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Version finale

30e législature, 3e session
(18 mars 1975 au 19 décembre 1975)

Le jeudi 26 juin 1975 - Vol. 16 N° 155

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Étude du projet de loi no 50 — Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Projet de loi no 50

Charte des droits

et libertés de la personne

Séance du jeudi 26 juin 1975

(Douze heures dix minutes)

M. Lafrance (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

Nous reprenons l'étude du projet de loi no 50. Je voudrais faire part des changements aux membres de la commission. M. Morin (Sauvé) remplace M. Bédard (Chicoutimi); M. Massicotte (Lotbinière) remplace M. Bienvenue (Crémazie); M. Dionne (Mégantic-Compton) remplace M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Séguin (Pointe-Claire) remplace M. Perreault (L'Assomption) et M. Kennedy (Châteauguay) remplace M. Springate (Sainte-Anne).

L'article 38.

Le chef de l'Opposition.

Droits économiques et sociaux Droits des enfants

M. Morin: M. le Président, nous sommes devant l'ancien article 36, du projet initial. Sur ce point, la Ligue des droits de l'homme recommandait que l'article soit réécrit de façon à établir que les enfants ont les mêmes droits que les autres personnes, bien qu'ils aient droit à des mesures de protection et de sécurité supplémentaires de la part de leur famille ou de ceux qui en tiennent lieu. Cette recommandation nous paraissait valable et nous aurions aimé que le ministre en tienne compte.

Je voudrais également attirer l'attention du ministre sur le fait que le Réseau d'action et d'information pour les femmes a proposé une modification à cet article 38, autrefois 36, et je voudrais proposer, avec le réseau, une modification, non pas une modification majeure, mais qui a tout de même une certaine portée, en proposant d'ajouter après "à la sécurité" l'expression "et à l'attention", de sorte que l'article 38 se lirait désormais de la façon suivante: "Tout enfant a droit à la protection et à l'attention que doivent lui apporter sa famille, ou les personnes qui en tiennent lieu."

En effet, la sécurité est un minimum, c'est vraiment le minimum qu'on puisse exiger de la part des personnes qui sont responsables d'enfants. Je pense que celui-ci a droit à plus que cela, à plus que la simple sécurité. Par sécurité, on entend certainement la sécurité matérielle, mais il n'est pas clair que cela inclut aussi la sécurité psychologique, ou psychique, et c'est la raison pour laquelle je me ferais le porte-parole du RAIF qui me paraît avoir raison sur ce point. Sur d'autres points qu'il soulève, par la suite, la Loi sur la protection de l'enfance, et aussi la Loi, toute récente, sur les mauvais traitements apportent des réponses. En ce qui concerne l'article 38, je crois que ce serait une précision fort utile. Même si apparemment nous n'avons plus quorum — subite- ment, dès que la commission eut commencé ses travaux, un certain nombre de députés ont disparu — je propose, quitte à suspendre la séance jusqu'à ce que nous puissions obtenir le nombre de députés nécessaire, que nous ajoutions "et à l'attention", après les mots "à la sécurité".

M. le Président, pour laisser tout le temps au ministre de réfléchir profondément à cette proposition, je vous demanderais de faire en sorte que nous ayons le quorum.

Le Président (M. Lafrance): La commission suspend ses travaux pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 12 h 13)

Reprise de la séance à 12 h 20

Le Président (M. Lafrance): Nous étions à l'amendement proposé par le député de Sauvé.

M. Morin: Nous avons quorum, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): On a recommencé.

M. Choquette: M. le Président, je partage évidemment les sentiments qui animent le chef de l'Opposition et le réseau d'information et d'action féminin. La suggestion vient certainement d'excellents sentiments. Je crois qu'évidemment on pourrait argumenter sur le fait que l'attention ou les soins attentifs sont déjà une notion incluse dans le texte actuel et en particulier dans le mot protection. Je pourrais facilement, je pense, soutenir ce point de vue, mais comme, d'autre part...

M. Morin: Protection serait un excellent mot plutôt qu'attention.

M. Choquette: Mais cela y est protection.

M. Morin: Mais non, ce que vous avez, c'est la sécurité.

M. Choquette: Non, non, tout enfant a droit à la protection et à la sécurité, les deux; alors pour moi, implicitement, le mot "attention" se trouve compris dans le mot "protection". Par contre, je ne veux pas être, vous savez, technique à l'excès; d'autant plus que nous parlons des enfants et qu'il est important dans une période comme celle-ci, de signaler une intention de donner vraiment aux enfants, toutes les dimensions de la protection qu'elle soit physique ou qu'elle soit émotive, de telle sorte que je me rends facilement à la suggestion du chef de l'Opposition. Pour ma part, je n'aurais pas d'objection à ce que l'on inclue dans cet article, le terme attention qui dénotera ou apportera un léger accent du côté de la sécurité émotive et des soins attentifs qui sont dus aux enfants.

M. Morin: Je pense que du point de vue pédagogique, cela peut avoir une certaine importance.

Le Président (M. Lafrance): L'article 38 est adopté avec modification.

M. Choquette: Quelle modification? Par exemple: Tout enfant...

Le Président (M. Lafrance): Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que doit lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.

M. Choquette: C'est cela. Je pense que cela amenderait le...

Le Président (M. Lafrance): Article 38 adopté. Article 39.

M. Morin: A l'article 39, il n'y a pas de changement par rapport à l'ancienne version et nous étions somme toute d'accord. On peut l'adopter.

Le Président (M. Lafrance): Article 39 adopté. Article 40.

M. Morin: De même pour l'article 40.

Le Président (M. Lafrance): Article 40 adopté. Article 41.

Enseignement public et privé

M. Morin: A l'article 41, quelques observations, M. le Président. Il s'agit du droit des parents ou des personnes qui en tiennent lieu, de choisir pour leurs enfants, des établissements d'enseignement privé pourvu que ceux-ci se conforment aux normes prescrites ou approuvées en vertu de la loi. Ceci soulève un certain nombre de problèmes. Le premier, c'est qu'en général, si les instruments modernes portant sur les droits de l'homme reconnaissent le droit à l'instruction, le droit à obtenir l'enseignement, ils ne spécifient pas en général, ils n'ajoutent pas à cela le droit à des établissements d'enseignement privé, du moins pas comme un droit fondamental.

Si j'ai bien compris l'intention du ministre dans cette loi, même si, c'est abusivement qu'on parle d'une charte, puisque c'est une loi ordinaire, il s'agit de reconnaître d'ores et déjà un certain caractère fondamental à ces droits.

Or, si le droit à l'instruction est un droit fondamental, je ne crois pas que l'on puisse parler d'un tel droit lorsqu'il s'agit d'établissements d'enseignement privés. Autre remarque, la ligue proposait que l'on ajoute, à la fin de cet article, le membre de phrase suivant: "et que les services particuliers qu'ils rendent soient publiquement et périodiquement justifiés?

Nous pensons que c'était une excellente suggestion et, si le ministre voulait convenir d'adopter cet amendement, je crois que ce serait de nature à nous amener à appuyer l'article; autrement, nous ne pouvons pas nous rallier à l'idée qu'il s'agisse là d'un droit fondamental. Le droit à l'instruction, oui, tant que l'on voudra; mais le droit à l'enseignement dans des institutions privées, je ne crois pas qu'il y ait d'Etats modernes qui reconnaissent cela comme un droit fondamental. Comme droit, oui, mais à justifier d'année en année, comme un droit qui peut être constamment remis en question avec les progrès de l'enseignement public.

En effet, nous ne pourrions pas être d'accord sur l'idée que l'enseignement à part, dans des institutions privées, est un droit fondamental. Ce serait plutôt le contraire qui nous paraîtrait fondamental, soit que tous les enfants doivent être traités sur un pied d'égalité. Le principe que l'on devrait respecter et mettre en oeuvre dans une véritable charte serait celui de l'égalité de tous les enfants devant l'instruction.

Si le ministre ne veut pas accepter la solution de la ligue, qui nous paraît raisonnable et conforme aux principes que l'on trouve généralement dans les législations des autres pays, je ne pense pas que nous puissions souscrire à un tel énoncé de principe, parce qu'il comporte une discrimination, étant donné que les établissements d'enseignement privés ne sont pas accessibles aux couches défavorisées de la population. Je suis sensible au fait que le programme du parti que je représente dans cette Chambre propose l'abolition pure et simple de l'enseignement privé; c'est la raison pour laquelle je propose un compromis au ministre dans le sens que je viens d'indiquer.

M. Choquette: M. le Président, compromis que je n'accepte pas. Il y a toutes les garanties de contrôle sur les établissements d'enseignement privés dans la rédaction proposée, puisque les termes sont "pourvu que ces établissements se conforment aux normes prescrites ou approuvées en vertu de la loi." C'est donc dans la mesure où les normes et les dispositions réglementaires ou législatives sont prévues pour l'existence de ces établissements d'enseignement privés que ceux-ci peuvent exister.

Je pense que le chef de l'Opposition part d'une philosophie faussement égalitariste et pseudo-démocratique pour tenter de réduire l'importance de l'enseignement privé. Pour ma part, je suis d'avis que la coexistence d'un système public et d'un système privé, loin de défavoriser l'évolution de l'éducation et de la culture en général, au contraire, constitue une saine émulation et a pour résultat définitif de hausser la qualité des individus qui sont le produit, soit du secteur public, soit même du secteur privé. Je ne voudrais pas, à ce moment-ci, venir poser d'autres contraintes, même si elles sont purement verbales, des contraintes de mots, à l'existence d'un secteur privé.

Donc, M. le Président, je ne peux pas accéder à la suggestion du chef de l'Opposition.

M. Morin: Je ferai remarquer au ministre que l'amendement proposé par la Ligue des droits de l'homme et que nous avons fait nôtre est très nuancé.

II a pour effet de laisser le gouvernement justifier l'existence d'un secteur privé. Je ne nie pas que, dans certaines circonstances exceptionnelles, on puisse avoir recours à un tel système lorsqu'il y a des carences dans l'enseignement public. Mais il faut être sensible au fait, je suis sûr que le ministre l'est, que plus le secteur privé prend de l'ampleur, plus il est difficile d'assurer la qualité du secteur public. De sorte qu'en encourageant et en consacrant le droit à un réseau d'enseignement privé dans cette loi, l'existence des institutions privées, on met un frein ipso facto non seulement à la croissance du secteur public mais à l'augmentation de la qualité du secteur public. Donc, on se trouve à porter atteinte directement et indirectement aux droits de l'ensemble des citoyens d'obtenir un enseignement de qualité.

Si, comme dans les faits cela peut être vérifié, le secteur privé, étant donné qu'il demande une contribution financière qui n'est pas très élevée, mais qui peut être très significative, surtout en milieux défavorisés, si le secteur privé attire systématiquement les enfants des familles qui sont un peu plus favorisées, des enfants qui, déjà dans leur milieu familial, ont eu des conditions de vie supérieures à celles qu'on trouve dans les milieux défavorisés, peut-être un meilleur niveau d'instruction préscolaire même, un meilleur niveau de préparation à la vie scolaire que dans les milieux défavorisés — je n'ai pas besoin de faire un dessin au ministre, il sait très bien, il n'est que de se promener dans certains quartiers de nos villes pour comprendre ce que ça peut être le milieu préscolaire de certains enfants — si on maintient un réseau d'enseignement privé comme étant un droit de l'homme, un droit de la personne, parce que c'est de ça que nous parlons, ce matin, si on fait cela, je prétends, je soutiens qu'on porte atteinte aux droits de l'ensemble de la population, et surtout des milieux défavorisés, d'obtenir un enseignement de qualité.

Je sais, le ministre va me faire des tas de sophismes, mais il n'en reste pas moins que ce n'est pas la place, dans une loi sur les droits de l'homme, de mentionner le droit d'obtenir un réseau d'établissements d'enseignement privé.

M. Choquette: M. le Président, derrière les belles paroles du chef de l'Opposition, derrière les énoncés de principes grandioses du chef de l'Opposition, derrière cette enflure verbale qu'il manifeste ce matin se profilent des intérêts bien concrets, bien matériels qui sont ceux d'un certain nombre d'enseignants dans le secteur public qui veulent se faire garantir un monopole sur l'enseignement. Tout le monde connaît suffisamment la situation, je pense, pour qu'elle ne mérite pas d'être approfondie, ce matin, au moment où nous débattons cet article.

Pour ma part, je ne pense pas que l'existence d'un secteur privé cause un tort au secteur public comme tel. Je pense qu'au contraire, un secteur privé dynamique, qui s'efforce de donner aux enfants non seulement l'éducation et l'instruction sur le plan des connaissances mais sur le plan du caractère aussi, c'est de nature justement à être un stimulant pour le secteur public qui, malheureusement, a une tendance à s'avachir à l'heure actuelle.

Je n'ai pas besoin de faire état de certains articles qui ont été publiés, qui ont eu beaucoup de retentissement dans les journaux, il y a quelques mois, alors qu'on a fait état de la piètre qualité de l'enseignement de la langue dans nos institutions en général et publiques en particulier. Dire que l'existence d'un secteur privé joue aux dépens de la classe dite défavorisée, c'est se situer au niveau d'une argumentation qui n'a pas de prix sur la réalité, qui ne connaît pas les conditions réelles dans lesquelles ces institutions, qu'elles soient publiques ou privées, oeuvrent, et c'est s'imaginer ou faire semblant de s'imaginer que l'existence d'un secteur privé enlève quoi que ce soit au secteur public, au point de vue de sa mission éducative auprès de la jeunesse en général.

Pour ma part, devant certaines manifestations dans le secteur public d'un enseignement qui n'est pas suffisamment au point et qui ne donne pas aux enfants toute la qualité de l'enseignement que l'on devrait y trouver, je pense que le secteur privé, à ce moment, joue un rôle d'une importance considérable et sera, au contraire, un moyen pour la valorisation du secteur public, ce qui est certainement un objectif important du législateur.

M. le Président, je pense qu'encore une fois le Parti québécois passe à côté des problèmes réels des citoyens québécois. Nous en avons des exemples constants à l'occasion des études des lois qui sont adoptées dans cette Chambre. Je n'ai pas besoin de rappeler les votes sur les bills 29 et 30, alors qu'en commission parlementaire on disait du ministre de la Justice qu'il ne rendait pas service aux travailleurs, parce qu'il insistait pour qu'on applique des mesures particulières à un certain nombre de chefs ouvriers qui auraient dû représenter leurs travailleurs, leurs militants, les gens qui travaillent sur les chantiers de construction. On se rend compte, aujourd'hui, que les mesures que le gouvernement a prises, au contraire, n'ont peut-être pas servi les intérêts des chefs ouvriers et des représentants des travailleurs, mais ont servi les intérêts réels des travailleurs, ce qui est l'objectif du gouvernement.

M. le Président, nous ne nous laissons pas enfermer dans cette espèce de logique de slogan, cette logique pseudo-démocratique, cette logique qui prend des principes pour des réalités. Pour notre part, nous maintenons le texte de l'article 41 dans sa forme actuelle.

M. Morin: M. le Président, le ministre...

M. Choquette: D'ailleurs le chef de l'Opposition a lui-même fait ses études dans des établissements d'enseignement privé. Peut-être que, s'il est devenu chef de l'Opposition, est-ce que cela lui sert pour quelque chose?

M. Morin: En compagnie du ministre.

M. le Président, j'ai fait ces études en compagnie du ministre à une époque où il n'y avait guère, au niveau où nous avons fait nos études,

que des enseignements privés. Ce n'est pas ce genre d'argument ad hominem qui va changer la question qui se pose aujourd'hui au Québec de savoir si on doit favoriser les établissements privés aux dépens des établissements publics. C'est la question qui se pose en I975. Elle ne se posait peut-être pas il y a 25 ou 30 ans. C'est une autre affaire. Il ne faudrait pas transposer aujourd'hui les problèmes ou les situations qui existaient il y a 30 ans. Il ne faudrait surtout pas que le ministre abdique ses responsabilités à l'égard de l'ensemble de la population, lui qui a été un favorisé et qui tend à perpétuer le système de favoritisme. Le ministre sait très bien, je ne sais pas si j'ai à le lui rappeler, que ce système d'enseignement privé, en réalité, correspond, dans une certaine mesure, à un système de classes.

M. Choquette: Non.

M. Morin: II le sait. Il n'osera pas le nier, je pense. Ce n'est pas parce que le ministre et moi-même avons eu l'avantage de faire d'excellentes études, personne ne le niera, qu'on peut dire qu'aujourd'hui ce système soit aussi justifié qu'il l'était à l'époque. On pourrait aussi retourner 50 ans en arrière et dire: Mais comment se fait-il qu'à cette époque c'est l'Eglise qui tenait tout l'enseignement? Le problème ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd'hui.

M. Choquette: Parce qu'il n'y avait personne d'autre pour le faire et ils voulaient le faire.

M. Morin: Et nous avons, depuis quelques années, parlé beaucoup de démocratisation de l'enseignement.

M. Choquette: Ah non!

M. Morin: Or la tendance actuelle va à rencontre de l'accessibilité et de la démocratisation de l'enseignement. Le ministre se gargarise de mots, il faut de bonnes blagues, le ministre se berce d'illusions; je ne veux pas faire des discours à n'en plus finir sur ce point, parce que je n'ai pas l'impression que je vais convaincre le ministre. Mais je tiens à dire que d'ici quelques années, à l'épreuve des faits, des réalités, on verra que la croissance du secteur privé se fait aux dépens de la qualité du secteur public et que, plus le secteur privé va prendre de l'ampleur, plus le secteur public va être défavorisé, sur le plan de la qualité des services qui seront rendus. Et on verra, d'ici quelques années, que cela va entraîner des maux sociaux qui, à cette époque, donneront une occasion de plus au ministre de la Justice de faire son matamore et de parler de la loi et de l'ordre.

M. Choquette: M. le Président, je ne pense pas que cela engendrera des maux sociaux, au contraire, je pense que cela va les réduire. Je pense que, au contraire, cette espèce de désir de se rendre à l'extrême point du nivellement des classes ou des groupes sociaux, c'est une vue de l'esprit qui ne rend pas compte des intérêts réels des parents et des enfants qui sont dans un système ou dans l'autre.

M. Morin: Oui, des intérêts de classes, si j'ai bien compris.

M. Choquette: Alors, le chef de l'Opposition est-il devenu marxiste? Son parti est-il devenu marxiste?

M. Morin: Je constate...

M. Choquette: Puisqu'il parle de classes, devons-nous parler de lutte des classes? Le Parti québécois a-t-il des...

M. Morin: La doctrine sociale de l'Eglise elle-même parle de classes.

Le Président (M. Lafrance): A l'ordre, s'il vous plaît! Nous avons un règlement et je suis ici pour le faire appliquer. L'article 96 dit que, lorsqu'un opinant a la parole, on le laisse parler; s'il y a des rectifications à faire par la suite, on peut donner la parole à un autre. Jusqu'à maintenant, j'ai donné le droit de parole à tous ceux qui l'ont demandée. Nous continuerons à faire de même, sinon, si nous voulons parler tous ensemble, nous nous en irons.

M. Choquette: M. le Président, je n'avais pas terminé mon intervention.

Le Président (M. Lafrance): La parole est à l'honorable ministre de la Justice.

M. Choquette: Je voulais dire que c'est une vision extrêmement simpliste de la réalité que celle qui est présente dans l'esprit du chef de l'Opposition. Je pense que, au contraire, l'émulation entre le secteur privé et le secteur public aidera les deux secteurs à donner un enseignement de meilleure qualité, et ceci, pour le bien des enfants. Je rappelle au chef de l'Opposition un exemple vécu par moi-même. Dans la Loi de l'aide juridique, nous avons permis qu'existe un secteur public de l'aide juridique, comme un secteur privé. A l'heure actuelle, cette formule que nous avons appliquée à l'aide juridique donne d'excellents résultats, de meilleurs services pour les justiciables qui sont vraiment ceux que nous devons servir complètement.

Je crois que cette attitude, cette approche du problème s'est révélée bénéfique dans le cas de l'aide juridique; dans le cas de l'enseignement, je ne vois pas pourquoi nous devrions adopter une solution simpliste qui ferait abstraction d'un secteur privé, qui est d'ailleurs nécessaire et qui a fait ses preuves, comme en témoigne la personne du chef de l'Opposition. Pour ma part, je dis que nous devons refuser l'amendement du chef de l'Opposition.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable chef de l'Opposition.

M. Morin: M. le Président, ce sera ma dernière intervention. Ce qui me chagrine dans la façon légère dont le ministre traite cette question fort importante, une question de politique sociale tout à

fait fondamentale, c'est que nous allons consacrer, dans l'article 41, non pas un véritable droit de la personne, mais une véritable inégalité sociale. Je concrétiserai mon point de vue par une question: le ministre connaît-il beaucoup d'assistés sociaux qui fréquentent les écoles privées? Le ministre connaît-il beaucoup d'enfants défavorisés qui fréquentent les écoles privées?

M. Choquette: Et qu'est-ce que cela fait, même si ce n'étaient pas des enfants d'assistés sociaux, même si ce n'étaient pas des enfants défavorisés qui fréquentaient l'école privée? D'ailleurs, on pourrait possiblement en trouver qui sont dans les écoles privées. Qu'est-ce que cela enlève, au point de vue de l'initiative des fondateurs de ces écoles qui correspondent à des besoins réels, que de dire: Nous allons tout niveler par la suppression de l'enseignement privé. C'est bien la philosophie qui sous-tend le point de vue exprimé par le Parti québécois? Car, si nous devions pousser sa logique à l'extrême, et s'il occupait la situation que j'occupe présentement comme ministre de la Justice, ou s'il occupait la situation de ministre de l'Education, dans un futur et hypothétique gouvernement péquiste, en vertu des principes qu'il a énoncés ce matin, il devrait probablement procéder à la radiation complète des institutions d'enseignement privé. Je crois qu'à ce point de vue, le Parti québécois desservirait la population québécoise et n'aiderait pas ces enfants de familles défavorisées ou de familles économiquement faibles qui, par ailleurs, ne pourraient pas se rendre dans le secteur privé à cause du manque de moyens.

Je ne vois pas comment, en somme, en enlevant à des groupes sociaux des moyens additionnels qui peuvent exister, on favorise et on aide le sort de ceux qui sont défavorisés, qui ne sont pas pourvus. Je pense que c'est une espèce de philosophie égalitariste, pseudo-marxiste, avec laquelle le Parti québécois s'amuse et joue, avec certains dangers pour la société, jusqu'à ce qu'il soit mis à la raison par les électeurs; ce qui ne tardera pas à venir. Mais, nous...

M. Morin: Le ministre fait des blagues, et il faudrait être sérieux.

M. Choquette: Non, je ne fais pas de bonnes blagues, M. le Président, je pense que le Parti québécois fait fausse route à l'heure actuelle et qu'il ne comprend pas vraiment les intérêts réels du Québec, qu'il ne comprend pas les intérêts réels des familles québécoises, qu'elles appartiennent à des milieux défavorisés ou à des milieux qui sont mieux nantis sur le plan économique. Le jour où le Parti québécois se rendra compte de ses erreurs, il pourra soutenir des thèses et avoir un langage qui pourra au moins être compréhensible pour la majorité des Québécois. Dans l'intervalle, M. le Président, il est non pas en avance sur son temps, il est plutôt en arrière sur son temps et il ne correspond pas aux impératifs réels des citoyens que nous devons servir.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable chef de l'Opposition.

M. Morin: L'avenir dira, M. le Président, si les Québécois accepteront les sophismes du ministre de la Justice, accepteront de prendre des vessies pour des lanternes et accepteront l'idée que de vouloir obtenir l'égalité d'accès et la démocratisation du système scolaire, c'est du marxisme. Je pense que ce sont là des jeux fort dangereux que se permet le ministre de la Justice, et j'attirerai son attention d'ailleurs sur une contradiction fondamentale de sa propre soi-disant charte. Nous avons adopté hier l'article 9, nous sommes à l'article 41. L'article 9 dit: "Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, etc., et nous terminons par la condition sociale". Je me résume. Toute personne a droit à la reconnaissance en pleine égalité de ses droits sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la condition sociale. Or, M. le Président, je prétends que cet article 41 va à l'encontre de l'article 9.

M. Choquette: Ce n'est pas la condition économique qui est marquée dans l'article 9, c'est la condition sociale, ce n'est pas la même chose. A part cela, l'article 9 ne s'applique pas à cet article précisément, l'article 9 a une portée antidiscriminatoire, cela ne veut pas dire qu'il va niveler tout le monde, qu'il va mettre tout le monde sur le même modèle. Si le député de Sauvé voulait pousser sa logique à l'extrême, qu'il établisse une loi ou qu'il suggère une loi en vertu de laquelle tout le monde va avoir les mêmes revenus dans la société québécoise, quelle que soit sa fonction. A ce moment, on aurait réellement réalisé l'égalité absolue et l'égalité totale...

M. Morin: C'est cela.

M. Choquette: ... sur le plan économique, mais je ne pense pas que...

M. Morin: Absolue là...

M. Choquette: ... le chef de l'Opposition pousse sa logique jusqu'à son point extrême. Il faut...

M. Morin: Logique farfelue!

M. Choquette: ... et toutes les sociétés... Ce n'est pas farfelu, M. le Président, j'essaie de raisonner par l'absurde en présence du chef de l'Opposition; j'essaie de lui montrer jusqu'à quel point ces thèses ne peuvent pas...

M. Morin: Vous êtes absurde.

Le Président (M. Lafrance): A l'ordre!

M. Choquette:... soutenir un examen le moin-

drement sérieux. Je l'invite en toute amitié à réviser son point de vue et à ne pas tomber dans des erreurs de principe, des erreurs théoriques, des erreurs sur le plan philosophique qui pourraient l'amener à préconiser l'adoption de mesures qui ne serviraient pas les intérêts réels des citoyens.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable député de Pointe-Claire.

M. Séguin: Après avoir écouté pendant quelques minutes ici cet intéressant débat, M. le Président, je constate que la résultante, si vous voulez, de l'amendement proposé par le chef de l'Opposition a pour but ou a eu comme résultat simplement de mettre à jour encore à nouveau deux philosophies différentes vis-à-vis de l'enseignement, vis-à-vis de l'éducation. Je pense que prolonger le débat davantage ne ferait que répéter à peu près les mêmes politiques de part et d'autre. Je demanderais donc le vote tout simplement.

Le Président (M. Lafrance): On vote sur l'amendement du député de Sauvé?

M. Léger: M. le Président, le ministre de la Justice en a envoyé de bonnes tantôt...

M. Séguin: Sur la demande de vote...

M. Léger: ... dans le domaine de l'enseignement privé. Est-ce qu'il calcule que l'enseignement privé, avec cet article 41 dans la charte, est l'accessibilité pour tous les citoyens d'aller à une école privée? Est-ce que c'est ce qu'il veut affirmer par cela?

M. Séguin: Question de règlement, M. le Prér sident.

Le Président (M. Lafrance): Question de règlement. L'honorable député de Pointe-Claire.

M. Séguin: Sans débat de procédure, j'ai demandé tout simplement le vote; je pense que cela n'autorise aucun débat.

M. Léger: II n'y a pas de question préalable... Est-ce une question préalable?

Une Voix: II n'y a pas de question préalable. M. Séguin: Je demande le vote.

M. Léger: M. le Président, à ce moment, c'est soit la question préalable ou soit que les députés ont le droit de s'exprimer sur un sujet.

M. Séguin: Non, non. J'ai demandé le vote; alors, je ne sais pas...

M. Léger: Une question de vote, ce n'est pas une question préalable.

M. Séguin: Soit le vote ou non le vote.

M. Léger: Si c'est la question préalable, c'est parce que vous mettez la guillotine; ce n'est pas cela?

Le Président (M. Lafrance): A l'ordre, s'il vous plaît?

M. Séguin: Je n'ai pas invoqué de question préalable.

M. Léger: Laissez-moi parler.

M. Morin: Demander le vote, c'est la question préalable.

Le Président (M. Lafrance): A l'ordre, s'il vous plaît! Nous avons eu hier une intervention d'un député qui n'était pas membre de la commission et on l'a acceptée; alors, je vais accepter l'intervention du député de Lafontaine, comme on l'a fait hier.

M. Sylvain: II avait eu au moins la politesse, ce député, de demander la permission à la commission.

M. Oesjardins: Et consentement unanime. M. Morin: ... ce qui est acquis.

M. Desjardins: Une question de règlement. Hier, il y a eu consentement unanime pour qu'un député non membre de la commission prenne la parole à cette commission. Alors, s'il y a consentement unanime, le député de Lafontaine pourra prendre la parole, mais s'il n'est pas membre de la commission et s'il n'y a pas consentement unanime, il ne peut pas prendre la parole.

M. Léger: M. le Président, est-ce que j'ai le consentement unanime?

M. Choquette: Oui.

Le Président (M. Lafrance): D'accord. La parole est à l'honorable député de Lafontaine. Rapidement, s'il vous plaît.

M. Léger: M. le Président, ce qui est important...

M. Oesjardins: On va le regretter.

M. Léger: ... pour les citoyens dans la charte des droits de l'homme, c'est une accessibilité...

M. Choquette: Le député de Lafontaine a l'habitude d'arriver avec un point de vue sérieux.

M. Léger: C'est cela. Justement, M. le Président, c'est une question que je vais poser au ministre en conclusion. Ce qui est important, c'est que tout citoyen, enfant, ait droit à une éducation et nous avons dans notre système une éducation dans l'enseignement public et dans l'enseigne-

ment privé. L'enseignement privé devrait être un complément à un enseignement public; donc, c'est l'exception à la règle. Il ne faut pas donner des droits d'exception à l'ensemble des citoyens, il faut donner des droits à la règle générale qui est l'enseignement public. Ce n'est pas en disant que l'enseignement privé est une bonne chose que, d'un côté, on doit l'abolir ou, d'un autre côté, dire qu'il doit être enlevé. L'enseignement privé, c'est une occasion de permettre à un groupe de citoyens qui veulent se payer eux-mêmes, en plus de ce que le gouvernement leur donne à l'enseignement public, une école selon leurs convictions, selon leurs besoins particuliers, mais c'est une exception. Je n'ai pas d'objection à ce que les citoyens aient un droit d'y aller, mais le vrai problème se pose à un autre niveau et je pose la question au ministre. Si tous les fils de personnes qui oeuvrent dans la société, qui ont des charges importantes et qu'on appelle des citoyens qui peuvent amener des changements dans la société, si tous les fils ou les filles de ces citoyens, des hommes politiques, des hommes d'affaires, des personnes qui oeuvrent dans un domaine et qui peuvent amener un changement dans la société, si ces enfants vont, d'une façon régulière, à l'école privée, où vont être les forces capables de faire des changements à l'école publique, qui est un droit inaliénable à tous les citoyens, celui d'avoir droit à l'enseignement public? C'est l'enseignement public qu'il faut améliorer. Mais comment améliorer l'enseignement public si les notables ou les personnes qui peuvent amener des changements dans le domaine public envoient leurs enfants à l'école privée?

L'école privée est un palliatif, c'est une exception que la société doit se donner, mais il ne faut pas en faire un droit à tous les citoyens. S'ils veulent se le donner, d'accord, mais le droit fondamental, c'est l'enseignement public. Est-ce que le ministre ne croit pas que c'est là le droit fondamental?

M. Choquette: Ecoutez, moi, je ne vois pas les choses tout à fait comme vous. D'ailleurs, je dirais que le chef de l'Opposition ne voit pas tout à fait les choses comme vous non plus parce que tout ce que le chef de l'Opposition voulait ajouter, c'était un mode de contrôle des institutions privées. Moi, j'ai trouvé qu'en insistant sur ces modes de contrôle, qui seraient légitimes par ailleurs... Je n'ai pas d'objection à ce qu'on contrôle la qualité de l'enseignement dans le secteur privé comme dans le secteur public. Ce n'est pas sur le fond de la question que je diverge avec le chef de l'Opposition. Je conçois parfaitement bien que le ministère de l'Education pourrait avoir des inspecteurs, des vérificateurs qui feraient la tournée des établissements privés et publics pour vérifier la qualité de l'enseignement qui s'y donne. Mais je trouvais que, dans le contexte où le chef de l'Opposition a apporté son amendement, ceci signalait de sa part une trop grande méfiance à l'égard du secteur de l'enseignement privé, que ceci signalait un désir à peine dissimulé d'étrangler le secteur privé. Je ne peux pas abonder dans ce sens. Je conçois parfaitement bien que la mission de l'Etat, aujourd'hui, en matière d'éducation, est plus importante qu'elle ne l'était autrefois.

Autrefois on se rabattait sur une philosophie qui faisait dépendre la responsabilité en matière d'enseignement quasi exclusivement sur la responsabilité des parents de payer des taxes ou enfin de payer des frais d'inscription dans les institutions d'enseignement et l'Etat avait un rôle qui était assez secondaire à jouer dans l'enseignement. C'était la philosophie du temps qui prévalait. Aujourd'hui, c'est très vrai qu'on a donné plus d'expansion au secteur public, que l'Etat a assumé plus de responsabilités dans ce domaine et je ne mets pas en doute le principe dans cette évolution.

Je mets cependant en doute disons donc, l'efficacité des réformes globales et très coûteuses qui ont été apportées dans le domaine de l'enseignement avec des résultats souvent assez discutables et pénibles, parce qu'il n'y a pas de doute que dans le secteur public actuellement on assiste à... Dans certains endroits je suis sûr qu'on donne un excellent enseignement.

Je suis sûr que certains secteurs publics sont tout à fait à la hauteur, il ne s'agit de dénigrer notre secteur public en aucune façon. Il s'agit, je pense bien, principalement pour le ministère de l'Education, d'insister pour l'amélioration de ce secteur public. Mais cela n'empêche pas un secteur privé d'exister, de coexister avec le secteur public et je crois que la société en retirera des avantages, dans ce sens, que la coexistence de deux secteurs qui sont un peu en concurrence l'un avec l'autre, va obliger ceux qui participent, ceux qui enseignent dans ces deux secteurs, à donner un effort plus soutenu, plus systématique, dans leur mission éducative.

Alors, je ne pense pas, M. le Président, qu'il faille opter là, à ce moment-ci, pour un retour en arrière à l'époque où c'était une liberté quasi illimitée pour les parents de choisir les institutions privées pour leurs enfants, alors que l'Eglise assurait généralement cet enseignement, ni non plus de s'en aller vers l'autre extrême où voudrait peut-être nous amener le Parti québécois, qui réduirait le secteur privé à une fonction ou un rôle absolument secondaire par rapport au secteur public.

M. Léger: Complémentaire.

M. Choquette: Bien, complémentaire... C'est assez complémentaire pour satisfaire, je pense, le député de Lafontaine, parce que n'oubliez pas que les établissements doivent se conformer aux normes prescrites ou approuvées en vertu de la loi, de telle sorte que ce contrôle de l'Etat existe malgré tout sur le secteur privé comme sur le secteur public et il permet d'en déterminer l'importance par rapport au secteur public.

M. Morin: M. le Président, je propose la suspension ou l'ajournement.

Le Président (M. Lafrance): On peut passer à l'adoption ou au vote là-dessus et ajourner par la suite.

M. Morin: Je tiens à dire à ce moment-là, avant qu'on procède au vote rapide, que le ministre déforme la portée de l'amendement que j'ai proposé. Il le fait systématiquement. J'ai proposé qu'on ajoute: Et que les services particuliers qu'ils rendent soient publiquement et périodiquement justifiés. J'estime que c'est le moins qu'on puisse exiger, étant donné le droit que nous reconnaissons dans cet article 41. Je maintiens la proposition et je vous prie d'appeler le vote.

Le Président (M. Lafrance): Alors que ceux qui sont pour la motion du chef de l'Opposition lèvent la main. Le chef de l'Opposition. Ceux qui sont contre: Le ministre de la Justice, le député de Beauce-Nord, M. Desjardins, M. Dionne, M. Massicotte, M. Séguin, M. Kennedy, M. Tardif, M. Tremblay n'a pas le droit. Huit contre, l'amendement est rejeté.

M. Léger: J'aurais appuyé la motion si j'avais eu le droit de vote.

M. Choquette: A quelle heure siégeons-nous de nouveau?

Le Président (M. Lafrance): La commission suspend ses travaux jusqu'à quinze heures.

M. Choquette: Quinze heures. Le Président (M. Lafrance): Quinze heures. (Suspension de la séance à 13 heures).

Reprise de la séance à 15 h 15

M. Kennedy (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

La commission de la justice reprend ses travaux pour l'étude du projet de loi no 50: Charte des droits et libertés de la personne.

Je voudrais souligner les changements suivants, M. Assad remplace M. Springate et M. Dionne remplace M. Ciaccia.

Article 42, texte revisé toujours.

M. Morin: A l'article 42, nous n'avons pas d'observations particulières. Je proposerais que nous l'adoptions immédiatement.

Le Président (M. Kennedy): Article 42, adopté. Article 43.

Droit à l'information

M. Morin: A l'article 43, j'aurais quelques commentaires et quelques suggestions à faire au ministre. Il s'agit du droit à l'information. Dans toute société démocratique, c'est un droit, certainement l'un des plus fondamentaux. Cependant, la façon dont c'est rédigé ici, je crois que cela pourrait induire en erreur. On nous dit: "Toute personne a droit à l'information dans la mesure prévue par la loi." Cela semble dire: Seulement dans la mesure prévue par la loi, ce qui nous paraît être restrictif. En effet, c'est seulement dans un régime non démocratique que le droit à l'information n'existerait que dans la mesure prévue par la loi.

C'est une question de terminologie, c'est une question de formulation et je proposerais non pas de modifier le sens profond de cet article, non pas d'en modifier la teneur, mais de le dire autrement. Je dirais, par exemple, j'en fais une proposition: "Toute personne a droit à l'information sous réserve des exceptions expressément prévues par la loi."

J'ai terminé, j'attends la réaction du ministre.

M. Choquette: Je pensais que le chef de l'Opposition consultait encore pour continuer son intervention.

Je pense que nous ne pouvons pas donner suite à cette suggestion du chef de l'Opposition parce que, si on devait rédiger l'article dans la forme qu'il a proposée, ceci ferait naître immédiatement un droit pour des personnes d'obtenir des informations qui sont, par ailleurs, confidentielles et secrètes.

Je m'explique. Si l'on devait énoncer le droit d'une façon aussi catégorique que l'a proposé le député de Sauvé, toute personne pourrait se prévaloir de l'article 43 pour exiger des informations gouvernementales qui n'ont aucun caractère public, à l'heure actuelle. Ainsi, je pense que l'on aurait dépassé vraiment la portée raisonnable que devrait avoir un tel principe que l'article admet, par ailleurs, celui du droit à l'information.

Par exemple, une personne pourrait dire: Je

me prévaux de l'article 43 pour obtenir des informations de police alors que celle-ci est à faire une enquête sur une matière quelconque.

M. Morin: La loi n'autorise pas la police à divulguer ses informations, ses renseignements.

M. Choquette: II n'y a rien, dans les lois actuelles, qui limitent ou qui constituent les exceptions auxquelles le chef de l'Opposition fait allusion. Si on devait adopter le principe qui nous est proposé par le chef de l'Opposition, il faudrait, dès immédiatement, prévoir les exceptions possibles à ce droit à l'information. Il va de soi que nous ne sommes pas en mesure, à l'heure actuelle, de dire quelles sont toutes les exceptions qu'il faudrait prévoir pour un fonctionnement normal des affaires.

Je peux dire au chef de l'Opposition que divers ministères du gouvernement se préoccupent actuellement du droit à l'information. On sait que la Loi de la protection du consommateur, qui sera reprise incessamment, va prévoir le droit pour une personne d'avoir accès à son dossier de crédit, dans certaines conditions. On va probablement prévoir son droit de faire rectifier des informations à son sujet qui peuvent lui être nuisibles.

De même, la justice actuellement se préoccupe de toute la situation qui prévaut avec les banques d'informations, les informations qui sont consignées sur ordinateur, soit par des organismes publics ou privés et il ne fait aucun doute qu'on va évoluer vers une réglementation de ces banques de données, avec un droit d'accès pour le citoyen qui est visé.

Mais il y aura quand même, malgré cette législation à venir, des exceptions qui devront être prévues pour qu'on conserve d'une façon confidentielle certaines informations essentielles sur le plan du bien-être public. C'est la raison pour laquelle l'article 43 s'exprime dans la forme que nous lui avons donnée. Cet article, dans sa rédaction actuelle, servira de base à cette législation à venir qui réglementera ce domaine. Je craindrais, si l'on devait donner suite à l'amendement proposé par le chef de l'Opposition et suggéré par un membre éminent de la Tribune de la presse, ici présent, qu'on n'ouvre, à ce moment-là, beaucoup trop largement et d'une façon inconsidérée le droit à l'information, ce qui pourrait entraîner un énorme désordre sur le plan administratif, qu'il s'agisse des affaires publiques ou privées.

Je pense que, dans ces conditions, si on y réfléchit, il faut se contenter et admettre qu'avec l'article 43 tel que proposé nous sommes allés aussi loin que possible dans les circonstances actuelles.

M. Morin: M. le Président, si on y réfléchit et, surtout, si on lit attentivement l'article tel qu'il est rédigé, on est conduit à la conclusion que le droit à l'information n'existe que dans la mesure prévue, consentie par la loi. Relisez-le avec attention, M. le ministre, vous allez voir la signification que cela peut avoir. Autrement dit, la liberté d'information n'est pas un principe; c'est la restriction qui est le principe. C'est une liberté limitée essentiellement dont nous parle cet article. Je sais que c'est une question de formulation, mais elle est importante. Si la suggestion que je faisais, tout à l'heure, de dire "sous réserve des exceptions expressément prévues par la loi, paraît trop rigide, du moins pourrait-on ajouter le mot "sauf", et dire "sauf dans la mesure prévue par la loi". J'ai l'impression, M. le Président, que, si on n'ajoute pas ce "sauf", l'article peut se lire comme signifiant que toute personne a droit à l'information, seulement dans la mesure prévue par la loi.

A mon avis, ce principe est inacceptable et il peut conduire à toutes sortes d'abus. Il peut ouvrir la porte à toutes sortes de contrôles de la liberté de presse notamment. C'est pourquoi j'ai été heureux de me faire le porte-parole d'un membre éminent de la Tribune de la presse. D'ailleurs, nous partagions ses préoccupations puisque nous avions préparé un amendement allant dans le même sens.

M. le Président, j'irais même plus loin. Je pense qu'à tout prendre, si cet article doit rester dans la formulation qui nous a été proposée par le ministre, il vaudrait mieux qu'il ne fût pas dans la charte.

M. Choquette: Alors, est-ce que vous proposez de rayer l'article 43?

M. Morin: Je crois qu'il vaudrait mieux le supprimer, parce qu'il laisse entendre que la liberté d'information est essentiellement limitée, ce qui est un faux principe.

M. Choquette: Est-ce que vous faites une proposition à l'effet de rayer l'article 43?

M. Morin: Je pense qu'à la façon dont il est formulé, M. le Président, c'est un principe dangereux, et, en raison de cela, je proposerais, soit qu'on l'amende, soit qu'on le supprime.

M. Choquette: II faut que vous choisissiez l'un ou l'autre.

M. Morin: Alors, je vais d'abord proposer qu'on l'amende et, ensuite, si on refuse de l'amender, je proposerai que cette version dangereuse de la liberté d'information ne figure pas dans la charte. Comme cela, personne ne sera trompé. D'abord, M. le Président, je maintiens la proposition de modification que je faisais tout à l'heure, à l'effet d'ajouter "sauf" avant "dans la mesure prévue par la loi".

M. Choquette: M. le Président, le chef de l'Opposition a fait référence à la liberté de la presse tout à l'heure, au cours de son intervention.

J'attire son attention, au cas où il l'aurait oublié, sur l'article 3 qui prévoit spécifiquement la liberté d'expression et, traditionnellement, la liberté de la presse a été une liberté d'expression, pas une liberté d'information. La liberté d'information veut dire, dans le langage moderne, la liberté d'obtenir des informations.

Je ne pense pas qu'on puisse dire, dans l'état actuel des choses, comme voudrait le prétendre le chef de l'Opposition, que toute personne a le droit, à l'égard de toute autre personne, organisme privé ou public, d'obtenir les informations désirées, quelles que soient ses raisons ou ses motivations pour obtenir de telles informations. Je pense donc que la proposition du chef de l'Opposition dépasse vraiment ce qui serait acceptable au point de vue de l'obtention légitime d'informations, ce qui, par ailleurs, est reconnu par la rédaction actuelle. Je ne peux donc pas abonder dans le sens de la proposition et je voterai contre.

M. Morin: Je voudrais poser une question au ministre avant que nous passions au vote sur l'amendement. Est-ce que le ministre ne convient pas qu'il serait éminemment souhaitable qu'une personne puisse, par principe, obtenir toute information, sauf s'il existe une règle de droit qui lui interdit d'obtenir cette information soit pour des raisons qui tiennent à l'ordre public, soit pour des raisons qui tiennent à la sécurité policière ou la sécurité de l'Etat, soit pour des raisons qui tiennent aux bonnes moeurs? J'admets que dans ces cas une personne puisse se voir restreindre l'accès à l'information mais, autrement, est-ce que le ministre ne conviendra pas qu'une personne doit pouvoir avoir accès à l'information non seulement concernant elle-même, mais à l'information générale?

Ce que vous êtes en train de vouloir faire adopter par l'article 43, ce n'est pas un droit de l'homme, c'est une limitation. De la façon dont c'est rédigé, ce n'est pas un droit que vous donnez, c'est essentiellement une limite que vous imposez.

M. Choquette: Le chef de l'Opposition tombe dans ses erreurs habituelles. Il se situe toujours au niveau des principes et jamais au niveau de la réalité. Il ne voit jamais les circonstances concrètes de l'application des principes qu'il énonce. Si on devait accepter le fort grand principe du droit absolu à l'information, j'aurais le droit d'aller fouiller dans son dossier pour savoir ce que ses recher-chistes ont préparé pour lui et quels sont les amendements qu'il va nous proposer à la commission parlementaire. J'aurais le droit d'aller fouiller dans les archives du Parti québécois pour savoir quel est son programme politique à venir. En fait, ce serait un principe qui s'appliquerait d'une façon absolue, qui serait la négation même du principe déjà adopté du respect de la vie privée, l'article 5 que nous avons déjà adopté.

C'est donc dire que le chef de l'Opposition s'emballe et qu'il part avec des principes, comme si ces principes pouvaient toujours avoir une application absolue alors que, dans la vie réelle de tous les jours, ces principes ne peuvent pas avoir une valeur absolue. Il restera toujours des informations dont je suis propriétaire parce que je les ai consignées moi-même, pour mes propres fins, et une autre personne n'a pas le droit de venir chercher ces informations. Par conséquent, il n'y a pas de véritable principe du droit à l'information, surtout formulé d'une façon absolue.

Je veux bien croire qu'il y a un droit à l'information vis-à-vis d'un certain nombre d'organismes publics et privés, d'accord — et c'est ce que cherche la rédaction actuelle de l'article 43 — fondé concrètement par des lois à venir sur l'obtention de ces informations légitimes surtout dans un monde où la compilation des informations et la collection des informations est une caractéristique de l'époque contemporaine et où il y a intérêt à ce que le citoyen ait une certaine protection à l'égard des informations qui peuvent être colligées ou compilées à son sujet.

Donc, je prétends, pour ma part, que la rédaction de l'article 43 indique une ouverture de la part du législateur vers une réglementation appropriée de l'obtention des informations qui concernent les individus, mais que nous ne pouvons pas aller jusqu'à l'extrême limite à laquelle nous invite le chef de l'Opposition, à savoir ériger en droit absolu le droit d'avoir des informations de toute personne, en toute circonstance.

Si on devait adopter la version du chef de l'Opposition, ceci voudrait dire qu'à partir de l'adoption de la loi 50 une personne pourrait obtenir des injonctions contre qui que ce soit pour réclamer des informations qui lui auraient été refusées. Cela voudrait dire que je pourrais interpeler n'importe qui et lui dire: Donnez-moi telle information, parce que la loi 50 le fonde. C'est ce que cela voudrait dire. Il est évident que c'est un résultat absurde lorsqu'on scrute et on analyse le principe posé par le chef de l'Opposition dans toute son extension et dans toute l'amplitude et la portée qu'il cherche à lui donner. C'est la raison pour laquelle je ne crois pas que ce soit réaliste d'abonder dans cette solution.

M. Morin: Est-ce que le ministre se rendrait davantage à mes arguments si l'on précisait après: Sauf dans la mesure prévue par la loi ou sous réserve des exceptions expressément prévues par la loi, en vue de protéger l'ordre public, la sécurité de l'Etat? Je pense qu'on pourrait énumérer un certain nombre de raisons, de motifs, qui font que l'information n'est pas toujours disponible, qu'on n'y a pas toujours droit automatiquement, de sorte qu'on restaurerait le principe lui-même et qu'on marquerait bien clairement que le reste est exception. Je ne sais pas si le ministre l'a bien lu son article; il se présente, non pas comme un droit mais comme une exception. C'est dans ce sens que je disais tout à l'heure, pour faire image, qu'il vaudrait peut-être mieux que ce ne soit pas là.

M. Choquette: Mais il n'est pas suffisant, à mon sens, d'ériger le principe, de poser le principe, même de poser les exceptions; encore faut-il formuler la manière et prévoir les mécanismes d'accès à l'information. Il y a toute une mécanique derrière cela que le chef de l'Opposition passe sous silence ou ignore, je ne le sais trop. Mais, il y a tout un processus d'obtention des informations qui doit être décrit sur le plan législatif et qui sera

éventuellement décrit dans des lois à venir, comme je l'ai dit tout à l'heure. Mais peut-on aller strictement se contenter des cas où on a droit à l'information par rapport aux exceptions, sans compter que le chef de l'Opposition nous demande de prévoir immédiatement les exceptions? On peut se tromper quand on légifère sur le bout de la table comme cela à toute vitesse. C'est la raison pour laquelle, M. le Président, je ne crois pas vraiment que l'on puisse aller jusqu'au point où veut nous engager notre collègue.

M. Morin: Mais j'ai l'impression, à la lecture du projet, que justement cela a été fait un peu sur le bout de la table et sans mesurer toutes les conséquences de cet article pour le droit à l'information. C'est pour cela, si on ne fait pas trop de formalités, que je me permettrais de suggérer que l'amendement pourrait être le suivant: Sous réserve des exceptions prévues par la loi, en vue de protéger l'ordre public, la sécurité de l'Etat, la vie privée et les bonnes moeurs. Je crois qu'avec une énumération aussi extensive que celle-là on protège suffisamment la collectivité qui peut, à l'occasion, se trouver dans une situation où elle ne peut pas faire part de tous les renseignements, de toutes les informations qui sont à sa disposition.

Je maintiens l'amendement dans la formulation que je viens de lui donner.

M. Choquette: M. le Président, je ne pense pas que le chef de l'Opposition réponde aux objections, d'autant plus que les exceptions qu'il a mentionnées sont vraiment trop vagues et générales. On aurait besoin d'une formulation nettement plus concrète et précise, si on devait procéder suivant cette ligne de pensée, avec laquelle je n'abonde pas d'ailleurs.

Je crois, M. le Président, que dans l'état actuel des choses, il n'y a pas de droit à l'information. C'est ce que le chef de l'Opposition oublie. Il n'y a rien dans nos textes de loi qui donne un droit à l'information; dans l'état actuel des choses, il n'y a pas de droit à l'information. Ce n'est consacré par aucune loi. Il y a bien sûr la période des questions à l'Assemblée nationale, les députés ont le droit d'obtenir des informations des ministres. On sait jusqu'à quel point c'est limité par un certain nombre de conditions.

M. Morin: II y a la jurisprudence.

M. Choquette: Non, il n'y a pas de droit à l'information. Moi, si je me présente chez Retail Credit, par exemple, pour savoir quel est mon dossier de crédit, Retail Credit n'a aucune obligation de me fournir ce dossier. Si je me présente chez Eaton pour savoir s'ils ont un dossier de crédit sur moi, ils ne sont pas obligés de me l'exhiber. Donc, M. le Président, il faut donner un fondement à ce droit à l'information. Je crois que nous lui donnons une base avec l'article 43, quitte, évidemment, à ce que des lois ultérieures viennent affirmer comment ce principe va s'intégrer dans une législation concrète qui va donner aux citoyens des droits d'accéder à ces différents modes de compilation de renseignements à leur sujet, pour les faire corriger ou sans les faire corriger, au moins pour les vérifier.

M. le Président, je ne peux sincèrement pas abonder dans le sens du chef de l'Opposition.

M. Morin: Je renonce à fléchir le ministre, quoique cela me paraisse un principe fort important. M. le Président, plutôt que de procéder à deux votes, dont je connais d'avance l'issue, nous pourrons tout simplement dire que cet article est adopté sur division.

Le Président (M. Kennedy): Article 43, adopté sur division. Article 44.

M. Morin: A l'article 44, c'est l'ancien article 41...

M. Choquette: Le chef de l'Opposition ne propose pas d'abroger l'article 43.

M. Morin: J'ai tenu pour acquis que le ministre l'interprète de façon que le droit à l'information ne soit pas une exception et que, dans la législation qu'il va nous proposer au cours des mois qui viennent, je l'espère, ce droit à l'information sera très large. Jusqu'à nouvel ordre, je lui accorde ce minimum de confiance, mais nous scruterons ses propositions de très près.

M. Choquette: Comme d'habitude.

M. Morin: Bien.

Le Président (M. Kennedy): Article 44.

M. Morin: A l'article 44, nous sommes en faveur.

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Article 45.

Condition de la femme mariée

M. Morin: M. le Président, à l'article 45, je voudrais proposer qu'on ajoute une disposition qui a trait à la vie des femmes dans la condition du mariage. Je proposerais que nous ajoutions l'article suivant: "Toute personne a droit à des conditions de vie et de liberté égales dans le mariage ainsi...

M. Desjardins: Un instant. Toute personne a droit...

M. Morin: Toute personne a droit à des conditions de vie et de liberté égales dans le mariage — la déclaration universelle des droits de l'homme dit "à l'intérieur du mariage" mais je préfère l'expression "dans le mariage" — ainsi qu'à des droits et responsabilités égaux.

M. Choquette: M. le Président, c'est un principe...

M. Morin: Je devrais peut-être expliquer pourquoi. J'espère que tout le monde a fini de le noter. Cela me paraît être assez important. C'est une des dispositions capitales de la déclaration universelle des droits de l'homme parce que, si on ne précise pas qu'à l'intérieur du mariage les droits de l'homme et de la femme sont les mêmes, qu'ils ont non seulement des droits égaux mais des responsabilités égales devant les tâches de la famille et notamment devant les enfants, je crois qu'on retombe très vite dans des conceptions qui sont en passe de devenir complètement anachroniques aujourd'hui, la conception de la famille, comme ayant l'homme pour chef, la femme étant une sorte d'accessoire, la femme étant une sorte de violon de second ordre, tout juste bon à tenir la cuisine et à faire le ménage.

C'est une conception qui, jusqu'à tout récemment, s'imposait encore dans notre droit civil, qu'on est en train, grâce aux travaux de l'Office de révision du code civil, d'extirper tranquillement de l'ancien droit. J'estime que le moment est venu de consacrer, dans cette charte des droits de la personne, et quand on dit personne, on pense aussi bien aux femmes qu'aux hommes, de consacrer ce droit à des conditions de vie et de la liberté égales dans le mariage.

Autrement, la famille peut devenir un véritable nid de discrimination; elle peut être la source d'injustices considérables au détriment presque invariablement des femmes. On trouve déjà suffisamment de discrimination à l'extérieur du mariage, dans l'emploi par exemple; il me semble qu'à l'intérieur du mariage il serait temps que le législateur québécois consacre ce principe des responsabilités et des droits égaux. C'est pourquoi je fais formellement cette proposition, m'inspirant d'ailleurs — ce n'est pas une nouveauté, je n'ai pas inventé cela — de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par les Nations Unies en I948; je m'inspire également du mémoire sur le projet de loi no 50, qui a été déposé par le RAIF, en janvier I975.

Le Président (M. Kennedy): M. le ministre.

M. Choquette: Voici encore un autre exemple de principe extrêmement vague et général auquel il est impossible de donner une portée réaliste, surtout compte tenu de la législation en droit civil qui s'applique au mariage. Il faudrait être en mesure, pour adopter un tel principe, d'examiner toutes les dispositions actuelles du code civil au sujet des rapports entre les époux dans le mariage, des rapports des époux avec les enfants, pour déterminer si les principes du droit civil sont compatibles avec le grand énoncé de principe de l'égalité dans le mariage.

Le chef de l'Opposition sait aussi bien que moi que tout le droit civil en matière de droit matrimonial fait actuellement l'objet d'un examen de fond en comble par l'Office de révision du code civil et que les solutions qui nous seront présentées par l'Office de révision du code civil n'ont pas leur forme définitive. Donc, le principe de l'égalité, on peut y souscrire de façon très valable sur le plan philosophique. Cela ne veut pas dire, parce qu'on y souscrit sur le plan philosophique, qu'il est possible de l'intégrer dans une loi pour avoir une portée juridique, alors qu'il y a toutes sortes d'effets qui peuvent résulter de l'adoption d'un tel principe de droit.

Il faut se rappeler que, dans les chartes internationales, on peut adopter des grands principes généraux. On sait jusqu'à quel point les Etats sont libres d'adopter une législation qui correspond aux objectifs des traités qu'ils ont signés ou qui n'y correspondent pas. Ceci est pas mal plus le cas que la première solution.

Je me souviens d'avoir assisté à un congrès, dans un pays africain, qui réunissait des juristes de toute l'Afrique. A un moment donné, il y a eu une discussion pendant quelques heures pour savoir si, en droit tribal africain, la femme était une personne ou une chose, parce que ce n'était pas si clair que cela, en droit tribal africain, que la femme était une personne. Ce qui vous montre, M. le Président, que...

M. Morin: Ce n'est pas clair au Québec non plus.

M. Choquette: Un instant. C'est absolument clair au Québec. Quand on connaît la valeur des mots et qu'on sait ce dont on parle, on ne fait pas des affirmations comme le fait le député de Sauvé d'une façon parfaitement démagogique pour un professeur de droit.

M. Morin: Vous faites de la démagogie avec l'Afrique, comme si l'Afrique avait quelque chose à voir avec le Québec.

M. Choquette: Je donne cet exemple pour démontrer au chef de l'Opposition que les traités internationaux, dans le domaine des droits de l'homme, ont assez peu de portée internationale. Il y a même des pays qui signent ces traités et qui sont tellement en retard sur l'évolution des mentalités sur le plan moderne qu'ils ont des législations qui coexistent aussi retardataires que celles qui permettent d'avoir une discussion pour savoir si la femme est encore une chose en droit tribal africain.

Il me semble qu'il ne faut quand même pas se dépêcher, foncer dans la brume et adopter des principes qui ont certainement une valeur. Je pense bien qu'aujourd'hui, tout le monde va admettre que le mariage est basé sur une convention de société entre égaux, malgré que même cela pose des problèmes. Vous savez qu'en matière de communauté de biens, par exemple, le chef de la communauté ou l'administrateur de la communauté étant le mari dans notre droit, l'adoption du principe que vous nous proposez serait de nature à annihiler une administration efficace de la communauté.

J'entends des personnes du Réseau d'action et d'information pour les femmes qui rouspètent. Je me souviens d'avoir entendu dire que les Etats-Unis se proposaient d'adopter un principe qui s'approche de celui proposé par le chef de

l'Opposition. Eh bien! la répercussion de l'adoption de ce principe, c'est que, dans quatorze Etats américains où on a la communauté de biens, ceci va changer complètement le système d'administration de la communauté de biens, avec toutes sortes de conséquences sur les familles dont il est question.

M. Morin: Ce n'est pas une bonne chose cela, M. le Président?

M. Choquette: Bien, qui va administrer la communauté de biens? Est-ce que cela va être la femme? Est-ce que cela va être l'homme? Cela pose un problème administratif. Vu que le chef de l'Opposition choisit constamment de se situer à un niveau de principe qui n'a aucun rapport avec la réalité, eh bien! je suis déçu de son manque de réalisme sur le plan législatif. Je trouve qu'il va vraiment à un point d'extrême, qu'il manifeste une inconscience sur le plan de l'adoption des principes et de leur répercussion dans la vie de tous les jours.

Je dis ceci, en terminant, c'est que nous allons voir les mesures que l'Office de révision du code civil va nous apporter sur le plan du droit du mariage. Nous allons voir quelles seront les solutions que l'office va proposer en vue de régir les rapports entre les époux. Si, à la suite de l'adoption de ces mesures, il est possible d'introduire dans la charte un principe qui pourrait fonder cette égalité des époux entre eux, des époux dans l'administration des biens de la société, des époux dans leur relation avec les enfants, eh bien! à ce moment, nous pourrons voir s'il est possible d'introduire ce principe dans la charte.

Une Voix: ...

M. Choquette: L'un doit aller avec l'autre, madame, me semble-t-il.

Une Voix:...

M. Choquette: Oui, mais, vous savez, il y a tout un aspect mécanique sur le plan législatif qu'il importe de prendre en considération. Nous avons un code civil qui existe à l'heure actuelle et on sait que changer le code civil...

Une Voix: ...

M. Choquette: Bien, vous admettrez avec moi qu'il a subi beaucoup de modifications dans le sens de...

Une Voix:...

M. Choquette: Non, non. Je pense, madame, que si vous avez suivi les améliorations législatives qui ont été apportées...

Une Voix: ...

M. Choquette: Bon, je sais que vous y travaillez. Alors si vous y travaillez, comme vous le dites, vous devez admettre, comme moi, que depuis quelques années il y a eu des amendements d'apportés qui tendent vers l'établissement de cette égalité entre...

Une Voix: ...

Le Président (M. Kennedy): Bonjour, madame.

M. Choquette: Bien, je ne pense pas, madame.

Une Voix: ...

Le Président (M. Kennedy): A l'ordre! A l'ordre! Il n'est pas permis au public d'intervenir.

M. Morin: M. le Président, le ministre nous dit qu'il souscrit à l'idée philosophique, mais il n'est pas prêt à lui donner la forme juridique. Connaissant la marche des travaux de l'Office de révision, sachant qu'il s'apprête à libéraliser considérablement le statut de la femme à l'intérieur du mariage, il me semble que nous pourrions donner l'élan aux travaux de l'Office de révision en proposant un principe général qui servirait de cadre.

Si le ministre n'est pas d'accord avec la formulation exacte que je lui ai proposée, je suis prêt à débattre de la formulation sur certains points. Peut-être qu'il a une meilleure formulation à proposer, un meilleur vocabulaire, des idées plus justes, mais il me semble que le ministre n'a pas à se faire dicter sa conduite par l'Office de révision. Celui-ci, de toute façon, n'a pas d'autres pouvoirs que de lui faire des recommandations.

C'est la raison pour laquelle il me semble qu'on pourrait devancer l'office de révision, lui proposer un principe servant de cadre à ses travaux. Le ministre, tout à l'heure, nous donnait l'argument de la communauté de biens, demandant qui va administrer la communauté de biens. Mais, M. le Président, tout d'abord je vous ferais remarquer que, d'après le nouveau régime du code civil, la communauté de biens est devenue l'exception et non pas la règle; deuxièmement, la communauté peut être administrée en collégialité sur une base d'égalité entre les époux.

Il y a des réponses aux questions que le ministre a soulevées. En tout cas, je maintiens ma proposition, mais je serais prêt, parce que je ne veux pas faire de cela une question partisane — c'est une question de principe qui se situe bien au-dessus des partis — à accepter une formulation différente venant du ministre, si cela pouvait nous valoir, dans la charte, au moins un début de commencement d'application de ce principe.

M. Choquette: M. le Président, tout d'abord je ne me fais pas dicter ma ligne de conduite par l'Office de révision du code civil. L'Office de révision du code civil va proposer éventuellement — la date qui a été fixée pour les rapports de l'office est le 30 juin I976 — une nouvelle rédaction du code civil dans son ensemble, mais en particulier sur toute la partie du code civil qui traite du droit matrimonial.

Donc, on n'a pas tellement de temps encore à attendre pour savoir ce qui sera proposé. D'ailleurs, on a vu que l'office a publié récemment des travaux très considérables sur le droit familial. Il a publié un volume important, il a publié également un volume sur le tribunal de la famille. Je sais que des comités de l'office de révision du code civil siègent activement sur ces différentes questions qui nous préoccupent à l'heure actuelle du point de vue du droit familial.

Je pense donc, M. le Président, que lorsque nous serons munis des suggestions de l'Office de révision du code civil, des dispositions qu'il va nous recommander au point de vue des rapports entre les époux entre eux et avec les enfants et autrement, eh bien! nous serons plus fixés sur la formulation qu'on pourra donner à cette idée d'égalité et de société de personnes égales dans le mariage.

Il y a aussi, M. le Président, différentes conséquences qui découlent de la suggestion du chef de l'Opposition. En fonction de cette proposition, quelles seraient les obligations alimentaires des époux entre eux? Cela pose tout un problème à l'heure actuelle, que les obligations alimentaires. On sait que, d'une part, les femmes réclament le statut d'égalité avec le mari, mais quelles sont les conséquences alimentaires au cas de divorce et au cas de rupture du mariage? Alors, il y a une foule de conséquences pratiques qu'il est assez difficile d'apprécier et de déterminer dès aujourd'hui. Quelles sont les conséquences de cette égalité?

J'ai parlé tout à l'heure de la communauté de biens, de l'administration de la communauté. Il y a les devoirs des époux entre eux au point de vue alimentaire. Quelles sont les conséquences de l'égalité portée au plan des principes au point de vue alimentaire, alors qu'on sait qu'il y a de plus en plus de divorces et que les femmes travaillent aujourd'hui beaucoup plus qu'elles ne travaillaient autrefois, avec une série...

M. Morin: Est-ce que je peux poser une question au ministre?

M. Choquette: Oui.

M. Morin: Est-ce que le ministre sait que dans le cas, par exemple, où c'est l'homme qui est dans l'indigence et où c'est la femme qui a les moyens, on trouve une jurisprudence abondante selon laquelle c'est la femme qui va subvenir aux besoins de l'homme?

M. Choquette: De la même façon que les enfants subviennent aux besoins des parents dans le cas de...

M. Morin: Alors, où est l'objection? L'égalité existe déjà, du moins potentiellement, et cela ne viendrait pas à rencontre de ce que j'ai proposé.

M. Choquette: Mais quelle égalité? C'est cela, la question. L'égalité, en principe, je pense bien que tout le monde est d'accord, mais quelle égalité, concrètement, cela donne-t-il? Quelle égalité concrète naît de ce principe? C'est cela, la question. Il ne suffit pas de se tenir au niveau d'un grand principe d'égalité et de dire que toute la question est résolue de par ce fait. Il y a une foule de conséquences, de situations concrètes qui découlent de l'adoption du principe de l'égalité. Pour le moment, je pense que nous ne sommes pas assez fixés sur l'évolution qui sera donnée aux dispositions actuelles du code civil pour la réalisation de cette égalité pour pouvoir poser le principe suggéré par le chef de l'Opposition.

Une Voix: ...

M. Morin: Madame a raison, c'est une charte et c'est la raison pour laquelle j'ai proposé qu'on y inclue ce principe fondamental. Je ne voudrais pas éterniser le débat, je vois que ça ne nous mènerait pas bien loin. Je propose qu'on prenne le vote clairement sur cette disposition.

Le Président (M. Kennedy): Ceux qui sont pour la proposition du chef de l'Opposition? M. Morin.

Ceux qui sont contre? M. Tardif, M. Assad, M. Pagé, M. Beauregard. M. Choquette, vous êtes contre la motion?

M. Choquette: Oui. M. Morin: Tous.

M. Choquette: Maintenant, je ne voudrais pas retourner le chef de l'Opposition d'une façon absolument catégorique sur ce principe, puisque j'ai moi-même admis que la société du mariage doit être une société d'égaux. Mais, d'ici à demain, nous allons réfléchir pour voir si nous pouvons arriver avec une rédaction qui pourra rendre compte de cet objectif sans que l'on puisse trouver des éléments qui seraient en contradiction avec certains impératifs du code civil actuel.

M. Morin: Bon.

M. Choquette: L'amendement du chef de l'Opposition, à mon sens, ne pouvait pas être accepté, étant donné sa teneur extrêmement générale, mais nous allons y réfléchir d'ici à demain. Vu que la commission se réunira probablement encore demain, nous allons voir s'il est possible de formuler un principe qui serait quand même compatible ou qui ne serait pas trop incompatible avec le droit actuel et ses impératifs, l'organisation du mariage actuel, ainsi que les objectifs qu'on peut légitimement avoir sur l'évolution du mariage et l'évolution du droit du mariage.

Le Président (M. Kennedy): Alors, on dit que l'article 45 est suspendu?

M. Choquette: Non, l'article 45 demeure là, mais on pourrait, du consentement général, dire qu'on pourra revenir sur la question demain. On pourrait continuer la discussion de la charte et ré-

server une période de discussion sur un amendement possible à la charte sur ces articles.

Le Président (M. Kennedy): L'article 45 est adopté sous condition.

M. Morin: C'est-à-dire que ce serait un nouvel article 45, mais l'article 45 n'a pas encore été débattu. Celui que vous avez dans le projet de loi n'a pas été débattu ni adopté encore.

Le Président (M. Kennedy): Quand on a appelé l'article 45, vous n'avez pas dit que c'était un nouvel article 44 a) ou 45 a).

M. Morin: Je m'excuse, je croyais avoir dit clairement que cela venait avant l'article 45. Il y aurait donc une nouvelle numérotation. Parce que cela n'a rien à voir avec le droit au travail.

M. Choquette: Non, cela n'a rien à voir.

Le Président (M. Kennedy): Je suis content que vous me le disiez, parce que, depuis tout à l'heure, je me posais la question: Qu'est-ce que vos suggestions faisaient avec l'article 45?

M. Choquette: Si nous pouvons réintroduire un article ici, on pourra renuméroter par la suite.

Le Président (M. Kennedy): L'article 45 du projet réimprimé?

M. Morin: A l'article 45, je pourrais faire observer que la rédaction n'est pas tout à fait satisfaisante. Quand on dit "Quiconque travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables", je pense que les restrictions sont tellement nombreuses que le principe n'a plus beaucoup de signification.

D'abord, "quiconque travaille", cela ne s'applique pas à tous ceux qui sont sans travail, cela ne comporte pas le droit fondamental lié de très près à la dignité d'un être humain d'avoir du travail, de gagner sa vie. Et on ajoute, de surcroît, "conformément à la loi," de sorte que le droit qui est consacré par cet article est tellement restreint que je me demande vraiment ce qui en reste. C'est pour ainsi dire, par pure forme qu'on le laisse dans la charte des droits de l'homme.

Mais je me rends compte qu'avec le régime de laisser-faire économique et social actuel, on ne peut pas espérer plus que cela. Le régime économique dans lequel nous vivons, le laisser-faire économique et social dans lequel nous vivons fait qu'à toutes fins pratiques le droit au travail n'existe pas, que tout ce qu'on peut exiger, le maximum qu'on peut exiger, c'est que, dans la mesure où la loi veut bien l'autoriser et où la société consent à se pencher sur les problèmes de la société, quiconque a la chance d'avoir un travail se trouve protégé dans ses conditions de travail, qui doivent être justes et raisonnables.

M. le Président, tenant compte du fait qu'en régime de laisser-faire, on ne peut pas aller plus loin, nous ne contesterons pas cet article. Mais il doit être clair pour tout le monde qu'il est là pour la forme et guère plus.

Le Président (M. Kennedy): Article 45 adopté. Article 46.

M. Morin: L'article 46 a notre accord.

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Chapitre V, Dispositions spéciales et interprétatives. Article 47.

M. Morin: D'accord.

Dispositions spéciales et interprétatives

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Article 48.

M. Morin: A l'article 48, M. le Président, la Ligue des droits de l'homme a proposé de remplacer le mot "s'interpréter", qui n'est pas très élégant, par le mot "s'appliquer", de sorte que cet article se lirait comme suit: La charte doit s'appliquer de manière à ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne qui n'y est pas inscrit.

En effet, M. le Président, c'est une loi d'application générale qu'on nous propose. Même si ce n'est pas une véritable charte, c'est bien une loi d'application générale et non pas une simple loi d'interprétation. C'est pourquoi, conformément aux voeux exprimés par la ligue, aux pages 26 et 29 de son mémoire, je proposerais de remplacer "s'interpréter" par "s'appliquer".

M. Choquette: M. le Président, j'ai l'impression que la suggestion faite par le chef de l'Opposition, qui découle d'une suggestion antérieure de la Ligue des droits de l'homme, n'améliore pas vraiment les choses. Le mot "s'interpréter", ici, évidemment, a une portée interprétative. Ce n'est pas l'application des dispositions de la charte qui peut limiter des droits qui existent déjà. Je pense que dans la mesure où la charte exprime des libertés et des droits, elle s'applique ou s'interprète comme ayant une portée immédiate sur ces droits dont elle traite. Ils sont reformulés, en somme, de par le texte de la charte.

S'il y avait d'autres droits qui ne sont pas mentionnés à la charte, ces droits subsistent. C'est tout ce que dit l'article 48 dans sa rédaction actuelle. Il ne fait pas abstraction d'autres droits qui peuvent exister. Il les laisse subsister dans leur entier et je ne vois pas ce que l'on accomplit par le remplacement du mot "s'interpréter" par le mot "s'appliquer".

Ce n'est pas au niveau de l'application que l'on se situe, à l'article 48. C'est plutôt au niveau de l'interprétation des dispositions de la charte. Cela va être une règle d'interprétation des textes par les tribunaux. Je pense que le mot "s'interpréter" est quand même mieux choisi, puisqu'on parle d'une règle d'interprétation, que le mot "s'appliquer" qui, lui, parle d'une règle d'application. On est quand même dans un texte juridique, ici. Il faut aider les tribunaux dans leur interpréta-

tion. C'est pour cela qu'on a employé délibérément le mot "s'interpréter".

Je ne pense pas qu'on ait réussi beaucoup à améliorer le texte par la proposition qui est faite par la Ligue des droits de l'homme.

M. Morin: Je pense tout de même que, l'expression "s'appliquer" est un petit peu plus ample, plus étendue que "s'interpréter". En gros, cela aura le même effet auprès... Si ce sont les juges que le ministre a à l'esprit, si les juges sont appelés à interpréter la charte, lorsqu'ils liront qu'elle doit s'appliquer de manière à ne pas restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une liberté, l'effet obtenu sera le même, mais peut-être que l'ampleur du mot... Enfin, je soutiens qu'il est plus large de parler d'application plutôt que d'interprétation. C'est moins strict.

De toute façon, je me demande si c'est tout à fait français, si c'est bien correct de dire "doit s'interpréter". Ne devrait-on pas dire, de toute façon, "doit être interprétée"? Tandis que ce serait probablement tout à fait français de dire "s'appliquer". Parce que la loi s'applique, mais elle ne peut pas s'interpréter elle-même. Ce sont des juges qui l'interprètent. Le réfléchi, ici, n'est pas très correct, je pense.

M. Choquette: Alors, M. le Président, si le chef de l'Opposition veut faire une suggestion pour changer "s'interpréter" par "être interprétée"...

M. Morin: Dois-je comprendre que je me heurte à un refus formel du ministre sur l'application?

M. Choquette: Je le pense, oui.

M. Morin: Je proposerai qu'on mette "être interprétée" plutôt que "s'interpréter".

Le Président (M. Kennedy): Article 48, adopté tel qu'amendé pour se lire: "La charte doit être interprétée de manière à ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne qui n'y est pas inscrit".

Adopté tel qu'amendé.

Article 49?

M. Morin: L'article 49 et l'article 50 sont liés de très près, M. le Président.

Le Président (M. Kennedy): On peut les étudier ensemble.

M. Morin: Oui, on pourrait peut-être les étudier ensemble.

Le Président (M. Kennedy): D'accord.

M. Morin: Je le proposerais, parce que l'un n'est rien sans l'autre. On pourrait presque en faire un seul article avec deux paragraphes.

Le Président (M. Kennedy): D'accord.

M. Morin: Ces deux articles donnent, on le prétend une certaine primauté à la charte pour les lois qui seraient adoptées postérieurement à son entrée en vigueur. Mais, je crois que c'est faire illusion que de parler de primauté de la charte une fois que l'on a lu les articles 49 et 50. Que signifie la primauté? Primauté, cela signifie que la charte l'emporte, en principe, sur toutes les autres lois, quelles que puissent être les dispositions de ces autres lois. Même si ces autres lois prétendent modifier expressément la charte, celle-ci a un caractère tellement fondamental qu'aucune autre loi ne peut prévaloir à son encontre. C'est ça la vraie primauté.

Le gouvernement ne va pas plus loin, dans ces deux articles, que la solution de compromis qui avait été proposée par la Ligue des droits de l'homme, bien que de nombreux organismes, qui se sont fait entendre devant cette commission, aient été unanimes — je ne me souviens pas d'avoir lu de notes discordantes dans la transcription — pour déplorer la non-primauté de la charte sur l'ensemble des lois québécoises.

En effet, comment peut-on parler d'une charte quand on sait qu'une loi peut venir, demain, la semaine prochaine, dans dix ans, et dire expressément qu'elle s'applique en dépit de l'existence de la charte, et les dispositions de la charte se trouveront automatiquement mises de côté. Comment peut-on parler de primauté, à moins de vouloir faire image et de donner au badaud l'impression que l'on adopte un document fondamental, alors qu'en réalité, c'est une loi ordinaire que nous avons devant nous, qui peut être modifiée par un vote ordinaire du Parlement, de l'Assemblée nationale, dans le cours des mois et des années qui suivront.

La solution de compromis qui nous serait acceptable devrait contenir des dispositions de rattrapage par rapport aux lois existantes, à tout le moins. On pourrait, par exemple, prévoir un certain délai, un délai prédéterminé, qui permettrait au gouvernement, avec l'aide de la commission des droits de la personne, de modifier le droit existant, le droit antérieur, pour utiliser le vocabulaire qui correspond à la phraséologie de l'article 50, d'accorder les lois antérieures avec la charte, et qui empêcherait toute modification ultérieure de cette loi fondamentale que nous prétendons adopter ces jours-ci, sans qu'intervienne un vote spécial à une majorité qualifiée de l'Assemblée nationale.

Je ne vais pas recommencer le débat de deuxième lecture au cours duquel je me suis longuement étendu sur cette question. Le ministre nous avait cité Dicey et La souveraineté du Parlement. Il nous avait dit que le Parlement ne peut pas se lier les mains, l'Assemblée nationale pas plus que le Parlement britannique ou le Parlement canadien, que cette Assemblée peut toujours revenir sur une de ses décisions, le lendemain ou l'année suivante.

Dans mon discours de deuxième lecture, j'ai montré que la jurisprudence du Commonwealth démontre le contraire. En effet, nous avons des décisions, et si ma mémoire est bonne, c'est Harris

contre le ministre de l'Intérieur, une décision sud-africaine de I95I ou I952, une décision du plus haut tribunal de l'Union sud-africaine à l'époque, aux termes de laquelle il a été décidé...

M. Choquette: C'est un pays où on respecte beaucoup les droits de l'homme.

M. Morin: Justement, on ne les respectait pas sur le plan de la couleur et cette décision de Harris contre le ministre de l'Intérieur imposait...

M. Choquette: C'est un pays qui mérite d'être cité en exemple.

M. Morin: Si le ministre veut me laisser terminer, il va se rendre compte que oui, parce que justement les tribunaux ont essayé de mettre un frein à l'apartheid grâce à cette décision. Ils n'y ont pas réussi, parce que, plus tard, le gouvernement a réussi à mettre à sa main les tribunaux, mais le précédent constitué par cet arrêt n'en est pas moins important. Cet arrêt nous dit qu'une Assemblée en régime parlementaire britannique peut toujours se lier les mains pour l'avenir; du moins, elle peut le faire sur le plan de la procédure d'adoption des lois et non pas sur le fond des lois. C'est une distinction sur laquelle il convient peut-être d'insister. Le Parlement ne peut se lier pour l'avenir sur le fond des lois, mais il peut se lier sur la façon dont il va s'y prendre pour modifier une loi.

Par exemple, l'Assemblée nationale pourrait dire, dans les dispositions qui figurent à la fin du projet de loi: Pour modifier la présente charte — et, là, ce serait vraiment une charte, ce serait une loi fondamentale — l'Assemblée devra voter tout amendement, toute modification à la majorité des deux tiers. C'était le cas en Union sud-africaine. C'est ce qu'on appelle une majorité qualifiée ou une majorité renforcée. De la sorte, on peut protéger des droits contre des changements intempestifs qui pourraient être le fait d'une Assemblée qui, dans des circonstances un peu extraordinaires par la suite, déciderait d'abroger du revers de la main soit l'ensemble de la charte, soit un certain nombre de ses dispositions.

Alors, s'il s'agit véritablement d'une charte, d'une charte authentique, je pense que l'on pourrait prévoir que celle-ci va prévaloir sur les lois antérieures, en ajoutant des dispositions transitoires qui donneront au gouvernement peut-être un certain nombre de mois ou d'années au besoin pour aligner les lois antérieures sur la nouvelle législation. On pourrait, par exemple, dire que les lois antérieures ne priment la charte que jusqu'au jour de l'adoption par l'Assemblée nationale d'une loi de refonte des statuts du Québec. Cela s'est fait à des fins plus restreintes dans le passé; à l'occasion d'une loi de refonte, on abroge toutes les lois antérieures.

J'estime que le ministre devrait songer à une solution comme celle-là. Autrement, je trouve qu'il est abusif de parler de charte. Ce n'est pas une charte que nous avons devant nous c'est une loi ordinaire. Ouvrons-nous les yeux. Je crains que l'appeler charte ne donne l'illusion aux citoyens que nous adoptons là quelque chose de tout à fait fondamental, quelque chose sur lequel ils peuvent tabler parce que toute la législation doit s'aligner là-dessus. Ce n'est pas le cas. Cette charte subit déjà des accrocs, avant même que nous l'adoptions. Au moment même de son adoption, cette charte ressemblera déjà à un morceau de gruyère, elle sera pleine de trous, des exceptions représentées par la législation existante. Non seulement elle sera déjà pleine de trous, mais les lois ultérieures pourront, même en ce qui concerne les articles 8 à 37, arracher des tranches entières du fromage en disant simplement que, de façon expresse, la loi ultérieure s'applique en dépit de la charte.

Je tiens beaucoup à ce point. Le ministre sait que nous en avons déjà débattu longuement en deuxième lecture. Je suis mal à l'aise de la façon dont il s'y prend pour donner l'impression aux Québécois qu'il s'agit vraiment d'une charte. Appelons-la tout simplement par son nom; c'est une simple loi parmi d'autres. Ce n'est pas une charte. Il n'y a rien qui distingue cette loi des autres lois que nous allons adopter par la suite ou des lois déjà votées par cette Assemblée.

Je pense que, si le ministre ne devait pas nous donner raison sur ce point, il faudrait appeler ce projet Loi sur les droits et libertés de la personne.

Ce serait beaucoup plus exact, ce serait moins pompeux, ce serait moins prétentieux, ce serait plus près de la réalité et de la vérité. J'ai terminé pour l'instant, M. le Président; j'aimerais avoir le sentiment du ministre, avant d'aller plus loin.

M. Choquette: M. le Président, j'ai déjà entendu le discours du chef de l'Opposition, je connais ses idées sur la question. Il en a profité pour se répéter de nouveau sur ce sujet. Je pense qu'il y a différentes façons d'envisager les choses au moment d'adopter une telle charte. Le chef de l'Opposition voudrait, d'une part, enfermer les majorités parlementaires dans un corset encore plus étroit pour légiférer suivant les besoins qui seront ressentis à l'avenir. Il suggère même d'aller vers une majorité parlementaire de deux tiers pour que les Parlements ultérieurs puissent déroger à l'un ou l'autre des principes de cette charte. Pour ma part, M. le Président, je ne crois pas qu'il soit réaliste, qu'il soit indiqué d'abonder dans cette solution.

Je crois à la majorité simple, je pense que c'est le fondement de la démocratie parlementaire. Je pense que la majorité simple, comme principe de décision, a fait ses preuves dans le passé. Elle a tellement fait ses preuves dans le passé que l'Angleterre, qui fonctionne en vertu de ce principe et qui est la mère de tous les Parlements, n'a jamais adopté un principe d'une majorité de deux tiers pour voter une loi ou pour apporter des amendements ou des modifications à des lois.

Finalement, je n'ai pas besoin d'insister, pour le bénéfice du chef de l'Opposition, qui le sait, l'Angleterre n'a jamais, pour sa part, adopté de loi ou de charte des droits fondamentaux. Et pourtant, c'est un des pays où on respecte le plus les

libertés fondamentales de la personne.

Alors, tout cela, M. le Président, est assez illusoire, est assez clinquant, ces idées de majorité de deux tiers. Tout cela pourrait se dire, n'est-ce pas, dans des chaires universitaires, mais ne correspond pas beaucoup à des réalités parlementaires comme nous les connaissons. Pour ma part, je ne voudrais pas engager des gouvernements ultérieurs dans des principes trop contraignants qui les empêcheraient de régler les situations qui peuvent se produire d'une façon réaliste. Le chef de l'Opposition devra convenir avec moi qu'il se présente de nombreuses circonstances où il faut déroger à la charte, justement pour accomplir par ailleurs des objectifs qui n'avaient pas été prévus au moment de l'adoption d'une loi à portée constitutionnelle ou d'une loi ayant un caractère fondamental .

Il faut laisser, je pense, la latitude à ces Parlements de déterminer les besoins au fur et à mesure qu'ils se produisent, de régler ces situations contentieuses ou litigieuses, avec une certaine liberté d'action et de ne pas les enfermer dans une formule trop étroite, telle que celle qui nous est proposée. C'est la raison pour laquelle, M. le Président, je pense que la proposition du chef de l'Opposition à ce sujet ne peut être retenue.

Quant aux lois antérieures, je crois que le chef de l'Opposition admet implicitement, avec le gouvernement et avec la Ligue des droits de l'homme, qu'il serait audacieux, sinon présomptueux d'aller radicalement trancher dans toute la législation antérieure, en vertu de l'adoption de tous les principes qui sont énumérés dans la charte. C'est la raison pour laquelle il ne va pas jusqu'au point d'affirmer que la charte devrait avoir priorité sur toutes les lois antérieurement adoptées.

J'attire finalement l'attention du chef de l'Opposition sur l'article 65 d) qui donne, à la Commission des droits de la personne, l'obligation de procéder à l'analyse des lois du Québec antérieures à la présente charte et qui lui seraient contraires et faire au gouvernement les recommandations appropriées.

Ainsi, la commission sera saisie de l'obligation et du mandat d'analyser les lois antérieures et nous faire des rapports sur ces lois, de façon à faire en sorte qu'elles soient, dans la mesure du possible, conformes aux principes qui sont énoncés dans la charte. Je crois que le gouvernement, en proposant les articles 49 et 50, a fait preuve de réalisme autant pour le passé que pour la législation future et que c'est vraiment la formule la plus indiquée. Celle que nous proposons dans les circonstances est vraiment la solution la plus adéquate au problème de la souveraineté parlementaire, d'une part, et, d'autre part, au problème de la législation antérieure. C'est la raison pour laquelle je rejetterais des amendements qui viseraient à changer cette formule.

Finalement, comme on l'a déjà indiqué, la formule proposée se rapproche essentiellement, quant au principe, des propositions déjà faites par la Ligue des droits de l'homme, qui ont été largement débattues et discutées en commission parlementaire, au mois de janvier dernier, autant avec la Ligue des droits de l'homme qu'avec tous les autres organismes qui ont majoritairement abondé dans le sens de la rédaction que le gouvernement propose maintenant dans la réimpression du projet de loi.

Pour toutes ces raisons, je crois que nous devons souscrire aux rédactions proposées aux articles 49 et 50.

M. Morin: Je regrette l'anti-intellectualisme dont a fait preuve, à plusieurs reprises, le ministre de la Justice. Chaque fois qu'on lui fait des propositions qui tendent à rendre cette loi plus ample, plus progressiste, il nous parle de ces vagues universitaires. Il ne se rend pas compte que le texte qu'il a devant lui — non, il le sait — a été rédigé, dans une très large mesure, par des universitaires, essentiellement par des universitaires. Il est bien malvenu, aujourd'hui, de répandre son mépris sur eux.

Je me demande quelle va être la réaction, par exemple, du président de l'Office de révision du code civil qui lui avait soumis des projets de charte. Le ministre s'en souviendra. Je me demande quelle va être la réaction du professeur Scott, par exemple, lorsqu'il lira le mépris affiché pour les universitaires. Je me demande même ce que pensent certains de ses adjoints venus directement de l'université et qui le conseillent quotidiennement. Je me demande ce qu'ils pensent de son attitude. Ce n'est certainement pas seulement aux universitaires qu'on doit ce projet de charte — Dieu merci, je ne veux pas nier non plus le mérite que le ministre peut avoir — mais c'est certainement en partie grâce à eux si le ministre est en mesure, aujourd'hui, de nous faire ces propositions.

Universitaire ou pas, ici, je siège en tant que l'un des membres de cette Assemblée et c'est mon droit de proposer des dispositions que j'estime être plus conformes aux besoins du Québec. Je pense que c'est un besoin du Québec, à l'heure actuelle, d'avoir des dispositions fondamentales dans le domaine des droits de l'homme.

Je vais faire une concession pour essayer de trouver un terrain d'entente avec le ministre. Admettons que les précédents ne sont pas nombreux qui permettraient à cette Assemblée de dire qu'elle ne modifiera ses lois dans l'avenir qu'à l'aide d'une majorité renforcée. Nous pouvons néanmoins dire, sans ajouter aux articles 49 et 50 une disposition entraînant une majorité renforcée, que cette loi prime sur les autres, aussi bien antérieures que postérieures, et que pour pouvoir modifier cette charte il faut que l'Assemblée modifie la charte elle-même, qu'elle ne peut pas la modifier indirectement par l'adoption d'une loi qui ne se réfère pas directement à cette charte.

Autrement dit, pour modifier la loi appelée Charte des droits et libertés de la personne, il faudrait une loi spécifique décrétant que l'Assemblée entend modifier cette loi en particulier. Cela conférerait donc une certaine protection à ses dispositions.

M. Choquette: Mais c'est ce que dit l'article 50.

M. Morin: Non. Ce que je proposerais c'est de laisser l'article 50 tel quel, à titre de disposition transitoire et d'ajouter un autre paragraphe qui pourrait dire: La présente charte prévaudra sur toute disposition législative, à compter du moment où la Commission des droits de la personne aura fait rapport à l'Assemblée, conformément à l'article 65 d) et que l'Assemblée aura donné suite à ce rapport, ou quelque chose d'équivalent.

M. Choquette: Moi, je pense, M. le Président...

M. Morin: Si le ministre accepte l'idée, on peut discuter sur la formulation.

M. Choquette: Non, non. Je pense, M. le Président, que le vague de la rédaction proposée par le chef de l'Opposition démontre que sa pensée n'est pas très claire sur le sujet. Là, il cherche à faire de la surenchère par rapport à la rédaction extrêmement claire et sans ambiguïté des articles 49 et 50. Comment pourrait-on, en somme, faire prévaloir la charte, une fois qu'un organisme extérieur aurait fait un rapport à l'Assemblée nationale...

M. Morin: Et quand l'Assemblée y aura donné suite.

M. Choquette: ... dans un délai déterminé? Je veux dire qu'on ne sait pas d'avance quel sera le sens du rapport de la Commission des droits de la personne. Est-ce que la commission va faite rapport en disant: Ecoutez, telle loi antérieure se conforme très bien à la charte; par contre, telle autre loi ne s'y conforme pas. Ce serait, en somme, essayer de prendre d'avance les solutions qui pourront découler justement des rapports qui nous seront faits par la Commission des droits de la personne.

Je crois, M. le Président, que le chef de l'Opposition, dans son zèle chartiste, fait preuve d'excès et démontre que sa réflexion sur le problème n'est pas vraiment arrivée à maturité et qu'on ne pourrait pas vraiment se lier d'avance à une solution qu'on ignore. Parce que c'est bien cela que le chef de l'Opposition nous propose, se lier d'avance, lier les Parlements futurs à des solutions qu'on ignore dans l'analyse des lois antérieures.

M. Morin: M. le Président, c'est le ministre qui n'a pas beaucoup réfléchi avant de nous proposer comme titre de cette loi le mot "charte"? Qu'il ait au moins, à ce moment-là, la modestie d'admettre que ce qu'il nous propose n'est pas une charte; c'est une loi ordinaire. Je voudrais qu'il y ait un minimum de souci de franchise de la part du ministre et qu'il n'aille pas suivre l'exemple de certains de ses collègues qui nous parlent de souveraineté culturelle, quand ils ne possèdent même pas la minuscule autonomie culturelle qui serait nécessaire au Québec.

M. Choquette: M. le Président...

M. Morin: Toujours le gouvernement par l'image.

M. Choquette: ... on emploie le mot "charte"; on peut employer le mot "code", on peut employer le mot "loi"; ce sont tous des termes qui peuvent être applicables à différents types de législations.

Dans le cas actuel, nous faisons prévaloir la charte sur toute législation postérieure. Je pense que ceci découle assez clairement...

M. Morin: Continuez votre lecture, vous êtes arrêté à un point qui vous convient.

M. Choquette: ... de l'article.

M. Morin: "A moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la charte".

M. Choquette: Mais oui, parce qu'il faut quand même prévoir des circonstances où on fera des exceptions à la charte. Est-ce que le chef de l'Opposition est tellement féru de légalisme et de juridisme qu'il voudrait...

M. Morin: Je me suis fait traiter de philosophe.

M. Choquette: Non, non... enfermer les Parlements successifs du Québec dans des dispositions de la charte, alors que des situations concrètes peuvent se produire qui font que le devoir des Parlements et des parlementaires est justement de déroger, à l'occasion, à certains principes de la charte?

Ai-je besoin de citer des cas que j'ai déjà mentionnés en deuxième lecture, lors du débat sur cette loi, des cas comme celui du droit à la représentation par avocat devant tout tribunal? On sait que nous l'avons énoncé dans cette loi comme un des principes qui aura une application absolue. Toute personne accusée ou traduite devant les tribunaux a droit à la représentation par avocat. Pourtant, M. le Président, le chef de l'Opposition sait que nous avons fait exception à ce principe dans le domaine des petites créances. A la cour Provinciale, lorsqu'il s'agit de l'application de la Loi favorisant l'accès à la justice, les personnes se présentent sans avocat. Nous l'avons fait sciemment, en connaissance de cause et avec l'approbation non pas du chef de l'Opposition, mais de ses prédécesseurs, puisqu'il n'était pas au Parlement lorsque cette loi fut adoptée.

Nous avons cherché à atteindre des objectifs sociaux de réalisation de la justice dans des conditions simples, économiques, sans formalisme excessif. C'est la raison pour laquelle nous avons dit que les avocats n'avaient pas leur place au tribunal des petites créances. Est-ce que le chef de l'Opposition va faire des reproches au gouvernement ainsi qu'à ses collègues de l'Opposition qui ont approuvé cette mesure qui déroge aux principes de la charte? Je suis sûr que non. Je

pense que le chef de l'Opposition a assez de réalisme et, d'ailleurs connaît assez la situation pour approuver cette loi gouvernementale.

Je donne ceci comme un exemple pour démontrer qu'il n'est pas suffisant de suivre d'une façon aveugle, absolue et en toutes circonstances les principes d'une charte, si bien rédigée soit-elle. Il y a des circonstances où il est dans l'intérêt public, dans l'intérêt de la société de déroger aux principes d'une charte, justement, pour accomplir des objectifs sociaux qui sont souhaitables et valables.

Dans l'article 50, nous avons donné un caractère prépondérant à la charte pour les lois postérieures, mais il sera quand même possible d'y déroger lorsqu'on énoncera expressément que les principes contenus à la charte n'auront pas d'application. C'est le sens de l'article 50: "... à moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la charte.

Finalement, M. le Président, je me demande si le chef de l'Opposition apprécie le problème concret que représente l'analyse de toutes les lois qui viendront devant l'Assemblée nationale pour être discutées en fonction des principes de la charte. Ceci imposera une lourde tâche au gouvernement et au ministre de la Justice en particulier, ainsi qu'à ceux qui travaillent avec lui, de vérifier que toutes les lois vont se conformer aux principes de la charte. Si ces lois doivent déroger aux principes de la charte, il faudra qu'on mentionne dans le texte même de la loi qui sera adoptée que les principes de la charte ne s'appliquent pas à telle loi parce qu'il y a d'autres impératifs qu'il faut prendre en considération.

Est-ce que le chef de l'Opposition saisit la difficulté que le gouvernement se crée, en toute connaissance de cause, en se conformant aux principes de la charte pour n'y déroger que là où il l'énonce d'une façon spécifique et expresse? Est-ce que le chef de l'Opposition comprend que cette mesure est de nature à favoriser, dans la mesure de ce qui est souhaitable, le respect intégral des principes de la charte dans toutes les législations futures, même si, de temps à autre, il est nécessaire de faire exception?

Je pense, M. le Président, que c'est après mûre réflexion et après avoir considéré tous les arguments, tant ceux qui ont été mis de l'avant par le chef de l'Opposition que ceux qui ont été proposés par la Ligue des droits de l'homme et d'autres organismes, que nous avons décidé de franchir ce pas particulièrement important du point de vue politique et du point de vue de la souveraineté des Parlements futurs.

Je crois que le chef de l'Opposition devrait être le premier à souscrire à cette formule. Je crois que le chef de l'Opposition, qui est un universitaire distingué, comme tout le monde le sait, qui est un professeur de droit, devrait être le premier à reconnaître que la solution adoptée, en l'occurrence, est une solution qui va justement donner une vie réelle à cette charte, qui va permettre la réalisation des principes énoncés dans la charte, qui va permettre de respecter, pour les citoyens, de plus en plus, les principes de la charte, mais sans fermer la porte à des exceptions qui peuvent, de temps à autre, être nécessaires.

M. Morin: M. le Président, je commencerai par faire deux concessions au ministre. La première c'est que, certainement, l'Assemblée peut vouloir modifier la charte dans l'avenir, parce qu'une charte authentique, qui protège vraiment les droits, doit refléter les valeurs du milieu. Or, ces valeurs évoluent rapidement depuis quelques années, et il est à prévoir que cette évolution n'est pas terminée et que nous serons témoins, au cours du prochain quart de siècle, d'une évolution peut-être encore plus rapide des valeurs et des comportements. Il faudra donc que la charte soit adaptée, au cours des années, à ces nouvelles normes.

Je concéderai autre chose aussi. Si le ministre n'est pas prêt à assurer une véritable primauté de la charte, je n'irai pas voter contre les articles 49 et 50; je prendrai le moins si je ne puis avoir le plus. Mais je dis au ministre que c'est un abus de confiance que de parler d'une charte parce que ce n'est pas une charte. Une charte confère à une loi un statut spécial parmi les autres; cela met cette loi au-dessus des autres, qui doivent s'aligner, être en conformité avec le document qu'on appelle une charte. A moins qu'on abuse du vocabulaire, c'est comme cela que j'ai toujours compris ce mot de charte. Comme Magna Carta.

M. Choquette: La Magna Carta n'a jamais eu de valeur prépondérante sur les lois subséquentes.

M. Morin: Pardon, on a toujours eu soin, et les tribunaux l'ont toujours appliquée, le ministre le sait, ils ont toujours eu soin de se référer à Magna Carta pour réaffirmer les droits de la personne.

M. Choquette: Le Parlement britannique ne pourrait-il pas, à l'heure actuelle, en passant une loi, dire qu'il abroge la Magna Carta?

M. Morin: Je ne vois pas le Parlement britannique le faisant. Techniquement, étant donné la souveraineté du Parlement, il pourrait sans doute l'abroger.

M. Choquette: Par un vote majoritaire.

M. Morin: Par un vote majoritaire. Je fais peut-être un peu plus confiance à... quoique l'on puisse hésiter depuis quelque temps, en Angleterre, il y a des problèmes raciaux, il y a des problèmes qui n'existaient pas au temps de l'Empire et qui se manifestent. Peut-être que la Grande-Bretagne devrait également songer à conférer un statut spécial à la Grande Charte.

M. Choquette: On vous enverra voir M. Wilson pour le conseiller, ce serait une bonne idée.

M. Morin: Oui, j'imagine qu'il a...

M. Choquette: Vous aimez les voyages?

M. Morin: Effectivement.

Le Président (M. Kennedy): A l'ordre, messieurs! Articles 49 et 50.

M. Morin: Le ministre pourrait peut-être rn'ac-compagner à cette occasion, je suis sûr...

M. Choquette: Les voyages ne me déplaisent pas.

M. Morin: ...qu'il pourrait persuader M. Wilson plus facilement que moi.

M. Choquette: Mais, je ne sais pas, Labour, et vous dites que je suis tellement de droite.

M. Morin: C'est vous qui l'avez dit que vous étiez de droite, au soir de l'élection, lorsque vous avez admis que vous aviez fait le plein de la droite. Ce n'est pas nous qui l'avons dit pour vous.

M. Choquette: On a pris la droite, le centre, et on a débordé sur la gauche. Nous vous avons tassés.

M. Morin: M. le Président, pour être sérieux, je voudrais que l'on ajoute un paragraphe. Je le propose dans la rédaction suivante. J'en fais une proposition formelle et je tiens à ce que l'on vote. "La présente charte prévaudra sur toute disposition législative à compter de l'adoption, par l'Assemblée, d'une loi de refonte des statuts du Québec".

Le sens de cela c'est que, si la commission remplit bien les fonctions qui lui sont dévolues par l'article 65 d), qu'elle procède à l'analyse des lois du Québec antérieures à la présente charte, qu'elle fait rapport à l'Assemblée, et qu'on procède à une refonte des lois du Québec en tenant compte de ses recommandations, il n'y aura plus aucune raison qui empêche d'accorder la primauté à la présente charte, à la présente loi.

M. Choquette: Nous ne pouvons pas nous lier d'avance aux solutions que nous proposera la commission. Comment, en tant que parlementaire, puis-je me soumettre à la volonté d'une commission composée de gens qui ne sont pas élus?

M. Morin: Cela est un sophisme. La commission vous fait des recommandations et c'est l'Assemblée qui adopte la loi de refonte. Le ministre le sait très bien, ce n'est pas la Commission des droits de la personne, ni même la Commission de refonte des statuts qui pourra proposer cela; elle pourra faire des recommandations et c'est l'Assemblée qui adoptera, comme toujours, cette loi de refonte.

M. Choquette: Parfait. Admettons que la commission nous fait une recommandation à l'effet de changer la Loi des produits agricoles pour nous conformer à la charte, et nous ne nous conformons pas à ce désir de la commission. Comment puis-je dire, en vertu du projet proposé par le chef de l'Opposition, que la charte va préva- loir sur une loi antérieure alors que le Parlement n'a pas voulu la modifier, la loi antérieure? Il a voulu la laisser intacte, telle quelle; il n'a pasvoulu la changer parce qu'il a trouvé que les recommandations de la commission ne devaient pas être suivies d'un acte positif pour donner suite à un changement ou autrement. Comment puis-je, d'avance, me lier et lier nos collègues à des solutions qui pourraient être proposées par une commission, si bien intentionnée soit-elle, mais commission qui n'est pas composée de gens qui ont un mandat populaire?

Il va falloir aussi s'habituer à cela. Le droit de décider des changements à être faits aux lois n'appartient pas à ceux qui ne sont pas élus mais à ceux qui sont élus, qui ont reçu un mandat, au parti majoritaire. Je pense que le chef de l'Opposition ne calcule pas les conséquences de l'amendement qu'il nous propose.

M. Morin: Au contraire, M. le Président, j'ai le sentiment que nous pouvons affirmer ce principe de la primauté, et que, même techniquement, il ne serait pas nécessaire d'attendre une refonte des lois. Si cette loi était vraiment une charte, si la primauté en était affirmée dès maintenant, les autres lois seraient automatiquement interprétées à la lumière de la charte; et, dans la mesure où les dispositions de lois antérieures ou postérieures seraient incompatibles avec la charte, elles tomberaient. Nous n'avons même pas à attendre une loi de refonte. Si je le fais, c'est tout simplement pour permettre une plus grande clarté dans la législation, c'est pour épargner au ministre et aux tribunaux des difficultés qui pourraient surgir. Sur le plan technique, nous pourrions dès maintenant dire que cette loi abroge toute loi antérieure qui lui serait contraire.

M. Choquette: Est-ce que ce serait une bonne idée?

M. Morin: Je pense que oui.

M. Choquette: Ah! vous pensez que ce serait une bonne idée.

M. Morin: C'est ça, une charte.

M. Choquette: Je vous ai donné comme exemple, plus tôt, la loi des petites créances, que feriez-vous de cela?

M. Morin: Dans ce cas-là, j'attendrais la refonte. C'est pour cela que je vous ai proposé que nous attendions la refonte, pour épargner des difficultés au ministre; mais, techniquement, nous pourrons très bien...

M. Choquette: Alors, vous voulez que l'or abroge le principe qui a été adopté dans la loi des petites créances?

M. Morin: Vous voulez dire la représentation... M. Choquette: Par avocat.

M. Morin: Par avocat. En même temps, on peut tout simplement au cours des... il est vrai que nous approchons des vacances, mais le ministre pourrait suspendre l'application de cette loi et faire le tour de la législation, s'assurer que cela est conforme à la charte et nous proposer un document qui aurait été mûrement réfléchi.

M. Choquette: Mais ce n'est pas possible, écoutez! Examinez toute la législation antérieure; ce sont des lois, des lois et des lois qu'il faut examiner à la loupe et regarder si chacun des principes contenus à la charte ne vient pas contredire un seul des articles de ces lois. C'est une tâche absolument surhumaine.

M. Morin: C'est la raison pour laquelle j'ai précisé "à compter de l'adoption par l'Assemblée d'une loi de refonte des statuts du Québec".

M. Choquette: Une loi de refonte des statuts du Québec, cela revient réviser toutes les lois d'une façon exhaustive. Ce n'est pas comme cela que se fait...

M. Morin: Dans le passé, oui. Il est arrivé que l'on confie à une commission de refonte des lois la tâche de revoir chaque texte de loi et de s'assurer...

M. Choquette: Nous allons créer une Commission de réforme du droit, admettons, l'automne prochain. Savez-vous quel mandat on lui donnera? On lui donnera le mandat de passer à travers toutes nos lois pour les mettre à jour. Savez-vous que c'est un travail de plusieurs années que nous venons de lui confier?

M. Morin: C'est possible.

M. Choquette: La suggestion du chef de l'Opposition...

M. Morin: Et la loi de refonte ne viendra peut-être pas tout de suite, mais je dis que déjà on devrait prévoir le caractère de primauté, de véritable primauté, de cette charte, ou soi-disant charte.

M. Choquette: M. le Président, nous avons échangé beaucoup d'idées sur la question. Pour toutes les raisons que j'ai mentionnées, je pense que nous ne pouvons pas donner suite à l'amendement du chef de l'Opposition.

J'ajouterai un dernier argument: II part de l'emploi du mot "charte", mais la ville de Montréal a une loi qui s'appelle la charte de la ville de Montréal. La ville de Laval a une loi qui s'appelle la charte de la ville de Laval. Et moi je connais beaucoup de lois municipales qui, au lieu de s'appeler lois municipales, au sujet de telles municipalités, s'appellent chartes. Donc, une charte c'est une loi qui a un caractère un peu plus solennel qu'une autre loi. Alors, je ne vois pas, M. le Président, en quoi l'emploi du terme "charte" serait abusif à l'occasion d'une loi qui a justement prépondérance sur des lois ultérieures.

Le Président (M. Kennedy): Alors on passe au vote. Ceux qui sont pour la proposition du chef de l'Opposition: M. Morin (Sauvé). Ceux qui sont contre: M. Choquette, M. Tardif, M. Dionne, M. Pagé, M. Beauregard, M. Desjardins. Six contre, un pour. L'amendement est donc rejeté. Est-ce qu'on doit apporter la même correction grammaticale que nous avons apportée à l'article 48, la charte ne doit pas être...

M. Morin: Oui, au début de l'article 49, cela devrait être la charte, ce devrait être la loi, enfin puisque le ministre y tient, la charte ne doit pas être interprétée.

Le Président (M. Kennedy): Article 49, adopté tel qu'amendé. Article 50, adopté. Article 51.

M. Morin: Adopté également.

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Article 52.

M. Morin: L'article 52 est plus précis que l'ancien article 46, mais le mot "couronne", bien qu'il comprenne le gouvernement, ses divers organismes, les corporations, les délégués et préposés, aurait peut-être avantage à être précisé.

Je me demande si, pour des fins éducatives, des fins pédagogiques, le mot "couronne" a encore sa place, dans une loi comme cela. Est-ce qu'il ne conviendrait pas davantage de dire: cette loi lie le gouvernement, ses divers organismes délégués et préposés. Est-ce que ce ne serait pas plus exact sur le plan législatif et beaucoup plus utile sur le plan pédagogique? Qu'est-ce que vous voulez que cela dise à des enfants, par exemple, à qui dans les écoles peut-être, on parlera de cette loi d'ici quelques années, si jamais il y a des cours d'éducation civique comme il devrait y en avoir dans les écoles? La charte lie la couronne, qu'est-ce que vous voulez que cela leur dise? Ce serait beaucoup plus utile, comme la Ligue l'a soutenu d'ailleurs, de préciser ce que signifie la couronne.

Je proposerais que l'on dise: La charte lie le gouvernement, ses organismes délégués et préposés. Ou alors, si le ministre tient absolument à sa couronne, on pourrait dire: La couronne, le gouvernement, ses organismes, corporations, délégués et préposés. Mais je préférerais laisser tomber couronne, parce qu'une fois qu'on a énuméré le contenu exact de la couronne, c'est un mot qui est tombé en désuétude et qui n'est pas très utile.

D'ailleurs, dans la toute première rédaction, à l'article 46, on disait: La présente charte lie le gouvernement, ses organismes et préposés. Pourquoi ne pas revenir à cet ancien article 46, et pourquoi ne pas, peut-être, ajouter "les délégués et les corporations", si le gouvernement y tient?

M. Choquette: Dans la version originale de cet article, soit l'ancien article 46, nous avions dit: "La charte lie le gouvernement, ses organismes et préposés". Nous en sommes revenus au texte qui est maintenant proposé dans l'article 52, à l'effet

que la charte lie la couronne, parce qu'en employant ce terme on est absolument sûr que le gouvernement et tous les services gouvernementaux sont liés d'une façon absolue par les dispositions de la charte. On ne risque pas d'échapper un élément qui fait partie de la définition du mot "couronne". C'est la raison pour laquelle je pense que, sur le plan juridique, la rédaction de l'article 52 est plus avantageuse que la rédaction originale. J'ajouterai, finalement, que la Loi d'interprétation est également un facteur qui doit être pris en considération dans l'emploi des mots. C'est la raison pour laquelle nous avons employé le mot "couronne".

M. Morin: Je ne nie pas que le mot "couronne" ait un sens technique tel que défini dans la Loi d'interprétation, mais, sur le plan de la valeur pédagogique de ce document, je doute que ce soit utile. C'est pourquoi il serait peut-être utile de faire, comme nous l'a suggéré la ligue, d'ajouter à la couronne, le gouvernement, ses organismes délégués et préposés. Comme cela, on serait sûr d'être à la fois compris de tout le monde et d'être techniquement exhaustif. Je le propose au ministre.

M. Choquette: Vote.

Le Président (M. Kennedy): Ceux qui sont pour la proposition du chef de l'Opposition? M. Morin (Sauvé).

Ceux qui sont contre? M. Choquette, M. Tardif, M. Dionne, M. Pagé, M. Beauregard. L'amendement est rejeté.

Article 52, adopté. Article 53?

M. Morin: Oui, c'est meilleur que l'ancienne version.

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Article 54?

M. Morin: Un instant. Ce sont, en majorité, des dispositions nouvelles. Si vous voulez me laisser une seconde pour le relire. Les organismes exerçant des fonctions quasi judiciaires comprennent les commissions d'enquête, si ma mémoire est bonne. Je pense que oui, mais je voudrais entendre le ministre le rappeler. Je voudrais simplement qu'il soit dit clairement par le ministre que, dans son esprit, un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires, cela comprend les commissions d'enquête.

M. Choquette: Cela y est, une commission d'enquête.

M. Morin: En effet, je m'excuse. J'étais passé complètement à côté. Encore une minute, M. le Président, pour que je puisse le relire attentivement.

Le Président (M. Kennedy): Deux, si vous en avez besoin.

M. Morin: Nous pouvons adopter l'article 54.

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Partie II: La Commission des droits de la personne; chapitre I: Constitution. Article 55?

Commission des droits de la personne Constitution

M. Morin: A l'article 55, nous sommes d'accord.

Le Président (M. Kennedy): Adopté. Article 56?

M. Morin: A l'article 56, pour ce qui est de la composition de cette commission des droits de la personne, nous pensons qu'elle devrait comprendre des gens qui soient vraiment représentatifs du milieu social, ce qu'on pourrait appeler le tissu social. Mais par exemple, on devrait s'assurer qu'il y ait un certain éventail d'âges, de professions, d'origines socio-économiques, qu'il y ait une proportion, une bonne représentation à la fois de femmes et d'hommes à cette commission.

C'est une recommandation de la Ligue des droits de l'homme qui m'a paru intéressante, parce que le risque que nous courons, c'est de nous ramasser avec une commission comme on en voit tant où il y a quelques classes sociales qui sont représentées, mais pas les autres, et en particulier les hommes aux dépens des femmes.

C'est pourquoi je demande s'il n'y aurait pas lieu de préciser la composition de cette commission. Est-ce qu'on ne devrait pas spécifier ou, à tout le moins, énoncer le principe que la commission devrait être représentative du milieu, de l'ensemble du milieu? S'il fallait, par exemple, le ministre me pardonnera la remarque, qu'on se ramasse avec sept avocats sous prétexte que c'est de la législation extrêmement difficile à interpréter, cela ne serait pas très conforme à l'esprit de cette loi, qui est de protéger les droits de l'ensemble de la société.

Autre observation, pour ce qui est du mandat. A mon sens, il devrait être plus court. Il devrait être de cinq ans et devrait être renouvelable une seule fois. Ce sont des observations, M. le Président, je ne sais pas si le... j'aimerais connaître la réaction du ministre avant de m'engager plus avant et de faire des propositions formelles.

M. Choquette: M. le Président, il est évident que nous allons rechercher un équilibre approprié et souhaitable dans l'origine, l'expérience et les qualités des personnes qui seront appelées à devenir membres de la commission. Je pense bien que c'est le souci du gouvernement de faire en sorte que la Commission des droits de la personne ait une grande crédibilité auprès des différents groupes et ne soit pas composée exclusivement de personnes semblables ou ayant des qualités ou une formation identiques. Mais je ne pense pas que faire cette observation rende nécessaire de

dire dans le texte de loi que la commission devra être représentative.

On jugera la commission sur sa composition. Si le chef de l'Opposition veut voter contre les suggestions du premier ministre, libre à lui d'exprimer son désaccord, puisque les nominations à cette commission seront faites par l'Assemblée nationale sur une proposition du premier ministre.

M. le Président, qu'est-ce que c'est, être représentatif du milieu? C'est une question assez large et assez floue que le caractère représentatif des personnes. D'autant plus qu'une fois nommées à cette commission elles ne seront pas là pour représenter qui que ce soit en particulier, mais plutôt pour s'occuper de l'intérêt générai, des problèmes qui leur seront présentés et énoncer une politique en matière d'éducation ou de la charte en tenant compte de l'intérêt de tous les groupes, mais surtout de l'intérêt général du Québec. Dire que la commission devrait être représentative, je pense que cela n'ajouterait véritablement rien au texte et que cela ne mérite pas, M. Président, qu'on s'attarde sur cette suggestion.

M. Morin: M. le Président, pour m'éclairer sur la façon dont le ministre conçoit la composition de cette commission, pourrais-je lui demander, par exemple, étant donné la répartition des hommes et des femmes dans la société québécoise, combien il pensait qu'il y aurait d'hommes et de femmes sur les sept membres de la commission?

M. Choquette: II y aura un certain nombre de femmes. Je pense qu'elles seront adéquatement représentées et figureront en nombre suffisant pour qu'on rende compte, vraiment, du Québec et de ses problèmes actuels et du souci que les femmes ont d'affirmer leurs droits et leur liberté d'une façon légitime.

Je ne pense pas que le gouvernement va lésiner et va être mesquin et étroit à l'égard d'aucun groupe. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai augmenté le nombre de membres de la commission par rapport au chiffre qui était proposé dans le premier texte. D'ailleurs, on peut prévoir que la commission comprendra plus de sept membres. Possiblement la commission sera une commission de huit, neuf ou dix membres, même, de façon à atteindre cet objectif de crédibilité dans tous les groupes qui peuvent s'intéressera une telle loi.

M. Morin: II est dit, dans le projet d'article 56, que le président et le vice-président sont nommés par l'Assemblée sur la proposition du premier ministre.

M. Choquette: Tous sont nommés sur la proposition du premier ministre. Tous les membres de la commission vont être nommés sur la proposition du premier ministre.

M. Morin: Mais ce n'est pas la façon dont cela se lit.

M. Choquette: La commission est composée d'au moins sept membres, dont le président et le vice-président, nommés par l'Assemblée nationale. Cela se réfère à tous les membres.

M. Morin: Ah! mais c'est plus clair.

M. Choquette: Alors, quand le premier ministre va proposer une liste, il va proposer M. Untel, président, Mme Unetelle, vice-présidente, plus un tel, membre de la commission, un tel, un tel, un tel, un tel et, là, on votera sur la liste.

M. Morin: A ce moment-là, pour que ce soit vraiment clair, je pense qu'il faut mettre un point après vice-président. Je dirais: La commission est composée d'au moins sept membres, dont un président et un vice-président. Ils sont nommés... Ou: Ces membres sont nommés par l'Assemblée nationale, sur proposition du premier ministre, etc. La façon dont cela se lit, là, je vous avoue qu'à première lecture on pense que seuls le président et le vice-président sont nommés par l'Assemblée, sur la proposition du premier ministre. On se dit: Comment seront nommés les autres?

M. Choquette: M. le Président, si le chef de l'Opposition veut que l'on clarifie le texte à sa satisfaction, je n'ai pas d'objection. Mais cela va de soi à mon sens. Je lis le texte et, pour moi, tous les membres sont désignés par l'Assemblée nationale.

M. Morin: Je vois que le président est d'accord avec moi sur le sens.

M. Choquette: Si on veut clarifier, disons: La commission est composée d'au moins sept membres, dont le président et le vice-président. Ils sont nommés par l'Assemblée nationale, sur proposition du premier ministre, pour un mandat n'excédant pas dix ans.

M. Morin: Pour que ce soit parfaitement clair, si on dit "ils", cela peut se référer seulement au président et au vice-président.

M. Choquette: Bien non! Il ne fait pas de distinction.

M. Morin: Oui, c'est une autre phrase, évidemment. En tout cas, ce serait déjà une amélioration que de dire: Ils sont nommés par l'Assemblée.

M. Choquette: Je tiens à dire au chef de l'Opposition que nous avons l'intention de proposer la constitution de la commission avant l'ajournement des travaux cet été, ce qui pourra se faire possiblement demain ou après-demain.

M. Morin: Vous voulez dire que les gens sont déjà choisis.

M. Choquette: C'est-à-dire qu'actuellement nous sommes en train de consulter, nous sommes en train de préparer une liste. Je compte que la liste...

M. Morin: Pour l'annoncer demain, il faut que ce soit avancé.

M. Choquette: Oui, oui.

M. Morin: Que les gens aient accepté.

M. Choquette: C'est assez avancé. Je pense qu'à ce moment-là, nous pourrons proposer une liste par une résolution qui sera présentée à l'Assemblée nationale, sur laquelle tout le monde sera appelé à voter. Je pense qu'on va répondre aux désirs légitimes de l'Opposition.

M. Morin: Je le souhaite. Alors, le ministre accepte donc qu'on dise: Ils sont nommés par l'Assemblée nationale...

M. Choquette: Oui.

M. Morin: ...sur la proposition du premier ministre. D'accord.

Le Président (M. Kennedy): Article 56, adopté tel qu'amendé.

Comme il est cinq heures quinze et qu'il avait été entendu, antérieurement, entre les partis que nous ajournerions, la commission ajourne ses travaux sine die pour recevoir ses instructions de l'Assemblée nationale.

(Fin de la séance à 17 h 10)

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