une
maîtrise spécialisée en consultation matrimoniale dans des
universités reconnues.
On désirerait également voir ajouter à la
recommandation 36 que le couple impliqué soit d'abord rencontré
par des professionnels de la consultation conjugale et familiale et, ensuite,
si nécessaire, par le juriste. Ceci, tout simplement pour éviter
des pertes de temps, parce que les problèmes impliqués
habituellement sont d'abord des problèmes de nature relationnelle
concernant les personnes impliquées.
Plusieurs couples seront référés à un
service de consultation et n'auront pas à rencontrer le juriste à
ce moment précis. Nous voulons également à la fin
souligner notre accord complet quant aux recommandations sur la
confidentialité, qui nous apparaît très importante et qui
rejoint en cela la Loi du divorce, qui définit très clairement la
position du consultant matrimonial lorsqu'il est demandé pour faire du
travail avec les couples quant à la réconciliation. Le texte de
la loi le dit très bien: "Ils n'auront pas à divulguer dans
aucune cour ce qui a été dit ou fait ou entendu à
l'intérieur de ces entrevues". Il en est de même sur
l'accessibilité aux services et sur l'obligation pour la partie
demanderesse d'avoir au moins une entrevue de consultation. Voilà pour
la partie du document sur le tribunal de la famille et particulièrement
la structure du tribunal.
Nous aimerions ajouter quelques considérations. Un
élément qui nous apparaît important, c'est de
considérer l'échec de la relation conjugale comme un motif
suffisant, quel que soit le motif de l'échec, pour obtenir une
séparation ou un divorce. Dans ce sens-là, nous serions en fait
contre les tenants de la position qui disent qu'une année de
séparation de fait ou légale suffit comme motif de divorce. Nous
considérons que le mariage est une démarche sérieuse et
que son pendant, le divorce, l'est également.
M. Clair: Voulez-vous répéter cela?
M. Théoret: Oui, je dis bien que le mariage, pour nous,
est considéré comme une démarche sérieuse et que
son pendant, le divorce, dans la loi, nous apparaît également
comme une démarche sérieuse. Ce que nous avons souvent
remarqué dans le vécu des couples, c'est qu'une année de
séparation ne suffit pas habituellement pour clarifier
définitivement les conflits et arriver à les résoudre.
Ce que nous voulons également, c'est enlever, à partir du
contexte habituel, où on définit un certain nombre de motifs pour
obtenir un divorce, cette tendance à considérer ce qu'on appelle
"la faute". Autrement dit, il est important de mettre l'accent non pas sur la
faute individuelle, mais sur le constat d'échec du mariage et de la
non-viabilité du lien conjugal, c'est-à-dire de cette relation
qui ne fonctionne pas, plutôt que d'invoquer comme motif du divorce des
raisons qui ont tendance à mettre l'accent sur la faute de la personne.
(12 h 15)
Je pense que, dans le contexte également du tribunal de la
famille, pour ce qui est des auditions, nous croyons que le public ne devait
pas être présent à ces délibérations et que
le huis clos devrait exister. Il s'agit là de problèmes
personnels et non de problèmes publics et c'est souvent introduire, dans
le fond, dans le vécu intime de ces personnes, d'autres personnes
étrangères qui n'ont rien à voir avec ce vécu. Je
pense qu'il faudrait arriver à avoir des règles simples,
flexibles, se départir de toute cette procédure qui est
fondée sur un système contradictoire.
Il y a un élément qui nous apparaît important; pour
la mise en place d'un tribunal de la famille, je pense qu'il ne suffit pas
d'avoir une structure légale. Il faut également appuyer cette,
structure légale d'un ensemble de mesurés qui vont permettre
d'appuyer ce tribunal de la famille, ce qui veut dire que, dans les politiques
familiales, les politiques à développer par le ministère,
nous devons mettre autour du tribunal un certain nombre
d'éléments pour permettre aux mesures que le tribunal veut
instaurer de devenir efficaces. Par conséquent, des ressources qui vont
appuyer, qui vont protéger. Autrement dit, à la suite de la
séparation ou du divorce, les programmes d'aide et de support actuels
sont insuffisants, inadéquats ou inexistants, ou souvent offerts par un
personnel non spécialisé.
Nous suggérons, en somme, que le ministère des Affaires
sociales considère ce secteur comme prioritaire en fonction de
l'établissement d'un tribunal de la famille. Il faudrait mettre sur
pied, je pense, des services de consultation pré et
postséparation ou divorce. Nous voulons souligner en passant et nous
déplorons le démembrement des équipes et des programmes de
services de consultation matrimoniale ou conjugale qui existaient dans les
centres de services sociaux de la province, souvent sous le prétexte
qu'il y a d'autres priorités qui sont les conséquences des
difficultés des familles et des couples.
En terminant, nous croyons qu'il y a une nécessité d'une
politique familiale d'ensemble qui devrait être élaborée
pour favoriser non seulement la protection, puisque la loi 24 fait
déjà ce travail, mais surtout la prévention et la
croissance. Nous remercions les membres de cette commission parlementaire
d'avoir bien voulu écouter nos propositions et nous sommes prêts
à répondre aux questions.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Drummond.
M. Clair: Merci, M. le Président. Permettez-moi d'abord de
remercier les représentants de l'Association des consultants
matrimoniaux du Québec pour la préparation et la
présentation de leur mémoire. Permettez-moi aussi de leur dire
que je suis convaincu que les gens de l'Office de révision du Code civil
sont heureux que vous souscriviez d'emblée, de façon
générale, aux propositions de réforme. Je pense que votre
organisme est en mesure d'apporter un point de vue intéressant, un point
de vue particulier. Bien sûr que le législateur, tous ensemble, on
va avoir à décanter les différentes prises de position,
les différentes suggestions, mais je peux vous assurer que votre point
de vue est pris en considération comme étant important.
Au niveau du tribunal de la famille, vous dites qu'il est urgent
d'établir un tribunal de la famille, mais que les difficultés que
rencontrent généralement les époux sont de la
compétence de professionnels de la consultation conjugale et familiale
plutôt que de la compétence d'un juge avocat. Vous trouvez que la
recommandation de l'Office de révision du Code civil de doter le
tribunal de la famille de services auxiliaires dont un service de consultation
familiale est insuffisante pour permettre, toujours au même juge avocat,
de rendre des décisions proches des personnes et proches de leurs
besoins. Vous semblez préférer des spécialistes en
sciences humaines aidés, cette fois-ci, dans leur tâche par des
avocats plutôt qu'un juge avocat éclairé par un service de
consultation familiale. J'aimerais que vous explicitiez un peu cette prise de
position puisque, à première vue, cela peut paraître comme
étant simplement les mêmes personnes qui changent un peu de
rôle. J'aimerais que vous nous éclairiez un peu
là-dessus.
M. Lemieux (Michel): Notre expérience avec les juges,
à plusieurs reprises ou avec les avocats, a été d'entendre
qu'ils étaient mal pris, que c'était très difficile pour
eux, humainement, de départager puisque c'est son rôle au
juge une situation. Nous estimons que le spécialiste des
relations humaines est particulièrement bien équipé pour
justement faire face à ce départage difficile qui est du domaine
humain et non plus uniquement du domaine du droit, strictement parlant, sans
nier, en même temps, qu'il y a des aspects de droit importants à
considérer.
M. Clair: Mais selon la proposition de l'Office de
révision du Code civil, si je la comprends bien, le "juge-avocat" serait
conseillé par les mêmes gens à qui vous voulez confier la
responsabilité, somme toute, de décider. Ma question va
plutôt dans le sens de dire que la règle du droit, malgré
qu'il s'agisse de questions "très humaines", délicates à
traiter, doit quand même demeurer certaine, sûre et solide à
l'égard des personnes concernées. Est-ce que vous ne pensez pas
que ça risquerait de mettre un peu cette sécurité,
à l'égard du plan et être présents effectivement, la
responsabilité de prendre des décisions?
M. Lemieux: Ce n'est plus du point de vue du droit, ce que l'on
cède, de toute évidence, mais c'est là le point, c'est
là le litige, je pense, à ce niveau. Quant aux difficultés
vécues par les couples et les familles, doit-on mettre l'accent vers des
solutions prioritairement, en termes de droit ou prioritairement en termes du
vécu humain qui est là? Je pense que l'un n'exclut pas l'autre,
c'est une question, à mon sens, davantage de savoir où mettre
l'accent.
M. Clair: L'un n'exclut pas l'autre, sauf que, si je comprends
bien votre position, vous dites: On préférerait c'est
peut-être caricaturé s'il doit y avoir...
M. Lemieux: C'est exact.
M. Clair: ... une priorité, elle va à l'humain
plutôt qu'au droit.
M. Lemieux: C'est exact.
M. Clair: En conséquence, vous préférez
qu'il y ait des erreurs juridiques plutôt que des erreurs humaines
encore...
M. Lemieux: A ce moment-là, vous poussez plus loin notre
pensée.
M. Clair: ... il peut y en avoir dans les deux sens. Je pousse
trop loin. Je comprends mieux...
M. Lemieux: II ne faut pas pousser trop loin. M. Clair:
... la limite de votre intervention. M. Lemieux: C'est exact.
M. Clair: Toujours au niveau du tribunal de la famille, au niveau
du médiateur, l'Office de révision propose la création de
la fonction de médiateur du tribunal de la famille en vue de rendre des
ordonnances exécutoires sur les mesures provisoires et sur les mesures
accessoires en matière de séparation de corps, de divorce et
d'annulation de mariage, en plus d'exercer les pouvoirs attribués au
protonotaire de la Cour supérieure en matière familiale.
L'office propose également que les médiateurs soient
choisis parmi les avocats et les notaires. Dans votre mémoire ou dans
votre présentation, vous recommandez plutôt la création
d'équipes composées de trois personnes pour remplir la fonction
de médiateur, soit deux professionnels de la consultation familiale et
un avocat ou un notaire. Est-ce que vous ne craignez pas que cette structure
soit un peu lourde et coûteuse, si elle est étendue à
l'ensemble du Québec? Est-ce que vous avez évalué le
nombre de dossiers sur lesquels on devrait se pencher, au Québec,
pour
répondre à la demande? J'aimerais que vous me
précisiez un peu votre point de vue sur les deux questions?
M. Lemieux: Notre point de vue, je dirais plutôt, selon
notre expérience de travail de conciliation, dans des causes, des
situations qui sont discutables, non acceptées par les conjoints,
lorsque c'est regardé uniquement du point de vue du droit, encore une
fois, et dans le décorum de la cour, nombre de points sont
laissés de côté, notamment toute la dimension humaine de
relation entre les deux. Alors que lorsqu'une partie de ce travail est
effectuée en bureau de consultation, que ce soit public ou privé,
peu importe, nombre de points arrivent à une solution acceptée
par les deux partenaires, par les deux conjoints.
Nous estimons que cette modalité permettrait, malgré une
certaine lourdeur, d'en arriver à des décisions qui porteraient
davantage fruit le lendemain du jugement. Ce que nous constatons, c'est que
souvent, le lendemain du jugement, le jugement finit là et l'observance
ou le vécu des décisions, c'est quelque chose qui devient du
folklore.
M. Clair: J'aimerais vous entendre aussi sur la deuxième
partie de la question, à savoir si vous avez une idée assez
précise du nombre de demandes sur lesquelles ce conseil de
médiation serait appelé à se pencher. J'ajouterais une
deuxième question, c'est celle de savoir... Répondez d'abord
à la première, puisque cela touche un autre point.
M. Lemieux: II faut situer cela dans le contexte d'ensemble de la
réforme. Dans l'hypothèse où il y aura des services de
conciliation préalable à l'audition des demandes, à ce
moment-là, je pense qu'un nombre important je serais porté
à croire près de 50% des demandes ne se rendrait pas plus
loin. Les autres 50% qui s'y rendent... Je pense que ce ne sont pas tous les
cas où il y a des questions d'expérience. Ce ne sont pas toutes
les causes qui ont des questions de garde ou de mesures accessoires à
discuter. C'est sûr qu'il y en a un certain volume.
M. Clair: Vous entrez dans...
M. Lemieux: Si on dit qu'il y a eu 17 000 divorces à peu
près au Québec en 1977, il doit y en avoir 30% à 40%.
M. Clair: Dans la première partie de votre réponse,
vous avez un peu répondu à ma question additionnelle. Compte tenu
de l'étape à laquelle interviendrait ce conseil de
médiation, pour l'appeler ainsi, est-ce que vous ne pensez pas que cela
risque d'être un peu inefficace ou illusoire de penser qu'on puisse
régler facilement, à cette étape, un grand nombre de
problèmes par la médiation, selon la formule que vous
préconisez?
M. Lemieux: Je ne le pense pas, au contraire. A cette
étape, si on se situe au point que vous mentionnez, c'est possible de
mettre les gens devant des états de fait. Déjà le fait de
travailler davantage avec des spécialistes des sciences humaines, cela
va permettre ou aider les personnes concernées à faire face
à la situation de façon plus humaine, et non plus uniquement sur
des points de droit.
M. Clair: Et votre expérience pratique vous entraîne
à croire...
M. Lemieux: Elle m'entraîne à dire que c'est
favorable bien que, évidemment, en termes de temps et en termes
d'énergie humaine, de personnel, ce soit coûteux. Je reconnais les
implications concrètes qui s'ensuivent.
M. Clair: Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Saint-Louis.
M. Blank: J'ai une courte question. Une question de base, tout
d'abord. Vous êtes l'Association des consultants matrimoniaux du
Québec. Est-ce qu'il y a un entraînement spécial, un
diplôme spécial ou quelque chose d'autre pour des personnes qui
s'appellent des consultants matrimoniaux? Est-ce qu'il y a une base
égale? Ce n'est pas une corporation fermée, n'est-ce pas?
M. Théoret: Ce n'est pas actuellement une corporation. Il
y a des démarches qui sont faites actuellement au niveau de l'Office des
professions, de même que dans le cadre de la demande de deux autres
corporations qui sont les psychologues et les orienteurs, pour fusionner les
professionnels qui travaillent à peu près dans les mêmes
champs de pratique.
L'association existe depuis 1971 et les membres, pour en faire partie,
doivent se soumettre d'abord à des critères bien précis.
Les membres de l'association doivent avoir un niveau de maîtrise, donc
deuxième cycle, dans des sciences de comportement et poursuivre un
entraînement d'une année complète avec supervision clinique
sur les problèmes concernant les couples et familles, en
thérapie.
Il y a quelques universités qui donnent actuellement une
formation, qui ont un programme de formation avec une maîtrise
spécialisée en consultation matrimoniale. Cela ne se fait pas au
Québec. Cela n'existe pas encore au Québec. La seule chose qui
existe au Québec, c'est une option dans ce genre de problématique
à l'Université McGill et, au niveau du doctorat en psychologie,
à l'Université de Montréal. (12 h 30)
M. Blank: A mon avis peut-être que je n'ai pas
raison je pense que la science humaine est moins exacte que la science
juridique, qui est moins exacte que la science pure. A mon avis, je pense
qu'i.l y a beaucoup d'opinions différentes qui peuvent venir des
professionnels des sciences
humaines. Dans les cas où on aurait votre tribunal composé
de deux professionnels, des avocats, à qui et comment allons-nous faire
appel d'une décision? Sur quel critère va-t-on baser les raisons
d'appel? La Cour d'appel serait formée de qui, d'avocats ou d'autres
professionnels en sciences humaines? Il peut y avoir d'autres opinions en
voyant que la science n'est pas aussi exacte que le droit. Comment peut-on
régler cela?
M. Lemieux: Je ne peux pas répondre en termes de droit,
n'étant pas un spécialiste du droit. Ce que je peux
répondre, c'est en termes de l'expérience déjà
acquise depuis deux ans, depuis que le Tribunal de la jeunesse est sur pied.
J'ai vécu personnellement, et plusieurs de mes autres collègues
l'ont vécue, la possibilité de partager avec du personnel
juridique un travail fait conjointement, chacun y apportant son apport et, la
décision étant prise, également conjointement avec un
accord. A mon sens, cela a eu comme expérience que ce n'était pas
aussi lourd que nous le pensions au départ. Cela a eu aussi l'avantage
d'apporter un impact sur les clients de beaucoup différent aux
procédures antérieures quand c'était uniquement juridique.
C'est tout ce que je peux vous dire à l'étape actuelle de notre
expérience.
M. Blank: Dans un cas type ou devant un cas d'exemple devant un
tribunal pour un divorce, au lieu d'être une cour, dans un sens, est-ce
que ce ne serait pas une séance de traitement? Les professionnels
n'essaieront-ils pas de traiter la cause au lieu de la régler et de
donner une décision?
M. Lemieux: C'est la même chose lorsque je suis
appelé à faire un travail de conciliation. Quand je suis
appelé à faire un travail d'expertise, je fais une expertise, je
ne fais pas du traitement. Le professionnel qui est appelé à
donner... C'est la même chose pour l'avocat, l'avocat qui est
appelé à juger ne défendra pas la cause de l'un et de
l'autre, il va juger.
M. Blank: A ce moment-là, vous laissez le jugement
à l'avocat? C'est-à-dire qu'avec l'opinion des deux
professionnels, vous laissez la décision à l'avocat. C'est lui
qui va juger. Si on l'appelle avocat ou juge, cela arrive au même.
M. Théoret: J'aimerais ajouter une distinction. Si on se
place le contexte actuel nous donne une bonne occasion de le
vérifier dans le contexte actuel de la justice avec la Cour
supérieure du Québec, la Cour du divorce, de la façon dont
on procède, vous avez exactement la situation où des gens se
présentent à la cour et doivent subir les inconvénients
d'un système qui maintient que, pour pouvoir divorcer, il faut
s'accuser, pour pouvoir maintenir le divorce ou la séparation, il faut
maintenir l'autre comme un adversaire. Quand on pense à la cour et qu'on
décide de mesures accessoires, ce que nous savons, par notre
expérience, c'est que les couples se servent de cela pour continuer
à se battre.
M. Blank: Je suis d'accord avec vous.
M. Théoret: Ce qu'on veut essayer d'éviter en
instituant un tribunal de la famille, c'est de cesser de fonctionner, quand on
parle de séparation ou de divorce, dans un contexte où on va
placer des gens comme des adversaires plutôt que de simplement
reconnaître qu'il y a là l'échec d'une relation et qu'il
s'agit de donner suite à cet échec de relation en minimisant le
plus possible les inconvénients que va avoir cette séparation ou
ce divorce. Je pense que c'est important, parce que les conséquences que
cela a également sur les enfants, cela aussi, on n'en a pas
parlé.
M. Blank: Si je vous suis, si je comprends bien ce que vous
dites, vous tenez pour acquis qu'il y aura un divorce ou une séparation,
mais vous réglerez seulement les modalités, c'est-à-dire
que vous arrivez au divorce ou à la séparation par
consentement.
Si, à un moment donné, on doit décider du droit
à un divorce ou à une séparation, il doit y avoir des
faits d'un côté ou de l'autre.
M. Lemieux: II faudra attester ou prouver qu'il y a échec.
C'est là notre point de vue. Qui est mieux équipé pour
déterminer qu'il y a échec de cette relation?
M. Clair: II y a quelque chose, je m'excuse... Pour
déterminer s'il y a échec de la relation, en même temps,
vous êtes des consultants matrimoniaux. Vous avez un rôle de
thérapeute, un rôle de conseiller. Cela va?
En même temps, vous poursuivriez le but de la conciliation, de la
consultation, un rôle de conseiller, de thérapeute, est-ce que
cela ne risque pas de réduire à néant votre
crédibilité auprès des parties en matière de
conciliation, de réconciliation et de consultation si, en plus, vous
avez à décider? Je pense que vous vous retrouveriez dans une
situation encore plus difficile que celle de l'avocat. Votre rôle, dans
ce sens, peut être plus important que celui de l'avocat. Vous dites, dans
votre mémoire quelque part, que c'est normal, c'est naturel, l'avocat va
prendre fait et cause pour son client et va être plus porté
à le croire et à le défendre. Cela ne m'apparaît pas
tellement grave que l'avocat ait un préjugé en faveur de son
client. C'est son rôle de le défendre. Cependant, celui qui a
à prendre la décision ne doit pas jouer en même temps le
rôle de juge et partie, à savoir de conseiller les gens pour la
conciliation et la réconciliation, de jouer son rôle de
thérapeute, de conseiller, et en même temps d'avoir à
prendre la décision. Cela m'apparaîtrait très dangereux de
réduire à néant la crédibilité de tout le
domaine de la consultation matrimoniale. Je ne sais pas comment vous voyez
cela.
M. Lemieux: C'est possible que ce soient les mêmes
personnes. Quand un avocat est nommé juge, il arrête de pratiquer
son droit comme avocat. C'est la même chose. Je ne vois pas le consultant
ou le spécialiste des relations humai-
nes qui serait choisi, dans l'hypothèse présente, pour
exercer le rôle de juge. A ce moment, il n'agira plus comme
thérapeute.
M. Clair: A ce moment... Je m'excuse.
M. Lemieux: II va agir comme cela, mais en utilisant sa
formation, en utilisant son expertise.
M. Vaillancourt (Jonquière): D'accord, mais, en pratique,
on sait fort bien que le juge, même s'il peut essayer assez souvent de
concilier les parties, ne rencontre pas individuellement les parties et que son
rôle essentiel n'est pas un rôle de thérapeute, alors que
vous, je présume que, dans vos fonctions, vous avez l'occasion de
rencontrer soit ensemble ou soit séparément chacune des parties
afin de voir s'il n'y aurait pas une solution à leur problème de
couple; alors que le juge ne peut pas se permettre cela, parce que, dans le
système actuel, il serait peut-être immédiatement
accusé par l'un des deux avocats, ou même par l'une des deux
parties, de faire une injustice en vase clos, en fait. Je pense que l'analogie
est quelque peu boiteuse.
M. Théoret: J'aimerais quand même faire la
distinction. Dans la structure, vous avez quand même le juge, vous avez
la conciliation ou la médiation. Quand on a proposé, par exemple,
le comité de trois au lieu d'une seule personne, ce n'est pas eux qui
prennent les décisions. Ils font de la médiation. Il faut faire
attention pour ne pas faire jouer les rôles des uns par les autres. Quand
on parle du juge, il aura à juger, c'est son rôle. Quand on parle
de médiation, on n'est plus au niveau du jugement. Il faut savoir que,
quand on recommande un comité de trois personnes à ce niveau, ce
n'est pas pour prendre des décisions, c'est pour faire de la
médiation. C'est bien différent, à mon sens.
M. Vaillancourt (Jonquière): Dans votre mémoire,
vous recommandez que les juges du tribunal de la famille soient, en principe,
choisis parmi les gens ayant une expertise des personnes, du couple et de la
vie familiale. Je présume, à lire cela...
M. Théoret: Cela peut être un juge.
M. Vaillancourt (Jonquière): Ah! Cela peut être un
juge!
M. Théoret: Cela dit très bien "en principe". Cela
ne dit pas "des consultants ou des thérapeutes". Cela dit "des gens qui
ont des connaissances au niveau des personnes, des couples, etc." Un juge peut
très bien avoir cela.
M. Lemieux: Je vais donner un exemple. Me D'Amours qui a
présenté tantôt l'Association des centres de services
sociaux, c'est un type qui a une maîtrise en service social. C'est un
type, hypothétiquement, qui aurait une formation plus favorable, selon
notre opinion, pour jouer un rôle dans un tribunal de la famille. Il
joint la formation juridique à une formation en sciences humaines. Ce
seraient des exemples possibles.
M. Vaillancourt (Jonquière): II n'en demeure pas moins
que, lorsqu'on lit l'ensemble de votre texte, je pense qu'il ressort clairement
que vous voulez accorder cette fonction de juger à des personnes qui
n'auraient pas cette formation juridique, mais que, par contre, des avocats
qu'on appellerait des avocats du tribunal de la famille pourraient servir de
conseillers à des juges qui seraient des spécialistes en
matière familiale. Ce n'est peut-être pas dit textuellement, mais,
si on prend l'ensemble de votre texte, il ressort clairement que cette fonction
de juger, vous l'accordez à des personnes qui sont autres que des juges
ayant une formation juridique, mais que vous leur accordez une fonction de
conseiller, de consultant.
M. Théoret: Je pense que c'est très juste et,
d'ailleurs, dans le texte, on souligne le fait que ça se passe ailleurs
et dans d'autres juridictions.
M. Vaillancourt (Jonquière): C'est pour cette raison que
je vous dis que c'était là le sens de votre...
M. Théoret: Cela se fait déjà ailleurs.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Gaspé.
M. Le Moignan: Cela sera très bref, parce que j'avais
plusieurs questions ici qui ont déjà été
abordées, alors je n'ai pas l'intention de les reprendre.
Je comprends votre point de vue et votre mémoire. Vous vouiez
établir un meilleur équilibre dans le tribunal, dans les
avancés que nous venons d'entendre et je suis presque d'accord avec vous
je ne suis pas contre les avocats, bien au contraire qu'il y ait
des avocats, mais qu'il y ait aussi des spécialistes en relations
humaines. C'est là que je verrais un meilleur équilibre, question
des juges, mais l'avocat aura toujours sa place, je pense bien. Je crois que
l'effort, que la proposition que vous faites semblent tomber à point,
parce que monsieur a mentionné je n'ai pas les mots exacts
que le mariage était une aventure sérieuse, je crois, et que le
divorce devait être aussi sérieusement envisagé.
Je suis d'accord avec vos propositions et si on prend les nuances qui
ont été faites par messieurs les juristes, il y a peut-être
moyen de tout concilier, à condition que l'avocat ou le juge ait la
place au point de vue légal, mais je pense qu'on ne peut pas se priver
des ressources de spécialistes qui doivent rencontrer
régulièrement les couples et surtout pour les amener à la
conciliation, parce qu'on sait que l'avocat, lui, quand c'est rendu chez lui,
il va tenter des avocats le font aussi de concilier les couples
quand il y a encore possibilité.
M. Clair: M. le Président, j'aimerais simplement dire deux
choses au député de Gaspé. Premièrement, l'Office
de révision du Code civil, dans son rapport, ne s'oppose absolument pas
que dans les services de consultation matrimoniale, les sciences humaines
soient mises à contribution au niveau du tribunal de la famille. C'est
la première chose que je voulais lui dire.
Deuxièmement, il ne doit pas tirer comme conclusion, des
questions de mon collègue de Jonquière et des miennes et
même de celles du député de Saint-Louis, que, parce qu'on
est avocat on a quelque réticence que ce soit à ce que les
sciences humaines soient mises à contribution pour régler ces
problèmes. La discussion porte beaucoup plus sur le fait de savoir quel
rôle chacun joue dans le traitement de ces problèmes humains
importants. Je pense que les gens de l'Association des consultants matrimoniaux
du Québec ont compris que, loin de nous le fait de s'opposer à
l'idée de mettre à contribution les sciences sociales, les
sciences humaines, bien au contraire, il s'agit simplement d'essayer de
déterminer, au meilleur de notre connaissance, tous ensemble, quelle est
la meilleure place que chacun peut occuper dans ce processus.
M. Le Moignan: Oui, j'étais bien d'accord avec les
juristes. Il y avait peut-être un petit peu de malice dans ma petite
allusion...
M. Clair: Vous, malicieux?
M. Le Moignan: II le faut, parfois, vous savez.
Non, je n'ai pas autre chose à ajouter. Je pense que ça
résume bien. C'est l'unique point que je voulais toucher,
d'ailleurs.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Jonquière.
M. Vaillancourt (Jonquière): Seulement une question. Vous
avez déclaré dans votre mémoire tout à l'heure que
vous étiez en désaccord avec la disposition prévue au
paragraphe 3 de la clause 241 dans le volume I qui dit que les époux
ont, d'un commun accord, vécu séparés pendant une
période d'un an précédant immédiatement la
présentation de la demande et consentent à la séparation
de corps ou au divorce. Or, la plupart des gens qui sont venus nous
présenter leur mémoire se sont justement manifestés en
accord avec cette clause et même la Commission des services juridiques
est allée plus loin en soulignant qu'il y aurait lieu, en fait, de
briser ce lien ou cette union de fait par un simple dépôt d'un
avis unilatéral de rupture.
Or, cette position que vous avez relativement à la disparition de
cette clause-là me surprend un peu. Je voudrais savoir quels sont les
motifs principaux qui vous incitent à appuyer une telle prise de
position dans le contexte actuel du Québec? (12 h 45)
M. Lemieux: Le vécu concret dans notre travail nous
amène à nous buter, jour après jour, au fait que les
personnes qui pensent pouvoir digérer ou intégrer une
séparation ou un divorce, que ce soit tôt après le mariage
ou que ce soit 30 ans après le mariage, dans un an sont
irréalistes au plan humain. D'autant plus que dans la majorité
des cas, le vécu, c'est que la plupart des personnes ont
déjà entamé une deuxième relation avec une tierce
personne. Au plan humain, notre expérience démontre que c'est
impossible d'entamer ou de s'engager dans une deuxième relation, alors
que la première n'est pas encore terminée et que ce n'est pas
encore intégré dans le vécu. C'est cette
raison-là... D'ailleurs, d'autres statistiques le démontrent,
ceux qui divorcent une fois divorcent plus qu'une fois. Les statistiques
à cet effet-là ne sont pas canadiennes cela n'existe pas
à ma connaissance au Canada mais chez nos voisins
américains, c'est démontré par des recherches
sérieuses. Cela porte à croire... Un autre
phénomène que nous voyons également, c'est que les gens
reviennent au premier conjoint, même après le divorce, cela se
voit de plus en plus.
Ces constatations nous amènent à être plus prudents
et à redire que le premier choix, bien souvent pas toujours
n'est pas fait si à la légère que cela et que le
temps est important à ce niveau-là.
M. Clair: M. le Président, permettez-moi de remercier les
représentants de l'Association des consultants matrimoniaux du
Québec pour la présentation de leur mémoire. Le point de
vue particulier qu'ils nous ont fait connaître sera sûrement mis
à profit par tous les membres de la commission. Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Est-ce que Mme Lucille
Lavoie Gordon qui représente... Oui. Bon, simplement pour vous dire,
Madame, que compte tenu de l'heure, compte tenu que nous terminons à 13
heures, nous allons ajourner sine die en disant cependant que, normalement,
c'est après la période de questions que la commission vers
16 heures environ devrait reprendre ses travaux. Cela va? Merci.
Fin de la séance à 12 h 44
Reprise de la séance à 16 h 58
Le Président (M. Dussault): A l'ordre, messieurs!
La commission de la justice est prête à entendre les
mémoires. Elle se réunit avec un peu de retard. On s'en excuse
auprès des intervenants, en espérant qu'on pourra, d'ici 18
heures, passer à travers les deux mémoires qu'il nous reste.
Les membres de la commission sont: M. Alfred (Papineau), M.
Bédard (Chicoutimi), M. Blank (Saint-Louis), M. Charbonneau
(Verchères), M. Clair (Drummond), M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M.
Lacoste (Sainte-Anne), M. Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), M. Samson (Rouyn-No-randa), M. Vaillancourt
(Jonquière).
La personne qui doit être maintenant appelée: Mme Lucille
Lavoie Gordon.
Associations de familles monoparentales
Mme Lavoie Gordon (Lucille): M. le ministre, M. le
Président, MM. les membres de la commission, je vous remercie d'avoir
bien voulu m'entendre. Même si je sais que tout le monde est bien
fatigué j'ai assisté à ce qui s'est passé
cet après-midi je suis la première fatiguée, je
remercie M. le Président pour son accueil, ce qui m'a permis d'aller me
reposer sur une bonne chaise en arrière.
Je suis ici pour présenter, je ne dirais pas un mémoire.
Après avoir entendu ce que j'ai entendu ce matin, je considère
que c'est vraiment plutôt une réflexion sur des points
particuliers que je voulais soumettre à votre attention. Il ne sera pas
tellement question de structures ou de précisions à la question
des termes juridiques, de procédure comme telle, quoiqu'il faille quand
même y faire allusion un peu. Vous allez entendre des choses très
concrètes. J'ai essayé de les rédiger avec le moins
d'émotivité possible. Je pense que la véracité de
ce que j'avance sera plausible pour tout le monde.
Ce court mémoire, il est fait au nom des Associations de parents
uniques de Laval, de l'Ano-Sep, du Service de pastorale familiale, de
Montréal, du Separated and Divorced Catholic Group, de Beaconsfield. Il
a été appuyé par les services de la famille du
diocèse de Saint-Jérôme. On me dit qu'on ne sait pas si
vous l'avez reçue. J'ai reçu une copie de ce qui a
été envoyé à la commission parlementaire. C'est
signé par les Services de pastorale familiale du diocèse, ainsi
que par son évêque, Mgr Charles Valois. (17 heures)
J'ai aussi présentement une lettre qui vient de m'être
remise par l'Association des familles monoparentales de Verdun: "Suite à
l'appui du Diocèse de Saint-Jérôme et des autres organismes
concernant le mémoire présenté par Mme Lucille Lavoie
Gordon, ce 21 mars 1979, nous désirons, à notre tour, appuyer ce
mémoire parce qu'il souligne vraiment les problèmes vécus
par les femmes chefs de famille. En tant que groupe, nous croyons que des
changements s'imposent pour que justice soit faite." C'est signé Terry
Bernier, promoteur du projet "Familles monoparentales de Verdun."
Mon exposé n'a pas eu de titre, parce que cela a tellement
été fait vite, à cause des dates d'échéance.
Je l'avais intitulé: Les conditions de vie faites à la femme
séparée ou divorcée, mais chef de famille.
Pour faire un peu vite vous avez le mémoire en main, je
pense ce qui a motivé notre intervention, cela a
été la certitude morale qu'enfin on allait avoir un tribunal de
la famille. Il y en a qui s'étaient même opposé à ce
que je fasse le mémoire en disant: Ecoute, cela fait vingt ans qu'on
l'attend et je ne pense pas que cela en vaille la peine. J'ai été
encouragée, d'autre part, par le diocèse de Montréal en
pastorale, en me disant: Non, tu vas le faire, parce qu'on va l'avoir, le
tribunal, et il y a des choses qui doivent sortir. Je suis ici pour
représenter tous ces gens et vous demander d'apporter le plus de
considération possible à des problèmes que vous connaissez
très bien, mais que, je pense, dans les circonstances, il faut encore
souligner.
C'est donc au nom de tous ces organismes que je vous présente un
court résumé qui concerne les problèmes spécifiques
auxquels ces femmes sont confrontées lors d'une séparation ou
d'un divorce. Nous ne nous présentons pas en tant que
spécialistes de l'une ou de l'autre discipline, mais en tant que femmes
personnellement impliquées et désireuses de voir la justice et
l'égalité s'exercer auprès des familles atteintes par les
changements radicaux de notre société.
Ce mémoire tente de cerner la réalité quotidienne
des milliers de familles qui vivent les injustices et les
inégalités qui découlent de cette situation familiale
particulière, imposée par la force des circonstances. Il faut se
rendre à l'évidence et admettre que l'échec dans le
mariage est de plus en plus fréquent dans notre société.
On parle d'un échec pour quatre mariages, peut-être est-ce
même trop optimiste, car Mgr Valois, dans sa lettre d'appui, nous dit
qu'il y a deux échecs sur trois mariages dans son diocèse. De
toute manière, c'est monnaie courante. Pardon?
M. Bédard: Dans son diocèse?
Mme Lavoie Gordon: Dans son diocèse. C'est monnaie
courante et je n'annonce rien à personne. Maintenant, nous
considérons que la femme entre 40 et 65 ans est la plus mal
préparée pour accepter et affronter cette nouvelle situation car
dans cette même société, à l'époque de son
mariage, c'est par amour que la femme se mariait, qu'elle se "donnait
entièrement au service de son mari et à l'éducation de ses
enfants." Les femmes plus jeunes, malgré la possibilité d'un
retour sur le marché du travail, sont aux prises avec des
problèmes non moins complexes à cause du jeune âge de leurs
enfants.
C'est à partir de ces vécus que nous basons notre
réflexion et dégageons nos recommandations. Si nos exemples sont
tirés d'une étude dans le milieu professionnel, c'est afin que
les membres de la commission puissent déduire combien plus triste encore
est le sort réservé aux familles du milieu ouvrier et autres,
souvent obligées de recourir aux mesures sociales et condamnées
à vivre plus souvent qu'autrement dans des conditions en dessous d'un
niveau de vie décent.
Depuis les mesures provisoires jusqu'au jugement, nous constatons,
à travers les cas étudiés, que, règle
générale, les femmes sortent perdantes et que les enfants, en
définitive, paient la note. Notre réflexion s'est
appliquée à essayer de découvrir où et comment les
procédures judiciaires actuelles sont à la fois sources de
problèmes vécus par les femmes chefs de famille et comme
des conséquences néfastes sur la famille
elle-même.
La dépression chez beaucoup de femmes dont le traitement souvent
entraîne une dépendance aux médicaments et la
délinquance chez certains enfants par réaction à des
situations frustrantes ainsi que l'alcoolisme sont des facteurs qui nous
paraissent de première importance dans les misères morales et
physiques qui sont trop souvent le partage des familles stigmatisées par
la séparation et le divorce.
Les conditions de vie faites à la femme chef de famille nous
semblent vraiment une des causes de tous ces problèmes. Quant on compare
le sort réservé à la femme et à ses enfants dans la
majorité des cas avec le sort qui échoit au conjoint sans enfant,
qui jouit d'une liberté illimitée et d'un confort enviable,
particulièrement dans le milieu professionnel, n'y a-t-il pas vraiment
et véritablement injustice et inégalité?
La crainte de vivre toutes ces injustices largement connues à
cause de l'expérience de tant d'autres femmes n'expliquerait-elle pas
l'apparition d'un phénomène social récent, la
désertion du foyer et l'abandon des enfants par plusieurs femmes?
Pourquoi se battre, si tout est perdu d'avance? Peut-on blâmer la
mère qui, en toute conscience, se refuse à imposer à sa
famille des conditions de vie auxquelles celle-ci n'est pas habituée,
quand tous les moyens sont dans les mains du conjoint? Que faire, sinon lui
abandonner ses enfants? Et l'exemple de femmes qui luttent pour obtenir la
garde de leurs enfants, s'endettent pour payer des procureurs et se retrouvent
dans des situations financières insurmontables à cause d'une
pension alimentaire insuffisante n'est que trop fréquent.
Une personne dont le cas répond à cette description s'est
vue par surcroît condamnée à payer un montant de $5000 en
paiement de taxes sur la propriété commune, dont une partie
était déjà due au moment de la séparation, alors
que le conjoint pouvait se permettre un loyer de $900 par mois dans un
"penthouse" qu'il occupait avec sa concubine. Alors, pourquoi lutter?
S'il nous faut accepter la possibilité toujours plus grande de
l'échec dans le mariage et donc, de la séparation et du divorce,
ne faut-il pas en même temps chercher des solutions plus justes, plus
équitables, afin que le lendemain de ces mauvais jours soit l'aube d'un
nouveau départ pour toutes ces familles victimes d'un tel
changement?
Ici, nous toucherons des points importants, sources de différents
problèmes: exclusion du foyer, garde des enfants, droit de visite,
pension alimentaire, rôle de l'avocat, qualités du juge et, enfin,
nos attentes face au tribunal de la famille.
A partir de considérations que nous jugeons pertinentes, nous
voulons souligner le malaise que constitue la présence du conjoint qui
doit quitter le foyer conjugal dans les derniers jours qui
précèdent la comparution à la cour. Certains avocats
suggèrent à leur client de quitter avant même que cela ne
soit imposé par la cour, mais tous ne le font pas. Cela entraîne
parfois des faits et gestes déplorables. Par exemple, le cas de cette
femme de médecin qui s'est vu imposer la présence d'amis du mari
invités par ce dernier à fêter son départ dans
l'alcool, laissant les lieux dans un piètre état, non sans avoir
insulté la maîtresse de maison et traumatisé les enfants
par leurs paroles et leurs actes.
Mais cela n'est rien encore comparé à la souffrance de
celle qui voit revenir son conjoint à la maison après un jugement
de séparation, le juge ayant accordé à celui-ci une
semaine avant de quitter définitivement le foyer conjugal,
supposément pour rapatrier ses effets personnels. La femme, dans ce cas,
n'a essuyé que représailles, insultes et malpropretés de
toutes sortes.
En ce qui concerne donc l'exclusion du foyer, ce premier point des
mesures provisoires, nous suggérons que le conjoint exclu du foyer ne
puisse réintégrer le lieu conjugal par suite d'un jugement. Je
pense que c'est assez clair. Si le conjoint, pour quelque raison que ce soit, a
besoin de retourner à la maison, que la femme est consentante et que les
gens se séparent avec dignité, je pense bien qu'il n'y a pas
à revenir là-dessus, mais, quand je dis: par suite d'un jugement,
c'est-à-dire que c'est au moment du jugement que le juge a
accordé le droit au mari de retourner à la maison pour prendre
ses effets en lui accordant une semaine de plus.
La garde des enfants demeure un point délicat qui donne souvent
lieu à de multiples litiges dont les enfants sont les victimes
innocentes. Cela retient particulièrement notre attention et nous
amène à croire que, lorsque les enfants sont en âge de
choisir, il vaudrait peut-être mieux leur accorder le choix de vivre avec
l'un ou l'autre parent, même au risque de créer une autre
injustice, celle de la mère qui verra parfois ses enfants opter pour la
partie qui leur garantira le plus de confort matériel, l'argent
étant habituellement du côté de celui qui est en mesure de
le gagner et qui, en plus, use de chantage avec les moyens qu'il
possède.
Actuellement, nous assistons à un revirement inattendu. Des
femmes qui vivent cette situation de foyer séparé ou
divorcé conseillent ouvertement à celles qui se préparent
à vivre cette même situation, de ne pas demander la garde des
enfants si on ne leur accorde pas d'abord les moyens de continuer à les
faire vivre comme ils ont été habitués de vivre. La
modalité des droits de visite verrait à compenser le vide
créé par l'absence des enfants pour la mère.
En ce qui concerne les droits de visite accordés par la cour,
nous nous opposons à toute mesure coercitive envers les enfants, quel
que soit leur âge, dans le but de permettre à l'un des parents
l'exercice de son droit. A titre d'exemple, le cas d'une mère qui doit
employer la force pour mettre ses enfants dehors, porte sous clef, en attendant
l'arrivée du père alors que les enfants s'y refusent à
grands cris. Cette mère s'est vue menacée de recours à la
police par le père si elle ne se pliait aux exigences de la loi.
Ici, nous osons une question. Le droit du père à voir ses
enfants est-il supérieur au droit de l'enfant à maintenir son
équilibre psychologique et sa santé?
Dans bien des cas ces visites se sont avérées nuisibles
sinon néfastes. Lorsqu'elles sont forcées, elles engendrent une
réaction agressive vis-à-vis de la mère, car pour l'enfant
plus jeune, c'est elle qui lui impose ces sorties. Chez des enfants plus
âgés ou chez des adolescents, la présence d'une autre femme
crée souvent un sentiment de révolte, dont les
conséquences se manifestent par des troubles psychosomatiques. Dans
plusieurs cas, les enfants reviennent de ces visites traumatisantes en accusant
des maux de ventre et d'estomac: le tout se termine par un rejet alimentaire
qui peut être symptôme d'un rejet émotionnel. Que dire de la
réflexion de cette fillette âgée de 12 ans que le
père, vice-président de compagnie, avait un jour emmenée
magasiner accompagné de sa maîtresse: "C'est étrange,
maman, alors que "elle", elle peut acheter, toi, tu es obligée de te
contenter pour toi et pour nous, des magasins de seconde main et de nourriture
à rabais." Et cela se passe certainement de commentaires.
Si la morale a encore sa place dans notre société, nous
souhaitons que les droits de visite ne soient pas accordés lorsque les
enfants sont exposés à être témoins de scènes
violentes ou scandaleuses.
Et nous arrivons au point crucial, question des plus épineuses,
la pension alimentaire. Il n'y a pas beaucoup de femmes autour de la table, je
ne me sens pas bien à l'aise. Vous êtes là, madame.
En principe, la pension alimentaire est déterminée par le
juge lorsqu'il ne peut y avoir d'entente entre les parties. Les besoins de la
famille et la capacité de payer du mari permettent d'en fixer le
montant. Il est reconnu que les pensions alimentaires sont rarement
proportionnelles aux revenus et au train de vie du mari.
En général, seuls les besoins stricts de la famille sont
comblés et, dans la majorité des cas, on voit la femme et les
enfants s'imposer des restrictions qui vont à l'encontre de l'esprit de
la loi qui veut que la famille puisse continuer à vivre au même
niveau qu'auparavant. Tout idéal est difficile à réaliser
en pratique, mais on est loin de l'idéal quand on attribue à des
familles de professionnels de 20% à 25% du revenu du père de
famille pour subvenir aux besoins de 4, 5 ou 6 personnes, alors qu'on lui
accorde 80% pour lui seul.
Par le biais de la déduction d'impôt, il pourra même
récupérer une grande partie des sommes versées alors que
la femme devra rogner sur le budget pour payer les impôts. Un exemple
vaut 1000 mots. Le suivant illustre bien la proportion par rapport au revenu.
Un premier jugement a accordé à une famille de quatre personnes,
dont trois enfants de 11 à 18 ans, $10 200 contre un revenu de $59 000,
un deuxième jugement, dans la même année, $15 000 et un
troisième jugement, deux ans après, $22 500 contre un revenu de
$95 000 en 1974. Ce dernier chiffre déclaré par un
représentant de la Régie de l'assurance-maladie ne couvre pas
tous les autres revenus non déclarés. Même depuis ce temps,
la pension n'a jamais été rajustée.
Un autre cas: une famille de quatre personnes, dont trois enfants de 2
ans à 10 ans, s'est vu accorder une pension de $7800 contre un revenu de
$48 000. Cette situation au seuil de la pauvreté a duré huit ans.
Une requête pour augmentation de pension en 1977 a permis à cette
famille d'obtenir $14 500. On peut croire qu'après huit ans les revenus
du père avaient atteint les $60 000. Une fois les impôts
déduits et considérant l'augmentation du coût de la vie
depuis huit ans, cette famille se retrouve presque au même point, mais
avec trois enfants de 10 à 18 ans. (17 h 15)
Que fait-on du principe basé sur les besoins et la
capacité de payer? Peut-on parler de discrimination? La femme n'est-elle
pas perdante? Ce n'est pas un secret pour personne que seulement 32% des
pensions sont perçues régulièrement par les familles. Si
la loi prévoit un droit de soutien, il apparaît tout aussi
important que soit prévu un mécanisme efficace pour la
récupération des pensions alimentaires non payées ou
régulièrement en retard. Nous suggérons, advenant la
récupération des pensions, que les frais encourus soient
payés par la partie en faute. Cela évitera, une fois de plus,
à la mère de s'endetter pour payer des frais judiciaires
uniquement pour tenter de récupérer son dû.
Dans le système actuel, les parties sont habituellement
représentées par un procureur. Un certain nombre d'avocats
honnêtes, compétents, bien disposés sont largement
conditionnés et limités dans l'exercice de leurs fonctions
à cause du système judiciaire actuel. Tout en admettant le bon
travail fait par plusieurs avocats, on ne peut passer sous silence les
nombreuses plaintes des femmes en difficultés, concernant leur
avocat.
La plupart des femmes, mal informées au départ quant
à leurs droits, reviennent d'une première visite chez l'avocat,
souvent troublées et peu éclairées. Il n'a pas su les
sécuriser et, maintes fois, leur a laissé peu d'espoir de
régler leur cas de façon équitable, en faisant planer le
doute sur le jugement que rendra le juge: "Ah! cela dépendra du juge!"
C'est à croire que les contrats de mariage n'ont plus de valeur, que les
biens propres peuvent être touchés et qu'en définitive, la
femme n'a que très peu de droits. Elles se sentent parfois victimes de
pressions et même de chantage de la part de leur procureur dans le but
d'obtenir d'elles des concessions ou des renonciations à certains droits
ou avantages qui, souvent, lui porteront préjudice ainsi qu'à sa
famille. Un prétexte souvent invoqué est la crainte que le mari
quittera son travail ou même le pays plutôt que de payer une telle
pension. L'avocat ira parfois jusqu'à conseiller d'accepter la pension
du bien-être plutôt que d'entreprendre des procédures pour
rejoindre un mari éloigné dont on connaît cependant
l'adresse et l'occupation.
Quant à l'avocat de la partie adverse, il exploite
généralement au profit de son client, la situation souvent
désespérée de la femme, allant
même jusqu'à la faire passer pour folle, hystérique
ou névrosée. Ce cas est fréquent lorsque les femmes ont
été soignées en psychiatrie à cause des mêmes
problèmes conjugaux qui ont donné lieu à la
séparation ou au divorce.
Très souvent, les revenus du conjoint sont faussés et le
mari ira jusqu'à déposer un bilan financier prouvant de fausses
dettes, le tout, à la connaissance de son procureur, pour ne pas dire,
souvent à sa suggestion.
Les femmes sont, la plupart du temps, obligées de s'endetter,
n'ayant pas un cent en banque pour payer les honoraires d'avocat et la cour
refuse d'accorder les frais judiciaires à celui qui a les moyens de
payer. On se plaint que les honoraires sont exorbitants, tel cet état de
compte de $1950 ainsi détaillé: 27 téléphones, 9
lettres, 5 rencontres. En plus, rien n'avait été
réglé durant un an, pas même une parution en cour.
Je ne voudrais pas que vous pensiez que ce compte a été
payé. On avait conseillé à cette femme de se laisser
poursuivre par l'avocat. C'est ce qu'il a fait. Mais, rendu au temps de passer
en cour, il n'a pas osé se présenter devant un juge et il a
réglé pour $400.
Pour être bien franche, si j'avais été là
quand c'est arrivé, j'aurais dit: Tu vas y aller en cour, tu ne paieras
pas $400. Il était mieux de payer $500 que le juge lui aurait dit de
payer que de donner $400 et éviter de passer en cour pour avoir eu
l'audace d'envoyer un compte semblable. En tout cas! Je ne veux pas que vous
pensiez que je suis méchante, mais j'ai trouvé cela terrible.
Lorsqu'il s'agit d'une seconde comparution à la suite d'une
requête pour une révision de jugement ou de pension, pour une
augmentation de pension ou encore pour le règlement d'une
communauté de biens, tous les prétextes sont bons pour la partie
adverse afin de reporter le plus longtemps possible l'audition de la cause.
En ce qui concerne la possibilité d'une
rétroactivité advenant une augmentation de pension au moment de
la révision, trop souvent les ententes entre avocats ne sont pas
ratifiées par la signature des parties, ce qui en compromet le paiement.
Toutes ces choses-là ont déjà été
expérimentées.
Un oubli fréquent concerne les hypothèques judiciaires sur
les biens du mari en vue de garantir la pension alimentaire. Tels sont, en
résumé, les reproches que les femmes adressent à leurs
procureurs.
Si, en définitive, le sort des familles dépend du juge qui
entendra la cause, il est donc opportun de considérer comme primordiale
la compétence en matière familiale de celui qui doit juger. On
constate quotidiennement que trop de jugements sont laissés à
l'arbitraire. Certains avocats se plaignent même qu'ils ne peuvent
s'exprimer adéquatement devant certains juges.
Si vous me permettez une petite anecdote, je vais vous dire que, devant
un juge à qui l'avocat venait de remettre le budget familial de la dame
qui demandait sa séparation, les deux parties étant
présentes, lorsque l'avocat de la demande- resse a voulu dire quelque
chose, le juge, qui était anglais, a dit tout simplement: Taisez-vous,
je sais lire. L'avocat n'a même pas été capable de dire un
mot. Il avait le budget et il a considéré la feuille de papier.
C'était typique.
Certains jugements laissent croire que les situations familiales ne sont
pas suffisamment analysées et qu'ainsi les conséquences
néfastes qui s'ensuivent sont totalement ignorées.
A titre d'exemple, pour illustrer ce dernier point, une femme, chef de
famille, ayant demandé une augmentation de pension, se voit accorder
$400 d'augmentation, mais, en même temps, on lui impose le paiement des
collèges au montant de $500. Elle sort donc de cour avec un budget
déficitaire de $100 par mois.
A la suite de toutes ces considérations, dans le but d'obtenir
plus de justice et d'égalité pour la femme séparée
ou divorcée, chef de famille, nous recommandons: 1) que le conjoint
exclu du foyer ne puisse réintégrer le foyer conjugal par suite
d'un jugement; 2) que les enfants en âge et en mesure de le faire
puissent choisir celui des parents avec qui ils désirent habiter; 3) que
la coercition ne soit jamais exercée auprès des enfants en ce qui
concerne les droits de visites, quel que soit leur âge; 4) que la pension
alimentaire soit proportionnelle au revenu et au train de vie du mari et que la
part accordée à la famille tienne compte du nombre de personnes
en cause; 5) que la pension alimentaire soit indexée au coût de la
vie et selon l'augmentation du revenu du mari; 6) que l'on calcule
judicieusement la coupure faite par l'impôt dans un budget familial; 7)
que l'impôt de celui qui a un moindre revenu soit partagé à
part égale par les parties en cause, par souci de justice, face au
père de famille qui, lui, ne peut rien déduire pour l'entretien
de sa famille.
Il nous fait plaisir d'exprimer à la commission notre grande
satisfaction à la pensée qu'enfin le tribunal de la famille sera
constitué et que, désormais, les problèmes conjugaux et
matrimoniaux seront traités dans un lieu approprié. Nous
attendons beaucoup de ce tribunal dans l'exercice de la justice pour le plus
grand bien des familles. Nous souhaitons que le tribunal facilite les
démarches en matière de séparation ou de divorce et que
nous y trouvions, un peu comme à la Cour des petites créances,
une atmosphère plus détendue, moins juridique où les
problèmes humains seront traités plus humainement. Quand les
familles disloquées vivront avec le sentiment qu'on les a
traitées avec justice et équité, elles pourront
fièrement relever le défi et poursuivre leur chemin avec
dignité.
Pour que ce tribunal puisse exercer avec efficacité, nous
recommandons que les juges soient choisis pour leur compétence en droit
familial, leur intérêt pour la famille et la compréhension
de ses problèmes. Que les juges choisis soient reconnus pour leur
intégrité personnelle et que les juges choisis ne soient pas
eux-mêmes séparés ou divorcés. Que deux ou plusieurs
juges siègent à l'audition des causes afin de garantir
l'impartialité
du jugement. Que les juges soient affectés uniquement au tribunal
de la famille. Que les avocats ne soient pas requis, sauf exception, comme
à la Cour des petites créances. Cela ne veut pas dire qu'ils ne
seront pas là pour préparer les causes comme
intermédiaires et tout cela, mais disons, en dernier ressort. Que des
femmes soient nommées juges à ce tribunal. Que les juges, au
besoin, soient assistés par des experts, éducateurs,
psychologues, comptables, etc.
J'ajouterais une recommandation que j'ai omise et que la lettre de
Saint-Jérôme avait mentionnée: Que l'audition des causes de
ce tribunal soit faite à huis clos. Cela a été
demandé ce matin. En espérant que le tribunal de la famille soit
bientôt une réalité, nous l'assurons de notre
entière collaboration.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Bédard: Je vous remercie beaucoup pour le
mémoire que vous venez de présenter. Je pense bien que vous
n'aviez pas à vous excuser de l'émotivité que vous
manifesteriez dans la lecture de votre mémoire, puisque c'était
simplement à la mesure de l'intérêt que vous manifestez
pour une préoccupation, entre autres, à savoir la formation, la
mise en place le plus vite possible d'un tribunal de la famille. Vous en avez
une certitude morale. Comme vous le savez, il nous reste quand même une
certitude légale à avoir. Nous espérons, tous les membres
de la commission, comme vous, que ce tribunal de la famille puisse devenir une
réalité, le plus rapidement possible.
J'irai rapidement à ce que vous avez interprété
comme un point crucial de votre mémoire, à savoir les pensions
alimentaires, à la page 10 de votre mémoire. Vous dites: "Ce
n'est un secret pour personne que seulement 32% des pensions sont perçus
régulièrement par les familles." La Commission des services
juridiques a soutenu devant nous, la semaine passée, qu'à la
suite de leurs analyses, effectivement, selon eux, le taux réel de
perception des pensions alimentaires se situait autour de 50% ou 60%.
Mme Lavoie Gordon: Tant que cela? M. Bédard: Oui.
Mme Lavoie Gordon: Le chiffre de 32% a paru dans un journal.
M. Bédard: Oui...
Mme Lavoie Gordon: D'accord, je ne veux pas dire que c'est
exact...
M. Bédard: Nous, les membres de la commission
parlementaire, tentons... Ce n'est pas un contre-interrogatoire que je vous
fais...
Mme Lavoie Gordon: Non, c'est bien...
M. Bédard: Soyez bien à l'aise. Je pense que comme
membres de la commission parlementaire, on a la curiosité normale, quand
des statistiques sont mentionnées, de voir jusqu'à quel point
elles peuvent être fondées, afin de pouvoir faire une meilleure
évaluation des solutions à apporter...
Mme Lavoie Gordon: D'accord.
M. Bédard: ... de l'ampleur du problème que vous
évoquez. La Commission des services juridiques évoquait que,
suite à une enquête faite auprès de sa clientèle, le
taux réel de perception était de 50% à 60%. Je voudrais
tout simplement vous demander de nous indiquer quelle est la source qui vous
permet d'affirmer cela? Est-ce qu'il y a des études que vous avez faites
sur lesquelles vous pouvez vous appuyer? Premier point.
Mme Lavoie Gordon: Je vais vous dire franchement, au moment
où je vous ai dit 32%, ce matin, je me posais la question parce que j'ai
lu ça dans un journal et je me souviens que c'était en gros
chiffres. Ce matin, quand le mémoire des consultants matrimoniaux a
été donné, je pense qu'on avait mentionné qu'il y
avait 70% des pensions qui n'étaient pas payées. Alors, je me
suis dit: Je ne suis pas trop loin.
M. Bédard: Remarquez qu'on leur a posé, à
ces gens...
Mme Lavoie Gordon: Oui.
M. Bédard: ... qui ont été entendus avant
vous...
Mme Lavoie Gordon: D'accord, ils sont passés ce matin.
M. Bédard: ... les mêmes questions, nous, pour que
les membres de la commission parlementaire...
Mme Lavoie Gordon: C'est ça, mais alors, c'est pour
ça...
M. Bédard: ... puissent se faire une idée.
Mme Lavoie Gordon: ... que, pour ma part, je ne peux pas vous
donner une source précise...
M. Bédard: Bon! D'accord!
Mme Lavoie Gordon: ... mais je me souviens d'avoir lu ça
et, ce matin, je me suis dit: Je ne suis pas trop loin puisqu'on dit, disons
70%, je pense que c'est ça qu'on a donné ce matin.
M. Bédard: Cela va. Concernant toujours les pensions
alimentaires, en cas de défaut, de retard de paiement, vous
suggérez de prévoir un mécanisme efficace pour la
récupération des pensions alimentaires sans préciser
davantage. Pourriez-vous nous donner certaines précisions sur ce que
vous envisagez comme mécanisme ou ce que vous souhaiteriez comme
mécanisme? Est-ce que
ce serait un service de perception partielle ou globale,
étatique...
Mme Lavoie Gordon: Quant à moi, je pense que lorsque les
pensions sont régulièrement en retard ou ne sont pas
payées parce que la chose arrive il devrait y avoir un
mécanisme qui les récupère totalement, pratiquement d'une
façon définitive. Je pense que le mémoire
présenté par les gens de l'aide juridique avait parlé de
ce système de récupération par un mécanisme
gouvernemental, si vous voulez, au tribunal de la famille même,
peut-être pas le tribunal, mais par le biais... (17 h 30)
M. Bédard: Gouvernemental.
Mme Lavoie Gordon: ... oui, du tribunal de la famille lorsque ce
n'est pas récupéré régulièrement, lorsque ce
n'est pas perçu régulièrement. C'est-à-dire que je
ne verrais pas, par exemple, que toutes les pensions soient
récupérées par le gouvernement parce que celui qui paie sa
pension, mon Dieu Seigneur! il n'y a rien à demander, mais si elle est
toujours en retard, ce à quoi on faisait allusion ce matin, il y en a
qui vont attendre jusqu'à la dernière journée du mois,
seulement pour faire damner tout le monde avant d'envoyer leur chèque. A
ce moment-là, ça crée vraiment des difficultés au
niveau familial, ne serait-ce que pour le paiement des loyers, etc., qui sont
dus le premier et une pension va être traînée jusqu'au 30,
je pense que c'est vraiment de la cruauté mentale...
M. Bédard: Oui...
Mme Lavoie Gordon: ... qui continue de s'exercer par
l'intermédiaire de celui qui envoie son chèque.
M. Bédard: Dans les exemples que vous donnez qui semblent
concerner surtout les familles riches...
Mme Lavoie Gordon: Les familles de professionnels...
M. Bédard: ... quand on parle de pensions de $15 000, $22
000, etc., c'est quand même...
Mme Lavoie Gordon: On parle de revenus de $100 000 aussi, mais,
quand même...
M. Bédard: Puisqu'on parle d'un mécanisme de
perception, pour les fins de la discussion, qui pourrait être
gouvernemental, universel, j'imagine que ce service ne paierait pas à
partir du principe qui serait le montant du jugement qui a été
rendu par la cour, mais à partir du principe de l'égalité
de toutes les femmes, quel que soit le jugement...
Mme Lavoie Gordon: Ce n'est pas ce dont il avait
été question, je ne sais pas si cela n'a pas de bon sens.
M. Bédard: Je voudrais que vous élaboriez votre
pensée là-dessus, je ne vous dis pas ce que j'en pense,
mais...
Mme Lavoie Gordon: On avait pensé que lorsque les pensions
sont en retard, ou jamais payées ou payées
irrégulièrement, surtout lorsque les conjoints sont en mesure de
remplir leurs obligations... Si je prends, par exemple, un médecin, un
avocat, un président de compagnie, qui ne paie pas sa pension, ce n'est
pas rare, à ce moment-là, je verrais que le mécanisme par
lequel la famille récupérerait son argent serait une
récupération totale, parce que cet organisme aurait les moyens
d'aller chercher la pension au complet. Le salaire peut être saisi. Quand
la Régie de l'assurance-maladie envoie un chèque de $5000, tous
les lundis matin, il me semble que le gouvernement peut mettre un stop sur ce
chèque et payer la pension du mois là-dessus.
M. Blank: On peut faire un arrêt, pas un stop.
Mme Lavoie Gordon: Qu'est-ce que vous dites? Je n'ai pas
compris.
M. Blank: C'est ce qu'on appelle en anglais un "inside joke".
Mme Lavoie Gordon: Ah bon!
M. Bédard: C'est parce que vous parlez avec raison des cas
de milliers de femmes qui ont des difficultés à obtenir le
paiement de leur pension alimentaire. Quelle serait la base d'un tel
système? Vous semblez vous orienter vers le jugement qui aurait
été prononcé avec évaluation des capacités
de payer et qui devrait être fait dans chacun des cas par le
gouvernement. Remarquez qu'il y a plusieurs cas de séparation où,
de la même façon que dans une famille riche, il y a des
mères qui restent avec trois enfants à charge, comme dans les
familles riches une mère avec trois enfants à charge. Si on parle
de service de perception gouvernementale, j'aimerais que vous précisiez
davantage votre pensée. Est-ce que la base pour fonctionner rapidement
ne serait pas l'égalité quand même des femmes comme
principe de base, une évaluation à partir de critères qui
sont les mêmes pour tout le monde?
Mme Lavoie Gordon: Si vous me permettez une question, je vais
dire qu'en admettant que vous auriez des critères de base pour tout le
monde, pour permettre de payer la nourriture ou enfin de satisfaire aux besoins
essentiels, cela aussi varie avec chaque famille. Vous allez avoir des gens qui
vont payer $400 de loyer et d'autres vont en payer seulement $100.
M. Bédard: Peut-être avec possibilité, comme
cela existera toujours, de récupération légale de la part
de la femme qui a une pension alimentaire très élevée avec
un mari qui est capable de payer...
Mme Lavoie Gordon: Mais ce qui m'inquiète, c'est comment
la femme va aller chercher le reste de la pension qui n'a pas été
payé?
M. Bédard: II peut y avoir des recours légaux qui
peuvent être prévus.
Mme Lavoie Gordon: Mais ces recours légaux, la femme a
toujours à les payer.
M. Vaillancourt (Jonquière): Si M. le ministre me le
permet, sur le même sujet, je ne vois pas tellement le problème.
Vous avez dit tout à l'heure, qu'il n'y avait pas beaucoup de femmes
autour de la table, mais je peux vous dire qu'il y a ici des avocats qui ont
représenté très souvent les intérêts des
femmes et de femmes qui, justement, avaient un mari qui n'était pas
riche. Evidemment, dans ces cas-là, c'est extrêmement difficile
parfois de récupérer la pension alimentaire parce que le mari
travaille quatre ou cinq mois par année et change d'emploi
régulièrement. Mais j'imagine mal comment l'avocat d'une femme
peut avoir des difficultés à percevoir une pension alimentaire si
le mari est professionnel, s'il gagne $50 000 ou $75 000 par année, s'il
a une propriété, s'il a un chalet. Si tous les époux de
mes clientes avaient eu un revenu semblable, je peux vous dire une chose, c'est
qu'au moment où je vous parle, toutes mes clientes auraient une bonne
pension alimentaire et si le mari, par hasard, s'était aventuré
à ne pas la payer, je peux vous dire que cela aurait été
extrêmement facile pour moi, dans les quelques jours suivants, de faire
saisir son salaire ou même... Je ne comprends pas que cela s'applique
à des revenus élevés; à des revenus faibles, oui,
le problème est réellement là. C'est bien sûr que,
pour le gars de la construction qui travaille à Sept-Iles et, trois
semaines après, s'en va travailler à Jonquière, c'est bien
évident que la femme peut avoir de la misère à le
retrouver et à percevoir la pension alimentaire.
Mme Lavoie Gordon: Vous êtes à la veille de me
convaincre. Vous êtes un bon avocat.
M. Vaillancourt (Jonquière): Non pratiquant.
Mme Lavoie Gordon: Si vous voulez, on va prendre l'exemple qui
est ici, celui de la famille de quatre personnes, trois enfants de deux
à dix ans, qui s'étaient vu attribuer $7800 contre $46 000 de
revenus. Son avocat avait bien accepté cela et c'est le juge qui l'a
donné. Cette femme-là, quand elle est allée, en 1977,
demander une augmentation de pension, a obtenu $14 500. Cela lui a
coûté $500 pour aller chercher ces $14 500. Elle n'avait pas un
cent en avant d'elle. Cela faisait huit ans qu'elle vivait en dessous du seuil
de la pauvreté. Elle a dû faire un emprunt pour payer $500
à son avocat et pour aller chercher ses $14 500 et, aujourd'hui, avec
l'impôt qu'elle doit payer là-dessus, elle est revenue à
peu près au même régime que celui qu'elle a connu dans le
temps qu'elle avait $7 800. Si aujourd'hui, pour vous donner un exemple bien
concret, et cela me fait plaisir de vous demander cela... La semaine
dernière, elle m'a appelée pour me dire: Qu'est-ce que je fais?
Je ne peux pas payer mon impôt là-dessus.
J'ai dit: Ce n'est pas compliqué, ma fille. Tu vas rappeler ton
avocat et tu va lui dire tout simplement qu'il faut que ton impôt se paie
et que tu n'as pas d'argent; parce qu'elle paie $325 de loyer par mois. Elle a
commencé à $175 il y a huit ans et elle est rendue à $325
dans le même logement. Elle ne peut même pas se permettre de
déménager. Elle n'a pas d'argent. Alors, son avocat, d'accord, va
prendre des procédures pour essayer de faire quelque chose. Où
cela va-t-il l'amener? Elle va avoir encore un autre montant de $500 à
donner pour faire payer son impôt ou pour avoir une augmentation qui va
payer cela. C'est le problème. On est toujours obligé de
s'endetter pour aller chercher ce qui est dû.
M. Vaillancourt (Jonquière): D'accord, mais parlons des
cas que vous nous avez soumis. Ce sont quand même des cas très
particuliers de revenus élevés, mais il y a un principe en droit
familial qui existe actuellement et qui dit que la pension alimentaire est
fixée d'après les besoins de l'un et les moyens de l'autre. A
partir du moment où les moyens de l'autre sont établis à
$60 000, une supposition, je présume que, si l'épouse a obtenu
$18 000 ou $20 000, c'est parce qu'elle a prouvé devant le tribunal des
besoins de $20 000 et que, si elle avait prouvé des besoins de $28 000,
sur un revenu de $70 000, elle aurait eu $28 000. Au niveau des principes, le
juge se fie quand même aux besoins de l'un et aux moyens de l'autre.
Mme Lavoie Gordon: Cela, c'est en principe. Vous êtes des
avocats, vous savez très bien que ce que je dis est vrai. C'est
tellement vrai que celui qui verse $22 500 à sa famille et qui en
récupère la moitié par le biais de la déduction
d'impôt, gagne au-delà de $100 000, elle n'a pas eu ce dont elle
avait besoin. Non seulement, elle n'a pas eu ce dont elle avait besoin, mais si
les besoins ont été établis à $22 500, cette
année, cette femme devra payer presque $7000 d'impôt. Avec quoi
vit-elle? Elle vit avec moins de $15 000 et elle avait des besoins pour
au-delà de $22 000. Elle a eu $22 000 et elle paye de l'impôt
là dessus.
Il faut penser que la coupure d'impôt réduit, en fin de
compte, le budget, énormément. Vous allez peut-être dire,
comme d'autres avocats: Qu'elle vende sa maison et qu'elle
déménage, mais pour aller payer les loyers qu'on paye
aujourd'hui, ça ne vaut même pas la peine de vendre sa maison. (17
h 40)
M. Vaillancourt (Jonquière): Je ne veux pas prendre la
place du ministre, j'aurais seulement deux remarques et je n'interviendrai
plus. Ce ne sont pas des questions, je pense que ce sont des précisions
à apporter. Lorsque vous avez parlé d'exclusion du foyer, il
faudrait que le mari n'ait
plus le droit de revenir à la maison. Mais, une fois que le
jugement est rendu, à moins que le juge donne la permission au mari de
revenir ou à moins qu'il y ait un consentement de l'épouse
à recevoir son mari, effectivement, c'est la réalité,
aujourd'hui, le mari qui est exclu du foyer par un jugement, sur mesure
provisoire, n'a pas le droit de revenir à la maison, à moins
d'une provision spéciale ou du consentement.
Donc, je sais qu'en pratique cela se fait, mais c'est un non-respect
d'un jugement. Deuxièmement, vous nous dites...
Mme Lavoie Gordon: J'ai expliqué cela au début,
c'est à la suite d'un jugement que la chose s'est produite.
M. Vaillancourt (Jonquière): C'est parce qu'il y avait eu
une provision spéciale. Mais je dis que lorsqu'il n'y a pas de provision
spéciale...
Mme Lavoie Gordon: Je suis très bien au courant de la
chose.
M. Vaillancourt (Jonquière): D'autre part, en ce qui
concerne la garde des enfants, vous nous demandez si le droit du père
d'exercer son droit de visite a priorité sur le droit de l'enfant de
voir ou de ne pas voir l'enfant. Effectivement, c'est une très bonne
question. Je pense que le droit de l'enfant a priorité, pour autant, par
contre ce sont des cas qu'on rencontre souvent que la mère
n'exerce pas une influence telle que c'est elle, par ses paroles, par ses
attitudes, qui amène, à l'occasion je ne dirais pas
souvent l'enfant à refuser de permettre au père d'exercer
son droit de visite.
Mme Lavoie Gordon: Je suis d'accord.
M. Vaillancourt (Jonquière): Mais je pense que le droit de
l'enfant a priorité. J'ai eu des cas où les tribunaux ont
accepté le refus d'un enfant qui a quand même l'âge de
raison, de voir son père, pour autant que ce n'était pas la
mère qui l'avait influencé. Quand vous parlez des honoraires
exorbitants, vous avez donné l'exemple de $1900, j'aimerais tout de
même préciser qu'il y en a, comme dans tous les métiers,
qui peuvent exagérer, qui peuvent abuser, mais ce n'est quand même
pas une règle générale.
Dans ce cas précis que vous nous avez rapporté, si les
faits sont vrais, effectivement, le compte était très
élevé. Je ne pense pas qu'on puisse généraliser ce
cas.
Mme Lavoie Gordon: C'est exact, c'était un deuxième
avocat qui a refusé de donner le dossier à un troisième et
qui a présenté ce compte après un an.
M. Vaillancourt (Jonquière): Je ne nie pas la
véracité de ce que vous dites, mais ce que je voudrais
dire...
Mme Lavoie Gordon: J'ai essayé d'être la plus juste
possible.
M. Vaillancourt (Jonquière): C'est peut-être un cas
exceptionnel, il ne faudrait pas généraliser.
Mme Lavoie Gordon: M. le ministre, je ne pense pas que ce soit
exceptionnel, vous avez des femmes endettées à cause des
procureurs, vous n'avez pas d'idée. Je me sens très mal à
l'aise de venir vous dire ça.
M. Vaillancourt (Jonquière): A ce moment-là,
madame, je suis quand même un...
M. Bédard: Vous n'avez pas à être mal
à l'aise.
M. Vaillancourt (Jonquière): ... le Barreau a un syndic,
dans chacune des régions, il faut quand même exercer ses
droits.
M. Blank: ... des comptes.
M. Bédard: Sur la même lancée, vous invoquez
la nécessité de mettre fin à toute mesure coercitive
concernant les enfants. Par exemple, en page 6 de votre mémoire, vous
avez raison de dire que la garde des enfants dans une situation de divorce ou
de séparation de corps demeure un point délicat, comme vous
l'explicitez, qu'elle donne souvent lieu à de multiples litiges dont les
enfants sont les victimes innocentes.
Il y a lieu d'améliorer la situation, on en est conscient.
D'ailleurs, la Loi de la protection de la jeunesse constitue un instrument de
nature à établir et à préserver les droits
spécifiques aux enfants.
Pour améliorer l'ensemble de cette situation, est-ce que vous
croyez que les deux recommandations de l'Office de révision du Code
civil, aux articles 26 et 27, répondent à votre sentiment sur ce
sujet? L'article 26 dit entre autres: "Le juge doit consulter l'enfant, s'il
est doué de discernement, dans les décisions judiciaires qui
l'affectent." Obligation de consulter l'enfant, lorsque ce dernier est capable
d'exprimer son jugement.
L'article 27 stipulerait que le tribunal doit désigner un avocat
pour représenter l'enfant lorsque son intérêt l'exige.
Est-ce que cela répond...
Mme Lavoie Gordon: Quand on parle d'un avocat pour
représenter l'enfant, personnellement, je suis totalement d'accord avec
cela et je pense que cela pourrait éviter bien des choses. Les enfants,
on peut toujours les faire parler. A ce moment-là, s'il y a des
pressions ou du chantage, comme cela existe: Si vous vous en allez avec votre
mère, vous quitterez la maison de neuf pièces, en banlieue, pour
vous en aller au centre-ville, dans un petit appartement et vous n'aurez pas
d'argent...
Les enfants, que voulez-vous qu'ils fassent? Ils se disent: On va rester
avec notre père, on va être dans la rue. Ils ne sont pas en mesure
de comprendre.
M. Bédard: D'accord. J'aurais bien d'autres questions,
mais étant donné l'heure.
Le Président (M. Boucher): M. le député de
Saint-Louis. (17 h 45)
M. Blank: Madame, j'ai lu votre mémoire en anglais, et je
trouve qu'il contient plutôt des cas d'exception, pas
nécessairement ce qu'on trouve en général. Presque tous
les cas que vous citez peuvent être améliorés ou
changés par appel, ou même par changement d'avocat. Quand cela
vient à la question de principe qu'on essaie de mettre dans le nouveau
Code civil, c'est cela qu'on essaie de chercher.
Vous étiez ici ce matin. Il y avait deux principes que les
consultants matrimoniaux apportaient de nouveau, devant cette commission. L'un
était la question temporaire de la pension alimentaire. Ils ont
pensé faire la suggestion que la pension alimentaire ne soit pas
permanente, que la femme ou le mari mais normalement c'est la femme
doive prendre les mesures pour être autonome, pour une nouvelle
carrière. Qu'est-ce que vous pensez de cela?
Mme Lavoie Gordon: Je suis d'accord quand on parle des
ménages d'un an, de deux ans et de cinq ans, pas d'enfants. Mais mon
mémoire a cerné des problèmes de familles où les
femmes ont entre 40 et 65 ans. Vous allez me dire qu'à 65 ans, elles
n'ont plus d'enfants. Mais ce sont ces femmes qui sont mal
préparées à ce qui arrive. Elles ne peuvent même pas
retourner sur le marché du travail. Donc, indépendamment qu'elles
n'ont pas d'enfants, j'ai spécifié entre 40 et 65 ans.
Mais je ne crois pas que pour des femmes qui ont 50 ans, par exemple, et
qui ont encore des enfants à l'école, on puisse leur demander de
retourner sur le marché du travail. C'est presque aberrant. Elles ont
donné 30 ans de leur vie, sans salaire. Je pense qu'elles peuvent
peut-être finir leur vie tranquillement.
Pour ce qui est des jeunes couples, je pense que c'est tout à
fait différent et la majorité continuent de travailler. Donc, la
question ne se pose pas. Combien n'ont pas d'enfants? C'est un autre fait.
M. Blank: Une autre suggestion de ce groupe de toute convention
entre les parties, vous parlez de chantage de l'avocat, de chantage du juge ou
je ne sais pas de qui. On a suggéré que toute convention doit
être soumise à un groupe pour décider si c'est valable ou
si cela rend compte de la famille et des enfants. Que pensez-vous de cette
idée-là?
Mme Lavoie Gordon: Quand vous dites "convention", est-ce que vous
voulez parler de l'entente entre les parties avant la séparation?
M. Blank: Oui, de l'entente avant la séparation ou dans le
jugement final.
Mme Lavoie Gordon: Dans le jugement final. S'il y a entente entre
les parties et que personne ne s'oppose, je ne sais pas si c'est vraiment
nécessaire que ce soit soumis à un groupe de spécialistes.
Si les raisons sont valables, lorsque l'échec dans le mariage est
reconnu et s'il y a des motifs véritables à la séparation
ou au divorce, cela ne veut pas dire que cela ne pourrait pas être
bénéfique de soumettre des parties, même après
entente, à un comité d'experts. Peut-être que, parfois, il
y a des problèmes qui risqueraient d'être réglés. Je
dis que, parfois, pour la séparation, c'est cela le problème des
gens. Ils se séparent. Cela ne veut pas dire qu'au fond, c'est
profondément la séparation qu'ils veulent, mais, pour eux, c'est
la seule solution. Peut-être que le comité d'experts, comme on l'a
dit ce matin, pourrait en venir à détecter quelque chose à
travers l'entente. Ce n'est probablement pas une nécessité, en
tout cas, pas pour moi.
Mais lorsque, par exemple, il y a des jugements qui sont
prononcés, peut-être... De toute façon, s'il y a le
tribunal de la famille, nous avons recommandé que le juge soit
assisté par des experts, parce qu'il y a des cas qui sont vraiment
difficiles.
M. Blank: Mais il y a toujours un appel de jugement.
Mme Lavoie Gordon: Aller en appel, maître, je vais vous
dire que c'est de l'argent qui est au bout, et c'est la raison pour laquelle
les gens endurent leur sort. Vous avez le cas de cette femme après huit
ans. C'est parce qu'on l'a poussée dans le dos en lui disant: C'est
impensable que tu continues à vivre comme cela. Elle a dit: Je n'ai pas
d'argent. On a dit: Emprunte et va te chercher de l'argent. C'est toujours
l'argent qui empêche les femmes de retourner.
Il y a eu un cas, par exemple... Justement, le cas des $22 500
paraît extraordinaire, mais je peux vous dire que le budget pratique de
cette famille est de $3000 par année, quand le loyer, le
capital-hypothèques, les taxes, enfin les dépenses fixes sont
payées, pas seulement cela, quand l'impôt est payé. Cela
veut dire que, sur un montant de $1875 que cette famille reçoit, il y a
$1000 par mois qui sortent automatiquement, $500 pour le loyer et les taxes et
$500 pour l'impôt. Si on sait compter, cela fait $12 000. Cela veut dire
que, de $12 000 à $22 000, si vous enlevez toutes les dépenses
fixes, il lui reste $3000 pour la nourriture, le vêtement, les loisirs et
même le prix des écoles n'était pas compris
là-dedans.
M. Blank: Mais, madame, tout cela a été
amené devant la cour. Cela a aussi été contesté. Je
ne sais pas s'il y a eu consentement à ce jugement. Cela a
été contesté devant le tribunal. Si les faits que vous
donnez ici sont devant un juge, il y a quelque chose qui ne marche pas.
Mme Lavoie Gordon: Oui.
M. Blank: C'est l'exception, comme je le dis, parce que,
normalement, le juge prend en considération les moyens du mari et les
besoins.
Mme Lavoie Gordon: Oui, je comprends.
M. Blank: II y a quelque chose qui me marche pas, au moins il n'y
a pas consentement des parties, je ne sais pas.
Mme Lavoie Gordon: Non, il n'y a pas de consentement des parties,
les parties ne se voient pas, mais elle n'a pas été chanceuse,
parce que, voyez-vous cela a pris quatre juges pour...
M. Blank: II y a consentement des avocats... Mme Lavoie
Gordon: Oui, peut-être.
M. Blank: ... pas nécessairement des parties en cause.
Mme Lavoie Gordon: Quatre juges pour aboutir là, et vous
me dites qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, il faudrait que cette
femme retourne. Elle a dit qu'elle mettrait la clef dans sa maison, que les
enfants s'en iraient en chambre et qu'elle ne retournerait jamais à la
cour; elle en a par-dessus la tête.
M. Blank: J'ai seulement une dernière constatation. A deux
places dans votre mémoire, quand vous parlez de la pension alimentaire,
vous demandez que la famille puisse continuer à vivre au même
niveau qu'auparavant; à un autre endroit, de continuer à vivre
comme elle a été habituée à vivre. Comme tout le
monde le sait, quand il y a seulement un gâteau et qu'on le coupe en
deux, c'est difficile de continuer la même vie.
Mme Lavoie Gordon: Oui, je suis d'accord. Naturellement, cela
dépend toujours des revenus, c'est-à-dire que, quand il y a un
revenu de $100 000, que la famille se ramasse avec $22 500 et qu'à la
fin il lui en reste $15 000 pour vivre à cause de l'impôt, je
pense que le gâteau est bien partagé à 80% pour le
mari.
M. Blank: Oui, mais même si on prend ce gâteau de
$100 000 et qu'on le coupe en deux à $50 000, on ne peut pas vivre avec
$50 000 comme on vivait avec $100 000.
Mme Lavoie Gordon: Je pense que les femmes ne sont pas assez
exigeantes pour ne pas se contenter de ce qu'il faut.
M. Blank: Oui, mais c'est la base de votre argumentation.
Mme Lavoie Gordon: Non, je ne veux pas discuter de cela, parce
que ce serait trop long, mais je pense que, si on s'en tient à la
pension alimentaire proportionnelle au revenu du mari... Quand on dit 20%, ce
n'est sûrement pas propor- tionnel pour quatre, cinq, six et j'irais
même jusqu'à dire huit personnes, parce qu'il y en a qui ont six
ou sept enfants.
M. Blank: Je suis d'accord avec vous, mais le principe de la loi
actuelle est le même que celui de la nouvelle loi. Pour le juge ou la
cour, si c'est une cour avec juge ou si c'est une cour avec des
spécialistes en sciences humaines, c'est le même principe... les
besoins et les moyens de payer. Cela ne change rien. Ici, vous nous parlez de
cas que j'appelle des cas d'exception. Je ne veux pas...
Mme Lavoie Gordon: Si on fait une enquête, vous ne
trouverez pas plus que 25% du revenu du mari qui est accordé aux
familles, quels que soient les revenus.
M. Blank: Madame, dans mon bureau, j'ai vu des maris qui
étaient en faillite à cause des pensions qu'ils payaient.
Mme Lavoie Gordon: Oui, mais là...
M. Blank: II y a les deux côtés de la
médaille.
Mme Lavoie Gordon: Oui, c'est sûr. Je ne veux pas mettre
les hommes en faillite, mais je dis que, quand ils ont les moyens de
payer...
M. Bédard: Vous voulez que les femmes vivent.
Mme Lavoie Gordon: Non, je voudrais que les familles ne soient
pas traumatisées au point de penser que celui qui a sa liberté,
qui n'a pas d'enfant, peut se permettre trois voyages par année avec sa
maîtresse, pendant qu'une femme ne peut même pas prendre une
semaine de vacances et ses enfants non plus.
M. Bédard: Je vous comprends et je pense bien qu'il n'y a
pas un membre de la commission qui accepterait...
Mme Lavoie Gordon: Je suis convaincue, M. le ministre, que vous
me comprenez. A part cela, quand vous dites que ce sont des exceptions, ce ne
sont pas des exceptions dans le milieu que nous avons étudié.
J'ai dit au début que l'étude avait été faite dans
le milieu professionnel. Je ne pouvais pas faire l'étude partout. Il y a
tellement de femmes... Ecoutez une minute. On m'a dit que vous n'aviez
peut-être pas eu la lettre de Saint-Jérôme, mais, si je
prends le texte de Saint-Jérôme, je vais vous donner deux
chiffres. A Saint-Jérôme, on dit que, dans le diocèse, il y
a 9869 femmes seules qui vivent de l'assistance sociale et qu'il y a 3939
familles monoparentales qui vivent de l'assistance sociale. J'ai de la
difficulté à croire... Cela fait 14 000 familles. J'ai peine
à croire que ces 14 000 familles ont un ex-père de famille qui ne
travaille pas, je n'y crois pas. Je le sais par expérience personnelle,
pour avoir eu des gens qui se sont fait dire: On n'est pas pour courir
après ton mari qui est à DEW Line, qui gagne un gros
salaire. C'est trop difficile. Prends ta pension. Cette femme avait dix enfants
et elle vivait du bien-être social.
Moi, j'ai dit: Ma petite fille, tu vas aller à l'aide juridique
et tu vas aller te débattre. Ils vont le trouver, ton mari, à la
DEW Line; il paie son impôt, ce type, et il a un patron. Mais c'est plus
facile de dire: Contentez-vous donc, madame, restez à la maison et
prenez le bien-être social. Là, si je tombe sur le bien-être
social, ça va être bien pire. Mais ce n'était pas mon but
de vous... Je voulais simplement vous souligner au début je pense
que je l'ai dit que si c'est comme ça dans le milieu
professionnel où les gens ont les moyens et où les pères
de famille ne prennent pas leurs responsabilités, qu'est-ce que c'est
dans le milieu où il n'y a pas d'argent, ou il y en a peu? Cela veut
dire que tout est relatif. Celle dont le mari fait $60 000 et qui est au seuil
de la pauvreté avec sa petite pension, je vais vous dire franchement,
elle n'est pas mieux que la femme qui dépend du bien-être social,
cette femme.
Je ne sais pas. Il y a des femmes ici, vous savez, qui travaillent, qui
sont venues pour appuyer ce mémoire, même si elles savaient...
M. Bédard: Je tiens à dire que vous le
défendez bien, faisant toutes les nuances nécessaires, et vous
pouvez être sûre que les membres de la commission sont très
attentifs à...
Mme Lavoie Gordon: Ces femmes qui sont ici, j'aurais aimé
qu'elles puissent venir parler. Je ne sais pas si vous voulez leur poser des
questions. Elles travaillent surtout dans les milieux défavorisés
et elles en voient de toutes les couleurs; tandis que moi, je sais que cela
avait l'air un peu fou de me présenter devant vous avec des chiffres
comme ça, mais vous êtes dans le milieu et vous savez que c'est
vrai. Je pense que ça doit cesser, ça.
Quand un avocat dit à une mère de famille dont le mari est
médecin et qui gagne au-delà de $100 000 ce sont à
peu près les seuls qui en gagnent autant: Ecoutez, madame, ayez des
priorités; sortez vos enfants du collège. Quand ils sont rendus
en secondaire IV, V, qu'est-ce qu'on va faire avec ces enfants? Je dis: Non.
Depuis la maternelle, ils sont en institution privée, le mari gagne
au-delà de $100 000 et on va dire: Tu sais, mon petit garçon, tu
es obligé de quitter ton collège. On va t'envoyer à
l'école en arrière, tu ne connais personne, parce que ton
père n'a pas les moyens de payer pour toi. Ce sont les avocats qui
disent: Ayez des priorités, madame. Vous êtes dans les 5% qui
vivez avec un gros revenu. Peut-être que le mari est dans le 1%, je ne
sais pas, mais il a quand même les revenus et c'est le père de ces
enfants. Je me dis que c'est une question de responsabilité, c'est une
question de maturité, mais qu'est-ce qui arrive? Souvent, c'est un
esprit de vengeance aussi qui règne à ce moment-là. Les
hommes quittent la maison en disant: Vous allez vivre du bien-être
social. Ils pensent bien que ça n'a pas d'allure, mais ils le disent
quand même. A ce moment-là, tout est fait en conséquence
pour que les familles en aient le moins possible. Remarquez que si tout le
monde prenait ses responsabilités, on n'aurait pas besoin d'être
ici.
Le Président (M. Boucher): Merci! M. le
député de Nicolet-Yamaska.
Mme Lavoie Gordon: Je vous remercie.
M. Fontaine: Madame, vous représentez un certain nombre de
groupes et vous avez basé votre étude sur des cas... Je pense que
c'est une étude de cas que vous avez faite. J'imagine que ces cas
partent de personnes qui ont vécu les problèmes dans les
différents groupes que vous représentez.
Pourriez-vous nous dire combien de cas vous avez étudiés
pour en venir aux conclusions que vous apportez ici?
Mme Lavoie Gordon: Tout d'abord, je vais vous dire que, dans une
seule association, les Parents uniques, jusqu'à maintenant, on a
touché 2000 femmes. Je ne vous dirai pas que ce sont toutes des femmes
dont les maris avaient des revenus comme ça, mais, quand même,
dans ce milieu, c'est un milieu qui touche assez la famille moyenne. Même
dans la famille moyenne, on retrouve le même décalage. Si je me
suis arrêtée à ces cas, c'est parce que c'est mon
milieu.
Personnellement, depuis six ans, je me suis occupée de femmes de
professionnels uniquement et j'ai bien dit que ce n'était pas parce que
je dédaignais les femmes qui étaient obligées d'avoir
recours au service social. C'est parce que ces femmes-là, en plus de ne
pas avoir ce qu'il leur faut, n'ont pas de moyens de recours. Cela a l'air
drôle de le dire.
Est-ce que les femmes dont les maris font $50 000, $60 000 ou $75 000
peuvent se présenter à l'aide juridique quand elles ont
déjà une pension qui dépasse $5000? Elles ne peuvent pas.
Ces femmes vivent isolées. Elles ne se regroupent pas souvent dans des
associations, elles ne vont pas chercher d'information, pas d'aide morale.
Je les prends en dépression et je ne suis pas trop en
faveur des psychiatres même si je suis infirmière je dis:
Tu va commencer par te sortir de ton affaire et après, tu iras voir le
psychiatre si je ne suis pas capable de t'en sortir. Quand c'est
nécessaire, je peux vous dire que je peux donner un bon coup de
pied.
Les femmes finissent par se prendre en main. Je dois vous dire que je
trouve cela très fatigant, mais les faits sont là. C'est mon
milieu et j'ai affaire à des femmes dont les maris ont de gros salaires.
J'ai préparé des enfants de juges à aller témoigner
contre leur père, j'ai préparé des budgets de femmes de
juge parce que les femmes ne pouvaient pas faire leur propre budget. Elles ne
savent même pas ce que ça coûte dans une maison, elles ne
paient rien. Alors, quand elles viennent pour faire un budget, elles ne savent
pas
ce qu'il en coûte pour transporter les enfants à
l'école, pour l'essence, le chauffage, etc. (18 heures)
C'est mon milieu et je peux vous dire que je peux prendre 25 cas que
j'ai eus depuis peut-être dix mois et je les ai pris à travers
cela et je peux vous dire que les autres n'étaient pas mieux. Pour vous
donner un exemple patent: Un médecin qui a laissé une femme avec
six enfants. L'arrangement s'est fait à l'amiable. Il avait un
très bon avocat au niveau fiscalité, parce qu'il revenait
toujours là-dessus. Il a offert à sa femme $20 000 en lui
laissant la maison qu'elle occupait. Son avocat, pensant bien faire, lui a dit:
Accepte cela elle le connaissait bien parce que tu sais, un juge
ne te donnera probablement pas plus. Elle est arrivée chez moi en
larmes. J'ai dit: Sors-moi ton budget de l'an dernier. Elle n'en avait pas.
J'ai été chercher le budget de l'année d'avant. Son mari
avait payé pour ses six enfants, sans compter les taxes, les assurances
et tout ce que vous voudrez, $44 000 qu'on pouvait retracer. Alors j'ai dit: Tu
vas être capable de faire cela, avec deux enfants à
l'université et tout le reste, avec $20 000? Est-ce qu'il te prend pour
une folle? J'ai dit: Tu va aller lui dire: Non et va devant le juge. Elle lui a
dit non et elle a fini par obtenir de son mari $36 000.
Remarquez qu'elle est juste, très juste, elle a même obtenu
maintenant qu'il paie l'université d'un de ses enfants qui vient d'y
entrer. Elle en a deux à la faculté de droit aussi.
Le Président (M. Boucher): Je m'excuse...
M. Bédard: Avez-vous déjà pensé
à aller en droit?
Mme Lavoie Gordon: Je suis trop vieille.
M. Fontaine: Vous répondez partiellement à ma
question...
Le Président (M. Boucher): Je m'excuse, M. le
député de Nicolet-Yamaska! A ce moment-ci, nous sommes à
l'heure de l'ajournement, il est 18 heures, je dois demander le consentement
des membres pour continuer.
M. Bédard: Pour terminer ce mémoire, M. le
Président, avec votre permission, et entendre l'autre qui ne porte que
sur un point précis, à savoir le nom, problème à
propos duquel on a discuté quand même déjà...
M. Blank: D'accord.
M. Fontaine: D'accord. Je vais essayer d'être bref. Vous
répondez partiellement à ma question, mais quand vous parlez des
dames qui ont des problèmes financiers pour pouvoir exercer leurs droits
en cour, avez-vous pensé qu'il y a des articles de la loi qui permettent
de demander, dans des cas comme cela, des dispositions relatives aux frais
devant les tribunaux?
Mme Lavoie Gordon: Et les juges les refusent.
M. Fontaine: J'en ai déjà demandées en tout
cas.
Mme Lavoie Gordon: Je n'ai pas beaucoup insisté sur le
fait que les femmes ont des dettes parce que, si vous prenez celle qui est
allée en cour quatre fois avant d'avoir une pension potable, elle s'est
endettée depuis six ans de $25 000. Elle va retirer une balance de prix
de vente de maison et elle n'aura plus un cent quand elle va avoir payé
ses dettes au printemps, parce que le juge a refusé de lui accorder un
montant forfaitaire de $10 000 pour couvrir tout l'endettement qu'elle avait eu
pendant deux ans et demi avant d'obtenir une pension potable. Qu'est-ce que
vous voulez faire avec cela? Je regrette, cela a l'air fou. Je n'aime pas
parler de gros montants d'argent comme cela, mais on dit que tout est relatif.
Il y a de ces gens-là, pour ne pas traumatiser les enfants, qui
demeurent encore dans leur maison et qui sont obligés de les priver de
manger.
M. Fontaine: Vous dites, à la page 13 de votre
mémoire, que les enfants en âge et en mesure de le faire devraient
pouvoir choisir celui des parents avec qui ils désirent habiter. Est-ce
que vous pouvez préciser l'âge ou s'il y a d'autres
modalités ou nous donner des spécifications quant à
l'âge des enfants?
Mme Lavoie Gordon: Si, dans la loi, on considère qu'un
enfant est en mesure de prendre certaines responsabilités et de
répondre par lui-même à partir de l'âge de 14 ans, je
dirais qu'à partir de l'âge de 14 ans on pourrait demander aux
enfants de choisir. Cela devient très délicat parce que, comme
j'ai dit, dans un cas très précis, il y a du chantage qui peut
s'exercer. Vous n'aurez pas ce qu'il vous faut, si vous vous en allez avec
votre mère. C'est un risque, c'est une injustice qui sera
créée pour la femme, une nouvelle injustice, mais il faut
peut-être l'accepter, parce que je dis que si on n'a pas les moyens de
faire vivre ses enfants, il est préférable de les laisser
à celui qui a les moyens de les faire vivre et que la modalité
des droits de visite serve à compenser le vide qui sera
créé pour la mère. C'est encore moins dur que d'être
aux prises avec des dettes énormes.
M. Fontaine: A la dernière page de votre mémoire,
vous dites qu'il va falloir choisir les juges selon leur
intégrité personnelle et que les juges choisis ne soient pas
eux-mêmes séparés ou divorcés. Est-ce que vous ne
pensez pas que c'est un peu discriminatoire?
Mme Lavoie Gordon: J'ai assisté personnellement à
un cas en cour où le juge a vécu un vrai phycho-drame. Cela a
été tellement terrible qu'il a même donné un coup de
poing sur le pupitre en disant: Vous ne m'obligerez pas à rendre un
jugement ce soir, vous allez tous revenir ici demain matin. Cela avait
duré de deux heures à cinq
heures, ce fameux procès, et il n'a pas voulu rendre jugement
parce que, dans ce cas, le mari avait présenté une liste de
fausses dettes. Quand il encaissait $5000 du gouvernement le lundi matin, il
allait emprunter $5000 à Household Finance. Il devait, à peu
près comme cela, de $25 000 à $35 000 à 24%
d'intérêt. Il a tout réglé cela dans la semaine
où il est sorti de cour. Donc, il avait de l'argent caché quelque
part. Ce juge, qui avait été un homme malade et tout cela, et
dont la femme avait abusé, qui avait été mis dans un
état de dettes épouvantable, s'est revu dans sa propre situation.
C'est comme si, au fond, la femme était responsable des dettes, alors
que c'étaient de fausses dettes, il n'en avait pas. Il a piqué
une crise. Si cet homme n'avait pas vécu cela, ce ne serait pas
arrivé.
M. Fontaine: Vous ne pensez pas que c'est la même chose que
le juge qui a à juger un vol d'auto alors qu'il vient de se faire voler
son automobile?
Mme Lavoie Gordon: II va peut-être être un peu plus
strict.
M. Bédard: Qu'est-ce que vous pensez d'une femme juge
divorcée?
Mme Lavoie Gordon: Je ne suis pas plus pour ça. Je me dis
que, si on veut sauver la famille, il faut aller chercher des gens qui veulent
travailler pour la famille. Quand je dis sauver la famille, il faut
reconnaître l'échec dans le mariage, ce qui a été
dit ce matin. Je ne prône pas qu'on reste ensemble si ça ne marche
pas. Je veux dire sauver la famille quand même, pour que, après un
jugement, la famille puisse recommencer avec dignité, en pensant qu'elle
a subi la justice et non pas l'injustice. Vous savez ce sont les enfants qui
payent la note, je le répète; ils ont un sentiment d'injustice.
Quand j'entends un jeune de 16 ans qui dit: Je suis mieux de ne pas rencontrer
mon père, parce que je vais lui arracher le visage, parce que j'ai perdu
ceci et cela, je suis obligé de me restreindre dans tout, alors qu'il
vit dans tout, je pense que ça compte.
Je défends les femmes chefs de famille parce qu'il y a des
enfants. S'il n'y a pas d'enfant, si les femmes ont 60 ans, c'est une autre
histoire. Mais pas d'enfant, c'est plus limité.
M. Bédard: Je pense que vous avez raison de les
défendre avec l'argumentation que vous avez apportée. Je crois,
à moins qu'il n'y ait d'autres questions, pouvoir dire que tous les
membres de la commission ont été très sensibles à
vos représentations.
M. Blank: Merci, madame. Si j'ai des problèmes avec ma
femme, je viendrai vous voir.
Mme Lavoie Gordon: Quand les femmes sont dans le tort, je ne leur
donne pas raison. Je vous remercie, M. le ministre.
Le Président (M. Boucher): Au nom de tous les membres de
la commission, je vous remercie, madame, pour la présentation de votre
mémoire.
Il y a un autre mémoire qui n'avait pas été inscrit
à la liste d'aujourd'hui. Il s'agit de M. Normand Dauphin et Mme Jeanine
Daffe. Est-ce qu'ils sont présents, oui? Si vous voulez vous
approcher.
Compte tenu de l'heure... M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, j'aurais
peut-être une suggestion à faire à nos invités. Ce
serait de consigner, étant donné l'heure, votre rapport, votre
mémoire au journal des Débats comme si vous l'aviez
explicité ou lu au long et de passer tout de suite à la
période des questions, à moins que vous n'aimiez faire un petit
résumé de l'ensemble de votre mémoire.
M. Normand Dauphin et Mme Jeanine Daffe, à
titre personnel
M. Dauphin (Normand): D'abord, on vous remercie de reculer un peu
le délai de cette commission. On peut résumer notre
mémoire très succinctement en disant qu'on souhaite que deux
principes fondamentaux guident cette réforme du code Civil, à
savoir l'égalité des conjoints dans le mariage et le respect
dû à la personne humaine, y compris la personne ou les personnes
des enfants.
Je pense bien que le mémoire qu'on vient d'entendre sous-tend ces
principes fondamentaux, les questions de la famille, les questions
d'époux, de conjoints. Je pense que les juristes qui sont chargés
de cette révision du Code civil doivent être toujours et
constamment attentifs aux personnes qui sont impliquées dans toutes les
questions que vous avez à traiter.
On voulait, en tant que couple aujourd'hui, tout simplement vous parler
au nom de l'enfant, en souhaitant que le nouveau Code civil ne vienne pas figer
une coutume déjà passablement érodée. La coutume
veut actuellement que l'on donne le nom du père à l'enfant. Les
époux, les conjoints peuvent quand même donner actuellement leurs
deux noms à l'enfant. On souhaiterait que le Code civil, au fond, ne
crée pas cette obligation de donner le nom patronymique du
père.
On souhaiterait que les parents puissent donner leurs deux noms à
l'enfant. S'il faut absolument que, pour éviter des complications, on
doive donner un seul nom à l'enfant, on souhaite que la loi
spécifie que l'on donne le nom matronymique de la mère. Je ne
pense pas qu'on puisse, au nom de mentalités parce que, souvent,
dans les explications que donnent ceux qui ont rédigé le Code
civil, on se réfère aux mentalités actuelles, qui ne
seraient peut-être pas prêtes à des changements ou à
des transformations peut-être trop traditionalistes, apporter des
réformes qui aillent dans le sens d'une évolution de notre
société.
Si je résume en deux mots: l'égalité des conjoints,
primauté à la personne humaine, le choix pour les époux de
donner leurs deux noms
aux enfants. S'il faut donner un seul nom, on souhaite qu'on puisse
donner le nom de la mère.
Le Président (M. Boucher): Merci, M. Dauphin, pour ce
résumé. De toute façon, votre mémoire sera
consigné au journal des Débats au complet, (voir annexe)
M. Dauphin: Merci beaucoup.
Le Président (M. Boucher): M. le ministre.
M. Bédard: Nous vous remercions de votre collaboration,
suite à l'offre que nous vous avons faite de consigner l'ensemble de
votre mémoire au journal des Débats. Cela rejoint, comme vous le
savez, un point qui a été discuté à maintes
reprises au cours des travaux de cette commission, à savoir le nom
à donner à l'enfant.
Votre proposition rejoint essentiellement la position du Conseil du
statut de la femme, sauf que vous demandez la possibilité de choisir le
nom de la mère, n'est-ce pas?
M. Dauphin: C'est cela ou, à tout le moins, qu'on ne
crée pas une exigence pour les parents de donner le nom du père.
Actuellement, il y a quand même un choix qui...
M. Bédard: Exigence qui est créée par la
résolution, par la proposition du Conseil du statut de la femme.
M. Dauphin: C'est cela.
M. Bédard: Qu'est-ce que vous pensez de la proposition qui
a été faite par la Commission des services juridiques dans le
sens de donner le nom de la mère?
M. Dauphin: De donner le nom de la mère? M.
Bédard: Oui.
M. Dauphin: C'est la proposition qu'on fait, nous aussi, dans
notre mémoire.
M. Bédard: Non, que le nom...
M. Dauphin: Que le nom de la mère?
M. Bédard: Que le nom de la mère.
M. Dauphin: On privilégie le fait de donner que le nom de
la mère s'il faut absolument, dans la loi, dire des choses
précises. On souhaiterait que les parents aient le choix de donner leurs
deux noms, mais, comme on l'indique dans notre mémoire, s'il faut, pour
éviter des complications, donner un seul nom, on souhaiterait pouvoir
donner le nom de la mère. On est d'accord avec la proposition des
services juridiques.
M. Bédard: Je vous remercie.
Le Président (M. Boucher): M. le député de
Saint-Louis.
M. Blank: Seulement une question. Un groupe, ce matin, a
parlé de la même chose. Je pense que c'était l'Association
des centres de services sociaux du Québec. Elle a parlé de donner
les deux noms, comme vous le suggérez, mais que l'enfant, à un
certain âge, ait le choix d'un des deux noms. Que pensez-vous de cela? Au
lieu de donner aux parents le droit de choisir un des deux noms, l'enfant,
à un certain âge, aurait ce choix.
Mme Daffe (Jeanine): Pourquoi obliger un enfant à choisir
entre le nom de son père et le nom de sa mère puisqu'il vient des
deux?
M. Blank: Je peux répondre à la même
question. Pourquoi les parents ont-ils le droit d'imposer l'un ou l'autre aux
enfants?
Mme Daffe: Parce que peut-être que le nom de la
mère, ce serait consacrer le lien biologique qui est quand même la
logique de la vie et non un lien juridique, un lien de possession. (18 h
15)
M. Blank: A toi.
Le Président (M. Boucher): M. le député de
Nicolet-Yamaska.
M. Fontaine: Voyez-vous, dans la pratique, des problèmes
quant aux familles si le législateur décidait d'adopter les deux
noms? En pratique, y voyez-vous des problèmes?
Mme Daffe: Pourquoi? La différence, c'est qu'avec deux
noms, si on prend le nom de Jean Pelletier, personnellement, j'en connais au
moins sept. S'ils avaient l'autre nom, le nom de leur mère, on pourrait
au moins différencier de qui il s'agit.
M. Blank: Qu'est-ce qui arrive après?
M. Bédard: Est-ce qu'à partir du moment où
un nom a été choisi, le même nom doit être
gardé pour tous les enfants d'une famille?
Mme Daffe: Le nom est notre propre identité.
M. Bédard: Non, ce n'est pas cela que... Autrement dit,
acceptez-vous qu'à l'intérieur d'une famille, il y ait des noms
différents?
Mme Daffe: Non.
M. Bédard: Non, de familles différentes.
Mme Daffe: Non.
M. Blank: Est-ce qu'on va donner les deux noms au petit enfant,
et après, quatre noms... Qu'est-ce que vous suggérez?
M. Dauphin: Je pense qu'il y a eu des suggestions à cet
effet, du Conseil du statut de la femme, à savoir qu'une femme qui se
marie, éventuellement, peut communiquer de ses deux noms, le nom de sa
mère, et le garçon qui se marierait pourrait communiquer le nom
de son père. Ce serait une solution qui éviterait qu'à un
moment donné, on ait sept ou huit noms. C'est sûr que c'est
absurde d'une façon très pratique. Il y a sûrement, si on
donne les deux noms, des moyens, à un moment donné, de
régler ces problèmes.
M. Fontaine: Qu'est-ce que vous pensez de la solution du libre
choix, de dire que les parents pourraient, à la naissance de leur
premier enfant, choisir le nom qu'ils voudraient donner à l'enfant, soit
le nom de la mère, soit le nom du père, soit les deux et que,
pour tous les autres enfants dans la famille, par la suite, on soit
obligé de faire la même chose?
Mme Daffe: Compte tenu des mentalités actuelles,
pensez-vous que le choix est possible pour une femme dans une famille?
M. Fontaine: D'accord. Merci.
Le Président (M. Boucher): M. Dauphin, madame, je vous
remercie, au nom de tous les membres de la commission.
M. Dauphin: Merci beaucoup.
Le Président (M. Boucher): Demain matin, il y aura la
Ligue des droits de l'homme et CENTRHOMME, deux groupes seulement pour la
commission. Est-ce qu'il y avait un ordre?
M. Blank: Demain matin, 10 heures.
Le Président (M. Boucher): Demain matin, 10 heures. La
commission ajourne ses travaux jusqu'à demain, 10 heures.
Fin de la séance à 18 h 18
ANNEXE
Mémoire de M. Normand Dauphin et de Mme Jeanine
Daffe, à titre personnel
Québec, le 3 mars 1979
Monsieur Marc-André Bédard, Ministre de la Justice,
Gouvernement du Québec.
Monsieur,
Nous avons choisi d'intervenir, via la Commission parlementaire de la
Justice, sur le projet de réforme du Code civil afin de donner notre
point de vue sur l'article 33 (et ceux qui en découlent) qui porte sur
le nom de l'enfant.
Nous nous adressons à vous en tant que couple formé de
deux personnes à part entière qui ont conçu un projet
visant à la réalisation, en pleine égalité, d'un
paVtage des responsabilités et obligations que la vie nous impose. De
plus, notre enfant, puisque l'actuel Code nous permet encore ce choix, porte
nos deux noms. "JE SORS DU VENTRE DUNE FEMME POUR PORTER LE NOM D'UN HOMME".
Principe d'égalité des personnes selon le projet de
réforme du Code civil du Québec.
Dans sa préface du volume I du Projet de revision du Code civil,
le président, Paul-A. Crépeau rappelle les propos d'André
Tunc: "II ne s'agit pas de tout bouleverser mais de tout revoir; de se demander
loyalement devant ces phénomènes nouveaux et aussi devant les
transformations techniques et psychologiques de la société ce
qui, dans l'Ancien (code) garde sa force et, parfois sa vertu, et ce qui
gêne l'élaboration de règles et de techniques nouvelles qui
pourraient mieux servir l'homme contemporain" (1). Monsieur Crépeau
ajoute aussi qu "il fallait en somme faire du nouveau Code civil le reflet des
réalités sociales, morales et économiques de la
société québécoise d'aujourd'hui; un corps de lois
vivant, moderne, sensible aux préoccupations, attentif aux besoins,
accordé aux exigences d'une société en pleine mutation,
à la recherche d'un équilibre nouveau" (2).
Un des traits dominants de la réforme, selon lui, est la
primauté de la personne (à la lecture de certains articles,
permettez-moi d'en douter). "Aussi a-t-on voulu que la reconnaissance du
rôle de la personne humaine, l'affirmation et la protection de sa
dignité fussent l'un des traits saillants du projet" (3).
( 1) Le Code civil du Québec Volume I, Projet de
code civil 1977, Préface pp XXV et XXVI ( 2)-id. ( 3)-id.
En parlant des droits de l'enfant, il souligne qu'il importait que la
puissance paternelle, que pouvait autrefois justifier une conception
patriarcale de la famille, fut remplacée par l'autorité parentale
en vertu de laquelle les parents concourrent, en toute égalité,
à son éducation et à son entretien" (4). Il insiste sur le
fait que "l'adoption du principe d'égalité dans les rapports
juridiques entre époux trouve maints prolongements dans divers secteurs
du droit de la famille" (5). Pour lui, "il paraissait tout aussi opportun de
rappeler, dans un Code civil, qu'un droit suppose aussi un devoir; que
l'affirmation des droits de l'un emporte respect des droits d'autrui" (6). Il
cite aussi le "célèbre avertissement que Lacordaire opposait au
libéralisme triomphant entre le fort et le faible, c'est la
liberté qui opprime; c'est la loi qui affranchit" (7).
Après une telle préface, tous les espoirs étaient
permis, on pouvait croire qu'enfin le législateur considérerait
la "femme" comme une personne à part entière. Mais
hélàs, c'était présumer de la bonne foi d'hommes et
de femmes (aussi malheureusement) à qui un tel travail avait
été confié. "Tout être humain possède la
personnalité juridique" dit l'article 1 (8). L'article 45 (9) consacre
et respecte le nom de chaque individu nom qu'il a reçu à la
naissance, seul nom légal d'ailleurs (si on exclut les coutumes
désuètes et discriminatoires). Les articles 41 et 42 (10) sont
à l'effet que "les époux ont, en mariage, les mêmes droits
et les mêmes obligations (...)". "Les époux assurent ensemble la
direction morale et matérielle de la famille et l'éducation de
leurs enfants communs" consacrent, eux aussi, l'égalité des
personnes: mêmes droits, mêmes obligations. Quant à la
résidence de la famille, l'article 53 (11) dit que "les époux
choisissent de concert la résidence principale de la famille" (il faudra
changer le dicton: qui prend mari prend pays).
Au titre quatrième De l'autorité parentale
les articles 351, 353 et 354, à leur tour eux aussi, consacrent
l'égalité des personnes en tant que parents, face aux enfants
qu'elles ont et, l'article 291 (12) concernant la filiation enlève toute
discrimination entre un enfant "légitime" et un enfant "naturel" (comme
si un enfant reconnu par un homme était un enfant sur-naturel).
Mais voilà, après avoir établi les mêmes
droits et surtout les mêmes obligations tant pour la mère
que pour le père tous deux des personnes au sens de la loi, un
article surgit, fragment d'une tradition patriarcale "L'enfant porte le nom
patronymique de son père. Toutefois, lorsque seule la filiation
maternelle est établie, il porte le nom de sa mère" (13).
Le projet de réforme du Code civil, qui se veut le
véhicule du respect de la personne humaine, propose à l'enfant
deux solutions: la première, la meilleure selon les "réformeurs",
prendre le nom de son père; mais, s'il n'y a pas de qualité
première qui condescende à le reconnaître, il devra se
contenter d'un nom de second ordre: celui de sa mère. Et tout ça
au nom d'une tradition séculaire qui veut que le nom du père se
transmette à ses descendants afin de continuer la "race".
Cette tradition est justifiée par des motifs tels que "si
l'enfant portait un nom composé des noms de ses père et
mère, cela poserait le problème de l'ordre d'attribution" (14);
le choix du nom ne peut être laissé aux parents "si l'on songe aux
hésitations qui entourent le choix d'un prénom, on hésite
à y ajouter le choix, combien plus difficile, d'un nom de famille" (15).
C'est faire peu de cas de l'intelligence et de la capacité des individus
à réfléchir.
Toujours d'après ce comité d'étude, "la solution
idéale serait que l'enfant porte, dans tous les cas, le nom de sa
mère" (16). "Cette solution affirmerait également la
primauté du lien biologique sur le lien juridique" (17) Mais,
avant tout, sauvons la tradition!
Aucune différence ne sera faite entre un enfant "légitime"
et un enfant "naturel". Plutôt comique si on se réfère
à la situation suivante: j'ai un enfant qu'aucune personne homme
s'entend ne reconnaît. Il prend donc un nom patronymique de
deuxième classe: celui de sa mère. Par la suite, je marie Jos
Bleau de qui j'ai un enfant qui, lui prend le nom de son père.
Malheureusement, la vie n'étant pas toujours "rose" je divorce et je me
remarie avec un nommé Jos Lemeilleur dont j'ai un enfant qui, à
son tour, portera le nom de son père. Pauvre de moi, je me retrouve avec
trois enfants qui n'ont pas le même nom pourtant ils sortent de
mes tripes. Mais, le pire, c'est la subtile discrimination que devra
subir le premier de mes enfants compte tenu que "socialement" il sera
considéré comme un enfant "naturel" puisqu'il porte le nom d'une
personne d'une femme de sa mère (et la loi affranchit
paraît-il là où la liberté opprime).
Référer à la version PDF page B-822
Lorsqu'on propose une réforme, on vise vers l'avant, au besoin on
garde le statu quo mais on ne régresse pas surtout au nom d'une
"tradition séculairement mâle". L'autorité paternelle ne
fait-elle pas partie de cette même tradition?
Il est malheureux de constater qu'encore aujourd'hui, dans une
société dite civilisée, en 1979, des mâles, des
tenants et tenantes du statu quo prennent la voie d'un projet de réforme
pour faire de la discrimination. Vient-elle de l'amour-propre blessé du
mâle de ne pouvoir enfanter ou peut-être ai-je mal compris les
propos d'André Tunc et que se demander ce qui pourrait le mieux servir,
loyalement, l'homme contemporain, c'est se demander ce qui pourrait le mieux
servir l'homme de tradition patriarcale. "L'innovation n'est (peut-être)
pas synonyme de trahison, ni la fidélité condamnation du
changement, selon l'heureuse formule d'André Morel" (18) mais
l'écoeurement devant une société phallocrate peut
être lui synonyme de révolte. Est-ce si difficile de faire des
propositions justes et humaines!
En guise de conclusion
De notre propos, il ressort clairement que la réforme du Code
civil ne doit pas figer une coutume déjà passablement
érodée en créant l'obligation pour les parents de donner
à leurs enfants le nom patronymique du père. Ce serait une
régression sur le droit actuel et un geste allant à rencontre
d'un courant de plus en plus fort et significatif qui va dans le sens d'une
reconnaissance, dans les faits, de l'égalité des conjoints dans
le mariage.
Donner à l'enfant les noms de ses père et mère est
un moyen terme qui rend compte de la réalité du couple. On pourra
discuter longtemps des difficultés éventuelles posées par
le mariage des enfants, devenus adultes, et devant donner leurs noms
composés à leurs propres enfants. Rien n'empêcherait les
nouveaux époux de donner à leurs enfants un nom composé de
deux noms, selon leur choix, soit l'un de sa mère et l'autre de son
père.
S'il fallait, pour éviter toutes complications, donner un seul
nom à l'enfant, il faudrait privilégier le lien biologique
la logique de la vie sur le lien juridique et donner à l'enfant
le nom matronymique de la mère.
Nous espérons, monsieur Bédard, que sous votre gouverne un
article comme l'article 33 (et ceux qui en découlent) n'aura jamais
force de loi car, si au nom d'une mentalité "gardienne de traditions
séculaires" il fallait arrêter de cheminer vers demain, vers
l'avenir et arrêter aussi de corriger des injustices ou des
discriminations criantes, nous nous poserions de sérieuses questions,
tant sur le plan social que politique. Une loi, telle la loi 92 sur les
Consultations populaires (et tout ce qui en découle) s'adresse, elle
aussi, à la même mentalité.
Normand Dauphin Jeanine Daffe 976, Duchesneau, Ste-Foy.
Téléphone: 651-9849
(18) Le Code civil du Québec, volume I, Projet de Code
civil 1977, Préface p. XXIX.